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N° 1058

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 13 juin 2018

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LA PROPOSITION DE LOI
 

relative au pouvoir d’adaptation des vitesses maximales autorisées
par les autorités titulaires du pouvoir de police de la circulation (n° 936)

 

 

 

PAR M. Vincent DESCOEUR 

Député

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Voir les numéros :

Assemblée nationale : 936

 


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SOMMAIRE

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Pages

introduction......................................................... 5

I. L’abaissement DE LA VITESSE MAXIMALE AUTORISée à 80 km/h sur les routes secondaires : une décision qui ignore les difficultés de déplacement de millions de français

A. uNE DÉcision prise sans Débat et sans concertation

1. Un plan de lutte contre l’insécurité routière aux intentions louables

2. Un abaissement de la vitesse maximale autorisée aux fondements fragiles

B. une entrée en vigueur qui pénaliserait les territoires les moins bien dotés en infrastructures routières

1. Une augmentation des temps de déplacement qui accentuera les inégalités en matière de mobilité

2. Un sentiment d’abandon pour des millions de Français

II. Une proposition de loi pour donner aux autorités locales compétentes LE POUVOIR D’ADAPTER LA VITESSE MAXIMALE AUTORISéE

DISCUSSION GÉNÉRALE

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er (art. L. 2213-1-1 du code général des collectivités territoriales) Extension du pouvoir de fixation de la vitesse maximale autorisée en agglomération par les maires

Article 2 (art. L. 3221-4-1 (nouveau) du code général des collectivités territoriales) Possibilité pour les présidents de conseils départementaux de fixer la vitesse maximale autorisée sur les routes départementales, dans la limite de 90 km/h

Article 3 (art. L. 3221-5-1 (nouveau) du code général des collectivités territoriales) Possibilité pour les préfets de fixer la vitesse maximale autorisée sur les routes nationales, dans la limite de 90 km/h

Après l’article 3

Personnes entendues


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Mesdames, Messieurs,

La présente proposition de loi a été déposée, le 9 mai 2018, par l’ensemble des députés du groupe Les Républicains de l’Assemblée nationale. Elle fait notamment suite aux travaux sur la sécurité routière conduits par votre rapporteur et notre collègue Jean-Jacques Gaultier pour Les Républicains, et rejoint ceux menés par le groupe de travail du Sénat présidé par notre collègue sénateur Michel Raison.

Le débat que le Premier ministre a refusé aux Français en décidant, de manière unilatérale, le 9 janvier 2018, d’abaisser à compter du 1er juillet prochain de 90 km/h à 80 km/h la vitesse maximale autorisée sur les routes à double sens sans séparateur central de l’ensemble du réseau français doit avoir lieu au Parlement.

Cette mesure a en effet suscité une incompréhension légitime et une forte contestation chez la plupart de nos concitoyens, notamment ceux qui, habitant à l’écart des grandes villes et des grandes infrastructures de transport, sont obligés d’emprunter leur véhicule quotidiennement pour se déplacer. Ajoutée à l’augmentation programmée des taxes sur les carburants, la remise en cause de plusieurs projets de lignes à grande vitesse et d’infrastructures de transport et aux inquiétudes concernant l’avenir des petites lignes ferroviaires, elle accentue le sentiment de relégation et d’abandon d’un grand nombre d’habitants de territoires ruraux ou de montagne.

S’il n’est pas question de douter de la volonté partagée du Gouvernement de lutter contre la mortalité routière, votre rapporteur s’interroge sur la pertinence et l’acceptabilité d’une telle mesure, prise sans concertation et sans fondement scientifique incontestable, qui occulte les autres propositions, au demeurant pertinentes, du plan présenté le 9 janvier dernier.

Aussi, plutôt que d’appliquer de manière uniforme et sans discernement cette réduction de la vitesse maximale, qui concernerait l’ensemble des routes nationales et départementales du réseau secondaire, la présente proposition de loi a pour objet de confier un pouvoir d’adaptation aux autorités locales, maires, présidents de conseils départementaux et préfets, selon les cas.

 

Il s’agit de décentraliser la décision, de faire confiance à leur connaissance de ce réseau pour appliquer cette baisse avec discernement, en fonction des caractéristiques du réseau routier et des conditions de sécurité qu’il offre.

Afin de concilier les impératifs de mobilité dans les territoires et les exigences de sécurité routière, il est fondamental que cette question soit débattue devant la représentation nationale.

 

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I.   L’abaissement DE LA VITESSE MAXIMALE AUTORISée à 80 km/h sur les routes secondaires : une décision qui ignore les difficultés de déplacement de millions de français

A.   uNE DÉcision prise sans Débat et sans concertation

1.   Un plan de lutte contre l’insécurité routière aux intentions louables

Après douze années de baisse continue, qui avait permis d’atteindre le niveau historiquement bas de 3 427 personnes décédées en 2013, la mortalité routière est sensiblement repartie à la hausse depuis 2014 : 3 738 personnes ont été tuées en 2016, soit une hausse d’environ 9 % en trois ans. Une hausse qui ne s’est toutefois pas confirmée en 2017, où une légère baisse a été enregistrée([1]).

C’est dans ce contexte que le Premier ministre a présenté, le 9 janvier 2018, un plan de lutte contre l’insécurité routière, Sauvons plus de vies sur nos routes, après avoir réuni le Comité interministériel de la sécurité routière (CISR) ([2]), en présence de dix ministres et secrétaires d’État.

Comme l’a indiqué le délégué interministériel à la sécurité routière, M. Emmanuel Barbe, lors de son audition par le Sénat ([3]), ce plan est le résultat d’une réflexion débutée en juillet 2017, à la demande du ministre de l’Intérieur. Il comprend 18 mesures, articulées autour de trois axes majeurs.

● Le premier axe est l’engagement de chaque citoyen en faveur de la sécurité routière. Il s’agit ici, notamment, à travers quatre mesures, « d’éduquer les jeunes, d’informer les seniors et d’installer la place de la sécurité routière dans l’enseignement supérieur » ainsi que d’améliorer la prise en charge des victimes d’accidents de la route.

● Le deuxième axe a pour objet de protéger tous les usagers de la route, avec notamment comme objectif de faire baisser le nombre de morts en réduisant la vitesse moyenne sur les routes les plus accidentogènes. La mesure n° 5 impose ainsi de réduire de 90 km/h à 80 km/h les vitesses maximales autorisées sur les routes à double sens, sans séparateur central.

Le plan comprend également des mesures pour accompagner le développement de la pratique du vélo en toute sécurité, lutter contre la conduite sous l’emprise de l’alcool ou encore améliorer la prise en compte des personnes récidivistes.

● Enfin, le troisième axe du plan doit permettre de mettre les nouvelles technologies au service de la sécurité routière, afin, par exemple, d’aider les forces de sécurité à mieux cibler les comportements dangereux.

Ce plan prolonge l’action des gouvernements successifs en matière de sécurité routière depuis maintenant plus de quinze ans et le plan lancé en 2002 par le président Jacques Chirac, aux résultats particulièrement probants ([4]).

2.   Un abaissement de la vitesse maximale autorisée aux fondements fragiles

Si les dix-huit mesures proposées poursuivent des objectifs louables, une seule a suffi à effacer toutes les autres, tant elle suscite d’incompréhension et de contestation : il s’agit naturellement de celle qui abaisse la vitesse maximale autorisée de 90 km/h à 80 km/h sur l’ensemble du réseau secondaire – proposition que le précédent Gouvernement n’avait pas souhaité mettre en œuvre.

Elle trouve son origine dans les travaux du comité des experts du Conseil national de la sécurité routière (CNSR), chargé de proposer une stratégie pour atteindre l’objectif, alors fixé par le ministère de l’Intérieur, de parvenir à moins de 2 000 tués par an sur les routes d’ici 2020. C’est à ce titre qu’en novembre 2013, le comité des experts du CNSR avait, parmi trois autres mesures principales ([5]), préconisé cette réduction de la vitesse maximale autorisée de 90 km/h à 80 km/h pour les véhicules légers sur les routes bidirectionnelles sans séparateur principal.

 

Le Conseil national de la sécurité routière

Le Conseil national de la sécurité routière (CNSR) a été créé par le décret n° 2001‑784 du 28 août 2001 pour rassembler les principaux acteurs de la sécurité routière, avec leurs compétences et sensibilités respectives, afin qu’ils puissent débattre, échanger et réfléchir pour formuler des propositions concrètes à l’attention du Gouvernement en vue d’inverser la courbe de la mortalité routière.

Il comprend aujourd’hui 53 membres, dont trois personnalités qualifiées, quatre parlementaires, des représentants des régions, des départements et des communes, huit représentants des entreprises et institutions intéressées par la sécurité routière, douze représentants d’associations agissant dans le domaine de la sécurité routière ainsi que les représentants de différents ministères. La durée des mandats est de trois ans.

Deux modalités d’application de cette mesure étaient proposées :

– la première consistait simplement à réduire la vitesse sur l’ensemble du réseau bidirectionnel actuellement limité à 90 km/h ;

– la seconde proposait d’appliquer cette mesure à la plus grande partie de ce réseau, des itinéraires pouvant toutefois faire exception, et rester à 90 km/h, à condition d’être identifiés par arrêtés spécifiques et sélectionnés selon des critères liés à l’accidentologie au kilomètre de voie et aux caractéristiques de ces infrastructures.

Selon, le comité des experts, « la première option présente l’avantage d’une plus grande simplicité, la seconde d’une acceptabilité attendue plus large. » ([6])

C’est à la suite de ces travaux que la formation plénière du CNSR a recommandé au ministre de l’Intérieur, lors de sa séance du 16 juin 2014, de réduire la vitesse maximale autorisée à 80 km/h et de favoriser, dans le même temps le report du trafic vers le réseau routier où les voies sont séparées par un terre-plein central, limité à 110 km/h, ou sur le réseau autoroutier.

Constatant l’absence de consensus parmi les membres du CNSR, son président s’était déclaré partisan d’une expérimentation, avant une éventuelle généralisation de cette mesure. Il a été partiellement entendu par le ministre de l’Intérieur, M. Bernard Cazeneuve : une expérimentation s’est déroulée sur deux années, entre juillet 2015 et juin 2017, sur trois sections de routes nationales bidirectionnelles sans séparateur central, réparties dans quatre départements et totalisant seulement 86 km.

Au terme de l’expérimentation, effectuée par le centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (CEREMA), il a été constaté une baisse moyenne des vitesses pratiquées pour les véhicules légers de seulement 5,7 km/h.

Mais, comme le souligne le rapport du groupe de travail sur la sécurité routière du Sénat([7]), cette expérimentation souffrait de plusieurs faiblesses méthodologiques importantes :

– un objet limité à la mesure de l’effet de la baisse des vitesses maximales autorisées sur les vitesses pratiquées, sans rechercher à étudier les effets sur l’évolution de l’accidentalité ;

– un manque d’ambition dans le périmètre de l’expérimentation (faible taille des tronçons et durée limitée) ;

– une multiplicité de paramètres non testés, comme l’impact de la mesure sur les temps de parcours, la consommation de carburants ou les reports de trafics.

Conscient du caractère non conclusif de cette étude, le Gouvernement a refusé pendant plusieurs semaines d’en publier les résultats, malgré les sollicitations de nombreux parlementaires issus de toutes les sensibilités politiques ainsi que de plusieurs associations, dont 40 millions d’automobilistes.

Ce n’est qu’en mars 2018 que le groupe de travail du Sénat sur la sécurité routière a pu obtenir une étude statistique réalisée par l’Observatoire national de la sécurité routière (ONISR). Selon la synthèse de ses conclusions « il apparaît que l’accidentalité sur les sections concernées a baissé durant l’expérimentation : entre 2010 et 2014, on observait 11,4               accidents corporels an moyenne par an contre 9 durant l’expérimentation. Néanmoins, les nombres d’accidents considérés étant peu élevés, cette baisse n’est pas statistiquement significative. » ([8])

Une autre étude, du Commissariat général au développement durable (CGDD), n’est pas beaucoup plus encourageante. On peut y lire que « le lien entre vitesse maximale autorisée et vitesse pratiquée est très difficile à appréhender […]. Le comportement sur les routes dépend de nombreux facteurs […]. Il conviendrait de prévoir un dispositif d’observation des vitesses, des trafics et de l’accidentalité sur les réseaux concernés, suffisamment robuste pour évaluer l’efficacité de la mesure. » ([9])

Elle concluait : « Pour tous les réseaux, il apparaît que deux effets sont prépondérants dans le bilan socio-économique : la réduction de l’accidentalité (+) et la perte de temps subie par les usagers (-). Globalement, le second fait plus que compenser le premier, si bien que le bilan est légèrement négatif ou nul. »

B.   une entrée en vigueur qui pénaliserait les territoires les moins bien dotés en infrastructures routières

1.   Une augmentation des temps de déplacement qui accentuera les inégalités en matière de mobilité

Le réseau routier français, d’une longueur totale de plus d’un million de kilomètres, se compose de 11 560 kilomètres d’autoroutes, de 9 645 kilomètres de routes nationales, de 378 973 kilomètres de routes départementales et de 673 290 kilomètres de routes communales.

La réduction de la vitesse maximale autorisée s’appliquerait donc à l’ensemble des routes à double sens sans séparateur central, soit beaucoup plus que les 400 000 km initialement annoncés par le Gouvernement.

Son entrée en vigueur augmenterait de manière significative les temps de déplacements de ceux qui ne peuvent emprunter que des routes nationales ou départementales. Elle serait ainsi extrêmement pénalisante pour les habitants des zones rurales ou de montagne qui n’ont pas la chance de bénéficier d’infrastructures routières modernes à deux fois deux voies et n’ont pas d’autre alternative que d’utiliser leur véhicule pour se déplacer.

Comme l’a indiqué le président de l’Association des maires ruraux de France (AMRF), M. Vanik Berberian, à votre rapporteur, elle aggraverait inévitablement l’enclavement des zones rurales et péri-urbaines éloignées des autoroutes et des grandes métropoles, souvent mal desservies par le réseau ferroviaire. Contrairement à d’autres mesures de sécurité routière, comme l’obligation de « boucler la ceinture », cette limitation ne générera donc pas les mêmes contraintes selon que l’on réside à proximité ou non d’une voie rapide et créera ainsi une véritable inégalité entre les territoires.

Par ailleurs, cette mesure ne tient pas compte des progrès réalisés en matière de modernisation et de sécurisation du réseau routier, ainsi que l’ont regretté les représentants de l’Assemblée des départements de France (ADF) entendus par votre rapporteur. Elle viendrait anéantir les investissements réalisés par les collectivités pour moderniser leurs infrastructures et ainsi diminuer les temps de parcours vers les autoroutes, tout en améliorant les conditions de sécurité. Elle suscitera l’incompréhension des automobilistes qui se verront imposer une limitation de vitesse souvent inadaptée aux caractéristiques de la route et qui ne pourront plus dépasser les camions roulant désormais à la même allure sans commettre une infraction.

2.   Un sentiment d’abandon pour des millions de Français

Au lendemain de la mise en œuvre de cette limitation à 80 km/h, ce sont des territoires entiers qui perdront en attractivité économique, au détriment de ceux qui sont mieux dotés en infrastructures de transport.

L’allongement des temps de trajet viendra alors s’ajouter aux fortes hausses des taxes sur les carburants programmées par le Gouvernement et aux inquiétudes nées de l’abandon de grands projets d’infrastructures routières et de lignes à grande vitesse ainsi que des interrogations sur l’avenir des petites lignes ferroviaires.

Comme l’a souligné M. Bernard Darniche, vice-président de l’association Pour une mobilité sereine et durable, cette décision risque, enfin, de renforcer le sentiment d’abandon de nombreux Français n’habitant pas à proximité de grandes métropoles, et qui ne disposent pas des mêmes droits en matière de mobilité que beaucoup de leurs compatriotes.

II.   Une proposition de loi pour donner aux autorités locales compétentes LE POUVOIR D’ADAPTER LA VITESSE MAXIMALE AUTORISéE

La présente proposition de loi a pour objet d’éviter que cette mesure d’abaissement de limitation de la vitesse maximale autorisée ne s’applique de manière uniforme sur l’ensemble du territoire national.

C’est pourquoi elle propose, selon un principe de subsidiarité, de confier aux autorités investies du pouvoir de police de circulation une capacité d’adaptation au code de la route plus étendue que celle dont elles disposent aujourd’hui.

Elle rejoint ainsi les conclusions du rapport du groupe du travail du Sénat ([10]), partagées par l’ensemble des représentants d’élus locaux entendus par votre rapporteur, qui proposait de décentraliser la décision de la réduction des vitesses maximales autorisées. Il ne s’agit donc pas de s’opposer à la mise en œuvre de la limitation de vitesse à 80 km/h mais plutôt de l’appliquer avec discernement, sur les portions de route les plus accidentogènes.

● L’article 1er de la proposition de loi vise à préciser le pouvoir de fixation de la vitesse maximale en agglomération par les maires, en leur laissant le soin de la définir, dans la limite d’un abaissement ou d’une augmentation de vitesse de 10 km/h et dans la limite des 70 km/h prévus par la réglementation.

● L’article 2 inscrit dans la loi la possibilité, pour les présidents de conseils départementaux, de fixer la vitesse maximale autorisée sur les routes départementales, dans la limite de 90 km/h.

● L’article 3 inscrit dans la loi la possibilité, pour les préfets, de fixer la vitesse maximale autorisée sur les routes nationales, dans la limite de 90 km/h.

En Commission, votre rapporteur avait proposé, par voie d’amendement, que les autorités puissent s’appuyer sur l’expertise des commissions départementales de la sécurité routière (CDSR), qui réunissent représentants de l’État, élus locaux, usagers et associations, pour prendre leur décision. Ces amendements n’ont pas été adoptés, la majorité ayant fait le choix de rejeter la proposition de loi dans son ensemble.


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   DISCUSSION GÉNÉRALE

Lors de sa première réunion du mercredi 13 juin 2018, la Commission examine la proposition de loi relative au pouvoir d’adaptation des vitesses maximales autorisées par les autorités titulaires du pouvoir de police de la circulation (n° 936) (M. Vincent Descoeur, rapporteur).

M. Stéphane Mazars, président. Nous examinons, sur le rapport de M. Vincent Descoeur, la proposition de loi relative au pouvoir d’adaptation des vitesses maximales autorisées par les autorités titulaires du pouvoir de police de la circulation (n° 936).

M. Vincent Descoeur, rapporteur. Le 9 janvier dernier, le Premier ministre a présenté un plan comportant 18 mesures afin de réduire le nombre des victimes d’accidents de la route. C’est un objectif que l’on ne peut que partager. Néanmoins, une des mesures proposées a suscité l’émoi et l’incompréhension, légitimes, d’une majorité de nos concitoyens : il s’agit de la réduction de la vitesse maximale autorisée de 90 à 80 km/h sur les routes nationales et départementales à double sens et sans séparateur central, à compter du 1er juillet prochain.

Cette décision, prise sans concertation et sans que les bénéfices pour la sécurité routière aient fait l’objet d’une évaluation sérieuse, est d’autant plus mal acceptée que ses conséquences en matière d’aménagement du territoire et de mobilité des habitants des territoires ruraux et de montagne ont été sous-estimées, ou plutôt ignorées. La réduction de la vitesse maximale autorisée n’aura pas les mêmes conséquences que d’autres mesures, au demeurant pertinentes, qui sont préconisées, et il n’en résultera pas les mêmes contraintes selon que l’on réside à proximité d’une voie rapide ou bien dans une zone rurale ou périurbaine, éloignée des autoroutes et des grandes métropoles. À ce titre, le parallèle avec l’obligation de boucler sa ceinture de sécurité est pour le moins hasardeux : cette mesure, qui a été bénéfique à la sécurité des automobilistes, ne s’est accompagnée d’aucune inégalité sur le plan de la mobilité. La réduction de la vitesse maximale, qui aura immanquablement pour effet d’augmenter les temps de déplacement, sera en revanche pénalisante pour les habitants des territoires qui n’ont pas la chance de bénéficier d’infrastructures routières modernes et n’ont pas d’alternative à l’usage quotidien de leur véhicule, en particulier pour se rendre sur leur lieu de travail.

Cette mesure, dont l’application serait uniforme et étendue sans discernement à l’ensemble du réseau routier, ne tient aucun compte des investissements réalisés par les collectivités locales pour améliorer leurs infrastructures et diminuer les temps de parcours vers les autoroutes, tout en améliorant les conditions de sécurité – il convient de rappeler ces efforts. À n’en pas douter, la décision du Gouvernement se heurtera à l’incompréhension des automobilistes, qui se verront imposer une limitation de vitesse souvent inadaptée aux caractéristiques de la route qu’ils empruntent et qui, faut-il le rappeler, ne pourront théoriquement plus dépasser les camions sans commettre une infraction, puisque ceux-ci rouleront désormais à la même vitesse. C’est une curiosité qui illustre bien l’impréparation de cette décision.

Lorsqu’elle sera mise en œuvre sur la totalité de notre réseau dit secondaire, mais qui est en réalité de première importance pour des millions de nos concitoyens, des territoires entiers vont perdre en attractivité résidentielle et économique par rapport à d’autres qui sont mieux dotés en infrastructures de transport : il y aura en quelque sorte une double peine. À l’allongement des temps de trajet s’ajoutent, pour les mêmes automobilistes, la hausse programmée des taxes sur les carburants, les inquiétudes nées de l’abandon des grands projets d’infrastructures routières et de lignes à grande vitesse, ainsi que les interrogations sur l’avenir des petites lignes ferroviaires.

La proposition de loi qui vous est soumise a pour objet d’adapter la décision du Gouvernement, d’éviter son application uniforme et sans discernement, en confiant la responsabilité de fixer les vitesses maximales autorisées aux autorités locales titulaires du pouvoir de police de la circulation, notamment les présidents des conseils départementaux et les préfets, pour les routes départementales et nationales relevant de leur compétence. Ce texte, constructif et équilibré, permettra au Gouvernement de sortir de l’impasse dans laquelle il s’est enfermé, faute d’avoir fait le choix de la concertation. Nous rejoindrons, ce faisant, les propositions formulées par le groupe de travail du Sénat sur la sécurité routière, qui est présidé par Michel Raison. Il ne s’agit pas de s’opposer systématiquement à une limitation de la vitesse maximale, mais de l’appliquer avec discernement. En vertu du principe de subsidiarité, nous ferons confiance aux autorités locales : ce sont les acteurs qui connaissent le mieux les caractéristiques du réseau routier et qui sont les plus à même d’identifier les voies offrant aux automobilistes des conditions de sécurité compatibles avec le maintien d’une vitesse maximale de 90 km/h.

Une telle adaptation de la limitation de vitesse a trouvé un écho favorable auprès des associations d’élus que j’ai auditionnées – celles des maires, des maires ruraux et des départements de France. Ces auditions nous ont amenés à nous interroger sur le lien, qui n’est pas toujours évident, entre la vitesse et les accidents et à insister sur la nécessité de privilégier la lutte contre les comportements inadaptés et de nature à altérer la vigilance des conducteurs, en particulier l’utilisation du téléphone portable et la conduite sous l’emprise de l’alcool ou de stupéfiants.

Au lieu de généraliser la limitation de vitesse à 80 km/h, il serait préférable d’identifier les zones accidentogènes où la vitesse maximale serait réduite dans cette proportion : cela permettrait d’accroître la vigilance des automobilistes sur ces tronçons. Il ressort des auditions que le travail d’identification des axes sur lesquels la vitesse maximale pourrait être réduite à 80 km/h et de ceux où elle resterait inchangée doit avoir lieu en concertation avec les autorités compétentes. C’est pourquoi je vous propose deux amendements visant à ce que le président du conseil départemental et le préfet consultent la commission départementale de la sécurité routière avant toute décision.

Voilà, mes chers collègues, une proposition de loi pleine de bon sens, qui privilégie une approche au cas par cas. Cela permettra de concilier les impératifs de mobilité et les objectifs affichés par le Gouvernement en matière de sécurité routière. C’est également un texte qui jouit d’un large soutien des élus locaux.

M. Jean-Pierre Pont. J’interviens au nom du groupe La République en Marche. Vous l’avez dit, Monsieur le rapporteur, le Premier ministre a décidé de réduire de 90 à 80 km/h la vitesse sur les routes nationales et départementales à double sens et sans séparateur central, à compter du 1er juillet prochain. C’est une mesure impopulaire, comme toutes celles relatives à la sécurité routière, telles que le port obligatoire de la ceinture de sécurité, le permis à points, la mise en place des radars ou les contrôles d’alcoolémie. Toutes ces mesures ont contribué à faire baisser le nombre de morts sur les routes, qui est passé d’environ 15 000 par an en moyenne il y a une quarantaine d’années à 3 684 en 2017. Il faut savoir que les 400 000 kilomètres de routes françaises à double sens hors agglomération concentrent à elles seules environ 55 % des accidents mortels. Il fallait donc proposer des mesures.

Le 9 janvier dernier, le comité interministériel de la sécurité routière a ainsi proposé, dans un document intitulé « Sauvons plus de vies sur nos routes », 18 mesures fortes, réparties entre trois grands axes : l’engagement de chaque citoyen en faveur de la sécurité routière, la protection de l’ensemble des usagers de la route et enfin l’anticipation, pour mettre les nouvelles technologies au service de la sécurité routière. La baisse de la vitesse fait partie de ces mesures fortes. Vous en êtes conscient, monsieur le rapporteur, car je vois que vous n’êtes pas formellement opposé à cette évolution. Le texte que nous examinons ce matin propose en effet une adaptation, sous la forme d’une sectorialisation de la décision de réduire la limite de vitesse de 90 à 80 km/h, qui serait confiée aux maires, aux présidents des conseils départementaux et aux préfets, dans le cadre des compétences qu’ils exercent.

L’exposé des motifs évoque des décisions qui auraient été prises sans concertation, un accroissement des difficultés de déplacement dans les territoires ruraux et les zones de montagne, une aggravation de l’enclavement des zones rurales, des doutes sur l’amélioration de la sécurité routière, et une augmentation des temps de trajet quotidiens. Aucun de ces motifs ne nous paraît vraiment réaliste. Permettez-moi aussi de rappeler que les décisions relatives aux vitesses maximales autorisées ne dépendent pas de la loi, mais du pouvoir réglementaire. Par conséquent, votre proposition de loi pourrait être déclarée irrecevable au titre de l’article 41 de la Constitution – nous aurons l’occasion d’y revenir lors de l’examen des articles.

M. Philippe Latombe. Le groupe Mouvement Démocrate et apparentés tient à rappeler sa position sur ce sujet.

Le Gouvernement a choisi de ramener la limitation de vitesse à 80 km/h sur les routes bidirectionnelles sans séparateur central, sur la base d’un avis rendu par le comité des experts du Conseil national de la sécurité routière en 2014, qui était accompagné de données scientifiques attestant que la baisse des vitesses contribue à réduire le taux d’accidentalité. Cette mesure sera mise en œuvre à partir du 1er juillet 2018 sur l’ensemble des routes bidirectionnelles sans séparateur central, pendant une phase d’expérimentation de deux ans. Une application différenciée, à la discrétion des communes, ne permettrait pas de préserver l’effet utile de cette décision qui vise à réduire le nombre d’accidents : cela permettrait en effet de sauver entre 350 à 400 vies par an, selon les estimations, sans compter les blessés graves. Par ailleurs, une réduction de 10 km/h de la vitesse sur les routes secondaires aurait un bilan positif de 230 millions d’euros, ainsi que l’a montré une étude du ministère de la Transition écologique et solidaire.

Ces raisons de fond nous conduisent à soutenir la décision du Gouvernement. Il ne s’agit pas, comme on l’affirme trop souvent, d’une atteinte qui serait portée à nos territoires, mais d’une volonté farouche de réduire la mortalité routière, encore trop élevée en France. C’est notamment le cas dans les territoires ruraux – je le dis en tant qu’élu d’un tel territoire – sur les routes bidirectionnelles sans séparateur central, qui restent trop meurtrières.

La réduction de la vitesse maximale relève du domaine réglementaire, on l’a dit avant moi, et en l’espèce du Premier ministre. Nous ne sommes donc pas favorables à ce qu’une loi intervienne en la matière : le domaine réglementaire doit rester le domaine réglementaire.

Enfin, il nous semble que ce serait une erreur, voire une faute, de réduire à cette seule mesure l’ensemble du plan d’action qui entrera en application le 1er juillet prochain : cela revient à masquer, volontairement, d’autres mesures fortes, comme l’augmentation des sanctions en cas d’usage du téléphone au volant ou encore la modification du format et du contenu des stages de sensibilisation. La présence de ces dispositions aux côtés de la limitation de la vitesse donne un autre relief et une autre architecture d’ensemble à ce plan d’action, dont l’esprit est seulement de préserver des vies, d’éviter des milliers de morts et de blessés chaque année.

C’est pourquoi nous ne voterons pas en faveur de cette proposition de loi.

M. Thierry Benoit. Au nom du groupe UDI Agir et Indépendants, je voudrais saluer le travail de Vincent Descoeur, qui est à l’origine de cette proposition de loi que nous soutenons totalement. Nous avons d’ailleurs eu une idée similaire, car la décision du Gouvernement nous interpelle vraiment.

Je voudrais souligner, en préambule, une conviction partagée par tous les groupes : la sécurité routière demeure la priorité de chacune et de chacun d’entre nous. Il faut aussi rappeler, comme le porte-parole du groupe La République en Marche l’a fait tout à l’heure, qu’il s’agit d’une décision du Premier ministre, prise par décret : on est dans le cadre du pouvoir réglementaire. Nos concitoyens ne le savent pas nécessairement, mais les députés n’auront pas à se prononcer sur cette décision, qui ne fera l’objet ni d’un vote ni même d’un avis de notre part.

Ce qui pose problème, comme l’a dit le rapporteur, est la généralisation de la mesure, sans discernement. Autant le dire carrément : je considère que le Premier ministre s’est fait piéger par le délégué interministériel à la sécurité routière, que j’ai rencontré lorsque j’ai travaillé sur notre propre proposition de loi. Dans ma circonscription de Fougères, dans l’Ille-et-Vilaine, cette mesure va poser une vraie difficulté du point de vue de la hiérarchie de la voirie. Pour aller de Fougères à Laval, on empruntera d’abord la route nationale 12 qui sera limitée à 80 km/h jusqu’à Ernée, car elle est bidirectionnelle, alors que d’Ernée à Laval on est sur la route départementale 31 qui a deux fois deux voies, avec un séparateur central, car le département de la Mayenne a réalisé cet aménagement.

L’État, quant à lui, n’a pas eu la puissance ou l’argent qu’il fallait pour moderniser ses infrastructures : comme il considère que son réseau national n’est pas suffisamment moderne et sécurisé, il décrète une généralisation de la limitation de vitesse à 80 km/h dans l’ensemble du pays. Cela pose un problème de discrimination entre les territoires, aux dépens de ceux qui sont mal pourvus en infrastructures modernes.

Les temps de trajet, c’est-à-dire la mobilité, seront affectés. Ceux qui habitent les métropoles et les grandes villes dotées d’infrastructures modernes n’auront pas de difficultés. Dans les territoires périphériques, les villes moyennes et les territoires ruraux mal raccordés et mal équipés en infrastructures routières, il y aura en revanche un problème d’attractivité à l’égard des populations nouvelles et des entreprises. Le monde économique est très attentif à la question de la mobilité.

En dernier lieu, cette mesure fait fi de tous les efforts réalisés par les constructeurs automobiles pour améliorer la sécurité des usagers de la route, notamment grâce aux dispositifs d’aide à la conduite et de freinage anticipé.

Pour toutes ces raisons, mon groupe soutiendra cette proposition de loi avec vigueur et force.

M. Thibault Bazin. Je tiens à saluer tout le travail effectué par notre collègue Vincent Descoeur pour ajuster la décision du Gouvernement de restreindre la vitesse autorisée à 80 km/h, sans discernement. À ceux qui nous disent : « circulez, il n’y a rien à voir » car on se trouve dans le champ du pouvoir réglementaire, je voudrais répondre que c’est précisément pour cette raison que les députés doivent exercer leur mission de contrôle de l’action du Gouvernement et d’évaluation des politiques publiques. La représentation nationale doit se saisir de ce sujet qui suscite beaucoup de réactions chez nos concitoyens : j’ai reçu près de 500 messages dans ma circonscription.

Nous sommes tous d’accord sur la nécessité de mesures permettant de renforcer la sécurité routière, mais encore faut-il qu’elles soient pertinentes, adaptées et justifiées. Or la décision du Gouvernement est susceptible d’accroître les risques à certains endroits, notamment quand il faudra dépasser les poids lourds. C’est une vraie question, mais elle est totalement éludée.

L’aménagement du territoire est l’autre sujet de fond qui est occulté. Il y a un véritable désengagement de l’État à l’égard des conseils départementaux, qui sont pressurés par la montée en charge des allocations individuelles de solidarité (AIS) et de la question des mineurs non accompagnés (MNA). Il y a donc de moins en moins d’investissements dans l’entretien des routes départementales, ce qui constitue un vrai facteur de risque en matière de sécurité routière mais aussi d’éloignement des territoires, comme l’a souligné Vincent Descoeur.

Je crois qu’il faut faire confiance à l’intelligence territoriale et se méfier de la recentralisation voulue par le Gouvernement. Nous avons la chance d’avoir des organismes tels que le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (CEREMA) : appuyons-nous sur eux. Afin d’assurer la sécurité routière, nous devons adapter la réduction de la vitesse autorisée.

M. Jean-Paul Dufrègne. Merci de m’accueillir au sein de cette commission. Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine soutient cette proposition de loi de notre collègue Vincent Descoeur. Je le fais d’autant plus volontiers, à titre personnel, que nous nous connaissons depuis assez longtemps, déjà, et que nous partageons une même appartenance aux territoires ruraux et une même connaissance de ces derniers, qui sont encore une fois pointés du doigt. Je pense que l’on ne réglera pas la question de la sécurité routière en se contentant de les accuser quasiment d’être la cause des nombreux accidents qui se produisent chaque année. Nous soutenons l’ensemble des mesures qui ont été retenues par ailleurs, mais la limitation de la vitesse autorisée pose vraiment un certain nombre de questions.

Je défendrai deux amendements visant à renforcer, encore, la crédibilité de cette proposition de loi en traitant séparément la question des fins de semaine. Comme le Premier ministre l’a dit et répété, on ne peut plus supporter les accidents à répétition qui se produisent le week-end, et qui concernent souvent des jeunes : 50 % des décès de jeunes de 18 à 24 ans dans des accidents de la route se produisent durant les week-ends et les jours fériés, où l’accidentologie est 1,5 fois supérieure à celle des autres jours de la semaine.

Les territoires ruraux seront affectés par la décision du Gouvernement. On a l’impression qu’il existe deux mondes : on n’hésite pas à dépenser des centaines de millions d’euros, voire des milliards, pour gagner deux ou trois minutes sur des trajets en train entre deux métropoles ; dans nos territoires, en revanche, on dirait que cela n’a pas beaucoup d’importance si l’on perd trois ou quatre minutes… Il y a donc le monde des métropoles et des affaires, et celui des relégués, ce qui n’est franchement pas acceptable.

Enfin, on ne peut pas penser la sécurité sans faire le lien avec l’état des routes. Deux des plus importantes routes nationales de France se croisent dans mon département, l’Allier, dont la route Centre-Europe Atlantique (RCEA), surnommée la route de la honte tant elle est le théâtre d’accidents. Comme la Cour des comptes vient de le souligner, elle n’est toujours pas à deux fois deux voies dans son intégralité, ce qui est un véritable scandale.

Je serais favorable à la décision du Gouvernement si tous les territoires étaient traités de la même façon et si les crédits étaient répartis d’une manière identique. Sur la route que je viens d’évoquer, il y a eu la semaine dernière un accident impliquant quatre camions, avec un bilan de deux morts et de deux blessés. Les deux morts sont un camionneur tchèque et un autre roumain. Il devrait y avoir beaucoup moins de camions sur cette route de transit, mais cela impliquerait d’établir des priorités. On limite aujourd’hui les dotations allant aux départements, ce qui réduit les investissements visant à sécuriser les routes qui dépendent d’eux.

Pour toutes ces raisons, je soutiendrai cette proposition de loi, tout en défendant deux amendements qui visent à traiter à part les fins de semaine, dans des conditions définies par décret.

M. Ugo Bernalicis. Je vois qu’il y a une tentative du groupe Les Républicains de prendre de vitesse la majorité, c’est le moins qu’on puisse dire, notamment après la sortie de route du ministre de l’Intérieur – j’arrête là les jeux de mots, car je n’ai pas eu le temps d’en préparer davantage. (Sourires.)

Cette proposition de loi peut être intéressante. Vous vantez les mérites du principe de subsidiarité, même si vous peinez un peu à argumenter, en nous disant que l’on pourrait fixer la vitesse maximale à 80 km/h à certains endroits, à 90 km/h ailleurs, ou bien à 70 km/h, en décidant au plus près du terrain, afin de libérer les énergies. Nous avons déposé quelques amendements afin d’encadrer votre proposition : nous souhaitons rappeler que c’est quand même le préfet qui est compétent, avec l’appui de ses services, pour regarder avec les communes si certaines zones sont plus ou moins accidentogènes et s’il est judicieux de modifier la vitesse autorisée, soit à la baisse, même si ce n’est pas ce que vous avez en tête, soit à la hausse.

Le passage de 90 à 80 km/h repose sur des études affirmant que cela permettrait de sauver entre 200 et 400 vies par an. Tant mieux si c’est le cas, mais il y a malgré tout quelques difficultés. On ne saura qu’a posteriori si c’est vrai. Par ailleurs, le modèle mathématique qui est utilisé fait appel à une étude du Suédois Göran Nilsson mêlant lois physiques et accidentologie : une variation de 1 % de la vitesse se traduirait par une variation de 2 % du nombre des accidents corporels et de 4 % de celui des accidents mortels. Le Norvégien Rune Elvik a ensuite affiné ce modèle dans les années 2000 : chaque baisse de 1 km/h de la vitesse maximale autorisée réduit le nombre d’accidents de 4 %. Si l’objectif est d’épargner des vies, on peut se demander pourquoi s’arrêter en si bon chemin, en ne retenant qu’une limite de 80 km/h : pourquoi pas 50, 40, voire 30 km/h ? Il paraît qu’il n’y a quasiment plus d’accidents mortels à 30 km/h… On voit bien qu’il y a une part d’incertitude dans la proposition du Gouvernement, ou plutôt du Premier ministre : à sa place, je ne me serais pas avancé à ce point.

En revanche, comme certains collègues l’ont rappelé avant moi, notamment le porte-parole du groupe GDR, il est sûr que certaines routes manquent d’entretien, ce qui constitue un facteur accidentogène, et que l’on peut adopter d’autres mesures : si l’on estime que l’alcool est un facteur majeur de risque, on peut imposer l’usage d’éthylotests pour le démarrage des véhicules – ces dispositifs existent et ils fonctionnent. Ils sont même obligatoires dans les bus. Vous savez aussi que l’association nationale pour la prévention routière mène depuis des années une campagne « zéro enfant tué sur nos routes », qui comporte un certain nombre de propositions. Parmi les décisions du Gouvernement, où sont les mesures qui iraient en ce sens ? Il serait intéressant de creuser les pistes que cette association met en avant. Je ne sais pas si cela pourrait avoir un effet massif, mais il y a notamment la proposition d’un taux réduit de TVA sur les sièges pour enfants, au même titre que l’on applique un taux réduit quand on achète un verrou ou un cadenas pour une porte, car cela concerne la sécurité. Des mesures de ce genre pourraient donner du sens à l’action, sans pénaliser les citoyennes et les citoyens. Or ce n’est pas du tout ce qui a été décidé : le Gouvernement a adopté une mesure un peu dogmatique, comme si tout allait se résoudre en passant de 90 à 80 km/h sur les routes secondaires.

Si l’on met les statistiques relatives au nombre de morts sur les routes en relation avec la hausse de la population et surtout avec la hausse considérable du nombre de kilomètres parcourus – on utilise toujours davantage de voitures, sur des distances de plus en plus longues, alors que l’accroissement du nombre de kilomètres parcourus augmente la probabilité d’un accident – on voit alors que la mortalité continue en réalité de diminuer. Elle est même extrêmement faible. On pourrait essayer de réduire le nombre de kilomètres parcourus dans des véhicules individuels, en mettant le paquet sur les transports en commun, car c’est là qu’il y a le moins d’accidents. Ceux qui impliquent des bus ou des trains sont très peu nombreux par rapport au nombre de personnes qui utilisent ces moyens de transport.

Nous défendrons donc un certain nombre d’amendements : nous ne sommes pas opposés au principe de subsidiarité, mais cela n’épuise clairement pas le débat.

Mme Cécile Untermaier. La question qui se pose, sur tous les bancs, est celle de l’application d’un dispositif qui est unilatéral et vertical, qui vient d’en haut et qui vaudra indistinctement pour tous les territoires, en particulier les lieux de vie où l’on trouve un nombre très important de petites routes sans séparateur central, comme l’a souligné notre collègue du groupe GDR. La sécurité routière est en jeu, mais aussi la pertinence des mesures adoptées. Or, qui dit pertinence, dit examen au cas par cas, et il y a un problème de lisibilité : quand on conduit, comme nous le faisons tous dans les circonscriptions rurales, on a beaucoup de mal à savoir si la vitesse autorisée est de 70, 80 ou 90 km/h.

Les études utilisées ne sont pas convaincantes, comme l’a dit Ugo Bernalicis. Par ailleurs, j’ai posé une question écrite au ministre sur la limitation de vitesse applicable aux poids lourds et aux jeunes conducteurs, mais je n’ai toujours pas de réponse. Il me semble pourtant qu’il faudra trancher : il y a des interrogations sur ce point dans nos territoires.

Je crois aussi que l’on ne pourra pas se dispenser d’une campagne de sensibilisation. Si le Premier ministre considère que les routes secondaires sans séparateur central sont dangereuses, on ne peut pas se contenter de décréter qu’il faut rouler moins vite. On doit commencer par une campagne de sensibilisation pour faire en sorte que les conducteurs soient informés du danger : il arrive qu’ils ne le perçoivent pas.

Enfin, la question de la sécurité routière renvoie à des sujets majeurs sur lesquels nous nous battons depuis un certain temps. Sous le précédent quinquennat, nous avons beaucoup avancé sur la question de la route Centre-Europe Atlantique (RCEA), qui traverse toute la France d’Est en Ouest, et qui est réputée très dangereuse. Il faut régler les difficultés qui se posent vraiment : cela fait 20 ans que l’on parle de la RCEA et nous avons encore 20 ans de travaux à réaliser. Dans mon département et dans toute la France, ce sont surtout des investissements majeurs qui sont attendus.

Mme Marie-France Lorho. La réaction de la presse et des associations rurales montre bien l’exaspération des Français à l’égard de la volonté du Gouvernement de réduire la vitesse maximale autorisée sur les routes nationales et départementales. Localiste cohérente, je suis tout à fait favorable à ce que la vitesse sur les routes départementales soit décidée par les habitants des territoires concernés. Comme le souligne l’exposé des motifs de cette proposition de loi, « il serait plus pertinent de laisser le soin aux acteurs des territoires, qui connaissent la réalité de leurs routes, de déterminer la vitesse maximale autorisée sur ces réseaux pour lesquels ils ont autorité en fonction de ces caractéristiques ». Je ne peux que souscrire à cette analyse : on doit fuir partout les réflexes jacobins. Mais pourquoi ne pas faire un pas de plus en donnant encore plus de flexibilité que vous ne le proposez aux départements qui seraient prêts à améliorer les réseaux routiers ?

M. Éric Diard. Au cours de la campagne présidentielle, Emmanuel Macron s’était engagé à ne pas modifier les limitations de vitesse – ni à la hausse, ni à la baisse. Un an plus tard, il revient sur cet engagement majeur pour des millions de Français.

Évidemment, chaque mort sur les routes est un mort de trop. Cela dit, les automobilistes ont de plus en plus l’impression d’être les victimes d’une politique routière davantage mise en place pour des raisons financières que pour lutter véritablement contre la délinquance routière.

L’automobiliste de la France périphérique est aujourd’hui le premier contribuable du pays : avec un baril de pétrole affichant un prix de 70 euros, tout comme en 2014 et en 2009, le prix du gazole ne cesse d’augmenter. La diminution annoncée des limitations de vitesse sur les routes nationales est vécue, pour des millions de Français qui empruntent ces routes, comme une nouvelle augmentation des impôts – surtout que, dans le même temps, le Gouvernement autorise les contrôles effectués au moyen de radars mobiles embarqués à bord de véhicules exploités par des sociétés privées, une pratique qui a déjà montré ses limites.

Il existe, bien sûr, des routes plus dangereuses que d’autres, et il est nécessaire d’abaisser la limitation de vitesse et de renforcer les contrôles sur ces routes si l’on veut vraiment lutter contre la mortalité routière. En revanche, généraliser la baisse des limitations serait contre-productif, puisqu’une limitation de vitesse unique sur l’ensemble du territoire susciterait un sentiment de défiance à son encontre. À certains endroits, une vitesse de 80 km/h est très insuffisante, à d’autres, elle est excessive et dangereuse. Pour lutter efficacement contre les accidents mortels, il serait donc plus judicieux de laisser aux conseils départementaux le soin d’examiner la possibilité d’abaisser ou non les limitations de vitesse sur les routes afin de prendre en compte les spécificités de chaque tronçon.

M. Dino Cinieri. Je voudrais tout d’abord remercier notre collègue Vincent Descoeur pour cette excellente proposition de loi, que j’ai cosignée car elle me paraît répondre à une véritable attente de nos concitoyens. La mise en œuvre, assumée par le Premier ministre, du passage aux 80 km/h, est une nouvelle attaque contre les habitants des zones rurales.

Nous voulons tous que le nombre de victimes d’accidents de la route baisse, et sauver des vies doit être la priorité des politiques de sécurité routière. Cependant, la réduction de la vitesse maximale autorisée sur tous les réseaux secondaires, sans prendre en compte la dangerosité réelle, sera inefficace.

Cette réforme est d’autant plus injuste et pénalisante pour les territoires ruraux que leurs habitants n’ont pas d’alternative à l’utilisation des véhicules personnels pour aller au travail, à des rendez-vous médicaux ou pour accompagner leurs enfants à l’école – et je ne reviendrai pas sur le coût exorbitant de changement des panneaux pour les départements.

Comme notre rapporteur, j’estime qu’il faut faire du cas par cas. Le maire, qui connaît bien son territoire, est le mieux placé pour proposer de baisser la vitesse à 80 km/h, voire à 70 km/h sur certains tronçons dangereux. L’ensemble du réseau secondaire doit, lui, rester à 90 km/h. En décembre 2017, j’ai déposé une proposition de résolution invitant le Gouvernement à préciser le coût et les résultats de la politique de sécurité routière. En effet, mes chers collègues, si la vitesse est souvent en cause dans les accidents meurtriers, il ne faut pas oublier que, parmi les 3 500 personnes décédées sur les routes en 2015, 23 % d’entre elles, soit plus de 800 personnes, ont trouvé la mort dans un accident impliquant un conducteur positif aux stupéfiants – ce constat a été fait par l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière (ONISR). J’espère que la majorité fera preuve d’ouverture d’esprit et de pragmatisme et que vous voterez cette excellente proposition de loi.

M. Fabrice Brun. Nous partageons les objectifs de sécurité routière qui ont été annoncés par le Premier ministre et nous soutenons dix-sept des dix-huit mesures annoncées par le Gouvernement. Cependant, je voudrais rappeler que le risque zéro n’existe pas, que le seul fait de vivre nous expose au risque de mourir et que rechercher le risque zéro en la matière est absurde, surtout en le faisant de cette façon. Pourquoi retenir une limitation à 80 km/h plutôt qu’une à 70 km/h ou à 30 km/h ? Pourquoi ne pas aller jusqu’à supprimer la voiture, outil essentiel de la mobilité dans nos territoires ruraux, où la plupart des foyers disposent de deux ou trois voitures pour aller travailler, nous soigner, étudier, etc. ?

Les accidents survenus sur le réseau secondaire constituent 55 % des accidents mortels, ce qui montre bien que la première cause d’accidents mortels en France est bien l’état du réseau routier, qui nécessiterait que l’État investisse dans l’entretien du réseau routier national. En Ardèche, la RN102 comporte encore certaines portions où un poids lourd et une voiture ne peuvent pas se croiser…

L’État doit aussi donner les moyens aux collectivités locales d’investir pour sécuriser le réseau routier. À l’heure actuelle, les motards représentent plus de la moitié des victimes mortelles sur nos routes, ce qui pourrait être évité en généralisant les équipements protecteurs, notamment les glissières doublées d’une lisse : ce sont des mesures de sécurité routière de ce genre, concrètes et non punitives, qu’attendent nos concitoyens.

Enfin, je veux souligner que rouler à 80 km/h, c’est rouler à la même vitesse que les poids lourds, et c’est augmenter les risques d’hypovigilance, comme l’ont montré de nombreuses études. Sur notre réseau secondaire, c’est aussi prendre le risque d’augmenter les dépassements dangereux, qui sont l’une des premières causes d’accidents – je sais de quoi je parle, car l’Ardèche est très concernée.

Pour toutes ces raisons, arrêtons de stigmatiser les habitants des territoires et d’entraver leur mobilité, car ils subissent cela comme une double peine.

M. Arnaud Viala. La mesure proposée me paraît choquante à plusieurs égards, à commencer par sa brutalité : les Français n’en sont pas forcément conscients, mais dans quinze jours, c’est-à-dire au 1er juillet prochain, ils vont être soumis à cette nouvelle règle. Les sommes considérables dépensées par le Gouvernement pour inonder les médias locaux de publicité en faveur de cette réforme glissent comme de l’eau sur un canard : personne n’y prête aucune attention.

Elle est choquante par la manipulation de l’opinion publique à laquelle se livre la majorité en faisant croire qu’il y a, d’un côté, le camp de ceux qui sont pour la sécurité routière et, de l’autre, le camp de ceux qui veulent qu’il y ait des morts sur les routes. Bien évidemment, le vrai débat doit être posé en d’autres termes.

Elle est choquante parce que sa mise en œuvre n’a été précédée d’aucun argumentaire solide sur le bénéfice qu’est censé apporter la mesure. Auditionné par Vincent Descoeur, le délégué interministériel à la sécurité routière nous a, de ce point de vue, laissés très largement sur notre faim.

Enfin, elle est choquante parce que – je le dis sans vouloir opposer ville et campagne – sont concernés 10 971 kilomètres de routes en Dordogne, 8 844 kilomètres dans la Manche, 8 770 kilomètres en Aveyron… et zéro kilomètre pour Paris et l’Île-de-France ! Comme on le voit, ce sont les territoires où la mobilité est le plus difficile qui vont payer le plus lourd tribut à cette mesure décidée de manière absolument arbitraire. La proposition de Vincent Descoeur nous paraît être une bonne façon d’éviter l’impact trop grave d’une mesure qui n’a pas été réfléchie.

M. Rémy Rebeyrotte. Je veux d’abord dire que nous sommes en train de débattre d’un sujet relevant du domaine réglementaire…

M. Philippe Gosselin. Si nous ne débattons plus à l’Assemblée nationale, à quoi servons-nous ?

M. Rémy Rebeyrotte. Nous pourrions effectivement passer un temps infini à débattre de tous les décrets, arrêtés et règlements, mais pour ma part, j’estime que nous avons mieux à faire.

Quoi qu’il en soit, chacun a pu s’exprimer, faire connaître son point de vue au sujet de la mesure proposée, et éventuellement souligner la qualité des dix-sept autres mesures que comprend le plan annoncé par l’exécutif…

M. Fabrice Brun. Oui, je l’ai fait !

M. Rémy Rebeyrotte. En effet, il ne faudrait pas résumer l’ensemble du dispositif pour la sécurité routière à la seule mesure consistant à ramener à 80 km/h la limite de vitesse. D’autres mesures très importantes ont été annoncées, notamment celles portant sur l’interdiction de l’usage du téléphone portable, ou sur la prise de stupéfiants ou d’alcool.

Pour ce qui est des chiffres, il semble que nous n’ayons pas les mêmes que M. Viala : si les routes qui vont passer à 80 km/h sont majoritairement situées en milieu rural…

M. Fabrice Brun. C’est 100 % des routes de l’Ardèche !

M. Rémy Rebeyrotte. …on en trouve aussi en milieu urbain, y compris en région parisienne. Je ne comprends donc pas que vous puissiez affirmer que la région parisienne ne sera pas concernée.

M. Arnaud Viala. Je n’ai parlé que de Paris !

M. Rémy Rebeyrotte. Vous avez évoqué la région parisienne – nous débattons d’un sujet sur lequel il faut être précis.

Enfin, à chaque fois que des mesures fortes ont été prises en matière de sécurité routière, elles ont provoqué un tollé, mais ont également constitué un progrès considérable. À cet égard, je veux rendre un hommage particulier au Président de la République Jacques Chirac, qui a pris en matière de sécurité routière des mesures ayant donné des résultats extraordinaires : nous sommes en effet passés de 22 000 morts par an sur les routes au début des années 1970 à moins de 4 000 aujourd’hui.

M. Raphaël Schellenberger. La mesure proposée par le Gouvernement ne relève pas de l’action, mais de l’agitation, et son efficience sur le territoire sera quasiment nulle : elle n’est pas de nature à modifier les comportements, et ne s’accompagne d’aucune amélioration des infrastructures. Si depuis 1970, c’est-à-dire l’époque à laquelle l’État français a commencé à s’attaquer à ce fléau qu’est la mortalité routière, on a pu obtenir des progrès grâce à des mesures de nature globale, il faut aujourd’hui entrer davantage dans le détail si l’on veut continuer à faire diminuer le nombre de morts sur les routes : ce n’est donc pas une mesure générale comme celle-ci, qui ne sera pas acceptée sur les territoires, qu’il faudrait mettre en œuvre.

On peut toujours débattre pour savoir si la proposition de loi qui nous est soumise est d’ordre législatif ou réglementaire. Pour ma part, je ne serai pas aussi affirmatif que M. Rebeyrotte, qui est convaincu qu’elle est d’ordre réglementaire. En effet, elle vise à habiliter les collectivités à décider, c’est-à-dire à leur conférer une compétence supplémentaire, que le Gouvernement aurait pu leur conférer par voie de règlement, mais que le Parlement peut également leur conférer par la loi si le Gouvernement le souhaite.

Enfin, nos collègues de la majorité sont particulièrement malvenus à nous faire la leçon sur ce qui est d’ordre législatif ou réglementaire après nous avoir soumis, au cours des semaines passées, des textes aussi catastrophiques que celui sur les violences sexuelles et sexistes ou celui sur l’interdiction du téléphone portable au collège : vous ne cessez de nous occuper avec des textes de niveau réglementaire afin de passer au journal télévisé mais, quand il est question de sujets qui intéressent la France rurale et la mobilité au sein de nos territoires, vous nous expliquez qu’on n’a rien à dire. Nous en avons assez de cette attitude méprisante !

M. Jean-Jacques Gaultier. Pour ma part, je suis convaincu que, conformément au célèbre slogan, la sécurité routière, c’est l’affaire de tous, y compris des députés, et qu’il serait aberrant de ne pouvoir débattre sur ce thème à l’Assemblée nationale.

Personne n’a le monopole de la sécurité routière : il n’y a pas, d’un côté, ceux qui sont contre la limitation à 80 km/h et, de l’autre, ceux qui souhaitent voir diminuer le nombre de morts sur les routes. Nos amis allemands, britanniques, italiens et espagnols ne sont ni des inconscients ni des incompétents, pas plus que l’ancien Premier ministre Bernard Cazeneuve, ou encore les maires ruraux et les autres élus locaux hostiles à la limitation voulue par le Gouvernement.

On nous présente la mise en place de la mesure comme une expérimentation devant durer deux ans. Cependant, fin 2017, l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière notait déjà une baisse de 1,2 % du nombre de morts sur les routes françaises, avant même l’entrée en vigueur de la nouvelle limitation.

Enfin, on ne peut que déplorer le caractère brutal, autoritaire, arbitraire et uniforme de la mesure proposée, qui va s’appliquer sans aucune différenciation sur 400 000 kilomètres de routes secondaires, mais aussi à tous les conducteurs, qu’ils soient au volant d’une voiture ou d’un poids lourd, qu’il s’agisse d’un jeune ayant son permis depuis trois jours ou de ses parents qui font 50 000 kilomètres par an depuis cinquante ans.

M. Hervé Saulignac. Je remercie les auteurs de cette proposition de loi, qui nous permettent de débattre d’une question dont on nous avait privés jusqu’à présent (Applaudissements des députés des groupes Nouvelle Gauche et Les Républicains) et au sujet duquel la plupart d’entre nous ne cessent de recevoir des doléances dans leurs permanences. En effet, une grande partie des Français perçoivent la mesure qui leur est imposée comme une agression, une provocation. Je ne sais pas s’il existe une France « oubliée », mais je sais qu’il existe une France qui se sent incomprise, et victime d’une contrainte venant s’ajouter aux nombreuses autres qu’elle supporte déjà.

Certes, la mesure ne s’appliquera pas aux routes munies d’un séparateur central, mais cette précision ne fait justement qu’accroître le caractère injuste de la disposition. Dans l’Ardèche, un département que j’ai eu le plaisir de présider durant plusieurs années, on ne compte que 14 kilomètres de routes à deux fois deux voies sur 3 800 kilomètres de routes départementales !

Par ailleurs, l’adaptabilité qu’est censée permettre la loi existe déjà : en agglomération, sur une zone dite de rencontre, on peut fixer la vitesse à 30 km/h, voire à 20 km/h, par dérogation à la limite habituelle de 50 km/h ; à l’inverse, des aménagements spécifiques permettent de rouler jusqu’à 70 km/h en agglomération. Pourquoi cette adaptabilité qui existe pour les agglomérations ne pourrait-elle pas s’appliquer aux départements, qui sont parfaitement capables de déterminer la vitesse adaptée à chaque point du réseau routier, en fonction de son degré de dangerosité ?

Nous soutiendrons évidemment cette proposition de loi qui nous semble frappée au coin du bon sens et, pour conclure, je citerai une personnalité connue pour sa sagesse, à savoir Georges Pompidou, qui s’est un jour exclamé : « Arrêtez d’emmerder les Français ! ». La suite de sa tirade est moins connue, mais tout aussi intéressante : « Laissez-les vivre un peu et vous verrez que tout ira mieux ! Foutez-leur la paix ! Il faut libérer ce pays ! ».

M. Aurélien Pradié. De manière quasi systématique, à l’occasion de l’examen de certains amendements ou propositions de loi qui déplaisent à la majorité, on entend une petite musique, celle de l’inconstitutionnalité des textes. J’appelle votre attention sur le danger immense de cette petite musique, surtout lorsqu’elle provient de parlementaires : ce n’est peut-être qu’une argutie, mais à force de l’entendre, certains pourraient l’interpréter comme une démission qui, à terme, pourrait avoir pour conséquence de déposséder le Parlement de toute capacité d’initiative et de débat.

Sur le fond, il y a de vraies raisons à ce que nous débattions ici de cette question. J’ai parfois l’impression que certains de nos collègues n’ont pas lu très attentivement la proposition de loi : elle ne vise pas à décider de la vitesse applicable sur certaines voies, mais à permettre aux collectivités d’adapter des dispositions réglementaires. Une telle mesure ne relève pas du tout du pouvoir réglementaire, mais bien du pouvoir législatif.

Il est par ailleurs tout à fait normal qu’un sujet dont les conséquences ne se limitent pas à la sécurité routière soit débattu par les représentants de la Nation, car la réduction de la vitesse va avoir des conséquences importantes en termes de mobilité.

Enfin, il n’y a pas d’initiative de sécurité routière qui fonctionne sans sensibilisation – je dirai même sans complicité – des automobilistes. En l’espèce, la décision ministérielle imposée aux Français procède d’une infantilisation de nos concitoyens, qui me semble tout à fait insupportable. Au cours de ces dernières années, à chaque fois qu’une décision a été prise en matière de sécurité routière, elle n’a fonctionné que lorsqu’elle permettait aux automobilistes d’en être les acteurs : en l’occurrence, ce n’est pas du tout le cas de cette mesure, qui me paraît donc vouée à l’échec.

M. Philippe Gosselin. Grâce à la proposition de loi qui nous est soumise, nous échappons au syndrome des muets du sérail, en ne respectant pas le silence dans lequel on voudrait nous enfermer. Comme d’autres, je m’inquiète de ces réformes institutionnelles qui auraient pour effet d’organiser le silence en nos murs : alors que toute la population française se préoccupe de la sécurité routière, alors que la nouvelle limitation de vitesse à 80 km/h fait l’objet de conversations dans tous les lieux de vie, toutes les réunions de famille, le Parlement devrait être le seul endroit de France où il est interdit d’en parler ! Il est incroyable que l’on tente de nous imposer ce silence à une époque où l’on souhaite un Parlement en phase avec la société – et fort heureusement, nous le sommes, quant à nous !

J’avais pour ma part déposée une proposition de résolution invitant le Gouvernement à organiser des états généraux de la sécurité routière, et nous avons aujourd’hui la chance de pouvoir débattre de l’excellente proposition de loi de notre collègue Descoeur, une proposition au demeurant très équilibrée, car elle ne consiste pas à repousser d’un revers de main la limitation à 80 km/h, mais à adapter cette limitation de façon intelligente. J’en viens à me demander si ce n’est pas cet adjectif qui choque les auteurs de cette mesure qui tombe du ciel, comme si Jupiter et Matignon s’étaient alliés pour décréter qu’il était bon que cette mesure s’appliquât de manière indistincte… En tout état de cause, elle fait souffler un vent de révolte parmi les Français, qui n’est pas provoqué par le principe même de limitation, mais par le fait qu’elle s’applique uniformément sur le territoire. Dans la Manche, plus de 8 000 kilomètres de route vont être concernés, contre zéro à Paris : il y a bien une fracture territoriale.

Vouloir agir uniquement au moyen de la répression, sans se préoccuper des travaux routiers qui seraient nécessaires, ni des conditions de circulation des motards, ni de l’alcool ou des stupéfiants au volant, c’est imposer aux Français une mesure inutilement vexatoire. Une fois de plus, on prend les automobilistes pour des vaches à lait, ce qui me semble bien correspondre à la version très « techno » de la société qu’a ce gouvernement. Comme l’a dit M. Saulignac, et Georges Pompidou avant lui, il est grand temps qu’on arrête d’emmerder les Français !

M. Pierre Morel-À-L’Huissier. Je salue l’initiative de Vincent Descoeur qui permet d’ouvrir un débat dont nous avions été privés jusqu’à présent, le Gouvernement ayant fait le choix du décret.

Imposer une limitation de vitesse à 80 km/h de manière généralisée, sans tenir compte des zones accidentogènes, peut effectivement poser de gros problèmes dans nos départements – d’autant que les études sur lesquelles se base cette mesure ne paraissent pas très fiables.

Par ailleurs, modifier la limitation de vitesse sans revoir les modalités du permis à points risque également d’être source de difficulté, car il y aura sans doute de nombreuses pertes de points pour avoir roulé à 86 ou 87 km/h, avec toutes les conséquences que cela peut entraîner, notamment en termes d’invalidation du permis.

Vous qui êtes de l’Aveyron, monsieur le président, je vous invite à traverser notre département en empruntant la RN88 à une vitesse inférieure à 80 km/h… Moi qui me suis déjà livré à cette expérience, je peux vous dire que c’est compliqué : on est même dépassé par les voitures électriques !

Il y a une dizaine d’années, j’avais demandé que le radar du Pas de l’Escalette, entre Millau et Lodève, ne soit plus réglé pour se déclencher à 70 km/h – ce qui conférait à cette machine une exceptionnelle rentabilité financière –, mais à 80 km/h, ce que le Premier ministre avait accepté. Or, le fait de relever de 10 km/h la limite de vitesse n’a eu aucune incidence sur le nombre d’accidents à cet endroit, ce qui montre bien qu’une mesure de ce type est totalement inadaptée.

M. Jean-Louis Masson. J’aimerais rappeler à notre collègue Rebeyrotte, qui s’interroge sur la légitimité de cette proposition de loi à intervenir dans le domaine réglementaire, que le Gouvernement a déposé un projet de loi constitutionnelle le 9 mai 2018 sur le bureau de l’Assemblée, ayant l’ambition de développer la libre administration des collectivités décentralisées et d’étendre le droit à l’expérimentation dans les territoires. De ce point de vue, notre collègue Vincent Descoeur me semble être parfaitement en phase avec cette prochaine loi constitutionnelle, que nous évoquerons ici même dans une quinzaine de jours.

L’examen de cette proposition nous donne l’occasion de juger des intentions réelles de la majorité et de l’exécutif, car repousser une telle proposition reviendrait à vider de tout sens, par anticipation, la réforme de l’article 72 de la Constitution que vous souhaitez faire adopter dans quelques jours.

M. Vincent Descoeur, rapporteur. Je remercie les nombreux intervenants qui ont bien voulu apporter leur soutien à cette proposition de loi, notamment nos collègues du groupe Les Républicains, qui ont avantageusement complété mon propre argumentaire, mais aussi ceux d’autres groupes, qui ont su s’affranchir des clivages politiques traditionnels pour donner leur point de vue personnel sur la disposition proposée.

Pour ce qui est de la question du réglementaire et du législatif, évoquée par plusieurs d’entre vous, je veux rappeler que ce ne serait pas la première fois qu’une loi empiéterait sur le domaine réglementaire. Au demeurant, ce dont il est question avant tout, c’est de liberté individuelle de circulation et de pouvoir décisionnel des collectivités locales, autant de thèmes relevant du pouvoir législatif. Cela dit, je ne verrais aucun inconvénient à ce que le Premier ministre tranche ce débat en inscrivant mes propositions dans le projet de décret qu’il a prévu de rendre public d’ici au 1er juillet : tout le monde serait ainsi satisfait, à commencer par nos concitoyens.

L’argument emprunté par M. Pont au délégué interministériel à la sécurité routière, selon lequel les accidents se produiraient majoritairement sur le réseau des routes secondaires, ne peut suffire à nous convaincre, car il y a à cela d’autres raisons que la vitesse ; par ailleurs, quand il me dit que les chocs frontaux n’interviennent que sur notre réseau, c’est une évidence, puisque ce réseau se caractérise par une absence de séparateur central ! À force d’entendre cet argument, je pourrais finir par en concevoir un certain agacement – qui ne serait toutefois pas dirigé contre vous, monsieur Pont, car vous vous êtes exprimé de façon très mesurée sur ce point. De même, quand vous dites ne trouver aucun motif réaliste dans mon argumentaire, je ne veux pas y voir de la mauvaise foi de votre part, mais une simple erreur d’appréciation, liée à une méconnaissance de notre réseau. En effet, celui qui prétend que la réduction de la vitesse autorisée n’aura pas d’incidence en termes de temps de trajet méconnaît de toute évidence le réseau secondaire qui constitue le quotidien de millions de nos concitoyens.

Sans vouloir me lancer dans un débat local en citant l’exemple du Cantal, j’insiste sur le fait que ce qui nous est promis avec cette mesure, c’est de revenir aux temps de déplacement des années 1980 – ce qui est d’autant plus insupportable que la notion de mobilité est sur les lèvres de tous les membres de ce gouvernement, qu’il s’agisse de la mobilité du quotidien, du véhicule autonome, ou des taxis volants de demain ! Vous conviendrez que, dans ce contexte, il est pour le moins frustrant de se voir proposer le ralentissement pour seule perspective. Notre proposition de loi n’est pas un texte sur la sécurité routière, mais sur l’impératif de mobilité des territoires ruraux, que je souhaite concilier avec la décision prise par le Premier ministre.

Sur la question de la mobilité et du gain de temps, ne venez pas nous dire que nous ne cherchons qu’à grappiller quelques minutes dont nous pourrions facilement nous passer, alors que les trois dernières décennies ont été marquées par une course au gain de temps. Les uns se sont, à juste titre, battus pour avoir une gare TGV sur leur territoire, les autres ont plaidé pour qu’il n’y ait pas de gare TGV située entre eux et la capitale, et, en définitive, l’implantation du réseau TGV a révolutionné la carte de France. En termes d’isochrones, les villes du Sud-Est ont la chance de se retrouver maintenant en Seine-et-Marne – parce qu’on peut résider à Avignon et travailler à Paris –, alors que les villes du Massif central se retrouvent à la frontière espagnole, parce qu’elles ont, à l’inverse, perdu du temps dans le même délai. Il n’est donc guère étonnant que nous attachions de l’importance à la question du gain de temps, dans une société où tout le monde cherche sans cesse à gagner en productivité et en attractivité.

M. Latombe a été le plus sévère de tous en employant, pour parler de notre proposition, les termes d’« erreur » ou de « faute » Avec ces mots, on se rapproche dangereusement de ce que je souhaite éviter, à savoir un débat caricatural qui opposerait les fous du volant aux sachants responsables. Il n’y a ni erreur ni faute, d’autant que j’ai pris soin de préciser en préambule que notre proposition de loi ne visait que l’une des dix-huit mesures d’un projet global – et que nombre de ces mesures me paraissaient pertinentes.

Pour ce qui est du fait de présenter la réduction de la vitesse autorisée comme une simple expérimentation, j’y vois un leurre contre lequel je vous mets en garde. Comme je l’ai dit, le projet global du Gouvernement comporte dix-huit mesures, dont certaines sont très intéressantes, notamment celle consistant à lutter contre le manque de vigilance lié à l’usage du téléphone portable. Il y a donc fort à parier – et je l’espère de tout cœur – que dans deux ans, à l’issue du déploiement de ces mesures, le nombre de victimes sur les routes diminue – c’est d’ailleurs déjà ce que l’on constate actuellement, alors qu’aucune mesure nouvelle n’a encore été introduite. Dans deux ans, qui sera en mesure de dire quel aura été l’impact de la réduction de la vitesse maximale au sein de l’ensemble constitué de dix-huit mesures ? Même le délégué interministériel ne peut nous répondre sur ce point, et je répète que le fait de présenter cette mesure sous la forme d’une expérimentation est un leurre, pour ne pas dire un abus de confiance : si cette mesure devait entrer en vigueur sans aucune adaptation, elle aurait sans aucun doute vocation à être pérennisée au bout de deux ans.

M. Benoit, qui connaît bien les territoires ruraux, a exprimé le soutien de son groupe à notre proposition et je lui en suis reconnaissant. Il a, comme d’autres après lui, exprimé l’incongruité qu’il y a à s’entendre invité à ralentir sur un réseau national que l’État a « oublié » d’aménager pour que nous puissions y circuler à une vitesse raisonnable. À mon sens, il est même à craindre qu’on ne se trouve dans un cercle vicieux : si tout le monde considère aujourd’hui que quelques minutes sur un trajet n’ont pas d’importance, on peut penser que, demain, l’État ne sera pas très motivé pour investir dans la création d’un créneau de dépassement ne faisant gagner que quelques secondes aux automobilistes et ne présentant donc pas d’intérêt par rapport à l’investissement qu’il nécessite.

Je remercie également Thibaut Bazin, qui a évoqué la question essentielle des poids lourds. Je ne prétends pas être un expert en sécurité routière, j’essaie simplement de faire preuve de prudence quand j’utilise ma voiture et je ne suis pas à l’abri d’être un jour confronté à des difficultés sur la route. En tant que conducteur moyen, donc, j’estime qu’il y a de quoi être inquiet au vu de l’impréparation de cette mesure. Du jour au lendemain, tout le monde va se mettre à rouler à 80 km/h en toutes circonstances : les poids lourds comme les jeunes conducteurs – alors que ces derniers étaient jusqu’alors soumis à une période de probation –, par temps sec comme par temps de pluie. En effet, faire accepter la nouvelle limitation de vitesse étant déjà suffisamment périlleux en termes d’acceptabilité, le Gouvernement a décidé de ne pas s’embarrasser de fioritures et donc d’abandonner les exceptions qui existaient auparavant.

À compter du 1er juillet prochain, un jeune en conduite accompagnée, n’ayant que 80 heures d’expérience de conduite, pourra se retrouver coincé entre deux camions par temps de pluie, car il ne pourra pas dépasser. On risque de voir se multiplier des convois lents sur les routes, qui vont considérablement compliquer les conditions de dépassement.

La question n’est pas celle de la vitesse moyenne : ceux qui connaissent ce réseau savent que c’est une succession de zones sinueuses où l’on peut rouler à 50 km/h – il y a des zones limitées à 50 km/h sur la route nationale qui traverse le Cantal – et de portions rectilignes qui ne dépassent pas 500 mètres. Elles nous servent aujourd’hui à effacer les véhicules lents. Demain, si nous voulons respecter la nouvelle réglementation, elles ne pourront plus offrir ce service et nous devrons aller à la vitesse du véhicule lent jusqu’à la bretelle autoroutière. Pour éclairer le débat, d’Aurillac à l’autoroute A75 qui rejoint Clermont-Ferrand, la nouvelle capitale régionale – plus éloignée que la précédente, mais je n’ouvrirai pas ici ce débat – il y a quatre-vingt- trois kilomètres, que l’on parcourt en une heure quinze. J’habite à 110 kilomètres de la bretelle autoroutière : celui qui me promet la perte de seulement quelques poignées de secondes est invité à parcourir ce trajet avec moi.

M. Jean-Paul Dufrègne a lui aussi soutenu cette proposition, et je l’en remercie. Il a cité l’exemple de la route Centre-Europe Atlantique, qui illustre parfaitement la difficulté que nous pointons.

Monsieur Bernalicis, je vous ai écouté avec beaucoup d’attention. Vous avez proposé de recueillir un avis conforme du préfet. Cela viderait le texte de sa substance, car je souhaite précisément donner le pouvoir d’adaptation aux élus. Dans l’hypothèse où le Premier ministre prendrait un décret le 1er juillet, je vois mal comment un préfet satisferait avec enthousiasme aux desiderata de Vincent Descoeur en contrariant le Premier ministre.

Vous avez évoqué les statistiques, et je vous rejoins : il y aurait en effet des explorations à faire en la matière. Ainsi, les calculs effectués par un éminent Suédois n’ont pas été faits à l’époque des véhicules capables de se déformer sur un choc. Il faudrait réactualiser toutes ces données. Peut-être que M. Villani pourrait nous prêter main-forte, nous pourrions lui proposer de modéliser tout cela ! (Sourires.)

Madame Untermaier, je partage tous vos arguments sur le cas par cas, la pertinence, les études et les jeunes conducteurs. Tous ces points méritent une vraie réponse. On ne pourra pas simplement dire à nos concitoyens qu’ils pourraient relever du domaine réglementaire.

Madame Lorho, vous m’avez demandé d’aller vers plus de flexibilité. C’est l’esprit de ce texte, je n’étais pas loin de penser que nous aurions pu opter pour le maintien de la limitation à 90 km/h. Si je m’en tiens à la proposition qui vous est soumise, c’est pour qu’elle soit acceptable, mais je ne suis pas loin de partager votre point de vue.

M. Diard a rappelé que le Président de la République ne s’est jamais dit favorable à ce type de mesures. Sans ouvrir un débat politique, je rappellerai aussi que cette majorité est censée mettre en œuvre ce qu’elle avait annoncé – discours tout à fait acceptable. Or, personne ne s’était trop avancé sur la réduction de la vitesse à 80 km/h – ce qui était d’ailleurs assez prudent à la veille d’échéances électorales.

M. Cinieri a défendu ses arguments de fort belle manière, et Fabrice Brun a brandi l’exemple de la RN 102. Je me demande si tout le monde n’aurait pas un axe dans sa circonscription pour faire la démonstration du bien-fondé de l’adaptation. Il est excellent de souligner que dans certains territoires, 100 % du réseau sera concerné, ce que nos concitoyens n’ont pas complètement compris. On continue à me demander si la nationale ou les départementales seront concernées, malgré la croisade dans laquelle je me suis lancé. Je crains l’effet de la publication du décret.

M. Viala a soulevé à juste titre la question de la communication. Le combat est déséquilibré : la campagne de communication à laquelle nous devons faire face, sans même évoquer la question de son coût, ne facilite pas l’exposé de nos motifs.

Je pense avoir répondu à M. Rebeyrotte sur la nature réglementaire des mesures. Je le répète une fois encore, je juge pertinentes les autres mesures proposées par le Gouvernement. Il n’y en a qu’une parmi les dix-sept qui me pose problème, c’est celle qui porte atteinte à la mobilité. Le Premier ministre avait utilisé l’argument du port obligatoire de la ceinture de sécurité pour me répondre lors des questions au Gouvernement, en rappelant que cette disposition aussi avait été impopulaire. Je suis d’accord, à la nuance près que lorsque l’Alsacien, le Cantalien ou le Corse ont bouclé leur ceinture, leur mobilité n’a pas été affectée. Ce n’est pas le cas avec cette mesure.

M. Schellenberger a apporté des arguments très forts sur la nature réglementaire de cette mesure. Il est vrai que le doggy bag ou les téléphones portables ont fait l’objet de textes de loi, on peut imaginer que la mobilité de nos concitoyens soit également abordée.

M. Jean-Jacques Gaultier, qui est très engagé sur cette question, a rappelé aux uns et aux autres qu’il fallait éviter la caricature.

Notre collègue Solignac a utilisé des termes forts. Il a cité le président Pompidou, ce qui ne peut pas laisser indifférent un Cantalien (Sourires), et il a très justement dit que le sujet mérite discussion. Comme l’a souligné Philippe Gosselin, si, au-delà du débat de juristes, nous ne saisissons pas de cette question, dont tout le monde s’est emparé, nous serions suspects de nous désintéresser des préoccupations de nos concitoyens.

M. Aurélien Pradié a abordé un thème très important : le lien entre l’efficacité et l’acceptabilité d’une mesure. C’est d’autant plus vrai en matière de sécurité routière. Si nous voulons que les résultats s’améliorent, il faut que tout le monde s’approprie les décisions prises. D’autres ont pointé du doigt la question de la répression et d’éventuels procès, ou les préoccupations budgétaires. Ce n’est pas anodin à l’heure où l’on envisage de privatiser un certain nombre de contrôles.

M. Pierre Morel-À-L’Huissier a évoqué la RN88, qui pourrait fédérer les interventions de tous les élus du Massif Central.

Et j’en termine par M. Masson, par qui j’avais commencé. Il a fait une référence très juste à l’expérimentation qui pourrait trouver là une traduction tout à fait concrète.

Voilà tout ce que je souhaitais dire en réaction à vos interventions, plutôt caractérisées par la modération, et très agréables à entendre s’agissant des soutiens.

La Commission en vient à l’examen des articles de la proposition de loi.

 


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   EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er
(art. L. 2213-1-1 du code général des collectivités territoriales)
Extension du pouvoir de fixation de la vitesse maximale autorisée en agglomération par les maires

Résumé du dispositif et effets principaux :

L’article 1er de la proposition de loi vise à préciser le pouvoir de fixation de la vitesse maximale en agglomération par les maires, en leur laissant le soin de la définir, dans la limite d’un abaissement ou d’une augmentation de vitesse de 10 km/h et dans la limite des 70 km/h prévus par la réglementation. Il inscrit ainsi dans la loi des pouvoirs du maire relevant aujourd’hui du domaine réglementaire.

Dernières modifications législatives intervenues :

L’article L. 2213-3-1 avait été modifié par la loi n° 2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales.

Position de la commission des Lois :

La Commission a rejeté cet article.

1.   L’état du droit

En agglomération, la vitesse des véhicules est limitée à 50 km/h conformément à l’article R. 413-3 du code de la route.

Cette vitesse maximale autorisée peut toutefois faire l’objet de modulations, à la hausse comme à la baisse, par le maire, détenteur du pouvoir de police de la circulation en application de l’article L. 2213-1 du code général des collectivités territoriales.

La limite peut ainsi être relevée à 70 km/h « sur les sections de route où les accès des riverains et les traversées des piétons sont en nombre limité et sont protégées par des dispositifs appropriés », selon les termes de l’article R. 413-3 du code de la route. Précédemment fixée à 80 km/h, cette limite a été abaissée à 70 km/h par le décret n° 2014-3 du 3 janvier 2014.

Sur le fondement de l’article R. 411-8 du code de la route, le maire peut, à l’inverse, prendre des mesures plus rigoureuses sur les voies relevant de sa compétence en application des dispositions de l’article L. 2213-1 du code général des collectivités territoriales « dès lors que la sécurité de la circulation routière ou l’intérêt de l’ordre public l’exige ». Ces mesures sont prescrites après avis du préfet lorsqu’elles concernent des voies classées à grande circulation.

Ces vitesses maximales plus restrictives prévalent en outre sur celles autorisées par le code de la route en application de l’article R. 413-1 du code de la route. Il s’agit de l’application d’une jurisprudence classique en matière de police administrative ([11]) qui permet à une autorité de police inférieure d’édicter des mesures plus rigoureuses que celles prescrites par l’autorité de police supérieure, à condition qu’elles soient justifiées par des « motifs propres à sa localité ».

Le maire peut également abaisser, par arrêté motivé, sur tout ou partie des voies de l’agglomération ouvertes à la circulation publique la vitesse maximale autorisée prévue par le code de la route, « eu égard à une nécessité de sécurité et de circulation routière, de mobilité ou de protection de l’environnement », conformément à l’article L. 2213-1-1 du code général des collectivités territoriales.

Cet article, introduit par la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, vise à permettre aux maires d’abaisser la vitesse maximale autorisée en agglomération, notamment de 50 km/h à 30 km/h, sur un large périmètre géographique et pour des motivations plus nombreuses.

Enfin, en application des articles R. 411-3 et R. 411-4 du code de la route, et après avoir consulté les autorités gestionnaires de la voie concernée et, le cas échéant, le préfet, les maires sont habilités à créer des zones de circulation particulière (zone 30, zone de rencontre) qui impliquent de nouvelles limites de vitesse réglementaires.

2.   Le dispositif proposé

Le présent article propose de compléter l’article L. 2213-1-1 du code de la route pour permettre au maire de fixer, dans la limite de 10 km/h à la hausse ou à la baisse, sans dépasser 70 km/h, la vitesse maximale autorisée en agglomération.

Il s’agit de donner sa pleine portée à cet article L. 2213-1-1 pour que le maire puisse prendre en compte une nécessité de circulation et de mobilité et disposer ainsi d’une capacité d’adaptation au code de la route plus étendue qu’actuellement. Cela permettra de tenir compte de circonstances locales et d’éviter que ne soient appliquées de manière uniforme les limitations de vitesse.

L’article inscrit également dans la loi la limitation à 70 km/h, qui relève aujourd’hui du pouvoir réglementaire.

*

*     *

La Commission est saisie de l’amendement CL10 du rapporteur.

M. Vincent Descoeur, rapporteur. Cet amendement propose une nouvelle rédaction de l’article 1er, afin de clairement préciser que le maire peut, par arrêté motivé, eu égard à une nécessité de sécurité, de circulation routière et de mobilité, fixer pour tout ou partie des voies de l’agglomération ouvertes à la circulation publique une vitesse maximale autorisée dans le strict respect du code de la route, et dans la limite de 70 km/h.

Il s’agit de préciser le pouvoir d’adaptation de la vitesse dont dispose le maire et de le reconnaître explicitement dans la partie législative du code général des collectivités locales.

M. Jean-Pierre Pont. Alors que nous discutons d’une diminution de la vitesse, vous donnez la possibilité de l’augmenter. Les maires auraient la possibilité d’augmenter la vitesse maximale autorisée et de passer ainsi de 50 km/h à 60 km/h.

M. Vincent Descoeur, rapporteur. Non, cet amendement revient à la formule antérieure, ce qui devrait vous satisfaire. Aujourd’hui, le code de la route prévoit que dans certaines conditions, la vitesse peut être augmentée jusqu’à la limite de 70 km/h. Je reviens à une formule qui rappelle le pouvoir d’adaptation des maires, mais qui ne modifie en rien les conditions existantes.

M. Jean-Pierre Pont. Ni les zones 30 ?

M. Vincent Descoeur, rapporteur. Il ne modifie pas non plus les zones 30, il rappelle l’état du droit s’agissant du pouvoir d’adaptation du maire. Comme nous évoquons le pouvoir de l’ensemble des autorités, j’ai imaginé qu’il pouvait y avoir un passage sur le maire. Cet amendement prévoit clairement d’inscrire dans le marbre le pouvoir dont bénéficie le maire aujourd’hui.

La Commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CL7 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis. J’ai un peu dévoilé la teneur de cet amendement lors de la discussion générale. Il s’agit de prévoir que la décision ne pourra être prise qu’après avis favorable de l’autorité administrative.

Nous sommes favorables à la subsidiarité, et aux remontées d’information des élus locaux, qui ont une meilleure connaissance du terrain. Néanmoins, nous ne voudrions pas que la vitesse maximale finisse par être une mesure politicienne plutôt qu’une mesure de sécurité routière.

Je ne crois pas que toutes les communes et tous les départements aient les compétences techniques pour juger du bien-fondé d’augmenter la vitesse autorisée de 60 km/h à 70 km/h, ou de 80 km/h à 90 km/h.

Nous proposons de maintenir l’obligation de passer par un avis conforme, mais un avis technique, et non politique. Il est proposé de s’adresser aux directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement, qui ont les compétences techniques en la matière. Mais peut-être avez-vous une autre rédaction à proposer ?

M. Raphaël Schellenberger. Je comprends l’idée, mais elle part du principe que l’État serait systématiquement neutre, tandis que les collectivités territoriales seraient systématiquement partiales. J’ai beaucoup de mal à partager cette idée, pas plus que celle selon laquelle les collectivités n’auraient pas d’expertise. L’article 1er concerne les communes dans lesquelles il y a des tronçons de voirie que nous pourrions faire passer à 70 km/h. Ce ne sont pas les plus petites : ce sont celles qui ont des boulevards urbains ou des infrastructures particulièrement importantes, et qui disposent de services techniques ayant les compétences nécessaires.

La logique est évidemment identique pour les départements.

Aujourd’hui, le kilométrage de voies sous la responsabilité de l’État ayant fondu au cours des dernières décennies, ce sont les collectivités territoriales qui ont acquis une vraie compétence en matière de gestion de réseau et de sécurité. La compétence de l’État s’est progressivement éloignée des territoires ; elle s’est spécialisée sur les grands axes, mais s’est détachée des axes interurbains, dans les territoires ruraux, sur des tracés parfois complexes, vallonnés et sinueux. Il ne faut pas faire de faux procès aux collectivités territoriales.

M. Philippe Gosselin. Il faut respecter le principe de subsidiarité et la diversité. Les routes en épingle à cheveux de certaines montagnes n’ont rien à voir avec les routes plates des Landes. Il y a différents gestionnaires pour des routes communales et d’agglomération, des routes départementales et des routes nationales : dans sa grande sagesse, l’État a permis la diversité. Appliquons cette même diversité pour la gestion des limitations de vitesse, cela s’appelle le discernement. Faisons confiance aux collectivités locales, qui ne doivent pas être suspectées de vouloir systématiquement enfreindre les consignes de l’État.

Je rappelle que les maires sont des Janus au double visage. Ils sont certes membres de l’exécutif de leur collectivité, mais aussi agents de l’État, sous le contrôle des préfets. C’est ce qui fait la singularité de l’organisation française. Pourquoi leur faire un mauvais procès concernant les limitations de vitesse, et pas pour l’état civil, le recensement, et ainsi de suite ?

M. Vincent Descoeur, rapporteur. Je partage le souci de faire bénéficier l’élu d’une expertise technique avant sa décision. Je propose moi-même de demander l’avis de la commission départementale de sécurité routière, qui rassemble un certain nombre de parties prenantes, expertes de la question.

Ce qui me gêne dans cet amendement, c’est que l’avis favorable soit obligatoire. Le maire, auquel je veux faire confiance, se verrait obligé de suivre l’avis de l’autorité administrative. Encore une fois, je vois mal, dans le contexte d’un décret pris par le Premier ministre, une autorité administrative autoriser une adaptation.

C’est ce caractère obligatoire de l’avis qui m’amène à rendre un avis défavorable.

M. Ugo Bernalicis. Loin de moi l’idée que toutes les collectivités sont fondamentalement mauvaises et prennent de mauvaises décisions. Vous dites que certaines communes ont l’expertise technique, mais d’autres ne l’ont pas. Ce n’est ni de votre faute, ni de la mienne : c’est un fait.

Peut-être pourrions-nous trouver un terrain d’entente sur une autre autorité, plus indépendante, qui pourrait rendre un avis ?

M. Vincent Descoeur, rapporteur. S’il s’agit d’un avis obligatoire, je ne vois pas d’issue. Cependant, je le répète, deux amendements que je propose aux articles 2 et 3 prévoient de recueillir l’avis de la commission départementale de sécurité routière. Cet avis permettra d’éclairer les décideurs. Même s’il sera très difficile d’aller à son encontre, les élus ne seront pas liés. Si nous prévoyons un avis conforme obligatoire, autant dire aux maires qu’ils n’ont pas le pouvoir d’adaptation.

Je pense que la piste de la commission départementale de sécurité routière est intéressante, quitte à revoir sa composition pour la rendre plus opérationnelle encore – sans faire de procès à sa composition actuelle.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CL1 de M. Thierry Benoit.

M. Thierry Benoit. Je veux opposer l’expertise et le discernement à la généralisation unilatérale de la mesure de limitation de la vitesse à 80 km/h. Il y a dans chaque département une commission départementale de sécurité routière, couramment appelée « cellule mixte de sécurité ».

Souvent, cette cellule mixte de sécurité intervient en cas de problématiques spécifiques sur les routes, notamment lorsque des accidents sont récurrents. Cette commission départementale est composée des gestionnaires de voirie : il y a des représentants de l’État et des départements. Elle comprend aussi des membres des services de sécurité, gendarmes ou police selon les zones, d’associations d’usagers de la route et d’élus. J’ai participé à de telles cellules en tant que conseiller départemental. Je trouvais ingénieux de recueillir l’avis et l’expertise de cette commission départementale pour bénéficier du discernement et du pragmatisme nécessaires pour adapter la limitation de vitesse au cas par cas.

J’ai déposé trois amendements proposant un avis conforme de la commission départementale de la sécurité routière qu’il s’agisse du maire, du président du conseil départemental ou du préfet. Mais après vous avoir entendu, monsieur le rapporteur, je retire ces amendements. Je les retravaillerai avec vous d’ici à la séance publique.

M. Vincent Descoeur, rapporteur. Monsieur Benoit, vous avez parfaitement souligné la difficulté soulevée par l’exigence d’un avis conforme. Je me rendrai bien sûr disponible pour chercher une meilleure solution.

L’amendement est retiré.

La Commission rejette l’article 1er.

Article 2
(art. L. 3221-4-1 (nouveau) du code général des collectivités territoriales)
Possibilité pour les présidents de conseils départementaux de fixer la vitesse maximale autorisée sur les routes départementales, dans la limite de 90 km/h

Résumé du dispositif et effets principaux :

L’article 2 inscrit dans la loi la possibilité, pour les présidents de conseils départementaux, de fixer la vitesse maximale autorisée sur les routes départementales, dans la limite de 90 km/h.

Position de la commission des Lois :

La Commission a rejeté cet article.

1.   L’état du droit : un pouvoir d’adaptation limité

– 130 km/h sur les autoroutes ;

– 110 km/h sur les routes à deux chaussées séparées par un terre-plein central ;

– 90 km/h sur les autres routes.

Ces limitations ont été fixées, par voie réglementaire, aux niveaux actuels en novembre 1974 ([12]).

Le président du conseil départemental peut donc, à ce titre, prescrire des mesures plus rigoureuses que celles prévues par le code de la route, ainsi que le prévoit son article R. 411-8, et fixer des vitesses maximales autorisées inférieures à celles prévues par l’article R. 413-2. Dans ce cas, ce sont ces vitesses plus restrictives qui prévalent sur celles autorisées par le code, selon l’article R. 413-1.

2.   Le dispositif proposé : décentraliser, dans une limite fixée par la loi, le pouvoir de fixation de la vitesse maximale

Au lendemain de la décision du Premier ministre de réduire la vitesse maximale autorisée à compter du 1er juillet 2018, cet article vise à éviter une application uniforme de cette mesure sur l’ensemble du territoire. Il propose de confier au président du conseil départemental le soin de fixer la vitesse maximale autorisée sur les routes départementales, sans séparateur central et hors agglomération, dans la limite de 90 km/h sur les axes dont les caractéristiques techniques et les conditions de sécurité offertes aux automobilistes le permettent

Il s’agit de décentraliser la fixation de ces limitations de vitesse pour tenir compte de l’expertise des autorités locales.

Si la diminution du nombre d’accidents de la route est un objectif unanimement partagé, cette décision de réduire la vitesse maximale est d’autant plus mal comprise qu’elle a été prise sans consultation des acteurs locaux, sans que les bénéfices en termes de sécurité routière aient fait l’objet d’évaluations sérieuses et, de toute évidence, en sous-estimant ses conséquences en matière d’aménagement du territoire.

Une telle mesure de réduction généralisée, qui s’appliquerait de manière uniforme sur l’ensemble du territoire national, sans tenir compte des spécificités et contraintes locales, serait de fait extrêmement pénalisante pour les habitants des zones rurales ou de montagne qui n’ont pas la chance de bénéficier d’infrastructures routières modernes à deux fois deux voies et n’ont pas d’autre alternative que d’utiliser leur véhicule pour se déplacer. Elle aggravera inévitablement l’enclavement des zones rurales et péri-urbaines éloignées des autoroutes et des grandes métropoles, souvent mal desservies par le réseau ferroviaire. Contrairement à d’autres mesures de sécurité routière, comme l’obligation de « boucler la ceinture », cette limitation ne générera donc pas les mêmes contraintes selon que l’on réside à proximité ou non d’une voie rapide.

Par ailleurs, cette mesure est inadaptée car elle ne tient pas compte des progrès réalisés en matière de modernisation et de sécurisation du réseau routier. Elle viendrait anéantir les investissements réalisés par les collectivités pour moderniser leurs infrastructures et ainsi diminuer les temps de parcours vers les autoroutes, tout en améliorant les conditions de sécurité. Elle suscitera l’incompréhension des automobilistes qui se verront imposer une limitation de vitesse souvent inadaptée aux caractéristiques de la route et qui ne pourront plus dépasser les camions roulant désormais à la même allure sans commettre une infraction.

Au lendemain de la mise en œuvre de cette limitation à 80 km/h, ce sont des territoires entiers qui perdraient en attractivité économique, au détriment de ceux qui sont mieux dotés en infrastructures de transport. L’allongement des temps de trajet viendrait alors s’ajouter aux fortes hausses des taxes sur les carburants programmées par le Gouvernement, aux inquiétudes nées de l’abandon de grands projets d’infrastructures routières et de lignes à grande vitesse ainsi que des interrogations sur l’avenir des petites lignes ferroviaires.

Cette proposition rejoint celles formulées par le rapport du groupe de travail sur la sécurité routière du Sénat([14]), ainsi que les conclusions des auditions menées par le groupe Les Républicains de l’Assemblée nationale sur cette question.

Il ne s’agit pas d’empêcher la mise en œuvre de la limitation de vitesse à 80 km/h mais de l’appliquer avec discernement en la confiant, selon un principe de subsidiarité, aux autorités locales concernées ce qui aurait indéniablement pour effet de rendre la mesure plus efficace parce que plus compréhensible et acceptable par les automobilistes.

Le président du conseil départemental étant déjà investi du pouvoir de police de la circulation, le présent article se contente d’inscrire dans la loi qu’il peut fixer les vitesses maximales autorisées sur les routes départementales. La limitation à 90 km/h, fixée aujourd’hui par le pouvoir réglementaire, serait également inscrite dans la loi.

*

*     *

La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL11 du rapporteur et CL8 de Mme Danièle Obono.

M. Vincent Descoeur, rapporteur. Cet amendement fait suite à la discussion que nous venons d’avoir, puisqu’il prévoit de recueillir l’avis de la commission départementale de la sécurité routière. C’est une suggestion qui m’a été faite par l’Association des maires de France, l’Association des maires ruraux de France et l’Assemblée des départements de France et c’est aussi une proposition du groupe de travail du Sénat.

Mme Danièle Obono. L’amendement CL8 est défendu, c’est le même argumentaire qu’à l’article précédent, mais s’appliquant aux départements.

La Commission rejette successivement l’amendement CL11 et l’amendement CL8.

Elle est saisie de l’amendement CL4 de M. Jean-Paul Dufrègne.

M. Jean-Paul Dufrègne. J’ai déjà évoqué cet amendement lors de la discussion générale. Afin de tenir compte des réalités statistiques, il est proposé d’exclure les fins de semaine du champ de cette proposition de loi, dans des conditions définies par décret. J’imaginais que du vendredi soir, vingt heures, au dimanche soir, vingt-deux heures, la vitesse soit limitée à 80 km/h hors agglomération pour les routes départementales. Le nombre d’accident est en effet 1,5 fois supérieur les fins de semaine, et malheureusement, les jeunes paient un lourd tribut, puisque 50 % des décès de jeunes de 18 à 24 ans ont lieu ces jours-là.

Je présente deux amendements en ce sens, le CL4 pour les routes départementales, et le CL5 pour les routes nationales.

M. Vincent Descoeur, rapporteur. Je comprends votre souci de prévention des risques pour ces jeunes conducteurs qui empruntent les routes le week-end, mais il me semble difficile d’introduire une mesure qui ne s’appliquerait pas de manière uniforme dans le temps. Si l’on considère que l’accidentologie l’impose, limitons la vitesse à 80 km/h sur certaines routes tout le temps.

Le reproche qui est parfois fait au pouvoir d’adaptation est qu’il pose des difficultés de lisibilité. Si une mesure ne s’applique pas tous les jours de la semaine, je crains que cela ne vienne compliquer encore l’ensemble. La question que vous soulevez est néanmoins importante. Malheureusement, la vitesse n’est pas le seul facteur qui explique ce plus grand nombre d’accidents le week-end. L’idée est bonne, mais le risque qu’elle fait peser m’oblige à émettre un avis défavorable, ce que je regrette car vous avez soutenu cette proposition de loi avec enthousiasme.

M. Rémy Rebeyrotte. Je profite de l’intervention de M. Dufrègne, avec qui nous « partageons » la RCEA, pour répondre à Mme Untermaier : cette route que les médias appellent « la route de la mort » a enfin été placée en priorité 1 par le comité d’orientation des infrastructures, présidé par notre collègue Philippe Duron, ce qui signifie que les travaux d’élargissement de cet axe en deux fois deux voies vont se poursuivre sans discontinuer.

Mme Untermaier avait raison de souligner qu’il existe également des problèmes d’infrastructure dans un certain nombre de cas. Heureusement, la ministre des transports est venue sur le terrain affirmer qu’elle faisait de cette route une priorité de l’État.

La Commission rejette l’amendement.

L’amendement CL2 de M. Thierry Benoit est retiré.

Puis la Commission rejette l’article 2.

Article 3
(art. L. 3221-5-1 (nouveau) du code général des collectivités territoriales)
Possibilité pour les préfets de fixer la vitesse maximale autorisée sur les routes nationales, dans la limite de 90 km/h

Résumé du dispositif et effets principaux :

L’article 3 inscrit dans la loi la possibilité, pour les préfets, de fixer la vitesse maximale autorisée sur les routes nationales, dans la limite de 90 km/h.

Position de la commission des Lois :

La Commission a rejeté cet article.

Avec le même objectif que l’article 2, le présent article confie au préfet, en concertation avec le président du conseil départemental, le soin de fixer la vitesse maximale autorisée sur les routes qui relèvent de sa compétence, c’est-à-dire les routes nationales sans séparateur central et hors agglomération, dans la limite de 90 km/h.

Il s’agit, là aussi, de faire en sorte que la décision soit prise au niveau le plus juste, afin d’appliquer des limitations de vitesse pertinentes et conformes aux caractéristiques des routes concernées.

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La Commission est saisie de l’amendement CL12 du rapporteur.

M. Vincent Descoeur, rapporteur. Selon la même logique que l’amendement à l’article 2, il s’agit de prévoir une consultation de la commission départementale de la sécurité routière par le préfet.

La Commission rejette l’amendement.

Puis, suivant l’avis défavorable du rapporteur, elle rejette l’amendement CL5 de M. Jean-Paul Dufrègne.

L’amendement CL3 de M. Thierry Benoit est retiré.

La Commission rejette l’article 3.

Après l’article 3

La Commission est saisie de l’amendement CL6 de Mme Danièle Obono.

Mme Danièle Obono. Nous proposons d’encadrer les publicités commerciales en interdisant de mettre en avant la vitesse comme valeur positive et argument de vente. La vitesse est en effet un des facteurs de mortalité sur les routes, et s’il faut faire un travail de pédagogie à destination des automobilistes, il faut aussi mieux encadrer la façon dont les constructeurs et les commerciaux mettent en avant cette donnée.

Interdire de mettre en avant la vitesse nous semble aller dans le sens souhaité par le Gouvernement et les auteurs de cette proposition de loi pour réduire le nombre d’accidents sur la route.

M. Vincent Descoeur, rapporteur. Je me suis demandé si beaucoup de constructeurs mettaient encore en avant l’argument de la vitesse, et je n’en ai pas identifié depuis une période assez éloignée – fort heureusement.

J’ai presque envie de vous dire que votre amendement a été satisfait au cours des années précédentes. Aujourd’hui, on nous vante plutôt les mérites de véhicules qui appellent à l’aventure, leur confort, la qualité des appareils audio embarqués. Il n’y a plus de constructeurs qui mettent en avant la vitesse des véhicules, et c’est bien ainsi. Avis défavorable.

M. Ugo Bernalicis. Qu’il soit satisfait dans les faits n’empêche pas de le prévoir dans la loi : dans deux mois, en effet, les publicitaires auront peut-être changé d’avis, considérant que la vitesse est un facteur de vente.

Par ailleurs, je ne suis pas complètement d’accord avec votre constat. Pour passer parfois devant la télévision – même si c’est assez rare – j’y vois souvent des publicités pour des voitures. Effectivement, on y vante leur confort, et nous avons tous en tête les images sécurisantes d’un enfant endormi à l’arrière d’une voiture. Mais il y a aussi un certain nombre de publicités qui montrent une voiture filant à toute vitesse dans les virages. On trouve de tout dans les publicités, et certaines mettent en avant la vélocité du véhicule comme valeur positive. Ce n’est peut-être plus la majorité des publicités, mais ça existe encore. Nous proposons donc de réglementer.

La Commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CL9 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Danièle Obono. Par cet amendement, nous proposons une expérimentation en vue de généraliser l’éthylotest antidémarrage, ou EAD. Cette proposition fait partie des demandes répétées des associations de sécurité routière.

En l’état actuel du droit et des projets du Gouvernement, les mesures ne semblent pas à la hauteur des attentes en termes de sécurité routière. Ainsi, le comité interministériel de la sécurité routière (CISR) du 9 janvier 2018 a trop strictement encadré le recours aux EAD – comme le font remarquer les associations de sécurité routière.

Par cette expérimentation, nous proposons un premier pas avant que le Gouvernement puisse se rendre compte des résultats bénéfiques de cette généralisation, que nous souhaitons mettre en œuvre.

M. Vincent Descoeur, rapporteur. Je vais pouvoir faire la preuve de ma bonne foi en défendant une des dix-huit mesures qui figure dans le bouquet du Gouvernement. J’ai dit qu’un grand nombre d’entre elles étaient pertinentes : c’est notamment le cas de la onzième, qui envisage déjà le recours à un EAD. Vous proposez d’aller encore plus loin que le Gouvernement, puisque la mesure onze prévoit de rendre obligatoire la pose de cet éthylotest avec suivi médico-psychologique en cas de récidive d’infraction de conduite en état alcoolique, à partir de 2018. Comme vous le voyez, je me fais l’avocat des mesures du Gouvernement.

Une autre disposition intéressante prévoit la possibilité à un conducteur qui aurait été contrôlé avec un taux d’alcoolémie supérieur à 0,8 g/l, et dont le permis a été suspendu, d’être autorisé à conduire pendant la suspension, à condition qu’il s’agisse d’un véhicule équipé de ce dispositif à ses frais. La loi est en train d’évoluer.

Avant de rendre systématique le recours à l’EAD – vous aurez compris à l’issue de l’examen de ce texte que je ne suis pas favorable à une réglementation excessive –, je préconise qu’on évalue le résultat de ces deux mesures. De ce fait, je suis au regret d’émettre un avis défavorable.

Mme Danièle Obono. Nous avions connaissance de ces propositions mais nous parlons ici de prévention routière : il faut anticiper, ne pas attendre que des infractions soient commises. C’est d’ailleurs une proposition que nous avons faite durant notre campagne.

M. Raphaël Schellenberger. Cette proposition tend à considérer que l’ensemble des automobilistes sont des délinquants au regard de la consommation d’alcool et de la conduite. Nous pouvons au contraire nous placer dans un rapport de confiance : la loi interdit la consommation excessive d’alcool avant de prendre le volant, et que les gens outrepassent la loi n’est pas la règle. Il ne faut pas, au prétexte que, sur certains créneaux horaires, sur certaines routes, chez certaines populations, se posent des problématiques spécifiques, on s’épargne de faire de la prévention sur ces problématiques tout en mettant en place une pénalisation systématique de l’ensemble des automobilistes. Comme le rapporteur, je pense que les propositions du Gouvernement en la matière sont équilibrées.

La Commission rejette cet amendement.

M. Stéphane Mazars, président. L’ensemble des articles ayant été rejetés, la proposition de loi n’est pas adoptée. Le texte qui sera soumis à l’Assemblée nationale en séance publique sera donc le texte de la proposition de loi déposée par M. Vincent Descoeur et plusieurs de ses collègues.

Cette proposition de loi sera examinée dans l’hémicycle le jeudi 21 juin.

*

*     *

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande de rejeter la proposition de loi relative au pouvoir d’adaptation des vitesses maximales autorisées par les autorités titulaires du pouvoir de police de la circulation (n° 936).

 


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   Personnes entendues

 

   M. Vanik Berberian, président

   M. Frédéric Cuillerier, maire de Saint-Ay

   Mme Louise Larcher, conseillère à l’AMF

   M. Philippe Herscu, directeur délégué aux territoires

   Mme Anne-Gaëlle Werner-Bernard, conseillère relations avec le Parlement

   M. Emmanuel Barbe, délégué interministériel

   M. Alexandre Rochatte, chef de service, adjoint au délégué

   M. Julien Thibault, président

   M. Bernard Darniche, vice-président

    


([1]) Le nombre de tués a en effet légèrement baissé en 2017  (-0,6 %) pour s’établir à 3 693.

([2]) Créé en 1975, le Comité interministériel de la sécurité routière (CISR) est une instance interministérielle chargée de définir la politique du Gouvernement dans le domaine de la sécurité routière, d’assurer sa mise en œuvre et de veiller à son application.

([3]) Audition commune de la commission des Lois et de la commission de l’Aménagement du territoire et du développement durable, 24 janvier 2018.

([4]) La mortalité sur les routes a diminué pratiquement de moitié entre 2000 et 2010, passant de 7 720 morts en 2001 à un peu moins de 4 000 depuis.

([5]) Réduire la fréquence des alcoolémies non réglementaires, réduire le risque lié aux obstacles latéraux et renforcer le management de la sécurité routière.

([6]) Proposition d’une stratégie pour diviser par deux le nombre de personnes tuées ou blessées gravement d’ici 2020, comité des experts, rapport final soumis à la séance plénière du CNSR du 29 novembre 2013.

([7]) Rapport d’information n° 435 au nom de la commission de l’Aménagement du territoire et du développement durable et de la commission des Lois, par M. Michel Raison, Mme Michèle Vullien et M. Jean-Luc Fichet, 18 avril 2018.

([8]) ONISR, Expérimentation de la baisse de la VMA à 80 km/h – Bilan de l’accidentalité, février 2018.

([9]) CGDD, Réduction des vitesses sur les routes – Analyse coûts bénéfices, mars 2018.

([10])  Rapport d’information n° 435 au nom de la commission de l’Aménagement du territoire et du développement durable et de la commission des Lois, par M. Michel Raison, Mme Michèle Vullien et M. Jean-Luc Fichet, 18 avril 2018.

([11])  Conseil d’État, 18 avril 1902, Commune de Néris-les-Bains, n° 04749, publié au recueil Lebon.

([12]) Les premières limitations avaient été fixées, en mars 1974, à 140 km/h sur les autoroutes, 120 km/h sur les routes à chaussées séparées, et à 90 km/h sur les autres routes.

([13]) L’article L. 110-3 du code de la route définit les routes à grande circulation comme : « les routes qui permettent d'assurer la continuité des itinéraires principaux et, notamment, le délestage du trafic, la circulation des transports exceptionnels, des convois et des transports militaires et la desserte économique du territoire, et justifient, à ce titre, des règles particulières en matière de police de la circulation. »

([14]) Rapport d’information n° 435 au nom de la commission de l’Aménagement du territoire et du développement durable et de la commission des Lois, par M. Michel Raison, Mme Michèle Vullien et M. Jean-Luc Fichet, 18 avril 2018.