N° 1048

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 10 mars 2025.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

visant à promouvoir une loi d’amnistie générale en Russie et en Ukraine pour les prisonniers politiques, prisonniers de guerre et civils détenus en lien avec le conflit, dans le respect du droit international humanitaire,

(Renvoyée à la commission des affaires européennes)

présentée par

Mme Sophia CHIKIROU,

députée.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Depuis février 2022, la guerre en Ukraine a causé des souffrances humaines considérables, avec des destructions massives, des déplacements forcés de populations et des violations des droits fondamentaux. Si la fin des hostilités doit être recherchée avec détermination, elle ne pourra être durable que si les crimes commis contre les civils et les prisonniers sont reconnus et traités par la communauté internationale.

Dans ce conflit, la question des détenus politiques, des prisonniers de guerre et des civils captifs est un enjeu fondamental, humaniste, des négociations de paix.

Actuellement, 16 000 civils ukrainiens sont portés disparus et présumés détenus illégalement en Russie, dont plus de 300 femmes. Le nombre de prisonniers de guerre s’élève à plusieurs milliers, la majorité étant des combattants ukrainiens faits prisonniers par les forces russes. Selon l’Organisation des Nations Unies (ONU) et plusieurs organisations humanitaires, nombre de détenus subissent de graves sévices physiques, des privations alimentaires, l’absence de soins médicaux, ce qui met leur vie en péril en violation totale du titre II de la Convention de Genève sur la protection générale des prisonniers de guerre.

À ces détentions arbitraires s’ajoute une autre violation majeure du droit international : le transfert forcé d’au moins 20 000 enfants ukrainiens en Russie. Ces mineurs ont été séparés de leur famille et placés dans des foyers russes ou adoptés de force, dans une tentative de russification dénoncée par la Cour pénale internationale. Privés de leur identité, de leur culture et de leur droit à un retour en Ukraine, ces enfants subissent une déportation assimilable à un crime de guerre. La libération immédiate de ces enfants et leur retour à leurs familles doivent être une exigence absolue dans tout processus de paix.

Le régime russe ne s’en prend pas exclusivement aux Ukrainiens. Tout le monde a en mémoire le cas d’Alexeï Navalny, figure emblématique de l’opposition à Vladimir Poutine, qui en est l’exemple le plus tragique. Après avoir survécu à une tentative d’empoisonnement en 2020, il a été arrêté dès son retour en Russie en 2021 et condamné à une série de peines de prison de plus en plus lourdes, atteignant 19 ans pour des accusations de “terrorisme” à l’évidence infondées. Détenu dans des conditions extrêmes dans une colonie pénitentiaire de haute sécurité, il subit un isolement quasi total et des mauvais traitements visant à briser sa résistance morale et physique, jusqu’à son décès en détention en 2024. Aujourd’hui plus que jamais en Russie, des milliers d’opposants politiques sont arrêtés et condamnés à de lourdes peines de prison pour avoir dénoncé la guerre ou exprimé leur solidarité avec l’Ukraine. Selon l’organisation non gouvernementale de défense des droits de l’homme russe des droits de l’homme OVD‑info, qui recense les cas de répression en Russie, au moins 2 976 personnes ont été poursuivies en Russie pour des raisons politiques dans le cadre de procédures pénales, et plus de 25 000 ont été réprimées dans le cadre de procédures administratives.

M. Alexeï Gorinov, élu municipal de Moscou, a été condamné à sept ans de prison pour avoir simplement déclaré que la guerre ne devait pas être « normalisée » dans la société russe. Mme Maria Ponomarenko, journaliste russe, a été emprisonnée pour avoir publié un article dénonçant les crimes de guerre commis par les forces russes à Marioupol. L’intellectuel et dissident M. Boris Kagarlitsky a quant à lui écopé d’une peine de 5 ans d’emprisonnement pour des accusations infondées de « justification du terrorisme » après s’être simplement exprimé sur l’explosion d’un pont en Crimée manifestement orchestrée par des forces ukrainiennes. Le brillant mathématicien M. Azat Miftakhov, reconnu par des universités prestigieuses comme Harvard et l’université Paris‑Saclay, où il a été nommé étudiant honoraire, est incarcéré depuis plusieurs années en colonie pénitentiaire pour de prétendus ‘actes de hooliganisme’. Ces prisonniers d’opinion subissent des conditions carcérales extrêmement dures, souvent accompagnées de violences physiques et psychologiques, dans le but de faire taire toute forme d’opposition intérieure au régime de M. Vladimir Poutine, en particulier l’opposition à la guerre menée en Ukraine.

M. Alexandr Sterliadnikov, officier russe déserteur réfugié en France, incarne le sort de nombreux militaires ayant refusé de prendre part à une guerre qu’ils jugent illégitime. Leur courage les expose à une répression sévère de la part du régime. Selon OVD‑info, au moins 13 000 procédures pénales pour abandon de poste sans autorisation ont été engagées en Russie depuis le début de la guerre. Ce chiffre ne reflète qu’une partie du phénomène, car les cas de désertion sont bien plus nombreux. En parallèle, des centaines de milliers de Russes ont fui leur pays pour éviter la conscription et l’enrôlement forcé.

Malgré les risques qu’ils ont pris en s’opposant à la guerre, ces déserteurs et exilés politiques ne bénéficient pas toujours d’une protection internationale adéquate. Leur situation, leur diversité et leur nombre témoignent de l’ampleur de la répression qui s’abat sur toute forme de dissidence en Russie, et de la nécessité d’une amnistie générale pour garantir leur liberté et leur permettre de reconstruire leur avenir.

En Ukraine, des restrictions aux libertés fondamentales ont également été observées, notamment à l’encontre d’opposants politiques et syndicaux, de journalistes et de citoyens engagés dans l’assistance aux populations déplacées.

Mme Tetyana Potapenko, travailleuse sociale ukrainienne, a été arrêtée et détenue dans des conditions indignes pour avoir apporté son soutien à des personnes déplacées venant de régions sous contrôle russe. Son cas illustre une tendance plus large où des citoyens engagés dans des actions humanitaires ou exprimant des opinions critiques peuvent être pris pour cible.

Par ailleurs, la situation des objecteurs de conscience et des déserteurs ukrainiens est également préoccupante. Selon un rapport de l’ONU, plusieurs d’entre eux ont été soumis à des violences, des poursuites judiciaires et des conditions de détention particulièrement dures. En raison des mesures de mobilisation militaire strictes, certains Ukrainiens refusant de combattre ont été emprisonnés ou contraints à l’exil, sans réelle possibilité de recours.

Ces violations des droits fondamentaux, bien que moins médiatisées, soulignent la nécessité d’une approche équilibrée et juste de l’amnistie, afin d’inclure aussi les victimes de répressions en Ukraine. Notre exigence démocratique envers l’Ukraine doit être d’autant plus forte que notre soutien à sa lutte est important. Un pays qui résiste à une agression ne peut en aucun cas reproduire, même à petite échelle, les pratiques répressives qui sont monnaie courante chez son agresseur. C’est non seulement contraire aux principes démocratiques que l’Ukraine revendique, mais c’est aussi profondément délétère pour la mobilisation de son propre peuple. La première victoire de l’Ukraine doit être une victoire politique et morale, fondée sur la préservation des droits et des libertés qui distinguent une démocratie d’un régime autoritaire.

Ainsi, l’amnistie proposée par cette proposition de résolution européenne ne doit pas uniquement être un instrument diplomatique, mais un véritable levier de réconciliation et de justice pour tous ceux qui, des deux côtés du conflit, ont subi des persécutions en raison de leurs convictions ou de leurs engagements pacifistes.

L’amnistie, en tant qu’instrument reconnu par le droit international humanitaire, est un levier essentiel pour garantir une sortie de guerre pacifique et durable. L’article 6, paragraphe 5, du Protocole additionnel II aux Conventions de Genève encourage l’octroi de la plus large amnistie possible aux personnes détenues en raison du conflit, à condition d’exclure les responsables de crimes de guerre, de torture et de crimes contre l’humanité.

Dans de nombreux conflits, la mise en place d’une amnistie conditionnelle a permis d’ouvrir la voie à la réconciliation. En Afrique du Sud, la Commission Vérité et Réconciliation a favorisé le dialogue en échange d’aveux publics sur les crimes de l’apartheid. En Colombie, l’amnistie partielle accordée aux guérilleros des FARC a facilité leur réintégration et la stabilisation du pays. Ces précédents montrent qu’une approche équilibrée est possible, en conciliant libération des détenus et impératifs de justice.

Dans le contexte de la guerre en Ukraine, une amnistie ciblée et encadrée pourrait faciliter un règlement politique et renforcer les chances de paix. Cette amnistie devrait garantir la libération des prisonniers de guerre, des civils détenus pour des raisons politiques et des enfants déportés, tout en excluant les auteurs de crimes de guerre. Un mécanisme de surveillance international, sous l’égide des Nations unies et du Comité international de la Croix‑Rouge, devra être mis en place pour assurer le respect des engagements pris.

La France et l’Union européenne doivent assumer leur rôle dans ce processus en plaidant activement pour l’inclusion de cette amnistie humanitaire dans les futures négociations. Il ne s’agit ni d’un abandon des principes de justice, ni d’une reconnaissance de l’impunité, mais d’une exigence de justice et d’humanité pour bâtir une paix durable. La reconnaissance du sort des prisonniers politiques et civils, la libération des enfants déportés et l’arrêt des détentions arbitraires constituent un préalable nécessaire à toute résolution pacifique et durable du conflit.

 

 


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proposition de rÉsolution europÉenne

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88‑4 de la Constitution,

Vu l’article 151‑5 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu la Charte des Nations unies, notamment son préambule et son article 1 appelant au règlement pacifique des différends internationaux,

Vu les Conventions de Genève du 12 août 1949 et leurs Protocoles additionnels de 1977, relatifs à la protection des victimes des conflits armés,

Vu le paragraphe 5 de l’article 6 du Protocole additionnel II aux Conventions de Genève, qui dispose que « les autorités au pouvoir s’efforceront d’accorder la plus large amnistie possible aux personnes ayant pris part au conflit armé ou qui auront été privées de liberté pour des motifs en relation avec le conflit armé »,

Vu la règle 159 du droit international humanitaire sur l’amnistie, qui encourage l’octroi d’amnisties aux personnes ayant participé aux hostilités, à l’exclusion des auteurs de crimes de guerre,

Vu l’article 17 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, qui définit les conditions de recevabilité des affaires et souligne l’importance de lutter contre l’impunité des crimes les plus graves,

Vu les résolutions pertinentes de l’Assemblée générale et du Conseil de sécurité des Nations unies encourageant des processus de paix incluant des mesures d’amnistie, tout en excluant les crimes internationaux les plus graves,

Vu le rapport du Comité international de la Croix‑Rouge intitulé « L’amnistie au regard du droit international humanitaire : objectifs et champ d’application », qui analyse les conditions et les limites de l’amnistie dans les contextes post‑conflictuels,

Considérant que la guerre en Ukraine a causé des pertes humaines et matérielles considérables, entraînant des divisions profondes au sein même des sociétés ukrainienne et russe ;

Considérant que la détention de prisonniers de guerre, de civils et d’opposants politiques en lien avec le conflit constitue un obstacle majeur à la réconciliation et à la paix durable ;

Considérant que les instruments juridiques internationaux encouragent l’adoption de mesures d’amnistie dans le cadre de processus de paix, à condition d’exclure les auteurs de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et d’autres violations graves du droit international humanitaire ;

Considérant que l’Union européenne, en tant qu’acteur majeur de la scène internationale directement concerné par le conflit, a un rôle crucial à jouer dans la promotion de la paix et de la réconciliation ;

Considérant que la France, en tant que membre de l’Union européenne, membre du Conseil de sécurité des Nations unies, et puissance diplomatique historiquement non‑alignée doit œuvrer activement pour soutenir des initiatives favorisant une résolution pacifique du conflit en Ukraine ;

Invite le Gouvernement à soutenir, au sein des instances européennes et internationales, l’adoption d’une loi d’amnistie générale en Ukraine et en Russie, visant à libérer les personnes détenues en raison de leur participation au conflit, à l’exclusion des auteurs de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et d’autres violations graves du droit international humanitaire ;

Encourage les autorités ukrainiennes et russes à engager des pourparlers en vue de l’adoption de cette loi d’amnistie, en tant que mesure de confiance mutuelle essentielle pour faciliter le dialogue et la réconciliation ;

Appelle le Gouvernement à œuvrer pour la mise en place d’un mécanisme international de suivi, sous l’égide des Nations unies et en collaboration avec le Comité international de la Croix‑Rouge, afin de garantir la mise en œuvre effective de l’amnistie et le respect des droits des personnes libérées ;

Encourage les autorités ukrainiennes et russes à œuvrer, dès lors que les conditions d’une paix juste et équitable seront réunies, à l’établissement de mécanismes permettant aux sociétés ukrainienne et russe de surmonter les traumatismes du conflit, notamment par la mise en place de processus de justice transitionnelle adaptés à leurs réalités historiques et politiques ;

Appelle la France et l’Union européenne à soutenir financièrement et techniquement les efforts de réintégration des personnes libérées, afin de faciliter leur retour à la vie civile et de contribuer à la reconstruction des communautés affectées par le conflit.