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N° 1123
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 18 mars 2025.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
tendant à la création d’une commission d’enquête visant à établir les surcoûts des marchés publics liés aux pratiques anticoncurrentielles,
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
M. Jean-Philippe TANGUY, M. Franck ALLISIO, M. Maxime AMBLARD, Mme Bénédicte AUZANOT, M. Philippe BALLARD, Mme Anchya BAMANA, M. Christophe BARTHÈS, M. Romain BAUBRY, M. José BEAURAIN, M. Christophe BENTZ, M. Théo BERNHARDT, M. Guillaume BIGOT, M. Bruno BILDE, M. Emmanuel BLAIRY, Mme Sophie BLANC, M. Frédéric BOCCALETTI, Mme Pascale BORDES, M. Anthony BOULOGNE, Mme Manon BOUQUIN, M. Jorys BOVET, M. Jérôme BUISSON, M. Eddy CASTERMAN, M. Sébastien CHENU, M. Roger CHUDEAU, M. Bruno CLAVET, Mme Caroline COLOMBIER, Mme Nathalie DA CONCEICAO CARVALHO, Mme Sandra DELANNOY, M. Jocelyn DESSIGNY, Mme Edwige DIAZ, Mme Sandrine DOGOR-SUCH, M. Nicolas DRAGON, M. Alexandre DUFOSSET, M. Gaëtan DUSSAUSAYE, M. Aurélien DUTREMBLE, M. Auguste EVRARD, M. Frédéric FALCON, M. Marc DE FLEURIAN, M. Guillaume FLORQUIN, M. Emmanuel FOUQUART, M. Thierry FRAPPÉ, M. Julien GABARRON, Mme Stéphanie GALZY, M. Jonathan GERY, M. Frank GILETTI, M. Yoann GILLET, M. Christian GIRARD, M. Antoine GOLLIOT, M. José GONZALEZ, Mme Florence GOULET, Mme Géraldine GRANGIER, Mme Monique GRISETI, M. Julien GUIBERT, M. Michel GUINIOT, M. Jordan GUITTON, Mme Marine HAMELET, M. Timothée HOUSSIN, M. Sébastien HUMBERT, M. Laurent JACOBELLI, M. Pascal JENFT, M. Alexis JOLLY, Mme Tiffany JONCOUR, Mme Sylvie JOSSERAND, Mme Florence JOUBERT, Mme Hélène LAPORTE, Mme Laure LAVALETTE, Mme Marine LE PEN, M. Robert LE BOURGEOIS, Mme Julie LECHANTEUX, Mme Nadine LECHON, Mme Gisèle LELOUIS, M. Hervé DE LÉPINAU, Mme Katiana LEVAVASSEUR, M. Julien LIMONGI, M. René LIORET, Mme Christine LOIR, M. Aurélien LOPEZ-LIGUORI, Mme Marie-France LORHO, M. Philippe LOTTIAUX, M. Alexandre LOUBET, M. David MAGNIER, Mme Claire MARAIS-BEUIL, M. Matthieu MARCHIO, M. Pascal MARKOWSKY, M. Patrice MARTIN, Mme Michèle MARTINEZ, Mme Alexandra MASSON, M. Bryan MASSON, M. Kévin MAUVIEUX, M. Nicolas MEIZONNET, Mme Joëlle MÉLIN, Mme Yaël MÉNACHÉ, M. Thomas MÉNAGÉ, M. Pierre MEURIN, M. Thibaut MONNIER, M. Serge MULLER, M. Julien ODOUL, Mme Caroline PARMENTIER, M. Thierry PEREZ, M. Kévin PFEFFER, Mme Lisette POLLET, M. Stéphane RAMBAUD, Mme Angélique RANC, M. Julien RANCOULE, M. Matthias RENAULT, Mme Catherine RIMBERT, M. Joseph RIVIÈRE, Mme Laurence ROBERT-DEHAULT, Mme Béatrice ROULLAUD, Mme Sophie-Laurence ROY, Mme Anaïs SABATINI, M. Alexandre SABATOU, M. Emeric SALMON, M. Philippe SCHRECK, Mme Anne SICARD, M. Emmanuel TACHÉ DE LA PAGERIE, M. Michaël TAVERNE, M. Thierry TESSON, M. Lionel TIVOLI, M. Romain TONUSSI, M. Antoine VILLEDIEU, M. Frédéric-Pierre VOS, M. Frédéric WEBER,
députés et députées.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La commande publique est un immense enjeu en termes de finances publiques et de qualité de service public. En effet, les marchés publics représentent une part significative du PIB, 3,2 % au minimum ([1]).
Le montant exact de la commande publique en France varie fortement d’une étude à l’autre car il est difficile à évaluer avec précision. Le rapport d’information des sénateurs Bourquin et Bonnecarrere du 14 octobre 2015 estime la commande publique à près de 400 milliards d’euros par an, en incluant les concessions et les partenariats public‑privé.
Seul le Baromètre de la commande publique, réalisé tous les ans par Intercommunalités de France et la Banque des territoires, est suffisamment précis et régulier pour analyser la dynamique de la commande publique passée par le pouvoir adjudicateur. Le rapport public annuel de septembre 2024, évalue, pour 2023, la commande publique totale à 89 milliards d’euros, soit 4 milliards de plus qu’en 2022. Les collectivités territoriales sont, de loin, les premiers acheteurs publics (50 % du total), suivies par l’État et les bailleurs sociaux publics (14 % pour chaque). La valeur moyenne des appels d’offres des collectivités locales est de 520 000 euros en 2024.
Quelles que soient les évaluations ou le périmètre retenu, la commande publique est un enjeu de premier plan et croissant pour les contribuables français.
Les pratiques anticoncurrentielles sont légion dans le secteur de la commande publique. À cet égard, l’Autorité de la concurrence rend très régulièrement des avis, et parfois sanctionne, des pratiques anticoncurrentielles sur les marchés publics. Dernière en date, l’avis du 27 janvier 2025 de l’Autorité de la concurrence, concerne la situation concurrentielle dans le secteur de l’assurance des dommages aux biens des collectivités territoriales. Dans cet avis, l’Autorité de la concurrence constate « que ce secteur, stratégique pour la protection des patrimoines publics, est caractérisé par une offre très concentrée, dominée par deux opérateurs principaux (Groupama et SMACL Assurances SA), et par une faible intensité concurrentielle. » Ce schéma se reproduit dans de nombreux pans de la commande publique.
Différents types de pratiques anticoncurrentielles peuvent affecter les marchés publics. Les ententes, les abus de position dominante et les soumissions concertées sont trois pratiques anticoncurrentielles qui peuvent fausser les marchés publics et entraîner une hausse significative des prix. Une entente désigne un accord secret entre entreprises concurrentes visant à coordonner leurs offres ou à se répartir les marchés, au détriment de la libre concurrence. L’abus de position dominante survient lorsqu’une entreprise exploitant une position prépondérante sur un marché adopte des pratiques visant à évincer la concurrence ou à imposer des conditions tarifaires injustifiées. La soumission concertée, quant à elle, est une forme d’entente spécifique aux marchés publics où des entreprises, censées être concurrentes, s’accordent pour fixer artificiellement les prix ou attribuer les contrats de manière tournante. Ces pratiques sont interdites car elles faussent la concurrence et privent l’acheteur public des bénéfices d’une mise en concurrence réelle, qui devrait normalement conduire à des prix plus justes et à une meilleure qualité des prestations.
Lorsque des entreprises concluent des ententes sur un marché public, elles limitent artificiellement la concurrence en coordonnant leurs offres, ce qui empêche l’acheteur d’obtenir des prix compétitifs. Cette absence de pression concurrentielle aboutit inévitablement à un renchérissement des coûts pour la commande publique, avec des répercussions directes sur les finances publiques.
Les pratiques anticoncurrentielles représentent une atteinte au principe de la libre concurrence. Les articles L. 420.1 du code de commerce et suivants prohibent ces atteintes.
Les surcoûts pour les finances publiques, et donc pour le contribuable, des entraves à la concurrence sur les marchés publics sont très significatifs. L’Organisation de coopération et de développement économiques estime ces surcoûts à plus de 20 % en moyenne parmi ses membres ([2]). L’Europe est directement concernée par cette problématique dans la mesure où, en 2022, 26 % des décisions d’entente des autorités de la concurrence concernent des soumissions concertées, soit 4 points de plus qu’en 2021.
Lutter efficacement contre les surcoûts liés aux pratiques anticoncurrentielles dans les marchés publics permettrait de réaliser des économies très significatives tout en améliorant la qualité du service public. Le Rassemblement national, dans une logique de bonne gestion des organismes publics, veut lutter contre les rentes partout où elles prolifèrent.
La littérature économique a largement traité le sujet et montre qu’une lutte efficace contre les ententes sur les marchés publics permet de faire baisser significativement les prix tout en améliorant la qualité du service rendu. Le troisième rapport sur la mise en œuvre de la recommandation de 1998 de l’OCDE, Les ententes injustifiables ([3]), analyse l’exemple de l’entente suédoise pour l’asphalte du début des années 2000. Cette entente a fait l’objet d’une intervention de l’autorité de la concurrence, qui a permis de faire baisser le prix des marchés publics pour l’asphalte de 20 %. Le rapport de l’OCDE note également que l’intervention de l’autorité de la concurrence a abouti plus largement à la sensibilisation des agents chargés des marchés publics aux dommages dus aux ententes.
Les pratiques anticoncurrentielles ont pu s’aggraver récemment du fait d’une opacité accrue des prix des marchés publics, à la suite d’un revirement de jurisprudence. L’arrêt du Conseil d’État du 30 mars 2016 ([4]) (Centre hospitalier de Perpignan) marque un tournant majeur dans le fonctionnement de la commande publique et la transparence des marchés publics. En rompant avec une jurisprudence constante de la CADA, cette décision a profondément modifié l’équilibre entre secret commercial et contrôle citoyen. Désormais, les documents détaillant la structure des prix, tels que le bordereau des prix unitaires (BPU) et le document des quantités estimées (DQE), ne sont plus communicables au motif qu’ils reflètent la stratégie commerciale des entreprises. Or ces documents étaient jusque‑là essentiels pour permettre aux candidats évincés d’analyser la régularité des attributions et d’identifier d’éventuelles pratiques contraires à l’intérêt général (favoritisme, collusion, surcoûts injustifiés). Cette évolution rompt ainsi avec une doctrine jusque‑là nuancée, qui assurait une certaine transparence tout en préservant le secret des affaires sur les sous‑détails de prix.
Cette évolution soulève des enjeux fondamentaux qui devraient interpeller jusqu’au législateur. En consacrant le secret commercial comme un principe absolu, y compris pour des documents qui relèvent également de l’administration, la décision de 2016 fragilise la transparence des marchés publics et réduit la capacité des professionnels et des citoyens à s’assurer de leur régularité. Ce basculement vers une plus grande opacité pose la question de l’équilibre entre protection des intérêts économiques des entreprises et nécessité d’un contrôle effectif de l’utilisation des fonds publics. À l’heure où la commande publique représente des sommes colossales, il est légitime de s’interroger sur les conséquences de cette mutation et sur l’opportunité d’une révision du cadre juridique afin de rétablir un minimum de transparence.
La commission d’enquête parlementaire doit s’intéresser en premier lieux aux taux de marge des fournisseurs et prestataires de services. En effet, le taux de marge est le premier symptôme d’une entente. Le Conseil d’État a explicité, dans un arrêt du 27 avril 2021, la méthode d’évaluation du préjudice subi par une personne publique au titre du surcoût lié à une entente. Le calcul du coût du préjudice est basé sur la comparaison des taux de marge de la société pendant la durée de l’entente et après la fin de celle‑ci pour en déduire le surcoût supporté par la personne publique sur les marchés litigieux.
Une fixation juste des marges sur les marchés publics permettra à la fois de soutenir le tissu économique local et d’économiser l’argent des contribuables. Cette commission d’enquête est donc un acte de courage politique et d’efficacité économique.
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proposition de rÉsolution
Article unique
En application des articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, il est créé une commission d’enquête composée de trente députés. Cette commission d’enquête est chargée d’établir les surcoûts des marchés publics liés aux pratiques anticoncurrentielles.
Après avoir analysé les pratiques anticoncurrentielles dans le secteur de la commande publique, les travaux de cette commission d’enquête consistent essentiellement à établir les difficultés, et leurs causes, que rencontrent actuellement les acteurs des marchés publics face aux ententes, abus de position dominante et soumissions concertées. Ils permettent ensuite de quantifier le préjudice subi par les finances publiques, en analysant les taux de marge des fournisseurs et prestataires de services. Ils permettent en dernier lieu d’élaborer des propositions concrètes pour lutter contre ces pratiques, pour rétablir une concurrence loyale et pour faire baisser significativement les prix des marchés publics concernés par ces pratiques.
([1]) Baromètre de la commande publique, septembre 2024, Banque des territoires & Intercommunalités de France.
([2]) Fighting bid rigging in public procurement, OCDE.
([3]) https://shs.cairn.info/revue-sur-le-droit-et-la-politique-de-la-concurrence-2006-1-page-7?lang=fr#s2n4
([4]) Conseil d’Etat, 30 mars 2016, Centre hospitalier de Perpignan, n° 375529.