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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUINZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 14 mars 2018
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES
SUR LE PROJET DE LOI (n° 659)
relatif à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025
et portant diverses dispositions intéressant la défense.
TOME I
PAR M. Jean-Jacques BRIDEY
Député
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Voir les numéros :
Assemblée nationale : 732, 761, et 762.
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SOMMAIRE
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Pages
A. Un effort budgétaire significatif et cohérent
a. Un effort exceptionnel au profit de la défense
2. La répartition par grands agrégats
a. L’évolution de l’agrégat Équipements
b. L’évolution de l’agrégat Fonctionnement
3. Le mécanisme de financement des opérations
a. La « sincérisation » de la provision au titre des opérations
b. Une double clause de sauvegarde
B. L’enjeu DES RESSOURCES HUMAINES
1. Des créations de postes dans les domaines prioritaires
2. Les mesures spécifiques en faveur des personnels
a. Des leviers pour faciliter le recrutement
b. Des leviers pour dynamiser les parcours professionnels
c. Le chantier de la nouvelle politique de rémunération des militaires
d. Les mesures en faveur des réserves
II. Une programmation traçant des priorités claires en faveur de la réparation de nos armées
A. L’accent mis sur le renseignement et la cyberdéfense
2. L’espace : un atout et un risque
3. Le domaine cyber : enjeu transverse et matrice des conflits de demain
B. Un effort accru en faveur de la fonction prévention
a. Des forces réduites à leur minimum par la précédente LPM en dépit d’une utilité avérée
ii. Des moyens réduits au strict minimum par la précédente LPM
b. Des missions nouvelles et des moyens supplémentaires
i. Le rapport annexé annonce une extension des missions de nos forces prépositionnées
ii. La LPM prévoit des renforts d’effectifs significatifs
2. Les coopérations européennes opérationnelles et en matière de prévention
C. Le maintien des grands programmes déjà engagés
1. La poursuite des programmes intéressant la dissuasion
a. Le renouvellement des deux composantes de la dissuasion
i. La modernisation de la composante océanique
ii. La modernisation de la composante aéroportée
b. La modernisation l’environnement de la dissuasion
ii. Un socle de capacités conventionnelles
2. La poursuite des grands programmes conventionnels
b. La poursuite des grands programmes
i. Un plan d’équipement qui répond aux besoins des armées
ii. Des décalages techniques très limités
c. Un plan d’équipement qui conforte la BITD française
i. Un investissement conséquent dans la BITD
d. Un seul point majeur d’attention : les hélicoptères
i. L’âge avancé de certains hélicoptères légers
ii. Les autres programmes d’hélicoptères ne sont pas accélérés
ii. Les programmes SCORPION ont fait l’objet d’importants renoncements avec la LPM précédente
iii. La situation du segment médian des blindés faisait peser un risque de réduction capacitaire
b. S’agissant des forces navales
iii. L’extension de la rénovation des Atlantique 2 : une réponse à une nécessité opérationnelle
c. En matière d’armement aéronautique
ii. La LPM : une accélération des livraisons et un rehaussement de la cible
a. Un effort de réinvestissement en faveur des « petits » matériels
i. Des matériels régulièrement sacrifiés dans les arbitrages budgétaires des dernières années
ii. Un réinvestissement bienvenu dans les « petits » équipements
b. Un effort de reconstitution des stocks de munitions
c. Des objectifs ambitieux de préparation opérationnelle
i. Une préparation opérationnelle aujourd’hui inférieure de 10 % en moyenne aux objectifs
ii. Un effort programmé en faveur de l’activité des armées
d. Une priorité affichée en faveur de l’entretien des équipements
i. Une situation dégradée, notamment pour les matériels aéronavals
ii. Des causes financières, mais aussi organisationnelles
iii. Un plan de réforme du MCO
iv. Des crédits supplémentaires pour l’entretien programmé des matériels
III. Une programmation de modernisation, s’inscrivant dans la prÉparation de l’avenir
A. Une progression significative de l’effort de recherche et dÉveloppement de dÉfense
1. L’évolution des crédits d’études amont
a. Un budget jusqu’à présent tout juste suffisant
b. Une réévaluation très attendue
2. Grandes orientations et autonomie nationale
a. Le lancement des études relatives futur porte-avions, successeur du Charles de Gaulle
i. Le soutien à l’innovation technologique
ii. Le soutien à l’innovation d’usage
4. Une plus grande « agilité » nécessaire face à l’évolution de plus en plus rapide des technologies
a. Des efforts en faveur des start-up et des PME
i. Des dispositifs déjà existants
ii. Vers des outils supplémentaires ?
B. des coopérations déterminantes pour l’avenir de la BITD européenne
1. Le Fonds européen de défense
a. Le projet de Main Ground Combat System, destiné à remplacer le char Leclerc
i. L’enjeu du remplacement du char Leclerc
iii. Un enjeu programmatique : l’articulation des calendriers d’équipement français et allemand
b. Le projet de Common Indirect Fire System, l’artillerie du futur
3. Le programme « système de lutte anti-mines futur »
4. Les missiles hors dissuasion
a. La modernisation programmée du missile de croisière SCALP EG
i. La mise en service du missile air-air longue portée Meteor
ii. La montée en puissance de l’arsenal de missiles antichar MMP
i. Les commandes et les livraisons de missiles Aster 30 B1 NT
ii. Les commandes et les livraisons de missiles air-air MICA NG
iii. Les commandes de missiles d’aérocombat MAST F
i. Le remplacement de la famille de missiles antinavires Exocet
ii. Le remplacement du missile de croisière SCALP EG
iii. Le remplacement du missile sol-air Mistral
i. Le drone de combat furtif franco-britannique
Chapitre Ier Objectifs de la politique de défense et programmation financière
Article 2 Approbation du rapport annexé et effort national de défense
Article 3 Moyens de la politique de défense
Article 4 Provision au titre des surcoûts OPEX et MISSINT
TITRE II Dispositions normatives intéressant la défense nationale
Chapitre Ier Dispositions relatives aux ressources humaines
1. Le militaire est appelé à servir « en tout temps et en tout lieu »
2. Les dispositions du projet de loi
2. La prise en compte des évolutions intervenues dans la fonction publique hospitalière
Section 2 Mesures visant à promouvoir la réserve militaire
2. Les dispositions du projet de loi
1. L’assouplissement des conditions d’avancement des réservistes de certains corps
Section 3 Dispositions diverses dans le domaine des ressources humaines
2. un progrès souhaitable pour les militaires et pour les armées
3. Un dispositif qui concerne tous les militaires blessés
1. Un droit accordé aux militaires sans base légale
Section 4 Habilitation à légiférer par voie d’ordonnances
1. Extension du congé du blessé
2. Simplification des dispositifs de reconversion dans la fonction publique
a. Une politique de reconversion indispensable
b. Deux procédures dérogatoires d’accès à la fonction publique
c. Des résultats insatisfaisants
i. Une seule procédure pour tous les militaires
ii. Des listes d’aptitude au lieu de dossiers complexes
iii. Une procédure plus rapide
iv. Moins de contrainte pour les employeurs
3. Renouvellement des dispositifs d’incitation au départ des militaires
a. Des aides au départ à l’appui d’un modèle de gestion des ressources humaines en flux
b. Des leviers indispensables pour la gestion des ressources humaines
4. Prorogation et adaptation du dispositif d’indemnité de départ volontaire des ouvriers de l’État
a. Un corps en pleine mutation
b. Un levier de gestion des ressources humaines
1. Le concours est la modalité de recrutement de droit commun pour les emplois permanents de l’État
2. Le ministère des Armées fait face à des difficultés de recrutement sérieuses
a. Le recrutement de fonctionnaires de catégorie B sans concours
b. Des contrats de trois ans offerts sur des métiers en tension
4. Les améliorations possibles
a. Élargir le périmètre géographique des deux expérimentations
b. Augmenter le nombre de postes de catégorie B ouverts par la voie dérogatoire
Section 6 Dispositions relatives au service militaire volontaire
Article 17 Dispositions relatives au service militaire volontaire
2. Les dispositions du projet de loi
3. La position de la commission
Chapitre II Dispositions relatives à l’élection de militaires aux scrutins locaux
b. Des régimes d’inéligibilité
2. La décision du Conseil constitutionnel en date du 28 novembre 2014
a. Les principes constitutionnels en jeu
b. La conciliation de ces principes
c. L’entrée en vigueur de l’abrogation de la disposition inconstitutionnelle
d. Adhésion du militaire élu conseiller municipal à un parti politique
e. Éligibilité des militaires aux garanties et aux droits consentis aux élus
4. Le mandat de conseiller communautaire
Chapitre III Dispositions relatives à la cyber-défense
a. Une attention particulière portée à la protection des opérateurs d’importance vitale
i. Le renforcement du dispositif étatique en matière de cyberdéfense
b. La nécessité d’adapter le dispositif national de détection des attaques cyber
2. Les dispositions prévues par le projet de loi
b. Les réseaux étatiques et OIV, sous contrôle de l’ARCEP
c. Un contrôle spécifique, dont les modalités restent à préciser
3. Principales modifications apportées par la commission
a. La détermination du régime de contrôle
b. L’augmentation de la durée maximale de conservation des données
Article 21 (art. L. 4123-12 du code de la défense) Excuse pénale des cyber-combattants
1. La mise en œuvre du régime d’irresponsabilité pénale pour les combattants en opération extérieure
2. La nécessité d’offrir une protection identique aux cyber-combattants
Chapitre III bis (nouveau) Qualification de certains appareils et dispositifs techniques
1. Une possibilité actuellement ouverte pour une seule technique
3. Des conditions de mise en œuvre plus strictes et des garanties supplémentaires
Chapitre IV Dispositions relatives aux opérations, à la coopération et à l’entraînement des forces
Article 23 (art. L. 2381-1 du code de la défense) Prélèvements biologiques en opérations
2. La nécessité d’adapter le dispositif à la nouvelle physionomie des conflits
a. Les modifications proposées
b. Une réponse à une nécessité opérationnelle
1. Rappels sur la notion de compétence quasi-universelle de juridiction
Chapitre V Dispositions relatives au droit de l’armement
Chapitre VI Dispositions immobilières et financières
Section 1 Dispositions relatives aux marchés de défense ou de sécurité
2. Transposition des conditions pouvant justifier une dérogation à une interdiction de soumissionner
Section 2 : Dispositions domaniales intéressant la défense
2. Un atout pour financer les rénovations d’infrastructures
4. Les améliorations proposées par le rapporteur
Chapitre VII Dispositions relatives au monde combattant
2. Les dispositions du projet de loi
1. La mise en conformité constitutionnelle
b. Les dispositions du projet de loi
2. La mise en conformité organique
Chapitre VIII Mesures de simplification
Article 31 Application du SOFA OTAN pour les activités internationales se déroulant en France
2. Les dispositions du projet de loi
3. La position de la commission
1. La réforme du contentieux des pensions militaires d’invalidité
a. Un système jugé peu satisfaisant
ii. Un fonctionnement parfois malaisé
iii. Un faible nombre de dossiers pour un traitement beaucoup trop lent
iv. Une jurisprudence difficilement accessible
b. Un nouveau dispositif en deux temps
c. L’instauration d’un recours administratif préalable
d. Le transfert des contentieux des tribunaux des pensions aux tribunaux administratifs
a. Des dispositifs enchevêtrés au gré des législations
a. L’harmonisation des dispositifs
a. Le renversement de la charge de la preuve
ii. Le service en opérations extérieures
c. Un champ d’application restreint
Chapitre IX Dispositions diverses et finales
1. Le régime juridique des ordonnances
2. L’ordonnance n° 2015-1534 du 26 novembre 2015
i. Dispositions relatives à la destruction de produits stupéfiants saisis en mer
ii. Dispositions relatives à l’immersion de déchets ou d’autres matières
4. L’ordonnance n° 2016-982 du 20 juillet 2016
Article 37 Abrogation de l’article 48 de la loi de programmation militaire 2014-2019
1. Justification générale des dérogations nouvelles
Article 38 bis (nouveau) Articulation des codes de la défense et de l’environnement
2. Des visites de contrôle empêchées
i. Plusieurs classifications coexistent
ii. Des confusions peuvent naître de l’imprécision de ces classifications
b. Le but de l’habilitation demandée
3. Architecture des dispositions du code de la défense relatives aux territoires ultramarins
Article 42 Applicabilité outre-mer
annexe : Liste des personnes auditionnées par le rapporteur
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La Revue stratégique remise au président de la République le 13 octobre 2017 dresse un bilan clinique de l’état du monde et des menaces qui pèsent sur notre pays. Le monde qu’elle dépeint est, selon les mots de M. Arnaud Danjean devant la commission de la Défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale, « celui d’un système international durablement instable et incertain ». Incertain d’abord, en raison notamment de l’affaiblissement des garde-fous multilatéraux incarnés par le Conseil de sécurité des Nations unies, dont la légitimité est de plus en plus contestée tant par ses membres permanents – on pensera à la Chine, la Russie comme aux États-Unis – que par les nouvelles puissances émergentes. Instable ensuite, du fait de la simultanéité des crises, de la soudaineté de leur irruption et de la dispersion des menaces. Du terrorisme djihadiste qui se déploie depuis le Levant et le Sahel, et frappe indifféremment de l’Asie au Bataclan, à la résurgence des États puissances, les sources de déséquilibres sont multiples, diffuses et changeantes. La dégradation du contexte international et la remise en cause de l’ordre établi depuis la fin de la Guerre froide s’accompagnent d’un renforcement des stratégies de déni d’accès, maritimes, aériennes, terrestres, numériques et exo-atmosphériques, qui contraignent les capacités d’intervention des habituels garants de la sécurité internationale.
En somme, comme l’indiquait devant la commission le général François Lecointre, chef d’état-major des armées, lors de son audition du 4 octobre 2017, « les lignes qui, depuis 1989, dessinaient les contours du monde se sont brouillées sous l’effet combiné de trois facteurs principaux » : le retour du recours à la violence comme mode légitimé de régulation des conflits, la persistance de la mise à l’écart d’une large partie du monde de la croissance et de l’amélioration des modes de vie, le durcissement de la menace terroriste djihadiste.
La France se trouve au cœur de ces enjeux. Frappée dans sa chair par la vague d’attentats survenus sur le territoire national depuis 2015, notre pays a été directement attaqué. La proximité historique de la France avec le continent africain nous a conduits à intervenir pour combler les vulnérabilités de la bande sahélo-saharienne, en agissant directement pour lutter contre les groupes terroristes et, plus largement, les groupuscules qui menacent la stabilité des pays de la zone. Membre fondateur et pilier de l’Union européenne, notre pays ne peut détourner le regard face à la déstabilisation du flanc Est de l’Europe marquée, au‑delà de l’annexion de la Crimée par la Russie, par la fragilisation des États voisins de l’Europe. Plus globalement, les pressions démographiques et migratoires, les dérèglements climatiques et les risques sanitaires comme les rivalités énergétiques qu’ils font naître constituent autant de lignes de fractures à même de créer de nouvelles tensions ou de les renforcer.
C’est dans ce contexte que la France se doit « de tenir son rang dans un ordre mondial profondément bousculé » selon les mots du président de la République dans son discours d’ouverture de la conférence des ambassadeurs de l’été dernier. La France tient déjà son rang et nul ne remet en cause la pertinence de l’engagement des forces françaises dans ce monde qui se fissure.
Il est néanmoins vrai que les hypothèses sur lesquelles a été bâtie la précédente loi de programmation militaire ont rapidement et durablement été dépassées. Que l’on y pense un instant : depuis la promulgation de la loi de programmation militaire 2014-2019 ([1]), le 18 décembre 2013, l’opération Serval débutée en janvier 2013 et centrée sur le Mali a mué en opération Barkhane, conduite à l’échelle du Sahel en son entier, tandis que l’opération Sangaris en Centrafrique a été lancée puis clôturée trois ans plus tard et que les forces françaises se sont déployées dans la zone irako-syrienne depuis les Émirats arabes unis, la Jordanie et le groupe aéronaval dans le cadre de l’opération Chammal, déclenchée en septembre 2014. Dans les deux années qui ont suivi la promulgation de la programmation militaire 2014-2019, le Parlement a par trois fois été amené à se prononcer sur la prolongation de l’engagement des troupes en opérations extérieures sur le fondement de l’article 35 de la Constitution. ([2])
À ces interventions sur des théâtres extérieurs s’est ajoutée une présence renforcée sur le territoire national, dans le cadre de l’opération Sentinelle déclenchée le 12 janvier 2015, au lendemain des attentats des 7, 8 et 9 janvier 2015, et confortée après ceux du 13 novembre 2015. Dans le même temps, la France a confirmé sa participation aux mesures de réassurance prises dans le cadre de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN).
Le niveau d’engagement inédit et imprévu des forces françaises s’est d’abord traduit par un dépassement des contrats opérationnels. Lors de son audition devant la commission de la Défense, le général Lecointre estimait ainsi « que ce dépassement est de 30 % depuis maintenant une dizaine d’années ». À titre d’exemple, les forces navales restent présentes sur par moins de cinq théâtres quand le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013, fondement de la programmation actuelle, n’en avait envisagé qu’« un ou deux ». Concernant l’armée de l’air, près de 35 appareils sont engagés en moyenne, soit 25 % de plus que les prévisions issues du Livre blanc, tandis que le nombre d’heures de vol et de munitions délivrées est bien supérieur aux hypothèses retenues dans la LPM. En 2016, 50 % des rotations des unités de l’armée de terre dans les centres d’entraînement ont quant à elles été annulées du fait du suremploi lié à l’opération Sentinelle. Le dépassement des contrats opérationnels traduit un niveau inédit de nos engagements, qui s’étalent dans le temps et s’opèrent bien simultanément.
En conséquence, l’outil militaire s’est érodé plus fortement qu’il n’avait été envisagé. Cette usure n’est d’ailleurs pas le simple fait de l’intensité de nos interventions ; elle s’explique aussi par la perte de certains paris de la loi de programmation militaire précédente portant sur la prolongation de certains matériels. À ce titre, mentionnons par exemple, pour l’armée de l’air, les avions ravitailleurs et la flotte de transport tactique, pour la marine, la flotte logistique ou, pour l’armée de terre, les blindés médians. Au-delà, les déflations d’effectifs programmées étaient trop ambitieuses et brutales pour ne pas déstabiliser notre modèle d’armée.
Les travaux de la commission de la Défense sous la précédente législature et au cours des premiers mois de la XVe législature ont d’ailleurs mis en lumière certaines de ces fragilités.
En premier lieu, la « manœuvre ressources humaines », dont la loi de programmation militaire pour les années 2014-2019 prévoyait la poursuite, a affaibli les capacités opérationnelles de nos armées. Dès le mois de mai 2015, un rapport d’information de la commission de la Défense consacré à cette question ([3]) a pointé le caractère trop ambitieux de cette opération, relevant que même la révision des cibles de déflations décidée en cours de programmation était certes « nécessaire mais pas suffisante ». En parallèle, la commission s’est montrée vigilante s’agissant du quotidien du soldat, en suivant de manière constante la mise en œuvre des actions palliatives initiées face au « scandale Louvois », ainsi qu’en étudiant les modalités de prise en charge des blessés et, plus récemment, l’environnement social des militaires afin de penser l’accompagnement social de demain.
En deuxième lieu, la commission s’est attachée à étudier les conséquences du rythme des opérations extérieures sur le maintien en condition opérationnelle (MCO) des matériels. Le rapport d’information présenté en décembre 2015 sur cette question ([4]) a souligné combien, pour les matériels, les « théâtres d’engagement s’avèrent beaucoup plus “abrasifs” que les théâtres précédents. Ceci tient, d’une part aux conditions climatiques, géographiques, géologiques et opérationnelles extrêmes auxquelles sont soumis les hommes et les matériels (surintensité) et, d’autre part, à l’utilisation des matériels au-delà de leur potentiel « normal », c’est-à-dire dans des conditions opérationnelles similaires à celles constatées en métropole (suractivité). » La décision de porter l’effort sur les opérations extérieures afin de garantir notre capacité d’intervention s’est faite au détriment des forces et des équipements non projetés, qui supportent l’érosion prématurée des matériels et leur immobilisation pour des raisons de maintenance, de plus en plus souvent et de plus en plus longtemps. Or, la disponibilité des matériels en métropole est la clef de la préparation opérationnelle et de l’entraînement, indispensables pour garantir notre capacité opérationnelle.
En troisième lieu, la commission s’est aussi penchée sur l’autonomie de notre base industrielle et technologique de défense (BITD), en étudiant par exemple l’état de la filière munitions. Dans leur rapport remis en décembre 2015 ([5]), les rapporteurs ont montré combien « l’approvisionnement en munitions reposait ainsi sur un fragile équilibre entre les besoins estimés des armées pour répondre à différents niveaux d’engagement, les capacités industrielles et les ressources financières ». Au terme de leurs travaux, ils avaient pointé quelques segments nécessitant la plus grande vigilance.
En quatrième lieu, enfin, la commission a étudié la cohérence de notre dispositif militaire, en s’intéressant notamment à l’évolution du dispositif français en Afrique. À ce sujet, le rapport d’information présenté à la commission en juillet 2014 ([6]) avait montré les limites des capacités d’interventions des forces françaises dans les crises africaines. Alors que la commission avait alerté quant aux risques de perdre l’avantage acquis en 2013 grâce à l’opération Serval, force est de constater que la situation politique actuelle au Mali n’est pas des plus rassurantes.
Certes, l’actualisation de la loi de programmation militaire par la loi du 28 juillet 2015 a permis de corriger certaines des erreurs d’appréciation, et surtout de tirer les conséquences des bouleversements du contexte sécuritaire survenus entre-temps. Indirectement, elle a en partie confirmé les constats des parlementaires. Ainsi, elle a permis de rehausser de 3,8 milliards d’euros les ressources mobilisées en direction de la défense sur la période 2015-2019 par rapport à la trajectoire initiale. La mise sur pied de l’opération Sentinelle, l’atténuation des déflations d’effectifs, l’accroissement financier en faveur de la régénération des matériels et l’accélération de certains programmes jugés critiques, notamment en matière de projection tactique, ont ainsi été permises. De plus, bien que n’ayant pas donné lieu à une traduction programmatique, le conseil de défense du 6 avril 2016 a confirmé ces nouvelles orientations, en entérinant les décisions du président de la République, M. François Hollande, prises au lendemain des attentats du 13 novembre 2015 : arrêt des déflations de personnels ; mobilisation de 3 000 postes au profit de la chaîne opérationnelle, du renseignement et de la cyberdéfense ; effort en faveur du fonctionnement et des infrastructures nécessaires à l’accompagnement de ces mesures relatives aux effectifs ; effort financier sur le plan capacitaire, avec une priorité donnée aux munitions, à la mobilité des unités déployées sur le territoire national ainsi qu’à la protection des emprises de la défense ; amélioration de la condition du personnel.
Il était néanmoins indispensable de consentir un effort plus soutenu. Dès son accession à la présidence de la République, M. Emmanuel Macron a confirmé son souhait de voir l’effort de la Nation en faveur de la Défense porté à 2 % du produit intérieur brut.
Conformément aux recommandations de la Revue stratégique et à la volonté du président de la République, le projet de loi de programmation militaire poursuit donc deux objectifs principaux. D’abord, réparer, car le temps de la reconstruction de nos armées est venu. Ensuite, préparer l’avenir de nos forces, en déployant une « Ambition 2030 » et en adaptant les contrats opérationnels à la hauteur de celle-ci. Pour ce faire, le projet de loi de programmation militaire est organisé autour de quatre axes prioritaires : les conditions de vie des militaires et d’exercice du métier ainsi que les effectifs ; la modernisation des capacités opérationnelles ; la garantie de notre autonomie stratégique et le renforcement des actions de coopération ; le soutien à l’innovation.
L’effort budgétaire de la Nation en matière de défense est inédit, et rompt avec des années de « bricolage » et de renoncements dans l’espoir de percevoir les « dividendes de la paix ». En 2025, la France consacrera bien 2 % de son produit intérieur brut à la Défense. Cela représente 198 milliards d’euros d’investissement pour la période 2019-2023, soit une hausse du budget annuel de 1,7 milliard d’euros par an jusqu’en 2022, avant un bond à trois milliards d’euros par an à compter de 2023.
De manière plus précise, 6 000 postes seront ouverts d’ici 2025, dont la moitié entre 2019 et 2023, afin de compenser certains effets des déflations passées et de surtout répondre aux nouveaux besoins. De plus, près de 400 millions d’euros seront investis chaque année pour les « petits » équipements qui font parfois cruellement défaut sur le terrain et dont l’absence affecte le moral de nos soldats. Enfin, dans la foulée de l’annonce du plan Familles, 530 millions d’euros seront consacrés au financement de l’amélioration des conditions de vie des militaires et de leurs familles. S’agissant des moyens, 112,5 milliards d’euros seront consacrés d’ici 2023 à des programmes d’équipements, dont plus du tiers seront conduits dans le cadre de partenariats européens. Enfin, pour préparer le renouveau des forces armées au-delà de 2030, les crédits consacrés aux études amont et à l’innovation seront fortement accrus.
L’examen du projet de loi de programmation militaire constitue, à intervalles réguliers, un moment fort de la vie de la Nation. Ce texte fixe les grandes orientations stratégiques de la France à court, moyen et long terme, et décline les grands programmes, en matière d’effectifs comme d’équipements, qui seront conduits au cours des prochaines années afin d’assurer la permanence de notre autonomie stratégique, notre indépendance et de garantir la capacité à protéger la France et les Français. Au-delà de ces grandes trajectoires définies pour l’essentiel par le rapport annexé, le projet de loi comprend une série de mesures touchant au statut des personnels, adaptant notre droit à des enjeux sans cesse mouvants comme le renseignement ou la cyberdéfense, ou modernisant les dispositions relatives au monde combattant.
Pour préparer ces débats, la commission de la Défense a conduit de très nombreuses auditions dont les comptes rendus sont tous accessibles sur le site internet de l’Assemblée nationale et dans le second tome du présent rapport. Au total, la commission a conduit en trois semaines 26 auditions ayant permis d’entendre les autorités politiques, les chefs d’état-major, les responsables des services du ministère des Armées et des représentants des personnels, ainsi que des acteurs industriels. Le rapporteur tient particulièrement à saluer la disponibilité de Mme Florence Parly, ministre des Armées, qui a ouvert et clos ce cycle intense. De son côté, il a également mené de très nombreux entretiens permettant d’approfondir certains points évoqués en commission. Par ailleurs, la commission a pu s’appuyer sur les conclusions d’une mission d’information portant sur l’exécution de la précédente loi de programmation militaire, confiée à MM. François André et Joaquim Pueyo, ainsi que sur les travaux des rapporteurs pour avis sur le projet de loi de finances pour 2018. Ces travaux de contrôle et d’évaluation étaient indispensables pour permettre au Parlement d’aborder sereinement et de manière éclairée l’examen de ce projet de loi.
La programmation militaire proposée pour 2019-2025 et l’Ambition opérationnelle pour 2030 sont à la hauteur des enjeux. La France continuera de disposer d’un modèle d’armée complet, cohérent et équilibré, à même de protéger sa population, de défendre ses intérêts et d’assumer ses responsabilités internationales. Elle met l’accent sur la réparation du présent et la construction de l’avenir, via la modernisation des moyens à disposition de nos forces. De plus, elle appelle au renforcement de la coopération européenne en vue de l’affermissement d’une certaine idée de l’Europe de la Défense.
Surtout, la programmation militaire proposée est construite « à hauteur d’homme ». En cela, elle traduit le souci constant de placer les femmes et les hommes de nos armées au cœur des priorités, eux dont « l’état militaire exige en toute circonstance esprit de sacrifice, pouvant aller jusqu’au sacrifice suprême ». Depuis le 1er janvier 2013, 37 militaires français ont ainsi perdu la vie en opérations extérieures. Aujourd’hui, le lien entre la Nation et son armée s’est retissé, et alors que l’opération Sentinelle a rendu plus visibles les militaires sur le territoire national, les Français sont attachés aux moyens alloués à leurs armées. Comment imaginer en effet que l’ombre des attentats qui ont frappé notre pays ne plane pas sur l’Hémicycle lorsque, dans quelques jours, nous aurons à nous prononcer sur ce projet de loi ? Pour la première fois depuis longtemps, le débat sur la programmation militaire dépasse donc le cercle des spécialistes, et c’est sous le regard vigilant de l’ensemble du pays que les parlementaires sont appelés à débattre et à se prononcer. Il est de notre responsabilité d’être à la hauteur de leurs attentes et, avant tout, d’être aussi dignes que le sont nos soldats qui chaque jour sont prêts à mourir pour défendre la patrie.
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I. Un effort budgétaire et en matière d’effectifs rompant avec une longue période de réduction du format des armées
Le projet de LPM 2019-2025 présenté par le Gouvernement constitue une rupture majeure, après des années de réductions d’effectifs et de modernisation à marche forcée du ministère des Armées. Alors même que l’assainissement des finances publiques se poursuit, il représente un effort « exceptionnel », conformément à la décision du président de la République de donner la priorité aux domaines régaliens.
A. Un effort budgétaire significatif et cohérent
Il convient de rappeler que l’effort de défense a connu une érosion continue depuis dix ans, tant par rapport au PIB (de 2,30 % en 2007 à 1,79 % en 2016) que par rapport au niveau global de la dépense publique. Compte tenu de l’intensité des menaces auxquelles notre Nation doit faire face et l’engagement soutenu de nos forces armées, ce processus a été interrompu à compter de l’année 2015.
La France se distingue de ses alliés par son modèle d’armée complet, qui garantit son autonomie stratégique et sa capacité à intervenir sur le territoire national et sur des théâtres extérieurs. L’intense engagement opérationnel des forces armées justifie également une hausse de l’effort de défense pour pourvoir aux besoins de renouvellement des matériels, équiper les nouvelles recrues de la force opérationnelle terrestre, recruter dans certaines spécialités prioritaires comme le renseignement et le cyber, et améliorer la condition du personnel afin de garder les compétences nécessaires aux forces armées et préparer l’avenir. L’effort financier, pour considérable qu’il soit, ne pourra constituer l’unique réponse à tous ces enjeux : la réalisation de ces ambitions imposera aussi des démarches de modernisation, de rationalisation et de coopération avec nos alliés.
Le présent projet de loi constitue une rupture majeure à plusieurs titres :
– il est porteur d’un effort financier exceptionnel au profit de la défense afin d’atteindre un budget à hauteur de 2 % du PIB à horizon 2025 ;
– cet effort est soutenable : il n’est assis sur aucune hypothèse hasardeuse ou pari risqué et il est assorti de plusieurs mesures de bonne gestion ;
– il s’inscrit dans la durée : il assure un lien entre plusieurs « temps », le temps de la réparation, le temps de la remontée en puissance, et le temps de la construction de l’avenir.
a. Un effort exceptionnel au profit de la défense
Entre 2019 et 2023, 197,8 milliards d’euros seront consacrés à la mission « Défense », c’est-à-dire au budget des armées stricto sensu, hors budgets consacrés aux anciens combattants ou à la gendarmerie nationale. Au total, la LPM prévoit 294,8 milliards d’euros au profit de la défense entre 2019 et 2025.
Évolution du budget de la Défense* depuis 2009 et programmation 2019-2025
(en milliards d’euros courants de crédits de paiement)
(*) Mission « Défense », hors pensions. (**) Moyenne calculée sur les deux années restant pour atteindre 295 milliards d’euros en 2025.
Source : documentation budgétaire, projet de loi.
Si la hausse du budget de la défense prévue par le projet de LPM représente un effort inédit, il n’en est pas moins soutenable.
● Une programmation assise sur des crédits budgétaires et non sur des recettes exceptionnelles
Conformément à une recommandation constante de la Cour des comptes, l’effort financier au profit de la défense repose exclusivement sur des crédits budgétaires. La LPM 2019-2025 rompt ainsi avec les deux précédentes, qui avaient conditionné une partie de la programmation sur des recettes exceptionnelles conséquentes. Leur non-réalisation, tant en termes de montant que de calendrier, avait ainsi remis en cause l’équilibre de la programmation 2009‑2014, imposant, pour les programmes d’armement, des renégociations de cibles et des étalements de livraisons particulièrement coûteux.
Quant aux recettes issues de cessions de biens immobiliers ou de matériels, elles seront intégralement conservées par le ministère des Armées. ([7]) Plus particulièrement, les produits de cessions immobilières et les redevances d’occupation du domaine seront affectés prioritairement au financement des infrastructures de défense. ([8])
Aucun pari risqué ne met ainsi en danger la programmation 2019-2025, ce qui offre davantage de visibilité et de sécurité aux armées comme aux industries de défense.
● Une programmation cohérente avec la loi de programmation des finances publiques
En application de l’article 22 de la loi de programmation des finances publiques (LPFP) 2018-2022 ([9]), le Gouvernement s’est assuré, dans le rapport annexé, de la cohérence entre la LPFP et le présent projet de loi de programmation militaire.
Pour mémoire, la LPFP fixe une trajectoire ambitieuse de baisse du niveau des prélèvements obligatoires (- 1 point de PIB), du niveau des dépenses publiques (- 3 points de PIB) et du niveau de la dette publique (- 5 points de PIB). Pour respecter ces objectifs, les dépenses pilotables de l’État, incluant les dépenses retracées par la mission « Défense », devront évoluer comme suit :
Norme de dépenses pilotables de l’État*
(en milliards d’euros courants)
Année |
2018 |
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
Norme de dépenses pilotables de l’État |
257,9 |
259,5 |
260,5 |
262,5 |
264,5 |
(*) La norme de dépenses pilotables de l’État comprend les dépenses du budget général hors missions « Remboursements et dégrèvements » et « Investissements d’avenir », hors la charge de la dette et hors les contributions au CAS « Pensions » les plafonds des taxes affectées à des tiers autres que les collectivités territoriales et la sécurité sociale ; les budgets annexes hors contributions au CAS « Pensions » ; les dépenses des comptes d’affectation spéciale hors « Pensions », « Participations financières de l’État » et hors programmes de désendettement, ou portant à titre principal sur des contributions aux collectivités territoriales ou des engagements financiers ; le compte de concours financiers « Avances à l’audiovisuel public ».
Source : article 9 de la LPFP 2018‑2022.
Plafonds deS crédits de paiement pour la mission « Défense »
(en milliards d’euros, à périmètre courant)
Mission |
2017 |
2018 |
2019 |
2020 |
Défense |
32,44 |
34,20 |
35,90 |
37,60 |
Source : article 15 de la LPFP 2018‑2022.
Dans ce contexte, le rapport annexé souligne l’ampleur de l’effort financier consenti au profit des forces armées et confirme bien que l’évolution des effectifs prévue par le projet de loi de programmation militaire est conforme aux plafonds d’emplois ministériels induits par les dispositions de la LPFP.
En revanche, il prévoit une dérogation (alinéa 483) à l’article 17 de la LPFP qui plafonne le niveau des restes-à-payer de l’État.
À cet égard, le rapporteur rappelle que les grands programmes d’équipement s’étalent sur plusieurs dizaines d’années. C’est pour cette raison que la distinction que fait le droit budgétaire entre les autorisations d’engagement (AE) et les crédits de paiement (CP) est particulièrement pertinente dans le domaine de la défense. Les restes-à-payer sont constitués par la différence cumulée entre les AE et les CP.
Les restes-à-payer de la mission « Défense » atteignent aujourd’hui plus de 52 milliards d’euros, soit près de la moitié des restes à payer pour l’ensemble du budget de l’État (110 à 120 milliards d’euros environ).
Un mécanisme de plafonnement trop rigide pourrait freiner le lancement d’investissements particulièrement nécessaires pour la défense nationale, comme par exemple la modernisation de la dissuasion nucléaire, et empêcher la réalisation d’économies d’échelle dans le cadre de commandes multiples. Surtout, un plafonnement des restes-à-payer pourrait inciter à recourir à des stratégies de contournement préjudiciables aux principes budgétaires d’unité, d’universalité et donc de sincérité.
● Un nouvel objectif de maîtrise du report de charges
Ce projet de LPM, plus crédible que les précédents, s’accompagne en outre d’objectifs de bonne gestion.
Le report de charges du ministère des Armées a connu une croissance soutenue depuis 2010, jusqu’à atteindre 2,9 milliards d’euros fin 2017 après un maximum de 3,5 milliards d’euros en 2014.
Évolution du report de charges depuis 2010
(en millions euros)
NB : Les avances dues sont intégrées au montant des dépenses obligatoires (DO) à partir de 2012.
Source : MM. François André et Joaquim Pueyo, Rapport d’information sur l’exécution de la loi de programmation militaire 2014-2019, Assemblée nationale, XVe législature, n° 718, 22 février 2018.
Cette hausse est le symptôme du « gel » budgétaire exercé massivement ces dernières années, en réponse au décrochage entre les ambitions de la LPM et les moyens budgétaires effectivement alloués à la mission « Défense ».
Le Gouvernement s’est engagé à une gestion infra-annuelle moins heurtée, grâce à la « sincérisation » du budget des opérations extérieures (OPEX) et a abaissé le taux de mise en réserve initiale (le « gel ») de 8 % à 3 % dès le projet de loi de finances pour 2018.
Le rapport annexé définit une trajectoire très ambitieuse de réduction du report de charges jusqu’à son niveau considéré comme « structurel et incompressible ». Rapporté au budget de la défense hors masse salariale, le report de charges s’établissait fin 2017 à 22 %. Le Gouvernement s’engage dans le rapport annexé à réduire cette part à 10 % en 2025, avec un point de passage à 12 % en 2023.
Évolution du report de charges entre 2019 et 2025
|
2017* |
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
2023 |
2024 |
2025 |
Report de charges en % |
22 |
16 |
15 |
14 |
12 |
12 |
11 |
10 |
(*) Pour rappel.
Source : rapport annexé, alinéa 481.
Le projet de LPM 2019-2025 concilie différents horizons programmatiques :
– 2030, horizon du programme d’équipements et d’adaptation du modèle d’armée aux enjeux identifiés par la Revue stratégique d’octobre 2017 ;
– 2025, horizon du rehaussement de l’effort national de défense à 2 % du PIB, conformément aux besoins identifiés collectivement par les membres de l’Organisation du traité de l’Atlantique-Nord (OTAN) ;
– 2023, horizon de la programmation détaillée de crédits budgétaires, qui correspond à la dernière année pour laquelle le Gouvernement actuel aura la responsabilité de préparer un projet de loi de finances avant l’avènement de nouvelles élections nationales.
C’est pourquoi la hausse sera progressive : 1,7 milliard d’euros par an jusqu’en 2022, puis trois milliards d’euros par an à compter de 2023.
La programmation est assortie d’une clause « de revoyure » qui rythmera l’exécution en instaurant des rendez-vous réguliers avec la représentation nationale. Une actualisation au moins aura lieu en 2021 pour affermir et sécuriser la trajectoire financière jusqu’en 2025. Une autre aura vraisemblablement lieu en 2023, pour tenir compte du résultat des élections nationales et de la loi de programmation des finances publiques qui fera suite à la LPFP 2018-2022.
2. La répartition par grands agrégats
Au travers de ce projet de LPM, le Gouvernement se fixe quatre grandes priorités politiques citées par ordre d’importance :
– l’amélioration du quotidien, pour les femmes et les hommes qui servent la défense de notre pays, en renforçant les moyens consacrés à l’infrastructure, aux « petits » équipements de cohérence, à la préparation opérationnelle, à la formation, ainsi qu’à la prise en compte des besoins des familles ;
– la « réparation du présent », s’agissant des matériels et de leur entretien ;
– la préservation d’un modèle d’armée complet, au service de cinq grandes fonctions stratégiques dont l’importance est réaffirmée et garant de notre autonomie stratégique, qui nous permettra de jouer un rôle moteur dans l’Europe de la défense ;
– la « préparation de l’avenir », avec l’innovation.
a. L’évolution de l’agrégat Équipements
Les équipements feront l’objet d’un effort particulier pendant toute la durée de la LPM, décrit dans le tableau ci-dessous.
Évolution des crédits consacrés aux équipements entre 2018* et 2025
(en milliards d’euros)
Agrégat |
2018 |
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
2023 |
Total 19-23 |
2024 |
2025 |
Total 19-25 |
Moyen-ne |
Équipement |
18,3 |
19,5 |
20,8 |
22,3 |
23,7 |
26,1 |
112,5 |
28,8 |
31,5 |
172,8 |
24,7 |
(*) LFI 2018, pour mémoire.
Source : rapport annexé au projet de loi.
Le rapport annexé précise en outre les crédits prévus et les besoins exprimés pour les principaux postes de dépenses au sein de cet agrégat.
Éléments de programmation budgétaire relatifs aux équipements
d’après le rapport annexé
(en milliards d’euros courants)
Agrégat |
Crédits prévus 2019-2023 |
Besoins exprimés 2019-2025 |
Dissuasion |
25 |
n.c. |
Programmes à effet majeur |
37 |
59 |
Programmes d’environnement et d’accompagnement |
13 |
19 |
Entretien programmé des matériels |
22 |
35 |
Infrastructures de défense |
7,3 |
11 |
Total Équipements |
112,5 |
172,8 |
Source : rapport annexé au projet de loi.
Le soutien à l’innovation (études amont) sera porté à un milliard d’euros par an à partir de 2022, contre 730 millions d’euros par an en moyenne dans l’actuelle LPM.
b. L’évolution de l’agrégat Fonctionnement
Les dépenses de fonctionnement et d’activité représenteront en moyenne 3,8 milliards d’euros par an, soit 19 milliards d’euros sur la période 2019-2023. Le rapport annexé ainsi que les réponses apportées par le ministère des Armées précisent que :
– la mise en œuvre du plan Famille représentera près de 530 millions d’euros de crédits de paiement sur la période 2019-2023 ;
– 1,3 milliard d’euros devrait être consacré à l’amélioration des conditions de vie et trois milliards d’euros à l’entretien des immeubles et à la maintenance.
– 480 millions d’euros sont prévus jusqu’en 2022 pour accompagner la mise en place de la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM).
La remise aux normes des infrastructures de vie est bien citée parmi les objectifs prioritaires. En particulier, un plan de rénovation des lycées militaires sera mis en place dès le début de la LPM, afin de remettre les bâtiments à neuf et d’augmenter les capacités d’accueil.
3. Le mécanisme de financement des opérations
Conformément aux engagements du président de la République, les surcoûts opérationnels feront l’objet d’une provision plus sincère en loi de finances, afin de préserver le ministère de corrections brutales en cours de gestion.
a. La « sincérisation » de la provision au titre des opérations
Les engagements opérationnels de la France, à l’étranger ou sur le territoire national, suscitent chaque année des surcoûts. Ces surcoûts font l’objet d’une provision en loi de finances initiale (LFI). Le financement du reliquat, qui a pris des proportions importantes depuis 2013, est devenu un fort enjeu de gestion et une des principales causes de déstabilisation de la programmation militaire identifiées par nos collègues François André et Joaquim Pueyo dans leur rapport sur l’exécution de la LPM 2014-2019. ([10])
C’est pourquoi la ministre des Armées s’est engagée à procéder à la « sincérisation » du budget prévisionnel des opérations, comme le demande avec insistance la Cour des comptes depuis 2014. En conséquence, la provision au titre des surcoûts opérationnels augmentera progressivement, conformément à la trajectoire illustrée par le graphique suivant. À partir de 2020, 1,1 milliard d’euros seront provisionnés au titre des OPEX et 100 millions d’euros de crédits de masse salariale seront provisionnés au titre des missions intérieures (MISSINT).
Cette « sincérisation » progressive permettra de ne pas consommer une proportion trop significative de la hausse du budget de la défense et ainsi de préserver des marges de manœuvre pour répondre aux autres besoins urgents.
Évolution de la provision annuelle au titre des surcoûts opérationnels* depuis 2009 et coût final constaté
(en millions d’euros courants)
(*) Surcoûts OPEX et MISSINT, hors titre 5, hors titre 2 pour les missions intérieures, et nets des remboursements des organisations internationales.
Source : documentation budgétaire, projet de loi.
b. Une double clause de sauvegarde
Si l’augmentation de la provision votée en LFI garantira davantage de visibilité et moins de mouvements de crédits en gestion, le financement du reliquat restera tout de même un enjeu. Afin de préserver les crédits d’équipements, l’article 4 du présent projet de loi prévoit une double clause de sauvegarde.
● Présentation des surcoûts OPEX et MISSINT dans la nomenclature budgétaire
Depuis la réforme de l’architecture budgétaire de la mission « Défense » en 2015, tous les crédits de personnel (titre 2) sont retracés sur le programme 212 « Soutien de la politique de défense », sous la responsabilité du secrétaire général pour l’administration (SGA). Ce regroupement du titre 2 avait vocation à améliorer le pilotage global de la masse salariale en vue d’en assurer une meilleure maîtrise. Il en résulte un relatif éparpillement des crédits provisionnés au titre des surcoûts OPEX et MISSINT, entre le programme 178 et le programme 212, comme le montre le tableau ci-après.
La répartition des surcoûts opérationnels depuis 2014 dans la nomenclature budgétaire et comparaison entre prévision et exécution
(en millions d’euros)
Surcoûts |
2014 |
2015 |
2016 |
2017 |
2018 |
2019 |
2020-2023 |
||
Provision en loi de finances initiale |
|||||||||
OPEX |
HT2 (P178) |
280 |
280 |
280 |
280 |
405 |
n.c. |
n.c. |
|
T2 (P212) |
170 |
170 |
170 |
170 |
245 |
n.c. |
n.c. |
||
Total |
450 |
450 |
450 |
450 |
650 |
850 |
1 100 |
||
MISSINT |
HT2 (P178) |
- |
- |
- |
- |
- |
- |
- |
|
T2 (P212) |
11 |
11 |
26 |
41 |
41 |
100 |
100 |
||
Total |
11 |
11 |
26 |
41 |
41 |
100 |
100 |
||
Exécution |
|||||||||
OPEX |
HT2 (P178) |
795,8 |
821,2 |
888,2 |
1 037,2 |
n.c. |
|||
T2 (P212) |
322,3 |
295,3 |
283,6 |
292,3 |
|||||
Total |
1 118,1 |
1 116,5 |
1 171,8 |
1 329,6 |
|||||
MISSINT |
HT2 (P178) |
5,3 |
119,0 |
75,5 |
89,1 |
||||
T2 (P212) |
16,4 |
57,1 |
97,0 |
123,7 |
|||||
Total |
21,8 |
176,1 |
172,5 |
212,8 |
|||||
n.c. : non connu. T2 = titre 2 = dépenses de personnel. HT2 = hors titre 2.
Sources : documentation budgétaire, article 4 du projet de loi.
La provision au titre des surcoûts opérationnels prévue à l’article 4 du projet de loi s’entend hors des crédits de masse salariale inscrits en loi de finances au titre des missions intérieures. Le rapport annexé précise que ceux-ci font l’objet d’une autre provision annuelle à hauteur de 100 millions d’euros.
● La double clause de sauvegarde
La provision au titre des surcoûts opérationnels prévue à l’article 4 du projet de loi est assortie d’une double clause de sauvegarde favorable au ministère des Armées :
– les surcoûts nets entendus hors investissements, hors crédits de masse salariale inscrits en loi de finances au titre des missions intérieures, et une fois perçus les remboursements dus par les organisations internationales font l’objet d’un financement interministériel ;
– l’excédent éventuel constaté en fin d’année est conservé par le ministère.
Il s’agit de garantir que les surcoûts constatés au-delà des provisions fixées en LFI seront bel et bien couverts en interministériel et – c’est là la nouveauté par rapport à la LPM 2014-2019 – que le ministère des Armées pourra conserver l’excédent éventuel constaté sur le périmètre de la provision OPEX-MISSINT si l’engagement opérationnel des forces armées diminue. Dans cette hypothèse, en effet, les armées auraient encore à assumer des charges fixes au titre de l’entretien programmé des matériels ou de l’entraînement.
La clause est donc pensée pour éviter un éventuel effet de ciseaux, dû à l’inertie de certaines dépenses. Les trois illustrations ci-dessous permettent de saisir les enjeux et les conséquences de cette double clause, étant entendu que le principe de fongibilité asymétrique (qui permet de diminuer les crédits affectés aux dépenses de personnel pour les attribuer à un autre type de dépense, mais pas d’effectuer l’opération inverse) sera appliqué.
Financement des surcoûts opérationnels dans trois cas de figure en application de l’article 4 du présent projet de loi
Exemple n° 1
(en millions d’euros)
Surcoûts constatés |
OPEX |
HT2 (a) |
1 000 |
|
T2 (b) |
300 |
|||
MISSINT |
HT2 (c) |
90 |
||
T2 (d) |
110 |
|||
Total OPEX et MISSINT |
1 500 |
|||
Financements |
Provision en LFI |
OPEX |
HT2 |
1 100 (e) |
T2 |
||||
MISSINT |
HT2 |
|||
T2 |
100 (f) |
|||
Autres financements |
Remboursement des organisations internationales (g) |
50 |
||
Surcoûts nets |
Au titre de la provision OPEX – MISSINT soit [ (a) + (b) + (c) ] – (e) – (g) |
240 |
||
Au titre du T2 MISSINT soit (d) – (f) |
10 |
|||
Financement interministériel |
250 |
|||
Reste à payer par les armées |
0 |
|||
Reliquat au profit des armées |
0 |
Exemple n° 2
Surcoûts constatés |
OPEX |
HT2 (a) |
500 |
|
T2 (b) |
200 |
|||
MISSINT |
HT2 € |
90 |
||
T2 (d) |
110 |
|||
Total OPEX et MISSINT |
900 |
|||
Financements |
Provision en LFI |
OPEX |
HT2 |
1 100 (e) |
T2 |
||||
MISSINT |
HT2 |
|||
T2 |
100 (f) |
|||
Autres financements |
Remboursement des organisations internationales (g) |
20 |
||
Surcoûts nets |
Au titre de la provision OPEX – MISSINT soit [ (a) + (b) + (c) ] – (e) – (g) |
- 330 |
||
Au titre du T2 MISSINT soit (d) – (f) |
10 |
|||
Financement interministériel |
10 |
|||
Reste à payer par les armées |
0 |
|||
Reliquat au profit des armées |
330 |
Exemple n° 3
Surcoûts constatés |
OPEX |
HT2 (a) |
1 100 |
|
T2 (b) |
320 |
|||
MISSINT |
HT2 (c) |
30 |
||
T2 (d) |
50 |
|||
Total OPEX et MISSINT |
1 500 |
|||
Financements |
Provision en LFI |
OPEX |
HT2 |
1 100 (e) |
T2 |
||||
MISSINT |
HT2 |
|||
T2 |
100 (f) |
|||
Autres financements |
Remboursement des organisations internationales (g) |
50 |
||
Surcoûts nets |
Au titre de la provision OPEX – MISSINT soit [ (a) + (b) + (c) ] – (e) – (g) |
300 |
||
Au titre du T2 MISSINT soit (d) – (f) |
- 50 |
|||
Financement interministériel |
250 |
|||
Reste à payer pour les armées |
0 |
|||
Reliquat au profit des armées |
0 |
B. L’enjeu DES RESSOURCES HUMAINES
Le projet de loi de programmation militaire 2019-2025 confirme la remontée en puissance des effectifs après l’interruption du processus de déflation intervenue en 2015. Il rompt ainsi avec des années de réductions du format des armées. Ces créations de postes répondent toutefois à des besoins ciblés et prioritaires.
1. Des créations de postes dans les domaines prioritaires
Afin de répondre à l’ambition opérationnelle et aux priorités de renforcement des services de renseignement et du domaine de la cyberdéfense, une trajectoire de 6 000 emplois supplémentaires est prévue sur la période 2019‑2025 à raison de :
– 1 500 créations d’emplois entre 2019 et 2022, conformément à la trajectoire de la LPFP 2018-2022 ;
– 4 500 créations d’emplois entre 2023 et 2025, à raison de 1 500 équivalents temps plein emploi (ETPE) supplémentaires par an.
Solde net ANNUEL des effectifs du ministère des Armées depuis 2009
Programmés jusqu’en 2025, prévus en LFI jusqu’en 2018 et exécutés jusqu’en 2017
(en ETPE et ETPT)
Source : documentation budgétaire, projet de loi.
NB : Programmations exprimées en équivalent temps plein emploi (ETPE) et exécution en équivalent temps plein travaillé (ETPT)
Évolution des effectifs du ministère des Armées depuis 2009 et programmation 2019-2025
(en ETPE et ETPT)
Source : documentation budgétaire, projet de loi.
NB : Programmations exprimées en équivalent temps plein emploi (ETPE) et exécution en équivalent temps plein travaillé (ETPT)
Le tableau ci-dessous donne le détail précis des créations de postes supplémentaires prévues par employeur. Il convient de rappeler que ces soldes positifs recouvrent en fait des flux importants de départs et de recrutement.
Les 3 951 emplois créés au sein de l’état-major des armées pendant toute la durée de la LPM correspondent à la fois à des recrutements dans les unités opérationnelles (y compris cyber et renseignement et sécurité protection), dans le soutien interarmées (en particulier, le service de santé des armées) et dans le soutien aux exportations.
La priorité donnée au renseignement et au cyber se lit aussi dans les recrutements programmés dans les services de renseignement (DGSE, DRSD, DGRIS).
Les 400 postes supplémentaires créés au titre du soutien aux exportations (SOUTEX) se répartissent entre la direction générale de l’armement et les armées (CEMA).
Créations de postes prévues entre 2019-2025 par employeur
(ETPE)
Employeurs |
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
2023 |
2024 |
2025 |
Total LPM |
CEMA |
242 |
167 |
156 |
245 |
895 |
1 123 |
1 123 |
3 951 |
SGA |
3 |
0 |
22 |
25 |
26 |
39 |
39 |
154 |
DGA |
72 |
35 |
35 |
47 |
321 |
191 |
191 |
892 |
DGSE |
89 |
65 |
60 |
96 |
192 |
135 |
135 |
772 |
DRSD |
31 |
32 |
26 |
36 |
66 |
12 |
12 |
215 |
DGRIS |
1 |
1 |
1 |
1 |
0 |
0 |
0 |
4 |
UIP* |
12 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
12 |
Total |
450 |
300 |
300 |
450 |
1 500 |
1 500 |
1 500 |
6 000 |
(*) La montée en puissance de l’unité d’information des passagers (UIP), entité interministérielle récemment créée, s’effectue au détriment de 12 ETP prélevés par transfert budgétaire sur le plafond d’emploi ministériel des armées. Données en ETPE, périmètre PMEA, hors apprentis, hors volontaires SMV, hors SIAé.
Source : réponses du ministère des Armées au questionnaire du rapporteur.
Au total, la répartition par priorités est la suivante :
– renseignement (1 500 postes supplémentaires entre 2019 et 2025) ;
– cyberdéfense et action dans l’espace numérique (1 500 postes supplémentaires sur la même période) ;
– sécurité-protection (750 postes supplémentaires) ;
– soutien aux exportations (400 postes supplémentaires).
2. Les mesures spécifiques en faveur des personnels
Après des années de réductions d’effectifs, les ressources humaines du ministère des Armées devront faire face au double défi de la remontée en puissance ciblée des effectifs et de la fidélisation des personnels dont les compétences sont indispensables à nos forces armées.
Ainsi, les enjeux d’attractivité et de fidélisation sont abondamment détaillés dans le rapport annexé. À la politique d’action sociale, aux mesures d’amélioration de la condition du personnel, aux conditions du dialogue social, s’ajoutent plusieurs développements sur des mesures nouvelles destinées à satisfaire les nombreux enjeux de gestion des ressources humaines qui caractérisent la prochaine LPM.
a. Des leviers pour faciliter le recrutement
L’impératif de jeunesse des forces armées impose des flux de recrutement importants qui justifient des leviers spécifiques. Est notamment à l’étude la poursuite de l’exclusion des aspirants, élèves officiers et élèves sous-officiers du processus de contingentement destiné à maîtriser le pyramidage des effectifs par grade.
Pour faire face à des vacances de postes prolongées, l’article 16 du présent projet de loi prévoit en outre l’expérimentation de modes de recrutement innovants dans la fonction publique, dans des spécialités en tension et des régions où il est particulièrement difficile de recruter.
Le recrutement de certaines compétences et la fidélisation des personnels concernés imposent des mesures spécifiques. Un effort de valorisation concernera ainsi le corps des ingénieurs de l’armement, les praticiens du service de santé des armées, ainsi que les corps militaires et leur haut encadrement. Une politique de rémunération adaptée permettra aussi de conserver des compétences critiques (atomiciens, mécaniciens aéronautiques, praticiens de santé) ou émergentes (cyber, automates, intelligence artificielle) par ailleurs très recherchées sur le marché de l’emploi privé.
La complémentarité entre civils et militaires est rappelée. Un plan de requalification d’agents de catégorie C vers la catégorie B est mentionné ainsi qu’une élévation du niveau du concours externe de recrutement des ingénieurs des études et fabrication. La réforme du statut des ouvriers de l’État s’accompagnera d’une reprise des recrutements dans des spécialités rares.
Le complément indemnitaire annuel (CIA) des fonctionnaires sera revalorisé. Le rapport annexé souligne particulièrement que les mesures indiciaires ou indemnitaires affectant le niveau général de la rémunération des fonctionnaires civils seront adaptées à la fonction militaire dans un souci d’équité. Il est souhaitable de rompre avec les années antérieures qui se caractérisaient par des retards de transposition des mesures prises au profit des fonctionnaires.
La prise en compte de toutes les formes de handicap dans le recrutement de personnels civils sera encore renforcée, ce qui confirme l’engagement de longue date du ministère en faveur du recrutement de personnels blessés ou handicapés.
b. Des leviers pour dynamiser les parcours professionnels
L’adaptation des compétences aux besoins des forces armées et l’impératif de jeunesse imposent d’avoir recours à des leviers efficaces pour dynamiser les parcours professionnels.
À cet égard, l’article 15 du présent projet de loi prévoit d’habiliter le Gouvernement à proroger, en les adaptant, diverses aides au départ, destinées aussi bien aux militaires qu’aux civils.
Bien que le projet de loi de programmation ne prévoie pas de restructurations, le complément spécifique de restructuration est maintenu, ainsi que l’indemnité de conversion et le complément exceptionnel de restructuration qui peuvent être attribués aux ouvriers de l’État.
Le rapport annexé souligne que les spécificités des armées (gestion de flux et carrières courtes) justifieront le maintien d’un système de pensions de retraite adapté.
c. Le chantier de la nouvelle politique de rémunération des militaires
Après plusieurs années d’hésitations, le ministère s’engagera finalement en 2021 dans une réforme ambitieuse de la politique de rémunération des militaires, destinée à maîtriser la masse salariale et à améliorer la lisibilité du système indemnitaire, aujourd’hui caractérisé par son grand nombre de primes (174).
Ce chantier contribuera à simplifier le calcul de la solde, sécurisant de ce fait le chantier de reconstruction d’un système de liquidation de la solde. Le logiciel Source Solde entrera pour sa part en service progressivement, mettant fin aux errements du précédent logiciel Louvois.
d. Les mesures en faveur des réserves
Devenue indispensable à la réalisation des missions des armées, la réserve bénéficie d’un budget fixe de 200 millions d’euros par an, afin de parvenir à l’objectif de 40 000 réservistes opérationnels pour un emploi annuel moyen de 37 jours.
Dans un souci d’équité et de fidélisation, leur couverture sociale est améliorée par le présent projet de loi. La simplification des démarches administratives sera aussi au cœur de la stratégie de fidélisation des réservistes.
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II. Une programmation traçant des priorités claires en faveur de la réparation de nos armées
A. L’accent mis sur le renseignement et la cyberdéfense
Mme Florence Parly ministre des Armées, et le général François Lecointre, chef d’état-major des armées, l’ont rappelé devant la commission : la ressource annuelle moyenne consacrée à l’agrégat renseignement-cyberdéfense augmentera de 53 % par rapport à la période 2014-2019. Une telle revalorisation témoigne d’un effort substantiel mais nécessaire dans ces deux domaines, parfaitement cohérent avec la nouvelle physionomie des menaces, des conflits et des engagements opérationnels.
1. Le renseignement : un renforcement de la fonction « connaissance et anticipation » à maintenir dans la durée, notamment en matière de ressources humaines
● Si la Revue stratégique a confirmé la nécessité de maintenir et de consolider les cinq fonctions stratégiques « classiques » qui constituent les fondations d’un modèle d’armée complet et cohérent, l’Ambition 2030 entend opérer un rééquilibrage entre elles, en portant notamment un effort significatif en faveur de la fonction « connaissance et anticipation ».
Cette fonction est en effet essentielle, à tous les stades de la décision politique et militaire. En amont, une fonction « connaissance et anticipation » robuste constitue la garantie de disposer d’une capacité d’appréciation autonome de situation qui seule permet la prise de décision libre et souveraine. En aval d’une décision de mise en œuvre de moyens militaires, elle permet de conduire l’action opérationnelle dans des conditions optimales et de détenir et conserver la supériorité informationnelle, élément majeur de la supériorité stratégique et tactique.
Cette autonomie repose, dans la pratique, sur les capacités de renseignement des armées, qu’il s’agisse de la collecte, de l’analyse ou de l’exploitation des informations. À cet égard, le présent projet de LPM contribue à un renforcement significatif de notre posture nationale du renseignement. Cet effort se traduit tant dans le domaine des ressources humaines que dans le domaine des capteurs. Compte tenu des évolutions géostratégiques et technologiques, un tel effort devra nécessairement être maintenu au-delà de la période couverte par la programmation.
● S’agissant des ressources humaines, les effectifs du renseignement augmenteront de manière sensible, avec la création de 1 500 postes supplémentaires sur la période de programmation. D’après les informations communiquées au rapporteur, ces créations d’effectifs devraient s’opérer selon le cadencement suivant.
cadencement des créations de postes prévues dans le renseignement
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
2023 |
2024 |
2025 |
Total LPM |
199 |
152 |
104 |
146 |
421 |
239 |
239 |
1 500 |
Source : ministère des Armées – réponses au questionnaire du rapporteur.
Ces postes seront répartis entre les besoins propres des armées et ceux de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE).
Il est prévu que ces effectifs supplémentaires soient majoritairement affectés au renforcement des capacités de traitement des données collectées et au renseignement d’origine humaine.
De fait, les services doivent traiter, analyser et exploiter un flux exponentiel de données, provenant de capteurs toujours plus performants ([11]). Face à un tel afflux, le risque est celui de la submersion sous le « flot de données ». Il est donc essentiel de porter l’effort en matière de ressources humaines sur l’analyse et l’exploitation, ce que prévoit à juste titre le projet de programmation. Des compétences spécifiques devront être mobilisées, par le recrutement de profils « experts » à l’image des data scientists, des data analysts et autres géomaticiens.
Il faut être conscient du fait qu’à l’avenir, l’homme ne sera pas et ne pourra pas être seul pour réaliser de telles tâches. Son action devra être facilitée par le recours à des dispositifs d’intelligence artificielle (IA). Car au-delà de la recherche d’information, il s’agit d’être en mesure de croiser différentes sources, et l’exploitation des outils offerts par l’IA sera déterminante à cet égard.
Il convient de noter que la DGA travaille à la conception d’un programme ARTEMIS – pour Architecture de Traitement et d’Exploitation Massive de l’Information Multi-source – qui devrait constituer un outil particulièrement précieux pour la conduite de la fonction « connaissance et anticipation ».
● S’agissant des capteurs, un certain nombre d’équipements sont destinés aux forces pour consolider et moderniser les capacités de renseignement. Au total, quelque 4,6 milliards d’euros seront investis en faveur des équipements dans le domaine du renseignement.
Dans le domaine des systèmes spatiaux, la capacité d’écoute et de renseignement électromagnétique spatiale sera renforcée, avec la mise en service du système CERES qui viendra compléter les moyens terrestres, maritimes et aéroportés de recherche et d’interception des émissions électromagnétiques. CERES comprend des fonctions d’interception, de caractérisation et de localisation des signaux électromagnétiques par des moyens satellitaires, leur programmation ainsi que les moyens sols de contrôle des satellites. Un tel système contribue à la détection, à la caractérisation et au suivi des menaces, ainsi qu’à la connaissance des théâtres dans la profondeur puisqu’il permet une couverture mondiale en tout temps. CERES repose sur une constellation de trois satellites et permettra de recueillir, sur l’ensemble du globe, les informations permettant de cartographier et d’analyser le fonctionnement des émetteurs électromagnétiques. Il sera livré au cours de la période couverte par la programmation et son successeur sera quant à lui commandé sur la même période pour être livré à la fin de la décennie 2020.
Le système MUSIS ([12]), fruit d’une initiative européenne, vise à renforcer les moyens d’observation spatiale et permettra de remplacer l’actuel système Hélios opéré par la France. Il inclut une composante spatiale optique (CSO), deux composantes radar (italienne et allemande) et une composante optique champ large. MUSIS offrira des capacités de suivi de situation et de veille stratégique, d’aide à la prévention et à l’anticipation des crises et d’assistance à la planification et à la conduite des opérations. Par rapport à Hélios II, la composante optique se caractérisera par une meilleure résolution, une plus grande agilité de la plate-forme permettant l’identification de cibles plus petites, et par une augmentation importante du nombre d’images accessibles quotidiennement. Le premier satellite MUSIS sera lancé fin 2018, deux satellites supplémentaires devant être livrés sur la période 2019-2025.
S’agissant du renseignement aéroporté, le projet de LPM prévoit l’acquisition de deux avions légers de surveillance et de reconnaissance (ALSR) d’ici 2025 ([13]) pour un parc prévu à huit appareils à l’horizon 2030, et de trois avions de reconnaissance stratégique (CUGE ([14])), lesquels ont vocation à remplacer les Transall C-160 Gabriel spécialisés dans le recueil du renseignement d’origine électromagnétique (ROEM) ([15]) : une unité sera livrée au cours de la programmation, trois appareils étant prévus à l’horizon 2030.
Ces deux programmes ont fait l’objet d’augmentations de cibles. Ainsi, comme le soulignait devant la commission le général André Lanata, chef d’état‑major de l’armée de l’air, le projet de LPM prévoit un effort conséquent dans le domaine des moyens de surveillance aéroportés, avec un quadruplement de la flotte ALSR et une augmentation de 50 % de la cible CUGE.
Enfin, le programme de charge ROEM sur Reaper est en cours ; il vise à doter le Reaper d’un capteur à champ large, capable d’orienter le capteur optique au « champ étroit ». Les armées devraient en disposer à l’horizon 2020‑2021.
S’agissant du renseignement naval, l’effort se traduira par la réalisation d’un programme nouveau, avec la commande d’un bâtiment léger de surveillance et de recueil de renseignement (BLSR) qui viendra utilement compléter les capacités offertes par l’actuel bâtiment d’essais et de mesures (BEM) Dupuy‑de‑Lôme et permettra, le cas échéant, des déploiements simultanés sur des théâtres différents. Il sera commandé pendant la période couverte par la programmation.
● Si l’effort en matière de ressources humaines et d’équipement est réel, il conviendra de le maintenir dans la durée, au-delà de la période de programmation. Si la « trame capteurs » offrira un éventail complet et cohérent de capacités, une vigilance restera de mise dans le domaine des ressources humaines. En effet, une partie des créations d’effectifs sont des créations « contraintes », associées précisément à la mise en œuvre de nouveaux équipements. Le renforcement progressif, dans la durée, des capacités de recherche, d’analyse et d’exploitation du renseignement devra donc s’accompagner d’un niveau de recrutement adapté même si, comme l’a relevé le général Jean-François Ferlet, commandant la direction du renseignement militaire, la solution à l’accroissement du flux de données ne peut relever seulement de la politique d’effectifs. Elle implique en effet une utilisation croissante de l’intelligence artificielle, pour mieux exploiter tant les flux que les stocks d’information.
En outre, si les services n’éprouvent pas de difficulté majeure à recruter des personnels, la fidélisation de ceux-ci demeure un point d’attention qui supposera une vigilance constante. Au-delà de la concurrence du secteur privé sur certaines spécialités (interprétateurs image par exemple), il existe par ailleurs une compétition interne, entre services, qui nécessite sans doute de mener un travail sur l’harmonisation des différents régimes indemnitaires.
2. L’espace : un atout et un risque
Les capacités de renseignement électro-magnétique et d’observation de la terre depuis l’espace, avec respectivement les systèmes CERES et MUSIS évoqués plus haut, ne couvrent pas l’ensemble de la contribution spatiale à la fonction « connaissance et anticipation ».
Le renseignement acquis doit pouvoir circuler de façon sécurisée à tout moment et en tous lieux, et notamment vers le champ de bataille. C’est la fonction du système militaire de télécommunication SYRACUSE III (SYstème de RAdiocommunication Utilisant un SatellitE) composé de deux satellites et de stations-sol. Il sera remplacé par deux nouveaux satellites SYRACUSE IV avant 2025. Ces satellites seront à propulsion électrique et le système, opérant en bandes X et Ka, verra sa sécurité cyber durcie, tout en étant rendu plus résistant au brouillage. La mise en orbite de ces satellites répondra aux besoins de communications croissants en raison de la numérisation des différentes capacités et de l’explosion du volume de données, résultant notamment de la mise en œuvre des drones. La LPM a pris la mesure de cet enjeu et va au-delà de la feuille de route initiale en prévoyant la livraison d’un troisième satellite SYRACUSE IV d’ici à 2030.
L’observation de l’espace depuis la Terre participe également du renseignement. Il est, d’une part, indispensable d’être en mesure de surveiller nos propres satellites et leurs orbites et, d’autre part, de détecter les éléments présentant un danger potentiel, qu’il s’agisse de débris ou d’autres objets spatiaux, afin, le cas échéant, de pouvoir déceler et attribuer un acte virtuellement suspect, voire malveillant. Le système français de surveillance des orbites basses de l’espace exo-atmosphérique, unique en Europe, repose sur le radar GRAVES (Grand Réseau Adapté à la Veille Spatiale), une réalisation de l’Office national d’études et de recherches aérospatiales (ONERA), permettant d’établir la situation spatiale jusqu’à 1 000 km d’altitude environ. Un catalogue des objets observés est établi. Au cours de cette LPM, le système fera l’objet d’une modernisation, déjà notifiée, pour le prolonger jusqu’à 2030. Les performances du traitement du signal seront accrues, grâce à un nouveau calculateur, ainsi que celles des antennes de réception. Les radars de trajectographie SATAM, complémentaires du système de veille, feront eux aussi l’objet d’une rénovation.
Le commandement interarmées de l’espace et le commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes seront renforcés et modernisés.
Ainsi que le rappelait le général Jean-Pascal Breton, commandant interarmées de l’espace, auditionné par la commission, « l’espace est un formidable outil de coopération » qui s’appuie sur la nécessité de collaborer pour maintenir des coûts acceptables et se matérialise par un échange d’informations dans le respect de la souveraineté de chaque État. La France coopère avec de nombreux pays européens, dont elle utilise certaines capacités, et devra intensifier ses actions en ce sens afin de relever les défis que représentent, d’une part, la détection d’objets spatiaux de taille toujours plus réduite, leur nombre grandissant, et, d’autre part, et la banalisation de l’utilisation de l’espace, dont les conséquences restent à évaluer.
Le rapport annexé pose le libre accès et l’utilisation de l’espace exo‑atmosphérique comme une des conditions de notre autonomie stratégique. Mais ainsi que le relève la Revue stratégique, l’espace exo-atmosphérique est peu régulé et investi par les logiques de compétition stratégique et militaire. Il existe un risque de prolifération et des États pourraient vouloir dénier l’accès à l’espace ou y exercer des menaces. L’usage commercial grandissant et le nombre de constellations de satellites en orbites basses, les débris spatiaux, l’arsenalisation rampante mettront peut-être, à terme, les États face à la nécessité d’une réglementation internationale.
Le danger d’une dépendance exclusive aux services rendus par les moyens spatiaux est identifié dans le rapport annexé. Les armées devront donc entretenir les compétences permettant d’agir « en mode dégradé » dans toutes les situations.
3. Le domaine cyber : enjeu transverse et matrice des conflits de demain
● La préoccupation et la fonction cyber sont, somme toute, récentes. Le domaine « cyberdéfense » a fait l’objet d’une reconnaissance officielle, en tant que concept, dans le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008 il y a dix ans seulement. L’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI) a été créée l’année suivante, en 2009. La fonction cyber n’a été consacrée en tant que priorité nationale qu’à l’occasion de la publication du Livre blanc de 2013.
Le cyber fait dorénavant l’objet d’une attention constante, dans le domaine militaire mais également au-delà, dès lors que le cyberespace constitue un « méta-espace » immatériel qui englobe tous les autres, ignore les frontières physiques et méconnait les différences, juridiques et de nature, entre les différentes personnes physiques ou morales ou entre les différents secteurs d’activité. La revue stratégique de cyberdéfense, publiée par le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) a récemment rappelé le niveau de la menace cybernétique, qui est de plus en plus complexe et prend de plus en plus d’ampleur.
Au-delà des rappels, essentiels, sur la nature et l’importance de la menace et sur le modèle français d’organisation en matière de cyberdéfense, cette revue stratégique constitue un réel vade-mecum pour la construction d’une nation plus résiliente face aux menaces cybernétiques. Les recommandations prioritaires qui y figurent, de natures et d’horizons temporels divers, constitueront à n’en pas douter une référence pour l’adaptation de notre modèle dans les années à venir. Sans les présenter de manière exhaustive, on peut néanmoins souligner les points suivants.
Dans le domaine de la consolidation de l’organisation de la cyberdéfense, la revue stratégique de cyberdéfense recommande la mise en place :
– de quatre chaînes opérationnelles bien identifiées : la chaîne « protection », la chaîne « action militaire », la chaîne « renseignement » et la chaîne « investigations judiciaires » ;
– d’un comité directeur cyber, chargé de suivre la mise en œuvre des décisions prises en matière de développement et d’organisation du domaine cyber par le conseil de défense et de sécurité nationale ;
– d’un comité de pilotage de la cyberdéfense, qui devra contribuer à améliorer la connaissance de la menace d’origine cyber, à élaborer une politique industrielle, réglementaire et normative de souveraineté numérique et à mettre en place une doctrine officielle de réponse globale à une crise cyber ;
– d’un centre de coordination des crises cyber, le C4, chargé de la gestion des crises non majeures.
Ce C4 mérite quelques développements. Si l’organisation actuelle des pouvoirs publics – via l’action de la cellule interministérielle de crise CIC – donne satisfaction s’agissant de la gestion des crises cybernétiques majeures, il est apparu qu’il manquait un organisme interministériel analogue s’agissant des événements de moindre ampleur. Un tel mécanisme serait permanent et permettrait d’associer au travail d’analyse de la menace et de préparation et de coordination de l’action l’ensemble des ministères concernés par une crise.
Le C4 serait organisé en trois strates :
– le C4 stratégique (C4 STRAT) : organe non permanent, il assurera le bon échange des informations et des analyses aux fins de faciliter la préparation des possibles réponses de l’État en prenant en compte l’ensemble des aspects (techniques, diplomatiques, voire judiciaires) ;
– le C4 technique (C4 TECH) : hébergé à l’ANSSI et présidé par le directeur général de celle-ci, il aura pour mission de superviser l’emploi des moyens relatifs à la résolution des crises cyber non majeures. En cas de crise majeure, il viendra en appui de la CIC ;
–le C4 restreint permanent et technique (C4 TECHOPS) : structure permanente, il permettra de produire une analyse partagée, entre les services compétents, de la menace, des modes d’action et des acteurs menaçants. Il constituera également un organe de réflexion quant à l’anticipation des réponses possibles à court et moyen termes.
Par ailleurs, il convient de relever les recommandations tendant à l’amélioration de la protection des activités sensibles au travers d’une plus grande implication des opérateurs de communications électroniques et des hébergeurs. Ces recommandations trouvent leur traduction juridique aux articles 19 et 20 du présent projet de loi, dont les dispositions sont schématiquement rappelées ci-après.
● Le rapport annexé au présent projet de LPM l’énonce clairement : « Le développement du cyberespace à l’échelle planétaire, la rapidité d’accroissement de la dépendance au numérique de nos moyens militaires ainsi que l’extension des risques d’attaque sur nos systèmes électroniques, nécessitent le développement de capacités de cyberdéfense dans toutes leurs dimensions. Transverse aux fonctions stratégiques qu’elle soutient, la cyberdéfense porte en son sein un enjeu de souveraineté nationale. »
Fait révélateur, le projet de LPM consacre un chapitre spécifique à la cyberdéfense dont trois articles visent à adapter la posture française :
– en matière de détection des cyber-attaques (articles 19 et 20) ;
– au niveau opérationnel (article 21 sur l’extension de « l’excuse pénale » aux cyber-combattants).
Ces articles témoignent, pour les deux premiers, d’une volonté de renforcer la résilience des réseaux et systèmes d’informations nationaux, qu’il s’agisse des éléments par nature sensibles et qui font disposent déjà d’un cadre législatif spécifique (systèmes d’information des autorités publiques et des opérateurs d’importance vitale (OIV), ou qu’il s’agisse des systèmes utilisés par les particuliers. Une telle extension des mécanismes de prévention des cyberattaques au-delà du champ « classique » confirme le caractère universel de la problématique cyber.
Les dispositions prévues permettront d’améliorer les capacités nationales de détection des cyber-attaques en autorisant la mise en place de systèmes de détection des attaques informatiques. Favorisant une démarche partenariale avec les acteurs concernés reposant sur le volontariat, les dispositions proposées permettront aux opérateurs de communications électroniques de recourir à de tels dispositifs de détection sur leurs réseaux. L’ANSSI pourra également mettre en œuvre de tels outils, dès lors qu’une menace particulièrement sérieuse serait susceptible d’affecter les systèmes d’information des autorités publiques ou des OIV.
Le troisième article témoigne quant à lui de l’intégration pleine et entière de l’action cyber et des cyber-combattants dans le champ de la confrontation militaire dans toutes ses composantes, en l’espèce en opérations extérieures. De fait et comme le rappelle le rapport annexé : « En matière de lutte informatique offensive, de nouvelles capacités d’action, intégrées à la chaîne de planification et de conduite des opérations, seront systématiquement ([16]) déployées en appui de la manœuvre des armées. »
● S’agissant des moyens, le présent projet de LPM s’inscrit pleinement dans le cadre des conclusions de la revue stratégique de cyberdéfense en renforçant les capacités des armées en matière de prévention, de détection et d’attribution des cyberattaques.
En outre, 1 500 créations de postes sont prévues sur la période 2019-2025 dans le domaine de la cyberdéfense et de l’action dans l’espace numérique, dont plus de 1 000 cyber-combattants, ce qui permettra de porter leur nombre à 4 000 personnels environ. Le cadencement des augmentations d’effectifs est prévu comme indiqué dans le tableau suivant.
cadencement des créations de postes prévues dans les domaines cyber et action numérique
Domaine |
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
2023 |
2024 |
2025 |
Total LPM |
Cyberdéfense |
107 |
94 |
96 |
135 |
151 |
270 |
270 |
1 123 |
Digitalisation/Intelligence artificielle |
22 |
6 |
6 |
18 |
145 |
90 |
90 |
377 |
Total |
129 |
100 |
102 |
153 |
296 |
360 |
360 |
1 500 |
Source : ministère des Armées – réponses au questionnaire et calculs du rapporteur.
Sur le périmètre « cyberdéfense », environ 500 postes relèveront du chef d’état-major des armées et seront donc placés sous l’autorité du commandement de la cyberdéfense (COMCYBER).
● Face à la réalité, à la permanence et au renforcement probable des menaces de nature cybernétique, il est indispensable de renforcer les capacités des armées. Pour ce faire et en complément du cadre juridique et opérationnel existant – dont certains aspects sont adaptés et renforcés par le présent projet de loi –, le contrat de protection sera étendu au domaine de la cyberdéfense, avec la création d’une « posture permanente cyber » (PPC).
Placée sous le contrôle opérationnel du COMCYBER, la PPC regroupe l’ensemble des mesures prises pour assurer la défense des forces armées dans le cyberespace, en temps de paix comme de crise, ou de guerre. Il s’agit d’une posture comparable, dans l’espace numérique, aux traditionnelles postures permanentes de sécurité maritime et aérienne. Elle vise à préserver la liberté d’action des forces armées et du ministère des Armées et recouvre trois missions principales :
– surveiller l’espace numérique et détecter les atteintes affectant le ministère des Armées ;
– permettre aux forces de se déployer en sécurité au regard des menaces provenant du cyberespace, et d’accomplir leur mission ;
– contrer les agressions informatiques ou informationnelles, y compris en prenant les mesures visant à faire cesser les effets de l’attaque.
Pour la mise en place de la PPC, 139 effectifs sont prévus au cours de la prochaine LPM, qui renforceront le COMCYBER (27 postes), le centre d’analyse et de lutte informatique défensive (CALID, 59 postes) et le centre interarmées des actions sur l’environnement (CIAE, 53 postes). Les capacités des centres opérationnels de sécurité (SOC) des armées et de la 807e compagnie de transmissions seront également renforcées.
● Au-delà des questions relatives à la protection et à la résilience des systèmes, aux aspects opérationnels ou aux moyens tant humains que budgétaires, le cyber irrigue également le champ de la conception, de la production et de la maintenance des armes et équipements qui ont vocation à être opérés et mis en œuvre par les forces armées. L’aspect cyber doit en effet être pris en compte nativement dans les programmes d’armement afin, notamment, d’assurer la meilleure protection de ceux-ci face aux éventuelles menaces. Il s’agit là d’une préoccupation essentielle dans le contexte de la numérisation croissante de l’environnement de combat et de l’interconnexion toujours plus poussée des différents systèmes mis en œuvre par les armées.
B. Un effort accru en faveur de la fonction prévention
Le projet de LPM reprend les cinq fonctions stratégiques des précédents Livres blancs : « connaissance et anticipation », « dissuasion », « prévention », « protection » et « intervention ». Le rapport annexé affirme toutefois qu’un effort particulier sera consenti d’ici 2030 en faveur des fonctions « connaissance et anticipation » et « prévention ». Il présente toutefois explicitement les fonctions « connaissance et anticipation » et « prévention » comme faisant l’objet d’une politique volontaire de « renforcement », sans pour autant que les trois autres fonctions ‒ « dissuasion », « protection » et « intervention » ‒ soient affectées, dans la mesure où elles sont elles-mêmes l’objet d’une ambition de « consolidation ».
S’agissant de la fonction « prévention », l’effort annoncé est conforme aux conclusions de la Revue stratégique, dont le rapport annexé souligne qu’elle « appelle à rendre à la fonction “prévention” toute son importance dans une logique d’approche globale pour la gestion des crises ». Cette fonction, en effet, « vise à agir en amont, sur leurs facteurs de déclenchement, pour en réduire les risques d’occurrence et en maîtriser les effets ». L’effort en sa faveur se traduit principalement par :
‒ un renforcement et une plus grande mobilisation de nos forces prépositionnées, qu’il s’agisse des « bases opérationnelles avancées » en Côte‑d’Ivoire, à Djibouti et aux Émirats arabes unis ou des « pôles opérationnels de coopération » au Gabon et au Sénégal ;
‒ un nombre accru de déploiements maritimes permanents : le rapport annexé prévoit d’assurer « dans la durée » « deux à trois déploiements maritimes », alors que la LPM 2014‒2019 ne prévoyait de déploiements navals permanents que dans une à deux zones maritimes ;
‒ une mention expresse au titre de la fonction « prévention », dans le rapport annexé, de nos « déploiements de circonstance, notamment dans le cadre des mesures de la posture de défense et de dissuasion de l’OTAN », précisant que la participation de la France au dispositif de « présence avancée renforcée » ([17]) de l’OTAN à l’est de l’Europe « sera ainsi pérennisée » ;
‒ une ambition consistant à susciter, parmi nos partenaires de l’Union européenne, une volonté accrue d’engagement et d’intervention militaires.
Nos « forces prépositionnées » sont définies, au sens large, comme l’ensemble de plusieurs catégories de forces françaises stationnées en permanence outre-mer et à l’étranger :
‒ les forces de souveraineté, basées dans nos territoires ultramarins suivants : les Antilles, la Guyane, La Réunion, la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française ;
‒ nos forces de présence, stationnés à l’étranger soit dans nos « bases opérationnelles avancées » de Côte-d’Ivoire, de Djibouti ou des Émirats arabes unis, soit dans nos « pôles opérationnels de coopération » du Gabon ou du Sénégal.
Le rapporteur souligne que le déploiement naval permanent qu’entretient la France depuis 1990 dans le Golfe de Guinée et au large des côtes d’Afrique de l’Ouest, sous le nom de « mission Corymbe », mérite d’être cité comme un élément à part entière de ce dispositif.
De même, comme le disaient en 2014 nos collègues Yves Fromion et Gwendal Rouillard dans leur rapport sur l’évolution du dispositif militaire français en Afrique ([18]), lorsque des opérations extérieures se poursuivent dans le temps, parfois plusieurs décennies, et que les forces qui y sont affectées voient leurs missions évoluer pour devenir assimilables à celles d’un prépositionnement « classique », elles peuvent être vues comme des « prépositionnements de fait ». Tel était le cas, par exemple de l’opération Épervier au Tchad avant sa refonte au sein de l’opération Barkhane, 28 ans après son lancement ; tel est aussi d’une certaine manière le cas, au Liban aujourd’hui, de l’opération Daman, nom de la participation française à la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL) depuis 1978.
La carte ci-après présente la place de ce dispositif dans l’engagement des forces françaises.
Forces prÉpositionnÉes
FAA : Forces armées aux Antilles ; FAG : Forces armées en Guyane ; FAZSOI : Forces armées de la zone sud de l’océan Indien ; FANC : Forces armées en Nouvelle-Calédonie ; FAPF : Forces armées en Polynésie française ; EFS : Éléments français au Sénégal ; FFCI : Forces françaises en Côte d’Ivoire ; EFG : Éléments français au Gabon ; FFDJ : Forces françaises à Djibouti ; FFEAU : Forces françaises aux Émirats arabes unis.
Source : données du ministère des Armées, cartographie du rapporteur.
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a. Des forces réduites à leur minimum par la précédente LPM en dépit d’une utilité avérée
Bien que nos prépositionnements aient donné la preuve de leur utilité dans les opérations conduites peu avant l’élaboration de la LPM 2014‒2019, celle-ci a planifié une réduction de leurs effectifs à un niveau qui s’est avéré « juste insuffisant ».
i. Des missions variées, dont nos dernières opérations en Afrique ont montré l’utilité opérationnelle
Le dispositif militaire permanent de la France, qui repose sur les prépositionnements, sert à mettre en œuvre deux politiques distinctes :
– une politique de coopération opérationnelle et de « diplomatie de défense » avec les États voisins des lieux de stationnement des forces ou, dans le cas des forces de présence, leurs États hôtes ;
– l’entretien de capacités de réaction disponibles en cas de crise, soit au titre de la fonction opérationnelle « intervention » pour le cas des forces déployées hors du territoire national (y compris en mer), soit au titre de la fonction opérationnelle « protection » pour les forces de souveraineté. Dans ce cas, celles‑ci sont investies de missions de préservation de la souveraineté française, tant pour la protection des territoires ultramarins que de la zone économique exclusive (ZEE) qui s’y rattache, et tant contre des menaces de nature militaire ou sécuritaire que pour la gestion de catastrophes naturelles, comme l’a montré l’actualité récente.
En outre, l’entretien de ces forces contribue également à la fonction « connaissance et anticipation ».
Chaque force prépositionnée a des missions qui varient selon son statut :
‒ les bases opérationnelles avancées de Côte-d’Ivoire, de Djibouti ou des Émirats arabes unis constituent des « réservoirs de forces » interarmées, forts d’un millier d’hommes en moyenne, dont les opérations constituent la mission première et qui contribuent également à la coopération internationale ;
‒ les pôles opérationnels de coopération du Sénégal et du Gabon, composés de détachements interarmées de 350 hommes, ont pour vocation première la coopération opérationnelle ; selon les cas, ils peuvent toutefois être employés pour des opérations : lors de l’opération Serval, c’est d’ailleurs l’état‑major des Éléments français au Sénégal qui a constitué le noyau de la force projetée.
Quant aux forces de souveraineté, elles conduisent de nombreuses actions de coopération, en vue de renforcer la stabilité régionale, de consolider nos partenariats stratégiques et de permettre une appréciation autonome de situation, notamment par l’identification de signaux faibles annonciateurs de crises profondes. Elles permettent en particulier de soutenir la constitution de capacités susceptibles d’être engagées en opération de maintien de la paix. En matière de diplomatie de défense, leur contribution s’exerce dans toutes les zones. Ainsi, dans le Pacifique, les forces de souveraineté maintiennent la France au rang de puissance militaire européenne riveraine du Pacifique. Dans les Caraïbes, la qualité des relations internationales qu’entretiennent les forces de Guyane est essentielle, la Guyane étant le seul territoire ultramarin français à partager des frontières terrestres avec plusieurs États. Les forces aux Antilles consacrent des moyens importants à la coopération internationale, levier majeur dans la lutte contre les narcotrafics. Enfin, dans le sud de l’océan Indien, les FAZSOI entretiennent une coopération opérationnelle intense avec Madagascar, Maurice et les Comores, ainsi que les pays de l’Afrique australe.
Dans leur rapport précité, nos collègues Gwendal Rouillard et Yves Fromion étudient en détail la place des prépositionnements dans la conduite des opérations Serval et Sangaris. Il en ressort que ces points d’appuis et ces « réservoirs de forces », bien placés sur le continent africain, ont eu un rôle déterminant dans la réactivité de nos forces et le succès de nos opérations.
ii. Des moyens réduits au strict minimum par la précédente LPM
Le Livre blanc de 2013 prévoyait une « réduction de 1 100 emplois dans les forces prépositionnées et les outre-mer engagée dès 2014 ».
Suivant ces orientations, la LPM de 2013 a planifié la suppression de 750 postes sur 3 950 dans l’ensemble du dispositif prépositionné, et ce en dépit de la création d’une nouvelle base opérationnelle avancée à Abidjan.
Cette manœuvre s’est traduite par un déplacement, de Libreville à Abidjan, de la base opérationnelle avancée chargée de la zone de responsabilité principale pour les opérations en Afrique de l’Ouest. La nouvelle base opérationnelle avancée d’Abidjan n’a pas été créée ex nihilo : elle a repris les installations utilisées jusqu’alors par l’opération Licorne. Les raisons motivant ce transfert étaient doubles :
‒ l’intérêt de conserver un point d’appui en Côte d’Ivoire après la fin du mandat de la force Licorne, en raison des potentialités offertes par le site d’Abidjan (son port en eaux profondes et ses infrastructures aéroportuaires) et de la qualité retrouvée des relations franco-ivoiriennes ;
– l’intérêt d’approfondir nos capacités de coopération en laissant à Libreville une structure spécialisée, à l’instar de ce qui avait été fait à Dakar.
Cependant, la réduction des effectifs des forces françaises à Djibouti n’a pas pu être conduite comme prévu, de 1 950 à 950 personnels. En effet, comme l’ont analysé nos collègues précités, le plan de restructuration était entièrement guidé par un objectif chiffré de déflation d’effectifs, sans analyse fonctionnelle et opérationnelle préalable.
Suivre l’objectif de déflation aurait conduit à « “sacrifier” soit la composante aérienne, soit la composante terrestre ». Or, compte tenu de l’instabilité croissante de la zone, de plus en plus menaçante pour les intérêts français en particulier, et de la concurrence internationale pour l’implantation à Djibouti ‒ où la France perd du terrain au profit de puissances amies, mais aussi au profit de concurrents moins coopératifs, les auteurs du rapport jugeaient dès lors le scénario de déflation à 950 hommes « intenable », tant pour le respect du traité de défense franco-djiboutien que pour la crédibilité de notre présence dans la région. Le 9 juillet 2014, le rapport de nos collègues présentait des estimations détaillées et argumentées évaluant à 1 300 hommes le strict minimum de forces à maintenir ; le 27 juillet suivant, le ministre de la Défense annonçait à Djibouti sa décision d’y maintenir 1 350 hommes.
La réorganisation des forces de souveraineté engagée par les LPM de 2009 et de 2013 a conduit à :
‒ des réductions d’effectifs massives, portant au total sur près de 25 % des effectifs, la déflation étant particulièrement forte dans le Pacifique, où la Polynésie française a perdu 50 % de ses effectifs ;
‒ l’érosion de certaines capacités opérationnelles, dont certains moyens aériens et maritimes indispensables aux missions des forces de souveraineté compte tenu de l’étendue de notre ZEE. Cette érosion a commencé à être endiguée grâce à la mise en service en 2017 de deux patrouilleurs légers guyanais (PLG) et de quatre bâtiments multi-missions (B2M) entre 2016 et 2018.
L’effort capacitaire prévu par le projet de LPM 2019-2025, tant en matière d’équipements (avec un patrouilleur léger guyanais et six patrouilleurs outre-mer supplémentaires entre 2022 et 2024) que d’effectifs, permettra de combler le déficit capacitaire dans ce domaine. Il portera en premier lieu sur les zones les plus éloignées et les plus affectées par les déflations précédentes, en particulier la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française.
b. Des missions nouvelles et des moyens supplémentaires
De façon cohérente avec l’accent mis par la Revue stratégique sur la fonction « prévention », les développements du rapport annexé au projet de LPM concernant le renforcement de cette fonction font une place particulière aux missions et aux moyens des forces prépositionnées. Ce dernier explique d’ailleurs que ce renforcement « permettrait de susciter une mobilisation accrue de nos partenaires et alliés, notamment européens, dans le cadre d’une approche préventive conjointe ».
i. Le rapport annexé annonce une extension des missions de nos forces prépositionnées
Le rapport annexé décrit les forces prépositionnées comme constituant un « instrument clé de la stabilisation et de l’anticipation des crises », qui « concourt directement à la mise en œuvre de la fonction “intervention” et autorise une meilleure réactivité en cas de crise » en facilitant notamment « la bascule d’effort d’une zone à l’autre ».
Surtout, le réseau des points d’appui permanents « permet de bâtir, dès le temps de paix, des partenariats élargis avec les États hôtes ou avec les pays de la région ». Ces partenariats passent principalement par des actions de coopération, et le rapport annexé fixe pour objectif que ces « capacités à former et entraîner sur place des militaires de Nations partenaires et alliées » passeront de 20 000 à 30 000 stagiaires formés par an. Le document précise que « cette évolution visera en particulier à accompagner des solutions africaines de sécurité ».
En effet, cet accroissement répond pour l’essentiel aux besoins de formation de la force du G5 Sahel ; des missions de formation de six mois environ sont prévues pour l’état-major et les soutiens de la force ainsi que pour sept bataillons de combat des États y contribuant (la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad). Cet effort permettra aussi à la France de contribuer davantage à la consolidation des armées centrafricaines et ivoiriennes.
De même, le rapport annexé cite comme concourant à la fonction « prévention » les déploiements navals et les manœuvres aériennes, ponctuels ou récurrents, « mobilisant des moyens des trois armées et des forces spéciales ».
On soulignera que le rapport annexé cite à ce titre :
‒ non seulement les forces de présence, indiquant que « la configuration du réseau de bases opérationnelles avancées (Côte-d’Ivoire, Djibouti, Émirats arabes unis) et de pôles opérationnels de coopération (Gabon et Sénégal) est confirmée » ;
‒ mais aussi les forces de souveraineté, dont il rappelle qu’elles n’ont pas seulement une mission de protection, mais contribuent aussi à la prévention des crises « par les partenariats régionaux dans lesquels elles s’inscrivent ».
Le rapport annexé annonce aussi que la possibilité sera ouverte aux États européens qui le souhaitent de stationner leurs unités dans ces bases, afin d’améliorer la capacité globale de prévention. Il précise naturellement qu’un tel stationnement sera subordonné à l’accord des nations hôtes.
D’ores et déjà, nos forces de présence ont intégré des détachements européens de volume significatif ‒ entre 50 et 100 personnels. Ainsi, les Éléments français au Sénégal et au Gabon ont reçu le renfort de détachements espagnols et de leurs avions, tandis que les Forces françaises à Djibouti ont accueilli des détachements de surveillance maritime allemands et espagnols avec des avions de patrouille maritime P3 Orion, une équipe sanitaire allemande, ainsi que des équipes de protection embarquée de plusieurs pays européens participant à l’opération Atalante. De surcroît, les forces prépositionnées accueillent régulièrement des unités ou équipes de cadres d’armées européennes au titre de la préparation opérationnelle en zone équatoriale ou désertique.
Dans le cadre de la montée en puissance de la force G5 Sahel, le ministère des Armées indique que des contacts ont été pris en vue d’étudier les possibilités d’accueil au sein des Éléments français au Sénégal d’équipes de formateurs autrichiennes et britanniques. On signalera aussi que le Canada demande à pouvoir déployer une équipe logistique au sein des Forces françaises en Côte-d’Ivoire.
ii. La LPM prévoit des renforts d’effectifs significatifs
Le rapport annexé annonce que les effectifs de nos prépositionnements seront « renforcés de manière ciblée », précisant que ce renfort pourra aller « jusqu’à 300 effectifs supplémentaires » et, ce, « notamment au profit des soutiens ». Cette mesure portera l’effectif des forces prépositionnées, y compris les déploiements navals, de 11 050 à 11 350 hommes.
S’agissant des forces de présence, le ministère des Armées précise que l’effort portera avant tout sur le pôle opérationnel de coopération du Sénégal, chargé de l’appui des forces du G5 Sahel, et ensuite sur le pôle opérationnel de coopération du Gabon et la base opérationnelle avancée de Côte‑d’Ivoire. D’ici 2025, parallèlement à la montée en puissance de la force du G5 Sahel, une centaine de postes sera créée, pour la plus grande part au sein du pôle opérationnel de coopération de Dakar, mais aussi au sein de celui de Libreville et de la base opérationnelle avancée d’Abidjan.
La hausse de ces effectifs sera opérée progressivement entre 2019 et 2025, « en fonction de la croissance de la force G5 Sahel ». Elle portera sur des postes de « cadres formateurs » spécialisés dans toutes les compétences opérationnelles et de soutiens nécessaires, « ainsi que dans d’autres besoins émergents » ; le ministère des Armées envisage également le stationnement d’une compagnie d’infanterie supplémentaire au sein de ce dispositif.
S’agissant des forces de souveraineté, le ministère indique qu’elles seront renforcées, notamment dans le Pacifique et en Guyane, dans un double but :
‒ tenir compte du retour d’expérience des derniers engagements des armées, comme l’opération Harpie de lutte contre l’orpaillage illégal en Guyane ou les missions d’appui aux services publics à l’occasion de l’ouragan Irma ;
‒ renforcer les capacités « de réactivité et d’autonomie régionale » de ces forces dans « certaines fonctions organiques fragilisées par les restructurations précédentes ».
S’agissant des déploiements navals, le rapport annexé revoit à la hausse le contrat opérationnel de la marine nationale. En effet, celle-ci sera en mesure d’assurer « dans la durée deux à trois déploiements maritimes » ‒ au lieu de deux selon la LPM 2014‒2019. Il explique qu’ainsi, les forces navales et aéronavales « contribueront à développer des coopérations régionales, à accroître notre connaissance des espaces concernés et à marquer la présence de la France ». Le ministère des Armées précise que les effectifs embarqués seront renforcés.
Le rapport annexé indique que ces déploiements pourront concerner tous types d’unités : tels que les bâtiments de projection et de commandement, les sous-marins nucléaires d’attaque, les avions de chasse, de surveillance et d’intervention ou de patrouille maritime ou les avions de détection et de commandement aéroporté (Airborne Warning and Control System, AWACS), des hélicoptères ou des forces spéciales.
2. Les coopérations européennes opérationnelles et en matière de prévention
Dans un contexte stratégique en dégradation rapide et durable, « l’Europe constitue, dans le cadre d’une relation transatlantique équilibrée, le cadre naturel de notre sécurité, de la protection de nos frontières, face à des défis qui ne peuvent être relevés qu’ensemble ». ([19])
En matière de défense, l’objectif de la France est la capacité d’action autonome de l’Europe, en complément de l’OTAN. C’est dans ce contexte que l’autonomie stratégique européenne et le niveau d’ambition définis par le Conseil européen prennent une importance croissante. Or, comme l’a rappelé la Revue stratégique d’octobre 2017, l’autonomie stratégique française est de plus en plus indissociable de l’autonomie stratégique européenne. C’est pourquoi la France, seul État-membre de l’Union européenne (après le « Brexit ») à disposer d’un siège permanent au sein du Conseil de sécurité des Nations Unies et de l’arme nucléaire, doté d’un modèle d’armée complet et d’emploi, capable d’intervenir à l’extérieur, a joué et jouera un rôle moteur dans les dernières initiatives concernant l’Europe de la défense. Ces initiatives permettent à l’Union européenne de développer un éventail cohérent d’outils au service de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC).
Dans cet esprit, la France a proposé l’Initiative européenne d’intervention. Pragmatique et résolument opérationnelle, elle doit permettre de forger une culture stratégique européenne pour faciliter de futurs engagements opérationnels conjoints entre pays européens. En développant un réflexe européen à travers des coopérations concrètes et ambitieuses entre forces armées, dans un certain nombre de domaines-clés, sur le fondement de la réciprocité et de l’échange d’expérience, la France entend ainsi fédérer un socle solide de pays européens ayant la volonté politique et les capacités militaires pour intervenir, conjointement, à l’avenir, au service de la sécurité européenne.
Comme le rappelle le rapport annexé au présent projet de loi (alinéa 367), le rôle réaffirmé de la fonction « prévention » permettra à la France de demeurer fidèle à ses engagements internationaux, afin que ses alliés puissent continuer de compter sur elle en toutes circonstances.
Le réengagement de la France vers les pays du Nord et de l’Est de l’Europe va se poursuivre, tout comme l’implication de la France en faveur de la sécurité européenne, au Sud, au Nord et à l’Est, de la Baltique à la Mer Noire. Pour mémoire, la France a participé à la police du ciel dans les pays baltes (Balitic Air Policing) dans le cadre de missions de quatre mois, par deux fois à partir de Šiauliai en Lituanie (en 2013 et 2016) et une fois à partir de Malbork en Pologne (2014). De mai à août 2018, quatre Mirage 2000 seront déployés à Ämari en Estonie pour participer à nouveau à la mission Baltic Air Policing. Outre leur dimension opérationnelle, ces missions ont un impact bénéfique sur la préparation opérationnelle des équipages : réalisations de mission opérationnelles réelles dans un contexte interallié particulier, missions d’entraînement avec des alliés (Allemands, Lituaniens, Polonais, Suédois) et activité aérienne régulière. Le coût moyen d’un détachement de quatre avions pour une durée de quatre mois est d’environ cinq millions d’euros.
Le « Brexit » ne remettra pas en question la coopération de défense de la France avec le Royaume-Uni, laquelle s’inscrit principalement dans le cadre des traités de Lancaster House. La coopération franco-allemande, qui s’illustre notamment à travers les conseils franco-allemands de défense, se poursuivra également. Un approfondissement des relations bilatérales avec l’Italie et l’Espagne est annoncé dans le rapport annexé, ainsi que le développement de liens renforcés avec d’autres partenaires européens, en particulier ceux identifiés dans le cadre de l’Initiative européenne d’intervention. Ces coopérations opérationnelles devront dynamiser les relations avec nos partenaires désireux de s’engager à nos côtés dans le voisinage de l’Europe. L’interopérabilité entre armées européennes sera un facteur clé de succès et la France souscrit pleinement à cet objectif.
Au niveau européen, le Conseil a adopté le 8 juin 2017 la décision portant création de la capacité militaire de planification et de conduite (MPCC) au sein de l’État-major de l’UE (EMUE). La MPCC fournit un outil de planification et de commandement des opérations, par ailleurs partiellement cofinancées par le mécanisme Athéna : la mission de formation de l’UE (EUTM) en Somalie, l’EUTM en République centrafricaine (RCA) et l’EUTM Mali. Cette décision va dans le sens de l’ambition française d’un renforcement de la dimension opérationnelle de la PSDC.
C. Le maintien des grands programmes déjà engagés
Contrairement aux deux précédentes lois de programmation, le projet de LPM 2019‒2025 ne prévoit ni étalements calendaires des grands programmes d’armement, ni réductions de cibles, que ce soit dans le champ de la dissuasion ou en matière d’équipements conventionnels.
1. La poursuite des programmes intéressant la dissuasion
Le rapport annexé le souligne : « la loi de programmation militaire prévoit les moyens nécessaires au maintien sur le long terme de la dissuasion nucléaire, conformément aux orientations de la Revue stratégique ».
En la matière, le projet de LPM s’inscrit tout à fait dans la continuité des programmations précédentes. Il décrit ainsi la dissuasion comme la « clé de voûte de la stratégie de défense », qui demeure « strictement défensive et suffisante ». Elle reste présentée comme permettant à la France de préserver « ses intérêts vitaux » contre « toute agression d’origine étatique, d’où qu’elle vienne et quelle qu’en soit la forme » et contribue « de facto à la sécurité de l’Alliance atlantique et à celle de l’Europe ». Conformément aux conclusions de la Revue stratégique, le rapport annexé réaffirme que la posture permanente de dissuasion s’appuie sur deux composantes « indissociables », océanique et aéroportée, dont la « complémentarité offre au Président de la République une gamme élargie d’options stratégiques ».
a. Le renouvellement des deux composantes de la dissuasion
La modernisation des deux composantes est le gage de la crédibilité de notre outil de dissuasion, face à l’évolution du contexte stratégique et à l’émergence de nouvelles menaces.
i. La modernisation de la composante océanique
La modernisation de la composante océanique repose sur quatre programmes principaux :
‒ la modernisation de l’ensemble des sous-marins lanceurs d’engins (SNLE), qui sera conduite à son terme comme prévu ;
‒ la mise en service du missile M51.3, qui se déroulera selon le programme établi ;
‒ le développement de la future version du missile M 51, dans le cadre de l’approche dite « incrémentale » ;
‒ les travaux de conception du sous-marin nucléaire lanceur d’engins de troisième génération (SNLE 3G), programme dont le rapport annexé confirme que la « phase de réalisation » sera lancée pendant la période de programmation.
ii. La modernisation de la composante aéroportée
Le rapport annexé indique que la modernisation de la composante aéroportée sera poursuivie, avec :
‒ le « passage à un porteur unique Rafale » dès 2018 ;
‒ la rénovation « à mi-vie » du missile air-sol moyenne portée améliorée (ASMPA), vecteur des têtes nucléaires aéroportées.
b. La modernisation l’environnement de la dissuasion
Le rapporteur souligne qu’en plus des armes nucléaires, de leurs vecteurs et de leurs « porteurs », la mise en œuvre de la dissuasion repose sur un ensemble de programmes spécifiques, ainsi que sur un socle de capacités conventionnelles. Le projet de LPM pourvoit à la modernisation de l’ensemble de ces capacités.
Lors de son audition du 6 mars devant la commission, le président‑directeur général de Thales a souligné le caractère crucial des transmissions nucléaires, qui ne peuvent souffrir aucun aléa de fonctionnement. Le rapport annexé indique que ces transmissions nucléaires « permanentes, sûres et résistantes » seront « adaptées » pour « apporter la souplesse, l’allonge et la résilience nécessaires à la stratégie de dissuasion ».
Surtout, l’outil de dissuasion dépend d’un ensemble d’études visant à garantir la fiabilité des têtes et à les améliorer au fur et à mesure. Dans ce cadre, le programme Simulation, que présente l’encadré ci-après, tient une place centrale.
Le programme Simulation
Le programme Simulation est né à la suite du projet « préparation à une limitation des essais nucléaires (PALEN) ». Lancé dès 1991 par la direction des applications militaires du CEA, le projet PALEN sera largement redimensionné au bénéfice de Simulation en raison de la signature de la France du Traité d’interdiction complète des essais nucléaires en 1996.
Dès lors, le cœur du programme Simulation a évolué autour de trois volets :
– la physique des armes, permettant de dégager les grandes équations mathématiques nécessaires à la modélisation du déclenchement d’une arme nucléaire ;
– la simulation numérique qui permet de développer de codes de calcul intervenant dans la résolution des équations précédemment évoquées ;
– la validation expérimentale ou « par partie », reposant sur la réalisation d’expériences spécifiques en laboratoire et la lecture des résultats à la lumière des données collectées lors des anciens essais nucléaires.
La simulation s’appuie encore aujourd’hui sur deux installations fondamentales :
– l’accélérateur à induction de radiographie pour l’imagerie X (AIRIX), en service entre 1999 et 2012, et qui a été remplacé en 2014 par l’installation Epure, implantée à Valduc. Cette dernière sera pleinement opérationnelle à l’horizon 2022 ;
– le laser mégajoule, en service depuis 2014, qui est l’unique outil de validation expérimentale des phénomènes physiques intervenant lors l’explosion nucléaire.
Afin de garantir la sûreté et la fiabilité des armes nucléaires, la DAM, en partenariat avec l’entreprise française Bull/Atos, a développé avec succès des supercalculateurs dès le début des années 2000. Trois générations de l’outil de calcul TERA ([20]) se sont ainsi succédé depuis lors et une nouvelle génération, TERA 1 000, est en préparation.
À plus long terme, le programme Simulation répond à un besoin en formation et en certification de la nouvelle génération d’experts « post-essais nucléaires », amenée à garantir la performance de l’arme atomique. Le programme constitue également un important levier à destination des industries françaises dans le domaine des supercalculateurs, de l’optique et des lasers, comme vos rapporteurs l’ont déjà exposé.
Vos rapporteurs en sont convaincus, l’approfondissement du programme Simulation constitue bien le moyen le plus absolu de conforter la crédibilité de la force nucléaire, et doit faire l’objet d’un financement à la hauteur des enjeux. Ainsi par exemple du renouvellement des calculateurs, qui doit être opéré tous les cinq ans en raison de l’obsolescence des composants électroniques et de l’accroissement nécessaire de la puissance des calculs pour augmenter la précision. Il faudrait augmenter la puissance de calcul d’un facteur 100 d’ici 2021, ce qui nécessite un important effort financier.
Source : Rapport d’information de MM. Jean‑Jacques Bridey et Jacques Lamblin sur les enjeux industriels et technologiques du renouvellement des deux composantes de la dissuasion nucléaire, n° 4301, 14 décembre 2016.
Le rapporteur souligne également que le rapport annexé ne remet pas en cause la coopération franco-britannique en matière de dissuasion malgré le « Brexit », cette coopération reposant sur des instruments bilatéraux – les accords de Lancaster House – dont l’encadré ci-après présente la teneur.
La coopération franco-britannique
Dans le cadre du traité global de Défense franco-britannique signé à Londres, le président de la République française et le Premier ministre britannique ont signé le 2 novembre 2010 un traité relatif au partage d’installations radiographiques et hydrodynamiques. Les deux pays ont décidé de partager deux installations de physique expérimentale, ce qui se traduit par la construction et l’exploitation commune de l’installation radiographique et hydrodynamique Epure, sur le centre CEA de Valduc. Cela se traduit également par une installation pour des développements technologiques communs (diagnostics, machines radiographiques du futur) au sein du Technology Development Centrer, sur le centre de l’Atomic Weapons Etablishment à Aldermaston (Royaume-Uni).
Cette collaboration permettra à chacun des deux pays de garantir la fiabilité et la pérennité de sa dissuasion nucléaire, sans réaliser d’essai nucléaire, conformément aux engagements internationaux pris par la France et le Royaume-Uni.
Source : op. cit.
ii. Un socle de capacités conventionnelles
En outre, la mise en œuvre de la dissuasion se fonde aussi sur des capacités conventionnelles, telles que, pour la composante océanique, les sous-marins nucléaires d’attaque, les avions de patrouille maritime, les frégates, les pétroliers-ravitailleurs et les bâtiments de guerre des mines. Le projet de LPM prévoit la poursuite ‒ voire l’accélération ‒ de l’ensemble de ces programmes d’armement conventionnels.
Pour la composante aérienne, ce socle de capacités conventionnelles est alimenté principalement par le programme Rafale, et bénéficiera aussi de l’accélération du programme d’avions ravitailleurs MRTT.
2. La poursuite des grands programmes conventionnels
Rompant avec les deux dernières lois de programmation militaire, le présent projet de loi ne fait pas reposer son équilibre financier sur des renoncements capacitaires. L’ensemble des grands programmes est préservé, ce qui est de nature à conforter la BITD française. Il ressort en effet du volet capacitaire du présent projet de loi que :
‒ aucun programme en cours ne fait l’objet d’étalement calendaire ou de réduction de cibles majeurs ;
‒ au contraire, des accélérations de programmes et des augmentations de cibles sont prévues : en faveur du programme Scorpion en milieu terrestre, des flottes de patrouilleurs, d’Atlantique 2 rénovés et de pétroliers-ravitailleurs en milieu marin, et d’avions ravitailleurs MRTT en milieu aérien ;
‒ le projet de loi pourvoit à d’autres besoins exprimés par les armées, par exemple en matière de véhicules des forces spéciales, de remplacement des canons AUF1 par des CAESAR sans réduction de l’effectif du parc mentionné par le contrat opérationnel, ou encore le système de drone aérien de la marine (SDAM) ;
‒ l’effort ne porte pas sur les équipements les plus emblématiques, comme les avions de combat ou les frégates, lesquelles ne connaissent pas de hausse de format de la trame « frégates de premier rang » ;
‒ le principal point d’attention concerne les hélicoptères : le programme d’hélicoptère interarmées léger (HIL) est renvoyé au milieu de la période de programmation, tandis que les programmes Tigre et NH90 ne sont pas accélérés.
a. Une rupture avec la tendance fâcheuse des précédentes LPM à consentir des étalements calendaires et des réductions de cibles
Le tableau ci-après rappelle quels étalements des commandes et des livraisons et quelles réductions de cibles la LPM de 2013 avait prévus.
RÉDUCTIONS DE CIBLES CAPACITAIRES ET DÉCALAGES DE CIBLES CALENDAIRES
Programme |
Modification par rapport à la programmation précédente |
AIF |
21 340 livraisons fin 2019 au lieu de 54 140 |
CAESAR |
Premières livraisons complémentaires reportées après 2019, au lieu de huit prévues fin 2019 |
COUGAR rénovation |
Dernière livraison en 2018 au lieu de 2017 |
MMP |
Première livraison de munitions reportée à 2017 au lieu de 2014 |
NH90 / TTH |
38 livraisons fin 2019 au lieu de 63 |
PPT |
450 livraisons fin 2019 au lieu de 1058 |
SCORPION |
92 livraisons de véhicules blindés multi-rôles (VBMR) fin 2019 au lieu de 441 |
Système de drones tactiques |
14 livraisons de vecteurs fin 2019 au lieu de 35 |
TIGRE |
20 livraisons d’appareils au standard HAD fin 2019 au lieu de 40 |
Véhicule 4-6 tonnes |
Première livraison reportée au-delà de la période de programmation, au lieu de 2019 |
Véhicules légers de transport de personnes |
Première livraison reportée au-delà de la période de programmation, au lieu de 2015 |
Source : Mmes Patricia Adam et Geneviève Gosselin-Fleury. Rapport sur le projet de loi de programmation militaire pour les années 2014 à 2019, tome I, n° 1551, Assemblée nationale, XIVe législature, novembre 2013.
Or ces modifications sont souvent finalement préjudiciables aux intérêts de l’État, car le plus souvent, elles renchérissent le coût unitaire des équipements militaires. Pour les FREMM par exemple, l’État a perdu l’équivalent du prix d’une frégate à chaque renégociation de contrat. En outre, les étalements calendaires ont parfois pour effet de fournir aux forces des matériels qui s’avèrent au moment de leur livraison moins modernes que prévu, ce qui impose de coûteuses modifications des spécifications en cours de développement ou de production des matériels.
Surtout, ces étalements calendaires et réductions de cibles se sont traduits par des réductions de capacités concernant essentiellement la fonction « intervention ». La programmation de 2013 consentait ainsi des réductions de capacités programmées pour atteindre, en 2028 : 56 % de la capacité de chars lourds rénovés ; 34 % de celle des blindés du segment médian ‒ AMX 10 RC et ERC 90 Sagaie ‒ ; 39% pour les véhicules de l’avant blindés ; 13 % pour les canons de l’armée de terre ; 15 % pour les frégates de lutte sous-marine, 17 % pour les sous-marins nucléaires d’attaque ; 33 % pour les bâtiments de soutien logistique ; 40 % pour les patrouilleurs ; 33% des capacités de guerre des mines ; 20 % de celles de surveillance maritime ; 12 % de l’aviation de chasse, ou encore 27 % de l’aviation de transport tactique.
Rien de tel avec le projet de LPM qui nous est soumis. Il pourvoit à la poursuite des grands contrats d’armement.
b. La poursuite des grands programmes
i. Un plan d’équipement qui répond aux besoins des armées
Le tableau ci-après présente les dispositions du projet de loi concernant les principaux programmes d’armement conventionnel.
Évolution des principaux parcs d’Équipements Conventionnels
Programme |
LPM 2014‒2019 actualisée |
parc début 2019 |
projet |
parc fin 2025 |
commentaire |
||
|
cible |
échéance |
|
cible « ambition 2030 » |
échéance |
|
|
1. Composante terrestre |
|||||||
Leclerc rénové |
200 |
2033 |
0 |
200 |
2033 |
122 |
sans changement |
EBRC ([21]) Jaguar |
248 |
2033 |
0 |
300 |
nd |
150 |
- accélération du calendrier : 150 livraisons en 2025 au lieu de 110 - hausse de la cible : + 52 |
VBMR ([22]) Griffon |
1 722 |
2033 |
3 |
1 872 |
nd |
936 |
- accélération du calendrier : 936 livraisons en 2025 au lieu de 800 - hausse de la cible : + 150 |
VBMR léger ([23]) |
558 |
2033 |
0 |
978 |
nd |
489 |
- accélération du calendrier : 489 livraisons au lieu de 400 en 2025 - hausse de la cible : + 420 |
AIF ([24]) |
101 000 |
2028 |
21 340 |
117 000 |
nd |
93 340 |
- accélération des livraisons : 93 340 en 2025 au lieu de 60 000 - hausse de la cible : +16 000 |
CAESAr ([25]) |
77 |
2010 |
77 |
109 |
2025 |
109 |
- remplacement nombre pour nombre des 32 AUF1 de 155mm |
NH90 Caïman TTH ([26]) |
74 |
nd |
36 |
74 (dont 10 NH90 FS) |
nd |
70 (dont 6 NH90 FS) |
- la cible avait déjà été portée de 68 à 74 Caïman TTH par l’actualisation de la LPM en 2015 |
Tigre HAD ([27]) |
67 |
2024 |
32 |
67 |
2025 |
67 |
- la cible avait déjà été portée de 60 à 67 Tigre HAD par l’actualisation de la LPM en 2015 - lancement annoncé d’un 3e standard du Tigre, adapté à un nouveau missile air-sol |
MMP ([28]) |
1 550 ([29]) |
2025 |
250 ([30]) |
nd |
nd |
1 950 |
- accélération des livraisons : +400 missiles en 2025 |
VBL ([31]) régénéré |
nd |
nd |
3 |
800 |
nd |
733 |
- pas de changement majeur - son remplaçant, le VBAE ([32]), n’est pas cité |
poids lourd de 4 à 6 tonnes |
- |
- |
0 |
7000 |
2030 |
80 |
- programme nouveau - renouvellement des véhicules logistiques du segment de quatre à six tonnes |
- |
- |
0 |
1 060 |
nd |
200 |
- programme nouveau |
|
VLTP protégé « segment bas » |
- |
- |
0 |
2 333 |
nd |
0 |
- programme nouveau - commandes d’ici 2025 |
VLTP non protégé |
3 700 |
nd |
1 000 ([35]) |
4 983 |
2025 |
4 983 |
- programme prévu par la LPM actualisée pour après 2019, mais avancé par décision du Conseil de défense d’avril 2016 |
VLFS ([36]) |
241 |
nd |
0 |
241 |
nd |
241 |
opération d’ensemble « véhicules des forces spéciales » |
PLFS ([37]) |
202 |
nd |
25 |
202 |
nd |
202 |
|
fardier des forces spéciales ([38])) |
- |
- |
0 |
300 |
nd |
300 |
|
2. Composante navale |
|||||||
FREMM ([39]) |
6 |
|
5 |
6 |
nd |
6 |
- pas de changement majeur - format fixé à « 15 frégates de premier rang », de façon moins explicite que dans la LPM 2014‒2019 - parc de 17 frégates en 2025 : - dont 15 bâtiments NG ou modernisés : 2 FTI + 8 FREMM + 3 FLF rénovées + 2 FAA ([40]) ; - dont 2 navires d’ancienne génération maintenus en service : 2 FLF non rénovées |
FREMM DA ([41]) |
2 |
|
0 |
2 |
nd |
2 |
|
Frégate La Fayette (FLF) rénovée |
(3) ([42]) |
2023 ([43]) |
0 |
3 |
nd |
3 |
|
FTI ([44]) |
(5) ([45]) |
2029 (6) |
0 |
5 |
nd |
2 |
|
BATSIMAR ([46]) (métropole + outre-mer ([47]) |
- ([48]) |
- |
0 |
19 |
nd |
2 + 6 |
format en hausse, passant de : - 16 patrouilleurs début 2019 : 2 PLG + 14 navires anciens de diverses classes - 18 patrouilleurs fin 2025 : 6 patrouilleurs outre-mer + 3 PLG + 2 BATSIMAR + 7 navires anciens - 19 patrouilleurs en 2030 |
PLG ([49]) |
3 ([50]) |
nd |
2 |
|
|
3 |
|
4 |
2019 |
2 |
4 |
2019 |
4 |
pas de changement majeur |
|
SNA ([53]) Barracuda |
6 |
nd |
0 |
6 |
|
4 |
pas de changement majeur |
PATMAR futur ([54]) |
- |
- |
0 |
12 ([55]) |
0 |
0 |
- nouveau programme - commandes d’ici 2025 |
ATL2 ([56]) rénovés |
15 |
2024 |
0 |
18 |
2025 |
18 |
- hausse de la cible d’avions rénovés : + 3 - réduction du parc, de 22 ATL2 à 18, ce qui laisse 4 appareils disponibles pour les opérations pendant les chantiers de rénovation |
AVSIMAR ([57]) |
- |
- |