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                               ____         ____

        ASSEMBLÉE NATIONALE               SÉNAT

   CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958         SESSION ORDINAIRE DE 2017-2018

              QUINZIÈME LÉGISLATURE

_________________________________________              ___________________________________

       Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale                     Enregistré à la Présidence du Sénat

                                      le 12 avril 2018                                     le 12 avril 2018

 

 

___________

DÉLÉGATION PARLEMENTAIRE AU RENSEIGNEMENT

___________

 

RAPPORT


relatif à l’activité de la délégation parlementaire au renseignement pour l’année 2017

Par

M. Philippe BAS,

Sénateur

 

 

______________     ______________

Déposé sur le Bureau de l’Assemblée nationale

par Mme Yaël BRAUN-PIVET

 

Première vice-présidente de la Délégation.

.

Déposé sur le Bureau du Sénat

par M. Philippe BAS

 

Président de la Délégation.

 

 

                                    


 


- 1 -


  Sommaire

Sommaire

Liste des principales recommandations

chapitre I :  les activités de la délégation au cours de l’année ecoulée

Chapitre II :  l’évaluation et le contrôle parlementaires de la politique publique de renseignement

I. le contrôle parlementaire du renseignement en France : une fonction encore récente, des prérogatives progressivement renforcées

A. La composition de la délégation parlementaire au renseignement

B. La nature et le  périmètre du contrôle

1. Le contrôle parlementaire de l’action du Gouvernement en matière de renseignement et l’évaluation de la politique publique en ce domaine

2. Le champ des activités susceptibles de faire l’objet d’un contrôle

C. Des moyens accrus d’information de la délégation parlementaire au renseignement

1. Les documents communiqués à la DPR

2. Une extension de la liste des personnes susceptibles d’être entendues par la DPR

II. observations sur la mise en œuvre de la politique publique du renseignement et de son contrôle

A. La stratégie nationale du renseignement et le plan national d’orientation du renseignement

B. Le rapport annuel de synthèse des crédits consacrés au renseignement et Le rapport annuel d’activité et d’organisation des services de renseignement

1. Une présentation conforme aux vœux exprimés par la DPR et qui tend à s’améliorer

a) Une présentation de la politique publique du renseignement

b) Une présentation de l’activité des services

c) Une présentation des ressources consacrées au renseignement

d) Une présentation des coopérations au sein de la communauté du renseignement, entre la communauté du renseignement et son second cercle, et au-delà de la communauté du renseignement

2. Un rapport transmis tardivement pour permettre son exploitation optimale

C. Les autres documents transmis à la délégation

1. Les éléments d’appréciation relatifs à l’activité générale et à l’organisation des services spécialisés de renseignement et des services du second cercle

2. Les observations de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement

3. Les rapports de l’inspection des services de renseignement, des rapports des services d’inspection générale des ministères portant sur les services de renseignement qui relèvent de leur compétence

a) La communication de tout ou partie des rapports de l’inspection des services de renseignement

b) La communication de tout ou partie des rapports des services d’inspection générale des ministères portant sur les services de renseignement qui relèvent de leur compétence

III. Quel avenir pour le contrôle parlementaire du renseignement ?

A. le format et le fonctionnement de la délégation parlementaire au renseignement

B. Le Périmètre du contrôle exercé par la délégation

C. L’Étendue des prérogatives de la délégation

CHAPITRE III :  le renseignement d’intéret économique,  un enjeu de puissance

I. Le renseignement d’intérêt économique, un instrument en cours de rénovation

A. Un instrument récemment revalorisé pour faire face à l’intensification de la « prédation économique »

1. Des entreprises confrontées à des risques croissants de prédation

2. Un cadre légal et doctrinal du renseignement d’intérêt économique rénové

B. un cycle du renseignement economique qui pâtit de la désorganisation des structures administratives

1. Le dispositif de sécurité économique : un millefeuille administratif encore insuffisamment coordonné

a) Une coordination défaillante au niveau central

b) Un dispositif territorial en cours de structuration

2. Un dispositif fluctuant de promotion des intérêts économiques de la France

C. Un engagement des services sur le renseignement d’intérêt economique qui se heurte a plusieurs obstacles

1. Une augmentation et une structuration des moyens consacrés à la production du renseignement d’intérêt économique

a) La DGSE et la DGSI, principaux producteurs du renseignement d’intérêt économique

b) La DRSD, service de contre-ingérence du secteur de la défense

c) Une participation plus indirecte mais essentielle des autres services de renseignement

2. Une production du renseignement d’intérêt économique perfectible

a) Les services confrontés à un manque de hiérarchisation des demandes

b) Un recours encore contesté aux techniques de renseignement

II. Achever la refonte du renseignement d’intéret economique au benefice d’une politique economique ambitieuse

A. Définir, au plus haut niveau de l’etat, une doctrine claire en matière de renseignement économique

B. Rationaliser les structures administratives

1. Renforcer le pilotage interministériel du dispositif de sécurité économique

2. Assurer la pérennisation des structures de coordination en matière de promotion économique

C. Poursuivre l’effort budgétaire au soutien de la production du renseignement d’interet economique

D. Ameliorer la chaîne de traitement du renseignement d’intérêt économique

1. Identifier la chaîne de traitement du renseignement d’intérêt économique et diffuser une culture du renseignement au sein des administrations

2. Améliorer l’organisation de la réponse publique

Chapitre IV :  Rapport général de la commission de vérification des fonds spéciaux  sur l’exercice 2016

I. PRÉSENTATION GÉNÉRALE DES FONDS SPECIAUX EN 2016

A. Des crédits en diminution significative

B. Une évolution de la répartition des fonds spéciaux entre les services

C. Des dépenses en forte augmentation

D. Des résultats d’exercice dégradés

II. OBSERVATIONS COMMUNES À L’ENSEMBLE DES SERVICES

A. Sur l’exigence de sincérité du montant des dotations

B. Sur les procédures d’anonymisation

C. Sur le périmètre des fonds spéciaux

D. Sur la pertinence des pièces comptables

E. Sur la gestion des ressources humaines

F. Sur l’environnement de contrôle interne

III. MISE EN ŒUVRE DES RECOMMANDATIONS DE LA CVFS SUR L’EXERCICE 2015

IV. OBSERVATIONS SUR LES MODALITES D’EXERCICE ET LA NATURE DU CONTROLE DE LA CVFS

A. Observations sur le fonctionnement de la CVFS

B. Observations sur les moyens de contrôle

V. Recommandations générales émises par la CVFS

ANNEXE : reprise des recommandations de la dpr au  31 mars 2018


Liste des principales recommandations

 

Recommandations de la
délégation parlementaire au renseignement

 

Sur le contrôle parlementaire du renseignement :

Recommandation n° 1 : Actualiser la stratégie nationale du renseignement, afin de présenter publiquement le cadre d’évolution de la communauté du renseignement et des services qui la composent à un horizon de moyen terme. Ce document devrait être conçu comme un instrument de pilotage stratégique.

Recommandation n° 2 : Confier à l’inspection des services de renseignement une mission sur la mise au point d’indicateurs de performance des services spécialisés de renseignement.

Recommandation n° 3 : Transmettre le rapport annuel relatif à la politique publique du renseignement à la DPR au plus tard le 1er juillet de l’année n+1.

Recommandation n° 4 : Communiquer chaque année à la DPR une synthèse sur les crédits de l’année en cours tels qu’ils sont inscrits dans la loi de finances initiale et une synthèse sur les crédits inscrits dans le projet de loi de finances soumis à l’examen du Parlement.

Recommandation n° 5 : Transformer le poste de Secrétaire général de l’inspection des services de renseignement en un poste de chef de service, chargé de l’encadrement et du suivi des inspecteurs des services de renseignement.

Recommandation n° 6 : Réfléchir, à terme, à pérenniser l’inspection des services de renseignement afin d’en faire un service permanent doté d’un personnel dédié.

Recommandation n° 7 : Notifier systématiquement à la DPR la remise des rapports des inspections générales des ministères concernant un ou plusieurs service(s) de renseignement.

Recommandation n° 8 : Prévoir la nomination d’un rapporteur au sein de la délégation parlementaire au renseignement pour assurer la continuité de ses travaux et alléger la charge du Président.

 

Recommandation n° 9 : Etendre le périmètre du contrôle parlementaire à l’ensemble de l’activité des services de renseignement, en leur laissant la possibilité d’exercer un droit de réserve lorsque la communication d’une information est susceptible de porter atteinte à la sécurité nationale, aux rapports avec les services étrangers, au déroulement d’opérations en cours ou à la sécurité d’un agent ou d’une source.

Recommandation n° 10 : Permettre à la délégation parlementaire au renseignement de demander la communication de toute information utile à l’accomplissement de sa mission.

Sur le renseignement d’intérêt économique :

Proposition n° 11 : Réunir, sur une base semestrielle, un conseil de défense et de sécurité nationale consacré aux questions de sécurité économique.

Proposition n° 12 : Clarifier le rôle assigné au renseignement d’intérêt économique en appui de la politique économique, en adoptant, au plus haut niveau de l’Etat, une doctrine du renseignement économique.

Proposition n° 13 : Instaurer un comité interministériel, piloté par le cabinet du Premier ministre, pour renforcer la coordination des acteurs impliqués dans la politique publique de sécurité économique.

Proposition n° 14 : Impliquer les services déconcentrés de l’Etat dans le recensement des secteurs, technologies et entreprises stratégiques.

Proposition n° 15 : Mettre à jour la circulaire du Premier ministre du 17 septembre 2011 relative au dispositif d’intelligence économique territoriale.

Proposition n° 16 : Renforcer la coordination des administrations en matière de promotion économique *****.

Proposition n° 17 : Programmer un accroissement des ressources allouées, dans les services de renseignement, à la production du renseignement d’intérêt économique.

Proposition n° 18 : Inciter les ministères à désigner en leur sein des référents en matière de renseignement d’intérêt économique, habilités au secret de la défense nationale et qui seraient chargés d’un rôle d’interlocuteur avec les services de renseignement.

Proposition n° 19 : Lancer une réflexion pour améliorer la connaissance de la politique publique du renseignement au sein des administrations françaises.

Proposition n° 20 : Confier au comité interministériel de la sécurité économique, dont il est proposé la création, la responsabilité de définir des lignes directrices encadrant la réponse aux menaces économiques.

Proposition n° 21 : Mettre en place un contrôle et une évaluation des leviers d’action de l’Etat en matière de sécurité économique.

 

Liste des recommandations de la CVFS

 

Recommandation n° 1 (à destination du Premier ministre) : Inviter les services à définir plus précisément leur trésorerie immobilisée et gagée afin de fixer le montant de leur dotation en fonds spéciaux à un niveau correspondant à leur besoin réel. 

 

Recommandation n° 2 (à destination du Premier ministre) : Exclure les fonds spéciaux de l’assiette du calcul de la réserve de précaution du Programme 129.

 

Recommandation n° 3 (à destination du Premier ministre) : Informer les services sur l’échéancier des versements de leur dotation et sur leur montant précis.

 

Recommandation n° 4 (à destination des services) : Mieux définir les besoins des services en fonds spéciaux afin d’éviter des réintégrations trop importantes de crédits  non consommés d’un exercice sur l’autre.

 

Recommandation n° 5 (à destination des services) : *****

 

Recommandation n° 6 (à destination du CNRLT) : Définir un cadre commun sur la définition et la mise en œuvre de règles minimales de démarquage communes à l’ensemble des services.

 

Recommandation n° 7 (à destination du CNRLT) : Constituer un groupe de travail sur les possibilités de démarquages existantes dans le logiciel CHORUS.

 

Recommandation n° 8 (à destination des services) : Achever l’analyse globale sur le transfert d’une partie des fonds spéciaux vers les fonds normaux et transmettre à la CVFS un calendrier de la mise en œuvre de ce transfert.

 

Recommandation n° 9 (à destination du Premier ministre) : Augmenter la dotation en fonds normaux à due proportion des montants transférés des fonds spéciaux.  

 

Recommandation n° 10 (à destination des services) : Assouplir l’exigence de production de pièces justificatives pour les menues dépenses dont le montant est laissé à l’appréciation des services.

 

Recommandation n° 11 (à destination du CNRLT) : Constituer un groupe de travail sur les modalités de conservation et d’archivage des comptabilités en fonds spéciaux, incluant le sujet de la dématérialisation, afin d’homogénéiser des pratiques actuellement très différentes d’un service à l’autre.

 

Recommandation n° 12 (à destination des services) : Afin de garantir la sécurité des agents, privilégier autant que possible les modes de paiement alternatifs au transport d’espèces.

 

Recommandation n° 13 (à destination des services) : Renforcer et formaliser les environnements de contrôle interne – en particulier dans les services bénéficiant d’une augmentation significative de leur dotation en fonds spéciaux – et établir à l’attention de la CVFS une synthèse documentée sur les contrôles mis en œuvre et leurs résultats.

 

Recommandation n° 14 (à destination du CNRLT) : Confier à l’inspection des services de renseignement (ISR) une mission relative à l’effectivité du dispositif de contrôle interne applicable aux règles de gestion des fonds spéciaux et, plus généralement, développer les interventions de l’ISR sur les fonds spéciaux.

 

Recommandation n° 15 (à destination de la CVFS) : Allonger la durée de la présidence de la CVFS pour favoriser une approche pluriannuelle de son contrôle.

 

Recommandation n° 16 (à destination des présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat) : Engager une réflexion sur un renforcement des moyens de contrôle et des ressources humaines mis à la disposition de la CVFS en termes d’expertise et de connaissance des services spécialisés de renseignement.

 

Recommandation n° 17 (à destination du législateur) : Prévoir une ligne budgétaire autonome au sein des budgets des assemblées parlementaires afin de pouvoir rembourser l’exécutif des frais de fonctionnement et de mission engendrés par la CVFS et actuellement payés sur fonds spéciaux.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Mesdames, Messieurs,

 

L’année 2017 aura, comme les précédentes, été marquée par une focalisation de la politique publique de renseignement sur la lutte contre le terrorisme. La menace sur notre territoire, combinée à son évolution de nature – la menace terroriste étant désormais devenue autant endogène qu’exogène – exige en effet un engagement renforcé de l’appareil d’État au profit de la protection de nos concitoyens.

Cet investissement, aussi nécessaire et légitime qu’il soit, ne doit toutefois pas occulter l’existence d’autres menaces qui pèsent fortement sur les intérêts majeurs de la Nation et sur lesquels l’ensemble des services de renseignement de notre pays doivent être mobilisés.

Aussi la délégation parlementaire au renseignement, chargée, au titre de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, d’exercer le contrôle parlementaire de l’action du Gouvernement en matière de renseignement et d’évaluer la politique publique en ce domaine, a-t-elle décidé de concentrer ses travaux, en 2017, sur le renseignement d’intérêt économique, qui constitue l’une des sept finalités de la politique publique de renseignement définies par l’article L. 811-3 du code de la sécurité intérieure.

Dans un contexte de compétition mondiale accrue et face à l’émergence de nouvelles menaces et de nouvelles formes d’ingérence pour nos entreprises, la maîtrise de l’information est plus que jamais un facteur essentiel de la défense des intérêts économiques majeurs de notre Nation. Tandis que d’autres pays engagent pleinement leur appareil d’État, y compris leurs services de renseignement, en soutien d’une politique économique nationale ambitieuse, parfois même agressive, la France a, pendant de nombreuses années, tardé à investir ce champ pourtant essentiel à la défense de son statut de puissance.

Face à ce constat, déjà dressé, en 2014, par notre ancien collègue Jean-Jacques Urvoas, la délégation parlementaire au renseignement a estimé souhaitable de conduire une évaluation approfondie des dispositifs existants en matière de production et de traitement du renseignement d’intérêt économique, ainsi que des réformes accomplies par l’exécutif au cours des dernières années.

Elle a, à cet effet, mené un travail d’information. Elle a ainsi organisé, au cours des derniers mois, 23 auditions. Ont été entendus aussi bien des membres de la communauté du renseignement que d’autres acteurs, publics et privés, participant, directement ou indirectement, au cycle du renseignement d’intérêt économique. La délégation s’est par ailleurs déplacée à la Direction générale de la sécurité extérieure et à la Direction générale de la sécurité intérieure.

Compte tenu des échéances électorales de l’année 2017 qui ont concerné, tour à tour, l’Assemblée nationale puis le Sénat, la délégation n’a toutefois été définitivement reconstituée qu’à l’automne, ne lui laissant que quelques mois de travaux. Eu égard à l’ampleur de la thématique choisie, elle a donc estimé préférable de ne présenter, à ce stade, qu’un premier bilan de ses conclusions et de poursuivre au cours des prochains mois son travail de contrôle et d’évaluation sur le sujet.

Soucieuse d’assurer la continuité de ses travaux dans le temps, la délégation a, en parallèle, poursuivi son travail de suivi et d’appréciation de la mise en œuvre des recommandations qu’elle avait formulées dans le cadre de ses précédents rapports.

Enfin, à la veille de son dixième anniversaire, la délégation a jugé pertinent de dresser un bilan de son fonctionnement et d’engager, en s’appuyant notamment sur une comparaison avec les modèles mis en place dans d’autres démocraties, une réflexion sur le périmètre et les modalités d’exercice du contrôle parlementaire de la politique publique de renseignement dans notre pays.

Le renforcement des services de renseignement engagé au cours des dernières années dans un contexte de menace terroriste aigüe et persistante ne saurait se concevoir sans l’existence d’un contrôle démocratique efficient de leur activité. Il importe que la délégation puisse disposer de l’ensemble des outils nécessaires à l’exercice d’un contrôle plein et entier si elle souhaite utilement éclairer les pouvoirs publics, notamment le Président de la République, le Premier ministre et les présidents des assemblées parlementaires, auxquels est destiné ce rapport, sur l’action des services de renseignement et, plus largement, sur la mise en œuvre de la politique publique du renseignement.

Ces réflexions, qui concernent aussi bien le périmètre du contrôle exercé par la délégation, les prérogatives dont elle dispose que son fonctionnement interne, ont été inspirées tant par un souci démocratique que par le souhait de contribuer à renforcer l’efficacité de notre appareil de renseignement, soumis, depuis quelques années, à des pressions toujours plus importantes.

La synthèse des travaux de la délégation figure dans le présent rapport. Ce dernier s’articule selon les axes suivants :

-               le bilan d’activité de la délégation en 2017 (I) ;

-               les observations de la délégation sur la mise en œuvre de la politique publique du renseignement et de son contrôle ainsi que des propositions d’évolution du contrôle parlementaire du renseignement (II) ;

-               les premiers constats et recommandations de la délégation sur la thématique du renseignement d’intérêt économique (III) ;

-               la présentation des travaux de la Commission de vérification des fonds spéciaux (CVFS), établie par son président, M. Loïc Kervran, député, et portant sur l’exercice budgétaire 2016 (IV).

 

*

Nonobstant son souci de répondre aux légitimes attentes de transparence des citoyens, les membres de la DPR ont également conscience que certaines informations portées à leur connaissance doivent être soustraites à la curiosité de nos rivaux comme de nos adversaires. C’est pour parvenir à concilier ces deux impératifs antagonistes qu’il a été décidé de masquer quelques passages sensibles au moyen d’un signe typographique (*****), invariable quelle que soit l’ampleur des informations rendues ainsi illisibles.

Employé par le parlement britannique, ce procédé permet une synthèse entre des logiques ambivalentes. Nos concitoyens pourront ainsi apprécier le raisonnement déployé, sa cohérence, ses principales conclusions, tandis que certains détails resteront protégés sans que l’on puisse critiquer la vacuité du propos ou un « caviardage » excessif.

*

Réunie le jeudi 12 avril 2018 sous la présidence de M. Philippe Bas, Président, la délégation parlementaire au renseignement a adopté le présent rapport relatif à son activité pour l’année 2017.


 

chapitre I :
les activités de la délégation au cours de l’année ecoulée

 

À la suite des élections législatives de juin 2017, la composition de la délégation parlementaire au renseignement (DPR) était la suivante :

M. Philippe Bas, sénateur Les Républicains, président de la délégation, président de la commission des lois,

M. Christian Cambon, sénateur Les Républicains, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées,

M. Michel Boutant, sénateur Socialiste et républicain, vice‑président de la délégation, désigné par le président du Sénat,

M. François-Noël Buffet, sénateur Les Républicains, désigné par le président du Sénat ;

Mme Yaël Braun-Pivet, députée La République en Marche, première vice-présidente de la délégation, présidente de la commission des lois,

M. Jean-Jacques Bridey, député La République en Marche, président de la commission de la défense nationale et des forces armées,

M. Loïc Kervran, député La République en Marche, désigné par le président de l’Assemblée nationale,

M. Patrice Verchère, député Les Républicains, désigné par le président de l’Assemblée nationale.

 

La délégation a été reconduite dans la même composition après les élections sénatoriales de septembre 2017.

Eu égard au calendrier électoral – élections présidentielle et législatives d’une part, et élections sénatoriales d’autre part –, la délégation a conduit l’essentiel de ses travaux au cours du dernier trimestre de l’année 2017 et du premier trimestre de l’année 2018. Elle s’est réunie à onze reprises.

Outre deux réunions de travail dédiées à son organisation interne, la délégation a procédé à de nombreuses auditions consacrées à la thématique du renseignement d’intérêt économique.

En début d’année 2018 (réunion du 15 février), elle a également entendu le rapport du président de la commission de vérification des fonds spéciaux (CVFS) sur les comptes de l’exercice 2016.

Enfin, le président de la délégation a participé :

- à la formation des stagiaires de l’Académie du renseignement au cours d’une session organisée au Sénat le 15 novembre 2017 ;

- à un colloque, au titre des activités internationales de la DPR, organisé le 6 avril 2018 à l’initiative de la section du rapport et des études du Conseil d’État et de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), sur le thème du renseignement et de son contrôle, en présence, notamment, de M. Gilles de Kerchove, coordinateur de l’Union européenne pour la lutte contre le terrorisme, de M. Armin Schuster, président du Parlamentarisches Kontrollgremium (PKgr, Allemagne), de Sir David Bruce Omand, ancien coordonnateur du Governement Communications Headquarters (GCHQ, Royaume-Uni), de M. Guy Rapaille, président du Comité permanent R (Belgique), et de M. Harm Brouwer, président du Review Committee on the Intelligence and Security Services (CTIVD, Pays-Bas).

 

Calendrier des réunions de la délégation parlementaire au renseignement
de juillet 2017 à avril 2018

 

Réunion de travail du 12 juillet 2017

 

Réunion du 12 octobre 2017 :

- audition du préfet Pierre de Bousquet de Florian, coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme et de Mme Agnès Delétang, conseillère juridique ;

- audition de M. Alain Juillet, président du club des directeurs de sécurité des entreprises ;

- audition de M. Jean-Baptiste Carpentier, commissaire à l’information stratégique et à la sécurité économiques (CISSE) au ministère de l’économie et des finances ;

- table ronde sur l’intelligence économique avec M. Christian Harbulot, directeur de l’école de guerre économique, M. Nicolas Moinet, professeur des universités à l’institut d’administration des entreprises de Poitiers et M. Laurent Hassid, directeur général d’Intelleco.

 


Réunion du 9 novembre 2017 :

- audition commune de M. Louis Gautier, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), et de M. Guillaume Poupard, directeur général de l'agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI) ;

- audition de M. Philippe Caduc, président-directeur général de l’Agence pour la diffusion de l'information technologique (ADIT) ;

- audition commune de M. Jean-Claude Mallet, conseiller spécial du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, et de Mme Caroline Malausséna, directrice des entreprises, de l’économie internationale et de la promotion du tourisme au ministère de l’Europe et des affaires étrangères.

 

Réunion du 30 novembre 2017 :

- audition de M. Bertrand Le Meur, chef du service des affaires industrielles et de l’intelligence économique à la direction générale de l'armement du ministère des armées ;

- audition de M. Mario Pain, haut fonctionnaire de défense et de sécurité adjoint et chef du service de défense, de sécurité et d'intelligence économique (SDSIE) du secrétariat général des ministères de la transition écologique et solidaire et de la cohésion des territoires ;

- audition commune de M. Bertrand de Turckheim, co-fondateur du groupe Axis et gérant d'Axis Helvetia, et de M. Jean-Renaud Fayol, co-fondateur et dirigeant du groupe Axis ;

- audition de M. Louis Caprioli, conseiller du président du directoire du groupe Geos.

 

Réunion du 21 décembre 2017 :

- audition de M. Hugues Bricq, chef du service central du renseignement territorial (SCRT) à la direction générale de la police nationale ;

- audition commune de M. Bertrand Deroubaix, directeur des affaires publiques du groupe Total, et de M. Emmanuel de Guillebon, directeur de l’intelligence économique du groupe Total ;

- audition de M. Philippe Coq, secrétaire permanent des affaires publiques d’Airbus ;

- audition du général Jean-Marc Cesari, sous-directeur de l'anticipation opérationnelle (SDAO) à la direction générale de la gendarmerie nationale.

 

Réunion du 25 janvier 2018 :

- audition de M. Thomas Courbe, directeur général adjoint du Trésor ;

- audition de M. Bruno Dalles, directeur de Tracfin ;

- audition du général Jean-François Hogard, directeur du renseignement et de la sécurité de la Défense (DRSD) ;

- audition de M. Francis Delon, président de la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR).

 

 

Réunion du 15 février 2018 :

- audition du préfet Pierre de Bousquet de Florian, coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme et de Mme Agnès Deletang, conseillère juridique ;

- audition de Mme Corinne Cléostrate, directrice de la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) ;

- présentation du rapport de la CVFS sur les comptes de l’exercice 2016.

 

Déplacement au siège de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) du 21 février 2018 :

- audition du directeur général, M. Laurent Nuñez, et de plusieurs cadres de son service.

 

Déplacement au siège de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) du 6 mars 2018 :

- audition du directeur général, M. Bernard Émié, et de plusieurs cadres de son service.

 

Réunion du 8 mars 2018 :

- audition du préfet Stéphane Bouillon, préfet de la région Auvergne-Rhône-Alpes ;

- audition commune de M. Benoît Ribadeau-Dumas, directeur de cabinet du Premier ministre, et de M. Pascal Faure, directeur général des entreprises au ministère de l'économie et des finances.

 

Réunion de travail du 12 avril 2018

 


 

Chapitre II :
l’évaluation et le contrôle parlementaires de la politique publique de renseignement

 

La mise en œuvre d’un contrôle parlementaire du renseignement en France est relativement récente par rapport à d’autres grandes démocraties.

Alors que les premiers organes parlementaires dédiés au contrôle de la politique publique du renseignement ont été mis en place dès le début des années 1950 aux Pays-Bas et en Allemagne, la délégation parlementaire au renseignement n’a été créée, en France, qu’en 2007, par la loi n° 2007-1443 du 9 octobre 2007 portant création d’une délégation parlementaire au renseignement.

L’évaluation de la politique publique de renseignement fait partie, depuis la loi de programmation militaire (LPM) pour les années 2014 à 2019, des missions de la délégation parlementaire au renseignement (DPR).

 

I.  le contrôle parlementaire du renseignement en France : une fonction encore récente, des prérogatives progressivement renforcées

A.  La composition de la délégation parlementaire au renseignement

Fixée par l’article 6 nonies de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, la composition de la délégation n’a, à ce jour, pas connu de changement depuis sa création.

Commune à l’Assemblée nationale et au Sénat, la délégation comprend huit membres, dont quatre députés et quatre sénateurs. Les présidents des commissions en charge de la sécurité intérieure et de la défense de chacune des deux assemblées sont membres de droit. Les quatre autres membres, deux députés et deux sénateurs, sont désignés par les présidents de chaque assemblée de manière à assurer une représentation pluraliste. Il est enfin prévu que la présidence de la délégation soit assurée, alternativement, pour une durée d’un an, par un député et un sénateur membre de droit.

Plusieurs arguments ont présidé au choix de ce système.

L’idée d’une délégation unique, commune aux deux assemblées, a été guidée à l’origine par le souci de « favoriser la construction d’une relation de confiance avec les services de renseignement qui n’auront qu’un seul interlocuteur »[1]. Par ailleurs, le nombre relativement restreint de membres se justifiait par le souci de « professionnaliser la délégation afin, d’une part, de renforcer son efficacité et, d’autre part, de garantir le secret des travaux ». Enfin, la désignation, en tant que membres de droit de la délégation, des présidents des commissions des lois et des commissions en charge de la défense des deux assemblées visait à « éviter toute concurrence entre la délégation et cellesci ».

B.  La nature et le  périmètre du contrôle

Si le format de la délégation n’a pas évolué depuis 2007, le périmètre de son contrôle, de même que ses prérogatives, ont été singulièrement renforcés par la loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationales.

1.  Le contrôle parlementaire de l’action du Gouvernement en matière de renseignement et l’évaluation de la politique publique en ce domaine

Initialement, le rôle de la délégation se limitait à « suivre l’activité générale et (des) moyens des services spécialisés à cet effet placés sous l’autorité des ministres chargés de la sécurité intérieure, de la défense, de l’économie et du budget » . Comme le relevait le rapport de la commission des lois du Sénat précité, la délégation n’était « pas placée dans une position de contrôle mais plutôt de simple suivi des services de renseignement ». Par ailleurs, le champ de son activité ne portait pas sur l’ensemble de l’activité de renseignement, mais uniquement sur certains services de renseignement.

Depuis 2013, le rôle de la délégation a été étendu de manière significative : en vertu de l’article 6 nonies de l’ordonnance du 17 novembre 1958, « elle exerce le contrôle parlementaire de l’action du Gouvernement en matière de renseignement et évalue la politique publique en ce domaine ». Outre la consécration d’une véritable mission de contrôle et d’évaluation, le périmètre de la délégation a donc été étendu à l’ensemble de l’action publique en matière de renseignement.

Si la loi de programmation militaire pour 2014-2019 avait consacré, pour la première fois au niveau législatif, la notion de politique publique de renseignement, elle n’en avait pas donné de contenu. Avec la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement, la France s’est dotée d’un cadre juridique clair et unifié en matière de renseignement. Elle a, pour la première fois, donné une définition à la politique publique de renseignement et renforcé sensiblement les moyens d’information de la délégation.

L’article  L. 811-1 du code de la sécurité intérieure dispose ainsi que « la politique publique de renseignement concourt à la stratégie de sécurité nationale ainsi qu’à la défense et à la promotion des intérêts fondamentaux de la Nation ». Cet article fait référence à deux notions bien définies par ailleurs par le législateur : celle de « stratégie de sécurité nationale », définie à l’article L. 1111‑1 du code de la défense et celle « d’intérêts fondamentaux de la Nation », définie à l’article 410-1 du code pénal.

Article L. 1111-1 du code de la défense (extraits) : « La stratégie de sécurité nationale a pour objet d’identifier l’ensemble des menaces et des risques susceptibles d’affecter la vie de la Nation, notamment en ce qui concerne la protection de la population, l’intégrité du territoire et la permanence des institutions de la République, et de déterminer les réponses que les pouvoirs publics doivent y apporter. »

Article 410-1 du code pénal : « Les intérêts fondamentaux de la Nation s’entendent au sens du présent titre de son indépendance, de l’intégrité de son territoire, de sa sécurité, de la forme républicaine de ses institutions, des moyens de sa défense et de sa diplomatie, de la sauvegarde de sa population en France et à l’étranger, de l’équilibre de son milieu naturel et de son environnement et des éléments essentiels de son potentiel scientifique et économique et de son patrimoine culturel. »

Il a été précisé, dans ce même article L. 811-1 que cette politique publique relève « de la compétence exclusive de l’État. »

L’article L. 811-2 définit pour sa part les missions assignées aux services spécialisés de renseignement, jusqu’ici éparpillées dans les différents décrets constitutifs de ces administrations. Ceux-ci ont ainsi pour missions « en France et à l’étranger, la recherche, la collecte, l’exploitation et  la mise à disposition du Gouvernement des renseignements relatifs aux enjeux géopolitiques et stratégiques ainsi qu’aux menaces et aux risques susceptibles d’affecter la vie de la Nation. Ils contribuent à la connaissance et à l’anticipation de ces enjeux ainsi qu’à la prévention et à l’entrave de ces risques et de ces menaces. Ils agissent dans le respect de la loi, sous l’autorité du Gouvernement et conformément aux orientations déterminées par le Conseil national du renseignement. »

Grâce aux précisions de la loi du 24 juillet 2015, la politique publique du renseignement dispose désormais d’un contenu et les services spécialisés d’une mission fixés par le législateur.

2.  Le champ des activités susceptibles de faire l’objet d’un contrôle

Par ailleurs, le champ des activités susceptibles de faire l’objet d’un contrôle a également connu une légère extension. Lors sa création en 2007 avaient été exclus les activités opérationnelles des services ainsi que les échanges avec des services de renseignement étrangers ou des organismes internationaux compétents en matière de renseignement. L’intervention de la délégation se limitait donc au suivi de l’activité générale des services mais ne pouvait porter sur les opérations qu’ils menaient.

La loi de programmation militaire de 2013 est revenue sur ce point, en permettant à la DPR de connaître des activités opérationnelles achevées. Les opérations en cours, les procédures et méthodes opérationnelles ainsi que les échanges avec des services étrangers demeurent toutefois exclus de son périmètre.

C.  Des moyens accrus d’information de la délégation parlementaire au renseignement

Les moyens d’information de la délégation parlementaire au renseignement avaient été élargis une première fois par rapport au texte initial de 2007 par la loi de programmation militaire pour 2014-2019 pour lui permettre d’exercer au mieux sa mission nouvelle de contrôle et d’évaluation.

Ils l’ont été à nouveau à trois reprises, mais de manière moins importante, par la loi du 24 juillet 2015 sur le renseignement, par la loi n° 2015-1556 du 30 novembre 2015 relative aux mesures de surveillance des communications électroniques internationales et par la loi n°2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme. Le Parlement s’est montré attentif à accompagner les évolutions de la législation des moyens pour la délégation de disposer des éléments nécessaires pour en suivre la mise en œuvre.

1.  Les documents communiqués à la DPR

Le I de l’article 6 nonies de l’ordonnance du 17 novembre 1958 établit la liste des documents qui  doivent être communiqués à la DPR:

 « 1° la stratégie nationale du renseignement » : il s’agit d’un document public qui fixe, pour un horizon de cinq ans, les grands axes de la politique du Gouvernement en matière de renseignement ;

 « 2° des éléments d’informations issus du plan national d’orientation du renseignement » (PNOR). Le PNOR est la déclinaison annuelle de la stratégie nationale, à destination des services. Il s’agit donc d’un document à vocation opérationnelle, couvert par le secret de la défense nationale ;

 « 3° un rapport annuel de synthèse exhaustif des crédits consacrés au renseignement et le rapport annuel d’activité des services spécialisés de renseignement et des services autorisés par le décret en Conseil d’État mentionnée à l’article L. 811-4  du code de la sécurité intérieure à recourir aux techniques de renseignement prévues par la loi, concernant leurs activités de renseignement » ;

 « 4° des éléments d’appréciation relatifs à l’activité générale et à l’organisation des services spécialisés de renseignement et des services autorisés par le décret en Conseil d’État mentionnée à l’article L. 811-4  du code de la sécurité intérieure à recourir aux techniques de renseignement prévues par la loi, concernant leurs activités de renseignement » ;

 «  les observations que la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement adresse au Premier ministre […] ainsi qu’une présentation, par technique et par finalité, des éléments statistiques » figurant dans son rapport d’activité. Si de nombreuses informations sont déjà comprises dans le rapport public de cette commission, le Gouvernement n’avait pas souhaité que la présentation par technique et par finalité soit rendue publique. Il était en revanche légitime que la DPR soit destinataire de ce type d’informations ;

 Enfin, la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme a inséré un 6° à l’article 6 nonies de l’ordonnance pour prévoir la communication à la délégation des « observations que la CNCTR adresse au Premier ministre en application de l’article 855-1 du code de la sécurité intérieure » relatif aux mesures de surveillance de certaines communication hertzienne.

En outre, la DPR peut solliciter du Premier ministre la communication de tout ou partie des rapports de l’inspection des services de renseignement ainsi que des rapports des services d’inspection générale des ministères portant sur les services de renseignement qui relèvent de leur compétence.

Enfin, la loi relative au renseignement a également donné la possibilité pour la délégation de saisir la CNCTR (article L. 833-11 du code de la sécurité intérieure).

Pour autant, les documents, informations et éléments d’appréciation communiqués à la DPR ne peuvent porter,  en application du dernier alinéa du I de l’article 6 nonies, ni sur les opérations en cours de ces services, ni sur les instructions données par les pouvoirs publics à cet égard, ni sur les procédures et méthodes opérationnelles, ni sur les échanges avec les services étrangers ou avec des organismes internationaux compétents dans le domaine du renseignement.

2.  Une extension de la liste des personnes susceptibles d’être entendues par la DPR

La liste des personnes pouvant être entendues par la délégation, déjà enrichie par la loi de programmation militaire pour 2014-2019, a été complétée par la loi du 24 juillet 2015. Peuvent désormais être auditionnés, outre les directeurs des services spécialisés de renseignement, éventuellement accompagnés des collaborateurs de leurs choix « toute personne placée auprès de ces directeurs et occupant un emploi pourvu en conseil des ministres ». Il s’agit de la mise en œuvre d’une proposition formulée par la délégation parlementaire au renseignement dans son rapport d’activité 2014.

Cette disposition permet de recevoir les cadres de ces services, sans que le ministre ou le directeur du service ne puissent s’y opposer. Un nombre assez large de personnes est en réalité concerné : les officiers généraux occupant des fonctions de sous-directeurs au sein de certains services de renseignement et les emplois traditionnellement pourvus en conseil des ministres.

Ceci intègre naturellement les directeurs des services du « second cercle ».

La loi du 24 juillet 2015 a également prévu la possibilité pour la délégation parlementaire au renseignement d’entendre chaque semestre le Premier ministre sur son application ainsi que les personnes spécialement déléguées par lui pour délivrer les autorisations de mise en œuvre des techniques de renseignement mentionnées par la loi.

Celle-ci peut également inviter le président de la CNCTR à lui présenter le rapport d'activité de la commission, tout comme le président de la Commission consultative du secret de la défense nationale.

 

II.  observations sur la mise en œuvre de la politique publique du renseignement et de son contrôle

A.  La stratégie nationale du renseignement et le plan national d’orientation du renseignement

La stratégie nationale du renseignement a été communiquée à la délégation parlementaire au renseignement en octobre 2014 et est depuis consultable sur le site Internet de l’Académie du renseignement.

Elle définit la politique du renseignement pour les cinq ans à venir et est publiée « pour mieux faire connaître à nos concitoyens le rôle essentiel que jouent les services dédiés à cette mission, dans la défense et la promotion de nos intérêts fondamentaux » peut-on y lire.

Cinq menaces majeures y sont identifiées :

- le terrorisme, « menace permanente, évolutive et diffuse » : « les services de renseignement sont chargés de détecter les individus ou groupes à risques et d’empêcher le passage à l’acte » ;

- l’espionnage, « atteinte à notre souveraineté et à notre indépendance » : « les services exercent une surveillance constante de ces activités d’espionnage et les entravent lorsqu’elles sont détectées […] L’enjeu est la sauvegarde de notre indépendance scientifique, technologique et économique et la préservation de l’emploi » ;

- « la prolifération des armes de destruction massive, une menace permanente contre la paix » : il s’agit là de la « collecte d’informations à travers le monde » ainsi que le suivi des « flux d’armement à travers le monde » ;

- « le cyber, un espace anonyme et ouvert propice à toutes les agressions » : « les services de renseignement se mobilisent afin d’être en mesure d’identifier les agresseurs existants ou potentiels, d’évaluer leurs capacités et leurs intentions à court, moyen et long terme » ;

- « la criminalité internationale, un fléau qui menace la cohésion des États » : « les services contribuent à la surveillance et au démantèlement de ces réseaux criminels […] La surveillance des routes de la drogue et des réseaux criminels mafieux très structurés originaires d’Europe centrale et du Caucase constitue une priorité ».

La stratégie nationale rappelle enfin que « le renseignement extérieur est un instrument de promotion et de défense des intérêts de la France dans le monde ». Elle précise notamment que « les zones de crise ou celles dans lesquelles la France a des intérêts stratégiques sont prioritaires » et qu’une « attention particulière est accordée à la protection de nos approvisionnements stratégiques en ressources et matières premières ».

Telle qu’elle est rédigée, la stratégie nationale du renseignement est donc une déclinaison, à destination des services de renseignement, des priorités fixées par le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013.

La délégation constate qu’elle n’a pas fait l’objet d’une actualisation récente alors que le rapport annexé de la loi de programmation militaire adoptée en décembre 2013 a fait l’objet d’une actualisation sensible dans la loi n° 2015‑917 du 28 juillet 2015 et que parallèlement en 2015 était publiée les lois du 24 juillet et du 30 novembre 2015 relatives respectivement au renseignement et à la surveillance des communications électroniques  internationales et qu’enfin le plan national d’orientation du renseignement a fait l’objet d’une refonte complète en 2017.

Recommandation n° 1 : Actualiser la stratégie nationale du renseignement, afin de présenter publiquement le cadre d’évolution de la communauté du renseignement et des services qui la composent à un horizon de moyen terme. Ce document devrait être conçu comme un instrument de pilotage stratégique.

 

Le plan national d’orientation du renseignement (PNOR) est un document opérationnel destiné aux services de renseignement auxquels il fixe des axes d’effort assortis de priorités. Faisant suite à deux premières versions adoptées en 2010 et 2012, le plan couvrant la période 2014-2019 a été présenté pour la première fois à la DPR le 27 novembre 2014.

Le PNOR est protégé par le secret de la défense nationale. Dans la mesure où il définit les principales instructions données par les pouvoirs publics aux services de renseignement, il n’est pas communiqué in extenso à la DPR. La délégation est cependant informée des principaux éléments qu’il comporte, à l’exclusion de ceux dont elle n’aurait pas à connaître en application du dernier alinéa du I de l’article 6 nonies de l’ordonnance du 17 novembre 1958 (cf. supra).

Ayant vocation à servir de référence pour l’évaluation de la politique de renseignement conduite par le Gouvernement, le contenu du PNOR a guidé l’établissement des indicateurs de performance présentés dans le cadre du rapport d’activité des services de renseignement.

Le PNOR a fait l’objet d’une profonde refonte en 2016, à laquelle ont été associé pour la première fois, au-delà des ministères régaliens, l’ensemble des ministères destinataires de la production des services de renseignement. Il été adopté par le conseil national du renseignement le 1er mars 2017.

Le dernier plan national d’orientation du renseignement décline, sur une base pluriannuelle, les orientations de la stratégie nationale du renseignement et fixe des priorités assignées aux services de renseignement. Il a fait l’objet, dans ses grandes lignes, d’une présentation à la DPR, par le coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme, le 15 février 2018. *****

B.  Le rapport annuel de synthèse des crédits consacrés au renseignement et Le rapport annuel d’activité et d’organisation des services de renseignement

Deux rapports de synthèse des crédits ont été transmis à la DPR, en septembre 2014 pour l’exercice 2013 et en septembre 2015 pour l’exercice 2014.

Depuis 2016, la DPR est destinataire d’un « rapport annuel de la coordination nationale du renseignement » qui regroupe  les deux documents.

1.  Une présentation conforme aux vœux exprimés par la DPR et qui tend à s’améliorer

Cette présentation est conforme aux vœux exprimés par la DPR dans son rapport pour 2015. Il s’agit là d’une avancée très importante qui doit permettre à l’ensemble des décideurs, et notamment au Parlement, d’avoir une vision approfondie des caractéristiques de la politique publique du renseignement et de l’activité des services au titre de l’année écoulée.

Le rapport comprend quatre parties.

a)  Une présentation de la politique publique du renseignement

Cette partie aborde les questions de gouvernance, d’organisation des services et d’appui à la politique publique du renseignement. Très exhaustive, dans le premier rapport pour 2015 (54 pages), cette partie constitue un document de référence qui fait l’objet d’une actualisation dans le rapport pour 2016 mettant en évidence les évolutions intervenues (22 pages), ce qui est satisfaisant, les parties descriptives étant renvoyée en annexe.

b)  Une présentation de l’activité des services

D’un volume identique dans les deux rapports (25 pages environ), cette partie est consacrée à la présentation des trois finalités de l’activité des services de renseignement : l’aide à la décision, la prévention et la réduction des vulnérabilités, l’entrave et la neutralisation des menaces. Les activités sont décrites à l’aide de tableaux et de graphiques présentant des statistiques quantitatives et des indicateurs montrant la correspondance de la production des services aux axes stratégiques et aux priorités définies par le PNOR.

c)  Une présentation des ressources consacrées au renseignement

Cette partie constitue le rapport annuel de synthèse des crédits d’une trentaine de pages qui comprend une analyse des ressources budgétaires allouées aux services de renseignement en fonds normaux comme en fonds spéciaux.

Cette concaténation de données est un document essentiel car la présentation budgétaire en loi de finances est éclatée entre les missions et les programmes, voire les unités opérationnelles, ce qui rend impossible de mesurer simplement l’effort de la Nation au profit de la politique publique du renseignement, de l’ordre de 2 à 3 Mds d’euros par an.

Le rapport pour 2016 permet de constater que les crédits généraux exécutés de 2014 à 2016 ont progressé de 12,6 %, traduisant une véritable impulsion notamment dans le cadre de la lutte anti-terroriste, et que la part des crédits consacrés au renseignement exécutée par les services (spécialisés ou non) se maintient à un niveau supérieur à 74 %, ce qui témoignent de l’orientation opérationnelle des dépenses. De 2014 à 2016, tous les titres connaissent une progression. La part des crédits de paiement finançant les dépenses de personnels (titre 2) s’établit aux alentours de 55 %, ce qui traduit l’importance des recrutements  décidés en 2015 à la suite des attentats de 2015 tandis que les dépenses d’investissement se sont établies à leur niveau le plus haut depuis 2014, soit 32,7 %, ce qui peut traduire l’effort réalisé en faveur du renseignement technique ainsi que, probablement, un effet du cycle des investissements.

S’agissant des ressources humaines, le rapport met en évidence une progression soutenue de 12,7 % du nombre d’agents contribuant à la politique publique du renseignement, qui est passé de 15 259 postes en 2013 à 17 199 en 2016. Cet effort s’est traduit par la création de 1 248 dans les services spécialisés (+ 10,6 %), dont la moitié au sein de la DGSI, et de 678 postes au sein des services dits du second cercle (+ 20,78 %), ce qui illustre la priorité donnée aux services du renseignement intérieur et la prégnance des décisions prises en matière de lutte contre le terrorisme.

Au sein de cette population, on observe une grande stabilité, avec une légère augmentation des personnels contractuels et des personnels de catégorie A et A+, les véritables inflexions ne pouvant être mesurées que sur une période plus longue.

Le rapport comporte également des informations intéressantes sur le turn over et sur la mobilité interservices, qui reste extrêmement limitée alors qu’elle pourrait constituer progressivement un atout en matière de coordination des services et de fidélisation des compétences rares, tout en offrant des possibilités de développement de carrière.

Il dresse un focus sur la mise en œuvre des différents plans de renforcement des effectifs qui se sont multipliés entre 2014 et 2016. La DPR note que les objectifs très ambitieux tendent à être de moins en moins tenus en raison des tensions que le recrutement des services fait peser sur le vivier des candidats qualifiés ainsi qu’à des difficultés que rencontrent certains services dans le recrutement d’agents contractuels. On estime le retard pris à 165 agents pour l’exercice 2016 (586 recrutements pour une prévision de 751). Il est peu probable que ce retard ait pu être comblé en 2017 compte tenu du niveau élevé de l’objectif pour cette année (775 recrutements prévus). Ces éléments montrent les limites d’une montée en puissance rapide des effectifs, qui exige des procédures de recrutement, d’habilitation, des efforts de formations, mais aussi des investissements pour accueillir les nouveaux agents.

Enfin s’agissant des ressources techniques, le rapport présente des statistiques intéressantes sur les techniques de recueil de renseignement soumises à autorisation, notamment sur le niveau des autorisations délivrées, ce qui permet utilement de compléter les informations que la DPR peut obtenir de la CNCTR dans son rapport public ou en application du 5° de l’article 6 nonies de l’ordonnance du 17 novembre 1958.

Les autres parties du rapport consacrées au renseignement humain, au renseignement technique non soumis à autorisation, au renseignement opérationnel et au renseignement de sources ouvertes non soumis à autorisation restent peu documentées en dehors de la description des capacités.

Celle consacrée au renseignement financier peut être utilement complétée par le rapport annuel de TRACFIN, seul service spécialisé publiant un rapport public de ses activités.

Le renseignement partenarial n’est pas inclus dans ce rapport en application des dispositions du dernier alinéa du I de l’article 6 nonies de l’ordonnance du 17 novembre 1958, qui exclut du champ de compétences de la délégation les informations portant sur des échanges avec des services de renseignement étrangers.

Si les informations concernant les capteurs sont assez exhaustives, il serait utile de compléter ces éléments par des éléments relatifs aux capacités de traitement de l’information qui devient un enjeu des politiques publiques de renseignement : compte tenu de l’abondance des données collectées, l’efficacité du renseignement technique exigera une capacité croissante à retrouver les données pertinentes et à les mettre en relation par des traitements automatisés.

La DPR salue cet effort d’estimation qui constitue une base de travail importante pour la DPR dans son travail d’évaluation de même qu’un document de référence et de pilotage pour la coordination nationale du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT). Elle apprécie le développement d’indicateurs mettant en adéquation le niveau d’activité et les priorités du PNOR.

Ce développement pourrait à l’avenir être prolongé par la mise en œuvre d’indicateurs de performance mettant en relations les ressources budgétaires, humaines et techniques et le niveau d’activité des services.

L’inscription des services dotés de moyens croissants dans une démarche de performance doit être poursuivie par la mise au point de ces outils. Ils peuvent constituer des instruments de pilotage utile aux directeurs des services et  d’appréciation objective de leur performance. La délégation propose qu’un travail de réflexion soit engagé sur ce point par l’inspection des services de renseignement.

Recommandation n° 2 : Confier à l’inspection des services de renseignement une mission sur la mise au point d’indicateurs de performance des services spécialisés de renseignement

d)  Une présentation des coopérations au sein de la communauté du renseignement, entre la communauté du renseignement et son second cercle, et au-delà de la communauté du renseignement

Cette partie est plus développée (46 pages) dans le rapport pour 2016 (33 dans le rapport pour 2015). Elle démontre l’importance stratégique de la coopération entre les services, formalisée en 2008 sous le concept de « communauté du renseignement », par la création de la coordination nationale du renseignement et la mise en place de référentiels communs, la stratégie nationale du renseignement et le PNOR. Cette coopération est particulièrement mise en exergue dans la lutte contre le terrorisme.

Le rapport présente de façon très exhaustive :

- les coopérations opérationnelles entre les services selon leurs diverses modalités et par finalité ;

- les nombreuses coopérations techniques qui permettent le déploiement des programmes techniques interministériels ainsi que de rationaliser le recueil de renseignement d’origine électromagnétique ;

- les groupes de travail communs constitués sous l’égide de la coordination nationale du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT) avec l’appui du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN).

Il présente les coopérations avec les services du « second cercle », que ceux-ci appartiennent à la police nationale, à la préfecture de police de Paris ou à la gendarmerie nationale, ainsi que les coopérations entre ces services. La délégation note qu’il y aura lieu, à partir de l’année prochaine, d’intégrer dans ces analyses le bureau du renseignement pénitentiaire en application de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016.

Enfin la présentation comprend quelques développements sur la coopération avec d’autres institutions, parmi lesquelles : l’Académie du renseignement, organisme de formation des personnels des services dont certaines activités se sont étendues en 2016 aux services du second cercle ; le groupement interministériel de contrôle ; le commissariat aux communications électroniques de défense ; le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale ; l’état-major des armées ; la direction générale de l’armement. On regrettera pour la lisibilité de cette dernière partie l’absence dans le rapport pour 2016 de la cartographie générale de la politique publique du renseignement qui figurait dans le rapport pour 2015 qui permettait de visualiser de façon globale et à travers différents pôles l’ensemble des relations entre les différents acteurs et leur intensité. Son rétablissement dans le rapport pour 2017 est souhaitable.

Pour être exhaustif, et disposer d’une vue complète sur la politique publique du renseignement, il est également envisageable d’intégrer les éléments qui, au sein des forces armées, activent la fonction interarmées du renseignement coordonnée par le directeur du renseignement militaire, même si ces forces n’entrent pas dans le champ d’application de l’article 811‑4 du code de la sécurité intérieure qui porte sur l’utilisation de certaines des techniques de renseignement, la mission d’évaluation de la délégation s’étendant au-delà de ce seul domaine.

2.  Un rapport transmis tardivement pour permettre son exploitation optimale

 Pour autant, l’exploitation de ces rapports n’est guère optimale en raison de sa transmission tardive : 3 novembre 2016 pour le rapport portant sur l’exercice 2015, 18 décembre 2017 pour le rapport portant sur l’exercice 2016.

Si les raisons invoquées pour la fourniture en temps utile de ce rapport liée à la mise en place de la nouvelle mandature, à la réforme de la coordination nationale du renseignement et au choix opéré par le chef de l’Etat de faire valider le rapport annuel par le conseil national du renseignement sont recevables, elles ne sauraient néanmoins faire obstacle à l’exécution dans de bonnes conditions de la mission constitutionnelle de contrôle et d’évaluation des assemblées parlementaires, confiée en l’espèce, à la DPR.

Cette communication tardive ne lui permet guère d’approfondir son travail en organisant des auditions particulières ou en se faisant communiquer des précisions par voie de questionnaires complémentaires. Elle souhaite donc que le rapport annuel relatif à la politique publique du renseignement lui soit présenté au cours du premier semestre de l’année, au plus tard le 1er juillet de façon à organiser un cycle d’auditions au second semestre sur la base des informations ainsi transmises.

Recommandation n° 3 : Transmettre le rapport annuel relatif à la politique publique du renseignement à la DPR au plus tard le 1er juillet de l’année n+1.

Enfin, la délégation parlementaire devrait pouvoir se faire communiquer chaque année un document de synthèse sur les crédits de l’année en cours d’exécution tels qu’ils sont inscrits dans la loi de finances initiale ainsi qu’à l’automne un document de synthèse sur les crédits inscrits dans le projet de loi de finances soumis à l’examen du Parlement.

Recommandation n° 4 : Communiquer chaque année à la DPR une synthèse sur les crédits de l’année en cours tels qu’ils sont inscrits dans la loi de finances initiale et une synthèse sur les crédits inscrits dans le projet de loi de finances soumis à l’examen du Parlement.

C.  Les autres documents transmis à la délégation

1.  Les éléments d’appréciation relatifs à l’activité générale et à l’organisation des services spécialisés de renseignement et des services du second cercle

Tout au long de l’année, la DPR a demandé et reçu un certain  nombre de documents de la part des services pour préparer son rapport d’activité.

2.  Les observations de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement

Pour la première fois, la délégation a sollicité, en mars 2018, la communication des observations que la CNCTR peut adresser au Premier ministre en application des articles L. 833-10 et L.855-1-C du code de la sécurité intérieure, ainsi qu’une présentation, par technique et par finalité, des éléments statistiques figurant dans son rapport d’activité.

A ce jour, la CNCTR n’a pas eu à faire usage de la faculté que lui donne l’article L. 833-10 du code de la sécurité intérieure d’adresser à tout moment, les observations qu’elle juge utile. Elle a communiqué deux délibérations assimilables à des observations, une délibération du 28 avril 2016 par laquelle elle a précisé son interprétation des dispositions applicables aux différents types de recueil de données de connexion par les services de renseignement du premier et du second cercle et une délibération du 8 décembre 2016 par laquelle elle a précisé les observations et les recommandations qu’elle avait adressées au Premier ministre le 10 novembre 2016 pour tirer les conséquences de la décision du conseil constitutionnel du 21 octobre 2016 relative à l’« exception hertzienne ».

Elle n’a pas non plus fait usage de la faculté que lui donne l’article L.855-1 C du code de la sécurité intérieure d’adresser des recommandations et des observations au Premier ministre dans le cadre du nouveau régime applicable à la surveillance de la transmission empruntant la voie hertzienne.

La commission a en revanche communiqué à la DPR une présentation par technique et par finalités des éléments figurant dans son rapport d’activité, qui complète utilement les éléments figurant dans le rapport annuel relatif à la politique publique du renseignement.

Enfin, la DPR n’a encore jamais fait usage de sa capacité à saisir la CNCTR pour avis en application de l’article L. 833-11 du code de la sécurité intérieure.

 

3.  Les rapports de l’inspection des services de renseignement, des rapports des services d’inspection générale des ministères portant sur les services de renseignement qui relèvent de leur compétence

a)  La communication de tout ou partie des rapports de l’inspection des services de renseignement

 

L’inspection des services de renseignement

Prévue par le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013, l’inspection des services de renseignement a été créée par le décret n° 2014-833 du 24 juillet 2014.

Placée sous l’autorité directe du Premier ministre, elle réalise « des missions de contrôle, d’audit, d’étude, de conseil et d’évaluation à l’égard des services spécialisés de renseignement ainsi que de l’Académie du renseignement » selon l’article 2 du décret.

Ses membres sont désignés parmi les différents corps d’inspection des ministères concernés (contrôle général des armées, inspection générale de l’administration, inspection générale des finances…) par le Premier ministre, après avis du Coordinateur national du renseignement, sur proposition de leurs ministres de tutelle. Ils continuent à exercer leurs attributions au sein de leurs corps d’appartenance respectifs.

Pour chaque mission, le Premier ministre désigne un chef de mission, le mandat et la composition de l’équipe. Le secrétariat de l’inspection est assuré par la coordination nationale du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT).

La DPR, en vertu de l’article 6 nonies de l’ordonnance du 17 novembre 1958, peut solliciter la communication de tout ou partie des rapports de l’inspection.

En 2015, deux rapports lui ont été transmis : le rapport visant à définir les contours du futur rapport d’activité des services de renseignement (« Établissement d’un rapport d’activité des services de la communauté du renseignement ») et le pré-rapport sur la mise en œuvre de la loi de 2015 sur le renseignement.

En 2016, la DPR a été destinataire du rapport final concernant la loi sur le renseignement (« Mise en œuvre de la loi n° 2015 912 du 24 juillet 2015 en matière de techniques de recueil de renseignement »).

En 2017, un rapport en date du 30 mars 2017 sur « la direction du renseignement de la préfecture de police : organisation, fonctionnement et relations avec les acteurs du renseignement » et un rapport  en date du 24 juillet 2017 « sur la formation des agents des services de renseignement » lui ont été remis.

Dans ses rapport d’activité de 2014 et de 2015, la DPR proposait que l’inspection se dote d’un véritable chef, afin qu’il incarne « une certaine permanence en dépit de l’absence d’un corps d’inspection pérenne ».

Dans le courant de l’année 2016, un Secrétaire général de l’inspection des services de renseignement a été désigné. Celui-ci est chargé d’élaborer un programme annuel d’inspection qui est arrêté par le conseil national du renseignement – ce qui n’interdit pas au Premier ministre d’ordonner, s’il y a lieu, des missions non programmées antérieurement. Il coordonne par ailleurs la constitution des équipes liées aux missions et il assure le suivi des recommandations formulées.

Si la délégation parlementaire s’était félicitée, dans son précédent rapport, de cette décision, elle a toutefois regretté que le Secrétaire général n’exerce pas une réelle autorité sur les inspecteurs de services de renseignement. Ceux-ci sont en effet désignés, pour chaque mission d’inspection, par le Premier ministre, mais ne sont pas placés sous l’autorité hiérarchique du Secrétaire général.

Aussi, pour qu’il y ait une unité et une cohérence au sein de l’inspection, la délégation réitère-t-elle le souhait que le poste de Secrétaire général soit renforcé, de manière à en faire un véritable chef de service  chargé de l’encadrement et du suivi des inspecteurs des services de renseignement.

Recommandation n° 5 : Transformer le poste de Secrétaire général de l’inspection des services de renseignement en un poste de chef de service, chargé de l’encadrement et du suivi des inspecteurs des services de renseignement.

 Elle souhaite également qu’à terme, l’inspection des services dispose d’un personnel pérenne et soit érigée en un véritable service.

L’inspection des services de renseignement ne dispose pas d’un service autonome. Pour chacune des missions, elle doit réunir une équipe ad hoc formée de membres des différents corps ministériels d’inspection (CGA, IGA, IGF, CGEIT). Un vivier de spécialistes a été constitué dans lequel les chefs de corps peuvent puiser pour répondre aux sollicitations de l’ISR. Mais ces spécialistes demeurent peu nombreux, ce qui ne permet pas à l’ISR de conduire plus d’une à deux études par an.

Pour éviter que le nombre des missions de l’ISR ne se trouve restreint du fait de cette difficulté pratique, la création d’un service spécifique, doté d’emplois permanents par voie de détachement ou de mise à disposition, est une évolution qu’il faudra nécessairement envisager à terme.

Par ailleurs, si l’apport méthodologique de personnels venant de différents corps peut constituer un réel enrichissement dans le travail d’inspection, il n’en demeure pas moins que la culture du renseignement n’est pas nécessairement suffisante, au sein des différents corps d’inspection, pour appréhender les spécificités d’organisation et de fonctionnement des services. Il serait donc souhaitable que les inspecteurs – inspecteurs qui sont habilités, aujourd’hui, pour intervenir au profit de l’inspection des services de renseignement et qui, demain, pourraient être détachés ou mis à disposition dans le cadre de la réforme tendant à la création d’un service d’inspection spécifique – bénéficient d’une formation particulière. Une telle formation a été réalisée en 2014, au moment de la création de l’inspection, par l’Académie du renseignement. Elle pourrait être renouvelée et renforcée. Un programme pourrait être élaboré en ce sens avec le Secrétaire général.

Enfin, il serait également souhaitable, pour renforcer l’efficacité de l’inspection, que des cadres des services spécialisés, ou ayant exercé dans ces services, puissent y être nommés, ou y être détachés, en vue d’y effectuer une partie de leur carrière.

Recommandation n° 6 : Réfléchir, à terme, à pérenniser l’inspection des services de renseignement afin d’en faire un service permanent doté d’un personnel dédié.

b)  La communication de tout ou partie des rapports des services d’inspection générale des ministères portant sur les services de renseignement qui relèvent de leur compétence

La délégation parlementaire n’est pas destinataire de façon systématique de ces rapports. Elle doit en solliciter la communication. Encore faut-il qu’elle ait connaissance de leur existence, afin de demander le cas échéant d’en avoir communication.

Pour  améliorer cette information, la délégation demande que la remise des rapports des services d’inspections générales des ministères, y compris ceux du contrôle général des armées, concernant les services de renseignement qui relèvent de leur compétence, lui soit systématiquement notifiée et qu’un tableau récapitulatif des rapports figurent en annexe du rapport annuel relatif à la politique publique du renseignement.

Recommandation n° 7 : Notifier systématiquement à la DPR la remise des rapports des inspections générales des ministères concernant un ou plusieurs service(s) de renseignement.

 

III.  Quel avenir pour le contrôle parlementaire du renseignement ?

Après dix années d’activité, une réflexion mérite d’être engagée sur l’efficacité du modèle de contrôle de la politique publique du renseignement mis en place en France. Ce travail apparaît d’autant plus utile que le renforcement des services de renseignement au cours des dernières années, dans un contexte de menace terroriste forte, rend plus que nécessaire l’existence d’un contrôle efficient de leur activité.

Malgré les craintes qui avaient entouré la création de la délégation en 2007, force est de constater que son rôle et son utilité sont aujourd’hui largement reconnus, en premier lieu au sein des services de renseignement. La délégation conduit en effet ses travaux en bénéficiant de la coopération de  l’ensemble des administrations soumises à son contrôle, qu’il s’agisse des services, mais également de la coordination nationale du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT) ou encore de la CNCTR.  La qualité des échanges peut d’ailleurs se mesurer au taux élevé de reprises des recommandations formulées par la DPR dans ses rapports (cf. annexe).

Ce contexte de travail favorable ne doit toutefois pas se faire au détriment d’un contrôle objectif, plein et entier de l’activité des services, la délégation se devant d’être attentive à ne pas devenir un relai des attentes des services.

Aussi paraît-il utile de s’assurer qu’elle dispose de tous les moyens nécessaires à l’exercice d’un contrôle indépendant. Or, malgré l’élargissement de ses prérogatives en 2013, des marges de progression existent. La comparaison avec les modèles étrangers permet, à cet égard, d’identifier quelques axes possibles de réforme.

 

Le contrôle parlementaire du renseignement en Europe et aux Etats-Unis

La  question du contrôle et de l’évaluation parlementaire de la politique publique du renseignement est une préoccupation commune à l’ensemble des démocraties. La comparaison établie se fonde sur l’analyse des modèles mis en œuvre au sein de quatre pays européens (l’Allemagne, l’Italie, les Pays-Bas, le Royaume-Uni) et aux États-Unis.

1. Un contrôle confié à des entités restreintes et pluralistes

Si les pays étudiés se sont tous dotés, à des dates plus ou moins récentes,  d’organes parlementaires dédiés au contrôle des services de renseignement, leur format varie d’un pays à l’autre.

Aux Pays-Bas et en Allemagne, le pouvoir de contrôle parlementaire du renseignement n’est confié qu’à une seule chambre : la Tweede Kamer (chambre des représentants) dans le premier cas, le Bundestag dans le second cas.

Dans les autres pays, le contrôle relève des deux chambres et est confié, comme en France, à une entité bicamérale (Italie, Royaume Uni).

Les États Unis présentent quant à eux un système spécifique, la Chambre des représentants et le Sénat étant chacun doté d’une commission de contrôle des services de renseignement.

Dans l’ensemble des pays étudiés, à l’exception des États-Unis, les entités de contrôle sont de taille relativement restreinte : 5 membres aux Pays-Bas, 9 membres au Royaume-Uni et en Allemagne, 10 membres en Italie. Il est intéressant de noter, à cet égard, que les Pays-Bas ont procédé en 2016, à la suite d’un scandale provoqué par la divulgation de documents confidentiels, à une réduction du nombre des membres de la commission des services de renseignement.

Aux États-Unis, les commissions de contrôle du renseignement sont plus élargies. Ainsi, la commission restreinte pour le renseignement du Sénat est composée de 15 membres.

Par ailleurs, dans tous les cas, la composition des entités est soumise à une obligation de pluralisme, même si la représentation de l’ensemble des formations politiques n’est pas exigée. En Italie, la loi exige que le comité parlementaire pour la sécurité de la République soit présidé par un parlementaire inscrit dans un groupe d’opposition.

Enfin, selon les pays, les membres sont soit nommés (nomination par le Président du Sénat en Italie, par le Premier ministre au Royaume-Uni), soit désignés de droit (aux Pays-Bas, sont membres de droit de la commission de contrôle des services de renseignement les présidents des cinq principaux groupes politiques), soit élus (en Allemagne, le Bundestag élit, en début de législature, les membres du comité de contrôle parlementaire des services de renseignement).

2. Des prérogatives plus ou moins étendues selon les pays

Le périmètre du contrôle ainsi que le champ des prérogatives confiées par la loi aux entités de contrôle parlementaire des services de renseignement sont, selon les pays, plus ou moins larges. 

S’agissant tout d’abord du périmètre du contrôle, les organes de contrôle parlementaire sont, dans l’ensemble des pays, habilités à être informés de la situation de la sécurité intérieure comme extérieure du pays ainsi que de l’activité générale des services de renseignement.

Dans certains cas, les organes de contrôle disposent également d’un pouvoir de connaître des faits individuels et des opérations spécifiques mises en œuvre par les services.

Ainsi, en Allemagne, la loi oblige le Gouvernement fédéral à tenir le comité de contrôle parlementaire des services de renseignement informé des faits individuels qui sont l’objet de débats politiques ou de rapports publics, ainsi que, sur requête du comité lui-même, de toute autre affaire.

En Italie, le périmètre de contrôle du comité parlementaire pour la sécurité de la République s’étend également aux opérations menées par les services. Ainsi, la loi prévoit une information du comité par le Président du Conseil sur toute opération secrète impliquant la mise en œuvre d’actions qualifiables de délits mais autorisées spécialement conformément à la loi.

Au Royaume-Uni, le contrôle de la commission du renseignement et de la sécurité du Parlement (ISC) a été étendu, depuis 2013, au contrôle des opérations des services de renseignement. La commission est ainsi autorisée à se pencher sur des questions opérationnelles spécifiques, lorsque le Premier ministre lui en fait la demande, dans tous les cas où cela n’interfère pas avec une opération de renseignement ou de sécurité en cours ou si son examen est limité à l’étude de documents qui lui sont transmis par les services de renseignement ou par les autorités ministérielles.

Enfin, aux États-Unis, le contrôle exercé par les commissions du Congrès américain demeure le plus étendu. Les commissions parlementaires ont en effet la charge de contrôler et de mener une étude continue de l’ensemble des activités et des programmes des services de renseignement. Elles ont pour mission de veiller à ce que les agences et départements compétents procurent le renseignement adéquat pour que les pouvoirs exécutif et législatif prennent les bonnes décisions pour préserver la sécurité et les intérêts vitaux de la Nation. 

Les systèmes diffèrent également s’agissant de l’étendue des prérogatives confiées aux organes de contrôle parlementaire pour l’exercice de leurs missions.

Dans l’ensemble des pays étudiés, les organes de contrôle obtiennent, dans la limite du périmètre de leur contrôle et de leur droit à en connaître, la transmission de documents relevant du secret de la défense nationale. La transmission de certaines informations ou documents peut, dans certains cas, être limitée, lorsqu’elle est jugée contraire à l’intérêt national (Pays-Bas) ou lorsqu’elle peut porter préjudice à la sûreté de l’État (Italie).

En outre, les organes parlementaires étudiés bénéficient tous de la possibilité d’entendre les ministres, les responsables ainsi que les agents des services de renseignement.

Certains pays ont prévu un droit d’information plus étendu. Ainsi, en Allemagne, le comité peut décider, à la majorité des deux tiers de ses membres et à la suite d’une audition du Gouvernement fédéral, de mandater des experts indépendants pour conduire une enquête sur un fait individuel.

En Italie, le droit d’information du comité est également très étendu : celui-ci peut obtenir, par dérogation au code de procédure pénale, copie des actes et documents relatifs à des procédures et des enquêtes judiciaires en cours. Le comité peut également, à la majorité de deux tiers, solliciter une enquête interne sur la conformité des actions d’un agent aux dispositions légales et constitutionnelles.

Dans ces deux pays, les organes parlementaires de contrôle du renseignement bénéficient enfin d’un pouvoir d’enquête sur place, dans les locaux des services de renseignement.

Aux États-Unis, les commissions de contrôle des services de renseignement bénéficient, là encore, d’importantes prérogatives. Elles disposent de larges pouvoirs d’investigation : elles peuvent mener des enquêtes sur tout sujet relevant de leur compétence, convoquer des témoins et exiger la production  de documents et de correspondance, prendre des dépositions et enregistrer des témoignages sous serment sur tout sujet relevant du renseignement, dans le cadre d’une procédure quasi-juridictionnelle. Elles sont également autorisées, pour la conduite de leurs missions, à faire appel à des consultants ou à des experts indépendants. Enfin, elles disposent d’importants pouvoirs en matière budgétaire, étant responsables, chaque année, d’élaborer le texte de la loi ouvrant en allouant les crédits aux agences de renseignement.

A.  le format et le fonctionnement de la délégation parlementaire au renseignement

Resté inchangé depuis 2007, le format de la délégation parlementaire au renseignement repose sur des principes que l’on retrouve dans la plupart des dispositifs de contrôle mis en place au sein de parlements étrangers. 

Ainsi, dans la plupart des pays ayant instauré un contrôle parlementaire du renseignement, les organes de contrôle sont, comme dans le cas de la délégation parlementaire au renseignement, de taille relativement restreinte : 5 membres aux Pays-Bas, 9 membres au Royaume‑Uni et en Allemagne, 10 membres en Italie. Il est intéressant de noter, à cet égard, que les Pays-Bas ont procédé en 2016, à la suite d’un scandale provoqué par la divulgation de documents confidentiels, à une réduction du nombre des membres de la commission des services de renseignement.

Par ailleurs, la composition des entités est généralement soumise, comme en France, à une obligation de pluralisme, même si la représentation de l’ensemble des formations politiques n’est pas exigée.

Ces principes ne paraissent pas devoir être remis en cause. Ils constituent en effet à la fois une garantie d’objectivité du contrôle démocratique exercé et un gage d’efficacité et de discrétion.

En revanche, la délégation a estimé qu’il était utile d’engager une réflexion sur le fonctionnement interne de la délégation, qui soulève actuellement des difficultés, à deux niveaux. D’une part, le changement de président chaque année nuit à la continuité des travaux. D’autre part, le fait que les travaux de la délégation soient systématiquement conduits par le président de la délégation, qui est obligatoirement un président de commission permanente, contraint les travaux de la délégation.

Afin de répondre à ces difficultés, la délégation estime qu’il pourrait être intéressant de prévoir la nomination d’un rapporteur, qui aurait pour mission, aux côtés du président, d’organiser les travaux de la délégation et de préparer les rapports d’activité annuels. 

Le projet de loi initial présenté par le Gouvernement en 2007 en vue de la création de la délégation parlementaire au renseignement prévoyait la nomination d’un rapporteur, sans plus de précision. La disposition avait toutefois été supprimée par le Sénat, qui avait préféré laisser la délégation libre d’organiser ses travaux. Dans la pratique, la délégation n’a jamais désigné de rapporteur, la rédaction du rapport d’activité annuel ayant systématiquement été confiée au président de la délégation.

La désignation d’un rapporteur devrait permettre de décharger les présidents, qui pourraient leur confier l’organisation d’une partie des travaux et des auditions au titre de la délégation.

S’agissant de la périodicité de leur nomination, plusieurs pistes de réforme ont été étudiées par la délégation.

Une première solution consisterait à nommer le rapporteur pour une période de deux ans. Une telle solution permettrait à la fois de décharger les présidents successifs et d’assurer la continuité des travaux de la délégation, malgré le changement annuel de présidence. Dans cette hypothèse, le rapporteur serait, alternativement, un député ou un sénateur.

Afin de préserver l’équilibre entre les deux assemblées parlementaires, la durée de la présidence de la commission de vérification des fonds spéciaux, actuellement d’une durée d’un an, pourrait également être portée à deux ans, comme le recommande d’ailleurs son rapport de 2017. Ainsi serait introduit un roulement entre le Sénat et l’Assemblée nationale tous les deux ans, chacune des deux assemblées assurant, à tour de rôle, la présidence de la CVFS ou le poste de rapporteur de la délégation.

Une seconde option consisterait à porter la durée du mandat du président de la délégation à deux ans et à nommer un rapporteur pour la même durée. Il pourrait être prévu que le président et le rapporteur appartiennent chacun à une assemblée, afin d’assurer un équilibre. Par symétrie, la durée de la présidence de la CVFS pourrait, dans cette hypothèse, également être portée à deux ans.

Contrairement à la première option, cette solution aurait le bénéfice de permettre le développement d’une relation étroite de travail entre le président et le rapporteur, en évitant au rapporteur de changer chaque année de président. Elle ne permettrait toutefois pas à chaque membre de droit de la délégation d’assurer la présidence au cours de son mandat.

Recommandation n° 8 : Prévoir la nomination d’un rapporteur au sein de la délégation parlementaire au renseignement pour assurer la continuité de ses travaux et alléger la charge du Président.

B.  Le Périmètre du contrôle exercé par la délégation

Si les organes de contrôle parlementaire sont, dans la plupart des pays, habilités à être informés de la situation de la sécurité intérieure comme extérieure du pays ainsi que de l’activité générale des services de renseignement, certains disposent d’un périmètre de contrôle plus large et peuvent connaître des faits individuels et des opérations spécifiques mises en œuvre par les services.

Cela est par exemple le cas en Allemagne, où la loi oblige le Gouvernement fédéral à tenir le comité de contrôle parlementaire des services de renseignement informé des faits individuels qui sont l’objet de débats politiques ou de rapports publics, ainsi que, sur requête du comité lui-même, de toute autre affaire.

Au Royaume-Uni, la commission du renseignement et de la sécurité du Parlement (ISC) est autorisée à se pencher sur des questions opérationnelles spécifiques, lorsque le Premier ministre lui en fait la demande, dans tous les cas où cela n’interfère pas avec une opération de renseignement ou de sécurité en cours ou si son examen est limité à l’étude de documents qui lui sont transmis par les services de renseignement ou par les autorités ministérielles.

L’intégration des opérations en cours, actuellement exclues du contrôle de la délégation, parait difficilement envisageable dès lors qu’elle soulèverait des difficultés d’ordre constitutionnel. Le Conseil constitutionnel a en effet estimé, s’agissant des prérogatives de la commission de vérification des fonds spéciaux,  que « s’il appartient au Parlement d’autoriser la déclaration de guerre, de voter les crédits nécessaires à la défense nationale et de contrôler l’usage qui en a été fait, il ne saurait en revanche, en la matière, intervenir dans la réalisation d’opérations en cours »[2].

L’intégration dans le champ du contrôle des procédures et méthodes opérationnelles pourrait en revanche se révéler utile. *****

Aussi, plutôt que d’exclure par principe toute information de la délégation sur les opérations en cours et les procédures opérationnelles, il pourrait être envisagé d’ouvrir le périmètre du contrôle à l’ensemble de l’activité des services, tout en prévoyant un droit de réserve lorsque la communication d’une information est susceptible de porter atteinte à la sécurité nationale, aux rapports avec les services étrangers, au déroulement d’opérations en cours ou à la sécurité d’un agent ou d’une source. Sans mettre en péril ni contraindre l’activité des services, une telle évolution législative aurait le mérite d’approfondir son contrôle.

Recommandation n° 9 : Etendre le périmètre du contrôle parlementaire à l’ensemble de l’activité des services de renseignement, en leur laissant la possibilité d’exercer un droit de réserve lorsque la communication d’une information est susceptible de porter atteinte à la sécurité nationale, aux rapports avec les services étrangers, au déroulement d’opérations en cours ou à la sécurité d’un agent ou d’une source.

C.  L’Étendue des prérogatives de la délégation

Dans certaines démocraties, les pouvoirs des entités de contrôle parlementaire sont plus étendus qu’en France.

En Allemagne par exemple, le comité peut décider, à la majorité des deux tiers de ses membres et à la suite d’une audition du Gouvernement fédéral, de mandater des experts indépendants pour conduire une enquête sur un fait individuel.

En Italie, le droit d’information du comité parlementaire pour la sécurité de la République est également très étendu : celui-ci peut obtenir, par dérogation au code de procédure pénale, copie des actes et documents relatifs à des procédures et des enquêtes judiciaires en cours. Le comité peut également, à la majorité des deux tiers, solliciter une enquête interne sur la conformité des actions d’un agent aux dispositions légales et constitutionnelles.

Dans ces deux pays, les organes parlementaires de contrôle du renseignement bénéficient en outre d’un pouvoir d’enquête sur place, dans les locaux des services de renseignement.

La comparaison avec ces modèles étrangers peut conduire à s’interroger sur deux axes de renforcement des prérogatives de la délégation.

D’une part, il pourrait être envisagé d’étendre son droit à l’information au-delà de ce qui a été prévu par le législateur en 2013. Actuellement, la rédaction de l’article 6 nonies de l’ordonnance du 17 novembre 1958 précitée est ambiguë : la délégation « est destinataire des informations utiles à l’accomplissement de sa mission », mais ne semble pas disposer de la possibilité de solliciter d’elle-même les informations et documents qu’elle estimerait utiles à l’exercice de son contrôle.

Déjà en 2007, la commission des lois du Sénat avait formulé une proposition similaire, consistant à permettre à la délégation de recueillir toutes les informations utiles à l’accomplissement de sa mission, en complément de la transmission des documents et informations listés par le législateur. Une telle proposition pourrait utilement être reprise, afin de donner une plus grande liberté d’action à la délégation et de demander aux services la transmission de toute information complémentaire.

Recommandation n° 10 : Permettre à la délégation parlementaire au renseignement de demander la communication de toute information utile à l’accomplissement de sa mission.

D’autre part, de nouveaux pouvoirs d’enquête pourraient être confiés à la délégation. Pourrait notamment être envisagé de permettre à la délégation de solliciter des institutions ou des personnalités indépendantes, par exemple l’inspection des services de renseignement, pour l’assister dans l’exercice de sa mission (cf. supra).


CHAPITRE III :
le renseignement d’intéret économique,
un enjeu de puissance

 

Après avoir, pendant plusieurs années, concentré ses travaux sur le dispositif de lutte contre le terrorisme, la délégation parlementaire au renseignement s’est penchée, en 2017, sur un autre volet essentiel de la politique publique du renseignement : le renseignement d’intérêt économique.

Comme rappelé en avant-propos, les échéances électorales de l’année passée ayant toutefois décalé le début de ses travaux à l’automne 2017, la délégation a choisi de poursuivre sa réflexion sur cette question au cours des prochains mois, eu égard à l’ampleur et à l’importance du sujet.

Compte tenu des travaux engagés par le Gouvernement en vue d’une réorganisation des structures concourant à la production et au traitement du renseignement d’intérêt économique, elle a toutefois estimé utile de présenter, dès à présent, un premier état de ses constats (I) ainsi que de formuler quelques propositions susceptibles d’orienter les choix de l’exécutif (II).

 

  1. Le renseignement d’intérêt économique, un instrument en cours de rénovation

Dans un contexte de compétition économique accrue, parfois même agressive, l’intervention des pouvoirs publics au soutien de nos entreprises constitue une priorité pour assurer le maintien de la France au rang des grandes puissances.

S’il s’inscrit nécessairement dans un panel d’outils et d’actions plus large, le renseignement d’intérêt économique a fait l’objet d’une redéfinition récente et d’un investissement intellectuel plus important, au profit d’une politique ambitieuse de protection et de promotion des intérêts économiques, industriels et scientifiques majeurs de la Nation. Sa production et son traitement pâtissent toutefois de circuits encore complexes, qui nécessitent de conduire une réflexion sur une meilleure articulation des acteurs.

 

  1. Un instrument récemment revalorisé pour faire face à l’intensification de la « prédation économique »
    1. Des entreprises confrontées à des risques croissants de prédation

Comme le constatait déjà le président Jean-Jacques Urvoas dans le rapport d’activité de la délégation parlementaire au renseignement de 2014, la prédation économique n’a jamais été aussi prégnante au niveau international. Dans un contexte de compétition économique mondiale exacerbée, nos entreprises sont en effet confrontées à des menaces de plus en plus nombreuses qui, au-delà du risque individuel, mettent en péril la pérennité du patrimoine économique national.

L’ensemble des acteurs entendus par la délégation au cours de ses travaux s’accordent sur la persistance, voire l’intensification, d’un espionnage économique agressif, orienté vers la captation d’informations et de données stratégiques.

Au-delà des méthodes d’ingérence plus anciennes (intrusion, vol, corruption, etc.), la menace cybercriminelle tend à devenir, compte tenu de la numérisation croissante de notre économie, la voie privilégiée d’ingérence économique. La multiplication des attaques informatiques, qu’elles soient conduites à des fins de captation d’une technologie ou de savoir-faire, de sabotage ou encore de chantage, constitue un risque majeur de déstabilisation de notre tissu économique, qui pâtît encore d’une culture de sécurité, notamment informatique, très largement déficitaire.

*****

Au-delà de ces atteintes illégales, la compétition économique se traduit également par le développement de stratégies économiques agressives qui, bien que parées des vertus de la légalité, n’en présentent pas moins un risque économique majeur.

Si elles s’exercent dans un cadre légal, les tentatives de prise de contrôle capitalistiques par des investisseurs étrangers, notamment lorsqu’elles concernent des entreprises stratégiques, peuvent ainsi être à l’origine de risques importants en matière de fuite de technologies ou d’approvisionnements.

De nombreux pays tendent par ailleurs à faire de la législation une véritable arme d’ingérence économique. Si l’exemple de la législation américaine, notamment en matière d’anticorruption, demeure le plus illustratif, de nombreux autres Etats adoptent des législations de portée extraterritoriale qui affectent l’ensemble des entreprises au  niveau mondial.

 

 

La législation anticorruption américaine : un impact majeur pour nos entreprises

Depuis l’adoption du Foreign Corrupt Practices Act en 1977, les Etats Unis ont développé une politique extraterritoriale de lutte contre la corruption permettant aux juridictions américaines de poursuivre toute entreprise qui ne respecterait pas leur législation, dès lors qu’existe un rattachement avec le territoire américain (transaction libellée en dollars, serveur internet basé aux Etats-Unis, filiale sur le territoire américain, etc.).

Au-delà des lourdes amendes susceptibles d’être infligées aux entreprises, cette législation permet au Department of Justice américain de négocier une transaction avec l’entreprise concernée, selon la procédure dite du deal of justice : en contrepartie d’un abandon des poursuites et d’un abaissement significatif des peines encourues, l’entreprise s’engage à faire preuve d’un comportement exemplaire et, pour prouver sa bonne foi, accepte la mise en place d’un moniteur en son sein, autorisé à accéder à l’intégralité des informations de l’entreprise en vue de la rédaction d’un rapport annuel. Bien que laissé à l’appréciation de l’entreprise, le choix du moniteur est soumis à l’approbation du gouvernement américain, dès lors en mesure d’imposer un moniteur américain.

Or, le Foreign Intelligence Surveillance Act autorise les services de renseignement américain à accéder à toute information qu’ils estiment nécessaires, y compris les rapports de monitorats, leur donnant donc un accès complet potentiel aux informations confidentielles d’entreprises étrangères.

 

Enfin, et sans porter une atteinte directe aux intérêts d’une entreprise spécifique, l’engagement à peine dissimulé de certains Etats en soutien à leurs entreprises, notamment dans le cadre de grands contrats civils et militaires internationaux, contribue à exacerber la concurrence économique au niveau international et à menacer les positions de nos entreprises sur les marchés mondiaux, voire leur pérennité lorsqu’elles sont fortement dépendantes de l’exportation.

Sur ce point encore, les Etats-Unis se distinguent par un investissement massif de l’appareil étatique en appui aux grandes entreprises américaines. En 1993 a ainsi été créé, au sein du Département du Commerce, l’Advocacy Center, dont la mission est de centraliser l’ensemble des informations, y compris produites par les services de renseignement, en vue de soutenir les projets américains dans le cadre des grands contrats internationaux.

  1. Un cadre légal et doctrinal du renseignement d’intérêt économique rénové

Face à l’intensification des menaces et à l’augmentation des risques de déstabilisation pesant sur nos entreprises, la maîtrise de l’information et du renseignement est devenue un enjeu de puissance et un facteur essentiel de la protection des intérêts économiques, industriels et scientifiques majeurs de la Nation.

Fort de ce constat, l’Etat paraît avoir pris conscience, depuis quelques années, de l’importance de l’information stratégique en matière économique et a engagé une réorientation de son appareil de renseignement afin qu’il appuie le plus efficacement possible la conduite de la politique économique publique  non seulement en matière de sécurité économique, mais également en matière de promotion économique.

Alors qu’elle déplorait, en 2014, la trop faible prise en compte du renseignement économique dans la politique publique du renseignement et, plus globalement, comme outil de la politique économique, la délégation a ainsi pu constater, avec satisfaction, les engagements pris par les autorités pour revaloriser et mieux orienter le renseignement d’intérêt économique, et ce malgré la prégnance de la menace terroriste sur le territoire national qui mobilise des moyens de renseignement très importants.

Cette évolution, qui ne peut qu’être saluée, a été engagée dans un contexte plus global de réorganisation de la politique publique d’intelligence économique, qui, malgré plusieurs réformes de structures, n’avait jusqu’alors pas apporté de résultats probants.

 

Les tentatives de mise en œuvre d’une politique d’intelligence économique en France

Entre 1995 et 1997, à la suite de la publication du rapport Martre[3], une première tentative de lancement d’une politique publique d’intelligence économique voit le jour, dont la mise en œuvre est confiée au secrétariat général de la défense nationale (SGDN).

Comme le relevait le rapport de Bernard Carayon rendu au Premier ministre en 2003[4], cette première tentative portait en elle, dès sa conception, les raisons de son échec, en confiant à une administration, certes interministérielle mais faiblement reliée au monde des entreprises, la mission d’engager une politique d’intelligence économique. Ce rapport proposait la création d’une structure interministérielle ad hoc, chargée de lancer une réflexion en vue de la définition et de la mise en œuvre d’une véritable politique publique de compétitivité et de sécurité économique.

En 2003 est nommé un haut responsable à l’intelligence économique, autorité à vocation ministérielle mais qui demeurait rattachée au Secrétariat général de la défense nationale (SGDN)[5]. En parallèle, différentes structures sont créées au sein des ministères afin de décliner, au sein de chaque ministère, la politique publique d’intelligence économique.

En 2009, une nouvelle évolution des structures administratives chargées de la politique publique d’intelligence économique est conduite : le haut responsable à l’intelligence économique est remplacé par un délégué interministériel à l’intelligence économique (D2IE), rattaché non plus au SGDN mais directement au Premier ministre.

En 2016, cette dernière structure a été supprimée, ses moyens étant transférés au nouveau commissaire à l’information stratégique et à la sécurité économique, rattaché au ministre de l’économie et des finances, et chargé, en collaboration avec le SGDSN et les autres ministères concernés, de piloter la politique de protection et de promotion des intérêts économiques, industriels et scientifiques de la Nation. Le commissaire s’appuie sur un service à compétence nationale, le service de l’information stratégique et de la sécurité économique (SISSE), placé auprès de la direction générale des entreprises du ministère de l’économie et des finances. 

La loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement  a marqué une première étape majeure en inscrivant le renseignement économique parmi les finalités de la politique publique de renseignement mentionnées à l’article L. 811-3 du code de la sécurité intérieure. Ainsi est désormais consacrée la possibilité pour les services spécialisés de renseignement de recourir aux techniques de renseignement pour le recueil de renseignements relatifs à la défense et à la promotion des « intérêts économiques, industriels et scientifiques majeurs de la France ».

Adopté par le conseil national du renseignement en 2017, le dernier plan national d’orientation du renseignement (PNOR), qui décline, sur une base pluriannuelle, les orientations de la stratégie nationale du renseignement et fixe des priorités assignées aux services de renseignement, a, dans la même logique, rénové en profondeur l’approche en matière de renseignement d’intérêt économique, pour lui accorder une place beaucoup plus centrale que dans le cadre des plans précédents et mieux orienter les services.

La double finalité du renseignement d’intérêt économique, défensive d’une part, offensive d’autre part, est désormais sanctuarisée et déclinée en axes opérationnels afin de mieux orienter l’activité des services de renseignement.

*****

La déclinaison et le suivi, sur le plan opérationnel, du PNOR relève de la coordination nationale du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT), qui veille au respect, par les services de renseignement, du cadre stratégique et opérationnel qui leur est fixé.

  1. un cycle du renseignement economique qui pâtit de la désorganisation des structures administratives

Malgré les réformes engagées, force est de constater que l’ambition consistant à faire du renseignement d’intérêt économique un véritable instrument de la politique économique pâtit encore, dans notre pays, d’une désorganisation administrative qui nuit à l’orientation et à la rationalisation des demandes adressées aux services de renseignement ainsi qu’au traitement des renseignements recueillis.

  1. Le dispositif de sécurité économique : un millefeuille administratif encore insuffisamment coordonné
a)  Une coordination défaillante au niveau central

Le réinvestissement du champ du renseignement d’intérêt économique par les pouvoirs publics s’est accompagné d’une réforme des structures administratives pilotant le dispositif de sécurité économique.

Créé par le décret n° 2016-66 du 29 janvier 2016, dans le but de rationnaliser une politique qui relevait jusqu’alors de plusieurs acteurs, le Commissaire à l’information stratégique et à la sécurité économique (CISSE) s’est ainsi vu confier un rôle de pilote en matière de sécurité économique. Alors que la délégation interministérielle à l’intelligence économique, dont il a hérité des moyens, était placée auprès du Premier ministre, le CISSE a été rattaché directement au ministre de l’économie, mettant ainsi le dispositif en conformité avec le code de la défense, qui confie la conduite de la politique de sécurité économique à ce ministre.

Aux termes du décret précité, le CISSE est chargé d’assurer la coordination de l’ensemble des ministères et des administrations, hors secteur de la défense, et d’identifier les secteurs, technologies et entreprises stratégiques à protéger. Il s’appuie, pour l’exercice de ses missions, sur le service à l’information stratégique et de la sécurité économique (SISSE), qui dépend de la direction générale des entreprises du ministère de l’économie et des finances.

Si sa mission s’étend à d’autres composantes de la politique économique, le CISSE joue un rôle majeur pour orienter le travail des services de renseignement en matière de sécurité économique. *****

D’autres acteurs continuent toutefois de participer, en parallèle du CISSE, à l’animation de la politique publique de sécurité économique.

S’il a perdu, depuis 2009, son rôle de coordination et d’animation en matière de sécurité économique, le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) contribue activement à la politique de sécurité économique, notamment au titre de son rôle en matière de protection des opérateurs d’importance vitale, de protection du potentiel scientifique et technologique de la Nation et de protection des approvisionnements stratégiques et de contrôle des exportations d’armements et des biens à double usage.

La direction générale de l’armement du ministère des armées, qui dispose d’un service des affaires industrielles et de l’intelligence économique, exerce également une compétence en matière de sécurité économique, notamment dans le cadre de sa mission de développement et de protection de la base industrielle et technologique de défense. Elle exerce, à cette fin, un rôle de veille s’agissant des risques industriels et des situations difficiles en matière de défense.

Enfin, la direction générale du Trésor est impliquée dans la politique de sécurité économique, notamment dans le cadre du contrôle des investissements étrangers en France et aux fins de préservation des intérêts patrimoniaux de l’Etat.

Ces administrations contribuent, en parallèle du CISSE, au recensement des secteurs, technologies et entreprises stratégiques et, par conséquent, à l’orientation de l’activité des services de renseignement, avec lesquels ils entretiennent des relations directes et nourries.

Ainsi, si elle exploite de multiples sources d’information ouverte, la direction générale de l’armement s’appuie également sur le renseignement, que lui fournit principalement la direction du renseignement et de la sécurité de la Défense (mouvements capitalistiques concernant des industries de défense, informations pour contrer les transferts de savoir-faire à l’étranger, etc.).

De la même manière, la direction générale du Trésor entretient des relations étroites et directes avec les services de renseignement, notamment la DGSI et la DGSE : elle fournit, chaque année, une contribution aux services définissant des priorités en matière de renseignement d’intérêt économique, complétée, si nécessaire, par des sollicitations ponctuelles pour des besoins d’informations complémentaires.

Si la coexistence de plusieurs acteurs ne soulève pas, en soi, de difficulté, la délégation a pu constater, au cours de ses auditions, que, faute de coordination suffisante, le dispositif mis en œuvre était encore loin d’avoir démontré son efficacité.

Les personnalités et institutions entendues, y compris le commissaire lui-même[6], s’accordent en effet unanimement à constater que le CISSE n’a pas su, à ce jour, trouver sa place. Malgré sa vocation interministérielle, il paraît en effet avoir éprouvé des difficultés à affirmer son autorité et à assurer la coordination entre les différents ministères concernés par la mise en œuvre de la politique de sécurité économique, notamment à l’occasion du recensement des secteurs, technologies et entreprises stratégiques.

Ainsi, si certains ministères ont activement participé à ce recensement, d’autres ont fait preuve d’une certaine réticence ou d’un manque d’intérêt[7] à adresser au commissaire les informations requises. Au demeurant, le CISSE, qui s’appuie sur un service rattaché à la direction générale des entreprises, n’a pas su affermir sa place de coordonnateur au sein même des ministères économiques et financiers, notamment à l’égard de la direction générale du Trésor, qui a gardé la main sur un volet important de la politique de sécurité économique. 

Une telle situation n’est pas sans conséquence pour la cohérence de la politique de sécurité économique. *****

Force est par ailleurs de constater qu’un déficit notable de coordination existe également entre le CISSE et les autres grands donneurs d’ordre, en particulier le SGDSN. *****

b)  Un dispositif territorial en cours de structuration

Conformément aux orientations initialement fixées par une circulaire du Premier ministre du 15 septembre 2011, le dispositif de sécurité économique se décline également au niveau territorial.

Le préfet de région, préfet responsable de la zone de défense et de sécurité, assure l’exécution, au niveau local, de la politique de sécurité  nationale, qui inclut la politique de sécurité économique. Il est chargé, à travers son secrétariat général pour les affaires régionales, de la coordination de l’ensemble des acteurs impliqués en matière de sécurité économique sur le territoire, à savoir le délégué à l’information stratégique et à la sécurité économique de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, les référents intelligence économique des autres services déconcentrés de l’Etat ainsi que les représentants territoriaux des services de renseignement[8]. Le secrétariat général pour les affaires régionales s’appuie, dans la mise en œuvre de la politique de sécurité économique, sur un réseau de sous-préfets à l’intelligence économique, désignés dans chaque département, chargés de décliner cette politique au sein des territoires.

La création du CISSE en 2016 s’est accompagnée de la rénovation des dispositifs de gouvernance de la politique d’intelligence économique au niveau territorial.

Selon les instructions données aux préfets de région, le pilotage du dispositif d’intelligence économique territoriale et de sécurité économique devrait désormais reposer sur deux structures :

-               un comité régional à l’intelligence économique territoriale (CRIET) : présidé par le préfet de région, il se réunit une fois par an pour définir les orientations de la politique d’intelligence économique territoriale et en fixer la déclinaison au moyen d’une feuille de route. Il regroupe sous l’autorité du préfet délégué à la sécurité, la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, la direction régionale des douanes, la chambre de commerce et d’industrie de région et les représentants régionaux de la gendarmerie nationale et de la direction générale de la sécurité intérieure ;

-               un comité régional de sécurité et d’information stratégique (CRSIS) : pilotée par le secrétaire général adjoint pour les affaires régionales, il s’agit d’une structure plus opérationnelle, qui se réunit au moins trois fois par an. Elle est chargée d’identifier des entreprises de quelques secteurs ou filières, caractérisés par leur développement, leur attractivité ou leur capacité d’innovation, qui doivent faire l’objet d’une vigilance particulière des services. Ce comité peut se réunir en formation restreinte de manière à traiter d’informations réservées.

Dans la plupart des régions, la mise en place de cette nouvelle gouvernance a débuté à la fin de l’année 2016. Selon les informations communiquées à la délégation, des comités régionaux sont désormais opérationnels et permettent de faciliter la coordination entre les services déconcentrés de l’Etat et les services de renseignement.

Une forte déconnexion entre le niveau central et les services déconcentrés de l’Etat peut en revanche être déplorée dans la mise en œuvre de la politique publique de sécurité économique. Dans la pratique, en effet, les préfectures de région n’ont été ni impliquées dans le recensement des secteurs, technologies et entreprises stratégiques, ni *****, interrogeant la cohérence de l’ensemble du dispositif.

  1. Un dispositif fluctuant de promotion des intérêts économiques de la France

De même qu’en matière de sécurité économique, la politique de promotion économique repose sur plusieurs acteurs, qui contribuent, chacun, à alimenter les services de renseignement de demandes d’informations et d’interventions.

*****

  1. Un engagement des services sur le renseignement d’intérêt economique qui se heurte a plusieurs obstacles
    1. Une augmentation et une structuration des moyens consacrés à la production du renseignement d’intérêt économique

Malgré l’accent mis, au cours des dernières années, sur la lutte contre le terrorisme, la production du renseignement d’intérêt économique représente aujourd’hui une part significative de l’activité des services de renseignement.

*****

Face à l’importance récente donnée à la finalité économique du renseignement, les services ont engagé un renforcement et une réorganisation des moyens alloués à la production du renseignement d’intérêt économique.

a)  La DGSE et la DGSI, principaux producteurs du renseignement d’intérêt économique

Principaux contributeurs historiques au renseignement d’intérêt économique, la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) ont investi sur cette finalité au cours des dernières années, afin d’augmenter leurs capacités de veille et de réponse.

*****

Chef de file en matière de sécurité économique pour les entités de la sphère civile, notamment au titre de sa compétence en matière de contre-ingérence et de contre-espionnage, la DGSI dispose, au sein de sa direction du renseignement et des opérations, d’une sous-direction dédiée.

Outre un rôle de sensibilisation des entreprises sur les enjeux liés à la protection de l’information stratégique et à l’ingérence économique étrangère, elle assure une mission de veille en matière d’atteintes aux entreprises et de suivi attentif des entités, publiques ou privées, relevant de secteurs identifiés comme stratégiques au regard des intérêts économiques nationaux.

*****

Alors même que la délégation au renseignement appelait de ses vœux, en 2014, un engagement massif de la DGSI en matière économique, force est de constater que le service a fortement investi dans ce domaine. La délégation se félicite notamment de l’augmentation conséquente des moyens alloués à cette finalité, malgré l’engagement massif du service en matière de contre-terrorisme au cours des dernières : *****

b)  La DRSD, service de contre-ingérence du secteur de la défense

Service de renseignement du premier cercle rattaché au ministère des armées, la direction du renseignement de la sécurité et de la défense a pour principale mission d’assurer la protection du personnel militaire, des informations, du matériel et des installations sensibles.

Elle assure, à cet égard, un rôle central en matière de contre‑ingérence économique, constituant le pendant de la DGSI pour les entreprises relevant du secteur de la défense. A ce titre, elle est en relation avec la DGSE s’agissant des menaces et enjeux du secteur.

Ses missions sont principalement au nombre de trois. Elle entretient, en premier lieu, un contact direct avec les acteurs privés du secteur de la défense pour sensibiliser, conseiller et entraver les menaces.

Elle possède, par ailleurs, un rôle majeur en matière de détection des tentatives d’ingérence ou d’intrusion.

Enfin, elle intervient pour assurer la protection des entreprises sensibles, à deux niveaux. Responsable de la protection du secret de la défense nationale, elle est chargée de l’instruction des dossiers d’habilitation et veille au respect des procédures, par les ***** entreprises habilitées au secret de la défense nationale. Par ailleurs, la DRSD est chargée d’animer et de mettre en œuvre, auprès des entreprises, le dispositif de protection du patrimoine scientifique et technique, qui vise à protéger les accès aux savoirs, savoir-faire et technologies les plus sensibles des établissements publics et privés.

c)  Une participation plus indirecte mais essentielle des autres services de renseignement

Bien qu’ils ne soient que rarement impliqués en première ligne dans la gestion d’un dossier, d’autres services de renseignement, du premier comme du second cercle, contribuent activement à la production de renseignement d’intérêt économique et assurent, à cet égard, une veille essentielle, notamment à des fins de sécurité économique. 

Compte tenu de la priorité donnée au renseignement d’intérêt économique et de ses compétences de contrôle et d'audit auprès des entreprises ayant des activités de commerce international, la DNRED a engagé un processus de structuration de son action dans ce domaine, *****.

La délégation salue ces évolutions, qui contribueront à améliorer à la fois l’utilité et la qualité du renseignement produit.

 Depuis le 1er janvier 2017, Tracfin dispose en outre de la faculté, en application de l’article L. 561-31 du code monétaire et financier, de transmettre au CISSE des notes relatives à des déclarations de soupçons, prérogative utilisée, selon les informations transmises à la délégation, à reprises en 2017.

 Le service central du renseignement territorial (SCRT), rattaché à la direction centrale de la sécurité publique (DCSP), bénéficie d’une compétence sur l’ensemble du territoire, y compris dans la zone de gendarmerie et appréhende le renseignement économique sous plusieurs angles. *****

      La sous-direction de l'anticipation opérationnelle (SDAO) de la direction de la gendarmerie nationale (DGGN), s'est, depuis 2014, date de sa création, également structurée afin de mieux prévenir les atteintes à la sécurité économique et renseigner sur les menaces qui pèsent sur les entreprises.
*****

  1. Une production du renseignement d’intérêt économique perfectible
a)  Les services confrontés à un manque de hiérarchisation des demandes

Malgré le renforcement de leurs moyens, notamment humains, et les efforts réalisés pour améliorer les procédures de production du renseignement d’intérêt économique, certains services de renseignement paraissent se heurter à des difficultés de traitement et de hiérarchisation des demandes toujours plus nombreuses qui leur sont adressées par les autorités.

*****

La délégation souhaite attirer l’attention sur le fait qu’un telle situation, loin d’être satisfaisante, risque de nuire tant à l’efficience qu’à la pertinence du renseignement produit : d’une part, le manque de hiérarchisation des demandes fait courir le risque aux services de passer à côté des enjeux essentiels en matière économique ; d’autre part, il conduit à disperser les ressources sur des dossiers qui peuvent ne pas être les plus prioritaires pour les autorités.

En parallèle, plusieurs services de renseignement territorial ont regretté ne pas disposer d’orientations précises quant à leur activité en matière de sécurité économique. *****

Enfin, certains  services de renseignement ont déploré ne pas disposer de retours suffisants, de la part des administrations destinataires du renseignement, sur la qualité et la pertinence des éléments transmis. Or, de tels retours d’expérience paraissent indispensables pour leur permettre de mieux orienter leurs capteurs et d’affiner leur stratégie de recherche du renseignement économique.

b)  Un recours encore contesté aux techniques de renseignement

Comme rappelé précédemment, depuis la loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement, les services de renseignement sont autorisés à recourir, en vertu de l’article L. 811-3 du code de la sécurité intérieure, aux techniques de renseignement pour le recueil de renseignements relatifs à la défense et à la promotion des « intérêts économiques, industriels et scientifiques majeurs de la France ».

L’ensemble des services de renseignement entendus par la délégation au cours de ses travaux a toutefois fortement regretté que les demandes de techniques de renseignement qu’ils formulent dans le cadre de cette finalité se heurtent, dans la pratique, à un nombre important d’avis défavorables de la part de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR).

Les statistiques dont dispose à ce jour la délégation semblent confirmer cette difficulté. *****

La délégation s’interroge sur le nombre conséquent d’avis défavorables formulés par la CNCTR par rapport aux demandes adressées au titre des autres finalités de la politique publique de renseignement. D’autant qu’en 2015, à l’occasion de l’examen du projet de loi relatif au renseignement, le législateur a fait le choix d’une définition large des intérêts économiques, industriels et scientifiques en préférant le qualificatif « majeurs » au qualificatif « essentiels », considéré comme plus restrictif.

Interrogé sur ce point par la délégation, le président de la CNCTR a indiqué que la CNCTR avait choisi, en la matière, de n’adopter aucune doctrine générale au profit d’une approche pragmatique, au cas par cas. Pour chaque demande dont elle est saisie, la CNCTR fonde son appréciation non pas sur ce que l’Etat aurait défini, *****, comme présentant un intérêt majeur, mais sur une appréciation « propre » de ce qu’elle estime comme tel.

La délégation s’étonne d’une telle approche, qui lui parait nuire à la cohérence et à l’efficacité du dispositif de production et de traitement du renseignement d’intérêt économique et appelle à une plus grande fluidité dans la communication à la CNCTR d’éléments d’appréciation sur le caractère stratégique des demandes.

 

  1. Achever la refonte du renseignement d’intéret economique au benefice d’une politique economique ambitieuse

Objet d’une nouvelle réflexion interministérielle, les politiques de sécurité économique et de promotion économique, qui s’appuient, en grande partie, sur le renseignement d’intérêt économique, devraient, au cours des prochains mois, faire l’objet d’évolutions significatives.

Aussi, bien qu’elle n’ait pas achevé ses travaux, la délégation a estimé utile, au regard des constats précédemment énoncés, de formuler dès à présent quelques propositions d’évolution des dispositifs mis en œuvre. 

A.  Définir, au plus haut niveau de l’etat, une doctrine claire en matière de renseignement économique

Les tâtonnements, au cours des vingt dernières années, de la politique publique d’intelligence économique, dont la dénomination a, depuis 2016, été abandonnée au profit d’une politique dite de protection et de promotion des intérêts économiques, industriels et scientifiques de la Nation, paraissent être le fruit d’une impulsion politique insuffisante.

Si politique ambitieuse il doit y avoir en matière de sécurité et de promotion économiques, elle ne saurait en effet s’appuyer sur les seules structures administratives, sans impulsion politique durable.

Entendu par la délégation, le directeur de cabinet du Premier ministre a précisé, à cet égard, qu’était à l’étude la proposition de réunir, sur une base semestrielle, un conseil de défense et de sécurité nationale consacré spécifiquement aux questions de sécurité économique.

Si, comme il lui a été indiqué, aucune décision définitive n’a été prise sur le sujet, la délégation approuve pleinement cette proposition, qui s’inscrit dans le droit fil des raisonnements précédemment énoncés. Elever la définition des grands axes de la politique de protection et de promotion des intérêts économiques au niveau de cette instance interministérielle, présidée par le Président de la République, lui paraît en effet de nature à maintenir, dans la durée, l’effort engagé en faveur du renseignement d’intérêt économique et à permettre une meilleure orientation du renseignement au service de la politique économique mise en œuvre par le Gouvernement, et par conséquent à en améliorer à la fois la pertinence et l’utilité.

Sur le plan juridique, la délégation observe, d’ailleurs, que le décret n° 2009-1657 du 24 décembre 2009 relatif au conseil de défense et de sécurité nationale et au secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale fixe parmi les missions du conseil national de défense et de sécurité nationale, la définition des orientations en matière de sécurité économique. Elle estime dès lors qu’il serait pertinent d’adopter, pour les conseils de défense spécifiquement orientés sur les enjeux économiques, comme l’autorise le décret précité, un format élargi par rapport à la formation plénière, qui réunit, outre le Président de la République, le Premier ministre, le ministre de la défense, le ministre de l’intérieur, le ministre chargé de l’économie, le ministre chargé du budget et le ministre des affaires étrangères. Pourraient ainsi utilement être conviés à ces conseils le ministre chargé de la santé ainsi que le ministre chargé de l’énergie et des transports.

 

Proposition n° 11 : Réunir, sur une base semestrielle, un conseil de défense et de sécurité nationale consacré aux questions de sécurité économique.

S’ils méritent d’être relevés, les efforts récemment engagés pour réinvestir la finalité économique de la politique publique du renseignement ne pourront achever de produire des résultats s’ils ne sont accompagnés de l’affirmation, au plus haut niveau de l’Etat, d’une doctrine claire et précise pour le renseignement d’intérêt économique, clarifiant son rôle en appui de la politique économique.

La concrétisation des ambitions du dernier plan national d’orientation du renseignement nécessite en effet qu’une volonté politique soit impulsée de manière à assurer, d’une part, l’engagement de l’ensemble de l’appareil étatique de l’Etat, et, d’autre part, à fixer des orientations politiques claires pour les services de renseignement et à prioriser les enjeux. *****

En effet, le renseignement d’intérêt économique ne constitue qu’une source d’information parmi d’autres, sur lesquelles les grands donneurs d’ordre de la politique économique peuvent s’appuyer. Or, certains services ***** estiment être sollicités pour produire des informations qui pourrait être fournies sur la base d’autres sources. De l’avis de la délégation, il conviendrait donc que les finalités données à la production du renseignement économique soient mieux définies de manière à éviter de surcharger inutilement les services de renseignement de demandes susceptibles d’être traitées par d’autres moyens.

Au surplus, pour que les efforts déployés par les services pour produire du renseignement d’intérêt économique soient efficacement exploités, il est nécessaire, d’une part, d’impliquer l’ensemble de l’appareil étatique de l’Etat dans le traitement du renseignement, et, d’autre part, de fixer des procédures claires encadrant les relations entre les services de renseignement et les grands donneurs d’ordre de la politique économique.

Proposition n° 12 : Clarifier le rôle assigné au renseignement d’intérêt économique en appui de la politique économique en adoptant, au plus haut niveau de l’Etat, une doctrine du renseignement économique.

Enfin, la délégation tient à souligner que la définition d’une doctrine claire, au plus haut niveau de l’Etat, en matière de renseignement économique, devrait pouvoir être utilement exploitée par la CNCTR afin d’orienter sa pratique en matière de recours aux techniques de renseignement à des fins économiques. Dès lors que des procédures et des priorités claires seront définies, il lui apparaît en effet essentiel que l’ensemble des moyens prévus par le législateur puissent, dans le respect des conditions fixées par la loi, être exploités par les services de renseignement.

B.  Rationaliser les structures administratives

Afin d’assurer une mise en œuvre efficiente, sur le plan opérationnel, des orientations stratégiques définies par l’exécutif, une réorganisation des structures administratives, au bénéfice de dispositifs souples mais coordonnés, s’impose.

  1. Renforcer le pilotage interministériel du dispositif de sécurité économique

Le déficit de coordination des acteurs impliqués dans la politique de sécurité économique, dont il a été fait précédemment état, nuit à la déclinaison opérationnelle des axes définis dans le PNOR et, plus généralement, à l’efficacité de la politique de sécurité économique.

De l’avis de la délégation, la solution ne réside pas nécessairement dans la concentration de l’ensemble de la compétence au sein d’une unique administration. Certains des dispositifs existants ont d’ores et déjà démontré leur efficacité, que ce soit en matière de protection des industries de défense, dont le pilotage est confié à la direction générale de l’armement du ministère des armées ou en matière de protection des opérateurs d’importance vitale, qui relève du SGDSN. Dès lors, il serait contre-productif d’en confier la responsabilité à d’autres structures.

En revanche, face à la multiplicité des acteurs et des administrations concernées, il apparaît plus que nécessaire de renforcer le pilotage interministériel de la politique de sécurité économique.

Les ambitions de la réforme ayant conduit à la création du CISSE étaient, à cet égard, louables : elle visait en effet à confier à une entité unique la conduite de la politique de sécurité économique et à coordonner l’action des ministères compétents dans ce domaine.

L’adéquation du positionnement du CISSE à l’objectif visé soulève toutefois des interrogations : comment en effet espérer conférer une autorité interministérielle à une entité rattachée au  ministre de l’économie et s’appuyant sur un service placé, hiérarchiquement, sous l’autorité d’un directeur général ?

Si la nécessité de doter le CISSE d’une plus grande portée interministérielle ne fait pas débat, les moyens d’y parvenir n’apparaissent pas limpides.

Une première option pourrait consister à placer directement le CISSE auprès du Premier ministre. Une telle solution n’apparaît toutefois pas idéale à la délégation, dans la mesure où elle risquerait de reproduire les défauts observés dans le cadre de la délégation interministérielle à l’intelligence économique, que l’on avait estimée trop détachée des enjeux économiques.

Une seconde option, actuellement privilégiée par les services du Premier ministre, consisterait à rattacher le CISSE au SGDSN, en le désignant comme « SGDSN adjoint » chargé de la conduite de la politique de sécurité économique. Le CISSE ne serait toutefois pas détaché du ministère de l’économie, dans la mesure où cette fonction se confondrait avec celle de directeur général des entreprises.

En tout état de cause, la délégation considère qu’une coordination interministérielle effective entre les différentes administrations nécessite avant tout l’instauration d’une structure souple de coordination, qui réunirait, sous l’égide de Matignon, l’ensemble des acteurs impliqués dans la conduite de la politique publique de sécurité économique. Une telle structure assurerait la mise en œuvre et le suivi des orientations fixées par le conseil national de sécurité et de défense.

La mise en place d’un comité interministériel de la sécurité économique est actuellement à l’étude par les services du Premier ministre. Selon les informations communiquées à la délégation, il serait piloté par le CISSE, dans sa version rénovée, et réunirait, outre le SGDSN, les principales directions générales des ministères concernés par la politique de sécurité économique – direction générale du Trésor, direction générale de la santé, direction générale de l’énergie et des transports, direction générale de l’armement, etc.

La délégation approuve l’idée de réunir régulièrement un comité interministériel, qui devrait permettre de mieux sensibiliser l’ensemble des ministères aux enjeux de sécurité économique. Elle considère par ailleurs pertinent que cette réunion soit établie au niveau des directeurs généraux pour recueillir un investissement suffisant des administrations. En revanche, elle considère qu’une telle réunion mériterait d’être systématiquement pilotée par le cabinet du Premier ministre, *****. Elle attire par ailleurs l’attention du Gouvernement sur la nécessité qu’une telle réunion soit réunie de manière régulière, a minima sur une base mensuelle. Elle considère enfin que cette instance devrait être réunie régulièrement, lors de son installation et une fois l’an, par le Premier ministre lui-même de façon à donner et préserver une forte impulsion à ses travaux.

Proposition n° 13 : Instaurer un comité interministériel, piloté par le cabinet du Premier ministre, pour renforcer la coordination des acteurs impliqués dans la politique de sécurité économique.

En parallèle des réformes envisagées au niveau central, la délégation estime également essentiel de rénover le dispositif d’intelligence économique territoriale.  Les services déconcentrés de l’Etat ont une position privilégiée pour identifier, sur les territoires, les entités stratégiques. Dès lors, il apparaitrait essentiel de les impliquer plus étroitement dans le recensement des secteurs, technologies et entreprises stratégiques, dont le pilotage a été confié au CISSE.

Proposition n° 14 : Impliquer les services déconcentrés de l’Etat dans le recensement des secteurs, technologies et entreprises stratégiques.

***** La délégation observe qu’il pourrait être utile de mettre à jour la circulaire du Premier ministre du 17 septembre 2011, afin de fixer des orientations claires aux préfets de région.

Proposition n° 15 : Mettre à jour la circulaire du Premier ministre du 17 septembre 2011 relative au dispositif d’intelligence économique territoriale.

  1. Assurer la pérennisation des structures de coordination en matière de promotion économique

Comme évoqué précédemment, les difficultés de coordination sont moindres en matière de promotion économique.

*****

Proposition n° 16 : Renforcer la coordination des administrations en matière de promotion économique, *****.

  1. Poursuivre l’effort budgétaire au soutien de la production du renseignement d’interet economique

Les services de renseignement ont connu, au cours des trois dernières années, un renforcement significatif de leurs moyens, notamment humains. Selon les annonces du Gouvernement, de nouveaux effectifs devraient leur être alloués d’ici la fin du quinquennat.

Le besoin de poursuivre la consolidation des services de lutte anti-terroriste, dans un contexte de menace encore élevée sur le territoire, ne doit toutefois pas se faire au détriment des autres finalités de la politique publique de renseignement, notamment du renseignement d’intérêt économique.

Malgré l’investissement déjà réalisé au cours des dernières années, plusieurs personnes entendues par la délégation ont en effet regretté que les moyens actuellement confiés, dans certains services, à la production du renseignement économique ne soient pas satisfaisants pour répondre à l’ensemble des demandes qui leur sont adressées.

*****

Compte tenu de la priorité donnée par les plus hautes autorités de l’Etat au renseignement d’intérêt économique, et de l’augmentation des sollicitations qui devraient en découler pour les services, la délégation préconise un accroissement significatif des ressources allouées, dans les services de renseignement, à la production du renseignement d’intérêt économique au cours des prochaines années.

Proposition n° 17 : Programmer un accroissement des ressources allouées, dans les services de renseignement, à la production du renseignement d’intérêt économique.

  1. Ameliorer la chaîne de traitement du renseignement d’intérêt économique

L’investissement de l’appareil de renseignement sur la production du renseignement d’intérêt économique n’aura un impact majeur sur le plan économique que si ce renseignement est traité de manière efficace et s’il trouve une traduction par la mise en œuvre de mesures concrètes. Or, le système français souffre encore, à cet égard, d’un éclatement des outils économiques dont dispose l’Etat ainsi que d’une culture du renseignement encore très largement déficitaire au sein des administrations.

  1. Identifier la chaîne de traitement du renseignement d’intérêt économique et diffuser une culture du renseignement au sein des administrations

Si certaines administrations ont développé des relations étroites avec les services de renseignement – la direction générale du Trésor avec la DGSE ou la direction générale de l’armement avec la DRSD par exemple – qui facilitent et fluidifient les échanges, d’autres demeurent encore très étrangères au monde du renseignement, avec lequel elles n’entretiennent que peu de relations directes.

Les services de renseignement se plaignent, à cet égard, de ne pas disposer de référents identifiés dans l’ensemble des administrations impliquées dans la chaîne de traitement du renseignement d’intérêt économique, parfois au sein des services de Bercy, mais surtout dans les administrations relevant d’autres ministères. Selon les témoignages recueillis par la délégation, il n’est donc pas rare que les notes produites par un service soient adressées aux plus hautes autorités d’un ministère, sans que la personne qui serait la plus à même de réagir à leur contenu n’en soit jamais destinataire. 

Qui plus est, la « culture du renseignement » fait, le plus souvent, largement défaut au sein de ces administrations. Leurs personnels ne sont, généralement ni habilités, ni formés à manier des informations confidentielles, lorsqu’ils ne font pas preuve d’une réticence à l’égard d’informations qu’ils estiment collectées de manière illégale.

De tels facteurs nuisent à la diffusion du renseignement produit par les services ainsi qu’à son traitement, entraînant un retard inévitable dans la réaction de l’Etat en cas de menace pesant sur nos intérêts économiques, industriels ou scientifiques.

Dans ces conditions, il apparaît urgent d’inciter chaque ministère à désigner, en son sein, des référents qui assureraient un rôle de relai et seraient susceptibles de dialoguer et d’échanger, sur le plan opérationnel, avec les services de renseignement, de recevoir les renseignements collectés. Habilités au secret de la défense nationale, ces référents pourraient également assurer un retour d’expérience sur les productions des services.

Proposition n° 18 : Inciter les ministères à désigner en leur sein des référents en matière de renseignement d’intérêt économique, habilités au secret de la défense national et qui seraient chargés d’un rôle d’interlocuteur avec les services de renseignement.

Certains ministères ont confié ce rôle de référent au haut fonctionnaire de défense et de sécurité, fonction généralement assumée par le secrétaire général du ministère. Ainsi, le secrétariat général du ministère de la transition écologique et solidaire a créé en son sein un service de défense, de sécurité et d’intelligence économique, qui remplit un rôle d’intermédiaire entre les services du ministère et les officiers de liaison des services de renseignement.

Bien qu’intéressant, ce modèle n’est pas sans soulever des difficultés. Comme le relevait le secrétaire général du ministère de la transition écologique et solidaire, le secrétariat général peut rencontrer des difficultés à collecter les informations auprès de ses propres services. Généralement éloigné de l’activité opérationnelle, qui relève des directions sectorielles, il ne se révèle pas, en outre, l’interlocuteur le plus adéquat pour échanger sur des questions opérationnelles avec les services de renseignement. Enfin, la délégation a pu observer que l’implication des hauts fonctionnaires de défense et de sécurité était très variable selon les ministères concernés.

Dès lors, sans renoncer au rôle de coordination que pourrait jouer le haut fonctionnaire de défense et de sécurité, il paraîtrait pertinent d’étudier la possibilité que des référents soient désignés au plus près de l’activité opérationnelle, au sein même des directions sectorielles.

En parallèle, la délégation recommande à la coordination nationale du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT) d’engager une réflexion pour améliorer la connaissance du monde du renseignement au sein des ministères, en vue de développer une véritable « culture du renseignement ».

Proposition n° 19 : Lancer une réflexion pour améliorer la connaissance de la politique publique du renseignement au sein des administrations françaises.

  1. Améliorer l’organisation de la réponse publique

En matière de défense comme de promotion des intérêts économiques, industriels et scientifiques de la Nation, l’Etat dispose d’un panel d’outils relativement large lui permettant soit de prévenir ou d’entraver une menace pesant sur une entreprise, soit d’assurer la promotion des intérêts français.

Ces leviers d’actions, qui relèvent de quatre catégories principales – politiques, juridiques, économiques et judiciaires – sont actuellement éparpillés, aux mains d’administrations distinctes.

 

Principaux leviers d’actions de l’Etat en matière de défense et de promotion des intérêts économiques, industriels et scientifiques de la Nation

Les outils politiques

En matière économique, la négociation diplomatique constitue un outil essentiel aux mains des autorités pour assurer tant la défense que la promotion des intérêts nationaux.

Les outils économiques

L’intervention de l’Etat est, à cet égard, double. Il peut, d’une part, assurer la protection d’une entreprise nationale menacée en investissant dans le capital de ladite entreprise, par exemple via l’Agence des participations de l’Etat (APE) ou la Banque publique d’investissement (BPI). Les pouvoirs publics sont également susceptibles d’agir, d’autre part, de manière plus indirecte, en incitant des acteurs privés à investir dans une entreprise en difficulté.

Les outils juridiques

En réponse à l’augmentation des menaces pesant sur les entreprises, l’Etat français s’est doté d’un certain nombre d’outils juridiques destinés à renforcer leur protection. Parmi ceux-ci peuvent notamment être cités :

- la loi dite de blocage[9] : adoptée en 1968, elle vise à protéger les entreprises françaises contre les actions engagées par des autorités étrangères, notamment par la voie judiciaire, pour accéder à des informations stratégiques. A cette fin, elle interdit aux Français ainsi qu’aux personnes résidant en France, ainsi qu’aux dirigeants et agents d’entreprises ayant leur siège ou établissement sur le territoire français, de communiquer « à des autorités publiques étrangères, les documents ou les renseignements d’ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique dont la communication est de nature à porter atteinte à la souveraineté, à la sécurité, aux intérêts économiques essentiels de la France ou à l’ordre public » ;

- le dispositif de protection du patrimoine scientifique et technologique (PPST) : destiné à empêcher la fuite d’informations stratégiques, de savoirs et de savoir-faire de nature à compromettre la défense, la sécurité ou à porter atteinte aux intérêts, ce dispositif repose sur la mise en place de dispositifs de protection autour de locaux ou de terrains intéressant la défense nationale, qui prennent principalement la forme de zones à régime restrictif (ZRR). En vertu de l’article 413-7 du code pénal, l’introduction, sans autorisation, à l’intérieur de ces locaux et terrains est réprimée de 5 ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende ;

- l’autorisation administrative d’investissement étranger en France : en vertu de l’article L. 151-3 du code monétaire et financier, sont soumis à autorisation préalable du ministre de l’Economie les investissements étrangers dans une activité qui participe à l’exercice de l’autorité publique, est de nature à porter atteinte à l’ordre public, à la sécurité publique ou aux intérêts de la défense nationale ou dans une activité de recherche, de production ou de commercialisation d’armes, de munitions.

Les outils judiciaires

L’engagement de poursuites pénales, bien que peu utilisé dans la pratique, constitue également un instrument de réponse en cas d’atteinte contre une entreprise. Si l’espionnage industriel n’est pas pénalisé en tant que tel, plusieurs infractions permettent de réprimer le vol de données ou de savoir-faire ou la divulgation d’informations confidentielles. Sont ainsi réprimées la captation, l’enregistrement ou la transmission de paroles ou d’images portant atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui (article 226-1 du code pénal), la révélation d’information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire (article 226-13 du code pénal), le vol (article 311-1 du code pénal) ou encore la pénétration frauduleuse d’un traitement automatisé de données (article 323-1 du code pénal).

 

Sans se prononcer sur l’efficacité respective de chacun de ces outils, qui dépasse son champ d’étude, la délégation constate néanmoins que, de même qu’au stade de la définition des orientations du renseignement d’intérêt économique, aucune coordination n’existe au stade de son traitement. Comme l’ont relevé plusieurs acteurs entendus, il n’existe pas, en France, de lignes directrices encadrant la réponse des pouvoirs publics en cas de menace détectée contre nos intérêts économiques, industriels ou scientifiques.

Selon les informations dont dispose la délégation, la réforme du CISSE et sa fusion avec le poste de directeur général des entreprises du ministère de l’économie pourrait conduire à une convergence, au moins partielle, des principaux outils actuellement aux mains d’autres directions générales vers cette direction générale des entreprises rénovée. Il en serait notamment ainsi de la procédure des investissements étrangers en France (IEF), actuellement pilotée par la direction générale du Trésor, des zones à régime restrictif (ZRR), qui relèvent du SGDSN ainsi que de l’actionnariat public. La bascule ne serait toutefois pas complète : le « DGE/CISSE » aurait un rôle principalement décisionnel pour choisir de l’activation des mesures, mais leur mise en œuvre continuerait d’être assurée par les administrations qui en ont déjà la charge.

Cette évolution va, sans aucun doute, dans le sens d’une meilleure coordination et facilitera le développement de lignes directrices encadrant la réponse aux menaces économiques. La délégation s’interroge toutefois sur la perte d’expérience que ce transfert entraînera sur la mise en œuvre de ces outils, que les administrations qui en ont actuellement la charge avaient accumulée. De même qu’au stade de la définition des orientations, pourrait utilement être envisagé de confier au comité interministériel actuellement à l’étude (cf. supra), rassemblant, sous le pilotage du cabinet du Premier ministre, les principales directions générales concernées, le soin de procéder à l’articulation des différents leviers d’action.

Proposition n° 20 : Confier au comité interministériel de la sécurité économique, dont il est proposé la création, la responsabilité de définir des lignes directrices encadrant la réponse aux menaces économiques.

Enfin, il apparaît indispensable que les leviers ainsi mis en œuvre fassent l’objet d’un suivi et d’une évaluation régulière. A titre d’exemple, un investissement étranger peut être assorti d’un certain nombre de conditions imposées à l’investisseur et acceptées par lui. Le respect de ces conditions doit pouvoir être vérifié régulièrement et des sanctions devraient pouvoir être prises en cas de non-respect de ces conditions. La délégation n’a pu vérifier que ce contrôle est systématique, ni que les conditions sont effectivement et scrupuleusement respectées. Un dispositif robuste de contrôle et d’évaluation devrait être mis en œuvre et ces questions devraient être régulièrement évoquées en comité interministériel de la sécurité économique.

Proposition n° 21 : Mettre en place un contrôle et une évaluation des leviers d’action de l’Etat en matière de sécurité économique.

 


Chapitre IV :
Rapport général de la commission de vérification des fonds spéciaux
sur l’exercice 2016

 

Le contrôle de l'utilisation des fonds spéciaux a été confié par le législateur (loi de finances pour 2002) à la Commission de vérification des fonds spéciaux dont la composition a été modifiée par la loi de programmation militaire du 18 décembre 2013 qui en fait une formation spécialisée de la Délégation parlementaire au renseignement.

La CVFS, composée de deux députés et deux sénateurs membres de la Délégation parlementaire au renseignement est chargée de « s’assurer que les crédits [en fonds spéciaux] sont utilisés conformément à la destination qui leur a été assignée par la loi de finances ».

La composition de la CVFS a été renouvelée à la suite des élections législatives (juin 2017) et sénatoriales (septembre 2017). Elle est présidée par le député Loïc Kervran et composée de trois autres parlementaires : le député Patrice Verchère et les sénateurs Michel Boutant et François-Noël Buffet. Sa composition prend en compte l’équilibre politique des deux chambres.

 

I.  PRÉSENTATION GÉNÉRALE DES FONDS SPECIAUX EN 2016

A.  Des crédits en diminution significative

Pour l’année 2016, le montant initial des fonds spéciaux affectés par la loi de finances aux services spécialisés de renseignement et au GIC s’est élevé à 47,3 millions d’euros en autorisations d’engagement et en crédits de paiement. Ces crédits sont inscrits à l’action n° 2 « Coordination de la sécurité et de la défense » du programme budgétaire n° 129.

Cette dotation initiale en fonds spéciaux est inférieure à l’exercice 2015 dont le montant était de 50,2 millions, hors ressources additionnelles intervenues en cours d’année.

Néanmoins, les dotations en fonds spéciaux faisant l’objet d’abondements en cours d’année (soit par DDAI et/ou de décrets de transfert), il faut s’attacher au montant total des crédits en fonds spéciaux mis à disposition au cours de l’exercice budgétaire.

En 2016, les recettes en fonds spéciaux attribuées aux services spécialisés de renseignement et au GIC ont ainsi atteint un montant total de 77,202 millions euros. C’est une diminution d’environ 25 % par rapport à 2015 où le montant total des fonds spéciaux s’élevait à 104,801 millions d’euros.

Bien qu’en baisse, ce montant total reste supérieur aux exercices budgétaires 2012 à 2014 :

Année

Montant total de la dotation en fonds spéciaux

2012

69,91 M

2013

68,81 M

2014

67,42 M

 

L’exercice 2015 se distingue avec un montant de fonds spéciaux exceptionnellement élevé, supérieur à 100 millions d’euros. Ce niveau particulièrement élevé s’explique par le fait que la dotation 2015 est venue couvrir des dépenses d’investissement pluriannuelles.

B.  Une évolution de la répartition des fonds spéciaux entre les services

Si la DGSE reste de très loin le principal récipiendaire de fonds spéciaux, l’attribution des dotations 2016 préfigure un rééquilibrage entre les différents services, que les exercices ultérieurs viennent confirmer.

C.  Des dépenses en forte augmentation

Tous les services à l’exception d’un seul voient leurs dépenses augmenter en 2016. 

Alors qu’en 2015, le total des crédits disponibles en fonds spéciaux (104,801 M€) était très nettement supérieur aux dépenses constatées en fin d’exercice (67,550 M€) – car les montants alloués couvraient en partie des dépenses pluriannuelles – la situation  constatée en 2016 révèle une sous dotation en fonds spéciaux manifeste au regard des dépenses réelles. 

Différentes raisons expliquent l’augmentation des dépenses, qu’il s’agisse du renforcement de nos capacités opérationnelles, du financement de nos activités de renseignement sur certains théâtres d’opération ou encore de nos investissements en matériel de démarquage. Sur ce dernier point, il est clair que des investissements de plus en plus coûteux sont nécessaires pour garantir l’anonymat des agents et des opérations menées par les services. Conserver une capacité d’action démarquée représente un coût de plus en plus important face à des réglementations de plus en plus contraignantes, au vu notamment des restrictions sur les moyens de paiement. Cette capacité à préserver l’anonymat est désormais clairement un enjeu de puissance que de moins en moins de pays sont en mesure de garantir.

D.   Des résultats d’exercice dégradés

La baisse de la dotation en fonds spéciaux, cumulée à l’augmentation des dépenses constatées conduit mécaniquement à une détérioration du résultat de l’exercice pour l’ensemble des services spécialisés de renseignement.

Lorsque le résultat de l’exercice est positif, le total de trésorerie et le report à nouveau augmentent. A l’inverse, lorsqu’il est négatif, ces deux agrégats diminuent.

La CVFS considère que l’existence de reliquats accumulés au cours des exercices antérieurs, si elle peut justifier d’ajuster le niveau de la dotation annuelle en fonds spéciaux, ne saurait toutefois conduire à amputer la part immobilisée ou gagée de la trésorerie des services. En conséquence, la commission invite les services à définir précisément leur niveau de trésorerie immobilisée et gagée afin que le montant de leur dotation en fonds spéciaux soit fixé à un niveau correspondant à leurs besoins réels (Recommandation générale n° 1).

Au regard de la trésorerie dégradée des services, la commission recommande d’exclure, par principe, les fonds spéciaux de l’assiette de la réserve de précaution. Le calcul de la réserve de précaution du Programme 129 ne devrait ainsi être effectué que sur les seuls crédits normaux, hors fonds spéciaux (Recommandation générale n° 2).

Par ailleurs, la commission constate le manque d’information des services sur l’échéancier des versements de leur dotation et leur montant précis. Elle recommande d’améliorer cette information (Recommandation générale n° 3).

 

II.  OBSERVATIONS COMMUNES À L’ENSEMBLE DES SERVICES

L’examen des comptes en fonds spéciaux des six services spécialisés de renseignement et du GIC permet à la CVFS de disposer d’une vision globale et transversale de la gestion des fonds spéciaux. S’il existe des spécificités propres à chaque structure, il n’en demeure pas moins que des réflexions et des problématiques communes interpellent la commission.

A.  Sur l’exigence de sincérité du montant des dotations

Dans ses précédents rapports, la CVFS avait souligné le recours très important à des décrets de dépenses accidentelles et imprévisibles (DDAI)  et à des décrets de transfert pour abonder en cours d’année les moyens alloués aux services.  Cette pratique, par son ampleur, pouvait s’apparenter à une atteinte à la sincérité de la prévision budgétaire dès lors que desdites dépenses étaient en réalité largement prévisibles.

Suivant les observations de la CVFS, l’exécutif a, depuis 2015, pris diverses mesures pour limiter le recours aux DDAI en cours d’exercice et promouvoir la sincérité de la programmation de l’enveloppe en fonds spéciaux :

- au printemps 2016, la Coordination nationale du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT) a revu la procédure d’expression des besoins des services afin de les anticiper dans le cadre de la construction du projet de loi de finances ;

- depuis le printemps 2017, les besoins exprimés par les services sont dorénavant inscrits dans une trajectoire pluriannuelle sur trois ans et un rendez-vous en milieu d’année est désormais prévu pour faire le point de la consommation des fonds spéciaux et préparer le schéma de fin de gestion.

La CNRLT souligne que ces mesures produisent leurs effets puisque la part des DDAI dans les recettes, qui était de 53,3 % en 2015 a été ramenée à 23,6 % en 2016.  

Pour autant, en 2016, la diminution des DDAI ne s’est pas accompagnée d’une augmentation à due proportion de la dotation initiale en fonds spéciaux, alors même qu’un besoin de financement supplémentaire a été exprimé par les services. Or s’il est admis qu’une part importante des DDAI finançait en réalité des dépenses prévisibles, cela aurait dû se traduire par une hausse équivalente des dotations initiales, ce qui n’a pas été le cas.

Au cours de l’exercice 2016, les services spécialisés de renseignement ont pour la plupart puisé dans leur trésorerie pour satisfaire leurs besoins en fonds spéciaux. La Commission réitère la nécessité d’un meilleur ajustement des dotations initiales versées au regard des besoins exprimées afin de ne pas grever la trésorerie gagée des services.

La Commission appelle aussi les services à mieux définir leurs besoins pour éviter des réintégrations trop importantes de crédits non consommés (Recommandation générale n° 4).

B.  Sur les procédures d’anonymisation

La doctrine d’emploi des fonds spéciaux les réserve aux activités liées à la sécurité intérieure et extérieure de l’Etat et pour lesquelles le secret doit être garanti. Il en découle une exigence de non traçabilité pour préserver la sécurité des personnes engagées dans les actions menées et pour s’assurer du succès des opérations engagées.

La commission constate que si la problématique de l’anonymisation est commune à l’ensemble des services spécialisés de renseignement, les réponses qui y sont apportées se révèlent relativement différentes d’un service à l’autre.

L’examen des pièces comptables est un bon indicateur pour évaluer le degré de confidentialité d’une opération. Lors de ses contrôles, la commission a relevé plusieurs cas de factures mentionnant l’adresse et/ou le nom d’un service spécialisé de renseignement pour la livraison de matériel. Le contrôle de l’anonymisation chez les fournisseurs est un point de fragilité sur lequel la commission souhaite attirer l’attention.

S’agissant de la mention des agents des services ou des sources, la doctrine d’anonymisation n’est pas la même d’un service de renseignement à l’autre. Ils ne disposent non plus pas tous des mêmes moyens pour répondre à l’exigence d’anonymisation. Certains ont recours à des moyens très sophistiqués quand d’autres essayent d’atteindre le même objectif avec des moyens beaucoup plus modestes.

La commission invite les services spécialisés de renseignement à mener une réflexion commune sur le sujet de l’anonymisation et à échanger sur leurs bonnes pratiques car la non préservation de l’anonymat amoindrit la justification du recours aux fonds spéciaux.

La commission appelle également le coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme à définir un cadre commun sur la définition et la mise en œuvre de règles minimales de démarquage communes à l’ensemble des services (Recommandation générale n° 6).

C.  Sur le périmètre des fonds spéciaux

Les fonds spéciaux bénéficient d’un régime juridique dérogatoire au regard du droit budgétaire commun : pas d’annualité budgétaire, pas de spécialisation des crédits, pas de séparation entre l’ordonnateur et le payeur et un contrôle des comptes a posteriori effectué par la CVFS.

 

Le recours aux fonds spéciaux est encadré par des règles très strictes liées au caractère secret des activités financées ou à l’urgence opérationnelle qui exige une disponibilité immédiate des fonds. C’est ainsi que la commission a observé, pour des raisons liées à l’urgence, le paiement en fonds spéciaux de dépenses qui auraient dû l’être en fonds normaux et qui font l’objet d’une régularisation a posteriori.

La commission se félicite du respect par les services spécialisés de renseignement d’une doctrine d’emploi des fonds spéciaux de plus en plus précise, matérialisée par la publication de circulaires et d’instruction qui définissent les règles d’emploi.

Elle salue également les réformes visant à basculer en fonds normaux un certain nombre de dépenses jusqu’alors financées sur fonds spéciaux.

La commission regrette toutefois l’absence de doctrine entre les services sur ce qui relève ici des fonds spéciaux ou là des fonds normaux.  On observe même des mouvements inverses d’un service à l’autre sur des postes de dépenses pourtant similaires.

Par ailleurs, il apparaît aussi que des dépenses sont parfois réalisées en fonds spéciaux par « commodité » alors qu’elles pourraient l’être en fonds normaux, à certaines conditions. 

A l’occasion de ses contrôles, la commission a également relevé la réticence des services à utiliser CHORUS, l’outil de gestion financière, budgétaire et comptable de l’Etat, dès lors que des informations confidentielles sont en jeu. Il existe pourtant des moyens de cryptage dans cet outil. Anonymiser des informations dans CHORUS  permettrait ainsi, dans certains cas, de recourir à des fonds normaux plutôt qu’à des fonds spéciaux. 

Aussi, la commission invite la CNRLT à constituer un groupe de travail sur les possibilités offertes par CHORUS en matière de démarquage. (Recommandation générale n° 7).

La commission se félicite de cette politique de transfert d’une partie des fonds spéciaux vers les fonds normaux. Elle appelle les services à achever leur analyse globale sur ce sujet et à transmettre à la CVFS un calendrier indicatif de mise en œuvre de ce transfert (Recommandation générale n° 8).

Il importera également de veiller à ce que ce basculement s’accompagne d’une augmentation  à due proportion de la dotation en fonds normaux (Recommandation générale n° 9).

D.   Sur la pertinence des pièces comptables

Si l’on s’attache aux montants concernés, les quelques dizaines de millions d’euros de fonds spéciaux font l’objet d’un contrôle extrêmement rigoureux au regard des centaines de milliards d’euros de fonds normaux. Cela se justifie toutefois pleinement au regard de la nature des fonds spéciaux, de leur légitimation et de leur acceptabilité par l’opinion publique.

Chaque euro dépensé en fonds spéciaux fait l’objet d’une pièce comptable dans le cadre d’une procédure de contrôle interne.

Au vu des sommes en jeu, la question se pose toutefois de savoir jusqu’où il faut aller dans le degré de formalisme pour atteindre un juste équilibre.

Une partie cruciale de l’environnement de contrôle réside en vérité moins dans les pièces justificatives que dans les processus de contrôle mis en place. Ces procédures de contrôle doivent permettre de s’assurer de la production effective d’une source ou de la réalité d’une mission. C’est ainsi un faisceau d’indices qui permet de détecter une possible fraude. 

On peut également s’interroger sur la valeur comptable d’un justificatif émis dans un endroit reculé sans que l’on sache dans quelles conditions il a pu être produit. Faut-il mettre potentiellement en danger nos agents pour l’obtention de pièces comptables dont la valeur est très aléatoire ? En pratique, il semble que les agents préfèrent parfois s’acquitter de dépenses modestes sur leurs deniers personnels pour gagner du temps et s’éviter un formalisme administratif et comptable très contraignant.

Dans ces conditions, et si l’on s’attache à la comparaison avec les règles applicables aux fonds normaux, à l’environnement de contrôle et la valeur comptable des justificatifs produits, la commission est favorable à l’introduction de plus de souplesse s’agissant des pièces comptables à produire pour les très faibles dépenses, en n’exigeant pas nécessairement de justificatifs pour les menues dépenses dont le montant est laissé à l’appréciation des services. (Recommandation générale n° 10).

Enfin, la question de la conservation et de l’archivage des pièces comptables a été posée à la commission. En l’espèce les pratiques  de destruction sont très variables d’un service à l’autre, faisant apparaître un évident besoin d’harmonisation. La commission en appelle à la CNRLT pour constituer un groupe de travail sur ce sujet, lequel pourrait également traiter de la dématérialisation des pièces comptables (Recommandation générale n° 11).

 

E.  Sur la gestion des ressources humaines

La gestion des fonds spéciaux mobilise du personnel administratif et elle est de plus en plus consommatrice de temps. L’augmentation de la dotation en fonds spéciaux allouée à certains services spécialisés de renseignement n’est pas sans conséquences sur leur organisation interne. Le passage de quelques dizaines de milliers d’euros à plus d’un million d’euros de fonds spéciaux nécessite la formalisation de procédures de contrôle interne.

La commission souhaite attirer l’attention sur deux sujets :

- les effectifs dédiés à la gestion et au contrôle de l’utilisation des fonds spéciaux. Dans plusieurs services spécialisés de renseignement il apparait que, faute d’effectifs en nombre suffisant, le contrôle des fonds spéciaux se fait au détriment d’autres missions, notamment d’audit ;

- la nécessité de limiter au maximum le transport de fonds spéciaux par les agents. Il convient en effet de privilégier, dans la mesure du possible, tous autres moyens de paiement que le transport d’espèces (Recommandation générale n° 12).

F.  Sur l’environnement de contrôle interne

A l’occasion de son contrôle, la commission a fait le constat de pratiques relativement différentes d’un service à l’autre, s’agissant de l’environnement de contrôle interne en matière de gestion des fonds spéciaux.

Assez logiquement, plus un service est bénéficiaire de fonds spéciaux, plus ses procédures de contrôle interne sont abouties. Avec l’augmentation significative de la dotation en fonds spéciaux allouées à certains services, il apparaît à la commission indispensable de renforcer et de formaliser l’environnement de contrôle interne. Dans ce cadre, la CVFS demande à être destinataire d’une synthèse documentée sur les contrôles ainsi mis en œuvre et sur leurs résultats (Recommandation générale n° 13).

Le contrôle externe opéré par la CVFS ne saurait en effet pallier une insuffisance de contrôle interne. La commission en appelle également au coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme pour confier à l’inspection des services de renseignement créée par le décret du 24 juillet 2014 une mission relative à l’effectivité du dispositif de contrôle interne applicable aux règles de gestion des fonds spéciaux (Recommandation générale n° 14).

 

III.  MISE EN ŒUVRE DES RECOMMANDATIONS DE LA CVFS SUR L’EXERCICE 2015

Dans son rapport sur l’exercice budgétaire 2015, la CVFS avait formulé 54 recommandations destinées aux six services spécialisés de renseignement et au GIC.

Sur ces 54 recommandations, la CVFS relève  qu’au 31 décembre 2017, seulement 19 d’entre elles sont satisfaites. A l’inverse, 33 recommandations (soit 61 %) n’ont pas été mises en œuvre où ne l’ont été que partiellement. 

Enfin, il est une recommandation émise par la CVFS en 2015 qui n’est pas reconduite : il s’agit de celle consistant à demander que les fonds spéciaux placés sur des comptes à la Banque de France ne soient pas affectés par la mise en place de taux d’intérêt négatifs sur les dépôts. N’étant pas reconduite, elle est considérée comme étant désormais sans objet.

Au vu des problématiques parfois similaires entre les différents services, la commission a décidé de présenter cette année ses recommandations sous trois catégories :

- des recommandations générales, communes à l’ensemble des services ;

- des recommandations spécifiques à chaque service ;

- des recommandations antérieures non satisfaites et restant donc ouvertes.

 

IV.  OBSERVATIONS SUR LES MODALITES D’EXERCICE ET LA NATURE DU CONTROLE DE LA CVFS

Instituée par l’article 154 de la loi n°2001-1275 du 28 décembre 2001 de finances pour 2002, la commission de vérification des fonds spéciaux a été profondément transformée à l’occasion de l’adoption en décembre 2013 de la loi de programmation militaire pour les années 2014 à 2019. Depuis l’entrée en vigueur des dispositions de cette dernière, la CVFS constitue une formation spécialisée de la délégation parlementaire au renseignement (DPR) composée de deux députés et de deux sénateurs, membres de la DPR, désignés de manière à assurer une représentation pluraliste.

Le contrôle opéré sur la gestion des fonds spéciaux de l’exercice 2016 est le troisième effectué par la CVFS en application des nouvelles dispositions de la loi de programmation militaire de 2013. Il a mis en lumière des sujets relatifs tant au fonctionnement de la CVFS qu’à ses moyens de contrôle et qui sont de nature à réduire le degré d’assurance apporté par la CVFS dans l’exercice de sa mission.

A.   Observations sur le fonctionnement de la CVFS

Commune à l’Assemblée nationale et au Sénat, et constituant un sous-ensemble de la DPR, la CVFS se caractérise par un fonctionnement répondant à une règle non écrite définie de façon consensuelle et selon laquelle la présidence est tournante chaque année entre les deux chambres. Lorsque la DPR est présidée par un sénateur, la CVFS est présidée par un député, et vice-versa.

Sans remettre en cause le principe d’une présidence tournante – qui existe pour d’autres organes parlementaires communs aux deux chambres –, la question se pose de la durée de cette présidence qui mériterait d’être allongée. Cela favoriserait une approche pluriannuelle du contrôle et une forme de continuité utile à l’approfondissement du contrôle (Recommandation générale n°15).

Le contrôle opéré par la CVFS sur l’exercice 2016 a été fortement contraint par la période électorale. Du fait de la tenue des élections législatives puis sénatoriales, la DPR et la CVFS ont dû être reconstituées à deux reprises, ce qui n’a pas été sans conséquences sur le calendrier de travail de la commission qui a dû concentrer son activité sur le dernier trimestre 2017.

Il en est résulté un décalage important entre la période contrôlée – l’exercice 2016 – et le moment du contrôle qui intervient près de deux ans après le début de l’exercice budgétaire. Nombre d’éléments relevés dans la gestion 2016 avaient ainsi déjà été corrigés au moment du contrôle.

B.  Observations sur les moyens de contrôle

Le déplacement effectué par le Président de la CVFS à Genève au DCAF (Democratic Control of Armed Forces) a permis de mettre en perspective la nature et les moyens du contrôle exercé par la CVFS au regard des mécanismes de contrôle en vigueur dans d’autres pays.

Alors qu’on observe en Europe et dans les grandes démocraties occidentales un renforcement des capacités de contrôle sur les services de renseignement et une professionnalisation, le modèle français apparaît perfectible en matière de contrôle démocratique des services spécialisés de renseignement.

Les moyens – notamment humains – de la CVFS sont limités pour lui permettre d’exercer la plénitude de son contrôle. Ceci résulte notamment du fait que depuis 2002, plus aucun magistrat de la Cour des comptes ne siège au sein de la CVFS. Or le mandat donné à la CVFS de certifier les comptes des fonds spéciaux nécessite de s’appuyer sur une expertise et sur des moyens dont le Parlement ne dispose pas en interne.

Aussi la CVFS appelle à engager une réflexion sur un renforcement de ses moyens de contrôle et des ressources humaines sur lesquelles elle doit pouvoir s’appuyer en termes d’expertise et de connaissance des services spécialisés de renseignement (Recommandation générale n°16).

A la lumière de ses travaux réalisés sur l’exercice 2016, la CVFS continuera à porter une attention particulière quant à l’exhaustivité de son contrôle sur les opérations financées sur fonds spéciaux.

Enfin, dans un souci évident d’indépendance, la commission réitère sa recommandation relative au financement de ses travaux et appelle à la modification de l’article 154 de la loi de finances pour 2002 qui indique que les crédits nécessaires au fonctionnement de la commission sont inscrits au programme intitulé « Coordination du travail gouvernemental ». Les frais de mission exposés par la commission pour la réalisation de ses  travaux sont donc pris en charge sur l’enveloppe budgétaire des fonds spéciaux.

Comme elle l’a déjà indiqué par le passé, la commission ne juge pas opportun que ses frais de fonctionnement continuent à être imputés sur les fonds spéciaux qu’elle contrôle. Elle appelle par conséquent de ses vœux la création d’une ligne autonome au sein des budgets des assemblées parlementaires afin de pouvoir rembourser l’exécutif des frais de fonctionnement et de mission exposés sur l’enveloppe des fonds spéciaux (Recommandation générale n°17).

 

V.  Recommandations générales émises par la CVFS

 

Recommandation n° 1 (à destination du Premier ministre) : Inviter les services à définir plus précisément leur trésorerie immobilisée et gagée afin de fixer le montant de leur dotation en fonds spéciaux à un niveau correspondant à leur besoin réel. 

 

Recommandation n° 2 (à destination du Premier ministre) : Exclure les fonds spéciaux de l’assiette du calcul de la réserve de précaution du Programme 129.

 

Recommandation n° 3 (à destination du Premier ministre) : Informer les services sur l’échéancier des versements de leur dotation et sur leur montant précis.

 

Recommandation n° 4 (à destination des services) : Mieux définir les besoins des services en fonds spéciaux afin d’éviter des réintégrations trop importantes de crédits  non consommés d’un exercice sur l’autre.

 

Recommandation n° 5 (à destination des services) : *****

 

Recommandation n° 6 (à destination du CNRLT) : Définir un cadre commun sur la définition et la mise en œuvre de règles minimales de démarquage communes à l’ensemble des services.

 

Recommandation n° 7 (à destination du CNRLT) : Constituer un groupe de travail sur les possibilités de démarquages existantes dans le logiciel CHORUS.

 

Recommandation n° 8 (à destination des services) : Achever l’analyse globale sur le transfert d’une partie des fonds spéciaux vers les fonds normaux et transmettre à la CVFS un calendrier de la mise en œuvre de ce transfert.

 

Recommandation n° 9 (à destination du Premier ministre) : Augmenter la dotation en fonds normaux à due proportion des montants transférés des fonds spéciaux.  

 

Recommandation n° 10 (à destination des services) : Assouplir l’exigence de production de pièces justificatives pour les menues dépenses dont le montant est laissé à l’appréciation des services.

 

Recommandation n° 11 (à destination du CNRLT) : Constituer un groupe de travail sur les modalités de conservation et d’archivage des comptabilités en fonds spéciaux, incluant le sujet de la dématérialisation, afin d’homogénéiser des pratiques actuellement très différentes d’un service à l’autre.

 

Recommandation n° 12 (à destination des services) : Afin de garantir la sécurité des agents, privilégier autant que possible les modes de paiement alternatifs au transport d’espèces.

 

Recommandation n° 13 (à destination des services) : Renforcer et formaliser les environnements de contrôle interne – en particulier dans les services bénéficiant d’une augmentation significative de leur dotation en fonds spéciaux – et établir à l’attention de la CVFS une synthèse documentée sur les contrôles mis en œuvre et leurs résultats.

 

Recommandation n° 14 (à destination du CNRLT) : Confier à l’inspection des services de renseignement (ISR) une mission relative à l’effectivité du dispositif de contrôle interne applicable aux règles de gestion des fonds spéciaux et, plus généralement, développer les interventions de l’ISR sur les fonds spéciaux.

 

Recommandation n° 15 (à destination de la CVFS) : Allonger la durée de la présidence de la CVFS pour favoriser une approche pluriannuelle de son contrôle.

 

Recommandation n° 16 (à destination des présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat) : Engager une réflexion sur un renforcement des moyens de contrôle et des ressources humaines mis à la disposition de la CVFS en termes d’expertise et de connaissance des services spécialisés de renseignement.

 

Recommandation n° 17 (à destination du législateur) : Prévoir une ligne budgétaire autonome au sein des budgets des assemblées parlementaires afin de pouvoir rembourser l’exécutif des frais de fonctionnement et de mission engendrés par la CVFS et actuellement payés sur fonds spéciaux.

 

*

Délibéré par la Commission de vérification des fonds spéciaux lors de sa réunion du 25 janvier 2018.

 


ANNEXE :
reprise des recommandations de la dpr au  31 mars 2018

 

Rapport 2014

 

Complètement prise en compte

53

 

85*

Partiellement ou en cours de prise en compte

32

Non prise en compte

12

 

Non cotée

5

 

TOTAL

102

 

 

(*) dont 82 dès le 31 décembre 2015 notamment dans la cadre de la loi relative au renseignement.

 

 

Rapport 2015

 

Complètement prise en compte

18

 

24

Partiellement prise en compte

2

En cours de prise en compte

4

Non prise en compte

5

 

Non cotée

 

 

TOTAL

29

 

 

 

Rapport 2016

 

Complètement prise en compte

2

 

11

Partiellement prise en compte

4

En cours de prise en compte

5

Non prise en compte

2

 

Non cotée

 

 

TOTAL

13

 

 

 

 

 

 


[1] Rapport n° 337 (2006-2007) de M. René Garrec fait au nom de la commission des lois du Sénat sur le projet de loi portant création d’une délégation parlementaire au renseignement.

[2] Décision n° 2001-456 DC du 27 décembre 2001, loi de finances pour 2012. Les sénateurs requérants estimaient que les dispositions déférées les prérogatives du Président de la République et du Premier ministre dans la conduite des affaires relevant de la défense nationale et compromettaient le déroulement des opérations confiées aux services secrets.

[3] Rapport du Commissariat général du Plan, « Intelligence économique et stratégie des entreprises », 1994

[4] Rapport de Bernard Carayon, « Intelligence économique, compétitivité et cohésion sociale », juin 2003.

[5] Désormais devenu Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN).

[6] M. Jean-Baptiste Carpentier, ancien commissaire à l’information stratégique et à la sécurité économique, a été entendu par la délégation avant son départ, en décembre 2017.

[7] Le niveau de sensibilité des ministères aux questions de sécurité économique est très hétérogène et parfois fonction de l’investissement personnel des hauts fonctionnaires de défense et de sécurité.

[8] Sont notamment impliqués, au niveau local, la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), le service central du renseignement territorial (SCRT), le service de renseignement de la gendarmerie nationale ainsi que la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD).

[9] Loi n° 68-678 relative à la communication de documents et renseignements d’ordre économique, financier ou technique à des personnes physiques ou morales étrangères.