– 1 –
N° 721
_____
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 13 décembre 2024.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
visant à garantir une véritable éducation à la sexualité effective et obligatoire,
présentée par
Mme Mathilde PANOT, Mme Nadège ABOMANGOLI, M. Laurent ALEXANDRE, M. Gabriel AMARD, Mme Ségolène AMIOT, Mme Farida AMRANI, M. Rodrigo ARENAS, M. Raphaël ARNAULT, Mme Anaïs BELOUASSA-CHERIFI, M. Ugo BERNALICIS, M. Christophe BEX, M. Carlos Martens BILONGO, M. Manuel BOMPARD, M. Idir BOUMERTIT, M. Louis BOYARD, M. Pierre-Yves CADALEN, M. Sylvain CARRIÈRE, Mme Gabrielle CATHALA, M. Bérenger CERNON, Mme Sophia CHIKIROU, M. Hadrien CLOUET, M. Éric COQUEREL, M. Jean-François COULOMME, M. Sébastien DELOGU, M. Aly DIOUARA, Mme Alma DUFOUR, Mme Karen ERODI, Mme Mathilde FELD, M. Emmanuel FERNANDES, Mme Sylvie FERRER, M. Perceval GAILLARD, Mme Clémence GUETTÉ, M. David GUIRAUD, Mme Zahia HAMDANE, Mme Mathilde HIGNET, M. Andy KERBRAT, M. Bastien LACHAUD, M. Abdelkader LAHMAR, M. Maxime LAISNEY, M. Arnaud LE GALL, M. Antoine LÉAUMENT, Mme Élise LEBOUCHER, M. Aurélien LE COQ, M. Jérôme LEGAVRE, Mme Sarah LEGRAIN, Mme Claire LEJEUNE, Mme Murielle LEPVRAUD, Mme Élisa MARTIN, M. Damien MAUDET, Mme Marianne MAXIMI, Mme Marie MESMEUR, Mme Manon MEUNIER, M. Jean-Philippe NILOR, Mme Sandrine NOSBÉ, Mme Danièle OBONO, Mme Nathalie OZIOL, M. René PILATO, M. François PIQUEMAL, M. Thomas PORTES, M. Loïc PRUD’HOMME, M. Jean-Hugues RATENON, M. Arnaud SAINT-MARTIN, M. Aurélien SAINTOUL, Mme Ersilia SOUDAIS, Mme Anne STAMBACH-TERRENOIR, M. Aurélien TACHÉ, Mme Andrée TAURINYA, M. Matthias TAVEL, Mme Aurélie TROUVÉ, M. Paul VANNIER,
députées et députés.
– 1 –
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La loi n° 2001‑588 du 4 juillet 2001 relative à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception a créé dans le code de l’éducation un article L. 312‑16 consacré à l’éducation à la santé et à la sexualité. Depuis 2001, une information et une éducation à la sexualité doivent être dispensées dans les écoles, les collèges et les lycées à raison d’au moins trois séances annuelles et par groupes d’âge homogène. La loi de 2001 s’est peu à peu enrichie. Elle précise à présent le fait que ces séances présentent une vision égalitaire des relations entre les femmes et les hommes et qu’elles contribuent à l’apprentissage du respect dû au corps humain et sensibilisent aux violences sexistes ou sexuelles ainsi qu’aux mutilations sexuelles féminines.
Or, le rapport de l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGSER) faisant le bilan de l’éducation à la sexualité en mission scolaire publié en juillet 2021conclue que « Force est de constater que bien des élèves traversent leur scolarité sans avoir bénéficié d’une seule séance d’EAS, si l’on excepte les apports des programmes des disciplines liées aux sciences de la vie, aux sciences médicosociales et à la prévention santé environnement, portant sur des aspects essentiellement physiologiques. » D’après une enquête de la direction générale de l’enseignement scolaire (DGESCO) dans les établissements se situant dans une académie, seulement 13,5 % des élèves en école primaire ont bénéficié des trois séances annuelles d’éducation à la sexualité en 2020‑2021. Ils sont 18,2 % au collège et 13,1 % en lycée professionnel et lycée général et technologique. Dans le second degré, ces pourcentages sont en baisse par rapport à 2018‑2019. Fort de ces constatations, le rapport liste 35 recommandations. Ce sont des recommandations de bon sens telles que l’introduction de notions d’éducation à la sexualité dans les programmes officiels de certaines disciplines concernées, au‑delà des disciplines liées aux aspects biologiques et sanitaires et de l’enseignement moral et civique ; l’inscription d’au moins trois séances annuelles dédiées dans l’emploi du temps des élèves des écoles, des collèges et des lycées ; l’établissement d’une programmation cohérente de la mise en œuvre de l’éducation à la sexualité à travers les enseignements d’une part et les séances dédiées d’autre part, tout au long de la scolarité, s’appuyant sur des ressources didactiques et pédagogiques adaptées ; la formation des différents acteurs ou encore l’information des parents d’élèves.
Ces recommandations ne seront pas suivies. Le 31 août 2022, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE) demande un plan d’urgence de l’égalité à l’école : « À l’aube de ce nouveau quinquennat, le HCE exhorte les pouvoirs publics à faire de l’éducation à l’égalité et au respect entre les femmes et les hommes dès le plus jeune âge, une priorité absolue. Cela commence par la refonte et la tenue des séances d’éducation à la sexualité prévues par la loi » indique l’instance dans un communiqué. Sylvie Pierre‑Brossolette explique que « L’absence d’éducation à la vie sexuelle et affective favorise le sexisme, qui est lui‑même l’antichambre des violences. Il faut d’urgence prendre le mal à sa racine chez les jeunes générations ».
Le 2 mars 2023, le Planning familial, sidaction et SOS homophobie saisissent le tribunal administratif de Paris pour l’application de la loi de 2001. Selon une enquête IFOP réalisée pour Cas d’école en février 2023, 67 % des jeunes de 15 à 24 ans déclarent ne pas avoir bénéficié des trois séances annuelles obligatoires.
Le 10 septembre 2024, c’est cette fois le Conseil économique social et environnemental qui présente un avis adopté en séance plénière, sans voix exprimée contre, lançant l’alerte sur l’importance du droit à l’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle face à un manquement criant du respect de cette obligation – il estime que 25 % des établissements scolaires ne l’ont d’ailleurs jamais respectée, et sur ses graves conséquences sociales, sanitaires et financières. Le CESE à travers cet avis confirme l’impact essentiel de cette éducation sur la « construction de relations affectives saines, l’impératif de consentement, la reconnaissance des orientations sexuelles et des minorités de genre et la lutte contre les inégalités. Elle est également un moyen de prévenir et de combattre les violences sexuelles, et de promouvoir la santé sexuelle ».
Ces séances sont donc fondamentales pour répondre aux enjeux de santé individuelle et de santé publique. Elles permettent aussi de promouvoir l’égalité et le respect de la dignité des personnes, ainsi que prévenir les discriminations, les violences sexistes et sexuelles et les LGBTIphobies.
À l’inverse, l’absence de ces séances d’éducation à la sexualité a des conséquences graves.
Ainsi, les idées reçues sur les infections sexuellement transmissibles (IST) ont explosé : 31 % des moins de 24 ans en 2021 déclaraient être mal informés sur le VIH, soit une augmentation de 20 points par rapport à 2009. Les violences sexistes et sexuelles ont augmenté de 33 % sur l’année 2021, tandis qu’en 2022 une femme sur cinq de 18 à 24 ans déclare avoir déjà subi un viol ou une agression sexuelle. 85 % des femmes déclarent avoir déjà été exposées à une forme de violence en ligne. Tandis qu’en 2021 en moyenne 20 % des enfants de 6 à 18 ans disent avoir été confrontés à une situation de cyberharcèlement, dont 51 % des filles âgées de 13 ans. De même, on assiste à une augmentation forte des violences LGBTIphobes entre qui ont augmenté de 19 % après avoir doublé entre 2016 et 2021. Aussi 34 % des femmes en situation de handicap déclarent subirent des violences physiques ou sexuelles de la part de leur partenaire et 9 femmes autistes sur 10 sont victimes de violences sexuelles. Également on considère que 125 000 femmes vivant en France ont été directement concernées par une mutilation sexuelle féminine au milieu des années 2010.
Des associations interviennent dans les établissements scolaires afin d’organiser des séances d’éducation à la sexualité. Ainsi, le planning familial intervient dans 3 500 établissements scolaires soit plus de 150 000 élèves chaque année. Cependant, faute de moyens suffisants, l’association est obligée de refuser autant de sollicitations.
Face au constat alarmant dressé par le Planning familial, sidaction, et SOS Homophobie, ces dernières ont été rejointes par les associations : Association de lutte contre le sida et la santé sexuelle (ALS), En avant toute(s), Excision parlons‑en !, Femmes pour le dire, femmes pour agir (FDFA), Fédération nationales des centres d’information sur les droits des femmes et des familles (FNCIDFF), Fédération nationale solidarité femmes (FNSF), Syndicat national des infirmier(e)s conseiller(e)s scolaires FSU SNICS (FSU), et StopFisha.
Ces organisations de la société civile spécialisées en matière d’éducation sexuelle, ont décidé de manière inédite de se rassembler en Collectif. Disposant d’une expertise et d’une légitimité de terrain, elles ont élaboré un Livre blanc intitulé « Pour une véritable éducation à la sexualité », qu’elles ont présenté le 6 novembre 2023 lors d’un événement public au Sénat.
Visant à enfin rendre l’éducation à la sexualité effective, ce Livre blanc rassemble arguments, enjeux, chiffres mais surtout 46 recommandations, à destination des pouvoirs publics, qui proposent des avancées concrètes, transversales et durables aussi bien en ce qui concerne le pilotage, que la mise en œuvre, le contenu, la formation, ou encore les modalités d’animation des séances d’éducation à la sexualité.
Parmi celles‑ci notamment :
– L’introduction par voie législative et réglementaire, des notions d’éducation à la sexualité dans les programmes officiels, et ce dans le cadre d’un parcours tout au long de la scolarité ;
– Compléter l’article L. 312‑16 du code de l’éducation en inscrivant au moins trois séances annuelles dédiées à l’éducation à la sexualité dans l’emploi du temps des élèves des écoles, des collèges et des lycées ;
– La mise en place d’un plan national pluriannuel dédié à l’éducation à la sexualité, sa déclinaison par voie législative et réglementaire en stratégie ou convention nationale, et donnant lieu à un pilotage et suivi par un comité national. Cette déclinaison inclurait notamment la répartition des séances entre Éducation nationale et intervenants extérieurs
– Introduire un volet « éducation à la sexualité » dans la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », à compter du prochain projet de loi de finances et le doter de moyens conséquents ;
La loi de 2001 n’est à ce jour toujours pas appliquée dans la grande majorité des établissements français. Les associations qui œuvrent pour une meilleur égalité femmes‑hommes au travers des séances d’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle n’ont toujours pas les moyens suffisants de le faire. A ces constats alarmants s’ajoutent une offensive lancée par ceux qui s’y opposent. Au progrès que représentent ces séances pour l’égalité, le respect de soi et des autres, ceux‑là opposent leurs fantasmes idéologiques et le rejet des apports des sciences expérimentales et humaines. Ils alimentent par des fausses informations les appréhensions que certains parents peuvent avoir vis‑à‑vis de la sexualité des jeunes, de leur exposition au porno et des réseaux sociaux. Le plus inquiétant est que des gages sont donnés à ce mouvement réactionnaire par le gouvernement, en désavouant par la voix du ministre délégué en charge de la Réussite scolaire et de l’Enseignement professionnel, le travail de son propre ministère, et plus précisément du conseil supérieur des programmes (CSP). Le CSP a produit le premier projet de programme scolaire consacré à l’éducation à la vie affective, relationnelle et à la sexualité, conformément à la recommandation du livre blanc des associations. Ce programme doit être présenté au conseil supérieur de l’éducation en décembre 2024. Il crée déjà le consensus dans la communauté éducative, son sérieux a été salué par les syndicats, et il est adapté à l’évolution des besoins pédagogiques des élèves au cours de leur scolarisation. Pourtant le Ministre reprend les termes des syndicats réactionnaires, désavoue le travail de son administration et invite au sein des salles de classes le militantisme auquel il prétend s’opposer. Ce renoncement, après seulement trois jours de mobilisation de l’extrême droite, sonne comme un aveu de l’inclinaison du gouvernement Barnier : plus prompt à céder aux fantasmes de l’extrême droite qu’à écouter les experts. Ce renoncement coupable ne fait que renforcer notre détermination à exiger le respect de la loi.
Ainsi, cette proposition de résolution invite le Gouvernement à appliquer l’article L. 312‑16 du code de l’éducation afin que soient délivrées une information et une éducation à la sexualité dans les écoles, les collèges et les lycées à raison d’au moins trois séances annuelles. Elle invite également pour cela le Gouvernement à s’appuyer sur les recommandations du Collectif d’organisations, telles qu’écrites dans le Livre Blanc « Pour une véritable éducation à la sexualité ».
L’application de cette mesure doit s’accompagner d’allocation de financements suffisants et adaptés. Selon les travaux du collectif pour une véritable éducation à la sexualité, l’évaluation budgétaire d’une politique publique ambitieuse dans ce domaine est estimée à 620 millions d’euros par an, soit 52 euros par élève, permettant de garantir la formation spécialisée et adéquate des personnels et un réel pilotage, une coordination et un suivi à l’échelle nationale et académique.
– 1 –
proposition de RÉSOLUTION
Article unique
L’Assemblée nationale,
Vu l’article 34‑1 de la Constitution,
Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,
Considérant que les trois séances annuelles d’éducation à la sexualité prévues à l’article L. 312‑16 du code de l’éducation ne sont pas mises en place ;
Considérant que la communauté éducative ainsi que les associations intervenant dans les établissements scolaires, tel que cela est prévu à l’article L. 312‑16 du code de l’éducation, ne disposent pas de moyens suffisants pour répondre à toutes les demandes des établissements scolaires ;
Considérant les bienfaits de ces séances d’éducation à la sexualité ainsi que l’urgence de lutter contre les violences sexistes, sexuelles et LGBTIphobes ;
Invite le Gouvernement à respecter les dispositions de l’article L. 312‑16 du code de l’éducation prévoyant des séances d’information et d’éducation à la sexualité qui doivent être dispensées dans les écoles, les collèges et les lycées à raison d’au moins trois séances annuelles.