N° 1859
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 24 septembre 2025.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE
sur l’universalité des droits conférés aux élus des zones transfrontalières,
(Renvoyée à la commission des affaires européennes)
présentée par
Mme Isabelle RAUCH,
députée.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Les détenteurs de mandat locaux exerçant une activité professionnelle dans un pays frontalier rencontrent des obstacles majeurs dans l’exercice de leur charge. Ces difficultés découlent principalement de l’absence d’harmonisation européenne et de la diversité des législations nationales concernant les droits qui leur sont conférés. L’insuffisance de coopération et de coordination entre les États membres en matière de droits des élus frontaliers engendre des inégalités de traitement ainsi que des situations d’insécurité juridique. Par conséquent, un élu local français travaillant au Luxembourg ou en Allemagne ne bénéficie ni du statut de l’élu local du pays où il est élu, ni de celui du pays où il travaille.
Ce manque de reconnaissance croisée prive les élus frontaliers de droits essentiels, tels que les congés pour l’exercice du mandat, la protection contre le licenciement ou encore l’accès à la formation liée à leur fonction élective.
Dans les zones à multiples frontières (France‑Belgique‑Luxembourg‑Allemagne), une partie des élus locaux exercent une profession en dehors de leur pays de résidence. On compte plus de 400 élus à différents niveaux qui sont des travailleurs frontaliers. Cependant, les droits des élus ne sont pas appliqués de la même manière pour ceux travaillant dans le pays dans lequel ils sont élus et ceux travaillant de l’autre côté de la frontière. Or, le mandat électif local constitue un engagement civique reconnu par le droit positif français et, dans une logique d’équité, il devrait être respecté par tout employeur. Entre autres, la liberté de circulation des personnes - ici en tant que travailleurs - ne doit pas engendrer une perte de droits sociaux ou professionnels, en vertu de l’article 45 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne relatif à la libre circulation des travailleurs.
Par exemple, alors que le Luxembourg accorde un « congé politique » à ses élus locaux, ce droit n’est pas accessible aux non‑résidents exerçant un mandat en France. Ainsi, la protection de l’emploi liée au mandat électif, pourtant reconnue dans certains pays, n’est pas assurée de manière transfrontalière, exposant les élus à des risques de licenciement ou de pressions de la part de leur employeur. En effet, le code général des collectivités territoriales (CGCT) et le code du travail prévoient le droit d’absence au travail pour les élus locaux (articles L. 2123‑1, L. 3123‑1, L. 4135‑1) et nationaux (article L. 3142‑79) français. Pour le Luxembourg, la loi communale modifiée du 13 décembre 1988 assure les droits des élus luxembourgeois (articles 78 à 81). Il apparaît donc clairement que le droit des élus est garanti au niveau national dans plusieurs États membres. Cependant, ce droit s’arrête à la frontière, ce qui entre en contradiction avec l’esprit des traités européens et du Traité de Schengen.
Les élus risquent dans des situations d’épuisement mental et physique au travail. Cette situation les contraint à composer avec un emploi du temps surchargé, générant stress et frustration. Ces difficultés peuvent avoir des répercussions directes sur la vie locale. Elles peuvent décourager l’engagement des citoyens dans la vie publique, entraîner des démissions et affaiblir la représentation démocratique dans les territoires frontaliers. Pourtant, l’investissement civique et politique constitue un pilier essentiel de la démocratie dans les États membres de l’Union.
Ce déséquilibre résulte de la coexistence de statuts nationaux hétérogènes et de l’absence d’un cadre européen de reconnaissance mutuelle et d’harmonisation. Cette lacune empêche les élus locaux ou nationaux de remplir pleinement leur mission démocratique de représentation.
Il est donc impératif de faire évoluer le droit européen afin d’établir des droits universels pour les élus des zones transfrontalières.
Les objectifs de la présente proposition sont d’adapter le droit européen afin de garantir des droits universels aux élus locaux exerçant dans les zones transfrontalières. Il s’agit de mieux coordonner les règles applicables à l’échelle de l’Union, tout en respectant les compétences exclusives des États membres. Il conviendrait ainsi de reconnaître aux élus transfrontaliers les mêmes droits que ceux accordés à leurs homologues travaillant dans leur pays de résidence, indépendamment de leur situation professionnelle transfrontalière. Dès lors, deux axes d’action complémentaires peuvent être envisagés.
Premièrement, il serait nécessaire d’harmoniser les droits des élus locaux transfrontaliers à l’échelle de l’Union européenne, afin de garantir un traitement équitable quel que soit leur lieu d’emploi. À l’image des dispositions prévues par la loi communale luxembourgeoise modifiée du 13 décembre 1988 ou par le CGCT français, les élus devraient bénéficier de droits tels que le droit à des congés et à des autorisations d’absence pour l’exercice de leur mandat, de manière équivalente à ce qui est prévu dans leur État de résidence. De plus, cette harmonisation devrait inclure une protection spécifique de l’emploi, interdisant tout licenciement ou sanction lié à l’exercice d’un mandat électif local dans un autre État membre. Enfin, les élus devraient pouvoir accéder à la formation et au remboursement des frais liés à l’exercice de leur mandat, indépendamment de leur situation transfrontalière. Cette mesure garantirait une égalité de traitement entre les élus, en cohérence avec les principes de libre circulation, de non‑discrimination et de démocratie locale énoncés à l’article 45 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
Deuxièmement, il est nécessaire de créer un mécanisme européen de reconnaissance mutuelle des mandats électifs locaux, permettant aux employeurs établis dans l’Union européenne de reconnaître les obligations liées à un mandat exercé dans un autre État membre. Ce mécanisme s’appuierait sur un cadre juridique européen clair, garantissant la portabilité des droits liés au mandat électif à l’échelle de l’Union. Il obligerait également tout employeur établi dans l’Union à tenir compte des obligations électives exercées dans un autre État membre, notamment en matière de congés et de respect du temps électif. Ce mécanisme permettrait également d’assurer une coopération loyale entre États membres ‑ conformément à l’article 4‑3 du Traité sur l’Union européenne ‑ en matière de reconnaissance des fonctions électives locales comme engagements civiques légitimes, quel que soit le lieu de travail.
Ainsi, ces deux axes ouvrent la voie à une réflexion sur la création d’un statut d’élu européen leur conférant des droits universels, indépendamment de leur situation transfrontalière. Ce statut permettrait d’encadrer juridiquement les droits conférés aux élus entre deux États membres, leur permettant d’organiser et de remplir leur mandat tout en bénéficiant d’une sécurité juridique dans l’exercice de leur emploi.
La présente résolution appelle donc à remédier au vide juridique faisant défaut aux élus locaux et nationaux exerçant leur mandat et leur activité professionnelle dans deux États membres de l’Union. Elle vise également à alléger la charge mentale, financière et sociale liée à la nécessité de jongler entre mandat et emploi. L’adoption d’une nouvelle réglementation européenne dans ce domaine serait ainsi plus équitable, tout en tout en favorisant une Europe facilitant la mobilité et assurant une meilleure harmonisation juridique.
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proposition de rÉsolution europÉenne
Article unique
L’Assemblée nationale,
Vu l’article 88‑4 de la Constitution,
Vu l’article 151‑5 du Règlement de l’Assemblée nationale,
Vu le règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale,
Vu le Traité sur l’Union européenne, notamment ses articles 4, paragraphe 3, et 10,
Vu le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, notamment ses articles 20, 22, 45, 151 et 153,
Vu la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, notamment son article 21, 31 et 40,
Vu la Charte européenne de l’autonomie locale du Conseil de l’Europe de 1985,
Vu la Convention européenne des droits de l’homme, notamment son article 11,
Vu la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail,
Vu la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail,
Vu la directive 94/80/CE du Conseil du 19 décembre 1994 fixant les modalités de l’exercice du droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales pour les citoyens de l’Union résidant dans un État membre dont ils ne sont pas ressortissants,
Vu le règlement (UE) n° 492/2011 du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 relatif à la libre circulation des travailleurs au sein de l’Union,
Vu la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, notamment les arrêts Angonese (C‑281/98), Martínez Sala (C‑85/96) et Petruhhin (C‑182/15),
Considérant qu’un travailleur frontalier désigne toute personne exerçant une activité salariée ou non salariée dans un État membre, tout en résidant dans un autre État membre, dans lequel elle retourne en principe chaque jour ou au moins une fois par semaine, en application du règlement (CE) n° 883/2004 précité ;
Considérant qu’en vertu de l’article 10 du Traité sur l’Union européenne, le fonctionnement de l’Union européenne repose sur le principe de démocratie représentative, et que les États membres doivent assurer la représentation démocratique de leurs citoyens aux niveaux national, régional et local ;
Considérant qu’en vertu de l’article 45 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, la libre circulation des travailleurs est garantie au sein de l’Union européenne et implique l’abolition de toute discrimination fondée sur la nationalité ;
Considérant qu’en vertu de l’article 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, toute forme de discrimination, notamment fondée sur les opinions politiques ou la nationalité, est interdite ;
Considérant qu’en vertu de l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme, le droit à la liberté de réunion et d’association est reconnu et protégé, et ne peut faire l’objet de restrictions que dans les limites prévues par la loi et nécessaires à la préservation de l’ordre démocratique ;
Considérant qu’en vertu de l’article 151 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, la promotion de l’emploi, l’amélioration des conditions de vie et de travail, ainsi que la lutte contre les exclusions, figurent parmi les objectifs fondamentaux de l’Union européenne, et que ces objectifs doivent être atteints dans le respect de la diversité des pratiques nationales, en favorisant l’harmonisation des systèmes sociaux et le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives ;
Considérant que la directive 2000/78/CE interdit toute discrimination indirecte fondée sur la situation personnelle, notamment en lien avec la mobilité géographique ;
Considérant que la directive 2003/88/CE établit des garanties minimales pour les travailleurs en matière de durée maximale de travail, de congés et de repos ;
Considérant que la directive 94/80/CE reconnaît aux citoyens de l’Union européenne résidant dans un autre État membre le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales, consacrant leur pleine participation à la vie démocratique locale ;
Considérant que la jurisprudence constante de la Cour de justice de l’Union européenne, notamment les arrêts Angonese, Martínez Sala et Petruhhin, renforce le principe de non‑discrimination, y compris indirecte, fondée sur le lieu de travail ou la nationalité, et impose aux États membres un devoir de coopération loyale et de solidarité institutionnelle ;
Estime nécessaire l’harmonisation des droits des élus au niveau européen, sans que cela n’entraîne de conséquences financières, fiscales ou sociales dans la pratique de leur activité professionnelle ;
Estime indispensable de garantir à tous les élus un égal accès aux droits liés à leur mandat, notamment en matière de congés, d’autorisations d’absence, de protection de l’emploi, de formation et d’indemnisation ;
Invite à la création d’un mécanisme européen de reconnaissance mutuelle des mandats locaux, qui obligerait tout employeur établi dans l’un des États membres de l’Union européenne à tenir compte des obligations découlant de l’exercice d’un mandat électif local dans un autre État membre que celui où l’activité professionnelle est exercée, en vertu de la directive 2003/88/CE et de l’article 151 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;
Invite l’Union européenne à présenter une initiative législative visant à harmoniser les droits sociaux et professionnels liés à l’exercice d’un mandat pour les élus transfrontaliers, afin de garantir le droit à des congés spéciaux ou autorisations d’absence pour l’exercice du mandat, une protection contre le licenciement ou les sanctions, le droit à la formation continue et au remboursement des frais liés à l’exercice du mandat, ainsi que l’harmonisation des statuts d’élu local dans les cas de mobilité professionnelle intra‑européenne ;
Invite les institutions européennes à prendre les mesures juridiques nécessaires, notamment par la révision des réglementations relatives au temps de travail et à l’égalité de traitement, et par l’adoption d’un règlement instaurant un mécanisme de reconnaissance mutuelle ;
Invite, par conséquent, les États membres de l’Union européenne à soutenir le processus d’harmonisation au niveau de l’Union européenne et à assurer sa mise en œuvre effective sur le territoire afin de répondre aux réalités transfrontalières en constante évolution et d’harmoniser les statuts des élus ;
Invite la Commission européenne à engager une réflexion sur la reconnaissance des droits civiques, politiques et sociaux liés à l’exercice d’un mandat électif, afin de les intégrer pleinement à l’acquis communautaire en matière de liberté de circulation, de démocratie locale et de non‑discrimination, dans le but de garantir une égalité de traitement pour tous les citoyens européens, y compris dans les espaces transfrontaliers.