N° 1055

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 13 juin 2018

RAPPORT

FAIT

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES FINANCES, DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU CONTRÔLE BUDGÉTAIRE SUR LE PROJET DE LOI, APRÈS ENGAGEMENT DE LA PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE, de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2017 (n° 980),

 

PAR M. Joël GIRAUD,

Rapporteur général

Député

 

——

 

ANNEXE N° 1
 

 

Action extÉrieure de l’État

 

 

 

 

Rapporteur spécial : M. Vincent LEDOUX

 

Député

____


 

 


—  1  —

SOMMAIRE

___

Pages

I. La baisse des contributions internationales et un change favorable ont facilitÉ l’exÉcution des crédits

1. Les dépenses d’intervention procurent des économies conjoncturelles

2. L’effet favorable du change n’en rend pas le risque moins prégnant

II. Les tensions récurrentes sur la masse salariale invitent À utiliser de nouveaux leviers d’efficience

1. La trajectoire de baisse des effectifs est interrompue

2. Le poids des dépenses de rémunérations

3. Des marges de manœuvre parmi les dépenses liées à l’expatriation

III. Les annulations de crÉdits prÉservent les rÉseaux diplomatiques et consulaires mais imposent de consolider les rÉseaux culturels

1. Les moyens essentiels de l’action diplomatique sont préservés

2. Consolider et valoriser le réseau consulaire

3. Enseignement français à l’étranger : une contrainte croissante

4. Sécuriser les ressources propres du réseau culturel

IV. Renforcer le Pilotage des moyens de l’État À l’Étranger : l’exemple des plans d’action des ambassades de France en CÔTE d’Ivoire et Au SÉnÉgal

1. Un levier de mobilisation de l’ensemble des services de l’ambassade

2. Accélérer la mise en cohérence des réseaux de l’État à l’étranger

Travaux de la commission

personnes auditionnées par le rapporteur spécial


—  1  —

Les crédits de la mission Action extérieure de l’État retracent l’action du ministère de l’Europe des affaires étrangères dans trois programmes :

– 105 Action de la France en Europe et dans le monde, qui rassemble 63 % des crédits de paiement (CP) et 65 % des effectifs de la mission, comprend l’essentiel des moyens matériels et humains en administration centrale et sur un réseau constitué de 163 ambassades bilatérales, ainsi que les contributions de la France aux organisations internationales dont elle est membre et aux opérations de maintien de la paix ;

 185 Diplomatie culturelle et d’influence, qui s’appuie sur les services de coopération et d’action culturelle des ambassades, sur des partenaires locaux tels les Alliances française, et sur des opérateurs : l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE), l’Institut français, Campus France et Atout France ([1]) ;

 151 Français à l’étranger et affaires consulaires qui rassemble des crédits spécifiques aux actions du réseau consulaire. Il porte également la subvention versée à l’AEFE pour les bourses d’aide à la scolarisation des français.

Dans le cadre du semestre de l’évaluation des politiques publiques, à la suite de déplacements effectués dans des postes diplomatiques en Afrique de l’Ouest, les travaux de contrôle du rapporteur spécial ont porté sur

– les enjeux de soutenabilité de la mission au regard des tensions sur de nombreux postes de dépenses ;

– la capacité du ministère à mettre l’ensemble des moyens de l’État à l’étranger en cohérence avec nos priorités diplomatiques.

I.   La baisse des contributions internationales et un change favorable ont facilitÉ l’exÉcution des crédits

En 2017, 2 832,3 millions d’euros en autorisations d’engagements (AE) ont été consommés, en baisse de 291,8 millions d’euros (– 9,3 %) en un an, et 2 836,6 millions d’euros en CP, en baisse de 84,9 millions d’euros (– 2,9 %).

Évolution des crédits des programmes de la mission entre 2016 et 2017

(en millions d’euros)

 

Autorisations d’engagement

Crédits de paiement

2016

2017

évolution

2016

2017

évolution

P. 105

2 056,9

1 789,6

 267,3

 13 %

1 846,9

1 788,6

 58,3

 3,2 %

P. 185

720,1

671,2

 48,9

 6,8 %

730,4

676,4

 54

 7,4 %

P. 151

347,1

371,5

+ 24,4

+ 7 %

344,2

371,6

+ 27,4

+ 8 %

Total

3 124,1

2 832,3

 291,8

 9,3 %

2 921,5

2 836,6

 84,9

 2,9 %

Source : rapports annuels de performances.

1.   Les dépenses d’intervention procurent des économies conjoncturelles

Proches ou supérieurs à 100 % en 2015 et 2016, les taux de consommation des crédits ouverts par la loi de finances initiale sont ramenés, en 2017, à 94,2 % en AE comme en CP, comme le détaille le tableau ci-après :

ExÉcution des crédits des programmes de la mission en 2017

(en millions d’euros)

 

Programme 105

Programme 185

Programme 151

Mission

Autorisations d’engagement

Loi de finances

1 904,3

715,4

387,7

3 007,5

Crédits consommés

1 789,6

671,2

371,5

2 832,3

En % de la LFI

94 %

93,8 %

95,8 %

94,2 %

Crédits de paiement

Loi de finances

1 908

715,4

387,7

3 011,2

Crédits consommés

1 788,7

676,4

371,6

2 836,6

En % de la LFI

93,7 %

94,5 %

95,8 %

94,2 %

Source : rapports annuels de performances.

La loi de finances pour 2017 projetait une hausse des 90 millions d’euros en CP (+ 3 %) par rapport aux montants consommés en 2016. Toutefois, l’exécution est en très net repli, inférieure de 174,6 millions d’euros en CP à la loi de finances, et de 84,9 millions d’euros à l’exécution en 2016.

Les économies proviennent à titre principal de la contraction des contributions aux organisations internationales et des opérations de maintien de la paix (OMP), qui constituent le premier poste de dépense du programme 105.

La dépense totale est ramenée à 674,5 millions d’euros, contre 992,6 millions d’euros en 2016, en baisse de 318,1 millions d’euros (– 32 %). Cette baisse n’avait pas été anticipée en totalité : l’exécution est inférieure de 95 millions d’euros (– 12 %) aux crédits ouverts par la loi de finances.

La diminution tient tout d’abord à la décroissance et à la fermeture dOMP : la contribution globale en 2017 (304,3 millions d’euros) est inférieure de moitié à celle de 2016, les baisses les plus importantes concernant les missions des nations unies au Darfour (MINUAD) et au Soudan du Sud (MINUSS). Si la France veille, au sein du Conseil de sécurité de l’ONU, à la rationalisation des mandats des OMP et l’ajustement de leurs effectifs, ce facteur, conjoncturel, reste tributaire des crises internationales.

En tendance, l’économie provient également de la révision du barème des contributions à l’ONU, fondé sur la part des États membres dans le revenu national brut mondial. La quote-part de la France est ainsi passée de 6,123 % fin 2012 à 4,859 % aujourd’hui et, pour le budget des OMP, de 7,55 % fin 2012 à 6,28 % aujourd’hui. La dernière révision, intervenue en juin 2017, a diminué le coût de 90 % des dépenses liées aux OMP, réglées au second semestre. En outre la France promeut, dans toutes les instances multilatérales, une croissance nominale zéro de chacun des budgets, hors pensions.

2.   L’effet favorable du change n’en rend pas le risque moins prégnant

Le second principal facteur d’allégement de la charge des contributions internationales, majoritairement acquittées en dollars ou en francs suisses, provient de la fin de la dégradation du cours de l’euro par rapport au dollar constaté à partir de l’année 2016.

Un tiers des crédits de la mission sont en effet inscrits en euros au budget pour des dépenses effectuées ultérieurement en devises : outre les contributions internationales, ce facteur est également significatif sur les crédits de rémunérations, en raison de l’effet de la compensation de la variation change-prix sur les indemnités de résidence à l’étranger des personnels expatriés, ou du renchérissement des rémunérations des personnels recrutés localement.

En 2015 puis en 2016, la baisse de l’euro en dessous du « taux de chancellerie » de la programmation budgétaire, avait occasionné une perte au change de 168 millions d’euros, entièrement compensée par des annulations sur d’autres postes sur la mission. Le Quai d’Orsay n’était pas parvenu à s’accorder avec le ministère des finances sur des modalités d’achats à terme de devises, destinées à couvrir le risque de change, pourtant possibles selon une convention du 5 juillet 2006 conclue avec l’Agence France Trésor (AFT).

En 2017, l’effet du change euro-dollar a été plus favorable et un achat à terme mieux calibré, effectué à l’été 2016, aurait, si nécessaire, couvert le risque pour une part majoritaire des contributions internationales acquittées en devises. Mais ce dispositif aurait été sans effets sur des pertes de change éventuelles pour les dépenses de rémunérations des personnels ou des dépenses de fonctionnement du réseau diplomatique.

Le change est dès lors identifié par la Cour des comptes comme le principal risque de soutenabilité de la mission Action extérieure de l’État. Il rend en outre moins lisible, sur la durée, le coût réel des engagements souscrits par la France.

En octobre 2015, dans une communication à la commission des finances de l’Assemblée nationale sur Les contributions internationales de la France, la Cour des comptes proposait ainsi d’établir une couverture budgétaire du risque pour les contributions obligatoires, comme il existe chez certains de nos homologues.

Une demande de rapport du Gouvernement au Parlement, prévue à l’article 129 de la loi de finances pour 2016 ([2]), a conduit à une mission conjointe des inspections générales des finances et des affaires étrangères sur la couverture du risque de change.

Dans un rapport remis en août 2016 ([3]), la mission a confirmé que l’État ne dispose pas d’une vision claire des transferts de risques de change lorsqu’il budgète en euros des dépenses payées en devises.

Cette mission a préconisé la constitution, en loi de finances, d’une provision budgétaire pour « aléas de change », que pourraient utiliser les responsables de programme pour couvrir le solde des gains et pertes de change des opérations non couvertes par des achats à terme.

La mission proposait également de clarifier les règles du jeu entre les ministères financiers et le Quai d’Orsay en confiant explicitement :

 à la direction générale du Trésor la responsabilité de la couverture financière de la trésorerie de l’État face au risque de change.

La mission relève que la convention liant le Quai d’Orsay à l’AFT, inchangée depuis 2006, n’établit pas suffisamment les responsabilités respectives et pourrait être inopérante en cas de baisse significative de l’euro. Il a été indiqué au rapporteur spécial que cette convention est toujours en cours de révision ;

‑ à la direction du budget la couverture budgétaire des prévisions d’engagement en devise dénuées d’une couverture financière.

Des évolutions importantes des systèmes d’information budgétaires et comptables paraissent en outre nécessaires pour abandonner l’actuel « taux de chancellerie »

Le rapporteur spécial relève que le ministère de l’Europe et des affaires étrangères a proposé d’établir une couverture pluriannuelle du risque de change sur l’ensemble du quinquennat et souhaite pouvoir procéder à des ordres d’achats à terme pour la période 2019-2022.

Alors que, successivement, un rapport de la Cour des comptes, une initiative parlementaire et une mission conjointe des inspections ministérielles ont permis de rendre public l’ensemble des enjeux, le rapporteur spécial invite à accélérer les échanges interministériels afin d’établir un mécanisme pérenne de couverture du risque de change.

Le répit conjoncturel constaté en 2017 ne doit pas détourner l’attention d’un risque susceptible de rendre l’exécution des crédits de la mission particulièrement difficile.


II.   Les tensions récurrentes sur la masse salariale invitent À utiliser de nouveaux leviers d’efficience

1.   La trajectoire de baisse des effectifs est interrompue

Entre 2007 et 2016, les effectifs du Quai d’Orsay ont diminué de 12 % sur le périmètre de la mission, passant de 13 502 emplois équivalent temps plein travaillé (ETPT) à 11 902. La baisse des effectifs a été interrompue en 2017, avec une légère hausse de la consommation du plafond d’emploi à 11 920 ETPT (+ 0,15 %), pour un plafond d’emploi lui-même ramené à 12 040 ETPT (en baisse de 1 effectif).

consommation du plafond d’emplois en 2016 et 2017

(en ETPT)

 

2016

2017

évolution

P 105

7 753

7 803

+ 50

+ 0,6 %

P 185

828

790

– 38

– 4,6 %

P 151

3 321

3 327

+ 6

+ 0,2 %

Total

11 902

11 920

+ 18

+ 0,15 %

Source : rapports annuels de performances.

La baisse des effectifs envisagée par le triennal 2015-2017 devait conduire à la suppression nette de 115 ETP mais la loi de finances pour 2017 a atténué cette cible afin de mettre en œuvre le « plan de renforcement des moyens de lutte antiterroriste et de protection des communautés et intérêts français à l’étranger » en créant 67 emplois, principalement de coopérants dans les domaines de la sécurité et de la défense en Afrique et au Moyen-Orient, ainsi que de gardes de sécurité en Afrique et en Asie.

Des réductions d’effectifs supérieures au schéma d’emploi sont constatées par les titulaires en administration centrales, en raison de l’accélération des départs en retraite des agents de catégorie C. L’effet est plus que compensé par l’augmentation des recrutements d’agents contractuels expatriés, en hausse de 82 effectifs contre 19 prévus par le schéma d’emploi du programme 105.

Si des gains de productivités proviennent de regroupements de services en administration centrale, ou de la simplification et de la dématérialisation de certaines tâches, le ministère doit en effet répondre à de nouveaux besoins. De même les diminutions d’effectifs dans des postes diplomatiques historiquement surdotés permettent tout juste de mieux doter les postes prioritaires ou d’établir de nouvelles formes de présence là où la France est absente.

2.   Le poids des dépenses de rémunérations

Le total des dépenses du titre 2 s’élève ainsi à 951,1 millions d’euros, soit 33,5 % des crédits de la mission. Comme le montre le tableau suivant, la masse salariale est en hausse de 28,7 millions d’euros (+ 3,1 %) en une année et dépasse de 12,5 millions d’euros l’enveloppe de 938,6 millions d’euros fixée par la loi de finances, exécutée à 101,3 %.

CrÉdits de titre 2, par programme, en 2015, 2016 et 2017

 

2015

2016

2017

Évolution 2016-2017

P 105

612,9

617

641,8

+ 24,8

+ 4 %

P 151

227,5

230

234

+ 4

+ 1,7 %

P 185

76,5

75,3

74,2

 1,1

 1,5 %

Total

917

922,3

951,1

+ 28,8

+ 3,1 %

Sources : rapports annuels de performances.

La dynamique des crédits de titre 2 prolonge une tendance constatée en 2015 (+ 3,2 %), atténuée de façon transitoire en 2016 (+ 0,6 %) mais dans un contexte constant de surconsommation des crédits (104 % en 2016).

Seul le réseau culturel (programme 185) contient sa masse salariale conformément aux objectifs fixés en loi de finances, en supprimant 49 emplois, soit 5,9 % des effectifs.

Pour les programmes 105 et 151, soit 93,4 % des emplois de la mission, l’impact du schéma d’emploi ne compense pas l’augmentation du point d’indice fonction publique ainsi que le solde du glissement vieillesse technicité (GVT) : le GVT « positif », lié à l’effet de carrière sur les rémunérations est élevé ( 7,4 millions d’euros) et faiblement atténué par le GVT « négatif » (2,9 millions d’euros) lié aux écarts de rémunérations entre les agents partant en retraites et les nouvelles recrues.

Enfin, 12 millions d’euros de surcoûts, nécessitant l’ouverture de crédits en fin de gestion, proviennent, outre la variation du change des rémunérations des agents de droit local, de l’effet prix-salaires sur les rémunérations des personnels expatriés du réseau diplomatique. Le ministère redéploie en effet ses effectifs vers les pays émergents où les compléments de rémunérations liés à la résidence à l’étranger sont les plus élevés.

Comme l’indique la répartition des effectifs en 2016 par actions et par catégories d’emploi figurant dans le tableau suivant si 2 773 emplois sont en administration centrale (23,2 %), les effectifs sur le réseau atteignent 9 147 emplois (76,7 %).

Effectifs de la MISSION EN 2017, PAR PROGRAMMES et CATÉGORIES D’EMPLOIS

 

105

151

185

Mission

1.– Titulaires et CDI en administration centrale

2 221

493

59

2 773

2– Titulaires et CDI à l’étranger

1 532

1103

62

2697

3– CDD et volontaires internationaux

618

97

588

1 303

4– Militaires

631

 

 

631

5– Agents de droit local (ADL)

2 801

1 634

81

4 516

Total des emplois sur le réseau

5 582

2 834

731

9 147

Total des emplois de la mission

7 803

3 327

790

11 920

Source : rapports annuels de performances.

Or la nécessité pour le ministère de disposer de personnels à l’étranger renchérit la masse salariale, en raison du doublement du coût d’un emploi en cas d’expatriation, comme l’indique le tableau suivant.

cOÛTS MOYENS MINISTÉRIELS PAR CATÉGORIES D’emplois en 2017

Catégorie d’emploi

Coût moyen ministériel en 2017

(hors contributions au CAS Pensions)

1.– Titulaires et CDI en administration centrale

50 435 euros

2– Titulaires et CDI à l'étranger

137 87 euros

3– CDD et volontaires internationaux

101 714 euros

4– Militaires

116 479 euros

5– Agents de droit local

24 506 euros

Source : rapport annuel de performances.

3.   Des marges de manœuvre parmi les dépenses liées à l’expatriation

Plutôt que de fixer des objectifs de diminution des effectifs sur le réseau diplomatique, qui semblent aujourd’hui difficiles à atteindre, le rapporteur spécial invite à rechercher des marges de manœuvre dans une gestion plus fine de la masse salariale parmi les facteurs de surcoûts liés à la présence des personnels à l’étranger.

Cet effort peut concerner en premier lieu l’ « indemnité de résidence à l’étranger » (IRE) versée à l’ensemble des agents de l’État à l’étranger afin de « compenser forfaitairement les charges liées aux fonctions exercées, aux conditions d’exercice de ces fonctions et aux conditions locales d’existence » ([4]).

Pour la mission Action extérieure de l’État, le montant total des IRE en 2017 n’est pas précisé par le rapport de performances mais, selon les estimations du rapporteur spécial, au regard des derniers montants rendus publics, il pourrait atteindre 400 millions d’euros en 2017, soit 42 % de la masse salariale.

Ces indemnités, sont nécessaires pour que les agents du Quai assument les nombreux surcoûts liés à l’expatriation. Le rapporteur spécial relève que des indemnités équivalentes existent chez tous nos homologues européens, mais avec des variations importantes du périmètre des dépenses prises en compte.

Cependant, les montants d’IRE varient très fortement selon les affectations et peuvent atteindre des niveaux considérables, tout en étant affranchies d’impôts. Le rapporteur spécial relève que cet aspect entre parfois en ligne de compte dans les demandes d’affectation des personnels, ce qui n’apporte pas la meilleure garantie de nommer les bonnes personnes au bon endroit.

Le rapporteur spécial invite donc le ministère à réexaminer les composantes des IRE afin que les montants les plus importants correspondent bien, dans tous les postes, à des sujétions et des niveaux de responsabilité effectifs.

Des marges de manœuvres pourraient également provenir d’un recours plus large à des agents recrutés localement.

Les 4 516 agents de droit local (ADL) représentent aujourd’hui 49,9 % des personnels du ministère à l’étranger. L’effort de substitution à des emplois de personnels expatriés de la catégorie C pourrait être poursuivi, tout en demeurant variable en fonction des situations locales.

Le rapporteur spécial relève cependant que la diplomatie britannique a poussé beaucoup plus loin le recrutement d’agents de droit local, avec 9 200 recrutés locaux pour 4 500 titulaires sur le réseau.

Le recours au recrutement local pourrait en particulier être accru pour les fonctions d’expertise ou d’encadrement, où elle est aujourd’hui balbutiante : elle est expérimentée par exemple depuis 2016, pour la catégorie A, pour des postes de troisième secrétaire des ambassades de France à Varsovie et Oslo.

À partir de constats et de propositions présentées lors de déplacements dans les postes diplomatiques d’Afrique de l’Ouest francophone, le rapporteur spécial suggère de faire bénéficier les services des chancelleries de nouvelles compétences pour analyser plus finement les enjeux politiques locaux et mieux percevoir les mouvements de fond des sociétés civiles, parfois bien plus opaques que nous ne le pensons.

De même, dans certains pays où la fraude documentaire s’accroît dangereusement, les services d’instruction des demandes de visa ou de transcription d’actes d’état civil gagneraient à bénéficier, de façon encadrée, de compétences locales pour mieux identifier les facteurs de risques.

Le poste du Sénégal pourrait par exemple être pilote sur ces deux aspects dans le cadre du programme Action publique 2022.


III.   Les annulations de crÉdits prÉservent les rÉseaux diplomatiques et consulaires mais imposent de consolider les rÉseaux culturels

En cours d’exercice, deux décrets ([5]) ont annulé 190 millions d’euros de CP hors dépenses de titre 2, sur l’ensemble de la mission, dont :

– 135 millions d’euros pour le programme 105, montants supérieurs de 45 millions d’euros aux économies occasionnées par la sous-consommation des dotations pour contributions internationales ;

– 12,8 millions d’euros pour le programme 151 ;

 60 millions d’euros pour le programme 185, dont 33 millions d’euros sur la subvention pour charges de services public de l’AEFE.

1.   Les moyens essentiels de l’action diplomatique sont préservés

Ces annulations de crédits n’ont pas représenté une contrainte particulière pour le fonctionnement des postes français à l’étranger.

Comme le montre le tableau suivant, la sous-exécution de la plupart des enveloppes par rapport à la loi de finances pour 2017 s’accommode de l’augmentation des crédits effectivement consommés entre 2016 et 2017 sur les principaux postes dépenses du réseau diplomatique (actions 1, 4, 5 et 6 du programme 105).

crédits de paiements du programme 105, par action, en 2016 et 2017

En millions d’euros

Exécution 2016

LFI 2017

Exécution 2017

Évolution 2016 - 2017

Taux d’exécution
des crédits

1 Coordination de l’action diplomatique

85,2

85,9

86,1

+ 0,9

+ 1,1%

100,2%

2 Action européenne

46,4

51,3

47,5

+ 1,1

+ 2,4%

92,6%

3 Contributions internationales

992,6

769,3

674,5

 318,1

 32 %

87,7%

4 Coopération de sécurité et de défense

80,5

105,4

85,8

+ 5,3

+ 6,6%

81,4%

5 Soutien

238,1

239

245,7

+ 7,6

+ 3,2%

102,8%

6 Réseau diplomatique

610,9

656,9

649,3

+ 38,4

+ 6,3%

98,8%

TOTAL

2 053,7

1 908

1 788,9

 264,8

+ 12,9 %

93,7%

Source : rapports annuels de performances.

Par rapport à la prévision budgétaire, des marges de manœuvre proviennent de moindres dépenses dans les services en administration centrale. Le rapporteur spécial relève par exemple la diminution de 1 million d’euros des dépenses de protocole et d’état-major. Des économies proviennent également, d’économie sur le fonctionnement courant du réseau diplomatique (– 10 %) par la poursuite d’efforts de mutualisation et de rationalisation des dépenses en matière d’achats.

Les dépenses de fonctionnement et d’investissement du réseau diplomatique se sont élevées à 256,7 millions d’euros, en hausse de 16 millions d’euros (+ 0,6 %). L’enveloppe de fonctionnement courant des ambassades est préservée à 77,4 millions d’euros. Elle bénéficie en outre du rattachement de fonds de concours et d’attribution de produit pour 4,1 millions d’euros provenant de la valorisation du patrimoine du ministère, par les locations d’espaces en ambassades, ainsi que de contributions d’entreprises et de particuliers aux dépenses de représentation des postes, comme le mécénat pour l’organisation des cérémonies du 14 juillet.

Dès lors, le ministère a pu faire face à des dépenses plus élevées pour la sécurité de ses emprises face à la menace terroriste ou à la dégradation de la situation sécuritaire dans de nombreux pays, comme le détaille le tableau suivant.

Dépenses de sécurité du réseau diplomatique et consulaire en 2016 et 2017

(en millions d’euros)

Programme 105 (actions 5 et 6)

2016

2017

évolution

Sécurité en France

10,4

14,6

+ 4,2

+ 40,4 %

Sécurité à l’étranger : Fonctionnement (contrats de gardiennage, sécurité passive etc…)

20,8

22,9

+ 2,1

+ 10,1 %

Sécurité à l’étranger : Investissement (sécurité passive, acquisition de véhicules blindés)

23,6

36,6

+ 13

+ 55,1 %

Total

54,1

74,1

+ 19,3

+ 35,2 %

Sources : rapports annuels de performances.

Le rapporteur spécial relève en outre l’augmentation de 5,3 millions d’euros des crédits de coopération de sécurité et de défense (action 4 du programme 105), portés à 85,8 millions d’euros en CP, et tirés par une enveloppe hors titre 2 dynamique, passant de 18,2 millions d’euros en 2016 à 25,4 millions d’euros en 2017 : les crédits d’intervention permettent ainsi aux coopérants de fournir des équipements et surtout de former des personnels, par l’envoi ponctuel d’experts ou en organisant des formations en France. 2 700 stagiaires à haut potentiel ont ainsi été formés en France sous l’égide de la direction centrale de sécurité et de défense, contre 2 498 en 2016, ce qui dépasse la cible de 2 400 stagiaires fixée par le projet annuel de performances.

Le rapporteur spécial se félicite de la progression de ces crédits qui constituent un levier majeur d’influence. C’est particulièrement en Afrique de l’Ouest où la France appuie l’État ivoirien pour moderniser ses forces armées, en réduire les effectifs et accroître la qualification de ses cadres, ou pour constituer, au sein de la direction générale de la police nationale du Sénégal, une division pionnière en matière de lutte contre la cybercriminalité.

2.   Consolider et valoriser le réseau consulaire

En 2017, la hausse des dépenses de fonctionnement du programme 151 Français à l’étranger et affaires consulaire est entièrement liés à l’organisation des élections présidentielles et législatives à l’étranger, pour 11,5 millions d’euros.

Les crédits liés proprement aux affaires consulaires sont stables, pour l’investissement dans la télé-administration comme pour les frais de tournées consulaires qui maintiennent le lien avec les ressortissants français demeurant loin des postes consulaires. Le rapporteur spécial relève que les dépenses d’aide sociale pour nos ressortissants à l’étranger sont maintenues, à 13,3 millions d’euros.

La stabilité des moyens est facilitée par la poursuite de la contraction du réseau consulaire : au terme de l’exercice 2017, on compte 202 consulats généraux, consulats et sections consulaires d’ambassade, contre 208 postes consulaires en 2016, 215 en 2015 et 223 en 2014. Cette évolution atteste de l’effort de restructuration du réseau, tant pour des motifs d’économie que de réorientation vers les pays émergents – à l’image de l’ouverture, en 2017, d’un « bureau de France » à vocation consulaire, à Chennai en Inde.

Cette tendance interroge cependant au regard de l’augmentation du nombre de Français établis à l’étranger : fin 2016, près de 1,8 million de nos compatriotes étaient inscrits aux registres consulaires (pour au moins 2,1 millions de Français résident de façon stable à l’étranger), en hausse de 4 % sur une année, contre une hausse moyenne de 3 % par an les années précédentes.

Le constat d’un risque d’impasse budgétaire a conduit à proposer de restreindre la gamme des services que les consulats rendent à nos compatriotes établis à l’étranger, souvent plus large que celle que nos homologues européens rendent à leurs propres ressortissants. Le rapporteur spécial considère que la dématérialisation, en cours, de nombreuses procédures fournit d’ores et déjà des marges de manœuvre suffisantes (inscription en ligne au registre des Français de l’étranger, pré-demande en ligne de passeports etc.).

A contrario, la suppression récente des missions dites de « notariat consulaire » ne paraît pas probante : dans certains pays, comme la Côte d’Ivoire, nos compatriotes sont désormais privés d’une sécurité juridique appréciable, sans occasionner de gains d’ETP pour le poste consulaire et alors même que les tarifs de chancellerie étaient supérieurs aux dépenses exposées par le service.

Afin de ne pas réduire la gamme des services rendue à nos compatriotes, le rapporteur spécial invite plutôt à valoriser l’étendue de notre réseau consulaire. En effet, les ressortissants européens s’adressent de façon croissante aux consulats français pour de l’assistance consulaire ou en cas de perte de passeport. Dans les nombreux pays où seuls la France et le Royaume-Uni disposent aujourd’hui d’une représentation, le Brexit achèvera d’orienter vers notre réseau l’ensemble des Européens. Afin de contribuer à amortir les frais fixes du réseau consulaire, le rapporteur spécial propose donc tarifer au coût complet les services rendus aux ressortissants européens

L’activité des postes consulaires conforterait ainsi l’universalité du réseau, conformément à la feuille de route présentée par le Président de la République, le 29 août 2017, à l’ouverture de la conférence des ambassadeurs.

3.   Enseignement français à l’étranger : une contrainte croissante

En 2017, la mission Action extérieure de l’État a consacré 455 millions d’euros à l’enseignement français à l’étranger, relevant de l’AEFE. Sur son périmètre le plus large, le réseau, en croissance de 2 % par an, comprend 492 établissements homologués par le ministère de l’éducation nationale, établis dans 137 pays, accueillant 350 000 élèves, dont 36 % de français.

Les financements proviennent :

– de la subvention pour charges de service public de l’agence, inscrite au programme 185 Diplomatie culturelle et d’influence ;

– des crédits d’aide à la scolarisation d’élèves français sur le réseau, figurant au programme 151 Français à l’étranger et affaires consulaires.

Dotations de l’AEFE, en crédits de paiement

(montants en millions d’euros)

 

Réalisation 2015

Réalisation 2016

Prévision LFI 2017

Réalisation 2017

Écart 2016- 2017

Taux d’exécution 2017

Programme 185

402,7

387,9

396,6

355,8

– 32,1

– 8,3 %

89,7  %

Programme 151

89,5

87,2

110

99,2

+ 12

+ 13,8 %

90,2 %

Total

492,2

475,1

506,6

455

– 20,1

– 4,2 %

89,8 %

Sources : rapports annuels de performances.

Alors que la loi de finances pour 2017 envisageait d’augmenter la subvention de fonctionnement de l’Agence, afin de la ramener au niveau de 2015, l’annulation de 33 millions d’euros en CP en juillet 2017 aboutit à une diminution de 8 % en une année, très supérieure à l’effort demandé aux autres opérateurs.

L’Agence a donc dû réduire sa trésorerie en cour d’année ce qui l’a contrainte à différer ou annuler des opérations de maintenance et de modernisation de l’immobilier des lycées français. Outre l’abandon du projet de rénovation du lycée Jean Mermoz de Buenos Aires (6,6 millions d’euros), le rapporteur spécial relève le report de la construction du collège Beaulieu à Casablanca (14 millions d’euros) dont le marché devait être signé fin 2017.

En outre l’Agence a dû accroître ses recettes propres issues des remontées financières des établissements du réseau en faisant passer, à compter de janvier 2018, de 6 à 9 % le taux de leur participation aux rémunérations des personnels gérés par l’Agence. La hausse sera donc répercutée sur les droits de scolarité, augmentant le taux d’effort des familles, qui financent déjà le réseau à hauteur de 60 %.

Entre 2015 et 2017, la subvention à l’AEFE a ainsi été réduite de 47 millions d’euros, soit  12 %. Cependant, l’Agence a bénéficié, en 2017, d’une dotation supplémentaire spécifique de 14,7 millions d’euros au titre du plan de lutte anti-terroriste : la dépense à ce titre a été engagée à plus de 92 %

Par ailleurs, la dotation versée à l’AEFE pour l’aide à la scolarisation d’enfants français a été portée à 99,2 millions d’euros, en hausse de 12 millions d’euros. Mais cette hausse a seulement compensé la diminution de la « soulte », un reliquat de dotations budgétaires antérieures, utilisé par l’AEFE lors des trois exercices précédents. Au total, alors que les effectifs du réseau augmentent, le nombre de boursiers stagne (25 230 boursiers et 30 260 demandes).

Le Président de la République a proposé le doublement, d’ici 2030, des effectifs des établissements à enseignement français ou en français sans rien dissimuler du risque actuel d’une impasse budgétaire. La refonte des modalités de financement de l’enseignement français ne peut donc plus être évitée. L’expansion du réseau doit s’accompagner d’une plus grande diversification de ses formats.

Le rapporteur spécial sera particulièrement attentif aux orientations de la réforme d’ensemble que devrait être présentée à partir de l’été 2018.

4.   Sécuriser les ressources propres du réseau culturel

Le réseau diplomatique compte 154 services de coopération et d’action culturelle, parmi lesquels 124 disposent d’établissements à autonomie financière (EAF) dont 96 ont la dénomination d’ « Instituts français ».

Dénués de la personnalité morale, les EAF disposent d’un statut qui combine rattachement aux ambassades et gestion autonome de leurs ressources propres (cours de langues, certifications de français, participations aux activités culturelles, mécénat) ([6]).

Par dérogation aux principes d’unité et d’universalité budgétaires, les EAF peuvent conserver directement les recettes extrabudgétaires et bénéficier de subventions de partenaires locaux, sans que ces ressources soient rattachées au budget général. Ils peuvent disposer de fonds de réserves propres ou placer les recettes locales sans renvoi des fonds libres au Trésor en fin d’exercice.

Le taux d’autofinancement des EAF atteint 72 % en 2017, en hausse de 5 points en deux ans. Les ressources propres dépassent 141 millions d’euros, très supérieures aux dotations publiques inscrites sur le programme 185: 37,7 millions d’euros pour leur fonctionnement et 14 millions d’euros pour leurs opérations, montants stables entre 2016 et 2017.

Ce taux moyen peut néanmoins masquer des situations disparates. L’autofinancement peut s’accroître mécaniquement en cas de contraction des dotations budgétaires alors même que les ressources propres diminuent, par exemple dans des pays en situation de crise économique. Il reste qu’un taux élevé d’autofinancement est souvent le fruit d’une stratégie visant à diversifier les ressources et susciter des cofinancements locaux de projets culturels. Le rapporteur spécial a pu le constater à Abidjan où l’Institut Français de Côte d’Ivoire a considérablement accru ses ressources propres, ce qui a permis de diminuer les dotations budgétaires, comme illustré ci-après.

Évolution des ressources de l’Institut français de Côte d’Ivoire

(en milliers d’euros)

Sources : Ambassade de France en Côte d’Ivoire, réponses aux questions du rapporteur spécial.

Cependant, la Cour des comptes relève que le statut spécifique des EAF est contraire, depuis l’origine, à l’ordonnance organique de 1959 et déroge désormais à la loi organique relative aux lois de finances (LOLF).

En novembre 2016, le procureur général près la Cour des comptes a réitéré une demande de rechercher avec la direction générale des finances publiques du ministère des finances « la solution la plus pertinente pour inscrire son action dans le cadre de la loi organique relative aux lois de finances ».

La mise en place de procédures d’attribution de produits ou de fonds de concours paraît devoir être écartée. Les EAF seraient soumis à des formalités lourdes alors qu’ils disposent aujourd’hui, sans attendre, des ressources liées à leur activité. Le Quai d’Orsay redoute en outre des mesures de régulation budgétaire en fonction du niveau de fonds de roulement des EAF. Alors qu’il doit s’autofinancer, le réseau ne serait plus incité à disposer d’une trésorerie ce qui pourrait freiner son activité.

La transformation des EAF en établissements publics de droit local maintiendrait l’autonomie financière sans être contraire à la LOLF. Mais une enquête menée par le ministère auprès de 40 Instituts français à l’été 2016 a révélé de nombreux inconvénients juridiques et financiers. Les coûts de fonctionnement seraient plus élevés et la fiscalité locale alourdie, les établissements perdant des avantages liés à leur statut diplomatique actuel. Cependant, cette transformation pourrait être envisagée pour certains instituts.

Le rapporteur spécial invite donc le Quai d’Orsay et les ministères financiers à accélérer le travail interministériel engagé depuis deux ans dans le but de concilier souplesse de gestion et régularité budgétaire. Il suggère d’expertiser la piste d’une modification du texte de la loi organique afin d’y définir et encadrer le statut financier des EAF et de prévoir des dérogations expresses les concernant.

IV.   Renforcer le Pilotage des moyens de l’État À l’Étranger : l’exemple des plans d’action des ambassades de France en CÔTE d’Ivoire et Au SÉnÉgal

Dans l’exercice de ses compétences de contrôle, le rapporteur spécial a souhaité s’assurer que les chefs de postes diplomatiques disposent des moyens d’adapter les formes d’intervention de l’État aux priorités diplomatiques.

En effet, dans les pays où notre présence ne se limite pas aux formats restreints des « postes de présence diplomatiques », les ambassades de France comprennent, outre les personnels du Quai d’Orsay, des services relevant d’autres ministères : économie, affaires sociales, intérieur, transports, justice…

Bien que placés sous l’autorité hiérarchique de l’ambassadeur, ces postes ne sont pas financés par des crédits de la mission Action extérieure de l’État. Cette situation présente le risque d’affaiblir les prérogatives du chef de poste, auquel le décret n° 79-433 du 1er juin 1979 relatif aux pouvoirs des ambassadeurs et à l’organisation des services de l’État à l’étranger, accorde pourtant l’entière autorité sur les services de la mission diplomatique.

1.   Un levier de mobilisation de l’ensemble des services de l’ambassade

Afin que la multitude de réseaux de l’État à l’étranger ne nuise pas à la cohérence des actions de la « Maison France », le chef de poste doit désormais décliner les objectifs que lui assigne sa lettre de mission ministérielle dans un « plan d’action de l’ambassade ». Chacun des services du poste diplomatique doit y contribuer. Le plan d’action vise ainsi à mettre les modes d’action des différents services de l’État en cohérence avec les objectifs du poste diplomatique.

Lors de ses déplacements en Côte d’Ivoire et au Sénégal, le rapporteur spécial a examiné, avec les responsables des services concernés, le contenu et la consistance des plans d’actions établis par les chefs de poste. Il peut ainsi attester que ces plans d’actions comportent des objectifs cohérents, ainsi que des échéances et des points d’avancements précis, assortis d’indicateurs permettant d’en évaluer les résultats.

Articulés autour de trois grandes priorités, les plans d’action des ambassades comportent obligatoirement une priorité consacrée à la diplomatie économique.

En Côte d’Ivoire et au Sénégal, les enjeux d’influence économique font ainsi l’objet d’un suivi renforcé : les plans d’action contribuent à ce que l’action du Service économique régional (SER) s’inscrive pleinement dans la stratégie du poste diplomatique, bien que ce service relève du réseau international de la direction générale du Trésor du ministère de l’économie et des finances, et dispose d’un champ de compétence géographique régional distinct de celui de chacune des ambassades concernées.

Au Sénégal comme en Côte d’Ivoire, les chefs de postes diplomatiques ont institué en priorité stratégique la bonne réalisation par des entreprises françaises et avec des financements français importants, des nouvelles infrastructures de type TER, appelées à structurer le développement des agglomérations d’Abidjan et de Dakar.

Les instructions données aux comités de suivi du SER et les éléments de reporting définis par les plans d’action visent au respect, dans ce cadre, des meilleurs standards techniques, environnementaux, sociaux et déontologiques.

L’approche globale, sous la houlette de l’ambassadeur, permet d’accroître les synergies entre les services. Afin de promouvoir la « French Tech », l’ambassade du Sénégal a par exemple positionné, avec l’appui du SER, un emploi du Service de coopération et d’action culturelle (SCAC) sur le suivi des opportunités économiques du numérique. De même, l’ambassade en Côte d’Ivoire a inauguré, avec l’appui du SER comme des services de coopération, un club sectoriel « Abidjan Ville durable » visant à fédérer les entreprises françaises de ce secteur autour d’évènements de rencontres et d’échanges.

Le plan d’action de l’ambassade en Côte d’Ivoire prévoit également le suivi des financements de l’Agence française de développement (AFD) revenant aux entreprises françaises. Il établit un lien entre le renforcement de la présence économique française et l’objectif de formalisation de l’économie ivoirienne, encouragée par l’AFD dans le but de consolider la croissance économique du pays.

Les barrières anciennes entre le service économique et le service de coopération et d’action culturelle s’effacent également lorsque l’ambassade leur assigne l’objectif d’appuyer conjointement les acteurs français souhaitant investir le champ émergent de l’enseignement supérieur, par exemple dans le « hub éducatif franco-ivoirien à vocation régionale » réunissant les formations supérieures franco-ivoiriennes, ou encore dans des structures privées d’enseignement supérieur à Dakar, dans la ville nouvelle de Diamniadio.

De même les plans d’action prévoient la mise en cohérence de la politique des visas avec les objectifs de diplomatie économique, afin qu’elle soit favorable aux échanges.

Ils prévoient également d’appuyer les dispositifs de migration professionnelle circulaire, à l’exemple de ceux que met en œuvre, au Sénégal, la mission de représentation de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), dont la contribution est détaillée dans l’encadré figurant page suivante.

 

La contribution au plan d’action de l’ambassade de France de la mission de représentation de l’OFII au Sénégal

L’action de l’OFII au Sénégal s’inscrit dans le cadre de l’accord franco-sénégalais relatif à la gestion des flux migratoires signé en septembre 2006 qui prévoit de favoriser le retour de ressortissants sénégalais non voués à se maintenir sur le territoire français. L’OFII met en œuvre des aides au retour et à la réinsertion ainsi que des aides au retour d’étudiants et de jeunes professionnels.

En redéfissant ses pratiques afin de s’insérer dans le plan d’action de l’ambassade, la mission de représentation de l’OFII au Sénégal s’est fixé les objectifs suivants :

 

● Inciter les entreprises locales, françaises en particulier, à recruter des compétences sénégalaises formées en France. En liaison avec le SER et l’AFD, l’ambassade s’attachera à inciter les entreprises à favoriser le retour des compétences sénégalaises formées en France. Elle présentera systématiquement aux entreprises developpant ou renforçant une activité au Sénégal le dispositif d’appui à la réinsertion par l’emploi.

Indicateurs :

– Nombre d’offres d’emploi proposées par les entreprises françaises

– Nombre de recrutements bénéficiant d’une prise en charge OFII

 

Valoriser le dispositif de migration professionnelle circulaire : le poste diplomatique valorisera les démarches d’accompagnement à la montée en compétence des entreprises locales par le biais de la migration professionnelle circulaire. Il promouvra le dispositif « d’échanges de jeunes professionnels » qui permet aux employeurs de professionnaliser leurs collaborateurs par une mise en situation de travail en France lors de courts séjours en entreprise. La valorisation de la migration circulaire visera également de sensibiliser aux risques de la migration irrégulière.

Indicateurs :

– Nombre de contrats « jeune professionnel » engagé dans le cadre de partenariat d’entreprises

– Nombre de retour effectif au terme du contrat

– Mise en place d’un groupe de travail sur le dispositif « jeune professionnel » en vue d’orienter vers les secteurs économiques prioritaires du pays

 

● Contribuer localement à « décomplexer » l’idée du retour : le poste diplomatique appuiera les efforts de valorisation des réussites de sénégalais revenus s’installer durablement dans leur pays, souvent malgré l’opposition de leur famille. Ces initiatives pourront être relayées par un réseau de journalistes formés à la thématique « migration ». Sur la base de visites de projets financés par l’OFII et de recueil de témoignages, ils pourront valoriser l’idée du retour tant par la diversité de typologie des migrants (irréguliers, étudiants, travailleurs), que celle des projets développés.

Indicateurs :

– Montant des financements français mis en œuvre dans le cadre de l’appui au retour

– Nombre de visites de terrain médiatisées

 Nombre de témoignages « succès story » recueillis


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2.   Accélérer la mise en cohérence des réseaux de l’État à l’étranger

Si les plans d’action des ambassades constituent une avancée indéniable, le rapporteur spécial invite cependant à accélérer la mise en cohérence des réseaux de l’État à l’étranger en utilisant le levier, budgétaire, du transfert progressif vers la mission Action extérieure de l’État de l’ensemble des postes des personnels concernés.

À terme, l’ensemble des agents de l’État présents dans les ambassades seraient ainsi détachés au ministère de l’Europe et des affaires étrangères, pendant la durée de leurs missions à l’étranger. Cette évolution donnerait une image plus juste de la carte de la présence de l’État dans le monde ce qui permettrait de mieux adapter la répartition des emplois aux priorités diplomatiques.

Unifier le support budgétaire permettrait en outre de garantir, dans les postes diplomatiques, la mutualisation des fonctions support, parfois délicate aujourd’hui.

Le rapporteur spécial considère que cette réforme devrait concerner, prioritairement, les effectifs du réseau international du Trésor, indispensables à la conduite de notre diplomatie économique.

S’il existe, dans les administrations des ministères financiers, la crainte diffuse qu’une mutualisation sous l’égide du Quai d’Orsay ne se fasse au détriment de la prise en compte des enjeux économiques, les constats de terrain du rapporteur spécial le conduisent à considérer cette crainte comme infondée.

La mission d’influence économique n’occupe pas seulement une place centrale dans les plans d’action des ambassades. Elle occupe également, de manière générale, près de 40 % de l’activité des ambassadeurs.

Une part considérable du rôle de représentation vise ainsi à valoriser l’offre française et à mettre en relation les entrepreneurs français et leurs homologues africains. Les chefs de poste entretiennent un dialogue constant avec les entreprises françaises et utilisent l’ensemble des leviers politiques d’influence pour appuyer leurs projets et les aider à débloquer des situations parfois très sensibles. Les différences culturelles qui pouvaient opposer, par le passé, les personnels du Quai d’Orsay et ceux du réseau international du Trésor se sont, indéniablement, estompées.

Le rapporteur spécial invite donc à envisager à brève échéance l’intégration d’une part significative des agents de la direction générale du Trésor au sein du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, en faisant évoluer le périmètre des emplois budgétaires de la mission Action extérieure de l’État lors d’un prochain projet de loi de finances.

 


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   Travaux de la commission

Lors de sa réunion de 8 heures 30, le jeudi 31 mai 2018, la commission des finances, réunie en commission d’évaluation des politiques publiques, a entendu M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères.

 

Le compte rendu de cette réunion est disponible sur le site de l’Assemblée nationale.

 

La vidéo de cette réunion peut être consultée sur le site de l'Assemblée nationale.

 

 

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   personnes auditionnées par le rapporteur spécial

● Déplacement en Côte d’Ivoire

– M. Gilles Huberson, ambassadeur de France

– M. Laurent Souquière, consul général de France

– Mme Annick Diener, première conseillère, M. Louis Blanc-Patin, stagiaire ENA

– Colonel Xavier Lafargue, attaché de défense

– M. François Sporrer, chef du service économique régional,

– M. Noumory Sidibe, directeur de cabinet adjoint du ministre des transports

– M. Bruno Leclerc, directeur de l’Agence française de développement en Côte d’Ivoire

– M. Gérald Petit (Business France), M. Romain Bauret, (Bpifrance),  M. Grégoire Hugon (Expertise France)

– Mme Yvonne Trah Bi et M. André Duclos, conseillers consulaires

– M. Patrice Thevier, conseiller de coopération et d’action culturelle

– M. Alexis Soungalo, responsable de l’espace volontariats de France Volontaires ainsi que des volontaires de solidarité internationale français et ivoiriens

– MM. Jean-Marc Hougard et Patrice Grimaud, Institut de recherche et de développement (IRD) et Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) en Côte d’Ivoire

– Club Abidjan Ville Durable, Club French Tech Abidjan et Conseillers du commerce extérieur de France : MM. Paul François Cattier (Schneider); Philippe Miquel (Engie), Yann Le Corvec (Cegelec), Mahamane Sow (EDF), Grégoire Saix (Razel-Fayat), Dominique Gouvernayre (SGS) et  Yann Leguen (Eutelsat)

– M. Adama Tondossama, directeur général de l’Office ivoirien des parcs et réserves

– M. Wossama Marc Kone, président de SOS Immigration clandestine


 Déplacement au Sénégal

– M. Moustapha Niasse, Président de l’Assemblée nationale du Sénégal, Président de la Fondation Léopold Sédar Senghor

– M. Christophe Bigot, ambassadeur de France

– M. Olivier Serot-Almeras, consul général

–  M. Luc Briard, premier conseiller

–  Colonel Philippe Troistorff, attaché de défense, M. Jean-Luc Gonzales, attaché de sécurité intérieure, M. Charles Yvinec, chef de la cellule régionale d’assistance à la sûreté de l’aviation civile

– M. Vincent Toussaint, Chef du service économique, M. Quentin Voutier, Business France

– Mme Diane Jegam, directrice adjointe de l’agence régionale de l’AFD

– M. Gérard Sénac, président-directeur général d’Eiffage Sénégal, président du conseil des investisseurs européens au Sénégal, M. Michel Théron, président-directeur général de COTOA, M. Bruno Delanoué, vice-président de la Chambre des mines

– M. Jean-Charles Prêtet, conseiller consulaire, MM. Nicolas Soyere et François Cherpion, Union des français de l’étranger, M. Babacar Racine, Association démocratique des français à l’étranger, M. Daniel Vivien, Association d’entraide des français du Sénégal

– Mme Dominique Mensah, directrice de la représentation de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII)

– M. Laurent Perez-Vidal, conseiller culturel, M. Jérémy Opritesco, deuxième conseiller, M. Arona Cisse, Campus France

– Visite de l’Institut sénégalais de recherches agricoles (ISRA).

– M. Amadou Fall Ba, administrateur de la Maison des cultures urbaines de Ouakam

 


([1]) Mme Émilie Bonnivard examine les crédits d’Atout France dans le rapport spécial n° 2 Tourisme.

([2]) Loi n° 2015-1785 du 29 décembre 2015 de finances pour 2016.

([3])  Véronique Hespel, Agnès Cukierman, Cyril Gerardon, La couverture des risque de change sur le budget de l’État, IGF –IFAE.

([4])  Article 5 du décret n° 67-290 du 28 mars 1967.

([5]) Décrets n° 2017-1182 du 20 juillet 2017 et n° 2017-1639 du 30 novembre 2017 portant ouverture et annulation de crédits à titre d'avance.

([6]) Article 66 de la loi n° 73-1150 du 27 décembre 1973 de finances pour 1974 et décret n° 78-832 du 24 août 1976 relatif à l’organisation financière des EAF.