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N° 2044

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 29 octobre 2025.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

invitant le Gouvernement de la République française à s’opposer à l’adoption de l’accord commercial entre l’Union européenne et le Mercosur,

 

présentée par

Mme Mathilde PANOT, les membres du groupe La France insoumise - Nouveau Front Populaire [(1)],

députées et députés.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 3 septembre dernier, la Commission européenne a adopté le projet d’accord de libre‑échange entre l’Union européenne et le Mercosur, enclenchant ainsi le processus de ratification du texte. Cette adoption intervient après la finalisation de l’accord entre l’Union européenne et les pays du Mercosur, en décembre 2024, après plus de 25 années de négociations.

Le volet commercial de l’accord forme le plus important accord de libre‑échange jamais conclu par l’Union européenne. Il concerne deux régions situées à plus de 11 000 kilomètres de distance et presque 800 millions de personnes dans le monde, couvrant entre 40 et 45 milliards d’euros d’exportations et d’importations ([1]). L’objectif affiché de l’accord est de permettre aux entreprises européennes d’exporter davantage de produits industriels et de services, tout en permettant en retour aux producteurs des pays du Mercosur de pouvoir exporter davantage de produits alimentaires et agricoles vers l’Union européenne.

Or, de nombreuses associations, syndicats et organisations politiques ont maintenant largement fait la démonstration que les effets délétères de l’accord supplanteront les effets positifs annoncés, par ailleurs modestes et bénéficiant à une minorité d’acteurs économiques. En France, les agriculteurs dénoncent la menace que cet accord fait peser sur l’agriculture avec l’arrivée massive de denrées alimentaires sud‑américaines. L’accord prévoit entre autres la suppression des droits de douane sur l’importation de 45 000 tonnes de miel, 60 000 tonnes de riz ou encore 180 000 tonnes de sucre. Ceci vient s’ajouter au point qui cristallise les tensions : le quota de 99 000 tonnes de viande de bœuf taxé à 7,5 %, auxquelles s’ajoutent 60 000 tonnes d’un autre type de viande bovine et 180 000 tonnes de volaille exemptées de droit de douane, en provenance d’Amérique du Sud ([2]). Ces volumes, par leur importance, sont de nature à exercer une pression significative sur les prix et les débouchés des exploitations françaises, en particulier celles de taille moyenne et petite, déjà fragilisées par la volatilité des marchés. Les agriculteurs dénoncent une concurrence structurellement déséquilibrée : ils mettent en avant la difficulté à rivaliser avec de grandes exploitations sud‑américaines dont les coûts de production reflètent des cadres réglementaires sociaux, sanitaires et environnementaux bien moins contraignants que ceux en vigueur dans l’Union européenne.

Par ailleurs, il importe de considérer les conséquences de l’accord pour les pays du Mercosur eux‑mêmes. Des collectifs et organisations transatlantiques, dont Stop UE‑Mercosur, ont alerté dès 2021 sur le fait qu’un tel accord soutiendrait un modèle agricole intensif orienté vers l’exportation, au détriment des cultures vivrières locales et de l’autonomie alimentaire. En rendant ces économies plus dépendantes d’exportations concentrées, l’accord risque de freiner la diversification agricole, d’accentuer les vulnérabilités économiques et d’aggraver les inégalités sociales dans la région. Sur le plan environnemental, les effets pourraient être dramatiques : l’accroissement des surfaces destinées aux productions d’exportation (soja, élevages extensifs, etc.) est directement corrélé à l’expansion agricole au détriment des forêts et des écosystèmes. Le cas du Brésil et de la déforestation en Amazonie illustre la forte probabilité d’une aggravation des destructions d’habitats naturels et des émissions de gaz à effet de serre liées à la conversion des terres.

En 2019, le Président de la République Emmanuel Macron indiquait lors du sommet du G7 à Biarritz que la France ne pouvait soutenir cet accord. Le 26 novembre 2024, la ministre de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Souveraineté alimentaire, Annie Genevard, s’exprimait ainsi devant l’Assemblée nationale : « l’accord, tel que la Commission européenne l’envisagerait, n’est pas acceptable ». Relayant les préoccupations exprimées par le monde agricole, la ministre reconnaissait que « la production des pays du Mercosur ne nous garantit ni le respect des normes européennes pour les denrées importées, tel que nous l’envisageons en Europe, ni l’établissement de conditions de concurrence loyales pour nos agriculteurs. » En conséquence, elle tenait à rassurer la représentation nationale en affirmant que « le Gouvernement français et le Président de la République s’opposent […] pleinement, résolument » à l’accord de libre‑échange avec le Mercosur.

Malgré cette fermeté de façade, le discours de la ministre portait le germe de la trahison à venir. En rejetant l’accord « tel que la Commission européenne l’envisagerait », le gouvernement préparait le terrain à l’acceptation d’un accord sous une forme renouvelée. Le camp macroniste réclamait à l’époque l’instauration de « clauses miroirs ». Une revendication hypocrite. D’une part, la mise en place de clauses miroirs n’attaque pas la logique profonde de la libéralisation : elle ne remet pas en question l’ouverture massive aux importations de produits que nos territoires produisent déjà ou pourraient produire, et n’élimine pas la pression concurrentielle sur les prix. D’autre part, l’idée même de garantir la conformité effective des produits importés aux standards européens par des mesures réciproques se heurte à des limites pratiques : plusieurs enquêtes et rapports ont mis en évidence des lacunes importantes dans les systèmes d’inspection et de contrôle des pays du Mercosur, rendant illusoire la capacité à garantir une application fiable et exhaustive de ces normes.

Aussi faible qu’elle soit, cette exigence de « clauses miroirs » n’a pas été entendu par la Commission. À la place, en septembre 2025, la Commission européenne a annoncé l’introduction d’un « engagement politique » matérialisé par un projet de règlement destiné à opérationnaliser des « clauses de sauvegarde bilatérales ». Selon la Commission, ces clauses permettraient de déclencher des enquêtes – et, le cas échéant, des mesures de sauvegarde – lorsque les importations menaceraient de causer un préjudice grave à une partie importatrice. Le mécanisme prévoit une surveillance semestrielle des échanges, la communication de rapports aux États membres et au Parlement européen, ainsi que des critères objectifs (variation de volume supérieure à 10 % par rapport à l’année précédente ou baisse des prix à l’importation de 10 %) susceptibles de déclencher des investigations. La Commission s’engage à conduire ses enquêtes en principe dans un délai maximal de quatre mois, et à pouvoir adopter des mesures provisoires sous vingt et un jours après un signalement de risque de préjudice.

Mais ces garanties présentent des limites substantielles : elles sont principalement politiques et non contraignantes, leur activation dépend d’appréciations complexes et longues, et les mesures correctrices prévues ne répondent pas à la nature structurelle des perturbations provoquées par une libéralisation d’ampleur. En pratique, la temporalité et la conditionnalité de ces dispositifs – délais d’investigation, caractère réactif et temporaire des mesures – rendent difficile la protection effective des filières européennes sur le long terme. Ainsi, ces clauses ne sauraient être considérées comme une garantie suffisante pour préserver les intérêts agricoles, environnementaux et sanitaires de l’Union.

Il parait donc incompréhensible que cet engagement politique autour des « clauses de sauvegarde » ait entrainé le revirement de la position française. Le gouvernement français se considérant ainsi « entendu » par la Commission et renonçant depuis à son opposition à l’accord.

Pire encore, fidèle à son mépris constant de la démocratie au niveau européen, Ursula von der Leyen a décidé, pour s’assurer un processus de ratification à moindre risque, de scinder l’accord en deux parties. Cette méthode de la dissociation, déjà utilisée par la Commission européenne dans le passé, permet à cette dernière de contourner le vote des Parlements nationaux, ainsi que la règle de l’unanimité en Conseil de l’Union européenne.

Le choix de la Commission de scinder l’accord est donc un élément déterminant dans la perspective de son blocage en Conseil de l’Union européenne. En effet, comme déjà dit, seule une majorité qualifiée est nécessaire pour que le texte soit adopté, contre un vote à l’unanimité nécessaire dans la procédure de ratification mixte, qui aurait dû être retenue par la Commission pour la ratification de cet accord. Il ne peut donc y avoir de véto d’un État membre. Ainsi, pour qu’il puisse y avoir une minorité de blocage en Conseil, il faut au moins quatre pays représentant 35 % de la population de l’Union européenne. Or, avec les récentes annonces de la Commission, cette minorité de blocage est incertaine. La France, comme déjà dit, a rapidement capitulé face à la Commission européenne en estimant que les annonces de cette dernière étaient suffisantes pour lever ses inquiétudes.

Cette proposition de résolution invite le Gouvernement de la République française à s’opposer à l’accord de libreéchange entre l’Union européenne et les pays du Mercosur en Conseil de l’Union européenne. La France doit œuvrer à la constitution d’une minorité de blocage permettant de s’opposer à la mise en place du volet commercial de cet accord, délétère pour notre agriculture, l’environnement, le climat et tant d’autres domaines.

Cette proposition de résolution invite également le Gouvernement de la République française à saisir la Cour de justice de l’Union européenne sur la compatibilité de l’accord UEMercosur avec les traités de l’Union. D’une part, la scission de l’accord en un partenariat politique et un accord commercial intérimaire contrevient à l’article 218 du TFUE et remet en cause l’équilibre institutionnel européen, en contournant la ratification par les parlements nationaux. D’autre part, le mécanisme de rééquilibrage prévu permettrait à un partenaire de réclamer des compensations pour toute mesure européenne affectant ses intérêts commerciaux, même conforme au traité, ce qui pourrait dissuader l’Union d’adopter des normes ambitieuses en matière sociale, environnementale ou sanitaire. Enfin, l’accord affaiblit le principe de précaution, notamment pour les importations agricoles, en réduisant la portée des contrôles sanitaires et phytosanitaires. La saisine de la CJUE permettrait de suspendre l’application de l’accord et de vérifier sa conformité avec les traités avant toute entrée en vigueur.

 


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proposition de RÉSOLUTION

Article unique

L’Assemblée nationale ;

Vu l’article 34‑1 de la Constitution ;

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale ;

Vu les conclusions du Conseil de l’Union européenne du 22 mai 2018 et l’accord de principe trouvé entre l’Union et les pays du Mercosur le 28 juin 2019 ;

Vu l’accord de libre‑échange et d’association entre l’Union européenne et les pays de l’alliance du Mercosur signé le 6 décembre 2024 ;

Vu l’adoption par la Commission européenne du projet d’accord de libre‑échange entre l’Union européenne et le Mercosur le 3 septembre 2025 ;

Vu le protocole additionnel annoncé par la Commission européenne le 3 septembre 2025 ;

Vu la résolution européenne de l’Assemblée nationale visant à refuser la ratification de l’accord commercial entre l’Union européenne et le Mercosur adopté le 30 janvier 2025 ;

Considérant que le nombre d’exploitations agricoles en France est passé de 520 000 à 416 000 entre 2010 et 2020, soit une chute de 20 % ;

Considérant que la libéralisation des échanges de produits agricoles expose les agricultrices et agriculteurs français à une concurrence internationale déloyale résultant de la prévalence de normes environnementales et sociales moins strictes hors de l’Union européenne ;

Considérant que cette concurrence crée une pression à la baisse sur les prix et accroît très nettement leur volatilité, affectant les revenus des agricultrices et agriculteurs locaux et menaçant la survie des petites exploitations ;

Considérant que l’ouverture aux importations agricoles opère au détriment de la diversité et de la qualité qui sont deux caractéristiques éminentes de l’agriculture française ;

Considérant que la libéralisation des marchés agricoles renforce la concentration et la capitalisation des fermes françaises, et favorise les modes de production ultra intensifs ;

Considérant que l’accord Union européenne Mercosur, comme tout accord de libre‑échange, a pour objet même l’augmentation des flux internationaux de marchandises et que l’augmentation des émissions de gaz à effets de serre et pollutions environnementales associées est incompatible avec les objectifs climatiques de l’Union européenne et de la France ;

Considérant que les clauses de sauvegarde renforcées ne résoudront pas la concurrence déloyale représentée par les importations massives de produits agricoles depuis l’autre bout du monde, à prix cassé et au mépris des normes européennes ;

Invite le Gouvernement de la République française à s’opposer à l’adoption de l’accord de libre‑échange entre l’Union européenne et les pays du Mercosur, en œuvrant à la constitution d’une minorité de blocage au sein du Conseil de l’Union européenne ;

Invite le Gouvernement de la République française à saisir la Cour de justice de l’Union européenne afin de vérifier la conformité de l’accord entre l’Union européenne et leMercosur avec les traités de l’Union, notamment au regard de la décision de la Commission de le scinder, du mécanisme de rééquilibrage qu’il instaure et du respect du principe de précaution.

 

 


[1] https://www.vie-publique.fr/questions-reponses/289981-laccord-dassociation-ue-mercosur-en-huit-questions

[2] https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/01/31/accord-ue-mercosur-pourquoi-ce-traite-cristallise-la-colere-des-agriculteurs_6214066_3234.html


[(1)](1) Ce groupe est composé de : Mme Nadège ABOMANGOLI, M. Laurent ALEXANDRE, M. Gabriel AMARD, Mme Ségolène AMIOT, Mme Farida AMRANI, M. Rodrigo ARENAS, M. Raphaël ARNAULT, Mme Anaïs BELOUASSA-CHERIFI, M. Ugo BERNALICIS, M. Christophe BEX, M. Carlos Martens BILONGO, M. Manuel BOMPARD, M. Idir BOUMERTIT, M. Louis BOYARD, M. Pierre-Yves CADALEN, M. Aymeric CARON, M. Sylvain CARRIÈRE, Mme Gabrielle CATHALA, M. Bérenger CERNON, Mme Sophia CHIKIROU, M. Hadrien CLOUET, M. Éric COQUEREL, M. Jean-François COULOMME, M. Sébastien DELOGU, M. Aly DIOUARA, Mme Alma DUFOUR, Mme Karen ERODI, Mme Mathilde FELD, M. Emmanuel FERNANDES, Mme Sylvie FERRER, M. Perceval GAILLARD, Mme Clémence GUETTÉ, M. David GUIRAUD, Mme Zahia HAMDANE, Mme Mathilde HIGNET, M. Andy KERBRAT, M. Bastien LACHAUD, M. Abdelkader LAHMAR, M. Maxime LAISNEY, M. Arnaud LE GALL, M. Aurélien LE COQ, M. Antoine LÉAUMENT, Mme Élise LEBOUCHER, M. Jérôme LEGAVRE, Mme Sarah LEGRAIN, Mme Claire LEJEUNE, Mme Murielle LEPVRAUD, Mme Élisa MARTIN, M. Damien MAUDET, Mme Marianne MAXIMI, Mme Marie MESMEUR, Mme Manon MEUNIER, M. Jean-Philippe NILOR, Mme Sandrine NOSBÉ, Mme Danièle OBONO, Mme Nathalie OZIOL, Mme Mathilde PANOT, M. René PILATO, M. François PIQUEMAL, M. Thomas PORTES, M. Loïc PRUD’HOMME, M. Jean-Hugues RATENON, M. Arnaud SAINT-MARTIN, M. Aurélien SAINTOUL, Mme Ersilia SOUDAIS, Mme Anne STAMBACH-TERRENOIR, M. Aurélien TACHÉ, Mme Andrée TAURINYA, M. Matthias TAVEL, Mme Aurélie TROUVÉ, M. Paul VANNIER.