N° 443

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIEME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 5 décembre 2017

 

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI ADOPTÉ PAR LE SÉNAT, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Conseil fédéral suisse relatif à la fiscalité applicable dans l’enceinte de l’aéroport de Bâle-Mulhouse,

PAR M. BRUNO  FUCHS

Député

——

 

ET

 

ANNEXE : TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

 

 

Voir les numéros :

Sénat : 36, 59, 60 et T.A. 16 (2017-2018).

Assemblée nationale : 373.

 


 

 

 

 


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SOMMAIRE

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 Pages

introduction

I. Bâle-mulhouse, un aéroport au service d’une région transfrontalière dynamique

A. Une région trinationale intégrée

B. Un aéroport symbole de cette intégration transfrontalière

1. Une institution très originale

2. La dynamique économique

II. mais des règles fiscales incertaines qui ont souvent conduit à la non-imposition

A. Un accord fiscal spécifique attendu depuis… 1949 !

B. Le résultat d’un droit incertain : une fiscalité de fait très allégée

1. L’aéroport lui-même ne verse de l’impôt sur les sociétés que depuis 2015

2. Les sociétés du secteur douanier suisse : une fiscalisation faible et incontrôlable

3. La non-application de certaines taxes aéronautiques

III. Une situation d’incertitude qui n’était plus tenable

A. Le rappel du droit par le Conseil d’État obligeait à sortir de la situation préexistante

B. des projets de développement potentiellement affectés par le risque fiscal

IV. l’accord : un compromis qui préserve la compétitivité de l’aéroport

A. L’esprit général de l’accord

B. L’établissement public : un impôt partagé entre les deux pays

C. la fiscalité aéronautique : Une contribution ad hoc sur les billets d’avion

D. la fiscalité des entreprises du secteur douanier suisse

1. Un assujettissement à l’impôt sur les sociétés français

2. Un assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée suisse

3. Une exonération des taxes locales françaises imparfaitement compensée pour les collectivités

a. Un assujettissement à l’impôt sur le capital dans le canton de Bâle-Ville

b. En conséquence une exonération de taxes locales en France

c. Une compensation imparfaite pour les collectivités locales

E. Les dispositions finales de l’accord

Conclusion

TRAVAUX DE LA COMMISSION

Annexes

annexe 1 : texte adopté par la commission

annexe 2 : Personnes auditionnées par le rapporteur


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   introduction

 

Mesdames, Messieurs,

 

L’accord qui est l’objet du présent projet de loi peut apparaître complexe : signé entre la France et la Suisse, il prévoit d’appliquer à l’aéroport de Bâle-Mulhouse et à certaines des entreprises qui y sont implantées un mix des règles fiscales des deux pays : l’impôt sur les sociétés français, mais la TVA et l’impôt sur le capital suisses, pas de taxes locales françaises et une fiscalité sur les billets d’avion inspirée du droit français mais différente…

Cet accord est un compromis, non seulement entre les deux pays signataires, mais surtout entre des considérations parfois contradictoires de clarification des lacunes du droit qui permettent des stratégies d’évitement fiscal, mais aussi de préservation de l’attractivité économique du site.

Il est également la résultante d’une spécificité et d’une histoire.

La spécificité est celle de l’aéroport de Bâle-Mulhouse, cas sans équivalent d’institution localisée intégralement sur le territoire d’un État (la France), mais cependant conçue dès l’origine, développée et gouvernée en coresponsabilité avec un autre État (la Suisse).

L’histoire a commencé en 1946 et est donc vieille de soixante-dix ans. Pendant toute cette période, le droit fiscal applicable à l’aéroport a été pour le moins incertain, les deux pays ne l’ayant pas défini alors qu’ils avaient dès 1949 prévu de le faire. Le présent accord répare enfin, en 2017, cette omission, mais il prend en compte inévitablement les situations de fait qui se sont développées dans les lacunes du droit.

L’histoire, c’est aussi celle d’un véritable succès économique – plus de 6 000 emplois directs, le 7ème aéroport français – qu’il ne faut pas remettre en cause, mais bien au contraire conforter. Le présent accord répond à cette exigence.

 


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I.   Bâle-mulhouse, un aéroport au service d’une région transfrontalière dynamique

A.   Une région trinationale intégrée

L’agglomération bâloise, prospère et dynamique, est à l’origine d’une des régions européennes transfrontalières les plus avancées dans son intégration.

L’aéroport de Bâle-Mulhouse, créé dès le lendemain de la Seconde guerre mondiale, comme on y reviendra, en est l’une des premières réalisations.

La coopération transfrontalière s’est depuis lors progressivement structurée avec la mise en place, dans les années 1990, de structures réunissant des entités des trois pays, France, Suisse et Allemagne. Constituées généralement sous forme associative, ces structures regroupent des collectivités locales, mais aussi parfois des institutions diverses (organismes consulaires, fédérations d’entreprises, établissements d’enseignement supérieur…).

L’« Agglomération trinationale de Bâle » (ATB) s’est ainsi mise en place à partir de 1995 et est devenue en 2007 l’« Eurodistrict trinational de Bâle », qui regroupe plusieurs instances préexistantes. L’Eurodistrict couvre 226 villes et communes des trois pays et il compte plus de 800 000 habitants. C’est un espace où 60 000 frontaliers traversent quotidiennement une frontière pour aller travailler, ce qui rend compte du degré d’intégration atteint. L’Eurodistrict promeut des projets très concrets allant du prolongement transfrontalier de lignes de transports en commun au projet d’exposition internationale d’architecture IBA Basel 2020.

Autre plateforme trinationale, « RegioTriRhena » couvre un espace plus vaste, étendu à tout le département du Haut-Rhin et plusieurs cantons suisses.

B.   Un aéroport symbole de cette intégration transfrontalière

L’« EuroAirport Basel-Mulhouse-Freiburg », pour s’en tenir à sa dénomination officielle actuelle, a été imaginé dès les années 1930 quand le petit aérodrome dont disposait la ville de Bâle est apparu inadapté au développement de l’aviation commerciale. Dès la Seconde guerre mondiale finie, les autorités françaises et suisses ont trouvé un accord : les premières fournissaient le terrain, les secondes finançaient les premières infrastructures. L’aéroport a été inauguré le 8 mai 1946, bien avant que ne soit signé l’accord international définissant son statut, à savoir la convention franco-suisse du 4 juillet 1949 relative à la construction et à l’exploitation de l’aéroport de Bâle-Mulhouse. Il est implanté en totalité sur le territoire français, plus précisément sur les communes de Blotzheim, Hésingue et Saint-Louis dans le Haut-Rhin.

1.   Une institution très originale

L’aéroport est une institution tout à fait originale. Il n’existe aucun autre aéroport qui relève d’un régime binational comparable, de sorte que les solutions qui doivent y être mises en œuvre sur le plan du droit (fiscal dans le présent accord) sont nécessairement spécifiques. Il existe certes à nos frontières d’autres ouvrages territorialement binationaux comme le tunnel sous la Manche ou les grands tunnels alpins, voire implantés sur deux territoires nationaux et placés dans un cadre international – cas du CERN (Organisation européenne pour la recherche nucléaire) –, mais le cas de l’aéroport de Bâle-Mulhouse est particulier en ce qu’il est intégralement situé sur le sol français et cependant soumis à un régime juridique binational.

La gestion de l’aéroport est confiée par l’article 1er de la convention de 1949 précitée à un établissement public franco-suisse. Celui-ci a été doté d’un conseil d’administration composé à parité de représentants de deux pays (ainsi que de deux représentants allemands à titre consultatif).

2.   La dynamique économique

L’aéroport de Bâle-Mulhouse s’est régulièrement développé au cœur d’une région tri-nationale densément peuplée et prospère : d’après l’étude d’impact du présent projet de loi, 3,2 millions de personnes résident à moins d’une heure de voiture ; le PIB moyen par habitant serait proche de 40 000 euros.

Le trafic de passagers de l’aéroport a plus que doublé de 2005 à 2016, passant de 3,3 millions à 7,3 millions. Moins dynamique, le fret aérien atteint environ 100 000 tonnes par an. Une soixantaine de compagnies aériennes (toutes activités confondues : vols réguliers, charters et fret) sont actives et plus d’une centaine de destinations desservies.

Comme le montre le graphique ci-après, Bâle-Mulhouse est le 7ème aéroport français pour le trafic de passagers et l’un de nos premiers aéroports régionaux. En tant qu’aéroport suisse, puisqu’il est binational comme on y reviendra, il apparaît au 3ème rang derrière Zurich et Genève.

Les dix premiers aéroports français en 2016

(trafic annuel de passagers en millions)

Source : « Résultats d’activité des aéroports français 2016 – Statistiques de trafic », Union des aéroports français.

L’aéroport en tant que tel a réalisé en 2016 un chiffre d'affaires de 133,2 millions d’euros et un résultat net après impôt sur les sociétés de 24,8 millions. Il emploie 360 salariés.

Surtout, d’après le rapport annuel 2016 de l’établissement public binational, la plate-forme aéroportuaire représenterait près de 6 400 emplois, avec plus d’une centaine de sociétés présentes. En dehors des activités strictement aéroportuaires habituelles (gestion, contrôle, sécurité, accueil des passagers, commerce…), on trouverait plus de 2 000 emplois dans des activités industrielles, notamment la maintenance et l’aménagement d’avions d’affaires. Plus de 1 000 personnes seraient employées en lien avec l’activité de fret.

Selon ce document, 75 % de ces employés habitent en France, 19 % en Suisse et 6 % en Allemagne. Cela représente donc plusieurs milliers de personnes qui habitent dans les localités françaises voisines, y génèrent des emplois indirects, y versent des impôts…

 


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II.   mais des règles fiscales incertaines qui ont souvent conduit à la non-imposition

A.   Un accord fiscal spécifique attendu depuis… 1949 !

La convention franco-suisse du 4 juillet 1949 qui pose les grandes règles relatives à l’aéroport de Bâle-Mulhouse a mis en place un équilibre complexe entre les responsabilités des deux pays signataires :

– le principe général, posé à l’article 6 de cette convention, est que « la législation et la réglementation françaises sont seules applicables dans l’enceinte de l’aéroport, sauf les dérogations expresses » prévues par la convention elle-même et ses annexes ;

– les missions régaliennes permettant le fonctionnement technique de l’aéroport (direction et contrôle de la navigation aérienne, météorologie, etc.) incombent aux autorités françaises (article 4 de la convention) ;

– mais chacun des deux pays dispose dans l’aéroport d’un secteur douanier (et policier) où ses agents appliquent sa réglementation douanière (article 2). En conséquence, la compétence pour les contrôles sanitaires, douaniers et policiers est partagée entre les deux pays. La continuité douanière du secteur suisse avec le territoire helvétique a été assurée par la construction en 1952 d’une « route douanière » prévue par l’article 7 de la convention ;

– les « droits de trafic » ([1]) peuvent être octroyés aux compagnies aériennes par les deux États (article 16 de la convention).

Les questions fiscales ne sont pas directement traitées par la convention de 1949. Celle-ci comprend seulement une annexe II, dédiée au cahier des charges de l’aéroport, dont l’article 14 stipule que « les conditions d’application des impôts et taxes fiscales français à la charge de l’aéroport, des compagnies de navigation aérienne et des entreprises chargées de l’exécution de travaux immobiliers pour l’aéroport, feront l’objet d’un accord entre les deux gouvernements ».

Cependant, si quelques problèmes fiscaux ponctuels ont été réglés au fil des ans par des échanges de notes diplomatiques ou des arrangements administratifs ([2]) entre les deux pays, on peut considérer que cet accord fiscal spécial n’a jamais été passé  – ou plutôt qu’il ne l’a été finalement qu’en 2017 : l’accord qui est l’objet du présent rapport répond enfin aux prescriptions de 1949…

Il est à noter que dans d’autres domaines juridiques aussi, ce n’est tardivement que les autorités compétentes des deux pays ont cherché à clarifier les règles applicables : on peut citer à cet égard l’accord de méthode concernant le droit du travail signé en 2012 par, notamment, M. Xavier Bertrand, alors ministre du travail, et M. Didier Burkhalter, conseiller fédéral en charge des affaires étrangères ([3]), ou l’accord de 2014 concernant l’affiliation au régime suisse de sécurité sociale de certains des salariés de l’aéroport et de ses entreprises ([4]).

B.   Le résultat d’un droit incertain : une fiscalité de fait très allégée

Le renvoi, dans le texte fondateur de 1949, à un arrangement fiscal bilatéral jamais pris a créé une situation d’incertitude sur le droit fiscal applicable à l’aéroport et aux entreprises qui y sont présentes, du moins sur le « secteur » suisse (l’application du droit commun français dans le « secteur » français n’étant pas discutée) : il était loisible de soutenir que seul cet arrangement fiscal pouvait définir ce droit fiscal, de sorte que le droit fiscal français n’avait pas à s’appliquer.

Cette incertitude a conduit en pratique à un non-assujettissement assez général aux impôts français, lequel ne trouvait même pas toujours de compensation dans un assujettissement aux impôts suisses, puisque l’aéroport ne se trouve pas sur le territoire fiscal suisse (tout au plus, en quelque sorte, sur le territoire douanier suisse).

1.   L’aéroport lui-même ne verse de l’impôt sur les sociétés que depuis 2015

L’établissement public binational gestionnaire de l’aéroport a de fait longtemps échappé à l’impôt sur les sociétés, malgré une profitabilité insolente (un résultat net dépassant systématiquement les 20 millions d’euros ces dernières années pour un chiffre d’affaires un peu supérieur à la centaine de millions). D’après le rapport annuel de l’établissement pour 2016, l’impôt sur les sociétés n’est versé que depuis 2015 (6,3 millions d’euros pour cet exercice et 6,9 millions pour 2016).

2.   Les sociétés du secteur douanier suisse : une fiscalisation faible et incontrôlable

Toujours d’après le rapport annuel de l’aéroport, en 2016, 61 entreprises opéraient dans le secteur douanier suisse et 54 dans le secteur douanier français. Mais si le nombre d’entreprises des deux côtés est donc équilibré, il n’en est pas de même pour leur taille et donc l’activité économique : les entreprises implantées dans le secteur suisse représentaient 4 900 emplois, contre moins de 1 500 dans le secteur français.

Il est probable que l’attractivité du secteur suisse ait été largement due à la situation fiscale des entreprises y localisant leurs activités : de fait, la grande majorité, pendant très longtemps, n’ont jamais déposé auprès de l’administration fiscale française de déclaration d’impôt sur les sociétés au titre de leur établissement dans ce secteur.

Il semble que certaines de ces entreprises ne distinguaient pas dans leur déclaration fiscale à l’administration suisse l’activité exercée sur le sol suisse de celle réalisée sur le sol français : le bénéfice soumis à l’impôt en Suisse se rapportait donc tant à leur activité suisse que française. D’autres ont probablement échappé à tout impôt, suisse ou français, pour leur activité dans le secteur suisse de l’aéroport.

Cette situation de fiscalisation très aléatoire valait aussi pour les impôts locaux.

Il était très difficile à l’administration fiscale française d’engager des contrôles efficaces contre ces entreprises compte tenu de la compétence douanière et policière de la Suisse dans son secteur de l’aéroport, de la réticence des autorités helvétiques à répondre aux demandes des services fiscaux français et de la portée limitée du mécanisme d’assistance administrative prévu par la convention fiscale bilatérale avant la conclusion d’un avenant du 27 août 2009.

3.   La non-application de certaines taxes aéronautiques

L’exercice par les compagnies aériennes de leur activité repose sur la mise en œuvre d’autorisations administratives communément appelées « droits de trafic ». Sur l’aéroport de Bâle-Mulhouse, comme on l’a dit, ces droits de trafic peuvent être octroyés par la France aussi bien que par la Suisse.

En pratique, 90 % du trafic de l’aéroport s’effectue sous droits de trafic suisses. L’une des raisons en est sans doute l’absence d’assujettissement des vols sous droits suisses à une partie de la fiscalité aéronautique française, c’est-à-dire à différentes « taxes » généralement forfaitaires et liées aux billets d’avion.

L’aéroport a certes mis en place (par des délibérations internes) des dispositifs qui correspondent à ceux prévus par la législation nationale pour le financement de certaines missions d’intérêt général. Il y a ainsi une taxe d’aéroport pour le financement des missions de sécurité et de sûreté aéroportuaire, laquelle a représenté un rendement de 26 millions d’euros en 2016. Il y a également une « redevance bruit » pour financer les aides aux riverains pour l’insonorisation de leurs habitations.

En revanche, les vols sous droits de trafic suisses ne sont pas assujettis à la taxe de l’aviation civile à proprement parler. Cette taxe perçue dans les aéroports français est affectée au financement au niveau national de la direction générale de l’aviation civile, dont les 11 500 agents assurent notamment la gestion de la navigation aérienne et le contrôle de la sécurité de l’aviation civile. Dans la mesure où la convention franco-suisse de 1949 attribue clairement au Gouvernement français les missions régaliennes correspondantes s’agissant de l’aéroport de Bâle-Mulhouse, ce non-assujettissement est anormal.

Les vols sous droits de trafic suisses échappent de même à la taxe de solidarité (dite « taxe Chirac ») affectée au Fonds de solidarité pour le développement (géré par l’Agence française de développement), lequel finance avec cette ressource des programmes internationaux tels que la facilité internationale d’achat de médicaments (UnitAid) ou le Fonds mondial de lutte contre le SIDA.

 


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III.   Une situation d’incertitude qui n’était plus tenable

Si l’on s’est longtemps accommodé d’une situation dont certains tiraient avantage, le statu quo n’était tenable que tant que l’administration fiscale française était modérément active dans le contrôle des entreprises du secteur douanier suisse, tant que celles-ci pouvaient compter sur l’administration suisse pour ne pas répondre efficacement aux demandes de l’administration française et tant que ce genre de situations était toléré par l’opinion publique.

Cette dernière est légitimement devenue de moins en moins encline à accepter les pratiques d’« évitement » fiscal et l’administration française de plus en plus active dans ses tentatives d’application du droit commun national dans l’enceinte de l’aéroport. En 2013, les autorités françaises ont cherché à y imposer la pleine application de la fiscalité aéronautique française, ce qui aurait entraîné, selon l’aéroport, un surcoût de 14 millions d’euros pour les compagnies aériennes volant sous droits de trafic suisses et/ou leurs passagers (selon le report ou non des taxes en cause sur le prix des vols).

Surtout, en 2009, une décision de la justice administrative a mis à bas explicitement les arguties tirées de l’absence de passation de l’accord fiscal spécifique prévu en 1949, remplaçant une situation d’incertitude juridique, de risque fiscal potentiel, par une situation de risque fiscal avéré.

A.   Le rappel du droit par le Conseil d’État obligeait à sortir de la situation préexistante

Statuant en dernier ressort sur les suites d’un contrôle fiscal à l’encontre d’une société du secteur douanier suisse de l’aéroport, le Conseil d’État a en 2009 ([5]) jugé que la fiscalité française devait lui être appliquée, puisque l’on se trouvait toujours sur le territoire français et que l’absence de l’accord fiscal spécifique envisagé en 1949 signifiait alors simplement absence de toute dérogation au droit commun : les stipulations qui posaient le principe d’un accord fiscal spécifique « ne font pas obstacle, en l’absence de stipulations expresses en décidant autrement prévues par un accord entre la France et la Suisse (…), à l’imposition à l’impôt sur les sociétés des bénéfices [provenant des installations d’une société] situées dans le secteur suisse de l’aéroport dont l’emprise se trouve dans son ensemble en territoire français ».

Cette décision très claire a placé les entreprises du secteur douanier suisse de l’aéroport dans une situation de risque avéré qui a entraîné un mouvement très significatif de mise en règle. Le changement se voit clairement dans l’évolution du produit d’impôt sur les sociétés qu’elles versent en France, lequel est en croissance régulière depuis 2010 et a été multiplié par trente en cinq ans !

Impôt sur les sociétés versé par les entreprises du secteur douanier suisse

(en millions d’euros)

Source : Gouvernement.

On constate de la même manière un certain niveau de versement des taxes locales, bien qu’elles n’aient pas directement été concernées par la décision du Conseil d’État, le rendement global au niveau des entreprises du secteur douanier suisse atteignant environ 3,3 millions d’euros.

Produits de contribution économique territoriale des entreprises du secteur suisse

(en euros)

Bénéficiaires

2015

2016

Blotzheim

 

 

Hésingue

1 361 977

 

Saint-Louis

245 717

 

Intercommunalités

438 140

2 110 172

Département du Haut-Rhin

727 123

813 027

Région Alsace puis Grand-Est

374 806

419 086

TOTAL

 3 147 762

 3 342 285

Source : Gouvernement.

En effet, les entreprises et les investisseurs n’aiment pas certains risques. L’un des enjeux essentiels de l’accord que nous examinons est de lever ces risques.

B.   des projets de développement potentiellement affectés par le risque fiscal

La clarification des règles fiscales applicables apparaît comme une nécessité pour que se réalisent dans les meilleures conditions plusieurs grands projets de développement et d’investissement concernant l’aéroport de Bâle-Mulhouse :

– les projections effectuées par l’aéroport sur l’évolution de son trafic tablent sur 8 millions de passagers en 2018, 9 millions en 2021 et 10 millions en 2026. Un plan d’investissements de plusieurs centaines de millions d’euros dans les infrastructures aéroportuaires à l’horizon 2030 est en cours de réflexion. Rien qu’en 2016, l’aéroport a dépensé 50 millions d’euros en investissements ;

– EasyJet, qui est la compagnie la plus active sur l’aéroport (assurant trois cinquièmes des vols), a annoncé la création de nouvelles lignes. D’après l’étude d’impact afférente au présent projet de loi, cinq nouvelles lignes ont été ouvertes suite à la signature du présent accord, dont deux par Easyjet, et la compagnie Iberia a décidé de s’implanter ;

– un projet de raccordement ferroviaire avec la gare de Saint-Louis, comprenant 7 kilomètres de voie ferrée nouvelle et l’implantation d’une gare au contact direct de l’aéroport, est en cours d’étude. Son coût a été évalué en 2010  à 220 millions d’euros et les travaux pourraient avoir lieu durant la période 2020-2025.


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IV.   l’accord : un compromis qui préserve la compétitivité de l’aéroport

La négociation du présent accord a été engagée suite à la « crise » liée à la tentative avortée d’imposer à Bâle-Mulhouse la totalité de la fiscalité aéronautique française de droit commun et s’est inscrite dans une prise de conscience par toutes les parties de la nécessité de disposer de règles fiscales claires pour poursuivre le développement de l’aéroport.

Les négociations ont été complexes, car la France et la Suisse partageaient la conviction qu’il fallait parvenir à une solution négociée, mais défendaient des positions éloignées. Elles ont été scandées par la publication de plusieurs déclarations communes (22 janvier et 14 avril 2015, puis 23 janvier 2016) destinées à informer et rassurer les opérateurs économiques sur le compromis vers lequel on se dirigeait.

L’accord a finalement été signé à Paris le 23 mars 2017 par le secrétaire d’État chargé des affaires européennes, M. Harlem Désir, et M. Didier Burkhalter, conseiller fédéral suisse en charge des affaires étrangères.

A.   L’esprit général de l’accord

Le préambule du présent accord en expose les principaux objectifs :

– il vise bien à satisfaire aux prescriptions posées dans le cadre d’une annexe à la convention fondatrice de 1949, à savoir passer un accord définissant les règles fiscales spécifiques applicables à l’aéroport binational ;

– cette clarification est nécessaire au « développement pérenne » de l’aéroport et répond à un « objectif commun (…) de maintenir l’attractivité de l’aéroport, ce qui présuppose un régime juridique clair et pérenne » ;

– il applique le principe posé dans la convention fiscale franco-suisse de 1966, en l’étendant même aux impôts non couverts par celles-ci, qui est d’éviter les situations de double assujettissement à des impôts analogues (en France et Suisse) des entreprises exerçant une activité dans le secteur suisse de l’aéroport.

B.   L’établissement public : un impôt partagé entre les deux pays

L’article 1er de l’accord prévoit que l’imposition des revenus (impôt sur les sociétés) de l’établissement public gestionnaire de l’aéroport est déterminée selon la loi fiscale française.

Pour mémoire, cet impôt est payé par l’établissement depuis 2015, pour un montant annuel de plus de 6 millions d’euros.

Il est disposé que ce produit fiscal sera à l’avenir partagé à parts égales entre la France et la Suisse. L’article 10 prévoit aussi, à titre rétroactif, un partage égal de l’impôt payé par l’établissement à partir de 2015 et avant l’entrée en vigueur de l’accord.

Il est enfin prévu qu’avant partage entre les deux États, ce produit fiscal fera l’objet d’un prélèvement de 3,2 millions d’euros destiné à compenser certaines pertes de recettes des collectivités locales françaises (voir infra).

Il faut par ailleurs signaler que l’aéroport, s’acquittant déjà des taxes locales et de la TVA française, devrait continuer à le faire, ces questions n’étant pas traitées par l’accord.

C.   la fiscalité aéronautique : Une contribution ad hoc sur les billets d’avion

L’article 2 de l’accord exonère de taxe de l’aviation civile les entreprises de transport aérien embarquant des passagers au départ de l’aéroport de Bâle-Mulhouse dans le cadre de vols commerciaux sous droits de trafic suisses (étant rappelé que cela concerne 90 % du trafic de l’aéroport), mais les soumet en contrepartie à une contribution spécifique.

Cette contribution se substitue donc à la taxe de l’aviation civile de droit commun qui est payée dans le cadre des vols opérés au départ des aéroports français (y compris du secteur français de Bâle-Mulhouse).

Anticipant ce dispositif, le législateur en avait défini le cadre légal par l’article 49 de la loi n° 2015-1785 du 29 décembre 2015 de finances pour 2016, relatif au cas très particulier (en fait propre à l’aéroport de Bâle-Mulhouse) de l’embarquement de passagers ou de fret opéré sur le territoire français par des transporteurs aériens publics bénéficiant de droits de trafic accordés par un État tiers limitrophe.

À la différence de la taxe de l’aviation civile, la contribution prévue par l’accord ne frappe que le transport de passagers (pas le fret) et est spécifiquement destinée à « couvrir les missions d’intérêt général assurées par l’administration française de l’aviation civile à l’occasion de [l’]utilisation de l’aéroport » (et non l’ensemble du financement des missions de la direction générale de l’aviation civile, ce qui est l’objet de la taxe de l’aviation civile).

L’accord précise quelles sont ces missions : « activités de régulation économique et technique, (…) réglementation de la circulation aérienne, (…) respect des règles de sécurité et de protection de l’environnement des installations aéroportuaires et des aéronefs, (…) surveillance du service de lutte contre l’incendie et contre le péril animalier de l’aéroport ». Ces missions seront assurées par la direction générale de l’aviation civile, laquelle applique la réglementation européenne ([6]).

L’accord renvoie à un protocole particulier la détermination de leurs coûts, les règles d’actualisation de ceux-ci ainsi que les règles permettant de calculer le tarif de la contribution. Le protocole prévu a été conclu le 16 février 2017 entre la direction générale de l’aviation civile française et son homologue suisse, l’office fédéral de l’aviation civile. Les deux administrations ont décidé que la valorisation des coûts serait définie d’un commun accord pour des périodes de cinq ans. Pour la période 2016-2020, les coûts à couvrir ont été fixés en base annuelle à un peu plus de 6 millions d’euros et seront revalorisés de l’inflation, dans la limite de 1 %.

En conséquence, le tarif de la contribution alternative a été fixé par un arrêté du 6 juin 2017 à 1,73 euro par passager. Outre qu’elle ne touche pas le fret, elle est donc nettement moins lourde que la taxe de l’aviation civile de droit commun, dont le tarif est de 4,48 euros par passager pour les vols nationaux et européens et 8,06 euros pour les autres destinations, et qui est de plus complétée par la taxe de solidarité (1,13 euro à 45,07 euros par billet selon la destination et la classe d’embarquement), dont l’accord ne traite pas.

D.   la fiscalité des entreprises du secteur douanier suisse

1.   Un assujettissement à l’impôt sur les sociétés français

L’article 3 de l’accord assujettit les entreprises du secteur suisse de l’aéroport à l’impôt français sur les sociétés (ou sur les revenus selon le mode d’imposition).

Comme on a pu le voir, les entreprises en cause ont commencé depuis plusieurs années à se mettre en règle. D’ores et déjà, les quatre cinquièmes se seraient immatriculées en France et les deux tiers seraient à jour de leurs obligations fiscales.

La coopération entre les administrations des deux pays a permis en 2016 la création d’un guichet fiscal unique et l’élaboration d’un vade-mecum à destination des entreprises afin de les accompagner dans leurs premières démarches auprès de l’administration fiscale française.

2.   Un assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée suisse

En revanche, l’article 4 de l’accord soumet les entreprises exerçant une activité dans le secteur suisse de l’aéroport au régime suisse de TVA, alors même que certaines avaient commencé à opérer des versements de TVA à l’administration fiscale française.

Ce choix peut être considéré comme cohérent avec la notion de secteur douanier suisse, droits de douane et TVA à l’importation allant ensemble.

Il est a priori avantageux pour les entreprises car les taux de TVA sont plus légers en Suisse qu’en France : le taux normal de base y est de 8 % contre 20 % en France ; les taux réduits applicables à certains produits ou prestations y sont de 3,8 % ou 2,5 % contre 10 %, 5,5 % ou 2,1 % en France.

Il représente cependant une concession relativement limitée dans la mesure où, en droit français comme en droit suisse, une grande partie des activités se réalisant en lien avec les aéroports sont de toute façon exonérées de TVA (exportations s’agissant du fret international, prestations de services se rattachant au trafic international de biens, transport international de voyageurs, livraisons et prestations de services portant sur des avions, ventes en duty free…).

Cette exonération de la TVA française octroyée au secteur suisse de l’aéroport déroge au droit européen. Elle a donc été formellement notifiée à l’Union européenne qui l’a autorisée compte tenu de l’engagement français à ce que cette dérogation (très ponctuelle) n’ait pas d’incidence sur les ressources propres de l’Union provenant de la TVA ([7]).

3.   Une exonération des taxes locales françaises imparfaitement compensée pour les collectivités

a.   Un assujettissement à l’impôt sur le capital dans le canton de Bâle-Ville

Il existe au niveau des cantons et des communes suisses un impôt annuel sur le capital des entreprises, qui est assis sur leur capital propre net (ce qui correspond plus ou moins aux fonds propres) et généralement proportionnel ([8]).

L’article 5 de l’accord prévoit l’imposition du capital correspondant aux établissements stables sis dans le secteur suisse de l’aéroport dans le canton de Bâle-Ville.

Cette disposition est réservée aux entreprises répondant aux conditions cumulatives :

– d’être fiscalement résidentes en Suisse ;

– d’être inscrites dans un registre cantonal du commerce ;

– d’exercer dans le secteur douanier suisse ;

– d’avoir une activité en lien avec l’aéronautique ou nécessaire à l’exploitation normale de l’aéroport.

Les entreprises qui exerçaient une activité dans le secteur suisse de l’aéroport au 23 janvier 2016 sont toutefois dispensées de justifier du respect de ces conditions.

L’organe législatif du canton de Bâle-Ville a voté le 8 novembre dernier une modification de la loi fiscale cantonale qui tient compte du présent accord en instituant une taxe sur le capital pour les entreprises du secteur suisse de l’aéroport.

b.   En conséquence une exonération de taxes locales en France

L’article 5 de l’accord institue une exonération de contribution économique territoriale ([9]) pour les entreprises du secteur douanier suisse soumises à l’impôt bâlois sur le capital en application des dispositions susmentionnées. L’étude d’impact afférente au présent projet de loi relève que « le présent accord constituera en droit interne le fondement juridique à l’exonération de la contribution économique territoriale et de taxes annexes sur les salaires ». Cette exonération vaudra pour les seules entreprises susmentionnées car elle est formellement justifiée par la volonté d’écarter toute double imposition (il s’agit « d’éviter l’assujettissement à des impôts, droits et taxes de nature identique ou analogue existant tant en France qu’en Suisse »). Il est d’ailleurs précisé qu’« à défaut d’une imposition en Suisse » du capital des établissements sis dans le secteur suisse, la contribution économique territoriale serait alors exigible en France.

L’exonération vaudra aussi pour les « taxes annexes sur les salaires », ce qui doit désigner des prélèvements tels que la taxe d’apprentissage, les participations des employeurs au développement de la formation professionnelle continue et à l’effort de construction ou encore le versement transports, et tous « impôts, droits et taxes de nature identique ou analogue qui les remplaceraient ».

c.   Une compensation imparfaite pour les collectivités locales

Cette exonération de contribution économique territoriale (CET) entraîne une perte de recettes significative pour les collectivités concernées, puisque, malgré les contestations sur le droit applicable, la collecte globale (tous niveaux de collectivités) de CET sur les entreprises du secteur douanier suisse a tout de même atteint 3,15 millions d’euros en 2015 et 3,34 millions en 2016.

C’est pourquoi l’article 1er de l’accord, dont on a vu qu’il assujettissait l’établissement public gestionnaire de l’aéroport à l’impôt français sur les sociétés, prévoit aussi un prélèvement annuel de 3,2 millions d’euros sur le montant de cet impôt au bénéfice des collectivités en cause, à titre de compensation.

Ces 3,2 millions correspondent approximativement au dernier rendement connu de la CET dans le secteur douanier suisse.

Il s’agit toutefois d’une compensation imparfaite pour plusieurs raisons :

– il est certes prévu, dans le principe, une actualisation de ce montant de 3,2 millions, mais sans garantie que la dynamique économique de l’aéroport y soit pleinement prise en compte ;

– le versement aux collectivités locales pourrait tomber sous ces 3,2 millions (si l’impôt sur les sociétés de l’aéroport était inférieur, voire nul, le versement serait de même réduit, voire annulé) ;

– ce montant correspond en tout état de cause à ce qui était collecté au titre de la CET en 2015-2016 dans le secteur douanier suisse, pas nécessairement à ce qui était dû si, comme c’est probable, toutes les entreprises ne payaient pas.

Pour autant, le présent accord constitue un compromis et les collectivités sur le territoire desquelles l’aéroport est implanté doivent prendre en compte l’ensemble des intérêts économiques et fiscaux qui s’attachent à la clarification de la situation fiscale du site pour l’avenir ainsi qu’au maintien de sa compétitivité en évitant un trop grand « ressaut » fiscal. C’est au fond un pari sur le développement futur de l’activité, de l’emploi et de la population sur l’aéroport et dans ses environs qui est fait : ce développement devrait, en dynamique, compenser l’acceptation d’un dispositif qui, en statique, entraîne quelques pertes de recettes locales.

E.   Les dispositions finales de l’accord

Les articles 6 à 10 de l’accord comprennent les clauses finales habituelles dans un accord international, relatives à ses conditions d’interprétation, de modification, de suspension ou dénonciation éventuelle, enfin d’entrée en vigueur.

L’article 10 prévoit en particulier que le prélèvement de 3,2 millions d’euros prévu au bénéfice des collectivités locales françaises en contrepartie de l’exonération de taxes locales des entreprises du secteur douanier suisse s’appliquera aux périodes d’imposition ouvertes à compter du 1er janvier de l’année suivant l’entrée en vigueur de l’accord.

Dans sa séance du 25 janvier 2017, le Conseil fédéral suisse a approuvé la signature de l’accord et une autorisation parlementaire n’est pas nécessaire en Suisse. Du côté français, le présent projet de loi autorisant l’approbation de l’accord a été adopté par le Sénat le 9 novembre 2017. Seul manque donc le vote de l’Assemblée nationale afin de parfaire la procédure avant la fin de l’année 2017, de sorte que l’accord puisse entrer en vigueur au 1er janvier 2018.


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   Conclusion

 

L’aéroport de Bâle-Mulhouse est un pôle d’activité puissant, avec plus de 6 000 emplois directs sur site, et dynamique.

C’est aussi la concrétisation d’une coopération transfrontalière très intense dans une des régions métropolitaines européennes trinationales les plus intégrées.

Du point de vue du droit international, enfin, c’est une institution sui generis, sans équivalent, où deux États ont décidé de partager les responsabilités d’une installation pourtant située intégralement sur le sol de l’un d’eux.

À tous points de vue, y compris fiscal, le statut d’une institution si originale ne peut faire l’objet que de solutions ad hoc. On peut regretter que les autorités françaises et suisses, après avoir défini en 1949 les grandes lignes du statut binational de l’aéroport, aient trop longtemps omis de préciser les règles fiscales s’y appliquant, alors même qu’elles s’étaient engagées à le faire.

Signé en 2017, le présent accord répare enfin cette omission. Il s’agit nécessairement d’un compromis, car des considérations contradictoires devaient être prises en compte : d’un côté, il n’est pas légitime que des entreprises profitent des lacunes du droit pour échapper largement, voire totalement, à l’impôt ; il était en outre particulièrement anormal que les compagnies aériennes opérant à Bâle-Mulhouse sous droits de trafic suisses bénéficient de fait des prestations assurées par la direction générale de l’aviation civile sans contribuer à son financement ; mais dans l’autre sens, l’application brutale de toute la fiscalité française de droit commun aurait pu remettre en cause la compétitivité de l’aéroport.

L’accord trouvé maintient donc un régime fiscal spécifique et plutôt avantageux pour l’aéroport de Bâle-Mulhouse. Son attractivité devrait être préservée et même renforcée grâce à la sécurité juridique apportée, avec la perspective de nouveaux investissements très importants. C’est pourquoi votre commission des affaires étrangères vous invite à adopter le présent projet de loi.

 


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   TRAVAUX DE LA COMMISSION

La commission examine le présent projet de loi au cours de sa séance du mardi 5 décembre 2017.

Après l’exposé du rapporteur, un débat a lieu.

M. Jean-Luc Reitzer. Je suis le député de la circonscription dans laquelle se trouve cet aéroport, dont la situation est unique au monde. La convention qui datait de 1949 fonctionnait très bien. Il y avait certes des incertitudes au niveau social, mais nous avions passé un accord de méthode pour sécuriser les questions de droit du travail. Dans le domaine fiscal, tout allait bien. Il a fallu que le précédent gouvernement remette en cause l’accord de 1949 en voulant que toutes les entreprises présentes sur l’aéroport soient assujetties à la fiscalité française. Cela a provoqué une panique généralisée et les entreprises ont menacé de ne plus investir et de quitter l’aéroport pour ceux de Genève ou de Zurich, qui sont proches. Il fallait trouver un compromis, qui est incarné par cette convention ; je m’en réjouis. Il reste toutefois des incertitudes et les entreprises ont besoin de sécurité et de visibilité.

Par ailleurs, il y a une perte sèche pour les collectivités locales. Les nouveaux investissements réalisés en 2016 et en 2017 – on vient de poser la première pierre d’un nouvel atelier de 8 000 m2 pour Jet Aviation –  ne sont pas pris en compte dans leurs recettes avec le montant de 3,2 millions d’euros bloqué. Il n’y aura plus de dynamique fiscale pour les collectivités. De plus, on voit bien ce qui arrive avec les dotations aux collectivités : il y a un risque que ces 3,2 millions ne deviennent 3 millions, puis 2,8 millions… Il faudrait sécuriser la dotation.

C’est un enjeu considérable, cet aéroport étant très important. Il représente plus de 6 000 emplois directs, 25 000 en comptant les emplois indirects ; il y a 30 000 frontaliers dans la zone. Il ne faut pas nuire au dynamisme de l’aéroport et je suis en partie rassuré aujourd’hui, mais j’espère que nos discussions permettront de rassurer l’ensemble des acteurs économiques et politiques.

M. Bruno Fuchs, rapporteur. La convention de 1949 a bien fonctionné jusqu’en 2009. À cette date, on ne peut pas accuser un gouvernement en particulier : un contrôle fiscal sur une entreprise du secteur douanier suisse a débouché sur l’affirmation de l’application du droit fiscal français. Cela nous a fait passer d’une situation de lacune juridique à une situation de risque fiscal élevé pour les entreprises en cause. De fait, la majorité se sont mises en règle avec le fisc français, mais une autre partie n’ont plus investi ou retardé leurs investissements. Ensuite, en 2013, la direction générale de l’aviation civile (DGAC) a essayé de faire appliquer la fiscalité aéronautique française aux vols sous droits de trafic suisses. C’était une revendication légitime, car aucun droit n’était perçu en contrepartie des missions d’intérêt général assurées par la DGAC, mais elle a dû y renoncer face à la levée de boucliers. Il vaut mieux un accord de cette nature que de laisser prospérer une situation d’incertitude.

Il est vrai que la question de la compensation aux collectivités locales est délicate, même si les 3,2 millions en cause sont garantis par un accord international, qui doit en principe être respecté à la lettre. Pour les collectivités, il faut aussi parier sur le développement économique de cette zone, les emplois et les retombées qui en découlent. Actuellement l’activité est concentrée aux trois quarts dans le secteur suisse et cela permettra peut-être de rééquilibrer la balance. 

Mme Laetitia Saint-Paul. Vous avez évoqué le fait que l’aéroport ne s’était pas acquitté l’impôt sur les sociétés de 1949 à 2015. Renonçons-nous du coup à soixante-six ans de passif ?

M. Joachim Son-Forget. En tant que député de la 6ème circonscription des Français de l’étranger, je me félicite de la rapidité de la procédure concernant cet accord. Je souhaiterais juste contextualiser ce texte en rappelant la qualité des relations franco-suisses, avec la visite récente de la Présidente de la Confédération, qui a permis d’arrondir les angles sur les questions fiscales, ainsi que l’importance des échanges frontaliers.

J’entends les réserves pour les manques à gagner pour vos territoires et il y aura une vigilance à avoir. Il y a une fluidité et un dynamisme qui obligeront à être attentifs à la question.

M. Moetai Brotherson. L’OCDE a adopté des dispositions sur l’érosion des bases fiscales (BEPS) et l’échange automatisé de données entre les institutions fiscales. Dans cet accord, je n’ai pas vu la mise en place de tels échanges. Qu’en est-il ?

M. Jean-Luc Mélenchon. Le rapport est très précis et ce n’était pas une mince affaire. Ce n’est pas par hasard si cette situation est embrouillée. Nous sommes en charge de l’intérêt général et de la défense des principes constants de notre propre droit. Nous discutons avec un pays qui n’est pas membre de l’Union européenne, un pays que nous aimons bien, mais qui est aussi une place forte de l’évasion fiscale mondiale. Il suffit d’aller dans la partie suisse de l’aéroport pour s’en rendre compte ; on m’a raconté que c’était très simple d’y avoir un coffre.

Je pense donc que nous devons avoir un débat en séance publique sur cet accord. Ce sera l’occasion de discuter de la présence d’un paradis fiscal à nos frontières.

Sur la question des ressources locales, la taxation locale a perdu son dynamisme  et ses principes fondateurs depuis que tout transite par l’État et ses dotations. Autrefois, les « quatre vieilles » taxes permettaient aux élus d’avoir un développement local. En France, les recettes ne sont pas pré-affectées dans le budget de l’État ; donc les 3,2 millions d’euros de compensation seront versés ou non en fonction de la décision du Gouvernement. Notre collègue est inquiet et il a raison de se méfier, parce que c’est ce qui va se passer.

M. Joachim Son-Forget. Je voudrais revenir sur la situation des Français de Suisse : le type d’expatriation a bien changé et il y a beaucoup de jeunes gens qui partent plutôt pour leur expertise dans le cadre de leur travail. Et pour ceux qui sont partis, il faut penser à comment les faire revenir, à l’heure où les pays européens jouent des coudes pour avoir le régime le plus déloyal pour attirer les plus riches. Il faut inciter à la réimpatriation et raisonner au niveau européen, voire à un niveau plus large.

Je suis favorable à une discussion la plus simple possible sur ce texte, afin d’éviter de nous livrer à des digressions qui pourraient nuire à la bonne relation franco-suisse du moment.

M. Jean-Luc Reitzer. Je voudrais aller dans le même sens. Il faut éviter les caricatures. Il y a eu des évolutions positives sur le plan fiscal avec la Suisse et nos services font leur travail.

Par ailleurs, la Suisse participe de manière exceptionnelle au développement économique du secteur des trois frontières. 30 000 personnes du seul Haut-Rhin vont travailler chaque jour en Suisse et ce pays finance des projets, comme le tramway de Saint-Louis et, par là, participe aux investissements des collectivités alsaciennes. Les retombées pour la France sont assez exceptionnelles. Il y a de l’ordre de quelques 25 000 emplois directs et indirects générés par l’aéroport. Le bilan depuis 1949 est vraiment positif. Je pense que la France a été très largement gagnante et que c’est une chance pour notre pays et pas seulement pour le secteur des trois frontières.

M. Jean-Luc Mélenchon. Je ne vous propose pas de fermer l’aéroport et je ne pense pas que les gens qui vont en Suisse sont tous des fuyards fiscaux ! On ne doit pas perdre de vue que nombre de nos compatriotes y travaillent. Je n’ai rien de particulier contre la Suisse, j’aime son chocolat et le Jura suisse ! La réponse à la fraude est l’impôt universel. C’est la seule manière de mettre fin aux pratiques existantes. Je pense à cet ancien sénateur dont nous voyons la photo dans les hôtels Ibis et qui s’est installé en Suisse pour des raisons qu’il a parfaitement assumées…

M. Bruno Fuchs, rapporteur. Un accord entre deux parties est toujours un compromis et il fallait donc écouter ce que les Suisses ont à dire et intégrer leur point de vue. Les sociétés du secteur suisse vont payer l’impôt sur les sociétés au taux français, ce qui est un effort pour des Suisses. Par ailleurs, nous allons dégager plus de recettes fiscales qu’avant, même s’il n’est pas exact de dire que rien n’était payé auparavant. Sur l’échange d’informations, la Suisse est en train de se mettre en conformité.

Concernant les 3,2 millions d’euros de compensation aux collectivités locales, un accord international signé entre deux pays est suffisamment fort pour engager le budget de l’État. Et quand bien même cela ne serait pas le cas, les collectivités pourraient engager des procédures contre l’État français sur la base de cet accord. Cet accord international a au moins valeur de loi au plan juridique, voire plus.

Je ne suis pas certain qu’il faille un débat en séance publique sur cet accord. Ce débat prendrait l’accord en otage pour évoquer la Suisse de manière plus générale.

M. Jean-Luc Mélenchon. Il faut bien qu’il y ait une occasion de soulever quelques questions brûlantes depuis des années !

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Pour conclure, je souhaiterais revenir sur le calendrier. L’accord est déjà approuvé en Suisse et seul manque le vote de l’Assemblée nationale, qui sera probablement positif. Ce vote doit intervenir avant le 31 décembre 2017 pour que l’accord soit en vigueur au 1er janvier 2018. Nous sommes donc dans un cadre de temps qui est un peu contraint.

L’opposition à la procédure d’examen simplifié doit être demandé par notre commission ou par un président de groupe. En raison du calendrier, M. Mélenchon, si vous souhaitez un débat, demandez-le au plus vite !

Suivant l’avis du rapporteur, la commission adopte le projet de loi n° 373 sans modification.

 


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   Annexes

annexe n° 1 :
texte adopté par la commission

 

Article unique

Est autorisée l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Conseil fédéral suisse relatif à la fiscalité applicable dans l’enceinte de l’aéroport de Bâle-Mulhouse, signé à Paris le 23 mars 2017, et dont le texte est annexé à la présente loi.


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annexe n° 2 :
Personnes auditionnées par le rapporteur

 

            À la demande de l’intéressé, en entretien téléphonique : M. Jean-Louis Pérée, de PEREE.Consulting GmbH, mandaté par la Handelskammer beider Basel (HKBB)


([1]) Cette expression, qui découle des stipulations de la convention de Chicago du 7 décembre 1944, désigne l’ensemble des dispositifs juridiques et administratifs nationaux sous l’empire desquels une entreprise est autorisée à exercer et développer une activité de transporteur aérien.

([2]) En particulier un accord du 8 juillet 2002 concernant le régime de TVA applicable à l’établissement public binational, aux travaux effectués dans l’aéroport et aux autres activités économiques dans le secteur douanier suisse.

([3]) « Accord de méthode relatif au régime applicable aux entreprises du secteur suisse et du secteur commun de l’aéroport de Bâle-Mulhouse », signé à l’aéroport de Bâle-Mulhouse le 22 mars 2012.

([4]) « Accord entre les autorités compétentes de la Confédération suisse et de la République française concernant la législation de sécurité sociale applicable à certains employés de l’aéroport de Bâle-Mulhouse » du 27 mars 2014.

([5]) Recours n° 297933, décision du 31 juillet 2009.

([6]) Notamment le règlement (CE) no 216/2008 du Parlement européen et du Conseil du 20 février 2008 concernant des règles communes dans le domaine de l’aviation civile.

([7]) Décision d'exécution (UE) 2017/320 du Conseil du 21 février 2017 autorisant la France à conclure avec la Confédération suisse un accord concernant l'aéroport de Bâle-Mulhouse qui inclut des dispositions dérogatoires à l'article 5 de la directive 2006/112/CE.

([8]) Le taux appliqué dans le canton de Bâle-Ville était de 0,525 % en 2016, avec des régimes privilégiés pour les holdings et les entreprises ayant beaucoup d’activités à l’étranger.

([9]) Formée de la cotisation foncière des entreprises (CFE) et de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Le taux de la CVAE, progressif selon le chiffre d’affaires, atteint 1,5 % pour un chiffres d’affaires excédant 50 millions d’euros.