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N° 1055

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 13 juin 2018

RAPPORT

FAIT

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES FINANCES, DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU CONTRÔLE BUDGÉTAIRE SUR LE PROJET DE LOI, APRÈS ENGAGEMENT DE LA PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE, de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2017 (n° 980),

 

PAR M. Joël GIRAUD,

Rapporteur général

Député

 

——

 

 

ANNEXE N° 38
 

 

SANTÉ

 

 

 

 

 

Rapporteure spéciale : Mme Véronique LOUWAGIE

 

Députée

____

 

 

 


—  1  —

 

SOMMAIRE

___

I. Une exécution 2017 marquée par une insincérité récurrente

A. Le programme 183 protection maladie : une gestion qui menace la soutenabilité budgétaire

1. Un manque de sincérité de la programmation budgétaire

2. Une baisse des dépenses en trompe-l’œil

3. Des mesures de régulation budgétaire risquées

B. Le programme 204 Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins : des économies structurelles qui se font attendre

1. Une simplification limitée des schémas de financement

2. Un manque de sincérité de la gestion budgétaire

3. L’absence de concrétisation des économies attendues de la mise en place de l’Agence Nationale de Santé Publique

II. un déficit structurel d’informations sur l’aide médicale d’État

A. Une baisse conjoncturelle et multifactorielle du nombre de bénéficiaires de l’aide médicale d’État

1. Le rôle limité de la politique migratoire du Gouvernement

2. Un probable effet temporaire de « trou d’air »

3. Une estimation difficile de la proportion du non-recours

B. Un discernement nécessaire concernant la diversité de situations des bénéficiaires de l’aide médicale d’État

C. Des évaluations approfondies indispensables pour améliorer la prévisibilité de la dépense publique

1. Une prévisibilité limitée de la dépense publique

2. Enrichir et communiquer les données chiffrées disponibles relatives à la politique publique de l’aide médicale d’État

Travaux de la commission

personnes AUDITIONNéES par lA rapporteurE spécialE


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Si l’essentiel des crédits concernant les dépenses de santé sont du ressort des lois de financement de la sécurité sociale, la mission Santé du budget général comporte toujours deux programmes, le programme 204 Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins et le programme 183 Protection maladie, dont le montant total des crédits s’élève environ à 1,2 milliard d’euros.

La réduction continue du périmètre de cette mission, qui affecte principalement le programme 204, pose la question de la taille critique de cette dernière pour permettre à l’État de disposer d’une capacité de pilotage de la politique de santé publique.

S’ajoutent aux crédits budgétaires de la mission, dix dépenses fiscales dont le coût total est estimé à 3,36 milliards d’euros en 2017 d’après le RAP 2017 (chiffrage actualisé mais non définitif), soit presque trois fois celui des crédits alloués à la mission.

I.   Une exécution 2017 marquée par une insincérité récurrente

En 2017, les crédits consommés de la mission se sont élevés à 1,253 milliard d’euros en AE (– 4,5 % par rapport à 2016) et à 1,248 milliard d’euros en CP (– 5,0 % par rapport à 2016). L’essentiel de cette réduction est cependant liée à des effets de périmètre du programme 204. À périmètre constant, on observe une légère hausse des dépenses qui atteignent 1,32 milliard d’euros en 2017.

Exécution de la mission SANTÉ

(en millions d’euros)

 

Exécution 2016

LFI 2017  (1)

Exécution 2017

Évolution 2016-2017

Exécution/
prévision

 

AE

CP

AE

CP

AE

CP

AE

CP

AE

CP

Programme 204

474,4

476,7

459,4

460,7

441,4

436,9

 – 7 %

– 8 %

– 4%

– 8%

Programme 183

837,7

837,7

823,2

823,2

811,7

811,7

– 3 %

– 3 %

– 2%

– 2%

Total

1 311,9

1 314,5

1 282,6

1 283,9

1 253,1

1 248,6

– 4,5 %

– 5 %

– 2,6%

– 2,75%

Source : commission des finances, d’après les données du rapport annuel de performances.

() Y compris prévisions de fonds de concours et attributions de produits.


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A.   Le programme 183 protection maladie : une gestion qui menace la soutenabilité budgétaire

Ce programme finance principalement l’aide médicale d’État (AME) qui représente 99 % de ses crédits.

Exécution du programme 183 par rapport à la programmation

(en millions d’euros)

 

AE/CP

Exercice 2016

Exercice 2017

LFI

Consommation

Écart

LFI

Consommation

Écart

2. Aide médicale de l'État

739,0

825,4

11,7 %

815,2

804,3

– 1,3 %

3. Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante

13,4

12,3

– 8,0 %

8,0

7,3

– 8,7%

Total P183 Protection maladie

752,4

837,7

11,3 %

823,2

811,7

 1,4 %

Source : commission des finances, d’après les documents budgétaires.

1.   Un manque de sincérité de la programmation budgétaire

Le programme 183 finance l’aide médicale d’État (AME) et le fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (FIVA). L’AME désigne en réalité trois dispositifs distincts : l’AME de droit commun, ouverte aux étrangers en situation irrégulière et justifiant d’une résidence en France depuis au moins trois mois, le dispositif dédié aux soins urgents et les autres dispositifs de l’AME dont l’AME humanitaire. Le coût de l’aide médicale d’État avait été estimé à 815,2 millions d’euros en loi de finances initiale de 2017, en hausse de 11,7 % par rapport à la loi de finances initiale de 2016.

La programmation 2017 est inférieure de 10 millions d’euros à la consommation des crédits fin 2016 malgré des hypothèses de construction reposant sur une hausse de 10 % des dépenses d’AME. Ce manque de sincérité flagrant de la part du Gouvernement s’accompagne d’un manque de transparence à l’égard du Parlement puisque les hypothèses de construction n’avaient alors pas été explicitées, pas plus, d’ailleurs, qu’elles ne l’ont été pour l’année 2018.

La rapporteure souligne l’importance de fonder les hypothèses de construction de la prévision sur la consommation réelle de l’année en cours et non sur la prévision en loi de finances initiale de l’année précédente. En effet, lorsque les écarts sont importants entre la prévision et la consommation, comme c’est souvent le cas pour l’aide médicale d’État, les prévisions pour l’année suivante apparaissent structurellement insincères, ce qui porte atteinte à l’autorisation budgétaire du Parlement. Si ce biais de construction des prévisions est limité dans la loi de finances initiale pour 2018, l’exécution ayant été proche de la prévision en 2017, une réforme de la méthode d’élaboration des hypothèses de prévision est nécessaire.

2.   Une baisse des dépenses en trompe-l’œil

Le montant des crédits consommés par ce programme est en diminution de 3 % par rapport à 2016 et de 2,5 % au titre des dépenses de l’AME de droit commun. Ces dépenses sont en réalité en augmentation de 1,5 % si l’on tient compte de l’accroissement de la dette de l’État (+ 38,3 millions d’euros) à l’égard de l’assurance maladie.

En effet, la baisse apparente des dépenses a été compensée par la Caisse nationale de l’assurance maladie (Cnam) qui enregistre une hausse de ses dépenses au titre de l’AME de droit commun de 4,9 %. Cette hausse n’ayant pas été anticipée, les dépenses de la Cnam dépassent les crédits exécutés sur l’exercice 2017 concernant l’AME de droit commun (801,1 millions d’euros dépensés contre 763,3 millions d’euros exécutés), ce qui a conduit à un accroissement de la dette de l’État envers la Cnam (+ 38,3 millions d’euros). Le stock de dette de l’État envers la Cnam est donc passé de 11,5 millions d’euros au 31 décembre 2016 à 49,8 millions d’euros au 31 décembre 2017.

À cette dette croissante, s’ajoute le différentiel entre la contribution forfaitaire de l’État (40 millions d’euros) et les dépenses prises en charge par l’assurance maladie (65,1 millions d’euros en 2017) au titre des soins urgents de l’AME.

Si cette dette reste supportable, notamment en comparaison des 1,2 milliard d’euros atteints en 2007 avant la mise en place d’un plan d’apurement, la rapporteure souhaite alerter sur la dynamique négative actuelle.

La rapporteure insiste sur la nécessité de rompre avec cette logique qui fait porter à la Cnam le coût des sous-budgétisations et des mauvaises appréciations de gestion. L’assurance maladie ne peut plus servir de variable d’ajustement pour permettre un affichage de maîtrise de la dépense publique. Dans cette même logique, il paraît pertinent d’introduire une réflexion sur les modalités de remboursement de l’assurance maladie au titre de la prise en charge des soins urgents. La dotation forfaitaire actuelle ne permet pas de couvrir l’ensemble des coûts supportés par l’assurance maladie, ce qui pose la question de la réalité de la prise en charge de cette politique par l’État.

 


3.   Des mesures de régulation budgétaire risquées

Alors que le programme 183 fait traditionnellement l’objet d’une ouverture de crédits supplémentaires, il a été concerné en 2017 par une annulation de crédits de 9,7 millions d’euros en AE et 9,1 millions d’euros en CP par décret d’avance du 30 novembre 2017.

Cette annulation de crédits repose sur les prévisions d’une baisse des dépenses de l’AME de droit commun du fait d’une diminution du nombre de ses bénéficiaires, constatée en conférence de gestion de septembre et observée au premier semestre 2017. Elle s’est révélée être une prise de risque excessive. En effet, une hausse importante et non anticipée des dépenses d’AME a été observée en fin d’année.

D’après le RAP 2017, cette hausse est principalement due à une augmentation du coût moyen par bénéficiaire de l’AME en 2017 et concerne essentiellement les dépenses de médicaments et dispositifs médicaux (+ 8,2 %) et les honoraires d’auxiliaires médicaux (+ 9,5 %). Les personnes auditionnées par la rapporteure ont pointé le rôle des dépenses en pharmacie liées à l’innovation médicamenteuse et probablement une hausse du coût du traitement pour l’hépatite C dont l’accès est universel depuis mai 2016.

Source : Direction de la Sécurité Sociale.

La hausse non anticipée du nombre de bénéficiaires de l’AME à partir de mars 2017 est aussi un facteur d’explication de l’augmentation de la dépense. Cependant, si la hausse du nombre de bénéficiaires n’a légitimement pas pu être anticipée du fait du décalage de la remontée d’information en provenance de l’assurance maladie et de la difficulté à établir des hypothèses de prévision stable, une forte hausse du coût moyen par bénéficiaire a été observée au premier semestre 2017, ce qui aurait dû inciter le Gouvernement à faire preuve de prudence quant à ses hypothèses de réduction de la dépense totale.

 

 

B.   Le programme 204 Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins : des économies structurelles qui se font attendre

Le programme 204 est affecté par une diminution continue des moyens qui lui sont affectés : entre 2014 et 2017, les crédits versés par l’État et consommés sont passés de 630 millions d’euros en CP à 436,9 millions d’euros soit une baisse de 31 %. La rapporteure regrette la diminution continuelle des dépenses ciblées sur des dispositifs préventifs qui permettraient, s’ils étaient mis en œuvre, de baisser les coûts des dispositifs médicaux.

1.   Une simplification limitée des schémas de financement

Le programme 204 a été marqué par une réduction des crédits consommés par rapport à 2016, liée à des effets de périmètre. En effet, la part de financement du Fonds d’intervention régional (FIR) par l’État a été intégralement transférée à l’assurance maladie (133 millions d’euros). À l’inverse, la part de financement de l’Agence nationale de santé publique (ANSP) assurée par l’assurance maladie est désormais entièrement financée par l’État (64 millions d’euros). Ces mesures ont pour objectif de simplifier le circuit des dépenses de santé.

Si cette simplification permet d’améliorer la lisibilité du financement des dépenses de santé, elle ne permet pas d’établir une ligne directrice. En effet, l’attribution du financement d’une dépense à l’État ou l’Assurance Maladie n’est pas toujours basée sur des explications rationnelles et apparaît parfois peu opportune.

2.   Un manque de sincérité de la gestion budgétaire

La sincérité de la programmation du programme 204 est mise en cause : le montant alloué à l’agence de santé de Wallis-et-Futuna est inférieur aux crédits consommés en 2016 sans qu’aucune baisse des dépenses ne soit prévue.

En outre, si le retard pris dans le processus d’indemnisation des victimes de la Dépakine a permis de ne pas consommer l’ensemble de l’enveloppe qui lui était alloué en 2017, la direction générale de la santé a alerté sur le risque de sous-budgétisation du montant prévu pour l’indemnisation des victimes de la Dépakine en 2018 (77,7 millions) qui pourrait avoir été largement sous-estimé, ce qui fait peser un risque sur la soutenabilité de la mission. Une attention particulière sera portée sur ce point par la rapporteure.

Enfin, le programme 204 a été concerné par des mesures de régulation budgétaire : 24,5 millions en CP et 22,4 millions en AE ont été annulés afin de financer les ouvertures de crédits du décret d’avance du 20 juillet 2017 destiné à financer plusieurs « dépenses urgentes ».

3.   L’absence de concrétisation des économies attendues de la mise en place de l’Agence Nationale de Santé Publique

Le programme 204 comporte des dépenses à destination de 6 opérateurs dont l’Agence nationale de santé publique (ANSP), créée par l’ordonnance du 14 avril 2016. Elle reprend l’ensemble des missions, compétences et pouvoirs exercés par l’InVS, l’INPES, et l’EPRUS.

L’objectif de cette fusion est notamment de réduire les effectifs de 10 % d’ici 2019 grâce à des gains d’efficience. Force est de constater qu’en 2017, les économies issues de cette nouvelle organisation sont limitées : réduction de 7 ETPT seulement et fin des baux locatifs de l’INPES et l’EPRUS qui permettent une réduction des dépenses de 1,26 million d’euros.

Le montant de crédits consommés pour subvention pour charges de service public versée aux opérateurs a sensiblement augmenté sur l’année 2017 (passant de 224,7 millions d’euros à 329,5 millions d’euros soit une hausse de 47 %) du fait de la montée en charge de la nouvelle ANSP et du transfert de son financement de l’assurance maladie au programme 204 à hauteur de 65 millions d’euros. En effet, les cinq opérateurs n’ayant pas évolué entre 2016 et 2017 n’ont connu une hausse moyenne modérée des crédits consommés entre 2016 et 2017 (+ 5 %), hormis l’INCa dont les dépenses ont augmenté de 10 millions d’euros soit une hausse de 31 %. Cette hausse tient pour l’essentiel à l’élargissement des missions de ces opérateurs qui a découlé de la loi n° 2016-41 de modernisation de notre système de santé du 26 janvier 2016.

Évolution de la subvention pour charge de service public aux opérateurs du programme 2014 depuis 2016 (avec réserve de précaution)

(en millions d’euros)

 

AE/CP

Exercice 2016

Exercice 2017

Évolution exécution 2016-2017

LFI

Consommation

Écart

LFI

Consommation

Écart

 

ABM

13,9

13

– 6 %

13,8

12,9

– 7 %

 1 %

ANSèS

13,2

12,7

– 4 %

14,2

13,3

– 6 %

5 %

ANSM

113,7

111,8

– 2 %

112,7

109,8

– 3 %

 2 %

EHESP

9,5

7,1

– 25 %

9,2

7,4

– 20 %

4 %

INCa

40

31,4

– 22 %

44,5

41,1

– 8 %

31 %

Total des 5 opérateurs qui n’ont pas évolué entre 2016 et 2017

190,3

176,0

 8 %

194,4

184,5

 5 %

5 %

EPRUS

10,6

0

– 100 %

0

0

 

 

INPES

23,8

0

– 100 %

0

0

 

 

InVS

55,6

0

– 100 %

0

0

 

 

ANSP

0

48,7

 

150,5

145,0

 3%

198%

Total

280,3

224,7

– 20 %

344,9

329,6

 4 %

47 %

Source : commission des finances, d’après le RAP.

Les opérateurs ont maintenu leur effort budgétaire concernant la baisse de leurs effectifs. En effet, la réduction du nombre d’ETPT a été plus importante (50 ETPT) que prévue en LFI (42 ETPT). Cette baisse a concerné l’ensemble des opérateurs du programme, qui ont anticipé la baisse des effectifs à venir pour l’année 2018.

 

II.   un déficit structurel d’informations sur l’aide médicale d’État

L’année 2017 a marqué une rupture des tendances concernant l’aide médicale d’État. D’une part, le nombre de bénéficiaires total n’a augmenté que de 1,5 % par rapport à 2016 (contre une moyenne de 6 % depuis 2003) pour s’établir à 315 185 au 31 décembre 2017. Nous retrouvons ainsi fin 2017 un nombre de bénéficiaires total proche de celui établi au 31 décembre 2015 soit 316 314. D’autre part, le nombre de bénéficiaires ayant eu recours à des soins (nombre de « consommants » moyen) a diminué de 2,7 %, passant de 235 051 en 2016 à 228 647 en 2017 contre une hausse de 3,6 % entre 2015 et 2016 et une hausse annuelle moyenne de 5,3 % depuis 2003.

Évolution du nombre total de bénéficiaires de l’ame

 

Nombre de bénéficiaires

31 mars 2015

299 937

30 juin 2015

304 924

30 septembre 2015

309 907

31 décembre 2015

316 314

31 mars 2016

318 619

30 juin 2016

316 153

30 septembre 2016

312 749

31 décembre 2016

311 310

31 mars 2017

309 890

30 juin 2017

311 422

30 septembre 2017

314 173

31 décembre 2017

315 835

Évolution 30 mars 2016 – 30 mars 2017

– 2,7 %

Évolution 31 décembre 2016 – 31 décembre 2017

1,5 %

Source : commission des finances, d’après les chiffres de la direction de la sécurité sociale.

La rapporteure a concentré son travail de contrôle dans le cadre du projet de loi de règlement sur la recherche d’une explication à ces tendances inattendues. Cependant, elle s’est très vite heurtée au manque structurel d’informations nécessaires pour mener une évaluation réelle de cette politique publique.

A.   Une baisse conjoncturelle et multifactorielle du nombre de bénéficiaires de l’aide médicale d’État

Au cours des différentes auditions menées dans le cadre de l’évaluation de la politique de l’aide médicale d’État, plusieurs hypothèses pouvant expliquer le ralentissement de la hausse du nombre de bénéficiaires de l’aide médicale d’État ont été évoquées. Aucune de ces hypothèses n’a cependant pu être vérifiée du fait du manque d’informations disponibles sur cette politique publique.

1.   Le rôle limité de la politique migratoire du Gouvernement

L’hypothèse de départ de la rapporteure reposait sur l’idée selon laquelle la politique de répartition des migrants sur le territoire pourrait avoir une influence sur le nombre de bénéficiaires de l’aide médicale d’État. En effet, cette nouvelle géographie migratoire aurait pu conduire à un temps d’adaptation des différentes CPAM qui n’avaient pas l’habitude de traiter des demandes d’AME et des associations, moins actives sur les territoires moins concernés par la problématique migratoire.

Cependant, il est apparu au cours des auditions que cette hypothèse pouvait être en partie écartée. En effet, cette politique migratoire repose essentiellement sur la mise en place du schéma national d’accueil des demandeurs d’asile (arrêté du 21 décembre 2015 du code de l'entrée pris en application de l'article L. 744-2 et du séjour des étrangers et du droit d'asile) et le démantèlement de la « jungle » de Calais qui ont principalement concerné des demandeurs d’asile, ne relevant pas de l’aide médicale d’État, mais de la Protection Universelle Maladie (PUMa) gérée par l’Assurance maladie.

Cette hypothèse peut donc concerner à la marge, les étrangers en situation irrégulière qui auraient été touchés par cette politique ou les demandeurs d’asile une fois déboutés. À ce titre, il a été souligné au cours des entretiens que l’organisation de chaque Caisse Primaire d’Assurance Maladie (CPAM), différente en fonction des départements, pouvait entraîner une confusion et un manque de lisibilité concernant l’accès aux droits. De plus, un rattrapage des CPAM dites « rurales » et peu concernées par le sujet à l’origine a pu occasionner un rallongement des délais d’instruction des dossiers au niveau local, ce que ne corroborent pas les enquêtes de la Cnam.

 

 

 

 

2.   Un probable effet temporaire de « trou d’air »

La forte hausse du nombre de demandeurs d’asile en 2017 pourrait être un facteur d’explication notamment lorsqu’elle concerne des nationalités qui n’ont pas l’habitude de demander l’asile et qui ne l’obtiennent que très peu. En effet, en 2017, 100 412 demandes d’asiles ont été déposées d’après les chiffres de l’OFPRA. Par exemple, parmi ces demandes, 7 630 proviennent d’étrangers de nationalité albanaise ce qui représente une hausse de 4 000 demandes par rapport à 2016. En tant que demandeurs d’asile, les individus concernés relèvent de la PUMa et non du régime de l’aide médicale d’État. Un phénomène de « trou d’air » pourrait donc être à l’œuvre avec une dynamique renforcée de demandeurs d’asile qui, une fois déboutés, ont basculé dans le régime de l’aide médicale d’État.

Ce phénomène de « trou d’air » pourrait être renforcé par l’élargissement aux régimes complémentaires d’assurance maladie du maintien de droits pendant 12 mois dans le régime de la PUMa, après l’expiration des titres de séjour ou la décision de déboutement d’une demande d’asile. En effet, depuis la mise en place de la PUMa, par le biais de lettres‑réseau de l’assurance maladie validées par décret n° 2017-240 du 24 février 2017, le maintien de droits concerne également les régimes complémentaires d’assurance maladie, ce qui n’était pas le cas auparavant. Cette modification pourrait donc expliquer une partie de la stagnation du nombre de bénéficiaires sur l’année 2017.

3.   Une estimation difficile de la proportion du non-recours

Les associations et chercheurs rencontrés ont pointé l’importance de la problématique des barrières à l’accès notamment du fait des pratiques au sein des caisses primaires d’assurance maladie avec une tendance à l’accumulation des pièces complémentaires réclamées qui allongent le temps de traitement des dossiers et qui sont facteur de découragement des demandeurs.

Ils soulignent également l’absence d’harmonisation des preuves de résidence acceptées en fonction des départements, malgré les exigences réglementaires fixées par le décret n° 2005-860 du 28 juillet 2005 relatif aux modalités d'admission des demandes d'aide médicale de l'État.

Nous ne pouvons cependant évaluer la réalité de cette hypothèse puisqu’il n’y a pas d’indicateur sur l’évolution du rapport entre le nombre de demandes déposées et le nombre de bénéficiaires. A minima nous savons que le nombre de demandes déposées a augmenté de 2,5 % en 2017 d’après la Caisse d’assurance maladie, sans savoir si cette évolution est habituelle.

B.   Un discernement nécessaire concernant la diversité de situations des bénéficiaires de l’aide médicale d’État

La rapporteure spéciale souligne la nécessité de mettre en place une évaluation chiffrée du « tourisme médical » c’est-à-dire de la proportion de personnes qui viennent en France avec un projet de soin spécifique.

En effet, ces personnes bénéficient de l’aide médicale d’État et sont souvent porteuses de pathologies lourdes et coûteuses. Il nous faut faire preuve de discernement entre les différentes situations des bénéficiaires de l’aide médicale d’État, c’est-à-dire entre les personnes qui migrent pour se faire soigner et celles qui sont soignées parce qu’elles ont migré.

D’une part, cette distinction permettrait de combattre les préjugés en la matière et le populisme qui en découle. Une meilleure connaissance du phénomène est indispensable, notamment parce qu’elle montrerait que cette utilisation de notre système de santé est probablement marginale.

D’autre part, elle permettrait de mettre en œuvre des traitements différenciés en fonction de la situation dans laquelle se trouvent les bénéficiaires de l’AME. Une réflexion élargie, au sein de commissions rassemblant différents professionnels de santé, pourrait être engagée afin d’examiner les situations au cas par cas, en prenant en compte toutes les variables du parcours de soins, notamment les conditions de vie en France. Cette démarche, déjà mise en œuvre au niveau de certains hôpitaux, permet au patient d’avoir une information loyale, claire et appropriée concernant sa situation.

Afin de lutter contre le « tourisme médical », la rapporteure alerte sur la nécessité de mettre en œuvre des procédures pour démanteler les filières mafieuses qui profitent du désespoir des personnes malades.

C.   Des évaluations approfondies indispensables pour améliorer la prévisibilité de la dépense publique

1.   Une prévisibilité limitée de la dépense publique

Alors que le Gouvernement basait ces hypothèses de construction de la dépense sur une baisse continue du nombre de bénéficiaires de l’AME, à partir de la tendance observée dès mars 2016, le nombre de bénéficiaires a augmenté à partir de mars 2017 pour s’établir à 315 185 au 31 décembre 2017. Le nombre de bénéficiaires a donc diminué uniquement entre mars 2016 et mars 2017, passant de 318 619 à 309 890, puis a augmenté à nouveau.

 

 

Cette augmentation a été connue tardivement par l’administration du fait d’un décalage de la remontée d’informations issues de l’assurance maladie. Un nombre probable de 306 000 bénéficiaires au 31 décembre 2017 était annoncé par les services de la direction de la sécurité sociale à l’automne 2017, lors de l’élaboration du projet de loi de finances pour 2018.

Cet écart de 10 000 bénéficiaires entre les prévisions et la réalité de la situation est symptomatique du manque d’information et de connaissance du profil des demandeurs de l’AME, ainsi que des facteurs de variation du nombre de bénéficiaires.

2.   Enrichir et communiquer les données chiffrées disponibles relatives à la politique publique de l’aide médicale d’État

L’information qui permettrait une réelle évaluation du dispositif de l’aide médicale d’État est parcellaire et nettement insuffisante. Plusieurs données chiffrées seraient indispensables pour un meilleur contrôle de cette politique, par le Parlement et les chercheurs, notamment sur :

– le profil des bénéficiaires de l’aide médicale d’État (sexe, âge, pays d’origine, typologie des pathologies identifiées éventuellement dès l’arrivée en France, durée moyenne sous le régime de l’aide médicale d’État, répartition entre les bénéficiaires primo-entrants dans le dispositif et les bénéficiaires au titre d’une demande de renouvellement) ;

– le profil des dépenses de l’aide médicale d’État (répartition des dépenses par décile et par pathologie) ;

– le traitement des demandes d’aide médicale d’État (évolution du nombre de demandes déposées, taux de refus et d’obtention par rapport au nombre de demandes déposées, nombre de personnes éligibles estimé, délai de traitement d’un dossier avant réponse définitive).

Un point d’attention doit également être porté à la mise en place d’une méthode d’évaluation et de suivi des personnes bénéficiant de soins dans le cadre de la prise en charge des « soins urgents ». Le nombre de bénéficiaires au titre des soins urgents est aujourd’hui inconnu.

La rapporteure a déposé une proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution en ce sens.

 


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   Travaux de la commission

Lors de sa réunion de 13 heures 45, le jeudi 31 mai 2018, la commission des finances, réunie en commission d’évaluation des politiques publiques, a entendu Mme Agnès BUZYN, ministre des solidarités et de la santé.

 

Le compte rendu de cette réunion est disponible sur le site de l’Assemblée nationale.

 

La vidéo de cette réunion peut être consultée sur le site de l'Assemblée nationale.

 

 

 

 

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   personnes AUDITIONNéES par lA rapporteurE spécialE

– Collectif national des PASS : Mme Claire GEORGES, présidente, et M. Denis MECHALI, secrétaire général

– Université Paris Diderot : Mme Céline GABARRO, docteure en sociologie

– Ministère des Solidarités et de la Santé, direction de la sécurité sociale : M. Clément LACOIN, chef de bureau de la Synthèse financière 

– Caisse nationale d’assurance maladie : Mme Fanny RICHARD, responsable du département de la Réglementation

– Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES) : M. Paul DOURGNON, directeur de recherche

– Médecins du Monde : Mme Nathalie GODARD, responsable du pôle expertise des opérations en France

– AIDES : Mme Caroline IZAMBERT, responsable du plaidoyer

France Asso Santé : Mme Féreuze AZIZA, chargée de mission assurance maladie

– Centre d’Économie de Paris Nord (CEPN) : M. Philippe BATIFOULIER, directeur

– Université Paris 13 : M. Didier CASTIEL, maître de conférences