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N° 2064

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 6 novembre 2025.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d’une commission d’enquête sur les choix opérés en matière de maintien de l’ordre durant la manifestation de Sainte-Soline,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Clémence GUETTÉ, M. Gabriel AMARD, Mme Murielle LEPVRAUD, Mme Marianne MAXIMI, Mme Manon MEUNIER, M. René PILATO, M. Loïc PRUD’HOMME, Mme Anne STAMBACH-TERRENOIR, les membres du groupe La France insoumise - Nouveau Front Populaire [(1)],

députées et députés.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La manifestation du samedi 25 mars 2023 contre les projets d’implantation de méga‑bassines dans les Deux‑Sèvres et dans la Vienne est restée dans les mémoires.

À l’appel de la Confédération paysanne, du collectif Bassines non Merci et des Soulèvements de la Terre, elle visait à contester la création de bassines, énormes réserves d’eau qui pompent dans les nappes et les rivières pour se remplir, impliquant des kilomètres de tuyaux.

Elle avait réuni près de 30 000 personnes selon ses organisateurs et près de 6 000 selon la préfecture de police.

Le fiasco qu’avait été l’organisation du maintien de l’ordre lors de cette journée nous avait amenés à déposer le 18 avril 2023 une proposition de résolution visant à la création d’une commission d’enquête sur les choix opérés en matière de maintien de l’ordre durant la manifestation de Sainte Soline.

Le 5 novembre 2025, le journal Mediapart a publié des vidéos issues des caméras‑piétons de gendarmes déployés lors de la manifestation ([1]). Ces images, saisies par l’Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN) dans le cadre d’une enquête préliminaire, sont alarmantes. Elles révèlent que des gendarmes ont commis de nombreux gestes interdits, notamment des tirs tendus de grenades lacrymogènes et explosives sur les manifestants, et ce sur ordre de leurs supérieurs hiérarchiques. Les propos tenus sont accablants : « Je ne compte plus les mecs qu’on a éborgnés », « un vrai kiff ([2]) », « une GENL ([3]) dans les couilles », « on va les manger, hein », « faut qu’on les tue ». L’article souligne par ailleurs que les gendarmes concernés « n’ont jamais été confrontés », ni interrogés, sur le contenu de ces images et que l’IGGN n’a pas signalé au parquet les nombreuses « potentielles infractions » qu’elles prouvent.

Ces nouvelles vidéos contredisent les dires du ministre de l’intérieur qui déclarait en avril 2023 devant le Parlement « la préfète a bien agi (…) cette opération a été bien préparée, (…) les gendarmes ont fait ce qu’ils ont pu (…) il ne faut pas retourner les valeurs » ([4]) ou encore « il n’y a pas eu d’offensive des gendarmes dans les champs de Sainte‑Soline » et « il est (…) faux de dire que les policiers et les gendarmes ne sont pas soumis à des contrôles et à des sanctions. » ([5])

Ces nouveaux éléments s’ajoutent à ceux que nous avions d’ores et déjà évoqués dans la demande de commission d’enquête déposée en 2023.

D’abord, l’absence totale de dispositif sur le parcours de la manifestation, avant l’arrivée à la bassine, pour ralentir, disperser ou indiquer l’interdiction de manifester. En effet, avant la mobilisation, la préfecture avait communiqué sur le fait de s’attendre à la présence de 7 000 à 10 000 manifestants, dont « un millier de militants radicaux ». Elle a en conséquence fait le choix d’interdire la manifestation du samedi. Une décision qui ne fait pas des participants des délinquants, mais qui les rend passibles d’une simple contravention. Cependant, l’intégralité des témoins s’étant exprimés à ce jour indiquent avoir pu se rendre sur place sans problème, en voiture puis à pied, sans rencontrer, pour la plupart d’entre eux, aucun gendarme, ni aucun contrôle, ni être avertis d’un danger.

Par ailleurs, un dispositif de policiers et de gendarmes très important, détaillé la veille par le ministre de l’Intérieur lui‑même, a été déployé. 3 200 policiers et gendarmes ont été mobilisés. Au regard du nombre de manifestants attendus et de l’absence totale de militaires et d’agents sur le parcours menant à la bassine, une telle mobilisation interroge.

De plus, il convient de noter qu’un usage permanent d’armes par ces personnels a été rapporté par de nombreux témoins. Le rapport de la préfète des Deux‑Sèvres et de la Gendarmerie nationale ([6]) donne lui‑même le chiffre de 5 015 grenades lacrymogènes utilisées. Cela correspond à un rythme d’une par seconde au plus fort de l’intervention des forces de l’ordre. Au regard des 6 000 participants annoncés par la préfecture, ce chiffre interroge quant à une éventuelle disproportion dans leur utilisation.

La nature des armes utilisées interroge également ([7]). Durant la manifestation, il a été fait usage de 2 canons à eau. La Ligue des droits de l’Homme et ses observateurs ont recensé de nombreuses armes de guerre dans les mains des policiers, comme des fusils (FAMAS) et des grenades GM2L ([8]). Ces dernières entrent dans la catégorie des armes de guerre A2 par la réglementation en la matière. En générant un bruit de 165 décibels, elles surpassent le bruit d’un avion au décollage et dépassent le seuil de douleur sonore, engendrant immédiatement des dommages irréversibles. Certaines grenades lancées n’ayant pas explosé, le terrain était miné, donnant lieu à des explosions différées. Le rapport de la préfète des Deux‑Sèvres et de la Gendarmerie nationale recense par ailleurs 81 tirs de LBD. L’utilisation de ces armes depuis des gendarmes montés sur 20 quads interroge également. Ils ont, depuis leur véhicule, procédé à des « tirs massifs et indiscriminés au gaz lacrymogène », ainsi qu’à des tirs de LBD 40, selon la Ligue des droits de l’Homme.

Selon le communiqué émanant des 22 membres des observatoires des libertés publiques et des pratiques policières auxquels participe la Ligue des droits de l’Homme, « le dispositif a mis gravement en danger l’ensemble des personnes présentes sur place, occasionnant de très nombreuses blessures souvent graves allant même jusqu’à plusieurs urgences absolues ». « De manière générale, nous avons constaté un usage immodéré et indiscriminé de la force sur l’ensemble des personnes présentes sur les lieux, avec un objectif clair : empêcher l’accès à la bassine, quel qu’en soit le coût humain », ajoutent‑ils. Le décompte des organisateurs fait état de 200 blessés à l’issue de la manifestation ([9]). Une dizaine de personnes a été transférée à l’hôpital, une vingtaine mutilée ou avec leur pronostic fonctionnel engagé. 3 personnes ont même eu leur pronostic vital engagé. La Défenseure des Droits s’est quant à elle saisie du cas de deux d’entre eux « au regard de la gravité des blessures occasionnées, possiblement par des armes de force intermédiaire, dans un contexte de manifestations » ([10]).

De manière troublante, le communiqué des observatoires fait état de « plusieurs cas d’entraves par les forces de l’ordre à l’intervention des secours, tant Samu que pompiers », ce qui est corroboré par un communiqué de la Ligue des droits de l’Homme et plusieurs témoignages ([11]). Selon les organisateurs, « Il y a eu au minimum 7 appels du SAMU et 3 appels aux 112, entre 13 heures 35 et 14 heures 50 demandant une intervention pour une urgence absolue. À deux reprises au minimum, l’opérateur SAMU répond qu’il a eu l’ordre du commandement de la gendarmerie de ne pas intervenir. » Le SAMU du 79 ayant démenti ces affirmations, il apparaît que l’enjeu est suffisamment grave pour nécessiter une enquête de la part de la représentation nationale.

Enfin, plusieurs entraves aux libertés ont été constatées. D’une part, une entrave à l’action des observateurs, la préfecture leur ayant dénié la protection que leur reconnaît le droit international et la jurisprudence du Conseil d’État, et le matériel d’observation d’une équipe ayant été confisqué. D’autre part, une atteinte à la liberté de la presse, un journaliste collaborant à France Culture, détenteur d’une carte de presse, ayant été placé en garde‑à‑vue à l’issue de la manifestation sans raison ni sans l’informer des charges contre lui ([12]).

Aussi, compte tenu des nouvelles révélations sur le déroulé de cette journée dont le bilan s’élève à 200 blessés chez les manifestants, il apparaît à nouveau indispensable que la représentation nationale étudie ces événements et interroge les décisions prises en termes de maintien de l’ordre à Sainte‑Soline. Tel est l’objet de la présente proposition de résolution.

 


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proposition de rÉsolution

Article unique

En application des articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, il est créé une commission d’enquête de vingt membres, chargée d’étudier les choix opérés en matière de maintien de l’ordre et de secours aux personnes durant la manifestation de Sainte‑Soline du 25 mars 2023.

Cette commission d’enquête :

1° a pour mission d’analyser les choix politiques d’organisation du maintien de l’ordre lors de la manifestation de Sainte‑Soline du 25 mars 2023 et leurs conséquences sur le déroulement de la manifestation et les blessures dont ont été victimes manifestants et gendarmes ;

2° étudie les politiques publiques mises en œuvre pour garantir la liberté de manifester et l’accès au secours des manifestants et formule des propositions pour les renforcer.

 

 


[1] Polloni, C., & Wojcik, L. (2025, 5 novembre). « Faut leur tirer dans la gueule ! » : la manifestation de Sainte-Soline vue par les gendarmes. Mediapart.

[2] Familier. État de béatitude totale, de bonheur parfait

[3] Grenade à éclats non létaux

[4] https://www.vie-publique.fr/discours/288957-gerald-darmanin-05042023-violences-sainte-soline-pendant-manifestation

[5] https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/comptes-rendus/cion_lois/l16cion_lois2223048_compte-rendu

[6] “Sainte-Soline : rapports des opérations d'ordre public du 24 au 26 mars”, Ministère de l’Intérieur, 28 mars 2023 : https://www.interieur.gouv.fr/actualites/actualites-du-ministere/sainte-soline-rapports-des-operations-dordre-public-du-24-au-26

[7] “Des «armes de guerre» ont bien été utilisées par les gendarmes à Sainte-Soline, contrairement à ce qu’affirme Gérald Darmanin”, Checknews, 28 mars 2023 :

https://www.liberation.fr/checknews/des-armes-de-guerre-ont-bien-ete-utilisees-par-les-gendarmes-a-sainte-soline-contrairement-a-ce-quaffirme-gerald-darmanin-20230328_RPEPDBSSSRFONBTXXW2LD55KKI/

[8] “Manifestation anti-bassines en Deux-Sèvres. Un usage « immodéré de la force » dénoncé”, Ouest France, 26 mars 2023 : https://www.ouest-france.fr/environnement/eau/manifestation-anti-bassines-la-ligue-des-droits-de-lhomme-un-usage-immodere-de-la-force-35d7be5c-cbe0-11ed-b318-0ff01a0b45d9

[9] “Méga-bassines. Des blessés graves et des questions en rafale”, L’Humanité, 29 mars 2023 : https://www.humanite.fr/politique/ecologie/mega-bassines-des-blesses-graves-et-des-questions-en-rafale-788563

[10] “Sainte-Soline : la Défenseure des droits Claire Hédon se saisit des cas des deux manifestants grièvement blessés”, L’Obs, 30 mars 2023 : https://www.nouvelobs.com/justice/20230330.OBS71559/sainte-soline-la-defenseure-des-droits-claire-hedon-se-saisit-des-cas-des-deux-manifestants-grievement-blesses.html

[11] “Blessés à Sainte-Soline : les secours ont-ils été freinés par les forces de police ?”, Reporterre, 28 mars 2023 : https://reporterre.net/Blesses-a-Sainte-Soline-les-secours-ont-ils-ete-freines-par-les-forces-de-l-ordre

[12] Communiqué du SNJ-CGT Radio France, 27 mars 2023 : https://twitter.com/CGT_RadioFrance/status/1640343414280445953


[(1)](1) Ce groupe est composé de : Mme Nadège ABOMANGOLI, M. Laurent ALEXANDRE, M. Gabriel AMARD, Mme Ségolène AMIOT, Mme Farida AMRANI, M. Rodrigo ARENAS, M. Raphaël ARNAULT, Mme Anaïs BELOUASSA-CHERIFI, M. Ugo BERNALICIS, M. Christophe BEX, M. Carlos Martens BILONGO, M. Manuel BOMPARD, M. Idir BOUMERTIT, M. Louis BOYARD, M. Pierre-Yves CADALEN, M. Aymeric CARON, M. Sylvain CARRIÈRE, Mme Gabrielle CATHALA, M. Bérenger CERNON, Mme Sophia CHIKIROU, M. Hadrien CLOUET, M. Éric COQUEREL, M. Jean-François COULOMME, M. Sébastien DELOGU, M. Aly DIOUARA, Mme Alma DUFOUR, Mme Karen ERODI, Mme Mathilde FELD, M. Emmanuel FERNANDES, Mme Sylvie FERRER, M. Perceval GAILLARD, Mme Clémence GUETTÉ, M. David GUIRAUD, Mme Zahia HAMDANE, Mme Mathilde HIGNET, M. Andy KERBRAT, M. Bastien LACHAUD, M. Abdelkader LAHMAR, M. Maxime LAISNEY, M. Arnaud LE GALL, M. Aurélien LE COQ, M. Antoine LÉAUMENT, Mme Élise LEBOUCHER, M. Jérôme LEGAVRE, Mme Sarah LEGRAIN, Mme Claire LEJEUNE, Mme Murielle LEPVRAUD, Mme Élisa MARTIN, M. Damien MAUDET, Mme Marianne MAXIMI, Mme Marie MESMEUR, Mme Manon MEUNIER, M. Jean-Philippe NILOR, Mme Sandrine NOSBÉ, Mme Danièle OBONO, Mme Nathalie OZIOL, Mme Mathilde PANOT, M. René PILATO, M. François PIQUEMAL, M. Thomas PORTES, M. Loïc PRUD’HOMME, M. Jean-Hugues RATENON, M. Arnaud SAINT-MARTIN, M. Aurélien SAINTOUL, Mme Ersilia SOUDAIS, Mme Anne STAMBACH-TERRENOIR, M. Aurélien TACHÉ, Mme Andrée TAURINYA, M. Matthias TAVEL, Mme Aurélie TROUVÉ, M. Paul VANNIER.