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N° 854
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 27 janvier 2025.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
visant à garantir le respect effectif du principe de non-refoulement,
présentée par
Mme Élisa MARTIN, Mme Mathilde PANOT, Mme Nadège ABOMANGOLI, M. Laurent ALEXANDRE, M. Gabriel AMARD, Mme Ségolène AMIOT, Mme Farida AMRANI, M. Rodrigo ARENAS, M. Raphaël ARNAULT, Mme Anaïs BELOUASSA-CHERIFI, M. Ugo BERNALICIS, M. Christophe BEX, M. Carlos Martens BILONGO, M. Manuel BOMPARD, M. Idir BOUMERTIT, M. Louis BOYARD, M. Pierre-Yves CADALEN, M. Aymeric CARON, M. Sylvain CARRIÈRE, Mme Gabrielle CATHALA, M. Bérenger CERNON, Mme Sophia CHIKIROU, M. Hadrien CLOUET, M. Éric COQUEREL, M. Jean-François COULOMME, M. Sébastien DELOGU, M. Aly DIOUARA, Mme Alma DUFOUR, Mme Karen ERODI, Mme Mathilde FELD, M. Emmanuel FERNANDES, Mme Sylvie FERRER, M. Perceval GAILLARD, Mme Clémence GUETTÉ, M. David GUIRAUD, Mme Zahia HAMDANE, Mme Mathilde HIGNET, M. Andy KERBRAT, M. Bastien LACHAUD, M. Abdelkader LAHMAR, M. Maxime LAISNEY, M. Arnaud LE GALL, M. Antoine LÉAUMENT, Mme Élise LEBOUCHER, M. Aurélien LE COQ, M. Jérôme LEGAVRE, Mme Sarah LEGRAIN, Mme Claire LEJEUNE, Mme Murielle LEPVRAUD, M. Damien MAUDET, Mme Marianne MAXIMI, Mme Marie MESMEUR, Mme Manon MEUNIER, M. Jean-Philippe NILOR, Mme Sandrine NOSBÉ, Mme Danièle OBONO, Mme Nathalie OZIOL, M. René PILATO, M. François PIQUEMAL, M. Thomas PORTES, M. Loïc PRUD’HOMME, M. Jean-Hugues RATENON, M. Arnaud SAINT-MARTIN, M. Aurélien SAINTOUL, Mme Ersilia SOUDAIS, Mme Anne STAMBACH-TERRENOIR, M. Aurélien TACHÉ, Mme Andrée TAURINYA, M. Matthias TAVEL, Mme Aurélie TROUVÉ, M. Paul VANNIER,
députées et députés.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La présente proposition de résolution vise à rappeler la France à ses engagements internationaux quant au respect du principe du non‑refoulement aussi bien aux frontières ([1]) qu’à l’intérieur des frontières et à garantir son application effective.
Le principe de non‑refoulement interdit le renvoi, l’expulsion, l’extradition, l’éloignement du territoire ou tout acte similaire, de personnes risquant des violations de leurs droits fondamentaux, ce risque pouvant émaner d’acteurs étatiques et non‑étatiques. Les risques de torture et autres formes de mauvais traitements, de privation arbitraire de la vie ou de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques sont parmi les risques les plus reconnus.
Ce principe est explicitement prévu par le droit international humanitaire (DIH), le droit international des réfugiés et le droit international des droits de l’homme (DIDH). Selon, le Comité International de la Croix‑Rouge, le principe de non‑refoulement est devenu une règle de droit international coutumier.
Au titre du droit des réfugiés, la France est partie contractante aux 4 Conventions de Genève dont celle de 1951 et son protocole additionnel de 1967, deux instruments internationaux ayant une force obligatoire, interdisant le refoulement des réfugiés pour les motifs cités plus haut. Cette interdiction doit s’appliquer aux réfugiés et aux demandeurs d’asile, que leur statut ait été ou non reconnu de manière formelle. La France se doit donc de respecter ses engagements internationaux.
Certes, le droit des réfugiés admet une exception au principe de non‑refoulement lorsque la personne constitue un danger pour la sécurité du pays où elle se trouve ou si elle a été condamnée définitivement pour un crime ou un délit particulièrement grave ([2]). Toutefois, on assiste en France à l’instrumentalisation du régime d’exception prévu par l’article 33‑2 de la Convention de Genève, due à une interprétation abusive de la notion de « menace grave à l’ordre public » : une notion malléable au gré des émotions nationales et de l’alternance politique, comme le dénoncent de nombreuses ONG internationales. En effet, plusieurs expulsions ont fait suite à des retraits de statut de réfugié, sous couvert de « risque sérieux de menace grave à l’ordre public ».
Cependant, contrairement au droit des réfugiés, le DIDH n’autorise aucune exception ou dérogation au principe de non‑refoulement. Ces interdictions sont prévues lorsqu’il existe un risque d’être soumis à des tortures, des peines ou traitements inhumains ou dégradants, telles que prévues par la Convention contre la torture ([3]) ainsi que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 ([4]). Rappelons que la France a ratifié ces deux instruments internationaux et qu’elle se doit de respecter ses obligations internationales. Au niveau régional, la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne ([5]), consacre à son tour le principe de non‑refoulement pour les mêmes motifs. Ainsi, au titre du DIDH, ces instruments internationaux et régionaux ratifiés par la France interdisent le refoulement, même lorsque le droit des réfugiés l’autoriserait.
La Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) a jugé en 2021, que la révocation du statut de réfugié est sans incidence sur la qualité de réfugié. Elle doit être prise en compte par les autorités internes lorsque ces dernières examinent la réalité du risque que l’intéressé allègue subir en cas d’expulsion vers son pays d’origine, et protège donc en principe le requérant contre le refoulement ([6]) . L’exécutif a pourtant ignoré à plusieurs reprises cette jurisprudence fondatrice, de même que plusieurs autres décisions de la CEDH relatives à l’expulsion. Aujourd’hui, la France va même au‑delà : en novembre 2023, la France a expulsé un ressortissant ouzbek vers son pays d’origine au motif qu’il représentait une menace pour l’État, alors même que la CEDH avait pris une mesure provisoire visant à suspendre la décision d’éloignement avant de statuer sur le fond, estimant au titre de son article 3 qu’il existait des risques de torture en cas de renvoi de l’intéressé dans le pays d’origine ([7]) . Cette décision d’expulsion par la France, outrepassant une décision de la CEDH, constitue un dangereux précédent et confirme le tournant inquiétant pris par les autorités françaises vers la systématisation des actes de refoulement.
Somme toute, en dépit des engagements internationaux et régionaux de la France, les cas de renvois forcés à nos frontières, mais aussi à l’intérieur de nos frontières (les mesures d’éloignement) contreviennent quasi‑systématiquement au principe de non‑refoulement. Ces constats font suite à de nombreuses alertes émises par les observateurs et acteurs de la société civile, qu’ils soient spécialistes du droit international ou mobilisés sur le terrain. Sont aussi bien concernés des individus désireux ou susceptibles de déposer une demande d’asile en France, que des réfugiés dont le statut a été formellement reconnu.
Il a ainsi été documenté par de nombreuses associations de terrain que des agents de la police aux frontières franco‑espagnole et franco‑italienne procèdent régulièrement à des refus d’entrée sur le territoire français avant‑même que les personnes concernées aient l’occasion d’y déposer une demande d’asile ([8]). Les mineurs, notamment non‑accompagnés, sont également concernés, comme le dénonçait déjà en 2020 Amnesty International et d’autres organisations partenaires dans un rapport remis au Comité des droits de l’enfant des Nations Unies ([9]) . L’appréciation individuelle de chaque cas étant rendue impossible dans ce type de configuration, il n’y a donc naturellement pas d’évaluation de l’existence ou non de potentiels risques pesant sur la vie ou la liberté de l’individu concerné en cas de retour dans son pays d’origine, ou sur le territoire vers lequel il doit être renvoyé. Risques au titre desquels celui‑ci pourrait ou aurait pu se prévaloir lors de l’examen de sa demande d’asile.
La généralisation de ces refus d’entrée sur le territoire a été favorisée par la multiplication des contrôles frontaliers depuis la réintroduction des contrôles aux frontières intérieures en 2015. Cette mesure qui ne devait être prévue qu’à titre exceptionnel et pour une durée limitée, a été sans cesse renouvelée au fil des ans et renforcée en termes d’effectifs de policiers. Pourtant, une décision de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) en 2022 a rappelé qu’un renouvellement du rétablissement des contrôles aux frontières intérieures ne pouvait avoir lieu qu’en raison d’un nouveau motif ([10]). Pour autant, le Conseil d’État s’est opposé à la décision de la CJUE et a jugé légitime la position de la France ([11]) .
En matière de détention des migrants, diverses pratiques de rétention et d’enfermement sont mises en place afin de pratiquer ces refoulements d’une frontière à une autre, comme les zones d’attente, les locaux et centres de rétention administrative, ou encore les locaux de « mise à l’abri ». Il est important de préciser qu’aujourd’hui, les locaux de « mise à l’abri » ne sont encadrés par aucun texte. Les personnes qui y sont enfermées sont considérées par les autorités comme ne pouvant entrer sur le territoire et devant être refoulées avant de se voir notifier un refus d’entrée sur le territoire français avant leur enfermement. Ces procédures de refus d’entrée sur le territoire sont appliquées de manière expéditive, les personnes n’étant pas informées de leurs droits. Le Conseil de l’Europe a épinglé la France dans un rapport publié en 2022 précisément pour ces pratiques de « refoulement généralisé aux frontières » ([12]) . Cette tendance est dénoncée par différentes ONG ([13]), la détention arbitraire étant prohibée dans un État de droit. Elle suscite les plus grandes inquiétudes et doit cesser au profit de l’exercice effectif des droits fondamentaux.
La réforme du système de l’asile contenue dans la loi immigration de 2023, et les velléités de durcissement des obligations de quitter le territoire français (OQTF) de l’actuel gouvernement, laissent craindre de voir ce principe de non‑refoulement à nouveau bafoué, et illustre pleinement la volonté d’expulser à tout prix au mépris des obligations internationales de la France. En effet, l’absence ou la mauvaise conduite des examens des situations personnelles lors des procédures d’asile, corollaire indispensable du principe de non‑refoulement, conduisent à des refus d’octroi de l’asile, et ainsi à des OQTF visant des personnes qui auraient dû pouvoir prétendre à une protection internationale.
La France doit rester attachée au principe de non‑refoulement, le réaffirmer sans ambiguïté et en garantir le respect effectif. Il en va de la préservation pratique du droit d’asile, droit fondamental résultant d’engagements internationaux ratifiés par la France. Réaffirmer ce principe absolu revient en somme à réaffirmer l’attachement de notre République
aux droits humains.
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proposition de RÉSOLUTION
Article unique
L’Assemblée nationale,
Vu l’article 34‑1 de la Constitution,
Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,
Vu l’article 33 de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés de 1951,
Vu l’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966,
Vu l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants de 1984,
Vu la Convention internationale des droits de l’enfant,
Vu l’article 19 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,
Considérant l’appel de nombreuses organisations non‑gouvernementales, institutions, et juridictions alertant sur les violations du principe de non‑refoulement par la France ;
Considérant les nombreuses violations du principe de non‑refoulement par la France ;
Considérant le rôle que doit avoir la France dans le respect du principe de non‑refoulement ;
Invite le Gouvernement à garantir une application pleine et entière du texte de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, en particulier l’article 33 de la Convention garantissant le principe de non‑refoulement ;
Invite le Gouvernement à respecter l’interdiction de la pratique des expulsions de masse, prohibée par la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et libertés fondamentales, par nature incompatible avec le principe de non‑refoulement en raison de l’absence totale d’examen des situations individuelles qu’elles impliquent ;
Invite le Gouvernement à garantir l’accès effectif à la demande d’asile à toute personne et à permettre à toute personne d’être informée de ses droits au cours de la procédure ;
Invite le Gouvernement à mettre fin à la politique d’enfermement et de rétention des personnes.
([1]) Sur le territoire ou dans la mer territoriale.
([2]) Ces mesures d’expulsion sont prévues aux articles L630-1 à L632-7 du CESEDA et article L511-7 du CESEDA.
([3]) Article 3 de la Convention contre la torture.
([4]) Article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966.
([5]) Article 19 de la Charte européenne des droits fondamentaux
([6]) K.I. c. France n° 5560/19, Cour Européenne des Droits de l’Homme, 15 avril 2021.
([7]) La France procède à l’expulsion en passant outre une décision de la CEDH pour la première fois », Julia Pascual pour le journal Le Monde, 1er décembre 2023.
([8]) « Contrôles migratoires à la frontière franco-espagnole : entre violations des droitset luttes solidaires », Amnesty International et autres organisations, mai 2023.
([9]) « Les manquements des autorités françaises aux devoirs élémentaires de respecter, protéger et mettre en œuvre les droits des mineurs isolés étrangers en danger », Amnesty International et autres organisations, octobre 2020.
([10]) NW contre Landespolizeidirektion Steiermark, NW contre Bezirkshauptmannschaft Leibnitz, affaires C 368/20 et C 369/20, CJUE, 26 avril 2022.
([11]) Décision n°463850 du Conseil d’État, le 27 juillet 2022.
([12]) « Quatre domaines d’action urgente pour faire cesser les violations de droits de l’homme aux frontières européennes » Conseil de l’Europe, Repoussés au-delà des limites., 7 avril 2022.
([13]) Projet de Coordination des actions aux frontières intérieures (CAFI).