N° 1167
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 mars 2025.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
pour garantir à chaque individu un droit d’accès effectif à ses origines,
présentée par
Mme Géraldine BANNIER, M. Olivier FALORNI, Mme Natalia POUZYREFF, M. Stéphane BUCHOU, M. Stéphane VOJETTA, M. Nicolas RAY, Mme Brigitte BARÈGES, M. Olivier SERVA, M. Lionel VUIBERT,
députés.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
L’objet de cette résolution est un appel à une modification de la législation pour garantir à chaque individu un droit d’accès aux origines effectif.
Pour rappel, dans un arrêt de chambre du 7 septembre 2023 (Dalloz actualité, 2 oct. 2023, obs. D. Vigneau), la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) a jugé que l’article 8 de la Convention protège le droit à la connaissance de ses origines et qu’il pèse sur l’État une obligation positive de garantir aux intéressés un droit d’accès à leurs origines.
Or, notre législation ne garantit pas à tous ce droit d’accès.
Les enfants nés sous X peuvent, majeurs, faire une demande auprès du Cnaop mais la réponse est conditionnée : en vertu des articles L. 147‑6 et L. 147‑7 du code de l’action sociale et des familles, l’identité des parents peut être partagée si les parents ont spontanément levé le secret de leur identité ; si le parent n’a pas manifesté le souhait de préserver son identité ; si les parents sont décédés sans s’opposer à la levée du secret ; et enfin si le Conseil national pour l'accès aux origines personnelles (CNAOP) parvient à recueillir le consentement des parents. Depuis sa création en 2002, 13 129 dossiers ont été recevables, enregistrables et traités. Le CNAOP a identifié, localisé et contacté 4 011 parents de naissance (soit 30 %) mais la levée du secret n’a été effective que 1 205 fois (mères décédées : 1 365 ; mères qui ont refusé de lever le secret : 1 441).
Les enfants nés par procréation médicalement assistée (PMA) avec don d’ovocyte ou de gamète, avant la loi votée par les deux chambres lors de la dernière révision de loi bioéthique, peuvent, majeurs, adresser une demande à la Commission d’accès des personnes nées d’une assistance médicale à la procréation aux données des tiers donneurs (CAPADD) mais la réponse est conditionnée : il faut que le donneur ait manifesté son intention de se faire connaître, mais encore que le dossier n’ait pas été perdu, mais encore que le donneur ne soit pas décédé… Les chiffres sont révélateurs : sur 434 demandes recevables au 15 septembre 2023, seules 19 ont abouti par ce biais.
Bien davantage, notre législation est en retard par rapport à une réalité très concrète : les enfants adoptés, nés sous X, nés par don de gamète ou d’ovocyte, ont accès aujourd’hui à leurs origines par des tests génétiques.
Pourtant, le fait de solliciter l’examen de ses caractéristiques génétiques, ou celles d’un tiers, en dehors des conditions légales, est puni d’une amende de 3 750 euros. Les personnes effectuant ces examens encourent une peine d’emprisonnement d’un an et 15 000 euros d’amende.
Ils sont deux cent mille, sans doute davantage, chaque année, à braver l’interdit… À se procurer, en les faisant venir de l’étranger des tests.
En Europe seules la France et la Pologne interdisent l’accès à ces tests.
Si tant d’adultes empruntent cette voie de l’illégalité, à contrecœur, c’est bien souvent que cette quête est devenue dans leur chemin de vie absolument impérative.
Le mensonge, le secret de famille, le ressenti étrange et insensé que quelque chose ne colle pas, que manque quelque chose d’absolument indispensable à l’équilibre, à la compréhension de soi, de son histoire, peuvent détruire ; sournoisement des dysfonctionnements se font jour : conflits familiaux, troubles alimentaires, mal‑être, dépression, tentatives de suicides, sont trop fréquemment le lot de ces personnes en manque de leurs origines.
Alors bien sûr on rétorquera que certains vont bien, que dans certaines civilisations, on est d’une tribu bien plus que de ses parents. Ce n’est pas faux…
Mais dans notre civilisation, l’inégalité d’accès aux origines, patent, mesurable, et même assumé par notre législation, doit nous interroger. Surtout à l’heure où l’évolution technologique permet de répondre très concrètement à des personnes en souffrance.
L’histoire reconstituée, vraie, n’est pas toujours un conte de fée, m’expliquait une femme née d’un viol, mais « c’eût été pire de ne jamais savoir » ajouta‑t‑elle aussitôt.
Voilà pourquoi notre législation doit évoluer et reconnaître le droit pour chacun de connaître ses origines. C’est un droit fondamental.
– 1 –
proposition de RÉSOLUTION
Article unique
L’Assemblée nationale,
Vu l’article 34‑1 de la Constitution,
Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,
Vu la Convention de la Haye du 29 mai 1993 qui affirme que les autorités étatiques doivent veiller à conserver les informations qu’elles détiennent sur les origines de l’enfant et que ces mêmes autorités étatiques doivent assurer l’accès de l’enfant à ces informations dans la mesure permise par la loi de leur État,
Vu la Convention européenne en matière d’adoption des enfants du 27 novembre 2008 qui reconnaît le droit de connaître ses origines et indique que l’enfant adopté a accès aux informations détenues par les autorités compétentes concernant ses origines et que, même, si ses parents d’origine ont le droit de ne pas divulguer leur identité, une autorité compétente doit avoir la possibilité, dans la mesure où la loi le permet, de déterminer s’il convient d’écarter ce droit et de communiquer des informations sur l’identité, au regard des circonstances et des droits respectifs de l’enfant et de ses parents d’origine,
Vu la jurisprudence de la Cour européenne qui, par une interprétation extensive de la notion de vie privée, reconnaît le droit de l’enfant de connaître ses origines,
Vu différents arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme, qui ont reconnu que le droit de connaître la vérité de son histoire personnelle entrait dans le champ d’application de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme relatif au respect de la vie privée et familiale, ont précisé l’intérêt vital des individus à obtenir les informations nécessaires à la découverte de la vérité concernant un aspect important de leur identité personnelle tel que l’identité des géniteurs, ont reconnu également le droit à la connaissance de ses origines qui trouve son fondement dans l’interprétation extensive du champ d’application de la notion de vie privée et ont précisé que l’intérêt vital de l’établissement des détails de son identité d’être humain participait du droit à l’épanouissement personnel protégé par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme,
Vu l’article premier de la Déclaration des droits de l’Homme,
Vu le Préambule de la Constitution de 1946 soulignant que la Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement,
Constatant que la loi n° 2002‑93 du 22 janvier 2002 relative à l’accès aux origines des personnes adoptées et pupilles de l’État ne ménage pas un juste équilibre entre les intérêts en cause et subordonne le droit d’accès aux origines à la décision unique de la mère ;
Constatant que la loi n° 2009‑61 du 16 janvier 2009 ratifiant l’ordonnance n° 2005‑759 du 4 juillet 2005 portant réforme de la filiation et modifiant ou abrogeant diverses dispositions relatives à la filiation, qui a supprimé, à l’article 325 du code civil, la fin de non‑recevoir opposable à l’action en recherche de maternité en cas d’accouchement sous X, a été un texte plus symbolique qu’effectif et que l’accès aux origines est toujours rendu quasiment impossible aux personnes nées sous X en vertu des articles 326 et 57 du code civil ;
Constatant que le code de la santé publique, depuis la promulgation de la loi 2021‑1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique, spécifie en son article L. 2143‑2 que toute personne conçue par assistance médicale à la procréation avec tiers donneur peut, si elle le souhaite, accéder à sa majorité à l’identité et aux données non identifiantes du tiers donneur définies à l’article L. 2143‑3 mais n’est pas applicable aux personnes nées par don de gamète ou d’ovocyte avant la promulgation de cette même loi ;
Constatant également que les missions du Conseil national pour l’accès aux origines personnelles telles que définies par les articles L. 147‑2 à 147‑11 du code de l’action sociale et des familles ne permettent l’accès aux origines que de manière conditionnée et très minoritaire,
Constatant également que les réponses apportées aux demandes formulées auprès de la Commission d’accès des personnes nées d’une assistance médicale à la procréation aux données des tiers donneurs sont également conditionnées ;
Constatant que la Cour européenne des droits de l’Homme exerce un contrôle restreint en la matière en raison, notamment, de la diversité des législations nationales européennes ;
Rappelant que le non‑accès à ses origines d’un être humain est de nature à entraîner des troubles psychiques et de la souffrance mentale et physique ;
Rappelant également que la législation française est la seule avec la législation polonaise à interdire le recours à des tests génétiques, exceptés ceux ordonnés par un juge, dans le cadre d’un test de paternité, ou par un médecin, dans le cadre d’un test génétique médical ;
Rappelant qu’aujourd’hui, en Europe, seuls la France et le Luxembourg restreignent l’accès des enfants nés sous X à leurs origines personnelles, ceci malgré les différentes recommandations faites par le Comité des droits de l’enfant des Nations unies ;
Rappelant que priver l’enfant d’informations potentiellement essentielles sur ses origines personnelles ainsi que sur ses antécédents médicaux constituent de fait une discrimination entre citoyens, ;
Invite en conséquence, et en premier lieu, le Gouvernement à lever l’interdiction faite à tout citoyen, sous peine d’amende et d’emprisonnement, d’user de tests génétiques ;
Invite le Gouvernement à permettre aux enfants adoptés, nés sous X ou nés par don de gamètes ou d’ovocytes à avoir accès à l’identité de leurs parents géniteurs ;
Invite donc le Gouvernement à légiférer pour que ce droit d’accès à son identité soit désormais un droit effectif et non plus un droit conditionné et restrictif ;
Invite enfin solennellement le Gouvernement à faire du droit d’accès aux origines de tout citoyen français un droit fondamental.