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N° 1111

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 13 mars 2025.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

visant à soutenir une politique ambitieuse et ouverte de la recherche scientifique de l’Union européenne,

(Renvoyée à la commission des affaires européennes)

présentée par

Mme Marietta KARAMANLI, M. Mickaël BOULOUX, M. Boris VALLAUD, M. Karim BENBRAHIM, Mme Colette CAPDEVIELLE, M. Pierre PRIBETICH, M. Thierry SOTHER, Mme Ayda HADIZADEH, Mme Valérie ROSSI, M. Joël AVIRAGNET, Mme Léa BALAGE EL MARIKY, M. Fabrice BARUSSEAU, Mme Béatrice BELLAY, M. Bertrand BOUYX, Mme Céline CALVEZ, M. Michel CASTELLANI, M. Pierrick COURBON, M. Arthur DELAPORTE, M. Inaki ECHANIZ, M. Olivier FAURE, M. Denis FÉGNÉ, M. Damien GIRARD, Mme Pascale GOT, M. Emmanuel GRÉGOIRE, M. Stéphane HABLOT, Mme Céline HERVIEU, Mme Chantal JOURDAN, M. Gérard LESEUL, M. Laurent LHARDIT, M. Laurent MAZAURY, Mme Estelle MERCIER, M. Jacques OBERTI, Mme Sophie PANTEL, Mme Anna PIC, Mme Christine PIRÈS BEAUNE, M. Dominique POTIER, Mme Claudia ROUAUX, M. Charles SITZENSTUHL, Mme Céline THIÉBAULT-MARTINEZ, Mme Mélanie THOMIN, M. Jean-Luc WARSMANN, Mme Océane GODARD,

députées et députés.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Des constats persistants

Depuis le lancement de la stratégie de Lisbonne en 2000, l’Union européenne s’est fixée comme objectif de consacrer 3 % de son produit intérieur brut (PIB) à la recherche et développement (R&D). En l’état les dépenses intérieures brutes en R&D dans l’Union européenne s’élèvent encore à environ 2 % du PIB.

Une des principales différences avec les dépenses de même nature constatées aux États Unis serait l’engagement moindre du secteur des entreprises dans la R&D, dont les dépenses ne représenteraient que 1,2 % du PIB dans l’Union européenne, contre 2,3 % du PIB aux États‑Unis ([1]).

Au cours de la dernière décennie, l’Union européenne a lancé plusieurs initiatives visant à encourager l’investissement (privé), « dont le faible niveau est perçu comme un obstacle majeur à la croissance » ([2]). Selon les économistes auteurs du rapport « EU innovation policy how to escape the middle technology trap » la différence résiderait dans la composition des investissements, la part des industries de haute technologie étant beaucoup plus importante aux États‑Unis qu’en Europe. Dans plusieurs grands domaines comme la biotech, les logiciels, le hardware, ou encore l’intelligence artificielle, l’Union européenne et ses États sont considérés comme insuffisamment présents.

Dans sa résolution C 99/167 du 8 juillet 2021 sur « Un nouvel EER pour la recherche et l’innovation, (2021/2524(RSP)) , le parlement européen considérait que l’EER (Energy Efficiency Ratio – ratio d'efficacité énergétique) vise à éviter la fragmentation des efforts nationaux de recherche et d’innovation (R&I) en réduisant les disparités entre les cadres réglementaires et administratifs et que la R&I est essentielle pour permettre la relance de l’Europe, pour soutenir et accélérer les transitions numériques et vertes d’une manière socialement responsable, pour améliorer la durabilité et la compétitivité de l’Union et pour renforcer sa résilience.

Dans le cadre de la préparation du budget 2025 de l’Union le principal programme Horizon Europe de cet EER qui avoisine les 100 milliards d’euros pour la période verrait ses crédits sensiblement diminuer de 400 millions d’euros alors même que le budget d’Horizon Europe a déjà été réduit peu avant par le Conseil [les chefs d’État européens] de 2,1 milliards d’euros.

Pour mémoire et selon l’Union européenne, ledit programme permet de renforcer la compétitivité de l’Union et de l’aider à concrétiser ses priorités stratégiques, qui consistent en trois piliers : l’excellence scientifique et vise entre autres les infrastructures de recherche ; les problématiques mondiales et la compétitivité industrielle ; l’Europe innovante tendant, là, à créer un écosystème propice à l’innovation et à soutenir l’Institut européen d’innovation et de technologie (EIT).

Si l’Union européenne donner à la R&I un rôle premier dans l’économie et la compétitivité, elle doit commencer dès aujourd’hui lui donner la priorité dans le financement de l’Union européenne.

La nécessité d’un nouvel élan pour la recherche dans l’Union européenne, des propositions convergentes mais avec un risque

1. Dans son rapport The future of European competitiveness, Part A competitiveness strategy for Europe ([3]) M. Mario Draghi insiste sur la priorité de placer la R&I au centre de la compétitivité de l’Union européene ; il note que les dépenses publiques consacrées à la R&I manquent d’ampleur et ne sont pas suffisamment axées sur l’innovation de rupture.

Il analyse la nature et l’impact des dépenses publiques, rappelant qu’« aux États‑Unis, la grande majorité des dépenses publiques de R&I sont effectuées au niveau fédéral. Dans l’Union européenne, les gouvernements dépensent globalement un montant similaire à celui des États‑Unis pour la R&I en pourcentage du PIB, mais seul un dixième des dépenses est effectué au niveau de l’Union européenne, malgré les retombées importantes des investissements publics dans la R&I sur le secteur privé »

À cette occasion, il plaide pour plus de coordination entre État, et une taille critique expliquant que « des États membres ne peuvent pas atteindre l’échelle nécessaire pour mettre en place des infrastructures de recherche et de technologie de premier plan, ce qui limite la capacité de R&I. En revanche, les exemples du CERN et de l’entreprise commune pour le calcul à haute performance (EuroHPC) montrent l’importance de la coordination lors de l’élaboration de grands projets d’infrastructure de R&I ».

2. Le rapport EU innovation policy how to escape the middle technology trap, déjà cité, propose une restructuration de la gouvernance de l’allocation des moyens de la recherche de l’Union européenne pour la rendre plus efficace et compétitive avec une présence plus importante de scientifiques et d’ingénieurs qualifiés au sein des instances et une allocation budgétaire réorientée vers la recherche de pointe au lieu de se concentrer sur la mise à l’échelle des technologies par les petites et moyennes entreprises (PME). Il souligne aussi la multitude d’instruments de financement dans Horizon Europe.

Il y a une re-légitimation du recours à la politique budgétaire comme un outil de politique macroéconomique efficace.

3. Aujourd’hui il existe une réflexion de la Commission européenne visant à ce que des programmes très différents tels que « Horizon Europe », qui finance la recherche scientifique et l’innovation, et InvestEU, qui finance des projets qui soutiennent l’investissement durable, l’innovation et la création d’emplois, fusionnent en un fond unique, décliné dans le cadre financier pluriannuel (CFP), septennal de l’Union européenne, et ce pour la période de 2028 à 2034 ([4]).

Toutes les initiatives Horizon Europe et les programmes sectoriels comme le programme EU4Health (l’Union européenne pour la santé) ou le Fonds pour l’innovation seraient intégrés par un « grand fonds consolidé dédié à la compétitivité  » et un «  ensemble unique de règles  ».

La Direction générale direction générale pour la Recherche et l’Innovation de la Commission a indiqué fin 2024 qu’au milieu de l’année prochaine (2025) celle‑ci présentera ses propositions.

Ces différentes démarches ont un même objectif relancer la recherche, améliorer l’efficacité des crédits et assurer un bénéfice final à nos concitoyens et à la prospérité économique

Néanmoins la démarche de la Commission sans information partagée avec les parlements nationaux fait craindre a contrario une centralisation mal conçue, une uniformisation des procédures et processus mal comprise et la perte d’une part de démarche ascendante de la part des acteurs de la recherche.

D’ores et déjà plusieurs associations européennes rassemblant des universités et des organismes de recherche (Cesaer ([5]), Earto ([6]), ERT, l’EUA ([7]), la Leur ([8]), Science Europe ([9]) et la Guilde ([10]) ) ont demandé (février 2025) le maintien, d’un programme‑cadre dédié à la recherche et à l’innovation et un effort redoublé en faveur de ce secteur.

Plusieurs spécialistes appellent aussi à bien distinguer ce qui relève de la recherche et ce qui est propre à l’innovation « productive », c’est‑à‑dire le soutien à l’innovation et au développement des entreprises et ressort de politiques industrielles voire commerciales ;

Dans un rapport et une résolution adoptés précédemment par notre commission portant sur « la réponse européenne à l’Inflation Reduction Act (IRA) », celle‑ci avait regretté que souvent les plans européens et nationaux soient fragmentés, les programmes variés de sorte qu’il en résulte un manque de lisibilité et de visibilité pour les investisseurs.

Maintenir une vision ouverte et diverse de la science et de la recherche

Dans ces conditions, les propositions visant à diminuer les crédits de la recherche, à une fusion des programmes sans concertation de l’ensemble des acteurs (organismes de recherche, universités, grands établissements dédiés), avec un défaut d’intelligibilité et de lisibilité vont à l’encontre des constats et propositions faits.

La présente proposition de résolution européenne invite simplement le Gouvernement Français :

– à défendre les crédits de la recherche européenne et à demander aux États membres et à la Commission européenne de maintenir et développer un haut niveau de dépenses de recherche ;

– à soutenir le maintien des crédits du programme Horizon Europe prévus mais non dépensés pour financer des programmes jugés excellents mais non encore financés ;

– à proposer d’augmenter le financement d’Horizon Europe, et non de le réduire, dans la perspective du 10ème programme‑cadre qui doit entrer en fonction en 2028 ;

– à faire toute sa part à la recherche qui s’intéresse aux domaines et effets sociaux des nouvelles technologies qu’elle concerne l’Intelligence artificielle, la santé et la médecine, ou encore l’éducation et / ou les inégalités pouvant en résulter ;

– à proposer d’améliorer la gouvernance des programmes et institutions de la recherche au niveau européen en vue d’en simplifier l’accès et en donnant aux scientifiques et aux personnalités qualifiées par leurs expériences un plus grand poids dans la définition des projets et l’allocation des moyens

– à demander que le Parlement soit informé rapidement, systématiquement et sans délai des informations, documents et propositions des institutions européennes sur ces réformes essentielles pour l’avenir de l’Europe

 


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proposition de rÉsolution europÉenne

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88‑4 de la Constitution,

Vu l’article 151‑5 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu les articles 179 à 190 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,

Vu l’article 179 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne qui dispose que « l’Union a pour objectif de renforcer ses bases scientifiques et technologiques, par la réalisation d’un espace européen de la recherche dans lequel les chercheurs, les connaissances scientifiques et les technologies circulent librement »,

Vu la stratégie de la Commission,

Vu le programme Horizon Europe 2021‑2027,

Vu le second plan stratégique d’Horizon Europe pour la période 2025‑2027, adopté en mars 2024,

Vu les déclarations faites par la Commission,

Invite le Gouvernement de la République française à prendre position pour :

– Le maintien des crédits de la recherche européenne tels que programmés initialement ;

– Le redéploiement des crédits du programme « Horizon Europe » prévus mais non dépensés au sein du programme cadre de recherche et développement et ce en vue de financer des programmes jugés excellents mais non encore financés ;

La détermination d’un financement d’Horizon Europe ambitieux dans la perspective du dixième programme‑cadre ambitieux qui doit entrer en fonction en 2028 ;

– La place à faire à la recherche qui s’intéresse aux domaines et effets sociaux des nouvelles technologies qu’elles concernent l’intelligence artificielle, la santé et la médecine, ou encore l’éducation et les inégalités pouvant en résulter ;

– L’amélioration de la gouvernance des programmes et institutions de la recherche au niveau européen en vue d’en simplifier l’accès et en donnant aux scientifiques et aux personnalités qualifiées par leurs expériences un plus grand poids dans la définition des projets et l’allocation des moyens ;

– Une information rapide, systématique et sans délai des informations, documents et propositions des institutions européennes sur ces réformes essentielles pour l’avenir de l’Europe.

 

 


([1])   EU INNOVATION POLICY HOW TO ESCAPE THE MIDDLE TECHNOLOGY TRAP, C. Fuest, D. Gros, P.-L. Mengel, G. Presidente and J. Tirole  rapport par econpol@cesifo,, IEP@BU Institute for European policymaking@Bocconi University, and Toulouse School of Economics https://www.econpol.eu/sites/default/files/2024-04/Report%20EU%20Innovation%20Policy.pdf

([2])  Idem

([3]) The future  of European  competitiveness,  Part A | A competitiveness strategy for Europe, septembre 2024, https://commission.europa.eu/document/download/97e481fd-2dc3-412d-be4c-f152a8232961_en?filename=The%20future%20of%20European%20competitiveness%20_%20A%20competitiveness%20strategy%20for%20Europe.pdf

([4])  https://france.representation.ec.europa.eu/informations/la-commission-analyse-les-possibilites-de-renforcer-lespace-europeen-de-la-recherche-2024-10-22_fr

([5])  Il s’agit d’un réseau de plus de 50 universités scientifiques et technologiques de premier plan dans 25 Etats.

([6])  European Association of Research and Technology Organisations compte plus de 350 organisations de recherche et de technologie (RTO) dans plus de 32 pays.

([7])  The European University Association (EUA) compte plus de 900 membres et affiliés dans 49 Etats.

([8])  League of European Research Universities regroupe 24 universités à fort potentiel de recherche.

([9])  Science Europe est l'association qui représente les principaux organismes publics qui financent ou réalisent des travaux de recherche en Europe.

([10])  Le Guilde regroupe 22 universités à forte intensité de recherche de toute l'Europe.