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N° 594

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 24 janvier 2018

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LA PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE
 

visant à faire de l’accès à l’eau un droit inaliénable (n° 498),

 

 

PAR M. Bastien LACHAUD

Député

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 Voir le numéro :

Assemblée nationale : 498.


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SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION............................................ 5

I. Le droit à l’eau, un droit humain à constitutionnaliser

II. Garantir la gratuité de l’accès à l’eau

III. Assurer une gestion publique de la ressource en eau

Discussion générale

EXAMEN de l’article uniquE

Article unique (art. 2-1 [nouveau] de la Charte de l’environnement) Constitutionnalisation du droit à l’eau

Personnes entendues


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Mesdames, Messieurs,

Déposée le 14 décembre 2017 par votre rapporteur ainsi que par M. Jean‑Hugues Ratenon, Mme Bénédicte Taurine, M. Loïc Prud’homme et l’ensemble des membres du groupe La France insoumise, la présente proposition de loi constitutionnelle vise à reconnaître le droit à l’eau comme un « droit-créance » ([1]).

La garantie de l’accès de tous à l’eau potable et à l’assainissement progresse incontestablement depuis plusieurs décennies.

En 1946, le constituant français inscrivait dans le préambule du texte fondateur de la IVème République le droit pour chacun, et singulièrement les plus démunis, de disposer d’un logement décent.

En 2010, au terme d’une construction patiente en droit international, l’Assemblée générale des Nations-Unies ([2]) reconnaissait l’accès à l’eau potable et à l’assainissement comme un droit fondamental, essentiel à tous les droits humains.

En 2013, la loi visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l'eau et sur les éoliennes, dite « loi Brottes » ([3]), interdisait les coupures d’eau en cas de factures impayées.

Pour autant, aucun droit à l’eau, réellement contraignant pour les opérateurs économiques et protecteur pour les citoyens, n’a jamais été consacré dans notre système juridique.

Si l’eau potable coule aujourd’hui, à tout moment, au robinet de la quasi-totalité des logements équipés avec accès au service, la situation n’est en revanche pas satisfaisante pour les plus démunis – car l’eau a un coût – et pour les personnes qui n’ont pas encore d’accès direct à l’eau ou qui vivent dans des habitats précaires.

La question de la reconnaissance et de la mise en œuvre du droit à l’eau caractérise, en réalité, la capacité du pays à répondre aux besoins élémentaires des populations.

Ce droit à l’eau traduit trois objectifs.

Une fois inscrit dans la Charte de l’environnement – comme il est proposé de le faire – et décliné dans des mesures législatives, il deviendrait un droit subjectif, invocable par tout individu.

Il garantirait également la disponibilité de l’eau, c’est-à-dire la quantité et la qualité de la ressource pour les usages vitaux. Ce droit nécessiterait donc des mesures d’application pour prévenir la pollution ou la captation au profit d’usages privés.

Le droit à l’eau signifierait, en dernier lieu, l’accès effectif des individus à l’eau potable. Il devrait s’accompagner de mesures concrètes, financées par l’État, pour développer et entretenir les infrastructures de distribution ou de collecte ainsi que les points d’eau gratuits (fontaines, toilettes, bains douches). L’effectivité de ce droit supposerait la gratuité de l’eau, pour un volume correspondant à ce qui est nécessaire à la vie et à la dignité.

Déclinant ainsi l’un des engagements de son programme L’Avenir en commun – point n° 9 : la République garante des biens communs – le groupe La France insoumise a décidé d’inscrire cette proposition de loi constitutionnelle à l’ordre du jour de sa journée réservée du 1er février 2018.

 

 

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I.   Le droit à l’eau, un droit humain à constitutionnaliser

L’ensemble des acteurs sociaux, syndicaux, associatifs et politiques sont unanimes pour constater que le droit d’accès à l’eau, s’il bénéficie d’une reconnaissance de principe dans plusieurs textes, n’est pas véritablement effectif.

Les ressources en eau dans le monde

« 9 pays se partagent 60 % des réserves mondiales d’eau ;

80 pays souffrent de pénuries ponctuelles ;

28 pays souffrent de pénuries régulières ;

3,5 milliards de personnes boivent une eau dangereuse ou de qualité douteuse ;

2,4 milliards de personnes n’ont pas d’assainissement adéquat ;

6 millions de personnes (dont 2 millions d’enfants) meurent chaque année de diarrhée, due principalement à la mauvaise qualité de l’eau et au manque d’assainissement. Cela représente 1 enfant toutes les 20 secondes ».

Source : Organisation mondiale de la santé. « Livrets de la France insoumise », #29.

L’article L. 210-1 du code de l’environnement, issu de l’article 1er de la loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques, prévoit que « chaque personne physique, pour son alimentation et son hygiène, a le droit d’accéder à l’eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous ». Toutefois, les modalités de mise en œuvre effective de ce droit n’ont jamais été réellement définies.

Au plan international, la France a approuvé les résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies du 26 juillet 2010 et du 18 décembre 2013 qui ont reconnu le droit à l’eau potable et à l’assainissement, mais celles-ci sont dépourvues de portée contraignante.

L’enjeu aujourd’hui est donc d’inscrire ces engagements dans le droit français, au sommet de la hiérarchie des normes. Pour votre Rapporteur, néanmoins, au-delà de cette dimension juridique, l’essentiel est bien de s’attaquer aux vrais problèmes posés par l’accès universel à l’eau, d’aider les plus démunis à payer leur facture d’eau et d’apporter des réponses concrètes à ceux qui n’ont pas d’accès direct à l’eau ou vivent dans des habitats précaires.

Inégalité de l’accès à l’eau : le cas des outre-mer

« En Guadeloupe, Guyane, Martinique, la Réunion, Mayotte et Saint-Martin, les services publics d’eau potable et d’assainissement sont confrontés à des difficultés qui constituent des freins au développement social, économique et sanitaire et à la préservation de l’environnement.

Près de 25 % des logements ne sont pas desservis en eau dans certains secteurs et le rendement des réseaux est seulement de 53 % contre 79,9 % en Métropole.

Aujourd’hui les habitants ultramarins payent l’eau la plus chère de France métropolitaine (5,30 € contre 3,85 € le m3 en moyenne) et une augmentation de 150 % de la population y est prévue pour 2040 ».

Source : « Livrets de la France insoumise », #29

La présente proposition de loi constitutionnelle insère, à cette fin, dans la Charte de l’environnement, adossée depuis 2005 à la Constitution, un nouvel article 2-1 consacrant le droit fondamental et inaliénable des individus d’accéder à la quantité d’eau potable indispensable à la vie et à la dignité.

II.   Garantir la gratuité de l’accès à l’eau

L’article unique de la proposition de loi constitutionnelle impose un accès gratuit à la quantité d’eau potable indispensable à la vie et à la dignité, prioritairement à tout autre usage.

Cette gratuité devra être consécutivement déclinée dans une loi simple élaborée avec les citoyens, les gestionnaires, les associations, les usagers et les syndicats, en associant les agences de l’eau.

Elle se traduira par la gratuité des compteurs d’eau, installés dans les résidences principales des personnes physiques, et par la suppression des parts fixes des abonnements.

La gratuité concernera aussi les premiers m3 d’eau nécessaires à une vie digne. Par ailleurs, une tarification progressive et différenciée devra être mise en place pour différencier les usages, et pénaliser les mésusages. Votre Rapporteur estime, en effet, que l’usage de l’eau ne peut être accessible dans les mêmes conditions dans une résidence principale et dans une résidence secondaire, par exemple, ou dans la salle de bains d’une famille et pour concourir au chiffre d’affaires d’un hôtel.

L’ouverture ou la création de points publics d’eau potable, d’installations sanitaires et de bains douches publics, dont l’utilisation sera gratuite, deviendra obligatoire dans les communes.

 

III.   Assurer une gestion publique de la ressource en eau

La présente proposition de loi constitutionnelle impose, enfin, que l’approvisionnement en eau potable des habitants, et son assainissement, soient assurés par l’État ou les collectivités territoriales, directement et de façon non lucrative.

Cette évolution vers une gestion exclusivement publique de l’eau imposera d’adapter le droit des collectivités territoriales, et en particulier de revenir sur les dispositions de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) ([4]).

La gestion publique sera donc généralisée et rendue plus transparente et démocratique. Dans chaque bassin de vie verront le jour des comités locaux de cogestion publique de l’eau comme seuls opérateurs.

Ce nouveau mode de gestion permettra de renouveler le patrimoine de production et de distribution de l’eau afin de réduire plus rapidement les fuites, le gaspillage et les pollutions. Il prévoira une prise en charge par la puissance publique de l’assainissement non collectif, qui concerne 12 millions de nos concitoyens.

Au plan international, la question de l’eau, de sa protection et de son accès pour tous deviendra un élément de la politique étrangère et de coopération de la France.

Les modes de gestion de l’eau

Il existe plusieurs modes de gestion de la distribution de l'eau potable qui sont regroupés en trois catégories : la gestion directe, la gestion intermédiaire et la gestion déléguée.

La gestion directe

Régie directe :

La collectivité locale gère directement le service dans un cadre de réglementation publique. Le service d'eau ou d'assainissement ne se distingue pas de l'autorité sous laquelle il est placé. Un budget annexe doit néanmoins être tenu.

Régie autonome :

Le service est doté de l'autonomie financière, mais sans personnalité morale (il ne se distingue pas de l'autorité sous laquelle il est placé).

Régie personnalisée :

Le service est doté de l'autonomie financière avec la personnalité morale. Il a un statut proche de celui d'établissement public (avec un conseil d'administration et un directeur).

La gestion intermédiaire

Régie intéressée :

L'exploitation du service est confiée à un prestataire extérieur sous la responsabilité financière de la collectivité ("risques et périls" supportés par la collectivité). Le régisseur est associé à la détermination du prix et perçoit un forfait et un intéressement.

Gérance :

L'exploitation du service est confiée à un prestataire extérieur sous la responsabilité financière de la collectivité ("risques et périls" supportés par la collectivité). Le gérant n'est pas associé à la détermination du prix et ne perçoit qu'une rémunération forfaitaire.

La gestion déléguée

Affermage :

Gestion et entretien par le fermier des équipements mis à disposition par la collectivité pour une exploitation à ses risques et périls. Le fermier assure tout ou partie du renouvellement des installations qui restent la propriété de la collectivité. La rémunération du fermier est perçue directement auprès de l'usager après négociation avec la collectivité.

Concession :

Le concessionnaire réalise et finance des ouvrages neufs et les extensions de réseau. Il assure l'entretien et le renouvellement des ouvrages correspondants et les remet à la collectivité en fin de contrat. Il gère le service à ses risques et périls. Sa rémunération est perçue directement auprès des usagers.


   Discussion générale

Lors de sa deuxième réunion du mercredi 24 janvier 2018, la commission des Lois examine la proposition de loi constitutionnelle visant à faire de l’accès à l’eau un droit inaliénable (n° 498) (M. Bastien Lachaud, rapporteur).

M. Bastien Lachaud, rapporteur. Je vous remercie de m’accueillir à la commission des Lois pour rapporter cette proposition de loi constitutionnelle dont je suis l’un des auteurs avec Jean Hugues Ratenon et les députés de La France insoumise.

Cette proposition est issue d’un terrible constat sur l’accès à l’eau, en France et dans le monde. Dans le monde, selon l’Organisation mondiale de la santé, 3,5 milliards de personnes boivent une eau dangereuse pour leur santé. Six millions de personnes, dont deux millions d’enfants, meurent chaque année du fait de la mauvaise qualité de l’eau et du manque d’assainissement. Cela représente un enfant toutes les vingt secondes.

En conséquence, les institutions internationales ont pris des résolutions afin de garantir le droit d’accès à l’eau potable. Depuis 2010, ce droit s’incarne dans une résolution de l’Assemblée générale des Nations unies qui reconnaît l’accès à l’eau potable et à l’assainissement comme un droit fondamental, « essentiel à la pleine jouissance de la vie et à l’exercice de tous les droits de l’homme ». Mais cette résolution, malgré sa portée morale, n’est pas contraignante pour les États ou les entreprises. La France l’a approuvée mais, à l’heure actuelle, le droit français n’est pas suffisamment contraignant pour garantir l’effectivité de ce droit à l’eau. La majorité parlementaire nous invite à être pragmatique, soyons-le : si les textes actuels sont insuffisants pour garantir l’effectivité de ce droit, il faut les renforcer. C’est l’objet de cette proposition de loi : nous voulons mettre le droit français en conformité avec le droit international, de façon que le droit à l’eau soit enfin effectif.

Car les graves défaillances des services publics de distribution d’eau potable et d’assainissement ne concernent pas exclusivement les pays les plus pauvres. En France, les outre-mer sont particulièrement touchés : près de 25 % des logements ne sont pas desservis en eau dans certains secteurs ! Le rendement des réseaux y est de 53 %, contre 79,9 % en métropole. Ces inégalités sont insupportables sur le territoire français et, manifestement, le droit actuel n’est pas suffisamment contraignant pour les empêcher.

Or – est-il encore besoin de le rappeler ? – l’eau est indispensable à la vie humaine. Nul ne peut se passer d’eau – pour sa vie, son alimentation, son hygiène et donc sa dignité. Nous ne parlons pas là de petits sujets, mais du cœur des principes fondamentaux de notre République. Quelle liberté pour celui ou celle qui, assoiffé, cherche un point d’eau des heures durant ? Quelle égalité, quand on sait que le service public ne dessert pas tous les citoyens, que certains n’ont pas du tout accès à l’eau ou que les habitants de Seine-Saint-Denis paient une eau plus chère que celle de Paris, alors qu’ils ont globalement moins de moyens ? Quelle fraternité quand on sait qu’il faut payer pour un bien commun aussi fondamental que l’eau ? Sans compter qu’évidemment, ces difficultés constituent des freins au développement social, économique et sanitaire et à la préservation de l’environnement.

Le fondement juridique du droit à l’eau potable est international. Le droit européen n’est aucunement incompatible avec un service public exclusif de l’eau. En 2016, la Slovénie a d’ailleurs été le premier pays de l’Union européenne à inscrire le droit d’accès à l’eau dans sa Constitution. La France, traditionnel pays des droits de l’homme, serait bien inspirée de l’imiter. La Déclaration de droits de l’homme et du citoyen s’ouvre sur la « reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables ». Or l’accès à l’eau est une condition sine qua non de la dignité humaine. Comment peut-on vouloir le résultat, sans y mettre les moyens ? Notre proposition de loi n’est pas seulement une mise en conformité avec le droit international, mais surtout une mise en cohérence du droit français avec ses principes fondamentaux, inscrits sur les murs de toutes nos mairies.

L’enjeu est capital : il n’est pas question ici de vagues mesures symboliques, mais de l’effectivité des droits humains. C’est pourquoi La France insoumise a prévu cette proposition dans son programme « l’Avenir en commun » et notre groupe parlementaire a décidé d’inscrire cette proposition de loi constitutionnelle à l’ordre du jour de sa première journée réservée de la législature.

Nous avons choisi d’inscrire ce droit dans la Constitution française, et plus précisément dans la Charte de l’environnement qui lui est adossée, car la législation ordinaire – trop faible – ne confère pas un caractère réellement universel à son accès, comme les faits nous le démontrent : l’article L. 210-1 du code de l’environnement prévoit bien que « chaque personne physique, pour son alimentation et son hygiène, a le droit d’accéder à l’eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous ». Mais les modalités de mise en œuvre effective de ce droit n’ont jamais été réellement définies. En choisissant la norme suprême, nous entendons garantir l’effectivité de ce droit, afin d’en faire un droit subjectif, invocable par tout individu.

Je déduis deux conséquences de ces principes, qui seront, je n’en doute pas, unanimement partagées. La première est que la quantité d’eau indispensable à la vie et à la dignité humaine doit impérativement être gratuite et libre d’accès – à la maison ou par des fontaines publiques. Il n’y a pas à chipoter sur le pourquoi du comment, c’est une question de principe : si l’eau est indispensable à la dignité et si la France reconnaît que préserver la dignité humaine est au sommet de ses principes, il faut que les moyens de la préserver soient réellement accessibles. La dignité humaine est inconditionnelle, donc il ne peut être question d’une condition monétaire pour la garantir. Pour autant, les quantités d’eau non indispensables doivent être payantes – les usages de loisirs par exemple, plus que d’autres. Or le droit actuel interdit cette gratuité des premiers mètres cubes ! Cela entre en grave contradiction avec l’idée que l’accès à l’eau est un droit fondamental.

La deuxième conséquence est que l’eau ne peut être qu’un service public. Le rôle des entreprises n’est pas de veiller à garantir l’accès universel aux droits humains. Cela ressort de la puissance publique. Elle ne peut déléguer cette tâche fondamentale ou risquer que celle-ci soit délaissée au profit d’autres principes, comme la profitabilité d’un investissement. Pourtant, dans les faits, les entreprises délégataires de ce service préfèrent couper l’eau en cas de facture impayée – se mettant ainsi hors la loi – plutôt que d’utiliser un autre recours. La gratuité des litres indispensables à la vie diminuera les factures impayées et le service public introduira une tarification progressive, permettant une gestion écologique et sociale de la ressource.

Enfin, cette proposition de loi n’est pas la fin du droit à l’eau en France. Son adoption n’en sera que le prolongement : pour garantir la disponibilité de l’eau, c’est-à-dire la quantité et la qualité de la ressource pour les usages vitaux, des mesures d’application devront prévenir la pollution ou la captation au profit d’usages privés. Cela devra s’accompagner de mesures précises, financées par l’État, pour développer et entretenir les infrastructures de distribution ou de collecte d’eau, ainsi que les points d’eau gratuits – fontaines, toilettes, bains douches.

Vous l’aurez compris, il s’agit d’inscrire ces engagements dans le droit français, au sommet de la hiérarchie des normes, en adoptant la présente proposition de loi constitutionnelle. Je souhaite, à tout le moins, que nous puissions en débattre utilement en commission, car je sais que la tentation sera grande d’écourter le débat en séance publique.

Mme Catherine Kamowski. Ce texte est composé d’un long exposé des motifs – pas moins de sept pages et demi extrêmement fournies et bien documentées – qui viennent à l’appui d’un article unique de quelques lignes proposant d’ajouter un article 2-1 aux dix articles de l’actuelle Charte de l’environnement. De premier abord, cette généreuse présentation des motifs pourrait être convaincante : en effet, comment ne pas vouloir que chacun ait accès à l’eau dans notre pays – si tant est que ce ne soit pas actuellement le cas ? Vous citez maintes organisations internationales, traités, protocoles, conventions, et même les constitutions d’autres pays supposément bien plus éclairés que nous en la matière.

Il est urgent, écrivez-vous, que la France rejoigne ce mouvement. Mais pourquoi une telle déclaration d’urgence sur le droit à l’eau ? Votre texte précise que « le droit à l’eau s’envisage au travers d’un accès sans entrave ». Comme le relève très bien votre excellent rapport, extrêmement didactique, notre droit le prévoit déjà ! L’article L. 210-1 du code de l’environnement dispose ainsi que « l’usage de l’eau appartient à tous et chaque personne physique, pour son alimentation et son hygiène, a le droit d’accéder à l’eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous ». Certains traités reprennent quasiment la même formulation. La loi du 15 avril 2013 visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l’eau et sur les éoliennes – dite « loi Brottes » – interdit par ailleurs de couper l’eau en cas d’impayé. L’interdiction existe donc ! Je ne conteste pas qu’elle n’est peut-être pas respectée par certains prestataires indélicats, mais le droit d’obtenir réparation existe également. De la même façon, le droit de disposer d’un logement décent, c’est-à-dire doté d’un accès à l’eau potable – et aussi à l’énergie, mais visiblement l’énergie vous intéresse moins – est un objectif à valeur constitutionnelle, reconnu par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 19 janvier 1995.

Vous indiquez que le droit à l’eau « peut également signifier, en second lieu, la nécessité de garantir l’accès à une ressource disponible tant quantitativement que qualitativement ». Cela nous rappelle qu’il est convenu d’encadrer les usages – y compris industriels et agricoles – que le droit à l’eau implique. Il est aussi nécessaire de garantir la protection des cycles naturels. Il convient bien sûr d’intégrer l’interdiction ou la réparation de la pollution de l’eau. Ces principes sont éminemment importants, voire vitaux. C’est pourquoi notre droit le prévoit déjà, depuis le vote de la Charte de l’environnement en 2005 !

Enfin, vous estimez que « le droit à l’eau signifie un accès matériel effectif des populations à leurs ressources en eau potable ». Il s’agit ici de prévoir des points d’eau urbains accessibles et gratuits pour toute personne ayant besoin d’eau – passant déshydraté ou sans domicile fixe – et des toilettes publiques, indispensables à l’hygiène élémentaire. Ces prérogatives relèvent très clairement de la responsabilité, et donc de la décision et de l’organisation, des collectivités – et non du constituant.

L’exposé des motifs de votre proposition de loi recense donc toutes les dispositions du droit international et français en matière d’accès à l’eau. Il faut également lire la Charte de l’environnement pour se rendre compte que votre ajout serait en total décalage par rapport au texte de 2005. Celui-ci reconnaît les droits et les devoirs fondamentaux relatifs à la protection de l’environnement, en définissant pour la première fois trois grands principes – on parle bien de principes : principe de prévention, principe de précaution et principe du pollueur-payeur. L’ajout que vous proposez serait donc redondant, tant sur le fond – la protection de l’environnement, limitée au droit à l’eau – que sur la forme, puisque la Charte de l’environnement fait déjà partie du bloc de constitutionnalité.

De toute évidence, vous n’utilisez pas le bon véhicule législatif, d’autant que votre raisonnement révèle une vision de la société pétrie d’idéologie étatiste. Votre texte est plus séducteur que convaincant. Mais la séduction n’a jamais fait une politique.


Dernier argument pour rejeter cette proposition : votre texte souhaite que « l’approvisionnement en eau potable et son assainissement [soient] assurés exclusivement par l’État ou les collectivités territoriales, directement et de façon non lucrative ». Ce serait donc le règne unique de la régie directe ou du monopole d’État, imposés à l’ensemble des élus locaux. Nous piétinerions ainsi la libre administration des collectivités territoriales ou obligerions l’État à financer ce nouveau service. Par quel biais ? Un impôt nouveau ? Une répartition différente des contributions ? Demain, l’eau ne paierait-elle plus l’eau, tous les contribuables émargeant, non plus seulement les usagers ? Cela reviendrait encore une fois à contourner l’article 72 de la Constitution qui garantit la libre administration des collectivités territoriales. Il serait pour le moins saugrenu de contrevenir à ce principe de liberté, sous prétexte de garantir un droit par ailleurs déjà défini et défendu... Pour toutes ces raisons – un droit d’ores et déjà suffisamment défendu, un véhicule législatif inapproprié et notre ferme volonté de maintenir la liberté des collectivités d’organiser ce service public essentiel –, nous voterons contre ce texte.

M. Erwan Balanant. Ma collègue Catherine Kamowski vient en partie de développer des propos que je souhaitais évoquer. Elle a ainsi rappelé les dispositions applicables, rendant ce texte inutile, même si l’intention est claire et de très bonne qualité. Comme vous, nous souhaitons tous que chaque citoyen français puisse avoir accès à une eau de qualité et en quantité.

En tant qu’élu breton, je sais que la qualité a parfois un coût. Ce coût, il faut trouver un moyen de le répartir de la façon la plus juste possible. La différence entre votre proposition et la position que j’ai toujours défendue, comme élu local ou d’un syndicat de distribution d’eau, est sans doute un peu philosophique. Vous défendez, quant à vous, la gratuité absolue de l’eau. Or ce choix me pose problème, s’agissant de la préservation de notre environnement et de ce que représente l’eau : une denrée extrêmement précieuse dans les pays qui en manquent, mais également chez nous. Le MODEM considère, quant à lui, qu’il faut trouver les moyens de rendre l’accès à l’eau le plus juste possible.

En France, le coût de l’eau – y compris l’assainissement – est en moyenne de 3,92 euros par mètre cube. Une personne consommant en moyenne quarante mètres cubes d’eau par an, l’eau est très peu chère : hors tarification sociale, le coût est d’environ 150 euros, auxquels il convient d’ajouter l’abonnement.

Pour autant, j’ai bien conscience qu’il ne s’agit que d’une moyenne et, vous avez raison, l’eau est plus chère à certains endroits qu’à d’autres. Il faudrait en effet trouver un moyen de lisser ces variations. Mais il est important que les collectivités restent compétentes, pour tenir compte des spécificités de chacun. À certains endroits, l’eau est très peu chère pour des raisons hydrographiques ou géographiques. Ailleurs, elle est plus chère parce qu’elle nécessite un traitement plus important.

Les collectivités – mais cela relève de leur libre administration – pourraient développer des tarifs progressifs, la quasi-gratuité s’appliquant aux premiers mètres cubes et le coût allant croissant avec la consommation. Cette solution pourrait être satisfaisante dans la mesure où elle responsabilise le citoyen. Il est primordial en effet que chacun ait conscience que l’eau est précieuse partout.

M. Raphaël Schellenberger. Je constate que l’eau est une préoccupation majeure de notre Commission, puisque ce n’est pas le premier texte que nous étudions sur le sujet… Ces débats sont également des tribunes : il est vrai que ces questions sont au cœur de la vie de nos territoires.

Mais à vouloir parler de tout et trop, on risque de tomber dans la caricature. Tel est le cas de cette proposition de loi : on ne peut pas être pour ou contre l’accès à l’eau ! Nous sommes tous pour un accès à l’eau le plus simple et le plus qualitatif possible, car nous sommes tous attentifs à ce que nos concitoyens bénéficient d’un cadre de vie respectueux de l’environnement, mais surtout de leur situation sanitaire et sociale. C’est au cœur de la préoccupation de l’accès à l’eau, préoccupation que nous avons tous – dans nos fonctions antérieures ou en tant que législateur – portée et défendue.

Au-delà de ce risque caricatural, votre proposition de loi comporte trois biais qui font que Les Républicains ne la soutiendront pas.

Tout d’abord, avec cette proposition que vous voulez constitutionnelle, vous sortez l’arme atomique ! Or, au sein de la commission des Lois, cela a un sens : on sait bien qu’on ne doit pas toucher à tout bout de champ à la Constitution – même si l’histoire récente ou les idées des uns et des autres peuvent parfois prêter à confusion sur le sujet. C’est un texte fondamental pour l’équilibre des pouvoirs de notre République et la protection des droits individuels. On ne va pas y ajouter l’accès à l’eau le lundi, à l’électricité le mardi ou à internet le mercredi !

Par ailleurs, vous prétendez dans votre propos introductif, monsieur le rapporteur, qu’on va améliorer l’effectivité de l’accès à l’eau en modifiant la Constitution. Précisément non ! La Constitution n’est pas un texte opérationnel : elle encadre les mesures qui sont destinées à l’être. Il y a donc une erreur sur le moyen que vous préconisez pour porter cette idée. Par ailleurs, et Mme Kamowski l’a démontré, vous voulez réaffirmer un droit qui existe déjà – je ne reprendrai pas ici les textes déjà cités.

Enfin, au-delà de l’affirmation d’un accès à l’eau, vous entendez organiser dans la Constitution le moyen de cet accès. Encore une fois, en tant que membres de la commission des Lois, nous devons particulièrement veiller à la cohérence de la doctrine juridique. Instaurer dans un même texte à la fois une obligation de moyens et une obligation de résultat tout en créant un droit constitutionnel, cela fait un peu beaucoup ! C’est surtout tout à fait incohérent au regard de l’organisation de la hiérarchie des normes dans un État de droit.

Selon vous, l’unicité de l’organisation de la distribution de l’eau serait plus favorable à l’usager. Je ne le crois pas. Ainsi, dans ma communauté de communes, deux modes de gestion coexistent, une régie et une délégation de service public, et l’un complète l’autre. Pour autant, la confiance n’exclut pas le contrôle. Nous pouvons nous retrouver sur ce constat : la délégation d’un service public à un partenaire privé sans contrôle par l’opérateur public entraîne parfois des dérives. Certains territoires l’ont appris à leurs dépens et ont ensuite corrigé le tir. Quant à la question d’une tarification progressive, nous pouvons introduire le débat, mais ce texte n’est pas le bon vecteur.

M. Stéphane Peu. Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine (GDR) approuvera cette proposition de loi pour au moins trois raisons.

Première raison : si notre pays est parfois en avance sur certains sujets, il est plutôt en retard en ce domaine, qu’il s’agisse de l'inscription de ce droit fondamental dans la Constitution, de gestion ou d’inégalité d’accès. Le poids de l’eau est six fois plus lourd dans le budget d’un ménage modeste que dans celui d’un ménage aisé, sachant que les inégalités tarifaires peuvent aussi être très élevées d’un territoire à l’autre, ainsi que l’a rappelé le rapporteur. L’accès à l’eau est un droit fondamental qui n'est pas encore consacré en droit interne, alors qu’il l’est dans le droit international. À cet égard, cette proposition de loi est donc salutaire.

Deuxième raison : ce texte propose que notre pays opte progressivement pour une gestion publique de l'eau et que l’on mette peu à peu un terme aux gestions déléguées, ce qui nous semble être une excellente chose. C’est un texte raisonnable en ce sens qu’il ne propose pas d’opérer ce changement de manière radicale. En dépit des contrôles des délégations publiques, l’eau est une grande source de profit pour certaines multinationales. S’agissant d’une ressource vitale pour nos concitoyens, on peut considérer que son exploitation ne devrait pas donner lieu à des profits. L’eau est un bien de première nécessité, comme la santé ou l’éducation.

Troisième raison : nous sommes favorables à la tarification progressive proposée. Contrairement à ce qu’affirment certains orateurs, il ne s’agit pas de déresponsabiliser par la gratuité. D’une manière générale, la gratuité déresponsabilise-t-elle ? C’est un autre débat. En l’occurrence, il s’agit de distinguer le nécessaire de l’accessoire dans la consommation d’eau d’une personne, et d’appliquer des tarifs progressifs. Les smicards de Saint-Denis, qui n’ont pas de piscine à remplir, seront très contents d'avoir un tarif progressif.

M. Jean-Hugues Ratenon. En premier lieu, je voudrais saluer le travail de Bastien Lachaud, notre rapporteur. Mon intervention sera brève car mon collègue du groupe GDR a très bien résumé et défendu l'esprit de ce texte.

À mes collègues qui s’opposent à ce texte, je dirai qu'il ne faut pas avoir peur d'avoir du cœur. Même si je comprends vos arguments, n’oubliez pas que des centaines de milliers – voire des millions – de personnes ont du mal à avoir accès à l'eau dans la société française. C'est une réalité. En tant qu'élu de La Réunion, je remercie notre rapporteur d'avoir insisté sur la situation des outre-mer où 40 % à 50 % de la population de certains territoires vit sous le seuil de pauvreté. Pour ces populations, il s’agit d’une réalité que l’on n'a pas le droit de nier. La difficulté ou le manque total d’accès à l’eau provoque beaucoup de souffrances et des problèmes d'éducation, de santé, de cohésion familiale.

Notre texte consiste à inscrire le droit à l’eau dans la Constitution. L'eau c'est la vie. Il faut consolider ce droit afin de protéger tous les citoyens et de créer les conditions pour que chacun d’eux vive dans la dignité. C'est une proposition de cœur et il ne faut pas avoir peur d'avoir du cœur.

Mme Hélène Zannier. Tous les arguments juridiques ont déjà été soulevés. Il a ainsi été rappelé que les communes qui le souhaitent peuvent mettre en place une gratuité du premier mètre cube et que l'accès à l'eau est déjà garanti.

En ce qui me concerne, je voulais vous faire part d’une petite incompréhension. Si j'ai bien compris, vous allez demander aux collectivités territoriales d'installer des fontaines et des douches plus ou moins gratuites, en régie directe. Or voici ce qu’on peut lire dans l’exposé des motifs de l’amendement CL33 que vous avez déposé sur la proposition de loi relative au transfert de compétences en matière d’eau et d’assainissement, que nous avons examinée ce matin : « Nous estimons que les communes sont souvent les mieux à même de connaître les intérêts objectifs de leur territoire, notamment en ce qui concerne un service public aussi fondamental que celui de l'eau qu’elles exercent depuis au moins 1790. Elles doivent pouvoir décider librement de transférer ou non cette compétence, d'organiser leur service de public de l'eau et de l’assainissement là où elles l’estiment le plus pertinent. Nous maintenons notre position exprimée le 4 octobre 2017 en commission et le 12 octobre 2017 en séance publique. »

Peut-être ai-je mal compris mais je ne vois pas comment articuler ces deux positions qui me paraissent un peu différentes.

Mme Danièle Obono. Je voulais répondre à quelques points soulevés par différents collègues. Tout d’abord, je voudrais rassurer notre collègue du groupe Les Républicains : nous prenons cette question au sérieux et nous ne cherchons pas à caricaturer telle ou telle position. Notre mouvement défend depuis très longtemps le droit à l’eau qui fait partie des trois ou quatre sujets – avec la règle verte, le droit de disposer de son corps et l'avortement – que nous souhaitons constitutionnaliser. Je vous renvoie au programme de La France Insoumise. Ces sujets sont peu nombreux et choisis très sérieusement. Nous pensons que la Constitution, la loi fondamentale, doit les entériner.

L'eau est un bien commun et un élément fondamental dans le débat sur la transition écologique. En réponse à notre collègue Erwan Balanant, je dirais que la prise de conscience de l'importance de l'eau et de sa gestion est l’un des ressorts de la transition écologique. Dans nos propositions, nous avons ainsi développé une vision globale, une planification permettant d’assurer un égal accès de tous les citoyens à cette ressource, de réguler, d'éviter les disparités et de rationaliser certaines procédures.

Nous prenons cette question au sérieux. Nous prenons aussi au sérieux le travail de la commission des Lois qui est chargée des lois constitutionnelles. Nous pensons qu’il est important d’aborder le débat de cette manière car la Constitution a aussi une valeur performative : elle dessine les grandes lignes de nos objectifs. Il ne s’agit pas de prendre des postures ou d’afficher une forme de supériorité. Nous prenons au sérieux le travail du Parlement et nous voulons affirmer nos intentions politiques. Nous pourrions parler de la Constitution actuelle et de ce qu'il faudrait faire pour aller vers une Constituante et une VIe République. C’est autre chose. En l'état actuel des institutions, nous prenons au sérieux ce travail.

Notre rapporteur répondra aux différents orateurs mais je voudrais m’adresser à notre collègue Catherine Kamowski. Non, nous ne sous-estimons pas la question de l’énergie. Nous la prenons tellement au sérieux que nous avons développé un livret résumant nos argumentaires et nos propositions sur l'énergie vue comme un bien commun. Le droit à l’eau est un point qui s'articule dans une vision globale. Vous aurez l’occasion de nous entendre aborder les autres points lors de prochains débats. N’en doutez pas.

M. le rapporteur. Monsieur Schellenberger, je peux vous répondre sur le choix de l’appareil législatif. Comme nous ne modifions pas la Constitution, je ne vois pas en quoi nous interférons sur sa lisibilité. Nous modifions le bloc de constitutionnalité dont c’est l’utilité, ce n’est pas à vous que je vais l’apprendre : votre famille politique a procédé de cette manière pour créer la Charte de l'environnement en 2005.

Comme l'a expliqué Mme Kamowski, nous devons éviter de nous heurter à l'article 72 de la Constitution sur la libre administration des collectivités. Le monopole public sur l'eau, qu'il soit géré par l'État ou par des régies locales, est clairement assumé. Rappelons que le système de régie est largement majoritaire puisqu’il concerne plus de 24 000 communes du pays et que les grands opérateurs sont présents dans les zones les plus rentables et les plus urbanisées.

Monsieur Balanant, vous vous inquiétez du gaspillage. Je tiens à vous rappeler que ce sont les entreprises les plus consommatrices d'eau qui paient le mètre cube d'eau au tarif le moins élevé. La législation actuelle organise le gaspillage car l’eau coûte très peu cher quand on en utilise beaucoup. La gratuité d’une petite portion de la consommation implique une tarification progressive pour les autres mètres cubes. Cette tarification compense largement la gratuité et répond donc à votre préoccupation.

Pourtant, la gratuité est un élément central dans l'accès à l'eau. Au prix du mètre cube d'eau, que vous avez indiqué, il faut rajouter le coût du compteur. Le droit à l'accès à l'eau a un coût fixe qui frappe principalement les petits consommateurs. Ce sont eux qui paient le mètre cube d'eau au prix moyen le plus élevé car il faut y intégrer le coût fixe. La gratuité répond à une urgence sociale, aux besoins des plus faibles d'entre nous, de ceux qui consomment le moins. La tarification progressive va donc être une incitation à faire un bon usage de l'eau et à lutter contre le mésusage, ce qui devrait vous rassurer.

Le droit à l'eau existe déjà en France, dites-vous, madame Kamowski. La loi « Brottes » n'était pas appliquée. Elle l’est de plus en plus parce que les associations, qui se mobilisent en faveur du droit à l'eau, se mettent à traîner les grands opérateurs en justice : plus de 2 500 poursuites judiciaires ont été initiées. Il faut toutefois souligner que les personnes sans domicile ou vivant dans des logements précaires restent à l’écart de l’application de ce texte et n’ont absolument aucun accès à l'eau. Je pense à la personne, aperçue ce matin, qui se lavait les cheveux à un robinet destiné au nettoyage du métro... Si cette personne avait un accès à l'eau lui garantissant la dignité, elle ne se laverait pas les cheveux sur les quais du métro. Non, l’accès à l’eau n’est toujours pas garanti dans notre pays.

S’agissant de la gratuité, plusieurs d’entre vous ont expliqué que les opérateurs – notamment les régies – pouvaient mettre en place une gratuité sur les premiers mètres cubes d'eau. En réalité, une jurisprudence de la Cour de cassation interdit ce genre de tarification sociale que certaines communes pratiquaient depuis 1930. La Cour de cassation a jugé que ce n'était pas cohérent avec la loi qui prévoit que l'eau a un coût fixe. Tous les contrats, y compris ceux qui dataient de 1930, ont été revus. La gratuité n'est plus possible. Or elle est la condition sine qua non de l’exercice du droit d’accès. C’est une nécessité absolue pour garantir ce droit fondamental.

La Commission en vient à l’examen de l’article unique.

 

 


   EXAMEN de l’article uniquE

Article unique
(art. 2-1 [nouveau] de la Charte de l’environnement)
Constitutionnalisation du droit à l’eau

Résumé du dispositif et effets principaux :

L’article unique de la présente proposition de loi consacre, dans la Charte de l’environnement et donc au rang de principe à valeur constitutionnelle, un droit d’accès à l’eau potable pour toutes les personnes physiques.

Il garantit également la gratuité de l’accès et de la consommation d’un volume minimal d’eau potable. Il confie à l’État et aux collectivités territoriales le monopole de la distribution d’eau et de l’assainissement.

Dernières modifications législatives intervenues :

La Charte de l’environnement a été adossée à la Constitution par la révision du 1er mars 2005. Elle n’a pas été modifiée depuis.

La position de la Commission :

La Commission a rejeté cet article unique et donc l’ensemble de la proposition de loi constitutionnelle.

I.   L’état du droit

Trois sources d’importance inégale concourent à la définition d’un droit à l’eau : des conventions internationales auxquelles la France est partie, un droit communautaire centré sur la gestion de la ressource et des normes de droit interne.

A.   Le droit international

Le fondement juridique du droit à l’eau potable est international. Depuis 2010, il s’incarne dans une résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies du 28 juillet qui reconnaît l’accès à l’eau potable et à l’assainissement comme un droit fondamental, « essentiel à la pleine jouissance de la vie et à l’exercice de tous les droits de l’homme » ([5]).

Les résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies, prises en application de l’article 10 de la Charte du 26 juin 1945, ne sont pas privées d’impact politique et moral, et peuvent produire des effets en droit international, en servant de base soit à la formation de règles coutumières, soit à des traités ultérieurs ayant force obligatoire. Pour autant, actes unilatéraux d’une organisation internationale, elles n’ont pas valeur contraignante pour les États-membres.

Plusieurs traités multilatéraux mentionnent également l’importance de l’eau et de l’assainissement – séparément ou conjointement – dans le contexte de la mise en œuvre des droits humains, notamment l’article 14 de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes du 18 décembre 1979 (que la France a ratifiée en 1983) relatif au droit de « bénéficier de conditions de vie convenables, notamment en ce qui concerne (…) l'approvisionnement en (…) eau ». C’est également le cas de l’article 24 de la Convention relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989 (ratifiée en 1990) qui impose aux États parties de prendre « les mesures appropriées pour (…) lutter contre la maladie et la malnutrition (…) grâce notamment à (…) la fourniture (…) d'eau potable ».

Par ailleurs, de nombreux accords bilatéraux, dont l’origine est parfois ancienne ([6]), régissent les cours d’eau internationaux et intègrent, de plus en plus, des préoccupations sociales et environnementales dans la gestion de cette ressource partagée.

B.   Le droit européen

Plusieurs conventions élaborées sous l’égide du Conseil de l’Europe traitent aussi de l’eau. La Convention européenne des droits de l’Homme du 4 novembre 1950 n’évoque directement ni le droit à l’eau, ni le droit à l’assainissement mais certaines de ses stipulations relatives au droit à la vie privée et familiale, au droit de propriété, au droit de ne pas être soumis à un traitement inhumain ou dégradant ou au droit à un procès équitable ont permis à la Cour de condamner des atteintes portées à l’accès à une eau saine.

Les différents organes du Conseil de l’Europe ont également publié plusieurs textes qui énoncent des recommandations dans le domaine de l’eau : ainsi, la Charte européenne de l’eau du Conseil de l’Europe en date du 6 mai 1968, proclamée par le Comité des ministres, souligne que l’eau constitue un patrimoine commun, dont la valeur est reconnue par tous (article 10), et vise à prévenir les conflits entre États partageant un même bassin hydrographique ; le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux a adopté, le 3 mars 2009, une recommandation relative aux « services publics de l’eau et de l’assainissement pour un développement durable ».

L’Union européenne a développé un corps de règles très abondant sur tous les aspects de la gestion de l’eau et de l’assainissement. Elle a notamment reconnu à l’approvisionnement en eau le caractère d’un service d’intérêt économique général au sens des articles 14 et 106 § 2 du TFUE et admis que cette activité puisse indifféremment, au choix des États membres, relever en tout ou partie du marché, ou être considérée comme d’intérêt général et soumise à des obligations de service public.

Le droit à l’eau n’a, toutefois, été reconnu que par le seul Parlement européen, dans deux résolutions sans portée contraignante adoptées avant les Forums mondiaux de l’eau de Mexico en 2006 et Istanbul en 2009. La résolution du 12 mars 2009 proclame ainsi, dans ses deux premiers considérants, que « l’eau est un bien commun de l’humanité et que l’accès à l’eau potable devrait être un droit fondamental et universel », et que « l’eau est considérée comme un bien public et qu’elle devrait être placée sous contrôle public, qu’elle soit ou non gérée, en partie ou en totalité, par le secteur privé » ([7]).

C.   Le droit interne

En France, plusieurs initiatives ont été prises au cours des dernières années pour donner une traduction juridique au droit à l’eau.

Ce droit n’a pas, en tant que tel, reçu rang de principe ou d’objectif à valeur constitutionnelle. Il pourrait toutefois être indirectement rattaché à deux objectifs à valeur constitutionnelle : le droit au logement et à la protection de la santé publique ([8]). Le Conseil constitutionnel a en effet déduit des 10ème et 11ème alinéas du préambule de la Constitution de 1946 ainsi que du principe à valeur constitutionnelle de sauvegarde de la dignité de la personne humaine que « la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent est un objectif de valeur constitutionnelle » ([9]). Le droit à l’eau potable pourrait également être rattaché à la protection de la santé publique ([10]), qui procède explicitement du 11ème alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 aux termes duquel la Nation « garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs ».

Au plan législatif, l’article 1er de la loi du 30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques ([11]) a inscrit à l’article L. 210-1 du code de l’environnement le principe selon lequel « chaque personne physique, pour son alimentation et son hygiène, a le droit d’accéder à l’eau potable dans des conditions économiques acceptables pour tous ».

L'article L. 115-3 du code de l'action sociale et des familles, dans sa rédaction issue de la loi du 15 avril 2013 ([12]), prévoit qu'en cas de non-paiement d'une facture d'eau par toute personne ou famille éprouvant des difficultés financières, la fourniture d'eau est maintenue jusqu'à ce qu'il ait été statué sur la demande d'aide à laquelle elle a droit de la part de la collectivité.

D’autres dispositions permettent de garantir un meilleur accès à l’eau potable dans certaines situations :

– en cas de menace sanitaire grave appelant des mesures d'urgence, notamment en cas de menace d'épidémie, le ministre chargé de la santé – et, dans certains cas, le préfet – peut, par arrêté motivé, prescrire dans l'intérêt de la santé publique toute mesure proportionnée aux risques encourus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population (article L. 3131-1 du code de la santé publique) ; sur le fondement de ces dispositions, un préfet peut enjoindre au gestionnaire d'un immeuble de rétablir l'alimentation en eau potable d'un foyer ;

– les articles L. 732-1 et L. 732-2 du code de la sécurité intérieure imposent aux exploitants d'un service public de production ou de distribution d'eau pour la consommation humaine de prévoir les mesures nécessaires au maintien de la satisfaction des besoins prioritaires de la population lors des situations de crise ;

– enfin, dans les communes où le nombre des décès a dépassé le chiffre de la mortalité moyenne de la France pendant trois années consécutives, le préfet doit ordonner une enquête afin de déterminer notamment si la commune est pourvue d'eau potable de bonne qualité ou en quantité suffisante. Dans les cas particulièrement graves, les travaux jugés nécessaires peuvent être ordonnés par décret (article L 1331-17 du code de la santé publique).

II.   La réforme proposée

La Charte de l’environnement, qui a intégré en 2005 le bloc de constitutionnalité ([13]), a modifié le cadre juridique applicable au droit à l’eau comme aux autres branches du droit situées dans son champ d’application. L’eau entre en effet incontestablement dans l’objet de son article 1er, proclamant le droit de chacun « de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ».


Toutefois, si les dispositions de la Charte présentent toutes une même valeur constitutionnelle, leur portée juridique varie selon l’intention du constituant et le degré de précision de chacun de ses articles. Le Conseil constitutionnel a par exemple estimé qu’il revenait à la loi de définir les conditions et les limites des obligations que les articles 3, 4 et 7 de la Charte prévoient ([14]).

L’article unique de la présente proposition de loi constitutionnelle insère un nouvel article 2-1 dans la Charte.

Cet article proclame, en cohérence avec le droit international, que « l’eau est un bien commun de l’humanité ».

Il consacre, au rang de principe à valeur constitutionnelle, un droit d’accès à l’eau potable pour toutes les personnes physiques, tout en garantissant la gratuité de l’accès et de la consommation d’un volume minimal correspondant à la « quantité (…) indispensable à la vie et à la dignité ». Ce volume devra être défini par la loi, par exemple sur la base des normes de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), soit 20 litres par personne et par jour.

Une jurisprudence récente de la Cour de cassation a exclu la possibilité pour les collectivités de fournir une certaine quantité d’eau gratuite et précisé que les contrats antérieurs prévoyant la gratuité ne pouvaient être maintenus ([15]). La présente proposition de loi constitutionnelle y met un terme.

Enfin, cet article unique confie à l’État et aux collectivités territoriales le monopole de la distribution de l’eau potable et de l’assainissement des eaux usées, en régie directe et désintéressée.

Compte tenu de leur nature constitutionnelle, ces dispositions ne peuvent se voir opposer les règles de la recevabilité financière des initiatives parlementaires prévues à l’article 40 de la Constitution.

*

*     *

La Commission examine l'amendement CL2 de M. Jean-Louis Masson.

M. Raphaël Schellenberger. J’ai défendu cet amendement pendant la discussion générale.

M. le rapporteur. Vous proposez de supprimer l'article unique de cette proposition de loi, autrement dit de rejeter l'ensemble du texte.


Vous faites valoir, premièrement, que la Constitution a une portée générale et que ce dispositif pourrait la dénaturer. C'est bien pour cela que nous avons choisi d'introduire le droit à l'eau dans la Charte de l'environnement, c'est-à-dire de l'adosser à la Constitution et non de l’y insérer. C’est votre famille politique, je le répète, qui a ajouté cette Charte au bloc de constitutionnalité.

Deuxièmement, vous affirmez que le droit à l'eau serait déjà protégé dans le cadre du droit à un logement décent, tiré du principe de sauvegarde de la dignité humaine. Ce n'est pas exact. L'accès à un logement décent est un simple objectif à valeur constitutionnelle ; il ne crée pas directement de droits subjectifs pour les particuliers et il suppose l'intervention du législateur en vue de préciser les modalités de sa mise en œuvre. Cette intervention doit elle-même tenir compte d'autres règles constitutionnelles.

Troisièmement, vous estimez que ce droit à l'eau relèverait de la loi ordinaire. En fait, il serait alors impossible d'imposer la gratuité des premiers mètres cubes d'eau et la gestion publique de la distribution d'eau potable sans se voir opposer l'article 14 de la Constitution, la liberté contractuelle ou encore la libre administration des collectivités.

Pour ces raisons, j’émets un avis défavorable à cet amendement.

La Commission rejette l'amendement.

Puis elle rejette l’article unique.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. La Commission ayant rejeté l’article unique de cette proposition de loi, le texte dans son ensemble est rejeté. Il sera examiné le 1er février en séance.

*

*     *

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de ladministration générale de la République vous demande de rejeter la proposition de loi constitutionnelle visant à faire de l’accès à l’eau un droit inaliénable (n° 498).


—  1  —

 

 

   Personnes entendues

 

 

   M. Emmanuel POILÂNE, directeur

   Mme Justine RICHER, chargée de programme

 

   M. Gabriel AMARD, co-président

 

   M. Jean-Claude OLIVA, directeur de la coordination

 

   M. Henri SMETS, membre


([1]) Selon Georges Burdeau, le droit-créance se présente comme « la prétention légitime à obtenir [de la collectivité] les interventions requises pour que soit possible l'exercice de la liberté », in G. Burdeau, Les libertés publiques, LGDJ, 1961, p. 21.

([2]) Résolution A/RES/64/292 adoptée par l’Assemblée générale le 28 juillet 2010, intitulée « Le droit fondamental à l’eau et à l’assainissement », paragraphe 1 :

http://www.un.org/en/ga/search/view_doc.asp?symbol=A/RES/64/292&Lang=F

([3]) Loi n° 2013-312 du 15 avril 2013 visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l'eau et sur les éoliennes.

([4]) Loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République.

([5]) Résolution A/RES/64/292 adoptée par l’Assemblée générale le 28 juillet 2010, intitulée « Le droit fondamental à l’eau et à l’assainissement », paragraphe 1 :

http://www.un.org/en/ga/search/view_doc.asp?symbol=A/RES/64/292&Lang=F

([6]) On pourra se reporter à l’étude du Conseil d’État sur le sujet : « L’eau et son droit », rapport public 2010.

([7]) Résolution du Parlement européen du 12 mars 2009 sur l'eau dans la perspective du cinquième Forum mondial de l'eau à Istanbul, du 16 au 22 mars 2009.

([8]) L’accès au logement décent et la protection de la santé étant de simples objectifs à valeur constitutionnelle, ils ne créent pas directement de droits subjectifs pour les particuliers et supposent une intervention du législateur en vue de préciser les modalités de leur mise en œuvre, cette intervention devant elle-même tenir compte d’autres règles constitutionnelles.

([9]) Décision n° 94-359 DC du 19 janvier 1995, rec. p. 176, cons. 6.

([10]) Décision n° 93-325 DC du 13 août 1993, rec. p. 224, cons. 69 et 70.

([11]) Loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques.

([12]) Loi n° 2013-312 du 15 avril 2013 visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l'eau et sur les éoliennes.

([13]) L’article 1er de la loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005 relative à la Charte de l'environnement a modifié le préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 pour renvoyer « aux droits et devoirs définis dans la Charte de l'environnement de 2004 ». Le Conseil constitutionnel a estimé que l’ensemble des droits et devoirs définis dans la Charte de l’environnement avait valeur constitutionnelle (décision n° 2008-564 DC du 19 juin 2008, cons. 18 et 49), valeur également reconnue par le Conseil d’État dans sa décision d’Assemblée Commune d’Annecy du 3 octobre 2008 (req. 297931).

([14]) Décision précitée n° 2008-564 DC du 19 juin 2008.

([15]) Cass. civ. 1, 8 novembre 2017, n° 16-18.859