N° 1346
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 28 avril 2025.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
tendant à la création d’une commission d’enquête sur la responsabilité du Gouvernement dans l’abandon de l’usine Vencorex,
(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
Mme Aurélie TROUVÉ,
députée.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
L’usine chimique Vencorex, située à Pont‑de‑Claix en Isère, a connu le 10 avril l’épilogue d’une crise profonde, qui va mettre en péril une filière industrielle stratégique pour la France.
Malgré les alertes des salariés concernant la gravité de la situation pour l’emploi et la souveraineté industrielle, le tribunal de commerce de Lyon a attribué la reprise de l’entreprise au groupe chinois Wanhua, principal concurrent de l’entreprise. La décision va entraîner la suppression de 410 postes, avec seulement 54 salariés maintenus pour la production de tolonates.
Cette décision est très grave : Vencorex produisait du sel industriel indispensable à d’autres activités de la plateforme chimique du sud de Grenoble. Arkema, par exemple, transformait ce sel en perchlorate de sodium, revendu à ArianeGroup pour la propulsion des fusées et des missiles nucléaires, et en chlore, destiné à Framatome pour les besoins du nucléaire civil. Ainsi, aucune garantie n’est apportée pour assurer un approvisionnement français pour les missiles nucléaires et les fusées, à la place de Vencorex. L’approvisionnement en chlore de Framatome pour le nucléaire civil pourrait nécessiter un acheminement plus coûteux et moins fiable depuis d’autres sites ou pays, comme l’Italie.
L’abandon de cette production menace donc directement l’autonomie technologique et industrielle de la France dans des secteurs aussi cruciaux que le nucléaire, le spatial et la défense. C’est une situation incompréhensible à l’heure où la souveraineté militaire du pays est affichée comme une priorité.
Conséquence de la fermeture de la plupart des activités de Vencorex, l’usine voisine d’Arkema annonce des licenciements sur son propre site voisin de Jarrie, également dépendant du sel industriel. Les syndicats évoquent un total de 5 000 emplois menacés, directs et indirects, si Vencorex et Arkema venaient à fermer. Car l’abandon de la production de sel industriel aura un effet domino sur toute la plateforme chimique et potentiellement au‑delà.
Surtout, Wanhua va s’approprier 80 années de recherche, brevets et procédés de Vencorex, et s’assurer un potentiel monopole sur les dérivés du chlore en Europe. Or, la chimie du chlore est à l’origine de 30 % à 40 % de toutes les réactions dans la filière chimique. Ce sont donc des pans entiers de la chimie qui sont à présent en grand danger.
De plus, la question de la dépollution du site de Pont‑de‑Claix, où s’amassent 76 000 tonnes de déchets industriels, dont 30 000 tonnes de dioxine, se pose avec acuité. L’absence d’un exploitant unique sur la majorité du site soulève des inquiétudes quant à la sécurité et à la prise en charge financière de cette dépollution, estimée à un milliard d’euros pour la partie non reprise.
Les raisons budgétaires qui ont pu être mises en avant pour expliquer l’absence de soutien significatif de la part du gouvernement interrogent, étant donnés les coûts qui pourraient se chiffrer en milliard, pour la dépollution, comme pour la certification des nouvelles chaînes d’approvisionnement qui devront être mises en place pour les missiles nucléaires.
Face à cette crise, une nationalisation temporaire de Vencorex, chiffrée à 300 millions d’euros sur dix ans, avait été réclamée par les syndicats. Cette option a été rejetée par le Premier ministre François Bayrou. Les salariés ont élaboré une offre de reprise en société coopérative d’intérêt collectif (Scic), afin de reprendre davantage d’activités, mais le tribunal de commerce n’a pas retenu cette proposition ; en dépit d’enjeux industriels majeurs, l’État n’a pas montré la volonté d’entrer au capital de cette coopérative.
En dépit de risques élevés pour l’emploi, la souveraineté industrielle et la sécurité environnementale, le gouvernement, alerté depuis l’automne 2024, s’est tenu dans une position distante. Le Gouvernement semble avoir traité le dossier sans prendre la mesure des implications d’un démantèlement de Vencorex. Car le transfert à une entreprise chinoise d’une activité dont dépendent des processus industriels déterminants pour l’énergie et la défense du pays pose de nombreuses questions : quelle protection des savoirs et des connaissances stratégiques détenus par l’entreprise et ses clients ? Quelle maîtrise des processus industriels alors que l’approvisionnement de l’aval pourrait désormais dépendre de fournisseurs allemands, polonais, italiens ? Dans ce contexte, comment faire obstacle à la fermeture, ou la délocalisation, de toutes les activités directement dépendantes de Vencorex ?
Le Premier ministre a reçu une fois les acteurs du dossier, avant, quelques semaines plus tard, de leur communiquer une fin de non‑recevoir. Pas de nationalisation, même temporaire, ni de participation au capital de la coopérative portée par les salariés. Pourquoi aucun engagement financier plus prononcé ? Pourquoi aucune initiative de la part de la Banque publique d’investissement ? Pourquoi si peu d’implication dans les négociations de reprise aux fins d’imposer des conditions de maintien de certaines activités, de garantir l’approvisionnement pour les filières stratégiques en aval ou la sécurisation du site ?
Aucun ministre ne s’est rendu sur site à la rencontre des représentants salariés et des élus locaux, pourtant très impliqués dans le dossier, prêts à s’engager activement dans un projet de reprise.
Enfin la proposition d’un investisseur indien de s’impliquer dans un projet de reprise, communiquée dans les jours qui ont précédé la décision du tribunal de commerce, n’a fait l’objet d’aucune expertise ni accompagnement des services du ministère des finances et de l’industrie.
En conséquence, nous demandons la création d’une commission d’enquête parlementaire afin de faire toute la lumière sur les décisions et les actions du gouvernement dans l’affaire de l’usine Vencorex.
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proposition de rÉsolution
Article unique
En application des articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, est créée une commission d’enquête composée de trente membres chargée de :
– Évaluer l'action du Gouvernement face aux difficultés rencontrées par l'usine Vencorex ;
– Examiner les raisons pour lesquelles l'option de la nationalisation temporaire ou d'un soutien renforcé au projet de reprise en société coopérative d'intérêt collectif n'a pas été retenue ;
– Mesurer l'impact de cet abandon sur la souveraineté industrielle et technologique de la France, notamment dans les secteurs du nucléaire, du spatial et de la défense, en lien avec la production de sel industriel ;
– Analyser notamment les risques de dépendance vis-à-vis d'acteurs étrangers pour l'approvisionnement en produits chimiques essentiels ;
– Étudier les conséquences de la fermeture ou du ralentissement des activités de Vencorex sur les autres entreprises de la plateforme chimique, en particulier Arkema, et sur l'emploi local et national ;
– Faire la lumière sur les conditions de la reprise des actifs de Vencorex par Wanhua, notamment en ce qui concerne le transfert de brevets, de savoir-faire et de propriété intellectuelle ;
– Évaluer les mesures prises par le Gouvernement pour garantir la sécurité et assurer la dépollution du site de Pont-de-Claix, et déterminer la responsabilité des différents acteurs, conformément au principe de « pollueur-payeur » ;
– Formuler des recommandations visant à prévenir de telles situations à l'avenir et à assurer la protection des industries stratégiques pour la France.