N° 1381
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 9 mai 2025.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE
Pour un féminisme universel,
(Renvoyée à la commission des affaires européennes)
présentée par
Mme Emmanuelle HOFFMAN,
députée.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Le féminisme est un combat universel, enraciné dans l’exigence de justice, d’égalité et d’émancipation pour toutes les femmes, sans distinction d’origine, de culture ou de condition. Il s’oppose frontalement aux logiques de fragmentation identitaire, aux assignations communautaires et aux dérives idéologiques qui, sous couvert de diversité, relativisent les droits fondamentaux. Refusant toute hiérarchie des luttes, un féminisme universel s’est affirmé déclarant que les droits des femmes ne sont ni négociables, ni adaptables : ils sont inaliénables, indivisibles et doivent s’appliquer partout, avec la même rigueur. Porté par une vision intransigeante de l’universalisme républicain, il se veut le socle d’un projet de libération, lucide et solidaire, face à toutes les formes d’oppression.
L’un des fondements du féminisme universel est son rejet du relativisme culturel. Ce dernier, souvent invoqué pour justifier des pratiques discriminatoires au nom de traditions ou de croyances religieuses, constitue une menace directe pour les libertés fondamentales des femmes. Le féminisme est universel car il affirme que les droits ne peuvent être négociés ni subordonnés à des considérations culturelles. En Europe, le combat pour l’émancipation des femmes se heurte à la résurgence de revendications communautaristes qui, sous couvert de traditions religieuses ou d’appartenances ethniques, tentent d’imposer des normes contraires aux principes fondamentaux de liberté et d’égalité. Ces injonctions patriarcales, parfois relayées par des figures d’autorité locales ou légitimées par des complicités politiques, visent à maintenir les femmes dans des rôles subalternes, niant leur autonomie et bafouant les fondements même de l’idéal démocratique et de la laïcité. Il ne peut y avoir de tolérance face à ces régressions : défendre les droits des femmes, c’est refuser sans ambiguïté toute concession à des normes qui les oppriment.
La laïcité joue ici un rôle central. Elle garantit que les lois et politiques publiques restent indépendantes de toute influence religieuse ou communautaire susceptible de limiter les droits des femmes. Lorsque la laïcité recule, comme cela peut être observé dans certains contextes européens ou internationaux, ce sont souvent les droits des femmes qui en pâtissent en premier. Par exemple, depuis la prise de pouvoir des Talibans en 2021, l’Afghanistan est marqué par une régression drastique des droits humains, notamment ceux des femmes. Les Talibans imposent une vision ultra‑conservatrice de la société, interdisant aux femmes l’accès à l’éducation, au travail et à la vie publique. Sous prétexte de respecter la charia, ils instaurent une ségrégation de genre qui confine les femmes à leur domicile, les privant de leurs libertés fondamentales et les réduisant à une existence marginalisée.
Le retour en force d’une masculinité hégémonique, fondée sur la domination et le contrôle, influence les discours et les politiques à l’échelle mondiale. Les mouvements ultranationalistes et populistes exaltent une vision rétrograde des rapports entre les sexes, où l’homme est présenté comme un protecteur autoritaire et la femme cantonnée à des rôles domestiques et subordonnés. Ces idées, amplifiées par les réseaux sociaux devenus des arènes idéologiques, alimentent une opposition directe aux mouvements féministes et progressistes, tout en remettant en cause des avancées historiques comme les droits reproductifs ou l’égalité professionnelle. Aux États‑Unis, par exemple, des politiques restrictives sur l’avortement ou la santé reproductive sont mises en place sous prétexte de "protéger les femmes", renforçant une conception traditionaliste de la famille. En Europe, cette rhétorique trouve un écho chez des leaders conservateurs comme Viktor Orbán en Hongrie ou Giorgia Meloni en Italie, qui adoptent des mesures limitant l’autonomie des femmes, notamment par le recours massif à l’objection de conscience pour restreindre l’accès à l’avortement.
Les exemples européens illustrent clairement ces menaces. En Pologne, l’interdiction quasi totale de l’avortement constitue une atteinte grave aux droits fondamentaux des femmes sur leur propre corps, souvent justifiée par des arguments religieux ou conservateurs. En Hongrie, le rejet de la Convention d’Istanbul et la promotion de politiques natalistes traditionnelles renforcent une vision archaïque du rôle des femmes dans la société. Ces cas montrent combien il est urgent de défendre un féminisme universel capable de contrer ces attaques systématiques contre l’autonomie et l’égalité des femmes. Face à ce climat globalisé de polarisation et de régression, une vigilance accrue est nécessaire pour préserver les acquis féministes et garantir que les droits des femmes restent au cœur des luttes pour la justice sociale.
Le féminisme, en tant que mouvement universel et porteur d’un idéal d’égalité, est aujourd’hui fragilisé par des tensions internes et des dérives idéologiques. L’instrumentalisation du combat féministe par certaines voix radicales, qui met en compétition les souffrances et les atteintes sexistes en fonction de l’identité, constitue une menace directe pour la cohésion du mouvement. Ces jugements normatifs, souvent empreints de dogmatisme, créent des fractures inutiles entre les différentes approches du féminisme, au lieu de favoriser un dialogue constructif. En cherchant à imposer des visions exclusives ou extrêmes, ces courants risquent de détourner le féminisme de son objectif fondamental : l’émancipation et l’égalité pour toutes les femmes. Le combat féministe ne peut être monopolisé par des groupes qui cherchent à exclure ou discréditer celles qui ne partagent pas leur vision. La diversité des approches et des expériences doit être vue comme une richesse, et non comme un prétexte à diviser ou à hiérarchiser les luttes. C’est dans la pluralité des voix que le féminisme trouve sa force, et non dans la volonté de certains de s’ériger en arbitres de la légitimité militante.
Par ailleurs, les combats internes exacerbés par des visions divergentes autour de l’analyse intersectionnelle ajoutent une complexité supplémentaire au mouvement. Si cette approche est essentielle pour comprendre les multiples dimensions des discriminations, elle est trop souvent dévoyée pour établir des hiérarchies de souffrance ou fragmenter le féminisme en une mosaïque de revendications concurrentes. Ces logiques identitaires, qui substituent l’addition des oppressions à l’universalité des droits, risquent d’affaiblir le féminisme en le morcelant au lieu de le renforcer. Dans un monde où les droits des femmes sont constamment remis en cause et où les acquis du féminisme sont encore loin d’être garantis, il est impératif que ce mouvement ne se laisse pas miner par des luttes intestines ou des divisions inutiles. Sa puissance réside dans sa capacité à transcender les différences pour défendre une cause commune et universelle. Le féminisme ne peut se permettre d’être fragmenté : c’est au nom de l’égalité entre toutes les femmes que ce combat trouve son sens politique et sa légitimité historique.
Pour répondre à ces défis le féminisme, en tant que combat universel, nécessite une mobilisation collective autour d’un cadre commun basé sur la justice et l’égalité réelle entre les femmes et les hommes.
Ce combat dépasse largement la simple défense des droits des femmes : il s’agit d’affirmer un principe fondamental selon lequel aucun système politique, culturel ou religieux ne saurait primer sur l’humanité commune qui nous unit toutes et tous. Le féminisme universel n’est pas qu’une vision théorique ; c’est un projet ambitieux mais nécessaire pour bâtir une société véritablement juste et égalitaire où chaque femme peut jouir pleinement de ses droits sans entrave ni compromis.
Aussi cette proposition de résolution européenne appelle l’Union européenne à faire de la lutte pour un féminisme universel une priorité stratégique, en renforçant la coordination entre les États membres et en agissant fermement contre les violations et limitations des droits des femmes.
Elle souligne que le féminisme refuse toute instrumentalisation politique ou relativisme culturel, et s’oppose à toutes les formes d’oppression sexiste, qu’elles soient issues d’intégrismes religieux, de traditions patriarcales ou de systèmes politiques autoritaires, en affirmant que la laïcité et l’égalité sont les garantes de la liberté des femmes
Elle rappelle le féminisme est celle un combat sans cesse renouvelé contre toutes les formes de patriarcat, qu’il soit religieux, culturel ou politique, et que sa force réside dans son exigence d’égalité, de justice et d’universalité, au service de l’émancipation de toutes les femmes, sans exception.
Elle appelle à reconnaitre la portée universelle et laïque du combat pour les droits des femmes, de toutes les femmes, sans distinction d’origine ou de culture.
L’Union européenne, fondée sur les valeurs de dignité humaine, de liberté, de démocratie et d’égalité, partage les combats du féminisme universaliste en plaçant l’égalité entre les sexes au cœur de ses principes fondamentaux. À travers ses initiatives comme la « Gender Equality Strategy 2020‑2025 » ou ses engagements en faveur de la lutte contre les violences basées sur le genre et la promotion des droits reproductifs, l’ Union européenne agit comme un garant des droits universels applicables à toutes les femmes, indépendamment de leur origine ou de leur condition. Face aux reculs observés dans certains États membres, il est essentiel que l’Union européenne reste vigilante et proactive pour protéger ces droits fondamentaux et incarner un modèle de justice et d’égalité véritablement universel.
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proposition de rÉsolution europÉenne
Article unique
L’Assemblée nationale,
Vu l’article 88‑4 de la Constitution,
Vu l’article 151‑1 du règlement de l’Assemblée nationale,
Vu la Constitution française, notamment son Préambule de 1946 qui garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme, et sonarticle premier qui dispose que « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales »,
Vu la loi du 13 juillet 1965 sur la capacité juridique des femmes mariées, la loi du 22 décembre 1972 sur l’égalité de rémunération, la loi du 17 janvier 1975 relative à l’interruption volontaire de grossesse, la loi du 13 juillet 1983 sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, la loi du 27 mai 2008 portant adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, la loi du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, la loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, la loi du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille, et la loi du 2 août 2021 relative à la bioéthique ouvrant la procréation médicalement assistéeà toutes les femmes,
Vu la ratification par la France de la convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, dite Convention d’Istanbul, entrée en vigueur en 2014, et la Convention n° 190 de l’Organisation internationale du travail sur la violence et le harcèlement dans le monde du travail,
Vu la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, proclamée à Nice le 7 décembre 2000, notamment son article 23 qui consacre le principe d’égalité entre les hommes et les femmes dans tous les domaines, y compris en matière d’emploi, de travail et de rémunération,
Vu le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, notamment ses articles 8, 19, 153 et 157 qui assignent à l’Union la mission d’éliminer les inégalités et de promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes, autorisent l’adoption d’actes législatifs pour lutter contre toutes les formes de discrimination, et permettent des actions positives pour renforcer la position des femmes,
Vu la directive 2004/113/CE du Conseil du 13 décembre 2004 mettant en œuvre le principe de l’égalité de traitement entre les femmes et les hommes dans l’accès à des biens et services, la directive 2006/54/CE du 5 juillet 2006 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail, la directive 2010/18/UE du 8 mars 2010 sur le congé parental, et la directive (UE) 2023/970 du 10 mai 2023 visant à renforcer l’application du principe de l’égalité des rémunérations entre les femmes et les hommes pour un même travail ou un travail de même valeur par la transparence des rémunérations et les mécanismes d’application du droit,
Vu la stratégie pour l’égalité entre les femmes et les hommes 2020‑2025 de la Commission européenne, la feuille de route 2025 pour renforcer les droits des femmes, la directive européenne sur la transparence des rémunérations adoptée en 2023, la directive sur l’équilibre hommes‑femmes dans les conseils d’administration, la première loi européenne pour lutter contre les violences faites aux femmes adoptée en mai 2024, ainsi que l’adhésion de l’Union européenne à la Convention d’Istanbul entrée en vigueur le 1er octobre 2023,
Vu la jurisprudence constante de la Cour de justice de l’Union européenne qui consacre l’égalité entre femmes et hommes comme un principe fondamental du droit communautaire,
Considérant que l’histoire du combat féministe universel s’inscrit dans une longue lutte pour l’émancipation des femmes, marquée par la conquête des droits civils, des libertés fondamentales et l’accès à l’indépendance économique, et que ce combat s’est historiquement fondé sur des principes universalistes et laïques, visant à libérer toutes les femmes, sans distinction d’origine ou de culture ;
Considérant que le féminisme universel refuse toute instrumentalisation politique ou relativisme culturel, et s’oppose à toutes les formes d’oppression sexiste, qu’elles soient issues d’intégrismes religieux, de traditions patriarcales ou de systèmes politiques autoritaires, en affirmant que la laïcité et l’égalité sont les garantes de la liberté des femmes ;
Considérant que le mouvement féministe contemporain, tout en s’enrichissant de la « libération de la parole » et de la dénonciation de nouvelles formes d’oppression, doit préserver sa vocation à défendre les droits de toutes les femmes, partout dans le monde, sans céder aux dérives identitaires ou sectaires qui menacent son universalité et risquent d’enfermer la cause féministe dans des logiques de division ou de hiérarchisation des luttes ;
Considérant enfin que l’histoire du féminisme est celle d’un combat sans cesse renouvelé contre toutes les formes de patriarcat, qu’il soit religieux, culturel ou politique, et que sa force réside dans son exigence d’égalité, de justice et d’universalité, au service de l’émancipation de toutes les femmes, sans exception ;
Considérant l’exclusion du collectif Nous vivrons de la manifestation féministe du 8 mars 2025 place de la République en France par d’autres féministes ;
Considérant la remise en cause des droits des femmes notamment dans les démocraties occidentales ;
Considérant la fragilité des acquis des combats féministes notamment dans les périodes de crise ;
Considérant l’interdiction quasi totale de l’avortement en Pologne et les violations diverses des droits des femmes en Hongrie ou en Italie ;
Considérant la conflictualisation du débat public et les détournements opportunistes du combat féministe universel depuis plusieurs années ;
Appelle les institutions européennes à reconnaitre la portée universelle du combat pour les droits des femmes ;
Encourage la Commission européenne à introduire la notion de féminisme universel dans les consultations visant à rédiger la nouvelle stratégie pour l’égalité de genre post‑2025 en se basant sur la feuille de route de l’Union européenne pour les droits des femmes présentée le 8 mars 2025 ;
Demande que l’Union européenne fasse respecter les acquis de la stratégie pour l’égalité de genre 2020‑2025 ainsi que les futurs objectifs de la stratégie post‑2025 à tous les États membres ;
Insiste sur l’importance de l’éducation et de l’histoire des luttes pour les droits des femmes, en appelant à promouvoir l’égalité entre toutes les femmes dans le combat féministe ;
Demande à la Commission européenne de conditionner les accords internationaux qu’elle signe au nom de l’Union européenne au respect des droits des femmes ;
Appelle la Commission européenne à soutenir en priorité les associations ou mouvements qui promeuvent le combat universel pour l’égalité ;
Appelle le Gouvernement français et l’Union européenne à ne pas accorder ou, le cas échéant, à retirer des subventions aux associations ou groupes qui par leur combat peuvent, volontairement ou non, stigmatiser, inférioriser ou appeler à la haine d’un autre groupe remettant ainsi en cause l’universalité notamment du combat féministe ;
Appelle l’Union européenne à conditionner les subventions qu’elle accorde aux associations prônant l’égalité plutôt que l’identité, l’universel plutôt que le séparatisme ;
Appelle l’Union européenne à tirer toutes les conséquences de l’arrêt du 16 janvier 2024 de la Cour de Justice de l’Union européenne qui reconnait que la violence à l’encontre des femmes fondées sur le genre est une forme de persécution pouvant donner lieu en tant que telle à une protection.