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N° 1778

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 9 septembre 2025.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

visant à dénoncer les accords franco-algériens du 27 décembre 1968,

 

présentée par

M. Guillaume BIGOT, Mme Marine LE PEN, les membres du groupe Rassemblement National [(1)],

députés.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La réalité des relations internationales impose la volonté ferme de défendre l’intérêt de la Nation sans s’interdire de remettre en cause d’anciens accords lorsque ceux‑ci sont tombés en désuétude ou ne sont plus appliqués par nos partenaires.

Si l’Algérie et la France partagent une histoire commune et singulière, il n’en demeure pas moins que cette dernière est un État tiers, avec lequel nous devons organiser des rapports bilatéraux fondés sur le respect mutuel, mais aussi la coercition si la situation l’impose.

Près de soixante ans après les accords du 27 décembre 1968, il est temps de prendre en compte l’évolution de notre relation avec l’Algérie. Il convient ainsi de redonner à l’État les moyens juridiques de limiter, voire de suspendre si nécessaire, l’octroi de visas aux Algériens. Les accords sont en effet devenus obsolètes, malgré des ajustements en 1985, 1994 et 2001, qui ne les avaient pas fondamentalement altérés. Aujourd’hui, plus rien ne justifie que les ressortissants algériens ne soient pas soumis aux mêmes lois en matière d’entrée et de circulation en France que les citoyens d’autres nationalités.

Ainsi, au regard des difficultés migratoires auxquelles la France doit faire face, des tensions entre nos deux pays, des manquements répétés au respect du droit international et aux droits de l’Homme par l’Algérie, du manque de considération de l’Algérie pour les aides accordées par la France envers sa population, il est urgent que les relations franco‑algériennes s’inscrivent désormais dans un régime de droit commun, idée qui fait consensus au sein de la population et de la classe politique.

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Le défi immense que représentent les grands mouvements migratoires depuis la fin du XXe siècle requiert de chaque État qu’il respecte le droit international ainsi que ses propres règles juridiques, en facilitant le retour d’immigrés dont la présence sur le territoire est illégale. Et chaque État est ainsi dans l’obligation de reprendre ses ressortissants expulsés, conformément au principe de nationalité.

En l’occurrence, avec l’Algérie, la situation témoigne d’un déséquilibre déconcertant. Le taux d’exécution des OQTF pour l’ensemble des ressortissants illégaux en France a été de 7 % en 2022, et de 6,9 % en 2023. Or, entre 2019 et 2022, 58 700 « obligations de quitter le territoire français » (OQTF) ont été prononcées à l’encontre de migrants algériens et seulement 2 600 réalisés, soit un taux d’exécution de 4,4 % ([1]). Pourtant les Algériens restent la première nationalité en matière d’octroi de titres de séjour, sur les 4,3 millions de titres de séjours délivrés en 2024, 650 000 ont été délivrés à des ressortissants algériens. Ce constat devrait inciter le gouvernement à user de tous les leviers à sa disposition afin de contraindre l’Algérie à la réintégration de ses propres ressortissants frappés d’OQTF. De plus, le retour des ressortissants algériens frappés d’OQTF ne peut être vu comme un manque d’accueil et de considération envers leurs compatriotes puisqu’en 2020, on comptait environ 870 000 Algériens en France. Et si on prend en compte leurs enfants et petits‑enfants nés en France, y compris les binationaux, ce chiffre atteint 2,5 millions ([2]).

Une action ferme est possible et nécessaire, comme le montre un rapport du Sénat en date du 10 mai 2022. Ce rapport cite notamment en exemple le Danemark qui a procédé à l’éloignement forcé de 51,8 % des obligations de quitter le territoire du Danemark prononcées en 2019 (contre 14,3 % pour la France à la même période). Depuis 2022, le gouvernement de coalition, dirigé par la Première ministre socialiste Mette Frederiksen, a même intensifié les efforts avec de nouvelles mesures rendant plus efficace la politique de retours.

Le chancelier allemand Friedrich Merz, chrétien‑démocrate, a lui‑même plaidé pour un rapport de force avec les pays tiers. Il a notamment fait suspendre le regroupement familial en Allemagne, marchant dans les pas de son voisin autrichien. Par le passé, l’Union européenne, en concertation avec l’ensemble de ses États membres, a déjà imposé des sanctions à des pays tiers, tels que la Gambie, à la suite de leur refus de reprendre leurs ressortissants. Elle avait notamment augmenté le montant des droits de visa.

Le contexte d’une immigration illégale, non maîtrisée, en France devrait encourager le gouvernement à prendre toutes les mesures nécessaires, coercitives s’il le faut, à la réadmission des ressortissants illégaux dans leur pays d’origine. Le gouvernement de Jean Castex avait d’ailleurs déjà envisagé, en septembre 2021, de durcir les conditions d’obtention de visas pour les ressortissants algériens, faute de coopération en matière migratoire. Cette prise de position témoignait d’une prise de conscience collective. De fait, réduire le nombre de visas octroyés aux ressortissants algériens pourrait s’avérer un levier efficace pour assurer le retour de migrants illégaux. Il s’agit d’une mesure déjà appliquée par de nombreux autres pays. Mais, un tel levier ne serait opérationnel vis‑à‑vis de l’Algérie, que si le Gouvernement vient à dénoncer unilatéralement les accords franco‑algériens du 27 décembre 1968. En effet, ces accords prévoient un régime dérogatoire avantageux pour l’octroi de titres aux Algériens, notamment en matière de regroupement familial, de certificat de résidence, et de visas de travail et étudiants, etc.

De plus, de nombreux ressortissants illégaux algériens se sont révélés dangereux pour la sécurité et l’ordre publics français.

Le 8 janvier 2025, à la suite d’une décision d’expulsion française, les autorités algériennes ont refusé de reprendre un de leurs ressortissants vivant en France qui avait appelé sur ses réseaux à « une sévère correction » de tout opposant politique algérien. Or cet appel relève de l’infraction de « provocations publiques à commettre un crime ou un délit et légitimant la torture ». Le ressortissant visé avait de plus été condamné à de multiples reprises pour des infractions relatives aux stupéfiants, et avait même été expulsé une première fois en 2008.

Plus récemment, le 22 février 2025, un ressortissant algérien en situation irrégulière, condamné pour apologie du terrorisme, et frappé d’OQTF non‑exécutée, a tué une personne à l’arme blanche à Mulhouse. L’Algérie avait refusé de reprendre son ressortissant sur son sol malgré 10 sollicitations des services de l’état français, et ceci en contradiction avec le droit international.

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Il est important de noter que la France a toujours manifesté une grande générosité envers l’Algérie. Elle se manifeste par des aides substantielles au développement de l’Algérie et ce, même récemment, malgré les importantes difficultés budgétaires et le déficit de la France. Le montant équivalent‑don de la France à l’Algérie au titre de l’Aide publique au développement était de 112,23 millions d’euros en 2021, 131,65 millions d’euros en 2022, 136,05 millions d’euros en 2023.

De nombreuses actions des différents gouvernements français témoignent également de cette générosité particulière de la France envers l’Algérie, comme la facilité administrative au bénéfice de l’élite algérienne qui permet une exemption de visas de séjour court pour les titulaires d’un passeport diplomatique ou de service. Signé à Alger le 16 décembre 2013, cet accord leur permet de venir en mission ou à titre privé en France et dans l’espace Schengen, sans demande de visa d’entrée. Cet accord, théoriquement réciproque, ne se vérifie pas dans les faits pour les diplomates français qui ont interdiction de circuler librement en Algérie.

Nous pouvons aussi noter le service que la France rend à l’Algérie avec le protocole, signé en 2016, relatif « aux soins de santé programmés dispensés en France aux ressortissants algériens assurés sociaux et démunis non assurés sociaux résidant en Algérie », qui permet à l’Algérie de pallier son manque d’infrastructures médicales en délocalisant chez nous la réalisation de certains soins.

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Il est aussi nécessaire de noter les manquements répétés de l’Algérie au « respect des principes démocratiques et des droits fondamentaux de l’Homme, tels qu’énoncés dans la déclaration universelle des droits de l’Homme » que l’Algérie s’est elle‑même engagée à respecter en ratifiant l’accord euro‑méditerranéen établissant une association entre l’Union européenne et la République algérienne démocratique et populaire en 2005.

L’arrestation et l’emprisonnement du romancier franco‑algérien Boualem Sansal le 16 novembre 2024, toujours séquestré par le régime algérien, en est le dernier exemple. Âgé de 80 ans, gravement malade, celui‑ci fait l’objet d’un emprisonnement politique de la part d’un pouvoir qui, même après trois mois de détention, ne lui avait pas permis de recevoir la visite de son avocat français, dont le visa a été refusé par les autorités algériennes. Nous déplorons le non‑respect des droits les plus élémentaires à un prisonnier politique. Pour avoir émis des opinions divergentes vis‑à‑vis du pouvoir en place, il a été poursuivi pour l’un des crimes les plus graves du code pénal algérien. Nous notons également qu’au mois de juillet 2025, alors que le gouvernement français avait décidé de ne pas agir, ni de faire pression, espérant un geste de clémence du pouvoir algérien, que notre compatriote a été définitivement condamné en appel à cinq ans d’emprisonnement.

De la même manière, nous regrettons et dénonçons la condamnation à sept ans de prison ferme avec mandat de dépôt de notre compatriote, le journaliste Christophe Gleize, après avoir été arrêté puis retenu sous contrôle judiciaire depuis le 28 mai 2024, alors qu’il n’avait fait que son travail de journaliste.

Cette dérive autoritaire des dirigeants du pays est régulièrement dénoncée par la population algérienne. Elle l’a ainsi fait en février 2024 à l’occasion du cinquième anniversaire du Hirak, mouvement de contestation populaire en Algérie débuté en 2019. Ce mouvement, dont la répression est documentée dans des rapports d’Amnesty International et Human Rights Watch, défendait une transition démocratique sans intervention militaire, un retour à l’État de droit et la fin de la corruption. De nombreux protestataires, politiciens, défenseurs des droits humains et journalistes ont été arrêtés et poursuivis en justice, certains ayant été condamnés à des années de prison, souvent pour des chefs d’accusation relatifs à l’expression d’opinion, tandis que des partis politiques ont été dissous.

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La tension étant déjà très forte entre nos deux pays, revenir à un régime de droit commun en matière migratoire contribuerait à normaliser la relation diplomatique franco‑algérienne, ce que les auteurs de cette proposition de résolution souhaitent profondément.

Cette mesure fait l’objet d’un consensus politique : les sénateurs Muriel Jourda (LR) et Olivier Bitz (Union centriste), dans leur rapport d’information, en date du 5 février 2025, recommandaient de privilégier une solution de négociation d’un nouvel avenant, tout en précisant qu’en cas d’échec, la France devrait unilatéralement mettre fin à l’accord de 1968.

Ces derniers mois, des responsables politiques de différentes sensibilités ont aussi envisagé la suspension des accords de 1968. Il s’agit notamment du Premier ministre François Bayrou (Modem) en février 2025 et du ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau (LR). Les anciens Premiers ministres, tels que Gabriel Attal (EPR) en janvier 2025, et Édouard Philippe (Horizons) en mars 2025 ont également insisté sur la nécessité de mettre un terme à l’accord de 1968.

Le constat de l’impasse que représente l’accord de 1968 dans notre relation avec l’Algérie dépasse le simple consensus au sein des responsables politiques. Il est aussi partagé par les Français, qui sont une majorité (66 %) à être favorables à l’arrêt de toute immigration en provenance de l’Algérie.

Pour toutes ces raisons, la présente proposition de résolution a pour objet d’appeler le gouvernement à passer à l’acte et à dénoncer, enfin, les accords franco‑algériens du 27 décembre 1968.

 


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proposition de RÉSOLUTION

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34‑1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu l’article 56 de la convention de Vienne sur le droit des traités de 1969,

Considérant que l’accord franco‑algérien du 27 décembre 1968, publié par le décret n° 69‑243 du 18 mars 1969, a créé un régime dérogatoire qui facilite l’immigration des ressortissants algériens vers la France ;

Considérant qu’aucun motif ne justifie désormais que les ressortissants algériens bénéficient d’un tel statut juridique facilitant leur entrée et leur séjour en France dans des conditions plus favorables que celles qui sont régies par le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

Considérant, de surcroît, que les autorités algériennes n’ont pas démontré leur volonté de coopérer efficacement avec les autorités françaises afin de permettre, par la délivrance des laissez‑passer consulaires, le retour vers l’Algérie des ressortissants algériens en situation illégale en France ou troublant l’ordre public ;

Considérant que l’Algérie viole le droit international en ne permettant pas l’entrée sur son territoire de ses citoyens, frappés d’obligation de quitter le territoire français ;

Considérant que l’Algérie ne respecte pas les droits de l’Homme, notamment par des atteintes graves à la liberté d’expression, largement documentées dans les rapports annuels d’Amnesty International de 2024 et de Human Rights Watch pour 2025 ;

Considérant l’emprisonnement arbitraire de l’écrivain franco‑algérien Monsieur Boualem Sansal ;

Considérant l’emprisonnement arbitraire du journaliste français Monsieur Christophe Gleizes ;

Considérant que l’accord franco‑algérien du 16 décembre 2013 prévoit des facilités d’entrées dans notre pays aux détenteurs d’un passeport diplomatique ou de service de nationalité algérienne ;

Considérant la volonté de la majorité de la population et des politiques à vouloir dénoncer les accords franco‑algériens de 1968 ;

Appelle les autorités en ayant la compétence à dénoncer les accords franco‑algériens du 27 décembre 1968.

 

 


([1]) Rapport de la Cour des comptes de Janvier 2024, La politique de lutte contre l’immigration irrégulière,

([2]) Chiffres de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE),


[(1)](1) Ce groupe est composé de : M. Franck ALLISIO, M. Maxime AMBLARD, Mme Bénédicte AUZANOT, M. Philippe BALLARD, Mme Anchya BAMANA, M. Christophe BARTHÈS, M. Romain BAUBRY, M. José BEAURAIN, M. Christophe BENTZ, M. Théo BERNHARDT, M. Guillaume BIGOT, M. Bruno BILDE, M. Emmanuel BLAIRY, Mme Sophie BLANC, M. Frédéric BOCCALETTI, Mme Pascale BORDES, M. Anthony BOULOGNE, Mme Manon BOUQUIN, M. Jorys BOVET, M. Jérôme BUISSON, M. Eddy CASTERMAN, M. Sébastien CHENU, M. Roger CHUDEAU, M. Bruno CLAVET, Mme Caroline COLOMBIER, Mme Nathalie DA CONCEICAO CARVALHO, Mme Sandra DELANNOY, M. Jocelyn DESSIGNY, Mme Edwige DIAZ, Mme Sandrine DOGOR-SUCH, M. Nicolas DRAGON, M. Alexandre DUFOSSET, M. Gaëtan DUSSAUSAYE, M. Aurélien DUTREMBLE, M. Auguste EVRARD, M. Frédéric FALCON, M. Marc DE FLEURIAN, M. Guillaume FLORQUIN, M. Emmanuel FOUQUART, M. Thierry FRAPPÉ, M. Julien GABARRON, Mme Stéphanie GALZY, M. Jonathan GERY, M. Frank GILETTI, M. Yoann GILLET, M. Christian GIRARD, M. Antoine GOLLIOT, M. José GONZALEZ, Mme Florence GOULET, Mme Géraldine GRANGIER, Mme Monique GRISETI, M. Julien GUIBERT, M. Michel GUINIOT, M. Jordan GUITTON, Mme Marine HAMELET, M. Timothée HOUSSIN, M. Sébastien HUMBERT, M. Laurent JACOBELLI, M. Pascal JENFT, M. Alexis JOLLY, Mme Tiffany JONCOUR, Mme Sylvie JOSSERAND, Mme Florence JOUBERT, Mme Hélène LAPORTE, Mme Laure LAVALETTE, Mme Marine LE PEN, M. Robert LE BOURGEOIS, Mme Julie LECHANTEUX, Mme Nadine LECHON, Mme Gisèle LELOUIS, M. Hervé DE LÉPINAU, Mme Katiana LEVAVASSEUR, M. Julien LIMONGI, M. René LIORET, Mme Christine LOIR, M. Aurélien LOPEZ-LIGUORI, Mme Marie-France LORHO, M. Philippe LOTTIAUX, M. Alexandre LOUBET, M. David MAGNIER, Mme Claire MARAIS-BEUIL, M. Matthieu MARCHIO, M. Pascal MARKOWSKY, M. Patrice MARTIN, Mme Michèle MARTINEZ, Mme Alexandra MASSON, M. Bryan MASSON, M. Kévin MAUVIEUX, M. Nicolas MEIZONNET, Mme Joëlle MÉLIN, Mme Yaël MÉNACHÉ, M. Thomas MÉNAGÉ, M. Pierre MEURIN, M. Thibaut MONNIER, M. Serge MULLER, M. Julien ODOUL, Mme Caroline PARMENTIER, M. Thierry PEREZ, M. Kévin PFEFFER, Mme Lisette POLLET, M. Stéphane RAMBAUD, Mme Angélique RANC, M. Julien RANCOULE, M. Matthias RENAULT, Mme Catherine RIMBERT, M. Joseph RIVIÈRE, Mme Laurence ROBERT-DEHAULT, Mme Béatrice ROULLAUD, Mme Sophie-Laurence ROY, Mme Anaïs SABATINI, M. Alexandre SABATOU, M. Emeric SALMON, M. Philippe SCHRECK, Mme Anne SICARD, M. Emmanuel TACHÉ, M. Jean-Philippe TANGUY, M. Michaël TAVERNE, M. Thierry TESSON, M. Lionel TIVOLI, M. Romain TONUSSI, M. Antoine VILLEDIEU, M. Frédéric-Pierre VOS, M. Frédéric WEBER.