—  1 

N° 857

______

ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 9 avril 2018

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE,
SUR LE PROJET DE LOI, APRÈS ENGAGEMENT DE LA PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE,
 

pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif (n° 714),

 

 

PAR Mme Élise FAJGELES

Députée

——

 

 

 

 

 

Voir les numéros :

Assemblée nationale : 714, 815, 821, 822 et 857 (T.A.)

 

 


—  1 

SOMMAIRE

___

Pages

INTRODUCTION............................................ 11

I. Redonner sa pleine portée au droit d’asile en améliorant le traitement des demandes et les conditions d’accueil

A. une réorganisation de la procédure d’asile rendue indispensable par la crise migratoire de 2015

1. Une demande d’asile à un niveau inédit

2. Une maîtrise des délais d’instruction des demandes encore insuffisante

3. Un dispositif national d’accueil à repenser

B. Réduire les délais d’instruction et améliorer les conditions de prise en charge des demandeurs d’asile

1. Sécuriser la protection accordée aux demandeurs d’asile

2. Réduire les délais d’instruction des demandes

a. Un dépôt de la demande d’asile plus rapide

b. Une meilleure organisation de la procédure devant l’OFPRA

c. Les dispositions relatives à la Cour nationale du droit d’asile

3. Améliorer le pilotage du dispositif national d’accueil

C. Les APPORTS DE la commission des lois

1. Des garanties supplémentaires en faveur des demandeurs lors de l’instruction

2. Renforcer le pré-accueil et harmoniser les conditions d’hébergement

II. Lutter contre l’immigration illégale pour assurer l’accueil et l’intégration

A. Une pression migratoire appelant des mesures fortes

1. Une pression migratoire qui ne se dément pas

2. Des dispositifs légaux à l’efficacité insuffisante

B. Un droit renforcé par le projet de loi

1. Moderniser le droit des étrangers grâce aux nouvelles technologies

2. Rendre plus efficace la retenue pour vérification du droit au séjour

3. Donner du temps à la justice pour mieux se prononcer

a. Étendre les délais de jugement

b. Organiser le caractère suspensif des appels

4. Garantir l’effectivité des éloignements

a. Crédibiliser le recours à l’assignation à résidence

b. Ouvrir l’aide au retour volontaire aux étrangers en rétention

c. Combattre les tentatives de faire échec à l’éloignement

C. LES APPORTS DE la commission des lois

1. Une meilleure garantie des droits des personnes

2. La précision du droit applicable aux frontières terrestres

3. Une redéfinition du séquençage de la rétention administrative

4. La sanction de l’atteinte à l’ordre public par le juge pénal

5. La suppression de dispositions de la loi du 20 mars 2018

III. Se doter doutils PROPICES À Une intÉgration réussie

A. Attirer les hauts potentiels : un enjeu pour le rayonnement international de la france

1. L’attractivité de la France pour les étudiants et les chercheurs

2. Des dispositifs en faveur d’un meilleur accueil des talents et compétences

B. Des mesures de simplification bienvenues

C. Renforcer lA lutte contre les fraudes

D. Les APPORTS DE LA commission des lois

1. Un élargissement du « passeport talent »

2. Une meilleure prise en compte des personnes vulnérables

3. Faire du rapport sur la situation des étrangers en France un véritable outil d’évaluation de la politique d’immigration, d’intégration et d’asile

AUDITION DU MINISTRE D’ÉTAT, MINISTRE DE L’INTÉRIEUR, ET discussion générale

examen des articles

Titre Ier Accélérer le traitement des demandes dasile et améliorer les conditions daccueil

Chapitre Ier Le séjour des bénéficiaires de la protection internationale

Avant larticle 1er

Article 1er (art. L. 313-11, L. 313-13, L. 313-18, L. 313-25 et L. 313-26 [nouveaux] du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile) Création de cartes de séjour pluriannuelles pour les bénéficiaires de la protection subsidiaire et les apatrides

Article 2 (art. L. 314-1 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile) Accès à la carte de résident pour les personnes protégées et leur famille

Article 3 (art. L. 752-1, L. 752-3 et L. 723-5 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile) Réunification familiale des réfugiés et des bénéficiaires de la protection subsidiaire - Protection des mineures contre les mutilations sexuelles

Chapitre II Les conditions doctroi de lasile et la procédure devant lOffice français de protection des réfugiés et apatrides et la Cour nationale du droit dasile

Article 4 (art. L. 7116 et L. 713-5 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile et L. 114-1 du code de sécurité intérieure) Refus ou retrait de protection par lOFPRA en cas de menaces graves pour lordre public

Article 5 (art. L. 723-2, L. 723-6, L. 723-8, L. 723-11, L. 723-13, L. 724-3 et L. 812-3 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile) Procédure dexamen des demandes dasile devant lOFPRA

Après larticle 5

Article 6 (art. L. 731-2, L. 733-1 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile et art. L. 233-5 et L. 234-3 du code de justice administrative) Procédure devant la Cour nationale du droit dasile

Après larticle 6

Chapitre III Laccès à la procédure et les conditions daccueil des demandeurs dasile

Article 7 (art. L. 733-5, L. 741-1 et L. 741-2-1 [nouveau] du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile) Choix de la langue pour lentretien individuel – Demandes dasile au nom denfants mineurs

Article 7 bis (nouveau) (art. L. 742-4 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile) Délai de contestation devant le juge administratif dune décision de transfert prise pour lapplication du règlement « Dublin »

Article 8 (art. L. 7431, L. 743-2, L. 743-3 et L. 743-4 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile) Droit au maintien sur le territoire pendant lexamen de la demande dasile

Après larticle 8

Article 9 (art. L. 744-2 et L. 744-5 à L. 744-9 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile) Orientation directive des demandeurs dasile

Article 9 bis (nouveau) (art. L. 349-3 du code de laction sociale et des familles) Prise en compte de la vulnérabilité pour laccès aux centres provisoires dhébergement

Après larticle 9

Titre II Renforcer lefficacité de la lutte contre limmigration irrégulière

Chapitre Ier Les procédures de non-admission

Avant larticle 10

Article 10 A (nouveau) (art. L. 2132 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile) Non-admission sur le territoire national

Article 10 B (nouveau) (art. L. 2133-1 [nouveau] du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile) Périmètre de non-admission sur le territoire national

Après larticle 10 B

Article 10 (art. L. 2139, L. 2224 et L. 2226 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile) Vidéo-audience et traitement des appels irrecevables

Chapitre II Les mesures déloignement

Article 11 (art. L. 5111 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile) Modalités déloignement des étrangers

Article 12 (art. L. 5121 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile) Procédure administrative et contentieuse de léloignement

Article 13 (art. L. 5125 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile) Aide au retour volontaire en rétention

Après larticle 13

Article 14 (art. L. 5134 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile) Surveillance de létranger sous OQTF avec délai de départ volontaire

Article 15 (art. L. 5311 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile) Interdiction de circulation sur le territoire français

Après larticle 15

Chapitre III La mise en œuvre des mesures déloignement

Article 16 (art. L. 5512, L. 5521, L. 5524 à L. 5527, L. 55210 et L. 55212 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile) Modalités et régime juridique de la rétention administrative

Après larticle 16

Article 17 (art. L. 5135, L. 5413 et L. 5611 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile) Modalités de lassignation à résidence de longue durée

Article 17 bis (nouveau) (art. L. 55210 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile) Droits de létranger maintenu à la disposition de la justice

Après larticle 17 bis

Article 17 ter (nouveau) (art. L. 5612 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile) Durée de validité de lordonnance autorisant une visite domiciliaire

Article 18 (art. L. 5714 et L. 7774 [nouveaux] du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile) Exécution des mesures déloignement prononcées pour des motifs de menace grave à lordre public à lencontre de demandeurs dasile

Après larticle 18

Chapitre IV Contrôles et sanctions

Article 19 (art. L. 61111, L. 6113 et L. 6212 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile ; art. 4418 du code pénal) Mesures de contrôle et sanctions attachées à la police des étrangers

Article 19 bis (nouveau) (art. 22248, 2231 et 22411 [nouveaux], art. 3115, 31214 et 32216 du code pénal) Interdiction du territoire français

Après larticle 19

Titre III Accompagner efficacement lintégration et laccueil des étrangers en situation régulière

Avant larticle 20

Chapitre Ier Dispositions en faveur de lattractivité et de laccueil des talents et des compétences

Article 20 (art. L. 31320 et L. 31321 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile) Modifications de la carte de séjour pluriannuelle portant la mention « passeport talent »

Article 21 (art. L. 3137, L. 3138, L. 31327 et L. 5312 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile) Création de cartes de séjour « étudiant – programme de mobilité » et « recherche demploi ou création dentreprise »

Article 22 (art. L. 3139 [nouveau] du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile) Création dune carte de séjour « jeune au pair »

Après larticle 22

Chapitre II Mesures de simplification

Avant larticle 23

Article 23  (art. L. 3116 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile) Articulation de la procédure dasile et des demandes dadmission au séjour pour un autre motif

Article 24 (art. L. 3213, L. 3214, L. 3215 [nouveau] et L. 3216 [nouveau] du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile) Refonte et simplification des documents de circulation délivrés aux mineurs étrangers

Article 25 (art. L. 2122 du code des relations entre le public et ladministration) Suppression de lobligation de signature physique sur les visas dentrée en France

Après larticle 25

Article 26 (art L. 52231 du code du travail) Possibilité de maintien, à titre provisoire, des médecins contractuels de lOFII jusquà 73 ans

Article 26 bis (nouveau) (art L. 74411 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile) Articulation entre le dépôt dune demande dasile et la poursuite dun contrat dapprentissage pour les mineurs étrangers

Article 26 ter (nouveau)  (art L. 52215 du code du travail) Délivrance dune autorisation provisoire de travail aux mineurs isolés étrangers confiés à lASE après 16 ans

Article 27 Habilitation du Gouvernement à modifier par ordonnance la partie législative du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile

Chapitre III Dispositions diverses en matière de séjour

Article 28 (art. L. 3136 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile) Renforcement des conditions de délivrance de la carte de séjour temporaire portant la mention « visiteur »

Article 29 (art. L.31372 et L. 31324 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile) Durcissement des conditions doctroi des cartes de séjour « ICT »

Article 30 (art. L. 31311 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile, art. 316, 3161 [nouveau], 3162 [nouveau], 3163 [nouveau], 3164 [nouveau], 3165 [nouveau], 24991 à 24995 [abrogés] du code civil) Sécurisation des conditions de délivrance de la carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » et lutte contre les reconnaissances frauduleuses du lien de filiation

Après larticle 30

Article 31 (art. L. 31311 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile)  Modalités de léchange dinformations médicales nécessaires à lexamen des demandes de titre de séjour pour raisons de santé

Article 32 (art. L. 3163, L. 3132 et L. 3164 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile)  Sécurisation du droit au séjour des victimes de violences conjugales et des victimes de mariages forcés

Article 33 (art. L. 31451 et L. 4312 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile)  Extension du bénéfice du renouvellement de plein droit de la carte de séjour temporaire en cas de violences familiales

Après larticle 33

Article 33 bis (nouveau) (art. L. 11110 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile)  Rapport annuel sur la situation des étrangers en France

Après larticle 33 bis

Titre IV Dispositions diverses et finales

Chapitre Ier Dispositions de coordination

Article 34 (art. L. 31310, L. 313111, L. 3148, L. 5111, L. 7424, L. 7311, L. 3139, L. 5561 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile)  Modifications de conséquence du CESEDA

Article 35 (art. L.11110, L. 3111, L. 3113, L. 31181, L. 31111, L. 31113, L. 3132, L. 31341, L. 313111, L. 31317, L. 31318, L. 31482, L. 5115, L. 5227 et L. 8125 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile)  Coordinations dans le CESEDA

Article 36 (art. L. 512-2 du code de la sécurité sociale) Coordinations dans le CSS

Article 37 (art. L. 120-4 du code du service national) Coordinations dans le CSN

Chapitre II Dispositions relatives aux outre-mer

Article 38 (art. L. 762-1, L. 763-1, L. 764-1, L. 7661, L. 7662, L. 7671 et L. 8311 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile ; art. L. 7111 du code pénal) Coordinations pour lapplication outre-mer

Article 38 bis (nouveau) (art. L. 762-1, L. 763-1 et L. 764-1 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile) Adaptations pour lapplication outre-mer

Article 39 Habilitation du Gouvernement à adapter par voie dordonnance les dispositions du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile relatives à loutre-mer

Article 40 (supprimé) (art. L. 512-2 du code de la sécurité sociale) Application outre-mer

Chapitre III Dispositions finales

Article 41 Entrée en vigueur

Article 42 (nouveau) Plan daction pour la prise en compte des migrations climatiques

Après larticle 42

Titre

personnes entendues

déplacements effectués

 

 


—  1 

 

 

 

 

Mesdames, Messieurs,

Si les arrivées sur le territoire européen ont diminué au cours de ces derniers mois, la France continue d’accueillir sur son sol un nombre significatif de femmes et d’hommes venus solliciter sa protection.

Ce sont plus de 100 000 demandes d’asile qui ont été ainsi déposées en France en 2017, soit 50 % de plus qu’en 2012, alors que notre dispositif d’hébergement était déjà saturé. Cette pression n’ayant pas vocation à s’amoindrir, de nombreux efforts ont été engagés au cours des dernières années pour adapter notre dispositif d’accueil et garantir aux nouveaux arrivants l’effectivité de l’exercice du droit d’asile, qui fait partie intégrante de notre tradition républicaine.

Face à cette situation, le Gouvernement s’est engagé dans une démarche volontariste à travers le plan « Garantir le droit d’asile, mieux maîtriser les flux migratoires » présenté le 12 juillet 2017. Cette feuille de route a pour ambition de construire une politique migratoire équilibrée et maîtrisée reposant sur une gestion concertée des flux au niveau européen, un meilleur traitement des demandes d’asile et une politique assumée de lutte contre l’immigration irrégulière.

Le présent projet de loi constitue, après la loi de finances initiale pour 2018 qui avait porté les crédits consacrés à l’asile et à l’immigration au niveau inédit de 1,38 milliard d’euros, la deuxième étape législative de mise en œuvre du plan d’action gouvernemental.

Il traduit la volonté de l’État d’agir sur l’ensemble des aspects de cette politique : garantir les droits des demandeurs d’asile en réduisant les délais de traitement de leur demande et en leur offrant un hébergement adapté, favoriser l’intégration de ceux qui sont appelés à résider durablement parmi les Français et, dans le même temps, pour donner leur pleine effectivité à ces deux engagements, éloigner avec efficacité ceux qui ne disposent d’aucun droit de séjour sur le territoire national.

Il s’agit bien là, ainsi que l’avait affirmé le Président de la République lors de son discours à Orléans le 27 juillet 2017, de conjuguer humanité et fermeté.

Pour mener à bien ses travaux, votre rapporteure a entendu plus d’une centaine de personnes, au cours de trente-et-une auditions et six déplacements, notamment à Calais, à Berlin et à la frontière franco-italienne, qui ont permis de recueillir les points de vue des différents acteurs de la politique de l’immigration et de l’asile : associations, syndicats, avocats, policiers, magistrats, administrations ou encore élus locaux. Lors de ces auditions, qui ont rencontré un très vif succès auprès des députés qui ont été nombreux à y participer, votre rapporteure a constaté qu’une approche concrète et pragmatique de ces sujets permettait de combattre les préjugés. En effet, en plus du sentiment d’humanité, une connaissance réelle des situations est indispensable à un travail législatif de qualité.

Le débat en commission des Lois fût également riche et dense, à l’image du sujet, complexe. Il a permis à chacun, quelle que soit sa sensibilité politique, de s’exprimer : 28 heures de débat ont été nécessaires et près de 900 amendements ont été examinés.

Au final, le texte adopté par la Commission, sans altérer les équilibres généraux du projet de loi déposé par le Gouvernement, s’est enrichi de multiples apports : généralisation des centres d’accueil et d’examen des situations (CAES), augmentation des garanties accordées aux demandeurs d’asile tout au long du traitement de leur demande, redéfinition du séquençage de la rétention administrative, ajout de la question des enjeux des migrations climatiques, meilleure prise en compte de la situation des personnes vulnérables à l’occasion de non-admissions à la frontière terrestre.

De nombreuses difficultés se sont accumulées au cours des dernières années – hébergement saturé, campements illicites sur la voie publique, conditions de rétention insuffisantes ou encore accès au marché du travail différé : les résoudre nécessitera des actions dans la durée, appuyées par une volonté politique forte. Ce projet de loi s’inscrit dans ce contexte, au même titre que les discussions européennes pour la définition d’une politique migratoire commune et d’un droit d’asile européen, une politique volontariste d’aide au développement et une lutte implacable contre les réseaux de passeurs.

Votre rapporteure partage avec ses collègues le vœu que la mise en œuvre de ces actions se fasse avec l’appui déterminé mais vigilant du Parlement et qu’elles s’accompagnent de moyens budgétaires – certes déjà en hausse en 2018 – toujours plus importants.

*

*     *


I.   Redonner sa pleine portée au droit d’asile en améliorant le traitement des demandes et les conditions d’accueil

Par la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d’asile, la France a transposé dans le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) les trois directives composant le régime d’asile européen (RAEC) : les directives « Accueil » ([1]) et « Procédures » ([2]) du 26 juin 2013 et la directive « Qualification » ([3]) du 13 décembre 2011.

Moins de trois ans après son entrée en vigueur, on constate cependant que la réforme de 2015 n’a pas permis d’atteindre les objectifs qu’elle s’était fixés en termes de réduction des délais de traitement des demandes d’asile et d’amélioration des conditions d’accueil.

A.   une réorganisation de la procédure d’asile rendue indispensable par la crise migratoire de 2015

1.   Une demande d’asile à un niveau inédit

Avec 85 696 demandes enregistrées en 2016, la demande d’asile en France a atteint un niveau inédit, supérieur de 7 % au seuil déjà atteint l’année précédente (80 075). L’inflexion s’est produite à partir du second semestre 2015 (+ 24 % par rapport à l’année précédente), après trois années de quasi-stabilité. Depuis, la tendance n’a pas fléchi et la hausse s’est poursuivie tout au long de l’année 2017 (+ 17,5 %), au cours de laquelle a été dépassé le seuil symbolique des 100 000 demandes (100 755).

Au total, en cinq ans, la demande globale de protection internationale sur le territoire français a donc augmenté de plus de 50 %.

L’augmentation observée depuis le second semestre 2015 est, pour l’essentiel, le résultat de la crise de l’asile que connaît l’Europe dans son ensemble. Alors que la France était moins concernée, en 2015, que certains de ses homologues (Allemagne, Italie, Hongrie, Autriche, Suède), elle se situe désormais au troisième rang des pays d’accueil au sein de l’Union européenne, derrière l’Allemagne et l’Italie.

Demandes dasile au sein des pays de lunion européenne

 

2012

2013

2014

2015

2016

Allemagne

77 485

126 705

202 645

476 510

722 265

Italie

17 335

26 620

64 625

84 085

121 185

France

61 468

66 251

64 811

80 075

85 696

Grèce

9 575

8 225

9 430

13 205

49 875

Autriche

17 415

17 500

28 035

88 160

39 875

Royaume-Uni

28 800

30 585

32 785

38 800

38 290

Hongrie

2 155

18 895

42 775

177 130

28 215

Suède

43 857

54 270

81 180

162 450

22 330

Pays Bas

13095

13 060

24 495

44 970

19 285

Bulgarie

1 230

6 980

10 805

20 165

18 990

Source : ministère de l’Intérieur.

Notre pays est en effet confronté à une hausse des « flux secondaires » sans précédent depuis quelques mois : des migrants arrivés en Europe en 2015-2016 et ayant déposé une demande d’asile dans un premier pays européen – dont ils ont été déboutés – réitèrent cette demande auprès d’un autre État membre de l’Union, en l’occurrence la France. Ils relèvent donc du règlement « Dublin » ([4]).

Le règlement « Dublin »

Le règlement « Dublin » repose sur le principe qu’un seul État européen est responsable de la demande d’asile d’une personne ressortissante d’un État tiers. Il prévoit les modalités de détermination d’un État européen responsable de la demande d’asile ainsi que, le cas échéant, les modalités du transfert du demandeur vers cet État.

Il s’agit d’éviter à la fois que le demandeur d’asile sollicite successivement plusieurs pays européens mais aussi qu’il soit renvoyé d’un pays à l’autre sans que sa demande ne soit jamais examinée, ce qui contreviendrait au principe de non-refoulement de la convention de Genève.

L’État responsable est celui qui a joué le rôle principal dans l’entrée ou le séjour du demandeur sur le territoire européen, une série de critères, allant des considérations familiales à la possession récente d’un visa, permettant de déterminer cette responsabilité.

Alors qu’il s’établissait à 5 156 en 2014 et 12 094 en 2015, le nombre de demandeurs d’asile en France relevant de la procédure « Dublin » s’est élevé à 25 963 en 2016. La tendance s’accélère depuis le début de l’année 2017 puisque ce chiffre était de 21 404 pour le seul premier semestre, soit une augmentation de 176 % par rapport au premier semestre 2016.

Ce phénomène concerne particulièrement la région Ile-de-France où le nombre de procédures « Dublin » a été multiplié par trois en un an et représente désormais près de 40 % des attestations de demandes d’asile délivrées.

2.   Une maîtrise des délais d’instruction des demandes encore insuffisante

Le niveau de protection offert par les autorités françaises s’est élevé au cours de ces dernières années : il s’établissait à 36 % au total en 2017, en comptant les protections accordées par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et celles délivrées par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), contre 28 % en 2014 et 24,4 % en 2013. Parmi ces protections, la majeure partie est désormais accordée par l’OFPRA, la CNDA confirmant dans près de 85 % des cas les décisions de rejet de l’Office.

Si la protection augmente, du fait de l’évolution du cadre juridique initié par la loi du 29 juillet 2015, mais aussi du contexte géopolitique, les délais d’examen des demandes d’asile demeurent encore trop longs.

Le traitement moyen cumulé, en comptant à la fois la procédure devant l’OFPRA et celle devant la CNDA, s’établissait ainsi à 14 mois et 20 jours en 2014 et encore à 13 mois et 19 jours en 2017.

Ces délais sont très supérieurs à l’objectif de six mois fixé au Gouvernement par le Président de la République et inscrit dans le plan gouvernemental du 12 juillet 2017 « Garantir le droit d’asile, mieux maîtriser les flux migratoires ». Dans son discours du 27 juillet 2017, à Orléans, le Président de la République a insisté sur sa volonté de raccourcir de manière drastique les procédures pour que ceux qui viennent de loin n’attendent pas des semaines ou des mois, dans des conditions parfois indignes, une décision les concernant et pour que ceux qui bénéficieront de la protection de la France puissent commencer leur parcours d’intégration plus rapidement.

La loi de finances pour 2018 a constitué la première étape de la mise en œuvre du plan d’action du Gouvernement avec une augmentation des crédits dédiés à l’asile de 33 % par rapport à l’année précédente.

L’OFPRA a ainsi bénéficié du concours de quinze officiers de protection supplémentaires, venant s’ajouter aux 150 renforts obtenus en 2015 et 2016, portant le total de ses effectifs à 795, contre 525 en 2015. Ces nouveaux postes doivent permettre à l’Office de poursuivre la réduction du nombre des dossiers en instance (10 000 dossiers fin 2017) et d’accélérer le traitement des demandes entrantes. Dans le même temps, la CNDA a reçu le renfort de 51 postes, dont 28 de rapporteurs, permettant la création de deux nouvelles chambres.

3.   Un dispositif national d’accueil à repenser

La loi du 29 juillet 2015 a entrepris une réforme d’ensemble du dispositif d’accueil des demandeurs d’asile, avec pour objectif d’étendre l’accès à l’hébergement de ces publics. Pour cela, elle a prévu que le Gouvernement arrête un schéma national d’accueil, qui fixe la répartition des places d’hébergement destinées aux demandeurs d’asile sur le territoire national, décliné ensuite au niveau régional. Ce schéma est mis en œuvre par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII).

Le premier schéma a été arrêté par le ministère de l’Intérieur le 21 décembre 2015 pour la période 2015-2017. Il a fixé un objectif de 60 864 places à atteindre au 31 décembre 2017, dont 40 352 en centres d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA). Ces objectifs ont d’ores et déjà été dépassés puisque 69 811 places étaient disponibles au 1er juillet 2017.

Si le dispositif a fait l’objet d’un investissement indéniable au cours de ces dernières années, la capacité d’accueil demeure insuffisante puisque seuls 60 % des demandeurs étaient hébergés, dans ce cadre, en 2017. Le plan gouvernemental du 12 juillet 2017 comprend donc la création de 4 000 places supplémentaires en 2018, puis 3 500 en 2019.

Cette montée en puissance rapide du dispositif s’est faite au détriment de sa cohérence. Comme le relèvent les services du ministère de l’Intérieur, dans une circulaire du 4 décembre 2017 relative à l’évolution du parc d’hébergement, « la principale critique du dispositif actuel dhébergement des demandeurs dasile est ainsi son éclatement en divers dispositifs, construits par phases successives, souvent dans lurgence, ce qui nuit à sa lisibilité et sa fluidité ».

De fait, aux côtés des CADA, on ne compte désormais pas moins de quatre dispositifs d’hébergement :

– les places relevant du dispositif « Accueil temporaire-service de l’asile » (AT-SA) ;

– les places relevant du programme d’accueil et d’hébergement pour demandeurs d’asile (PRADHA), lancé en 2017 ;

– les places en centres d’accueil et d’orientation (CAO), créés à partir de 2015 pour héberger de manière temporaire les migrants en situation de grande précarité évacués depuis Calais ;

– les places d’hébergement d’urgence gérées au niveau déconcentré par les préfectures.

Cette diversification des dispositifs d’hébergement n’a pas permis de mettre fin à l’engorgement des capacités d’accueil de certaines régions. La répartition de la demande d’asile sur le territoire national se caractérise en effet par une concentration dans quatre régions, qui enregistrent plus de 60 % des demandes : la région Ile-de-France (33 % du total des demandes), suivie par la région Auvergne-Rhône-Alpes (10 %), les départements d’outre-mer (10 %) et la région Grand-Est (8 %).

B.   Réduire les délais d’instruction et améliorer les conditions de prise en charge des demandeurs d’asile

1.   Sécuriser la protection accordée aux demandeurs d’asile

Le projet de loi comprend plusieurs dispositions visant à sécuriser la protection accordée aux demandeurs d’asile.

Au 31 décembre 2017, 252 402 personnes étaient protégées par l’OFPRA : 209 922 bénéficiaient du statut de réfugié, 41 055 de la protection subsidiaire et 1 425 avaient été reconnues apatrides.

La durée de quatre ans retenue par le projet de loi correspond à celle prévue pour la carte pluriannuelle « générale », créée par la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France, et prévue à l’article L. 313-1 du CESEDA.

Pour sécuriser le droit au séjour des personnes protégées, l’article 2 assouplit, d’une part, les conditions de délivrance de la carte de résident de dix ans aux familles de réfugiés statutaires et, d’autre part, précise les conditions de sa délivrance aux titulaires des cartes pluriannuelles « protection subsidiaire » ou « statut d’apatride » créées par l’article 1er.

Avec ces dispositions, la France entend offrir une plus grande stabilité aux personnes protégées, ce qui constitue une réelle avancée, saluée par le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR).

L’article 3 entend par ailleurs garantir une meilleure protection aux mineures exposées à un risque de mutilation sexuelle : il prévoit pour cela que le certificat médical soit adressé directement à l’OFPRA, et non plus uniquement aux parents de la mineure, pour éviter notamment les transmissions tardives ou l’absence d’envoi.

● L’article 4 comprend diverses dispositions visant à mieux sécuriser les décisions d’octroi et de refus de protection. Il étend la faculté pour l’OFPRA de refuser ou retirer une protection en cas de condamnation pour faits graves. Il étend par ailleurs l’obligation pour l’autorité judiciaire de communiquer toute information susceptible de refuser ou de retirer une protection. Il prévoit enfin la possibilité de diligenter des enquêtes ou de consulter des fichiers pour mettre en œuvre les décisions de refus ou de retrait de protection fondées sur des motifs de menace grave pour l’ordre public.

2.   Réduire les délais d’instruction des demandes

Conformément à la volonté du Président de la République de réduire le délai total de traitement des demandes d’asile à six mois, le projet de loi comprend plusieurs dispositions visant à atteindre cet objectif. Elles concernent à la fois l’enregistrement des demandes et les procédures devant l’OFPRA et la Cour nationale du droit d’asile (CNDA).

a.   Un dépôt de la demande d’asile plus rapide

Le projet de loi vise, tout d’abord, à faire un usage plus fréquent de la procédure accélérée. Prévue par l’article 31 de la directive « Procédures » et transposée à l’article L. 723-2 du CESEDA par la loi du 29 juillet 2015, la procédure accélérée a pour objet de faire examiner dans un délai plus bref les demandes de protection qui ont le moins de chances d’aboutir. Elle concernait 38,9 % des demandes déposées en 2017.

Ainsi, lorsque l’OFPRA examine une demande d’asile en procédure accélérée, il statue dans un délai de quinze jours à compter de l’introduction de la demande. Le demandeur est informé de ce mode de traitement et du motif de ce choix, au moment de l’enregistrement de sa demande ou de sa convocation à l’entretien personnel à l’OFPRA. Saisie d’un recours contre une décision de rejet de l’Office, la CNDA doit ensuite statuer dans un délai de cinq semaines, contre cinq mois dans le cas de recours contre des décisions prises selon la procédure normale.

Afin d’appliquer de manière plus efficace la procédure accélérée en cas de demande d’asile tardive, l’article 5 du projet de loi réduit de 120 à 90 jours le délai courant à compter de l’entrée sur le territoire pour déposer une demande d’asile et au-delà duquel l’autorité administrative pourra examiner cette demande en procédure accélérée. Dans le même temps, l’article 38 réduit de 90 à 60 jours ce délai pour les demandes d’asile présentées en Guyane, compte tenu de la forte pression à laquelle est exposé ce territoire en matière de demandes d’asile qui ne relèvent pas d’un besoin réel de protection.

L’article 8 prévoit un mécanisme nouveau de suspension de la mesure d’éloignement pendant que la CNDA se prononce au fond. L’étranger pourra ainsi demander au magistrat statuant sur son obligation de quitter le territoire (OQTF) de suspendre l’exécution de la mesure d’éloignement jusqu’à l’expiration du délai de recours devant la CNDA ou, si celle-ci est saisie, jusqu’à sa décision.

b.   Une meilleure organisation de la procédure devant l’OFPRA

Larticle 5 comprend une disposition importante consistant à prévoir que les décisions écrites prises par l’OFPRA relatives à l’octroi ou au refus de protection, les clôtures, les fins de protection et l’octroi du statut d’apatride pourront être notifiées « par tout moyen garantissant la confidentialité ». Ceci ouvre la possibilité de dématérialiser la notification des décisions de l’Office et de remédier ainsi aux difficultés fréquentes de notifications postales en raison de changements d’adresse, qui entraînent souvent des prolongations inutiles.

Toujours dans le même souci de réduire les délais d’instruction, sans réduire les garanties apportées aux demandeurs d’asile, l’article 7 fait obligation au demandeur d’asile d’indiquer dès le stade de l’enregistrement de sa demande la langue dans laquelle il souhaite être entendu lors de son entretien à l’OFPRA. Il s’agit de réduire à quatre semaines, contre sept aujourd’hui, le délai entre l’enregistrement de la demande d’asile et l’entretien individuel, en anticipant la programmation des interprètes.

c.   Les dispositions relatives à la Cour nationale du droit d’asile

L’article 6 traite de la procédure devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). Il réduit, tout d’abord, d’un mois à quinze jours le délai de recours devant la CNDA contre les décisions prises par l’OFPRA. Dans son avis sur le projet de loi, le Conseil d’État a estimé qu’au regard « de lobjectif dintérêt général que constitue le traitement rapide » de ce contentieux, et dans la mesure où ce délai « ninterdit pas de compléter la motivation en fait et en droit du recours, comme de produire des pièces nouvelles, après son expiration et jusquà la clôture de linstruction », ce nouveau délai de recours pouvait être regardé comme « raisonnable » au sens de la directive « Procédures ».

L’article 6 étend par ailleurs le champ des recours à juger dans un délai de cinq semaines, par un juge unique, aux recours formés contre les décisions de l’OFPRA refusant ou mettant fin à une protection sur le fondement de menaces graves pour l’ordre public. Il élargit, enfin, les possibilités pour la CNDA de recourir à la vidéo-audience, en supprimant l’exigence du consentement du demandeur s’il réside en France métropolitaine.

L’article 8 prévoit, pour sa part, que le droit au maintien sur le territoire du demandeur cesse non plus à la notification de la décision de la CNDA mais à la date de lecture en audience publique de la décision. Ceci permettra de ne plus attendre la notification de la décision de la CNDA pour prendre les mesures appropriées en matière d’éloignement.

Par ailleurs, l’article 8 aménage le régime juridictionnel applicable aux décisions de rejet de l’OFPRA prises en application de la procédure accélérée. Le recours devant la CNDA pourra ainsi ne plus avoir de caractère automatiquement suspensif dans ce cas, ainsi que lorsque la présence de l’étranger représente une menace pour l’ordre public ou lorsqu’il dépose une demande de réexamen considérée comme irrecevable. Dans ces trois nouvelles hypothèses, l’étranger ne bénéficiera plus du droit à se maintenir sur le territoire et sera susceptible de faire l’objet d’une mesure d’éloignement.

3.   Améliorer le pilotage du dispositif national d’accueil

L’article 9 apporte une inflexion majeure au schéma national d’accueil pour demandeurs d’asile en se saisissant de la possibilité, prévue par l’article 7 de la directive « Accueil », de décider de la région de résidence des demandeurs. Il modifie donc la définition du schéma national afin que celui-ci fixe désormais non plus seulement la répartition des lieux d’hébergement pour demandeurs d’asile par région mais aussi la part des demandeurs qui seront accueillis dans chacune de ces régions.

Après l’enregistrement de sa demande d’asile auprès de l’autorité administrative, l’étranger pourra ainsi être orienté par l’OFII vers une région où il sera tenu de résider. C’est à son arrivée dans cette région que le demandeur pourra se voir attribuer, selon les capacités disponibles, un logement adapté à sa situation. Si aucun logement ne peut lui être proposé, il sera tout de même tenu de rester dans cette région d’orientation et bénéficiera alors de l’allocation pour demandeurs d’asile (ADA) majorée pour financer son hébergement.

L’article 9 organise, enfin, un échange d’informations entre l’OFII et le service intégré d’accueil et d’orientation (SIAO) afin que ce dernier communique la liste des personnes accueillies au sein du dispositif d’hébergement d’urgence qui ont déposé une demande d’asile ou bénéficient déjà d’une protection. Cela permettra notamment à l’OFII d’avoir connaissance des demandeurs d’asile et des réfugiés qui sont accueillis dans le dispositif d’urgence de droit commun, dont on estime le nombre à 5 000, et de les réorienter dans le dispositif de l’asile, dans lequel le suivi administratif, social et sanitaire sera plus adapté.

C.   Les APPORTS DE la commission des lois

1.   Des garanties supplémentaires en faveur des demandeurs lors de l’instruction

La commission des Lois a adopté plusieurs amendements visant à renforcer les garanties des demandeurs d’asile tout au long de l’instruction de leur dossier.

Elle a ainsi complété, à l’initiative de votre rapporteure et de plusieurs députés du groupe La République en Marche, la définition des pays d’origine sûrs afin d’exclure expressément de cette liste les pays où l’homosexualité peut encore faire l’objet de mauvais traitements ou de sanctions pénales. Il s’agit de garantir aux ressortissants de ces pays qu’ils ne pourront être placés en procédure accélérée pour ce motif.

Elle a également adopté un amendement, à l’article 5, qui renforce les garanties procédurales offertes aux demandeurs d’asile en situation de handicap lors de leur entretien devant l’OFPRA, en leur permettant de se faire accompagner par un professionnel de santé ou un représentant d’une association d’aide aux personnes en situation de handicap.

Toujours à l’article 5, la Commission a adopté un amendement de votre rapporteure et de plusieurs députés du groupe La République en Marche pour s’assurer, suivant les recommandations formulées par le Conseil d’État dans son avis, que la notification des décisions de l’OFPRA par voie électronique permettra de garantir la réception personnelle par le demandeur d’asile.

À l’article 6, la Commission a adopté plusieurs amendements visant à sécuriser le recours à la vidéo-audience par la CNDA. Il est ainsi inscrit dans la loi que, sauf difficulté majeure, l’interprète devra être présent physiquement aux côtés du requérant lors de l’audience, et que les conditions prévues par l’article L. 733-1 du CESEDA, en matière de qualité et de confidentialité de la communication audiovisuelle, constituent une condition à la tenue de ces audiences.

2.   Renforcer le pré-accueil et harmoniser les conditions d’hébergement

Dans son discours d’Orléans du 27 juillet 2017, le Président de la République a demandé que soient déployés des hébergements d’urgence partout sur le territoire et que le traitement administratif de la demande d’asile puisse commencer au plus vite.

À cette fin, le Gouvernement a créé, depuis le mois d’août 2017, de manière expérimentale dans les Hauts-de-France puis en région parisienne, des centres d’examen des situations (CAES) afin d’offrir une solution d’hébergement provisoire et d’évaluer la situation administrative des personnes dès qu’elles manifestent le souhait de déposer une demande d’asile. Par la circulaire du 4 décembre 2017 précitée, le ministère de l’Intérieur a demandé à chaque région de généraliser ce type de centre afin de disposer partout sur le territoire de capacités pouvant répondre très rapidement aux besoins de mise à l’abri de ces personnes.

Aussi, la commission des Lois a adopté un amendement de votre rapporteure qui inscrit dans la loi, à l’article 9, cette mission d’hébergement préalable à l’enregistrement de la demande d’asile, qui permet à la fois de prévenir la constitution de campements et de traiter de façon digne les personnes qui manifestent le souhait de déposer une demande d’asile.

Votre rapporteure est en effet convaincue que la généralisation de ce type de structure de pré-accueil est une condition indispensable au bon fonctionnement de l’ensemble de la chaîne de traitement des demandes d’asile et partage ainsi les conclusions du rapport spécial sur les crédits de l’asile pour 2018 de ses collègues Stanislas Guerini et Jean-Noël Barrot, qui appelaient à une généralisation des CAES ([5]).

La Commission a par ailleurs adopté un amendement de votre rapporteure et du groupe La République en Marche qui, d’une part, soumet l’orientation directive prévue à l’article 9 à une condition de saturation du parc d’hébergement de la région d’accueil et qui, d’autre part, clarifie la procédure qui permet au demandeur d’asile de quitter la région de résidence où l’a orienté l’OFII.

À l’initiative de votre rapporteure, la Commission a également adopté un amendement, à l’article 9, qui vise à encourager le Gouvernement à mettre fin à l’empilement des structures en charge de l’hébergement des demandeurs d’asile au cours de ces dernières années et à clarifier et harmoniser par le haut les prestations et les services rendus dans les lieux d’hébergement.

Enfin, la Commission a adopté un amendement de votre rapporteure qui propose de mieux articuler ce dispositif d’hébergement provisoire des réfugiés avec celui dont bénéficient les demandeurs d’asile le temps d’examen de leur demande et de prendre ainsi en compte dans l’affectation dans un lieu d’hébergement les liens familiaux et personnels ainsi que la région dans laquelle ils ont pu tisser de tels liens (article 9 bis).

II.   Lutter contre l’immigration illégale pour assurer l’accueil et l’intégration

A.   Une pression migratoire appelant des mesures fortes

1.   Une pression migratoire qui ne se dément pas

Ainsi que le souligne le rapport de MM. Jean-Michel Clément et Guillaume Larrivé sur l’application de la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France ([6]), les dernières statistiques publiées par la direction générale des étrangers en France montrent « une hausse quasi-ininterrompue de l’immigration régulière depuis 2012. À ces flux d’immigration régulière s’ajoute une immigration illégale substantielle, quoique difficile à quantifier. »

Cette immigration irrégulière peut être identifiée à partir de plusieurs indicateurs.

Il s’agit, en premier lieu, du système français d’asile. En 2017, plus de cent mille demandes ont été introduites auprès de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), soit 17 % de plus qu’en 2016. Or, le nombre de décisions accordant un statut de protection – réfugié ou protection subsidiaire – s’établit la même année à quelque 32 000. Il en résulte que près de 70 000 personnes auront été déboutées après examen de leur dossier et ont été invitées, en conséquence, à quitter le territoire français. On sait, toutefois, que le taux de départ des déboutés du droit d’asile est extrêmement faible ([7]). Arrivées légalement en France dans le cadre de leur demande d’asile, ces personnes s’y maintiennent donc ensuite illégalement une fois leur demande rejetée. Pour le bon fonctionnement du dispositif national d’asile, et dans le respect de nos lois et règlements, il importe qu’elles soient finalement et effectivement éloignées.

En second lieu, la pression migratoire est illustrée par les non-admissions prononcées à la frontière à l’encontre d’étrangers ne remplissant pas les conditions d’entrée régulière sur le territoire national. Ces refus d’entrée ont connu une progression spectaculaire, passant de onze mille en 2011 à plus de soixante mille en 2016 ([8]). La frontière italienne voit le passage de nombreux étrangers en provenance de Guinée et de Côte d’Ivoire, deux pays qui ne connaissent pourtant pas de trouble politique ou militaire significatif depuis plusieurs années. On notera, pour mémoire, que les maintiens en zone d’attente – notamment prononcés dans les aéroports parisiens – restent relativement stables sur les dernières années ([9]).

Enfin, MM. Jean-Michel Clément et Guillaume Larrivé retiennent pour troisième indicateur de la présence d’une immigration irrégulière sur le territoire national les données relatives à l’aide médicale de l’État (AME) ([10]). Ce dispositif, accessible à tout étranger résidant en France de manière ininterrompue depuis plus de trois mois sans condition de régularité, est une couverture sociale prenant en charge les soins médicaux et d'hospitalisation en cas de maladie ou de maternité dans la limite des tarifs de la sécurité sociale. Or, le nombre de ses bénéficiaires a augmenté de 50 % entre 2011 et 2016, passant de 208 000 à 311 000 personnes.

Votre rapporteure s’est attachée à aborder le projet de loi à partir d’un postulat incontestable : s’il en va de l’honneur de la France d’ouvrir ses portes à tous les persécutés, s’il est possible d’immigrer en France pour un certain nombre de raisons (regroupement familial, travail, études, soins), s’il en va de la mission fondamentale de la République d’intégrer et d’insérer tous les étrangers présents sur son sol dans le respect de ses lois, ces politiques publiques sont soutenables uniquement si les étrangers qui ne disposent d’aucun droit ni titre à demeurer sur le territoire français et à bénéficier de la solidarité nationale sont invités à regagner leur pays d’origine. Elle souhaite s’inscrire pleinement et sans réserve dans les orientations tracées par le Président de la République à l’occasion de son discours d’Orléans du 27 juillet 2017 : « Mais l’ensemble de ce qu’on appelle affreusement les migrants aujourd’hui, ce ne sont pas tous des femmes et des hommes qui demandent l’asile, et qui viennent d’un pays où leur vie est menacée, il y en a beaucoup, et de plus en plus, qui viennent de pays sûrs et qui suivent les routes de migrations économiques (…), et là, nous devons être rigoureux, et parfois intraitables, rigoureux avec celles et ceux qui viennent par ces voies, et qu'on ne peut pas tous et toutes accueillir (…). C'est cette grammaire qu'il nous faut expliquer à nos concitoyens et qu'il nous faut conduire en actes, et donc je ne veux pas d'une France qui se replie derrière ses frontières, mais je ne veux pas d'une France qui fait croire aux gens dans le reste du monde qu'on peut faire tout et n'importe quoi, il n'existe pas le pays qui peut aujourd'hui accueillir l'ensemble des migrants économiques, il n'existe pas (…). »

2.   Des dispositifs légaux à l’efficacité insuffisante

Au regard des flux migratoires et du nombre d’étrangers en situation irrégulière sur le territoire qui apparaissent en croissance dynamique, l’efficacité de la politique d’éloignement apparaît largement perfectible. En effet, au cours de la dernière décennie, les éloignements forcés d’étrangers en situation irrégulière oscillent entre treize et quinze mille procédures chaque année. Il faut certes y adjoindre entre cinq et dix mille départs volontaires annuels, aidés par la puissance publique ou totalement spontanés, mais ces chiffres demeurent néanmoins très inférieurs aux enjeux de l’immigration illégale.

Comme le soulignent MM. Jean-Michel Clément et Guillaume Larrivé, les comparaisons internationales ne sont guère à l’avantage de la France. Les statistiques publiées par Eurostat font apparaître que le nombre de ressortissants de pays tiers en situation irrégulière ayant quitté le territoire allemand en 2016 dépasse les 75 000 ([11]) – contre, donc, environ 20 000 qui ont quitté la France.

Plusieurs éléments peuvent être avancés pour expliquer le fonctionnement insatisfaisant des règles françaises en matière d’éloignement :

–  la difficulté des juridictions administrative et judiciaire à respecter les délais attachés par la loi au contentieux de l’éloignement, notamment pour les obligations de quitter le territoire français pour le jugement desquelles coexistent quatre régimes différents ([12]) ;

–  la multiplicité des recours ouverts, directement liée au nombre de décisions administratives aboutissant à un rejet définitif de la demande de séjour ou d’asile, qui aboutit à un enlisement des procédures ;

–  la faible efficacité des mesures attachées à l’obligation de quitter le territoire français autres que le placement en rétention, l’assignation à résidence ne permettant pas une surveillance efficace de l’étranger en voie d’éloignement ([13]) ;

–  la mise en échec du placement en rétention qui n’aboutit à un éloignement que dans 40 % des cas, le plus souvent en raison de l’impossibilité d’obtenir un laissez-passer consulaire délivré par les autorités du pays d’origine ou à la suite de manœuvres d’obstruction diligentées par l’étranger (refus d’embarquer, refus de présentation au consulat, demande d’asile ou de titre de séjour dilatoire, etc.) ([14]).

Votre rapporteure déplore cette situation qui a des conséquences, non seulement sur la bonne marche de la politique de gestion des flux migratoires, mais également sur les personnes parmi lesquelles les étrangers eux-mêmes. La durée des procédures et leur complexité les maintient dans un entre-deux juridique qui leur interdit de se projeter dans l’avenir. Les structures d’accueil, notamment les centres de rétention administrative que les commissaires aux Lois ont été nombreux à visiter, sont sollicitées à l’excès, ce qui influe négativement sur le climat qui y règne et sur les conditions de travail des personnels. Enfin, les organisations de magistrats administratifs et judiciaires ont fait part, de même que les services policiers et préfectoraux, de leur désarroi devant un contentieux de masse, aux outils juridiques peu adaptés et à l’efficacité incertaine. La police des étrangers décourage ceux qui ont la charge de la faire respecter.

B.   Un droit renforcé par le projet de loi

Considérant les lacunes du droit des étrangers et l’impérieuse nécessité d’en sécuriser les procédures tout en garantissant une plus grande efficience des moyens consacrés à son respect, le projet de loi présenté par le Gouvernement comporte des évolutions opportunes. Par le recours à la technologie, par des règles concrètes prenant en compte les impératifs de terrain, par une garantie renforcée des droits et libertés sous le regard de juges indépendants, il dote la France des moyens législatifs qui lui faisaient défaut pour une gestion optimale de ses flux migratoires.

1.   Moderniser le droit des étrangers grâce aux nouvelles technologies

En cohérence avec les évolutions prévues au titre Ier dans le contentieux du droit d’asile, les articles 10, 12 et 16 du projet de loi autorisent les juridictions – en l’occurrence, le tribunal administratif et le juge des libertés et de la détention – à décider seules la tenue d’audiences par visioconférence.

Cette évolution a plusieurs effets positifs :

– elle mobilise moins les forces de police qui assurent les fonctions d’escorte de l’étranger en limitant les temps de trajet et d’attente entre les audiences ;

– elle est profitable à l’étranger à qui sont épargnés la fatigue et le stress consécutifs à des déplacements qui excèdent parfois une centaine de kilomètres ;

– elle permet une plus grande souplesse dans la tenue du rôle en éliminant les impondérables liés aux conditions de circulation entre le tribunal et, le cas échéant, la zone d’attente ou le centre de rétention administrative.

Des critiques ont été formulées à l’encontre de cette disposition, notamment par des avocats et par des associations qui craignent que la médiation d’un écran entre l’étranger et son juge porte préjudice aux droits de la défense. Outre que cette considération n’est pas partagée par le Conseil constitutionnel dont la jurisprudence admet ce procédé ([15]), après avoir assisté à des audiences par visioconférence, votre rapporteure est intimement convaincue qu’il n’en est rien. En effet, les garanties dont bénéficie la défense demeurent inchangées et la qualité technique des liaisons informatiques garantit la bonne tenue des débats.

2.   Rendre plus efficace la retenue pour vérification du droit au séjour

À la suite de la dépénalisation du séjour irrégulier imposée, en 2012, par des jurisprudences concordantes de la Cour de cassation et de la Cour de justice de l’Union européenne ([16]), une nouvelle procédure a été instituée par la loi n° 2012‑1560 du 31 décembre 2012 relative à la retenue pour vérification du droit au séjour et modifiant le délit d'aide au séjour irrégulier pour en exclure les actions humanitaires et désintéressées. La retenue pour vérification du droit au séjour permet à un officier de police judiciaire de s’assurer, pour seize heures, d’une personne dont il souhaite établir qu’elle séjourne valablement, ou non, sur le territoire français.

Si cette procédure a fait ses preuves, l’article 18 du projet de loi prévoit cependant d’améliorer son efficience. Ainsi sa durée serait-elle portée à vingt-quatre heures afin de faciliter les relations avec les services préfectoraux, dont les horaires de fonctionnement ne correspondent pas à ceux des personnels de police. Certaines tâches simples, comme la prise d’une photographie, pourraient être déléguées sous l’autorité de l’officier de police judiciaire. La pratique de la fouille des effets personnels et des bagages se trouve encadrée sous la supervision de l’autorité judiciaire. Enfin, les contraintes pour le recueil de données biométriques à propos de la personne retenue sont desserrées.

Votre rapporteure soutient ces évolutions procédurales, qui permettront une lutte plus efficace contre le séjour irrégulier.

3.   Donner du temps à la justice pour mieux se prononcer

a.   Étendre les délais de jugement

La multiplication des recours relatifs au contentieux de l’éloignement n’est pas dépourvue d’effet sur le fonctionnement des juridictions. Elle rend également délicate la bonne application de la loi du 7 mars 2016 précitée, qui avait fixé des objectifs ambitieux dans le traitement des requêtes présentées par les étrangers afin de garantir au maximum leurs droits – au premier rang desquels celui de ne pas être indûment privé de liberté. Ainsi l’intervention du juge des libertés et de la détention (JLD) avait-elle été prévue au deuxième jour de la rétention, alors qu’il était auparavant sollicité au cinquième jour seulement.

Cette disposition se heurte toutefois à des obstacles matériels d’organisation des juridictions. Alors que le recours devant le JLD est déposé dans les 24 heures du placement en rétention, il ne dispose donc plus que de 24 heures, également, pour tenir audience et statuer – y compris le dimanche. Il en résulte un traitement à flux tendu, des permanences assurées par des magistrats qui ne disposent pas d’une connaissance suffisante d’une loi pourtant éminemment technique, et un fonctionnement que le moindre incident – de trajet, par exemple – peut venir remettre en cause alors que le défaut de jugement dans le délai imparti entraîne la libération de droit du retenu.

En conséquence, l’article 16 du projet de loi porte à 48 heures le temps imparti au JLD pour se prononcer sur la demande de libération d’un étranger en rétention. Ce doublement du délai permettra une meilleure organisation des juridictions et un desserrement de la contrainte horaire qui pèse sur la procédure. Par cohérence, l’article 12 repousse également d’une journée le moment où le juge administratif se prononce sur la légalité de la mesure d’éloignement, pour un ordonnancement plus cohérent de la procédure.

b.   Organiser le caractère suspensif des appels

Dans un même objectif de rationalisation de la procédure, le projet de loi aborde la question des voies de recours dont dispose l’étranger pour faire valoir ses droits. Plusieurs dispositions traitent de cet aspect :

–  à l’article 10, il est prévu que l’appel formé contre une ordonnance du juge des libertés et de la détention par un étranger retenu en zone d’attente peut être déclaré irrecevable par le premier président de la cour d’appel dès lors qu’il est forclos ou insuffisamment motivé, suivant une procédure qui prévaut déjà en matière de rétention administrative ;

–  à l’article 16, le délai dont dispose le procureur de la République pour solliciter qu’un effet suspensif soit attaché à l’appel à l’encontre d’une ordonnance du JLD libérant un étranger jusque-là en rétention administrative est porté de six à dix heures, délai pendant lequel l’intéressé est maintenu à la disposition de la justice ;

–  à l’article 18, la détermination de l’effet suspensif, ou non, de la saisine de la Cour nationale du droit d’asile par un étranger débouté par l’OFPRA et faisant l’objet d’une mesure d’éloignement motivée par des raisons d’ordre public ([17]) est désormais du ressort du président du tribunal administratif saisi à cet effet.

Votre rapporteure approuve ces différentes mesures qui tiennent de la simplification pour la première, de la prise en compte du taux élevé de réformation des ordonnances des JLD pour la deuxième, du privilège du préalable de l’administration en matière de protection de l’ordre public pour la troisième.

4.   Garantir l’effectivité des éloignements

a.   Crédibiliser le recours à l’assignation à résidence

La loi du 7 mars 2016 a renversé le principe selon lequel, en matière d’éloignement, le placement en rétention administrative constituait une règle et l’assignation à résidence l’exception. Il revient désormais à l’administration de privilégier une assignation à résidence hormis lorsqu'un étranger ne présente plus de garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite. Cette évolution tarde cependant à montrer son efficacité, tant le régime de l’assignation à résidence permet à l’étranger qui en fait l’objet de se soustraire à ses obligations sans que les forces de l’ordre parviennent à le sanctionner efficacement.

Le projet de loi prévoit le renforcement du régime juridique de l’assignation à résidence afin que celle-ci devienne un préalable effectif à l’éloignement. À cette fin :

–  l’article 14 permet de contraindre l’étranger objet d’une OQTF à résider dans un lieu qui lui est désigné pendant le délai de départ volontaire, de manière à réduire le risque que celui-ci soit mis à profit pour se soustraire à l’application de la loi ;

–  l’article 16 oblige le JLD à motiver spécialement la levée de la rétention d’un étranger qui s’est précédemment soustrait à une mesure d’éloignement, et à assigner à résidence uniquement dans un local affecté à l’habitation principale de l’intéressé – à l’exclusion de tout logement impropre à garantir le respect de cette assignation ;

–  l’article 17 désigne à l’étranger assigné à résidence une plage horaire durant laquelle il doit rester à son domicile, allant de trois heures pour un contrevenant à la police des étrangers jusqu’à dix heures en cas de menace pour l’ordre public, de façon à autoriser la programmation d’un éloignement sans passer obligatoirement par un placement en rétention administrative ;

– l’article 18 prévoit que la présentation d’une demande d’asile n’exclut pas l’assignation à résidence d’un étranger objet d’une mesure d’éloignement prononcée pour des motifs de menace grave à l’ordre public.

Votre rapporteure approuve pleinement ces mesures. Si elles renforcent le caractère restrictif de libertés de l’assignation à résidence, elles sont aussi le seul moyen de développer sa pratique au détriment de celle, nettement plus négative en termes de protection des droits de l’individu, de la rétention administrative.

b.   Ouvrir l’aide au retour volontaire aux étrangers en rétention

L’article 13 du projet de loi permet à un étranger placé en rétention de solliciter une aide au retour. Votre rapporteure croit fermement à l’efficacité de ce dispositif, qui permet à l’étranger d’être à l’initiative de son retour dans son pays d’origine et qui lui procure un appui pour sa réinsertion sociale et professionnelle. L’aide attribuée ne consiste plus seulement en un pécule, mais également en un soutien à la définition d’un projet professionnel donnant lieu, le cas échéant, à une formation.

Si des interrogations peuvent être formulées sur l’opportunité de proposer un accompagnement à un étranger en phase d’éloignement forcé, elles trouvent facilement leurs réponses. D’une part, privilégier un départ volontaire élimine les risques d’entrave à l’éloignement. D’autre part, les sommes engagées pour l’accompagnement volontaire s’établissent à un niveau très inférieur à celles requises par une escorte jusqu’au pays d’origine. Enfin, la dynamisation du parcours professionnel de l’étranger éloigné, qui concourt à l’émergence d’une activité économique locale, offre la meilleure chance d’un développement du pays d’origine pour des conditions de vie améliorées de ses citoyens et, en conséquence, une réduction de son émigration vers l’Europe.

Afin d’éviter les effets d’aubaine et les demandes opportunistes, le projet de loi précise néanmoins que l’octroi d’une aide au retour ne vaut pas en soi levée de la mesure de rétention.

c.   Combattre les tentatives de faire échec à l’éloignement

Le projet de loi s’attache enfin à faire respecter les décisions d’éloignement. Dans cet objectif, il précise le régime de l’interdiction de retour sur le territoire français (IRTF, article 11), élargit aux ressortissants de pays tiers résidents réguliers de l’Union européenne le régime de l’interdiction de circulation sur le territoire français (ICTF, article 15) et crée de nouvelles possibilités de prononcer une OQTF sans délai de départ volontaire (article 11).

À l’article 16, le projet de loi prévoit également l’allongement de la durée de la rétention administrative. Celle-ci pourrait désormais atteindre 90 jours, voire 135 jours en cas de manœuvres de l’étranger pour faire obstacle à son éloignement. L’objectif de cette mesure est de dissiper les causes d’échec à l’éloignement constatées jusqu’à présent, à savoir l’opposition de l’étranger par tout moyen et la réticence de son pays d’origine à lui octroyer un sauf-conduit permettant son retour, qui épuisaient trop rapidement les quarante-cinq jours octroyés par la loi à l’administration pour mener à bien l’ensemble de la procédure.

Votre rapporteure est convaincue qu’il est nécessaire de mener à leur terme les procédures d’éloignement, d’avoir la capacité d’exécuter les OQTF, pour que la politique migratoire française gagne en efficacité. De même, il semble établi que l’enchaînement d’une coopération limitée avec les services de police, d’une opposition à rencontrer les autorités consulaires et d’un refus d’embarquement suffise à assurer l’échec de l’éloignement à l’issue des quarante-cinq jours : de ce risque d’obstruction, il faut que la loi prenne acte et le prévienne. En ce qui concerne la difficulté de la France à obtenir un laissez-passer consulaire de la part de certains pays, il est à noter toutefois que l’allongement de la rétention administrative ne sera pas la seule solution. Un règlement politique et diplomatique sera également nécessaire.

C.   LES APPORTS DE la commission des lois

La commission des Lois a approuvé les dispositions du titre II du projet de loi. Outre diverses améliorations de nature rédactionnelle, elle s’est attachée à marquer sa préoccupation pour une plus grande humanité à l’endroit des étrangers en situation de péril, sans préjudice du caractère irrégulier de leur situation administrative, et à placer leur avenir sous la protection de la justice. Les commissaires ont également examiné avec attention le projet d’allongement de la durée maximale de la rétention administrative, auquel ils ont apporté une forte amodiation.

1.   Une meilleure garantie des droits des personnes

À l’initiative du groupe La République en marche, la commission des Lois a inséré dans le projet de loi un nouvel article 17 bis précisant les droits dont dispose l’étranger dont la rétention a été levée par le juge des libertés et de la détention, mais qui demeure à la disposition de la justice dans la perspective d’un appel suspensif du procureur de la République. Il sera ainsi possible à l’intéressé de contacter son avocat et un tiers, de rencontrer un médecin et de s’alimenter, ainsi que l’a recommandé le Conseil d’État dans son avis sur le projet de loi.

Par ailleurs, sur proposition de votre rapporteure, l’administration sera tenue de prendre en compte la vulnérabilité des personnes – notamment tout éventuel handicap – avant tout placement en rétention, et non pour les seules personnes objet d’une procédure « Dublin » comme le prévoyait la loi n° 2018‑187 du 20 mars 2018 permettant une bonne application du régime d'asile européen (article 16).

2.   La précision du droit applicable aux frontières terrestres

Sur proposition de votre rapporteure, le régime juridique du refus d’entrée a été précisé pour son application à la frontière terrestre dans le cadre du rétablissement du contrôle aux frontières intérieures décidé par la France le 13 novembre 2015. Considérant qu’il n’existe aucune zone d’attente dans les massifs alpin et pyrénéen et que l’octroi d’un jour franc ne permettrait en rien à un étranger refoulé de préparer son rapatriement, le bénéfice de ce droit ne pourra donc être sollicité qu’à la suite du franchissement de la frontière par voie aérienne, maritime ou ferroviaire (article 10 A).

Par ailleurs, à l’initiative de M. Joël Giraud et du groupe La République en Marche, il a été précisé que les refus d’entrée opposés aux personnes vulnérables, notamment aux mineurs, font l’objet d’une attention particulière de la part de l’administration (article 10 A). Il s’agit de prévenir les situations dans lesquelles la non-admission a pour effet de laisser l’étranger, en Italie ou en Espagne, dans des conditions climatiques ou matérielles mettant en jeu sa sécurité ou sa dignité, sans le recommander à la protection des autorités locales.

Enfin, un amendement de M. Joël Giraud a complété le droit applicable aux refus d’entrée opposés à la frontière terrestre en prévoyant que le périmètre dans lequel ceux-ci peuvent être dressés soit déterminé par décret en Conseil d’État (article 10 B).

3.   Une redéfinition du séquençage de la rétention administrative

À l’issue d’un large débat au cours duquel le Gouvernement a signifié son accord à la modification de son projet initial, la Commission a adopté à l’article 16 un amendement de M. Florent Boudié et du groupe La République en marche définissant un nouveau séquençage de la rétention administrative. Celle-ci est désormais fixée à 90 jours au plus :

–  deux premières phases de 2 et 28 jours qui demeurent inchangées par rapport au droit en vigueur ;

–  une troisième phase de 30 jours décidée par le juge des libertés et de la détention ;

–  deux ultimes prolongations de 15 jours chacune, qui ne peuvent être décidées par le juge des libertés et de la détention que dans un nombre limité de circonstances, soit lorsque la mesure d’éloignement n’a pu être exécutée en raison du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat et qu’il est établi qu’elle doit intervenir à bref délai, si l’étranger a fait obstruction à l’exécution de l’éloignement, ou s’il a présenté dans le seul but de faire échec à l’éloignement une demande d’asile ou de titre de séjour sur le fondement d’une maladie.

Votre rapporteure salue le consensus rassemblé par cet amendement, qui résout les dysfonctionnements actuellement constatés dans la procédure de rétention administrative tout en limitant sa prolongation très en deçà de la durée initialement envisagée par le Gouvernement. Le contrôle régulier du juge judiciaire assure le plein respect des droits de l’étranger. L’encadrement des prolongations est de nature à inciter l’administration à faire diligence pour mener la procédure à son terme dans les délais les plus brefs.

4.   La sanction de l’atteinte à l’ordre public par le juge pénal

Sur proposition de votre rapporteure, la Commission a renforcé les moyens dont dispose le juge pénal pour mettre un terme à la présence sur le territoire national d’un étranger coupable de crime ou de délit. La liste des infractions sanctionnées, à titre principal ou complémentaire, d’une interdiction du territoire français, est sensiblement élargie de façon à inclure, notamment, les agressions sexuelles, la plupart des violences volontaires et diverses incriminations particulièrement choquantes telles que l’avortement forcé et la réduction en esclavage (article 19 bis).

5.   La suppression de dispositions de la loi du 20 mars 2018

Conformément aux engagements pris lors de la discussion en seconde lecture à l’Assemblée nationale de la loi n° 2018‑187 du 20 mars 2018 permettant une bonne application du régime d'asile européen, la commission des Lois a souhaité revenir sur certaines dispositions de ladite loi insérées par le Sénat et qu’il était revenu à l’Assemblée nationale d’avaliser dans l’objectif d’une promulgation rapide.

En conséquence, des amendements identiques de votre rapporteure, du groupe La République en Marche et de M. Mathieu Orphelin ont :

–  supprimé les placements en rétention d’un étranger « dubliné » refusant de donner ses empreintes et d’une personne ayant dissimulé des éléments de son parcours, de sa situation familiale et de ses demandes antérieures d’asile (article 16) ;

–  réduit à quatre jours la durée de validité de l’ordonnance du juge des libertés et de la détention qui permet aux forces de l’ordre d’effectuer des visites domiciliaires dans le cadre des assignations à résidence (article 17 ter).

III.   Se doter d’outils PROPICES À Une intÉgration réussie

A.   Attirer les hauts potentiels : un enjeu pour le rayonnement international de la france

1.   L’attractivité de la France pour les étudiants et les chercheurs

Dans un monde de forte concurrence, la France se doit de profiter de l'expérience et de la qualification professionnelle d’étrangers à haut potentiel tels que les chercheurs et les étudiants.

À cet égard, on peut se féliciter que notre pays occupe actuellement la deuxième place en Europe derrière le Royaume-Uni pour l’accueil des chercheurs.

En 2016, 73 644 étudiants étrangers hors Union européenne ont été accueillis en France pour un séjour d’un an (+5,2 % par rapport à 2015, en hausse constante depuis 2012). 88 095 premiers titres « étudiants » ont été délivrés en 2017 (+19,6 %), soit le plus haut niveau jamais atteint. À ce jour, on compte 12 411 chercheurs étrangers hors UE en France.

 

 

La France doit cependant conforter cette position par un cadre général favorable à l’accueil (carte pluriannuelle, accueil des conjoints et des enfants mineurs, prolongation du séjour pour les étudiants et les chercheurs en création d’entreprise ou en recherche d’emploi). Pour ce faire, il s’agit notamment de mettre à profit les marges de manœuvre offertes par la directive 2016/801 du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2016 relative aux conditions d'entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers à des fins de recherche, d'études, de formation, de volontariat et de programmes d'échange d'élèves ou de projets éducatifs et de travail au pair.

2.   Des dispositifs en faveur d’un meilleur accueil des talents et compétences

Le projet de loi comprend plusieurs dispositions visant à améliorer les conditions d’accueil des étrangers à haut potentiel.

B.   Des mesures de simplification bienvenues

Le projet de loi comprend plusieurs dispositions visant à apporter des simplifications au sein du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ce qui permettra à la fois d’alléger le travail des préfectures et d’assurer un examen plus rapide et plus efficient des demandes de titres.

C.   Renforcer lA lutte contre les fraudes

Il importe de consolider les dispositifs existants de lutte contre les fraudes à l’obtention de titres de séjour afin d’assurer un meilleur traitement des nombreuses demandes légitimes.

D.   Les APPORTS DE LA commission des lois

1.   Un élargissement du « passeport talent »

À l’article 20, la commission des Lois a adopté deux amendements de la commission des Affaires étrangères visant à élargir la délivrance du « passeport talent » en permettant qu’il soit accordé aux étrangers qui participent au développement environnemental, social et international de l’entreprise et en reconnaissant l’artisanat comme une activité susceptible d’entrer dans le champ d’application du passeport talent.

Par ailleurs, à l’initiative de la commission des Affaires sociales, la Commission a adopté un amendement renvoyant à un décret les modalités de reconnaissance des entreprises innovantes.

2.   Une meilleure prise en compte des personnes vulnérables

À l’article 23, la Commission a adopté un amendement du groupe La République en Marche précisant que les circonstances nouvelles permettant de solliciter une admission au séjour peuvent tenir à l'état de santé du demandeur.

À l’article 26, la Commission, à l’initiative de votre rapporteure et avec l’avis favorable du Gouvernement, a donné une base légale au service médical de l’OFII.

Après l’article 26, à l’initiative de Mme Fiona Lazaar, rapporteure pour avis au nom de la commission des Affaires sociales, la Commission a adopté un amendement permettant de mieux concilier le dépôt d’une demande d’asile et la poursuite d’un contrat d’apprentissage pour les mineurs étrangers (article 26 bis).

À l’initiative de Mme Anne–Christine Lang, la Commission a adopté un second amendement rendant obligatoire la délivrance d’une autorisation provisoire de travail aux mineurs isolés étrangers confiés à l’aide sociale à l’enfance après 16 ans, sous réserve de la présentation d’un contrat d’apprentissage ou de professionnalisation à durée indéterminée (article 26 ter).

À l’article 32, la Commission a adopté un amendement de Mme Annie Chapelier permettant aux personnes étrangères victimes de violences conjugales ou familiales ou menacées de mariage forcé d’obtenir de plein droit le renouvellement de leur carte de séjour temporaire même dans les cas où l’ordonnance de protection n’est plus en vigueur dès lors que la victime a porté plainte contre l'auteur des faits.

3.   Faire du rapport sur la situation des étrangers en France un véritable outil d’évaluation de la politique d’immigration, d’intégration et d’asile

À l’initiative des commissaires du groupe MODEM, la Commission a adopté – avec l’avis favorable de votre rapporteure et du Gouvernement – deux amendements portant article additionnel visant à modifier le rapport annuel sur la situation des étrangers en France (article 33 bis) afin de :

– fixer une date limite pour le dépôt du rapport au 1er octobre qui suit l’année sur laquelle il porte ;

– prévoir spécifiquement que des projections quantitatives pour l’année suivante seront présentes dans le rapport ;

– intégrer la politique d’asile au rapport, notamment par l’ajout d’une évaluation qualitative du respect du schéma national d’accueil des demandeurs d’asile ;

– associer au rapport le Délégué interministériel chargé de l’accueil et de l’intégration des réfugiés.

Le renforcement de ce rapport doit en faire un outil plus utile pour les députés et nous permettre de procéder à une meilleure évaluation de la politique d’immigration, d’intégration et d’asile.

 


—  1 

   AUDITION DU MINISTRE D’ÉTAT, MINISTRE DE L’INTÉRIEUR,
ET discussion générale

Lors de sa réunion du mardi 3 avril 2018, la commission des Lois auditionne M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur, et procède à une discussion générale sur le projet de loi pour une immigration maîtrisée et un droit dasile effectif (n° 714) (Mme Élise Fajgeles, rapporteure).

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Mes chers collègues, nous entamons la discussion du projet de loi pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif, qui sera examiné en séance publique au cours de la semaine du 9 avril. Nous avons le plaisir d’accueillir M. Gérard Collomb, ministre d’État, ministre de l’intérieur, qui va nous présenter ce texte. Nous entendrons ensuite notre rapporteure, Mme Élise Fajgeles, puis les orateurs inscrits dans la discussion générale.

Je vous informe que nous sommes saisis de près de 900 amendements, dont nous entamerons l’examen demain à partir de neuf heures trente. Il est prévu que cette discussion se poursuive après-demain. Nous ferons régulièrement le point de l’avancement de nos travaux afin de déterminer si nous sommes en mesure de respecter ces délais.

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de l’Intérieur. Madame la présidente, Mesdames et messieurs les députés, nous sommes ensemble pour quelque temps…

Le sujet dont nous nous apprêtons à débattre est d’une certaine gravité. En effet, ce projet de loi entre en résonance avec la vie quotidienne de nos concitoyens, qui savent que cette question, faute sans doute d’avoir été maîtrisée, a provoqué, dans un certain nombre de pays, le déferlement d’une vague de populisme et la remise en cause du droit d’asile lui-même. À l’aube de ce débat parlementaire, je forme donc le vœu qu’au cours de nos discussions, nous sachions collectivement nous montrer dignes des enjeux de la période. Ceux-ci sont clairs : il s’agit de démontrer qu’il est possible de résoudre la crise migratoire que connaissent tous les États européens en restant fidèle à l’humanisme qui a toujours été au cœur des grands idéaux républicains.

Résoudre la crise migratoire dans le cadre républicain, c’est s’inscrire dans la continuité du message historique de la France et prêter vie aux idéaux qui se sont traduits, dans la convention de Genève, par la reconnaissance du droit d’asile pour « toutes les personnes susceptibles dêtre persécutées du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ». Oui, il nous faut toujours défendre un droit d’asile intangible pour tous les réfugiés. Mais nous le ferons d’autant mieux que nous saurons donner tout son sens à ce droit en montrant notre capacité à résoudre les grands défis migratoires actuels. Si l’Europe veut préserver le droit d’asile, elle doit se montrer capable de lutter contre l’immigration irrégulière, en particulier contre tous ceux qui font trafic de la misère humaine. C’est pour ne pas avoir voulu prendre en compte cette réalité que beaucoup de pays européens connaissent aujourd’hui bien des dérives qui pourraient, à terme, les amener à remettre en cause le droit d’asile lui-même.

Pendant sa campagne, le Président de la République a écrit dans son programme : « La France doit être à la hauteur de sa tradition historique daccueil tout en se montrant, dans des conditions toujours dignes, inflexible avec les personnes qui ne remplissent pas les conditions de séjour sur notre territoire. » Sur ce dernier point, ses intentions étaient claires, puisqu’il ajoutait : « Nous devons nous organiser pour réformer les conditions dexamen de très nombreuses demandes dasile. Les délais dexamen des demandes doivent être considérablement abrégés mais, en même temps, toutes les personnes qui nont pas vocation à rester en France parce quelles nont pas le droit dasile doivent être reconduites à la frontière. »

Depuis, le Président de la République n’a cessé d’agir pour concilier ces deux principes : générosité et sens des responsabilités. Cette action, il la mène sur des fronts différents. D’abord, au plan international : il s’agit, pour lui, de contribuer à stabiliser l’ensemble du monde méditerranéen et de l’Afrique. Il faut éviter que de nouveaux conflits ne naissent, qui entraîneraient inéluctablement leur flot de réfugiés. Il faut aussi reconstruire un État là où il s’est effondré, comme en Libye, où ont été commis des crimes abominables dont les migrants, qui ont subi là-bas les pires sévices, sont les premières victimes.

Il faut, déclarait le Président de la République dans son discours de Ouagadougou, donner à l’Afrique les moyens de son développement et offrir à sa jeunesse la possibilité de construire sa vie dans son propre pays. Aussi la France intervient-elle pour apporter le premier élément d’une croissance nouvelle : la sécurité. C’est par une sécurité retrouvée qu’ils pourront construire un développement économique qui corresponde à leur croissance démographique. Le numéro d’aujourd’hui du journal Les Échos rapporte que, d’ici à 2050, l’Afrique comptera 2,5 milliards d’habitants. Qui peut penser que la solution réside dans une immigration massive vers l’Europe ? La solution, c’est que l’Afrique dispose de son destin et construise une croissance. Sans doute convient-il – et c’est, me semble-t-il, le premier devoir de l’Union européenne – que nous contribuions à édifier les bases de cette croissance. La France doit, à travers l’Agence française de développement, mieux aider les pays africains.

Oui, notre premier devoir envers les pays de la Méditerranée est de mener une politique responsable en ne promettant pas le mirage européen à tous mais en aidant chacun à construire son avenir sur place.

Cette même exigence de responsabilité doit s’appliquer à notre politique d’asile et d’immigration. Dans la droite ligne des idées développées pendant la campagne électorale par le Président de la République, il faut faire preuve de solidarité, de générosité, tout en disant clairement que si nous voulons accueillir dignement et donner toute sa dimension au droit d’asile, il ne faut pas le détourner de sa véritable finalité. C’est cette double dimension qui guide le projet de loi que je vous présente ce soir.

Apporter davantage de protection, c’est sécuriser le droit au séjour des bénéficiaires de la protection subsidiaire et des apatrides en leur accordant un titre de séjour d’une durée de quatre ans au lieu d’un an actuellement ; c’est faciliter la délivrance d’un titre de séjour aux membres de la famille d’un réfugié mineur – je dis bien d’un réfugié – et étendre la réunification familiale à ses frères et sœurs ; c’est protéger celles qui subissent en France des violences conjugales ainsi que les jeunes filles ou les jeunes femmes menacées d’excision.

Au-delà de ce qui protège, il y a tout ce qui peut contribuer, dans le cadre de l’accueil, à des réussites réciproques. Je pense à l’extension du « passeport talent » aux étudiants qui relèvent d’un programme de l’Union européenne, à la possibilité pour les chercheurs ayant terminé leur cycle d’études de mieux circuler sur le territoire de l’Union européenne, à la faculté pour les travailleurs des grands groupes européens de se déplacer en fonction des différents contrats de leur entreprise et à l’opportunité pour les réfugiés de bénéficier d’un véritable apprentissage de la langue française et d’une formation professionnelle pour s’insérer pleinement dans notre société.

La France veut protéger et accueillir les talents. Mais, si elle veut vraiment le faire, il faut qu’elle soit en même temps à même de relever le défi migratoire. À cet égard, nous sommes à contretemps par rapport aux autres États de l’Union européenne. Alors qu’en Europe, en l’espace de deux ans, le nombre des demandes d’asile a baissé de moitié, passant d’1,2 million à 650 000, il n’a cessé de progresser en France. En 2010, notre pays accueillait 47 000 demandeurs d’asile ; l’an dernier, il en a accueilli 100 000, soit une hausse de 17 % par rapport à 2016, après une augmentation de 6 % en 2016 et de 23 % en 2015. Encore avons-nous procédé l’année dernière à 85 000 non-admissions à la frontière !

Les causes de cette augmentation sont connues. Il y a les demandes d’asile déposées par des ressortissants de pays d’Afrique occidentale considérés par tous les organismes internationaux comme des pays sûrs. Nous essayons d’élaborer avec ces derniers une politique coopérative, tel était l’objet de mon séjour à Niamey.

Il y a également – et c’est une véritable difficulté – les demandes de personnes qui peuvent entrer en France sans visa et qui, dès qu’ils sont sur notre territoire, déposent une demande d’asile. C’est le cas des Albanais, qui occupent actuellement 20 % des places du dispositif national d’asile. Cependant, les accords conclus avec les dirigeants de l’Albanie commencent à porter leurs fruits : les départs en direction de la France ont baissé de 24 % et les autorités albanaises sont prêtes à reprendre leurs ressortissants déboutés du droit d’asile à condition, bien entendu, que notre loi le permette. À cet égard, j’attache une vive importance au fait que nous puissions reconduire un certain nombre de familles à nos frontières, car nombre de ces personnes sont venues en famille et ont déposé, en famille, une demande d’asile. Il convient, et les autorités du pays d’origine sont d’accord, de les reconduire en Albanie. Je rappelle, du reste, que c’est vital pour cet État qui a perdu, en quelques années, le tiers de sa population. La Géorgie est dans le même cas : on observe, depuis la suppression des visas intervenue il y a quelques mois, une augmentation brutale des demandes d’asile de ses ressortissants. Nous devons donc prendre un certain nombre de mesures en accord avec le gouvernement géorgien.

Enfin, nous devons faire face aux déboutés du droit d’asile par d’autres pays européens, l’Allemagne et la Suède notamment. Outre-Rhin, au cours des trois dernières années, 500 000 personnes ont été déboutées et tentent d’aller ailleurs en Europe, en particulier la France.

Force est de le constater : il n’est pas envisageable de répondre à la diversité de ces demandes d’asile si nous souhaitons que l’accueil se fasse dans des conditions dignes. Si, face à cette situation, nous restions sans réaction, il nous faudrait accueillir chaque année quelques centaines de milliers de personnes. Qui peut penser que nous pourrions construire chaque année une ville de taille moyenne pour les accueillir ? Et, si nous ne le faisions pas, où iraient-ils, sinon dans des quartiers de banlieue déjà paupérisés où ils viendraient ajouter de la misère à la misère ? Un véritable accueil suppose que nous soyons capables d’assurer la mixité sociale : c’est alors que l’on pourra parler des valeurs de la République. Si des populations se sentent totalement marginalisées, abandonnées et ont le sentiment qu’en France coexistent deux mondes, alors il ne faudra pas s’étonner que notre pays connaisse un certain nombre de dérives.

C’est parce que nous ne voulons pas de cette situation que nous vous présentons ce projet de loi.

En quelques années, nous avons consenti des efforts considérables. Le dispositif d’asile, de 44 000 places en 2012, en compte aujourd’hui plus de 80 000. Encore n’accueillons-nous dans ce cadre que 60 % des demandeurs d’asile ; les autres sont dirigés en partie vers des centres d’hébergement d’urgence. Et ensuite, on s’étonne que ces lieux d’accueil soient congestionnés et que des campements apparaissent dans nos villes ! Ce n’est pas possible, ce n’est pas digne de la France. Nous ne pouvons pas accepter l’insupportable, pour nos concitoyens et pour les migrants eux-mêmes.

Pour faire face à ce problème, nous souhaitons réduire le délai d’examen de la demande d’asile à six mois. Ce faisant, nous nous alignons, pour l’essentiel, sur les procédures de nos voisins européens, de manière à ne créer aucun effet de distorsion. Cette réduction des délais améliorera non seulement la situation de ceux qui se verront reconnaître le droit d’asile et qui, au bout de six mois, pourront s’insérer dans la société française, mais aussi celle des déboutés qui, en six mois, n’auront pas rompu le lien avec leur pays d’origine et pourront retourner dignement chez eux.

Le problème actuel réside dans le fait que les demandeurs restent ici dans un statut indéterminé pendant deux ans, trois ans, quatre ans… On a vu, dans la région parisienne, dans des hôtels, des familles présentes depuis quinze ans. C’est insupportable pour tous ; nous ne pouvons pas continuer ainsi.

Quelle que soit notre opinion, nous pouvons partager un constat : le dispositif en vigueur ne fonctionne pas ; il est urgent de le modifier. Afin de répondre à cette demande, nous avons décidé, dans un premier temps et en l’espace de six mois, de créer des emplois. En 2018, 150 équivalents temps plein (ETP) auront été créés dans les services des préfectures dédiés aux étrangers, 35 autres à l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), 15 encore à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), 51 enfin à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). Et nous mettons en place des dispositifs nouveaux : chaque département sera pourvu d’un centre d’accueil et d’examen de situation (CAES).

Déjà, nous obtenons des résultats : alors que l’instruction de la demande d’asile prenait en moyenne quatorze mois fin 2016, cette durée s’est réduite à onze mois un an plus tard et nous entendons bien perpétuer ce mouvement à la baisse. L’accueil au premier guichet doit être conforme aux recommandations de l’Union européenne, à savoir en trois jours. Or, nous en sommes actuellement à treize jours – contre vingt et un il y a un an. Là aussi, il s’agit d’une moyenne : le délai est beaucoup plus long dans les régions qui accueillent le plus de demandeurs d’asile.

Certains considèrent que le problème n’existe pas. Je vous montrerai des cartes où l’on s’aperçoit que certaines régions ne reçoivent aucune sollicitation, au contraire d’autres qui sont en train de se « déconstruire » parce que submergées par des flux de demandeurs dont les cas sont devenus ingérables comme dans l’ensemble des régions frontalières ou dans la vallée du Rhône.

Il faut aller plus loin que les dispositions d’ordre organisationnel que nous avons déjà prises. C’est tout l’objet du présent projet de loi.

Pour ce qui est de l’OFPRA, nous voulons parvenir à traiter les dossiers en deux mois à la fin de l’année 2018. Cela se fera par la possibilité d’un placement en procédure accélérée après quatre-vingt-dix jours d’entrée sur le territoire au lieu de cent vingt comme aujourd’hui, mais également grâce aux mesures portant sur la langue employée et sur la possibilité pour l’OFPRA de notifier sa décision par tout moyen, y compris électronique.

En ce qui concerne la CNDA, nous souhaitons réduire le délai de recours à quinze jours et développer la vidéo-audience. Nous entendons que les décisions de la Cour prennent effet dès leur lecture et non à leur notification. Enfin, le recours peut être dépourvu de caractère suspensif : pays d’origine sûr, menace à l’ordre public, deuxième réexamen par l’OFPRA.

Il faut raccourcir le délai d’examen de la demande d’asile mais également renforcer l’efficacité de la lutte contre l’immigration irrégulière. Nous avons prévu une série de mesures : améliorer les conditions d’exercice du contrôle juridictionnel en zone d’attente ; préciser le régime d’interdiction de retour ; augmenter de seize à vingt-quatre heures la durée de la retenue administrative pour vérification du droit au séjour et renforcer les investigations menées ; élargir les motifs d’obligation de quitter le territoire français (OQTF) sans délai de départ volontaire ; recourir à l’assignation à résidence pendant le délai de départ volontaire ; créer une obligation de demeurer au domicile pendant une plage horaire en cas d’assignation à résidence préparatoire à l’éloignement ; aménager le délai d’intervention du juge des libertés et de la détention (JLD) et du juge administratif ; recourir à la vidéo-audience pour le JLD et le tribunal administratif ; étendre les possibilités pour le parquet de former un appel suspensif contre les ordonnances du JLD ; prévoir qu’une demande d’asile ne fasse pas échec au placement en rétention d’un étranger qui menace l’ordre public.

Je sais que plusieurs dispositions du projet de loi suscitent des interrogations, telle la durée de la rétention administrative portée de quarante-cinq à quatre-vingt-dix jours. Il s’agit pourtant de nous aligner sur les autres pays européens quand, vous le savez, la directive Retour prévoit une rétention de cent quatre-vingts jours prorogeable jusqu’à dix-huit mois. Cette mesure vise à permettre l’obtention de laissez-passer consulaires, dont le défaut fait obstacle à la reconduite. On dit souvent que l’éloignement a lieu, ou non, dans les douze jours. C’est vrai aujourd’hui : tout le monde se désespère, les préfets ne placent plus en rétention et ne demandent plus de laissez-passer consulaire, les pays qui devraient délivrer ces laissez-passer attendent que les choses se « tassent »… C’est tout cela qu’il nous faut corriger.

J’ai vu que plusieurs d’entre vous, sans remettre en cause l’objectif de quatre-vingt-dix jours, proposent des modifications. Je suis prêt à les étudier à condition que l’on ne se détourne pas du but poursuivi : permettre qu’un certain nombre de gens puissent être effectivement éloignés. Le renoncement en la matière n’est pas possible ! J’examinerai ce que la Commission propose concernant les durées. Il s’agit, là comme ailleurs, de conjuguer efficacité et humanité.

Voilà, mesdames et messieurs les commissaires, les quelques mots que je voulais vous adresser. J’ai essayé, depuis la présentation du projet de loi en Conseil des ministres, de travailler avec beaucoup d’entre vous. J’ai présenté, je présenterai les grandes thématiques du texte à l’ensemble des groupes politiques de l’Assemblée nationale : le sujet est trop important pour ne pas être débattu par tous, pour que les uns et les autres ne fassent pas des efforts de convergence pour permettre à la France de sortir de la difficulté qu’elle rencontre.

J’ai peur que, si nous ne résolvons pas le problème auquel nous devons faire face avec humanisme et efficacité, d’autres, demain, se chargent de le résoudre sans humanisme mais avec une grande volonté d’efficacité… Il s’agit d’un sujet crucial. Veillons à faire en sorte que le droit d’asile continue d’exister pleinement dans notre pays et que la France, parce qu’elle aura réglé ses propres problèmes, puisse demain, en Europe, contribuer à ce que ses partenaires continuent à avoir une politique d’asile accueillante.

Je participe tous les mois à la réunion des ministres de l’Intérieur de l’Union européenne et je vois comment, petit à petit, se dissolvent les valeurs qui ont fait l’Europe. Je ne voudrais pas que cela continue. Il faut que nous soyons capables de prendre nos responsabilités en adoptant ce projet de loi.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Je ne vais pas vous présenter à nouveau le projet de loi : le ministre vient de nous en rappeler l’esprit et les principales dispositions. J’entends plutôt vous faire part de mes réflexions et de l’état d’esprit dans lequel j’aborde cette discussion.

J’ai procédé, vous le savez, à un grand nombre d’auditions et de tables rondes – trente et une pour être exacte – qui m’ont permis d’entendre un peu plus de cent personnes : représentants des autorités, associations, syndicats, avocats, policiers, magistrats, élus locaux… Ces auditions, et c’était mon souhait, ont connu un grand succès auprès de vous – nous étions parfois presque aussi nombreux que pour une réunion de la Commission. Nous avons pu évoquer plusieurs sujets directement avec les personnes concernées et faire tomber quelques préjugés ou a priori. Je crois que ce dialogue très constructif a fait honneur à notre Commission et nous permettra de prendre des décisions éclairées. Il me tenait particulièrement à cœur que tous aient une connaissance concrète des enjeux.

J’ai effectué plusieurs déplacements : au centre de rétention administrative (CRA) de Paris-Vincennes ; à Berlin où j’ai notamment visité un centre d’accueil pour réfugiés et discuté longuement avec les représentants des différentes autorités présentes ; à la frontière franco-italienne, au point de passage autorisé de Montgenèvre, en passe de devenir un point névralgique pour les flux migratoires à destination de la France – j’y ai rencontré l’administration, les élus locaux et les associations concernées – ; au CAES installé depuis le mois d’octobre à la patinoire de Cergy-Pontoise, à proximité de la préfecture ; à Montreuil, à la CNDA, où j’ai assisté à plusieurs vidéo-audiences ; à Calais, aussi, où j’ai notamment visité le dispositif des douches et celui de la mise à l’abri dans le cadre du plan « Grand froid » ; enfin j’ai assisté début mars à une distribution de repas organisée par l’État et qui, je l’ai constaté, fonctionne bien.

De toutes ces rencontres, discussions, visites et réflexions, j’ai retenu plusieurs points importants qui ont guidé mon travail sur le texte. Partout où je me suis rendue – dans les guichets de préfecture, dans les centres d’hébergement et naturellement à l’OFPRA où j’ai assisté à l’entretien d’un demandeur d’asile et où j’ai discuté avec l’ensemble des officiers de protection –, partout j’ai rencontré des personnels de grande qualité qui, avec empathie et professionnalisme, ont à cœur d’appliquer les textes que nous votons. Nous devons leur faire confiance et prendre garde de ne pas adopter de disposition inapplicable.

Nous devons ensuite nous rappeler que la protection que nous offrons à ceux qui demandent asile est notre tradition et notre honneur. Notre législation, mais aussi les dispositions comprises dans le texte, sont en tous points conformes à nos engagements européens comme internationaux et tout à fait comparables à celles de nos voisins. En matière de protection subsidiaire ou d’apatridie, par exemple, nous accordons une protection renforcée par le projet de loi. Des amendements ont été déposés pour empêcher cette amélioration ou, au contraire, l’élargir démesurément. Sachons préserver le point d’équilibre atteint qui nous vaut les félicitations du Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR).

Le pré-accueil, avant l’enregistrement de la demande d’asile, est la principale faiblesse de notre système. C’est pourquoi j’ai déposé des amendements visant à créer une mission spécifique d’accueil à destination des demandeurs d’asile, à l’image des CAES que le Gouvernement est en train de déployer. Il n’est pas tolérable de voir encore des campements illégaux se constituer dans nos villes : chacun doit pouvoir bénéficier, le président Emmanuel Macron l’a dit lors de son discours d’Orléans le 27 juillet 2017, d’un hébergement et d’un examen rapide de sa situation pour entamer, s’il le souhaite, une démarche d’asile. Je dis bien : « s’il le souhaite », car certains migrants ne veulent pas rejoindre ces structures malgré les maraudes de l’OFII.

En outre, notre système souffre, le ministre l’a rappelé, d’une saturation du parc d’hébergement et d’une concentration des demandeurs dans certains territoires : Paris et l’Île-de-France, Calais, Grande-Synthe, Ouistreham… Nous avons commencé à y remédier grâce à une augmentation de 26 % des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » dans le cadre de la loi de finances pour 2018. J’espère, monsieur le ministre d’État, que l’exercice 2019 accentuera cette tendance.

Il faut travailler à une répartition plus équilibrée de ces flux dans nos territoires : c’est le sens de l’article 9 qui prévoit que le schéma national d’accueil arrêté par le Gouvernement fixe désormais, non seulement la répartition des lieux d’hébergement pour demandeurs d’asile par région, mais aussi la part de ces demandeurs accueillis dans ces régions. Ce système devrait être assez proche, avec des modes de calcul adaptés, de la « clé de Königstein » utilisée en Allemagne, qui alloue à chaque Land un pourcentage spécifique de demandeurs d’asile à accueillir, en fonction des recettes fiscales et de la population. Pouvez-vous, monsieur le ministre d’État, nous en dire plus sur les modalités de calcul de la clé de répartition française ?

J’en viens au titre II relatif au contrôle de l’immigration et à l’éloignement des personnes qui ne remplissent pas les critères légaux pour demeurer sur le territoire national. Je soutiens fermement le Gouvernement sur ce point : accueillir dignement ceux qui ont besoin de protection et qui satisfont aux exigences de la loi suppose que soient appliquées les décisions de rejet des demandes d’asile et des titres de séjour. Quel parti politique ici représenté propose d’abolir les frontières et d’accueillir tout le monde ? Soyons honnêtes : aucun. La France est ouverte et généreuse, mais pas inconditionnellement et sans possibilité de faire respecter ses règles. Il y va de la crédibilité du droit d’asile et de l’État de droit.

Ce principe posé, il faut se donner les moyens de l’appliquer, bien sûr avec un maximum d’humanité – je mets à part les individus qui font l’objet d’une interdiction de territoire ou d’un arrêté d’expulsion pour des raisons d’ordre public. Monsieur le ministre d’État, la commission des Lois soutiendra toujours le Gouvernement dans sa fermeté pour la protection des Français.

Les débats sur le titre II se concentrent sur quelques points saillants. Le développement des nouvelles technologies nous donne moyen d’améliorer le service public de la justice pour un coût financier moindre, par exemple au moyen des vidéo-audiences. J’ai entendu la nécessité de garantir en toute occasion les droits de la défense et, bien évidemment, j’y souscris. Mais pour avoir de mes yeux constaté la qualité des transmissions avec la Guyane, je soutiens ce principe sans ambiguïté pour peu que des amendements apportent les garanties nécessaires.

De nombreuses dispositions sont techniques et procédurales, comme l’allongement des délais de jugement réclamé par des juridictions très sollicitées par le contentieux des étrangers. Nous y accédons.

Je salue la volonté de privilégier l’assignation à résidence plutôt que la rétention administrative, qui suppose de renforcer l’efficacité de la première pour qu’elle devienne une alternative crédible à la seconde. Là aussi, je vous inviterai à soutenir le Gouvernement. Je tiens néanmoins à rappeler que la rétention n’est pas la norme en matière d’éloignement et que tous les membres des forces de l’ordre rencontrés ont assuré que, dans un système idéal et « coopérant », ils aimeraient que la rétention soit la plus brève possible dans l’intérêt de tous.

Il reste, monsieur le ministre d’État, le grand débat de la durée maximale de la rétention administrative, que vous souhaitez sensiblement augmenter. Vous invoquez deux raisons : faire échec aux tentatives d’obstruction, comme les refus d’embarquement de plus en plus fréquents, et donner le temps aux autorités étrangères de délivrer les laissez-passer consulaires. Pour être tout à fait franche, je suis convaincue par la première raison : un dispositif strict dissuadera les entraves. Je serai beaucoup plus mesurée quant à la seconde : beaucoup nous ont dit que certains pays refusaient tout net de coopérer, quelle que soit la durée de rétention de leurs ressortissants – et je sais bien que la question a une dimension diplomatique qui dépasse ce texte, comme cela m’a été exposé par l’ambassadeur aux migrations. Nous devons tâcher d’aboutir à un compromis acceptable par tous au cours de l’examen du texte.

Le titre III comporte des mesures très diverses, apportant par exemple des ajustements utiles à des dispositifs permettant de mieux accueillir les « talents » et les « compétences ». Je m’en réjouis car la compétition internationale est forte et il s’agit là d’un enjeu d’attractivité de notre pays.

Ce titre comprend également des dispositions de simplification : fusion des documents de circulation pour les mineurs, suppression de la signature des visas… En cela, il est en phase avec notre époque ; il favorise les relations entre le public et l’administration.

Il permet également de lutter plus efficacement contre les risques de fraudes et de détournement d’un certain nombre de procédures – en matière de double demande d’asile et pour un autre motif de séjour, en matière de transfert temporaire intragroupe, en matière de reconnaissance de filiation. Il ne s’agit pas de jeter l’opprobre sur l’immense majorité des personnes qui utilisent ces dispositifs d’une manière conforme à la loi : le texte sécurise les procédures et dissuade les fraudeurs.

En ce qui concerne l’intégration, plusieurs amendements ont été déposés, en particulier par le groupe La République en marche, pour compléter les mesures initialement prévues, notamment à l’aune des propositions du rapport « pour une politique ambitieuse d’intégration des étrangers arrivant en France » que notre collègue Aurélien Taché a rédigé en février dernier. J’aurai l’occasion de l’exprimer lors de la discussion des amendements, mais je serai favorable à ceux qui me paraissent compléter utilement le texte.

Monsieur le ministre d’État, vous savez que des députés de plusieurs groupes ont déposé un grand nombre d’amendements sur les conditions dans lesquelles le demandeur d’asile peut être autorisé à travailler pendant le temps d’examen de son dossier. Pouvez-vous nous préciser l’état de vos réflexions à ce sujet ? Il va, en effet, être question d’intégration. Je vous proposerai d’ailleurs, chers collègues, de modifier le texte en ce sens.

Au-delà de ce texte essentiel, il conviendra que la France poursuive sa réflexion sur la définition de sa politique migratoire, l’intégration des étrangers, l’aide au développement et la nécessaire discussion européenne en matière d’asile et d’immigration. Je nous encourage tous à garder cela à l’esprit pendant la discussion.

Mme Marielle de Sarnez, présidente et rapporteure pour avis de la commission des Affaires étrangères. Il était bien naturel que la commission des Affaires étrangères se saisisse pour avis des questions d’asile et d’immigration. Ce sont des questions globales qui imposent, à mon sens, de couvrir un large spectre.

Monsieur le ministre d’État ayant longuement parlé de l’Europe, j’interviendrai brièvement sur ce point. En 2015, j’ai été extrêmement frappée de l’incapacité totale des chefs d’État et de Gouvernement à anticiper la crise migratoire et à la gérer. À l’époque, nous savions pourtant, depuis plusieurs années déjà, que des millions de Syriens avaient quitté leur pays et trouvé refuge au Liban, en Jordanie, en Turquie. La situation actuelle donne le sentiment que l’Union européenne est dans l’incapacité totale de gérer la question de l’asile.

La commission des Affaires étrangères formule un avis qui comporte plusieurs piliers.

La commission demande – premier pilier – qu’il y ait une harmonisation, une convergence européenne de l’asile. Aujourd’hui, il existe en Europe un « marché de l’asile ». Certains pays sont plus accueillants que d’autres ; ils traitent les demandes plus rapidement ; ils accordent des prestations élevées. Par ailleurs, le taux d’octroi du statut de réfugié varie d’un pays à l’autre. Si vous êtes Afghan et que vous venez en France, vous avez 83 % de chances d’obtenir l’asile contre 35 % si vous allez en Suède. Il faut en finir avec cette situation. Une harmonisation des critères et des pratiques est donc indispensable, de même qu’une reconnaissance mutuelle des décisions prises en Europe. L’Union européenne compte aujourd’hui 800 000 déboutés du droit d’asile, dont 500 000 en Allemagne qui réitèrent leur demande. Une reconnaissance mutuelle entre pays membres de l’Union européenne semble la voie à emprunter. J’ajoute que si nous ne parvenons pas à le faire à vingt-sept, il faudra le faire avec un effectif plus réduit dans le cadre d’une coopération renforcée. Nous trouverons bien des États qui seront d’accord pour harmoniser les règles, les prestations et les délais. Actuellement, les délais d’instruction des dossiers sont de plus d’une année en France, avec des pointes à deux ou trois ans pour certains, mais de sept mois – voire moins – dans d’autres pays, tout en préservant intégralement les droits du demandeur d’asile puisqu’aux Pays-Bas, par exemple, le demandeur est assisté d’un avocat dès la première minute.

Le corollaire de l’harmonisation et de la convergence en Europe, c’est bien évidemment aussi la maîtrise de nos frontières communes. Or, nous manquons d’une gestion opératoire efficiente et efficace de nos frontières. Je demande un contrôle des entrées et des sorties de l’espace Schengen et la mise à jour du fichier Eurodac, qui recueille les empreintes, mais qui ne suit absolument pas le parcours de la personne par la suite. Ce dispositif n’est donc pas d’une grande efficacité.

En matière d’asile, nous devons faire beaucoup mieux et beaucoup plus au plan européen. Nous devons surtout suivre les bonnes pratiques, ce qui n’est pas toujours le cas. Je ne parle même pas des différences en matière d’obligation de quitter le territoire : nous ne sommes pas dans la bonne moyenne européenne. C’est pourquoi nous avons encore du travail à accomplir.

J’en viens au deuxième pilier. Comme nous le savons tous, nous avons besoin de fonder un vrai partenariat avec les pays d’origine et de transit. Des tentatives ont eu lieu, notamment les accords de gestion concertée passés avec les pays d’origine. Mais, quand on dresse le bilan, on s’aperçoit que rien n’a fonctionné. Avec ces accords, la France s’obligeait à recevoir un certain nombre de migrants de ces pays d’origine en échange de laissez-passer consulaires. Au final, il n’y a pas eu davantage de voies légales et les laissez-passer consulaires n’ont pas été davantage respectés. Il convient donc de repenser le partenariat, ce qui passe par un dialogue continu de haut niveau. J’aimerais vous faire partager ma certitude que nous avons besoin d’afficher et d’assumer des voies légales, car c’est la meilleure façon de lutter contre l’immigration clandestine.

Je suis frappée de lire que l’immigration de travail, encore appelée immigration économique, représente 25 % du total en Europe contre 10 % en France, ce qui signifie que nous n’avons pas d’immigration de travail assumée, revendiquée. Notre rapport recommande l’ouverture du débat sur la question des déplacements économiques ainsi qu’une réflexion sur la fluidité dans la migration. Je suis convaincue qu’il faut repenser l’immigration, non comme un aller sans retour, mais comme un aller avec des retours. Les pouvoirs publics ont la responsabilité de favoriser ces allers-retours grâce à la validation des acquis de la formation professionnelle pour ceux qui sont venus en France et qui repartent chez eux, car ils peuvent revenir poursuivre une formation pour trouver du travail avant de repartir à nouveau chez eux. Il faut donc une fluidité dans l’immigration et un renforcement des voies légales.

Le troisième pilier concerne la question connexe de la politique de développement. S’agissant des relations entre l’Union européenne et l’Union africaine, nous devons analyser ce qui marche et ce qui n’a pas fonctionné. Nous accusons un déficit constant en matière de commerce extérieur. Au fond, nous prenons les richesses des Africains, ils ne les transforment pas chez eux et nous enlevons des possibilités de croissance à tout un continent malgré ses besoins. Nous devons donc repenser les relations commerciales entre l’Europe et l’Afrique en matière de développement. Un pays qui se développe connaît toujours, dans un premier temps, une poussée migratoire car davantage de personnes ont les moyens de partir. C’est lorsque le développement et la gouvernance sont stabilisés que les populations peuvent retourner dans leur pays.

La Banque mondiale explique que les transferts de fonds des migrants représentent aujourd’hui trois fois le montant de l’aide au développement. N’espérons pas régler les questions de développement et de migration avec les pays d’origine ou les pays de transit si nous ne nous penchons pas sur la question des transferts financiers.

Monsieur le ministre d’État, tout en étant favorable au dispositif de « passeport talent » du projet de loi, je pense important d’intégrer dans notre réflexion la question de la fuite des cerveaux : on ne peut priver ces pays de tous ceux qui ont un haut niveau d’études. Peut-être faut-il repenser le logiciel en lien avec la migration économique dont je parlais.

L’aide publique française au développement n’est pas lisible, pas hiérarchisée. À trop servir de missions et de pays, on ne se concentre pas sur ceux qui ont vraiment besoin d’une aide, comme les pays du Sahel et de la Méditerranée. Notre aide au développement doit prendre la forme de dons plutôt que de prêts aux pays émergents ; surtout, elle doit être davantage bilatérale. Aujourd’hui, la France verse de l’argent à des organisations multilatérales qui en font un usage libre. Nous devons retrouver un levier politique ; nous devons peser à nouveau dans la question du développement ; il faut que notre aide soit majoritairement bilatérale. S’agissant par exemple de la crise syrienne, je rappelle que la Grande-Bretagne a dû donner dix ou vingt fois plus que la France aux réfugiés dans les pays voisins de la Syrie.

En conclusion, je ferai trois recommandations.

Premièrement, un pacte pour l’immigration et un pacte pour l’asile sont en cours d’élaboration à l’Organisation des Nations unies. Évidemment, ils ne sont pas contraignants, mais il est très important que la France fasse entendre ses souhaits et ses exigences.

Deuxièmement, le prochain cadre financier pluriannuel de l’Union européenne devra consacrer un chapitre aux dépenses en matière d’asile, de migrations, de frontières et de développement. Pour l’heure, ce n’est pas le cas. Nous devons peut-être inverser nos priorités.

Enfin, un débat annuel me paraît nécessaire au Parlement afin qu’il se penche avec lucidité sur la réalité des faits et des chiffres, qu’il regarde si les engagements sont tenus, comment ils sont tenus et, le cas échéant, pourquoi ils ne sont pas tenus. Cela permettrait d’élever le débat sur cette question.

Mme Fiona Lazaar, rapporteure pour avis de la commission des Affaires sociales. La commission des Affaires sociales était appelée à se prononcer pour avis sur le titre III du projet de loi. Il s’intitule : « Améliorer les conditions dintégration et daccueil des étrangers en situation irrégulière ». Nous proposons de le renommer : « Accompagner efficacement lintégration et laccueil des étrangers en situation régulière ». Notre Commission a émis un avis favorable à l’adoption de chacun des articles composant ce titre et a adopté dix amendements.

Cette saisine pour avis nous est apparue une évidence car, à nos yeux, l’insertion sociale et professionnelle est la clé d’une intégration réussie. C’est cette conviction qui m’a conduite, lors de nos travaux, à auditionner notamment les acteurs de l’emploi et de la formation professionnelle.

Notre Commission porte également une attention particulière à la protection des personnes vulnérables qui doit être un point de vigilance tout au long de l’examen de ce texte. Les amendements que nous avons adoptés reflètent très nettement ces deux priorités.

L’accès au travail des demandeurs d’asile a fait l’objet de nombreux débats. Actuellement, un délai de neuf mois à partir de l’introduction de la demande d’asile est opposable au demandeur d’asile avant la sollicitation d’une autorisation de travail. La France a retenu le délai plafond prévu par les textes européens et fait donc partie, avec la Hongrie et la Slovénie, des pays de l’Union européenne qui exigent le délai le plus long avant d’autoriser un demandeur d’asile à travailler. Au contraire, d’autres pays européens ouvrent l’accès au marché du travail dès le dépôt de la demande ou à partir de trois mois – Allemagne, Suède, Portugal ou Italie. Nous avons donc adopté, à l’initiative des députés de la majorité, un amendement permettant aux demandeurs d’asile de travailler à partir de six mois à compter du dépôt de leur dossier, dans les mêmes conditions que les bénéficiaires de la protection internationale. Nous avons parallèlement adopté un amendement, également à l’initiative de la majorité, permettant une expérimentation pour l’accès au marché du travail des demandeurs d’asile dès l’introduction de leur demande. En effet, dans certains cas pour lesquels les taux de protection sont extrêmement importants – je pense notamment aux relocalisations depuis la Grèce ou l’Italie –, il n’est pas forcément nécessaire d’attendre ces six mois pour autoriser les personnes à travailler.

Nous avons également adopté un amendement pour que les mineurs non accompagnés puissent concilier dépôt d’une demande d’asile et poursuite d’un contrat d’apprentissage.

Enfin, même si la maîtrise du français n’est pas un prérequis absolu à l’insertion professionnelle, comme l’ont souligné à plusieurs reprises les auditionnés, c’est évidemment un axe essentiel de nos réflexions, alimentées par le rapport de notre collègue Aurélien Taché. Nous avons donc également adopté un amendement à ce sujet.

La protection des plus vulnérables a été l’autre axe majeur de nos travaux. Nous avons adopté, à mon initiative, plusieurs amendements visant à anticiper et homogénéiser les conditions d’obtention d’un titre de séjour lors du passage à la majorité des mineurs étrangers isolés, ainsi que des amendements permettant une prise en compte des troubles psychiques des demandeurs d’asile et un accompagnement des demandeurs d’asile en situation de handicap.

L’objectif de ce projet de loi est de conjuguer des impératifs d’efficacité et d’humanité. Je crois fermement que les apports de notre Commission vont dans le sens de cet équilibre.

Mme Annie Chapelier, rapporteure au nom de la délégation aux Droits des femmes et à légalité des chances entre les hommes et les femmes. La Délégation a souhaité se saisir de ce texte, considérant qu’il importait de veiller à la prise en compte des spécificités des femmes dans le processus migratoire et dans le régime de l’asile.

Plus généralement, vos rapporteures ont souhaité porter une attention particulière aux vulnérabilités que peuvent présenter les femmes mais aussi les hommes dans ces trajectoires heurtées et souvent violentes.

Les femmes migrantes sont confrontées à des difficultés spécifiques au cours de leur parcours migratoire, puis de leur procédure administrative de régularisation. Représentant aujourd’hui plus de 50 % de la population immigrée en France et environ un tiers des demandes d’asile, elles peuvent se trouver dans des situations de particulière vulnérabilité qui impliquent une prise en compte spécifique des enjeux liés au genre. Il ne s’agit pas seulement de répondre aux problématiques contemporaines, mais bien de disposer d’outils robustes et adaptés pour répondre à de nouveaux enjeux et phénomènes migratoires, pour anticiper l’immigration à venir.

Sur la base de ce constat, nous avons examiné les dispositifs du projet de loi qui prennent en compte ces particularités. Nous formulons dix recommandations visant à conforter et amplifier les avancées du projet de loi en la matière et nous proposons des amendements qui découlent de ces recommandations. Certaines sont axées sur une approche inclusive de la demande d’asile et de l’immigration, en mobilisant la société civile et en proposant des dispositifs d’accueil des demandeurs d’asile vulnérables par des particuliers, dispositifs préconisés dans le rapport de M. Aurélien Taché et déjà appliqués par de nombreuses associations.

M. Florent Boudié. Monsieur le ministre d’État, vous l’avez dit, nous entamons nos débats dans un moment de gravité, alors même que vous êtes totalement mobilisé dans la lutte contre le terrorisme islamiste, quelques jours après les attentats de Carcassonne et de Trèbes. Cette menace terroriste constante donne à nos débats un contexte singulier, un contexte qui n’est pas indifférent précisément parce qu’il faut éviter à tout prix d’agiter la confusion des sentiments entre le texte et le contexte, parce qu’il faut éviter de mêler les situations entre elles – d’un côté la lutte contre le terrorisme islamiste, de l’autre la gestion d’une crise migratoire mondiale. Selon les Nations unies, il y a eu, en 2017, 75 millions de déplacés à travers le monde, c’est un record absolu depuis la fin des années quarante.

Pour le groupe La République en Marche, si la majorité parlementaire devait avoir ne serait-ce qu’une leçon à tirer des événements récents, c’est précisément celle de refuser cette confusion des sentiments à l’heure où nous abordons le projet de loi sur l’immigration maîtrisée et le droit d’asile effectif. Il convient de garder la tête froide : je suis convaincu que c’est ce qu’attendent nos concitoyens.

Le projet de loi s’est inscrit, depuis plusieurs mois déjà, dans le débat public. C’est une bonne chose. Toutes les expressions sont utiles si elles portent sur les garanties que doit apporter l’État de droit, qui n’est pas une entrave mais le protecteur des libertés. Toutefois, les attaques ont parfois été brutales et souvent caricaturales. La meilleure façon d’y répondre, c’est d’entrer dans la réalité de votre projet de loi et non dans sa version fantasmée.

Sur quel constat pouvons-nous nous accorder, quelle que soit notre appartenance politique ? Face à la crise migratoire qui a connu une décrue fragile en 2016 et 2017, la chaîne française de l’asile est à bout de souffle. Les Français nous attendent sur ce sujet parce que c’est un peuple à la fois généreux et exigeant.

La première mesure d’humanité consiste à instruire les demandes d’asile en six mois et non en douze ou quatorze. Pour le demandeur d’asile dont la demande est fondée, l’accès à l’asile doit être le plus rapide possible pour mettre fin aux épreuves subies, auxquelles se sont ajoutées les conditions souvent inhumaines de son parcours, comme nous avons pu le constater intimement, viscéralement, monsieur le ministre d’État, lors de votre récent déplacement dans ce grand pays de transit qu’est le Niger.

Pour l’étranger qui ne peut ignorer l’absence de fondement de sa demande d’asile, la rapidité de la procédure est la clef de l’exécution effective de l’obligation de quitter le territoire français (OQTF), qui lui sera notifiée s’il ne détient aucun titre pour s’y maintenir. L’expérience montre qu’après quelques semaines, l’exécution de la mesure se heurte à des obstacles de tous genres qui expliquent en grande partie le très faible taux, en France, de reconduite. En parallèle, il convient de rester attentif à une donnée essentielle : si les grandes migrations Sud-Nord sont portées par la pauvreté, les conflits, les persécutions, les flux ne sont pas spontanés, ils sont organisés par des filières qui se passent le relais de frontière en frontière, quand elles ne sont pas organisées depuis le pays d’origine et les pays de destination. Il faut les combattre ; pour ce faire, la France consacre de grands moyens. Voilà le sens de la stratégie engagée par la France, elle est globale et je rejoins nombre des remarques qui ont été faites par la présidente de la commission des Affaires étrangères.

Pour enrichir ce texte, le groupe LaREM présentera plusieurs amendements, comme l’a indiqué la rapporteure, qu’il s’agisse de la durée de rétention pour cibler les effets les plus dilatoires, des garanties sur la vidéo-audience, le délai de recours à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) ou encore la notification des décisions. Nous avons souhaité apporter des garanties supplémentaires tout en respectant les orientations du projet de loi : d’un côté être à la hauteur de nos exigences conventionnelles et constitutionnelles sur ce droit sacré qu’est le droit d’asile, de l’autre reconduire ceux qui, en situation irrégulière, ne peuvent plus rester en France une fois épuisées toutes les voies de recours et de protection qu’offre l’État de droit. C’est cette voie équilibrée que nous défendons à vos côtés, monsieur le ministre d’État.

M. Éric Ciotti. Monsieur le ministre d’État, le texte que vous nous présentez ce soir porte des ambitions bien modestes, et nous allons vous le démontrer tout au long des débats. Il porte des ambitions bien modestes au regard de la crise migratoire inédite que traverse notre planète, notre continent et notre pays. D’ailleurs – et je pense que l’humour laissera place à la sagesse dans ce contexte –, le Conseil d’État a résumé assez simplement la faiblesse de ses ambitions puisqu’il indique dans son avis : « Nous aurions souhaité trouver dans le contenu du texte le reflet dune stratégie publique fondée sur lexacte mesure des défis à relever ». C’est dire, dans un langage codé et mesuré, combien votre texte ne répond en rien à la gravité de la crise que nous traversons, une crise migratoire fondée sur des questions géopolitiques et la multiplication des conflits démographiques. Le continent africain atteindra 2 milliards d’habitants en 2050 contre 1,2 milliard aujourd’hui ; le Nigeria aura une population supérieure aux États-Unis et une crise migratoire risque d’être suscitée par les évolutions climatiques. Le pire est devant nous. Cette crise, nous la ressentons déjà et fortement depuis plusieurs années, avec plus d’acuité depuis quelques mois au travers des chiffres qui marquent la politique migratoire en France. Avec 262 000 titres de séjour délivrés en 2017, nous avons atteint un record – certes, vous n’avez été au pouvoir que sur un peu plus de la moitié de l’année. Même si ce recensement est très aléatoire, on estime entre 300 000 et 400 000 le nombre de clandestins : 311 000 personnes sont inscrites à l’aide médicale de l’État (AME), ce qui est un indicateur objectif.

Le nombre de demandeurs d’asile a, aussi, franchi un record : 121 000 demandes ont été déposées l’an dernier, dont 100 000 premières demandes. L’échec de l’intégration est majeur. Une étude de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur les conditions de travail des étrangers et leur acquisition des savoirs à l’école, démontre cet échec flagrant qui nourrit le communautarisme qui se développe malheureusement avec beaucoup de force et qui est le terreau du terrorisme. Les coûts budgétaires de ces politiques sont de plus en plus élevés : 2 milliards d’euros pour l’asile selon la Cour des comptes ; plus d’un milliard pour l’AME.

Vous êtes aussi confronté de plus en plus souvent, monsieur le ministre d’État, à l’incapacité d’éloigner ceux qui n’ont aucun titre ni aucun droit pour demeurer sur le territoire national puisque, selon la Cour des comptes, 96 % des déboutés du droit d’asile se maintiennent dans notre pays, et que, sur 92 000 obligations de quitter le territoire français prononcées, à peine 17 000 sont menées à leur terme.

Dans un tel contexte, nous considérons que ce projet n’est pas à la hauteur des enjeux auxquels il prétend faire face. Certes, vous affichez des mesures de plus grande fermeté que nous approuvons : augmentation des durées de rétention et de retenue, limitation du caractère suspensif de l’appel devant la CNDA qu’avait imprudemment instauré le précédent Gouvernement – Gouvernement que beaucoup des membres de cette Commission soutenaient alors.

Pour notre part, nous le disons très clairement, nous voulons changer de cadre sur la base d’un principe simple : le respect du droit d’asile, qui a toujours été, quels que soient les régimes, et bien avant la République, un principe fondamental et l’honneur de la France. Mais nous voulons aussi réaffirmer qu’il est de notre responsabilité, je dirai même de notre devoir, de pouvoir choisir qui notre pays souhaite, peut et veut accueillir.

Au cours du débat qui s’ouvre, nous serons amenés à faire des propositions qui dépasseront très largement le cadre restreint et limité de ce projet de loi. Nous voulons, en effet, aller au-delà de la question essentielle, fondamentale, capitale, de l’asile et de la crise de l’asile. Ainsi, au travers de nos amendements, nous soulèverons celle du nombre d’étrangers en situation régulière dans notre pays qui est, selon nous, beaucoup trop élevé. Nous voulons instaurer des quotas d’accueil fixés chaque année par la Représentation nationale. Nous voulons limiter les modalités du regroupement familial, annuler la « circulaire Valls » et lutter de façon beaucoup plus déterminée contre l’immigration irrégulière, en refaisant de la rétention la procédure normale d’éloignement des étrangers en situation irrégulière.

Nous voulons aussi, et je souscris pleinement à ce que vient d’indiquer Mme la présidente de la commission des Affaires étrangères, changer radicalement de cap en matière d’aide au développement. Cette aide doit être liée : aujourd’hui, le comportement de certains pays à l’égard de la France est inadmissible en matière de laisser-passer consulaires.

Enfin, monsieur le ministre d’État, et c’est une question que nous poserons avec beaucoup de gravité et beaucoup de force dans ce débat, nous voulons aller plus loin en matière d’éloignement de toutes les personnes de nationalité étrangère qui représentent une menace grave pour l’ordre public dans notre pays ; je pense en particulier à la menace terroriste. En fin de semaine dernière, dans un entretien à Ouest-France, vous avez revendiqué, en affichant une certaine satisfaction, l’expulsion de personnes radicalisées depuis un an. À l’automne dernier, au cours du débat sur le projet de loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, Mme Jacqueline Gourault a indiqué que 15 % des personnes inscrites au fichier des signalements pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) étaient de nationalité étrangère, soit aujourd’hui – j’attends que vous nous confirmiez ces chiffres – 3 000 personnes. Et vous revendiquez fièrement l’expulsion de 20 d’entre elles ? Pour notre part, nous déposerons des amendements pour faire en sorte que ceux dont nous connaissons la dangerosité, dans ce contexte de menace terroriste maximale, soient éloignés du territoire national.

Monsieur le ministre d’État, le groupe Les Républicains ne pourra pas voter ce texte, sauf si vous réservez un accueil favorable aux très nombreux amendements que nous allons défendre, avec sérieux et rigueur, pour en améliorer le contenu.

M. Jean-Christophe Lagarde. Je veux exprimer le regret de retrouver, dans un même texte, des dispositions concernant le droit d’asile, sur lequel je vais revenir longuement, et d’autres sur la maîtrise de l’immigration. Certes, ne pas maîtriser le droit d’asile, c’est ne plus maîtriser l’immigration. Mais, à l’évidence, ce n’est pas par le seul biais du droit d’asile que l’on doit aborder la question migratoire. À l’instar de Mme de Sarnez, nous souhaiterions que l’on organise chaque année un débat sur la politique migratoire de notre pays, sur sa politique de coopération et de co-développement. Cela permettrait aux Français de se forger une idée globale de la maîtrise des flux migratoires, qui seront sans doute un des enjeux les plus importants auxquels notre pays, notre continent et l’ensemble du monde auront à faire face au cours des décennies à venir.

Pour autant, le Groupe UDI, Agir et Indépendants partage le constat qui a amené le Gouvernement à présenter ce projet de loi sur le droit d’asile et les dynamiques migratoires – venues pervertir ce droit d’asile depuis quelques années – qui nous obligent à prendre des mesures spécifiques, tout en veillant au respect de nos valeurs et de notre tradition historique d’accueil des demandeurs d’asile.

Nous voulons à notre tour réaffirmer que tout individu qui, à travers le monde, est menacé dans son intégrité pour ses opinions, pour son appartenance à un groupe ethnique ou simplement du fait des violences dont il pourrait faire l’objet – par exemple les femmes victimes de violences de nature sexuelle – a le droit d’être protégé et accueilli par la France. Ce principe proclamé, on doit admettre que toute personne qui ne se trouve pas dans cette situation ne peut pas être acceptée au titre du droit d’asile. Le droit de dire « oui » pour protéger les personnes qui sont en danger a un corollaire : le devoir et la capacité de dire « non » lorsque ce n’est pas le cas. Il ne faut pas laisser se pervertir le droit d’asile. Ce qui peut être présenté à nos concitoyens comme un devoir ne doit pas être un outil dont les uns ou les autres abuseraient pour entrer dans notre pays.

Avant de se prononcer sur ce texte, monsieur le ministre d’État, dont vous êtes prêt, avez-vous dit, à amodier un certain nombre de dispositions, notre groupe soulèvera plusieurs points et défendra des amendements en commission comme en séance publique.

Nous proposerons, entre autres, de réduire le délai au terme duquel un demandeur d’asile, en attente d’une réponse, peut être autorisé à travailler. La rapporteure pour avis de la commission des Affaires sociales a parlé de six mois. En ce qui nous concerne, nous partons du principe qu’à partir du moment où quelqu’un est sur notre territoire et qu’il fait une demande d’asile, il doit être autorisé temporairement à travailler : si sa demande d’asile est acceptée in fine, on aura anticipé sa capacité d’intégration ; si elle ne l’est pas, rien n’empêchera de mettre fin à sa présence sur notre territoire.

Nous souhaitons également faciliter l’acquisition de la nationalité française pour les étrangers qui résident dans notre pays depuis plus de dix ans. Aujourd’hui, celui qui réside dans notre pays depuis plus de dix ans, qui est intégré et dont on n’a pas à remettre en cause la présence sur le territoire national – puisque le titre de dix ans est renouvelable sans conditions – doit attendre beaucoup trop longtemps lorsqu’il demande la nationalité française.

Nous solliciterons par ailleurs la création d’un visa particulier pour ceux qui ont des attaches suffisantes avec notre pays, qui justifient pour des raisons familiales, parfois pour des raisons professionnelles, des séjours courts mais réguliers. Ils n’auraient plus, à chaque fois, à demander l’autorisation de rentrer sur notre territoire pour voir leurs petits-enfants ou leur famille alors même que la garantie de retour existe. Quand bien même on considérerait que cette garantie de retour pourrait poser problème, on sait qu’il suffit de rentrer une fois avec un visa unique pour pouvoir se maintenir sur notre territoire et que ce n’est pas la délivrance de visas à entrées multiples qui favoriserait une immigration non souhaitée et non choisie par la France.

Nous vous proposerons de tenir compte, avant de statuer sur une demande d’asile, des éventuelles condamnations ou des informations des services de renseignement de pays tiers de confiance, pour placer sous surveillance électronique certains étrangers assignés à résidence dans l’attente de leur éloignement afin qu’ils ne disparaissent pas. Nous vous suggérerons aussi de renforcer les sanctions en cas de non-respect des obligations telles que la présentation périodique aux services de police ou la remise du passeport. C’est ce qui est prévu dans votre texte. Encore faut-il que le non-respect de ces obligations ait des conséquences.

Vous l’aurez compris, il s’agit pour nous de rechercher un équilibre entre notre devoir d’accueillir ceux qui ont besoin et droit à notre protection, et notre responsabilité de reconduire effectivement les étrangers qui n’auraient pas obtenu ce droit. Cet exercice sera évidemment difficile, entre ceux qui veulent courir derrière les mesures les plus extrêmes – sans parler des projets de l’extrême droite qui dénient nos valeurs – et ceux qui invoquent tous les prétextes pour que jamais rien n’empêche la régularisation de ceux qui ont violé nos lois, tant et si bien qu’à leurs yeux, aucune règle ne saurait exister ou être appliquée.

Oui, l’exercice est difficile, mais il est nécessaire pour respecter nos valeurs de protection des opprimés, nos intérêts et notre droit qui commandent de n’accueillir, en dehors du droit d’asile, que ceux dont la France a besoin et qu’elle est capable de recevoir dignement.

Mme Élodie Jacquier-Laforge. Les deux dernières lois sur le droit d’asile et l’immigration sont relativement récentes puisqu’elles ont été adoptées en 2015 et 2016 avec le double objectif d’apporter des réponses concrètes au défi posé à notre pays : accueillir dignement les réfugiés et favoriser leur intégration tout en combattant l’immigration illégale.

De fait, la pression migratoire en Europe et en France est d’une ampleur sans précédent depuis 2015, cela a été rappelé à plusieurs reprises, et de nombreuses mesures ont été prises dans l’urgence, afin justement de pallier les urgences. Mais des ajustements restent à faire, c’est pourquoi ce projet de loi est nécessaire. Si les entrées illégales ont diminué au cours de l’année 2016, plusieurs zones sont sous tension : les Alpes-Maritimes, le Calaisis, Paris et sa région. Nos délais d’examen des demandes d’asile sont encore trop longs. La mise en œuvre des retours contraints des étrangers ne justifiant d’aucun droit au séjour en France demeure insuffisante.

Nous partageons les trois objectifs de ce texte : accélérer le traitement des demandes d’asile en réduisant le délai à six mois et améliorer les conditions d’accueil ; renforcer les moyens d’action pour lutter contre l’immigration irrégulière ; améliorer les conditions d’intégration et d’accueil des étrangers en situation régulière.

Nous avons tous constaté, dans nos circonscriptions comme lors des auditions, que ce texte soulève de nombreuses inquiétudes de la part des associations et des acteurs de terrain. En effet, depuis 1980, seize lois majeures ont modifié les conditions d’entrée, de séjour et d’asile sur notre territoire – environ un texte tous les deux ans… Nous avons beaucoup légiféré, j’oserai dire trop, et le bilan de ce qui fonctionne et des manquements aurait dû être fait plus souvent. Je pense que c’est l’une des raisons des incompréhensions et parfois du rejet que peut susciter ce projet de loi.

Notre politique migratoire évolue au gré de la géopolitique mondiale, comme l’a notamment rappelé la présidente de la commission des Affaires étrangères, mais aussi, c’est indéniable, au gré des changements politiques au niveau national. Les règles et les procédures applicables sont complexes et manquent de lisibilité. Il est primordial de les simplifier. Dans un souci de clarification, de pédagogie et d’efficacité, un bilan plus approfondi des politiques migratoires passées devrait être fait, ce que nous proposerons dans un amendement.

Mes collègues du groupe du Mouvement démocrate et apparentés et moi soutenons ce texte et son esprit. Nous souhaitons y apporter plusieurs modifications qui nous semblent susceptibles d’améliorer son équilibre. Notre objectif étant commun, nous parviendrons à nous mettre d’accord. J’ai bien noté, monsieur le ministre d’État, votre ouverture vers d’éventuelles amodiations, notamment sur la question de la rétention.

J’en viens à la partie relative à l’intégration. J’ai cru comprendre que M. Éric Ciotti considérait cette politique d’intégration insuffisante. Je pense effectivement que l’on peut mieux faire dans ce domaine, c’est pourquoi nous défendrons un amendement pour renommer le titre III en insistant sur les dispositifs destinés aux étrangers en situation régulière.

J’aimerais également vous entendre, monsieur le ministre d’État, sur les mineurs isolés étrangers : 15 000 enfants migrants sont arrivés en France en 2017 ; ils étaient seulement 8 000 en 2016. Sur le terrain, ils sont confrontés à un sentiment de défiance, notamment les adolescents suspectés d’être majeurs. Il existe de fortes disparités de prise en charge d’un département à l’autre. Au hasard du lieu où ils arrivent, ils se retrouvent protégés ou dans la rue ! Une coordination nationale est nécessaire, d’autant que les départements manquent de moyens et d’accompagnement.

Souvent livrés à eux-mêmes, ces enfants sont nombreux à tomber aux mains de réseaux criminels. C’est une réalité dont il faut parler : Amnesty International estime que 10 000 mineurs non accompagnés ont disparu en Europe. En janvier 2016, Europol a alerté sur cette situation. Nous avons déposé des amendements qui visent à protéger les mineurs de façon générale.

Sur le volet intégration, nous soutiendrons les propositions d’Aurélien Taché, notamment pour l’accès à l’emploi et à la formation, et nous déposerons des amendements en ce sens.

Nous souhaitons également revenir sur le délit de « solidarité », le délai de recours devant la CNDA, la notification par tous moyens des convocations, les critères de classement en procédure accélérée ou encore le choix de la langue. Et je souhaite, monsieur le ministre d’État, que l’esprit d’ouverture que vous avez manifesté englobe ces différents thèmes.

Cela peut sembler beaucoup, mais ce sont pour nous des ajustements de bon sens. Je ne doute pas que nos travaux aboutiront à un texte qui permettra à la France de gérer sa politique relative à l’asile, à l’immigration et à l’intégration de façon à la fois efficace et humaine.

Mme Marietta Karamanli. De l’avis de tous ceux – élus, associations, avocats, organisations non gouvernementales – qui suivent ces sujets sensibles et qui ont l’expérience du travail de terrain, comme de l’avis du groupe Nouvelle Gauche, nous sommes en train de durcir une réglementation qui n’a pas l’efficacité que l’on pourrait attendre. Pour autant, de nouvelles dispositions ne suffiront pas à résoudre les difficultés majeures auxquelles nous sommes confrontés.

Comme le remarque le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, s’il est louable de vouloir réduire la durée globale de la procédure d’asile, on ne doit pas le faire au prix d’une atteinte à l’effectivité de cette procédure. Or, à l’évidence, les principales dispositions de votre projet de loi entraînent : la multiplication des obstacles au dépôt des demandes de protection internationale, donc aux droits d’accès effectif à l’asile et au procès équitable ; l’accélération des traitements au détriment des garanties procédurales ; la remise en cause du recours suspensif et du droit à un recours effectif ; l’usage de principe de la rétention ou de la retenue au détriment de l’examen de situations personnelles ou de la protection des personnes les plus vulnérables ; la généralisation de la vidéo-audience sans l’accord des personnes et la dématérialisation des procédures.

Certes, on peut s’attendre à ce que, mécaniquement, davantage de décisions défavorables soient prises dans un même laps de temps. Mais cela ne résoudra pas les problèmes connus. Ce projet de loi inquiète non seulement les députés de l’opposition, mais aussi les institutions de la République qui s’interrogent sur sa pertinence : la Commission nationale consultative des droits de l’homme, le Défenseur des droits ou encore le Conseil d’État, qui a posé la question de l’opportunité d’une nouvelle réforme alors même que l’application de la précédente n’a pas encore pu être évaluée.

Avant d’examiner au fond les principales dispositions, je voudrais m’arrêter quelques instants sur la réalité vécue et rapportée par les acteurs de terrain. Notre pays a accueilli, en 2016, 217 000 migrants, 273 000 étudiants étrangers, et 80 000 autres étrangers au titre des regroupements familiaux, ces deux catégories représentant 72 % de la délivrance des visas à durée limitée. En 2016, notre pays a accordé sa protection à 29 000 réfugiés tandis que l’Allemagne en a fait bénéficier plus de 400 000 migrants. Ces quelques chiffres visent à la fois à relativiser la question de l’immigration et à mettre en évidence ces sujets et défis.

Nous restons songeurs car nous voyons que les problèmes d’opérationnalité ne sont aucunement évoqués ni pris en compte. Cette nouvelle législation intervient alors qu’en 2018, le nombre de demandeurs d’asile devrait augmenter de 30 %. On nous dira certainement qu’on fera plus de rétention administrative. Mais cette logique comptable est déjà à l’œuvre dans les processus d’examen des dossiers, où la qualité de l’instruction de demandes et des décisions rendues semble passer derrière les impératifs de rapidité et de nombre de décisions à rendre.

Faire passer la durée de rétention administrative de quarante-cinq à quatre-vingt-dix jours, avec prolongation possible si l’étranger fait obstacle à son éloignement, est inquiétant et sera sans doute peu efficace. Au-delà de quinze jours, comme l’écrit la CIMADE, le taux d’éloignement est inférieur à 2 %, et près de 55 % des personnes quittent le centre de rétention sans être reconduites. De fait, l’échec de la reconduite provient, dans bon nombre de cas, du refus des autorités consulaires des États de retour de délivrer un laisser-passer. Doubler la durée de rétention aura pour seul effet, dans la majorité des cas, de fragiliser la situation des personnes déjà en situation de précarité.

Tous les constats opérés sur place convergent : les mauvaises conditions d’hébergement et d’hygiène, les difficultés d’accès à l’information et aux soins, le désœuvrement – malgré les progrès enregistrés ces dernières années – sont le lot d’un grand nombre de personnes placées en rétention. Avec plus de personnes en rétention, et plus longtemps, les difficultés ne feront que s’aggraver.

Alors même que le pouvoir exécutif entend diminuer la détention et trouver des peines alternatives au plan pénal, rien n’est dit ici de la possibilité de développer des alternatives à la rétention des majeurs – le bracelet électronique, l’obligation de se signaler régulièrement auprès des autorités, la liberté sous caution, etc.

Ensuite, la réduction de 120 à 90 jours du délai pour déposer une demande d’asile s’opère dans un contexte de difficultés que relèvent nombre d’observateurs. Le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a évoqué les obstacles linguistiques et matériels, les difficultés pour bénéficier d’un accompagnement juridique et social et pour accéder aux plateformes d’accueil des demandeurs.

La notification de l’OFPRA pourra être envoyée par tout moyen, notamment électronique, et plus seulement par courrier. Cette disposition, qui permettra de prendre plus rapidement une mesure d’éloignement, risque d’empêcher toute demande de titre dès lors que la personne sera déboutée.

L’augmentation de la durée de la retenue administrative, pour vérifier le droit de séjour, privera la personne concernée de liberté pendant 24 heures.

Le projet de loi est par ailleurs muet sur la situation des mineurs. Pourtant on comptait, en 2017, 305 enfants placés en rétention avec leur famille, contre 41 en 2013.

Le Comité pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leurs familles et le Comité des droits de l’enfant des Nations unies ont affirmé le droit de tout enfant de ne pas être placé en détention pour des motifs d’immigration, et recommandé que tout type de détention d’enfants liée à l’immigration soit interdit par la loi.

La France a été plusieurs fois condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme à ce sujet entre 2012 et 2016. J’ai essayé de montrer en quoi ce projet ignorait une partie de la réalité, en quoi il aggravait la situation de personnes souvent vulnérables sans renforcer a priori l’efficacité des décisions et en quoi il était possiblement contraire à des principes et à des pratiques dans lesquelles une partie de l’Europe se reconnaît, une Europe qui s’inquiète des régressions que le projet européen comporte.

J’en viens à mes questions. Que vous inspire l’avis rendu le 15 février par le Conseil d’État, qui a souligné l’insuffisance de l’étude d’impact, alors qu’en vertu de l’article 8 de la loi organique du 15 avril 2009, le Gouvernement a obligation de fournir des études d’impact complètes ?

Quels seront les moyens consacrés à l’amélioration des conditions de rétention, eu égard à l’augmentation du temps de cette rétention donc, mécaniquement, du nombre de personnes retenues ?

Pourquoi ne pas avoir envisagé une réforme de l’OFPRA visant à déconcentrer, avec des moyens adéquats, une partie de son activité dans les régions où les demandes d’asile sont particulièrement nombreuses ?

Mme Danièle Obono. Je n’irai pas par quatre chemins : nous jugeons ce projet de loi inutile, contreproductif et dangereux. Inutiles, l’allongement de la durée de rétention et la suspicion généralisée portée sur les parents étrangers ; mal pensée et donc inutile, l’orientation directive sans garantie d’hébergement. Contreproductives, la réduction des délais de recours devant la CNDA et la généralisation des vidéo-audiences. Dangereuse et contreproductive, la réduction du délai de dépôt de la demande d’asile.

Désastreuse est en fait cette politique qui, au gré des articles, fait le tri entre bons et mauvais migrants, entre exilés à accueillir et exilés à chasser rapidement… La liste est longue ; elle ne sera pas épuisée ce soir. Elle est d’une grande violence pour les personnes concernées, les migrants et les migrantes, mais aussi pour ceux qui les soutiennent, les citoyens solidaires. C’est pourquoi nous souhaitons que nombreux soient ceux qui se saisiront de ce débat, dont nous espérons qu’il sera mené avec sérieux et sans caricature.

Il faut tout de même vous reconnaître l’habileté d’avoir, avec ce projet de loi, vidé totalement l’asile de son sens, et ce sans modifier d’un iota les textes qui proclament solennellement notre devoir de protection des persécutés. Pour traiter d’un sujet majeur, les migrations humaines dans une époque mondialisée, votre projet de loi use d’un outil mesquin : le rabot procédural. Vous déconstruisez les garanties procédurales et matérielles qui accompagnent ce qu’est une vraie demande d’asile et, tel un alchimiste, vous transformez des droits humains garantis en molle déclaration d’intention.

Il faut du temps au demandeur d’asile pour confier à des inconnus, dans un pays où tout lui est étranger, les souffrances endurées. Faut-il en plus imaginer qu’il doive le faire face à une caméra, devant laquelle il lui faudra exhiber les traces corporelles des tortures subies ? Pour votre Gouvernement, le droit d’asile semble n’être qu’un concept désincarné qui met en concurrence ceux qui demandent cette protection dont l’État français ne cesse pourtant de proclamer fièrement qu’il est le garant.

L’inutilité de votre loi, sa contre-productivité, la violence qu’elle suscite ne sont que le reflet de la posture dogmatique qui sous-tend l’ensemble des projets de loi proposés depuis le début de cette législature : pour lutter contre la pauvreté et la précarité, vous luttez contre les pauvres et les précaires. Mes propos peuvent être jugés polémiques, ils le sont. Et je les prononce avec gravité car le sujet est grave, et les conséquences des mesures que vous nous proposez plus graves encore.

Sous couvert d’ajustements techniques, ce projet vise à renforcer le contrôle, le rejet aux frontières. Il propose de l’assistance une conception a minima sans égard pour les victimes : Karim Ibrahim, 31 ans, réfugié traumatisé par ce qu’il avait laissé derrière lui, mort sur une bouche d’aération à la Porte de la Chapelle à Paris, le 8 février ; Malik Nurulain, dit Nour, mineur isolé, laissé sans le suivi psychologique dont il avait urgemment besoin, mort à Paris le 14 février ; Beauty enfin, dont on ne connaît pas le nom de famille, enceinte et malade, qui souhaitait rejoindre sa sœur pour finir sa grossesse mais que les gendarmes ont refoulée en pleine nuit à la frontière italienne alors qu’elle peinait à respirer.

Le groupe La France insoumise persistera à défendre tout au long de ces débats l’idée qu’une politique migratoire raisonnée, raisonnable et réaliste, juste et humaniste, est possible. Cette politique offre à ceux qui en ont besoin un accueil inconditionnel qui, au lieu d’étouffer les élans de solidarité multiples qui font l’honneur de notre République, les soutienne. Cette politique ne traite pas les mineurs comme des délinquants en puissance et n’organise pas une justice parallèle pour les personnes jugées indésirables. Cette politique ne s’enferme pas dans le cycle infernal des réformes permanentes du droit des étrangers pour aboutir au bout du compte à une organisation illisible qui crée davantage de problèmes qu’elle n’en règle. Cette politique, enfin, traite les êtres humains avec dignité.

En temps de crise, le sage construit des ponts, là où l’imprudent érige des murs. Nous continuerons à construire ces ponts ; mais vous, persisterez-vous à ériger des murs ? À cette question, nous espérons que la majorité répondra par la négative et rejettera ce projet de loi.

M. Stéphane Peu. Ce projet de loi ne nous paraît en aucun cas fidèle aux propos du candidat Emmanuel Macron ou à certaines déclarations humanistes du Président de la République, notamment devant le Conseil européen, lorsqu’il affirmait vouloir que la France assume mieux ses responsabilités par rapport aux réfugiés.

Il nous paraît aussi inutile. Le Conseil d’État a souligné, dans son avis, l’incontinence législative dont nous sommes atteints en matière de droits des étrangers : les lois s’accumulent et se succèdent sans que les services aient eu le temps de les mettre en œuvre et que l’on puisse juger de leur efficacité. Tout se passe comme s’il s’agissait de saturer l’espace du débat public en s’adressant à l’opinion majoritaire. Or, dans tous les pays européens, lorsqu’on a servi à l’opinion publique ce qui pouvait la satisfaire, elle a voté pour les solutions jugées les plus efficaces mais aussi les plus simplistes, c’est ce qui explique en grande partie la montée de l’extrême-droite.

Nous mettons en garde ce Gouvernement comme il aurait fallu mettre en garde les précédents, contre cette volonté de légiférer à tout prix dans le seul but de s’adresser à l’opinion publique, mais en faisant preuve d’une absence totale d’humanisme et en n’apportant aucune réponse efficace aux drames dont notre pays est le théâtre.

Nous ne comprenons pas qu’une loi puisse mêler dans un même intitulé les questions de l’asile et de l’immigration. L’asile est un droit fondamental régi par des conventions internationales. Cela n’a rien à voir avec la législation dont se dote un pays pour gérer ses flux migratoires. Assimiler les deux ne procède pas seulement d’une confusion technique et formelle, mais d’une confusion idéologique dangereuse, que l’on veut entretenir chez nos concitoyens et qui risque, à terme, de les inciter à rompre avec cette tradition d’accueil qui a marqué notre histoire.

Outre qu’il n’est pas efficace – rien n’y est proposé pour renforcer les moyens d’accueil des migrants alors qu’on sait les préfectures au mieux sous tension, au pire dans l’incapacité de faire face –, ce texte est également déséquilibré puisqu’il divise par deux le temps accordé aux demandeurs d’asile pour formuler leur demande ou déposer un recours. Mais il double, en revanche, le temps de leur rétention.

Nous considérons donc avec beaucoup de réserve – c’est le moins que l’on puisse dire – ce projet de loi. Nous ne sommes d’ailleurs pas les seuls, puisqu’il fait également l’unanimité contre lui parmi les associations qui œuvrent dans le secteur, jusqu’aux agents de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) et de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), qui ont manifesté leur réprobation à maintes reprises.

Nous regrettons enfin que ce projet fasse l’impasse, d’une part, sur le premier accueil – rien n’est fait pour permettre aux dispositions législatives déjà adoptées de s’appliquer correctement – et l’accès à la procédure ; d’autre part, sur les milliers d’immigrés qui sont en situation irrégulière et qui ne seront pas reconduits à la frontière. Tant qu’ils seront en situation irrégulière, ils alimenteront le travail au noir et les marchands de sommeil – bref, toute une économie parallèle. Il serait donc bon d’avoir le courage de sortir de cette hypocrisie et de prendre, parallèlement aux dispositions visant à réguler les flux migratoires, des mesures de régularisation. Cela s’est déjà fait par le passé sans que jamais cela ait créé un appel d’air : ni lors de la vague de régularisation de 1999, ni en 2004 quand on a procédé à des régularisations au titre de la vie privée et familiale. Allons-nous enfin permettre à ces dizaines de milliers de femmes et d’enfants qui participent à l’enrichissement de notre pays, qui sont les invisibles de la République, d’accéder aux droits et devoirs qui vont avec ?

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de l’Intérieur. Si nous présentons ce projet de loi, c’est que nous regardons ce qu’est aujourd’hui le problème de l’immigration dans notre pays et que nous estimons, lorsque nous voyons l’ensemble de celles et ceux qui veulent franchir nos frontières illégalement, que nous sommes face à une véritable difficulté.

On nous reproche de mélanger asile et immigration. Si ces deux mots figurent dans le titre du projet de loi, c’est que nous estimons que, demain, l’immigration irrégulière pourrait mettre en péril le droit d’asile en Europe. On voit quel chemin sont en train d’emprunter certains États tentés par les solutions radicales. Croyez-moi, ce n’est pas une bonne chose. Ces pays regardent avec circonspection notre projet de loi qu’ils considèrent encore trop laxiste. Nous essayons de trouver le point d’équilibre qui doit empêcher notre contamination par les thèses extrémistes. C’est vrai, on peut toujours ajouter des mesures supplémentaires, mais nous voulons, comme nous le montrerons au cours des débats, conserver une approche balancée de ces questions.

Je tiens à remercier la rapporteure pour ses propos en phase avec la réalité. Il fallait, comme vous l’avez fait, se rendre en divers lieux, dans le sud, à Calais, pour constater ce qu’est non seulement la situation des migrants, mais aussi celle de la population et des forces de police et de gendarmerie. C’est sur le terrain que l’on constate que nos forces de l’ordre sont républicaines : ce sont elles qui empêchent que les choses dégénèrent parfois, comme cela a été le cas à Calais, lorsque deux groupes de migrants se sont violemment affrontés et que des coups de feu ont été échangés entre passeurs.

On voudrait faire croire que ces flux de migrants sont spontanés. Mais il n’y a pas de mouvement spontané ; tout ceci est très organisé. Je peux vous fournir les tarifs et ce qu’il en coûte pour passer en Libye, en Algérie ou en Espagne depuis la Corne de l’Afrique, suivant que vous êtes en première classe ou en seconde, et je peux vous citer le nom de grands trafiquants internationaux qui font fortune dans le trafic d’êtres humains et qui placent ensuite leur argent dans les paradis fiscaux. Oui, la réalité de l’immigration irrégulière est sordide. Les jeunes qui y voient le moyen d’atteindre leurs rêves se retrouvent souvent dans les pires situations.

Avec certains d’entre vous, je me suis rendu le mois dernier à Niamey pour y rencontrer un certain nombre de représentants africains et – pour la première fois – signer un accord aux termes duquel les uns et les autres s’engagent à lutter contre l’immigration irrégulière, à la fois en poursuivant les passeurs et en délivrant des laisser-passer consulaires. Nous verrons à l’usage comment ces engagements sont tenus ; il était déjà important qu’ils soient pris.

Nous sommes également allés à Agadez, d’où sont longtemps parties les caravanes qui conduisaient les migrants d’Afrique occidentale vers la Libye. Nous y avons visité un camp où les migrants nous ont raconté les horreurs subies avant de faire demi-tour depuis les rives de la Méditerranée pour rentrer chez eux, ayant renoncé à poursuivre un rêve devenu cauchemar. C’est aussi cela la réalité de l’immigration irrégulière, ici comme ailleurs.

Nous souhaitons pouvoir accueillir certains de ces migrants dans des conditions régulières pour leur offrir un avenir en Europe. C’est l’objet de plusieurs dispositions de ce projet de loi. Mais nous lutterons toujours contre l’immigration irrégulière et contre tous ceux qui participent à son développement, car il est faux de prétendre que 1,2 ou 1,3 milliard d’Africains pourront arriver en Europe d’ici 2050 : ce ne sera évidemment pas le cas si l’on veut éviter les affrontements, les guerres civiles et la dislocation du continent africain.

Les pays africains ont compris la nécessité de travailler ensemble pour bloquer les routes de l’immigration irrégulière qui sont aussi celles du trafic d’armes et de stupéfiants, celles par lesquelles arrivent l’insécurité et les guerres. Mettre un terme à ces flux illicites et rétablir la sécurité est le seul moyen pour eux d’atteindre demain une forme de prospérité.

À Agadez, nous avons entendu la population évoquer avec nostalgie la période d’avant, celle du Paris-Dakar, où les touristes européens venaient passer leurs vacances dans le désert, où les hôtels étaient pleins. Aux touristes de cette époque ont succédé les migrants : 330 000 en 2016, qui sont passés par Agadez pour se rendre en Libye, 70 000 aujourd’hui parce que les autorités ont pris un certain nombre de mesures.

Dans ces conditions, quoi que pense le Conseil d’État, je puis vous garantir que ces mesures sont efficaces, pour l’Afrique comme pour nous. L’avenir ne peut s’envisager que dans une collaboration entre nos deux continents. Marielle de Sarnez a raison de dire que, dans un monde globalisé, nos destins sont désormais totalement liés.

Il n’y aura pas de paix en Europe s’il n’y a pas de paix autour du bassin méditerranéen, si les pays africains n’ont pas la capacité de se développer. C’est la raison pour laquelle la France pousse aujourd’hui l’Europe à faire en sorte que le Fonds fiduciaire d’urgence et les différents crédits alloués soient à la mesure des attentes des pays africains : c’est le seul moyen d’éviter que les crises s’étendent aux pays européens.

Nous devons travailler ensemble, nouer des partenariats. C’est le sens des dispositions comme le « passeport talent » et de toutes celles qui permettent à des chercheurs de venir étudier et travailler dans notre pays, et à certains d’y créer leur entreprise. C’est aussi pour favoriser ce co-développement que nous voulons que les groupes multinationaux puissent recruter des chercheurs étrangers pouvant se déplacer dans les différents pays de l’Union européenne.

Il n’y aura de futur pour notre planète que si nous savons affronter ensemble les grands défis auxquels nous sommes confrontés, au premier rang desquels celui du changement climatique. Nous ne le gagnerons évidemment pas grâce à cette seule loi sur l’asile et l’immigration, mais elle y contribuera. En effet, les flux de migrants qui traversent l’Afrique sont largement provoqués par les changements climatiques. Or ces mouvements qui font se rencontrer des populations d’agriculteurs et des groupes nomades provoquent des affrontements, des crises et de l’insécurité, récupérés à leur profit par des terroristes qui s’appuient sur ces conflits locaux pour exporter leur idéologie mortifère.

Notre projet de loi doit se lire dans le cadre de cette action internationale conjointe. Lorsque le Président de la République essaie de faire en sorte qu’un État se reconstitue en Libye, c’est parce que, tant que cela ne sera pas le cas, les milices continueront d’appliquer leur loi ignoble, avec les conséquences épouvantables que l’on sait. Lorsqu’il se rend dans les pays du Golfe pour éviter que ne surviennent de nouveaux conflits, c’est parce que de ces conflits surgiraient de nouveaux flux de migrants vers l’Europe.

Madame la rapporteure pour avis au nom de la commission des Affaires sociales, les demandeurs d’asile devraient désormais être aptes à travailler au bout de six mois en moyenne, ce qui résoudra une partie des problèmes. Cela implique néanmoins d’augmenter le volume de cours de langue, car les réfugiés en provenance de l’Afrique subsaharienne sont assez loin du français. Nous devons nous donner les moyens de les intégrer dans notre société. Il est facile de les accueillir dans les marges, mais je suis de ceux qui pensent que ces personnes doivent réussir leur vie en France, si l’on ne veut pas les voir entraînées dans les dérives dont sont hélas le théâtre certains de nos quartiers.

Si je prends les positions que je prends, monsieur Peu, c’est que, comme vous, je connais bien les difficultés que traversent certaines de nos villes, déjà au bord de l’implosion. Si, demain, des dizaines, voire des centaines de milliers de migrants sont accueillis chez nous, ce n’est pas dans les beaux arrondissements qu’ils iront, mais dans ces quartiers en grande difficulté. C’est pour ne pas les voir s’enfoncer dans la misère que nous avons créé les quartiers de « reconquête républicaine ».

En ce qui concerne les conclusions du rapport rendu par le député Aurélien Taché, il faut bien sûr faire en sorte d’augmenter le volume des cours de langues et faciliter l’accès à la formation professionnelle. Certains d’entre vous ont peut-être pu observer le déploiement sur le terrain du dispositif HOPE – Hébergement, orientation et parcours vers l’emploi. C’est un exemple de ce qu’il est possible de faire, lorsqu’on s’en donne les moyens, pour permettre aux réfugiés de se construire un nouveau destin dans notre pays.

J’en viens à l’intervention de M. Boudié. Il est clair que des amodiations du texte sont possibles mais, avec 900 amendements, ce n’est pas un texte que l’on écrirait, ce serait une vingtaine ! Il faudra donc choisir. Pour notre part, nous devons trouver un équilibre par rapport à une ligne dont je ne dévierai pas, car j’aurais, au plus profond de moi-même, le sentiment de rompre avec ce que j’ai constaté en vingt ans de pratique politique, dans tous les quartiers, dans une agglomération comme celle que j’ai dirigée. Vous savez, cela aide, quelquefois, de connaître les choses en profondeur, de ne pas s’en tenir à la surface. Vous avez une connaissance intime ; vous connaissez les personnes et les familles ; vous savez ce que donne dans un quartier l’arrivée de nouveaux habitants ; vous savez comment des équilibres sur le point de se faire peuvent être détruits. C’est parce que j’ai cette conscience que j’ai accepté le ministère de l’Intérieur ; c’est aussi parce que je pense notre pays effectivement en grande difficulté et que, demain, nous pourrions connaître des problèmes gravissimes... Je le vois, excusez-moi, tous les jours ! Alors, oui, nous allons essayer de trouver ce point d’équilibre.

Je sais bien que M. Éric Ciotti trouve toujours que, partout, c’est un peu mou. Faites attention, monsieur le député, ou vous finirez par vous retrouver avec certains qui peuvent être plus durs que vous ! Ne vous soupçonnant pas de partager cette idéologie, je pense qu’un peu d’équilibre ne vous nuirait pas. Si vous pouviez faire montre, dans vos interventions, de ce sens de la nuance qui vous caractérise, j’en serais extrêmement heureux. Cela nous permettrait un dialogue d’une grande qualité.

Mme Émilie Bonnivard. Aucune réponse sur le fond !

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de l’Intérieur. M. Lagarde a dit vouloir juger sur l’équilibre. Jugez donc sur l’équilibre, mesdames et messieurs les députés. Nous voulons une loi équilibrée. Nous voyons tous les aspects des problèmes. Nous voyons l’aspect humain, nous voyons quelles sont les difficultés des migrants, nous voyons quelles conséquences peuvent s’ensuivre pour le fonctionnement d’une société, et nous cherchons le juste équilibre. Je ne prétends à rien. Je dis que ce projet de loi, fruit d’un long travail, nous semble présenter les conditions d’un tel équilibre et que vous pourrez donc l’adopter.

Mme Élodie Jacquier-Laforge a raison de relever que nous avons déjà beaucoup légiféré, mais avons-nous vraiment légiféré comme il fallait ? Je n’en suis pas sûr. Lorsque je considère l’évolution du nombre d’obligations de quitter le territoire français (OQTF) et des éloignements par rapport à celle du nombre de demandes d’asile, je me dis que nous n’avons peut-être pas adopté, dans le passé, la bonne méthode. Beaucoup de personnes, dites-vous madame la députée, critiquent cette loi. En effet, beaucoup pensent que, dans notre pays, l’accueil doit être inconditionnel. Pour ma part, je pense que c’est une erreur. Je leur laisse leurs convictions, mais ce serait une erreur profonde d’instaurer un tel accueil inconditionnel : demain, notre pays connaîtrait de grandes difficultés.

J’essaie de discuter avec tous. Dans les services qui s’occupent de ces problèmes d’asile et d’immigration, il y a des gens absolument formidables. Ceux qui sont au service des étrangers, dans les préfectures, sont des gens formidables. Ceux qui travaillent à l’OFII sont des gens exceptionnels ; on a beaucoup médit sur eux mais on les connaît mal. Allez discuter avec eux, et vous verrez quelle conscience ils ont de la personne humaine, vous saurez combien ils font leur travail avec cœur et passion, en essayant d’apporter une réponse à la souffrance humaine, mais, chaque fois, en faisant preuve de responsabilité.

Quant aux associations, vous n’entendrez peut-être pas tout à fait le même discours dans les départements qu’au niveau national : elles travaillent souvent en lien étroit avec les préfectures et l’ensemble des services. Si elles pensent leur action nécessaire, elles estiment que l’action de l’État est aussi absolument essentielle.

Si ce texte ne traite pas des mineurs non accompagnés, c’est parce que le Premier ministre est en discussion avec les présidents de département qui, précisément, n’ont pas souhaité que ce soit le cas. Je vous accorde que le problème est fondamental. Si le nombre de mineurs non accompagnés passe en quelques années de 4 000 à 18 000, je ne crois pas que ce soit un mouvement spontané. Et si nous ne traitons pas le problème dans ce texte, nos services y travaillent en profondeur : ils cherchent à remonter les réseaux de passeurs et à arrêter leurs opérateurs. Je vous rappelle, par ailleurs, que nous ne connaissons pas le nombre exact de mineurs non accompagnés. Aujourd’hui, une personne considérée majeure dans un département peut se rendre dans un autre pour s’y faire reconnaître mineure. Il nous faudrait donc une vue globale du problème ; c’est ce que nous proposerons aux présidents des départements. Ce que nous pressentons, c’est qu’au-delà des mineurs reconnus, ce ne sont pas 18 000 personnes mais bien plus qui se disent mineurs non accompagnés dans notre pays. Cette question, essentielle au cours des prochaines années, met en péril les finances de nombreux départements. Je pense que les discussions entre le Premier ministre et l’Assemblée des départements de France (ADF) aboutiront à l’expression d’une volonté commune et à un schéma d’ensemble qui permette de prendre en compte ce problème.

Pardonnez-moi, madame Karamanli, de ne pas partager votre diagnostic. Finalement, vous vous opposez frontalement, sur tous les points, au projet du Gouvernement. Je ne pense cependant pas que mes prédécesseurs, s’ils étaient présents parmi nous, seraient entièrement de votre avis. Ils ont été confrontés aux mêmes problèmes que moi ; ils ont connu les mêmes difficultés. Je ne prétends pas que les problèmes d’immigration irrégulière se résolvent de manière facile. Il faut effectivement faire preuve de beaucoup de responsabilité. Croyez-moi, c’est dans un souci de responsabilité que je propose un certain nombre des mesures que vous avez dénoncées. Oui, le projet de loi est conforme au droit européen. Beaucoup ont cité le Conseil d’État mais ce dernier a estimé que les dispositions du projet de loi étaient conformes – vous avez oublié de le mentionner – à la Constitution et aux droits fondamentaux protégés par l’Europe.

Oui, nous avons suivi la ligne du droit. C’est d’ailleurs parfois ce que l’on nous reproche. Oui, nous faisons une place au juge administratif et au juge des libertés et de la détention au sein des procédures, pour offrir des garanties, parce que nous voulons demeurer un État de droit même en faisant preuve de fermeté. Chacun est jugé individuellement. Quand l’OFPRA se prononce, ce n’est pas sur une somme de dossiers, c’est sur le cas d’une personne en se fondant sur l’ensemble des données qui la concernent. C’est une garantie fondamentale qu’offre notre pays.

Que vous dire, madame Obono ?

M. Jean-Michel Jacques. Il n’y a pas grand-chose à dire !

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de l’Intérieur. Vous dites aimer les polémiques. Mais faites attention, parce qu’à force d’aimer les polémiques, on finit par dire n’importe quoi. Je ne le rappellerai pas ce soir mais l’un de vos amis a ainsi dit il y a trois ou quatre jours un grand n’importe quoi. On peut avoir les sentiments que l’on veut, on peut avoir la pensée que l’on veut. Mais franchement, se réjouir de la mort d’un membre des forces de l’ordre, qui fait le sacrifice de sa vie pour sauver une personne, c’est quand même, permettez-moi de le dire, totalement inconséquent ! Alors pas trop de polémiques !

Mme Danièle Obono. Ce propos est indécent !

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de l’Intérieur. Essayons, si vous le voulez, d’être dans la mesure, c’est comme cela qu’ensemble nous progresserons.

Voilà, mesdames et messieurs, ce que je voulais vous dire ce soir, et nous essaierons de poursuivre ensemble, si possible, madame Obono, dans la bonne humeur. J’y veillerai personnellement.

Mme Danièle Obono. Très drôle ! (Mme Danièle Obono et M. Ugo Bernalicis quittent la salle.)

M. Thibault Bazin. Monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, j’appelle votre attention sur la situation des mineurs non accompagnés dont – j’en suis étonné – aucun article de ce projet de loi « pour une immigration maîtrisée » ne traite, alors qu’il pose des difficultés à tous nos départements. On ne peut pas parler que des mineurs reconnus réfugiés. Le nombre des mineurs non accompagnés augmente de manière exponentielle. À quand une réaction ? Les chiffres de mon département de Meurthe-et-Moselle sont éloquents : de 94 demandes en 2014, nous sommes passés à 577 en 2017, dont 423 mineurs isolés. Ce phénomène entraîne des problèmes en cascade : structures d’accueil en nombre insuffisant, coûts importants, problèmes d’attribution.

Il est de notre devoir d’accueillir dignement les vrais mineurs non accompagnés, ceux qui ont été poussés à l’exil du fait d’une situation intenable. Il ne nous est, en revanche, pas possible d’offrir le même accueil à ceux qui détournent le droit, faux mineurs ou faussement isolés. Nous savons tous que des filières et des réseaux existent et prolifèrent ; il faut les démanteler. Les dispositifs actuels d’évaluation de la minorité et de l’isolement de ces personnes doivent nous interpeller. Est-il normal que cette évaluation ne soit pas la même selon les départements ? Tout à l’heure encore, vous avez reconnu, monsieur le ministre d’État, que des personnes déboutées dans un département se rendaient dans d’autres pour voir reconnue leur minorité et que la décision pouvait effectivement être différente. C’est révoltant ! Ces phénomènes ne peuvent perdurer !

Mes chers collègues, nous devons renforcer nos dispositifs afin d’aider nos services à détecter les faux mineurs et les faux isolés. Je vous proposerai quelques amendements dans ce but. D’une part, il s’agira de compléter l’article 47 du code civil afin qu’un acte d’état civil établi à l’étranger ne puisse se substituer aux documents d’identité délivrés par les États étrangers. D’autre part, il s’agira de créer un fichier national biométrique afin d’éviter à plusieurs départements de supporter ces évaluations longues, coûteuses et difficiles et d’alourdir inutilement la tâche de nos tribunaux qui n’en ont pas besoin.

Alors, monsieur le ministre d’État, en marche pour ces propositions ? (Sourires.)

Mme Laetitia Avia. Monsieur le ministre d’État, ce texte repose – je tiens à le saluer même si cela a déjà pu être dit – sur un équilibre. Il donne tout son sens au droit d’asile en ce qu’il l’encadre, le renforce et le sacralise, en ce qu’il rappelle qu’il est avant tout une protection qu’accorde l’État à des personnes faibles, des personnes qui doivent être mises en sécurité. C’est un refuge offert à des personnes qui fuient leur pays parce que c’est un théâtre de guerre ou parce que leur situation personnelle, leur opinion, leur ethnie, leur religion ou leur orientation sexuelle les met en danger. C’est l’essence du droit d’asile et il est bon de rappeler qu’il n’est pas un titre de séjour, un titre de circulation, un instrument juridique ou un outil dilatoire dans une procédure d’immigration.

Je ne reviendrai pas sur l’ensemble des éléments de ce texte ni sur tout ce que le groupe La République en Marche souhaite y apporter. En revanche, je veux rappeler, comme l’a fait la présidente Marielle de Sarnez, la nécessité d’une convergence européenne. Il serait erroné de penser qu’une politique d’asile cantonnée au seul territoire national soit possible.

Cela étant, je rejoins certains de nos collègues : il faut ouvrir le débat de l’immigration économique. Si l’asile est accordé à tous ceux qui doivent en bénéficier, qu’advient-il de tous les autres qui viennent de notre territoire ? Ils ne peuvent accéder à une vie digne, à des conditions de vie dignes que notre pays doit pouvoir leur offrir – c’est le « mirage européen » dont on a parlé. Vous avez évoqué, monsieur le ministre d’État, le « passeport talent », les étudiants et les chercheurs. Mais il nous faut des moyens juridiques, financiers, politiques, diplomatiques qui soient dignes de notre tradition historique d’accueil pour lutter contre ce déclassement par lequel sont doublement sanctionnés ceux qui quittent leur foyer sans être en mesure d’en construire un autre ici. Ma question est donc simple : quels moyens mobiliserez-vous pour atteindre cet objectif que nous partageons tous ?

M. Arnaud Viala. Nous examinons ce texte dans un contexte de forte pression migratoire. La charge affective de ces images de migrants en perdition en Méditerranée est forte tandis que le démantèlement de la jungle de Calais a eu, sur tous les territoires de France, des conséquences compliquées à gérer. Nous n’en sommes, par ailleurs, pas à la première loi sur l’immigration, sujet que vous avez choisi de traiter en même temps que l’asile. Les Français attendent de ce nouveau texte qu’il apporte des solutions.

Personnellement, je pense le texte insuffisant en l’état du point de vue de la maîtrise des flux. Mais je vous interrogerai plutôt, monsieur le ministre d’État, sur la gestion des étrangers en situation irrégulière déjà présents sur le sol français. Pouvez-vous en évaluer précisément le nombre ? Quelles dispositions de ce texte permettront de traiter ces cas extrêmement nombreux et extrêmement divers, ces situations individuelles complexes qui mettent en difficulté l’ensemble des services auxquels vous venez de rendre hommage ?

M. Pacôme Rupin. Monsieur le ministre d’État, le projet de loi que vous nous présentez ce soir n’est pas, à mon sens, idéologique ; c’est un projet pragmatique, qui part d’une réalité concrète et, à mon avis, indiscutable. Il vise à apporter des solutions aux problèmes que rencontrent tous les jours les services de l’État.

Ce projet de loi n’est pas idéologique car il n’appelle pas à changer la politique de la France, qui est depuis des siècles une terre d’asile. Nous aurions cependant pu être davantage encore une terre d’asile quand des milliers de personnes fuyant des conflits, ces dernières années, se sont retrouvées face à un système d’accueil mis à rude épreuve, complexe et aux délais longs. C’est bien l’efficacité de notre arsenal juridique et administratif qui est en cause, alors que nos concitoyens sont sensibles à la maîtrise des flux migratoires, à la lutte contre l’immigration irrégulière et que, tous, nous appelons à un accueil des demandeurs d’asile digne de la France. Ce projet de loi affirme cette volonté d’efficacité en réduisant le temps de la procédure de demande d’asile.

Grâce à la rapporteure, nous avons mené des auditions afin de juger, article par article, de l’efficience de chaque disposition et de son impact sur les droits des personnes. Nous avons un objectif : l’efficacité. Nous avons un principe : préserver les droits fondamentaux. Je prendrais un exemple qui me tient à cœur : le délai pour former un recours devant la CNDA. Le réduire d’un mois à quinze jours, c’est réduire le temps de procédure globale de la demande d’asile. C’est pour cela que je soutiens cette proposition, mais quinze jours sont-ils suffisants pour que toute personne, quelles que soient sa situation et sa langue, puisse former un recours et ne soit pas piégée par ce délai ? Un amendement sera donc proposé, visant à simplifier au maximum les modalités selon lesquelles former un recours, avec la possibilité, bien sûr, de compléter le dossier pendant l’instruction.

Quel est votre avis, monsieur le ministre d’État ? M’assurez-vous que le droit au recours sera bien effectif pour toute personne ?

M. Éric Diard. La France accueille… mais sous certaines conditions. La France accueille, mais ceux qui en ont le besoin impérieux ou ceux qui le méritent. La France accueille, mais ceux qui veulent aussi accueillir la France et ses valeurs dans leur vie. Il est nécessaire de rappeler ces principes aux uns, qui voudraient précisément ériger des murs à la place des ponts, mais aussi aux autres qui voudraient rayer nos frontières et notre identité d’un trait de plume. Votre projet de loi essaie, monsieur le ministre d’État, de suivre cette ligne : rappeler que la France accueille, mais aussi que nous avons des règles auxquelles il n’est pas possible de déroger.

En examinant les détails du dispositif, on remarque cependant différentes incohérences qui peuvent nuire à l’équilibre général de votre texte. Je me limiterai à deux exemples.

Premièrement, l’article 1er ouvre le regroupement familial et la carte de séjour pluriannuelle aux concubins. C’est un point faible de votre projet. Aujourd’hui, le concubinage est un mode de vie à part entière pour de nombreuses personnes, mais sa caractéristique principale est de ne faire justement l’objet d’aucun acte juridique. Comment prouver, monsieur le ministre, que deux personnes venant de l’étranger, de surcroît apatrides ou demandeuses d’asile, sont concubines ? Vous ouvrez la possibilité à des fraudes qui permettraient à des concubins d’opportunité de bénéficier du regroupement familial. Cela fragilise votre projet.

Deuxièmement, l’article 17 prévoit une assignation à résidence d’une personne faisant l’objet d’une interdiction du territoire ou d’une OQTF d’une durée maximale de cinq ans. Certes, cet article assure la conformité de notre droit à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et il concerne spécifiquement les étrangers dont le pays de provenance refuse le retour. Il est cependant difficilement concevable qu’une personne interdite de territoire reste en France cinq ans après avoir fait l’objet d’une telle interdiction. Et que se passe-t-il au terme de ces cinq ans ? L’assignation à résidence prend fin et l’on se retrouve avec une personne interdite de territoire sous contrôle de l’administration qui, subitement, pourrait y circuler librement.

Ces incohérences, ces contradictions affaiblissent à mon avis le projet de loi que vous venez de présenter. Nous avons besoin d’un texte juste et ferme ; les amendements que je proposerai viseront à gommer ses contradictions.

Mme Sandrine Mörch. J’évoquerai la situation des mineurs isolés. Le dossier d’Amnesty International, que nous venons de recevoir, pointe une faillite majeure, pas seulement de la France mais aussi de l’Europe : « Maltraités, suspectés, ignorés… Le sort des mineurs isolés étrangers est une honte pour lEurope. » Moi aussi, j’ai honte, car nous nous défaussons collectivement, comme nous nous sommes défaussés lors de la crise migratoire de 2015. Un rapport d’Europol évoquait en 2016 près de 10 000 mineurs disparus car non pris en charge, à la merci des réseaux et vulnérables aux trafics en tous genres. La situation des mineurs à Calais était tout bonnement inacceptable.

En France, le nombre de mineurs isolés a doublé en 2017. Cette augmentation s’est malheureusement accompagnée d’une méfiance généralisée à l’égard de ces adolescents, souvent suspectés d’être majeurs, et d’une saturation des hébergements à Paris. Il semble que les trois quarts des jeunes qui se présentent pour demander une protection sont directement éconduits, sans évaluation de leur minorité. Ils doivent renouveler leur demande devant le juge alors que 50 % d’entre eux – nous n’avons donc pas les mêmes chiffres – seront ensuite reconnus mineurs. Quels dégâts entre-temps ! En raison de la violence de leur parcours migratoire et de leur extrême précarité en France, leur état de santé est alarmant, ce qui n’est bon pour personne – ni pour le pays d’arrivée ni pour le pays de départ. Ma question porte sur la réalité de ce phénomène de rejet systématique au guichet du dispositif d’évaluation. Avez-vous des chiffres précis ? Pouvez-vous nous préciser les moyens engagés pour lutter contre ce phénomène et protéger rapidement les mineurs isolés, ce qui est une obligation ?

M. Pierre-Henri Dumont. J’ai entendu M. le ministre d’État, que je remercie de son exposé, expliquer que ce texte était nécessaire pour que les choses changent pour les populations, par exemple à Calais, dont plusieurs collègues ont parlé et dont je suis le député. Ce qu’on voit plutôt, contrairement à ce qui nous a été dit lors de vos multiples visites sur le terrain, monsieur le ministre d’État, ou lors de la venue du Président de la République qu’accompagnaient plusieurs ministres il y a quelques semaines, c’est que ce texte ne changera rien à la situation locale.

On avait promis des évolutions extrêmement importantes de nature à résoudre la crise migratoire que nous connaissons à Calais car, contrairement à ce que beaucoup peuvent encore penser ici, 500 à 700 migrants y restent présents. Cette zone grise où des personnes migrantes peuvent demander l’asile, mais ne le font pas, demeurera après l’adoption de ce texte, quels que soient les amendements déposés par les membres de la majorité.

La lecture de ce texte suscite donc vraiment un sentiment de déception aggravé par les vingt-cinq ans d’inaction gouvernementale passée, avec cet apogée : le précédent gouvernement a laissé se créer le plus grand bidonville d’Europe où des migrants étaient entassés dans des conditions indignes de la cinquième puissance mondiale. Quant au démantèlement présenté comme un grand succès, il a surtout apporté la preuve d’une faiblesse manifeste qui aura duré plus d’un an.

J’appelle aussi votre attention sur les conséquences du Brexit. Le Royaume-Uni sortira des accords de Dublin, ce qui suscitera un afflux migratoire à ses portes, donc dans le Calaisis. Dans moins d’un an, le Royaume-Uni aura officiellement quitté l’Union européenne. Il est absolument nécessaire d’anticiper afin d’éviter que ne se reconstitue la réalité dramatique de ces dernières années. J’aurais aimé qu’on le fasse, dans ce projet de loi ou au moins au cours des discussions préalables.

M. Fabien Di Filippo. Monsieur le ministre d’État, ce n’est pas nous qui sommes durs, c’est la réalité des faits, et nous ne trouvons pas forcément de quoi la combattre dans ce texte. Je prendrai trois exemples.

Tout d’abord, vous voulez élargir aux frères et aux sœurs un regroupement familial qui représente déjà 40 % des titres de séjour. Qui va payer l’accueil de ces populations ? Si nous considérons par ailleurs la hausse de l’aide médicale d’État, l’augmentation de la durée des titres de séjour pluriannuels portée à quatre ans, et le nombre des bénéficiaires de la protection subsidiaire, cela crée un réel appel d’air, en totale contradiction avec les objectifs énoncés de raison.

J’évoquerai ensuite l’éloignement des déboutés du droit d’asile, notamment ces personnes originaires d’États considérés sûrs, tels les pays des Balkans ou l’Albanie, qui arrivent aujourd’hui en masse en France pour des raisons économiques. Selon les estimations, de 1 % à 7 % de ces déboutés du droit d’asile retournent dans leur pays ou sont éloignés du territoire. Comment comptez-vous augmenter drastiquement ce taux ? Les déboutés du droit d’asile n’ont pas vocation à rester sur le territoire français !

Enfin, des États bloquent le retour de leurs ressortissants, notamment quand ils sont déboutés du droit d’asile. Que comptez-vous faire ? Nous ne pouvons continuer de leur verser des aides au développement s’ils n’acceptent pas ce retour. Si vous voulez, monsieur le ministre d’État, plus d’humanité dans l’accueil des titulaires du droit d’asile qui viennent de zones de guerre, comme la Syrie, l’Éthiopie, la Somalie et un certain nombre de pays, si vous voulez plus d’efficacité dans l’intégration de ces personnes, il n’y a pas d’alternative : il faut réduire drastiquement le nombre d’arrivées en France.

Nous proposerons un certain nombre d’amendements en ce sens, mais je vous soumets d’ores et déjà ces trois problèmes, très importants.

Mme Isabelle Florennes. Au terme de nos échanges avec les différents acteurs publics et associatifs impliqués dans l’accueil et l’accompagnement des réfugiés et des migrants, nous nous sommes aperçu que la pénurie d’agents préfectoraux chargés de recevoir et d’examiner les dossiers déposés était pour partie à l’origine de l’important retard qui affecte leur traitement global. Lorsqu’on connaît le délai dans lequel les demandes d’asile sont instruites dans certains pays européens – notamment aux Pays-Bas où, comme l’indique Mme Marielle de Sarnez dans son projet d’avis, les décisions sont prises dans un délai moyen de vingt-cinq jours –, on ne peut que s’interroger sur notre système.

À cet égard, vous avez précisé, monsieur le ministre d’État – et je vous en remercie – que, parmi les 150 équivalents temps plein destinés à renforcer les services concernés, 35 agents seraient affectés à l’OFII, 15 à l’OFPRA et 50 à la CNDA. Toutefois, vous aviez annoncé, lors de l’examen des missions « Immigration, asile et intégration » et « Administration générale et territoriale de l’État » du projet de loi de finances pour 2018, que ces 150 postes devaient être dédiés à l’éloignement et à l’amélioration de l’accueil des étrangers en préfecture. Il me paraît donc difficile d’y inclure les postes alloués à l’OFPRA et à la CNDA. Aussi souhaiterais-je que vous nous apportiez quelque précision à ce propos.

Mme Elsa Faucillon. Monsieur le ministre d’État, lorsqu’on défend un texte que l’on veut efficace, il importe d’être précis. L’immigration serait « massive », le solde migratoire en « constante augmentation », dit-on. Il conviendrait, pour le démontrer, de donner des chiffres. Or, nous le savons, 87 % de l’immigration africaine se fait à l’intérieur du continent africain. Rappeler les chiffres est nécessaire si nous voulons parler de la réalité de l’immigration en France, en Europe et dans le monde.

Il importe également de savoir si, même dans le cadre de la sélection opérée entre les « bons » migrants – les demandeurs d’asile – et les « mauvais » – ceux qui, certainement en provenance d’Afrique, sont motivés par des raisons économiques –, nous sommes à la hauteur de notre tradition d’accueil. Or, bien que les engagements européens en matière de relocalisation pris par la France en 2015 soient très faibles au regard de ceux d’autres pays, ils n’ont été tenus qu’à hauteur d’à peine 20 %… Si, comme on aime à le rappeler, Michel Rocard a déclaré : « La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde », n’oublions pas qu’il a ajouté : « mais elle doit savoir en prendre fidèlement sa part ». Force est de constater que tel n’est pas le cas. Je souhaiterais donc savoir, monsieur le ministre, ce que vous comptez faire pour accélérer le processus de relocalisation.

Enfin, vous avez évoqué la montée des populismes en Europe. Là encore, soyons précis : c’est de l’extrême-droite xénophobe qu’il s’agit. Soit on la combat, soit on croit la combattre en l’accompagnant un peu par le discours et les actes mais, souvent, l’original est préféré à la copie.

M. Guillaume Vuilletet. Manifestement, notre collègue entendait illustrer la notion d’approximation…

Monsieur le ministre d’État, lorsqu’on entend les caricatures qui tiennent lieu de « plan B » et de critiques, on se dit que vous êtes parvenu à une forme d’équilibre avant même que la discussion ne permette d’améliorer le texte. En effet, d’un côté, on s’inscrit dans la logique des quotas ; de l’autre, on défend une inconditionnalité qui, pour parler clair, est une forme de sanctuarisation du profit des passeurs qui pillent littéralement les migrants.

Ce faisant, on oublie de dire que ce texte équilibré, qui tient compte des réalités actuelles, comporte des avancées significatives pour ceux qui vivent de manière régulière sur le territoire français. J’en citerai un exemple : grâce à votre projet de loi, les étudiants qui ont suivi une formation en France pourront avoir leur première expérience professionnelle ou réaliser leur projet d’entreprise dans notre pays. Cette disposition, que j’avais proposée il y a une dizaine d’années dans un rapport du Conseil économique, social et environnemental, est juste, non seulement parce qu’elle permettra à ces étudiants de s’intégrer et de forger les outils de leur avenir, mais aussi parce qu’elle les dispensera de partir au Québec, par exemple, et de se mettre ainsi au service d’une autre économie que la nôtre après avoir été formés grâce à l’argent du contribuable français. Pouvez-vous nous dire comment nous pouvons faire en sorte que cette mesure ait également des retombées positives dans les pays d’origine ?

Mme Stella Dupont. Monsieur le ministre d’État, à l’instar de beaucoup de mes collègues, je me suis rendue dans plusieurs centres de rétention administrative où j’ai été choquée par le caractère déplorable de l’accueil réservé aux retenus – et je ne parle pas de la situation des enfants, déjà évoquée par nombre de mes collègues. Je souhaiterais savoir quel regard vous portez sur la situation de ces centres, qui ne vous échappe pas, et quels moyens vous envisagez de consacrer à l’amélioration de la rétention. Par ailleurs, ne pensez-vous pas qu’un état des lieux exhaustif de l’ensemble de nos centres de rétention éclairerait utilement notre réflexion dans le cadre de la préparation du projet de loi de finances pour 2019 ?

Mme Marietta Karamanli. Monsieur le ministre d’État, je ne reviendrai pas sur la question de la rétention ; nous attendons votre réponse.

L’article 5 du projet de loi a pour objet de réduire les délais d’instruction de la demande d’asile par l’OFPRA et la CNDA. Une telle mesure rendra particulièrement difficile la préparation des dossiers par les demandeurs d’asile. À cet égard, le Défenseur des droits et le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe ont tous deux souligné la nécessité d’assurer l’effectivité des recours. Pensez-vous que cette nouvelle procédure garantira cette effectivité ?

Par ailleurs, l’article 8 vise à mettre fin au caractère suspensif des recours devant la CNDA, portant ainsi une atteinte manifeste au droit à un recours effectif consacré par l’article 13 de la Convention européenne des droits de l’Homme. En effet, dans son arrêt du 2 février 2012, I.M. c. France, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) a jugé que l’effectivité d’un recours au sens de l’article 13 requérait que les intéressés disposent d’un recours suspensif de plein droit. Le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a ainsi indiqué, dans une lettre adressée à l’Assemblée nationale, que cette procédure pouvait être de nature à emporter un risque de nouvelles violations. Quelle est votre analyse de ce point précis ?

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de l’Intérieur. M. Bazin m’a interrogé sur la situation des mineurs non accompagnés (MNA). Leur situation est actuellement traitée dans le cadre de l’aide sociale à l’enfance (ASE) : ils sont considérés comme mineurs et non comme migrants. Une discussion est en cours, je l’ai dit, entre les présidents de département et le Premier ministre. Celui-ci est donc « en marche » pour vous apporter satisfaction. En tout cas, il vous expliquera ce qu’il compte faire. Sachez que la question, en particulier son aspect financier – car ces mineurs représentent une charge extrêmement lourde pour les départements, même si elle varie de l’un à l’autre – sera tranchée prochainement.

Mme Avia a raison, nous prenons des mesures de nature à assurer une réelle protection de ceux qui peuvent bénéficier du droit d’asile. Qu’il s’agisse du montant de l’allocation pour demandeur d’asile (ADA), de la durée de son versement ou des durées de rétention, ces mesures se rapprochent des autres pays européens de manière à éviter qu’un choix puisse être fait en fonction des différences de législations. Nous faisons en sorte que celles-ci soient convergentes. Il n’y a que sur les points chers à M. Florent Boudié que nous divergerons un peu avec nos voisins européens, mais c’est une faiblesse qu’il nous pardonnera, je l’espère.

En ce qui concerne l’immigration professionnelle, nous ne voulons pas – ce serait tout de même paradoxal – que les demandeurs d’asile aient davantage de droits que les étrangers en situation régulière.

Puisque M. Viala a évoqué la « jungle » de Calais, j’en profite pour indiquer au député de Calais que, depuis que je suis ministre, je commence à connaître un peu cette ville où je me rends régulièrement. Si la « jungle » ne s’y reconstitue pas, c’est parce que le Gouvernement fait beaucoup d’efforts pour l’éviter.

Qu’est-ce qui va changer, me demande-t-on ? Actuellement, une personne en situation irrégulière peut théoriquement être condamnée à un an de prison et à une amende, mais ces mesures sont rarement appliquées. Nous allons les faire appliquer. La loi prévoit également une interdiction de territoire de trois ans. Ainsi les juges s’intéresseront-ils davantage aux problématiques que vous signalez. La garde des Sceaux a déjà donné consigne de traiter effectivement ces problèmes qui, jusqu’à présent, ne l’étaient pas.

Par ailleurs, si des étrangers sont actuellement en situation irrégulière, c’est précisément parce qu’auparavant, on ne savait pas trancher la question. Demain, en six mois, soit l’asile sera accordé, soit le demandeur sera débouté et fera l’objet d’un éloignement vers un pays de l’Union européenne ou vers un autre pays.

Monsieur Rupin, pour ce qui est de l’efficacité de nos dispositifs, Paris et l’Île-de-France se trouvent dans une situation particulière : environ 40 % de la demande d’asile s’y concentre. En général, on arrive à Paris puis on se dirige vers les départements périphériques, si bien que ces derniers éprouvent des difficultés, notamment en matière de délais.

Monsieur Diard, rien n’est modifié par rapport à la législation en vigueur concernant les concubins. En ce qui concerne les assignés à résidence, au bout de cinq ans, on peut prolonger ce statut. Vous le savez, nous avons signé avec certains pays des conventions aux termes desquelles les personnes renvoyées n’ont pas vocation à être l’objet de sévices dès leur descente d’avion – je n’en dis pas davantage. Or, comme des pays refusent de prendre cet engagement, nous sommes obligés de garder ceux de leurs ressortissants reconnus coupables d’actes très graves.

Mme Mörch est revenue sur le cas des mineurs non accompagnés. Je signale que des mineurs isolés se retrouvent en situation très difficile en région parisienne, au point que même les associations les plus bienveillantes ne parviennent pas à les prendre en charge. La plupart viennent d’un pays que je ne citerai pas. Nous avons pris contact avec ce dernier pour traiter ce problème. Autour de ces mineurs, en effet, toute une organisation criminelle s’est mise en place qui se sert d’eux comme de petites mains pour commettre des délits.

Mme Sandrine Mörch. C’est le résultat de la maltraitance !

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de l’Intérieur. Dans l’Est de la France, monsieur Di Filippo, beaucoup d’individus sont venus sans visa. Dès que la loi sera votée, nous allons pouvoir débouter du droit d’asile, nous allons pouvoir renvoyer puisque les pays concernés sont d’accord. Voilà qui devrait changer singulièrement la situation qui, je l’avoue, s’était dégradée au cours de ces dernières années !

Pour ce qui concerne les pays africains, j’ai signé un protocole il y a trois semaines avec huit d’entre eux. Nous allons voir, au cours des prochaines semaines, si la situation évolue. Sachez que, pour les laissez-passer consulaires, non seulement nous demandons aux préfets de prendre systématiquement contact avec les consuls mais, au niveau central, nous avons constitué une équipe dédiée pour que, lorsque le problème n’est pas réglé au niveau consulaire, un contact direct soit établi avec les ministres de l’Intérieur des pays concernés.

Je viens d’évoquer, madame Florennes, les difficultés de la région parisienne qui concentre, je le répète, 40 % de la demande d’asile. Je comprends, par conséquent, que les délais ne soient pas forcément respectés comme ils le sont dans d’autres départements. Nous allons essayer de remédier à cette situation.

Les créations de postes concernent les services chargés des étrangers des préfectures, l’OFPRA, la CNDA, l’OFII ; elles permettront de changer la situation.

Mme Faucillon, élue dans les Hauts-de-Seine, et M. Rupin sont confrontés aux mêmes problèmes, même si leurs opinions politiques divergent. Eh bien, croyez-moi, vous verrez que les mesures que nous allons prendre ne feront pas de mal à vos territoires et j’espère que, lorsque nous serons entre nous, vous pourrez reconnaître, avec quelques-uns de vos collègues, que la situation a changé.

J’en viens aux réinstallations. Nous y procédons d’ores et déjà et nous en organiserons 10 000 à partir du Tchad, du Niger et du Proche-Orient. Je vous accorde que les relocalisations ont été peu nombreuses en Europe ; nous sommes le deuxième pays à en avoir fait.

Mme Karamanli a évoqué le Défenseur des droits. Il est vrai qu’il a pris des positions, ce qui honore sa fonction. Il se trouve que je l’ai connu au début des années 1980 et je peux vous renvoyer à plusieurs de ses discours que l’on qualifiera de moins précautionneux… Peut-être que, le temps et la fonction aidant, il a changé de point de vue.

En ce qui concerne la garantie d’effectivité des recours, je vous rassure : on aura toujours le droit, même en cours d’examen de la demande, d’envoyer des éléments supplémentaires pour étayer le recours déposé. Quant aux recours suspensifs, ils sont valables dans toute une série de pays à travers l’Europe, depuis l’Allemagne jusqu’à l’Estonie. Ils concernent les pays sûrs, les troubles à l’ordre public et un second examen négatif par l’OFPRA, soit l’accumulation d’éléments en défaveur du demandeur qui peut donc à juste raison être éloigné.

Monsieur Vuilletet, vous avez donné vous-même la réponse à votre question sur les étudiants étrangers. Il n’était pas possible pour eux, avez-vous soutenu, de créer leur entreprise en France ; ils vont donc au Québec ou ailleurs pour le faire – mais pas dans leur pays d’origine. Grâce au texte, ce sera désormais possible et je m’en félicite avec vous.

Enfin, madame Dupont, comme nous allongeons les durées de rétention, nous allons en même temps réaliser des travaux dans les CRA et les rendre totalement dignes – j’y veillerai avec une particulière attention. En effet, les personnes en rétention n’ont pas vocation à l’être dans n’importe quelles conditions. Je vous rappelle en outre que des représentants d’associations, des médecins visitent déjà ces centres et donnent donc leur avis sur les conditions de rétention : en général, ils sont vigilants. Je tiens donc à vous rassurer totalement.

Lors de ses six réunions des mercredi 4, jeudi 5 et vendredi 6 avril 2018, la commission des Lois examine les articles du projet de loi pour une immigration maîtrisée et un droit dasile effectif.

 

 


—  1 

   examen des articles

Titre Ier
Accélérer le traitement des demandes dasile et améliorer les conditions daccueil

Chapitre Ier
Le séjour des bénéficiaires de la protection internationale

Avant l’article 1er

La Commission examine les amendements CL73 et CL74 de Mme Marietta Karamanli, qui font lobjet dune présentation commune.

Mme Cécile Untermaier. Les amendements CL73 et CL74 visent à faire en sorte qu’aucune mesure de non-admission ne puisse être prise sans que l’autorité administrative ait informé l’étranger concerné de son droit inconditionnel d’être admis sur le territoire français aux fins d’y déposer une demande d’asile.

En effet, l’effectivité du droit d’asile suppose la possibilité pour l’étranger d’être admis sur le territoire afin de déposer une demande de reconnaissance de sa qualité de réfugié. Nous souhaitons garantir qu’avant qu’une personne soit refoulée hors de France, sa demande d’asile ait bien été prise en compte.

Le mois dernier, une migrante nigériane est décédée en Italie après avoir refusé de se séparer de son mari, refoulé à la frontière en pleine nuit par les gendarmes. Cette femme, atteinte d’un lymphome, souhaitait terminer sa grossesse et se faire soigner en France auprès de sa sœur. Si les tragédies de ce type sont loin d’être exceptionnelles, nous devons faire en sorte qu’elles ne se reproduisent plus. Tel est l’objet des amendements CL73 et CL74, visant à mettre fin au refus unilatéral de l’autorité publique, qui ne permet pas de prendre en considération l’ensemble des demandes, qu’il s’agisse d’une demande d’asile ou d’une demande visant à bénéficier de soins médicaux.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Je crois que vos amendements sont déjà satisfaits par les dispositions actuelles du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA). Son article L.221-4, notamment, relatif au maintien en zone d’attente, dispose ainsi que « létranger est informé des droits quil est susceptible dexercer en matière de demande dasile. »

Ensuite, vous le savez, la volonté de déposer une demande d’asile ne suffit pas à elle seule à se voir accorder le droit de se maintenir sur le territoire : le ministère de l’intérieur sollicite l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), qui se prononce sur le caractère fondé ou non de la demande dans un délai de quatre jours. Selon la réponse de l’OFPRA, la police aux frontières peut alors prononcer une admission sur le territoire, le temps que l’étranger dépose sa demande auprès de l’office.

Je me suis rendue dans les Hautes-Alpes, à un point où ont lieu de nombreux passages et où sont prononcées des décisions de non-admission, et j’ai pu constater que l’information sur la possibilité de demander l’asile est systématiquement donnée.

Je vous invite donc à retirer vos amendements, et émettrai à défaut un avis défavorable.

Mme Cécile Untermaier. En dépit de la disposition légale à laquelle vous faites référence, censée nous rassurer, aussi bien les associations présentes sur place que la presse nous alertent régulièrement sur le fait que des personnes se trouvent refoulées sans avoir eu la possibilité de faire valoir une demande d’asile : la situation théorique que vous décrivez ne correspond donc pas à la réalité.

M. Florent Boudié. Le cas dramatique qui vient d’être cité doit être examiné avec attention : il convient en particulier de prendre connaissance des explications données à ce sujet par les services de l’État.

Sur le fond, ces amendements posent problème en ce qu’ils supposent, comme l’a dit la rapporteure, que le simple fait d’avoir eu l’intention à un moment donné, une fois la frontière franchie, de demander l’asile, donnerait le droit à une personne de se maintenir sur le territoire français. Or, ce n’est pas le cas : les lois de 2015 et 2016, que vous connaissez fort bien, ne prévoient le droit à se maintenir qu’à partir du moment où la demande d’asile a été enregistrée. Non seulement vos amendements sont satisfaits à plusieurs niveaux – à toutes les étapes, qu’il s’agisse de la rétention, de la non-admission ou de la zone d’attente, chaque ressortissant se voit indiquer ses droits –, mais en les défendant, vous êtes en contradiction avec des dispositions que vous avez pu soutenir par le passé.

M. Ugo Bernalicis. S’il était isolé, le cas qui a été cité ne serait peut-être pas significatif. Or, de tels cas ne sont pas rares. Le tribunal administratif de Nice a rendu le 22 janvier 2018 une ordonnance sanctionnant l’administration pour le refoulement immédiat d’un enfant de douze ans à la frontière franco-italienne – y avait-il un doute sur la minorité de cet enfant ?

C’est notre rôle, en tant que représentants de la Nation, de dire à l’exécutif que la loi doit être renforcée parce que son application n’est pas toujours effective. C’est pourquoi un amendement ayant cet objet devrait être salué, reconnu comme une évidence et, bien sûr, adopté sans la moindre hésitation. La mesure est justifiée sur le fond, ne serait-ce qu’en raison de ce que l’on constate tous les jours sur le terrain. Si vous en êtes conscients, vous ne pouvez que voter en faveur de ces amendements sans invoquer je ne sais quel autre article de loi qui les rendrait inutile.

Mme Marietta Karamanli. Il y a un an, en janvier 2017, lors de son passage à Berlin, Emmanuel Macron, alors candidat à l’élection présidentielle, s’était clairement démarqué de la position du Gouvernement en faisant l’éloge de la politique d’accueil de Mme Merkel, qui avait ouvert le territoire allemand à un million de migrants et de réfugiés en 2015, et en la remerciant d’avoir sauvé nos valeurs communes. Il reprochait cependant à l’Europe de ne pas avoir réagi comme elle l’aurait dû, en refusant les quotas d’accueil par pays – que la chancelière aurait, pour sa part, souhaité mettre en place, et s’opposait ainsi frontalement à la position du Premier ministre de l’époque, qui refusait le principe de l’accueil inconditionnel, jugeant que la politique de Mme Merkel n’était « pas tenable dans le temps ».

Un certain nombre de responsables avaient alors approuvé M. Macron, notamment Daniel Cohn-Bendit, qui avait déclaré qu’il était le premier grand responsable français à sauver notre honneur sur ce dossier. Je ne comprends pas pourquoi le fait de vouloir aujourd’hui faire figurer dans ce texte le rappel de ce qui équivaut à un principe constitutionnel peut poser problème.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Avant même que nous n’abordions l’article 1er, certains s’emploient à rouvrir le débat sur le thème « Accueille-t-on des demandeurs d’asile en France ? ». Les 100 000 demandes d’asile présentées en France en 2017 – chiffre en très forte augmentation – montrent que la procédure est préservée. Comment peut-on reprocher à notre pays de manquer de générosité ?

Je le répète, l’article L.221-4 du CESEDA prévoit une information en zone d’attente et je peux vous assurer que la mesure est mise en œuvre sur le terrain, notamment à la frontière franco-italienne, au col de l’Échelle, que ce soit par la police aux frontières ou par les associations qui effectuent des maraudes. Je me suis rendue sur place, où j’ai notamment visité l’Algeco où sont abritées les personnes concernées – qui, je le précise, souhaitent le plus souvent quitter la région – et où elles sont parfaitement informées de leurs droits.

La Commission rejette successivement les amendements CL73 et CL74.

Article 1er
(art. L. 313-11, L. 313-13, L. 313-18, L. 313-25 et L. 313-26 [nouveaux] du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile)
Création de cartes de séjour pluriannuelles pour les bénéficiaires de la protection subsidiaire et les apatrides

Résumé du dispositif et effets principaux :

L’article 1er du projet de loi crée deux nouvelles cartes de séjour pluriannuelles, d’une durée de quatre ans, au profit des bénéficiaires de la protection subsidiaire et des apatrides, ainsi que de leurs familles. Elles se substitueront aux cartes de séjour « vie privée et familiale » d’un an qui leur sont aujourd’hui délivrées.

Dernières modifications législatives intervenues :

Les conditions de délivrance de la carte de séjour « vie privée et familiale » ainsi que la création de la carte de séjour générale de quatre ans avaient été introduites dans le code de l’entrée et du séjour des étrangers en France et du droit d’asile par la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France.

Modifications apportées par la commission des Lois :

La Commission a adopté plusieurs amendements rédactionnels de votre rapporteure.

1.   L’état du droit

a.   La protection subsidiaire

« a) la peine de mort ou une exécution ;

« b) la torture ou des peines et traitements inhumains et dégradants ;

« c) sagissant dun civil, une menace grave et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison dune violence qui peut sétendre à des personnes sans considération de leur situation personnelle et résultant dune situation de conflit armé interne ou international. »

La loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 ([19]), transposant la directive « Qualifications » du 13 décembre 2011, a modifié la définition précédente, issue de la loi n° 2003-1176 du 10 décembre 2003 ([20]), afin notamment de supprimer le caractère « direct » de la menace pesant sur la personne demandant la protection. Cette nouvelle définition permet de mieux distinguer la protection subsidiaire du statut de réfugié.

Le Conseil d’État se montre soucieux de garantir le caractère premier du statut de réfugié par rapport à la protection subsidiaire, jugeant à plusieurs reprises qu’il ne pouvait être procédé à l’examen du droit à bénéficier de la protection subsidiaire qu’après qu’il ait été établi que le demandeur ne pouvait se voir reconnaître la qualité de réfugié ([21]).

Au 31 décembre 2017 30 393 personnes bénéficiaient de la protection subsidiaire et 196 664 du statut de réfugié.

– à l’octroi de leur protection, l’article L. 313-13 du CESEDA prévoit qu’ils reçoivent une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » d’une durée initiale d’un an ;

– cette carte est, selon l’article L. 313-18 du CESEDA, renouvelée ensuite par période de deux ans ;

– dès lors qu’ils justifient d’une résidence régulière d’au moins cinq ans et de ressources stables, régulières et suffisantes, les bénéficiaires de la protection subsidiaire peuvent obtenir une carte de résident, valable dix ans, selon les dispositions de droit commun prévues à l’article L. 314-8 du CESEDA.

Si ces durées sont en tout point conformes aux exigences minimales de la directive « Qualifications », l’étude d’impact associée au présent projet de loi relève que plusieurs États membres de l’Union européenne délivrent des titres de séjour aux durées sensiblement plus longues : entre trois et cinq ans.

b.   Le statut d’apatride

En vertu de l’article L. 812-1 du CESEDA, le statut d’apatride est reconnu à toute personne répondant à la définition posée par l’article 1er de la convention de New York du 28 septembre 1954, c’est-à-dire « à une personne quaucun État ne considère comme son ressortissant par application de sa législation ».

Les demandes sont instruites par l’OFPRA, qui a reconnu cette qualité à 19 personnes en 2017. Au total, 1 425 apatrides bénéficiaient de la protection de la France au 31 décembre 2017.

Comme les bénéficiaires de la protection subsidiaire, les personnes à qui la France reconnaît le statut d’apatride ne bénéficient que de titres de séjour assez brefs :

– ils se voient ainsi, tout d’abord, délivrer, conformément à l’article L. 313-11 du CESEDA, une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » d’une durée initiale d’un an ;

– cette carte est ensuite renouvelée, ainsi que le prévoit l’article L. 313-18 du CESEDA, pour une durée de quatre ans ;

– cependant, sur le fondement de l’article L. 314-11 du CESEDA, au terme de trois années de résidence régulière, les apatrides peuvent se voir délivrer une carte de résident, d’une durée de dix ans.

2.   Le dispositif proposé

Une telle brièveté peut en outre constituer un frein à l’intégration des personnes concernées et les fragiliser dans leurs démarches en matière d’emploi ou de logement. Cette situation est souvent incomprise des personnes protégées, qui sont de plus en plus nombreuses à saisir la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) pour obtenir un titre de séjour de plus longue durée.

La durée de quatre ans retenue par le projet de loi correspond à celle prévue pour la carte pluriannuelle « générale », créée par la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France, et prévue à l’article L. 313-1 du CESEDA.

Les alinéas 4 à 6 créent, au sein de la section 3 du chapitre III du titre Ier du livre III du CESEDA, une sous-section 5, consacrée à la carte de séjour pluriannuelle des bénéficiaires de la protection subsidiaire.

À l’intérieur de cette sous-section, le nouvel article L. 313-25 précise qu’une carte de séjour pluriannuelle d’une durée maximale de quatre ans est délivrée, dès sa première admission au séjour (alinéa 7), au bénéficiaire de la protection subsidiaire (alinéa 8) ainsi qu’aux membres de sa famille.

Les dispositions relatives à la famille reprennent la rédaction de l’article L. 313-13, abrogé par l’alinéa 2 du présent article. La carte de séjour pourra donc être attribuée, outre au bénéficiaire de la protection subsidiaire :

– à son conjoint s’il a été autorisé à séjourner en France au titre de la réunification familiale (alinéa 9), mais à la condition que le mariage ou l’union civile ait été célébré depuis au moins un an lorsqu’il intervient postérieurement à l’introduction de la demande d’asile (alinéa 10) ;

– à ses enfants dans l’année qui suit leur dix-huitième anniversaire (alinéa 11) ;

– à ses ascendants directs si la personne protégée est un mineur non marié (alinéa 12).

L’alinéa 13 précise que cette nouvelle carte pluriannuelle portera la mention « bénéficiaire de la protection subsidiaire » ou « membre de la famille d’un bénéficiaire de la protection subsidiaire ». Ces mentions se substitueront donc, pour ces bénéficiaires, à la mention « vie privée et familiale » qui était jusqu’ici portée sur leur titre de séjour temporaire.

L’alignement des conditions d’admission de la famille sur celles jusqu’ici applicables aux seuls bénéficiaires de la protection subsidiaire constitue une avancée réelle pour les apatrides. Le champ du public éligible à un titre de séjour en qualité de membre de famille d’apatride, tel qu’il est aujourd’hui précisé par le 10° de l’article L. 313-11 du CESEDA, est en effet plus restreint et ne comprend pas, notamment, les parents, s’il s’agit d’un mineur non marié.

Comme le souligne l’étude d’impact du projet de loi, cet alignement conduit à harmoniser le droit applicable aux membres de famille des personnes protégées par l’OFPRA : quelle que soit la protection reconnue à l’étranger, réfugié, protection subsidiaire ou apatride, les mêmes règles d’entrée en France et d’admission au séjour seront désormais applicables.

Dans son avis sur le projet de loi, le Conseil d’État a estimé que cette différence de traitement n’était pas contraire au principe d’égalité « compte tenu de ce que les personnes concernées relèvent de régimes juridiques différents ».

Lors de son audition par votre rapporteure, le représentant en France du Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), M. Ralf Gruenert, a souligné que cet article, en offrant une stabilité juridique à même de faciliter l’intégration des personnes concernées, représentait une avancée importante, qui pourrait servir de modèle en Europe.

*

*     *

La Commission examine les amendements identiques CL54 de M. Fabien Di Filippo, CL145 de M. Éric Ciotti et CL483 de M. Sébastien Huyghe.

M. Jean-Louis Masson. L’amendement CL54 vise à supprimer l’article 1er, prévoyant une réforme des cartes de séjour « protection subsidiaire » et « apatridie » qui fixe la durée du titre à quatre ans dès la première admission au séjour. Nous craignons en effet qu’une telle mesure ne constitue un appel d’air pour les demandes d’asile, à un moment où il est indispensable de réduire les arrivées sur notre sol, dont le nombre est devenu très important – comme l’a indiqué la rapporteure, on a compté 100 000 demandes d’asile pour la seule année 2017.

M. Éric Ciotti. Il semble pour le moins étonnant de délivrer un titre de séjour de quatre ans à une personne bénéficiant d’une protection subsidiaire. Je rappelle que le principe de l’asile est de protéger une personne opprimée dans son pays en raison des violences ou des menaces dont elle peut faire l’objet. Cependant, l’asile comporte une modalité qui ne doit pas être perdue de vue : il doit prendre fin avec le retour de la personne dans son pays d’origine, dès que l’amélioration dans ce pays le permet. Toutes les démocraties doivent avoir pour objectif de veiller à ce que des territoires marqués par la guerre, l’oppression, la violence, redeviennent un jour des territoires des paix et puissent à nouveau accueillir leurs ressortissants.

De ce point de vue, la durée de quatre ans prévue par l’article 1er me paraît beaucoup trop longue : il me semble préférable d’en rester à un titre d’un an, afin de permettre à notre pays d’exercer sa faculté de choisir la durée et la qualité des personnes qu’il accueille sur son territoire. Opter pour une durée de quatre ans revient pour la France à se priver d’une marge de manœuvre extrêmement importante et à provoquer un appel d’air de plus en plus important, donc une augmentation de l’immigration. Comme nous ne cesserons de le répéter tout au long de l’examen des articles, ce texte va aboutir à une augmentation de l’immigration légale et nourrir des filières de passeurs, c’est pourquoi nous demandons la suppression de l’article 1er.

M. Sébastien Huyghe. L’article 1er vise à rapprocher deux régimes de protection bien distincts : d’une part, le régime applicable aux personnes bénéficiant de la protection subsidiaire ou reconnues apatrides, d’autre part, celui applicable aux bénéficiaires de l’asile. Il prévoit d’augmenter la durée de validité des titres de résident dès la première délivrance au profit des personnes bénéficiant de la protection subsidiaire ou reconnues apatrides.

Or cette modification risque de créer des confusions entre les différents régimes juridiques de protection et surtout de dissuader les efforts d’intégration. C’est pourquoi l’amendement CL483 tend à la supprimer afin de maintenir le dispositif actuel.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Pour ma part, je vous répéterai tout au long du débat qu’il n’y a pas d’appel d’air possible en matière de protection. Au contraire, notre pays s’enorgueillit de mettre en œuvre des mesures de protection des personnes. Je rappelle que le bénéfice de la protection subsidiaire est accordé aux personnes exposées dans leur pays d’origine à la peine de mort ou à une exécution, à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants, à une menace grave et individuelle contre leur vie ou leur personne en raison d’une violence aveugle résultant d’une situation de conflit armé interne ou international. Les conditions que je viens d’énoncer étant généralement durables, il me semble justifié de prévoir la protection des personnes concernées pour une durée de quatre ans.

Par ailleurs, le fait que cette mesure fasse l’objet d’un renouvellement automatique permet une meilleure administration par l’État, en évitant notamment des passages supplémentaires dans les préfectures, mais aussi des recours devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). Je rappelle que les réfugiés obtiennent une carte pour dix ans, et que l’article 1er maintient bien deux statuts différents, tout en créant une protection remarquable.

M. Florent Boudié. Ces amendements du groupe Les Républicains sont intéressants en ce qu’ils montrent qu’entre l’Apocalypse selon Éric Ciotti et notre propre conception, il existe une différence majeure quant aux valeurs défendues. Je veux d’abord rappeler que toute personne bénéficiant du statut de réfugié ou de la protection subsidiaire s’est vu appliquer des critères extrêmement précis résultant de la convention de Genève de 1951 et de nos obligations constitutionnelles. Il ne saurait donc y avoir d’appel d’air, l’OFPRA examinant chaque situation individuelle.

Nous pensons que toute personne ayant été victime, au cours de son parcours migratoire, de persécutions, de menaces, de conflits, a le droit, lorsqu’elle arrive en France, de bénéficier d’une situation de stabilité. Nous souhaitons aussi que toutes les garanties, toutes les possibilités d’intégration lui soient accordées. Enfin, je rappelle que lorsque les conditions se sont améliorées dans le pays d’origine, la protection subsidiaire peut être retirée, ce qui est relativement fréquent.

M. Éric Ciotti. Il ne s’agit naturellement pas de remettre en cause les principes de la protection subsidiaire, qui sont acquis et légitimes. Le problème, c’est que l’article 1er va priver notre pays de la capacité de délivrer un titre de séjour pour un an – durée qui me paraît raisonnable, contrairement à celle de quatre ans. Derrière la mesure proposée, il y a une forme de contingentement matériel : contrairement à vous, j’estime préférable que chaque année, les préfectures instruisent les dossiers, convoquent les personnes concernées, évoquent avec elles leur situation, y compris en matière d’intégration, et soient en mesure de suivre librement l’évolution dans le pays d’origine – où il est toujours permis de penser que la situation finira par s’améliorer, y compris dans ceux connaissant la guerre : à défaut, il y a de quoi désespérer !

Je suis, tout autant que vous, attaché au principe de la protection subsidiaire. Mais j’estime nécessaire que notre pays conserve une marge de décision en matière de politique migratoire : nous ne devons pas nous priver de notre capacité à décider.

M. Sacha Houlié. Puisque vous parlez de contingentement matériel, j’appelle votre attention sur le fait que la pluriannualité des titres a vocation à apporter une réponse à la fois administrative et effective à l’engorgement des préfectures – que vous reconnaissez par ailleurs –, dépassées par les nombreuses demandes présentées en matière de droit d’asile et de titre de séjour. Malheureusement, la situation des pays dont sont issues les personnes venant demander la protection de la France n’évolue pas aussi rapidement que vous le dites, et la situation matérielle des demandeurs ne progresse pas davantage. Protéger ces personnes grâce à la carte de séjour pluriannuelle prévue par l’article 1er constitue, à nos yeux, une nécessité administrative autant que pratique.

Mme Cécile Untermaier. Madame la rapporteure, comment la durée de séjour au titre de la protection subsidiaire va-t-elle s’articuler avec celle des autres titres de séjour pouvant être délivrés ?

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. L’article 1er prévoit une carte de séjour de quatre ans pour les personnes bénéficiant de la protection subsidiaire et de la protection accordée au titre de l’apatridie. Les personnes réfugiées se voient délivrer un titre de dix ans.

Mme Cécile Untermaier. Il me semble que ce texte doit non seulement prévoir des mesures relatives à la demande d’asile, mais également préciser comment celles-ci se combinent avec les autres dispositions relevant de notre politique d’immigration maîtrisée. En l’occurrence, j’aimerais savoir comment le titre de séjour de quatre ans généreusement prévu par cet article 1er – sans doute pour nous faire avaler d’autres pilules plus amères – va s’articuler avec les autres titres de séjour délivrés par la France, et qui posent les mêmes problèmes en termes de charge de travail pour l’administration.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. La carte de séjour de quatre ans prévue par l’article 1er ne devrait pas poser de problèmes particuliers aux préfectures, qui sont habituées à gérer notamment la carte pluriannuelle générale, délivrée également pour quatre ans.

La Commission rejette ces amendements.

Elle est saisie de lamendement CL365 de M. Éric Coquerel.

Mme Danièle Obono. L’amendement CL365 vise à prolonger l’esprit de l’article 1er de ce projet de loi en égalisant le droit au séjour de plein droit pour la cellule familiale de toutes celles et de tous ceux bénéficiant d’une protection internationale telle que la reconnaissance du statut de réfugié, d’apatride, ou de la protection subsidiaire.

Comme il est indiqué dans l’étude d’impact du présent projet de loi, le droit européen laisse aux États membres la possibilité de délivrer des titres d’une validité supérieure pour la protection subsidiaire et pour celle accordée aux apatrides. Dès lors, nous ne comprenons pas pourquoi le Gouvernement souhaite pérenniser une distinction entre ces trois statuts que, pour notre part, nous estimons porteurs d’un même besoin de protection internationalement reconnu et consacré.

En outre, cette réticence paraît peu tenable quand on considère que l’on comptait en France, fin 2016, seulement 1 370 apatrides, 30 000 bénéficiaires de la protection subsidiaire et un peu moins de 200 000 réfugiés statutaires. Nous estimons que ces trois motifs de protection reconnus et accordés par la France doivent relever du même traitement et que le régime de protection subsidiaire doit donc être harmonisé avec celui des réfugiés, qui prévoit une carte de résident de dix ans. Comme il est précisé dans l’exposé des motifs du projet de loi, le but de cet article 1er est justement d’harmoniser le droit existant, indépendamment de la nature de la protection accordée à la personne protégée. Nous proposons donc, avec l’amendement CL365, d’assumer pleinement cette logique.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Si j’ai bien compris, vous proposez de créer un statut unique de protection. Or, si le droit international et notre législation distinguent trois statuts, c’est bien qu’ils correspondent à trois situations différentes : l’apatridie, la protection subsidiaire, et le statut de réfugié.

Les deux premiers cas font référence à des situations réversibles. La directive « Qualification » du 13 décembre 2011 prévoit d’ailleurs les cas de cessation de la protection subsidiaire ou du statut d’apatride, pas de celui de réfugié : l’article 16 dispose ainsi qu’elle cesse « lorsque les circonstances qui ont justifié loctroi de cette protection cessent dexister ou ont évolué dans une mesure telle que cette protection nest plus nécessaire ».

Il me paraît nécessaire de maintenir une distinction entre ces trois statuts et les régimes de protection auxquels ils ouvrent droit, ce qui permet d’accorder une protection de quatre ans aux apatrides et aux personnes bénéficiant de la protection subsidiaire, tandis que les réfugiés continuent, eux, de se voir octroyer une carte de séjour de dix ans. L’équilibre constitué par ce dispositif juridique a d’ailleurs été salué hier par le Haut commissariat aux réfugiés des Nations unies, dont nous avons reçu le représentant en France, qui a estimé que la carte pluriannuelle de quatre ans constituait une très belle avancée pour les apatrides et les bénéficiaires de la protection subsidiaire.

M. Ugo Bernalicis. C’est en effet une belle avancée, qui explique que nous soyons plutôt favorables à l’article 1er. Puisque vous êtes en si bon chemin, pourquoi ne pas harmoniser la durée des différents titres ? Je rappelle que se voir reconnaître un droit n’équivaut pas à une obligation : ce n’est pas parce qu’on donne à une personne le droit de résider en France qu’elle est obligée d’y rester dix ans ! Nul doute que, si vous adoptiez cet amendement, les instances des Nations unies ne pourraient que vous en féliciter. C’est une question non pas d’équilibre, mais de progrès : vous êtes sur le chemin du progrès, c’est bien, mais il faut continuer ! Ne lâchez rien !

La Commission rejette lamendement.

Elle examine ensuite lamendement CL793 de Mme Martine Wonner.

Mme Martine Wonner. Comme vient de le dire M. Bernalicis, l’article 1er constitue une avancée, mais il est possible de faire beaucoup mieux. Il ne s’agit pas de créer un statut unique, mais bien d’harmoniser la durée des cartes de séjour et de simplifier les choses sur le plan administratif, puisqu’il existe actuellement dix-sept titres de séjour différents. Qui peut le plus peut le moins : une personne titulaire d’un titre de dix ans, mais qui ne souhaiterait plus rester sur le territoire national, aura toujours la possibilité de le quitter.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Nous venons d’avoir ce débat. Je précise qu’avec dix ans pour les réfugiés et quatre ans pour la protection subsidiaire et les apatrides, nous sommes bien au-delà des exigences minimales du droit européen, qui sont respectivement de trois ans et un an selon l’article 24 de la directive « Qualification ». Sur ce sujet sensible, la notion d’équilibre me paraît essentielle, et c’est en la gardant constamment à l’esprit que nous avons choisi d’avancer.

M. Fabien Di Filippo. Hélas, madame la rapporteure, selon moi, le terme « équilibre » n’a guère de sens : aussi bien les membres du groupe La France insoumise que nous-mêmes pourrions l’utiliser en arguant que nos positions sont plus équilibrées que les vôtres.

Permettez-moi une réaction rationnelle aux propos qui viennent d’être tenus. On nous propose de prolonger à dix ans la durée de ces titres de séjour spécifiques et l’on nous dit que leurs titulaires peuvent parfaitement choisir de retourner dans leur pays. Non ! L’honneur de la France est de protéger certaines personnes pendant qu’elles sont menacées dans leur pays, mais ces personnes n’ont pas vocation, sous ce statut, à rester ad vitam aeternam en France ; leur séjour y est temporaire. Ce n’est pas à elles de choisir à tel ou tel moment de partir ou de rester : c’est la France qui les accueille et c’est elle qui, le moment venu, après les avoir accueillies et protégées et une fois le problème réglé, doit leur dire qu’elles n’ont plus vocation à rester sur son sol.

Si d’emblée, dès le début de l’examen du texte, nous ne sommes pas d’accord sur le fait que l’immigration actuelle est beaucoup trop importante, au point d’avoir atteint un niveau où nous ne parvenons plus à intégrer les populations qui viennent de l’étranger, alors nous n’arriverons à rien et, dans les années à venir, nous subirons les conséquences désastreuses des mesures allant dans ce sens.

Mme Danièle Obono. Nous soutenons naturellement cet amendement qui est presque identique au nôtre. Pour répondre à nos collègues du groupe Les Républicains et aux arguments de la rapporteure, je dirai ceci : la position du groupe majoritaire ne relève pas d’une question d’équilibre. Nous pensons que la carte pluriannuelle va dans la bonne direction, et qu’il faut l’infléchir pour qu’elle aille encore plus loin. Le droit à la protection accordé sous les différents statuts – qu’il ne s’agit pas d’unifier, car ils correspondent à des réalités différentes – est aussi un droit à la stabilité et à la reconstruction. En l’occurrence, la mesure de simplification consistant à aligner la durée de la carte pluriannuelle délivrée aux bénéficiaires de la protection subsidiaire sur celle de la carte de résident garantirait cette protection et ce droit au séjour – qui n’est en rien une obligation de séjour, contrairement à ce que certains ont prétendu – et conforterait la protection accordée au titre de ces différents statuts.

Tant qu’à s’enorgueillir d’un droit heureusement accordé dans plusieurs pays, faisons-le pour des motifs autres que la simple volonté de calmer les différentes sensibilités de la majorité. Présentée comme une « position d’équilibre », cette mesure devrait surtout être assumée comme un choix politique visant à assurer une protection et à honorer nos engagements internationaux.

C’est pourquoi nous soutenons cet amendement. Ils sont bien rares, sur ce texte, à offrir à la fois une ouverture et une protection. La majorité s’honorerait d’avancer dans le bon sens au moins sur ces quelques îlots d’humanité.

Mme Cécile Untermaier. Cet amendement répond à un souci légitime de simplification que nous partageons tous et qui s’impose aussi à l’administration. Les durées variables et sans fondement qui figurent dans notre droit au séjour mériteraient une analyse. Cet amendement est l’occasion de donner une portée utile à ce texte que, sur ce point, toutes les autorités jugent insuffisant. Autrement, nous raterions une marche en matière de simplification. À tout moment, en effet, un titre peut être retiré et une personne peut quitter le territoire. Il serait beaucoup plus simple pour les préfectures et pour le juge de n’appliquer qu’un dispositif unique et simple. Mettez-vous à la place des unes et de l’autre : ils font face à un maquis complexe de dispositifs. Nous allons une fois de plus adopter une mesure à part instaurant une durée à part pour des étrangers à part.

M. Florent Boudié. Vous ne cessez, monsieur Di Filippo, de prétendre que vous souhaitez consolider le droit d’asile et que vous respectez son caractère sacré. En réalité, vous faites constamment la confusion, comme M. Ciotti, entre la gestion des flux migratoires au sens large et la question de l’asile.

En l’occurrence, nous parlons de personnes qui, une fois parvenues sur le territoire national, à l’issue de procédures longues – trop longues – de traitement de leur demande d’asile, voire à l’issue d’un recours déposé devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), ont obtenu le statut de protégé subsidiaire. Cette procédure obéit à des filtres et à des critères. Cessez donc de faire croire que le droit d’asile recouvre un afflux massif de personnes ; examinez plutôt la réalité des chiffres et, surtout, la réalité humaine.

D’autre part, lorsque la protection subsidiaire est retirée au cas où les circonstances dans le pays d’origine ont changé, alors le titre de séjour est lui aussi retiré, car l’une et l’autre vont de pair.

Je comprends votre intention, madame Wonner, mais je rappelle que la loi du 29 juillet 2015, qui portait création des cartes de séjour pluriannuelles, visait précisément à insérer le ressortissant dans une chaîne d’intégration progressive, d’abord avec une carte de séjour pluriannuelle puis avec une carte de résident d’une durée de dix ans. Il faut conserver cet état d’esprit dans lequel s’inscrivait à l’époque le rapport de Matthias Fekl, pour garantir une stabilité progressive aux protégés subsidiaires.

M. Brahim Hammouche. L’amendement de Mme Wonner favorise la reconstruction, qui doit s’inscrire dans le temps long. Les populations concernées ont souvent subi des traumatismes, et rien n’est pire que leur répétition, qu’elle soit petite ou grande. Le temps long de la reconstruction, c’est tout à la fois le temps psychique, mais aussi celui de disposer d’un espace sûr. Si nous ne pouvions pas offrir cet espace, nous manquerions gravement à notre obligation d’accueil.

M. Erwan Balanant. Cet amendement pertinent simplifie les choses. Comme le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), ce projet de loi est d’une complexité incroyable, comme chacun a pu le constater. Il présente des problèmes de lisibilité et de cohérence et suscite parfois des incompréhensions. Les services de préfecture, les associations et les demandeurs d’asile peinent à s’y retrouver.

Il faut donc le simplifier. La simplification présente un intérêt du point de vue de la réduction des délais de réponse aux demandes d’asile, que nous souhaitons tous, car elle permet souvent de limiter le contentieux. Or, notre droit d’asile génère un volume de contentieux considérable. En simplifiant, nous limiterons donc ce contentieux tout en raccourcissant les délais de réponse et en permettant aux personnes d’être accueillies plus rapidement. Il me semble que c’est un but à atteindre, compte tenu des conditions d’attente d’un certain nombre de personnes. C’est pourquoi je suis favorable à cet amendement qui permet de simplifier notre droit.

M. Éric Ciotti. Il va de soi, monsieur Boudié, que l’asile et l’immigration sont intimement, étroitement et indissociablement liés. L’asile est en effet devenu la procédure légale qu’utilise une immigration illégale de plus en plus nombreuse. Or nous souhaitons précisément préserver le principe de l’asile, pour lequel je redis mon profond attachement, en évitant qu’il soit dévoyé par des filières de passeurs ou utilisé pour des raisons autres que la protection. Les chiffres sont clairs, monsieur Boudié : sur 121 000 demandes déposées, 100 000 sont des premières demandes et 21 000 relèvent de la procédure Dublin. Le taux de protection est de 37 %, ce qui signifie que plus de 60 000 personnes ayant déposé une première demande sont déboutées du droit d’asile après être entrées en France à ce titre, bien que l’OFPRA et la CNDA aient déterminé qu’elles n’y avaient pas droit. Elles ont donc dévoyé la procédure d’asile aux fins d’une migration économique. Vous le voyez : ces deux sujets sont étroitement liés. La naïveté dans laquelle vous vous enfermez au fil du débat entraînera une augmentation considérable des flux migratoires.

Mme Elise Fajgeles, rapporteure. Si vous ne souhaitez pas, les uns et les autres, que nous atteignions cette position d’équilibre qui permet pourtant d’assurer la stabilité et de concilier des forces antagonistes – un objectif utile que nous pourrions partager –, je vais m’employer à rétablir la réalité de la situation. L’octroi d’une carte de dix ans, monsieur Balanant, ne permettra pas d’accélérer la procédure ; ne mélangeons pas tout. Ensuite, c’est précisément pour simplifier le droit que nous instaurons deux statuts : la carte de quatre ans pour les personnes bénéficiant de la protection subsidiaire et apatrides correspond à la carte pluriannuelle générale qui avait été créée, dans un souci de simplification, par la loi du 7 mars 2016 – que Mme Untermaier me semble avoir votée – et que l’on retrouve dans l’article L. 313-1 du CESEDA. Il n’y a donc aucune complexification de la procédure pour les préfectures. La carte de quatre ans existe et le statut de réfugié donnant droit à la carte de dix ans est maintenu en cas de menaces plus graves et durables. Nous n’introduisons aucun statut à part.

La Commission rejette lamendement.

Puis elle examine lamendement CL32 de M. Lionel Causse.

M. Lionel Causse. Cet amendement vise à élargir le droit au séjour des bénéficiaires de la protection subsidiaire et des apatrides aux étrangers qui peuvent justifier d’une présence sur le territoire de plus de cinq ans, et à ceux qui sont responsables de mineurs justifiant de trois années de scolarisation.

La « circulaire Valls » de 2012 permet aux préfectures d’accorder des cartes de séjour à ces étrangers. Mon inquiétude est que le projet de loi ne nous permette plus de bénéficier de cette possibilité, pourtant indispensable non seulement pour les élus locaux mais aussi pour les associations. Il me semble donc important d’y intégrer ces critères par souci de pragmatisme et de simplification de la procédure instaurée en 2012.

Mme Elise Fajgeles, rapporteure. En somme, vous proposez d’accorder un droit de séjour automatique aux étrangers dont les enfants seraient scolarisés. Aucune régularisation ne peut être automatique : c’est à l’autorité préfectorale qu’il appartient d’étudier chaque cas. En pratique, des régularisations sont régulièrement décidées lorsqu’un enfant est scolarisé ou pour des raisons liées à la vie privée et familiale, mais elles le sont au fil de l’eau et il est important de maintenir ce pouvoir d’appréciation entre les mains de l’autorité préfectorale.

Je comprends votre amendement, mais il me semble donc être un peu à côté du sujet. Les protections sont attribuées selon des critères précis et après étude d’un récit et d’un dossier précis à des personnes exposées à des menaces graves dans leur pays. C’est une situation distincte des cartes de séjour relatives à la vie privée et familiale. Il est important de maintenir la distinction entre ces deux procédures.

Mme Cécile Untermaier. Cet amendement pose la question pertinente de la régularisation sur la base d’une circulaire. La « circulaire Valls » a rempli son office ; nous y faisons régulièrement référence lorsque nous sommes saisis dans nos circonscriptions de situations humaines difficiles qu’il faut régler.

Je précise que cette circulaire n’est plus appliquée de la même manière d’un département à l’autre et que certains préfets y ajoutent des conditions, notamment l’exercice d’un emploi en contrat à durée indéterminée donnant lieu à une rémunération supérieure au SMIC. Imaginez la difficulté dans laquelle se trouvent de ce fait les associations qui accompagnent depuis cinq, six voire huit ans des personnes étrangères parfaitement intégrées.

Sans doute n’est-ce pas avec cet amendement que nous réglerons le problème, mais au moins a-t-il le mérite d’alerter sur la nécessité d’adopter une mesure validée au plus haut niveau pour que le traitement des demandes soit harmonisé dans l’ensemble des départements.

M. Fabien Di Filippo. Je n’ai pas pu, lors de l’examen de l’amendement précédent, répondre au collègue qui m’a interpellé.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Vous ne pouvez pas répondre sur un amendement déjà voté, monsieur le député. Votre intervention porte sur l’amendement CL32.

M. Fabien di Filippo. Je précise simplement que l’amalgame entre asile et immigration est fait : il suffit pour s’en convaincre de se reporter à l’intitulé du projet de loi. Mieux vaut donc balayer devant sa porte, monsieur Boudié. Et puisque vous êtes le gardien de l’unité de la majorité sur ce texte, je vous souhaite bon courage !

M. Lionel Causse. L’objectif de cet amendement consistait à clarifier les choses et à harmoniser les critères sur l’ensemble du territoire et pour tous les dossiers, car la situation actuelle est très compliquée.

J’entends l’argument selon lequel il est difficile de l’intégrer à cet endroit du texte. Il me semble cependant que la question doit être posée. Comment allons-nous traiter ces cas qui posent problème aux associations et aux élus ? Nous avons sans doute tous été saisis – ou le serons – de nombreux cas, dans tous les départements. Il est anormal qu’il faille gaspiller tant d’énergie et de temps pour régulariser des situations qui pourraient l’être plus aisément si la loi le permettait, alors que la circulaire, elle, est plus fragile et moins pérenne.

M. Guillaume Larrivé. Puisque nous sommes à la commission des Lois, tâchons de faire un peu de droit. Le CESEDA comporte un article législatif adopté en 2006 qui prévoit « l’admission exceptionnelle au séjour ». En réalité, contrairement à ce qui est dit, il existe donc une base législative pour décider des régularisations. Tel est l’état du droit en vigueur ; je le dis en qualité de rapporteur d’application de la loi de 2016.

D’autre part, la précédente majorité a fait un choix politique exprimé dans la « circulaire Valls » de novembre 2012. Elle a eu pour effet de régulariser plus de 180 000 étrangers en situation irrégulière – nous avons publié ce chiffre avec Jean-Michel Clément dans le rapport d’application que nous vous avons présenté en février.

Vous avez donc à votre tour un choix politique à faire : souhaitez-vous accélérer davantage les régularisations de clandestins ou souhaitez-vous au contraire y mettre un terme ou maintenir le statu quo ?

Quoi qu’il en soit, l’amendement qui nous est présenté est parfaitement délirant, même s’il part d’une intention respectable, car il consiste à dire que tout clandestin depuis cinq ans peut recevoir une carte de séjour. C’est tout le contraire d’une politique d’immigration : c’est l’acceptation des flux d’immigration illégale et même l’abolition entre la légalité et l’illégalité.

M. Ugo Bernalicis. Après ce point de droit, faisons un point de politique. Je propose en effet que nous fassions évoluer le droit en fonction de nos intentions politiques. En l’espèce, cette intention politique est tout à fait louable.

M. Éric Ciotti. Vous voulez donc régulariser !

M. Ugo Bernalicis. Notre collègue Stéphane Peu l’a dit hier : les personnes qui séjournent sur le territoire en situation irrégulière constituent une main-d’œuvre corvéable à merci qui travaille souvent au noir, dans la souffrance et la misère. Vient un moment où la régularisation de ces personnes est une mesure de bon sens.

Vous avez évoqué, monsieur Larrivé, la base juridique permettant les régularisations. Avec cet amendement, nous pourrons sécuriser le dispositif – et je suis certain que la sécurité juridique vous importe. Il n’y aura ainsi plus de doute et les préfets pourront mieux fonder leurs décisions de régularisation. C’est aussi l’enjeu de ce type de lois.

Cet amendement va dans la bonne direction. C’est un point d’équilibre entre le grand n’importe quoi consistant, d’une part, à laisser les gens dans la clandestinité et, d’autre part, la régularisation systématique de la terre entière. C’est lorsque l’on envisage les deux extrémités du spectre qu’il devient possible de trouver un juste milieu.

M. Florent Boudié. Je remercie M. Causse d’avoir fait sortir M. Larrivé de sa réserve. Rappelons un point de droit essentiel : en effet, l’admission exceptionnelle est le cadre juridique qui permet déjà de tenir compte de toutes les situations hors cadre par ailleurs, puisqu’elles sont laissées à la libre appréciation des préfets.

La « circulaire Valls » se traduit par un nombre constant de l’ordre de 30 000 régularisations par an. Il est donc faux de prétendre que ce nombre aurait baissé. Nous assumons cette part de régularisations nécessaires parce qu’il existe des situations inextricables, notamment celles des personnes qui ne sont ni régularisables, ni expulsables – les ni-ni –, ce que font les préfets. De là à inscrire dans le droit des orientations qui sont de nature réglementaire, il y a un pas que nous ne pourrons pas franchir.

Mme Elsa Faucillon. J’approuve cet amendement qui permet de sécuriser le droit. Suite à la remarque de M. Larrivé, nous pouvons en effet faire un peu de politique en nous appuyant sur des réalités. S’agissant des personnes qui ont des enfants scolarisés depuis plus de trois ans, parfois même beaucoup plus, et qui n’entrent pas dans le champ de la circulaire, qui peut croire que la France les expulsera ou qu’ils vont repartir ? Ne nous racontons pas d’histoires : cela n’arrivera pas. Nous créons donc peu à peu des parcours de clandestinité. Il est facile d’accuser ces personnes d’être clandestines, mais des demandes ont été déposées. Or, par ce trouble juridique, par la non-sécurisation du droit et parce que toutes les préfectures n’appliquent pas le droit de la même manière, nous allons créer des parcours de clandestinité. Des enfants de nos écoles et de nos villes se trouveront particulièrement stressés, voire traumatisés, par la situation de leurs parents. Attachons-nous donc à faire respecter le droit et à la sécuriser au maximum, ainsi qu’à sécuriser le parcours des familles et des enfants.

M. Manuel Valls. Sur ce sujet complexe, il faut tâcher de dire les choses aussi clairement que possible. Tout d’abord, madame Karamanli, lorsque je me suis exprimé à Munich, en tant que Premier ministre, sur la crise migratoire, c’est moi qui avais raison. Je mets au défi quiconque, dans cette commission, de défendre une autre position – même si je les respecte toutes –, notamment celle de l’ouverture absolue des frontières et de l’accueil de tous les réfugiés. Ce n’était pas la politique de la France hier et j’ai cru comprendre que ce ne l’est pas non plus aujourd’hui.

Ensuite, s’agissant d’une matière humaine d’une grande complexité que M. Larrivé connaît bien, pour avoir été membre du cabinet d’un ancien ministre de l’Intérieur, nous sommes souvent confrontés à des situations inextricables et très difficiles, non seulement sur le plan juridique mais aussi sur le plan humain. C’était le sens de ce que vous appelez la « circulaire Valls », que j’avais signée en tant que ministre de l’Intérieur et qui consistait à donner aux préfets un cadre d’action afin de traiter ces situations inextricables – car elles existent : ce sont les situations familiales concrètes de personnes qui ne sont ni expulsables, ni régularisables – au fil de l’eau et le plus intelligemment possible. L’intelligence existe, même parmi les préfets, et ils le savent bien : ils n’appliquent pas une politique de manière inhumaine et absurde.

Je mets en garde, comme l’a très bien dit Florent Boudié, contre la tentation de finir par tout mettre dans un texte de loi – c’est le cas de celui-ci. Nous ne parviendrons pas à résoudre tous les cas individuels. Aux principes s’ajoutent des cas qui ne répondent pas toujours à l’attente du législateur. Il faut donc être prudent. Certaines mesures relèvent de la loi, d’autres du règlement et des circulaires.

Ce texte comporte de nombreuses dispositions. Reste la question des moyens accordés aux préfectures pour traiter la question de l’asile. Quant à la reconduite aux frontières, elle exige également de donner à nos forces de sécurité des moyens considérables. Pour le reste, je suis convaincu que nous pouvons trouver le chemin qui convient.

La Commission rejette lamendement.

Elle adopte ensuite lamendement rédactionnel CL417 de la rapporteure.

Puis elle examine les amendements identiques CL196 de M. Éric Diard et CL372 de M. Jean-Louis Masson.

M. Éric Diard. Comme je l’ai dit hier de manière très mesurée – pour ne pas dire « équilibrée »… –, je regrette que le ministre ne souhaite pas modifier le texte concernant le concubinage. L’ouverture de la carte de séjour pluriannuelle et du regroupement familial aux concubins est l’un des points faibles du projet. Si le concubinage est pour beaucoup un mode de vie à part entière, il ne fait l’objet, en effet, d’aucun acte juridique. Il est donc difficile de prouver que deux ressortissants de pays étrangers qui demandent l’asile ou qui sont apatrides sont des concubins. Cette faiblesse du texte risque de se traduire par le développement de la fraude. Pour l’éviter, il me semble nécessaire d’exclure la notion de concubinage.

M. Jean-Louis Masson. J’ajoute aux propos de M. Diard, auxquels je souscris pleinement, que la notion de concubinage est beaucoup trop floue et incertaine compte tenu de la fragilité des relations qu’elle désigne. Il faut donc la supprimer de la mesure d’élargissement de la protection aux membres des familles.

Mme Elise Fajgeles, rapporteure. Je rappelle que cet article vise à allonger la durée de validité du premier titre de séjour délivré aux bénéficiaires de la protection subsidiaire mais ne modifie pas les conditions de son octroi. Les critères permettant la réunification familiale sont précisés à l’article L.752-1 du CESEDA, qui définit le concubinage comme une « vie commune suffisamment stable et continue ». Vous dites que cette notion est floue, mais cela fait de nombreuses années qu’elle est reconnue dans la pratique administrative, que confirme la jurisprudence du Conseil d’État. Je vous rappelle que ce sont les autorités diplomatiques et consulaires chargées de la délivrance des visas d’entrée qui apprécient ce critère en même temps qu’elles vérifient l’identité du demandeur, et qu’elles instruisent les dossiers avec le concours de l’OFPRA. La notion est donc bien cadrée et connue. Il ne me semble pas possible, en 2018, de prétendre que la pratique du concubinage est trop floue et qu’il faut l’exclure du champ de la protection. Avis défavorable.

M. Jean-Louis Masson. Nous demandons précisément d’encadrer cette notion en la supprimant du texte législatif ; c’est rationnel.

M. Éric Diard. Prétendez-vous que les autorités consulaires sont capables, dans les pays de départ, d’apprécier le caractère stable et continu d’une relation entre deux individus ?

Mme Elise Fajgeles, rapporteure. C’est en effet ce qui se fait aujourd’hui, et de manière correcte.

M. Éric Diard. Ce n’est pas la réalité.

La Commission rejette ces amendements.

Elle adopte ensuite lamendement rédactionnel CL418 de la rapporteure.

La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL673 de M. Jean-Michel Clément et CL373 de M. Jean-Louis Masson. 

M. Jean-Michel Clément. Depuis tout à l’heure, nous entendons qu’il s’agit, avec cet article, d’aller dans le bon sens et de simplifier. Je m’en félicite moi aussi, même si j’aurais souhaité qu’on aille plus loin.

Mon amendement vise à permettre à tous les conjoints et partenaires des bénéficiaires d’une protection internationale d’obtenir un titre de séjour. Il s’agit d’éviter davantage de contentieux pour le futur et de donner à la délivrance d’un titre de séjour une dimension humaine.

Le projet de loi prévoit la délivrance d’une carte pluriannuelle de séjour aux conjoints des bénéficiaires d’une protection subsidiaire et des apatrides. Ce droit au séjour reste toutefois limité à ceux qui présentent une demande hors de France dans le cadre de la procédure de réunification familiale ou à ceux dont le mariage ou l’union a été célébré après le dépôt de la demande d’asile et depuis au moins un an.

Alors que les articles 23 et 24 de la directive « Qualification » prévoient que les membres de la famille du bénéficiaire d’une protection internationale doivent obtenir dans les meilleurs délais un droit au séjour, ces dispositions positives ne règlent pas la situation des conjoints ou concubins déjà présents sur le territoire français.

Nous nous trouverons donc en face de cas très proches les uns des autres, mais au sujet desquels la complexité technique et administrative conduira parfois à des refus ou à des absences de régularisation. Il s’agit donc, à la fois, de respecter des engagements internationaux et de simplifier en évitant de multiplier les occasions de contentieux à force d’additionner les exceptions. N’alourdissons pas la charge des tribunaux administratifs.

Mon amendement apporterait une réponse humaine à la situation de ceux qui se trouvent sur le territoire avec des membres de leur famille, tout en permettant de rentrer dans un cadre juridique sécurisant.

M. Jean-Louis Masson. On est parfois trompé sur la réalité du mariage ou de l’union civile. Pour qu’elle soit établie de manière plus sûre, je propose que le délai de référence d’un an à compter de leur célébration soit porté à deux ans.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Je vous mets en garde contre toute confusion entre la préservation de la vie familiale avant le parcours d’asile et après lui. Il ne faut pas que l’obtention d’un statut devienne une voie de régularisation ou un moyen, pour les conjoints, de contourner certaines procédures.

Il est donc important de conserver le délai d’un an, qui est d’ailleurs conforme à la directive européenne. La proposition relative à une extension à deux ans montre d’ailleurs quelles peuvent être, à ce sujet, les différences de point de vue. Restons justes dans l’appréciation des parcours de vie et dans la sécurisation des personnes concernées. Avis défavorable.

Mme Cécile Untermaier. Les arguments avancés par notre collègue Jean-Michel Clément me semblent frappés au coin du bon sens. La vie privée et familiale d’une personne s’apprécie où que le conjoint ou concubin puisse se trouver, en France ou à l’étranger. Cette prise en considération ne saurait s’arrêter aux frontières. De ce point de vue, madame la rapporteure, cet amendement n’est-il pas justifié ?

M. Ugo Bernalicis. Il s’agit en effet d’un amendement de bon sens, au soutien duquel notre collègue Jean-Michel Clément nous a livré une très bonne explication. Votons-le pour éviter des situations inextricables. Il va en outre dans le sens du progrès : profitons-en, l’article 1er étant un des rares îlots progressistes dans ce texte.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Dans la situation que nous considérons, le mariage s’apprécie après le dépôt de la demande d’asile. Si on supprime cette condition de délai d’un an, on peut craindre un détournement de procédure tel que le nombre de mariages croisse dans le seul but de faire obtenir un titre de séjour à son nouveau conjoint, après l’obtention de sa propre protection. C’est pourquoi il est important de définir une durée juste pour apprécier la qualité de la demande formulée pour le conjoint.

La Commission rejette successivement les amendements CL673 et CL373.

Elle examine ensuite lamendement CL374 de M. Jean-Louis Masson.

M. Jean-Louis Masson. Le législateur doit requérir un maximum de garanties dans la recherche de l’effectivité et l’existence tangible d’un lien familial pour tous ceux qui prétendent à faire valoir ce droit, fût-il temporaire, sur notre territoire. Face au nombre croissant de fausses déclarations, nous proposons d’être plus précis et d’insérer les mots « expressément établie » après « communauté de vie effective ».

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Ne jouons pas sur les mots : communauté de vie « effective », cela veut dire qu’elle est établie. Cette expression est, par ailleurs, ancienne dans le CESEDA et couramment utilisée par la jurisprudence administrative. Je ne vois pas l’utilité de revenir là-dessus. Avis défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Elle examine ensuite lamendement CL364 de Mme Danièle Obono. 

M. Ugo Bernalicis. Par cet amendement, nous proposons de compléter l’article 1er en ouvrant l’octroi d’une carte de séjour de plein droit à tous les enfants de réfugiés, apatrides ou protégés subsidiaires.

En effet, en l’état actuel du droit, il existe un effet de seuil particulièrement préjudiciable qui consiste à ce que seuls les enfants mineurs ou dans l’année suivant leur 18ème anniversaire de personnes bénéficiant du statut de réfugié, de la protection subsidiaire ou étant reconnues comme apatrides, puissent se voir octroyer une carte de séjour pluriannuelle. En effet, les persécutions dont les détenteurs de ces protections sont les victimes affectent nécessairement leurs proches immédiats, et la distinction arbitraire visant à nier ce droit au rattachement de statut pour les enfants majeurs au-delà de 19 ans nous apparaît particulièrement injuste.

L’enfant majeur devra lui aussi entamer toute une procédure de demande d’asile, de protection subsidiaire, ou de reconnaissance de son apatridie, alors que nous estimons plus juste et plus protecteur que celle-ci soit présumée, et que de par le lien de filiation qui les unit à leurs parents, ils se voient aussi reconnaître le statut de personne vulnérable à protéger. Cette mesure de simplification – objectif qui vous est cher –, en conformité avec les règles de droit international, permet d’éviter les zones grises, eu égard aux risques sur leur vie et leur sécurité. Ne pas reconnaître suffisamment rapidement le droit à protection dont ces personnes sont censées devoir bénéficier est un manquement à notre devoir.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Vous évoquez le droit international, mais je voudrais rappeler que l’article 2 de la directive « Qualification » définit les membres de la famille comme le conjoint du bénéficiaire, ses parents et ses enfants mineurs. Nous respectons donc le droit international. Vous évoquez une éventuelle « simplification » ? Tenons-nous en plutôt à la réalité des situations et au respect de ces règles internationales et européennes, en en restant aux enfants mineurs. Il existe d’ailleurs une petite tolérance, dans l’année qui suit les dix-huit ans, afin que les enfants concernés puissent déposer une demande de titre de séjour. Je ne vois pas de raisons d’y revenir aujourd’hui. Avis défavorable.

Mme Danièle Obono. Madame la rapporteure, je ne comprends pas votre réponse. Le texte que nous examinons est censé renforcer et garantir le droit d’asile. Or aucun texte ne proscrit le type de protection que nous proposons. Nous nous trouvons ainsi clairement dans une situation où il est possible de faire évoluer le droit français, en prenant une position qui pourra en inspirer d’autres.

Vous nous dites que nous respectons déjà le droit international. Mais heureusement ! Nous avons cependant ici l’occasion d’enrichir ces dispositions et de protéger mieux la famille et les enfants des personnes à qui une protection est reconnue.

Mme Elsa Faucillon. Je ferai une simple remarque. Puisque nous invoquons maintenant le droit international puissions-nous nous en souvenir, lorsque nous examinerons la question des centres de détention et des mineurs non accompagnés.

Mme Lætitia Avia. L’âge de dix-huit ans marque le passage à la majorité légale. Si nous n’en tenons pas compte, nous entrons dans une voie qui nous entraînera très loin. En appliquant cet amendement à la lettre, un enfant pourrait aussi bien avoir 40 ans ou 45 ans. Le droit existant est clair. L’amendement proposé ne présente donc pas d’intérêt.

M. Jean-Christophe Lagarde. Je voudrais enrichir l’argumentation de la rapporteure. Limiter à dix-huit ans le droit absolu d’accompagner n’exclut pas qu’on puisse déposer une demande d’asile comme majeur de 40 ans ou de 45 ans. Si une personne fait face à un danger ou à une menace, du fait de son appartenance familiale par exemple, elle pourra faire usage de ce droit. Mais un membre de la famille qui ne serait pas inquiété ne serait pas inclus de droit dans la protection due en vertu du droit d’asile.

C’est le sens de la préservation du droit d’asile : on le garantit en le limitant, précisément pour ne pas avoir à considérer tout le monde comme un réfugié à accueillir.

M. Rémy Rebeyrotte. J’aurai une question et une remarque.

Ma question : un enfant majeur n’est-il pas un adulte ? Certes, nous gardons toujours une part d’enfance en nous…

Ma remarque : il ne faudrait pas adopter un amendement qui créerait un appel d’air pour certaines filières qui s’enrichissent de l’arrivée en masse sur notre territoire de mineurs non accompagnés. C’est pourtant ce qui arrivera demain si nous ouvrons systématiquement des droits à des mineurs.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Où serait le progrès, madame Obono, dans le fait de considérer que des personnes restent ainsi rattachées à leur famille après dix-neuf ans ? Comme l’ont dit nos collègues, ces personnes peuvent alors déposer elles-mêmes leur demande.

La Commission rejette lamendement.

Elle examine ensuite lamendement CL376 de M. Jean-Louis Masson. 

M. Jean-Louis Masson. Il est proposé une insertion qui précise que les enfants dont il est question sont des enfants nés d’une union juridiquement établie. La notion d’effectivité et d’existence tangible d’un lien familial pour tous ceux qui prétendent faire valoir leur droit à la réunification familiale est en effet essentielle.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Avis défavorable. Je ne vois pas ce que cela a d’essentiel. Les liens sont correctement évalués par l’OFPRA et par les autorités consulaires. Il n’a jamais été exigé qu’il y ait mariage ou union civile. L’évaluation aujourd’hui se déroule de manière tout à fait correcte.

M. Erwan Balanant. Il ne saurait d’ailleurs y avoir de filiation à deux vitesses, avec des enfants nés dans le cadre du mariage de l’union civile et des enfants nés au-dehors. Ce serait cocasse.

La Commission rejette lamendement.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Le ministre de l’Intérieur nous rejoint à l’instant : je lui souhaite la bienvenue.

Je vous précise que, depuis le début de notre réunion, nous avons étudié dix-huit amendements.

La Commission examine lamendement CL197 de M. Éric Diard. 

M. Éric Diard. Vous arrivez, monsieur le ministre, fort à propos. (Sourires.)

L’esprit du présent projet de loi est de ne pas séparer les familles, c’est donc pourquoi les enfants des demandeurs d’asile peuvent bénéficier des titres de séjour pluriannuels visés par le présent article.

Cependant, une fois l’enfant majeur, il est lui aussi en situation de présenter, s’il le désire, la même demande que ses parents. Laisser les enfants sur la même demande que celle de leurs parents dans l’année qui suit leur dix-huitième anniversaire se justifie difficilement d’un point de vue juridique, et constitue une rupture d’égalité avec les autres enfants majeurs du demandeur d’asile.

Le présent amendement entend corriger cette situation afin de rendre le texte plus cohérent d’un point de vue juridique.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Les mineurs n’ont pas besoin de détenir de carte de séjour. Une tolérance est laissée dans la dix-huitième année pour ne pas briser la vie familiale. Pour respecter l’autonomie des jeunes adultes, ils peuvent ensuite déposer leur propre demande.

La Commission rejette lamendement.

Elle examine ensuite lamendement CL198 de M. Éric Diard. 

M. Éric Diard. Il s’agit d’un amendement de repli sur le même sujet.

Suivant lavis défavorable de la rapporteure, la Commission rejette lamendement.

Elle examine ensuite lamendement CL377 de M. Jean-Louis Masson. 

M. Jean-Louis Masson. S’agissant de la réunification des parents, cet amendement vise à préciser que les mineurs concernés ont moins de treize ans. Ouvrir le bénéfice de ces dispositions à des quasi-majeurs comporterait en effet le risque d’établissement de filières à caractère mafieux. Nous proposons donc un durcissement de la mesure, pour éviter de tomber dans ce travers.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. On ne saurait invoquer la menace de réseaux quasi-mafieux pour établir des distinctions entre différents âges de la minorité, entre treize et dix-huit ans. Avis défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Elle adopte ensuite les amendements rédactionnels CL422 et CL424 de la rapporteure.

Elle examine lamendement CL794 de Mme Martine Wonner. 

Mme Martine Wonner. Nous avons évoqué précédemment le cas des personnes bénéficiant d’une protection subsidiaire. Il est question ici des personnes apatrides. Pour rappel, l’article 16 de la Déclaration universelle des droits de l’homme dispose que tout individu a droit à une nationalité.

Si des hommes et des femmes doivent absolument bénéficier de la protection d’un État, ce sont bien les apatrides, qui se trouvent privés, du fait de leur situation, du droit au logement, aux soins et au travail. La France s’enorgueillirait de donner des droits à ces personnes. Ne limitons donc pas à quatre ans la durée de validité de leur carte de séjour pluriannuelle. Dix ans serait une durée leur permettant mieux d’envisager l’avenir.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Je comprends votre souci de protection de ces personnes apatrides. Mais il est important de garder deux statuts différents, correspondant à deux types de protection différents, l’une en cas de défaillance provisoire d’un État, l’autre en cas de menace caractérisée, plus grave et plus longue.

Je rappelle que les apatrides bénéficieront désormais d’un titre de séjour de quatre ans.

Mme Martine Wonner. Quand nous parlons de l’humain, il serait bon de ne pas se placer constamment dans le cadre de définitions.

La Commission rejette lamendement.

Elle adopte ensuite les amendements rédactionnels CL415 et CL419 de la rapporteure.

Elle examine lamendement CL674 de M. Jean-Michel Clément.

M. Jean-Michel Clément. Cet amendement fait pendant à celui qui portait précédemment sur les personnes bénéficiant d’une protection subsidiaire. Il concerne les personnes apatrides, dont ma collègue Martine Wonner vient de présenter la situation.

La condition d’apatride de ses personnes a un impact sur leur famille, et inversement. Mon amendement vise à sécuriser davantage cette situation familiale. N’oublions pas que derrière chaque texte, derrière chaque amendement, il y a des personnes qui sont en grande fragilité. Leurs droits ne sauraient être modifiés d’un trait de plume juridique.

Sécuriser la famille de l’apatride, c’est sécuriser l’apatride lui-même.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. N’inversons pas l’esprit du texte, qui propose déjà une protection accrue pour les bénéficiaires de la protection subsidiaire et pour les personnes apatrides. Avis défavorable.

M. Erwan Balanant. L’amendement me semble plutôt intéressant. La situation très compliquée d’un apatride ne se règle pas en quatre ans. Nous sommes devant des cas beaucoup plus compliqués que celui des bénéficiaires de la protection subsidiaire, pour lesquels une évolution de la situation de leur pays est toujours possible. Les apatrides n’ont, quant à eux, pas de pays ! Dix ans de droit de séjour, cela me semble la durée minimale pour refaire une vie et peut-être, un jour, vouloir devenir Français.

Mme Cécile Untermaier. L’apatridie n’a jamais été traitée de manière sérieuse dans un texte. Nous avons ici une occasion de le faire. Il s’agit d’une situation subie par les personnes concernées. Après quatre ans, elles basculeront dans le dispositif « vie privée et familiale » et ne pourront pas être reconduites. Allonger la durée de leur tire de séjour ne fait donc pas naître de risque particulier qu’elles se maintiennent sur le territoire.

Mme Sonia Krimi. Connaissons-nous les chiffres de taux de renouvellement de titres de séjour après quatre ans pour les apatrides ? Si le renouvellement devait s’avérer automatique, nous pourrions en tirer les conséquences. Par ailleurs, qu’advient-il de ces personnes apatrides si leur titre de séjour n’est pas renouvelé à l’issue de la période de quatre ans ?

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Jusqu’à présent, ce titre n’était valable qu’un an, avec renouvellement. Il sera intéressant de voir comment le taux de renouvellement va évoluer avec l’allongement à quatre ans.

M. Ugo Bernalicis. Il est vrai qu’il serait bon d’avoir quelques chiffres. Peut-être avez-vous, monsieur le ministre, des éléments à nous donner ?

Par ailleurs, je vous engage tous, chers collègues, à voter de la même manière lorsque nous disons la même chose. Faisons bloc ! Nous n’en serons que plus efficaces.

La Commission rejette lamendement.

Elle adopte ensuite les amendements rédactionnels CL427, CL423 et CL425 de la rapporteure.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. La parole est à M. Hugo Bernalicis, qui souhaite faire une explication de vote sur l’article 1er.

M. Ugo Bernalicis. Nous savourons les quelques articles qui, dans ce projet de loi, vont dans le sens du progrès. Ainsi, notre groupe votera l’article 1er.

Je voudrais que les débats se poursuivent dans la bienveillance vis-à-vis des arguments avancés par les uns et les autres. Je le dis notamment à l’adresse du ministre de l’Intérieur qui, hier soir, a fait référence au texte déposé par un ex-France insoumise sur le lieutenant-colonel, désormais colonel Beltrame, mort en héros pour l’honneur de notre République. J’espère qu’il présentera des excuses à notre collègue Danièle Obono pour le dérapage dont il a été l’auteur. Mettons cette sortie de route sur le compte de la fatigue… Espérons que la nuit lui a porté conseil et que nous ne retomberons pas dans ce genre d’inepties, qui confinent à l’abject.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Monsieur Bernalicis, je vous avais donné la parole pour une explication de vote sur l’article 1er. Vous sortez de ce cadre.

M. Florent Boudié. Tout à l’heure, M. Bernalicis a appelé, et je trouve cela charmant, à une forme de « conjonction des luttes » sur différents articles. Celui-ci représente une avancée considérable car il stabilisera la situation de celles et ceux qui ont beaucoup souffert, ont eu des parcours migratoires très douloureux, ont subi de nombreuses épreuves. Après des mois de procédure, que nous souhaitons raccourcir à six mois, ils se verront reconnaître une protection en fonction de leur situation, que ce soient les critères de la convention de Genève de 1951 ou ceux propres à l’État de droit français. Réjouissons-nous de cette avancée !

La Commission adopte larticle 1er modifié.

Article 2
(art. L. 314-1 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile)
Accès à la carte de résident pour les personnes protégées et leur famille

Résumé du dispositif et effets principaux :

L’article 2 assouplit, d’une part, les conditions de délivrance de la carte de résident aux familles de réfugiés statutaires et, d’autre part, précise les conditions de sa délivrance aux titulaires des cartes pluriannuelles « protection subsidiaire » ou « statut d’apatride » créées par l’article 1er.

Dernières modifications législatives intervenues :

Les conditions de délivrance de la carte de résident de plein droit ont été complétées par la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France.

Modifications apportées par la commission des Lois :

La Commission a adopté un amendement rédactionnel de votre rapporteure.

1.   L’état du droit

L’article L. 314-11 du CESEDA précise les conditions de délivrance de la carte de résident de dix ans de plein droit. Les étrangers visés par cet article sont ceux qui bénéficient de la situation la plus avantageuse en matière de délivrance de titre de séjour : il leur suffit en effet d’apporter la preuve qu’ils appartiennent à l’une des catégories visées (étranger marié depuis au moins deux ans avec un ressortissant français, étranger ayant servi dans une unité combattante de l’armée française, etc.).

Cette carte est ainsi délivrée, sous réserve de la régularité du séjour, à l’étranger reconnu refugié ainsi qu’à ;

– son conjoint s’il a été autorisé à séjourner en France au titre de la réunification familiale, mais à la condition que le mariage ou l’union civile ait été célébré depuis au moins un an lorsqu’il intervient postérieurement à l’introduction de la demande d’asile ;

– ses enfants dans l’année qui suit leur dix-huitième anniversaire ;

– ses ascendants directs si la personne protégée est un mineur non marié.

Ces dispositions ont été précisées par la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 afin de les rendre conformes à la directive « Qualifications » du 13 décembre 2011. L’article 23 de la directive stipule ainsi que les États membres « veillent à ce que lunité familiale puisse être maintenue » tandis que l’article 24 prévoit qu’il peut être délivré aux membres de la famille du bénéficiaire du statut de réfugié un titre de séjour valable pendant une période de moins de trois ans et renouvelable.

2.   Le dispositif proposé

Cette condition de régularité n’étant en effet aujourd’hui pas opposée aux bénéficiaires de la protection subsidiaire, rien ne justifie de la conserver pour les familles des réfugiés statutaires. Elle constitue, souligne l’étude d’impact du projet de loi, « un obstacle au maintien de lunité familiale, difficilement compréhensible par les intéressés, en particulier pour les parents de mineures placées sous la protection de lOFPRA en raison du risque de mutilation génitale. »

*

*     *

La Commission examine lamendement CL200 de M. Éric Diard.

M. Éric Diard. La possibilité qu’offre la France aux étrangers d’obtenir une carte de résident honore notre pays, dans la mesure où diverses conditions, préservées dans l’ensemble de ce projet, sont respectées. Cependant, il en est une qui ne figure pas à l’article du CESEDA visé par le présent dispositif : celle de la maîtrise de la langue française. La langue française, dont la place à l’article 2 de notre Constitution souligne l’importance, est le ciment de notre société. Dans la mesure où la carte de résident est d’une durée de dix ans, et où, pour l’obtenir, il faut notamment justifier d’un séjour régulier en France de quatre ans, ce qui laisse largement le temps aux étrangers d’apprendre notre langue, il semble normal d’attendre d’eux qu’ils maîtrisent cette langue, une maîtrise qui les intègre de manière plus forte et cohérente à notre société.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Nous sommes tous attachés à l’apprentissage de la langue française s’agissant de l’intégration des étrangers sur notre territoire, mais nous parlons ici de cartes délivrées à des personnes bénéficiant d’une protection et vivant chez nous le plus souvent depuis peu de temps. Ces personnes sont protégées en raison de dangers qui les menacent ; on ne va donc pas leur demander de maîtriser la langue pour obtenir une carte. En revanche, il est évident que les personnes qui obtiennent ce statut souscrivent au contrat d’intégration républicaine, sur lequel nous avons prévu d’engager des réflexions autour d’un renforcement de la langue française. Obtenir la protection et commencer son intégration une fois qu’on l’a obtenue sont deux sujets différents. Avis défavorable.

M. Stéphane Peu. Cet amendement illustre bien le risque, que j’ai souligné hier, de confusion entre l’asile et l’immigration. Nos collègues entendent exiger des demandeurs d’asile, alors que l’asile est un droit protégé par des conventions internationales, des choses qui peuvent être entendues du point de vue de la politique d’immigration mais non s’agissant de l’asile.

M. Ugo Bernalicis. Je suis dans le même état d’esprit que Stéphane Peu. La confusion risque de perdurer et j’espère que nous serons entendus chaque fois que nous remettrons les choses à leur place.

M. Brahim Hammouche. Il y a là une confusion entre les objectifs et les moyens. Si l’objectif est la maîtrise de la langue française, on ne peut pas l’exiger dès le départ. On ne doit pas d’emblée en faire un obstacle.

La Commission rejette lamendement.

Elle examine ensuite lamendement CL318 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Danièle Obono. Dans la lignée de l’amendement que nous avons présenté à l’article 1er, je propose d’égaliser par le haut le droit au séjour de plein droit pour la cellule familiale de toutes les personnes bénéficiant d’une protection de réfugié ou apatride, ou d’une protection subsidiaire. Un premier titre de séjour coûte 19 euros et son renouvellement 269 euros. Si on prend l’exemple d’un couple ayant trois enfants avec le bénéfice de la protection subsidiaire, cela signifie que, tous les quatre ans, cette famille doit acquitter un paiement de 1 345 euros, alors même qu’elle se trouve en situation de précarité. Il nous semble injuste qu’une telle charge soit supportée par cette famille alors que, pour une famille dont les parents ont le statut de réfugiés, une taxe de ce type ne s’applique pas.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Nous avons déjà eu ce débat à l’article 1er, que vous avez voté. Pour ne pas me contredire, je donne un avis défavorable à votre amendement.

La Commission rejette lamendement.

Elle en vient à lamendement CL399 de Mme Danièle Obono.

M. Ugo Bernalicis. Cet amendement est dans la continuité de l’amendement CL364 à l’article 1er, sur la problématique des effets de seuil, afin d’intégrer les enfants dans l’octroi de la protection internationale.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Nous avons déjà eu le débat sur la minorité. Vous rappelez que les enfants mineurs de réfugiés n’ont pas besoin de carte de résident. Ils ont la possibilité d’en demander une dans la dix-huitième année puis, dans le cadre de leur autonomie absolue d’adulte, à partir de dix-neuf ans. Avis défavorable.

La Commission rejette cet amendement.

Elle examine ensuite lamendement CL150 de M. Éric Ciotti.

M. Éric Ciotti. Nous craignons que ce texte favorise les filières de passeurs car vous allez octroyer de façon quasi automatique aux membres de la famille des réfugiés un titre de séjour, quelle que soit leur situation au regard de la régularité du séjour. Ce sera une forme de régularisation. Nous aurons un débat similaire sur les conditions du regroupement familial, à l’article 3. Je vous mets solennellement en garde sur ce point : on pourra désormais nourrir des filières qui utiliseront la demande d’asile et éventuellement le statut de réfugié comme motif de régularisation. C’est extraordinairement dangereux. Nous devons conserver un principe : l’entrée illégale sur le territoire national doit s’opposer à la délivrance d’un titre de séjour. Si l’on ne pose pas ce principe, ne vous en déplaise, madame la rapporteure, je sais que vous n’aimez pas l’expression, nous multiplierons les appels d’air à l’immigration illégale ou au dévoiement du droit d’asile. Nous demandons donc la suppression des alinéas 2 et 3 qui aboutissent à la régularisation automatique des familles des personnes ayant obtenu le statut de réfugié.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Je répondrai en invoquant la préservation de l’unité familiale. Le but est de lever les obstacles, en particulier pour les parents de mineurs placés sous la protection de l’OFPRA en raison de risques de mutilation sexuelle. Avis défavorable.

M. Florent Boudié. L’objectif de l’article 2, et nous l’assumons pleinement, est de sécuriser l’accès à la carte de résident pour les personnes protégées et les membres de leurs familles. Il est faux de dire que nous supprimons la condition de régularité du séjour : en l’occurrence, il faudra justifier de quatre années de résidence régulière, c’est-à-dire à l’issue de la carte de séjour pluriannuelle.

M. Brahim Hammouche. Il est toujours intéressant de voir les membres du groupe Les Républicains pris dans des paradoxes. Quand on défend les valeurs de la famille, on ne peut les défendre au-delà des Pyrénées et les refuser en-deçà. Oui, la famille est fondamentale pour la structuration d’une personne et essentielle à l’intégration.

La Commission rejette lamendement.

Elle examine ensuite lamendement CL676 de M. Jean-Michel Clément.

M. Jean-Michel Clément. Dans le cadre de l’article L. 314-11 du CESEDA et de la délivrance de plein droit, et plus particulièrement de l’alinéa 8 concernant l’étranger reconnu réfugié, les dispositions que j’ai défendues précédemment pour les apatrides comme pour les bénéficiaires de la protection subsidiaire s’imposent d’autant plus fortement. Accorder le statut de réfugié et l’élargir aux membres de la famille m’apparaît parfaitement cohérent et je ne comprendrais pas qu’on s’arrête en si bon chemin. Cet amendement entend parfaire un dispositif de droit commun.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Nous souhaitons protéger les familles qui existaient avant le dépôt de la demande d’asile. La condition d’un an après le dépôt de la demande d’asile prévu à l’article 1er, que vous avez voté, me semble raisonnable. Avis défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Puis elle adopte lamendement rédactionnel CL433 de la rapporteure.

La Commission examine, en présentation commune, les amendements CL527 et CL538 de M. Dimitri Houbron.

M. Dimitri Houbron. L’amendement CL527 a pour objectif, d’une part, de rapprocher la philosophie de notre droit de celle de nos voisins européens en matière d’accueil et d’intégration des réfugiés et, d’autre part, d’accélérer l’obtention des droits dévolus aux réfugiés. Dans le texte, il est dit qu’un réfugié ne pourra obtenir sa carte de résident que s’il est détenteur d’une carte de séjour pluriannuelle de quatre ans et s’il réside en France de façon permanente depuis quatre ans. Autrement dit, à l’expiration de sa carte de séjour et s’il a résidé de façon permanente en France pendant quatre ans, le réfugié pourra obtenir sa carte de résident. Ce droit est très rigide, comparé à celui de nos voisins européens. Les Allemands et les Britanniques parlent de naturalisation au bout de trois ans de résidence ; en Italie c’est deux ans et en Espagne une année.

Le texte justifie cette durée de quatre ans de résidence pour la faire coïncider avec celle de la carte de séjour. Le problème, c’est que l’obtention de ces deux titres n’est pas soumise aux mêmes règles, notamment sur la condition de régularité de la résidence. De ce fait, le texte ne peut conditionner uniquement l’obtention de la carte de résident à l’expiration de sa carte de séjour. L’amendement propose donc que l’obtention de la carte de résident passe, en plus de la détention de la carte de séjour pluriannuelle encore en cours, par une durée de résidence de trois et non de quatre ans. Ainsi nous rapprocherons-nous sensiblement de la législation européenne. Concédons que trois années de résidence est un signe clair de la volonté de l’individu de s’insérer dans notre pays.

L’amendement CL538 est également défendu.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Je parlais de sécurité juridique et de simplification : il est important de ne pas créer de statut à part. Nous avons la carte pluriannuelle de quatre ans. Nous permettons une protection améliorée en se calant sur cette carte, avec un statut particulier pour les réfugiés et une carte de dix ans. Pour rester clair et cohérent avec l’article 1er, avis défavorable.

La Commission rejette successivement les amendements CL527 et CL538.

Elle examine ensuite lamendement CL866 de M. Denis Sommer.

M. Denis Sommer. Si nous devons bien sûr lutter contre l’immigration irrégulière, la loi doit aussi fixer des conditions d’admission exceptionnelles au séjour et prendre en compte certaines réalités humaines. Il y a sur notre territoire des familles installées depuis plusieurs années et qui ont des enfants scolarisés. Le présent amendement permet aux parents résidant en France depuis au moins trois ans et ayant au moins un enfant scolarisé en France depuis au moins un an d’obtenir une carte de résident.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Je comprends votre préoccupation pour les familles et les enfants scolarisés mais votre proposition crée de la confusion entre notre protection au titre du droit d’asile et les demandes de régularisation. Le débat sur les régularisations n’a pas lieu d’être quand on parle du droit d’asile. Avis défavorable.

Mme Cécile Untermaier. Je profite de la présence du ministre d’État pour poser une question au sujet des régularisations. Nous souhaitons savoir si la « circulaire Valls » est toujours d’actualité. Je vous alerte, monsieur le ministre, sur la difficulté que nous rencontrons, du fait que des conditions sont ajoutées, dans des dossiers de régularisation sur lesquels nous n’avions aucune difficulté jusqu’à présent. Une clarification me semble nécessaire au niveau de l’État.

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. Nous avons le débat sur les régularisations chaque année puisque le texte auquel vous faites référence permet quelque 30 000 régularisations par an. Il convient de fixer le statut des uns et des autres. Lorsque nous aurons examiné l’ensemble des articles de cette loi, nous pourrons débattre de ce qu’il convient de faire au sujet des personnes qui se trouvent sans statut. Nous aurons ce débat, mais ce n’est pas aujourd’hui qu’il faut l’avoir.

M. Raphaël Schellenberger. Ces propos sont surprenants : on nous explique qu’il y a le droit d’asile, que nous défendons autant que vous parce que c’est l’honneur de la France, une stratégie migratoire, et enfin des immigrés illégaux, des clandestins présents sans droit sur notre territoire. C’est précisément de ceux-là qu’il s’agit dans nos amendements. Or vous nous dites, monsieur le ministre, qu’il faudra que nous ayons un débat sur les clandestins après ce texte sur l’asile et l’immigration ? C’est invraisemblable.

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. Je vous ai expliqué hier que des personnes étaient à l’hôtel depuis quinze ans. Il faudra bien prendre leur sort en considération. Aujourd’hui, nous nous efforçons de fixer des normes de manière que ne s’accroisse plus en France le nombre de ceux qui ont pu bénéficier des incertitudes de la loi.

La Commission rejette lamendement.

Puis elle est saisie de lamendement CL411 de Mme Danièle Obono.

M. Ugo Bernalicis. C’est un bout d’un amendement qui était ailleurs, à l’article 1er. Je ne comprends pas bien ce qui se passe la nuit à l’Assemblée nationale, des amendements sont déplacés, découpés… Comme vous pouvez le constater, l’exposé sommaire de cet amendement CL411 fait allusion, en effet, à l’article 1er.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous vous avons déjà expliqué comment s’effectuait le placement des amendements. Ce n’est pas la nuit, en catimini. Vous avez reçu toutes les explications nécessaires, ne faites pas semblant de croire que cela se fait dans votre dos.

Suivant lavis défavorable de la rapporteure, la Commission rejette lamendement.

Elle adopte ensuite larticle 2 modifié.

Article 3
(art. L. 752-1, L. 752-3 et L. 723-5 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile)
Réunification familiale des réfugiés et des bénéficiaires de la protection subsidiaire - Protection des mineures contre les mutilations sexuelles

Résumé du dispositif et effets principaux :

L’article 3 étend le droit à la réunification familiale du mineur protégé à ses frères et sœurs non mariés s’ils sont à la charge de ses parents. Il prévoit par ailleurs que, dans le cadre de la protection des mineures courant un risque de mutilation sexuelle, le médecin en charge de l’examen médical adresse directement le certificat médical à l’OFPRA plutôt que de le remettre aux parents.

Dernières modifications législatives intervenues :

La procédure applicable à la réunification familiale a été modifiée par la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d’asile.

Modifications apportées par la commission des Lois :

La Commission a adopté un amendement de M. Dimitri Houbron étendant aux mineurs de sexe masculin la protection prévue par le présent article à l’encontre des mutilations sexuelles.

1.   La réunification familiale des personnes protégées

a.   L’état du droit

L’article L. 752-1 du CESEDA, introduit par la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015, consacre le droit à la réunification familiale des réfugiés et des bénéficiaires de la protection subsidiaire et codifie la procédure applicable pour mettre en œuvre ce droit, afin de résoudre les difficultés souvent rencontrées, en pratique, par les personnes concernées, et de parfaire la transposition des directives « Regroupement familial » du 22 septembre 2003 ([23]) et « Qualifications » du 13 décembre 2011 ([24]).

La procédure applicable est un aménagement de la procédure de regroupement familial prévue aux articles L. 411-1 à L. 411-7 du CESEDA dans la mesure où, à la différence des étrangers relevant de cette dernière, les bénéficiaires de la protection internationale peuvent être rejoints sans condition tenant à une durée préalable de séjour régulier, de ressources ou de logement. Se voient ainsi attribuer la carte de séjour temporaire « vie privée et familiale » :

– le conjoint ou le partenaire d’une union civile âgé d’au moins dix-huit ans si le mariage ou l’union est antérieur à l’introduction de la demande de protection ;

– le concubin d’au moins dix-huit ans avec qui le bénéficiaire partageait une vie commune « suffisamment stable et continue » avant l’introduction de la demande de protection ;

– les enfants non mariés âgés de moins de dix-neuf ans à la date d’introduction de la demande de réunification ;

– les ascendants directs au premier niveau si l’étranger protégé est mineur non marié.

La demande de réunification familiale est initiée auprès de l’autorité diplomatique ou consulaire dans laquelle résident les membres de la famille du demandeur. Au vu des justificatifs d’identité et des preuves de liens familiaux, l’autorité diplomatique ou consulaire enregistre la demande de visa. L’OFPRA certifie alors la situation de famille du réfugié ou du bénéficiaire de la protection subsidiaire ainsi que son état civil. Cette certification peut être transmise à l’autorité diplomatique ou consulaire.

L’article L. 752-1 précise par ailleurs que la réunification familiale ne peut être refusée « que si le demandeur ne se conforme pas aux principes essentiels qui, conformément aux lois de la République, régissent la vie familiale en France, pays daccueil. » Enfin, il est précisé qu’est exclu de la réunification familiale « un membre de la famille dont la présence en France constituerait une menace pour lordre public ou lorsquil est établi quil est instigateur, auteur ou complice des persécutions et atteintes graves qui ont justifié loctroi dune protection au titre de lasile. »

b.   Le dispositif proposé

Le 1° du I du présent article a pour objet d’étendre le droit à la réunification familiale, non plus uniquement aux ascendants du mineur protégé, mais également à ses frères et sœurs non mariés s’ils sont effectivement à charge des ascendants du mineur protégé. L’alinéa 3 complète le I de l’article L. 752-1 du CESEDA en ce sens.

Par ailleurs, l’alinéa 4 complète le II de l’article L. 752-1 pour préciser que le bénéficiaire, et non plus seulement le demandeur, de la réunification familiale peut se la voir refuser s’il ne se conforme pas aux principes essentiels qui régissent la vie familiale en France.

2.   La protection des mineures courant un risque de mutilation sexuelle

a.   L’état du droit

L’article L. 752-3 du CESEDA, créé par la loi du 29 juillet 2015, a consacré dans la loi la possibilité pour l’OFPRA, lorsque l’asile a été octroyé à une mineure invoquant un risque de mutilation sexuelle, de demander un certificat médical, tant que ce risque existe.

Depuis la loi n° 2006-399 du 4 avril 2006 ([25]), les mutilations sexuelles commises à l’étranger sur une victime mineure résidant habituellement sur le territoire français (sans qu’elle ait nécessairement la nationalité française) sont réprimées par la loi pénale française, en application de l’article 222-16-2 du code pénal. Depuis la loi n° 2013-711 du 5 août 2013 ([26]), l’incitation non suivie d’effet à subir une mutilation sexuelle est réprimée par l’article 227-24-1 du même code.

Les mutilations sexuelles sont expressément visées par l’article 226-14 du code pénal parmi les infractions pour lesquelles le médecin opérant un signalement ne peut faire l’objet d’aucune poursuite ou sanction.

S’agissant de l’asile, au terme d’une lente évolution, la jurisprudence administrative considère que, dans une population dans laquelle les mutilations sexuelles féminines sont couramment pratiquées au point de constituer une norme sociale, les enfants et les adolescentes non mutilées constituent de ce fait un groupe social au sens de la Convention de Genève ([27]) et de la directive « Qualifications » : ils sont susceptibles de se voir reconnaître la qualité de réfugié si des éléments circonstanciés, notamment familiaux, géographiques ou sociologiques, établissent les risques de persécution qu’ils encourent personnellement, à moins qu’ils puissent avoir accès à une protection sur une partie du territoire de leur pays d’origine à laquelle ils sont en mesure, en toute sûreté, d’accéder afin de s’y établir et d’y mener une vie familiale normale.

Dans les cas où le groupe social n’est pas caractérisé au regard de l’information disponible sur le pays d’origine, l’OFPRA examine l’éligibilité à la protection subsidiaire au sens de l’article L. 712-1, b), du CESEDA.

703 mineures ont été placées sous la protection de l’OFPRA en raison du risque d’excision auquel elles étaient exposées dans leur pays d’origine en 2015 et 591 en 2016, pour une population totale d’environ 6 000 mineures protégées à ce titre en France.

Lorsque la protection a été accordée, l’Office peut, tant que le risque de mutilation sexuelle existe et tant que l’intéressée est mineure, lui demander de se soumettre à un examen médical visant à constater l’absence de mutilation, selon l’article L. 752-3 du CESEDA. Ce suivi médical permet à l’Office de s’assurer que les mineures protégées ne subissent pas de mutilations après l’octroi de la protection. Si une telle mutilation devait être constatée, ou en cas de refus de se soumettre à l’examen, l’Office transmet l’information au procureur de la République.

Aucun constat de mutilation sexuelle ne peut entraîner, à lui seul, la cessation de la protection. L’Office doit observer une période de trois ans entre deux examens, sauf s’il est saisi d’informations laissant sérieusement craindre que la mutilation ait lieu.

L’arrêté pris pour l’application des articles L. 723-5 et L. 752-3 ([28]) prévoit que le certificat médical établi par le médecin à l’issue de l’examen est remis aux parents de la mineure concernée, ou à ses représentants légaux. Il leur appartient, dans un délai de quinze jours suivant l’examen médical, d’adresser ce certificat à l’OFPRA.

b.   Le dispositif proposé

Le présent article prévoit que le médecin ayant réalisé l’examen de la mineure sollicitant l’asile ou déjà protégée en raison de craintes de mutilation sexuelle fait parvenir directement le certificat médical à l’OFPRA plutôt que de le donner aux parents de la mineure. Cet envoi direct doit permettre d’éviter notamment les transmissions tardives ou les absences d’envoi, qui nécessitent alors des démarches administratives ultérieures. Il doit également apporter une protection supplémentaire à la mineure contre d’éventuelles violences familiales.

À cette fin, l’alinéa 6 complète l’article L. 752-3, relatif aux examens médicaux effectués après l’octroi de la protection tandis que l’alinéa 8 complète l’article L. 723-5, c’est-à-dire lors de l’examen de la demande de protection. Dans les deux cas, une copie du certificat est remise en main propre aux parents ou représentants locaux.

Dans son avis, le Conseil d’État souligne que l’aménagement ainsi apporté au secret médical paraît fondé dans la mesure où il est « justifié, dune part, par la nature même de la protection accordée, dautre part, par la nécessité pour lOFPRA, compte tenu de ses missions, de vérifier le droit à son maintien. »

3.   Les modifications apportées par la commission des Lois

La Commission a adopté, contre l’avis de votre rapporteure, un amendement de M. Dimitri Houbron et plusieurs de ses collègues du groupe La République en Marche visant à protéger les individus de sexe masculin de tout risque de mutilation sexuelle de nature à les rendre stériles. L’amendement complète pour cela l’alinéa 8 de l’article 3 en précisant que les dispositions relatives à la transmission du certificat médical à l’OFPRA leur sont également applicables.

*

*     *

La Commission est saisie de deux amendements identiques CL55 de M. Fabien Di Filippo et CL261 de M. Éric Ciotti.

M. Fabien Di Filippo. Nous en venons au sujet humainement le plus scandaleux de ce texte. Le Gouvernement veut en effet favoriser le regroupement familial avec l’extension de son bénéfice aux frères et sœurs des réfugiés mineurs. Or le regroupement familial représente déjà 40 % des délivrances de titres de séjour, avec tous les problèmes qui y sont liés. Cet article, notamment ses alinéas 2 et 4 que le présent amendement tend à supprimer, encourage l’immigration et le dévoiement du droit d’asile, c’est-à-dire l’immigration illégale, et, surtout, il pousse des familles à envoyer leurs enfants mineurs comme têtes de pont pour faire ensuite accueillir l’intégralité de la famille. On sait pourtant que cela se fait dans des conditions très dangereuses, avec des filières criminelles de passeurs. Les vraies questions qui doivent présider au regroupement familial et qui ne sont pas abordées ici concernent les perspectives d’intégration et d’insertion professionnelle pour ces populations et la capacité des familles à s’assumer une fois sur le sol français.

M. Éric Ciotti. Nous abordons en effet un des sujets majeurs de ce texte. L’article est révélateur de la dichotomie entre le discours de fermeté du ministre d’État et la réalité du contenu du texte. Je crois revivre le débat que nous avons eu sur la loi de sécurité intérieure et de lutte contre le terrorisme (SILT), avec des effets d’annonce, des expressions de fermeté, et puis, six mois plus tard, un bilan confirmant ce que nous disions, c’est-à-dire un texte qui affaiblit la protection des Français. Nous connaîtrons, je vous le dis, le même scénario. Ce texte va aboutir à une augmentation de l’immigration légale et illégale.

Depuis des années, ce sujet est une source d’augmentation très importante de l’immigration légale dans notre pays : 90 000 titres de séjour, soit 35 %, ont été accordés au titre de l’immigration familiale. Il ne s’agit pas du regroupement familial au sens juridique du terme, pour lequel les chiffres sont plus faibles – autour de 20 000 titres, même si ces chiffres sont difficilement vérifiables –, mais nous savons que, depuis 1974, le regroupement familial a été une source majeure d’augmentation de l’immigration dans notre pays.

Nous considérons que le niveau d’immigration en France n’est déjà plus supportable car il ne permet plus d’intégrer ceux que nous accueillons, et ce défaut d’intégration du fait du trop grand nombre d’étrangers dans notre pays est une source d’immenses difficultés. Or vous allez encore plus loin. Vous me direz qu’il s’agit uniquement des collatéraux des mineurs réfugiés, que les nombres sont faibles, mais nous voyons bien quels risques vont apparaître. Certains sociologues nous ont déjà alertés. Des filières de passeurs vont se construire, nous allons alimenter un nouveau vecteur d’immigration extrêmement dangereux.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Permettez-moi de vous renvoyer à vos propres dichotomies. Vous n’avez de cesse de nous dire que vous êtes comme nous attachés à la préservation du droit d’asile, à la protection des personnes qui fuient les guerres et les persécutions et qui sont en danger dans leur pays d’origine, mais, en même temps, vous refusez que la protection dont elles bénéficient soit accordée à leur famille. Cela me paraît totalement contradictoire.

Par ailleurs, vous introduisez une confusion, de nature politique, entre le regroupement familial et la réunification familiale. Vous affirmez que la réunification familiale entraînerait un appel d’air voire une submersion car elle serait utilisée par les familles pour élaborer des stratégies migratoires à partir d’une nouvelle voie légale.

Vous créez de la confusion sous couvert de clarification. La clarification, je vais la faire : cet article du projet de loi propose plus d’humanité pour les personnes qui bénéficient d’une protection et je ne vois pas comment nous pourrions protéger des parents sans protéger aussi leurs enfants ou protéger des mineurs, dont le dossier a été étudié par l’OFPRA, sans protéger aussi leurs parents.

Si vous êtes aussi attachés que nous à la préservation du droit d’asile, n’introduisez pas une telle confusion. Avis défavorable.

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. Monsieur Ciotti, je crois que vous faites une erreur : vous confondez les mineurs réfugiés et les mineurs non accompagnés. Les mineurs réfugiés sont aujourd’hui en nombre extrêmement réduit : 400 en 2016. Les mineurs non accompagnés, qui constituent un problème véritable pour notre pays, proviennent principalement de pays francophones d’Afrique subsaharienne – surtout de Guinée, de Côte d’Ivoire et du Mali – et ils n’obtiendront pas le statut de réfugié. Le problème que vous posez est un faux problème.

M. Claude Goasguen. Après avoir écouté M. le ministre d’État, je me pose plusieurs questions. Les pays qu’il vient de citer ont-ils un état civil ? Sommes-nous sûrs de l’état civil guinéen, par exemple ? Qui va vérifier la nature de l’état civil qui va être produit pour obtenir la réunification familiale ? Est-ce le ministère de l’intérieur ? Est-ce l’OFPRA ? Je ne comprends pas bien. Il y a beaucoup de pays africains sans service d’état civil. Il y a beaucoup de pays africains où la fraude à l’état civil est devenue courante. Il y a aussi des pays africains où l’adoption musulmane, la kafala, est de droit. Ce lien sera-t-il accepté pour bénéficier de la réunification familiale. Avez-vous fait une étude d’impact sur ce point précis ?

Mme Lætitia Avia. Nos collègues du groupe Les Républicains me semblent avoir une conception particulièrement exotique de la famille. M. Di Filippo a utilisé l’expression « humainement scandaleux » pour qualifier la réunification familiale accordée aux mineurs réfugiés. Qu’y a-t-il d’humainement scandaleux à permettre à des mineurs de retrouver leur famille, de s’intégrer dans notre pays et de reconstruire leur vie ? Comment peut-on qualifier de « tête de pont » un mineur qui fuit des théâtres de guerre ou une jeune fille mutilée par l’excision ?

Ce qui « humainement scandaleux », monsieur, ce sont vos propos !

M. Éric Diard. C’est n’importe quoi ! C’est de la politique politicienne !

M. Sacha Houlié. Si vous voulez parler de politique politicienne, nous en avons de beaux exemples avec les positions exprimées par nos collègues Ciotti et Goasguen. Ils renient l’idée même d’équilibre pourtant défendue par des membres de leur propre famille politique. Je pense aux appréciations portées sur la loi renforçant la sécurité intérieure et son application et aux propos récents de Frédéric Péchenard.

Parce que les faits sont têtus, parlons de réunification familiale. Référons-nous aux chiffres relatifs à la délivrance de titres de séjour entre 2012 et 2017 fournis par Guillaume Larrivé dans son rapport : il constate une augmentation de 4,5 % pour motif familial et de 118 % pour motif humanitaire. La réunification familiale, nous le voyons bien, n’a pas provoqué d’afflux migratoire massif. Tout cela relève du fantasme.

M. Jean-Christophe Lagarde. Notre groupe soutient l’article 3 du projet de loi. Accueillir un mineur sans prendre en considération la nécessité pour lui d’être réuni avec sa famille afin de se construire en tant qu’adulte et de s’intégrer sur notre territoire nous paraîtrait incohérent.

Cela dit, en matière d’immigration et de droit d’asile, la droite comme la gauche peuvent entretenir des fantasmes ridicules qui donnent lieu à des débats abscons. Et pour revenir à la réalité, monsieur le ministre, il me semblerait bon que vous transmettiez chaque année à la commission des Lois les chiffres relatifs au nombre de mineurs réfugiés en France.

M. Pierre-Henri Dumont. Cet article inverse la logique du regroupement familial : auparavant, il se faisait à l’initiative des parents ; demain, il pourra se faire à l’initiative des enfants. Certes, les mineurs réfugiés ne sont que quatre cents aujourd’hui mais on légifère aussi pour demain et après-demain.

Avec cette disposition, vous ouvrez une nouvelle voie d’immigration légale : dans les pays en guerre, des adultes qui n’auraient pas pensé à prendre le chemin de l’exil enverront en France leurs enfants mineurs, de seize ou dix-sept ans, afin de les y rejoindre avec leurs autres enfants. Or l’état civil dans ces pays pose problème et les fratries étant souvent extrêmement importantes, nous ne sommes pas certains de pouvoir accueillir toutes ces familles dans des conditions dignes.

Nous sommes ici pour débattre avec des arguments juridiques ou politiques et non pour mettre en avant les désaccords au sein des autres groupes politiques. Nous pourrions sinon gentiment inviter les membres de la majorité à se pencher sur les deux amendements qui suivent : ils leur montreront qu’au sein du groupe majoritaire, cet article ne fait pas l’unanimité.

Mme Delphine Bagarry. Comment peut-on prêter à des parents, aussi désespérés soient-ils, l’intention d’envoyer leurs enfants en première ligne, au péril de leur vie, pour tenter de les rejoindre et espérer connaître des jours meilleurs ? S’ils sont prêts à faire courir ce risque à leurs enfants, c’est avant tout pour leur laisser la chance d’avoir une vie meilleure que la leur.

M. Sébastien Huyghe. Je ne doute pas un seul instant que cette disposition parte d’un bon sentiment. Toujours est-il qu’elle est susceptible de contribuer à la mise en danger de centaines voire de milliers d’enfants, instrumentalisés par des parents qui chercheront à bénéficier d’une nouvelle possibilité de régularisation. Ils enverront sur les routes leurs enfants mineurs, parfois en bas âge, en les exposant à de multiples risques, en les laissant dans les mains de passeurs sans scrupules, en faisant peser sur eux la menace du marché de la prostitution.

M. Arnaud Viala. Le risque existe bel et bien, en effet, que des familles utilisent cette possibilité.

J’aimerais que nos débats, difficiles par nature, puissent se dérouler dans un climat de travail normal. Je trouve tout à fait dommageable que les membres de notre groupe, à chaque fois qu’ils prennent la parole, se trouvent stigmatisés par des réactions à l’emporte-pièce de la rapporteure et de certains membres de la majorité. Si nous ne pouvons pas exposer nos points de vue, c’est qu’il y a un problème dans le fonctionnement de la Commission.

Enfin, j’aimerais appuyer les demandes de nos collègues sur deux points, monsieur le ministre.

D’abord, il me paraîtrait en effet intéressant de disposer régulièrement de chiffres relatifs aux mineurs réfugiés concernés par la disposition de l’article 3.

Ensuite, il serait bon d’avoir vos éclaircissements au sujet de l’état civil des pays d’où viennent les mineurs et de la prise en compte de leurs pratiques d’adoption.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Monsieur Viala, je ne peux vous laisser dire qu’on ne peut pas débattre en commission. Sur ces amendements identiques, sept membres du groupe Les Républicains sont intervenus.

M. Arnaud Viala. Madame la présidente, je n’ai pas dit que nous ne pouvions pas débattre en commission mais que la façon dont étaient reçues nos interventions n’était pas normale dans le cadre d’une réunion de commission. Chacun doit pouvoir exprimer son point de vue.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Je crois que vous le faites largement.

Mme Valérie Boyer. Madame la présidente, je vous remercie de m’accueillir au sein de votre Commission.

Permettez-moi de profiter de la présence de M. le ministre d’État pour lui demander de nous fournir des éléments chiffrés sur le nombre de mineurs non accompagnés et de mineurs réfugiés, et de nous donner des garanties que ces mineurs non accompagnés n’aient pas un jour la possibilité d’avoir le statut de réfugié.

Comme mes collègues du groupe Les Républicains, je crains que les intentions humanistes affichées dans cet article 3 n’aggravent encore la situation des migrants. Quand nous avions dénoncé ces risques au début de la crise migratoire, il nous avait été répondu que nos inquiétudes n’avaient pas lieu d’être. Or nous voyons bien aujourd’hui l’ampleur que le phénomène a prise.

En outre, je suis navrée de constater que nous traitons le problème des mutilations génitales féminines sous l’angle de l’immigration. Je tiens à rappeler quelques chiffres : 60 000 femmes excisées vivent sur le territoire français et elles sont 500 000 au sein de l’Union européenne. Pour l’instant, aucune mesure concrète n’a été prise pour protéger les filles. Rien n’est fait lorsqu’elles partent en voyage dans le pays d’origine de leurs parents alors même que celui-ci est connu pour pratiquer l’excision. J’ai fait des propositions à ce sujet et j’aimerais qu’elles puissent faire l’objet d’un débat républicain. Il ne faut pas confondre ces pratiques barbares avec l’immigration.

M. Éric Ciotti. Monsieur le ministre d’État, les chiffres que vous avez cités sont forcément appelés à évoluer. Qui vous dit que les mineurs non accompagnés ne deviendront pas un jour des mineurs réfugiés ? Je vous trouve bien imprudent quand vous dites que telle ou telle nationalité ne donnera jamais droit au statut de réfugié. Aujourd’hui, plus d’un tiers des demandeurs obtiennent une protection après examen de leur dossier par l’OFPRA et la CNDA.

Avec cet article 3, ce sont les fratries qui sont en cause. Combien de personnes pourront rejoindre un mineur ayant obtenu le statut de réfugié ? Le nombre de mineurs réfugiés risque de s’accroître mécaniquement compte tenu de l’augmentation très importante du nombre de mineurs qui franchissent nos frontières – 25 000, l’année dernière.

Nous persistons à dire que cette disposition comporte un risque majeur : ouvrir de nouvelles filières d’immigration clandestine d’exploitation des enfants. Désormais, les grands garçons des familles vont être envoyés en éclaireur. Et nous aurons beaucoup de mal à contrôler leur identité, compte tenu des pratiques de fraude évoquées par Claude Goasguen.

M. Fabien Di Filippo. Monsieur le ministre, en élargissant le regroupement familial, vous commettez une grave erreur : vous ouvrez une brèche en vous fondant sur le faible nombre actuel de mineurs réfugiés alors que vous ne pouvez pas savoir comment la situation évoluera, ni du point de vue administratif, compte tenu des problèmes liés à l’état civil, ni du point de vue géopolitique avec les changements qui peuvent intervenir dans les pays réputés aujourd’hui sûrs. La naïveté dont fait preuve la majorité me paraît désarmante et nos citoyens auront bien du mal à la comprendre.

Madame Avia, ce qui est humainement scandaleux, c’est que des parents laissent leurs enfants mineurs partir seuls sur des routes maritimes et terrestres pour aller quérir pour toute la famille le droit d’asile. Ce n’est pas ma conception de la famille.

M. Florent Boudié. De quoi parlons-nous ? D’enfants ayant subi des persécutions dans leur pays qui, au terme d’un parcours migratoire extrêmement violent, parviennent sur le territoire français, déposent une demande d’asile et sont reçus par des officiers de l’OFPRA qui écoutent leur récit de vie avant de décider de leur accorder ou non le statut de réfugié ou la protection subsidiaire. Si nous nous fondions seulement sur les documents d’identité, nous n’aurions aucune capacité à accueillir celles et ceux qui ont été victimes de persécutions.

En outre, si nous avons parfois répondu avec des mots empreints de passion, c’est parce qu’il y a une petite musique de chambre, monsieur Ciotti, autour de votre argumentation qui consiste à confondre les situations, par exemple la réunification familiale des personnes ayant le statut de réfugié ou bénéficiant de la protection subsidiaire et le regroupement familial, ou bien encore, monsieur Goasguen, autour de votre référence aux traditions religieuses « musulmanes », mot lâché au bout de trois heures de débat.

Cette question est d’une extrême gravité et je suis au regret de vous dire que nous comprenons tous ici ce que vous recherchez : une séduction électoraliste.

M. Sébastien Huyghe. Vous n’avez pas de leçons à nous donner !

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. Concernant M. Ciotti, je me garderai de parler de musique de chambre. C’est avec plus de coffre que cet orchestre-là joue, me semble-t-il…

Vous me dites que le nombre de mineurs réfugiés augmentera peut-être, certes, mais personne ne peut savoir si la situation ne changera pas encore dans dix ans. Il y a cinq ans, personne n’aurait pu prévoir l’ampleur qu’allait prendre la migration des mineurs non accompagnés tout simplement parce que ce phénomène n’existait pas. Nous ne pouvons pas légiférer en fonction d’évolutions qui ne sont même pas prévisibles. Nous devons légiférer pour répondre à des questions qui sont aujourd’hui pendantes.

La meilleure façon de répondre à cette question, dans notre monde qui évolue, je vous le concède, de manière assez rapide, c’est celle qui a été indiquée par M. Lagarde : étudier l’évolution de la situation sur la base de chiffres nouveaux fournis chaque année. Lors de l’examen du projet de loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, vous aviez ainsi demandé que des évaluations puissent être effectuées périodiquement de manière à prendre la mesure des changements intervenus depuis le moment où nous avons légiféré.

Pour ce qui est du contrôle de l’état civil, certains pays d’Afrique en sont dotés, d’autres pas encore et nous sommes en train de le construire avec eux, avec l’aide de sociétés françaises.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. J’aimerais tout d’abord répondre à l’interrogation légitime de M. Viala sur la tonalité de nos débats. Rappelons que M. Di Filippo a dit par deux fois qu’il jugeait l’article 3 « humainement scandaleux » et que M. Ciotti a évoqué le « grand garçon » envoyé en éclaireur en France pour faire venir toute sa famille.

Aux termes de l’article L. 752 du CESEDA, la loi prévoit déjà qu’un enfant réfugié peut bénéficier du droit d’être rejoint par ses parents. En refusant l’extension aux collatéraux, vous acceptez que les frères et sœurs d’un mineur réfugié rejoint par ses parents soient laissés seuls dans leur pays d’origine. C’est cela, messieurs, qui m’apparaît « humainement scandaleux ».

La Commission rejette ces amendements.

Elle est saisie de trois amendements identiques CL137 de Mme Alexandra Valetta Ardisson, CL552 de Mme Typhanie Degois et CL752 de Mme Valérie Boyer.

Mme Alexandra Valetta Ardisson. Monsieur le ministre, comme vous l’avez souligné hier, il y a une très forte augmentation du nombre de mineurs qui tentent de pénétrer en Europe et plus particulièrement en France. Cet afflux n’est pas une action spontanée mais elle est bien souvent la conséquence des actions de mafias et de passeurs en tous genres.

Étendre la réunification familiale aux frères et aux sœurs risque d’augmenter encore le nombre de mineurs sur notre territoire et donc d’accroître leur exposition aux risques.

Pour mémoire, il y a eu 4 800 morts recensés en Méditerranée et je ne voudrais pas que l’année prochaine, il y ait encore plus de mineurs parmi les morts. Dans un bateau de fortune, on peut mettre beaucoup plus d’enfants et les passeurs risquent de faire payer plus cher à des mineurs le passage en Europe sous prétexte que le regroupement sera étendu. Supprimer l’alinéa 3 me paraît constituer une mesure de sauvegarde pour les mineurs.

Mme Typhanie Degois. L’article L. 752-1 du CESEDA permet à un mineur réfugié de bénéficier d’une réunification familiale avec ses parents et je m’oppose à un élargissement aux frères et aux sœurs. Alors que nous sommes confrontés à un vrai problème de société avec l’immigration – qui va sans doute augmenter encore du fait d’événements climatiques majeurs –, nous risquons de créer avec cette disposition un appel d’air. Il faut veiller à ne pas dévoyer le droit d’asile français.

Mme Valérie Boyer. Autant je suis prête à soutenir des ajustements techniques, autant je considère que ce projet de loi n’est pas à la hauteur du défi migratoire. Rien, dans ses articles, n’indique une volonté de limiter le volume des flux migratoires. Certaines dispositions relatives à l’asile élargissent au contraire le champ de ses possibilités. C’est le cas de l’extension du regroupement familial, mesure extraordinairement dangereuse.

Ce même article 3 renforce la protection des jeunes filles exposées à un risque d’excision en permettant au médecin chargé des examens requis de transmettre directement à l’OFPRA le certificat médical. Je redis à quel point je suis consternée de voir le problème des mutilations génitales féminines abordé sous l’angle de l’immigration. Aucune mesure concrète n’est prise pour lutter contre l’excision alors que les femmes excisées sont au nombre de 60 000 en France.

À travers cet amendement, je souhaite m’opposer à tout élargissement du champ des possibilités de l’immigration humanitaire ou familiale car cette disposition risque de créer un appel d’air particulièrement dangereux. Je ne souhaite pas voir des filières de passeurs s’organiser pour commercialiser l’arrivée de toute une famille à partir de la venue d’un mineur. Je ne souhaite pas voir un trafic par âge se développer alors que nous n’avons aucun moyen de mesurer avec certitude l’âge des personnes qui se disent mineures.

Il faut poser un regard lucide sur la situation de notre pays. Aujourd’hui, le texte que vous proposez va aggraver la situation des personnes qui sont en souffrance chez elles mais aussi l’équilibre social de notre pays.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Même si j’entends vos craintes, je suis défavorable à ces amendements qui reprennent une argumentation assez identique à celle que l’on vient d’entendre. Madame Boyer, vous voulez protéger les jeunes filles menacées d’excision mais il ne faudrait pas aborder le sujet dans ce texte. Je ne comprends pas votre raisonnement. À mon avis, cette question peut être soulevée dans tous les débats, dans celui-ci comme dans d’autres. Nous aurons d’ailleurs à y revenir ultérieurement.

M. Claude Goasguen. Si j’ai bien compris, le ministre d’État n’est pas hostile à la publication annuelle des chiffres de l’immigration. Ces statistiques, qui existaient avant d’être supprimées sous la présidence de M. Hollande, avaient l’avantage de tuer certaines fausses rumeurs. Que vous confirmiez le retour de cette publication annuelle est une nouvelle très positive.

Vous avez aussi admis le fait que certains pays sont dépourvus d’état civil.

Troisième remarque : la notion de mineur donne lieu à un amalgame extrêmement préoccupant. Il est clair qu’un enfant de cinq ans ne peut pas être au centre d’une réunification familiale douteuse. Il est tout aussi clair qu’un jeune de dix-sept ou dix-huit ans peut être envoyé vers la France dans la perspective d’une réunification familiale éventuellement fictive, d’autant plus que l’état civil de certains pays n’est pas stable. Quitte à me répéter, j’indique qu’il faut aussi prendre en considération la notion d’adoption musulmane, qui n’est pas religieuse mais qui est extrêmement importante du point de vue du droit civil. À Mayotte, département français, l’adoption musulmane coûte 50 euros. Je me doute que la situation que j’ai connue par expertise à Mayotte doit être développée dans d’autres pays musulmans comme la Guinée, le Sénégal ou la Côte d’Ivoire.

M. Brahim Hammouche. J’entends beaucoup de choses. On n’est pas dans une brèche d’immigration massive, on est d’abord dans une brèche d’espérance reconstructive. Pour ceux qui s’étonnent de voir des mineurs isolés, j’aimerais citer un passage de l’excellent ouvrage de Boris Cyrulnik, Sauve-toi, la vie tappelle, publié en 2013 : « Une nuit, jai été arrêté par des hommes armés qui entouraient mon lit. Ils venaient me chercher pour me mettre à mort. Mon histoire est née cette nuit-là. » Lorsque l’on est tous les jours confronté à la mort et au désespoir, on ne pense qu’à se sauver pour sauver sa peau, parce que la vie nous appelle ailleurs, loin.

M. Raphaël Schellenberger. D’une manière intéressante, monsieur le ministre, vous avez démontré vous-même que nous sommes dans le vrai : en défendant ces amendements, nous sommes en train d’anticiper une évolution des flux migratoires. Personne n’a vu venir le problème des mineurs non accompagnés, dites-vous. Pour notre part, nous vous alertons sur le fait que vous êtes en train de créer une nouvelle brèche, un nouveau risque d’immigration non maîtrisée et organisée autour de filières.

L’état civil soulève des interrogations sur les situations conjugales et familiales mais aussi sur des données individuelles telles que l’âge. L’un des grands problèmes est de déterminer l’âge des mineurs non accompagnés. Nombre de jeunes dépourvus de documents d’identité prétendent avoir seize ou dix-sept ans et, au fil du temps, après les avoir hébergés pendant plusieurs mois aux frais des départements, on se rend compte qu’ils ont bien plus que dix-huit ans. Ces questions se posent pour les mineurs non accompagnés, et elles se poseront nécessairement aussi pour les demandes d’asile de mineurs dont on aura du mal à qualifier l’état civil.

Mme Danièle Obono. Certains de nos collègues de la majorité ou du groupe Les Républicains expliquent que ces mesures ouvriraient des brèches et créeraient un appel d’air. On va en entendre beaucoup parler de cet appel d’air. Pour ma part, je ne comprends toujours pas en quoi celui-ci serait problématique. En règle générale, un appel d’air, c’est censé améliorer une situation. Dans le cas d’une combustion, le problème c’est le feu et non pas la brèche que l’on ouvre.

Il est question ici de garantir et de renforcer des statuts qui existent et qui permettent d’ouvrir à des gens la possibilité de venir demander la protection. On n’ouvre pas des brèches. On ne crée pas des filières d’immigration clandestine. On renforce du droit et de la protection, y compris en vertu de conventions internationales. On ne peut pas s’enorgueillir du fait que la France ait signé la Convention de Genève, et trouver ensuite que cette convention ne va pas parce qu’elle renforce des filières d’immigration. Le principe même de cette législation est d’ouvrir des filières d’immigration pour les gens qui ont besoin de protection.

Pour légitime qu’elle soit, votre argumentation est contradictoire : elle consiste à refuser l’application des principes mêmes de la Convention de Genève, c’est-à-dire à refuser la protection à des gens qui en ont besoin. Quand on assume ces principes, on assume de les renforcer et de les garantir comme nous le faisons ici.

M. Éric Ciotti. Je voterai pour ces amendements dont les auteurs font preuve de lucidité et s’extraient du débat politicien dans lequel vous vouliez nous enfermer, pour retourner au pragmatisme qui est, avec la protection des mineurs, notre seule motivation. C’est une attitude courageuse dans un débat où certaines positions seraient plus respectables que d’autres.

Madame la rapporteure, vous avez indiqué que le texte actuel permettait aux réfugiés de faire venir leurs ascendants et descendants, mais nous parlons ici des collatéraux. Pourquoi introduisez-vous cette possibilité ? Si une personne – mineure ou adulte – subit des violences dans son pays, elle peut venir en France en faisant valoir nos règles de droit. C’est l’automaticité que je conteste. Dans un même pays, certaines zones peuvent être touchées par des conflits alors que d’autres sont épargnées. D’ailleurs, le rôle de l’OFPRA est d’apprécier chaque cas au travers d’un récit de vie. Dans certains pays très vastes, il y a des zones de conflit ou de guerre où les minorités sont persécutées, et d’autres régions où ce n’est pas le cas. Avec ce dispositif, vous installez une règle générale.

Le principe de l’asile doit être individuel, reposer sur le parcours d’un individu. Il ne doit pas être automatique ou généralisé. Vous allez accorder le statut de réfugié à des personnes qui n’en ont nullement besoin, sans garantie sur les liens familiaux, ce qui va ouvrir des débats interminables et particulièrement dangereux.

M. Aurélien Pradié. Dans ce type de débat, on doit pouvoir se garder de distribuer des bons points de moralité et d’humanisme. Vous sembliez ne pas vouloir le comprendre en réagissant aux propos de notre collègue Viala. Le nombre d’amendements ou le temps passé sur chacun d’eux n’est pas le problème. Ce qui est proprement insupportable, c’est de voir certains membres de cette commission distribuer les bons points d’humanisme et de moralité. C’est un sujet trop important et trop technique pour que qui que ce soit s’arroge aussi facilement ce droit.

La faiblesse législative ouvre la voie à toutes les dérives. Les membres du groupe Les Républicains prônent une fermeté qui protège y compris celles et ceux que vous prétendez vouloir soutenir le plus fièrement possible depuis le début de ces débats.

Madame Obono, j’étais absolument stupéfait en vous écoutant expliquer avec une sorte de jubilation que le cœur de la politique d’immigration était de développer des filières d’immigration. Filière est un mot épouvantable. Le cœur de la politique d’immigration est précisément de lutter contre ces filières constituées de passeurs, de truands, de voyous qui se font payer pour mettre en danger la vie d’enfants.

Monsieur le ministre d’État, je n’arrive pas à comprendre votre vision des choses, ou plutôt votre absence de vision. Nous devons anticiper les temps à venir et ne pas nous contenter de chercher à répondre à la situation présente. Vous constatez comme nous que ce que nous gérons le plus mal en matière d’immigration, ce sont les situations d’urgence. Nous le voyons avec les mineurs isolés. Nos amendements visent à nous permettre d’anticiper les futurs mouvements migratoires pour éviter d’avoir à les gérer toujours aussi mal dans l’urgence.

La Commission rejette ces amendements.

Puis elle en vient à lamendement CL319 de M. Éric Coquerel.

Mme Danièle Obono. Cet amendement propose de supprimer la condition « non mariés » dans cet article, afin de prendre en compte le cas d’enfants mineurs mariés mais toujours à la charge effective de leurs parents, et de les faire bénéficier du regroupement familial.

De notre point de vue, l’intention du Gouvernement est de ne pas ouvrir le droit à la réunification familiale aux bénéficiaires d’une protection internationale, afin de restreindre leur nombre. Cela revient à nier la situation problématique des mineurs mariés qui sont encore à la charge de leurs parents. L’accent doit être mis sur la protection des enfants et leur intérêt supérieur.

En outre, il nous semble de bon sens d’introduire dans cet article que la condition de minorité s’entend au sens du droit français, c’est-à-dire que le seuil de la majorité est fixé à dix-huit ans. Sans cette précision, un préfet pourrait décider seul qu’un jeune iranien ou yéménite est majeur à quinze ans et qu’un jeune népalais l’est à seize ans.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Nous pouvons débattre du mariage des mineurs dans le monde, un sujet intéressant, mais je crois que ce n’est pas le lieu.

S’agissant de réunification familiale, je suis absolument convaincue que des enfants mineurs doivent pouvoir rejoindre leur famille quand un enfant mineur est déjà protégé par le statut de réfugié, lorsque ses parents sont avec lui. Il me semble normal que des enfants mineurs ne restent pas isolés dans leur pays d’origine. En revanche, ce principe de réunification familiale ne vaut plus quand des enfants mineurs sont déjà mariés et ont constitué une nouvelle cellule familiale.

En outre, si l’on veut lutter contre les mariages forcés, il convient de ne pas les reconnaître en l’occurrence.

Enfin, je ne comprends pas votre référence au code civil. Je vous confirme que nous appliquons toujours la loi française qui fixe à l’âge de dix-huit ans le seuil de la majorité.

Avis défavorable.

M. Ugo Bernalicis. Vous nous dites que nous pourrions avoir ce beau débat une autre fois parce qu’il n’a rien à voir avec le texte. En fait, il a à voir avec le texte. Si l’une des conditions pour bénéficier de la mesure est d’être « non marié », le débat est directement en rapport avec le texte.

Permet-on le regroupement, y compris pour les mineurs mariés, y compris quand ceux-ci ont fondé une cellule familiale ? C’est un débat juste, fondé et légitime, avez-vous dit tout à l’heure. Ne dites pas le contraire à présent, seulement pour éviter de prolonger nos débats.

Vous dites vouloir éviter la reconnaissance de mariages forcés. Soutenez-vous que 100 % de ces unions de mineurs seraient des mariages forcés ? Non, évidemment, vous ne soutenez pas cela. Ce sont seulement des cas de figure qui peuvent exister. Sur ce sujet, je vais reprendre l’un de vos arguments habituels : votre point de vue est satisfait puisque le mariage forcé est déjà interdit par la loi.

Nous parlons d’accueillir des personnes, y compris mariées, au titre du regroupement familial parce qu’elles sont mineures. Leur condition de mineur doit prévaloir sur leur statut marital et sur le fait qu’elles ont créé une cellule familiale.

La Commission rejette lamendement.

Puis elle examine lamendement CL445 de Mme Isabelle Florennes.

Mme Isabelle Florennes. Cet amendement a pour objet de supprimer l’obligation de transmission du certificat médical attestant un risque avéré de mutilation sexuelle – ou constatant cette mutilation – aux parents ou représentants légaux du mineur examiné. Cette obligation prévue à l’article 3 de ce texte pourrait, en effet, accroître le risque auquel sont exposés les mineurs, des filles pour la plupart. Dans la grande majorité des cas recensés, la famille est à l’initiative, ou du moins étroitement associée, à l’organisation des cérémonies durant lesquelles les mutilations sont perpétrées.

Cette mention est d’autant plus dangereuse que les parents ou les représentants légaux pourraient volontairement faire peser une menace sur la jeune fille, espérant un traitement plus rapide de la demande.

Des précédents existent. On a pu, par exemple, constater que des personnes migrantes s’étaient automutilées pour effacer leurs empreintes digitales et échapper au règlement européen de Dublin 2.

Cet amendement est une mesure de protection supplémentaire pour les mineurs.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. La protection supplémentaire pour les mineures risquant l’excision est contenue dans ce projet de loi : il est prévu que le certificat médical puisse être transmis directement à l’OFPRA. Je ne vois vraiment pas comment exclure les parents, a priori, de cette transmission. Avis défavorable.

M. Jean-Christophe Lagarde. Les alinéas 6 et 8 de cet article me laissent assez dubitatif. S’il est indispensable de protéger des femmes, mineures ou non, qui pourraient être victimes d’excision, il est compliqué de l’écrire dans la loi.

Je ne comprends d’ailleurs pas cette affaire de certificat médical. À l’alinéa 8 – et l’esprit de l’alinéa 6 est le même –, il est écrit qu’un « certificat médical dûment renseigné doit être transmis à lOFPRA, au cas où il y aurait un risque de mutilation. » Si la mutilation est un risque, cela veut dire qu’elle n’a pas encore eu lieu et que le médecin ne peut pas la constater. Quand la mutilation a eu lieu et que le médecin la constate, il est malheureusement trop tard pour protéger cette femme, ce qui n’empêche pas de l’accueillir. S’il y a un risque, il faut autre chose qu’un certificat médical pour l’avérer. En réalité, comme l’a développé Mme Florennes, des parents peuvent mettre en danger leur fille pour obtenir un statut de réfugié.

M. Florent Boudié. Pour apporter un éclairage à notre collègue Lagarde, je dirais qu’il s’agit de bien vérifier que les conditions qui ont permis la protection subsidiaire au motif du risque de mutilations sexuelles sont concrètes et constatables. Il est possible de les vérifier a posteriori par un certificat sans lequel la protection pourrait être retirée.

Dans le droit existant, le certificat médical n’est confié qu’aux seuls parents. Pour objectiver la transmission, la démarche devrait passer par l’OFPRA. C’est une façon de faire en sorte que les parents ne puissent pas exercer de pression sur l’enfant, et qu’il y ait un constat objectif concernant la motivation de la protection accordée, c’est-à-dire que l’absence de mutilations sexuelles puisse être constatable.

Le certificat ne doit pas forcément passer par les seules mains des parents pour éviter qu’il n’arrive pas aux autorités. Nous offrons une garantie supplémentaire alors que vos amendements, en maintenant le statu quo, pourraient conduire à des situations d’intérêts contradictoires entre le mineur et ses parents.

Mme Valérie Boyer. Un certificat médical ne peut pas apprécier un risque, il peut établir l’existence ou l’absence de mutilations sexuelles.

Certaines femmes ne savent pas qu’elles ont été excisées quand l’excision est intervenue lorsqu’elles étaient très jeunes. Il suffit de se rendre dans des maternités et de discuter avec des membres d’associations qui s’occupent de ces femmes mutilées pour le constater.

Il y a des mesures à prendre en France pour des femmes françaises qui sont excisées ou qui risquent de l’être. C’est au sein de l’hôpital qu’il faut le faire et non pas dans le cadre d’un texte sur l’immigration. Certaines petites filles sont excisées quand elles se rendent dans le pays d’origine de leurs parents, parfois à l’insu de ces derniers, alors qu’elles sont prises en main par un oncle ou une tante.

Un certificat de non-excision pourrait être utile au moment où une mineure française quitte le territoire pour un pays où elle court ce risque. Si la gamine est excisée à son retour, il faut alors engager la responsabilité des parents même si la mutilation s’est faite à leur insu. Les parents ont un devoir de protection. On ne va pas les déresponsabiliser pour cette mutilation abominable.

M. Brahim Hammouche. L’article 9 du code de déontologie médicale prévoit une obligation de protection et d’assistance à personne en danger. Quant à l’article 10 de ce même code, il prévoit que si un médecin constate qu’une personne « a subi des sévices ou des mauvais traitements, il doit, sous réserve de laccord de lintéressé, en informer lautorité judiciaire. » Je m’interrogeais sur la possibilité de compléter notre texte à la lumière de cet article.

M. Raphaël Schellenberger. Revenons à la rédaction de l’article, qui est très mauvaise. Si le débat s’éparpille, c’est bien que l’on parle de quelque chose qui n’est pas concret. Comment évaluer un risque sur un certificat médical ? C’est invraisemblable. Il est évident que l’excision est un sujet et qu’il est nécessaire de protéger les jeunes filles de ces sévices insupportables, mais ce n’est pas le bon moyen.

J’entends dans vos propos que vous admettez qu’il peut y avoir une forme de pression des parents sur les enfants. J’aimerais que l’on mette ces propos en relation avec d’autres qui ont été tenus précédemment dans ce débat. Quand il s’agit d’excision, il peut y avoir pression des parents sur les enfants. En revanche, quand il s’agit de flux migratoires plus classiques, ce n’est pas possible.

Pour ma part, je suis complètement en accord avec les propositions de ma collègue Boyer : la responsabilité des parents doit être engagée s’ils ont failli à leur devoir de protection de leurs enfants. Ils doivent être tenus pour responsables des risques encourus par leurs enfants.

M. Fabien Di Filippo. Je suis entièrement d’accord avec Valérie Boyer et Raphaël Schellenberger. Que l’on approuve ou non l’objectif poursuivi, on ne peut que critiquer la rédaction de cet article. En quoi un certificat médical peut-il garantir l’existence d’un risque d’excision ? En constatant l’existence d’un clitoris ? Les bras m’en tombent, monsieur le ministre. Il faut vraiment que nous fassions évoluer cet article.

M. Claude Goasguen. Monsieur le ministre d’État, comme je vous plains ! Vous vous préparez des jours heureux. Vous nous avez dit que vous faisiez une loi pour l’immédiat parce que vous ne pouviez pas savoir ce que serait l’avenir. Avec ce texte, vous allez le savoir parce que vous allez être le contrôleur.

Il y a des pays entiers, pratiquement tous ceux de l’Est africain et notamment l’Éthiopie, l’Érythrée et Djibouti, où l’excision est une coutume malheureusement établie. Pour avoir plaidé à l’OFPRA, je peux vous dire que l’office est absolument incapable d’aller chercher la nature des justifications. Il n’est pas en mesure de le faire, comme vous le savez très bien. D’ailleurs, si ce texte devait appeler à quelque chose, cela devrait être à la réforme en profondeur de l’OFPRA et de la cour d’appel. Tout ça se fait « à la fortune du pot ». Tout ça ne tient pas debout. L’OFPRA est incapable de contrôler, vous le savez très bien, il n’en a pas les moyens.

C’est vous qui allez être obligé de faire le travail. Je vous souhaite bien du plaisir à contrôler la nature d’un certificat médical de parents éthiopiens concernant une femme demandant le droit d’asile. Vous allez vous amuser ! Nous parlions de la Guinée, mais je vous garantis que vous n’allez pas être déçu de la nature de la civilisation éthiopienne.

Mme Cécile Untermaier. Ce texte est seulement destiné à faciliter le travail de l’OFPRA qui doit pouvoir disposer rapidement d’un certificat médical. Cela étant, sa rédaction pose problème et, à mon avis, il faut supprimer la notion de risque. Je ne vois pas comment un certificat médical peut évaluer un risque. Il doit faire état de mutilations sexuelles effectives et être transmis à l’OFPRA. Sous réserve de cette correction, cet article ne me choque pas.

Mme Marie Guévenoux. L’article 3 vise à protéger les jeunes filles qui sont exposées au risque d’excision. Qu’est-ce que cela veut dire concrètement ? L’OFPRA va examiner leur demande en tenant compte d’éléments factuels comme le risque lié à leur pays d’origine. Dans ce pays, dans cette région, les jeunes filles sont-elles habituellement exposées au risque de mutilations et d’excision ? Le certificat médical est un support pour les agents de l’OFPRA. Il leur permet de vérifier que la jeune fille, qui serait exposée à ce risque, n’ait pas déjà été excisée. C’est le sens de l’article.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Il me semble nécessaire de rappeler l’état du droit. Cela fait des années que la France protège les mineures exposées au risque de mutilation sexuelle : il ne s’agit pas de protéger les personnes excisées, mais les personnes exposées au risque d’excision. L’article L.752-3 du CESEDA, créé par la loi de 2015, prévoit que lorsque l’asile a été octroyé à une mineure invoquant un risque de mutilation génitale féminine, l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides peut, tant que ce risque existe, demander un certificat médical et transmettre au procureur de la République tout refus de se soumettre à cet examen ou tout constat de mutilation, ce qui permet de vérifier que la personne disant être exposée à ce risque n’a pas déjà subi la mutilation dont on veut la protéger.

Je tiens à saluer les agents de protection de l’OFPRA, qui accomplissent un travail documentaire et humain extrêmement important – je précise que je parle en connaissance de cause, puisque je me suis rendue auprès des services de l’Office, où j’ai rencontré des agents de protection et assisté à un entretien –, et méritent d’être soutenus et valorisés.

Comme cela a été rappelé à maintes reprises par la jurisprudence administrative, « dans une population dans laquelle les mutilations sexuelles féminines sont couramment pratiquées au point de constituer une norme sociale, les enfants et les adolescentes non mutilées constituent un groupe social » au sens de la convention de Genève et de la directive « Qualification ». Elles sont susceptibles à ce titre de se voir reconnaître la qualité de réfugiées si elles sont en mesure de fournir les éléments circonstanciés, notamment familiaux, géographiques et sociologiques, relatifs aux risques qu’elles encourent personnellement. Comme vous le voyez, ce sont des éléments objectifs qui permettent de déterminer quelles sont les personnes exposées au risque pris en compte : cela ne se fait pas à la tête du client. L’OFPRA peut établir le besoin de protection en vérifiant que la personne qui demande cette protection n’a pas déjà été excisée, ce qui passe par la production d’un certificat médical ; le cas échéant, l’Office peut saisir le procureur de la République afin de déclencher les poursuites pénales adéquates. Le certificat médical doit pouvoir être transmis plus rapidement et plus directement à l’OFPRA, mais on ne peut exclure totalement les parents de cette information.

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. L’explication qui vient d’être donnée par la rapporteure me semble tout à fait lumineuse. Aujourd’hui, le CESEDA prévoit l’obligation de fournir un certificat médical. Couvert par le secret médical, ce document est cependant transmis aux parents. Le projet de loi prévoit qu’il soit également adressé à l’OFPRA, afin que l’Office puisse déterminer, en toute connaissance de cause, si la jeune fille a ou non été excisée : c’est clair et je ne vois pas en quoi cela peut constituer un problème.

La Commission rejette lamendement.

Elle examine ensuite lamendement CL378 de M. Jean-Louis Masson.

M. Jean-Louis Masson. Selon les Nations unies, on compte dans le monde vingt-neuf pays dans lesquels les femmes risquent l’excision. Au total, 140 millions de femmes et fillettes ont subi cette mutilation, et 30 millions en seront victimes dans les cinq ans à venir. Imaginons donc le potentiel de demandes d’asile sur notre sol que cela représente d’ici à 2023…

Le sujet est majeur, et soyez assurés que je regrette profondément que le Gouvernement ait délibérément choisi de l’exhiber comme un chiffon rouge, cédant dans le même temps aux pressions de lobbies. Au demeurant, ce n’est pas parce qu’on nous tend un piège politique que nous devons renoncer à débattre sur le fond.

La France ne doit pas arbitrer entre les atteintes aux droits de l’homme : elle doit les condamner toutes. Dans l’ensemble des pays qui appliquent la charia, divers types de mutilations sont possibles, et même la lapidation.

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. Il y en a peu sur le territoire français !

M. Jean-Louis Masson. Ce n’est pas une raison pour se désintéresser de la problématique, monsieur le ministre.

Or rien de spécifique n’est mentionné à ce sujet dans le texte soumis à notre examen en dehors de la mise en exergue de l’excision.

Je rappelle que la Cour européenne des droits de l’homme, dans un arrêt du 31 juillet 2001, Refah Partisi contre Turquie, fait observer l’incompatibilité du régime démocratique avec les règles de la charia : « À linstar de la Cour constitutionnelle, la Cour reconnaît que la charia, reflétant fidèlement les dogmes et les règles divines édictées par la religion, présente un caractère stable et invariable. Lui sont étrangers des principes tels que le pluralisme dans la participation politique ou lévolution incessante des libertés publiques. La Cour relève que, lues conjointement, les déclarations en question qui contiennent des références explicites à linstauration de la charia sont difficilement compatibles avec les principes fondamentaux de la démocratie, tels quils résultent de la Convention, comprise comme un tout. Il est difficile à la fois de se déclarer respectueux de la démocratie et des droits de lhomme, et de soutenir un régime fondé sur la charia, qui se démarque nettement des valeurs de la Convention, notamment eu égard à ses règles de droit pénal et de procédure pénale, à la place quil réserve aux femmes dans lordre juridique, et à son intervention dans tous les domaines de la vie privée et publique conformément aux normes religieuses. »

La responsabilité de la France est, nous semble-t-il, de lutter contre les pays appliquant la charia, et non de commenter ses conséquences à l’infini. Avec les alinéas 7 et 8 de cet article 1er, vous créez un nouveau risque d’augmentation de l’immigration qu’il nous paraît souhaitable d’éviter, c’est pourquoi nous proposons de supprimer ces alinéas.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. J’émets un avis défavorable à cet amendement.

La Commission rejette lamendement.

Elle est saisie de lamendement CL550 de M. Dimitri Houbron.

M. Dimitri Houbron. L’un des points forts de ce texte, dont j’espérais qu’il fasse l’unanimité, consiste dans le renforcement de la protection des femmes mineures menacées d’un risque de mutilation sexuelle tel que l’excision. Vous aurez remarqué que le texte s’attache à citer le mot « mineures » au féminin, une rédaction qui m’interpelle en ce qu’elle exclut manifestement les mineurs masculins du champ de sa protection. Comme vous le savez, les garçons, certes moins nettement touchés que les filles par ces pratiques, subissent aussi des mutilations sexuelles dans certaines contrées reculées, en Asie, en Russie ou encore en Inde.

Notre amendement visant uniquement les mutilations de nature à rendre stériles les mineurs concernés, la circoncision n’est pas visée. Il ne remet nullement en cause le texte initial, qui ne concerne que les mineurs de sexe féminin. Je vous épargne les descriptions des mutilations sexuelles concernant les mineurs de sexe masculin et me bornerai à vous dire qu’il s’agit de la castration, de l’émasculation ou encore de la subincision totale, qui altère les fonctions reproductrices. Aux termes de cet amendement, les mineurs masculins bénéficieraient de la même protection que les femmes mineures menacées d’excision. Je pense pouvoir compter sur vous pour adopter cet amendement de bon sens.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Je comprends votre inquiétude, mais si l’excision est reconnue comme une pratique courante dans certaines régions du monde, les mutilations sexuelles masculines n’ont, elles, pas fait l’objet d’une évaluation, ce qui fait que l’on ne peut pas considérer que les personnes aujourd’hui soumises à ce risque constituent un groupe social au sens de la convention de Genève, et que l’OFPRA n’est donc pas en mesure d’évaluer l’appartenance à un groupe social ayant besoin d’une protection. Je vous suggère par conséquent de retirer cet amendement.

M. Erwan Balanant. Je trouve cet amendement intéressant. Pourquoi « genrer » cet article, en effet ? Cela ne coûte pas grand-chose de renoncer à n’en faire qu’une mesure féminine et de l’ouvrir aux hommes, puisqu’il y a là un phénomène réel, quoique moins important que celui de l’excision. L’amendement permettrait en outre de protéger les personnes transgenres, qui subissent des mutilations dans certains pays. « Dégenrons » donc l’article : cela ne change presque rien mais nous protègerons quelques personnes supplémentaires.

La Commission adopte lamendement.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. La parole est à Mme Danièle Obono qui souhaite faire une explication de vote sur l’article 3.

Mme Danièle Obono. Je tiens en effet à expliquer pourquoi le groupe La France insoumise votera en faveur de cet article, comme elle l’a fait pour les précédents : c’est parce que nous souhaitons appuyer ces quelques avancées – dans un projet de loi auquel nous sommes par ailleurs opposés – qui nous semblent importantes pour garantir les droits humains des réfugiés. Nous espérons pouvoir adopter et faire adopter d’autres amendements – comme nous venons d’en apporter la preuve – qui, hélas, ne changeront pas le déséquilibre général du texte, négatif selon nous, mais qui permettront peut-être d’aider celles et ceux qui ont recours à ces garanties internationales pour bénéficier de la protection et de l’accueil dont elles et ils ont besoin.

La Commission adopte larticle 3 modifié.

Chapitre II
Les conditions doctroi de lasile et la procédure devant lOffice français de protection des réfugiés et apatrides et la Cour nationale du droit dasile

Article 4
(art. L. 7116 et L. 713-5 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile et L. 114-1 du code de sécurité intérieure)
Refus ou retrait de protection par lOFPRA en cas de menaces graves pour lordre public

Résumé du dispositif et effets principaux :

L’article 4 étend la faculté pour l’OFPRA de refuser ou retirer une protection en cas de condamnation pour faits graves. Il étend par ailleurs l’obligation pour l’autorité judiciaire de communiquer toute information susceptible de refuser ou de retirer une protection. Il prévoit enfin la possibilité de diligenter des enquêtes ou de consulter des fichiers pour mettre en œuvre les décisions de refus ou de retrait de protection fondées sur des motifs de menace grave pour l’ordre public.

Dernières modifications législatives intervenues :

Les clauses d’exclusion ou de cessation de protection prononcées par l’OFPRA ont été complétées par la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d’asile.

Modifications apportées par la commission des Lois :

La Commission a adopté un amendement rédactionnel de votre rapporteure.

1.   L’état du droit

a.   Les clauses d’exclusion et de cessation du statut de réfugié

La loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 a clarifié les clauses d’exclusion qui font obstacle à la reconnaissance du statut de réfugié ainsi que celles de cessation du statut.

La section D vise les « personnes qui bénéficient actuellement dune protection ou dune assistance de la part dun organisme ou dune institution des Nations unies autre que le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés ». La section E concerne pour sa part toute « personne considérée par les autorités compétentes du pays dans lequel cette personne a établi sa résidence comme ayant les droits et les obligations attachés à la possession de la nationalité de ce pays ».

S’agissant de la section F, elle prive du bénéfice de la convention les « personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

« a) quelles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou crime contre lhumanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes ;

« b) quelles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays daccueil avant dy être admises comme réfugiées ;

« c) quelles se sont rendues coupables dagissements contraires aux buts et aux principes des Nations unies. »

L’article L. 711-3 précise que l’exclusion prévue par la section F s’applique aux personnes « qui sont les instigatrices, les auteurs ou les complices des crimes ou des agissements mentionnés à ladite section ou qui y sont personnellement impliquées ».

« 1° Il y a des raisons sérieuses de considérer que la présence en France de la personne concernée constitue une menace grave pour la sûreté de lÉtat ;

« 2° La personne concernée a été condamnée en dernier ressort en France soit pour un crime, soit pour un délit constituant un acte de terrorisme ou puni de dix ans demprisonnement, et sa présence constitue une menace grave pour la société. »

b.   Les clauses d’exclusion et de cessation de la protection subsidiaire

La loi du 29 juillet 2015 a également clarifié, en transposant l’article 17 de la directive « Accueil », les clauses d’exclusion faisant obstacle à l’attribution de la protection subsidiaire ainsi qu’à la perte de son bénéfice.

L’article L. 712-2 du code précise ainsi que la protection subsidiaire ne peut être accordée s’il existe des raisons sérieuses de penser de la personne :

« a) Quelle a commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre lhumanité ;

« b) Quelle a commis un crime grave ;

« c) Quelle sest rendue coupable dagissements contraires aux buts et aux principes des Nations unies ;

« d) Que son activité sur le territoire constitue une menace grave pour lordre public, la sécurité publique ou la sûreté de lÉtat. »

L’article L. 712-3 précise pour sa part que l’OFPRA peut retirer le bénéfice de la protection subsidiaire si les circonstances ayant justifié son octroi ont cessé ou si son bénéficiaire a commis l’un des actes mentionnés à l’article L. 712-2.

c.   La mise en œuvre de ces clauses d’exclusion et de cessation

Ainsi que le précise l’étude d’impact, ces dispositions visent à « garantir la crédibilité du droit dasile en écartant du statut de réfugié ou de la protection subsidiaire les personnes qui, par leur comportement ou leurs activités, mettent gravement en cause la sécurité de la société. »

Elles sont mises en œuvre à l’initiative de l’OFPRA, du ministère de l’Intérieur ou des préfectures et relèvent exclusivement de l’appréciation de l’Office, sous le contrôle juridictionnel de la CNDA. Selon les informations recueillies par votre rapporteure, l’OFPRA a retiré sa protection à 151 personnes en 2016 et 258 en 2017.

Afin d’assurer l’effectivité des clauses d’exclusion, l’article L. 713-5 prévoit que l’autorité judiciaire communique au directeur général de l’OFPRA ou au président de la CNDA, sur demande ou d’office, tout élément de nature à faire suspecter qu’une personne qui demande l’asile ou qui s’est vue reconnaître le statut de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire, relève d’une des clauses d’exclusion prévues par les articles L. 711-3 et L. 712-2.

2.   Le dispositif proposé

Le présent article comprend trois dispositions qui visent à sécuriser les décisions de protection prises par les autorités françaises.

L’article L. 114-1 du code de la sécurité intérieure prévoit ainsi aujourd’hui des enquêtes administratives, préalablement au recrutement ou à l’affectation dans des emplois publics sensibles, afin de vérifier que le comportement des personnes concernées n’est pas incompatible avec l’exercice des fonctions ou des missions envisagées. Ainsi que le précise le I de l’article L. 114-1, « ces enquêtes peuvent donner lieu à la consultation de traitements automatisés de données à caractère personnel relevant de larticle 26 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à linformatique, aux fichiers et aux libertés, à lexception des fichiers didentification. »

*

*     *

La Commission examine lamendement CL382 de M. Jean-Louis Masson.

M. Jean-Louis Masson. Compte tenu des conditions posées au 1° et 2° de l’article L. 711-6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), le refus du statut de réfugié ou sa fin ne doit pas être une faculté offerte à l’appréciation de l’autorité compétente mais une obligation automatique. C’est pourquoi, avant l’alinéa 2, nous souhaitons insérer l’alinéa suivant : « 1°A Au premier alinéa de l’article L. 711-6, les deux occurrences du mot : "peut" sont remplacées par le mot : "doit" ; ».

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Sur des questions aussi sensibles, il est toujours souhaitable qu’un État souverain dispose d’une marge d’appréciation. Avis défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Elle examine ensuite lamendement CL718 de M. Christophe Blanchet.

M. Christophe Blanchet. Le présent amendement vise, avant l’alinéa 2, à ajouter l’alinéa suivant : « 1° A Au 1° de l’article L. 711-6, après le mot : "grave", sont insérés les mots : "actuelle et caractérisée définie par décret en Conseil d’État" ; ».

Les expressions de « menace grave pour la sûreté de l’État » ou de « menace grave pour la société » sont floues et doivent faire l’objet d’une précision. Les mesures d’éloignement, d’expulsion ou les obligations de quitter le territoire français ont leur légitimité dans le cas du non-respect des règles établies par le présent texte et dans le cas où un étranger serait l’auteur d’un acte portant une atteinte à l’ordre public et à la sûreté de l’État. Toutefois, la potentielle menace présentée par le comportement et la présence d’un étranger sur notre territoire ne peut être laissée à l’appréciation de l’administration sans un cadre légal précis et nécessaire. Ainsi, si l’amendement est voté, le statut de réfugié pourra être refusé et il pourra y être mis fin lorsque l’individu constituera une menace grave, actuelle et caractérisée, menace définie par décret en Conseil d’État.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Votre proposition alourdirait incontestablement la procédure ; je ne suis pas sûre qu’un décret en Conseil d’État soit vraiment utile. La jurisprudence est assez précise. Prenons trois exemples rapides : il y a menace grave à l’ordre public dans les cas suivants : condamnation à treize ans de prison pour viols répétés sur une mineure de quinze ans ; condamnation à quatre ans de prison pour agression sexuelle en état d’ivresse ; condamnation à quatorze mois de prison, dont dix mois fermes, pour violences sur son propre enfant et son conjoint. Avis défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Puis elle en vient à lamendement CL384 de M. Jean-Louis Masson.

M. Jean-Louis Masson. Nous entendons simplifier et durcir la fin du 2° de l’article L. 711-6 du CESEDA qui prévoit des conditions cumulatives pour refuser le statut de réfugié ou y mettre fin : lorsque « la personne concernée a été condamnée en dernier ressort en France soit pour un crime, soit pour un délit constituant un acte de terrorisme » et, aux termes du 1°, lorsqu’il y a « des raisons sérieuses de considérer que la présence en France de la personne concernée constitue une menace grave pour la sûreté de l’État ».

Nous proposons de résumer tout cela et de considérer que le seul fait d’avoir été condamné pour un crime ou pour un délit puni d’emprisonnement, quelle que soit la longueur de la peine prononcée, en France ou dans un État membre de l’Union européenne, fait obstacle à l’obtention du statut de réfugié ou y met fin si l’intéressé en bénéficie.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Vous proposez une solution contraire à l’article 14 de la directive « Qualification » qui prévoit bien deux conditions cumulatives et non pas alternatives : il faut tout à la fois avoir été condamné et constituer une menace pour la société de l’État membre. Avis défavorable.

M. Ugo Bernalicis. L’article 4 me semble dangereux : on peut être puni d’emprisonnement, dans certains États membres de l’Union européenne, pour des actes tout à fait légaux en France – je pense à certaines orientations sexuelles. Il me semblerait dommage que, parce qu’une personne aurait été punie dans un pays, elle doive en souffrir en France où elle ne l’aurait pas été. Ce serait une atteinte assez grave aux principes constitutifs de notre République et de notre droit.

M. Pierre-Henri Dumont. Le but de ce projet de loi est d’harmoniser les dispositifs européens – c’était la volonté du Président de la République. L’amendement de M. Masson constitue une première étape dans ce sens. Normalement, les États membres de l’Union européenne sont des États de droit pourvus d’à peu près les mêmes règles, avec une Cour de Justice de l’Union européenne certes assez régulièrement dénigrée mais en laquelle nous devrions avoir confiance en matière de respect des libertés fondamentales. Je ne partage pas l’avis de notre collègue Bernalicis : on peut avoir confiance, j’y insiste, en la justice des pays membres de l’Union. Je le répète : cet amendement est un premier pas dans le sens souhaité par le chef de l’État. Alors, en marche…

M. Ugo Bernalicis. À Malte, l’avortement est un crime puni de trois ans d’emprisonnement ; libre à vous de décider qu’une personne qui aurait été condamnée à Malte pour ce motif soit expulsée de France… Dans d’autres pays, le blasphème est condamné, ce qui n’est pas le cas chez nous. Dès lors, l’harmonisation européenne, fiscale, sociale, pourquoi pas ? Mais là, on nous propose un peu l’harmonisation par le bas, et qui plus est en matière pénale ! Il faudra bien des modifications pour atteindre la situation hypothétique que vous nous décrivez… En l’état actuel des choses, il est hors de question pour nous de tomber dans ce genre de travers.

M. Thomas Rudigoz. Le propos de M. Bernalicis est totalement caricatural. Les condamnations dont il fait état ne sont évidemment pas concernées par l’article 4. Il est bien question de condamnations pour des faits graves. C’est toujours le même argumentaire de la France insoumise…

M. Ugo Bernalicis. C’est de l’amendement qu’il est ici question, pas de l’article.

M. Thomas Rudigoz. Vous venez de dire qu’une personne condamnée pour avortement à Malte tomberait sous le coup de cet amendement. Quant à nos collègues du groupe Les Républicains, je les rassure : comme l’a souligné la rapporteure, nous avons suffisamment bien circonscrit dans l’article 4 les éléments qui justifieront le rejet, ou le retrait, du statut de réfugié.

La Commission rejette lamendement.

Elle examine ensuite lamendement CL199 de M. Éric Diard.

M. Raphaël Schellenberger. L’ordre public et les sociétés européennes sont remis en cause par un terrorisme difficilement saisissable dans la mesure où il s’internationalise. Il peut prendre naissance ou évoluer dans n’importe quel pays, en particulier en dehors de l’Europe, et frapper non seulement la France, mais n’importe lequel de nos partenaires européens.

Il serait de la responsabilité de la France de tenir compte du caractère transfrontalier des menaces criminelles et terroristes afin d’en empêcher la propagation sur le territoire, pour protéger non seulement la société française mais aussi nos partenaires européens.

Le dispositif du présent article est trop limité dans la mesure où les pays ou les actes liés à la menace terroriste sont hors de l’Union européenne. Le présent amendement vise donc à donner la possibilité aux autorités de tenir compte des actes commis au-delà de l’espace européen afin de mieux répondre à la nature internationale des nouveaux phénomènes auxquels nous devons faire face.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Nous partageons tous le souci de trouver une définition internationale commune des actes de terrorisme, mais je ne crois pas que tous les États du monde aient la même notion de ce qu’est un acte terroriste – je suis même persuadée du contraire. Je ne vois donc pas comment votre proposition pourrait être appliquée de manière opérationnelle. Si nous avons un système juridique commun, des valeurs partagées, au sein de l’Union européenne, nous ne pouvons pas les étendre aux autres pays du monde. Avis défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Elle examine ensuite lamendement CL894 de M. Sébastien Huyghe.

M. Sébastien Huyghe. La seule condamnation pour crime ou acte de terrorisme en France ou dans un pays de l’Union européenne doit pouvoir justifier le refus du statut de réfugié. Cumuler cette condition avec la notion de menace risque de laisser libre cours à l’interprétation alors que nous devons en premier lieu nous assurer de la sécurité des Français.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Comme j’ai déjà pu le préciser, l’article 14 de la directive « Qualification » prévoit bien deux conditions cumulatives. En outre, l’appréciation de l’OFPRA est importante pour définir la notion de crime qui n’est pas la même dans les différents États européens. Le système en vigueur me paraît particulièrement bien fonctionner. Avis défavorable.

M. Claude Goasguen. Je m’inquiète de la limitation du dispositif à l’Union européenne. Est-ce à dire qu’un individu qui serait réputé terroriste en Israël pourrait demander à bénéficier du droit d’asile devant une juridiction française ?

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Il n’est pas question de limitation puisque l’OFPRA apprécie le cas et qu’il y a transmission des informations. Mais il n’y a pas d’automaticité du refus dans la mesure où Israël ou n’importe quel autre pays n’aura pas forcément la même appréciation que nous sur ce qu’est un acte terroriste. Il est donc important que l’OFPRA, en application de la directive « Qualification », tienne compte des deux conditions cumulatives mentionnées et dispose d’une marge d’appréciation sur le fait de savoir si on a affaire à un acte grave.

M. Claude Goasguen. Autrement dit, le cas que j’ai mentionné est recevable ?

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Il est en effet étudiable.

La Commission rejette lamendement.

Puis elle en vient à lamendement CL280 de M. Jean-Christophe Lagarde.

M. Jean-Christophe Lagarde. Un peu dans le même esprit, le présent amendement vise à faire en sorte que l’OFPRA puisse se fonder, pour refuser le statut de personne protégée ou y mettre fin, sur des condamnations prononcées dans des États avec lesquels la France entretient une coopération judiciaire et dont elle reconnaît la législation et la juridiction pénales.

J’entends bien l’argument que vient de faire valoir la rapporteure en défaveur des précédents amendements, mais disons les choses clairement : il est permis d’espérer que si nous coopérons en matière judiciaire avec un certain nombre d’États, ceux-ci sont des États de droit et dont on peut considérer que la justice est fiable. Et si des gens sont condamnés pour des faits aussi graves par la justice de ces États, on ne voit pas pourquoi l’OFPRA pourrait ne pas en tenir compte.

À l’inverse, certains États ont une vision du terrorisme à nos yeux discutable – la Turquie par exemple peut considérer que tel ou tel Kurde est un terroriste alors que nous pouvons, nous, considérer qu’il n’en est pas un ; dans ce cas également, l’OFPRA reste libre d’accorder le statut de réfugié, mais il peut également s’appuyer sur le jugement d’un État plus fiable et plus sûr, avec lequel, j’y insiste, nous avons une coopération judiciaire pour le refuser. Tel est l’objet de l’amendement.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. La rédaction de votre amendement reste trop floue pour qu’on puisse considérer de façon automatique que certains États non membres de l’Union européenne appréhendent le terrorisme de la même manière que nous, quand bien même il existerait entre la France et eux une coopération judiciaire. Je comprends bien le sens dans lequel vous voulez aller, mais le dispositif que vous proposez me semble trop compliqué à mettre en place de façon opérationnelle. Avis défavorable.

M. Florent Boudié. Je partage l’avis de la rapporteure. Pourquoi étendre la faculté, pour l’OFPRA, de refuser le statut de réfugié, ou d’y mettre fin, aux cas de condamnations pour des faits graves, notamment de terrorisme, prononcées dans un autre pays de l’Union européenne ? Parce que nous partageons des valeurs communes. Pour être membre de l’Union européenne, il faut se soumettre à tout un « formatage normatif », en matière de libertés publiques en particulier. Et lorsque nous avons des coopérations judiciaires avec des pays comme la Turquie – on peut aussi citer le Maroc –, elles sont d’ordre organisationnel, elles ne signifient pas le partage de valeurs communes. L’ouverture proposée par M. Lagarde me semble excessive ; et rien n’empêchera, in fine, à l’OFPRA de tenir compte des informations qui lui seront communiquées pour, le cas échéant, refuser le statut de réfugié.

M. Claude Goasguen. Je reprends ma question de tout à l’heure puisque l’amendement est assez similaire. Il y a entre Israël et la France un accord de coopération judiciaire aux termes duquel nous reconnaissons la législation et les juridictions pénales israéliennes. Si vous limitez les cas ici en question aux pays membres de l’UE, c’est donc que vous ne tenez donc pas compte d’un accord international – supérieur à la loi dans la hiérarchie des normes, rappelons-le. De plus, il ne s’agit pas d’« étudier » un cas, pour reprendre votre terme, madame la rapporteure, mais de savoir s’il est recevable ou non. L’OFPRA peut-il recevoir une demande de la part d’un Israélien ou d’un Palestinien qui vit en Israël où il est considéré comme un terroriste, et lui accorder le droit d’asile en France ? C’est une question précise, et elle ne relève pas de l’appréciation de l’OFPRA, qui n’est pas une juridiction, mais une institution administrative. Il nous faut donc davantage de précisions dans le texte de la loi.

M. Ugo Bernalicis. Le ministre peut-il nous faire part de son avis ?

M. Raphaël Schellenberger. J’entends bien que la qualification d’acte terroriste peut varier selon les États ; néanmoins, l’amendement de M. Lagarde précise bien que l’extension de la faculté de l’OFPRA vaudrait pour les États avec lesquels existe une coopération judiciaire et dont la France reconnaît les législations et juridictions pénales ; cela réduit d’autant le champ et montre que, a priori, ces États et le nôtre sont à peu près d’accord pour s’entendre. Je ne vois donc pas pourquoi ce qui est possible avec les États de l’Union européenne ne le serait pas avec les États mentionnés par cet amendement.

M. Claude Goasguen. Notamment les États-Unis.

M. Jean-Christophe Lagarde. Je vais essayer, une fois encore, avant l’examen du texte en séance, de faire progresser la position de la rapporteure. L’application de ma proposition n’a en fait rien de compliqué. On peut certes considérer que l’Union européenne est parfaite mais, très franchement, aujourd’hui, pour moi, la justice hongroise est sujette à caution dans certaines de ses interprétations et certaines de ses orientations. Et quand la Pologne décide qu’on n’a plus le droit de parler des camps de concentration polonais sous peine d’être condamné à deux ans de prison, le maire de Drancy que j’ai été pendant des années a quelque doute sur le respect parfait de notre notion des droits de l’homme en Europe…

Mais la question n’est pas là ; elle est de savoir si l’OFPRA aura le droit de se fonder sur une condamnation pour des faits graves, notamment de terrorisme, prononcée par un État non-membre de l’UE et dans lequel nous avons suffisamment confiance pour avoir avec lui une coopération judiciaire et reconnaître ses sanctions pénales. Si vous rejetez l’amendement, ce qui est bien votre droit, cela signifie qu’une fois la décision administrative de l’OFPRA prise, un recours sera toujours possible devant les tribunaux. Et si l’OFPRA s’est fondé, pour refuser le statut de réfugié, sur une condamnation pour terrorisme prononcée aux États-Unis, dont on ne considère pas ici qu’ils sont une dictature, ou en Israël, ou encore dans un État non européen, non-membre de l’Union européenne mais dont nous reconnaissons la justice, vous fragilisez le dispositif dans la mesure où vous limitez l’extension de la faculté de l’OFPRA aux seuls États membres de l’Union européenne. Je ne cherche pas à le rendre plus compliqué, mais justement à le rendre moins fragile.

Mme Lætitia Avia. Je comprends bien l’intention des auteurs de l’amendement, mais les notions de législation et de juridiction pénales reconnues mériteraient d’être précisées. Il en va de même pour la coopération judiciaire : elle peut en effet être plus ou moins étendue selon les actes.

Quel est l’intérêt de l’article 4 ? Il vise à renforcer la convergence des législations à l’échelle européenne. Il ne s’agit pas seulement de partager des valeurs avec certains États, mais d’agir avec eux afin de rendre possible une harmonisation du droit. Car, nous l’avons souligné hier soir, la politique en matière d’asile ne se conçoit pas seulement à l’échelle nationale mais bien à l’échelle européenne.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. J’entends vos critiques sur la justice de certains pays de l’Union européenne ; mais alors on peut relancer le débat sur l’UE sur les sujets les plus divers, y compris le droit d’asile… Ce n’est pas l’objet du présent texte. Nous avons une Union européenne, et il se trouve qu’en matière d’intégration des politiques judiciaires, elle fonctionne. Il n’y a pas de greffe commun, par exemple, dans le cadre des coopérations judiciaires. Que proposez-vous à part la transmission d’informations – ce qui se fait déjà – à l’OFPRA ? Tant que je serai en mesure de le faire je saluerai son travail. Trouvez-moi un cas où l’OFPRA aurait protégé quelqu’un qui a été condamné pour terrorisme, où que ce soit !

M. Claude Goasguen. Cela peut arriver.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Restons dans le cadre de l’Union européenne et dans le cadre du travail d’information correctement fait au moment de l’étude des dossiers par l’OFPRA. Je maintiens donc mon avis défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Elle examine ensuite lamendement CL561 de M. Dimitri Houbron.

M. Dimitri Houbron. Il est légitime que le texte vise à refuser le statut de réfugié à un demandeur qui a fait l’objet d’une condamnation pour des faits graves dans un État membre de l’Union européenne. Pourtant, cette limitation exclut des pays européens qui, d’une part, ont une législation et des valeurs démocratiques compatibles avec celles des États membres de l’UE, et qui, d’autre part, sont eux aussi confrontés à l’asile et l’immigration. Ils sont peu nombreux : l’Islande, le Liechtenstein, la Norvège, tous trois membres de l’Espace économique européen (EEE), pays auxquels il faut ajouter la Suisse qui n’a pas ratifié les accords de l’EEE. Nous proposons d’intégrer ces quatre pays au dispositif prévu à l’article 4 car ils ont déjà fait l’objet d’une négociation ou d’une étude de candidature pour adhérer à l’Union européenne. De plus, ils ont noué des partenariats très étroits avec l’UE, notamment sur les questions relatives à l’asile et à l’immigration. Notre amendement permettra simplement de refuser le statut de réfugié à un demandeur qui a fait l’objet d’une condamnation dans un État membre de l’Union européenne et chez nos voisins islandais, norvégiens, suisses et du Liechtenstein.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Votre amendement est plus précis que le précédent puisqu’il prévoit l’extension du dispositif à des pays qui peuvent avoir avec nous une communauté de valeurs et des systèmes juridiques comparables, mais surtout relativement proches du point de vue géographique : l’appréciation du terrorisme entre l’Islande et Israël, par exemple, n’est peut-être pas totalement la même… Par souci de cohérence, j’émets un avis défavorable.

M. Raphaël Schellenberger. Cet amendement est intéressant car il montre qu’on peut s’appuyer sur d’autres législations, en matière de terrorisme, que celles des pays de l’Union européenne, pour accorder ou non le droit d’asile. Il souligne la faiblesse de la limitation du dispositif à la seule Union européenne : on en est en effet réduit à devoir citer nommément la Confédération helvétique pour préciser que nous pouvons échanger des données judiciaires qui nous permettront ensuite de refuser d’accorder le droit d’asile à quelqu’un qui y aurait été condamné pour la commission d’un acte terroriste… C’est invraisemblable. Cela montre en tout cas combien il est nécessaire d’élargir le dispositif le plus possible à des pays qui évidemment partagent les mêmes valeurs que nous. Cet amendement, certes de repli, est un premier pas dans ce sens.

M. Florent Boudié. Votre préoccupation est légitime, même si nous y avons répondu concernant les États avec lesquels nous entretenons une coopération judiciaire ; mais l’Espace économique européen résulte d’un accord portant sur la libre circulation des personnes, des marchandises, des services, des capitaux. Il n’y a là-dedans aucune garantie sur le socle de droit commun concernant, par exemple, les libertés publiques. Au demeurant, l’EEE, c’est trente et un États – le dernier en date est la Croatie, me semble-t-il –, dont vingt-huit membres de l’Union européenne. Autrement dit, vous recoupez très largement le champ d’application de l’article 4.

La Commission rejette lamendement.

Puis elle examine lamendement CL320 de Mme Bénédicte Taurine.

M. Ugo Bernalicis. La rédaction actuelle du texte fait peser de nombreuses incertitudes sur les demandeurs d’asile eu égard à l’absence d’harmonisation pénale au sein de l’Union européenne. Nous estimons qu’il est d’intérêt public, notamment pour assurer l’entière application des principes constitutionnels de proportionnalité et de légalité des délits et des peines – aux termes de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 –, que le droit pénal français prime sur les droits pénaux européens pouvant être divergents. Faute de quoi l’incertitude juridique qui en résulterait nuirait profondément à notre État de droit. Si, en France, le crime se distingue du délit et de la contravention, selon le degré de gravité de l’infraction, les systèmes pénaux européens ne sont pas les mêmes et ne recoupent pas nécessairement les mêmes qualifications : un crime en Estonie pourrait n’être qu’un délit en France. Faudrait-il dès lors « importer » des crimes et délits étrangers ?

En l’absence d’harmonisation pénale européenne aboutie et au vu des nombreuses zones grises qui pourraient ainsi être créées, nous proposons d’ajouter une condition de réciprocité d’incrimination et d’un même quantum minimal de peine. En cas d’harmonisation pénale, nous pouvons prendre en compte un crime ; en cas de divergence du quantum de peine pour un fait identique, il convient de ne pas le prendre en compte.

Étendre le dispositif aux pays membres de l’Union européenne est donc une supercherie visant à faire croire que vous agissez dans la perspective de contribuer à la construction européenne. Personne n’en est dupe, puisque le reste du texte entre en contradiction totale avec les valeurs qui président à cette construction.

Encore une fois, nous avons signé des partenariats judiciaires avec un certain nombre de pays. Il ne s’agit pas pour nous de ne pas prendre en compte ce qui se passe dans les autres pays mais bien de faire la part des choses au vu de notre droit pénal.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Je vous rappelle que la directive « Qualification » prévoit bien deux conditions cumulatives : une condamnation et une menace grave pour la société. Or les cas que vous évoquez ne constituent pas des menaces graves pour la société. Qui plus est, une marge d’appréciation est toujours laissée à l’OFPRA : il n’y aura pas de refus automatique, soyez-en assuré. Avis défavorable.

M. Ugo Bernalicis. Ce n’est pas parce que la directive pose deux conditions qu’une des deux doit rester floue. Je plaide pour la clarté : il me semble beaucoup plus clair de préciser que nous retenons ce qui est un crime ou un délit dans un autre pays européen seulement s’il est aussi reconnu comme tel chez nous. Cela me semble relever de l’évidence même et ne contrevient en rien au respect de la double condition que vous venez de rappeler. Notre position nous semble plus équilibrée que la vôtre qui nous paraît quelque peu angélique.

La Commission rejette lamendement.

Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements CL152 de M. Éric Ciotti, CL240 et CL241 de M. Raphaël Schellenberger.

M. Éric Ciotti. Nous sommes ici pour assurer la protection de personnes opprimées. Je vois une seule restriction possible à cette protection : c’est celle qui concerne la protection de la France elle-même et la sécurité de nos concitoyens. Il est pour moi inimaginable que l’on puisse accueillir des personnes représentant une menace, qu’il s’agisse de demandeurs d’asile ou même de réfugiés, ou encore d’étrangers qui obtiennent un titre de séjour. Nous devrions pouvoir ensemble poser ce principe général : lorsqu’on accueille une personne, en particulier quand c’est pour lui assurer un statut de protection, on ne peut pas par là même mettre en danger nos concitoyens et placer notre pays dans une situation de menace. C’est un principe de bon sens qui appelle à la réflexion et que nos concitoyens soutiennent massivement. Ils soutiennent en effet massivement, monsieur le ministre d’État, l’expulsion des étrangers qui représentent une menace. Je souhaite que nous placions cette question au cœur de l’examen du texte.

Jean-Louis Masson a excellemment défendu tout à l’heure, dans un cadre un peu plus large que celui prévu par le présent amendement, l’idée d’exclure du statut de protection toutes les personnes qui pourraient être condamnées dans un pays de l’Union européenne ; Claude Goasguen a rappelé, comme Jean-Christophe Lagarde, que l’extension prévue à l’article 4 devrait concerner tous les pays avec lesquels nous avons signé une convention de coopération judiciaire et notamment Israël – faute de quoi nous serions susceptibles d’accorder le statut de réfugié à des personnes considérées par cet État comme terroristes et qui à ce titre le menaceraient. Dans le même esprit, mon amendement CL152 vise à exclure du statut de protection, tout en respectant les deux conditions cumulatives rappelées par la rapporteure – menaces graves et condamnations –, toutes les personnes qui ont fait l’objet d’une condamnation à plus de deux ans de prison ferme, prononcée dans un pays membre de l’Union européenne. Ainsi la clause de cessation du statut de réfugié serait activée, ou l’examen de la demande d’asile exclu.

M. Raphaël Schellenberger. M. Ciotti a excellemment défendu son amendement qui a le même objet que mes amendements CL240 et CL241.

Quand on est condamné en France de manière définitive à des peines de cinq ans d’emprisonnement, il s’agit de cas sérieux : notre système judiciaire n’a pas la main très lourde en matière d’emprisonnement. Il faut bien avoir à l’esprit que nous parlons de peines prononcées et non de risques d’emprisonnement : ce n’est pas parce que le code pénal prévoit une peine d’emprisonnement de cinq à dix ans que la personne sera condamnée à dix ans. C’est pourquoi je vous propose de porter à cinq ans la peine d’emprisonnement qui peut déclencher le refus d’accorder, dans notre pays, le droit d’asile à des personnes condamnées.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. L’objectif du texte, répétons-le, est d’accroître la protection des Français et du territoire français. L’article L. 711-6 du CESEDA prévoit déjà des causes de retrait ou de refus de la protection en cas de crime grave, de menace pour la société. Nous complétons ces causes, et ce faisant nous améliorons la protection des Français, en y ajoutant les condamnations prononcées dans l’Union européenne, tout en respectant la directive qui parle bien de crimes graves. Or une condamnation à deux ans ou à cinq ans n’entre pas dans ce cadre. Avis défavorable.

M. Thomas Rudigoz. Nous proposons d’introduire des critères nouveaux qui complètent la protection de nos concitoyens, avec de nouveaux motifs de condamnation. M. Schellenberger soutient que lorsque l’on est condamné à cinq ans ou à deux ans d’emprisonnement, c’est que l’on a commis des faits assez graves… On sent une volonté de se servir de ce texte comme d’un épouvantail. Le texte est complet : les faits graves, dont ceux de terrorisme, ont été ajoutés et élargis aux pays ressortissants de l’Union européenne. La surenchère n’est donc pas nécessaire.

S’agissant de l’amendement CL154, que nous examinerons plus loin, proposant que le statut de réfugié peut être refusé ou qu’il peut y être mis fin lorsque la personne concernée est inscrite au fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT), mon analyse sera différente : il s’agit bien de faits graves. Mais là aussi, l’article 4 prévoit que l’OFPRA peut procéder à des enquêtes administratives, ce qui rejoint certainement la préoccupation de M. Ciotti.

M. Raphaël Schellenberger. Comme j’ai cosigné l’amendement CL152 de M. Ciotti, je suis bien dans la logique de proposer, dans un premier temps, que le statut de réfugié puisse être refusé à une personne qui aurait été condamnée à deux ans d’emprisonnement.

Je reconnais que la mesure prévue à l’article 4 est intéressante : chacun conviendra qu’une peine de dix ans d’emprisonnement correspond à un crime grave. Mais son effet sera des plus limités : refuser le droit d’asile à un étranger qui demande refuge en France alors qu’il y aura été condamné à plus de dix ans d’emprisonnement a tout de même un côté cocasse ! Bien sûr, la France doit accueillir celles et ceux qui ont besoin d’être protégés, mais on ne peut pas demander à être protégé par la France quand on y a commis des faits qui conduisent à une peine de prison. Le fait même d’avoir été condamné en France devrait à mon sens, par principe, exclure du droit d’asile. Admettre qu’il y a potentiellement un droit à l’erreur et considérer qu’une peine de deux ans d’emprisonnement est encore soutenable me semble procéder d’une logique tout à fait cohérente. Mais lorsque l’on est étranger et demandeur d’asile en France et qu’on a été condamné par la France pour un crime ou un délit contre la France, on ne peut prétendre à la protection de la France.

M. Jean-Louis Masson. Très bien !

Mme Lætitia Avia. L’article L. 711-6 du CESEDA ne vise pas les peines prononcées, mais les peines encourues. Nous parlons donc bien d’un délit pour lequel la peine encourue est de dix ans d’emprisonnement et d’une personne condamnée, et non d’une condamnation effective.

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. Le débat qui s’est engagé est intéressant. Comme j’ai eu l’occasion de le dire ce matin, la volonté du Gouvernement est d’essayer de parvenir à un certain nombre de règles communes au niveau européen en matière d’asile et d’immigration. Si chaque pays adopte des dispositions différentes de celles des autres, nous n’irons pas vers un espace commun.

Avec l’article 4, nous essayons d’être conformes à la directive « Qualification », et en particulier au 2. de son article 12, lequel dispose :

« 2. Tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride est exclu du statut de réfugié lorsqu’il y a des raisons sérieuses de penser :

« a) qu’il a commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes ;

« b) qu’il a commis un crime grave de droit commun en dehors du pays de refuge avant d’être admis comme réfugié, c’est-à-dire avant la date à laquelle le titre de séjour est délivré sur la base de l’octroi du statut de réfugié ; les actions particulièrement cruelles, même si elles sont commises avec un objectif prétendument politique, pourront recevoir la qualification de crimes graves de droit commun ; […] »

Nous essayons à chaque fois d’adopter des dispositions qui visent à construire un droit de l’asile et de l’immigration qui soit progressivement commun à tous les pays de l’Union européenne.

La Commission rejette successivement les amendements CL152, CL240 et CL241.

Elle examine ensuite lamendement CL239 de M. Raphaël Schellenberger.

M. Raphaël Schellenberger. Cet amendement vise à supprimer une des deux conditions cumulatives, en l’occurrence celle qui est relative à la menace pour la société. Il n’appartient pas à l’OFPRA de faire la preuve de l’existence individuelle d’une menace quand la personne a déjà été condamnée.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Je reprends l’argumentation développée par M. le ministre d’État : nous sommes là pour faire converger nos politiques européennes. Nous n’entendons pas aller pas à l’encontre de la directive « Qualification » et nous tenons à respecter les deux conditions cumulatives. Avis défavorable.

M. Ugo Bernalicis. Je suis, bien évidemment, opposé à cet amendement.

Je trouve tout de même assez étrange de vouloir faire converger les systèmes pénaux en Europe par le biais du droit des étrangers. Il y a des thématiques plus larges pour aller plus avant. Je comprends le souci de coordination et de coopération – c’était d’ailleurs le sens de notre amendement tout à l’heure. Je m’interroge seulement sur le fait qu’on le fasse en général, en espérant que cela fera naître une forme d’harmonisation, une réciprocité. Je touche du bois pour que ce soit le cas et qu’il n’y ait pas de dérive ni d’arbitraire, mais je n’en suis pas totalement convaincu.

Enfin, monsieur le ministre d’État, après vos propos d’hier soir, j’attends toujours des excuses.

M. Raphaël Schellenberger. Si l’on peut partager l’objectif de construire un droit de l’asile européen, je ne suis pas sûr que notre droit soit le plus ferme et que cela passe nécessairement par le désarmement de certains États. En matière de construction du droit européen, on a toujours procédé par le plus petit dénominateur commun, ce qui n’empêche pas les États d’aller plus loin. Si on s’interdit aujourd’hui par principe d’aller plus loin en matière de droit d’asile au motif que le minimum européen n’est pas celui-là et qu’il n’est pas question d’en faire plus, on pourra vous resservir cet argument lorsqu’on parlera de politique environnementale, de politique énergétique, bref, d’autres champs de politique européenne dans lesquels la France veut être la première à montrer qu’elle peut faire plus que le droit européen. En matière d’asile et de lutte contre la menace terroriste, la logique doit être la même : on doit pouvoir se permettre de faire plus que le minimum syndical européen.

La Commission rejette lamendement.

Puis elle est saisie de lamendement CL154 de M. Éric Ciotti.

M. Éric Ciotti. Je ne comprends pas que vous refusiez ces amendements qui vont dans une forme de logique de plus grande protection de nos concitoyens. L’harmonisation avec les pays de l’Union européenne est positive, et vous allez dans ce sens. On aurait pu en profiter pour modifier l’échelle des peines qui aurait pu conduire l’OFPRA à refuser l’octroi d’un statut de réfugié ou de le lui retirer lorsqu’une personne avait été condamnée. Je le répète : une personne qui présente une menace pour notre pays n’a rien à y faire.

Les personnes inscrites dans le fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste sont 20 000 environ – le chiffre évolue chaque jour – et Mme Jacqueline Gourault nous avait indiqué que le pourcentage d’étrangers inscrits au FSPRT était de 15 %. Les personnes inscrites dans ce fichier, classé confidentiel je crois, représentent pour notre pays une menace terroriste…

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. Potentielle !

M. Éric Ciotti.… qu’on évalue difficilement. Pour certains, c’est sans doute une menace grave, et pour tous c’est une menace potentielle. Je ne peux pas comprendre comment on octroierait un statut de protection à une personne qui représente une menace terroriste dans notre pays. Je propose donc que les personnes inscrites au fichier des signalements pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) ne puissent bénéficier du statut de réfugié ou que ceux qui en bénéficient déjà voient leur protection immédiatement interrompue par un arrêté de votre part, monsieur le ministre d’État, dès lors nous connaissons leur dangerosité, fût-elle potentielle – mais tout est dans ce mot : tant que l’acte n’est pas commis, vous avez la responsabilité de la prévenir. C’est un point sur lequel nous ne transigerons pas, et sur lequel nous reviendrons longuement dans l’hémicycle. Nous demanderons des scrutins publics et chacun assumera ses responsabilités. Nous devons et nous pouvons nous accorder sur le fait que ceux qui présentent une menace terroriste pour notre pays n’ont rien à y faire.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Je ne peux pas vous laisser dire que la protection de notre territoire n’est pas suffisamment assurée. Je le répète, le texte de loi l’élargit en prévoyant les condamnations qui ont été prononcées dans l’Union européenne. Il l’élargit aussi en permettant, au 2° du I, une meilleure communication par l’autorité judiciaire d’informations à l’OFPRA et la CNDA, dans un souci de protection accrue.

Par ailleurs, je vous rappelle que, sur ces motifs, l’OFPRA a retiré sa protection à 151 personnes en 2016, et 258 en 2017. Autrement dit, le système fonctionne, et il fonctionnera encore mieux. Donc, oui la protection de nos concitoyens est assurée.

Avis défavorable.

M. Jean Terlier. L’amendement de M. Ciotti est en réalité très dangereux. Si les personnes qui sont inscrites dans le FSPRT ont fait l’objet d’un signalement parce qu’il existe un doute, elles n’ont pas pour autant été condamnées. Laisser entendre que les personnes qui font l’objet d’un signalement, sur une simple déclaration, pourraient faire l’objet d’une perte de ce statut, c’est aller très loin. Si les personnes sont signalées et qu’elles font par la suite l’objet d’une condamnation par la justice, alors on pourra prendre des sanctions et elles pourront perdre leur statut ; mais il n’est pas raisonnable, en l’état actuel de notre droit positif, de faire dépendre une situation d’un simple signalement.

M. Claude Goasguen. Je signale que M. le ministre d’État nous a indiqué, à juste titre, qu’il avait procédé à des expulsions administratives de personnes ayant porté atteinte à l’ordre public. En réalité, la question ne se pose plus entre la compatibilité de l’étranger fiché S et son expulsion ; à mon avis, cette question est réglée.

L’amendement de M. Ciotti soulève une question sur laquelle il faudra se pencher en séance plénière : l’OFPRA n’est pas une juridiction, mais une institution administrative. On aura beaucoup de difficulté à procéder à une harmonisation avec l’Allemagne : plus efficaces que nous en matière d’exécution, les Allemands ont mis en place une vraie juridiction qui a un pouvoir de contrainte et dont les décisions sont exécutoires. Or, comme pour toute institution administrative, les décisions de l’OFPRA ne sont pas exécutoires, ce qui pose la question de la transformation profonde de la cour nationale d’appel.

J’ai toujours souhaité, pour ma part, que les appels passent par des juridictions, pour une raison très simple : quelle est la nature juridique de la décision prise ? Que se passe-t-il lorsqu’une personne apprend qu’elle est déboutée ? Rien : c’est au préfet et au procureur – autrement dit essentiellement à vous, monsieur le ministre d’État – de prendre en main la situation. En réalité, quand quelqu’un est débouté du droit d’asile à Montreuil, que fait-il ? Il s’en va… Et le magistrat qui est à la tête de la cour qui examine le cas informe, dans des délais plus ou moins longs, le préfet que cet individu doit être expulsé. Tout cela tient aux lenteurs immanentes et propres à la nature juridique de l’OFPRA et de la cour d’appel. Vous avez l’intention de rapprocher les juridictions du droit d’asile, et vous avez raison ; mais prenez exemple sur l’Allemagne, car ils sont plus efficaces que nous.

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. Monsieur Goasguen, nous avons pris exemple sur l’Allemagne sur toute une série d’articles du projet. Nous avons regardé d’assez près comment fonctionne leur système d’asile et d’immigration.

Monsieur Ciotti, le FSPRT évolue en permanence, et je reçois chaque semaine une note de l’unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT) qui m’indique comment a évolué ce fichier.

Si vous avez été signalé, par appel au numéro vert, comme quelqu’un qui peut potentiellement se radicaliser, on va vous suivre pendant quelque temps et vous serez inscrit dans le FSPRT. Mais vous n’êtes pas pour autant coupable de vouloir commettre un acte terroriste ; toute la difficulté est là. Le FSPRT comporte trois catégories : les gens qui sont actifs, les gens qui sont mis en veille et les dossiers clôturés. D’après ce que je vois, souvent, ce n’est pas le haut du spectre qui nous crée le plus de soucis, mais bien le bas du spectre, autrement dit celui qu’on n’a pas vu venir et qui brusquement se radicalise. Si vous considérez que tous ces gens ne peuvent plus avoir le statut de réfugié, cela revient à l’interdire à des milliers de personnes. Il faut proportionner les choses, et c’est ce que nous essayons de faire à travers ce texte.

M. Ugo Bernalicis. Je suis heureux de voir que la majorité est d’accord pour ne pas se fonder sur le FSPRT pour accorder ou non l’asile ; ce qui est dommage, c’est qu’avec la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (SILT), vous ayez ouvert les vannes aux arguments des Républicains. À vous maintenant d’assumer les conséquences de cette fuite en avant.

Monsieur le ministre d’État, je note que vous ne voulez toujours pas revenir sur les propos que vous avez tenus hier, qui pourtant ne vous honorent pas, sur l’instrumentalisation du geste héroïque du colonel Beltrame. (Murmures)

M. Raphaël Schellenberger. Monsieur le ministre d’État, votre argumentation va finalement dans le sens de l’amendement de M. Ciotti : si les auteurs des principaux actes terroristes ou tentatives d’attentats que l’on a pu relever ces derniers temps en France se situent dans le bas du spectre du FSPRT, c’est une raison de plus pour nous montrer particulièrement exigeants avec les étrangers qui demandent à la France un statut de protection.

Nous avons pris acte qu’il y avait deux conditions cumulatives, la menace grave et la condamnation. L’amendement de M. Ciotti tend à régler la question de la qualification de la menace grave. Sur qui pèse la charge de la preuve de la menace grave ? Est-ce à l’OFPRA de produire un travail administratif pour justifier le refus du droit d’asile en raison de menace grave ? S’il est précisé dans la loi que l’inscription dans un fichier peut constituer un élément de preuve, l’instruction des dossiers pour l’OFPRA en sera facilitée.

M. Éric Ciotti. Monsieur le ministre d’État, votre argumentation ne m’a pas convaincu. Je persiste à dire qu’il faut, en la matière, un vrai principe de précaution.

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. Vous avez raison !

M. Éric Ciotti. Vous avez parlé de menaces en provenance du bas du spectre. Cela veut dire que votre argumentation rejoint finalement notre démonstration. En fait, tous ceux qui sont inscrits dans ce fichier représentent, selon vous, pour reprendre votre expression, une « menace potentielle ». Tout est dans ces termes : chacun de ces individus peut représenter une menace, auquel cas le principe de précaution doit s’appliquer.

Si mon amendement était adopté, avez-vous dit, des milliers de personnes pourraient se voir refuser le statut de réfugié. Je vous le demande solennellement : Combien d’étrangers et combien de demandeurs d’asile sont inscrits au FSPRT ? Vous devez ces chiffres à la représentation nationale.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. J’ai du mal à vous laisser dire qu’on laisse la France soumise à une menace grave. Je le répète, il n’appartient pas à l’OFPRA de déterminer ce qu’est une menace grave ; c’est l’autorité judiciaire qui transmet ces informations à l’OFPRA sur chacune de ces personnes, et l’OFPRA se rapproche évidemment des services de renseignement pour les vérifier. Cette appréciation est faite en coopération avec l’autorité judiciaire et les services compétents : la protection est correctement assurée.

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. Monsieur Ciotti, l’OFPRA ne travaille pas de manière unilatérale. Sur un certain nombre de cas, avant de donner le statut de réfugié, elle contacte la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) pour voir si la personne à qui on va donner le statut de réfugié ne fait pas partie des cibles suivies par la DGSI.

Je réponds à votre question : 3 000 étrangers sont inscrits dans le FSPRT, ce qui représente 15 % des inscriptions.

M. Éric Ciotti. Et combien de demandeurs d’asile ?

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. Je ne suis pas sûr que nous ayons fait un classement par demandeur d’asile et par réfugié. Ce serait très difficile : le chiffre varie sans cesse.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. M. Pascal Brice, directeur général de l’OFPRA, nous l’a indiqué de manière assez solennelle en audition : protéger le territoire français et veiller à ce qu’aucune protection ne puisse être assurée à des personnes susceptibles de commettre un acte terroriste, c’est la préoccupation de chaque instant des agents de protection de l’OFPRA et de lui-même. C’est pour lui un souci permanent, et je tiens, une fois de plus, à lui en rendre hommage.

La Commission rejette lamendement.

Puis elle adopte lamendement rédactionnel CL434 de la rapporteure.

La Commission étudie ensuite lamendement CL605 de Mme Elsa Faucillon.

Mme Elsa Faucillon. L’amendement CL605 a pour objet de compléter l’article 4 en reprenant les préconisations de l’association des avocats du droit d’asile ELENA qui vise à garantir les droits de la défense. Le demandeur doit être avisé de l’existence de la décision de condamnation quand elle a eu lieu – il arrive que ce ne soit pas le cas – et invité à formuler ses observations, dans le respect du principe du contradictoire.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. L’article L. 724-1 du CESEDA précise que lorsque l’Office met fin à une protection, il en informe par écrit la personne concernée ainsi que des motifs de l’engagement de cette procédure.

L’article L. 724-2 indique que la personne concernée est mise à même de présenter par écrit ses observations sur les motifs de nature à faire obstacle à la fin du statut de réfugié ou du bénéfice de la protection subsidiaire.

Enfin, l’article L. 724-3 prévoit que la décision de retrait est motivée en fait et en droit et précise les voies et délais de recours.

Ces garanties me semblent largement suffisantes. Avis défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Puis elle est saisie de lamendement CL285 de M. Jean-Christophe Lagarde.

M. Jean-Christophe Lagarde. Je défendrai en même temps mon amendement CL281, que nous examinerons plus loin, mais qui procède du même esprit.

Les décisions de l’OFPRA sont évidemment susceptibles de recours devant le tribunal administratif. Autrement dit, la difficulté ou le danger ne tient pas tant à la décision elle-même qu’à celle du tribunal administratif, qui pourrait la juger mal fondée. C’est la raison pour laquelle nous proposons de permettre aux enquêtes administratives de faire appel aux services de police et de renseignement d’autres États ainsi qu’à ceux des organismes communautaires et internationaux. Si cette possibilité n’est pas prévue dans la loi, il sera très hasardeux de rejeter une demande en se fondant sur un avis d’un autre État, à plus forte raison dans un milieu où malheureusement grouillent les avocats qui multiplient les recours à l’envi… Le dispositif risquerait d’en être fragilisé. Il paraît sage en tout cas de prévoir cette possibilité, même si j’imagine bien qu’il n’y sera pas recouru de façon systématique.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Si je comprends bien, vous appelez à une coopération entre les services de police pour une meilleure information de l’OFPRA. Il me semble que cela se fait déjà ; mais nous allons laisser le soin à nos services de coopérer et d’organiser cette coopération sans qu’ils aient besoin de directives, sachant que les décisions de l’OFPRA sont prises en s’aidant des renseignements et de la coopération des différents services. Avis défavorable.

M. Jean-Christophe Lagarde. J’ai cru sentir une forme de « rigidité » dans votre approche sur certains amendements… Madame la rapporteure de la commission des Lois, les services de renseignement sont, et c’est heureux dans une démocratie, strictement encadrés par la loi dans leurs activités, dans les renseignements qu’ils transmettent, dans l’utilisation qui en est faite. Une autorité administrative n’a pas à solliciter de renseignements si la loi ne l’y autorise pas. Vous nous dites qu’il faut les laisser faire ; ce n’est pas mon avis. Je pense qu’il faut donner cette possibilité aux autorités administratives afin tout à la fois de les encadrer dans leurs activités et de ne pas fragiliser les décisions qu’elles prendront. Je souhaite vivement que nous puissions réfléchir sur ce sujet d’ici à l’examen du texte en séance, car sur chaque domaine qui touche au renseignement, il appartient à notre commission, et à la commission de la Défense pour ce qui relève de sa compétence, de cadrer les choses. Le texte est très clair : on a le droit de s’appuyer sur des renseignements en provenance des services français. Mais on n’a pas le droit, parce que ce n’est pas prévu, de fonder une décision sur des renseignements en provenance de services extérieurs. Or il se trouve que nos services échangent en permanence pour détecter tel ou tel danger, et c’est heureux – le ministre de l’intérieur est sûrement celui qui le sait le mieux. Prévoyons cette possibilité ; je n’ai pas dit que c’était une obligation.

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. Je suis d’accord avec votre raisonnement ; mais ce que vous expliquez, nous le faisons déjà. En fait, l’alinéa auquel vous faites allusion étend au problème des demandeurs d’asile le criblage que nous avons prévu dans la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme. C’est une transposition au problème de l’asile d’une disposition adoptée il y a peu dans la loi SILT. Votre demande est donc déjà totalement satisfaite.

La Commission rejette lamendement.

La Commission examine lamendement CL321 de M. Loïc Prudhomme.

Mme Danièle Obono. Cet amendement entend supprimer l’accès étendu aux fichiers, mis en place par le projet de loi, d’autant que ces fichiers sont connus pour poser un certain nombre de problèmes, notamment parce qu’ils ne sont pas toujours à jour. Une simple recherche sur Internet suffit pour s’en convaincre.

Non seulement la France a déjà été condamnée à ce propos par la Cour européenne des droits de l’homme en 2014, mais le Conseil d’État lui-même a appelé, dans son avis, l’attention du Gouvernement sur le fait que l’élargissement permanent des destinataires des informations contenues dans ces fichiers et la multiplication des motifs de consultation remettent en cause les finalités plus étroites qui avaient été définies lors de leur création.

La CNIL, quant à elle, a souligné dans son avis que le cumul d’une enquête administrative, portant notamment sur des données d’infraction, avec la communication directe ou moins encadrée de données collectées dans le cadre de procédures judiciaires, civiles ou pénales, y compris en cas de non-lieu, était susceptible de nuire à la proportionnalité du dispositif de collecte mise en œuvre pour l’exercice par l’OFPRA de ses missions.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Il me semble au contraire que la possibilité de demander des enquêtes administratives sur des personnes qui pourraient porter atteinte à la sûreté de l’État est une mesure de précaution nécessaire et évidente. Notre objectif est toujours de préserver la sécurité de notre territoire et de nos concitoyens. Avis défavorable.

M. Ugo Bernalicis. Les individus qui figurent dans ces fichiers de renseignements administratifs n’ont pas nécessairement été condamnés, et on ne peut décider de leur donner ou non l’asile sur le fondement d’une éventuelle dangerosité. Sinon nous sortons totalement de l’esprit d’un État de droit. C’est en cela que je disais tout à l’heure que le ministre de l’intérieur avait mis le doigt dans un engrenage qui permettait à nos collègues des Républicains et de la droite de pousser encore plus loin le curseur des mesures sécuritaires, au mépris du minimum syndical de justice qu’on est en droit d’attendre d’un État de droit.

La Commission rejette lamendement.

Puis elle examine lamendement CL606 de Mme Elsa Faucillon.

Mme Elsa Faucillon. Dans le même esprit que l’amendement précédent, nous demandons ici que le demandeur d’asile qui fait l’objet d’une enquête administrative, puisse consulter les traitements automatisés afin que soient éventuellement recueillies ses observations. Si l’on veut garantir un État de droit, il faut à tout prix garantir les droits de la défense, et ce quels que soient les résultats de l’enquête. Cet amendement, soutenu par de nombreuses associations, vise donc à ce que les autorités chargées de l’instruction des demandes d’asile respectent le principe du contradictoire.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Je vous ai cité tout à l’heure l’article du CESEDA indiquant que la personne se voyant retirer son statut de réfugié, était informée des motifs de ce retrait, cette décision, comme les décisions de refus, pouvant faire l’objet d’un recours devant la CNDA. De ce point de vue, les droits de la défense sont donc parfaitement garantis.

En ce qui concerne l’enquête administrative, elle exige une discrétion qui implique de ne pas en communiquer les tenants et les aboutissants. Avis défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Puis elle adopte larticle 4.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Je vous indique que nous avons étudié 80 amendements et qu’il nous en reste 767 à examiner.

Article 5
(art. L. 723-2, L. 723-6, L. 723-8, L. 723-11, L. 723-13, L. 724-3 et L. 812-3 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile)
Procédure dexamen des demandes dasile devant lOFPRA

Résumé du dispositif et effets principaux :

L’article 5 réduit de 120 à 90 jours le délai courant à compter de l’entrée d’un étranger sur le territoire au-delà duquel une demande d’asile sera instruite par l’OFPRA selon la procédure accélérée. Il prévoit également que l’Office puisse convoquer les demandeurs et notifier ses décisions par voie électronique. Il comprend enfin une disposition visant à clôturer l’examen d’une demande d’asile en cas de non introduction de celle-ci devant l’Office.

Dernières modifications législatives intervenues :

La procédure d’examen de la demande d’asile a fait l’objet de modifications par la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d’asile.

Modifications apportées par la commission des Lois :

La Commission a adopté plusieurs amendements de votre rapporteure qui complètent la définition des pays d’origine sûrs pour exclure ceux dans lesquels l’homosexualité peut faire l’objet de mauvais traitements ; ouvrent la possibilité à une personne en situation de handicap de se faire accompagner par une personne de son choix lors de son entretien individuel à l’OFPRA ; assurent que les notifications des décisions de l’OFPRA par voie électronique garantissent une prise de connaissance personnelle par le demandeur.

1.   La procédure accélérée devant l’OFPRA

a.   L’état du droit

La loi du 29 juillet 2015 a modifié l’article L. 723-2 du CESEDA pour substituer à la procédure « prioritaire » la procédure « accélérée ». Cette dernière, prévue par l’article 31 de la directive « Procédures » du 26 juin 2013, a pour objet de faire examiner dans un délai bref les demandes de protection qui ont le moins de chance d’aboutir.

Telle qu’elle est aujourd’hui prévue par l’article L. 723-2 du CESEDA, la procédure accélérée peut intervenir dans trois hypothèses :

– de plein droit, lorsque le demandeur provient d’un pays d’origine sûr ou qu’il présente une demande de réexamen recevable ;

– à l’initiative de l’OFPRA, lorsque le demandeur a fourni à l’Office de faux documents ou indications, ne soulève que des questions sans pertinence à l’appui de sa demande, ou fait des déclarations manifestement incohérentes ou contradictoires ;

– à la demande de la préfecture lorsque le demandeur refuse de se soumettre à l’obligation de donner ses empreintes digitales dans le cadre d’une procédure « Dublin », lorsqu’il a fourni, lors de l’enregistrement de sa demande, de faux documents ou indications, lorsqu’il n’a pas présenté sa demande d’asile dans un délai de 120 jours après son arrivée en France sans motif légitime, lorsqu’il ne présente une demande d’asile que pour faire échec à son éloignement ou encore lorsque la présence en France du demandeur constitue une menace grave pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l’État.

Lorsque l’OFPRA examine une demande d’asile en procédure accélérée, il statue dans un délai de quinze jours à compter de l’introduction de la demande. Le demandeur est informé de ce traitement en procédure accélérée, et du motif de ce choix, au moment de l’enregistrement de sa demande ou au moment de sa convocation à l’entretien personnel à l’OFPRA. Le choix de la procédure accélérée ne peut faire l’objet d’un recours contentieux, sauf à l’occasion du recours formé devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) à l’encontre de la décision de l’Office sur la protection.

Le placement d’une demande en procédure accélérée n’a cependant aucune incidence sur son examen au fond : l’OFPRA procède naturellement à un examen individuel des demandes, dans les mêmes conditions que celles placées en procédure « normale ». En outre, le V de l’article L. 723-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile précise que l’Office peut décider, à tout moment, de ne pas statuer en procédure accélérée lorsque cela lui paraît nécessaire, « pour assurer un examen approprié de la demande », en particulier si le demandeur provenant d’un pays d’origine sûr « invoque des raisons sérieuses de penser que son pays dorigine ne peut pas être considéré comme sûr en raison de sa situation personnelle et au regard des motifs de sa demande ».

Les pays dorigine sûrs

La notion de pays d’origine sûrs a été formalisée pour la première fois par la directive 2005/85/CE du Conseil du 1er décembre 2005 et introduite alors dans le droit national.

La loi du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d’asile a maintenu le dispositif d’une liste nationale des pays d’origine sûrs (POS), autorisé par la directive « Procédures » du 26 juin 2013 et permettant la mise en œuvre d’une procédure accélérée. Ce dispositif constitue en effet un outil de gestion de la demande d’asile qui a fait la preuve de son efficacité en dissuadant des demandes manifestement étrangères à un besoin de protection.

Le législateur a cependant apporté des améliorations substantielles à ce dispositif, notamment en retenant une définition du POS très rigoureuse quant au respect effectif des droits et des libertés et en posant une exigence d’examen régulier afin de veiller à l’actualité et à la pertinence des inscriptions.

L’article L. 722-1 du CESEDA dispose ainsi qu’un pays est considéré comme « un pays dorigine sûr lorsque, sur la base de la situation légale, de lapplication du droit dans le cadre dun régime démocratique et des circonstances politiques générales, il peut être démontré que, dune manière générale et uniformément pour les hommes comme pour les femmes, il ny est jamais recouru à la persécution, ni à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants et quil ny a pas de menace en raison dune violence qui peut sétendre à des personnes sans considération de leur situation personnelle dans des situations de conflit armé international ou interne. »

La liste des pays d’origine sûrs a fait l’objet d’un réexamen dans son ensemble à l’occasion du conseil d’administration de l’OFPRA du 9 octobre 2015 pour garantir sa conformité au droit nouvellement applicable. L’ensemble des pays précédemment inscrits sur la liste ont été à nouveau considérés comme des pays d’origine sûrs, à l’exception de la Tanzanie, et le Kosovo y a été ajouté.

La mention de ce dernier pays a été rendue possible en raison des évolutions qui y sont intervenues depuis l’annulation de son inscription par le Conseil d’État en octobre 2014. Ces évolutions ont conduit le Conseil de l’Union européenne à préconiser, en juillet 2015, l’inscription de ce pays par tous les États membres.

La liste des POS est actuellement composée de seize pays : Albanie, Arménie, Bénin, Bosnie-Herzégovine, Cap-Vert, Géorgie, Ghana, Inde, Kosovo, Macédoine (ARYM), Île Maurice, Moldavie, Mongolie, Monténégro, Sénégal et Serbie.

La part des demandes d’asile placées en procédure accélérée dès leur enregistrement était de 38,8 % en 2016, soit le plus fort taux observé au cours de ces dix dernières années. La première nationalité représentée parmi ces demandes était l’Albanie, avec 22,3 % du total des procédures accélérées. Par ailleurs, 373 demandes d’asile, principalement en provenance de la Chine et de Haïti, ont été placées en procédure accélérée par l’OFPRA, à l’issue de leur entretien individuel.

b.   Le dispositif proposé

L’alinéa 2 du présent article modifie l’article L. 723-2 du CESEDA pour réduire de 120 à 90 jours le délai courant à compter de l’entrée sur le territoire pour déposer une demande d’asile et au-delà duquel l’autorité administrative pourra examiner cette demande en procédure accélérée.

Cette réduction est conforme à ce que prévoit la directive « Procédures » du 26 juin 2013 et s’inspire des pratiques retenues dans d’autres pays européens, comme l’Allemagne. Dans son avis sur le projet de loi, le Conseil d’État a estimé que cette disposition ne se heurtait à aucune objection sur les plans constitutionnel et conventionnel.

2.   Les notifications de l’OFPRA

Le présent article modifie plusieurs dispositions du CESEDA pour prévoir que les décisions écrites prises par lOFPRA relatives à loctroi ou au refus de protection, prévues par larticle L. 723-8 (alinéa 7), les clôtures, prévues à larticle L. 723-11 (alinéa 8), les fins de protection, prévues à larticle L. 724-3 (alinéa 16) et loctroi du statut dapatride, en application de larticle L. 812-3 (alinéa 17) peuvent être notifiées « par tout moyen garantissant la confidentialité ».

Ces dispositions ouvrent ainsi la possibilité de dématérialiser la notification des décisions de loffice et déviter de ce fait les délais induits par lenvoi dun recommandé avec accusé de réception. Il sagit de remédier, ainsi que le souligne le Conseil dÉtat dans son avis sur le projet de loi, « aux difficultés fréquentes de notifications postales en raison de changements dadresse, qui entraînent des prolongations de délai inutiles et des charges administratives lourdes ».

Lors de son audition par votre rapporteure, le directeur général de lOFPRA, M. Pascal Brice, a indiqué quil réfléchissait à la mise en place dun télé-service avec un espace personnel et confidentiel. Un tel dispositif aurait pour avantage de répondre aux recommandations du Conseil dÉtat, en matière de notification personnelle et de conservation de la trace de cette notification.

Par ailleurs, cette dématérialisation des notifications pourra également sappliquer, sans la condition de confidentialité, aux convocations aux entretiens personnels de lOFPRA prévues par larticle L. 723-6 (alinéa 4).

3.   Les décisions de clôture

L’article 5 modifie enfin l’article L. 723-13 pour prévoir que l’OFPRA prenne une décision de clôture lorsque le demandeur d’asile n’introduit pas sa demande à l’office, ce qui permet de clarifier le régime des clôtures et d’en renforcer l’effectivité (alinéa 12).

Dans cette perspective, il est également proposé de considérer la décision de clôture comme notifiée à la date de la décision lorsque le demandeur n’a pas informé l’office de son lieu de résidence ou de son adresse et qu’il ne peut donc être contacté (alinéa 15).

4.   Les modifications apportées par la commission des Lois

*

*     *

La Commission examine les amendements identiques CL367 de Mme Danièle Obono et CL586 de Mme Elsa Faucillon.

M. Ugo Bernalicis. L’article 5 constitue un rabotage inacceptable des droits procéduraux des demandeurs d’asile, et qui n’obéit visiblement qu’à des considérations budgétaires.

Faire basculer de nombreux demandeurs d’asile dans une procédure accélérée qui s’apparente à de l’abattage est inacceptable. En voulant diminuer de cent vingt jours à quatre-vingt-dix jours le délai entre l’entrée sur le territoire et le dépôt d’une demande d’asile pour avoir droit à un examen dans le cadre d’une procédure dite « normale » par l’OFPRA et la CNDA, le Gouvernement se livre dans les faits à un rabotage budgétaire, au détriment des droits les plus fondamentaux des demandeurs d’asile, et notamment le droit à un examen sérieux de leur dossier. Comment osez-vous ainsi retrancher d’emblée trente jours de délai à des personnes au parcours migratoire traumatisant, et qui ne connaissent ni notre langue, ni les subtilités de notre droit, ni la procédure permettant de demander l’asile !

Par cet amendement nous proposons de préserver le délai actuel maximal de cent vingt jours prévu à l’article L. 723-2 du CESEDA, bien plus garant des droits fondamentaux des demandeurs d’asile.

Force est de constater que l’exception finit toujours par devenir la règle, et que la procédure « accélérée », censée avoir été mise en place pour désengorger l’OFPRA et la CNDA, tend à devenir la procédure normale, alors qu’il aurait mieux valu recruter des effectifs à la hauteur des besoins. Ce n’est à l’évidence pas le choix qui a été fait dans le PLF pour 2018, alors même que nous vous avions alertés. Voilà donc où nous en sommes aujourd’hui.

M. Stéphane Peu. Nous sommes inquiets de cet article 5 qui affaiblit les droits fondamentaux des demandeurs d’asile, d’abord parce qu’il raccourcit les délais qui leur sont octroyés pour déposer leur demande, sans tenir aucun compte de leurs parcours, des traumatismes qu’ils ont subis, des difficultés à comprendre les procédures dans une langue qu’ils ne maîtrisent pas, et pas davantage des délais de traitement des dossiers dans les préfectures, très inégaux d’un département à l’autre. Une des conséquences de ce raccourcissement sera la multiplication des demandes traitées en procédure accélérée, c’est-à-dire selon des règles d’examen très différentes.

D’autre part, puisque beaucoup ici font référence à l’Allemagne, je vais m’y référer aussi. L’alinéa 4 autorise l’OFPRA à adresser la convocation à l’entretien individuel, « par tout moyen », de même que les alinéas 13 et 14 l’autorisent à notifier ses décisions également « par tout moyen », y compris électronique. Or, en Allemagne, la convocation pour un entretien comme la signification de la décision se font par un courrier avec accusé de réception, ce qui permet de garantir qu’elles parviennent bien à leurs destinataires – sage précaution compte tenu de la précarité dans laquelle ils vivent. S’en remettre à des moyens immatériels, c’est s’exposer au contraire à ce que les demandeurs d’asile ne soient jamais convoqués et se retrouvent rapidement dans l’illégalité. Afin de mieux sécuriser leurs droits, nous ferions donc bien, au moins sur cet aspect, de prendre exemple sur l’Allemagne.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Lorsqu’une personne se trouve sur notre territoire pour y demander l’asile, avant d’être inscrite en tant que demandeur d’asile, elle ne bénéficie pas des conditions matérielles d’accueil : elle ne perçoit pas d’allocation et ne se voit pas proposer d’hébergement. Il me semble donc que, pour qu’un migrant puisse au plus vite prétendre à des conditions de vie dignes, tout le monde a intérêt à ce que sa demande d’asile soit introduite le plus rapidement possible et qu’il puisse entrer dans le parcours du demandeur d’asile et se voir proposer des conditions matérielles d’accueil.

C’est en tout cas le souci des nombreuses associations que j’ai entendues et qui organisent avec l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) des maraudes – y compris à Calais où l’on sait pourtant que l’immense majorité des migrants ne sont pas là pour demander l’asile en France –, afin d’aller à la rencontre de ceux qui vivent dans la rue ou dans des campements, dans des situations de grande vulnérabilité et de grande précarité, pour les informer de leurs droits, leur expliquer la procédure et les orienter dans le dispositif de demande d’asile qui leur permettra d’être pris en charge dans des conditions bien plus humaines.

Pour ce qui est des délais d’enregistrement, on sait bien que le placement en procédure accélérée ne se fait pas dès lors que le demandeur peut faire valoir des motifs légitimes. Ainsi, nul ne sera placé en procédure accélérée au motif que le temps d’attente entre son enregistrement par la plate-forme d’accueil pour demandeur d’asile (PADA) et sa convocation à un guichet unique pour demandeurs d’asile (GUDA) a été trop long : le demandeur se voit délivrer un ticket et le guichet unique tient compte de la date de l’enregistrement et de la remise de la convocation.

Notons que ce temps d’attente entre la PADA et le GUDA est voué à se raccourcir, puisque la loi de finances pour 2018 prévoit la création de cent cinquante postes dans les préfectures. À cela s’ajoute la multiplication des centres d’accueil et d’examen des situations (CAES), qui permettent une inscription au guichet unique en trois jours.

Enfin, je ne peux pas laisser parler de justice expéditive à propos de la procédure accélérée. En vérité, la procédure accélérée est avant tout un coupe-file : une personne orientée vers la procédure accélérée verra son dossier placé sur le dessus de la pile et donc examiné plus rapidement. Si cela laisse moins de temps au demandeur pour préparer son dossier, il a néanmoins la garantie qu’il bénéficiera devant l’OFPRA d’une instruction de même qualité que s’il avait fait l’objet de la procédure normale. Et à tout moment une personne placée en procédure accélérée peut être replacée en procédure normale si des éléments le justifient.

La réduction du délai de dépôt de la demande à quatre-vingt-dix jours me paraît être conforme à l’idée que nous nous faisons de l’humanité et de la dignité. Avis défavorable.

Mme Elsa Faucillon. Vous laissez entendre que certaines associations seraient favorables à ce que vous proposez. Il serait intéressant que vous citiez leurs noms et quelle est la nature exacte de ce qu’elles souhaitent. Celles que j’ai entendues pour ma part veulent surtout que soient réduits les délais de réponse. Or ce que réduit cet article 5, ce sont surtout les droits et les garanties des demandeurs d’asile ; soutenir que les associations, y compris à Calais, demandent que l’on réduise les droits et les garanties des demandeurs d’asile, c’est un peu fort de café !

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Ne caricaturez pas mes propos, ce n’est pas ce que j’ai dit !

Mme Elsa Faucillon. C’est ce qu’on pouvait comprendre entre les lignes.

Mme Danièle Obono. Tout le monde s’accorde pour admettre que les conditions dans lesquelles doivent survivre les migrants avant l’enregistrement de leur dossier sont problématiques ; nous aurons à revenir sur cette question du premier accueil.

Par ailleurs, nous avons également rencontré des associations et, comme Elsa Faucillon, j’aimerais quelques précisions de la part de la rapporteure, car les membres de cette commission qui ont participé à ces auditions peuvent témoigner du jugement très critique des associations sur cet article du projet de loi, jugement dont on retrouve d’ailleurs des échos dans la presse et qui corrobore ce que disent les agents de l’OFPRA et de la CNDA : non seulement la procédure accélérée ne leur facilite pas la tâche, mais elle ne leur permet pas non plus de faire un travail de qualité.

Si ce projet de loi s’appuie sur des demandes précises émanant des associations, si ces dernières l’ont validé, il serait bon, pour la clarté de nos débats, que nous sachions de quelles associations il s’agit, car celles que nous avons entendues nous ont dit exactement le contraire, estimant que les conditions faites par cet article aux migrants comme aux agents qui les prennent en charge étaient inacceptables. J’ai donc le sentiment que nous sommes ici dans un dialogue de sourds.

Mme Marie Guévenoux. Non, la réduction de délais ne dégrade pas la qualité de l’examen des demandes d’asile. Le directeur de l’OFPRA nous a confié que la réorganisation de l’Office avait permis de réduire considérablement les délais – c’est d’ailleurs l’objet de la notification par tout moyen, qui semble poser problème à certains. Du reste, le groupe LaREM va proposer un amendement qui visera à garantir le droit à une procédure équitable pour le requérant.

Enfin, les moyens alloués par la loi de finances pour 2018 vont permettre la création d’une centaine d’emplois à temps plein, qui viendront renforcer les effectifs chargés de l’examen des demandes.

Le raccourcissement des procédures se justifie donc pleinement, à deux titres au moins : d’abord pour préserver au mieux la dignité des demandeurs d’asile, ensuite pour assurer l’efficacité qui doit s’attacher à toutes les politiques publiques de la République.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Madame Obono, vous parlez de dialogue de sourds : je me demande en effet si vous m’avez mal entendue ou s’il s’agit de votre part d’une volonté délibérée de déformer mes propos.

Je n’ai jamais dit que des associations auraient défendu ouvertement cet article ; ce que j’ai dit, c’est que les associations font des maraudes dans les campements et auprès des étrangers isolés, précaires et vulnérables pour les informer de la possibilité qu’ils ont de demander l’asile, et qu’en conséquence aucun migrant, après trois mois sur notre territoire, ne peut ignorer qu’il peut déposer une telle demande. J’ajoute que, outre les associations, les préfectures et l’OFII organisent également des maraudes. L’information me paraît donc suffisante pour que le délai de dépôt de cette demande soit abaissé à quatre-vingt-dix jours.

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. À entendre certains d’entre vous, on pourrait croire que le projet de loi que nous vous proposons est exorbitant du droit commun, notamment européen. Tout au contraire, nous voulons, avec ce texte, nous inscrire dans le droit européen, particulièrement la directive « Procédures » qui dispose que « les États-membres veillent à ce que la procédure dexamen soit menée à terme dans les meilleurs délais, sans préjudice dun examen approprié et exhaustif ». C’est précisément ce que nous voulons : aller le plus vite que possible de manière à pouvoir informer le demandeur dans un délai moyen de six mois – comme le mentionne explicitement l’exposé des motifs du projet de loi – de l’acceptation ou du rejet de sa demande d’asile.

Il faut savoir en effet que le migrant qui ne procède pas à son dépôt de demande dans les quatre-vingt-dix jours mais attend cent vingt jours n’a aucune envie que celle-ci soit examinée rapidement et qu’il ne cherche qu’à gagner du temps. Nous devons donc faire en sorte que les procédures soient respectées, sans quoi plus aucune règle ne tiendra – ce qui sera contraire à ce que font tous les autres États européens.

M. Stéphane Peu. J’ai soulevé deux objections à cet article : la première concernait les délais, et nous venons d’en parler ; en revanche, je n’ai pas obtenu de réponse sur la seconde, qui concernait la manière dont l’OFPRA signifiait ses décisions aux requérants.

M. Erwan Balanant. Monsieur le ministre d’État, je ne comprends pas ce que signifie cette idée qu’un demandeur d’asile voudrait gagner du temps. S’il sait que sa demande est légitime et qu’à l’issue de son examen il bénéficiera de la protection à laquelle il a droit, quel est son intérêt à attendre cent vingt jours ?

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. Votre raisonnement est valable s’il a la conviction d’obtenir le droit d’asile ; mais s’il ne l’a pas, il va essayer de gagner le plus de temps possible, et c’est bien là notre problème.

Mme Cécile Untermaier. Le raccourcissement du délai d’instruction des demandes d’asile était un des objets de la loi de 2015, qui avait fixé ce délai à neuf mois. Si le Défenseur des droits parle aujourd’hui, à propos de ce nouveau projet de loi, d’un objectif de célérité confinant à un traitement expéditif des demandes, c’est peut-être qu’avant de mettre en place ces nouvelles dispositions, nous n’avons pas évalué les effets de la loi de 2015. Sait-on si elle nous a permis d’atteindre l’objectif que nous nous étions assigné, notamment au niveau des préfectures dont en connaît l’engorgement en raison du manque d’effectifs ? Je pense que nous aurions beaucoup plus de légitimité à vouloir fixer de nouveaux objectifs si les précédents avaient été atteints. Pourriez-vous donc, monsieur le ministre, nous éclairer sur ce point ?

M. Hervé Saulignac. Il est assez généreux d’affirmer qu’il ne faut pas que les demandeurs d’asile subissent une trop longue attente, mais je pense que la vérité est ailleurs : la vérité, c’est que vous souhaitez plus de procédures accélérées, assumez-le ! Une procédure accélérée, cela signifie un traitement superficiel des dossiers, ce qui permet d’accélérer le rythme. En réduisant les délais, vous allez augmenter mécaniquement le nombre de dossiers hors délai, et donc ces procédures, que je qualifierais d’expéditives.

Mme Lætitia Avia. L’objectif de cet article n’est pas de traiter de la procédure accélérée mais bien de la procédure de droit commun, qui s’appliquera en matière de demande d’asile.

Je rappelle que ce projet de loi doit nous permettre d’abaisser le délai d’instruction des demandes d’asile de quatorze à six mois, ce qui implique de faire preuve de célérité à toutes les étapes du parcours. Pour cela, il faut agir dès l’entrée sur le territoire, en organisant une meilleure orientation des demandeurs d’asile, ce qui se fera notamment grâce aux cent cinquante ETP votés dans le cadre du dernier PLF, mais également grâce au développement des CAES qui doit permettre d’éviter que les demandeurs d’asile soient dispersés dans différents lieux d’hébergement, pas toujours appropriés. Dans cette perspective de contenir l’ensemble de la procédure dans un délai de six mois, le fait d’imposer un délai maximum de quatre-vingt-dix jours à compter de l’entrée sur le territoire pour déposer une demande d’asile ne me paraît pas exorbitant.

En ce qui concerne les notifications, je voudrais faire remarquer à M. Peu que, compte tenu des conditions d’acheminement parfois aléatoires du courrier postal, nous souhaitons mieux sécuriser la transmission de ces notifications. Notre groupe défendra pour cela plusieurs amendements visant à garantir que les notifications seront effectivement transmises à leur destinataire.

M. Florent Boudié. Si cette réduction du délai de cent vingt à quatre-vingt-dix jours fait l’objet de débats, c’est parce que le pré-accueil, c’est-à-dire la période qui précède l’enregistrement, est marqué depuis longtemps par des dysfonctionnements majeurs, notamment en Île-de-France.

De ce point de vue, les nouveaux moyens mis en place et les améliorations de procédure ont d’ores et déjà permis une réduction significative de la durée d’attente, qui était en moyenne de vingt-six jours il y a quelques mois mais a pu être diminuée d’un tiers, grâce notamment à la prise de rendez-vous par téléphone. Cela démontre qu’il est possible de réduire le délai de dépôt des demandes à quatre-vingt-dix jours, en assurant un traitement correct en pré-accueil. Je pense également que c’est une manière de protéger les migrants en leur garantissant qu’ils ne resteront pas pendant plusieurs semaines dans la rue.

Quant à la procédure accélérée que notre collègue Hervé Saulignac considère comme une « sous-procédure », rappelons qu’elle a été créée par la précédente majorité, à laquelle j’ai appartenu et dont lui-même se réclame aujourd’hui. Si nous l’avons inscrite dans la loi de 2015, c’est précisément parce que nous considérions qu’elle était protectrice. Ce n’est donc en rien une sous-procédure, et une décision de refus de l’OFPRA peut toujours faire l’objet d’un recours devant la CNDA.

Il est donc indispensable de remettre ce délai de quatre-vingt-dix jours dans la perspective de tout ce que fait l’État par ailleurs pour améliorer la situation des demandeurs d’asile avant leur enregistrement en préfecture.

La Commission rejette les amendements.

La Commission examine lamendement CL908 de la rapporteure.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Cet amendement a pour objet de compléter la définition des pays d’origine sûrs, prévue par l’article L. 722-1 du CESEDA, afin d’exclure expressément de cette liste les pays où l’homosexualité peut encore faire l’objet de mauvais traitements ou de sanctions pénales.

J’associe à cet amendement des députés du groupe La République en Marche, qui déposent un amendement allant dans le même sens, un peu plus loin dans le texte et qui se sont mobilisés sur une problématique apparue au cours au cours des nombreuses auditions que nous avons menées.

Il est en effet évident qu’un pays ne peut être considéré comme sûr s’il pénalise ou criminalise l’homosexualité. Nous devons combattre sans relâche la défense des droits LGBT, sur notre territoire comme partout dans le monde, Il est donc essentiel que personne ne puisse se voir refuser une protection justifiée par son orientation sexuelle, même si je précise que le placement en procédure accélérée n’amoindrit aucunement la qualité du traitement de la demande. C’est vraiment ici une question de principe.

M. Matthieu Orphelin. Je vous remercie, madame la rapporteure, d’avoir repris cet amendement très important, que nous avions présenté, dans une rédaction similaire, avec une cinquantaine de députés de la majorité.

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. Le Gouvernement est très favorable à cet amendement.

Mme Elsa Faucillon. Est-il possible d’avoir la liste de ces pays qui condamnent encore l’homosexualité ?

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous vous la communiquerons.

La Commission adopte lamendement CL908.

Elle examine ensuite lamendement CL720 de M. Christophe Blanchet.

M. Christophe Blanchet. Monsieur le ministre d’État, vous vous êtes engagé à mettre les moyens nécessaires pour moderniser et le rénover le fichier national des étrangers en France, l’AGDREF (Application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France).

Nous proposons de le compléter en instaurant l’obligation, pour les étrangers sans papiers, d’une prise d’empreintes avec photo pour, au minimum, disposer d’une identité et d’un moyen de reconnaissance. Ce ne sera peut-être pas son identité réelle, que l’enquête et l’instruction permettront d’établir. Mais aux yeux de la France, ce sera une identité opposable et contrôlable.

Dans le même temps, cet amendement vise à utiliser les nouvelles technologies, notamment au niveau des cartes biométriques. Chaque étranger pourra repartir avec son titre d’identification biométrique, utilisable lors de chaque contrôle.

L’objectif est de donner une identité à des migrants qui peuvent ne plus savoir qui ils sont, après tout ce qu’ils ont vécu, mais aussi d’éviter les procédures des migrants multi-identitaires qui bloquent notre système d’instruction de dossiers au détriment de migrants pour lesquels il y a urgence d’agir. Cela permettra également de diminuer les coûts de procédures qui n’aboutissent jamais, pour consacrer du temps aux migrants qui attendent qu’on étudie réellement leur dossier.

La philosophie de cet amendement est de rétablir un pacte de confiance avec les migrants et avec les associations : on peut imaginer que passé un délai de six mois, la non-réponse vaudrait acceptation.

Concrètement, sur la commune d’Ouistreham dont je suis l’élu, cela permettrait de débloquer certaines situations : je pense notamment à ces multi-identitaires, souvent « mijeurs » qui, avec une barbe et manifestement quarante ans, persistent à déclarer qu’ils ont seize ans et demi… et qui paralysent le système, sans que l’on puisse vérifier ce qu’il en est.

Monsieur le ministre d’État, madame la présidente, depuis deux mois, j’ai déjà évoqué devant vous tous ces points ; je vous ai même donné quelques dossiers. J’aimerais savoir si les adages « qui ne dit mot consent » et « pas de nouvelle, bonne nouvelle » vont se vérifier, et si mon amendement va être accepté.

Mme Élise Fajleges, rapporteure. Monsieur le député, je comprends que vous soyez inquiet et que vous souhaitiez pouvoir procéder plus systématiquement à des identifications. Néanmoins, dans la mesure où votre autre amendement, qui visait à créer les titres biométriques que vous évoquez, a été déclaré irrecevable, je crains que celui-ci soit totalement vidé de sa portée. Je vous demande donc de le retirer. À défaut, je donnerai un avis défavorable.

M. Pierre-Henri Dumont. Je souhaiterais intervenir, non pas à propos de l’article 40, mais sur le fond de l’amendement. Madame la rapporteure, mon collègue député d’Ouistreham fait face au même problème que moi, à Calais, où vous êtes venue il y a quelques jours : on ne réussit pas à identifier les migrants qui s’y trouvent. Or certains de ces migrants peuvent commettre des délits, déchirer des bâches de camion, s’introduire dans les véhicules, dans l’enceinte du port de Calais ou du tunnel sous la Manche... À défaut d’identification – c’est le motif principal utilisé par le juge –, ils sont remis en circulation, dans les mains des passeurs.

Monsieur le ministre d’État, madame la présidente, madame la rapporteure, nous avons absolument besoin d’identifier clairement ces migrants qui, je le rappelle, ne demandent pas l’asile : même s’ils peuvent entrer dans les critères d’asile en France, ils ne veulent pas le demander.

Il faut identifier les migrants, si l’on veut pouvoir assurer la sécurité de tous – et d’abord la leur – et avoir un suivi. Or la seule identification possible est celle par empreintes digitales. Les acteurs de terrain et les forces de police le réclament depuis de très nombreuses années. Il en est de même, j’en suis sûr, dans l’ensemble des postes frontaliers des ports. Voilà pourquoi, même s’il n’est pas recevable, cet amendement soulève une question majeure, à laquelle le Gouvernement devra apporter une réponse, ne serait-ce que pour donner satisfaction aux forces de police des zones portuaires du Nord de la France.

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. Monsieur le député d’Ouistreham, je connais assez bien cette problématique, qui est réelle. La difficulté est de nature non pas législative, mais opérationnelle. Nous travaillons à la mise au point d’un système qui nous permettra de prendre les empreintes, et de détecter si la personne a déjà effectivement été contrôlée. Cela résoudrait votre problème. Je vous demande donc de retirer votre amendement, mais je m’engage à faire en sorte qu’il soit résolu.

M. Christophe Blanchet. J’en prends acte, monsieur le ministre d’État. Il ne faudra surtout pas écarter les mineurs de cette prise d’empreintes. Si un mineur n’aboutit pas dans un département, il file dans un autre, ce qui finit par coûter cher. Mais il faudra que le fichier soit national.

Je retire mon amendement.

Lamendement CL720 est retiré.

La Commission examine deux amendements identiques, CL76 de Mme Marietta Karamanli, et CL710 de Mme Delphine Bagarry.

Mme Marietta Karamanli. La réduction des délais prévue par l’article 5 pose problème. Nous sommes des députés réalistes et nous ne voulons pas agiter le chiffon rouge, mais il faut savoir que 40 % des procédures sont en accéléré, et qu’un rapporteur a besoin de quarante-huit heures pour rédiger treize dossiers. Lors des auditions, on nous a dit qu’il fallait une semaine pour qu’un dossier arrive en chambre, et deux semaines pour instruire les treize dossiers. En procédure accélérée, on arrive effectivement à donner une réponse entre trois et quatre jours, alors qu’il faut entre trois et quatre mois en procédure normale.

Pour une personne qui entre en France et qui doit faire une demande d’asile, les délais sont délibérément trop courts : il lui faut apprendre en quoi consiste le droit d’asile, les critères pris en compte, les démarches à entreprendre, les guichets auxquels s’adresser, tout en se préoccupant de trouver un abri, de quoi se nourrir, éventuellement de nourrir et soigner les jeunes enfants, et tout cela dans un pays inconnu et sans forcément connaître la langue. Il faut surtout trouver la plateforme PADA ou un CAES accessible rapidement, ce qui est loin d’être le cas. Tout cela demande du temps.

Comme l’a rappelé très justement le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, les obstacles linguistiques et matériels auxquels se heurtent les demandeurs d’asile à leur arrivée sur le territoire, la nécessité de bénéficier d’un accompagnement juridique et social pour constituer les différents dossiers, rédiger la demande, sans oublier les difficultés que rencontrent certains d’entre eux pour accéder aux plateformes d’accueil, tout cela fait que les délais sont difficilement tenables. Voilà pourquoi nous insistons pour que l’on revienne aux 120 jours. Tel est le but de l’amendement CL76.

Mme Delphine Bagarry. Un primo-arrivant en France n’est pas toujours informé des démarches qu’il doit entamer afin de déposer une demande d’asile. L’obtention de ces informations peut lui prendre du temps, notamment lorsqu’on ne parle pas français et qu’on ne connaît pas le pays. Il est déjà difficile pour les Français eux-mêmes de comprendre les procédures de notre système administratif. On peut imaginer ce qu’il en est pour un demandeur d’asile.

Les retardataires éventuels au dépôt de la demande d’asile se retrouveront parmi les plus vulnérables, les plus démunis, les moins aidés, les moins informés. Et ce sont ceux-là qui verraient leur demande étudiée en procédure accélérée, considérée comme expéditive par la plupart des avocats ? En réalité, ce sont eux qui ont le plus besoin de protection.

La réduction des délais d’instruction de demande d’asile, qui est l’objectif de la loi, ne doit pas se faire au détriment des droits des plus fragiles, ni en réduisant les droits des femmes et des hommes qui demandent la protection de notre pays.

Mon amendement CL710 propose donc de maintenir le droit en vigueur.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Je le répète : réduire les délais, c’est permettre aux étrangers qui souhaitent demander l’asile de rentrer dans le dispositif national d’accueil, donc de se voir proposer un hébergement et une allocation pour demandeur d’asile. Réduire ce délai, c’est plus d’humanité.

La procédure accélérée n’est pas une sous-justice, mais un coupe-file : la demande est étudiée plus rapidement par l’OFPRA, mais dans les mêmes conditions de qualité et avec la même attention – entretien individuel, etc.

Stéphane Peu a pris tout à l’heure l’Allemagne en exemple. Dans ce pays, la demande est introduite entre trois et dix jours et tout le monde est pris en charge dans ce délai. De ce point de vue, je pense que nous respectons totalement les délais d’humanité et de dignité des étrangers venus sur le territoire français pour demander asile. Mon avis sera encore défavorable.

M. Ugo Bernalicis. L’exemple de l’Allemagne est intéressant : il arrive dans certains cas de figure que l’on ait recours à une procédure accélérée, à ceci près qu’elle n’est pas liée à un délai de dépôt de 90 ou 120 jours…

M. Florent Boudié. Le débat glisse sur le principe même de la procédure accélérée. Mais il faut se rappeler les cas qui peuvent donner lieu à une procédure accélérée : demandes de réexamen et demandeurs issus de pays sûrs, pour ceux qui respectent les délais. Mais au-delà de cela, il faut avoir conscience que la procédure accélérée protège le droit des ressortissants.

Si un ressortissant veut contester le classement par la préfecture en procédure accélérée, il doit en faire la demande à l’OFPRA et lui apporter tous les éléments qui lui permettront, comme c’est prévu dans le CESEDA, d’obtenir le reclassement de la procédure accélérée en procédure normale. Et dans l’hypothèse où l’OFPRA n’aurait pas tenu compte de ces éléments, il peut, lors du recours devant la CNDA, contester à nouveau le passage en procédure accélérée.

Cela montre que, tout au long de la procédure, le requérant peut arguer d’un certain nombre d’éléments, de faits qui n’auraient pas été pris en compte par la préfecture, et qui permettront, le cas échéant, de traiter sa demande en procédure normale.

Il ne faut donc pas caricaturer la procédure accélérée, d’autant plus qu’elle avait été consolidée, par le passé, dans des conditions qui n’avaient pas été contestées par l’ancien gouvernement.

Mme Marietta Karamanli. La question n’est pas là. La loi de 2015 a rénové une procédure qui existait précédemment, et qui était la procédure prioritaire : elle n’a donc pas créé la procédure accélérée.

Mais une question se pose : si finalement tout passe par ce coupe-file, on va se retrouver devant le même problème. Combien y aura-t-il de dossiers en procédure accélérée ? Comment seront-ils traités ? Honnêtement, cette méthode n’est pas efficace. C’est également l’avis du Défenseur des droits. Plutôt que de vouloir à tout prix réduire ces délais, on devrait donc faire preuve de davantage de prudence.

M. Erwan Balanant. Je suis d’accord avec vous, monsieur le ministre d’État : je crois même que nous sommes tous d’accord pour que la procédure soit la plus rapide et la plus précise possible. Mais je suis convaincu qu’en multipliant les procédures différenciées, on risque de multiplier les contentieux. Comme M. Boudié vient de le dire, il est possible de revenir plusieurs fois sur la procédure ; mais c’est précisément tout cela qui empêche notre administration de traiter rapidement les dossiers. Je repose donc la question : quel est l’intérêt, pour un demandeur d’asile qui veut obtenir l’asile en France, d’attendre 120 jours ? Aucun. Pourquoi dès lors le faire passer à 90 jours ?

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. En effet, en Allemagne, le délai n’a rien à voir avec le classement en procédure normale ou en procédure accélérée. Si les étrangers sont très vite pris en charge pour être très vite inscrits en tant que demandeurs d’asile, c’est pour des raisons d’humanité. Et c’est pour pouvoir identifier le plus rapidement possible qui veut être demandeur d’asile que cette procédure a été mise en place.

Enfin, madame Karamanli, tout le monde ne va pas passer par un coupe-file : en 90 jours, on a le temps de pouvoir déposer une demande d’asile.

La Commission rejette les amendements.

Elle est ensuite saisie de lamendement CL78 de Mme Marietta Karamanli.

Mme Marietta Karamanli. Cet amendement est dans le même esprit que les précédents : l’application des procédures accélérées apparaît manifestement incompatible avec la possibilité, pour les demandeurs d’asile, de préparer correctement leur demande.

Les procédures accélérées conduisent à un traitement superficiel par l’OFPRA, et en cas de recours par la CNDA, l’audience devra se tenir dans les cinq semaines contre cinq mois dans le cadre d’une procédure normale. Ajoutons qu’en amont, bon nombre de préfectures ne disposent pas de moyens humains suffisants pour traiter les dossiers.

L’article L. 723-2 du CESEDA ne permet pas de garantir un traitement normal des dossiers, ni une procédure équitable. C’est la raison pour laquelle nous proposons de l’abroger.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Une procédure accélérée est indispensable, notamment pour les ressortissants de pays comme l’Albanie, qui constituent la deuxième population la plus importante de demandeurs d’asile et sont très peu protégés au terme de l’étude de leur demande. Et, je le répète, quelle que soit la procédure, tous les dossiers sont attentivement étudiés par les officiers de protection de l’OFPRA. La procédure accélérée est parfaitement justifiée. Pour le reste, nous avons déjà eu ce débat. Avis défavorable.

M. Florent Boudié. Madame Karamanli, je voudrais relever une contradiction.

C’est la loi du 29 juillet 2015 qui a créé la procédure accélérée. Il existait déjà une procédure prioritaire, mais la procédure accélérée a été créée par votre majorité de l’époque – que nous partagions. Il me semble tout à fait contradictoire, au bout de trois ans, de considérer qu’il faut la supprimer. Et je suis partisan que l’on tienne, que l’on soit dans la majorité ou dans l’opposition, exactement le même discours.

M. Ugo Bernalicis. Je vois que l’on progresse dans le débat. La rapporteure a convenu qu’en Allemagne, il n’y avait pas de délai qui enclenche une procédure accélérée mais que pourtant, les dépôts étaient assez rapides. Cela veut dire qu’il n’y a absolument aucun lien entre les deux.

Pourquoi, en Allemagne, les gens déposent-ils plus rapidement leur demande qu’en France ? Je pense que cela tient en partie à la confiance que ces personnes, qui sont venues de très loin et ont suivi des parcours atypiques, accordent aux autorités pour qu’elles traitent correctement leur demande et prennent en compte leur récit de vie. C’est en cela que l’amendement CL78 est intéressant : la procédure accélérée ne permet pas de garantir cette confiance. Et n’oubliez pas que si vous faites appel et que vous allez devant la CNDA, il n’y aura qu’un juge unique pour trancher.

Il serait raisonnable et plus humain de supprimer cette procédure accélérée, et de mettre des moyens en face. Vous avez dit tout à l’heure que des moyens supplémentaires avaient été prévus par la loi de finances pour 2018. Alors, pourquoi tenez-vous tant à cette procédure accélérée ? J’ai bien une hypothèse : c’est parce qu’ils sont insuffisants que vous cherchez à augmenter à tout prix le nombre des procédures accélérées alors qu’elles représentent déjà 40 % des procédures.

J’ajoute que les personnes qui sont obligées de traiter ces procédures accélérées sont en grande souffrance. On peut vouloir le nier, mais c’est une réalité. Si ce n’était pas le cas je m’en réjouirais, et je conseillerais aux demandeurs d’asile d’attendre 91 jours pour pouvoir bénéficier de la procédure accélérée…

Mme Marietta Karamanli. Dans notre amendement CL76, nous avons demandé la suppression de l’alinéa 2 qui réduit les délais de 120 à 90 jours. C’est cela, notre priorité. Même si nous avons émis un vote favorable en 2015, nous n’oublions pas que la procédure accélérée est une procédure exceptionnelle qui se fait à juge unique. Or, avec 40 % de procédures accélérées, l’exception devient la norme. Et le maintien de cet alinéa risque d’accroître davantage encore le nombre de dossiers qui seront traités selon une procédure qui aurait dû rester exceptionnelle.

La Commission rejette lamendement.

Elle examine ensuite lamendement CL77 de Mme Mariettta Karamanli.

Mme Marietta Karamanli. Cet amendement porte sur le même sujet. Il est défendu.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Avis défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Elle est alors saisie de lamendement CL75 de Mme Marietta Karamanli.

Mme Marietta Karamanli. Défendu.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Puis elle examine lamendement CL570 de Mme Danièle Obono.

Mme Danièle Obono. Cet amendement vise à supprimer la procédure dite accélérée, qui permet de traiter les demandes d’asile selon une procédure simplifiée lorsque le pays tiers vers lequel l’étranger doit être renvoyé est considéré comme un « pays d’origine sûrs ». Outre les insuffisances de la procédure prioritaire régulièrement dénoncées et la violation constatée du droit à un recours effectif qu’elle constitue, cet amendement conduit à rendre caduque la notion de « pays d’origine sûrs », qui introduit à nos yeux une discrimination entre les réfugiés.

Pour commencer, cette liste pose problème sur le plan politique et diplomatique. J’en veux pour preuve les débats houleux qu’elle a toujours entraînés au sein du Conseil de l’Europe depuis le Conseil européen de Tampere de 1999, où cette notion est apparue pour la première fois dans la politique d’asile et d’immigration.

Comme on l’a vu précédemment, certains pays qui peuvent être considérés comme sûrs, au motif, par exemple, de la stabilité du régime et de l’exercice du droit démocratique, ne le sont pas pour un certain nombre de publics, comme les publics LGBT, en raison de dispositions législatives qui peuvent les rendre vulnérables. Aucun pays, fût-il le plus démocratique, ne peut assurer la sûreté de la totalité de ses citoyens, surtout ceux qui risquent d’être ciblés par des discriminations.

Mais surtout, cette procédure repose sur un objectif de gestion des flux humains pleinement assumé : gagner du temps. C’est d’ailleurs en ce sens que le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés a exprimé à plusieurs reprises la crainte de voir des demandeurs d’asile de pays jugés d’origine sûrs automatiquement rejetés sans avoir la possibilité de se défendre.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Nous avons déjà eu ce débat sur la procédure accélérée. Avis défavorable.

M. Ugo Bernalicis. On parle des pays sûrs. Mais ce n’est pas parce que le pays est sûr que la personne, en tant que telle, ne doit pas voir son cas analysé comme les autres.

M. Florent Boudié. C’est le cas !

M. Ugo Bernalicis. Non, ce n’est pas le cas, parce que cela passe en procédure accélérée, qui est une procédure dégradée (Exclamations.) Mais si ! Alors, pourquoi y a-t-il deux procédures, une normale et une accélérée ?

M. Florent Boudié. Parce que le pays est sûr.

M. Ugo Bernalicis. Si c’était la même chose, et si le traitement du dossier était de même qualité, pourquoi y aurait-il deux procédures ? Soyez sérieux ! J’ai l’impression que certains d’entre vous ont zappé l’audition de l’Intersyndicale de la CNDA, et de tous les agents de l’OFPRA eux aussi réunis en intersyndicale. Ou alors, il y a eu des malentendus…

M. Raphaël Schellenberger. Et des malentendants…

M. Ugo Bernalicis. Pour ma part, je suis partisan d’une procédure normale, dans tous les cas de figure. J’ai l’impression que le ministre d’État n’a pas d’avis sur la question. J’aimerais bien l’entendre. Et si, d’aventure, il voulait s’excuser (Exclamations), ce serait une magnifique journée. Il est vrai que la précédente s’est mal terminée, mais je fonde encore des espoirs sur celle-ci.

M. Florent Boudié. Il n’est pas anormal de considérer qu’une demande de réexamen qui a déjà fait l’objet d’une décision de l’OFPRA, ou qui a déjà fait l’objet d’un recours devant la CNDA, puisse être étudiée plus rapidement.

La situation des ressortissants qui sont issus de la fameuse liste des pays d’origine sûrs est analysée de façon individuelle. Et s’il apparaît, par exemple, qu’un ressortissant sénégalais a fait l’objet de persécutions au titre de l’orientation sexuelle – surtout après les dispositions que nous avons prises il y a quelques instantes – l’OFPRA pourra lui reconnaître, le cas échéant, une protection.

Cela vaut pour les Albanais si chers au ministre de l’Intérieur : chaque année, quelques-uns se voient reconnaître une protection par l’OFPRA parce que leur situation individuelle, leur récit, la localité dont ils sont originaires le justifient.

Par conséquent, la procédure accélérée se justifie dans bien des cas. Et encore une fois, ce n’est pas une sous-procédure. Et si l’OFPRA juge mal, un recours pourra être formé devant la CNDA, qui étudiera à nouveau la situation.

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. Madame la présidente, je voudrais m’excuser de n’avoir pas pris assez tôt la parole pour éclairer le débat sur cette question. Évidemment, j’aurais pu vous renvoyer assez vite à la directive « Procédures » du Parlement européen qui, vous le savez, veille sur les libertés avec une extrême précaution, et qui, dans son article 8, mentionne les cas qui doivent permettre une procédure accélérée. Parmi ces cas, sont citées en h) les personnes qui, effectivement, n’ont pas présenté de demande de protection internationale dans les délais les plus brefs, compte tenu des circonstances de l’entrée.

En effet, le Parlement européen a bien compris que si la personne est de bonne foi, elle va présenter sa demande le plus tôt possible, mais que si elle est de mauvaise foi, elle va essayer de faire durer les choses le plus tard possible. Et dans ce cas-là, c’est pour riposter à sa mauvaise foi qu’on applique une procédure accélérée.

Vous dites, par exemple, qu’il y a 45 % de procédures accélérées. Je ne veux pas revenir à des problématiques que nous connaissons et que nous sommes en train de résoudre. Mais sachez que parmi ces 45 %, on trouve de nombreux ressortissants albanais entrés sans visa et qui ont fait une demande d’asile, et que nous avons voulu placer en procédure accélérée dans la mesure où, effectivement, leur demande d’asile ne se justifiait pas. Encore une fois, monsieur Bernalicis, toutes mes excuses de n’être pas intervenu plus tôt…

M. Ugo Bernalicis. Merci pour votre cynisme, monsieur le ministre d’État !

La Commission rejette lamendement CL570.

Elle examine ensuite lamendement CL598 de Mme Elsa Faucillon.

Mme Elsa Faucillon. Le débat avance, je vais résumer ce qui vient d’être dit : premièrement, la procédure accélérée concerne les personnes que l’on juge a priori de mauvaise foi, autant leur donner une réponse rapide de refus ; deuxièmement, ce n’est pas une procédure dégradée. Autrement dit, on donne des réponses plus rapides, pas dégradées, à des gens qu’on juge de mauvaise foi et auxquels on va opposer un refus. C’est la logique de l’absurde. Et que l’on propose aux autres une procédure longue, mais de qualité. On marche un peu sur la tête ! Soyons sérieux ! Ne sommes-nous pas capables de mettre en place une procédure de qualité, plus courte…

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. Elle est de six mois…

Mme Elsa Faucillon.… et d’y mettre les moyens, pour ceux que l’on jugera de bonne foi, avec les garanties et les droits qui leur sont dus. Excusez-moi, mais il y a quelque chose qui ne tourne pas rond.

Il faudra en tout cas m’expliquer, lorsqu’on abordera mon amendement suivant, pourquoi on propose aux mineurs une procédure accélérée, ou du moins pourquoi on ne la prohibe pas.

Mon amendement CL598 vise à limiter les cas de recours à la procédure accélérée aux seuls cas de fraude sur l’identité, demandes manifestement infondées telles que définies par le comité exécutif du Haut-Commissariat aux réfugiés, et demandes d’asile en rétention. Voilà comment nous proposons d’encadrer le recours à la procédure accélérée. Arrêtons de marcher sur la tête !

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Au moins, vous ne proposez plus de supprimer la procédure accélérée, mais seulement de l’aménager.

Mme Elsa Faucillon. Cela s’appelle un amendement de repli…

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. C’est déjà un pas vers la reconnaissance de l’utilité de cette procédure. Mais je ne veux pas relancer le débat. Avis défavorable.

M. Ugo Bernalicis. Il s’agit d’un amendement de repli, madame la rapporteure : ne faites pas mine de ne pas l’avoir compris.

Monsieur le ministre d’État, contrairement à ce que vous avez indiqué, la directive dispose, non pas qu’on doit, mais qu’on peut mettre en œuvre une procédure accélérée.

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. Je n’ai pas dit qu’on devait, j’ai dit qu’on pouvait !

M. Ugo Bernalicis. Non, ce n’est pas ce que vous avez dit : nous pourrons le vérifier.

En définitive, tout a été dit par Mme Faucillon. Je m’excuse d’en remettre une couche, monsieur le ministre d’État, mais je continuerai jusqu’à ce que nous nous soyons fait entendre.

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. Vous êtes totalement excusé.

M. Ugo Bernalicis. Vous êtes trop bon, monseigneur !

La procédure accélérée n’est pas acceptable en l’état ; la procédure normale doit être la règle, pour tout le monde. On ne cesse d’invoquer l’humanité du dispositif : voilà qui ce qui ferait honneur à notre humanité ! De toute façon, nous voyons bien que depuis l’article 4, nous sommes partis dans un tunnel de mesures qui, sous couvert de ce que vous appelez l’efficacité, la responsabilité, la fermeté ou que sais-je encore, constituent, en fait, un dispositif visant à chasser le plus grand nombre de personnes possible du territoire national. Vous vous en êtes du reste enorgueilli lorsque nous nous sommes rencontrés à Lille. « On a expulsé plein de monde, m’avez-vous dit fièrement. Et on en expulsera encore plus grâce à ce texte : vous allez voir ce que vous allez voir ! » Moi, ce que je veux, ce n’est pas expulser le plus de monde possible, c’est traiter les personnes dignement, les accueillir dans de bonnes conditions, écouter leur récit et leur octroyer l’asile si elles y ont droit.

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. Moi, je veux simplement que tout le monde respecte la loi.

La Commission rejette lamendement.

Elle est ensuite saisie de lamendement CL447 de Mme Élodie Jacquier-Laforge.

Mme Élodie Jacquier-Laforge. Nous partageons la volonté de raccourcir les délais, tout en souhaitant que soit maintenue une procédure qui garantisse les droits des demandeurs. Le présent amendement a ainsi pour objet de supprimer du II de l’article L. 723-2 du CESEDA, qui énumère les cas dans lesquels une demande peut être examinée selon la procédure accélérée, les éléments qui peuvent être considérés comme subjectifs afin que la méthode d’évaluation de la demande d’asile repose sur des critères objectifs.

Tout d’abord, les demandeurs ayant rarement pu voyager dans des conditions légales, beaucoup sont contraints d’arriver sur le territoire français en usant de faux documents de voyage. Il paraît donc délicat de placer ces personnes en procédure accélérée uniquement pour ce motif. Ensuite, le fait de soulever « des questions sans pertinence au regard de la demande d’asile » peut s’expliquer notamment par un parcours d’exil difficile à formuler dès le début de la procédure : la parole peut mettre du temps à se libérer. Au demeurant, l’appréciation de la pertinence de ces questions nous paraît fortement subjective. Enfin, les critères de l’incohérence et du caractère peu plausible des déclarations sont, eux aussi, purement subjectifs. Or les derniers développements de la jurisprudence européenne contredisent l’utilisation de ces seuls critères pour apprécier la recevabilité d’une demande d’asile. Ainsi le Bureau européen d’appui en matière d’asile a fait paraître un guide, intitulé Evidence Assessment, qui présente une méthodologie raisonnée de l’évaluation de la crédibilité privilégiant, plutôt qu’une analyse fondée sur l’intime conviction, une démarche objectivable dont il est possible de rendre compte.

Mon amendement CL447 tend donc à élaborer une méthode objective pour déterminer la procédure à laquelle est soumise la demande d’asile, se conformant ainsi à une jurisprudence abondante de la Cour européenne des droits de l’homme ainsi qu’aux réalités pratiques auxquelles sont confrontés les demandeurs d’asile durant leur parcours.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Les demandes examinées selon la procédure accélérée à l’initiative de l’OFPRA sont peu nombreuses – quelques centaines au cours des deux dernières années – et je ne suis pas certaine que les modifications que vous proposez soient de nature à en réduire le nombre. Pour le reste, je crois qu’il faut nous en tenir, pour le placement en procédure accélérée, aux critères que nous avons longuement définis. Avis défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Elle examine ensuite lamendement CL801 de Mme Stella Dupont.

Mme Stella Dupont. Cet amendement a pour objet d’éviter que les demandeurs d’asile ne soient pénalisés par la longueur de certains délais liée aux difficultés d’organisation de l’administration. En effet, nous avons tous pu constater sur le terrain qu’il existait, en la matière, d’importantes disparités entre les départements. Dans certaines préfectures, plateformes d’accueil ou guichets uniques, les délais d’attente sont extrêmement longs. Dans la perspective d’une réduction du délai dont dispose le demandeur d’asile pour déposer sa demande, nous proposons que la procédure accélérée ne puisse être enclenchée si le demandeur s’est présenté dans le délai imparti dans une Plateforme d’accueil des demandeurs d’asile (PADA), même si sa demande n’a pas été enregistrée. Les difficultés rencontrées en préfecture ou dans les PADA ne doivent pas pénaliser les demandeurs.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Pour avoir constaté à plusieurs reprises ces dysfonctionnements au moment du pré-accueil, c’est-à-dire avant l’enregistrement en tant que demandeur d’asile, je comprends votre préoccupation. Toutefois, l’article L. 723-2 du CESEDA, qui dispose que la demande d’asile doit être déposée dans un délai de 120 jours – délai que nous souhaitons ramener à 90 jours –, précise bien que la procédure accélérée ne s’applique que si la demande n’a pas été déposée dans ce délai sans motif légitime. Autrement dit, on n’est pas placé en procédure accélérée si l’on a présenté tardivement sa demande d’asile pour un motif légitime. De fait, les retards imputables à l’administration en sont un. Ainsi, lorsqu’on vient s’enregistrer auprès d’un guichet unique avec la convocation de la PADA, il est évidemment tenu compte de la date à laquelle on s’est présenté à la PADA.

Nous sommes d’accord – et je présenterai un amendement en ce sens – pour réduire le délai précédant l’enregistrement, que ce soit en augmentant les effectifs en préfecture ou en organisant le pré-accueil dans les Centres d’accueil et d’examen des situations (CAES). Mais, quoi qu’il arrive, les retards imputables à l’administration ne peuvent entraîner un placement en procédure accélérée. À cet égard, l’enregistrement auprès de la PADA peut être opposable aux préfectures. Votre amendement n’a donc pas lieu d’être. C’est pourquoi j’y suis défavorable.

Mme Élodie Jacquier-Laforge. Cet amendement a le mérite de soulever la question essentielle du point de départ du délai. Par ailleurs, les critères utilisés pour un placement en procédure accélérée doivent être formalisés de façon plus précise, car les associations, notamment ELENA, nous ont indiqué que les préfectures ne motivaient pas leurs décisions de placement en procédure accélérée.

Mme Stella Dupont. Compte tenu des éléments présentés par la rapporteure, je vais retirer mon amendement. Cependant, j’ai été, moi aussi, interpellée par des acteurs qui ont constaté que certains placements en procédure accélérée étaient dus aux retards imputables à l’administration. Je suis donc d’accord avec Mme Jacquier-Laforge sur la nécessité de préciser ce point. Peut-être pouvons-nous y retravailler d’ici à l’examen du texte en séance publique…

Lamendement est retiré.

La Commission examine ensuite lamendement CL158 de M. Éric Ciotti.

M. Éric Ciotti. Cet amendement tend à lutter contre le dévoiement de la procédure d’asile. Il me semble en effet que, pour la personne qui a l’intention réelle d’obtenir le statut noble de réfugié, un délai de trente jours à compter de son arrivée sur le territoire national est largement suffisant pour déposer sa demande. Tout délai supplémentaire est utilisé pour dévoyer la procédure d’asile par des personnes qui sont venues en France pour d’autres motifs, comme l’indiquent, du reste, l’OFPRA et la CNDA, puisque les deux tiers des demandes sont rejetées.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Puisque je n’ai pas utilisé ce mot depuis un moment, je me permets de vous dire qu’il est important de tenir une position d’équilibre. Dans les conditions actuelles de pré-accueil, un délai d’un mois me paraît totalement déraisonnable pour qu’un étranger qui souhaite demander l’asile puisse le faire de manière convenable. Restons-en donc au délai de 90 jours, tout à la fois humain et efficace. Avis défavorable.

M. Sacha Houlié. Nous venons d’évoquer en long, en large et en travers les modalités de recours à la procédure accélérée. L’intérêt de cette procédure, qui constitue un coupe-file, réside dans le fait que tout le monde n’y est pas soumis. Or, si l’on réduit à trente jours le délai au-delà duquel la demande est examinée selon cette procédure, ce ne sont pas quelques demandeurs, mais l’ensemble d’entre eux, qui y seront soumis ; la procédure accélérée deviendra le droit commun. La procédure serait alors enrayée, anéantie, et les objectifs poursuivis par le texte ne seraient pas atteints. Il est donc préférable, comme l’a dit la rapporteure, de maintenir à 90 jours le délai au-delà duquel la demande est examinée selon la procédure accélérée.

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. M. Ciotti veut faire de l’obstruction !

La Commission rejette lamendement.

Elle est ensuite saisie de lamendement CL385 de M. Jean-Louis Masson.

M. Jean-Louis Masson. Actuellement, la valeur du silence de l’administration relève du règlement. Par cet amendement, nous proposons de fixer dans la loi le principe selon lequel, en l’espèce, le silence de l’administration vaut rejet.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Avis défavorable. Le demandeur doit avoir connaissance des décisions de l’administration.

La Commission rejette lamendement.

Puis elle examine lamendement CL848 de Mme Stella Dupont.

Mme Stella Dupont. Cet amendement tend à exclure de l’examen en procédure accélérée les demandes d’asile émanant des ressortissants de pays en proie à une violence aveugle dans le cadre d’un conflit armé. Il convient en effet de tenir compte de la particulière vulnérabilité de ces personnes et du temps qui leur est nécessaire pour faire le récit des violences extrêmes qu’elles ont subies.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Je comprends votre préoccupation, mais il me paraît difficile d’inscrire dans la loi une exception générale qui peut prêter à de nombreuses interprétations. Mieux vaut faire confiance au discernement des agents de l’OFPRA, qui, lorsque cela est justifié, orientent vers la procédure normale des personnes préalablement placées en procédure accélérée. Je vous demanderai donc de bien vouloir retirer votre amendement, faute de quoi j’émettrai un avis défavorable.

Mme Stella Dupont. Je suis très attachée à cet amendement.

M. Thomas Rudigoz. Je comprends, madame Dupont, votre souci de faire preuve d’humanité envers des personnes victimes de conflits d’une grande violence, mais l’amendement est beaucoup trop flou : il serait en effet délicat de déterminer quels sont les conflits dont le degré de violence justifie une telle exception. Il conviendrait donc, comme l’a suggéré la rapporteure, que vous le retiriez et le retravailliez en vue de la séance publique.

Mme Stella Dupont. Je vais suivre l’avis de mon collègue et retirer mon amendement, mais je compte profiter de ses conseils pour en améliorer la rédaction ! (Sourires.)

Lamendement est retiré.

La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL669 de M. Loïc Prudhomme et CL448 de M. Brahim Hammouche.

M. Ugo Bernalicis. Par l’amendement CL669, nous proposons d’interdire que les mineurs non accompagnés puissent être placés en procédure accélérée dans le cadre de l’examen de leur demande d’asile. Ce faisant, nous reprenons une proposition de ELENA-France, association d’avocats du droit d’asile membre du Conseil européen pour les réfugiés et les exilés, qui la justifie de la manière suivante.

« Le bénéfice dune procédure normale, à défaut dune procédure encore plus protectrice de leurs droits, est pourtant le minimum qui doit leur être garanti au nom de lintérêt supérieur de lenfant, rappelé à larticle L. 741-4. Il ne suffit pas de mentionner le terme de vulnérabilité dans la loi pour garantir effectivement la prise en compte de la vulnérabilité. En létat actuel de la loi, la référence à la notion de vulnérabilité reste purement incantatoire. Les mineurs isolés doivent pourtant bénéficier de temps pour préparer leur dossier et doivent être entendus par une juridiction collégiale. Ces impératifs sont donc incompatibles avec leur placement en procédure accélérée. »

En effet, contrairement à ce qui a pu être dit tout à l’heure, la procédure accélérée n’est pas une procédure normale un peu plus rapide : le demandeur a moins de temps pour préparer son dossier, rassembler les pièces et bénéficier d’une aide juridique. De fait, il s’agit d’une procédure dégradée, et particulièrement inappropriée dans le cas des mineurs isolés.

M. Brahim Hammouche. L’amendement CL448 pourrait se résumer de la façon suivante : tout mineur doit être considéré comme tel et ne peut donc se voir appliquer une procédure accélérée. Il s’agit de prendre en compte la vulnérabilité des mineurs isolés, reconnue dans la loi du 29 juillet 2015, qui transpose dans notre droit les directives européennes relatives à l’asile. Ces mineurs doivent bénéficier de temps pour préparer leur dossier et ils doivent être entendus par une juridiction collégiale. Or ces impératifs sont incompatibles avec un placement en procédure accélérée.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Avis défavorable sur ces deux amendements, pour les mêmes raisons. Je ne relancerai pas le débat que nous venons d’avoir longuement.

M. Ugo Bernalicis. Quelles raisons, madame la rapporteure ? Il s’agit, en l’espèce, de mineurs. Doivent-ils être traités exactement comme des majeurs ? Je ne comprends pas très bien. Mais M. le ministre a peut-être un avis sur la question. Peut-être souhaite-t-il s’excuser de ne pas être intervenu plus tôt dans le débat sur la minorité, qui est un sujet majeur, même s’il y voit avant tout un problème ? J’attends, en tout cas, qu’il nous éclaire.

Par ailleurs, s’il souhaite s’excuser pour les propos qu’il a tenus hier soir, je suis prêt à en discuter. Plusieurs membres de la majorité sont venus nous présenter les leurs, en off, à sa place. C’est fort sympathique, mais je préférerais qu’elles nous soient présentées par l’intéressé lui-même.

Mme Élodie Jacquier-Laforge. Je vous en prie, monsieur Bernalicis. Il serait vraiment très appréciable que nous puissions nous en tenir à la question des mineurs, qui est très importante. Je tiens, monsieur le ministre d’État, madame la rapporteure, à appeler votre attention sur l’amendement CL448, qui va dans le bon sens puisqu’il garantirait une protection à ces mineurs.

La Commission rejette successivement ces deux amendements.

Elle est ensuite saisie de lamendement CL762 de Mme Sandrine Mörch.

Mme Sandrine Mörch. Afin de réduire les délais d’examen des dossiers de demande, il convient de faciliter le travail de l’OFPRA en lui permettant de convoquer et de notifier une décision plus facilement. Nous proposons donc, par cet amendement, de conserver le principe de la notification par tout moyen écrit, pourvu qu’il soit traçable et garantisse la confidentialité, et, surtout, de permettre au demandeur de choisir, lors du dépôt de sa demande, le moyen par lequel il souhaite être informé d’une convocation ou d’une notification : courrier simple, mèl ou SMS. À défaut d’un choix émis par le demandeur, la convocation ou la notification pourrait avoir lieu par tout moyen.

Nous savons en effet que tous n’ont pas accès à internet, donc aux courriers électroniques, et que tous n’ont pas une adresse postale ; certains se partagent un téléphone portable. Il ne faut pas occulter les difficultés matérielles auxquelles ils sont confrontés. Ils doivent pouvoir exprimer une préférence quant au moyen qui sera utilisé pour leur adresser une convocation ou une notification.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. La question de la notification fait l’objet de nombreux amendements ; l’un d’entre eux a même été déposé par le groupe La République en marche. Je comprends donc votre inquiétude et je vais tenter de vous rassurer.

Actuellement, l’OFPRA est fréquemment confronté à des difficultés de notification postale par lettre recommandée avec accusé de réception, en raison de changements d’adresse. Cela entraîne des charges de gestion et de secrétariat extrêmement lourdes. Si nous partageons l’objectif d’une réduction du délai de traitement de la demande d’asile, nous pouvons également nous accorder sur le fait qu’il s’agit de réduire les délais logistiques sans affecter la qualité du traitement.

Lors de son audition, M. Pascal Brice nous a indiqué qu’il travaillait actuellement à la création d’une plateforme électronique, à laquelle les demandeurs d’asile pourraient accéder à l’aide d’un numéro confidentiel, pour vérifier la traçabilité des notifications de l’Office et s’assurer que le demandeur d’asile peut en prendre connaissance. Par ailleurs, les PADA peuvent, dans le cadre de leur mission d’accompagnement, proposer une domiciliation aux demandeurs qui permet à ces derniers de recevoir leur courrier et de se connecter à cette plateforme électronique. Ces garanties permettent de s’assurer que la notification a été faite correctement au demandeur d’asile.

Nous en reparlerons certainement au moment de l’examen des amendements identiques que notre collègue Florent Boudié et moi-même – c’est vous dire si nous sommes à peu près tous sur la même longueur d’ondes – avons déposés sur le sujet. Il faut réduire les délais tout en s’assurant que la notification a bien été reçue par le demandeur d’asile. Les échanges électroniques se font désormais de manière rapide et sécurisée. Au vu de ces explications, je vous demanderai de bien vouloir retirer votre amendement, à défaut de quoi j’émettrai un avis défavorable.

Mme Sandrine Mörch. Pour l’instant, je le maintiens.

Mme Cécile Untermaier. Cet amendement me semble correspondre aux propos que M. Brice a tenus lors de son audition : il pourrait être proposé aux demandeurs, à l’issue de l’entretien individuel, de choisir le moyen par lequel ils souhaitent être informés d’une notification ou d’une convocation. Cet amendement me paraît donc opérationnel, même si ces éléments doivent peut-être être précisés dans un décret plutôt que dans la loi, car ils peuvent évoluer. En tout cas, il me paraît frappé au coin du bon sens.

M. Rémy Rebeyrotte. Madame la rapporteure, je tiens à vous remercier pour vos propos. Depuis tout à l’heure, on a le sentiment que certains s’opposent à ce que l’administration recherche l’efficacité – je ne dis pas : agissent dans la précipitation – et passe à l’ère numérique. Je me demande même si, pour certains, l’idée de gagner du temps dans les procédures soit une si bonne chose : je sens bien que certaines associations seraient finalement ouvertes à des procédures un peu dilatoires. Moi, je préfère une administration efficace qui apporte, lorsque c’est possible, des réponses rapides, à condition, bien entendu, qu’elle puisse faire son travail – et ce sera le cas dans le délai de 90 jours – dans des conditions satisfaisantes. Pourquoi ne pas proposer aux personnes concernées des solutions numériques, plus efficaces ? Je me demande si certains ne seraient pas tentés par des manœuvres dilatoires qui permettraient d’entretenir le flou et, au bout du compte, de forcer la main à l’administration. C’est un peu curieux ! Je n’en dirai pas plus, mais je m’interroge.

Mme Sandrine Mörch. Ce serait desservir la cause que d’accepter un débat de ce type, totalement hors sujet.

M. Rémy Rebeyrotte. Je crois, au contraire, que nous sommes en plein dans le sujet !

Mme Sandrine Mörch. Il n’est pas question d’user de moyens dilatoires. Chacun peut comprendre, me semble-t-il, que le demandeur doit pouvoir choisir un moyen de communication. Nous ne parlons pas, ici, de l’administration, mais de personnes qui ne possèdent sans doute pas trois portables et qui ont peut-être des difficultés pour accéder à internet. Mais, manifestement, tout cela vous dépasse, mon cher collègue. En tout cas, je réfute vos accusations stupides !

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Mes chers collègues, je vous prie de bien vouloir garder votre calme.

La Commission rejette lamendement.

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements CL413 de M. Brahim Hammouche et CL854 de M. Erwan Balanant.

M. Brahim Hammouche. Prévoir que la convocation puisse se faire « par tout moyen » crée une insécurité juridique, dès lors que les exilés sont vulnérables et souvent dépourvus de moyens matériels. Ils n’ont pas un accès direct à internet et partagent souvent des téléphones mobiles. Par ailleurs, leurs conditions d’hébergement sont précaires.

En premier lieu, l’expression « par tout moyen » est imprécise. En second lieu, une notification « par tout moyen » ne permet pas le contrôle de l’envoi et de la réception de la convocation, alors même que l’entretien à l’Office est une étape essentielle de l’instruction d’une demande d’asile garantissant le respect des droits de la défense, reconnus tant par le CESEDA que par les directives européennes, la Cour de Justice ou la Charte des droits fondamentaux. Sans une définition précise de l’expression « par tout moyen », le respect du principe de confidentialité et de personnalisation de la convocation n’est pas non plus garanti. Il est donc proposé de conserver la convocation par lettre recommandée avec accusé de réception et d’ajouter « par tout autre moyen », afin de s’assurer de la bonne réception de la convocation et d’éviter tout contentieux.

M. Erwan Balanant. L’expression « par tout moyen » me paraît très imprécise, au point que je me suis demandé si elle n’incluait pas les pigeons voyageurs… Plus sérieusement, quiconque connaît la vie et la situation des demandeurs d’asile peut douter que la lettre recommandée avec accusé de réception soit le mode de communication le plus pertinent. En effet, souvent l’adresse change et le courrier ne parvient pas à son destinataire. Il faut donc trouver un autre dispositif. Je propose, pour ma part, une solution simple, rapide et efficace : elle consiste à s’aligner sur le droit commun, tel qu’énoncé à l’article L. 112-15 du code des relations entre le public et l’administration, qui dispose que celle-ci notifie ses décisions aux usagers, soit par lettre recommandée avec accusé de réception, soit par voie dématérialisée. Dans ce dernier cas, l’envoi doit se faire par un recommandé électronique et il doit être possible d’identifier le destinataire. J’ajoute qu’il convient, bien entendu, de recueillir le consentement préalable du demandeur d’asile.

Mme Élise Fajgeles, rapporteur. Pour les mêmes raisons que celles que je viens d’exposer longuement, avis défavorable.

La Commission rejette successivement ces deux amendements.

La Commission se saisit de lamendement CL450 de M. Max Mathiasin.

M. Brahim Hammouche. La notification « par tout moyen » vise à permettre la convocation et la notification aux demandeurs d’asile par voie dématérialisée. Tel que le texte est rédigé, le dispositif pose des difficultés concrètes de nature à compromettre tant la bonne réception des éléments que la confidentialité des informations ainsi transmises. Comme le souligne notamment le Défenseur des droits, bon nombre de demandeurs d’asile n’ont pas d’accès direct à internet, et les téléphones mobiles sont souvent partagés entre plusieurs personnes. Il suffit de se rendre sur le terrain pour le vérifier.

Dans son avis, le Conseil d’État rappelle que « le plus grand soin devra toutefois être apporté au choix des moyens techniques de sorte quune notification par voie dématérialisée ne puisse être opposée que dans la mesure où il est démontré quelle a été opérée personnellement et quil est possible de garder une trace tant des opérations de notification que, le cas échéant, de la prise de connaissance par lintéressé ».

Le présent amendement vise à prévoir un dispositif plus contraignant que celui souhaité par le Gouvernement, mais qui in fine vise à sécuriser les échanges entre l’OFPRA et les demandeurs d’asile, dans le but de ne pas entraîner plus de contentieux, en exigeant que l’administration s’assure de la bonne réception des convocations et notifications.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Je partage votre souci, cher collègue, et votre amendement est très intéressant. Il ne me paraît cependant pas aussi bien rédigé que les amendements CL819 déposé par le groupe La République en Marche et CL918 déposé par moi-même. Je vous invite donc à le retirer.

Lamendement est retiré.

La Commission examine lamendement CL79 de Mme Marietta Karamanli.

Mme Marietta Karamanli. Nous souhaitons que l’alinéa 6 soit ainsi rédigé : « Il est entendu dans la langue de son choix, sans que lon puisse lui imposer une préférence quil aurait déclarée en préfecture lors de lenregistrement de sa demande. » Il est essentiel que le demandeur puisse s’exprimer dans la langue de son choix. C’est essentiel pour lui permettre d’exercer son droit, c’est essentiel pour la défense de la personne même. Or le demandeur a pu déclarer une préférence pour une langue qu’il ne maîtrise pas à un point tel que toute la procédure puisse se dérouler dans cette langue. Il doit vraiment pouvoir être entendu dans la langue de son choix.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Je suis défavorable à cet amendement, mais je propose que nous débattions de la question plus tard. Un certain nombre d’amendements ont trait au choix de la langue et à son opposabilité.

Lamendement est retiré.

La Commission en vient à lamendement CL416 de M. Brahim Hammouche.

M. Erwan Balanant. Cet alinéa est en lien avec l’article 7 du projet de loi, qui prévoit que le demandeur d’asile est entendu tout au long de la procédure dans la langue pour laquelle il a manifesté une préférence lors de l’enregistrement de sa demande ou, à défaut, dans une autre langue dont il a une connaissance suffisante, celle-ci pouvant être identifiée par l’OFPRA ou la CNDA.

Du coup, le choix de la langue est fixé pour tout le reste de la procédure lors de l’enregistrement de la demande d’asile c’est-à-dire au guichet de la préfecture, lors d’un bref entretien au cours duquel est remis à l’étranger le dossier à envoyer à l’OFPRA. Elle ne peut être contestée que lors du recours devant la CNDA. Or, lors de cette entrevue en préfecture, le demandeur d’asile n’est pas assisté et, à défaut d’interprète, peut ne pas saisir tous les termes de la question et sa réelle portée.

Ainsi, le projet de loi ne garantit pas l’accès effectif du demandeur à la procédure en cas de choix de la langue par l’administration : le critère de connaissance suffisante de la langue, tel que défini dans le projet de loi, ne permet pas de s’assurer que le demandeur la comprend et s’exprime clairement dans ladite langue. J’ai moi-même reçu une personne qui m’avait été adressée au motif qu’elle souffrait de pseudo-troubles cognitifs. En réalité, elle ne maîtrisait pas la langue ! Il y a là un risque d’insécurité juridique, de méconnaissance des droits et d’une errance redoutable pour la suite.

Il est donc proposé de reprendre la rédaction de la directive européenne 2013/32/UE, dite « Procédures », entrée en vigueur en 2015, et garante d’une procédure équitable, qui précise que le demandeur d’asile est informé des procédures dans une langue qu’il comprend ou dont il est raisonnable de supposer qu’il la comprend.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Je propose que nous reportions ce débat au moment de l’examen de l’article 7. Je crains cependant une confusion sur la directive, qui n’est pas rédigée comme vous le suggérez. Je cite son article 15 : « La communication a lieu dans la langue pour laquelle le demandeur a manifesté une préférence sauf sil existe une autre langue quil comprend et dans laquelle il est à même de communiquer clairement. »

La Commission rejette lamendement.

Puis elle examine lamendement CL449 de M. Cyrille Isaac-Sibille.

M. Erwan Balanant. Il s’agit d’un amendement de coordination avec l’article 7 du projet de loi.

En l’état, l’article L. 723 du CESEDA prévoit que l’OFPRA entend le demandeur d’asile « dans la langue de son choix, sauf s’il existe une autre langue dont il a une connaissance suffisante ». S’il s’agit là d’une transposition des exigences de la directive « Procédures » en matière d’asile, celle-ci rappelle par ailleurs, et à plusieurs reprises, le droit du demandeur à être entendu « dans une langue qu’il comprend ou dont il est raisonnable de supposer qu’il la comprend ».

Il s’agirait donc de rédiger ainsi la fin de l’alinéa 6, après la seconde occurrence du mot « langue » : « qu’il comprend ou dont il est raisonnable de supposer qu’il la comprend. »

Les dispositions du projet de loi contreviennent à l’esprit de la directive Procédures. Nous proposons d’y remédier. Ce sera plus simple pour les demandeurs d’asile, et leurs droits seront mieux garantis. Le droit d’être compris dans l’expression de leur récit est tout de même fondamental.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Je vous invite à retirer cet amendement dans l’attente de l’examen de l’article 7. Précisons simplement que personne n’a intérêt à ce que le choix de la langue se passe dans de mauvaises conditions, et surtout pas les officiers de l’OFPRA. Tout l’intérêt de leur travail est précisément de pouvoir entendre le récit des demandeurs d’asile. Nous essaierons ensemble de trouver le moyen de faire en sorte que ce choix de la langue se fasse dans les meilleures conditions possibles.

Lamendement est retiré.

La Commission examine en discussion commune les amendements CL44 de la commission des affaires sociales et CL920 de la rapporteure.

Mme Fiona Lazaar, rapporteure pour avis de la commission des Affaires sociales. L’amendement CL44 tend à préciser les conditions de l’entretien entre l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et le demandeur d’asile. Cet entretien est déterminant pour évaluer la vulnérabilité de la personne, surtout si elle est en situation de handicap. L’amendement de la commission des Affaires sociales prévoit la possibilité pour le demandeur de se faire accompagner par une association d’aide et d’information aux personnes en situation de handicap afin de garantir pour ce public l’effectivité de l’accès à l’examen de la demande d’asile.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Je partage l’objectif de l’amendement CL44 mais le mien précise les conditions de présence de l’association qui peut aider les personnes en situation de handicap lors de cet entretien. Je vous invite donc à retirer celui de votre commission.

Mme Martine Wonner. Madame la rapporteure, votre amendement prend-il en compte tous les types de handicap, y compris le handicap psychique ?

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Peuvent assister le demandeur d’asile au moment de l’entretien, et l’aider dans la restitution de son récit tel qu’il a été préparé pendant la constitution du dossier, un avocat ou des associations spécialisées en matière d’asile.

Les associations qui suivent les demandeurs d’asile au titre de leur handicap n’étant pas spécialistes de l’asile, mon amendement visent à préciser que, lorsque cela est justifié pour le bon déroulement de l’entretien, le demandeur d’asile en situation de handicap – au sens global, madame Wonner – peut, à sa demande et sur autorisation du directeur général de l’OFPRA, être accompagné par le professionnel de santé qui le suit habituellement ou par le représentant d’une association d’aide aux personnes en situation de handicap. Il s’agit de faire en sorte que les agents de protection sachent exactement à qui ils peuvent donner l’autorisation d’assister à cet entretien : c’est tout simplement une nécessité opérationnelle.

Mme Fiona Lazaar, rapporteure pour avis de la commission des Affaires sociales. Sur le fond, je suis parfaitement d’accord avec vous, madame la rapporteure, mais le fait d’imposer l’obligation de demander une autorisation au directeur général de l’OFPRA ne va-t-il pas compliquer la procédure, alors même que ce texte vise à la simplifier et à la rendre plus efficace ?

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Lorsqu’une personne demande à pouvoir être assistée, le directeur général de l’OFPRA donne toujours son autorisation. Mais cette autorisation est nécessaire lorsqu’il s’agit de non-spécialistes qui interviennent dans des situations particulières ; cela se fait déjà, et les demandes sont très rapidement étudiées et accordées.

Mme Fiona Lazaar, rapporteure pour avis de la commission des Affaires sociales. Je retire l’amendement CL44.

Lamendement CL44 est retiré. Puis la Commission adopte lamendement CL920.

Elle est saisie de lamendement CL549 de Mme Nadia Essayan.

Mme Nadia Essayan. Cet amendement vise à rendre l’assistance effective et à améliorer la qualité de l’entretien et la compréhension de la demande de protection. La loi doit permettre à l’avocat et à l’association d’intervenir tout au long de l’entretien et de formuler des observations à l’issue de ce dernier.

Un avocat qui reste silencieux ne présente d’intérêt ni pour le demandeur d’asile ni pour l’officier de protection. La procédure actuelle est figée en raison d’une absence de collaboration entre l’officier de protection et l’avocat qui ne peut formuler d’observations qu’à l’issue de l’entretien. Ces observations font l’objet de simples notes sur lesquelles, bien souvent, l’officier de protection ne rebondit pas, faute de temps. Si l’avocat avait le droit d’intervenir, il pourrait poser des questions et mieux orienter les échanges, faire des observations durant l’entretien pour aider l’officier de protection sur certains points juridiques ou géopolitiques et ainsi contribuer à une meilleure instruction de la demande d’asile. Cela ferait aussi gagner à tous les intervenants un temps non négligeable. L’officier de protection garderait toujours la maîtrise de l’instruction de la demande.

Le droit à l’intervention de l’avocat est prévu y compris dans des matières réputées sensibles comme la procédure pénale, notamment dans le cadre de la garde à vue, afin d’assurer un meilleur équilibre entre les parties. En droit d’asile, cet amendement a pour seul objectif de garantir une meilleure compréhension et une bonne collaboration entre le demandeur d’asile et l’officier de protection dans le but, notamment, d’éviter des recours inutiles devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). Je peux témoigner, pour avoir assisté à plusieurs entretiens, que cela faciliterait grandement les choses.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Nous partageons le souci que l’entretien se passe au mieux pour les demandeurs d’asile, mais pas du tout votre opinion quant à la nécessité de laisser l’avocat intervenir tout au long de l’entretien.

Ayant assisté, moi aussi, à des entretiens auprès de l’OFPRA, je pense que la présence de l’interprète est absolument essentielle. Par contre, si on veut reconnaître l’autonomie du demandeur d’asile – même s’il parle une langue étrangère et qu’il a connu un parcours extrêmement difficile le mettant dans un état de vulnérabilité –, il me paraît important de garantir cette forme d’intimité qui se crée entre l’officier de protection et le demandeur d’asile au moment où ce dernier fait son récit et où l’officier de protection, qui a des connaissances documentaires, lui pose ses questions. Je trouve normal que l’avocat puisse être présent et intervenir à la fin de l’entretien. Mais s’il est habilité à intervenir tout au long de cet entretien – qui est intime et personnel –, il pourrait vouloir se substituer au demandeur d’asile s’il le considère comme trop fragile et dans l’incapacité de faire son récit. J’émets donc un avis défavorable à cet amendement.

M. Ugo Bernalicis. Je comprends que vous vouliez mettre en avant le caractère intime de la procédure mais normalement, cette dernière est censée garantir des droits et libertés. L’amendement prévoit seulement que l’avocat peut intervenir : il n’impose donc pas d’obligation. Si le demandeur veut faire son récit à l’officier de l’OFPRA en toute intimité, c’est son droit. Le conseil est au service du demandeur et est présent à la demande de l’intéressé. Je ne comprends donc pas bien vos observations, madame la rapporteure : elles ne me semblent correspondre à rien d’objectif.

La Commission rejette lamendement CL549.

Ensuite, elle en vient à lamendement CL414 de M. Brahim Hammouche.

M. Brahim Hammouche. La notification des décisions par tout moyen ne garantit pas le droit à un recours effectif et présente une insécurité juridique, sachant que les exilés sont vulnérables et souvent dépourvus matériellement : ils n’ont pas un accès direct à internet et partagent souvent leurs téléphones mobiles. Par ailleurs, leurs conditions d’hébergement sont précaires. En effet, l’absence de preuve d’envoi et surtout de réception précise et effective ne garantit pas l’information du sens de la décision au demandeur et donc une saisine de la CNDA dans le délai imparti.

Combinée avec une réduction des délais de recours, cette nouvelle modalité de notification porterait atteinte au caractère équitable de la procédure, comme l’indique le Conseil d’État dans son avis du 15 février 2018.

Elle est par ailleurs contraire à la directive 2013/32/UE disposant que les États membres veillent à la communication écrite des décisions portant sur les demandes de protection internationale.

Il est proposé de conserver la notification par lettre recommandée avec accusé de réception et d’y ajouter tout autre moyen afin de garantir la réception précise et effective de la notification des décisions de l’OFPRA et d’éviter tout contentieux.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Nous avons déjà eu ce débat. Comme mon amendement et celui de Florent Boudié seront examinés dans un instant, je vous y renvoie. Je reprendrai par ailleurs l’argument d’Erwan Balanant tout à l’heure : l’envoi recommandé avec accusé de réception n’est probablement pas le meilleur moyen de joindre les demandeurs d’asile qui communiquent essentiellement par le biais de plateformes électroniques ou par SMS. Je vous demande donc de retirer votre amendement.

M. Brahim Hammouche. Je le retire.

Lamendement CL414 est retiré.

La Commission étudie les amendements identiques CL918 de la rapporteure et CL819 de M. Florent Boudié.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Je laisse à M. Boudié le soin de les défendre.

M. Florent Boudié. Nous avons eu tout à l’heure un débat concernant la notification, par tout moyen, des convocations de l’OFPRA. La convocation n’étant pas opposable, nous avons considéré qu’il était prudent de s’appuyer sur les démarches que l’OFPRA est en train d’engager en vue de dématérialiser ses convocations. J’ajoute que la non-présentation du demandeur à sa convocation n’entraîne pas rejet de la demande d’asile. À tout moment, pendant les mois qui suivent, le demandeur peut rouvrir son dossier.

S’agissant en revanche des décisions de l’OFPRA, nous avons considéré que la mention « par écrit par tout moyen » qui figure à l’article 5 du projet de loi initial présenté par le Gouvernement n’apportait pas toutes les garanties nécessaires aux demandeurs d’asile. Nous nous sommes fondés sur l’avis du Conseil d’État du 15 février qui demande au Gouvernement de compléter le texte, notamment pour s’assurer de la traçabilité de la notification des décisions et de la prise de connaissance personnelle des décisions par chacun des demandeurs ; c’est le moins qu’on puisse demander. Si nous sommes favorables à une simplification et à une certaine célérité – le Président de la République s’étant engagé pendant la campagne présidentielle à ramener à six mois le délai de traitement des demandes d’asile –, nous souhaitons tout autant nous assurer que les décisions transmises sous forme dématérialisée sont dûment encadrées et notifiées personnellement aux demandeurs.

M. Erwan Balanant. Le code des relations entre le public et l’administration prévoit déjà des mesures de portée générale. Je ne comprends pas pourquoi il devrait y avoir une différence entre un administré et un demandeur d’asile. Pendant le temps où le demandeur est sur le territoire, dans l’attente du traitement de son dossier, il est en droit d’avoir les mêmes rapports à l’administration que n’importe quel citoyen français. Pourquoi ne pas aligner la procédure sur le droit commun, et en particulier sur l’article L. 112-15 du code précité ?

Cela étant, je me félicite de cette avancée qui permettra effectivement d’être rapide et efficace. Comme je l’ai dit tout à l’heure, la lettre recommandée avec accusé de réception n’est certainement pas la meilleure des solutions pour des personnes migrantes.

Mme Stella Dupont. Je ne vois pas très bien où, dans le texte de l’amendement, sont visées la traçabilité et la preuve de la réception des décisions par le demandeur. M. Boudié pourrait-il nous apporter des précisions ?

M. Erwan Balanant. Nous partageons tous la volonté de rendre le système efficace et d’éviter que ces notifications ne s’égarent en route, ce qui nous ferait perdre beaucoup de temps, compte tenu du travail effectué par les officiers de l’OFPRA. Ne pourrait-il être précisé par décret que l’OFPRA met en place un système de notification électronique impliquant à la fois le consentement éclairé du demandeur quant au mode de notification qui lui sera proposé, la confidentialité et un accusé de réception de cette notification ? Les migrants se partagent souvent des téléphones mobiles : il ne faudrait pas qu’il y ait confusion sur les destinataires de ces notifications.

M. Florent Boudié. Pour répondre à Stella Dupont, si nous sommes en mesure de garantir la prise de connaissance des décisions de l’OFPRA par le demandeur, c’est forcément que la notification est traçable et l’opération de notification aussi : l’un ne va pas sans l’autre. Dans la première version de notre amendement, nous avions envisagé de mentionner la traçabilité de l’opération de notification, suivie de la prise de connaissance. À la réflexion, nous avons considéré que le terme de « traçabilité » n’était pas de nature juridique, même s’il est mentionné dans l’avis du Conseil d’État, et surtout que la prise de connaissance d’une décision par un intéressé ne pouvait être garantie sans traçabilité de la notification.

Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. Cet amendement est tout à fait intéressant. J’ai bien entendu la remarque d’Erwan Balanant sur le code des relations du public avec l’administration mais mieux vaut voter l’amendement et vérifier ce point par la suite. Si cette précision est inutile, vous pourrez revenir dessus au cours de la navette.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Selon des officiers de protection de l’OFPRA, quand les demandeurs arrivent à leur entretien, ils disent très régulièrement que c’est par SMS qu’ils se sont vus notifier la décision de l’Office. Et pourtant, on ne peut se contenter de SMS. D’où nos amendements qui visent à ce que tous les moyens techniques possibles soient mis en place – réception électronique et envoi sur des plateformes avec numéro personnel.

La Commission adopte les amendements identiques CL918 et CL819.

Suivant lavis défavorable de la rapporteure, la Commission rejette lamendement CL719 de M. Christophe Blanchet.

Elle adopte larticle 5 modifié.

Après l’article 5

La Commission examine lamendement CL574 de Mme Bénédicte Taurine.

M. Michel Larive. Il est une réalité, un chiffre et une incohérence choquante que vous vous devez d’expliquer.

La réalité, c’est celle de ces hommes, femmes et enfants qui fuient les pays en guerre, qui ont perdu leur famille, leurs proches, leur maison et tous leurs biens, qui fuient des régimes politiques dictatoriaux, brutaux et usant davantage de la de torture que des élections. Selon les chiffres de juillet 2017 du ministère de l’Intérieur, les demandeurs les plus nombreux proviennent du Soudan, d’Afghanistan, de Syrie, de République démocratique du Congo et du Bangladesh – de vraies démocraties respectueuses des droits humains ! Je suis sûr que vous rêveriez d’y vivreOr, dans le budget que vous proposez, chaque agent de l’OFPRA qui examine les demandes d’asile doit traiter environ 400 dossiers par an. Si on enlève les jours fériés, les RTT et les vacances auxquelles ils ont droit, ces agents doivent traiter plus de deux dossiers par jour. Pour décider d’accorder ou non l’asile à une personne, au risque de l’exposer à des sévices, à des représailles, voire à la mort, vous sous-dotez l’administration qui doit s’occuper des dossiers. Vous bafouez le droit d’asile en demandant de fait un examen bâclé des dossiers.

Par cet amendement, nous proposons de combler le manque de moyens humains et budgétaires de l’OFPRA pour garantir un examen sérieux des demandes d’asile.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Ayant assisté à des entretiens, mais également rencontré l’ensemble des agents de l’OFPRA, je ne manque jamais de saluer leur professionnalisme. Je ne crois pas que traiter deux dossiers par jour nuise à la qualité de leur travail. Les effectifs de l’OFPRA ont été augmentés régulièrement depuis quelques années, y compris en 2018 où l’Office s’est vu affecter 45 ETP (équivalents temps plein) supplémentaires. Le rythme de deux dossiers par jour ne les met pas dans cet état de souffrance dont M. Bernalicis parlait tout à l’heure et ne porte en rien préjudice à la qualité de leur traitement. Votre amendement est donc satisfait. Avis défavorable.

M. Ugo Bernalicis. Notre amendement vise à expérimenter le traitement, par les agents de l’OFPRA, d’un dossier par jour en moyenne. Vous dites que ces agents sont très professionnels – je partage cent fois cet avis – et que le traitement de deux dossiers par jour est acceptable. Mais les agents de l’OFPRA s’opposeraient-ils à n’en traiter qu’un seul ? À l’heure actuelle, 20 % des demandeurs gagnent en appel devant la CNDA. Cela veut dire que 20 % des gens, s’ils n’avaient pas fait appel, n’auraient pas obtenu l’asile ni pu rester sur le territoire. Nous avions d’ailleurs proposé, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2018, de faire de ce pourcentage un indicateur de la qualité de traitement des dossiers par l’OFPRA, mais on nous avait répondu à l’époque que 20 %, cela allait. Vous dites aussi que la loi de finances pour 2018 satisfait notre amendement – puisqu’elle prévoit 45 ETP supplémentaires – mais vous savez comme moi que l’augmentation des effectifs de l’OFPRA ne suit pas celle des demandes. Du coup, le ratio du nombre de dossiers traités par agent ne s’améliore donc pas. Voilà la réalité, madame la rapporteure.

La Commission rejette lamendement CL574.

Puis elle en vient à lamendement CL614 de Mme Danièle Obono.

M. Ugo Bernalicis. Pour remédier à l’insalubrité du camp de Basroch où les migrants vivaient dans des conditions précaires déplorables, puisqu’il s’agit d’une zone marécageuse que les pluies transforment en terrain boueux, le premier camp de réfugiés répondant aux normes internationales a ouvert en mars 2016 à Grande-Synthe. Géré conjointement par Médecins sans Frontières (MSF) et la mairie de la ville, le camp est dimensionné pour accueillir jusqu’à 2 500 personnes. Fixées par le Haut-Commissariat aux réfugiés de l’Organisation des Nations unies (ONU), ces normes internationales prévoient que des points d’eau et des latrines sont installés en quantité suffisante. Doivent être prévues une latrine pour vingt personnes, avec un espace pour se laver dans un rayon de dix mètres, ainsi qu’une douche pour cinquante personnes, pour garantir l’intimité des réfugiés. Ces normes créent un cadre a minima afin d’éviter à tout prix la situation dramatique de la « jungle de Calais ». L’ONU rappelle que beaucoup de migrants vivent sans abri et sans accès à l’eau potable, à des toilettes ni à des installations sanitaires.

Par cet amendement, nous souhaitons que le Gouvernement chiffre le coût de la mise aux normes internationales des camps d’accueil sur le modèle de Grande-Synthe pour accueillir la petite partie de migrants qui revient à la France, sachant que ce sont les pays frontaliers en crise qui accueillent la majorité des déplacés, migrants et réfugiés.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Nous partageons l’objectif d’améliorer le pré-accueil. Dans l’essentiel des camps sauvages, on se retrouve en effet face à des personnes dont on ne connaît pas la situation car elles n’ont même pas pu se faire enregistrer en tant que demandeurs d’asile. Les centres d’accueil et d’examen des situations administratives (CAES) se développent un peu partout sur le territoire, en particulier dans la région parisienne depuis le mois d’octobre. Ces centres permettent aux demandeurs d’être hébergés et très vite suivis sur les plans sanitaire et médical et, surtout, d’avoir un accès extrêmement rapide – en trois à sept jours – au guichet unique des demandeurs d’asile (GUDA) pour ensuite être orientés. Cette formule me paraît bien plus intéressante que celle consistant à organiser des campements équipés de douches : un bâtiment en dur me semble offrir un traitement plus digne et plus humain. J’ai moi-même déposé un amendement à l’article 9 pour organiser et améliorer le pré-accueil : j’espère pouvoir compter sur votre soutien lorsque nous l’examinerons. J’émets donc un avis défavorable à cet amendement CL614 dans la mesure où l’organisation de camps ne répond pas à l’objectif visé.

M. Pierre-Henri Dumont. Le camp de Grande-Synthe ne me paraît pas être un modèle : tenu par des mafias qui en interdisaient l’accès à d’autres nationalités que les leurs, il a subi plusieurs épisodes de violence avant de finir par brûler.

Par ailleurs, la logique qui a toujours prévalu à Calais a été d’éviter de créer des points de fixation. Cette logique est partagée par le Gouvernement, et je la soutiens entièrement. Chaque fois qu’on a voulu créer un camp aux normes internationales, gérées par des associations, tel que le camp de la Croix-Rouge à Sangatte, on s’est retrouvé avec des points de fixation. Et si le camp accueillait au départ quelques centaines de migrants, deux semaines, deux mois ou un an après, il en accueillait deux fois, trois fois, dix fois plus. C’est donc une très, très mauvaise idée – et je parle d’expérience.

M. Ugo Bernalicis. Effectivement, le camp installé à Grande-Synthe n’est pas forcément le meilleur exemple qui soit. Quand vous faites un camp de 2 500 places et qu’il y a 10 000 personnes à côté, il n’est pas trop difficile de comprendre que cela ne suffira pas et que la gestion de ce camp risque d’être compliquée. Il faut dire que le maire n’a pas été beaucoup aidé par l’État et qu’il lui a même dû lui forcer la main pour obtenir le minimum syndical – le cofinancement du camp. C’est une bataille qu’il a emportée de haute lutte.

S’agissant des points de fixation à Calais, je comprends, cher collègue, que vous préfériez rester dans l’hypocrisie et voir des gens sous des tentes à un endroit, le lendemain à un autre endroit, le surlendemain à un autre endroit encore… La même hypocrisie que le Président de la République qui trouve indigne que les gens n’aient pas de repas – oui, cela est indigne – et met en place une association labellisée par l’État, La Vie active, pour distribuer des repas aux personnes migrantes… Et, pendant qu’elles mangent, on rase leurs tentes cinq cents mètres plus loin ! Cela s’est passé il y a deux semaines à Calais ; et pour ceux qui n’étaient pas dans leur tente, les effets personnels ont été mis à la benne avec le reste, point barre ! Voilà la réalité : le deux poids deux mesures. On peut dire que ces camps ne suffisent pas et que mieux vaut du dur : oui, mille fois oui, sauf qu’il y a peut-être une urgence immédiate. Si l’objectif est de ne pas avoir de points de fixation, peut-être Mme la ministre pourrait-elle nous expliquer quelle est la volonté de l’exécutif.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Vous me parlez d’un événement qui aurait eu lieu à Calais il y a deux semaines. Il se trouve que j’y étais la semaine dernière et que j’ai assisté à cette distribution alimentaire. J’ai vu que cela se passait bien pour les quelque 200 à 300 personnes qui s’y trouvaient, qui ont d’ailleurs aussi bénéficié du plan Grand froid. Si les choses se passaient de manière aussi violente que vous le dites, ces personnes ne viendraient pas prendre ces repas en toute tranquillité, comme j’ai pu le constater de visu. Il y a peut-être eu des dérapages, mais ces distributions de repas mises en place depuis le mois de mars remplissent totalement leur objectif.

M. Ugo Bernalicis. La majorité de ces distributions sont le fait des associations et des auberges de migrants…

La Commission rejette lamendement CL614.

Article 6
(art. L. 731-2, L. 733-1 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile
et art. L. 233-5 et L. 234-3 du code de justice administrative)
Procédure devant la Cour nationale du droit dasile

Résumé du dispositif et effets principaux :

L’article 6 réduit de trente à quinze jours le délai de recours devant la Cour nationale du droit d’asile. Il prévoit que les recours contre les décisions de l’OFPRA qui refusent ou retirent une protection pour des motifs de sécurité publique soient examinés selon la procédure accélérée « à cinq semaines ». Il entend, enfin, permettre une utilisation plus fréquente de la vidéo-audience sur le territoire métropolitain.

Dernières modifications législatives intervenues :

La procédure devant la Cour nationale du droit d’asile a été modifiée par la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France.

Modifications apportées par la commission des Lois :

La Commission a adopté trois amendements de votre rapporteure et du groupe La République en Marche visant à encadrer le recours à la vidéo-audience par la CNDA en renforçant, d’une part, les exigences de qualité de la communication audiovisuelle et en prévoyant, d’autre part, que l’interprète, sauf exception, devra être présent physiquement aux côtés du requérant.

1.   La Cour nationale du droit d’asile : compétences et fonctionnement

a.   Champ de compétence

Jusqu’en 1979, l’activité de la CRR était relativement stable, la moyenne de décisions rendues avoisinant les 300 par an. À compter des années quatre-vingt, avec la multiplication des conflits dans le monde et le durcissement des conditions d’immigration, le nombre d’affaires enregistrées devant la CRR, puis devant la CNDA, s’est considérablement accru : 16 515 décisions en 1989, 20 240 en 2009, 38 540 en 2013 et 47 814 en 2017.

Chargée de statuer en plein contentieux sur les recours formés contre les décisions de l’OFPRA, la Cour dispose d’un champ de compétences qui est précisé à l’article L. 731-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA). Elle se prononce sur les décisions de l’OFPRA suivantes :

– refus du statut de réfugié ou de la protection subsidiaire ;

– décisions refusant le réexamen d’une demande d’asile ([31]) ;

– décisions d’irrecevabilité, prises en application de l’article L. 723-11 du CESEDA ([32]) ;

– décisions d’exclusion et de cessation d’une protection ([33]) ;

L’article L. 731-2 du CESEDA précise que le recours devant la Cour doit être formulé dans un délai d’un mois à compter de la notification de la décision de l’OFPRA.

– le recours à juger dans un délai de cinq mois : il concerne les recours contre les décisions de l’OFPRA intervenant en matière de reconnaissance du statut de réfugié et d’attribution de la protection subsidiaire. La décision est alors prise par une formation collégiale composée de trois juges, après audience ;

– le recours à juger dans un délai de cinq semaines : il concerne les recours contre les décisions de l’OFPRA lorsque celui-ci a statué en procédure accélérée ou a pris une décision d’irrecevabilité. Dans ce cas, la décision est prise par un juge unique après audience.

Par ailleurs, l’article L. 733-2 du CESEDA prévoit, quelle que soit la catégorie de recours, la possibilité pour le président de la Cour et des présidents qu’il désigne à cet effet de statuer sans audience, par ordonnance motivée, sur les recours entachés d’une irrecevabilité manifeste ou qui ne présentent « aucun élément sérieux susceptible de remettre en cause la décision de lOffice ».

rÉpartition des décisions par modalité de jugement en 2017

 

Total

Pourcentage

Décisions prises après audience collégiale

22 407

46,1 %

Décisions prises après audience à juge unique

11 496

24,1 %

Ordonnances

14 271

29,8 %

Total

47 814

100 %

Source : rapport d’activité 2017 de la CNDA.

 

b.   Organisation et fonctionnement

Le mandat des présidents de section ou de chambre est, en vertu de l’article L. 234-3 du code de justice administrative, limité à une durée de trois ans, renouvelable une fois. Ces fonctions peuvent être exercées par des magistrats administratifs mais également par des magistrats judiciaires détachés dans le corps des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel.

Lorsqu’elle statue en formation collégiale, chacune des formations de jugement de la Cour comprend un président, magistrat administratif, judiciaire ou financier (en activité ou honoraire), une personnalité qualifiée désignée par le Haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) et une personnalité qualifiée nommée par le vice-président du Conseil d’État. Ces deux personnalités qualifiées sont nommées, selon l’article L. 732-1 du CESEDA, en raison de leurs compétences dans les domaines juridique ou géopolitique.

Les présidents de formation de jugement peuvent être des présidents de section ou de chambre affectés de façon permanente à la Cour, ou des magistrats vacataires, assurant plusieurs journées d’audience par an à la Cour.

La Cour dispose de 19 salles d’audience occupées cinq jours par semaine, 49 semaines par an : 3 607 audiences ont ainsi été organisées en 2017, chacune permettant d’examiner, en principe, treize affaires.

Depuis 2012, la CNDA dispose d’une salle équipée pour les vidéo-audiences. Introduit par la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 à l’article L. 733-1 du CESEDA, ce dispositif fait aujourd’hui partie du quotidien de la Cour, qui a organisé 121 audiences en 2017 avec les collectivités d’outre-mer.

L’article L. 733-1 précise notamment que le moyen de communication audiovisuelle utilisé doit garantir « la confidentialité de la transmission avec une salle daudience spécialement aménagée à cet effet ouverte au public et située dans des locaux relevant du ministère de la justice plus aisément accessibles par le demandeur » et que, « si lintéressé est assisté dun conseil, ce dernier est physiquement présent auprès de lui ».

rÉpartition des AFFAIRES JUGées
selon le sens de la décision et le motif de rejet

 

Total

Pourcentage

Attribution de la qualité de réfugié

5 399

11,3

Attribution de la protection subsidiaire

2 607

5,5

Total des décisions de protection

8 006

16,8

Rejet pour incompétence

1 467

3,1

Rejet pour absence d’éléments sérieux

12 391

25,9

Rejet au fond

25 205

52,7

Total des décisions de rejet

39 063

81,7

Annulation et renvoi à l’OFPRA

61

0,1

Autre décision (non-lieu, désistement, divers)

684

1,4

Total des décisions « Autres »

745

1,5

Total des décisions rendues

47 814

100

Source : rapport d’activité 2017 de la CNDA.

 

Dans sa décision n° 2011-631 DC du 9 juin 2011, le Conseil constitutionnel avait jugé que, par cette disposition, le législateur avait « entendu contribuer à la bonne administration de la justice et au bon usage des deniers publics » et que l’article déféré garantissait « de façon suffisante la tenue dun procès juste et équitable » (considérant 93).

2.   Le dispositif proposé

Il s’agit, comme le souligne l’étude d’impact du projet de loi, de contribuer à l’accélération de la chaîne de l’asile sans pour autant entraver l’effectivité du droit au recours.

La directive « Procédures » du 26 juin 2013 ([34]) n’impose aucun délai aux États membres et se contente de laisser à ces derniers le soin de prévoir un « délai raisonnable » qui ne rende pas cet exercice « impossible ou excessivement difficile ».

De fait, les pratiques sont très variables d’un État membre à l’autre, ainsi que le souligne l’étude d’impact du projet de loi : les délais de recours varient entre deux et 75 jours. Plusieurs États ont fait le choix de différencier les délais selon qu’il s’agisse d’une procédure normale ou accélérée. Pour les procédures normales, neuf États membres prévoient un délai de recours entre huit et quinze jours parmi lesquels l’Autriche (deux semaines), l’Estonie (dix jours) et l’Allemagne (deux semaines). Pour les procédures accélérées, seize États membres prévoient un délai de recours compris entre deux et quinze jours, parmi lesquels l’Allemagne (une semaine), les Pays-Bas (une semaine) ou encore l’Italie (quinze jours).

Dans son avis sur le projet de loi, le Conseil d’État a estimé qu’au regard « de lobjectif dintérêt général que constitue le traitement rapide » de ce contentieux, et dans la mesure où ce délai « ninterdit pas de compléter la motivation en fait et en droit du recours, comme de produire des pièces nouvelles, après son expiration et jusquà la clôture de linstruction », ce nouveau délai de recours pouvait être regardé comme « raisonnable » au sens de la directive « Procédures ».

– dans le cas d’un réfugié, lorsque sa présence en France constitue une menace grave pour la sûreté de l’État ou lorsqu’il a été condamné pour acte de terrorisme (article L. 711-6) ;

– dans le cas d’une personne bénéficiant de la protection subsidiaire, lorsque son activité sur le territoire représente une menace grave pour la sûreté de l’État (d) de l’article L. 712-2) ou lorsqu’elle aurait dû être exclue de cette protection parce qu’il existe des raisons sérieuses de penser qu’elle a commis un crime grave, un crime contre la paix ou s’est rendue coupable d’agissements contraires aux buts et principes des Nations unies (1° et 3° de l’article L. 712-3).

Ces dispositions sont de nature à renforcer l’effectivité des décisions d’exclusion ou de cessation de protection prévues par l’article 4 du présent projet de loi et à accélérer le traitement de ces recours par la CNDA.

La suppression du consentement de l’intéressé a pour objectif de recourir de manière plus large à la vidéo-audience sur le territoire métropolitain. Le dispositif fonctionne de manière tout à fait satisfaisante depuis plusieurs années lorsque le requérant réside outre-mer et est pleinement entré dans les pratiques, ainsi que votre rapporteure a pu le constater lorsqu’elle s’est rendue à la CNDA pour assister à plusieurs audiences utilisant ce procédé.

Rien ne justifie donc de maintenir une distinction entre les requérants selon qu’ils résident sur le territoire métropolitain ou outre-mer.

Dans son avis sur le projet de loi, le Conseil d’État a souligné que le recours à la vidéo-audience poursuivait des objectifs légitimes tels que :

– la bonne administration de la justice, « en évitant lallongement des délais dus aux reports daudience quentraînent les difficultés de déplacement des demandeurs » ;

– la dignité des demandeurs, « en évitant des déplacements sous escorte » ;

– le bon usage des deniers publics, « en réduisant les coûts pour ladministration ».

Il aligne les modalités d’accueil des magistrats de l’ordre judiciaire par la voie du détachement pour les fonctions de président à la CNDA sur les dispositions applicables aux présidents des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel (alinéa 8).

Il prévoit aussi, en conformité avec la garantie d’inamovibilité des magistrats, de supprimer la limitation actuelle à trois ans du mandat des présidents des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel affectés à la CNDA (alinéa 9).

3.   Les modifications apportées par la commission des Lois

La Commission a adopté trois amendements de votre rapporteure et du groupe La République en Marche visant à encadrer le recours à la vidéo-audience par la CNDA :

– le premier précise, à l’article L. 733-1 du CESEDA, que le président de la CNDA ne pourra autoriser le recours à la vidéo-audience que si les conditions prévues par ce même article sont remplies. Il s’agit de garantir que toutes les salles d’audience soient équipées d’un matériel de communication audiovisuelle conforme aux exigences d’une justice de qualité ;

– dans un même souci, un deuxième amendement précise que le président de la juridiction doit s’assurer non seulement de la confidentialité de la communication audiovisuelle mais aussi de sa qualité ;

– enfin, une troisième disposition adoptée par la Commission a pour objet d’inscrire dans la loi que, sauf difficulté majeure, l’interprète devra être présent physiquement aux côtés du requérant lors de l’audience. La présence de l’interprète étant une garantie des droits du requérant, les exceptions à ce principe, en raison de l’absence d’interprète disponible, devront être limitées au strict minimum : dans une telle hypothèse, l’interprète devra être présent dans la salle d’audience où siège la cour.

*

*     *

La Commission examine lamendement CL322 de Mme Bénédicte Taurine.

M. Ugo Bernalicis. Dans un entretien au Monde en date du 22 février, le défenseur des droits, M. Jacques Toubon, déclare que « ce texte n’a pas été écrit par un besoin de la société mais pour répondre à l’opinion publique. » Voilà le cœur de l’affaire !

Dans cet article, M. Toubon estime que le projet de loi maltraite le demandeur d’asile, pris dans des procédures tellement accélérées qu’elles confinent à l’expéditif. À cet égard, l’article 6 est symptomatique : vous divisez le délai de recours devant la CNDA par deux. Le délai de recours passe ainsi d’un mois à quinze jours pour les demandeurs d’asile dont la demande a été rejetée par l’OFPRA. C’est une atteinte grave à leurs droits fondamentaux. Réduire le délai de recours revient à dégrader les conditions dans lesquelles ils peuvent constituer leur dossier et développer leurs arguments juridiques. Cela revient à affaiblir le droit à un recours effectif, pourtant consacré par la Constitution. Nous demandons la suppression de cet article et le maintien du délai d’au moins un mois, afin que les demandeurs d’asile puissent faire ce recours dans des délais humains et raisonnables.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Beaucoup d’amendements ont été déposés sur ce sujet, notamment deux amendements identiques présentés par Florent Boudié et les membres du groupe La République en Marche, et par moi-même.

L’objectif général du projet de loi est de ramener le traitement des demandes d’asile à six mois afin de faire entrer plus rapidement les personnes dans un parcours d’intégration, ou de les faire retourner dans leur pays d’origine si elles ne bénéficient pas la protection octroyée aux réfugiés, en réduisant les délais logistiques et, dans le cas présent, les délais de recours.

Dans son avis sur le projet de loi, le Conseil d’État a estimé qu’au regard « de l’objectif d’intérêt général que constitue le traitement rapide » de ce contentieux, et dans la mesure où ce délai « n’interdit pas de compléter la motivation en fait ou en droit du recours, comme de produire des pièces nouvelles, après son expiration et jusqu’à la clôture de l’instruction », ce nouveau délai de recours peut être regardé comme « raisonnable » au sens de la directive « Procédures » du 26 juin 2013.

Au cours des auditions, nous avons entendu les interrogations, les doutes, les inquiétudes autour de cet article. Nous avons interrogé la présidente de la CNDA sur les modalités du dépôt des recours ; elle nous a répondu que le recours pouvait être sommaire. À l’inverse, des avocats, des associations et les syndicalistes de la CNDA ont soutenu que cela n’était pas possible et qu’il fallait déployer des moyens juridiques plus importants. Nous avons cherché à résoudre cette contradiction. Ce sera l’objet de nos deux amendements qui, sans perdre de vue l’objectif d’efficacité, garantiront les droits de la défense. En conséquence, j’émettrai un avis défavorable sur votre amendement.

M. Florent Boudié. Monsieur Bernalicis, nous avons analysé cet article avec beaucoup d’attention, après avoir conduit de nombreuses réunions de travail et auditions. Nous avons été sollicités par les associations et les syndicats d’avocats sur les risques de cette réduction à quinze jours du délai de recours devant la CNDA.

Mais nous avons également pris en compte une autre donnée, extrêmement importante : dans les quinze premiers jours suivant la décision de l’OFPRA et le recours devant la CNDA, il est possible de demander à bénéficier de l’aide juridictionnelle. Or la demande d’aide juridictionnelle suspend automatiquement le délai de recours devant la CNDA. Il faut alors trois à quatre semaines pour que le bureau d’aide juridictionnelle de la CNDA apporte une réponse – négative ou positive. À peu près 80 % des demandeurs d’asile présentent une demande d’aide juridictionnelle ; sur ces 80 %, 96 % l’obtiennent. Par conséquent, de facto, le délai de recours devant la CNDA est plutôt de l’ordre de deux mois – demande d’aide juridictionnelle comprise. Lorsque le délai de recours devant la CNDA passera à quinze jours, les délais réels seront plutôt de l’ordre d’un mois et demi, demande d’aide juridictionnelle comprise.

Cet élément est important. J’ai trouvé vos propos relativement caricaturaux. Regardons la réalité juridique des droits offerts aux requérants : la demande d’aide juridictionnelle suspend le délai de recours. Et cet élément vient s’ajouter aux garanties supplémentaires apportées par l’amendement déposé par notre groupe, qui garantissent les droits des requérants.

M. Ugo Bernalicis. Si vous êtes d’accord avec mon amendement, il faut le voter !

M. Florent Boudié. Ce n’est pas le même !

M. Ugo Bernalicis. Ah, j’avais cru… Ce n’est pas le même, évidemment ! Le mien est plus simple !

M. Sacha Houlié. Et pour cause, vous supprimez l’article !

M. Ugo Bernalicis. Il faut mieux s’en tenir aux droits actuels. Pour sortir de la caricature, monsieur Boudié, il faudrait sortir du sectarisme et engager une discussion. Mais le dialogue ne semble pas être votre point fort. M’avez-vous proposé de rédiger conjointement un amendement ? Il ne me semble pas…

En conséquence, il vaut mieux voter mon amendement de suppression. Il a le mérite de la clarté alors que vous faites dans la carabistouille, comme on dit chez nous.

M. Florent Boudié. On fait du droit !

M. Ugo Bernalicis. Vous ne faites pas du droit, seulement de l’embrouille !

La Commission rejette lamendement.

Elle se saisit ensuite de lamendement CL583 de Mme Elsa Faucillon.

M. Stéphane Peu. Notre amendement vise à supprimer les alinéas 1 à 6. Comme je l’ai dit dans mes remarques liminaires, ce projet de loi a deux inconvénients majeurs : il mélange délibérément les questions de l’asile et de l’immigration, qui doivent pour nous être impérativement distingués en droit ; il renforce les mesures coercitives, voire répressives, et réduit les droits, notamment le droit de recours.

L’article 6 réduit de moitié les délais en les ramenant de trente à quinze jours. C’est d’autant plus injustifié que le délai de trente jours était déjà dérogatoire au droit commun du recours, qui est plutôt de deux mois. Autrement dit, on réduit de moitié un délai déjà réduit de moitié… Au regard du droit comme des engagements internationaux de la France, qu’il s’agisse de la Convention de Genève ou du droit d’asile, cette disposition est hautement critiquable. Si encore nous étions les seuls à la critiquer, on pourrait parler d’une opposition politique ; mais l’ensemble des organisations professionnelles et instances compétentes partagent cet avis. À défaut d’entendre nos arguments, vous pourriez au moins écouter ceux des professionnels du droit !

M. Florent Boudié. Nous les avons entendus !

M. Stéphane Peu. Ajoutons que la généralisation du recours à la vidéo-audience, sans le consentement des justiciables, est également particulièrement attentatoire aux droits.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. J’entends vos arguments, monsieur Peu. J’ai aussi entendu la demande de M. Bernalicis. Je vous invite à retirer vos amendements, faute de quoi mon avis sera défavorable. Pourquoi ? Parce que nous poursuivons un objectif d’efficacité qu’on ne retrouve pas dans vos amendements. Si nous souhaitons maintenir le délai à quinze jours, c’est parce que nous voulons réduire la durée globale de traitement de la demande. En revanche, nous avons entendu les professionnels : nos amendements, équilibrés, concilient efficacité et garantie des droits des requérants. Nous poursuivons les mêmes objectifs.

M. Jean Terlier. Il faut raison garder et être attentif à ce qui relève ou non du droit commun. En matière judiciaire, monsieur Peu, vous le savez, le délai d’appel est d’un mois. Il est de quinze jours pour les référés, y compris devant le tribunal administratif.

Par ailleurs, vous le savez également, lorsque la décision est notifiée, l’intéressé est informé du délai d’appel. En général, il fait donc appel assez rapidement, d’autant plus que 80 % des personnes font une demande d’aide juridictionnelle, ce qui enclenche un délai suspensif – de deux mois en moyenne. Ces quinze jours sont donc largement suffisants.

Mme Cécile Untermaier. Il s’agit d’un sujet majeur, qui a suscité l’hostilité de toutes les associations, des professionnels, des avocats et des magistrats. Et cette hostilité totale n’a pas pour but d’attaquer le Gouvernement, mais tout simplement de défendre une justice équitable. Si l’efficacité consiste à réduire à quinze jours un délai d’appel déjà ramené à un mois au lieu de deux auparavant sans qu’aucune étude d’impact n’ait d’ailleurs évalué les effets de cette réduction, on se trompe de combat !

Et pour faire passer cette réduction à quinze jours, vous avancez que le dépôt, suspensif, d’une demande d’aide juridictionnelle permet de gagner trois semaines supplémentaires. Mais ces éléments exogènes à l’appel ne doivent pas être pris en considération ; et de fait, ils ne changeront rien pour celui qui n’aura pas déposé de demande d’aide juridictionnelle.

Le Défenseur des droits lui-même, Jacques Toubon, critique cette accélération du dispositif qui va priver d’un recours effectif celui qui est en droit de faire appel d’une décision qui lui porte préjudice. Vos rafistolages qui visent à satisfaire le Gouvernement n’aboutissent qu’à décrédibiliser votre projet de loi. Je vous enjoins de nous suivre : prenez un amendement, nous le voterons, mais faites quelque chose ! On ne peut pas plaisanter sur ce sujet !

Mme Laurence Vichnievsky. Je ne me suis pas beaucoup exprimée ce soir. Je souhaite le faire en tant qu’ancienne professionnelle – j’ai été juge de la rétention. Je comprends le souci d’efficacité, c’est également un de mes soucis premiers. Supprimer quinze jours de délai de recours n’aura pas un impact considérable sur votre objectif de réduction globale des délais. J’ai entendu ce qu’a dit la présidente de la CNDA, mais tous les avocats, tous les requérants, toutes les associations l’ont dit : il est compliqué d’obtenir des pièces complémentaires, surtout pour des étrangers. Ce le sera encore plus en quinze jours.

Vous ne devez pas non plus perdre de vue la nécessité d’assurer une défense digne. Et qui dit défense digne dit un avocat et un interprète aux côtés du requérant.

Enfin, la vidéo-audience doit rester l’exception : le principe veut que l’on comparaisse personnellement et physiquement devant son juge. La comparution physique est particulièrement déterminante en la matière. Certes, il peut arriver, en cas d’assignation à résidence ou de détention, que le président de la CNDA passe outre le consentement du requérant dans un souci de bonne administration de la justice, pour ne pas s’exposer à des coûts et des complications excessifs, et choisir la vidéo-audience : c’est parfois le cas outre-mer. Mais cela ne peut devenir le principe pour tout type de procédure.

M. Stéphane Mazars. Ayant été en charge de ce type de dossier, je vais tenter de ramener un peu de raison et de pragmatisme dans le débat. Les personnes qui présentent un dossier à l’OFPRA sont accompagnées par des associations, parfois par des avocats – alors qu’il ne s’agit encore que d’une procédure administrative. Elles savent très bien que la décision pourra leur faire grief et qu’un recours devra être formulé dans un délai contraint – un mois jusqu’à maintenant, quinze jours demain. Ce délai de quinze jours n’est pas une nouveauté juridique : il existe déjà en matière de référé judiciaire ou administratif.

Enfin, la saisine de la CNDA est formellement très simple : contrairement à ce que laisse entendre Mme Vichnievsky, toutes les pièces n’ont pas à être transmises et les arguments formalisés immédiatement. Tout au long de la procédure, on peut alimenter le dossier par des éléments nouveaux, des pièces supplémentaires, des mémoires complémentaires. On nous a précisé lors des auditions qu’il était même possible développer oralement des moyens nouveaux le jour de l’audience. L’important est de formaliser dans ces quinze jours un dossier d’appel ou déposer un dossier d’aide juridictionnel pour suspendre le délai d’appel. On a ensuite tout le temps d’organiser sa défense et d’apporter des pièces supplémentaires.

M. Jean-Michel Clément. Comme Mme Vichnievsky, mon expérience professionnelle m’amène à être très mesuré dans l’analyse de la situation. Je prendrai un exemple : une association accompagne un migrant qui parle le sorani irakien. Quand on est avocat, la première étape consiste à trouver un interprète, et cela ne se trouve au premier coin de rue de la ville de Poitiers… Une fois que vous l’avez trouvé, vous commencez à rédiger une demande d’aide juridictionnelle, afin de reporter le délai de recours devant la CNDA – et faire dépendre un délai d’un autre délai me paraît en droit tout à fait discutable. Ensuite, votre recours sera forcément sommaire, compte tenu du peu d’éléments dont vous disposez. On prend alors le risque d’un rejet rapide de la demande par la CNDA, ce qui ne laisse pas le temps de constituer le dossier de recours. Le seizième jour, l’avocat apprend que son dossier était incomplet ou insuffisant et il est déjà trop tard.

Certes, il faut raccourcir les délais ; mais quand on est face à des personnes qui arrivent dans un pays totalement étranger, qui ne connaissent rien à sa langue ni à ses procédures, à plus forte raison lorsqu’elles s’enchaînent les unes aux autres, réduire à tous crins les délais est tout, sauf conforme au respect des droits de la défense… Tout le monde le dit, Jacques Toubon et bien d’autres. Sur un tel sujet, il faut raison garder sur ce sujet. Nous nous honorerions de rester sur un délai d’un mois.

Mme Lætitia Avia. On ne peut pas dire qu’un délai de quinze jours interdit toute possibilité effective de recours, d’autant plus que notre amendement permettra d’enclencher la procédure par le dépôt d’un recours sommaire, qui pourra être complété par la suite. En tant qu’ancienne avocate, je vous confirme que nous tenons les délais, qu’ils soient de quinze jours, de dix jours en assises, ou de deux mois. Ils sont tenus à partir du moment où ils sont connus. Par ailleurs, n’oublions pas que l’on parle d’appel : les dossiers ont déjà été traités en première instance devant l’OFPRA ; ils ne sont pas découverts au dernier moment.

Mme Vichnievsky a évoqué la vidéo-audience. En la matière, il n’y a aucune vérité absolue. Il faut être mesuré. En tant qu’avocate, j’ai assisté à de nombreuses vidéo-audiences avec des personnes hospitalisées d’office en hôpitaux psychiatriques. J’ai pu constater que le traitement des affaires était de meilleure qualité dans la mesure où la vidéo-audience permet à des personnes particulièrement vulnérables d’exposer leur histoire et les faits beaucoup plus sereinement que dans l’ambiance pesante d’une salle d’audience.

M. Raphaël Gauvain. Je souhaite répondre à mon ex-confrère M. Clément. Dans l’exemple de cette famille irakienne déboutée par l’OFPRA, quel sera votre premier réflexe ? Vous allez faire, comme on dit, un appel conservatoire ; c’est une simple formalité. Ensuite, bien entendu, vous recevrez l’interprète et constituerez votre dossier. Cette histoire de délai de quinze jours n’est qu’un faux procès. D’autant que les délais courts, en matière judiciaire et surtout en matière pénale, sont courants : vous n’avez que cinq jours pour faire appel d’une ordonnance de mise en liberté. On voit même des délais de quatre heures.

Mme Laurence Vichnievsky. En matière pénale, on n’a pas affaire à la même population ; et surtout, les comparants qui comprennent ce qu’on leur dit et sont physiquement présents : il n’y a pas de vidéo-audience… C’est quelque chose que j’ai bien connu.

M. Ugo Bernalicis. Je vais répéter haut et fort ce qu’a tenté d’expliquer mon collègue Stéphane Peu : on ne peut entretenir la confusion entre recours administratifs et recours au pénal. Ce sont deux types différents de recours, ce qui explique que les délais ne soient pas les mêmes. Cela peut changer, mais votre ribambelle de lois sur le code de procédure pénale et la procédure civile n’est pas encore entrée en vigueur.

Vous prenez en compte le délai de l’aide juridictionnelle, au motif qu’il est suspensif et allonge le délai global du recours. Si vous trouvez que la mise en place de l’aide juridictionnelle est trop longue, renforcez-la ! Mais c’est un autre débat.

De même, un référé n’a rien à voir avec un appel. Nous sommes à la commission des lois. Vous voulez être précis et concrets ; or vos arguments me paraissent pour le moins fumeux et fallacieux. Tenons-nous en à l’état actuel du droit, qui n’est d’ailleurs pas si protecteur que cela. Mais nous avons bien compris que votre objectif est de dissuader un maximum de personnes de faire un recours, ne soyons pas hypocrites !

Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. Nous souhaitons aligner notre procédure d’asile sur les pratiques européennes. Or, en Europe, un délai de recours de huit à quinze jours est la norme : il est d’une semaine aux Pays-Bas et de deux semaines en Allemagne et en Italie.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Je vous demanderai encore une fois de bien vouloir retirer votre amendement, puisque les nôtres répondent à certaines de vos interrogations, notamment à celles – légitimes – de M. Clément concernant les ordonnances de rejet.

Je rejoins Stéphane Mazars concernant sur la nécessité d’assister les demandeurs d’asile tout au long de la préparation de leur dossier. Les plateformes d’accueil pour demandeurs d’asile (PADA) sont chargées de l’assistance administrative et sociale des demandeurs d’asile. Dans ce cadre, elles les aident à préparer leur dossier. J’ai déposé un amendement à l’article 9 afin d’étendre leurs missions à l’assistance juridique ; il y avait là une faiblesse que les associations avaient soulignée. Cela permettra de mieux anticiper les éventuels recours et d’informer très tôt les demandeurs des voies et moyens de recours juridiques dont ils peuvent disposer, afin qu’ils soient prêts rapidement si besoin est.

La Commission rejette lamendement.

Elle en vient à lexamen de lamendement CL56 de M. Fabien Di Filippo.

M. Fabien Di Filippo. Ce débat suscite beaucoup de passion ; essayons de revenir à une certaine rationalité… Mon amendement a le mérite de la simplicité et de la clarté. Force est de constater que les guichets de demandes d’asile sont engorgés. Vous recherchez la rationalité et l’efficacité, madame la ministre ; nous pensons que moins de procédures amélioreront les procédures. Les personnels qui examinent les demandes d’asile doivent travailler sereinement. C’est l’objet de cet amendement, qui dispose qu’aucun recours ne pourra être formé contre une décision de rejet d’une demande d’asile, afin qu’aucune autre demande de titre ne puisse être déposée a posteriori ; cette décision fera aussi office d’obligation de quitter le territoire. Plus de 90 % des déboutés du droit d’asile restent en France, dans des conditions souvent très difficiles. Mon amendement nous permettra de concentrer les moyens d’accueil et d’intégration sur les personnes réellement fondées à demander l’asile en France.

M. Stéphane Peu. Et dire qu’on critique la Hongrie…

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Votre amendement est totalement contraire à tous nos engagements européens et à nos principes généraux du droit. Je vous renvoie au titre de l’article 46 de la directive « Procédures » sur le droit au recours effectif. Supprimer tout droit au recours contre une décision aussi importante me paraît totalement disproportionné et injustifié. Avis défavorable.

M. Erwan Balanant. J’ai cru que nous étions encore au 1er avril et que les Républicains nous faisaient une farce… On dérogerait à tous les grands principes de notre droit en supprimant tout recours. Gagnons du temps et revenons rapidement aux choses sérieuses !

M. Fabien Di Filippo. Si vous voulez gagner du temps, ne prenez pas la parole pour dire des choses aussi peu constructives ! Nous tentons de proposer des solutions à la hauteur de l’enjeu migratoire que notre pays doit affronter. Mais j’ai bien conscience que nous ne percevons pas la vague migratoire de la même façon, ce qui explique que nos solutions puissent être parfois un peu… fortes.

La Commission rejette lamendement.

Elle examine ensuite les amendements identiques CL80 de Mme Marietta Karamanli, CL452 de Mme Élodie Jacquier-Laforge et CL738 de Mme Florence Granjus.

Mme Cécile Untermaier. L’alinéa 3 réduit le délai de recours devant la CNDA d’un mois à quinze jours. Le Défenseur des droits et toute une kyrielle de syndicats et d’avocats considèrent que cela mettrait en péril le recours effectif auquel toute personne a droit. Quant au procédé consistant à déposer une requête puis à la compléter dans un second temps, il me paraît parfaitement aléatoire et non exempt de risques. On ne peut pas non plus s’abriter derrière l’idée que la demande d’aide juridictionnelle a un effet suspensif : tout le monde n’y a pas droit et cela ne saurait s’apparenter à un recours effectif. Nous proposons donc, par notre amendement CL80, de supprimer cet alinéa.

Mme Élodie Jacquier-Laforge. On nous propose de ramener un délai à quinze jours alors que la procédure accélérée dure environ trois mois et la procédure normale neuf mois au minimum – trois mois et demi devant l’OFPRA plus cinq mois et demi devant la CNDA. Ce sont donc des procédures assez longues. La réduction du délai pourrait par ailleurs être contre-productive : non seulement cela suscitera davantage de recours mais le nombre de mémoires complémentaires va exploser, ce qui rallongera le délai d’instruction à la CNDA : à vouloir gagner quinze jours, vous risquez d’en perdre beaucoup plus au bout du compte. Enfin, nous devons garantir un recours effectif, comme l’impose la directive « Procédures », dont la rapporteure a rappelé la valeur supra-législative. Il a beaucoup été question de passion, mais j’appelle à être raisonnable – et vous pouvez faire confiance sur ce point au MODEM. C’est pourquoi je vous appelle à voter notre amendement CL452.

Mme Martine Wonner. Les 30 % – et non 20 %, cher collègue Boudié – de personnes qui ne demandent pas l’aide juridictionnelle sont toujours les plus vulnérables. Je suis navrée de continuer à insister sur ce point. Nous comprenons la volonté du Gouvernement d’aller vite mais il faut penser aux plus vulnérables si l’on veut garder un équilibre. Il est déjà extrêmement complexe de constituer un dossier d’aide juridictionnelle dans sa propre langue. Je maintiens qu’un délai de quinze jours pour déposer un recours est beaucoup trop court. D’où notre amendement CL738.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Sans revenir sur tout ce que nos collègues de la République en Marche ont déjà dit, je voudrais souligner que nous allons bientôt examiner deux amendements qui permettront de cadrer le délai de quinze jours d’une manière qui répondra aux inquiétudes – je peux les comprendre. Je donne donc un avis défavorable aux amendements en discussion.

Mme Delphine Bagarry. Je ne suis peut-être pas très savante en droit, mais je sais que j’ai été élue députée pour voter les lois et surtout pour améliorer notre droit. En l’espèce, je crois que ce sera plutôt une régression. Cette réduction des délais de recours me paraît inacceptable.

Mme Marietta Karamanli. Je voudrais soulever une question de procédure et d’organisation des débats. La rapporteure nous répète régulièrement qu’elle comprend les demandes et partage les mêmes objectifs, mais elle nous appelle régulièrement à retirer nos amendements au profit d’autres qui viendront en discussion plus tard. Pour éclairer notre réflexion et nos débats, les amendements dont il est question en l’espèce pourraient-ils être présentés ?

Mme Laurence Vichnievsky. Permettez-moi d’apporter quelques précisions. J’ai entendu parler d’appel à titre conservatoire – les magistrats en ont horreur. Il s’agit bien d’un recours de pleine juridiction, l’OFPRA n’étant pas elle-même une juridiction. J’ajoute que beaucoup de requérants exercent eux-mêmes leur droit au recours. Je m’interroge donc sur la réduction du délai, même si j’entends qu’il est souvent de quinze jours dans d’autres pays, voire plus court encore. Nous avons aussi des spécificités en matière de procédure – c’est bien de procédure qu’il s’agit, et même de techniques très juridiques.

La Commission rejette ces amendements.

Elle est ensuite saisie de lamendement CL867 de Mme Stella Dupont.

Mme Stella Dupont. Cet amendement de repli ne me satisfait pas outre mesure, car je reste très attachée à la préservation des droits de la défense. La réduction du délai de recours ne me convient donc pas. L’amendement CL867 vise à limiter le délai de quinze jours aux seules procédures accélérées et de le laisser à un mois dans les autres cas.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. La proposition est intéressante, mais elle complexifierait beaucoup trop les recours devant la CNDA. Mieux vaut en rester à un délai unique. Je donne donc un avis défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements CL159 de M. Éric Ciotti, CL219 de M. Matthieu Orphelin, CL611 de Mme Elsa Faucillon et CL323 de M. Loïc Prudhomme.

M. Éric Ciotti. Notre amendement CL159 vise à réduire à sept jours le délai de recours devant la CNDA. Neuf États membres de l’Union européenne appliquent déjà un délai inférieur à quinze jours en procédure normale et seize le font dans le cadre d’une procédure accélérée. Il y a un moment où il faut poser les vraies questions : voulez-vous vraiment réduire les délais ? Avec ce texte, comme souvent, le Gouvernement en reste à l’affichage, pour des raisons de communication, et la majorité s’évertue à réduire ces effets d’annonce : au final, on aura des délais très peu réduits. L’amendement de Fabien Di Filippo était un peu provocateur, j’en conviens, mais il faut voir que la procédure d’asile ne dure pas quelques mois, comme on le dit, mais plutôt cinq ans : à l’issue de la procédure devant l’OFPRA, qui dure un peu plus d’un an en moyenne, il y a le recours devant la CNDA ; si celle-ci confirme la décision de rejet de l’OFPRA, le demandeur se voit signifier une obligation de quitter le territoire français, prononcée par le préfet, qui fera ensuite l’objet d’un recours devant le tribunal administratif, puis devant la Cour administrative d’appel – c’est le parcours de Leonarda : certains d’entre nous se souviennent certainement de cet épisode… J’ai d’ailleurs l’impression que l’influence socialiste pèse beaucoup sur la majorité actuelle à propos de ce texte ! Au total, le parcours est donc d’une durée de cinq ans. Nous aurions pu saisir l’occasion présentée par ce texte pour réduire le nombre d’échelons de quatre à deux : une décision en première instance, puis un appel.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Je rappellerai seulement que nous devons répondre à deux exigences : efficacité et respect des droits fondamentaux des requérants. Un délai de quinze jours me paraît satisfaisant compte tenu de l’amendement qui viendra tout à l’heure en discussion.

M. Matthieu Orphelin. Nous sommes confrontés à deux positions difficiles à concilier. Certains pensent qu’il faut réduire à quinze jours le délai de recours devant la CNDA, quand d’autres estiment que c’est trop court. Je voudrais soumettre à l’intelligence collective la proposition suivante : ne peut-on pas trouver un compromis en portant ce délai à vingt et un jours ? (Rires sur certains bancs). Je m’attendais à déclencher quelques rires, mais j’assume l’idée que l’on peut essayer de trouver des compromis, même sur des questions difficiles. Quinze jours ou trois semaines, ce n’est pas tout à fait la même chose en thèmes de disponibilité des avocats ou de gestion des jours fériés. Porter le délai à trois semaines présente un avantage : c’est compatible avec la volonté du Gouvernement de réduire tous les délais, même si je ne pense pas à titre personnel que ce soit dans ce domaine qu’une telle mesure soit la plus pertinente. Je crois que mon amendement CL219 pourrait satisfaire une bonne partie d’entre nous – M. Ciotti excepté.

Mme Elsa Faucillon. Par notre amendement CL611, nous proposons d’appliquer le délai prévu par le droit commun. Pratiquement tous les intervenants trouvent déjà trop court le délai actuel d’un mois. C’est ce qui ressort des travaux que nous avons menés pour préparer la riposte à ce texte.

Je propose à tous ceux qui voudraient raccourcir le délai de recours devant la CNDA d’aller expliquer à l’ensemble de nos concitoyens qu’ils voudraient réduire pour eux aussi le délai de recours devant les tribunaux administratifs. Si vous pensez vraiment que l’efficacité consiste à réduire les délais sans ajuster les moyens, alors faites-en autant pour l’ensemble du contentieux administratif !

Un délai a un sens : il s’agit de garantir le respect des droits et des garanties en prenant en compte l’existence de personnes plus vulnérables que d’autres, auxquelles il faut permettre d’aller au bout des procédures. Comme Delphine Bagarry, je veux améliorer notre droit. Et à ce que j’ai compris, cela n’exige pas des délais plus courts, mais au contraire davantage de temps.

Mme Danièle Obono. Notre amendement CL323 vise lui aussi à faire rentrer le délai de recours dans le droit commun, c’est-à-dire deux mois. Ce délai initialement consacré par la jurisprudence administrative est une garantie qui permettra de déposer correctement les recours. Tout administré doit avoir le temps, compte tenu de sa connaissance de la langue française, des procédures administratives, des mécanismes de recours et du droit en général, de contester en bonne et due forme, par un recours recevable, une décision portant préjudice dans un délai de deux mois à compter de sa notification ou de sa publication. À moins que l’on nous explique pour quelles raisons politiques, et pas seulement juridiques, il faudrait réduire le délai de droit commun pour les seules personnes étrangères, il nous semblerait cohérent de prévoir deux mois.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Le délai serait porté à sept jours, vingt et un jours ou deux mois selon les propositions qui nous sont faites. Je donne un avis défavorable à tous ces amendements afin d’en rester à notre position d’équilibre sur ce sujet.

M. Sacha Houlié. Je voudrais d’abord rappeler que le but initial est d’accélérer la procédure et que le dossier arrive devant la CNDA en l’état, après la décision administrative préalable prise par l’OFPRA, sans qu’il y ait de cristallisation des moyens – nous allons examiner tout à l’heure un amendement qui légalisera la procédure appliquée sur ce point. En droit de la consommation, le droit de rétractation a été porté de sept à quatorze jours. Deux semaines pour déposer un recours devant la CNDA sont le minimum que nous devons aux personnes concernées.

M. Stéphane Peu. Je voudrais être sûr de comprendre ce que veut dire la rapporteure. Elle souhaite un équilibre, mais je retiens que M. Ciotti a proposé sept jours et Mme Faucillon deux mois : l’équilibre consisterait donc à revenir à un mois. Ai-je bien saisi ? (Sourires.)

M. Hervé Saulignac. Stéphane Peu m’a volé l’argument que je voulais défendre. Vous mettez très fréquemment en avant une volonté d’équilibre. À l’issue des discussions qui viennent d’avoir lieu, l’équilibre commande à l’évidence de rester au délai actuel d’un mois. Parmi les députés présents dans cette salle, je suppose que beaucoup ont déjà reçu des demandeurs d’asile qui ont fait l’objet d’une décision de rejet et qui se trouvent dans une grande situation de précarité : ils n’ont rien, pas même un avocat. Un délai de quinze jours n’est pas tenable, car déposer un recours en un mois est déjà presque une mission impossible pour eux. Si vous voulez réellement un équilibre, ne réduisez pas le délai à quinze jours.

Mme Danièle Obono. La majorité nous dit souvent qu’elle veut arriver à un équilibre. Si ce mot a un sens, alors il faut aller jusqu’au bout : on ne fait pas un équilibre de manière abstraite, mais entre plusieurs parties, et la question est de savoir où se situe le centre de gravité. Si l’on considère que c’est celui créé par MM. Ciotti et Di Filippo, on aboutit alors à un certain équilibre ; si l’on considère que c’est celui que nous sommes quelques-uns à défendre, et qui consiste à renforcer les droits de la défense et les garanties individuelles, le résultat sera en revanche différent. Tout le monde veut un texte équilibré, mais où se trouve votre centre de gravité ? La réponse de la rapporteure est inconséquente. Nous demandons que l’on reprenne l’équilibre trouvé par la jurisprudence de droit commun, c’est-à-dire deux mois. Pourquoi l’équilibre auquel les juridictions sont arrivées ne conviendrait-il pas pour le droit des étrangers et des étrangères ? Pour quelle raison ne faudrait-il pas le retenir ? On finit par avoir l’impression que vous choisissez des chiffres au doigt mouillé : ça semble tomber rond, mais vous faites complètement fi de ce que tout le monde dit – je ne parle pas seulement de cette bande de gauchistes de la France insoumise, mais de toutes les associations, que vous avez entendues, les avocats et les collectifs de citoyens. Ce que vous proposez ne fonctionne pas : cela rendra au contraire la situation encore plus difficile. Vous voulez davantage d’efficacité, mais vous n’aboutirez qu’à plus d’inefficacité et de souffrance humaine.

M. Rémy Rebeyrotte. Comme beaucoup d’entre nous, je reçois des personnes qui se trouvent dans cette situation. Elles sont en général accompagnées par le mouvement associatif, qui fait d’ailleurs cela très bien, et quasiment toutes anticipent le dépôt d’un recours sitôt qu’elles pensent que leur dossier est assez faible et qu’elles n’ont pas la certitude d’obtenir satisfaction : il leur est tout à fait possible de déposer dans la foulée un recours qu’ils ont préparé par avance. Par conséquent, je comprends mal l’affolement général. Ce qui nous est proposé reflète ce qui se passe sur le terrain. (Exclamations sur certains bancs).

M. Matthieu Orphelin. On voit bien qu’il est difficile d’avoir des débats apaisés sur cette question. Je vais retirer mon amendement CL219 à ce stade, mais nous pourrons en discuter en séance. Les débats que nous avons depuis une heure et demie me font espérer que nous pouvons aboutir à une position de compromis. Ce serait un signe important pour l’ensemble des parties prenantes.

Mme Marie Guévenoux. Trouver un équilibre ne se résume pas à faire la somme des propositions de chacun, puis une division pour obtenir une moyenne… Il ne serait pas très sérieux de légiférer ainsi. L’équilibre que nous cherchons est une conciliation entre l’efficacité et la garantie des droits des requérants : nous ne sommes pas dans une négociation commerciale ni dans une vente aux enchères. Pour ma part, je soutiens la réduction du délai à quinze jours.

Mme Martine Wonner. Les dossiers seront très incomplets dans de nombreux cas si le délai de recours est fixé à quinze jours. Afin d’aller très vite – la rapporteure nous a dit tout à l’heure à quel point la CNDA était efficace –, le juge ne manquera pas de les rejeter au motif qu’ils sont incomplets. Cela ira très vite, et même encore plus vite qu’avant. On en revient à la protection des droits, notamment pour les plus vulnérables. Songeons aux conséquences de cette mesure.

Lamendement CL219 est retiré.

Les amendements CL159, CL611 et CL323 sont successivement rejetés.

Puis la Commission examine les amendements identiques CL919 de la rapporteure et CL820 de M. Florent Boudié.

M. Pacôme Rupin. La réduction à quinze jours du délai de recours s’inscrit dans la volonté du Gouvernement, que nous soutenons, de raccourcir la durée globale de traitement de la demande d’asile. Comme plusieurs d’entre nous l’ont rappelé, cet objectif d’efficacité ne doit pas aller à l’encontre des droits fondamentaux des requérants. Nous nous sommes demandé si quinze jours suffisent à toute personne, quelle que soit sa situation ou sa langue, pour déposer un recours sans se faire piéger : il y a sur ce point une inquiétude que nous entendons. C’est pourquoi l’amendement CL820, déposé par la République en Marche, vise à graver dans le marbre de la loi une pratique apparemment déjà courante à la CNDA, qui consiste à accepter une saisine sommaire en laissant la possibilité de compléter le recours, avant le jugement, par toute pièce ou tout élément nouveau. À nos yeux, la réduction du délai de recours doit impérativement s’accompagner de cette mesure de simplification.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Ces deux amendements répondent à l’interrogation de Martine Wonner : la présidente de la CNDA m’a confirmé que les recours sommaires sont acceptés mais qu’une ordonnance de rejet peut être prise si des moyens complémentaires tardent à être présentés. À partir du moment où nous écrirons dans la loi que l’on peut déployer les moyens jusqu’à la clôture de l’instruction, ce risque n’existera plus. C’est une sorte de compromis entre la réduction du délai de recours et la garantie des droits.

Mme Sonia Krimi. Si j’ai bien compris, vous nous proposez de permettre des recours sommaires permettant de saisir plus simplement la CNDA, afin de compenser la réduction du délai de recours, qui passe d’un mois à quinze jours. Ayant été cost-killer dans une vie précédente, je connais bien les questions d’optimisation et de simplification des processus : cela ne se fait pas en ajoutant une ligne dans la loi. J’ai par ailleurs rencontré des juges et des rapporteurs à la CNDA, ainsi que des avocats spécialisés : je retiens notamment qu’un grand nombre de recours sont rejetés par ordonnance au motif qu’ils sont sommaires. Comme le service des ordonnances de la CNDA fonctionne très bien, le rejet est décidé très vite, en quinze jours : le requérant et son avocat en prennent connaissance au moment même où ils viennent compléter leur dossier…

Faciliter les recours en permettant un exposé sommaire des circonstances de fait et de droit part d’une bonne intention, mais ce faisant, vous allez mécaniquement augmenter le nombre de rejets par ordonnance. Et encore une fois, ce sont les plus fragiles, les plus traumatisés et les plus éloignés du droit qui en seront victimes, et les garanties du droit d’asile en seront affaiblies. Pour toutes ces raisons, liées au mode de fonctionnement de la CNDA, je ne souhaite pas que cet amendement soit adopté. Il serait à la fois inutile et dangereux : des recours seront de toute façon déposés par des avocats et certains demandeurs d’asile risqueront d’être trompés par la loi.

M. Erwan Balanant. Si j’ai bien compris, on raccourcit pour aller plus vite tout en laissant la possibilité de déposer un recours sommaire et de compléter le dossier plus tard, mais le juge ira si vite que la demande aura déjà été traitée au moment où l’on viendra déposer des éléments complémentaires… C’est une hypocrisie totale. Non seulement c’est une fausse bonne idée, mais vous allez créer une usine à gaz qui ne générera certes pas de contentieux, puisque l’on est déjà au bout du contentieux, mais qui n’aura rien d’une simplification. Revenons à la raison en conservant un délai de recours d’un mois. Nous pourrons rediscuter de cette question en séance.

Une petite anecdote rapide : à l’occasion d’un changement de contrat d’assurance auto, on m’a réclamé un certain nombre de pièces à fournir dans les quinze jours, dont des documents faciles à retrouver tels que permis de conduire et carte grise, mais également un relevé d’information, que mon assureur a tardé à m’adresser. Du coup, mon nouveau contrat dûment préparé a été résilié… Je suis député de la Nation, je sais lire et écrire, je suis à peu près dégourdi : et même moi, je me fais avoir sur un délai de quinze jours ! Comment voulez-vous qu’un migrant s’en sorte ?

M. Arnaud Viala. Je voudrais que Mme la rapporteure nous explique comment on en arrive à cette situation. Le Gouvernement et la majorité veulent nous faire adopter un amendement tendant à respecter l’intention initiale du texte : réduire les délais. Mais au bout de trois quarts d’heure de débat, on revient en arrière aussi sec et on nous propose de le rallonger, en permettant que de déposer un recours sommaire et en laissant un délai supplémentaire pour le compléter. (Protestations.) Mais si, puisque le dépôt sommaire ouvre la possibilité d’un délai supplémentaire pour compléter !

Sommes-nous crédibles en passant des heures en commission des lois de l’Assemblée nationale à travailler de la sorte ? Sur un sujet aussi grave, le Gouvernement et la majorité feraient bien d’abattre leurs cartes et de nous dire précisément quelles sont leurs intentions, au lieu de nous laisser ainsi tergiverser interminablement.

M. Raphaël Schellenberger. J’ignore ce qu’est un cost-killer, surtout à la commission des Lois ; en revanche, j’ai compris que cet amendement compliquerait les choses.

Je ne partage pas le point de vue de Monsieur Balanant, même si je pense que la diversité de nos points de vue nous permettra d’arriver à une position d’équilibre et de trouver une rédaction acceptable par tous.

Cette façon de concevoir les choses, en organisant finalement une poursuite de la constitution du recours ne manquera pas d’allonger les procédures. Je connais une procédure juridique qui y ressemble énormément : les prud’hommes – on me pardonnera ce parallèle un peu maladroit – où, de mémoires en réponses, il se passe des mois jusqu’à ce que le juge décide qu’il est temps de plaider, ce qui sera l’occasion d’amener encore d’autres arguments, d’écarter le dossier, de le réintroduire, etc. Ce n’est donc pas avec de telles procédures que vous raccourcirez les délais de traitement du droit d’asile.

Il faut être clair, ferme et concret : deux semaines me semblent une durée tout à fait raisonnable, à plus forte raison pour un demandeur dont c’est l’unique préoccupation et qui consacrera tout son temps à la construction de son recours. Ensuite, on juge : ou bien le recours est accepté, le droit d’asile est accordé, et le réfugié est protégé ; ou bien le recours est rejeté et l’étranger en situation irrégulière est renvoyé dans son pays d’origine.

M. Stéphane Mazars. En réponse à l’interrogation d’Arnaud Viala, je précise qu’il n’y aura pas d’allongement de la procédure cause de l’ajout de nouveaux éléments au dossier. Les quinze jours gagnés pour formaliser l’appel sont acquis.

La principale critique adressée à ce délai de recours diminué de deux semaines était qu’il ne permettait pas de déposer un dossier complet et pouvait porter atteinte à l’expression des droits de la défense. D’où l’idée d’interrompre le délai d’appel en autorisant un recours sommaire, qui sera complété jusqu’à l’instruction du dossier par des pièces supplémentaires jusqu’à la clôture de l’instruction du dossier. Ce qui permet d’éviter le risque, relevé par nos collègues, d’une ordonnance d’irrecevabilité pour défaut de précision des moyens de défense présentés par le requérant. L’écueil, mentionné par des témoins au cours d’auditions, disparaît grâce à cette possibilité, désormais inscrite dans la loi, de continuer à alimenter le débat par des éléments complémentaires. Des avocats diligents peuvent en quinze jours former un appel bien étayé ; mais si on n’a pas les moyens de le faire dans la quinzaine ou si on ne dispose pas de tous éléments nécessaires, il sera possible de produire des pièces complémentaires jusqu’à la clôture de l’instruction, sans qu’il soit besoin de rallonger le délai.

M. Florent Boudié. Je trouve qu’entre les anecdotes des uns et la béatification de Jacques Toubon par les autres, notre commission part parfois quelque peu en « live »… Ces amendements ne visent pas à rallonger le délai de traitement du recours par la CNDA. L’objectif est de donner deux mois à l’OFPRA et cinq mois à la CNDA, soit six mois au total.

Cela étant, la pratique actuelle donne la possibilité, à l’issue d’un pourvoi initial, d’apporter des éléments complémentaires. Je précise que la CNDA adresse au requérant une convocation qui fixe le délai la clôture de l’instruction et que, jusqu’à cette date, il est possible d’adresser un mémoire complémentaire. Mais plusieurs avocats nous ont affirmé en audition que les choses n’étaient pas si simples, et que certains recours avaient fait l’objet d’ordonnances de rejet au motif que le pourvoi initial était incomplet ; de l’autre côté, des magistrats de la CNDA nous ont soutenu que cette pratique était courante et que les formulaires de pourvoi initial, disponibles en ligne sur le site du GISTI (Groupe d’information et de soutien des immigrés), étaient extrêmement simplifiés : il suffit de renseigner le nom, prénom et la motivation en écrivant : « Je refuse la décision de l’OFPRA ». Prenant acte de ces contradictions, nous avons qu’il y avait lieu d’introduire dans la loi la garantie proposée par ces amendements. Mais il ne s’agit pas de gagner du temps après parce que nous aurions raccourci avant : la procédure se déroulera dans le délai d’instruction ordinaire, rien de plus.

M. Guillaume Larrivé. Chacun aura compris qu’il s’agit là de débats internes à la majorité, entre son aile post-socialiste et une aile différemment ancrée sur la scène politique… La rapporteure nous présente un amendement « en même temps », l’article qu’il modifie réduit un délai, et en même temps, son amendement de synthèse, qui propose le point d’équilibre entre les différentes sous-tendances de la Macronie, consiste à dissuader la CNDA de prendre des ordonnances de rejet au motif que les requêtes seraient trop sommaires, ce qui revient à tenter de rallonger un peu le délai.

On ne le rallongera peut-être pas tellement, on l’a un peu réduit, on le rallonge un peu… Bref, tout cela ne sert strictement à rien. Nous sommes devant un texte d’ajustement technocratique, avec de petits bidouillages internes à la majorité pour essayer de trouver un équilibre, d’alimenter la chronique, et de donner autant que faire se peut satisfaction à toutes les composantes de la majorité ; je trouve cela assez affligeant au regard de l’objectif affiché d’efficacité.

Mme Émilie Chalas. Pour ma part, je ne suis ni juriste, ni juge, ni cost-killer. L’objectif du texte que je défends est de réduire les délais d’instruction du droit d’asile par respect pour ceux qui le demandent. Nous devons aussi nous aligner sur le droit européen : ni sept jours ni deux mois.

Si la CNDA est débordée par les dépôts d’appel, c’est que le délai de quinze jours fonctionne : CQFD. Et si les demandeurs d’asile sont accompagnés lors de la première étape à l’OFPRA, ils le seront tout autant en appel et devant la CNDA ; les délais ne seront pas allongés.

Nous assistons ici à des débats de posture idéologique ; et je ne suis pas non plus sur la ligne dure, monsieur Larrivé ; il s’agit, au-delà de l’équilibre, de prendre une décision responsable.

M. Brahim Hammouche. J’ignore si les divers organismes concernés parviendront à faire face à un éventuel raccourcissement des délais. Il n’y a pas de béats ni de béatifiés parmi nous : nous sommes tous des députés de rang égal, chacun avec ses propres expériences de vie, ce qui est enrichissant.

Je me demande si cet article n’est pas au final symptomatique d’une pensée insidieuse et productiviste, qui, sans dire son nom, s’emploie à gérer des stocks et des flux – terme ignoble, mais malheureusement adapté à cette approche froide et insensible qui, au motif d’aller plus vite, ne manquera pas de nous emmener vers de dangereux écueils. C’est en tout cas la question que je me pose : on ne peut pas faire tout et n’importe qui, ni nous demander de considérer le parcours des migrants comme s’il s’agissait de gérer de façon banale, et parfois barbare, des stocks et des flux. À cette approche productiviste, je préfère une approche humaniste, dont je suis sûr qu’elle est partagée par tous ; mais je vous appelle à la vigilance.

M. Ugo Bernalicis. Bravo !

M. Jean-Michel Clément. Pour avoir rédigé avec Guillaume Larrivé un rapport portant sur le droit des étrangers en France, je peux lui dire que, par des voies différentes, nous arrivons aux mêmes conclusions.

Je m’interroge : à la lecture de l’article R. 733-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, je constate que tout est dedans. Si nous souhaitons y ajouter le dispositif qui nous est proposé, de deux choses l’une : ou bien nous le vidons de tout contenu, ou bien nous considérons qu’il n’y a plus d’ordonnance, car il sera à tout instant possible de nourrir le recours fourni… Expliquez-vous précisément ce qu’il en est, et nous pourrons simplifier les textes. Or ce n’est pas exactement ce que nous sommes en train de faire, alors que l’on nous reproche déjà de trop souvent complexifier la loi ! Une chose est certaine : avec cette rédaction sibylline, nous allons ouvrir un énorme gisement de contentieux.

Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. Je me bornerai à dire que l’exposé de M. Boudié était absolument exact : il s’agit de transposer tout simplement la pratique dans la loi, ce qui garantit que le dossier pourra être complété jusqu’à la date de clôture du délai.

La Commission rejette ces amendements.

Elle examine lamendement CL390 de M. Jean-Louis Masson.

M. Jean-Louis Masson. Nous sommes favorables à l’accélération de la demande de procédure d’asile, mais votre texte fait porter la réduction du temps sur les demandeurs d’asile. Nous voulons simplement aller au-delà de vos propositions.

Il faudrait toutefois que l’administration fasse un effort : notre collègue Boudié parlait de deux mois pour l’OFPRA et ensuite cinq mois pour le CNDA, ce qui fait sept mois et non six.

M. Florent Boudié. Je reconnais mon erreur !

M. Jean-Louis Masson. Nous proposons donc de ramener le délai imparti au CNDA à quatre mois, quitte à lui donner les moyens, bien entendu.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Le délai moyen de traitement des dossiers est aujourd’hui de six mois, je ne crois pas utile de le réduire à quatre mois. Avis défavorable.

M. Raphaël Schellenberger. Je suis surpris par cette argumentation : vous vous résignez à une situation de fait alors que nous sommes là aussi pour prendre des décisions politiques, impulser des changements, fixer des orientations à l’administration et lui donner quitus. Je partage l’avis de notre collègue Masson : il faut donner à l’administration les moyens dont elle a besoin et améliorer la capacité de l’État à répondre rapidement au traitement de ces dossiers. Je peux comprendre que vous ne soyez pas d’accord avec notre proposition, mais votre argument n’est pas recevable.

La Commission rejette lamendement.

Elle examine ensuite les amendements identiques CL916 de la rapporteure, et CL815 de M. Florent Boudié.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Je laisse à Florent Boudié le soin de défendre ces deux amendements.

M. Florent Boudié. J’ignore si ces amendements sont postsocialistes ou de synthèse, cher collègue Larrivé… Ce qui est certain, c’est que le Gouvernement souhaite développer la vidéo-audience, et la bonne réaction, nous semble-t-il, n’est pas de la rejeter. L’utilisation de ce dispositif est appelée à se développer dans tous les contentieux : c’est déjà le cas au pénal et l’on peut penser qu’il pourrait être étendu au contentieux civil.

Dans le cadre des chantiers de la justice, le Gouvernement a l’intention de développer les modes dématérialisés. Plutôt que de nous y opposer, nous avons souhaité les encadrer et les entourer d’un certain nombre de garanties, notamment en ce qui concerne la qualité des transmissions.

Nous proposerons plus loin de renforcer les garanties encadrant le recours à la vidéo-audience dont le recours sera totalement subordonné à leur respect. Un autre point est très important : si dans la proposition du Gouvernement il est renoncé au consentement du requérant, à l’image de ce qui se passe dans les territoires ultramarins, il revient toujours à la CNDA, à son président en particulier, de décider au cas par cas de recourir à ce procédé.

Ce dispositif est donc très encadré, et nous avons pu vérifier que les audiences de la CNDA se déroulent dans de très bonnes conditions ; et si les garanties, que nous proposons de renforcer, n’étaient pas observées, le recours à la vidéo-audience ne saurait être validé.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. J’ai moi-même assisté à des vidéo-audiences à la CNDA et je puis assurer que la fiabilité de la transmission, la présence de l’interprète soit à côté du requérant, de même que son avocat, la possibilité pour les greffes de filmer sous divers plans, ce qui permet de capter les expressions de l’intéressé et le message qu’il veut faire passer, garantissent la qualité de l’audience.

Notre collègue, Laetitia Avia estimait même tout à l’heure que, pour certaines personnes fragiles, il était préférable de pouvoir recourir à la vidéo-audience. Pour avoir assisté à des audiences classiques, j’ai réalisé à quel point il pouvait être impressionnant d’être confronté à une formation de jugement. Il n’y a donc pas de règle en la matière ; et puisque la technologie permet de réaliser des économies de coût et de temps, si la qualité de la transmission est garantie, il y a tout lieu de s’en satisfaire.

La Commission adopte ces amendements.

Elle étudie ensuite lamendement CL453 de Mme Laurence Vichnievsky.

Mme Laurence Vichnievsky. Cet amendement a pour objet de garantir au requérant lors de l’audience devant la CNDA la présence physique auprès de lui non seulement de son conseil, mais également de l’interprète : cette proximité est un élément important des droits de la défense. Nous proposons à cette fin de modifier la rédaction du deuxième alinéa de l’article L. 733-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Il est effectivement très important que l’interprète puisse être aux côtés du requérant. Toutefois, il peut arriver pour certaines langues très rares que l’interprète ne soit pas toujours physiquement présent à ses côtés. C’est déjà le cas aujourd’hui à la CNDA à Montreuil, et si la vidéo-audience est généralisée sur l’ensemble du territoire, cette situation risque de se reproduire. Je vous suggère donc de retirer votre amendement au profit de la rédaction que je proposerai d’insérer dans mon amendement CL909 : « L’interprète mis à disposition du requérant est présent dans la salle d’audience où il se trouve. En cas de difficulté pour obtenir le concours d’un interprète qualifié présent physiquement auprès du requérant, l’audience ne se tient qu’après que la cour s’est assurée de la présence, dans la salle où elle siège, d’un tel interprète tout au long de son déroulement. » Cela pour le cas de langues très rares pour la traduction desquelles un interprète ne pourrait pas être toujours présent aux côtés du requérant.

La Commission rejette cet amendement.

Elle examine ensuite lamendement CL909 de la rapporteure.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Je viens de défendre cet amendement.

La Commission adopte lamendement.

Elle est ensuite saisie des amendements identiques CL81 de Mme Marietta Karamanli, CL454 de Mme Élodie Jacquier-Laforge et CL795 de Mme Martine Wonner.

Mme Cécile Untermaier. Nous ne sommes pas hostiles par principe à la vidéo-audience entourée des garanties apportées par l’amendement de M. Boudié. Mais nous considérons que le choix doit rester au requérant ; or l’alinéa 6 le prive de cette option, ce qui peut poser un problème, éventuellement d’ordre constitutionnel. Le Conseil constitutionnel avait déjà, il y a quelques années, considéré que l’élargissement des cas de recours à la vidéo-audience sans le consentement de l’intéressé pouvait être contraire à nos principes fondamentaux. C’est pourquoi notre amendement CL81 propose de supprimer cet alinéa.

Mme Élodie Jacquier-Laforge. Les arguments de ma collègue Cécile Untermaier valent évidemment pour mon amendement CL454. Le « présentiel » est très important pour les requérants présentés en audience devant le CNDA ; la possibilité d’avoir un contact physique avec le juge, tout comme le délai de recours, est un point particulièrement déterminant.

Mme Delphine Bagarry. L’oralité et la communication non verbale sont effectivement des composantes déterminantes dans la composition d’un dossier. La procédure de vidéo-audience, si elle peut faciliter l’expression pour certains, loin de la solennité d’une Cour de Justice, peut à l’inverse en inhiber d’autres, notamment les personnes ayant besoin d’un contact humain au moment de délivrer un récit très douloureux et traumatisant. Il est donc nécessaire de toujours recueillir le consentement des intéressés pour l’usage de la vidéo-audience. D’où mon amendement CL795.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Je vous ai fait part de l’impression que j’ai retirée de ces vidéo-audiences : je confirme qu’elles peuvent se dérouler de façon tout à fait satisfaisante pour la garantie des droits de la défense.

Je vous rappelle également l’avis du Conseil d’État qui a considéré que le recours à la vidéo-audience poursuit des objectifs légitimes, tels que la bonne administration de la justice en évitant l’allongement des délais dus au report d’audience qu’entraînent des difficultés de déplacement des demandeurs, la dignité des demandeurs en évitant les déplacements sous escorte, et le bon usage des deniers publics en réduisant les coûts pour l’administration.

Pour toutes ces raisons, mon avis est défavorable.

La Commission rejette ces amendements.

Elle est ensuite saisie de lamendement CL82 de Mme Marietta Karamanli.

Mme Marietta Karamanli. Cet amendement propose de supprimer la possibilité d’organiser des audiences par un moyen audiovisuel, qui à notre sens dépersonnalise une partie de la procédure. Cela renvoie aussi au problème de l’insuffisance des fonds : une partie de l’activité de l’OFPRA aurait pu être déconcentrée en région, avec des moyens adéquats, ce qui l’aurait placé au plus près des réalités. Malheureusement, cet aspect n’est pas abordé par ce projet de loi.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Pour les mêmes raisons que précédemment, mon avis est défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Puis elle se saisit de lamendement 799 de Mme Martine Wonner.

Mme Delphine Bagarry. Cet amendement de repli prévoit que nul ne peut refuser d’être entendu par un moyen de communication audiovisuelle, sauf s’il invoque un motif légitime.

La procédure de la vidéo-audience ne convient pas à tous les requérants, notamment à ceux qui ont besoin d’un contact humain pour délivrer un récit souvent douloureux. Il est nécessaire de prévoir, pour les publics qui en ont besoin selon leur histoire et leur parcours de vie, la possibilité de s’opposer aux audiences réalisées par un moyen de communication audiovisuelle afin que la défense du dossier et les recours éventuels soient effectués en leur présence.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Avis défavorable : l’article se verrait vidé de sa portée.

La Commission rejette lamendement.

Puis elle examine lamendement CL455 de Mme Laurence Vichnievsky.

Mme Laurence Vichnievsky. Les professionnels de la justice, qu’ils soient juges ou avocats, savent que la vidéo-audience – quand elle fonctionne – ne remplace pas parfaitement l’audience physique. Il faut être très attentif à ce développement de ce procédé, auquel le Conseil constitutionnel, me semble-t-il, n’est guère favorable. Sinon, la vidéo-audience pourrait devenir la règle pour l’ensemble des procédures, notamment civiles et pénales ; or elle ne constitue qu’un pis-aller et ne doit être retenue que dans certains cas.

Mon amendement CL455 a pour objet de rétablir la nécessité du consentement du requérant, tout en prévoyant – et ce sont les cas que vous avez évoqués, madame la rapporteure, lorsque vous faisiez référence à l’avis du Conseil d’État – que le président de la CNDA pourra passer outre ce refus si le requérant se trouve outre-mer, s’il est détenu, placé en rétention ou assigné à résidence.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Cette question avait été posée très clairement par notre collègue, Cédric Villani, lors de l’audition des représentants syndicaux de la CNDA, : ceux-ci avaient considéré que, pour les personnes se trouvant outre-mer ou les personnes retenues en CRA, la vidéo-audience pouvait être acceptable dans la mesure où des escortes lourdes pouvaient ainsi être évitées et les deniers publics épargnés. Notre collègue n’avait pas manqué de relever la contradiction en leur demandant s’ils ne voyaient pas là une rupture de l’égalité : pourquoi ce recours serait-il possible pour des personnes retenues, et inacceptable pour les autres ? La réponse a été qu’effectivement il fallait choisir ou l’un ou l’autre.

Pour ma part, et vous l’aurez compris, je considère le recours à la vidéo-audience tout à fait satisfaisant pour les uns comme pour les autres ; il ne me semble pas possible de faire deux catégories.

Pour ces raisons, mon avis est défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Elle examine lamendement CL426 de M. Brahim Hammouche.

M. Brahim Hammouche. Lors des hospitalisations sous contrainte précédemment évoquées, l’usage de la visioconférence est très encadré. La circulaire du 18 août 2014 précise en particulier qu’elle doit rester exceptionnelle et réservée aux établissements qui ont des difficultés à présenter les patients aux juges des libertés. J’ai conscience que ce n’est pas notre sujet, mais il est bon de montrer que comparaison n’est pas raison et que l’exception n’a pas vocation à être généralisée.

Mon amendement CL426 pose la question essentielle du consentement. Elle renvoie à notre autonomie et à notre conception de la liberté. Il faut être certain que la personne concernée accepte de participer à une visioconférence, car la qualité du lien humain qui se dégage lors d’une audition constitue un élément essentiel du travail du magistrat. Il ne semble pas qu’une caméra vécue comme un instrument de persécution par des personnes aux parcours semés de traumatismes répétés participerait de cette qualité.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Avis défavorable. Dès lors que la vidéo-audience fonctionne pour les territoires d’outre-mer sans recueil du consentement, nous ne pouvons pas introduire de rupture d’égalité.

M. Hervé Saulignac. Outre-mer, cela ne marche pas !

La Commission rejette lamendement.

Elle est saisie des amendements identiques CL917 de la rapporteure, et CL816 M. Florent Boudié.

M. Florent Boudié. Ces amendements me donnent l’occasion de rappeler, en particulier à notre collègue Brahim Hammouche, les conditions restrictives imposées par le CESEDA pour mettre en place la vidéo-audience : il faut une salle reliée en direct, il faut le respect de la confidentialité, il faut une salle spécialement aménagée ouverte au public dans un local du ministère de la justice aisément accessible, il faut que la copie du dossier soit mise à disposition, il faut que l’avocat puisse être présent aux côtés de l’intéressé, il faut évidemment l’établissement d’un procès-verbal et un enregistrement audiovisuel ou sonore. Ce à quoi nous ajoutons une bonne qualité des transmissions. Si ces conditions ne sont pas toutes respectées, le recours à la vidéo-audience n’est pas possible.

Par conséquent, contrairement à ce que j’ai pu lire dans certains exposés sommaires d’amendements, la vidéo-audience ne sera pas développée en toutes circonstances, mais uniquement quand le juge en décidera, au cas par cas, en relation avec la situation de chacun des intéressés, après le traitement de leur demande d’asile par l’OFPRA qui aura une connaissance très précise de leur situation.

À ces éléments s’ajouteront des garanties que nous voulons renforcer parce que nous sommes convaincus que la vidéo-audience doit s’inscrire dans un cadre très réglementé. C’est l’objet des amendements CL917 et CL816 défendus par moi-même, au nom du groupe La République en Marche, et par Mme la rapporteure.

La Commission adopte les amendements.

En conséquence, les amendements CL162 et CL163 de M. Éric Ciotti et CL797 de Mme Martine Wonner tombent.

La Commission examine lamendement CL160 de M. Éric Ciotti.

M. Éric Ciotti. Afin de répondre à l’impératif de maîtrise des délais, cet amendement vise à réduire de quinze à sept jours, à compter de la notification de la décision de l’Office, la période pendant laquelle le bénéfice de l’aide juridictionnelle peut être sollicité.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Défavorable. Dans la mesure où nous souhaitons réduire le délai de recours, à quinze jours, il n’est pas opportun de réduire aussi celui durant lequel il est possible de solliciter l’aide juridictionnelle.

La Commission rejette lamendement.

Elle en vient à lamendement CL61 du même auteur.

M. Éric Ciotti. Cet amendement tend à réduire à trente jours le délai maximal pour statuer sur une demande d’aide judiciaire juridictionnel.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Défavorable. Il est important que les demandes d’aide juridictionnelle puissent être traitées rapidement, surtout dans ce domaine qui affecte des délais globaux de la procédure. Si la CNDA est mobilisée pour atteindre cet objectif, il n’est pas pour autant approprié d’envisager de fixer ces délais de recours dans la loi. On voit d’ailleurs mal quelles conséquences pourraient s’attacher au non-respect de ces dispositions.

M. Éric Ciotti. Vos avis négatifs successifs m’étonnent un peu, madame la rapporteure : ils vont à l’encontre de la nécessaire réduction des délais, objectifs que nous recherchons tous, me semble-t-il.

J’aimerais connaître la position de Mme la ministre, sachant que le Président de la République lui-même avait insisté sur sa volonté de réduire les délais de l’ensemble de ces procédures – très souvent dilatoires, il faut bien le reconnaître, et qui ne visent qu’à retarder les décisions, et à permettre à des étrangers appelés à être déboutés de se maintenir de façon irrégulière sur le territoire national.

M. Raphaël Schellenberger. Nous sommes dans un cas de figure que nous avons déjà rencontré : nous vous proposons une réduction globale des délais de la procédure, qui fait peser l’effort à la fois sur l’administration et sur le demandeur, alors que vous choisissez de n’agir que du côté de ce dernier. Cette approche me paraît déséquilibrée de la part d’une majorité qui voudrait « en même temps » durcir et assouplir le droit d’asile.

Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. Monsieur Ciotti, la meilleure façon de faire consiste à renforcer les moyens de la CNDA pour raccourcir les délais. J’ajoute que l’aide juridictionnelle constitue un droit et qu’il faut le respecter comme tel.

La Commission rejette lamendement.

Elle adopte ensuite larticle 6 modifié.

Après l’article 6

La Commission examine lamendement CL837 de M. Florent Boudié.

M. Florent Boudié. Il vise à préciser qu’en cas de vidéo-audience, le requérant peut être assisté d’un interprète présent à ses côtés.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement, car nous en avons déjà adopté un autre qui précise qu’en cas de difficulté, il est nécessaire de s’assurer que l’interprète est au moins présent dans la salle d’audience, en particulier lorsque le demandeur s’exprime dans une langue très rare – dans ce cas, on ne trouve pas d’interprètes partout sur le territoire.

M. Florent Boudié. Je m’en voudrais de créer un incident ! (Sourires.) Je retire mon amendement.

Lamendement est retiré.

La Commission examine lamendement CL763 de Mme Sandrine Mörch.

Mme Sandrine Mörch. Je suis favorable à la plus grande transparence, et j’estime qu’il faut disposer d’un maximum de données publiques. Certes, le rapport de l’OFPRA comporte déjà de nombreux chiffres, mais nous n’avons pas de données détaillées sur les différents motifs qui justifient une procédure accélérée. Je propose la publication de statistiques détaillées en la matière

Durant les auditions, nous avons constaté des différences entre les chiffres avancés par les associations et ceux de l’OFPRA. Je pense, par exemple, au nombre de décisions de rejet concernant les demandeurs qui se brûlent pour détruire leurs empreintes digitales, alors que ces faits ne devraient pas avoir de conséquences sur le fond des dossiers, mais constituer uniquement un motif de mise en œuvre de la procédure accélérée, ce qui n’est déjà pas négligeable.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Défavorable. Non seulement l’introduction de demandes de rapport dans les projets de loi alourdit ces derniers, mais, en l’espèce, le directeur de l’OFPRA est en permanence disposé à fournir des informations sur les formations dispensées à ses agents évoquées dans l’exposé sommaire de votre amendement, et sur les recours à la procédure accélérée.

La Commission rejette lamendement.

Chapitre III
Laccès à la procédure et les conditions daccueil des demandeurs dasile

Article 7
(art. L. 733-5, L. 741-1 et L. 741-2-1 [nouveau] du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile)
Choix de la langue pour lentretien individuel – Demandes dasile au nom denfants mineurs

Résumé du dispositif et effets principaux :

L’article 7 comprend deux dispositions importantes participant à la réduction des délais. La première prévoit que le choix de la langue par le demandeur d’asile pour l’entretien individuel devant l’OFPRA se fait dès le stade de l’enregistrement de sa demande. La seconde prévoit qu’une demande d’asile présentée par un étranger accompagné de ses enfants mineurs soit regardée comme présentée au nom de ses enfants, afin d’éviter le dépôt de demandes d’asile successives.

Dernières modifications législatives intervenues :

Les modalités d’enregistrement de la demande d’asile ainsi que celles de son dépôt ont été modifiées par la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d’asile.

Modifications apportées par la commission des Lois :

La Commission a adopté plusieurs amendements rédactionnels de votre rapporteure.

1.   Le choix de la langue pour l’entretien individuel

a.   L’état du droit

Ces garanties sont précisées à l’article 15 de la directive et comprennent notamment la présence d’un interprète « capable dassurer une communication appropriée entre le demandeur et la personne qui mène lentretien. » La communication doit ainsi avoir lieu dans la langue « dans laquelle le demandeur a manifesté une préférence sauf sil existe une autre langue quil comprend et dans laquelle il est à même de communiquer clairement ».

Ces dispositions ont été transposées à l’article L. 723-6 du CESEDA qui dispose que, lors de son entretien à l’OFPRA, le demandeur « est entendu dans la langue de son choix, sauf sil existe une autre langue dont il a une connaissance suffisante ».

Au moment où il fait enregistrer sa demande d’asile par l’autorité préfectorale, celle-ci renseigne dans un dossier informatique les éléments d’identité du demandeur ainsi que la langue dans laquelle il s’exprime. Ces informations sont transmises à l’OFPRA.

Le demandeur dispose alors de 21 jours pour déposer le dossier de demande d’asile auprès de l’Office et choisit, parmi plus d’une centaine de langues disponibles, la langue dans laquelle il souhaite que l’entretien personnel se déroule.

À sa réception, l’Office vérifie la complétude du dossier et prend en compte le choix de la langue effectué par le demandeur pour prévoir la présence d’un interprète le jour de l’entretien et envoyer sa convocation au demandeur. C’est donc cette étape qui fige le choix pour l’entretien, les informations transmises par la préfecture étant purement indicatives. D’après les informations recueillies par votre rapporteure, 50 à 60 % des langues renseignées en préfecture ne sont pas celles dans lesquelles se déroule finalement l’entretien à l’OFPRA.

b.   Le dispositif proposé

Comme l’a expliqué son directeur général, M. Pascal Brice, à votre rapporteure, il s’agit de permettre à l’OFPRA de préparer plus en amont les convocations aux entretiens individuels et de gagner ainsi quelques semaines sur les délais d’instruction. L’Office n’aura en effet plus à attendre le dépôt de son dossier pour connaître le choix opéré par le demandeur et solliciter un interprète – ce qui, compte tenu du nombre d’entretiens se déroulant chaque jour à l’Office, nécessite une programmation sur plusieurs semaines.

L’alinéa 8 introduit à cette fin un nouvel article L. 741-2-1 qui précise que, lors de l’enregistrement de sa demande d’asile, « létranger est informé des langues dans lesquelles il peut être entendu lors de lentretien personnel mené par lOffice » et qu’il « indique celle dans laquelle il préfère être entendu ».

En vue de remédier aux changements imprévus de la langue de procédure en cours d’instruction, « souvent effectués à titre dilatoire par des demandeurs de mauvaise foi » ainsi que le souligne le Conseil d’État dans son avis sur le projet de loi, ce nouvel article précise également que ce choix de la langue est « opposable » au demandeur pendant toute la durée d’examen de la demande. Aussi, dans le cas où le choix du demandeur ne pourrait être satisfait, il sera entendu « dans une autre langue dont il a une connaissance suffisante », ainsi que le prévoient la directive « Procédures » et l’article L. 723-6 du CESEDA.

Pour qu’il se passe dans de bonnes conditions, ce choix de la langue d’entretien dès le stade de l’enregistrement impliquera nécessairement un effort de formation et d’accompagnement à l’égard des agents des préfectures en charge de cette procédure. L’OFPRA, qui dispose aujourd’hui de cette expertise, devrait pouvoir être sollicité. Son directeur général a indiqué à votre rapporteure qu’il y était tout à fait disposé, tandis que les représentants du syndicat Force ouvrière ont précisé qu’ils souhaitaient que les officiers de protection de l’OFPRA puissent apporter, au moins dans un premier temps, un appui aux agents des préfectures.

L’alinéa 2 du présent article complète en effet l’article L. 733-5 du CESEDA pour prévoir que, si le requérant « a été dans limpossibilité de se faire comprendre lors de lentretien » et « que ce défaut dinterprétariat est imputable à loffice », la Cour peut annuler la décision de l’OFPRA et lui renvoyer l’examen de la demande.

Les cas dans lesquels la Cour peut annuler une décision de l’OFPRA et lui renvoyer l’examen d’une demande d’asile, sans se prononcer sur le fond, sont aujourd’hui limitativement énumérés à l’article L. 733-5 : il s’agit des cas où l’Office a pris une décision sans procéder à un examen individuel de la demande ou en se dispensant d’un entretien personnel. En ajoutant cette condition relative à la langue de l’entretien, le présent article entend donc apporter toutes les garanties nécessaires au demandeur d’asile.

2.   Les demandes d’asile au nom d’enfants mineurs

Le du présent article complète l’article L. 741-1 afin de regarder une demande d’asile présentée par un étranger accompagné de ses enfants mineurs comme également présentée au nom de ceux-ci (alinéa 5). Il s’agit d’éviter le dépôt de demandes d’asile successives, au nom de leurs enfants, par des parents déboutés, sur la base des mêmes moyens, qui imposent à l’OFPRA un nouvel examen de chacune de ces demandes.

Un examen unique de l’ensemble de ces demandes permettra d’éviter des comportements dilatoires de la part de parents qui ont pour objectif de prolonger leur séjour sur le territoire français.

Sur la suggestion du Conseil d’État, l’alinéa 5 prévoit deux garanties en faveur des enfants :

– la première prévoit que, lorsque la demande de protection est présentée séparément par les deux parents, la décision opposable aux enfants mineurs est celle qui accorde la protection la plus étendue ;

– la deuxième permet aux enfants mineurs de renverser la présomption lorsqu’ils établissent que la personne à l’origine de leur demande n’avait aucun titre à la former pour leur compte : la décision statuant sur la demande de protection ne leur sera alors pas opposable.

*

*     *

La Commission examine lamendement CL84 de Mme Marietta Karamanli.

Mme Marietta Karamanli. Il s’agit de garantir que la personne entendue le sera dans sa langue.

L’article 7 du projet de loi introduit cette phrase dans le CESEDA : « Si la cour ne peut désigner un interprète dans la langue demandée, l’intéressé est entendu dans une langue dont il est raisonnable de penser qu’il la comprend. »

Nous estimons qu’il s’agit d’un grave recul qui porte atteinte à la possibilité pour la personne concernée de comprendre et de répondre de façon précise et circonstanciée aux questions et demandes qui lui sont adressées.

Pour avoir moi-même appris, adulte, une langue qui n’était pas ma langue maternelle, mais que je parle désormais couramment, je comprends les difficultés vécues par un étranger qui arrive sur notre territoire auquel on demande de répondre de manière très précise à de nombreuses questions.

C’est pourquoi mon amendement vise à supprimer les alinéas 1er et 2 de l’article 7.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Défavorable. Nous aurons un débat sur la question de la langue et sur les objectifs de l’article 7, mais je ne comprends pas bien que vous proposiez de supprimer son alinéa 2. En effet, celui-ci prévoit que le fait que le requérant n’ait pas été entendu dans la langue qu’il comprend constitue un motif d’annulation de la décision de l’OFPRA par la CNDA. Votre amendement me semble donc aller à l’encontre de vos propres souhaits, car l’alinéa 2 préserve les droits du requérant.

M. Pierre-Henri Dumont. Plusieurs responsables avec lesquels j’ai discuté dans ma circonscription m’ont indiqué qu’au moment du dépôt de la demande d’asile, la déclaration de certaines langues ne visait en fait qu’à faire durer la procédure. Évidemment, lorsque le demandeur déclare une langue pratiquée par seulement 5 000 ou 10 000 personnes dans le monde, il est assez difficile de trouver un interprète dans les délais impartis. Certains demandeurs qui savent ne pas vraiment relever de l’asile font traîner les choses en déclarant parler une langue rare.

La Commission rejette lamendement.

Elle adopte lamendement rédactionnel CL436 de la rapporteure.

Puis elle examine lamendement CL87 de Mme Marietta Karamanli.

M. Hervé Saulignac. Cet amendement vise à consacrer dans la loi le droit inconditionnel à l’accueil pour les demandeurs d’asile et, surtout, à inscrire leur droit à l’information, notamment en ce qui concerne la possibilité de bénéficier d’un hébergement d’urgence, d’un premier examen de santé, et de la possibilité d’être assisté par une association pour préparer le dépôt de leur demande d’asile. Ce devoir d’information nous semble indispensable pour que les droits en question soient effectifs.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Je partage d’autant plus votre objectif que j’ai déposé un amendement à l’article 9 visant à organiser la prise en charge avant même l’enregistrement de la demande d’asile, que ce soit en termes d’hébergement ou de suivi administratif et sanitaire. Mais je trouve votre amendement insuffisamment abouti par rapport à celui que je défendrai. Il existe déjà des plateformes d’accueil pour demandeurs d’asile (PADA) gérées par les associations, mais ce qu’elles proposent n’est pas non plus satisfaisant, et je souhaite aller plus loin. En conséquence, j’émets un avis défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Puis elle adopte successivement les amendements rédactionnels CL623, CL559, et CL580, tous les trois de la rapporteure.

Elle en vient à lamendement CL677 de M. Jean-Michel Clément.

Mme Sonia Krimi. Le délai fixé à l’article 6 de la directive de 2013 constitue l’une des principales mesures permettant de satisfaire l’objectif de raccourcissement des procédures. Il est donc nécessaire que son irrespect soit sanctionné, sauf si l’on entend permettre que certaines préfectures développent des pratiques allongeant de fait les délais légaux dans des proportions parfois considérables.

L’intervention d’opérateurs en amont, décidée par la loi du 29 juillet 2015, ne facilite en rien l’accès à l’enregistrement des demandes d’asile.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Nous avons tous constaté le dysfonctionnement des PADA, et nous souhaitons que le pré-accueil se passe mieux. Mon amendement à l’article 9 tentera d’y remédier, mais, le vôtre, en proposant de passer outre l’enregistrement au guichet unique pour demandeurs d’asile (GUDA), me semble aller très loin.

Je rappelle que l’étape d’enregistrement donne l’occasion de vérifier à partir de la borne Eurodac si le demandeur relève du régime dit de Dublin – ce dont l’OFPRA ne peut être chargé –, de délivrer une attestation qui autorise le demandeur d’asile à se maintenir sur le territoire, et de lui faire des propositions en termes de conditions matérielles d’accueil – par exemple en matière d’hébergement ou d’allocation.

Les services rendus pas les préfectures et par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) ne peuvent être mis à la charge de l’OFPRA qui a d’abord vocation à traiter le fond des demandes d’asiles. Je partage votre souhait, mais je ne saurai accepter votre amendement.

La Commission rejette lamendement.

Elle examine lamendement CL324 de M. Éric Coquerel.

Mme Danièle Obono. Nous proposons de supprimer les alinéas 6 à 8 de l’article 7 afin de garantir un droit procédural à nos yeux fondamental. En effet, ces alinéas obligent le requérant à faire, dès l’enregistrement de sa demande d’asile, le choix d’une langue qui vaudra durant toute la procédure.

Si l’on ne part pas du principe qu’il existe chez les demandeurs d’asile une volonté dilatoire – notre collègue ne parlait que de « certains » d’entre eux, mais la suspicion a tendance à se généraliser –, on en revient à la réalité décrite par les acteurs qui interviennent auprès des demandeurs d’asile. Ils nous expliquent combien le choix de la langue est un sujet délicat, y compris parce qu’il concerne le récit de personnes victimes de persécutions : il est plus facile de dire ce que l’on a subi dans un dialecte familier ; à l’inverse, les procédures font appel à une langue administrative qui ne relève pas du dialecte, et ne seront pas appréhendées de la même manière par le demandeur. Le sujet est d’autant plus sensible que le témoignage et la façon dont le demandeur raconte sa trajectoire participent de l’appréciation qualitative et du rendu de la justice. Imposer une langue dès le départ pour l’ensemble de la procédure, c’est nier cette réalité et la subtilité de cette expérience.

Ce choix nous semble par ailleurs contradictoire avec la volonté affichée par la majorité, lors des récents débats sur le projet de loi pour un État au service d’une société de confiance, de reconnaître un droit à l’erreur et la bonne foi de l’administré.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Comment les choses se passent-elles aujourd’hui ? Un premier choix en matière de langue est effectué en préfecture, mais les agents n’ayant pas de connaissances suffisamment fines en la matière, ce choix est affiné au cours des trois semaines dont le demandeur dispose pour préparer son dossier. Le choix définitif n’est même pas celui du dossier puisque l’agent de l’OFPRA le précise ensuite en fonction du village d’origine du demandeur, de son ethnie, etc.

Je ne vanterai jamais assez le professionnalisme de ces agents, et personne n’a intérêt à l’OFPRA à ce qu’il y ait des erreurs dans le choix de la langue puisque le but est d’entendre les demandeurs d’asile.

Nous proposons de gagner du temps en lançant les procédures d’interprétariat durant les trois semaines de constitution du dossier, et non à partir du moment où il arrive à l’OFPRA. L’enjeu est de transférer aux agents des préfectures la compétence en matière d’appréciation fine de la langue du demandeur. Le ministère de l’Intérieur a prévu des formations pour tous les personnels concernés sur le territoire afin que le choix de la langue puisse se faire dès l’enregistrement en guichet unique.

En tout état de cause, comme cela est déjà possible aujourd’hui, à tout moment, si l’agent de protection ne peut pas entendre le demandeur d’asile, il le reconvoquera. Puisque l’objectif est de gagner du temps, ni les agents de l’OFPRA ni l’État ne pourront se satisfaire d’une situation dans laquelle nous risquerions d’être confrontés en permanence à des erreurs.

En conséquence, je suis défavorable à cet amendement.

Mme Danièle Obono. Je reprends la parole parce que nous n’avons pas déposé beaucoup d’amendements.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Cela n’a rien à voir avec le nombre d’amendements, et vous avez largement dépassé votre temps de parole en présentant le vôtre !

Mme Danièle Obono. Les agents de l’OFPRA et les associations connaissent bien ces questions. Vous avez entendu les mêmes témoignages que nous sur les problèmes que pose le fait de conserver tout au long de la procédure la langue choisie dès le départ.

Personne ne remet en cause le professionnalisme des agents de l’OFPRA, et personne n’a remis en cause le professionnalisme des fonctionnaires lorsque le projet de loi sur le droit à l’erreur a été voté. Autrement dit, le débat n’est pas là.

La question est de savoir s’il faut garder la même langue tout au long de la procédure ; or je doute que les formations express dispensées aux agents de préfecture leur permettront réellement d’effectuer ce travail qualitatif. L’objectif n’est pas tant de gagner du temps, que de donner aux agents, les premiers aux prises avec ces difficultés, le temps qu’il faut pour accomplir un véritable travail, avec les moyens nécessaires.

La Commission rejette lamendement.

Elle adopte ensuite lamendement rédactionnel CL440 de la rapporteure.

Puis elle est saisie de lamendement CL591 de Mme Elsa Faucillon.

Mme Elsa Faucillon. Cet amendement vise à assurer aux demandeurs d’asile les garanties procédurales prévues par la directive « Procédures ». Les bases juridiques européennes applicables au droit d’asile prévoient un droit à l’information du demandeur d’asile « dans une langue qu’il comprend ou dont il est raisonnable de supposer qu’il la comprenne ». Or la nouvelle formulation retenue par le projet de loi – « dans une langue dont il a une connaissance suffisante » – laisse supposer que l’on pourrait se contenter de la simple connaissance d’une langue sans s’assurer que le demandeur d’asile la comprend réellement.

Il arrive que des traducteurs s’adressent à des demandeurs qui, sous la pression et en situation de vulnérabilité, ont déclaré comme étant la leur une langue qui s’apparente à leur langue maternelle, mais qu’ils ne comprennent pas parfaitement. Il doit être possible de substituer une langue à une autre sur le fondement du critère retenu par le droit européen.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Je répète qu’au début de l’entretien avec l’officier de protection, si ce dernier ne peut pas comprendre le demandeur d’asile, il le reconvoque – cela existe déjà.

Vous évoquez les normes européennes, madame Faucillon. Permettez-moi de vous lire un extrait de la directive : « La communication a lieu dans la langue pour laquelle le demandeur a manifesté une préférence, sauf s’il existe une autre langue qu’il comprend et dans laquelle il est à même de communiquer clairement. » Nous nous situons dans ce cadre. Avis défavorable.

Mme Elsa Faucillon. Je parlais de droit à l’information, sans chercher à tenir un discours de juriste. En revanche, nous devons tenir compte des réalités. Je ne parle pas du cas dans lequel la langue ne serait clairement pas la bonne – un demandeur qui, au lieu de parler farsi, se met à parler en arabe –, mais de ces pays dans lesquels cohabitent des langues très diverses, qui parfois se rapprochent. Un demandeur d’asile peut parfaitement comprendre l’une d’entre elles approximativement ; mais pour se défendre, il est infiniment préférable d’en choisir une que l’on maîtrise bien. Pour ma part, je « galère » un peu lorsque je dois argumenter en anglais… J’imagine ce que doit être la situation d’une personne vulnérable, en situation précaire, et qui de surcroît se sent dominée par son interlocuteur : elle peut être amenée à accepter de parler dans une langue qui n’est pas tout à fait la sienne. Nous demandons seulement qu’elle puisse dire : « En fait, je ne maîtrise pas bien cette langue, ma vraie langue, c’est celle-là, et je souhaiterais un interprète dans ma langue. » Voilà le sens de notre amendement.

M. Erwan Balanant. Selon l’alinéa 8, « la contestation du choix de la langue de procédure ne peut intervenir quà loccasion du recours devant la Cour nationale du droit dasile contre la décision de lOffice français des réfugiés et apatrides ».

J’ai assisté à un cas concret, en l’occurrence une audition d’un Pakistanais par un officier de l’OFPRA. Le demandeur d’asile parlait une langue locale assez rare, et l’interprète a dû demander que l’audition s’arrête en prévenant que la langue parlée n’était pas celle qui avait été notifiée. Par chance, il était également agréé pour cette langue et l’entretien a pu se poursuivre. C’est la preuve que l’on peut parfaitement se tromper. Imaginez que vous arrivez à Paris en venant du Soudan après être passé par l’Érythrée, la Lybie et avoir traversé les Alpes… Vous êtes épuisé, vous ne savez plus comment vous vous appelez, vous pouvez vous tromper de langue. Sera-t-il toujours possible de changer de langue ?

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Oui, il y a toujours et il y aura toujours… Il n’empêche que nous proposons de choisir la langue dès le départ de la procédure, et non vingt et un jours plus tard. En revanche, et dans l’intérêt même des officiers de protection qui ne pourraient pas exercer leur mission s’ils n’étaient pas en mesure d’entendre correctement le demandeur d’asile, la possibilité dont vous parlez existe et elle existera toujours. Nous ne la remettons pas en cause.

La Commission rejette lamendement.

Elle adopte successivement les amendements rédactionnels CL438 et CL441, tous les deux de la rapporteure.

La Commission est saisie de lamendement CL764 de Mme Sandrine Mörch.

Mme Sandrine Mörch. Près de la moitié des langues déclarées en préfecture ne correspondent pas à la réalité de la langue parlée par le demandeur d’asile. Ces erreurs sont notamment dues à la multiplicité des langues parlées et à la nécessité de recourir à des traducteurs experts pour identifier celle avec laquelle le demandeur pourra le plus aisément s’exprimer.

Cet amendement vise à maintenir le principe d’opposabilité de la langue déclarée en préfecture, tout en créant une exception en cas d’erreur de bonne foi de la part du demandeur. Devant l’OFPRA, une erreur de choix dans la langue au stade de la préfecture pourra ainsi toujours être corrigée. Comme l’a dit Pascal Brice lors de son audition, « il est important que l’OFPRA puisse modifier la langue opposable si les agents se rendent compte qu’il y a erreur ».

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Je trouve cet amendement vraiment intéressant dans l’esprit, mais j’aimerais que vous précisiez ce qu’est une erreur de bonne foi. On ne peut considérer qu’une erreur puisse être de mauvaise foi au moment de l’enregistrement.

Mme Sandrine Mörch. Nous parlons bien de personnes très vulnérables, dont nous connaissons mal les réactions. Dans la panique, le demandeur peut commettre une approximation ou une erreur qui le desservira.

Mme Elsa Faucillon. Je vais essayer de vous trouver un exemple parlant… Imaginez que vous arrivez de très loin ; quelqu’un vous parle ch’ti, vous n’en pouvez plus, vous avez enfin l’impression que vous pouvez comprendre, vous répondez que c’est votre langue ; à ceci près que vous ne la maîtrisez pas bien. Et lorsque l’on vous dit que vous êtes assis sur votre « caillèle », vous ne savez pas que vous êtes sur une chaise… Il faut tout simplement que vous puissiez dire, après l’enregistrement : « je me suis trompé, je ne parle pas ch’ti. »

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. J’ai maintenant parfaitement compris de quoi il était question… Mais du coup, cela vide la disposition de sa substance, car il ne peut dans ce cas y avoir d’erreur intentionnelle. Ce qui importe, c’est que les agents de la préfecture reçoivent une formation suffisante afin de pouvoir apprécier les conditions géopolitiques et prendre le temps de discuter avec la personne, afin qu’elle puisse choisir la bonne langue. C’est précisément ce que nous visons. Avis défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Elle examine lamendement CL83 de Mme Marietta Karamanli.

M. Hervé Saulignac. La question de la langue est fondamentale. En écoutant la rapporteure, j’ai une fois de plus le sentiment que ses propos se heurtent aux réalités qui nous sont rapportées. Les demandeurs peuvent se voir imposer une langue qu’ils auraient déclaré comprendre lors de leur enregistrement en préfecture. Il est très important qu’ils puissent en changer lorsqu’ils arrivent devant l’OFPRA ou la CNDA. Cet amendement vise à affirmer la possibilité d’être entendu dans la langue de son choix, y compris quand la procédure est avancée.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Pour les mêmes raisons, avis défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Elle adopte lamendement rédactionnel CL442 de la rapporteure.

Elle est saisie de lamendement CL456 de M. Cyrille Isaac-Sibille.

M. Cyrille Isaac-Sibille. Merci de m’accueillir au sein de votre commission. Cet amendement de bon sens devrait recueillir l’assentiment de tous. Il s’agit, en substituant au mot « a » les mots « reconnaît avoir », de souligner le consentement du demandeur à s’exprimer dans telle ou telle langue. Cela rejoint les explications que vous avez fournies tout à l’heure, madame la rapporteure.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Je suis désolée… Honnêtement, je ne vois pas l’utilité d’une telle rédaction. D’où mon avis défavorable.

M. Cyrille Isaac-Sibille. La différence entre « a » et « reconnaît avoir », c’est que le demandeur affirme vouloir s’exprimer dans cette langue. Cette subtilité est importante et va dans votre sens.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Vous ne m’avez pas convaincue…

La Commission rejette lamendement.

Elle adopte successivement les amendements rédactionnels CL443, 474 et 475 de la rapporteure.

Enfin, elle adopte larticle 7 modifié.

Article 7 bis (nouveau)
(art. L. 742-4 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile)
Délai de contestation devant le juge administratif dune décision de transfert prise pour lapplication du règlement « Dublin »

L’article 7 bis, inséré dans le projet de loi à l’initiative de votre rapporteure et de députés membres des groupes La République en Marche et MODEM, est le premier d’une série d’articles additionnels qui reviennent sur des dispositions de la loi n° 2018 187 du 20 mars 2018 permettant une bonne application du régime d’asile européen insérées dans ce texte par le Sénat et qu’il était revenu à l’Assemblée nationale d’avaliser dans l’objectif d’une promulgation rapide.

Il s’agit ici de modifier l’article L. 742-2 du CESEDA afin de rétablir le délai de quinze jours, réduit à sept, pour la contestation d’une décision de transfert vers l’État responsable de l’examen d’une demande d’asile prise en application du règlement « Dublin ».

*

*     *

La Commission est saisie des amendements identiques CL922 de la rapporteure, CL515 de M. Matthieu Orphelin, CL826 de M. Florent Boudié et CL855 de M. Erwan Balanant, portant article additionnel après larticle 7.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Nos amendements étant identiques, je laisse à Mme Dubost le soin de les défendre.

Mme Coralie Dubost. En première lecture de la proposition de loi permettant une bonne application du régime d’asile européen, nous étions sur une ligne de crête où les critères objectifs définissant les « raisons de craindre la fuite du demandeur d’une protection internationale qui fait l’objet d’une procédure de transfert » semblaient trouvés. Le Sénat ayant procédé à des modifications qui ne nous convenaient pas, le groupe La République en Marche et le ministre de l’Intérieur se sont engagés à revenir sur ces dispositions. Cet amendement vise donc à fixer à nouveau à 15 jours le délai de contestation devant le juge administratif d’une décision de transfert vers un autre État membre de l’Union européenne.

Mme Delphine Bagarry. Je retire l’amendement CL515.

M. Erwan Balanant. Il s’agissait effectivement d’une promesse de la majorité. Constatant avec satisfaction qu’elle est tenue, je retire mon amendement CL855, déposé par précaution.

Mme Émilie Chalas. La position que j’avais exprimée en commission lors de l’examen de la proposition de loi Warsmann est aujourd’hui satisfaite. Je remercie le groupe La République en Marche et le Gouvernement d’avoir tenu leurs engagements.

M. Guillaume Larrivé. Avez-vous conscience de ce que vous êtes en train de faire ? Vous proposez d’abroger la disposition d’une loi votée par votre majorité et publiée au Journal officiel il y a seulement deux semaines, le 21 mars !

J’ai écouté avec grande attention le discours du nouveau président de la République devant le Congrès de Versailles. Il nous a fait la leçon, évoquant le nouveau monde, invitant le législateur à la vertu et à la simplification… Et ce soir, vous dites : « Cette loi est nulle, il faut l’abroger ! ». Je vois bien la logique du « en même temps » à l’œuvre : on envoie un signal médiatique de dureté, de fermeté, d’efficacité, et quinze jours plus tard, le message contraire. Tout cela est franchement grotesque et ne ressemble à rien !

M. Pierre-Henri Dumont. Après avoir entendu notre collègue Larrivé parler de la forme, permettez-moi un petit point sur le fond.

Nous savons tous que le règlement Dublin n’est pas appliqué. Avec 4,8 % de transferts en 2016, le nombre d’étrangers renvoyés dans les États membres équivaut, à une ou deux unités près à ceux, qui sont revenus en France par la même procédure. Nous voyons bien, dans nos circonscriptions, que les migrants qui pourraient demander l’asile ne le font pas car ils ont peur de se trouver « dublinés ». Je voudrais savoir quelle position le Gouvernement compte adopter sur cette question, dans le contexte du Brexit. Quelles sont les perspectives de travail au sein de l’Union européenne ? Quel type de relations établirons-nous avec notre voisin britannique ? C’est une question majeure pour le Calaisis et la Normandie.

M. Erwan Balanant. Monsieur Larrivé, vous réécrivez l’histoire : vous savez très bien que le Gouvernement s’est engagé dès le début à revenir sur les dispositions votées au Sénat. Il ne s’agit pas d’abroger une loi que nous trouverions nulle.

Mme Coralie Dubost. Je rappelle que la proposition de loi sur le régime d’asile européen répondait avant tout à une urgence, la Cour de cassation étant venue signifier un manquement dans l’ordre légal. Le Sénat y a ajouté des dispositions inutiles, injustes et injustifiées. Nous souhaitions les supprimer en deuxième lecture, mais par souci de pragmatisme et étant donné la procédure parlementaire actuelle – les choses peuvent changer –, nous nous sommes résolus à voter ce texte conforme.

Cela ne nous empêche pas d’être aujourd’hui dans l’efficacité et la justesse.

Mme Martine Wonner. Je tiens à remercier Mme la ministre Jacqueline Gourault, avec qui j’ai échangé lors de la défense des amendements sur cette proposition de loi.

M. Guillaume Larrivé. Si vous considérez que c’est un grand progrès pour le débat parlementaire et la légistique que de modifier le 5 avril une loi publiée au Journal officiel le 21 mars, je vous adresse mes chaleureuses félicitations ! On sent que le nouveau monde installe une nouvelle forme de démocratie, techniquement très solide… C’est brillant, vraiment !

M. Ugo Bernalicis. La majorité avait choisi pour véhicule une proposition de loi, ce qui épargnait au passage une étude d’impact, en utilisant la niche parlementaire d’un groupe qui n’est pas exactement de la majorité… Le but était de gagner du temps. Quinze jours plus tard, elle propose de revenir sur certaines dispositions : il est clair que, pour ce qui est de la méthode, ce n’est pas dingue.

M. Philippe Gosselin. Si justement, ça l’est !

M. Ugo Bernalicis. Effectivement. Je me souviens que plusieurs groupes avaient défendu des amendements pour alerter sur ce sujet ; mais nous avons été méprisés, comme d’habitude, par sectarisme. Nous aurions pu nous économiser ces quinze jours, seulement voilà : l’Histoire s’est écrite autrement.

Les amendements CL515 et CL855 sont retirés.

La Commission adopte les amendements identiques CL922 et CL826. Larticle 7 bis est ainsi rédigé.

Article 8
(art. L. 7431, L. 743-2, L. 743-3 et L. 743-4 du code de lentrée et du séjour des étrangers
et du droit dasile)
Droit au maintien sur le territoire pendant lexamen de la demande dasile

Résumé du dispositif et effets principaux :

L’article 8 précise que le droit au maintien sur le territoire cesse dès la lecture en audience publique de la décision de la CNDA. Il étend par ailleurs les cas dans lesquels une décision prise par l’OFPRA sur la demande d’asile met fin au droit au séjour sur le territoire. Il prévoit dans ce cas une procédure qui permet à l’étranger de suspendre la mesure d’éloignement prononcée à son encontre, le temps que la CNDA examine son recours.

Dernières modifications législatives intervenues :

Les conditions permettant à l’étranger de bénéficier du droit à se maintenir sur le territoire français ont été complétées par la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d’asile.

Modifications apportées par la commission des Lois :

La Commission a adopté deux amendements rédactionnels de votre rapporteure.

1.   L’état du droit

a.   Le droit au maintien sur le territoire conditionné à l’obtention d’une attestation de demande d’asile

Cette première attestation est délivrée pour une période d’un mois ([35]), ce qui lui laisse le temps de déposer sa demande auprès de l’OFPRA, ce dépôt devant intervenir dans un délai de 21 jours à compter de l’enregistrement de la demande en préfecture ([36]).

L’article L. 743-1 du CESEDA prévoit que l’attestation est ensuite renouvelée jusqu’à ce que l’Office et, le cas échéant, la CNDA, statue. Dans les faits, elle est renouvelée une première fois pour une durée de neuf mois puis par périodes de six mois, sauf dans les cas où l’Office statue en procédure accélérée, auquel cas l’attestation est renouvelée une première fois pour une durée de six mois puis par périodes de trois mois ([37]).

Le droit du demandeur d’asile à se maintenir sur le territoire prend fin, ainsi que le précise l’article L. 743-1, à la notification de la décision de l’Office ou, si un recours a été formé, à la notification de la décision de la CNDA.

– l’OFPRA a pris une décision d’irrecevabilité en application de l’article L. 723-10, c’est-à-dire lorsque le demandeur bénéficie déjà d’une protection au titre de l’asile dans un autre État membre ou d’une protection effective dans un État tiers ou lorsque sa demande de réexamen ne repose sur aucun élément nouveau ;

– l’OFPRA a pris une décision de clôture en application de l’article L. 723-11 (retrait de la demande d’asile, refus délibéré et caractérisé de transmettre des informations essentielles au traitement de sa demande, ou dépôt tardif de la demande auprès de l’OFPRA à la suite de son enregistrement à la préfecture). Toutefois, le demandeur qui obtient la réouverture de son dossier bénéficiera d’une nouvelle attestation ;

– l’étranger n’a introduit une première demande de réexamen qu’en vue de faire échec à une mesure d’éloignement ;

– l’étranger présente une nouvelle demande de réexamen après le rejet définitif de la première demande de réexamen ;

– l’étranger fait l’objet d’une extradition ou est livré à ou extradé vers soit un autre État membre en vertu des obligations découlant d’un mandat d’arrêt européen ou pour d’autres raisons, soit un pays tiers, soit une cour ou un tribunal pénal(e) international(e).

b.   L’obligation de quitter le territoire en cas de refus ou de retrait de l’attestation de demandeur d’asile

Il précise également que la personne dont l’attestation de demande d’asile a été refusée ou retirée par l’OFPRA dans les cas prévus par l’article L. 743-2 ne bénéficie plus du droit au maintien sur le territoire et doit donc également quitter le territoire.

La conséquence est qu’un éventuel recours devant la CNDA contre ces décisions de refus ou de retrait d’attestation prises par l’OFPRA ne revêt pas, dans ces cas, de caractère suspensif.

2.   Le dispositif proposé

Comme le souligne le Conseil d’État dans son avis sur le projet de loi, cette « disposition se borne à inscrire dans le droit positif une réalité juridique que la jurisprudence du Conseil dÉtat (n° 138967 du 26 novembre 1993, Préfet de police de Paris, aux Tables) avait dores et déjà reconnue : la lecture de la décision, sans conséquence par elle-même sur la computation des délais de recours, qui ne commencent à courir quà compter de la notification, permet en droit de tirer toutes les conséquences de la décision intervenue et, par exemple, de prendre sans attendre une mesure déloignement. »

Dans les faits, cette disposition permettra cependant de ne plus attendre la notification de la décision de la CNDA pour prendre les mesures appropriées en matière d’éloignement et des conditions matérielles d’accueil.

Seront ainsi désormais visés les cas dans lesquels :

– l’OFPRA a pris une décision d’irrecevabilité en application du 3° de l’article L. 723-11, c’est-à-dire lorsque la demande de réexamen ne correspond pas aux conditions fixées par le code (alinéa 5) ;

– l’Office a pris une décision de rejet lorsqu’il statue en procédure accélérée, de plein droit ([38]) ou lorsque la présence en France du demandeur représente une menace grave pour l’ordre public, la sécurité publique et la sûreté de l’État (alinéa 7) ;

– l’Office a pris une décision de rejet ou d’irrecevabilité dans les conditions prévues par le nouvel article L. 571-4, introduit par l’article 18 du présent projet de loi (alinéa 8).

Cela signifie que dans ces trois nouveaux cas, l’étranger ne bénéficiera plus du droit à se maintenir sur le territoire, sera susceptible de faire l’objet d’une mesure d’éloignement, ainsi que le prévoit l’article L. 743-3, et que les recours devant la CNDA contre ces décisions de l’OFPRA ne revêtiront plus de caractère suspensif.

Ainsi que le souligne l’étude d’impact du projet de loi, aucune norme constitutionnelle nexige un recours pleinement suspensif devant le juge de lasile contre les décisions prises par lOFPRA rejetant une demande dasile. Le Conseil constitutionnel a ainsi considéré « quau regard des exigences de valeur constitutionnelle de sauvegarde de lordre public, le législateur pouvait, dès lors quil garantissait la possibilité dun recours, prévoir que lintéressé naurait pas droit à être maintenu pendant lexamen de ce recours sur le territoire français » (décision n° 93-325 DC du 13 août 1993, considérant 87). Cette jurisprudence a été confirmée par la décision n° 2003-485 DC du 4 décembre 2003 (considérant 56).

De même aucune norme internationale n’impose un recours pleinement suspensif contre les décisions de refus d’asile et la seule obligation découlant de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme est que, lorsqu’un État décide de renvoyer un étranger vers un pays où il existe des motifs sérieux de croire qu’il serait exposé à un risque réel de traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH), les intéressés doivent disposer d’un recours de plein droit suspensif contre l’exécution de la mesure permettant leur renvoi.

L’examen du risque réel de traitements contraires à l’article 3 de la CEDH est aujourd’hui effectué par le juge administratif lorsqu’il statue sur des OQTF.

Dans les cas prévus par les alinéas 5 et 7 du présent article, l’étranger pourra demander au magistrat statuant sur son obligation de quitter le territoire (OQTF) de suspendre l’exécution de la mesure d’éloignement jusqu’à l’expiration du délai de recours devant la CNDA ou, si celle-ci est saisie, jusqu’à la décision de celle-ci (alinéa 10).

Pour qu’il puisse être statué sur ces sursis, il sera demandé à l’étranger de présenter « des éléments sérieux de nature à justifier, au titre de sa demande dasile, son maintien sur le territoire durant lexamen de son recours par la Cour ». L’examen auquel procédera le juge administratif sera alors très proche de celui qu’il effectue aujourd’hui lorsqu’il statue sur une OQTF et qu’il apprécie le risque réel de traitements contraires à l’article 3 de la CEDH.

Dans ce cas, l’étranger pourra saisir le juge administratif, dans un délai de quarante-huit heures suivant son assignation à résidence ou son placement en rétention, pour demander la suspension de la mesure d’éloignement jusqu’à l’expiration du délai de recours devant la CNDA ou, si celle-ci est saisie, jusqu’à la décision de celle-ci.

La suspension de la mesure d’éloignement mettra fin à l’assignation ou à la rétention, sauf dans le cas prévu au 5° du III de l’article L. 723-2, c’est-à-dire si la présence en France de l’étranger représente une menace grave pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l’État (alinéa 16).

Un décret en Conseil d’État précisera les modalités de mise en œuvre de ce recours suspensif ainsi que les modalités de prise en compte de la vulnérabilité du demandeur d’asile (alinéa 17).

*

*     *

La Commission est saisie des amendements de suppression CL86 de Mme Marietta Karamanli, CL325 de M. Bastien Lachaud et CL584 de Mme Elsa Faucillon.

Mme Cécile Untermaier. Le projet de loi prévoit que le recours devant la CNDA n’aura plus un caractère automatiquement suspensif, ce qui revient à rendre non suspensifs la quasi-totalité des recours des demandeurs d’asile en procédure accélérée. Ce dispositif tend à complexifier les procédures contentieuses, dans la mesure où l’étranger pourra contester devant le tribunal administratif le caractère non suspensif de son recours devant la CNDA.

Ce texte devrait être l’occasion de simplifier les procédures, afin d’alléger la tâche du magistrat dans le cadre du contentieux. Il importe surtout de préserver l’effectivité du recours, laquelle, selon la CEDH, « implique des exigences de qualité, de rapidité et de suspensivité ». La CEDH, selon une jurisprudence constante, considère que le recours de plein droit doit être suspensif. D’où notre amendement de suppression CL86.

M. Ugo Bernalicis. Notre amendement de suppression CL325 vise à garantir l’effectivité du recours. Le principe même du droit d’asile est de pouvoir rester sur le territoire français, ce droit au séjour permettant à la personne d’être en sécurité. Il est contestable, politiquement et juridiquement, de remettre en cause par des moyens de procédure l’objet même d’un droit fondamental.

Qui plus est, en énumérant les cas où le recours suspensif peut être écarté, l’article 8 mélange des situations fort différentes : les demandeurs présentant une menace grave pour l’ordre public, ceux dont la demande de réexamen aura été rejetée et les ressortissants de pays d’origine sûrs, tous sont mis dans le même panier. Cela participe d’une atmosphère politique de suspicion généralisée envers les demandeurs d’asile. Il n’est d’ailleurs pas anodin que le texte fasse l’amalgame entre étrangers et demandeurs d’asile : l’idée sous-jacente, on l’aura compris, est de profiter de la crise d’hystérie médiatique sur l’accueil des réfugiés pour introduire dans notre législation des atteintes graves aux droits des étrangers.

L’amendement CL325 s’appuie sur l’avis du Conseil d’État, qui invite le Gouvernement à revenir sur cette mesure. Rappelons que le Conseil d’État a mis en cause l’opportunité même de ce projet de loi.

Mme Elsa Faucillon. L’article 8 prévoit que le droit au maintien cesse dès la lecture en séance publique de la décision de la CNDA. Cette mesure contrevient au droit à un recours effectif et permet l’expulsion d’un demandeur d’asile, quand bien même il n’aurait connaissance ni du sens de la décision ni du contenu de sa motivation.

On assiste ainsi à un glissement du contentieux de l’asile vers le contentieux administratif, illisible et source de nouveaux contentieux dans la mesure où il entraîne un examen en parallèle des mêmes éléments par des juges distincts, avec le risque que les deux procédures débouchent sur des décisions contradictoires. Pour le respect du droit et pour l’objectif d’efficacité, je propose par mon amendement CL584 de supprimer l’article 8.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. L’article 743-2 du CESEDA prévoit déjà un recours non suspensif lorsque l’OFPRA a pris une décision d’irrecevabilité au motif que le demandeur bénéficie déjà d’une protection dans un État tiers, qu’il présente une nouvelle demande de réexamen après le rejet définitif de sa première demande, ou qu’il fait l’objet d’un mandat d’arrêt européen. Dans ces cas, le demandeur se voit retirer son attestation de demande d’asile et, par conséquent, son droit au maintien sur le territoire.

L’article 8 prévoit d’ajouter à cette liste de recours non suspensifs les demandeurs ressortissants de pays d’origine sûrs ou ceux présentant une menace pour l’ordre public. Cela reste conforme à nos obligations constitutionnelles et conventionnelles : le Conseil constitutionnel a considéré que la possibilité de recours non suspensif était conforme à la Constitution.

L’article 8 ajoute à ce dispositif la possibilité, pour le juge administratif statuant sur l’obligation de quitter le territoire français (OQTF), de suspendre l’exécution de la mesure d’éloignement jusqu’à ce que la CNDA statue. Notons que le juge administratif est compétent dans ce domaine puisqu’il est déjà tenu, lorsqu’il est saisi pour l’exécution d’une OQTF, de vérifier que la personne ne risque pas d’être renvoyée dans un pays où elle pourrait subir des tortures. Avis défavorable.

Mme Danièle Obono. Madame la rapporteure, nous n’avons pas de problème de compréhension du texte ; nous l’avons bien lu, tout comme le Conseil d’État, les associations, les avocats, et le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, qui lui-même pointe cette mesure dans sa critique sévère de la loi. Toutes les personnes que nous avons auditionnées ont critiqué cette mesure, estimant qu’elle était, dans la pratique, contraire à l’objectif primordial – protéger la personne et assurer ses droits. Vous dites nous écouter, mais vous n’entendez pas nos arguments ; votre réponse en est la preuve, puisque vous ne dites pas ce sur quoi votre rejet est fondé.

M. Jean Terlier. Il existe bien, dans l’ordre judiciaire et dans l’ordre administratif, des décisions de justice exécutoires de plein droit. Aussi ne faut-il pas donner plus d’importance que cela à cette pratique, d’autant que le juge administratif peut décider d’en suspendre provisoirement l’exécution. Toutes les garanties sont apportées et cette mesure est parfaitement adaptée.

La Commission rejette les amendements CL86, CL325 et CL584.

Elle est saisie de lamendement CL85 de Mme Marietta Karamanli.

Mme Marietta Karamanli. Cet amendement vise à conférer un caractère systématiquement suspensif aux recours portés devant la CNDA. Le nouveau dispositif n’offre pas la garantie que le demandeur d’asile a pris connaissance de la décision de la CNDA. Par ailleurs, l’effectivité du droit au recours, principe reconnu et appliqué par la CEDH, est mise à mal par cet article.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Vous proposez d’abroger une disposition votée par une majorité à laquelle vous apparteniez… Avis défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Elle examine les amendements CL711 et CL716 de Mme Delphine Bagarry.

Mme Delphine Bagarry. L’amendement CL711 vise à supprimer l’alinéa 2 afin de rendre la décision de la CNDA exécutoire à compter de sa notification à l’intéressé, et non à compter de la lecture en audience publique. La plupart des demandeurs n’assistent pas à cette audience ; dès lors, comment peuvent-ils prendre connaissance de leurs droits et des conséquences de la décision de la CNDA ? Certes, il est nécessaire d’aller vite, mais pas au risque de bâcler la procédure, et pas au détriment des droits des personnes.

L’amendement CL716 est de repli. Afin que l’intéressé puisse prendre connaissance de ses droits et des motifs de la décision, il doit se la voir notifiée. Nous proposons d’adopter le même formalisme que celui proposé pour la convocation ou pour la notification des décisions de l’OFPRA : une notification par le moyen choisi par le demandeur ou, par défaut, par tout moyen.

La notification par tout moyen permet de garantir effectivement les droits des demandeurs par le biais de trois critères cumulatifs : elle doit être écrite, traçable et garantir la confidentialité.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Le Conseil d’État l’a souligné, nous nous bornons à inscrire dans la loi ce qui est déjà une réalité. Ce qui importe, et le juge l’a demandé, c’est que le droit au recours soit préservé.

La Commission rejette successivement les amendements CL711 et CL716.

Elle est saisie de lamendement CL201 de M. Philippe Gosselin.

M. Philippe Gosselin. L’article 8 permet de clarifier la situation du demandeur d’asile en lui permettant de se maintenir sur le territoire national dans l’attente d’une décision définitive de la CNDA. Mais pendant cette durée, l’intéressé peut se soustraire aux autorités nationales. Cet amendement prévoit donc que l’étranger peut faire l’objet d’un arrêté d’assignation à résidence.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Avis défavorable. Il n’y a pas de raison d’être assigné à résidence tant que la CNDA n’a pas rendu sa décision ; ce serait totalement contraire au droit des personnes.

La Commission rejette lamendement.

Elle examine lamendement CL737 de Mme Delphine Bagarry.

Mme Delphine Bagarry. Cet amendement vise à maintenir le caractère suspensif du recours devant la CNDA si le demandeur est ressortissant d’un pays d’origine sûr, et en cas de demande de réexamen.

L’aménagement du caractère systématiquement suspensif du recours devant la CNDA pourrait mener à des situations dans lesquelles la personne serait renvoyée dans son pays d’origine avant de voir son statut reconnu par la CNDA par la suite, ce qui est absurde, vous en conviendrez.

Quelle responsabilité pourrons-nous assumer si une personne est reconnue persécutée après que nous l’ayons renvoyée dans son pays d’origine, et qu’elle y subit des tortures, qu’elle y est emprisonnée, ou pire ? Le caractère sûr d’un pays n’est pas aussi… sûr pour toutes les personnes qui en sont originaires.

Suivant lavis défavorable de la rapporteure, la Commission rejette lamendement.

Elle en vient à lamendement CL458 de Mme Laurence Vichnievsky.

Mme Laurence Vichnievsky. Si vous me le permettez, madame la présidente, je défendrai également les amendements CL896 et CL897, qui forment un tout. Ces amendements ont pour objet de supprimer les alinéas 7, 9, 10 et 13 à 17 de l’article 8.

Nous en avons déjà beaucoup parlé. Il est proposé de supprimer ces dispositions de l’article 8 du projet de loi, qui limite le caractère suspensif du recours du demandeur d’asile devant la CNDA.

Vous l’avez indiqué, madame la rapporteure, vous avez élargi les cas de suppression du caractère suspensif qui existaient déjà. Cela appelle plusieurs observations, car concomitamment à l’élargissement de ces dispositifs, il a été prévu une procédure devant le président du tribunal administratif permettant à l’étranger de se maintenir sur le territoire jusqu’au prononcé de la décision de la CNDA s’il présente des éléments sérieux de nature à justifier son maintien sur le territoire durant l’examen de son recours par la Cour.

Première observation : si la disposition envisagée est susceptible de sécuriser l’éloignement du territoire de l’étranger en situation irrégulière, elle ne satisfait pas l’accélération du traitement de sa demande d’asile.

Deuxième observation : le Gouvernement n’a pas suivi l’avis du Conseil d’État, qui recommandait instamment que la procédure tendant au maintien de l’étranger sur le territoire durant l’examen de son recours soit soumise au juge de l’asile, la CNDA, plutôt qu’au juge de l’éloignement, le tribunal administratif. On imagine les conflits de juridictions et de décisions qui pourraient intervenir.

Le droit au recours effectif a déjà été évoqué. Mais quelle est l’effectivité du recours d’un demandeur d’asile devant la CNDA si, lorsque la Cour statue au fond, il a déjà été éloigné du territoire, en pratique vers son pays d’origine ?

Pour conclure, le droit à un recours effectif consiste à voir le juge statuer de manière utile sur le fond de ce recours et non à voir le juge – et a fortiori un autre juge – statuer sur la seule question du caractère sérieux d’un tel recours.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Un étranger peut toujours saisir le juge de l’OQTF le concernant. Je rappelle que l’article 3 de la CEDH prévoit qu’une personne ne peut en aucun cas être reconduite dans un pays où elle serait sujette à la torture ou des traitements inhumains ou dégradants. Le juge administratif est déjà tenu de vérifier ce point. Il est tout à fait compétent pour juger du caractère suspensif ou non d’un recours, et donc garantir le droit au recours effectif de toutes les personnes visées par cet article. Avis défavorable.

Mme Stella Dupont. Nous devons assurer le droit au recours effectif, et aussi simplifier les procédures, car nous cherchons à faciliter les choses. Revenir sur le caractère non suspensif, comme nous le faisons aujourd’hui, va rendre les choses plus compliquées car le demandeur aura deux recours à porter : un devant la CNDA, et l’autre devant le tribunal administratif. Nous allons engorger nos tribunaux, déjà totalement débordés. Il serait plus sage de nous en tenir au droit existant, plus pertinent et plus protecteur pour les demandeurs d’asile.

M. Raphaël Schellenberger. Je m’étonne de notre débat. Je comprends bien que nous sommes dans un État de droit et qu’il faut nous assurer du respect d’un certain nombre de procédures juridiques et administratives. Mais l’État de droit présuppose aussi des règles compréhensibles de tous pour qu’elles soient applicables. Des règles compréhensibles aussi bien par les étrangers demandeurs d’asile que par les Français qui peuvent s’étonner de la complexité de toutes ces procédures, qui aboutissent in fine à ce que des étrangers en situation irrégulière restent sur le territoire pendant des mois, voire des années, alors qu’ils sont déboutés du droit d’asile, sans que rien ne change ou ne bouge, tout cela parce que des procédures administratives se déroulent alors qu’ils devraient être éloignés du territoire.

Il faudra que nous arrivions à simplifier tout ce processus, de plus en plus complexe. Les possibilités de recours se multiplient : si le recours ne porte pas sur la décision, c’est la forme de la décision qui est contestée… À un moment, il faut dire stop, sinon c’est notre État de droit qui va s’effondrer.

La Commission rejette lamendement.

Elle en vient à lamendement CL457 de Mme Élodie Jacquier-Laforge.

Mme Élodie Jacquier-Laforge. Je ne vais pas revenir sur les arguments déjà présentés du droit au recours effectif et du fait que le juge administratif sera aussi amené à se prononcer sur le contentieux. Reste que l’abandon du caractère automatiquement suspensif du recours devant la CNDA pour la possibilité d’un recours porté devant les juridictions administratives sera la source d’un contentieux supplémentaire important. En effet, les recours devant la CNDA émanant de requérants issus de pays sûrs et les demandes de réexamen représentent près de 20 000 recours annuels.

En conséquence, mon amendement propose de maintenir le caractère suspensif des recours formés par les requérants issus de pays sûrs et de ceux formés à la suite d’une demande de réexamen, afin d’empêcher la création d’un contentieux supplémentaire auprès des juridictions administratives, déjà surchargées de requêtes relatives au droit d’asile et au droit des étrangers.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Avis défavorable, pour les motifs développés précédemment.

La Commission rejette lamendement.

Elle examine lamendement CL722 de M. Christophe Blanchet.

Mme Typhanie Degois. Cet amendement vise, en application de l’article L.743-2, à rendre l’attestation de demande d’asile retirable ou refusable dans le cas où le demandeur présenterait un titre de séjour, titre de voyage ou titre d’identification personnel appartenant à un tiers, ou un titre d’identification personnel contenant des informations erronées.

Les demandeurs qui abusent volontairement des compétences de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides en se soustrayant à la conformité des procédures de demande d’asile, prenant de fait la place d’autres demandeurs devant être réellement accompagnés, doivent voir leur demande retirée ou le renouvellement de celle-ci refusée.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Le fait de présenter de faux documents est un motif de placement en procédure accélérée selon l’article L. 723-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Il est fort probable que, dans ce cas, cela conduise à une décision de rejet de la part de l’OFPRA, mais on ne peut en faire un motif d’éloignement du territoire à lui seul. Avis défavorable.

M. Raphaël Schellenberger. C’est un amendement de bon sens : quand on demande la protection de la République française, que l’on joue avec elle et que l’on fraude en essayant de manipuler l’administration, on n’est pas digne de bénéficier de la protection de notre République. Je voterai cet amendement.

La Commission rejette lamendement.

Elle en vient à lamendement CL57 de M. Fabien Di Filippo.

M. Fabien Di Filippo. Au cours des dernières heures, nous avons passé beaucoup de temps à parler des droits des migrants et des demandeurs d’asile avant, pendant et après la procédure, mais nous n’avons pas parlé du vrai défi qui s’impose à la France en matière migratoire : le nombre de personnes accueillies en France.

Si nous voulons bien accueillir les gens qui le méritent vraiment, du fait des persécutions qu’ils subissent ou des dangers qu’ils courent dans leur pays, il faut réduire drastiquement le nombre de candidats à l’asile sur notre sol. C’est pourquoi je propose d’ajouter un alinéa à l’article 8 interdisant tout recours pour les demandes d’asile en provenance de pays d’origine sûre.

Si nous voulons préserver un droit d’asile de qualité, qui s’applique aux seules victimes réelles et avérées de persécutions dans les pays d’origine, il faut absolument mettre en place cette mesure. Je pense notamment aux demandes massives issues de pays comme l’Albanie, ou des pays des Balkans, qui dévoient complètement la procédure du droit d’asile.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Avis défavorable. Cette mesure disproportionnée serait contraire à nos principes généraux du droit, à notre Constitution et à tous nos engagements internationaux. Avis défavorable.

M. Fabien Di Filippo. Je suis navré de l’avis de la rapporteure. Bien entendu, nous ne remettons pas en cause le droit d’asile, nous précisons seulement qu’il s’applique à certaines situations. Les personnes dans d’autres situations devront faire la demande avant de venir en France, et d’autres procédures peuvent s’appliquer aux cas qui ne relèvent pas du droit d’asile.

La Commission rejette lamendement.

Elle examine ensuite deux amendements identiques, le CL680 de M. Jean-Michel Clément et le CL896 de Mme Laurence Vichnievsky.

M. Jean-Michel Clément. Nous proposons la suppression des alinéas 9 et 10.

De nombreux demandeurs d’asile sont désormais privés de l’effet suspensif du recours qu’ils ont formé ; cela concerne un tiers des recours dont la Cour nationale du droit d’asile est saisie, alors que la France a été condamnée à de nombreuses reprises par la Cour européenne des droits de l’homme pour défaut de recours effectif et que la réforme de l’asile de 2015 visait justement à remédier cette carence.

Le mécanisme reposant sur la demande d’effet suspensif présentée au tribunal administratif saisi d’une requête en annulation de l’obligation de quitter le territoire français (OQTF), subséquente au refus par l’OFPRA, est en pratique très difficile à mettre en œuvre, ce qui a pour effet de fragiliser les droits de la défense.

Il risque également d’être inopérant, dans la mesure où le tribunal administratif, qui est soumis à un délai pour statuer de six semaines, est en pratique amené à se prononcer postérieurement au juge de l’asile qui, s’agissant d’une demande d’asile classée en procédure accélérée, doit examiner un recours dans un délai de cinq semaines au plus.

Nous avions pointé cette difficulté dans le rapport d’information que nous avions présenté avec Guillaume Larrivé, ce qui nous amènera à demander la suppression de l’OQTF dite « six semaines ».

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Avis défavorable, pour les raisons développées précédemment.

La Commission rejette les amendements.

Suivant lavis défavorable de la rapporteure, la commission rejette ensuite lamendement CL895 de Mme Laurence Vichnievsky.

Elle en vient à lamendement CL681 de M. Jean-Michel Clément.

M. Jean-Michel Clément. La mesure proposée à l’article 8 a pour effet de limiter de manière significative la possibilité de présenter une demande d’admission au séjour sur un fondement nouveau, suite à un refus de demande d’asile, par exemple lorsque l’intéressé justifie de l’existence de liens familiaux avec la France, d’une bonne intégration, ou rencontre de graves problèmes de santé.

Cette limitation s’inscrit dans la logique de l’accélération de la procédure au détriment des droits de la personne. C’est pour cette raison que je souhaite la suppression des alinéas 14 à 17 de l’article 8.

Suivant lavis défavorable de la rapporteure, la Commission rejette lamendement.

Elle adopte ensuite successivement les amendements rédactionnels CL492 et CL477 de la rapporteure.

Puis la Commission adopte larticle 8, modifié.

Après l’article 8

La Commission examine lamendement CL151 de M. Éric Ciotti.

M. Philippe Gosselin. Hier soir, un débat a été ouvert sur la liste des pays sûrs. Nous proposons par cet amendement qu’il revienne au Gouvernement d’arrêter cette liste.

Mme Élise Fajgeles, rapporteur. Nous avons en effet voté hier soir un amendement très important, précisant que la liste des pays d’origine sûrs ne pouvait comporter d’États où l’homosexualité était criminalisée ou pénalisée.

C’est le conseil d’administration de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) qui établit cette liste, et nous considérons qu’il convient de préserver son indépendance et sa capacité à la faire évoluer en fonction des changements géopolitiques et des recommandations du législateur.

Avis défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Elle examine ensuite les amendements identiques CL13 de M. Bernard Pancher et CL451 de M. Brahim Hammouche.

M. Bertrand Pancher. Il y a beaucoup de controverses sur la liste des pays sûrs, car certains posent des difficultés que l’on ne découvre que tardivement. Chacun sait que les migrants ne traversent pas des continents entiers pour leur simple plaisir. S’ils fuient, c’est qu’ils rencontrent des problèmes dans leur propre pays. Il importe d’introduire de la souplesse dans l’établissement de la liste, raison pour laquelle nous proposons qu’elle soit révisée tous les six mois.

M. Erwan Balanant. L’article L. 722-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) indique que la révision de la liste doit se faire « régulièrement ». Cela ne nous semble pas assez précis, et c’est pourquoi nous proposons de remplacer ce terme par « tous les six mois », périodicité qui permet une adaptation aux évolutions géopolitiques qui peuvent être rapides, notamment du fait des conflits.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. L’OFPRA a besoin de s’appuyer sur cet outil. Le réviser tous les six mois n’est pas envisageable. Avis défavorable.

La Commission rejette ces amendements.

Elle en vient à lamendement CL265 de M. Éric Ciotti.

M. Éric Ciotti. Le présent amendement propose de modifier le CESEDA afin que la décision définitive de rejet prononcée par l’OFPRA ou la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) vaille obligation de quitter le territoire français (OQTF), ce qui exclurait toute possibilité de déposer un recours ou de formuler une demande venant s’ajouter à la demande initiale.

Monsieur le ministre d’État, vous affichez l’objectif louable de réduire les délais d’instruction des demandes d’asile afin d’éviter que les personnes déboutées ne s’installent durablement sur notre territoire, ce qui rend leur éloignement beaucoup plus difficile. Vous évoquez une durée d’un an pour l’examen des demandes déposées devant l’OFPRA. Nous savons que la durée totale de toutes les procédures est, dans la réalité, proche de cinq ans à partir du refus de la demande d’asile. Je rappelais hier soir toutes les voies de contestation dont peut user un demandeur : l’OQTF décidée par l’autorité administrative après le refus de la CNDA peut faire l’objet de recours devant les tribunaux administratifs et devant les cours administratives d’appel. Le tableau que m’a dressé un conseiller d’État montre qu’il existe des dizaines de possibilités de recours, avec, en fin de parcours, un retour devant l’OFPRA.

Notre amendement vise à mettre un terme à cette situation ubuesque.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Rappelons que les personnes déboutées du droit d’asile perdent leur droit de maintien sur le territoire. Des OQTF peuvent être délivrées à l’issue du recours devant la CNDA.

La procédure que vous proposez serait trop rigide et trop peu protectrice, compte tenu des évolutions possibles dans les pays d’origine.

Avis défavorable.

M. Bertrand Pancher. Cher collègue, je ne sais pas si c’est votre cas, mais je reçois très régulièrement des demandeurs d’asile et des personnes déboutées. Je constate que, souvent, ils ne connaissent pas leurs droits et ont du mal à s’expliquer. J’ai rencontré la semaine dernière une vingtaine de Soudanais venus du Pas-de-Calais. En les écoutant, j’ai compris que beaucoup de procédures les dépassaient et qu’ils n’avaient pas pu faire les démarches dans les délais impartis. Humainement, il est absolument impossible de faire quoi que ce soit d’autre que de les maintenir sur le territoire.

Il faut faire en sorte que les décisions soient prises avec un minimum d’humanité.

M. Éric Ciotti. Madame la rapporteure, vous indiquez que des OQTF peuvent être délivrées à l’issue de la procédure devant la CNDA : encore heureux ! Quand une personne est déboutée, il relève de la responsabilité de l’autorité administrative d’envoyer une OQTF, sinon nous courons le risque de voir la procédure du droit d’asile dévoyée.

À vous écouter, monsieur Pancher, les déboutés devraient avoir le même statut que les réfugiés. Moi, je ne les place pas au même niveau. Les réfugiés doivent être aidés, ils doivent être accompagnés pour être insérés le mieux possible dans notre société car ils ont un statut noble que nous avons à défendre. En revanche, les déboutés, après que l’OFPRA a statué sur leur demande, après que la CNDA a rejeté leur recours – pour lequel ils ont pu recevoir une aide juridictionnelle – doivent voir leur parcours arrêté. Nous savons bien que certaines personnes utilisent les failles de notre droit et je ne peux pas partager votre analyse selon laquelle, madame la rapporteure, la délivrance automatique d’une OQTF serait trop peu protectrice.

Si la volonté que vous exprimez est sincère, monsieur le ministre d’État, il faut choisir la voie que nous indiquons.

M. Jean Terlier. L’amendement de M. Ciotti vise à modifier le CESEDA de manière que la décision définitive prononcée par l’OFPRA ou la CNDA vaille obligation de quitter le territoire français. Il ne faut pas tout mélanger : ce sont deux procédures différentes, qui appellent deux possibilités de recours différentes.

La Commission rejette lamendement.

Article 9
(art. L. 744-2 et L. 744-5 à L. 744-9 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile)
Orientation directive des demandeurs dasile

Résumé du dispositif et effets principaux :

L’article 9 entend améliorer le pilotage du dispositif national d’accueil. Il rend pour cela plus directif le schéma national d’accueil des demandeurs d’asile en prévoyant que celui-ci déterminera désormais la part des demandeurs d’asile accueillis dans chaque région. Il soumet également l’octroi des conditions matérielles d’accueil à des conditions plus restrictives : résidence effective dans la région vers laquelle le demandeur aura été orienté et bonne coopération avec les autorités françaises tout au long de la procédure d’asile.

Dernières modifications législatives intervenues :

Les articles L. 744-1 à L. 744-9 du CESEDA, relatifs aux conditions matérielles d’accueil, ont été introduits par la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d’asile.

Modifications apportées par la commission des Lois :

La Commission a adopté deux amendements de votre rapporteure pour, d’une part, inscrire dans la loi les dispositifs de pré-accueil qui permettent d’offrir aux étrangers un hébergement provisoire le temps que leur demande d’asile soit enregistrée et, d’autre part, encourager le Gouvernement à mettre fin à l’empilement des structures d’hébergement d’urgence pour les demandeurs d’asile. Par ailleurs, la Commission a adopté un amendement de votre rapporteure et du groupe La République en Marche qui clarifie les conditions d’orientation dans les régions de résidence et précise la procédure d’autorisation de sortie de ces régions.

1.   L’état du droit

a.   Les conditions matérielles d’accueil

L’article L. 744-1 du CESEDA prévoit que les conditions matérielles d’accueil, au sens de la directive « Accueil » du 26 juin 2013, sont proposées aux étrangers concernés, après l’enregistrement de leur demande d’asile, par l’Office français de l’immigration et l’intégration (OFII).

Ces conditions comprennent, selon les capacités disponibles, un hébergement, des prestations daccompagnement social et administratif ainsi que le versement dune allocation pour demandeurs dasile (ADA), prévue par larticle L. 744-9 du CESEDA. Le montant de lADA, fixé par décret, est de 6,80 euros par jour pour une personne seule, majoré de 5,40 euros si aucune place ne peut être proposée au sein du parc dhébergement pour demandeurs dasile. Selon létude dimpact du projet de loi, lADA a été versée à 122 000 personnes en décembre 2017, dont 66 500 ont bénéficié de la majoration visant à compenser labsence de lieu daccueil.

Le demandeur dasile bénéficie de ces conditions matérielles durant linstruction de sa demande, jusquà la décision définitive, hors hypothèses de retrait, suspension ou refus prévues à larticle L. 744-8.

b.   Le dispositif national d’hébergement

L’article L. 744-2 du CESEDA, introduit par la loi du 29 juillet 2015, prévoit que le Gouvernement arrête un schéma national d’accueil des demandeurs d’asile. Ce schéma national fixe la répartition des places d’hébergement destinées aux demandeurs d’asile sur le territoire national. Il est ensuite décliné au niveau régional.

Le premier schéma national d’accueil a été arrêté par le ministère de l’Intérieur le 21 décembre 2015 pour la période 2015-2017. Il avait fixé un objectif de 60 864 places à atteindre pour le 31 décembre 2017, dont 40 352 en centres d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA). Ces objectifs ont d’ores et déjà été dépassés puisque 69 811 places étaient disponibles au 1er juillet 2017.

Si le dispositif a fait l’objet d’un investissement indéniable au cours de ces dernières années, la capacité d’accueil demeure toutefois insuffisante puisque seuls 60 % des demandeurs étaient hébergés, dans ce cadre, en 2017. Le plan gouvernemental du 12 juillet 2017 comprend donc la création de 4 000 places supplémentaires en 2018, puis 3 500 en 2019.

Prévus par les articles L. 348-1 et suivants du code de l’action sociale et des familles, les centres d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA) sont des structures pérennes qui offrent aux demandeurs l’hébergement ainsi que des prestations d’accompagnement social et administratif.

L’hébergement d’urgence complète le parc des CADA. Il offre, dans certains cas, des prestations et des conditions d’accueil proches de celles observées en CADA et peut alors être considéré comme de l’hébergement pérenne, permettant une prise en charge des demandeurs tout au long de leur procédure. D’autres structures n’offrent en revanche pas de tels niveaux de prestations et sont alors destinées à accueillir, à titre transitoire, des demandeurs d’asile préalablement à leur admission éventuelle dans une structure d’hébergement pérenne.

Nombre de places disponibles dans le dispositif national d’accueil

Dispositifs dhébergement 

2014

2015

2016

2017

CADA

24 411

29 778

38 126

40 450

AT-SA

2 160

4 234

6 013

5 776

PRAHDA

-

-

-

5 351

CAO

-

967

10 370

10 130

Hébergement d’urgence déconcentré

22 894

18 868

17 400

18 514

Total

49 465

53 847

71 909

80 221

Source : ministère de l’Intérieur.

L’hébergement d’urgence comprend désormais quatre dispositifs :

– les places relevant du dispositif « Accueil temporaire-service de l’asile » (AT-SA). Elles sont majoritairement destinées à l’hébergement de demandeurs d’asile arrivant dans les zones accueillant les flux les plus importants, en particulier en Ile-de-France ;

– les places relevant du programme d’accueil et d’hébergement pour demandeurs d’asile (PRADHA), lancé en 2017 pour assurer l’accueil du plus grand nombre de demandeurs d’asile dans des conditions satisfaisantes ;

– les places en centres d’accueil et d’orientation (CAO), créés à partir de 2015 pour héberger de manière temporaire les migrants en situation de grande précarité évacués depuis le Calaisis. Ces places sont aujourd’hui principalement utilisées pour désengorger l’hébergement de la région Ile-de-France ;

– les places d’hébergement d’urgence gérées au niveau déconcentré par les préfets.

c.   Un système d’orientation directive qui n’empêche pas une polarisation dans quelques régions

Afin de donner une effectivité réelle au schéma national d’accueil et répartir ainsi la demande d’asile de façon équilibrée sur l’ensemble du territoire national, la loi du 29 juillet 2015 a mis en place un système d’orientation directive piloté par l’OFII.

L’article L. 744-7 du CESEDA conditionne à cette fin le bénéfice des conditions matérielles d’accueil à l’acceptation, par le demandeur, de l’hébergement qui lui est proposé. Les conditions matérielles d’accueil peuvent être suspendues si le demandeur quitte son hébergement sans motif légitime.

Force est de constater que, faute de places d’hébergement en nombre suffisant, ce système n’a pas obtenu les effets escomptés : comme, déjà, en 2015, on observe une forte polarisation dans quelques régions.

La répartition de la demande d’asile sur le territoire national se caractérise en effet par une concentration dans quatre régions, qui enregistrent plus de 60 % des demandes déposées : la région Ile-de-France (33 % du total), suivie par la région Auvergne-Rhône-Alpes (10 %), les départements d’outre-mer (10 %) et la région Grand-Est (8 %).

Si l’on met à part le cas des départements d’outre-mer, on constate que les flux se concentrent dans la partie Est de la France et, surtout, en région Ile-de-France. Cette polarisation n’est pas nouvelle : elle s’explique à la fois par la proximité géographique des frontières nationales, l’attractivité de l’agglomération parisienne ou encore l’existence de communautés historiquement implantées.

« La concentration des demandeurs dasile dans certains territoires a pour conséquence le développement de campements insalubres qui se caractérisent par des conditions de vie particulièrement précaires pour les personnes concernées et des difficultés dordre public pour les riverains » souligne l’étude d’impact du projet de loi. Depuis le mois de juin 2015, trente-trois opérations d’évacuation de campements à Paris et en petite couronne ont ainsi été menées et ont nécessité d’orienter les demandeurs d’asile vers les autres régions métropolitaines. « Ce sont ainsi environ 15 000 personnes qui ont été réorientées de lÎle-de-France vers dautres régions quil sagisse de réfugiés (1 300), de demandeurs dasile (5 000) ou de futurs demandeurs dasile pouvant être accueillis dans les centres daccueil et dorientation (8 500) », précise également l’étude d’impact.

De fait, le niveau de concentration des flux observé est supérieur à ce qui peut être constaté chez plusieurs partenaires européens, notamment en Allemagne, où les étrangers sont orientés, après leur enregistrement, dans les différentes Länder, ainsi qu’a pu le constater votre rapporteure lors de son déplacement à Berlin.

2.   Le dispositif proposé : améliorer le pilotage du dispositif national d’accueil

Il apporte une inflexion majeure au dispositif qui prévalait jusqu’à présent en se saisissant de la possibilité, prévue par l’article 7 de la directive « Accueil », de décider de la région de résidence des demandeurs d’asile : « les États membres peuvent décider du lieu de résidence du demandeur pour des raisons dintérêt public ou dordre public ou, le cas échéant, aux fins de traitement rapide et du suivi efficace de sa demande ». Cet article précise également que les États membres peuvent décider de laisser circuler librement les demandeurs sur l’ensemble du territoire ou à l’intérieur d’une zone qui leur est attribuée.

L’alinéa 3 modifie donc la définition du schéma national afin que celui-ci fixe désormais, non plus seulement la répartition des lieux d’hébergement pour demandeurs d’asile par région, mais aussi la part des demandeurs d’asile qui seront accueillis dans chacune de ces régions.

Selon les informations recueillies par votre rapporteure, une série d’indicateurs économiques, comme le taux de pauvreté ou le nombre de logements disponibles, devraient être pris en compte pour attribuer à chacune des régions un pourcentage de demandeurs à accueillir.

Ce système devrait être assez proche, avec des modes de calcul adaptés, de la « clé de Königstein » utilisée en Allemagne, qui alloue un pourcentage spécifique de demandeurs d’asile à accueillir à chaque Land, en fonction des recettes fiscales et des recensements de population.

L’alinéa 5 précise les conditions dans lesquelles cette orientation sera mise en œuvre. Après l’enregistrement de sa demande d’asile auprès de l’autorité administrative, l’étranger pourra être orienté par l’OFII vers une région où il sera tenu de résider. C’est à son arrivée dans cette région que le demandeur pourra se voir attribuer, selon les capacités disponibles, un logement adapté à sa situation. Si aucun logement ne peut lui être proposé, il sera tout de même tenu de rester dans cette région d’orientation et bénéficiera alors de l’ADA majorée pour financer son hébergement.

Cette orientation vers une région de résidence tiendra naturellement compte de la situation personnelle et familiale du demandeur, en particulier de sa vulnérabilité.

Dans son avis sur le projet de loi, le Conseil d’État estime que « cette nouvelle orientation répond sans aucun doute à un objectif dintérêt général : éviter la concentration excessive des demandeurs dans quelques grandes métropoles ou à proximité des points de passage internationaux, qui sature les services sociaux et accroît tant la vulnérabilité des demandeurs que le risque de frictions avec les autres résidents ». Dans la mesure où l’objectif poursuivi par cette disposition « vise à traiter plus dignement et plus efficacement les demandeurs, à mieux les protéger ainsi quà préserver la qualité des services publics dans leur ensemble », le Conseil d’État estime également qu’elle ne soulève pas d’objection conventionnelle ou constitutionnelle.

Prévu par l’article L. 345-2 du code de l’action sociale et des familles, le SIAO coordonne au niveau départemental le dispositif de veille sociale chargé d’accueillir les personnes sans abri ou en détresse, de procéder à une première évaluation de leur situation médicale, psychique et sociale et de les orienter vers les structures ou services qu’appelle leur état.

Lhébergement durgence accueille tous les publics sans condition autre que le fait dêtre dans une situation de détresse médicale, psychologique ou sociale. Il compte 130 000 places pérennes, auxquelles s’ajoutent des places temporaires.

Comme le souligne l’étude d’impact du projet de loi, « institutionnaliser un échange dinformation entre le SIAO et lOFII permettra une meilleure allocation des moyens aux besoins de personnes en demande dhébergement. » Cela permettra en effet à l’OFII d’avoir connaissance des demandeurs d’asile et des réfugiés qui sont accueillis dans le dispositif d’urgence de droit commun, dont on estime le nombre à 5 000, et de les réorienter dans le dispositif de l’asile, plus adapté à leur situation.

À cette fin, il est tout d’abord précisé que le bénéfice des conditions matérielles d’accueil est subordonné à l’acceptation, par le demandeur, non plus seulement du lieu d’hébergement proposé par l’OFII mais aussi, le cas échéant, de « la résidence effective dans la région vers laquelle il a été orienté » (alinéa 12).

Si le demandeur quitte son hébergement ainsi que sa région d’orientation sans autorisation de l’OFII ou sans motif impérieux porté rapidement à sa connaissance, il perdra de plein droit le bénéfice de ses conditions matérielles d’accueil. Néanmoins, ainsi que le précise l’étude d’impact, le demandeur n’aura pas besoin, conformément à la directive « Accueil », d’obtenir une autorisation de l’administration s’il s’agit pour lui de se rendre devant les autorités ou les tribunaux situés dans une autre région.

La nouvelle rédaction proposée pour cet article L. 744-7 précise, ensuite, que le bénéfice des conditions matérielles d’accueil est subordonné au respect, par le demandeur, des exigences des autorités chargées de l’asile, c’est-à-dire qu’il doit se rendre aux entretiens et délivrer toutes les informations utiles (alinéa 13).

Cette rédaction est plus contraignante que celle actuellement prévue par le 1° de larticle L. 744-8, qui ne met en place quune simple suspension dans le cas où le demandeur quitte son hébergement ou ne se rend pas aux entretiens prévus par la procédure dasile. Désormais, le demandeur sexposera à un retrait de plein droit de ses conditions matérielles daccueil.

S’il y sera mis fin de plein droit dans les cas prévus par l’article L. 744-7, l’autorité administrative aura également la faculté (mais pas l’obligation) de les retirer ou de les refuser dans les cas prévus par cet article L. 744-8, à savoir :

– si le demandeur d’asile a dissimulé ses ressources financières ou a fourni des informations mensongères relatives à sa situation familiale ou en cas de comportement violent ou de manquement grave au règlement du lieu d’hébergement ;

– si le demandeur présente une demande de réexamen de sa demande d’asile ou s’il n’a pas sollicité l’asile, sans motif légitime, dans le délai prévu au 3° du III de l’article L. 723-2.

L’alinéa 19 ajoute aux cas justifiant le retrait des conditions matérielles d’accueil le cas où l’étranger présenterait plusieurs demandes d’asile sous des identités différentes. Il s’agit de prévenir notamment les comportements dilatoires de certains étrangers qui cherchent à se maintenir le plus longtemps possible sur le territoire français.

– si son droit au maintien sur le territoire a pris fin, le versement de l’ADA cesse, par parallélisme avec la disposition introduite à l’article L. 744-5 par le présent article, au cours du mois durant lequel ce droit a pris fin ;

– si une protection est accordée au demandeur, le versement de l’ADA cesse au cours du mois qui suit l’octroi de cette protection.

3.   Les modifications apportées par la commission des Lois

Pour mettre à l’abri les étrangers non encore enregistrés auprès des guichets uniques, le Gouvernement a créé, à l’été 2017, de manière expérimentale, dans les Hauts-de-France puis en région parisienne, des centres d’examen des situations (CAES). Ces centres ont pour objet d’offrir une solution d’hébergement provisoire aux personnes à la rue, de faire immédiatement entrer celles qui le souhaitent dans une démarche d’asile, grâce à un accès prioritaire au guichet unique, et de les orienter ensuite vers des dispositifs d’hébergement adaptés à leur situation.

Cinq centres ont d’ores et déjà été ouverts en Ile-de-France, de 200 places environ chacun. Le ministère de l’Intérieur a pour objectif d’en ouvrir au moins un dans chaque département. Ils permettent d’éviter l’installation de campements illicites sur la voie publique et d’offrir aux étrangers qui le souhaitent un traitement digne, avec un hébergement provisoire – généralement d’une dizaine de jours – le temps que leur demande d’asile soit enregistrée.

Les visites effectuées par votre rapporteure, au CAES de Cergy-Pontoise, et en Allemagne, mais aussi les nombreuses personnes qu’elle a pu entendre sur ce sujet, notamment le directeur général de France terre d’asile, M. Pierre Henry, l’ont conforté dans l’idée qu’il s’agissait d’un modèle qu’il fallait non seulement pérenniser mais aussi renforcer et développer.

Ce type de structure permet en effet de renforcer réellement la mission de pré-accueil, souvent considérée comme le point faible de la chaîne par les acteurs de l’asile, et de répondre à la volonté du Président de la République qui, le 27 juillet 2017, à Orléans, a dit qu’il souhaitait que l’hébergement et le traitement administratif interviennent le plus rapidement possible.

L’amendement adopté par la Commission complète donc l’article L. 744-2 du CESEDA pour que les déclinaisons régionales du schéma national d’accueil intègrent dans leur programmation la création de ces structures.

Pour cela, l’article L. 744-3 du CESEDA est complété afin de prévoir que des normes minimales en matière d’accompagnement social et administratif soient définies par décret en Conseil d’État dans un délai de six mois après la promulgation de la loi. Ce décret visera « à assurer une uniformisation progressive des conditions de prise en charge dans ces structures. »

Par ailleurs, en cohérence avec l’introduction des CAES dans les schémas régionaux d’accueil, il est précisé que les étrangers non encore enregistrés en tant que demandeurs d’asile pourront être autorisés par l’OFII à être hébergés provisoirement dans ces centres.

*

*     *

La Commission rejette lamendement CL587 de Mme Élise Faucillon tendant à supprimer larticle.

Puis elle est saisie des amendements identiques CL24 de M. Bertrand Pancher et CL685 de M. Jean-Michel Clément.

M. Bertrand Pancher. Nous le savons, beaucoup de demandeurs d’asile ne connaissent pas leurs droits, ont du mal à s’exprimer et à comprendre les procédures administratives. Les demandeurs d’asile soudanais que j’évoquais m’ont expliqué que leur pays comptait plus de trois cents langues et dialectes et qu’il leur était très difficile d’accéder aux formalités administratives.

Cet amendement a pour objectif de permettre aux demandeurs d’asile dont la demande n’a pas été enregistrée dans les délais légaux de trois ou dix jours d’accéder aux conditions matérielles d’accueil et de modifier les conditions de versement de l’allocation pour demandeur d’asile (ADA) afin qu’elle soit attribuée rapidement.

Cette disposition est de nature à rassurer les organisations d’aide aux migrants, qui redoutent que cette loi ne renforce les difficultés des migrants plutôt que de régler les problèmes auxquels ils sont confrontés.

Mme Martine Wonner. Dans certains départements, l’enregistrement des demandes d’asile n’est pas assuré dans des délais légaux du fait du manque de personnel en préfecture, ce qui empêche les demandeurs d’asile d’accéder aux conditions matérielles d’accueil.

Je fais le lien avec la circulaire publiée par M. le ministre en décembre. Ces personnes, faute de pouvoir être hébergées dans des centres d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA), sont accueillies dans des centres d’hébergement d’urgence de droit commun, ce qui n’a pas de sens car nous savons qu’ils sont saturés.

Comme en Allemagne, souvent citée en exemple, les demandeurs d’asile pourraient immédiatement, quelle que soit leur situation, accéder aux conditions matérielles d’accueil si notre amendement était adopté.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Vos amendements posent le problème du pré-accueil, dont nous avons déjà parlé et dont nous allons évidemment reparler. Vous savez que je suis extrêmement sensible au fait que la période d’enregistrement de la demande d’asile est beaucoup trop longue, ce qui retarde la possibilité pour le demandeur d’accéder aux conditions matérielles d’accueil.

La procédure d’enregistrement des demandes au guichet unique des préfectures est toutefois essentielle à plusieurs égards : c’est à ce stade que la base de données Eurodac est interrogée pour savoir si la personne relève de la procédure du règlement Dublin ou non et que les agents de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) évaluent sa vulnérabilité pour l’orienter au mieux dans le dispositif national d’accueil en fonction de ses besoins, aux termes de l’article L. 744-6 du CESEDA.

Tout le monde est conscient de la lenteur actuelle de cette procédure. Martine Wonner évoquait sans doute la circulaire du 12 décembre 2017. La circulaire du 4 décembre 2017, moins connue, encourage les préfets à développer des centres d’accueil et d’examen des situations (CAES) pour accélérer l’inscription au guichet unique et l’orientation dans des structures adaptées à la situation de chacun. C’est le sens de mon amendement, que nous allons examiner juste après le vote sur ces amendements identiques.

M. Bertrand Pancher. Tout d’abord, madame la présidente, je vous prie de bien vouloir m’excuser de n’avoir pas participé plus tôt aux débats de votre commission alors même que j’avais déposé de nombreux amendements.

Je tiens tout particulièrement à rendre hommage à toutes les organisations caritatives de notre pays qui font un travail remarquable en apportant un peu d’humanité aux migrants sans aucun droit et sans moyens qu’elles trouvent dans la rue et auxquels certaines personnes accordent moins d’attention qu’à leur chat, leur chien ou leur poisson rouge.

Vous avez raison de souligner le rôle des préfets. J’aimerais apporter mon témoignage. Je suis la situation de beaucoup de migrants, malheureusement pas suffisamment faute de temps. Les préfets ou les membres du personnel préfectoral que j’ai au téléphone me disent qu’ils ne sont pas vraiment fiers de ce qu’ils font et qu’ils aimeraient avoir plus de liberté dans le cadre de leurs missions.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Monsieur Pancher, j’aimerais vous rassurer : tous les membres de la commission présents dans cette salle ont étudié ce projet de loi avec la plus grande attention possible. Pour une grande majorité d’entre nous, nous avons visité des centres de rétention administrative, nous nous sommes rendus à l’OFPRA, nous avons rencontré des demandeurs d’asile, nous avons organisé des tables rondes avec les associations. Nous sommes en contact avec les préfets dans nos circonscriptions. Ne doutez pas un seul instant de notre volonté de voir les migrants traités avec humanité.

La Commission rejette ces amendements.

Elle examine lamendement CL910 de la rapporteure.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Actuellement, les plateformes d’accueil des demandeurs d’asile (PADA) ont pour mission d’accueillir les demandeurs d’asile pendant toute la préparation du dossier à présenter devant l’OFPRA.

Cet amendement vise à ajouter aux « prestations d’accueil, d’information et d’accompagnement social et administratif » mentionnées à l’article L. 744-1 du CESEDA l’assistance juridique, qui est extrêmement importante pour l’information juridique et l’accès au droit mais aussi pour préparer les éventuels recours dans la mesure où les délais d’instruction de la demande d’asile ont été réduits.

La Commission rejette lamendement. (Exclamations.)

Elle en vient à lamendement CL573 de M. Loïc Prudhomme.

M. Ugo Bernalicis. Notre norme juridique la plus élevée, la Constitution, mentionne deux fois l’asile et le droit d’asile : dans le Préambule de la Constitution de 1946, figure le droit d’asile pour les « combattants de la liberté », qui fait honneur aux valeurs républicaines issues de la Révolution de 1789 contre l’arbitraire du roi, et dans son article 53 est inscrit le droit d’asile dit conventionnel, lié aux conventions de Genève.

Le peuple constituant et nos prédécesseurs ont donné une place centrale au droit d’asile dans notre système politique : un asile universel pour ceux qui défendent la liberté et un asile d’humanité pour les réfugiés fuyant les guerres et les persécutions.

Aujourd’hui, la France ne fait pas honneur à son histoire ni à ses engagements humanistes passés. L’Office français d’immigration et d’intégration (OFII), qui organise l’accès à une allocation de subsistance et à un logement pour les personnes demandant asile sur le territoire de la République, est asphyxié. Les moyens qui lui ont été octroyés sont trop faibles, tout le monde le sait. Nous en voulons pour preuve les nombreuses condamnations et recours dont il a fait l’objet devant la justice administrative.

Nous demandons que soient alloués, en urgence, des moyens suffisants à l’OFII pour que la France ne soit pas un pays où les économies de bouts de chandelle l’emportent sur les droits humains.

Nous avons été nombreuses et nombreux, madame la présidente, à nous rendre dans les centres de rétention administrative – pour ma part, je suis allé dans un hotspot en Italie et j’ai rencontré associations et magistrats. J’ai toutefois l’impression que nous ne tirons pas tous les mêmes conclusions des témoignages que nous avons recueillis.

Pour ce qui est des moyens d’accueil, la situation des camps de migrants à Calais et à Paris ne nous honore pas.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Je partage l’objectif que vous visez. Depuis hier, j’essaie d’insister sur la nécessité d’améliorer le pré-accueil, qu’il s’agisse de l’hébergement ou du suivi, si tant est que mes collègues considèrent comme une bonne idée de renforcer l’assistance apportée par les PADA…

Cela dit, je suis défavorable à la proposition de camps que vous faites dans cet amendement.

M. Ugo Bernalicis. Il ne s’agit pas de mettre en place des camps « à l’arrache ». Relisons l’amendement : nous proposons d’agrandir les structures d’accueil « afin de permettre des structures déducation pour majeurs et des structures déducation pour mineurs, des espaces de jeu pour enfants, des structures de soins physiques et psychiques et de conseils juridiques ».

J’ai bien compris, madame la rapporteure, votre volonté d’améliorer le pré-accueil, mais j’ai du mal à saisir quelles mesures vous proposez pour la concrétiser. Notre amendement a au moins le mérite de rentrer dans le détail.

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. Je veux rappeler aux membres de la commission qu’à côté de ce projet de loi nous réalisons des choses concrètes. Il ne vous a pas échappé que nous avons créé les CAES que nous voulons mettre en place dans toutes les régions de manière à assurer de bonnes conditions d’accueil et d’évaluation. Nous ne voulons pas laisser perdurer la situation actuelle, dont on voit bien qu’elle n’est convenable ni pour la dignité de notre pays, ni pour celles et ceux qui sont venus demander l’asile en France.

La Commission rejette lamendement.

Elle examine lamendement CL386 de M. Jean-Louis Masson.

M. Jean-Louis Masson. L’intérêt général commanderait que les régions indiquent le nombre de places dont elles disposent et qu’à partir des chiffres fournis, on fixe le nombre de migrants à répartir. Or l’article 9 répond à la logique inverse. Nous proposons donc de supprimer son alinéa 3.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Votre amendement revient à vider de sa substance l’article 9 qui est l’une des avancées majeures du projet de loi. Les dispositions qu’il contient nous permettent de nous rapprocher des modalités d’accueil qui prévalent en Allemagne et visent à mettre en place le plus rapidement possible une prise en charge optimale des demandeurs d’asile grâce à une meilleure répartition sur le territoire.

Soyons honnêtes : toute personne qui connaît la situation sait que les demandes d’asile sont concentrées à Paris, en région parisienne et dans quelques grandes villes, ce qui créé un engorgement dans les préfectures et contribue à la multiplication des campements illégaux où les personnes vivent dans des conditions indignes.

Répartir les places d’hébergement à travers tout le territoire est très important. L’hébergement directif existe déjà. Cet article vise à améliorer le dispositif national d’accueil en orientant plus tôt les demandeurs d’asile et en les répartissant dans toutes les régions afin qu’il y ait un plus grand équilibre territorial dans le suivi et la proposition des conditions matérielles

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. J’aimerais à nouveau vous présenter la carte de la répartition des demandeurs d’asile. Elle montre bien que certains territoires connaissent de grandes difficultés quand d’autres ne proposent pratiquement pas d’hébergement pour les demandeurs d’asile. Procéder à une répartition région par région permettra de leur apporter une meilleure réponse. C’est la raison pour laquelle nous avons introduit l’article 9 dans le projet de loi.

M. Ugo Bernalicis. Vous avez déjà eu l’occasion de nous présenter cette carte, monsieur le ministre : je m’étais étonné de voir que le Pas-de-Calais ne figurait pas parmi les départements offrant le plus de capacités d’accueil et vous m’aviez répondu que l’objectif n’était pas de les développer dans ce département. Cela explique sans doute qu’on trouve dans la rue des migrants, qui sont obligés de passer par les associations pour avoir une tente où dormir la nuit. Comptez-vous mettre l’hébergement en adéquation avec les besoins ? La question se pose vraiment.

M. Bertrand Pancher. Procéder à une répartition des demandeurs d’asile par région est une excellente idée. Cela impliquera de procéder ensuite à une répartition par département et par commune. Et en tant qu’ancien maire d’une préfecture, j’ai déjà été frappé par le fait que, lorsque les choses se font dans la transparence, il y a une réelle volonté des uns et des autres de s’occuper des dossiers des migrants. Cela dit, il y a encore loin de la coupe aux lèvres. L’opacité règne en matière de chiffres et de conditions de répartition. Tout se passe comme si les préfets de région et de département agissaient en catimini pour remplir des quotas de migrants. En Allemagne, les maires sont en contact avec les associations et les organisations et tout se fait en douceur. Il y a une véritable intégration, même s’il y a eu des mouvements de protestation. Chez nous, on découvre nos migrants au dernier moment, quand on ouvre les portes des organisations caritatives.

Bref, il existe un grand besoin de transparence et je suis convaincu qu’à partir du moment où elle régnera, la répartition se fera dans de bonnes conditions. Les Français sont très généreux et les élus locaux également.

Je voulais vraiment vous remercier, monsieur le ministre, pour cet article intéressant du projet de loi.

M. Jean-Louis Masson. Je me suis sans doute mal fait comprendre. Mes collègues cosignataires de l’amendement et moi-même ne sommes pas opposés à la répartition par région des demandeurs d’asile. Je dis seulement qu’on ne peut pas imposer aux régions d’accueillir un nombre de demandeurs d’asile donné sans avoir examiné auparavant leurs capacités d’hébergement. Je propose donc que le nombre de demandeurs d’asile accueillis dans les régions soit ajusté au nombre de places dont chacune dispose. L’article 9 met les territoires devant une obligation de résultat, logique qui atteindra ses limites. Dans certains cas, il ne leur sera en effet pas possible d’accueillir des demandeurs d’asile et cela ne sera respectueux ni pour les territoires ni pour les demandeurs d’asile. Voilà pourquoi je propose de supprimer l’alinéa 3.

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. Comme vous le savez, notre organisation territoriale repose sur de grandes régions. Et si nous avons prévu de fonder sur elles plutôt que sur les départements la répartition des demandeurs d’asile, c’est pour donner davantage de souplesse à celle-ci.

Je donnerai des instructions aux préfets pour qu’ils se concertent avec les élus locaux, en particulier les maires. Il y a des endroits où il sera possible d’accueillir des demandeurs d’asile car il y a des bâtiments disponibles. Le but est d’essayer de rechercher les disponibilités pour l’hébergement.

Monsieur Bernalicis, nous aurions évidemment pu implanter beaucoup d’établissements d’accueil pour demandeurs d’asile dans le Pas-de-Calais, mais nous ne voulions pas y accroître une pression déjà grande puisque les gens tentent – vainement, hélas pour eux – d’aller en Angleterre. Nous dénombrons 40 000 tentatives d’intrusion par an, ce qui donne une idée de cette pression. Vous connaissez la région, les habitants, les syndicats. Allez discuter, par exemple, avec la CGT du Pas-de-Calais : vous verrez quelle est leur appréhension de ce phénomène. Face à ce problème de solidarité nationale, il convient de faire en sorte que chacun prenne sa part de la charge.

La Commission rejette lamendement.

Puis elle en vient à lamendement CL911 de la rapporteure.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Il y a quelques instants, je parlais de la circulaire du 4 décembre 2017 de M. le ministre de l’Intérieur aux préfets, visant à donner aux demandeurs d’asile l’accès à un hébergement d’urgence dans les CAES et à une inscription prioritaire auprès des guichets uniques. Ces dispositions permettent un suivi digne, notamment sur le plan sanitaire, et le respect des délais légaux – entre trois et dix jours – d’enregistrement auprès des guichets uniques. Cet amendement vise à inscrire ces dispositions dans la loi et à inciter le Gouvernement à créer de nouveaux CAES. Il ne s’agit pas de créer un droit opposable à l’hébergement. Le Gouvernement a déjà consenti un effort dans le budget pour 2018 en créant ces places d’hébergement.

M. Ugo Bernalicis. Cet amendement ressemble furieusement à l’amendement que je viens de défendre : il est question d’hébergements provisoires, qui ne sont pas construits en dur, en solide. Quand elle émane de vous, la démarche est légitime alors qu’elle ne l’est pas si elle vient de nous. Je ne comprends pas trop, à moins de considérer que les amendements de la majorité sont mieux écrits. Dont acte.

M. Erwan Balanant. Vous n’avez qu’à être plus gentil !

M. Ugo Bernalicis. Pour que je sois plus gentil, il faut que le ministre le soit aussi, notamment dans l’accueil des personnes migrantes. Vous dites, monsieur le ministre, qu’il ne faut pas qu’il y ait trop de pression et de tension à Calais. Nous sommes dans un entre-deux totalement hypocrite. On sait qu’il y a des gens sur place mais on dit qu’il ne faut pas les héberger pour qu’ils ne restent pas là. Ils sont sur place. Ils se baladent dans les rues. Les plus précautionneux démontent leur tente le matin et se baladent avec elle avant de se reposer quelque part, dans un endroit qu’ils trouvent pour passer la nuit.

C’est cela, l’accueil ? C’est cela, l’hébergement ? Peut-être voulez-vous que l’on parle des accords du Touquet et de nos relations avec la Grande-Bretagne plutôt que de nos relations avec la CGT dont vous n’êtes pas le mieux placé pour parler, monsieur le ministre.

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. Pourquoi ?

M. Ugo Bernalicis. La CGT est actuellement dans une période de lutte contre votre gouvernement, je vous le signale. Vous le verrez très rapidement.

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. Nous sommes dans un échange constructif avec la CGT.

M. Ugo Bernalicis. Ces lieux d’hébergement provisoires offrent des prestations d’accueil, d’information et d’accompagnement social, juridique et administratif. Y en aura-t-il à Calais pour éviter que les gens ne se baladent dans la nature, peut-être aussi pour aider l’association L’Auberge des migrants, dont vous n’avez pas forcément rencontré les membres ?

M. Éric Ciotti. J’aimerais poser une question à M. le ministre d’État sur la répartition et le statut des personnes qui occupent ces centres d’accueil et d’orientation (CAO). Combien y a-t-il de déboutés du droit d’asile ? Lors de son audition, le préfet d’Île-de-France nous a décrit l’évolution rapide, notamment budgétaire, de la prise en charge des hébergements dans sa région. Leur coût est passé de 50 millions d’euros en 2015 à 153 millions d’euros en 2017. Il reste 1 500 personnes logées en hôtel et 1 500 personnes sous des tentes dans des campements comme celui du quai de Jemmapes. Combien y a-t-il de déboutés dans ces structures et quel est le coût global de ce dispositif ?

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. Le Gouvernement est tout à fait favorable au dispositif proposé par Mme la rapporteure. Monsieur Bernalicis, vous lui trouvez quelque parenté avec ce que vous avez pu proposer. Pour ma part, je suis très favorable à la réalisation de structures modulaires. En voyant le mot « modulaire » dans votre amendement, j’ai pensé que nous pouvions nous rejoindre sur quelques points. Pour le reste, je vous rappelle que nous avons ouvert trois CAES dans le Pas-de-Calais.

Monsieur Ciotti, il n’y a pas de déboutés dans les CAES, dont le coût s’élève à 25 euros par place.

M. Éric Ciotti. Et dans les CAO ?

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. Il y a très peu de déboutés dans les CAO : 5 %, me dit-on. Pour nous, les choses sont claires : une fois que la personne a été déboutée, la procédure continue. Tous les droits de recours peuvent être exercés mais quand on est débouté, on est débouté.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Dans le CAES que j’ai visité – et les autres procèdent de la même manière – on demande très rapidement aux personnes hébergées si elles veulent demander l’asile, et on informe ceux qui sont sous procédure Dublin ou qui ont déjà été déboutés qu’ils ne peuvent pas rester. Le CAES est une structure conçue pour héberger les gens avant l’enregistrement.

La Commission adopte lamendement.

Puis elle examine les amendements identiques CL429 de M. Stanislas Guerini et CL459 de M. Jean-Noël Barrot.

Mme Alexandra Valetta Ardisson. Je retire cet amendement, étant donné qu’il a été intégralement repris par la rapporteure. L’amendement de la rapporteure correspond parfaitement à mes attentes.

Mme Élodie Jacquier-Laforge. Nous partageons les objectifs de l’article et nous pensons que les modifications apportées par la rapporteure vont tout à fait dans le bon sens. Comme vous le voyez, cet amendement CL459 est cosigné par les deux rapporteurs spéciaux du budget asile, immigration, intégration. Les deux rapporteurs souhaitent faire cette proposition pour rappeler que les CADA doivent être au centre du dispositif car ils offrent l’accompagnement le plus important.

Les CAES travaillent sur un temps très court durant lequel ils doivent, comme leur nom l’indique, examiner la situation de la personne et l’orienter. Les CADA doivent rester au centre d’un dispositif constitué de tout un maquis de structures : l’accueil temporaire-service de l’asile (ATSA), les hébergements d’urgence pour demandeurs d’asile (HUDA), le programme régional d’accompagnement et d’hébergement des demandeurs d’asile (PRAHDA), les centres d’hébergement d’urgence (CHU), les centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), les centres d’hébergement d’urgence pour migrants (CHUM). En résumé, nous demandons d’inscrire dans la loi que les CADA sont la structure de référence.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Je partage votre objectif, au point d’avoir déposé l’amendement CL915 relatif à l’harmonisation des structures d’hébergement, notamment d’hébergement d’urgence. L’orientation doit varier selon les procédures et ne pas passer systématiquement pas les CADA qui représentent une voie importante. Je vous demanderais donc de retirer votre amendement au profit du mien qui va dans le même sens et tend à régler le problème d’enchevêtrement des structures.

Mme Marietta Karamanli. Monsieur le ministre, pourrez-vous nous donner une carte des futurs centres d’accueil avant l’examen du texte en séance, afin que nous puissions avoir une vision globale et concrète des choses, d’autant que vous dites avoir déjà rencontré des élus ?

Mme Elsa Faucillon. J’aimerais faire une remarque qui n’est de forme qu’en apparence. Je comprends l’idée de ne pas accepter d’amendements venant de quelconques députés de la majorité qui ne seraient pas tout à fait d’accord avec le projet de loi. Je comprends la stratégie. Si j’étais la rapporteure du parti de la majorité, je ferais peut-être pareil.

En revanche, je pense qu’une pratique pose un petit problème démocratique. On demande en permanence à des députés du groupe La République en Marche ou de groupes de l’opposition de retirer leur amendement au profit d’un amendement à venir de la rapporteure dont nous n’avons pas connaissance et qui serait identique. Or nous avons pu constater hier que ce n’était absolument pas satisfaisant. Ce fonctionnement de la commission pose un problème démocratique et je trouve que ça commence à bien faire. Je comprends bien la stratégie.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Il ne s’agit pas de stratégie. Je vous indique que les amendements sont publics et que vous pouvez les consulter. Vous pouvez notamment avoir connaissance des amendements de la rapporteure.

S’agissant de l’ordonnancement des amendements, j’ai expliqué à de multiples reprises qu’il répond à des exigences de forme du débat. Ils ne sont pas nécessairement placés exactement au même endroit, mais vous pouvez avoir connaissance de tous les amendements. Rien n’est caché.

Mme Elsa Faucillon. Merci de m’indiquer comment fonctionne le dérouleur !

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Manifestement, vous aviez quelque méconnaissance à cet égard.

M. Erwan Balanant. Je ne me permettrais pas de vous donner des explications, chère collègue Faucillon, mais vous avez la possibilité de sous-amender des amendements qui sont publiés depuis maintenant près de trois jours.

Mme Elsa Faucillon. Arrêtons l’indécence. Vous n’allez pas m’expliquer comment on regarde des amendements. Je pointais un fonctionnement dont, à mon avis, vous êtes tout à fait conscients, étant donné votre position. Ne faites pas semblant de pas comprendre ce que je viens de raconter. On peut discuter ensemble de manière intelligente.

M. Erwan Balanant. Ce n’est pas la peine de vous énerver !

M. Ugo Bernalicis. Ces amendements ont l’air intéressant, mais j’ai un peu de mal à m’y retrouver dans les différents types d’hébergement. Au premier coup d’œil, on ne peut pas discerner une cohérence d’ensemble.

Il est clair que le choix de l’emplacement des amendements est autant politique que technique. Vous le savez puisque nous passons notre temps à râler à ce sujet. Ce n’est pas une nouveauté. En tant que présidente de la commission des Lois, vous avez toute latitude pour mettre un amendement à tel endroit de la discussion plutôt qu’à tel autre.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Il ne s’agit pas de latitude et de choix arbitraires.

M. Ugo Bernalicis. C’est un choix politique !

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Ce n’est absolument pas un choix politique. Le choix répond à une nécessité de cohérence par rapport au débat et au vote des amendements.

M. Ugo Bernalicis. Mon collègue Balanant n’a pas tout à fait tort de dire qu’on peut sous-amender. Il aurait peut-être été plus respectueux pour vos collègues, y compris ceux de votre majorité, de sous-amender leurs amendements. Une telle démarche de co-construction aurait été préférable à une volonté de reprendre systématiquement les choses en main.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Dans cette salle, monsieur Bernalicis, chaque député a la liberté de déposer des amendements, de débattre, de donner son avis sur chacun des amendements en discussion. Vous souhaitez que l’on respecte les vôtres, respectez ceux de vos collègues.

Mme Élodie Jacquier-Laforge. Sur ce cas précis, nous avons vu l’amendement de la rapporteure et nous avons proposé de le sous-amender. Je vais retirer l’amendement CL459 en demandant à la rapporteure d’être très attentive à notre sous-amendement.

Les amendements CL429 et CL459 sont retirés.

La Commission examine lamendement CL513 de Mme Stella Dupont.

Mme Stella Dupont. Cet amendement est cosigné par de nombreux collègues. Nous l’avons travaillé avec M. Matthieu Orphelin, en nous appuyant sur ce que nous avons pu constater sur le terrain.

Nous sommes très favorables à une orientation directive avec hébergement. Il ne faudrait pas que les demandeurs soient orientés systématiquement vers le numéro d’appel 115, sans réelle solution d’hébergement. Nous sommes donc très attentifs à cet aspect.

L’orientation directive est pertinente car il est fondamental d’éviter les concentrations sous toutes leurs formes, que ce soit dans les grandes villes, dans des bâtiments collectifs ou sur des points uniques ou limités dans les départements. Il faut mailler le territoire en matière d’accueil, y compris en zone rurale, j’y suis particulièrement attachée. J’utilise souvent le terme de « dentelle ». On ne doit pas avoir une vision macro mais on doit s’approcher au plus près des acteurs du terrain.

Nous proposons de créer une instance à l’échelle départementale, placée sous la responsabilité des préfets et s’appuyant sur le schéma régional des demandeurs d’asile. Cette instance serait chargée de créer la relation, la concertation voire la coordination entre tous acteurs institutionnels et associatifs qui travaillent dans le domaine de l’accueil des demandeurs d’asile.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. J’entends ce souhait de travailler dans la dentelle. Il me semble que M. le ministre d’État a déjà évoqué l’approche départementale. Je pense néanmoins qu’il serait prématuré de créer une telle instance alors que nous sommes en train d’inciter à la création de CAES au niveau régional. J’émets donc un avis défavorable à votre amendement, même si je pense que nous devrons passer à l’échelle départementale lors de l’étape suivante.

M. Matthieu Orphelin. En discutant avec les associations, avec les parties prenantes, nous nous sommes rendu compte qu’il fallait créer une instance de dialogue. C’est important, y compris pour défendre les points positifs et les avancées de ce texte. Nous sommes dans cet état d’esprit. L’amendement présenté par Mme Dupont porte sur la généralisation de cette animation départementale. Nous en présenterons un autre proposant de le faire de manière expérimentale dans certains territoires. Nous devons avoir en tête qu’un dialogue accru avec l’ensemble des parties prenantes ne peut avoir que des effets positifs. Sur le terrain, les gens ont besoin d’un espace de dialogue réinventé.

Mme Stella Dupont. Je confirme les propos de Matthieu Orphelin. Puisque nous allons vous présenter un amendement de repli, je vais retirer celui-ci. J’espère ardemment que notre amendement visant à expérimenter ce type d’instance dans les départements volontaires sera adopté par la commission.

M. Bertrand Pancher. Monsieur le ministre, je voulais vous parler de la commune de Robert-Espagne, située dans mon département, la Meuse. Commune martyre de la Seconde Guerre mondiale durant laquelle tous ses hommes furent décimés par l’armée allemande, Robert-Espagne n’a cessé de connaître des difficultés, et le Front national y a enregistré des votes record.

Il y a un peu moins d’un an, la préfète du département avait à répartir des réfugiés de Calais et, au dernier moment, elle a décidé d’utiliser un bâtiment de cette commune pour en héberger. Du jour au lendemain, le maire de Robert-Espagne s’est retrouvé avec une quinzaine de Soudanais. Il m’a immédiatement appelé. « Qu’est-ce que c’est que ce bordel ? Je voudrais qu’on s’occupe de cela ensemble », m’a-t-il dit. Il a réuni les habitants de sa commune et il a intégré ces réfugiés soudanais avec beaucoup de générosité. Cela s’est très bien passé. L’expérimentation, y compris dans des quartiers et des secteurs qui peuvent paraître difficiles, peut se passer très bien.

Et puis voilà que, tout aussi subitement, ces réfugiés ont été transférés ailleurs au motif que le bâtiment n’était pas conforme aux normes de sécurité. Tout cela n’est pas sérieux. Si nous avions eu des instances de concertation départementales, je suis absolument convaincu que nous nous serions débrouillés ensemble. Il aurait suffi que la préfète nous réunisse et nous aurions fait ce travail. Même si cela peut paraître prématuré, je pense que vous pourriez lancer des expérimentations. En tout cas, je suis convaincu que les élus de mon département seraient très volontaires.

M. Florent Boudié. Je voudrais rebondir sur la proposition de notre collègue Stella Dupont. Sur le plan opérationnel, je pense que la proposition mérite vraiment d’être étudiée. Il est nécessaire de coordonner les acteurs locaux sur les questions liées à l’hébergement, et, plus généralement, aux demandes d’asile.

Je pourrais vous citer des situations très concrètes vécues dans mon territoire. Pour l’inscription des enfants dans les établissements scolaires, il n’y a pas du tout de coordination entre la direction de l’école, les élus de la mairie et le centre départemental de l’enfance s’il est impliqué. Il y a une absence totale d’horizontalité alors que nous avons l’habitude de la coordination dans d’autres volets de l’action publique. Dans le domaine de la sécurité publique, par exemple, nous pouvons mettre tous les acteurs autour de la table dans le cadre des conseils intercommunaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CISPD).

Nous devons retravailler ce sujet en profondeur, avec une visée opérationnelle, avant l’examen du texte en séance.

Mme Marietta Karamanli. Dans le département de la Sarthe, y compris quand on aborde des questions comme celle des mineurs isolés, je constate que les services sont incapables de parler entre eux. Certains mineurs isolés sont installés dans des hôtels, alors qu’il existe des places disponibles dans des internats de lycées. L’éducation nationale et d’autres services de l’État n’apportent pas de réponses concrètes. Or nous pouvons trouver des solutions. De grâce, débloquons ces situations pour mieux répondre au besoin d’accueil et de prise en charge de personnes qui relèvent du droit d’asile.

Mme Élodie Jacquier-Laforge. Donnons-nous rendez-vous lors de la séance publique. Il est extrêmement important d’associer les élus locaux. Toute la chaîne sera plus efficace si nous intégrons les élus et si nous les faisons participer, d’autant qu’ils mènent d’ores et déjà des actions de façon spontanée, individuelle.

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. Pour le moment, nous vous proposons un schéma régional afin de cadrer les choses. Ensuite, nous pourrons demander au préfet de région de déconcentrer certaines décisions. Une fois qu’il aura déconcentré un certain nombre de places, je ferai une circulaire pour demander aux préfets de département de réunir les maires afin de trouver la même solution. Les initiatives doivent être cadrées car il y a des normes à respecter en matière de salubrité, d’encadrement, etc. Si chacun se mettait à bricoler sa solution dans son coin, on aboutirait à un véritable maquis.

J’ai sous les yeux le schéma de nos différentes structures. Cette impression de maquis vient du fait que, à chaque époque, on a inventé un type de structure. L’un de nos buts est d’essayer de remettre un peu d’ordre dans tout cela et d’avoir des structures adaptées aux publics.

Pour nous, il y a trois types de structures : les CAES que nous voulons développer ; les CADA qui doivent rester la norme ; des structures d’hébergement d’urgence dont nous avons discuté à l’occasion du budget. Ces derniers centres sont destinés aux personnes qui dépendent du règlement Dublin.

Quoi qu’il en soit, nous sommes prêts à déconcentrer et à regarder les expériences que veulent proposer les uns ou les autres.

Lamendement est retiré.

La Commission examine les amendements identiques CL912 de la rapporteure et CL827 rectifié de M. Florent Boudié.

Mme Marie Guévenoux. Par notre amendement CL827 rectifié, qui vise à une meilleure prise en charge des demandeurs d’asile en cours de procédure, nous souhaitons préciser que l’orientation directive s’applique dès lors que la région concernée est soumise à un afflux de migrants. Nous voulons aussi préciser que le demandeur d’asile peut demander l’autorisation de quitter provisoirement la région dans laquelle il a été orienté en cas de motifs impérieux. Enfin nous proposons de permettre au demandeur d’asile de quitter sa région de résidence sans l’autorisation des autorités en charge de l’asile, quand il doit se rendre à une audience pour défendre son dossier.

Mme Annie Chapelier. Si ces amendements sont adoptés, ils feront tomber l’amendement CL401 que je comptais présenter. Ils évoquent la situation personnelle et familiale du demandeur d’asile, mais ne mentionnent pas sa vulnérabilité. Il faut aussi s’assurer de l’existence de structures d’accueil dans les régions de destination pour prendre en charge ces personnes vulnérables, surtout celles qui sont d’une extrême vulnérabilité et qui nécessitent un accompagnement spécifique que l’on ne trouve pas dans tous les territoires. Certaines personnes qui sont d’une vulnérabilité extrême, par exemple les victimes de réseaux de prostitution, n’ont de possibilité d’accueil qu’à Nantes, dans des structures extrêmement spécialisées.

M. Ugo Bernalicis. Si cet amendement est adopté, il fera aussi tomber notre amendement CL327. Nous voulions préciser que le demandeur peut refuser d’être placé à tel ou tel endroit s’il est déjà pris en charge par une association ou par un tiers qui lui garantit un abri. Il s’agit de préserver les liens familiaux et d’éviter de disperser les membres d’une même cellule familiale dans divers lieux. Nous aurions peut-être pu avoir une discussion commune sur tous ces amendements, mais ce n’est visiblement pas le mode de fonctionnement choisi.

Mme Marietta Karamanli. Madame la présidente, j’aimerais pouvoir défendre notre amendement CL88 qui risque aussi de tomber. Nous pensons que l’existence d’un schéma national, régional ou même départemental de répartition ne doit pas empêcher un demandeur de vouloir être proche de membres de sa famille en situation régulière ou en attente d’une décision. En faisant jouer la solidarité, on peut parfois améliorer la qualité de l’accueil et même la gestion des moyens.

C’est pourquoi notre amendement prévoit que le demandeur peut choisir son lieu de résidence lorsqu’il justifie ce choix par des raisons personnelles ou familiales. Il faut faire en sorte que l’hébergement ne soit pas directif au risque de conduire à une précarité directive.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. D’autres collègues veulent-ils intervenir pour défendre des amendements qui risquent de tomber du fait de l’adoption des amendements identiques CL912 et CL827 ?

M. Jean-François Mbaye. Nous avons bien compris que l’objectif est de renforcer le schéma de répartition et l’orientation directive. Mon amendement CL537 propose de mettre l’accent sur un lieu de prise en charge déterminé plus que sur la région, ce qui permettrait une meilleure répartition sur le territoire. Il y aurait un équilibre entre les besoins et les capacités d’accueil, et un moindre risque de voir se constituer des poches de précarité.

Mme Annie Chapelier. Mon amendement, j’y insiste, vise à prendre en compte la situation particulière des personnes en situation d’extrême vulnérabilité, ce qui n’est pas fait systématiquement lors de la relocalisation, la vulnérabilité des personnes étant généralement sous-évaluée.

Mme Elsa Faucillon. L’amendement CL599 est un amendement de repli, qui reprend la proposition n° 34 du rapport d’Aurélien Taché du 21 février 2018, intitulé : « 72 propositions pour une politique ambitieuse d’intégration des étrangers arrivant en France ». Je ne partage pas toutes les préconisations de ce rapport, mais on nous avait laissé entendre que certaines seraient reprises, ce qui n’est malheureusement pas le cas de celle-ci. Il s’agit, afin d’éviter des mobilités géographiques successives tout au long du parcours du demandeur d’asile, de tenir compte des possibilités d’emploi lors de la répartition des places d’hébergement sur le territoire.

M. Belkhir Belhaddad. L’amendement CL697 vise à ce que, lors de l’enregistrement de sa demande, l’étranger puisse émettre le souhait d’être orienté sur une région déterminée.

Mme Marietta Karamanli. L’amendement CL91, qui porte sur l’alinéa 5, a pour objet d’introduire un peu de souplesse en précisant que l’étranger peut s’opposer à son orientation lorsqu’il justifie de la possibilité d’être hébergé par un tiers, par exemple chez des membres de sa famille. Cela faciliterait, à notre sens, la gestion par la collectivité des moyens dont elle dispose pour réaliser sa mission. Par ailleurs, cette proposition nous paraît conforme au principe selon lequel il convient de privilégier l’unité des familles, conformément à l’article 12 de la directive « Accueil » de 2013 et à la Convention européenne des droits de l’homme.

Mme Marie Guévenoux. J’appelle votre attention, mes chers collègues, sur le fait qu’il est déjà prévu, à l’alinéa 5, de tenir compte de la situation personnelle et familiale de l’étranger, et en particulier de sa vulnérabilité éventuelle. En outre, notre amendement prévoit que, sauf en cas de motif impérieux, le demandeur qui souhaite quitter temporairement sa région de résidence peut demander à l’OFPRA l’autorisation de le faire.

Les critères de vulnérabilité ont donc bien été pris en considération par le groupe La République en Marche.

M. Ugo Bernalicis. C’est l’OFII qui va déterminer, dans tous les cas, la région d’orientation de l’étranger. Pour notre part, nous souhaitons que ce dernier puisse s’y opposer lorsque sa vulnérabilité ou sa situation personnelle et familiale le justifie – ce que vous refusez. Je ne suis pas d’accord quand vous dites que la vulnérabilité est déjà prise en compte par le texte initial, modifié par votre amendement : nous ne parlons pas de la même chose – ce qui est d’ailleurs bien dommage car, une fois que votre amendement sera adopté, nous ne pourrons plus défendre le nôtre.

M. Florent Boudié. Le dispositif préexistant au projet du Gouvernement prévoit que tout demandeur qui refuserait le lieu d’hébergement qui lui est proposé peut se voir refuser les conditions matérielles d’accueil : l’orientation directive existe déjà, c’est le droit appliqué depuis la loi du 29 juillet 2015. Le présent projet de loi propose d’élargir la répartition à l’échelle régionale afin de tenir compte des tensions qui peuvent exister localement, en particulier en Île-de-France, en région Rhône-Alpes ou encore dans la région de Metz. Dans toutes ces régions déjà confrontées à d’importantes difficultés, il est nécessaire, pour que les demandeurs d’asile soient bien traités, de les répartir de manière équilibrée sur le territoire : c’est une mesure de protection.

La Commission adopte les amendements identiques CL912 et CL827 rectifié.

En conséquence, les amendements CL537 de M. Jean-François Mbaye, CL327 de Mme Muriel Ressiguier, CL238 de Mme Marie-France Lorho, CL401 de Mme Annie Chapelier, CL88 de Mme Marietta Karamanli, CL697 de M. Belkhir Belhaddad, CL369 de Mme Anne-Christine Lang, CL91 de Mme Marietta Karamanli et CL599 de Mme Elsa Faucillon tombent.

La Commission examine lamendement CL576 de M. Dimitri Houbron.

M. Dimitri Houbron. Dans son avis, le Conseil d’État indique que le texte risque de créer un nouveau risque de contentieux relatif à l’attribution, au refus ou au retrait des conditions matérielles d’accueil. Afin d’éviter que ces contentieux n’engorgent le tribunal administratif dont relève le siège de l’OFII, le Conseil d’État propose qu’un mécanisme de recours préalable obligatoire devant une commission nationale placée auprès de l’OFII soit instauré par voie réglementaire.

L’amendement CL576 reprend cette proposition, afin de permettre aux demandeurs d’asile d’user de leur droit fondamental à exercer un recours tout en évitant un engorgement du tribunal administratif.

Mme Elise Fajgeles, rapporteure. Ne soyons pas pessimistes : il ressort, tant des auditions de magistrats auxquelles nous avons procédé que de l’avis de l’OFII, que le contentieux des conditions matérielles d’accueil est relativement modéré : sur 100 000 bénéficiaires, il y a eu 746 recours en 2017. La création d’une commission nationale ne paraissant pas nécessaire, je vous invite à retirer votre amendement.

Lamendement est retiré.

La Commission se saisit de lamendement CL878 de Mme Stella Dupont.

Mme Delphine Bagarry. Cet amendement a deux objets. Premièrement, il introduit la possibilité pour le demandeur d’asile de formuler un souhait relatif à sa région d’accueil ; deuxièmement, il vise à ce que l’OFII satisfasse ce souhait lorsqu’il est motivé par le fait que le demandeur dispose d’un hébergement par ses propres moyens.

Cette proposition va dans le sens d’une meilleure intégration du demandeur et d’un plus grand respect des projets des personnes souhaitant s’installer en France.

Mme Elise Fajgeles, rapporteure. Le but de l’hébergement directif est de permettre une meilleure répartition des demandeurs sur le territoire. Ce que vous dites n’est pas tout à fait conforme à la directive, qui ne prévoit pas la possibilité de choix pour le demandeur.

Je répète que la vulnérabilité et la situation personnelle et familiale du demandeur sont déjà prises en compte, ce qui n’est pas le cas dans d’autres pays. Je me suis récemment rendue à Berlin, où j’ai pu constater que l’hébergement directif est mis en œuvre dans des conditions très strictes : la situation personnelle du demandeur y est prise en compte d’une manière qui lui est beaucoup moins favorable qu’en France.

J’émets donc un avis défavorable à cet amendement.

M. Florent Boudié. Nous nous sommes interrogés sur ce dispositif. L’une des craintes exprimées par les personnes auditionnées au cours des derniers mois consistait à voir s’instaurer une sorte d’assignation à région. Cependant, en ouvrant le droit à circulation, comme nous l’avons fait tout à l’heure, et en faisant en sorte que l’autorisation de circuler soit délivrée par l’OFII dans les plus brefs délais – elle peut même se faire sans autorisation en cas de motif impérieux –, nous maintenons l’équilibre entre, d’une part, la nécessité de répartir au mieux les demandeurs sur le territoire national et, d’autre part, la possibilité de circulation des demandeurs sur le territoire, par exemple pour rejoindre leur famille dans une autre région.

Mme Delphine Bagarry. Il me semble qu’il vaudrait mieux laisser aux personnes qui peuvent se loger par leurs propres moyens la possibilité de le faire : cela serait préférable non seulement pour les personnes concernées, mais aussi pour la collectivité, qui y trouverait forcément son compte dans le contexte de pénurie d’hébergements que nous connaissons.

La Commission rejette lamendement.

Elle examine ensuite lamendement CL915 de la rapporteure, qui fait lobjet du sous-amendement CL925 de M. Jean-Noël Barrot.

Mme Élodie Jacquier-Laforge. Le sous-amendement CL925 vise à privilégier les normes relatives à l’accompagnement social et administratif dispensé dans les centres d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA), car ceux-ci constituent le pilier du dispositif national d’accueil. Actuellement, un grand nombre de demandeurs d’asile sont orientés vers d’autres types de structures, qui devraient normalement être temporaires, mais ont tendance à se multiplier face à l’apparition de nouvelles urgences. Face à ce qui constitue désormais un véritable millefeuille, le dispositif national d’accueil gagnerait à faire converger les normes en matière d’accompagnement social et administratif vers celles des CADA.

Mme Elise Fajgeles, rapporteure. L’amendement CL915 vise à harmoniser les différentes structures d’hébergement. Dans la rédaction actuelle du CESEDA, les hébergements visés à l’article L. 744-3 – les centres d’accueil de demandeurs d’asile (CADA) – sont en effet destinés à l’accueil des seuls demandeurs d’asile, tandis que d’autres structures sont prévues pour les personnes placées en procédure accélérée ou en procédure « Dublin » : on trouve, au 2° de cet article, un empilement de structures d’urgence créées au cours des dernières années.

Vous proposez que tout soit harmonisé sur le modèle du CADA, ce qui serait un objectif idéal – la circulaire du 4 décembre 2017 précise d’ailleurs que cette structure est à privilégier. Malheureusement, en termes de coût, il ne semble pas possible de faire en sorte que le CADA devienne la seule structure destinée à accueillir les demandeurs d’asile. Des structures spécifiques ayant vocation à accueillir les personnes placées en procédure accélérée ou en procédure Dublin, c’est parmi celles-ci – CAO, PRAHDA, HUDA, ATSA, etc. – que je propose de procéder à une harmonisation.

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. Il existe effectivement une accumulation de structures d’accueil à l’heure actuelle. Cependant, il ne me paraît pas souhaitable que le CADA devienne l’unique structure d’accueil, car il existe différents types de publics, ayant vocation à être accueillis selon des modalités différentes. Nous souhaitons, je le répète, que la réorganisation se fasse autour de trois structures : les CAES, les CADA et les hébergements d’urgence destinés aux « dublinés ».

Je suis donc favorable à l’amendement et défavorable au sous-amendement.

M. Erwan Balanant. En réalité, notre sous-amendement ne définit pas uniquement les CADA, mais vise à « rapprocher progressivement les conditions de prise en charge dans ces structures de celles prévues dans les centres daccueil pour demandeurs dasile mentionnés au 1° ». Nous ne souhaitons pas graver dans le marbre l’idée selon laquelle il n’y aurait plus que des CADA, mais proposons que l’on tende progressivement vers cet objectif – ce qui va dans le sens de la cohérence souhaitée par M. le ministre.

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. Chaque mot a son importance, et quand on dit que l’on souhaite « se rapprocher progressivement » du modèle du CADA, cela implique qu’il n’y ait plus, à terme, que cette structure. Or, nous estimons que, s’il est nécessaire de rationaliser un peu les choses afin de simplifier l’embrouillamini qui existe aujourd’hui, il sera toujours nécessaire de conserver différentes structures, répondant aux différentes typologies de populations ayant vocation à être accueillies.

M. Erwan Balanant. Vous parlez de typologies, monsieur le ministre : justement, notre proposition concerne les demandeurs d’asile.

La Commission rejette le sous-amendement CL925.

Puis elle adopte lamendement CL915.

Elle examine ensuite lamendement CL132 de M. Bertrand Pancher.

M. Bertrand Pancher. Cet amendement vise à introduire dans le CESEDA et dans le code de l’action sociale et des familles (CASF) les dispositions qui organisent le droit à l’hébergement au stade du premier accueil, c’est-à-dire l’hébergement d’urgence, au sein duquel les intéressés bénéficient d’une information sur le droit d’asile, d’un premier examen de leur santé et d’une orientation vers l’autorité administrative compétente pour enregistrer la demande d’asile.

Quand on rencontre des migrants, on constate que l’un des problèmes auxquels ils doivent faire face réside dans le manque d’information, aggravé par le fait qu’ils ont des difficultés à s’exprimer en français et à comprendre ce qui leur est dit. Il me semble important de codifier les conditions d’organisation du premier accueil afin d’apporter quelques garanties dans ce domaine : il s’agit là d’une mesure de bon sens destinée à permettre l’accueil des migrants dans des conditions humaines, répondant à l’attente des migrants comme des organisations qui les prennent en charge, et d’autant plus nécessaire que le texte comprend des dispositions prévoyant le raccourcissement des délais d’instruction des dossiers.

Mme Elise Fajgeles, rapporteure. Je vous remercie pour cette proposition, monsieur Pancher, mais celle-ci me paraît totalement satisfaite par l’amendement CL911 précédemment adopté, qui prévoyait exactement la même chose. Par conséquent, je vous invite à retirer cet amendement.

Lamendement CL132 est retiré.

La Commission examine lamendement CL856 de M. Erwan Balanant.

M. Erwan Balanant. Cet amendement vise à garantir aux étrangers déboutés de leur demande d’asile et hébergés dans un lieu prévu à effet le bénéfice de la trêve hivernale.

En effet, la loi portant réforme de l’asile du 29 juillet 2015 a introduit une procédure dérogatoire au droit commun en matière d’expulsion des lieux d’hébergement pour demandeurs d’asile, qui s’applique notamment aux personnes déboutées de l’asile. Ainsi, le juge administratif, saisi en référé sur le fondement de l’article L. 521-3 du code de justice administrative, peut adopter une ordonnance immédiatement exécutoire, quelle que soit la saison.

Le Conseil d’État a considéré que ce bénéfice, garanti sur le fondement de l’article L. 412-6 du code des procédures civiles d’exécution, n’est pas transposable à la procédure d’expulsion des demandeurs d’asile prévue par l’article L. 744-5 du CESEDA. En effet, seules des circonstances exceptionnelles – que la présence d’enfants ne suffit pas à caractériser – peuvent conduire le préfet à décider de la non-expulsion d’une famille : il est donc tout à fait possible qu’une famille comprenant des enfants se trouve expulsée en plein milieu de l’hiver.

Il convient de remédier à cette situation, afin d’assurer aux personnes déboutées de leur demande d’asile le même niveau de droits fondamentaux que celui reconnu aux personnes en situation régulière. Nous proposons l’uniformisation des conditions dans lesquelles interviennent des sursis à exécution des ordonnances d’expulsion de personnes déboutées de leur demande d’asile, afin de ne plus laisser à l’appréciation de chaque préfecture les circonstances exceptionnelles permettant actuellement d’empêcher les expulsions et de rendre la trêve hivernale effective pour les demandeurs d’asile hébergés dans un CADA ou une structure similaire.

Mme Elise Fajgeles, rapporteure. Je rappelle que l’objectif du dispositif national d’accueil (DNA) est d’accueillir des demandeurs d’asile et de maintenir un taux de rotation assez élevé, permettant de fournir le plus rapidement possible un hébergement à chaque nouveau demandeur, puis aux personnes admises au titre du statut de réfugié. J’insiste sur le fait que le DNA n’a pas vocation à fournir un abri aux déboutés du droit d’asile. Cela dit, le dispositif est mis en œuvre dans des conditions aussi humaines que possible et adaptées aux circonstances. Ainsi, à Calais, pour les personnes non prises en charge par le DNA, l’État a mis en place un plan grand froid prévoyant la mise à l’abri pour la nuit des personnes se trouvant dans des campements illégaux.

J’émets donc un avis défavorable à cet amendement.

M. Erwan Balanant. Je me suis, moi aussi, rendu à Calais au moment des grands froids, et j’ai pu constater que les services de l’État déployaient des efforts importants durant la période hivernale. Cependant, dans ma circonscription bretonne, j’ai également été témoin de l’expulsion d’une famille d’un CADA alors que la température était de moins cinq degrés Celsius. Cette famille a pu être hébergée provisoirement grâce à la solidarité des associations, mais je trouve que, sur le principe, une telle situation n’est pas tolérable : on doit pouvoir trouver une solution pour faire bénéficier de la trêve hivernale toutes les personnes se trouvant sur notre territoire, quelle que soit leur nationalité et quels que soient leurs droits.

La Commission rejette lamendement.

Elle examine ensuite les amendements identiques CL89 de Mme Marietta Karamanli, CL326 de M. Bastien Lachaud et CL712 de Mme Sonia Krimi.

Mme Marietta Karamanli. Notre amendement tend à supprimer les alinéas 7 et 8 de l’article 9, qui visent à légaliser ce qu’il est convenu d’appeler la « circulaire Collomb », au sujet de laquelle toutes les associations de défense des droits fondamentaux nous ont interpellés. Ces dispositions posent problème, ainsi que l’a souligné le Défenseur des droits, qui a demandé leur retrait. Premièrement, elles entretiennent la confusion entre la mise à l’abri, qui est un droit fondamental inconditionnel, et une forme de contrôle de la situation administrative des hébergés au regard de leur droit au séjour, dans le but de réorienter les personnes en situation irrégulière. Deuxièmement, elles entretiennent également la confusion entre les missions des travailleurs sociaux et les missions de sélections et de contrôle des autorités, qui sont difficilement compatibles. La suppression des deux alinéas reprenant ces dispositions rendra les choses plus claires.

Mme Danièle Obono. Notre amendement CL326, identique à celui que vient de présenter Mme Karamanli, vise à supprimer les alinéas 7 et 8 de l’article 9, qui constituent une légalisation de la « circulaire Collomb » et ont donc pour objet de faire le tri entre « bons » et « mauvais » migrants, remettant en cause le principe de l’accueil inconditionnel.

Les dispositions visées imposent une information mensuelle de la part des services intégrés d’accueil et d’orientation (SIAO). Comme le rappelle la CIMADE, « ce projet grave dans la loi la logique détestable de la circulaire du 12 décembre 2017, qui demande au SAMU social dadresser à lOFII la liste des personnes hébergées, qui sont réfugiées ou dans lattente de leur demande dasile. Au lieu daccueillir sans question ni condition des personnes démunies qui cherchent un abri pour la nuit, les travailleurs sociaux devraient les contrôler et dresser des listes qui pourraient servir à leur expulsion, au mépris de toute déontologie ».

Dans son avis, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) relève que, en application de l’article L. 345-2-2 du CASF, l’accès aux dispositifs d’hébergement d’urgence n’est subordonné à aucune condition, notamment de séjour. Elle rappelle ainsi que l’échange d’informations envisagé ne doit pas conduire à ce que les SIAO excluent du dispositif d’hébergement d’urgence des personnes pouvant en bénéficier. Elle recommande que le projet de loi précise clairement l’objectif de cet échange tel que présenté par le ministère.

Nous proposons donc la suppression des alinéas 7 et 8, afin de garantir à la fois un accueil des migrants et des conditions de travail acceptables et dignes.

Mme Sonia Krimi. Nous proposons nous aussi, avec l’amendement CL712, de supprimer les alinéas 7 et 8, derrière lesquels se profile l’ombre inquiétante de la circulaire du 12 décembre 2017 – la seule différence, c’est qu’ici les informations sur les personnes hébergées ne sont pas obtenues en demandant à des agents des préfectures et de l’OFII de se rendre auprès des structures d’hébergement, mais au moyen de listes envoyées par les SIAO.

Si je comprends l’idée consistant à ce que les demandeurs d’asile intègrent des hébergements décents, j’ai du mal à admettre que l’on veuille inscrire dans une loi sur le droit d’asile des dispositions de contrôle relevant du champ réglementaire – d’autant que ces dispositions figurent déjà dans le code de l’action sociale et des familles à l’article D. 348-6 créé par le décret n° 2007-1300 du 31 août 2007, selon lequel la convention prévue par l’article L. 348-4 précise la nature et les conditions de mise en œuvre des missions assurées par le centre d’accueil pour demandeurs d’asile en application du I de l’article L. 348-2 et, à ce titre, mentionne obligatoirement les échanges d’informations entre le gestionnaire de l’établissement et les services de l’État.

Mme Elise Fajgeles, rapporteure. Les informations recueillies sont extrêmement importantes pour permettre un suivi adapté, tant des demandeurs d’asile que des réfugiés qui se trouvent dans des structures où ils ne bénéficient justement pas de ce suivi. M. Didier Leschi, directeur général de l’OFII, nous a dit lors de son audition qu’en 2017, grâce aux visites effectuées dans les centres d’hébergement d’urgence, ses services ont pu prendre en charge 17 000 personnes qui, soit étaient demandeurs d’asile mais n’avaient pas accès aux conditions matérielles d’accueil, n’ayant pas été prises en charge suffisamment tôt par le DNA, soit étaient présentes en tant que réfugiés, et n’avaient pas même commencé leur parcours d’intégration. De ce point de vue, nous ne pouvons que nous féliciter de la prise en charge de ces 17 000 personnes.

Je précise bien que le chiffre indiqué correspond à l’année 2017, car c’est avant la publication de la circulaire que vous évoquez que des agents de l’OFII ont commencé à aller se renseigner sur la situation administrative de toutes les personnes accueillies : cela fait environ deux ans qu’il y a des contacts entre les agents de l’OFII et les associations gestionnaires en vue de recenser le statut administratif des personnes hébergées, afin que chacun puisse être hébergé dans un lieu correspondant à sa situation administrative, et que les centres d’hébergement de droit commun puissent ensuite faire leur office, consistant à héberger des personnes en grande précarité se retrouvant à la rue, et n’ayant pas vocation à être prises en charge en tant que réfugiés ou demandeurs d’asile. J’émets donc un avis défavorable à ces amendements de suppression.

M. Éric Ciotti. Si je peux comprendre la motivation de ceux qui défendent ces amendements, ceux-ci me paraissent totalement injustifiés sur le fond. Dans un État de droit, il est ahurissant de constater que la circulaire publiée en décembre 2017 par le ministre de l’Intérieur a pu donner lieu à une telle polémique, alors qu’elle était très modérée dans ses injonctions, ne visant qu’à connaître la situation administrative de personnes hébergées par des structures d’État, financées par le contribuable, dans le seul but d’être en mesure de les orienter. N’est-ce pas le rôle de l’État que de faire respecter la loi et le droit ?

Aujourd’hui, il est nécessaire de connaître le statut des personnes hébergées afin de pouvoir les orienter. Soit elles relèvent de dispositifs sociaux et d’urgence et doivent être prises en charge à ce titre, soit elles sont en infraction avec les lois de la République car, ayant été déboutées du droit d’asile, elles se trouvent en situation illégale au regard du séjour sur notre territoire et doivent alors être éloignées du territoire national. Je le répète, il y va du respect de la loi et du droit !

Je ne comprends donc pas comment les auteurs de ces amendements peuvent les justifier, à moins de prétendre qu’il n’existe aucune différence entre ceux qui obtiennent le statut de réfugié et les déboutés, entre ceux qui sont en situation régulière sur le territoire national et ceux qui y sont en situation irrégulière – ces derniers ayant, si je comprends bien, un droit indéfini à se maintenir sur le territoire national.

M. Bertrand Pancher. Nous évoquons là un sujet donnant lieu à une vraie controverse. Si je comprends les arguments évoqués par M. le ministre et Mme la rapporteure, il faut tout de même tenir compte de la réalité, monsieur Ciotti, et nous ne pouvons pas faire comme si nous n’entendions pas les organisations ayant pour mission l’accueil des migrants, qui se font constamment l’écho des drames humains qui se jouent chaque jour sur le terrain. Certes, le droit est important, mais il y a aussi l’humanité ! Nous parlons ici d’êtres humains, dont la vie se résume à être traqués de toutes parts. S’ils ne sont pas hébergés, ils doivent se débrouiller pour trouver quelqu’un qui leur donne un abri, ou bien ils sont obligés de se cacher sous des toiles de tente.

Pour ma part, j’ai vraiment envie que la belle promesse du Président de la République, consistant à ce que plus personne ne dorme dehors la nuit, soit enfin tenue – ce qui est encore loin d’être le cas, comme on a malheureusement pu le voir cet hiver. Pour cela, nous devons introduire un peu de souplesse dans le dispositif, et je sais gré aux auteurs de ces amendements de suppression d’avoir permis de rouvrir le débat sur un sujet à la fois délicat et important.

Mme Martine Wonner. Il ne faut pas tout confondre, monsieur Ciotti. Les centres d’hébergement d’urgence accueillent les gens de façon totalement inconditionnelle, ce qui ne veut pas dire qu’ils abritent de façon malencontreuse des personnes en situation irrégulière qui n’auraient aucun droit mais bien qu’ils hébergent des personnes démunies, en souffrance et qui, si on commence à faire le tri entre elles, n’y viendront plus et seront à la rue. C’est tout le contraire de ce que nous souhaitons. L’amendement CL682 que je défendrai tout à l’heure rappelle la nécessité d’une communication entre les services du SIAO et de l’OFII – mais en vue de protéger les personnes.

M. Thomas Rudigoz. Je souhaite répondre à M. Pancher, car je trouve trop forts les termes qu’il a employés. Cher collègue, vous nous parlez de « traque » pour qualifier cette procédure, mais cela ne correspond pas à la réalité. Je ne sais pas comment cela se passe dans votre département mais, dans celui du Rhône où j’ai rencontré un grand nombre d’acteurs chargés du droit d’asile, la situation n’est absolument pas celle-là. Il faut faire attention aux mots qu’on emploie, sans quoi on tombe inévitablement dans la caricature, alors que ce texte est équilibré.

Vous avez interpellé le Président de la République. Je citerai donc un de ses propos récents : « Il y a beaucoup de confusion chez certains et il faut se garder des faux bons sentiments ». Pour avoir parlé avec plusieurs agents de l’État et de l’OFII, je peux vous dire que dès avant la publication de la circulaire tant décriée du ministère de l’Intérieur, les services de l’État étaient déjà en contact avec les responsables de centres d’hébergement et qu’ils avaient connaissance des personnes porteuses d’un titre d’asile et de celles qui suivaient une procédure de demande d’asile. Il est normal que l’État qui finance les centres d’hébergement sache qui les occupe. Il n’est pas question pour autant de « traquer » ces personnes. Attention, encore une fois, aux termes que l’on emploie.

Mme Marietta Karamanli. Nous n’avons pas la même philosophie ni la même analyse que M. Ciotti. Les SIAO font déjà un travail de repérage, d’enregistrement, d’accueil et d’orientation de ces personnes. Pourquoi demander aux services de l’État de refaire le même travail avec d’autres objectifs ? Cela ne risque-t-il pas de remettre en question l’action des travailleurs sociaux des SIAO ? Nous souhaiterions éviter toute confusion entre les missions des différents services.

Mme Danièle Obono. Les enjeux qui ont été mis en avant lors de la présentation du projet de loi sont l’efficacité et la rapidité. Il y a peut-être des microcosmes territoriaux, et peut-être tout se passe-t-il très bien à Lyon et dans le département du Rhône… Mais quand des associations claquent la porte d’une réunion avec le ministre, ce n’est pas simplement pour faire de l’esbroufe ou pour entretenir leur fonds de commerce mais parce que la réalité est très diverse au niveau national et que la circulaire et sa transposition dans le projet de loi vont à l’encontre de l’objectif d’orientation des personnes vers les services susceptibles de les aider. Du seul point de vue de l’efficacité, si cher à M. Ciotti, cette mesure est donc totalement contre-productive. Si l’on ne tient pas compte de ce que disent les principales personnes concernées et celles qui les accompagnent, on fait une loi pour se faire plaisir et pour pouvoir dire qu’on est ferme, mais elle créera in fine plus de problèmes qu’elle n’en résoudra.

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. Je soutiens la position défavorable de Mme la rapporteure, avec la même argumentation. Il convient que chaque public puisse être dans le dispositif qui lui est consacré, donc que les demandeurs d’asile relèvent du dispositif national d’asile (DNA) plutôt que de l’hébergement d’urgence et que les réfugiés ne soient pas non plus dans l’hébergement d’urgence mais qu’ils puissent trouver un logement. Je rappelle que le Gouvernement est en train de mettre en place un dispositif de manière à pouvoir les accueillir. Les politiques que nous menons se tiennent et nous essayons de traiter les choses globalement. Comme on l’a dit tout à l’heure, au cours des quelques visites qu’a faites l’OFII, on s’est aperçu qu’il y avait absolument tout le monde dans ces centres d’hébergement d’urgence, ce qui, évidemment, y crée une embolie structurelle au point que quand vous appelez le 115 pour les vrais cas d’urgence, vous ne trouvez plus de place. Nous essayons de faire évoluer les choses, c’est pourquoi je suis défavorable aux amendements proposés.

La Commission rejette les amendements.

Elle aborde lamendement CL682 de M. Jean-Michel Clément.

Mme Martine Wonner. Compte tenu de la difficulté que l’on a, sur le terrain, à trouver des hébergements adaptés aux personnes, à la taille des familles et aux femmes enceintes qui sont dans le circuit de la demande d’hébergement, il faut que les SIAO puissent communiquer avec l’OFII. Cependant, il convient de préciser à cet alinéa que cette discussion mensuelle entre services a comme seul objectif de trouver un lieu d’hébergement adapté. C’est l’objet de cet amendement.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Cette proposition est certes constructive, mais elle viderait de son sens la disposition du projet de loi. Avis défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Elle adopte successivement les amendements rédactionnels CL491, CL478, CL479 et CL480 de la rapporteure.

Elle adopte également lamendement de coordination CL913 de la rapporteure. En conséquence, les amendements CL92 de Mme Marietta Karamanli, CL481 de la rapporteure, CL723 de M. Christophe Blanchet et CL410 de M. Loïc Prudhomme tombent.

Mme Marietta Karamanli. Les amendements qui viennent de tomber n’auraient-ils pas dû être en discussion commune avec celui qui a été adopté juste avant ?

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Non. Il n’y a pas systématiquement discussion commune lorsque l’adoption d’un amendement rendrait sans objet des amendements ultérieurs. La mise en discussion commune est décidée par la présidence. J’ai pris la décision de ne pas le faire sur ces amendements.

Mme Marietta Karamanli. Vous pourriez au moins nous laisser la parole…

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Cela fait, madame, quinze heures que nous débattons. Je donne systématiquement la parole à tous les députés qui la demandent.

La Commission adopte successivement les amendements rédactionnels CL488 et CL489 de la rapporteure, puis les amendements identiques de coordination CL914 de la rapporteure et CL828 de M. Florent Boudié.

Elle est ensuite saisie de lamendement CL93 de Mme Marietta Karamanli.

Mme Marietta Karamanli. Nous proposons une rédaction alternative de l’alinéa 21, précisant que la décision de retrait des conditions matérielles d’accueil peut faire l’objet d’un recours suspensif. Que le Gouvernement cherche à conférer un caractère immédiat aux décisions de suspension, de retrait ou de refus placera nécessairement des demandeurs d’asile dans une situation de grande difficulté, quand bien même une procédure contradictoire serait prévue pour les contester a posteriori. Le projet de loi n’apporte aucune garantie au demandeur d’asile pour se prémunir d’éventuelles décisions arbitraires de l’administration, contrairement à ce que prévoit le droit en vigueur.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Il y a déjà un recours possible contre le retrait des conditions matérielles d’accueil devant le juge administratif : 746 recours ont été formés en 2017. Par ailleurs, lorsqu’il est mis fin au bénéfice de son allocation, le demandeur d’asile la perçoit quand même jusqu’au mois suivant. Il ne se retrouve donc pas tout de suite dans une situation précaire. Pendant cette période, il peut demander le rétablissement des conditions matérielles d’accueil auprès de l’OFII, comme cela est prévu à l’article L. 744-8 du CESEDA. Avis défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Elle en vient à lamendement CL688 de M. Jean-Michel Clément.

Mme Martine Wonner. Actuellement, quand une personne est déboutée et qu’elle est en CADA, elle peut y rester jusqu’à la fin du mois suivant la notification de la décision de la CNDA. Cet article réduit ce délai de sorte que, sitôt après l’audience publique de la CNDA, la personne cesse de toucher l’ADA dès la fin du mois en cours et doive quitter le CADA.

Pour que la personne puisse trouver une solution, il conviendrait que ses droits prennent fin dans un délai plus raisonnable – la fin du deuxième mois suivant l’audience publique de la CNDA. Tel est l’objet de notre amendement.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Compte tenu des sommes en jeu – je vous rappelle que l’ADA est actuellement versée à 120 000 personnes par mois en moyenne –, ces alinéas visent à pouvoir en retirer rapidement le bénéfice aux personnes qui n’ont pas le droit au maintien sur le territoire. Avis défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Elle étudie ensuite lamendement CL581 de Mme Danièle Obono.

Mme Danièle Obono. Cet amendement vise à lancer une expérimentation pour remédier à l’insuffisance manifeste, dénoncée par le Conseil d’Etat, du montant de l’ADA. Rappelons les conditions dans lesquelles les préfets peuvent exercer leur compétence discrétionnaire en matière d’utilisation et de fongibilisation des crédits pour faire face à la misère matérielle des demandeurs et demandeuses d’asile n’ayant pas pu être logés, ce alors même que le Conseil d’État a récemment jugé que le complément d’allocation pour le logement était insuffisant pour trouver à se loger dans le parc privé. Nous proposons une grille de lecture permettant au préfet d’apprécier l’opportunité d’utiliser son pouvoir discrétionnaire pour remédier à cette situation préjudiciable et de permettre aux demandeurs et aux demandeuses d’asile non logés par l’État dans l’attente de la décision de l’OFPRA puis de la CNDA, de mener une existence digne.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Il est important de maintenir un principe d’égalité de traitement pour tous les demandeurs d’asile. Il y aura une répartition des demandeurs d’asile en fonction des places disponibles, mais pas de modulation de l’ADA en fonction des territoires. Cette orientation directive, qui permet de mieux héberger et de mieux orienter les demandeurs partout sur le territoire, permettra également de mieux prendre en compte ces conditions matérielles. Avis défavorable.

Mme Stella Dupont. Sans être tout à fait en phase avec Mme Obono, je voudrais insister sur un point, étant donné que Mme la rapporteure vient de parler d’égalité de traitement. Le texte qui nous est proposé entraînera quand même une forme d’inégalité que je regrette puisque selon que la décision de la CNDA interviendra le 1er ou le 29 du mois, les conséquences sur le versement de l’ADA ne seront pas du même ordre. Il sera compliqué aux demandeurs de se retourner et de trouver une solution le 29 du mois. J’aurais préféré que l’amendement défendu par Mme Wonner soit retenu et peut-être qu’on aurait pu imaginer une solution intermédiaire pour offrir à tous les demandeurs une équité de traitement.

M. Ugo Bernalicis. Au-delà de nos débats parfois chaotiques, madame la rapporteure, vous savez très bien pourquoi nous ne proposons qu’une expérimentation ! En l’état des institutions de la Ve République, les députés ne peuvent créer de nouvelle dépense publique, selon les termes de l’article 40 de la Constitution. Mais peut-être M. le ministre, dans sa grande bienveillance, voudra-t-il reprendre à son compte notre amendement, afin que le dispositif soit applicable sur tout le territoire ?

M. Bertrand Pancher. Vous avez raison, les migrants sont souvent contraints de vivre de mendicité ou de la charité des organisations caritatives. Mais soyons également honnêtes et attentifs aux réactions très vives de l’opinion publique, qui estime que ces migrants vont finir par toucher plus que des personnes qui sont sur notre sol depuis plus longtemps… L’amendement que nous examinerons demain nous permettra sans doute de réconcilier ces deux positions : dès qu’ils ont déposé leur dossier administratif, il faut que les migrants puissent travailler, car ils le souhaitent vraiment, monsieur le ministre. Nous devons avancer sur cette piste, essentielle pour leur dignité.

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. L’indemnité est reçue à terme échu. Si quelqu’un est débouté après le 15 janvier, il touchera son indemnité jusqu’au 5 mars. Le problème que vous évoquez ne se pose donc pas exactement en ces termes.

La Commission rejette lamendement.

Elle adopte ensuite larticle 9 modifié.

Article 9 bis (nouveau)
(art. L. 349-3 du code de laction sociale et des familles)
Prise en compte de la vulnérabilité pour laccès aux centres provisoires dhébergement

Résumé du dispositif et effets principaux :

L’article 9 bis résulte de l’adoption d’un amendement de votre rapporteure. Il a trait aux centres provisoires d’hébergement (CPH) prévus par les articles L. 349-1 à L. 349-3 du code de l’action sociale et des familles.

Les CPH ont vocation à accueillir mais aussi à offrir un accompagnement linguistique, social, professionnel et juridique aux personnes s’étant vu accorder une protection par la France, réfugié ou protection subsidiaire. Ils sont destinés aux personnes les plus fragiles en vue de faciliter leur intégration dans les quelques mois qui suivent l’obtention de leur statut. Il existait 42 centres pour 2 207 places en 2017, 3 000 nouvelles places devant être créées en 2018.

L’amendement adopté complète l’article L. 349-3 précité pour mieux articuler ce dispositif d’hébergement provisoire des réfugiés avec celui dont bénéficient les demandeurs d’asile le temps d’examen de leur demande et leur permettre ainsi de garder un lien avec leur premier territoire d’accueil pour faciliter leur intégration.

*

*     *

La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL904 de la rapporteure et CL817 de M. Florent Boudié.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Nous proposons de mieux articuler le dispositif d’hébergement proposé au réfugié au début de son parcours d’intégration avec celui dont il bénéficiait au moment de l’examen de sa demande d’asile, afin de prendre en compte les liens familiaux et personnels, ainsi que la région dans laquelle il a pu tisser de tels liens, pour procéder à l’affectation dans un lieu d’hébergement.

La Commission adopte lamendement CL904. Larticle 9 bis est ainsi rédigé.

En conséquence, lamendement CL817 tombe.

Lamendement CL818 de M. Florent Boudié est retiré.

Après l’article 9

La Commission examine lamendement CL572 de M. Éric Coquerel.

M. Ugo Bernalicis. Dès 1793, et de nouveau en 1946, à la suite de la Libération, la protection des combattants et combattantes de la liberté a fait partie de la tradition constitutionnelle de résistance de la France. Pourtant, la France est l’un des pays européens disposant du droit d’asile constitutionnel le moins protecteur. C’est à nos ancêtres révolutionnaires, opprimés pour leurs idées, résistants et résistantes, combattants et combattantes de la liberté, que nous devons notre présence dans cette Assemblée.

Ni l’état actuel du droit, ni votre projet de loi ne font honneur à cet héritage précieux. Depuis 1993, les différents gouvernements n’ont eu de cesse de réduire le spectre de cette protection spécifique et politique. Or, le droit d’asile qui incarne notre tradition de promotion historique d’une liberté humaine inaliénable et du bien commun mondial ne doit pas rester lettre morte.

Notre amendement rédactionnel vise à le renforcer en en spécifiant l’étendue et en y incluant les nouvelles formes de résistance – notamment numériques –, afin que l’État français protège les lanceurs et lanceuses d’alertes internationaux, au service de l’intérêt général. L’asile prévu par le Préambule de la Constitution de 1946 pourra faire l’objet d’une motivation particulière de l’OFPRA et de la CNDA.

Nous pourrions accueillir quelques lanceurs d’alertes… Aujourd’hui, malheureusement, l’un d’entre eux vient d’être interpellé par la justice espagnole, alors qu’il était à l’origine des révélations des Swiss Leaks.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. L’article L. 711-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) reconnaît déjà à toute personne persécutée en raison de son action en faveur de la liberté la qualité de réfugié. Il n’est pas utile de développer cette formule, suffisamment englobante pour couvrir tous les cas de figure évoqués.

M. Bertrand Pancher. En préalable, il faudrait peut-être revenir sur les accords de Dublin régissant la politique européenne d’asile… Monsieur le ministre, mon département a accueilli un prêtre venant de la République démocratique du Congo (RDC). Il est venu légalement et va rester. Pour des raisons politiques, son frère s’est fait assassiner en RDC. Son neveu a paniqué et est arrivé en France avec sa femme et ses deux enfants. Malheureusement, il est entré en Europe par le Portugal. Quand il est arrivé sur notre territoire, on lui a signifié son expulsion vers le Portugal. Mais, ce dernier pays n’ayant pas la même conception que la France de ses relations avec la RDC, il ne voulait pas partir. Il a menacé de se suicider et s’est jeté d’une fenêtre dans l’immeuble où il était hébergé. J’ai intercédé plusieurs fois en sa faveur auprès du préfet du département concerné – je ne citerai pas son nom – qui m’a expliqué ne pouvoir faire autrement qu’appliquer les accords de Dublin. Alors que ce monsieur allait être expulsé, sa femme a également fait une tentative de suicide et les enfants ont été placés. La panique a alors gagné tout le monde et, sans que l’on sache pourquoi, le même préfet m’a finalement expliqué qu’il avait de petites marges, mais qu’il n’était pas sûr de pouvoir les conserver…

À défaut, peut-être, de revenir sur ces accords – ils sont toujours difficiles à négocier –, vous devez absolument laisser des marges de manœuvre aux préfets, monsieur le ministre. Les dossiers doivent être traités beaucoup moins brutalement et au cas par cas, car ces migrants sont avant tout des êtres humains ! J’ai des dizaines d’exemples de ce type ; vous les connaissez tous puisque je les fais régulièrement remonter à votre ministère.

M. Ugo Bernalicis. Madame la rapporteure, je comprends que l’article en fait déjà état, mais nous souhaitons développer cette mention, afin de souligner notre volonté politique d’élargir les bases de l’asile pour les combattants pour la liberté.

Actuellement, l’asile est trop rarement octroyé pour ce motif. Il nous semble important de réaffirmer cette volonté et d’amplifier l’ambition universaliste de la République française. Pourquoi n’a-t-on pas proposé l’asile à Edward Snowden ? Peut-être qu’à défaut d’excuses (Exclamations) M. le ministre aurait un avis sur cette intéressante question ?

La Commission rejette lamendement.

Elle examine ensuite lamendement CL600 de Mme Elsa Faucillon.

Mme Elsa Faucillon. Cet amendement fait suite aux discussions d’hier qui ont permis quelques avancées, même si elles sont encore extrêmement minces. Nous souhaitons que les femmes persécutées ou menacées de persécution dans leur pays en raison de leur action en faveur des droits des femmes, du fait de leur refus de se soumettre à des coutumes, des normes ou des pratiques discriminatoires dans leur pays ou à cause de leur orientation sexuelle, puissent se voir reconnaître le statut de réfugié.

De nombreuses victimes sont persécutées parce qu’elles sont militantes et refusent la domination patriarcale. On ne rentre plus ici dans le cadre d’une circulaire, mais bien dans celui de la convention de Genève. Il faut l’inscrire dans la loi, d’autant que les nombreuses circulaires publiées ne sont pas toujours suivies à la lettre. Ainsi, certaines personnes répondent à tous les critères édictés par une circulaire et ne sont pas régularisées pour autant !

Hier, un amendement nous a permis d’avancer sur les problématiques relatives aux personnes lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres (LGBT). Nous pourrions également nous accorder sur cet amendement.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Hier, nous avons travaillé sur les pays d’origine sûrs. Le présent amendement modifie la notion même de réfugié. Le Préambule de la Constitution de 1946 et les termes de la convention de Genève me semblent suffisamment clairs : « Le terme de réfugié sapplique à toute personne craignant avec raison dêtre persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ».

Je vous rejoins : une femme doit pouvoir être protégée en raison de son action pour les droits des femmes, mais il s’agit bien d’une « opinion politique », déjà visée par la convention de Genève. À ce titre, elle mérite la protection de la France et pourra en bénéficier. Avis défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements CL571 de M. Bastien Lachaud et CL658 de M. Éric Coquerel.

M. Ugo Bernalicis. Monsieur le ministre, je vais prolonger votre souffrance mais nous allons peut-être finir par vous faire entendre raison sur la question des réfugiés climatiques ! Selon les estimations de l’Organisation des Nations unies (ONU), 250 millions de personnes seront forcées de s’exiler à cause des bouleversements climatiques d’ici à 2050. Une partie substantielle de ces migrations contraintes se fera hors des frontières nationales.

Cet élément fondamental n’est pas suffisamment pris en compte dans notre réflexion sur la crise écologique. Pourtant, il mérite toute l’attention du législateur. En effet, l’enjeu humanitaire et géopolitique est considérable et il sera inévitable d’intégrer cette nouvelle donne dans la législation relative au droit d’asile.

Le droit international n’appréhende pas encore vraiment les réfugiés environnementaux. Néanmoins, dès 1985, le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) en a proposé une définition. Il s’agit de « toute personne forcée de quitter son habitation traditionnelle dune façon temporaire ou permanente à cause dune dégradation nette de son environnement qui bouleverse son cadre de vie et déséquilibre sérieusement sa qualité de vie ».

Nous proposons que notre législation soit à l’avant-garde en accordant le bénéfice de la protection subsidiaire à toute personne qui subit dans son pays d’origine une dégradation de son environnement occasionnant un bouleversement grave de son cadre de vie.

Mme Danièle Obono. Le droit d’asile prend uniquement en compte les persécutions subies dans le pays d’origine. Or le parcours migratoire peut souvent induire des violences et traumatismes qui nécessiteraient que l’État français accorde une protection à celles et ceux qui les ont subis, d’autant que ces tortures et traitements inhumains ou dégradants sont parfois directement ou indirectement les conséquences de la politique étrangère de l’Union européenne ou de la France, qui n’agissent pas contre les violences et les violations graves des droits des populations migrantes – torture, enfermement, réduction en esclavage, prostitution, travail forcé, violences.

La condamnation unanime de la Libye – y compris au sein de l’Assemblée nationale – est significative. Mais, quand on y regarde de plus près – les associations internationales le dénoncent d’ailleurs depuis des mois –, les liens entre l’Union européenne et la Libye ne sont pas neutres : nous cogérons la crise migratoire avec un pays qui ne respecte par les droits fondamentaux des migrants ! L’Union européenne apporte son soutien au blocage des migrants en Libye, alors même qu’elle sait qu’ils et elles peuvent être victimes des plus inhumains et dégradants traitements. Et la Libye n’est malheureusement pas un cas isolé… En reconnaissant les violences et atteintes subies par des personnes lors de leur parcours migratoire, nous renouerions avec notre histoire et notre tradition constitutionnelle de protection des opprimés.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Ces deux amendements sont différents, mais ma réponse sera proche et mon avis défavorable. S’agissant du premier amendement, la notion de réfugié climatique n’est pas intégrée à la Convention de Genève. Il est extrêmement intéressant de lancer ce débat, mais la discussion doit avoir lieu devant les Nations unies.

Compte tenu des évolutions écologiques dont nous avons tous conscience, il est évident que le cadre juridique international devra être revu. Mais le réfugié climatique ne craint pas pour sa vie en raison de persécutions. La convention de Genève ayant fait l’objet d’une transposition sur cette base dans nos textes, il me paraît compliqué de revenir dans un projet de loi national sur des textes internationaux.

S’agissant du deuxième amendement, si les personnes qui craignent pour leur vie ou subissent des persécutions peuvent être protégées en tant que réfugiés sur notre territoire, celles qui ont subi de mauvais traitements pendant le voyage, sans être en danger dans leur pays d’origine, ne peuvent prétendre au statut de réfugié.

Des personnes ayant subi de mauvais traitements pendant leur trajet mais ne se trouvant pas en danger dans leur pays d’origine ne correspondent pas à la définition actuelle des réfugiés. Il ne s’agit pas de nier les mauvais traitements qui ont eu lieu : on doit au contraire lutter aussi efficacement que possible contre les filières de passeurs – je pense que le ministre d’État pourrait nous en parler, puisqu’il s’agit d’une de ses priorités. Nous devons faire en sorte que des personnes qui ne pourraient pas bénéficier du droit d’asile en France n’aient pas à traverser des régions dangereuses pour leur vie.

J’émets donc un avis défavorable sur ces deux amendements.

Mme Elsa Faucillon. Ne pas s’intéresser à ces questions reviendrait à ne pas penser le monde de demain – et ce n’est pas en termes de fermeture ni de repli que nous devons le faire. Il faut être conscient que nous serons de toute façon confrontés à cette problématique. Ceux qui y travaillent dès aujourd’hui préparent l’avenir. Le ministre pourrait nous donner son avis et peut-être faire part d’un engagement de la France. Nous devons aborder ce sujet à l’échelle européenne et internationale : je plaide pour que notre pays pousse la communauté internationale à agir. Ce projet de loi nous fragilise à plusieurs titres. D’abord, il n’affiche pas notre solidarité. Ensuite, il faudrait montrer que nous ne gérons pas seulement une crise des migrants, mais aussi de l’accueil. Enfin, nous ne serons pas crédibles au plan international sans une accélération des relocalisations et des différents engagements pris en 2015 au plan européen. Je suis donc favorable à ces amendements.

M. Frédéric Petit. Nous n’avons pas les mêmes rapports avec les pays d’origine quand il s’agit de réfugiés climatiques – poussés au départ par un tremblement de terre, par exemple. Les enjeux sont complètement différents. Le sujet est important, mais je ne crois pas que l’on puisse le traiter avec d’autres questions au sein d’une même loi.

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. Nous aurons bientôt l’occasion de parler de la question des réfugiés climatiques, et je m’exprimerai à ce moment-là.

Le problème des passeurs est tout à fait épouvantable. Nous avons démantelé l’année dernière 303 réseaux en France, avec l’aide d’autres pays, et 60 autres depuis le début de l’année. Nous sommes donc sensibles à cette question. Le Nouvel Observateur a publié un article terrible sur les filières de prostitution de jeunes filles en provenance du Nigéria. Il y a une sorte de passage de relais, de pays en pays jusqu’en Europe, entre les réseaux de passeurs. Quand la criminalité est organisée sur le plan international, il faut une coopération policière à cette échelle. Nous nous y employons : l’un de nos principaux objectifs est de lutter contre les réseaux de passeurs, en particulier ceux qui se développent, avec une rapidité extrême, dans le domaine de la prostitution.

Mme Danièle Obono. Je n’ai pas bien saisi, monsieur le ministre, à quel moment nous sommes censés discuter de la question des réfugiés climatiques. Nous vous interpellons depuis décembre dernier, et ce texte relatif aux réfugiés nous donne l’occasion d’avancer dès aujourd’hui. Je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas commencer la discussion. Il serait bon que notre pays adopte une position avant-gardiste susceptible d’inspirer d’autres pays.

Comme l’a souligné Ugo Bernalicis, une définition des réfugiés environnementaux a été proposée par le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) dès 1985 : il existe déjà des outils que nous pouvons reprendre. Nous aurons une légitimité d’autant plus forte pour mener le débat au niveau international si nous créons un nouveau statut dans notre propre législation. Je ne comprends vraiment pas pourquoi nous ne profitons pas de l’opportunité offerte ce texte alors que le Gouvernement et la majorité affirment qu’il est nécessaire de traiter les questions climatiques. Je pense que le ministre Nicolas Hulot et l’ensemble de la majorité seront d’accord avec nous : les réfugiés climatiques sont l’un des sujets qui font consensus dans ce domaine.

M. Matthieu Orphelin. Nous aurons ce débat. Le ministre l’a dit et nous avons déposé des amendements très détaillés qui seront examinés par la suite. Il y a certes le statut des réfugiés climatiques, mais aussi d’autres questions qui sont liées : nous devons en débattre de manière globale. Soyons dignes de ce sujet si important, qui nous rassemble tous.

La Commission rejette successivement les amendements CL571 et CL658.

Elle examine ensuite lamendement CL863 de Mme Caroline Janvier.

Mme Caroline Janvier. Nous souhaitons accélérer l’aménagement des CADA dans le domaine du numérique. Internet sert non seulement d’outil d’orientation et de communication pour des migrants qui ont souvent traversé une bonne partie du monde, mais permet aussi et surtout de garder un lien fort avec les membres de leur famille, dont ils sont séparés. Le numérique offre par ailleurs de formidables opportunités pour dématérialiser et simplifier les procédures d’asile. Le projet de loi permet ainsi à l’OFPRA de communiquer ses décisions et d’adresser ses convocations par « tout moyen », y compris électronique. Nous devons nous poser la question de l’accès des demandeurs d’asile à internet : cela reste compliqué, même après l’arrivée en France. Faute de moyens, tous les CADA ne sont pas nécessairement dotés d’une connexion. Une réflexion doit donc avoir lieu sur l’accès à l’internet mobile.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Je partage d’autant plus l’objectif que j’ai défendu l’idée d’une notification par la voie numérique, l’accès aux décisions pouvant alors se faire au niveau des PADA ou des CADA. Il me semble que c’est déjà possible, en tout cas dans les plateformes associatives, mais le ministre souhaitera peut-être s’exprimer sur ce sujet. Je vous demanderai de retirer l’amendement.

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. Je partage la philosophie de votre amendement, mais ce que vous proposez ne relève pas de la loi : c’est une question d’organisation. Nous sommes en train d’équiper le dispositif d’accueil, et vous aurez donc satisfaction sur le fond. Comme la rapporteure, je vous demande de retirer votre amendement.

Lamendement est retiré.

La Commission est saisie de lamendement CL136 de M. Frédéric Petit.

M. Frédéric Petit. Mon amendement CL136 part d’un double constat. Sur le terrain, tout d’abord, on voit bien qu’il y a très peu de parcours d’intégration pour les demandeurs d’asile et qu’ils sont très succincts lorsqu’ils existent. On met bien davantage l’accent sur l’intégration de ceux qui ont obtenu le statut de réfugié, ce qui a d’ailleurs une certaine logique. Ensuite, comme l’a souligné la présidente de la commission des Affaires étrangères dans son rapport pour avis sur ce texte, on pourrait avoir davantage de moyens et de liant grâce une meilleure coordination avec l’aide au développement.

Je propose que toutes les actions d’intégration, notamment l’apprentissage du français et l’aide à l’entrepreneuriat, fassent l’objet d’une coordination avec les opérateurs de l’aide publique au développement qui interviennent dans les pays d’origine des demandeurs d’asile. Ce sont effet des acteurs très efficaces. Je pense par exemple à l’Alliance française de Paris et à l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), qui prépare notamment l’aide au retour – on pourrait l’améliorer en travaillant en collaboration avec les opérateurs de l’aide au développement.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. On peut discuter de l’intégration pendant l’examen des demandes d’asile – il existe notamment des propositions dans le rapport d’Aurélien Taché – mais cette question n’est pas abordée par le texte. Comme vous l’avez dit, c’est sur les réfugiés que l’accent est mis à l’heure actuelle. Je voudrais par ailleurs souligner que l’OFII se coordonne de plus en plus avec les pays d’origine en ce qui concerne le retour volontaire. Des postes ont été créés sur place et tout un travail est réalisé, notamment avec des diasporas et des entrepreneurs de pays africains. Je donne donc un avis défavorable à l’amendement.

M. Erwan Balanant. Cet amendement est particulièrement intéressant : il permet de commencer l’apprentissage du français et de notre culture dès le stade de l’accueil des demandeurs d’asile. On nous objectera peut-être qu’une partie d’entre eux vont être déboutés par la suite, mais nous ferons tout de même œuvre utile à un double niveau. Pour ceux qui obtiennent le statut de réfugié, on aura gagné du temps. Il faut d’ailleurs savoir que les demandeurs d’asile apprennent le français avec une extrême rapidité – c’est souvent la preuve d’une volonté de s’intégrer en France et d’embrasser notre pays. Pour ceux qui sont finalement déboutés, le travail réalisé participera au rayonnement de la France et de la francophonie tout en contribuant à l’aide au développement.

M. Frédéric Petit. J’aimerais compléter cet éclairage par deux exemples concrets. Il ne s’agit pas seulement d’apprendre le français. Parmi les demandeurs d’asile, il peut y avoir des ingénieurs dont notre dispositif d’aide au développement a besoin. On sait par ailleurs que la période séparant la demande d’asile et la décision finalement prise est anxiogène et pathogène, y compris pour l’environnement des demandeurs d’asile, car elle est marquée par l’ennui : on tourne en rond, on apprend le français mais pas avec des professionnels. Nous souhaitons au contraire que cette période soit riche. Il y a des moyens que l’on pourrait utiliser et un intérêt. L’OFII travaille sur l’aide au retour, mais que représente-t-elle par rapport à un dispositif encadré par l’Agence française de développement (AFD), pour des projets d’ingénierie par exemple, dans l’un des 19 pays prioritaires pour l’aide française ? N’est-ce pas plus intéressant qu’un chèque de l’OFII pour rentrer au pays ?

La Commission rejette lamendement.

Elle en vient à lamendement CL402 de Mme Annie Chapelier.

Mme Annie Chapelier. Nous souhaitons faire entrer la demande d’asile dans une approche socialement inclusive en donnant un cadre légal à des dispositifs qui honorent la France en tant que terre d’accueil. Les procédures nationales intègrent de plus en plus les bonnes pratiques qui existent chez nos voisins européens, nécessité que vous avez vous-même invoquée à plusieurs reprises, madame la rapporteure, depuis que nous examinons ce texte. Cela peut aussi concerner les dispositifs d’accueil.

Ainsi que notre collègue Aurélien Taché l’a suggéré dans son rapport, nous proposons de créer à titre expérimental un dispositif d’accueil de demandeurs d’asile par des particuliers. Cela permettrait de répondre à plusieurs objectifs : mieux impliquer la société civile dans l’accueil et l’accompagnement des demandeurs d’asile et des réfugiés ; donner un cadre légal à des initiatives locales qui existent déjà mais travaillent un peu sous le manteau ; désengorger les CADA en proposant des modes d’hébergement alternatifs ; permettre aux demandeurs d’asile de se projeter d’emblée dans la perspective de leur intégration grâce à l’accueil dans une famille, à un soutien psychologique et social, à un accompagnement dans l’apprentissage des codes sociétaux et culturels, et à une aide pour les démarches juridiques et administratives ; enfin, lutter contre le désœuvrement, qui constitue l’un des problèmes les plus douloureux pour les demandeurs d’asile.

Ce dispositif serait soumis à trois conditions : que la vulnérabilité des personnes concernées ne nécessite aucune prise en charge spécifique par des professionnels ; que le particulier assurant l’accueil bénéficie d’un suivi et d’une formation à l’accueil et à l’accompagnement, ce que font déjà des associations ; que les demandeurs d’asile bénéficient d’un accompagnement de même qualité que celui proposé en CADA – ils pourront notamment recevoir l’ADA.

L’OFII servirait d’organisme centralisateur et régulateur pour cette expérimentation reposant sur la base du volontariat, pour les demandeurs d’asile comme pour les particuliers qui les accueillent. Ces derniers ne percevraient aucune rémunération à ce titre.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Je vous remercie d’avoir déposé cet amendement, dont l’esprit est proche de celui de l’amendement précédent, inspiré de certaines propositions du rapport d’Aurélien Taché sur l’intégration des étrangers arrivant en France.

Je considère toutefois que cette proposition doit être précisée avant d’être éventuellement inscrite dans la loi ; rien n’interdit à des Français d’accueillir chez eux des demandeurs d’asile, des associations le proposent, et nous pouvons tous trouver formidable ce système de solidarité.

En revanche, l’inscrire dans la loi sans disposer d’une étude d’impact me paraît hasardeux, car il faut s’assurer de la possibilité d’un accompagnement social, et être sûr de la qualité des conditions d’accueil.

Un comité interministériel étudiera les possibilités de mises en œuvre des propositions formulées par Aurélien Taché dans son rapport ; c’est pourquoi je vous demande de retirer votre amendement, faute de quoi mon avis sera défavorable.

Mme Annie Chapelier. Me proposez-vous de retirer mon amendement en vue du dépôt d’une autre rédaction prévoyant une étude d’impact à laquelle cette proposition serait conditionnée ?

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Non, je nous renvoie aux travaux à venir du comité interministériel, qui prendra en compte les soixante-douze recommandations contenues dans ce rapport.

Mme Annie Chapelier. Dans ces conditions, je ne retire pas l’amendement, car le rapport d’Aurélien Taché, sans constituer une étude d’impact, a montré la pertinence de cette formule d’accueil.

M. Erwan Balanant. Je considère que cette expérimentation doit être faite. Il ne s’agit que de cela, pas de graver les choses dans le marbre. Cette réflexion est le fruit du travail de la commission ainsi que du rapport d’information sur le projet de loi pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif, fait par Mmes Chapelier et Hai.

Nous pourrions ainsi mettre en œuvre un dispositif inclusif, dont le coût épargnerait les deniers publics. Il est temps, en effet, que nous changions de posture et de paradigme dans la question de l’immigration.

Mme Marietta Karamanli. Nous devons rester un peu ouverts, le travail ne peut pas être uniquement interministériel, nous sommes des parlementaires. Cet amendement prévoit d’ailleurs un décret d’application encadrant le dispositif ; nous sommes dans un débat entre le Parlement et l’exécutif.

Nous aurons plus loin l’occasion d’évoquer le délit de solidarité, mais cette proposition donne un cadre juridique, d’autant plus que les associations seraient impliquées.

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, de lIntérieur. Si l’on peut comprendre le sens de cet amendement, on ne peut pas se lancer dans une opération totalement improvisée.

Je vous rappelle que, tout à l’heure, nous avons décidé ensemble que, dans le cadre de la répartition des demandeurs d’asile, une discussion aura lieu entre les préfets de département, les maires et des associations. C’est donc dans ce type de structures qu’il faut pouvoir expérimenter, avec un certain nombre de précautions, ce genre de dispositifs plutôt que de les inscrire dans la loi.

Je demande le retrait de l’amendement, faute de quoi mon avis sera défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Elle étudie ensuite lamendement CL514 de Mme Stella Dupont.

Mme Stella Dupont. Cet amendement se situe dans le prolongement de notre débat sur l’intérêt qu’il pourrait y avoir à instituer une instance départementale de concertation réunissant, sous l’égide du préfet de département et sous la responsabilité du préfet de région, dans le cadre du schéma régional d’accueil des demandeurs d’asile, les élus locaux et les acteurs associatifs et institutionnels.

J’ai bien entendu que nous étions nombreux à souhaiter la création d’une telle instance. M. le ministre s’est exprimé et j’ai bien entendu, madame la rapporteure, votre intérêt pour de nouvelles formes d’accueil, dans un cadre structuré pour le bien des demandeurs d’asile comme pour celui des bénévoles volontaires pour les accueillir.

Au regard des différences de culture, des tourments, de la vulnérabilité dont ces étrangers sont marqués, et des profondes difficultés qu’ils ont rencontrées dans leur parcours, les choses, en dépit de toute la bonne volonté du monde, ne seront pas simples. C’est pourquoi les instances départementales que nous pourrions créer auraient pour rôle de faire la « dentelle » dont je parlais, expérimenter et innover.

Je vous propose donc que nous retirions cet amendement au profit d’une rédaction commune visant à mettre en œuvre ces instances départementales, et d’élargir ainsi le champ des modalités d’accueil.

Lamendement est retiré.

La Commission en vient à lamendement CL871 de Mme Caroline Janvier.

Mme Caroline Janvier. Par cet amendement, je propose qu’un rapport d’information mette en évidence la nécessité d’harmoniser les pratiques préfectorales dans les différents départements français. Dans le cadre de la procédure « étrangers malades », des disparités de fonctionnement et de nombreuses difficultés, à différentes étapes du processus, pour certains étrangers d’obtenir les certificats médicaux sont constatés.

En effet, la loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France a transféré l’évaluation médicale, initialement confiée aux agences régionales de santé (ARS), qui sont sous la tutelle du ministère de la santé, à l’OFII, dépendant du ministère de l’Intérieur. Ce transfert a eu pour conséquence une baisse de 37 %, entre 2016 et 2017 du nombre de titres de séjour pour soins délivrés.

J’ai conscience que la demande de rapport ne constitue pas le vecteur idéal, mais je n’ai pas trouvé d’autre biais, comme l’imposition d’un examen clinique systématique des demandeurs, risquant de tomber sous le coup de l’article 40 de la Constitution, ou la modification de la procédure étrangers malades, ressortissant au domaine réglementaire.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Nous pourrions consacrer du temps à discuter de l’harmonisation des pratiques préfectorales et de la procédure étrangers malades. Je me suis rendue au centre de soins de Bobigny afin de voir comment fonctionne cette offre confiée à l’OFII.

De façon plus générale, je suis opposée aux demandes de rapport adressées au Gouvernement, car elles alourdissent les textes législatifs et font doublon avec la possibilité que nous avons de nous saisir nous-mêmes ; la commission des Lois missionne d’ailleurs très régulièrement nos collègues à cet effet.

Mon avis est donc défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Titre II
Renforcer lefficacité de la lutte contre limmigration irrégulière

Chapitre Ier
Les procédures de non-admission

Avant l’article 10

La Commission examine lamendement CL167 de M. Éric Ciotti.

M. Éric Ciotti. Par cet amendement, je propose l’institution d’une caution de retour pour les visas des ressortissants étrangers d’un État non-membre de l’Union européenne. Dans des cas très précis, cette caution garantirait que la personne demandant un titre de séjour provisoire dans notre pays ait la capacité de repartir à l’expiration du titre de séjour ou du visa.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Je ne suis pas sûre d’avoir saisi le sens de cet amendement. Toutefois, s’il est question de faire payer l’entrée sur notre territoire, ce n’est absolument pas le genre de message que je souhaite que nous adressions. Un étranger qui accomplit les formalités prescrites par la loi pour entrer sur le territoire national doit être le bienvenu ; j’estime important que nous puissions le réaffirmer.

Par ailleurs, sur le plan pratique, je conçois mal comment les agents aux frontières pourraient être transformés en opérateurs de recettes afin de percevoir cette caution.

Mon avis est donc défavorable.

M. Fabien Di Filippo. Il me semble que les étrangers souhaitant entrer en France pourraient fort bien verser la caution au moment où ils déposent leur dossier. Il faut bien avoir conscience du coût, car il n’est pas raisonnable que cette politique d’accueil soit mise à la charge du contribuable. Par ailleurs, la caution doit donner une bonne raison aux intéressés de respecter une obligation de quitter le territoire lorsque celle-ci est notifiée. Faute de quoi, lorsque les gens restent, légalement ou non, ils représentent un coût pour le pays ; il n’est pas normal que ce soit toujours le contribuable qui soit mis à contribution à 100 % au profit de gens qui, dans le cas précis évoqué par M. Éric Ciotti, violent la loi.

M. Erwan Balanant. Monsieur Di Filippo, cette question du coût des demandeurs d’asile n’est pas recevable. Soit, comme elle l’a toujours fait, la France choisit une politique de demande d’asile, soit elle ne le fait pas. Au-delà du coût, j’aimerais, même si le calcul est plus difficile, que l’on détermine l’apport d’un certain nombre de personnes qui, après avoir demandé l’asile, s’intègrent dans notre pays pour lequel, dans le reste de leur vie, ils font beaucoup de choses.

Cessez de parler de coût : cette idée de caution est irréalisable et, de plus, totalement inadaptée à la situation. Lorsque vous partez d’Érythrée, que vous traversez le Soudan, que vous franchissez la Méditerranée une fois, deux fois, trois fois en payant 1 200 à 1 500 euros à chaque passage, comment pouvez-vous, après avoir traversé les Alpes en hiver sans tenue adaptée, acquitter une caution à votre arrivée ? Cela va complètement à l’encontre de ce qu’est la philosophie de notre droit d’asile.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Je rappelle qu’un seul intervenant peut prendre la parole par groupe politique. Je suis désolée madame Boyer mais M. Ciotti a présenté son amendement et M. Di Filippo s’est exprimé au nom du groupe Les Républicains. La discussion est donc close, et je mets aux voix cet amendement.

La Commission rejette lamendement.

Article 10 A (nouveau)
(art. L. 2132 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile)
Non-admission sur le territoire national

Résumé du dispositif et effets principaux :

L’article 10 A, issu d’amendements de votre rapporteure et de MM. Joël Giraud et Florent Boudié, précise le régime juridique applicable au refus d’entrée notifié à la frontière terrestre de la France. Il confère une base légale aux pratiques consistant, d’une part, à refuser à l’étranger non-admis le bénéfice d’un jour franc pour préparer son départ et, d’autre part, requiert une attention particulière pour les personnes vulnérables.

L’article 10 A, issu de trois amendements adoptés par la commission des Lois, modifie l’article L. 213‑2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Il s’attache à préciser le régime des refus d’entrée sur le territoire national ([39]).

1.   La question du jour franc à la frontière terrestre

Les 1° et 2° de l’article 10 A sont issus d’un amendement adopté par la Commission sur proposition de votre rapporteure.

Depuis la disparition des contrôles aux frontières de la France avec d’autres pays membres de l’Union européenne, les refus d’entrée sur le territoire français étaient notifiés exclusivement aux étrangers issus de pays tiers arrivés sur le territoire national par des moyens de transport aérien, naval ou ferroviaire. Le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile a été rédigé en conséquence, prévoyant pour ces non-admis le bénéfice d’un jour franc avant rapatriement – bénéfice optionnel pour les majeurs et impératif pour les mineurs – ainsi que la création de zones d’attente destinées à les accueillir dans la perspective de leur éloignement.

Le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures de l’Union européenne, le 13 novembre 2015, dans le contexte issu de l’attentat du Bataclan, a permis la détection de flux d’immigration illégale traversant les Alpes et, dans une moindre mesure, les Pyrénées. Les personnes contrôlées font l’objet d’un refus d’entrée dans la zone frontalière. Ni un maintien en zone d’attente, ni un jour franc ne sont toutefois envisagés puisque ces refus sont notifiés à la frontière même et que les étrangers concernés n’ont jamais quitté, en droit, le territoire de l’État voisin concerné – l’Italie ou l’Espagne.

La pratique de la police aux frontières consiste à signifier qu’il n’est pas possible de bénéficier du jour franc. Cette interprétation est partagée par le juge des référés du Conseil d’État ([40]) : « [Dans] le cadre de la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures de lUnion, il appartient aux autorités compétentes de sassurer que les ressortissants de pays tiers se présentant à la frontière remplissent les conditions requises pour être admis à entrer sur le territoire, et, à défaut, de leur notifier une décision de refus dentrée, selon les modalités prévues par larticle L. 2132 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile ; [la] situation des étrangers concernés nentre pas, en tant que telle, dans les prévisions des dispositions du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile relatives aux zones dattente, qui sappliquent aux personnes qui arrivent en France par la voie ferroviaire, maritime ou aérienne et peuvent être maintenues dans une zone dattente située dans une gare ferroviaire ouverte au trafic international, dans un port ou dans un aéroport, pour une période allant jusquà quatre jours ; [les] vérifications à effectuer et le respect des règles de forme et de procédure édictées dans lintérêt même des personnes intéressées impliquent que celles-ci, qui, dès lors quelles ont été contrôlées à lun des points de passage de la frontière, ne peuvent être regardées comme étant entrées sur le territoire français, [peuvent] être retenues le temps strictement nécessaire à ces opérations… »

Afin de clarifier les dispositions législatives applicables, l’article 10 A modifie l’article L. 213‑2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile pour exclure sans ambiguïté le bénéfice du jour franc en cas de tentative d’entrée sur le territoire national à Mayotte – comme tel était déjà le cas – ou à la frontière terrestre de la France.

Cette évolution n’a aucun effet sur le contrôle de la frontière terrestre en Guyane où la pratique administrative consiste à systématiquement établir une OQTF plutôt qu’une décision de non-admission.

2.   La non-admission des personnes vulnérables

Le de l’article 10 A est issu de deux amendements identiques adoptés par la Commission sur la proposition conjointe de MM. Joël Giraud et Florent Boudié. Il prévoit qu’une attention particulière soit accordée aux personnes vulnérables, notamment aux mineurs, lors d’une décision de non-admission sur le territoire français.

Dès lors que les personnes dont l’entrée en France est refusée sont réputées ne jamais avoir pénétré sur le territoire et ne jamais avoir été soumises aux prescriptions légales et réglementaires, il n’appartient pas à l’administration de s’inquiéter de leur devenir – a fortiori lorsque ce refus d’entrée les conduit à demeurer dans des États démocratiques et développés tels que l’Italie ou l’Espagne. Toutefois, cette vision juridique doit être confrontée à la réalité : une non-admission prononcée dans un col alpin ou pyrénéen, dans la tempête de neige d’une nuit hivernale, met en danger l’intégrité physique des étrangers concernés.

Votre rapporteure tient à souligner que, dans le silence des textes, la police aux frontières procède déjà avec une grande humanité puisque, au point de passage autorisé de Montgenèvre, elle met à la disposition des étrangers non-admis un local chauffé dans lequel ceux-ci peuvent s’abriter et reprendre des forces dans l’attente d’un climat plus clément permettant leur retour en Italie dans les meilleures conditions. Par ailleurs, les refoulements font l’objet d’une notification systématique aux carabiniers de Bardonecchia, en charge de la gestion de la frontière, afin que toutes les dispositions soient prises pour l’accueil des étrangers dont la charge incombe aux autorités italiennes. Toute autre manière de procéder constitue une faute sanctionnée par la justice administrative ([41]).

La commission des Lois a souhaité inscrire cette bonne pratique dans la loi en précisant que les personnes vulnérables dont l’entrée en France est refusée font l’objet d’une attention particulière. Cette précision est conforme aux objectifs et prescriptions du règlement (UE) n° 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 concernant un code de l’Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) :

–  l’article 4 qui subordonne sa mise en œuvre par les États membres au respect des droits fondamentaux ;

–  l’article 7 qui requiert des gardes-frontières qu’ils « respectent pleinement la dignité humaine dans lexercice de leurs fonctions, notamment dans les cas qui impliquent des personnes vulnérables » ;

–  l’article 20 et l’annexe VII qui prévoient que les mineurs sont soumis aux mêmes vérifications d’entrée mais font l’objet d’une attention particulière.

Le règlement du 9 mars 2016 ne définit pas la notion de vulnérabilité, mais indique à son article 16 que cette catégorie comprend notamment « des mineurs non accompagnés et des victimes de la traite des êtres humains ». Il reviendra au pouvoir exécutif, sous le contrôle du juge, de définir plus précisément les catégories concernées ([42]).

*

*     *

La Commission examine lamendement CL900 de la rapporteure.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Cet amendement m’a été inspiré par ma visite du point de passage autorisé de Montgenèvre. Il vise à résoudre une difficulté rencontrée depuis trois ans maintenant. Lorsqu’un étranger franchit la frontière française par voie aérienne, ferroviaire ou maritime, et que son entrée est refusée, il dispose d’un jour franc pour s’organiser avant d’être reconduit dans le pays d’origine. Il se trouve que, depuis le rétablissement du contrôle aux frontières intérieures le 13 novembre 2015, la procédure de non-admission est aussi applicable aux frontières terrestres. Or, il n’y est prévu aucune zone d’attente pour bénéficier d’un jour franc avant reconduite.

Je propose donc de lever cette ambiguïté en précisant le régime applicable à la demande de jour franc en cas de non-admission aux frontières terrestres.

Mme Valérie Boyer. Cette proposition nous ramène à la question des coûts. Comme la rapporteure, je reviens de Berlin et, alors qu’en France personne n’est capable de fournir des informations relatives au coût de l’accueil de ces migrants, les Allemands savent qu’il s’élève à 42 milliards d’euros en deux ans pour un million de réfugiés. Ces chiffres nous ont officiellement été communiqués par les autorités allemandes et par l’ambassadeur de France.

Je souhaiterais pouvoir disposer d’éléments concrets relatifs aux coûts de cet accueil des flux migratoires qui nous préoccupent aujourd’hui.

La Commission adopte lamendement.

Elle se saisit ensuite des amendements identiques CL756 de M. Joël Giraud et CL824 de M. Florent Boudié.

M. Joël Giraud. Pour gagner du temps et démontrer la cohérence du dispositif, je propose de défendre en une seule intervention les amendements CL756, CL824, CL840, CL757 et CL841.

À l’instar du précédent amendement de la rapporteure, les dispositions que je présente ne s’inscrivent pas dans le projet de loi que nous examinons à l’instant, mais dans l’article L. 213‑2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Celui-ci concerne, dans sa rédaction actuelle, le refus d’entrée ou la non-admission – ce qui, en droit, a le même sens – à des frontières aériennes ou maritimes, et marginalement à des gares internationales.

En 2015, ce dispositif a été étendu aux frontières terrestres, ce qui comportait des ambiguïtés juridiques dont une vient d’être levée par l’amendement précédent. Certaines de ces ambiguïtés posent un double problème en ce qu’elles ne protègent ni les migrants ni les forces de l’ordre, qui ne disposent pas d’un cadre juridique sûr, seule garantie d’une saine application du droit.

Une précision manquait au sujet de la zone dans laquelle cette procédure de non-admission ou de refus d’entrée peut s’appliquer, lorsqu’elle n’a pas lieu dans un aéroport. Les amendements CL840 et CL757 visent à délimiter une zone géographique, l’amendement CL840 étant plus précis, peut-être trop parce que les frontières ne sont pas tout à fait les mêmes entre la France et la Belgique, la France et l’Italie, ou entre la zone urbaine de Menton et celle du col de l’Échelle. L’amendement CL757, en revanche, tend à délimiter une zone dont les contours sont déterminés par un décret en Conseil d’État, ce qui permettra de faire du cousu main sur l’ensemble des frontières en fonction de la géomorphologie du terrain.

De leur côté, les amendements identiques CL756 et CL824 concernent la problématique des personnes vulnérables. Ce dernier terme est précisément défini par une directive européenne transcrite dans le droit français en 2015, qui dresse la liste des cas concernés et ne laisse planer aucune ambiguïté. De par leur statut de personnes vulnérables, les intéressés sont plus susceptibles d’être affectés par les mesures mises en œuvre. C’est pourquoi ces amendements prévoient qu’une attention particulière soit portée à ces personnes au cours de l’ensemble du processus, soit de la non-admission jusqu’au moment de la reconduction à la frontière.

Le dispositif insiste particulièrement sur les mineurs, même accompagnés, dont la transcription de la directive dans le droit français ne définit pas assez clairement le statut. Cette lacune peut être source d’ambiguïté, comme nous l’avons constaté récemment, lorsqu’une femme enceinte a été transférée dans un centre hospitalier pour accoucher tandis que son mari et leurs enfants se sont retrouvés dans un poste de police, alors que leur place était bien aux côtés de la mère.

Par ailleurs, l’amendement CL841, de repli, porte sur les conditions de remise à son pays d’origine de la personne reconduite à la frontière. Cet amendement sera retiré si les amendements CL756 et CL824 sont adoptés.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Je suis favorable aux amendements CL756 et CL824, et je demande le retrait des amendements CL840 et CL841 en faveur de l’amendement CL757.

Mme Élodie Jacquier-Laforge. La Commission a rejeté l’un de nos amendements visant à reconnaître la minorité comme une vulnérabilité. En toute logique, nous considérons que les amendements proposés vont dans le bon sens. Le groupe MODEM votera toute disposition qui accroît la protection des mineurs.

M. Éric Ciotti. Monsieur le ministre d’État, j’espère que vous vous opposerez à ces amendements car ils pourraient avoir des conséquences pratiques extrêmement graves en fragilisant les procédures de non-admission. Je crois qu’on a compté 90 000 procédures de ce type à nos frontières, dont 49 700 pour le seul département des Alpes-Maritimes. Mme Alexandra Valetta Ardisson le sait bien.

Je comprends l’argumentation de notre collègue Joël Giraud qui en appelle avec beaucoup d’habileté à des considérations d’humanité, mais il faut savoir quels seraient les effets de l’adoption de ces amendements. Ils contribueraient à retourner à un système de réadmission dont les procédures complexes et lourdes fragiliseraient les contrôles aux frontières mis en place depuis la déclaration de l’état d’urgence, le 13 novembre 2015.

Aujourd’hui, 25 000 mineurs non accompagnés sont pris en charge par les services de l’aide sociale à l’enfance (ASE), c’est-à-dire par les départements, alors qu’ils étaient 4 000 il y a cinq ans. Les départements en enregistrent 55 000 dans leurs systèmes d’évaluation.

Si vous fragilisez les procédures de contrôle aux frontières mises en place jusqu’à ce jour – ce dont je vous félicite, monsieur le ministre d’État –, notamment dans le département des Alpes-Maritimes, vous obtiendrez une entrée massive d’étrangers d’Italie. En effet, vous le savez mieux que quiconque, depuis les récentes élections transalpines, le comportement des autorités italiennes s’est modifié. Aujourd’hui, 600 000 étrangers en situation irrégulière attendent côté italien de franchir la frontière.

M. Joël Giraud. Monsieur Ciotti, ces amendements ne modifient en aucune manière la procédure de non-admission ou refus d’entrée prévue à l’article L. 213-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Ils visent seulement à ce que l’on porte une attention particulière aux personnes vulnérables…

M. Éric Ciotti. Il n’y aura plus de non-admission des mineurs !

M. Joël Giraud. Pas du tout ! Nous souhaitons seulement que l’on fasse attention aux personnes vulnérables. Une femme enceinte à laquelle un refus d’entrée est notifié ne doit pas simplement être laissée de l’autre côté de la frontière, en pleine tempête de neige, sans que l’on se pose la question de sa sécurité. Cela n’a rien à voir avec une modification de la procédure de non-admission, dont les effets restent rigoureusement identiques. En revanche cette évolution évitera certaines polémiques qui ont cours en Italie. Vous savez parfaitement qu’il y a eu des problèmes, dont un décès qui n’est pas imputable aux autorités françaises, et pour lequel le parquet de Turin a ouvert une enquête.

Ces dispositions protégeront les forces de l’ordre qui réclament un encadrement juridique du refus d’entrée. Nous le mettons en place, sans modifier la procédure, en instituant un double système – par zones géographiques et par l’attention particulière portée aux personnes vulnérables, qui me semble être la moindre des choses et la moindre des bienveillances.

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. Contrairement à ce que vous pensez, monsieur Ciotti, les amendements de monsieur Giraud sécurisent plutôt le dispositif, puisque nous avons aujourd’hui une marge d’incertitude pour savoir dans quelles zones procéder à la non-admission. La définition par décret en Conseil d’État permettra d’apporter une garantie au dispositif en place, alors qu’aujourd’hui nous rencontrons des problèmes qui se terminent devant les tribunaux administratifs.

Que d’autres problèmes surviennent ensuite, ce n’est sans doute pas impossible, mais c’est une autre question.

La Commission adopte les amendements identiques CL756 et CL824. Larticle 10 A est ainsi rédigé.

Article 10 B (nouveau)
(art. L. 2133-1 [nouveau] du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile)
Périmètre de non-admission sur le territoire national

Résumé du dispositif et effets principaux :

L’article 10 B, issu d’un amendement de M. Joël Giraud, prévoit la limitation du périmètre frontalier au sein duquel un refus d’entrée peut être régulièrement notifié en cas de réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures.

L’article 10 B résulte d’un amendement de M. Joël Giraud adopté par la commission des Lois avec les avis favorables de votre rapporteure et du Gouvernement. Il vise à établir le périmètre voisin de la frontière dans lequel un étranger peut valablement faire l’objet d’une décision de non-admission, supposant qu’il vient d’entrer irrégulièrement sur le territoire national, plutôt que d’une obligation de quitter le territoire français, procédure sanctionnant un séjour irrégulier sur le territoire.

Avant la réintroduction du contrôle aux frontières intérieures de l’Union européenne, le 13 novembre 2015, la situation légale et réglementaire était relativement simple :

–  un refus dentrée, prévu au livre II du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile relatif à « L’entrée en France », pouvait être opposé à l’étranger se présentant sans remplir les conditions nécessaires à un port, une gare ou un aéroport ouvert au trafic international, ce qui justifiait un placement en zone d’attente et un réacheminement vers le pays de départ ;

–  un éloignement, prévu au livre V du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile relatif aux « Mesures d’éloignement », était décidé à l’encontre d’un étranger présent sur le territoire français sans droit pour cela, ce qui justifiait une assignation à résidence ou un placement en rétention administrative avant une reconduite à la frontière.

Depuis la réintroduction du contrôle aux frontières italienne et espagnole, une imprécision prévaut. En théorie, l’étranger se présente au poste-frontière où il lui est signifié qu’il n’est pas autorisé à pénétrer en France. En pratique, il revient aux forces de police et de gendarmerie d’intercepter les migrants qui empruntent des pistes et des itinéraires secondaires pour entrer illégalement sur le territoire français. Jusquà quelle distance de la frontière ces interceptions peuvent-elles avoir lieu avant que l’individu entré irrégulièrement se transforme en individu séjournant ou circulant irrégulièrement ? Le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, conçu pour régir les arrivées en train, avion ou navire pour lesquelles cette question ne se pose pas, est muet sur ce point.

Afin de clarifier le droit applicable, l’article 10 B prévoit qu’un décret en Conseil dÉtat détermine « le périmètre et les modalités » des contrôles pouvant aboutir à une décision de non-admission. Ce renvoi au pouvoir réglementaire est apparu préférable à la fixation par la loi d’une distance à partir de la frontière : la géographie doit commander à la norme dans la mesure où il est fondamentalement différent de franchir les Alpes, le Rhin ou la plaine séparant la France de la Belgique. Il conviendra, par conséquent, que le décret définisse des périmètres variables en fonction des obstacles naturels, des infrastructures de transport et de tout autre paramètre utile.

*

*     *

La Commission adopte lamendement CL757 de M. Joël Giraud. Larticle 10 B est ainsi rédigé.

En conséquence, les amendements CL840 et CL841 de M. Florent Boudié tombent.

Après l’article 10 B

La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL589 de Mme Elsa Faucillon et CL746 de Mme Delphine Bagarry.

Mme Elsa Faucillon. L’amendement CL589 vise à supprimer la possibilité de maintenir les mineurs non accompagnés en zone d’attente. Le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile reconnaît la possibilité que des mineurs non accompagnés soient maintenus en zone d’attente « de manière exceptionnelle ». Nous relevons que les cas « exceptionnels » permettant ce maintien sont très larges et sans lien manifeste avec la situation personnelle des intéressés. Nous y reviendrons aussi s’agissant des centres de rétention.

La France devrait privilégier les mesures de protection à l’égard des mineurs non accompagnés. Cette dénomination a été introduite en 2016 pour remplacer celle de « mineurs isolés étrangers » afin de faire prévaloir l’idée que ces mineurs sont avant tout des enfants.

Sur ce sujet, on nous oppose en ce moment le fait que des discussions gouvernementales sont en cours et que l’on attend divers rapports sur l’asile et l’immigration. Cependant, la question de la protection ou de la scolarisation de ces mineurs ne relève pas de cette problématique mais plutôt de la justice, de la solidarité ou de la santé. Puisque l’occasion nous en est donnée, je crois qu’il faut nous en saisir pour avancer.

Mme Delphine Bagarry. Notre pays doit pouvoir garantir que les mineurs, quels qu’ils soient, accompagnés ou non accompagnés, ne feront jamais l’objet d’une mesure privative de liberté. Nous serions ainsi exemplaires en matière de politique de protection de l’enfance. Notre pays s’honorerait en faisant entrer une telle disposition dans la loi.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Nous aborderons ultérieurement la question des centres de rétention. À ce stade, nous n’évoquons que les zones d’attente, qui ont leurs spécificités. Un jour franc permet de s’assurer que les droits des mineurs sont préservés, de contacter les autorités du pays d’origine, de mandater un administrateur judiciaire ad hoc pour évaluer leur situation. Évidemment, en zone d’attente, le mineur dispose, comme les majeurs, de droits lui permettant d’avoir accès à un interprète, un médecin, un conseil juridique et associatif. Pendant ce jour franc, tout se met en place pour que ses droits soient garantis dans la zone d’attente – il n’est pas entré juridiquement sur le territoire français.

Indépendamment du débat que nous pourrons avoir sur la rétention en centre administratif, je suis défavorable aux amendements en raison des conditions particulières de protection des droits des mineurs en zone d’attente.

La Commission rejette successivement les amendements.

Article 10
(art. L. 2139, L. 2224 et L. 2226 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile)
Vidéo-audience et traitement des appels irrecevables

Résumé du dispositif et effets principaux :

L’article 10 autorise le recours à la vidéo-audience sans l’accord de la personne concernée, pour les audiences des étrangers devant le tribunal administratif ou le juge des libertés et de la détention, dans le cadre du contentieux du refus d’admission. Il permet également le rejet selon une procédure simplifiée des déclarations d’appel manifestement irrecevables.

Dernières modifications législatives intervenues :

La vidéo-audience sans l’accord de la personne concernée, en matière de police des étrangers, est possible outre-mer depuis la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité.

La procédure simplifiée pour les déclarations d’appel manifestement irrecevables est applicable aux ordonnances de maintien en rétention depuis la loi n° 2016‑274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France.

Modifications apportées par la commission des Lois :

Cet article n’a fait l’objet d’aucune modification lors de son examen en commission.

1.   L’état du droit

a.   La procédure de refus d’entrée et les zones d’attente

Le droit d’accueillir, ou non, un étranger sur le territoire national, est une prérogative de l’État. En France, les règles régissant le franchissement des frontières figurent au livre II du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, intitulé « L’entrée en France », lui-même subdivisé en deux titres.

Le titre Ier, « Conditions d’admission », énonce notamment les différentes formalités que doit accomplir l’étranger pour être autorisé à entrer sur le territoire français. Dans le cas contraire, le chapitre III, regroupant les articles L. 213‑1 à L. 213‑9, définit la procédure permettant de lui opposer un « Refus dentrée ».

Comme son nom l’indique, le refus d’entrée diffère d’une mesure d’éloignement dès lors que l’étranger concerné n’a pas encore foulé le territoire national. La décision administrative qui le formalise est réputée délivrée à la barrière du poste-frontière. Les droits dont dispose l’étranger figurent sur le document qui lui est remis, y compris les voies de recours ouvertes devant la juridiction administrative et la possibilité de demander asile ([43]). Le non-admis demeure sur le territoire de l’État frontalier qu’il n’a jamais quitté.

Aisé à concevoir aux frontières terrestres de la nation, le mécanisme est nécessairement plus complexe lorsque l’étranger se présente par la voie ferroviaire, maritime ou aérienne, c’est-à-dire s’il prend contact avec les autorités dans une zone frontalière qui se situe intégralement, dans les faits, en territoire français. L’étranger demeure, depuis 1992 ([44]), dans la zone dattente ([45]) avant d’être reconduit à son point de départ ou d’être finalement admis en France

Le maintien en zone d’attente ([46]) est d’abord décidé par l’administration pour une durée de quatre jours, puis éventuellement prolongé par le juge des libertés et de la détention jusqu’à 26 jours. L’étranger peut demander l’assistance d’un interprète et d’un médecin, communiquer avec un conseil ou toute personne de son choix et quitter à tout moment la zone d’attente pour toute destination située hors de France. Il est également informé des droits qu’il est susceptible d’exercer en matière de demande d’asile.

Sauf à Mayotte, l’étranger a la possibilité de refuser d’être rapatrié avant l’expiration du délai d’un jour franc ([47]). Il s’agit même d’un délai obligatoire pour les mineurs non accompagnés.

b.   Les voies de recours

Comme la rétention administrative, le refus d’admission peut donner lieu à un double contentieux.

Le juge des libertés et de la détention statue au siège du tribunal de grande instance mais, si une salle d’audience attribuée au ministère de la justice lui permettant de statuer publiquement a été spécialement aménagée sur lemprise ferroviaire, portuaire ou aéroportuaire, c’est là qu’il se prononce ([51]). La juridiction de Bobigny dispose ainsi d’une annexe à proximité immédiate des pistes de l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle, afin de limiter les coûts et les pertes de temps liées au déplacement des étrangers requérants. Par ailleurs, dès sa création ([52]), le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile a admis la possibilité pour le juge des libertés et de la détention, sur proposition de l’autorité administrative et avec le consentement de l’étranger, de tenir les audiences par vidéoconférence pour le maintien en zone d’attente.

c.   Une situation exceptionnelle

La participation de la France à l’accord de Schengen du 14 juin 1985 a permis l’émergence d’une situation particulière en matière de contrôle de l’entrée sur le territoire. La convention d’application de l’accord, conclue le 19 juin 1990, a créé une frontière extérieure unique où sont effectués les contrôles d’entrée dans l’espace Schengen selon des procédures identiques. Un État ne peut, en effet, rétablir les contrôles à ses propres frontières qu’en cas d’atteinte à l’ordre public ou à la sécurité nationale, pour six mois maximum ou deux ans en cas de circonstances exceptionnelles, et après consultation des autres États. Depuis le 1er juillet 2013, cet espace comprend vingt-deux États membres de l’Union européenne ([53]) ainsi que l’Islande, la Norvège, le Liechtenstein et la Suisse, soit plus de 400 millions d’habitants.

La France intégrant l’espace Schengen, le refus d’admission à la frontière terrestre avait disparu. Cette évolution est lisible jusque dans les dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui ne mentionne plus qu’implicitement cette possibilité.

Toutefois, la France a décidé le rétablissement des contrôles à ses frontières intérieures pour la préparation de la Conférence de Paris sur le climat, dite « COP 21 » ([54]), tenue du 30 novembre au 12 décembre 2015. La mesure, qui devait durer un mois, est entrée en vigueur le 13 novembre 2015. À la suite des attentats qui, le soir même, ont frappé le pays, le risque terroriste élevé a conduit à la prolongation de ce dispositif exceptionnel toujours en vigueur aujourd’hui. Son impact est manifeste sur le volume des refus d’entrée, qui sont très majoritairement opposés à la frontière italienne désormais.

MESURES DE NON-ADMISSION NOTIFIÉES DEPUIS 2011

Année

2011

2012

2013

2014

2015

2016

Décisions de non- admission

11 459

11 508

12 030

11 537

15 849

63 845

Source : DCPAF (PAFISA).

Si les maintiens en zone d’attente ont connu une baisse de 5,7 % en 2016 (année au cours de laquelle 8 198 étrangers y ont été maintenus), celle-ci fait toutefois suite à deux années consécutives de hausse.

S’agissant plus précisément de l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle, le nombre moyen quotidien de décisions de placement en zone d’attente a été de 18,6 en 2016 contre 19 en 2015. En 2016, 6 789 personnes ont été placées en zone d’attente à Roissy contre 6 932 personnes en 2015.

2.   Les dispositions du projet de loi

L’article 10 apporte deux modifications ponctuelles au régime du contentieux des refus d’admission. D’une part, il facilite la tenue d’audiences au moyen de vidéoconférence et, d’autre part, il permet un traitement plus rapide des déclarations d’appel manifestement irrecevables formées à l’encontre des décisions du juge des libertés et de la détention.

a.   La visioconférence pour les audiences en zone d’attente

La possibilité pour le juge des libertés et de la détention de tenir des audiences en zone d’attente par visioconférence remonte à la loi n° 2003-1119 du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité.

Cette innovation avait été soumise à l’appréciation du Conseil constitutionnel qui, dans sa décision n° 2003‑484 DC du 20 novembre 2003, avait relevé que, « en autorisant le recours à des salles daudience spécialement aménagées à proximité immédiate des lieux de rétention ou à des moyens de télécommunication audiovisuelle, le législateur a entendu limiter des transferts contraires à la dignité des étrangers concernés, comme à une bonne administration de la justice » ([55]). Par ailleurs, « le déroulement des audiences au moyen de techniques de télécommunication audiovisuelle est subordonné au consentement de létranger, à la confidentialité de la transmission et au déroulement de la procédure dans chacune des deux salles daudience ouvertes au public (..) ; dans ces conditions, les dispositions précitées garantissent de façon suffisante la tenue dun procès juste et équitable » ([56]). Cette dernière formulation aurait pu laisser penser que le consentement de l’étranger représentait un élément impératif de la constitutionnalité de la disposition.

Cependant, la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité a autorisé la Cour nationale du droit d’asile à recourir aux audiences par visioconférence, le consentement des requérants séjournant outre-mer n’étant pas nécessaire au bon traitement de leur requête. Saisi de cette disposition, le Conseil constitutionnel a écarté le moyen tiré de la rupture d’égalité et de l’atteinte au droit à une procédure équitable sans se fonder sur une quelconque adaptation applicable aux seuls outre-mer, dans la mesure où « le législateur a entendu contribuer à la bonne administration de la justice et au bon usage des deniers publics ; quil a prévu que la salle daudience utilisée doit être spécialement aménagée à cet effet, ouverte au public et située dans des locaux relevant du ministère de la justice ; que laudience doit se dérouler en direct en assurant la confidentialité de la transmission ; que lintéressé a le droit dobtenir la communication de lintégralité de son dossier ; que, sil est assisté dun conseil, ce dernier est physiquement présent auprès de lui ; quun procès-verbal ou un enregistrement audiovisuel ou sonore des opérations est réalisé (…) ([57]) ».

Il ressort de la jurisprudence constitutionnelle que le droit au procès équitable permet que les formes de la participation du justiciable soient aménagées, en fonction des dispositifs techniques dont peut bénéficier la juridiction, dans un objectif d’intérêt général. Le Conseil d’État, dans son avis sur le présent projet de loi, soutient également cette position : « si les exigences dun procès juste et équitable supposent en effet que le justiciable puisse participer de manière personnelle et effective au procès, ce droit peut être aménagé pour poursuivre des objectifs également légitimes aux plans constitutionnel et conventionnel, tels que – comme en lespèce – la bonne administration de la justice (en évitant lallongement des délais dus aux reports daudience quentraînent les difficultés de déplacement des demandeurs), la dignité des demandeurs (en évitant des déplacements sous escorte) et le bon usage des deniers publics (en réduisant les coûts pour ladministration) ([58]) ».

En conséquence, les et 2° de larticle 10 suppriment, pour l’organisation d’une audience par visioconférence, la condition d’absence d’opposition de l’étranger qui figure aux articles L. 213‑9 ([59]), L. 222‑4 ([60]) et L. 222-6 ([61]) du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

Le recours à cette technologie sera décidé par le juge, statuant dans les locaux du tribunal dont il est membre. L’étranger se trouvera dans une salle d’audience attribuée au ministère de la justice et spécialement aménagée à cet effet sur l’emprise ferroviaire, portuaire ou aéroportuaire où est située la zone d’attente. Il est dressé, dans chacune des deux salles d’audience ouvertes au public, un procès-verbal des opérations effectuées.

b.   Les déclarations d’appel manifestement irrecevables

L’étranger auquel a été opposé un refus d’entrée sur le territoire national est maintenu en zone d’attente dans l’attente de son rapatriement. Ce maintien est supervisé par le juge des libertés et de la détention qui seul en autorise la prolongation ([62]). En cas d’appel, il est statué dans les mêmes conditions, dans les quarante-huit heures de la saisine, par le premier président de la cour d’appel ([63]).

Le de l’article 10 entend faciliter le traitement de ces appels en permettant au premier président de la cour d’appel ou à son délégué de rejeter par ordonnance motivée les déclarations manifestement irrecevables, définies par décret en Conseil d’État, sans avoir préalablement convoqué les parties.

Cette évolution constitue un alignement de la procédure de la non-admission avec celle de la rétention, dans laquelle le premier président de la cour d’appel a reçu de la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France le pouvoir de classer les appels manifestement irrecevables par ordonnance de tri ([64]).

Le Conseil d’État, dans son avis sur le présent projet de loi, a considéré que cette disposition n’appelait aucun commentaire ([65]).

*

*     *

La Commission examine lamendement CL588 de Mme Elsa Faucillon.

Mme Elsa Faucillon. Lors des auditions qui ont servi à préparer cet amendement, nous avons beaucoup entendu dire que la généralisation du recours à la vidéo-audience, y compris sans l’accord de la personne concernée, réduisait les droits de cette dernière.

Cette généralisation pose particulièrement problème pour ce qui concerne le droit d’asile et le droit des étrangers. Comme le disait hier notre collègue Laurence Vichnievsky, l’oralité revêt une importance majeure pour la compréhension par le juge du parcours de la personne étrangère. La relation créée pour établir un lien est essentielle. Il faut aussi souligner les difficultés techniques qui, de l’avis de ceux qui ont vécu cette expérience, sont relativement nombreuses. Tous ceux qui participent à des réunions par Skype savent à quel point l’outil est peu pratique lorsque l’on doit prendre une décision sérieuse. Il crée aussi évidemment une distance préjudiciable aux droits de la défense.

Par ailleurs, dans le cadre des appels formés contre les ordonnances de maintien en zone d’attente, prises par le juge de la liberté et de la détention, l’article 10 prévoit que le juge pourra rejeter les déclarations d’appels manifestement irrecevables, par ordonnance motivée, sans avoir préalablement convoqué les parties. Or, cette disposition porte atteinte au droit à un recours effectif et à l’accès au juge, en violation de l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux.

Nous demandons en conséquence la suppression de l’article 10.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Avis défavorable. Je rappelle que le Conseil constitutionnel estime que le recours à la vidéo-audience s’effectue dans le cadre d’une bonne administration de la justice et du bon usage des deniers publics. J’ajoute que le procédé est déjà utilisé dans un certain nombre de juridictions et que le témoignage de notre collègue Laetitia Avia, s’agissant de son usage pour l’hospitalisation d’office, montrait bien qu’il pouvait présenter des avantages pour les personnes concernées – elles peuvent être moins impressionnées dans ces conditions.

Il n’y a donc pas lieu d’avoir une position de principe sur la vidéo-audience, si ce n’est qu’il est positif de bénéficier de nouveautés technologiques pour une bonne administration de la justice.

Les appels irrecevables sont notamment ceux formés trop tard. On aura beau retourner la question dans tous les sens, il est logique que les appels forclos soient écartés plus rapidement par le juge.

Mme Elsa Faucillon. Si on estime que la vidéo-audience est favorable à la personne entendue, une solution qui donnerait satisfaction à tous consisterait à recueillir l’accord de cette dernière pour mettre en œuvre cette procédure. Nous pourrions supprimer uniquement la disposition de l’article 10 qui prévoit que l’on se passe de ce consentement.

M. Thomas Rudigoz. La rapporteure a raison. La vidéo-audience sera de plus en plus utilisée en matière de justice. Lors de nos auditions, les représentants des avocats, qui s’opposaient à ce point du texte, reconnaissaient que, même en cour d’assises, on pouvait avoir recours à la vidéo-audience pour entendre des témoins. Nous voyons bien que cette pratique se généralise. Elle permettra de rendre des décisions de façon plus efficace et plus rapide. Eu égard aux flux migratoires actuels et à ceux encore plus importants que nous connaîtrons sans doute demain, et donc à l’afflux de dossiers à traiter, il faut trouver des outils plus adaptés.

La Commission rejette lamendement.

La Commission examine lamendement CL800 de Mme Martine Wonner.

Mme Stella Dupont. Cet amendement porte sur le consentement des personnes à la tenue des vidéo-audiences.

Si accroître le recours à la vidéo-audience est nécessaire pour réduire certains délais, ou pour le confort de certains demandeurs d’asile, cette procédure ne convient pas à tous les requérants, notamment ceux qui ont besoin d’un contact humain pour délivrer un récit souvent douloureux. Il est donc nécessaire de toujours recueillir le consentement des personnes plutôt que d’imposer systématiquement la vidéo-audience.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Certaines personnes peuvent ne pas souhaiter les vidéo-audiences, mais pour une bonne administration de la justice et une bonne gestion des deniers publics, il n’est pas possible de recueillir systématiquement l’accord des personnes entendues, et d’avoir parfois oui ou parfois non recours à la vidéo-audience. Avis défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements CL806 et CL802 de Mme Martine Wonner.

Mme Stella Dupont. Ces amendements tendent aussi à solliciter le consentement des requérants à l’utilisation de la vidéo-audience.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Avis défavorable, pour les mêmes arguments que précédemment.

La Commission rejette successivement les amendements CL806 et CL802.

Elle en vient à lamendement CL807 de Mme Martine Wonner.

Mme Stella Dupont. Cet amendement prévoit l’accompagnement du requérant par un interprète à ses côtés lors de l’audience. Nous savons tous en effet que la langue est un obstacle majeur à l’expression du récit.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Je partage les intentions des auteurs de l’amendement mais cette mesure est délicate à mettre en place. En effet, il peut s’agir de langues rares. Nous ne pouvons pas rendre opposable le droit à un interprète partout sur le territoire, ce n’est pas matériellement possible. Si un interprète n’est pas physiquement présent, on peut mettre en place un interprétariat par téléphone afin que le requérant soit entendu correctement. Avis défavorable.

Mme Stella Dupont. J’entends bien vos arguments et je les comprends : la réalité s’impose à nous et il y a en effet des compétences rares en matière d’interprétariat. Dans ces cas-là, la vidéo-audience n’est peut-être pas adaptée. Ne faudrait-il pas envisager des exceptions à la vidéo-audience de façon que l’interprète soit systématiquement aux côtés du requérant ?

La Commission rejette lamendement.

Elle en vient à lamendement CL437 de M. Jean-Christophe Lagarde.

M. Michel Zumkeller. Cet amendement vise à supprimer l’absence de convocation des parties préalablement à un rejet de déclaration d’appel manifestement irrecevable. Dans ce genre de procédure, il est important de respecter les droits de la défense eu égard aux conventions internationales qui nous lient.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Même argument que précédemment : quand un appel est forclos, il est forclos. On aura beau convoquer les parties et organiser les choses comme on le voudra, il sera irrecevable. Avis défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Suivant lavis de la rapporteure, elle rejette ensuite lamendement CL439 de M. Jean-Christophe Lagarde.

Elle en vient à lamendement CL60 de M. Fabien Di Filippo.

M. Jean-Louis Masson. La Cour des comptes a chiffré en 2015 le coût moyen d’un débouté à 5 528 euros et celui d’un demandeur d’asile à 13 724 euros. Les 45 000 déboutés restés en 2017 représentent donc un coût annuel de 368,82 millions d’euros.

L’objet du présent amendement est d’instaurer une caution de 200 euros pour les demandeurs d’asile déboutés qui font appel, caution remboursée en cas de décision favorable. Plus de 80 % des recours étant rejetés, la diminution probable du nombre de demandeurs, soit directement, soit via les associations qui financeraient cette caution, générerait une soulte de plus de 60 millions d’euros. Sans compter l’incidence de la réduction du délai pour les véritables demandes d’asile et sur les places libérées dans les centres d’accueil de demandeurs d’asile, les centres de rétention administrative et les hébergements d’urgence où les déboutés séjournent faute de place disponible alors qu’elles sont réservées aux demandeurs en attente, aux primo-arrivants et aux sans domicile fixe.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Même avis que précédemment. Comme on ne fait pas payer de caution à un étranger qui veut entrer sur le territoire français, on ne fait pas payer de caution aux déboutés du droit d’asile qui exercent leur droit au recours. Avis défavorable.

M. Éric Ciotti. Il suffit de le décider !

Mme Valérie Boyer. Effectivement, il suffit de le décider. Il serait intéressant que les Français aient un débat sur ce coût. J’ai demandé au ministre de nous communiquer les chiffres. Je maintiens – après vérification tant ce montant est stupéfiant – que les Allemands ont dépensé 42 milliards d’euros en deux ans pour l’accueil de 1 million de réfugiés. Qu’en est-il en France ? Eu égard à la crise migratoire que nous connaissons, il est indispensable de discuter du coût de l’accueil de ces personnes. Mme Merkel avait annoncé que les Allemands feraient face. Nous ne pouvons nous exonérer de ce débat.

Les amendements proposés par mes collègues visant à instaurer une caution ne me semblent pas de nature à être rejetés d’un revers de main. Si l’accueil fait partie de nos grands principes, il en est de même de la transparence. Or, l’accueil des étrangers se fait sans l’assentiment des Français et sans transparence.

M. Erwan Balanant. Il s’agit de gens qui ont décidé de quitter leur pays pour aller demander l’asile ailleurs, en affrontant les pires difficultés, en traversant la Méditerranée sur des canots pneumatiques au risque de leur vie. Comment peut-on parler de caution dans des cas pareils ? Il n’est pas question ici de louer une voiture ou un appartement.

M. Éric Ciotti. L’amendement que je défendais ne concernait pas les demandeurs d’asile, bien entendu, car ce serait complètement contraire à nos principes. Je parlais de visas, notamment pour les étudiants. Des pays, comme l’Australie, contrôlent les ressources des étudiants qui vont y effectuer leurs études. Il n’est pas absurde de vérifier que ceux qui viennent dans un pays pour bénéficier d’une prestation disposent des ressources pour y vivre sans faire appel à la solidarité nationale. J’apporte cette précision pour que le débat ne soit pas caricaturé. Je rappelle que le nombre de titres de séjour accordé aux étudiants a fortement augmenté : nous sommes passés de 73 000 à 92 000 en 2017.

La Commission rejette lamendement.

Puis elle adopte larticle 10 sans modification.

Chapitre II
Les mesures déloignement

Article 11
(art. L. 5111 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile)
Modalités déloignement des étrangers

Résumé du dispositif et effets principaux :

L’article 11 a trait au régime des décisions d’obligation de quitter le territoire français (OQTF), d’interdiction de retour sur le territoire français (IRTF) et d’interdiction de circulation sur le territoire français (ICTF). Il prévoit, notamment, que les demandes d’asile et de titre de séjour devant être présentées parallèlement, un rejet donne lieu au prononcé d’une OQTF. Les cas dans lesquels un étranger contraint de quitter le territoire ne dispose pas d’un délai pour le faire volontairement sont réduits. Le prononcé de l’IRTF est systématisé.

Dernières modifications législatives intervenues :

La loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France a profondément réformé le régime des OQTF et des IRTF associées.

Modifications apportées par la commission des Lois :

Quatre amendements rédactionnels ont été adoptés par la Commission.

1.   L’état du droit

a.   Les différentes mesures d’éloignement et d’interdiction du territoire

La loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France a entériné la disparition d’une mesure administrative jusque-là emblématique de la police des étrangers : l’arrêté préfectoral de reconduite à la frontière (APRF). Cet acte administratif concernait l’étranger non-européen présent en France depuis moins de trois mois ayant travaillé sans autorisation ou constituant une menace pour l’ordre public caractérisée par la commission d’infractions pénales.

Il s’agit cependant d’une rare simplification dans un domaine juridique plus volontiers marqué par la sédimentation des innovations successives.

i.   L’arrêté préfectoral ou ministériel d’expulsion (APE ou AME)

L’expulsion, régie par les articles L. 521-1 à L. 524-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, frappe exclusivement l’étranger européen ou non-européen qui vit régulièrement en France et qui représente une menace très grave pour lordre public appréciée par ladministration en fonction de son comportement. La bonne appréciation du niveau de cette menace ne requiert pas obligatoirement un fondement sur des décisions de nature pénale devenues définitives.

L’étranger mineur ne peut pas faire l’objet d’un arrêté d’expulsion. Certains étrangers bénéficient également d’une protection suivant l’importance et l’ancienneté de leurs liens en France ([66]).

La décision d’expulsion est prise par le préfet du lieu de résidence (arrêté préfectoral dexpulsion, APE) ou, en cas d’urgence absolue ou s’il s’agit d’un étranger protégé, par le ministre de l’intérieur (arrêté ministériel dexpulsion, AME). L’arrêté peut être exécuté par la force et justifier des mesures privatives de liberté telles que la rétention et l’assignation à résidence. Il est contestable devant la juridiction administrative dans les deux mois suivant sa notification si l’étranger se trouve en France, dans les quatre mois si l’intéressé se trouve au-delà des frontières – notamment si l’expulsion a déjà été réalisée puisque le recours n’est pas suspensif.

ii.   L’interdiction administrative du territoire (IAT)

L’interdiction administrative du territoire (IAT) permet d’empêcher un étranger d’entrer en France lorsque sa présence constitue un danger grave (activités terroristes notamment). Elle est prononcée sans procédure contradictoire par le ministre de l’intérieur et vise tout étranger, majeur ou mineur, qui ne réside pas habituellement en France.

L’étranger visé par une IAT qui essaie d’entrer sur le territoire national se voit opposer un refus d’entrée. S’il est appréhendé sur le sol français, il peut être reconduit d’office hors de France, sauf s’il est mineur. Le ministre de l’intérieur fixe le pays de renvoi ou, si l’étranger ne peut pas être immédiatement éloigné, prononce son assignation à résidence. L’étranger ressortissant de la Suisse ou d’un pays membre de l’Espace économique européen ([67]) bénéficie, à partir de la notification de l’interdiction, d’un délai d’un mois pour quitter la France.

L’interdiction administrative de territoire peut faire l’objet d’un recours devant le Conseil d’État.

iii.   L’interdiction du territoire français (ITF)

Prévue par les articles L. 541-1 à L. 541-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui reprennent les articles 131-30 à 131-30-2 du code pénal, l’interdiction du territoire français se distingue des autres mesures en ce qu’il ne s’agit pas d’un acte administratif mais d’une peine prononcée par le juge pénal à l’encontre d’un étranger coupable d’un crime ou d’un délit.

Définitive ou à temps, elle peut être infligée à titre principal ou comme peine complémentaire à la suite de crimes et délits de droit commun. Les étrangers européens et non-européens peuvent en faire l’objet, mais des protections comparables à celles prévues contre l’expulsion sont accordées à ceux dont les liens avec la France sont les mieux établis.

Sanction pénale soumise au principe de légalité des droits et des peines, elle doit être explicitement prévue en répression de l’infraction commise pour pouvoir être prononcée. La plupart des crimes peut donner lieu à ITF, mais seuls quelques délits – généralement aggravés – sont également réprimés de la sorte.

iv.   L’obligation de quitter le territoire français (OQTF)

Régie par les articles L. 511-1 à L. 514-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, l’obligation de quitter le territoire français est désormais la mesure déloignement de droit commun. Elle oblige l’intéressé, citoyen européen ou ressortissant d’un État tiers, à quitter la France par ses propres moyens.

L’OQTF, accompagnée de la décision fixant le pays dans lequel l’étranger sera renvoyé s’il ne quitte pas volontairement la France dans le temps qui lui est imparti, est notifiée par le préfet du département de résidence. Ayant la nature de décisions administratives se rattachant à la catégorie des mesures de police, elle peut faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir devant le tribunal administratif.

En distinguant la procédure contentieuse applicable aux OQTF selon leurs motifs et en créant les OQTF dites « six semaines », la loi du 7 mars 2016 précitée a notablement accru la complexité du régime contentieux des éloignements. Les règles applicables peuvent aujourd’hui être byzantines, comme l’a constaté la commission des Lois dans son contrôle de l’application de la loi ([68]).

Pour certaines OQTF avec délai de départ volontaire (notamment dans les cas de refus de délivrance ou de renouvellement de titre de séjour), le délai de recours est de trente jours et le délai de jugement de trois mois ([69]). L’affaire est examinée par une formation collégiale. Il s’agit de la procédure « normale » ou « à trente jours », ce délai étant également celui dont dispose l’intéressé à compter de la notification pour exécuter l’obligation. À titre exceptionnel et eu égard à la situation personnelle de l’intéressé, le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ouvre la possibilité pour l’autorité administrative de fixer un délai supérieur. À l’expiration du délai, l’étranger peut être placé en rétention ou être assigné à résidence dans l’attente d’une exécution forcée de l’OQTF.

Pour les autres OQTF avec délai de départ volontaire, notamment en cas d’entrée irrégulière et de « débouté définitif » du droit d’asile ([70]), le délai de recours est de 15 jours avec un délai de jugement de six semaines. L’affaire est examinée par un juge unique, sans rapporteur public ([71]). Il s’agit d’une procédure que l’on peut qualifier de « moyenne urgence ».

Pour les OQTF sans délai de départ volontaire, l’obligation de quitter la France n’est assortie d’aucun délai : elle est prononcée en cas de menace pour l’ordre public, après un refus de délivrance ou de renouvellement d’un document de séjour en raison du caractère manifestement infondé de la demande ou à la suite d’une fraude, ou enfin en cas de risque de fuite de l’étranger – notamment si celui-ci s’est précédemment soustrait à une mesure d’éloignement. Le délai de recours est de 48 heures ([72]). Dans certains cas (notamment refus de délivrance ou de renouvellement de titre de séjour), le délai de jugement est de trois mois et l’affaire est examinée par une formation collégiale. Dans les autres cas (notamment ceux d’entrée irrégulière et de « débouté définitif » du droit d’asile), le délai de jugement est de six semaines et l’affaire est jugée par un juge unique.

Des règles particulières s’appliquent lorsque l’étranger fait l’objet d’une mesure de contrainte préalable à l’exécution de l’obligation – assignation à résidence, rétention administrative ou, par assimilation, détention judiciaire. L’intéressé peut demander au tribunal administratif l’annulation de l’OQTF, dans un délai de 48 heures à compter de la notification de celle-ci, lorsque cette décision est notifiée avec la décision de placement en rétention ([73]). Le juge administratif statue alors à juge unique, sans rapporteur public et avec un délai de jugement de 72 heures à compter de sa saisine.

Conçue pour proposer une procédure contentieuse adaptée en fonction des circonstances d’édiction de l’OQTF, la réforme du 7 mars 2016 a surtout précipité l’émergence d’un droit touffu, peu compréhensible par le justiciable et difficile à appréhender pour les professionnels.

Le tableau ci-dessous résume les différentes règles applicables aux recours contentieux présentés devant le tribunal administratif.

LES DIFFÉRENTES PROCÉDURES SELON LES CAS DANS LESQUELS UN ÉTRANGER PEUT FAIRE L’OBJET D’UNE OQTF

OQTF

L. 511-1 I, 3°, 5°, 7° ou 8°, avec délai de départ volontaire

L. 511-1 I, 1°, 2°, 4° ou 6°, avec délai de départ volontaire + art. L. 512-1 I bis

L. 511-1 I, 3°, 5°, 7° ou 8° sans délai de départ volontaire

L. 511-1 I, 1°, 2°, 4° ou 6° sans délai de départ volontaire

Rétention, assignation à résidence et détention

Rétention annulée par le juge des libertés et de la détention

Délai de recours

30 jours

15 jours

48h

48h

48h

48h

Formation de jugement

Collégiale, avec rapporteur public (dispense possible)

Juge unique, sans rapporteur public

Collégiale, avec rapporteur public (dispense possible)

Juge unique, sans rapporteur public

Juge unique, sans rapporteur public

Selon rattachement à lune des 4 premières colonnes

Délai de jugement

3 mois

6 semaines

3 mois

6 semaines

72h

Id ci-dessus

Source : Conseil d’État, Étude de la Mission d’inspection des juridictions administratives.

v.   L’interdiction de retour sur le territoire français (IRTF)

Conformément à l’article 11 de la directive Retour ([74]), la loi n° 2011‑672 du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité a créé l’interdiction de retour sur le territoire français (IRTF). Cette mesure d’éloignement est prononcée par le préfet à l’encontre d’un étranger non-européen à la suite de la délivrance d’une OQTF. L’intéressé fait en conséquence l’objet d’un signalement aux fins de non-admission dans le système dinformation Schengen ([75]).

L’IRTF est prononcée pour une durée maximale de deux ans si l’étranger s’est maintenu en France au-delà du délai de départ volontaire ; elle est prononcée d’office pour trois ans, sauf circonstances humanitaires, s’il ne bénéficiait pas d’un délai pour quitter le territoire ([76]). La mesure est contestable devant la juridiction administrative dans un délai de trente jours.

vi.   La reconduite d’un étranger vers un autre pays de l’Union européenne

L’étranger non-européen peut être renvoyé de France vers un autre pays de l’Union européenne. Cette procédure est possible :

–  en vertu d’un accord de réadmission entre la France et ce pays (lorsque l’étranger est interpellé en situation irrégulière à la frontière ou séjourne irrégulièrement en France après être entré dans l’Union européenne par l’autre pays) ;

–  lorsque l’étranger dépose une demande d’asile en France dont l’examen appartient à autre État en vertu du système « Dublin III » ([77]) ;

–  lorsque l’étranger est entré ou a séjourné en France en violation de la convention de Schengen ;

–  lorsque l’étranger, détenteur d’un titre de résident de longue durée délivré par un autre pays de l’Union européenne, fait l’objet d’une mesure d’éloignement en France ;

–  lorsque l’étranger, détenteur d’un titre de séjour "carte bleue européenne" valide délivré par un autre pays de l’Union européenne, se voit refuser une carte similaire en France.

vii.   L’interdiction de circulation sur le territoire français (ICTF)

Créée par la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France, l’interdiction de circulation sur le territoire français (ICTF) peut être adjointe à lOQTF délivrée à un étranger citoyen de lUnion européenne, dun pays de lEspace économique européen ou de la Suisse, lorsque cette mesure se fonde sur un abus de droit ou sur une menace à lencontre dun intérêt fondamental de la société française.

Prononcée pour une durée maximale de trois ans en fonction de la situation personnelle de l’intéressé, elle peut être abrogée à tout moment à l’initiative de l’administration ou à la demande de l’intéressé si celui-ci justifie résider hors de France depuis un an au moins – sauf s’il est détenu ou retenu sur le territoire français. Les voies de recours ouvertes sont les mêmes que pour l’interdiction de retour sur le territoire français.

b.   Des procédures d’éloignement à l’efficacité discutable

Les éloignements forcés d’étrangers en situation irrégulière sont passés de 13 908 en 2009 à 14 859 en 2017. Les chiffres disponibles montrent, sur une décennie, une relative stabilité du volume annuel d’éloignements contraints. Ils tirent leur explication d’un double phénomène. D’une part, tous les étrangers en situation irrégulière sur le territoire national ne font pas l’objet d’une décision d’éloignement. D’autre part, parmi les décisions d’éloignement régulièrement notifiées, un faible nombre est effectivement exécuté.

MESURES D’ÉLOIGNEMENT PRONONCÉES ET EXÉCUTÉES DE 2012 À SEPTEMBRE 2017 PAR TYPES DE MESURE

 

2015

2016

2017 (9 mois)

Mesures prononcées

APRF

957

1 056

0

OQTF

79 750

81 628

60 707

ITF

994

953

851

Réadmissions

7 154

8 279

12 537

Expulsions

136

160

176

Mesures exécutées

APRF

400

462

56

OQTF

13 518

11 653

8 750

ITF

923

897

762

Réadmissions

5 014

3 338

3 513

Expulsions

136

139

155

Départs sans contrainte

Départs aidés

3 093

2 627

2 674

Départs spontanés

6 512

5 591

4 046

Total des mesures prononcées

88 991

92 076

74 271

Total des départs

29 596

24 707

19 956

Source : « L’immigration aujourd’hui : inadaptation du droit, désarroi des acteurs », rapport de MM. Jean-Michel Clément et Guillaume Larrivé sur l’application de la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France (n° 669), commission des Lois, 15 février 2018.

Les demandeurs d’asile qui se sont heurtés à une décision de refus constituent la catégorie d’étrangers qui illustre le mieux les difficultés de l’État à mettre en œuvre une politique migratoire stricte, corollaire nécessaire à la garantie de l’accueil dans de bonnes conditions de ceux qui en ont besoin. En 2015, la Cour des comptes pouvait ainsi affirmer que 96 % des personnes déboutées du droit d’asile demeuraient finalement sur le sol français ([78]).

La précédente réforme de l’asile, issue de la loi n° 2015‑925 du 29 juillet 2015, avait inscrit à l’article L. 511‑1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile que le refus définitif de la qualité de réfugié ou du bénéfice de la protection subsidiaire entraînait de plein droit l’édiction d’une obligation de quitter le territoire français ([79]). 20 739 OQTF ont été prises en 2017 sur ce fondement spécifique. Toutefois, ce nombre ne rend pas compte de la totalité des décisions, les déboutés pouvant également être invités à quitter le territoire après le rejet d’une demande de titre de séjour présentée pour un autre motif dans la foulée du rejet de leur demande d’asile.

2.   Les dispositions du projet de loi

L’article 12 modifie le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile pour prévenir les dangers d’inexécution dans la procédure d’éloignement des étrangers en situation irrégulière sur le territoire national.

a.   La concomitance des demandes d’asile et de titre de séjour

Le I est de cohérence avec larticle 23 du projet de loi aux termes duquel un étranger qui a déposé une demande d’asile et qui sollicite par ailleurs un titre de séjour effectue cette seconde démarche parallèlement à la première. Il précise qu’en cas de rejet, l’étranger fait l’objet d’une OQTF sur le fondement du 6° du I de l’article L. 511-1 ([80]), évitant ainsi toute interrogation quant au régime contentieux applicable – celui du I bis de l’article L. 512-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, soit de l’OQTF « à six semaines ».

Cette solution s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence du Conseil d’État ([81]). Celui-ci a approuvé le dispositif présenté par le Gouvernement, « estimant une telle clarification bienvenue » ([82]).

b.   L’extension des cas d’OQTF sans délai de départ volontaire

La directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, dite directive Retour, prévoit l’octroi d’un délai de départ volontaire à l’étranger invité à quitter le territoire d’un État-membre ([83]).

Les critères de refus de délai de départ volontaire sont prévus à l’article 7.4 de la directive : « sil existe un risque de fuite, ou si une demande de séjour régulier a été rejetée comme étant manifestement non fondée ou frauduleuse, ou si la personne concernée constitue un danger pour lordre public, la sécurité publique ou la sécurité nationale, les États membres peuvent sabstenir daccorder un délai de départ volontaire ou peuvent accorder un délai inférieur à sept jours. »

Ces dispositions ont été transposées au II de l’article L. 511-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, notamment la notion de « risque de fuite ». Le risque est considéré établi :

« a) Si létranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, na pas sollicité la délivrance dun titre de séjour ;

« b) Si létranger sest maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa ou, sil nest pas soumis à lobligation du visa, à lexpiration dun délai de trois mois à compter de son entrée en France, sans avoir sollicité la délivrance dun titre de séjour ;

« c) Si létranger sest maintenu sur le territoire français plus dun mois après lexpiration de son titre de séjour, de son récépissé de demande de carte de séjour ou de son autorisation provisoire de séjour, sans en avoir demandé le renouvellement ;

« d) Si létranger sest soustrait à lexécution dune précédente mesure déloignement ;

« e) Si létranger a contrefait, falsifié ou établi sous un autre nom que le sien un titre de séjour ou un document didentité ou de voyage ;

« f) Si létranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce quil ne peut justifier de la possession de documents didentité ou de voyage en cours de validité, ou quil a dissimulé des éléments de son identité, ou quil na pas déclaré le lieu de sa résidence effective ou permanente, ou quil sest précédemment soustrait aux obligations [de pointage ou de résidence] prévues par les articles L. 5134, L. 5524, L. 5611 et L. 5612. »

Toutefois, la Commission européenne a publié le 7 mars 2017 une recommandation précisant la notion de « risque de fuite » et présentant une série de situations permettant de déterminer une présomption réfragable en ce sens ([84]). Le II de l’article 11 prévoit de modifier l’article L. 511-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile pour prendre en compte ces nouveaux éléments produits par la Commission :

–  le e) est complété pour que soit refusé le délai de départ à l’étranger qui a utilisé un titre de séjour ou un document d’identité ou de voyage établi sous un autre nom que le sien, qu’il soit responsable ou non de la falsification ;

–  le f) est précisé pour une meilleure définition du défaut de garanties de représentation suffisantes. Ces garanties s’apprécient en considération des possibilités d’identification de l’intéressé, de son degré de coopération et de sa localisation. À cet égard, le projet de loi précise que, pour bénéficier du délai de départ volontaire, l’étranger doit résider dans un logement, et non dans un habitat de fortune couplé à une poste restante. De plus, il doit faire preuve de coopération : avoir communiqué tout renseignement permettant d’établir son identité et sa situation, ne pas avoir refusé le relevé d’empreintes digitales et la photographie, s’être conformé à ses obligations – notamment de présentation aux autorités consulaires ;

–  un g) est créé pour prendre en compte le cas de l’étranger entré irrégulièrement dans l’espace Schengen qui fait l’objet d’une mesure d’éloignement dans un autre État membre ou s’y est maintenu irrégulièrement. Il s’agit ici de prévenir les mouvements secondaires au sein de l’Union européenne, où le passage d’un État membre à un autre sert à la mise en échec des procédures d’éloignement ;

–  enfin, un h) est ajouté pour prévoir l’hypothèse de l’étranger déclarant préalablement et explicitement son intention de ne pas exécuter l’éloignement, rendant inutile et superflu l’octroi d’un délai de retour.

Conformément aux orientations recommandées par la Commission européenne et soulignées par le Conseil d’État ([85]), ces dispositions législatives ne lient pas l’autorité administrative. Celle-ci reste toujours en mesure, en fonction des circonstances de l’espèce, de faire bénéficier un étranger d’un délai de départ volontaire, même s’il entre dans l’un des cas précédemment décrits.

c.   La systématisation de l’interdiction de retour sur le territoire français

Conformément à la directive Retour, la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France a introduit dans le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile le principe selon lequel une IRTF doit être prononcée à l’encontre de l’étranger qui n’a pas satisfait à son obligation de quitter le territoire dans le délai imparti ou lorsque aucun délai de départ volontaire n’avait été accordé.

Cette modification législative a produit ses effets. L’étude d’impact jointe au projet de loi indique que la progression des IRTF entre les dix premiers mois de l’année 2016 et les dix premiers mois de l’année 2017 est de l’ordre du décuplement ([86]).

Le III vient clarifier la rédaction du III de l’article L. 511‑1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile de sorte que :

–  son premier alinéa traite à l’avenir des cas dans lesquels l’OQTF n’est pas assortie d’un délai de départ volontaire ;

–  son sixième alinéa règle la situation de l’étranger qui, ne faisant pas l’objet d’une interdiction de retour, s’est maintenu irrégulièrement sur le territoire à l’expiration du délai de départ volontaire.

Par ailleurs, la Cour de justice de l’Union européenne juge que les effets de l’interdiction de retour doivent courir à compter de l’exécution effective de l’éloignement, c’est-à-dire lorsque l’étranger a rejoint un pays tiers ([87]). Or, le III de l’article L. 511‑1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile dispose que la durée de l’IRTF commence « à compter de sa notification ».

Le III prévoit, en conséquence, une mise en conformité de la loi avec la jurisprudence européenne. L’article L. 511-1 est modifié afin de prévoir, par un règlement d’application, que l’interdiction de retour commence à compter de l’exécution de l’OQTF.

*

*     *

La Commission examine deux amendements identiques CL590 de Mme Elsa Faucillon et CL690 de M. Jean-Michel Clément.

Mme Elsa Faucillon. Nous demandons la suppression des alinéas 1 à 4. Ce sont des dispositions de cohérence avec l’article 23 du projet de loi en vertu desquelles un étranger qui a déposé une demande d’asile et qui souhaite solliciter par ailleurs un titre de séjour doit effectuer cette seconde démarche parallèlement à la première. Il est également précisé qu’en cas de rejet de la demande d’asile et de la demande de titre de séjour, l’étranger doit faire l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF).

Cette mesure a pour effet de limiter de manière significative la possibilité de présenter une demande d’admission au séjour sur un fondement nouveau, suite à un refus de demande d’asile, par exemple lorsque l’intéressé justifie de liens familiaux avec la France, de l’existence d’une bonne intégration ou rencontre de graves problèmes de santé.

Cette limitation s’inscrit dans la logique de l’accélération de la procédure au détriment des droits de la personne.

Mme Sonia Krimi. Il est bon de vouloir faciliter les procédures. Mais aujourd’hui, il est pratiquement impossible de déposer une demande d’asile en même temps qu’une demande de titre de séjour pour un autre motif. Aller dans une ambassade est considéré comme un signe d’allégeance et fait tomber la demande d’asile.

On compare toujours notre situation à celle de l’Allemagne, mais dans ce pays, un examen médical complet est imposé dès l’arrivée, ce qui élimine beaucoup de recours par la suite sur d’autres fondements. Bref, si je comprends le caractère opérationnel de ces dispositions, je m’interroge sur leur mise en place.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Prévoir que toutes les demandes de droit d’asile et de titre de séjour doivent être déposées en même temps sert plusieurs objectifs. C’est d’abord, pour l’administration ou la justice administrative, une mesure de simplification et d’accélération du traitement des demandes, ce qui répond à l’objet de ce texte. Les demandeurs d’asile ou ceux qui souhaitent obtenir un autre titre de séjour seront très rapidement informés sur leurs possibilités de rester, ou pas, sur le territoire.

Mais cela n’empêche absolument pas qu’une demande soit déposée pour un autre motif en cas de circonstances nouvelles. Si, par exemple, on peut attester, après avoir été débouté du droit d’asile, qu’une maladie a été contractée et qu’il existe des circonstances nouvelles, la demande sera étudiée au titre de la procédure « étranger malade » par l’OFII. Avis défavorable.

Mme Sonia Krimi. Est-il possible de déposer une demande d’asile et une demande de titre de séjour en même temps ? Peut-on faire une demande de titre de séjour sans avoir de passeport ? Je crois que juridiquement, ce n’est pas possible.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Dans la pratique, cela se fait déjà. Après l’adoption de cet article, il y aura une montée en puissance de la formation. Les préfectures devront l’accompagner. Ce texte vise aussi à améliorer l’accueil et à faire face à un nombre plus important de demandes enregistrées par les préfectures.

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lintérieur. Ce que nous refusons, c’est qu’un certain nombre de personnes demandent successivement des choses différentes. Qu’elles demandent, lorsqu’elles arrivent, un titre de séjour sur différents fondements, c’est possible. Elles peuvent aussi demander un titre de séjour pour raison médicale après leur arrivée. Mais nous ne voulons pas qu’après le rejet d’une demande pour un motif, il soit ensuite possible d’en invoquer un deuxième, et ainsi de suite.

La Commission rejette ces amendements.

Elle examine lamendement CL496 de Mme Bénédicte Taurine.

M. Ugo Bernalicis. Le premier alinéa de l’article prétend traiter de la question de l’asile et de l’immigration avec humanité et fermeté, comme l’avance le Président de la République. Pourtant, dans ce projet de loi, nous ne voyons que de l’inhumanité. L’article 11 est un concentré de cynisme et de brutalité envers celles et ceux qui fuient toutes sortes d’atrocités.

Cet article précise que toute personne ayant reçu un double refus, de demande d’asile et de titre de séjour, doit faire l’objet d’une OQTF. En réalité, l’administration en charge d’étudier ces demandes simultanées peut, mais ne doit pas, prendre une mesure d’OQTF. Nous avons eu un différend avec le ministre sur la différence entre pouvoir et devoir hier soir, qui a d’ailleurs plutôt tourné en ma faveur.

L’article 11 prévoit donc une automatisation des OQTF ne permettant pas à l’administration d’étudier l’histoire de chacun, avec ses particularités, alors même que cela pourrait éviter le lancement de ce type de procédures arbitraires. Il est aussi prévu d’étendre les motifs d’interdiction de retour sur le territoire français. Il s’agit d’une mesure liberticide, à notre sens, qui place ces personnes dans une situation d’incertitude et de crainte constante, les poussant à choisir de vivre dans la clandestinité. Ce projet de loi échoue donc à accorder l’hospitalité et l’écoute dont ces personnes ont cruellement besoin.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Il s’agit de questions techniques d’alignement de délais. Lorsque deux décisions de refus sont rendues, avec deux délais de recours différents, il est de bonne administration de la justice de s’aligner sur l’un ou sur l’autre. En l’occurrence, nous retenons le délai de contestation du refus de l’asile, de manière qu’il n’y ait pas d’incompréhension. Avis défavorable.

M. Ugo Bernalicis. Cette mesure n’est pas simplement « technique » : elle va avoir des effets sur la réalité concrète des personnes qui vont la subir. Le recours contre une OQTF doit se faire dans les 48 heures, ce ne sont pas les conditions les plus acceptables.

Puisque nous parlons de délais, je constate que nous avons repris nos travaux à 14 heures. Et j’ai appris que nous allions les suspendre pour retourner en séance publique…

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. C’était précisé dans la convocation. Vous ne pouvez pas tout contester …

M. Ugo Bernalicis. Si, c’est mon bon droit, madame la présidente ! Cela fait partie de mes pouvoirs de tout contester, et je m’y emploie avec une certaine détermination, je vous l’accorde !

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. En l’occurrence, c’est de la mauvaise foi. Faites un effort !

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lintérieur. Vous êtes un contestataire de nature !

M. Ugo Bernalicis. Peut-être, monsieur le ministre, mais je crois qu’il est à propos de contester une telle organisation des débats et ce genre de texte…

La Commission rejette lamendement.

Elle adopte ensuite deux amendements rédactionnels identiques CL286 de la rapporteure et CL141 de Mme Alexandra Valetta Ardisson.

Elle en vient à lamendement CL391 de M. Jean-Louis Masson.

M. Jean-Louis Masson. Monsieur le ministre d’État, j’ai beaucoup de sympathie pour vous. Or je vous sens frustré, au fil de l’examen de ces articles, puisque les choses risquent de ne pas aller aussi vite que vous l’espériez. Je vous propose donc de supprimer la référence « depuis plus de trois mois ». Il n’y a pas lieu en effet d’imposer aux autorités compétentes de délai minimum de résidence s’agissant d’une menace pour l’ordre public ou de la commission d’une infraction par un étranger. Ce sont des situations suffisamment graves pour que nous n’imposions pas un délai de résidence.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Vous proposez de modifier le droit existant, mais je vous rappelle que lorsqu’un étranger constitue une menace grave pour l’ordre public, il fait l’objet non pas d’une OQTF mais d’un arrêté d’expulsion. Votre proposition présente donc peu d’utilité. Avis défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Elle est ensuite saisie de cinq amendements, CL127, CL128 et CL129 de M. JeanCarles Grelier, CL214 de M. Éric Diard et CL392 de M. Jean-Louis Masson, pouvant faire lobjet dune discussion commune.

M. Robin Reda. L’article 11 précise les motifs permettant de refuser le bénéfice du délai de départ volontaire à l’étranger qui présente un risque de soustraction à la mesure d’éloignement.

Les amendements CL127, CL128 et CL129 élargissent les motifs de refus de ce délai à tous les étrangers en situation régulière en France qui ont été condamnés pénalement ou ont été inclus dans une fiche « S » par nos services de renseignement. Si nous pouvons refuser le délai d’OQTF pour celles et ceux qui ont usé de contrefaçons pour des papiers d’identité, c’est bien le minimum de le prévoir également pour ceux qui ont été condamnés ou fichés.

Quant à l’amendement CL214, il met en place un système qui permettrait d’assortir les condamnations d’étrangers à des peines de prison d’une OQTF. Selon les chiffres de la Chancellerie, nos prisons comptent 15 000 étrangers. Permettre à la justice de renvoyer les étrangers qui ont été condamnés à être incarcérés en France pourrait résoudre le problème de la surpopulation carcérale.

M. Jean-Louis Masson. Toujours pour aider le ministre, je propose d’ajouter un alinéa ainsi rédigé : « Si létranger a commis une infraction pénale sanctionnée par un jugement définitif des tribunaux compétents ». La personne qui se trouve dans ce cas n’a plus de raison, en effet, de bénéficier du droit d’asile.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Ces amendements obéissent à la même logique : faire prononcer une peine automatique. Souvenons-nous des débats que nous avons eus cet été s’agissant du projet de loi pour la confiance dans la vie politique, lorsque nous parlions d’inéligibilité : il n’est pas possible d’arriver à une peine automatique, y compris dans ce cadre.

Ce qui est possible, et que le code permet déjà, c’est qu’une condamnation judiciaire entre dans les critères d’analyse de l’administration pour évaluer la menace que fait peser un étranger sur l’ordre public. Le préfet, le ministre dans les cas les plus sérieux, peut prendre alors un arrêté d’expulsion. Mais cette expulsion ne saurait être automatique : ce serait contraire à notre Constitution. Avis défavorable à l’ensemble des amendements.

M. Robin Reda. Pardon, madame la rapporteure, mais à aucun moment il n’est prévu que cette mesure doit être d’application systématique. Il est proposé de faire figurer parmi les motifs le fait d’avoir été condamné sur le territoire de la République. Il n’y a pas d’automaticité. Ce serait un motif beaucoup moins flou que celui qui est actuellement retenu par la loi.

M. Fabien Di Filippo. Je ne reviens pas sur les aspects juridiques, très bien expliqués par M. Reda. Monsieur le ministre : comment nos compatriotes peuvent-ils comprendre que des gens qui ont commis des infractions, voire des crimes, sur le territoire, et qui ont été condamnés, continuent à bénéficier du droit d’asile et à rester en France ? C’est proprement hallucinant. Beaucoup de Français sont très inquiets à cet égard, surtout en ce moment.

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lintérieur. Je comprends que compte tenu du contexte, un certain nombre de personnes puissent être inquiètes. Je veux expliquer exactement la situation. Pour mémoire, 3 000 personnes de nationalité étrangère sont inscrites au fichier des signalements pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) et suivies pour radication.

Si elles sont en situation irrégulière, elles doivent faire l’objet d’une OQTF car elles présentent une menace pour l’ordre public. Je tiens à vous rassurer sur ce point : les préfets sont pleinement mobilisés pour prendre des OQTF à l’encontre de tous les étrangers en situation irrégulière qui présentent de telles menaces. Après l’attentat de Marseille, j’avais appelé plus précisément leur attention sur ces cas.

En revanche, lorsque les personnes sont en situation régulière, parce qu’elles habitent en France depuis des années, qu’elles sont mariées à un Français ou qu’elles sont parent d’un enfant français, elles font l’objet d’un arrêté d’expulsion. Nous en prenons régulièrement. Mais nous devons nous assurer qu’après l’expulsion, ces personnes ne seront pas susceptibles de faire l’objet de traitements inhumains dans les pays où elles sont envoyées. Certains pays refusent cependant de dire s’ils se conforment aux droits humains. Dans ce cas, nous les gardons sous assignation à résidence. Mais il est arrivé que des personnes fassent appel au motif que nous les maintenions trop longtemps dans cette situation.

Croyez-moi, nous surveillons ces deux types de personnes.

La Commission rejette successivement les amendements CL127, CL128, CL129 CL214 et CL392.

Elle aborde lamendement CL375 de Mme Muriel Ressiguier.

Mme Danièle Obono. Alors que la loi actuelle prévoit la possibilité d’octroyer un délai de départ volontaire, permettant au préfet de prendre le temps d’étudier minutieusement et d’apprécier le cas de chacun, le projet de loi envisage d’inscrire dans le droit la criminalisation des étrangers et étrangères dont les conditions d’accueil sont déjà particulièrement difficiles. Tous les motifs énumérés par le Gouvernement pour justifier l’automatisation de l’interdiction de retour sur le territoire français (IRTF) ne sont, de notre point de vue, que le résultat de la situation dans laquelle ces personnes sont placées contre leur gré. Le texte n’aboutira qu’à multiplier le nombre d’expulsions et à induire chez les personnes concernées l’idée qu’elles sont indésirables et doivent vivre cachées. Or cela va à l’encontre de l’intention du Gouvernement qui veut mener une politique plus efficace. D’où notre amendement.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. L’ensemble des mesures prévues à l’article 11 visent, s’agissant de l’IRTF, à nous mettre en conformité avec un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne sur la date de commencement de l’interdiction du retour. Nous avons une faible marge de manœuvre sur ce point. En ce qui concerne les OQTF, nous sommes pleinement dans la ligne de la directive européenne « Retour ». J’émets donc un avis défavorable à votre amendement.

La Commission rejette lamendement.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CL168 de M. Éric Ciotti et CL 393 de M. Jean-Louis Masson.

M. Éric Ciotti. L’amendement CL168 vise à diminuer le délai de départ volontaire après le prononcé d’une OQTF. Aujourd’hui, il est de trente jours. Je propose de le ramener à sept jours pour éviter que les personnes faisant l’objet d’une OQTF se soustraient au contrôle des autorités de notre pays.

Quant à mon amendement CL268, c’est un amendement de cohérence qui permet de mieux sanctionner la volonté délibérée de refuser l’enregistrement des empreintes digitales.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Si l’on veut que les départs volontaires soient efficaces, si l’on veut que les personnes ne reviennent pas, il faut disposer d’un temps suffisant pour construire un vrai projet avec l’étranger. Le délai de trente jours me paraît donc tout à fait raisonnable. Avis défavorable.

M. Jean-Louis Masson. L’amendement CL393 est légèrement différent de l’amendement CL168 : nous proposons de diviser le délai de trente jours par deux et de le ramener à quinze jours. Je soumets cette solution équilibrée à l’appréciation de la Commission.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Même argumentation.

M. Éric Ciotti. Vous faites preuve d’une très grande naïveté, madame la rapporteure. Vous dites que trente jours correspondent au temps nécessaire pour préparer le départ. J’ai tendance à penser, hélas, que trente jours correspondent au temps nécessaire aux personnes concernées pour se soustraire aux autorités administratives de notre pays.

La Commission rejette successivement les amendements CL168 et CL393.

Elle adopte lamendement rédactionnel CL287 de la rapporteure.

Ensuite, elle est saisie de lamendement CL268 de M. Éric Ciotti.

M. Éric Ciotti. J’ai déjà défendu cet amendement.

Suivant lavis défavorable de la rapporteure, la Commission rejette lamendement.

Puis elle en vient à lamendement CL759 de Mme Valérie Boyer.

Mme Valérie Boyer. Selon les données du ministère de la justice, 14 964 ressortissants étrangers se trouvaient dans les prisons françaises au 1er février 2017 sur un total de 69 077 détenus, soit à peu près 22 % de l’ensemble de la population carcérale. Il y a environ 2 000 prisonniers algériens, 1 800 Marocains, 1 400 Roumains et 1 100 Tunisiens. Ils représentent à eux seuls 42 % des étrangers détenus en France. Ajoutons les 24 000 fichés S et les 20 000 personnes considérées comme danger potentiel du fait de leur radicalisation au fichier du traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation. Nous sommes bien loin des vingt expulsions annoncées par le ministre de l’intérieur.

La loi actuelle est normalement très claire. Si un étranger en situation irrégulière circule sur le sol français sans titre de séjour, il doit être expulsé. Qu’il soit délinquant ou non, la règle est la même pour tous. La capacité d’un État à éloigner les étrangers qui commettent des actes de délinquance est inhérente au concept de souveraineté. Dans un contexte de menace terroriste sans précédent et de hausse continue de la délinquance, la préservation de l’ordre public exige de revoir le droit actuel afin d’expulser systématiquement les étrangers incarcérés ou représentant une menace pour l’ordre public. Quelqu’un qui n’accepte pas nos lois, qui met en danger la vie d’autrui ou la liberté d’une autre personne en France n’a pas sa place sur notre territoire. Expulser les étrangers délinquants ou qui menacent l’ordre public est une mesure de bon sens et relevant d’un simple principe de précaution. C’est tout le sens de mon amendement que je vous demande, mes chers collègues, de voter.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Ce n’est pas l’objet de l’amendement CL759 qui vise à couper l’aide publique au développement aux pays qui ne reprennent pas leurs ressortissants.

Mme Valérie Boyer. Excusez-moi, madame la rapporteure. L’amendement CL759 vise à poser un principe de réciprocité et à faire respecter l’état de droit en France. Je suis particulièrement choquée qu’on refuse d’accueillir sur leur territoire les ressortissants maliens expulsés alors que des soldats français risquent leur vie tous les jours au Mali. On subit ainsi une double peine. Les relations que nous avons avec ces pays doivent changer : ils doivent accepter le retour de leurs ressortissants.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Je ne suis pas convaincue que cet amendement ait vraiment sa place dans notre discussion en commission des Lois même si la non-délivrance des laissez-passer consulaires nous concerne, s’agissant notamment du délai de rétention. J’ai auditionné M. Teixeira da Silva, ambassadeur chargé des migrations. Il nous a fait part de discussions diplomatiques avec les pays qui délivrent très peu de ces documents. Peut-être le ministre d’État voudra-t-il en dire un mot mais cette question dépasse le cadre du texte. On ne peut pas la réduire à une sanction financière. Il faut respecter le cadre de la négociation diplomatique. Avis défavorable.

Mme Valérie Boyer. Le centre de rétention administrative (CRA) de Marseille, dans lequel je me suis rendue, compte 107 places ; 50 % de ceux qui y sont hébergés sortent de prison et cela coûte 400 euros par jour et par personne. Les 120 policiers qui y sont affectés et qui s’acquittent de toutes les procédures nécessaires ne peuvent rien faire si les laissez-passer consulaires ne sont pas délivrés. Je trouve particulièrement choquant que les pays qui bénéficient de l’aide au développement refusent leurs propres ressortissants ou mettent de la mauvaise volonté à les accueillir. Le Président de la République Emmanuel Macron avait affirmé : « toutes celles et tous ceux qui, étant étrangers en situation irrégulière, commettent un acte délictueux, quel quil soit, seront expulsés ». Que les pays d’origine acceptent leurs propres ressortissants est le minimum ! L’aide au développement, c’est plus de 9 milliards d’euros et le Président de la République s’est engagé à faire passer ce budget à 15 milliards en 2022. On ne peut pas rester dans cette situation ! À un moment donné, il faut prendre des mesures. C’est le cœur du sujet qui nous occupe puisque ce texte traite de l’immigration et du droit d’asile.

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lintérieur. Tout d’abord, soyez rassurée, 70 % des personnes en situation irrégulière qui sortent de prison sont aujourd’hui éloignées – ce n’est pas 100 % mais ce n’est pas négligeable.

S’agissant des laissez-passer consulaires, par le passé, comme certains pays en accordaient peu, les préfets finissaient effectivement par ne plus en demander. Nous avons repris cette démarche et passé un accord avec plusieurs pays. Non seulement nous demandons aux préfets d’exiger systématiquement ces documents aux consulats, mais nous avons installé une équipe dédiée au ministère de l’intérieur. Nous pouvons ainsi, lorsque les préfets n’obtiennent pas ces laissez-passer, reprendre les choses en main au ministère et traiter directement avec les ministres des pays concernés.

M. Ugo Bernalicis. Monsieur le ministre, une fois que vous reprenez la main, que mettez-vous dans la balance ? Comment la discussion s’engage-t-elle ? Pensez-vous que ce n’est qu’un problème de niveau hiérarchique ?

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lintérieur. Je mets des choses en balance, monsieur Bernalicis, mais je préfère le faire avec les ministres des pays concernés plutôt que sur la place publique. Dans ce genre de négociations, plus directement on discute, mieux on aboutit à des résultats.

Mme Stella Dupont. Je suis choquée par les propos de Mme Boyer qui fait certains amalgames particulièrement graves entre réfugiés, demandeurs d’asile et personnes sortant de prison – tout le monde est mis dans le même sac. Ce sont des propos extrêmement dangereux pour notre démocratie.

L’aide au développement existe mais elle est insuffisante aux niveaux européen et international, au regard des besoins et des sommes que les ressortissants qui vivent à l’étranger sont en mesure de rapatrier dans leur pays d’origine. La France agit mais il faudrait qu’elle en fasse davantage. Vos propositions ne mènent à rien, sauf à jeter le discrédit et à soutenir des thèses extrémistes particulièrement graves.

M. Fabien di Filippo. Je ne peux pas laisser dire que Mme Boyer fait des amalgames : elle a donné des chiffres et très précisément circonscrit le périmètre des personnes concernées. La France est le troisième pays de l’OCDE en nombre de réfugiés résidant sur son territoire en 2016, derrière l’Allemagne et la Turquie. Cela montre bien, si on sort de raisonnements très théoriques, que la France est généreuse. Mais elle a aussi le droit de protéger ses concitoyens. Ces personnes ont eu leur chance : s’ils ne la saisissent pas, s’ils commettent des infractions ou des crimes, la logique veut qu’ils quittent la France.

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lintérieur. J’ai aussi été extrêmement précis dans ma réponse.

M. Florent Boudié. Madame Boyer, votre proposition ferait peser sur les populations, sur ces personnes qui fuient souvent leur pays pour des raisons de pauvreté, de persécution, de menace, de violence ou de conflit, les conséquences du comportement de l’État central. Vous ne feriez qu’encourager la dégradation des conditions des ressortissants concernés. L’aide au développement apporte un soutien aux populations dans le cadre de projets précis, localisés. Votre amendement aurait l’effet inverse de celui que vous recherchez et pose un vrai problème éthique.

Mme Isabelle Florennes. Dans son rapport pour avis, la présidente de la commission des Affaires étrangères encourage le renforcement du dialogue bilatéral, la diplomatie et l’aide au développement – solution pour mettre un terme à certaines pratiques.

La Commission rejette lamendement.

Elle adopte lamendement CL288 de cohérence de la rapporteure.

Elle aborde, en discussion commune, les amendements CL621 de Mme Muriel Ressiguier, CL331 de M. Loïc Prudhomme et CL628 de Mme Danièle Obono.

Mme Danièle Obono. Je défendrai conjointement les amendements CL621 et CL331. En complément de nos amendements visant à rappeler au préfet qu’il doit toujours examiner pleinement et sérieusement la situation de tout étranger et n’être en aucun cas en situation de compétence liée, nous souhaitons modifier l’article L. 511-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile dans le même sens, cette fois pour le cas le plus problématique des interdictions de retour sur le territoire français. Il y a sept ans, seul un juge pénal pouvait prononcer une telle mesure, alors appelée interdiction judiciaire du territoire. L’IRTF a été créée en 2011 et pouvait être prononcée dans des cas limités. En six ans, on en est arrivé à la banalisation la plus complète d’une mesure particulièrement attentatoire aux droits et libertés fondamentales. Depuis la loi du 7 mars 2016, dans de nombreux cas, le préfet est obligé de prendre une IRTF, la seule dérogation permise étant les circonstances humanitaires. La seule marge de manœuvre concerne la durée de l’interdiction qui peut aller jusqu’à trois ans. Nous proposons de mettre fin à cette automaticité.

M. Ugo Bernalicis. L’amendement CL628 est défendu.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Ces trois amendements me semblent contraires à l’article 11 de la directive « Retour » du 16 décembre 2008 en vertu de laquelle les décisions de retour sont assorties d’une interdiction d’entrée dans deux cas : lorsqu’aucun délai n’a été accordé pour le départ volontaire ou si l’obligation de retour n’a pas été respectée. Je suis d’avis de respecter nos engagements européens et donc défavorable à ces amendements.

La Commission rejette successivement les amendements CL621, CL331 et CL628.

Elle est saisie de lamendement CL169 de M. Éric Ciotti.

M. Éric Ciotti. Cet amendement vise à porter l’interdiction de retour sur le territoire français à une durée maximale de dix ans alors qu’elle n’est que de trois ans aujourd’hui, ce qui paraît très largement insuffisant à l’encontre de ceux qui ont violé nos lois.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. La directive « Retour » du 16 décembre 2008 dispose que l’interdiction est limitée à cinq ans, sauf – et seulement sauf – menace grave pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sécurité nationale. Avis défavorable.

M. Éric Ciotti. Accepteriez-vous un sous-amendement portant cette durée à cinq ans, madame la rapporteure, monsieur le ministre ? (Sourires.)

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Pour le moment, l’avis de la rapporteure est bien défavorable à cet amendement.

La Commission rejette lamendement.

Elle aborde lamendement CL394 de M. Jean-Louis Masson.

M. Jean-Louis Masson. Cet amendement vise précisément à prévoir la faculté – non l’obligation, madame la rapporteure – de porter le délai précité à cinq ans. C’est un bon équilibre entre la proposition de M. Ciotti et le droit actuel. Par ailleurs, cela correspond au délai maximal fixé par le droit européen. Vous ne pouvez donc invoquer ce dernier pour vous opposer à cet amendement.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Eh bien, si ! Nous ne sommes pas dans le même cas de figure puisque vous demandez ici de porter ce délai à cinq ans en cas de condamnation définitive à une peine d’emprisonnement. Nous retombons sur la problématique de la peine automatique : une sanction administrative découlant automatiquement d’une décision de justice pénale sans que le juge l’ait explicitement prononcée est contraire à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

La Commission rejette lamendement.

Elle adopte ensuite larticle 11 modifié.

Article 12
(art. L. 5121 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile)
Procédure administrative et contentieuse de léloignement

Résumé du dispositif et effets principaux :

L’article 12 allonge le délai de jugement dont dispose le juge administratif pour se prononcer sur les OQTF assorties d’une mesure de surveillance, qui passe de soixante-douze heures à quatre-vingts seize heures à compter de l’expiration du délai de recours. Il autorise également la tenue d’audiences par visioconférence.

Dernières modifications législatives intervenues :

Le régime contentieux des OQTF assorties d’une mesure de surveillance de l’étranger a été réformé par la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France.

Modifications apportées par la commission des Lois :

Deux amendements rédactionnels ont été adoptés par la Commission.

1.   L’état du droit

La décision d’éloignement est de nature administrative. Elle est donc contestable devant la juridiction administrative suivant des modalités contentieuses qui varient selon que l’administration a assujetti, ou non, le requérant à des mesures de surveillance. Le délai de jugement normal, fixé à trois mois ou à six semaines en fonction du fondement de l’OQTF, est ramené à 72 heures à compter de la saisine lorsque le requérant est placé en rétention administrative ou assigné à résidence ([88]).

Le tribunal administratif rend donc sa décision au plus tard au cinquième jour de la rétention, le plus souvent au troisième ou au quatrième.

Toutefois, le contentieux des étrangers se caractérise par l’intervention des deux ordres de juridiction puisque, si le juge administratif se prononce sur la régularité de la mesure d’éloignement, il revient au seul juge des libertés et de la détention (JLD) de connaître des conditions de la rétention. Les décisions de ces deux juges sont indépendantes sur le fond mais ne sont pas dépourvues de lien en termes de procédure : si le juge des libertés et de la détention met fin à une rétention, les délais contentieux de l’OQTF qui fondait cette rétention se trouvent considérablement allongés ([89]).

 Le JLD est saisi dans les 48 heures qui suivent le placement en rétention. Il statue dans un délai de 24 heures, soit généralement au deuxième ou au troisième jour de la rétention, c’est-à-dire potentiellement au même moment que le juge administratif. Cette situation n’a pas d’incidence pour les droits du requérant, mais affecte la bonne administration de la justice.

2.   Les dispositions du projet de loi

a.   L’allongement du délai de jugement du juge administratif

Afin de prévenir les ruptures de charge induites par des changements de régime contentieux consécutifs à des décisions du juge des libertés et de la détention, les a) et c) du 2° de larticle 12 portent à quatre-vingt-seize heures après lexpiration du délai de saisine le temps imparti au président du tribunal administratif pour se prononcer sur la requête en annulation formée contre une OQTF par un étranger placé en rétention ou assigné à résidence. Cette modification suit à la lettre la recommandation du Conseil d’État ([90]).

En outre, le juge des libertés et de la détention devra aviser par tout moyen de sa décision le tribunal administratif territorialement compétent, une prolongation ou une interruption de la rétention conditionnant la procédure et les délais de jugement applicables devant la juridiction administrative.

Cette évolution est en cohérence avec l’octroi d’un délai de jugement de 48 heures au JLD, à l’article 16 du présent projet de loi, qui pourrait encore accentuer l’enchevêtrement des procédures. La décision du juge administratif devrait désormais être connue au plus tard au sixième jour suivant la décision de placement en rétention ou d’assignation à résidence.

b.   Une coordination pour les audiences en visioconférence

Le b) du 2° de larticle 12 ouvre la possibilité pour le juge administratif de tenir audience par visioconférence, pour la procédure contentieuse accélérée de l’éloignement décrite ci-dessous, sans que l’étranger puisse s’y opposer.

Cette évolution constitue une coordination avec l’objectif général poursuivi par le projet de loi de faciliter le travail des juridictions au moyen des nouveaux outils de télécommunication ([91]).

c.   Une coordination pour la concomitance des décisions sur les demandes parallèles d’asile et de séjour

En cohérence avec les dispositions des articles 11 et 23 du projet de loi, le 1° de larticle 12 prévoit que, lorsque l’étranger conteste une OQTF fondée sur le refus de sa demande d’asile et une décision relative au séjour intervenue concomitamment alors qu’il fait l’objet d’une rétention administrative ou d’une assignation à résidence, le président du tribunal administratif statue par une seule décision sur les deux contestations.

*

*     *

La Commission est saisie de lamendement CL332 de Mme Danièle Obono. 

M. Ugo Bernalicis. Au premier abord, cet article semblait aller dans le sens d’un meilleur accompagnement des étrangers faisant l’objet d’une obligation de quitter le territoire français – obligation dont l’automatisation est prévue par ce projet de loi – ainsi que dans celui de l’amélioration des conditions de travail du juge des libertés et de la détention et du juge administratif. La réalité est qu’une telle mesure ne fait qu’allonger la durée de rétention de la personne faisant l’objet d’une OQTF. Cela va à l’encontre de l’article 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales au titre de laquelle la France a été condamnée à de multiples reprises. Il est malheureux de constater que le Gouvernement n’applique pas avec autant de zèle ce type de dispositions alors qu’il s’empresse de se conformer aux directives imposées par l’Union européenne. Si vraiment le but est d’améliorer l’accueil des étrangers avec humanité, il serait beaucoup plus pertinent et nécessaire d’accorder aux juges les moyens humains et financiers dont ils ont cruellement besoin. Cela serait bien plus utile que de leur accorder, lors de chaque quinquennat, des délais supplémentaires pour exercer convenablement leurs prérogatives.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. L’allongement du délai devant le juge administratif est consécutif à l’allongement de celui devant le juge des libertés et de la détention. Tous les magistrats nous l’ont dit : cet accroissement est nécessaire pour traiter les demandes dans de bonnes conditions. Parfois vous nous demandez d’allonger les délais, parfois de les raccourcir et d’aller plus vite. Nous préférons écouter les professionnels de justice. Mon avis sera donc défavorable.

M. Ugo Bernalicis. Nous évaluons simplement si les délais que vous proposez sont attentatoires aux libertés et à la restriction d’aller et venir ! Si vous ne faites pas de différence, nous avons un problème… Les magistrats nous ont dit en effet qu’en l’état actuel des choses, il leur était difficile d’examiner convenablement les demandes dans les délais impartis. Pourquoi ? Simplement parce que la France a deux fois moins de juges par habitant que l’Allemagne. Vous prenez souvent l’Allemagne en exemple : multipliez par deux le nombre de magistrats en France et nous rediscuterons !

La Commission rejette lamendement.

Elle procède ensuite à lexamen de lamendement CL98 de Mme Marietta Karamanli.

Mme Marietta Karamanli. Cet amendement traduit une proposition du rapport sur l’application de la loi du 7 mars 2016 relative aux droits des étrangers en France. Nous proposons d’abroger le I bis de l’article L. 512-1 du CESEDA concernant l’obligation de quitter le territoire français (OQTF) dite « de six semaines », qui prive l’étranger de garanties procédurales, sans que les magistrats ne parviennent à tenir ces délais impossibles.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. La procédure d’OQTF à six semaines a été créée très récemment, afin d’accélérer le traitement des dossiers des déboutés du droit d’asile. Vous avez raison, les juges administratifs ont connu des difficultés lors de la mise en place de cette nouvelle procédure. Mais elles commencent à être réglées. Laissons-lui le temps de s’installer. Avis défavorable.

Mme Marietta Karamanli. Nous faisons confiance aux magistrats qui pratiquent au quotidien. Or, ils nous ont fait savoir que cette procédure n’était pas utile, ou à tout le moins pas bien suivie.

Mme Sonia Krimi. J’ai déposé un amendement très proche, le CL691. Le droit des étrangers est complexe. Nous vous offrons une occasion de le simplifier en supprimant cette OQTF à six semaines. Celle-ci, en effet, n’est pas appliquée. Son articulation avec les nouvelles dispositions du projet de loi risque très vite de poser des problèmes contentieux. Enfin, les droits des étrangers sont quasiment inexistants dans ce cadre – ces étrangers n’ayant souvent pas rencontré leur avocat, n’étant pas présents à l’audience et leur dossier se révélant toujours très maigre.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Pour les mêmes raisons, je ne suis pas favorable à cet amendement.

La Commission rejette lamendement.

Elle en vient à lamendement CL99 de Mme Marietta Karamanli.

Mme Marietta Karamanli. Nous souhaitons instaurer des délais raisonnables pour le jugement. Nous proposons de porter à cinq jours le délai lorsque le juge administratif statue sur la légalité de l’OQTF visant un étranger placé en détention.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Avis défavorable. Le projet de loi me paraît suffisant.

La Commission rejette lamendement.

Suivant lavis de la rapporteure, elle rejette ensuite les amendements CL692 et CL691 de M. Jean-Michel Clément.

La Commission adopte deux amendements de précision rédactionnelle CL289 et CL290 de la rapporteure.

Elle procède ensuite à lexamen de lamendement CL97 de Mme Marietta Karamanli.

Mme Marietta Karamanli. Il convient de maintenir la possibilité pour le requérant de s’opposer à une audience en vidéo-conférence.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Nous avons déjà beaucoup discuté de ce sujet. Avis défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Elle examine les amendements identiques CL798 de Mme Martine Wonner et CL858 de M. Erwan Balanant.

Mme Stella Dupont. Je défendrai conjointement les amendements CL798, CL804, CL846 et CL849 qui concernent la vidéo-audience. Nous défendons toujours les mêmes arguments. Je crains donc la même réponse de la rapporteure.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Effectivement, avis défavorable !

M. Brahim Hammouche. Il faut tenir compte du consentement. C’est un élément fondamental de notre modernité. Au cœur du consentement, il y a l’autonomie de la volonté et nous ne pouvons laisser penser que nous la remettons en cause. Toute personne qui ne souhaite pas être jugée par vidéo-audience doit pouvoir être entendue physiquement.

La Commission rejette ces amendements.

Elle rejette également successivement les amendements CL804, CL846 et CL849 de Mme Martine Wonner.

Puis elle adopte larticle 12 modifié.

Article 13
(art. L. 5125 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile)
Aide au retour volontaire en rétention

Résumé du dispositif et effets principaux :

L’article 13 autorise l’étranger placé en rétention à solliciter une aide au retour volontaire, sans toutefois que cette démarche seule vaille élargissement.

Dernières modifications législatives intervenues :

L’aide au retour volontaire a été modifiée pour la dernière fois, pour des raisons d’ordre technique, par la loi n° 2011‑672 du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité.

Modifications apportées par la commission des Lois :

Cet article n’a fait l’objet d’aucune modification lors de son examen en commission.

1.   L’état du droit

Un étranger contraint à quitter le territoire national peut solliciter à cet effet le bénéfice d’un dispositif d’aide au retour volontaire vers son pays d’origine ([92]). Son trajet est alors organisé et pris en charge par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII). Il reçoit également, au moment du départ, une soulte d’un montant variable en fonction de sa situation administrative ([93]) :

–  50 euros pour les ressortissants de pays membres de l’Union européenne, de l’Espace économique européen, de la Suisse, d’Andorre, de Monaco et de San Marin ;

–  300 euros pour les ressortissants de pays tiers dispensés de visa et du Kosovo ;

–  650 euros pour les ressortissants d’autres pays.

Cette allocation forfaitaire peut être augmentée d’une aide à la réinsertion lorsque le pays de retour est couvert par un programme défini par le directeur général de l’OFII. Cela peut prendre la forme d’une formation professionnelle ou d’une dotation financière – 400 euros pour un adulte, 800 euros pour un couple, 300 euros par enfant mineur à charge. Lors de son audition par votre rapporteure, le directeur général de l’OFII a indiqué que l’Office s’attachait actuellement à privilégier les formations professionnelles et les projets d’insertion dans le pays d’origine, au lieu d’un simple versement financier.

D’après l’étude d’impact jointe au projet de loi, le volume des aides au retour distribué pour l’année 2016 s’élevait à près de 6 millions d’euros : 2,7 millions d’euros au titre de l’aide financière et 3,26 millions d’euros de frais de transport. Le dispositif a concerné 4 774 étrangers – 3 997 adultes, 777 enfants.

La loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 a précisé à l’article L. 512-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile que l’étranger ne peut bénéficier d’une aide au retour « sil a été placé en rétention ». Le législateur entendait alors prévenir un effet d’aubaine de la part de retenus qui auraient pu, une fois leur éloignement inéluctable, solliciter une aide au retour dont le caractère volontaire aurait dû beaucoup aux diligences de l’administration.

2.   Les dispositions du projet de loi

L’article 13 procède notamment d’un calcul économique. Un éloignement forcé présente de nombreux inconvénients : il se heurte à l’opposition de l’étranger concerné qui peut multiplier les manœuvres dilatoires ([94]), il génère des coûts pour la puissance publique ([95]), et il induit des discussions consulaires avec des États tiers parfois peu disposés à accueillir contre leur gré certains de leurs compatriotes.

Au contraire, un départ volontaire bénéficie de l’implication de l’étranger dans son éloignement. Il est plus rapide, mieux accepté par l’étranger accompagné dans son projet de reconversion professionnelle, moins traumatique pour le corps social. De telles conditions participent de l’effectivité et du caractère durable des éloignements.

Des observations ont pu être menées sur les étrangers qui ont bénéficié de l’aide au retour volontaire dans le contexte d’une assignation à résidence dans un centre de préparation au départ. Au 15 décembre 2017, 1 534 personnes sont passées dans ces dispositifs pour une durée moyenne de séjour de 52 jours. Parmi elles, 70 % en sont sorties dans le cadre d’un retour volontaire et 6,5 % dans le cadre d’un retour contraint.

En conséquence, l’article 13 ouvre le bénéfice de l’aide au départ volontaire aux étrangers placés en rétention administrative. Cette évolution est cohérente avec l’accroissement de la durée de celle-ci, tel que le prévoit l’article 16 du projet de loi. Néanmoins, la seule sollicitation de l’aide au départ volontaire ne vaudra pas levée de la mesure de rétention : il reviendra à l’administration d’apprécier les circonstances de l’espèce pour déterminer si l’étranger s’inscrit dans une démarche sincère et non dans une ultime tentative d’échapper à un éloignement forcé.

Le dispositif n’a donné lieu à aucune réserve de la part du Conseil d’État ([96]).

*

*     *

La Commission examine les amendements identiques CL170 de M. Éric Ciotti et CL472 de M. Jean-Christophe Lagarde.

M. Éric Ciotti. Cet amendement vise à supprimer l’article 13. Nous considérons que l’octroi de l’aide au retour volontaire ne se justifie pas pour les étrangers en rétention.

M. Michel Zumkeller. Madame la rapporteure, vous vous êtes déclarée très favorable au retour volontaire. Nous le sommes également ! Mais accorder l’aide au retour en fin de procédure, pour un retour obligatoire, n’est pas cohérent Cela revient à discréditer tout ce qui a été fait précédemment.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Je ne suis pas du tout d’accord avec vous. Cette aide rend la procédure de retour beaucoup plus humaine. Elle est également très efficace pour lutter contre l’immigration irrégulière. Elle permet de construire un véritable projet d’insertion, de formation et de développement professionnel avec l’étranger, tout en participant au développement économique des pays d’origine.

Lorsque cette proposition est faite en rétention, elle est encore plus humaine. Il ne vous a pas échappé qu’un certain nombre d’étrangers se trouvent dans des situations extrêmement difficiles : ils ne savent pas exactement quand ils vont partir et ne comprennent pas toujours ce qui leur arrive. Cette aide, ce n’est pas un simple pécule qu’on leur donne ! L’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) construit une véritable proposition avec l’étranger et lui permet de se projeter et d’envisager positivement son retour.

Par ailleurs, cela limite les manœuvres dilatoires contre les procédures d’éloignement – comme les refus d’embarquer. Je rappelle qu’un retour volontaire coûte deux fois moins cher qu’un retour forcé puisqu’il n’y a pas d’escorte à payer.

Bref, tant pour la personne détenue que pour l’État français, la proposition d’aide au retour volontaire pendant la rétention est une mesure positive.

M. Sacha Houlié. J’ajouterai que cette proposition est issue de l’évaluation de la loi du 7 mars 2016 et émane d’une personne hautement qualifiée pour la formuler, le directeur général de l’OFII. Vous êtes attachés à l’efficience et au pragmatisme : ce dispositif est opérationnel au Royaume-Uni et en Belgique. Cette dernière utilise d’ailleurs les mêmes équipes administratives pour pratiquer le retour volontaire et le retour forcé. Cette mesure, utile, ne doit pas être supprimée.

La Commission rejette ces amendements.

Puis elle se saisit de lamendement CL395 de M. Jean-Louis Masson.

M. Jean-Louis Masson. Les Républicains croient en la valeur de l’exemple. Il nous paraît donc assez surprenant de traiter de la même façon des demandeurs d’asile déboutés qui ont respecté les lois de la République et ceux qui ne les ont pas respectées. Nous proposons donc le plafonnement à 50 % de l’aide au retour pour les personnes ayant fait l’objet de condamnations pénales.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Une condamnation pénale ne peut entraîner automatiquement une sanction administrative. Il faut que le juge puisse expressément la prononcer. Avis défavorable.

M. Fabien Di Filippo. Monsieur le ministre, il serait utile que le juge puisse prononcer une réduction de cette aide ! Comment voulez-vous que nos concitoyens comprennent que des gens coupables de crimes et délits sur notre territoire se voient octroyer une aide – c’est une prime de mauvaise conduite ! – pour les inciter à retourner chez eux et peut-être ensuite à revenir en France ?

Si le dispositif proposé par cet amendement n’est pas le bon, travaillons à en trouver un autre. Mais il n’est pas acceptable que l’aide soit la même pour tous – les étrangers respectueux de nos lois et ceux qui les ont violées.

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lintérieur. Je peux vous assurer qu’il sera difficile de revenir en France.

La Commission rejette lamendement.

Puis elle adopte larticle 13 sans modification.

Après l’article 13

La Commission examine lamendement CL101 de Mme Marietta Karamanli.

Mme Marietta Karamanli. Au cours des quinze dernières années, nous avons été saisis de projets de loi sur l’asile environ tous les deux ans. Nous souhaitons que le Parlement dispose d’un rapport d’évaluation du dispositif d’aide au retour volontaire. Cela nous permettra de ne pas y revenir à chaque fois.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Je vous l’ai dit, je suis particulièrement attachée à la procédure de retour volontaire. Je suis par ailleurs membre parlementaire du conseil d’administration de l’OFII. Je ferai remonter votre demande. Mais vous connaissez ma position sur les demandes de rapports : saisissez-vous du sujet mais n’alourdissons pas le projet de loi. Avis défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Article 14
(art. L. 5134 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile)
Surveillance de létranger sous OQTF avec délai de départ volontaire

Résumé du dispositif et effets principaux :

L’article 14 prévoit que les étrangers qui disposent d’un délai de départ pour quitter le territoire français puissent être assignés à résidence le temps d’exécuter leur obligation.

Dernières modifications législatives intervenues :

L’assignation à résidence est devenue la mesure de surveillance de droit commun pour l’exécution d’une OQTF, mais la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France n’a pas permis d’y recourir lorsque l’étranger dispose d’un délai avant son éloignement.

Modifications apportées par la commission des Lois :

Un amendement rédactionnel a été adopté par la Commission.

1.   L’état du droit

L’obligation de quitter le territoire français vient sanctionner l’absence de titre d’un étranger à se maintenir sur le sol national. Elle n’est cependant consécutive à aucune faute. Conformément à la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, dite directive Retour, l’étranger invité à quitter le territoire bénéficie d’un délai pour préparer correctement son retour. C’est seulement si son comportement ou ses antécédents laissent craindre un danger ou un risque de fuite que l’État peut lui ordonner de quitter le territoire sans délai. En 2017, 50 642 des 85 268 obligations de quitter le territoire français prononcées ont été assorties d’un délai de départ volontaire de trente jours, soit 60 % ([97]).

L’étranger sous le coup d’une OQTF associée à un délai de départ est libre d’accomplir les diligences qu’il souhaite pour l’organisation de son voyage, et du choix de sa destination. L’article L. 513‑4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile autorise toutefois l’administration à s’enquérir de ses préparatifs, le cas échéant en contraignant l’étranger à se présenter régulièrement à l’autorité administrative, aux services de police ou aux unités de gendarmerie pour y rendre compte de ses diligences.

Les exigences du droit français se situent en-deçà de ce que permet la directive Retour, notamment son article 7.3 : « Certaines obligations visant à éviter le risque de fuite, comme les obligations de se présenter régulièrement aux autorités, de déposer une garantie financière adéquate, de remettre des documents ou de demeurer en un lieu déterminé, peuvent être imposées pendant le délai de départ volontaire. » Il existe pourtant un réel intérêt à permettre un suivi de l’étranger obligé de quitter le territoire français, notamment l’accompagnement des procédures et la prévention du risque de fuite alors que les OQTF avec délai de départ sont, d’après les informations recueillies par votre rapporteure, très rarement exécutées.

Aux termes d’une jurisprudence constante du Conseil constitutionnel, « il appartient au législateur dassurer la conciliation entre, dune part, la prévention des atteintes à lordre public et, dautre part, le respect des droits et libertés reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République ; [parmi] ces droits et libertés figure la liberté daller et de venir » ([98]). Les mesures d’assignation à résidence en droit des étrangers sont conformes à la Constitution dès lors que leur objet est « dune part, de garantir la représentation de létranger soumis à une mesure déloignement du territoire, et, dautre part, dorganiser les conditions de son maintien temporaire sur le territoire français, alors quil na pas de titre lautorisant à y séjourner, en tenant compte des troubles à lordre public que ce maintien est susceptible doccasionner » ([99]).

2.   Les dispositions du projet de loi

L’article 14 modifie l’article L. 513‑4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile de façon à permettre à l’administration d’édicter des mesures de surveillance de l’étranger obligé de quitter le territoire français et qui dispose pour ce faire d’un délai de départ volontaire. Cette surveillance peut prendre la forme d’une assignation à résidence ou d’une remise des documents de voyage. Elle a vocation à s’éteindre une fois l’obligation exécutée.

La décision d’assignation à résidence est motivée. Elle est contestable devant la juridiction administrative suivant la procédure contentieuse de droit commun ([100]). Un manquement de l’étranger à son obligation aurait pour conséquence principale le retrait du délai de départ volontaire ([101]).

Le Conseil d’État a approuvé cette disposition, considérant que l’assignation à résidence des étrangers frappés d’OQTF « est justifiée par la nécessité de préparer lexécution de la mesure déloignement et ne porte pas de ce fait une atteinte disproportionnée à la liberté daller et venir des personnes visées ([102]) ».

*

*     *

La Commission examine les amendements identiques CL100 de Mme Marietta Karamanli et CL333 de M. Éric Coquerel.

Mme Marietta Karamanli. Nous souhaitons supprimer cet article car il laisse à croire que l’étranger a forcément l’intention de se soustraire à la mesure d’éloignement dont il est l’objet. L’article 14 s’inscrit dans une tendance de méfiance généralisée envers les étrangers. Certaines personnes peuvent être de mauvaise volonté mais les généralisations ne sont pas propices à la cohésion sociale.

Mme Danièle Obono. Le Gouvernement n’a pas pris l’indispensable précaution de vérifier la constitutionnalité des mesures proposées. Il est question de contraindre les étrangers faisant l’objet d’une OQTF avec délai de départ volontaire de résider dans un lieu qui leur a été assigné. Cela contrevient à la liberté d’aller et venir et criminalise les étrangers, en les mettant sur le même plan que les terroristes – soumis à ce type de procédure. L’article 14 ne prend absolument pas en compte leurs contraintes personnelles : ces personnes doivent rester dans un périmètre proche du lieu où elles habitaient. Par ailleurs, la possibilité accordée aux autorités de placer tous ces étrangers dans un même lieu induit la création d’une sorte de centre de rétention qui ne dit pas son nom. Nous proposons la suppression de cet article.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Le taux d’éloignement des déboutés du droit d’asile est extrêmement faible. Afin de mieux faire respecter l’État de droit et les mesures d’éloignement, nous devons trouver des solutions concrètes et efficaces. Privilégier l’assignation à résidence est tout à fait adapté à la situation.

La décision du Conseil constitutionnel du 30 novembre 2017 à la suite d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) valide le principe de ces assignations à résidence en droit des étrangers, dès lors que leur objet est « dune part, de garantir la représentation de létranger soumis à une mesure déloignement du territoire, et, dautre part, dorganiser les conditions de son maintien temporaire sur le territoire français, alors quil na pas de titre lautorisant à y séjourner, en tenant compte des troubles à lordre public que ce maintien est susceptible doccasionner ». Il s’agit dans ce cas de non-respect de la loi. Dans son avis, le Conseil d’État a également déclaré la mesure conforme. Avis défavorable.

La Commission rejette ces amendements.

Puis elle adopte lamendement rédactionnel CL291 de Mme Élise Fajgeles, rapporteure.

Elle passe à lexamen de lamendement CL485 de M. Sébastien Huygue.

M. Sébastien Huygue. En la matière, préciser une durée n’a pas de sens puisque la personne concernée doit légalement se conformer au délai de départ volontaire. Si elle ne le respecte pas ce délai, elle ne respecte pas la décision de l’autorité administrative. Lever la contrainte de résidence revient à la récompenser de ne pas avoir respecté nos institutions.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Votre préoccupation est satisfaite par l’article L. 561-2 du CESEDA. Deux types d’assignation à résidence sont prévus : celle que nous proposons dans le projet de loi et l’existante. Avis défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Elle se saisit ensuite de lamendement CL490 de M. Jean-Christophe Lagarde.

M. Michel Zumkeller. Cet amendement prévoit qu’en cas de non-respect des dispositions de l’article L. 513‑4 du CESEDA, l’étranger pourra être sanctionné d’une amende de quatrième classe et ne pourra prétendre à l’aide au retour.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Vous proposez une dépénalisation de la violation de l’OQTF, qui est actuellement un délit. J’y suis défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Puis elle adopte larticle 14 ainsi modifié.

Article 15
(art. L. 5311 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile)
Interdiction de circulation sur le territoire français

Résumé du dispositif et effets principaux :

L’article 15 vise à assortir la décision de remise à un État européen, prise en application de la convention de Schengen, d’une interdiction de circulation sur le territoire français d’une durée maximale de trois ans.

Dernières modifications législatives intervenues :

L’interdiction de circulation sur le territoire français (ICTF) a été créée par la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France.

Modifications apportées par la commission des Lois :

Quatre amendements rédactionnels ont été adoptés par la Commission.

1.   L’état du droit

La libre circulation des personnes dans l’espace européen constitue un principe fondamental de l’Union européenne, rappelé au paragraphe 2 de l’article 3 du traité sur l’Union européenne ([103]) et à l’article 26 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ([104]). Les citoyens européens peuvent se déplacer librement sur le territoire des vingt-huit États membres pour voyager, étudier, travailler et résider dans les lieux de leur choix. Un État ne peut rétablir les contrôles à ses frontières qu’en cas d’atteinte à l’ordre public ou à la sécurité nationale pour une durée maximale de deux ans en cas de circonstances exceptionnelles et après consultation de ses partenaires ([105]).

Cette liberté bénéficie, en partie, aux ressortissants de pays tiers régulièrement autorisés à séjourner dans l’un des États membres. L’étranger dont la nationalité est soumise à un visa Schengen ([106]) doit déclarer son entrée sur le territoire ([107]), mais il est dispensé de cette formalité s’il détient un titre de séjour ou un visa de long séjour valable un an ou plus délivré par un autre pays de l’espace Schengen.

L’article 6.2 de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, dite directive Retour, prévoit que « les ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier sur le territoire dun État membre et titulaires dun titre de séjour valable ou dune autre autorisation conférant un droit de séjour délivrés par un autre État membre sont tenus de se rendre immédiatement sur le territoire de cet autre État membre. En cas de non-respect de cette obligation par le ressortissant concerné dun pays tiers ou lorsque le départ immédiat du ressortissant dun pays tiers est requis pour des motifs relevant de lordre public ou de la sécurité nationale », une remise de l’étranger à l’État qui lui a accordé un droit de séjour est possible.

À l’occasion de la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France, le législateur a abordé la question des citoyens de l’Union européenne dont le comportement, menaçant la sécurité intérieure et consistant en des pratiques intentionnellement abusives et frauduleuses, justifiait la limitation du droit de séjour et de circulation. Comme tout étranger, ces personnes peuvent faire l’objet d’une obligation de quitter le territoire français ([108]). Sur le fondement de l’article L. 511‑3‑2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, l’administration peut assortir cette OQTF d’une interdiction de circulation sur le territoire français (ICTF) d’une durée maximale de trois ans, dont l’étranger ne peut solliciter le relèvement que s’il justifie résider hors de France depuis un an au moins.

Le droit en vigueur s’avère donc discriminatoire dans son application aux personnes bénéficiant d’un droit de circulation en France sur le fondement de la convention de Schengen :

–  un étranger européen, citoyen d’un État partie à la convention, peut être éloigné du territoire français et interdit d’y circuler pour une durée maximale de trois ans ;

–  le ressortissant d’un État tiers titulaire d’un droit au séjour dans un État partie à la convention de Schengen peut être éloigné du territoire français, mais aucune mesure spécifique ne vient restreindre son droit de s’y présenter à nouveau.

2.   Les dispositions du projet de loi

L’article 15 du projet de loi rend applicable aux ressortissants de pays tiers l’interdiction de circulation sur le territoire français pour une durée maximale de trois ans, interdiction qui peut accompagner une décision de remise à un État partie à la convention de Schengen. Il crée à cette fin un paragraphe II au sein de l’article L. 531‑1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, article relatif à l’étranger non ressortissant d’un État membre de l’Union européenne qui a pénétré ou séjourné en France sans se conformer à ses obligations.

Afin de garantir la proportionnalité de la mesure, le prononcé et la durée de l’interdiction sont fixés en tenant compte de la durée de présence de l’étranger sur le territoire français, de la nature et de l’ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu’il a déjà fait l’objet d’une mesure d’éloignement du territoire français et de la menace pour l’ordre public qu’il représente.

Comme pour l’ICTF prévue à l’article L. 511‑3‑2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, l’étranger peut solliciter l’abrogation de l’interdiction un an après y avoir déféré. Cette condition ne s’applique pas si l’étranger est emprisonné en France ou s’il y est assigné à résidence. La mesure peut toujours être abrogée par l’autorité administrative.

L’ICTF est inscrite au fichier des personnes recherchées ([109]). La violation de la mesure expose l’étranger à une assignation à résidence ([110]) ou à un placement en rétention administrative ([111]) dans la perspective d’une exécution forcée. Une sanction pénale est également encourue au titre de l’article L. 624‑1‑1 du même code ([112]).

L’article 11 crée enfin un régime particulier d’ICTF pour les ressortissants de pays tiers titulaires de titres de séjour délivrés par d’autres pays européens en application des différents textes européens leur garantissant un droit de circulation au sein de l’espace Schengen renforcé, proche de celui des ressortissants des autres États membres de l’Union européenne. L’édiction d’une interdiction de circulation ne peut répondre qu’aux cas dans lesquels l’étranger se rend coupable d’un abus de droit ou constitue une menace pour l’ordre public. Sont ainsi concernés les titulaires :

–  d’une carte de « résident de longue durée-UE » ([113]) ;

–  d’une « carte bleue européenne » ([114]) ;

–  d’un titre « transfert intra-groupe » ([115]) ;

–  ou du régime de mobilité destiné aux étudiants et aux chercheurs ([116]).

*

*     *

La Commission examine les amendements identiques CL102 de Mme Marietta Karamanli et CL334 de M. Bastien Lachaud.

Mme Marietta Karamanli. Nous souhaitons la suppression de l’article 15 qui constitue une atteinte à la liberté de circulation – les biens peuvent circuler dans l’espace Schengen, mais plus les hommes et les femmes… Cet article est également contraire au principe de solidarité entre les États membres de l’Union européenne. Il découle du règlement Dublin et s’inscrit dans une pratique générale et délétère : les États membres repoussent les migrants vers le pays par lequel ils sont rentrés dans l’Union européenne – nous connaissons tous la situation dramatique que cela engendre en Italie et en Grèce. Ce système ne permet pas d’apporter une solution constructive à l’afflux de migrants et conduit simplement à la déresponsabilisation des États membres, qui préfèrent la solution de facilité – l’expulsion. Cela souligne tristement l’absence de solidarité au sein de l’Union européenne.

Ugo Bernalicis. Cette mesure constitue une atteinte aux libertés et droits les plus fondamentaux. Elle permet la remise à un autre membre de l’Union européenne d’un étranger s’il est en possession d’un titre de séjour de l’État en question, assortie d’une interdiction de circulation sur le territoire français pouvant aller jusqu’à 3 ans.

Cette mesure ne tient aucun compte de la réalité car elle suppose que les étrangers n’ont aucune attache sur leur terre d’accueil. Or, ces personnes sont souvent sur notre sol depuis de nombreuses années. Elles ont réussi à y construire leur vie de famille. Si elle était adoptée, cette disposition piétinerait tous leurs efforts. Par ailleurs, elle contrevient à la Convention européenne des droits de l’homme, qui consacre la liberté de circulation.

Enfin, l’article 15 criminalise encore davantage les étrangers et en fait une catégorie distincte du reste de la population. En effet, la mesure ne s’appliquera qu’aux ressortissants des pays hors Union européenne. Ce mépris affiché pour les droits humains est intolérable. Il doit être combattu sans hésitation par un vote de suppression de cet article !

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Il n’y a rien d’intolérable ! Vous surinterprétez ces dispositions… Il s’agit simplement d’un alignement afin que toutes les personnes soient traitées de la même manière. Actuellement, les étrangers résidents réguliers de l’Union européenne ont un droit au séjour en France plus important que les étrangers citoyens de l’Union européenne. En effet, nous avons le droit d’interdire de retour un Européen qui se livre à un abus de droit ou qui fait peser une menace à l’encontre d’un intérêt fondamental de la société française, mais nous ne pouvons qu’expulser le tiers résident d’un pays non européen ! Avis défavorable.

M. Ugo Bernalicis. S’aligner sur l’intolérable ne rend pas les choses moins intolérables.

La Commission rejette ces amendements.

Elle examine ensuite lamendement CL202 de M. Éric Diard.

M. Robin Reda. L’article 15 traite de la décision par l’autorité administrative de remise de l’étranger ressortissant d’un pays tiers aux autorités de l’État membre qui l’a admis au séjour. Il dispose que cette remise peut être assortie d’une interdiction de circulation sur le territoire français (ICTF) d’une durée maximale de trois ans.

L’amendement de mon collègue Éric Diard vise à supprimer cette durée maximale, pour ne pas contraindre l’autorité administrative dans un délai et protéger, si besoin, l’ordre public sur une plus longue durée.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. À nouveau, il s’agit d’appliquer aux ressortissants de pays tiers résidents de l’Union européenne le droit existant pour les ressortissants européens, tel que prévu à l’article L. 511-3-2 du CESEDA. Nous souhaitons éviter les situations discriminatoires. Avis défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Puis elle adopte les amendements de cohérence CL292 et CL293 ainsi que les amendements rédactionnels CL294 et CL295 de la rapporteure.

Elle en vient à lexamen de lamendement CL203 de M. Éric Diard.

Mme Valérie Boyer. Dans le silence de la loi, l’autorité administrative peut abroger à tout moment sa décision. Il serait préférable de demander des garanties quant au bien-fondé de cette abrogation car elle engendre d’importantes conséquences. C’est l’objet de cet amendement.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Une fois encore, nous nous alignons sur la formulation retenue pour les étrangers ressortissants européens. Avis défavorable.

La Commission rejette lamendement.

La Commission examine lamendement CL204 de M. Éric Diard.

M. Robin Reda. Compte tenu des conséquences potentielles pour l’ordre public de l’annulation d’une interdiction de circulation, nous demandons qu’une telle décision soit motivée et communiquée au représentant de l’État.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Cette précision me semble inutile. S’il y a besoin de connaître les motifs d’une telle abrogation, cela peut se faire directement dans le cadre d’échanges entre le Gouvernement et les préfets.

La Commission rejette lamendement.

Puis elle adopte larticle 15 modifié.

Après l’article 15

La Commission examine lamendement CL630 de M. Bastien Lachaud.

Mme Danièle Obono. Une justice bis existe en l’état actuel du droit, notamment pour les étrangers qui ont fait l’objet d’une décision de refus d’entrée au titre de l’asile ou d’une décision de transfert. Nous proposons de modifier la procédure afin que ce ne soit plus un juge unique qui soit chargé de statuer, mais trois. Les dispositions en vigueur peuvent laisser une part importante à la subjectivité et à la partialité alors qu’une formation de jugement composée de trois magistrats permettrait d’éviter ce risque, grâce aux interactions et aux échanges entre les juges. Nous souhaitons aussi qu’un rapporteur public présente des conclusions ; cela constituerait une garantie majeure. Je rappelle qu’il s’agit d’un magistrat qui ne participe pas à la délibération mais qui étudie le dossier et qui présente des conclusions orales sur la solution à envisager. Cet amendement vise à aligner le droit au recours des personnes demandant l’asile sur le droit commun afin de garantir pleinement le respect des droits procéduraux.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Dans l’idéal, nous pouvons tous être favorables à des formations collégiales, mais vous savez bien que ce n’est pas possible si nous voulons atteindre notre objectif de maîtrise des dépenses publiques. Il existe par ailleurs un grand nombre de domaines, administratifs ou judiciaires, qui sont examinés par un juge unique. C’est le cas de fonctions aussi sensibles que celles de juge des enfants, aux affaires familiales, ou des libertés et de la détention. On ne peut pas dire que seul le contentieux des étrangers est concerné. Je donne donc un avis défavorable.

Mme Danièle Obono. Je voudrais vous encourager à atteindre l’idéal, madame la rapporteure. Ce n’est pas une question abstraite : nous voulons une justice de qualité et le droit des étrangers n’est qu’un début. Nous espérons améliorer les conditions de délibération dans d’autres contentieux. Pour nous, ce sont les garanties des droits qui doivent déterminer l’action, et non les contraintes budgétaires. Il s’agit en effet de besoins fondamentaux. C’est peut-être ce qui nous différencie : nous ne considérons pas que les contraintes budgétaires doivent déterminer les politiques à mener, mais au contraire que les politiques conditionnent les besoins budgétaires.

La Commission rejette lamendement.

Elle examine ensuite lamendement CL634 de Mme Muriel Ressiguier.

M. Ugo Bernalicis. Cet amendement de repli vise à mettre fin à ce qui constitue, nous l’avons dit, une justice bis pour les personnes étrangères. J’espère que cette proposition entrera davantage dans vos contraintes budgétaires que la précédente. Si vous ne souhaitez pas réformer toute la procédure du contentieux administratif lié à la rétention, vous pourrez peut-être accepter une des garanties que nous souhaitons, à savoir le rétablissement de la présence d’un rapporteur public. C’est une garantie procédurale majeure pour s’assurer que les dossiers sont traités sérieusement et de manière exhaustive. Un tel format – un juge unique et un rapporteur public – n’est pas nouveau. Il existe dans d’autres domaines, énumérés à l’article R. 222-13 du code de justice administrative, notamment les recours sur la notation et l’évaluation professionnelle des fonctionnaires ou encore la communication des documents administratifs – après une saisine de la commission compétente en la matière, par exemple. Par cet amendement, nous ne faisons que restaurer une garantie dont les justiciables étrangers ont été privés sans autre justification que des motifs comptables et budgétaires. J’espère que vous ferez au moins un effort sur ce point.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Il n’existe ni justice bis, ni honte à vouloir maîtriser les dépenses publiques. Par conséquent, avis défavorable.

M. Ugo Bernalicis. Ce que vous entendez par la maîtrise des dépenses publiques me laisse pantois. Il serait étrange de penser que les garanties procédurales sont importantes pour les cas que j’ai cités et non pour les étrangers. Et franchement, combien coûterait notre amendement ? Je peux vous faire quelques propositions si vous souhaitez retrouver des marges de manœuvre budgétaires. Remettez en place l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF). C’est rapide et cela rapportera 3,5 milliards d’euros. Je ne pense pas qu’instaurer un rapporteur public coûterait autant – quelques millions d’euros, tout au plus. La vraie question est de savoir quelles garanties de droit on veut instaurer et ensuite de mettre les moyens nécessaires en face, au lieu de faire le contraire. Sinon – et vos « chantiers de la justice » sont mal partis à cet égard –, vous passerez votre temps à adapter la justice aux moyens, et non aux enjeux qui fondent notre état de droit et notre République.

La Commission rejette lamendement.

Elle en vient ensuite à lamendement CL635 de M. Loïc Prudhomme.

Mme Danièle Obono. Nous vous proposons un autre amendement de repli, correspondant à des demandes formulées par les agents de la CNDA, qui ont fait grève pendant plusieurs semaines et connaissent bien ces sujets. Nous demandons la suppression des télé-audiences : le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile permet que les audiences ne se déroulent plus en présentiel mais par visio-conférence, afin que la justice soit plus rapide et moins chère quand il s’agit des étrangers – car c’est encore une question budgétaire. De nombreux acteurs – des avocats, des magistrats et des personnes venant en aide aux migrants – ont souligné que cela nuit à la qualité de la procédure, en particulier aux témoignages qui doivent permettre de rendre compte de la réalité des parcours, et donc in fine à l’objectif de protection. On ne peut pas transiger avec les garanties de droit et le sérieux de la justice dans un contentieux aussi grave.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Sans entrer de nouveau dans le débat sur la vidéo-audience, je voudrais rappeler que les escortes sont très lourdes pour les forces de l’ordre mais aussi pour les personnes en rétention. Elles obligent à se lever tôt le matin et à faire de longues heures de déplacement de manière répétitive. Le recours à la vidéo-audience se justifie tout particulièrement dans ce cas. Je donne donc un avis défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Puis elle examine lamendement CL636 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis. Nous proposons de supprimer les tribunaux spécialement aménagés à proximité des pistes d’aéroport, comme l’annexe du tribunal de Bobigny qui se trouve dans un petit tribunal à l’aéroport de Roissy. L’installation de ces tribunaux « sur place » foule aux pieds les principes fondamentaux de la justice. De telles audiences délocalisées ne donnent pas le sentiment que la justice a été bien rendue. Elle est au contraire mal rendue à cause des conditions matérielles dans lesquelles les audiences se déroulent. Par son emplacement, la salle d’audience est totalement imbriquée dans la zone d’attente, ce qui ne permet pas aux personnes jugées de faire la différence entre la police aux frontières et la justice. De plus, on porte atteinte au principe de publicité des débats car il est très difficile d’accéder à la salle d’audience en utilisant les transports en commun. Comme l’affirme Mme Laurence Roques, présidente du syndicat des avocats de France, « cette justice nest pas rendue au nom du peuple français, lequel ne peut pas assister à laudience ».

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Je trouve assez contradictoire de s’opposer à la fois aux vidéo-audiences et à ces salles, qui sont distinctes des centres de rétention. Elles permettent d’éviter des trajets interminables et de rendre la justice dans de bonnes conditions, en respectant les droits des personnes retenues. Avis défavorable, donc.

M. Ugo Bernalicis. Je crois que vous confondez un certain nombre de points. Nous sommes opposés à la télé-audience – ou visio-conférence – parce qu’il nous semble important que la personne soit physiquement présente. Nous en avons débattu, et un certain nombre d’anciens magistrats devenus députés se sont exprimés sur ce sujet, de même que des syndicats de magistrats. Je ne reviendrai pas sur leurs nombreux arguments. L’idée, au fond, est qu’il faut bien rendre la justice. Elle s’incarne dans un certain nombre de rites qui font d’elle une autorité à part entière, dans le cadre de la séparation des pouvoirs. Quand un tribunal est quasiment collé à un centre de rétention administrative, on ne rend pas bien la justice et on ne sépare pas bien les pouvoirs. Je comprends vos raisons : il est plus simple de traverser la rue que de prévoir une escorte, mais nous ne demandons pas une distance de 150 kilomètres. Nous sommes au contraire pour une justice de proximité, avec des lieux de justice bien répartis partout sur le territoire. Il y a une petite différence entre un tribunal implanté juste à côté du centre de rétention administrative et un autre situé à quelques kilomètres ou à quelques centaines de mètres – ce qui serait déjà plus acceptable. Nous pensons que défendre des principes a encore un sens en 2018.

La Commission rejette lamendement.

Elle est ensuite saisie de lamendement CL637 de Mme Danièle Obono.

Mme Danièle Obono. À la suite des recommandations formulées par le Syndicat de la juridiction administrative et par l’Union syndicale des magistrats administratifs, nous souhaitons mettre un terme à la lente dégradation de la justice des étrangers et à la réduction des garanties qui leur sont accordées. Notre amendement met fin à la distinction inadmissible qui a été créée par la loi du 7 mars 2016 entre deux types de recours contre les obligations de quitter le territoire français (OQTF). Les conditions d’examen des recours sont dégradées pour les magistrats comme pour les personnes requérantes. Pour certaines OQTF, les garanties ont été substantiellement réduites : les délais de recours sont passés de 30 jours à 15 et les délais de jugement de 3 mois à 6 semaines, les formations de jugement ne comptent plus trois juges, mais un seul, et il n’y a plus de conclusions du rapporteur public, ce qui met fin à une garantie majeure. Comme le demandent les syndicats, notre amendement CL637 permettra de revenir à un seul régime juridique pour les OQTF en supprimant celles dites de « six semaines ».

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Nous avons déjà eu l’occasion de débattre des OQTF de « six semaines ». Pour les mêmes raisons que précédemment, je donne un avis défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Puis elle est saisie de lamendement CL569 de M. Loïc Prudhomme.

M. Ugo Bernalicis. Cet amendement concerne les accords de réadmission visant à faciliter la réadmission des migrants interpellés en situation irrégulière. L’Union européenne considère ces outils comme des éléments importants de la gestion concertée des flux migratoires qu’elle a développée avec ses partenaires dans le cadre de la stratégie de lutte contre l’immigration irrégulière et de la politique de retour. Cette stratégie d’externalisation des contrôles migratoires pose un certain nombre de difficultés sur les plans humains et éthiques, qui sont dénoncés par les associations protectrices des droits humains. C’est en particulier le cas lorsque les accords de réadmission sont signés avec des pays n’offrant pas les mêmes garanties que nous pour le respect des normes internationales en matière de protection des droits des migrants, voire en matière d’asile. Notre amendement vise à rendre effectif le principe de réciprocité de ces accords. Pour notre groupe, il est indispensable que la France ne puisse pas renvoyer des étrangers vers un pays ne présentant pas les mêmes garanties que nous pour le droit d’asile.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Je rappelle qu’un accord de réadmission n’est pas nécessaire pour qu’un étranger soit éloigné vers le pays dont il a la nationalité, que l’OFPRA, s’il a été saisi, aura certainement reconnu la qualité de réfugié en cas de risque de torture ou de mauvais traitements, et que l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme empêche de reconduire dans son pays d’origine une personne risquant d’y être soumise à la torture ou à des traitements inhumains. C’est pourquoi j’émets un avis défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Elle examine ensuite lamendement CL632 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Danièle Obono. Nous demandons la présence d’un rapporteur public. La justice fait des économies sur le dos des personnes étrangères en dégradant les conditions d’examen de leur dossier par les magistrats. C’est une justice bis, je le répète – et nous ne sommes pas les seuls à faire ce constat. Il n’y a pas d’autre raison à cette dégradation des droits que la situation des personnes étrangères : elles constituent une population plus fragile, plus atomisée et moins mobilisable que d’autres. En droit des étrangers, le procès devant un juge administratif a majoritairement lieu, depuis un décret de 2011, sans la garantie qu’apporte la présence d’un rapporteur public, c’est-à-dire un deuxième regard sur les dossiers examinés. Le rapporteur public ayant été maintenu pour de nombreux autres contentieux, nous ne comprenons pas pourquoi on le supprimerait, de manière inéquitable, en droit des étrangers. Notre amendement vise à rétablir sa présence.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Nous avons déjà abordé ce sujet. Pour les mêmes raisons que précédemment, avis défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Chapitre III
La mise en œuvre des mesures déloignement

Article 16
(art. L. 5512, L. 5521, L. 5524 à L. 5527, L. 55210 et L. 55212 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile)
Modalités et régime juridique de la rétention administrative

Résumé du dispositif et effets principaux :

L’article 16 modifie les conditions de la rétention administrative préparatoire à l’éloignement d’un étranger. Il précise que les droits dont bénéficie l’intéressé peuvent être exercés dans le lieu de la rétention, non pendant un déplacement. Il redéfinit également l’ordre d’intervention des juges administratif et judiciaire ainsi que le séquençage de la rétention, portée à un maximum de 90 jours auxquels s’ajoutent 45 jours si l’étranger se livre à des manœuvres dilatoires. Il renforce enfin les modalités d’assignation à résidence et facilite les audiences en visioconférence.

Dernières modifications législatives intervenues :

Le régime de la rétention administrative a été réformé, en dernier lieu, par la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France.

Modifications apportées par la commission des Lois :

La Commission a adopté un amendement de M. Florent Boudié et des membres du groupe La République en marche retenant un nouveau séquençage de la rétention administrative.

À l’initiative de votre rapporteure et de MM. Florent Boudié et Mathieu Orphelin, elle a supprimé la possibilité de placer en rétention un étranger « dubliné » refusant une prise d’empreintes ou une personne ayant dissimulé des éléments le concernant, dispositions figurant dans la loi du 20 mars 2018.

Enfin, sur proposition de votre rapporteure, la Commission a décidé que l’administration serait tenue de prendre en compte la vulnérabilité des personnes avant de prononcer un placement en rétention.

1.   L’état du droit

a.   Le régime juridique de la rétention administrative

Le régime juridique de la rétention administrative est demeuré inchangé depuis près de quarante ans : la décision de placement relève de l’autorité administrative ; sa prolongation au-delà des premiers jours est du ressort de l’autorité judiciaire.

Au fil des textes, en revanche, la durée de la rétention a été allongée et son séquençage aménagé en deux phases, puis trois, de longueur variable. Depuis 2011, sa durée globale est de quarante-cinq jours. La réforme issue de la loi du 7 mars 2016 précitée a modifié son séquençage.

Le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile fait obligation à l’administration de privilégier l’assignation à résidence lorsqu’un étranger doit subir une mesure de contrainte dans la perspective de son éloignement. Cependant, « létranger qui ne présente pas de garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque [de soustraction à léloignement] peut être placé en rétention par lautorité administrative dans des locaux ne relevant pas de ladministration pénitentiaire, pour une durée de quarante-huit heures ([117]) ».

Évolution du séquençage de la rétention au fil des textes

Source : commission des Lois de l’Assemblée nationale

Quoique de nature administrative, le législateur a considéré, en 2016, que la décision de placement en rétention produisait une restriction suffisante sur la liberté des personnes pour en attribuer le contrôle au juge judiciaire, en l’occurrence le juge des libertés et de la détention (JLD), dans un délai de quarante-huit heures à la suite de la notification ([118]). Le tribunal administratif ne se prononce donc pas sur la rétention administrative, mais seulement sur la décision d’éloignement ([119]).

Lorsque la prolongation de la rétention au-delà de deux jours est sollicitée par l’administration, elle est autorisée par le juge des libertés et de la détention statuant dans les vingt-quatre heures de la saisine ([120]). Cette première prolongation ne peut excéder vingt-huit jours, soit une rétention globale de trente jours ([121]).

Le contrôle du juge consiste à vérifier que l’étranger a été pleinement informé de ses droits et placé en état de les faire valoir à compter de son arrivée au lieu de rétention ([122]) et, par ailleurs, que l’administration a correctement constaté le défaut de garanties de représentation propres à prévenir le risque de soustraction à l’éloignement ([123]) .

Une fois la rétention parvenue à son terme de trente jours, l’administration peut solliciter une seconde prolongation de quinze jours. L’article L. 552‑7 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile édicte cependant des conditions beaucoup plus restrictives :

–  urgence absolue ou menace d’une particulière gravité pour l’ordre public ;

–  éloignement contrarié par la perte ou la destruction des documents de voyage de l’intéressé, la dissimulation par celui-ci de son identité ou l’obstruction volontaire faite à son éloignement ;

–  malgré les diligences de l’administration, défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat dont relève l’intéressé ou absence de moyens de transport, l’autorité administrative établissant en outre que l’une ou l’autre de ces circonstances doit intervenir à bref délai.

Dans tous les cas, la rétention ne peut excéder un seuil de quarante-cinq jours ([124]). L’étranger retenu est informé de ses droits au plus tôt. Il peut demander l’assistance d’un interprète, d’un conseil ainsi que d’un médecin. Il est également informé qu’il peut communiquer avec son consulat et avec une personne de son choix ([125]). Enfin, il reçoit notification des droits qu’il est susceptible d’exercer en matière d’asile, de sorte qu’une demande formulée de bonne foi et sans objectif dilatoire puisse être examinée dans les meilleurs délais ([126]).

b.   Les aspects pratiques de la rétention administrative

Les centres de rétention administrative (CRA) sont des bâtiments surveillés par les forces de police dans lesquels sont retenus les étrangers en situation irrégulière qui font l’objet d’une procédure d’éloignement forcé et dont il y a lieu de craindre qu’ils se soustraient audit éloignement en l’absence de mesure de surveillance. Les retenus peuvent librement se déplacer dans le bâtiment, où sont présentes des associations de soutien aux étrangers autorisées par l’administration.

Vingt-quatre centres de rétention sont répartis sur tout le territoire français, dont cinq en Île-de-France et quatre en outre-mer, pour une capacité totale de 1 823 places. Il faut y adjoindre environ 200 places dans des locaux de rétention administrative qui ne peuvent accueillir des personnes plus de quelques heures.

En 2016, 45 937 étrangers sont passés dans un centre ou un local de rétention, dont près de la moitié outre-mer.

Dans leur rapport annuel ([127]), les associations soulignent que le nombre d’enfermements a baissé de 13 % en métropole alors qu’il augmentait de 15 % outre-mer. Le centre de Pamandzi, à Mayotte, compte pour plus de 40 % des rétentions. La plupart des étrangers en attente d’expulsion sont des hommes, les femmes ne représentant que 7,5 % des retenus.

Les centres de rétention administrative en France

Source : direction centrale de la police aux frontières.

La rétention des mineurs

Les mineurs ne pouvant faire l’objet d’un éloignement ([128]), leur placement en rétention est exclu en droit drançais. En revanche, lorsqu’un étranger majeur est placé en rétention dans la perspective de son éloignement, les mineurs dont il a la charge sont placés avec lui.

Par cinq arrêts en date du 12 juillet 2016 ([129]), la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la pratique française sur le fondement de l’article 3 qui prohibe les traitements inhumains et dégradants, de l’article 5 qui proclame le droit à la liberté et à la sûreté ou de l’article 8 qui consacre le droit à une vie familiale normale. Pourtant, la Cour n’interdit pas le principe de la rétention des mineurs. Elle peut cependant être amenée à conclure à la violation des droits fondamentaux « en raison de la conjonction de trois facteurs : le bas âge des enfants, la durée de leur rétention et le caractère inadapté des locaux concernés à la présence denfants ». Par ailleurs, la rétention nest conventionnelle « quà la condition que les autorités internes établissent quelles ont recouru à cette mesure ultime seulement après avoir vérifié concrètement quaucune autre moins attentatoire à la liberté ne pouvait être mise en œuvre ».

Larticle 35 de la loi n° 2016274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France avait, préalablement à ces arrêts, encadré strictement la possibilité ouverte à ladministration de placer en rétention des mineurs accompagnés de leurs parents. Larticle L. 5511 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile, qui détaille les règles applicables au placement en rétention, précise ainsi quelles « ne sont pas applicables à létranger accompagné dun mineur, sauf : sil na pas respecté lune des prescriptions dune précédente mesure dassignation à résidence ; si, à loccasion de la mise en œuvre de la mesure déloignement, il a pris la fuite ou opposé un refus ; Si, en considération de lintérêt du mineur, le placement en rétention de létranger dans les quarante-huit heures précédant le départ programmé préserve lintéressé et le mineur qui laccompagne des contraintes liées aux nécessités de transfert ». Par ailleurs, « la durée du placement en rétention est la plus brève possible, eu égard au temps strictement nécessaire à lorganisation du départ. Dans tous les cas, le placement en rétention dun étranger accompagné dun mineur nest possible que dans un lieu de rétention administrative bénéficiant de chambres isolées et adaptées, spécifiquement destinées à laccueil des familles. Lintérêt supérieur de lenfant doit être une considération primordiale ».

On a compté 182 mineurs dans les centres de rétention administrative de métropole en 2016, dont 92 de moins de 5 ans, et plus de 4 000 dans le centre de Mayotte. En 2017, 275 enfants ont été placés en rétention en métropole « soit presque autant que durant les années 2012, 2013, 2014 et 2015 réunies ([130]) ».

Près de 60 % des placements en rétention administrative ne se traduisent pas par un éloignement. La durée moyenne du séjour en CRA était de 12,7 jours en 2016, un chiffre stable depuis plusieurs années. Seule une minorité des étrangers retenus, de l’ordre de 4 %, atteint le plafond légal de quarante-cinq jours. Pour autant, ils sont à peine plus de 40 % à avoir finalement été éloignés.

Devenir des étrangers passés en centre de rétention en métropole en 2016

Source : Le Monde.

La faiblesse relative des éloignements s’explique par deux raisons essentielles d’après les éléments recueillis par votre rapporteure.

En premier lieu, l’échec peut s’expliquer par la volonté de létranger de faire obstacle à son éloignement. Cette résolution peut avoir pour conséquence la multiplication des procédures dilatoires à mesure qu’approche la limite des quarante-cinq jours de rétention : demande d’asile de dernière minute ([131]), sollicitation de soins au titre d’une maladie mettant sa vie en danger ([132]). Elle peut aussi donner lieu à des comportements pénalement répréhensibles visant à entraver l’action administrative, comme le refus d’embarquer au moment de l’éloignement, de décliner son identité ou de coopérer avec les autorités consulaires chargées de l’établissement du laissez-passer de retour ([133]).

En second lieu, l’échec de l’éloignement semble aussi et surtout imputable à des diligences variables de la part des pays dorigine dans l’établissement des laissez-passer consulaires (LPC).

État des délivrances de laissez-passer consulaires EN 2017

Pour les vingt nationalités les plus contrôlées en situation irrégulière

Rang

Nationalités

Nombre
détrangers contrôlés en situation irrégulière

Nombre de demandes de LPC

Nombre de LPC délivrés

Taux de
délivrance

1

Algérienne

10 084

1 356

684

50 %

2

Irakienne

9 115

22

4

18 %

3

Soudanaise

8 926

48

30

62 %

4

Afghane

8 584

35

15

43 %

5

Marocaine

8 297

646

192

30 %

6

Erythréenne

7 968

5

0

0 %

7

Tunisienne

6 343

963

383

40 %

8

Albanaise

5 094

379

345

91 %

9

Pakistanaise

3 999

85

30

35 %

10

Roumaine

3 585

270

245

91 %

11

Guinéenne

3 378

71

37

52 %

12

Malienne

3 161

73

8

11 %

13

Ivoirienne

2 758

64

30

47 %

14

Égyptienne

2 603

119

20

17 %

15

Sénégalaise

2 358

113

37

33 %

16

Indienne

2 285

113

54

48 %

17

Vietnamienne

2 086

20

9

45 %

18

Iranienne

1 936

21

1

5 %

19

Syrienne

1 624

17

0

0 %

20

Bangladaise

1 382

24

7

29 %

Source : direction centrale de la police aux frontières.

Certains États s’attachent à une bonne coopération avec les autorités françaises. D’autres, au contraire, se montrent ostensiblement moins diligents dans leurs procédures, au point que les documents parviennent fréquemment à l’administration une fois la rétention achevée. Cette situation se répercute sur les personnes retenues, confinées sans activité physique pendant un mois et demi pour être libérées sans qu’aucune suite ne soit donnée, et sur les personnels de police, persuadés de travailler en pure perte dès lors que sont placées en rétention certaines personnes dont la nationalité permet de déduire qu’elles ne seront vraisemblablement pas éloignées.

2.   Les dispositions du projet de loi

a.   Les conditions d’exercice des droits des personnes retenues

L’article L. 551-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoit que l’étranger placé en rétention est informé, dans une langue qu’il comprend et dans les meilleurs délais, qu’il peut demander l’assistance d’un interprète, d’un conseil ainsi que d’un médecin. Il est également informé de la possibilité de communiquer avec son consulat et avec une personne de son choix.

L’article 45 de la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité a précisé que l’exercice de ces droits est garanti seulement à compter de l’arrivée au lieu de rétention. Le transfèrement depuis le commissariat ou la préfecture, ou entre deux centres de rétention, s’en trouvait donc exclu pour des raisons essentiellement matérielles.

Le 1° de larticle 16 procède à une nouvelle rédaction de l’article L. 551­‑2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile afin de lever une ambiguïté aux termes de laquelle les droits de l’étranger auraient été garantis à l’issue du premier déplacement, y compris lors de transfèrements subséquents, ou au contraire uniquement dans le premier lieu de rétention, à l’exclusion de tout séjour éventuel dans un autre centre.

Afin de clarifier la situation le projet de loi prévoit que l’étranger est informé des droits qu’il pourra exercer au lieu de rétention, et non plus à compter de l’instant où il y arrive. Cette information doit intervenir dans les meilleurs délais et n’est en aucun cas différée à l’arrivée au lieu de rétention. Par ailleurs, il est indiqué que l’étranger peut contacter toute personne de choix, et pas une seule personne de son choix.

Cette précision n’a appelé aucune remarque du Conseil d’État ([134]).

b.   L’extension du délai de jugement dont dispose le juge des libertés et de la détention

La loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France a confié au juge des libertés et de la détention (JLD) l’entier contrôle de la rétention administrative des étrangers, y compris celui de la légalité de la décision de placement en rétention qui relevait auparavant du juge administratif. Le JLD est donc fréquemment doublement saisi dans les premières 48 heures de la rétention, à la fois par l’étranger sollicitant sa libération et par le préfet aux fins de prolongation de la rétention. Le législateur a entendu faciliter l’administration de la justice en prévoyant, dans ce cas, que « le juge statue par ordonnance unique » et « dans une audience commune aux deux procédures » ([135]).

Toute ambiguïté n’est cependant pas absente de la rédaction du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile :

–  d’une part, le délai de 24 heures imparti au juge pour statuer court-il à compter de l’expiration du délai de recours de 48 heures – soit un jugement dans les 72 heures du placement en rétention – ou commence-t-il à la saisine de l’étranger, même si celui-ci introduit sa requête bien avant l’expiration du délai de recours ?

–  d’autre part, si le préfet saisi le JLD à fin de prolongation dans les premières heures de la rétention, il est statué dans les 24 heures de la requête, soit avant même la contestation formelle de la mesure par l’étranger, ce qui nécessite la tenue de deux audiences consécutives. Une situation inverse, dans laquelle le JLD serait saisi par le justiciable une journée avant de l’être par la préfecture, aboutit à la même conséquence ;

–  par ailleurs, lorsque le juge ne statue pas dans le délai prévu de 24 heures en première instance et de 48 heures en appel ([136]), il est dessaisi et l’étranger automatiquement remis en liberté ([137]).

En conséquence, le 2° de larticle 16 réécrit l’article L. 552‑1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile pour assouplir les contraintes d’organisation qui pèsent sur le juge des libertés et de la détention. Le délai ouvert pour statuer sur la requête préfectorale à fin de prolongation de la rétention est porté de 24 heures à 48 heures, soit une décision au plus tard au quatrième jour de la rétention qui portera aussi, en conséquence, sur une éventuelle contestation formulée par l’étranger.

Le Conseil constitutionnel a estimé que « la liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible » et que tel n’est pas le cas lorsque la rétention peut se poursuivre pendant sept jours sans contrôle judiciaire ([138]). L’évolution proposée ne méconnaît pas ses prescriptions.

Cependant, en raison de la pression migratoire exceptionnelle qui s’exerce sur Mayotte, la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique a porté à cinq jours la durée de la phase initiale de rétention administrative à l’issue de laquelle le juge des libertés et de la détention est saisi aux fins de prolongation. Dans ce contexte, la loi ne saurait porter à 48 heures le délai de jugement ouvert au JLD sans contrevenir à la décision du Conseil constitutionnel précitée : le projet de loi maintient donc, sur ce territoire, un délai de jugement spécifique de 24 heures ([139]).

c.   L’extension du délai au cours duquel l’étranger libéré par le juge des libertés et de la détention est maintenu à la disposition de la justice

Un appel peut être formé sur une ordonnance du juge des libertés et de la détention statuant sur la rétention administrative par l’étranger, l’administration ou le ministère public. Les articles L. 552‑6 et L. 552‑10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ne lui confèrent pas de caractère suspensif. Cependant, le ministère public peut demander au premier président de la cour d’appel de déclarer son recours suspensif lorsqu’il lui apparaît que l’intéressé ne dispose pas de garanties de représentation effectives ou en cas de menace grave pour l’ordre public.

L’article L. 552-10 précise que le premier président « décide, sans délai, sil y a lieu de donner à cet appel un effet suspensif, en fonction des garanties de représentation dont dispose létranger ou de la menace grave pour lordre public, par une ordonnance motivée rendue contradictoirement qui nest pas susceptible de recours. Lintéressé est maintenu à la disposition de la justice jusquà ce que cette ordonnance soit rendue et, si elle donne un effet suspensif à lappel du ministère public, jusquà ce quil soit statué sur le fond. » Ce mécanisme a été jugé conforme à la Constitution ([140]).

Le dispositif est cependant peu utilisé. Il impose au préfet de solliciter l’action du ministère public. Les procureurs de la République manquent souvent de temps pour rédiger une déclaration d’appel motivée dans un délai que la loi limite à six heures ([141]).

Cette situation est d’autant plus insatisfaisante que les décisions des juges des libertés et de la détention refusant la prolongation d’une rétention subissent un taux de réformation très élevé en appel. L’étude d’impact jointe au projet de loi donne l’exemple des dossiers suivis par la préfecture de police de Paris au cours de l’année 2017. Sur 4 213 instances, le JLD a rendu 927 ordonnances défavorables à l’administration. L’administration a fait appel dans 46 % des cas : 171 appels suspensifs dont 134 ont prospéré (78 %), et 256 appels non suspensifs dont 196 ont prospéré (77 %).

L’efficacité de l’action administrative pourrait donc plaider en faveur d’un maintien de l’étranger en rétention jusqu’au terme de la procédure. Mais une telle approche méconnaîtrait tant les droits de la personne que l’autorité des décisions du juge de première instance. La suspension d’une ordonnance de libération fait l’objet d’un encadrement strict par la jurisprudence constitutionnelle.

Les exigences constitutionnelles

Lorsqu’un magistrat du siège a, dans la plénitude des pouvoirs qui lui sont conférés par l’article 66 de la Constitution, décidé par une décision juridictionnelle qu’une personne devait être remise en liberté, il ne peut être fait obstacle à cette décision, fût-ce dans l’attente de la décision d’un juge d’appel (décision n° 97‑389 DC du 22 avril 1997, Loi portant diverses dispositions relatives à limmigration, cons. 56).

Toutefois, l’autorité judiciaire comprenant à la fois les magistrats du siège et du parquet (décision du 22 avril 1997 précitée, cons. 74, et décision n° 2003‑484 DC du 20 novembre 2003, Loi relative à la maîtrise de limmigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité, cons. 75), le principe susvisé peut connaître certains aménagements consistant dans la conformité de la procédure permettant au procureur de la République, lequel a reçu de la loi compétence pour agir dans des conditions spécifiques qui le distinguent des parties à l’instance que sont l’étranger et le préfet de demander, dans certaines conditions définies par la loi, au premier président de la cour d’appel de rendre suspensif l’appel interjeté contre une ordonnance du juge des libertés et de la détention refusant la prolongation du maintien en rétention d’un étranger en situation irrégulière.

Les conditions particulières posées par le Conseil constitutionnel tiennent à la formulation dans un délai très bref de la demande d’appel suspensif du ministère public, à sa motivation par les considérations qui permettent légalement le maintien de la privation de liberté, et à son acceptation par un magistrat du siège de rang de président se prononçant lui-même dans un délai très bref.

En conséquence, le  de larticle 16 du projet de loi porte de six à dix heures le temps laissé au procureur de la République pour solliciter du premier président de la cour d’appel que l’appel formé à l’encontre d’une ordonnance de levée de rétention du juge des libertés et de la détention soit revêtu d’un caractère suspensif lorsque l’étranger ne dispose pas de garanties de représentation effectives ou fait peser une menace grave pour l’ordre public.

L’étranger est maintenu à la disposition de la justice pendant une durée correspondante afin que la procédure d’éloignement puisse se poursuivre dans l’hypothèse d’une réformation. Le  de larticle 16 lui ouvre le droit de s’alimenter et de contacter un avocat, un tiers ou un médecin durant cette période ([142]).

Le délai d’appel de vingt-quatre heures et le délai d’observation de deux heures ouvert à l’étranger pour former des observations sur la demande d’appel suspensif demeurent inchangés ([143]), le premier président de la cour d’appel ou son délégué statuant sans délai sur l’appel.

d.   L’encadrement de l’assignation à résidence par le juge des libertés et de la détention

Dans son contrôle de la décision de placement en rétention et son examen de la demande de prolongation, le juge des libertés et de la détention peut estimer que l’étranger dispose de garanties de représentation effectives, après remise à un service de police ou à une unité de gendarmerie de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité, en échange d’un récépissé valant justification de l’identité et sur lequel est portée la mention de la mesure d’éloignement en instance d’exécution. Une motivation spéciale est requise lorsque l’étranger s’est préalablement soustrait à une mesure d’éloignement en vigueur, mais que le juge estime tout de même les garanties de représentation suffisantes ([144]).

« Létranger est astreint à résider dans les lieux qui lui sont fixés par le juge. À la demande du juge, létranger justifie que le lieu proposé pour lassignation satisfait aux exigences de garanties de représentation effectives » ([145]). Les juridictions ont cependant admis des assignations à résidence dans de véritables campements associés à une poste restante, ne permettant pas la poursuite de l’éloignement dans de bonnes conditions.

Cette situation n’est pas satisfaisante en ce qu’elle ne permet pas la bonne prise en compte des antécédents de la personne concernée en matière de police des étrangers, et qu’elle autorise des assignations à résidence dans des lieux dans lesquels les forces de l’ordre ne sont pas en mesure de constater leur bonne exécution.

En conséquence, le  de larticle 16 impose au juge des libertés et de la détention de motiver spécialement sa décision d’assignation à résidence dès lors que l’étranger s’est précédemment soustrait à une mesure d’éloignement, que celle-ci soit actuellement en vigueur ou non. En outre, le  de larticle 16 exige que l’assignation à résidence soit prononcée dans un local affecté à l’habitation principale de l’étranger.

Le Conseil d’État a estimé que l’élargissement des circonstances dans lesquelles l’assignation à résidence implique une motivation spéciale, qui ne modifie pas l’obligation pesant sur le juge d’opter pour la mesure la moins coercitive permettant l’exécution de la mesure d’éloignement, est compatible avec les exigences européennes. Il n’a pas commenté l’obligation d’assigner à résidence dans un local affecté à l’habitation principale de l’étranger ([146]).

e.   Le nouveau séquençage de la rétention administrative

La directive n° 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, dite directive Retour, limite à six mois la durée maximale de la rétention que peut fixer chaque État membre dans sa législation nationale. Le défaut de coopération de l’étranger et le retard dans la délivrance des documents de voyage peuvent toutefois valablement porter cette durée à dix-huit mois ([147]).

En France, la rétention d’une durée maximale de quarante-cinq jours est répartie en trois phases de deux jours, vingt-huit jours et quinze jours. Par dérogation à ce régime de droit commun, la rétention des étrangers interdits du territoire ou expulsés pour des comportements liés à des activités à caractère terroriste peut atteindre six mois.

Selon l’étude d’impact jointe au projet de loi, « la durée maximale de la rétention de 45 jours savère insuffisante pour lefficacité de la politique déloignement des étrangers en situation irrégulière. Elle ne répond plus aux nécessités du contexte migratoire actuel. » Si la durée moyenne de rétention est de douze jours, il convient de rappeler qu’un tiers des éloignements à partir de la métropole en 2017 ont pu être effectués après quinze jours de rétention, et un dixième après trente jours. La possibilité d’allonger la rétention est donc utile pour obtenir communication des documents de voyage et pour faire échec aux manœuvres dilatoires.

Au contraire, une faible durée de rétention décourage l’autorité publique de procéder à l’éloignement des ressortissants de pays peu coopératifs pour l’établissement des laissez-passer consulaires. Il en résulte une concentration de la police des étrangers sur certaines nationalités, non parce qu’elles sont plus présentes que d’autres sur le territoire, mais parce que la bonne coopération de leur administration consulaire permet de procéder aux éloignements dans les délais fixés par la loi ([148]). Cette pratique administrative remet en cause l’application égale de la loi française. Elle affaiblit également la politique migratoire de l’Union européenne en faisant de la France un point de faiblesse du dispositif continental, ce que n’a pas manqué de souligner la Commission européenne : « La durée maximale de rétention actuellement appliquée par plusieurs États membres est nettement plus courte que celle qui est autorisée par la directive 2008/115/CE et qui est nécessaire pour mener à bien la procédure de retour. Aussi ces courtes périodes de rétention constituent-elles un obstacle à leffectivité des mesures déloignement ([149]) ».

En conséquence, le  de larticle 16 procède à une augmentation significative de la durée de rétention administrative et modifie le séquençage des interventions du juge des libertés et de la détention à fin de prolongation. La rétention initiale de quarante-huit heures et la première prolongation de vingt-huit jours ne sont pas modifiées. En revanche :

–  la deuxième prolongation, motivée par l’urgence absolue, la menace d’une particulière gravité pour l’ordre public, la perte des documents de voyage de l’intéressé, l’obstruction volontaire à l’éloignement ou le défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat est portée de quinze à trente jours. L’étude d’impact jointe au projet de loi qualifie cette évolution de « juste équilibre entre les contraintes pesant sur ladministration et les exigences tenant au contrôle juridictionnel de la privation de liberté » ;

–  cette période de trente jours est renouvelable une fois, sauf si l’étranger a vocation à être réadmis par un État européen pour l’examen d’une demande antérieure d’asile ou de protection internationale ([150]).

La durée de la rétention serait donc établie à quatre-vingt-dix jours. Le projet de loi prévoit cependant une ultime possibilité de prolongation par le juge des libertés et de la rétention, pour une durée de quinze jours renouvelables deux fois. Ces « rebonds » permettraient de répondre aux empêchements imputables à l’étranger qui pourraient survenir dans les quinze derniers jours de la rétention – demande d’asile ou de protection au titre de l’état de santé, entrave à la procédure d’éloignement par refus d’embarquement ou de coopération avec les autorités administratives ou consulaires. Ces motivations seraient la condition de l’accord du juge, qui rechercherait en conséquence si l’inexécution de l’éloignement au cours des précédentes phases de la rétention n’est pas à rechercher dans d’autres causes telles qu’un défaut de diligence de l’administration ou son incapacité à organiser le retour. La prolongation de la rétention ne préjugerait pas d’éventuelles poursuites pénales sur le fondement de l’entrave à l’éloignement ([151]).

Le Gouvernement considère que la refonte proposée de la rétention administrative concilie proportionnalité au regard des buts poursuivis et efficacité, en permettant d’envisager l’obtention de laissez-passer consulaires, nécessaires au réacheminement des personnes vers leur pays d’origine, dans des délais utiles. Il s’agit de prendre en compte des contraintes objectives, inhérentes à l’identification de l’étranger dans des pays dépourvus d’état civil fiable et de système d’identité des personnes, et des considérations de nature politique, tenant à l’organisation interne des États dans lesquels cette mission incombe aux entités régionales dans le cadre de leurs règles propres.

Séquençage de la rétention administrative prévu par le projet de loi

Source : commission des Lois.

L’allongement des délais de rétention laisse plus de temps aux autorités étrangères pour répondre aux sollicitations françaises, et devrait par conséquent se traduire par une amélioration de la coopération consulaire. L’étude d’impact jointe au projet de loi donne l’exemple des engagements conclus par le Maroc avec la Belgique et l’Allemagne, qui stipulent une identification des personnes par leurs empreintes digitales dans un délai de 45 jours : une telle procédure ne peut être étendue à la France, où les ressortissants marocains constituaient pourtant la deuxième nationalité en termes de mesures prononcées en 2016, pour la seule raison que la durée de rétention actuelle ne permettrait pas la réalisation des éloignements. De la même façon, lorsque la Commission européenne négocie des accords migratoires avec des pays tiers comportant des clauses de réadmission et des délais de réponse, des mécanismes acceptables par la grande majorité des États membres se heurtent à l’opposition de la France qui exige une accélération des procédures afin de les rendre compatibles avec son délai de rétention.

Le Conseil d’État a formulé des interrogations sur l’impact de la disposition en termes d’organisation des centres de rétention administrative et de financement de leur activité, mais n’a relevé aucun obstacle de nature juridique. Quant aux « rebonds » entraînant une prolongation de quinze jours de la rétention, il a précisé que les demandeurs d’asile n’avaient pas à être privés de liberté sauf « dans lhypothèse où ces demandes sont présentées dans le seul but de faire échec à la mesure déloignement ([152]) ».

f.   Une coordination pour les audiences en visioconférence

Le 8° de larticle 16 ouvre la possibilité pour le juge des libertés et de la détention de tenir par visioconférence les audiences de prolongation de la rétention administrative sans que l’étranger puisse s’y opposer.

Cette évolution constitue une coordination avec l’objectif général poursuivi par le projet de loi de faciliter le travail des juridictions au moyen des nouveaux outils de télécommunication ([153]).

3.   Les modifications apportées par la commission des Lois

a.   Un nouveau séquençage de la rétention administrative

Avec l’aval du Gouvernement et sur avis favorable de votre rapporteure, la Commission s’est prononcée en faveur d’un séquençage alternatif de la rétention par rapport au projet du Gouvernement en adoptant un amendement de M. Florent Boudié et du groupe La République en Marche.

La rétention administrative se trouverait bornée à 60 jours, éventuellement prolongés de 30 jours en cas d’éléments spécifiques le justifiant, soit un maximum de 90 jours (contre 135 dans le projet du Gouvernement) ainsi structurés :

–  deux premières phases de 2 et 28 jours qui demeurent inchangées par rapport au droit en vigueur ;

–  une troisième phase de 30 jours décidée par le juge des libertés et de la détention suivant des conditions proches de celles d’aujourd’hui – en cas d’urgence absolue ou de menace d’une particulière gravité pour l’ordre public, lorsque l’impossibilité d’exécuter la mesure d’éloignement résulte de la perte des documents de voyage ou de la dissimulation de son identité par l’intéressé, s’il est fait obstruction à l’éloignement, ou en raison du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat ;

–  deux ultimes prolongations de 15 jours chacune, qui ne peuvent être octroyées par le juge des libertés et de la détention que lorsque la mesure d’éloignement n’a pu être exécutée en raison du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat et qu’il est établi qu’elle doit intervenir à bref délai, si l’étranger a fait obstruction à l’exécution de l’éloignement, ou s’il a présenté dans le seul but de faire échec à l’éloignement une demande d’asile ou de titre de séjour sur le fondement d’une maladie.

b.   La suppression de dispositions issues de la loi du 20 mars 2018

La Commission a souhaité revenir sur certaines dispositions de la loi n° 2018187 du 20 mars 2018 permettant une bonne application du régime dasile européen insérées par le Sénat et que l’Assemblée nationale avait dû avaliser dans l’objectif d’une promulgation rapide.

Sur proposition conjointe de votre rapporteure et de MM. Florent Boudié et Mathieu Orphelin, les possibilités de placer en rétention un étranger « dubliné » refusant de donner ses empreintes et une personne ayant dissimulé des éléments de son parcours, de sa situation familiale et de ses demandes antérieures d’asile ont ainsi été supprimés.

c.   La prise en compte de l’état de vulnérabilité des personnes avant tout placement en rétention

La loi n° 2018‑187 du 20 mars 2018 permettant une bonne application du régime d’asile européen a prévu que le placement en rétention d’une personne faisant l’objet d’une procédure de réadmission, prévue par le règlement du Parlement européen et du Conseil européen n° 604-2013 du 26 juin 2013 dit « Dublin III », soit précédé d’une « évaluation individuelle prenant en compte létat de vulnérabilité de lintéressé ».

À l’initiative de votre rapporteure, la Commission a déplacé cette précision d’un alinéa au sein de l’article L. 551‑1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, de sorte que la prise en compte de létat de vulnérabilité des personnes – et, au premier rang, de tout éventuel handicap soit opérée avant tout placement en rétention administrative, et non au seul bénéfice des personnes concernées par la procédure « Dublin ».

*

*     *

La Commission est saisie de lamendement CL335 de M. Loïc Prudhomme.

M. Ugo Bernalicis. L’article 16 apporte une réponse inadaptée et attentatoire aux libertés individuelles, qui parachève votre défiance à l’égard des magistrats et votre mépris pour les droits fondamentaux. Vous souhaitez inscrire dans la loi le caractère punitif de la rétention des étrangers en doublant, voire en triplant le temps de rétention, et en contraignant les magistrats par une habile rédaction. Sur 45 000 personnes étrangères en rétention en 2016, le taux d’exécution des mesures d’éloignement était inférieur à 46 % : ce seul chiffre montre que le système considère la rétention comme une sanction plutôt que comme une préparation au renvoi – et vous allez renforcer ce système. Par ailleurs, le temps moyen de rétention s’élevait à 12,7 jours en 2016 : on est bien loin des 45, 90 ou 135 jours prévus dans le projet de loi.

Ce n’est pas pour rien que la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, Mme Adeline Hazan, a proposé en février dernier de diminuer la durée d’enfermement au lieu de l’augmenter comme vous le souhaitez. La privation de liberté ne doit pas être traitée comme une question d’affichage ou de communication. Notre groupe dénonce avec force l’article 16 dont nous demandons la suppression. En réalité, aucun membre de la police aux frontières ne pense que l’augmentation de la durée de rétention est de nature à régler un quelconque problème. C’est un secret de Polichinelle. Ceux qui restent aujourd’hui 45 jours en rétention ne feront qu’y rester 90 jours, sans autre résultat. De quoi avez-vous donc peur, monsieur le ministre ?

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. L’article 16 modifie les conditions de la rétention administrative. C’est un article important qui ne concerne pas la durée de celle-ci. Nous aurons un débat complet au fil de la soixantaine d’amendements déposés. Je donne un avis défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Puis elle en vient à lamendement CL269 de M. Éric Ciotti.

M. Jean-Louis Masson. Tous les efforts investis dans les politiques des visas, des frontières et de l’asile sont réduits à néant si une petite minorité seulement des déboutés et des personnes entrées irrégulièrement sur notre territoire est éloignée. Il n’y a pas de gestion possible de l’immigration sans politique de retour efficace. Le placement en rétention doit devenir la règle et non plus l’exception. M. Éric Ciotti, qui est le premier signataire de l’amendement, a eu l’occasion d’évoquer cette question. Monsieur le ministre de l’intérieur, l’attentat commis à Marseille le 1er octobre 2017 a cruellement souligné le caractère non systématique du placement en rétention des étrangers contrôlés en situation irrégulière. À la suite de cet attentat, vous avez rappelé par circulaire la nécessité que ce soit le cas s’il existe un risque de fuite et si l’étranger ne présente pas suffisamment de garanties de représentation. Le droit antérieur à la loi du 7 mars 2016 prévoyait le placement en rétention par l’autorité administrative dans des locaux ne relevant pas de l’administration pénitentiaire, pour une durée de 48 heures, lorsque l’étranger ne peut quitter immédiatement le territoire. Notre amendement CL269 vise à rétablir cette disposition.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Je suis absolument opposée à l’affirmation selon laquelle le placement en rétention doit être la règle et l’assignation à résidence l’exception. Je pense au contraire que cette dernière mesure doit avoir un caractère prioritaire. C’est une avancée importante de la loi du 7 mars 2016, à laquelle nous restons très attachés. Les associations, mais aussi la police aux frontières et les personnes travaillant dans les centres considèrent que tout le monde n’a pas vocation à y être placé. C’est une mesure d’enfermement, de privation de liberté, accessoirement coûteuse pour les finances publiques. Si la rétention peut être nécessaire, dans des conditions que nous modifions afin d’améliorer les éloignements, nous continuons à penser important de renforcer l’assignation à résidence. Les articles 17 et 18 du projet de loi ont pour objet d’augmenter son efficacité et de réduire l’attrait de la rétention. L’objectif est une meilleure efficience, si possible via l’assignation à résidence. Je donne donc un avis défavorable à votre amendement.

M. Guillaume Larrivé. J’ai une question pour le ministre d’État, ministre de l’Intérieur. Afin d’éclairer nos débats, quel est le taux d’exécution des mesures d’éloignement des étrangers faisant l’objet d’un placement en rétention administrative – je crois qu’on le connaît – et de ceux faisant l’objet d’une assignation à résidence ? Ce que soutiennent ceux qui veulent donner la priorité à la rétention, par amendement, est qu’elle est plus efficace pour l’éloignement, mais la rapporteure dit qu’il n’en est rien. Une statistique constituerait un bon juge de paix. Je ne crois pas que nous l’ayons eue quand nous avons travaillé sur le rapport d’application de la loi du 7 mars 2016 – je m’exprime sous le contrôle de M. Jean-Michel Clément. Ce serait utile pour savoir quel est le dispositif préférable sur le plan technique.

Mme Laetitia Avia. Le premier alinéa de l’amendement pose de vraies difficultés sur le plan opérationnel. Il est en effet question de personnes qui ne peuvent pas quitter « immédiatement » le territoire. La référence aux garanties de représentation est, en revanche, bien plus raisonnable. Si l’on suivait cette proposition, la rétention s’appliquerait de manière automatique car personne ne peut quitter immédiatement le territoire. Les débats que nous avons eus précédemment ont permis de rappeler que l’objectif est d’organiser efficacement, et avec au moins un minimum d’humanité, le retour dans le pays d’origine ou un pays sûr lorsqu’une OQTF a été prononcée.

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. Je voudrais rappeler notre philosophie générale. Les chiffres, qui sont importants à mon avis, montrent qu’il y a eu une diminution extrêmement forte de la demande d’asile en Europe – elle a été divisée par deux, je l’ai dit – mais que nous avons en revanche continué à connaître une demande d’asile particulièrement élevée en France au cours des trois dernières années. La hausse était ainsi de 17 % en 2017. Nous devons prendre un certain nombre de mesures qui figurent dans ce projet de loi.

En ce qui concerne l’éloignement des déboutés du droit d’asile, nous souhaitons qu’il y ait dans un premier temps une assignation à résidence, comme le demande la directive « Retour », car c’est la mesure la moins privative de liberté. Ce dispositif a conduit dans le passé à des taux d’éloignement faibles, les risques de fuite étant particulièrement élevés. Environ 10 % des personnes assignées à résidence finissaient par être éloignées. Un article du projet de loi, que nous allons examiner par la suite, nous donnera les moyens de contrôler si les personnes assignées à résidence se trouvent bien là où elles doivent être : on leur demandera d’y rester trois heures par jour afin de permettre des vérifications.

Selon les règlements européens, la rétention reste évidemment l’exception. Encore faut-il qu’elle soit utile ! La proportion de rétention par rapport à l’éloignement est de 37 %, ce qui signifie que nous sommes loin de faire en sorte que tous les gens placés en rétention soient éloignés. C’est pourtant notre but puisqu’il s’agit majoritairement de déboutés du droit d’asile et que, nous l’avons dit depuis le début, nous voulons trancher assez vite entre les déboutés et les réfugiés, que nous devons insérer le plus vite possible dans notre société.

Nous souhaitons étendre à 90 jours la durée de la rétention, ce qui nous laissera très en deçà de beaucoup de pays européens, où elle est de 160 à 180 jours.

Trois principaux phénomènes expliquent l’augmentation de la demande d’asile en France. Le premier tient au fait qu’un certain nombre de personnes, venues particulièrement d’Afrique occidentale, essaient d’arriver non pas en Europe en général, mais en France en particulier, pays avec lesquels ils ont des attaches historiques.

Le deuxième phénomène procède de mouvements secondaires : des pays comme l’Allemagne et la Suède ont beaucoup accueilli au cours des dernières années, mais beaucoup débouté depuis. Des gens qui s’y sont vu refuser l’asile tentent, si je puis dire, une deuxième chance en France.

Troisième phénomène : des pays ont demandé que leurs citoyens soient dispensés de visa pour circuler dans l’Union européenne. Or, certains de leurs ressortissants déposent une demande d’asile dès qu’ils y entrent. Dans plusieurs États, comme l’Allemagne, cette demande est examinée en quelques jours, voire quelques semaines en cas d’appel ; en France, ce traitement peut être extrêmement long. Historiquement, l’Albanie figurait au nombre de ces États dont les ressortissants sont dispensés de visa ; ses citoyens représentent aujourd’hui 20 % des places du dispositif national d’asile. C’est pour cela que je m’y suis rendu et que j’ai eu des discussions avec les autorités albanaises. Elles ont fait des efforts importants pour que leurs ressortissants soient moins nombreux à quitter leur territoire pour demander l’asile dans les pays concernés, dont la France. En six mois, le nombre des départs a diminué de 34 %, ce qui est tout à fait remarquable. Nous nous heurtons toutefois à un certain nombre de difficultés ; c’est précisément pourquoi nous devons corriger notre législation, ce que vous êtes invités à faire.

Les chiffres nous donnent d’ailleurs raison puisqu’en deux mois les mesures d’éloignement ont augmenté de 14 % par rapport à 2017. Nous progresserons encore si vous décidez de réduire les délais d’examen de l’asile.

Faute d’obtenir les laissez-passer consulaires, les préfets ont cessé de les réclamer, avez-vous dit. Nous avons travaillé avec les pays africains et nous sommes désormais en passe de disposer de ces sauf-conduits. Toutefois, à l’évidence, nous avons besoin de plus de temps pour les obtenir. C’est pourquoi il est très important de passer à quatre-vingt-dix jours, étant entendu que le Gouvernement acceptera l’amendement soutenu par la rapporteure permettant de mieux séquencer cette période.

Je m’engage devant vous à faire en sorte d’améliorer les conditions de rétention, dont vous avez souligné la difficulté. Je rappelle que des droits y sont déjà exercés : un suivi médical est assuré, des associations ont passé des conventions avec l’État pour un suivi juridique des personnes placées. Enfin, puisque nous allongeons la durée de rétention, des travaux seront entrepris pour que les conditions soient plus acceptables qu’elles ne le sont.

Ayons à l’esprit que, contrairement à ce que l’on a pu insinuer, ces centres de rétention sont faits pour éloigner, non pour punir : nous avons la volonté de l’éloignement, certes, mais dans les meilleures conditions.

La Géorgie vient d’obtenir la dispense de visa vers l’Union européenne pour ses ressortissants et, en trois mois, nous avons été confrontés au même phénomène qu’avec l’Albanie. Nous voulons donc passer avec la Géorgie des accords similaires. En général, les Albanais qui arrivent sur notre sol sans visa et déposent des demandes d’asile viennent avec leur famille, dont des enfants. Pendant leur séjour en CRA, soit ils acceptent d’être séparés de leurs enfants qui sont alors confiés à l’Aide sociale à l’enfance (ASE), soit ils le refusent et les enfants sont placés avec eux en rétention. Des travaux particuliers seront entrepris afin que les conditions de rétention de ces familles avec enfants soient plus dignes. Je ne parle pas ici d’actions qui seraient menées dans deux ou trois ans. En 2018, nous investirons au total 1,5 million d’euros pour améliorer les CRA et, partant, les conditions de séjour.

Voilà ce que je souhaitais vous dire de la philosophie qui nous anime afin d’éclairer la discussion des amendements.

La Commission rejette lamendement CL269.

Elle est saisie de lamendement CL905 de la rapporteure.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. La loi du 20 mars 2018 a introduit dans le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, à l’initiative du groupe La République en Marche et de Mme Coralie Dubost, l’obligation de prendre en compte l’état de vulnérabilité des personnes avant de décider un placement en rétention administrative dans le cadre d’une procédure de réadmission – de type Dublin.

Par cet amendement, je vous propose que cette préoccupation humanitaire puisse concerner toutes les personnes avant un placement en rétention administrative, que ce soit ou non dans le cadre de la procédure Dublin. Ceci permettra de prendre en compte toutes les situations de vulnérabilité, notamment le handicap.

La Commission adopte lamendement qui a recueilli un avis favorable du ministre.

Elle examine lamendement CL656 de Mme Danièle Obono.

Mme Danièle Obono. Dans un esprit de cohérence avec les amendements présentés lors de l’examen de la proposition de loi de M. Jean-Luc Warsmann, nous proposons de revenir à l’état du droit antérieur à sa promulgation. Ce texte a posé une barrière supplémentaire à l’un des rares droits fondamentaux accordés aux personnes étrangères : le droit d’asile. Il remet en cause la protection des intéressés et participe à la systématisation de l’enfermement d’hommes, de femmes et d’enfants au prétexte de faciliter un transfert dont on sait qu’il n’aura jamais lieu, ce que constatent d’ailleurs bien des acteurs de terrain.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Nonobstant un certain nombre de dispositions ajoutées par le Sénat, sur lesquelles nous revenons par des amendements présentés par le groupe majoritaire, nous avions voté la proposition de loi en question. L’avis est donc défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements identiques CL907 de la rapporteure, CL517 de M. Matthieu Orphelin, CL836 de M. Florent Boudié, ainsi que lamendement CL860 de M. Erwan Balanant.

M. Matthieu Orphelin. Il s’agit de respecter les engagements pris au moment de l’examen de la proposition de loi susmentionnée et de revenir sur les ajouts du Sénat qui ont inutilement durci le texte.

Mme Coralie Dubost. Comme l’a dit M. Mathieu Orphelin, nous souhaitons rétablir la proposition de loi dite Warsmann dans sa rédaction de première lecture issue des discussions entre le Gouvernement et l’Assemblée nationale. À cette fin, il est proposé de supprimer les ajouts du Sénat portant sur les critères de mise en rétention et sur le risque non négligeable de fuite.

M. Erwan Balanant. Je n’ai rien à ajouter, mon amendement étant rédigé de façon légèrement différente.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Je privilégie les amendements identiques.

La Commission adopte les amendements CL907, CL517 et CL836.

En conséquence, lamendement CL860 tombe.

La Commission étudie, en discussion commune, les amendements CL619 de Mme Bénédicte Taurine, CL861 de M. Erwan Balanant, CL626 de Mme Elsa Faucillon, CL124 de Mme Marietta Karamanli, CL864 de Mme Florence Granjus et CL522 de M. Matthieu Orphelin.

Mme Danièle Obono. L’amendement CL619 vise à interdire que les enfants étrangers fassent l’objet d’une rétention. Nous souhaitons de la sorte garantir, lorsqu’ils sont en situation dite irrégulière sur notre territoire, ainsi que leurs parents, l’intérêt supérieur des enfants, tel que le définit l’article 3 de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE). On comptait près de 10 000 mineurs isolés étrangers en France en 2017 tandis que 50 000 autres sont arrivés avec leurs parents. Il est primordial de s’assurer que leurs parents, tuteurs ou personnes légalement responsables ne pourront être placés en rétention.

La France fait l’objet d’une surveillance régulière de la part de l’ONU et, au mois de mai 2017, le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef – United nations international childrens emergency fund) a dénoncé les risques encourus par ces enfants dans notre pays.

Nous devons mettre fin aux violations graves dans ce domaine en interdisant le placement en rétention des mineurs, même accompagnés de leurs parents. Les dispositions de l’article L. 511-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoyant que les mineurs de moins de 18 ans ne peuvent faire l’objet d’une mesure d’obligation de quitter le territoire français (OQTF) sont insuffisantes.

M. Erwan Balanant. L’amendement CL861 interdit le placement en rétention de mineurs. J’ai entendu votre explication, monsieur le ministre : à mes yeux l’idée n’est certainement pas de séparer les enfants de leurs parents juste avant l’éloignement, mais de revenir à la situation qui prévalait avant la promulgation de la loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France, lorsque le placement en rétention des enfants était interdit. Cette loi a prévu la rétention à titre dérogatoire mais son usage est devenu trop fréquent dans certaines préfectures. C’est pourquoi il faut l’interdire à nouveau et trouver un dispositif d’hébergement à proximité des aéroports, juste avant le départ de ces familles lorsqu’elles sont légitimement déboutées du droit d’asile.

Il convient d’autant plus d’interdire la rétention des mineurs que nos centres ne sont pas adaptés, même si j’ai noté qu’ils allaient bénéficier de travaux d’amélioration.

Mme Elsa Faucillon. L’amendement CL626 pose le principe de l’interdiction du placement en rétention administrative des enfants et adolescents migrants – qui représentent quand même un migrant sur trois ! – car cet enfermement est contraire aux dispositions de la Convention internationale des droits de l’enfant. Nous nous enorgueillissons souvent, à juste titre, d’être le pays des droits de l’homme : il est à mes yeux inconcevable d’y voir une enfance parquée derrière les barbelés !

Je rappelle que, le 19 janvier 2012, la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme pour le placement en rétention d’une famille et de deux enfants en bas âge sur la base de la violation des articles 3, 5 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme relatifs aux traitements inhumains dégradants, au droit au respect de la vie familiale et au droit à la liberté et à la sûreté.

Eu égard aux conditions de rétention, tout placement d’enfant dans nos CRA va à l’encontre du droit international et des droits de l’homme. La circulaire du 6 juillet 2012 vise effectivement à restreindre le recours à la rétention administrative des familles, mais la réalité des faits a grandement modéré son efficacité. Le nombre des enfants en rétention explose, renouant avec ce qu’il était avant la promulgation de la loi du 29 juillet 2015 réformant le droit d’asile. Il est presque supérieur à ce que nous avons connu sous la présidence Sarkozy et le ministère Hortefeux ! Enfin, le phénomène est encore plus massif à Mayotte alors que les conditions de rétention y sont notoirement indignes.

Mme Marietta Karamanli. La question des mineurs et des enfants nous préoccupe particulièrement. Nous savons tous que la rétention de mineurs, accompagnés ou non, est contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant comme elle est contraire aux dispositions des articles 3, 5 et 8 de la CEDH. Par ailleurs, le 8 février dernier, le Défenseur des droits a appelé l’attention du Premier ministre sur l’augmentation préoccupante du nombre de ces placements.

Depuis le 1er janvier 2018, 40 enfants ont été placés en CRA sans compter les retenus à Mayotte. En 2017, ils ont été 275, soit presque autant que pour les années 2012, 2013, 2014 et 2015 réunies. Et encore n’est-il tenu aucun compte de la situation de Mayotte où 4 285 enfants ont été enfermés en CRA en 2016, ni des enfants placés en zone d’attente.

En 2016, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France pour pratiques dégradantes à l’encontre des enfants enfermés. Mais cela n’a pas suffi à faire bouger les lignes. L’occasion de le faire nous est donnée aujourd’hui, ce qui est de notre devoir de parlementaires responsables. Tel est le sens de notre amendement CL124.

Mme Martine Wonner. Beaucoup de choses ont déjà été dites au sujet du placement en rétention administrative des familles et des enfants. Je rappellerai donc que la France a fait l’objet de cinq condamnations de la part de la Cour européenne des droits de l’homme. Le 31 octobre 2017, il m’a d’ailleurs été donné d’entendre le Président de la République en ce lieu très solennel, au sein duquel les magistrats sont empreints d’une grande sagesse. Ce sont ces juges qui, à cinq reprises, ont condamné la France pour traitements inhumains et dégradants !

J’ai entendu vos propos portant sur les conditions de cette rétention, monsieur le ministre, et pris bonne note de votre intention de les améliorer. Il n’en demeure pas moins que la pratique consistant à séparer les enfants de leurs parents constitue à mes yeux un non-choix.

Nous ne reviendrons pas sur la situation très complexe qui règne à Mayotte.

L’amendement CL864 est là pour dire non à la rétention des mineurs. Pouvons-nous réfléchir ensemble, à l’Assemblée nationale, à une solution ? En tant que médecin, je ne peux approuver la pratique de la rétention. J’ai entendu vos justifications au sujet de situations particulières, comme celle des familles albanaises ; je n’y reviendrai pas non plus mais, encore une fois, pouvons-nous travailler ensemble d’ici l’examen de ce texte dans l’hémicycle à trouver une solution digne ?

Mme Stella Dupont. Personne parmi nous, y compris M. le ministre, ne peut se satisfaire du placement de mineurs en rétention. Les condamnations de la France par la Cour européenne, singulièrement celle de 2016, constituent une alerte pour nous tous.

L’amendement CL522 est peut-être un moyen d’envisager l’arrêt progressif du recours au placement en rétention, en limitant l’interdiction à la métropole afin de se donner du temps pour trouver des solutions pour l’ensemble du territoire national. Comme notre collègue Martine Wonner, je souhaite que nous parvenions à un texte commun pour interdire très rapidement la rétention administrative des mineurs en France.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Mme Stella Dupont vient très justement de le dire : nous sommes tous extrêmement sensibles à la question de la rétention des mineurs. Précisons bien qu’il n’y a pas de mineurs non accompagnés en rétention dans notre pays, comme l’a rappelé le ministre d’État : la question est celle de la rétention des familles, car des mineurs peuvent être placés en rétention avec leur famille.

Il nous est à tous insupportables de voir des enfants en rétention administrative, c’est ce qui motive ces amendements.

La situation de Mayotte a toutefois aussi été évoquée : 4 000 mineurs en famille y sont placés en rétention, ce territoire étant soumis à une très forte pression migratoire. À ce stade, il n’est pas possible d’adopter ces amendements pour mettre un terme à la rétention administrative des mineurs sans disposer d’une étude d’impact portant sur à Mayotte.

Il n’en fallait pas moins poser ce débat politique, et M. le ministre d’État en a pris sa part. Je rappelle qu’autant il est terrible de voir des enfants en rétention, autant l’idée qu’ils puissent devenir un enjeu aux mains des passeurs et des filières est odieuse ; il faut conserver cela à l’esprit lorsque l’on aborde ce débat. C’est pourquoi je donnerai un avis défavorable à ces amendements, tout en rappelant qu’il faut poursuivre la réflexion afin de trouver la solution la plus humaine possible que nous appelons tous de nos vœux.

M. Rémy Rebeyrotte. Personne ne peut se réjouir des migrations des mineurs, encore moins de leur rétention. Personne d’ailleurs ne se réjouit de travailler sur un texte comme celui qui nous est soumis, parce que ce sujet est difficile et sensible humainement. Seulement, comme le disait la rapporteure, il existe des filières ainsi que des passeurs. Des gens font du trafic d’êtres humains leur activité principale. Au pays des droits de l’homme, ce n’est pas non plus acceptable.

Il faut donc, hélas, voir les deux aspects du problème, et tenter de trouver les équilibres nécessaires. Si on accélère les procédures et que l’on fait en sorte de répondre le plus rapidement possible aux demandes d’asile, c’est aussi pour donner des signes, en particulier à ceux qui, s’adonnant à ces trafics, mettent des mineurs et des majeurs en danger, et en tirent des subsides non négligeables. Nous ne pouvons que condamner de telles activités.

Monsieur le ministre d’État, la politique européenne marque-t-elle des points dans sa lutte contre ces trafics ? Ils nous amènent en tout cas à réagir et à prendre des décisions parfois difficiles, mais ô combien nécessaires tant pour ceux qui migrent que pour nos États.

Mme Elsa Faucillon. C’est précisément parce qu’il existe des filières et des trafics que nous devons mieux protéger les enfants. Au contraire, le projet de loi qui diminue les droits accordés aux demandeurs d’asile et aux migrants les atteint aussi. Ils devraient pourtant être considérés comme mineurs avant d’être regardés comme étrangers. Nous franchissons un degré supplémentaire dans la distorsion entre notre devoir de protection et la réalité de droits qui diminuent.

Je n’en doute pas, sur ce sujet, la sensibilité de chacun est extrêmement forte, mais mon appel va au-delà. Cela dit, madame la rapporteure, j’ai beaucoup de mal à vous entendre dire que la situation de ces enfants est insupportable et à vous voir finalement refuser tous les amendements sur le sujet. Vous considérez qu’en définitive il faut en rester au statu quo sous prétexte qu’il existe des filières. Je vous avoue ma profonde émotion et mon désarroi.

M. Rémy Rebeyrotte. Nous, les filières nous préoccupent !

Mme Elsa Faucillon. Je demande que nous prenions le temps de réfléchir aux principes des droits et de la protection des enfants, car nous avons affaire à un texte qui durcit les conditions de leur accueil.

Mme Marietta Karamanli. Il ne suffit pas d’annoncer que l’on partage la même analyse. Les parlementaires peuvent être en désaccord avec l’administration, avec le ministre d’État ou avec l’exécutif tout en exigeant qu’une solution soit apportée à un problème. Clairement, la solution apportée aujourd’hui n’est pas la bonne.

Si c’était facile, nous ne serions pas là, mais tout de même : au vu des chiffres le problème ne semble pas insoluble. Même les personnes déboutées ont vécu des situations difficiles. Elles n’ont pas le droit de rester, mais ce qu’elles ont vécu est déjà traumatisant. Qu’on les traite au moins dignement ! On doit progresser, par exemple, en ce qui concerne les conditions d’hébergement, car aujourd’hui elles ne sont pas bonnes.

On ne peut pas dire que l’on est d’accord avec le fond des amendements, et émettre ensuite un avis défavorable. J’appelle l’attention de tous les collègues sur le fait que nous avons une responsabilité : il nous appartient de dire que nous ne sommes pas d’accord. Je suis persuadé que si nous refusions une solution, les responsables en trouveraient une autre pour que nous puissions avancer ensemble.

Mme Danièle Obono. La réponse de la rapporteure est incompréhensible. Nous sommes en désaccord sur de nombreux points, mais je pense vraiment que la rétention et l’enfermement des enfants réunit une très large majorité d’entre nous, si ce n’est la totalité. Je crois à la sincérité des propos tenus sur l’indignité de la situation faite aux enfants. Il est donc d’autant plus incompréhensible que ces déclarations aboutissent à l’idée que, malgré tout, on peut tolérer le statu quo.

En 2017, pour la seule métropole, la France a enfermé 275 enfants en centre de rétention, dont de nombreux nourrissons, soit presque autant que des années 2012 à 2015. Voilà la situation que nous tolérons, malgré les déclarations d’intentions. Le Défenseur des droits a rappelé que depuis le 1er janvier 2018, 40 enfants, sans compter ceux retenus à Mayotte ont connu la douloureuse expérience de l’enfermement. Nous avons la possibilité, ici et aujourd’hui, grâce aux propositions issues de toutes les sensibilités politique de l’Assemblée nationale, de marquer très clairement et fermement notre opposition à ces pratiques.

L’existence des passeurs ne constitue pas un argument. Tout le monde est d’accord pour se battre contre la traite et les trafics, mais je ne vois pas comment on mènerait ce combat en enfermant des enfants. Cet enfermement ne fait qu’ajouter des souffrances et des traumatismes à ceux qui existent déjà. Il est incompréhensible et injustifiable de nous parler d’abord du caractère intolérable d’une pratique pour, ensuite, non seulement la tolérer, mais faire en sorte qu’elle se perpétue.

Mme Laurence Vichnievsky. Tous ceux qui ont eu à connaître de près ou de loin l’activité des juges des enfants savent que le pire du pire est de séparer les enfants de leurs parents. Il s’agit toujours d’une solution extrême. Je rappelle également que la rétention n’est pas la détention. Il est vrai que nos centres de rétention ressemblent à des centres de détention, mais il faut que nous fassions des efforts pour faire évoluer les choses, ce qui est prévu.

Je le répète, et toutes les mamans, tous les papas parmi nous le savent : le pire est d’être séparé des siens. Sur ce sujet non plus, il n’existe pas de solution parfaite.

M. Matthieu Orphelin. Mme la rapporteure a clairement noté la convergence de vues de l’ensemble des forces politiques sur l’indécence et l’indignité de la situation actuelle. Quiconque est entré dans un centre de rétention administrative prend vraiment la mesure du problème.

Je note l’engagement de retravailler le sujet. Cela dit, il faut que nous nous donnions un calendrier. Pouvons-nous réfléchir à certains points avant la séance publique ? Devrons-nous porter de nouvelles idées dans l’hémicycle ? Beaucoup de choses intéressantes ont été dites, notamment par Mme Vichnievsky sur le fait que la séparation entre parents et enfants était la pire des solutions. J’ai l’impression que nous devons agir et réfléchir collectivement. Cela n’épuisera pas le sujet, mais il est très important d’avancer.

Mme Martine Wonner. À la suite des propos de Mme Vichnievsky et de M. Orphelin, je répète qu’il faut écarter autant que possible le scénario de la séparation. Monsieur le ministre d’État, nous sommes totalement engagés à vos côtés dans la lutte contre les filières et les passeurs mais, surtout, ne faisons pas de raccourci quand on parle des mineurs en rétention.

Vous avez très justement dit tout à l’heure que certains centres de rétention, pour ne pas dire tous, n’étaient pas adaptés à l’accueil des plus petits. Pourrions-nous adopter une solution temporaire et intermédiaire tant que les travaux n’ont pas été effectués ? J’avoue que je me fais presque violence en disant cela : je ne veux pas vous laisser croire que je souhaite voir des mineurs en rétention. Toutefois, je sens bien que, dans certaines situations, comme je suis contre la séparation, il s’agit peut-être de la moins mauvaise solution. Travaillons, allons vers la rétention la plus courte et la plus digne possible ! Aujourd’hui, nous n’y sommes pas. Peut-être pourrions-nous surseoir à la rétention de mineurs tant que les travaux ad hoc n’ont pas été faits ? Pouvons-nous réfléchir ensemble à la moins mauvaise solution possible avant la séance publique ?

Mme Sonia Krimi. Je soutiens la proposition de « moratoire » de Mme Wonner, mais je voudrais remettre la coupe des hors sujets à M. Rémy Rebeyrotte. Quel est le rapport entre les filières et l’enfermement des d’enfants ? J’aimerais bien comprendre.

La folie, c’est d’appliquer toujours les mêmes méthodes en espérant un résultat différent. On fait encore du répressif et de l’enfermement, mais nous parlons d’enfants. La question n’est pas de savoir si certains ont un cœur et d’autre pas : il y a des enfants en jeu ! Vous nous expliquez que les enfermer sera dissuasif pour les filières. Sans doute ceux qui les organisent seront-ils impressionnés et émus par cette menace ? La façon dont vous réfléchissez est très loin de la réalité.

M. Florent Boudié. Le constat relatif à la rétention des mineurs est totalement partagé et le sujet est ancien. Je me souviens qu’en 2011, M. François Hollande, candidat à l’élection présidentielle, avait pris l’engagement d’abroger la rétention pour les mineurs. Il y a un paradoxe dans la loi du 7 mars 2016 car elle inscrit pour la première fois la rétention des mineurs dans le marbre, tout en en limitant l’application de la procédure puisqu’elle énumère des critères et qu’elle précise que la rétention ne peut avoir lieu que quarante-huit heures avant l’éloignement.

Quelle est la réalité de la situation de la rétention des enfants, au-delà du fait qu’ils sont forcément placés avec leurs familles dans des locaux spécialement dédiés ? Dans les faits, il y a une dichotomie totale entre la situation en métropole et outre-mer.

En métropole, sur 26 000 retenus, on compte 275 enfants et 134 familles. C’est dire que les services de l’État ont une approche très restrictive en matière de rétention des mineurs. Une attention particulière est portée aux cas des mineurs, ce qui signifie que la loi du 7 mars 2016 a été utile. Je note par ailleurs que l’augmentation du nombre d’enfants en rétention n’est qu’un effet collatéral de l’évolution générale des flux ; elle n’est pas le fait de ce Gouvernement. Le mouvement était identique et constant sous le précédent quinquennat.

La situation est différente à Mayotte où 4 200 enfants sont retenus chaque année. Dans ces conditions, l’interdiction de la rétention des mineurs créerait une situation explosive. Ce problème n’existe pas sur le territoire métropolitain.

Je pense qu’il faut poursuivre la discussion. Comme le proposait M. Matthieu Orphelin, nous devons être en mesure de suivre un calendrier d’actions qui tienne compte des impératifs de l’État et de la nécessité de solutions opérationnelles pour l’éloignement. Dans l’immédiat, monsieur le ministre d’État, je crois qu’il sera très important de traduire concrètement, dès le projet de loi de finances pour 2019, l’engagement d’allouer des moyens supplémentaires afin de garantir des conditions acceptables de rétention pour les mineurs – en particulier en matière de locaux.

M. Guillaume Larrivé. Je voudrais remercier Mme Sonia Krimi d’avoir dit, en réactualisant la formule giscardienne, que personne n’avait le monopole du cœur. Sur tous les bancs, chacun a pu s’interroger en visitant un centre de rétention administrative. Lorsque je me suis rendu pour la première fois dans un CRA, à la fin de l’année 2005 à Coquelles, en compagnie de votre actuel directeur de cabinet, monsieur le ministre d’État, nous nous sommes interrogés. Jeune fonctionnaire du ministère de l’intérieur, je me souviens avoir quitté ce centre, où se trouvaient des familles avec des enfants, en me demandant vraiment si ce que nous faisions était bien. La vérité est que, dès lors que nous voulons éloigner des étrangers en situation irrégulière et que nous souhaitons respecter l’intérêt de l’enfant, on ne peut pas imaginer une seconde de séparer les familles. Si l’on sépare les familles, on fait quelque chose de totalement inacceptable, et si l’on exclut tout placement en rétention des familles, on donne un droit de séjour en France ad vitam aeternam à toute personne ayant un enfant. On voit bien le conflit de logiques que l’autorité politique doit résoudre.

Comme M. Florent Boudié, je me souviens de la campagne présidentielle de 2012. La question avait même été évoquée pendant le débat télévisé entre MM. Nicolas Sarkozy, Président de la République, et François Hollande. Ce dernier avait écrit à la Cimade un courrier annonçant qu’il abrogerait la rétention des familles dès mai 2012. Bien sûr, une fois élu, il n’a pas tenu son engagement car le réalisme s’est imposé.

Le terme juridique « rétention administrative » est relativement inadapté car ces lieux sont aussi des centres de préparation à l’éloignement. Des acteurs associatifs et les délégations de l’OFII sont présents dans des lieux fermés qui offrent des conditions d’accueil quasi hôtelières en réalité – qu’il convient d’améliorer, bien sûr, avec des espaces pour les familles. Ce ne sont pas des centres de détention. Il faut que nous insistions sur le fait qu’il s’agit de lieux de préparation à l’éloignement. Nous devons, concrètement, nous donner les moyens de les utiliser avec discernement et humanité, mais aussi avec beaucoup de réalisme, car si nous adoptions les amendements que l’aile gauche de la majorité et le groupe La France insoumise nous proposent, il n’y aurait plus de politique d’éloignement.

M. Guillaume Vuilletet. En effet, personne n’a le monopole du cœur. Nous considérons tous qu’il est insupportable et douloureux qu’un enfant se trouve en centre de rétention et, en même temps, il serait insupportable de devoir séparer les familles. Les propos de Mme Laurence Vichnievsky à ce sujet me paraissent justes et forts. Certaines situations deviennent donc inévitables. Ceux dont nous doutons qu’ils aient un cœur en revanche, ce sont les passeurs. Leur stratégie est très simple : ils cherchent toutes les failles qui permettent de contourner la loi pour gagner plus d’argent et exploiter davantage ceux qu’ils transforment en objets que l’on trimballe au travers des frontières. Leur trafic doit être combattu. L’interdiction de l’enfermement des mineurs constituerait une aspérité dont ils se saisiraient pour faire prospérer leur commerce.

Afin d’avancer, je pense que nous devons entendre les engagements du ministre d’État pour que les choses se passent mieux

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Onze inscrits s’étant exprimés dont cinq du groupe La République en marche, je donne la parole à M. le ministre d’État.

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. Je comprends les problématiques qui sont les vôtres et le cas de conscience auquel chacun est confronté. J’avais annoncé que je ne parlerais pas des débats en Conseil des ministres, que nous avons toujours, sur le problème des mineurs non accompagnés. Sachez seulement que nous nous sommes demandés s’il fallait que la question soit gérée par le ministère de l’intérieur ou par le ministère des affaires sociales. Devions-nous considérer le mineur non accompagné en tant que mineur ou en tant qu’étranger ? J’ai plaidé, et je pense que cette solution sera retenue, pour qu’il soit d’abord considéré comme un mineur. C’est dans cette direction que nous chercherons un certain nombre de solutions.

Pour revenir aux amendements, comprenez bien que, si nous excluions systématiquement l’éloignement des familles avec enfant, nous ne pourrions plus jamais éloigner qui que ce soit. C’en serait fini de la politique que nous mettons en place, qui vise à répondre aux demandeurs d’asile en six mois pour que les déboutés puissent retourner dans leur pays dignement, et que les autres puissent s’insérer en France.

Nous sommes aussi confrontés à des cas particuliers qui deviendront explosifs si nous ne parvenons pas à les gérer. Durant le mois qui vient de s’écouler, j’ai dû m’occuper de la situation à Mayotte. Croyez-moi, il n’a pas été si facile d’éviter que l’on en vienne à des affrontements graves, à la pire violence. J’ai envoyé sur place de nombreuses unités mobiles et de nombreux fonctionnaires. La situation reste aujourd’hui extrêmement compliquée. Il faut aussi gérer notre relation avec les Comores. Le ministre des affaires étrangères s’entretient en ce moment presque tous les jours avec son homologue comorien.

Les pays dont les ressortissants peuvent venir en France sans visa posent un autre problème. Cette possibilité constitue pour eux une espérance, l’engagement d’un dialogue avec l’Europe et une promesse de développement. Mais, même s’ils ont fait des efforts – des agences gèrent les départs en direction de la France –, la procédure est détournée par certains. Le problème, c’est lorsque 20 % des places du dispositif d’asile sont occupées par des Albanais : il est engorgé, ce qui a des conséquences pour les centres d’hébergement d’urgence qui sont à leur tour embolisés. Finalement, si vous composez le 115, ce numéro d’urgence destiné à ceux qui n’ont pas d’hébergement ne répond plus. Voilà ce qui est en jeu.

Je vous demande, en conséquence, de bien réfléchir. La loi ne s’appliquera qu’au mois de novembre prochain. Je veux bien m’engager devant vous à faire en sorte que, dans les centres qui accueillent des familles – tous les CRA ne sont pas concernés –, on travaille dès aujourd’hui à proposer des conditions d’hébergement dignes. Je rappelle aussi que les familles n’ont pas vocation à rester dans ces lieux très longtemps. Théoriquement, elles n’y demeurent que pendant un très bref délai puisque leur pays est prêt à les accueillir.

Il reste que, si nous ne les accueillons pas quelques jours dans ces centres, le risque de fuite est important. Renoncer à le faire reviendrait à se vouer à l’impuissance. Or, je pense que, dans ce domaine, nous devons montrer notre capacité à agir, dans la dignité, mais à agir. Il n’est rien de pire que l’impuissance. On finit toujours par vous la reprocher. Il ne faut pas dire : « C’est une fatalité ; on n’y peut rien ! » Trop de gens ont cette attitude. On peut toujours quelque chose ; on peut toujours changer le destin. C’est pourquoi je soutiens Mme la rapporteure, même si elle n’en a pas besoin, en émettant un avis défavorable à tous les amendements en discussion commune.

La Commission rejette successivement les amendements.

Elle examine lamendement CL103 de Mme Marietta Karamanli.

Mme Marietta Karamanli. Les deux premiers alinéas de cet article visent à repousser l’effectivité des droits du demandeur d’asile placé en rétention de communiquer avec un interprète, un conseil, un médecin, son consulat ou toute personne de son choix. Cet amendement y remédie.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Il est précisé que la personne peut faire appel à un avocat ou à un médecin dès le placement en rétention. Mais ce n’est qu’à l’arrivée au centre de rétention que ces droits peuvent être mis en œuvre. Cet article permet une meilleure opérationnalité de l’accès aux droits.

La Commission rejette lamendement.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CL134 de Mme Marietta Karamanli et CL337 de M. Éric Coquerel.

Mme Marietta Karamanli. L’amendement CL134 vise à supprimer les alinéas 3 à 10. L’assignation à résidence ne peut être imposée à des étrangers ayant fait l’objet de sanctions qui ne sont plus en vigueur. Cette mesure insensée amènerait à assigner à résidence des individus qui ne sont plus considérés fautifs aux yeux du droit, en présumant qu’ils chercheront forcément à se soustraire à l’obligation de quitter le territoire qui pèse sur eux.

L’alinéa 9 vise à remplacer le mot « lieu » par les mots « local affectés à son habitation principale ». Cela favorisera les demandeurs d’asile les plus riches, qui bénéficient déjà d’une certaine stabilité, au détriment des plus démunis contraints de rester en rétention.

Mme Danièle Obono. L’amendement CL337 vise à supprimer les alinéas 3 à 7. Il fait prévaloir l’intérêt du requérant ou la qualité de la prise de décision sur la simple facilité organisationnelle, laquelle pourrait être résolue par l’octroi à l’autorité judiciaire, en l’occurrence le JLD, de moyens supplémentaires. La lecture de l’étude d’impact, de l’exposé des motifs et du dispositif lui-même montre que cette réforme n’est pas envisagée dans l’intérêt du requérant ou pour améliorer la qualité de la décision du juge.

Le JLD dispose actuellement de 24 heures pour statuer sur la requête du préfet aux fins de prolongation de la rétention, délai que le Gouvernement propose d’augmenter afin d’éviter un phénomène massif d’engorgement. Nous pensons que ce n’est pas la bonne porte d’entrée. Nous avons insisté à plusieurs reprises sur la nécessité de donner des moyens à la justice. Nous rappelons que la France a été condamnée en 2016 par la CEDH, la Cour ayant considéré que l’ensemble des aspects conditionnant la rétention devaient être examinés dans un délai très bref.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Les alinéas 3 à 7 prévoient de doubler le temps accordé au JLD pour statuer. Les magistrats auditionnés nous l’ont indiqué : le délai actuel de 24 heures est trop court. Il impose de mobiliser, le week-end, des juges spécialisés dans les affaires familiales ou la justice des enfants, qui se voient ainsi amenés à statuer sur un contentieux technique qu’ils maîtrisent mal.

S’agissant de l’alinéa 9 et de l’assignation à résidence, il nous a été rapporté des cas où des assignations avaient été faites dans des bidonvilles, desservis par des postes restantes. Cela rend la mesure inopérante, alors que nous voulons au contraire renforcer son efficacité. Avis défavorable sur les deux amendements.

La Commission rejette successivement les amendements.

Elle est saisie de lamendement CL460 de Mme Élodie Jacquier-Laforge.

Mme Isabelle Florennes. L’amendement assure à l’étranger un accès effectif à la procédure en rendant possible sa pleine compréhension de son audition devant le JLD. En sus d’apporter une aide matérielle, l’idée est d’éviter un contentieux supplémentaire.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. L’assistance d’un interprète est une garantie prévue par le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Je vous demande de bien vouloir retirer cet amendement.

Lamendement est retiré.

La Commission est saisie de lamendement CL362 de M. Loïc Prudhomme.

Mme Danièle Obono. Cet amendement encadre le droit au recours des personnes en rétention qui ont saisi le JLD. De nombreuses associations, dont la Cimade, dénoncent régulièrement des situations où la personne étrangère est reconduite à la frontière alors même que le juge n’a pas statué sur sa requête. En février, la CEDH a condamné la France pour avoir expulsé un homme soumis à un risque de torture en Algérie sans qu’il ait pu exercer son droit au recours, et avoir ainsi violé l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme sur l’interdiction de la torture.

Pour prévenir de telles atteintes, cet amendement prévoit un recours devant le JLD suspensif. Tout agent public ayant pris une décision d’éloignement dans ces conditions est passible de poursuites sur le fondement de l’article 432-4 du code pénal.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Il convient de rappeler les offices des deux juges saisis. La décision du JLD – le juge judiciaire – porte sur la légalité de la rétention ; elle interviendra au quatrième jour si le projet de loi est adopté en l’état. Elle est sans effet sur la légalité de la mesure d’éloignement, question sur laquelle c’est le juge administratif qui statue au sixième jour, toujours suivant le projet de loi.

Le cas que vous avez rapporté ne pourrait donc plus se produire aujourd’hui. Ce calendrier rend impossible le fait d’expulser avant la décision du juge administratif. Je vous demande donc de bien vouloir retirer votre amendement, à défaut de quoi j’émettrai un avis défavorable.

Mme Danièle Obono. L’objet de cet amendement est d’empêcher les expulsions sauvages, régulièrement dénoncées par les associations. Ne nous voilons pas la face et encadrons mieux la procédure pour assurer le respect des droits des personnes ! Je maintiens l’amendement.

La Commission rejette lamendement.

Elle examine lamendement CL340 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Danièle Obono. Il s’agit de supprimer l’alinéa 7, disposition qui entaille profondément les droits et libertés en ouvrant la possibilité d’enfermer une personne jusqu’à 135 jours – plus de quatre mois. Avec le triplement de la durée de rétention, l’enfermement des migrants devient une peine de détention. Les préfets condamnent de facto à la prison des personnes considérées criminelles. C’est la raison pour laquelle la majorité des associations d’aide aux migrants et de défense des droits de l’homme s’opposent à cette mesure de surcroît inefficace. Comme l’a souligné le Conseil d’État et comme nous l’apprend l’étude d’impact, dans 90 % des cas où la personne retenue a été éloignée, elle l’a été avant trente jours. Nous vous proposons de revenir à la raison et d’écarter cette mesure liberticide.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. L’alinéa 7 prévoit que le JLD qui prend une décision sur la rétention d’un étranger en informe le juge administratif. Je ne vois pas en quoi cette disposition pose un quelconque problème sur le plan des principes ou du droit.

La Commission rejette lamendement.

Elle adopte lamendement rédactionnel CL296 de Mme la rapporteure.

Elle est saisie de lamendement CL336 de Mme Danièle Obono.

Mme Danièle Obono. Par cet amendement, nous proposons de préserver l’office du juge administratif. En effet, l’alinéa 8 étend l’obligation de motivation spéciale à laquelle doit répondre le juge pour assigner à résidence un étranger en rétention lorsque la personne a fait précédemment l’objet d’une mesure d’éloignement. L’idée est bien d’imposer la rétention comme régime de base. Cela constitue une tentative de restreindre l’office du juge pour le contraindre à prononcer la rétention. Celle-ci est alors considérée comme une peine. La rétention administrative ne doit pas être érigée en solution de principe et l’office du juge administratif, en tant que défenseur des libertés, doit être préservé.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Cet alinéa précise que le JLD doit motiver spécialement sa décision lorsqu’il lève la rétention d’un étranger qui a déjà fait obstacle à une précédente mesure d’éloignement. À nouveau, je ne vois pas ce qu’il y a d’excessif ou de disproportionné dans cette mesure, qui me paraît au contraire tout à fait adaptée à la situation. Avis défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Elle est saisie de deux amendements identiques CL338 de M. Bastien Lachaud et CL714 de Mme Sonia Krimi.

Mme Danièle Obono. L’alinéa 10 porte à dix heures le délai durant lequel le ministère public peut déclarer un appel suspensif. Cette disposition prolonge arbitrairement de quatre heures la durée de rétention de l’étranger. L’exposé des motifs du projet de loi ne donne aucun élément permettant de justifier la position du Gouvernement. Ce dernier cherche à rogner les droits procéduraux et à augmenter la durée de rétention des personnes étrangères.

Cet amendement vise à maintenir la situation juridique actuelle, qui permet de garantir le droit et la liberté des personnes.

Mme Sonia Krimi. Le délai était de quatre heures en 2003, avant de passer à six heures en 2011. Vous proposez aujourd’hui de le porter à dix heures. Où cela va-t-il s’arrêter ? Sur le plan des principes, l’enfermement demeure une mesure lourde ; il est vécu comme une peine, la plus élevée dans l’échelle des peines de notre pays.

Sur le plan juridique, le séjour irrégulier n’est plus un délit depuis 2012. Il n’y a par conséquent aucune raison de maintenir à disposition un étranger, ne serait-ce qu’une heure après que sa remise en liberté a été prononcée. Sur le plan matériel, compte tenu de l’ambition de ce projet de loi en matière d’éloignement, la libération immédiate des personnes retenues est légitime. Sur le plan financier enfin, le coût du maintien en rétention dans l’attente d’une décision du procureur de la République est non négligeable. J’ai fait le calcul, monsieur le ministre : 8 000 personnes ont été libérées par le JLD. Au regard du coût d’une journée en rétention, cette mesure, qui consiste à garder des personnes pourtant libérées, reviendrait à 1,2 million d’euros.

Pour toutes ces raisons, je vous invite vivement à supprimer cet alinéa.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Cette disposition vise à une meilleure efficacité des dispositifs d’éloignement. Avis défavorable.

La Commission rejette les amendements.

La Commission examine, en discussion commune, les amendements identiques CL486 de M. Sébastien Huyghe et CL510 de M. Christophe Lagarde, et lamendement CL524 de M. Christophe Lagarde.

M. Sébastien Huyghe. Nous avons parlé des possibilités de recours pour les demandeurs. Il s’agit cette fois de permettre au ministère public de demander un recours suspensif dans les cas où l’intéressé ne dispose pas de garanties de représentation effectives ou qu’il présente une menace grave pour l’ordre public. En d’autres termes, cette mesure peut être mise en œuvre si le ministère public considère qu’il existe un risque que la personne disparaisse et qu’on ne la retrouve plus.

Cela demande un peu de temps. Le Gouvernement a considéré que le délai de six heures était trop réduit et propose de le porter à dix heures. À notre sens, un délai de vingt-quatre heures serait raisonnable.

M. Michel Zumkeller. En outre, il existe des situations particulières, lorsque la notification survient le soir ou la veille d’un jour férié. Il nous semble qu’un délai de vingt-quatre heures serait raisonnable. À défaut, nous proposons de le ramener à seize heures.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Je souhaite préciser que, si cette mise à disposition de la justice a été validée par le Conseil constitutionnel, celui-ci a néanmoins conditionné la procédure à un délai très bref. Le Conseil d’État a jugé que l’allongement à dix heures était conforme à cette exigence, mais un délai de vingt-quatre heures serait manifestement excessif. Avis défavorable aux trois amendements.

La Commission rejette successivement les amendements identiques CL486 et CL510 et lamendement CL524.

Elle examine, en discussion commune, lamendement CL133 de Mme Marietta Karamanli et les amendements identiques CL253 de Mme Marietta Karamanli, CL560 de M. Max Mathiasin et CL715 de Mme Sonia Krimi.

Mme Marietta Karamanli. L’allongement de la rétention, rendu possible par les alinéas 13 à 17, est censé permettre d’augmenter le nombre d’éloignements – ce que l’étude d’impact, faute de données chiffrées, ne parvient pas à démontrer.

En 2013, un rapport de M. Matthias Fekl au Premier ministre a montré qu’au-delà de trente jours, la prolongation de la rétention pouvait s’apparenter à une privation inutile de liberté, la grande majorité des éloignements ayant lieu entre le sixième et le trente-deuxième jour. Sa conclusion est que la prolongation de la rétention au-delà d’un mois n’apparaît pas déterminante dans la lutte contre l’immigration irrégulière. En revanche, cette mesure comporte le risque de priver de liberté inutilement les étrangers qui ne pourront pas être reconduits.

Du point de vue constitutionnel, cette mesure est manifestement disproportionnée, compte tenu de l’atteinte aux libertés individuelles qui en résulterait ; elle semble par ailleurs inefficace au regard de l’objectif affiché.

Mme Sonia Krimi. L’amendement CL715 vise à maintenir la durée de rétention à 45 jours. Nous partageons tous le souhait de renforcer notre capacité d’éloignement des personnes en situation irrégulière, mais je suis convaincue que cela ne peut se faire en allongeant la durée de rétention administrative.

J’ai entendu plusieurs arguments, légitimes, en faveur de l’allongement de la durée de rétention. S’agissant de la nécessité d’une harmonisation européenne, prenons garde à ce qu’elle ne conduise pas à une uniformisation qui diluerait les cultures politiques et juridiques des États membres. Nos différences doivent être respectées et nous n’avons pas à nous aligner sur le moins-disant en matière de respect des droits.

S’agissant de mener une politique dissuasive, nous savons que les étrangers qui gagnent notre pays – comme je l’ai fait il y a de cela treize ans –, quelles que soient les conditions, considèrent que leur vie en France est préférable à celle qu’ils auraient eue dans leur pays d’origine. Je n’ai pas fui une guerre, je suis venue chercher la liberté. La dissuasion et les peines, aussi sévères soient-elles, n’empêcheront jamais les étrangers de venir.

Sur l’utilité d’enfermer des personnes plus longtemps pour permettre leur éloignement, il faut savoir que, dans 46 % des cas, les laissez-passer consulaires ont été obtenus avant le quarante-cinquième jour et dans 3 % des cas après ce délai.

Au regard de ces quelques éléments, l’extension de la durée de rétention administrative à 90 jours me paraît inefficace et coûteuse.

M. Brahim Hammouche. La plupart des mesures d’éloignement sont prises dans les quinze premiers jours. On ne voit donc pas l’intérêt d’allonger la durée de rétention et de maintenir ces personnes dans l’attente d’une expulsion. Si l’on veut être à la fois dans l’humanité et dans l’efficacité, il semble judicieux de maintenir la durée actuelle.

Mme Stella Dupont. Je souhaite intervenir suite aux prises de position entendues depuis plus d’une heure sur la question de la rétention. M. Larrivé, notamment, a expliqué que, selon lui, encadrer la rétention allait réduire notre efficacité en matière de reconduite.

Cette vision extrêmement restrictive qui lie la reconduite au placement en rétention me pose un problème de fond. La rétention est l’exception ; il est utile de le rappeler. Limiter sa durée me semble aller dans le bon sens. Lier l’efficacité de la politique de reconduite à la stricte rétention, c’est imposer que chaque personne reconduite passe par la rétention, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui et devrait l’être encore moins demain. Les reconduites volontaires et les démarches accompagnées sont bien plus efficaces que toutes les expulsions contraintes. Il ne faut pas se tromper : notre politique doit être efficace, mais pas concentrée sur la rétention.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Le débat sur la durée de rétention va se poursuivre, d’autres amendements proposant d’allonger cette durée en aménageant la proposition qui figure dans le texte de loi initial.

Je le disais lors de la discussion générale : la rétention n’est pas la mesure d’éloignement privilégiée, c’est l’assignation à résidence. Le texte de loi vise à renforcer la mesure d’assignation à résidence pour lui donner une crédibilité.

Nous nous plaçons ici dans le cas de personnes en rétention administrative, pour lesquelles les mesures d’éloignement n’ont pas une efficacité suffisante. Lors des auditions, nous avons interrogé les forces de l’ordre, les autorités préfectorales, la police aux frontières. Nous avons tous visité un centre de rétention administrative ; nous avons pu nous faire une idée très précise du sujet.

L’allongement systématique de la durée de rétention n’est pas souhaitable parce que nous savons que la rétention n’est pas bénéfique pour ceux qui sont placés dans une inactivité absolue. Néanmoins, l’autorité administrative doit disposer de possibilités d’allongement de la durée de rétention, et le groupe La République en Marche présentera un amendement proposant un nouveau séquençage.

L’inefficacité des mesures d’éloignement des personnes placées en rétention tient à plusieurs cas : la non-délivrance des laissez-passer consulaires et le recours à des mesures dilatoires telles que le refus d’embarquer ou le refus de participer à l’entretien consulaire. Ce sont des délits mais ils ne sont pas systématiquement poursuivis par l’autorité judiciaire. Dans ce cas, il est important que l’autorité administrative puisse prendre le relais.

Nous avons entendu des forces de police qui ne souhaitent pas un allongement de la durée de rétention et qui, en même temps, sont désabusées et ne savent plus comment appliquer la loi. Que faire après trois refus d’embarquer ? Le délai de quarante-cinq jours est vite atteint. Il fallait trouver une solution, elle vous sera présentée dans les amendements suivants. Permettre l’allongement de la durée de rétention, c’est aussi permettre l’application de la loi en matière d’éloignement. J’émets donc un avis défavorable à ces amendements.

M. Erwan Balanant. Il ne faut pas se le cacher : nous avons un problème avec les centres de rétention administrative. Le ministre l’a souligné en annonçant une série de travaux. Quand j’ai visité le CRA de Rennes, j’ai été particulièrement choqué de l’ambiance de cet endroit. Contrairement à ce qu’a dit M. Larrivé, les CRA ne sont pas des structures hôtelières : ils s’approchent plus de l’univers carcéral. Celui de Rennes est entouré d’une double barrière de barbelés de six mètres de haut et d’un mirador. Et, suite aux tentatives d’évasion, ils sont obligés de l’équiper d’une vidéosurveillance et d’un filet anti-parachutages.

Je comprends les problématiques d’efficacité. Mais je suis d’avis d’en rester à une période maximale de rétention de quarante-cinq jours, car les personnes retenues n’ont rien à faire. Ce n’est pas comme la prison où il y a des activités. Il n’y a rien à faire dans un CRA à part aller dans la salle de télévision quand elle fonctionne. Ceux qui y rentrent ne savent pas quand ils vont en sortir. Peut-être dans les quarante-huit heures quand le juge des libertés et de la détention se sera prononcé, peut-être dans cinq jours, dans dix jours ou dans quarante-cinq. C’est ce qui est terrible. Nous devons travailler pour que ces situations soient humainement tolérables pour des personnes qui, parfois, ne doivent pas rester dans notre pays.

Mme Laetitia Avia. Nous sommes dans un État de droit : lorsque nous faisons face à un élément qui ne fonctionne pas, nous devons trouver les moyens de lui rendre son efficacité. Ici, la question posée est celle des laissez-passer consulaires. Les auteurs des amendements s’interrogent sur l’utilité et l’efficacité du dispositif proposé par le Gouvernement. En quoi l’allongement de la durée de rétention serait-il utile ou efficace ? Tout simplement, dans un certain nombre de situations, on constate que la durée de rétention est trop courte pour être efficace. Face à cet état de fait, laissons-nous les choses en l’état ou essayons-nous de trouver des mécanismes et des aménagements pour y remédier ?

Je rappelle que cela n’implique aucun changement dans la hiérarchie des moyens de surveillance, qu’il s’agisse de l’assignation à résidence ou de la rétention administrative. Il ne s’agit pas non plus d’une harmonisation européenne car la directive permettrait, comme c’est le cas dans de nombreux pays, d’aller jusqu’à 180 jours. La limite actuelle de quarante-cinq jours de rétention représente un quart du maximum autorisé dans l’Union européenne. Cela n’empêche pas de discuter de mécanismes d’allongement ou des conditions à poser à cet allongement.

M. Guillaume Larrivé. Contrairement aux députés de la majorité, je ne souhaite pas poursuivre inutilement nos débats, je passe donc mon tour.

Mme Laetitia Avia. Merci !

M. Rémy Rebeyrotte. Comme le disait M. Balanant, il est nécessaire de repenser nos CRA. J’ai visité celui de Saint Exupéry. Malgré sa proximité de Lyon – sans doute une des plus belles villes du monde, monsieur le ministre ! –, il y a un problème. C’est un ancien hôtel transformé, année après année, en CRA. L’outil n’est pas fonctionnel au regard de ses objectifs. Aujourd’hui, ce ne sont pas des lieux adaptés à la fonction qui leur est confiée. Un travail de conception de nouveaux outils s’impose. C’est un coût pour l’État, mais une nécessité si nous voulons concilier dimension humaine et nécessité de disposer d’instruments permettant la rétention en vue de l’éloignement.

M. Guillaume Vuilletet. Ce qui est étonnant dans ce débat, c’est que nous oublions que nous discutons d’une évolution de la durée maximale. Pour les personnes dont la durée de rétention est inférieure, rien ne changera. Il est simplement question d’augmenter l’efficacité de notre dispositif en laissant aux fonctionnaires en charge de ces tâches la possibilité d’éviter les manœuvres dilatoires et de pouvoir accomplir ce qu’ils doivent faire. Il n’est pas question d’abattage administratif, pour reprendre la formulation odieuse qui a été employée hier, mais d’un système simplement efficace.

La Commission rejette lamendement CL133 puis les amendements identiques CL253, CL560 et CL715.

Elle en vient à lamendement CL518 de M. Matthieu Orphelin.

M. Matthieu Orphelin. L’amendement vise à apporter une réponse graduée. Il présente deux différences avec celui de mes collègues de La République en Marche qui sera présenté ensuite. Tous deux suggèrent une gradation, mais je propose un séquençage en quarante-cinq jours, puis trois périodes de quinze jours qui pourront s’ajouter dans le cas de manœuvres dilatoires. L’amendement présenté par le groupe La République en Marche, prévoit une première période de soixante jours, puis deux fois quinze jours.

Mais ce qui me dérange surtout dans l’amendement présenté au nom du groupe LaREM, c’est qu’une condition laisse place à l’interprétation. Une des justifications du « rebond » – c’est le terme utilisé pour la prolongation de la rétention – est que l’administration peut raisonnablement penser que l’attribution des documents de voyage interviendra prochainement. Les termes de « raisonnablement » et de « prochainement » sont subjectifs. C’est une deuxième différence avec l’amendement que je vous propose, auquel j’invite la Commission à se rallier.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Avis défavorable. Je suis plutôt favorable à la proposition faite par le groupe La République en Marche.

La Commission rejette lamendement.

Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements CL821 rectifié de M. Florent Boudié, CL461 de Mme Élodie Jacquier-Laforge, CL633 de M. Dimitri Houbron, les amendements identiques CL171 de M. Éric Ciotti et CL760 de Mme Valérie Boyer, lamendement CL61 de M. Fabien Di Filippo et lamendement CL668 de Mme Muriel Ressiguier.

M. Florent Boudié. L’allongement de la durée de rétention administrative, proposé par le Gouvernement, fait débat. Nous l’avons constaté suite à une série d’interventions au cours des dernières semaines. Il faut le comprendre. Rien n’est anodin s’agissant d’une mesure privative de liberté. Mais il faut ajouter deux remarques.

La première est que, dans notre droit, l’assignation à résidence reste le principe, quitte à ce qu’elle soit renforcée. C’est l’un des objectifs du projet de loi : consolider les garanties de représentation dans le cadre de l’assignation à résidence.

La seconde est que les flux migratoires sont, par nature, internationaux. La France n’est pas la seule destination ; c’est le territoire de l’Union européenne en général qui est recherché, certains pays étant plus prisés que d’autres. Si les flux sont internationaux, il faut étudier les règles européennes : une directive fixe la durée maximale de rétention à 180 jours. Aujourd’hui, en France, elle est de quarante-cinq jours.

C’est dans ce contexte que le Gouvernement propose de porter cette durée maximale à quatre-vingt-dix jours. Nous sommes d’accord, considérant qu’il est utile, dans un certain nombre de cas, d’allonger la durée. Cela nous a été confirmé lors des auditions du préfet de police de Paris et du directeur central de la police de l’air et des frontières. Nous souhaitons que cette durée soit ciblée sur les cas dans lesquels elle sera utile à l’éloignement. C’est pourquoi notre proposition consiste à ce que, après les séquences de deux jours puis vingt-huit jours prévues par le droit existant, le JLD puisse, sous conditions, allonger cette période jusqu’à trente jours pour les cas d’urgence absolue, de menace à l’ordre public, d’obstruction et de non-délivrance des titres de transport et de voyage.

Deux autres séquences de quinze jours peuvent venir s’ajouter, toujours soumises au JLD et réservées à deux cas seulement : lorsque l’autorité administrative peut prouver que les documents de voyage seront délivrés dans un bref délai et quand il y a obstruction volontaire des retenus. Il s’agit, pour l’essentiel, de décourager les refus d’embarquement et de présentation devant l’autorité consulaire.

Tel est l’objet de notre amendement CL821 rectifié.

Mme Élodie Jacquier-Laforge. Nous souhaitons également restreindre la durée de rétention en raison de ses conditions matérielles. La différence entre notre proposition et celle qui vient d’être présentée par M. Boudié est que, entre trente et soixante jours, nous souhaitons instaurer un intervalle de deux fois quinze jours, ce qui permet de maintenir les quarante-cinq jours qui sont aujourd’hui la norme.

Les conditions posées pour la prolongation au-delà de soixante jours, qui ne figurent pas dans l’amendement proposé par le groupe du Mouvement démocrate et apparentés et ont été ajoutées par M. Boudié, me semblent aller dans le bon sens. Je souhaiterais, pour l’examen en séance publique, que nous arrivions à une version commune qui retiendrait le séquençage que nous proposons, car il nous semble garantir les droits des personnes retenues et instaurer des dispositifs supplémentaires pour aller jusqu’à quatre-vingt-dix jours.

M. Dimitri Houbron. Satisfait par l’amendement CL821 rectifié présenté par le groupe LaREM, je retire l’amendement CL633.

Lamendement CL633 est retiré.

Mme Valérie Boyer. Je voudrais rappeler que 500 000 migrants sont entrés irrégulièrement dans l’espace Schengen en 2016, après le record historique de 1,8 million d’entrées irrégulières en 2015 selon Frontex. On comptait ces dernières années plus de 100 000 entrées irrégulières par an. Sur les 21 296 étrangers retenus, 8 689 ont été effectivement éloignés en 2017. Parmi eux, 32 % l’ont été après quinze jours de rétention et 10 % après trente jours. En France, nous accueillons avec beaucoup de générosité ; les étrangers en situation irrégulière ont toutefois vocation à rentrer dans leur pays. Mon collègue Éric Ciotti et de nombreux autres élus du groupe Les Républicains ont raison : nous devons replacer la rétention administrative au cœur de toutes les procédures d’éloignement. Je suis entièrement d’accord avec le Gouvernement, une fois n’est pas coutume : la rétention donne le temps de lancer les démarches de renvoi avec les pays d’origine, souvent peu coopératifs, et j’espère que nous travaillerons sur ce dernier point.

Malheureusement, en portant la durée de rétention maximale à quatre-vingt-dix jours, la France resterait dans la fourchette basse de l’Union européenne. Le ministre de l’intérieur a précisé que nous devions nous inspirer des bonnes pratiques de nos voisins européens, dont acte. La rétention administrative maximale est de 180 jours en Allemagne, 60 en Espagne, douze mois en Suède et sa durée est illimitée au Royaume-Uni et aux Pays-Bas : pourquoi se limiter à 90 jours en France ? Pourquoi ne pas s’aligner sur ces pays en se donnant davantage de temps, tout en maintenant ces individus dans nos centres de rétention ?

Les amendements similaires CL760 et CL61 portent donc le délai de rétention à cent quatre-vingts jours.

M. Guillaume Larrivé. Identique au 760, l’amendement CL171 est défendu.

M. Loïc Prudhomme. Par l’amendement CL668, nous proposons de suivre la recommandation du Contrôleur général des lieux de privation de liberté et de ramener cette durée à trente-deux jours. L’argument du Gouvernement, qui consiste à dire que le taux d’éloignement augmente avec la durée de rétention, est ridicule. De plus, il est contredit par sa propre étude d’impact puisqu’on y apprend qu’environ 90 % des mesures de rétention où la personne retenue a été effectivement éloignée l’ont été avant trente jours et 10,54 % après trente jours de rétention. D’où la recommandation logique du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, que nous proposons ici de transcrire, au nom du droit à la sûreté et des libertés fondamentales des personnes.

Une privation de liberté n’est pas une procédure anodine pour celui qui la vit, d’autant que la majorité des personnes qui font l’objet d’un placement en rétention n’ont commis aucune infraction. Le Gouvernement se complaît dans une logique punitive, mais encore faut-il qu’une faute ait été commise pour pouvoir légitimement la punir ! Comme la majorité de cette assemblée l’a remarqué, ce projet de loi est largement disproportionné. Alors, écoutons l’avis d’une personne qui connaît mieux la question que n’importe quel député, y compris ceux qui ont visité des CRA comme j’ai pu le faire, et suivons l’avis du Contrôleur général des lieux de privation de liberté.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Entre les visions minimaliste et maximaliste de la rétention, il fallait trouver une solution réaliste et pragmatique. Deux amendements me semblent aller dans ce sens : ceux des groupes La République en Marche et Mouvement démocrate et apparentés.

Je donne un avis favorable à l’amendement CL821 rectifié du groupe LaREM, parce que la proposition de séquençage faite est la plus conforme à ce qui nous a été dit en audition, pour aller vers plus d’efficacité tout en garantissant les droits et en encadrant les décisions du JLD sur ces décisions de prolongation. Avis défavorable, en conséquence, à tous les autres amendements.

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. La durée de rétention dans les différents pays d’Europe est beaucoup plus importante qu’en France, et même que celle que nous proposions dans le projet initial. Il ne faut pas confondre la durée maximale et la durée effective. Ce n’est pas parce qu’un pays prévoit une rétention maximale de cent quarante jours que la durée moyenne va tendre vers ce chiffre : elle peut être de trente ou quarante jours, car tout le monde souhaite pouvoir éloigner en un minimum de temps.

Mme Valérie Boyer. Eh oui ! Ça coûte cher !

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. Si nous prévoyons des durées relativement importantes, c’est justement pour dissuader un certain nombre de pays qui pourraient tarder à donner les laissez-passer consulaires, sachant que le délai est court. Nous avions proposé une durée plus longue dans le projet de loi initial. La durée de quatre-vingt-dix jours, proposée dans l’amendement de M. Boudié, nous semble convenir. Elle est suffisante pour obtenir les laissez-passer consulaires et elle garantit les libertés parce qu’elle est toujours séquencée par l’intervention du JLD. Surtout, au trentième jour, l’amendement supprime la notion d’obtention du laissez-passer consulaire à bref délai qui pouvait poser des problèmes d’interprétation très sérieux. Aujourd’hui, un certain nombre d’éloignements devenaient impossibles de ce fait, et il y avait effectivement des libérations.

L’amendement CL821 rectifié présenté par M. Boudié est équilibré. Le Gouvernement est prêt à s’y rallier.

Mme Élodie Jacquier-Laforge. Mon attention a été appelée sur le fait que certains pays attendent la veille de la fin du délai pour donner les laissez-passer consulaires. C’est pour cela que notre amendement maintenait la borne des quarante-cinq jours : si nous allions au-delà, cela augmenterait mécaniquement le temps de rétention utilisé par certains pays jusqu’à la veille de son terme.

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. Si le délai était de cent soixante jours, ils attendraient le cent cinquante-neuvième : le problème n’est pas là. Il se réglera par la négociation. Si j’accepte les quatre-vingt-dix jours, c’est parce que les discussions que nous avons avec les pays d’où proviennent un certain nombre de migrants laissent penser que nous pouvons obtenir les laissez-passer consulaires dans ce délai.

La Commission adopte lamendement CL821 rectifié. En conséquence, les amendements CL461, CL171, CL760, CL61 et CL668 tombent.

La Commission examine lamendement CL341 de Mme Muriel Ressiguier.

Mme Danièle Obono. Nous demandons que les migrants aient la possibilité de refuser les télé-audiences. Le projet de loi les en empêche et systématise le recours à cette technique, qui vise à ne pas avoir à convoquer physiquement les personnes dans une salle d’audience selon un raisonnement purement économique. Comme le souligne la Cimade, ce projet de loi traite les personnes étrangères en justiciables de seconde zone. À l’instar du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, nous pensons qu’il est inacceptable de généraliser le recours à la vidéo-conférence sans le consentement des intéressés. C’est pourquoi nous voulons la suppression de l’alinéa 17.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Nous en avons débattu. Avis défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Puis elle adopte larticle 16 modifié.

Après l’article 16

La Commission examine lamendement CL663 de Mme Danièle Obono.

Mme Danièle Obono. Le droit des étrangers est marqué par la création de nombreuses procédures parallèles qui portent des atteintes fortes aux droits et aux libertés. Par cet amendement, nous souhaitons mieux encadrer les assignations à résidence décidées par le préfet ou le juge des libertés et de la détention. Si seulement 13 % des mesures d’éloignement sont exécutées, comme l’indiquent les chiffres du Gouvernement, pourquoi ce recours excessif à des mesures privatives de liberté ? Pourquoi une telle violence sur la vie des personnes concernées, pour des durées absolument injustifiées ? Nous vous proposons de limiter les assignations à résidence décidées par le préfet à 45 jours au total et à 15 jours lorsqu’elles sont prononcées par un juge à l’issue d’une rétention.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Nous souhaitons rendre l’assignation à résidence plus efficace afin qu’elle constitue une alternative crédible à la rétention. Je donne donc un avis défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Elle examine ensuite lamendement CL270 de M. Éric Ciotti.

M. Guillaume Larrivé. Notre amendement facilite le placement en rétention administrative des étrangers issus de pays d’origine sûrs. Ils ont bien sûr le droit à ce que leur demande d’asile soit examinée, mais cela doit avoir lieu dans des conditions particulièrement diligentes. La procédure dite « accélérée » doit l’être réellement afin d’avoir un sens. Il faut que les personnes concernées soient placées en centre de rétention administrative pendant l’examen de leur demande d’asile.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. C’est vraiment une approche maximaliste. Un demandeur d’asile a droit à l’examen de son dossier sans avoir à être placé en centre de rétention. Par conséquent, avis défavorable.

M. Guillaume Larrivé. Vous n’ignorez pas, je suppose, qu’il existe déjà une procédure dite d’asile en rétention. On ne peut pas dire qu’il n’y a jamais d’examen de demandes d’asile de personnes faisant l’objet d’un placement en rétention.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Je n’ignore pas, en effet, qu’il est possible de demander l’asile une fois en rétention, et que le demandeur y demeure alors le temps du traitement de son dossier. Mais ce n’est pas l’hypothèse dans laquelle se place votre amendement puisqu’il concerne des personnes en liberté. Un étranger venu demander l’asile en France doit pouvoir le faire tout en conservant cette liberté.

La Commission rejette lamendement.

Puis elle en vient à lamendement CL617 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Danièle Obono. Je vous propose un amendement d’appel que l’on pourrait appeler : « vis ton vote ! ». Il permettra aux parlementaires d’expérimenter réellement les conséquences des mesures qu’ils adoptent. Par cette démarche peut-être un peu provocatrice, certes, nous voulons attirer l’attention sur la gravité des dispositions figurant à l’article 16. Le Conseil d’État a lui-même pointé du doigt cette question lorsqu’il s’est interrogé sur les raisons pour lesquelles la durée de ces mesures privatives de liberté serait allongée. Il faut rappeler que la durée moyenne de rétention n’est que de 12 jours. L’ensemble des organisations de défense des droits humains et de soutien aux migrants ont condamné ces nouvelles mesures, qui suscitent des critiques au niveau national et international. Devant l’ampleur de la contestation, nous souhaitons faire prendre conscience aux parlementaires de la majorité qui soutiennent ce texte en général, et cette mesure en particulier, de ce que cela signifie concrètement. Nous espérons qu’il y ait une réflexion et un retrait de ces dispositions.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Je voudrais saluer non pas ce que Mme Obono qualifie elle-même de provocation, mais l’initiative de la présidente de la commission des Lois, qui nous a incités à nous rendre dans des centres de rétention administrative (CRA). Je crois qu’à peu près tous les députés de la majorité ici présents l’ont fait. Des collègues du groupe majoritaire continuent à effectuer de telles visites. Je ne suis pas convaincue que vous ayez passé davantage de temps en CRA. J’émets un avis défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Article 17
(art. L. 5135, L. 5413 et L. 5611 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile)
Modalités de lassignation à résidence de longue durée

Résumé du dispositif et effets principaux :

Larticle 17 prévoit qu’au-delà d’une durée de cinq ans, le maintien de l’assignation à résidence pour des raisons d’ordre public est justifié par des circonstances particulières. Dans le cas où l’étranger concerné n’est plus assigné à résidence, l’administration peut lui imposer d’autres obligations. En outre, une plage horaire pourra être déterminée durant laquelle l’étranger assigné à résidence devra demeurer au domicile.

Dernières modifications législatives intervenues :

Le régime de l’assignation à domicile en matière de police des étrangers a été réformé par la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France. La loi n° 2018-187 du 20 mars 2018 permettant une bonne application du régime d’asile européen a mis en conformité les dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

Modifications apportées par la commission des Lois :

La Commission a adopté un amendement de coordination de votre rapporteure.

1.   L’état du droit

Dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France, l’article L. 561-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile autorise l’assignation à résidence d’un étranger faisant l’objet d’une mesure d’éloignement pour une durée longue – six mois renouvelables une fois – lorsqu’il n’existe pas de perspective raisonnable d’éloignement.

Cette assignation à résidence de longue durée comprend plusieurs contraintes, certaines, plus rigoureuses, étant spécifiques aux étrangers sous interdiction judiciaire du territoire, dont la méconnaissance est pénalement sanctionnée :

– l’étranger doit résider dans un lieu qui peut être choisi sur l’ensemble du territoire de la République, quel que soit l’endroit où il se trouve ;

– il doit se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie (le nombre de présentations quotidiennes pouvant être fixé à quatre, au plus) ;

– il peut se voir désigner une plage horaire durant laquelle il doit demeurer dans les locaux où il est assigné à résidence (dans la limite de dix heures consécutives par vingt-quatre heures) ;

– il doit, lorsque l’autorité administrative le lui demande, se présenter aux autorités consulaires, en vue de la délivrance d’un document de voyage (laissez-passer consulaire).

Cependant, il était prévu que l’assignation de longue durée puisse être prononcée pour une durée plus longue, sans que la loi ne fixe de plafond, dans deux cas : lorsque l’étranger doit être reconduit à la frontière en exécution d’une interdiction du territoire ([154]) ou d’un arrêté d’expulsion ([155]) et remplit les conditions prévues aux articles L. 523-3 à L. 523-5 du CESEDA.

Ce dispositif a été déclaré contraire à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2017-674 QPC du 30 novembre 2017, M. Kamel D. Il a été jugé qu’il était loisible au législateur de ne pas fixer de durée maximale à l’assignation à résidence afin de permettre à l’autorité administrative d’exercer un contrôle sur l’étranger compte tenu de la menace à l’ordre public qu’il représente, mais qu’il convenait alors qu’il détermine les circonstances particulières dont doit justifier l’administration au-delà d’une certaine durée ([156]). Les effets de cette censure ont été reportés au 30 juin 2018.

L’étude d’impact jointe au projet de loi dénombre 120 assignations à résidence actuellement en vigueur sur le fondement d’un arrêté d’expulsion, et 94 assignations fondées sur une interdiction du territoire français.

2.   Les dispositions du projet de loi

L’article 17 du projet de loi procède à la définition des circonstances particulières justifiant le maintien de l’arrêté d’assignation à résidence à l’égard des étrangers faisant l’objet d’une interdiction judiciaire du territoire ou d’un arrêté d’expulsion (1° du III).

Cette disposition est désormais inutile : à l’initiative du Sénat, le législateur a d’ores et déjà tiré les conséquences de la décision n° 2017‑674 du Conseil constitutionnel à l’article 4 de la loi n° 2018-187 du 20 mars 2018 permettant une bonne application du régime d’asile européen ([157]) .

Les I et II de larticle 17 autorisent l’administration à édicter des sujétions spécifiques à l’égard de l’étranger sous le coup d’une interdiction du territoire prononcée par l’autorité judiciaire ([158]) ou d’une mesure administrative d’éloignement motivée par des raisons d’ordre public ([159]) dont l’assignation à résidence arrive à son terme. Ces obligations sont :

–  communiquer l’adresse du domicile où il réside à l’autorité administrative ou aux forces de l’ordre ;

–  se présenter, sur convocation, aux forces de l’ordre, en vue de toutes démarches nécessaires à la mise à exécution de l’interdiction du territoire ;

–  se présenter, sur demande, aux autorités consulaires en vue de la délivrance d’un document de voyage ([160]).

Ce régime pourrait se cumuler avec des dispositions de droit commun figurant déjà dans le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, telles que l’obligation de remise du passeport ([161]) et la mise à exécution de l’interdiction de territoire en allant chercher l’étranger au domicile sur autorisation du juge des libertés et de la détention ([162]).

Enfin, l’article R. 561-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile permet déjà de fixer à l’étranger objet d’une interdiction du territoire français ou d’un arrêté d’expulsion, ou dont le comportement constitue une menace pour l’ordre public, une plage horaire n’excédant pas dix heures consécutives par vingt-quatre heures durant laquelle il doit demeurer à son domicile. Le  du III de larticle 17 élève cette possibilité au rang législatif dans un objectif de préparation du départ, par exemple pour s’assurer de la présence de l’étranger à son domicile pour les besoins d’une présentation consulaire ou pour l’exécution de l’éloignement.

S’agissant de personnes ne troublant pas l’ordre public, la plage horaire est limitée par période de vingt-quatre heures à trois heures consécutives fixées dans le respect des impératifs de la vie privée et familiale. Elle peut atteindre dix heures consécutives, conformément à la rédaction actuelle du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, pour les personnes qui font l’objet d’une interdiction du territoire français ou d’un arrêté d’expulsion, ou dont le comportement constitue une menace pour l’ordre public

Le Conseil d’État a approuvé l’initiative du Gouvernement d’inscrire dans la loi le dispositif de l’article R. 561‑2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : « une telle mesure, en ce quelle limite la liberté daller et venir, relève de la compétence du législateur » ([163]). Compte tenu de la durée de la plage horaire, inférieure à douze heures par jour, la mesure ne peut être assimilée à une mesure privative de liberté soumise au contrôle du juge judiciaire, au sens de la jurisprudence du Conseil constitutionnel ([164]).

*

*     *

La Commission examine lamendement CL498 de Mme Danièle Obono.

Mme Clémentine Autain. Nous demandons la suppression de l’article 17. Notre groupe considère que la possibilité de renouvellement illimité de l’assignation à résidence, avec un réexamen tous les cinq ans, porte atteinte aux libertés et aux droits fondamentaux. Des personnes condamnées par la justice à une interdiction du territoire, mais ne pouvant pas être renvoyées de notre pays, ne doivent pas faire l’objet d’une telle mesure. Votre choix de l’assignation à résidence peut sembler plus bienveillant que celui de la rétention, mais il risque d’être plus coercitif en réalité. Cela maintiendrait une suspicion durable à l’égard des personnes étrangères. Avec cette mesure censément technique, puisqu’elle vise à prendre en compte une censure du Conseil constitutionnel, vous ne faites que conforter la logique qui inspire ce projet de loi. Nous sommes, quant à nous, du côté de l’humain, qui n’a guère de place dans votre vision comptable et technocratique de la loi.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Je voudrais seulement rappeler que ce dispositif a été validé par le Conseil constitutionnel le 15 mars dernier. J’émets un avis défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Puis elle adopte lamendement de coordination CL298 de la rapporteure.

Elle adopte ensuite larticle 17 modifié.

Article 17 bis (nouveau)
(art. L. 55210 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile)
Droits de létranger maintenu à la disposition de la justice

Résumé du dispositif et effets principaux :

L’article 17 bis est issu d’un amendement de M. Florent Boudié et des membres du groupe La République en marche. Il précise que l’étranger en rétention qui bénéficie d’une ordonnance de libération du juge des libertés et de la détention, mais qui est maintenu à la disposition de la justice pendant six heures – dix heures aux termes de l’article 16 du projet de loi – dans le cas où le procureur de la République souhaiterait qu’un effet suspensif soit attaché à un éventuel appel, dispose de droits consistant en l’assistance d’un avocat, le contact avec un tiers, la consultation d’un médecin et la possibilité de s’alimenter.

Est ainsi inscrite dans la loi une recommandation du Conseil dÉtat qui, au point n° 48 de son avis sur le projet de loi, en suggérait la mention afin de conformer explicitement le régime de maintien à la disposition de la justice à la jurisprudence du Conseil constitutionnel ([165]).

Votre rapporteure a émis un avis favorable à cet amendement qui a valeur de proclamation. En effet, les personnes maintenues à la disposition de la justice se trouvent en centre de rétention administrative où elles disposent, en pratique, des mêmes droits que tous les autres retenus (interprète, conseil juridique ou médical, contact avec l’autorité consulaire ou un tiers).

*

*     *

Suivant lavis favorable de la rapporteure, la Commission adopte lamendement CL838 de M. Florent Boudié.

Larticle 17 bis est ainsi rédigé.

Après l’article 17 bis

La Commission examine lamendement CL664 de M. Éric Coquerel.

Mme Danièle Obono. L’autorité administrative pourra désormais imposer à une personne étrangère, dans le cadre des mesures préparatoires à son départ, c’est-à-dire son éloignement, de rester où elle réside pendant certaines plages horaires. Vous éprouvez malgré tout une forme de gêne : pour prévenir un certain nombre de critiques, il est précisé qu’il faudra tenir compte des impératifs de la vie privée et familiale. Malgré cette concession sémantique, qui n’est pas suffisante, vous allez retenir des personnes chez elles entre trois et dix heures par jour, ce qui perturbera nécessairement, et de manière grave, leur vie privée et familiale. Par ailleurs, les réductions d’effectifs dans la fonction publique ne permettront pas d’opérer les vérifications que vous souhaitez. Notre amendement permettra de remédier à ces dispositions disproportionnées par rapport à l’objectif de préparation du départ de l’étranger et attentatoires aux libertés fondamentales.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Votre amendement priverait l’administration d’une marge de manœuvre importante, notamment lorsqu’une rétention administrative est remplacée par une assignation à résidence, ce qui est assez courant. Je donne donc un avis défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Article 17 ter (nouveau)
(art. L. 5612 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile)
Durée de validité de lordonnance autorisant une visite domiciliaire

Résumé du dispositif et effets principaux :

L’article 17 ter est issu de deux amendements identiques de votre rapporteure et de M. Florent Boudié prévoyant, en cohérence avec les modifications apportées à l’article 16, de revenir sur une disposition de la loi n° 2018‑187 du 20 mars 2018 permettant une bonne application du régime d’asile européen. Celle-ci consistait en l’extension de quatre à six jours, à l’article L. 561‑2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, de la durée de validité de l’ordonnance par laquelle le juge des libertés et de la détention autorise une visite au domicile d’un étranger assigné à résidence dans l’attente de son éloignement.

Cette évolution avait été insérée par le Sénat au cours de la navette. Quoiqu’hostile, l’Assemblée nationale avait consenti à son adoption en termes conformes afin d’assurer une promulgation de l’ensemble du texte dans les meilleurs délais. Il avait cependant été indiqué que cette évolution n’avait pas vocation à durer et que le présent projet de loi serait l’occasion de l’expurger du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

*

*     *

La Commission est saisie des amendements identiques CL906 rectifié de la rapporteure et CL825 de M. Florent Boudié.

Mme Coralie Dubost. Notre amendement revient sur les dispositions adoptées à l’initiative du Sénat dans le cadre de la proposition de loi relative à l’application du règlement « Dublin ». En ce qui concerne la durée de validité de l’ordonnance du juge des libertés et de la détention autorisant une visite domiciliaire, nous proposons de revenir à 96 heures au lieu de 144.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Avis favorable : j’ai déposé le même amendement.

La Commission adopte ces amendements.

Larticle 17 ter est ainsi rédigé.

Article 18
(art. L. 5714 et L. 7774 [nouveaux] du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile)
Exécution des mesures déloignement prononcées pour des motifs de menace grave à lordre public à lencontre de demandeurs dasile

Résumé du dispositif et effets principaux :

L’article 18 prévoit que l’examen d’une demande d’asile n’empêche pas le prononcé d’une mesure de surveillance (assignation à résidence ou, en cas de risque de fuite, rétention administrative) en cas d’éloignement ordonné pour des raisons d’ordre public (expulsion, interdiction judiciaire du territoire, interdiction administrative du territoire).

Dernières modifications législatives intervenues :

La loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme de l’asile permet l’examen en procédure accélérée d’une demande d’asile présentée par un étranger dont la présence sur le territoire national constitue une menace à l’ordre public.

Modifications apportées par la commission des Lois :

Quatre amendements rédactionnels ont été adoptés par la Commission.

1.   L’état du droit

L’article 8.3.e de la directive n° 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale, autorise à placer en rétention administrative un demandeur d’asile « lorsque la protection de la sécurité nationale ou de lordre public lexige ». Cette disposition n’a pas été transposée en droit français bien que le délai pour ce faire ait expiré au 20 juillet 2015.

2.   Les dispositions du projet de loi

L’article 18 du projet de loi ouvre la possibilité pour l’administration d’assigner à résidence et de placer en rétention les demandeurs d’asile faisant l’objet d’une mesure d’expulsion, d’une peine d’interdiction du territoire français ou d’une interdiction administrative du territoire, que cette mesure ait été prononcée en amont ou en aval de la demande d’asile.

Lassignation à résidence et la rétention ne peuvent durer que le temps strictement nécessaire à lexamen de la demande, que lOffice français de protection des réfugiés et apatrides mène selon la procédure accélérée de larticle L. 7232 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile ([166]). La décision est rendue dans un délai de 96 heures ([167]). Par dérogation au droit commun qui conditionne le placement en rétention à labsence de garanties effectives de représentation, la rétention des demandeurs dasile est décidée uniquement lorsque la protection de la sécurité nationale ou de lordre public lexige. Lassignation à résidence a lieu dans les conditions du droit commun ([168]).

L’acceptation de la demande entraîne la libération de l’intéressé, sans préjudice de mesures de surveillance subséquentes. En revanche, dans l’hypothèse d’une décision de rejet, l’étranger dispose de 48 heures pour saisir le juge administratif afin qu’il soit sursis à l’exécution de la mesure d’éloignement en vue de former un recours devant la cour nationale du droit d’asile ([169]). Le juge administratif statue dans les 72 heures :

–  s’il rejette la requête, la rétention administrative ou l’assignation à résidence se poursuit jusqu’à exécution de l’éloignement ;

–  s’il accorde le sursis, l’exécution de la mesure d’éloignement est suspendue jusqu’à la décision de la cour nationale du droit d’asile, qui peut annuler la décision de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides – l’étranger est alors libéré – ou la confirmer – l’éloignement est exécuté.

Le Conseil d’État a rappelé que les demandeurs d’asile ne doivent pas être regardés comme étant en séjour irrégulier, leur présence sur le territoire étant justifiée par un besoin de protection ([170]). De ce fait, ils ne doivent pas, en principe, faire l’objet d’une rétention ([171]). Des exceptions sont possibles sous diverses conditions, qu’a recensées la Cour européenne des droits de l’homme – absence d’arbitraire, proportionnalité au but consistant à empêcher le séjour irrégulier sur le territoire, conditions de rétention appropriées à la situation de demandeur d’asile, durée raisonnable pour atteindre le but poursuivi ([172]). Le projet du Gouvernement y satisfait.

*

*     *

La Commission examine lamendement CL499 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Clémentine Autain. Nous demandons la suppression de l’article 18 afin de maintenir le droit au recours ainsi que les droits fondamentaux des personnes qui ont fait l’objet d’une mesure d’éloignement ou d’une interdiction de retour sur le territoire, mais qui ont postérieurement déposé une demande d’asile. Je sais que cela contrevient à votre logique générale : vous voulez poser un principe de privation de liberté, dans le cadre d’une assignation à résidence ou d’un placement en rétention, le temps « strictement nécessaire » à l’examen de la demande d’asile. Votre objectif est l’efficacité, là encore : vous cherchez à expulser plus vite et, pour vous, il n’est pas question de respecter les personnes étrangères concernées. Vous voulez contraindre les magistrats à prononcer une mesure privative de liberté pendant la durée du recours car vous présupposez que l’on essaiera de fuir. Voilà votre « équilibre » entre libertés fondamentales et fantasme d’efficacité en matière d’expulsion.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Cette mesure ne concerne en rien l’ensemble des demandeurs d’asile : elle ne vise que les étrangers reconnus dangereux par la justice pénale et qui ont été condamnés à une interdiction du territoire français, ou ceux identifiés par l’administration comme une menace à l’ordre public justifiant un arrêté d’expulsion. J’émets un avis défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Puis elle adopte successivement les amendements CL300, de cohérence, et CL301, de clarification rédactionnelle, de la rapporteure.

La Commission examine lamendement CL500 de Mme Muriel Ressiguier.

Mme Danièle Obono. Nous proposons un amendement de repli pour maintenir certaines garanties procédurales. À nos yeux, il est très grave de mettre fin au droit à un recours suspensif devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). En 2017, celle-ci a annulé 20 % des décisions de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), ce qui est considérable. Les dossiers d’un grand nombre de personnes qui méritaient la protection de la France n’ont donc pas été bien examinés. Avec ce projet de loi, elles risquent d’être exposées à des traitements inhumains ou dégradants hors de France. Notre pays doit garantir un examen sérieux de chaque demande d’asile ; c’est pourquoi nous demandons que les recours contre les décisions de rejet ou d’irrecevabilité de l’OFPRA aient un caractère suspensif. Cela évitera par ailleurs la création de nouveaux contentieux devant les tribunaux administratifs, lesquels sont déjà engorgés et manquent de moyens.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Il me paraît normal qu’une décision d’éloignement fondée sur des motivations relatives à la protection de l’ordre public puisse être exécutoire. Par conséquent, avis défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Puis elle adopte successivement les amendements CL302, rédactionnel, et CL303, visant à corriger une erreur de référence, de la rapporteure.

Elle adopte ensuite larticle 18 modifié.

Après l’article 18

La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL206 de M. Éric Diard et CL267 de M. Éric Ciotti.

Mme Valérie Boyer. Lorsqu’un État refuse d’accueillir un de ses ressortissants qui fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF), il en résulte pour notre pays des dépenses publiques au plan administratif comme judiciaire. La France devrait alors prendre ses responsabilités en suspendant, en gelant ou en diminuant les aides publiques au développement versées à l’État concerné. Tel est l’objet de notre amendement CL206.

Nous avons déjà eu ce débat hier : je pense important de revoir nos relations avec des États très proches de nous diplomatiquement, mais qui refusent systématiquement de reprendre leurs ressortissants. J’ai pu constater en visitant des CRA, notamment à Marseille, que le travail réalisé par les forces de police est entravé par la non-délivrance des laissez‑passer consulaires. On se moque de nous en refusant les reconduites tantôt par bateau, tantôt par avion, et en mettant des freins à tous les stades d’une procédure qui conduit à mobiliser de nombreux agents des forces de l’ordre. Une bonne partie des 120 policiers du CRA de Marseille s’occupe des reconduites dans les pays d’origine sans que cela fonctionne. Lorsqu’il s’agit de pays avec lesquels nous entretenons des relations proches et quasiment fraternelles, la moindre des choses serait que des liens de confiance s’installent. Si ce n’est pas le cas, regardons les financements. Il n’est pas normal que le Maroc n’accepte personne, par exemple, et que l’Algérie refuse la plupart de ses ressortissants.

M. Guillaume Larrivé. Nous aurons l’occasion de reparler dans l’hémicycle de ce sujet, qui n’est pas complètement d’ordre législatif. Le CL267, comme le précédent, sont donc des amendements d’appel. Nous savons bien que la conditionnalité de l’aide publique au développement (APD) est difficile à mettre en œuvre car la politique étrangère suit des considérations diverses, qui ne relèvent pas uniquement de la politique d’immigration. Néanmoins, nous demandons que l’on évoque la question des laissez-passer consulaires dans le cadre d’un dialogue sérieux avec les pays d’origine, en liant cette question avec celle de l’APD. Certains de vos prédécesseurs, tous éminents, monsieur le ministre d’État, ont essayé de négocier des accords de gestion concertée des flux migratoires et de co-développement avec certains pays, notamment d’Afrique subsaharienne. Je ne sais pas si cela existe encore concrètement, mais c’est en tout cas ce que nous avons essayé de faire il y a dix ans.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Avis défavorable pour les mêmes raisons qu’hier.

Mme Clémentine Autain. Cet amendement consiste presque à mettre en question la logique même de l’aide au développement, dont il faut reconnaître l’objectif. Je saisis cette occasion pour rappeler l’idée que nous défendons également en commission des Affaires étrangères, et qui a toute sa place ici : l’aide publique au développement accuse un retard du fait des gouvernements successifs, en particulier du vôtre, monsieur le ministre, en dépit de l’engagement pris par M. Macron que le rythme actuel ne permettra pas de l’honorer. Je regrette que votre Gouvernement ne prévoie pas un pendant direct en matière d’aide au développement ; c’est inadmissible.

La Commission rejette successivement les amendements CL206 et CL267.

Puis elle examine lamendement CL516 de Mme Stella Dupont.

Mme Sandrine Mörch. L’amendement est défendu.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Avis défavorable comme à toutes les demandes de rapport.

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. Je vous ai indiqué hier que nous consentirions un effort considérable en faveur des centres de rétention administrative. Comme vous l’a rappelé Mme la présidente, chaque député peut s’autosaisir pour examiner l’état des politiques gouvernementales. Je vous propose, madame la députée, de faire le point ensemble d’ici au mois de novembre, date de l’entrée en vigueur de la loi. En attendant, j’émets un avis défavorable sur la forme, mais ouvert dans l’esprit.

Mme Sandrine Mörch. Suite au débat d’hier, nous souhaitions que cela soit dit et entendu. Je vous en remercie.

M. Guillaume Larrivé. Une fois n’est pas coutume, j’estime qu’un rapport est très utile : celui qui est prévu par le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, autrefois appelé « rapport orange », que le ministère produit chaque année. Il ne me semble pas l’avoir reçu récemment alors qu’il est extrêmement utile, car il contient tous les chiffres et les évaluations nécessaires.

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. Il est en cours de parution.

M. Guillaume Larrivé. Il aurait été utile d’en disposer avant le débat, car c’est une mine d’informations sur l’immigration.

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. Sur des questions aussi sensibles que l’asile et l’immigration, il est essentiel de garantir la plus grande transparence et que tous les chiffres soient communiqués afin de mesurer l’évolution de la situation. C’est en réfléchissant à partir de données concrètes que le débat prend corps et sort du seul champ théorique. De ce point de vue, je suis favorable à la transparence totale.

M. Guillaume Larrivé. Je saisis la balle au bond : je crois comprendre que vous êtes destinataire d’un tableau de bord mensuel concernant les chiffres de l’immigration – y compris les visas et les mesures d’éloignement et de séjour. À ma connaissance, ce tableau de bord n’est pas publié. Il serait pourtant utile au débat public que le pouvoir exécutif partage chaque mois des indicateurs chiffrés avec le pouvoir législatif.

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. Comme pour la police de sécurité du quotidien, monsieur Larrivé, nous préférons une évaluation globale a posteriori à une politique du chiffre.

Lamendement est retiré.

Chapitre IV
Contrôles et sanctions

Article 19
(art. L. 61111, L. 6113 et L. 6212 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile ; art. 4418 du code pénal)
Mesures de contrôle et sanctions attachées à la police des étrangers

Résumé du dispositif et effets principaux :

L’article 19 renforce les mesures de contrôle et les sanctions attachées à la violation des prescriptions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Il porte à 24 heures la durée de la retenue pour vérification d’identité ; il autorise les agents de police judiciaires à exécuter certaines tâches ; il permet l’inspection visuelle et la fouille des bagages de l’étranger sans son accord ; il facilite la prise des empreintes digitales et d’une photographie à fin d’identification et réprime le refus de déférer d’une sanction pénale. Le dispositif proposé élargit également la définition pénale de la fraude documentaire, dont la répression est étendue aux outre-mer.

Dernières modifications législatives intervenues :

La retenue pour vérification du droit de circulation et de séjour a été créée par la loi n° 2012-1560 du 31 décembre 2012.

Modifications apportées par la commission des Lois :

Trois amendements rédactionnels ont été adoptés par la Commission.

1.   Le dispositif de retenue pour vérification du droit de circulation et de séjour

a.   L’état du droit

La loi n° 2012-1560 du 31 décembre 2012, relative à la retenue pour vérification du droit au séjour et modifiant le délit d’aide au séjour irrégulier pour en exclure les actions humanitaires et désintéressées, a dépénalisé l’infraction de séjour irrégulier sur le territoire national. Adoptée par le législateur à la suite de décisions de la Cour de justice de l’Union européenne ([173]) et de la Cour de cassation ([174]), la loi excluait le placement en garde à vue d’un étranger à l’occasion d’une procédure diligentée du seul chef de séjour irrégulier.

Afin de permettre le respect des dispositions de police des étrangers, la même loi a créé, en contrepartie de la disparition de la garde à vue, la retenue pour vérification du droit de circulation et de séjour ([175]). Cette procédure prévoit qu’un étranger qui n’est pas en mesure de justifier de son droit de circuler ou de séjourner en France peut être retenu dans un local de police ou de gendarmerie par un officier de police judiciaire aux fins de vérification pendant une durée maximale de seize heures, dans le respect des exigences de la Constitution ([176]).

L’étude d’impact jointe au projet de loi dénombre 29 947 retenues en 2013, 43 765 en 2016 et 33 711 pour le seul premier semestre 2017. De plus, alors que 8,7 % des éloignements avaient échoué au premier semestre 2012 en raison d’une irrégularité dans la garde à vue, le taux d’échec à l’éloignement lié à l’irrégularité de la retenue pour vérification du droit de circulation ou de séjour n’était que de 1,2 % en 2017.

Le déroulement d’une retenue pour vérification du droit de circulation et de séjour est le suivant :

–  transport au local de police, la retenue commençant au moment de la présentation, ou de la non-présentation, des pièces et documents d’identité ;

–  information du retenu sur ses droits et exercice de ceux-ci – interprétariat, conseil d’un avocat, examen par un médecin, alerte des autorités consulaires et de toute autre personne ;

–  audition de la personne retenue ;

–  investigation sur les déclarations de la personne retenue et consultation des différents fichiers à la disposition des autorités de police ;

–  s’il y a lieu, prise d’empreintes des digitales aux fins d’identification ;

–  instruction par les services préfectoraux en charge des décisions administratives ;

–  notification de ces décisions à la personne retenue.

b.   Les dispositions du projet de loi

L’étude d’impact jointe au projet de loi souligne l’insuffisance de la durée maximale de seize heures de la retenue pour vérification du droit de circulation et de séjour pour effectuer les diligences requises, notamment en cas d’interpellation en fin de journée ou en fin de semaine qui nécessite un contact avec l’administration préfectorale, dont les horaires de travail ne sont pas les mêmes que ceux des services de police. La vérification d’identité prévue à l’article 78‑3 du code de procédure pénale, qui peut donner lieu à une rétention de quatre heures, s’impute, le cas échéant, sur la durée de la retenue pour vérification du droit de circulation et de séjour.

En conséquence, le c) du 1° du I de larticle 19 du projet de loi allonge à vingt-quatre heures la durée maximale de la retenue pour vérification du droit de circulation et de séjour.

2.   La prise des empreintes digitales et d’une photographie pendant la retenue pour vérification du droit de circulation et de séjour

a.   L’état du droit

Le législateur de 2012 a autorisé la prise des empreintes digitales et photographies des personnes retenues si celle-ci représente l’unique moyen d’établir la situation de la personne. L’article L. 611‑1‑1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile la subordonne à l’information préalable du procureur de la République.

Cette rédaction s’inspire de l’article 78-3 du code de procédure pénale, relatif aux vérifications d’identité, autre procédure d’identification des personnes ne supposant aucune infraction pénale ([177]).

La considération en dernier recours de la prise d’empreintes digitales et de photographies a pour effet de repousser le moment où les forces de l’ordre vérifient effectivement le droit de la personne retenue à circuler et à séjourner en France. Cette rédaction a donc pour effet de prolonger des retenues qui pourraient pourtant être levées si le recours aux données biométriques était autorisé plus tôt ([178]).

Si elle n’est suivie à l’égard de l’étranger retenu d’aucune procédure d’enquête ou d’exécution adressée à l’autorité judiciaire et si elle n’a entraîné aucune décision administrative, la vérification du droit de circulation ou de séjour ne peut donner lieu à une mise en mémoire sur fichiers. Le procès-verbal relatant les opérations et toutes les pièces se rapportant à la vérification sont détruits dans un délai de six mois.

L’article L. 611‑3 réprime d’un an d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende le refus de se soumettre à la prise d’empreintes digitales et de photographie par les étrangers en situation irrégulière en France, à ceux faisant l’objet d’une mesure de non-admission ou d’éloignement, ou encore aux bénéficiaires de l’aide au retour.

b.   Les dispositions du projet de loi

Le e) du 1° du I de larticle 19 procède à une réécriture de l’article L. 611‑1‑1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile précisant que les empreintes digitales et une photographie peuvent être collectées pendant la retenue pour les nécessités de la vérification du droit de circulation ou de séjour de l’étranger. Elles ne peuvent être conservées à l’issue de la retenue que s’il est apparu que l’étranger se trouve en situation irrégulière sur le territoire.

Outre les droits dont bénéficie l’étranger retenu, les garanties prévues à l’article L. 611-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile sont maintenues inchangées :

–  contrôle par un officier de police judiciaire ou sous sa responsabilité ;

–  qualité d’étranger de la personne contrôlée déduite de circonstances extérieures à sa personne ;

–  vérification ponctuelle et non contrôle systématique des personnes présentes dans le lieu considéré.

Le Conseil d’État a approuvé cette disposition, estimant que « la collecte des photographies et empreintes des étrangers qui ne peuvent présenter lesdits documents [de voyage], à la seule fin détablir leur droit de circuler et de séjourner par comparaison avec les données figurant dans des fichiers existants, ne constitue pas une collecte disproportionnée de ces données ([179]) ».

Le dispositif a également été soumis à la Commission nationale de l’informatique et des libertés ([180]). La CNIL a constaté « lintérêt légitime que constitue la lutte contre le séjour irrégulier » tout en nourrissant des doutes sur « la proportionnalité de cette collecte de données biométriques ». Le Gouvernement a toutefois assuré qu’elle n’entraîne pas la création d’un nouveau traitement automatisé de données : les données susceptibles d’enregistrement sont conservées dans l’application existante de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France et aux titres de séjour et aux titres de voyage des étrangers (AGDREF) ([181]). L’article L. 611‑3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile permet déjà que les empreintes digitales ainsi qu’une photographie puissent être relevées, mémorisées et faire l’objet d’un traitement automatisé lorsque les personnes sollicitent la délivrance d’un titre de séjour, sont en situation irrégulière en France ou font l’objet d’une mesure d’éloignement.

Le relevé demeure soumis à l’information systématique du procureur de la République et la prise d’empreintes n’est qu’une faculté ouverte aux services de police sous le contrôle du juge judiciaire. Une prise irrégulière serait de nature à vicier la procédure et à conduire le juge des libertés et de la détention à annuler un placement en rétention.

En outre, le 2° du I de larticle 19 renforce la sanction du refus de se soumettre à la prise d’empreintes digitales et de photographie en ajoutant, à la peine d’amende délictuelle déjà prévue, une peine d’interdiction du territoire français (ITF) d’une durée ne pouvant excéder trois ans. Le Gouvernement a écarté la perspective d’une peine d’emprisonnement, qui aurait retardé d’autant la décision d’éloignement ([182]). Il a privilégié le recours à l’ITF qui comporte une dimension dissuasive contribuant ainsi aux objectifs de la directive, comme l’a reconnu la Cour de justice de l’Union européenne ([183]), et qui simplifie grandement un éventuel futur éloignement en le soustrayant au contrôle du juge administratif.

3.   La compétence des agents de police judiciaire pour mener la retenue pour vérification du droit de circulation et de séjour

En application de l’article L. 611-1-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, la retenue aux fins de vérification du droit de circulation ou de séjour sur le territoire français est menée par un officier de police judiciaire ou, sous son contrôle, par un agent de police judiciaire.

Afin de simplifier la conduite de la retenue pour vérification du droit de circulation et de séjour, les a) et b) du 1° du I de larticle 19 autorisent l’officier de police judiciaire à déléguer certaines tâches à des agents de police judiciaire – consultation des fichiers, information de l’étranger à propos de ses droits et de la durée de la retenue. L’officier reste cependant responsable des opérations : lui seul ordonne la retenue, lui seul établit le procès-verbal des opérations, lui seul supervise l’audition de l’étranger retenu.

« Dès lors que cette mesure ne modifie pas les règles de consultation propres à chacun des fichiers et que la mesure dont il sagit ne doit pas déboucher sur une procédure pénale, le Conseil dÉtat a estimé que la mesure pouvait être regardée comme ne soulevant pas de difficultés constitutionnelles ([184]). »

4.   L’inspection visuelle des effets personnels et des bagages au cours de la retenue pour vérification du droit de circulation et de séjour

Dans le cadre de la retenue pour vérification du droit de séjour et de circulation prévu à l’article L. 611‑1‑1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, rien n’est indiqué quant à l’inspection visuelle des effets personnels et des bagages du retenu. Ces investigations peuvent pourtant aider les services de police à caractériser le droit de séjour et de circulation ou, au contraire, son absence. Elles ont lieu, aujourd’hui, sans base légale.

Afin de pallier cette carence, les d) et f) du 1° du I de larticle 19 définissent les finalités de ces opérations et les placent sous le contrôle d’un officier de police judiciaire. Elles sont subordonnées à la présence de l’intéressé et à son accord ou, à défaut, à l’information du ministère public ([185]). Mention est portée au procès-verbal de la retenue soumis à l’émargement de l’intéressé et transmis au procureur de la République. Toute découverte d’infraction donne lieu à la rédaction d’un procès-verbal distinct.

En soulignant que « la fouille dun individu pour prévenir une menace à lordre public ou à la sécurité des personnes est déjà possible en application des dispositions du code de procédure pénale », le Conseil d’État a estimé que « linformation du procureur de la République quimpose le projet de loi si létranger refuse de donner son accord à la fouille de ses bagages, constitue une garantie suffisante pour satisfaire les exigences constitutionnelles, compte tenu de ce que la procédure de retenue fait elle-même lobjet dune information du procureur dès son déclenchement, de ce quil est possible pour ce dernier de mettre fin à tout moment à la mesure et de ce que les motifs autorisés pour procéder à la fouille sont strictement circonscrits » ([186]).

5.    La conséquence d’une décision de justice européenne

L’article L. 621‑2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile réprime d’une peine d’emprisonnement d’un an et d’une amende de 3 750 euros l’étranger non ressortissant d’un État membre de l’Union européenne qui entre en France en franchissant irrégulièrement une frontière intérieure de l’espace Schengen. Conformément à l’article 62‑2 du code de procédure pénale, ce délit puni d’une peine d’emprisonnement est susceptible de justifier un placement en garde à vue.

Le 22 mars 2013, Mme Sélina Affum, de nationalité ghanéenne, a été interceptée au point d’entrée du tunnel sous la Manche, à bord d’un autobus en provenance de Belgique et à destination du Royaume-Uni. Ayant présenté un passeport belge comportant la photographie, elle a été placée en garde à vue pour entrée irrégulière sur le territoire français. Les autorités françaises ont ensuite demandé sa réadmission à la Belgique.

La Cour de justice de l’Union européenne a rappelé une jurisprudence constante selon laquelle la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, dite directive Retour, s’oppose à toute réglementation d’un État membre qui réprime le séjour irrégulier par l’emprisonnement d’un ressortissant d’un pays extérieur à l’UE, pour lequel la procédure de retour établie par cette directive n’a pas encore été menée à son terme ([187]). La Cour a ensuite constaté que l’entrée irrégulière constitue l’une des circonstances de fait qui peut conduire au séjour irrégulier : l’étranger doit être soumis à la procédure de retour prévue par la directive en vue de son éloignement ; aucune peine d’emprisonnement ne lui est applicable, car contraire à l’effet utile de la directive qui affirme la priorité des procédures de retour ([188]).

En conséquence, le 3° du I de larticle 19 abroge l’incrimination. Il n’est pas utile de laisser subsister le délit en le réprimant seulement d’une amende, tout son intérêt dans une perspective de police des étrangers résidant précisément dans la peine d’emprisonnement qui lui était attachée et qui permettait aux forces de l’ordre de décider un placement en garde à vue.

6.    La sanction de la fraude documentaire

L’article 441-8 du code pénal, qui résulte de la loi n° 2016‑274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France, réprime de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende « le fait dutiliser un document didentité ou de voyage appartenant à un tiers, avec ou sans son consentement, aux fins dentrer ou de se maintenir sur le territoire de lespace Schengen ou dobtenir indûment un titre, une qualité, un statut ou un avantage ». Le titulaire du document qui facilite la commission de l’infraction s’expose aux mêmes peines, qui sont aggravées lorsque l’infraction est commise de manière habituelle. L’étude d’impact jointe au projet de loi fait état du caractère excessivement restrictif de l’incrimination, qui ne couvre pas la totalité des cas de fraude documentaire au séjour.

Le II de larticle 19 étend les prescriptions de l’article 441‑8 du code pénal à l’usage frauduleux des titres de séjour qui permettent, accompagnés d’un passeport étranger, d’entrer sur le territoire sans disposer d’un visa, de s’y maintenir et, dans la plupart des cas, d’y travailler. Par ailleurs, alors que l’infraction est aujourd’hui limitée à l’entrée et au maintien dans l’espace Schengen – donc au territoire métropolitain –, le projet de loi l’étend à l’ensemble du territoire national, soit également aux outre-mer.

*

*     *

La Commission examine lamendement CL105 de Mme Marietta Karamanli.

M. Hervé Saulignac. Cet amendement vise, d’une part, à supprimer l’article qui aligne les conditions de la retenue pour vérification du droit de circulation et de séjour sur le régime de la garde à vue – car rien ne justifie la garde à vue en l’absence d’infraction – et, d’autre part, à maintenir l’abrogation des dispositions sanctionnant d’une peine d’emprisonnement l’entrée irrégulière sur le territoire métropolitain en provenance d’un autre État membre de l’Union européenne, conformément à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. J’émets un avis défavorable à la suppression des dispositions de l’article 19 car, tout au long de nos auditions, les forces de l’ordre ont présenté l’allongement de la durée de la retenue administrative comme une mesure opérationnelle essentielle. Quant au délit d’aide au séjour, le débat aura lieu à l’occasion de l’examen des amendements après l’article 19.

La Commission rejette lamendement.

Puis elle examine lamendement CL504 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Clémentine Autain. Par cet amendement de repli, nous souhaitons préserver le droit à la sûreté et la liberté d’aller et de venir – qui, accessoirement, sont consacrés par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 – en mettant fin au régime dérogatoire du droit commun qu’est la retenue pour vérification du droit au séjour.

Vous entendez instaurer un régime « d’entre-deux », une sorte de version bis ou dégradée du régime de la garde à vue. Le Gouvernement reconnaît lui-même à la page 157 de son étude d’impact que « ce régime est calqué sur celui de la garde à vue alors que les deux mesures répondent à des finalités différentes et donc placent lintéressé dans une situation juridique sans comparaison ». Cette retenue pour vérification du droit au séjour est le symbole de votre volonté de criminalisation des étrangers et de pénalisation du séjour irrégulier sur le territoire français.

Avant la loi de 2012, l’autorité administrative avait recours à la garde à vue pour vérifier le droit au séjour, ce qui a valu des condamnations en chaîne, non seulement par la Cour de Justice de l’Union européenne mais surtout par des arrêts de principe de la Cour de cassation qui a clairement établi le principe selon lequel un étranger ne peut être placé en garde à vue lorsqu’il n’est poursuivi que pour entrée ou séjour irrégulier. Le législateur a donc choisi de créer la retenue pour vérification alors même que la procédure d’audition libre, moins coercitive, correspondait parfaitement à l’objectif fixé. Vous préférez au contraire instaurer une procédure qui fait la preuve de son inefficacité, comme en atteste l’étude d’impact sans ambiguïté. Pourquoi cette incohérence ?

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Gardons-nous de susciter une quelconque confusion en employant des termes tels que « criminalisation ». C’est la moindre des choses que de laisser la vérification de l’identité des étrangers sans droit ni titre aux mains de la police. Pour ce faire, la retenue administrative est essentielle, et son aménagement par l’allongement de sa durée et l’attribution des moyens d’investigation à la police est parfaitement correct. Avis défavorable.

M. Sacha Houlié. Cette mesure a été analysée autrement que par l’étude d’impact : dans le rapport sur l’application de la loi du 7 mars 2016 de nos collègues Jean‑Michel Clément et Guillaume Larrivé, M. Clément a précisément proposé d’allonger de seize à vingt-quatre heures la durée de la rétention administrative pour vérification du droit au séjour afin de faciliter le travail des forces de police et de gendarmerie. Suite à cette préconisation, c’est la durée de vingt-quatre heures qui figure dans le texte.

Mme Clémentine Autain. Permettez-moi de répondre sur l’emploi du terme « criminalisation » afin que chacun comprenne de quoi nous parlons. Il s’agit de personnes qui se trouveront en garde à vue.

M. Florent Boudié. Pas du tout !

M. Sacha Houlié. Il s’agit d’une retenue pour vérification du droit au séjour !

Mme Clémentine Autain. Soit : combien de temps ces personnes seront-elles retenues ? Ces procédures ressemblent aux procédures appliquées aux personnes accusées de crimes ou de délits ; voilà ce dont il est question !

M. Florent Boudié. Ce n’est donc qu’une ressemblance…

M. Guillaume Larrivé. Pour démontrer que mon opposition au texte est le fruit d’une réflexion technique, je précise que j’approuve entièrement l’article 19. Avant 2012, madame Autain, le séjour irrégulier était en effet un délit. Les forces de l’ordre avaient la possibilité de placer les étrangers en situation irrégulière en garde à vue sur le fondement de ce délit. La directive « Retour » de 2008, signée par la France, a contraint le législateur à évoluer et, en décembre 2012, alors que M. Valls était ministre de l’Intérieur, il a fait le choix d’adopter un système de retenue qui, en réalité, a en partie rendu la police aux frontières aveugle. Lorsque M. Clément et moi-même avons auditionné la direction centrale de la police aux frontières il y a quelques mois, il nous a été expliqué que du fait de la loi de 2012, la police aux frontières ne pouvait plus prendre les empreintes digitales des étrangers en situation irrégulière.

Dans ces conditions, l’article 19, que je voterai, ne rétablira certes pas le régime de garde à vue puisque la directive « Retour » de 2008 l’interdit, mais renforcera – c’est bien son objectif – le degré de contrainte du mécanisme de retenue en allongeant notamment sa durée, pour permettre à la police aux frontières de réprimer l’immigration irrégulière avec plus de fermeté.

La Commission rejette lamendement.

Puis elle examine lamendement CL501 de M. Loïc Prudhomme.

Mme Danièle Obono. Cet amendement supprime les alinéas 3 et 4 qui consistent, selon la volonté du Gouvernement, à étendre à la quasi-totalité du personnel de sécurité le droit de procéder à une retenue pour vérification du droit au séjour. Loin d’être légère, cette procédure entraîne une privation de liberté et doit donc être strictement encadrée afin de protéger les droits des administrés.

Aujourd’hui, seuls les agents et les officiers de police judiciaire peuvent procéder à ces retenues pour vérification. La raison en est simple : leur grade leur confère un haut niveau de responsabilité et, par conséquent, des pouvoirs étendus. Malheureusement, le dispositif que vous proposez permet de prendre des mesures gravement attentatoires aux libertés de telle sorte que les policiers municipaux, les adjoints de sécurité, les fonctionnaires communaux et intercommunaux, les volontaires servant en qualité de militaires dans la gendarmerie ainsi que les militaires servant au titre de la réserve opérationnelle pourront procéder à ces retenues. Autrement dit, il s’agit de personnes qui n’ont pas été formées pour effectuer ces missions et qui n’ont ni demandé à les exercer ni signé pour cela.

Ainsi, non seulement les administrés de nationalité étrangère ont droit à une justice bis et à des droits procéduraux dégradés, mais leurs garanties procédurales sont elles aussi dégradées. Voilà pourquoi nous proposons de supprimer ce dispositif.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Des tâches simples comme la prise de photographie et d’empreintes, qui sont visées ici, peuvent être exécutées par d’autres que les seuls officiers de police judiciaire ; cela contribuera à améliorer l’organisation des tâches confiées aux services de police. Je rappelle toutefois que les officiers de police judiciaire conservent la supervision de la procédure et, in fine¸ sa responsabilité. Avis défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Elle passe à lamendement CL502 de Mme Danièle Obono.

Mme Clémentine Autain. Vous entendez étendre considérablement la catégorie des personnes habilitées à prendre des mesures attentatoires aux droits et aux libertés, plutôt que de simplement recruter des officiers de police judiciaire. Concrètement, cela signifie que la maîtrise de la dépense publique prime sur les garanties procédurales inhérentes à l’état de droit, et que les administrés de nationalité étrangère ne méritent pas de véritables garanties procédurales, celles-ci étant trop coûteuses aux yeux du Gouvernement.

Par cet amendement, nous souhaitons limiter la casse et sauvegarder la dignité de cette Assemblée en proposant que le contrôle et la supervision de l’officier de police judiciaire soient réels et matériels, afin d’éviter les dérives autoritaires auxquelles cet article est susceptible de donner lieu. Il est indispensable que les officiers de police judiciaire soient aux côtés des agents qui effectuent les retenues sans en avoir la qualification, puisque eux seuls ont été formés à cet effet. Cela permettra d’éviter au maximum le phénomène du « contrôle depuis son bureau » où, par définition, l’officier de police judiciaire ne se trouve pas sur place et laisse les mains libres à des contractuels qui n’étaient pas policiers à peine six mois avant, ou à des militaires qui n’ont jamais signé pour cela, ou encore à des gardes champêtres qui ont sans doute mieux à faire que de faire appliquer le droit des étrangers.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Je n’ai pas saisi s’il s’agissait ou non d’humour dans la rédaction de votre amendement. Avis défavorable, dès lors que l’officier de police judiciaire exerce la supervision et la responsabilité du dispositif.

La Commission rejette lamendement.

Elle adopte lamendement de conséquence CL306 de la rapporteure.

Puis elle examine lamendement CL503 de M. Éric Coquerel.

Mme Danièle Obono. Cet amendement vise à supprimer une mesure qui remet en cause au moins deux droits humains : le premier, le droit à la sûreté, est imprescriptible et inaliénable ; le second est la liberté d’aller et venir. En proposant d’allonger de seize à vingt‑quatre heures la durée de la retenue pour vérification, vous proposez une mesure injustifiable et totalement inutile. Comment justifier de priver pendant plus de huit heures supplémentaires les personnes faisant l’objet d’une telle vérification ? A priori, rien, sinon la volonté du Gouvernement de donner encore plus de pouvoir de police à des contractuels et à des militaires. Il suffit pour s’en convaincre de lire l’étude d’impact de ce projet de loi : il n’y est fait nulle mention des droits et libertés des personnes, mais il y est en revanche précisé qu’il résulterait de cette mesure « un gain significatif dans lorganisation du travail au sein des services de police et des unités de gendarmerie ». Il nous semble que la priorité, plutôt que d’être celle-ci, devrait consister à garantir les droits. Voilà pourquoi nous proposons de supprimer cette prolongation.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Je précise une nouvelle fois qu’il s’agit d’une vérification d’identité effectuée par des services de police qui, pour ce faire, ont aussi besoin de se tourner vers les services préfectoraux. J’imagine que vous êtes comme moi attachée au temps de travail des fonctionnaires des préfectures, qui ne travaillent pas vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Il ne s’agit que d’une mesure opérationnelle permettant aux services de police de travailler avec les préfectures. Avis défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Elle est saisie de lamendement CL505 de Mme Muriel Ressiguier.

Mme Clémentine Autain. Ce nouvel amendement de repli vise à préserver les droits et les libertés fondamentales des personnes en supprimant le régime d’inspection des bagages et de fouilles de la personne faisant l’objet d’une retenue pour vérification du droit au séjour. En effet, vous proposez une nouvelle fois un régime bis et dégradé, moins protecteur que ce qui pourrait être mobilisé en l’état actuel du droit.

Le régime dérogatoire proposé est enclenché non plus sur réquisition d’un magistrat – le procureur de la République – mais sur décision d’un agent lambda « sous contrôle de lofficier de police judiciaire », qui n’aura plus qu’à « informer par tout moyen » le ministère public. Imaginons une situation concrète – vous y verrez sans doute encore de l’humour mais il n’en est rien, ou alors c’est un humour noir – dans laquelle s’appliquera ce dispositif : un militaire, un agent contractuel voire un garde champêtre pourra, de sa propre initiative, priver un être humain de sa liberté pendant vingt-quatre heures et fouiller dans ses affaires, tout cela « sous le contrôle » d’un officier de police judiciaire se trouvant à quarante-cinq kilomètres de la scène, et en informant le procureur de la République par un courriel – qui ne sera peut-être jamais lu – ou un SMS, un coup de fil voire une lettre qui lui parviendra deux jours plus tard.

Ce système nous semble glaçant. Si l’un de vos proches subissait une telle procédure, je ne crois pas que vous trouveriez l’affaire supportable. Dans ce cas, nous ne cesserons de répéter qu’il ne s’agit que d’un problème de moyens. Vous ne consacrez pas les moyens nécessaires car vous êtes dans une logique d’austérité budgétaire. Les droits humains sont massacrés sur l’autel de cette règle d’or.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. La vérification des effets personnels ne peut avoir lieu qu’après information du procureur, selon une procédure assez comparable à celle du code de procédure pénale que vous visez vous-même dans l’exposé sommaire de votre amendement. Cette mesure régularise une pratique aujourd’hui exercée sans encadrement législatif. Avis défavorable.

M. Guillaume Larrivé. L’expression « agent lambda » est particulièrement méprisante à l’endroit des militaires de la gendarmerie nationale et des fonctionnaires de la police nationale. Que signifie cette formule ? Il s’agit de militaires et de fonctionnaires qui exercent leur office au service de la République, par délégation du Gouvernement et sous le contrôle du Parlement. Ils ne méritent pas votre mépris.

Mme Clémentine Autain. N’ergotons pas sur tel ou tel terme : je parle d’agents qui n’ont pas le grade ou la fonction permettant de répondre aux situations en cause. Il ne s’agit aucunement de mépris. Au contraire, nous souhaitons que soient respectées les procédures et les fonctions des uns et des autres. La réduction des budgets nous oblige à tirer les procédures vers le bas ; cela affecte les étrangers mais, si d’autres catégories de population étaient concernées, nous constaterions sans doute une bronca, y compris dans cette salle. Vous nous accusez de mépriser l’agent lambda : pas du tout, nous le respectons. En revanche, ce texte incarne un pur mépris à l’égard des étrangers, qui ne sont pas considérés comme des êtres humains protégés par des droits et des libertés fondatrices de notre République.

La Commission rejette lamendement.

Elle passe à lamendement CL778 de Mme Valérie Boyer.

Mme Valérie Boyer. L’article 19 va dans la bonne direction mais, s’agissant des fouilles, il faudrait aller plus loin encore. Je rappelle que nous sommes en guerre contre l’islamisme radical et le terrorisme. 31 terroristes ont frappé la France depuis 2012. Je souhaite que nous allions plus loin.

Je découvre dans un article de la presse du matin que la police a procédé en cinq mois à neuf perquisitions et à trente-six mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance contre respectivement 4 469 et 754 au cours des deux années d’état d’urgence. C’est la raison pour laquelle, à la fin de l’état d’urgence, nos forces de l’ordre n’ont plus le droit de contraindre un individu à ouvrir le coffre de sa voiture ni à montrer le contenu de ses bagages en dehors d’un périmètre de protection préalablement défini. L’article 19 prévoit que « pour les seules nécessités de la vérification du droit de séjour et de circulation il peut être procédé, sous le contrôle de lofficier de police judiciaire et en présence de létranger, avec laccord de ce dernier ou, à défaut, après avoir informé par tout moyen le procureur de la République, à linspection de ses bagages et effets personnels et à leur fouille ».

Une fois encore, nous allons alourdir le travail des forces de l’ordre, et ce uniquement pour vérifier le droit de séjour et de circulation d’une personne étrangère. Une fois encore, nous organisons notre propre impuissance et nous nous mettons des bâtons dans les roues en compliquant les procédures au lieu de les simplifier. C’est pourquoi, par mesure d’efficacité, je souhaite supprimer l’obligation de consentement prévue à l’article 19.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Votre proposition serait tout à fait attentatoire aux libertés fondamentales. Je vous rappelle que l’Assemblée a adopté une loi relative à la lutte contre le terrorisme ; ce n’est ici pas du tout l’objectif. Avis défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Puis elle adopte successivement les amendements de la rapporteure CL305, rédactionnel, et CL307, de coordination.

Elle examine ensuite lamendement CL506 de M. Loïc Prudhomme.

Mme Danièle Obono. Le présent amendement, lui aussi de repli, vise à préserver les droits et libertés des personnes. Il s’agit de respecter le travail des agents et des fonctionnaires qui nous font part des injonctions contradictoires qu’ils reçoivent : on leur demande de faire plus et mieux alors que leurs tâches se multiplient et ne correspondent pas à leur formation. La prise de conscience de ne pouvoir faire correctement leur travail leur cause beaucoup de souffrances. Il n’est donc pas question de mépris mais c’est, au contraire, par respect pour les fonctions et les responsabilités des uns et des autres, que nous insistons sur la situation à la fois des agents et des personnes migrantes. Nous condamnons les procédures dérogatoires proposées par cet article et en particulier, ici, la prise d’empreintes.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Je vous rappelle que l’article L. 611-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ordonne que « les personnes de nationalité étrangère doivent être en mesure de présenter les pièces ou documents sous le couvert desquels elles sont autorisées à circuler ou à séjourner en France ». Cette disposition permet de vérifier l’identité de l’étranger qui s’est soustrait à l’obligation de présenter ses papiers. Avis défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Elle examine ensuite lamendement CL207 de M. Éric Diard.

Mme Valérie Boyer. Les mesures d’inspection visées par le présent article étant effectuées sous le contrôle d’un officier de police judiciaire, il semble opportun de compléter le dispositif par une mesure de fouille corporelle afin de rendre les inspections plus efficaces.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Je vous rappelle qu’il est ici question de droit des étrangers et non de lutte contre le terrorisme. Votre amendement me semblant totalement inutile, j’émets un avis défavorable.

M. Robin Reda. Je ne comprends pas le sens de ce rapprochement : à aucun moment, nous n’évoquons la lutte contre le terrorisme. Il me semble par ailleurs qu’au cours de l’examen des articles précédents, il a été à plusieurs reprises question de menaces à l’ordre public dans des amendements auxquels vous étiez favorable, madame la rapporteure. Or, on a pu le constater, les simples inspections visuelles n’ont pas empêché que soient commis des actes de violence. Cet amendement mérite donc d’être examiné.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Un étranger retenu pour vérification d’identité n’est pas retenu pour menace à l’ordre public, faute de quoi il serait en garde à vue – la différence n’est pas minime. Il n’y a aucune raison de procéder à une fouille corporelle.

La Commission rejette lamendement.

Puis elle en vient à lamendement CL897 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Clémentine Autain. Cet amendement vise à en finir avec votre fameux régime dérogatoire du droit commun, celui de la retenue pour vérification du droit au séjour. Nous estimons que c’est un entre-deux dangereux. Encore une fois, cette procédure a été instaurée à la suite de condamnations de la France par des juridictions nationales et européennes. Ces condamnations sont réelles mais vous essayez de trouver un biais. Il nous semble, encore une fois, que rien ne justifie de priver de sa liberté une personne au motif qu’on veut contrôler son identité, qu’elle soit française ou non d’ailleurs. En renforçant cette procédure, notre crainte est que vous renforciez le contrôle au faciès. Nous avions proposé, à l’occasion d’une « niche parlementaire », des solutions pour y mettre fin ; or, j’y insiste, la généralisation du dispositif prévu à l’alinéa 10 nous préoccupe grandement.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Je ne vois pas bien le rapport avec le contrôle au faciès… Avis défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Puis elle examine lamendement CL462 de M. Erwan Balanant.

Mme Isabelle Florennes. Le présent amendement vise à supprimer la peine d’emprisonnement d’un an dont sont passibles les étrangers qui refusent de se soumettre à un relevé d’empreintes digitales alors qu’ils sont en situation irrégulière en France.

Nous pensons cette peine d’emprisonnement inopportune, en particulier si l’on s’en tient aux annonces réalisées début mars par le Président de la République, dont l’objectif, dans la perspective de la réforme de la justice, consiste à ne recourir aux peines de prison qu’en dernier recours.

Je vais vous faire part d’une anecdote, monsieur le ministre d’État. Lors de ma visite de la maison d’arrêt de Nanterre, le premier détenu que j’ai rencontré se débattait : il refusait de sortir pour ne pas être soumis à une obligation de quitter le territoire français (OQTF) prononcée à son encontre. Aussi ces peines d’emprisonnement peuvent-elles se révéler contre-productives.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Votre amendement vise à supprimer la peine d’emprisonnement en cas de refus de donner ses empreintes biométriques pendant une retenue. Or cette peine de prison permet une comparution immédiate. C’est la raison d’être de ce dispositif même si, sur le fond, je vous rejoins totalement.

Lamendement est retiré.

Elle en vient à lamendement CL507 de Mme Danièle Obono.

Mme Danièle Obono. L’existence d’un régime dérogatoire d’enregistrement des empreintes et de la photographie de la personne objet d’une retenue pour vérification du droit au séjour est très problématique. L’alinéa 10 permet « dassortir les sanctions pénales prononcées en cas de refus de prise dempreintes ou de photographie dune interdiction du territoire français dune durée nexcédant pas trois ans ». La question est de savoir quel en est le but. Pourquoi assortir un tel refus de trois ans d’emprisonnement pour les personnes de nationalité étrangère alors que cette durée ne peut excéder trois mois pour un citoyen français ? Pour le même acte, la peine encourue est multipliée par douze !

Nous ne comprenions déjà pas pourquoi un refus identique valait un an d’emprisonnement et 3 750 euros d’amende pour les uns et trois mois d’emprisonnement et la même amende pour les autres. Porter la peine encourue de un à trois ans nous apparaît terriblement injuste et certainement inutile.

Enfin, je réponds à la rapporteure qui nous a dit ne pas voir de lien entre la retenue pour vérification du droit au séjour et le contrôle au faciès. Vous avez dû entendre parler de l’un de nos concitoyens qui a été placé en centre de rétention administrative pour défaut de présentation de papiers… Je pense que ce genre d’épisodes très « agréables » a peut-être un lien avec ce qu’on appelle le contrôle au faciès, que vous y croyiez ou pas ; et ce jeune homme de vingt-trois ans, en tout cas, s’en souviendra très longtemps.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Encore une fois, la peine de prison prévue est nécessaire pour passer en comparution immédiate, ce qui est essentiel quand un étranger refuse de donner ses empreintes, et n’est possible que si la peine de prison encourue est de six mois. Avis défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Elle examine ensuite lamendement CL195 de M. Éric Diard.

M. Robin Reda. Il semble opportun de ne pas enfermer l’autorité administrative dans une durée maximale de trois ans lorsqu’elle prononce une interdiction de territoire français pour les étrangers qui ne se sont pas soumis au contrôle. Le but, la décision de l’autorité administrative étant nécessairement motivée, est de ne pas alourdir les procédures.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. La peine d’interdiction de territoire français est une sanction pénale. Le principe de légalité des peines exige, par conséquent, que la peine maximale que puisse prononcer le juge soit fixée par la loi. Avis défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Suivant lavis défavorable de la rapporteure, elle rejette lamendement CL273 de M. Éric Ciotti.

Puis elle en vient à lamendement CL508 de M. Éric Coquerel.

Mme Clémentine Autain. Le présent amendement concerne les travailleurs sans papiers. Si l’on suit votre logique, ce sont des personnes à réprimer et non des victimes du cynisme patronal – les patrons profitent du fait de pouvoir disposer de travailleurs à bas coût. Non, ce n’est pas votre problème puisque plutôt que de prévoir des pénalités pour les employeurs, vous traquez les travailleurs sans papiers.

Le fait d’utiliser un titre de séjour appartenant à un tiers afin d’entrer ou de rester sur le territoire français, pourrait désormais devenir passible de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. Pensez-vous sérieusement que ces travailleurs sans papiers sont en mesure de s’acquitter d’une telle amende alors qu’en général ils sont venus de loin, sans le sou, travaillent parfois plus que trente-neuf heures par semaine pour un salaire qui n’atteint même pas le revenu de solidarité active (RSA) – parce que vous savez très bien qu’il y a des intermédiaires qui se « sucrent » au passage et des patrons qui exploitent ces salariés ? J’en ai rencontré au sein de l’entreprise GLS (General Logistics Systems), près de Roissy ; ils étaient plusieurs dizaines à travailler nuit et jour parce que, précisément, ils sont victimes d’un système qui les met dans la misère.

Comment pouvez-vous imaginer que des personnes que vous voulez reconduire à la frontière fassent l’objet d’une peine de cinq ans de prison et d’une amende de 75 000 euros ! Tout cela me paraît illusoire, disproportionné, délirant et sans doute conforme à votre logique puisque, selon vous, les sans-abri sont libres de dormir dehors… Or, concernant les exploiteurs et les exploités, nous voyons, nous, les choses dans le bon sens, celui de la réalité dont vous êtes loin.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Les alinéas visés ont pour but la lutte contre la fraude documentaire et la pratique du travail illégal. Avis défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Puis elle adopte larticle 19 modifié.

*

*     *

La Commission examine lamendement CL146 de M. Éric Ciotti.

M. Guillaume Larrivé. Le texte n’aborde pas la question soulevée par le présent amendement, celle des conditions d’accès par les ressortissants étrangers à un certain nombre de prestations sociales. Plusieurs de ces prestations sont conditionnées à une durée de séjour légale et stable tandis que d’autres ne font pas l’objet de cette condition de résidence. Nous proposons ici, avec M. Éric Ciotti et l’ensemble des députés du groupe Les Républicains, d’instaurer une condition de séjour légal de deux années pour l’accès, d’une part, aux prestations familiales et, d’autre part, à d’autres prestations sociales.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Dès lors qu’un étranger se trouve en situation régulière sur le territoire et qu’il contribue de la même façon et suivant les mêmes règles qu’un ressortissant français, je ne vois aucune raison de différer de deux années ses droits à prestation. Avis défavorable.

Mme Valérie Boyer. Je ne partage pas l’avis de la rapporteure. Il est au contraire équitable de demander aux étrangers qui résident en France d’être financièrement autonomes. Je ne vois pas pourquoi des étrangers qui viennent d’arriver bénéficieraient des prestations sociales alors qu’ils n’ont pas cotisé. C’est discriminatoire vis-à-vis des personnes qui résident en France et qui, elles, cotisent. Il me semble par conséquent tout à fait normal qu’on puisse exiger à la fois l’autonomie financière et une durée minimale de présence régulière en France avant de pouvoir bénéficier de certains droits sociaux.

Ensuite, le fait que des étrangers jouissent des droits à la protection sociale, dès lors qu’ils résident de manière stable et régulière sur le territoire français, ne pose aucun problème. Reste que, nous l’avons rappelé maintes fois, nous ne pouvons nous permettre de créer un appel d’air social, surtout dans la situation dans laquelle nous nous trouvons – je rappelle que l’endettement équivaut au produit intérieur brut (PIB) et que les quelque 33 % du budget de la nation consacrés aux prestations sociales doivent bénéficier aux personnes qui, préalablement, ont cotisé ou bien sont restées pendant un certain laps de temps sur le territoire français.

Mme Danièle Obono. Je tiens à rappeler ce que rapportent les étrangers et les étrangères à l’économie française et à la sécurité sociale. Un rapport parlementaire montre en effet que, s’il y a bien quelque chose qui peut sauver la sécurité sociale, c’est l’apport des travailleurs étrangers qui cotisent. L’immigration, de ce point de vue, rapporte à l’économie française plus qu’elle ne coûte. Il faut donc éviter de tomber dans le fantasme et la caricature.

M. Bruno Questel. Si j’ai bien compris le raisonnement de Mme Boyer, le seul vote de cet amendement suffirait à résorber la dette nationale !

Mme Valérie Boyer. Ce n’est pas du tout ce que j’ai dit.

M. Bruno Questel. Je propose que cet amendement soit plutôt discuté lors de l’examen du projet de loi de finances… Je suggère en attendant que nous en revenions au fond.

M. Guillaume Larrivé. Je pense que les capacités cognitives de M. Questel sont supérieures à ce qu’il a laissé entendre : il n’a naturellement pas compris ce qu’il dit avoir compris…

Ce que je trouverais intéressant, à ce stade de la discussion, c’est de connaître la position du Gouvernement. Le point que nous soulevons relève de la politique d’immigration – et c’est vous, monsieur le ministre d’État, qui coordonnez toute la politique de l’immigration. J’y insiste, nous souhaitons connaître la doctrine du Gouvernement concernant l’accès des ressortissants étrangers aux prestations sociales.

Certaines prestations sont conditionnées à une durée de résidence – de cinq ans pour bénéficier du RSA par exemple. Nous proposons une durée de résidence de deux ans pour bénéficier des prestations familiales. Le gouvernement d’Édouard Philippe, le ministre d’État, ministre de l’Intérieur, considèrent-ils qu’il est nécessaire que les étrangers, dès lors qu’ils mettent le pied sur le territoire, qu’ils possèdent une carte de séjour, puissent accéder aux allocations familiales et aux logements sociaux ?

La Commission rejette lamendement.

Elle en vient ensuite à lamendement CL271 de M. Éric Ciotti.

M. Robin Reda. L’amendement vise à supprimer l’aide médicale d’État (AME) en la remplaçant par une aide médicale d’urgence. Analyses et rapports ont montré le coût prohibitif de l’AME qui doit être remplacée pour les raisons financières que je viens d’évoquer mais aussi pour éviter un appel d’air.

Depuis sa création, en 2000, le nombre de bénéficiaires de l’AME n’a cessé d’augmenter et les dépenses de l’État accusent chaque année une forte progression. À titre de comparaison, le coût du dispositif d’assistance sanitaire espagnol s’élève à 233 millions d’euros pour 186 000 bénéficiaires en 2013, soit un coût par personne de 1 250 euros environ, contre le double la même année en France où le coût moyen est de 2 530 euros par personne.

Pour des raisons aussi bien humanitaires que sanitaires, il convient de prévoir une aide médicale d’urgence, strictement limitée à des points très précis comme les urgences vitales et les soins liés à la grossesse.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Cette question revient régulièrement au moment de l’examen du projet de loi de finances. J’ai le souvenir de réponses très fermes d’Agnès Buzyn. Nous tenons et nous tiendrons sur l’AME : toute personne sur notre territoire doit pouvoir accéder aux soins. Avis défavorable.

Mme Valérie Boyer. Je rappelle le chiffre que j’ai donné hier : en deux ans, l’accueil de un million de migrants a coûté aux Allemands quelque 42 milliards d’euros. C’est pourquoi il est nécessaire de disposer de données et de mesurer le coût de l’accueil en France. La représentation nationale doit en discuter et les Français être éclairés.

Mme Danièle Obono. La croissance économique allemande, selon plusieurs articles de presse qui ne sont pas des références crypto-marxistes, a été « dopée » notamment par l’arrivée des réfugiés. D’un seul point de vue économique, vous devriez donc être satisfaits de ces arrivées massives de migrants et de migrantes.

Mme Valérie Boyer. Je ne pense pas que l’ambassadeur d’Allemagne soit crypto-marxiste…

La Commission rejette lamendement.

Elle examine lamendement CL539 de M. Robin Reda.

M. Robin Reda. Cet amendement modifie le code de l’action sociale et des familles afin d’extraire les étrangers en situation irrégulière des bénéficiaires de la tarification solidaire dans les transports publics. Il combat une jurisprudence du tribunal administratif de Paris du 25 janvier 2018, lequel a annulé la délibération du Syndicat des transports d’Île-de-France consistant à supprimer le bénéfice de cette tarification sociale. Il faut mettre un terme à ce qui me semble une injustice.

D’abord, pour des raisons budgétaires, si on prend le cas de la région Île-de-France, environ 117 000 étrangers en situation irrégulière bénéficiaient en 2015 d’une réduction de 75 % de leur tarification mensuelle sur la carte Navigo – et n’ont donc payé que 20 euros contre 75 euros pour les autres usagers. Cette réduction tarifaire crée un manque à gagner pour la région Île-de-France d’environ 43 millions d’euros. Ce coût budgétaire risque en outre de s’accentuer puisque M. le ministre d’État a lui-même reconnu le 24 janvier dernier, lors des questions au Gouvernement, une hausse massive du nombre d’étrangers en situation irrégulière en région Île-de-France.

Cet amendement se justifie aussi pour des raisons de justice sociale. Quand on ne respecte pas la loi, on n’a pas à être mieux loti qu’un résident régulier, étranger ou national. Rien ne justifie que les personnes en situation irrégulière bénéficient d’avantages tarifaires dans les transports quand d’autres, en difficulté, paient l’intégralité de leur carte de transport.

C’est enfin une question de cohérence. Les personnes en situation irrégulière ont vocation à rentrer chez elles, comme l’ont affirmé les derniers discours gouvernementaux. Il n’est pas rationnel de les inciter à rester, à s’installer, à créer un quotidien. C’est un excès offert à la liberté d’aller et venir qui permet de se soustraire à certaines obligations et c’est surtout une prime à l’illégalité.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Nous abordons une succession d’amendements dont le but est de restreindre les avantages dont bénéficient les étrangers sur le territoire français au titre de la solidarité nationale. J’y suis défavorable.

M. Robin Reda. Il est question ici d’étrangers en situation irrégulière qui ont vocation à rentrer chez eux. Au nom de quoi, par rapport à des étrangers en situation régulière, à des chômeurs, à des étudiants, à des travailleurs pauvres qui empruntent chaque jour les transports publics et qui paient leur abonnement aux transports régionaux, accorderait-on plus de droits et d’avantages à des personnes hors-la-loi ? C’est totalement incohérent d’autant que les transports publics en Île-de-France sont payés non seulement par les usagers mais aussi en grande partie par le contribuable français.

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. C’est justement parce que nous ne voulons pas que cet état de fait s’accroisse que nous présentons ce texte. L’objectif est de savoir, en six mois, quelle est la situation des personnes qui pénètrent sur le territoire et demandent l’asile : celles qui y ont droit doivent être régularisées et les autres éloignées. Si nous en sommes là aujourd’hui, c’est que les décisions qui devaient être prises par le passé ne l’ont pas été. Nous sommes confrontés à des zones grises qu’il faudra bien finir par traiter. Pour le moment, il importe surtout d’adopter les mesures présentées ici.

M. Guillaume Larrivé. Au nom du groupe Les Républicains, je voudrais vraiment, monsieur le ministre d’État, marquer un désaccord fondamental entre vous et nous sur cet amendement. Je respecte naturellement votre position. Je pense que vous vous exprimez de bonne foi et qu’en dépit de nos désaccords techniques, vous essayez de régler un problème dans la durée.

Ce que nous vous demandons, c’est de régler immédiatement un problème précis. Le tribunal administratif de Paris a obligé la région Île-de-France à accorder une tarification réduite à des clandestins. Or, il n’y a aucun motif d’intérêt général à ce que l’ouvrier français ou étranger en situation régulière paie sa carte Navigo plein tarif et que le clandestin, lui, bénéficie d’une réduction. Il y a de toute évidence une malfaçon législative. Je pense que tous les républicains – toutes les personnes attachées à la devise de la République et notamment au principe d’égalité – seront d’accord avec nous : il n’y a aucune raison de demander à l’ouvrier français, à l’employé français qui prend le métro ou le RER de subventionner le transport des clandestins.

Mme Marie Guévenoux. Le danger pointé par notre collègue Guillaume Larrivé est qu’il y aurait une sorte de prime à l’illégalité. Monsieur le ministre d’État, ne serait-il pas utile de retravailler ce point d’ici à la séance publique, notamment avec le ministère des transports ?

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. Si les commissaires en sont d’accord, je me rallierai à votre proposition, madame la députée, visant à prévoir, d’ici à la séance publique, une discussion avec Mme Borne et à arrêter une position commune concernant non seulement l’Île-de-France mais l’ensemble du territoire.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Retirez-vous votre amendement, monsieur Reda ?

M. Robin Reda. Non, je le maintiens.

La Commission rejette lamendement CL539.

Puis elle aborde lamendement CL779 de Mme Constance Le Grip.

Mme Constance Le Grip. Je reviens sur le sujet abordé dans l’amendement de mon collègue Robin Reda, sur lequel nous venons d’avoir un échange intéressant. Peut-être cet échange sera-t-il couronné par un commencement d’ouverture de la part du ministre d’État. Le tribunal administratif de Paris a consacré une véritable prime à l’illégalité en annulant une délibération de la région Île-de-France et du Syndicat des transports d’Île-de-France (STIF) qui excluait les étrangers en situation irrégulière du bénéfice de la tarification sociale dans les transports.

Notre amendement vise justement à modifier le code des transports. Dans sa décision, le tribunal administratif de Paris annulant la délibération du STIF pointe une erreur de droit et indique que le code des transports ne subordonne pas le bénéfice de la réduction tarifaire à une autre condition que de ressources – et donc ne le subordonne pas à la condition de régularité du séjour. L’amendement apporte, clefs en main, la solution, le tribunal administratif de Paris nous ayant indiqué la voie : il complète l’article L. 1113-1 du code des transports pour préciser que le bénéfice de la réduction tarifaire est subordonné à la régularité du séjour en France.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Comme il s’agit du même débat que précédemment, il vaut mieux, comme le propose le ministre d’État, rediscuter de ce point avant la séance publique. Avis défavorable pour le moment.

M. Robin Reda. Je saisis l’opportunité offerte par le ministre d’État, que je remercie, pour dire qu’il faut travailler sur plusieurs points relatifs à la tarification sociale, qu’elle soit locale ou nationale : je pense notamment aux bourses d’enseignement supérieur, aux prestations familiales et aux aides au logement. Toutes ces allocations doivent d’abord bénéficier à ceux qui respectent les lois de la République.

La Commission rejette lamendement CL779.

Elle étudie, en discussion commune, les amendements identiques CL177 de M. Éric Ciotti et CL781 de Mme Valérie Boyer ainsi que lamendement CL615 de M. Éric Coquerel.

M. Robin Reda. Cet amendement vise à vérifier la réalité de la minorité de certains migrants. Dans près de 40 % des cas, la minorité est sujette à caution. La procédure actuelle incite de jeunes majeurs à se déclarer mineurs pour éviter l’éloignement. Seule l’autorité judiciaire a compétence pour ordonner un test osseux, sur demande des départements qui sont en première ligne dans la gestion de la question des mineurs – ou des faux mineurs – non accompagnés. Le présent amendement propose que l’autorité administrative puisse demander la réalisation d’un test osseux. Si l’intéressé refuse, il doit y avoir présomption de majorité et il lui reviendra de prouver sa minorité.

Mme Valérie Boyer. Les conditions d’accueil des ressortissants étrangers diffèrent selon leur âge. Le droit français, en application de la Convention nationale des droits de l’enfant, prévoit que les mineurs étrangers de moins de 18 ans dits isolés, c’est-à-dire n’ayant aucun représentant légal sur le territoire français, se voient proposer un accueil et soient accompagnés dans le cadre d’une procédure de droit d’asile.

À l’arrivée de migrants supposés mineurs sur le territoire français, pour lesquels un accueil d’urgence de cinq jours est mis en place, le droit prévoit donc que l’âge du jeune ressortissant soit vérifié. Les conditions ont été fixées par la circulaire du 14 avril 2005. Ce texte établit que les services de la police aux frontières (PAF) procèdent à toutes les investigations nécessaires visant à établir clairement la minorité du jeune étranger ainsi que son isolement. Ce constat peut, par exemple, être mené en vérifiant la légalité d’un acte de naissance que la personne porterait sur elle.

Dans le cas où un tel document serait considéré comme irrégulier ou, plus globalement, en cas de doute sur les déclarations de l’étranger quant à son âge, il faut un examen médical qui comporte généralement un test osseux, assorti parfois d’un examen visuel ou de mesures échographiques de certaines parties du corps. Le résultat est transmis au procureur de la République, à qui il revient d’apprécier la force probante de l’examen médical en tenant compte de la marge d’imprécision reconnue à ces techniques, précise la circulaire. L’article 388 du code civil prévoit que les examens radiologiques osseux aux fins de détermination de l’âge, en l’absence de documents d’identité valables et lorsque l’âge allégué n’est pas vraisemblable, ne peuvent être réalisés que sur décision de l’autorité judiciaire et après recueil de l’accord de l’intéressé.

Il est proposé que l’autorité administrative puisse demander la réalisation d’un test osseux. C’est une mesure de bon sens. Nous devons mettre un terme au contournement de nos lois. En cas de refus, l’individu sera présumé majeur.

Je rappelle que le coût de la prise en charge des mineurs isolés a atteint 1,25 milliard d’euros en France, à raison de 50 000 euros par jeune au titre de l’aide sociale à l’enfance (ASE). La contribution de l’État n’est que de 1 250 euros par personne, le reste étant à la charge des départements.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Je laisserai M. le ministre d’État s’exprimer sur la question générale des mineurs non accompagnés. En ce qui concerne plus particulièrement les tests osseux, l’autorité judiciaire est l’autorité protectrice des mineurs. Il me semble approprié de la laisser décider ou non de recourir à ces tests.

Mme Danièle Obono. La méthode de l’expertise osseuse aux fins de détermination de l’âge des mineurs non accompagnés est largement contestée. Il est communément admis par la communauté scientifique qu’il n’existe aucun procédé médical permettant d’affirmer avec certitude l’âge d’un individu. Les tests de maturation osseuse, dentaire ou pubertaire ne peuvent qu’établir l’évolution du développement et non un âge physiologique. De très nombreuses instances médicales, scientifiques ou éthiques, notamment l’Académie nationale de médecine, le Comité consultatif national d’éthique et le Haut Conseil de la santé publique, ont clairement exprimé leurs réserves ou leur opposition à cette pratique, dont il est avéré qu’elle intègre une marge d’erreur de plus ou moins dix-huit mois et ne permet donc pas de déterminer un âge précis.

En juin 2014, la Commission nationale consultative des droits de l’homme déclarait que l’évaluation de l’âge à partir d’un examen osseux, des parties génitales, du système pileux ou de la dentition doit être interdite. De même, le Défenseur des droits s’est dit résolument opposé à des examens médicaux qualifiés d’inadaptés, inefficaces et indignes. Or, sur la base des résultats de ces tests peu fiables, de graves décisions sont prises et influent sur l’avenir de ces jeunes.

Comme on l’a entendu dans les débats précédemment, il y a chez certains collègues une suspicion généralisée à l’encontre des migrants, surtout quand ce sont des enfants. Il est souvent considéré qu’il faut avant tout dépister la fraude possible, probable, certaine, plutôt que de garantir une protection a priori. Lorsque les méthodes scientifiques sont contestées, on doit en tenir compte et les interdire.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Dans son avis du 8 mars 2006, l’Académie de médecine indique que cette méthode constitue un cadre référentiel universellement utilisé et offre une bonne approximation de l’âge de développement d’un adolescent en dessous de seize ans. S’il y a effectivement une marge d’erreur entre seize et dix-huit ans, l’Académie estime que cette méthode est plutôt favorable aux mineurs car elle sous-estime l’âge réel. Les risques que vous évoquez ne sont donc pas avérés. Avis défavorable.

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. Le Gouvernement a souhaité dissocier le problème des mineurs non accompagnés (MNA) de l’examen de ce texte. Le problème concerne le Gouvernement mais aussi les départements. Une discussion est précisément en cours entre le Premier ministre et M. Dominique Bussereau, président de l’Assemblée des départements de France. Je propose que nous les laissions traiter cette question avant de nous prononcer. Je rejoins l’avis défavorable de la rapporteure.

M. Florent Boudié. Je suis en plein accord avec notre collègue Danièle Obono concernant les tests osseux. Cette marge d’erreur de dix-huit mois pose un réel problème. Ce test a été établi dans les années 1930 sur une population caucasienne en bonne santé – qui ne correspond plus à la nature des personnes aujourd’hui destinataires de ce test.

Notre dispositif d’évaluation sociale fonctionne plutôt bien – les associations nous le disent. Il n’existe de toute façon aucune possibilité d’établir la réalité précise de la minorité. Restons-en au texte actuel qui permet à l’autorité judiciaire d’éclairer l’administration.

Mme Valérie Boyer. Nous proposons que l’autorité administrative puisse demander la réalisation de ces tests osseux. Il s’agit pour les mineurs d’une mesure de protection : on protège les mineurs étrangers mais aussi les autres mineurs qui vont se retrouver en contact avec ces personnes. Quand de faux mineurs, c’est-à-dire des adultes confirmés – étrangers ou pas –, sont mis en relation avec des mineurs, cela pose des problèmes. Compte tenu aussi de l’explosion du nombre de personnes étrangères considérées mineures accueillies par les départements, la moindre des choses est de permettre la réalisation de ces tests de façon fluide. On ne peut le nier : la loi aujourd’hui est contournée. Nous avons évoqué assez longuement ce problème en commission des Affaires étrangères, notamment avec le directeur de l’OFPRA.

La Commission rejette successivement les amendements identiques CL177, CL781 ainsi que lamendement CL615.

Elle est saisie de lamendement CL735 de Mme Valérie Boyer.

Mme Valérie Boyer. L’article L. 521-1 du CESEDA prévoit une expulsion si la présence en France d’un étranger constitue une menace grave pour l’ordre public.

Il y a environ 24 000 « fichés S » et 20 000 personnes considérées comme un danger potentiel du fait de leur radicalisation sont inscrites au fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation terroriste (FSPRT) – dont 15 % d’étrangers, soit environ 3 000 personnes.

Les attentats en France ont fait 252 morts depuis 2012. Trente et un terroristes ont frappé la France dont 60 % étaient « fichés S ». Onze terroristes étaient étrangers, quatre avaient la double nationalité et 100 % des attentats meurtriers ont été perpétrés par des individus connus des services de police ou de renseignement, parfois par la police belge en ce qui concerne les terroristes du 13 novembre 2015.

Les Français restent insatisfaits de l’action de l’État : 58 % considèrent que le Président de la République et le Gouvernement ne mettent pas en œuvre les moyens nécessaires à la lutte contre la menace terroriste en France. 80 % des Français sont favorables à l’expulsion du territoire des individus dangereux de nationalité étrangère – individus que nos services ont repérés. On ne fait pas la guerre avec les moyens de la paix. Il faut renforcer la résilience du pays et nous doter de tous les moyens pour traquer ces terroristes. C’est la raison pour laquelle il est nécessaire d’expulser immédiatement les étrangers qui font l’objet d’une surveillance ayant démontré leur caractère dangereux et qui sont inscrits au fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste. Les personnes qui menacent l’ordre public, et n’ont pas la nationalité française, n’ont pas vocation à rester sur le territoire national. Monsieur le ministre d’État, ce n’est pas vous qui me contredirez puisque vous savez que pour surveiller une personne, il faut entre dix et trente policiers. Le fait de se débarrasser des 3 000 personnes les plus problématiques devrait nous permettre de mieux surveiller nos ressortissants repérés comme dangereux.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. La fiche « S » n’est pas un acte juridique. Si on devait l’utiliser pour motiver une décision, il faudrait la produire. Si une fiche contient suffisamment d’éléments, c’est au ministre de l’Intérieur de prendre un arrêté d’expulsion sans avoir à révéler ce contenu, ce qui est beaucoup plus utile et efficace. Avis défavorable.

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. Nous avons déjà eu l’occasion d’aborder ce sujet. Je rappelle que les fiches S sont des signalements donnés pour les services de manière à pouvoir adopter telle ou telle attitude par rapport à la personne. Il ne faut pas les confondre avec celles du FSPRT.

Nous sommes en train de revoir le FSPRT, de manière à pouvoir obtenir la protection maximale. Vous dites que 3 000 personnes sont extrêmement dangereuses et devraient être surveillées de manière particulière. Or, elles ne font pas partie des auteurs des attentats. Cela montre la difficulté du problème. C’est pourquoi nous effectuons un travail sur les fichiers.

Mme Valérie Boyer. Dès lors que des personnes qui ne sont pas françaises ont été repérées comme dangereuses, le bon sens veut qu’on ne les garde pas sur notre territoire, surtout dans la période que nous traversons et compte tenu des drames que nous avons connus. Nous n’avons pas assez de personnels pour les surveiller et le coût de cette surveillance est extrêmement élevé. Cette attitude est incompréhensible. Pourquoi traîne-t-on autant pour mettre en place des dispositifs adaptés ? Pourquoi si peu de personnes sont-elles expulsées ?

Monsieur le ministre d’État, je me permets de rappeler que vous avez récemment évoqué une vingtaine d’expulsions. Cela me semble extrêmement faible au regard des informations que nous lisons régulièrement dans la presse, et des propos qui sont tenus dans certaines cités. Je n’arrive vraiment pas à comprendre pourquoi garder sur notre territoire des personnes qui ne sont pas françaises, alors qu’elles sont considérées comme dangereuses.

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. Madame Boyer, si seuls les individus considérés dangereux et repérés par nos services passaient à l’acte, le problème serait aisé à résoudre. Aujourd’hui, passent à l’acte des gens dont nos services n’auraient jamais pensé qu’ils le fassent. La menace vient du fait que certains individus se radicalisent sans que personne ne s’en aperçoive. Croyez-moi, nous en déjouons beaucoup. Quand nous regardons leur passé, nous nous apercevons que rien ne permettait d’imaginer qu’ils pouvaient passer à l’acte. Je vous assure que c’est une lutte de tous les instants.

M. Guillaume Larrivé. Une fois encore, je remercie le ministre d’État de sa présence et de nous répondre précisément. Vous nous avez indiqué que 20 000 individus étaient inscrits au FSPRT, le fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste, dont 3 000 de nationalité étrangère. Parmi les 17 000 individus restants, combien possèdent une double nationalité ? Cet élément d’information serait utile, non pour tirer des conclusions automatiques, mais pour bien comprendre si nos instruments juridiques sont adaptés ou pas.

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. Je ne dispose pas de ce chiffre ici, mais je vous le transmettrai. Nous travaillons sur tous les éléments.

Vous avez certainement noté que la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme prévoyait les criblages et rétro-criblages. Nous appliquons précisément ceux-ci à un certain nombre de personnes embauchées dans tel ou tel type d’activité dangereuse et dont on nous a dit qu’elles pouvaient être radicalisées. Nous procédons actuellement à des examens systématiques. Croyez-moi : nous ne négligeons rien en ce qui concerne la sécurité de nos concitoyens.

La Commission rejette lamendement.

Elle en vient à lamendement CL242 de M. Raphaël Schellenberger.

Mme Valérie Boyer. L’article L. 521-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile dispose actuellement qu’un étranger peut être expulsé si sa présence en France constitue une menace grave pour l’ordre public. Il est proposé, à travers cet amendement, d’ajouter un alinéa disposant que l’expulsion doit être prononcée si la personne a été condamnée en dernier ressort en France, soit pour un crime, soit pour un délit constituant un acte de terrorisme ou puni de cinq ans d’emprisonnement.

Cette mesure claire, respectant les dispositions des articles L. 521-2, L. 521-3 et L. 521-4 du même code, traduit la volonté d’accueillir en France des étrangers respectueux des lois de la République et du cadre de vie collective que dessinent ces dernières. La condamnation en dernier ressort en France peut déjà justifier le refus ou le retrait du statut de réfugié. Il est cohérent d’étendre ce dispositif aux étrangers ne relevant pas du droit d’asile.

Par ailleurs, une condamnation à cinq ans d’emprisonnement apparaît suffisamment lourde pour justifier également une telle mesure. Une peine de cinq ans couvre notamment l’exploitation d’images pédopornographiques, les agressions sexuelles ou l’escroquerie.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Comme hier, vous demandez l’institution de peines automatiques. Je vous rappelle qu’une condamnation judiciaire ne peut pas entraîner automatiquement une mesure administrative. Il y a deux possibilités : soit le juge la prononce et cela devient une sanction pénale, soit l’administration l’édicte mais pour cela il faut une décision expresse et motivée. Avis défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Puis elle examine lamendement CL243 de M. Raphaël Schellenberger.

Mme Valérie Boyer. Cet amendement a le même objet que le précédent, mais il concerne les condamnations à une peine de sept ans. Ce quantum couvre notamment le proxénétisme, la traite d’êtres humains et l’extorsion. C’est pourquoi nous demandons que les personnes qui ont commis ce type d’infraction, de crime, soient expulsées.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Vous demandez à nouveau l’institution de peines automatiques. Avis défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Elle est ensuite saisie de lamendement CL244 de M. Raphaël Schellenberger.

Mme Valérie Boyer. Comme cet amendement a le même esprit que les précédents, vous allez peut-être me faire la même réponse… La condamnation en dernier ressort en France, soit pour un crime, soit pour un délit constituant un acte de terrorisme ou puni de dix ans d’emprisonnement peut déjà justifier le refus ou le retrait du statut de réfugié. Il est cohérent d’étendre ce dispositif au séjour des étrangers ne relevant pas du droit d’asile.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Je vais effectivement vous faire la même réponse.

La Commission rejette lamendement.

Elle en vient à lamendement CL263 de M. Éric Ciotti.

M. Guillaume Larrivé. Au 1er février 2018, il y avait 69 000 détenus dans les prisons françaises. La garde des Sceaux, à qui j’ai posé une question écrite, m’a répondu qu’on comptait environ 15 000 ressortissants étrangers – 14 964 exactement. La question que nous posons aux députés de la majorité et au Gouvernement, à travers cet amendement d’appel dont la rédaction mériterait d’être affinée, est celle de l’éloignement des étrangers condamnés à la prison. Nous proposons un examen individuel de la situation de chacun d’entre eux au regard de leur nationalité, de leur quantum de peine, ensuite la négociation avec les pays d’origine de protocoles permettant, le cas échéant, l’exécution de leur peine dans le pays d’origine ou leur expulsion à son issue. En tout cas, il nous semble important que cette démarche soit conduite conjointement par le ministère de l’Intérieur et la Chancellerie. On ne peut pas se satisfaire de ce chiffre de 15 000 ressortissants étrangers dans nos prisons, par ailleurs dans la situation que chacun connaît.

Mme Élise Fajgeles, rapporteur. Même argument que précédemment. Avis défavorable.

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. J’ai déjà eu l’occasion de dire que 70 % des étrangers qui sortaient de prison et se trouvaient en situation irrégulière étaient expulsés, ce qui correspond à votre préoccupation. Nous pouvons reprendre ce débat, si vous le souhaitez.

Mme Valérie Boyer. Le point que mon collègue Guillaume Larrivé vient de soulever est essentiel pour plusieurs raisons. D’abord, c’est un problème d’équité. Ensuite, ces 15 000 personnes correspondent au « plan prison » que nous devons mettre en place. Pour que les prisonniers soient accueillis dans des conditions dignes en France, il est en effet nécessaire de construire 15 000 places de prison.

Pardonnez-moi de revenir une fois encore à mon expérience au centre de rétention administrative de Marseille : 50 % des personnes accueillies sortent de prison. Or il est très difficile pour les forces de police de faire retourner ces personnes dans leur pays d’origine pour les raisons que j’ai déjà exposées – problèmes de laissez-passer consulaires et pays qui refusent systématiquement leurs ressortissants. Ces arguments ne sont pas du tout à négliger. J’espère que des propositions concrètes seront faites en séance publique afin que ces mesures de bon sens et de justice puissent être appliquées. Il n’y a aucune raison que les Français supportent cette charge qui est une sorte de triple peine, à savoir des étrangers en situation irrégulière en France, en prison et que les pays d’origine ne veulent pas récupérer.

La Commission rejette lamendement.

Elle est saisie de lamendement CL264 de M. Éric Ciotti.

M. Guillaume Larrivé. L’amendement est défendu.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Ce débat a déjà eu lieu. Avis défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Puis elle étudie lamendement CL339 de M. Éric Ciotti.

M. Guillaume Larrivé. Défendu.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Elle examine ensuite lamendement CL262 de M. Éric Ciotti.

M. Guillaume Larrivé. Cet amendement vise à faciliter les conditions dans lesquelles l’autorité judiciaire prononce des peines d’interdiction du territoire français (ITF). C’est une peine complémentaire prévue par le code pénal, qui peut donc être décidée par les juridictions. En 2016, un peu moins de 1 000 ITF ont été prononcées. Nous souhaitons que ces peines soient de principe, les juridictions pouvant naturellement ne pas les prononcer. Encore faut-il qu’elles le fassent par une décision spécialement motivée ! Elles doivent expliquer à l’opinion publique, au peuple français, pourquoi elles s’en abstiennent.

Je le dis par avance à la rapporteure, cet amendement, auquel nous tenons et qui a du sens, ne méconnaît aucun des principes d’individualisation de la peine et il ne s’agit pas d’instituer une peine automatique.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Il se trouve que votre amendement va plus loin que le prononcé obligatoire de la peine puisque vous proposez d’élargir le régime de l’ITF qui avait été réformée par M. Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur. Il en avait fortement limité la portée. Je suis défavorable car la réforme faite à l’époque me paraît suffisante.

M. Guillaume Larrivé. Je veux bien que la rapporteure me donne des leçons de sarkozisme illustrées… Nous avons déjà défendu cet amendement sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Un débat avait eu lieu à l’Assemblée nationale, au mois de janvier 2012, avec le ministre de l’Intérieur de l’époque, M. Claude Guéant. Je me souviens très précisément que ce dispositif avait été adopté. Mais nous sommes maintenant en 2018, et il ne s’agit pas de faire ici de l’historique ou de la politique.

Nous vous proposons une mesure qui devra être examinée par le Gouvernement, car elle n’est pas du tout absurde, et qui vise, sur ce sujet important de la délinquance commise par des étrangers, à permettre à l’autorité judiciaire de faciliter le prononcé des ITF. Nous respectons les grands principes d’individualisation, mais il faut que l’autorité judiciaire assume ses responsabilités. Si elle refuse de prononcer l’interdiction, il faut qu’elle dise pourquoi par une décision spécialement motivée. Voilà ce que nous proposons depuis janvier 2012, c’est-à-dire six ans.

La Commission rejette lamendement.

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements CL245 et CL246 de M. Raphaël Schellenberger et lamendement CL774 de Mme Valérie Boyer.

Mme Valérie Boyer. L’article L. 521-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, par dérogation à l’article L. 521-1, mentionne les situations qui ne peuvent donner lieu à une mesure d’expulsion que si celle-ci constitue une nécessité impérieuse pour la sûreté de l’État ou la sécurité publique. L’alinéa 8 de cet article dispose toutefois que l’expulsion est possible si l’étranger a été condamné définitivement à une peine d’emprisonnement ferme au moins égale à cinq ans. L’amendement CL245 propose qu’une telle condamnation entraîne une expulsion automatique dans certains cas. L’amendement CL246 est un amendement de repli, qui conditionne l’expulsion à une peine d’emprisonnement ferme au moins égale à dix ans.

Vous allez certainement repousser ces suggestions en raison du caractère automatique de l’expulsion qu’elles prévoient. Il me semble cependant important que nous puissions avoir une discussion sur ce point car les Français ne comprennent pas comment de telles situations peuvent perdurer.

J’en viens, enfin, à l’amendement CL774. Les étrangers qui commettent une infraction sur le territoire national ou dont le comportement est répréhensible peuvent faire l’objet, en plus d’une peine de prison ou d’une amende, d’une mesure d’éloignement. Cela peut consister soit en une ITF, soit en une expulsion.

L’expulsion est une mesure administrative prononcée à l’encontre des étrangers dont la présence sur le sol français constitue une « menace grave pour l’ordre public ». Elle n’a été utilisée qu’à 95 reprises de novembre 2015 à septembre 2017, et à 12 reprises entre les mois de janvier et septembre 2017. Parallèlement, 15 % des 18 500 personnes inscrites sur le fichier de traitement des signalés pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) sont de nationalité étrangère, ce qui représente entre 2 800 et 3 000 personnes.

L’ITF est une peine complémentaire prévue à l’article 131-30 du code pénal. Elle peut être décidée par une juridiction à titre principal ou en complément d’une condamnation. Elle n’est pas une exception : notre droit comprend d’autres peines complémentaires.

La capacité d’un État à éloigner des étrangers qui commettent des actes de délinquance est inhérente au concept de souveraineté. Dans un contexte de menace terroriste et de hausse de la délinquance, la préservation de l’ordre public exige de revoir le droit actuel afin d’expulser systématiquement les étrangers incarcérés ou représentant une menace.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Je suis défavorable aux amendements CL245 et CL246 parce qu’ils prévoient une peine automatique.

Pour ce qui est de l’amendement CL774, la notion de menace pour l’ordre public est une notion subjective, qui appelle nécessairement l’appréciation du préfet, du ministre ou du juge, et ne peut donc pas être inscrite directement dans la loi.

La Commission rejette successivement les amendements CL245, CL246 et CL774.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CL174 de M. Éric Ciotti et CL773 de Valérie Boyer.

M. Guillaume Larrivé. L’amendement CL174 est un amendement d’appel qui rétablit le délit de séjour irrégulier. Je sais que l’on va m’opposer l’existence de la directive « retour » de 2008. Le sens de cet amendement est d’inviter le Gouvernement à engager sa renégociation.

Mme Valérie Boyer. La loi du 31 décembre 2012 a apporté certaines modifications au droit pénal des étrangers. Sa portée principale est la suppression du délit de séjour irrégulier et la création du délit de maintien sur le territoire français. Depuis cette loi, le maintien sur le territoire en dépit d’une mesure d’éloignement de l’autorité administrative est incriminé. Autrefois, le fait pour un étranger de séjourner irrégulièrement sur le territoire français constituait un délit : chaque année, 60 000 personnes étaient placées en garde à vue à ce titre. Cette loi prive de pouvoirs d’investigation les forces de l’ordre. En effet, la procédure de retenue administrative limite le contrôle d’identité à quatre heures, rendant le travail des forces de l’ordre et des préfectures difficile.

La garde à vue était très largement utilisée pour retenir dans les locaux de police les étrangers soupçonnés d’être présents sans titre de séjour. Pas moins de 74 000 personnes avaient ainsi été placées en garde à vue en 2010, sur le fondement de suspicions d’infractions à la législation sur le séjour. Les procédures d’éloignement des étrangers en séjour irrégulier se déroulaient selon une procédure encadrée. Elles commençaient par un contrôle d’identité suivi d’une interpellation, puis d’une garde à vue de 24 à 48 heures justifiée par une infraction à la législation sur le séjour. La durée de cette garde à vue avait l’avantage de laisser le temps à l’administration de vérifier l’identité et la situation de la personne étrangère.

Il n’y a aucune raison que le séjour irrégulier, qui est une infraction à la loi, soit traité différemment d’un délit ordinaire. Pour redonner aux autorités de police les moyens de donner force à la loi et de faire respecter la réglementation en matière de séjour, il est indispensable de rétablir le délit correspondant, de supprimer la retenue administrative, d’autoriser à nouveau la garde à vue et de revenir au droit commun des interpellations.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. M. Larrivé, qui a lui-même fait référence à la directive de 2008 et à la jurisprudence qui en découle, sait que l’amendement CL174 est contraire au droit européen, et ne sera donc pas étonné que j’y sois défavorable – tout comme je le suis à l’amendement CL773, pour les mêmes raisons.

La Commission rejette successivement les amendements CL174 et CL773.

Elle est saisie des amendements CL259, CL765 et CL740, qui font lobjet dune discussion commune.

Mme Naïma Moutchou. L’amendement CL259, déposé avec mes collègues Olivier Véran et Florent Boudié, a trait à ce que l’on appelle improprement le « délit de solidarité ». Il s’inspire de deux idées : d’abord, que nous devons continuer à lutter avec fermeté contre l’exploitation par les passeurs de la misère des migrants, mais aussi que toute personne qui viendrait en aide à un étranger de manière désintéressée ne saurait être sanctionnée. Malheureusement, en pratique, ce qui semble constituer l’expression même du bon sens ne l’emporte pas toujours.

On ne peut continuer à poursuivre, comme on le fait aujourd’hui, ceux qui agissent avec humanité. La solidarité n’est pas un délit : ce ne peut pas être la conception de la France ; ce n’est en tout cas pas la mienne. Pour autant, il ne s’agit pas de supprimer l’incrimination, nécessaire pour continuer à lutter contre les réseaux de passeurs et contre les filières d’immigration clandestine. L’amendement vient simplifier la lecture des dispositions relatives aux immunités dérogatoires et modifier les règles afin de ne plus mettre sur le même plan, d’une part, ceux qui aident les migrants sans en tirer aucun profit, d’autre part, ceux qui les exploitent.

Concrètement, pour l’aide au séjour et à la circulation, l’amendement continue de sanctionner l’aide apportée dans un but lucratif ou qui vise à obtenir une contrepartie. En revanche, en dehors de ces cas, l’acte de solidarité est dépénalisé. Quant à l’aide au franchissement de la frontière, cet acte ne sera pas poursuivi dès lors qu’il répondra à un objectif humanitaire. Mes chers collègues, avec cet amendement, nous pouvons faire le choix à la fois de la responsabilité et de l’équilibre.

Mme Sandrine Mörch. Je me réjouis de voir l’attention que suscitent nos voisins allemands qui, je le rappelle, ont constitué la troisième population d’immigrants à Paris au XIXe siècle. Au moment où nous rêvons de les attirer à nouveau chez nous, cela fait réfléchir en montrant que la roue peut tourner pour les migrants.

Pour en revenir au délit de solidarité, il est très intéressant de constater que l’Allemagne s’appuie sur la solidarité dans la société civile alors que nous nous en défions. Entre 2015 et 2016, 15 000 actions de solidarité ont été engagées en Allemagne. Cela a immédiatement suscité un Grenelle de l’accueil : les associations et les entreprises, avec l’État et non contre lui, se sont demandé ce qu’elles pouvaient apporter à l’escarcelle solidaire. En France, nous en sommes encore à nous demander si nous sommes passeurs ou aidants…

Il y a plusieurs façons de rédiger la suppression du délit de solidarité. L’amendement CL765, que j’ai déposé avec plusieurs de mes collègues, comprend une rédaction proposée par la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) qui insiste sur la volonté de la personne qui aurait « sciemment facilité ou tenté de faciliter lentrée, la circulation ou le séjour irréguliers, dun étranger, dans un but lucratif ou moyennant une contrepartie ». Si le délit est bien spécifié, on peut éliminer les exceptions prévues : c’est pourquoi nous proposons de supprimer l’article L. 622-4, qui suscite actuellement des divergences de jurisprudence.

Mme Valérie Boyer. L’amendement CL740 vise à renforcer les sanctions contre les passeurs afin de les considérer comme des marchands d’esclaves. Malheureusement, tout s’achète et tout se vend, y compris le corps humain. Les Nations unies estiment à 32 milliards de dollars par an dans le monde, dont 3 milliards de dollars pour l’Europe, les profits dégagés par la traite. Au regard de ces chiffres, ce trafic est le troisième le plus lucratif pour les organisations criminelles, après ceux des stupéfiants et des armes.

Du fait de sa position géographique, la France est à la fois un pays recevant des victimes de ces trafics, mais aussi un pays de transit. Ne pas agir, c’est devenir complice. Pendant de trop nombreuses années, on n’a traité ce phénomène que sous l’angle de la prostitution alors qu’il existe d’autres formes de traite des êtres humains. Notre pays doit s’attaquer à l’une des racines du problème, à savoir les réseaux de passeurs. Il ne fait aucun doute que certains groupes profitent des différents conflits dans le monde, notamment en Syrie, au Mali ou en Libye, pour exploiter la misère humaine.

Combattre ces passeurs n’est pas une simple question de sécurité, mais aussi un devoir de dignité. Alors qu’ils étaient hier plus ou moins bien organisés, aujourd’hui nous devons faire face à de véritables criminels constitués en réseaux mafieux. Selon certains témoignages, une traversée de la Méditerranée pour un migrant clandestin peut coûter de 3 000 à 7 000 euros par personne.

Juridiquement, le trafic de migrants se distingue de la traite des êtres humains alors que, dans la majorité des cas, ces deux phénomènes sont liés puisqu’ils s’appuient tous deux sur l’exploitation de la mendicité des personnes vulnérables qui tentent de fuir leur pays par tous moyens. Certains passeurs attirent même leurs victimes en leur promettant un avenir meilleur. Actuellement, un passeur encourt 30 000 euros d’amende et cinq ans d’emprisonnement, 750 000 euros d’amende et dix ans d’emprisonnement en cas de circonstances aggravantes.

Mon amendement propose que les sanctions puissent s’élever, comme pour la traite d’êtres humains, à sept ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende en cas d’infraction simple, et à vingt ans de réclusion criminelle et 3 millions d’euros d’amende pour une infraction aggravée. J’espère, mes chers collègues, que vous le voterez. J’ai déjà posé plusieurs questions au Gouvernement à ce sujet dans l’hémicycle : il est important, au moment où nous parlons d’asile et d’immigration, que les passeurs soient parfaitement informés des risques qu’ils encourent, afin que les sanctions à leur encontre aient une valeur dissuasive.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Je commencerai par dire, au sujet de l’amendement CL740 de Mme Boyer, que je suis hostile au durcissement des peines infligées en cas d’aide simple à l’entrée ou au séjour irrégulier. Passer de cinq à sept ans ne me semble guère justifié, d’autant que les peines prononcées effectivement atteignent rarement ce quantum maximal.

Pour ce qui est de l’amendement CL259, nous partageons tous le souhait de lutter contre les réseaux de passeurs, exploitants de la misère humaine. M. le ministre d’État, M. Florent Boudié et moi-même nous sommes rendus dans les locaux de l’Office central pour la répression de l’immigration irrégulière et de l’emploi d’étrangers sans titre (OCRIEST). Nous en avons auditionné des responsables qui nous ont expliqué que, dans leur travail consistant à lutter contre les filières, ils avaient recours à un faisceau de critères – la multiplicité des auteurs, un minimum d’organisation et des activités à caractère habituel – pour considérer qu’ils se trouvaient en présence d’un réseau criminel. Cependant, il n’est pas toujours facile de distinguer ce qui relève de l’humanitaire de ce qui relève de l’entreprise criminelle, lorsque l’aide aux migrants prend la forme d’une activité militante organisée.

Recourir, comme vous le proposez, à la notion de contrepartie lucrative, me semble extrêmement intéressant, et j’estime que nous pouvons certainement trouver une solution en ce sens, en retravaillant la rédaction avant la séance publique – je crois que M. le ministre d’État y est disposé – afin de le rendre plus précis. En l’état actuel, je vous invite à le retirer.

Mme Coralie Dubost. Je soutiens l’amendement CL259 de Mme Moutchou.

Par ailleurs, en réponse à Mme Boyer, je veux dire que j’ai été extrêmement choquée de l’entendre dire que tout s’achète et tout se vend, y compris le corps humain.

Mme Valérie Boyer. Je l’ai dit pour le déplorer !

Mme Coralie Dubost. Pour moi, il est des choses qui ne s’achètent pas, parmi lesquelles la solidarité, dont l’exercice ne doit pas être sanctionné.

Lors des réunions de mon groupe afin de préparer l’examen de ce texte, mon attention a été appelée sur l’importance de la question du délit de solidarité à l’évocation du récit de M. Olivier Véran, qui avait accompagné une famille jusqu’à un restaurant solidaire de Grenoble lors d’une nuit glaciale. Je me suis alors souvenue que j’avais moi-même commis ce délit auparavant, sans le savoir, en ayant un geste de solidarité lors d’une journée caniculaire au bord d’une route de l’Hérault. J’en suis venue à penser que nombre de nos concitoyens sont concernés par ce délit qui n’en est pas un, et qu’il ne faut donc pas sanctionner.

Mme Valérie Boyer. N’importe quoi !

Mme Marietta Karamanli. Il s’agit là d’un amendement important. Cependant, après avoir écouté sa présentation et la réponse de la rapporteure, j’estime qu’en son état actuel, cette proposition constitue une fausse bonne idée, qui nécessite pour le moins une nouvelle rédaction. Elle représente un sérieux recul en ce qu’elle supprime les exemptions pour la famille de l’étranger, prévues par le droit positif. Elle limite l’exemption de solidarité aux dangers actuels et imminents. Enfin, si elle représente un certain progrès en prévoyant des exceptions au délit d’entraide, elle constitue un recul important en matière d’aide au séjour. Ainsi, une personne locataire d’un logement et qui permettrait à son époux, en situation irrégulière, de dormir chez elle, commettrait-elle désormais un délit d’aide au séjour, puisque ce délit pourrait être constitué entre personnes d’une même famille – ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

Le délit de solidarité a une longue histoire : apparu en 1938, il a depuis fait l’objet de nombreuses modifications, notamment en 2003 et en 2012, date à laquelle les immunités familiales se sont élargies. Je souhaite la poursuite de cette évolution dans le bon sens plutôt que dans celui d’un durcissement, donc que cet amendement soit retiré pour être retravaillé.

Nous proposerons pour notre part un autre amendement nous paraissant constituer une réponse adaptée à la situation.

Mme Danièle Obono. Si nous souhaitons évidemment mettre fin au délit de solidarité, nous estimons qu’en leur rédaction actuelle, les deux amendements présentés par nos collègues du groupe LaREM auraient pour conséquence de durcir le délit plutôt que de l’abroger, puisqu’ils visent à supprimer les exemptions familiales. Notre groupe proposera également, dans quelques instants, un amendement beaucoup plus clair en ce qu’il se réfère exclusivement au critère de contrepartie lucrative. Si les amendements que nous examinons actuellement étaient réécrits, il faudrait que ce soit en ce sens.

M. Guillaume Larrivé. Nous avons en ce moment un débat qui n’est pas rationnel, du fait que nous examinons en discussion commune, pour des raisons techniques, des amendements qui n’ont pas grand-chose à voir les uns avec les autres. L’amendement du groupe Les Républicains n’a pas pour objet de traiter de la question du délit dit de solidarité – qui n’existe d’ailleurs pas en droit –, mais de renforcer la répression à l’encontre des trafiquants d’êtres humains, des marchands d’esclaves, qui organisent des filières mettant en danger la personne même des migrants.

L’article L. 622-5 du CESEDA, que nous proposons de modifier, vise les trafiquants ayant facilité l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d’un étranger en France et ayant commis cette infraction en bande organisée ou dans des circonstances qui exposent directement les étrangers à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente. Ce que nous proposons au 2° de notre amendement – que nous devrions peut-être circonscrire à cette proposition –, c’est que de tels comportements, aujourd’hui réprimés au plan correctionnel par des peines de dix ans d’emprisonnement et d’amende, soient criminalisés.

Mme Valérie Boyer. Je persiste à dire, n’en déplaise à Mme Dubost, qu’aujourd’hui tout s’achète et tout se vend, y compris les êtres humains : il n’y a qu’à voir ces images abominables de personnes jetées sur les routes ou tentant de traverser la Méditerranée sur des radeaux de fortune – des personnes dont chacun sait qu’elles sont la proie de réseaux mafieux. Au début de la crise migratoire, je vous avais déjà interrogé, monsieur le ministre, dans le cadre des questions au Gouvernement. Aujourd’hui, rien n’a changé, et j’estime plus nécessaire que jamais que nous criminalisions les réseaux de passeurs.

Je redéposerai l’amendement en n’en conservant que le dernier alinéa, car il me paraît tout à fait scandaleux que le trafic d’êtres humains aggravé ne soit pas criminalisé. En le faisant, nous adresserions un signal aux trafiquants, et j’aimerais que l’on puisse discuter de cette proposition de façon sereine, sans que certains jettent l’anathème sur nous.

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. Je veux d’abord dire à Mme Boyer qu’elle n’a pas pu m’interroger en tant que ministre de l’Intérieur au début de la crise migratoire, car j’étais alors sénateur-maire de Lyon.

Mme Valérie Boyer. Effectivement, c’était votre prédécesseur. Je vous prie de m’excuser, monsieur le ministre.

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. Dans ce débat, il faut distinguer trois cas de figure. En premier lieu, celui des réseaux de passeurs qui font commerce d’êtres humains : ces organisations criminelles opèrent quelquefois à l’échelle d’un continent, drainant les migrants et se passant le relais aux frontières. En deuxième lieu, on trouve des personnes qui portent occasionnellement secours aux migrants et qu’il ne faut pas pénaliser. Ce cas de figure est déjà prévu à l’article L. 622-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, nous devrons donc analyser finement les modifications que vous souhaitez apporter. La troisième catégorie de personnes – qu’aucun d’entre vous n’a évoquée – est pour moi la plus dangereuse : il s’agit des personnes qui appellent à la suppression des frontières, donc à rejoindre en masse le territoire français de manière irrégulière, au nom de leurs convictions. Nous ne pouvons évidemment pas les soutenir ; cela irait à l’encontre de toutes nos lois !

Il est normal de ne pas pénaliser ceux qui, par générosité, aident des migrants dans la rue – beaucoup de Français le font. Mais il ne faut pas les confondre avec la dernière catégorie de personnes, extrêmement dangereuse – y compris pour les migrants – et totalement irresponsable. Par exemple, un certain nombre de comptes rendus de sauvetage de la gendarmerie de haute montagne soulignent qu’ils incitent les migrants à venir en France en franchissant des cols dans des conditions extrêmement difficiles. Sans l’action des gendarmes, les morts seraient nombreux… D’ici à la séance publique, je vous propose de travailler à une rédaction conjointe et précise de cet amendement.

Mme Naïma Moutchou. Monsieur le ministre, je vous remercie pour votre réponse. Il est important d’aboutir sur ce sujet. Vous avez raison, nous devons continuer à réfléchir à la meilleure rédaction, de manière à mieux prendre en compte la question des exemptions familiales soulevée par certains collègues. Je retire mon amendement.

Les amendements CL259 et CL765 sont retirés.

La Commission rejette lamendement CL740.

Elle se saisit ensuite en discussion commune des amendements CL106 de Mme Marietta Karamanli, CL655 de M. Éric Coquerel et CL463 de M. Sylvain Waserman.

M. Hervé Saulignac. « Humanité et efficacité » : notre amendement se propose de donner du sens à la formule, si vous en êtes d’accord.

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. « Humanité et efficacité », c’est toujours votre devise, monsieur Saulignac !

M. Hervé Saulignac. Nous proposons tout simplement d’abroger le « délit de solidarité » qui, même s’il n’existe pas en droit, existe dans les faits. Comme l’a rappelé ma collègue Marietta Karamanli, il a été institué à une époque – en 1938 – où notre pays connaissait une triste montée de la xénophobie et de l’antisémitisme. L’abroger serait une preuve d’humanité à l’égard de ceux qui se mettent parfois au service des migrants, mais également un signal à destination de la justice, parfois bien embarrassée, l’opinion ne comprenant pas les poursuites.

Il ne faut pas confondre ceux qui encouragent la migration illégale ou ceux qui apportent des « services » aux migrants contre rémunération d’un côté et, de l’autre, ceux qui leur viennent en aide sans but lucratif. Notre amendement propose de ne pas poursuivre la personne qui aurait apporté son aide à un étranger sans but lucratif.

Mme Clémentine Autain. Nous proposons également de mettre un terme au fameux « délit de solidarité ». En l’état actuel du droit, monsieur le ministre, vous acceptez que des personnes qui n’ont pas agi en connaissance de cause et qui l’ont fait sans but lucratif soient passibles de poursuites pénales, alors qu’elles viennent simplement au secours d’êtres humains, parfois mineurs, qui fuient la guerre ou la misère. Nous vous proposons une nouvelle formulation qui évitera que des personnes solidaires soient punies à l’avenir.

En effet, le 8 août 2017, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence a condamné M. Cédric Herrou à quatre mois de prison avec sursis et à mille euros de dommages et intérêts. Pendant le procès, l’avocat général a estimé que le prévenu avait reçu une contrepartie car « lorsque laide sinscrit dans la contestation globale de la loi, elle sert une cause militante et constitue à ce titre une contrepartie ». Nous souhaitons garantir que des humanistes comme lui – il y en a beaucoup – ne soient plus inquiétés. Monsieur Collomb, ils sont particulièrement soucieux du contenu de votre circulaire et de la façon dont vous les traitez. Une cause militante ne doit plus constituer une contrepartie. Cela serait conforme à notre tradition historique de protection des droits et libertés, ainsi qu’au devoir de solidarité et à la liberté de conscience, chèrement conquises au moment de la Révolution française.

Mme Élodie Jacquier-Laforge. Notre amendement vise à rendre sa cohérence au régime des immunités pénales prévues à l’article L. 622-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. De façon concrète, si une personne fournit des soins médicaux à un étranger en situation irrégulière afin de lui assurer des conditions de vie digne, la personne aidante n’est pas condamnable car la visée est humanitaire. En revanche, si cette même personne transporte dans son véhicule un étranger afin de lui fournir les soins médicaux, elle peut être pénalement condamnée !

Ces incohérences fragilisent le mécanisme des immunités. Elles ont conduit plusieurs de nos concitoyens à être inquiétés, voir pénalement condamnés. Nous souhaitons inclure le transport directement lié à l’une des exemptions couvertes par les actes de solidarité dans le dispositif de l’article L. 622-4. Nous ne touchons ni à l’équilibre ni à la qualification de l’infraction – afin de ne pas rendre impossible le démantèlement des filières –, mais voulons protéger ces actes de solidarité dont notre société a besoin.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Le débat est proche de celui que nous venons d’avoir. M. le ministre s’étant engagé à ce que l’on parvienne à une rédaction pour la séance publique, afin de prendre en compte les actes de solidarité et de générosité de nos concitoyens, mais également le nécessaire respect de la loi, je vous invite à retirer vos amendements.

M. Florent Boudié. Après la béatification de Jacques Toubon tantôt, voici maintenant celle de Cédric Herrou… Nous vivons une époque formidable !

Je rappelle à notre collègue de la Nouvelle Gauche que la question de l’abrogation du délit de solidarité s’était déjà posée en 2012. Elle avait été réclamée par François Hollande, mais n’avait pas pu aboutir. La loi du 31 décembre 2012 relative à la retenue pour vérification du droit au séjour et modifiant le délit d’aide au séjour irrégulier pour en exclure les actions humanitaires et désintéressées n’a pas permis de résoudre toutes les situations – Marietta Karamanli s’en souvient sans doute –, d’où l’intérêt de réfléchir à nouveau collectivement à la rédaction de cet article L. 622-4. Entre la solution que propose notre collègue Naïma Moutchou – j’étais cosignataire de l’amendement avec M. Olivier Véran – et l’amendement déposé par le MoDem, nous devrions pouvoir aboutir à une rédaction conforme à vos vœux pour la séance publique, monsieur le ministre.

Mme Marietta Karamanli. L’amendement de notre groupe a le mérite de la clarté et il est intelligible. Nous souhaitons le maintenir. Les modifications apportées au « délit de solidarité » sont intervenues en plusieurs étapes : en 2003, la clause humanitaire a été consacrée par amendement pour répondre aux craintes exprimées par les associations ; en 2012, la majorité est allée plus loin, en étendant l’immunité et en établissant une distinction claire entre les réseaux de trafic et les bénévoles – membres d’associations ou citoyens.

Si la formule de 2012 constitue un progrès, certaines personnes ont malgré tout été condamnées. La rédaction de notre amendement, simple et claire, nous permettra de franchir une nouvelle étape progressiste et humaniste – des qualités chères à la majorité – et de ne pas mettre en œuvre une politique de droite dure.

Mme Isabelle Florennes. Nous sommes prêts à retirer notre amendement sous réserve d’une discussion en séance publique. Nous souhaiterions malgré tout être rapidement éclairés sur la question du transport. Notre amendement était précis et factuel ; ce point nous intéresse tout particulièrement.

M. Guillaume Larrivé. Je voudrais me faire le porte-parole de M. Manuel Valls… même s’il s’exprimera peut-être lui-même. L’article L. 622-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile me convient parfaitement dans sa rédaction actuelle ! On ne pénalise pas celui qui aide au séjour pour des raisons médicales ou lorsqu’il s’agit d’assurer des conditions de vie digne et décente à l’étranger. Cette exception d’humanité – humanitaire – bloque la poursuite pénale.

Si l’on adoptait les amendements proposés par certains députés de La République en Marche, du MoDem ou de La France Insoumise, on légitimerait l’aide au séjour irrégulier pour des raisons politiques subversives. Certes, ce ne sont pas des raisons lucratives, mais si on adopte vos amendements et si quelqu’un refuse le respect de nos frontières pour des raisons politiques, puis organise une filière d’immigration irrégulière, il ne fera l’objet d’aucune poursuite pénale ! La sagesse serait de s’en tenir à la rédaction issue de la loi du 31 décembre 2012, présentée à l’époque par M. Manuel Valls.

M. Éric Coquerel. L’intervention de M. Larrivé – qu’il soit ou non le porte-parole de M. Valls – est intéressante. Il y a peu de temps, France 2 avait diffusé un reportage sur des migrants arrivant dans des villages français après avoir traversé les cols enneigés des Alpes. Les habitants de ces villages se contentaient de les héberger une nuit et de leur donner de la nourriture, selon nos principes de fraternité et d’humanité – une des bases de notre République. Au cours de ce reportage, la préfète avait dit la même chose que vous, monsieur Larrivé : il peut y avoir délit à partir du moment où, en hébergeant un migrant à son arrivée sur le territoire français, on l’incite à franchir la frontière de manière illégale ! Dans la situation actuelle, cela revient à criminaliser l’action de nos concitoyens qui ne supportent pas de voir quelqu’un mourir de froid ou de faim devant leur porte…

La rédaction de notre amendement est simple et vise à clarifier la situation, d’autant que nous excluons les passeurs et tous ceux qui font commerce de la misère humaine. Nous ne souhaitons pas travailler à un compromis car les propos de M. Collomb me font croire que nous lâcherions la proie pour l’ombre. Nous maintenons notre amendement.

M. Manuel Valls. Je souhaite soutenir le ministre de l’Intérieur, non par solidarité de fonction mais parce qu’il fait face à un problème majeur, qui n’était pas aussi aigu en 2012. La crise migratoire est passée par là et nous en aurons d’autres, sous d’autres formes…

En 2012, quand nous avons abrogé une partie des dispositions relatives à ce que l’on appelle le « délit de solidarité », c’était précisément pour essayer de répondre à l’expression de cette solidarité, nos concitoyens venant déjà en aide à ces gens en grande difficulté. Je n’ai pas d’amour-propre d’auteur – une disposition peut toujours être améliorée – mais je pense qu’il s’agissait du juste équilibre.

Je comprends les bonnes intentions face à ces situations insupportables. Mais aller au-delà de l’état actuel du droit reviendrait à donner des signes à rebours de ce que sont la réalité migratoire et la pression à nos frontières. À l’époque, la modification avait déjà été considérée comme extrêmement permissive ! Tout le monde – en commission comme dans l’hémicycle – peut se retrouver dans un juste équilibre, afin que la continuité, l’unité et un peu de lucidité prévalent face à notre situation frontalière.

Mme Laurence Vichnievsky. J’ajouterai qu’il faut faire confiance aux juges. Les situations doivent être appréciées au cas par cas et, dans la très grande majorité des dossiers, les juges font preuve d’humanité tout en respectant la loi.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Je vous le confirme car je suis allée à Montgenèvre et à Briançon, où j’ai rencontré des associations qui organisent des maraudes sur le territoire français : il n’y a pas de poursuites et, quand il y en a, les affaires sont classées sans suite. En effet, le juge peut vérifier le caractère humanitaire, solidaire et généreux de ces actions. La loi, assez logiquement, cadre cela.

La Commission rejette les amendements CL106 et CL655. Lamendement CL463 est retiré.

Elle examine ensuite lamendement CL620 de Mme Muriel Ressiguier.

Mme Danièle Obono. L’amendement dépénalise le séjour irrégulier en le faisant entrer dans le champ – contraventionnel – de l’article 131-13 du code pénal. Il s’agit de prendre acte des vagues jurisprudentielles progressistes suite à l’arrêt Hassen El Dridi de la Cour de Justice de l’Union européenne du 28 avril 2011. Les arrêts de la Cour de cassation pris sur cette base ont d’ailleurs forcé le Parlement à légiférer sur la garde à vue pour séjour irrégulier – nous en avons parlé.

Nous proposons de dépénaliser le fait pour des étrangers de se maintenir sur le territoire après une mesure de reconduite à la frontière, une obligation de quitter le territoire ou une interdiction administrative de territoire. La pénalisation est maintenue pour les étrangers ayant fait l’objet d’un arrêté d’expulsion ou d’une interdiction judiciaire du territoire, eu égard aux raisons impérieuses d’ordre public pouvant motiver de telles mesures.

Nous proposons de punir les premiers par des contraventions de cinquième classe – contraventions maximales – prévues à l’article 131-3 du code pénal. Ce serait un moyen d’atténuer la violence subie par ces personnes : la plus sévère des contraventions nous semble largement suffisante.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Violer une OQTF est un délit. Par ailleurs, le législateur n’est pas compétent pour créer une contravention. Avis défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Article 19 bis (nouveau)
(art. 22248, 2231 et 22411 [nouveaux], art. 3115, 31214 et 32216 du code pénal)
Interdiction du territoire français

Résumé du dispositif et effets principaux :

Le présent article, issu d’un amendement présenté par votre rapporteure, étend la liste des infractions, délictuelles ou criminelles, en répression desquelles le juge pénal est autorisé à prononcer, à titre principal ou complémentaire, une interdiction du territoire français (ITF) à l’encontre d’un ressortissant étranger.

Dernières modifications législatives intervenues :

La loi n° 2016‑987 du 21 juillet 2016, prorogeant l’application de la loi n° 55‑385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et portant mesures de renforcement de la lutte antiterroriste, a prévu le prononcé obligatoire de la peine d’interdiction du territoire français à l’encontre des auteurs d’actes de terrorisme, sauf motivation spéciale du juge.

1.   L’état du droit

Prévue aux articles L. 541-1 à L. 541-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui reprennent les articles 131-30 à 131-30-2 du code pénal, l’interdiction du territoire français est une peine prononcée par le juge pénal à l’encontre d’un étranger. Conformément au principe de légalité des délits et des peines, elle doit cependant être expressément prévue pour la répression d’une infraction en particulier pour que le juge puisse l’infliger.

Définitive ou à temps pour dix années, elle peut être prononcée à titre principal ou comme peine complémentaire à la suite de crimes et délits de droit commun. Les étrangers européens et non-européens peuvent en faire l’objet, mais des protections comparables à celles prévues contre l’expulsion sont accordées à ceux dont les liens avec la France sont les mieux établis ([189]).

Parce qu’elle est prévue au cas par cas à chaque infraction pénale, il est difficile de recenser le périmètre exact de l’interdiction du territoire français. Si elle peut être prononcée sans difficulté en répression des crimes par les cours d’assises, son application au champ délictuel est cependant plus difficile à établir, comme le montre, sans prétention d’exhaustivité, le tableau ci-après.

Délits de droit commun ([190]) réprimés d’interdiction du territoire français

Nature de linfraction

Article du code pénal

Prévoyant linfraction

Prévoyant lITF

Agressions sexuelles punies de dix ans d’emprisonnement

222-30

222-48

Trafic de stupéfiants puni de dix ans d’emprisonnement

222-36 à 222-39

Administration de substances nuisibles

222-15

Vol avec violences puni de dix ans d’emprisonnement

311-6

311-15

Recel aggravé puni de dix ans d’emprisonnement

321-2

321-11

Faux et usage de faux

441-1 à 441-8

441-11

Trafic d’armes

222-52 à 222-59

222-64

Proxénétisme et infractions qui en résultent

225-5 à 225-7 et 225-10

225-21

Extorsion aggravée punie de dix ans d’emprisonnement

312-2

312-14

Blanchiment

324-1 et 324-2

324-8

Terrorisme

421-1 à 421-6

422-4

Participation armée à un attroupement

431-5

431-8

Participation armée à une manifestation / réunion publique

431-10

431-12

Corruption et trafic d’influence (administration)

435-1 à 435-4

435-14

Corruption et trafic d’influence (justice)

435-7 à 435-10

Fausse monnaie

442-2 à 442-4

442-12

Falsification de titres ou de valeurs fiduciaires

443-1 et 443-2

443-7

Falsification des marques de l’autorité publique

444-1 à 444-5

444-8

Source : commission des Lois.

Lorsqu’elle est prononcée à titre principal, l’ITF assortie de l’exécution provisoire entraîne de plein droit le placement en rétention du condamné. Si elle est prononcée à titre complémentaire, le placement en rétention a lieu, le cas échéant, à l’expiration de la peine d’emprisonnement ([191]). L’éloignement d’un étranger condamné à une interdiction du territoire français en première instance peut valablement avoir lieu avant la date de l’audience d’appel ([192]).

La procédure contentieuse applicable à un étranger placé en rétention à la suite d’une ITF est sensiblement plus simple que celle qui prévaut à la suite d’une OQTF ou d’un arrêté d’expulsion. En effet, dès lors que la décision émane d’une juridiction pénale, elle ne peut être contestée devant le tribunal administratif. La prolongation de la rétention est, en revanche, soumise à l’appréciation du juge des libertés et de la détention suivant la procédure classique.

2.   Les dispositions adoptées par la commission des Lois

Sur proposition de votre rapporteure et considérant que la décision relevant de la justice pénale constitue la meilleure des garanties des droits des personnes comme des intérêts de la société, la commission des Lois a souhaité étendre le nombre de délits susceptibles de donner lieu à une interdiction du territoire français.

Le rend l’ITF possible à l’encontre des violences volontaires aggravées, des violences habituelles sur personne vulnérable, de l’embuscade, du mariage forcé, de l’empoisonnement et des agressions sexuelles.

Le permet d’interdire du territoire français l’auteur d’un avortement sans le consentement de la femme concernée.

Le prévoit l’ITF à l’encontre des auteurs d’enlèvement, de détournement d’aéronefs ou de navire, et de réduction d’êtres humains en esclavage.

Le autorise la répression par une ITF des vols aggravés accompagnés de violences ou visant un objet classé.

Le intègre l’extorsion au périmètre de l’ITF.

Le dispose qu’une ITF est possible en cas de destruction, dégradation ou détérioration du bien d’autrui par l’effet d’une substance explosive ou incendiaire mettant en danger les personnes.

*

*     *

La Commission examine lamendement CL899 de la rapporteure.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Lors de son audition, le vice-procureur de Toulouse nous a expliqué qu’un grand nombre d’étrangers en situation irrégulière faisaient l’objet de condamnations qu’il était impossible d’assortir d’une peine d’interdiction du territoire français.

Cet amendement vise à permettre aux juridictions de prononcer, à titre principal ou complémentaire, la peine d’ITF en répression de certaines infractions délictuelles graves, dont l’exposé des motifs dresse la liste. Il faut savoir que la plus grande partie des condamnations d’étrangers en situation irrégulière vise ces délits d’une gravité caractérisée, comme les agressions sexuelles, les vols avec violence ou encore les avortements forcés.

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. Avis favorable.

Mme Laurence Vichnievsky. Je vous remercie d’avoir déposé cet amendement, madame la rapporteure. Je me souviens de cas où j’ai requis des peines d’ITF alors qu’elles n’étaient pas prévues, tant cela me paraissait insensé. Cette mesure est indispensable. Le groupe MoDem votera cet amendement.

La Commission adopte lamendement.

Après l’article 19

La Commission examine lamendement CL736 de Mme Valérie Boyer.

Mme Valérie Boyer. Il faut interdire le retour des terroristes étrangers. La première des libertés consiste à vivre en toute sécurité. Dans le contexte actuel, nous ne pouvons-nous contenter de guérir les blessures de notre pays avec des minutes de silence, des peluches, des commémorations ou des marches silencieuses. Nous devons donner des signes forts de notre résistance. En tant que législateur, dans le cadre de l’examen de ce projet de loi, nous devons prendre nos responsabilités et doter notre pays de dispositifs efficaces de lutte contre le terrorisme. La France a pleuré ses victimes, la semaine dernière son héros. Face à cette souffrance, notre responsabilité est d’agir en faisant bloc autour des valeurs françaises pour abattre les fondamentalismes islamiques. Nous ne devons plus nous contenter de discours et d’annonces : nous sommes en guerre et nous ne devons pas baisser les bras.

Il s’agit ici de rendre systématique et définitive l’ITF pour les ressortissants étrangers condamnés pour des actes de terrorisme. Aujourd’hui, l’ITF peut être définitive ou limitée à dix ans. Il ne s’agira pas d’une peine automatique puisque c’est le juge qui la prononcera. Comme pour le trafic d’êtres humains, nous devons envoyer des signaux forts.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Une ITF doit pouvoir être modulée par le juge pour être réellement efficace. Avis défavorable.

M. Guillaume Larrivé. Madame la rapporteure, vous avez le droit d’être en désaccord, mais votre devoir est de dire des choses juridiquement exactes. Nous ne disons pas que l’ITF doit être automatique, mais définitive. Le deuxième alinéa de l’article 422-4 du code pénal, que nous n’entendons pas modifier, prévoit que la juridiction peut, par une décision spécialement motivée, décider de ne pas prononcer l’ITF.

M. Éric Coquerel. Madame Boyer, vous expliquez qu’il ne faut pas se contenter de guérir les blessures, mais agir en amont. Faut-il rappeler que presque toutes les personnes qui ont commis des actes de terrorisme sur le territoire étaient soit de nationalité française ou belge, soit des ressortissants installés depuis longtemps en France ? Vous laissez penser, au moins dans l’exposé sommaire de votre amendement, qu’il existe entre les migrants et les personnes coupables de terrorisme un lien tellement étroit qu’il faut réagir dans l’urgence. Venant de vous, cela ne m’étonne pas tant que ça.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Monsieur Larrivé, j’ai parfaitement compris l’objet de cet amendement. Il ne s’agit pas d’une peine automatique et je ne l’ai jamais prétendu. Pour autant, la prévoir uniquement dans sa version définitive revient à ôter au juge la possibilité de la moduler, donc son pouvoir d’appréciation.

La Commission rejette lamendement.

Elle est saisie de lamendement CL788 de Mme Valérie Boyer.

Mme Valérie Boyer. Depuis quelques années, le nombre de mineurs non accompagnés, autrefois les « mineurs isolés étrangers », ne cesse d’augmenter. En 2017, le nombre de mineurs migrants confiés aux départements a augmenté de 85 % pour dépasser 25 000 personnes, contre 4 000 en 2010. Selon le rapport Doineau, 71 % des MNA viennent d’Afrique, en particulier d’Afrique de l’Ouest, où ils fuient la pauvreté et le manque de perspectives. Ils sont souvent pris par des passeurs.

Les évaluations ont dépassé, l’an dernier, le nombre de 50 000. Leur durée s’est allongée pour atteindre quarante jours en moyenne. Dans plusieurs départements, le coût de la prise en charge des MNA augmente considérablement. Certaines collectivités estiment que la facture pourrait atteindre 1,5 milliard dans six mois alors qu’elle était évaluée à 1 milliard en septembre. Le coût annuel de la prise en charge d’un mineur étranger au titre de l’aide sociale à l’enfance est de 50 000 euros quand la contribution de l’État ne dépasse pas 1 250 euros par personne.

Malheureusement, les Français ne choisissent pas qui entre en France ; ce sont les passeurs qui décident. De plus, certains mineurs déboutés dans un département se rendent dans un autre pour tenter une nouvelle évaluation. Dans l’optique de faciliter le travail de la justice et des départements, il est proposé de créer un fichier national biométrique.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. La rédaction de l’amendement ne correspond pas à son objet, dans la mesure où il n’est pas précisé que seuls les mineurs étrangers sont concernés par ce fichier. Un tel amendement aurait pour effet de ficher tous les mineurs non accompagnés, même français, ce qui n’a pas de sens.

Par ailleurs, créer un fichier biométrique suppose la saisie de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) et une enquête sur l’objet des fiches. Avis défavorable.

Mme Valérie Boyer. Je vous répondrai pour ma part sans condescendance, madame la rapporteure : s’agissant d’un texte sur l’immigration, il semble évident que cet amendement concerne les mineurs étrangers.

La Commission rejette lamendement.

  Titre III
Accompagner efficacement lintégration et laccueil des étrangers en situation régulière

Avant l’article 20

La Commission est saisie des amendements identiques CL35 de Mme Fiona Lazaar, rapporteure pour avis de la commission des Affaires sociales, et CL84 de M. Florent Boudié.

Mme Fiona Lazaar, rapporteure pour avis de la commission des Affaires sociales. Cet amendement vise à modifier l’intitulé du titre III afin d’y inscrire la nécessité d’instituer un suivi et un accompagnement de l’étranger en situation régulière, et d’insérer une dimension de recherche d’efficacité dans les procédures d’accueil et d’intégration.

M. Florent Boudié. Je retire l’amendement CL84.

Lamendement CL84 est retiré.

Suivant lavis favorable de la rapporteure et du Gouvernement, la Commission adopte lamendement.

Lintitulé du titre III est ainsi rédigé.

Chapitre Ier
Dispositions en faveur de lattractivité et de laccueil des talents et des compétences

Article 20
(art. L. 31320 et L. 31321 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile)
Modifications de la carte de séjour pluriannuelle portant la mention « passeport talent »

Résumé du dispositif et effets principaux :

L’article 20 étend le champ de la carte de séjour pluriannuelle « passeport talent » aux salariés des entreprises « innovantes » et à toute personne susceptible de participer au rayonnement de la France. Il comporte également plusieurs mesures de transposition de la directive (UE) 2016/801 du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2016 relative aux conditions d’entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers à des fins de recherche, d’études, de formation, de volontariat et de programmes d’échange d’élèves ou de projets éducatifs et de travail au pair.

Dernières modifications législatives intervenues :

Le passeport talent a été créé par la loi  2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France afin de rénover le dispositif daccueil en faveur des étrangers à haut potentiel. Il a réuni sous un même dispositif les différents régimes dattractivité en vigueur et institué de nouveaux motifs de séjour.

Modifications apportées par la commission des Lois :

Outre plusieurs amendements rédactionnels de votre rapporteure, la Commission a adopté trois amendements émanant des commissions saisies pour avis visant à élargir la délivrance du « passeport talent » aux étrangers qui participent au développement environnemental, social et international de l’entreprise, à reconnaître l’artisanat comme une activité susceptible d’entrer dans le champ d’application du passeport talent et à renvoyer à un décret les modalités de reconnaissance des entreprises innovantes.

1.   L’état du droit

La loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France a créé la carte de séjour pluriannuelle portant la mention « passeport talent », qui sadresse aux étrangers à fort potentiel afin daméliorer lattractivité de notre territoire.

À la différence de la carte de séjour pluriannuelle générale, ce titre est délivré dès ladmission au séjour, sans quil soit besoin davoir séjourné une première année en France (article L. 313-20 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile). Sa durée est de quatre ans maximum.

Le passeport talent a remplacé les dispositifs dattractivité en vigueur, les titres spécifiques créés depuis 2008 pour les étrangers à fort potentiel étant trop peu lisibles, voire inefficaces.

 

Larticle L. 313–20 dresse la liste des dix cas, repris dans le tableau présenté ci-après, permettant la délivrance dun passeport talent.

 

Article L. 313–20

Cas de délivrance

Historique

Salarié qualifié titulaire dun diplôme Bac +5 obtenu en France ou recruté par une jeune entreprise innovante

Motif de séjour créé en 2016

Carte bleue européenne

Titre de séjour antérieur à 2016

Salarié en mission

Titre de séjour antérieur à 2016

Carte chercheur

Titre de séjour antérieur à 2016

Créateur dentreprise

Motif de séjour créé en 2016

Porteur dun projet économique innovant reconnu par un organisme public

Motif de séjour créé en 2016

Investisseur économique direct en France

Titre de séjour modifié en 2016

Mandataire social

Titre de séjour modifié en 2016

Profession artistique et culturelle

Titre de séjour antérieur à 2016

10°

Étranger dont la renommée nationale ou internationale est établie

Titre de séjour modifié en 2016

En complément, la loi du 7 mars 2016 précitée a créé, à larticle L. 313–21, la carte de séjour pluriannuelle portant la mention « passeport talent (famille) ». Cette dernière est délivrée de plein droit, sil est âgé dau moins dix-huit ans, au conjoint de létranger ainsi quà ses enfants entrés mineurs en France. La durée de cette carte est égale à la période de validité restant à courir de la carte de séjour de leur conjoint ou parent. Elle donne droit à lexercice dune activité professionnelle.

Létude dimpact fournit des données chiffrées permettant de dresser un premier bilan de cette réforme : « Le nombre total de cartes de séjour « passeport talent » délivrées depuis le 1er novembre 2016 sélevait au 31 décembre 2017 à 30 428 (dont 4 856 pour des membres de famille) avec 10 808 titres en première délivrance (7 272 cartes de séjour pluriannuelles de 2 à 4 ans et 3 536 visas de long séjour valant titre de séjour pour des séjours dune durée dun an maximum) (…) Trois titres qui existaient précédemment sont parmi les plus délivrés : 12 277 cartes « chercheur », 2 132 « salarié en mission » et 2 157 « carte bleue européenne » ainsi quun nouveau titre, celui destiné au salarié qualifié titulaire dun diplôme bac +5 obtenu en France ou au salarié dune jeune entreprise innovante (4 798 dont 4 626 en renouvellement). Ces quatre titres représentent plus de 83 % des délivrances totales hors « passeport talent (famille) ». » ([193])

2.   Le dispositif proposé

Le du présent article modifie l’article L. 313–20 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui régit les modalités d’octroi du passeport talent.

L’alinéa 3 permet aux entreprises innovantes reconnues par un organisme public de recruter des salariés via le dispositif « passeport talent » même si elles n’ont pas le statut fiscal de « jeunes entreprises innovantes » au sens de l’article 44 sexies–O A du code général des impôts. Cela devrait notamment permettre d’en faire bénéficier les entreprises créées dans le cadre du dispositif « French Tech Visa », labellisées par l’Agence du numérique, service à compétence nationale du ministère de l’économie, qui ne satisfont pas nécessairement aujourd’hui à l’ensemble des critères fixés par le code général des impôts.

Les critères de la jeune entreprise innovante fixés par larticle 44 sexies–O A

 

Une entreprise est qualifiée de jeune entreprise innovante réalisant des projets de recherche et de développement lorsque, à la clôture de l’exercice, elle remplit simultanément les conditions suivantes :

1° elle est une petite ou moyenne entreprise, c’est-à-dire employant moins de 250 personnes, et qui a soit réalisé un chiffre d’affaires inférieur à 50 millions d’euros au cours de l’exercice, ramené ou porté le cas échéant à douze mois, soit un total du bilan inférieur à 43 millions d’euros. L’effectif de l’entreprise est apprécié par référence au nombre moyen de salariés employés au cours de cet exercice ;

2° elle est créée depuis moins de huit ans ;

3° a. elle a réalisé des dépenses de recherche, définies aux a à g du II de l’article 244 quater B, représentant au moins 15 % des charges fiscalement déductibles au titre de cet exercice, à l’exclusion des charges engagées auprès d’autres jeunes entreprises innovantes réalisant des projets de recherche et de développement ;

b. Ou elle est dirigée ou détenue directement à hauteur de 10 % au moins, seuls ou conjointement, par des étudiants, des personnes titulaires depuis moins de cinq ans d’un diplôme conférant le grade de master ou d’un doctorat, ou des personnes affectées à des activités d’enseignement ou de recherche, et elle a pour activité principale la valorisation de travaux de recherche auxquels ces dirigeants ou ces associés ont participé, au cours de leur scolarité ou dans l’exercice de leurs fonctions, au sein d’un établissement d’enseignement supérieur habilité à délivrer un diplôme conférant au moins le grade de master. Les conditions dans lesquelles est organisée cette valorisation sont fixées dans une convention conclue entre l’entreprise et l’établissement d’enseignement supérieur, dont le contenu et les modalités sont précisés par décret en Conseil d’État. Ce décret définit notamment la nature des travaux de recherche qui font l’objet de la convention, les prestations dont peut bénéficier l’entreprise et les modalités de la rémunération de l’établissement d’enseignement supérieur ;

4° son capital est détenu de manière continue à 50 % au moins :

a. par des personnes physiques ;

b. ou par une société répondant aux mêmes conditions dont le capital est détenu pour 50 % au moins par des personnes physiques ;

c. ou par des sociétés de capital-risque, des fonds communs de placement à risques, des fonds professionnels spécialisés relevant de l’article L. 214-37 du code monétaire et financier dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2013-676 du 25 juillet 2013 modifiant le cadre juridique de la gestion d’actifs, des fonds professionnels de capital investissement, des sociétés de libre partenariat, des sociétés de développement régional, des sociétés financières d’innovation ou des sociétés unipersonnelles d’investissement à risque à la condition qu’il n’existe pas de lien de dépendance au sens des deuxième à quatrième alinéas du 12 de l’article 39 entre la société en cause et ces dernières sociétés ou ces fonds ;

d. ou par des fondations ou associations reconnues d’utilité publique à caractère scientifique, ou par une société qualifiée elle-même de jeune entreprise innovante réalisant des projets de recherche et développement ;

e. ou par des établissements publics de recherche et d’enseignement ou leurs filiales ;

5° elle n’est pas créée dans le cadre d’une concentration, d’une restructuration, d’une extension d’activités préexistantes ou d’une reprise de telles activités au sens du III de l’article 44 sexies.

L’alinéa 4 complète les dispositions du « passeport talent » relatives aux chercheurs. Ce titre pourra désormais être délivré avec la mention « chercheur – programme de mobilité » lorsque le chercheur relève d’un programme de l’ Union européenne, d’un programme multilatéral comportant des mesures de mobilité dans un ou plusieurs États membres ou d’une convention signée avec un organisme public ou privé ayant une mission de recherche ou d’enseignement supérieur préalablement agréé ([194]).

La création de cette carte est exigée par l’article 17 de la directive (UE) n° 2016/801 du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2016 relative aux conditions d’entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers à des fins de recherche, d’études, de formation, de volontariat et de programmes d’échange d’élèves ou de projets éducatifs et de travail au pair. Le « programme Marie Curie » est un exemple de programme de mobilité financé par l’UE ([195]).

Les alinéas 5 et 6 prennent en compte les évolutions de la réglementation européenne, et notamment de la directive (UE) n° 2016/801 du 11 mai 2016 précitée s’agissant :

– des différentes durées de mobilité (1 an pour la mobilité de longue durée, 180 jours pour toute période de 360 jours pour la mobilité de courte durée) ;

– de l’admission au séjour du conjoint et des enfants du couple dans les mêmes conditions que le chercheur.

L’alinéa 7 ajoute la possibilité de délivrer cette carte de séjour à l’étranger « susceptible de participer de façon significative et durable au développement économique, au développement de laménagement du territoire ou au rayonnement de la France ». Cette nouvelle notion permet d’élargir celle, jugée trop restrictive, de « renommée nationale ou internationale établie ». L’étude d’impact souligne en effet que l’administration a parfois été amenée à donner des instructions aux consulats et préfectures pour délivrer un titre « passeport talent » à des artistes recrutés par l’académie de l’Opéra national de Paris bien que la condition de renommée nationale ou internationale ne soit pas établie, afin d’éviter que l’étranger ne choisisse un autre pays. Il s’agit d’un enjeu d’attractivité du territoire.

Le du présent article modifie l’article L. 313–21 relatif au « passeport talent (famille) » afin de remédier à une non–conformité à la directive (UE) 2016/801 du 11 mai 2016 précitée et à la directive 2009/50/CE du Conseil du 25 mai 2009 établissant les conditions d’entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers aux fins d’un emploi hautement qualifié. Ces deux directives prévoient que la carte de séjour doit être délivrée aux enfants du couple, y compris aux enfants du conjoint dont ce dernier à la charge. Or, la formulation actuelle de l’article L. 313–21 est plus restrictive car elle limite le titre aux enfants du titulaire du passeport talent. L’alinéa 8 apporte donc cette précision. Le Gouvernement a fait le choix d’étendre cette modification à l’ensemble des familles des titulaires d’un passeport talent, au–delà de ce qui est exigé par la réglementation européenne pour les chercheurs et les titulaires d’une carte bleue européenne. Votre rapporteure salue ce choix, qui sera un élément supplémentaire d’attractivité de ce dispositif.

L’alinéa 9 dispose par ailleurs que la famille du détenteur d’une carte de séjour temporaire portant la mention « scientifique-chercheur » se voit délivrer de plein droit la carte « passeport talent (famille) ».

3.   Les modifications apportées par la commission des Lois

Avec l’avis favorable de votre rapporteure et du Gouvernement, la Commission a adopté plusieurs amendements émanant des commissions saisies pour avis :

– deux amendements de la commission des Affaires étrangères visant respectivement à élargir la délivrance de la carte de séjour pluriannuelle portant la mention « passeport talent » aux étrangers qui participent au développement environnemental, social et international de l’entreprise et à reconnaître l’artisanat comme une activité susceptible d’entrer dans le champ d’application ;

– un amendement de la commission des Affaires sociales renvoyant à un décret les modalités de reconnaissance des entreprises innovantes.

*

*     *

La Commission examine lamendement de suppression CL64 de M. Fabien Di Filippo.

Mme Valérie Boyer. Le Gouvernement souhaite que le « passeport talent » soit étendu à de nouvelles catégories. Or il est indispensable, aujourd’hui, de limiter l’immigration régulière aux capacités d’accueil en matière d’emploi et de logement.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. L’article 20 étend le champ de la carte de séjour pluriannuelle « passeport talent » pour permettre d’améliorer l’attractivité de notre territoire. Il comporte également plusieurs mesures de transposition de la directive sur le séjour des étudiants et des chercheurs. J’y suis particulièrement attachée. Avis défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Elle adopte successivement les amendements rédactionnels CL220 et CL222 de la rapporteure.

Elle examine lamendement CL36 de la rapporteure pour avis de la commission des Affaires sociales.

Mme Fiona Lazaar, rapporteure pour avis de la commission des Affaires sociales. Cet amendement vise à éviter toute incohérence dans l’application que les services pourraient faire de l’extension du titre « passeport talent » aux entreprises innovantes reconnues par un organisme public. Il est précisé que les entreprises innovantes sont déterminées suivant des critères définis par décret et que, pour plus de transparence, leur liste est publiée par le Gouvernement.

Suivant lavis favorable de la rapporteure et du ministre, la Commission adopte lamendement.

Elle est saisie de lamendement CL215 de Mme Marielle de Sarnez, rapporteure pour avis de la commission des Affaires étrangères.

Mme Delphine O. Le dispositif « passeport talent » est essentiel pour le rayonnement de la France et son attractivité. L’alinéa 3 de l’article 20 étend le champ de la carte de séjour pluriannuel à l’étranger dont les fonctions s’inscrivent dans le cadre du projet de développement économique de l’entreprise. La rapporteure pour avis et présidente de la commission des Affaires étrangères, que je représente, propose d’élargir la délivrance du « passeport talent » aux étrangers qui participent au développement « social, international et environnemental » de l’entreprise.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Il s’agit de tenir compte des réalités de notre économie. J’émets donc un avis particulièrement favorable.

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. Le Gouvernement souhaite que les entreprises soient sociales, internationales et environnementales ; il émet un avis favorable.

La Commission adopte lamendement.

Elle examine lamendement CL208 de M. Éric Diard.

M. Robin Reda. Les talents, aussi brillants soient-ils, peuvent constituer des menaces. Cet amendement vise à affirmer le principe de sécurité, puisque l’on ne saurait déroger à l’impératif de protection de la société et de l’ordre public.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. L’amendement est satisfait par l’article L. 313-3 du CESEDA, qui dispose que la carte de séjour temporaire ou la carte de séjour pluriannuelle peuvent, par une décision motivée, être refusées ou retirées à tout étranger dont la présence en France constitue une menace grave pour l’ordre public. Avis défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Elle est saisie de lamendement CL216 de la rapporteure pour avis de la commission des Affaires étrangères.

Mme Delphine O. Je retire cet amendement au profit de l’amendement CL844.

Lamendement est retiré.

La Commission adopte successivement les amendements rédactionnels CL223 et CL224 de la rapporteure.

Elle est saisie de lamendement CL176 de M. Éric Ciotti.

M. Robin Reda. Il s’agit de supprimer, à la fin de l’alinéa 7, les mots « ou au rayonnement de la France », notion qui nous paraît particulièrement floue. Nous regrettons que, dans le cadre de cet examen, ne soit pas évoquée la nécessité de réguler l’immigration légale.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Je m’étonne que vous ne sachiez pas définir ce qu’est le rayonnement de la France, monsieur Reda. Il peut être social, environnemental, économique, artistique même.

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. Vous nous avez reproché tout à l’heure de ne pas faire nôtres les notions chères à votre cœur. Nous imaginions pourtant vous faire plaisir avec une expression d’inspiration gaullienne !

M. Robin Reda. Sans vouloir faire encore référence à mon âge, monsieur le ministre, j’ai appris le gaullisme dans les livres d’histoire… Le rayonnement de la France est un motif qui nous semble vague et fourre-tout, un prétexte pour accroître l’immigration illégale, qu’il faut pourtant réguler.

La Commission rejette lamendement.

Elle examine lamendement CL217 de la rapporteure pour avis de la commission des Affaires étrangères.

Mme Delphine O. Dans la version actuelle de l’article L. 313-20 du CESEDA, le « passeport talent » est délivré à l’étranger dont la renommée nationale ou internationale est établie et qui vient exercer en France une activité dans un domaine scientifique, littéraire, artistique, intellectuel, éducatif ou sportif.

L’objet de cet amendement est de compléter les domaines d’activité cités en y ajoutant l’artisanat. Il s’agit de reconnaître l’artisanat comme une filière d’excellence, une activité susceptible de propulser l’artisan sur le devant de la scène nationale et internationale. L’objectif est d’inciter les talents internationaux qui exercent une activité manuelle de haut niveau à venir temporairement en France perfectionner certaines compétences et, à terme, faire rayonner la France dans le monde.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Avis très favorable.

La Commission adopte lamendement.

Elle est saisie de lamendement CL844 de M. Pierre Cabare.

Mme Delphine O. Le champ du « passeport talent » est étendu aux salariés d’une entreprise innovante, reconnue comme telle par un organisme public, et ce même si l’entreprise n’a pas le statut fiscal de jeune entreprise innovante. Le Conseil d’État note que « lextension du titre « passeport talent » aux entreprises innovantes reconnues par un organisme public nappelle pas de réserve, dès lors que le Gouvernement note la nécessité de rendre publique la liste des organismes et procédures de reconnaissance concernés, pour éviter toute disharmonie dans lapplication que les services pourront faire de ces dispositions sur le territoire. »

Cet amendement prévoit donc que seront insérées dans le décret en Conseil d’État la liste des organismes publics qui reconnaissent le caractère innovant des entreprises et les modalités de reconnaissance. Gage de transparence, il participe aussi à renforcer l’attractivité et le rayonnement de la France.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Cet amendement est satisfait par l’adoption de l’amendement CL36, défendu par la rapporteure pour avis de la commission des Affaires sociales. Je vous demande de bien vouloir le retirer.

Lamendement est retiré.

Suivant lavis défavorable de la rapporteure, la Commission rejette lamendement CL209 de M. Éric Diard.

Puis elle adopte larticle 20 modifié.

Article 21
(art. L. 3137, L. 3138, L. 31327 et L. 5312 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile)
Création de cartes de séjour « étudiant – programme de mobilité » et « recherche demploi ou création dentreprise »

Résumé du dispositif et effets principaux :

L’article 21 transpose plusieurs dispositions de la directive (UE) 2016/801 du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2016 relative aux conditions d’entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers à des fins de recherche, d’études, de formation, de volontariat et de programmes d’échange d’élèves ou de projets éducatifs et de travail au pair. À cet effet il :

– crée deux nouvelles cartes de séjour « étudiant – programme de mobilité », l’une temporaire, l’autre pluriannuelle ;

– transforme l’autorisation provisoire de séjour actuellement délivrée à certains étudiants ayant obtenu leur diplôme en carte de séjour temporaire « recherche demploi ou création dentreprise » non renouvelable ;

– prévoit les cas dans lesquels la France peut remettre à un autre État membre de l’UE un étranger étudiant ou chercheur dans le cadre d’une mobilité.

Dernières modifications législatives intervenues :

La loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France a simplifié le parcours administratif des étudiants étrangers par l’instauration de la carte de séjour pluriannuelle et la possibilité d’un accès simplifié au marché du travail en France grâce à un titre de séjour d’un an pour recherche d’emploi.

Modifications apportées par la commission des Lois :

Cet article a fait l’objet de deux amendements rédactionnels de votre rapporteure.

1.   L’état du droit

La directive 2016/801 (UE) du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2016 relative aux conditions d’entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers à des fins de recherche, d’études, de formation, de volontariat et de programmes d’échange d’élèves ou de projets éducatifs et de travail au pair – dite directive « étudiants–chercheurs » est la refonte de deux directives :

– la directive 2004/114/CE du 13 décembre 2004 relative aux conditions d’admission des ressortissants de pays tiers à des fins d’études, d’échange d’élèves, de formation non rémunérée ou de volontariat, dite « étudiants » ;

– la directive 2005/71/CE du 12 octobre 2005 relative à une procédure d’admission spécifique des ressortissants de pays tiers aux fins de recherche scientifique, dite directive « chercheurs ».

Ces deux directives ont fait l’objet de critiques, principalement liées aux conditions d’admission, aux droits, aux garanties procédurales, à l’accès des étudiants au marché du travail pendant leurs études et aux dispositions régissant la mobilité à l’intérieur de l’UE. Les objectifs poursuivis par la directive (UE) 2016/801 du 11 mai 2016 précitée sont de remédier à ces points faibles afin d’offrir un cadre juridique plus cohérent.

Cette directive prévoit la délivrance d’un certain nombre de titres de séjour qui n’existent pas à l’heure actuelle en droit français :

– la carte de séjour « chercheur – programme de mobilité » (article 17 de la directive, article 20 du présent projet de loi) ;

– la carte de séjour « étudiant – programme de mobilité » (article 17 de la directive, I et III du présent article) ;

– la carte de séjour « recherche demploi ou création dentreprise » (article 25 de la directive, II du présent article).

2.   Les étudiants

a.   L’état du droit

La loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France a simplifié le parcours administratif des étudiants étrangers en instaurant une carte de séjour pluriannuelle.

En effet, aux termes de l’article L. 313–7 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, la carte de séjour « étudiant » est accordée de plein droit à l’étranger ([196]) :

– auquel un visa pour un séjour d’une durée supérieure à trois mois a été accordé dans le cadre d’une convention signée entre l’État et un établissement d’enseignement supérieur et qui est inscrit dans cet établissement ;

– ayant satisfait aux épreuves du concours d’entrée dans un établissement d’enseignement supérieur ayant signé une convention avec l’État ;

– boursier du Gouvernement français ;

– titulaire du baccalauréat français préparé dans un établissement relevant de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger ou titulaire d’un diplôme équivalent et ayant suivi pendant au moins trois ans une scolarité dans un établissement français de l’étranger ;

– ressortissant d’un pays ayant signé avec la France un accord de réciprocité relatif à l’admission au séjour des étudiants.

Au terme de sa première année de séjour en France, l’étranger peut demander le renouvellement de son droit au séjour et bénéficier alors d’une carte de séjour pluriannuelle d’une durée équivalente à son cycle d’études restant à courir, sous réserve du caractère réel et sérieux des études, apprécié au regard des éléments produits par les établissements de formation et par l’intéressé. Un redoublement par cycle d’études ne remet pas en cause, par lui-même, le caractère sérieux des études (article L. 313-18 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile).

Avec 310 000 étudiants étrangers accueillis en 2015, la France se place en quatrième position comme pays de destination des étudiants internationaux dans le monde, derrière les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie. Même si le nombre d’étudiants étrangers reçus en France a été multiplié par trois en vingt-cinq ans, il n’en demeure pas moins que cette progression reste inférieure à celle de la mobilité internationale étudiante dans le monde. Selon une récente étude de Campus France, 45 % des étudiants étrangers actuellement en France ont ainsi hésité avec d’autres pays au moment de leur choix.

b.   Le dispositif proposé

Le I du présent article complète l’article L. 313–7 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile pour prévoir la création d’une carte de séjour temporaire « étudiant – programme de mobilité ».

Cette carte, d’une durée inférieure ou égale à un an et renouvelable une fois, pourra être délivrée aux étudiants relevant d’un programme de l’UE, d’un programme multilatéral comportant des mesures dans un ou plusieurs États membres de l’UE ou d’une convention entre au moins deux établissement d’enseignement supérieur situés dans au moins deux États membres de l’UE (alinéa 3).

Conformément aux prescriptions de la directive (UE) 2016/801 du 11 mai 2016, l’étranger ayant été admis au séjour dans un autre État membre et inscrit dans un programme de mobilité peut séjourner au France après notification de sa mobilité auprès des autorités pour une durée maximale d’un an pour effectuer une partie de ses études, au sein d’un établissement supérieur, pour autant qu’il dispose de ressources suffisantes (alinéa 4).

Le III du présent article crée, à l’article L. 313–27 (nouveau), une nouvelle carte de séjour pluriannuelle « étudiant – programme de mobilité ». Elle est délivrée, dès sa première admission au séjour, à l’étudiant qui relève d’un programme de l’UE ou d’un des autres programmes mentionnés pour la carte de séjour temporaire « étudiant – programme de mobilité ».

Cette carte est délivrée pour la durée du programme de mobilité et ne peut être inférieure à deux ans. Elle peut être accordée sans production par l’étranger d’un visa de long séjour, sous réserve d’une entrée régulière en France.

3.   Les étudiants ou chercheurs en recherche d’emploi ou de création d’entreprise

a.   L’état du droit

La loi du 7 mars 2016 précitée donne la possibilité aux étudiants d’accéder plus simplement au marché du travail en France grâce à un titre de séjour d’un an pour recherche d’emploi et à l’absence d’opposabilité de la situation de l’emploi sous conditions.

Depuis le 1er novembre 2016, une autorisation provisoire de séjour (APS) d’un an peut être délivrée à l’étudiant étranger titulaire d’un diplôme de niveau bac +5 (master ou diplôme de niveau I de la conférence des grandes écoles), d’un doctorat ou d’une licence professionnelle qui, à l’issue de ses études, reste en France à des fins de recherche d’emploi salarié ou de création d’entreprise. En 2016, 15 315 APS ont été délivrées à des étudiants ayant achevé avec succès leurs études en France.

Les chercheurs qui, à l’issue de leurs travaux de recherche, souhaitent rester en France pour rechercher un emploi ne peuvent cependant pas bénéficier de la même facilité même s’ils peuvent, comme les étudiants, changer de statut pour obtenir un titre de séjour en qualité de créateur d’entreprise ou de salarié.

La directive 2016/801 du 11 mai 2016 impose de créer la possibilité pour un chercheur ou un étudiant de rester sur le territoire national à des fins de recherche d’emploi ou de création d’entreprise, et ce pour une durée de 9 mois minimum.

En outre, la directive exige la création d’un titre de séjour spécifique pour ces deux publics. Ce titre de séjour doit répondre aux normes du règlement (CE) n° 1030/2002 du Conseil (titre de séjour sécurisé), ce qui n’est pas le cas de l’APS.

b.   Le dispositif proposé

Le II du présent article crée, à l’article L. 313–8 (nouveau) du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, une carte de séjour temporaire portant la mention « recherche demploi ou création dentreprise ».

L’alinéa 10 prévoit que cette carte a une durée de validité d’un an et qu’elle n’est pas renouvelable. Elle s’adresse à l’étranger qui justifie :

– soit avoir été titulaire d’une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle « étudiant » et qui a obtenu un niveau au moins égal au Master ou figurant sur une liste établie par décret (alinéa 11) ;

– soit avoir été titulaire d’une carte de séjour pluriannuelle passeport talent « chercheur » et avoir achevé ses travaux de recherche (alinéa 12).

Elle est soumise à la justification de la souscription à une assurance maladie (alinéa 13).

 

 

« Recherche demploi »

« Création dentreprise »

But poursuivi

Compléter sa formation par une première expérience professionnelle (sans limitation à un seul emploi ou à un seul employeur)

Créer une entreprise

Conditions

Emploi en relation avec la formation ou les recherches de l’étranger

+ Assorti d’une rémunération supérieure à un seuil fixé par décret

Création d’entreprise dans un domaine correspondant à la formation ou aux recherches de l’étranger

À lexpiration

Si l’étranger a un emploi/ promesse d’embauche, il peut obtenir une carte de séjour pluriannuelle « passeport talent » (salarié qualifié ou recruté par une jeune entreprise innovante, carte bleue européenne, chercheur, profession artistique) ou une carte de séjour temporaire autorisant l’exercice d’une activité professionnelle

Si l’étranger justifie de la création et du caractère viable d’une entreprise, il peut obtenir une carte de séjour pluriannuelle « passeport talent » (création d’entreprise) ou une carte de séjour temporaire autorisant l’exercice d’une activité professionnelle

4.   La remise aux autorités compétentes de l’État membre qui l’a admis d’un étudiant ou d’un chercheur

Le IV du présent article complète l’article L. 531–2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

En l’état du droit, peut être remis aux autorités compétentes de l’État membre qui l’a admis à entrer ou à séjourner sur son territoire, ou dont il provient directement, l’étranger non ressortissant d’un État membre de l’Union européenne qui a pénétré ou séjourné en France sans se conformer aux dispositions légales. Conformément à l’article 32 de la directive « étudiants – chercheurs », l’alinéa 25 étend cette disposition aux étudiants et chercheurs (ainsi qu’à leurs familles) lorsque :

– le titre de séjour a expiré ou a été retiré par l’État membre qui l’a délivré, au cours de la période de mobilité (alinéa 26) ;

– l’étranger ne remplit plus les conditions de la mobilité (alinéa 27) ;

– l’autorité administrative n’a pas reçu la notification de l’intention de cet étranger d’effectuer une mobilité sur le territoire national (alinéa 28) ;

– l’autorité administrative a fait objection à la mobilité de l’étranger (alinéa 29).

*

*     *

La Commission examine lamendement CL249 de M. Sacha Houlié.

M. Sacha Houlié. Les lois précédentes ont prévu de donner aux étudiants une carte de séjour temporaire dans un premier temps puis, lors d’un renouvellement, de les autoriser à solliciter une carte de séjour pluriannuelle. Compte tenu du fait que les cycles d’études s’étendent sur plusieurs années dans notre pays, il est proposé de leur octroyer d’emblée une carte de séjour pluriannuelle pour la durée de leurs études. Cela permettrait de désengorger les préfectures : on estime en effet que la moitié des 262 000 titres délivrés chaque année concernent des étudiants.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Au terme de sa première année d’études, un étudiant peut demander le renouvellement de son titre de séjour ou la délivrance d’une carte pluriannuelle. Je crois savoir que, de manière générale, les étudiants sont très nombreux à abandonner leur cursus au cours de leur première année d’études. Il me semble juste de maintenir la possibilité de demander le renouvellement du titre de séjour au terme de la première année : ce délai permet de sécuriser le parcours d’études et de valider les choix qui ont été faits. Je vous demande donc de retirer cet amendement.

M. Sacha Houlié. Je le retire, d’autant que nous serons amenés à examiner la possibilité d’accorder un titre de séjour d’une durée un peu supérieure en cas de renouvellement.

Lamendement est retiré.

La Commission adopte successivement les amendements rédactionnels CL225 et CL226 de la rapporteure.

Puis elle adopte larticle 21 modifié.

Article 22
(art. L. 3139 [nouveau] du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile)
Création dune carte de séjour « jeune au pair »

Résumé du dispositif et effets principaux :

L’article 22 crée une carte de séjour « jeune au pair » destinée à toute personne âgée de 18 à 30 ans, venant en France pour améliorer ses capacités linguistiques et hébergée par une famille en contrepartie de la garde d’enfants et de menus travaux.

Dernières modifications législatives intervenues :

L’article 16 de la directive (UE) 2016/801 du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2016 relative aux conditions d’entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers à des fins de recherche, d’études, de formation, de volontariat et de programmes d’échange d’élèves ou de projets éducatifs et de travail au pair a récemment rénové le cadre juridique applicable aux jeunes au pair.

Modifications apportées par la commission des Lois :

Cet article a fait l’objet d’un amendement rédactionnel de votre rapporteure.

1.   L’état du droit

Actuellement, le séjour des jeunes au pair est régi par le décret n° 71– 797 du 20 septembre 1971 portant publication de l’accord européen sur le placement au pair du 24 novembre 1969.

Aux termes de cet accord :

– le séjour a une durée initiale d’un an, et peut être prolongé jusqu’à deux années au plus (article 3) ;

– le jeune doit avoir entre 17 et 30 ans (article 3). Lors de la signature de l’accord, la France a spécifié que les jeunes au pair en France doivent être âgés de 18 ans (ou 17 ans si le jeune a un représentant légal en France) ;

– un accord écrit et conclu par les deux parties précise les droits et devoirs du jeune et de la famille (article 6), notamment la manière dont le jeune va partager la vie de la famille tout en conservant un certain degré d’indépendance. Un exemplaire de cet accord doit être déposé auprès de l’autorité compétente (ou l’organisme désigné par elle) du pays d’accueil ;

– le jeune est nourri et logé par la famille d’accueil, il doit disposer de temps pour prendre des cours et d’une journée complète de repos par semaine, dont un dimanche par mois (article 8). Il doit recevoir de l’argent de poche dont le montant est fixé dans l’accord écrit (article 8) et ne pas travailler plus de 5 heures par jour (article 9).

La directive (UE) 2016/801 du 11 mai 2016 précitée a modernisé le cadre juridique de l’accord de 1969 afin de créer un véritable statut pour les jeunes relevant de cette catégorie et d’éviter certains abus constatés, parmi lesquels : le travail de nuit, l’emploi d’un jeune au pair pour exercer une profession règlementée (garde de très jeunes enfants ou de personnes âgées ou malades), la faiblesse du nombre d’heures de cours, l’argent de poche insuffisant, les doutes sur le respect de la limite des horaires.

2.   Le dispositif proposé

L’alinéa 3 crée une nouvelle carte de séjour temporaire portant la mention « jeune au pair », dont les conditions d’attribution sont définies dans un nouvel article L. 313–9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

Cette carte est d’une durée d’un an, renouvelable une fois (alinéa 4). La durée fixée par l’article 18 de la directive 2016/801 du 11 mai 2016 précitée est de 18 mois de séjour. Néanmoins, les États membres ont la faculté d’aller au-delà en application de l’article 4 relatif aux dispositions plus favorables.

Elle est délivrée à l’étranger âgé de dix-huit à trente ans venant dans une famille d’accueil, dans le but d’améliorer ses compétences linguistiques et sa connaissance de la France, en échange de petits travaux ménagers et de la garde d’enfants (alinéa 4).

L’alinéa 5 prévoit qu’une convention est conclue entre l’étranger et sa famille d’accueil. Celle–ci définit les droits et obligations du jeune au pair, notamment les modalités de subsistance, de logement et d’assurance en cas d’accidents, de suivi des cours, le nombre maximal d’heures hebdomadaires consacrées aux tâches de la famille (qui ne peut excéder vingt-cinq), le repos hebdomadaire et le versement d’une somme à titre d’argent de poche. Cette convention est imposée par le a) du paragraphe 1 de l’article 16 de la directive n° 2016/801 du 11 mai 2016.

L’article 16 de la directive autorise en outre les États membres à prévoir des exigences supplémentaires, qui ont été reprises par le Gouvernement français à l’alinéa 5 du présent article :

– le paragraphe 2 dispose que le jeune apporte soit la preuve qu’il dispose d’une connaissance de base de la langue française soit qu’il possède un niveau d’instruction secondaire ou des qualifications professionnelles ;

– le paragraphe 4 prévoit que les membres de la famille d’accueil soient d’une nationalité différente de celle du jeune au pair et qu’ils n’aient aucun lien familial avec ledit ressortissant.

Un décret en Conseil d’État fixe les conditions d’application des dispositions du présent article (alinéa 6).

*

*     *

La Commission adopte lamendement rédactionnel CL227 de la rapporteure.

Puis elle adopte larticle 22 modifié.

Après l’article 22

La Commission examine lamendement CL493 de Mme Fiona Lazaar.

Mme Fiona Lazaar, rapporteure pour avis de la commission des Affaires sociales. De nombreuses personnes présentes sur le territoire français, qualifiées pour exercer des professions médicales et paramédicales, ne peuvent exercer, alors même que la France connaît un phénomène de désertification médicale.

Par cet amendement, je propose de modifier le code de la santé publique en réduisant les barrières à l’entrée de la profession d’infirmier. Le dispositif prévoit que les commissions administratives d’autorisation d’exercice statuent sur les demandes en tenant compte de l’ensemble des titres de formation initiale, de l’expérience professionnelle pertinente et de la formation tout au long de la vie. Ce sont les critères aujourd’hui requis pour l’exercice de la profession d’infirmier par les ressortissants de l’Union européenne et de l’Espace économique européen. Il s’agit de faciliter l’accès à la profession des étrangers en situation régulière présentant les compétences requises.

La commission administrative d’autorisation d’exercice proposerait un stage d’adaptation ou une épreuve d’aptitude, ou bien imposerait un stage d’adaptation ou une épreuve d’aptitude, voire un stage d’adaptation et une épreuve d’aptitude.

Cet amendement se fonde sur les recommandations du rapport rédigé par notre collègue Taché.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Chère collègue, je vous invite à retirer cet amendement. La question est importante, et mériterait une étude d’impact, dans un autre cadre que celui de notre commission des Lois – je crains même que cet amendement ne soit à la limite du cavalier législatif.

Lamendement est retiré.

Chapitre II
Mesures de simplification

Avant l’article 23

La Commission examine lamendement CL37 de la rapporteure pour avis de la commission des Affaires sociales.

Mme Fiona Lazaar, rapporteure pour avis de la commission des Affaires sociales. Cet amendement vise à éviter les ruptures de parcours des étrangers mineurs non accompagnés lors de leur passage à la majorité, en particulier du point de vue de leur situation administrative. Nous proposons de modifier le code de l’action sociale et des familles en l’adaptant à la réalité des parcours des mineurs non accompagnés.

Il est tout d’abord proposé de modifier les conditions de l’entretien organisé par le président du conseil départemental avec tout mineur confié à l’aide sociale à l’enfance en prévoyant, d’une part, qu’il puisse être avancé à l’âge de seize ans, d’autre part, qu’il permette d’examiner la situation administrative du mineur au regard du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. À l’heure actuelle, le droit ne prévoit que l’examen des besoins en matière éducative, de santé, de logement, de formation, d’emploi et de ressources au cours de l’entretien prévu un an avant la majorité. Cette modification vise à mieux anticiper le passage à la majorité.

L’amendement modifie en conséquence l’article prévoyant la conclusion d’un protocole organisant le partenariat entre les acteurs afin d’offrir aux jeunes âgés de seize à vingt et un ans une réponse globale en matière éducative, culturelle, sociale, de santé, de logement, de formation, d’emploi et de ressources. Ce protocole aurait aussi vocation à concerner « la situation administrative ».

Cette démarche est fidèle à l’esprit du présent projet de loi et de son titre III qui vise à améliorer les conditions d’intégration et d’accueil des étrangers. Plus largement, cet amendement procède du souci de la nécessaire sécurisation des parcours des personnes accueillies, notamment au titre de l’aide sociale à l’enfance.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. La situation des mineurs étrangers non accompagnés a souvent été évoquée au cours de ce débat. Il se trouve qu’un travail à ce sujet est actuellement mené par la ministre des solidarités et de la santé et le Premier ministre. Et de nombreuses associations nous ont dit qu’il n’était pas souhaitable que la situation des mineurs non accompagnés soit traitée dans le cadre du CESEDA ni de ce texte. Je vous invite donc, chère collègue, à retirer cet amendement.

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. Ma collègue Mme Buzyn travaillant actuellement sur ce problème, je vous invite également, madame la rapporteure pour avis, à retirer cet amendement : laissons-la conclure ses travaux.

Lamendement est retiré.

Article 23
(art. L. 3116 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile)
Articulation de la procédure dasile et des demandes dadmission au séjour pour un autre motif

Résumé du dispositif et effets principaux :

L’article 23 prévoit que lorsqu’un étranger présentera une demande d’asile, il sera invité à indiquer s’il estime pouvoir prétendre à une admission au séjour à un autre titre. Sous réserve de circonstances nouvelles, à l’expiration d’un délai fixé par décret, il ne pourra solliciter son admission au séjour pour un autre motif.

Modifications apportées par la commission des Lois :

Cet article a fait l’objet d’un amendement présenté par les membres du groupe La République en Marche précisant que les circonstances nouvelles permettant de solliciter une admission au séjour peuvent tenir à l’état de santé du demandeur.

1.   L’état du droit

Aux termes de l’article L. 311–6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, les étrangers déboutés du droit d’asile peuvent solliciter un titre de séjour pour un autre motif.

Or, cette disposition ferait l’objet d’une utilisation dilatoire par certains déboutés du droit d’asile, pour faire obstacle aux décisions d’éloignement. Ainsi, en 2016, 6,3 % des déboutés ont sollicité leur admission au séjour sur un autre fondement (sans qu’il soit possible d’établir si elles sont le fait de circonstances nouvelles), soit 4 600 demandeurs.

Ces derniers sollicitent fréquemment, durant la procédure de la demande d’asile ou juste à la fin de cette dernière, un titre de séjour sur l’un des fondements suivants :

– état de santé (11° de l’article L. 313-11) ;

– activité salariée (article L. 313-10) ;

– vie privée et familiale (7° de l’article L. 313-11) ;

– admission exceptionnelle au séjour (article L. 313-14).

2.   Le dispositif proposé

Le deuxième alinéa du présent article procède à la réécriture de l’article L. 311–6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

Lorsqu’un étranger présentera une demande d’asile, l’autorité administrative l’invitera à indiquer s’il estime pouvoir prétendre à une admission au séjour à un autre titre et lui proposera de déposer sa demande.

Pour que cette nouvelle disposition soit pleinement effective, il est prévu que l’autorité administrative informe le demandeur d’asile des motifs pour lesquels une autorisation de séjour peut être délivrée et des conséquences de l’absence de demande sur d’autres fondements à ce stade, c’est-à-dire que, sous réserve de circonstances nouvelles à l’expiration d’un délai fixé par le pouvoir réglementaire, il ne pourra solliciter son admission au séjour pour un autre motif. Cette information du demandeur a été ajoutée à la demande du Conseil d’État.

Un décret en Conseil d’État fixera les conditions d’application de cet article, en particulier le délai au terme duquel le demandeur d’asile ne pourra plus demander son admission au séjour pour un autre motif (alinéa 3).

3.   Les modifications apportées par la commission des Lois

La Commission a adopté, outre un amendement rédactionnel de votre rapporteure, un amendement du groupe La République en Marche précisant que les circonstances nouvelles permettant de solliciter une admission au séjour peuvent tenir à l’état de santé du demandeur.

*

*     *

La Commission examine les amendements identiques CL108 de Mme Marietta Karamanli, CL466 de Mme Élodie Jacquier-Laforge et CL767 de Mme Sandrine Mörch.

Mme Marietta Karamanli. Par cet amendement CL108, nous proposons la suppression de cet article en apparence généreux mais en réalité très restrictif. Il interdit à un étranger débouté de sa demande d’asile de solliciter un autre titre de séjour, sauf « circonstances nouvelles ». Par ailleurs, il enserre la possibilité de demander un titre de séjour dans un délai restreint : le demandeur d’asile doit effectivement déposer sa demande de titre de séjour concomitamment à sa demande d’asile. Cela aurait pour effet de placer le demandeur d’asile dans une situation moins favorable que les étrangers en situation régulière sollicitant leur admission au séjour, ces derniers déposant leur demande au moment qu’ils jugent le plus propice.

Monsieur le ministre d’État, cet article qui interdit à un ressortissant étranger faisant l’objet d’une mesure d’éloignement fondée sur le rejet de sa demande d’asile de solliciter un titre de séjour hors du délai fixé sauf « circonstances nouvelles » ne risque-t-il pas d’être censuré par le Conseil constitutionnel ? Il y a là une rupture d’égalité, comme l’indique le Défenseur des droits, qui signale une situation inédite dans l’ordre juridique interne.

Mme Élodie Jacquier-Laforge. Aujourd’hui, il est déjà possible aux préfectures de traiter concomitamment la demande d’asile et la demande de titre de séjour. Cependant, elles ne le font pas. Pour traiter plusieurs demandes parallèlement, il faut disposer des effectifs nécessaires – nous avons d’ailleurs souvent alerté le ministre d’État sur la question de l’accueil en préfecture. Les délais pourraient donc se trouver considérablement allongés par le dispositif prévu ! Ensuite, comment articuler la demande d’asile et la demande de titre de séjour ? Il existe dix-sept titres de séjour différents. Les demandeurs vont-ils à la fois faire leur demande d’asile et déposer dix-sept demandes de titre de séjour ? Comment cela se passera-t-il concrètement ?

Nous notons par ailleurs dans l’étude d’impact l’absence de chiffres fiables sur les demandes de titres de séjour faites par des étrangers déboutés du droit d’asile. Nous ne pouvons donc savoir combien de demandes seraient déposées. Dans quelles conditions matérielles articulerez-vous donc, monsieur le ministre d’État, ces deux demandes ?

Je défends là l’amendement de suppression CL466, mais nous avons aussi déposé un amendement de repli CL467, aux termes duquel une expérimentation serait menée pendant deux ans.

Le groupe du Mouvement Démocrate et apparentés souscrit aux objectifs de ce projet de loi, notamment celui d’une procédure moins longue, mais comment l’atteindre si le dépôt concomitant de deux demandes aboutit à un engorgement ?

Mme Sandrine Mörch. Je défends à mon tour un amendement de suppression car si nous comprenons bien la logique administrative – purger toutes les demandes en même temps et orienter les demandeurs vers les différents titres, ce qui peut être plus efficace pour toutes les parties –, j’ai vraiment le sentiment qu’il sera compliqué pour les demandeurs d’asile d’envisager en même temps la demande d’asile, qui est complexe, et les dix-sept autres titres de séjour dont ils seraient informés. En fait, ce qui est compliqué pour nous est totalement impossible pour eux. Selon quelles modalités cela s’organiserait-il ? Prévoira-t-on des entretiens, un formulaire, une brochure ?

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Par cet article, il s’agit de lutter contre les manœuvres dilatoires consistant en demandes successives de titres de séjour mais aussi de faire gagner du temps aux demandeurs d’asile, qui pourraient déposer plusieurs demandes en même temps. Le Conseil d’État a d’ailleurs considéré que cet article était tout à fait justifié mais il a demandé que l’étranger soit informé des voies de droit à sa disposition et qu’il puisse en effet formuler correctement toutes ses demandes. Cela a donc été ajouté dans le projet de loi. Précisons qu’il ne s’agit pas d’édicter une interdiction de présenter d’autres demandes de titre de séjour après le dépôt de la demande d’asile ; en revanche, un délai précis sera fixé par décret en Conseil d’État.

Je souscris tout à fait au propos de ma collègue Jacquier-Laforge sur un point. Oui, il faudra, au-delà des moyens budgétaires et humains inscrits en loi de finances, qu’un accueil de qualité, fin et adapté aux nouvelles demandes, soit possible en préfecture, mais je crains précisément que l’amendement de repli présenté par anticipation n’entraîne des phénomènes de contournement des préfectures dans lesquelles l’expérimentation serait menée. Des étrangers qui ne seraient pas de bonne foi et voudraient se livrer à des manœuvres dilatoires éviteraient les préfectures où cette expérimentation serait menée.

M. Éric Coquerel. Je trouve intéressant l’emploi de la formule « manœuvres dilatoires » à propos de migrants déboutés du droit d’asile qui essaient, d’une autre manière, de montrer qu’ils ont un droit au séjour. Il me semble assez normal que quelqu’un qui arrive en France fasse tout ce qui est possible pour exercer ses droits.

Il s’agit donc toujours plus de séparer les bons migrants, les bons réfugiés, ceux qui peuvent prétendre au droit d’asile, et les autres, qu’il faut, d’une manière ou d’une autre, empêcher de rester sur notre sol.

Par ailleurs, je souscris totalement aux propos de Mme Jacquier-Laforge à propos de la situation actuelle des préfectures. Considérez simplement les demandes d’asile : nous avons rencontré récemment le préfet de Seine-Saint-Denis, qui nous a montré de quels moyens il dispose pour répondre dans les délais. Je m’interroge quant aux moyens qui pourraient permettre de respecter le droit pour un étranger de demander un titre de séjour. Les réponses sont vraiment insatisfaisantes.

Mme Isabelle Florennes. Avec l’amendement de repli qu’a déjà évoqué ma collègue Jacquier-Laforge, nous proposons une expérimentation, pour que l’application de la mesure soit restreinte et que nous puissions en mesurer les effets. Je pense qu’une préfecture telle celle des Hauts-de-Seine, qui m’est chère, souhaite que de telles possibilités lui soient ouvertes. Une expérimentation serait intéressante et répondrait à une demande, comme je l’ai déjà dit à M. le ministre d’État.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous pourrons revenir dans quelques instants sur la possibilité d’une expérimentation, mais tenons-nous en dans l’immédiat aux amendements de suppression.

La Commission rejette les amendements identiques.

Puis elle se saisit des amendements CL467 de Mme Élodie Jacquier-Laforge, CL109 de Mme Marietta Karamanli et CL768 de Mme Sandrine Mörch.

Mme Marietta Karamanli. L’amendement CL109 procède du même esprit que l’amendement CL108, qui visait à supprimer l’article 23. Nous comprenons bien la situation de certaines préfectures confrontées à une multiplication des demandes, mais – je reviens à la question que j’ai déjà posée à M. le ministre d’État – l’article 23 ne nous expose-t-il pas au risque d’une censure par le Conseil constitutionnel ? La notion de « circonstances nouvelles » est effectivement floue.

Mme Sandrine Mörch. L’amendement CL768 est également un amendement de repli. Je propose que l’administration détermine elle-même si la situation de l’étranger lui permet de prétendre à un autre titre de séjour. Au cours d’un entretien, des questions seraient posées au demandeur d’asile. S’il peut prétendre à un autre titre, il en est informé par l’administration. Et s’il s’abstient de formuler cette demande dont il est informé qu’il peut la formuler, il perd le droit de la formuler ultérieurement.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. J’ai déjà répondu à propos de l’amendement CL467.

Quant à l’amendement CL109, je rappelle simplement qu’on pourra toujours déposer une nouvelle demande en raison de circonstances nouvelles, y compris après avoir été débouté de la demande d’asile – il faut juste pouvoir témoigner d’une circonstance nouvelle.

Par ailleurs, chère collègue Mörch, à la suite de l’avis du Conseil d’État, il a été précisé que l’étranger devait bien être informé de la possibilité de faire une nouvelle demande en cas de circonstances nouvelles mais également de la possibilité de faire une double demande dans un délai à déterminer par décret en Conseil d’État ; il me semble donc que votre amendement est satisfait.

Je suis ainsi défavorable aux amendements CL467 et CL109, et je demande le retrait de l’amendement CL768.

Mme Élodie Jacquier-Laforge. M. le ministre d’État pourrait-il nous éclairer sur la façon dont il pense organiser ces demandes concomitantes ? Madame la rapporteure, vous parlez d’une « double demande ». Est-ce à dire que le nombre de demandes est limité à deux ? Ou peut-on faire une demande pour les dix-sept titres ? Et qu’en est-il si une demande aboutit avant l’autre ? Par exemple, un réfugié a automatiquement l’autorisation de travailler, mais il n’en va pas de même avec tous les titres de séjour.

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. Les services travaillent précisément, aujourd’hui, sur cette disposition : un certain nombre de documents sont en train d’être préparés et seront à la disposition des préfectures. C’est d’ailleurs pour cela qu’il ne faut pas se contenter d’expérimenter : il faut que la procédure s’applique dans toutes les préfectures.

Quant à la finalité de ces dispositions, d’une certaine manière, M. Coquerel a raison. Nous voulons qu’en six mois la situation du demandeur ait été examinée, que l’on sache ce qu’il en est de son éventuel statut de réfugié et que les procédures ne s’allongent pas indéfiniment, car c’est cela qui est aujourd’hui totalement inhumain.

La notion de circonstance nouvelle a bien une réalité juridique et est assez connue. Elle est couramment utilisée. Il ne s’agit pas là d’une nouveauté relativement imprécise et susceptible d’être censurée.

Je suis donc défavorable à ces amendements.

La Commission rejette successivement les amendements CL467, CL109 et CL768.

Puis elle adopte lamendement rédactionnel CL228 de la rapporteure.

Elle se saisit successivement des amendements CL509 de Mme Muriel Ressiguier et CL535 de Mme Danièle Obono.

Mme Danièle Obono. Par l’amendement CL509 nous proposons de garantir le droit à saisine de l’administration par tout administré. Selon les termes de l’étude d’impact, « la réforme a pour objectif de limiter dans le temps la possibilité pour le demandeur de solliciter un autre titre de séjour […]. Elle vise également à proscrire toute demande de titre de séjour sur un autre fondement que celui de lasile […]. [Cette] modification législative enserre dans un délai […] la possibilité pour le demandeur de solliciter un titre sur un autre fondement ». On voit bien, effectivement, que cette volonté et ces objectifs s’affirment au détriment des possibilités et des droits mêmes des migrantes et des migrants, de leur droit de demander ou d’obtenir des titres de séjour.

L’amendement CL535 est un amendement de repli par lequel nous proposons de supprimer la condition de délai, qui semble par ailleurs, eu égard à la rédaction très imprécise du projet de loi, relever du pouvoir réglementaire. Nous proposons de consacrer l’absence de délai contraignant et de rappeler que la notion de circonstances nouvelles ne doit pas s’interpréter de manière restrictive : il peut s’agir de circonstances nouvelles de toute nature. Nous garantissons ainsi aux personnes la possibilité, toujours, de demander la reconnaissance de leur droit au séjour à l’administration.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Pour les mêmes raisons que précédemment, j’émets un avis défavorable, même si je partage l’interrogation sur les délais dans la mesure où ce n’est en effet pas la même chose de pouvoir présenter une autre demande dans les trois jours ou dans les trois mois. Le ministre d’État nous a dit à l’instant que cet article faisait l’objet d’un travail des services. La seule chose que nous pouvons attendre, c’est donc d’être informés assez rapidement.

La Commission rejette successivement ces amendements.

Elle examine ensuite lamendement CL842 de M. Florent Boudié.

M. Florent Boudié. Proposé par nos collègues Jean-Louis Touraine et Gabriel Attal, il vise à préciser que les circonstances nouvelles permettant de solliciter une admission au séjour peuvent notamment tenir compte de l’état de santé des demandeurs.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Cela va sans dire mais on dira que cela va mieux en le disant… Avis favorable.

La Commission adopte cet amendement.

Elle est saisie de lamendement CL770 de Mme Sandrine Mörch.

Mme Sandrine Mörch. Nous proposons de préciser la situation du demandeur qui n’a pas de passeport. Le demandeur doit en effet avoir un passeport pour demander un titre mais toute demande de passeport est considérée comme une volonté de sa part d’être replacé sous la protection de son pays d’origine ou d’en retrouver la nationalité, et conduit à la cessation de l’examen de sa demande par l’OFPRA. Je propose donc que, s’il ne dispose pas d’un passeport au moment de la demande d’asile, on considère qu’il ne peut prétendre à aucun autre titre et qu’il pourra donc y prétendre ultérieurement s’il réunit les conditions d’une demande.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Votre demande est satisfaite dans la mesure où la rédaction actuelle prévoit qu’une nouvelle demande sera possible en cas de circonstances nouvelles et que l’étranger en est informé. Si la situation du demandeur évolue, il est informé qu’il peut faire une nouvelle demande. Je demande le retrait.

Cet amendement est retiré.

La Commission examine ensuite lamendement CL769 de Mme Sandrine Mörch.

Mme Sandrine Mörch. Par cet amendement, un étranger pourrait obtenir un titre de séjour de six mois parce qu’il est parent d’un enfant malade sans que cela mette fin à sa demande d’asile lui permettant éventuellement d’obtenir un titre de dix ans.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. L’argument est le même que précédemment, concernant les circonstances nouvelles.

Cet amendement est retiré.

La Commission adopte larticle 23 modifié.

Article 24
(art. L. 3213, L. 3214, L. 3215 [nouveau] et L. 3216 [nouveau] du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile)
Refonte et simplification des documents de circulation délivrés aux mineurs étrangers

Résumé du dispositif et effets principaux :

L’article 24 procède à la refonte et à la simplification des dispositions applicables aux documents de circulation délivrés aux mineurs étrangers.

Il crée un document unique de circulation pour étranger mineur, dont les conditions de délivrance sont clarifiées.

Dernières modifications législatives intervenues :

Le document de circulation délivré à l’étranger mineur (DCEM) a été modifié à la marge par la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France.

Modifications apportées par la commission des Lois :

Cet article a fait l’objet de plusieurs amendements rédactionnels présentés par votre rapporteure.

1.   La coexistence de deux documents de circulation pour les mineurs étrangers

En l’état du droit, il existe deux documents de circulation destinés aux mineurs étrangers : le titre d’identité républicain (TIR) et le document de circulation délivré à l’étranger mineur (DCEM).

Le fondement et les caractéristiques de ces documents sont exposés dans le tableau présenté ci-après.


Titre didentité républicain (TIR)

Document de circulation délivré à létranger mineur (DCEM)

Base légale

Article L. 321–3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile

Article L. 321–4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile

Date de création

1998

1945

Objet

Permettre, après un voyage à l’étranger, d’être réadmis, en dispense de visa, sur le territoire national ou aux frontières extérieures de l’espace Schengen

Durée de validité

5 ans

Conditions dobtention

Mineur étranger né en France dont les deux parents sont titulaires d’un titre de séjour

Obtention de plein droit

Mineur étranger né à l’étranger ou en France :

– soit lorsque l’un des parents est titulaire de certains titres de séjour ([197]) ;

– soit lorsque le mineur remplit certaines conditions (âge, objet du séjour, condition régulière d’entrée en France) ([198])

 Obtention laissée à lappréciation du préfet (article D. 321–16 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) lorsque le mineur :

– est entré en France sous couvert d’un visa d’une durée supérieure à trois mois ;

– est ressortissant d’un État membre de l’UE ou de l’un des autres États parties à l’accord sur l’Espace économique européen et l’un de ses parents au moins est établi en France pour une durée supérieure à trois mois.

Particularité

Justifie de l’identité du mineur (D. 321–9)

 

2.   Les spécificités mahoraises

L’étude d’impact souligne les spécificités de Mayotte en matière de délivrance des TIR et des DCEM. En effet, ces derniers permettent aux mineurs de quitter le département et d’entrer dans l’espace Schengen sans aucune autre formalité à la différence des ressortissants étrangers adultes, titulaires de certains titres de séjour n’autorisant le séjour qu’à Mayotte sauf délivrance d’un visa préfectoral.

De facto, on observe une forte hausse de ces documents de circulation à Mayotte depuis 2012. Ils sont même devenus les documents les plus délivrés par le préfet de Mayotte.

3.   Le dispositif proposé

Le présent article rassemble dans une section unique du chapitre Ier du titre II du livre III du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile les documents de circulation délivrés aux étrangers mineurs. Cette nouvelle section se substitue à deux anciennes sous–sections consacrées, respectivement, au TIR et au DCEM.

Dans sa nouvelle rédaction, l’article L. 321–3 prévoit que le titulaire du DCEM peut être réadmis en France, en dispense de visa, sur présentation de ce titre accompagné d’un document de voyage en cours de validité (alinéa 4). Il s’agissait déjà de l’intérêt du TIR et de l’ancien DCEM.

En revanche, l’alinéa 5 fixe, ce qui est une nouveauté, un régime spécifique au département de Mayotte. Le DCEM délivré par le préfet de Mayotte ne permettrait la réadmission de son titulaire, en dispense de visa, qu’à Mayotte – et non pas sur le reste du territoire métropolitain comme actuellement – sur présentation de ce titre accompagné d’un document de voyage en cours de validité. S’agissant des mineurs de certains pays tiers soumis à l’obligation de visa pour franchir les frontières extérieures des États membres résidant à Mayotte et souhaitant se rendre dans un autre département, ils devront obtenir préalablement un visa, dans les mêmes conditions que celles prévues pour les adultes à l’article L. 832–2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

L’article L. 321–4, dans sa nouvelle rédaction, prévoit neuf cas de délivrance de plein droit de DCEM. Ceux–ci concernent l’étranger mineur résidant en France :

– dont au moins l’un des parents est titulaire d’une carte de séjour temporaire, d’une carte de séjour pluriannuelle ou d’une carte de résident (). Cette nouvelle rédaction élargit le dispositif prévu actuellement qui permettait l’octroi du DCEM aux enfants de titulaires de certaines cartes de séjour seulement. Un cas spécifique est prévu s’agissant de Mayotte, puisque, pour ce seul département, le mineur devra en outre être né sur le territoire français ;

– qui est l’enfant d’un Français, d’un ressortissant européen ou d’un autre État partie à l’espace économique européen (EEE) ou de la Confédération suisse qui exerce une activité professionnelle en France et qui dispose de ressources suffisantes ou qui est l’enfant à charge d’un ressortissant de ces mêmes États, étudiant, qui garantit disposer d’une assurance maladie ainsi que de ressources suffisantes (). Ce cas reprend, en les complétant, certaines dispositions qui étaient aujourd’hui laissées à l’appréciation des préfets (article D. 321–16). A été ajouté le cas de l’enfant d’un ressortissant suisse, en application de l’accord entre l’UE et la Confédération suisse du 21 juin 1999 ;

– qui est un descendant direct à charge du conjoint d’un ressortissant d’un État membre de l’UE, de l’EEE ou de la Suisse, qui exerce une activité professionnelle en France et qui dispose de ressources suffisantes (). Ce cas doit être envisagé en application de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres ;

– dont au moins l’un des parents a acquis la nationalité française (). Il s’agit de la reprise d’une disposition de l’article D. 321–16 qui était aujourd’hui laissée à l’appréciation des préfets ;

– qui relève de l’aide sociale à l’enfance depuis avant l’âge de 16 ans (). Ce cas était déjà prévu à l’article L. 321–4. À en revanche été supprimé le cas de délivrance au mineur qui justifie résider en France avec au moins l’un de ses parents, dès lors qu’il ne prévoyait pas explicitement que les parents étaient en situation régulière ;

– qui s’est vu reconnaitre la qualité de réfugié ou accorder le bénéfice de la protection subsidiaire (). Il s’agit d’un nouveau cas de délivrance, le droit actuel, repris au 1°, limitant la délivrance du DCEM à l’enfant de parent réfugié, apatride ou bénéficiant de la protection subsidiaire ;

– qui est entré en France sous couvert d’un visa d’une durée supérieure à trois mois en qualité d’enfant de Français ou d’adopté (). Il s’agit de la reprise d’une disposition de l’article D. 321–16 qui était aujourd’hui laissée à l’appréciation des préfets ;

– qui est entré en France avant l’âge de 13 ans sous couvert d’un visa d’une durée supérieure à trois mois délivré en qualité de visiteur et qui justifie avoir résidé habituellement en France (). Il s’agit de la reprise d’une disposition de l’article D. 321–16 qui était aujourd’hui laissée à l’appréciation des préfets ;

– qui, né à l’étranger, est entré à Mayotte, hors regroupement familial, avant l’âge de 13 ans sous couvert des documents et visas exigés par les conventions internationales et les règlements en vigueur et dont au moins l’un des parents est titulaire d’une carte de séjour temporaire, d’une carte de séjour pluriannuelle ou d’une carte de résident (). Ce cas de délivrance est une nouveauté du projet de loi. Comme le souligne l’étude d’impact « la présentation dun passeport revêtu dun visa vise à permettre la diminution des cas de fraude par la présentation de documents détat civil étrangers dont lauthenticité est difficilement vérifiable par les services préfectoraux lorsque lenfant est né à létranger. »

Les conditions de délivrance du DCEM sont renvoyées au pouvoir réglementaire (alinéa 16).

Le nouvel article L. 321–5 fixe la durée des DCEM. Si une durée générale de 5 ans est retenue (alinéa 17), celle–ci peut être inférieure lorsque le ou les parents sont titulaires d’un des documents de séjour ci–dessous mentionné (alinéa 19) :

 « visiteur » ;

– « étudiant » ;

– « stagiaire » ;

– « stagiaire ICT » ;

– « salarié détaché ICT » ;

– « recherche demploi ou création dentreprise » ;

– « travailleur temporaire » ;

– « vie privée et familiale », si l’état de santé de l’étranger résidant habituellement en France, nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l’offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d’un traitement approprié ;

– « vie privée et familiale », si l’étranger a déposé plainte pour certaines infractions (traite des êtres humains et proxénétisme) ou témoigné dans le cadre d’une procédure pénale.

Dans ces différents cas, la durée de validité de la DCEM est égale à celle restant à courir du document de séjour du parent dont la date d’expiration est la plus lointaine et ne peut être inférieure à un an (alinéa 20).

Le nouvel article L. 321–6 crée un cas de retrait du DCEM si l’étranger cesse de remplir l’une des conditions (alinéa 21). Cette décision ne peut intervenir qu’après que le représentant légal du mineur a été mis à même de présenter ses observations.

*

*     *

La Commission adopte lamendement rédactionnel CL229 de la rapporteure.

Elle examine lamendement CL110 de Mme Marietta Karamanli.

Mme Marietta Karamanli. Cet amendement vise à pouvoir délivrer le document de circulation pour étranger mineur au mineur malade et soigné en France, accompagné par un parent titulaire d’un titre de séjour délivré à ce titre. Il est logique que le parent ne soit pas le seul porteur d’un titre de séjour régulier. Le Défenseur des droits a soulevé le problème.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Les mineurs malades bénéficient déjà d’une carte de séjour temporaire distincte du document qu’instaure l’article 24. Le cas de la kafala est également satisfait par l’article 24. Avis défavorable.

La Commission rejette cet amendement.

Elle en vient, en discussion commune, aux amendements CL536 de M. Éric Coquerel et CL665 de M. Bastien Lachaud.

M. Éric Coquerel. Étant très attaché à l’exercice de la souveraineté populaire dans le cadre premier de la démocratie qu’est la nation, je pense que le débat qui oppose, depuis que la République est République, ceux qui ont une conception verticale, donc ethnique, de la nationalité et ceux qui, comme nous, en ont une conception politique, est toujours très important et qu’il faut se méfier de tout ce qui ébrèche le droit du sol. Nous sommes d’accord avec l’idée de simplifier le droit très complexe du CESEDA mais, en fusionnant deux titres, à savoir le titre accordé aux enfants nés en France et celui pour les enfants nés hors de France, nous fragilisons ce droit du sol. Nous demandons donc de préserver la mention de titre d’identité républicain sans aucune modification de la procédure et des conditions d’attribution proposée par le Gouvernement dans cet article, mais de façon à s’assurer qu’au détour d’un article de ce type nous ne mettions pas en question un principe auquel j’espère que la plupart d’entre nous sont attachés.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Il est bien mieux d’appeler ce nouveau titre rassemblant deux titres existants du nom de ce document de circulation des étrangers mineurs, dès lors que l’on prend en compte cette circulation. Avis défavorable.

M. Éric Coquerel. Vous placez sous le même titre des gens qui sont nés hors de France et des gens nés en France, revenant par là-même sur la spécificité du droit du sol. Je rappelle que, selon nos conceptions et nos lois, un mineur peut devenir Français à sa majorité du fait qu’il est né en France. Avec cet artifice, vous fragilisez cette possibilité.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Pas de confusion : cet article ne touche pas au droit du sol !

La Commission rejette successivement ces amendements.

Suivant lavis défavorable de la rapporteure, elle rejette lamendement CL211 de M. Éric Diard.

Elle examine lamendement CL666 de Mme Bénédicte Taurine.

M. Éric Coquerel. Par cet amendement, qui a été initialement proposé par la Cimade, nous proposons de mettre fin à une distinction entre les enfants de personnes titulaires de différents titres de séjour car, si cet article prévoit un document de circulation unique, permettant aux mineurs étrangers, après un voyage à l’étranger, de revenir en France, donc de faire des voyages scolaires, par exemple, il est de cinq ans sauf pour quelques exceptions que nous vous proposons de supprimer. En effet, pour les parents qui sont détenteurs de certains types de séjour, comme les salariés, les étudiants, les personnes malades soignées en France, il est prévu que la durée de validité de ce document de circulation pourra être inférieure à cinq ans. Nous estimons que cette discrimination est injustifiée étant donné que cela pourrait impliquer chaque année des coûts de renouvellement – 45 euros – et des démarches à faire par tous les parents, alors même que la préfecture peut toujours retirer un document de circulation si elle estime que la durée de validité est trop longue, eu égard au séjour de parents. Au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant consacré par l’article 3 de la Convention internationale des droits de l’enfant, il faut cesser ces distinctions et ses lourdeurs qui entravent le droit à une vie normale des personnes mineures.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Avis défavorable car il est logique de caler la durée sur le titre de séjour des parents.

La Commission rejette cet amendement.

Elle adopte successivement les amendements rédactionnels CL231, CL230 et CL232 de la rapporteure.

Elle adopte larticle 24 modifié.

Article 25
(art. L. 2122 du code des relations entre le public et ladministration)
Suppression de lobligation de signature physique sur les visas dentrée en France

Résumé du dispositif et effets principaux :

L’article 25 supprime l’obligation de signature physique sur les visas d’entrée en France. Ces signatures n’apportent aucune garantie particulière et alourdissent inutilement les procédures de délivrance.

Dernières modifications législatives intervenues :

L’article L. 212–2 du code des relations entre le public et l’administration sur les exemptions de signature de décisions individuelles a été récemment complété par la loi n° 2016-1918 du 29 décembre 2016 de finances rectificative pour 2016 pour y ajouter les avis de saisie et de mise en recouvrement.

Modifications apportées par la commission des Lois :

Cet article n’a fait l’objet d’aucune modification lors de son examen en commission.

En l’état du droit, la vignette visa, considérée comme une décision individuelle de l’administration, doit, en application de l’article L. 212–1 du code des relations entre le public et l’administration, être signée par son auteur. Cela représente une charge de travail certaine puisqu’en 2017, 3 432 982 visas ont été délivrés par les postes consulaires français.

Le présent article propose donc de compléter l’article L. 212–2 du code des relations entre le public et l’administration qui prévoit un certain nombre d’exceptions au principe de signature des décisions individuelles, dès lors que le document mentionne le nom, le prénom et la qualité de son auteur ainsi que le service auquel il appartient. Cet article s’applique aujourd’hui aux décisions notifiées par l’intermédiaire d’un télé–service et à certaines décisions dans le domaine fiscal (décisions d’admission d’une réclamation, lettres de relance relatives à l’assiette ou au recouvrement…).

Dorénavant, les visas délivrés aux étrangers seraient donc également exemptés de signature.

*

*     *

La Commission adopte larticle 25 sans modification.

Après l’article 25

La Commission examine lamendement CL521 de Mme Stella Dupont.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Il s’agit d’un amendement collectif. Les frais de timbres et taxes de régularisation ont considérablement augmenté ces dernières années. Ces dépenses constituent pour certaines personnes un véritable frein au dépôt d’une demande de titre de séjour. Le présent amendement a donc pour objectif de dresser un état des lieux des différents frais et de présenter une proposition qui permettra de prendre une décision éclairée lors de la préparation du projet de loi de finances pour 2019. La question avait été évoquée par le rapporteur général Joël Giraud pendant le PLF et l’amendement retiré pour être retravaillé. Les tarifs pour les titres de séjour sont très élevés, jusqu’à 609 euros. Cela pose un réel problème d’égalité entre les personnes qui ont les moyens et les autres. Un rapport serait bienvenu pour faire le point de ces diverses taxes.

Suivant lavis défavorable de la rapporteure, la Commission rejette cet amendement.

Article 26
(art L. 52231 du code du travail)
Possibilité de maintien, à titre provisoire, des médecins contractuels de lOFII jusquà 73 ans

Résumé du dispositif et effets principaux :

L’article 26 permet, à titre provisoire, à l’OFII de maintenir en activité les médecins recrutés sur contrat jusqu’à 73 ans.

Dernières modifications législatives intervenues :

La modification de l’article L. 5223–1 du code du travail proposée par le présent article a déjà été votée dans le cadre des débats afférents à la loi ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de la loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017 dhabilitation à prendre les mesures pour le renforcement du dialogue social. Cet article a néanmoins été censuré par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2018–761 DC du 21 mars 2018 comme étant un « cavalier législatif ».

Modifications apportées par la commission des Lois :

Cet article a fait l’objet d’un amendement de votre rapporteure visant à donner une base légale au service médical de l’OFII.

Cet article a déjà été commenté, dans une forme quasi identique, par notre collègue Laurent Pietraszewski, rapporteur au nom de la commission des Affaires sociales du projet de loi ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de la loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017 d’habilitation à prendre les mesures pour le renforcement du dialogue social. Celui-ci écrivait alors, dans son rapport :

« Cet article est issu dun amendement de notre collègue Aurélien Tâché et des membres du groupe La République en marche, qui vise à aménager dans le droit du travail un point qui avait fait lobjet dune habilitation du Gouvernement à légiférer dans le cadre de la loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017.

En effet, le 7° de larticle 3 de cette loi invitait le Gouvernement à légiférer pour « préciser les modalités du suivi médical exercé par l’Office français de l’immigration et de l’intégration et les conditions de recrutement et d’exercice de ses personnels médicaux ».

LOffice français de limmigration et de lintégration (OFII) est en effet codifié dans le code du travail. Aux termes du 4° de larticle L. 5223-1 du code du travail, lOFII est notamment chargé du contrôle médical des étrangers admis à séjourner en France pour une durée supérieure à trois mois.

Les modifications adoptées dans le cadre de cet article additionnel consistent en premier lieu à substituer à la notion de « contrôle médical » celle de « visite médicale » plus appropriée à la réalité de lactivité de lOffice. En outre, il permet de prolonger lactivité des médecins de lOffice qui atteignent lâge de la retraite.

LOffice est en outre confronté à des difficultés importantes de gestion de ses personnels médicaux, compte tenu de la forte augmentation du nombre de migrants, de la pénurie médicale en France et des nouvelles missions qui leur ont été confiées par la loi du 7 mars 2016 en particulier, la mise en place dun avis médical préalable à la délivrance par le préfet dun titre de séjour en qualité détranger malade. » ([199])

Cet article ayant été censuré par le Conseil constitutionnel dans sa décision 2018–761 DC du 21 mars 2018, il parait opportun de le rétablir ici.

Le seul ajout du présent article est la précision selon laquelle les médecins contractuels en fonction au 31 décembre 2022 et âgés de plus de 67 ans peuvent poursuivre ou renouveler l’exécution de leur contrat jusqu’à l’âge de 73 ans.

La Commission, à l’initiative de votre rapporteure et avec l’avis favorable du Gouvernement, a complété cet article afin de donner une base légale au service médical de l’OFII ([200]).

*

*     *

La Commission examine lamendement CL40 de la commission des Affaires sociales.

Mme Fiona Lazaar, rapporteure pour avis de la commission des Affaires sociales. L’amendement a été adopté en commission des Affaires sociales à l’initiative du groupe majoritaire, en particulier de Mme Martine Wonner, sur un sujet très important. Les demandeurs d’asile et les réfugiés sont, du fait de leurs parcours, des personnes particulièrement vulnérables, à même de présenter une souffrance psychique. Cet amendement précise que la visite médicale est effectuée par l’OFII pour prévoir un repérage des troubles psychiques.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Je vous demande de le retirer afin que l’on puisse le retravailler en vue de la séance publique car je suis justement en contact actuellement avec l’OFII pour voir comment faire.

Mme Fiona Lazaar, rapporteure pour avis de la commission des Affaires sociales. D’accord pour un retrait si nous parvenons à trouver une formulation qui permette d’être très opérationnel.

Cet amendement est retiré.

Suivant lavis défavorable de la rapporteure, la Commission rejette lamendement CL540 de M. Bastien Lachaud.

Elle adopte lamendement rédactionnel CL233 de la rapporteure.

Elle examine lamendement CL903 de la rapporteure.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. L’OFII traite de la procédure « étrangers malades » particulièrement importante et que nous sommes un des rares pays à avoir. Des étrangers dont la pathologie ne peut être soignée dans leur pays d’origine peuvent être accueillis en France pour être soignés. L’OFII a donc mis en place un service médical qui n’a pas été consacré dans la loi. Il me paraît important que cette charge le soit enfin.

La Commission adopte cet amendement.

Elle adopte larticle 26 modifié.

Article 26 bis (nouveau)
(art L. 74411 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile)
Articulation entre le dépôt dune demande dasile et la poursuite dun contrat dapprentissage pour les mineurs étrangers

Résumé du dispositif et effets principaux :

L’article 26 bis est issu d’un amendement de Mme Fiona Lazaar, rapporteure pour avis au nom de la commission des Affaires sociales, et des commissaires du groupe La République en Marche. Il tend à permettre de concilier le dépôt d’une demande d’asile et la poursuite d’un contrat d’apprentissage pour les mineurs étrangers.

L’article L. 52215 du code du travail dispose que l’autorisation de travail est accordée de droit à l’étranger autorisé à séjourner en France pour la conclusion d’un contrat d’apprentissage ou de professionnalisation à durée déterminée. La jurisprudence du Conseil d’État prévoit que les mineurs étrangers de 16 à 18 ans confiés à l’aide sociale à l’enfance peuvent conclure un contrat d’apprentissage au titre de cet article.

Aujourd’hui, dans la mesure où l’accès au marché du travail n’est pas autorisé avant neuf mois à compter de la demande d’asile, les mineurs étrangers en contrat d’apprentissage ne font pas, dans la majorité des cas, de demandes d’asile.

Afin d’éviter toute rupture dans leur parcours de formation, cet article permet de mieux articuler le dépôt d’une demande d’asile et la poursuite d’un contrat d’apprentissage pour les mineurs étrangers.

*

*     *

La Commission examine en discussion commune les amendements CL95 de Mme Marietta Karamanli et CL41 de la commission des Affaires sociales, lamendement CL885 de M. Aurélien Taché, faisant lobjet du sous-amendement CL902 de Mme Marie Guévenoux, les amendements CL446 de M. Jean-Noël Barrot, CL94 de Mme Marietta Karamanli, les amendements identiques CL42 de la commission des Affaires sociales et CL886 de M. Florent Boudié, les amendements identiques CL43 de la commission des Affaires sociales et CL887 de M. Florent Boudié, les amendements CL575 de Mme Muriel Ressiguier, CL368 de Mme Anne-Christine Lang et CL519 de M. Matthieu Orphelin.

Mme Marietta Karamanli. L’amendement CL95 vise à permettre aux demandeurs d’asile d’accéder au marché du travail dès l’enregistrement de leur demande. Cela permettra d’intégrer au mieux les personnes. Il n’y a pas de raison de suspecter par principe que leur demande n’est pas fondée.

Mme Fiona Lazaar, rapporteure pour avis de la commission des Affaires sociales. L’amendement CL41 vise à permettre au demandeur d’asile de travailler dès six mois à compter de l’introduction de leur demande d’asile. Plusieurs pays européens permettent aux demandeurs d’asile d’accéder au marché du travail dès le dépôt de leur demande ou à partir de trois mois, comme l’Allemagne, la Suède, le Portugal ou l’Italie. Aussi, la convergence des législations européennes doit concerner non seulement les délais d’instruction mais également les modalités d’accueil et d’intégration. Il est important de lever les freins à l’insertion professionnelle des personnes que nous accueillons. Le droit actuel prévoit que les demandeurs d’asile ne peuvent obtenir l’autorisation de travailler qu’à l’issue d’un délai de neuf mois après le dépôt de leur demande d’asile. Il nous faut raccourcir ce délai afin de l’harmoniser avec la réduction des délais d’examen des demandes d’asile. Le Gouvernement s’est engagé à garantir un premier accueil le plus organisé et le plus digne possible. Il faut ainsi qu’un demandeur d’asile dont le dossier n’a pas encore reçu de réponse définitive dans les six mois, qui veut travailler et qui trouve un emploi, puisse pouvoir l’occuper.

M. Aurélien Taché. Je suis heureux d’être avec vous ce soir pour débattre de ce titre III du projet de loi, relatif à l’intégration.

La politique migratoire que nous défendons vise à améliorer la procédure d’asile en réduisant ses délais pour mieux reconduire ceux que nous refusons de protéger mais aussi et surtout pour mieux intégrer ceux à qui nous donnons cette protection et qui vont construire leur vie ici avec nous. Je crois vraiment qu’il y a une exigence morale à le faire car, si les Français se sont mis à douter de nos capacités d’accueil, c’est parce que, depuis trente ans, les gouvernements et majorités successifs ne se sont pas donné les moyens de réussir cette intégration, faisant ainsi la part belle à ceux qui rêvent d’une France fermée, alors que la responsabilité imposerait au contraire de défendre une France ouverte et sûre d’elle-même, qui saura faire de la réalité migratoire une force.

Monsieur le ministre, je vous ai présenté, ainsi qu’au Premier ministre, soixante‑douze propositions pour refondre notre politique d’intégration et ainsi donner aux étrangers que nous faisons le choix d’accueillir les mêmes capacités que nos compatriotes de participer à la vie du pays. Pour être effectives, et pour que nous présentions une politique complète aux Français, un comité interministériel suivi d’un plan d’action du Gouvernement est nécessaire parallèlement à la loi que nous étudions aujourd’hui. Nous restons donc dans cette attente.

Beaucoup de ces propositions portent sur l’accès à l’emploi car s’intégrer c’est d’abord travailler. Or, s’agissant des demandeurs d’asile, nous avons une des législations les plus restrictives d’Europe. Les demandeurs d’asile doivent en effet attendre neuf mois avant de simplement pouvoir demander l’autorisation de travailler. Avec cet amendement, ils pourraient le faire au bout de six mois, s’il n’a toujours pas été statué sur leur demande pour des raisons qui ne leur sont pas imputables. Ce délai est conforme à l’engagement que nous prenons devant les Français avec cette réforme de traiter les demandes d’asile en six mois. Ce serait donc un engagement fort pour en finir avec cette statistique qui est l’une des pires d’Europe et qui démontre qu’aujourd’hui seul un étranger sur trois trouve un emploi au cours des cinq premières années de son arrivée en France, ce qui a des conséquences pour les personnes elles-mêmes, bien sûr, qui peuvent basculer dans la précarité, mais aussi sur le regard que les Français portent sur les étrangers qui vivent en France, donc sur la cohésion sociale de notre pays. L’amendement CL885 est ainsi défendu.

Mme Marie Guévenoux. Le projet de loi vise à réduire la durée d’examen de la demande d’asile à six mois. De fait, les demandeurs d’asile visés par une procédure accélérée verraient leur dossier examiné dans ce délai de six mois et, du coup, ne seraient pas concernés par l’autorisation de travail citée par Aurélien Taché. Je propose, par mon sous-amendement CL902, de le préciser.

Mme Sandrine Mörch. Il est proposé que le demandeur d’asile puisse accéder au marché du travail sous les conditions de droit commun, notamment avec autorisation des services du ministère du travail, dès le dépôt de sa demande d’asile mais uniquement si son dossier n’est pas traité en procédure accélérée. Le travail permet de garder la tête haute, de ne pas sombrer dans l’oisiveté ultra-stressante pendant tous ces mois d’attente, d’offrir ses compétences au pays et de réaliser les travaux pour lesquels nous manquons cruellement de main-d’œuvre en France. Cette mesure permet en outre de lutter contre le travail au noir.

Mme Élodie Jacquier-Laforge. L’amendement CL446 abaisse la limite pour commencer à travailler de neuf à six mois pour les demandeurs d’asile mais aussi pour les réfugiés. Cet abaissement du seuil facilite de manière effective l’accès au marché du travail des demandeurs d’asile ; il convient également de lever pour eux l’obligation de présenter à l’employeur l’autorisation prévue par le code du travail. L’accomplissement de cette démarche prévue à l’article L. 5221-5 de ce code allonge en effet les procédures et, de fait, contribue à leur interdire l’accès au marché du travail. Lever cette obligation aurait en outre une signification particulière en affirmant avec force la volonté de la France d’accueillir le plus dignement possible les personnes persécutées ou supposées l’être, jusqu’à ce qu’une décision soit rendue sur leur situation. Cela constituerait, enfin, un premier pas dans le sens de la simplification du régime de ces autorisations envisagée à l’article 27 du présent projet.

Mme Marietta Karamanli. Par l’amendement CL94, nous proposons de substituer six mois à neuf mois car l’accès au marché du travail pour les étrangers, qui est une exigence du droit de l’Union européenne rappelée par le Défenseur des droits dans son avis du 15 mars dernier, est une condition essentielle pour qu’un demandeur d’asile puisse s’intégrer dans la société française. Rien ne justifie de lui en interdire l’accès pendant une durée aussi longue que neuf mois.

De manière plus générale, nous avons eu l’occasion d’échanger en séance avec le ministre au moment du budget sur les crédits de l’intégration. Le programme était globalement en augmentation mais les montants dédiés à l’intégration des migrants, notamment à titre humanitaire, paraissaient limités pour assurer un accompagnement fort, notamment durant les vingt-quatre premiers mois. Dans son discours devant la Cimade en mai, le Président de la République a insisté sur ces questions d’intégration. L’intégration des immigrés en Europe passe par une politique à la fois volontaire, continue et globale, et le travail, tout comme l’apprentissage de la langue, fait partie de l’intégration.

Mme Fiona Lazaar, rapporteure pour avis de la commission des Affaires sociales. Au cours des auditions menées par la commission des Affaires sociales, nous avons pu constater qu’il y avait un flou entourant la situation des mineurs non accompagnés et leur accès à l’apprentissage.

L’amendement CL42 vise à éviter toute rupture dans leur parcours de formation en leur permettant de concilier le dépôt d’une demande d’asile et la poursuite d’un contrat d’apprentissage.

M. Aurélien Taché. Mon amendement CL886 est identique à celui qui vient d’être défendu. Il a été plusieurs fois souligné que ce projet de loi n’avait pas à traiter du sort des mineurs non accompagnés, mais il me semble important de pallier ce qui m’apparaît comme une défaillance du droit d’asile. Des mineurs étrangers relevant de l’aide sociale à l’enfance (ASE) ne demandent pas l’asile, alors qu’ils pourraient le faire, car ils se heurteraient à l’impossibilité de poursuivre leur contrat d’apprentissage.

Mme Fiona Lazaar, rapporteure pour avis de la commission des Affaires sociales. L’amendement CL43 vise à permettre une expérimentation autorisant l’accès au marché du travail des demandeurs d’asile dès l’introduction de la demande d’asile.

M. Aurélien Taché. Nouveau doublon : l’amendement CL887 est identique à celui de la commission des Affaires sociales. Une expérimentation pourrait être utile dans le cadre de procédures spécifiques telles que les relocalisations, où l’asile est accordé à 90 %. Point n’est besoin de faire attendre les demandeurs six mois dans ce cas.

M. Éric Coquerel. L’amendement CL575 propose que les demandeurs d’asile puissent être autorisés à travailler dès l’enregistrement de leur demande d’asile. Aujourd’hui, l’allocation pour demandeur d’asile est de 6,80 euros par jour, auxquels vient s’ajouter un versement de 5,40 euros par jour si l’État n’a pu assurer un hébergement. Je rappelle que le Conseil d’État avait annulé un décret du Gouvernement, en 2016, qui fixait à 4,20 euros par jour l’indemnité de logement. Celle-ci a été augmentée le 29 mars 2017 de 1,20 euro – cadeau ! –, montant que le Conseil d’État a de nouveau considéré comme étant trop faible.

Nous ne voyons pas pourquoi un demandeur d’asile devrait attendre avant d’avoir le droit de travailler dans ce pays.

Mme Anne-Christine Lang. Si nous voulons intégrer les demandeurs d’asile au cœur de la République au lieu de les laisser à ses marges comme nous l’avons trop fait jusqu’à présent, il est fondamental de favoriser la formation et l’accès à l’éducation.

À l’heure actuelle, l’apprentissage constitue une voie privilégiée pour cette intégration, notamment via les certificats d’aptitude professionnelle (CAP) en alternance ou les contrats de professionnalisation, pour lesquels les mineurs isolés doivent solliciter une autorisation provisoire de travail (APT) auprès de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE).

L’amendement CL368 vise à faciliter l’accès à ce type de formations aux mineurs isolés pris en charge par l’ASE lorsqu’ils souhaitent apprendre un métier pour mieux s’intégrer.

Quelle est la situation actuelle ?

La circulaire du 25 janvier 2016, qui fixe les modalités de délivrance de cette APT, distingue les mineurs isolés étrangers selon qu’ils ont été pris en charge par l’ASE avant ou après l’âge de seize ans. Dans le premier cas, la délivrance de cette ATP ne pose pas de problèmes particuliers. Dans le second cas, en revanche, un refus peut leur être opposé au motif qu’ils ne bénéficient pas de titre de séjour, ce qui les empêche d’intégrer un centre de formation en alternance (CFA).

Dans une ordonnance récente, le Conseil d’État a contesté le bien-fondé de cette distinction en jugeant qu’elle était illégale et portait atteinte à l’intérêt supérieur de l’enfant et à l’exigence constitutionnelle d’égal accès à l’instruction.

Cet amendement vise donc à clarifier notre droit en inscrivant dans le code du travail l’obligation de délivrance d’une autorisation provisoire de travail aux mineurs isolés étrangers confiés à l’ASE après seize ans, sous réserve de la présentation d’un contrat d’apprentissage ou d’un contrat de professionnalisation à durée indéterminée.

Mme Sandrine Mörch. L’amendement CL519 prévoit une expérimentation de deux ans pour permettre aux demandeurs d’accéder au marché du travail dès le mois qui suit l’introduction de la demande. Elle aurait lieu sur des territoires à faible taux de chômage et porterait sur des métiers en tension. Dans plusieurs régions, les entreprises ont du mal à recruter pour certaines catégories de métier et pour les emplois saisonniers. C’est le cas en Maine-et-Loire.

Il serait intéressant que la répartition des demandeurs d’asile par région permette d’allier meilleur accueil et meilleure dynamique économique.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Plusieurs possibilités ont été évoquées à travers ces amendements.

Il y a d’abord la possibilité donnée aux demandeurs d’asile de travailler au bout de six mois et non plus neuf. C’est un sujet qui nous occupe depuis longtemps. Lors de la discussion de la loi de finances pour 2018, j’avais interrogé le ministre d’État sur cet aménagement, d’autant plus pertinent dans la perspective de la réduction du délai de traitement de la demande d’asile.

Lors de la présentation du rapport de notre collègue Aurélien Taché, nous avons pu voir que cette préoccupation était centrale pour les associations d’aide aux demandeurs d’asile et pour les demandeurs d’asile eux-mêmes. Inverser la perspective, voir ce que ces personnes peuvent faire pour la France et non pas simplement ce que la France peut faire pour elles, est une démarche à laquelle je suis sensible.

Je suis donc favorable à cette mesure. Nous sommes en discussion avec le ministre d’État pour trouver le bon équilibre, grâce à une rédaction qui tienne compte de l’état actuel du marché du travail pour être la plus opérationnelle possible. Je demanderai donc aux auteurs des amendements concernés de bien vouloir les retirer. J’ai bon espoir que nous parviendrons à une rédaction commune en séance.

Pour ce qui est des amendements CL42, CL886 et CL368 relatifs à l’apprentissage, je donne un avis favorable. Cela va dans le sens de la volonté du Gouvernement de favoriser le développement de l’apprentissage.

Quant à l’amendement CL575, j’y suis défavorable.

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. D’abord quelques mots sur le rapport d’Aurélien Taché, madame la présidente.

Le Gouvernement va retenir beaucoup des mesures qu’il a proposées. Le Premier ministre a demandé aux différentes administrations concernées de travailler pour leur donner corps et pour les financer, car la plupart nécessite des moyens budgétaires supplémentaires. Vous avez ajouté le mot « intégration » dans le titre du projet de loi, ce qui est un symbole fort. Il faut faire en sorte que celles et ceux qui ont vocation à rester en France en ayant le statut de réfugié puissent avoir les meilleures chances d’y construire leur avenir.

Doubler le nombre d’heures d’apprentissage du français pour les étrangers en France est quelque chose de fondamental. Nous avons pu mesurer les résultats de ces cours avec Aurélien Taché en rencontrant des étrangers qui parlaient notre langue tout à fait correctement alors qu’ils ne la connaissaient pas en arrivant.

Quant à la formation civique, il est clair que les deux modules actuels de six heures ne permettent pas d’obtenir ce que l’on souhaite et qu’il faudra réfléchir à une reformulation.

Nous sommes favorables à l’ajout d’une dimension professionnelle dans le contrat d’intégration républicaine ainsi qu’aux mesures concernant l’accompagnement des publics vulnérables.

L’intégration des réfugiés appelle une approche globale, qui mobilise les ministères du travail, de la santé, de la culture et du logement. J’ai déjà demandé qu’un pilotage territorial soit réalisé sous l’égide des préfets.

Enfin, comme vous le savez, un délégué interministériel chargé de l’accueil et de l’intégration des réfugiés a été nommé en la personne d’Alain Régnier qui a déjà commencé à travailler.

Je veux saluer aussi certaines expériences comme le programme Hope, qui favorise l’insertion professionnelle des réfugiés.

J’en viens au problème de l’accès au travail. Nous sommes favorables à ce que les demandeurs d’asile puissent travailler six mois après avoir déposé leur demande, à une réserve près. Il ne faut pas qu’ils puissent bénéficier d’un régime plus favorable que les personnes qui viennent légalement en France pour travailler. Nous devrons donc parvenir à une formulation commune qui permette de prendre cette précaution. Par ailleurs, cette procédure ne doit pas conduire à donner accès au monde du travail aux demandeurs d’asile qui auraient été déboutés par l’OFPRA car on sait que 80 % de ses décisions sont confirmées par la CNDA. Comme l’argent est rare, il faut veiller à faire travailler celles et ceux qui auront le plus de chances de construire leur avenir en France.

S’agissant de l’amendement CL886 de M. Boudié, nous y sommes favorables, sous réserve d’une modification rédactionnelle. Il s’agirait de remplacer les mots : « la personne » par les mots : « le mineur non accompagné » afin de bien préciser le public que nous visons.

Mme Élodie Jacquier-Laforge. J’aimerais avoir l’avis de la rapporteure sur mon amendement, madame la présidente.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Votre amendement CL446 est identique ou similaire à ceux qui demandent un abaissement du délai de neuf à six mois et j’ai déjà fait part de mon avis.

Mme Élodie Jacquier-Laforge. Il précise également que l’APT peut être accordée « aux personnes dont la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été reconnue dans les conditions prévues à larticle L. 7131 ».

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Ceux qui ont déjà un statut ont le droit de travailler. Votre demande est donc satisfaite.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. J’aimerais savoir qui parmi vous, chers collègues, souhaite retirer son amendement.

M. Aurélien Taché. Je remercie M. le ministre d’avoir rappelé son ambition en matière de politique d’intégration et d’avoir insisté sur le caractère global qu’elle devait revêtir.

S’agissant du raccourcissement du délai pour l’accès au travail, je comprends parfaitement la préoccupation du Gouvernement qu’il n’y ait pas un régime plus favorable pour les demandeurs d’asile que pour les personnes arrivant légalement en France au titre de l’immigration professionnelle. Il faudra également réfléchir aux moyens d’éviter que la procédure de délivrance de l’APT par les DIRECCTE n’empêche pas les demandeurs d’asile de travailler en temps voulu. Nous savons en effet que la durée actuelle d’instruction est si longue qu’elle rend, dans les faits, l’accès au travail impossible.

Cela étant, je retire mon amendement CL885 afin que nous travaillions avec le Gouvernement à une rédaction qui prenne en compte ces deux préoccupations.

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. L’orientation que nous prendrions, monsieur Taché, serait que le silence de l’administration vaut acceptation.

M. Aurélien Taché. Cela me semble être une piste très intéressante.

M. Guillaume Larrivé. J’aimerais, au nom des Républicains, vous faire part d’une préoccupation. L’ouverture du marché du travail aux demandeurs d’asile six mois seulement après le dépôt de leur demande conduira nécessairement, hélas ! à accroître le rythme et le nombre des régularisations des déboutés du droit d’asile.

Soyons très concrets. Il y aura recrutement du demandeur d’asile au bout de six mois, même si l’opposabilité de la situation de l’emploi peut être invoquée et que l’autorisation provisoire de travail est maintenue. Mais que se passera-t-il dans l’hypothèse, probable, où sa demande d’asile sera refusée deux ou trois mois après son entrée dans l’entreprise ? La loi prévoira de supprimer son contrat de travail et de l’éloigner puisqu’il aura été débouté mais, dans la vraie vie, vous serez, je le crains, saisis de demandes d’admission exceptionnelle au séjour. Certains entrepreneurs iront voir le préfet pour dire que leur salarié a été débouté mais qu’il fait désormais partie de leur entreprise.

Faciliter l’ouverture du marché du travail me paraît être une fausse bonne idée. Vous allez mettre le doigt dans l’engrenage que constitue la régularisation des déboutés. Cela me paraît entrer en contradiction avec l’objectif affiché par ailleurs qui consiste, si j’ai bien compris, à veiller à l’application de la loi et donc à l’éloignement des déboutés du droit d’asile. Cela aboutira à une situation peu tenable. Je préfère de beaucoup le droit actuel.

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. Une remarque : en Allemagne, souvent citée en exemple, les demandeurs d’asile sont autorisés à travailler et cela n’a pas empêché qu’il y ait un grand nombre de déboutés ces trois dernières années.

M. Guillaume Larrivé. Je vous remercie, monsieur le ministre, pour cette précision. Les Républicains ne considèrent pas que la politique d’immigration mise en œuvre par la Chancelière Merkel soit un exemple à suivre. C’est un désaccord profond que nous avons avec nos amis de la CDU. Nous pensons que le choix qu’a fait la Chancelière en 2015 de dire Willkommen, c’est-à-dire « Bienvenue », à des centaines de milliers de personnes a profondément déstabilisé l’Allemagne au plan politique mais également l’Union européenne. Nous considérons que cela a alimenté les populismes en Europe. Nous ne tenons pas à reproduire les erreurs du gouvernement allemand.

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. En l’occurrence, je parlais du nombre de déboutés en Allemagne.

Mme Valérie Boyer. L’appel d’air suscité par Mme Merkel a mis en danger les migrants, déstabilisé l’Europe, favorisé la réapparition des partis extrêmes et a placé l’Italie dans une situation intenable : je ne pense pas que l’Allemagne soit un modèle à suivre.

En outre, les Allemands appliquent avec rigueur les règlements pour éloigner les déboutés de leur territoire et ces derniers se retrouvent en France.

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. Je suis d’accord avec vous sur ce point.

Mme Valérie Boyer. La mesure que vous envisagez aura un inconvénient supplémentaire. Nous aurons droit aux faux certificats de travail, c’est une évidence ! Il y a du trafic pour tout : du trafic d’êtres humains, du trafic pour les mariages, qui se négocient entre 10 000 et 30 000 euros. Pourquoi nous mettre dans une situation absolument intenable qui ne va faire qu’aggraver les difficultés et attiser les populismes ? C’est une mesure extrêmement toxique pour le « vivre-ensemble », comme on dit aujourd’hui. Elle ne fera qu’alimenter les procédures de recours. Je n’en vois pas l’intérêt. Même humainement, je ne la trouve pas bonne. Imaginez un peu la situation d’un migrant qui aurait trouvé un vrai travail et qui serait ensuite débouté. Ce n’est pas sérieux !

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. Cela lui permettra, lorsqu’il rentrera chez lui, de trouver plus facilement un emploi.

M. Manuel Valls. J’ai une question pour le ministre d’État et pour les auteurs de ces amendements, car le fond m’inquiète.

Il y a toujours un statut pour le demandeur d’asile, un cadre qui lui permet pendant une période de pouvoir vivre le mieux possible, pour ne pas dire dignement. Nous savons qu’il y a par ailleurs des situations où certains demandeurs d’asile trouvent du travail, notamment dans le Sud et l’Est au moment des vendanges. J’ai pu le constater de mes yeux, lors de la visite d’un centre où nous hébergions des demandeurs d’asile ou des réfugiés qui venaient de Calais.

Je vois deux contradictions. Je ne reviens pas sur celle qui a été évoquée par Guillaume Larrivé, pour me concentrer sur la seconde et la question du temps. Vous voulez, monsieur le ministre, poursuivre une tendance engagée et raccourcir les délais. Vous avez bien raison. Il s’agit d’apporter plus rapidement une réponse claire. Le demandeur obtient l’asile ou il est débouté, auquel cas il doit être reconduit à la frontière selon des procédures qui restent complexes. L’idée est d’arriver à un délai d’environ trois mois pour l’OFPRA et à une moyenne de six à neuf mois en fonction des dossiers.

Si le demandeur a le droit de travailler, il y a une contradiction. Je ne sais pas si c’est un « appel d’air », car il faut toujours faire attention à cette formule. Quoi qu’il en soit, on lui donne un statut supplémentaire qui me paraît assez contradictoire avec la manière dont on traite les demandeurs d’asile. Je sais que l’idée est de favoriser l’intégration. Vous dites, monsieur le ministre d’État, que cela peut même favoriser l’intégration au travail d’un débouté lorsqu’il retournera dans son pays. Comme le soulignait Guillaume Larrivé, cela risque aussi de mettre les entreprises dans une certaine difficulté.

Nous aurons ce débat dans l’hémicycle, mais cette proposition m’inspire beaucoup d’interrogations. C’est aussi le cas de nombre de propositions de mon collègue Aurélien Taché sur l’intégration, « mot-valise » dont nous avons bien du mal à cerner les contours dans notre débat national, pour aller au-delà des généralités et des bonnes intentions.

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. En regardant en arrière, on se rend compte que l’on a parfois mis l’accent sur l’octroi de l’asile et l’absence de lutte contre le maintien des déboutés sur le territoire, mais que l’on a très peu insisté sur l’intégration. Pour ma part, je pense justement que les difficultés que nous rencontrons dans certains quartiers viennent du fait que nous n’avons pas, au départ, suffisamment mis l’accent sur l’intégration. Or certaines personnes auxquelles nous avions accordé le statut de réfugiés n’étaient pas prêtes à vivre dans notre société ; elles n’y trouvaient pas leur place et se retrouvaient, petit à petit, à ses marges. Pour regarder comme vous la réalité de certains quartiers, je sais qu’ils ont dégénéré pour cette raison. Nous ne pouvons pas dire que nous ayons progressé au cours des dix dernières années dans ce domaine.

Il faut essayer une autre voie pour faire en sorte que les gens qui vont rester ici aient le maximum de chances de s’intégrer dans notre société. C’est d’ailleurs pour cela que je défends cette loi. D’aucuns estiment que ce texte est liberticide et qu’il vise à réduire les possibilités d’accueil. Pour ma part, j’ai toujours pensé que si l’on veut bien accueillir les nouveaux venus et les intégrer dans notre société, on ne peut pas élargir l’accueil à l’infini. Il faut tracer des limites.

C’est pourquoi il faut fixer un délai de six mois pour répondre oui ou non, et ne pas conserver, comme actuellement, des périodes grises de deux ans ou deux ans et demi. Nous avons eu un débat sur l’accueil inconditionnel avec des gens qui contestaient le fait que des agents de l’OFII puissent évaluer la situation administrative des personnes hébergées dans des centres d’accueil d’urgence. En fait, certaines personnes étaient hébergées depuis quinze ans à l’hôtel. C’est totalement absurde. Face à ce genre de situation, il faut savoir trancher. Mais je comprends votre préoccupation.

Mme Marietta Karamanli. Il y a plusieurs sujets dans les dernières interventions. Nous pouvons tous regretter la montée des populismes mais, contrairement à Guillaume Larrivé, je n’accuse pas Mme Merkel d’en être la responsable. Le populisme existait depuis très longtemps en France. Souvenons-nous qu’au second tour d’une élection présidentielle, les électeurs avaient le choix entre un républicain et un populiste. On ne peut donc pas dire que les choix de certains chefs d’État – en l’occurrence Mme Merkel – aient contribué à la montée du populisme en Europe.

Mme Valérie Boyer. Si, on peut le dire ! En Europe et notamment en Italie !

Mme Marietta Karamanli. En Italie, c’est différent.

On parle de la nécessité d’intégrer, ce qui est précisément l’une des conditions de la réussite d’une politique d’immigration. Mais l’intégration ne passe pas par la durée et le nombre de personnes que l’on peut intégrer dans un pays. L’intégration passe d’abord par des politiques globales qui touchent le logement, la santé, le travail.

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. Bien sûr !

Mme Marietta Karamanli. L’intégration doit être vue globalement et pas uniquement par rapport au nombre de personnes que l’on peut intégrer dans notre pays.

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. Pour avoir été maire de Lyon pendant seize ans, je sais que l’on ne peut construire qu’un nombre limité de logements par an. Si vous pensez que l’on peut construire des dizaines de milliers de logements sociaux tout en se préoccupant de la mixité pour ne pas créer de quartiers ghettoïsés, vous vous trompez totalement. Il existe des limites physiques et financières. Les moyens ne sont pas extensibles à l’infini et il faut faire des choix.

Mme Marietta Karamanli. Je crois que nous nous sommes mal compris. L’intégration nécessite une politique globale. Je m’appuie sur des propos tenus par le Président de la République pendant la campagne électorale : « Je crois que si cela est fait dans le bon ordre, et de manière intelligente, cest une opportunité pour nous. Cest dabord notre dignité et cest aussi une opportunité économique car ce sont des femmes et des hommes qui ont aussi des qualifications remarquables. » Je peux citer l’exemple d’une centaine de Syriens qui vivent dans le département de la Sarthe et qui possèdent des qualifications qui pourraient les rendre employables immédiatement, mais qui ne peuvent pas travailler.

M. Aurélien Taché. Je voudrais répondre à une crainte exprimée par notre collègue Larrivé. Si cette procédure est raccourcie, il n’y aura pas, même si l’autorisation de travail était accordée plus rapidement, des milliers de demandeurs d’asile qui trouveront un emploi, car il existe bien d’autres freins. Un recruteur doit payer des taxes extrêmement élevées pour embaucher un étranger, et cela vaut aussi pour les demandeurs d’asile. Ne vous inquiétez pas : les verrous existent et ce type de mesure ne provoquera aucun appel d’air. Nous espérons que certains auront la chance de trouver un emploi mais ce ne sera pas la majorité, peut-être malheureusement

Autre gros problème de la politique actuelle d’intégration : elle met beaucoup trop de temps avant de démarrer. Dans notre système d’hébergement et d’accompagnement, tout est conçu pour maintenir les demandeurs d’asile dans une espèce d’attentisme et d’oisiveté. Ils sont dans des centres d’hébergement, ils sont pris en charge, ils ont une allocation, mais ils ne peuvent rien faire d’autre que d’attendre que la décision tombe. Actuellement, cette décision n’arrive qu’après de très longs délais. À l’avenir, ce sera moins long, certes, mais il faut absolument sortir de cette logique.

Si nous avons d’aussi mauvais résultats en matière d’intégration c’est parce que, pendant qu’ils sont dans les centres, ils ne peuvent pas apprendre le français. L’État ne donne pas de cours de français aux demandeurs d’asile avant un délai d’au moins dix-huit mois. Ils ne peuvent pas travailler. Ils ne peuvent même pas rencontrer de Français puisqu’ils sont dans cette espèce de système qui les met à l’écart. Les trois quarts des pays européens ne s’inscrivent pas cette logique : ils autorisent les demandeurs d’asile à travailler, ils donnent des cours de langues et ils ont de bien meilleurs résultats que nous en matière d’intégration.

Pour le reste des soixante-douze propositions, j’ai bien entendu ce qu’a dit Manuel Valls mais nous en discuterons peut-être dans un autre cadre pour ne pas rallonger les débats de ce soir.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous allons passer au vote sur cette série d’amendements.

Lamendement CL885 est retiré.

La Commission rejette successivement les amendements CL95, CL41, CL671, CL446 et CL94.

Elle adopte les amendements identiques CL42 et CL886.

Larticle 26 bis est ainsi rédigé.

Article 26 ter (nouveau)
(art L. 52215 du code du travail)
Délivrance dune autorisation provisoire de travail aux mineurs isolés étrangers confiés à lASE après 16 ans

Résumé du dispositif et effets principaux :

L’article 26 ter est issu d’un amendement de Mme Anne–Christine Lang. Il rend obligatoire la délivrance d’une autorisation provisoire de travail aux mineurs isolés étrangers confiés à l’aide sociale à l’enfance (ASE) après 16 ans, sous réserve de la présentation d’un contrat d’apprentissage ou d’un contrat de professionnalisation à durée indéterminée.

Beaucoup de mineurs isolés étrangers âgés de 16 à 18 ans se dirigent vers des formations qualifiantes courtes, visant l’acquisition rapide de compétences professionnelles. Parmi ces formations, les certificats d’aptitude professionnelle (CAP) représentent une voie d’intégration privilégiée, en particulier les CAP en apprentissage. Ces cursus disposent en effet de plusieurs atouts pour des jeunes qui, au terme de leur prise en charge à l’ASE, devront à la fois être autonomes financièrement et entamer des démarches de régularisation. Dans le cas d’un CAP en apprentissage, une autorisation provisoire de travail doit être sollicitée auprès de la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi.

La circulaire interministérielle du 25 janvier 2016 relative à la mobilisation des services de l’État auprès des conseils départementaux concernant les mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille et les personnes se présentant comme tels, qui fixe les modalités de délivrance de cette autorisation de travail, établit une distinction entre les mineurs selon qu’ils ont été pris en charge par l’ASE avant ou après 16 ans. Pour les premiers, la délivrance de cette autorisation ne pose pas de problème particulier. Pour les seconds en revanche, un refus peut leur être opposé au motif qu’ils ne bénéficient pas de titre de séjour.

Or, par une ordonnance du 15 février 2017, publiée au recueil Lebon, le juge des référés du Conseil d’État a invalidé cette approche. En l’espèce, un jeune garçon avait été admis dans un centre de formation d’apprentis et avait conclu un contrat d’apprentissage validé temporairement dans l’attente d’une autorisation provisoire de travail. Sollicitée en urgence, cette autorisation lui avait été refusée au motif qu’il ne disposait pas de titre de séjour. Dans son ordonnance, le Conseil d’État a estimé que la combinaison des articles L. 5221-5 du Code du travail et L. 313-15 du CESEDA impliquaient la délivrance de plein droit d’une autorisation de travail au mineur isolé étranger qui a été confié à l’ASE après l’âge de seize ans et qui, de ce fait, devait être regardé comme étant autorisé à séjourner en France avant l’âge de dix-huit ans, sous réserve de la présentation d’un contrat d’apprentissage ou d’un contrat de professionnalisation à durée indéterminée.

Le présent article inscrit donc dans le code du travail l’obligation de délivrance d’une autorisation provisoire de travail aux mineurs isolés étrangers confiés à l’ASE après 16 ans, sous réserve de la présentation d’un contrat d’apprentissage ou d’un contrat de professionnalisation à durée indéterminée.

*

*     *

La Commission rejette successivement les amendements identiques CL43 et CL887, lamendement CL575 et lamendement CL519.

Elle adopte lamendement CL368.

Larticle 26 ter est ainsi rédigé.

Article 27
Habilitation du Gouvernement à modifier par ordonnance la partie législative du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile

Résumé du dispositif et effets principaux :

L’article 27 habilite le Gouvernement, dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, à modifier par ordonnances la partie législative du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile afin de :

– la rendre plus accessible et d’y inclure des dispositions relevant d’autres codes ou non codifiées et intéressant l’entrée et le séjour des étrangers ;

– créer un titre de séjour unique pour les salariés ;

– simplifier le régime des autorisations de travail pour le recrutement de certaines catégories de salariés par des entreprises bénéficiant d’une reconnaissance particulière par l’État.

Modifications apportées par la commission des Lois :

Cet article a fait l’objet d’un amendement rédactionnel de votre rapporteure.

1.   La recodification à droit constant

Le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile a été créé par l’ordonnance n° 2004‑1248 du 24 novembre 2004. S’il a été amendé à la marge à l’occasion de divers textes, deux lois lui ont apporté des modifications substantielles :

– la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d’asile ;

– la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France.

En conséquence, les alinéas 2 et 3 du présent article autorisent le Gouvernement à procéder, par voie d’ordonnances, à une nouvelle rédaction à droit constant de la partie législative du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

2.   La fusion des cartes de séjour temporaire « salarié » et « travailleur temporaire »

L’alinéa 4 du présent article prévoit une ordonnance afin de permettre la fusion des cartes de séjour temporaire « salarié » – pour les personnes embauchées en CDI – et « travailleur temporaire » – pour les salariés recrutés en CDD. En effet, il apparait que la situation actuelle entraine des disparités au regard du droit au séjour en cas de perte involontaire d’emploi entre les deux régimes qui ne paraissent pas justifiées puisque seuls les salariés en CDI conservent dans ce cas leur droit au séjour.

3.   La simplification du régime des autorisations de travail

L’alinéa 5 du présent article prévoit une troisième ordonnance permettant de simplifier le régime des autorisations de travail pour le recrutement de certaines catégories de salariés par des entreprises bénéficiant d’une reconnaissance particulière par l’État. Les délais d’embauche sont aujourd’hui de trois à quatre mois, ce qui ne correspond pas aux attentes d’un certain nombre d’entreprises justifiant de besoins réguliers à la mobilité internationale faute de trouver les compétences nécessaires sur le marché national.

L’étude d’impact indique que des entreprises pourraient être habilitées par l’autorité administrative, procédure qui existe déjà dans plusieurs pays européens, ce qui leur permettra de bénéficier ensuite d’un processus simplifié (moins de pièces exigées, délais réduits…).

Les ordonnances devront être prises dans un délai de deux ans et les projets de loi de ratification être déposés devant le Parlement dans un délai de trois mois à compter de leur publication (alinéa 6 du présent article).

*

*     *

La Commission examine lamendement CL111 de Mme Marietta Karamanli.

Mme Marietta Karamanli. Nous proposons la suppression de cet article, car nous considérons que ce n’est pas forcément une bonne méthode que de passer par voie d’ordonnance.

Le Gouvernement souhaite une nouvelle rédaction de la partie législative du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA). Il souhaite créer un titre de séjour unique pour les travailleurs et simplifier le régime des autorisations de travail pour le recrutement de certaines catégories de salariés par des entreprises bénéficiant d’une reconnaissance particulière par l’État. Nous considérons que ces dispositions ne nécessitent ni de contourner la procédure parlementaire ni de légiférer dans l’urgence. Je tiens particulièrement au rôle que les parlementaires que nous sommes peuvent jouer dans la législation. Il ne faut pas remettre aux ordonnances ce que nous pouvons faire nous-mêmes.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Avis défavorable. Il me semble que les termes employés dans cette loi d’habilitation, qui autorise le Gouvernement à prendre des ordonnances, sont assez clairs. Il s’agit de rendre accessible le CESEDA, dont j’ai entendu dire, au cours de nos auditions, qu’il était l’un des codes les plus compliqués à appréhender. Dans un domaine aussi sensible, une meilleure accessibilité me paraît souhaitable. Il s’agit aussi de créer un type de séjour unique pour les salariés et de simplifier le régime des autorisations de travail pour le recrutement de certaines catégories de salariés. Tout cela me semble assez clair et positif.

Mme Marietta Karamanli. Je ne peux pas me ranger à cet argument qui revient à considérer que les parlementaires, qu’ils soient députés ou sénateurs, font mal leur travail et rédigent mal les textes. Nous aurons peut-être l’occasion d’en parler lors de la prochaine réforme constitutionnelle mais c’est quand même un principe de ne pas tout renvoyer à des ordonnances.

La Commission rejette lamendement.

Elle adopte lamendement rédactionnel CL234 de la rapporteure.

Puis elle adopte larticle 27 modifié.

Chapitre III
Dispositions diverses en matière de séjour

Article 28
(art. L. 3136 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile)
Renforcement des conditions de délivrance de la carte de séjour temporaire portant la mention « visiteur »

Résumé du dispositif et effets principaux :

L’article 28 élargit les conditions de délivrance de la carte de séjour temporaire « visiteur » en prévoyant que le bénéficiaire doit apporter la preuve qu’il peut vivre avec ses propres ressources – au moins égales au salaire minimum de croissance – et disposer d’une assurance maladie couvrant la durée du séjour.

Modifications apportées par la commission des Lois :

Cet article n’a fait l’objet d’aucune modification lors de son examen en commission.

1.   L’état du droit

Aux termes de l’article L. 313–6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, la carte de séjour temporaire « visiteur » ne peut être délivrée que si l’étranger apporte la preuve qu’il peut vivre de ses seules ressources et s’il prend l’engagement de n’exercer en France aucune activité professionnelle.

On remarque une grande stabilité du nombre de délivrance de cette carte entre les années 2010 et 2016 et une baisse significative en 2017.

2.   Le dispositif proposé

Il est proposé de réécrire l’article L. 313‑6 afin de préciser les conditions dans lesquelles la carte de séjour temporaire « visiteur » peut être délivrée.

L’alinéa 2 du présent article précise la notion de « vivre de ses seules ressources » en précisant que le montant doit être au moins égal au salaire minimum de croissance net annuel, soit 14 048,30 euros, indépendamment des prestations liées au revenu de solidarité active et à l’allocation de solidarité spécifique. Cette condition est la reprise de celle exigée pour la carte de résident portant la mention « résident de longue durée-UE » (article L. 314‑8 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile).

L’alinéa 3 prévoit en outre que l’étranger doit justifier d’une assurance maladie couvrant la durée de son séjour. Là encore, cette condition est déjà exigée pour la délivrance d’autres cartes de séjour (article L. 314‑8 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile). Un décret en Conseil d’État précisera les conditions d’application du présent article sur ce point (alinéa 4).

La condition d’engagement de n’exercer aucune activité professionnelle en France, déjà présente dans le droit positif, est reprise dans la nouvelle rédaction.

*

*     *

Lamendement CL880 de Mme Stella Dupont est retiré.

Suivant lavis défavorable de la rapporteure, la Commission rejette lamendement CL113 de Mme Marietta Karamanli.

Puis elle examine lamendement CL882 de Mme Stella Dupont.

Mme Sandrine Mörch. Afin de limiter les possibilités de fraude et de maintien sur le territoire français à l’expiration des cartes d’entrée « visiteur », le projet de loi prévoit un durcissement des conditions d’octroi concernant la possession d’une assurance maladie et la preuve de l’autonomie financière du demandeur.

Ces dispositions doivent être accueillies favorablement dans la mesure où elles permettent de limiter les fraudes, mais elles ne doivent pas pour autant interdire à des personnes de bonne foi d’obtenir ce type de carte. On pense notamment aux personnes qui viennent régulièrement visiter leur famille. C’est pourquoi cet amendement propose d’accorder aux préfets le pouvoir discrétionnaire de donner des dérogations au regard de la particularité de la situation du demandeur et des garanties qu’il apporte.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Le but de cet article est précisément d’objectiver les conditions d’obtention de cette carte. Le fait de réintroduire un pouvoir discrétionnaire paraît à l’évidence contradictoire avec cette intention. Avis défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Puis elle adopte larticle 28 sans modification.

Article 29
(art. L.31372 et L. 31324 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile)
Durcissement des conditions doctroi des cartes de séjour « ICT »

Résumé du dispositif et effets principaux :

L’article 29 complète la transposition de la directive 2014/66/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 établissant les conditions d’entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers dans le cadre d’un transfert temporaire intragroupe afin d’éviter les détournements frauduleux.

Dernières modifications législatives intervenues :

Les dispositions relatives à la délivrance de la carte de séjour temporaire et la carte de séjour pluriannuelle portant la mention « ICT » ont été introduites par la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France aux fins de transposer la directive (UE) 2014/66 établissant les conditions d’entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers dans le cadre d’un transfert temporaire intragroupe, dite « ICT » (« Intra-Corporate Transfer »).

Modifications apportées par la commission des Lois :

Cet article n’a fait l’objet d’aucune modification lors de son examen en commission.

1.   L’état du droit

Les cartes de séjour temporaire « stagiaire ICT » – valable un an – et la carte de séjour pluriannuelle portant la mention « ICT » – valable trois ans – ont été introduites par la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France aux articles L. 313-7-2 et L. 313-24 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Il s’agissait de transposer la directive (UE) 2014/66 établissant les conditions d’entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers dans le cadre d’un transfert temporaire intragroupe, dite « ICT ».

Ces cartes de séjour sont délivrées aux ressortissants étrangers qui viennent en France effectuer une mission dans le cadre d’un détachement (2° de l’article L. 1262-1 du code du travail) afin d’occuper un stage, un poste d’encadrement supérieur ou d’expertise dans un établissement ou une entreprise du groupe qui l’emploie. Le salarié conserve son contrat de travail dans l’entreprise du groupe à l’étranger qui le détache en France.

Ces deux cartes de séjour permettent la délivrance de plein droit au conjoint du titulaire de ces cartes et « à ses enfants entrés mineurs en France dans lannée qui suit leur dix-huitième anniversaire », et donne droit à l’exercice d’une activité professionnelle.

Modifier si rapidement un dispositif si récent peut surprendre, mais l’étude d’impact indique que « des suspicions de détournement ont été signalées en 2017 par quelques consulats (introduction de travailleurs salariés déguisés en détachements ; qualification dexperts douteux, etc.) ». Il s’agit donc d’utiliser les marges de manœuvre prévues par la directive afin de prévenir l’utilisation frauduleuse de ce dispositif.

2.   Le dispositif proposé

Le 1° du présent article modifie les dispositions relatives au « stagiaire ICT ».

L’alinéa 4 précise désormais que cette carte de séjour est non renouvelable et n’est accordée qu’à l’étranger résident en dehors de l’UE (article 2 de la directive).

L’alinéa 5 porte la durée minimale exigée de l’expérience professionnelle au sein du groupe qui emploie le stagiaire de trois à six mois (article 5 de la directive).

Les alinéas 6 et 7 instaurent un délai de six mois entre la fin d’un transfert temporaire intragroupe en France et une nouvelle demande.

L’alinéa 8 assure une meilleure transposition de la directive en précisant que la carte de séjour « famille » est octroyée aux enfants du couple et non plus seulement aux enfants du titulaire de la carte ICT (article 19 de la directive).

Les alinéas 9 et 10 prévoient que l’entreprise établie dans le premier État membre notifie au préalable le projet de mobilité à l’étranger, dès lors qu’il est connu, aux autorités administratives compétentes du premier État membre, ainsi qu’à l’autorité administrative compétente désignée par arrêté du ministère chargé de l’immigration (article 11 de la directive).

Le du présent article effectue les mêmes modifications que celles prévues au 1° s’agissant de la carte pluriannuelle « ICT », en renvoyant les conditions de l’exercice du transfert temporaire intragroupe à un décret en Conseil d’État (alinéa 21).

*

*     *

La Commission adopte larticle 29 sans modification.

Article 30
(art. L. 31311 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile, art. 316, 3161 [nouveau], 3162 [nouveau], 3163 [nouveau], 3164 [nouveau], 3165 [nouveau], 24991 à 24995 [abrogés] du code civil)
Sécurisation des conditions de délivrance de la carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » et lutte contre les reconnaissances frauduleuses du lien de filiation

Résumé du dispositif et effets principaux :

L’article 30 renforce les modalités de délivrance de la carte de séjour temporaire « vie privée et familiale » en qualité de parent d’enfant français en conditionnant son obtention à la justification de la contribution effective de l’auteur de la reconnaissance de la filiation à l’entretien et à l’éducation de l’enfant. Il modifie par ailleurs la procédure d’enregistrement des reconnaissances de lien de filiation en conditionnant l’établissement d’un acte de reconnaissance à la production de justificatifs d’identité et de domicile. Enfin, il crée un dispositif d’alerte du procureur de la République par l’officier d’état civil pouvant aboutir à une opposition de l’établissement d’un tel acte de reconnaissance.

Dernières modifications législatives intervenues :

La loi n° 2006–911 du 24 juillet 2006 relative à l’immigration a créé à Mayotte un dispositif spécifique en cas de présomption de reconnaissance frauduleuse, en raison de la prégnance du phénomène de l’immigration irrégulière sur ce territoire.

Modifications apportées par la commission des Lois :

Cet article n’a fait l’objet d’aucune modification lors de son examen en commission.

1.   Les conditions de délivrance des cartes de séjour portant la mention « vie privée et familiale »

a.   L’état du droit

Aux termes du 6° de l’article L. 313‑11 du CESEDA, la carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » est délivrée de plein droit à l’étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d’un enfant français mineur résidant en France, sans que la production d’un visa long séjour soit exigée.

Cette disposition est soumise au respect de deux conditions :

– la présence de l’étranger ne doit pas constituer une menace pour l’ordre public ;

– l’étranger doit établir qu’il contribue effectivement à l’entretien et à l’éducation de l’enfant à proportion de ses ressources depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans.

Comme le souligne l’étude d’impact, et comme cela a été confirmé par l’office central pour la répression de l’immigration irrégulière et l’emploi d’étrangers sans titre (OCRIEST) lors de son audition par votre rapporteure, la délivrance de ce titre est très vulnérable à la fraude. Ce phénomène est difficilement quantifiable mais s’agissant des tentatives répertoriées, les préfectures ont recensé 400 reconnaissances frauduleuses de paternité en 2015 et presque 600 en 2016. Il existe plusieurs types de fraudes, parmi lesquels celui d’une mère française acceptant de faire reconnaitre son enfant par un étranger, devenant ainsi parent d’enfant français ayant droit au séjour (sous réserve de contribuer à l’entretien et à l’éducation de l’enfant) et celui d’hommes français reconnaissant des enfants étrangers.

Par ailleurs, les dispositions actuelles du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, si elles permettent de s’assurer que le demandeur du titre et auteur de la reconnaissance de paternité participe bien à l’éducation de l’enfant, ne couvrent pas le cas de fraude où un père français reconnaitrait l’enfant d’une mère étrangère sans subvenir à ses besoins.

b.   Le dispositif proposé

Afin de responsabiliser l’auteur de la reconnaissance, le I du présent article propose de compléter le 6° de l’article L. 313‑11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile en précisant que lorsque la filiation est établie à l’égard d’un parent par une reconnaissance de paternité ou de maternité, le demandeur du titre de séjour qui n’est pas l’auteur de la reconnaissance ([201]) doit justifier que celui-ci contribue effectivement à l’entretien et à l’éducation de l’enfant.

Cette disposition est justifiée par l’intérêt supérieur de l’enfant, afin d’éviter des reconnaissances en paternité qui ne s’accompagneraient pas d’un engagement pérenne de subvenir à ses besoins et à son éducation.

2.    La réforme des conditions d’établissement des actes de reconnaissance du lien de filiation

a.   La reconnaissance du lien de filiation

En application de l’article 316 du code civil, lorsque la filiation n’est pas établie par l’effet de la loi, elle peut l’être par une reconnaissance de paternité ou de maternité, faite avant ou après la naissance.

En principe tout enfant dont la filiation n’est pas déjà établie par effet de la loi peut être reconnu. Cela peut concerner :

– l’enfant à naître ou conçu : aucun certificat de grossesse n’est exigé ;

– l’enfant né vivant et viable. En revanche, l’enfant né vivant mais non viable ou l’enfant mort-né ne peut pas être reconnu ;

– l’enfant décédé ;

– l’enfant dont la filiation n’est pas déjà établie (par effet de la loi, par reconnaissance, par acte de notoriété ou par jugement) : né de parents non mariés ; né d’un couple marié quand la présomption de paternité est écartée (art. 316 C.civ.) ; né hors mariage d’un homme marié avec une autre femme que la mère ; né lorsque la présomption de paternité du mari de la mère est écartée, c’est-à-dire lorsque l’enfant a été conçu pendant une période de séparation légale (art. 313 C. civ.) ou lorsque l’enfant est inscrit sans l’indication du nom du mari (art. 313 C. civ.) ; faisant l’objet d’une contestation de maternité et/ou de paternité (art. 332 C. civ.).

Ce principe connaît toutefois deux exceptions :

– l’enfant incestueux (art. 310-2 code civil). En effet, s’il existe, entre les parents, un des empêchements à mariage prévus aux articles 161 et 162 du code civil, la filiation établie à l’égard d’un parent fait obstacle à l’établissement de la filiation à l’égard de l’autre) ;

– l’enfant placé en vue de son adoption (art. 352 du code civil).

L’article 336 de ce même code dispose cependant que la filiation légalement établie peut être contestée par le ministère public si des indices tirés des actes eux-mêmes la rendent invraisemblable ou en cas de fraude. Les actions relatives à la filiation se prescrivent par dix ans à compter du jour où la personne a été privée de l’état qu’elle réclame, ou a commencé à jouir de l’état qui lui est contesté. À l’égard de l’enfant, ce délai est suspendu pendant sa minorité.

L’officier de l’état civil ne peut, en principe, se faire juge de la sincérité d’une reconnaissance. La reconnaissance frauduleuse se distingue de la reconnaissance de complaisance, cest-à-dire souscrite par son auteur alors quil sait ne pas être le père biologique de lenfant. Elle ne porte pas atteinte à l’ordre public et ne peut être contestée par le ministère public, dans la mesure où son auteur s’engage par cet acte à assumer les conséquences du lien de filiation ainsi établi.

La circulaire du 28 octobre 2011 portant règles particulières à divers actes de l’état civil relatifs à la naissance et à la filiation dispose simplement, qu’en cas de doute sur la sincérité de la démarche, il est conseillé à l’officier d’appeler l’attention du déclarant sur les conséquences de cet acte et les éventuels risques qui pourraient en résulter au plan pénal (article 441‑4 du code pénal ([202]).

Lorsque le caractère illicite ou frauduleux de l’acte qu’on lui demande de dresser paraît révélé notamment par les pièces produites ou dont il a sollicité la production (afin de prouver notamment l’identité du déclarant), l’officier de l’état civil doit enregistrer la reconnaissance et informer, sans délai, le parquet, qui peut, le cas échéant, engager l’action en contestation de la filiation sur le fondement des dispositions de l’article 336 du code civil.

Par ailleurs, il existe une infraction spécifique dans le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile punissant de de cinq ans d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende le fait de contracter un mariage ou de reconnaître un enfant aux seules fins d’obtenir, ou de faire obtenir, un titre de séjour ou le bénéfice d’une protection contre l’éloignement, ou aux seules fins d’acquérir, ou de faire acquérir, la nationalité française.

b.   La difficulté de détecter les reconnaissances frauduleuses

Comme le souligne l’étude d’impact, « cette fraude conduit à une instrumentalisation des enfants à des fins étrangères aux principes gouvernant la protection de lenfance et lexercice des responsabilités parentales, et a également de fortes implications sur le plan migratoire et pèse sur les finances publiques. Pour autant elle est difficile à détecter, à prouver et à sanctionner.

En matière civile, les juridictions judiciaires françaises ont eu, pour leur part, sur la période 2010-2015, à connaitre 737 affaires de contestation du lien de filiation à linitiative du parquet sur le fondement de larticle 336 du code civil et ont, sur cette même période, rendu 655 jugements. Entre 2013-2015, moins de 6 % des actions en contestation du parquet ont été rejetées par les juridictions. En 2016, 133 reconnaissances frauduleuses de paternité ont été contestées par le ministère public, conduisant à lannulation du lien de filiation dans la quasi-majorité des affaires.

De même, sur le plan pénal, les statistiques issues du Casier judiciaire national permettent de recenser, de 2010 à 2014, 185 condamnations pour des délits dorganisation ou de reconnaissance denfant aux seules fins de dobtenir ou de faire obtenir un titre de séjour, le bénéfice dune protection contre léloignement ou dacquérir ou faire acquérir la nationalité française, avec toutefois une nette augmentation depuis 2012. Seules respectivement 45 et 67 infractions liées à lobtention indue dun titre de séjour, dune protection contre léloignement ou de la nationalité française ainsi quà lorganisation dune telle obtention ont été réprimées pénalement en 2015 et 2016, étant précisé que dautres typologies dinfractions permettent incidemment de réprimer le phénomène des reconnaissances frauduleuses du lien de filiation.

En ce qui concerne les demandes de titres didentité et de voyage français, la seule préfecture de police de Paris estime les fraudes de ce type auxquelles elle a été confrontée, en 2015, à environ un millier.

En 2015, sur les 2 234 tentatives dobtention frauduleuses de titres de séjour enregistrées, les préfectures ont recensé 663 tentatives dobtention frauduleuse de titres de séjour en tant que parent denfant français, les 2/3 se fondant sur une reconnaissance frauduleuse de lien de filiation, en augmentation de 22 % par rapport à 2014. Ainsi, compte tenu de la sous-comptabilisation des détections et des difficultés de détections, on peut considérer que le taux de fraude sur ces titres se situe entre 10 et 20 % des 12 000 demandes annuelles. »

c.   Le dispositif mahorais

Depuis la loi n° 2006‑911 du 24 juillet 2006 relative à l’immigration, il existe à Mayotte un dispositif spécifique en cas de présomption de reconnaissance frauduleuse, en raison de la prégnance du phénomène de l’immigration irrégulière sur ce territoire.

Ce dispositif est codifié aux articles 2499‑2 et suivants du code civil. Lorsqu’il existe des indices sérieux laissant présumer que la reconnaissance d’un enfant est frauduleuse, l’officier de l’état civil saisit le procureur de la République, qui décide, dans un délai de quinze jours, soit de laisser enregistrer la reconnaissance ou mentionner celle-ci en marge de l’acte de naissance, soit qu’il y est sursis dans l’attente des résultats de l’enquête à laquelle il fait procéder, soit d’y faire opposition. En cas d’opposition ou de sursis ordonné par le parquet, la personne peut saisir le tribunal de première instance.

Cette procédure s’inspire très largement de celle prévue à l’article 175‑2 du code civil sur le mariage de complaisance ou simulé.

Selon le parquet du tribunal de grande instance de Mamoudzou, les dispositions de la loi de 2006 sont difficilement applicables parce que les officiers de l’état civil n’ont pas nécessairement la capacité d’identifier les « indices sérieux laissant présumer la fraude ».

d.   Le dispositif proposé

Le 1° du II complète l’article 316 du code civil afin de prévoir que l’auteur de l’acte de reconnaissance justifie de son identité par un document officiel d’identité avec photographie et de son domicile par un justificatif daté de moins de trois mois. Ces dispositions ne figuraient pas dans le dispositif mahorais.

Le 2° du II insère cinq articles nouveaux dans le code civil, afin d’introduire un dispositif de détection des reconnaissances frauduleuses inspiré de celui existant à Mayotte.

Le nouvel article L. 316‑1 dispose que lorsqu’il existe des indices sérieux laissant présumer que la reconnaissance de l’enfant est frauduleuse, l’officier de l’état civil saisit sans délai le procureur de la République et en informe l’auteur de la déclaration (alinéa 9).

Cette procédure est en tout point identique à celle actuellement prévue à l’article 2499‑2 du code civil à l’exception de l’introduction d’une audition de l’auteur de la déclaration par l’officier de l’état civil, lorsque celui–ci l’estime pertinente pour qualifier les indices sérieux de fraude. Cette nouveauté s’inspire des difficultés qui ont été constatées localement par les officiers de l’état civil. L’audition est prévue par la procédure de l’article 175‑2 du code civil précité.

Les alinéas 10 à 13 reprennent très exactement les termes de l’article 2499–2 sur le déroulé de la procédure :

– le procureur de la République décide dans un délai de 15 jours, soit de laisser enregistrer la demande, soit d’y surseoir en diligentant une enquête, soit d’y faire opposition ;

– le sursis ne peut excéder un mois (deux si l’enquête se déroule à l’étranger), renouvelable une fois par décision spécialement motivée ;

– à l’expiration du délai, le procureur informe l’officier de l’état civil ainsi que l’auteur de la déclaration de sa décision. Celle-ci doit être motivée ;

– l’auteur de la déclaration peut contester la décision de sursis ou de renouvellement de celui-ci devant le tribunal de grande instance, qui statue dans un délai de dix jours. En cas d’appel, la cour statue dans le même délai.

L’article 316‑2 reprend très exactement les termes de l’article 2499‑3 du code civil.

L’acte d’opposition mentionne les prénoms et nom de l’auteur de la reconnaissance, ainsi que les prénoms et nom, date et lieu de naissance de l’enfant concerné (alinéa 14) ou, en cas de reconnaissance prénatale, toute indication communiquée à l’officier de l’état civil relative à l’identification de l’enfant à naître (alinéa 15).

À peine de nullité, l’alinéa 16 prévoit que tout acte d’opposition à l’enregistrement d’une reconnaissance ou à sa mention en marge de l’acte de naissance de l’enfant énonce la qualité de l’auteur de l’opposition ainsi que les motifs de celle-ci. L’acte d’opposition est signé, sur l’original et sur la copie, par l’opposant et notifié à l’officier de l’état civil, qui met son visa sur l’original (alinéa 17). L’officier de l’état civil fait, sans délai, une mention sommaire de l’opposition sur le registre d’état civil. Il mentionne également, en marge de l’inscription de ladite opposition, les éventuelles décisions de mainlevée dont expédition lui a été remise (alinéa 18). En cas d’opposition, il ne peut, sous peine de 3 000 euros d’amende, enregistrer la reconnaissance ou la mentionner sur l’acte de naissance de l’enfant, sauf si une expédition de la mainlevée de l’opposition lui a été remise (alinéa 19).

L’article 316‑3 reprend, quant à lui, les termes de l’article 2499–4 du code civil, en rajoutant toutefois une précision.

Le tribunal de grande instance se prononce, dans un délai de dix jours à compter de sa saisine, sur la demande de mainlevée de l’opposition formée par l’auteur de la reconnaissance, même mineur (alinéa 20).

En cas d’appel, il est statué dans le même délai, et, précision ajoutée par l’alinéa 21, « si le jugement dont il est fait appel a donné mainlevée de lopposition, la cour devra statuer même doffice. »

Le jugement rendu par défaut, rejetant l’opposition à l’enregistrement de la reconnaissance ou à sa mention en marge de l’acte de naissance de l’enfant, ne peut être contesté (alinéa 22).

Aux termes du nouvel article 316‑4, qui reprend les termes de l’article 2499–5, lorsque la saisine du procureur de la République concerne une reconnaissance prénatale ou concomitante à la déclaration de naissance, l’acte de naissance est dressé sans indication de cette reconnaissance (alinéa 23).

L’alinéa 24 insère un nouvel article L. 316‑5, qui dispose que lorsque la reconnaissance est enregistrée, ses effets pour les règles de dévolution du nom de famille remontent à la date de la saisine du procureur de la République.

En conséquence, le 3° du II abroge les articles 2499‑1 à 2499‑5 du code civil qui n’ont plus lieu d’être.

*

*     *

La Commission examine lamendement CL118 de Mme Marietta Karamanli.

Mme Marietta Karamanli. Nous proposons de supprimer cet article qui, sous couvert de lutte « contre les reconnaissances frauduleuses du lien de filiation », vise à introduire une des dispositions les plus cyniques de ce projet de loi : il conditionne notamment la délivrance du titre de séjour à l’étranger se prévalant de la qualité de parents d’enfant français à la justification de la contribution effective de l’auteur de la reconnaissance de la filiation à l’entretien et l’éducation de l’enfant.

Cela reviendrait ainsi à punir l’enfant, privé de la possibilité d’être rejoint par un de ses parents, au motif que celui-ci n’arriverait pas à prouver sa contribution effective à son éducation.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Cet article est important puisqu’il a été progressivement découvert de très nombreuses reconnaissances frauduleuses, allant jusqu’à l’organisation de filières entières, comme cela nous a été dit en audition par l’Office central pour la répression de l’immigration irrégulière et de l’emploi d’étrangers sans titre (OCRIEST). Il n’y a absolument aucun moyen préventif aux mains des agents d’état civil lorsqu’ils se retrouvent dans de telles situations.

On pourrait faire un parallèle avec les enquêtes pour mariages frauduleux. Il faut pouvoir prendre en compte le cas des reconnaissances frauduleuses de paternité. Pour répondre à votre analyse, il me semble qu’une telle démarche est, au contraire, protectrice de l’intérêt supérieur de l’enfant dans la mesure où elle évite des reconnaissances de filiation qui ne s’accompagneraient pas d’un engagement pérenne. Elle permet d’éviter que l’enfant puisse être un enjeu de passeurs.

Mme Marietta Karamanli. Pas de passeurs !

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Pas de passeurs, en effet, mais de reconnaissances frauduleuses. Pour l’intérêt supérieur de l’enfant, il est important de pouvoir établir, avec la reconnaissance, la possibilité de subvenir à ses besoins et à son éducation. Avis défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Elle en vient à lamendement CL119 de Mme Marietta Karamanli.

Mme Marietta Karamanli. Cet amendement propose de rédiger différemment l’article, en complétant le 6° de l’article L. 313-11 du CESEDA de façon à accorder une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » au parent étranger d’un enfant français tant que la reconnaissance de filiation litigieuse n’a pas été définitivement annulée par le juge civil.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Ce que vous proposez viderait cet article de sa substance. Avis défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Puis elle est saisie de lamendement CL115 de Mme Marietta Karamanli.

Mme Marietta Karamanli. Cet amendement vise à mettre fin à des situations que nous avons longuement évoquées hier, à plusieurs reprises, celles de personnes qui ont un statut de « ni-ni », c’est-à-dire qu’elles ne sont ni régularisables ni expulsables.

Nous proposons une nouvelle rédaction de l’article pour préciser : « À létranger qui, au regard du droit de mener une vie familiale normale au sens de larticle 8 de la Convention européenne des droits de lhomme, ne peut faire lobjet dune expulsion du territoire français. »

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Ce serait détourner l’article 30 de son objectif premier. Avis défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Suivant lavis défavorable de la rapporteure, la Commission rejette lamendement CL116 de Mme Marietta Karamanli.

Elle examine ensuite lamendement CL117 de Mme Marietta Karamanli.

Mme Marietta Karamanli. Cet amendement s’inspire de la circulaire du 28 novembre 2012 qui rendait possible une régularisation par le préfet des étrangers victimes de la traite des êtres humains. Plutôt que de laisser à l’autorité administrative un pouvoir discrétionnaire en la matière, il apparaît préférable que la loi consacre ce droit de manière explicite. On ne peut pas être contre.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Si ! Votre amendement réécrit l’article 30 d’une manière qui le viderait de son contenu. Avis défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Puis elle aborde lamendement CL120 de Mme Marietta Karamanli.

Mme Marietta Karamanli. Si l’administration conteste le lien de filiation, rien ne justifie que la situation juridique des personnes concernées demeure suspendue, lorsque, au‑delà d’une période de quatre mois, le procureur de la République n’a pas engagé de poursuites. Cet amendement s’inspire d’une préconisation du Défenseur des droits dans son avis du 15 mars dernier sur le projet de loi.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Avis défavorable. Madame Karamanli, il est difficile de considérer que vous « précisez » l’article 30 ; vous l’« écrasez » plutôt…

La Commission rejette lamendement.

Elle est saisie de lamendement CL468 de Mme Élodie Jacquier-Laforge.

Mme Élodie Jacquier-Laforge. Cet amendement me tient particulièrement à cœur. Les deux premiers alinéas de l’article 30 imposent à une mère d’un enfant français qui demande l’asile de prouver que le père français de l’enfant « contribue effectivement à lentretien et à léducation » de ce dernier. Dans les faits, si elle n’apporte pas cette preuve, elle n’obtiendra pas le titre de séjour qui lui permettrait de rester en France et d’y travailler. En clair, parce que le père ne subvient pas aux besoins de l’enfant, vous empêchez la mère de travailler sur le sol français, ce qui signifie qu’aucun des parents ne contribuera à l’entretien et à l’éducation de cet enfant. La loi ne peut pas avoir pour conséquence une telle situation pour un enfant français. L’amendement vise à supprimer les deux premiers alinéas de l’article 30.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. L’objectif de ces dispositions est bien de lutter contre l’obtention frauduleuse d’un état civil. Il est vrai qu’elles ne peuvent être prises au seul préjudice de la mère sans titre. Je propose que nous réfléchissions à une rédaction commune d’ici à la séance publique afin de prendre en compte le cas de figure que vous évoquez.

Mme Élodie Jacquier-Laforge. Je souhaite que nous puissions trouver une solution qui protège l’enfant français.

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. Le Gouvernement a vu le problème que vous évoquez, madame la députée. Nous sommes d’accord pour le résoudre tout en conservant les principes qui fondent l’article 30.

Lamendement est retiré.

La Commission en vient à lamendement CL403 de Mme Annie Chapelier.

Mme Isabelle Florennes. Cet amendement reprend la recommandation n° 4 de la délégation aux droits des femmes afin d’introduire un mécanisme dérogatoire au dispositif permettant d’octroyer un titre de séjour temporaire à un parent qui aurait engagé une procédure civile à l’encontre du parent français refusant soit de reconnaître soit d’assurer l’entretien et l’éducation de son enfant. L’introduction de ce recours remplacerait la condition ajoutée par le projet de loi visant à ce que le parent étranger prouve l’implication du parent français.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Madame la députée, je propose que nous travaillions pour améliorer la rédaction de l’amendement d’ici à la séance. Je pense, par exemple, à prendre en compte une condamnation plutôt que le fait d’avoir engagé une procédure. Sur le fond, je reste convaincue que la lutte contre l’obtention frauduleuse d’un état civil ne doit pas se faire au seul préjudice de la mère.

Lamendement est retiré.

La Commission examine lamendement CL771 de Mme Sandrine Mörch.

Mme Sandrine Mörch. Une procédure nouvelle est mise en place en cas de soupçon de fraude s’agissant de la reconnaissance. Pourtant il semble que le pourcentage de fraude parmi les procédures de reconnaissance reste très faible. Disposons-nous de données à ce sujet ? Est-il vraiment nécessaire de créer de nouvelles procédures alors qu’il en existe déjà une ? On connaît les effets de l’excès de zèle chez l’officier d’état civil : les doutes injustifiés provoqueront des signalements qui susciteront des contentieux inutiles.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Avis défavorable. Je ne dispose pas de chiffres précis, mais, en la matière, l’audition des représentants de l’OCRIEST a été assez édifiante : les filières criminelles existent bien en matière de reconnaissance frauduleuse.

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. En 2016, quatorze filières spécialisées dans ce domaine ont été démantelées.

La Commission rejette lamendement.

Suivant lavis défavorable de la rapporteure, elle rejette lamendement CL212 de M. Éric Diard.

Puis elle adopte larticle 30 sans modification.

Après l’article 30

La Commission étudie les amendements CL747, CL741, CL743, CL744, CL750 et CL749 de Mme Valérie Boyer.

Mme Valérie Boyer. J’ai déposé cette série d’amendements pour lutter contre les mariages frauduleux. Je me propose de les présenter ensemble.

Les filières existent aussi pour les mariages frauduleux – pour un mariage, il en coûte entre 10 000 et 30 000 euros. Plusieurs articles de presse ont été consacrés au sujet par des journaux de tous les bords politiques.

Mon dispositif comporte plusieurs volets.

L’amendement CL749 vise à proposer aux officiers d’état civil des formations relatives à la détection des mariages frauduleux. Il en existe déjà, mais elles sont insuffisantes, et il faut les améliorer.

L’amendement CL743 rend obligatoire la saisine du procureur de la République en cas de doute sur la sincérité du mariage. Aujourd’hui cette saisine est possible, mais elle ne donne jamais lieu à aucun suivi. Lorsque je faisais un signalement en tant que maire, je ne recevais aucune information sur la suite qui lui était donnée – j’ai d’ailleurs demandé au préfet un bilan à ce sujet. J’ajoute que les officiers d’état civil qui procèdent aux entretiens prévus par la loi sont souvent menacés, pendant leur déroulement ou par la suite – certains rencontrent même de véritables difficultés dans leur vie quotidienne. Parce que de fortes sommes d’argent sont en jeu, les entretiens peuvent se passer extrêmement mal. De plus, comme les signalements n’aboutissent pas, les officiers d’état civil sont dissuadés de mener leur mission à bien.

L’amendement CL744 oblige le ministère public, saisi par le maire, à surseoir automatiquement à la célébration d’une union en cas de suspicion de mariage de complaisance. Il fait également passer la durée du sursis d’un à trois mois.

L’amendement CL750 prévoit que le maire désigne un ou plusieurs élus, officiers d’état civil, comme référents en matière de détection des mariages frauduleux. Aujourd’hui, parce qu’il est devenu plus facile de choisir la mairie de son mariage, nous assistons à un certain nomadisme selon la complaisance des mairies, ce qui est aussi une façon de détourner la loi. Aucune mesure n’est prise en la matière, et je signale qu’il n’existe pas de fichier relatif aux demandes de célébration de mariage frauduleux. Il serait temps de s’emparer du sujet.

Bien évidemment, je souhaite également qu’aucun mariage ne puisse être contracté si l’un des époux séjourne irrégulièrement sur le territoire français. C’est l’objet de l’amendement CL741. Je sais que la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales s’y oppose, mais ne rien faire, c’est devenir complice de trafics.

Nous devons agir efficacement pour lutter contre ces mariages frauduleux. Une forte contrainte pèse souvent sur les personnes qui participent à ce détournement visant à l’obtention de la nationalité française et de papiers.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Je suis défavorable à l’ensemble de ces amendements.

Concernant l’obligation qui serait faite à l’officier d’état civil de saisir le procureur de République, et le régime des mariages blancs et gris, l’article L. 175-2 du code civil prévoit déjà une procédure robuste qui a inspiré le dispositif de l’article 30 du projet de loi visant à lutter contre les reconnaissances frauduleuses du lien de filiation.

S’agissant du cas où l’un des futurs époux séjourne irrégulièrement sur le territoire français, l’exposé sommaire de votre amendement cite la décision du 20 novembre 2003 du Conseil constitutionnel qui indique « que le respect de la liberté du mariage, composante de la liberté personnelle protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789, soppose à ce que le caractère irrégulier du séjour dun étranger fasse obstacle, par lui-même, au mariage de lintéressé ».

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. Pour information, nous avons démantelé l’an dernier huit filières spécialisées dans les mariages frauduleux.

Mme Valérie Boyer. Cela montre bien que ces filières existent. Renforcer la loi permettrait de faire régresser ces trafics. Aujourd’hui, nous ne pouvons plus en être complices sans réagir.

La Commission rejette successivement ces amendements.

Article 31
(art. L. 31311 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile)
Modalités de léchange dinformations médicales nécessaires à lexamen des demandes de titre de séjour pour raisons de santé

Résumé du dispositif et effets principaux :

L’article 31 précise que, sous réserve de l’accord de la personne et dans le respect des règles de déontologie médicale, les médecins de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) peuvent demander aux professionnels de santé qui en disposent les informations nécessaires à l’examen des demandes de titres de séjour pour raisons de santé.

Dernières modifications législatives intervenues :

La procédure relative à l’examen des demandes de titres de séjour pour raisons de santé a été modifiée par la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France afin de confier à l’OFII un rôle d’avis sur la décision de délivrer ce type de carte de séjour.

Modifications apportées par la commission des Lois :

Cet article n’a fait l’objet d’aucune modification lors de son examen en commission.

Aux termes du 11° de l’article L. 313‑11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, l’étranger résidant habituellement en France peut se voir délivrer de plein droit la carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale », sauf si sa présence constitue une menace pour l’ordre public, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l’offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d’un traitement approprié.

La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l’autorité administrative après avis d’un collège de médecins du service médical de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d’État.

Aucune base légale ne prévoit cependant de dérogation au secret médical, défini à l’article L. 1110‑4 du code de la santé publique. Il n’est donc pas explicitement prévu, au niveau législatif, que le médecin de l’OFII ou le collège puisse solliciter le médecin qui suit habituellement le demandeur. De telles provisions existent pourtant aujourd’hui à l’article R. 313‑23 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

Le présent article sécurise donc le dispositif de transmission d’informations en prévoyant que, sous réserve de l’accord de l’étranger et dans le respect des règles de déontologie médicale, les médecins de l’OFII peuvent demander aux professionnels de santé qui en disposent les informations médicales nécessaires à l’accomplissement de leur mission.

*

*     *

La Commission examine lamendement CL761 de M. Aurélien Taché.

M. Aurélien Taché. Cet amendement vise à privilégier le critère de l’insertion et de l’intégration des mineurs non accompagnés pour leur accorder le droit au séjour à dix‑huit ans, plutôt que celui de l’âge d’arrivée sur le territoire – les textes distinguent aujourd’hui l’entrée avant et après seize ans.

À dix-huit ans, les mineurs confiés à l’aide sociale à l’enfance (ASE) avant seize ans bénéficient d’un droit au séjour, dans la mesure où ils respectent certaines conditions, comme le caractère réel et sérieux du suivi de leur formation. En revanche, si le jeune a été confié à l’ASE après seize ans, il ne bénéficie pas de cette règle, quand bien même il serait tout autant inséré dans un parcours d’intégration.

Lors des auditions que j’ai conduites dans le cadre de la mission que m’avait confiée le Gouvernement sur la refonte de la politique d’intégration, j’ai pu constater que, dans de nombreux établissements scolaires, ces jeunes de plus de seize ans étaient pourtant dans des situations d’intégration et de réussite – ils sont mêmes parfois moteurs et impulsent de bonnes dynamiques dans des classes parmi des jeunes français qui rencontrent des difficultés. J’ai aussi constaté que tout se passait bien lorsque ces jeunes étrangers remplissaient des classes à eux seuls.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement, car il ne me semble pas particulièrement opportun d’aborder ici la question des mineurs étrangers non accompagnés.

M. Aurélien Taché. Cet amendement traite précisément de la situation de ces personnes au moment où elles deviennent majeures et où se pose la question de leur droit au séjour. Il n’aborde pas directement la question des mineurs non accompagnés. Je le maintiens.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Dans ce cas, j’y suis défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Suivant lavis défavorable de la rapporteure, elle rejette lamendement CL213 de M. Éric Diard.

Puis elle adopte larticle 31 sans modification.

Article 32
(art. L. 3163, L. 3132 et L. 3164 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile)
Sécurisation du droit au séjour des victimes de violences conjugales et des victimes de mariages forcés

Résumé du dispositif et effets principaux :

L’article 32 prévoit qu’une carte de résident est remise de plein droit à l’étranger auquel une carte de séjour temporaire a été délivrée au titre d’une ordonnance de protection provisoire prononcée par un juge lorsque celui–ci obtient la condamnation définitive de l’auteur des violences dont il a été victime. Il aligne par ailleurs la situation juridique des victimes de mariages forcés sur celles des victimes de violences conjugales lorsqu’elles font l’objet d’une ordonnance de protection judiciaire en les faisant bénéficier de la dispense de l’obligation de présentation d’un visa de long séjour et en leur permettant d’exercer une activité professionnelle à l’obtention de la carte de séjour temporaire.

Dernières modifications législatives intervenues :

La loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté prévoyait initialement, dans un article 203, la délivrance de plein droit d’une carte de résident aux victimes de violences conjugales, après condamnation définitive de l’auteur des violences. Toutefois ces dispositions ont été censurées par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2016-745 DC du 26 janvier 2017 au motif qu’elles ne présentaient pas de lien, même indirect, avec le projet de loi initial.

Modifications apportées par la commission des Lois :

La Commission a adopté un amendement présenté au nom de la délégation aux droits des femmes permettant aux personnes étrangères victimes de violences conjugales ou familiales ou menacées de mariage forcé d’obtenir de plein droit le renouvellement de leur carte de séjour temporaire même dans les cas où l’ordonnance de protection n’est plus en vigueur dès lors que la victime a porté plainte contre l’auteur des faits.

1.   L’état du droit

La directive 2012/29/UE du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2012 établissant des normes minimales concernant les droits, le soutien et la protection des victimes de la criminalité et remplaçant la décision-cadre 2001/220/JAI du Conseil, dite directive « victimes », vise, notamment, les victimes de violences domestiques mais sans régler les modalités de leur droit au séjour.

Plusieurs lois récentes ont renforcé la prise en charge des victimes de violences :

– la loi n° 2014-873 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes du 4 août 2014 (qui a permis que lorsque la communauté de vie a cessé et que l’étranger a subi des violences conjugales de la part de son conjoint français, le préfet ne peut procéder au retrait de la carte de séjour temporaire « vie privée et familiale » et peut en accorder le renouvellement) ;

– la loi n° 2016-274 relative au droit des étrangers en France du 7 mars 2016 qui a accru la protection des personnes victimes de violences dans le cadre familial ;

– la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté, qui prévoyait, dans son article 203, la délivrance de plein droit d’une carte de résident aux victimes de violences conjugales après condamnation définitive de l’auteur des violences. Toutefois ces dispositions ont été censurées par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2016-745 DC du 26 janvier 2017, au motif qu’elles ne présentaient pas de lien, même indirect, avec le projet de loi initial.

Il existe cependant des disparités entre les régimes juridiques applicables en fonction des violences subies, qui ne paraissent pas justifiées :

– si l’article L. 316‑3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile autorise les étrangers victimes de violences conjugales titulaires d’une carte de séjour temporaire à exercer une activité professionnelle, ce n’est pas le cas des étrangers exposés à un risque de mariage forcé et placés sous ordonnance de protection ;

– si l’article L. 361‑4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoit la délivrance de plein droit d’une carte de résident aux étrangers victimes de la traite des êtres humains lorsque leur dépôt de plainte ou leur témoignage se sont conclus par une condamnation définitive de la personne en cause, ce n’est pas le cas des victimes de violences conjugales.

2.   Le dispositif proposé

Le 1° du présent article complète l’article L. 316‑3 relatif aux étrangers bénéficiant d’une ordonnance de protection en raison de la menace d’un mariage forcé pour prévoir, comme c’est déjà le cas s’agissant des victimes de violences conjugales, qu’ils sont dispensés de l’obligation de présentation d’un visa de long séjour et qu’ils peuvent exercer une activité professionnelle à l’obtention de la carte de séjour temporaire.

Le 2° du présent article complète l’article L. 316‑4 pour prévoir qu’en cas de condamnation définitive de la personne mise en cause, l’étranger ayant déposé plainte pour une infraction commise par le conjoint, le concubin ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité se voit délivrer, de plein droit, une carte de résident.

3.   Les modifications apportées par la commission des Lois

Avec l’avis favorable de votre rapporteure et du Gouvernement, la Commission a adopté un amendement de Mme Annie Chapelier, issu de la recommandation n° 5 de la Délégation aux droits des femmes, qui complète l’article L. 316-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Il permet aux personnes étrangères victimes de violences conjugales ou familiales ou menacées de mariage forcé d’obtenir de plein droit le renouvellement de leur carte de séjour temporaire même dans les cas où l’ordonnance de protection n’est plus en vigueur dès lors que la victime a porté plainte contre l’auteur des faits.

*

*     *

La Commission examine lamendement CL766 de Mme Sandrine Mörch.

Mme Sandrine Mörch. Des titres temporaires de séjour sont accordés aux personnes qui ont le courage de témoigner en matière de proxénétisme et de traite des êtres humains. Je propose de mettre en place un dispositif identique pour les personnes qui témoignent contre les passeurs, puisque nous souhaitons unanimement lutter plus efficacement contre les réseaux.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Il me semble que le CESEDA encadre déjà assez strictement la délivrance de titres de séjour aux personnes qui déposent plainte. J’estime donc que votre amendement est satisfait, et j’y suis défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Elle en vient à lamendement CL408 de Mme Annie Chapelier.

Mme Isabelle Florennes. Cet amendement reprend la recommandation n° 5 de la délégation aux droits des femmes afin de compléter l’article L. 316-3 du CESEDA pour permettre aux personnes étrangères victimes de violences conjugales ou familiales, ou menacées de mariage forcé, d’obtenir de plein droit le renouvellement de leur carte de séjour temporaire, même dans les cas où l’ordonnance de protection n’est plus en vigueur, dès lors que la victime a porté plainte contre l’auteur des faits.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Avis favorable. Madame la députée, nous vous remercions de nous permettre d’accroître la protection des victimes de mariage forcé.

La Commission adopte lamendement.

Elle est saisie de lamendement CL404 de Mme Annie Chapelier.

Mme Isabelle Florennes. Également issu d’une recommandation de la délégation aux droits des femmes, cet amendement vise à supprimer la condition supplémentaire ajoutée par l’alinéa 4 du présent article, selon laquelle, pour pouvoir prétendre à la carte de séjour temporaire « vie privée et familiale », l’étranger qui bénéficie d’une ordonnance de protection de l’article 515-9 du code civil en raison des violences exercées au sein du couple doit être détenteur d’une carte de séjour « ordonnance de protection » délivrée sur le fondement de l’article L. 316-3 du CESEDA.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Il me paraît opportun de conserver le parcours qui fait se succéder ordonnance de protection, carte de séjour, puis carte de résident. Je vous demande de bien vouloir retirer l’amendement.

Lamendement est retiré.

La Commission adopte larticle 32 modifié.

Article 33
(art. L. 31451 et L. 4312 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile)
Extension du bénéfice du renouvellement de plein droit de la carte de séjour temporaire en cas de violences familiales

Résumé du dispositif et effets principaux :

L’article 33 fait bénéficier les conjoints de Français détenteurs d’une carte de résident de dix ans ainsi que les étrangers entrés par regroupement familial du renouvellement de plein droit de la carte de séjour temporaire lorsqu’ils ont été contraints de rompre la communauté de vie en raison de violences familiales (et non plus seulement conjugales).

Dernières modifications législatives intervenues :

La loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté instaurait initialement, dans un article 204, exactement le même dispositif que celui prévu au présent article. Toutefois ces dispositions ont été censurées par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2016-745 DC du 26 janvier 2017, au motif qu’elles ne présentaient pas de lien, même indirect avec le projet de loi initial.

Modifications apportées par la commission des Lois :

Cet article n’a fait l’objet d’aucune modification lors de son examen en commission.

1.   L’état du droit

Aux termes de l’article L. 431-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, le renouvellement du titre de séjour d’un étranger arrivé en France au titre du regroupement familial peut être refusé en cas de rupture de vie commune, la séparation faisant disparaître les raisons de l’admission sur le territoire national. Par dérogation, l’administration est cependant tenue d’accorder le renouvellement lorsque la fin de la vie commune résulte d’un décès, lorsque des enfants sont nés de l’union achevée et lorsque des violences conjugales sont à l’origine de la séparation.

Létranger marié à un Français bénéficiait dun régime comparable de protection en cas de violences exercées par le conjoint. La loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France a étendu le renouvellement automatique du titre de séjour aux personnes victimes de violences familiales.

2.   Le dispositif proposé

De manière identique à ce qui était prévu par l’article 204 de la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté, dans sa version adoptée par le Parlement, mais qui avait été censuré par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2016-745 DC du 26 janvier 2017 au motif que cette mesure ne présentait pas de lien, même indirect avec le projet de loi initial, le 1° du présent article protège les étrangers victimes de violences conjugales ou familiales d’un retrait de la carte de résident motivé par la rupture de la vie commune.

De même, le 2° du présent article complète l’article L. 431–2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile afin d’étendre la protection des personnes victimes de violences conjugales et familiales aux étrangers arrivés en France au titre du regroupement familial.

*

*     *

La Commission adopte larticle 33 sans modification.

Après l’article 33

La Commission examine lamendement CL469 de M. Erwan Balanant.

Mme Isabelle Florennes. Cet amendement tend à renforcer la protection des compagnes et des compagnons d’Emmaüs. Leur activité solidaire au quotidien leur permettra d’accéder à un titre de séjour après trois ans de vie en communauté.

Un titre de séjour temporaire vie privée et familiale pour motif humanitaire ou exceptionnel est prévu à l’article L. 313-14 du CESEDA et précisé au 2.1.4 de la circulaire du 28 novembre 2012 relative à l’admission exceptionnelle au séjour des étrangers en situation irrégulière.

Être compagnes ou compagnons d’Emmaüs, c’est accéder à un parcours d’intégration complet grâce à l’apprentissage du français, l’acquisition, l’approfondissement et la valorisation de compétences professionnelles, ainsi qu’à la découverte du vivre-ensemble et de fondamentaux comme la citoyenneté, la mixité, la solidarité, la laïcité et la tolérance.

Cet amendement permettra de renforcer la circulaire du 28 novembre 2012 qui clarifie les conditions de régularisation des étrangers en situation irrégulière, et d’inscrire dans la loi la particularité des compagnes et des compagnons Emmaüs.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Je suis sensible à cette proposition, mais il serait préférable de modifier la rédaction de l’amendement afin de prendre en compte a minima les menaces potentielles à l’ordre public. Je propose un retrait et une réécriture d’ici à la séance publique.

Mme Isabelle Florennes. J’accepte votre proposition.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Cet amendement me tient également à cœur, madame Florennes. J’espère que vous pourrez le retravailler afin qu’il soit adopté.

Lamendement est retiré.

La Commission est saisie de lamendement CL470 de Mme Isabelle Florennes.

Mme Isabelle Florennes. L’ouverture de la procédure de validation des acquis de l’expérience (VAE) aux personnes en situation irrégulière et effectuant depuis au moins trente-six mois des activités au sein d’organismes d’accueil communautaire et d’activités solidaires (OACAS), doit permettre une meilleure intégration ainsi qu’une insertion professionnelle plus rapide de ces publics. Ce dispositif leur assure une certification qualifiante, reconnue par les employeurs auprès desquels ils seront en mesure de faire valoir l’expertise développée dans le cadre des missions exercées bénévolement au sein de ces organismes.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Cet amendement encouragerait la professionnalisation des personnes en situation irrégulière. Avis défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Elle en vient à lamendement CL777 de Mme Valérie Boyer.

Mme Valérie Boyer. Je rappelle que 65 654 personnes ont obtenu la nationalité française par décret et que, pour obtenir la naturalisation, il faut résider en France au moment de la signature du décret de naturalisation.

La notion de résidence est plus large que la notion habituelle de domicile. Elle implique que vous devez avoir en France le centre de vos intérêts matériels, notamment professionnels, et de vos liens familiaux. Si vous résidez en France, mais que votre époux ou épouse ou vos enfants résident à l’étranger, la nationalité française pourrait vous être refusée.

La durée de résidence régulière exigée varie en fonction de la situation, mais, de manière générale, elle est fixée à cinq ans. Cet amendement propose de la porter à dix ans, car nous assumons totalement le fait qu’il faut lutter contre l’immigration illégale, certes, mais aussi contre l’immigration légale, et limiter l’accès à la naturalisation.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Il ne me semble pas, sauf à ce que l’on me fournisse des chiffres probants, qu’il y ait un effet de masse des régularisations à partir de cinq ans de résidence régulière, ainsi porter cette durée à dix ans ne me paraît-il pas utile ; ne serait-ce que parce qu’il ne s’agit pas du seul critère pris en compte.

La Commission rejette lamendement.

Puis elle examine lamendement CL888 de M. Florent Boudié.

M. Aurélien Taché. Cet amendement porte, lui aussi, sur la naturalisation et répond à une logique inverse de celle de Mme Boyer.

La naturalisation est obtenue après douze ans de résidence régulière sur le territoire français en moyenne, quand bien même la condition de résidence exigée est de cinq ans. La naturalisation demeure d’ailleurs malheureusement tributaire des parcours d’intégration, qu’ils soient réussis ou non.

La seule dérogation existante est réservée aux parcours exceptionnels d’intégration et ne concerne qu’un nombre très réduit de cas permettant d’envisager la naturalisation après deux ans.

Cet amendement propose de substituer au mot « exceptionnel » le mot « réussi » lorsque des gens vivent en France, y travaillent, y fondent leur famille et parlent français. Qu’est-ce donc qui les différencie de nous, et pourquoi refuserions-nous la naturalisation ?

Suivant lavis défavorable de la rapporteure, la Commission rejette lamendement.

Elle rejette successivement, suivant lavis défavorable de la rapporteure, les amendements CL126 et CL130 de M. Jean-Carles Grelier.

Puis elle étudie lamendement CL785 de Mme Valérie Boyer.

Mme Valérie Boyer. La France est confrontée à un nouveau défi migratoire, notre démographie est l’une des plus dynamiques d’Europe ce qui fait qu’à la différence de la plupart de nos voisins européens, nous n’avons pas besoin de l’immigration pour soutenir notre croissance.

Dans le même temps, la crise économique et sociale, les déficits budgétaires et sociaux record, l’effondrement de la construction de logements sont tels que nous n’avons pas la capacité d’accueillir une immigration supplémentaire. La France ne peut pas baisser la garde en matière de contrôle des flux migratoires. Or c’est ce que nous faisons en ce moment, c’est aussi ce qu’a fait le gouvernement socialiste depuis 2012. Il faudra rompre avec ce laxisme en adoptant enfin une véritable politique d’immigration.

Dans le même temps, il ne saurait y avoir d’admission durable au séjour sans perspective d’intégration. Il ne doit plus y avoir d’acquisition de la nationalité française au bénéfice d’étrangers qui ne se placent pas dans une démarche d’assimilation.

Actuellement, pour être naturalisé, il faut être de bonnes vie et mœurs et ne pas avoir fait l’objet d’une condamnation empêchant l’acquisition de la nationalité française, c’est‑à‑dire une condamnation pour crimes et délits constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation, pour un acte de terrorisme ou à une peine supérieure ou égale à six mois de prison avec sursis.

Obtenir la nationalité française, c’est être assimilé à la société française par une connaissance suffisante de la langue, de l’histoire, de la culture et de la société françaises, des droits et devoirs conférés par la nationalité française, ainsi que par l’adhésion aux principes et valeurs essentielles de la République française.

Or, j’ai récemment lu dans la presse qu’une personne de nationalité algérienne, reconnue coupable d’avoir commandité l’agression d’une élue locale en juin 2017, a toutefois pu officiellement acquérir la nationalité française le 8 février dernier, et ce de manière totalement légale. Je m’en suis émue par écrit et souhaitais le signaler aujourd’hui, mais peut‑être le ministre me dira-t-il que mes informations à ce sujet sont erronées.

Toujours est-il que cet amendement a pour objet d’empêcher l’accès à la naturalisation à toute personne qui se rendrait coupable d’un crime ou un délit, quelle que soit l’infraction considérée, ou qui serait inscrite au fichier de traitement des individus signalés ou les plus dangereux.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Les fichiers que vous mentionnez sont déjà consultés lors d’une demande d’acquisition de la nationalité française ; mon avis est donc défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Elle examine ensuite lamendement CL775 de Mme Valérie Boyer.

Mme Valérie Boyer. Actuellement, nul ne peut acquérir la nationalité française ou être réintégré dans cette nationalité s’il a fait l’objet soit d’une condamnation pour crimes ou délits constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ou un acte de terrorisme, soit, quelle que soit l’infraction considérée, s’il a été condamné à une peine égale ou supérieure à six mois d’emprisonnement, non assortie d’une mesure de sursis.

Il en est de même de celui qui a fait l’objet soit d’un arrêté d’expulsion non expressément rapporté ou abrogé, soit d’une interdiction du territoire français non entièrement exécutée, ainsi que de celui dont le séjour en France est irrégulier au regard des lois et conventions relatives au séjour des étrangers en France.

Obtenir la nationalité française, c’est être assimilé à la société française par une connaissance suffisante de la langue, de l’histoire, de la culture et de la société françaises, des droits et devoirs conférés par la nationalité française, ainsi que par l’adhésion aux principes et valeurs essentielles de la République française. Ces principes et valeurs, ainsi que les symboles de la République sont rappelés dans la charte des droits et devoirs du citoyen français, que le postulant doit signer et qui est remise à tous les nouveaux Français lors des cérémonies d’accueil dans la citoyenneté.

Cet amendement a pour objet d’interdire l’accès à la nationalité française à toute personne qui se rendrait coupable des crimes ou délits que j’ai précédemment cités.

Suivant lavis défavorable de la rapporteure, la Commission rejette lamendement.

Elle rejette ensuite, suivant lavis défavorable de la rapporteure, lamendement CL282 de M. Thibault Bazin.

Puis elle examine lamendement CL717 de Mme Valérie Boyer.

Mme Valérie Boyer. Cet amendement a pour objet l’établissement de quotas en matière migratoire afin qu’un débat sur cette question ait au moins lieu.

Je ne reviendrai pas sur les chiffres de l’immigration, nous en avons suffisamment débattu. Je ne souhaite toutefois pas que nous cédions aux injonctions d’une certaine bien‑pensance qui nous adresse toujours le même message, se veut angélique alors qu’elle est en réalité inconsciente, voire dangereuse puisqu’elle prône « liberté et honte aux frontières ».

La France est généreuse, mais elle n’est pas une mosaïque ni un territoire sans limites. C’est une nation en droit de choisir qui peut la rejoindre, et aussi en droit d’exiger des personnes qui souhaitent la rejoindre qu’elles se plient à ses règles et ses coutumes.

L’unité nationale commande une autre politique d’immigration, la France n’a plus les moyens d’accueillir tout le monde ; prétendre le contraire est une faute au regard de l’incapacité à intégrer pleinement les personnes déjà présentes sur notre sol. La France doit non seulement lutter contre l’immigration illégale, mais doit aussi réduire son immigration légale au strict minimum.

Il est proposé d’instituer un débat annuel au Parlement sur l’immigration, permettant au pouvoir législatif de fixer chaque année, en fonction de l’intérêt national, des quotas d’accueil d’étrangers par catégorie de motif de séjour. Je considère qu’il est indispensable aujourd’hui que les Français soient associés à ce débat, et à tout le moins que ce débat se tienne en toute transparence.

Dans la mesure où l’immigration constitue la première préoccupation des Français, ce qui ressort de tous les sondages, il me paraît indispensable que nous ayons ce débat sur les quotas.

Suivant lavis défavorable de la rapporteure, la Commission rejette lamendement.

Article 33 bis (nouveau)
(art. L. 11110 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile)
Rapport annuel sur la situation des étrangers en France

Résumé du dispositif et effets principaux :

L’article 33 bis, issu de deux amendements adoptés par la Commission à l’initiative des commissaires du groupe MODEM avec l’avis favorable de votre rapporteure et du Gouvernement, vise à modifier le rapport annuel sur la situation des étrangers en France.

La loi du 26 décembre 2003 relative à la maîtrise de l’immigration a ajouté un article préliminaire à l’ancienne ordonnance du 2 novembre 1945, prévoyant que chaque année le Gouvernement déposerait devant le Parlement un rapport sur les orientations pluriannuelles de la politique d’immigration.

Ce texte a été modifié en 2007, en 2015 et en 2016. Il est devenu l’article L. 111-10 du CESEDA, lors de la création de ce code par l’ordonnance du 24 novembre 2004.

Le rapport annuel sur la politique d’immigration et d’intégration est habituellement déposé quinze à seize mois après la fin de l’année sur laquelle portent les informations qu’il contient. Ainsi, au mois de mars 2018, le Gouvernement s’apprête à déposer le rapport portant sur l’année 2016.

La loi n’impose aucune date pour ce dépôt, mais le délai ainsi pratiqué est apparu excessif puisqu’il ne permet pas au Parlement de remplir dans de bonnes conditions sa mission de contrôle de l’action du Gouvernement et d’évaluation des politiques publiques.

Le premier amendement fixe une date limite pour le dépôt du rapport au 1er octobre qui suit l’année sur laquelle il porte.

Le second amendement renforce la partie sur l’orientation pluriannuelle de la politique d’immigration et d’intégration en prévoyant spécifiquement que des projections quantitatives pour l’année suivante seront présentes dans le rapport.

Il intègre en outre la politique d’asile au rapport, notamment par l’ajout d’une évaluation qualitative du respect du schéma national d’accueil des demandeurs d’asile.

Enfin, il associe le Délégué interministériel chargé de l’accueil et de l’intégration des réfugiés au rapport remis par le Gouvernement au Parlement sur les orientations pluriannuelles de la politique d’asile, d’immigration et d’intégration. Ce dernier pourra, au regard des fonctions qui sont les siennes, apporter son appréciation sur les différents dispositifs mis en œuvre dans ce domaine.

*

*     *

La Commission examine l’amendement CL465 de Mme Laurence Vichnievsky.

Mme Isabelle Florennes. Cet amendement tient particulièrement à cœur à notre collègue Laurence Vichnievsky.

À la différence de l’amendement de Mme Boyer, le MODEM propose une date contraignante pour la remise par le Gouvernement du rapport sur les orientations pluriannuelles de la politique d’immigration, fixée au 1er juin de chaque année. Le délai de rédaction proposé est de cinq mois alors qu’il est aujourd’hui de plus de quinze mois. Un débat portant sur des statistiques anciennes n’a en effet qu’un intérêt très limité.

Un tel rapport éviterait également d’imposer par voie législative la tenue d’un débat annuel, à la différence de l’amendement précédent. Toutefois, l’esprit commun à ces deux amendements est de passer d’une logique strictement individuelle de la politique migratoire fondée sur les droits des immigrés, qui bien sûr sont très respectables, à une logique globale nationale fondée sur les flux se plaçant du point de vue du pays d’accueil.

Nous divergeons de l’amendement de Mme Boyer, car, là où il propose des quotas contraignants susceptibles d’aboutir à des rejets systématiques, nous proposons des projections, des évaluations prospectives permettant au Gouvernement de faire connaître au Parlement ses objectifs de flux de manière indicative, sans rigidité excessive.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Il me semble en effet important que nous puissions disposer de ce rapport à date fixe. C’était l’objet de ce texte que d’avoir un regard assez précis sur notre politique migratoire. En revanche, je vous propose de remplacer la mention du mois de juin par celle du mois d’octobre, afin que nous puissions avoir les chiffres à notre disposition pour l’automne. Sous cette réserve, mon avis est favorable.

Mme Isabelle Florennes. La rentrée parlementaire prend place un peu avant le mois d’octobre, mais nous acceptons votre suggestion.

La Commission adopte lamendement ainsi rectifié.

Puis elle examine lamendement CL464 de Mme Isabelle Florennes.

Mme Isabelle Florennes. Il s’agit d’enrichir le rapport annuel sur les orientations pluriannuelles de la politique d’immigration en y ajoutant la mention de la politique d’asile ainsi que des données quantitatives relatives aux mineurs non accompagnés, aux mineurs placés en centre de rétention administrative (CRA), des données qualitatives du respect des orientations fixées par le schéma national d’accueil des demandeurs d’asile, et la participation du Délégué interministériel chargé de l’accueil et de l’intégration des demandeurs d’asile.

En effet, lors de son audition par la rapporteure, le délégué interministériel à l’accueil et à l’intégration des réfugiés avait insisté sur la nécessité de disposer d’un rapport plus complet sur les politiques d’asile, d’immigration et d’intégration. Je m’associe à cette demande en la complétant : compte tenu des missions qui lui incombent, le Délégué devrait pouvoir, au même titre que l’OFPRA, faire part de ses observations dans ce rapport.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Je me souviens parfaitement de cette demande de M. Alain Régnier, à laquelle je suis favorable comme je le suis en ce qui concerne l’intégration dans le rapport des orientations pluriannuelles de la politique d’immigration et d’intégration avec la politique d’asile.

En revanche, je vous demanderai de supprimer la mention des mineurs non accompagnés, car, ainsi que nous l’avons souvent dit au cours de nos débats, le texte que nous examinons n’a pas pour objet le traitement de ce sujet.

Sous cette réserve, mon avis est favorable.

La Commission adopte lamendement ainsi rectifié.

Larticle 33 bis est ainsi rédigé.

Après l’article 33 bis

La Commission examine lamendement CL782 de M. Aurélien Taché.

M. Aurélien Taché. Cet amendement est très important, car il vise à sécuriser les parcours d’intégration au moment du renouvellement des titres de séjour en introduisant la présomption de continuité des droits d’une durée de trois mois, ce qui éviterait la brutalité des ruptures soudaines des droits, souvent due aux délais de traitement des titres en préfecture, dont les services, nous le savons, ont énormément de travail.

De ce fait, il est fréquent que le titre de séjour d’un an accordé aux étrangers arrivant dans le cadre du regroupement familial en attendant d’obtenir un titre d’une durée plus longue soit soumis à de lourdes procédures. En effet, six mois après leur arrivée, ils doivent déjà en demander le renouvellement, les rendez-vous sont longs et les droits sociaux, au travail et à la formation susceptibles d’être acquis au cours de cette première année sont souvent remis en cause lors de cette rupture brutale.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Je demande le retrait de cet amendement, car sa portée pratique serait quasi inexistante dans la mesure où il s’agit d’une autorisation qui ouvre très peu de droits, alors que les risques de détournement peuvent être élevés.

M. Aurélien Taché. S’il est avéré qu’il n’a qu’une faible portée pratique, je suis prêt à le retirer, mais est-il possible de travailler à cette sécurisation du renouvellement des titres ? Au cours des auditions que j’ai conduites, j’ai rencontré beaucoup de personnes en rupture de droits, alors que le titre de séjour est accordé dans plus de 90 % des cas, particulièrement pour le regroupement familial. La situation peut différer en fonction des titres, mais à chaque fois que l’on se situe dans une démarche d’installation durable en France, ce qui est le cas du regroupement familial, ces ruptures sont préjudiciables.

M. Gérard Collomb, ministre dEtat, ministre de lIntérieur. Le Gouvernement comprend la préoccupation qui motive cet amendement, lequel ne peut toutefois pas être adopté en l’état. En effet, l’extension de l’autorisation du titre provisoire de séjour, document de très brève durée – trois à six mois –, serait problématique, car il n’est pas sécurisé, et peut donc être facilement falsifié.

En revanche, l’amendement souligne, sans la régler, la question de l’étroitesse du champ d’application de la disposition actuellement en vigueur, qui ne couvre pas les cartes de séjour pluriannuelles que notre droit a généralisées par la loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France.

Dans ces conditions, nous vous proposons de trouver avec vous une rédaction répondant à vos préoccupations sans encourir les risques que je viens de signaler.

M. Aurélien Taché. Je retire mon amendement au profit d’une nouvelle rédaction à élaborer avec M. le ministre.

Lamendement est retiré.

La Commission est saisie de lamendement CL889 de M. Florent Boudié.

M. Aurélien Taché. Lorsque les réfugiés sont protégés et obtiennent la décision positive de l’OFPRA ou de la CNDA, il s’écoule un délai souvent long avant que l’état civil soit reconstitué, ce qui n’est pas sans conséquence sur la date de démarrage du parcours d’intégration. Le document délivré à l’heure actuelle vaut autorisation provisoire pour six mois, mais des difficultés d’application sont parfois rencontrées pour l’ouverture de certains droits, et le délai de six mois a expiré avant que l’état civil soit reconstitué.

Il s’agit du même problème que celui qu’évoquait mon amendement précédent, mais il s’agit cette fois d’un public de réfugié. La création d’un document provisoire spécifique pour les réfugiés, valable jusqu’à délivrance de la carte de résident est donc proposée.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Comme pour l’amendement précédent, je vous suggère de le retirer et de vous rapprocher de M. le ministre d’État afin de trouver ensemble une meilleure rédaction.

M. Aurélien Taché. Dans ces conditions, c’est très volontiers que je retire l’amendement.

Lamendement est retiré.

La Commission examine lamendement CL39 de la rapporteure pour avis de la commission des Affaires sociales.

Mme Fiona Lazaar, rapporteure pour avis de la commission des Affaires sociales. Vous l’avez relevé, monsieur le ministre, l’apprentissage du français constitue un élément clé du parcours d’intégration des demandeurs d’asile.

Cet amendement introduit dans la loi les conditions dans lesquelles la formation du français est organisée dans le cadre du contrat d’intégration républicaine, prévue par l’article R. 311-24 du CESEDA.

Le dernier alinéa de cet article précise que la durée de la formation peut être modulée en fonction du degré d’apprentissage du français par l’intéressé sans dépasser sa durée maximale. Tous les étrangers ne sont pas au même niveau d’apprentissage. Il peut être utile de prévoir deux volumes d’heures de cours distincts. La poursuite de la formation serait ainsi ciblée sur les personnes pour lesquelles le besoin existe.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Dans la mesure où la disposition proposée ressort du domaine réglementaire, je demande le retrait de l’amendement et laisse à M. le ministre d’État le soin de vous répondre.

M. Gérard Collomb, ministre dEtat, ministre de lIntérieur. Je vous adresse la même réponse que pour les amendements précédents, nous sommes d’accord sur l’orientation, mais nous souhaiterions pouvoir reprendre la rédaction avec vous avant le débat en séance publique.

Lamendement est retiré.

La Commission examine lamendement CL670 de M. Aurélien Taché.

M. Aurélien Taché. Cet amendement propose la suppression de la taxe acquittée par les employeurs des bénéficiaires de la protection internationale. Tout doit en effet être fait pour faciliter l’intégration des intéressés, particulièrement par le truchement de l’insertion professionnelle.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Nous partageons toujours l’objectif. M. le ministre d’État s’engagera peut-être à vous proposer une nouvelle rédaction commune ; pour ma part, je demande le retrait de l’amendement.

M. Gérard Collomb, ministre de lIntérieur. Cet amendement est satisfait, sous réserve de vérification d’ici l’examen du texte dans l’hémicycle.

Lamendement est retiré.

La Commission examine lamendement CL739 de Mme Valérie Boyer.

Mme Valérie Boyer. Je rappelle que si vous êtes étranger et disposez d’attaches familiales en France, vous pouvez obtenir une carte de séjour « vie privée et familiale » sous certaines conditions. Cette carte vous autorise à travailler. Elle est valable un an et renouvelable quand elle est délivrée comme premier document de séjour. Elle est valable quatre ans quand elle délivrée en renouvellement d’un premier document de séjour.

Créée par la loi du 7 mars 2016, la carte de séjour pluriannuelle permet également aux étrangers ayant vocation à s’installer en France ou à y rester pour une durée déterminée de bénéficier d’un droit au séjour reconnu sur plusieurs années.

L’étranger titulaire d’une carte de séjour temporaire ou d’une carte de séjour pluriannuelle doit être en mesure de justifier qu’il continue de remplir les conditions requises pour la délivrance de cette carte. L’autorité administrative peut procéder aux vérifications utiles pour s’assurer du maintien du droit au séjour de l’intéressé et, à cette fin, convoquer celui-ci à un ou plusieurs entretiens.

Si l’étranger cesse de remplir l’une des conditions exigées pour la délivrance de la carte de séjour dont il est titulaire, fait obstacle aux contrôles ou ne défère pas aux convocations, la carte de séjour peut lui être retirée ou son renouvellement refusé par une décision motivée.

Le présent amendement tend à faire en sorte que les personnes les plus dangereuses figurant dans le fichier des radicalisés ne puissent pas bénéficier de ce titre de séjour. Nous considérons en effet qu’elles n’ont pas à rester sur le sol français.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. L’article L. 531-1 du CESEDA prévoit déjà l’expulsion des étrangers constituant une menace avérée contre l’État. Avis défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Suivant lavis défavorable de la rapporteure, elle rejette également lamendement CL210 de M. Éric Diard.

Elle examine ensuite lamendement CL407 de Mme Annie Chapelier.

Mme Isabelle Florennes. L’article 313-11 du CESEDA prévoit la délivrance de plein droit d’une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » aux étrangers ayant un conjoint français en distinguant deux types de situation : d’une part, le cas d’un étranger marié à un ressortissant français « à condition que la communauté de vie nait pas cessé depuis le mariage, que le conjoint ait conservé la nationalité française et lorsque le mariage a été célébré à létranger, quil ait été transcrit préalablement sur les registres de létat civil français » ; d’autre part, le cas d’un étranger pacsé ou en union libre avec un ressortissant français, qui s’inscrit dans un ensemble plus large de situations évaluées selon « les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions dexistence de lintéressé, de son insertion dans la société française ainsi que la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays dorigine ».

Dans le second cas, l’étranger pacsé à un ressortissant français n’est pas astreint à une communauté de vie, alors même que les partenaires d’un pacte civil de solidarité s’engagent à une vie commune, à une aide matérielle réciproque et à une assistance réciproque, par exemple en cas de maladie ou de chômage.

Cet amendement vise à corriger cette différence de traitement en alignant les conditions de délivrance de plein droit d’une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » à un étranger pacsé à un ressortissant français sur celles d’un étranger marié à un ressortissant français.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Les couples mariés et pacsés n’étant pas dans la même situation juridique, il n’y a pas lieu de leur appliquer le même régime. Je vous demande de bien vouloir retirer l’amendement.

Lamendement est retiré.

La Commission examine lamendement CL38 de la rapporteure pour avis de la commission des Affaires sociales.

Mme Fiona Lazaar, rapporteure pour avis de la commission des Affaires sociales. Dans la lignée des amendements présentés par nos collègues Anne-Christine Lang et Aurélien Taché, cet amendement tend à uniformiser la situation des mineurs confiés à l’ASE.

Les conditions d’attribution des titres de séjour à la majorité pour les mineurs non accompagnés diffèrent selon qu’ils ont été pris en charge avant ou après seize ans.

Pour les mineurs confiés à l’ASE entre seize et dix-huit ans, une admission exceptionnelle au séjour peut être décidée si une formation professionnelle est suivie depuis au moins six mois, selon la nature de leurs liens avec leurs familles restées dans les pays d’origine et l’avis de la structure d’accueil sur leur insertion.

L’amendement vise à supprimer la condition portant sur la durée minimale de formation requise. Cette condition peut aboutir à l’interruption de la formation qualifiante faute de titre de séjour, et n’engage pas non plus les entreprises à proposer une formation à des mineurs particulièrement motivés.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. S’agissant, comme précédemment, de la problématique des mineurs non accompagnés, je vous demanderai de retirer votre amendement, afin que nous n’ayons pas à en discuter dans le cadre de ce texte.

Mme Fiona Lazaar, rapporteure pour avis de la commission des Affaires sociales. Ce n’est pas directement un amendement sur les mineurs, puisque l’on parle de leur majorité. Par ailleurs, il a été adopté par la commission des Affaires sociales et nous y tenions beaucoup. Je souhaiterais donc le maintenir.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Dans ce cas, mon avis est défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Puis elle examine lamendement CL776 de Mme Valérie Boyer.

Mme Valérie Boyer. Il s’agit de limiter l’accès au dispositif du regroupement familial aux enfants de seize ans ou moins.

Institué dans un contexte historique particulier dans les années 1970, le regroupement familial n’a cessé d’être étendu depuis lors par la loi et la jurisprudence. Compte tenu de la situation sociale et économique du pays, il est souhaitable de le restreindre aujourd’hui. Le regroupement familial a permis l’entrée en France de 12 000 étrangers en 2015, auquel s’ajoutent les 2 000 conjoints étrangers, les 2 200 parents d’enfants scolarisés et les 16 000 admis au titre des liens personnels et familiaux.

Le regroupement familial est soumis à certaines conditions.

Le demandeur doit avoir une résidence régulière de dix-huit mois en France et des conditions d’accueil stables et suffisantes – seuil minimum de ressources et logement adéquat.

Son conjoint doit être âgé de dix-huit ans au moins à la date du dépôt de la demande. Il n’y a en revanche pas de condition de durée du mariage.

Les enfants mineurs doivent être âgés de moins de dix-huit ans. L’enfant dont il s’agit est celui qui a une filiation établie avec le demandeur ou son conjoint. Toutefois, les ressortissants mineurs algériens recueillis par un acte de « recueil légal », qu’on appelle la « kafala » en Algérie, sont admis au regroupement familial.

Les difficultés qui y sont liées ont déjà été largement évoquées dans cette commission, mais je pense qu’on y reviendra dans l’hémicycle. Je voudrais souligner par cet amendement que nous sommes favorables à l’assimilation, bien évidemment, mais que pour la réussir, il ne faut pas accueillir au-delà de nos capacités. Or, vous en conviendrez, nous sommes déjà allés largement au-delà.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Avis défavorable.

Suivant lavis défavorable de la rapporteure, la Commission rejette lamendement.

Elle rejette également, suivant lavis défavorable de la rapporteure, lamendement CL250 de M. Raphaël Schellenberger.

Puis elle examine lamendement CL784 de Mme Valérie Boyer.

Mme Valérie Boyer. Cet amendement vise à demander au Gouvernement un rapport sur le financement de la prise en charge des mineurs non accompagnés (MNA). Je suis déjà intervenue à plusieurs reprises sur ce sujet particulièrement préoccupant, puisque depuis des années, leur nombre ne cesse d’augmenter. En 2017, le nombre de ceux qui étaient confiés aux départements a augmenté de 85 %. On comptait 25 000 MNA pris en charge en 2017, contre 4 000 en 2010.

Selon le rapport d’information de notre collègue sénatrice Elisabeth Doineau, 7 % des MNA viennent d’Afrique, en particulier d’Afrique de l’Ouest francophone, où ils fuient la pauvreté et le manque de perspectives d’avenir. Les évaluations ont franchi le seul des 50 000 l’an dernier, et leur durée s’est allongée, pour atteindre 40 jours en moyenne.

Dans plusieurs départements, le coût global de la prise en charge des MNA augmente considérablement. Avec de moins en moins de moyens, certaines collectivités estiment que la facture pourrait atteindre 1,5 milliard d’euros dans six mois, alors qu’elle a été estimée à un milliard en septembre dernier. Ce coût est de 50 000 euros par jeune et par an, alors que la contribution de l’État ne dépasse pas 1 250 euros par mineur. Chaque année, les départements assument 25 000 cas, soit 1,25 milliard d’euros.

L’encombrement de l’ASE pose de réels problèmes pour l’accueil d’autres mineurs se trouvant déjà sur le territoire, ce qui entraîne des situations particulièrement préoccupantes. Je rappelle que certains jeunes, déboutés dans un département, se rendent dans un autre département pour tenter une nouvelle évaluation.

Cet amendement a pour objectif de demander au Gouvernement un rapport sur le financement de la prise en charge des mineurs non accompagnés, et plus particulièrement sur la répartition de cette prise en charge entre l’État et les départements.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Cet amendement, qui concerne les mineurs non accompagnés, est une demande de rapport. Pour ces deux raisons, mon avis sera défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Puis elle examine lamendement CL789 de Mme Valérie Boyer.

Mme Valérie Boyer. C’est une autre demande de rapport sur les mariages gris ou blancs – dont je vous ai donné les chiffres. Aujourd’hui, on voudrait obtenir des réponses. J’ai proposé tout à l’heure plusieurs amendements destinés à lutter contre ces trafics. Je suis consternée qu’ils n’aient pas obtenu un avis favorable et que l’on ne puisse pas avoir un débat sur cette question.

Suivant lavis défavorable de la rapporteure, la Commission rejette lamendement.

Titre IV
Dispositions diverses et finales

Chapitre Ier
Dispositions de coordination

Article 34
(art. L. 31310, L. 313111, L. 3148, L. 5111, L. 7424, L. 7311, L. 3139, L. 5561 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile)
Modifications de conséquence du CESEDA

Résumé du dispositif et effets principaux :

L’article 34 procède à diverses modifications qui tirent la conséquence d’autres dispositions du projet de loi ou améliorent la rédaction de dispositions aujourd’hui en vigueur.

Modifications apportées par la commission des Lois :

La Commission a adopté cet article sans modification.

Le  du présent article modifie l’article L. 313-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile pour permettre aux étudiants qui sollicitent directement, à l’issue de leurs études achevées avec succès en France, un titre de séjour « salarié » ou « travailleur temporaire » de bénéficier de la non opposabilité de la situation de l’emploi aux même conditions que ceux qui trouvent un emploi au cours de la validité du titre de séjour « recherche demploi ou création dentreprise » (II de l’article 21).

Aux termes de l’article L. 313‑11‑1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, le caractère suffisant des ressources au regard des conditions de logement fait l’objet d’un avis du maire de la commune de résidence du demandeur. Cet avis est réputé favorable à l’expiration d’un délai de deux mois à compter de la saisine du maire par l’autorité administrative. Le 2° du présent article supprime cet avis pour la délivrance de la carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » au conjoint du bénéficiaire d’une carte de résident portant la mention « résident longue durée-UE ».

Le du présent article modifie l’article L. 314‑8 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile afin d’exclure les membres de la famille d’un salarié en mission du bénéfice de la carte de résident portant la mention « résident longue durée-UE », les salariés en mission ne pouvant eux-mêmes pas en bénéficier en l’état actuel du droit. En cohérence avec l’article L. 313-24 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, il est précisé que les périodes de séjour sous couvert d’une carte de séjour pluriannuelle portant la mention « salarié détaché ICT » ne sont pas prises en compte pour l’accès à la carte de résident.

L’article L. 511‑1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile fixe les conditions dans lesquelles l’autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d’un État membre de l’Union européenne, d’un autre État partie à l’accord sur l’Espace économique européen ou de la Confédération suisse et qui n’est pas membre de la famille d’un tel ressortissant. Le 4° du présent article vient préciser les conditions d’exécution de cette obligation lorsque l’étranger est accompagné d’un enfant mineur ressortissant d’un autre État membre de l’Union européenne, dont il assure la garde effective.

En l’état actuel du droit, le II de l’article L. 742‑4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoit que lorsqu’une décision de placement en rétention ou d’assignation à résidence est notifiée avec la décision de transfert ou lorsque celle-ci est notifiée alors que l’étranger fait déjà l’objet d’une telle décision de placement en rétention ou d’assignation à résidence, l’étranger peut, dans les quarante-huit heures suivant leur notification, demander au président du tribunal administratif l’annulation de la décision de transfert et de la décision d’assignation à résidence.

Il est également statué, dans le même délai, sur le recours formé contre une décision de transfert par un étranger qui fait l’objet, en cours d’instance, d’une décision de placement en rétention ou d’assignation à résidence. Dans ce cas, le délai de soixante-douze heures pour statuer court à compter de la notification par l’administration au tribunal de la décision de placement en rétention ou d’assignation à résidence. Le 5° du présent article porte à quatre-vingt-seize heures le délai ouvert au juge administratif pour statuer sur la légalité de la décision de transfert d’un étranger placé en rétention ou assigné à résidence en cours d’instance.

Le 6° du présent article précise que le président de la Cour nationale d’asile est un conseiller d’État alors qu’en l’état actuel du droit, il est seulement précisé qu’il est membre du Conseil d’État.

Les et 8° du présent article sont de coordination avec la modification apportée au 5°.

*

*     *

La Commission adopte larticle 34 sans modification.

Article 35
(art. L.11110, L. 3111, L. 3113, L. 31181, L. 31111, L. 31113, L. 3132, L. 31341, L. 313111, L. 31317, L. 31318, L. 31482, L. 5115, L. 5227 et L. 8125 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile)
Coordinations dans le CESEDA

Résumé du dispositif et effets principaux :

L’article 35 procède à des coordinations d’ordre technique dans le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

Modifications apportées par la commission des Lois :

La Commission a adopté trois amendements de coordination.

Le du présent article supprime à larticle L. 11110 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile, relatif au rapport annuel au Parlement sur les politiques dimmigration, dasile et dintégration, un renvoi obsolète à larticle L. 31191, lequel a été abrogé par la loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France.

Le du présent article modifie le 2° de larticle L. 311-1 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile afin de donner une base légale au visa de long séjour valant titre de séjour portant la mention « salarié détaché ICT » en cohérence avec larticle 29 du projet de loi.

Les 3°, 4°, 6°, 7°, 13° et 15° du présent article tirent les conséquences de la délivrance, prévue par larticle 1er du projet de loi, de cartes de séjour pluriannuelles dune durée de quatre ans pour les protégés subsidiaires et les apatrides.

Le du présent article tire la conséquence de la création par larticle 21 du projet de loi de la carte de séjour temporaire, non renouvelable, portant la mention « recherche demploi - création dentreprise » et abroge ainsi la disposition existante relative à lautorisation provisoire de séjour.

Le du présent article constitue une mesure de coordination rendue nécessaire par la fusion des documents de voyage délivrés aux étrangers mineurs à laquelle procède larticle 24 du projet de loi.

Le du présent article tire les conséquences de la création de nouveaux titres de séjour par le projet de loi en actualisant les dispositions de larticle L. 313-2 relatives à la condition de détention préalable dun visa de long séjour posée pour la délivrance dun titre de séjour et à ses exceptions

Le 10° du présent article procède à l’actualisation de références obsolètes au code du travail au sein du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

Le 11° du présent article ajoute à la liste des cartes de séjour temporaires dont la possession ne permet pas l’accès à la carte de séjour pluriannuelle générale les cartes de séjour temporaires portant les mentions « étudiant-programme de mobilité », « jeune au pair » ainsi que les cartes de séjour « vie privée et familiale » délivrées à l’étranger qui dépose plainte contre une personne qu’il accuse d’avoir commis à son encontre les infractions mentionnées à l’article L. 316-1 ou témoigne dans une procédure pénale concernant une personne poursuivie pour ces mêmes infractions ainsi qu’à l’étranger qui bénéficie d’une ordonnance de protection, en raison des violences exercées au sein du couple.

Le 12° du présent article est une mesure de coordination de la création de la carte de séjour temporaire portant la mention « étudiant-programme de mobilité » sur les durées dérogatoires à la durée générale de 4 ans.

Le 14° du présent article, en cohérence avec le 4° de l’article 16 du projet de loi, prévoit que les durées des prolongations de rétention spécifiques aux personnes expulsées ou interdites du territoire pour des motifs en lien avec le terrorisme seront désormais fixées en jours (prolongations de 30 jours dans la limite de 180 jours) et non plus en mois (prolongations d’un mois dans la limite de six mois).

*

*     *

La Commission adopte lamendement de coordination LC237 de la rapporteure.

Lamendement CL405 de Mme Annie Chapelier est retiré.

La Commission adopte successivement les amendements de coordination CL236 et CL235 de la rapporteure.

Puis elle adopte larticle 35 modifié.

Article 36
(art. L. 512-2 du code de la sécurité sociale)
Coordinations dans le CSS

L’article 36 procède à deux coordinations dans le code de la sécurité sociale pour tenir compte des nouvelles numérotations, résultant de l’article 1er du présent projet de loi, des articles relatifs aux cartes de séjour délivrées aux bénéficiaires de la protection subsidiaire et du statut d’apatride.

*

*     *

La Commission adopte larticle 36 sans modification

Article 37
(art. L. 120-4 du code du service national)
Coordinations dans le CSN

L’article 37 procède à deux coordinations dans le code du service national pour tenir compte des nouvelles numérotations, résultant de l’article 1er du présent projet de loi, des articles relatifs aux cartes de séjour délivrées aux bénéficiaires de la protection subsidiaire et du statut d’apatride.

*

*     *

La Commission adopte larticle 37 sans modification.

Chapitre II
Dispositions relatives aux outre-mer

Article 38
(art. L. 762-1, L. 763-1, L. 764-1, L. 7661, L. 7662, L. 7671 et L. 8311 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile ; art. L. 7111 du code pénal)
Coordinations pour lapplication outre-mer

Résumé du dispositif et effets principaux :

L’article 38 rend applicable outre-mer les dispositions précédentes du projet de loi. Il prévoit également deux dérogations : d’une part s’agissant du délai au terme duquel la demande d’asile présentée en Guyane est examinée en procédure accélérée (soixante jours contre quatre-vingt-dix jours sur le reste du territoire), d’autre part pour le temps dont dispose le juge des libertés et de la détention de Mayotte pour apprécier une requête à fin de prolongation de la rétention (vingt-quatre heures contre quarante-huit heures sur le reste du territoire).

Dernières modifications législatives intervenues :

La loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique a prévu une procédure de rétention administrative aux délais dérogatoires à Mayotte.

Modifications apportées par la commission des Lois :

Trois amendements légistiques ont été adoptés par la Commission.

1.   Les dispositions du projet de loi

L’article 38 du projet de loi comporte deux ensembles de disposition.

En premier lieu, les 1° et 2° du I ainsi que le II relèvent les « compteurs » ([203]) respectivement relatifs :

–  aux adaptations nécessaires à la bonne application du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile dans les îles Wallis et Futuna (art. L. 762‑1), en Polynésie française (art. L. 763‑1) et en Nouvelle-Calédonie (art. L. 764‑1) ;

–  aux adaptations nécessaires à la bonne application du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile à Saint-Barthélemy (art. L. 766‑1) et à Saint-Martin (art. L. 766‑2) ;

–  à l’application du code pénal en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna (art. 711‑1).

Par ailleurs, l’article 38 comporte également deux dispositions substantielle que le Conseil d’État a estimé justifiées « au regard des particularités de la situation migratoire dans ces territoires » ([204]) :

–  par dérogation à l’article 5 du projet de loi, le 3° du I limite à soixante jours le délai courant à compter de l’entrée d’un étranger en Guyane au-delà duquel une demande d’asile sera instruite par l’OFPRA selon la procédure accélérée, contre quatre-vingt-dix jours sur le reste du territoire national. L’étude d’impact jointe au projet de loi justifie cette atteinte au principe d’égalité par « la spécificité de ce territoire exposé à une forte pression exercée par une demande dasile qui dans sa grande majorité ne relève pas dun besoin de protection ». Le nombre de demandes d’asile a ainsi progressé de 1 099 en 2014 à 5 917 en 2017, pour un taux d’admission par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides inférieur à 3 % en 2017 ;

–  le 4° du I octroie vingt-quatre heures au juge des libertés et de la détention de Mayotte pour statuer sur une requête à fin de prolongation de la rétention, quand l’article 16 du projet de loi étend ce délai à quarante-huit heures sur le reste du territoire. Ce délai réduit s’explique par une prescription dérogatoire de la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique, qui a porté à cinq jours la durée de la phase initiale de rétention administrative à l’issue de laquelle le juge des libertés et de la détention est saisi aux fins de prolongation. Le Conseil constitutionnel jugeant contraire à la Constitution qu’une personne soit privée de liberté pendant sept jours sans décision du juge judiciaire ([205]), il convient que l’ordonnance soit rendue au plus tard le sixième jour suivant le placement en rétention administrative.

2.   Les modifications apportées par la commission des Lois

La Commission a adopté trois amendements de votre rapporteure portant coordination et rectification d’une erreur de référence. Elle a notamment supprimé les « compteurs » spécifiques aux différents territoires qu’elle a remplacés, pour une meilleure lisibilité, par un « compteur » unique placé à l’article L. 111‑2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

*

*     *

La Commission adopte successivement lamendement de coordination CL315, lamendement CL316 tendant à corriger une erreur de référence et lamendement de coordination CL409, tous de la rapporteure.

Elle adopte enfin larticle 38 modifié.

Article 38 bis (nouveau)
(art. L. 762-1, L. 763-1 et L. 764-1 du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile)
Adaptations pour lapplication outre-mer

Résumé du dispositif et effets principaux :

L’article 38 bis a été adopté à l’initiative de votre rapporteure. Il procède aux adaptations nécessaires à l’application des dispositions précédentes dans les îles Wallis et Futuna (I), en Polynésie française (II) et en Nouvelle-Calédonie (III)

*

*     *

La Commission est saisie de lamendement CL926 de la rapporteure.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Cet amendement procède aux adaptations légistiques nécessaires à l’application intelligible de la loi dans certains territoires.

La Commission adopte lamendement.

Article 39
Habilitation du Gouvernement à adapter par voie dordonnance les dispositions du code de lentrée et du séjour des étrangers et du droit dasile relatives à loutre-mer

Résumé du dispositif et effets principaux :

L’article 39 habilite le Gouvernement à adapter par voie d’ordonnance les dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile pour leur application dans les collectivités régies par l’article 74 de la Constitution.

Dernières modifications législatives intervenues :

La loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France avait déjà habilité le Gouvernement à légiférer sur le même sujet, sans que ceci soit suivi d’effet.

Modifications apportées par la commission des Lois :

Cinq amendements rédactionnels ont été adoptés par la Commission.

L’article 39 autorise le Gouvernement à légiférer par ordonnances, dans un délai de deux ans suivant sa promulgation, pour clarifier le droit applicable à Saint‑Barthélemy et à Saint‑Martin en matière d’entrée et de séjour des étrangers.

Depuis leur accession au statut de collectivités régies par l’article 74 de la Constitution ([206]), toutes les modifications législatives ponctuelles du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile n’ont pas été étendues à ces territoires. Il en résulte une incertitude sur le droit applicable localement que l’habilitation permettra de lever ().

Par ailleurs, le Gouvernement sollicite l’autorisation d’actualiser par voie d’ordonnance les règles en vigueur en matière d’entrée et de séjour des étrangers en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie et dans les îles Wallis et Futuna, qui relèvent de textes spécifiques (([207]). Pareille habilitation avait déjà été demandée au Parlement, et obtenue pour une période de dix-huit mois, à l’article 63 de la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France, sans que le Gouvernement soit en mesure de publier un texte dans le délai imparti.

À l’initiative de votre rapporteure, la commission des Lois a adopté cinq amendements apportant à l’article 39 diverses modifications rédactionnelles, légistiques et de cohérence.

*

*     *

La Commission adopte successivement les amendements rédactionnels CL310, CL311, CL312 et CL314 de la rapporteure.

Elle adopte ensuite larticle 39 modifié.

Article 40 (supprimé)
(art. L. 512-2 du code de la sécurité sociale)
Application outre-mer

Résumé du dispositif et effets principaux :

L’article 40 prévoit l’application outre-mer du présent projet de loi.

Modifications apportées par la commission des Lois :

La Commission a supprimé cet article, ses dispositions utiles ayant été reprises à l’article 38.

1.   Les dispositions du projet de loi

L’article 40 du projet de loi prévoit que les dispositions qu’il contient sont applicables à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin (I). Les coordinations effectuées à l’article 38 sont également applicables en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie et dans les îles Wallis et Futuna (II).

L’application outre-mer du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est réglée à l’article L. 111‑2 :

« Le présent code régit lentrée et le séjour des étrangers en France métropolitaine, en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à Mayotte, à La Réunion, à Saint-Pierre-et-Miquelon, à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin.

Il régit lexercice du droit dasile sur lensemble du territoire de la République. »

Les règles de police des étrangers en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française, dans les îles Wallis et Futuna et dans les Terres australes et antarctiques françaises relèvent, par ailleurs, de textes spécifiques ([208]). Seules s’y appliquent, en dehors des prescriptions relatives aux demandeurs d’asile, les dispositions relatives à l’interdiction administrative du territoire et à l’assignation à résidence des étrangers faisant peser une menace sur l’ordre public ou la sécurité nationale.

2.   Une disposition supprimée par la commission des Lois

À l’initiative de votre rapporteure, la Commission a supprimé l’article 40 dont les dispositions utiles figurent désormais à l’article 38.

*

*     *

La Commission est saisie de lamendement CL308 de la rapporteure.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Nous avons intégré les dispositions applicables à l’outre-mer à l’article 38. Cet article 40 est désormais superflu.

La Commission adopte lamendement.

En conséquence, larticle 40 est supprimé.

Chapitre III
Dispositions finales

Article 41
Entrée en vigueur

Résumé du dispositif et effets principaux :

L’article 41 a trait à l’entrée en vigueur des dispositions du projet de loi.

Le I du présent article prévoit que les dispositions relatives au placement en procédure accélérée des demandes d’asile tardives (article 5), à la réduction du délai de recours devant la Cour nationale du droit d’asile (article 6), à la présentation de la demande d’asile au nom de l’ensemble de la famille (article 7), aux obligations de quitter le territoire (article 11), à la rétention administrative (article 16), aux interdictions du territoire français (article 19), à la signature physique des visas d’entrée en France (article 25), à la délivrance des cartes de séjour (article 34) et aux dispositions relatives à la Guyane (article 38) entrent en vigueur immédiatement, à compter des demandes, décisions ou situations postérieures à la publication de la loi (alinéa 1).

Le II précise que le 1° de l’article 8, qui prévoit que le droit au maintien sur le territoire du demandeur cesse, non plus à la notification de la décision de la Cour nationale du droit d’asile, mais à la date de sa lecture en audience publique, s’applique aux décisions rendues à compter du premier jour du troisième mois suivant la publication de la loi (alinéa 2).

Les autres dispositions du projet de loi, qui nécessitent pour la plupart des mesures d’organisation internes, entrent en vigueur à compter d’une date fixée par décret en Conseil d’État, et au plus tard le premier jour suivant l’expiration d’un délai de six mois à compter de la publication de la loi. Selon les cas, elles s’appliqueront donc aux cas, demandes, décisions et situations postérieures à cette entrée en vigueur (alinéas 3 et 4).

Enfin, le V précise que l’article 17, qui tire les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel abrogeant, au 30 juin 2018, les dispositions relatives au régime d’assignation à résidence de longue durée de l’étranger interdit de territoire, entre en vigueur précisément le 30 juin 2018, pour éviter tout vide juridique (alinéa 5).

*

*     *

La Commission adopte larticle 41 sans modification.

Article 42 (nouveau)
Plan daction pour la prise en compte des migrations climatiques

Résumé du dispositif et effets principaux :

L’article 42, issu d’un amendement de votre rapporteure adopté par la Commission avec l’avis favorable du Gouvernement, prévoit que le Gouvernement présente au Parlement, dans un délai de douze mois après la promulgation de la loi, ses orientations et un plan d’action pour la prise en compte des migrations climatiques.

Selon l’organisation internationale des migrations (OIM), 205 millions de personnes pourraient en effet se déplacer d’ici 2050 du fait du changement climatique, soit un nombre supérieur à la population totale actuelle de migrants dans le monde.

S’il n’est pas question de leur reconnaître un statut de réfugié selon la convention de Genève – le terme de « déplacés climatiques » est généralement employé – il n’est pas possible non plus que la France se désintéresse de cette question.

Le présent article a donc pour but de permettre à la France de se positionner sur cette thématique et de contribuer à améliorer la mobilisation internationale.

*

*     *

La Commission examine, en discussion communes, les amendements CL927 de la rapporteure et CL520 de M. Matthieu Orphelin.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Je souhaite que le Gouvernement se saisisse de la question des déplacés environnementaux. C’est un objectif que je partage avec Matthieu Orphelin et un grand nombre de collègues du groupe La République en Marche, dont j’ai repris l’amendement tout en cherchant à l’améliorer.

Mme Coralie Dubost. Je veux d’abord signaler l’implication toute particulière de nos collègues Matthieu Orphelin, Delphine O, Gabriel Attal, Véronique Riotton, Hervé Berville, Olivier Véran et Bénédicte Peyrol.

Nous avons été plus d’une cinquantaine à cosigner l’amendement CL520, car c’est un sujet qui préoccupe la majorité : qu’allons-nous faire pour les personnes qui sont confrontées à cette nouvelle problématique ? Nous savons qu’on ne peut pas parler de réfugiés qui, eux, relèvent de la Convention de Genève. Nous avons déjà abordé différents thèmes. Si nous avons déposé cet amendement, c’est pour lancer la réflexion, ouvrir le débat, se donner les moyens de définir certains objectifs, et définir une stratégie.

M. Gérard Collomb, ministre dÉtat, ministre de lIntérieur. Chaque année, 25 millions de personnes sont contraintes de se déplacer pour des raisons climatiques, que ce soit à l’intérieur de leur pays ou entre les différents pays. Nous partageons votre volonté. On ne saurait toutefois confondre « déplacés climatiques » et « réfugiés ». D’ailleurs, le Haut‑Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) emploie ce terme de « déplacés climatiques », qu’il distingue bien des « réfugiés ».

Le Gouvernement va mettre la question à l’ordre du jour. Comme vous le savez, la France assume la vice-présidence de la plateforme des Nations unies sur les déplacements liés aux catastrophes, et en particulier aux catastrophes naturelles, et en prendra la présidence en juillet 2019. Il faut donc agir dès maintenant au niveau national.

Nous sommes prêts à accepter cet amendement, hormis sa dernière phrase, dont nous souhaiterions le retrait. Le Gouvernement s’engage à présenter un rapport au Parlement portant sur la stratégie nationale de prise en compte des déplacés climatiques.

Mme Coralie Dubost. Soit, mais je précise tout de même que la dernière phrase, relative aux visas humanitaires, ne vise pas à les mettre en place, mais à en évaluer l’opportunité – et donc, éventuellement, de les écarter. Bien évidemment, nous sommes prêts à porter le débat en séance, dans des termes qui nous permettraient de définir des objectifs concrets.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. La rapporteure m’ayant signalé qu’elle corrigeait son amendement CL597, je le mets aux voix privé de sa dernière phrase.

La Commission adopte lamendement CL927 ainsi rectifié.

L’article 42 est ainsi rédigé.

Lamendement CL520 de M. Matthieu Orphelin tombe.

Après l’article 42

La Commission examine lamendement CL471 de M. Jean-Noël Barrot.

Mme Isabelle Florennes. L’amendement de notre collègue Barrot prévoit la consultation des principales personnes concernées par la mise en œuvre des ordonnances prévues aux articles 27 et 39, afin d’améliorer l’information de la représentation nationale sur les possibles conséquences pratiques du texte qui leur sera soumis.

Il est directement inspiré du projet de loi pour un État au service d’une société de confiance, dont l’article 41 introduit cette nouvelle manière de procéder. Ainsi qu’il a été précisé au cours de la première lecture de ce projet, le futur Conseil de la réforme sera naturellement très attentif à la mise en œuvre concrète du présent article, donc à la mise en œuvre de cette consultation.

L’obligation pour le Gouvernement d’en rendre compte au Parlement serait particulièrement pertinente concernant ce projet de loi, au regard de la grande complexité des modifications qui sont opérées, qu’il s’agisse du régime des autorisations de travail des étrangers dont l’évolution est susceptible d’emporter des conséquences économiques et sociales fortes, ou de la mise en œuvre du CESEDA dans des territoires d’outre-mer où l’application du droit de l’immigration est non seulement très spécifique, mais aussi très sensible.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Si je peux être favorable à l’association des parties prenantes à l’élaboration des textes, il ne me semble pas que les articles en question s’y prêtent particulièrement. Ce sera donc un avis défavorable.

Mme Isabelle Florennes. Je sais mon collègue Barrot très investi dans les questions d’évaluation, mais je comprends aussi votre argumentation. Je vais donc retirer cet amendement.

Lamendement est retiré.

La Commission est saisie de lamendement CL258 de M. Frédéric Petit.

M. Frédéric Petit. Il s’agit d’un amendement de repli à la suite de celui que j’avais déposé hier matin, et dont je n’ai pas bien compris pourquoi il a reçu un avis défavorable. L’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), en ce moment, ne fait plus passer de diplôme d’études en langue française (DELF) parce qu’il n’en a plus les moyens.

Nous devons, lorsque la possibilité se présente, utiliser la période qui va du dépôt de la demande d’asile à son règlement, en recourant à tous les moyens dont l’État dispose, en particulier ceux qui ne sont pas mis en œuvre de manière cohérente aujourd’hui, pour former les demandeurs d’asile.

Nous avons tous relevé la relation évidente qui existe entre l’action extérieure de l’État et les migrations, et nous avons ici l’occasion d’utiliser cette cohérence pour faire œuvre utile sur ce sujet extrêmement précis.

La phase d’attente passive pourrait être utilisée pour former le demandeur d’asile, pas uniquement à la langue française, mais aussi à l’entrepreneuriat. L’État et les opérateurs dont c’est le métier pourraient, de façon beaucoup plus coordonnée, utiliser le temps des demandeurs d’asile issus de pays ciblés par l’aide publique au développement ou par notre stratégie en matière de francophonie pour commencer ce travail de formation qu’il faudra faire dans tous les cas.

Je demande, par mon amendement, la remise rapide par le Gouvernement d’un rapport précis, qui permettrait de reposer la question de la coordination interministérielle à ce sujet au moment de la préparation de la loi de finances pour 2019.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Je crains qu’il ne soit déjà trop tard pour modifier la maquette budgétaire du projet de loi de finances (PLF) pour 2019. Je suggère de saisir le ministre des Comptes publics de cette question, et de retirer l’amendement.

M. Frédéric Petit. Je le retire et le redéposerai en vue de la séance publique, en espérant être mieux entendu que je ne l’ai été hier.

Lamendement est retiré.

Titre

La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL921 de la rapporteure et CL444 de M. Vincent Bru.

Mme Isabelle Florennes. Tel qu’il est libellé, le titre du projet de loi ne met pas suffisamment en avant le volet social permettant une meilleure intégration des demandeurs d’asile. Les mesures prévues pour favoriser l’intégration sont nombreuses.

Le Gouvernement a souhaité un équilibre, et il serait opportun que cela apparaisse dans l’intitulé de ce texte, dont le titre III rassemble les dispositions visant à améliorer les conditions d’intégration et d’accueil des étrangers en situation régulière.

De plus, le Gouvernement s’est engagé à mettre en œuvre certaines propositions du rapport d’Aurélien Taché favorisant l’intégration. Ainsi, par cet amendement, nous réaffirmons notre volonté de défendre, fidèles à la tradition d’accueil de la France, une intégration digne, et nous espérons donner cet objectif au texte de loi.

Mme Élise Fajgeles, rapporteure. Je retire mon amendement, qui va dans le même sens, au profit du vôtre dont la rédaction est plus pertinente. Il est essentiel que l’intégration figure dans le titre du projet de loi.

Lamendement CL921 est retiré.

La Commission adopte lamendement CL444.

En conséquence, le titre est ainsi rédigé.

Puis la Commission adopte lensemble du projet de loi modifié.

*

*     *

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de ladministration générale de la République vous demande dadopter le projet de loi pour une immigration maîtrisée, un droit dasile effectif et une intégration réussie (n° 714) dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.

 

 

 


—  1 

   personnes entendues

 

   M. Michel Delpuech, préfet de police

   M. Yann Drouet, chef de cabinet

   M. Julien Marion, directeur de la police générale

   Mme Michèle de Segonzac, présidente

   M. Frédéric Beaufays, vice-président

   M. Philippe Caillol, secrétaire général

   M. Didier Leschi, directeur général

   M. Fernand Gonthier, directeur central

   Mme Brigitte Lafourcade, directrice centrale-adjointe

   M. Sébastien Brisard, secrétaire général du SIPCE

   M. Nathan Sautreuil, secrétaire du SIPCE

   Mme Valentine Guérif, trésorière du SIPCE

   M. Léo Berthe, délégué syndical du SIPCE

   Mme Cyrielle Tauzin, membre du bureau du SIPCE

   Mme Suzy Balourd, secrétaire générale-adjointe de la CGT-CE-CNDA

   M. Louis Bras, secrétaire général-adjoint de FO-CE-CNDA

   Mme Eva Hong-Bauvert, membre du bureau de FO-CE-CNDA

   Mme Christine Lazerges, présidente

   Mme Ophélie Marrel-Vannieuwenhuyse, conseillère juridique

   M. Alexandre Duval-Stalla, membre

   Mme Maryse Boulard, chargée de soutien et des actions juridiques de La Cimade

   M. David Rohi, responsable national rétention de La Cimade

   M. Laurent Delbos, responsable du plaidoyer de Forum réfugiés Cosi

   M. Assane Ndaw, directeur-adjoint accompagnement en centre de rétention de Forum réfugiés Cosi

   Mme Christelle Mezieres, directrice de l’ASSFAM

   Mme Céline Guyot, responsable du pôle juridique de l’ASSFAM

   Mme Clotilde Giner, directrice-adjointe en charge du pôle migrants de l’Ordre de Malte

   M. Mathias Venet, responsable du service rétention de l’Ordre de Malte

   Mme Nadia Sebtaoui, responsable du service d’aide aux étrangers retenus de France terre d’asile

   Mme Mathilde Mase (ACAT)

   M. Olivier Chemin (Elena)

   Mme Vanessa Fourez (FASTI)

   Mme Asmae Amahli (FASTI)

   M. Pierre Nicolas (JRS France)

   M. Gérard Sadik (La Cimade)

   Mme Odile Lugand (Ligue des droits de l’homme)

   M. Laurent Giovannoni (Secours catholique – Caritas France) (*)

   M. Jean-Claude Samouiller (Amnesty International France) (*)

   Mme Eléonore Morel (Centre Primo Lévi)

   M. Pascal Brice, directeur général

   Mme Adeline Hazan, contrôleure générale

   M. Pierre Henry, directeur général de France terre d’asile

   M. Guillaume Schers, directeur de l’urgence de France terre d’asile

   M. Jean-Paul Clément, directeur général d’ADOMA

   M. Gilles de Warren, directeur de la clientèle et de la maintenance d’ADOMA

   M. Djamel Cheridi, directeur général de COALLIA

   M. Emmanuel Brasseur, directeur de l’hébergement et du logement accompagné de COALLIA

   M. Jean-François Ploquin, directeur général de Forum réfugiés Cosi

   M. Laurent Delbos, responsable du plaidoyer de Forum réfugiés Cosi

   Mme Laurence Roques, présidente

   Mme Céline Coupard, membre du bureau, co-présidente de la commission droit des étrangers

   Mme Béatrice Brugère, secrétaire générale

   M. Marc Lifchitz, secrétaire général-adjoint

   M. Alain Régnier

   M. Jacques Toubon, défenseur des droits

   Mme Anne du Quellennec, cheffe du pôle droits fondamentaux des étrangers

   Mme Elsa Alasseur, juriste au pôle droits fondamentaux des étrangers

   Mme France de Saint-Martin, attachée parlementaire

   M. Patrice Michel, procureur de la République adjoint, responsable du service étrangers

   M. Pierre-Antoine Molina, directeur général

   M. Hugues Besancenot, directeur de l’immigration

   Mme Frédérique Doublet, cheffe du département du droit d’asile et de la protection

   Mme Claire Tessier, chargée de mission juridique

   M. Julien Gentile, commissaire divisionnaire

   M. Michel Cadot, préfet de Paris et de la région Ile-de-France

   M. Patrick Vieillescazes, sous-préfet, chef de cabinet

   M. Baptiste Rolland, sous-préfet, chargé de mission à l’insertion des réfugiés

   M. Ralf Gruenert, représentant en France et à Monaco

   Mme Caroline Laly-Chevalier, conseillère juridique, chargée de liaison auprès de l’OFPRA et la CNDA

   Mme Florence Boreil, assistante de protection

   M. Pascal Teixeira da Silva, ambassadeur chargé des migrations

   M. Jérôme Moisant, secrétaire national en charge des conditions de travail

   M. Gilles Debove, référent national

   Mme Anaïs Vrain, secrétaire nationale

   M. Patrick Henriot, membre

   M. Fabrice Mignot, représentant du secrétaire général de Force ouvrière à l’OFPRA

   Mme Frédérique-Jeanne Besson, représentante du secrétaire général de Force ouvrière à l’OFPRA

   Mme Hélène Paveto Gaubrie, adhérente de Force ouvrière à l’OFPRA

   Mme Apolline Coanga, adhérente de Force ouvrière à l’OFPRA

   Mme Sylvie Charvin, secrétaire générale de la CGT OFPRA

   M. Michel Nunez, secrétaire général-adjoint de la CGT OFPRA

   M. Jean-Charles Lallemand, membre du bureau de la CGT OFPRA

   Mme Anouk Lerais, membre du bureau de la CGT OFPRA

   Mme Laurène Dubois, co-secrétaire générale d’Asyl

   Mme Louisa Saoudi, co-secrétaire générale d’Asyl

   M. Joan Ankri, co-secrétaire général d’Asyl

   M. Jacky Coulon, secrétaire national

   Mme Nathalie Leclerc-Garret, trésorière nationale

   Mme Béatrice Voss, présidente de la commission « Libertés et droits de l’homme »

   Mme Hélène Gacon, experte auprès de la commission « Libertés et droits de l’homme »

   Mme Corinne Méric, juriste

   M. Philippe Laveni, délégué national communication

   M. Benoit Barret, secrétaire national adjoint province

   M. Loic Travers, secrétaire national adjoint Île-de-France

   Mme Anne-Gaëlle Mauclair, membre du conseil syndical

   M. Yann Livenais, membre du conseil syndical

   M. Julien Illouz, membre du conseil syndical

   M. Romain Bail, maire d’Ouistreham

   M. Charles Perrot-Durand, directeur de cabinet du maire d’Ouistreham

   M. Damien Carême, maire de Grande Synthe

   M. François Pupponi, député du Val d’Oise, membre du conseil municipal de Sarcelles

   M. Florent Gueguen, directeur général de la Fédération des acteurs de la solidarité (*)

   M. Corentin Bailleul, chargé de mission réfugiés-migrants de la Fédération des acteurs de la solidarité (*)

   M. Paul Duprez, président d’Emmaüs solidarité

   M. Nabil Neffati, président de France Horizons

   M. Hubert Valade, directeur général de France Horizons

   M. David Robert, directeur général-adjoint de Singa

 

La rapporteure a par ailleurs reçu des contributions écrites de la part du syndicat des cadres de la sécurité intérieure (CSI-CFDT), de Campus France et de la Commission de recours contre les refus de visa d’entrée en France.

 

 

 

 

 

(*) Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.

 


—  1 

   déplacements effectués

   M. le commissaire divisionnaire Gilles Beretti, sous-directeur adjoint de la lutte contre l’immigration irrégulière (SDLII) à la direction de la sécurité de proximité de l’agglomération parisienne (DSPAP)

   M. le commandant divisionnaire Bruno Marey, chef du département des CRA de Paris

   M. Yann Drouet, chef de cabinet du préfet de police de Paris

   Visite du centre, entretiens avec les fonctionnaires de police, les agents de l’OFII et les représentants des associations

   Dr Bernhard Chiari, directeur du Referat 411

   Visite du Referat 411, entretiens avec les équipes du BAMF (Bundesamt für Migration und Flüchtlinge), de la police et des services sociaux

   M. Guillaume Ollagnier, ministre conseiller à l’ambassade de France

   M. le commissaire général Michel Felkay, attaché de sécurité intérieure

   M. Rémi Tuma, attaché d’administration principal

   Mme Cécile Bigot-Dekeyzer, préfète des Hautes-Alpes

   M. Gérard Fromm, maire de Briançon

   M. Pierre Leroy, maire de Puy-Saint-André

   M. Jean-Bernard Rouffignac, directeur départemental de la police aux frontières

   M. Pascal Manicacci, directeur départemental de la sécurité publique

   M. le colonel Damien Demetz, commandant du groupement de gendarmerie départementale

   M. Luc Marchello, directeur de la maison des jeunes et de la culture – centre social du Briançonnais

   M. Alain Mouchet, représentant de l’association Refuge solidaire

   M. Philippe Wyon, représentant de l’association Refuge solidaire

   Mme Andrée Beilleau, représentant la direction des migrations et de l’intégration de la préfecture du Val d’Oise

   Mme Annick Cappelle, adjointe au directeur des migrations et de l’intégration de la préfecture du Val d’Oise

   Mme Catherine Lopez, directrice territorial adjointe de l’OFII

   Mme Julie Pichon, chef de service, pôle accueil et hébergement migrants de l’association Espérer 95

   Visite du centre, entretiens avec les équipes et les migrants hébergés

   Mme Michèle de Segonzac, présidente

   M. Philippe Caillol, secrétaire général

   Présence à deux vidéo-audiences, entretiens avec les magistrats et les rapporteurs

   Mme Natacha Bouchart, maire de Calais

   M. Michel Tournaire, sous-préfet de Calais

   Mme Pauline Richoux, directrice-adjointe du centre hospitalier de Calais

   Entretiens avec des représentants des forces de sécurité

   Mme Brigitte Curtelin, représentante de l’association EPDAHAA, visite du dispositif de mise à l’abri dans le cadre du plan grand froid

   M. Stéphane Duval, représentant de l’association La Vie active

 


([1]) Directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale.

([2]) Directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale.

([3]) Directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection.

([4]) Règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant d’un pays tiers ou un apatride.

([5]) Rapport spécial présenté au nom de la commission des Finances sur le projet de loi de finances pour 2018 par MM. Stanislas Guerini et Jean-Noël Barrot, 12 octobre 2017, annexe 28.

([6]) Rapport à la commission des Lois (n° 669) déposé le 15 février 2018.

([7]) La Cour des comptes, dans un référé sur l'accueil et l'hébergement des demandeurs d'asile (n° S201509771) du 30 juillet 2015, a estimé que plus de 96 % des déboutés du droit d’asile demeuraient finalement en France. Ce calcul, qui a été contesté par le Gouvernement, est fondé sur les chiffres de l’année 2014, faisant état de 1 432 éloignements sur 40 206 personnes déboutées. Néanmoins, il reste acquis que le taux réel d’éloignement, s’il devait être supérieur à celui-ci, demeure particulièrement faible.

([8]) Le contexte doit cependant être précisé : alors que les non-admissions étaient, en 2011, exclusivement prononcées aux frontières aériennes et maritimes, voire pour partie dans les gares ferroviaires internationales, le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures décidé le 13 novembre 2005 fait que ces actes administratifs sont désormais principalement notifiés dans les Alpes et dans les Pyrénées.

([9]) En 2016, 6 789 personnes ont été placées en zone d’attente à Roissy contre 6 932 personnes en 2015.

([10]) L’aide médicale de l’État est prévue aux articles L. 251‑1 et suivants du code de l’action sociale et des familles. Elle est versée sous condition de ressources.

([11]) Cette statistique n’inclut pas les réadmissions dans le cadre des procédures prévues par le règlement du Parlement européen et du Conseil européen n° 604-2013 du 26 juin 2013, dit «Dublin III ».

([12]) Voir le commentaire de l’article 11 du projet de loi.

([13]) Lors de son audition par votre rapporteure, le vice-procureur de Toulouse a fait état d’un taux d’inexécution du pointage auprès des services de police et de gendarmerie de l’ordre de 80 % et d’un taux de départ volontaire quasi-nul. Les OQTF avec délai de départ volontaire sont rarement respectées, même si aucune statistique n’est disponible. En l’absence d’assignation à résidence ou de placement en rétention administrative, la sanction se limite en pratique à l’édiction d’une seconde OQTF, cette fois sans délai de départ volontaire.

([14]) Voir le commentaire de l’article 16 du projet de loi.

([15]) Décision n° 2011-631 DC du 9 juin 2011, Loi relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, considérant n° 91.

([16]) Voir le commentaire de l’article 18 du projet de loi.

([17]) Arrêté d’expulsion, interdiction administrative du territoire ou peine d’interdiction du territoire français.

([18]) Directive n° 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection.

([19]) Loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d’asile.

([20]) Loi n° 2003-1176 du 10 décembre 2003 modifiant la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d’asile.

([21]) Conseil d’État, 17 décembre 2000, OFPRA c/ Mlle Goupil.

([22]) Article L. 314-11 du CESEDA.

([23])  Directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial.

([24])  Directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection.

([25]) Loi n° 2006-399 du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs.

([26]) Loi n° 2013-711 du 5 août 2013 portant diverses dispositions d’adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l’Union européenne et des engagements internationaux de la France.

([27]) Aux termes du 2 du A de l’article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole signé à New York le 31 janvier 1967, doit être considérée comme réfugiée toute personne « qui, craignant avec raison dêtre persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ».

([28]) Arrêté du 23 août 2017 pris pour l’application des articles L. 723-5 et L. 752-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile et définissant les modalités de l’examen médical prévu pour les personnes susceptibles de bénéficier, ou qui bénéficient, d’une protection au regard des risques de mutilation sexuelle féminine qu’elles encourent.

([29]) Directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale.

([30]) Loi n° 2007-1631 du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile.

([31]) Prévue par les articles L. 723-15 du CESEDA, la procédure de réexamen permet à une personne déboutée définitivement de demander un nouvel examen de sa demande à condition de faits ou éléments nouveaux.

([32]) Une décision d’irrecevabilité est prise par l’OFPRA, selon l’article L. 723-11 du CESEDA, lorsqu’il apparaît que le demandeur bénéficie déjà d’une protection dans un État membre de l’Union européenne ou un État tiers dans lequel il est réadmissible ainsi que dans le cas où la demande de réexamen ne répond pas aux critères fixés par le code.

([33]) Cf. commentaire de l’article 4.

([34]) Directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale.

([35]) Arrêté du 9 octobre 2015.

([36]) Article R. 723-1 du CESEDA.

([37]) Arrêté du 9 octobre 2015.

([38]) C’est-à-dire lorsque le demandeur provient d’un pays d’origine sûr ou qu’il présente une demande de réexamen irrecevable (I de l’article L. 723-2).

([39]) La procédure de refus d’entrée, également appelée non-admission, fait l’objet d’une explication détaillée dans le commentaire réalisé sur les dispositions de l’article 10 du projet de loi.

([40]) Ordonnance du 5 juillet 2017 (n° 411575), Association nationale dassistance aux frontières pour les étrangers et autres, considérant n° 6. 

([41]) Voir, par exemple, l’ordonnance de référé du 22 janvier 2018 du tribunal administratif de Nice (n° 1800195), M. M. H. et association nationale dassistance aux frontières pour les étrangers et autres, considérant n° 9 : « Le jeune M. H., âgé de douze ans, est entré irrégulièrement en France le 12 janvier 2018 et sest vu notifier le jour même à 14 h une décision de refus dentrée sur le territoire. Il a été invité à rejoindre aussitôt lItalie (…). Il nest, en lespèce, ni établi, ni même allégué par le préfet des Alpes-Maritimes qui na pas fourni de mémoire en défense et qui na pas été représenté le jour de laudience, que le procureur de la République a été immédiatement avisé pour quil désigne un administrateur ad hoc et que le président du Conseil départemental a été immédiatement informé afin de lui permettre dévaluer la situation du mineur. Lautorité administrative ne sest pas davantage préoccupée des conditions dans lesquelles lenfant mineur serait pris en charge à Vintimille, ville à destination de laquelle il allait être éloigné. En agissant de la sorte, ladministration na pas accompli les diligences nécessaires pour réunir les informations quelle devait, dans le cas dun mineur, sefforcer, dans la mesure du possible, de collecter avant de procéder à son éloignement forcé. »

([42]) L’article 21 de la directive n° 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale, qui peut servir de référence, inclut parmi les personnes vulnérables « les mineurs, les mineurs non accompagnés, les handicapés, les personnes âgées, les femmes enceintes, les parents isolés accompagnés denfants mineurs, les victimes de la traite des êtres humains, les personnes ayant des maladies graves, les personnes souffrant de troubles mentaux et les personnes qui ont subi des tortures, des viols ou dautres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle, par exemple les victimes de mutilation génitale féminine ».

([43]) Article L. 213‑2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Les articles L. 213‑8‑1 à L. 213‑9 définissent une procédure spéciale en cas de demande d’asile, qui fait intervenir l’autorité ministérielle compétente.

([44]) Loi n° 92-625 du 6 juillet 1992 sur la zone d’attente des ports et des aéroports et portant modification de l’ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France.

([45]) L’article L. 221‑2 du CESEDA précise que « la zone dattente est délimitée par lautorité administrative compétente. Elle sétend des points dembarquement et de débarquement à ceux où sont effectués les contrôles des personnes. Elle peut inclure, sur lemprise, ou à proximité, de la gare, du port ou de laéroport ou à proximité du lieu de débarquement, un ou plusieurs lieux dhébergement assurant aux étrangers concernés des prestations de type hôtelier. »

([46]) « Maintien en zone d’attente » est l’intitulé du titre II du livre II, « L’entrée en France », du CESEDA.

([47]) Article L. 213-2 du CESEDA.

([48]) Article R. 213‑1 du CESEDA : « La décision écrite et motivée refusant lentrée en France à un étranger, prévue à larticle L. 213-2, est prise, sauf en cas de demande dasile, par le chef du service de la police nationale ou des douanes, chargé du contrôle aux frontières, ou un fonctionnaire désigné par lui, titulaire au moins du grade de brigadier dans le premier cas et dagent de constatation principal de deuxième classe dans le second, ou, à Saint-Barthélemy, par le commandant dunité de la gendarmerie nationale ou un militaire désigné par lui, titulaire au moins du grade de gendarme. Dans les aérodromes affectés à titre exclusif ou principal au ministère de la défense, cette décision peut être également prise par le commandant dunité de la gendarmerie maritime ou de la gendarmerie de lair ou par un militaire désigné par lui, titulaire au moins du grade de gendarme. »

([49]) Articles L. 222‑1 à L. 222‑5 du CESEDA.

([50]) Article L. 222‑6 du CESEDA.

([51]) Article L. 222‑4 du CESEDA.

([52]) Ordonnance n° 2004-1248 du 24 novembre 2004 relative à la partie législative du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

([53]) Tous sauf le Royaume-Uni, l’Irlande, Chypre, la Croatie, la Bulgarie et la Roumanie.

([54]) L’évènement était la vingt-et-unième conférence des parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques du 9 mai 1992.

([55]) Considérant n° 81.

([56]) Considérants n° 82 et 83.

([57]) Décision n° 2011-631 DC du 9 juin 2011, Loi relative à limmigration, à lintégration et à la nationalité, considérant n° 91.

([58]) Avis du Conseil d’État sur le projet de loi, deuxième paragraphe du point n° 23.

([59]) Compétence du juge administratif pour le contentieux des décisions de refus d’entrée.

([60]) Compétence du juge des libertés et de la détention pour le maintien en zone d’attente.

([61]) Compétence du premier président de la cour d’appel pour les requêtes contre les décisions du juge de la liberté et de la détention sur le maintien en zone d’attente.

([62]) Articles L. 222‑1 et suivants du CESEDA.

([63]) Article L. 222-6 du CESEDA.

([64]) Article L. 552‑9 du CESEDA.

([65]) Avis du Conseil d’État sur le projet de loi, deuxième paragraphe du point n° 35.

([66]) La protection peut être relative, c’est-à-dire qu’elle peut être levée en cas de nécessité impérieuse pour la sûreté de l’État ou la sécurité publique, ou après une condamnation définitive à une peine de cinq ans de prison ferme. En bénéficient l’étranger régulièrement présent depuis plus de dix ans en France (sauf au moyen d’une carte de séjour « étudiant »), l’étranger monogame marié depuis trois ans à un Français qui a conservé la nationalité française sans rupture de la communauté de vie, l’étranger non-polygame parent d’un enfant français mineur résidant en France à l’éducation duquel il contribue, et l’étranger bénéficiaire d’une rente française d’accident du travail ou de maladie professionnelle incapable au moins à 20 %.
La protection est dite « quasi-absolue » lorsqu’elle ne peut être levée qu’en cas de comportement terroriste ou compromettant les intérêts fondamentaux de l’État, ou à la suite d’actes de provocation délibérée à la discrimination, la haine ou la violence. En bénéficient l’étranger malade en l’absence d’un traitement approprié dans son pays, l’étranger résidant en France depuis l’âge de treize ans, l’étranger monogame résidant régulièrement en France depuis dix ans et marié depuis quatre ans sans rupture de la communauté de vie à un Français qui a conservé la nationalité française ou à un étranger qui vit en France depuis l’âge de treize ans, et l’étranger résidant régulièrement en France depuis dix ans et parent d’un enfant français résidant en France dont il contribue à l’éducation.

([67]) L’Espace économique européen (EEE) est une union économique rassemblant trente-et-un États européens : les vingt-huit États membres de l’Union européenne ainsi que la Norvège, l’Islande et le Liechtenstein.

([68]) « L’immigration aujourd’hui : inadaptation du droit, désarroi des acteurs », rapport de MM. Jean-Michel Clément et Guillaume Larrivé sur l’application de la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France (n° 669), commission des Lois, 15 février 2018.

([69]) Article L. 512-1 I du CESEDA.

([70]) La catégorie des déboutés définitifs du droit d’asile a été créée par la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 qui prévoit que la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire peut être définitivement refusée à un étranger.

([71]) Article L. 512-1 I bis du CESEDA.

([72]) Article L. 512-1 II du CESEDA.

([73]) Article L. 512-1 III du CESEDA.

([74]) L’article 11 de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, dite directive Retour, prévoit que « Les décisions de retour sont assorties dune interdiction dentrée a) si aucun délai na été accordé pour le départ volontaire ou b) si lobligation de retour na pas été respectée. Dans les autres cas, les décisions de retour peuvent être assorties dune interdiction dentrée. »

([75]) Le système d’information Schengen (SIS) est un fichier utilisé par les États membres de la Convention de Schengen pour leur coopération policière. Les différents services de sécurité peuvent y consulter ou y enregistrer des informations sur des personnes ou des objets. Les données concernaient à l’origine des personnes sous mandat d’arrêt ou des objets perdus, mais incluent depuis des données biométriques et des données relatives à la non-admission ou aux interdictions de séjour.

([76]) Un étranger sous le coup d’une IRTF qui se maintient sur le territoire national ou qui y revient peut voir l’interdiction de retour prolongée de deux ans, ce qui porte à cinq ans la durée théorique maximale de la mesure. Selon le Conseil constitutionnel, « linterdiction de retour dont lobligation de quitter le territoire peut être assortie constitue une mesure de police et non une sanction ayant le caractère dune punition au sens de larticle 8 de la Déclaration [des droits de lhomme et du citoyen] de 1789 » (Décision n° 2011-631 DC du 9 juin 2011, Loi relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, considérant n° 52).

([77]) Règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (refonte).

([78]) La Cour des comptes relevait notamment que « 1 432 personnes déboutées du droit dasile ont été éloignées sur 40 206 personnes déboutées en 2014 » (référé du 30 juillet 2015, Laccueil et lhébergement des demandeurs dasile). Ces chiffres ont été vivement contestés par le Gouvernement d’alors.

([79]) La loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France a appliqué aux OQTF visant les déboutés du droit d’asile le régime contentieux accéléré dans lequel l’étranger dispose d’un délai de recours d’un quinze jours et d’une décision de la juridiction administrative dans les six semaines.

([80]) « Si la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à létranger ou si létranger ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application de larticle L. 743-2, à moins quil ne soit titulaire dun titre de séjour en cours de validité ; »

([81]) Avis contentieux n° 408902 du 19 juillet 2017, M. Toskic, selon lequel le régime contentieux de l’OQTF s’impose lorsque celui-ci est contesté en même temps qu’un refus de délivrance de titre de séjour.

([82]) Avis du Conseil d’État sur le projet de loi, point n° 37.

([83]) Articles 6, 7 et 14 de la directive précitée.

([84]) Recommandation de la Commission (UE) 2017/432 du 7 mars 2017 visant à rendre les retours plus effectifs dans le cadre de la mise en œuvre de la directive Retour.

([85]) Avis du Conseil d’État sur le projet de loi, point n° 38.

([86]) Le nombre d’interdictions de retour prononcées est ainsi passé de 1 859 à 19 901 (soit + 970 %).

([87]) CJUE, Ouhrami c. Pays-Bas, 26 juillet 2017 (C225/16).

([88]) Article L. 512-1 du CESEDA.

([89]) « La procédure spéciale du III de larticle L. 512-1 cesse dêtre applicable dès lors quil est mis fin, pour quelque raison que ce soit, à la rétention ou lassignation à résidence de létranger » (Conseil d’État, avis n° 382898 du 29 décembre 2014).

([90]) Avis du Conseil d’État sur le projet de loi, dernier paragraphe du point n° 40.

([91]) Voir notamment les dispositions de l’article 11 pour un commentaire des aspects juridiques de cette évolution.

([92]) Article L. 511-1 du CESEDA.

([93]) Arrêté du ministre de l’Intérieur du 17 avril 2015 relatif à l’aide au retour et à la réinsertion.

([94]) L’étude d’impact mentionne la survenue de 1 363 refus d’embarquement pour la seule année 2017, ce qui se traduit par des billets gaspillés et par des escortes mobilisées inutilement.

([95]) Le coût moyen d’une mission d’escorte pour le retour dans le pays d’origine d’un adulte isolé est évalué à 2 018,28 euros.

([96]) Avis du Conseil d’État sur le projet de loi, point n° 42.

([97]) Article L. 511-1 du CESEDA.

([98])  Décision n° 2011-631 DC du 9 juin 2011, Loi relative à limmigration, à lintégration et à la nationalité, cons. n° 58.

([99]) Décision n° 2017-674 QPC du 30 novembre 2017, M. Kamel D., cons. n° 7.

([100]) Comme elle ne prépare pas l’éloignement en tant que telle, l’assignation à résidence créée par l’article 14 du projet de loi ne saurait entraîner la procédure accélérée devant le juge administratif.

([101]) Cette sanction est prévue au II de l’article L. 511-1 du CESEDA.

([102]) Avis du Conseil d’État sur le projet de loi, point n° 43.

([103]) « LUnion offre à ses citoyens un espace de liberté, de sécurité et de justice sans frontières intérieures, au sein duquel est assurée la libre circulation des personnes, en liaison avec des mesures appropriées en matière de contrôle des frontières extérieures, dasile, dimmigration ainsi que de prévention de la criminalité et de lutte contre ce phénomène. »

([104]) « 1. LUnion adopte les mesures destinées à établir ou assurer le fonctionnement du marché intérieur, conformément aux dispositions pertinentes des traités.

« 2. Le marché intérieur comporte un espace sans frontières intérieures dans lequel la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux est assurée selon les dispositions des traités. »

([105]) Cette possibilité a été utilisée par la France face à la menace terroriste en 1995, après le 11 septembre 2001 et depuis le 13 novembre 2015. Elle figure aux articles 25 à 35 du Règlement (UE) n° 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 concernant un code de l’Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen).

([106]) Règlement (CE) n° 539/2001 du Conseil du 15 mars 2001 fixant la liste des pays tiers dont les ressortissants sont soumis à l’obligation de visa pour franchir les frontières extérieures des États membres et la liste de ceux dont les ressortissants sont exemptés de cette obligation.

([107]) Articles R. 211‑32 et 211‑33 du CESEDA.

([108]) Une dizaine de milliers d’OQTF de cet ordre est édictée chaque année.

([109]) Décret n° 2017‑1219 du 2 août 2017 modifiant le décret n° 2010-569 du 28 mai 2010 relatif au fichier des personnes recherchées

([110]) 6° de l’article L. 561-2 du CESEDA.

([111]) Article L. 551-1 du CESEDA.

([112]) « Tout étranger qui se soustrait ou qui tente de se soustraire à lexécution dune mesure de refus dentrée en France, dune interdiction administrative du territoire, dun arrêté dexpulsion, dune mesure de reconduite à la frontière ou dune obligation de quitter le territoire français ou qui, expulsé ou ayant fait lobjet dune interdiction judiciaire du territoire, dune interdiction administrative du territoire, dune interdiction de retour sur le territoire français ou dune interdiction de circulation sur le territoire français, pénètre de nouveau sans autorisation en France est puni dune peine de trois ans demprisonnement. »

([113]) Directive 2003/109/CE du Conseil du 25 novembre 2003 relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée : la carte de résident mention « résident de longue durée – UE » autorise à séjourner en France. Elle permet également de séjourner plus de trois mois, sans visa de long séjour, dans un autre pays membre de l’Union européenne, sauf au Danemark, au Royaume-Uni et en Irlande.

([114]) Directive 2009/50/CE du Conseil du 25 mai 2009 établissant les conditions d’entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers aux fins d’un emploi hautement qualifié.

([115]) Directive 2014/66/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 établissant les conditions d’entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers dans le cadre d’un transfert temporaire intragroupe. On entend par « transfert temporaire intragroupe » le détachement temporaire à des fins professionnelles ou de formation d’un ressortissant de pays tiers vers une entité installée dans un Etat membre faisant partie de l’entreprise ou du groupe d’entreprises auquel le travailleur détaché est lié par un contrat de travail.

([116]) Directive (UE) 2016/801 du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2016 relative aux conditions d’entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers à des fins de recherche, d’études, de formation, de volontariat et de programmes d’échange d’élèves ou de projets éducatifs et de travail au pair.

([117]) Article L. 551‑1 du CESEDA.

([118]) III de l’article L. 512‑1 du CESEDA.

([119]) Voir le commentaire sous l’article 11 du projet de loi.

([120]) Article L. 552‑1 du CESEDA. Lorsque la décision de placement et la demande de prolongation sont concomitantes, comme c’est souvent le cas, le JLD statue par une décision unique.

([121]) Article L. 552‑7 du CESEDA.

([122]) Article L. 552‑2 du CESEDA.

([123]) Article L. 552‑4 du CESEDA. Le cas échéant, le juge peut ordonner la transformation du placement en rétention en assignation à résidence, voire mettre fin à la rétention sans mesure de surveillance de substitution.

([124]) Si l’étranger a été condamné à une peine d’interdiction du territoire pour des actes de terrorisme ou si une mesure d’expulsion a été prononcée à son encontre pour un comportement lié à des activités à caractère terroriste pénalement constatées, le juge des libertés et de la détention peut, dès lors qu’il existe une perspective raisonnable d’exécution de la mesure d’éloignement et qu’aucune décision d’assignation à résidence ne permettrait un contrôle suffisant de cet étranger, ordonner la prolongation jusqu’à six mois.

([125]) Article L. 551‑2 du CESEDA.

([126]) Article L. 551‑3 du CESEDA.

([127]) Cimade, France Terre d’Asile, Assfam, Ordre de Malte, Forum réfugiés-Cosi et Salidarité Mayotte, Centres et locaux de rétention administrative 2016, juin 2017.

([128]) L’article L. 511‑4 du CESEDA dispose : « Ne peuvent faire lobjet dune obligation de quitter le territoire français : 1° Létranger mineur de dix-huit ans. »

([129]) R.M. c. France, A.B. c. France, A.M. c. France, R.K. c. France, R.C & V.C. c. France. Voir Antonin Gelblat, « La CEDH et la pratique française de rétention des mineurs étrangers : L’impossibilité pratique plutôt que l’interdiction de principe ? », La Revue des droits de lhomme [En ligne], Actualités Droits-Libertés, mis en ligne le 29 août 2016.

([130]) Décision du Défenseur des droits n° 2018-045, 8 février 2018.

([131]) L’article L. 556‑1 du CESEDA prévoit cependant que, si l’autorité administrative estime, sur le fondement de critères objectifs, que cette demande est présentée dans le seul but de faire échec à l’exécution de la mesure d’éloignement, l’étranger peut être maintenu en rétention le temps de son examen.

([132]) L’article L. 511‑4 du CESEDA fait obstacle à l’éloignement de l’étranger dont « létat de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences dune exceptionnelle gravité et si, eu égard à loffre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement dun traitement approprié ».

([133]) Ces infractions sont poursuivies par les parquets de façon aléatoire sur le territoire, de sorte que leur commission n’est pas toujours réprimée. L’étranger qui se soustrait à une mesure d’éloignement ou à son exécution est pourtant puni de trois ans d’emprisonnement (article L. 624‑1‑1 du CESEDA).

([134]) Avis du Conseil d’État sur le projet de loi, point n° 73.

([135]) III de l’article L. 512‑1 du CESEDA.

([136]) Article L. 552‑9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

([137]) Cass., 1re civ., 5 mars 2014, n° 13-11138) : « Attendu que le premier président a confirmé lordonnance ayant accueilli cette demande après avoir constaté que le juge des libertés et de la détention, saisi par la requête du préfet reçue au greffe le 6 juin 2012 à 15h30, avait prononcé sa décision le lendemain à 18h11 ; Quen statuant ainsi, alors que le délai de 24 heures était expiré lorsque le juge des libertés et de la détention avait statué, le premier président a violé le texte susvisé ». Cet arrêt concerne la première instance. Pour l’appel, voir Cass., avis du 20 novembre 2000, n° 02-00016.

([138]) Conseil constitutionnel, décision n° 79-109 DC du 9 janvier 1980, Loi relative à la prévention de limmigration clandestine et portant modification de lordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions dentrée et de séjour en France des étrangers et portant création de loffice national dimmigration, considérant n° 4.

([139]) Cette dérogation figure au dixième alinéa de l’article 38 du projet de loi.

([140]) Le dispositif a été institué par la loi n° 97-396 du 24 avril 1997 portant diverses dispositions relatives à l’immigration, dite « loi Debré », validée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 97-3989 DC du 22 avril 1997, avant d’être abrogé par la loi n° 98-349 du 11 mai 1998 relative à l’entrée et au séjour des étrangers en France et au droit d’asile puis réintroduit par la loi n° 2003 1119 du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité.

([141]) Ce délai de six heures a été jugé conforme à la Constitution dans la décision n° 2011-631 DC du 9 juin 2011, Loi relative à limmigration, à lintégration et à la nationalité.

([142]) Ces droits s’inspirent des conditions posées par le Conseil constitutionnel pour accepter la mise à disposition de la justice dans le cadre d’un déféré en comparution immédiate, qui peut atteindre une durée de vingt heures (décision n° 2010-80 QPC du 17 décembre 2010, Michel F.). Leur mention correspond à une recommandation formulée par le Conseil d’État dans son avis sur le présent projet de loi (point n° 48).

([143]) Article R. 552-12 du CESEDA,

([144]) Article L. 552‑4 du CESEDA.

([145]) Article L. 552‑5 du CESEDA.

([146]) Avis du Conseil d’État sur le projet de loi, points n° 46 et 47.

([147]) Comme l’indique l’étude d’impact jointe au projet de loi, plusieurs pays européens ont retenu dans leur législation le quantum maximal de dix-huit mois. C’est notamment le cas de la République fédérale allemande et des Royaumes de Belgique et des Pays-Bas.

([148]) Le taux de délivrance des laissez-passer consulaires dans des délais utiles est de l’ordre de 51 %, mais cette moyenne dissimule de très fortes disparités entre les États. En 2016, le taux de délivrance des laissez-passer consulaires dans les délais dépassait 90 % avec le Cameroun, la Géorgie et la Moldavie ; il était inférieur à 10 % avec la Mongolie, le Mali et le Pakistan.

([149]) Recommandation (UE) n° 2017/432 du 7 mars 2017 visant à rendre les retours plus effectifs dans le cadre de la mise en œuvre de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, considérant 17.

([150]) En application de l’article L. 742‑3 du CESEDA ou du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (refonte).

([151]) Article L. 624‑1‑1 du CESEDA.

([152]) Avis du Conseil d’État sur le projet de loi, points n° 49 à 51.

([153]) Voir notamment les dispositions de l’article 11 pour un commentaire des aspects juridiques de cette évolution.

([154]) Article 131-30 du code pénal.

([155]) Articles L. 523‑3 à L. 523‑5 du CESEDA.

([156]) Considérant n° 10 de la décision précitée.

([157]) Le dispositif a été introduit en commission des Lois par le rapporteur de la proposition de loi, le sénateur François-Noël Buffet, qui l’a commenté dans son rapport (n° 218) déposé le 17 janvier 2018. Pour l’analyse par l’Assemblée nationale, voir le rapport de deuxième lecture de M. Jean-Luc Warsmann (n° 637) déposé le 7 février 2018.

([158]) Article L. 541‑3 du CESEDA.

([159]) Article L. 513‑5 du CESEDA.

([160]) L’article L. 513-5 du CESEDA prévoit que l’étranger réticent soit conduit devant les autorités consulaires par les forces de l’ordre, le cas échéant à la suite d’une visite domiciliaire autorisée par le juge des libertés et de la détention.

([161]) Article L. 611-2 du CESEDA.

([162]) Articles L. 214-4 et L. 541-3 du CESEDA.

([163]) Avis du Conseil d’État sur le projet de loi, point n° 54.

([164]) Décision n° 2017-674 QPC du 30 novembre 2017, M. Kamel D.

([165]) Décision n° 2010‑80 QPC du 17 décembre 2010, M. Michel F.

([166]) Article 31 de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale.

([167]) L’article L. 556‑1 du CESEDA fixe déjà ce délai pour le traitement des demandes d’asile déposées par des étrangers placés en rétention.

([168]) Article L. 561‑2 du CESEDA.

([169]) Ce sursis ne peut être sollicité lorsque la décision de l’Office vaut perte du droit au maintien sur le territoire national en application de l’article L. 743‑2 du CESEDA – nouvelle demande de réexamen après le rejet définitif d’une première requête, décision définitive d’extradition ou de remise à un État tiers ou à une cour pénale internationale.

([170]) Avis du Conseil d’État sur le projet de loi, point n° 56.

([171]) Cette exigence a été rappelée par la Cour de justice de l’Union européenne dans un arrêt du 14 septembre 2017, K. (C-18/16).

([172]) Cour européenne des droits de l’homme (grande chambre), 29 janvier 2008, Saadi c/ RoyaumeUni.

([173]) CJUE, 6 décembre 2011, C‑329/11, Achughbabian c. France.

([174]) Cass. 1ère civ, 5 juillet 2012, 1-19.250.

([175]) Article L. 611-1-1 du CESEDA. La retenue s’applique aux personnes qui, requises en application de l’article L. 611-1 du CESEDA de présenter les pièces et documents sous couvert desquelles elles sont autorisées à circuler et séjourner en France, ne sont pas en mesure de le faire.

([176]) « Le législateur est en mesure dexiger la détention, le port et la production des documents attestant la régularité de leur entrée et de leur séjour en France ; il peut à cette fin prévoir la possibilité de vérifier la mise en œuvre de ces prescriptions en dehors de la recherche dauteurs dinfractions et en labsence de circonstances particulières relatives à la prévention datteintes à lordre public » (Conseil constitutionnel, décision n° 93‑325 DC du 13 août 1993, Loi relative à la maîtrise de limmigration et aux conditions dentrée, daccueil et de séjour des étrangers en France, cons. 14).

([177]) L’étude d’impact jointe au projet de loi souligne toutefois la dissymétrie des situations : si toute personne est tenue de se prêter à un contrôle d’identité, le port permanent de documents d’identité n’est pas pour autant obligatoire. À l’inverse, l’article L. 611‑1 du CESEDA impose à tout étranger d’être en mesure de présenter à tout moment les pièces et documents sous le couvert desquels il est autorisé à circuler ou séjourner en France ; la retenue pour vérification de ces droits ne vient qu’en réponse au manquement à cette première obligation.

([178]) La Cour de cassation a jugé qu’il contribuait à raccourcir la durée de la retenue privative de liberté (1ère civ., 7 décembre 2016, n° 15-19990).

([179]) Avis du Conseil d’État sur le projet de loi, point n° 58.

([180]) Sur le fondement du a) du 4° de l’article 11 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, la CNIL a rendu la délibération n° 2018‑048 du 8 février 2018 portant avis sur un projet de loi pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif (demande d’avis n° 18001701).

([181]) Décret n° 2011-638 du 8 juin 2011 relatif à l’application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France et aux titres de séjour et aux titres de voyage des étrangers.

([182]) La Cour de justice de l’Union européenne condamne ces retards qui privent d’effet utile la directive Retour (CJUE, 6 décembre 2011, C‑329/11, Achughbabian c. France).

([183]) CJUE, 1er octobre 2015, C-290/14, Celaj c. Italie.

([184]) Avis du Conseil d’État sur le projet de loi, point n° 57.

([185]) Ces garanties sont conformes aux exigences de la jurisprudence constitutionnelle (décision n° 76‑75 DC du 12 janvier 1976, Loi autorisant la visite des véhicules en vue de la recherche et de la prévention des infractions pénales, cons. 3 ; décision n° 2003-467 DC du 13 mars 2003, Loi pour la sécurité intérieure, cons. 15).

([186]) Avis du Conseil d’État sur le projet de loi, dernier paragraphe du point n° 57.

([187]) CJUE, 6 décembre 2011, C‑329/11, Achughbabian c. France.

([188]) CJUE, 7 juin 2016, C-47/15, Affum c. France.

([189]) Voir le commentaire de l’article 11 du projet de loi.

([190]) Il existe différents délits prévus par le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile qui donnent lieu à une interdiction du territoire français : l’entrée irrégulière sur le territoire (L. 621‑2), l’aide à l’entrée et au séjour irréguliers aggravée (L. 622‑7), le mariage blanc et la reconnaissance frauduleuse d’enfant (L. 623‑2), la violation d’une mesure d’éloignement ou d’une assignation à résidence (L. 624‑2 et L. 624‑3).

([191]) Article L. 555-1 du CESEDA.

([192]) Article L. 555-3 du CESEDA.

([193]) Étude d’impact sur le présent projet de loi, p. 166.

([194]) Voir le commentaire de l’article 21.

([195]) Ce programme s’inscrit dans le cadre de l’espace européen de la recherche. Il vise à favoriser la recherche interdisciplinaire et les collaborations internationales.

([196]) Sauf si sa présence constitue une menace pour l’ordre public.

([197]) Titulaire d’une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", titulaire d’une carte de résident au titre du regroupement familial, réfugié, apatride, titulaire d’une carte de séjour pluriannuelle portant la mention " passeport talent ".

([198]) Le mineur entré en France pour y suivre des études sous couvert d’un visa de séjour d’une durée supérieure à trois mois et celui qui, à sa majorité justifie par tout moyen avoir résidé habituellement en France avec au moins un de ses parents légitimes, naturels ou adoptifs depuis qu’il a atteint au plus l’âge de treize ans ou, à Mayotte, depuis qu’il a atteint au plus l’âge de treize ans, avec au moins un de ses parents légitimes, naturels ou adoptifs titulaire de la carte de séjour temporaire ou de la carte de résident, la filiation étant établie dans les conditions prévues à l’article L. 314-11 ; la condition prévue à l’article L. 313-2 n’est pas exigée ; confié, depuis qu’il a atteint au plus l’âge de seize ans, au service de l’aide sociale à l’enfance et sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de la formation, de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d’origine et de l’avis de la structure d’accueil sur l’insertion de cet étranger dans la société française. La condition prévue à l’article L. 313-2 n’est pas exigée.

([199]) Assemblée nationale, rapport n° 369, XVème législature.

([200]) Les missions de ce service médical sont déjà reconnues par l’article L. 313-11 du CESEDA : « La décision de délivrer la carte de séjour est prise par lautorité administrative après avis dun collège de médecins du service médical de lOffice français de limmigration et de lintégration, dans des conditions définies par décret en Conseil dÉtat. »

([201]) Par exemple : cas où un père français reconnait un enfant étranger (auteur de la reconnaissance) d’une mère étrangère (demandeuse du titre).

([202]) « Le faux commis dans une écriture publique ou authentique ou dans un enregistrement ordonné par lautorité publique est puni de dix ans demprisonnement et de 150 000 euros damende. »

([203]) Conformément à l’arrêt d’assemblée du Conseil d’État du 9 février 1990, Élections municipales de Lifou (n° 107400), lorsquun texte applicable à la Nouvelle-Calédonie ou à une collectivité doutre-mer régie par larticle 74 de la Constitution est modifié, cette modification ne sapplique que si le texte modificateur comporte une mention expresse dapplicabilité.

([204]) Avis du Conseil d’État sur le projet de loi, point n° 45.

([205]) Conseil constitutionnel, décision n° 79-109 DC du 9 janvier 1980, Loi relative à la prévention de limmigration clandestine et portant modification de lordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions dentrée et de séjour en France des étrangers et portant création de loffice national dimmigration, considérant n° 4.

([206]) Loi organique n° 2007‑223 et loi n° 2007-224 du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l’outre-mer.

([207]) Voir le commentaire des dispositions de l’article 40 du projet de loi.

([208]) Ordonnance n° 2000-371 du 26 avril 2000 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers dans les îles Wallis et Futuna ; ordonnance n° 2000‑372 du 26 avril 2000 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en Polynésie française ; ordonnance n° 2002-388 du 20 mars 2002 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en Nouvelle-Calédonie ; loi n° 71‑569 du 15 juillet 1971 relative au territoire des Terres australes et antarctiques françaises.