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N° 852 rectifié

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 27 janvier 2025.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

appelant à la libération immédiate et inconditionnelle de Boualem Sansal,

(Renvoyée à la commission des affaires européennes)

présentée par

Mme Constance LE GRIP, M. David AMIEL, M. Antoine ARMAND, M. Hervé BERVILLE, Mme Maud BREGEON, M. Anthony BROSSE, M. Stéphane BUCHOU, Mme Françoise BUFFET, M. Vincent CAURE, M. Lionel CAUSSE, M. Thomas CAZENAVE, M. Jean-René CAZENEUVE, M. Yannick CHENEVARD, Mme Nicole DUBRÉ-CHIRAT, M. Philippe FAIT, M. Jean-Luc FUGIT, Mme Olivia GRÉGOIRE, Mme Emmanuelle HOFFMAN, M. Guillaume KASBARIAN, M. Daniel LABARONNE, M. Jean LAUSSUCQ, M. Michel LAUZZANA, Mme Christine LE NABOUR, M. Vincent LEDOUX, M. Mathieu LEFÈVRE, Mme Brigitte LISO, M. Christophe MARION, Mme Laure MILLER, Mme Joséphine MISSOFFE, M. Karl OLIVE, Mme Sophie PANONACLE, Mme Marie-Pierre RIXAIN, M. Charles RODWELL, M. Freddy SERTIN, Mme Violette SPILLEBOUT, Mme Annie VIDAL, M. Pieyre-Alexandre ANGLADE, M. Gabriel ATTAL, M. Olivier BECHT, M. Belkhir BELHADDAD, M. Éric BOTHOREL, M. Florent BOUDIÉ, Mme Danielle BRULEBOIS, Mme Céline CALVEZ, Mme Eléonore CAROIT, M. Pierre CAZENEUVE, M. François CORMIER-BOULIGEON, Mme Julie DELPECH, M. Benjamin DIRX, M. Jean-Marie FIÉVET, M. Moerani FRÉBAULT, Mme Camille GALLIARD-MINIER, M. Thomas GASSILLOUD, Mme Anne GENETET, Mme Olga GIVERNET, M. Guillaume GOUFFIER VALENTE, M. Sébastien HUYGHE, M. Jean-Michel JACQUES, Mme Brigitte KLINKERT, Mme Sandrine LE FEUR, M. Didier LE GAC, Mme Annaïg LE MEUR, Mme Nicole LE PEIH, Mme Marie LEBEC, M. Roland LESCURE, Mme Pauline LEVASSEUR, M. Sylvain MAILLARD, M. Bastien MARCHIVE, Mme Sandra MARSAUD, M. Denis MASSÉGLIA, M. Stéphane MAZARS, Mme Graziella MELCHIOR, M. Ludovic MENDES, M. Nicolas METZDORF, M. Paul MIDY, Mme Natalia POUZYREFF, M. Franck RIESTER, Mme Véronique RIOTTON, Mme Stéphanie RIST, Mme Anne-Sophie RONCERET, Mme Marie-Ange ROUSSELOT, M. Jean-François ROUSSET, M. Mikaele SEO, M. Charles SITZENSTUHL, M. Bertrand SORRE, Mme Liliana TANGUY, M. Jean TERLIER, Mme Prisca THEVENOT, M. Stéphane TRAVERT, Mme Corinne VIGNON, M. Stéphane VOJETTA, M. Éric WOERTH, Mme Caroline YADAN,

députées et députés.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

« Le plus grand savoir du monde plie devant le grain de poussière qui enraye la pensée. » 2084, la fin du monde, Boualem Sansal, 2015, Grand prix du roman de l’Académie française, Gallimard.

Par cette proposition de résolution européenne, nous exprimons, avec la plus grande fermeté, notre condamnation sans équivoque de l’arrestation et de la détention arbitraires de M. Boualem Sansal, citoyen français, par les autorités algériennes, et exigeons sa libération immédiate et inconditionnelle.

La France, à travers les mots du Président de la République lors de son discours du 6 janvier 2025 à la conférence des Ambassadrices et des Ambassadeurs, se tient aux côtés de « tous les combattants de la liberté quand ils sont emprisonnés, quel que soit le régime et quels que soient nos intérêts ».

Les accords bilatéraux liant la France et l’Algérie, tout comme les engagements pris dans le cadre des accords de partenariat entre l’Union européenne et l’Algérie, réaffirment la conviction que ce pays doit demeurer un partenaire fiable et respectueux des principes fondamentaux du droit international. Ces liens singuliers avec l’Algérie, fruits de l’Histoire et nourris par des coopérations culturelles, économiques, académiques, linguistiques et scientifiques, confèrent une responsabilité particulière : celle de ne pas détourner le regard face aux dérives autoritaires du régime. De plus, les éventuelles tensions diplomatiques entre deux États souverains ne sauraient avoir des répercussions directes sur les destins et les droits des individus.

Pourtant, nous constatons, avec une inquiétude grandissante, l’érosion continue de l’État de droit, des libertés d’expression, d’opinion, de conscience et de culte, de la liberté de la presse ainsi que de la liberté des femmes en Algérie. Ces atteintes flagrantes aux droits fondamentaux sont en totale contradiction avec les engagements internationaux souscrits par l’Algérie, tant sur le plan bilatéral que multilatéral. Elles sont également contraires à la Constitution algérienne, notamment ses articles 42, 48 et 50, garantissant la liberté d’opinion, de presse et de manifestation pacifique. L’arrestation répétée de journalistes et de penseurs critiques illustre une volonté manifeste de réprimer toute voix dissonante.

La situation de M. Boualem Sansal est, à cet égard, particulièrement alarmante. Écrivain de renommée internationale, ardent défenseur de la liberté d’expression, il a consacré sa vie à promouvoir un dialogue critique et constructif avec l’Algérie. Profondément attaché à son pays natal, il n’a jamais renié les liens qui l’unissent à sa terre d’origine. Lauréat du Grand Prix du roman de l’Académie française en 2015, il est reconnu pour son courage et sa détermination dans la défense des droits et des libertés face aux dérives du radicalisme religieux.

Son arrestation le 16 novembre 2024, fondée sur des accusations sans fondements tangibles, et sa détention dans des conditions inacceptables au regard des normes internationales constituent une violation flagrante de ses droits. Longtemps privé de tout contact avec ses proches et sa famille, M. Sansal, aujourd’hui âgé de 80 ans, voit son état de santé se dégrader dangereusement. Les hospitalisations répétées qu’il a subies depuis son incarcération témoignent de l’urgence impérieuse d’une intervention immédiate. D’après le procureur algérien, M. Boualem Sansal a été arrêté pour « atteinte à la sûreté de l’État, à l’intégrité du territoire, à la stabilité ou au fonctionnement normal des institutions, aux symboles de la Nation ou de la République ». Il pourrait être condamné à la peine de mort ou à la prison à perpétuité.

La France, fidèle à son rôle de patrie des droits de l’Homme, ne saurait tolérer de telles dérives autoritaires, qui plus est à l’encontre de l’un de ses citoyens. Les députés français sont appelés à faire leurs les conclusions de la résolution du Parlement européen du 23 janvier 2025, qui a su transcender les divergences politiques pour condamner, de manière unanime, le traitement inacceptable réservé à M. Boualem Sansal. Il est temps pour le Parlement français d’emprunter ce chemin et d’affirmer avec force son engagement en faveur des droits fondamentaux.

Ainsi, nous lançons un appel solennel pour une mobilisation transpartisane en faveur de la libération immédiate et sans condition de M. Boualem Sansal. Tant que cette exigence légitime ne sera pas satisfaite, la poursuite des négociations diplomatiques et commerciales avec l’Algérie, notamment dans le cadre de la renégociation de l’accord d’association UE‑Algérie, nous semble inconcevable.

Mesdames et Messieurs les députés, nous avons le devoir de rester fidèles à nos valeurs et de manifester, une fois de plus, notre capacité à nous unir pour défendre ce qui est l’essence même des démocraties : la liberté d’expression.

 


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proposition de rÉsolution europÉenne

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88‑4 de la Constitution,

Vu l’article 151‑5 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu la résolution 2025/2512 du Parlement européen sur le cas de Boualem Sansal en Algérie,

Vu la résolution 2023/2661 du Parlement européen sur la liberté des médias et la liberté d’expression en Algérie, le cas du journaliste Ihsane El‑Kadi,

Vu la résolution 2021/2055 du Parlement européen sur la persécution des minorités fondées sur les convictions ou la religion,

Vu la résolution 2020/2880 du Parlement européen sur la détérioration de la situation des droits de l’homme en Algérie, en particulier le cas du journaliste Khaled Drareni,

Vu la résolution 2019/2927 du Parlement européen sur la situation des libertés en Algérie,

Vu la résolution 2018/2160 du Parlement européen sur l’après‑printemps arabe,

Vu la résolution 2015/2665 du Parlement européen sur l’incarcération de militants des droits de l’homme et des travailleurs en Algérie,

Vu la résolution C 124 E/568 du Parlement européen sur la liberté de la presse en Algérie,

Vu les orientations et valeurs de l’Union européenne concernant les défenseurs des droits de l’homme, la peine de mort, la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, la liberté d’expression en ligne et hors ligne, et les défenseurs des droits de l’homme,

Vu la charte africaine des droits de l’homme et des peuples,

Vu l’article 40 de la Constitution de l’Algérie qui proscrit toute forme de violence physique ou morale ou d’atteinte à la dignité. Cet article dénonce également tout traitement cruel, inhumain ou dégradant. Aussi, l’État algérien est garant de l’inviolabilité de la personne humaine,

Vu l’article 42 de la Constitution de l’Algérie qui consacre l’inviolabilité de la liberté de conscience et de la liberté d’opinion. Les articles 48 et 50 de cette même Constitution reconnaissent la liberté d’expression, la liberté de la presse et proscrivent toute forme de censure,

Vu l’accord d’association entre l’Algérie et l’Union européenne du 22 avril 2002,

Vu le rapport du 9 mars 2017 de la Commission européenne sur l’état des relation Union Européenne‑Algérie dans le cadre de la potitique européennne de voisinage rénovée,

Vu les conclusions du Conseil d’association Union Européenne‑Algérie du 7 décembre 2020,

Considérant que l’Algérie est signataire de la Déclaration universelle des droits de l’homme et qu’elle s’est engagée à garantir et à promouvoir la liberté d’expression, dans le strict respect de ses obligations internationales ;

Considérant que le 16 novembre 2024, les autorités algériennes ont procédé à l’arrestation de l’écrivain franco‑algérien Boualem Sansal, connu pour ses prises de position fermes et publiques contre le régime en place, réclamant notamment la garantie de la liberté d’expression en Algérie. Il est demeuré introuvable pendant une semaine, période durant laquelle il lui a été interdit de communiquer avec sa famille et de consulter un avocat, en violation flagrante du droit international. M. Sansal a été interrogé sans la présence de son conseil juridique, portant ainsi atteinte à son droit à un procès équitable. Par la suite, il a été inculpé pour atteinte à la sûreté de l’État sur la base de l’article 87 bis du code pénal algérien, un texte souvent invoqué pour réprimer les critiques à l’égard du gouvernement, y compris celles des défenseurs des droits de l’homme ;

Considérant, au regard de son âge et la fragilité de sa santé, que les conditions dans lesquelles M. Sansal est détenu font peser un risque direct sur sa vie ;

Considérant que la liberté d’expression a régressé en Algérie. Le pays est classé à la 139ème place du classement mondial de la liberté de la presse en 2024 ;

Considérant l’adoption en Algérie en 2023 de trois lois sur les médias, dénoncées comme répressives par de nombreuses organisations non gouvernementales : la loi organique sur l’information, la loi relative à la presse écrite et électronique et la loi relative à l’activité audiovisuelle ;

Considérant, selon les chiffres des défenseurs des droits de l’homme en Algérie, que 215 personnes sont aujourd’hui détenues en Algérie comme « prisonnier d’opinion » ;

Considérant qu’entre 2021 et 2024, l’Union européenne demeure un partenaire privilégié de l’Algérie et qu’elle lui a versé 213 millions d’euros dans le cadre du programme indicatif pluriannuel ;

Considérant que les éventuelles tensions diplomatiques entre deux États souverains ne sauraient avoir des répercussions directes sur les destins et les droits des individus ;

Condamne fortement l’arrestation et la détention de Boualem Sansal et réclame sa libération immédiate et inconditionnelle ;,

Condamne la détention en Algérie des personnes considérées comme « prisonniers d’opinion », militants, journalistes, blogueurs, ou défenseurs des droits de l’homme, et réclame leur libération ;

Condamne les méthodes d’intimidation du régime algérien qui réduisent, de fait, la liberté d’expression et la liberté de la presse ;

Appelle le Gouvernement de la République française ainsi que la Commission européenne à rappeler aux autorités algériennes le respect du droit de la défense de M. Boualem Sansal, et de permettre à son avocat de le rejoindre à Alger pour le défendre ;

Appelle le Gouvernement de la République française ainsi que la Commission européenne à rappeler aux autorités algériennes le respect des priorités du partenariat Union européenne‑Algérie, et notamment la protection de l’État de droit et de la liberté d’expression ;

Appelle le Gouvernement de la République française ainsi que la Commission européenne à veiller à ce que les futurs versements de fonds européens à l’Algérie s’accompagnent de progrès substantiels en matière d’État de droit et de libertés fondamentales ;

Appelle le gouvernement de la République française ainsi que la Commission européenne et le Conseil européen à suspendre toutes les avancées favorables à l’Algérie dans les discussions entre l’Union européenne et l’Algérie, dans le cadre de la renégociation de l’accord d’association Union européenne‑Algérie tant que Boualem Sansal ne sera pas libéré de prison.