N° 1773
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 5 septembre 2025.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
tendant à la création d’une commission d’enquête sur le système de l’habitat indigne à Marseille,
(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
M. Sébastien DELOGU, M. Manuel BOMPARD, M. Hendrik DAVI, M. Laurent LHARDIT,
députés.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Le 5 novembre 2018 à 9 heures, deux immeubles insalubres, situés aux numéros 63 et 65 de la rue d’Aubagne, dans le 1er arrondissement de Marseille, se sont effondrés, causant directement la mort de huit locataires : Julien Lalonde‑Flores (30 ans), Taher Hedfi (58 ans), Cherif Zemar (36 ans), Fabien Lavieille (52 ans), Simona Carpignano (30 ans), Pape Magatte Niassé (26 ans), Mouloud Said Hassani (55 ans) et Marie‑Emanuelle Blanc (55 ans).
Dans les semaines qui ont suivi le drame, environ 4 500 personnes ont été évacuées par la mairie d’au moins 578 immeubles dangereux, entraînant ce que le Haut Comité pour le Droit au Logement a qualifié, toutes réserves gardées, de crise humanitaire.
Par manque d’organisation de la mairie de l’époque, les proches de victimes, les personnes délogées, et des riverains plus ou moins directement touchés par la catastrophe ont dû s’organiser pour faire valoir leurs droits, par exemple à travers l’Assemblée des délogés ou le Collectif du 5 novembre.
Dans la continuité du drame de la rue d’Aubagne, la population a pris connaissance d’une partie de l’ampleur de la situation catastrophique de l’habitat indigne à Marseille. Pourtant, force est de constater que la situation était déjà largement documentée et connue des pouvoirs publics, après la divulgation en janvier du rapport ETH‑CERFISE, qui préconisait une action massive à l’échelle des îlots de Noailles.
En 2015 également, le rapport Nicol ([1]) avait mis les élus locaux et l’État en face de leurs responsabilités, en écrivant dès son préambule que « le parc immobilier marseillais [comportait] un parc privé potentiellement indigne présentant un risque pour la santé ou la sécurité de quelques 100 000 habitants » dans les grandes copropriétés et le centre‑ville. Il avait notamment relevé que 13 % du parc privé marseillais était concerné par la problématique de l’habitat indigne, du fait du non entretien du bâti et de l’abandon de certains propriétaires, ayant économiquement plus intérêt à louer à des publics toujours plus précaires, plutôt qu’à engager des travaux.
Dans une interview ([2]) donnée au média d’investigation en ligne Marsactu deux jours après le drame, M. Christian Nicol, auteur du rapport, a ensuite souligné les prises de retard dans les mesures qu’il préconisait de mettre en œuvre dans son rapport et les difficultés à protéger les habitants d’immeubles en péril du fait de l’absence de solution de relogement. Il a par ailleurs renvoyé la ville et l’État face à leurs responsabilités, en dénonçant leur absence de volonté politique, en cause dans le drame de la rue d’Aubagne.
Le 7 novembre 2024, un procès annoncé comme historique a été ouvert pour une durée de 6 semaines, pendant lequel les acteurs et actrices du logement marseillais – qu’ils soient propriétaires, experts, hauts fonctionnaires, techniciens, syndics, directeurs de sociétés ou élus – se sont succédé devant les magistrats, les familles et les proches des victimes, pour tenter d’établir aux yeux de la justice les responsabilités de chacun.
Celui‑ci a abouti à un jugement, prononcé le 7 juillet 2025. Parmi les seize prévenus, l’adjoint du maire de l’époque et toujours conseiller municipal et d’arrondissements au moment du verdict, ainsi que l’architecte ayant expertisé le 65 rue d’Aubagne quelques semaines avant le drame, ont été condamnés pour homicides involontaires. De même, le propriétaire et avocat du syndic d’immeuble ; les dirigeants de la SCI Amsa ; ainsi que la SARL Cabinet Liautard et son gestionnaire, ont été lourdement condamnés. À l’inverse, la SEM Marseille Habitat, propriétaire du numéro 63 et son directeur général ont été relaxés, tout comme plusieurs autres copropriétaires du numéro 65.
Le tribunal a par ailleurs indemnisé 102 parties civiles, la ville de Marseille s’étant vue refuser ce statut, au titre de son organisation défaillante et de ses choix politiques de l’époque.
Ce verdict a été amèrement accueilli par les associations et collectifs engagés contre l’habitat indigne et pour venir en aide aux victimes du 5 novembre 2018. Par voie de communiqué ([3]), l’association Un Centre‑ville pour Tous a notamment exprimé sa déception de ne pas voir l’ensemble des prévenus condamnés et a regretté son périmètre trop restreint. De même, le Collectif du 5 novembre a exprimé son indignation ([4]) à la lecture du jugement, tout en reconnaissant certaines victoires contre le « système Gaudin ».
De l’avis de tous, ce procès, bien qu’historique, n’aura donc pas été le procès de l’habitat indigne à Marseille, juste celui des effondrements meurtriers de deux immeubles insalubres, le 5 novembre 2018.
De nombreuses questions fondamentales pour les Marseillaises et les Marseillais restent toujours en suspens. Sur les mécanismes cyniques du commerce de l’habitat indigne, d’abord, qui tire profit de la misère sociale. Sur les défaillances flagrantes de l’action publique, ensuite, qui a échoué, faute de volonté et de moyens, dans la lutte contre un fléau pourtant largement connu et dénoncé.
Il convient désormais de mettre à nu l’ensemble des rouages du système de l’habitat indigne à Marseille ayant entraîné le drame de la rue d’Aubagne, tout autant que de remonter la longue chaîne des responsabilités, allant de l’État aux marchands de sommeil, en passant par les élus locaux. Et il apparaît nécessaire, pour les victimes et pour éviter que d’autres ne suivent, de décrypter toutes les défaillances des mécanismes censés protéger les habitants et qui ont causé la mort de huit personnes, qui, comme l’ont montré les six semaines d’échanges, auraient pu être protégées.
En particulier, il convient d’interroger le rôle joué par les mécanismes fiscaux dans les réhabilitations d’immeubles ainsi que de déterminer l’ampleur de la corruption des opérateurs immobiliers et des entreprises chargées des travaux. De même, il apparaît nécessaire d’évaluer la complicité et le rôle qu’ont pu jouer les opérateurs immobiliers et les élus de l’époque en charge des questions touchant à l’habitat indigne. Enfin, il est important de faire la lumière sur les raisons et l’ampleur de l’aveuglement des appareils d’État en charge du contrôle des dépenses publiques, sur l’habitat indigne jusqu’en 2018.
C’est pour éclairer ces zones d’ombre qu’une commission d’enquête parlementaire s’impose, avec pour objectif que le vœu « plus jamais ça » trouve une réalisation concrète.
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proposition de rÉsolution
Article unique
En application des articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, il est créé une commission d’enquête de trente membres chargée :
– d’évaluer le rôle des différents mécanismes fiscaux qui interviennent dans les réhabilitations d’immeubles et qui encouragent le développement de l’habitat indigne à Marseille et dans sa périphérie entre 1990 et 2020 ;
– de mettre en lumière la corruption des opérateurs immobiliers et des entreprises chargées de travaux à Marseille et dans sa périphérie entre 1990 et 2020 ainsi que ses conséquences sur les politiques de lutte contre l’habitat indigne ;
– de mettre en lumière la complicité des opérateurs publics d’aménagement et des élus en charge des politiques de lutte contre l’habitat dans le drame du 5 novembre 2018 ;
– d’évaluer les causes de l’aveuglement des appareils d’État en charge du contrôle des dépenses publiques à Marseille et dans sa périphérie entre 1990 et 2020 ;
– d’émettre des recommandations à l’attention du législateur pour mettre un terme à une politique fiscale qui incite à laisser prospérer l’habitat indigne ;
– d’émettre des recommandations à l’attention du législateur pour lutter contre la corruption des opérateurs immobiliers et des entreprises chargées de travaux à Marseille ;
– d’émettre des recommandations à l’attention du législateur pour lutter contre les défaillances des opérateurs publics d’aménagement ;
– d’émettre des recommandations à l’attention du législateur pour permettre aux appareils d’État en charge du contrôle des dépenses publiques les moyens d’une action efficace.
([1]) https://marsactu.fr/wp-content/uploads/2015/11/285389804-Marseille-Rapport-Nicol-27-Mai-2015.pdf
([2]) https://marsactu.fr/en-matiere-dhabitat-indigne-letat-et-la-ville-ne-font-pas-leur-boulot/
([3]) https://centrevillepourtous.fr/2025/07/08/verdict-du-proces-de-la-rue-daubagne/
([4]) https://www.instagram.com/p/DLz5n4xs7_6/?img_index=15&igsh=MTJpYmVkdWV2b2U0bQ%3D%3D