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N° 1852
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 septembre 2025.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
tendant à la création d’une commission d’enquête visant à renforcer l’effectivité du contrôle parlementaire sur l’action gouvernementale en matière d’exportations d’armements et de coopération militaire,
(Renvoyée à la commission de la défense nationale et des forces armées, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
M. Abdelkader LAHMAR, Mme Nadège ABOMANGOLI, M. Laurent ALEXANDRE, M. Gabriel AMARD, Mme Ségolène AMIOT, Mme Farida AMRANI, M. Rodrigo ARENAS, M. Raphaël ARNAULT, Mme Anaïs BELOUASSA-CHERIFI, M. Ugo BERNALICIS, M. Christophe BEX, M. Carlos Martens BILONGO, M. Manuel BOMPARD, M. Idir BOUMERTIT, M. Louis BOYARD, M. Pierre-Yves CADALEN, M. Aymeric CARON, M. Sylvain CARRIÈRE, Mme Gabrielle CATHALA, M. Bérenger CERNON, Mme Sophia CHIKIROU, M. Hadrien CLOUET, M. Éric COQUEREL, M. Jean-François COULOMME, M. Sébastien DELOGU, M. Aly DIOUARA, Mme Alma DUFOUR, Mme Karen ERODI, Mme Mathilde FELD, M. Emmanuel FERNANDES, Mme Sylvie FERRER, M. Perceval GAILLARD, Mme Clémence GUETTÉ, M. David GUIRAUD, Mme Zahia HAMDANE, Mme Mathilde HIGNET, M. Andy KERBRAT, M. Bastien LACHAUD, M. Maxime LAISNEY, M. Arnaud LE GALL, M. Antoine LÉAUMENT, Mme Élise LEBOUCHER, M. Aurélien LE COQ, M. Jérôme LEGAVRE, Mme Sarah LEGRAIN, Mme Claire LEJEUNE, Mme Murielle LEPVRAUD, Mme Élisa MARTIN, M. Damien MAUDET, Mme Marianne MAXIMI, Mme Marie MESMEUR, Mme Manon MEUNIER, M. Jean-Philippe NILOR, Mme Sandrine NOSBÉ, Mme Danièle OBONO, Mme Nathalie OZIOL, Mme Mathilde PANOT, M. René PILATO, M. François PIQUEMAL, M. Thomas PORTES, M. Loïc PRUD’HOMME, M. Jean-Hugues RATENON, M. Arnaud SAINT-MARTIN, M. Aurélien SAINTOUL, Mme Ersilia SOUDAIS, Mme Anne STAMBACH-TERRENOIR, M. Aurélien TACHÉ, Mme Andrée TAURINYA, M. Matthias TAVEL, Mme Aurélie TROUVÉ, M. Paul VANNIER,
députés et députées.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
« Il n’y a pas d’armes vendues à Israël » ([1]) affirmait encore, le 6 juin 2025, le ministre des armées. Ce mantra, répété depuis des mois par le gouvernement en réponse à toutes les voix s’interrogeant sur la participation de la France à l’armement du génocide en cours à Gaza, est pourtant remise en question.
Dans un rapport dévoilé le 10 juin 2025, une dizaine d’organisations non gouvernementales (ONG) dément vigoureusement ces propos et démontre l’existence d’un « flux ininterrompu » ([2]) de composants militaires en direction d’Israël depuis octobre 2023. Les dernières données disponibles montrent même une accélération des ventes d’armes à Israël (27millions d’euros de prises de commande en 2024 contre 20 millions d’euros en 2023[3]). Début juin 2025, les dockers du port de Marseille‑Fos ont d’ailleurs refusé de charger plusieurs conteneurs à destination d’Haïfa. Certains contenaient des pièces pour fusils‑mitrailleurs fabriquées par l’entreprise marseillaise Eurolinks, d’autres des tubes de canons fabriqués par la société Aubert et Duval à Firminy. Le Syndicat Général CGT des Ouvriers Dockers et des Personnels Portuaires du Golfe de Fos a justifié ce refus par la volonté des travailleuses et des travailleurs de ne pas « participer au génocide en cours orchestré par le gouvernement israélien » ([4]). Le mensonge ministériel était alors définitivement éventé.
Le gouvernement a bien tenté de se justifier en rétorquant que seuls des « composants » destinés au Dôme de fer israélien ou des « éléments pour la réexportation » étaient vendus à Israël ; la réalité est que la traçabilité et la transparence sur ces échanges sont largement insuffisantes pour proclamer de telles certitudes à ce sujet. Ainsi, quelques semaines après les dockers de Marseille, les syndicats de l’aéroport de Roissy ont à leur tour annoncé leur refus de charger certaines cargaisons après avoir appris que des équipements militaires à destination d’Israël devaient transiter par la plateforme aéroportuaire francilienne ([5]).
Les polémiques récurrentes sur les ventes d’armes à Israël ne sont pourtant que la partie visible d’un problème bien plus large : l’absence de contrôle démocratique et citoyen sur le commerce des armes et les coopérations militaires menées par la France à travers le monde.
Le commerce des armes est encadré en France par la Commission d’Études d’exportation des matériels de guerre (CIEMMG). Cette commission est composée de membres de différents ministères placés sous le contrôle du Premier Ministre. Elle délivre les autorisations d’exportation, condition nécessaire pour le commerce des armes. La vente d’armes est donc toujours autorisée par les autorités politiques, mais le pouvoir du gouvernement en la matière est total. Les avis sont en effet pris à huis clos et les licences ne sont connues ni des représentants du peuple, ni des citoyennes et des citoyens.
Si depuis 1998 le gouvernement remet, chaque année, au parlement un rapport sur les exportations d’armements de la France, celui‑ci reste lacunaire. Les données mises à disposition des parlementaires manquent de détails et ne permettent pas d’identifier avec précision les pièces exportées. La loi de programmation militaire (LPM) 2014‑2019 fixait la publication du rapport au 1er juin au plus tard ([6]). Depuis, cette échéance n’a jamais été respectée. Par exemple, le rapport sur les exportations 2023 n’a été transmis qu’en septembre 2024. L’audition des ministres concernés n’a eu lieu, elle, qu’en février 2025, soit plus d’un an après la fin de la période concernée par le rapport, de même pour le rapport 2025.
La LPM 2024‑2030, votée en 2023, avait pour ambition de renforcer les contrôles avec la création d’une commission parlementaire d’évaluation de la politique du gouvernement d’exportation de matériels de guerre([7]), composée des deux présidents des Commissions de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale et du Sénat, de deux députés et deux sénateurs. Cependant, cette commission ne s’est réunie qu’une fois pour la constitution de son bureau, et est depuis inactive. Plus encore, la nomination de ses membres se fait de manière arbitraire par la présidente de l’Assemblée nationale, sans aucun vote ni procédure de candidature. En l’état, cette commission ne reflète en rien les équilibres politiques de l’Assemblée nationale et ne joue donc pas le rôle de contre‑pouvoir voulu pourtant par la LPM.
Les exemples de bonnes pratiques ne manquent pourtant pas chez nos voisins. En Suède, aux Pays‑Bas, au Royaume‑Uni, les représentants du peuple peuvent périodiquement demander des explications au pouvoir exécutif sur sa politique d’exportation d’armes. En France, les parlementaires en sont réduits à un rôle de spectateurs et ne peuvent qu’entériner, a posteriori et sans aucun moyen de contestation, la politique gouvernementale en matière de commerce d’équipements militaires. On parle pourtant d’exportations se chiffrant, certaines années en dizaines de milliards d’euros (21,6 milliards d’euros de prises de commande en 2024, soit la 2e « meilleure » année pour les exportations françaises d’armes après 2022) ([8]).
Tout cela nuit grandement à l’effectivité et à la qualité du contrôle parlementaire sur l’action du gouvernement. C’est d’ailleurs bien souvent vers la presse d’investigation ou les ONG spécialisées que le grand public doit se tourner pour être informé des dérives gouvernementales en matière de vente d’armes et de coopérations militaires à l’international.
Ainsi, Amnesty International révélait en novembre 2024 que des systèmes d’armement de fabrication française, initialement vendus aux Émirats Arabes Unis, étaient utilisés dans le conflit au Soudan. Cela pourrait représenter une violation flagrante de l’embargo de l’Organisation des Nations unies sur les armes à destination du Darfour ([9]). En 2021, c’est le média Disclose qui dévoilait la complicité de la France dans des bombardements visant des civils en Égypte ([10]). Avant cela, en 2019, le même média avait obtenu des documents classés « confidentiel défense » prouvant que des armes françaises étaient utilisées pour tuer des civils au Yémen ([11]).
Au‑delà du manque de contrôle sur les seules ventes d’armes à des pays étrangers, la question des biens à double usage (BDU) devient centrale dans les guerres modernes et technologiques où la frontière entre biens civils et biens militaires semble de plus en plus floue. Le marché de l’armement est aujourd’hui, avant tout, un marché de pièces détachées et de composants. Des éléments assez courants permettent, par exemple, de produire des drones peu couteux mais meurtriers.
Dans ces conditions, se concentrer uniquement sur les ventes d’armes pour évaluer l’implication de la France dans un conflit armé n’a pas de sens. Il faut également regarder et analyser l’évolution des ventes de BDU, en hausse de 42 % en 2024 pour un montant total de 15, milliards d’euros ([12]). Par exemple, des composants électroniques de la multinationale grenobloise STMicroelectronics ont été massivement retrouvés dans les armes russes utilisées en Ukraine (drones, missiles, avions de chasse, etc…) ([13]). De même, si les livraisons de composants militaires au sens strict à Israël restent à des niveaux relativement faibles (30,1 millions d’euros en 2023 contre 15,3 millions d’eurs en 2022 ([14])) ; les exportations de BDU à destination de ce pays ont explosé en passant de 34 millions d’euros en 2022 à 192 millions d’euros en 2023, soit une hausse de 465 % avant de redescendre à 75,5 millions d’euros en 2024 ([15]) ! Un rapport gouvernemental sur les BDU est bien remis au parlement chaque année depuis 2022 mais il souffre des mêmes carences que celui consacré aux exportations d’armes ([16]).
Par ailleurs, les coopérations technologiques et industrielles pouvant déboucher sur des applications militaires sont, elles, laissées quasiment hors de tout contrôle démocratique. Des entreprises françaises continuent donc à développer ou à partager des technologies avec des homologues appartenant aux complexes militaro‑industriels de pays ne respectant pas le droit international ou les droits humains.
Il est donc vital, pour des raisons de souveraineté, de renforcer le contrôle démocratique sur le commerce des armes et les coopérations militaires menées par notre pays. Mais ce renforcement est aussi un impératif moral au regard des engagements internationaux pris par la France. En effet, la France a signé et ratifié le traité sur le commerce des armes (TCA) de 2014. Si elle ne peut pas garantir par le contrôle des exportations, notamment par la certification de l’utilisateur final, que les armes ne seront pas réexportées vers une zone sous embargo international, alors elle ne doit pas autoriser les transferts. Pourtant, des milliards d’euros d’armes ont été vendus aux Émirats arabes unis sur la dernière décennie sans que personne n’empêche cet État de transférer ces équipements au Darfour. De même, la République est signataire de la Convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide. Elle est ainsi tenue de prévenir le crime de génocide par tous les moyens à sa disposition. Dans ces conditions, la République ne peut continuer les échanges commerciaux et la coopération en matière militaire avec l’État d’Israël alors que les diverses instances des Nations Unies parlent de « risque plausible de génocide » ou « d’actes génocidaires » ([17]) concernant la situation à Gaza.
L’idéal républicain de souveraineté populaire n’est pas une option et le droit international doit rester la boussole qui guide notre pays. C’est pourquoi les députés de la Nation doivent exercer un contrôle ferme, transparent et démocratique sur le commerce des armes et des BDU et sur l’ensemble des coopérations militaires impliquant notre pays. Pour cela, la commission d’enquête proposée par la présente résolution aura pour mission d’identifier les failles actuelles dans le contrôle parlementaire et d’en examiner les causes. Elle aura également pour objectif de proposer des solutions afin de s’assurer que les engagements internationaux de la France soient respectés à l’avenir et que l’ensemble du peuple français puisse avoir connaissance des actions menées en son nom.
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proposition de RÉSOLUTION
Article unique
En application des articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, est créée une commission d’enquête composée de trente membres, chargée de :
([1]) https://www.lemonde.fr/international/article/2025/06/07/la-france-ne-vend-pas-d-armes-a-israel-reaffirme-le-ministre-des-armees-apres-le-refus-de-dockers-de-charger-un-conteneur-de-composants-militaires_6611077_3210.html
([2]) https://www.humanite.fr/monde/armee-israelienne/exclusif-contrairement-aux-affirmations-du-ministre-des-armees-la-france-livre-un-flux-ininterrompu-darmes-a-israel
([3]) Rapport annuel 2025 du Gouvernement au parlement sur les exportations d’armement de la France.
([4]) https://www.lemonde.fr/economie/article/2025/06/05/a-fos-sur-mer-les-dockers-cgt-bloquent-trois-conteneurs-de-composants-militaires-a-destination-d-israel_6610731_3234.html
([5]) https://www.20minutes.fr/societe/4158524-20250614-gaza-aeroport-roissy-syndicats-appellent-blocage-materiel-vers-israel
([8]) Rapport annuel 2025 du Gouvernement au parlement sur les exportations d’armement de la France.
([9]) https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2024/11/sudan-french-manufactured-weapons-system-identified-in-conflict-new-investigation/
([12]) Rapport annuel 2025 du Gouvernement au parlement sur les exportations d’armement de la France.
([15]) Rapport annuel 2025 du Gouvernement au parlement sur les exportations d’armement de la France.