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N° 1899

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 8 octobre 2025.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

visant à reconnaitre le massacre des Algériens le 17 octobre 1961 comme un crime d’État,

 

présentée par

M. Idir BOUMERTIT, Mme Mathilde PANOT, M. Abdelkader LAHMAR, Mme Nadège ABOMANGOLI, M. Laurent ALEXANDRE, M. Gabriel AMARD, Mme Ségolène AMIOT, Mme Farida AMRANI, M. Rodrigo ARENAS, M. Raphaël ARNAULT, Mme Anaïs BELOUASSA-CHERIFI, M. Ugo BERNALICIS, M. Christophe BEX, M. Carlos Martens BILONGO, M. Manuel BOMPARD, M. Louis BOYARD, M. Pierre-Yves CADALEN, M. Aymeric CARON, M. Sylvain CARRIÈRE, Mme Gabrielle CATHALA, M. Bérenger CERNON, Mme Sophia CHIKIROU, M. Hadrien CLOUET, M. Éric COQUEREL, M. Jean-François COULOMME, M. Sébastien DELOGU, M. Aly DIOUARA, Mme Alma DUFOUR, Mme Karen ERODI, Mme Mathilde FELD, M. Emmanuel FERNANDES, Mme Sylvie FERRER, M. Perceval GAILLARD, Mme Clémence GUETTÉ, M. David GUIRAUD, Mme Zahia HAMDANE, Mme Mathilde HIGNET, M. Andy KERBRAT, M. Bastien LACHAUD, M. Maxime LAISNEY, M. Arnaud LE GALL, M. Antoine LÉAUMENT, Mme Élise LEBOUCHER, M. Aurélien LE COQ, M. Jérôme LEGAVRE, Mme Sarah LEGRAIN, Mme Claire LEJEUNE, Mme Murielle LEPVRAUD, Mme Élisa MARTIN, M. Damien MAUDET, Mme Marianne MAXIMI, Mme Marie MESMEUR, Mme Manon MEUNIER, M. Jean-Philippe NILOR, Mme Sandrine NOSBÉ, Mme Danièle OBONO, Mme Nathalie OZIOL, M. René PILATO, M. François PIQUEMAL, M. Thomas PORTES, M. Loïc PRUD’HOMME, M. Jean-Hugues RATENON, M. Arnaud SAINT-MARTIN, M. Aurélien SAINTOUL, Mme Ersilia SOUDAIS, Mme Anne STAMBACH-TERRENOIR, M. Aurélien TACHÉ, Mme Andrée TAURINYA, M. Matthias TAVEL, Mme Aurélie TROUVÉ, M. Paul VANNIER,

députés et députées.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 17 octobre 1961 demeure l’une des pages les plus sombres de l’histoire contemporaine de la République française. Ce soir‑là, des dizaines de milliers d’Algériens vivant en métropole répondent à l’appel pacifique du Front de libération nationale (FLN) pour protester contre un couvre‑feu discriminatoire, imposé le 5 octobre par la préfecture de police de Paris. Un décret visait spécifiquement les « Français musulmans d’Algérie », les assignant à domicile dès 20 heures 30 et jusqu’à 5 heures 30, en pleine guerre d’Algérie, dans un climat de stigmatisation, de répression et de racisme institutionnel. Cette mesure, visant exclusivement les Algériens, accentue les discriminations dont ils sont déjà victimes et alimente un climat de répression et de violence à leur encontre.

Ce 17 octobre, entre 20 000 et 40 000 manifestants se rassemblent dans les rues de Paris et sa proche banlieue. Femmes et enfants sont nombreux au cœur de cette mobilisation qui rassemble une foule imposante. Désarmés, les manifestants défilent dans les rues de Paris pour protester contre cette mesure discriminatoire. Face à cette contestation, les forces de police parisiennes, exceptionnellement nombreuses et placées sous les ordres du préfet Maurice Papon, réagissent avec une extrême brutalité : des centaines de personnes sont frappées, torturées, assassinées et jetées vivantes dans la Seine par des policiers. Diverses réquisitions de moyens de transport collectif et de places de « stockage » des individus interpellés permettent l’arrestation de près de 12 000 personnes en quelques heures. Elles seront enfermées dans des conditions inhumaines, notamment au Palais des Sports et au stade Pierre de Coubertin. Sur place, de nombreux manifestants sont violemment battus, certains jusqu’à succomber sous les coups.

Le nombre exact de morts reste inconnu à ce jour. La version officielle, à l’époque, parle de « trois morts », minimisant ainsi l’ampleur de la répression. Cependant, les recherches menées par les historiens au fil des décennies estiment que le nombre réel de victimes se situerait entre 100 et 300. Jean Luc Einaudi, historien français spécialiste de la période de la guerre d’Algérie, avance une estimation maximale, bien que controversée, de 300 morts. Ce chiffre reste incertain en raison de la dissimulation des preuves par l’État et de l’absence d’enquête officielle après les évènements.

Ce crime ne fut ni accidentel ni isolé. Il s’inscrit dans le cadre d’un dispositif répressif planifié par l’État français et exécuté par la police, sous la responsabilité directe du préfet de police Maurice Papon. Cet homme, déjà impliqué dans la déportation de Juifs de la région de Bordeaux sous l’Occupation, avait été formé à la répression coloniale puisqu’il était secrétaire général de la résidence marocaine. Quelques jours avant la manifestation, il tient à ses hommes des propos d’une extrême gravité : « Pour un coup reçu, nous en rendrons dix. » Il ne s’agit pas d’un dérapage : l’organisation de la rafle, la mise à disposition de stades et de bus, la mobilisation exceptionnelle des forces de l’ordre témoignent d’un plan de répression méthodique. Ce drame n’est pas seulement le fait d’un homme ou d’un préfet. Il est le résultat d’un système colonial et d’un appareil d’État raciste qui légitiment la violence envers ceux qui réclamaient l’indépendance de l’Algérie. La répression du 17 octobre 1961, par son ampleur et sa nature, constitue un crime d’État. Un crime couvert, nié, et resté longtemps dans l’ombre. Il aura fallu des décennies de luttes portées par des survivants, des familles, des associations, des historiens et des citoyens engagés pour que ce massacre sorte de l’oubli.

Ce n’est qu’en 2012, soit plus de 50 ans après les faits, que le président François Hollande a reconnu la réalité de la répression sanglante, affirmant que « la République reconnaît avec lucidité ces faits ». En 2021, à l’occasion du 60e anniversaire du massacre, le Président de la République Emmanuel Macron a évoqué des « crimes inexcusables » commis cette nuit‑là. Ces mots importants n’ont toutefois pas été accompagnés d’une reconnaissance pleine et entière de la responsabilité de l’État ni d’un geste mémoriel à la hauteur de la gravité des faits.

Les victimes, les survivants, leurs familles et les associations attendent une reconnaissance claire, juridique et politique de ce que fut le 17 octobre 1961 : un crime d’État. Cette reconnaissance ne saurait être purement symbolique : elle doit s’accompagner d’une mémoire vivante, partagée, qui permette à la République de regarder son histoire en face.

Cette proposition de résolution poursuit deux objectifs majeurs : premièrement, la reconnaissance officielle par l’Assemblée nationale du massacre du 17 octobre 1961 comme un crime d’État. Il s’agit de dire clairement que cette violence systémique, planifiée, institutionnalisée, fut celle de l’État français, dans le cadre de la guerre d’Algérie et du maintien de l’ordre colonial.

Deuxièmement, l’instauration d’une commémoration nationale officielle chaque 17 octobre, afin d’honorer la mémoire des victimes et de rappeler, chaque année, que la République ne saurait se construire dans l’oubli, la négation ou le déni. Cette commémoration permettrait aussi de transmettre aux générations futures l’histoire de cette nuit tragique et des mécanismes qui y ont conduit.

Alors que les violences racistes, les discours de haine et les violences policières continuent d’alimenter l’actualité, il est plus que jamais nécessaire d’affirmer que l’impunité ne saurait durer éternellement.

Reconnaître les crimes du passé, c’est refuser qu’ils se reproduisent. C’est renforcer les principes républicains d’égalité, de justice et de dignité humaine. La France ne peut pas avancer sans mémoire. En reconnaissant le massacre du 17 octobre 1961 comme un crime d’État et en l’inscrivant dans le calendrier républicain comme une date de commémoration officielle, la nation fait un pas indispensable vers la vérité, la justice et la réconciliation.

 


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proposition de RÉSOLUTION

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34‑1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Considérant les faits établis par de nombreux travaux d’historiens et de chercheurs sur les violences commises à Paris et en région parisienne le 17 octobre 1961, lors de la répression sanglante d’une manifestation pacifique organisée par le Front de libération nationale ;

Considérant que cette répression a causé la mort de plusieurs dizaines, voire centaines d’Algériennes et d’Algériens, victimes de noyades, exécutions sommaires et violences policières ;

Considérant que ces actes ont été commis avec l’assentiment des plus hautes autorités de l’État français de l’époque, au‑delà du seul préfet de police Maurice Papon ;

Considérant enfin la nécessité de faire amende honorable sur les faits du passé ;

Invite le Gouvernement :

1) À reconnaître publiquement la responsabilité pleine et entière de l’État français dans les massacres du 17 octobre 1961, en tant que crime d’État, et non à en limiter la responsabilité au seul préfet de police de l’époque ;

2) À inscrire la date du 17 octobre dans le calendrier républicain comme journée officielle de commémoration, en hommage aux victimes de ces violences d’État et en reconnaissance de cette tragédie historique.