N° 1013
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 24 février 2025.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE
visant à étendre la compétence du parquet européen à la lutte contre la traite des êtres humains,
(Renvoyée à la commission des affaires européennes)
présentée par
Mme Marietta KARAMANLI, M. Fabrice BARUSSEAU, M. Karim BENBRAHIM, M. Mickaël BOULOUX, Mme Sophia CHIKIROU, M. Pierrick COURBON, M. Alain DAVID, M. Inaki ECHANIZ, M. Romain ESKENAZI, M. Denis FÉGNÉ, Mme Marie-Charlotte GARIN, Mme Pascale GOT, M. Emmanuel GRÉGOIRE, M. Paul MOLAC, M. Jacques OBERTI, Mme Anna PIC, Mme Christine PIRÈS BEAUNE, M. Dominique POTIER, Mme Claudia ROUAUX, M. Sébastien SAINT-PASTEUR, Mme Isabelle SANTIAGO, M. Hervé SAULIGNAC, Mme Céline THIÉBAULT-MARTINEZ, Mme Mélanie THOMIN, M. Damien GIRARD, M. Steevy GUSTAVE, Mme Colette CAPDEVIELLE, M. Pierre PRIBETICH, M. Thierry SOTHER,
députées et députés.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Au niveau politique, l’idée d’un ministère public européen a été formulée pour la première fois ici, au Parlement européen, par M. Klaus Hänsch, qui en était alors président. Au niveau académique et de la doctrine juridique, elle a été avancée en 1997, dans le « corpus juris » rédigé par un groupe d’experts sous la direction de la professeure de droit Mireille Delmas‑Marty. Ce qui n’était qu’une idée, que beaucoup jugeaient un peu folle, figure désormais dans les traités, depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne avec le nouvel article 86 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE)
Les deux chambres du Parlement français ont apporté un soutien très fort au projet initial, qui a représenté une avancée considérable pour l’Europe de la justice. L’Assemblée nationale avait ainsi adopté deux résolutions appelant à la création d’un parquet européen : la première il y a plus de dix ans, en 2002, lors de l’examen du Livre vert de la Commission européenne sur le Procureur européen, et la seconde en août 2011, à mon initiative et à celle d’un député de la majorité de l’époque, désormais dans l’opposition, M. Guy Geoffroy – je le précise pour souligner qu’il ne s’agit pas d’un sujet faisant l’objet d’un clivage partisan en France. C’est également l’Assemblée nationale qui est à l’origine d’une saisine du Conseil d’État par le Premier ministre, qui a conduit à la remise d’une étude très approfondie dès 2011.
Notre Assemblée s’était clairement prononcée dès l’origine en faveur d’un parquet européen ayant une compétence étendue, et ce, dès l’origine. En l’espèce il s’agissait de lutter contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontalière.
Le parquet européen, un organe indépendant de l’Union européenne
Dix ans après, au 1er juin 2021 le Parquet européen, organe indépendant de l’Union européenne a commencé ses activités. 24 États membre de l’Union sur 27 y contribuent. Il est en l’état chargé de rechercher, poursuivre et renvoyer en jugement les auteurs d’infractions pénales portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union telles que : la fraude, la corruption, le blanchiment de capitaux, la fraude transfrontière à la taxe sur la valeur ajoutée. En l’état Les institutions et organes de l’Union européenne, ainsi que les autorités compétentes des 22 États membres qui ont adhéré au Parquet européen, doivent signaler à celui‑ci tout comportement délictueux préjudiciable au budget de l’Union européenne. Les particuliers peuvent également signaler des cas présumés de fraude et d’autres infractions.
La proposition de résolution européenne dont nous discutons ce jour a pour ambition de demander au Conseil européen et au gouvernement Français d’étendre les attributions du Parquet européen au crime de la traite des êtres humains.
L’ampleur des crimes visés
Le Haut‑Commissaire des Nations unies aux droits humains rappelait en octobre 2023 que la traite des êtres humains est la troisième activité criminelle la plus lucrative au monde. Selon l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), la traite des êtres humains est même l’une des activités illicites les plus lucratives en Europe. Elle rapporterait environ 3 milliards de dollars par an aux groupes criminels.
En 2022, 10 093 victimes de la traite des êtres humains ont été recensées dans l’Union européenne et 2 097 trafiquants ont été condamnés. En 2023, 7 500 victimes ont été identifiées dans le cadre de la plateforme pluridisciplinaire européenne contre les menaces criminelles (EMPACT) et il a été fait état de 457 arrestations ([1]).
L’existence d’une législation européenne cohérente
La directive 2011/36/UE du Parlement européen et du Conseil (3) est le principal instrument juridique de l’Union en matière de prévention de la traite des êtres humains et de lutte contre ce phénomène ainsi que de protection des victimes de cette forme de criminalité. Ladite directive définit un cadre complet pour lutter contre la traite des êtres humains en établissant des règles minimales relatives à la définition des infractions pénales et des sanctions. Elle comprend également des dispositions communes visant à renforcer la prévention de la traite, l’assistance apportée aux victimes, ainsi que leur protection, en tenant compte des questions d’égalité entre hommes et femmes, du handicap, ainsi que du point de vue des enfants, et en adoptant une approche centrée sur les victimes.
Le règlement (UE) 2016/794 relatif à l’Agence de l’Union européenne pour la coopération des services répressifs (Europol) a fixé les moyens d’une coopération renforcée dans le domaine des poursuites de crimes et délits et une proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil vise à améliorer la coopération policière en ce qui concerne la prévention, la détection et les enquêtes en matière de trafic de migrants et de traite des êtres humains, et à renforcer le soutien apporté par Europol pour prévenir et combattre ces formes de criminalité et modifiant le règlement (UE) 2016/794.
En juin 2024, l’Union européenne a décidé d’inclure l’exploitation de la gestation pour autrui, le mariage forcé et l’adoption illégale dans les formes d’exploitation couvertes par la législation de l’Union européenne relative à la lutte contre la traite des êtres humains. En outre, le fait d’utiliser en connaissance de cause un service fourni par une victime de la traite des êtres humains est désormais érigé en infraction pénale passible de sanctions effectives, proportionnées et dissuasives.
La question de la compétence du Parquet européen
À sa création l’existence d’un parquet européen a soulevé de très nombreuses questions. Plusieurs options présentes dès l’origine ont été discutées. La première a été naturellement celle de la compétence matérielle du parquet européen. Fallait‑il se limiter à la protection des intérêts financiers de l’Union (PIF) ou étendre cette compétence – dès l’origine ou ultérieurement – à tout ou partie de la lutte contre d’autres formes de criminalité grave ayant une dimension transfrontière, comme l’autorise l’article 86, paragraphe 4 TFUE ?
En France le conseil d’État a estimé en 2011 que l’extension de la compétence du Parquet européen à des formes graves de criminalité transfrontière telles que la traite des êtres humains permettrait d’appréhender des infractions qui visent directement les citoyens. Ce projet lui semblait dès lors participer au renforcement des droits du justiciable et contribuer à un meilleur respect de principes aussi essentiels que ceux de sécurité juridique, de transparence, d’indépendance et de droit à un recours juridictionnel effectif.
L’article 86, paragraphe 4 TFUE, impose que cette extension soit décidée à l’unanimité, mais si le parquet européen a été créé dans le cadre d’une coopération renforcée rien n’exclut, de faire application dans cette hypothèse de l’article 330 TFUE, selon lequel seuls les États participant à cette coopération renforcée prendront part au vote. Le traité prévoit que « Le Conseil européen peut, simultanément ou ultérieurement, adopter une décision modifiant le paragraphe 1 afin d’étendre les attributions du Parquet européen à la lutte contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontalière et modifiant en conséquence le paragraphe 2 en ce qui concerne les auteurs et les complices de crimes graves affectant plusieurs États membres.
En l’état aucune décision n’a été prise par les États dans ce sens et il n’y a pas eu d’initiative portée au plan national.
Deux conditions doivent être réunies pour améliorer les poursuites au niveau européen
– Il faut d’abord, comme le rappelle justement un des magistrats Français impliqués dans cette réflexion, « disposer d’une base légale harmonisée dans tous les États membres », ce qui est fait.
– Il faut aussi désigner les autorités de poursuite.
Nous considérons donc comme nécessaire que cette compétence puisse être élargie aux crimes organisés de la traite et au trafic des femmes et hommes, de l’esclavage et à l’exploitation sexuelle, aux autres formes d’exploitation (y compris migratoire) que les premiers impliquent. Il faut accroître la compétence au parquet européen, un parquet qui ne connaît pas les frontières, où les procureurs délégués travaillent en équipe et qui améliore l’efficacité des poursuites et réparations.
Nous proposons d’inviter le Conseil européen, la Commission et le Gouvernement Français à engager une réflexion et une concertation européenne dans ce sens.
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proposition de rÉsolution europÉenne
Article unique
L’Assemblée nationale,
Vu l’article 88‑4 de la Constitution,
Vu l’article 151‑5 du Règlement de l’Assemblée nationale,
Vu l’article 86 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,
Vu le règlement (UE) 2017/1939 du Conseil du 12 octobre 2017 mettant en œuvre une coopération renforcée concernant la création du Parquet européen,
Vu la directive (UE) 2017/1371 du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2017 relative à la lutte contre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union au moyen du droit pénal,
Vu la directive 2011/36/UE du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes et remplaçant la décision‑cadre 2002/629/JAI du Conseil,
Appelle la Commission européenne et le Conseil européen à engager une réflexion pour étendre les attributions du parquet européen à d’autres formes de criminalités graves ayant une dimension transfrontière, telle que la traite des êtres humains, conformément à la possibilité donnée par l’article 86, paragraphe 4, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;
Invite le Gouvernement de la République française à saisir le Conseil européen et la Commission de ce sujet et à soutenir le principe d’une extension des compétences du Parquet européen au crime de la traite des êtres humains.
([1]) En ce sens voir les données d’Eurostat https://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/index.php?title=Trafficking_in_human_beings_statistics