N° 1055

______

ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 13 juin 2018

RAPPORT

FAIT

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES FINANCES, DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU CONTRÔLE BUDGÉTAIRE SUR LE PROJET DE LOI, APRÈS ENGAGEMENT DE LA PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE, de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2017 (n° 980),

 

PAR M. Joël GIRAUD,

Rapporteur général

Député

 

——

 

 

ANNEXE N° 31
 

 

outre-MER

 

 

 

 

Rapporteur spécial : M. Olivier SERVA

 

Député

____

 


 


—  1  —

SOMMAIRE

___

Pages

I. Un exercice 2017 caractérisé par des aléas de gestion majeurs et par l’insincérité de la programmation

A. Une exécution marquée par des aléas de gestion majeurs

1. Le programme 138 Emploi outre- mer : une augmentation de crédits de chacune des actions du programme

2. Le programme 123 Conditions de vie outre-mer : une exécution contrastée selon les actions traduisant des dépenses imprévisibles

a. La sous-consommation des crédits de l’action 1 Logement et de l’action 2 Aménagement du territoire pour compenser le surcoût des aléas de gestion

b. La forte augmentation des crédits de l’action 6 Collectivités territoriales, conséquence des besoins résultant des évènements climatiques et du Plan pour la Guyane

B. Une programmation 2017 insincère, marquée par des astuces de présentation et des mouvements de crédits affaiblissant considérablement la portée de l’autorisation parlementaire

II. Les dispositifs d’aide fiscale à l’investissement dans le cadre de la réforme des aides économiques outre-mer

A. Les aides fiscales à l’investissement outre-mer : des dispositifs divers au coût décroissant depuis plusieurs années

1. Des dispositifs de soutien à l’investissement productif et au secteur du logement

2. Des montants d’aide bien inférieurs à ceux octroyés au début des années 2010

B. rendre plus efficientes et sécuriser les aides fiscales à l’investissement outre-mer

a. Pour une aide fiscale plus efficiente

b. Sécuriser l’aide à l’investissement outre-mer

c. Encourager davantage la réhabilitation des logements dans les COM et en Nouvelle-Calédonie

Travaux de la commission

Liste des personnes auditionnées par le rapporteur spécial


—  1  —

La mission Outre-mer rassemble les crédits de l’État pour le développement économique, social et environnemental des territoires ultramarins. L’année 2017 a été marquée par plusieurs évènements majeurs :

– l’adoption de la loi du 28 février 2017 de programmation relative à l’égalité réelle des outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique ([1]) dite « loi EROM », qui prévoit des plans et des contrats de convergence ;

– des catastrophes naturelles d’ampleur exceptionnelle, comme l’ouragan Irma qui a durement frappé les îles de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin ;

– la crise sociale en Guyane et les accords qui l’ont suivie.

S’agissant de l’exécution budgétaire, le rapporteur note une entorse criante au principe de sincérité et analyse l’impact des évènements précités sur l’exécution.

Le rapporteur a consacré ses travaux d’évaluation des politiques publiques à l’examen des dispositifs d’aide fiscale à l’investissement outre-mer. Il formule plusieurs préconisations visant à sécuriser ces dispositifs et à en renforcer l’efficience.

I.   Un exercice 2017 caractérisé par des aléas de gestion majeurs et par l’insincérité de la programmation

Plusieurs évènements imprévisibles de grande ampleur ont affecté l’exécution budgétaire. L’analyse de cette dernière fait ressortir une consommation des crédits assez éloignée de la programmation.

Ce phénomène s’explique également par l’insincérité d’une programmation trompeuse, affaiblissant profondément la portée de l’autorisation parlementaire.

A.   Une exécution marquée par des aléas de gestion majeurs

La mission Outre-mer se décompose en deux programmes. Le programme 138 Emploi outre-mer favorise la création d’emplois et une croissance durable par le soutien à la compétitivité des entreprises et par le renforcement de la qualification professionnelle des actifs des outre-mer. Il finance principalement les exonérations de cotisations sociales patronales dont peuvent bénéficier, sous conditions, les entreprises installées dans les territoires d’outre-mer. Le programme 123 Conditions de vie outre-mer comporte les crédits dédiés aux politiques d’intervention de l’État pour améliorer les conditions de vie des populations ultramarines.

En 2017, le montant des crédits consommés s’est élevé à 2,1 milliards d’euros en autorisations d’engagement (AE) et 2,0 milliards d’euros en crédits de paiement (CP), ce qui représente des augmentations respectives de 6,2 % et 6,8 %. Cette hausse s’explique par la nécessité de financer des dépenses imprévues liées aux accords de Guyane et aux catastrophes naturelles.

Comparaison des crédits consommés en 2016 et en 2017

(en millions d’euros)

 

AE

CP

Exécution
2016

Exécution
2017

Évolution
2016-2017

Exécution
2016

Exécution
2017

Évolution
2016-2017

Programme 138 Emploi outre-mer

1 259,6

1 296,8

+ 2,9 %

1 247,7

1 297,2

+ 4,0 %

Programme 123 Conditions de vie outre-mer

684,4

770,3

+ 12,5 %

653,4

732,6

+ 12,1 %

Total mission Outre-mer

1 944,1

2 067,1

+ 6,3 %

1 901,1

2 029,8

+ 6,8 %

Source : commission des finances, d’après le rapport annuel de performances.

Cette augmentation est la première depuis 2013. Le montant des crédits consommés en 2017 reste toutefois bien inférieur à son niveau de 2013 en AE (‑ 6,4 %) comme en CP (‑ 3,5 %).

Crédits de paiement consommés depuis 2013

 

2013

2014

2015

2016

2017

Évolution
2013-2017

Programme 138 Emploi outre-mer  

1 453,0

1 370,7

1 372,8

1 247,7

1 297,2

 10,7 %

Programme 123 Conditions de vie outre-mer

649,5

667,4

619,6

653,4

732,6

+ 12,8 %

Total mission Outre-mer

2 102,5

2 038,1

1 992,4

1 901,1

2 029,8

 3,5 %

Croissance annuelle

+11,1 %

 3,1 %

 2,2 %

 4,6 %

6,8 %

n.a.

Source : commission des finances, d’après les documents budgétaires.

1.   Le programme 138 Emploi outre- mer : une augmentation de crédits de chacune des actions du programme

● En exécution, 1,26 milliard d’euros en AE et 1,3 milliard d’euros en CP ont été consacrés au programme 138 Emploi outre-mer en 2017. La consommation de crédits est en augmentation de 2,9 % en AE et de 4 % en CP par rapport à 2016.

Évolution des crédits du programme 138 emploi outre-mer

(en millions d’euros)

Action

AE

CP

2016

2017

Évolution
2016-2017

2016

2017

Évolution
2016-2017

1. Soutien aux entreprises 

991,0

1 036,2

+ 4,6 %

989,3

1 032,2

+ 4,3 %

2. Aide à l’insertion et à la qualification professionnelle 

265,9

258,0

 3,0 %

256,0

262,3

+ 2,5 %

3. Pilotage des politiques des outre-mer

2,7

2,6

 6,8 %

2,5

2,7

+ 9,2 %

Total P 138  

1 259,6

1 296,8

+ 2,9 %

1 247,7

1 297,2

+ 4,0 %

Source : commission des finances, d’après les documents budgétaires.

● Les crédits de l’action 1 Soutien aux entreprises ont atteint 1,057 milliard d’euros en AE et 1,032 milliard d’euros en CP, en augmentation respectivement de 4,6 % et 4,3 %.

Cette action finance essentiellement (à 96 %) des crédits de remboursement des organismes de sécurité sociale pour le manque à gagner résultant des exonérations de cotisations patronales spécifiques aux territoires de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique, de La Réunion, de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin. Ils comptent pour la moitié des crédits de la mission et 80 % des crédits du programme 138.

En 2017, le montant des exonérations de cotisations outre-mer s’est établi à 1,03 milliard d’euros (en AE/CP), ce qui représente une augmentation de 45,7 millions d’euros par rapport à l’exécution 2016 (+ 4,6 %). Il n’est toutefois pas revenu à son niveau de 2015, cette dépense ayant continûment diminué entre 2013 et 2016, sous l’effet des différents recentrages opérés ([2]).

La croissance de ces crédits en 2017 reflète pour partie le transfert de 19,9 millions d’euros en provenance de la mission Travail et emploi, opéré en loi de finances initiale pour 2017 (voir infra). Elle traduit également la dynamique de l’emploi salarié dans les territoires concernés (+ 2,6 % en 2016 après + 1,5 % en 2015 ([3])).

exonérations de cotisations patronales outre-mer

(en millions d’euros)

Source : commission des finances, d’après les documents budgétaires.

La surconsommation des crédits de l’action 1 par rapport à la prévision de la LFI pour 2017 tient notamment à l’application différée de la mesure de recentrage des cotisations des travailleurs indépendants adoptée en loi de financement de la sécurité sociale pour 2017. D’après le document du Gouvernement, des raisons techniques expliquent que cette réforme n’ait pu être mise en œuvre auprès du régime social des indépendants (RSI) en 2017 et qu’elle se trouve reportée à 2018. L’étude d’impact du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2017 avait estimé les économies engendrées par cette mesure à 30 millions d’euros par an.

● Les crédits de l’action 2 Aide à l’insertion et à la qualification professionnelle ont représenté 258,0 millions d’euros en AE (– 3,0 % par rapport à 2016) et 262,3 millions d’euros en CP (+ 2,5 %) en 2017. Ils financent le service militaire adapté (SMA) et certaines actions de l’Agence des outre-mer (LADOM).

2.   Le programme 123 Conditions de vie outre-mer : une exécution contrastée selon les actions traduisant des dépenses imprévisibles

● En 2017, les crédits consommés sur le programme 123 Conditions de vie outre-mer se sont établis à 770,6 millions d’euros en AE et 732,6 millions d’euros en CP, en croissance respectivement de 85,9 millions d’euros (+ 12,5 %) et de 79,1 millions d’euros (+ 12,1 %). L’augmentation globale masque des évolutions différenciées selon les actions. Elle traduit l’autofinancement par la mission Outre-mer du Plan d’urgence Guyane et de la reconstruction des territoires dévastés par les ouragans Irma et Maria.

Au total, ces aléas de gestion ont nécessité de débloquer des crédits non prévus en LFI à hauteur de 129,1 millions d’euros en AE (15 % de l’allocation en LFI) et 107,7 millions d’euros en CP (14 % de l’allocation LFI).

Évolution des crédits du programme 123 Conditions de vie outre-mer

(en millions d’euros)

Action

AE

CP

2016

2017

Évolution
2016-2017

2016

2017

Évolution
2016-2017

1. Logement 

232,0

193,3

 16,7 %

216,5

199,3

 7,9 %

2. Aménagement du territoire 

146,0

117,4

 19,6 %

145,8

123,5

 15,3 %

3. Continuité territoriale  

39,2

42,8

+ 9,4 %

39,8

42,1

+ 5,8 %

4. Sanitaire, social, culture, jeunesse et sports 

21,9

23,6

+ 7,7 %

19,1

24,6

+ 29,3 %

6. Collectivités territoriales 

190,0

305,8

+ 61,0 %

182,6

302,7

+ 65,8 %

7. Insertion économique et coopération régionales 

1,0

0,6

 37,0 %

1,1

0,8

 29,0 %

8. Fonds exceptionnel d’investissement 

39,6

49,3

+ 24,5 %

29,3

25,6

 12,7 %

9. Appui à l’accès aux financements bancaires 

14,7

37,3

+ 153,5 %

19,3

14,0

 27,7 %

Total P 123

684,4

770,3

+ 12,5 %

653,4

732,6

+ 12,1 %

Source : commission des finances, d’après les documents budgétaires.

a.   La sous-consommation des crédits de l’action 1 Logement et de l’action 2 Aménagement du territoire pour compenser le surcoût des aléas de gestion

● L’action 1 Logement finance des outils spécifiques d’aide à la pierre, d’amélioration de l’habitat décent et adapté aux populations ultramarines. Elle revêt une importance particulière pour ces territoires caractérisés par un fort déficit d’offre de logements et des besoins considérables en matière de réhabilitation. En 2017, elle a représenté 193,3 millions d’euros en AE et 199,3 millions d’euros en CP en exécution.

Il s’agit du montant exécuté le plus faible depuis 2008 (211,9 millions d’euros en AE et 183,8 millions d’euros en CP). Par rapport à l’exécution 2016, ces crédits sont en baisse de 38,7 millions d’euros en AE ( 16,7 %) et de 17,2 millions d’euros en CP ( 7,9 %).

Le rapporteur spécial avait déploré, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2018, la diminution programmée de 8,1 % en AE et de 1,6 % en CP des crédits de l’action par rapport à la LFI pour 2017. Dans ces conditions, il souhaite rappeler tout l’intérêt des dispositifs fiscaux d’aide à l’investissement dans le secteur du logement.

Le Gouvernement explique cette diminution, d’une part, par des difficultés des opérateurs à produire les dossiers selon l’échéancier prévu et, d’autre part, par le redéploiement de ces crédits en gestion au profit d’autres actions, « au regard de la succession d’aléas de gestion de grande ampleur en 2017 » et selon le principe d’auto-assurance.

Autrement dit, les financements destinés à couvrir les besoins apparus en 2017 comme le plan Guyane et la reconstruction des territoires frappés par les catastrophes naturelles – financés par l’action 6 Collectivités territoriales –, ont pesé sur d’autres actions de la mission, au premier rang desquelles l’action 1 Logement.

● L’action 2 Aménagement du territoire porte essentiellement les crédits destinés aux contrats de projets et aux contrats de développement. Entre l’exécution 2016 et l’exécution 2017, les crédits de cette action ont chuté de 19,6 % en AE et de 15,3 % en CP, se fixant à 117,4 millions d’euros et 123,5 millions d’euros. Comme pour l’action Logement, cette baisse tient à la sous-consommation des crédits par rapport à la prévision de la LFI pour 2017, pour les mêmes raisons.

Le rapporteur spécial regrette que ces deux actions aient pris en charge une partie des financements des aléas de gestion importants intervenus en 2017.

b.   La forte augmentation des crédits de l’action 6 Collectivités territoriales, conséquence des besoins résultant des évènements climatiques et du Plan pour la Guyane

● L’action 6 Collectivités territoriales est devenue la principale action du programme 123, ayant bénéficié d’une hausse significative en 2017, en raison de la mise en œuvre du Plan d’urgence pour la Guyane et des évènements climatiques dévastateurs. Cette action regroupe en effet les dotations aux collectivités territoriales et les financements adaptés à leurs spécificités, les secours d’urgence et de solidarité nationale liés aux calamités et, enfin, les actions de défense et de sécurité civile.

En exécution 2017, ses crédits ont augmenté de 61,0 % en AE et de 65,8 % en CP pour atteindre 305,8 millions d’euros et 302,7 millions d’euros. S’expliquant par des aléas de gestion majeurs, ce niveau de consommation n’avait, par définition, pas été anticipé en LFI pour 2017.

Une analyse brute des résultats conduit à constater que l’action a été légèrement surexécutée en AE (+ 1,8 %), mais que les CP consommés sont largement supérieurs aux CP ouverts (+ 8,2 %). Néanmoins, la prévision du PAP 2017 avait été artificiellement gonflée de 85,6 millions d’euros en AE et de 76,9 millions d’euros en CP par des crédits en provenance de la mission « Enseignement scolaire », rétrocédés en gestion dès janvier 2017 par décret de transfert ([4]) (voir infra).

Si l’on ne prend pas en compte les crédits rétrocédés par le décret de transfert, les crédits consommés sont supérieurs de 44,1 % en AE et de 51,0 % en CP aux crédits ouverts en LFI pour 2017.

Cette augmentation significative s’explique par deux évènements majeurs. D’une part, le conflit social en Guyane et le plan d’urgence qui l’a suivi ont abouti à la création d’une dotation exceptionnelle de 89 millions d’euros et à la revalorisation de la subvention accordée aux communes au titre de la construction et des équipements des bâtiments du premier degré de 10 à 15 millions d’euros.

D’autre part, les ouragans Irma, Maria et Matthew ont nécessité le versement de 12,1 millions d’euros à la collectivité de Saint-Martin et la mobilisation de 1,3 million d’euros à destination du fonds de secours. En dépenses, le fonds de secours a représenté 14 millions d’euros en AE et 13,4 millions d’euros en CP.

Au total, la Cour des comptes constate que les aléas de gestion ont créé un besoin de financement à hauteur de 129,1 millions d’euros en AE et de 107,7 millions d’euros en CP ([5]).

● La dotation à la reconversion de l’économie polynésienne constitue toujours le principal poste de dépenses de l’action (134,8 millions d’euros en AE et 144 millions d’euros en CP). Cette dotation se décompose en trois volets. Le Président de la République François Hollande s’était engagé à ce que le premier volet, la dotation globale d’autonomie (DGA) augmente d’environ 10 millions d’euros pour excéder 90 millions d’euros. Cet engagement a été tenu, puisque le montant consommé s’est fixé à 90,6 millions d’euros. Néanmoins, le rapporteur spécial déplore la chute du montant des AE du troisième volet, dit « 3ème instrument financier ». Son montant s’est établi à 35,2 millions d’euros en AE, soit 16 millions d’euros de moins qu’en 2016 et que ce que prévoyait le PAP 2017. En AE, les engagements tenus sur le montant de la DGA semblent l’avoir été au détriment du troisième instrument financier.

Comparaison de l’exécution 2017 du programme 123 Conditions de vie outremer à la prévision

(en millions d’euros)

Action

AE

CP

Prévision *

Exécution

Écart

Prévision *

Exécution

Écart

1. Logement

246,0

193,3

-21,4%

231,8

199,3

-14,0%

2. Aménagement du territoire

144,4

117,4

-18,7%

163,9

123,5

-24,6%

3. Continuité territoriale

41,7

42,8

+2,8%

41,7

42,1

+1,0%

4. Sanitaire, social, culture, jeunesse et sports

30,0

23,6

-21,1%

21,7

24,6

+13,4%

6. Collectivités territoriales 

300,3

305,8

+1,8%

279,9

302,7

+8,2%

7. Insertion économique et coopération régionales 

1,0

0,6

-33,6%

1,0

0,8

-17,8%

8. Fonds exceptionnel d’investissement 

40,0

49,3

+23,3%

34,8

25,6

-26,3%

9. Appui à l’accès aux financements bancaires 

45,6

37,3

-18,3%

13,2

14,0

+5,6%

Total P 123

848,9

770,3

-9,3 %

787,8

732,6

-7,0 %

* y.c. fonds de concours.

Source : commission des finances, d’après le rapport annuel de performances 2017.

B.   Une programmation 2017 insincère, marquée par des astuces de présentation et des mouvements de crédits affaiblissant considérablement la portée de l’autorisation parlementaire

Dès juillet 2017, le Gouvernement s’est engagé dans une démarche visant à améliorer la sincérité budgétaire. Elle concerne également la mission Outremer, la LFI pour 2018 ayant remédié à des insincérités manifestes et particulièrement désagréables pour le Parlement.

L’exercice 2017 a en effet été entaché d’insincérité. Des artifices budgétaires ont permis d’améliorer la présentation du budget de la mission devant les parlementaires. Comme l’a d’ailleurs constaté le rapporteur spécial dans son rapport sur la mission Outre-mer du PLF pour 2018 ([6]), plusieurs mesures de périmètre et de transferts avaient gonflé le montant des crédits ouverts au titre de la mission :

Au total, les mesures de périmètre ont représenté 113,5 millions d’euros en AE et 104,9 millions d’euros en CP. Ces jeux d’écriture ont eu pour effet d’augmenter les crédits ouverts de 2,8 % en AE et de 0,8 % en CP, par rapport à la LFI pour 2016. À périmètre constant, le montant des crédits ouverts était toutefois en baisse de 3,2 % en AE et de 4,9 % en CP.

Une faible partie seulement de ces mesures de transferts et de périmètre se justifiait par un effort de cohérence de la maquette budgétaire. Le PAP 2017 explique ainsi que la majoration des crédits du programme 138 de 19,9 milliards d’euros était guidée par le souci de regrouper au sein de la mission l’ensemble des crédits relatifs aux compensations à la sécurité sociale des exonérations spécifiques aux DROM.

En revanche, aucune justification n’a été fournie concernant les transferts de crédits en provenance de la mission Enseignement scolaire. Cela n’a d’ailleurs rien d’étonnant : le ministère des outre-mer n’a pas eu la responsabilité de la gestion de ces crédits, pour la quasi-totalité d’entre eux. Preuve en est, deux décrets de transfert ([7]) sont intervenus en cours de gestion pour rétrocéder à l’euro près à la mission Enseignement scolaire les crédits que la LFI pour 2017 avait affectés au programme 123 de la mission Outre-mer, à l’exception de la subvention pédagogique et de fonctionnement pour la Polynésie française. Le premier décret de transfert a été publié le 31 janvier 2017, soit moins d’un mois après l’entrée en vigueur de l’autorisation parlementaire.

D’après les informations que le rapporteur a pu recueillir, le Gouvernement avait préparé ce tour de passe-passe budgétaire dès l’été 2016, la lettre plafond du 25 juillet 2016 prévoyait alors déjà le décret de transfert qui interviendrait en début de gestion 2017.

Crédits transférés au programme 123 en LFI pour 2017
et rétrocédés par décrets de transfert

(en millions d’euros)

Décret de transfert

Destination des crédits

AE

CP

Décret n° 2017-112 du 31 janvier 2017 portant transfert de crédits au profit du programme 214 « Soutien à la politique de l'éducation »

Dotations de construction des lycées de Mayotte

78,9

50,0

Dotations de construction des lycées de Nouvelle-Calédonie

6,7

26,9

Décret n° 2017-1293 du 21 août 2017 portant transfert de crédits au profit du programme 214 « Soutien à la politique de l'éducation »

Dotations de construction scolaire du second degré de Polynésie française

2,5

2,5

Total

88,1

79,4

Source : commission des finances, d’après le rapport annuel de performance 2017.

En clair, ces mesures de périmètre n’avaient pour seul objet que de présenter une augmentation fallacieuse du budget de la mission Outremer devant le Parlement et les citoyens. Les mouvements réglementaires de crédits intervenus en janvier et en août 2017 ont révélé que le Gouvernement a fait peu de cas de l’autorisation parlementaire. Ces méthodes en affaiblissent considérablement la portée.


II.   Les dispositifs d’aide fiscale à l’investissement dans le cadre de la réforme des aides économiques outre-mer

La loi de finances pour 2018 et la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 ([8]) ont supprimé le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) et ont accentué les exonérations de cotisations patronales. Cette transformation de l’aide octroyée au titre du CICE en exonérations de cotisations patronales permet de la pérenniser, de la sécuriser et de la simplifier. Les entreprises des DROM bénéficiaient d’un CICE au taux majoré.

Les modalités de la transformation du CICE en baisse de cotisations dans les DROM diffèrent toutefois de celles de l’hexagone, car des systèmes d’exonérations de cotisations spécifiques s’appliquent dans ces territoires. Ainsi, la suppression du CICE, invite à repenser les aides aux entreprises ultramarines. Cette réflexion s’inscrit dans le cadre des assises des outre-mer.

Le rapporteur spécial a choisi de centrer son travail sur les aides fiscales à l’investissement, dans ce contexte de revue des aides économiques.

A.   Les aides fiscales à l’investissement outre-mer : des dispositifs divers au coût décroissant depuis plusieurs années

Plusieurs dispositifs fiscaux encouragent l’investissement dans le secteur du logement et dans celui de l’investissement productif. Le montant des aides accordées a chuté d’environ 40 % depuis 2011.

1.   Des dispositifs de soutien à l’investissement productif et au secteur du logement

Dix dispositifs existants, représentant au total 2,5 milliards d’euros, font l’objet d’une analyse dans le cadre des assises des outre-mer. Parmi ces aides figurent les aides fiscales à l’investissement productif outremer ([9]), dont le coût fiscal est estimé à environ 415 millions d’euros pour 2016 ([10]). Le rapporteur spécial a également inclus dans le champ de ses travaux les aides fiscales à l’investissement dans le secteur du logement ([11]), qui représentent quelque 370 millions d’euros.

● Plusieurs dispositifs d’aide fiscale visent à soutenir l’investissement productif et à compenser certains handicaps structurels que connaissent les territoires ultramarins, comme l’éloignement de l’hexagone, l’insularité, l’étroitesse du marché intérieur, des évènements climatiques défavorables et la dépendance économique.

Un dispositif de réduction d’impôt sur le revenu bénéficie aux contribuables (hexagonaux ou locaux) au titre de leurs investissements dans le secteur productif, en vertu de l’article 199 undecies B du code général des impôts (CGI).

Un dispositif de déduction de base fiscale est prévu pour les entreprises soumises à l’impôt sur les sociétés, en vertu des articles 217 undecies (pour les DROM) et 217 duodecies (pour les COM et la Nouvelle-Calédonie) du CGI. Il fonctionne selon des principes similaires à la réduction d’impôt de l’article 199 undecies B. Sont également éligibles à ces aides fiscales les acquisitions et constructions de logements sociaux.

Un dispositif de crédit d’impôt sur le revenu ou de crédit d’impôt sur les sociétés est prévu par l’article 244 quater W du CGI. Les investissements éligibles sont les mêmes que ceux pouvant bénéficier de la réduction d’impôt de l’article 199 undecies B. La création de ce crédit d’impôt, par la loi du 29 décembre 2013 de finances pour 2014 ([12]), avait pour objectif de remédier à plusieurs faiblesses des deux dispositifs présentés supra. Il présente donc des avantages comparatifs par rapport à ces derniers :

– par définition, le bénéfice du crédit d’impôt permet au contribuable de bénéficier de l’aide fiscale, quand bien même son montant excède le montant de l’impôt dû ;

– sont éligibles au crédit d’impôt les seules entreprises exploitantes locales, sans que soit prévu un mécanisme d’aide fiscale par location. Ce type de mécanisme, prévu par les articles 199 undecies B, 217 undecies bénéficiait majoritairement aux contribuables hexagonaux. La création du crédit d’impôt permet donc de mieux cibler l’aide sur les besoins ;

– en théorie, l’action du monteur en défiscalisation est rendue moins nécessaire, ce qui permet d’éviter un phénomène de captation d’une part non négligeable de l’investissement par des prestataires spécialistes des aides fiscales outre-mer.

Il y a toutefois lieu de souligner que ce crédit d’impôt n’est pas applicable dans les collectivités d’outre-mer et en Nouvelle-Calédonie, en raison des compétences fiscales propres de ces territoires. L’efficacité des mécanismes de réduction d’impôt et de déduction de base fiscale des articles 199 undecies B et 217 duodecies est donc cruciale pour le développement des économies de ces territoires, comme le rapporteur spécial a pu s’en rendre compte lors de son déplacement en Nouvelle-Calédonie.

Dans les DROM, les trois dispositifs coexistent. Les entreprises dont le chiffre d’affaires excède 20 millions d’euros ne sont toutefois éligibles qu’au crédit d’impôt.

D’après les éléments d’évaluation qui ont été transmis par le ministère des outre-mer au rapporteur spécial, dans le cadre de la préparation de l’examen du projet de loi de finances pour 2018, ces aides ([13]) ont permis de financer 56 593 projets entre 2011 et 2014, pour un montant d’aides moyen de 39 323 euros par projet sur la période. Selon le ministère, ces études « tendent à prouver que l’aide fiscale considérée est nécessaire en ce qu’elle permet aux territoires d’augmenter leurs investissements, de préserver la compétitivité des entreprises et de soutenir la dynamique économique au profit des emplois, notamment » ([14]). L’étude commandée par le ministère des outre-mer ([15]) conclut à l’efficacité de ces dispositifs en soulignant que cette aide fiscale permet également de faciliter l’accès aux financements bancaires. En revanche, ces travaux mettent en exergue la complexité du dispositif et des améliorations à apporter quant à son ciblage.

● Le législateur a instauré des mécanismes d’aide fiscale à la construction, à l’acquisition et à la réhabilitation de logements sociaux, comptant sur un effet d’entraînement sur les financements privés.

Le dispositif de l’article 199 undecies C est aujourd’hui le principal mécanisme de soutien public au logement outre-mer, puisqu’il mobilise environ 200 millions d’euros en faveur de la construction et de l’acquisition de logements sociaux, soit davantage que la ligne budgétaire unique (LBU). Il s’agit d’une réduction d’impôt sur le revenu bénéficiant aux contribuables français (hexagonaux ou locaux) à raison de l’acquisition ou de la construction de logements sociaux destinés à être loués. Elle est également ouverte aux acquisitions de logements depuis plus de vingt ans faisant l’objet de travaux de réhabilitation. Les travaux de réhabilitation eux-mêmes ne sont pas éligibles à l’aide fiscale si le logement ne fait pas l’objet d’une acquisition.

Les articles 217 undecies et 217 duodecies ouvrent une déduction de base fiscale aux entreprises soumises à l’impôt sur les sociétés pour l’acquisition ou la construction de logements sociaux neufs.

Enfin, l’article 244 quater X, créé, à l’instar de l’article 244 quater W, par la loi de finances pour 2014 ([16]), accorde un crédit d’impôt aux organismes d’habitation à loyer modéré, à raison de l’acquisition ou de la construction de logements sociaux neufs dans les DROM.

Selon les évaluations fournies au rapporteur spécial, les aides fiscales en faveur du logement dans les outre-mer ont permis la construction d’environ 6 000 logements en 2016. Ces dispositifs permettent de soutenir la construction de logements, dans un contexte contraignant le montant des subventions accordées.

2.   Des montants d’aide bien inférieurs à ceux octroyés au début des années 2010

Les aides en faveur de l’investissement productif outre-mer occupent une place importante dans le panorama des aides économiques en faveur des territoires ultramarins.

Les montants octroyés ont toutefois nettement diminué depuis 2010, qu’il s’agisse du soutien à l’investissement productif ou du soutien au logement social. Entre 2010 et 2017, le montant total de ces aides a diminué de 36 %, ce qui représente une diminution de 445 millions d’euros.

Le tableau ci-après montre que cette baisse a concerné tant les instruments de soutien à l’investissement productif que les instruments de soutien au logement social.

Évolution du Soutien fiscal à l’investissement productif et dans le secteur du logement

(en millions d’euros)

 

2010

2011

2012

2013

2014

2015

2016

2017

2018

Évolution 2010/2017

Défiscalisation

Article 199 undecies A et undecies D (investissement locatif)

355

355

330

277

220

180

138

110

90

‑ 245

Article 217 undecies et duodecies (investissement productif et logement social / impôt sur les sociétés)

160

175

144

180

170

140

97

60

nc

‑ 100

Article 199 undecies C (logement social / impôt sur le revenu)

11

68

208

299

280

202

225

205

205

‑ 194

Article 199 undecies B (investissement productif/impôt sur le revenu)

710

700

470

377

313

297

282

304

304

‑ 406

Sous-total défiscalisation (1)

1 236

1 298

1 152

1 133

983

819

742

679

nc

‑ 557

Crédits d'impôt

Article 244 quater W (investissement productif)

na

na

na

na

-

-

23

85

125

na

Article 244 quater X (logement social)

na

na

na

na

-

-

18

27

nc

na

Sous-total crédits d'impôt (2)

na

na

na

na

na

na

41

112

nc

na

Total (1) + (2)

1 236

1 298

1 152

1 133

983

819

783

791

nc

 445

Note : « na » signifie « non applicable » et « nc » signifie « non connu ».

Source : commission des finances, d’après les documents budgétaires.

B.   rendre plus efficientes et sécuriser les aides fiscales à l’investissement outre-mer

La transformation du CICE en exonérations de cotisations sociales pour l’hexagone oblige à repenser l’architecture globale des aides économiques outre‑mer. Une réflexion s’est donc engagée sur l’efficience des différents dispositifs.

Le rapporteur spécial a pu constater que ces aides participent efficacement au développement économique et social des territoires. Il estime toutefois que des améliorations doivent leur être apportées, afin que l’effet de levier visé soit optimisé et que les effets d’aubaine soient limités.

Il propose :

– d’améliorer l’efficacité des aides fiscales en poursuivant les efforts entamés par le bureau des agréments et des rescrits pour étudier le plus en amont possible les projets les plus importants et en s’assurant que les TPE puissent accéder plus facilement aux financements de leurs investissements ;

– de donner de la visibilité aux investisseurs en prolongeant les aides à l’investissement et en simplifiant les dispositifs par une clarification de certaines notions inscrites dans la loi, comme celle « d’investissement productif » ;

– d’encourager davantage les travaux de réhabilitation dans les COM et en Nouvelle-Calédonie en les rendant éligibles à la réduction d’impôt de l’article 199 undecies C.

a.   Pour une aide fiscale plus efficiente

À droit constant, plusieurs actions sont envisageables pour améliorer l’efficacité des aides fiscales à l’investissement. Elles ont trait au financement du crédit d’impôt en faveur de l’investissement productif et à la procédure d’agréments.

● Avant de supprimer la défiscalisation traditionnelle dans les DROM, il conviendrait de s’assurer de l’accès effectif au crédit d’impôt des entreprises éligibles.

L’une des principales différences entre les dispositifs traditionnels de défiscalisation en faveur de l’investissement productif et le dispositif de crédit d’impôt (article 244 quater W) est le moment de disponibilité des fonds pour l’exploitant local. Dans le cas d’un investissement via une société en nom collectif (SNC), les investisseurs fiscaux rendent les fonds disponibles immédiatement à l’exploitant local, ce qui lui permet de financer relativement facilement (la plupart du temps avec l’aide d’un cabinet spécialisé) la part de son investissement qui n’est pas couverte par l’aide fiscale ou par son apport personnel.

À l’inverse, le dispositif de l’article 244 quater W ne permet pas d’apports de fonds immédiat. L’exploitant local doit donc préfinancer le crédit d’impôt, ce qui est un exercice complexe pour de nombreuses petites structures. Lors de leur audition par le rapporteur spécial, les membres de la mission de l’Inspection générale des finances chargée d’une réflexion sur les aides économiques outre-mer ont confirmé que le préfinancement du crédit d’impôt était une difficulté largement soulignée par les acteurs économiques locaux ([17]).

Selon les informations transmises par le Gouvernement au rapporteur 65 % des entreprises bénéficiaires du crédit d’impôt ont un chiffre d’affaires inférieur à 2 millions d’euros.

Entreprises bénéficiaires du crédit d’impôt de l’article 244 quater W en 2016 selon leur chiffre d’affaires

Tranche de chiffre d'affaires hors taxe (CAHT) en millions d’euros

Nombre d'entreprises

En cumulé

Cumul en % du total

CAHT < 0,5

382

382

43,1 %

0,5 ≤ CAHT < 2

194

576

65,0 %

2 ≤ CAHT < 5

124

700

79,0 %

5 ≤ CAHT < 10

89

789

89,1 %

10 ≤ CAHT < 15

40

829

93,6 %

CAHT > 15

57

886

100,0 %

Source : données transmises au rapporteur spécial par le ministère de l’action et des comptes publics.

Ces données ne suffisent pas par elle-même à écarter l’hypothèse (ressentie sur le terrain) d’un problème d’accès au crédit d’impôt pour les TPE. Elles démontrent seulement que la plupart des entreprises bénéficiaires sont des petites structures en termes de chiffre d’affaires. D’après les données recueillies par le rapporteur spécial, les entreprises dont le chiffre d’affaires est inférieur à 500 millions d’euros représentent 64 % des entreprises utilisatrices du dispositif de l’article 199 undecies B (3 800 entreprises), contre seulement 43 % pour le crédit d’impôt.

Le rapporteur s’inquiète d’un éventuel durcissement des conditions de financement des investissements par les TPE en cas de disparition de la défiscalisation sans que soit mis en place un dispositif de préfinancement. Il souhaite que Bpifrance puisse jouer tout son rôle dans le préfinancement de ce crédit d’impôt.

● Il serait opportun de préciser la doctrine fiscale s’agissant de l’octroi des agréments, afin de concilier au mieux l’impératif de sécurité juridique et l’objectif d’accélérer la procédure.

Le bénéfice des avantages fiscaux des articles 199 undecies B, 199 undecies C, 217 undecies, 217 duodecies et 244 quater W est conditionné, pour certains investissements, à la délivrance d’un agrément par le ministre en charge du budget.

Concrètement, il revient au Bureau des agréments et des rescrits (BAGR) de la Direction générale des finances publiques (DGFiP) d’instruire les dossiers en examinant leur éligibilité à ces aides, selon les critères que la loi a définis.

Lors de son déplacement en Nouvelle-Calédonie, le rapporteur a été alerté par les acteurs économiques sur ce que ces derniers perçoivent comme des lourdeurs dans la procédure d’agréments.

Il convient de préciser que dans bien des cas, la longueur des délais d’instruction tient à la complexité des dispositions fiscales et à l’incomplétude des dossiers. Hors délai de réponse des exploitants ou des monteurs aux demandes de renseignements complémentaires formulées par les instructeurs pour les dossiers incomplets, le délai moyen de traitement des dossiers en 2017 était de 163 jours et le délai médian de 82 jours.

De l’avis général, les relations entre les acteurs économiques et le BAGR se sont nettement améliorées depuis quelques mois. L’effort de pédagogie de l’administration a dissipé une partie des incompréhensions du monde économique ultramarin. Après avoir auditionné à plusieurs reprises le BAGR ([18]), le rapporteur spécial a pu constater que la procédure d’agréments n’est en aucun cas l’occasion pour le ministère chargé du budget de réguler la dépense fiscale. Son analyse est juridique et non pas budgétaire.

Certains porteurs de projets et acteurs économiques locaux ont toutefois souligné les difficultés de financement d’investissements emblématiques, faute d’agrément. Les établissements de crédit exigent, dans certains cas, que l’agrément soit délivré avant d’accorder un financement bancaire. Or, l’administration fiscale refuse d’agréer des projets d’investissement trop en amont du fait générateur (à savoir, pour les investissements productifs, la mise en service de l’investissement), pour des motifs de sécurité juridique et de protection de l’investisseur fiscal ([19]). En effet, l’investissement est d’autant plus susceptible de respecter les conditions d’éligibilité à l’avantage fiscal que la date d’agrément est proche du fait générateur.

Néanmoins, pour les projets qui nécessitent de mobiliser des financements importants et dont les investissements comportent des délais de fabrication particulièrement longs (comme les avions ou les complexes hôteliers), le BAGR peut ouvrir l’instruction des dossiers l’avant-dernière année civile précédant l’année du fait générateur. Le rapporteur spécial recommande de formaliser cette pratique administrative en établissant des critères objectifs pour y recourir.

b.   Sécuriser l’aide à l’investissement outre-mer

● Plusieurs réflexions sont en cours s’agissant d’une éventuelle transformation des aides fiscales à l’investissement outre-mer, en particulier concernant l’investissement productif. Il est vrai que les dispositifs fiscaux peuvent apparaître comme moins aisément pilotables que les subventions budgétaires, en ce qu’ils s’assimilent à des dépenses de guichet, parfois à l’origine d’effets d’aubaine et de risques de fraude. À l’inverse, les subventions permettraient de mieux cibler les besoins en concentrant l’effort sur les investissements et les entreprises les plus susceptibles de favoriser le développement des économies locales.

Le rapporteur estime toutefois que la transformation de ces aides en subventions présenterait un risque pour le tissu économique local, dans la mesure où, dans un contexte budgétaire contraint, elles pourraient faire office de variables d’ajustement à la baisse à la fois en programmation et en exécution.

L’exemple des subventions à la construction et à la réhabilitation de logements sociaux en outre-mer – portées par l’action 1 Logement – est tout à fait éclairant à cet égard. Non seulement les crédits de cette action ont été programmés en diminution entre la LFI pour 2017 et la LFI pour 2018, mais on constate également que l’exécution 2017 est bien inférieure à la programmation sur cette action, du fait de l’obligation pour les gestionnaires de financer ([20]) les aléas de gestion. Or, la mission Outre-mer est particulièrement concernée par les dépenses imprévues, ne serait-ce qu’en raison de l’exposition particulière des territoires à des évènements climatiques catastrophiques. Il est permis de penser que d’éventuelles subventions à l’investissement, en remplacement des aides fiscales, subiraient le même sort que les subventions existantes.

De plus, l’aide économique ne pourra pas être de la même ampleur, car l’octroi d’une aide directe implique une instruction a priori des dossiers. Actuellement, seuls les dossiers concernant des investissements dont le montant est supérieur au seuil d’agrément font l’objet d’une instruction a priori. Chaque année, environ 400 agréments sont délivrés au titre des aides en faveur de l’investissement productif, alors que le nombre de projets financés oscille entre 13 000 et 15 000. L’administration n’aurait donc pas les moyens d’instruire toutes les demandes qui, aujourd’hui, débouchent sur le bénéfice de l’aide fiscale.

Enfin, les inconvénients des aides fiscales à l’investissement outre-mer doivent être nuancés. Ainsi, les dossiers les plus importants en termes de montants doivent faire l’objet de l’agrément préalable mentionné supra. L’administration vérifie alors l’absence d’effet d’aubaine pour le contribuable ([21]).

En outre, les dispositifs d’aide fiscale à l’investissement outre-mer ne sont pas plus susceptibles que les autres réductions ou crédits d’impôt de faire l’objet de fraudes, comme l’a d’ailleurs rappelé Mme Maité Gabet, cheffe du service du contrôle fiscal de la Direction générale des finances publiques (DGFiP) ([22]). La réduction d’impôt au titre des dons, le crédit d’impôt au titre de l’emploi d’un salarié à domicile ou le crédit d’impôt recherche sont tout aussi susceptibles de faire l’objet de fraudes. La vulnérabilité à la fraude est consubstantielle à la dépense fiscale. La légitimité de cette dernière doit être évaluée, pour chaque dispositif, en analysant les bénéfices économiques et sociaux qu’elle permet au regard des risques qu’elle comporte. Le rapporteur spécial estime que dans le cas de l’aide fiscale outre-mer, le bilan largement positif justifie la pérennisation des dispositifs.

● Les dates d’extinction des aides fiscales outre-mer dépendent, des dispositifs concernés, du type d’investissement et du statut des collectivités, comme l’illustre le tableau ci-dessous.

Dates d’expiration des dispositifs de défiscalisation
d’après la loi de finances pour 2016

Dispositifs de défiscalisation et de crédit d’impôt

Date de l’échéance dans les DROM

Date de l’échéance dans les COM et en Nouvelle-Calédonie

Condition d’extinction du dispositif

Article 199 undecies A (réduction d’IR au titre des investissements dans le secteur du logement)

31 décembre 2012 pour la construction d’immeubles à louer

31 décembre 2017 pour la construction d’immeubles à occuper

31 décembre 2020 pour les travaux de réhabilitation et de confortation contre le risque sismique ou cyclonique

Néant

Article 199 undecies B
(réduction d’IR au titre des investissements productifs)

31 décembre 2020

31 décembre 2025

Mise en place d’un mécanisme pérenne de préfinancement à taux zéro des investissements éligibles à la réduction d’impôt

Article 199 undecies C (réduction d’IR au titre des investissements dans le logement social)

31 décembre 2017

Articles 217 undecies et 217 duodecies
(déduction d’assiette d’IS au titre des investissements productifs et du logement)

31 décembre 2020

31 décembre 2025 (31 décembre 2020 pour Saint-Martin)

Article 244 quater W (crédit d’impôt sur les investissements productifs)

31 décembre 2020

na

Mise en place d’un dispositif pérenne permettant aux entreprises d’échelonner sur cinq ans le paiement de leurs investissements sans recourir à l’emprunt bancaire

Article 244 quater X (crédit d’impôt pour les OLS sur les investissements dans le logement social)

Source : commission des finances.

 

L’extinction des dispositifs de réduction d’impôt et de déduction de base fiscale (articles 199 undecies B, 199 undecies C, 217 undecies et 217 duodecies) est conditionnée à la mise en place de dispositifs pérennes de préfinancement. Lors de son audition par le rapporteur spécial, M. Grégory Abate, sous-directeur à la fiscalité directe des entreprises de la direction de la législation fiscale, a confirmé que cette disposition avait pour effet de prolonger indéfiniment les mécanismes de défiscalisation traditionnelle, tant que l’outil de préfinancement décrit n’a pas été mis au point ([23]). L’ambiguïté des termes rend toutefois difficile l’appréciation de leur exacte portée. Une clarification serait souhaitable.

Il convient néanmoins de garder à l’esprit que les aides à l’investissement outre-mer à destination des DROM ont été placées sous le régime du règlement général d’exemption par catégorie ([24]) (RGEC), applicable jusqu’au 31 décembre 2020. En droit européen, les dispositifs fiscaux décrits en faveur des DROM – régions ultrapériphériques de l’Union européenne au sens des traités – ont donc pour terme le 31 décembre 2020.

Le rapporteur spécial milite pour une prolongation de ces dispositifs fiscaux dans les DROM, tant que l’accès au préfinancement du crédit d’impôt n’est pas facilité. Il serait souhaitable de laisser le choix aux entreprises entre ces deux dispositifs, l’avantage fiscal du crédit d’impôt étant d’ailleurs généralement supérieur à celui de la défiscalisation traditionnelle. En l’absence de difficultés de préfinancement, les entreprises se tourneront plus naturellement vers le crédit d’impôt, provoquant par là le déclin de la réduction d’impôt et de la déduction de base fiscale.

● Les régimes d’aide fiscale pourraient être simplifiés. Une difficulté d’application tient à la définition du périmètre des investissements productifs éligibles. La notion d’investissement productif apparaît à l’article 199 undecies B, mais n’est pas définie, ce qui est source de contentieux. La loi pourrait également préciser la notion européenne d’investissement initial qui s’applique à ces dépenses fiscales.

● D’autres améliorations pourraient être apportées afin d’éviter un contournement de l’objectif de ciblage de l’aide fiscale sur l’exploitant local, permise par le crédit d’impôt. L’imprécision de l’article 244 quater W permet aujourd’hui la mise en place de schémas locatifs et la pratique de loyers bien supérieurs aux prix des marchés.

De même, il conviendrait de renforcer les exigences concernant l’octroi de l’aide fiscale de l’article 244 quater W qui, par des pratiques contournant l’esprit du dispositif, peut bénéficier à des sociétés hexagonales.

c.   Encourager davantage la réhabilitation des logements dans les COM et en Nouvelle-Calédonie

En l’état du droit, les travaux de réhabilitation des logements sociaux ne sont pas éligibles à la réduction d’impôt de l’article 199 undecies C. Seules sont éligibles les acquisitions de logements de plus de vingt ans faisant l’objet de travaux de réhabilitation.

À l’inverse, ces travaux sont éligibles au crédit d’impôt de l’article 244 quater X. Ce crédit d’impôt n’est toutefois pas applicable dans les collectivités de l’article 74 de la Constitution et en Nouvelle-Calédonie.

Le rapporteur spécial s’est rendu compte des besoins importants de réhabilitation de certains logements sociaux dans les COM et en NouvelleCalédonie. Il plaide donc pour l’extension de l’avantage fiscal de l’article 199 undecies C aux travaux de réhabilitation.

 

 


—  1  —

   Travaux de la commission

 

Lors de sa réunion de 16 heures 30, le mercredi 6 juin 2018, la commission des finances, réunie en commission d’évaluation des politiques publiques, a entendu Mme Annick Girardin, ministre des Outre-mer.

 

 

Le compte rendu de cette réunion est disponible sur le site de l’Assemblée nationale.

 

La vidéo de cette réunion peut être consultée sur le site de l’Assemblée nationale.

 

 

 

*

*     *

 


—  1  —

   Liste des personnes auditionnées
par le rapporteur spécial

Inspection générale des finances (IGF) : M. François Auvigne, inspecteur général des finances, et M. Amaury Decludt, inspecteur des finances

Direction générale du Trésor : M. Jérôme Reboul, Sous-direction des banques et des financements d'intérêt général (BANCFIN), M. Jean-Luc Schneider, coordinateur des travaux sur ce sujet au sein de la direction générale, M. Benoit Bayard, chef du bureau en charge de l’outre-mer, et M. Fabien Besson, adjoint au chef de bureau, sous-direction banques et financements d’intérêt général

Direction de la législation fiscale : M. Grégory Abate, sous-directeur, fiscalité directe des entreprises, et M. Laurent Dreux, chef de section du bureau B1

Direction générale des finances publiques : Mme Maité Gabet, cheffe du service du contrôle fiscal

Ministère des outre-mer : participations aux ateliers du ministère des outre-mer sur la réforme des aides fiscales

Déplacement en Nouvelle-Calédonie du lundi 26 février au vendredi 2 mars 2018

Administration :

M. Thierry Lataste, Haut-commissaire de la République

Mme Nathalie Borel, adjointe du directeur des finances publiques

Mme Aurélie Zoude-Le Berre, présidente de l’Autorité de la concurrence de Nouvelle‑Calédonie

Acteurs institutionnels :

M. Jean Leques, maire honoraire de la commune de Nouméa

Mme Anne-Christine Chimenti, adjointe de la maire de la commune de Nouméa en charge des finances

M. Thierry Santa, président du Congrès

MM. Pascal Sihaze, Gilbert Tein et d’autres représentants du Sénat coutumier

MM. Philippe Michel et Philippe Dunoyer, députés de la Nouvelle-Calédonie

M. Philippe Michel, président de la Province Sud

M. Philippe Germain, président du Gouvernement de Nouvelle-Calédonie

M. Paul Neaoutyine, président de la Province Nord

M. Georges Naturel, maire de Dumbéa

M. Robert Xowie, maire de Lifou

Chambre de commerce et d’industrie de Nouvelle-Calédonie : Mme Jennifer Seagoe, présidente, et M. Charles Roger, directeur général adjoint.

Partis politiques :

Union calédonienne (UC)

Union nationale pour l’indépendance (UNI)

Le Rassemblement

Mouvement populaire calédonien (MPC)

Acteurs économiques :

Société de développement des Iles Loyauté : M. Mathias Waneux, président et M. William Ihage, directeur

Société Nord Avenir

Confédération des petites-moyennes entreprises Nouvelle‑Calédonie (CPME Nouvelle-Calédonie) : Mme Chérifa Linossier, présidente

Mouvement des entreprises de France Nouvelle-Calédonie (MEDEF Nouvelle­Calédonie) : MM. Daniel Ochida, Éric Durand et Dominique Lefeivre, co-présidents, Mme Catherine Wehbe, directrice, M. Éric Dinahet, chargé de mission.

Fédération des industries de Nouvelle‑Calédonie (FINC) : Xavier Benoist, président.

Association des maîtres d’ouvrage sociaux (AMOS) de Nouvelle-Calédonie

NC Solutions : M. Jean Delpech, directeur général

Starinvest : Anthony Tison, directeur général

Visites 

Usine de conditionnement des produits de la mer (UCPM) de Lifou

Easo, site d’accueil des croisiéristes aux Iles Loyauté

Usine Koniambo Nickel SAS, Province Nord

Usine Société Le Nickel, Nouméa

 

 


([1]) Loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l’égalité réelle des outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique.

([2]) Pour plus de précisions, se reporter au rapport spécial sur la mission Outre-mer n° 273 de M. Olivier Serva, sur le projet de loi de finances pour 2018 (pp. 17 à 19).

([3]) Selon l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS).

([4]) Décret n° 2017-112 du 31 janvier 2017 portant transfert de crédits au profit du programme 214 « Soutien à la politique de l'éducation ».

([5]) Note d’exécution budgétaire 2017 sur la mission Outre-mer, p. 3.

([6]) Rapport spécial sur la mission Outre-mer n° 273 de M. Olivier Serva, sur le projet de loi de finances pour 2018 (pp. 24 à 26).

([7]) Le décret n° 2017-112 du 31 janvier portant transfert de crédits au profit du programme 214 « Soutien à la politique de l’éducation » et décret n° 2017-1293 du 21 août 2017 portant transfert de crédits au profit du programme 214 « Soutien à la politique de l’éducation ».

([8]) Article 9 de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 et article 86 de la loi n° 2017-1836 du 30 décembre 2017 de financement de la sécurité sociale pour 2018.

([9]) Articles 199 undecies B, 217 undecies, 217 duodecies et 244 quater W du CGI.

([10]) D’après le ministère des outre-mer.

([11]) Articles 199 undecies A, 199 undecies C, 217 undecies et 244 quater X du CGI.

([12]) Loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014.

([13])  Le crédit d’impôt de l’article 244 quater W, créé par la loi de finances pour 2014, n’a pas eu d’impact budgétaire sur cette période, par construction.

([14])  Réponse n° 39 au questionnaire sur le projet de loi de finances pour 2018 de M. Olivier Serva, rapporteur spécial de la mission Outre-mer.

([15]) Étude du cabinet Louis Lengrand et associés, rendue en décembre 2017.

([16]) Loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014.

([17]) Audition de M. François Auvigne, inspecteur général des finances et de M. Amaury Decludt, inspecteur des finances, 9 mai 2018.

([18]) Audition de MM.. Jean-Luc BARCON-MAURIN, chef du service juridique de la fiscalité, Louis-Olivier FADDA, chef du bureau, Frédéric HIMPENS et de Mme Bénédicte DERRE, responsable de division, le 2 octobre 2017 ; audition de MM. Édouard FADDA, chef du service juridique de la fiscalité, Louis-Olivier FADDA, Frédéric HIMPENS, adjoint au chef de bureau, le 15 mars 2018.

([19])  Condition de délivrance de l’agrément, en vertu de l’article 217 undecies du CGI.

([20]) Selon le principe de la fongibilité des crédits au sein d’un même programme.

([21]) En appréciant la satisfaction du critère de « l’intérêt économique » prévu à l’article 217 undecies du CGI.

([22]) Audition de Mme Maité Gabet, cheffe du service du contrôle fiscal de la Direction générale des finances publiques (DGFiP) le 30 mai 2018.

([23]) Audition de M. Grégory Abate, sous-directeur à la fiscalité directe des entreprises et de M. Laurent Dreux, chef de section du bureau B1 de la direction de la législation fiscale, 24 mai 2018.

([24]) Règlement d'exemption n° 651/2014 de la commission du 17 juin 2014 déclarant certaines catégories d'aides compatibles avec le marché intérieur en application des articles 107 et 108 du traité (RGEC).