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N° 1612

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 23 juin 2025.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d’une commission d’enquête chargée d’apprécier le caractère adapté, nécessaire et proportionné des mesures de police administrative et judiciaire mises en œuvre en Ile-de-France les 31 mai et 1er juin 2025,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Éric COQUEREL, Mme Mathilde PANOT, Mme Nadège ABOMANGOLI, M. Laurent ALEXANDRE, M. Gabriel AMARD, Mme Ségolène AMIOT, Mme Farida AMRANI, M. Rodrigo ARENAS, M. Raphaël ARNAULT, Mme Anaïs BELOUASSA-CHERIFI, M. Ugo BERNALICIS, M. Christophe BEX, M. Carlos Martens BILONGO, M. Manuel BOMPARD, M. Idir BOUMERTIT, M. Louis BOYARD, M. Pierre-Yves CADALEN, M. Aymeric CARON, M. Sylvain CARRIÈRE, Mme Gabrielle CATHALA, M. Bérenger CERNON, Mme Sophia CHIKIROU, M. Hadrien CLOUET, M. Jean-François COULOMME, M. Sébastien DELOGU, M. Aly DIOUARA, Mme Alma DUFOUR, Mme Karen ERODI, Mme Mathilde FELD, M. Emmanuel FERNANDES, Mme Sylvie FERRER, M. Perceval GAILLARD, Mme Clémence GUETTÉ, M. David GUIRAUD, Mme Zahia HAMDANE, Mme Mathilde HIGNET, M. Andy KERBRAT, M. Bastien LACHAUD, M. Abdelkader LAHMAR, M. Maxime LAISNEY, M. Arnaud LE GALL, M. Antoine LÉAUMENT, Mme Élise LEBOUCHER, M. Aurélien LE COQ, M. Jérôme LEGAVRE, Mme Sarah LEGRAIN, Mme Claire LEJEUNE, Mme Murielle LEPVRAUD, Mme Élisa MARTIN, M. Damien MAUDET, Mme Marianne MAXIMI, Mme Marie MESMEUR, Mme Manon MEUNIER, M. Jean-Philippe NILOR, Mme Sandrine NOSBÉ, Mme Danièle OBONO, Mme Nathalie OZIOL, M. René PILATO, M. François PIQUEMAL, M. Thomas PORTES, M. Loïc PRUD’HOMME, M. Jean-Hugues RATENON, M. Arnaud SAINT-MARTIN, M. Aurélien SAINTOUL, Mme Ersilia SOUDAIS, Mme Anne STAMBACH-TERRENOIR, M. Aurélien TACHÉ, Mme Andrée TAURINYA, M. Matthias TAVEL, Mme Aurélie TROUVÉ, M. Paul VANNIER,

députés et députées.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Alors que des milliers de supporteurs se sont réunis dans la nuit du 31 mai 2025 afin de célébrer la victoire du Paris Saint‑Germain Football Club en Ligue des champions, la fête populaire a été ternie par des incidents et des dégradations. Au regard du dispositif mis en œuvre, il est surprenant et inquiétant que la sécurité des personnes, présentes dans l’espace publique avec des intentions pacifiques, n’ait pu être garantie. Ce constat est d’autant plus prégnant que nos voisins européens parviennent à assurer la sécurité d’événements similaires ou de manifestations politiques ou sociales.

Environ 5 400 policiers et gendarmes ont été mobilisés en Île‑de‑France pour assurer la sécurité publique au cours de cette soirée. La doctrine du ministère de l’intérieur ainsi que cet important dispositif de sécurité auraient, en théorie, dû suffire à garantir l’ordre public et la sécurité des personnes. S’il existe une exception française permettant d’expliquer le bilan de la nuit du 31 mai 2025, elle se situe probablement davantage sur le terrain des défaillances de la gestion de la sécurité publique et du maintien de l’ordre que sur le terrain d’une violence inhérente aux personnes rassemblées sur la voie publique.

Le ministre de l’intérieur a tenté d’expliquer les troubles à l’ordre public par une curieuse sociologie des personnes impliquées. Pour lui, les troubles auraient été causés par des « barbares venus dans les rues de Paris pour commettre des délits ». Dans la bouche du préfet de police de Paris auditionné par la commission des lois de l’Assemblée nationale, les troubles deviennent le fait « plutôt [de] jeunes des quartiers de petite et grande couronne ». Il conviendrait d’abord étudier les informations issues des services de police permettant au ministre de l’intérieur et au préfet de police de tirer de telles conclusions.

Ensuite, il est instructif de s’interroger sur le choix des mots. En écoutant décrire un même groupe social à deux voix mais avec des mots différents, on pourrait soupçonner le ministère de l’intérieur de considérer que les jeunes des quartiers sont des barbares. Le recours au concept de « barbare » concorde avec celui de « décivilisation » de la société déjà mentionné par le même ministre de l’intérieur. Ce dernier oppose ainsi les personnes qui seraient civilisées à celles qui ne le seraient pas, se trouvant pré‑disposées à la barbarie en ce qu’elles n’appartiendraient pas à une civilisation judéo‑chrétienne dont le ministre rappelle régulièrement qu’elle constituerait le fondement et le seul héritage de la société française. La fréquente occurrence des mots « barbares » ou « barbarie » dans les propos de personnalités, universitaires ou chroniqueurs d’extrême‑droite confirme les soubassements racistes de ce champ lexical.

Il n’est toutefois pas inédit qu’un ministre de l’intérieur tente d’expliquer l’échec de la gestion de la sécurité publique en reportant la faute sur un groupe en particulier. Une telle diversion avait d’ailleurs été employée lors de la finale de la même Ligue des champions en 2022. Le précédent ministre de l’intérieur avait ainsi incriminé les supporteurs britanniques avant de s’excuser trois ans plus tard, en 2025, et de reconnaître « une erreur et un échec » et un « dispositif de sécurité [qui n’était] pas du tout prévu pour ça ».

L’exception française pourrait donc bien être celle de la doctrine du maintien de l’ordre et non de la sociologie des personnes présentes lors de ces « sorties sur la voie publique » pour reprendre les termes du code de la sécurité intérieure. Pour comprendre les raisons d’un tel échec, il ne faut évidemment pas remettre en question les agents déployés sur le terrain mais s’interroger sur les arbitrages rendus en haut de la chaîne de commandement. On est alors en droit de s’interroger sur un certain nombre de points qui pourraient être autant de pistes de questions dans le cadre d’une commission d’enquête :

– Est‑il envisageable, après un échec comparable de maintien de l’ordre en 2022 ayant donné lieu à des excuses très tardives du ministre d’alors, que l’actuel préfet de police de Paris déclare en audition le mardi 10 juin 2025 après le nouvel échec évident du maintien de l’ordre les 31 mai et 1er juin 2025, qu’il ne « laisser[a] pas dire que la doctrine qui est appliquée est une doctrine du passé, qu’il faut la revoir » ?

– « Impacter », selon le terme dévolu, une foule majoritairement pacifique en recourant à des grenades lacrymogènes et à des lanceurs de balles de défense (LBD), est‑ce une doctrine efficace ou au contraire un risque pris de provoquer la panique et le désordre et, partant, d’aggraver les violences ? Une commission d’enquête permettrait d’étudier si des personnes ont simplement réagi aux manœuvres des forces de l’ordre, sans avoir prémédité un comportement violent. Le journal Le Parisien cite notamment l’exemple suivant : « Lors d’une charge des CRS, une femme recroquevillée, collée à une vitrine et apeurée, sanglotait : « Je veux juste rentrer chez moi maintenant. » Cette situation illustre toute la problématique du maintien de l’ordre dans ce genre de situation : « Il faut prendre en compte qu’au milieu des casseurs, il y a des gens venus faire la fête en famille, on ne peut pas intervenir comme on le souhaiterait », témoigne un policier présent sur place. ».

– D’après les chiffres publiés par le parquet de Paris, sur 253 gardes à vue, 15 seulement concernaient des mineurs. Si le vocable de « jeunes » peut bien‑sûr couvrir une tranche d’âge plus large que les seuls mineurs, cette faible proportion de mineurs est de nature à jeter le doute sur l’exactitude et la sincérité des propos du ministre et du préfet de police. Sébastian Roché, directeur de recherches au CNRS, considère qu’il « faut attendre les enquêtes de police et faire attention à ne pas stigmatiser ». Les propos hâtifs du ministre de l’intérieur méritent donc, au mieux, un doute raisonnable. Aussi une commission d’enquête pourrait‑elle requérir des informations plus précises quant à la ventilation exacte par tranche d’âge et à la sociologie des personnes interpellées.

– Par ailleurs, sur ces 253 gardes à vue, 93 procédures auraient été classées sans suite selon le parquet de Paris. Est‑ce commun que plus d’un tiers des gardes à vue conduisent à un classement sans suite ? Est‑ce approprié d’arrêter massivement les personnes présentes et laisser ensuite la justice reconnaître les coupables ?

– Pourquoi a‑t‑il été impossible, malgré les effectifs déployés, de sécuriser un magasin qui avait un lien avec le sport et pouvait donc se trouver particulièrement ciblé ? Auditionné le 10 juin 2025, le préfet de police de Paris déclare que ce magasin, « le seul qui sera touché », se trouvait toutefois, selon les propos de M. Nunez, « à un endroit où il n’y avait pas le parc, ils en ont profité. Trois minutes après, les effectifs étaient présents ». Ces propos mériteraient des précisions.

– Pourquoi lors de ces évènements les forces de l’ordre ont‑elles eu recours, selon un article d’Europe 1, à l’emploi expérimental de grenades assourdissantes GL104 encore en phase de test, alors qu’un modèle proche explosant au même niveau de décibel présente, selon un médecin ORL et expert judiciaire consulté par le média Politis, un « risque de traumatisme majeur » ?

Il y a des raisons sérieuses de douter du caractère nécessaire, adapté et proportionné des mesures de police qui ont été prises et de la doctrine qui les sous‑tend. Pourtant, c’est cette même doctrine que le préfet de police refuse catégoriquement de remettre en question et que le ministre de l’intérieur semble vouloir durcir pour les prochains événements en instrumentalisant les actes condamnables d’une minorité de casseurs et en liant deux décès intervenus pendant la même soirée à la célébration de la victoire sportive.

Au lieu de se satisfaire des explications biaisées ou lacunaires présentées jusqu’à maintenant par le ministère de l’intérieur, cette proposition de résolution tend à mettre en place une commission d’enquête afin d’expertiser les limites et les échecs du maintien de l’ordre les 31 mai et 1er juin 2025 en Île-de-France, ainsi que les conséquences à en tirer afin de garantir la sécurisation effective de prochaines manifestations massives spontanées sur la voie publique afin de célébrer un évènement sportif ou culturel.

 


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proposition de rÉsolution

Article unique

En application des articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, est créée une commission d’enquête, composée de trente membres, chargée d’apprécier le caractère adapté, nécessaire et proportionné des mesures de police administrative et judiciaire mises en œuvre en Île-de-France les 31 mai et 1er juin 2025 et de rechercher si ces mesures ont pu avoir des effets mal mesurés voire contre‑productifs de nature à alimenter certains troubles à l’ordre public.