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N° 442

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIEME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le mardi 5 décembre 2017

 

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté d’Andorre relatif à la coopération transfrontalière en matière policière et douanière,

PAR Mme Samantha CAZEBONNE

Députée

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ET

 

ANNEXE : TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

 

 

Voir le numéro :

Assemblée nationale : 168


 

 


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SOMMAIRE

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Pages

introduction

I. Une coopération transfrontalièrE ciblée sur quelques enjeux présentant une certaine acuité

A. LES PRINCIPAUX ENJEUX DE LA CRIMINALITE TRANFRONTALIERE FRANCO-ANDORRANE

1. Une criminalité transfrontalière globalement peu développée

2. Le trafic de cigarettes, un phénomène préoccupant, qui pourrait encore s’aggraver

3. La grande criminalité financière et l’évasion fiscale

B. Une coopération d’ampleur globalement modeste

1. Une coopération policière encore largement en devenir

2. Une coopération douanière articulée autour de la lutte contre le trafic illégal de tabac

II. UN ACCORD DESTINE À sécuriser cette coopération transfrontalière et à en faciliter le déploiement

A. Le contexte de la négociation

1. Le cadre européen : la convention d’application de l’accord de Schengen et le Traité de Prüm

2. Le contexte et les étapes de la négociation

B. Les champs de la cooperation envisagée

1. La coopération directe entre services

2. L’appui aux Andorrans en matière de lutte contre le terrorisme et de gestion de crise

3. La formation professionnelle au bénéfice des agents andorrans

C. Quel impact pour la France ?

1. Un impact administratif et financier contenu

2. Une protection des données garantie

conclusion

EXAMEN EN COMMISSION

ANNEXE :

TEXTE DE LA COMMISSION des affaires étrangères


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   introduction

 

La France a signé le 22 mars 2017 une convention relative à la coopération transfrontalière et douanière avec la Principauté d’Andorre.

Cette convention vient encadrer juridiquement des actions de coopération qui s’étaient déployées spontanément, en particulier autour de quelques enjeux qui présentent une certaine acuité en Andorre : la grande déliquance financière, l’évasion fiscale, le trafic de cigarettes ainsi que certaines formes de délinquance sérielle.

Pour n’être pas massive, cette criminalité transfrontalière génère un réel besoin de coopération opérationnelle entre services de police et de douane français et andorrans. En l’état actuel des choses, si la coopération progresse, elle doit être considérée comme insuffisamment développée au regard des besoins, notamment si on la compare aux relations entretenues par les services andorrans avec leurs homologues espagnols.

L’accord soumis à l’examen de la Commission doit favoriser le développement de cette coopération en la sécurisant juridiquement. Il ne doit pas susciter de charge administrative ou financière importante pour la France : il s’agit surtout d’améliorer la concertation et la coordination afin d’accroître les synergies entre les actions des services français et andorrans. Il s’agit également de renforcer ponctuellement les services andorrans qui doivent monter en puissance pour faire face à certains enjeux de criminalité transnationale.

La Rapporteure souscrit ainsi aux objectifs de cette convention, qui doit contribuer à réduire le développement de réseaux criminels entre la France et l’Andorre.

La partie andorrane a notifié l'instrument de ratification de cet accord dès le 20 février 2015.

 


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I.   Une coopération transfrontalièrE ciblée sur quelques enjeux présentant une certaine acuité

A.   LES PRINCIPAUX ENJEUX DE LA CRIMINALITE TRANFRONTALIERE FRANCO-ANDORRANE

1.   Une criminalité transfrontalière globalement peu développée

De manière générale, Andorre est peu affectée par certaines formes traditionnelles de la grande criminalité transnationale organisée. Ainsi, les trafics illicites de stupéfiants ne constituent pas à ce jour une menace pour la Principauté ; les trafiquants préfèrent généralement employer les grands axes, par Perpignan ou Biarritz. Cependant, les organisations criminelles varient parfois leurs itinéraires de transit (de manière à éviter les points de passage très fréquentés – et surveillés – d’Hendaye et du Perthus), et il convient de rester vigilant sur cette question. La consommation locale de stupéfiants est par ailleurs faible.

De même, Andorre ne présente que peu d’intérêt pour les réseaux de traite des êtres humains et d’immigration irrégulière, compte tenu de sa position géographique en marge des principaux axes de circulation transfrontalière et de son absence de desserte ferroviaire.

Enfin, malgré l’intérêt accru manifesté par les autorités andorranes pour le suivi et la lutte contre les risques de radicalisation au sein de la Principauté suite aux attentats de Barcelone, en août 2017, le pays n’a pas été affecté par des phénomènes relevant du champ du terrorisme islamiste. Les activités du groupe séparatiste basque « Euskadi ta Askatasuna » ont, quant à elles, cessé depuis octobre 2011.

Andorre subit toutefois depuis quelques années des formes de délinquance sérielle commises par des équipes de malfaiteurs relativement bien organisées, selon des modes opératoires observés de plus longue date en France et en Espagne. Cela se manifeste en particulier dans le domaine des atteintes aux biens, au travers de cambriolages en série imputables à des organisations criminelles originaires notamment de l’espace russophone et de la zone des Balkans. Durant l’année 2017, les services de police andorrans ont également relevé une recrudescence de vols commis par des ressortissants de nationalités chinoise, mongole et chilienne. Enfin, la présence d’un chapitre de motards criminalisés (Hell’s Angels) et de groupes  de braqueurs internationaux (« Pink Panthers » serbes et « Pink Pandas » chinois) a été constatée. Des ramifications françaises à ces réseaux de malfaiteurs ont pu être ponctuellement identifiées.

Enfin, les services du ministère de l’Intérieur jugent que le trafic d’armes pourrait devenir un nouvel enjeu de criminalité transfrontalière. L’acquisition d’une arme dans la Principauté est en effet bien plus facile qu’en France : une personne majeure munie d’une carte d’identité peut se doter d’une arme de catégorie B dans l’une des six armureries du pays. Bien que les armuriers semblent se tenir à l’écart des bandes organisées et se soient engagés moralement à réclamer une licence de tir, aucun système de contrôle à l’exportation n’existe en l’état actuel des choses. Ces armuriers participent ainsi indirectement aux trafics d’armes entre particuliers. En 2017, 14 infractions à la législation des armes ont été constatées à la frontière. Cet enjeu doit donc faire l’objet d’une vigilance particulière.

2.   Le trafic de cigarettes, un phénomène préoccupant, qui pourrait encore s’aggraver

Le trafic de cigarettes entre la France et l’Andorre est encouragé par les prix faibles du tabac de la Principauté et par sa proximité géographique.

L’accord commercial conclu en 1990 entre la Communauté économique européenne (CEE) et l’Andorre a instauré une union douanière pour les produits industriels tout en excluant le tabac, autorisant ainsi indirectement ces trafics. Il semble désormais que l’Andorre souhaite étendre cette union au tabac au terme d’une période de transition de trente ans. Cette proposition ferait, si elle aboutissait, l’objet d’un accord d’association entre Andorre et l’Union européenne qui permettrait d’harmoniser les droits de douane et de faciliter les échanges commerciaux. Mais cela ne réglerait pas le différentiel des droits d’accises qui existent entre nos deux pays, lequel va encore s’accroître avec les prochaines augmentations du prix du tabac prévues en France. Ainsi, d’après le Gouvernement, il faut plutôt s’attendre à voir augmenter les trafics au cours des prochaines années.  

Or, il existe déjà un système de contrebande très structuré à la frontière franco-andorrane. Sur la période d’avril à septembre 2017, les services douaniers français ont ainsi saisi 10.000 cartouches de cigarettes destinées à être introduites en France en contrebande.

La faiblesse de la réponse pénale alimente le phénomène, du fait de sa rentabilité et des faibles risques encourus. Pourtant, ce trafic est loin d’être anodin. Il suscite des troubles à l’ordre public croissants (accidents de la route, règlements de compte, forçage de barrages douaniers) et une augmentation des refus d’obtempérer, traduisant la dangerosité croissante des organisations de trafiquants. En outre, il engendre des pratiques de blanchiment douanier issu de la revente de cartouches de cigarettes. Et les sommes importantes récoltées dans ce circuit pourraient à terme contribuer à financer des groupes islamistes radicaux, ce qui représente un risque non négligeable pour notre pays.

3.   La grande criminalité financière et l’évasion fiscale

La lutte contre la délinquance financière et la fraude fiscale est l’autre grand enjeu de la coopération transfrontalière franco-andorrane.

Cela tient au statut un peu particulier d’Andorre, bien que celui-ci ait connu des évolutions très nettes au cours des dernières années. En effet, longtemps placée sur la liste « grise » des paradis fiscaux de l’OCDE, la Principauté a fait évoluer sa législation. Son système fiscal a été réformé depuis 2011, avec la mise en place d’un impôt sur les personnes non fiscalement résidentes en Andorre, d’un impôt sur les sociétés, d’un système de taxe sur la valeur ajoutée et d’un impôt sur le revenu en 2015 (plafonné à 10%). Dans le même temps, Andorre a créé le département des impôts et des frontières, en charge de la perception et du contrôle du recouvrement de tous les impôts d’Etat.

En parallèle, le gouvernement andorran a conclu en 2009 un accord relatif à l’échange de renseignements en matière fiscale avec la France. Il a également signé la Convention de l’OCDE concernant l’assistance mutuelle en matière fiscale, qui ouvre la possibilité d’effectuer des échanges automatiques de renseignements fiscaux, sous réserve d’un accord spécifique entre les Parties intéressées. Enfin, en 2016, Andorre a signé avec l’UE un accord sur la transparence fiscale pour l’échange automatique de renseignements sur les comptes financiers de leurs résidents respectifs à partir de 2018. Ainsi, ces engagements multilatéraux devraient prochainement mettre un terme au secret bancaire qui a longtemps prévalu en Andorre.

Néanmoins, la Principauté conserve un statut un peu à part en raison de niveaux d’imposition qui restent faibles et de la présence sur son territoire de nombreux établissements financiers. Ce terreau a pu favoriser le développement d’une grande criminalité financière dont plusieurs affaires ont eu un certain retentissement, à l’image de celle de la Banca Privada d'Andorra (BPA), accusée par le Trésor américain de blanchiment « de centaines de millions de dollars ». Les procédures judiciaires dans cette affaire avaient été initiées en 2015, dans le prolongement d’une importante enquête conduite par la police espagnole en 2012 (affaire « Emperador ») portant sur le blanchiment en Espagne des revenus d’organisations criminelles russes et chinoises.

D’autres affaires, à l’instar des volets russophone (affaire « Petrov ») et sud-américain (affaire « Pétroli venézuelienne ») du dossier BPA, mobilisent toujours fortement les juridictions andorranes spécialisées dans la lutte contre les infractions financières et la lutte contre le crime organisé.

En avril 2015, une autre affaire a mis à jour l’activité illégale de douaniers français de l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle, qui dérobaient de l’argent à des organisations criminelles latino-américaines; ces fonds étaient ensuite blanchis dans la Principauté.

La lutte contre la fraude fiscale est un autre enjeu important de la coopération transfrontalière bilatérale. Ainsi, un flux régulier de ressortissants français est appréhendé pour des manquements aux obligations déclaratives de capitaux. Depuis la signature de l’accord sur la transparence fiscale avec l’UE, les contrôles plus rigoureux effectués par les établissements bancaires andorrans ont en effet poussé des ressortissants français à vouloir rapatrier leurs avoirs en France sans respecter les obligations fiscales et déclaratives en la matière, ce qui incite les services français à faire preuve d’une vigilance accrue. Dans le même sens, il conviendra de veiller à ce que l’ouverture éventuelle d’établissements de jeu en Andorre (casinos) ne soit pas mise à profit par des organisations criminelles.

Cette situation justifie une vigilance particulière et impose que la France coopère étroitement avec la Principauté pour prévenir et contrer ces pratiques.

B.   Une coopération d’ampleur globalement modeste

Du fait de la proximité linguistique (le catalan est la langue officielle de la Principauté), les Andorrans sont davantage tournés vers leur frontière espagnole et entretiennent des relations étroites avec les autorités qui y sont représentées : douane, Garde civile, Mossos de Esquadra.

En comparaison, il semble que les relations transfrontalières avec la police et la douane françaises soient relativement modestes.

1.   Une coopération policière encore largement en devenir

D’une manière générale, les relations entre les services de police judiciaire des deux pays seraient de bon niveau et des échanges réguliers auraient lieu entre services spécialisés, qu’il s’agisse d’échanges opérationnels ou de diffusion de bonnes pratiques policières.

Ainsi, depuis deux ans, une coopération spécifique s’est nouée dans le domaine de la lutte contre la grande délinquance financière. Suite aux accusations ayant visé la Banca Privada d’Andorra (BPA), les autorités de la Principauté ont en effet décidé de développer leurs capacités judiciaires et policières de traitement de ce contentieux spécialisé. Dans ce cadre, la France apporte une assistance humaine au profit des magistrats et policiers andorrans via la mise à disposition d’experts auprès de la justice andorrane, l’échange de formations entre parquets ou la réalisation d’actions de formation au profit des enquêteurs de la police andorrane.

En outre, Andorre a souhaité bénéficier de l’expertise de la Plateforme d’identification des avoirs criminels (PIAC) française, afin de créer une structure analogue dans le courant de l’année 2018. Dans ce domaine, le Gouvernement relève néanmoins qu’« une meilleure appropriation par le partenaire des principales conventions internationales et régionales en matière de lutte contre la corruption et le blanchiment, ainsi qu’une participation plus active aux réseaux spécialisés consacrées à ces questions seraient également souhaitables ».  

En matière de lutte contre l’immigration irrégulière, même si les besoins bilatéraux de coopération sont limités à ce stade, une coopération technique régulière est mise en œuvre via l’accueil de policiers andorrans dans des stages de lutte contre la fraude documentaire. La réalisation de patrouilles mixtes serait à l’étude.  

Au-delà du renforcement de la coopération bilatérale concernant des champs infractionnels spécifiques, le Gouvernement souligne que la recherche de plus grandes synergies territoriales apparaît opportune dans cette région. Cet effort est porté, en France, par les groupements de gendarmerie départementale des Pyrénées orientales et de l’Ariège, qui ont établi des mécanismes d’échanges réguliers d’informations sur les principaux faits criminels constatés dans leurs zones respectives. A l’avenir, la mise en œuvre d’opérations de contrôle coordonnées et d’opérations conjointes devrait être recherchée ; elles seront rendues possibles par le présent accord.

Par ailleurs, l’adhésion d’Andorre à la Conférence ibéro-américaine et la candidature de la Principauté pour l’organisation du sommet de 2020 pourraient générer, à court terme, des besoins d’assistance fortement accrus pour planifier et concevoir le dispositif de sécurité de cet événement et, ensuite, le soutenir dans sa mise en œuvre.

2.   Une coopération douanière articulée autour de la lutte contre le trafic illégal de tabac

La coopération transfrontalière entre les douanes française et andorrane se déploie naturellement au sein du Bureau à contrôles nationaux juxtaposés de Porta (BCNJ), créé par un accord sous forme de note verbale conclu entre les deux gouvernements en 2011. Ce bureau permet de rassembler les opérateurs de deux parties et d’y effectuer l’ensemble des formalités de franchissement de la frontière, qu’il s’agisse des personnes, des marchandises ou des transports.

La coopération douanière bilatérale est surtout articulée autour de la lutte contre la contrebande de cigarettes. Dans ce domaine, les autorités andorranes ont montré des signes d’évolution encourageants en adoptant récemment certaines dispositions législatives : renforcement des sanctions administratives, suppression des conditions de territorialité pour procéder aux saisies, imposition d’un prix de vente minimum.

La coopération bilatérale a connu un regain de dynamisme après la déclaration, en février dernier, du chef du gouvernement andorran, qui faisait de la lutte contre la contrebande de cigarettes « une priorité de l’administration douanière andorrane ».

Cette impulsion a permis de proposer aux autorités andorranes la mise en place de contrôles conjoints associant les brigades de Porta, Bourg-Madame et Ax-les-Thermes, la Direction des opérations douanières de Toulouse et de Perpignan et l’unité locale du Service national de douane judiciaire de Toulouse. L’objectif était d’organiser à échéances régulières des opérations conjointes pour identifier en territoire andorran les organisations se fournissant en tabac de contrebande en vue de leur distribution en France. L’information recueillie par les douaniers andorrans devait permettre de réaliser des saisies en France et de procéder au démantèlement de ces organisations.

Trois opérations conjointes ont ainsi été réalisées, mais les maigres résultats obtenus n’ont pas été à la hauteur de l’investissement consenti en France, en raison d’interférences causées par des interventions judiciaires et de décisions andorranes de procéder à des opérations « coup de poing » prises sans concertation avec les autorités françaises. Ces contrôles conjoints devraient être reconduits selon une nouvelle stratégie, les organisations ayant entretemps adapté leurs modes opératoires.

*

Ces retours d’expérience montrent à quel point le champ de la coopération transfrontalière policière et douanière reste à exploiter, dans un contexte où les besoins opérationnels ne sont pas négligeables, notamment en matière de lutte contre la grande délinquance financière et le trafic de cigarettes. A cet égard, l’accord soumis à l’examen de la commission devrait encourager son développement, par exemple en apportant une couverture juridique aux opérations conjointes et en légitimant les incursions de fonctionnaires français en Andorre et inversement.

 


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II.   UN ACCORD DESTINE À sécuriser cette coopération transfrontalière et à en faciliter le déploiement

A.   Le contexte de la négociation

1.   Le cadre européen : la convention d’application de l’accord de Schengen et le Traité de Prüm

L’accord de Schengen du 14 juin 1985 entre les cinq Etats de la Communauté européenne (Benelux, Allemagne et France) avait prévu la suppression progressive des frontières communes entre les États-membres. Suite au constat des États-membres de la nécessité d’organiser une coopération policière, douanière et judiciaire pour renforcer le contrôle et la sécurité des frontières, la Convention d’application de l’accord de Schengen (signée le 19 juin 1990) est venue préciser les modalités de levée progressive des contrôles aux frontières et le cadre juridique régissant la libre circulation des personnes dans l’espace commun. Elle a également posé les premiers jalons d’une coopération institutionnelle et opérationnelle plus intégrée à l’échelle européenne, puisque ces mécanismes – encore multilatéraux – ont ensuite été intégrés dans le droit de l’Union européenne (« acquis de Schengen »).

Au plan bilatéral, à la suite de l’entrée en vigueur de la Convention d’application de l’accord de Schengen en mars 1995, la France a élaboré un modèle d’accord-type de coopération transfrontalière en matière policière et douanière (ACTPD), afin de décliner les dispositions de la Convention d’application de l’accord de Schengen sur une base bilatérale et de fonder une coopération plus avancée avec ses principaux États partenaires, par rapport à celle permise par ce socle multilatéral.

Six accords de ce type ([1]) ont au total été signés avec tous les États frontaliers de la France membres de l’UE, entre 1997 et 2001 ([2]). Chacun de ces accords repose sur deux piliers : la création de centres de coopération policière et douanière, en charge de l’échange transfrontalier d’informations policières et douanières ; et le développement de la coopération directe entre services opérationnels dans les zones frontalières. Cette coopération n’est pas corrélée à l’adhésion éventuelle d’un pays à l’Union européenne puisque la France a signé deux accords de coopération en matière policière et douanière avec la Suisse.

Une initiative multilatérale, juridiquement distincte de l’UE, a ensuite été lancée afin de concevoir un cadre de coopération plus ambitieux incluant de nouvelles formes de coopération policière. Elle a abouti à la signature du Traité de Prüm le 27 mai 2007 par sept Etats : la Belgique, l’Allemagne, l’Espagne, la France, le Luxembourg, les Pays-Bas et l’Autriche. La novation principale du Traité et des décisions résident dans l’établissement de systèmes d’échanges semi-automatisés de données.

Par deux décisions du Conseil en date du 23 juin 2008 (2008/615/JAI et 2008/616/JAI), la plupart des dispositions du Traité a finalement été intégrée dans le droit européen (un petit nombre de dispositions du Traité est cependant toujours en vigueur).

2.   Le contexte et les étapes de la négociation

L’accord de coopération transfrontalière en matière policière et douanière s’inscrit à la fois dans le cadre des acquis de Schengen et dans la logique de coopération bilatérale de la France avec ses partenaires limitrophes.

L’idée d’un accord avec Andorre est née en 2002 après que les autorités andorranes ont sollicité la France pour l’élaboration d’un accord de coopération policière. Un projet de coopération transfrontalière en matière judiciaire, policière et douanière a été élaboré avant d’être abandonné à la demande des autorités andorranes, au motif qu’elles souhaitaient que le nouvel accord soit limité aux seuls aspects policiers.

Ce n’est qu’en 2010 que le projet a refait surface à la faveur d’un regain d’intérêt de la part de la nouvelle direction de la police andorrane. La visite du coprince français, M. Le Président de la République François Hollande, le 12 juin 2014 a confirmé une période de resserrement des relations bilatérales. Dans ce contexte, plusieurs accords de coopération ont été signés dans les domaines de la fiscalité, de l’enseignement, de la sécurité civile et donc de la coopération transfrontalière en matière policière et douanière.

L’Accord de coopération transfrontalière en matière policière et douanière  a finalement été signé à Paris le 17 mars 2014.

B.   Les champs de la cooperation envisagée

En vertu de l’article 4 du présent accord, les deux parties « engagent, dans le respect de leur souveraineté respective et des attributions des autorités administratives et judiciaires territorialement compétentes, une coopération transfrontalière des services chargés de missions de police et de douane par la définition de nouvelles modalités de coopération policière et douanière et au moyen d’une coopération directe entre services correspondants, notamment dans le domaine de la formation ».


1.   La coopération directe entre services

Le titre II prévoit une coopération entre les deux services correspondants afin de coordonner les actions communes visant à sauvegarder l’ordre et la sécurité publics, de lutter contre la criminalité transnationale organisée, l’immigration irrégulière et la délinquance, de recueillir et échanger des informations en matière policière et douanière et d’améliorer la lutte contre l’insécurité routière (article 8).

Cette coopération peut être mise en place à la demande d’une des parties ; elle peut notamment porter sur  l’identification des personnes, des automobilistes et de titulaires de lignes téléphoniques, sur l’accès à des informations provenant d’investigations policières et de documents informatisés , sur la transmission et la comparaison de données signalétiques et sur la préparation de plans et d’harmonisation de mesures de recherches (article 5).

Les services compétents d’une Partie peuvent par ailleurs transmettre de manière spontanée certaines informations qui sont susceptibles d’aider l’autre Partie à prévenir des menaces concrètes à la sécurité et l’ordre publics ou à lutter contre des faits punissables (article 6).

Chaque service assure en outre des contacts réguliers avec les services de l’autre Partie (article 7). Ces contacts peuvent aller jusqu’à une coopération transfrontalière directe, par le détachement de fonctionnaires de liaison auprès de l’autre Partie (article 9) ou dans un service commun pour participer à des enquêtes communes, par des patrouilles mixtes et par la surveillance de manifestations publiques (article 11).

Le détachement de fonctionnaires, la création de patrouilles mixtes ou la surveillance de manifestations publiques se fait dans le respect de la souveraineté des deux États, ce qui implique que le commandement soit assuré par un agent de la Partie sur le territoire de laquelle la patrouille se trouve (article 4). 

2.   L’appui aux Andorrans en matière de lutte contre le terrorisme et de gestion de crise

Dans le cadre de la lutte contre le terrorisme (titre III), les autorités andorranes peuvent solliciter le concours des unités spécialisées de la police nationale, de la gendarmerie nationale ou de la douane françaises. Cette coopération s’étend à la prévention, à la répression des actes de terrorisme et à la lutte contre leur financement (article 12).

Les autorités andorranes peuvent également demander l’aide d’unités françaises spécialisées dans des cas d’une gravité  « particulière nécessitant l’intervention de [ces] unités ». Les autorités françaises accèdent à cette demande dans la mesure de leurs possibilités (article 13). Pour cela, les autorités andorranes doivent prendre toutes les dispositions pour l’ouverture de l’espace aérien pour l’acheminement d’urgence.

Andorre a aussi la possibilité de demander le concours des autorités françaises pour les événements importants ou lors de graves troubles de l’ordre public (article 17). Enfin, en cas d’accident de montagnes, l’aide d’unités spécialisées françaises pourra être sollicitée (article 18)

3.   La formation professionnelle au bénéfice des agents andorrans

Sur la base de plans annuels et sous certaines conditions d’aptitudes, des policiers andorrans peuvent jouir d’une formation par des services compétents de la Partie française (article 22 et 25). Ils peuvent à ce titre obtenir un certificat ou un brevet de spécialité (article 23) après évaluation (article 32).

Si cette formation est gratuite, Andorre fournit l’équipement nécessaire à la formation (article 26), prend en charge les trajets, l’alimentation et l’hébergement des stagiaires sur le territoire français et des formateurs sur le territoire de la Principauté (article 29 et 35) et est responsable de la réparation des dommages causés par les stagiaires andorrans (article 30) et du règlement des prestations de santé (article 31). La Partie française s’engage à aviser la Partie andorrane de tout événement grave survenu au cours du stage (article 33).

C.   Quel impact pour la France ?

1.   Un impact administratif et financier contenu

L’impact administratif et financier de l’entrée en vigueur de l’accord devrait être limité. L‘étude d’impact précise qu’elle sera gérée à effectifs et moyens constants par la Partie française. Ainsi, l’affectation d’agents de liaison, l’institution de patrouilles mixtes ou la surveillance de manifestations publiques (titre II) seront mises en œuvre sous plafond des effectifs concernés et permettront une allocation optimale des effectifs opérationnels disponibles.

L’entraide en matière de lutte contre le terrorisme et en matière de gestion de crise de haute intensité, les interventions de maintien de l’ordre, les opérations de secours ou la formation de stagiaires andorrans (titres III, IV, V, VI) n’appellent pas non plus de nouvelles dépenses. Cette coopération se fera en effet dans la mesure de la disponibilité des unités sollicitées et des places disponibles dans les centres de formation français. Andorre prendra en charge les frais liés aux équipements, aux déplacements, à l’hébergement, à l’alimentation, aux dégradations occasionnées et aux soins médicaux des stagiaires andorrans.

Selon le Gouvernement, cette loi n’aura pas pour effet de fragiliser la sécurité dans les départements limitrophes, d’autant moins que les crédits de la mission « sécurité » ont connu une augmentation substantielle durant les dernières annuités budgétaires, notamment dans les domaines prioritaires que sont la lutte contre le terrorisme et la lutte contre la criminalité organisée, qui constituent justement des axes prioritaires de la coopération policière et douanière avec Andorre.

Le Gouvernement insiste par ailleurs sur le fait que les stipulations du traité ne font qu’institutionnaliser des formes de coopération déjà existantes ; l’assise juridique que cet accord leur confère devrait renforcer à terme la sécurité des personnes et des biens dans les départements frontaliers. Il met en avant que les actions mises en œuvre par la coopération policière et douanière seront également bénéfiques aux économies des deux pays puisqu’elles visent à lutter contre le blanchiment de capitaux et de trafics illicites

Enfin, contrairement à tous les accords de coopération transfrontalière en matière policière et douanière signés avec les pays frontaliers de la France, l’accord avec Andorre ne prévoit pas la création d’un centre de coopération policière et douanière (CCPD), qui ne paraît pas justifiée au regard des besoins opérationnels de la coopération franco-andorrane. L’existence d’un bureau à contrôles nationaux juxtaposés (BCNJ) entre la France et l’Andorre et des deux Centres de coopération policière et douanière de Melles et Le Perthus, qui entretiennent déjà des relations avec les autorités andorranes, permettrait en l’état actuel des choses une coopération satisfaisante.

La création éventuelle d’un centre de coopération policière et douanière resterait une possibilité, à terme, si l’utilité opérationnelle ou si des besoins évidents émergeaient, justifiant la charge financière et administrative que la création d’un tel centre représenterait. La trilatéralisation d’un centre de coopération policière et douanière franco-espagnol pourrait constituer une alternative intéressante, mais elle ne pourrait intervenir à droit constant et nécessiterait la conclusion d’un accord intergouvernemental, comme cela avait été fait avec la Belgique, le Luxembourg et l’Allemagne.

2.   Une protection des données garantie

Dans le cadre de leur coopération transfrontalière en matière policière et douanière, la France et Andorre seront amenées à échanger des informations et des données confidentielles. L’accord encadre donc ces échanges dans le respect des législations nationale et européenne (pour la Partie française), quelque soient leurs évolutions respectives. En effet, conformément à l’article 42, les données (pertinentes et non excessives par rapport aux finalités) ne seront échangées que si leur communication est nécessaire à la coopération bilatérale et le droit d’accès est réservé aux personnes directement concernées. Elles devront en outre être collectées et traitées pour des finalités déterminées, explicites et légitimes. Leur conservation dans les fichiers ne saurait excéder le délai maximal prévu par le droit national de la Partie émettrice de ces données.

La Commission européenne considérant qu’Andorre possède une législation assurant un niveau de protection suffisant des données personnelles  et Andorre ayant signé et ratifié la convention du Conseil de l’Europe et son Protocole additionnel précités, la CNIL (Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés) estime qu’elle dispose d’une législation adéquate en matière de protection des données à caractère personnel. Andorre pourra donc se voir transférer de telles données puisqu’elle assure un niveau de protection suffisant de la vie privée et des libertés et droits fondamentaux des personnes à l’égard du traitement dont ces données font l’objet, comme le prévoit l’article 68 de la loi n° 78-17 modifiée du 6 janvier 1978 dite « Informatique et Libertés ».


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   conclusion

La coopération transfrontalière franco-andorrane en matière policière et douanière recouvre quelques enjeux importants, s’agissant notamment de la lutte contre la grande criminalité financière, l’évasion fiscale et le trafic de cigarettes. Cette coopération a connu un regain de dynamisme au cours des dernières années mais elle demeure encore inaboutie.

La convention soumise à l’examen de la Commission devrait faciliter cette coopération transfrontalière en la sécurisant sur le plan juridique et en ouvrant de nouvelles possibilités.

Néanmoins, la rapporteure estime qu’il sera nécessaire d’évaluer l’impact de la mise en œuvre de cet accord sur le contenu effectif des actions de coopération conduites.  A cet égard, elle souhaite que ces résultats puissent être communiqués à la Commission.

Au bénéfice de ces observations, la rapporteure appelle les membres de la Commission à voter en faveur de l’approbation de cette convention. 

 


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EXAMEN EN COMMISSION

La commission examine le présent projet de loi au cours de sa séance du mardi 5 décembre 2017.

Après l’exposé de la rapporteure, un débat a lieu.

Mme Laetitia Saint-Paul. Votre constat est assez inquiétant. Vous avez évoqué la criminalité organisée, la délinquance, la contrebande. Ce projet de loi est-il donc un aboutissement ou un point de départ pour une coopération transfrontalière plus approfondie ?

Mme Samantha Cazebonne. Je pense précisément que cet accord mérite que nous lui donnions une suite favorable car les problématiques, sans être massives, sont réelles et pourraient s’aggraver dans les prochaines années. Il est donc important aujourd’hui que nous donnions un cadre juridique à notre coopération transfrontalière. Cet accord nous donne tous les outils utiles pour coopérer ; il nous reviendra d’en contrôler la mise en œuvre.

M Jean-François Mbaye. Pouvez-vous me préciser si la principauté d’Andorre entretient des relations étroites avec la police espagnole ? Avons-nous développé des relations trilatérales en la matière ?

Mme Amal-Amélia Lakrafi. Quelle serait l’utilité de créer ultérieurement un centre de coopération policière et douanière ?

M. Alain David. Andorre existait grâce à sa marginalité et la spécificité de son tourisme basé sur la contrebande et l’or pas cher. La position de l’Espagne est importante : se désintéresse-t-telle d’Andorre ?

Mme Samantha Cazebonne. Andorre entretient des relations privilégiées avec les services de police et de douane espagnols, le partage de la langue catalane aidant. Il était donc nécessaire de fixer un cadre à la coopération franco-andorrane, qui vient combler un vide juridique. Quant aux relations trilatérales avec l’Espagne, elles ne sont pas institutionnalisées mais peuvent se traduire par des échanges opérationnels au cas par cas.

Par ailleurs, aujourd’hui, il n’y a pas de réel intérêt à créer un centre commun de coopération policière et douanière, qui engendrerait des coûts non négligeables. En l’état actuel des choses, cela ne se justifie pas au regard des besoins opérationnels, qui peuvent être satisfaits en optimisant les moyens existants.

Suivant l’avis de la rapporteure, la commission adopte le projet de loi n° 168 sans modification.


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ANNEXE :

TEXTE DE LA COMMISSION des affaires étrangères

 

 

 

Article unique

(Non modifié)

Est autorisée l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté d’Andorre relatif à la coopération transfrontalière en matière policière et douanière, signé à Paris le 17 mars 2014, et dont le texte est annexé à la présente loi.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                                     

NB : Le texte de l’accord figure en annexe au projet de loi (n° 168)


([1])Ces accords sont par ordre chronologique : - l’accord de Chambéry franco-italien du 03 octobre 1997 ; - l’accord de Mondorf franco-allemand du 09 octobre 1997 ; - le Traité de Blois franco-espagnol du 07 juillet 1998 ; - l’accord de Tournai franco-belge du 05 mars 2001 (supplanté par l’accord « Tournai II » du 18 mars 2013) ; - l’accord de Luxembourg franco-luxembourgeois du 15 octobre 2001 ; - l’accord quadripartite de Luxembourg du 24 octobre 2008 (Allemagne, Belgique, France et Luxembourg).