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N° 937

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 12 février 2025.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

visant à la reconnaissance du droit à l’alimentation et à l’adoption d’une loi-cadre pour le droit à l’alimentation,

 

présentée par

M. Boris TAVERNIER, Mme Eléonore CAROIT, M. Guillaume GAROT, M. Richard RAMOS, M. Loïc PRUD’HOMME, M. Thierry BENOIT, Mme Karine LEBON, M. David TAUPIAC, M. Gabriel AMARD, M. Pouria AMIRSHAHI, Mme Farida AMRANI, M. Rodrigo ARENAS, Mme Christine ARRIGHI, Mme Clémentine AUTAIN, Mme Léa BALAGE EL MARIKY, M. Erwan BALANANT, Mme Delphine BATHO, Mme Lisa BELLUCO, Mme Anaïs BELOUASSA-CHERIFI, M. Karim BEN CHEIKH, M. Benoît BITEAU, M. Arnaud BONNET, M. Nicolas BONNET, M. Idir BOUMERTIT, M. Pierre-Yves CADALEN, Mme Colette CAPDEVIELLE, M. Sylvain CARRIÈRE, Mme Cyrielle CHATELAIN, M. Michel CASTELLANI, Mme Gabrielle CATHALA, M. Alexis CORBIÈRE, M. Jean-François COULOMME, M. Pierrick COURBON, M. Hendrik DAVI, M. Arthur DELAPORTE, Mme Alma DUFOUR, M. Emmanuel DUPLESSY, M. Inaki ECHANIZ, M. Philippe FAIT, M. Olivier FALORNI, M. Olivier FAURE, M. Charles FOURNIER, M. Perceval GAILLARD, Mme Marie-Charlotte GARIN, M. Damien GIRARD, M. Guillaume GOUFFIER VALENTE, Mme Clémence GUETTÉ, M. Steevy GUSTAVE, Mme Ayda HADIZADEH, Mme Zahia HAMDANE, Mme Florence HEROUIN-LÉAUTEY, Mme Catherine HERVIEU, Mme Mathilde HIGNET, M. Jérémie IORDANOFF, Mme Chantal JOURDAN, Mme Marietta KARAMANLI, Mme Julie LAERNOES, M. Tristan LAHAIS, M. Abdelkader LAHMAR, M. Maxime LAISNEY, Mme Murielle LEPVRAUD, M. Laurent LHARDIT, Mme Delphine LINGEMANN, M. Benjamin LUCAS-LUNDY, M. Damien MAUDET, Mme Marie MESMEUR, Mme Manon MEUNIER, M. Philippe NAILLET, Mme Sandrine NOSBÉ, M. Hubert OTT, Mme Julie OZENNE, Mme Sophie PANTEL, M. Sébastien PEYTAVIE, Mme Christine PIRÈS BEAUNE, Mme Marie POCHON, M. Dominique POTIER, M. Jean-Claude RAUX, Mme Sandra REGOL, Mme Mereana REID ARBELOT, Mme Valérie ROSSI, Mme Claudia ROUAUX, M. Jean-Louis ROUMÉGAS, Mme Sandrine ROUSSEAU, Mme Marie-Ange ROUSSELOT, M. François RUFFIN, Mme Sandrine RUNEL, M. Arnaud SAINT-MARTIN, M. Nicolas SANSU, Mme Eva SAS, M. Hervé SAULIGNAC, Mme Sabrina SEBAIHI, Mme Danielle SIMONNET, Mme Sophie TAILLÉ-POLIAN, Mme Andrée TAURINYA, M. Matthias TAVEL, Mme Céline THIÉBAULT-MARTINEZ, M. Nicolas THIERRY, M. Philippe VIGIER, M. Stéphane VIRY, Mme Dominique VOYNET, M. Jacques OBERTI, Mme Mélanie THOMIN, Mme Élise LEBOUCHER, M. Thierry SOTHER, M. Sébastien SAINT-PASTEUR,

députés et députées.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

« La destinée des nations dépend de la manière dont elles se nourrissent » affirmait Brillat‑Savarin. Alors, que penser de la persistance et de l’aggravation de la faim et de la malnutrition en France, pays de la gastronomie et premier producteur agricole européen ?

Bien que difficile à appréhender avec précision, du fait du manque de données suivies, les inégalités qui affectent l’accès à l’alimentation en France, sont particulièrement préoccupantes. Le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (CREDOC) estimait ainsi qu’en 2022, 16 % des personnes interrogées ne mangeaient pas à leur faim. Ils étaient 9 % dans cette situation en 2016. D’après cette même étude, à cette insuffisance alimentaire quantitative, s’ajouterait une insuffisance alimentaire qualitative bien plus massive et qui concernerait 45 % des Français.

Ce tableau sur l’état alimentaire du pays peut être complété par d’autres indicateurs tout aussi inquiétants. En 20 ans, le nombre de diabétiques a connu une hausse de 160 % révélant un déséquilibre alarmant dans l’accès à une alimentation saine. De même, la prévalence du surpoids et de l’obésité progresse depuis 20 ans et touche aujourd’hui près d’un adulte sur deux. Par ailleurs, bien que confrontés à une charge de travail très lourde, environ 18 % des agriculteurs français vivent sous le seuil de pauvreté, soulignant la précarité de nombreux travailleurs de la production alimentaire.

À ces préoccupations sanitaires et sociales, s’ajoutent celles écologiques et climatiques, appelant à une transformation profonde des systèmes alimentaires, afin d’assurer à chaque personne un accès digne à une alimentation suffisante et de qualité. 

Ces considérations ne relèvent pas seulement d’une priorité politique à affirmer. Elles déclinent les attendus du droit à l’alimentation, tel que défini en droit international, et que la France est tenue de respecter, protéger et mettre en œuvre, conformément à ses engagements internationaux. Le droit à l’alimentation est consacré notamment par l’article 11 du Protocole international des droits économiques, sociaux et culturels de 1966 que la France a ratifié en 1980.

Le contenu du droit à l’alimentation va bien au‑delà du socle minimal protégé par le droit fondamental d’être à l’abri de la faim. Les États ont l’obligation de progresser vers la concrétisation pleine et entière du droit à l’alimentation en veillant à ce que la nourriture soit disponible, accessible, durable et adéquate pour toutes et tous. Ces quatre exigences conduisent à une perspective transversale et englobante de l’ensemble des enjeux qui entourent les systèmes alimentaires. L’approche basée sur les droits humains permet, de plus, de les aborder avec une attention particulière portée à toute logique d’inégalité, d’exclusion ou de rapport de pouvoir, tout au long de la chaîne alimentaire. L’interprétation du droit à l’alimentation est donc indissociable de l’exigence d’une transition juste vers des systèmes alimentaires durables.

Cependant, le droit à l’alimentation n’est ni pleinement reconnu dans les textes et par les juges en France, ni garanti effectivement sur le territoire français. Cette lacune a été relevée en 2023 et 2024 par deux organisations internationales ‑ le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations unies et l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe ‑ qui recommandent à la France d’adopter une loi‑cadre sur le droit à l’alimentation pour orienter, à court, moyen et long terme, les politiques publiques liées aux systèmes alimentaires, mais aussi promouvoir des modèles de production et de consommation plus équitables, durables et respectueux des droits humains.

À travers cette résolution, la représentation nationale souhaite donc faire sienne ces recommandations et affirmer la nécessité pour la France d’inscrire le droit à l’alimentation dans la Constitution. En cohérence, la représentation nationale invite à l’adoption d’une loi‑cadre sur le droit à l’alimentation et à l’engagement d’un travail d’évaluation des dispositions législatives ayant une incidence sur la disponibilité, l’accessibilité, la durabilité et l’adéquation de l’alimentation.

 


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proposition de RÉSOLUTION

Article unique

Vu l’article 34‑1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,  

Vu les alinéas 10 et 11 du Préambule de la Constitution de 1946, 

Vu l’article 25 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948,

Vu l’article 11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels adopté par l’Assemblée générale des Nations unies le 16 décembre 1966 et ratifié par la France en 1980.

Vu l’Observation générale 12 du Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l’Organisation des Nations unies, relatif à l’article 11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, 

Vu les Directives volontaires sur la concrétisation progressive du droit à l’alimentation adoptées en novembre 2004 à la cent vingt‑septième session du Conseil de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, 

Vu les différents rapports des rapporteurs spéciaux des Nations unies sur le droit à l’alimentation, 

Vu les Observations finales concernant le cinquième rapport périodique de la France formulées par le Comité des droits économiques, sociaux et culturels et adoptées le 13 octobre 2023, 

Vu la résolution n° 2577 « Garantir le droit humain à l’alimentation » adoptée le 3 octobre 2024 par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, 

Vu la première recommandation de l’avis n° 91 du Conseil national de l’alimentation, 

Considérant que les situations de précarité alimentaire en France persistent et s’aggravent, comme le montre l’enquête du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie publiée en 2023 avec 16 % des personnes interrogées ne mangeant pas à leur faim, et 45 % des Français déclarent avoir assez à manger, mais pas toujours des aliments souhaités ;

Considérant que les taux d’obésité et de diabète sont en forte augmentation révélant un déséquilibre alarmant dans l’accès à une alimentation saine ;

Considérant que de trop nombreux agriculteurs français vivent sous le seuil de pauvreté, soulignant la précarité de nombreux travailleurs de la production alimentaire dans le pays ;

Rappelant les engagements de la France dans le cadre des objectifs de développement durable de l’Agenda 2030, et notamment l’objectif n° 2 qui vise à éradiquer la faim, assurer la sécurité alimentaire, améliorer la nutrition et promouvoir une agriculture durable ;

Considérant que la France s’est engagée en ratifiant différents traités internationaux à respecter, protéger et mettre en oeuvre le droit à l’alimentation, droit humain fondamental inscrit notamment dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 (article 25) et dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ratifié par la France en 1980 (article 11) ;

Considérant que les Directives sur le droit à l’alimentation de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture et l’alimentation de 2004 incitent les États à intégrer dans leur droit national des dispositions permettant d’appliquer directement le droit à l’alimentation et d’assurer sa concrétisation progressive ;

Observant que le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations unies a recommandé en octobre 2023 à la France d’adopter une loi‑cadre sur le droit à l’alimentation ;

Observant que l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a adopté une résolution en octobre 2024 appelant les États membres à avancer sur l’intégration dans leur cadre juridique du droit à l’alimentation avec une approche fondée par les droits humains, notamment via la reconnaissance explicite de ce droit au niveau constitutionnel et l’adoption de lois‑cadres nationales fondées sur le droit à l’alimentation ;

Observant que, pour l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, seule une approche par le droit permet d’appréhender de façon transversale et cohérente l’ensemble des facteurs sociaux, politiques, économiques et culturels qui influent sur l’accès à l’alimentation et de subordonner de manière fiable les politiques relatives aux systèmes alimentaires à toutes les échelles territoriales aux exigences du contenu du droit à l’alimentation, pour toutes et tous, et que cette approche par le droit repose sur un cadre solide en droit international ;

Constatant que les mesures d’urgence, telles que l’aide alimentaire, bien qu’elles visent à répondre au droit d’être à l’abri de la faim, ne suffisent pas à assurer pleinement le droit à l’alimentation ;

Constatant la faible participation citoyenne et en particulier celle des groupes les plus vulnérables dans la gouvernance des enjeux alimentaires ;

Constatant la nécessité pour l’État d’intensifier ses efforts pour garantir à chaque individu l’accès digne à une alimentation adéquate, respectueuse de la santé et de l’environnement ;

Constatant que l’absence d’un système régulier de mesure de l’insécurité alimentaire et nutritionnelle limite l’efficacité des décisions politiques en matière de droit à l’alimentation, déplorant ainsi l’insuffisance des droits et des politiques actuels pour faire face à cette problématique croissante ;

Considérant l’urgence de renforcer et d’assurer la cohérence du droit et des politiques publiques afin de promouvoir des systèmes alimentaires plus durables, inclusifs et résilients face aux changements climatiques et aux pressions économiques ;

Estimant qu’une approche par les droits humains est une approche nécessaire pour transformer les systèmes alimentaires et aller vers plus de durabilité et de justice sociale ; 

Appelle à une reconnaissance constitutionnelle explicite du droit à l’alimentation et du droit d’être à l’abri de la faim ;

Recommande l’adoption d’une loi‑cadre pour le droit à l’alimentation. Cette loi permettra de préciser la définition de la portée et de la teneur du droit à l’alimentation et les principes associés à sa mise en œuvre, d’énoncer les obligations des autorités publiques et responsabilités du secteur privé, et d’établir les mécanismes institutionnels nécessaires à la gouvernance, au système de contrôle et à la garantie de voies de recours. Cette loi permettra également de garantir que le droit à l’alimentation et les exigences d’une approche fondée sur les droits seront au centre des stratégies pour l’adoption de législations subsidiaires et de toutes autres mesures, juridiques ou politiques, prises par les autorités compétentes ; 

Recommande, suite à la promulgation de cette loi cadre, l’engagement d’un travail d’évaluation des dispositions législatives ayant une incidence sur la disponibilité, l’accessibilité, la durabilité et l’adéquation de l’alimentation ;

Encourage le Gouvernement à soutenir la reconnaissance explicite et l’application du droit à l’alimentation au sein du droit de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe.