N° 1385
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 13 mai 2025.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
invitant le Gouvernement à généraliser l’interdiction des appareils numériques dans l’ensemble de l’enseignement secondaire,
présentée par
Mme Delphine LINGEMANN,
députée.
– 1 –
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La place croissante des appareils numériques personnels, et en premier lieu des téléphones portables, dans la vie quotidienne des élèves suscite de vives inquiétudes quant à leurs conséquences sur l’apprentissage, le climat scolaire et la santé mentale des jeunes. La loi n° 2018‑698 du 3 août 2018 a introduit une interdiction de l’usage du téléphone portable dans les écoles et les collèges, mais cette interdiction porte uniquement sur l’utilisation des appareils au sein de l’établissement, laissant aux élèves la possibilité de conserver leurs téléphones éteints ou en mode silencieux dans leurs sacs. L’expérimentation de la « pause numérique » menée depuis la rentrée 2024 dans 199 collèges va plus loin : elle impose aux élèves de ne pas apporter d’appareil numérique personnel dans l’enceinte de l’établissement, supprimant ainsi toute présence de téléphone pendant le temps scolaire. Forte des premiers retours positifs, cette mesure sera généralisée à l’ensemble des collèges à la rentrée 2025, a annoncé la ministre de l’Éducation nationale Mme Élisabeth Borne. Il apparaît désormais nécessaire de prolonger cette démarche ambitieuse à l’ensemble de l’enseignement secondaire, y compris les lycées, afin de garantir un environnement scolaire plus propice à l’apprentissage et au bien‑être de tous les élèves.
Les travaux de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) soulignent que l’utilisation excessive de dispositifs numériques à des fins de loisir pendant les cours peut avoir un impact négatif sur les performances scolaires ([1]). Dans le détail, 58 % des élèves français interrogés déclarent être distraits par l’usage d’appareils numériques et 59 % déclarent avoir déjà été perturbés par les usages numériques de leurs camarades. Ces constats montrent que, si les technologies peuvent enrichir la pédagogie quand elles sont encadrées, elles détériorent au contraire le climat de travail et la concentration en cas d’usage non pédagogique.
La recherche académique confirme ces résultats. Dans une étude parue en 2024 ([2]), l’économiste Mme Sara Abrahamsson démontre que l’interdiction des téléphones portables en milieu scolaire réduit significativement le recours aux soins psychologiques chez les jeunes filles. Elle met également en évidence une diminution du harcèlement pour l’ensemble des élèves, ainsi qu’une amélioration des résultats scolaires des élèves issus de milieux défavorisés. Ces effets positifs démontrent qu’une telle mesure constitue un outil politique efficace et peu coûteux pour favoriser la réussite éducative.
Par ailleurs, l’usage libre des téléphones facilite les situations de harcèlement scolaire. Les phénomènes de harcèlement ne s’arrêtent plus aux portes de l’établissement : ils se prolongent et s’amplifient sur les réseaux numériques, sous forme de cyberharcèlement. L’Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO) relève qu’un élève sur trois est victime de harcèlement chaque mois et que le cyberharcèlement affecte un enfant sur dix, avec des conséquences dramatiques (isolement, troubles du sommeil, anxiété, parfois pensées suicidaires) ([3]). Le ministère de l’éducation nationale a souligné que l’interdiction du portable est un élément essentiel de la lutte contre le harcèlement, notamment en limitant la diffusion non contrôlée d’images et de messages malveillants.
Enfin, l’usage précoce des téléphones portables expose à un risque d’addiction numérique. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) estime que 43 % des élèves français éprouvent de l’anxiété s’ils n’ont pas leur téléphone à proximité ([4]), signe d’une dépendance précoce aux appareils numériques qui nuit à leur bien‑être ainsi qu’à leur concentration. Des études en psychologie cognitive expliquent ce phénomène par la « peur de manquer quelque chose » (fear of missing out) et la recherche constante de validation sociale, mécanismes d’addiction qui s’installent dès l’adolescence et entravent l’acquisition de compétences sociales et cognitives fondamentales.
À l’échelle internationale, près de 40 % des systèmes éducatifs ont déjà interdit les téléphones portables en classe, avec des extensions obligatoires à tous les niveaux du secondaire en Nouvelle‑Zélande, en Italie et en Finlande, où les évaluations montrent une nette amélioration du climat scolaire et de la discipline. Ces exemples attestent de l’utilité d’une mesure comparable en France. Une étude britannique publiée en février 2025 par l’Université de Birmingham et relayée dans Lancet Regional Health Europe révèle que si l’interdiction isolée ne suffit pas à améliorer les notes ou le bien‑être global des élèves, elle confirme que plus le temps passé sur téléphone portable et réseaux sociaux est élevé, plus sont dégradés le sommeil, la santé mentale et le comportement en classe ([5]).
Pour toutes ces raisons, il apparaît opportun d’étendre l’interdiction des appareils numériques, déjà effective dans les écoles et les collèges, à l’ensemble des lycées français, tout en maintenant les exceptions prévues par la loi pour les élèves en situation de handicap ou atteints d’un trouble de santé invalidant, ainsi que pour les usages pédagogiques encadrés.
– 1 –
proposition de RÉSOLUTION
Article unique
L’Assemblée nationale,
Vu l’article 34‑1 de la Constitution,
Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,
Vu la loi n° 2018-698 du 3 août 2018 relative à l'encadrement de l'utilisation du téléphone portable dans les établissements d'enseignement scolaire,
Considérant l'impact négatif avéré de l'utilisation excessive des appareils numériques sur la concentration, les performances scolaires et le bien-être des élèves ;
Considérant le rôle des appareils numériques dans la facilitation du harcèlement scolaire et du cyberharcèlement ;
Considérant l'importance de prévenir les phénomènes d'addiction au numérique qui se développent dès le plus jeune âge ;
Considérant les résultats positifs observés lors de l'expérimentation de la « pause numérique » dans certains établissements scolaires ;
Considérant que de nombreux pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques ont déjà interdit les téléphones portables dans tous les niveaux de l’enseignement secondaire ;
Invite le Gouvernement à généraliser l'interdiction des appareils numériques, et en particulier des téléphones portables, à l'ensemble des établissements d'enseignement secondaire, y compris les lycées, tout en maintenant les exceptions nécessaires pour les usages pédagogiques encadrés et pour les élèves en situation de handicap ou atteints d'un trouble de santé invalidant.
([1]) OCDE, mai 2024, Élèves et écrans : Performance académique et bien-être
([2]) Sara Abrahamsson, février 2024, Smartphone Bans, Student Outcomes and Mental Health
([3]) UNESCO, novembre 2024, Safe to learn and thrive: ending violence in and through education.
([4]) OCDE, op. cit.
[5] Victoria A. Goodyear et al., avril 2025, School phone policies and their association with mental wellbeing, phone use, and social media use (SMART Schools): a cross-sectional observational study