N° 918
_____
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 6 février 2025.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE
visant à soutenir le Danemark et à œuvrer en faveur d’une plus grande autonomie stratégique européenne,
(Renvoyée à la commission des affaires européennes)
présentée par
M. Vincent CAURE,
député.
– 1 –
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Le président des États‑Unis a déclaré à plusieurs reprises et encore récemment vouloir « acquérir » le Groenland, par le commerce ou par la force. Ces déclarations ne sont pas les premières. Déjà en 2019, une crise avait éclaté suite aux déclarations de Donald Trump. Si l’histoire se répète ici, cette seconde fois n’a rien de la farce. Bien au contraire, si nous ne faisons rien, cela tiendra pour les Européens du drame. La méthode Trump, c’est le ferment de la fin pour les Européens.
Membre de l’Union européenne depuis 1973 et de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) depuis 1979, le Royaume du Danemark est un État démocratique et souverain ayant autorité sur le Groenland en matière de politique étrangère, de défense et de sécurité, de police et justice et de politique monétaire, conformément à la loi sur l’autonomie de 2009.
Ces menaces ne doivent pas être minimisées, elles avaient d’ailleurs déjà été formulées dans des termes similaires par le président des États‑Unis en 2019. Ces velléités, contraires aux principes fondamentaux du droit international et du droit à l’autodétermination des peuples, constituent une menace directe et sérieuse pour la souveraineté du Danemark et de l’Union européenne.
Le Groenland, territoire constitutif du Royaume du Danemark, figure depuis 1985 parmi les pays et territoires d’outre‑mer (PTOM) associés à l’Union européenne et bénéficie à ce titre d’une coopération renforcée avec l’Union européenne.
Suite aux déclarations du président américain Donald Trump, les autorités danoises et groenlandaises de même que les habitants de l’île ont signifié leur opposition à l’idée de quitter le Royaume du Danemark pour intégrer les États‑Unis. Selon un sondage publié le 29 janvier 2025 dans un journal groenlandais, 85 % des habitants y sont opposés.
De cette situation, deux constats peuvent être dressés :
En premier lieu, l’Arctique, région épargnée par certaines tensions depuis la fin de la guerre froide, acquiert ces dernières années un rôle géostratégique critique sous l’effet combiné du changement climatique qui a fait fondre les glaces, et de la guerre en Ukraine avec ses multiples implications, au premier rang desquelles l’introduction de sanctions occidentales visant spécifiquement les projets pétroliers et gaziers russes dans l’Arctique. Aux puissances arctiques historiques que sont la Russie et les États‑Unis se sont également ajoutés de nouveaux acteurs globaux comme la Chine, récemment autoproclamée « proche de l’Arctique » (near‑Arctic State) et désormais membre observateur au Conseil de l’Arctique depuis 2013.
En second lieu, le retour des empires se confirme chaque jour un peu plus et les rapports de force se généralisent, y compris entre propres alliés. Le Danemark qui, depuis la Seconde Guerre mondiale, a fait reposer sa défense en grande partie sur les États‑Unis dans le cadre de l’OTAN, voit ainsi sa sécurité aujourd’hui questionnée et fragilisée par ce même allié.
Cette situation nous rappelle la nécessité de construire une véritable autonomie stratégique européenne, qui ne pourra voir le jour sans une réelle prise de conscience collective. La crise du Groenland, comme l’a été la guerre en Ukraine il y a presque trois ans de cela, doit être un déclencheur.
Comme la guerre en Ukraine, la crise nous oblige à resserrer encore davantage nos coopérations et la solidarité entre pays européens. Comme la guerre en Ukraine, le pays attaqué dans les mots ou par les armes doit être soutenu jusqu’au bout. Comme la guerre en Ukraine, la crise groenlandaise donne l’occasion à l’Europe d’être actrice de son avenir.
Dans ce contexte, la France doit prendre des mesures concrètes pour témoigner son soutien et celui de l’Union européenne au Danemark . Notre pays pourrait entamer un dialogue avec les autorités danoises, en lien avec celles du Groenland, afin d’identifier rapidement l’aide la plus utile et conforme à leurs besoins et qui permettrait de garantir la sécurité dans la région.
Forte d’une voix puissante et singulière dans le concert des nations, la France pourrait être à l’initiative d’un dialogue plus large avec six des huit membres du Conseil de l’Arctique [le Canada, le Danemark, la Finlande, l’Islande, la Norvège, et la Suède] afin d’envisager une coopération renforcée en matière de défense dans la région. Sur le modèle des groupes informels de coopération renforcés qui se sont développés ces dernières années, une telle coopération, à l’initiative de la France, serait de nature à participer à la réassurance de nos alliés nordiques.
La présente proposition de résolution invite le gouvernement à se saisir de cette crise pour œuvrer, de concert avec son allié danois et les autres membres de l’Union, en faveur d’une plus grande autonomie stratégique de l’Union, sur la base d’une stratégie au long cours permettant d’assurer l’intégrité territoriale du Royaume du Danemark, de l’Union européenne, et de faire prévaloir une solution pacifique.
– 1 –
proposition de rÉsolution europÉenne
Article unique
L’Assemblée nationale,
L’Assemblée nationale,
Vu l’article 34‑1 de la Constitution,
Vu l’article 4 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,
Vu l’article 3 du Traité modifiant les traités instituant les communautés européennes en ce qui concerne le Groenland,
Vu l’article 2 de la Charte des Nations unies,
Vu les articles 51 et 52 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,
Vu les articles 11 et 12 de la loi sur l’autonomie du Groenland,
Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,
Vu la déclaration d’Ottawa de 1996,
Considérant les déclarations du président américain Donald Trump en date du 7 janvier 2025 et du 30 janvier 2025 au sujet du rattachement du Groenland aux États‑Unis ;
Considérant que la Première ministre danoise a affirmé lors d’un entretien téléphonique avec le président américain Donald Trump le 15 janvier 2025 qu’il appartenait au Groenland de décider lui‑même de son indépendance ;
Considérant que les autorités groenlandaises et les groenlandais s’opposent très majoritairement à l’idée de quitter le Royaume du Danemark pour faire partie des États‑Unis ;
Considérant que le Groenland est un territoire d’outre‑mer de l’Union européenne ;
1. Rappelle que le Danemark est un pays allié de la France et de l’Union européenne et qu’il a leur plein soutien ;
2. Affirme sa solidarité face aux velléités du président des États‑Unis dont elle condamne fermement les propos qui constituent une menace directe pour la souveraineté du Danemark et remettent en cause le droit international ;
3. Rappelle que les frontières extérieures des pays membres de l’Union européenne doivent être respectées ;
4. Souligne que l’Union européenne doit se saisir de cette crise pour renforcer la coopération entre ses États membres et construire une véritable autonomie stratégique européenne ;
5. Invite le Gouvernement français à entamer un dialogue avec les autorités danoises, en lien avec celles du Groenland, afin d’identifier l’aide qu’il pourrait leur apporter afin de garantir la sécurité dans la région, conformément à leurs besoins et à leurs souhaits ;
6. Invite le Gouvernement français à entamer un dialogue dans la durée avec les autorités de six des huit membres du Conseil de l’Arctique afin d’envisager une coopération renforcée en matière de défense dans la région ;
7. Invite le Gouvernement français à actualiser sa feuille de route pour l’Arctique datant de 2016, en tenant compte du nouveau contexte géopolitique et des récents développements en matière de défense et de sécurité, de coopérations économiques et scientifiques et de protection de l’environnement.