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N° 2073
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 12 novembre 2025.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
tendant à la création d’une commission d’enquête sur le traitement judiciaire et institutionnel des affaires d’inceste parental, notamment paternel, et les dysfonctionnements dans la prise en charge des signalements,
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
Mme Sandrine JOSSO, Mme Marie-Charlotte GARIN, Mme Ayda HADIZADEH, M. Christian BAPTISTE, Mme Gabrielle CATHALA, Mme Constance DE PÉLICHY, M. Guillaume GOUFFIER VALENTE, Mme Agnès FIRMIN LE BODO, Mme Émeline K/BIDI, Mme Maud PETIT, M. Alexis CORBIÈRE, Mme Alma DUFOUR, Mme Alexandra MARTIN, Mme Véronique RIOTTON, M. Arnaud LE GALL, Mme Léa BALAGE EL MARIKY, M. Fabrice BARUSSEAU, Mme Delphine BATHO, Mme Béatrice BELLAY, M. Benoît BITEAU, M. Mickaël BOULOUX, Mme Cyrielle CHATELAIN, M. Arthur DELAPORTE, Mme Fanny DOMBRE COSTE, M. Olivier FALORNI, Mme Sylvie FERRER, M. Charles FOURNIER, Mme Martine FROGER, M. Damien GIRARD, M. David GUIRAUD, Mme Chantal JOURDAN, Mme Catherine HERVIEU, Mme Mathilde HIGNET, M. Idir BOUMERTIT, M. Jiovanny WILLIAM, M. Andy KERBRAT, M. Abdelkader LAHMAR, Mme Julie LAERNOES, M. Maxime LAISNEY, Mme Sandrine LE FEUR, Mme Karine LEBON, Mme Sarah LEGRAIN, Mme Murielle LEPVRAUD, Mme Marianne MAXIMI, Mme Mereana REID ARBELOT, M. Sébastien PEYTAVIE, Mme Marie POCHON, M. Loïc PRUD’HOMME, M. Jean-Luc BOURGEAUX, M. Jean-Claude RAUX, Mme Sandra REGOL, M. Jean-François ROUSSET, Mme Sandrine ROUSSEAU, M. François RUFFIN, Mme Isabelle SANTIAGO, Mme Danielle SIMONNET, M. Thierry SOTHER, Mme Violette SPILLEBOUT, M. Jean-Pierre TAITE, Mme Céline THIÉBAULT-MARTINEZ, Mme Dominique VOYNET, Mme Lisa BELLUCO, M. Bertrand SORRE, Mme Soumya BOUROUAHA, Mme Laure MILLER, M. Frédéric VALLETOUX, M. Paul VANNIER, M. Arnaud BONNET, Mme Anne-Sophie RONCERET, M. Rodrigo ARENAS, Mme Annie VIDAL, M. Peio DUFAU, Mme Virginie DUBY-MULLER, M. Hervé SAULIGNAC,
députées et députés.
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EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
L’inceste parental, en particulier paternel, est une tragédie systémique qui gangrène la société française. Selon la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (CIIVISE), 27 % des agresseurs incestueux sont des pères, suivis des frères (19 %) et des oncles (13 %). Chaque année, environ 160 000 enfants – soit un sur 4,2 naissances – subissent des violences sexuelles.
Pourtant, 97 % des agresseurs échappent à toute condamnation, et la majorité des plaintes sont classées sans suite, souvent sans la moindre investigation. Ces chiffres implacables traduisent une double faillite : celle d’un système judiciaire qui n’est pas capable de rendre justice et celle des institutions de protection de l’enfance qui sont défaillantes dans leur mission de protection des victimes.
Pire encore, les mères protectrices, loin d’être soutenues, sont prises au piège d’une justice qui les contraint à livrer leurs enfants à leur agresseur dénoncé.
Sous la menace de poursuites pour non‑représentation d’enfant, elles se voient imposer le respect de droits de visite dans des situations aberrantes :
– lorsqu’une enquête pour viol incestueux est en cours, exposant l’enfant à son présumé agresseur avant même que les preuves ne soient pleinement examinées ;
– lorsqu’un père a été condamné pour inceste sur un autre membre de la fratrie, exposant ses enfants à un risque de récidive avéré ;
– lorsqu’un père a été reconnu coupable de violences sexuelles sur un mineur tiers, démontrant sa dangerosité manifeste ;
– lorsqu’un père a été condamné pour violences physiques sur ses propres enfants, révélant un risque immédiat pour leur intégrité ;
– lorsque l’enfant exprime un refus clair de ces rencontres, accompagné de signes évidents de stress post‑traumatique ou de violences sexuelles, interprétés à tort comme un caprice ou une manipulation maternelle ;
– lorsque des médecins, psychologues ou travailleurs sociaux alertent sur la dangerosité du père, rapports ignorés ou discrédités par les juges et sanctionnés par l’ordre des médecins ;
La non‑représentation d’enfants, conçue pour garantir l’équilibre des droits parentaux, est alors détournée en arme coercitive, forçant les victimes à maintenir un lien avec leur bourreau sous peine de sanctions lourdes.
L’appel des 500 mamans contre l’impunité de l’inceste a déposé un rapport au Comité contre la torture à l’Organisation des Nations unies (ONU) et qualifie cette situation de « torture institutionnelle », touchant les enfants, leurs mères et les professionnels qui tentent de les défendre. Les poursuites pour non‑représentation d’enfant, diffamation ou soustraction de mineur contre ces mères aboutissent à des décisions catastrophiques : placement en foyer, retour forcé chez l’agresseur présumé, voire peines de prison ferme ou avec sursis.
Des centaines d’affaires incarnent ces dérives, poussant même certaines mères à l’exil ou à la clandestinité pour sauver leurs enfants.
Ces injustices sont amplifiées par des failles structurelles : absence de définition légale claire du signalement des maltraitances et de ses effets immédiats, inapplication du Protocole Mélanie – censé encadrer le recueil de la parole des enfants –, destruction prématurée de scellés, classements sans suite expéditifs, ou encore maintien systématique du lien avec l’agresseur par les services sociaux. En 2024, une question prioritaire de constitutionnalité, portée par une mère privée de ses enfants, a été jugée recevable, exposant ce vide juridique et la responsabilité de l’État dans la persistance de ces aberrations.
Face à cette crise, dont les victimes sont réduites au silence et les agresseurs protégés par l’inaction, une commission d’enquête parlementaire s’impose comme une urgence absolue.
Elle devra décrypter les failles des enquêtes, scruter le rôle des institutions dans cet abandon et proposer des réformes pour enrayer cette tragédie nationale.
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proposition de rÉsolution
Article unique
En application des articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, il est créé une commission d’enquête de trente membres chargée d’investiguer les défaillances du traitement judiciaire et institutionnel des affaires d’inceste parental, notamment paternel, et des violences sexuelles sur mineurs.
Cette commission auditionnera les acteurs judiciaires, dont notamment des magistrats, des avocats et des représentants des forces de l’ordre, les associations de protection de l’enfance, les victimes, leurs familles et les experts en violences sexuelles. Elle examinera les pratiques judiciaires, les causes des classements sans suite et les obstacles à la reconnaissance des victimes. Elle évaluera les lois actuelles et identifiera les lacunes favorisant l’impunité des agresseurs. Elle devra analyser les décisions de poursuite contre les mères protectrices, sur le fondement notamment de la non‑représentation d’enfant ou de la diffamation, et les décisions de placement ou de retrait de garde. Elle étudiera les méthodes d’investigations des forces de l’ordre et leur adaptation aux spécificités des violences sur mineurs. Elle enquêtera sur le rôle des services sociaux dans la réduction au silence des victimes et le maintien du lien avec l’agresseur présumé. Il lui faudra mesurer l’impact de l’inapplication du protocole Mélanie et d’autres dispositifs de protection. Et enfin, elle tâchera d’identifier les dysfonctionnements institutionnels à l’origine de l’impunité des pères dénoncés.
Elle devra proposer des recommandations concrètes pour suspendre immédiatement les poursuites pour non‑représentation d’enfant lorsqu’un parent agit pour protéger son enfant d’un danger présumé ou avéré ; instaurer la suspension automatique de l’autorité parentale d’un parent mis en cause pour violences sexuelles incestueuses, dès les premiers signalements, sans attendre une condamnation définitive ; imposer un principe de précaution interdisant tout contact entre l’enfant et l’agresseur présumé dès un signalement crédible ; garantir la prise en compte de la parole de l’enfant via la systématisation du protocole Mélanie et d’outils adaptés ; renforcer la formation des juges, policiers, gendarmes, avocats et travailleurs sociaux sur l’inceste et les violences sexuelles ; assurer un accompagnement psychologique et juridique systématique aux victimes et à leurs parents protecteurs et enfin réformer les procédures de signalement pour garantir une réponse rapide et protectrice.