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N° 1194
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 28 mars 2025.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE
visant le financement des dépenses de défense de l’Union européenne, la conciliation de la sécurité commune avec les priorités de transition environnementale et de solidarité, et la nécessaire mobilisation des plus hauts revenus,
(Renvoyée à la commission des affaires européennes)
présentée par
Mme Marietta KARAMANLI, M. Boris VALLAUD, Mme Anna PIC, M. Pierre PRIBETICH, Mme Céline THIÉBAULT-MARTINEZ, M. Fabrice BARUSSEAU, Mme Béatrice BELLAY, M. Karim BENBRAHIM, M. Mickaël BOULOUX, Mme Colette CAPDEVIELLE, M. Pierrick COURBON, M. Arthur DELAPORTE, M. Denis FÉGNÉ, Mme Pascale GOT, M. Emmanuel GRÉGOIRE, M. Stéphane HABLOT, Mme Ayda HADIZADEH, Mme Chantal JOURDAN, M. Laurent LHARDIT, Mme Estelle MERCIER, M. Jacques OBERTI, Mme Christine PIRÈS BEAUNE, Mme Claudia ROUAUX, M. Arnaud SIMION, Mme Mélanie THOMIN,
députées et députés.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La situation née du rapprochement de la Russie et des États‑unis et la volonté de la droite américaine extrémiste ([1]) de faire payer aux européens la part de contribution qu’ils supportaient au sein de l’Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN) conduit à poser, de façon si ce n’est inédite, au moins nouvelle la question de la défense européenne et de son financement.
Une nouvelle donne géopolitique et militaire dans le monde et en Europe
Pour faire simple la stratégie de Moscou de vouloir créer une nouvelle zone d’influence en s’emparant de territoires voisins et en créant une contiguïté de défense par l’annexion des territoires et la soumission des États concernés est considérée à juste titre comme devant recevoir à la fois une réponse politique mais aussi préventive et dissuasive en matière de sécurité des États européens et ce alors même que l’assistance militaire des États‑unis à leur égard n’est plus assurée.
Cette rupture était en soi prévisible même si le calendrier s’est accéléré. Depuis plusieurs années les États‑Unis considèrent la Chine comme la « menace prioritaire » ([2]) et fondent une grande partie de leur réflexion sur le « scénario de Taïwan » c’est‑à‑dire une invasion possible de Taïwan par la Chine ([3]). Parallèlement des États armés tels que la Corée du Nord ou l’Iran, développent des capacités militaires importantes.
Dès lors les États européens n’ont guère comme solution que de se préparer à devoir se défendre de façon concertée, coordonnée, et indépendante.
Un effort de sécurité à financer mais dont les contours restent flous
Selon les données présentées par l’Union européenne entre 2021 et 2024, les dépenses de défense totales des différents États membres de l’Union européenne ont déjà augmenté de plus de 30 %. En 2024, elles auraient atteint quelque 326 milliards d’euros, soit environ 1,9 % du produit intérieur brut (PIB) de l’Union européenne ([4]) .
Cette hausse a profité et continuer de profiter largement à l’industrie de défense américaine.
L’effort aujourd’hui à accomplir est estimé pouvoir atteindre 800 milliards d’euros et l’axe principal du plan serait un prêt de 150 milliards d’euros pour l’acquisition conjointe d’équipements de défense de fabrication européenne, avec des fonds levés par la Commission dans le cadre de l’Action européenne pour la sécurité (SAFE).
D’autres modalités de financement de cet effort de sécurité sont énoncées pour plus de 650 milliards à mobiliser.
1. La commission de l’Union européenne laisse entendre que les États membres pourraient dépenser plus pour leur défense, et cela au‑delà des règles budgétaires actuelles qui les obligent à limiter leur déficit public à 3 % de leur PIB.
2. Un redéploiement des crédits de cohésion de l’Union pourrait aussi être fait sans que l’on sache de quelle façon et selon quelles priorités.
3. Par ailleurs la banque européenne d’investissements pourrait être sollicitée.
4. L’Union européenne, les banques ou mes fonds d’investissement spéculatifs peuvent aussi prêter aux États membres.
5. Enfin chaque État pourrait faire de nouvelles dépenses en réorientant ses dépenses actuelles.
Il leur faudrait alors faire des choix, soit emprunter sur les marchés soit diminuer certaines dépenses. Au premier cas, cela renforcera la dette et la charge de la dette qui pour une large part est financée par les plus modestes. Au second cas les dépenses sociales ou en faveur des services publics sont une cible facile et la justification de leur effritement ou d’un abandon partiel pour augmenter l’effort budgétaire en faveur d’une défense autonome et crédible, au service d’une stratégie commune et de moyens communs peut convaincre mais cela fait l’impasse sur d’autre choix.
De façon plus globale comme l’énonce dans une note récente l’Institut Bregel « La plupart des capacités de défense européennes supplémentaires (d’une valeur maximale de 650 milliards d’euros sur quatre ans, si tous les pays de l’Union européenne augmentent leurs dépenses de défense de 1,5 % du PIB) seraient financées et mises en œuvre au niveau national. Cela soulève des risques liés à la diversité des capacités budgétaires nationales. Le cadre budgétaire de l’Union européenne prévoit que les dettes publiques doivent être maintenues sur une trajectoire viable. Or, l’augmentation des dépenses de défense se fera par le biais d’une « clause de sauvegarde nationale » qui permet aux pays de l’Union européenne de demander une dérogation aux règles normales, même si plusieurs pays faiblement endettés n’auront pas besoin de le faire.
L’institut poursuit en notant qu’« en exhortant les pays à soutenir ces dépenses de défense supplémentaires au niveau national, l’Union européenne prend le risque que les pays les plus faibles sur le plan fiscal ne mettent tout simplement pas en œuvre les dépenses de défense plus élevées, s’ils ne disposent pas de la marge de manœuvre fiscale et politique nécessaire. Par ailleurs, la crise sécuritaire provoquée par la guerre en Ukraine pourrait se transformer en crise budgétaire pour les pays dont les finances sont précaires. »[5]
Le choix d’un financement par une contribution limités des « très très » riches
Selon l’observatoire un impôt minimum sur les milliardaires égal à 2 % de leur richesse permettrait de collecter entre 200 et 250 milliards de dollars par an au niveau mondial auprès d’environ 3 000 contribuables.
Au niveau de l’Union européenne, un taux minimum de 2 % d’imposition sur ces mêmes contribuables, ceux dont le patrimoine dépasse les 100 millions d’euros aurait pour effet de mobiliser 67 milliards d’euros. Avec un taux fixé à 3 %, 121 milliards d’euros seraient mobilisés.
Une telle contribution légitime serait par son volume à pourvoir sur quatre ans à mobiliser 73 % du plafond des dépenses estimées (650 milliards d’euros).
Plusieurs rapports réalisés dans le cadre des travaux de la commission des affaires européennes de notre assemblée ont abordé la question des règles budgétaires communes, de dépenses possiblement à sanctuariser ou encore de ressources à mobiliser même si elles ne constituaient pas le cœur des sujets alors traités.
Dans ce sens ([6]) le point de vue avait été défendu que certains investissements ne sauraient être comptabilisés dans le calcul de la dette et du déficit publics des États membres de l’Union sauf à ce que les montants de ces investissements se voient restreints.
Etaient cités les investissements publics en faveur de la préservation du climat, défi majeur des décennies à venir. Étaient donc visés les investissements verts et était précisé que « sous certaines conditions, ces considérations pourraient également être élargies aux investissements dans la défense ou la recherche dans des domaines jugés prioritaires, par exemple la santé humaine ».
Il était aussi précisé que la question d’une règle d’or préservant certaines dépenses jugées stratégiques par l’Union européenne et qui seraient exclues du calcul des différents seuils devrait être mise en perspective avec celle de la création de ressources nouvelles provenant, par exemple, de la lutte contre la fraude et de l’évitement fiscaux ou d’une fiscalité réellement progressive à l’égard de tous. En tout état de cause, , des choix devaient être réalisés pour trouver les moyens financiers de relever les défis auxquels l’Europe fait face. »
Si désormais la Commission ou le nouveau Chancelier allemand semblent s’éloigner d’une vision étroite de l’équilibre budgétaire en accédant à l’idée que le règle des 3 % du déficit budgétaire n’est pas adaptée à la situation géopolitique actuelle et en concédant enfin que les dépenses de défense pourraient être considérées comme hors champ des 3 % du PIB, il est aussi nécessaire de préserver la cohésion du modèle européen en adoptant une démarche pragmatique à l’égard des très riches et solidaire à l’égard des plus modestes. En effet la défense, ne peut pas être financée en renonçant à des priorités telle que la transition environnementale et la solidarité entre territoires et populations.
Il faut donc restaurer la progressivité des systèmes fiscaux en adoptant une taxation minimale des très très riches.
Des études académiques ont montré que les situations de conflits passées ont pu amener à des interventions publiques ayant pour objet l’augmentation des taux d’imposition marginaux à de niveaux élevés réduisant les revenus et les fortunes des élites, et ce, en vue d’assurer des investissements collectifs nécessaires et de garantir parallèlement la cohésion des nations concernées ([7]).
Ainsi il est possible de financer avec efficacité et équité un effort de défense et de dissuasion aujourd’hui nécessaire. Si l’Union européenne est à un tournant, il faut aussi qu’elle sache être moderne et concilier efficacité et équité.
Il est important que l’effort de défense soit clarifié pour tous les citoyens européens et soit équitablement réparti.
Il est nécessaire de demander à la commission d’examiner les conditions du partage d’un effort équitable en mobilisant des ressources financières nouvelles et un effort plus important des très riches.
Vu l’article 42, paragraphe 6, et l’article 46 du traité sur l’Union européenne, rappelant que l’Union conduit une politique étrangère et de sécurité commune fondée sur la réalisation d’un degré toujours croissant de convergence des actions des États membres ; rappelant que la politique de sécurité et de défense commune fait partie intégrante de la politique étrangère et de sécurité commune ; qu’elle assure à l’Union une capacité opérationnelle s’appuyant sur des moyens civils et militaires ; que l’Union peut y avoir recours pour des missions visées à l’article 43 du traité sur l’Union européenne en dehors de l’Union afin d’assurer le maintien de la paix, la prévention des conflits et le renforcement de la sécurité internationale conformément aux principes de la charte des Nations unies ; que l’exécution de ces tâches repose sur les capacités militaires fournies par les États membres, conformément au principe du « réservoir unique de forces »
Vu le protocole n° 10 sur la coopération structurée permanente établie par l’article 42 du traité de l’Union européenne
Vu le protocole n° 11 sur l’article 42 du traité sur l’Union européenne
Vu les travaux et les rapports de la sous‑commission de la défense et de la sécurité du parlement européen (SEDE) et notamment son rapport d’activité 2019 ‑2024 ([8])
Vu la résolution du parlement européen visant à fournir davantage d’armes et de munitions à l’Ukraine, préconisant des actions préparatoires devant être « proches de celles menées en temps de guerre », de simplifier la prise de décision en matière de défense, prenant en compte le plan ReArm Europe et appelant à trouver des solutions de financement innovantes
Considérant la situation actuelle telle que rappelée ci avant
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proposition de rÉsolution europÉenne
Article unique
L’Assemblée nationale,
Vu l’article 88‑4 de la Constitution,
Vu l’article 151‑5 du Règlement de l’Assemblée nationale,
Invite la Commission européenne :
– à définir les priorités nouvelles de l’Union en matière de défense et de sécurité en ne remettant pas en cause les objectifs majeurs de la transition environnementale et de la solidarité entre territoires et citoyens des États membres de l’Union ;
– à transmettre sans délai pour avis aux parlements nationaux la feuille de route en matière de défense et de sécurité proposée par elle et validée par le Conseil ;
– à donner priorité aux entreprises européennes de défense pour concevoir, produire et proposer les équipements de défense nécessaires ;
– à examiner favorablement la possibilité étayée par de nombreux travaux de faire participer les plus riches dans l’Union européenne, de façon adaptée et progressive, à l’effort de défense et de sécurité commun à l’ensemble des États membres de l’Union européenne.
([1]) Trump exige que les pays de l’OTAN consacrent 5 % de leur PIB à la défense.
([2]) https://www.sipri.org/commentary/essay/2024/nato-new-need-some-old-ideas
([3]) Voir en ce sens https://www.rfi.fr/fr/asie-pacifique/20230121-ta%C3%AFwan-des-simulations-montrent-l-ampleur-de-la-catastrophe-en-cas-d-invasion-chinoise
([4]) https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/defence-numbers/#expenditure
([5]) In https://www.bruegel.org/first-glance/problem-missing-european-public-goods-rearm-europe-plan
([6]) https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/due/l16b1722_rapport-information.pdf
([7]) https://cepr.org/voxeu/columns/inequality-total-war-great-leveller
([8]) https://www.europarl.europa.eu/cmsdata/286133/SEDE_activity_report_2019-2024.pdf