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N° 790
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 janvier 2025.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
tendant à la création d’une commission d’enquête pour examiner la nature, les objectifs et les implications des ingérences provenant des multinationales des technologies de l’information et de la communication,
(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
M. Aurélien SAINTOUL, Mme Mathilde PANOT, les membres du groupe La France insoumise - Nouveau Front Populaire [(1)],
députés et députées.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Nul n’ignore la place qu’occupent désormais les grandes entreprises du numérique dans les sociétés contemporaines. Les données qu’elles administrent, les chiffres d’affaires qu’elles brassent et le nombre d’usagers qui dépendent d’elles leur confèrent un pouvoir inédit dans l’Histoire.
Dès lors, leurs rapports avec les institutions publiques et en particulier avec les États sont ambivalentes. Normalement tributaires de nombreuses autorisations pour développer leurs activités, certaines d’entre elles sont parvenues à occuper des positions incontournables qui leur permettent de faire pression sur les législateurs et les gouvernements afin d’obtenir passe‑droits et traitements de faveur.
Leurs dirigeants eux‑mêmes sont devenus des figures publiques dont l’influence tient à leur fortune personnelle, à leur capacité à orienter les marchés, aux nombreux récits de leur réussite qui tendent à en faire des modèles et aux algorithmes que leurs entreprises utilisent et qui sont susceptibles de façonner le débat public et les imaginaires.
De cette influence, ces acteurs pouvaient paraître faire un usage essentiellement orienté par la recherche du profit.
Il n’est désormais plus possible d’ignorer que beaucoup d’entre eux ont désormais la volonté de la mettre au service de conceptions non seulement économico‑politiques mais carrément partisanes ou d’intérêts gouvernementaux. Ils sont par là même, et aujourd’hui de manière manifeste, des outils d’influences de pays étrangers.
Ainsi, l’élection de M. Donald Trump à la présidence des États‑Unis en 2008 aurait dû alerter. Le scandale Cambridge Analytica qui avait éclaté par la suite avait indiqué l’ampleur du risque que faisait peser la gestion opaque et malveillante des données personnelles des utilisateurs de réseaux sociaux. En dépit de l’adoption du règlement européen sur les services numériques (DSA) en 2022, on peut se demander si la prise de conscience des enjeux par les États au sein de l’Union européenne fut à la hauteur.
La nouvelle élection de M. Donald Trump en novembre dernier manifeste que les grandes multinationales « de la tech » et leurs dirigeants ont choisi de franchir les limites qu’ils avaient acceptées jusqu’à présent et de le faire d’une manière concertée avec la nouvelle administration étasunienne.
L’attitude de M. Elon Musk est emblématique de cette stratégie. L’homme le plus riche du monde, dont les entreprises fournissent des services à plusieurs États et dont le réseau social compte 620 millions d’utilisateurs actifs, a multiplié les interventions partisanes, parfois injurieuses, depuis plusieurs mois. Ses déclarations sont innombrables et visent pour l’instant l’Allemagne, le Royaume‑Uni, l’Union Européenne et l’ancien commissaire Thierry Breton…
Dans la mesure où un rôle actif au sein de la nouvelle administration semble lui être promis, on ne saurait imaginer que sa parole soit celle d’un simple particulier.
En janvier 2025, c’est le patron de Meta, Mark Zuckerberg qui annonçait aligner son agenda et celui de l’entreprise sur celui de la nouvelle administration afin de « mettre la pression aux gouvernements » européens afin de réviser la législation et la réglementation visant notamment à empêcher la propagation de fausses informations, d’injures et de propos haineux.
Il est désormais patent que ces personnes morales et physiques, qu’une forme de naïveté ou que l’idéologie incitaient à présenter comme des acteurs neutres à l’égard des systèmes politiques, sont en fait capables et désireux d’exercer sur notre société une influence indue et contraire au principe démocratique fondamental d’après lequel les citoyens s’informent, délibèrent, communiquent et votent librement et non sous la coupe de quelque tuteur.
Afin de prendre la mesure exacte de la dépendance objective dans laquelle se trouve l’État français et les citoyens à l’égard de ces multinationales, de documenter toute tentative passée et présente de faire prévaloir des intérêts économiques sur des décisions démocratiques et des intérêts étrangers sur des intérêts nationaux, d’anticiper les risques que de nouvelles tentatives surviennent prochainement, et de tenter de définir par quels moyens la France pourrait s’affranchir de cette dépendance et se prémunir de ces menaces, la création d’une commission d’enquête parlementaire est nécessaire.
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proposition de rÉsolution
Article unique
En application des articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, est créée une commission d’enquête de trente membres chargée :
– d’examiner la nature particulière des influences et ingérences provenant des multinationales des technologies de l’information et de la communication, tels que les fake news, la modération, les algorithmes biaisés ou l’opacité technique ;
– de déterminer les objectifs économiques, politiques, et idéologiques de ces multinationales ;
– de déterminer les implications présentes et passées de ces influences et ingérences sur la vie politique de l’État français ;
– de mettre en évidence les liens indissociables entre les intérêts des multinationales et ceux des pays les hébergeant ;
– d’évaluer les cadres de régulation existants et de proposer le cas échéant des recommandations.
[(1)](1) Ce groupe est composé de : Mme Nadège ABOMANGOLI, M. Laurent ALEXANDRE, M. Gabriel AMARD, Mme Ségolène AMIOT, Mme Farida AMRANI, M. Rodrigo ARENAS, M. Raphaël ARNAULT, Mme Anaïs BELOUASSA-CHERIFI, M. Ugo BERNALICIS, M. Christophe BEX, M. Carlos Martens BILONGO, M. Manuel BOMPARD, M. Idir BOUMERTIT, M. Louis BOYARD, M. Pierre-Yves CADALEN, M. Aymeric CARON, M. Sylvain CARRIÈRE, Mme Gabrielle CATHALA, M. Bérenger CERNON, Mme Sophia CHIKIROU, M. Hadrien CLOUET, M. Éric COQUEREL, M. Jean-François COULOMME, M. Sébastien DELOGU, M. Aly DIOUARA, Mme Alma DUFOUR, Mme Karen ERODI, Mme Mathilde FELD, M. Emmanuel FERNANDES, Mme Sylvie FERRER, M. Perceval GAILLARD, Mme Clémence GUETTÉ, M. David GUIRAUD, Mme Zahia HAMDANE, Mme Mathilde HIGNET, M. Andy KERBRAT, M. Bastien LACHAUD, M. Abdelkader LAHMAR, M. Maxime LAISNEY, M. Arnaud LE GALL, M. Aurélien LE COQ, M. Antoine LÉAUMENT, Mme Élise LEBOUCHER, M. Jérôme LEGAVRE, Mme Sarah LEGRAIN, Mme Claire LEJEUNE, Mme Murielle LEPVRAUD, Mme Élisa MARTIN, M. Damien MAUDET, Mme Marianne MAXIMI, Mme Marie MESMEUR, Mme Manon MEUNIER, M. Jean-Philippe NILOR, Mme Sandrine NOSBÉ, Mme Danièle OBONO, Mme Nathalie OZIOL, Mme Mathilde PANOT, M. René PILATO, M. François PIQUEMAL, M. Thomas PORTES, M. Loïc PRUD’HOMME, M. Jean-Hugues RATENON, M. Arnaud SAINT-MARTIN, M. Aurélien SAINTOUL, Mme Ersilia SOUDAIS, Mme Anne STAMBACH-TERRENOIR, M. Aurélien TACHÉ, Mme Andrée TAURINYA, M. Matthias TAVEL, Mme Aurélie TROUVÉ, M. Paul VANNIER.