N° 109

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 19 juillet 2017

 

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI autorisant l’approbation de la convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire,

PAR Mme Sira SYLLA

Députée

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ET

 

ANNEXE : TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

 

Voir le numéro :

Assemblée nationale : 12.

 


 


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   SOMMAIRE

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Pages

introduction

I. Lentraide judiciaire en matière pénale : une coopération dense dont le cadre méritait d’être modernisÈ

A. Un accord qui sinscrit dans le contexte dune redynamisation des relations franco-algériennes

1. Les relations entre la France et lAlgérie sont marquées depuis 2012 par une dynamique inédite

2. Notre coopération culturelle, scientifique et technique connaît elle aussi un renouveau

3. Les relations économiques et commerciales ont progressé de manière rapide depuis 1999

B. la coopération judiciaire : Des échanges dune grande densité

1. La coopération judiciaire pénale internationale avec lAlgérie est lune des plus denses entretenue avec les 53 pays du continent africain.

2. Une coopération bilatérale efficace, facilitée par la présence dun magistrat de liaison

C. Une nécessaire modernisation de lactuel cadre juridique

1. Les instruments juridiques de notre coopération en matière judiciaire avec l’Algérie

2. Une modernisation du cadre juridique souhaitée par les deux Parties

II. Le contenu de laccord et ses effets attendus

A. La modernisation du cadre juridique de lentraide en matière pénale

1. Le nouveau texte vise à élargir le champ de lentraide.

2. Renforcer les échanges entre les parties afin dassurer une meilleure exécution des demandes dentraide

3. Exploiter les techniques modernes de coopération

4. Encadrer lusage des informations et éléments de preuve communiqués ou obtenus en exécution de la convention

5. Lentraide en cas de compétence extraterritoriale

B. Les effets attendus de la convention

1. Renforcer la coopération judiciaire en permettant le recours à des formes plus modernes de coopération

2. Offrir une sécurité juridique accrue aux praticiens

C. La conformité du texte aux principes de notre droit interne et à nos engagements internationaux

conclusion

EXAMEN EN COMMISSION

annexe 1

Liste des personnalités rencontrées

ANNEXE :

TEXTE DE LA COMMISSION des affaires étrangères


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  introduction

En matière de coopération judiciaire en matière pénale, la France et l’Algérie sont liées par le protocole judiciaire entre le Gouvernement de la République française et l’Exécutif provisoire algérien du 28 août 1962 et la convention entre la France et l’Algérie relative à l’exequatur et l’extradition du 27 août 1964.

Désireuses d’établir une coopération plus efficace dans le domaine de l’entraide judiciaire en matière pénale, la France et l’Algérie ont souhaité moderniser le cadre conventionnel bilatéral en ce domaine en adoptant une nouvelle convention dont les stipulations se substitueront aux dispositions du protocole judiciaire du 28 août 1962 consacrées à la coopération judiciaire pénale.

Les deux parties sont parvenues à un consensus sur le texte en mai 2016, et l’accord a été signé en octobre 2016 par les ministres de la Justice, gardes des Sceaux français et algériens.

Le présent rapport propose d’analyser dans un premier temps le contexte de l’adoption de cet accord. Celle-ci répond à un besoin de modernisation d’un cadre juridique qui avait été fixé à l’indépendance de l’Algérie en 1962, et nécessitait des aménagements étant donné la densité de nos échanges en matière judiciaire. Dans un second temps, le rapport analyse le contenu de l’accord, de facture classique dans l’ensemble, et ses effets attendus, principalement la fluidification des échanges d’information et l’amélioration de notre coopération au service d’une meilleure administration de la justice.

 


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I.   L’entraide judiciaire en matière pénale : une coopération dense dont le cadre méritait d’être modernisÈ

A.   Un accord qui s’inscrit dans le contexte d’une redynamisation des relations franco-algériennes

1.   Les relations entre la France et l’Algérie sont marquées depuis 2012 par une dynamique inédite

Les très nombreuses visites et l’institutionnalisation de notre relation ont permis de développer une dynamique de coopération dans tous les domaines, à travers le Comité interministériel de Haut niveau (CIHN) et le Comité mixte économique franco-algérien (COMEFA).

Le troisième Comité intergouvernemental de haut niveau, qui s’est tenu le 10 avril 2016 à Alger, a débouché sur des accords dans le domaine éducatif (ouverture d’écoles françaises à Oran et Annaba), de la santé et économique. Trois accords majeurs sont en cours de ratification : la convention d’entraide judiciaire, le protocole adjoint aux soins de santé (sécurisant la prise en charge de patients algériens dans les hôpitaux français) et l’accord « jeunes actifs ».

La coopération interparlementaire avec l’Algérie est marquée par des visites croisées de très haut niveau. Les présidents du Sénat et de l’Assemblée nationale se sont rendus en visite officielle à Alger, respectivement en septembre 2015 et juin 2016. Le président du Conseil de la Nation algérien, M. Bensalah, s’est quant à lui rendu à Paris en septembre 2016. Le ministre de l’Intérieur, Bruno Le Roux, s’est rendu en Algérie le 7 mars 2017.

L’Algérie a envoyé des signaux positifs depuis l’élection du nouveau Président de la République et nourrit beaucoup d’attentes envers le nouveau gouvernement français. Le ministre français de l’Europe et des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, s’est rendu récemment en Algérie. Enfin, la France et l’Algérie coprésident le dialogue 5+5 sur la Méditerranée occidentale des affaires étrangères jusqu’à la fin 2017 et nombreux sont les dossiers sur lesquels l’Algérie est un partenaire incontournable, au premier rang desquels la crise libyenne et la sécurité au Sahel.

2.   Notre coopération culturelle, scientifique et technique connaît elle aussi un renouveau

Cette coopération s’inscrit dans le cadre de la Convention de partenariat signée en décembre 2007 et du Document Cadre de Partenariat (DCP), qui a été renouvelé pour cinq ans (2013-2017) lors de la visite d’État avec, pour priorité, la formation des jeunes algériens. Le DCP définit trois grands axes de coopération : le renforcement du capital humain ; l’appui au développement socio-économique et au secteur productif ; l’appui à la gouvernance démocratique, à l’affermissement de l’État de droit et à la modernisation du fonctionnement de l’administration. L’Algérie est l’un des principaux bénéficiaires des crédits de coopération français (environ 7,1 millions d’euros pour 2015).

Notre coopération universitaire s’attache à accompagner la réforme LMD (Licence, Master, Doctorat) avec la mise en place de masters professionnels ; à la formation des enseignants-chercheurs ; à la mise en place de pôles d’excellence (École supérieure algérienne des Affaires, classes préparatoires, création d’un réseau d’Instituts de Technologie, les ISTA) ; à l’amélioration du système éducatif et de la formation professionnelle.  La réforme du programme de bourse a été finalisée, sur la base de la parité de son financement (650 boursiers) et sept instituts de technologie (ISTA) ont ouvert depuis septembre 2014.

L’enseignement du et en français est également au cœur de notre action : aide à l’amélioration de la formation initiale et continue des enseignants de français dans le secondaire et le supérieur ; appui aux doctorants de français ; soutien à la mise en place de centres d’enseignement intensif des langues dans les 35 universités du pays.

La coopération institutionnelle vise à appuyer les efforts de modernisation algériens : appui à la réforme de la justice, à la modernisation de l’administration, de la police nationale et des services de la protection civile. Des programmes de coopération existent également dans l’agriculture, les transports, les travaux publics ou l’aménagement du territoire. Enfin, notre action vise à encourager la coopération décentralisée et à soutenir la société civile. La relance de ce domaine de la coopération, à travers la tenue des assises de la coopération décentralisée, sur un rythme biennal avec les rencontres d’Alger (25-26 mai 2016) et les visites de responsables de collectivités territoriales en France et en Algérie constitue une avancée importante de ces dernières années.

Notre coopération s’appuie sur un réseau culturel français redéployé depuis 2000 (cinq instituts culturels à Alger, Annaba, Oran, Constantine et Tlemcen). La réouverture de l’institut français de Tizi Ouzou est à ce stade refusée par les Algériens pour des raisons sécuritaires. Le lycée-collège international Alexandre Dumas à Alger, rouvert en 2002, scolarise plus de 1000 élèves, une autre école primaire à Alger en scolarisant 500. Des projets d’ouverture d’écoles françaises à Oran et Annaba ont été conclus lors du CIHN du 10 avril 2016.

3.   Les relations économiques et commerciales ont progressé de manière rapide depuis 1999

La France reste le second fournisseur de l’Algérie, après la Chine, avec une part de marché de 10,9 % en 2014. Les échanges entre France et Algérie ont triplé en douze ans. Les exportations françaises ont progressé de 0,9% en 2015. Parallèlement, la chute des prix des hydrocarbures a fait baisser le montant des importations de 11,3 %. La combinaison de ces éléments conjoncturels favorables a fait progresser notre solde commercial bilatéral de 31,3 %, à 2,32 milliards d’euros en 2015. L’Algérie est le premier partenaire commercial de la France en Afrique, et le troisième débouché pour les exportations françaises hors OCDE, après la Chine et la Russie. La moitié de nos exportations est réalisée par des PME.

Les investissements français (2ème en Algérie, 1er hors-hydrocarbures) sont importants, comparés à la modestie des investissements d’autres pays. En 2015, 500 filiales d’entreprises françaises opéraient sur le marché algérien, soit quatre fois plus qu’en 2005, employant près de 40 000 personnes et près de 100 000 indirectement.

A la faveur de la dynamique impulsée en 2012 et des rendez-vous intergouvernementaux, la coopération économique entre les deux pays a connu un nouvel essor autour de plusieurs projets structurants (pôles industriels de Renault à Oran, d’Alstom à Annaba, de Sanofi à Sidi Abdallah.).

B.   la coopération judiciaire : Des échanges d’une grande densité

1.   La coopération judiciaire pénale internationale avec l’Algérie est l’une des plus denses entretenue avec les 53 pays du continent africain.

Les flux constatés sont très importants et constants, l’Algérie étant de loin le premier pays de la zone géographique africaine s’agissant des demandes d’entraide en matière judiciaire reçues par la France, le second s’agissant des demandes transmises par la France.

Depuis 2010, 477 demandes d’entraide ont été adressées aux autorités algériennes. A ce jour, 123 de ces demandes (dont 86 dénonciations officielles ([1])) sont toujours en cours.

Dans le cadre de l’entraide active – demande d’entraide de la France à l’Algérie – les infractions relatives aux atteintes volontaires à la vie (assassinat, homicides volontaires et tentatives de meurtre), représentent près de 25% des demandes d’entraide. Environ 26 % de ces demandes d’entraide concernent des infractions à caractère sexuel (agressions sexuelles, viols). Celles liées aux stupéfiants sont de l’ordre de 10 %. De même 10 % des demandes d’entraide actives sont relatives aux infractions commises dans le domaine intrafamilial (enlèvement d’enfant et non représentation d’enfants). Les demandes d’entraide liées au terrorisme représentent près de 8 % des demandes actives.

Sur la même période, les autorités algériennes ont adressé à la France 152 demandes d’entraide (dites demandes passives). Parmi celles-ci 27 sont toujours en cours.

25 % des demandes passives concernent les atteintes volontaires à la vie (assassinat, homicide volontaire ou tentative de meurtre). Les demandes d’entraide liées aux stupéfiants concernent environ 20 % des demandes des autorités algériennes. Environ 11 % des demandes d’entraide concernent des infractions à caractère sexuel et 9 % des demandes concernent des faits de terrorisme.

2.   Une coopération bilatérale efficace, facilitée par la présence d’un magistrat de liaison

Le délai d’exécution de 12 mois constitue un délai moyen, le temps d’exécution variant selon la complexité du dossier et le nombre d’actes à diligenter. Ce délai peut être considéré comme satisfaisant même si des délais d’exécution plus courts seraient avantageux pour l’avancée des enquêtes.

L’arrivée, depuis le 1er septembre 2009, d’un magistrat de liaison français à Alger a permis de fluidifier les échanges et d’instaurer un contact régulier avec les autorités judiciaires algériennes. En outre, son intervention a permis l’exécution extrêmement rapide de demandes simples telles que l’obtention d’un casier judiciaire algérien. Cette coopération bilatérale de qualité s’est en outre intensifiée ces derniers mois à l’occasion de l’exécution de demandes d’entraide tenues pour importantes par la partie algérienne.

C.   Une nécessaire modernisation de l’actuel cadre juridique

1.   Les instruments juridiques de notre coopération en matière judiciaire avec l’Algérie

La France et l’Algérie sont toutes deux parties à plusieurs conventions multilatérales spécialisées, adoptées sous l’égide de l’Organisation des Nations unies, dont la convention unique sur les stupéfiants du 30 mars 1961, la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984, la convention contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes du 19 décembre 1988, la convention contre la criminalité transnationale organisée du 15 décembre 2000 et la convention contre la corruption du 31 octobre 2003.

Au plan bilatéral, la coopération judiciaire franco-algérienne est fondée sur quatre instruments bilatéraux : le protocole judiciaire du 28 août 1962, la convention relative à l’exequatur et à l’extradition du 27 août 1964, l’échange de lettres du 18 septembre 1980 relatif à la coopération et à l’entraide judiciaire et la convention du 21 juin 1988 relative aux enfants issus de couples mixtes séparés franco-algériens.

2.   Une modernisation du cadre juridique souhaitée par les deux Parties

Les stipulations du protocole judiciaire de 1962 applicables à l’entraide judiciaire, regroupées au sein du titre III, sont rédigées en des termes généraux en ce qu’elles sont, pour l’essentiel, de nature mixte et ont ainsi vocation à s’appliquer à la fois à la matière pénale et à la matière civile. C’est en particulier le cas des articles 21 à 24 (remise des actes judiciaires) et 28 à 31 (exécution des commissions rogatoires).

Le protocole ne détaille ainsi pas de modalités spécifiques d’entraide à l’exception de la remise des actes judiciaires (art. 21 à 24), de la comparution de témoins (art. 32) et de l’échange des avis de condamnation (art.33).

Le protocole actuel prévoit en outre deux motifs de refus de l’entraide judiciaire, énoncés à l’article 28 et qui permettent à la partie requise de rejeter une demande d’entraide lorsqu’elle n’est pas de sa compétence ou lorsqu’elle serait de nature à porter atteinte à sa souveraineté, sa sécurité ou son ordre public.

Ainsi, le caractère trop général de la rédaction du texte de 1962 pouvait faire obstacle au bon fonctionnement de notre coopération en matière judiciaire. De plus, le protocole de 1962 ne tenait pas compte des moyens modernes de lutte contre la criminalité.

C’est pourquoi, comme le rappelle l’étude d’impact annexée au présent projet de loi, en juin 2007, les autorités algériennes ont saisi les autorités françaises d’une demande de modernisation du protocole judiciaire de 1962 et de la convention relative à l’exequatur et à l’extradition de 1964 afin, notamment, d’introduire dans le domaine de l’entraide les moyens les plus modernes de lutte contre la criminalité et de résoudre dans le domaine de l’extradition les difficultés résultant de la survivance, dans l’arsenal répressif algérien, de la peine capitale.

Des projets de conventions d’entraide judiciaire en matière pénale et d’extradition ont ainsi été élaborés et discutés à l’occasion de sept rencontres bilatérales organisées alternativement à Paris et Alger, entre mai 2011 et novembre 2016.

Les deux dernières sessions, tenues respectivement en avril et mai 2016, ont permis de trouver des solutions mutuellement acceptables sur les quelques stipulations qui faisaient encore l’objet de divergences entre les parties (question de la langue notamment).

Les discussions se poursuivent désormais sur le projet de convention d’extradition, une rencontre de novembre 2016 y ayant été intégralement consacrée.


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II.   Le contenu de l’accord et ses effets attendus

A.   La modernisation du cadre juridique de l’entraide en matière pénale

1.   Le nouveau texte vise à élargir le champ de l’entraide.

Se démarquant du cadre du protocole judiciaire de 1962, la présente convention à l’article 1er pose le principe de « l’entraide pénale la plus large possible », consacré par l’ensemble des instruments récents de coopération judiciaire pénale auxquels la France est partie. Ce principe permet d’envisager des modalités de coopération larges, s’étendant au-delà de celles expressément réglementées par les articles 7 à 21 de la convention.

Les motifs de refus énumérés à l’article 3 de la convention sont plus strictement encadrés que ceux résultant de l’article 28 du protocole judiciaire de 1962, notamment en ce qu’il n’est plus possible à l’autorité judiciaire requise de refuser d’exécuter une demande d’entraide au motif que celle-ci ne serait pas de sa compétence. Il sera toujours possible, en revanche, de refuser une demande d’entraide :

– si la demande se rapporte à des infractions considérées par la Partie requise, soit comme des infractions politiques, soit comme des infractions connexes à des infractions politiques ;

– si la Partie requise estime que l’exécution de la demande est de nature à porter atteinte à la souveraineté, à la sécurité, à l’ordre public ou à d’autres intérêts essentiels de son pays. Cette disposition est reprise dans l’intégralité des conventions bilatérales conclues par la France en matière d’entraide judiciaire pénale. Elle figure également dans le code de procédure pénale (art. 694-4) dans une rédaction analogue. Ce motif de refus est inspiré de l’article 2.b de la convention européenne d’entraide judiciaire en matière pénale du 20 avril 1959 qui constitue le texte de référence à l’échelle européenne dans le domaine de la coopération judiciaire pénale ;

– si la demande a pour objet une mesure de confiscation et que les faits à l’origine de la demande ne constituent pas une infraction permettant la confiscation au regard de la législation de la Partie requise ;

– si la demande a pour objet une mesure prévue aux articles 14 à 16 ([2])  de la présente Convention et que les faits à l’origine de la demande ne constituent pas une infraction selon la législation de la Partie requise.

Le champ de l’entraide se trouve en outre élargi par l’impossibilité pour la partie requise de se prévaloir du secret bancaire (article 3.4) ou encore du caractère fiscal de l’infraction à l’origine de la demande (article 3.2) pour rejeter une demande d’entraide. Sur ces aspects, la convention s’inscrit dans la lignée du protocole additionnel du 16 octobre 2001 à la convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre les États membres de l’Union européenne et du protocole additionnel du 17 mars 1978 à la convention européenne d’entraide judiciaire en matière pénale.

De même, en application de l’article 3.3 de la convention, une partie ne peut invoquer la compétence de ses propres juridictions pour refuser d’exécuter une demande présentée par l’autre partie.

2.   Renforcer les échanges entre les parties afin d’assurer une meilleure exécution des demandes d’entraide

Afin de fluidifier les échanges, la nouvelle convention prévoit d’instituer des mécanismes de consultations à différentes étapes.

Elle prévoit en premier lieu, à l’article 3.7, que la partie requise peut consulter la partie requérante avant de refuser ou d’ajourner une demande d’entraide pour envisager les conditions auxquelles la demande pourrait être exécutée. En second lieu, elle permet aux parties de se consulter au stade de l’exécution d’une demande, notamment en cas de difficultés ou de retard d’exécution (art. 5.5 et 5.6) ou encore pour envisager la formalisation de demandes complémentaires sollicitant l’accomplissement de diligences non prévues dans la demande d’entraide initiale (art. 6.1). En dernier lieu, à l’issue de l’exécution de la demande, des échanges entre les parties peuvent intervenir, par exemple pour décider du sort d’avoirs confisqués (art. 15.6).

Par ailleurs, la convention vise à développer les échanges d’informations entre les parties aux fins d’une bonne administration de la justice.

Par rapport au cadre juridique bilatéral résultant du protocole judiciaire de 1962, elle ouvre expressément la possibilité d’échanges spontanés d’informations (art. 19) de même que ceux liés à l’exercice, par l’une des parties, d’une compétence extraterritoriale (art. 21 voir ci-dessous la partie A.5).

Enfin, la convention contient plusieurs stipulations dont l’objectif est de renforcer l’efficacité de l’entraide.

Même si le délai moyen d’exécution des demandes d’entraide judiciaire avec l’Algérie demeure satisfaisant, la convention pose une exigence de célérité dans l’exécution des demandes (art. 5.3). La pratique montre en effet que la lenteur mise à accorder l’entraide judiciaire aboutit souvent à vider cette dernière de sa substance.

Par ailleurs, afin de faciliter l’admissibilité dans la partie requérante des preuves obtenues en application de la présente convention, le texte prévoit la possibilité pour la partie requise, à la demande de la partie requérante, de réaliser les actes d’entraide sollicités selon les formalités et procédures expressément indiquées par la partie requérante, sous réserve qu’ils ne soient pas contraires aux règles constitutionnelles de la partie requise (art. 5.2). De fait, l’expérience permet de constater que des actes équivalents accomplis par les autorités de la partie requise en lieu et place des actes expressément demandés par les autorités de la partie requérante ne bénéficient pas toujours de la même force probatoire dans le cadre de la procédure conduite par celles-ci.

En dernier lieu, tout comme le protocole judiciaire de 1962 le permettait, la convention prévoit que si les autorités compétentes de la partie requise y consentent, les autorités de la partie requérante ou les personnes mentionnées dans la demande peuvent assister à l’exécution de celle-ci (art. 5.7). La présente convention ajoute cependant que, dans la mesure autorisée par la législation de la partie requise, les autorités de la partie requérante ou les personnes mentionnées dans la demande peuvent en outre interroger un témoin ou un expert ou les faire interroger.

3.   Exploiter les techniques modernes de coopération 

Afin notamment de renforcer les capacités communes des deux pays à lutter contre les opérations de blanchiment d’argent, la présente convention instaure des possibilités très larges d’obtention d’informations en matière bancaire (art. 13), qu’il s’agisse de l’identification de comptes ouverts au nom d’une personne physique ou morale ou de la communication ou du suivi d’opérations bancaires réalisées pendant une période déterminée.

Il sera par ailleurs désormais possible de réaliser des auditions de témoins, d’experts ou de parties civiles par vidéoconférence (art. 9), pour autant que le recours à cette méthode ne soit pas contraire à leur législation respective et à condition qu’elles disposent des moyens techniques pour effectuer l’audition. Les dispositions de cet article peuvent également s’appliquer, si le droit interne le permet, aux auditions par vidéoconférence auxquelles participe une personne poursuivie pénalement, si cette dernière y consent.

Le texte offre en outre de larges possibilités en matière de gel des avoirs, d’identification et de confiscation des produits et des instruments des infractions (art. 15).

Enfin, en vue de lutter plus efficacement contre le trafic de stupéfiants notamment, s’inspirant des conventions les plus modernes, la présente convention permet de recourir à des livraisons surveillées, dans le respect du droit national de la partie requise (art. 16).

4.   Encadrer l’usage des informations et éléments de preuve communiqués ou obtenus en exécution de la convention

L’Algérie, qui n’est pas membre de l’Union européenne, ni liée par la convention du Conseil de l’Europe pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel du 28 janvier 1981, ne pourra se voir transférer de telles données qu’à la condition qu’elle assure un niveau de protection adéquat ou suffisant de la vie privée et des libertés et droits fondamentaux des personnes à l’égard du traitement dont ces données font l’objet ou peuvent faire l’objet, comme le prévoit la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.

Pour l’heure, la CNIL (Commission nationale de l'informatique et des libertés) estime que l’Algérie ne dispose pas d’une législation adéquate en matière de protection des données à caractère personnel. Par ailleurs, à ce jour, l’Algérie n’a pas fait l’objet d’une reconnaissance de protection adéquate de la part de la Commission européenne.

L’article 23 de la convention prévoit en conséquence la possibilité de soumettre l’utilisation des données à caractère personnel transmises aux autorités algériennes à des restrictions. Dès lors la mise en œuvre de la présente convention ne saurait conduire la France à renoncer à ses standards de protection en ce domaine.

5.   L’entraide en cas de compétence extraterritoriale

La convention contient, outre les stipulations traditionnelles relatives aux dénonciations officielles et échanges spontanés d’informations, une disposition consacrée à l’entraide dans le cas de l’exercice, par l’une des parties, d’une compétence extraterritoriale (art. 21).

L’article 21 de la convention doit permettre d’assurer l’information de chacune des parties quant aux procédures se rapportant à des infractions commises sur son territoire par ses ressortissants dont serait saisie une autorité judiciaire de l’autre partie.

En outre, lorsque lesdites procédures ont été engagées devant les autorités compétentes d’une partie par une personne qui n’en possède pas la nationalité, les stipulations de l’article 21 permettent à l’autre partie de recueillir les observations ou tout autre élément utile de la part de la partie initialement saisie en vue, le cas échéant, de l’ouverture de sa propre procédure judiciaire. Dans ce cas, la convention prévoit que la partie initialement saisie doit être tenue informée de l’issue de la procédure ouverte par l’autre partie afin qu’elle puisse déterminer les suites à réserver à sa propre procédure.

Cette stipulation a été introduite dans la convention à la demande de la partie algérienne afin de mettre en place un dispositif analogue à celui résultant du protocole additionnel du 6 février 2015 à la convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre la France et le Maroc.

Le texte de l’article 21 diffère cependant sur un certain nombre de points de celui du protocole de février 2015 entre la France et le Maroc.

Le champ d’application ratione materiae des deux stipulations est identique dans la mesure où il institue un mécanisme d’échange d’informations entre les parties dans le cas de procédures en cours dans l’une d’elles qui se rapporte à des faits commis sur le territoire de l’autre par un ressortissant de cette dernière. Les deux textes ont donc vocation à s’appliquer aux procédures diligentées sur le territoire de l’une des parties à raison d’une compétence personnelle passive ([3]) ou quasi-universelle ([4]).

En revanche, les deux textes n’ont pas le même champ d’application ratione personae. En effet, l’article 2.4 du protocole franco-marocain énonce que le mécanisme de recueil d’observations qu’il institue dans le cas où les procédures précitées ont été initiées par une personne qui ne possède pas la nationalité de la partie sur le territoire de laquelle elles sont diligentées a vocation à s’appliquer aux binationaux. L’article 21 de la convention franco-algérienne d’entraide judiciaire ne contient aucune stipulation étendant son application aux ressortissants franco-algériens.

Par ailleurs, concernant les obligations mises à la charge des parties, dans le cas des procédures engagées dans une partie par une personne qui n’en possède pas la nationalité et se rapportant à des faits commis sur le territoire de l’autre partie par un ressortissant de cette dernière, le protocole franco-marocain impose à l’autorité judiciaire de la partie saisie de recueillir dès que possible les observations de l’autre.

Dans la même situation, l’article 21 de la convention franco-algérienne d’entraide judiciaire prévoit que c’est la partie initialement saisie - et non l’autorité judiciaire - qui en informe l’autre, lorsqu’elle en a connaissance et dans les meilleurs délais. En pratique, l’information sera communiquée par l’autorité centrale de la partie saisie à l’autorité centrale de l’autre partie lorsque la première aura été informée de l’existence de la procédure par l’autorité judiciaire qui la diligente.

En outre, à la différence du protocole franco-marocain qui impose à l’autorité judiciaire initialement saisie de recueillir les observations de l’autorité judiciaire de l’autre partie, l’article 21 de la convention franco-algérienne stipule que la partie initialement saisie se limite à informer l’autre partie de l’existence de la procédure, à charge pour cette dernière de recueillir auprès de la première ses observations et, le cas échéant, les éléments qu’elle juge utiles à l’ouverture d’une éventuelle procédure judiciaire.

En dernier lieu, alors que le protocole franco-marocain prévoit que l’autorité judiciaire initialement saisie doit, dès réception des observations de l’autre partie, envisager les suites à donner à la procédure (prioritairement le renvoi ou la clôture), la convention franco-algérienne stipule que la partie initialement saisie est tenue informée des suites de la procédure ouverte par l’autre partie et apprécie les suites à réserver à sa propre procédure lorsque l’autre partie lui communique copie de la décision rendue par ses autorités judiciaires.

Les échanges d’informations qui interviendront en application de l’article 21 de la convention permettront ainsi d’assurer une meilleure administration de la justice et une conduite plus efficace et diligente des procédures au regard notamment du principe de territorialité des poursuites, sans préjudice des règles applicables en matière de compétence quasi-universelle.

B.   Les effets attendus de la convention

1.   Renforcer la coopération judiciaire en permettant le recours à des formes plus modernes de coopération

En premier lieu, cette convention devrait contribuer à renforcer la coopération judiciaire entre les parties en permettant le recours à des modalités plus modernes de coopération. A l’inverse du protocole judiciaire de 1962, rédigé en des termes généraux, les articles 9 à 21 de la convention encadrent de manière précise le recours aux formes les plus courantes d’entraide judiciaire, dont certaines particulièrement innovantes et inspirées des instruments en vigueur entre les Etats membres de l’Union européenne dont les auditions par vidéoconférence (art. 9), les demandes d’informations en matière bancaire (art. 13), la saisie et la confiscation des avoirs criminels (art. 15), les livraisons surveilles (art. 16) et les interceptions de télécommunications (art. 17). En outre, prenant acte des avancées permises par la loi n° 2011-1862 du 13 décembre 2011, la convention permet, sous réserve de l’accord des autorités algériennes, aux autorités judiciaires françaises qui assistent à l’exécution d’une demande d’entraide d’entendre elles-mêmes un témoin ou un expert (art. 5.7).

2.   Offrir une sécurité juridique accrue aux praticiens

En second lieu, la convention d’entraide judiciaire devrait offrir davantage de prévisibilité et de sécurité juridique aux praticiens, notamment en ce qu’elle réglemente de manière plus détaillée que le protocole judiciaire de 1962 le formalisme que doivent adopter les demandes d’entraide ainsi que leurs modalités d’exécution (art. 4 et 5). En outre, les motifs de refus sont limitativement énumérés à l’article 3 qui énonce par ailleurs que l’entraide ne peut être rejetée au motif que les faits à l’origine d’une demande relèveraient également de la compétence de la partie requise (art. 3.3). Cette stipulation devrait ainsi contribuer à résoudre les difficultés résultant des conflits de compétence entre autorités judiciaires françaises et algériennes, notamment liés à la double nationalité des personnes concernées.

S’agissant plus spécifiquement de la coopération en matière de terrorisme, outre les avancées précitées, la convention permettra de mieux appréhender les situations d’urgence en permettant notamment la transmission des demandes dans la langue de la partie requérante par tout moyen permettant d’en obtenir une trace écrite, ce qui, en pratique, permettra donc à la partie française d’adresser par courriel aux autorités algériennes des demandes rédigées en français (art. 4.4 et 4.5). La faculté, déjà prévue par le protocole judiciaire de 1962 et maintenue par la convention (art. 5.7), pour les autorités de la partie requérante d’assister à l’exécution de leur demande sur le territoire de la partie requise s’est avérée un outil particulièrement précieux dans les affaires de terrorisme.

C.   La conformité du texte aux principes de notre droit interne et à nos engagements internationaux

Les stipulations de la présente convention sont largement inspirées des mécanismes de coopération qui prévalent déjà au sein de l’Union européenne et dans le cadre du Conseil de l’Europe. Elles reprennent, pour l’essentiel, les dispositions classiques de la convention européenne d’entraide judiciaire en matière pénale du 20 avril 1959 et de son protocole additionnel du 17 mars 1978.

Les éléments les plus modernes (articles 9, 10, 11, 13, 16, 17) s’inspirent des stipulations de la convention du 29 mai 2000 relative à l’entraide judiciaire en matière pénale entre les États membres de l’Union européenne, de son protocole additionnel en date du 16 octobre 2001 ou encore du deuxième protocole additionnel à la convention européenne d’entraide judiciaire en matière pénale en date du 8 novembre 2001. L’ensemble de ces mécanismes ont d’ores et déjà été intégrés dans notre ordre juridique interne.

Par conséquent, la présente convention n’implique aucune adaptation des dispositions législatives ou règlementaires nationales et ne remet pas en cause nos engagements internationaux.

S’agissant de la problématique de la peine capitale, si l’Algérie est considéré comme un État abolitionniste de fait, en raison du moratoire en vigueur depuis 1993, il n’en demeure pas moins que certaines infractions prévues par le code pénal algérien restent passibles de la peine capitale. Des garanties de non-application de la peine de mort doivent donc systématiquement être recherchées auprès de la partie algérienne lorsque cette peine est encourue pour les faits à l’origine de la demande d’entraide.


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   conclusion

La signature de la nouvelle convention d’entraide judiciaire en matière pénale marque une véritable avancée dans notre coopération dans ce domaine avec l’Algérie.

Prévoyant des dispositions intégrant les méthodes les plus modernes de lutte contre la criminalité, ce texte se conçoit aussi comme un acte de confiance dans la capacité des institutions judiciaires de nos deux pays à coopérer en bonne intelligence, au service d’une meilleure administration de la justice.

La ratification du texte par la Partie française est très attendue par nos partenaires algériens, qui ont fait savoir que leur ministère des Affaires étrangères avait été saisi pour la préparation du décret présidentiel portant ratification de cette convention bilatérale d’entraide judiciaire.

Votre rapporteure préconise donc l’adoption de ce projet de loi.


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   EXAMEN EN COMMISSION

La commission examine le présent projet de loi au cours de sa séance du mercredi 19 juillet 2017 à 9h30.

Après l’exposé de la rapporteure, un débat a lieu.

Mme Marine Le Pen. Dans l’article 1er il est indiqué que la convention ne s’applique pas à quatre cas dont le transfèrement d’une personne condamnée aux fins d’exécution d’une peine privative de liberté. Pourquoi ces exceptions ? 

Mme Sira Sylla, rapporteure. Elles font l’objet d’une convention à part en cours de renégociation entre la France et l’Algérie. 

Suivant l’avis de la rapporteure, la commission adopte le projet de loi n° 12 sans modification.

 

 

 


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   annexe 1

   Liste des personnalités rencontrées

 

 

Jeudi 13 juillet 2017

 du Ministère de la Justice : Mme Pauline Dubarry, magistrate, cheffe du bureau de la négociation pénale européenne et internationale, direction des affaires criminelles et des grâces ;

 du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères :

– Mme Fatène Benhabyles-Foeth, adjointe au sous-directeur Afrique du Nord et Moyen-Orient ;

– M. Stéphane Dupraz, magistrat, chargé de mission au service des conventions, des affaires civiles et de l’entraide judiciaire à la Direction des Français à l’étranger et de l’administration consulaire ;

– Mme Mathilde Piriou et M. Antoine Alheritiere, rédacteurs à la sous-direction Afrique du Nord et Moyen-Orient ;

– Mme Myriam Sudret, chargée de mission des accords et traités de la direction des affaires juridiques.

 

 


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   ANNEXE :

   TEXTE DE LA COMMISSION des affaires étrangères

 

 

 

Article unique

Est autorisée l’approbation de la convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire, signée à Paris le 5 octobre 2016, et dont le texte est annexé à la présente loi.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                                     

NB : Le texte de la convention figure en annexe au projet de loi (n°12)


([1])  La dénonciation officielle est l’acte par lequel les autorités qualifiées d’un État dont les juridictions sont compétentes pour juger un crime ou un délit demandent aux autorités d’un autre État dont les juridictions sont également compétentes d’en assurer la poursuite. L’État requérant transmet donc volontairement à l’État requis la tâche de poursuivre les faits dont il est saisi le premier. Il s’agit d’une simple délégation de poursuites et non d’un transfert de la compétence de l’autorité judiciaire saisie. Ainsi, l’autorité judiciaire saisie ne renonce pas à l’exercice de son droit de poursuivre.

([2])  Mesures de perquisition, de saisie de pièces à conviction et de gel d’avoirs, restitution à la partie requérante les produits et instruments des infractions, surveillance transfrontalière du transport ou de l’envoi de marchandises.

([3])  Prévue pour la France à l’article 113-7 du code pénal.

([4])  Résultant notamment pour la France des articles 689 à 689-11 du code de procédure pénale.