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N° 1049
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 10 mars 2025.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
tendant à la création d’une commission d’enquête relative aux airbags défectueux de la marque Takata,
(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
Mme Karine LEBON, M. Max MATHIASIN, M. Elie CALIFER, Mme Maud PETIT, M. Corentin LE FUR, M. Philippe NAILLET, M. Davy RIMANE, M. Frantz GUMBS, M. Christophe PLASSARD, M. Alexandre PORTIER, M. Mickaël BOULOUX, Mme Béatrice BELLAY, Mme Sophie PANTEL, M. Emmanuel GRÉGOIRE, M. Perceval GAILLARD, Mme Gabrielle CATHALA, M. Thibault BAZIN, Mme Marie-Charlotte GARIN, M. Olivier FALORNI, M. Fabrice ROUSSEL, Mme Chantal JOURDAN, Mme Dominique VOYNET, M. Denis FÉGNÉ, Mme Delphine BATHO, M. Vincent DESCOEUR, M. Inaki ECHANIZ, M. Jiovanny WILLIAM, Mme Christine PIRÈS BEAUNE, Mme Sandra REGOL, Mme Marie-Noëlle BATTISTEL, Mme Mélanie THOMIN, M. Dominique POTIER, M. Vincent JEANBRUN, M. Paul-André COLOMBANI, Mme Sandrine ROUSSEAU, M. Paul MOLAC, M. Moerani FRÉBAULT, M. Nicolas RAY, Mme Anne-Cécile VIOLLAND, M. David TAUPIAC, M. Olivier SERVA, Mme Constance DE PÉLICHY, M. Christophe NAEGELEN, M. Stéphane HABLOT, M. Édouard BÉNARD, Mme Soumya BOUROUAHA, M. Jean-Victor CASTOR, M. André CHASSAIGNE, Mme Elsa FAUCILLON, Mme Émeline K/BIDI, M. Jean-Paul LECOQ, M. Frédéric MAILLOT, M. Emmanuel MAUREL, M. Yannick MONNET, M. Marcellin NADEAU, M. Stéphane PEU, Mme Mereana REID ARBELOT, M. Nicolas SANSU, Mme Sophie METTE, Mme Ayda HADIZADEH, M. Sylvain CARRIÈRE, M. Romain ESKENAZI, M. Antoine VERMOREL-MARQUES, M. Guillaume GOUFFIER VALENTE, M. Hervé BERVILLE, Mme Julie DELPECH, Mme Anne STAMBACH-TERRENOIR, M. Fabrice BARUSSEAU, Mme Mathilde PANOT, Mme Marie-Agnès POUSSIER-WINSBACK, M. Christophe BEX, M. Emmanuel FERNANDES, M. Steevy GUSTAVE, M. Pierre-Yves CADALEN, Mme Claudia ROUAUX, M. Loïc PRUD’HOMME, Mme Estelle MERCIER, M. Pierrick COURBON, M. Abdelkader LAHMAR, M. Maxime LAISNEY, M. Matthias TAVEL, M. Sacha HOULIÉ, Mme Sandrine NOSBÉ, M. Thierry SOTHER, M. Romain DAUBIÉ, M. Laurent ALEXANDRE, Mme Mathilde HIGNET, M. Jean-François COULOMME, M. Emmanuel TJIBAOU, M. Erwan BALANANT,
députées et députés.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
(Le scandale des airbags Takata, qui s’est étendu sur plusieurs décennies et a conduit à des rappels de véhicules sans précédent dans l’histoire de l’industrie automobile, est trop longtemps resté dans l’ombre. En France, et plus particulièrement dans nos territoires d’Outre‑mer, des milliers de citoyens continuent de circuler avec des véhicules potentiellement dangereux, mettant en péril leur vie et celle de leurs proches.
La société japonaise Takata, l’un des principaux fournisseurs d’airbags dans le monde jusqu’à sa faillite en 2017, a conçu des dispositifs de gonflage contenant un propergol instable (nitrate d’ammonium), susceptible de provoquer des explosions violentes en cas d’accident, voire sans choc. Le déploiement d’un airbag défectueux Takata, au lieu de protéger les passagers, déclenche une explosion et projette des éclats de métal à l’intérieur de l’habitacle, causant des blessures graves et parfois mortelles.
Depuis 2008, ce problème a conduit à plus de 100 millions de rappels de véhicules à travers le monde et est responsable de dizaines de décès confirmés et de centaines de blessés. Aux États‑Unis, Takata avouera avoir dissimulé la défectuosité de ses airbags pendant plus de 10 ans, devant la justice avant d’être sanctionné. Cependant, la crise est loin d’être résolue.
En France, les rappels de véhicules ont été gérés de manière disparate selon les constructeurs. Contrairement aux États‑Unis où des campagnes de remplacement ont été largement médiatisées et coordonnées par l’Agence nationale de la sécurité routière (NHTSA), notre pays a adopté une approche plus passive, laissant aux constructeurs automobiles la responsabilité de contacter les propriétaires concernés.
Nous parlons d’un défaut connu depuis des années, d’un dysfonctionnement qui aurait dû être corrigé bien plus tôt, et pourtant, encore aujourd’hui, des milliers de véhicules en France et dans les Outre‑mer circulent avec des airbags potentiellement mortels.
Si Takata est à l’origine de ce désastre, les constructeurs automobiles et les concessionnaires portent une part immense de responsabilité.
Comme le souligne l’enquête de la cellule investigation de Radio France, les constructeurs savaient que ces airbags étaient dangereux et que chaque jour de retard dans leurs rappels, mettait des vies en danger. Ils ont pourtant tardé à organiser les rappels, certains modèles de voitures n’ayant été rappelés que des années après la découverte du problème, et certains propriétaires n’ayant même jamais été contactés.
Plutôt que d’alerter massivement les conducteurs, certains constructeurs ont préféré minimiser le danger en envoyant des lettres discrètes, parfois perdues dans le courrier, parfois adressées aux mauvais propriétaires. Enfin, certaines victimes ont même reçu un courrier de rappel après leur accident ou le décès de leur proche.
Les concessionnaires et les garagistes agréés ont également leur part de responsabilité. Certains d’entre eux n’ont pas pris au sérieux l’urgence des rappels, ont laissé des propriétaires repartir sans remplacer les airbags défectueux, et ont parfois facturé des réparations qui auraient dû être gratuites, alors que ces rappels sont censés être pris en charge intégralement par les constructeurs.
Si la situation est préoccupante en Hexagone, elle est encore plus alarmante dans les territoires ultramarins. Au moins 18 décès ont été causés par un airbag défectueux Takata en France, dont 17 ont eu lieu en Outre‑mer. L’humidité et les températures élevées accélèrent la dégradation du propergol contenu dans les airbags Takata, augmentant le risque d’explosion.
De plus, dans les Outre‑mer, l’entretien des véhicules repose souvent sur un réseau plus restreint de concessionnaires et d’ateliers agréés, ce qui ralentit considérablement les rappels. De nombreux propriétaires de véhicules ignorent que leur airbag est défectueux faute d’informations suffisantes, et même lorsqu’ils le savent, les délais pour obtenir un remplacement peuvent être extrêmement longs.
Les véhicules envoyés en Outre‑mer sont souvent d’anciens modèles importés d’Europe ou d’Asie, augmentant la probabilité que certains d’entre eux soient équipés d’airbags Takata non remplacés. Cette situation crée une double inégalité : les Ultramarins se retrouvent avec des véhicules plus dangereux tout en étant confrontés à un climat qui aggrave la dégradation de ces airbags.
La récente enquête de la cellule investigation de Radio France estime que 500 000 véhicules dont au moins 100 000 en outre‑mer sont encore équipés d’airbags Takata Il n’existe pas de liste complète et fiable des marques et modèles concernés par l’équipement d’un airbag défectueux : les pouvoirs publics ne disposant que des informations transmises par les constructeurs.
Si le 7 janvier 2025, le ministère chargé des transports a lancé une campagne d’information invitant les conducteurs ultramarins à vérifier le numéro de série (VIN) de leur véhicule, celle‑ci a montré ses limites en affichant la non‑communication des liens de vérification, de la part de nombreuses marques.
Le cabinet Coppet Avocats, qui conseille et accompagne de nombreuses victimes et leurs familles, a par ailleurs à cet effet établi de manière minutieuse ce dysfonctionnement sur son site internet.
En effet, le 7 janvier 2025, le ministère chargé des transports listera 19 marques, 23 le 13 janvier, 26 le 31 janvier et 30 aujourd’hui.
Par ailleurs, la campagne d’information initiale se basait sur une liste de liens renvoyant par marque, à la page de rappel : 19 marques et 19 liens de vérification. Le 17 janvier 2025, cette liste est modifiée et des liens spécifiques sont proposés selon 5 « catégories » : France hexagonale, Guadeloupe, Guyane, Martinique, Réunion. Il est important de noter que seules 8 marques permettent alors de vérifier un véhicule sur l’ensemble des 5 catégories ; 15 marques sur 25 peuvent être vérifiées en Guadeloupe, 13 le sont en Guyane et 11 permettent de vérifier le numéro VIN de son véhicule en Martinique et à La Réunion. En France hexagonale, 23 marques permettent de vérifier son véhicule et aucune ne permet de le faire en Polynésie française, Nouvelle‑Calédonie, à Saint‑Barthélemy, Saint‑Martin, Saint‑Pierre et Miquelon, Mayotte, Walis et Futuna.
Au 14 février 2025, 30 marques sont listées et 6 « catégories » sont alors répertoriées avec la possibilité de vérifier son véhicule à Mayotte.
L’État a eu le mérite d’engager une action, cependant, celle‑ci se révèle être déficiente en raison de l’absence de communication fiable et transparente des fabricants automobiles. Seuls les véhicules C3 et DS3 datant de 2009 et 2010 sont rappelés dans le nord de la France, par exemple. Est‑ce le cas des autres marques au regard des difficultés d’approvisionnement en airbags ? Quelle autre marque pourrait être concernée dans les prochains mois ? Les rappels semblent concerner les airbags Takata dits de première génération, qu’en est‑il de ceux de deuxième génération ?
Enfin, contrairement à d’autres pays (Australie, Corée du Sud, Chine, États‑Unis, Malaisie, Japon) ayant imposé des rappels obligatoires aux constructeurs automobiles, la France n’a pas adopté de mesures contraignantes. En France, les rappels des véhicules équipés d’airbags défectueux reposent donc entièrement sur la volonté des constructeurs automobiles, laissant place à la plus grande opacité sur ces rappels et à des inégalités et retards inacceptables aux conséquences lourdes.
Nous pouvons fermer les yeux et attendre qu’un autre accident tragique se produise. Ou nous pouvons prendre nos responsabilités, exiger des comptes et surtout, protéger la vie de nos concitoyens.
Nous devons comprendre comment les constructeurs et les concessionnaires peuvent encore aujourd’hui négliger la sécurité des Français. Comment la campagne d’information gouvernementale a‑t‑elle pu autant tarder.
Face à ces constats, il apparaît urgent de constituer une commission d’enquête parlementaire visant à :
– analyser les responsabilités des constructeurs dans la lenteur et l’inefficacité de ces rappels, notamment en Outre‑mer ;
– évaluer la gestion de ces rappels constructeurs et déterminer les éventuelles défaillances dans l’information, la coordination et l’encadrement ;
– examiner les freins éventuels, législatifs ou administratifs, empêchant la mise en place de mesures coercitives pour protéger les automobilistes ;
– formuler des recommandations pour garantir l’égalité des citoyens et leur sécurité et améliorer les mécanismes de gestion des rappels en cours.
Ne laissons plus les Françaises et les Français jouer à la roulette russe chaque fois qu’ils démarrent leur véhicule.
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proposition de rÉsolution
Article unique
En application des articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, est créée une commission d’enquête de trente membres, chargée d’étudier et d’évaluer l’ensemble des difficultés qui concourent au dysfonctionnement des rappels des véhicules équipés d’airbags défectueux de la marque Takata sur l’ensemble du territoire national et particulièrement dans les territoires dits d’Outre-mer, ainsi que d’établir une liste de mesures ambitieuses d’accompagnement et de coercition visant à améliorer l’efficience des campagnes de rappels à venir.