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N° 1137

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 4 juillet 2018

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LE PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE

 

pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace ( 911)

PAR M. Richard Ferrand, Mme Yaël Braun-Pivet Et M. Marc Fesneau
Députés

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TOME II

COMPTES RENDUS DES TRAVAUX DE LA COMMISSION

 

 

Voir les numéros :

Assemblée nationale : 911, 1053, 1097 et 1098.

 

 


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SOMMAIRE

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Pages

Audition de Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice

Réunion du mercredi 6 juin 2018 à 18 heures

Discussion générale

Première réunion du mardi 26 juin 2018 à 16 heures 30

Comptes-rendus des débats

sur LES articles DU PROJET DE LOI

1. Seconde réunion du mardi 26 juin 2018 à 21 heures 30 (avant l’article 1er)

Avant l’article 1er du projet de loi

2. Première réunion du mercredi 27 juin 2018 à 9 heures 30 (avant l’article 1er, suite)

Avant l’article 1er (suite)

Article additionnel avant l’article 1er (art. 1er de la Constitution)  Prohibition des discriminations fondées sur le sexe

Avant l’article 1er (suite)

Article additionnel avant l’article 1er (art. 1er de la Constitution)  Suppression du mot « race » de la Constitution

Avant l’article 1er (suite)

3. Deuxième réunion du mercredi 27 juin 2018 à 16 heures 30 (avant l’article 1er, suite)

Avant l’article 1er (suite)

Article additionnel avant l’article 1er (art. 1er de la Constitution)  Affirmation de l’action pour la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et contre les changements climatiques

Avant l’article 1er (suite)

4. Troisième réunion du mercredi 27 juin 2018 à 21 heures (avant l’article 1er, suite)

Avant l’article 1er (suite)

5. Première réunion du jeudi 28 juin 2018 à 14 heures (avant l’article 1er, suite, à après l’article 1er)

Avant l’article 1er (suite)

Article 1er (art. 23 de la Constitution)  Incompatibilité des fonctions de membre du Gouvernement avec l’exercice de fonctions exécutives locales

Après l’article 1er

6. Seconde réunion du jeudi 28 juin 2018 à 21 heures (après l’article 1er, suite, à après l’article 2)

Après l’article 1er (suite)

[Article 25 de la Constitution (suite)]

Article 2 (art. 34 de la Constitution)  Inscription dans le domaine de la loi de l’action contre les changements climatiques

Après l’article 2

7. Réunion du vendredi 29 juin 2018 à 9 heures 30 (article 3 à après l’article 4)

Article 3 (art. 41 et 45 de la Constitution)  Cas d’irrecevabilité des propositions de loi et des amendements

Article 4 (art. 42 de la Constitution)  Procédure d’examen en commission des textes de loi

Après l’article 4

Article additionnel après l’article 4 (art. 42 de la Constitution)  Faculté pour la Conférence des présidents d'organiser un débat d'orientation générale

Après l’article 4 (suite)

Article additionnel après l’article 4 (art. 44 de la Constitution)  Faculté de saisine du Conseil d’État pour avis sur les amendements

Après l’article 4 (suite)

8. Réunion du vendredi 29 juin 2018 à 14 heures 30 (article 5 à article 11)

Article 5 (art. 45 de la Constitution)  Raccourcissement de la navette parlementaire en cas d’échec de la CMP

Après l’article 5

Article 6 (art. 47 de la Constitution)  Réduction des délais d’examen du PLF

Article 7 (art. 47-1 de la Constitution)  Harmonisation des délais d’examen du PLFSS avec ceux du PLF

Après l’article 7

Article additionnel après l’article 7 (art. 48 de la Constitution)  Transmission d’un programme législatif prévisionnel

Après l’article 7 (suite)

Article 8 (art. 48 de la Constitution)  Conditions d’inscription prioritaire à l’ordre du jour des assemblées parlementaires

Article 9 (art. 48 de la Constitution)  Conditions d’inscription prioritaire à l’ordre du jour des assemblées parlementaires

Après l’article 9

Article additionnel après l’article 9 (art. 512 de la Constitution)  Pouvoirs de contrôle et d’évaluation du Parlement

Après l’article 9 (suite)

Article additionnel après l’article 9 (art. 513 [nouveau] de la Constitution)  Reddition de compte par le Gouvernement sur l’application d’une loi six mois après sa promulgation

Après l’article 9 (suite)

Article 10 (art. 56 de la Constitution)  Suppression des membres de droit du Conseil constitutionnel

Après l’article 10

Article 11 (art. 16, 54, 61 et 88-6 de la Constitution)  Modalités de la saisine parlementaire du Conseil constitutionnel

9. Réunion du vendredi 29 juin 2018 à 21 heures (après l’article 11 à après l’article 14)

Après l’article 11

Article 12 (art. 65 de la Constitution)  Renforcement des garanties relatives à l’indépendance des magistrats du parquet

Après l’article 12

Article 13 (art. 68-1 à 68-3 de la Constitution)  Responsabilité pénale des ministres

Après l’article 13

Article 14 (art. 69, 70 et 71 de la Constitution)  Transformation du Conseil économique, social et environnemental en une Chambre de la société civile

Après l’article 14

10. Réunion du lundi 2 juillet 2018 à 14 heures (article 15 au titre)

Article 15 (art. 72 de la Constitution)  Droit à la différenciation des collectivités territoriales

Après l’article 15

Article 16 (art. 725 [nouveau] de la Constitution)  Statut de la collectivité à statut particulier de Corse

Article 17 (art. 73 de la Constitution)  Droit à la différenciation des départements et régions doutre-mer

Après l’article 17

Article 18 Conditions d’entrée en vigueur

Titre


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   Audition de Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice

Réunion du mercredi 6 juin 2018 à 18 heures

Lors de sa réunion du mercredi 6 juin 2018, la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République auditionne Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice, sur le projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace (n° 911).

Lien vidéo :

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.6159357_5b180339424e4.commission-des-lois--mme-nicole-belloubet-garde-des-sceaux-ministre-de-la-justice-sur-le-projet--6-juin-2018

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Chers collègues, nous auditionnons aujourd’hui Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice, à propos du projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace. Comme vous le savez, la commission des Lois a procédé à la nomination d’un rapporteur général, M. Richard Ferrand, et de deux rapporteurs, M. Marc Fesneau pour le groupe du Mouvement Démocrate et apparentés, et moi-même pour le groupe La République en Marche.

Pour cette audition comme pour l’examen ultérieur de ce projet de loi constitutionnelle, je délègue la présidence de notre commission qui sera aujourd’hui exercée par le vice-président Didier Paris.

M. Didier Paris, président. Chers collègues, nous sommes effectivement réunis pour procéder à l’audition de Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice, sur le projet de loi constitutionnelle dont le Parlement est saisi. Je lui souhaite la bienvenue, et la remercie de sa présence.

Cette audition est destinée à nous permettre de l’interroger, car, conformément à notre règlement, elle ne pourra être entendue par la commission des Lois lors de l’examen des articles du projet de loi constitutionnelle. Cette séance ne vaut pas discussion générale. Celle-ci aura lieu ultérieurement, avant l’examen des articles par la commission des Lois.

La garde des Sceaux présentera dans un premier temps le projet de loi, puis l’interrogeront en premier, successivement, le rapporteur général Richard Ferrand, la rapporteure Yaël Braun-Pivet et le rapporteur Marc Fesneau.

Ensuite, un orateur de chaque groupe disposera de cinq minutes pour interroger la garde des Sceaux. Je le répète : il ne s’agit pas d’une discussion générale mais on peut envisager que chaque groupe veuille exprimer une position à ce stade. Enfin, ceux d’entre vous qui le souhaitent pourront intervenir, dans la limite de deux minutes par intervention. J’insiste sur la nécessité de respecter cette règle.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Monsieur le président, monsieur le rapporteur général, madame la rapporteure, monsieur le rapporteur, merci de me donner l’occasion de vous présenter l’économie générale de ce projet de loi portant réforme constitutionnelle, conformément à l’engagement pris par le Président de la République devant le Congrès au mois de juillet dernier.

Ce projet de révision constitutionnelle est d’une grande ampleur et d’une réelle ambition. Je souhaite dans un premier temps en évoquer l’esprit général. Dans un second temps, j’évoquerai son contenu même.

L’esprit s’inscrit dans la logique de la Ve République, mais, quelques mots, d’abord, sur l’ambition de la réforme. Elle vise à redonner force et vitalité à notre démocratie, c’est ce qui est inscrit, évidemment, dans l’exposé des motifs. Cette ambition se mesure à la fois par l’ampleur des dispositions qui viennent modifier notre Constitution et, dans le même mouvement, par deux textes qui viennent apporter des éléments complémentaires, connexes à la révision : la diminution du nombre de parlementaires, l’introduction d’une dose de proportionnelle et l’interdiction du cumul des mandats dans le temps. Jamais depuis 1958 un texte d’une telle envergure n’avait été soumis au Parlement. Cela mérite d’être relevé et porté, si vous le voulez bien, au crédit, à la fois, du Président de la République, du Gouvernement et de la majorité actuelle.

Juridiquement, cette réforme se traduit donc par trois textes qui sont déposés sur le bureau de votre assemblée : ce projet de loi constitutionnelle, et deux projets de loi organique et ordinaire qui portent sur des questions électorales. Ces trois textes forment un tout, et le Gouvernement a souhaité que l’ensemble soit versé aux débats de manière transparente, afin que chacun puisse saisir la portée et l’ampleur de l’ensemble du projet.

L’intitulé que le Gouvernement a choisi pour ces trois textes, que Mme Yaël Braun-Pivet a rappelé, exprime en des mots simples la finalité de cette réforme : il s’agit de construire une démocratie plus représentative, responsable et efficace. Chacune des dispositions du texte a été construite avec l’ambition d’atteindre ces objectifs.

Cette réforme profonde de nos institutions n’est pas le fruit du hasard, d’une idéologie ou d’une volonté personnelle. C’est une réponse à une crise profonde que traverse notre démocratie représentative. L’abstention, le rejet global du monde politique, la crise des formations partisanes traditionnelles, une forme de violence dans les propos et les expressions des convictions politiques, des votes extrêmes : tout cela constitue des faits que l’on ne saurait nier. Face à ces éléments, le vote de 2017 a été clair. Il marquait un vrai besoin de rénovation, traduit par un renouvellement sans précédent de votre assemblée, avec un engagement de citoyens qui n’appartenaient pas nécessairement au sérail politique traditionnel et ne souhaitaient pas que la démocratie s’étiole dans une forme de repli délétère. Votre assemblée témoigne de ce mouvement de confiance dans l’action démocratique, mais, si cette majorité a été choisie par les Français, c’est pour aller encore plus loin et redonner à nos institutions la crédibilité qu’elle mérite et que notre pays attend.

Je souhaite juste rappeler cet enjeu, cette volonté de renouvellement et de renforcement de la démocratie, car je ne voudrais pas que ceux qui nous écoutent, croient que nos débats ne les concernent pas et que nous serions engagés dans une discussion institutionnelle exclusivement autocentrée, alors même que l’enjeu est bien de regagner la confiance des Français – en tout cas, c’est ce que nous allons essayer de faire. Je crois qu’il nous faut collectivement éviter ce risque de laisser entrevoir qu’il pourrait s’agir d’une discussion autocentrée. La réforme qui vous est proposée n’a en fait qu’un seul objectif : redonner, je le redis devant vous, force et vitalité. Je crois utile d’observer que, dans le monde qui nous entoure – en Europe même, nous le voyons bien aujourd’hui –, c’est un enjeu qui devient primordial et que, en la matière, rien n’est jamais acquis. Voilà l’ambition de la réforme.

Quelques mots sur l’esprit de cette réforme. Comme le Premier ministre a pu l’affirmer à plusieurs reprises, le projet de loi constitutionnelle répond à la volonté de rénover notre vie politique et institutionnelle, mais dans le respect des grands équilibres de la Ve République : il ne s’agit ni d’un retour à la IVe République, ni d’un départ vers une VIe République. Bien sûr, on peut toujours en appeler à la refonte de nos institutions, à une assemblée constituante – tous les débats sont légitimes et doivent être respectés –, mais on doit aussi considérer que les Français ont massivement rejeté cette argumentation au printemps 2017, et nous avons la faiblesse de penser qu’il faut respecter leur choix.

Je souhaite également couper court à une autre affirmation infondée : on entend certains, qui soit sont réellement convaincus, soit usent d’arguments approximatifs, affirmer que le Gouvernement proposerait de revenir sur les acquis de l’importante révision constitutionnelle de 2008. C’est faux. Notre texte s’inscrit au contraire dans la perspective tracée en 2008, tout en proposant de corriger un certain nombre d’éléments dont l’expérience a montré qu’ils avaient en eux-mêmes des limites. Ce constat est d’ailleurs largement partagé. De nombreux rapports parlementaires en font état ; peut-être aurons-nous l’occasion d’y revenir. J’affirme donc avec beaucoup de force, notamment pour ceux – ils ne sont pas présents dans cette salle – qui, parfois, évoquent des éléments sans lire les textes que nous avons déposés, que nous ne proposons pas du tout une contre-réforme de 2008 mais que, au contraire, c’est un aboutissement de cette réforme sur bien des points. Il s’agit de respecter l’esprit des institutions telles que le général de Gaulle les concevait dans sa conférence de presse du mois de janvier 1964, esprit qu’il caractérisait par « la nécessité d’assurer aux pouvoirs publics l’efficacité, la stabilité et la responsabilité ».

Voilà donc quelques mots à la fois sur l’ambition et l’esprit de ce projet de révision constitutionnelle. Je voudrais maintenant en venir au contenu des réformes et des évolutions qui vous sont proposées.

Les dix-huit articles du projet de loi constitutionnel font évoluer de nombreuses dispositions de notre loi fondamentale. Je vous l’ai dit : c’est sans doute le projet le plus ambitieux de la Ve République, après celui de 2008. Ainsi, les membres du Gouvernement, le Parlement, le Conseil supérieur de la magistrature, le Conseil constitutionnel, le Conseil économique, social et environnemental, les collectivités territoriales sont l’objet d’un projet qui modifie ou crée vingt-trois articles de notre Constitution, ce qui est, je crois, assez considérable. Cinq thématiques principales peuvent être dégagées.

La première d’entre elle consiste à rendre les ministres plus responsables. Le projet de loi constitutionnelle clarifie tout d’abord les conditions d’exercice des fonctions de ministre en interdisant leur cumul avec les fonctions exécutives ou de président d’une assemblée délibérante dans les collectivités territoriales, ainsi que dans les groupements ou personnes morales qui en dépendent. Serait de la sorte inscrite dans les textes une pratique qui permet d’éviter les conflits d’intérêts et qui prend également acte du fait que, lorsque l’on est ministre, on l’est nécessairement à temps plein – je peux vous le confirmer. Cela permet également une mise en cohérence avec les règles de non-cumul qui sont applicables aux parlementaires.

Par ailleurs, la responsabilité des ministres fait l’objet de dispositions novatrices. Pour les crimes et délits qui sont commis dans l’exercice de leur fonction, les ministres seront jugés, c’est dans le projet que nous vous proposons, non plus par la Cour de justice de la République, juridiction d’exception qui est supprimée, mais par une juridiction judiciaire de droit commun, la cour d’appel de Paris. Une commission des requêtes qui sera désormais inscrite dans la Constitution procédera à un filtrage pour écarter les requêtes manifestement infondées. La responsabilité pénale des ministres ne pourra être mise en cause en raison de leur inaction que lorsque celle-ci résultera d’un choix qui leur est directement et personnellement imputable ; l’idée est bien que les ministres ne doivent pas être poursuivis pénalement pour des faits dans l’ignorance desquels ils ont été tenus par leur administration. Pour les actes commis en dehors de l’exercice de leurs fonctions, les ministres relèvent totalement du droit commun, ce que nous proposons d’inscrire explicitement dans la Constitution, définissant ainsi un régime global de responsabilité. Ces dispositions tendent à trouver un équilibre – j’insiste sur ce mot – à la fois, naturellement, pour permettre la poursuite des ministres qui sont sérieusement soupçonnés d’avoir commis un crime ou un délit dans l’exercice de leurs fonctions, mais aussi pour éviter la mise en cause incessante des membres du Gouvernement sous le feu roulant des médias et d’une opinion qui peuvent souvent être prompts à juger. C’est la condition sine qua non, je crois, pour que les affaires publiques puissent être gérées sereinement, ce dont notre pays a besoin.

La question de la responsabilité des membres du gouvernement me permet d’établir un lien avec les conditions dans lesquelles nous proposons de développer la fonction de contrôle et d’évaluation du Parlement, et avec notre deuxième thématique. Elle tient à l’idée qu’il faut donner au Parlement les moyens de mieux travailler. Il s’agit en effet de rendre le travail parlementaire plus efficace, plus lisible, afin de mieux répondre aux attentes de nos concitoyens, et ce au bénéfice d’une action publique plus efficace. Dans quel esprit, tout d’abord, cette volonté s’inscrit-elle ?

Prolongeant la réforme de 2008, le projet de révision entend améliorer les conditions dans lesquelles la loi est discutée au Parlement et, également, donner leur pleine portée aux fonctions de contrôle et d’évaluation des politiques publiques. Si l’on devait extraire la substance de la révision de 2008, on pourrait dire au moins trois choses. Tout d’abord, par cette révision il y a dix ans, on a entendu mieux équilibrer le travail parlementaire entre la commission et la séance, en faisant de cette dernière le lieu politique où se déroulent les débats sur les questions essentielles. On a également souhaité écrire une loi de meilleure qualité, en y adjoignant, par exemple, des études d’impact, et on a par ailleurs voulu conférer à la fonction de contrôle et d’évaluation un rôle puissant en l’inscrivant à l’article 24 de la Constitution, en prévoyant une semaine d’ordre du jour qui lui soit spécialement consacrée et en constitutionnalisant les commissions d’enquête. Aujourd’hui, on ne peut pas dire que ces objectifs sont parfaitement et pleinement atteints.

Le comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions, dit « comité Balladur » l’observait déjà deux ans après cette réforme, dans un rapport bilan, et, depuis lors, les constats se sont multipliés, tous convergents. Je pourrais citer le rapport présenté par MM. Bartolone et Winock en 2015 ou, plus récemment, les travaux menés par les groupes de travail de l’Assemblée nationale ou du Sénat, ils vont tous dans le même sens. Citons le rapport d’un groupe de travail de l’Assemblée nationale : « Le Parlement français est malade. Le constat est douloureux mais n’en demeure pas moins lucide. […] Malade, surtout, d’une embolie chronique causée par un mode de fonctionnement désormais inadapté, […] dérive pathologique du modèle parlementaire français consistant à produire toujours plus d’amendements et de temps de parole. ».

Par ce projet de révision, nous proposons de développer des moyens pour tenir les promesses de 2008, en particulier en trouvant de meilleurs équilibres entre la fonction de légiférer et celle d’évaluer. Cela consisterait, selon nous, à faire prospérer une articulation efficace, à instituer en quelque sorte un cercle vertueux entre ces deux fonctions de légiférer et de contrôler. Il s’agit de mieux légiférer en répondant plus directement aux attentes de réforme. Il s’agit ensuite de mesurer l’effet de ces réformes sur le réel. Il s’agit enfin de corriger les textes qui nécessitent de l’être. Naturellement, les moyens proposés pour arriver à ces fins seront débattus et je ne doute pas, je dirai même que j’espère, que vous aurez à cœur d’accompagner ces propositions, de les améliorer ou de les compléter.

Par quelles dispositions concrètes cette volonté d’améliorer le travail parlementaire passe-t-elle ? Certaines vont concerner le vote des textes et d’autres l’évaluation et le contrôle.

En ce qui concerne l’élaboration de la loi, le projet prévoit tout d’abord que les amendements parlementaires et gouvernementaux – j’insiste beaucoup : parlementaires et gouvernementaux – qui seraient de nature réglementaire, ou bien non normatifs ou sans lien avec le texte discuté, les cavaliers, seront déclarés systématiquement irrecevables, sans attendre que le Conseil constitutionnel les écarte in fine au moment de son contrôle. L’idée est non pas de porter atteinte au droit d’amendement, comme on l’entend trop souvent, selon une interprétation tantôt paresseuse tantôt polémique, mais de faire respecter les règles constitutionnelles qui sont déjà, au moment où je vous parle, sanctionnées par le Conseil constitutionnel. L’objectif est aussi de s’assurer que le Parlement puisse débattre de manière plus approfondie sur les amendements qui ont une réelle portée. On peut ainsi espérer que la loi adoptée sera de meilleure qualité.

De même, il est prévu que le débat en séance publique puisse se concentrer, en ce qui concerne certains textes, sur les questions les plus essentielles, après un travail approfondi effectué en commission. La révision de 2008 a d’ailleurs déjà largement engagé ce mouvement et une pratique s’est développée en ce sens au Sénat. Il me semble utile de renforcer et de stimuler cette évolution qui correspond à l’Assemblée nationale à la procédure d’examen simplifiée, trop rarement employée – uniquement pour des textes ratifiant des conventions internationales.

Il est aussi proposé de réduire le nombre des discussions sur un texte, qui peut s’élever jusqu’à treize si l’on compte son examen en commission et les différentes navettes. C’est la raison pour laquelle, après l’échec d’une commission mixte paritaire, le dernier mot pourrait être donné, comme aujourd’hui, à l’Assemblée nationale, mais selon une procédure un peu plus resserrée. On peut éviter les redites inutiles, comme on en constate trop souvent en nouvelle lecture, et l’Assemblée nationale pourra toujours, en dernière lecture, comme c’est le cas actuellement, reprendre les amendements adoptés au Sénat, voire ceux qui ont été simplement déposés.

Enfin, pour répondre aux attentes des citoyens, le Gouvernement pourra mener plus rapidement les réformes qu’il juge prioritaires dans les domaines économiques, sociaux ou environnementaux, sauf opposition des conférences des présidents des deux assemblées. Le temps politique, en effet, s’est considérablement accéléré et l’ordre du jour, tel qu’il a été imaginé en 2008, est d’une rare complexité. Il soumet la navette parlementaire à une arythmie très préjudiciable au bon fonctionnement du Parlement. Par ce projet de révision, nous vous proposons de surmonter cette difficulté. Telles sont les dispositions relatives à l’élaboration de la loi.

Quant aux fonctions d’évaluation et de contrôle, les délais d’examen des lois de finances et de financement de la sécurité sociale seraient resserrés à l’automne pour que soit, en contrepartie, développé le contrôle de l’exécution du budget dans le cadre de ce qu’on appelle maintenant le « printemps de l’évaluation ». Les ministres devront rendre compte de leur gestion devant les commissions des assemblées. Vous avez d’ailleurs déjà engagé ce mouvement qui me semble peut-être encore « en période de rodage ». Cette disposition permettrait certainement d’aller plus loin dans cette évaluation de la réalité de l’exécution par le Gouvernement du budget que vous, Parlement, aurez adopté.

Le projet traduit aussi la volonté de donner plus de substance à la semaine d’ordre du jour qui est aujourd’hui consacrée au contrôle et à l’évaluation. L’organisation de ces semaines, en effet, ne satisfait personne et notre projet prévoit qu’au cours de ces semaines de contrôle pourraient être examinés des textes tirant les conclusions des travaux d’évaluation menés par les parlementaires, et ce en étant mieux programmés par les assemblées. Reprenant ainsi une proposition des groupes de travail de l’Assemblée nationale, le Gouvernement souhaite donner corps à ce cercle vertueux que j’évoquais précédemment : réformer, évaluer, corriger.

Ces propositions du Gouvernement relatives au Parlement s’inscrivent bien, je le répète, dans la logique de 2008, qui est celle des grandes démocraties contemporaines. Brasser des dizaines de milliers d’amendements, les présenter parfois jusqu’à treize fois, examiner des amendements contraires à la Constitution, passer du temps sur des amendements périphériques pour ne pas avoir le temps, ensuite, de discuter sérieusement de ceux qui sont au cœur du débat, cela ne me semble pas être une perspective idéale pour le Parlement et les parlementaires. Il me semble que nous devrions pouvoir trouver collectivement les moyens de travailler ensemble, mieux, car je crois que nous sommes ensemble embarqués « sur le même navire », mais, comme je l’indiquais au début de mon propos, ce projet de révision ne touche pas seulement le Gouvernement ou le Parlement.

Il entend aussi répondre aux aspirations des Français concernant l’indépendance de la justice, la participation des citoyens à la définition des grands choix publics et l’adaptation des territoires aux enjeux contemporains. Ce sont donc ces trois derniers points dont je voudrais vous dire un mot maintenant.

Troisième grande thématique de cette révision constitutionnelle : une justice plus indépendante. Le Président de la République s’était engagé à mener une réforme, qui, quoique attendue de longue date, n’a, pour des raisons diverses, jamais pu voir le jour. Le projet de loi constitutionnelle propose ainsi de supprimer la disposition aux termes de laquelle les anciens présidents de la République sont membres de droit du Conseil constitutionnel. L’introduction de la question prioritaire de constitutionnalité en 2008 a renforcé le caractère juridictionnel du Conseil et la règle qui avait été adoptée en 1958, permettant de régler la situation singulière de Vincent Auriol et René Coty, n’est évidemment plus justifiée aujourd’hui. Afin de préserver les droits de l’opposition dans la perspective de la réduction du nombre de parlementaires, le seuil actuel pour saisir le Conseil constitutionnel passerait de soixante députés ou soixante sénateurs à quarante députés ou quarante sénateurs.

Enfin, et c’est pour moi, évidemment, une mesure essentielle, l’indépendance de la justice sera confortée. Les membres du parquet seront nommés sur avis conforme de la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature, et non plus sur avis simple. Dans cet esprit, la même formation statuera comme conseil de discipline des magistrats du parquet de manière identique à ce qui existe déjà pour ceux du siège, écartant ainsi tout risque de suspicion même si celle-ci est injustifiée. La règle essentielle selon laquelle le Gouvernement, précisément la garde des Sceaux, conduit la politique pénale de notre pays, comme l’exige l’article 20 de la Constitution, sera préservée.

La quatrième thématique rassemble les enjeux actuels de la participation citoyenne. Si le besoin de rénovation de notre vie politique est intense, celui de l’ouverture de nos institutions aux citoyens et aux enjeux contemporains ne l’est pas moins. Peut-être, d’ailleurs, aurais-je dû commencer par cela, car l’idée est bien de reconnaître ici dans notre Constitution que la participation citoyenne et le rôle de la société civile sont la condition même du bon fonctionnement démocratique de notre pays. Le Conseil économique, social et environnemental deviendra ainsi la Chambre de la société civile, faisant apparaître pour la première fois ces termes dans notre Constitution. Composée de 155 représentants de la société civile, cette chambre éclairera les pouvoirs publics sur les enjeux économiques, sociaux et environnementaux, en particulier à long terme. Elle organisera la consultation du public et elle aura aussi vocation à accueillir et à traiter les pétitions dans un cadre rénové. Cette chambre sera systématiquement saisie des projets de loi à caractère économique, social et environnemental.

Il ne s’agit pas d’un simple « ravalement de façade » pour une institution utile mais trop méconnue ; il s’agit vraiment d’une transformation profonde dont l’ambition est de résoudre la difficulté concrète sur laquelle nous butons depuis plusieurs années, sans avoir jamais réussi à la surmonter : comment réussir à associer démocratie représentative et démocratie participative ? Cette association doit se construire sans confusion des rôles et sans instituer de mandat impératif, lequel est, vous le savez, interdit par notre Constitution car il est la négation de l’idée même de représentation.

L’idée est de faire de la Chambre de la société civile le réceptacle des initiatives citoyennes, de lui permettre d’en analyser la portée et le contenu pour ensuite saisir les assemblées parlementaires par lesquelles le peuple exerce la souveraineté nationale, en application de l’article 3 de la Constitution. Il faut, je crois, mesurer le changement d’approche de nos pratiques démocratiques contenu dans ces dispositions.

Répondre aux aspirations des citoyens, c’est aussi prendre la mesure des grands enjeux contemporains. C’est la raison pour laquelle la lutte contre les changements climatiques trouvera sa place dans notre loi fondamentale. L’action menée par la France depuis la COP 21 lors du sommet de Paris en 2015 sera ainsi ancrée dans notre Constitution. Je sais qu’il y a un débat sur la meilleure manière de traduire constitutionnellement l’importance de cet enjeu. C’est une question légitime et je suis sûre que nous trouverons ensemble la solution adaptée.

Enfin, cinquième thématique : des territoires mieux administrés au plus près de nos concitoyens.

L’esprit de responsabilité que veut insuffler la réforme constitutionnelle doit également prévaloir à l’échelon local, conformément au « pacte girondin » sur lequel le Président de la République s’est engagé.

Par un droit à la différenciation, il s’agit de permettre à certaines collectivités territoriales d’exercer des compétences dont ne disposeront pas l’ensemble des collectivités de la même catégorie.

Parallèlement sera ouverte la possibilité pour les collectivités territoriales et leurs groupements de déroger, lorsque la loi ou le règlement l’ont prévu, aux dispositions législatives ou réglementaires régissant leurs compétences. Cette dérogation pourra intervenir ou non après une expérimentation prévue à l’article 72, mais la différence essentielle, c’est que la différenciation pourra être pérenne et non plus seulement, comme aujourd’hui, soit abandonnée, soit étendue après l’expérimentation.

Par ailleurs, afin de reconnaître la spécificité de la seule île française située en Europe qui a les dimensions d’une région, le projet de loi constitutionnelle inscrit la collectivité de Corse dans la Constitution, à l’article 72-5. Dans le respect du principe d’indivisibilité de la République, cet article ouvre des possibilités d’adaptation nouvelles des lois et règlements pour tenir compte des spécificités qui sont liées à l’insularité, ainsi qu’aux caractéristiques propres de l’Île de Beauté, caractéristiques géographiques, économiques ou sociales.

Enfin, les départements et régions d’outre-mer pourront aussi bénéficier d’un régime propre de différenciation des normes grâce à une procédure plus simple que celles existantes aujourd’hui. Ces collectivités pourront être habilitées, par décret en Conseil des ministres, à fixer elles-mêmes certaines règles relevant de la loi ou du règlement. Dans tous les cas, le Parlement conservera un droit de regard en conclusion de ce processus.

Mesdames et messieurs les députés, les mesures que je viens de vous présenter témoignent de ce que le projet de loi constitutionnelle a une véritable et grande ambition. Il faut insister sur le fait qu’il ne s’agit pas d’un texte dans lequel les politiques parlent aux politiques, mais d’une réforme ouverte sur les préoccupations des Français et qui répond, je le crois, à leur souhait de rénovation. C’est vraiment pour nous un enjeu essentiel.

Ce que les Français veulent, c’est une démocratie plus représentative, et cela se réalisera avec davantage de pluralisme lié à la proportionnelle, avec plus de renouvellement grâce au non-cumul des mandats dans le temps, avec plus de participation des citoyens et de la société civile.

Ce que les Français veulent aussi, c’est une démocratie plus efficace, avec un Parlement qui légifère mieux et qui évalue davantage les lois, avec des collectivités qui par définition connaissent réellement les territoires et pourront répondre aux aspirations concrètes des Français par les adaptations que nous proposons.

Ce que les Français veulent enfin, c’est une démocratie plus responsable. Cela se réalisera avec un Parlement qui contrôle puissamment le Gouvernement et son administration, avec des ministres dont la responsabilité pénale relèvera d’une juridiction de droit commun, et avec une justice plus indépendante.

Nous abordons maintenant le temps du débat devant le Parlement, et ce débat sera un acte symbolique fort puisque le Parlement va se transmuer à cet effet en pouvoir constituant. C’est un acte de forte responsabilité. Dans ce cadre, le Gouvernement sera très attentif à toutes les propositions qui seront faites par les députés et sénateurs, notamment à partir des travaux que vous avez déjà menés. Mais l’attention du Gouvernement restera également concentrée tout à la fois sur la nécessité de maintenir les grands équilibres de la Constitution de 1958 et sur celle de n’inscrire au rang constitutionnel que ce qui doit en relever. Il faut en effet toujours, dans ce débat, que nous conservions à l’esprit que d’autres lois, organiques ou ordinaires, seront ensuite prises en application de ce projet de révision, si, comme le Gouvernement le souhaite, le souverain l’adopte.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Madame la ministre, merci pour cette présentation très complète qui permet d’aborder directement le fond des choses et le vif des sujets.

Avec cette audition, le Parlement entame très concrètement et dans une forme assez solennelle, ici en salle Lamartine, le débat sur la réforme des institutions. C’est un moment extrêmement important puisqu’il est question de modifier la Constitution, la norme fondamentale, celle qui est au sommet de notre ordre juridique. Nous nous engageons dans cette voie résolument pour donner une portée concrète aux engagements pris devant les Français et adapter notre cadre juridique aux exigences de notre époque. Dans le même temps, nous avons conscience, comme l’a rappelé le Conseil d’État, que, d’une part, la Constitution a vocation à s’inscrire dans la longue durée et que, par conséquent, il convient de s’assurer que les modifications qui lui sont apportées ne sont pas liées à des circonstances particulières ou à des considérations contingentes qui l’exposeraient au risque d’être rapidement remises en cause, et que, d’autre part, la plume du constituant doit être concise et précise.

Nous aurons l’occasion, bien sûr, de débattre de chacune des mesures que vous nous proposez, mais à ce stade je voudrais me limiter à trois questions.

La première a trait à la procédure. S’agissant de la Constitution, la procédure est en soi un enjeu essentiel. La révision de la Constitution obéit aux règles fixées par son article 89 qui prévoit que le texte doit faire l’objet d’un vote conforme de l’Assemblée nationale et du Sénat, et qu’à l’issue de ce vote conforme, le Président de la République peut le soumettre au référendum, au peuple souverain, ou au Congrès réuni à Versailles, où il doit alors faire l’objet d’un vote à la majorité des trois cinquièmes. Si l’objectif est d’abord de pouvoir aboutir par la voie du Congrès, pouvez-vous nous dire si le Gouvernement envisagerait de recourir au référendum dans le cas où, bien que le texte ait pu être voté dans des termes identiques, la majorité des deux chambres n’apparaissait pas comme suffisante ?

La deuxième question a trait aux textes d’application qui devront être votés une fois que cette réforme constitutionnelle aura été adoptée – vous venez, à la fin de votre propos, d’y faire allusion. En particulier, de nombreuses lois organiques seront nécessaires puisque des renvois sont prévus aux articles 1, 4, 6, 7, 13, 14 et 15. Il y a probablement de quoi nous occuper sur une bonne partie de la législature et il va de soi que nous allons avoir besoin, pour débattre dans la clarté, sinon du texte de ces lois organiques, au moins d’indications quant à leur contenu et au calendrier que vous envisagez. Merci de nous dire quels éléments vous pouvez nous apporter à ce stade sur la prévisibilité des travaux que nous allons conduire ensemble.

Ma troisième et dernière série de questions porte sur le Parlement.

Le Parlement, c’est le cœur de notre démocratie représentative et nous savons tous qu’il pourrait fonctionner mieux, même s’il n’est pas à lui seul responsable des maux dont on aime parfois l’accabler. Je crois qu’il est temps de prendre en compte le fait qu’un Parlement moderne, c’est aussi un Parlement libre qui a la capacité de mieux organiser son travail et d’en fixer lui-même les modalités, dans le respect, évidemment, de l’équilibre des pouvoirs et donc des prérogatives du Gouvernement. De ce point de vue, il me semble que trois orientations mériteront d’être débattues.

Dans notre vie parlementaire, comme dans la vie tout court, on a besoin de savoir où l’on va. Anticiper est la condition d’un travail bien fait. Un ordre du jour connu sur quatre semaines seulement, ce n’est pas suffisant. Or tel est pourtant l’horizon dont nous disposons pour l’organisation de nos travaux. Il conviendrait que le Gouvernement puisse informer le Parlement d’un calendrier prévisionnel des textes dont il souhaite l’inscription à l’ordre du jour, par exemple, idéalement, à l’échelle d’une session. Pour s’assurer de la possibilité de l’effectivité d’une telle mesure, il faudrait sans doute l’inscrire dans la Constitution, et j’aimerais connaître votre avis sur cette nécessité comme sur cette proposition.

Nous avons besoin de surcroît, puisqu’on parle toujours de l’équilibre des pouvoirs, de travailler en égalité. Les amendements parlementaires sont soumis à un délai de dépôt, pas ceux du Gouvernement. Des textes de plusieurs pages, parfois extraordinairement techniques, peuvent ainsi nous être transmis au dernier moment, après la réunion de la commission, sans étude d’impact, et c’est souvent le cas en matière budgétaire. Par conséquent, nous n’avons pas toujours le temps de les étudier sérieusement. Pensez-vous qu’il serait souhaitable d’aligner les deux régimes en soumettant les amendements du Gouvernement, sauf exception, à un délai de dépôt et, le cas échéant, jugez-vous que cela impliquerait une modification de la Constitution ?

Dernier point, puisque, comme je le disais en citant le Conseil d’État, la Constitution a vocation à s’inscrire dans la longue durée, il faudrait prendre garde à ne pas nous lier les mains. Cela justifierait, je crois, sur un certain nombre de points, je pense par exemple au nombre des commissions permanentes, qui est figé à huit comme si nous n’étions pas capables d’en apprécier le bon nombre et le bon niveau, que nous prévoyions de manière principielle dans la Constitution un renvoi souple aux règlements des assemblées afin de disposer ensuite d’une latitude certaine dans les choix que nous ferons, sans qu’il soit d’ailleurs nécessaire à l’avenir de soumettre ces règlements des assemblées au visa du Conseil constitutionnel. J’aimerais connaître votre avis sur ce point.

Voilà pour aujourd’hui, madame la garde des Sceaux, les quelques questions que je voulais vous poser au commencement de ce débat, dont chacun mesure ici l’importance particulière et la richesse annoncée.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Vous l’avez dit, madame la garde des Sceaux, et M. le rapporteur général l’a également rappelé, le débat ne fait que commencer au Parlement et nous aurons l’occasion d’échanger dans le détail de chacune des mesures que vous nous proposez et probablement de bien d’autres encore.

Avant les détails, même s’ils sont ici ô combien importants, je crois utile de rappeler que ce texte que vous nous présentez s’inscrit dans un temps long et également dans une cohérence politique. Ce n’est pas une réforme de circonstance, ce ne serait pas digne de la Constitution.

Le temps long : nous avons l’ambition d’achever enfin des évolutions qui sont attendues depuis longtemps, qui ont même été débattues, voire votées parfois, mais n’ont jamais été menées à leur terme. Je pense à la suppression des membres de droit du Conseil constitutionnel, déjà soumise au Parlement il y a vingt-cinq ans, à la réforme du Conseil supérieur de la magistrature, votée dans les mêmes termes par les deux assemblées sous la précédente législature, mais le Congrès n’avait pas été convoqué, à la réforme du CESE, un serpent de mer, et à la suppression de la Cour de justice de la République, une proposition faite dès 1999 par le doyen Vedel.

La cohérence politique : nombre des mesures que vous nous proposez s’inscrivent dans le prolongement des engagements pris devant les Français à l’occasion des dernières élections et de dispositions d’ores et déjà mises en œuvre. Je pense bien sûr à cette belle loi de l’été 2017 pour la confiance dans la vie politique, dont j’étais rapporteure et que vous avez porté dans l’hémicycle durant de longues journées et de longues nuits. Elles peuvent se revendiquer de la modernité, de l’ouverture, de la responsabilité. Voici leur inspiration, voici ce qui les sous-tend, qu’il s’agisse des mesures auxquelles j’ai fait référence ou plus largement de l’ensemble du projet de loi, notamment en ce qui concerne le Parlement.

À ce stade, je veux insister sur ce que vous nous proposez pour le CESE, rebaptisé « chambre de la société civile ». Ce n’est pas une réforme, ce n’est pas une rénovation : c’est une révolution ! S’ouvrir à la société, la consulter, c’est, en un mot, la respecter.

Bien sûr, nous allons nous emparer du sujet, nous serons porteurs de propositions, mais cette double dimension, le temps long et la cohérence politique, doit guider, à mon sens, nos initiatives.

À partir de là, je perçois des tentations. Il peut y avoir la tentation d’aller plus loin, par exemple en ce qui concerne le Conseil constitutionnel : faut-il en changer le nom, le nombre de ses membres, autoriser les opinions dissidentes ? De même, en ce qui concerne la responsabilité pénale des ministres, faut-il davantage aller vers le droit commun, jusqu’à prévoir un double degré de juridiction ? Il peut y avoir des interrogations également par exemple en ce qui concerne l’articulation du Parlement et du CESE. Sur ces points, je souhaiterais, madame la ministre, vous entendre dès aujourd’hui.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Au moment où nous abordons l’examen de ce projet de loi constitutionnelle, il convient d’abord, me semble-t-il, de nous interroger sur l’efficacité. On pourrait s’entendre au moins sur l’idée que l’efficacité peut se mesurer. Sans que cela soit exhaustif, je vois au moins trois points pour y parvenir. Tout d’abord, bien faire la loi, c’est se limiter à cela. Je pose ici la question de dispositions qui relèvent parfois trop souvent du règlement et non du travail parlementaire classique.

Bien faire la loi, c’est aussi faire en sorte que les débats puissent être éclairés, préparés et anticipés. Cela soulève la question de la prévisibilité du calendrier parlementaire et de l’organisation de nos travaux – Richard Ferrand, notre rapporteur général, en a très bien parlé –, à la fois avec le Gouvernement mais aussi dans l’année. C’est également disposer de moyens de contrôle et d’évaluation.

Enfin, bien faire la loi, c’est assurer à l’opposition comme à la majorité la possibilité que le débat parlementaire pourra se nouer, exister, être connu du grand public, et que chacun pourra exprimer sa voix. Cela pose la question de la procédure parlementaire, celle du travail entre hémicycle et commissions, et celle du droit d’amendement.

S’agissant du droit d’amendement, l’article 3 du projet de loi vise à inscrire de nouveaux cas d’irrecevabilité, en particulier une irrecevabilité pour absence de lien « direct ». Le paradoxe, c’est qu’en 2008, le constituant avait modifié l’article 45 pour faire en sorte, au contraire, qu’il y ait moins de « cavaliers » censurés. La rédaction du projet de loi peut paraître de nature à fortement limiter le droit d’amendement des parlementaires. Ne serait-il pas souhaitable de maintenir le droit de déposer des amendements ayant un lien direct ou indirect avec les textes discutés ?

Cela m’amène à une seconde question, concernant l’originalité de notre Constitution, dont les articles 34 et 37 définissent ce qui relève du domaine de la loi et ce qui relève du domaine réglementaire. Or nous voyons souvent, tant dans les initiatives parlementaires que gouvernementales, des dispositions qui ne devraient pas figurer dans la loi. Plutôt que de rajouter des irrecevabilités qui pourraient conduire à des distinctions byzantines et auraient pour effet de limiter le droit des parlementaires, ne serait-il pas souhaitable de mieux appliquer les irrecevabilité existantes, en particulier celle de l’article 41 de la Constitution ?

La mission de contrôle et d’évaluation du Parlement est inscrite à l’article 24 de la Constitution. Pour autant, il nous semble qu’actuellement cette mission n’est pas remplie de manière parfaitement efficace. Nous avons déjà été plusieurs à le dire. Est notamment en cause le manque de moyens du Parlement en ce domaine. Les groupes de travail de l’Assemblée nationale et du Sénat sur la réforme des institutions ont pointé ces lacunes et ont fait des propositions. Or cette thématique est peu abordée dans ce projet de révision constitutionnelle. À ce titre, je tiens à poser la question du rôle de la Cour des comptes : ne serait-il pas souhaitable de rapprocher cette institution du Parlement, tout en maintenant son indépendance ? Le Conseil d’État est un appui important du Gouvernement, avec son rôle de conseil dans l’élaboration des projets de loi. Il s’est rapproché du Parlement depuis 2008. De la même manière, ne pourrait-on envisager de faire de la Cour des comptes un organisme dont une des missions serait le conseil et l’appui au Parlement dans ses missions de contrôle et d’évaluation ?

Le second volet sur lequel je souhaite intervenir porte sur le droit à la différenciation. C’est une véritable rupture, me semble-t-il, avec les pratiques décentralisatrices en vigueur depuis plus de trente ans. C’est une rupture liée au sentiment que nous avons atteint les limites de ce qui s’était fait, et souvent bien fait, dans le cadre que nous connaissons depuis les lois Defferre et celles qui se sont accumulées depuis lors. On voit bien qu’il nous faut mieux tenir compte des spécificités des territoires, des attentes des citoyens et des élus, qui souhaitent sortir d’une logique de décentralisation uniforme, peut-être un peu centralisatrice. Ce projet de loi constitutionnelle comporte donc, à son article 15, une avancée significative. Il est cependant important de rappeler que la loi ne sera jamais subsidiaire : il ne s’agira pas de laisser la possibilité à certaines collectivités d’y déroger. Le but est de permettre une adaptation de la loi et du règlement aux spécificités des territoires. Madame la garde des Sceaux, comment envisagez-vous la mise en œuvre de ce droit ? Pouvez-vous nous donner des exemples précis de politiques publiques qui pourraient être concernées ?

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. C’est toujours un plaisir, monsieur le rapporteur général, d’engager le dialogue avec vous.

Sur la procédure, qui est le premier point que vous avez évoqué, je rappelle ce que dit notre Constitution. Pour la révision constitutionnelle, le Président a pris, comme il devait le faire, la procédure de l’article 89 de la Constitution, qui, comme vous l’avez rappelé, exige un vote conforme par les deux assemblées sur un même texte. Après quoi, ce vote étant obtenu, il appartiendra au Président de la République de faire un choix, qui est totalement libre. Il peut choisir soit de réunir le Congrès, et donc de faire voter le texte à la majorité des trois cinquièmes, soit de saisir directement le peuple français par voie référendaire. La logique semble être celle du Congrès mais tout autre choix est régulièrement prévu par la Constitution.

Vous soulignez à juste titre le souhait de débattre dans la clarté et m’interrogez dès lors sur le contenu des lois organiques. Je rappelle qu’il y a deux types de lois organiques, qu’il convient de distinguer, pour l’objet dont nous parlons. Il y a, d’une part, la loi organique électorale que vous connaissez déjà puisqu’elle vous a été présentée, et qui forme en quelque sorte le triptyque de cette réforme institutionnelle. Cette loi organique, qui a été déposée il y a quinze jours, est un texte autonome, que vous examinerez sans doute à l’automne. À côté de cela, il y aura des lois organiques d’application de la révision constitutionnelle, si vous l’adoptez. Celles-ci porteront sur le Conseil supérieur de la magistrature, la responsabilité pénale des ministres, la Chambre de la société civile… Ces lois organiques, par définition, ne pourront être déposées qu’après la révision, donc certainement en 2019. Il va de soi que, quand ce sera possible, tous les éléments vous seront communiqués pour que vous puissiez apprécier la cohérence globale de ce que nous sommes en train de faire.

Vous m’interrogez également sur l’équilibre des pouvoirs liés au rôle du Parlement et vous avez précisé que, pour s’organiser dans la vie, il fallait anticiper. Certes, mais il faut aussi savoir s’adapter. (Sourires.). L’anticipation me semble en effet tout à fait importante et une meilleure prévisibilité des travaux législatifs est certainement nécessaire. Le Gouvernement s’y est astreint et j’en veux pour preuve la lettre du 12 mars dernier, qui figure sur le site de l’Assemblée nationale, mais je pense que nous pouvons faire mieux.

Vous avez évoqué la question de l’égalité et des délais de dépôt des amendements auxquels le Gouvernement pourrait être soumis. C’est d’ores et déjà possible, en application de l’article 44 de la Constitution, qui renvoie à une loi organique, qui détermine le cadre dans lequel s’exerce le droit d’amendement. Le commentaire de la décision du Conseil constitutionnel d’avril 2009 indique clairement que ces dispositions sont de niveau organique. C’est un sujet dont nous aurons l’occasion de traiter plus avant.

Enfin, vous évoquez la volonté de ne pas lier le Parlement en figeant le nombre des commissions, sur lequel vous souhaitez disposer de plus de liberté. J’entends cette volonté mais je rappelle que la fixation du nombre de commissions est un point important qui est aux origines même de la Constitution de 1958. Il y a donc peut-être une certaine prudence à avoir. Il ne faudrait pas aboutir à des commissions très nombreuses avec peu de parlementaires et donc peut-être moins d’efficacité. Mais tout cela est également ouvert à nos échanges.

Madame la rapporteure, vous avez évoqué la double exigence du respect du temps long et de la cohérence politique, et m’interrogez sur trois points précis.

Vous demandez si l’on peut changer le nom du Conseil constitutionnel. Cela se discute. L’évolution qu’a connue le Conseil constitutionnel, notamment depuis la révision constitutionnelle de 2008 et l’introduction de la question prioritaire de constitutionnalité, fait que le Conseil constitutionnel est de plus en plus une cour constitutionnelle, à l’instar de bien d’autres de ses homologues européens. La question pourrait être posée, mais je ne sais pas si elle est essentielle et si c’est un point que nous pouvons ouvrir. Je vous en laisse juge. Il me semble que, sur le Conseil constitutionnel, d’autres sujets sont peut-être plus importants.

Vous évoquez par ailleurs la nécessité d’aller vers plus de droit commun encore pour la responsabilité des ministres, et la possibilité d’introduire un double degré de juridiction pour leur responsabilité pénale. Le Gouvernement propose déjà la fin de la juridiction d’exception, et nous allons donc évidemment vers du droit commun. La solution est très complexe à trouver sur la responsabilité ministérielle. Si nous avons choisi de proposer la cour d’appel de Paris comme chambre de jugement, c’est parce que nous voulons éviter des procès à rallonge, d’abord le tribunal, puis la cour d’appel, et que nous estimons que la singularité de la fonction ministérielle suppose sans doute un traitement particulier. Nous voulons au fond éviter les feuilletons judiciaires et nous estimons également que les formations collégiales d’instruction et de jugement seront peut-être composées de juges plus expérimentés, alors que les affaires qui mettent en cause la responsabilité pénale des ministres sont souvent extrêmement complexes. Par ailleurs, autant il est nécessaire qu’il y ait toujours une voie de recours, autant l’appel n’apparaît pas comme une condition constitutionnelle dans notre droit.

Enfin, vous m’interrogez sur l’articulation du Conseil économique, social et environnemental (CESE) et du Parlement. Nous en proposons une épure dans le texte constitutionnel, notamment autour de deux points : les avis sur les projets de loi économiques, sociaux et environnementaux qui seront déposés par le Gouvernement, et la question des pétitions. Nous disons dans le texte constitutionnel que les pétitions seront analysées et traitées par la Chambre de la société civile mais il va bien falloir trouver une articulation avec le Parlement. Il me semble que cela ressortira de la loi organique, sauf si vous estimez qu’il y a là des précisions à apporter.

Monsieur Fesneau, vous m’interrogez sur le droit d’amendement. Quelle est premièrement la logique qui a présidé aux dispositions affichées dans le texte ? Nous n’avons pas pour volonté de porter atteinte au droit d’amendement. Au contraire, il s’agit de donner toute sa puissance à ce droit qui est inscrit dans la Constitution et constitue un des éléments de la procédure législative. Pour ce faire, nous proposons de lui appliquer strictement toute la Constitution, dès l’amont. Cette rigueur s’appliquera de la même manière au droit d’amendement du Gouvernement. Nous aurons donc les mêmes règles de ce point de vue-là, sanctionnant les amendements non normatifs ou sans lien direct avec un texte.

S’agissant de ce lien direct, le projet vise à recentrer les amendements sur le texte en cours de discussion. Le texte n’est ni un prétexte, ni un contexte. Les amendements doivent donc porter sur le texte en cours de discussion. Le Gouvernement s’appliquera cette même rigueur. Nous ne proposons donc pas une révolution, mais une discipline à partager.

J’y insiste. Comme ancienne membre du Conseil constitutionnel, je me souviens de quelques textes de loi dont il a été conduit à annuler 60 ou 70 dispositions, considérant qu’elles n’avaient pas de lien direct avec le texte. Le travail d’analyse colossal conduit au Parlement se trouve ainsi avoir été mené pour rien. C’est pourquoi je souhaite plutôt faire partager une pratique vertueuse.

Deuxièmement, vous m’interrogez sur un rapprochement entre le Parlement et la Cour des comptes, sujet qui a déjà été porté ici et sur lequel vous ouvrez un débat. Il me semble qu’il est possible d’avoir des liens plus étroits entre les deux, tout en respectant l’indépendance de la Cour. Elle tire en effet sa crédibilité de sa qualité de juridiction indépendante. J’insiste donc sur son indépendance. Mais vous évoquez plutôt, au fond, la possibilité dont pourrait être doté le Parlement de disposer de moyens propres pour réaliser les contrôles qu’on veut renforcer. Nous évoquerons en effet ces questions.

Troisièmement, vous m’interrogez sur le droit à la différenciation. Au moment où nous aborderons le débat en séance publique sur le texte constitutionnel, nous serons en mesure de vous présenter le contenu des projets de loi organique, ce qui contribuera à une clarté accrue. Vous me demandez des exemples concrets : une collectivité pourrait se voir attribuer une compétence générale en matière de voirie, même si c’est un cas hypothétique. Deux départements seraient prêts quant à eux à ce que la région à laquelle ils appartiennent leur transfère une partie de ses compétences économiques.

M. Raphaël Schellenberger. En Alsace !

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Comment l’avez-vous deviné ? (Sourires.) Nous pouvons également évoquer la question des métropoles et des départements. Des schémas différents peuvent se construire, aussi bien sur l’exercice des compétences que sur celui du pouvoir réglementaire. Sur ce point, nos échanges pourraient sans doute être approfondis.

M. Sacha Houlié. J’exprimerai la position du groupe La République en Marche. Madame la garde des Sceaux, vous présenterez dans quelques jours à notre Assemblée l’un des projets de loi constitutionnelle le plus important depuis la naissance de la Ve République.

Comme l’ont dit les rapporteurs, ce projet de loi constitutionnelle présente de nouvelles garanties de rénovation de notre République. À l’égard du Gouvernement, plusieurs mesures traduisent une volonté de responsabiliser ses membres, telle la constitutionnalisation de la pratique nouvelle de non-cumul de fonctions exécutives locales et ministérielles, d’une part, et, d’autre part, la responsabilité pénale de droit commun des ministres, impliquant la disparition d’une juridiction d’exception, la Cour de justice de la République. Désormais, la cour d’Appel de Paris jugera les ministres, après évaluation des requêtes par une commission ad hoc.

Autre progrès : la fin de la participation des anciens Présidents de la République au Conseil constitutionnel. Cette clarification n’a rien d’anodin ; elle traduit la transformation du Conseil constitutionnel en véritable Cour. C’est un juge que l’on peut saisir par voie d’action et par voie d’exception. Les anciens Présidents de la République n’ont donc plus vocation à siéger dans cette entité.

À la responsabilité de l’exécutif s’ajoute un renforcement de l’indépendance des magistrats du Parquet. Ils seront désormais nommés après un avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature. Cette mesure a un double mérite : elle garantit l’unité de la politique pénale de l’État en conservant le placement des magistrats du parquet sous votre autorité ; elle assure et renforce l’indépendance des magistrats ainsi nommés.

Vous avez également évoqué la création de la chambre de la société civile, qui sera celle de la participation citoyenne. C’est l’une des innovations principales de la réforme, puisqu’elle place en amont la participation citoyenne. Vient ensuite l’intervention juridique du Conseil d’État, puis celle de la représentation nationale. Le dispositif en tire cohérence et logique. Nous y souscrivons donc, moi en tant que responsable au sein du groupe sur ce texte, mais aussi les rapporteurs, comme en témoignent leurs propos.

Je passe sur les collectivités locales et le droit à la différenciation, consacré de manière plus importante encore, en tenant compte notamment de l’insularité de la Corse et des spécificités liées aux outre-mer.

Quant au Parlement, c’est un nouvel acte de renforcement de ses droits. Il s’agit là de ne pas se tromper. Comme l’a dit le président Richard Ferrand, nous souhaitons créer un Parlement libéré : libéré des contraintes superflues dans son organisation, des navettes trop longues et des amendements parlementaires et gouvernementaux qui n’ont pas de caractère normatif, qui relèvent du domaine du règlement ou qui s’avèrent être des cavaliers. Vous avez précisé que le Gouvernement serait soumis aux mêmes règles que le Parlement sur ces sujets. Nous y sommes en effet très attachés, car nous y voyons une protection.

Les rapporteurs se sont fait l’écho des suggestions nouvelles que nous voulions vous présenter. Au sujet de l’organisation interne du Parlement, vous avez émis quelques réserves sur le déplafonnement du nombre de ses commissions : il permettrait toutefois d’approfondir certains sujets grâce à une spécialisation accrue. Nous souhaiterions également des précisions quant aux modalités d’application, fixées dans la loi organique, permettant d’accroître le rôle et les compétences de la Conférence des Présidents.

Le président Marc Fesneau a précisé qu’on pouvait travailler sur l’accélération du calendrier budgétaire, mais que le projet devait également être renforcé quant à la faculté d’aller plus loin dans sa prévisibilité ou dans la définition des compétences de l’organe de contrôle qui sera adossé au Parlement pour exercer sa mission d’évaluation et de contrôle, confiée à lui par l’article 24.

J’en viens enfin à l’idée d’un parlement modernisé par les parlementaires qui le composent, en ce qu’ils ne cumulent plus des mandats d’exécutifs locaux ni, demain, des mandats dans le temps. Voilà une rénovation importante. Mais ce parlement est aussi modernisé parce qu’il est conscient des enjeux nouveaux. Aujourd’hui, ceux-ci sont inscrits à l’article 2, qui renvoie lui-même à l’article 34 de la Constitution. Cette prise de conscience s’inscrit donc dans le cadre des compétences du Parlement.

Lors de la dernière passation de pouvoir du Président de la République, le président du Conseil constitutionnel a fait référence à l’article 1er, en évoquant des principes « anciens et nobles ». Il disait que le Président de la République était le « Président d’une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. ». Il décrivait aussi les enjeux auxquels est confronté le Président de la République, « ce monde nouveau, où s’entrechoquent à la fois des perspectives magnifiques et des risques certains, y compris pour notre planète ».

Ces observations plaident pour une inscription de l’enjeu de la protection de notre planète, de la lutte contre le réchauffement climatique et pour la biodiversité à l’article 1er de notre Constitution.

Aussi, madame la garde des Sceaux, pouvez-vous nous indiquer la position du Gouvernement quant à cette proposition de repositionnement de l’enjeu environnemental à l’article 1er ? Cela permettrait aux parlementaires de s’en saisir, mais aussi aux citoyens, et aux juges de l’ériger au rang de principe constitutionnel.

M. Guillaume Larrivé. J’exprimerai la position du groupe Les Républicains. Madame la garde des Sceaux, la vingt-cinquième révision de la Constitution de la Ve République, que vous nous soumettez aujourd’hui, est-elle conforme à l’intérêt national ?

Pour y répondre, nous avons devant nous plusieurs mois de travaux. Il me semble nécessaire, dès aujourd’hui, d’indiquer dans quel esprit nous les abordons. J’exprimerai donc une remarque de méthode et trois préoccupations de fond.

Sur la méthode, d’abord. Le Président de la République propose, mais le constituant dispose. Et le constituant, ce n’est pas le Président, mais le peuple français, qui s’exprime directement ou par l’intermédiaire de ses délégués, membres du Parlement.

Nous sommes formellement saisis de trois textes – constitutionnel, organique, ordinaire – qui sont juridiquement distincts, mais qui forment un même ensemble politique de dispositions à caractère institutionnel et qui appellent donc, de notre point de vue, une approche globale.

À cet égard, je vous serais reconnaissant de bien vouloir préciser, madame la garde des Sceaux, la lecture que fait le Gouvernement des dispositions des articles 89 et 11 de la Constitution. Dans quel cadre juridique, pour chacun de ces trois textes constitutionnel, organique et ordinaire, le pouvoir exécutif envisage-t-il ou s’interdit-il de recourir à la voie référendaire ?

Sur le fond, je voudrais à ce stade partager trois préoccupations, au nom des 102 députés de mon groupe. Ma première interrogation tient à la nature de notre régime politique.

Je veux dire notre attachement à l’esprit originel de la Ve République, tel que Michel Debré l’avait magistralement exposé dans son discours d’août 1958. Notre Ve République, ce n’est certes pas le retour au parlementarisme débridé de la IVe République, ce n’est pas le régime d’assemblée néo-conventionnel que certains appellent la VIe République, mais ce n’est pas non plus un principat présidentialiste où le chef de l’État détiendrait tout le pouvoir politique et où le Parlement serait réduit à obéir aux ordres de l’Élysée.

J’en viens à notre deuxième préoccupation. Puisque nous considérons que le Parlement doit être un vrai pouvoir de l’État, nous nous opposerons de toutes nos forces à tout ce qui, dans votre projet, affaiblit l’Assemblée nationale et restreint, de ce fait, les libertés des Français.

La restriction du droit de proposition des parlementaires, c’est-à-dire du droit d’amendement, est une régression contraire aux exigences démocratiques.

Plus gravement encore, l’idée baroque de créer deux catégories de députés – les uns élus selon le scrutin républicain, majoritaire et territorial, les autres désignés selon un scrutin proportionnel – est profondément contraire à la nature même de l’Assemblée nationale. Si elle représente aujourd’hui la Nation assemblée, c’est parce que ses membres ont tous subi la même épreuve du suffrage universel direct : quelles que soient les circonstances, tous les députés sont aujourd’hui les élus de la Nation parce que, dans une circonscription, ils ont recueilli le plus grand nombre de suffrages des Français.

Le système de « dose » proposé par M. Macron ne serait en rien un progrès du pluralisme. Le pluralisme, c’est l’exercice d’un vrai pouvoir par des élus vraiment choisis en toute liberté par les Français ; ce n’est pas l’introduction artificielle d’un contingent de battus-élus qui ne rendront compte qu’aux appareils des partis, au sein d’une Assemblée nationale dévitalisée et globalement soumise à l’Élysée.

Si une diminution du nombre des membres du Parlement peut être légitimement débattue et envisagée, la combinaison d’une réduction d’un tiers et de l’introduction d’un mode de scrutin mixte nous paraît de nature à affaiblir profondément la mission constitutionnelle de l’Assemblée nationale et sa légitimité à incarner, par délégation de la Nation, un pouvoir de l’État.

Je ne ferai que mentionner très brièvement une troisième série de préoccupations. Prenez garde, mes chers collègues, à ne pas céder à des modes qui pourraient, in fine, affaiblir la capacité de l’État à assurer ses missions essentielles au service des Français. Je reste, pour ma part, très réservé face à l’évolution envisagée du mode de nomination des procureurs, pour des raisons qui tiennent à la conduite de la politique pénale.

De même, dans l’intérêt de l’État, nous aurons à débattre des conditions dans lesquelles la responsabilité pénale des membres du Gouvernement pour des faits commis dans l’exercice de leurs fonctions doit pouvoir être engagée, sans porter une atteinte disproportionnée au principe de séparation des pouvoirs.

Dès lors enfin que le Président de la République fait le choix de soumettre une révision de la Constitution à notre examen, il nous paraît très regrettable qu’aucune disposition d’ordre matériel ne vienne renforcer la capacité de l’État de droit à protéger les Français face aux menaces qui pèsent aujourd’hui sur la Nation. Voilà, madame la garde des Sceaux, les sujets dont nous reparlerons.

Mme Laurence Vichnievsky. J’exprimerai la position du groupe du Mouvement démocrate et apparentés. Madame la garde des Sceaux, votre ambition est la nôtre : essayer de rendre nos institutions plus représentatives, plus responsables et plus efficaces. Nous sommes, je crois, tous d’accord, au sein de cette assemblée, sur cet objectif.

Je suis également d’accord avec vous et avec mon collègue Guillaume Larrivé lorsque vous dites, tous deux, que les trois textes forment un tout, même si nous n’évoquons aujourd’hui que le projet de loi constitutionnelle. Vous savez combien notre groupe est attaché aux équilibres institutionnels. Or je ne crains pas d’être excessive en disant que nous avons connu, au cours des deux ou trois dernières décennies, des dérives.

Nous pensons qu’il convient de rendre à chacune de nos institutions le plein exercice de ses prérogatives. À nos yeux, les sujets fondamentaux de cette réforme sont donc la répartition des pouvoirs entre le Gouvernement et le Parlement et l’indépendance de la justice, au-delà de la suppression de la Cour de justice de la République.

Au Parlement, nous ne travaillons sans doute pas trop, mais nous travaillons mal. Il convient que nous puissions mieux travailler, pour pouvoir exercer les missions qui sont les nôtres : voter la loi – et peut-être pas seulement celle que nous propose le Gouvernement, et, presque exclusivement, dans l’ordre qui lui convient –, évaluer les politiques publiques et contrôler le Gouvernement. Voilà nos trois missions, par-delà le fait que nous représentons nos circonscriptions.

Notre groupe aura beaucoup de suggestions à vous faire, s’agissant de l’amélioration du travail législatif, lequel doit, à mon sens, s’apprécier dans le cadre d’équilibres institutionnels.

S’agissant du nouveau régime de responsabilité des ministres et la procédure qui leur serait applicable, il nous apparaît que le Gouvernement a trouvé le bon équilibre. Confier à la cour d’appel de Paris le jugement en premier et – comme nous le comprenons – en dernier ressort nous paraît une bonne chose. Sans doute faudrait-il seulement préciser cette appréciation : « en premier et en dernier ressort ». Je ne me ferai pas l’écho de ceux qui pensent qu’il s’agit de remplacer un régime d’exception par un autre. Vous avez, quant à vous, évoqué la singularité de la fonction de ministre. Vous avez eu raison.

S’agissant des articles 72 et suivants, pourquoi prévoir des statuts dérogatoires ou des régimes spécifiques pour certaines collectivités, plutôt qu’une réforme constitutionnelle d’ensemble concernant les compétences de toutes les collectivités, en suivant des critères peut-être plus objectifs et plus cohérents ? Nous poserons ces questions aux différentes personnalités que nous allons entendre, mais je voulais connaître votre sentiment sur les raisons de retenir plutôt ces statuts dérogatoires.

Mme Cécile Untermaier. J’exprimerai la position du groupe Nouvelle Gauche. Au cours de la précédente législature, nous avons beaucoup travaillé sur ces questions, une première mission parlementaire ayant été présidée en ce domaine par Claude Bartolone et Michel Winock, avant que nous poursuivions, sous la présente législature, avec des groupes de travail ayant déjà formulé des propositions, ou allant le faire.

Nous sommes donc aguerris sur ces questions. Le Gouvernement aura sans doute fort à faire avec des députés qui ont envie de faire valoir la vision qu’ils ont de la Constitution, et de la place de l’Assemblée nationale au sein de celle-ci. Ils ont envie de voir évoluer cette Ve République robuste, mais qui doit s’adapter, après sa fondation en 1958, à l’Europe, à la mondialisation, au risque planétaire, à l’effondrement de la biodiversité, à la révolution numérique, mais surtout à la crise de la représentativité et aux difficultés que nous rencontrons entre gouvernants et gouvernés, comme l’écrit si bien le professeur au Collège de France Pierre Rosanvallon.

Cela dit, je ferai quelques remarques, conçues pour être constructives.

S’agissant de la Cour de justice de la République, nous nous étonnons en effet qu’à un régime d’exception succède une procédure d’exception. Nous considérons qu’il aurait été plus clair vis-à-vis des citoyens de confier au tribunal de grande instance de Paris, puis à la cour d’appel de Paris – car nous reconnaissons la spécialisation territoriale – le soin de juger les ministres, dans un délai encadré, permettant de répondre rapidement à une situation difficile. Je m’interroge aussi sur la composition de la commission d’enquête préliminaire, qui inclut des membres du Conseil d’État et de la Cour des comptes.

Ma deuxième interrogation porte sur la réforme du Conseil supérieur de la magistrature. Je la salue. Nous aurions aimé pouvoir la réaliser sous la précédente législature. Ne peut-on aller plus loin et imaginer que la procédure d’avis conforme porte sur des propositions formulées par le Conseil supérieur de la magistrature lui-même ? Pour ma part, je n’en envisage d’ailleurs pas la modification.

Enfin, le droit des collectivités constitue une question d’importance. La loi organique devra nous apporter les précisions permettant de savoir si nous allons, non vers une atomisation effective des collectivités, mais dans le sens de la libération attendue de ces collectivités locales ou à statut particulier.

De manière générale, je dirai que je souscris à toutes les propositions formulées par le président Richard Ferrand, en particulier au sujet d’un parlement libéré et éclairé, dans un temps raisonnable, sur les orientations et sur les textes que le Gouvernement entend présenter à l’Assemblée nationale.

Mais je considère que ce texte doit répondre davantage à l’enjeu démocratique auquel nous sommes confrontés. La représentativité connaît une crise forte et inquiétante. Nous devons en prendre la mesure. On ne peut pas considérer que le CESE, rassemblant la société civile organisée comme nous l’a dit son président lundi dernier, puisse faire ce lien avec les citoyens qui relève du travail même de l’élu, local ou national. Je pense que le CESE trouve sa place dans un dispositif où il interviendrait en amont des textes, au stade de l’étude d’impact, qu’il pourrait enrichir. Mais il ne saurait porter la responsabilité d’une représentativité inscrite dans une démocratie continue ou démocratie d’exercice, pour reprendre les termes de Pierre Rosanvallon.

Le chêne n’est solide que jusqu’à ce qu’il casse. Derrière la robustesse de l’actuelle constitution et du projet que vous nous proposez, je vois se cacher une certaine raideur de l’exécutif, et une volonté, de sa part, de consolider sa position. Au XXIe siècle, nous ne devons plus travailler ainsi : c’est dans l’écoute et l’équilibre des pouvoirs retrouvés que nous devons chercher la voie du rassemblement.

M. Pierre Morel-À-L’Huissier. Je ne m’exprimerai pas totalement au nom du groupe UDI, Agir et Indépendants, car nous n’avons pas encore arrêté de position définitive.

M. Raphaël Schellenberger. Si vous y arrivez !

M. Pierre Morel-À-L’Huissier. Il y a également beaucoup de diversité au sein des Républicains. Vous devriez faire aussi le nettoyage chez vous !

Je constate que ce projet est un texte d’envergure. Je salue la présentation que vous en avez faite, madame la garde des Sceaux. Nous l’abordons sans a priori et nous partageons les constats sur la situation des mouvements partisans, sur l’abstention, sur les votes extrêmes, sur le discrédit de la vie politique, sur la rénovation ou, du moins, sur un profond changement de la majorité, qui a affecté notre vie parlementaire depuis quelque temps.

Vous parlez de rendre sa vitalité à la procédure législative. Mais vous ne dites rien sur le dispositif de fixation de l’ordre du jour, sur lequel le Gouvernement a une certaine autorité, pour ne pas dire une autorité totale. Quelques inflexions sont-elles possibles dans le texte, à cet égard ?

Concernant l’irrecevabilité des amendements et des propositions de loi de nature réglementaire, est-ce à dire que vous créez un second article 40, sur le modèle de celui dont l’application est confiée à la commission des Finances ? Qui va faire le tri entre ce qui est réglementaire et ce qui est législatif ?

Sur l’évaluation, j’ai commis un rapport avec notre collègue Valérie Petit. Pour en conduire une vraie, il faut créer une direction de l’évaluation au sein de l’Assemblée nationale, et certainement du Sénat. Car une vraie évaluation requiert une vraie expertise sur les textes, qui n’existe pas aujourd’hui. Il faut donc voir, avec France Stratégie et avec la Société Française de l’Évaluation, quel dispositif choisir pour mener ce travail.

S’agissant du contrôle, j’entends bien que vous souhaitez favoriser son exercice par les parlementaires. Mais, pour cela, il faut créer un vrai droit d’investigation à leur bénéfice, au sein même des administrations centrales. Quel élu rapporteur n’a pas élaboré des questionnaires aux administrations centrales, pour ne recevoir que deux, trois, ou même seulement dix réponses sur une quarantaine de questions posées ? Il y a une véritable omerta administrative en France. Si vous voulez que nous exercions un vrai contrôle sur l’action gouvernementale et sur les politiques publiques, il faut nous en donner les moyens.

Concernant la réforme du Conseil constitutionnel, même après la création des questions prioritaires de constitutionnalité, il est toujours composé de neuf membres, aux modalités de désignation toutes particulières. Pourquoi ne pas poser le problème, alors que vous affirmez vouloir en faire une cour suprême ? Sa composition et la procédure de désignation de ses membres devraient être modifiées.

Quant au droit à la différenciation et à la problématique des dérogations, vous avez parlé de la Corse et de l’outre-mer. Mais un sujet nous a beaucoup passionnés : comment faire admettre que la norme nationale puisse être différenciée pour les territoires ruraux ? J’avais travaillé sur ce sujet avec le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État. À un moment donné, c’est là que le problème se pose, en effet. Comment arriver à une différenciation dans les territoires ? Peut-on envisager de libérer un tant soit peu les initiatives dans les territoires, en laissant la norme nationale être adaptée ? Si vous acceptiez qu’elle soit dérogatoire, votre orientation serait très intéressante pour nos territoires. Sinon, ce sera une réforme insuffisante.

M. François Ruffin. Au Bourbon, un café qui se trouve à proximité de l’Assemblée, je rencontrais ce matin des anciens « marcheurs » que j’interrogeais sur la cause de leur déception à l’égard du macronisme. Ils étaient finalement moins déçus par le fond des réformes que par le style politique d’Emmanuel Macron. En gros, alors que pendant la campagne, on leur a vendu du « community », de l’horizontalité, du « coworking », de l’intelligence collective, ils se retrouvent confrontés à une pratique solitaire, autoritaire et verticale du pouvoir. Emmanuel Macron revendique d’ailleurs cette verticalité dans l’entretien qu’il a accordé à la NRF. Il déclare « assumer totalement la verticalité du pouvoir », et il estime que le temps de délibération est un peu du temps perdu – il faudrait quand même pouvoir aller un petit peu plus vite ! Le journal libéral L’Opinion commente : « Cet entretien s’inscrit dans la vision monarchique et assumée comme telle qu’Emmanuel Macron avait développée avant son élection ». Le quotidien rappelle certains des propos tenus alors. En juillet 2015, il disait au Point : « Il y a dans le processus démocratique et dans son fonctionnement, un absent. Dans la politique française, cet absent est la figure du roi, dont je pense fondamentalement que le peuple français n’a pas voulu la mort. » À la veille de l’élection, il confirmait : « Ce moment que nous vivons a quelque chose de napoléonien. »

Pour les députés du groupe La France insoumise, ce projet de loi s’inscrit dans la vision monarchique qui est celle d’Emmanuel Macron. On peut appliquer au « pouvoir législatif » d’aujourd’hui ce que l’on disait hier de l’Union des républiques socialistes soviétiques : quatre mots, quatre mensonges.

La séparation des pouvoirs est aujourd’hui une fiction. La proposition de loi sur les fake news que l’Assemblée examine demain est, à ce titre, une caricature. Que s’est-il passé ? Emmanuel Macron, qui n’a pas supporté d’être attaqué pendant la campagne électorale, a voulu une loi qu’il a annoncée, comme un caprice, à l’occasion d’une conférence de presse. Résultat : il n’y a même pas eu de projet de loi présenté par le Gouvernement, mais une proposition de loi présentée par un parlementaire. Autrement dit, on a trouvé un élu pour porter ce texte afin d’éviter l’étape de l’étude d’impact et de s’assurer de l’adopter avant les prochaines élections européennes. Tout cela montre à quel point, d’ores et déjà, ce Parlement peut être le pantin de l’exécutif et se prêter à un numéro de ventriloquie.

Le projet de loi constitutionnelle vise à exacerber cette tendance. La presse a compris le risque de concentration des pouvoirs qu’il faisait courir. L’Opinion – vous voyez que je ne cite pas des journaux particulièrement à gauche – dit comment le Parlement va être bridé – comme s’il ne l’était pas déjà ! Le Monde estime que le texte réduira les pouvoirs du Parlement – comme s’ils étaient considérables !

J’assistais hier à des échanges entre professeurs de droit constitutionnel à l’Université Picardie-Jules-Verne, dans ma ville d’Amiens. Sur tous les sujets, qu’il s’agisse de la fixation de l’ordre du jour ou de l’exercice du droit d’amendement, les professeurs et les maîtres de conférences présents considéraient à l’unanimité que le texte affaiblissait le Parlement. Pour tous, il était clair qu’il s’agissait de revenir sur les quelques acquis de la réforme de 2008.

Nous ne défendons pas le Parlement pour le Parlement, mais la question posée aux Français, qui se pose aussi à nous-mêmes, est la suivante : voulons-nous plus de démocratie, ou une monarchie, renouvelable tous les cinq ans, voulons-nous un « roi Macron », voulons-nous que toujours plus de pouvoirs soit concentrés entre les mains d’un seul homme ?

Pour nous la réponse est évidemment « non », et nous engageons la bataille pour défendre cette position.

M. Jean-Paul Dufrègne. Les députés du groupe de la Gauche démocrate et républicaine partagent totalement les propositions de l’Association des maires ruraux de France, dont celle, majeure, consistant à introduire la notion d’espace et de superficie dans le texte de notre Constitution.

Au cours des dernières décennies, l’aménagement du territoire a été bousculé, les outils d’aujourd’hui sont pour partie obsolètes, et le critère démographique tient trop souvent lieu de juge quasi exclusif. Cela n’est pas à l’image de la réalité actuelle de notre pays fait de zones denses et d’une majorité de zones moins denses. Aujourd’hui, 32 000 communes rurales accueillent 21 millions de nos concitoyens.

Une série de lois et de règlements, conformes à la Constitution, se fondent sur le seul critère démographique. La réforme constitutionnelle constitue donc une occasion unique de consacrer dans les textes une légitime prise en compte de la réalité du territoire français. Il s’agit de faire prévaloir un principe de justice entre le monde rural et le monde urbain, alors que la fracture s’intensifie, notamment du fait de la métropolisation en cours.

Il convient donc de faire apparaître au sein de la Constitution française de 1958 la notion d’espace et de superficie, de manière à permettre dans l’interprétation qu’en fait le Conseil constitutionnel, tout comme dans les lois qui s’y conforment, une relative nuance du critère démographique, actuellement écrasant, et une meilleure prise en considération des enjeux liés aux territoires.

Quelle est votre approche en la matière ? Cette question constitue l’une des raisons qui nous fait nous opposer à la diminution drastique du nombre de parlementaires qui pénalisera des territoires ruraux déjà sous-représentés dans notre pays où la pensée urbaine et prédominante.

Dans un autre domaine, et parce que les députés ultramarins sont bien représentés dans notre groupe politique, Mme Huguette Bello, députée de La Réunion, souhaiterait avoir des précisions sur les conséquences découlant de la réécriture des articles 72 et 73 de la Constitution.

Il lui paraît en effet nécessaire de dresser un parallèle entre les nouvelles facultés de différenciation reconnues par l’article 15 du projet de loi constitutionnelle à toutes les collectivités territoriales de la République, avec celles dont disposent déjà les collectivités d’outre-mer régies par l’article 73 de la Constitution. Quelles sont les différences ? Quelles sont les similitudes, en particulier en ce qui concerne les procédures d’habilitation ?

Notre collègue estime également qu’il est indispensable de clarifier ce qui est prévu pour La Réunion. La réforme de 2003 a consacré le droit à la différenciation pour les outre-mer mais, contrairement aux autres régions régies par l’article 73 de la Constitution, La Réunion ne bénéficie pas d’un véritable pouvoir normatif – elle a la possibilité d’adapter les règles dans les matières relevant de ses compétences, mais elle ne peut pas créer de normes dans les domaines relevant de la loi. Le Gouvernement a choisi de maintenir cette spécificité dans l’alinéa 6 de l’article 17 du projet de loi constitutionnelle. Simultanément, l’article 15 ouvre à toutes les collectivités territoriales la possibilité de déroger aux lois et règlements qui régissent l’exercice de leurs compétences et de fixer elles-mêmes certaines règles de nature législative ou réglementaire. La juxtaposition de l’alinéa 6 de l’article 17 et de l’alinéa 5 de l’article 15 demande des éclaircissements. Ces deux alinéas traitent-ils de la même chose ? Dans cette hypothèse, l’exception réunionnaise de l’article 73 de la Constitution rejoint-elle le droit commun, tel qu’il existerait dans le nouvel article 72 ? En revanche, si l’article 15 du texte prévoit bien un véritable pouvoir normatif pour toutes les collectivités territoriales, quelle est la portée juridique de la limite posée à l’article 73 de la Constitution pour La Réunion ? Ce qui lui est interdit par l’article 73 deviendrait-il possible dans le cadre de l’article 72, ou La Réunion deviendrait-elle la collectivité la moins capable de la République ?

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Monsieur Sacha Houlié, s’agissant du renforcement des droits du Parlement et de l’augmentation du nombre de commissions permanentes, vous reprenez une observation formulée par M. Richard Ferrand. Je vous répète ce qui n’est pas du tout une opposition à bouger sur ce sujet, mais une simple observation : certes, le nombre des commissions a été choisi par les constituants avec des objectifs bien précis, mais je vous demande de réexaminer cette question à l’aune du travail nouveau qui devra être fait en commission. Demain, vous savez que nous allons dans ce sens, le travail sur la loi sera très largement effectué en commission. Nous souhaitons ainsi prolonger la révision constitutionnelle de 2008. À partir du moment où les commissions vont devenir un lieu de délibération assez large où l’on fera la loi grandement, peut-on démultiplier leur nombre à l’infini ? Je sais que ce n’est pas ce que vous proposez, et je vous fais simplement part de ma réflexion.

J’ai déjà répondu à M. Richard Ferrand sur la prévisibilité du calendrier. Nous pouvons progresser ensemble sur ce sujet.

S’agissant du Parlement modernisé, vous m’interrogez sur les thématiques dont le Parlement pourrait s’emparer en évoquant la question du climat. Ce thème pourrait-il figurer à l’article 1er de la Constitution ? Je réponds que rien n’est impossible, et qu’il faut évidemment mesurer ce que cela signifie de deux manières.

L’article 1er de notre Constitution a une forte valeur symbolique. Il comporte très peu de notions qui, toutes, traduisent l’unité de notre République et de notre Nation. Il est évidemment possible d’en diversifier le contenu.

J’ajoute, sans approfondir à ce stade cette observation, que l’enjeu est plus symbolique que juridique. Placer le climat à l’article 1er, pourquoi pas ? Il me semble que la force juridique donnée alors à la lutte contre les changements climatiques n’en sera pas nécessairement singulièrement renforcée. Je pourrais le démontrer, mais je ne veux pas le faire maintenant parce que ce serait peut-être trop long et trop technique. Symboliquement, en tout cas, il est certain que cela serait assez puissant.

Monsieur Guillaume Larrivé, vous m’avez interrogée en particulier sur l’utilisation du référendum à propos des trois textes consacrés à la réforme institutionnelle. Je souligne tout d’abord que ces trois textes ont d’ores et déjà été déposés devant votre assemblée. Cela témoigne du fait que le Président de la République souhaite que le débat s’engage sur ces trois textes devant votre assemblée.

S’agissant du recours au référendum, les choses sont assez claires et découlent du texte de la Constitution. Juridiquement, le référendum de l’article 11 de la Constitution n’est envisageable, s’il en était ainsi décidé, que pour le projet de loi ordinaire et le projet de loi organique, il ne l’est pas pour le projet de loi constitutionnelle. S’il devait y avoir un jour un référendum sur le projet de loi constitutionnelle, ce ne pourrait être qu’un référendum de l’article 89 de la Constitution, qui n’aurait donc lieu qu’après que l’Assemblée et le Sénat auront adopté un texte en termes identiques.

Vous souhaitez ne pas affaiblir l’Assemblée nationale et vous vous opposez aux restrictions du droit d’amendement que vous jugez contraires aux exigences démocratiques. Je crois au contraire, monsieur le député, qu’un droit d’amendement qu’il n’est pas question de réduire, mais que nous entendons centrer sur le texte en discussion, aussi bien pour le Parlement que pour le Gouvernement, constitue une meilleure manière de répondre aux exigences démocratiques.

Enfin, et vous avez déjà eu l’occasion de me présenter cet argument, vous évoquez la question de la combinaison entre la réduction du nombre de députés, à laquelle, si j’ai bien compris, vous ne seriez pas opposé, et l’introduction de la représentation proportionnelle, qui conduit selon vous à un système qui n’est pas du tout satisfaisant, avec deux types de députés. Le Gouvernement entend au contraire permettre une meilleure représentativité de votre assemblée, une représentativité qui la fasse mieux correspondre à ce qu’est la réalité politique des Français. Je pense qu’il s’agit d’une richesse et non d’un handicap.

Je ne reprends pas les autres points que vous avez évoqués car nous aurons peut-être l’occasion d’y revenir un petit peu plus tard.

Madame Laurence Vichnievsky, vous constatez que nous ne parlons aujourd’hui que de la Constitution. C’est vrai, mais les trois textes déposés à l’Assemblée interagissent : c’est parce que les parlementaires seront moins nombreux, parce que le cumul ne sera plus possible, y compris dans le temps, que les fonctions des représentants de la Nation seront modifiées.

Vous m’interrogez par ailleurs sur les compétences des collectivités. Ne faut-il pas saisir l’occasion qui nous est offerte pour reconstruire un régime complètement cohérent des compétences des collectivités territoriales ? Je rappelle que ces compétences sont fixées par la loi, et qu’elles ont été largement modifiées ces dernières années avec la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, dite « loi MAPTAM », puis la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite « loi NOTRe ». Les élus souhaitent aujourd’hui plus de souplesse pour adapter cette évolution des compétences aux spécificités locales. C’est la raison pour laquelle le projet de loi constitutionnelle offre un cadre qui permettra cette différenciation des compétences. L’objet de la Constitution est bien de dessiner ce cadre, et non vraiment de répartir les compétences dans la Constitution – ce serait beaucoup trop rigide.

Madame Cécile Untermaier, vous appuyant sur les écrits remarquables de Pierre Rosanvallon, vous évoquez de manière générale, la question de la représentativité. Vous m’interrogez sur la Cour de justice de la République en considérant, qu’au fond, nous faisons succéder à une juridiction d’exception, une procédure d’exception. Il ne s’agit pas d’une procédure d’exception, mais bien de la procédure de droit commun applicable devant la cour d’appel. Nous prenons seulement acte de la singularité de la fonction ministérielle, et de la stabilité nécessaire à l’exercice de ces fonctions pour introduire une commission spéciale qui filtrera, en quelque sorte, les différentes demandes. Je rappelle que la décision de la cour d’appel fera l’objet, comme dans la procédure de droit commun, si cela est souhaité, d’un recours en cassation. Il me semble que nous respectons au mieux les procédures de droit commun.

S’agissant du CSM, vous faites référence aux propositions qui résultent de la précédente législature et de ce que l’Assemblée nationale a voté. Nous nous calons sur ces propositions, c’est pour nous essentiel.

Vous évoquez enfin la question de l’adaptation des collectivités territoriales en souhaitant le maintien d’une cohérence. Je rappelle que nous revendiquons cette cohérence dans le projet de loi constitutionnelle parce que le Conseil d’État a insisté sur cet aspect à plusieurs reprises dans son avis. Il a constaté que les dispositions, telles qu’elles étaient présentées, répondaient à cette exigence de cohérence. Il précise, s’agissant des dérogations aux dispositions législatives ou réglementaires, que « les mesures prises dans ce cadre par les collectivités territoriales ne pourront porter atteinte au principe d’égalité entre les personnes auxquelles elles s’appliquent. » L’exigence de cohérence et de respect du principe d’égalité est bien présente. Nous ne souhaitons absolument pas aller vers l’éclatement.

Parmi les dispositions relatives à la démocratie participative continue ou « continuée », comme le font valoir certains auteurs, il me semble, par exemple, que les dispositions relatives au traitement des initiatives citoyennes par la Chambre de la société civile méritent considération. Elles tendent précisément à répondre aux exigences de la démocratie participative.

Monsieur Pierre Morel-À-L’Huissier, nous considérons que l’ordre du jour est actuellement trop rigide et que des difficultés naissent de cette rigidité qui découle du système mis en place en 2008. Nous avons pour objectif d’introduire plus de souplesse. On constate aujourd’hui une forme d’arythmie ou de thrombose – je ne sais pas quels termes médicaux peuvent être employés –, et nous devons trouver les moyens de mieux travailler ensemble.

Nous faisons une proposition , puisque, comme vous l’avez vu, en quelque sorte, nous forçons un peu l’ordre du jour sur un certain nombre de textes. Nous serons évidemment attentifs à vos remarques, mais tel est pour nous le problème et tel est l’objectif.

Vous avez également évoqué la question des amendements en me demandant qui déciderait de leur irrecevabilité. Nous souhaitons que soit exactement repris ce qui se fait aujourd’hui au Sénat : les présidents de commission pourraient exercer ce contrôle.

Vous évoquez aussi la Société Française de l’Évaluation (SFE) et France Stratégie. Ce ne sont pas des propositions nouvelles. Elles circulent actuellement. Je ne veux pas y répondre ici.

Vous avez enfin prononcé le mot « omerta » s’agissant de l’administration face aux demandes des parlementaires. Vous me permettrez de le contester en considérant, en tant que chef d’administration, le nombre de réponses que nous fournissons à des parlementaires, et celui des sollicitations auxquelles nous répondons. Je n’ai vraiment pas le sentiment d’une omerta. Je ne parle pas des auditions auxquelles les ministres doivent légitimement répondre, mais des contacts extrêmement fréquents qui se nouent entre le Parlement et les administrations. Je regrette que vous puissiez les analyser ainsi, même si nous pouvons évidemment toujours améliorer les choses. Je ne souhaite pas que l’on puisse considérer que les administrations font obstacle au contrôle du Parlement.

Concernant l’adaptation, l’article 72 permettra que la norme nationale puisse attribuer des compétences différentes aux collectivités à chaque fois qu’il y aura une spécificité et une volonté locale. Il permettra, aussi, d’habiliter les collectivités à déroger aux règles nationales pour adapter les normes aux spécificités des territoires dans le champ des compétences de ces collectivités, le tout évidemment avec un certain nombre de garanties. J’ai évoqué tout à l’heure les limites que le Conseil d’État avait souhaité voir inscrire dans notre Constitution.

Vous avez dit que « j’avais dit » que le Conseil constitutionnel était une cour suprême. En tant qu’ancien membre du Conseil constitutionnel, je le pense. À vrai dire, je pense plutôt que c’est une cour constitutionnelle, et pas tout à fait une cour suprême, ce n’est pas exactement la même chose. Nous n’allons pas mener ce débat maintenant. La question est de savoir s’il est capital de renommer le Conseil constitutionnel : je ne sais pas, je n’en suis pas certaine.

Monsieur François Ruffin, vous ne serez pas étonné que je ne partage par les observations dont vous avez bien voulu nous faire part. Vous avez parlé d’exercice solitaire et autoritaire du pouvoir ; vous avez parlé de vision monarchique du système. Je crois que ce n’est pas exactement ce que nous construisons. Lorsque nous mettons en place la Chambre de la société civile, encore une fois, avec toutes les observations que vous pouvez et pourrez faire sur son fonctionnement, cela ne relève pas d’une vision autoritaire et autocentrée du pouvoir, mais, au contraire, de la volonté de mieux saisir l’horizontalité de ce que nos concitoyens peuvent ressentir.

Lorsque nous cherchons à accroître les pouvoirs de contrôle du Parlement, nous ne sommes pas dans la logique que vous décrivez. Il y a moins d’une semaine, dans cette même salle, j’étais soumise à la question par vos collègues sur la manière dont j’avais géré mon budget. Je devais répondre sur des sujets extrêmement concrets et précis. Il s’agit bien une capacité donnée au Parlement d’accroître son contrôle sur les politiques publiques. Nous donnons en plus la capacité au Parlement de faire des propositions à la suite du contrôle des politiques publiques, ce qui me semble très positif. Je ne crois décidément pas que tout cela relève d’une quelconque vision exclusivement monarchique. Vous observerez par ailleurs qu’aucun des pouvoirs du Président de la République ne fait l’objet d’une quelconque accentuation dans le projet de loi constitutionnelle.

Enfin, je ne partage pas du tout votre expression lorsque vous parlez du Parlement « pantin de l’exécutif ».

Durant la dernière législature, le volume des textes s’est accru de 30 % entre leur entrée et leur sortie du Parlement. Cet accroissement du nombre des dispositions législatives dans les textes n’a pas pour origine le seul Gouvernement, il s’explique aussi par l’adoption d’amendements d’origine parlementaire.

Mme Danièle Obono. Non !

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Madame Obono, je veux bien que vous niiez cela, mais c’est une réalité. Cela signifie que des amendements sont construits, co-construits, portés, défendus par le Parlement. C’est sain, c’est naturel, c’est évidemment ce que nous voulons respecter. C’est vraiment vers cela que nous souhaitons aller.

Monsieur Jean-Paul Dufrègne, vous souhaitez que la Constitution prenne en compte les notions de superficie et de population pour nuancer le critère démographique utilisé la plupart du temps. En fait, même si ces critères peuvent être inscrits dans la Constitution, vous souhaitez surtout modifier les jurisprudences du Conseil constitutionnel, car c’est lui qui, notamment en matière électorale, s’agissant du découpage des circonscriptions, utilise ce critère démographique.

Je sais que l’Association des maires ruraux de France défend l’idée que le principe d’égalité devant le suffrage, qui dépend du nombre d’habitants, pénalise la représentation des territoires ruraux, et je crois que c’est ce que vous avez voulu exprimer. Je vous rappelle toutefois que le Conseil constitutionnel permet déjà de déroger à la stricte proportionnalité par rapport à la population pour des motifs d’intérêt général, en particulier celui qui tient à la représentation de tous les territoires. C’est d’ailleurs ce qui permet à toutes les communes de disposer d’un siège dans les intercommunalités.

S’agissant de La Réunion, nous avons maintenu le droit en l’état. Les choses restent telles qu’elles sont depuis 2003. À ce stade, nous n’avons pas souhaité revenir sur les dispositions prises à l’époque, faute de consensus local pour modifier le texte. En tout état de cause, La Réunion disposera évidemment des mêmes possibilités que les collectivités de l’article 72 de la Constitution. L’adaptation ouverte portera sur ses compétences, ce qui constitue une différence avec les autres collectivités de l’article 73.

Mme Marie Guévenoux. Le rapporteur général a rappelé notre attachement et notre volonté de promouvoir un Parlement au cœur de notre démocratie représentative qui soit libre et moderne. Madame la garde des Sceaux, vous avez précisé l’intention du Gouvernement de maintenir les grands équilibres de la Ve République. Dans ce cadre, cette réforme institutionnelle, qui correspond à des engagements forts du Président de la République, ne doit ni céder aux effets de mode, ni s’abandonner au confort de ne rien changer à un fonctionnement qui n’est plus en adéquation avec les attentes des Français. Ils demandent une meilleure représentativité et une meilleure efficacité du Parlement.

Le projet de révision institutionnelle est un tout. Ses premiers éléments ont été examinés l’été dernier avec la loi pour la confiance dans la vie politique. Ce travail se poursuivra à l’automne avec le projet de loi organique et le projet de loi ordinaire comportant en particulier la réduction du nombre de parlementaires et l’instauration d’une dose de proportionnelle. Cette dernière mesure ne crée en aucun cas, à mes yeux, un député de seconde zone : elle œuvre pour une meilleure représentativité. Ces textes comportent aussi l’interdiction de cumuler plus de trois mandats dans le temps. Sur ce dernier point, pouvez-vous nous préciser ce qui a présidé à votre choix de ne pas retenir l’interdiction dans le temps dans le projet de loi constitutionnelle ?

Mme Émilie Chalas. L’évolution de notre démocratie, sur le plan national comme local, atteste de la volonté d’un nombre croissant de nos concitoyens de s’impliquer dans la vie politique. Si les élections restent le moyen principal d’y parvenir, elles sont trop peu nombreuses, et les électeurs nous démontrent, année après année, leur mécontentement en se rendant de moins en moins aux urnes. C’est pourquoi il me semble nécessaire d’améliorer la démocratie locale au plus près du citoyen, au plus près de son quotidien.

La démocratie – représentative, directe et participative – doit avancer conjointement dans une République souhaitant donner davantage de moyens d’expression à ses citoyens, tout en préservant les garanties de stabilité et de pluralisme qu’apportent les élections. La réforme constitutionnelle de 2008 avait pour ambition de faire entrer la pétition citoyenne dans la Constitution ; celle de 2018 doit y faire entrer le citoyen.

L’article 72-1 de la Constitution prévoit déjà la participation citoyenne grâce à deux instruments : le droit de pétition et le référendum local. L’application de ces deux dispositifs est prévue par la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, et référencée au code général des collectivités territoriales aux articles LO. 1112-1, LO. 1112 -7, et L. 1112-16.

À l’initiative des citoyens, une pétition peut être lancée dans le domaine de compétence de la collectivité concernée. Elle sera obligatoirement examinée en conseil municipal si elle récolte un cinquième des signatures des électeurs inscrits. Cette demande ne lie toutefois par le conseil municipal dans sa décision. À Grenoble, par exemple, il faudrait donc recueillir aujourd’hui 16 900 voix pour qu’une pétition soit examinée.

À l’initiative de la collectivité, le référendum local permet de soumettre au suffrage un sujet relevant de sa compétence. Le résultat s’impose à la collectivité si deux conditions sont réunies : 50 % des électeurs inscrits doivent participer à ce vote, et, bien sûr, la proposition doit obtenir la majorité des suffrages exprimés. Si nous conservons l’exemple de Grenoble, il faudrait recueillir plus de 42 410 voix et la majorité des suffrages exprimés.

Madame la ministre, comment faire vivre les outils existants de la démocratie locale, qui sont trop peu utilisés ? Comment leur donner plus d’efficacité ? Ne serait-il pas envisageable de réduire les seuils légaux de pétitions pour faciliter la saisine du conseil municipal, de faire de même concernant le référendum, et de revoir ses modalités d’organisation ?

M. Jean-François Eliaou. Le contrôle et l’évaluation des politiques publiques sont explicitement mentionnés dans le projet de loi constitutionnelle. Je pense qu’il s’agit d’un point extrêmement important. Ces deux missions, qui relèvent de l’article 24 de la Constitution, nécessitent de véritables moyens.

Il semble d’abord très important de sanctuariser la semaine de contrôle parlementaire dans la Constitution. Cette exigence est partiellement satisfaite par l’article 9 du projet de loi constitutionnelle qui modifie le quatrième alinéa de l’article 48 de la Constitution. Malheureusement, elle ne l’est que partiellement, car il est proposé que la nature des thèmes et des projets de textes à examiner en urgence soit élargie. On peut y voir une contradiction étant donné que l’ordre du jour reste fixé de façon prédominante sous l’autorité du Gouvernement.

Afin de préparer les textes, il semble ensuite essentiel, comme le rapporteur général l’a dit, et il ne s’agit pas d’un caprice, que le Parlement ait communication, deux à six mois à l’avance, du calendrier des projets de loi inscrits par le Gouvernement. Cela doit nous mettre en situation de les évaluer.

En tant rapporteur du groupe de travail sur les moyens de contrôle et d’évaluation, mis en place par le Président de l’Assemblée nationale, j’ajoute qu’il faut créer au sein du Parlement ou de l’Assemblée nationale une agence d’évaluation des politiques publiques, qui se penche en particulier sur les aspects économiques et financiers de cette évaluation.

Madame la ministre, j’aimerais avoir votre avis sur ces différents points.

M. Arnaud Viala. Madame la garde des Sceaux, s’agissant du droit d’amendement, vous avez expliqué à plusieurs reprises qu’il fallait cantonner le droit d’amendement à l’objet du texte étudié. Pourriez-vous préciser votre pensée et expliciter cette formulation ?

Pour ma part, je considère qu’aujourd’hui, des questions se posent déjà sur la notion de cavalier législatif. J’estime que tout parlementaire doit pouvoir enrichir un texte sans s’éloigner par trop de son thème initial. Cantonner le droit d’amendement à l’objet initial du texte est sujet à interprétation et je voudrais avoir des précisions sur ce point.

Je m’élève fermement contre l’idée de confier l’évaluation à une agence. L’évaluation relève précisément du travail des parlementaires et des services qui les soutiennent : il n’est pas du tout imaginable de l’externaliser. Quel est votre point de vue sur ce sujet ?

S’agissant de la transformation du Conseil économique, social et environnemental, pouvez-vous nous dire pourquoi vous considérez que le Parlement, à commencer par l’Assemblée nationale, n’est pas la Chambre de la société civile ? La majorité actuelle a présenté sa victoire comme l’arrivée massive de la société civile au Parlement, et je voudrais que vous m’expliquiez quelle est la nuance entre des parlementaires, en particulier des députés élus au suffrage universel direct, qui ne sont ni des technocrates, ni des figures exceptionnelles, et la société civile.

M. Jean-René Cazeneuve et moi-même avons rédigé un rapport consacré au thème « Expérimentation et différenciation territoriale ». S’agissant de la révision de l’article 72 de la Constitution, êtes-vous prête à envisager que tout territoire puisse solliciter l’adaptation de la loi à ses spécificités ?

Mme Isabelle Florennes. Le projet de loi constitutionnelle comporte des évolutions et des nouveautés qui nous paraissent bienvenues, voire nécessaires. Je pense par exemple à la procédure de législation en commission, mécanisme qui semble faire ses preuves au Sénat et qui pourrait être utile à l’Assemblée nationale, en particulier pour les textes techniques pour lesquels une logique de compromis me paraît plus efficace.

Je pense également au droit à la différenciation, sujet particulièrement cher au groupe MODEM et apparentés, qui permettra à des territoires d’appliquer différemment certaines législations afin de répondre plus efficacement aux réalités qui leur sont propres.

Je pense enfin à la future Chambre de la société civile, bien que nous ayons des réserves sur son nom. Il nous semble, en tout cas, nécessaire aujourd’hui de faire évoluer le Conseil économique, social et environnemental.

Les trois articles que je viens d’évoquer ont un point commun : ils renvoient à des lois organiques. À ce stade, si nous sommes d’accord sur le principe de ces évolutions, nous souhaitons disposer d’éléments plus concrets sur leur mise en œuvre. Dans quel délai le Gouvernement pourrait-il présenter ces lois organiques, et quelles en seront les principales orientations ? Afin d’examiner le projet de loi constitutionnelle dans les meilleures conditions il nous paraît nécessaire d’obtenir une visibilité et des précisions sur ces lois organiques.

Mme Marie-France Lorho. La réforme de la désignation des membres du parquet est un sujet important. La place attribuée au parquet est grandissante : une peine est parfois proposée sans qu’il y ait besoin du juge du siège.

Les points de vue varient sur cette question, se fondant sur la notion d’efficacité de l’institution ou la manière d’administrer la justice. Le texte propose d’entériner une pratique à l’œuvre depuis 2012, puisque, depuis cette époque, le Gouvernement suit toujours les recommandations du Conseil supérieur de la magistrature. Il s’agit d’ancrer dans le droit l’indépendance renforcée du parquet – son indépendance et l’importance de ses avis ayant déjà été accrues depuis 2008. Toutefois, nous le savons bien, et c’est une partie de votre argumentaire, en raison de l’article 20 de notre Constitution, il existe un lien puissant entre votre ministère et les magistrats. Entre volonté générale et conservation d’une nécessaire indépendance, ne pensez-vous pas que l’article 12 du projet de loi constitutionnelle constitue un pas de trop en direction du gouvernement des juges, alors même que, dans une décision du 8 décembre 2017, le Conseil constitutionnel jugeait l’indépendance du parquet suffisamment garantie ?

M. Jean-Félix Acquaviva. Je pourrais évoquer certains éléments sur lesquels nous seront vigilants, comme la limitation du droit d’amendement ou la question des pouvoirs du Parlement, mais je m’attarderai essentiellement sur le volet territorial de la révision.

Une crainte, une peur – bien malheureusement, il s’agit d’une peur assez maladive de la République – reste inscrite dans ce projet de loi constitutionnelle. Elle concerne le transfert de responsabilités. Comme vous le savez, nous sommes de fervents partisans de l’autonomie pour la Corse, mais pas seulement pour elle : nous avons une vision globale et décentralisée de la République. L’autonomie est un principe de vie ; l’autonomie est le contraire de l’assistanat et de la dépendance. L’autonomie, c’est s’assumer, c’est la responsabilisation et la responsabilité des acteurs.

Il faut pour cela pouvoir s’appuyer sur des contrats et des pactes clairs, et balayer la peur du transfert de responsabilités pour que les territoires s’assument directement : soit par des règles liées aux lois et règlements, ce qui est le cas pour certains statuts actuels, comme en Polynésie française, qui bénéficie de l’autonomie, soit par l’adaptation directe de certaines lois et de certains règlements afin de les rapprocher de la vie des citoyens.

Malheureusement, en ce qui concerne la Corse, vous avez mis dans la Constitution ce qui ne fonctionnait pas dans le statut législatif : le droit de demander des adaptations. Ce droit n’a jamais trouvé de traduction dans la réalité. Il y a eu quarante demandes d’adaptation, mais aucune n’a eu le moindre écho auprès des gouvernements successifs, ce dont la vie économique et sociale de la Corse a pâti.

Dans quelle mesure seriez-vous favorable à ce que l’on clarifie cette notion pour la Corse, mais aussi pour d’autres territoires ? Il faut éviter de créer des usines à gaz et des ersatz qui iraient à l’encontre des objectifs de ce projet de loi constitutionnelle, favorable à une vraie démocratie, et qui décevraient vraiment les populations des territoires, faute de résultats en termes économiques, sociaux et culturels. Aujourd’hui, 400 millions d’Européens vivent sous des régimes autonomes.

Mme Danièle Obono. Je veux en premier lieu, Madame la garde des Sceaux, réagir à une remarque que vous avez faite tout à l’heure. Il me semble important de le rappeler : non seulement les Français n’ont pas voté aux mois de mai et juin derniers pour votre projet de réforme constitutionnelle, mais l’élection d’Emmanuel Macron est loin d’avoir résolu la crise démocratique et institutionnelle que connaît notre pays. Au contraire, je dirais même qu’elle l’a aggravée avec la manière dont le président jupitérien exacerbe, jusqu’à la caricature, tous les travers de la Ve République. Mais, oui, vous avez raison, ce projet n’amorce certainement pas la transformation constitutionnelle et institutionnelle qu’il faudrait. Pour notre part, nous appelons de nos vœux la VIe République, une assemblée constituante, la seule véritable démarche à même de transformer véritablement les institutions et de refonder le contrat politique qui unit aujourd’hui les citoyens et les citoyennes dans un destin commun et une volonté commune de construire ensemble la société et la nation. Il faudra donc attendre que nous soyons aux responsabilités. Alors on parlera véritablement d’un changement institutionnel qui en vaut la peine.

Nous ne nous inscrivons pas moins dans le débat, puisque c’est sur le fondement de ces idées et de ces propositions que nous avons été portés à l’Assemblée nationale. Le grand absent de votre projet, c’est celui qui devrait être au centre : le peuple. Où est le peuple, madame la garde des Sceaux, dans ce projet de révision constitutionnelle ? Non pas un peuple qu’on consulte tous les cinq ans, non pas un peuple qui a le droit de faire des pétitions – même s’il y a certainement de quoi étendre encore plus le champ de ce type d’outil –, mais un peuple actif, qui a un pouvoir de contrôle et de sanction à travers des outils comme la révocation des élus, un peuple qui n’est pas simplement actif en termes politiques, mais aussi dans l’ensemble de la société ? Où est le peuple, madame la garde des Sceaux ?

Selon la réponse que vous donnerez, l’importance et la véritable nature de votre réforme se révéleront. Malheureusement, j’ai bien peur que cela ne finisse en un ripolinage de la Ve République, sans aller au fond des choses.

Mme Hélène Zannier. Ma question sera beaucoup plus précise. Qu’en est-il de l’opportunité de l’expression d’éventuelles opinions séparées lorsque le Conseil constitutionnel rend une décision ? Le rapport présenté par MM. Bartolone et Winock et le Président de la République s’exprimant devant la Cour de Cassation l’ont préconisé.

Parmi les critiques adressées au Conseil constitutionnel figure en effet le manque de motivation des décisions rendues. Dès lors, il apparaît que la publication par les juges constitutionnels de leurs commentaires permettrait à nos concitoyens de mieux comprendre celles-ci.

Dans l’hypothèse où vous ne seriez pas favorable à la possibilité d’une expression des opinions séparées, je souhaiterais votre opinion sur d’autres possibilités. Par exemple, lorsque le Conseil d’État rend un avis, les conclusions du rapporteur public permettent d’éclairer le raisonnement. Pensez-vous que l’une ou l’autre possibilité – les opinions séparées ou la publication des conclusions – soit opportune ?

M. Paul Molac. Mes chers collègues, j’ai bien peur que cette réforme ne renforce finalement le pouvoir de l’exécutif. On sait que 90 % des lois sont issues de projets de loi. Vous venez de nous dire, madame la garde des Sceaux, que les lois s’accroissent de 30 % en passant au Parlement, je pourrais, si j’étais taquin, vous dire que le Parlement fait donc 30 % des lois et le Gouvernement 70 %.

Ce qui m’inquiète, outre l’agenda – mais cela concerne plutôt le Sénat –, ce n’est pas l’idée de revoir la procédure, car il y a des longueurs, et nous pourrions trouver un accord. C’est la limitation des amendements. J’avoue mon trouble sur ce point. Comment le parlementaire peut-il rester libre de relayer un certain nombre d’idées exprimées dans la société ? Si l’on règle comme vous le dites la question des amendements, j’ai bien peur de ne pas y retrouver mon compte.

Je m’associe aussi à la question de Mme Hélène Zannier. L’expression des opinions dissidentes dans les décisions du Conseil constitutionnel me paraîtrait de bon augure pour faire évoluer le droit.

Quant aux collectivités locales, est-il nécessaire que les collectivités à statut spécial figurent dans la Constitution, dans la mesure où il y en a déjà, comme Lyon ou la Corse ?

Les propos que vous avez tenus à propos de la possibilité de déroger aux règlements et aux lois m’ont beaucoup intéressé. Il conviendra d’être attentif aux modalités édictées en loi organique. Mon collègue Jean-Félix Acquaviva a rappelé que la Corse, normalement habilitée à déroger, n’avait jamais obtenu que des réponses négatives.

Enfin, manque à ce projet de révision constitutionnelle la ratification, pourtant promise par le Président de la République, de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Et, évidemment, je ne vois rien sur les minorités. Étant donné que je suis un minoritaire breton, cela m’inquiète un peu.

M. Jean-Michel Mis. Au cœur des enjeux internationaux, européens et nationaux depuis de nombreuses années, le numérique s’impose comme une préoccupation majeure. Les exemples ne manquent pas ces derniers mois avec la fin de la neutralité du net annoncée aux États-Unis, le scandale de Cambridge Analytica, la mise en place du règlement général sur la protection des données (RGPD) au sein de l’Union européenne et la lutte contre les fausses informations. Bien que postulats nécessaires à notre démocratie et à la société que nous sommes en train de construire, les grands principes du numérique sont absents de la norme suprême. Il est pourtant souvent débattu du numérique sous ses différentes formes devant le Conseil constitutionnel, que ce soit sous l’angle du respect de la vie privée, de la liberté d’information ou encore de la liberté d’expression. Ainsi que vous l’avez rappelé, madame la garde des Sceaux, la France avait fait, en 2004, le choix d’affirmer avec force son attachement à la protection de l’environnement en ajoutant, au bloc de constitutionnalité, une charte. Plébiscitée, elle a permis de grandes avancées en énonçant des principes tels que le principe de précaution. Le Président de la République a souhaité mettre en exergue ce principe de souveraineté numérique également, en nommant M. David Martinon, avec rang d’ambassadeur, pour défendre cette préoccupation dans les instances internationales.

Je vous poserai donc, madame la garde des Sceaux, deux questions très simples auxquelles j’associe Mme Paula Forteza, qui, avec notre collègue sénateur Christophe-André Frassa, préside le groupe de travail sur les droits et libertés constitutionnels à l’ère du numérique. Ne pensez-vous pas qu’il convient d’engager une réflexion sur la place du numérique au sein de l’ordre constitutionnel afin de lui accorder les garanties nécessaires à son expression démocratique ? Une telle sauvegarde pourrait-elle prendre la forme d’une charte ?

M. Erwan Balanant. Madame la garde des Sceaux, réviser la Constitution, c’est interroger notre démocratie, son état et son devenir, et, en propos liminaire, peut-être en guise d’amical avertissement, je souhaite dire qu’il n’existe pas de démocratie sans Parlement fort. L’examen du texte proposé nous offrira de nombreux moments pour interroger l’état de notre démocratie mais je souhaite m’arrêter un instant sur la transformation du Conseil économique, social et environnemental (CESE), qui pourrait être l’occasion de particulièrement la moderniser.

Tout d’abord, je pense que nous débattrons du nom choisi. La société civile, mon collègue Viala l’a rappelé, est un concept aujourd’hui complètement non défini, dont le sens varie d’un locuteur à l’autre. Je pense sincèrement qu’inscrire dans le marbre de notre Constitution un terme indéfini est un véritable danger, et d’autant plus si cette chambre réformée doit se saisir de la participation citoyenne. Il y a là quelque chose qui doit, à mon sens, être revu.

Dans cette rénovation et cette interrogation sur notre démocratie, nous avons aujourd’hui à régler un paradoxe : nos concitoyens veulent participer de plus en plus à la décision et, en même temps, une crise de confiance affecte le concept de représentativité. J’en veux pour preuve le faible taux de participation à chaque élection.

J’aimerais, madame la garde des Sceaux, que vous nous éclairiez sur la manière dont s’articuleront au sein du nouveau CESE les corps intermédiaires, qui forment aujourd’hui son essence, et l’organisation de la participation citoyenne et des pétitions. J’aimerais aussi savoir comment s’articuleront cette chambre nouvelle, dans toute sa singularité, et ce qui reste l’essence de notre démocratie, la représentation nationale.

M. Michel Castellani. Je reviendrai sur la capacité d’adaptation des collectivités territoriales, plus spécifiquement de la Corse. C’est pour nous un point essentiel, non que nous voulions réformer pour réformer mais parce que nous voyons dans cette capacité la possibilité pour la Corse d’être dotée de moyens indispensables à l’amélioration des conditions sociales, à la préservation de sa langue ou à la lutte contre la spéculation.

N’y voyez pas d’intention maligne, madame la garde des Sceaux, nous vous interrogeons par souci de clarté. Qu’est-ce qui distingue l’actuel article L. 4422-16 du code général des collectivités territoriales, issu du « statut Joxe », de l’article 16 du présent projet de loi constitutionnelle ? L’article L. 4422-16 dispose : « l’Assemblée de Corse peut présenter des propositions tendant à modifier ou à adapter dispositions réglementaires en vigueur ou en cours d’élaboration ». L’article 16 du présent projet de loi constitutionnelle dispose pour sa part que « [d]es adaptations peuvent être décidées par la collectivité de Corse dans les matières où s’exercent ses compétences et si elle y a été habilitée, selon le cas, par la loi ou le règlement ».

M. Christophe Euzet. Madame la garde des Sceaux, c’est avec ma double casquette de député de la majorité et de constitutionnaliste que je souscris à l’esprit et à l’ambition du texte que vous nous présentez. Je souscris à l’esprit parce que les grands équilibres de la Ve République sont respectés et à l’ambition parce que le souci de rénovation est bien au rendez-vous, faisant fi du conservatisme mais sans nous engager sur la voie de la politique de la table rase. Il ne vise que l’intérêt des Français et repose sur la logique de l’efficacité, de la responsabilité et de l’approfondissement de la modernisation entreprise par la loi constitutionnelle de 2008. En résumé et pour faire bref, je suis d’accord avec tout !

Au-delà, je crois à l’inventivité et à l’ingéniosité des institutions lorsqu’elles se travaillent de l’intérieur. Je crois que nous pouvons améliorer encore ce texte d’excellente facture, sans affecter ses grands équilibres mais seulement pour améliorer la qualité du travail parlementaire, souci évoqué à de multiples reprises cet après-midi.

On a beaucoup parlé de la planification indicative, précieuse pour les parlementaires que nous sommes. On a suggéré à plusieurs reprises un « décloisonnement » des commissions. Peut-être pourrions-nous chercher une solution intermédiaire : non pas renoncer au principe du cloisonnement mais relever le plafond.

Pour aller plus loin, je suggère que nous réfléchissions à la possibilité, une semaine après l’examen des projets de loi en conseil des ministres, d’un débat d’orientation préalable qui nous permettrait à la fois d’éviter les fastidieuses discussions générales lorsque nous abordons la discussion des textes en séance plénière, et, par ailleurs, d’éviter l’examen de motions de rejet superfétatoires. Réfléchissons aussi aux modalités du temps programmé et au délai de dépôt des amendements gouvernementaux en séance. Peut-être pourrions-nous encadrer dans le temps la procédure prioritaire prévue par le projet de façon que les intrusions de l’exécutif dans la semaine d’évaluation et en s’exonérant des délais d’instruction des textes par les commissions ne prennent un tour exagéré ?

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Madame Guévenoux, vous avez évoqué l’interdiction du cumul des mandats dans le temps et m’interrogez sur le point de savoir pourquoi cela ne figure pas dans le projet de loi constitutionnelle. Avant de choisir de placer le sujet dans les textes adjacents, nous avons évidemment procédé à des consultations juridiques, et il nous a semblé que cela ne relevait pas du niveau constitutionnel. C’est d’ailleurs ce que le Conseil d’État a confirmé : il a précisé dans son avis que la loi organique suffisait pour limiter le cumul des mandats dans le temps, qu’aucun principe constitutionnel n’y faisait obstacle. Nous ne souhaitons pas, de manière générale, que figurent dans le projet de loi constitutionnelle des dispositions qui relèvent d’un autre niveau. Pour autant, cela n’enlève rien à l’importance de cette mesure, qui est un pilier de la réforme voulue par le Président de la République. C’est au terme d’une analyse juridique poussée que nous avons opéré ce choix. L’article 25 de la Constitution renvoie à une loi organique pour les inéligibilités. Certes, l’article 3 de la Constitution aurait pu nous conduire à nous interroger, mais notre décision est conforme à la hiérarchie des normes, ce que le Conseil d’État a validé.

Madame Chalas, vous évoquez les pétitions et référendums locaux, une question qui m’intéresse beaucoup : j’ai, il y a longtemps, écrit un article sur le référendum local dans lequel je constatais, comme vous le soulignez, que cela ne fonctionne pas. L’article 72-1 de la Constitution renvoie à la loi le soin de définir les conditions du droit de pétition et à la loi organique celle du référendum local. Une pétition peut être engagée sur les compétences des collectivités locales ; elle sera examinée si elle recueille un cinquième des signatures des électeurs pour les communes. Quant à la question posée par référendum, elle recevra une suite favorable si elle recueille la majorité des suffrages exprimés et un taux de participation de 50 %. Cette condition de participation a été validée par le Conseil constitutionnel dans une décision du 30 juillet 2003. Ces seuils peuvent paraître élevés, notamment dans un contexte de baisse de participation des citoyens. Je suis ouverte à ce que nous réfléchissions ensemble aux moyens de renforcer ces procédures. Je crois d’ailleurs que le débat pourra avoir lieu au moment de l’examen du projet de loi organique. Tout ce qui peut renforcer les outils de la démocratie et de la démocratie locale est intéressant.

Monsieur Eliaou, vous avez émis trois souhaits : la sanctuarisation de la semaine de contrôle, la communication du calendrier et la création d’une agence d’évaluation des politiques publiques.

La volonté du Gouvernement est de desserrer la rigidité de l’ordre du jour actuel mais cela ne signifie pas annuler tout ce qui est réservé au contrôle. Il faut voir la meilleure manière d’y parvenir. Comme je l’ai dit, nous avons fait une proposition qui nous semble relativement souple ; vous en jugerez.

Vous avez noté parallèlement que nous souhaitions « doper » la semaine de contrôle en la renforçant par la possibilité d’y inscrire des propositions de loi résultant des évaluations que vous aurez conduites. Il me semble que l’évaluation est bien l’avenir du Parlement.

S’agissant de l’agence d’évaluation des politiques publiques, ce n’est pas une option que nous avons retenue. En revanche, depuis tout à l’heure, plusieurs suggestions ont été présentées par les uns et les autres, et nous aurons sûrement l’occasion d’y revenir.

Monsieur Viala, s’agissant du droit d’amendement, peut-être le mot « cantonner » était-il maladroit, je vous l’accorde volontiers : l’idée est que les amendements déposés par le Parlement et le Gouvernement respectent les conditions déjà existantes dans la Constitution pour écrire la loi. Il s’agit d’éviter que des amendements portant des articles additionnels s’agrègent au texte initial, avec un lien avec celui-ci parfois très ténu. Cela répond également à un principe de lisibilité et de clarté des textes législatifs. Il est important pour nous d’arriver à des textes globalement cohérents.

Vous me demandez également en quoi le Parlement n’est pas une chambre de la société civile. Le Conseil d’État a indiqué dans son avis que la notion de société civile pouvait figurer dans la Constitution ; elle figure d’ailleurs d’ores et déjà à l’article 11 du Traité sur l’Union européenne et à l’article 15 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. La société civile renvoie à tout ce qui n’est pas l’État, les institutions et les élus. La différence entre votre assemblée et la chambre de la société civile, c’est que vous avez été élus par le suffrage universel ; ce n’est pas de cette manière que sont désignés les membres de la société civile. Cela n’empêche évidemment en rien, comme vous l’avez relevé, de nombreux parlementaires d’être membres de la société civile.

Vous m’interrogez en outre sur l’adaptation de la loi, en la sollicitant pour différentes spécificités. C’est, je crois, quelque chose qui est prévu par les dispositions constitutionnelles proposées.

Madame Florennes, vous avez évoqué le droit à la différenciation, en souhaitant que le contenu des lois organiques qui porteraient sur ces questions vous soit présenté le plus rapidement possible. Je répète ce que j’ai dit dans mes propos préalables : pour toutes les lois organiques relatives aux collectivités territoriales, nous serons en mesure, au mois de juillet, au moment du débat devant le Parlement, de présenter à tout le moins les orientations générales.

Madame Lorho, vous craignez que la garde des Sceaux perde son pouvoir de définition des politiques pénales du fait d’un pouvoir plus grand donné au CSM. Ce n’est pas du tout l’objectif. Nous souhaitons inscrire dans la Constitution la nomination du parquet sur avis conforme du CSM. Cela ne prive absolument en rien le garde des Sceaux de son pouvoir de donner des instructions générales en vertu de l’article 20 de la Constitution. Nous assurons mieux l’impartialité et l’indépendance des magistrats du parquet par le pouvoir de nomination.

Monsieur Aquaviva, et je réponds également à M. Castellani, les dispositions que nous inscrivons au sujet de la Corse constituent une innovation importante. C’est la première fois qu’elle figure avec une telle ampleur dans la Constitution. C’est la reconnaissance, je l’ai dit dans mon propos introductif, de la singularité de la seule île française qui a en Europe la taille d’une région – et nous le faisons d’ailleurs à l’instar de ce qui existe déjà dans d’autres pays, comme l’Espagne. Deux dispositions sont prévues par le texte : d’une part, la loi pourra être adaptée, comme les règlements, pour tenir compte des spécificités de l’île, et, d’autre part, ces adaptations pourront être décidées par la collectivité de Corse pour ses propres compétences. Il me semble que cela répond à votre préoccupation. C’est, par exemple, la question de la fiscalité. La collectivité pourra créer des taxes locales sans qu’il soit besoin de créer les mêmes sur le continent. Ce sera le cas des taxes d’accès aux aires maritimes. L’idée, c’est qu’il soit possible de donner à la collectivité corse des compétences que n’ont pas les régions du continent.

Madame Obono, vous me demandez où est le peuple. Le peuple, c’est vous. C’est vous qui le représentez. Vous représentez la nation et le peuple. En outre, le peuple est partout dans notre projet. Il élit, il choisit, il est l’objet de votre travail. C’est bien le peuple qui vous a élus. C’est bien le peuple qui a choisi au printemps 2017 et son choix n’a pas porté sur les options que La France insoumise avait proposées. Vous souhaitiez en effet revenir à une constituante et à des éléments de démocratie plus directe ; ce n’est pas le choix qui a été fait. Le peuple est l’objet constant des préoccupations du Parlement. Le renouvellement de la classe politique traduit précisément le choix fait en juin 2017 par le peuple. Le peuple, par ailleurs, se retrouve dans la volonté que nous portons de développer la représentation proportionnelle. Nous avons la certitude en effet que cela permettra à notre démocratie, en étant plus représentative, d’être plus efficace. Le peuple est partout, et c’est d’ailleurs notre seule légitimité.

Madame Zannier, vous m’interrogez sur le travail du Conseil constitutionnel, à la fois sur sa motivation, que vous ne jugez pas assez détaillée, sur la publication des avis des rapporteurs et les opinions dissidentes. Sur les opinions dissidentes, ou opinions séparés, le Président de la République, lors du discours prononcé à la cour de cassation, a fait part de son souhait que les cours faîtières puissent développer les opinions dissidentes. C’est un sujet, me semble-t-il, qui relève, non pas du niveau constitutionnel mais des lois organiques – si le choix en était fait. Ensuite, c’est un sujet dont il faut longuement discuter. J’en mesure l’intérêt ; c’est d’ailleurs une pratique qui existe dans de nombreuses démocraties. J’en mesure également les limites, dans le positionnement que cela induit pour les membres du Conseil constitutionnel.

Sur la motivation, je dirais juste que le Conseil constitutionnel a, depuis plus d’un an, beaucoup avancé sur une motivation plus développée et plus claire. Enfin, vous savez que désormais les rapports du Conseil constitutionnel sont accessibles au terme d’un délai de vingt-cinq ans.

Monsieur Molac, l’adaptation vise à permettre aux collectivités de demander à adapter des normes dans leur champ de compétence. Pour autant, il faudra que la loi autorise ces adaptations. L’objectif n’est évidemment pas qu’il y ait autant de dérogations que de collectivités. Comme l’a précisé le Conseil d’État, il s’agira de donner sa pleine application au principe de subsidiarité. Si nous révisons la Constitution, ce n’est pas pour ranger ces nouvelles possibilités dans un placard. Il faudra que nous les fassions vivre ensemble.

S’agissant de la ratification de la charte des langues régionales, je ne doute pas que le débat viendra devant le Parlement. Je sais que vous y êtes attaché et je suis certaine que vous trouverez l’occasion de porter à nouveau ce sujet.

Monsieur Mis, vous m’avez interrogée, en votre nom et au nom de madame Forteza, sur la question du numérique. C’est un enjeu essentiel, qui va dépasser le cadre national. Peut-être le savez-vous : il a été l’objet quasiment unique de la dernière réunion du Conseil « Justice » de l’Union européenne, à Luxembourg, où je me trouvais avant-hier. Vous-mêmes avez récemment adopté le Règlement général sur la protection des données (RGPD).

Il y a bien sûr des incidences réelles de cette révolution numérique sur la citoyenneté. La proposition de loi sur les fausses nouvelles, dont vous allez débattre, aborde l’un de ces éléments. Le Gouvernement est attentif aux travaux du groupe de travail commun à l’Assemblée nationale et au Sénat, comme à la portée des principes qu’il proposera, à leur pérennité dans un contexte de forte évolution technologique et à leur articulation avec nos engagements européens et internationaux.

Monsieur Balanant, j’ai bien entendu votre observation préalable : « Il n’existe pas de démocratie sans Parlement fort. » C’est une position que je partage. Je ne reviendrai pas sur la définition de ce qu’est la société civile, mais, s’agissant de la Chambre de la société civile et de la participation citoyenne, il conviendra en effet de trouver une articulation entre elle et le Parlement. Permettez-moi seulement d’observer que le texte constitutionnel n’en dit pas grand-chose, de sorte qu’elle devra être construite dans la loi organique. Voilà ce que nous devrons esquisser, voire plus si nous y arrivons, au moment des débats. Il est absolument impératif de construire cette articulation entre les deux institutions, l’une représentative par l’élection, l’autre porte-parole de la société civile. Je sais que votre rapporteure, Mme Braun-Pivet, travaille sur le sujet avec efficacité.

Monsieur Euzet, j’accueille avec enthousiasme votre accord de principe. Vous évoquez des bonifications, au sens juridique du terme, notamment sur le débat d’orientation préalable, c’est en effet une piste à creuser.

M. Didier Paris, président. Madame la garde des Sceaux, je vous remercie de ces réponses complètes et précises.

 


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   Discussion générale

Première réunion du mardi 26 juin 2018 à 16 heures 30

Lors de sa première réunion du mardi 26 juin 2018, la Commission procède à une discussion générale sur le projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace (n° 911).

Lien vidéo :

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.6298384_5b324ccb06c73.commission-des-lois--pour-une-democratie-plus-representative-responsable-et-efficace-suite-26-juin-2018

M. Stéphane Mazars, président. Mes chers collègues, comme vous l’aurez constaté, j’ai aujourd’hui l’honneur de présider notre commission des Lois en remplacement de Mme Yaël Braun-Pivet qui, étant rapporteure sur le texte que nous allons examiner, se trouve empêchée d’exercer la fonction de présidente qu’elle assume habituellement avec le brio que nous lui connaissons.

Je très heureux de vous retrouver pour des débats qui promettent d’être passionnés et passionnants, mais aussi de nous occuper tout au long de la semaine, puisque nous allons examiner près de 1 400 amendements à ce projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace.

Nous allons commencer nos travaux par la traditionnelle discussion générale, et je vais d’abord donner la parole à M. Richard Ferrand, rapporteur général, puis aux deux rapporteurs, Mme Yaël Braun-Pivet et M. Marc Fesneau.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Monsieur le président, madame la rapporteure, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, c’est une procédure peu ordinaire qui nous réunit en commission des Lois à partir de cet après-midi et pour les jours à venir. Nous nous trouvons ici, salle Lamartine, pour modifier la Constitution qui est, dans notre ordre interne, la norme suprême. Vouloir modifier la norme suprême est une démarche nécessairement solennelle, éloignée par définition de toute considération particulière ou contingente, et mue par des objectifs de longue durée.

Comme c’est la règle, ce projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace est présenté par le Premier ministre au nom du Président de la République, et défendu par la garde des Sceaux, qui est venue devant nous pour cela il y a trois semaines. Il traduit les engagements pris par le chef de l’État lors de sa campagne électorale, puis devant les assemblées réunies en Congrès le 3 juillet 2017. Ces engagements sont les nôtres, mais ce sont aussi des exigences autour desquelles peuvent se retrouver tous ceux qui constatent à quel point certains modes de fonctionnement de nos institutions sont en décalage avec les attentes de nos compatriotes, tous ceux qui ont compris qu’il était indispensable de moderniser les mécanismes de la Ve République pour assurer la vivacité de notre vie démocratique.

La dernière révision de la Constitution, qui remonte à dix ans, manifestait déjà le souci d’un renouvellement et d’une modernisation des institutions. Nos prédécesseurs avaient pour principale ambition de doter le Parlement de moyens d’action supplémentaires. Des progrès indéniables, auxquels nous sommes unanimement attachés, ont été accomplis à l’époque, qu’il s’agisse de la discussion de la plupart des textes en séance sur la base du texte de la commission, de la reconnaissance de droits spécifiques aux groupes parlementaires d’opposition et minoritaires, ou de la procédure de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC), grâce à laquelle les justiciables peuvent saisir le Conseil constitutionnel pour faire respecter leurs droits fondamentaux.

Cependant, le bilan est partagé et certains dysfonctionnements méritent d’être corrigés, comme nous le constatons tous, jour après jour. La programmation de nos travaux est trop souvent chaotique, les délibérations en commission et en séance publique ne s’articulent pas toujours de manière satisfaisante, et l’accessoire l’emporte trop souvent sur l’essentiel. Avec le Président de la République, la majorité dresse le constat d’un rythme de conception des lois inadapté pour répondre aux besoins de la société. Le recentrage du droit d’amendement aux termes de l’article 3, la possibilité de voter les textes les plus simples en commission aux termes de l’article 4, la simplification de la navette aux termes de l’article 5, la plus grande souplesse de l’ordre du jour aux termes des articles 8 et 9, constituent des réformes utiles, susceptibles de rendre au Parlement le temps de débattre plus sereinement des questions de fond, et c’est ce que nous vous proposons.

Ce projet s’inscrit dans le cadre d’une réforme des institutions plus vaste qui comporte aussi, vous le savez, un projet de loi organique et un projet de loi ordinaire. C’est dans ce cadre que nous proposerons également de réduire le nombre de parlementaires, de limiter le cumul des mandats dans le temps, et d’introduire une dose de proportionnelle pour que toutes les sensibilités soient justement représentées au Parlement. Nous aborderons ces sujets au mois de septembre, au sein de cette même commission, sur la base du rapport de notre collègue Marie Guévenoux, mais j’ai l’intuition que certains d’entre vous souhaiteront en parler sans même attendre la rentrée.

Il nous appartiendra encore, dans la suite de la législature, de tirer les conséquences dans la législation organique et dans le règlement de notre assemblée de toutes les modifications qui seront apportées à la Constitution. Au-delà du Parlement, c’est un grand chantier de modernisation que nous abordons : Cour de justice de la République, Conseil supérieur de la magistrature, Conseil constitutionnel, Conseil économique, social et environnemental, chacune de ces institutions fait l’objet de dispositions importantes et nécessaires. Nous souhaitons de nouvelles règles pour la responsabilité pénale des membres du Gouvernement ; nous souhaitons que la justice bénéficie de garanties renforcées en matière d’indépendance ; nous souhaitons que la société tout entière participe davantage à la vie démocratique, donc aux décisions qui la concernent.

Un dernier groupe d’articles – 15, 16 et 17 – traite des collectivités territoriales. Certains attendaient depuis longtemps les mesures qui y figurent, à savoir le droit à la différenciation, le statut particulier de la collectivité de Corse, la possibilité pour les lois et les règlements nationaux de comporter des règles adaptées aux spécificités géographiques, économiques ou sociales, des adaptations du même ordre en ce qui concerne les cinq départements et régions d’outre-mer – Guadeloupe, Guyane, Martinique, Mayotte et La Réunion. Le vent de la liberté ne doit pas s’arrêter au boulevard périphérique parisien, et nos collectivités doivent exercer leurs responsabilités.

L’ampleur de la tâche a justifié que nous retenions un dispositif un peu hors norme, reposant au sein de la seule commission des Lois sur trois rapporteurs. Je suis entouré de Mme Yaël Braun-Pivet, qui a délaissé momentanément la présidence de la commission pour rapporter les dispositions relatives à la justice, et au CESE, et de M Marc Fesneau, qui s’occupe plus particulièrement de la procédure parlementaire et des collectivités territoriales. Je tiens à les remercier du travail déjà accompli lors des auditions qui ont été organisées ces deux dernières semaines et de l’état d’avancement de leurs travaux, qui a été mis en ligne sur la page internet de la commission des Lois. Je salue également le travail des rapporteurs des commissions saisies pour avis, à savoir M. Olivier Véran pour la commission des Affaires sociales, M. Christophe Arend pour la commission du Développement durable, M. Laurent Saint-Martin pour la commission des Finances, et la présidente de la Délégation aux droits des femmes, Mme Marie-Pierre Rixain.

Mon rôle et celui des deux rapporteurs ne s’arrêtera pas là : nous allons délibérer en commission et en séance, puis il nous faudra engager la concertation avec nos collègues sénateurs. La difficulté de rapprocher les points de vue, parfois peu conciliables, ne doit pas être sous-estimée. Sous la précédente législature, elle a conduit à l’échec de six projets de loi constitutionnelle à un stade ou un autre de la procédure de l’article 89 de la Constitution. Comme vous le savez, en matière de révision constitutionnelle, le bicamérisme égalitaire prévaut : le texte doit être adopté dans les mêmes termes par les deux assemblées avant que le Congrès ou le peuple français par référendum ne se prononcent. C’est donc un dialogue constructif que j’entends engager avec nos collègues sénateurs.

Dans l’immédiat, je serai vigilant à ne pas dénaturer ce projet de loi constitutionnelle qui a un périmètre relativement précis. La hiérarchie des normes doit conserver tout son sens, et il ne me paraît pas utile de hisser au rang constitutionnel des dispositions organiques ou réglementaires. Il n’est pas non plus dans mes intentions de remettre en cause les ressorts fondamentaux de la Ve République et du parlementarisme rationalisé. Enfin, j’écarterai les dispositifs aux effets juridiques trop incertains, notamment ceux ayant pour objet de proclamer certains droits et libertés pour lesquelles la jurisprudence du Conseil constitutionnel offre un cadre mieux identifié et plus protecteur à nos concitoyens.

D’autres sujets que ceux figurant dans le projet initial pourront naturellement être débattus. Le nombre d’amendements déposés – 1 378 exactement, soit plus du double d’il y a dix ans –, pour un quart avant l’article 1er, témoigne s’il en est besoin de la fertilité de nos imaginations sur tous les bancs, mais nous devons veiller à ne pas surcharger la Constitution, à ne pas adopter des dispositions qui créeraient des difficultés d’interprétation et donneraient lieu à des contentieux. Telle est, mes chers collègues, la vision d’ensemble dont je souhaitais vous faire part, avant que nos deux rapporteurs n’entrent davantage dans le détail.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Je commencerai en vous remerciant, monsieur Mazars, d’assurer la présidence par intérim de cette belle commission des Lois : je suis sûre que vous le ferez également avec brio.

Monsieur le président, monsieur le rapporteur général, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui à la veille d’un instant dont chacun mesure l’importance. Il y a à peine un an, les citoyens nous ont donné mandat de siéger à l’Assemblée nationale pour exercer le pouvoir législatif. Nous l’exerçons différemment, je le revendique et je suis même convaincue que notre assemblée en avait besoin – même si les vieux codes refont parfois surface. Cela participe d’une transformation de nos institutions que nos concitoyens souhaitaient depuis longtemps. Cette transformation, nous nous apprêtons à la poursuivre tous ensemble en nous attachant aujourd’hui à un autre type d’exercice, celui du pouvoir constituant. Cet exercice est nécessairement empreint de solennité, puisqu’il consiste à modifier le texte juridique qui fonde notre État de droit. Pour ce faire, vous m’avez confié une responsabilité : corapporter, en votre nom, un projet de loi constitutionnelle de grande ampleur. Cette responsabilité, comme à l’accoutumée – et sans doute encore davantage –, je l’endosse pleinement, avec un intérêt à la hauteur des enjeux. Avec plaisir aussi, celui de travailler aux côtés de MM. Richard Ferrand et Marc Fesneau.

Nous ne sommes qu’au début du chemin qui nous conduira à réviser notre Constitution. Devant la commission des Lois, je viens vous rendre compte de l’état de ma réflexion ; nos débats à l’Assemblée nous permettront, j’en suis sûr, de l’enrichir – il n’est pas d’intelligence qui ne soit collective – avant que le texte n’entame sa navette – une navette un peu particulière, puisqu’elle a vocation à nous conduire, conformément aux termes de l’article 89 de notre Constitution, à Versailles ou devant le peuple français.

Pour travailler ce texte, il nous était indispensable d’écouter ceux qui ont vocation à s’exprimer sur le sujet qui nous intéresse, mais aussi de tirer les leçons du passé pour mieux préparer l’avenir. Pour ma part, je vous ai invités à entendre les représentants des juridictions – Cour de cassation, Cour de justice de la République, cours d’appel, tribunal de grande instance de Paris – et j’ai convié à participer à nos travaux le président du Conseil économique, social et environnemental et la présidente de la Commission nationale du débat public (CNDP). Nous avons également fait venir des conseillers d’État, des avocats, des universitaires et des personnalités éminentes – je pense à M. Robert Badinter, à M. Jean-Louis Debré et à M. Pierre Mazeaud, enfin, qui présida avant moi cette belle commission des Lois et qui, à ce titre, rapporta lui aussi un projet de loi constitutionnelle, et même deux : celui de 1995, qui a institué la session parlementaire unique, et celui de 1996 qui a institué les lois de financement de la sécurité sociale, dont le projet de loi qui nous réunit aujourd’hui propose d’ailleurs de modifier les conditions d’examen. Un autre de mes prédécesseurs, M. Jean-Luc Warsmann, lui aussi présent aujourd’hui, avait rapporté la révision constitutionnelle de 2008, ayant conduit à une forte revalorisation des pouvoirs du Parlement.

Le projet de loi dont nous allons débattre propose une nouvelle étape afin que notre démocratie soit plus représentative, responsable et efficace. Ce n’est pas un texte de circonstance : le 6 juin dernier, lorsque nous avons auditionné la garde des Sceaux, j’avais indiqué souhaiter inscrire ce texte dans ce temps long et dans une cohérence politique. De ce point de vue, je n’ai pas varié : nous avons l’ambition d’achever enfin des évolutions attendues depuis longtemps, qui ont parfois même été débattues et votées, mais qui n’ont jamais été menées à leur terme. Nombre des mesures qui nous sont proposées mettent en œuvre des engagements que nous avons pris devant les Français à l’occasion des dernières élections et donnent tout leur sens à des réformes engagées, notamment par la loi pour la confiance dans la vie politique.

Sur le fond et sans vouloir empiéter sur les débats à venir, je voudrais vous faire part de quelques réflexions qui concernent les sujets dont je suis plus particulièrement chargée. Ces sujets pouvaient sembler simples, ils ne le sont pas. Les nombreux amendements qui ont été déposés sur les articles concernés, qui soulèvent parfois de fort belles questions de principe, en témoignent.

Je n’ai guère hésité sur l’article 1er, qui prévoit l’incompatibilité des fonctions de membre du Gouvernement avec l’exercice des fonctions exécutives locales. En 2012, la Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique, présidée par M. Lionel Jospin, considérait déjà que les responsabilités locales sont trop importantes pour être exercées par des hommes et des femmes politiques par ailleurs chargés d’une fonction ministérielle. Nous nous apprêtons aujourd’hui à mettre fin à ce cumul : je pense que nous pouvons parvenir à un consensus sur ce point.

Le climat nous retiendra davantage, et cette préoccupation donne déjà lieu à de nombreux débats : faut-il l’inscrire à l’article 1er et à l’article 34 ? Une chose est certaine, alors que la France a pris la tête des nations entendant agir contre les changements climatiques lors du sommet de Paris en 2015, nous souhaitons que la Constitution soit porteuse de ce choix. Je suis confiante : nous trouverons la voie la plus appropriée.

De même, incontestable me paraît être la suppression des membres de droit du Conseil constitutionnel. Que les anciens Présidents de la République y siègent à vie était une incongruité, que la question prioritaire de constitutionnalité a rendu plus évidente encore : on en parlait déjà il y a vingt-cinq ans, nous allons le faire !

Pour ce qui est du Conseil supérieur de la magistrature, j’ai envie de dire : « Enfin ! ». Sous les deux précédentes législatures, des tentatives ont été faites pour progresser sur la voie de l’indépendance de la justice – un texte a même été voté dans les mêmes termes par les deux assemblées. L’action politique ne doit pas être impuissante à ce point, il nous appartient d’affermir les garanties relatives à l’indépendance des magistrats du parquet. Pour cela, il est proposé que ces magistrats soient nommés sur avis conforme de la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature.

Pour ce qui est de la Cour de justice de la République, les choix sont difficiles. Il est dans la tradition française, depuis l’Ancien régime, de soumettre la responsabilité pénale des ministres à des juridictions d’exception. Ainsi, depuis la Révolution, un seul ministre, Charles Baïhaut, a été condamné par une juridiction de droit commun – c’était en 1893, à la suite d’une infraction commise dans l’affaire du canal de Panama, et la peine fut prononcée par la cour d’assises de la Seine. Cette particularité peut s’expliquer par le fait qu’il existe un écart entre la responsabilité pénale potentielle des ministres et celle du citoyen ordinaire, même exerçant des responsabilités professionnelles.

Cependant, les juridictions d’exception sont d’un autre temps. La nécessité de rapprocher du droit commun la responsabilité pénale des membres du Gouvernement, les critiques que suscite la composition de la Cour de justice de la République, la lenteur de sa procédure, ainsi que le sens de certaines décisions, justifie la réforme du régime de responsabilité pénale des ministres proposée par l’article 13 du projet de loi. Selon le professeur Bertrand Mathieu, le texte met fin « au refus de confier à l’autorité judiciaire le jugement des ministres, qui maintenait l’ambiguïté de la nature de la responsabilité des membres du Gouvernement ».

Cela dit, je m’interroge encore sur certains points. Faut-il maintenir deux voies différentes, une pour les ministres, une pour les coauteurs ou complices présumés, alors même que cette séparation a été critiquée par le passé ? Peut-on admettre que, pour des faits similaires, on puisse être condamné d’un côté et relaxé de l’autre, comme cela est déjà arrivé ? Ne faut-il pas prévoir, comme pour les autres justiciables, un double degré de juridiction, avec une possibilité d’appel ? Je ne m’interdis pas de continuer à y réfléchir.

Reste enfin la question du Conseil économique, social et environnemental (CESE), qui peine à trouver sa place dans notre système institutionnel. Malgré les réformes, la représentativité et le mode de désignation de ses membres continuent à faire l’objet de critiques. Le nombre de saisines gouvernementales ou parlementaires demeure faible et la saisine par pétition ne fonctionne manifestement pas : la seule à avoir dépassé le seuil des 500 000 signatures a été déclarée irrecevable. Les rapports et avis que le CESE rend chaque année apparaissent parfois redondants avec les travaux menés au sein des assemblées.

Le projet de loi constitutionnelle propose de transformer le CESE en une « chambre de la société civile », dont la mission serait de créer entre la société civile et les organes politiques un trait d’union fait de dialogues constructifs et de propositions suivies d’effets. Si je souscris à cette orientation, je dois dire qu’à l’issue des auditions que j’ai conduites, il m’est apparu que la vraie plus-value du CESE était de fournir un espace de dialogue indispensable aux corps constitués. Pour donner à cet organe consultatif la place qui doit être la sienne, c’est cette plus-value qu’il faut préserver et renforcer. Le CESE pourrait ainsi devenir le lieu par excellence du dialogue citoyen et de la démocratie participative : c’est ce à quoi aspirent nos concitoyens.

Cela passera d’abord par un changement de nom, c’est pourquoi je vous propose de le rebaptiser « Forum de la République », une appellation qui correspond davantage à la mission qui doit être la sienne, qui sera plus respectueuse du Parlement, car l’appellation de « chambre » en a heurté plus d’un. Par ailleurs, je vous propose, tout en reprenant les missions et les autorités de saisine prévues dans le projet de loi constitutionnelle, de supprimer le caractère obligatoire de la saisine sur les projets de loi à caractère économique, social et environnemental. Il est en effet à craindre que cette extension du champ de la saisine obligatoire n’entraîne un alourdissement considérable de la charge de travail de l’institution. Les projets de loi ayant cet objet ont représenté entre 30 % et 40 % des projets de loi de ces dernières années. L’allongement de la procédure d’adoption des projets qui en résulterait irait à l’encontre de l’objectif d’accélération de leur adoption recherché par le projet de loi constitutionnelle.

Mes chers collègues, je vous ai livré l’état de mes réflexions et je ne vous en dirai pas plus car nous avons devant nous de longues heures de débat, dont j’attends beaucoup. Rejoignant notre rapporteur général, je vous rappellerai que la dignité de la norme suprême exige qu’elle ne soit pas surchargée de dispositions de rang inférieur, comme l’a rappelé le Conseil d’État. Cela mérite assurément – et je ne doute pas que ce sera le cas – des échanges de haut niveau.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Monsieur le président, monsieur le rapporteur général, madame la rapporteure, mes chers collègues, je ne vais pas répéter devant vous ce qui a déjà été dit quant à l’organisation de nos travaux ou l’esprit qui a été le nôtre durant cette phase préparatoire. Pour autant, avant de vous présenter les thématiques dont je suis plus particulièrement chargé, je voudrais moi aussi insister sur la solennité de l’occasion qui nous réunit. Pour une fois, il n’y a pas seulement des législateurs dans cette salle Lamartine : aujourd’hui, nous sommes des constituants, ce qui signifie que notre charge, habituellement importante, est à présent exceptionnelle.

On ne révise pas la Constitution de la France aussi souvent qu’on change la loi : c’est une opportunité qui ne se présente qu’une ou deux fois par décennie, au mieux. L’occasion nous est offerte de changer, dans notre texte suprême, des éléments d’imperfection qui empêchent la République de fonctionner aussi bien que nos concitoyens sont en droit de l’espérer. Montrons-nous dignes de ce moment ! Nous sommes trop souvent accusés, à juste titre, de mal légiférer : tâchons donc d’écrire une meilleure Constitution que celle qui régit actuellement la vie politique de notre pays.

Je me suis efforcé, avec M. Richard Ferrand et Mme Yaël Braun-Pivet, de travailler en profondeur le texte proposé par le Gouvernement et le Président de la République, d’écouter tous les points de vue dans des auditions ouvertes à tous, d’essayer de prendre part à la construction d’un consensus. C’est le rôle normal d’un rapporteur.

Mais au-delà, parce que nous parlons de la Constitution, nous nous sommes efforcés de retenir la plume. Comme vous le constaterez, j’ai déposé peu d’amendements : pas parce que les idées manquaient, mais parce que la Constitution, plus encore que la loi, ne saurait être « bavarde », que nous souhaitions en rester aux objectifs initiaux de la réforme et qu’au stade de cette commission, il faut encore laisser le temps au débat. J’ai été exigeant avec moi-même et j’espère que nous saurons l’être collectivement.

J’en viens au projet de loi et aux évolutions qu’envisage le Gouvernement. Nous avons mené nos travaux en recherchant un équilibre : un équilibre des pouvoirs qu’il faut se garder de déstabiliser ; un équilibre des territoires qu’il faut certainement retoucher face à un État encore trop écrasant et une uniformité néfaste ; un équilibre politique, enfin, pour rendre possible la réforme dans notre assemblée et au Sénat.

Permettez-moi de commencer par les derniers articles du projet de loi, qui suscitent moins de débats bien que leur importance soit fondamentale pour le visage de la France de demain : je veux parler des articles 15, 16 et 17, qui transcrivent dans le droit l’engagement du Président de la République pour une meilleure prise en compte des spécificités de tous les territoires.

Il y a les dispositions pour les collectivités de droit commun – ce que l’on a appelé le droit à la différenciation –, qui consistent essentiellement à revenir sur une erreur d’appréciation commise par nos prédécesseurs, les constituants de 2003. S’ils avaient compris que l’uniformité absolue de la règle de droit, sans considération des territoires et de leurs spécificités, s’accommodait mal des réalités de terrain, et avaient accompli un pas important en imaginant des dérogations à la loi nationale suivant le principe de l’expérimentation, ils ont conçu cette démarche comme essentiellement temporaire, vouée à rejoindre d’une façon ou d’une autre le droit commun par l’abandon de la dérogation ou par sa généralisation à tous. Après quatre expérimentations en quinze ans, aujourd’hui la procédure n’intéresse plus personne. L’article 15 du projet de loi permettra de pérenniser les dérogations et de coller à la réalité des choses, car on ne subit pas les contraintes de la montagne, ou du littoral, ou des zones faiblement peuplées, pour quelques années seulement, et nous devons nous y adapter.

Outre-mer, l’article 17 propose d’élargir la capacité des collectivités à fixer des règles par dérogation à la norme nationale. Contrairement à ce que j’ai pu entendre, le mécanisme adopté en 2003 a fonctionné, notamment dans les Antilles, où de nombreuses adaptations ont eu lieu. Le Gouvernement propose d’approfondir cette démarche en conférant un supplément d’autonomie, toujours sous le contrôle du Parlement, qui sera amené à ratifier les actes pris en ce domaine.

Et puis il y a la Corse, la seule île du territoire européen de la France aux dimensions d’une région. Elle est inscrite nommément dans la Constitution et ses spécificités sont reconnues pour la première fois, ce qui permettra des adaptations plus faciles à ses particularités, en desserrant le contrôle exercé par le Conseil constitutionnel au nom du principe d’égalité. En tant que législateur, nous pourrons édicter pour la Corse des lois spécifiques, par exemple dans les matières foncière ou fiscale, pour tenir compte des contraintes réelles de l’insularité sur l’économie et sur la société corse tout entière.

Mes chers collègues, pour ce qui est de cette partie relative aux collectivités, j’ai eu l’impression, non pas d’une unanimité, mais d’un solide consensus sur les avancées. Certains veulent aller plus loin et nous en débattrons, mais j’appelle le législateur organique à la plus grande vigilance pour la « mise en musique » de cette partition constitutionnelle.

J’en viens maintenant à la réforme de la procédure parlementaire. Je ne crois pas briser un grand secret en constatant, avec vous, que le Parlement fonctionne mal. Il existe une forme de dérive depuis de nombreuses années : toujours plus d’amendements, toujours plus de lois, toujours plus de jours de travail en séance, toujours plus d’activité… Cela a-t-il permis une meilleure qualité de l’élaboration de la loi ? C’est une question que nous devons nous poser, y compris en parcourant les 1 400 amendements qui nous attendent sur ce projet de loi constitutionnelle.

Cette boulimie législative, et parfois réglementaire, occulte les autres fonctions fondamentales du Parlement et nuit même à l’aspect premier de notre rôle, celui de faire la loi. Quant à planifier nos travaux, cela paraît bien difficile en ce moment, où nous sommes souvent incapables de voir au-delà des deux ou trois jours qui viennent. C’est du mauvais travail et c’est dangereux pour le pays. Historiquement, les parlements qui travaillent sans arrêt ne sont pas des modèles dont il faut s’inspirer. Il faut aussi que les députés puissent s’occuper des territoires et être en contact avec la population. Il faut qu’ils puissent prendre le temps de travailler les textes, d’y apporter leurs propres expertise et expérience, et qu’ils puissent en anticiper l’examen.

Le Gouvernement propose dans son texte des dispositifs souvent volontaristes pour parvenir à une rationalisation du temps parlementaire, mais cette régulation que j’appelle de mes vœux doit être réciproque et équilibrée. Il revient aux assemblées de faire ce travail, mais aussi au Gouvernement : cette œuvre a vocation à être commune.

Plusieurs réflexions sont en cours. En ce qui concerne les projets de loi de finances et les projets de loi de financement de la sécurité sociale, ceux qui ont vécu l’exercice de l’automne dernier et des précédents savent qu’il faut agir – ce que la commission des Finances a d’ailleurs commencé en revalorisant le rôle de la loi de règlement.

Au sujet du nombre d’amendements, le Gouvernement préconise des irrecevabilités systématiques. Pour ma part, je considère que le droit d’amendement est un droit essentiel des parlementaires. Nous ne sommes pas le Corps Législatif du Premier Empire, qui pouvait voter les textes mais pas les discuter, tandis que le Tribunat les discutait sans les voter. Je suis conscient que c’est un droit qui est massivement utilisé, mais je constate que ce n’est généralement pas à des fins d’obstruction. Je vous proposerai donc de revenir à l’esprit de la Constitution en assortissant le droit d’amendement de nouvelles règles qui permettent de réellement appliquer les principes du droit fondamental : il faut permettre aux parlementaires de continuer à amender, tout en posant des règles permettant de faire une application conforme aux objectifs des constituants de 1958.

Pour ce qui est de la question sensible de l’ordre du jour, s’il n’est pas question de rendre au Gouvernement la maîtrise totale qu’il exerçait jusqu’à 2008, nous pouvons tous convenir que notre système est perclus de défaut, qu’il est trop rigide, et que la semaine de contrôle pourrait être mieux employée. Dans l’esprit de certains, « mieux employée » pourrait signifier « employée par le Gouvernement ». Là encore, je vous proposerai d’apporter des améliorations au cours de nos débats.

Enfin, il y a ce que le texte ne dit pas et que nous devrons construire ensemble. Je retiendrai deux thèmes principaux.

En premier lieu, il y a la prévisibilité de nos travaux, qui nous permettrait de mieux nous organiser et d’éviter les accusations les plus populistes en évitant, par exemple, que trois obligations se concentrent sur les mêmes créneaux horaires. Nous devons changer les choses de ce point de vue : le Gouvernement est libre de nombre de ses choix, mais il ne doit pas en être libre jusqu’au dernier moment.

En second lieu, il y a nos pouvoirs d’investigation, notre capacité de contrôle et d’évaluation, notre aptitude à disposer des données dont nous avons besoin, le fait que nous ayons des ministres face à nous pour nous rendre compte. Le projet de loi ne contient pour le moment aucun élément sur ce point : il va falloir que nous nous en chargions.

Mes chers collègues, je sais que les propositions que vous allez formuler, les attentes que vous allez exposer, embrassent pratiquement tous les articles de la Constitution. Comme je vous l’indiquais au début de mon propos, j’ai souhaité pour ma part rester dans l’épure de ce qui nous était proposé. Nous devons améliorer la Constitution, pas rebâtir un texte à partir de rien en essayant d’y inscrire toutes les dimensions de nos actions politiques.

De même, je n’ai pas mentionné devant vous les lois organique et ordinaire qui viendront cet automne, mais nous avons tous à l’esprit les prolongements qu’elles apporteront à cette grande réforme institutionnelle. C’est bien une réforme globale que nous allons entreprendre aujourd’hui. Montrons-nous à la fois responsables et exigeants : partons du réel pour l’améliorer, non de l’idéal pour déplorer son caractère inaccessible. C’est, je pense, la seule façon de donner à cette révision de la Constitution une chance réelle de prospérer et d’être utile à la démocratie et à ceux que nous entendons servir, à savoir les citoyens français.

Mme Isabelle Rauch, suppléant Mme Marie-Pierre Rixain, rapporteure pour avis de la Délégation aux droits des femmes. Monsieur le président, monsieur le rapporteur général, madame la rapporteure, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la révision constitutionnelle est une occasion rare d’affirmer la place, au sommet de notre hiérarchie des normes, des principes qui fondent notre société. C’est également l’occasion de consacrer solennellement des engagements politiques d’envergure et de faire évoluer notre norme suprême en accord avec la société que nous voulons construire. Je veux bien évidemment parler de l’égalité entre les femmes et les hommes, qui constitue aujourd’hui l’une des pierres angulaires de notre République. En cohérence avec le choix du Président de la République de faire de l’égalité entre les femmes et les hommes la grande cause du quinquennat, la Délégation aux droits des femmes considère que cette révision constitutionnelle doit permettre de mieux affirmer ce principe. Cette évolution correspondrait d’ailleurs à une aspiration forte et largement exprimée depuis plusieurs années par nos citoyens.

Il convient toutefois de procéder à de telles évolutions avec la plus grande prudence et la plus grande rigueur. La Constitution est la norme suprême de notre ordre juridique interne et l’intégration de nouveaux dispositifs, voire de nouveaux droits, doit être appréhendée avec la plus grande vigilance. C’est dans cette double logique que la délégation a choisi de se concentrer sur trois axes principaux, se traduisant par six amendements que je défendrai durant la discussion en commission.

Le principe d’égalité entre les femmes et les hommes n’a pas encore fait l’objet d’une consécration constitutionnelle aboutie : sur cette question, j’ai l’impression que nous restons au milieu du gué. Le temps me paraît venu, mes chers collègues, de relever notre niveau d’exigence en affirmant à l’article 1er de notre Constitution l’égalité devant la loi sans distinction de sexe. Au sein du même article, je pense que nous devons également aller plus loin en termes de parité en passant de la phrase « La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales » à une formulation plus franche et plus forte en affirmant que « La France assure l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales ». Dès lors que nous renforçons le principe à l’article 1er, il faut en tirer les conséquences dans le reste de la Constitution, notamment aux articles 4 et 8 sur la responsabilité des partis politiques et sur la composition du Gouvernement

Le deuxième axe sur lequel la délégation a choisi de concentrer son attention porte sur la place des femmes en général dans notre Constitution. Nous souffrons encore d’un phénomène d’invisibilisation des femmes, et c’est un travail de longue haleine pour lever tous les obstacles sociaux et symboliques. Cependant, nous pouvons déjà avancer sur cette voie et, pour ce faire, je crois qu’il est temps de privilégier l’expression des « droits humains » dans le préambule de notre Constitution. Cette formulation, qui me semble la plus adaptée, permettra de bien montrer que désormais nous n’oublions plus la moitié de l’humanité lorsque nous parlons des droits humains.

J’en viens au troisième axe que je souhaitais évoquer, la prise en compte des droits des femmes et des enjeux d’égalité dans l’ensemble du processus normatif. Cette question ne se limite pas au projet de loi, mais porte aussi et surtout sur des lois organiques et sur notre règlement. Nous pourrons cependant aborder ces enjeux dans nos débats, notamment pour préciser à l’article 34 que la loi fixe les grands principes de l’égalité entre les femmes et les hommes.

Pour conclure, je voudrais ajouter deux points : d’une part, je suis persuadée que si nous voulons parvenir à l’égalité entre les femmes et les hommes, nous devons aujourd’hui faire changer les mentalités ; d’autre part, l’égalité est par essence une problématique transversale qui doit irriguer toutes nos réflexions et toutes nos législations. Pour ces deux raisons, l’affirmation claire de ce principe de notre Constitution me semble tout à fait pertinente et s’inscrit dans le sens de l’histoire.

M. Christophe Arend, rapporteur pour avis de la commission du Développement durable et de l’aménagement du territoire. Monsieur le président, monsieur le rapporteur général, madame la rapporteure, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je vous remercie de me recevoir au sein de la commission des Lois pour partager les conclusions du rapport pour avis sur l’article 2 du projet de loi constitutionnelle pour la commission du Développement durable et de l’aménagement du territoire.

Je vais vous raconter la belle histoire d’une construction en cours. Le Gouvernement a souhaité faire de l’action contre les changements climatiques une priorité. L’article 2 du projet de loi traduit sa volonté d’inscrire au plus haut niveau normatif l’enjeu majeur que constituent les changements climatiques. Dans la continuité de l’Accord de Paris adopté à la suite de la COP21 le 12 décembre 2015, face à l’urgence climatique, l’exécutif hisse cet objectif au rang constitutionnel. L’article 2 du projet de loi confie au législateur la responsabilité de définir les principes fondamentaux de l’action contre les changements climatiques, au moyen d’une inscription à l’article 34 de la Constitution – cet article innovant de la Ve République qui définit le domaine de la loi.

Au cours des dix-sept auditions menées, les spécialistes ont souligné que l’article 34 de la Constitution n’était pas l’endroit le plus adapté pour inscrire l’action contre les changements climatiques. Cet article n’a, de fait, aucun caractère contraignant le Parlement à légiférer. De plus, la préservation de l’environnement fait partie du domaine de la loi depuis la révision constitutionnelle de 2005. Enfin, la rédaction actuelle de l’article 2 du projet de loi constitutionnelle n’engloberait pas la diversité des problèmes environnementaux. Le fait de morceler les problématiques liées à l’environnement pourrait avoir pour conséquence de donner la priorité au climat au détriment de la diversité biologique, et de créer une hiérarchie contreproductive pour notre planète entre les différents éléments constitutifs de l’environnement. Pour notre part, nous avons acquis la conviction que l’environnement ne peut être compris que dans sa globalité. À cet égard, une inscription de la préservation de l’environnement à l’article 1er de la loi fondamentale, qui affirme certains grands principes de notre République, aurait une portée symbolique et juridique bien plus importante : c’est la conclusion à laquelle nous sommes parvenus grâce aux éclairages apportés par les différents experts.

Le premier pas a donc consisté à proposer cette inscription à l’article 1er de la Constitution. La commission du Développement durable et de l’aménagement du territoire, s’astreignant à la concision que demande un texte comme l’article 1er de la Constitution française, a retenu dans son avis la formulation « elle assure la préservation de l’environnement », cette position étant jugée la plus efficace pour contrer le risque de fractionnement de l’environnement grâce à un terme englobant. Depuis, les échanges avec le Gouvernement, avec Mme la rapporteure pour l’article 2, ainsi qu’avec le rapporteur général, ont encore permis de faire évoluer et d’optimiser la formule. Aussi, si le Gouvernement nous assure que choisir le terme « agir » à la place du terme « assurer » n’a pas de conséquences juridiques, et si nous avons la confirmation que le fait de mentionner la diversité biologique et le climat n’aura pas pour conséquence de fractionner l’environnement au détriment de certains de ces pans tels que la qualité de l’air, la qualité de l’eau, ou la gestion des déchets, et ne crée pas de hiérarchie entre ces éléments, nous ne pouvons que nous réjouir de la formule retenue à ce stade.

M. Stéphane Mazars, président. M. Olivier Véran, rapporteur pour avis de la commission des Affaires sociales, et M. Laurent Saint-Martin, rapporteur pour avis de la commission des Finances, étant tous deux absents, je vais maintenant donner la parole aux orateurs des groupes, en commençant par M. Philippe Gosselin, pour le groupe Les Républicains.

M. Philippe Gosselin. Monsieur le président, mes chers collègues, je vais commencer par déplorer l’absence de nos collègues rapporteurs pour avis…

M. Stéphane Mazars, président. Ils nous rejoindront pour l’examen des articles.

M. Philippe Gosselin. Sans doute, mais j’estime qu’en tant que rapporteurs pour avis, ils ont une importance particulière dans le débat, et je trouve dommage qu’ils ne prennent pas part à la discussion générale, où chaque groupe expose sa vision des institutions.

Nous sommes aujourd’hui à la veille du soixantième anniversaire de l’adoption de la Ve République. Au printemps et à l’été 1958, dans les communes, au sein du Conseil d’État et des assemblées parlementaires, chacun s’agitait et réfléchissait, tentant de trouver le moyen de redonner du poids à des institutions singulièrement malmenées par une instabilité ministérielle bien connue sous la IVe République : Edgar Faure employait à ce sujet l’expression de « gouvernements à secousses », tant il est vrai que vingt-quatre gouvernements en douze ans, cela faisait beaucoup – à tel point que la stabilité du pouvoir s’en trouvait menacée. C’est dans ce contexte que le général de Gaulle fut rappelé aux affaires en 1958 et qu’une loi constitutionnelle fut votée le 3 juin de la même année, fixant un certain nombre de grands principes fondateurs de la Ve République.

En tant qu’héritiers légitimes, sinon exclusifs, du gaullisme, les députés du groupe Les Républicains sont évidemment très attachés à cette Ve République, et il leur paraît important de maintenir l’esprit des institutions et leur stabilité – en rappelant, comme le disait le général de Gaulle dans sa conférence de presse du 31 janvier 1964, qu’« une Constitution, c’est un esprit, des institutions, une pratique ». Oui, nous voulons préserver l’esprit de la Ve République et la stabilité du pouvoir, avec un Parlement certes rationalisé, mais pas à la botte du pouvoir, un Parlement renforcé par la révision constitutionnelle de 2008 – parce qu’il y avait, en effet, matière à progresser –, ce qui nous conduit à nous poser bien des questions sur ce que souhaitent faire le Gouvernement et la majorité.

En 1958, il était question de « donner un pouvoir à la République », c’est ce que disait Michel Debré dans son discours bien connu devant le Conseil d’État le 27 août 1958. S’agit-il aujourd’hui de défaire ce qui a été fait, de partir tous azimuts dans une logorrhée constitutionnelle ? Si certains articles qui nous sont soumis ne nous posent aucun problème – ainsi, il n’y a pas de difficulté sur le non-cumul des fonctions gouvernementales et exécutives, ni sur le fait que les anciens Présidents de la République ne siègent plus au Conseil constitutionnel – en revanche, nous sommes très sceptiques lorsque le texte prétend vouloir renforcer les droits du Parlement.

Nous aurons l’occasion de revenir sur le paquet formé par les lois organiques et les lois ordinaires, que le Président de la République entend remettre sur la table à l’automne, mais je veux d’ores et déjà souligner qu’avec la diminution de 30 % du nombre de parlementaires, des circonscriptions qui vont doubler de taille, une représentation proportionnelle se situant à au moins 15 % et qui va instaurer un double statut au sein des parlementaires, entre ceux qui relèveront de la représentation proportionnelle et ceux qui, « de droit commun », relèveront du scrutin uninominal, avec ces différentes procédures qui encadrent le droit constitutionnel d’amendement qui, en vertu d’une tradition de très longue date, est conféré à chaque parlementaire à titre individuel, il y a de quoi se poser bien des questions.

Pour ce qui est de la volonté de donner plus de pouvoir aux collectivités locales, si le principe constitutionnel d’autonomie doit effectivement être renforcé jusqu’à l’autonomie financière, assortie d’un certain nombre de procédures et d’adaptations, on comprend mal que, dans le même temps, le Gouvernement s’acharne à diminuer les moyens de ces collectivités et à réorganiser les territoires dans des buts souvent inavoués. Cela nous conduit à nous interroger sur ce qu’il en est de l’unité de notre République : certes, cette unité dans la diversité peut être acceptée en vertu du principe d’adaptation, mais ce principe ne saurait aller trop loin et doit être particulièrement encadré, car l’unité de la République constitue, elle, un principe fondateur de la Ve République. Si nous sommes favorables à la reconnaissance indispensable des singularités des outre-mer ou des particularités continentales de tel ou tel territoire, nous nous interrogeons très clairement sur la reconnaissance de certaines insularités – je sais qu’il y a plus de 200 amendements sur le sujet.

L’heure est grave, puisque nous nous apprêtons à toucher à notre grande charte, notre code de bonne conduite, le code que les Françaises et les Français ont accepté en 1958 par une grande manifestation d’adhésion revêtant la forme d’un référendum. La réforme qui nous est soumise, qui constitue la vingt-cinquième révision constitutionnelle depuis 1958, contient à la fois des modifications importantes et d’autres plus anecdotiques, mais il nous paraît essentiel de savoir où la majorité veut nous emmener. Avec les 1 378 amendements qui ont été déposés, on a l’impression d’assister à une sorte de concours Lépine – le nombre d’amendements a été multiplié par deux par rapport à 2008. Mme la présidente de la commission des Lois nous a laissé entendre qu’un certain nombre d’arbitrages n’étaient pas rendus, notamment au sujet du Conseil économique, social et environnemental, qui devait initialement se transformer en une grande chambre de la citoyenneté et qui, finalement, deviendrait plutôt un forum. La rédaction actuelle du texte suscite de nombreuses interrogations au sujet de ce qui ressemble fort à l’instauration d’une troisième chambre, ce qui viendrait heurter la légitimité démocratique de l’Assemblée nationale et du Sénat. Ce n’est pas l’existence même du CESE que nous critiquons, car il nous paraît très important que les corps intermédiaires soient associés, afin que les forces vives de la Nation puissent s’exprimer : ce qui nous gêne, c’est cette forme ultime qu’il est proposé de lui donner, qui viendrait nous heurter dans nos légitimités et sans doute, parfois, court-circuiter un certain nombre de débats.

Dans l’attente des débats qui s’ouvriront avec l’examen des articles, nous avons déposé prudemment des amendements de suppression. Peut-être défendrons-nous en séance d’autres amendements plus constructifs, plus complets, une fois que nous aurons précisé l’épure.

Nous voulions éviter de partir tous azimuts, car, comme le faisait remarquer en 1992 le Conseil d’État à propos de certains textes législatifs ou réglementaires, nous n’étions pas loin de la logorrhée. Nous voulons ne réformer que ce qui est nécessaire et conserver l’essentiel, cet esprit de la Ve qui nous anime et permet à la France de connaître la stabilité, contrairement à l’Italie, et peut-être à l’Allemagne, aujourd’hui bien en difficulté.

M. Bastien Lachaud. Nous abordons une longue séquence de réformes institutionnelles qui se traduira par trois projets de loi, constitutionnelle, organique et ordinaire. Permettez-moi de dire qu’il n’est pas sérieux d’aborder des sujets d’une si haute importance en catimini, au début de l’été, au moment où nos concitoyennes et concitoyens songent aux congés, et pour celles et ceux qui le peuvent, aux vacances.

Une révision constitutionnelle touche à la souveraineté, puisque le texte fondamental définit la façon dont elle s’exerce, ainsi que les principes fondamentaux au nom desquels elle s’exerce. Nous n’avons pas la légitimité démocratique pour opérer ainsi une révision constitutionnelle : seul le souverain, c’est-à-dire le peuple, est légitime pour le faire. Vous ne m’apprendrez pas l’existence de l’article 89 de la Constitution, qui prévoit les modalités de révision constitutionnelle ; je parle de la légitimité politique réelle, celle du peuple à décider lui-même de la forme de ses institutions.

Depuis ses débuts, la Ve République est entachée d’illégitimité démocratique. La Constitution de 1958 a été rédigée à la hâte, pour légitimer ce qui s’apparente quand même à un putsch militaire, (Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains) et le peuple n’a pas eu son mot à dire. Il continue d’être ignoré, souverain théorique et factice, bien commode pour les grandes déclarations solennelles, méprisé et écrasé chaque fois qu’il cherche à s’exprimer.

Je rappelle la forfaiture et la trahison de la souveraineté populaire qu’a été la ratification du traité de Lisbonne. La souveraineté populaire a été foulée au pied, alors que les résultats du référendum de 2005 étaient nettement en faveur du « non ». La Ve République organise le coup d’État permanent, et ce projet de révision cherche à en renforcer les pires travers. Non, le Parlement ne peut pas légitimement réviser la Constitution après cette trahison.

Comment voulez-vous que les citoyennes et citoyens aient confiance dans leurs institutions, alors qu’on leur a jeté à la face que leur vote ne valait rien ? Comment osez-vous déplorer l’abstention lors des élections, alors qu’il est manifeste que les mêmes politiques sont appliquées, peu importe ce qu’ils votent ?

La futile promesse du candidat Macron d’un nouveau monde en est la preuve évidente : son gouvernement applique toutes les vieilles recettes, alors que les électrices et électeurs avaient, trop naïvement peut-être, choisi un candidat qui se prétendait dégagiste de l’ancien monde. Nous avons bien l’ancien monde, avec de nouveaux habits : aucun changement réel, la même chose que Sarkozy et Hollande, mais en pire.

Notre régime politique a trahi la confiance populaire. Le lundi 4 février 2008 a sonné le glas de l’illusion démocratique de notre Constitution. Il ne s’est trouvé que 20 % des parlementaires pour respecter le vote populaire ! Le peuple est l’objet de nos savants débats, au lieu d’en être le sujet. On parle du peuple ; le peuple, lui, n’a rien le droit de dire. Il n’a pas d’initiative, hormis le très encadré article 11, alinéa 3 qui n’a d’ailleurs jamais été mis en pratique. Ce projet de révision ne lui donne pas davantage de droits.

La Constitution de la Ve République institue davantage une monarchie présidentielle qu’une démocratie. Nous sommes quasiment de retour à l’Ancien régime, où les sujets du bon roi pouvaient bien obéir et payer leurs impôts. Les nouveaux ordres privilégiés, la noblesse, non plus de robe ou d’épée, mais de dividendes ou de riches capitaux, ne paient quasiment plus d’impôts. Le clergé médiatique sermonne à l’envi et déblatère sa vérité révélée, sans contestation possible. La presse a oint le candidat Macron de ses faveurs, elle a investi le monarque et légitimé son pouvoir quasi absolu. La seule différence réside dans le fait que nous avons, ô noble fonction, le droit de choisir quel monarque présidentiel nous gouvernera, une fois tous les cinq ans. Une fois la présidentielle achevée, le peuple n’a plus aucun mot à dire. Personne d’autre d’ailleurs : nous voyons comment les débats parlementaires sont menés, le plus vite possible ; les discours de l’opposition ne sont supportés que parce que le Règlement l’impose, mais il n’en est pas tenu compte.

Oui, la Constitution de 1958 nous a fait revenir à l’Ancien régime. Nul contre-pouvoir ne peut réellement s’opposer aux volontés du monarque, désormais jupitérien. L’inversion du calendrier électoral produit des assemblées nationales aux ordres, qui font plus ou moins bien semblant de remplir leur rôle de contre-pouvoir au gouvernement.

Mais le pire reste à venir. Car si notre assemblée entérine le projet de révision constitutionnelle du Gouvernement, ce sera un dramatique sabordage démocratique. Ne nous leurrons pas nous-mêmes : la baisse du nombre de parlementaires ne rendra aucunement l’Assemblée plus efficace. Il y aura moins de députés pour faire le même travail, ce qui veut dire moins de missions d’informations, de commissions d’enquête, d’amendements, de propositions de loi, de présence en circonscription, de contrôle, de visites d’information. Nous devons déjà tous nous dédoubler pour pouvoir accomplir intégralement les tâches que nous voudrions accomplir. Après la réforme, ce sera pire : l’exécutif aura les mains plus libres encore, le déséquilibre entre les pouvoirs sera plus grand, les possibilités d’exercer un pouvoir autoritaire sans contrôle seront plus nombreuses. Au lieu d’être le lieu des débats politiques qui traversent notre pays, le Parlement sera le relai de discussions technocratiques et techniques, incompréhensibles du grand public, obscures et cachées, et dont dépendront pourtant les choix essentiels.

La seule façon de rompre avec ces pratiques est de changer entièrement nos institutions par une assemblée constituante. Seul le peuple, et exclusivement lui, a la légitimité suffisante pour toucher à la Constitution. Ratifier un projet par référendum resterait insuffisant. Car c’est le peuple qui fait vivre ses institutions démocratiquement, quand il s’en empare, et les laisse mourir, quand il s’en retire. Le président Macron n’a même pas été élu par la majorité des inscrits sur les listes électorales, même après le vaste chantage organisé pour ne laisser le choix qu’entre n’importe quoi et l’extrême droite.

Notre démocratie se meurt par la colère froide de l’abstention. La société est à bout. Les gens souffrent. Vos réformes leur pourrissent encore davantage la vie. Et ils doivent en plus subir l’insulte de voir les plus riches encore favorisés, alors qu’eux ne font que trimer. Vous voyez que partout, dans tous les secteurs de la société, les luttes sociales se multiplient. La colère gronde. Parfois l’une d’entre elles parvient à percer le mur d’indifférence médiatique à la souffrance sociale. Instrumentalisée en exemple, la résolution d’un problème sert de prétexte à ne résoudre aucun autre problème similaire. Dans les hôpitaux, les prisons, les universités, les transports ferroviaires, les tribunaux, les usines, les ateliers, tous les secteurs publics et privés, les gens se demandent comment ils vont encore tenir ce mois-ci. Et celui d’après.

Le jeu auquel vous jouez est très dangereux. On ne contient pas longtemps la colère populaire impunément. On n’accule pas au désespoir autant de braves gens sans conséquence. Cette histoire va mal finir. Car plus vous appuyez sur le couvercle de la marmite, plus la pression monte, et plus forte sera la déflagration quand il se soulèvera enfin.

Croyez-vous sérieusement que vous sauverez notre démocratie si mal en point en empêchant davantage le peuple d’exercer sa souveraineté ? Il faut trouver une issue positive, pacifique, démocratique, joyeuse, à l’immense problème qui est face à nous. Le peuple français est hautement politique. Nos concitoyennes et concitoyens sont parfaitement capables de saisir les enjeux et de prendre des décisions judicieuses. C’est au peuple de se charger de l’écriture de son texte fondamental. En réécrivant une nouvelle constitution pour une VIe République, par une assemblée constituante dédiée, le peuple aurait l’occasion de se refonder lui-même comme sujet politique, comme auteur du régime qui se gouverne. Revenons aux fondamentaux du Contrat social de Rousseau. Le contrat social qui fait sortir du régime tyrannique fait que celui qui édicte la loi est le même que celui qui obéit. Le gouvernant est le gouverné. Le souverain est le peuple. Même si la monarchique constitution de 1958 le rappelle dans son article 2 : « Son principe est : gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ». Gouvernement du peuple, on voit bien, « par le peuple et pour le peuple », c’est moins flagrant.

Il faut rétablir la souveraineté populaire dans un grand moment démocratique où l’ensemble du peuple est sollicité par les débats essentiels. Où les enjeux sont exposés publiquement et débattus. Où les foyers débattent et discutent. Où la politique est vivante et irrigue les places publiques. Où l’assemblée n’est pas le lieu confiné et caché des débats, mais le réceptacle et le lieu d’expression de ce que le peuple délibère.

Au lieu de quoi, dans la chaleur écrasante du milieu de juillet, des députés, seuls dans leur hémicycle, vont modifier la règle fondamentale. Aucun débat populaire n’aura lieu. Le calendrier a à peine permis aux députés et à leurs équipes de préparer leurs amendements. Ainsi, nous avons travaillé en moins de trois semaines sur une charte du numérique, que nous proposerons sous forme d’amendement – il avait fallu plus de six mois pour rédiger la Charte de l’environnement. Aucun temps pour consulter les secteurs de la société en pointe sur ces questions, les associations, les professionnels ! Nous légiférons dans l’urgence, celle du calendrier imposé par l’exécutif, alors qu’il n’y a aucune urgence réelle. Il faut en moyenne deux ans pour une Constituante. Donnons-nous le temps. Et que le peuple se saisisse de ce texte !

Aussi, le groupe de La France insoumise s’oppose fermement et résolument à ce projet de révision constitutionnelle. Nous avons déposé des amendements dans l’idée de parer au pire, et de proposer des axes qu’il faudrait mettre en débat. Mais la méthode est mauvaise. Nous défendrons un amendement pour une assemblée constituante, pour une Constitution du peuple, pour une VIe République.

M. Jean-Christophe Lagarde. J’ai entendu nos rapporteurs, mais aussi M. Gosselin, évoquer l’équilibre des pouvoirs sous la Ve République. Vous me permettrez donc de commencer par exprimer les réserves d’une grande partie de notre groupe sur cet équilibre.

Après avoir copieusement dénigré ce qui s’était passé sous les IIIe et IVe Républiques – en oubliant que la IVe a reconstruit la France après la guerre mais a chu parce qu’elle n’avait pas su gérer la décolonisation –, la Ve République a été instaurée en créant, en 1958, puis en 1962, le Président de la République. Le chef de l’État français est celui qui, dans le monde occidental, concentre le plus grand nombre de pouvoirs et a, en face de lui, le moins de contre-pouvoirs. Le paradoxe, c’est qu’au cours des quarante dernières années, cette forme de monarchie républicaine, rééligible tous les sept ans, puis tous les cinq ans, a réussi à aboutir au résultat que la France est le pays occidental qui a fait le moins de réformes.

Cela devrait nous faire réfléchir à ce que l’on appelle l’équilibre des pouvoirs au sein des démocraties occidentales. À l’époque, on voulait instaurer un parlementarisme rationalisé, raisonné. Nous n’avons obtenu qu’un Parlement arraisonné, ficelé et même souvent corseté, encore plus depuis le passage au quinquennat et l’inversion du calendrier électoral. Hélas, l’Assemblée nationale s’est retrouvée considérablement diminuée, de législature en législature, avec l’assentiment des majorités successives. Il y a malheureusement une grande continuité sur ce point. Le renoncement à un équilibre des pouvoirs par le Parlement lui-même est sans doute ce qui doit le plus étonner les observateurs étrangers. Lorsque nous avons l’occasion de rencontrer des parlementaires d’autres pays, nous nous apercevons qu’alors même que nous avons décidé d’avoir un Parlement composé de parlementaires à 100 % de leur temps, nous sommes un Parlement qui n’a pas 10 % des pouvoirs des autres parlements.

J’aimerais que cela puisse inspirer nos débats, parce que je ne crois pas que la démocratie se trouverait amoindrie si ces parlementaires à 100 % se voyaient confier un peu plus de pouvoirs et de responsabilités. Il est vrai que le travail ici est insatisfaisant. C’est une des raisons pour lesquelles nous souhaiterions qu’une réforme puisse aboutir et nous essaierons d’y contribuer. Mais disons les choses clairement : si cela fonctionne si mal ici, c’est parce qu’il est difficile de demander à une assemblée d’être responsable quand on ne lui confie pas de responsabilités. C’est, me semble-t-il, un des travers de la Ve République que nous pourrions corriger.

Mais tel n’est pas l’objet du texte qui a été présenté par le Gouvernement. Il se limite à d’autres ambitions, qui sont respectables et qu’il faut étudier, me semble-t-il, plus avant. L’exécutif a choisi de présenter les trois textes à la fois. Je veux saluer sa volonté de transparence quant à la globalité du raisonnement et des modifications qu’il entend proposer.

Les votes que nous exprimerons seront fonction non pas du seul texte constitutionnel, mais des trois textes. Cela nous conduira, je le dis d’ores et déjà, à poser souvent des questions, à la majorité, et au Gouvernement lorsqu’il sera présent, sur les évolutions des autres textes. Connaître la globalité de la réforme est la seule façon de juger de sa pertinence.

Le texte qui nous est soumis aujourd’hui contient essentiellement la fin, la conclusion de la réforme constitutionnelle de 2008, laquelle n’avait pas trouvé une majorité sur un certain nombre de sujets pourtant consensuels. Je pense à la suppression de la Cour de justice de la République, qui était déjà prête mais n’a pas obtenu la majorité des trois cinquièmes – nous nous souvenons tous que la réforme de 2008 est passée à une voix près. Je pense aussi à la fin de l’appartenance de droit des anciens Présidents de la République au Conseil constitutionnel, une bonne chose tant cette institution finissait par être emplie de personnalités, certes éminentes, mais dont on ne pouvait dire qu’elles n’étaient pas politiques. La réforme du Conseil supérieur de la magistrature, prévoyant l’avis conforme du CSM pour les nominations au Parquet, peut nous convenir, avec une interrogation toutefois sur le moment où la magistrature échange avec la société – nous y reviendrons.

Nous soutenons le droit à la différenciation, à même de faire évoluer notre République dans un sens plus proche des réalités locales. La réforme du CESE, que l’on veut transformer en chambre de la société civile, nous inquiète. Nous contestons absolument ce titre : la chambre de la société civile se trouve ici, dans cette pièce, dans l’hémicycle, à l’Assemblée nationale. Que sommes-nous d’autre que la société civile ? (Applaudissement sur les bancs des groupes UDI, Agir et Indépendants, Mouvement Démocrate et apparentés, Les Républicains et Nouvelle Gauche). D’ailleurs, tous ceux qui viennent d’être élus savent que nous sommes les représentants de la société civile. Il faudra donc veiller à la place et au titre qui seront donné au CESE.

D’autres éléments concernent la fabrique de la loi. Disons les choses concrètement : nous pouvons ici être plus efficaces, et parfois plus rapides. Encore faut-il que ce ne soit pas au détriment des débats de fond et d’un Parlement, dont j’ai dit combien il était faible par rapport à ses homologues dans les démocraties occidentales. Nous veillerons à ce qu’il ne sorte pas davantage affaibli de cette réforme. Nous ferons donc un certain nombre de propositions qui permettent à la fois de libérer les initiatives parlementaires et de résoudre un certain nombre d’anomalies démocratiques.

Il convient par exemple d’améliorer la rédaction de l’article 40 de la Constitution, qui nous empêche quasiment de débattre de la plupart des domaines budgétaires. On doit attendre du Parlement, non pas qu’il ne débatte pas du budget, mais qu’il équilibre le budget, et ne pas lui faire le procès de vouloir influer sur telle ou telle chose. L’article 40 fait que la plupart du temps, sans trop que l’on sache pourquoi, selon une jurisprudence constante et bien établie, des amendements qui auraient pu être discutés sans nuire aux finances publiques ne viennent pas en débat dans notre assemblée.

Nous souhaitons un Parlement qui soit renforcé, plus efficace grâce à la fin du cumul des mandats. Nous souhaitons que le Sénat puisse être respecté. Nous avons plus que des interrogations, des réticences, sur la réforme de la navette parlementaire et le raccourcissement du mandat du Sénat. Nous souhaitons qu’on libère le droit d’initiative : la semaine de contrôle, M. Marc Fesneau y a fait allusion, n’est pas efficiente ; on contrôle mal et insuffisamment. Ce temps pourrait être redistribué, dévolu à l’ordre du jour gouvernemental en partie peut-être, mais aussi au droit d’initiative des groupes parlementaires. Si l’on veut restreindre le droit d’amendement, pour le « rationaliser » – je dirai mon sentiment sur le sujet lorsque nous en débattrons –, il faut en contrepartie augmenter le nombre des espaces réservés, afin que les parlementaires puissent proposer des lois ou débattre – c’est ce à quoi ils doivent servir, me semble-t-il.

Pour mieux contrôler, il faut aussi pouvoir travailler dans le cadre de sous-commissions, comme dans tous les parlements du monde. Cela ne se fait pas ici, alors que c’est la garantie d’un travail à la fois plus pointu, plus efficace, plus poussé. De la même façon, les commissions d’enquête sont limitées dans notre Parlement à une par an et par groupe : comment peut-on dire que le Parlement doit mieux contrôler et en même temps limiter sa capacité à mener des enquêtes ?

Enfin, la réforme globale vise à modifier la façon dont on élit la représentation nationale et la représentation politique. L’interdiction du cumul de trois mandats dans le temps ne porte pas grief, encore que cela ne soit pas indispensable pour les maires – j’en veux pour preuve que vous avez dû instaurer un seuil. Il nous semble que la baisse du nombre de parlementaires est excessive – elle pourrait être limitée à 150 parlementaires. Par ailleurs, l’introduction d’une dose de proportionnelle est toute symbolique et ne sera pas efficiente. Il nous semble que nous devons trouver un équilibre sur ce point.

Pour notre part, nous cherchons une modernisation, pas un affaiblissement. Nous souhaitons une réforme pour que le Parlement puisse être plus efficace, plus rapide mais prenne aussi plus de place dans l’équilibre des pouvoirs, avec des prérogatives élargies. Nous verrons l’accueil que le Gouvernement réservera à nos objections, mais aussi à nos propositions.

Une réforme constitutionnelle est un moment très particulier de la vie parlementaire – la réforme de 2008 a été adoptée à une voix. C’est la seule fois, mes chers collègues, que chacune et chacun d’entre nous, dans les trois réponses à sa disposition – pour, contre ou abstention – a un pouvoir, même s’il s’abstient. Les réformes constitutionnelles réussies sont celles où la majorité et l’opposition savent s’écouter, s’entendre et avancer ensemble.

Mme Isabelle Florennes. L’annonce d’un projet de loi constitutionnelle a suscité parmi les parlementaires des attentes et des espoirs. Le texte qui nous a été présenté, il faut bien le reconnaître, a un peu surpris.              Il a d’abord provoqué une frustration, celle de ne pas pouvoir examiner les trois textes de nature différente en même temps. Ensuite, son contenu nous a étonnés, puisqu’il semble en deçà des attentes dont nous nous nourrissions.

Plusieurs d’entre nous ont souligné, dans cette discussion générale ou lors des débats en commissions saisies pour avis, que ce projet de révision constitutionnelle contient une diminution des droits du Parlement face à l’exécutif. Si le groupe du Mouvement Démocrate et apparentés peut partager une partie de ce constat, nous pensons que l’analyse de départ est pourtant la bonne : le fonctionnement du Parlement n’est pas satisfaisant, la fabrique de la loi n’est pas optimale. Par ailleurs, nous n’en sommes qu’au début du processus parlementaire, et nous sommes persuadés que nous serons capables, collectivement, de faire évoluer ce projet de loi afin qu’il convienne au plus grand nombre.

Vous le savez, il sera nécessaire de réunir une majorité des trois cinquièmes. Dans cette optique, je souhaite que nos travaux nous permettent d’établir un consensus le plus large possible, pour que cette révision constitutionnelle aboutisse. Sur la partie concernant les relations entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, il est de notre responsabilité de rétablir un équilibre et de corriger les dysfonctionnements que nous constatons.

C’est donc de manière positive et optimiste que le groupe du Mouvement Démocrate et apparentés aborde ce projet de loi constitutionnelle. Nous ferons un certain nombre de propositions qui nous semblent cohérentes et de nature à corriger les déséquilibres initiaux de ce texte. Nous pensons que la Constitution doit être modifiée avec parcimonie ; c’est un texte qui ne saurait être bavard et qui doit aller à l’essentiel.

Par ailleurs, nous sommes attachés à l’équilibre des pouvoirs tels que dessinés par le texte de 1958 et ses révisions successives. Il s’agit donc pour nous de conserver ces équilibres globaux, en procédant à des ajustements et à des correctifs afin d’améliorer le fonctionnement de notre démocratie. Ces éléments étant posés, j’en viens au contenu du texte.

Certaines dispositions font globalement consensus : nous sommes bien sûr favorables aux dispositions relatives aux modalités de nomination et de sanction des magistrats du Parquet, en ce qu’elles renforcent l’indépendance de la justice et confortent le rôle du Conseil supérieur de la magistrature. Nous soutenons les propositions relatives aux incompatibilités des membres du Gouvernement, une mesure qui s’inscrit dans le processus de refondation de notre vie publique pour redonner aux citoyens confiance en la politique. De même, nous partageons le souci de revenir sur la participation de droit des anciens Présidents de la République au Conseil constitutionnel. Enfin, je citerai la suppression de la Cour de justice de la République parmi les propositions qui devraient emporter un large consensus. Notre collègue Laurence Vichnievsky défendra au nom du groupe un amendement visant à préciser les conditions d’engagement de la responsabilité pénale des ministres.

Au-delà de ces points les plus consensuels, le texte comporte d’autres propositions de réformes qui devraient nourrir un plus large débat. Avant d’aborder la question du travail parlementaire, je reviendrai sur deux points importants du projet de loi : la réforme du Conseil économique, social et environnemental et l’introduction du principe de différenciation.

Ce dernier est un thème cher à notre groupe politique : sans contrevenir à l’unicité et à l’indivisibilité de la République, ce droit nouveau doit permettre la mise en place par les collectivités territoriales de politiques différenciées selon les besoins de chaque territoire. Ce droit à la différenciation soulève un grand nombre de questions, qui seront traitées dans le cadre d’une loi organique, à laquelle nous serons particulièrement attentifs.

Nous pensons qu’il est nécessaire de réformer le Conseil économique, social et environnemental. Toutefois, les dispositions figurant dans le projet de loi constitutionnelle suscitent chez nous de fortes réserves. Nous pensons pouvoir trouver un équilibre qui conviendra au plus grand nombre, et je laisserai le soin à notre collègue Erwan Balanant, qui a travaillé sur ce sujet avec la rapporteure, de présenter au moment opportun le fruit de leurs travaux.

J’en viens au travail parlementaire. Vous le savez, la modernisation de nos institutions est une ambition qui guide notre sensibilité politique depuis plusieurs années. Aussi, le bilan de cette première année de mandat a conforté certaines des idées déjà à l’œuvre dans nos travaux : le fonctionnement du Parlement n’est pas optimal, ce qui l’empêche de remplir convenablement ses missions premières. Cet état de fait découle notamment du manque de visibilité concernant notre calendrier. Travailler selon un ordre du jour qui nous échappe, avec une visibilité à quelques semaines – voire à quelques jours ! – n’est pas satisfaisant. Or le projet de loi occulte cette problématique et impute les dysfonctionnements à un mauvais usage des outils qui font notre fonction de législateur.

Cela s’incarne notamment dans les dispositions prévues par l’article 3, qui viennent circonscrire le droit d’amendement de manière drastique, en s’appuyant sur une irrecevabilité systématique. En l’état, nous ne pouvons nous en satisfaire et nous y reviendrons lors des débats.

De la même manière, les dispositions de l’article 8 permettent au Gouvernement de reprendre la main sur la quasi-intégralité du calendrier parlementaire. Nous ne saurions consentir à un tel retour en arrière par rapport aux acquis de la révision constitutionnelle de 2008, sans un rééquilibrage général du calendrier. Le groupe du Mouvement Démocrate et apparentés souhaite privilégier une approche globale du problème en réfléchissant à un schéma qui intègre les remarques qui ont été faites de part et d’autre.

Nous détaillerons nos propositions lors de l’examen des amendements. L’essentiel pour nous est de parvenir à combiner lisibilité et prévisibilité. Le Gouvernement, comme les parlementaires, doivent avoir le temps nécessaire pour mener à bien leurs missions.

Je finirai par les questions soulevées par les travaux menés par M. Jean-Noël Barrot sur les missions de contrôle et d’évaluation du Parlement. Il est important que cette révision marque des avancées sur ce sujet, attendu de nos concitoyens. Notre objectif est de faire en sorte que la répartition entre les pouvoirs exécutif et législatif soit équilibrée, que le Parlement ait les moyens de remplir pleinement les missions qui sont les siennes et que nos institutions fonctionnent correctement. C’est donc avec un esprit ouvert et volontariste, et des propositions mûrement réfléchies que nous abordons ce projet de loi constitutionnelle.

Mme Cécile Untermaier. Je ferai deux remarques liminaires. Alors que le nombre de députés va être réduit de manière drastique, je constate que deux rapporteurs pour avis de votre majorité ne peuvent être présents ! La preuve est donnée que nous avons besoin d’être tous là, pour pouvoir travailler ensemble. Par ailleurs, j’ai entendu qu’un accord aurait été trouvé avec le Sénat. Si tel est le cas, nous devons partager cette information, vous nous la devez. Mais j’imagine que ce ne sont là que des rumeurs sans fondement ?

Ce projet de loi sera suivi d’autres textes, l’analyse doit donc être globale. Il ne s’agit pas de n’importe quel texte, mais d’un texte de révision de la Constitution, nous en sommes tous conscients. Bien avant cette législature, nous avions mené avec M. Claude Bartolone, alors président de l’Assemblée nationale, une mission parlementaire sur la révision de nos institutions. Je n’en ai pas partagé toutes les conclusions, mais je pense que ces travaux nous seront utiles. Par ailleurs, nous menons depuis un an une réflexion transpartisane, centrée sur le travail du parlementaire, et des propositions sont au coeur de la discussion. Si elles n’étaient pas prises en compte, ce serait à désespérer du travail parlementaire, de son organisation et de son utilité.

Par sa nature, par sa portée, ce texte exige une implication particulière des députés, y compris de la majorité, libres dans leurs rapports au Gouvernement et à son administration – je le sais car j’ai appartenu à la majorité dans la précédente législature. Qui, mieux que nous, peut parler de notre travail, de notre liberté dans le débat, de notre rapport à la société civile, au monde qui nous entoure ? J’espère que nous saurons tous adopter une approche ouverte et sincère des amendements qui nous seront soumis et que le groupe La République en Marche saura faire preuve d’écoute et travaillera avec nous.

Ce texte est présenté comme un texte à enjeu démocratique, visant à plus d’efficacité. Il peut évoluer, mais à ce stade, c’est à l’affaiblissement du Parlement qu’il tend. Nous constatons un retour en arrière par rapport à la réforme de 2008, qui portait une réelle ambition démocratique. Je ne pensais pas, moi qui appartiens au groupe Nouvelle gauche, regretter en 2018 l’esprit qui soufflait en 2008 !

L’annonce d’une réduction drastique du nombre de députés, avec un taux de représentation par nombre d’habitants qui met la France à la remorque de l’Union européenne, pèse comme un couvercle sur cette réforme. Une telle annonce populiste rend difficile le débat pour ceux qui la contestent. Ils apparaissent comme voulant défendre leur cas personnel ou animés d’un esprit corporatiste. En réalité, c’est aux citoyens et à la nation tout entière que cette réforme porte préjudice. Personne, d’ailleurs, n’en comprend l’objectif. Lors des nombreuses auditions que nous avons menées, tant dans le cadre de la préparation de ce projet de loi que des groupes de travail, sous la présidence de M. de Rugy, aucun spécialiste n’en a admis l’utilité.

Une institution puissante, c’est une institution puissante en nombre. Avec cette réforme, nous nous situerons juste après la Russie en termes de représentativité par habitants, dans une situation qui se rapproche de celle que la France a connue sous Napoléon III en 1852. Nous espérions quand même faire mieux ! Nous sortirons totalement du cadre européen, à un moment où la politique est de plus en plus et violemment rejetée, vécue comme extérieure à la vie des gens. Nous allons nous couper de la réalité de la vie des personnes et nous faire remplacer par des administrateurs.

M. Charles de Courson. Tout à fait !

M. Bastien Lachaud. Contractuels, qui plus est !

Mme Cécile Untermaier. La réforme sur le non-cumul des mandats, une réforme difficile, que nous avons menée d’ailleurs avec M. Richard Ferrand, n’avait pas pour objectif de faire en sorte que les députés soient moins nombreux, mais que leur action devienne enfin lisible. Il fallait que le député, se rendant dans sa circonscription ou dans une circonscription voisine, n’y soit pas vu et vécu comme le maire ou le président du conseil général, mais bien comme un député représentant la nation.

Nous assistons actuellement à une torsion du dispositif législatif que nous avions mis en place, qui ne visait pas à réduire le nombre de députés, mais à donner à l’Assemblée nationale tout son souffle, loin des conflits d’intérêts et dans une lisibilité du travail parlementaire enfin admise.

Cela dit, nous en sommes tous convaincus, la réforme doit répondre aux grands enjeux du XXIe siècle. Le groupe Nouvelle Gauche proposera, de manière raisonnable et pertinente, monsieur le rapporteur général, moins de 200 amendements. Nous ne participons pas au concours Lépine : nous faisons des propositions qui nous paraissent devoir être prises au sérieux.

Nous travaillerons pour plus de représentativité et de lien avec les citoyens. La mission première du député est d’être à l’écoute du citoyen où qu’il soit, sur le territoire national, dans sa circonscription ou à l’Assemblée nationale. Le numérique, l’engagement d’actions présentielles nous le permettent. Nous devons organiser l’ouverture des citoyens au Parlement, une ouverture encadrée excluant le mandat impératif, mais une ouverture réelle, une main tendue à celles et ceux qui veulent participer à la vie politique. Le député doit être acteur de lisibilité, de visibilité de la politique, animateur de débats ici et là, sur le territoire et à l’Assemblée nationale.

Nous proposerons également l’introduction de la préservation de la diversité biologique et la lutte contre les changements climatiques à l’article 1er de la Constitution. J’ai entendu avec satisfaction le rapporteur pour avis de la commission du Développement durable, qui semble avoir œuvré en ce sens.

Nous appelons également de nos vœux l’introduction de la transparence et de l’éthique en politique. C’est à nos yeux le prix de la démocratie. Les citoyens nous le demandent, et nous défendrons quelques amendements dans la suite de nos travaux de 2013. La Déclaration des droits de l’homme identifie dans ses toutes premières lignes le risque des gouvernements de tomber dans la corruption ; je pense qu’il est de notre devoir d’avancer dans cette voie.

Les quelques points positifs, et qui correspondent d’ailleurs souvent à des propositions que nous avions tenté de faire aboutir en 2012, ne peuvent pas compenser la gravité du moment. Cette vingt-cinquième révision constitutionnelle est, selon tous les spécialistes, la première qui va à contresens de l’histoire et affaiblit le Parlement.

Nous reviendrons sur la procédure, ce n’est pas le plus compliqué. En revanche, la réforme du Conseil économique, social et environnemental, lequel a brillé jusqu’alors par son inefficacité, ne donnant satisfaction qu’à ceux qui étaient en place, est, ne vous y trompez pas, un artifice pour affaiblir plus encore l’Assemblée nationale, sans pour autant donner une quelconque réalité au CESE.

Pendant ces débats, nous ferons donc de la pédagogie : nous dirons ce que doit être le député, ancré dans son territoire et à l’Assemblée nationale, travaillant dans la proximité, l’impartialité et le respect des citoyens ; nous expliquerons ce qu’est le temps parlementaire, et comment il doit être assumé ; nous rappellerons que les corps intermédiaires doivent être respectés.

L’une des caractéristiques de la démocratie représentative est, comme l’écrivait le philosophe Bernard Manin, « l’épreuve de la discussion ». Il est temps de nous en souvenir.

M. Sébastien Jumel. Derrière un titre ambitieux et prometteur, « Pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace », se cache un texte sans grande ambition. Ou alors avec l’ambition d’un apothicaire, lequel dissimule dans ses poches quelques fioles de poison dangereux pour la démocratie représentative. Ce manque d’ambition a été d’ailleurs souligné par le président de l’Assemblée nationale lui-même, qui a dit qu’il fallait réserver le référendum aux grandes occasions, sous-entendant que celle-ci n’en était pas une.

Il y a les textes, et le contexte. Le contexte est celui dans lequel votre majorité et le président omniprésent, jupitérien, exercent le pouvoir depuis un an. Nous sommes bien placés ici pour voir comment cela s’est concrétisé : un nombre record de procédures accélérées, des temps programmés, un recours quasi systématisé aux ordonnances, au vote bloqué, aux commissions mixtes paritaires en catimini – la dernière en date étant celle qui a permis de caler l’accord entre la droite sénatoriale et la droite de la majorité En Marche sur la réforme ferroviaire.

Dans votre esprit, le Parlement a vocation à être libéralisé pour souvent, trop souvent dans la bouche du président de l’Assemblée nationale, être méprisé. C’est ce qui a conduit notre groupe, avec d’autres, à considérer qu’il ne fallait pas cautionner le bilan de la première année au perchoir de M. François de Rugy, lequel a passé son temps à disqualifier le Parlement, à le discréditer, au risque d’ouvrir la porte à des réflexes peu conformes à nos valeurs républicaines.

 Au sein de ce Parlement méprisé travaillent des fonctionnaires qui ne savent pas à quelle sauce ils seront mangés, au terme de la réforme du statut de la fonction publique parlementaire, ce qui en dit long sur l’expertise dont on ambitionne de se doter pour renforcer les pouvoirs de contrôle du Parlement.

Les projets de loi organique et ordinaire affichent la volonté de découper au scalpel la République, d’éloigner encore un peu plus les parlementaires de leur territoire. Au bout du compte, vous êtes porteurs du projet d’une République désincarnée, d’une République déshumanisée, d’une République start-upisée.

Ce texte accentue le déséquilibre des pouvoirs : réduction du droit d’amendement, accélération de la discussion législative, rabougrissement de l’initiative parlementaire pour l’Assemblée nationale, perte de contrôle dans la fixation de l’ordre du jour, fléchage de textes, dans des conditions dont nous ignorons tout, directement en commission pour échapper à l’appropriation démocratique que permet la séance publique, sont autant d’illustrations de votre volonté d’affadir, d’affaiblir le Parlement et, in fine, de priver l’opposition de sa capacité à discuter de la loi, à l’enrichir, voire à la modifier.

Certaines dispositions font partie des marronniers constitutionnels. Dire qu’elles ne mangent pas de pain serait désobligeant, mais elles font consensus. Nous sommes favorables à la suppression des membres de droit du Conseil constitutionnel, lequel risque de devenir une réserve pour anciens Présidents de la République et ex-Premiers ministres. On voit bien à quel point cela peut porter préjudice au Conseil des Sages. C’est le cas aussi de la réforme du Conseil supérieur de la magistrature, de la suppression de la Cour de justice de la République ou encore de l’interdiction du cumul des fonctions ministérielles avec un mandat exécutif local. Nous ferons des propositions d’amélioration, mais ces dispositions, globalement, font consensus.

D’autres dispositions, en revanche, nous semblent profondément dangereuses, ainsi que la pratique l’a démontré. À titre d’exemple, nous ne considérons pas que le Premier ministre doit être un collaborateur du Président de la République. Lorsque l’on réunit le Congrès à Versailles la veille d’une déclaration de politique générale, on le rabaisse. Réunir le Congrès à Versailles le lundi 9 juillet, alors que nous sommes en train de travailler sur la révision de la Constitution, en dit long, aussi, sur la volonté du Président de la République de fixer la feuille de route des députés de sa majorité et de transformer le Gouvernement et le Parlement en simples exécutants. Nous ferons un grand nombre de propositions visant à rétablir la primauté du pouvoir législatif sur le pouvoir exécutif et à réduire le fait majoritaire en assurant une déconnexion avec les pouvoirs du Président, car nous sommes attachés à la séparation des pouvoirs. Nous voulons freiner l’hypertrophie présidentielle que cette première année de mandat a bien montrée. Nous entendons aussi, même si c’est un peu plus anecdotique, supprimer le fait du prince dans un grand nombre de domaines – des grâces à la capacité du Président de la République de déclencher seul un conflit armé, en ne consultant le Parlement qu’a posteriori.

Nous avons déposé d’autres amendements qui permettront de graver dans le marbre de la Constitution un certain nombre de principes fondamentaux. Dans un discours prononcé à la Mutualité, le Président de la République nous a livré une relecture personnelle de Marx, sur la question des libertés formelles et réelles. Nous estimons qu’il est nécessaire de consacrer dans la Constitution plusieurs libertés formelles qui sont irréfragables. Nous vous proposerons de supprimer le mot « race » à l’article 1er de la Constitution, M. André Chassaigne présentera des propositions de modification de la Charte de l’environnement, et nous défendrons aussi des amendements relatifs aux biens communs, à la dignité et à l’égalité entre les hommes et les femmes, qui constituent à nos yeux des principes fondamentaux.

Nous aurons par ailleurs l’occasion de revenir sur certains débats récents. Nous proposons d’inscrire dans la Constitution la moralisation de la haute fonction publique – je pense en particulier au pantouflage, que nous devons définitivement faire sortir des pratiques de notre République. Face à votre volonté de casser le socle du modèle social français et de notre organisation territoriale, nous ferons également d’autres propositions. En matière de dialogue social, nous avons besoin d’avoir des garanties constitutionnelles lorsque l’on élabore des lois concernant les salariés, comme la démocratie en entreprise. Nous ferons aussi des propositions pour que le référendum d’initiative populaire, c’est-à-dire le principe de la démocratie participative, soit au cœur d’une nouvelle ambition pour la République, que nous souhaitons renforcer au bénéfice de nos concitoyens.

Comme un grand journal national l’a récemment souligné, dans un titre bien choisi, le président Macron « insupporte ceux qu’il ne faisait qu’irriter. Il désenchante ceux qu’il avait emballés ». Notre fonction est évidemment de faire la loi, en l’initiant ou en la modifiant, mais elle consiste aussi à contrôler son exécution, avec des moyens réels, de faire entrer la force du peuple à l’Assemblée et d’y faire entendre la voix des territoires. Les parlementaires communistes réaffirmeront leur attachement à une République qui ne doit pas être éclatée « façon puzzle » : il faut, au contraire, qu’elle soit présente partout et pour tous. C’est pourquoi nous proposerons d’inscrire l’aménagement du territoire dans la Constitution. Nous le ferons dans le respect de notre composante ultramarine, qui fera sonner son originalité, sa sensibilité et son apport sur la question de la spécificité des outre-mer.

M. Sacha Houlié. Il y a une gravité du législateur lorsqu’il se transforme en constituant. J’ai entendu de la gravité dans ce qui a été dit jusqu’à présent, même si ce n’était pas forcément dans toutes les bouches ou, en tout cas, pas toujours dans des sens concordants. Il y a une vraie volonté de rénovation de notre Constitution, à différents égards, même s’il existe aussi un certain conservatisme. Je ne préempterai pas, monsieur Gosselin, la figure du général de Gaulle, qui a habité nos institutions. Il y a chez nous une vraie volonté de respecter le corps des règles de la Ve République : sa force s’impose depuis soixante ans, sa stabilité institutionnelle nous protège de toutes les tempêtes et, en même temps, elle a fait l’objet de vingt-quatre révisions constitutionnelles, ce qui démontre qu’elle n’est pas si figée.

Il est essentiel de protéger les institutions des événements qui pavent la vie politique. L’histoire le démontre, et la séquence politique que nous vivons, avec une montée des populismes rarement égalée jusque-là, nous conforte dans cette position. L’histoire nous montre l’intérêt de nous appuyer sur des institutions fortes et nous enseigne que la rationalité se justifie quand les excès se multiplient. C’est une des nombreuses raisons de notre attachement à la forme constitutionnelle qui est propre à la France, c’est-à-dire un régime parlementaire rationalisé. Certains le qualifient de présidentialiste, alors qu’il repose en réalité sur un équilibre délicat entre la République du Parlement, celle de la IVe République, comme M. Lagarde l’a dit, et un régime purement présidentiel. Notre régime n’est pas figé, sinon il n’aurait pas tant évolué. Il l’a fait en matière électorale – des tests ont eu lieu en ce qui concerne la proportionnelle intégrale –, sous l’angle doctrinal – des ajouts ont été opérés, notamment la Charte de l’environnement – mais aussi, plus récemment encore, sur le plan fonctionnel, avec des innovations telles que la possibilité donnée, en 2008, aux citoyens de saisir directement le Conseil constitutionnel, par voie d’exception.

La procédure de révision constitutionnelle est exigeante, mais elle n’est pas interdite pour autant. Elle est périlleuse et longue, elle oblige les constituants à présenter un cap, un but, un objectif ou une ambition pour la République. L’ampleur du texte dont nous allons débattre dit déjà beaucoup de notre ambition. Par son volume et par son contenu, c’est l’une des révisions constitutionnelles les plus importantes de la Ve République. Elle conserve, je l’ai dit, l’esprit de notre loi fondamentale tout en adaptant sa lettre. Cette évolution forme un tout, comme chacun l’a remarqué, et il n’est pas question de le cacher, avec la rénovation de l’institution parlementaire qui sera soumise à notre assemblée au mois de septembre prochain. Je ne partage pas l’idée selon laquelle on sera moins efficace si l’on réduit le nombre de parlementaires, bien au contraire. Une armée mexicaine n’a jamais permis de gagner beaucoup de batailles. (Exclamations sur quelques bancs.) Je pense aussi que les élus de la nation sont les élus de la nation. Afin de tenir compte de la pluralité des opinions, on doit faire entrer au Parlement une partie de ceux qui sont sous-représentés ou mal représentés, car c’est ici que l’on doit combattre leurs idées. C’est dans cette enceinte que l’on doit leur apporter la contradiction. Enfin, poursuivre le travail déjà engagé en ce qui concerne le cumul des mandats, en imposant une interdiction dans le temps, n’est pas du populisme. C’est une forme de rationalité : la fonction d’élu n’est qu’une fonction. Elle peut être une page qui se tourne dans la vie.

Cette réforme est, certes, la volonté de la majorité. Elle est née des engagements qui ont été validés lors des dernières échéances électorales et qui n’ont jamais été cachés lorsque nous avons concouru à l’élection et que nous avons promis de tenir nos engagements. J’entends déjà les remarques, les reproches ou les griefs de ceux qui vont insister sur ce qui manquerait. Or il n’est pas nécessaire de tout écrire dans la Constitution. Nous sommes nous-mêmes l’exemple que l’on peut rénover les pratiques politiques sans rénover toutes nos institutions au préalable. Les députés qui siègent aujourd’hui sur ces bancs n’ont pas plus de trois mandats derrière eux. Par ailleurs, nous avons quasiment atteint la parité, en tout cas au sein de la majorité – nous sommes à un taux de 47 % – et des origines différentes sont représentées, y compris dans le groupe majoritaire. Cela démontre qu’il n’y a nul besoin de tout écrire, dans une sorte de concours Lépine, afin de renouveler le cadre, de représenter et donc de gouverner différemment.

Je le dis à ceux qui voudront, au cours des débats, inscrire tel ou tel sujet dans la Constitution : la loi fondamentale est nécessairement limitée. Cela nous oblige à bien préciser ce que nous voulons y inscrire. Quels sont les objectifs ? Nous voulons une Constitution correspondant, dans ses valeurs et sa pratique, au siècle dans lequel nous vivons. Il faut ensuite reconnaître au Parlement le droit de mieux s’organiser, de mieux fonctionner et donc de mieux travailler. Enfin, on doit construire une organisation territoriale dans lesquelles les cadres sont adaptés et où les différences sont reconnues comme des spécificités. Il ne s’agit pas d’inscrire une égalité formelle dans la Constitution, mais de consacrer le principe d’égalité réelle.

Qu’est-ce qu’une Constitution du XXIe siècle ? Cela revient à se poser la question des principes. C’est ce que nous ferons à l’article 1er de la Constitution. Cela consiste aussi à s’intéresser aux relations avec les corps intermédiaires – M. Jumel a notamment parlé de dialogue social. Par ailleurs, je rappelle que la France s’est distinguée dans le monde en organisant la conférence sur le climat, en 2015, et en se battant pour son application : en l’absence de ressources, de respect et de préservation de l’environnement et de la biodiversité, et s’il n’y a pas d’action contre le changement climatique, les textes que nous pouvons adopter seront vite rayés de la carte, comme nous d’ailleurs. Nous souhaitons que la formule « make the planet great again » soit une réalité. C’est pourquoi nous présenterons un amendement pour que cela figure à l’article 1er.

Réformer nos principes signifie également rénover la Constitution de 1958, qui a été adoptée dans une phase de prédécolonisation, en supprimant le mot « race » à l’article 1er. Nous y ajouterons une référence au sexe, afin qu’il n’y ait plus aucune distinction en la matière. C’est un travail qui sera entrepris par le groupe majoritaire et les rapporteurs.

Comprendre la société, c’est aussi imposer au Gouvernement des règles de non-cumul et de probité qui s’appliquent au Parlement, en faisant écho aux débats que nous avons eus à l’occasion de la loi « confiance ». Nous vous proposerons de le faire par voie d’amendements. Comprendre la société, c’est aussi accepter et institutionnaliser le fonctionnement de la société civile. Nous la représentons, certes, mais pas totalement : des corps intermédiaires adoptent également la loi sociale dans notre pays, par le biais d’accords interprofessionnels. Nous souhaitons reconnaître ces corps intermédiaires grâce à une transformation du Conseil économique, social et environnemental qui donnera à cette instance une pleine utilité.

La question du service universel a fait l’objet d’un débat. Nous souhaitons inscrire ce sujet à l’article 34 de la Constitution, ce qui confortera chacun dans l’idée que le Parlement a un rôle essentiel à jouer dans l’adoption des futurs textes, ou en tout cas des enjeux que l’on considère comme fondamentaux.

Cela m’amène au deuxième objectif, qui concerne l’organisation du Parlement. Il a été question d’une libéralisation tout à l’heure : si cela signifie lui redonner de la liberté, nous sommes d’accord, car ce sera un Parlement qui anticipe en se saisissant des textes dès leur adoption par le Conseil des ministres, qui organise des débats d’orientation préalable, qui dispose d’informations sur son calendrier, sur une période de six mois, avec un programme détaillé sur trois mois – c’est ce que nous souhaitons inscrire dans la réforme. Par ailleurs, la procédure sera purgée de tous ses excès, dont le principal est d’accumuler des amendements qui n’ont pas de portée normative, qui constituent des cavaliers ou qui entrent dans le domaine du règlement. Je précise que cela vaudra non seulement pour les parlementaires, mais aussi pour le Gouvernement. Afin de retrouver sa force, le Parlement doit aussi avoir la possibilité de voter la loi en commission, comme c’est le cas au Sénat : inscrivons cette possibilité dans la Constitution afin que l’Assemblée nationale s’en saisisse. Nous devons également retrouver notre droit d’amendement après la Commission mixte paritaire – nous nous y attacherons – et pouvoir recourir plus facilement à des procédures accélérées, à condition que des délais s’appliquent, ce qui n’est pas le cas actuellement.

Afin d’ouvrir une nouvelle page de son histoire, le Parlement doit aussi pouvoir mieux contrôler – cela a déjà été dit –, dans le cadre des « printemps de l’évaluation » ou encore grâce à l’application d’un délai avant l’examen du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale, qui pourrait d’ailleurs devenir un projet de loi de financement de la protection sociale. Par ailleurs, les textes ayant un impact important pour nos concitoyens doivent pouvoir être examinés en priorité. Afin que le Parlement puisse garder la maîtrise du dispositif, cette possibilité sera encadrée, comme le prévoit l’article 8 du projet de loi.

Je termine par la question des territoires. Les parlementaires de cette législature seront les premiers à ne pas cumuler. Cela en fait-il des députés moins implantés dans les territoires et moins conscients de leurs réalités ? Je ne le crois pas. Nous savons qu’il existe des différences entre les territoires : le droit à l’expérimentation doit donc être renforcé et pérennisé. Lorsqu’une expérimentation est couronnée de succès, les communes, les départements et les régions doivent avoir la possibilité de l’inscrire dans la durée sans avoir à passer par une loi. Nous allons aussi reconnaître le caractère insulaire de la Corse. Enfin, les lois et les règlements pourront avoir une application différente dans des collectivités d’outre-mer. Il y a, là aussi, une spécificité qu’il faut reconnaître.

Nous tendons la main, aussi bien au sein des groupes de travail transpartisans, qui ont été créés par le président de Rugy, que dans le cadre du travail qui sera entrepris avec le Sénat. Puisque cette question a été évoquée, je tiens à souligner qu’il n’existe pas d’accord caché, ou déjà préparé. Il faudra néanmoins en trouver un si nous voulons aboutir. Ce sera un succès qui nous honorera tous : nous aurons un Parlement du XXIe siècle, mieux organisé, et des territoires davantage respectés. Nous y gagnerons tous en tant qu’élus de la nation.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Je crois que la richesse des points de vue qui se sont exprimés augure bien de la richesse des débats à venir.

On ne peut pas laisser dire, sans réagir, que ces débats auraient lieu en catimini. Cette idée est quand même un peu extravagante : tout est public, les auditions ont été ouvertes, nous siégeons dans la salle Lamartine, qui n’est pas le lieu le plus clandestin qui soit, nos travaux sont diffusés en direct et, pour la première fois s’agissant d’une révision constitutionnelle, un document faisant état de l’avancement des travaux des rapporteurs a été mis en ligne. On pourrait faire mieux en matière de clandestinité ou de travail en catimini !

Les mêmes se sont étonnés que l’on travaille au cœur de l’été – nous n’y sommes pourtant pas tout à fait. Le Parlement travaille en juin, ce qui est bien normal. Si l’on anticipe un peu, on peut même imaginer qu’à peu près tous les mois de l’année, à part celui d’août, seront concernés, puisqu’il y aura une navette : le Sénat va vraisemblablement se saisir en septembre des différents textes qui nous sont proposés. Je ne sais pas s’il sera pénible de travailler à l’automne, en hiver, au printemps ou même à la renaissance de l’été, mais il faut bien le faire à un moment. Il n’y a donc ni catimini, ni facéties estivales, mais seulement de la transparence, de la clarté et un projet qui avance depuis qu’il a été mis sur la table.

Ce texte est conforme aux annonces faites par le Président de la République il y a un an, devant le Congrès réuni à Versailles, non pas dans le but d’abaisser qui que ce soit, mais conformément à l’article 18 de la Constitution, dont tout le monde a chanté les louanges à propos de la précédente révision constitutionnelle, en 2008.

Mme Huguette Bello. Mon intervention portera surtout sur les articles 15 et 17 du projet de loi. La grande innovation de ce texte est la généralisation du droit à la différenciation pour toutes les collectivités territoriales de la République, qui disposeront désormais d’un pouvoir normatif dans les matières relevant de leurs compétences. Cette révision constitutionnelle étend ainsi, pour partie, à l’article 72, la décentralisation normative imaginée en 2003 pour les collectivités d’outre-mer visées à l’article 73. Elles peuvent adopter, pour leur territoire, des règles normatives dans le domaine de la loi, à l’exception notable de La Réunion.

Le projet de loi maintient, pour l’instant, cette exception. En ce qui concerne La Réunion, la rédaction qui nous est proposée pour l’article 72 et celle de l’actuel article 73 sont identiques, aux procédures d’habilitations près : ce sont des frères jumeaux. À la suite de ce que le président de la région a déclaré, il se répète à l’envi que le nouvel article 72 est bienvenu et suffisant, car il offre « de vraies marges de manœuvre à La Réunion ». Il faut rappeler que celles-ci lui ont été offertes il y a quinze ans, lors de la révision de 2003. Notre préoccupation est précisément de ne pas revivre le scénario de cette époque : le débat a été tronqué et le dénouement est intervenu en dehors du Parlement. Cette stratégie « hors les murs » ne va pas dans le sens du temps long que toute révision constitutionnelle requiert. Elle est aussi la source de bien des dérives. Il y a quelques jours, quatre députés réunionnais ont été assimilés à des putschistes pour avoir commis le forfait de déposer un amendement à l’article 17 du projet de loi. L’expérience des quinze dernières années, les nouveaux enjeux du développement, le revirement de la doctrine européenne, mais aussi la nouvelle rédaction de l’article 72 plaident avec force et évidence pour un amendement supprimant la disposition qui limite le champ d’action de La Réunion.

Le Gouvernement a posé une condition avant tout passage à l’acte : qu’il existe un consensus au sein des parlementaires réunionnais. Nous y avons travaillé : 5 députés sur 7 et 2 sénateurs sur 4 sont aujourd’hui favorables à une évolution. Mieux encore, 4 d’entre nous ont pris la précaution d’y assortir un dispositif garantissant le maintien de la région et du département, afin de pas susciter un débat institutionnel sur la question d’une assemblée unique. Notre proposition a par ailleurs recueilli l’assentiment de la délégation aux outre-mer de notre assemblée.

On voit bien aujourd’hui que toutes les vieilles ficelles sont de retour, même si ce sont parfois de jeunes marionnettistes qui les utilisent. Même notre Constitution en fait l’expérience.

M. Alain Tourret. La Constitution de 1958 peut être considérée comme un texte d’excellence : elle a réussi à résister à la révolte des généraux, grâce à son article 16, et elle a aussi démontré sa plasticité lors des périodes de cohabitation. Il ne faut donc la modifier qu’à la marge. Mais cette Constitution, c’est aussi un parti dominant qui fait passer ce que souhaite le Gouvernement. Dans ces conditions, il est indispensable de renforcer le bloc des libertés publiques, qui est aujourd’hui en déclin. Comment peut-on le faire ? On doit renforcer le pouvoir du législateur. J’ai eu des inquiétudes sur ce point lorsque j’ai lu la première version du texte.

Il est également nécessaire de mieux contrôler la loi et la manière dont l’administration l’applique. J’espère, depuis toujours, que la Cour des comptes fera partie des moyens mis à la disposition du Parlement afin de mieux contrôler l’administration et le pouvoir exécutif – je sais que des propositions nous seront faites dans ce domaine. Le socle de nos libertés publiques se trouve dans la dyarchie formée par le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. Je souhaite que nous puissions améliorer ce texte en renforçant les libertés publiques. N’oublions pas, en effet, ce que disait Alain sur le « citoyen contre les pouvoirs ». C’est le meilleur citoyen de la République.

M. David Lorion. Dans le cadre de ce projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace, nous nous attendions à ce que vous décliniez pour l’outre-mer non seulement la notion de représentativité, dont d’autres ont parlé avant moi, mais aussi celles de responsabilité et d’efficacité. Vous le faites, en partie, à l’article 17, mais pas pour La Réunion, que notre collègue Huguette Bello a déjà évoquée. Il est prévu, en effet, que le département et la région de La Réunion continueront à avoir un régime spécifique qui les prive depuis 2003 d’une habilitation qui sera désormais donnée à toutes les autres collectivités de la métropole et de l’outre-mer.

Comment peut-on comprendre que, dans ce projet de loi qui insiste sur la notion de responsabilité, vous priviez un département d’une capacité d’adaptation dont bénéficieront tous les autres départements et toutes les autres régions ? Serions-nous plus incompétents que les élus de la métropole et de l’outre-mer ? En matière d’efficacité, nous avons besoin d’une adaptation législative en raison de notre climat, de notre environnement et de notre histoire, mais vous nous en privez. À La Réunion, l’adaptation ne pourra avoir lieu que dans le cadre des compétences des collectivités territoriales. Pour faire face à notre environnement régional et nous y ancrer, nous avons besoin d’une marge de manœuvre un peu plus importante, tout en restant un département et une région de France, et en conservant le même statut qu’aujourd’hui, c’est-à-dire la même organisation. Il nous faut une capacité d’adaptation au monde à venir.

Mme Naïma Moutchou. Beaucoup a déjà été dit et nous aurons largement l’occasion de revenir sur le fond, puisque nous avons presque 1 500 amendements à examiner. Je voudrais seulement revenir sur le sens de cette révision constitutionnelle, en vous faisant part de ma vision sur ce sujet – je sais qu’elle est largement partagée. C’est un projet d’ampleur et ambitieux pour notre démocratie. Il s’agit, on l’a dit avant moi, de la première révision que nous allons connaître depuis dix ans. Je ne dirais pas que ce texte réalise une révolution, car nous n’avons pas besoin d’un tel renversement : l’équilibre des pouvoirs qui est assuré par la Ve République garantit la stabilité politique depuis 60 ans, malgré les crises, internes comme internationales, et les alternances. Il n’est pas question de remettre en cause cet équilibre en revenant à la IVe République ou en basculant dans une VIe République qui ne serait en réalité qu’un retour dans le passé. Nous devons veiller à préserver l’esprit de la Constitution de 1958.

Il n’y a donc pas de renversement, mais une continuité avec la révision de 2008. Ce qui nous est proposé aujourd’hui est indispensable. C’est une évolution nécessaire et courageuse de notre texte constitutionnel, qui s’inscrit dans le projet progressiste qui est le nôtre depuis le début de cette législature, c’est-à-dire une transformation de la vie politique qui nous permettra d’aller vers une société de confiance, où le débat démocratique, et en particulier parlementaire, sera revitalisé. Par leur vote de 2017, les Français ont exprimé une aspiration démocratique très forte : ils veulent être mieux représentés par les élus de leur territoire dans une société appartenant à son temps, qui prend en compte les défis du XXIe siècle. Nous devons continuer à mettre en œuvre ce choix très clair d’un changement politique profond. Telle est l’ambition de la réforme qui nous est proposée par les trois textes déposés par le Gouvernement : il s’agit de rendre notre démocratie plus représentative, plus responsable et plus efficace. C’est ce que la majorité défendra jusqu’au bout avec conviction.

M. Olivier Marleix. En ce qui concerne les droits du Parlement, cette révision constitutionnelle est à contre-courant de toutes celles que nous avons connues depuis 1958 – celles de 1974, qui a permis aux parlementaires de saisir le Conseil constitutionnel, de 1992, de 1995 ou encore de 2008. Cette dernière avait donné à l’opposition des droits nouveaux et importants : un droit de tirage pour la création des commissions d’enquête, la réduction du recours à l’article 49, alinéa 3, mais aussi la soumission des nominations décidées par le chef de l’État à l’avis des commissions parlementaires compétentes. Cette fois, rien de tel n’est prévu : tout va dans le sens de la réduction des pouvoirs du Parlement, alors que l’équilibre est pourtant fragile.

Vous connaissez, en effet, les mesures qui nous sont proposées : un encadrement du droit d’amendement, notamment avec la fin de la possibilité de déposer des amendements d’appel pour évoquer certains sujets et l’interdiction du droit d’amendement en séance plénière ; un pouvoir budgétaire encore plus encadré sur le plan temporel, et donc escamoté ; une extension du champ de l’ordre du jour prioritaire au bénéfice du Gouvernement – vous arrivez même à donner au Gouvernement une espèce de droit de préemption sur le temps réservé aux semaines de contrôle parlementaire, à tel point que le Conseil d’État a fait part de ses réserves. À quoi serviront encore les semaines de contrôle si le Gouvernement peut y inscrire des projets de loi ?

Vous auriez pu proposer des mesures visant à renforcer le Parlement, notamment en ce qui concerne les commissions d’enquête, mais vous avez bien sûr écarté toutes ces pistes. Quel argument invoquez-vous ? Celui de l’efficacité, qui est le grand maître mot dans ce texte. Je vous renvoie à l’excellent rapport de M. Michel Winock, intitulé Refaire la démocratie, qui a été remis sous la précédente législature. Ce rapport comporte notamment une comparaison des délais d’adoption des projets de loi au plan européen. Notre délai moyen, qui est de 149 jours, fait partie des moins élevés. Seuls les pays ayant un système monocaméral font mieux que nous, notamment la Hongrie de M. Orbán. Je doute que ce soit le modèle qui inspire votre majorité, mais pourtant c’est le sens que vous semblez prendre avec ce texte.

M. Jean-François Eliaou. Les « rendez-vous des réformes 2017-2022 », qui ont été lancés en septembre dernier par le Président de l’Assemblée nationale, ont vu la création de sept groupes de travail, dont un est consacré aux moyens d’évaluation et de contrôle du Parlement – j’en suis le rapporteur. Nous avons d’abord adopté, dans ce cadre, quinze propositions de niveau constitutionnel au mois de décembre 2017, puis un nouveau rapport mercredi dernier. Vous savez qu’il prône la création d’une agence d’évaluation au sein du Parlement.

L’avenir de notre institution, a fortiori si le nombre d’élus est réduit, passe par un meilleur équilibre entre l’activité législative pure et les missions de contrôle et d’évaluation. J’ai donc déposé plusieurs amendements visant à assurer la force et l’efficacité du Parlement grâce à une meilleure prévisibilité des travaux législatifs, à accroître notre rôle de contrôle du Gouvernement et d’évaluation des politiques publiques, au moyen d’outils efficaces, et à sanctuariser des périodes d’évaluation et de contrôle dans l’ordre du jour. Je suis d’avis, et je ne pense pas être le seul, que mieux évaluer conduit nécessairement à mieux légiférer, ce qui est notre devoir de parlementaires.

M. Paul Molac. Sous la Ve République, le pouvoir législatif a la particularité de ne pas faire la loi. Je pense que Locke et Montesquieu ne seraient d’ailleurs pas nécessairement d’accord… Quand j’ai vu que l’on voulait limiter la possibilité d’amendement, qui est un droit inaliénable du député, j’ai été un peu inquiet : non seulement nous ne faisons pas la loi, mais on pourrait maintenant ne plus la discuter, ce qui poserait franchement un problème. La première mouture du texte ne me plaisait pas, mais j’ai vu qu’un certain nombre d’amendements devraient permettre d’aboutir à une situation plus acceptable.

J’en viens à la question de la libre administration des collectivités locales. J’avoue ne pas avoir été très rassuré sur ce point : il a été rappelé tout à l’heure que le Parlement peut adopter des statuts spéciaux – il en existe déjà, notamment pour la Nouvelle-Calédonie et l’Alsace-Moselle. Il n’y a donc pas de difficulté. Ce que demandent les collectivités locales, ce n’est pas que le Parlement légifère pour elles, mais de pouvoir disposer du pouvoir réglementaire, ou du moins d’avoir une possibilité d’adaptation. Voilà ce qui est essentiel. Le reste peut demeurer inchangé dans notre Constitution. En ce qui concerne la Corse, il ne suffit pas qu’elle soit inscrite dans la Constitution pour qu’elle ait un statut particulier – d’ailleurs, elle en a déjà un.

Conformément à l’article 75-1, les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France, mais ce n’est qu’inscrit dans la Constitution à l’heure actuelle : aucune loi n’a été adoptée en la matière. Une inscription dans la Constitution peut donc constituer un trompe-l’œil. Le candidat Macron avait promis de ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, mais je ne vois rien de tel dans ce qui nous est proposé. Je défendrai donc des amendements sur ce sujet.

M. Jean-Louis Masson. Montesquieu a souligné dans De l’esprit des lois que le détenteur du pouvoir a toujours tendance à en abuser et que seul le pouvoir peut limiter le pouvoir : c’est ce que l’on appelle l’équilibre des pouvoirs. À mon avis, et je sais qu’un certain nombre de collègues le pensent aussi, cet équilibre a été rompu par le quinquennat et l’inversion du calendrier électoral. Alors que la réforme de 2008 avait donné davantage de pouvoir au Parlement, ce texte constitue un retour en arrière puisqu’il prévoit au contraire un affaiblissement flagrant, en réduisant le droit d’amendement et les délais accordés au Parlement pour se prononcer.

La réduction du nombre de députés et de sénateurs pose aussi deux difficultés, comme l’a relevé Mme Cécile Untermaier. Nous subirons un décrochage par rapport à d’autres pays, comme l’Allemagne ou l’Italie, qui auront un nombre de députés nettement supérieur au nôtre, et il y aura aussi un problème de lien entre les députés et les territoires. La taille de ces derniers va quasiment doubler, du moins pour les députés qui resteront élus dans ce cadre, pour atteindre parfois 150 kilomètres, et leur population doublera. Pourquoi faut-il maintenir un lien territorial ? Une loi ne peut pas être purement technique : le législateur doit sortir des considérations purement juridiques pour vérifier le texte et l’amender, pour ajuster la loi aux réalités humaines. Pour cela, encore faut-il qu’il y ait une proximité suffisante.

Le package formé par la loi constitutionnelle, la loi organique et la loi ordinaire renforcera le déséquilibre des pouvoirs au profit de l’exécutif. Celui-ci en avait-il besoin ? L’efficacité n’est pas une valeur, mais seulement un moyen : les seules valeurs que je connais sont celles de notre République.

M. Pierre Morel-À-L’Huissier. Je n’ai pas d’a priori sur cette révision constitutionnelle, mais je voudrais faire part d’un certain nombre d’observations, en commençant par prolonger ce qu’a dit M. Jean-François Eliaou au sujet de l’évaluation – je suis, en effet, l’auteur d’un rapport sur le même thème. Il me semble important de mieux légiférer grâce à l’évaluation des politiques publiques et d’améliorer les études d’impact. Je suis favorable au droit à la différenciation pour les collectivités locales, mais aussi à leur pouvoir d’adaptation des normes. Sur ce sujet récurrent, une consécration constitutionnelle serait importante.

Enfin, je voudrais appeler l’attention sur la question des « députés uniques ». Tout comme le député de la Creuse, je vis cette situation depuis cinq ans, en tant que député de Lozère. Ce n’est pas simple d’avoir une circonscription de 5 000 kilomètres carrés, en zone de montagne, et de parcourir 7 000 kilomètres par mois : voilà ce qu’est la vie d’un député unique. De 2, le nombre de départements concernés passerait à 21. Je crois que nous devons faire très attention à la représentativité parlementaire dans notre pays.

Mme Lætitia Avia. Je voudrais revenir sur le Conseil économique, social et environnemental. La Constitution lui confère un rôle spécifique au sein de nos institutions, puisqu’elle en fait l’assemblée consultative de la République : le CESE a vocation à conseiller le Gouvernement ainsi que les deux autres chambres que sont l’Assemblée nationale et le Sénat pour l’élaboration de la loi, en leur fournissant des avis, des études et des rapports sur les sujets économiques, sociaux et – depuis 2008 – environnementaux. Cet organe reste pourtant méconnu de nos concitoyens, incompris, voire caricaturé. Nous avons tous entendu les commentaires qui en font une chambre dormante ou, s’agissant de sa composition, une forme de « République des copains ». Je ne souscris pas à ces commentaires, mais il faut reconnaître qu’ils ont une origine que nous ne pouvons pas ignorer : l’altération du lien de confiance entre nos concitoyens et ceux qui sont censés les représenter au sein du CESE.

Comme le Président de la République l’a rappelé devant nous lors de la dernière réunion du Congrès à Versailles, la mission du CESE est de servir de trait d’union entre la société civile et les institutions politiques, grâce à un dialogue constructif et à des propositions suivies d’effets. Cette intention fondatrice s’est un peu perdue, mais nous avons l’occasion de redonner ses lettres de noblesse au CESE, en faisant de lui un véritable lieu d’expression directe de la société civile. Cela signifie-t-il que nous ne la représenterons plus ? Ce sera toujours le cas, via nos parcours ainsi que par le travail d’intermédiaire et le rôle de courroie de transmission que nous exerçons, dans un sens comme dans l’autre. Cette réforme consacre la place de la société civile dans le cadre du CESE. Cette instance, qui sera dotée d’une composition resserrée, de missions affermies et de compétences élargies, redonnera toute leur place à ceux qui doivent, en toute hypothèse, être notre priorité, c’est-à-dire nos concitoyens, qu’ils s’investissent dans la vie publique et politique directement, via leurs élus ou via les corps intermédiaires, sans que cela heurte la légitimité démocratique du Parlement.

M. Hervé Saulignac. À ce stade de nos travaux, je ne m’attacherai qu’à l’esprit général de ce texte. Comme d’autres collègues, peut-être, je m’interroge sur l’implication personnelle du Président de la République dans le projet de révision constitutionnelle qui nous est soumis : j’ai l’impression qu’il est fait par le Président et pour lui.

Vous êtes un certain nombre à être absolument convaincus qu’il faut un pouvoir exécutif fort pour mettre en œuvre des réformes ambitieuses et nombreuses. Or c’est une grave erreur : un Parlement faible conduit à une démocratie faible et, in fine, impuissante à réformer.

De ce point de vue, ce texte est anachronique : il conforte la Ve République dans ce qu’elle n’a plus d’utile aujourd’hui. Elle a fait ses preuves, et je ne fais pas partie de ceux qui considèrent que l’on devrait la passer par pertes et profits. Elle est adaptable, et il faut évidemment l’ajuster aux impératifs du XXIe siècle, mais vous avez fait le choix de conforter ce qui, a contrario, aurait sans doute dû être mis de côté, afin d’aller vers un réel équilibre des pouvoirs.

M. Jean-René Cazeneuve. Mon intervention portera sur l’article15 du projet de loi, qui vise à redonner du souffle à la décentralisation en facilitant la différenciation territoriale. Cet article permettra, d’une part, au législateur de prévoir que certaines collectivités exercent des compétences dont ne disposent pas l’ensemble des collectivités de même catégorie et, d’autre part, aux collectivités de déroger, pour un objet limité, aux dispositions législatives et réglementaires régissant l’exercice de leurs compétences. Le droit de l’expérimentation sera simplifié : les collectivités pourront pérenniser une expérimentation réussie sans que celle-ci soit généralisée à l’ensemble du territoire. Ce sont des avancées majeures qui sont réclamées depuis longtemps par les élus, leurs représentants et, je crois, une majorité des Français. Il faut donc saluer ces évolutions et s’en réjouir.

Depuis quelques mois, nous avons travaillé avec M. Arnaud Viala, au sein de la Délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, sur la question de l’expérimentation et de la différenciation territoriale : notre communication finale comporte cinq propositions, dont deux sont satisfaites par le présent texte, ce dont je me félicite. Une autre proposition, relative à l’étude de l’impact sur les collectivités des mesures envisagées, est de nature organique et sera présentée le moment venu. Les deux dernières visent à aller un peu plus loin dans le nouvel élan décentralisateur.

Nous vous proposerons ainsi d’adopter un amendement disposant que toute loi ou tout règlement ayant un impact significatif sur les collectivités doit prendre en compte les spécificités des territoires concernés. Le second amendement vise à ce que les collectivités aient la possibilité non seulement de déroger à des dispositions législatives ou réglementaires, mais aussi de les adapter aux spécificités de leur territoire.

Pour conclure, permettez-moi de rappeler les propos que le Président de la République a tenus lors du centième congrès des maires : « les communes les plus rurales, elles demandent bien souvent qu’on adapte la règle à leurs réalités de terrain. C’est cela ce que je veux qu’ensemble nous inventions. Conférer aux collectivités une capacité inédite de différenciation, une faculté d’adaptation des règles aux territoires et pouvoir, le cas échéant, aboutir aussi à des transferts aux collectivités pour une répartition plus efficace ».

Mme Laurence Vichnievsky. Je ferai simplement deux observations.

La première est d’ordre général. Le quinquennat et l’élection des députés consécutivement à l’élection présidentielle entraînent une grande frustration chez les parlementaires, qui pensent, parfois à juste titre, qu’ils ne sont pas suffisamment entendus. Je veux simplement indiquer que le Parlement vote la loi et que c’est donc lui qui, à la fin des fins, décide. C’est vrai, nous souhaiterions sans doute être plus impliqués en amont, mais cela ne signifie pas une co-élaboration. Il ne faut pas confondre les genres, et je pense que la réponse à cette difficulté nous est donnée par la loi ordinaire qui sera soumise à notre examen et qui traitera de l’élection de députés au scrutin proportionnel. Évidemment, ces trois textes s’appréhendent en même temps, et c’est la proportionnelle qui est susceptible de rétablir des équilibres et de permettre la prise en compte des exigences de chacun.

Ma deuxième observation porte plus particulièrement sur l’article 1er, objet d’un nombre croissant d’amendements. Si l’on veut ajouter ou enlever certains mots, chers collègues, cela veut dire qu’il y en a qui sont autorisés et d’autres qui seraient interdits. C’est la police des mots, qui précède la police de la pensée. Je voudrais que nous soyons, les uns et les autres, très attentifs à cela. Et, puisque certains ont fait référence à Montesquieu, j’évoquerai une référence un peu plus récente : cela me fait penser à la novlangue d’Orwell.

M. Jacques Marilossian. Comme de très nombreux collègues de toutes origines, j’ai déposé un amendement afin de supprimer le mot « race » dans le texte de la Constitution. Je pense que nous serons unanimes pour voter cette modification.

Je voudrais aussi partager bien modestement avec vous quelques préoccupations. Comment pouvons-nous renforcer la prise en compte de tous les territoires ? Comment pouvons-nous favoriser leur représentation, tout en assurant la cohésion nationale ? Je propose des amendements aux articles 1er, 2 et 15 du projet afin de favoriser la reconnaissance des territoires et leur aménagement équilibré mais aussi afin d’assurer l’égalité entre les collectivités. Bien que député des Hauts-de-Seine, je suis né au Puy-en-Velay, en Haute-Loire. C’est à ce titre que je souhaite que notre assemblée consacre un peu de son énergie, pendant l’examen de ce projet de loi constitutionnelle, à la promotion de nos territoires.

Mme Danièle Obono. Je veux revenir sur un élément signalé par notre collègue Lachaud : l’absence de ce qui devrait être le sujet participatif, actif, impliqué, de ce débat constitutionnel, c’est-à-dire le peuple, les citoyens et les citoyennes, au nom de qui nous légiférons et discutons mais à qui nous n’avons pas donné largement la parole. J’en veux pour preuve la manière dont a été reçue l’initiative de l’association Les Lucioles, qui mène depuis plusieurs mois des débats sur la Constitution. Son projet extrêmement ambitieux et intéressant rassemble aujourd’hui des citoyens et des citoyennes membres d’associations de quartier. Il s’agit de se pencher sur le texte constitutionnel et de porter leur compréhension et leurs revendications. Cette association s’est adressée à la commission des Lois pour intervenir dans le débat et présenter aux parlementaires ce travail de plusieurs mois, mais elle a reçu une fin de non-recevoir, qui a été mal comprise par ces citoyens et citoyennes. Pour moi, et pour elles et eux, vous en conviendrez également, c’est à la fois exemplaire et caractéristique de cette manière de prendre le débat à l’envers.

Je pense que nous aurons l’occasion d’y revenir. Notre groupe défendra un certain nombre d’amendements pour que les citoyens et citoyennes soient des acteurs et pas simplement des sujets du débat démocratique.

Je vous appelle cependant, chers collègues, à profiter de la possibilité que nous avons d’entendre ces personnes après-demain jeudi, à quatorze heures, au premier bureau du palais Bourbon, et d’échanger avec elles. Cela me semble être une manière responsable et ouverte que d’avoir ces débats et d’entendre la parole des citoyens et des citoyennes.

M. Moetai Brotherson. Je poserai simplement une nouvelle fois la question que j’ai posée un peu plus tôt aujourd’hui à la ministre des outre-mer, à laquelle j’ai reçu une réponse un peu surréaliste.

Depuis 2004 est inscrite dans le statut d’autonomie de la Polynésie française la limitation à deux du nombre de mandats du président de l’exécutif. Aux termes de cette révision, la limitation serait portée… à trois mandats ! On m’a répondu ce matin que c’était au nom de l’intérêt national, je ne comprends pas.

M. Cédric Villani. Mes chers collègues, cette révision est l’occasion de rendre nos institutions plus efficaces et plus au service de la démocratie. Cela s’applique aussi à notre propre assemblée. Nos mécanismes doivent favoriser le contact avec la nation qui nous élit au suffrage universel direct et attend d’être écoutée, représentée et informée par nos soins. Ils doivent aussi nous permettre d’être efficaces et éclairés dans nos actions.

Dans cette révision, il y aura de grands principes comme celui de l’inscription de l’environnement en excellente place dans la Constitution, il y aura aussi des propositions techniques et des ajustements pragmatiques, par exemple dans la fabrique de la loi, mais derrière les propositions techniques, on peut distinguer au moins trois débats de fond sur le parlementarisme. Le premier débat, appelons-le « des paroles ou des actes », oppose deux visions légitimes et complémentaires, celle du député qui fait vivre le débat par la parole et celle du député qui produit des lois et des contrôles efficaces. Le second débat, disons « en province ou à Paris ? », oppose le parlementaire passant du temps au contact direct des citoyens et de leurs problèmes au parlementaire discutant avec ses collègues ou d’autres instances nationales. Le troisième débat serait celui entre la démocratie participative et la démocratie représentative. L’élection est-elle le seul moyen par lequel les citoyens font directement part de leurs souhaits au Parlement ou faut-il la compléter par d’autres mécanismes de participation directe ?

Bien sûr, il nous faut veiller à l’équilibre, avoir des députés à la fois parlant et agissant, sur le terrain et à Paris, dans les discussions qui se tiennent dans un cadre représentatif et dans l’écoute directe des citoyens. C’est cet équilibre qui fait la beauté de notre mandat.

C’est pourquoi nous examinerons dans le projet de loi ou au travers des amendements des mesures destinées à améliorer la qualité d’analyse et d’action du Parlement tout en facilitant le débat et le contact, par exemple par la mise en place d’une agence d’analyse, d’évaluation et de contrôle, par la possibilité de prévoir des semaines de travail hors de Paris, par la révision de l’organisation de nos travaux en commission dans le sens d’une plus grande efficacité, par la rationalisation de notre emploi du temps pour que nous puissions prendre le temps du débat, sans devoir jongler entre des réunions concomitantes dans des semaines de travail atrophiées, accumulant les nuits de travail mais incapables de prévoir à quarante-huit heures près l’heure de passage d’une question sur laquelle on a travaillé, incapables même de donner des rendez-vous fiables.

Le parlementaire amoureux de l’Europe et immensément fier de la France que je suis ne peut que se désoler de voir à quel point des parlements voisins sont mieux organisés dans leur fonctionnement et plus pointus dans leur expertise. Le politique scientifique que je suis se désole de voir à quel point notre emploi du temps chaotique interdit une réflexion scientifique et politique décente, un exemple parmi cent de l’enrichissement qu’un travail d’expertise soigneux et une rationalisation de notre fonctionnement pourra apporter aux politiques dans le Parlement du XXIe siècle.

M. David Habib. Merveilleux réquisitoire contre un texte qui présente bien des lacunes !

J’évoquerai pour ma part la philosophie qui préside à l’examen de ce texte. Vous avez conçu une organisation des pouvoirs verticale, très centralisée, très individualisée, très « macronisée », déséquilibrée, qui aboutit à un affadissement du Parlement, avec une confiscation de l’ordre du jour au-delà de ce qui était prévu par le Constituant de 1958, avec une réduction des délais d’examen et une réforme du droit d’amendement qui sera peut-être revue mais qui, en l’état, ne répond pas aux attentes de celles et ceux qui considèrent, comme M. Paul Molac l’a remarquablement exprimé tout à l’heure, que c’est l’un des derniers droits des députés de la République.

Et puis, au-delà de la loi constitutionnelle, je le dis à mon ami Richard Ferrand, il y a la loi organique ; et, derrière la loi organique, il y a la loi ordinaire et le redécoupage électoral. Celles et ceux qui auraient pu un instant penser que de nobles idées pouvaient animer la majorité actuelle seront déçus. Vous auriez pu adhérer au principe, qui existe dans d’autres démocraties, selon lequel le redécoupage électoral relève d’autres autorités que le président du groupe parlementaire La République en Marche et du délégué général de La République en Marche, et notamment d’experts – en aménagement du territoire, en géographie et en économie. Chaque fois que nous avons fait cette proposition, M. François de Rugy et d’autres l’ont récusée.

Quant aux lacunes, le texte ne contient rien sur l’accompagnement de la construction européenne, rien sur l’État ni son action – cela a été dit par d’autres tout à l’heure. Or, si la France est malade de quelque chose, c’est de son État et de l’organisation de celui-ci sur le terrain, de l’absence de réponse des pouvoirs centraux. Et il n’y a rien dans le texte pour codifier ou réorganiser cela.

Dernier point, le décentralisateur obstiné que je suis voit que le texte est silencieux sur l’autonomie financière des collectivités – je suis jaloux de l’Espagne ! Il n’est fait référence qu’à la Corse mais pas à la capacité à innover sur les territoires. C’est un rendez-vous manqué.

M. Christophe Euzet. Nous avons beaucoup dit que l’heure est grave. Je crois surtout qu’elle nous oblige, collectivement.

Nous ne sommes pas en train de faire table rase du passé, nous sommes non pas le constituant originaire mais le constituant dérivé, c’est-à-dire que nous travaillons dans le cadre d’un texte constitutionnel qui guide la procédure et nous dit où nous devons aller.

On ne doit pas le faire, comme l’a dit Montesquieu, « la main tremblante » mais la main assurée, au sens collectif et « alpinistique » du terme, si j’ose dire, c’est-à-dire en s’assurant les uns les autres. En se prononçant pour une volonté politique raisonnable, comme celle qui se donne à lire dans le projet qui nous est soumis, les Français ont appelé à un projet de réforme, ils ont dit non au statu quo et au conservatisme, ils ont dit non à la politique de la table rase. Ils se sont prononcés pour une réforme raisonnée et raisonnable, pour un texte cohérent, comme celui qui nous est proposé aujourd’hui, qui préserve – je crois que ce point fait consensus – la logique de la Ve République et même l’améliore à de multiples égards et doit être regardé, pour être perçu dans toute sa cohérence, avec les textes qui suivront : la loi organique, les lois ordinaires et, probablement, les modifications des règlements des assemblées.

Reste à savoir si ce texte est équilibré. Il répond à des promesses de campagne du candidat devenu Président de la République, avec des toilettages nécessaires sur lesquels tout le monde, ici, s’accorde, qui concernent le Conseil supérieur de la magistrature, la Cour de justice de la République, le Conseil constitutionnel, le CESE et le droit à la différenciation, avec un souci d’efficacité auquel nous souscrivons quand même tous. Reconnaissons au-delà des postures qu’on peut faire des choses et améliorer la qualité de notre travail. Et puis peut-être nous incombe-t-il de nous pencher sur la préparation et le déroulement du travail législatif, ainsi que sur l’évaluation de l’action du Gouvernement. Tout cela demandera des compromis. Il faut être raisonnable, cohérent et équilibré et chercher le consensus en nous disant que nous travaillons, comme disait Paul Valéry, pour ceux qui viennent après nous.

M. Aurélien Pradié. Puisque nous sommes au stade des généralités, je voudrais en partager quelques-unes.

Au fond, l’excès de mots peut susciter deux soupçons. Il peut être soupçonné de cacher le vide. Je ne pense pas que nous puissions considérer que l’excès de certains mots, récurrents dans la bouche des députés de la majorité, notamment le mot d’efficacité, cache un vide. En l’espèce, il y a de la matière dans cette réforme-là. La deuxième option, c’est que l’excès de mots cache une manœuvre bien peu avouable du point de vue de la démocratie et du point de vue de l’opinion publique. Je pense que c’est là votre option. Au fond, votre option, c’est – vous le faites depuis un an – de mettre des mots faciles, sur des choses qui jusqu’à présent étaient inquiétantes mais qui, cette fois, sont graves car elles touchent à un patrimoine, le patrimoine commun de ceux qui sont tout et de ceux qui ne sont rien : nos institutions.

Je pense que votre excès de mots méritera, durant tous ces débats, que nous l’analysions avec un peu d’attention. Je ne supporte plus le culte idéologique de l’efficacité : c’est tout à fait insupportable parce que c’est la négation même de ce que nous sommes, chacune et chacun. C’est la négation même de ce qu’est la politique.

Vous prétendez ne porter aucune idéologie… Vous portez une idéologie épouvantable : celle de la seule efficacité ! Il y a quelques mois, alors que nous venions d’arriver à l’Assemblée nationale, nous avions un débat sur le projet de loi pour un État au service d’une société de confiance et la garde des Sceaux prononçait une phrase qui ne me quitte pas depuis le début de nos débats, il y a un an. On l’avait interrogée pour savoir où elle voulait en venir. Elle avait répondu ceci : « Je veux en revenir à la pureté de l’Assemblée nationale. » Il y a là, dans ce texte, cette signature : vous voulez en revenir à la pureté de l’Assemblée nationale. Or la pureté et la démocratie c’est une contradiction, c’est un mélange de deux notions qui n’ont jamais fait bon ménage. L’Assemblée nationale, le Parlement doit rester le lieu des aspérités, le lieu des représentations de notre pays et de notre nation. Ce texte nous permettra de démasquer l’idéologie profonde qui ne vous quitte pas depuis un an.

Mme Paula Forteza. Outre notre travail sur la question de l’équilibre des pouvoirs et de la procédure parlementaire, nous avons la responsabilité de travailler sur une constitution moderne qui répond aux enjeux de notre temps et aux attentes des citoyens. Pour y parvenir, nous devons traiter au moins trois sujets : l’environnement, les nouveaux défis du numérique et la participation citoyenne.

Je laisserai d’autres, plus experts que moi, s’exprimer sur l’environnement, mais je sais que les débats vont dans le bon sens.

Quant au numérique, je vous proposerai dans quelques heures une charte du numérique, sur le modèle de la Charte de l’environnement, que nous avons préparée dans le cadre du groupe de travail réuni par les présidents de nos deux assemblées, composé de députés et de sénateurs de tous bords. Nous avons réfléchi à quelques droits assez généraux que nous pouvons inscrire dans la Constitution. Il est vrai qu’aujourd’hui l’exercice de certains droits et de certaines libertés fondamentales est conditionné par l’accès et la maîtrise du numérique. Nous avons aussi une occasion d’affirmer une vision française du numérique qui revient aux fondamentaux d’un numérique neutre, ouvert et non centralisé, tous principes aujourd’hui contestés partout dans le monde.

Quant à la participation citoyenne, je sais que madame la rapporteure proposera une réécriture des dispositions relatives au CESE. Je voudrais vraiment que nous traitions cette question avec beaucoup de sérieux, notamment en ce qui concerne l’impact sur la décision politique des nouveaux dispositifs que nous mettons en place, comme la pétition citoyenne, et l’articulation entre le CESE et les assemblées représentatives sur cette question.

Mme Marie-France Lorho. Chers collègues, ayant médiocrement apprécié certaines évolutions récentes, je suis heureuse de participer à ce débat sur la réforme de nos institutions. Du non-cumul des mandats au parquet national financier, les débats font encore rage sur la pertinence des choix récents, j’ai donc déposé un certain nombre d’amendements sur ce texte.

Je dois dire d’abord que l’entrée en matière de l’exposé des motifs me semble pour le moins présomptueuse : « En se rendant aux urnes au printemps 2017, les Français ont exprimé une volonté profonde de changement de notre vie politique. » Alors que notre auguste commission a pour devoir de fabriquer la loi avec la prudence de l’universalité nécessaire, cela me semble inadapté. Faudrait-il en effet considérer que les électeurs du Front national ou même ceux des autres partis pour les candidats desquels les Français ont voté au premier tour ne voulaient pas de ce changement ? Cela reviendrait, je crois, chers collègues, à entrer en contradiction avec l’objectif initial d’un projet de loi « pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace ».

À titre personnel, je suis opposée aux trois réformes majeures envisagées. J’ignore en effet quels sont les terroirs de nos pays qui ne sont pas assez singuliers pour être représentés par un député et je suis convaincue que cette réforme actera encore plus la domination par la France citadine de la France rurale. Je pense que les lois sur le non-cumul des mandats ne prouvent pas leur efficacité et qu’au-delà d’une communication médiatique sur le renouvellement de l’Assemblée rien n’a changé dans la réalité des chambres parlementaires. Enfin, je suis sceptique sur le mode de scrutin proposé. En fait de proportionnelle, les précautions prises contre le risque avéré de donner l’avantage aux gros partis politiques sont insuffisantes.

Plus globalement, chers collègues, je pense que notre démocratie souffre de deux choses – et je m’appuie sur le rejet massif qu’expriment les Français devant deux institutions pour corroborer mon propos. Les Français sont exaspérés par l’absence de diversité médiatique et la concentration des médias aux mains de quelques personnes. Je rappelle que les orientations politiques des patrons de presse ont largement transpiré lors des dernières élections et que ce fut largement dénoncé par nos compatriotes. Je crois qu’ils sont aussi exaspérés par la dictature des partis politiques. Les aléas des primaires, le rejet des mouvements historiques et le sentiment d’une absence de pluralité dans les solutions proposées sont évidents. Je me pose donc une question : n’avez-vous pas l’impression de présenter un texte qui intéresse surtout les intérêts de la classe politique plutôt qu’il ne prend vraiment en considération les désirs du peuple ?

Mme Marietta Karamanli. J’adhère à nombre des propos qui ont été tenus, mais je poserai simplement deux questions aux rapporteurs.

Il est proposé d’ajouter à l’article 34 de la Constitution définissant le domaine de la loi les mots « et de l’action contre les changements climatiques ». Depuis le 1er mars 2005, la première phrase du préambule de la Constitution dispose tout de même que « Le peuple français proclame solennellement son attachement […] aux droits et devoirs définis dans la Charte de l’environnement de 2004 ». Pensez-vous vraiment que l’ajout proposé aujourd’hui conduise le Gouvernement à une meilleure prise en compte des enjeux climatiques ? Je me permets de vous le demander car, malgré la référence à l’environnement qui figurait déjà dans le texte constitutionnel, l’exécutif s’est opposé, récemment, à l’inscription dans le texte de la loi sur l’agriculture actuellement examiné par le Parlement de l’interdiction de certaines substances dangereuses pour la santé et l’environnement, pourtant proposée par de nombreux députés.

Par ailleurs, la diminution du nombre de députés et sénateurs pose question. Notre pays sera celui des pays développés qui compte le moins de parlementaires, alors même que l’enjeu est de pouvoir contrebalancer ce que veulent Paris et quelques élites que dénonçait d’ailleurs le candidat devenu chef de l’État. Je note que les comparaisons nous placent actuellement derrière le Royaume-Uni. Après la réforme, nous serons derrière l’Allemagne, qui, elle, compte par ailleurs seize Länder, dotés chacun d’un Gouvernement et de députés, seize Länder qui exercent des compétences que n’exerce pas l’État fédéral – la police, l’éducation, l’aide sociale. C’est un peu comme si nos régions avaient aujourd’hui la possibilité d’avoir de vrais députés. Ces parlementaires des Länder votent l’équivalent de 40 % du budget. Que répondez-vous donc à cette comparaison ?

M. André Chassaigne. Je ne reviendrai pas sur les différentes interventions qui ont été faites sur l’orientation fondamentale de ce projet de loi constitutionnelle, qui consiste en un affaiblissement du pouvoir législatif – c’est central, mais nous aurons l’occasion d’y revenir dans les débats.

Quelques mots sur les questions environnementales, j’ai participé en 2004 à l’écriture de la Charte de l’environnement. C’était un débat passionnant. D’ailleurs, quand on a été député et qu’on retrouve dans le texte des amendements qu’on a pu faire adopter, on éprouve une forme de satisfaction personnelle.

Nous avons beaucoup réfléchi, au sein du groupe de la Gauche démocrate et républicaine : fallait-il ou non toucher à la Charte de l’environnement ? Il faut être très attentif à ce que certains articles ne soient pas « bousculés », notamment l’article 5 sur le principe de précaution qui a beaucoup été attaqué. Si on y portait atteinte, cela aurait, je crois, beaucoup de conséquences extrêmement négatives.

Cependant, certaines formulations de cette Charte de l’environnement doivent être revues. Le texte de l’article 1er, selon lequel « chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé », me semble devoir évoluer. C’est pour cette raison que nous défendrons – et sans doute d’autres avec nous – un amendement qui évoque plutôt « un environnement qui préserve les équilibres écosystémiques, la biodiversité et la santé humaine ». En 2004, nous n’abordions pas la question ainsi. Il faut tenir compte de cette évolution. En modifiant la Charte de l’environnement, nous marquerons des avancées.

De même, promouvoir un développement durable supposait, selon la lettre de la Charte de 2004, de concilier « la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social ». Il faut être très attentif à ce que recouvre le développement économique. Aujourd’hui, il est plutôt question de transition écologique et de conciliation du progrès social avec la protection et la mise en valeur de l’environnement, tandis que c’est au nom de l’économie que de nombreuses atteintes sont portées à l’environnement.

M. Jean-Michel Clément. Rapporteur du groupe de travail sur la procédure législative, ayant entendu de nombreux intervenants, je crois que ce qui ressort le plus c’est la volonté partagée de renforcer les pouvoirs du Parlement.

Depuis 1958, toutes les réformes constitutionnelles n’ont fait que renforcer le pouvoir exécutif. Nous avons atteint un point de non-retour, et il est temps de procéder à un rééquilibrage. Les trois textes que nous devrons examiner successivement – projet de loi constitutionnelle, projet de loi organique et projet de loi ordinaire – devront s’inscrire dans cette démarche de renforcement du pouvoir parlementaire. Sinon, notre démocratie en sera affaiblie. Selon moi, la réforme constitutionnelle sera réussie si on peut mesurer comment effectivement nous avons rééquilibré les pouvoirs – je n’entre pas dans les détails pour l’instant.

Quant à l’article 34, je défendrai, le moment venu, un amendement pour évoquer une notion bien particulière. En ce début du XXIe siècle, l’urgence, selon moi, est de donner leur pleine mesure à la justice et à la liberté. Face à la démesure, il appartient à l’État de droit de prévenir cette distribution inégale des droits et devoirs qui met aux prises des populations humaines soucieuses de leur développement avec des puissances privées habiles à réclamer et à profiter des limites que le Parlement se voit sommé de fixer à ses propres initiatives. Comment justifier aujourd’hui notre incapacité à légiférer pleinement afin de sanctionner le travail des enfants dans les manufactures du bout du monde, d’assurer une souveraineté alimentaire, de protéger la biodiversité, de lutter contre le changement climatique ou encore d’abolir le privilège qu’ont les puissants de se soustraire à l’impôt ? Le temps est venu de poser démocratiquement des limites à la puissance privée pour qu’elle se déploie dans le respect de l’intérêt général, des limites qui donnent un sens humain à l’extraordinaire potentiel d’innovation de l’esprit d’entreprise. Une réforme sage et mesurée de notre Constitution est devenue une urgence, dans l’esprit de ce que d’autres pays européens connaissent déjà. Cette réforme pourrait prendre la forme d’une précision apportée à l’article 34 de notre Constitution.

M. Stéphane Mazars, président. Chers collègues, nous aborderons l’examen des articles ce soir, lors de notre prochaine réunion. Je vous remercie.


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   Comptes-rendus des débats

   sur LES articles DU PROJET DE LOI

Lors de sa seconde réunion du mardi 26 juin 2018 et de ses neuf réunions des mercredi 27, jeudi 28, vendredi 29 juin et lundi 2 juillet 2018, la Commission examine les articles du projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace (n° 911).

1.   Seconde réunion du mardi 26 juin 2018 à 21 heures 30 (avant l’article 1er)

Lien vidéo :

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.6302869_5b3292a423eba.commission-des-lois--pour-une-democratie-plus-representative-responsable-et-efficace-suite-avan-26-juin-2018

M. Stéphane Mazars, président. Mes chers collègues, je vous propose d’entamer l’examen des articles du projet de loi constitutionnelle.

Avant l’article 1er du projet de loi

[Avant le Préambule de la Constitution]

La Commission est saisie de l’amendement CL623 de M. Jean-Luc Mélenchon.

Mme Danièle Obono. Nous proposons d’introduire un article avant le préambule de la Constitution afin d’organiser les conditions pacifiques et démocratiques de changement de régime constitutionnel, en permettant à un cinquième des citoyens et des citoyennes de demander à convoquer une assemblée constituante.

Un tel article ne serait pas le premier du genre dans une constitution : le Costa‑Rica a par exemple déjà mis en place un mécanisme similaire. Selon nous, cet article serait non seulement utile, mais il serait aussi le garant de la pérennité du projet constitutionnel, au-delà d’un texte donné, en ce qu’il permet au peuple de se saisir d’une nouvelle ambition de société commune formulée et donc garanti par une loi fondamentale.

L’histoire constitutionnelle française est celle d’une instabilité. La plus longue de nos Républiques s’est fondée sur un texte constitutionnel a minima : les trois lois constitutionnelles de 1875 n’avaient pas vocation à durer. À l’inverse, nos plus belles déclarations des droits, au premier rang desquelles il faut ranger la Déclaration de 1793, ont rarement eu à s’appliquer. L’article que nous proposons d’introduire constitue un clin d’œil à cette déclaration dont l’article 28 dispose : « Un peuple a toujours le droit de revoir, de réformer et de changer sa Constitution. Une génération ne peut assujettir à ses lois les générations futures. »

Organiser juridiquement la possibilité d’une révolution constitutionnelle, c’est permettre qu’elle ne se fasse pas par la violence et que demeure l’idéal constitutionnel. À l’inverse, ne pas donner les moyens au peuple de se saisir d’un texte qu’il juge désuet pour enclencher le processus permettant sa modification, c’est ne pas prévenir un rejet plus violent encore, non seulement des institutions mais d’un monde oligarchique fermé sur lui-même qui verrouille toutes les voies de changement fondamental. La Iére et la IIe Républiques se sont terminées par des coups d’État bonapartistes, la IIIe par une guerre, tout comme la IVe. De notre point de vue, la Ve République est à bout de souffle.

Vous proclamiez vouloir une démocratie plus représentative, efficace et responsable ; adopter cet amendement constituerait un premier pas en ce sens.

M. Stéphane Mazars, président. Madame Obono, je vous invite à présenter l’amendement suivant avant de laisser la parole au rapporteur général.

Mme Danièle Obono. Je préfère que nous voyions si ce premier amendement est adopté.

M. Christophe Euzet. Il n’y a pas de danger !

Mme Danièle Obono. Mon explication était convaincante, n’est-ce pas !

M. Stéphane Mazars, président. Alors, laissons sa chance à cet amendement…

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Nous entrons, avec ce premier amendement, au cœur de la discussion sur la place et le rôle du pouvoir constituant. Madame Obono, je salue l’esprit de la Déclaration des droits de l’homme de 1793 qui souffle encore dans la rédaction que vous proposez, tout comme l’inspiration de Thomas Jefferson…

Néanmoins, le peuple a déjà, aujourd’hui, le droit de réformer sa Constitution, en suivant une voie démocratique et conforme à notre tradition républicaine. Ce qui suppose de satisfaire plusieurs conditions, et pour commencer d’élire démocratiquement un Président de la République et une majorité parlementaire dont le programme comporte un tel projet : c’est précisément ce qui fait que nous sommes réunis ce soir. Ce pouvoir constituant que nous exerçons présentement, avec le mandat de la majorité des Français qui nous a portés aux responsabilités, correspond parfaitement à ce que vous défendez dans votre amendement.

Par ailleurs, permettre à un cinquième des électeurs de prendre l’initiative d’une révision constitutionnelle, comme vous le proposez, serait contraire à un principe ancien et fondateur du régime républicain qui remonte à 1789, date aussi heureuse que 1793, selon lequel aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’attribuer l’exercice de la souveraineté nationale.

Votre proposition pourrait donc être à nos yeux – du moins nous posons-nous la question – de nature, dans des contextes troublés, à déstabiliser profondément les institutions, voire à permettre de revenir sur le caractère démocratique de notre régime.

En conséquence, je suis défavorable à cet amendement.

M. Bastien Lachaud. Monsieur le rapporteur général, je pense que vous avez mal lu notre amendement…

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Je n’en suis pas sûr.

M. Bastien Lachaud. Vous laissez entendre que nous proposons qu’une fraction du peuple s’arroge l’exercice de la souveraineté nationale : il n’en est pas question. Nous proposons seulement que, sur demande d’un cinquième des électeurs, un référendum relatif à la convocation d’une assemblée constituante soit organisé. Cela équivaut à un droit de pétition, à la différence que, au lieu d’aboutir à une décision de l’Assemblée nationale, on provoquerait un référendum qui permettrait bien à l’ensemble du peuple de se prononcer.

Je pense aussi que vous vous méprenez lorsque vous expliquez qu’une réforme constitutionnelle adoptée par le Parlement serait équivalente à une révision élaborée par une assemblée constituante. Les exemples des assemblées constituantes qui ont siégé dans notre pays montrent bien les différences entre une assemblée constituante dédiée à la rédaction d’une nouvelle Constitution avec l’ensemble des débats que cela permettrait, et un Parlement qui, en même temps qu’il remplit sa tâche de législateur, met en œuvre une révision constitutionnelle qui ne sort pas des enceintes de ses deux chambres.

M. Christophe Euzet. L’idée de permettre au peuple de nourrir un processus constituant en convoquant une Assemblée nationale constituante est, sur le principe, très séduisante. Elle se heurte cependant à trois catégories de difficultés majeures sur lesquelles j’appelle votre attention.

Tout d’abord, il existe déjà une procédure de révision de la Constitution qui est principalement entre les mains des représentants élus démocratiquement dans le cadre du système constitutionnel en vigueur.

Ensuite, vous mélangez le fond et la forme. Vous présupposez que la réunion d’une assemblée constituante permettra d’aller dans le sens que vous pressentez comme étant le bon pour le peuple. Pourtant, rien ne peut préjuger de ce que fera le constituant originaire. À chaque fois qu’il a été saisi en France, il a doté le pays d’une Constitution dont on n’avait pas du tout vu a priori les tenants et les aboutissants.

Enfin, si nous introduisions dans la Constitution une disposition comme celle que vous proposez, nous serions condamnés à un constitutionnalisme permanent, dans la mesure où la partie perdante aurait à chaque fois pour objectif de mobiliser un quart des électeurs de façon à nourrir un autre processus constituant puisqu’on ne peut aliéner par ses propres décisions les générations futures… Vous nous condamneriez à un processus constituant permanent, et vous institueriez un système dans lequel le flottement ne pourra pas être évité.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CL624 de M. Jean-Luc Mélenchon.

Mme Danièle Obono. Il s’agit d’une sorte d’amendement de repli, dans la lignée du précédent. Il vise à ce que l’Assemblée nationale convoque une assemblée constituante. La compétence en la matière est donc cette fois attribuée aux députés qui devront se prononcer à la majorité absolue pour enclencher la procédure.

En fait, cet amendement n’est pas concurrent du précédent, mais plutôt complémentaire – il le sera peut-être véritablement si les deux sont adoptés en séance publique. Il n’octroie en effet aucune compétence aux parlementaires qui ne soit partagée avec les citoyens et les citoyennes qu’elles et ils ont vocation à représenter. Dans le cadre de cette procédure, si des députés ont l’initiative de la convocation, c’est bien le peuple qui a le dernier mot, puisque la nouvelle Constitution ne peut être adoptée que par référendum. Comme vous le savez, à La France insoumise, nous pensons qu’une VIe République est nécessaire car les institutions de la Ve République étouffent et bâillonnent le peuple.

Nous ne croyons pas que notre programme serait nécessairement adopté dans le cadre d’une constituante ou de cette VIe République, mais nous croyons en l’intelligence collective et nous croyons au débat démocratique. Il ne saurait se refermer sur lui-même dans ce type de processus dans lequel il aurait plutôt tendance à s’épanouir. Nous sommes un peuple conscient, éclairé et éduqué qui est en capacité de faire des choix dans l’intérêt général. C’est le cas des députés ; c’est aussi celui de tous les citoyens.

De notre point de vue, votre projet vise à ce que les députés soient encore plus aux ordres de l’exécutif. Nous vous donnons la possibilité de vous libérer, et de libérer vos énergies démocratiques en votant notre amendement. Nous soutenons l’idée d’une démocratie au service des citoyens qui donne véritablement les clés du débat constitutionnel et du débat sur la loi fondamentale au peuple. Nous pensons que la démocratie signifie, comme l’a formulé le philosophe américain John Dewey, la croyance en une culture humaniste, et qu’en cela les principes qui fondent la délibération, le contradictoire et le débat permettraient à l’ensemble des citoyens de voter et de refonder l’ensemble de nos institutions.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Avant toute chose, je veux rassurer Mme Obono : nos énergies démocratiques sont parfaitement libérées, et en plein mouvement !

Je suis défavorable à cet amendement. En vertu de l’article 89 de notre Constitution, les membres du Parlement, dont les députés, peuvent être à l’initiative d’une révision constitutionnelle qui, pour aboutir, doit donner lieu à un référendum, c’est-à-dire à une ratification populaire. Il n’est donc pas utile de créer un arsenal superfétatoire alors que les intentions que vous exposez sont déjà pleinement satisfaites.

Mme Danièle Obono. Monsieur le rapporteur général, je pense que nous ne nous comprenons pas, mais nous ne désespérons pas d’avancer et de clarifier notre point de vue.

Certes, nous sommes dans un régime parlementaire représentatif où les citoyens et les citoyennes délèguent aux parlementaires un pouvoir de décision, de vote, etc. Pour notre part, nous proposons d’instaurer une forme de démocratie directe. Cela existe déjà dans un certain nombre d’États démocratiques de par le monde : cela ne sort pas simplement de la tête des Insoumis et des Insoumises.

Ce type de procédure complète le régime parlementaire. Il ne le remet pas en cause, pas davantage que les autres voies de la délibération et du choix démocratique.

Avec ces amendements, nous lançons un appel afin que la majorité entre dans le nouveau monde qu’elle appelle de ses vœux, un nouveau monde dans lequel on donnerait davantage de pouvoirs directs, et pas seulement de délégation, aux citoyens et aux citoyennes. C’est l’avenir de la démocratie au XXIe siècle, si nous voulons qu’elle vive, qu’elle se développe, et qu’elle s’enracine au moment où nous faisons tous et toutes le constat d’une crise démocratique profonde.

Une simple révision des institutions de la Ve République ne permettra pas de résoudre cette crise. Au contraire, de notre point de vue, cela l’accentuera.

Nous vous proposons une vision d’avenir, nouvelle et rénovée, qui refonde et construit une nouvelle tradition républicaine française en introduisant la démocratie directe et en donnant un pouvoir direct aux citoyens de faire la loi, surtout la loi fondamentale.

La Commission rejette l’amendement.

[Préambule de la Constitution]

La Commission examine les amendements CL1412, CL1411, CL1425, et CL1413 de M. PaulAndré Colombani.

M. Paul-André Colombani. En préambule, permettez-moi de commenter les propos d’un collègue qui, cet après-midi, s’étonnait que des députés corses aient déposé deux cents amendements. Les députés corses ont été élus démocratiquement : ils participent à la vie de cette assemblée depuis un an, et ils comptent bien faire entendre leur voix lors d’une révision de la Constitution si importante pour l’avenir de notre île. Cela dit en toute amitié…

L’amendement CL1412 vise tout à la fois à affirmer le destin européen de la France et à enrichir le bloc de constitutionnalité.

S’agissant du destin européen de la France, il serait souhaitable d’affirmer dans le préambule que le peuple français est une composante des peuples de l’Europe qui ont formé l’Union.

S’agissant du bloc de constitutionnalité, outre la Déclaration des droits de l’homme de 1789 et le préambule de la Constitution de 1946, les juges français appliquent quotidiennement deux grands textes pour protéger les droits fondamentaux : la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, et la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH). Leur intégration dans le bloc de constitutionnalité permettrait au Conseil constitutionnel d’unifier les contrôles de constitutionnalité et de conventionalité. Le Conseil deviendrait de facto le seul maillon entre l’ordre interne et l’ordre public européen. Ce serait plus cohérent, et c’est ce que fait l’Italie depuis 2001.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Je comprends l’attachement de notre collègue à rappeler que chaque député est membre de la représentation nationale, et que c’est bien à ce titre qu’il dépose des amendements.

Si je comprends le symbole fort que constituerait l’inscription dans le préambule de la Constitution de l’ancrage européen de la République, je ne partage pas l’idée qu’il y ait une nécessité en la matière.

Le texte actuel de la Constitution porte déjà, au titre XV, la marque d’une adhésion profonde à l’idée européenne. Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs rappelé la pleine portée normative de l’article 88-1, en évoquant « l’existence d’un ordre juridique communautaire intégré à l’ordre juridique interne ».

Cette situation est génératrice d’obligations constitutionnelles extrêmement importantes, en particulier l’exigence de conformité avec les principes européens, parmi lesquels figure la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne qui a la même valeur juridique que les traités européens.

L’évolution proposée risquerait sans doute de faire de la participation de la France à l’Union européenne une partie de l’identité constitutionnelle de la République, empêchant de faire prévaloir, dans certaines circonstances, nos règles constitutionnelles essentielles. C’était aussi la conclusion à laquelle était arrivé le comité présidé par Simone Veil sur la modification du préambule de la Constitution.

Il est par ailleurs proposé de substituer à la notion de souveraineté nationale celle de souveraineté du peuple, alors que la souveraineté nationale est un principe fondateur de notre République, qui figure à l’article 3 de la Déclaration de 1789.

Quant à la CEDH, elle relève de traités distincts de ceux de l’Union européenne. Les droits qu’elle consacre sont très proches de ceux présents dans le bloc de constitutionnalité ; les y intégrer créerait une certaine confusion dans la hiérarchie des normes en plaçant sur un pied d’égalité des normes internationales et des normes constitutionnelles, alors que les secondes ont vocation à primer les premières. C’est pourquoi je suis défavorable à l’ensemble de ces amendements.

La Commission rejette l’amendement CL1412.

M. Paul-André Colombani. J’aimerais m’exprimer sur l’amendement suivant, monsieur le président.

M. Stéphane Mazars, président. Il était convenu que vous vous exprimiez en une seule fois sur les quatre amendements.

M. Paul-André Colombani. Je n’avais pas compris.

M. Stéphane Mazars, président. Je vous invite dans ce cas à répondre aux arguments du rapporteur général pour les trois amendements qui n’ont pas encore été mis aux voix.

M. Paul-André Colombani. Inscrire l’Europe dans le préambule de la Constitution aurait été symboliquement beaucoup plus fort que de la voir reléguée au titre XV. Parler des peuples de l’Europe est beaucoup plus démocratique que de parler des institutions de l’Union européenne. Vous savez combien la construction européenne est critiquée en ce moment. Il nous semblait logique de mettre en valeur l’Europe dans le préambule.

Pour ce qui concerne la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, j’insiste sur le fait que l’articulation entre le Conseil constitutionnel et contrôle de conventionnalité n’est pas satisfaisante. L’inscription de la Charte dans la Constitution serait une simplification.

La Commission rejette successivement les amendements CL1411, CL1425, et CL1413.

Elle est saisie de l’amendement CL1053 de M. Michel Castellani.

M. Michel Castellani. Nous proposons de remplacer les premiers mots du préambule de la Constitution « Le peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de l’Homme et aux principes de la souveraineté nationale […] » en écrivant que « Les peuples de France proclament solennellement leur attachement… »

Dans sa décision n° 91-290 DC du 9 mai 1991 relative à la loi dite Joxe portant statut de la collectivité territoriale de Corse, le Conseil constitutionnel considère que « l’expression "le peuple", lorsqu’elle s’applique au peuple français, doit être considérée comme une catégorie unitaire insusceptible de toute subdivision en vertu de la loi ». Il s’agit d’une approche juridique qui relève du droit et non des faits historiques et culturels qui sont pour nous très importants. L’unité de la citoyenneté n’induit pas, selon nous, une homogénéité des faits culturels et géographiques, du sentiment d’appartenance…

Cet amendement a évidemment une importance symbolique. Il vise une reconnaissance constitutionnelle de la diversité des peuples : ce n’est pas neutre. Pour nous le peuple, ce sont des gens qui vivent sur un territoire, avec des frontières, géographiquement et historiquement définies, avec des pratiques culturelles propres, une langue, un sentiment d’appartenance… C’est la richesse de la France. Mais, que les choses soient claires : dans notre esprit, cela n’est pas opposable à l’unité de fait du pays.

J’ajoute que la notion que nous mettons en avant n’est pas discriminante. Nous en apportons la preuve, chez nous, en Corse. J’aurais mauvaise grâce à donner une autre définition que celle que nous avons toujours donnée, c’est-à-dire une définition ouverte. Depuis des siècles, en Corse, nous recevons tous les jours des gens qui viennent se fondre dans notre communauté : c’est le sentiment d’appartenance qui prime.

Nous voudrions que cette diversité qui fait la richesse de la France soit reconnue dans la Constitution.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Le fondement de notre ordre constitutionnel procède aujourd’hui de l’idée que le peuple français est un et indivisible. Cette unité et cette indivisibilité, garantes de la communauté nationale, sont au fondement de la souveraineté nationale et du régime républicain que nous avons en partage. Cette construction n’empêche ni une organisation décentralisée de la République, ni la reconnaissance d’une plus grande autonomie pour certains territoires, ni l’introduction de notions de différenciation et de réalités territoriales diverses. Nous savons que des langues et des cultures existent sur nos territoires, et qu’elles sont les richesses de la France.

Cependant, l’enjeu de l’exercice auquel nous nous livrons n’est pas de nous lancer dans une reconnaissance hypothétique des peuples de France, qui viendrait finalement fragiliser tout notre édifice républicain et démocratique, fruit d’une longue histoire dont nous sommes collectivement fiers.

C’est la raison pour laquelle, sans remettre en cause ce que sous-tend l’exposé sommaire de votre amendement, je suis conduit à émettre un avis défavorable.

M. Paul Molac. Je remercie le rapporteur général pour sa position équilibrée, mais il n’en demeure pas moins que la devise européenne est la suivante : « Unie dans la diversité ». Je rappelle également que la République n’est plus « une et indivisible », elle est « indivisible », ce qui ne veut pas dire que tous les individus qui la composent sont strictement les mêmes.

Il s’agit effectivement d’une conception défendue par le Conseil constitutionnel, mais que certains responsables politiques voulaient changer. Je vous rappelle que le texte relatif au statut de la Corse présenté par M. Pierre Joxe, alors ministre de l’intérieur, évoquait le peuple corse, partie intégrante du peuple français. Pour ce qui me concerne, les matriochkas me vont très bien : le peuple corse et le peuple breton peuvent être parties intégrantes du peuple français, et même citoyens européens.

J’ai bien compris que cette tentative n’est pas la bonne, mais la France n’a pas à avoir peur des peuples qui la composent depuis longtemps. Si nous avons eu une histoire conflictuelle, il est aujourd’hui important, me semble-t-il, de passer à autre chose. C’est dans cet esprit que je plaide pour que l’on reconnaisse les peuples qui composent la République.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. « Un et indivisible », cela ne veut pas dire « uniforme ». Cela ne signifie pas que l’on ne reconnaît pas les différences constitutives d’un peuple : n’allons pas faire dire à des concepts juridiques ce qu’ils ne veulent pas dire en matière de reconnaissance de la réalité des diversités.

Nous parlons d’une construction républicaine et constitutionnelle qui prend en compte les richesses de notre pays. Dire que, fondamentalement, le peuple français est un et indivisible, cela signifie qu’il est uni et qu’il est unitaire ; cela ne veut pas dire qu’il ne serait pas divers. Ce serait une lecture soit naïve – ce que je ne peux pas croire –, soit caricaturale de laisser entendre que le constituant ne reconnaîtrait pas la diversité des composantes des Françaises et des Français en rappelant que le peuple français est un et indivisible.

La Commission rejette l’amendement.

La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL1372 de Mme Stella Dupont et CL409 de Mme Marie-Pierre Rixain.

Mme Stella Dupont. L’amendement CL1372 vise à remplacer dans le préambule de la Constitution, les termes « droits de l’Homme » par les termes « droits humains ».

La terminologie actuelle se réfère à la Déclaration universelle des droits de l’Homme, et à la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen. Elle ne nous semble plus adaptée aujourd’hui, car, même si elle vise l’Homme en général, avec un H majuscule, et non le genre masculin, elle ne permet pas l’inclusion des femmes.

Cet amendement d’ordre symbolique vise à permettre aux femmes tout autant qu’aux hommes de se sentir incluses dans la République et protégées par la Constitution. Il reprend une recommandation du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes dans son avis relatif au projet de loi constitutionnelle, intitulé « Pour une Constitution garante de l’égalité entre les femmes et les hommes ».

Mme Isabelle Rauch. L’amendement CL409, que je défends au nom de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes de l’Assemblée nationale, reprend la recommandation n° 5 du rapport d’information sur le projet de loi constitutionnelle qu’elle a adopté à l’unanimité le 20 juin dernier. Il vise à remplacer dans le préambule de notre Constitution l’expression « droits de l’Homme » par l’expression « droits humains ».

Nous souffrons encore d’un phénomène « d’invisibilisation » des femmes auquel participe l’emploi de la formule : droits de l’Homme. Si, à l’écrit, l’initiale majuscule du mot « Homme » permet de savoir que cette expression désigne l’humanité, cela ne s’entend pas à l’oral. Nous devons aujourd’hui privilégier l’expression « droits humains » qui ne laisse aucun doute, à l’écrit comme à l’oral, sur le fait que sont bien concernés les droits de l’ensemble de l’humanité.

Je précise que la Délégation aux droits des femmes ne propose pas de faire cette modification dans la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, car ce texte historique doit être préservé dans sa version d’origine. En revanche, sa transcription contemporaine peut et doit être adaptée. C’est pour cela qu’il nous semble aujourd’hui tout à fait nécessaire de privilégier l’expression « droits humains ». Cette formulation nous semble la plus adaptée ; elle permettra de bien montrer que, désormais, nous n’oublions plus la moitié de l’humanité, lorsque nous parlons des droits humains.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Vous nous expliquez, madame Rauch, qu’il faut modifier la terminologie contemporaine, mais ne pas toucher à la formulation historique. De deux choses l’une : ou bien l’on modifie tout, parce qu’il y a quelque chose d’infondé…

M. Erwan Balanant. Chiche !

M. Richard Ferrand, rapporteur général… ou mal codifié, ou bien on ne modifie rien.

Je comprends parfaitement votre intention, tout comme la nécessité de combattre, partout où ils se trouvent, les stéréotypes sexistes ou les marques révélatrices d’une conception un peu datée de la société. Mais faut-il voir dans la notion de « droits de l’Homme », avec un H majuscule, l’expression de tels stéréotypes ? Je ne le crois pas : c’est l’homme en tant qu’espèce qui est ici visé. Comme le disait mon instituteur, il y a l’homme, l’animal et les plantes…

L’insertion dans la Constitution de la notion de « droits humains » serait une modification symbolique à la vérité assez peu importante, mais bel et bien troublante au regard d’une définition symbolique qui, elle, a la chance de bénéficier de l’épaisseur, de la densité, de la portée de l’histoire. En pratique, cette modification ne changerait rien à la protection des droits. Nous ne gagnerions rien, me semble-t-il, à transformer un substantif en adjectif en touchant à un objet si fortement symbolique et universel que la Déclaration des droits de l’Homme, texte asexué, si je puis dire, destiné à l’ensemble de l’humanité.

Je suis défavorable à ces deux amendements, car je ne voudrais pas qu’une évolution contemporaine porte atteinte à quelque chose qui a conquis une force historique. L’histoire vaut parfois mieux que l’actualité ou l’humeur du temps.

M. Sacha Houlié. Au-delà de la présence des majuscules, qui montre bien que la Déclaration de 1789 concerne évidemment les femmes et les citoyennes, je rappelle que les choses évoluent aussi avec la pratique politique et la façon dont on exerce le pouvoir.

Le fait qu’il y ait autant de députées dans cette salle ce soir, et qu’elles soient désormais si présentes sur les bancs de l’Assemblée nationale en dit beaucoup sur la façon dont on peut gommer l’invisibilité dont vous parliez. La parité, telle qu’elle est mise en œuvre au sein du Gouvernement et dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, est bien plus forte que tout ce qui pourrait être écrit et tout ce qui pourrait être fait, parce qu’elle permet d’assurer la pleine représentation des femmes de notre pays – cela vaut aussi évidemment dans les autres pays.

Je souhaite que ces amendements soient retirés, ou sinon que l’on suive la position du rapporteur général.

M. Erwan Balanant. Monsieur le rapporteur général, ces amendements ne traitent pas seulement une question d’actualité : ils s’attaquent à une réalité dans un monde encore inégal aujourd’hui.

Monsieur Houlié, méfions-nous des apparences : certes, les élus de cette législature à l’Assemblée nationale tendent vers la parité, et c’est très bien, mais notre société est très loin d’être égalitaire pour ce qui concerne les hommes et les femmes.

Cette affaire de « droits humains » qui remplaceraient les « droits de l’Homme » est symbolique. Comme tous les symboles, celui-là amènerait un petit changement qui ferait avancer les choses. Il s’agit des premiers amendements que nous examinons sur ce sujet : il y en aura d’autres – j’aurai d’ailleurs l’occasion de vous raconter une très intéressante anecdote un peu plus tard sur le titre II de notre Constitution.

Mme Maina Sage. Je note en lisant précisément l’amendement CL1372 qu’il vise également à modifier le premier alinéa de l’article 53-1 de la Constitution, où « de l’homme » est écrit avec un h minuscule… Cela fait toute la différence.

Il faut respecter le symbole de la Déclaration intégrée au bloc constitutionnel telle qu’elle a été rédigée en 1789, en revanche, pour ce qui concerne le préambule de la Constitution, nous pourrions ce soir dire ensemble avec une certaine force notre volonté d’évoluer, tout en respectant, je le répète, les droits de l’Homme, tels qu’ils ont été proclamés en 1789. Cela permettrait d’ouvrir le débat et de marquer le coup.

Un travail en ce sens est effectué depuis de nombreuses années dans le monde entier. Nous sommes plus de trois cents parlementaires à avoir signé la déclaration appelant à utiliser, à compter d’aujourd’hui, l’expression non plus des « droits de l’Homme », mais des « droits humains ». Nous ne parlons pas que des droits des femmes : je trouve que vous avez une vision bien réductrice ce soir en analysant ces amendements à l’aune exclusive de la féminisation des textes. Il n’y a pas que les femmes derrière les droits humains : nous portons de façon globale la question des droits de l’humanité en général.

Je suis favorable à un amendement qui ne modifie pas « de l’Homme » avec un h majuscule, mais « de l’homme » avec un h minuscule.

La Commission rejette successivement les amendements.

Elle en vient à l’amendement CL740 de M. Bastien Lachaud.

M. Bastien Lachaud. Cet amendement vise à inscrire dans notre Constitution la référence à la Déclaration des droits de l’homme de 1793. Si la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 est un texte fondamental qui consacre l’universalisme de la Révolution française, on ne saurait oublier que de 1789 jusqu’à 1792, la France est encore une monarchie : la République s’installe seulement avec la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1793.

Il ne serait donc que justice d’intégrer ce texte dans le bloc de constitutionnalité. Il s’agit d’une déclaration qui, en avance sur son temps, réaffirmait le droit à l’instruction, la nécessité des secours publics, et du droit à l’insurrection contre les gouvernements tyranniques, autant d’avancées que nous retrouvons, sous d’autres termes, dans le Préambule de la Constitution de 1946 et qui sont, à ce titre, constitutionnalisées. Inscrire la Déclaration de 1793 dans le bloc de constitutionnalité ne serait que rendre justice à notre héritage révolutionnaire et républicain.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Avis défavorable. Le bloc de constitutionnalité comprend déjà la Déclaration de 1789, dont nul ne peut douter de l’universalité. Elle fonde l’édifice constitutionnel de notre régime, et elle constitue la source essentielle de la protection des libertés fondamentales.

La dimension sociale, culturelle et internationale des droits fondamentaux est également inscrite dans ce bloc, à travers notamment le Préambule de la Constitution de 1946 qui protège, par exemple, le droit d’asile pour toute personne persécutée, le droit d’obtenir un emploi, l’égal accès à l’instruction, ou le caractère gratuit et laïc de l’enseignement.

Je ne crois pas nécessaire d’y ajouter la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1793, dont les dispositions recoupent en grande partie celles déjà contenues dans le bloc de constitutionnalité et pourraient parfois les contredire, au risque de déstabiliser tout cet édifice dont nous pouvons chaque jour mesurer la solidité.

La Commission rejette l’amendement.

Elle est saisie, en discussion commune, des amendements CL666 de Mme Delphine Batho, CL1309 de Mme Maina Sage, et CL667 de Mme Delphine Batho.

Mme Delphine Batho. L’amendement CL666 propose de modifier le Préambule de la Constitution afin qu’il puisse faire référence aux considérants de la Charte de l’environnement. Lors de l’intégration de ce texte dans la Constitution, il a seulement été fait mention des « droits et devoirs définis dans la Charte de l’environnement de 2004 », ce qui ne permet pas de donner une portée constitutionnelle aux considérants de ce texte.

Si certains d’entre eux sont des constats – comme le fait que « l’avenir et l’existence même de l’humanité sont indissociables de son milieu naturel » –, les deux derniers considérants sont d’une autre nature. Il y est ainsi indiqué « que la préservation de l’environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation », et « qu’afin d’assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins ».

Aujourd’hui, le Conseil constitutionnel ne peut donc pas attribuer une portée constitutionnelle à ces deux considérants, alors qu’ils devraient en avoir une. D’éminents juristes ayant analysé les décisions du Conseil constitutionnel faisant mention de la Charte de l’environnement ont acté le fait que peut-être, un jour, ces deux derniers considérants auront à trouver une application, mais que, pour l’instant, cela n’était pas le cas.

Nous souhaitons supprimer la référence aux « droits et devoirs » afin que l’ensemble de la Charte, articles et considérants, soit pris en considération.

Mme Maina Sage. Dès l’intégration de la Charte au Préambule de la Constitution, de nombreuses questions relatives à sa force juridique et à sa portée ont été soulevées. En 2008, le Conseil constitutionnel se voulait plutôt rassurant à cet égard ; toutefois certaines décisions ont depuis contribué à entretenir une incertitude.

Le Conseil d’État lui-même considère qu’il n’est pas certain que la décision de 2008 du Conseil constitutionnel tranche aussi nettement qu’on l’aimerait la question de l’invocabilité directe de la Charte à l’égard des décisions administratives. Le Conseil constitutionnel a ainsi interprété de façon restrictive la Charte de l’environnement, en considérant que ce texte consacre des dispositions de portées différentes : des droits, des devoirs, des principes, ou des objectifs de valeur constitutionnelle.

Certains peuvent n’y voir qu’une affaire de police des mots, et penser qu’enlever un mot par ci pour en ajouter deux autres par là est une question de détail. Pourtant, je vous assure que ces amendements sont le fruit d’un combat mené depuis près d’une décennie sur la valeur juridique de la Charte. Une grande partie des spécialistes estiment qu’en supprimant les mots « droits et devoirs », on renforcera la valeur constitutionnelle de la totalité de la Charte. L’adoption de mon amendement CL1309 aurait une haute signification juridique.

Mme Delphine Batho. Mon amendement CL667 est de repli, pour le cas où le CL666 ne serait pas adopté. Plutôt que de supprimer les termes « droits et devoirs », je propose d’ajouter le mot « principes », ce qui donnerait : « ainsi qu’aux principes, droits et devoirs définis dans la Charte de l’environnement ».

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Vous l’avez rappelé, la Charte a désormais valeur constitutionnelle, puisqu’elle a été intégrée dans le Préambule de la Constitution par la loi constitutionnelle du 1er mars 2005. Cela étant, le préambule de la Charte est essentiellement déclaratoire. Dans une décision de 2008, le Conseil constitutionnel a indiqué que l’ensemble des droits et des devoirs définis dans la Charte de l’environnement avaient valeur constitutionnelle et qu’ils s’imposaient aux pouvoirs publics et aux autorités administratives dans leurs domaines de compétence respectifs. Depuis cette décision, le Conseil constitutionnel a eu l’occasion de répondre à de nombreux griefs tirés de la méconnaissance de cette Charte.

Toutes les dispositions de la Charte ont valeur constitutionnelle, mais toutes n’instituent pas un droit ou une liberté que la Constitution garantit et ne peuvent donc être invoquées à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Le juge constitutionnel opère une distinction entre les droits constitutionnels, les principes constitutionnels et les objectifs à valeur constitutionnelle, faisant varier les types de contrôles qu’il opère en fonction de la valeur normative des dispositions de la Charte.

En 2014, le Conseil constitutionnel a précisé que les sept alinéas qui précèdent les dix articles de la Charte de l’environnement ont valeur constitutionnelle, mais qu’aucun d’entre eux n’institue un droit ou une liberté que la Constitution garantit (Société Casuca – Plantations en limite de propriétés privées). Il s’est déjà emparé de l’un des considérants de la Charte lors de l’examen de plusieurs dispositions du code de procédure pénale relatives au secret défense.

Pour conclure, nous avons auditionné plusieurs personnes sur la question climatique et certaines différences d’appréciation doctrinaire sont perceptibles, madame Sage, contrairement à ce que vous indiquez.

Pour toutes ces raisons, mon avis sur ces amendements sera défavorable.

M. Sébastien Jumel. Madame la rapporteure, malgré vos explications, nous soutiendrons les amendements présentés : c’est le rôle du législateur que d’actualiser la rédaction de la Constitution afin de clarifier l’interprétation de nos textes de référence par le Conseil constitutionnel. Au nom de notre groupe, M. André Chassaigne précisera, voire actualisera la rédaction de certains articles de la Charte de l’environnement, dont l’élaboration avait été consensuelle. Nous souhaitons que les droits, devoirs, objectifs et principes constitutionnels de la Charte soient pleinement opposables.

Mme Delphine Batho. Je ne connais aucun juriste opposé à cet amendement… Le débat sur la portée de la jurisprudence du Conseil constitutionnel concernant la Charte de l’environnement n’est pas récent. La jurisprudence est désormais abondante sur certains articles, mais pas sur les considérants.

En 2008, quand le Conseil constitutionnel ne se réfère qu’aux droits et devoirs garantis par la Charte, c’est précisément parce que l’article préambule ne fait référence qu’à ces droits et devoirs !

Le débat sur les QPC – y compris la décision du Conseil constitutionnel de 2014 – est un autre débat puisqu’il est lié à l’article 61-1 de la Constitution qui les encadre : elles ne peuvent porter que sur les dispositions législatives susceptibles de porter atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit. Je parlais quant à moi de l’interprétation du Conseil constitutionnel au sens large : quand une loi lui est déférée, il n’analyse pas sa constitutionnalité au regard des deux derniers considérants de la Charte, qui ne sont pourtant pas simplement déclaratoires – contrairement à ce que vous affirmez – puisqu’ils disposent notamment que « la préservation de l’environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation ».

Nous allons ultérieurement débattre du contenu de l’article 1er. Mais avant cela, nous pourrions tout simplement étendre l’opposabilité de la Charte aux considérants, afin de guider les futures jurisprudences du Conseil constitutionnel.

La Commission rejette successivement les amendements CL666, CL1309 et CL667.

Puis elle en vient à la discussion commune de l’amendement CL210 de la commission du Développement durable et de l’aménagement du territoire et des amendements identiques CL583 de M. Christophe Arend et CL689 de Mme Delphine Batho.

M. Christophe Arend, rapporteur pour avis au nom de la commission du Développement durable et de l’aménagement du territoire. Aujourd’hui, le climat ne figure pas dans la Constitution, ni dans la Charte de l’environnement de 2004. Pour faire écho à l’action internationale de la France dans ce domaine, mais aussi face à l’évolution des connaissances scientifiques, à la prise de conscience croissante de l’urgence climatique et à l’évolution des accords internationaux dans ce domaine, il est important d’aménager les considérants de la Charte de l’environnement, c’est-à-dire les constats sur lesquels elle se fonde.

L’amendement CL210 vise à ajouter un considérant, après celui sur la biodiversité, qui reprendrait les termes de l’accord de Paris en précisant que le climat est affecté par des changements qui représentent une menace immédiate et potentiellement irréversible pour les sociétés humaines et la planète.

L’amendement CL583 est légèrement différent puisqu’il propose d’insérer que les changements climatiques représentent une menace immédiate et potentiellement irréversible pour les sociétés humaines et la planète.

Mme Delphine Batho. Mon amendement CL689 a le même objet : il s’agit d’inclure les changements climatiques dans les considérants de la Charte de l’environnement, conformément à l’alinéa 6 de la décision d’adoption de l’accord de Paris.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. La thématique des changements climatiques sera abordée ultérieurement : plusieurs amendements proposent de l’inscrire soit à l’article 1er, soit à l’article 34, afin que le Conseil constitutionnel puisse s’appuyer sur ces dispositions.

Par ailleurs, nous ne souhaitons pas modifier la Charte de l’environnement pour plusieurs raisons. Elle traduit un moment donné de notre histoire, la prise de conscience des enjeux climatiques et des enjeux liés à l’environnement. Il faut la figer dans le temps, de la même façon que nous avons figé le Préambule de 1946 ou la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen. Ce texte se suffit à lui-même ; en ajoutant de nouveaux principes, nous le dénaturerions. Cela pourrait même être dangereux de rouvrir le débat : nous pourrions être amenés à redébattre de l’ensemble des dispositions qui y figurent, ce que ni vous ni moi ne souhaitons.

Pour conclure, il me semble que la mention du climat sera beaucoup plus efficace au sein du texte constitutionnel plutôt que dans le préambule de la Charte.

Je suis donc défavorable à ces amendements.

Mme Cécile Untermaier. Je partage l’analyse de la rapporteure. Le groupe Nouvelle Gauche estime juridiquement pertinent et prudent de ne pas toucher à la Charte de l’environnement et de nous concentrer sur les articles 1er et 34.

M. Sacha Houlié. Le groupe La République en Marche partage également cette appréciation. Nous souhaitons sanctuariser le bloc constitutionnel tel qu’il résulte du Préambule de la Constitution. La préservation de l’environnement, de la diversité biologique ou la lutte contre le changement climatique seront introduites à l’article 1er de la Constitution. Cela traduira notre volonté d’inscrire ces notions dans un article extrêmement symbolique de la Constitution, celui des grands principes.

C’est pourquoi nous sommes défavorables à tous les amendements qui toucheront à la Charte de l’environnement et plus généralement à tout le Préambule ; nous présenterons évidemment un amendement tendant à inscrire ces principes un peu plus loin dans la discussion.

M. Sébastien Jumel. Comparaison n’est pas raison… Nous ne sous-estimons pas la portée symbolique de la Charte de l’environnement, puisque nous proposons de renforcer son opposabilité et d’en préciser le contenu. Mais la Charte n’a tout de même pas la même portée symbolique que la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen ou le préambule de 1946 !

D’autre part, le consensus qui a conduit à l’élaboration de la Charte de 2004 était issu de connaissances qu’il nous faut actualiser. La lutte contre le réchauffement climatique doit être intégrée à la Charte. De la même manière, nous y reviendrons, la notion d’environnement équilibré et respectueux de la santé nous semble insuffisamment précise et opposable : la dimension de la biodiversité, par exemple, n’est pas prise en compte.

Il est surprenant que vous sacralisiez à ce point la Charte, pour finalement la vider de sa substance…

Mme Delphine Batho. La Charte de l’environnement n’a pas été adoptée dans des circonstances consensuelles ; elle a même été combattue avec virulence. Elle n’a donc pas été votée dans des circonstances historiques comparables à la Déclaration des droits de l’Homme. Mais je ne partage pas l’argument selon lequel une réouverture du débat pourrait aboutir à des reculs ou de nouvelles attaques contre le principe de précaution.

Vous ne souhaitez pas toucher à la Charte, madame la rapporteure : c’est une position qui se tient politiquement, même si elle est juridiquement discutable. Je la comprends, mais cela va vous obliger à être ambitieuse et cohérente dans la suite de nos débats. À défaut, nous risquons d’aboutir à une Constitution à deux vitesses sur les questions d’environnement : les dispositions de l’article 1er d’un côté, et une Charte de l’environnement affaiblie de l’autre, car elle n’aura été ni complétée, ni enrichie.

M. André Chassaigne. Je partage le point de vue de M. Jumel et Mme Batho. Les dispositions de la Charte de l’environnement ne peuvent pas être mises au même niveau que les droits fondamentaux inscrits dans le préambule de la Constitution de 1946.

Par ailleurs, depuis l’adoption de la Charte, la prise de conscience environnementale a évolué, tout comme les données scientifiques. En ne prenant pas en compte ces évolutions, on affaiblit sa portée et son efficacité, c’est évident ! Pourquoi ne pourrait-on pas inclure la nouvelle approche des équilibres écosystémiques, la question de la biodiversité ou faire évoluer le concept de développement durable dans la Charte ?

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Nous en avons parfaitement conscience. C’est précisément la raison pour laquelle nous proposons de l’inscrire dans l’article 1er de notre Constitution, et non de modifier la Charte de l’environnement. Il n’est pas utile de répéter certains principes à l’infini pour leur donner plus de force. Leur inscription à l’article 1er marquera plus fortement notre engagement à les défendre.

M. Christophe Arend, rapporteur pour avis au nom de la commission du Développement durable et de l’aménagement du territoire. Quand notre commission a rédigé puis adopté cet amendement, nous ne disposions pas des éléments fournis par la rapporteure. Je prends acte de votre projet ambitieux d’inscrire le climat à l’article 1er de notre Constitution. Je ne peux pas retirer cet amendement, car il a été adopté par la Commission, mais je partage votre ambition.

M. Erwan Balanant. Ces débats sont symptomatiques : quand on veut trop la toucher, la Constitution perd sa force… La Charte de l’environnement existe, elle est le symbole d’une prise de conscience historique. Il ne faut pas la modifier, même si, vous avez raison, le mot « biodiversité » n’y figure pas explicitement. Inscrire ces principes à l’article 1er, en utilisant des mots simples, efficaces et qui auront une valeur constitutionnelle, sera bien plus protecteur des environnements, des écosystèmes et de la biodiversité.

Les amendements CL583 et CL689 sont retirés.

La Commission rejette l’amendement CL210.

La Commission passe à l’amendement CL1001 de M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. Il s’agit de faire évoluer la définition incomplète de la notion du droit à un « environnement équilibré et respectueux de la santé ». Nous proposons de préciser : « qui préserve les équilibres écosystémiques, la biodiversité et la santé humaine », afin de mieux correspondre aux prises de conscience opérées depuis 2004.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Même avis défavorable que pour les précédents amendements concernant la Charte de l’environnement. La notion de biodiversité sera inscrite à l’article 1er, afin de prendre en compte ces évolutions.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL757 de M. Jean-Luc Mélenchon.

M. Bastien Lachaud. Notre amendement vise à protéger les biens communs : l’eau, l’air, le vivant ou l’énergie ne doivent pas être considérés comme des marchandises. À Vittel, par exemple, la nappe phréatique est en train d’être asséchée par la multinationale Nestlé qui pompe allègrement l’eau pour la vendre sous la marque Vittel. Les habitants ne peuvent même plus l’utiliser : on est en train de construire des aqueducs pour les approvisionner alors qu’ils habitent au-dessus des nappes phréatiques les plus importantes de notre pays !

La menace sur nos biens communs est donc réelle et immédiate. C’est pourquoi nous souhaitons les constitutionnaliser, afin de les protéger.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Je comprends le souci qui vous anime mais, pour les mêmes raisons que précédemment, j’émettrai un avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CL786 de Mme Danièle Obono.

Mme Danièle Obono. Cet amendement vise à indiquer dans la Constitution que les êtres vivants ne peuvent faire l’objet d’aucun brevetage et que la République ne reconnaît aucun brevet de ce type.

L’Équateur, en 2008, a été le premier pays à introduire un droit à la nature à exister par et pour elle-même dans sa Constitution. Cette dernière dispose que « la nature ou Pachamama, où la vie est reproduite et existe, a le droit au respect intégral de son existence, du maintien et de la régénération de ses cycles vitaux, de sa structure, de ses fonctions et de ses processus évolutifs. » Les implications d’un tel droit vont bien au-delà d’un droit à un environnement sain et des impératifs de conservation et de protection de la nature au bénéfice des êtres humains ou de la richesse qu’ils peuvent en tirer.

Face à l’urgence climatique, nous considérons que l’intérêt écologique doit prévaloir sur l’intérêt économique. Il s’agit de refuser les destructions autant que l’appropriation des écosystèmes. Cet amendement serait une première pierre à l’inversion de la hiérarchie des normes, inspirée de la Constitution équatorienne.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Pour les mêmes raisons que précédemment, j’émettrai un avis défavorable : nous ne souhaitons pas rouvrir la Charte de l’environnement. Pour mémoire, le Conseil constitutionnel a rappelé que le caractère non appropriable du vivant est lié au principe de dignité de la personne humaine, qui a rang constitutionnel.

À partir du moment où la jurisprudence du Conseil constitutionnel reconnaît certains principes, la constitutionnalisation de ces principes n’est pas nécessaire. Soyons rigoureux et économes dans les modifications que nous apportons à notre Constitution. En l’espèce, cet ajout ne me paraît ni utile ni efficace.

La Commission rejette l’amendement.

La Commission passe à l’amendement CL787 de M. Jean-Hugues Ratenon.

M. Jean-Hugues Ratenon. L’ambition de « l’Avenir en Commun », le programme de La France insoumise, est celle d’une transition complète vers un projet agricole et alimentaire d’intérêt général. Nous défendons une agriculture écologique et paysanne reposant sur un nouveau pacte entre les agriculteurs et l’ensemble de la société, ainsi que sur un système alimentaire durable garantissant le droit de toutes et tous à une alimentation de qualité. Cette agriculture écologique et paysanne doit être fondée sur la conversion progressive de l’ensemble de l’agriculture aux principes de l’agriculture écologique et biologique, débarrassée du poids des lobbies et des intérêts financiers.

L’interdiction de la commercialisation des organismes génétiquement modifiés sur le territoire national est un préalable indispensable pour faire de l’agriculture un pilier de la transition écologique. Il convient de l’inscrire dans la Constitution.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Même avis que pour les précédents amendements.

M. Fabien Di Filippo. Une agriculture durable est avant tout une agriculture compétitive. Nos agriculteurs ont déjà fait énormément d’efforts. C’est en renforçant leur compétitivité que nous leur permettrons d’en faire encore davantage. Ils doivent relever des défis majeurs afin de nourrir des continents en pleine explosion démographique. Constitutionnaliser ces principes les placerait dans une situation dramatique par rapport à la concurrence internationale. Les marchés mondiaux évoluent parfois dans des conditions bien différentes des nôtres et leurs produits se déversent abondamment sur le marché français. À titre personnel, je suis opposé à l’idée de leur imposer de telles contraintes.

La Commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CL789 de M. Jean-Luc Mélenchon.

Mme Danièle Obono. Notre amendement CL789 vise à introduire dans la Charte de l’environnement l’interdiction de l’usage et de l’introduction de toutes les substances pouvant altérer de manière définitive le patrimoine génétique et la diversité biologique.

Depuis des années, plusieurs études dénoncent l’implication des pesticides dans des pathologies et des maladies neurologiques ou cancéreuses. Les impacts de ces produits sur la biodiversité ne sont par ailleurs plus ignorés du grand public. Nos débats récents sur le glyphosate démontrent que les intérêts commerciaux et économiques prévalent systématiquement, au détriment de la santé et de la biodiversité. La population fait le même constat. En inscrivant cette interdiction dans la Charte de l’environnement, nous pourrions mettre un terme aux dégâts causés par ces pesticides sur la biodiversité et sur la santé humaine, conformément au principe de précaution d’ailleurs consacré par la Charte. Ce faisant, nous donnerions l’exemple, à la suite d’autres pays qui l’ont déjà fait, comme l’Équateur.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Même avis que précédemment. Par ailleurs, la diversité biologique sera inscrite à l’article 1er, si l’amendement déposé est adopté.

La Commission rejette l’amendement.

Elle passe à l’amendement CL788 de M. Jean-Luc Mélenchon.

M. Bastien Lachaud. Il s’agit d’un amendement d’humanité, même s’il concerne les animaux. Nous souhaitons affirmer que tout acte de cruauté envers les êtres doués de sensibilité est interdit. La loi de 1963 a créé le délit de cruauté et la loi de 1976 dispose que tout animal est un être sensible. Enfin, depuis 2015, les animaux sont considérés comme des êtres doués de sensibilité par le code civil, qui les classait auparavant parmi les biens meubles.

Toutefois, les animaux restent soumis au régime des biens corporels. Les conditions déplorables d’abattage ou certaines pratiques ludiques comme la chasse à courre ne sont donc pas remises en cause. Tous nos amendements en faveur du bien-être animal ont été repoussés par la majorité lors des débats sur le projet de loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine et durable. Nous ne désespérons pas de vous faire entendre sagesse et raison. La transition écologique n’est pas envisageable sans reconsidérer notre rapport au vivant et aux êtres sensibles.

Madame la rapporteure, sans doute allez-vous me répondre que cet amendement n’a pas sa place dans la Charte de l’environnement ; mais je souhaiterais une réponse de fond. Au besoin, lors de l’examen en séance publique, nous pourrons éventuellement le déplacer dans l’un des articles de la Constitution pour vous satisfaire.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Ce sont des raisons de fond qui nous poussent à ne pas vouloir modifier la Charte de l’environnement, monsieur le député.

Par ailleurs, vous l’avez rappelé dans votre exposé, la cruauté envers les animaux est un délit. Nous n’allons pas insérer dans la Constitution l’ensemble du code pénal et les délits et crimes qu’il réprime. Nous sommes tous préoccupés par la cruauté envers les animaux, les débats récents sur le projet de loi agricole précité l’ont démontré. Mais ces débats ont également souligné qu’il s’agissait d’une question de niveau législatif et non constitutionnel. Mon avis sera donc défavorable.

M. Bastien Lachaud. Je crois au contraire que les débats sur le projet de loi agricole ont démontré le manque d’intérêt et de compréhension de ces enjeux par la majorité ! Nous reprendrons ce débat en séance, en reformulant et en repositionnant notre amendement.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CL1181 de M. Arnaud Viala.

M. Pierre-Henri Dumont. Notre amendement vise à remplacer le mot « précaution » du principe de précaution inscrit dans la Charte de l’environnement par le mot « responsabilité ». Depuis 2005, la mise en œuvre de ce principe a donné lieu à une série de blocages dans la mesure où la précaution est avant tout une aversion au risque : cela peut même conduire à un certain immobilisme, créer des peurs ou une méfiance généralisée, au‑delà même du seul secteur de l’environnement. On l’a vu s’agissant des vaccins : certaines réactions alimentaient une forme d’obscurantisme et un refus du progrès scientifique.

L’affirmation d’un principe de responsabilité permettrait de limiter les blocages et responsabiliserait les générations présentes vis-à-vis des générations futures, tout en évitant de voir s’affronter l’innovation, le développement économique, efficace et responsable, et les risques environnementaux. Cela nous permettrait de prendre en compte les risques, mais aussi les opportunités.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. C’est bien la preuve que rouvrir les débats sur la Charte de l’environnement risquerait d’entraîner une remise en cause de tous les principes et règles qui y figurent… C’est la raison de notre opposition à toute modification.

Monsieur Dumont, le principe de précaution est un principe d’action et non d’abstention ; je ne souscris donc pas à votre analyse. Mon avis sur votre amendement sera défavorable.

M. Cédric Villani. Je partage l’analyse de la rapporteure : le principe de précaution est encore extrêmement mal compris et interprété. C’est bel et bien un principe qui incite à l’action, en particulier par la recherche, dès lors qu’il s’agit de prévenir un dommage irréparable qui pourrait survenir pour l’environnement. Il est très encadré et de bon sens. Ce n’est pas un principe de prudence, mais d’audace.

M. Christophe Arend, rapporteur pour avis au nom de la commission du Développement durable et de l’aménagement du territoire. Voilà exactement ce que nous voudrions éviter : une remise en cause du principe de précaution. Il faudra bien un jour sortir de cette contradiction ! Loin d’être un obstacle au progrès, le principe de précaution est un puissant promoteur de progrès scientifique dans la mesure où il nous oblige à nous transcender.

M. Guillaume Larrivé. J’observe tout de même que les meilleurs auteurs se sont, il y a quelques années, interrogés sur la portée de ce principe. Ainsi, le rapport de la commission chargée d’examiner les conditions d’une libération de la croissance française, présidée par M. Jacques Attali en 2008, proposait déjà de faire évoluer la rédaction de l’article 5 de la Charte de l’environnement, considérant que les termes du principe de précaution constituaient probablement un frein à la croissance. Or ce rapport était bien écrit puisque le rapporteur général adjoint de la commission n’était autre qu’un jeune inspecteur des finances du nom d’Emmanuel Macron… Dix ans plus tard, le groupe Les Républicains propose en fait un amendement post-macroniste ! Au-delà de l’anecdote, la jurisprudence issue du principe de précaution peut légitimement poser question.

Enfin, madame Braun-Pivet, il me paraîtrait plus légitime de traiter les questions d’environnement dans la Charte de l’environnement – véhicule idoine – plutôt que de modifier l’article 1er de la Constitution au risque, pardonnez-moi l’expression, de le polluer…

Mme Delphine Batho. Ceux qui attaquent le principe de précaution seraient bien en peine de citer un seul exemple dans lequel il aurait fait obstacle à la connaissance scientifique… Au contraire, la défense de l’environnement, de la santé publique, du climat ou de la biodiversité sont issues de connaissances scientifiques. C’est la négation du principe de précaution – le fait Donald Trump – qui est une forme d’obscurantisme !

Une seule décision d’application du principe de précaution issue de Charte de l’environnement a été rendue et elle est récente. Elle concernait un nouveau néonicotinoïde – le sulfoxaflor – dont l’autorisation de mise sur le marché avait été délivrée sans que l’on dispose de données concernant son impact sur les abeilles. En conséquence, en application du principe de précaution, le Conseil d’État a considéré que cette autorisation n’aurait pas dû être délivrée.

Nous n’avons rien à craindre du débat sur le principe de précaution – à moins que l’actuelle majorité ne songe à voter sa remise en cause, ce que je ne veux pas croire.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite en discussion commune les amendements CL223 de la commission du Développement durable et de l’aménagement, CL820 de Mme Delphine Batho et CL1003 de M. André Chassaigne.

M. Christophe Arend, rapporteur pour avis au nom de la commission du Développement durable et de l’aménagement du territoire. À la suite de l’entrée en vigueur de la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, le principe de non-régression est inscrit à l’article L. 110-1 du code de l’environnement en ces termes : « le principe de non-régression, selon lequel la protection de l’environnement, assurée par les dispositions législatives et réglementaires relatives à l’environnement, ne peut faire l’objet que d’une amélioration constante, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment ».

Par sa décision n° 2016-737 DC du 4 août 2016, le Conseil constitutionnel a validé cette disposition, tout en limitant sa portée aux normes de nature réglementaire. Le législateur reste donc libre d’apprécier l’opportunité de modifier ou d’abroger des dispositions de nature législative. Dans son arrêt n° 404391 (Fédération Allier Nature) du 8 décembre 2017, le Conseil d’État a appliqué ce principe de manière nuancée, reconnaissant ainsi sa pleine valeur juridique.

Une constitutionnalisation de ce principe permettrait de l’appliquer non plus uniquement aux règlements, mais également aux lois. Le principe de non-régression produirait ainsi une sorte « d’effet cliquet », consacré dans la décision du Conseil constitutionnel n° 84‑181 DC du 11 octobre 1984 qui dispose que, « s’agissant d’une liberté fondamentale, […] la loi ne peut en réglementer l’exercice qu’en vue de le rendre plus effectif ou de le concilier avec celui d’autres règles ou principes de valeur constitutionnelle ».

La constitutionnalisation de ce principe assurerait une protection renforcée de l’environnement. J’ai entendu les arguments de la rapporteure sur le fait de ne pas modifier la Charte, mais je ne peux retirer cet amendement CL223 que je présente au nom de la Commission.

Mme Delphine Batho. Je n’ai pas pu rectifier mon amendement CL820 pour une raison de doctrine propre à la commission des Lois mais, sur le fond, il est identique à celui du rapporteur de la commission du Développement durable et de l’aménagement du territoire. Cet amendement est très important. Nous pouvons nous accorder pour ne pas modifier la Charte mais, dans ce cas, il faut introduire le principe de non-régression à l’article 1er de la Constitution. En effet, ce principe figure dans le Pacte mondial pour l’environnement défendu par la France dans les différentes instances internationales. Nous ne saurions le défendre au niveau international si nous ne sommes pas capables de l’appliquer dans notre pays et de l’inscrire dans notre Constitution. Ce verrou empêchera les régressions environnementales.

M. André Chassaigne. Notre amendement CL1003 répond au même souci de constitutionnaliser le principe de non-régression en l’insérant dans la Charte de l’environnement ; nous proposerons finalement de l’insérer dans l’article 1er.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Nous pouvons nous entendre pour ne pas modifier la Charte de l’environnement. Nous pourrions peut-être débattre du sujet lorsque nous aborderons la question du climat, de la biodiversité et la protection de l’environnement à l’article 1er ?

M. Sébastien Jumel. Est-ce à dire que vous leur donnerez un avis favorable ?

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Je n’ai pas dit cela… Je dis seulement que des amendements prévoient l’inscription du principe de non-régression à l’article 1er. Nous n’allons donc pas débattre de cette question à deux reprises.

M. Stéphane Mazars, président. La rapporteure vous invite à retirer vos amendements. M. le rapporteur de la commission du Développement durable et de l’aménagement du territoire n’en a pas la possibilité.

La Commission rejette l’amendement CL223.

M. Stéphane Mazars, président. Les amendements CL1003 et CL820 sont-ils retirés ?

M. Sébastien Jumel. Madame la rapporteure vient de préciser sa pensée… Dans un premier temps, elle nous a dit que la Charte de l’environnement était sacrée et qu’il ne fallait ni la modifier, ni l’enrichir, ni la préciser. Mais quand on la pousse un peu, elle nous explique qu’elle donnera un avis défavorable à notre volonté de graver dans le marbre de l’article 1er un certain nombre de principes !

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Ce n’est pas ce que j’ai dit.

M. Sébastien Jumel. Vous n’avez pas dit le contraire… Dites-nous que le principe de non-régression sera inscrit à l’article 1er, nous gagnerons du temps !

M. Stéphane Mazars, président. Monsieur Jumel, tenez-vous en à votre amendement. Il a reçu un avis négatif de la rapporteure.

M. Sébastien Jumel. Pardonnez-moi, monsieur le président, mais jusqu’à ce que vous ayez amoindri notre capacité à défendre nos amendements, j’ai le droit d’intervenir sur celui que nous avons déposé !

L’inscription de principes fondamentaux dans le préambule de la Charte a une valeur symbolique, et même normative, forte. Elle marque l’intérêt que nous attachons à ces principes fondamentaux. C’est loin d’être neutre. La valeur normative de l’article 1er est incontestable, mais la valeur symbolique d’un préambule l’est tout autant. Sinon, les constitutions n’auraient pas besoin de préambule ! C’est une indication de l’adhésion de la société et de ses représentants à des principes qui font consensus à un moment donné.

Nous maintenons nos amendements et nous serons vigilants : votre refus de modifier la Charte ne doit pas reposer sur des motifs fallacieux.

Mme Maina Sage. Il est dommage de ne pas débattre sur fond de ces amendements… Nous pourrions peut-être appeler les amendements concernant la Charte de l’environnement après les articles, afin de pouvoir juger des évolutions et décider en conscience de retirer ou de maintenir nos amendements.

Je n’ai pas demandé la parole tout à l’heure, lorsqu’il était question d’inscrire le changement climatique ; et pourtant, vous le savez, quatre-vingt-quatre atolls de Polynésie sont en première ligne face à ce phénomène majeur. Nous ne pouvons passer à côté de ce débat, notamment outre-mer. La commission des Lois doit étudier ces amendements et prendre position, quitte à en réserver le débat.

La Commission rejette les amendements CL820 et CL1003.

Mme Delphine Batho. Monsieur le président, je vous saurai gré de me donner la parole lorsque je souhaite répondre à la rapporteure et indiquer si je souhaite retirer ou maintenir mon amendement.

M. Stéphane Mazars, président. Vous l’aviez indiqué très clairement, madame.

Mme Delphine Batho. Je ne m’étais absolument pas prononcée sur cette question ! Je tiens donc à dire que j’ai bien entendu les arguments développés par la rapporteure à propos de la Charte de l’environnement, mais que je maintiens néanmoins mon amendement, car aucun de ceux qui sont déposés à l’article 1er ne prévoit l’inclusion du principe de non-régression.

La Commission examine ensuite, en discussion commune, l’amendement CL790 de M. Jean-Hugues Ratenon et l’amendement CL1002 de M. André Chassaigne.

M. Jean-Hugues Ratenon. L’actuel article 6 de la Charte de l’environnement indique que les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. À cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social.

À l’heure de l’urgence écologique, l’emploi systématique du terme « développement durable » n’est plus acceptable. En effet, ce terme sous-entend que les principes économiques actuels, mus par un objectif perpétuel de croissance, sont compatibles avec le respect de la biodiversité, la gestion soutenable des ressources, des modes de production et de consommation en adéquation avec les écosystèmes. Or une croissance infinie, dans un monde aux ressources finies, est impossible.

Le terme « développement durable » est de fait un oxymore. Il est indispensable et urgent d’acter l’ère de la transition écologique. Un développement soutenable, fidèle aux objectifs de transition écologique, c’est-à-dire harmonieux et respectueux de la finitude des ressources, de la fragilité des espaces et des espèces, est aujourd’hui indispensable. Le terme « développement durable » est donc à bannir du vocabulaire et des projets de loi du Gouvernement.

C’est pourquoi nous vous demandons, par l’amendement CL790, d’adopter cette nouvelle rédaction de l’article 6 de la Charte de l’environnement.

M. André Chassaigne. Notre amendement CL1002 va dans le même sens. Notre groupe considère lui aussi qu’il conviendrait de substituer aux mots « développement durable » les mots : « transition écologique ». Cela constituerait une transformation de l’article 6 de la Charte de l’environnement, dont le libellé nouveau serait : « Les politiques publiques doivent promouvoir la transition écologique. À cet effet, elles concilient le progrès social avec la protection et la mise en valeur de l’environnement. »

Le fait que la notion de développement durable repose sur trois pieds, l’environnement, l’économie et le progrès social, aboutit en fait à remettre en cause l’idée même de la transition écologique dans la mesure où les grandes orientations politiques du système politique qui domine aujourd’hui la planète sont en contradiction, par la nature même des intérêts que celui-ci défend, avec l’intérêt général de protection de l’environnement et le progrès social.

C’est pourquoi j’espère que notre amendement pourra faire bouger notre rapporteure. Faute de quoi la Charte de l’environnement perdra progressivement toute sa valeur.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Il me semble que ce n’est pas avec des dispositions de ce genre qu’on lutte pour la protection de l’environnement, mais en conduisant quotidiennement des politiques publiques de préservation de l’environnement et des enjeux climatiques et de biodiversité. C’est pourquoi je reste opposée à la réouverture de la Charte de l’environnement ; mais cela ne signifie pas que nous négligions ces enjeux ou que nous ne mettions pas tout en œuvre pour en assurer le respect. Avis défavorable.

M. André Chassaigne. Permettez-moi de vous dire que vous vous trompez complètement, madame la rapporteure ! Vous voulez nous démontrer que la Charte de l’environnement ne servirait à rien et que des bonnes pratiques et des politiques publiques suffisent. Ce n’est pas vrai, car il faut bien des droits fondamentaux inscrits dans la Constitution.

Mme Danièle Obono. Pourquoi voulons-nous amender la Charte de l’environnement, sans la laisser gravée dans le marbre ? Tant en matière de transition écologique que de dérèglement climatique, des avancées importantes ont lieu chaque jour, les connaissances progressent quotidiennement, ce qui permet de mener des politiques beaucoup plus adaptées à la réalité du changement climatique. Vous ne semblez pas comprendre ce qui se passe à l’échelle planétaire, en considérant que cette charte ne doit pas évoluer ; ce positionnement réactionnaire vous empêche d’anticiper ces changements incessants et d’adapter nos pratiques à une réalité en perpétuelle évolution. C’est précisément l’attitude qu’il faut proscrire en matière environnementale.

Le débat parlementaire doit nous permettre de chercher à nous convaincre, les uns les autres, sur le fond des questions examinées. Il y a donc un problème de fond et un problème de forme à refuser ainsi que les lignes bougent dans un domaine où les choses sont aussi évolutives.

M. Erwan Balanant. Nos positions bougent en effet tous les cinq ans ou tous les ans… Je suggère donc à notre collègue Danièle Obono que nous révisions la Charte de l’environnement tous les ans ! Plus sérieusement, il me semble que nous devons au contraire avoir un texte de portée suffisamment générale et protectrice pour n’être pas continuellement périmé.

M. Bastien Lachaud. C’est justement le cas !

M. Erwan Balanant. Si c’est le cas, inscrivons plutôt, comme c’est prévu, un certain nombre de principes forts dans l’article 1er, plutôt que de nous retrouver à devoir modifier la Charte de l’environnement à chaque fois que l’état des savoirs scientifiques évolue. Voilà ce qui apportera la protection qui fait défaut aujourd’hui.

La Commission rejette, successivement, les deux amendements.

Puis elle examine l’amendement CL791 de Mme Danièle Obono.

Mme Danièle Obono. L’article 7 de la Charte de l’environnement indique que « toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement. » Avec notre amendement, nous proposons de passer d’une dimension facultative à une dimension obligatoire, afin que les grands opérateurs économiques et politiques ne puissent plus s’arranger avec les impératifs démocratiques à l’heure d’une urgence climatique qui implique rigueur et mesure.

Nous pensons qu’il est important que les citoyens et les citoyennes puissent s’emparer de ces sujets. C’est pourquoi nous proposons, dans cet amendement, que « les autorités garantissent, dans le cadre de l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement, la participation et la consultation des populations concernées. »

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Même avis que précédemment. Au demeurant, l’article 7 de la Charte de l’environnement prévoit déjà la participation du public à l’élaboration des décisions ayant une incidence sur l’environnement.

Par ailleurs, il s’agit du champ de compétences de la commission nationale du débat public. La participation citoyenne est déjà prévue par les textes ; il n’est nul besoin de la renforcer.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CL801 de M. Bastien Lachaud.

M. Bastien Lachaud. Cet amendement vise à garantir l’accès à l’eau et à l’énergie pour chacune et chacun d’entre nous. Il réaffirme que nul ne peut en être privé, en prévoyant que les premiers m3 et premières quantités indispensables à la vie seront gratuits et garantis par les autorités publiques.

Il s’agit de rien de moins que d’une transcription de l’article 1er de la Charte de l’environnement, qui prévoit que « chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ». L’eau constitue une partie indispensable de ce patrimoine commun de l’humanité. Elle doit être protégée comme ressource et accessible inconditionnellement à toute personne. Nous devons nous assurer que l’eau ne devient pas une marchandise, source de profit, alors même qu’elle apparaît naturellement dans la nature.

Cet amendement permettrait ainsi d’instaurer une tarification progressive sur l’eau et sur la consommation d’énergie, en incluant la gratuité des quantités indispensables à une vie digne et en permettant de pénaliser les mésusages et les gaspillages.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Monsieur Lachaud, vous aviez déposé il y a quelque temps une proposition de loi constitutionnelle qui avait le même objet. Vous ne serez donc pas étonné que notre position soit encore négative sur ce sujet. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements CL807 de M. Bastien Lachaud, CL1048 de Mme Delphine Batho, et les amendements identiques CL840 de Mme Paula Forteza et CL885 de Mme Cécile Untermaier.

M. Bastien Lachaud. Mon amendement CL807 vise à instaurer la mention d’une charte des droits et libertés numériques dans notre Constitution. Notre siècle est celui de la révolution numérique, qu’on le veuille ou non.

Le numérique ne doit plus être considéré comme un outil au service de l’homme ou comme un danger qui le menacerait. Il fait partie intégrante de notre vie quotidienne et nous suit tout au long de nos vies. Chaque organisme de l’État, chaque industrie, chaque entreprise est concerné par cette évolution qui structure nos vies. Ne suivons-nous pas nous-mêmes ce soir les amendements sur des tablettes numériques, et non plus sur du papier ?

À ce stade, il est donc important de réaffirmer les droits et les libertés qui découlent de ces nouveaux modes de vie. Car le numérique touche à l’essence même de l’individu : ses données personnelles, son nom, son prénom, ses biodata. Les libertés d’expression et d’information, définies en 1789, sont également concernées dans la mesure où elles sont remises en question par ces nouvelles technologies.

Nous partageons tous, au-delà des clivages partisans, le souci d’intégrer ces droits et libertés numériques dans la Constitution.

Mme Delphine Batho. Les bonnes idées trouvent toujours leur chemin. Adosser à la Constitution une charte des droits numériques est une idée que j’avais défendue au cours de l’examen du projet de loi relatif à la République numérique, mais aussi du projet de révision constitutionnelle qui a avorté après les attentats.

Cela me paraît indispensable. En effet, on pourrait dire que les droits et garanties consacrés dans la Constitution s’appliquent partout – mais ce n’est pas le cas. Aujourd’hui, ils ne s’appliquent pas dans le cyberespace, non que nous ayons décidé qu’il en soit ainsi, mais parce qu’une situation de fait s’est créée : le réseau numérique, les données qui y circulent et la valeur qu’elles génèrent échappent à l’exercice de la souveraineté nationale.

Avant même de débattre du contenu de cette charte numérique, ce serait un acte constitutionnel très fort que d’approuver le principe d’en adosser une à la Constitution. Ce serait une grande avancée. Tel est l’objet de mon amendement CL1048.

Mme Paula Forteza. Mon amendement CL840 vise également à faire référence à une charte du numérique. Je me suis déjà exprimée à ce sujet au cours de la discussion générale. J’ai participé aux travaux d’un groupe de travail transpartisan désigné par les présidents des deux assemblées, qui ont débouché sur cette charte du numérique. Il y a quelques années, nous avons commencé à envisager d’élever l’environnement au niveau des principes constitutionnels ; aujourd’hui, il est temps d’affirmer des droits du numérique.

C’est une attente de nos concitoyens, c’est un des enjeux de notre temps. Si nous voulons une Constitution moderne, nous devons pouvoir traiter ce sujet. Beaucoup de droits et de libertés fondamentaux sont conditionnés aujourd’hui par l’accès au numérique et par la maîtrise de cet instrument : la liberté d’expression, la liberté de communication, l’accès aux savoirs, l’accès au service public – à l’heure où l’on envisage leur dématérialisation complète –, la liberté d’entreprendre, le droit à la participation, etc. Le sujet du numérique doit donc être traité au niveau constitutionnel.

La vision française du numérique est définie par les valeurs d’ouverture, de neutralité, de décentralisation, d’éthique et de protection des personnes. Or celles-ci sont aujourd’hui remises en cause au niveau international, comme l’a prouvé l’affaire de Cambridge Analytica ; aux États-Unis, la neutralité du net est également remise en cause. En France, nous devons pouvoir protéger ces bases fondamentales d’un internet ouvert face au modèle des États-Unis et à celui de la Chine, et inspirer un modèle européen au niveau constitutionnel.

De plus en plus de textes de loi traitent du numérique. Il s’agit d’un sujet transversal, qui touche à toutes les politiques publiques et au quotidien des citoyens. C’est pourquoi nous devons pouvoir acter une doctrine, un socle de droits qui puisse encadrer notre action législative. Nous devons aussi pouvoir réaffirmer la souveraineté du peuple français et l’indépendance de nos institutions face aux géants du numérique.

Mme Cécile Untermaier. Mon amendement CL885 est identique. Nous avons en effet beaucoup travaillé, depuis un an, sur les questions de la démocratie numérique et de la participation citoyenne. Ces amendements sont donc issus des réflexions d’un groupe de travail transpartisan mis en place, conjointement par l’Assemblée nationale et par le Sénat, pour réfléchir au contenu de cette charte numérique.

L’ère du numérique crée des attentes et des inquiétudes. Les droits et obligations qui découlent du numérique doivent être définis et garantis auprès des citoyens. Une loi fondamentale a précisément pour objet de protéger les citoyens. Nous pensons que le XXIe siècle doit répondre à cet enjeu numérique.

Je ne m’étais pas exprimée sur les amendements précédents, mais je tiens à dire que l’inscription à l’article 1er du principe de non-régression participerait de cette démarche avancée. La charte du numérique répond à cette même exigence de modernité.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Le Sénat et l’Assemblée nationale ont effet constitué un groupe de travail conjoint, qui a effectué un travail très intéressant et très riche. Il marque l’importance accordée aux enjeux du numérique.

Mais les travaux de ce groupe n’ont abouti que très récemment, dans les jours qui ont précédé l’examen de ce texte par la commission des Lois. Il nous paraît aventureux de les adopter tels quels, alors que nous ne pouvons pas encore en mesurer les conséquences et les implications. Car je rappelle que rien, dans la Constitution, n’a de portée exclusivement symbolique : au contraire, le Conseil constitutionnel s’efforce de toujours tirer des conséquences de chacune des dispositions du texte constitutionnel. À cet égard, nous devons donc être particulièrement rigoureux dans tout ce que nous inscrivons dans la loi fondamentale.

Par ailleurs, nos débats, aussi brefs aient-ils été, sur la Charte de l’environnement montrent que des dispositions relatives au numérique risqueraient d’être tout aussi vite dépassées. Cela montre combien il est dangereux de graver dans le marbre d’un texte de nature constitutionnelle des principes relatifs à un domaine où les choses évoluent à une vitesse aussi effarante et dont on ne mesure pas les conséquences ni les enjeux. C’est pourquoi j’émets un avis défavorable sur tous ces amendements.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Je salue le travail utile qui a été effectué par le groupe conjoint à l’Assemblée nationale et au Sénat. Les sujets examinés amènent à poser des questions pratiques, mais aussi des questions plus lourdes sur le sens que nous voulons donner à notre démocratie.

Mais j’appelle à la même prudence. Maintenant que nous avons posé la question numérique, il s’agit de voir comment évoluer sur le sujet. J’attire votre attention sur le fait que nous ne disposons pas de l’expertise nécessaire pour mesurer les conséquences et les limites de l’exercice. À vouloir trop bien faire, n’a-t-on pas, en 2004, oublié la question climatique dans la Charte de l’environnement ? C’est dire à quelle vitesse les choses ont évolué depuis : 2004, cela ne nous ramène pourtant pas aux époques antédiluviennes… Prenons le temps d’approfondir et de voir dans quelles conditions le sujet du numérique doit être intégré dans le débat constitutionnel.

Mme Delphine Batho. Pour moi, cette charte ne saurait se réduire à une simple proclamation ou à une mesure d’affichage. Il s’agirait de créer de vrais droits, ayant de vraies conséquences juridiques.

S’agissant de la Charte de l’environnement, je n’ai jamais dit que ses principes étaient dépassés, mais qu’ils étaient incomplets et qu’ils méritaient d’être complétés. Tout à l’heure, vous nous disiez qu’il ne fallait pas y toucher… Et voilà maintenant qu’on la décrit comme obsolète afin de prouver qu’une charte du numérique n’est pas souhaitable !

Dans le débat de ce soir, la dimension transpartisane des propositions avancées me paraît tout de même assez exceptionnelle. Je n’avais pas connaissance du travail qui a été réalisé. D’ici à la séance publique et d’ici à l’examen au Sénat, il me semble que nous avons le temps pour vérifier un certain nombre de points. Le débat de ce soir pose une question de principe : soit nous avons la volonté politique, soit nous ne l’avons pas. J’ai donc peur que nous ne manquions une occasion.

Mme Paula Forteza. Je comprends la prudence de la rapporteure. Nous avons dû en effet travailler dans un calendrier restreint. Néanmoins, nous avons travaillé avec des experts du droit constitutionnel et du numérique, de même qu’avec des associations spécialisées et les régulateurs du numérique.

Les droits que nous proposons de constitutionnaliser trouvent leur source dans une jurisprudence stable. Ils sont aussi très consensuels, comme nous le constatons ce soir. Pour ma part, je serais prête à retirer mon amendement pour travailler de nouveau sur le sujet d’ici à la séance publique, mais j’aimerais, madame la rapporteure, un engagement de votre part, afin que nous puissions avancer ensemble sur ce sujet.

M. Bastien Lachaud. J’avoue ne plus comprendre. Comment pouvons-nous avaliser des propositions de loi à la va-vite sans étude d’impact, alors que, sur la question du numérique, vous n’envisagez même pas que nous discutions d’un texte issu des travaux d’un groupe transpartisan et bicaméral, si perfectible soit-il ? Si les constituants de 1789 avaient eu les mêmes réticences et partagé la même volonté de disposer d’études d’impact approfondies, jamais la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen n’aurait vu le jour !

Nous nous heurtons aujourd’hui à de vrais problèmes sur la question du numérique et des géants du numérique. Des questions de souveraineté et de sécurité se posent, mais aussi de cyberdéfense, de droits humains fondamentaux, de propriété, de contrôle des biodata. Et tout cela serait balayé d’un revers de main ? À quoi sert une réforme de la Constitution si nous ne sommes pas capables d’avancer sur des droits fondamentaux nouveaux pour les citoyens ?

J’avoue ne pas comprendre le jeu de dupes de la majorité : d’un côté, on discute, au sein d’un groupe de travail, pendant un mois entier ; de l’autre, on balaie le résultat de ces réflexions en quelques minutes… Que la majorité trouve un accord en son sein et cesse de nous prendre pour des dupes !

M. Sacha Houlié. En réalité, on constate l’obsolescence programmée des chartes qui ont été adoptées à un moment donné : c’est le cas aujourd’hui de la Charte de l’environnement, comme cela peut être le cas, demain, d’une charte du numérique.

Pour éviter de rencontrer les mêmes difficultés, nous préférons dire que le sujet n’est pas encore mûr pour notre commission. Sans oublier la nécessité d’une étude d’impact – d’ordinaire, les études d’impact vous sont chères – sur la jurisprudence constitutionnelle, sur l’application d’une telle charte par le juge et sur son effet sur la législation.

Enfin, tous les textes qui concernent aujourd’hui le numérique ont un impact européen. En vertu de l’article 55 de la Constitution, nous sommes tenus de veiller à leur bonne articulation avec les traités européens.

Nous attirons donc l’attention sur les limites d’amendements qui consacreraient le principe d’une charte du numérique et en définiraient le contenu. À ce stade, il me semble donc plus naturel, plus judicieux ou encore plus prudent de retirer ces amendements, afin de voir si nous pouvons avancer sur le sujet d’ici à la séance publique, ou du moins d’ici à une nouvelle lecture. Mais, en l’état, un tel texte ne saurait être adopté dans notre Constitution.

Mme Laetitia Avia. En effet, la Constitution n’est pas un texte qu’on révise tous les quatre matins. Lorsqu’on aborde les éléments à y inclure, il faut les concevoir dans une vision relativement intemporelle. Aujourd’hui, en 2018, une charte des droits et des libertés du numérique nous parle. Mais, il y a vingt ans, nous n’aurions pas utilisé ces termes et parlé plutôt d’informatique. Et dans vingt ans, les termes proposés aujourd’hui sont-ils ceux qui correspondront encore à la réalité des outils de communication qui seront utilisés ? Je n’en suis pas sûre.

J’en veux pour exemple la loi sur la confiance dans l’économie numérique de 2004, qui est déjà obsolète. L’économie numérique d’aujourd’hui n’est plus celle de l’époque où elle fut adoptée : les plateformes de communication que nous utilisons quotidiennement n’existaient pas, du moins pas à l’échelle que nous connaissons aujourd’hui ; tous les éléments de technologie et de communication ont amené sur la table des sujets, tels les risques liés aux big data et aux blockchains, qui n’étaient pas alors mis en avant. Autant de domaines dans lesquels nous devons nous entourer de précautions, en particulier lorsqu’il s’agit de graver dans le marbre d’une Constitution une formulation fixée une fois pour toutes.

Mme Cécile Untermaier. Je comprends les hésitations qui s’expriment. Mais nous avons travaillé sur ce sujet et, dans ce cadre, avons entendu beaucoup de personnes nous dire qu’il fallait inscrire dans la Constitution ces droits et obligations.

Cela étant dit, nous pouvons, dans un esprit constructif, envisager de travailler à nouveau sur cette question en vue de la séance publique, soit en réfléchissant à une charte, soit en prévoyant que, dans les articles de la Constitution, un dispositif soit ajouté, qui aille plus loin que les dispositions actuelles de l’article 34.

Je propose donc que nous retirions nos amendements, en échange de l’engagement moral de votre part que nous retravaillions ensemble sur cette question pour trouver une position d’atterrissage qui, sans aller nécessairement jusqu’à l’édiction d’une charte du numérique, permette cependant de prendre en considération les attentes et les inquiétudes de nos concitoyens.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Je trouve agréable d’entendre, au détour de ces amendements, chanter les louanges, sur tous les bancs, du travail transpartisan, lorsqu’il sait dépasser les clivages… Cela donne le sentiment de faire parfois œuvre utile.

Mme Cécile Untermaier. On fait des efforts !

M. Richard Ferrand, rapporteur général. J’entends également qu’on découvre soudain les vertus du bicamérisme constructif. Voilà encore une satisfaction nocturne d’un genre nouveau…

J’entends également dire qu’on n’aurait jamais réformé la Constitution s’il avait fallu faire des études d’impact, par les mêmes qui, d’ordinaire, en dénoncent l’insuffisance ! En règle générale, la réversibilité des arguments les invalide. Et c’est bien le cas en l’espèce.

S’agissant du fond des questions soulevées, il va de soi que, aussi intéressant que puisse être le sujet évoqué, il n’est pas encore mûr. Comme je l’ai dit dans ma première intervention, on ne peut pas improviser ainsi une révision de la Constitution, au motif qu’on aurait travaillé pendant trente jours, de manière bicamérale et transpartisane, sur un sujet extrêmement important. Ce serait faire montre d’une grande légèreté. Je partage donc l’ensemble des arguments développés par notre collègue Yaël Braun-Pivet. Mon avis est lui aussi défavorable.

Cela étant dit, il n’est jamais interdit de travailler ; il n’est jamais interdit de s’engager soi-même à travailler et à devenir plus convaincant.

Mme Cécile Untermaier. Je ne suis pas d’accord sur la façon dont on nous répond. D’abord, cela ne fait pas trente jours seulement que nous travaillons dans le cadre de ce groupe transpartisan. En outre, nous répondons à une invitation conjointe de l’Assemblée nationale et du Sénat. Je ne vois pas en quoi cela offrirait matière à raillerie. Je m’étonne d’entendre des propos aussi déplaisants dans la bouche du rapporteur général.

Nous avons travaillé sur une charte du numérique parce qu’on nous a demandé de le faire et parce que nous sommes des députés qui travaillent. Nous vous proposons une base de réflexion. Si vous n’en voulez pas, n’hésitez pas à nous le dire très franchement au lieu de nous faire des réponses de Normand !

Nous considérons que c’est une question qui s’impose. On l’écarte ou on ne l’écarte pas. Mais abstenez-vous de nous donner des leçons qui laisseraient penser que nous sommes conquises par la façon dont vous nous demandez de travailler… Nous essayons d’apporter notre pierre à l’édifice, parce que nous considérons que nous avons le devoir de le faire. Sachez que je suis particulièrement choquée de la façon dont vous pouvez traiter le travail que nous avons pu mener ensemble, depuis un an, à l’Assemblée nationale, à la demande de son président, sur la question de la démocratie numérique et de la participation citoyenne. Je trouve que c’est choquant. Nous avons besoin, nous aussi, de considération.

Mme Paula Forteza. Je retire mon amendement CL840, avec l’engagement de travailler à trouver un autre point d’attache d’ici à la séance.

Mme Cécile Untermaier. Moi, je retire mon amendement CL885, définitivement !

Les amendements CL840 et CL885 sont retirés.

La Commission rejette successivement les amendements CL807 et CL1048.

En conséquence, les amendements identiques CL844 de Mme Paula Forteza, CL886 de Mme Cécile Untermaier et CL1007 de M. Philippe Latombe, et les amendements CL1222 de Mme Delphine Batho et CL1203 de M. Bastien Lachaud n’ont plus d’objet.

La Commission examine ensuite les amendements identiques CL1078 de M. Michel Castellani, CL1388 de M. Jean-Félix Acquaviva et CL1417 de M. Paul-André Colombani.

M. Jean-Félix Acquaviva. Cet amendement propose d’insérer la Corse aux côtés des territoires d’outre-mer dans les territoires pouvant prétendre à l’autonomie dans un cadre démocratique et consenti. Nous nous situons ce soir dans un exercice de style qui porte sur le droit fondamental. Nous ne discutons pas ici de loi ordinaire, ni même de loi organique ; nous participons à un débat solennel, portant sur des questions de long terme, où des preuves de confiance et des actes d’amour peuvent être échangés entre la République et ses territoires, en particulier entre la République et la Corse.

Nous considérons que les spécificités géographiques, telles qu’elles sont déjà reconnues dans la loi relative à la montagne, ajoutées à la dimension insulaire, à la dimension culturelle – malgré une histoire tumultueuse, la Corse a en effet toujours une langue et des valeurs culturelles propres –, à la dimension transfrontalière, à la dimension historique des relations entre le centre et la périphérie, rendent la Corse plus proche des territoires d’outre-mer que des régions de droit commun.

C’est pourquoi nous proposons que la Corse soit désormais explicitement mentionnée dans cette phrase du préambule, telle que nous proposons de la rédiger : « En vertu de ces principes et de celui de la libre détermination des peuples, la République offre à l’île de Corse et aux territoires d’outre-mer qui manifestent la volonté d’y adhérer des institutions nouvelles fondées sur l’idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité et conçues en vue de leur évolution démocratique ». Voilà une proclamation qui pourrait valoir son pesant d’or, me semble-t-il, dans les relations de confiance qu’il nous reste à construire dans la loi ordinaire ou dans la loi organique. Nous aimerions vous entendre sur cette proposition que nous vous soumettons par l’amendement CL1078.

M. Paul-André Colombani. Nous vous proposons en effet, par l’amendement CL1388, de mentionner, dans le second alinéa du Préambule, l’île de Corse aux côtés des populations d’outre-mer.

Pour nous, l’insularité n’est pas un détail. Il faut en tirer les conclusions politiquement et, osons-le dire, juridiquement. Vivre sur une île affecte en effet la mentalité et la manière de penser.

La Corse est la seule île de la métropole à dimension régionale. Cela a justifié, en 2002, l’octroi d’un statut particulier, après des années mouvementées, qui ont même vu de nombreux morts. Aujourd’hui, il y a la paix. Il ne faut pas la gâcher.

Les Corses veulent seulement voir leur spécificité reconnue en droit. Cela signifie que les gens doivent croire dans le droit. Cela mérite d’être relevé dans une île où l’état de droit n’a pas souvent régné. D’où le besoin d’inscrire les populations corses aux côtés des populations d’outre-mer, afin qu’elles bénéficient, comme l’indique le Préambule, des institutions nouvelles en vue d’une évolution démocratique.

M. Michel Castellani. Mon amendement CL1417 a le même objet. Chaque mot pèse et le Préambule de la Constitution dispose que « la République offre aux territoires d’outre-mer qui manifestent la volonté d’y adhérer des institutions nouvelles fondées sur l’idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité et conçues en vue de leur évolution démocratique ». Nous souhaitons que la Constitution puisse offrir à la Corse des institutions nouvelles, auxquelles nous manifestons la volonté d’adhérer démocratiquement : la Corse l’a voté de façon répétée et c’est sur ce programme que les électeurs nous ont envoyés ici. Nous désirons, par ce projet de loi constitutionnelle, que soient reconnus à la Corse les moyens de son avenir ; la Corse a besoin de compétences, et il est urgent d’agir en matière fiscale, en matière linguistique, en matière de lutte contre la spéculation. C’est pourquoi nous demandons que la Corse soit à parité avec les territoires d’outre-mer. Je ferai d’ailleurs remarquer que, sinon en droit, du moins sur le plan géographique, la Corse est indiscutablement un territoire d’outre-mer.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Sur la forme, le second alinéa du Préambule, que vous souhaitez modifier, a quelque peu perdu de son intérêt puisqu’il est l’héritage de l’époque de la décolonisation, au moment où la Communauté française proposait une association politique entre la France et son empire colonial en voie de décolonisation.

Sur le fond, notre objectif est bien de reconnaître une spécificité à la Corse dans notre République, dans le respect de l’indivisibilité de celle-ci ; pour ce faire, le choix s’est porté sur l’article 16 du projet de loi créant un nouvel article constitutionnel, l’article 72-5. J’entends votre appel à des preuves d’amour, monsieur Acquaviva, et la nécessité de vous montrer notre intérêt ; nous en débattrons longuement dans le cadre de l’article 16 – ce débat n’est qu’un préambule, sans mauvais jeux de mots. L’article 16 répond à la question, d’une part, de l’insularité en général et, d’autre part, de l’insularité de la Corse et à votre exigence de voir vos spécificités prises en compte. C’est pourquoi, à moins que vos amendements ne soient retirés, j’émets un avis défavorable, dans la mesure où vous aurez la réponse à l’article 16.

M. Paul Molac. Ce que demandent les Corses, c’est ce qui existe chez nos voisins, à savoir au moins l’adaptation du pouvoir réglementaire, quelquefois la possibilité de faire des lois de pays. Je ne parle pas de pays exotiques mais de l’Espagne, de l’Italie, de l’Allemagne, de la Belgique et même du Royaume-Uni. Les Corses demandent ce qu’ont déjà les territoires d’outre-mer français, et qui est le standard européen. Je trouve donc ces amendements tout à fait bienvenus.

La Commission rejette ces amendements.

Elle examine ensuite les amendements identiques CL1077 de M. Michel Castellani, CL1319 de M. Jean-Félix Acquaviva et CL1415 de M. Paul-André Colombani.

M. Michel Castellani. Au second alinéa du Préambule de la Constitution, après le mot « territoires », mon amendement CL1077 insère les mots « insulaires et », pour lire « territoires insulaires et d’outre-mer ». Il s’agit de prévoir dans la Constitution la possibilité pour les territoires insulaires de s’administrer largement dans le domaine interne que j’ai cité et qui est très prégnant en Corse : fiscalité, linguistique, lutte contre la spéculation.

M. Jean-Félix Acquaviva. Mon amendement CL1319 a le même objet. La question de la clause d’insularité existe au niveau européen puisque l’article 74 du traité de Lisbonne la reconnaît. Il ne manque plus qu’au droit fondamental français de l’inclure, en vue de permettre l’adaptation des politiques publiques. L’article 16 du projet de loi, monsieur le rapporteur, n’empêche pas de reconnaître la Corse dans le Préambule, au même titre que les outre-mer qui ont leur article 73 de la Constitution. Cette reconnaissance politique majeure serait une preuve de confiance.

M. Paul-André Colombani. Les mêmes arguments valent évidemment pour mon amendement CL1417. La Constitution du Portugal, un pays unitaire comme la France, proclame « les immémoriales aspirations à l’autonomie des populations insulaires ». C’est un argument en faveur de la mention des territoires insulaires dans le préambule.

Dans son discours cet été à Versailles, le Président Macron a parlé d’hexagone et d’outre-mer. Et nous ? Où nous situez-vous ? C’est pourquoi nous avons besoin de cette reconnaissance, qui nous paraît logique. Si nous sommes ici, mes deux collègues et moi, c’est que les choses ont changé en Corse, et qu’il existe une demande forte.

Mme Maina Sage. Sans parler pour la Corse, car chaque territoire a son histoire et ses particularités, je souhaite apporter mon soutien à ces amendements. En tant qu’ultramarine et insulaire, c’est pour moi une évidence qu’il est beaucoup plus pratique pour ces territoires de bénéficier de l’autonomie. Pour beaucoup dans l’hexagone, se cache derrière ce mot le spectre d’un risque de démantèlement de la nation française. Il faut dédiaboliser ce sujet : permettre ces adaptations au plus près des particularités des territoires, c’est permettre l’épanouissement de la population. L’autonomie renforcée est gage de gestion beaucoup plus efficace de ces territoires. Le risque d’un effet boule de neige auprès d’autres régions est limité en raison de l’existence d’une réelle discontinuité géographique liée à la situation insulaire, que l’on soit à 200 ou à 20 000 kilomètres du continent, qui impose d’être en mesure de se gérer soi-même. Il me semble pertinent de distinguer l’île de Corse, aux côtés des outre-mer, dans le préambule.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Ces amendements ne parlent plus de l’île de Corse en tant que telle mais de son caractère insulaire. D’une certaine façon, les arguments avancés tout à l’heure affaiblissent la justification de ces nouveaux amendements dans la mesure où ils ne peuvent se prévaloir d’une spécificité corse : il y a d’autres îles en France… C’est moins de symboles dont vous avez besoin, monsieur Castellani, que de capacités d’agir : or elles sont prévues à l’article 16 et je ne pense pas qu’il y ait besoin d’être redondant en affirmant deux fois la même chose. Pour la première fois dans la Constitution, et dans un article spécifique, la spécificité insulaire de la Corse est reconnue.

Je suis assez d’accord avec madame Sage et je ne crois pas que nous abordions ce débat avec un esprit de défiance à l’égard des compétences des collectivités, puisque, au contraire, les articles 15, 16 et 17 approfondissent les compétences aux différents niveaux de territoires : l’article 16 pour la Corse, l’article 17 pour certains outre-mer et l’article 15 pour tous les autres territoires parties de l’espace national. Nous avançons donc bien dans la reconnaissance des spécificités.

Monsieur Molac, effectivement, les Allemands ont leur mode de fonctionnement, les Italiens le leur, les Espagnols aussi, chacun a son histoire comme nous avons la nôtre. Je demande le droit à la différenciation nationale. Nous avons nos spécificités. Je respecte l’histoire nationale des Allemands, des Italiens, des Espagnols, et je trouve bon qu’on respecte celle de la France…

M. Jean-Félix Acquaviva. Je vous préviens que nous contesterons l’article 16, dont la rédaction ne nous satisfait pas du tout et ne correspond pas à l’aspiration de l’assemblée de Corse dans sa grande majorité ni à celle des Corses en général.

Vous parlez de différenciation nationale mais, pendant des décennies, la France a montré de la défiance envers la Corse. Mentionner la Corse dans le Préambule, où sont déjà les outre-mer, serait une preuve de confiance. Qui peut le plus – l’article 16 selon vous – peut le moins : l’inscription d’un symbole dans le Préambule.

La Commission rejette ces amendements.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CL792 de M. Jean-Luc Mélenchon et CL185 de M. M’Jid El Guerrab.

M. Bastien Lachaud. L’amendement CL792 vise à constitutionnaliser l’accès gratuit à la contraception et à l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Le texte de la Constitution de 1958 est assez pauvre – c’est une litote – en énumération des droits. Certes, depuis 1971, le Conseil constitutionnel juge, à l’aune du préambule de 1946 et de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, de la validité d’une norme par rapport aux droits et libertés contenus dans ces textes. Néanmoins, il y a une grande absente : l’indisponibilité du corps humain. À tous les stades de la vie, la loi peut venir priver des femmes et des hommes des libertés les plus fondamentales. Il faut donc consacrer ces droits dans la Constitution.

Pour ce qui est de l’IVG, fin 2017, le Conseil de l’Europe a tiré la sonnette d’alarme, en constatant des reculs en matière de droit à l’avortement et à la contraception dans de nombreux pays d’Europe. On pensait cette bataille définitivement gagnée mais force est de constater, Irlande mise à part, un recul de ces droits. Le rapport du Conseil de l’Europe relève des problèmes de santé sexuelle, d’autonomie, d’intégrité des femmes, ainsi que des atteintes à leurs droits sexuels et reproductifs. Il est important d’affirmer ce droit dans la plus haute norme de notre pays, pour être sûr qu’il ne se produise en France de reculs comparables à d’autres pays européens.

M. M’Jid El Guerrab. Alors que Simone Veil est sur le point de faire son entrée au Panthéon, il serait opportun de rendre un hommage particulier à cette figure incontournable de la Ve République en constitutionnalisant notamment le droit à la contraception et à l’avortement, ainsi que le droit à une vie sans violences sexistes et sexuelles. Il existe en effet une continuité entre ces divers droits, qui ne sont que la lutte pour l’égalité entre les femmes et les hommes. Mon amendement CL185 n’a d’autre but que de renforcer cette égalité dans la Constitution. C’est là une préconisation du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Dans votre rédaction, monsieur Lachaud, vous indiquez que « le corps humain est indisponible » et que « ce droit implique un accès gratuit à la contraception ». J’avoue que je ne vois pas le lien entre les deux. Mais sans doute pourrez-vous m’éclairer.

Le droit à la contraception et le droit à l’IVG sont évidemment des droits fondamentaux qu’il nous incombe de protéger. Je ne crois pas que la France puisse être suspectée de les remettre en cause ; au contraire, nos politiques publiques œuvrent au quotidien pour leur préservation. Je ne crois donc pas utile de les inscrire dans la Constitution.

Je vous renvoie au Comité Veil qui a aussi pointé, en 2008, le danger qu’il y aurait de constitutionnaliser, je cite, « des principes qui peuvent apparaître aujourd’hui comme intangibles mais qui pourraient fort bien se révéler ne plus l’être demain ». Les sujets de bioéthique ne gagneraient pas à être inscrits ainsi dans la Constitution, au risque d’interdire tout débat et toute évolution en la matière. Avis défavorable.

M. M’Jid El Guerrab. Vous n’avez pas répondu à mon amendement, et je n’ai pas non plus compris votre argumentation sur la possibilité de revenir sur ces droits.

M. Bastien Lachaud. Je suis très inquiet de votre réponse, madame la rapporteure, car vous nous expliquez que les politiques publiques en France n’entendent pas remettre en cause l’avortement et l’IVG et en même temps que ce ne sont pas des droits intangibles, et que des lois bioéthiques pourraient revenir dessus.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Non, j’ai seulement relevé que votre rédaction mêlait deux choses qui n’ont rien à voir entre elles : l’indisponibilité du corps humain, qui est un principe de bioéthique, et le droit à la contraception et à l’IVG, qu’il n’est pas question de remettre en cause et qu’au contraire nos politiques publiques mettent en œuvre au quotidien, mais qui ne sont pas non plus de niveau constitutionnel.

M. Bastien Lachaud. La Cour de cassation a jugé que « l’indisponibilité du corps humain est un principe essentiel du droit français ». Comment pouvez-vous expliquer que l’on reviendra sur un principe essentiel dans le cadre d’une loi bioéthique ?

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Ce n’est pas ce que j’ai dit.

M. Bastien Lachaud. Si ce n’est pas ce que vous avez dit, pourquoi ne pas constitutionnaliser le principe ?

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Monsieur El Guerrab, vous voudriez garantir le droit à la contraception et à l’avortement, sur lequel j’ai déjà répondu, mais également le droit à une vie sans violences sexistes et sexuelles. Je ne pense pas que la Constitution soit l’endroit approprié pour une telle mention qui relève du domaine législatif ; nous venons du reste d’examiner dans l’hémicycle une loi relative aux violences sexuelles et sexistes.

M. Philippe Gosselin. S’agissant de l’indisponibilité du corps humain, il y a en effet un arrêt de la Cour de cassation, mais vous avez raison tous les deux, d’une certaine façon, mais vous n’êtes pas sur la même longueur d’onde… C’est un principe qui dépasse largement la bioéthique : il renvoie à l’article 16 du code civil, duquel découlent des conséquences sur la gratuité et l’anonymat du don, l’impossibilité de marchandiser les éléments du corps humain, etc. L’indisponibilité du corps humain est un principe auquel je suis également très attaché, mais je vois cependant mal le lien tel qu’il apparaît dans l’amendement de M. Lachaud.

M. Raphaël Schellenberger. Cet amendement est en effet juridiquement assez mal écrit : les phrases auraient tendance à se contredire.

Pour répondre à M. El Guerrab, la Constitution est là pour protéger les libertés et assurer à l’État de droit les moyens de protéger la population, mais ce n’est pas le lieu des détails. La loi constitutionnelle risque de devenir une loi toute simple… Les violences sexistes et les agressions sexuelles sont désormais des éléments importants dans le débat public mais nos citoyens n’en seraient pas mieux protégés du fait de leur constitutionnalisation. Enfin, j’ai énormément de respect pour les combats de Simone Veil et son travail législatif, mais également pour la Constitution, qui n’est pas un outil destiné à rendre hommage à des législateurs, aussi brillants soient-ils.

La Commission rejette successivement ces amendements.

La Commission est saisie de l’amendement CL793 de M. Jean-Luc Mélenchon.

Mme Danièle Obono. Par cet amendement, nous proposons de constitutionnaliser le droit à mourir dans la dignité selon les modalités définies par son propre choix, en précisant qu’une loi organique fixera les conditions dans lesquelles ce droit pourra s’exercer.

Des débats sont prévus à l’agenda législatif, mais il nous semble fondamental que ce soit inscrit dans la Constitution. Une majorité de concitoyens et de nos concitoyennes sont résolus à défendre l’idée de ce droit à mourir dans la dignité, qui procède de valeurs philosophiques progressistes telles que le principe de l’indisponibilité du corps humain, qui interdit de le soumettre à des traitements inhumains ou dégradants, et celui du libre arbitre, déjà défendu par les constituants de 1789. Cette dimension, qui fait la force, la richesse et l’universalité des principes constitutionnels, mérite d’être comprise et transmise dans le reste de la société. Ce serait une réelle avancée culturelle et démocratique, un pas fondamental, répondant à un enjeu tout à la fois individuel et collectif de civilisation, que de transcrire ce droit dans la Constitution, ce qui ne préjuge pas des modalités qu’il nous appartiendra de mettre en œuvre dans les lois bioéthiques.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Comme vous le savez, les questions de bioéthique, sujets fondamentaux et graves qui nous concernent tous, ont déjà commencé à faire l’objet d’un débat, avec les états généraux qui se sont tenus dans toute la France. L’Assemblée nationale s’est également emparée de ces questions avec des auditions conjointes de la commission des Lois et de la commission des Affaires sociales, et une mission d’information a été créée à l’initiative de la Conférence des présidents de l’Assemblée. Graver ce principe dans le marbre de la Constitution empêcherait, limiterait ou obérerait les débats que notre institution et la société dans son ensemble doivent avoir. Avis défavorable.

Mme Danièle Obono. J’ai bien précisé qu’il ne s’agissait pas d’obérer le futur débat, mais de lui donner une direction claire. Ce débat ne date pas d’hier, ni d’il y a un mois, il n’est pas mené dans la précipitation ; cela fait des années qu’une majorité de la population a avancé sur le sujet. Comme vous l’avez dit, c’est un sujet fondamental et il doit donc, à ce titre, être inscrit dans la loi fondamentale, tout en laissant au législateur la possibilité de s’en emparer, dans le cadre de la discussion de la loi, afin de continuer à enrichir le débat démocratique et en arrêter les modalités. Ce faisant, nous ne ferions que nous mettre au diapason de la société qui, sur cette question comme sur bon nombre de droits fondamentaux, a évolué.

M. Raphaël Schellenberger. Le droit constitutionnel n’est pas le lieu de traiter l’actualité de l’évolution de l’opinion publique sur ce qu’on nous présente comme un droit humain fondamental. Qui plus est, la rédaction de l’amendement est catastrophique car elle se contredit totalement : la première partie de votre phrase pose le principe que vous ne disposez pas de votre corps, autrement dit que vous n’êtes pas libre d’un certain nombre de choix liés à votre corps, et la seconde partie en déduit que vous pouvez choisir comment allez mourir ! Il faut être beaucoup plus clair dans des débats aussi complexes, que l’on ne saurait trancher par une rédaction maladroite introduite dans le texte de la Constitution. Ce ne serait pas faire avancer la cause. De tels sujets exigent que l’on prenne du temps et du recul.

La Commission rejette cet amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL806 de M. Bastien Lachaud.

M. Bastien Lachaud. Cet amendement vise à apporter de nouveaux droits à toute une partie de notre population qui ne se reconnaît pas ou plus dans le sexe ou le genre qui lui est attribué, en permettant à chacune et chacun de modifier gratuitement son état civil sur simple demande. Des avancées légales ont eu lieu récemment : les personnes transgenres ne sont plus obligées de se faire stériliser pour obtenir le changement d’état civil, mais elles doivent toujours passer devant un juge. Il semble nécessaire de constitutionnaliser ce droit : il est important que toute personne puisse gratuitement changer son identité de genre.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Défendez-vous le principe même ou la gratuité ?

M. Bastien Lachaud. Les deux.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Le principe de changement d’état civil est déjà encadré par la Cour de cassation. Quant au principe de gratuité de la procédure judiciaire sur un aspect particulier, il me semble injustifié : au nom de quoi une procédure judiciaire serait-elle gratuite pour un changement de sexe et non pour toute autre démarche d’état civil ?

M. Bastien Lachaud. L’objectif de l’amendement est justement de déjudiciariser la procédure de changement d’état civil, en posant le principe du libre changement sans passer par le juge.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Cela relève du code civil, non de la Constitution. Du coup, mon avis sera résolument défavorable.

M. Philippe Gosselin. Il existe en droit français le principe d’intangibilité ou d’immuabilité de l’état civil, sauf exceptions particulières déjà prévues au niveau législatif pour le changement de prénom et le changement de nom dans certaines conditions : le but, on le comprend bien, est de protéger la société de micmacs compliqués à gérer. Si ce n’est qu’une question de gratuité, cela n’a rien à voir dans le texte de la Constitution, dont je rappelle qu’elle est notre grande charte, le texte que certains qualifiaient autrefois de sacré, qui fixe le fonctionnement des pouvoirs publics et des institutions. Mais le présent sujet relève, au mieux, du niveau législatif. Et encore : cela reste à discuter.

Mme Danièle Obono. Votre intervention, monsieur Gosselin, confirme la nécessité d’une constitutionnalisation, du fait du principe même de l’intangibilité de l’état civil. En outre, notre loi fondamentale protège les droits fondamentaux des individus, et garantir ce droit dans la Constitution est une forme de reconnaissance de l’identité transgenre et le moyen de permettre à ces personnes de revendiquer leurs droits fondamentaux.

Si vous trouvez que cet amendement est mal écrit, alors que nous avons travaillé cette rédaction avec des associations qui portent ces revendications depuis longtemps, n’hésitez pas à proposer un sous-amendement, sur celui-ci comme sur tous les autres. Mais nous parlons bien de la Constitution, d’une philosophie et de droits fondamentaux.

La Commission rejette cet amendement.

Puis elle se saisit de l’amendement CL750 de M. Jean-Luc Mélenchon.

M. Bastien Lachaud. Cet amendement réaffirme le rôle de la France au service de la paix dans le monde et le rôle principal de l’Organisation des Nations unies pour l’établissement et le renforcement de la sécurité collective. La France doit se porter aux avant-postes d’une nouvelle alliance universelle pour la paix en choisissant la voie d’un nouvel indépendantisme qui lui permettrait d’être, non plus une nation occidentale mais bien une république universaliste, donc internationaliste, comme le proclame sa devise. Elle redéploierait son action vers ses zones d’intérêt et surtout réaffirmerait qu’elle n’est pas le faire-valoir des intérêts états-uniens dans le cadre de l’OTAN, qu’elle ne peut servir ces intérêts dans des interventions aux quatre coins du monde, dont on voit aujourd’hui les conséquences. Seule l’ONU est garante de la paix et de la sécurité collective, et c’est seulement dans le cadre de ses missions que la France pourrait intervenir à l’étranger.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. L’objectif de cet amendement est d’affirmer dans le préambule que l’ONU serait le seul organe légitime pour la sécurité collective. Or le Préambule de 1946, qui figure dans notre bloc de constitutionnalité, prévoit déjà que la République « se conforme aux règles du droit public international, n’entreprendra aucune guerre dans des vues de conquête et n’emploiera jamais ses forces contre la liberté d’aucun peuple. » Il ne me paraît pas utile d’aller au-delà et de figer dans la loi fondamentale l’existence et le rôle d’un organe international qui peut évoluer à tout moment. Les engagements constitutionnels de la République sont clairs, nets et suffisants, et satisfont d’une certaine manière l’intention de l’amendement.

M. Paul Molac. Peut-être n’ai-je pas bien compris mais, quand on me dit que la France est une république universelle et internationaliste, j’y vois le côté messianique à la française : le jour où la France sera sur le monde entier, on aura la paix… La France est un État, avec ses faiblesses et ses forces. Nous avons parlé de son histoire tout à l’heure avec M. Fesneau, mais lui et moi n’avons probablement pas la même histoire.

M. Marc Fesneau, rapporteur. C’est la richesse de la France !

M. Paul Molac. Peut-être, mais moi, j’ai dû lutter pour que mes enfants aient le droit d’apprendre ma langue, le breton, à l’école, et je pourrais vous raconter la façon dont nous avons été traités. Notre histoire est aussi conflictuelle, ne l’oubliez pas. Nous pouvons nous inspirer de ce qui se fait dans d’autres pays européens pour différentes choses, y compris pour l’organisation territoriale.

M. Philippe Gosselin. Si la Constitution se met à réaffirmer en permanence les principes déjà affirmés, elle en deviendra redondante. Je rappelle que le Préambule de 1946, au lendemain de la guerre, commence par les mots : « Le peuple français réaffirme… » Il n’est sans doute pas nécessaire de réaffirmer la réaffirmation…

Par ailleurs, la reconnaissance de l’ONU comme unique source de sécurité serait une atteinte à la souveraineté de la France, qui peut parfaitement signer des conventions internationales reconnaissant d’autres organes internationaux. Une telle autolimitation ne pourrait être suivie d’effets sur le plan international.

La Commission rejette cet amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL797 de M. Jean-Luc Mélenchon.

M. Jean-Hugues Ratenon. Les droits de la nationalité, en Europe, tendent à s’uniformiser pour éliminer progressivement le droit du sol.

En Allemagne, par exemple, s’il a été décidé, en 2000, d’intégrer quelques éléments constitutifs du droit du sol, les conditions d’obtention de la nationalité sont toutefois suspendues à des conditions de résidence exigeantes qui font échec à un réel droit du sol.

En France, l’octroi de la nationalité dépend de la naissance des parents. Deux régimes coexistent : d’un côté, celui du double droit du sol, qui fait qu’un enfant né d’un parent étranger lui-même né en France est Français de naissance ; de l’autre, le droit du sol simple différé, pour l’enfant né en France de parents étrangers nés à l’étranger, qui le rend Français automatiquement et de plein droit à sa majorité, moyennant certaines conditions de résidence.

Face à cela, nous proposons de compléter le Préambule de la Constitution par un alinéa ainsi rédigé : « Tout enfant né sur le territoire de la République est Français dès sa naissance. »

Toutefois, un enfant qui souhaiterait renoncer à sa nationalité française, dès lors que ce renoncement n’aurait pas pour effet de le rendre apatride, le pourrait à sa majorité.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Je ne suis pas favorable à cet amendement car le droit du sol n’est qu’une modalité d’acquisition de la nationalité française parmi d’autres : pourquoi ne faudrait-il constitutionnaliser que celle-là ? Paradoxalement, votre proposition risquerait d’être discriminatoire pour les Français nés à l’étranger d’au moins un parent français – dont la nationalité se trouverait in fine moins protégée – et d’instaurer une hiérarchie entre les personnes qui prennent la nationalité française.

En matière d’acquisition de la nationalité, les règles essentielles sont anciennes et stables – elles datent de 1889 et de 1927 –, ce qui conduirait le Conseil constitutionnel à contrôler plus étroitement les dispositions qui les modifient. Dès lors, l’hypothèse d’une remise en cause soudaine et sans justification du droit du sol – à quoi revient finalement votre proposition – n’est pas établie.

M. Philippe Dunoyer. D’autant plus qu’en vertu de l’article 34 de la Constitution, les règles concernant la nationalité relèvent de la loi.

M. Jean-Hugues Ratenon. Vos arguments, monsieur le rapporteur général, nous ont convaincus de retirer l’amendement pour le réécrire en vue de la séance publique.

L’amendement est retiré.

La Commission passe à l’amendement CL800 de M. Bastien Lachaud.

Mme Danièle Obono. Cet amendement vise à renforcer le droit au logement en ajoutant l’alinéa suivant au préambule de la Constitution : « Le logement est une condition indispensable de l’épanouissement de chacune et chacun. Le droit à un logement digne et pérenne est inaliénable et nul ne peut en être privé, quelle que soit sa condition. L’autorité publique est garante de ce droit et met l’ensemble des moyens dont elle dispose pour le faire respecter ».

En l’état, la mention qui est faite de ce droit fondamental et constitutionnel est insuffisante : il n’est qu’à voir les statistiques du mal-logement et du nombre de personnes sans domicile fixe. Selon nous, la Constitution doit garantir que tous les citoyens et citoyennes doivent pouvoir être logés de manière décente.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Le droit au logement fait déjà l’objet d’une reconnaissance constitutionnelle : les alinéas 10 et 11 du préambule de 1946 prévoient que « la Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement » et qu’elle « garantit à tous […] la sécurité matérielle ». En outre, dans sa décision du 19 janvier 1995, le Conseil constitutionnel a considéré que « la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent est un objectif de valeur constitutionnelle ».

Il ne semble donc pas opportun d’aller plus loin, a fortiori dans les termes que vous proposez, car le droit au logement doit être concilié avec d’autres libertés et droits fondamentaux. De surcroît, cela ne relève pas de la mission du constituant mais plutôt de celle du législateur, notamment dans le cadre de lois relatives au droit opposable au logement et à l’habitat digne. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CL809 de M. Bastien Lachaud.

Mme Danièle Obono. Cet amendement vise à préciser dans le préambule de la Constitution que le droit à l’instruction et à la formation tout au long de la vie est égal sur tous les territoires de la République, et que l’État assure la gratuité de tous les éléments qui entourent et conditionnent la scolarité. Étant donné les énormes disparités qui existent dans le système scolaire, il faut graver cet objectif dans le marbre afin que l’État prenne en charge tous les éléments constitutifs de l’instruction et de la formation pour assurer l’égalité entre tous les citoyens et citoyennes. Je ne doute pas que cet amendement corresponde à une volonté largement partagée dans cette assemblée.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Au fond, l’objet de cet amendement consiste à constitutionnaliser la gratuité de l’école. Or, le préambule de 1946 qui, je le répète, fait partie intégrante du bloc de constitutionnalité au même titre que celui de 1958, prévoit déjà explicitement que « la Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction » et que « l’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous degrés est un devoir de l’État ». Votre proposition est donc satisfaite, et une telle consécration dans la Constitution ne semble pas nécessaire. Certes, des progrès doivent être accomplis en matière d’égal accès à l’école et à la formation, mais c’est à travers des dispositions autres que constitutionnelles et de politiques publiques ambitieuses que nous y parviendrons. J’émets donc un avis défavorable à cet amendement – même si, sur le fond, je conviens que des progrès restent à faire.

La Commission rejette l’amendement.

[Article 1er de la Constitution]

La Commission est saisie de l’amendement CL1421 de M. Paul-André Colombani.

M. Paul-André Colombani. Cet amendement vise à réécrire non plus le préambule mais l’article 1er de la Constitution dans une perspective europhile, girondine et écologique. Il affirme tout d’abord que la France est une République membre de l’Union européenne et que son organisation est dévolutive, conformément au principe de subsidiarité. Ce libellé s’inscrit dans la perspective fédéraliste des États-Unis d’Europe, chère à Victor Hugo.

Ensuite, l’amendement distingue entre les trois éléments qui composent la République : la société civile, l’État et les collectivités territoriales. La dimension écologique de la République est affirmée et la référence à la race est supprimée – car il n’existe qu’une seule race humaine. S’y ajoute la dimension méritocratique de la République, dont l’ascenseur social est un élément fondamental – même s’il est sans doute en panne en ce moment. Enfin, il est fait mention de l’obligation de conformité des cultes et opinions religieuses aux valeurs républicaines.

M. Marc Fesneau, rapporteur. La définition des grands principes de la République tels qu’ils figurent à l’article 1er de la Constitution ne doivent être modifiés qu’avec la plus grande prudence. Ils sont le fruit d’une longue histoire ; toute modification terminologique emporte donc des conséquences lourdes.

Or la réécriture du premier alinéa que vous proposez remet en cause bon nombre de ces principes, en particulier l’indivisibilité de la République – de ce point de vue, je vous accorde une forme de constance, que je partage d’ailleurs, même si nos points de vue diffèrent.

Par ailleurs, l’ancrage européen est déjà pris en compte dans la Constitution, tout comme l’engagement en faveur de l’environnement. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CL1054 de M. Michel Castellani.

M. Michel Castellani. L’article 1er de la Constitution définit la France comme une « République indivisible, laïque, démocratique et sociale ». Nous suggérons d’y ajouter le terme « unie ». La notion d’unicité est complémentaire de celle d’indivisibilité et traduit l’idée de souveraineté commune exercée via l’État par des peuples différents qui ont fait le choix de s’unir.

Mon amendement précise par ailleurs la notion de décentralisation : unicité, indivisibilité et déconcentration seraient ainsi consacrées comme principes de base – à l’image de la Constitution italienne dont l’article 5 précise que la République, une et indivisible, reconnaît et favorise les autonomies locales. En outre, l’amendement reprend la notion de citoyenneté européenne figurant dans le traité de Maastricht, qui suppose ipso facto un processus d’union dans la diversité.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Vous souhaitez introduire dans l’article 1er la notion d’unicité de la République afin de reconnaître implicitement la diversité des peuples. J’ai déjà eu l’occasion de rappeler notre attachement à l’unité du peuple français – l’unité n’étant pas synonyme d’uniformité. La République est décentralisée et certains territoires disposent déjà d’une large autonomie de compétences ainsi qu’un droit à l’expérimentation, qui sera bientôt transformé en droit à la différenciation, dans une version encore plus aboutie pour l’île de Corse. D’autre part, la diversité s’exprime par la reconnaissance des langues régionales. Il n’en demeure pas moins que la République est une et indivisible, comme le peuple français. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine les amendements identiques CL1075 de M. Michel Castellani et CL1205 de M. Jean-Félix Acquaviva.

M. Michel Castellani. L’amendement CL1075 vise à ajouter l’adjectif « territoriale » après « République » au premier alinéa de l’article 1er de la Constitution. Le principe d’indivisibilité de la République est parfois brandi de manière abusive, et le libellé que nous proposons correspond davantage à la réalité d’une France composée d’identités territoriales plurielles. L’indivisibilité ne doit pas être synonyme d’unicité. En outre, la notion de décentralisation – que nous défendons – est trop restrictive dans la mesure où elle ne porte que sur l’organisation. Nous proposons donc de modifier les principes figurant dans la Constitution afin de reconnaître davantage la diversité territoriale et culturelle de la France.

M. Jean-Félix Acquaviva. Comme l’ont dit plusieurs orateurs ce soir, la République se compose d’identités territoriales plurielles. Ce qui se pense clairement s’énonce aisément et s’écrit tranquillement, d’où la notion de « République territoriale » que nous proposons, par l’amendement CL1205, d’ajouter.

Nous ne sommes et ne serons jamais partisans de la divisibilité de la République, monsieur Fesneau. En revanche, nous sommes des chasseurs de postures concernant les autonomies qui n’en sont pas vraiment dans le droit constitutionnel français et européen. Comme chacun ici, nous défendons des populations et des citoyens ; si nous évoquons l’autonomie, c’est parce qu’elle est le meilleur moyen de répondre aux besoins de la vie quotidienne des gens, notamment en Corse.

Puisque la volonté d’une nouvelle gouvernance et d’une prise en compte des territoires est affichée, nous jugeons opportun de préciser en toutes lettres que la République décentralisée est aussi territoriale, tout en étant indivisible.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Je ne vous ai fait aucun procès en divisibilité, monsieur Acquaviva ; j’ai simplement rappelé que, pour nous, la République est indivisible. Ce qui s’énonce clairement doit aussi se comprendre clairement ; nous pourrons alors avoir un débat serein en dépit des désaccords, étant entendu que je respecte vos points de vue comme vous respectez sans doute les miens.

La République s’incarne dans ses institutions et, naturellement, dans des territoires, sans qu’il soit pour autant nécessaire d’affirmer qu’elle est territoriale. L’article 1er prévoit que son organisation est décentralisée, et je reconnais comme vous sa dimension territoriale. Je serai aussi vigilant que vous à garantir la différenciation territoriale, édifiés comme nous devons l’être par les expériences passées dont il faut aussi tirer les enseignements. Cela étant, cette dimension territoriale est déjà présente dans la Constitution, en particulier au titre XII – nous en reparlerons le moment venu – sans qu’il soit nécessaire d’adopter votre proposition. Avis défavorable aux deux amendements.

La Commission rejette les amendements.

Elle examine l’amendement CL715 de M. Erwan Balanant.

M. Erwan Balanant. Cet amendement vise à consacrer le profond ancrage européen de la République dans la Constitution. La rédaction actuelle ne fait aucune référence à l’Europe : et il faut attendre le titre XV pour que soient envisagés certains aspects juridiques relatifs à l’Union européenne.

En visant à inscrire la dimension européenne de la France à l’article 1er de la Constitution, cet amendement traduit notre attachement profond aux valeurs de démocratie et de liberté, de paix et d’humanisme qu’incarne l’Europe. Il permettra aussi d’envoyer un signal fort à nos partenaires européens en affirmant le rôle central que la France entend jouer dans la construction européenne.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Sans surprise, je rendrai le même avis défavorable que précédemment : si chacun comprend le symbole fort que constituerait l’inscription à l’article 1er de la Constitution de l’ancrage européen de la République, nous n’en partageons pas la nécessité. Encore une fois, le titre XV de la Constitution porte la marque d’une adhésion profonde à l’idée européenne et le Conseil constitutionnel a rappelé la pleine portée normative de l’article 88-1 en évoquant « l’existence d’un ordre juridique communautaire intégré à l’ordre juridique interne » – c’est une disposition très forte. Cette situation produit des obligations constitutionnelles très importantes, notamment l’exigence de conformité avec les principes européens parmi lesquelles figure la Charte des droits fondamentaux de l’Union, qui a la même valeur juridique que les traités européens.

La modification que vous proposez risquerait de faire de la participation de la France à l’Union une partie de l’identité constitutionnelle de la République, empêchant dans certaines circonstances de faire prévaloir nos propres règles constitutionnelles essentielles. C’est aussi la conclusion à laquelle avait abouti le comité naguère présidé par Simone Veil sur la modification du préambule.

M. Erwan Balanant. J’avais écouté le discours que notre bon Président avait prononcé place Saint-Corentin à Quimper, nous demandant d’être des acteurs de l’Europe… Il me semble donc judicieux d’insérer cette mention à cet endroit. Cependant, j’entends également vos arguments, monsieur le rapporteur général.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CL433 de Mme Cécile Untermaier et CL683 de Mme Delphine Batho.

Mme Cécile Untermaier. L’amendement CL433 vise à ajouter l’adjectif « écologique » après le mot « démocratique » dans la première phrase de l’article 1er de la Constitution qui, ainsi que nous l’ont rappelé plusieurs spécialistes du droit de l’environnement, a une place à part, entre le Préambule et les titres. Il comporte des énoncés généraux qui peuvent être considérés comme fondamentaux. Il importe donc de faire de la préservation de l’environnement un principe constitutionnel inscrit dans cet article. Nous défendrons d’autres amendements allant dans le même sens, mais il nous semblait opportun d’insérer à cet endroit cette mention essentielle qui donnera du poids à la Charte de l’environnement et qui aidera le Conseil constitutionnel à régler les contentieux dont il est saisi.

En clair, nous proposons d’affirmer solennellement les responsabilités de la République et du législateur en matière de préservation de l’environnement et de diversité biologique.

Mme Delphine Batho. L’amendement CL683, que j’ai déjà défendu devant la commission du Développement durable, vise à insérer le terme « Écologique » à la fin de la première phrase de l’article 1er de la Constitution, afin de faire entrer cette notion dans l’identité de la République française en allant au bout du chemin emprunté en 2004 lors de l’adoption de la Charte de l’environnement. Nous examinerons aux alinéas suivants de l’article le contenu que nous entendons donner à la notion de République écologique, mais il est important que le terme soit employé d’emblée, dès le premier alinéa.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Nous avons hésité à employer le terme « écologique » à l’article 1er, mais il nous est apparu que ce n’était pas adapté, pour deux raisons majeures.

D’une part, cet adjectif est trop flou et ne possède pas de consistance précise lui permettant d’être érigé en principe fondamental au premier alinéa du premier article de la Constitution, qui fonde notre République.

D’autre part, nous avons fait un choix différent en inscrivant à l’article 1er une exigence beaucoup plus explicite – car contrairement à vous, madame Batho, nous estimons que ce choix est exclusif de votre proposition – et plus précise sur laquelle le juge constitutionnel pourra s’appuyer et qui emporterait ainsi des conséquences juridiques. Nous souhaitons donc inscrire à l’article 1er les objectifs de défense de l’environnement et de la biodiversité et de lutte contre le changement climatique, qui nous paraissent mieux adaptés pour faire respecter ces principes. Avis défavorable.

Mme Delphine Batho. Le terme « écologique » est précis : il figure dans le titre d’un ministère de la République depuis de nombreuses années ainsi que dans l’intitulé d’une politique publique, entre autres.

En réalité, la première phrase de l’article 1er est politique. Elle s’est enrichie des différents combats qui ont jalonné l’histoire de France : le combat pour la démocratie, le combat pour la laïcité, le combat social et le mouvement ouvrier – la République est donc « laïque, démocratique et sociale ». Depuis les années 1960 et 1970, le mouvement politique de l’écologie a conduit à des avancées constitutionnelles. C’est pourquoi l’affirmation politique de ce principe doit figurer dans la première phrase de l’article 1er de la Constitution.

Votre argumentaire, madame la rapporteure, ne tient pas debout : l’emploi du terme « laïque » dans la première phrase n’empêche pas de préciser que la République assure l’égalité de tous « sans distinction de religion » et qu’elle « respecte toutes les croyances ». L’emploi du terme « écologique » dans la première phrase n’empêche donc aucunement de revenir dans les phrases suivantes sur la teneur de cette notion – qui correspond à celle de la Charte de l’environnement améliorée. Cette mention est importante non seulement en tant que symbole, mais également en tant qu’acte politique touchant à ce qu’est l’identité de la République française à l’ère anthropocène.

Mme Cécile Untermaier. Le terme « écologique » est précis. L’emploi en 1946 de la formule « dignité de la personne humaine », pourtant floue et générale, s’est traduit par des effets juridiques. Le sens des termes « démocratique » et « écologique » est parfaitement compréhensible.

Cela étant, j’ai déposé cet amendement car j’étais très incertaine des avancées que le Gouvernement – puisque c’est avant tout lui qui donne son feu vert – pouvait consentir dans ce domaine. C’est parce que nous pourrons discuter plus en détail des termes à employer dans cet article 1er – le ou les changements climatiques, la biodiversité ou la diversité biologique, le droit à l’environnement – que j’accepte de retirer mon amendement.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Je vous remercie et je comprends le processus qui vous a conduite à déposer cet amendement. Nous aussi avons cheminé dans notre raisonnement : nous nous étions d’abord interrogés sur l’article 34 avant de préférer l’article 1er, afin de donner à cette notion une véritable portée juridique. Nous reparlerons de ce travail collectif accompli entre votre proposition, la nôtre et celle du Gouvernement.

J’entends l’argument du symbole, mais nous devons avant tout nous employer à rédiger un article efficace sur lequel le juge constitutionnel pourra réellement s’appuyer. Je vous remercie une nouvelle fois, madame Untermaier, d’accepter de retirer votre amendement. La version de l’article 1er que nous proposons – même si nous débattrons de la terminologie précise à employer – me semble déjà beaucoup plus aboutie au regard des objectifs que vous défendez.

L’amendement CL433 est retiré.

La Commission rejette l’amendement CL683.

M. Stéphane Mazars, président. Nous allons suspendre nos travaux ; nous les reprendrons demain à neuf heures et demie.

2.   Première réunion du mercredi 27 juin 2018 à 9 heures 30 (avant l’article 1er, suite)

Lien vidéo :

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.6306132_5b333c1c0a6d4.commission-des-lois--pour-une-democratie-plus-representative-responsable-et-efficace-suite-avan-27-juin-2018

Avant l’article 1er (suite)

[Article 1er de la Constitution, suite]

La Commission est saisie de lamendement CL998 de M. Sébastien Jumel.

M. Sébastien Jumel. L’article 1er de la Constitution dispose que « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale » ; nous proposons de remplacer les mots : « et sociale », par les mots : « , sociale et solidaire ».

Il ne s’agit pas d’une clause de style. Nous entendons graver ainsi dans le marbre de la Constitution l’attachement du peuple français, dans sa diversité, à son modèle social solidaire. Je pense aux principes qui ont inspiré Ambroise Croizat lors de la création de la Sécurité sociale ou à notre système de retraite par répartition, bref : à ce qui fait l’originalité de notre pays en matière de protection sociale. L’adoption de cet amendement serait un signal important, au moment où l’avenir de notre protection sociale et de notre système de retraite par répartition suscite quelques inquiétudes.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Nous partageons, bien entendu, les motifs exposés par notre collègue. Mais l’article 1er de la Constitution dispose déjà que la République est « sociale », renvoyant ainsi notamment aux droits sociaux qui figurent dans le Préambule de 1946 et qui font partie intégrante du bloc de constitutionnalité. En outre, je rappelle que notre devise nationale comprend, et l’égalité et la fraternité. Dès lors, il me semble, monsieur Jumel, que votre amendement est largement satisfait. Avis défavorable.

M. Sébastien Jumel. Je ne suis pas convaincu par les propos du rapporteur général. En France, un « pognon de dingue » serait dépensé, dit-on, pour la solidarité. Or, il peut l’être sans que soient respectées la péréquation ni la répartition. Qualifier la République de sociale a permis de graver dans le marbre les droits sociaux que les constituants avaient inscrits, dans le sang et les larmes, à la Libération, dans le Préambule de la Constitution de 1946. Ajouter qu’elle est également solidaire renforce un peu plus la préservation de ces droits, en faisant référence au mécanisme de solidarité nationale qui préside à leur élaboration et à leur financement.

La Commission rejette lamendement.

Elle examine ensuite, en discussion commune, lamendement CL1381 de M. Gaël Le Bohec et les amendements identiques CL389 de M. Emmanuel Maquet et CL1322 de Mme Isabelle Florennes.

M. Gaël Le Bohec. L’amendement CL1381 vise à simplifier la rédaction de l’article 1er en supprimant, après le mot « tous », la fin de la deuxième phrase. En effet, mentionner les citoyens revient à exclure les personnes privées de leurs droits politiques, notamment les mineurs, les personnes déchues de la citoyenneté ou les migrants.

M. Emmanuel Maquet. L’amendement CL389 tend à supprimer, à l’article 1er, la mention : « sans distinction dorigine, de race ou de religion ». La proclamation de l’égalité de tous les citoyens devant la loi n’en sera que plus générale, sans que le droit y perde quelque garantie que ce soit.

Mme Isabelle Florennes. L’amendement CL1322 a le même objectif que les deux précédents.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Nous pouvons débattre de la pertinence du maintien du mot « race » dans la Constitution – je vous proposerai, du reste, une avancée dans ce domaine, dans quelques instants. Cependant, la référence aux distinctions fondées sur l’origine et la religion que vous proposez de supprimer me semble nécessaire. En effet, la rédaction de l’article 1er n’a pas pour objet de circonscrire le principe d’égalité aux seuls individus citoyens ni d’interdire seulement la distinction fondée sur l’origine ou la religion. Ce principe est plus généralement protégé par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Cette rédaction doit être interprétée à la lumière de l’objet même de l’article 1er, qui dispose que seuls les individus sont titulaires de droits égaux et que la République ignore tous les groupes qui, par leur nature, introduiraient des discriminations entre les personnes. Il s’agit donc surtout d’une définition de la conception française de la démocratie – à rapprocher de son caractère laïque –, qui n’admet pas de distinction en fonction de ce que les citoyens sont ou de ce en quoi ils croient. Pour ces raisons, avis défavorable.

M. Sacha Houlié. Nous allons examiner tout à l’heure un amendement visant à supprimer le mot « race » de la Constitution ; ce toilettage est nécessaire et salutaire. En revanche, l’adoption de ces amendements reviendrait à nier l’existence de distinctions, et donc à affirmer une égalité formelle. Or, celle-ci est contraire non seulement à la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui, dans une décision du 12 juillet 1979, a jugé que des situations différentes pouvaient être réglées de manière différente, mais aussi au principe, qui nous est cher, de l’égalité réelle, théorisée par Edgar Morin et reprise en 2004 par Dominique Strauss-Kahn, principe selon lequel on peut précisément faire plus pour ceux qui ont des besoins plus importants.

M. Gaël Le Bohec. Toute jurisprudence est mouvante et évolutive. En outre, on ne pourra jamais mentionner de manière exhaustive l’ensemble des distinctions, lesquelles peuvent être également fondées sur la religion ou l’orientation sexuelle, par exemple, qui ne figurent pas dans la Constitution. Mon amendement a précisément pour objet d’éviter d’entrer dans ces détails.

Mme Isabelle Florennes. J’entends les arguments du rapporteur général. Je crois important que nous ayons un débat sur le mot « race », qui pose problème. En attendant, je retire mon amendement.

Lamendement CL1322 est retiré.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Il ne faut pas se méprendre. Beaucoup de politiques publiques actuelles relèvent de la discrimination positive. En affirmant que la loi doit assurer une égalité parfaite sans aucune distinction de quelque nature que ce soit, nous prendrions le risque inutile que le Conseil constitutionnel ait de cet alinéa une lecture extrêmement restrictive et qu’il juge toute politique incitative ou destinée à une catégorie particulière contraire au principe d’égalité. Plus on est économe de mots, mieux c’est. Mais veillons à ce que cette sobriété ne soit pas source de désordres futurs.

La Commission rejette successivement les amendements CL1381 et CL389.

Elle en vient à lexamen, en discussion commune, des amendements CL1373 de Mme Stella Dupont et CL494 de Mme Isabelle Rauch.

Mme Stella Dupont. L’amendement CL1373 tend à ajouter, à l’article 1er, le mot « citoyennes » après le mot « citoyens », afin de rappeler que l’égalité devant la loi concerne les unes et les autres. Utiliser le masculin et le féminin, c’est inclure les femmes autant que les hommes et lutter contre les stéréotypes, souvent inconscients. Face à des inégalités criantes qui persistent malgré des actions variées et complémentaires, il faut agir au plan des symboles. Or, les termes employés dans la Constitution font partie de ces symboles et de l’inconscient collectif. Il convient donc de les modifier pour donner plus de force à l’égalité réelle. Il s’agit là, je le précise, d’une recommandation formulée par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, dans son avis intitulé : « Pour une Constitution garante de légalité femmes-hommes ».

Mme Isabelle Rauch. L’amendement CL494 vise à adapter, non pas le contenu de la Constitution mais sa rédaction, conformément à la Convention d’engagement signée par l’Assemblée nationale le 8 mars dernier, et ce en s’inspirant de la circulaire du Premier ministre de novembre 2017 relative à la féminisation des fonctions. En effet, le neutre n’existe pas dans la langue française. Or, l’usage exclusif du masculin pour définir ou citer l’ensemble des fonctions visées par la Constitution crée de facto un effet symbolique d’éviction ou d’invisibilité des femmes, notamment de celles qui pourraient prétendre à ces fonctions ou qui les occupent.

Il ne s’agit pas, comme la presse l’a trop rapidement affirmé, d’appliquer à la Constitution les règles de l’écriture inclusive. L’objet de cet amendement est beaucoup plus pragmatique et modeste, puisqu’il vise à ajouter, dans la Constitution, la féminisation de l’ensemble des fonctions et titres mentionnés, précédée des termes « ou » ou « et » selon la nature de l’alinéa. Ainsi, je propose que soit utilisée la terminologie : « le Président ou la Présidente de la République ».

Les femmes occupent actuellement, en plus grand nombre, des responsabilités plus importantes, et c’est heureux. Il s’agit de prendre ce fait en considération en modernisant notre loi fondamentale, sans en modifier l’esprit ou en alourdir excessivement la rédaction. Quelques jours avant l’entrée de Simone Veil au Panthéon, il est temps de faire entrer les femmes dans la Constitution !

Dans sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, Olympe de Gouges dénonçait déjà l’« invisibilisation » des femmes dans le droit. Comme Mme Stella Dupont l’a rappelé, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes recommande cette féminisation. En somme, je propose simplement que nous contribuions à rendre les femmes plus visibles.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Sont visés, à l’article 1er, les citoyens au sens générique et abstrait du terme, incluant hommes et femmes.

Nous sommes toutes et tous, plus que jamais, attachés à l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, mais il me semble que les mots que l’amendement CL494 vise à féminiser revêtent, dans l’esprit de la langue et dans celui de la Constitution, un caractère abstrait, ne préjugeant ni du sexe ni du genre de la personne visée. L’évolution proposée risquerait, de surcroît, d’alourdir la rédaction du texte de notre loi fondamentale. Le combat pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes passe, bien entendu, par des symboles, mais aussi, et surtout, par la défense de principes exigeants et par leur mise en œuvre effective. Il me semble, du reste, que l’augmentation du nombre des femmes dans cette assemblée et l’accroissement de leurs responsabilités ont été possibles sans que la Constitution soit féminisée.

Enfin, permettez-moi de dire qu’il n’est pas forcément légitime de lier l’entrée de Simone Veil au Panthéon à ces dispositions, car la Nation va lui témoigner sa reconnaissance pour l’ensemble de l’œuvre qu’elle a accomplie. Quant à l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, elle demeure un combat d’avenir qui nous incombe à tous et que nous ne devons pas mener seulement in memoriam.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. J’ajoute que, plus que jamais sous cette législature, les femmes peuvent assumer des responsabilités politiques. Libre à elles de féminiser leur titre. Ainsi, je suis bien la présidente de la commission des Lois, et non son président, même si, dans le Règlement de notre assemblée, ce titre ne figure qu’au masculin. Je suis fermement convaincue que ce que l’on fait importe au moins autant que ce que l’on écrit, et je ne me sens absolument pas exclue lorsque je lis, dans la Constitution, les mots « citoyens » ou « Président ». Je me sens bien incluse !

M. Erwan Balanant. Faire l’effort intellectuel de féminiser la Constitution n’est pas inutile. Je vous invite à lire les travaux du Haut Conseil à l’égalité entre les hommes et les femmes dont la proposition de réécriture de la Constitution est intéressante – hormis, peut-être, la maladresse qui consiste à vouloir remplacer, dans la devise républicaine, « fraternité » par « adelphité ». Il me semble en effet de bon sens de conserver « Liberté, égalité, fraternité ».

Pour l’anecdote, soucieux de son éducation civique, j’ai donné à lire à ma fille de huit ans le titre II de la Constitution. Elle n’y a pas compris grand-chose, mais elle m’a demandé pourquoi il ne pouvait y avoir que des présidents. Pour un enfant, lire « le Président », et non « le Président ou la Présidente », cela a un sens. Il faudrait donc que nous fassions, un jour, si ce n’est aujourd’hui, l’effort de féminiser notre Constitution.

M. Sébastien Jumel. À force de refuser que la Constitution soit bavarde, nous risquons de la rendre muette. Notre rôle est de préciser la loi fondamentale. Dès lors, je comprends mal votre posture réactionnaire, ou conservatrice, monsieur le rapporteur général. La Délégation aux droits des femmes a réfléchi à ce sujet ; elle défend des propositions consensuelles et intelligentes, frappées du sceau de la modernité que vous semblez vouloir incarner. Allons-y ! « En marche » !

M. Aurélien Pradié. La Constitution ne s’adresse pas aux enfants, elle s’adresse aux citoyens. Un jour, cher collègue Balanant, votre petite fille sera une citoyenne – cela n’est pas inné ; cela se travaille, se construit, avec l’aide des parents notamment. Elle comprendra alors que ce n’est pas parce que le mot « Président » figure dans la Constitution que celle-ci ne s’adresse qu’aux hommes.

Je ne suis pas certain que ce soit un combat de ce type que Simone Veil a mené. Je ne veux pas parler à sa place, et personne ici ne devrait se risquer à le faire, mais elle s’est battue pour que tout le monde, homme ou femme, ait une place dans la société. La Constitution est le texte fondateur qui fait société et, comme le dit le rapporteur général, il y a un danger immense à vouloir dissocier, dans ce socle fondateur, des pans entiers de notre société. Je n’ai pas connu l’époque des grands combats féministes mais, d’après ce que j’ai pu en lire, les grandes femmes qui les ont menés, en tout cas celles d’entre elles qui étaient vraiment féministes, ne se sont jamais revendiquées citoyennes de la République seulement parce qu’elles étaient des femmes.

Si la République est efficace, votre fille comprendra, dans quelques années, comment est écrite la Constitution, et elle deviendra une véritable citoyenne.

Mme Danièle Obono. Nous sommes favorables à ce type d’amendements ; nous en avons d’ailleurs déposé un dans le même esprit. Toutes et tous, nous nous référons à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, mais il y a des pans entiers de la société dont celle-ci ne tient pas compte. C’est du reste la raison pour laquelle elle a été complétée par d’autres textes tels que le Préambule de la Constitution de 1946, qui étend notamment les droits fondamentaux à des catégories qui avaient été ignorées en 1789. Je ne crois donc pas que ces amendements méconnaissent notre tradition constitutionnelle ; il me semble, au contraire, qu’ils s’inscrivent dans une longue lignée.

Monsieur Pradié, il ne faut pas parler de la lutte pour les droits des femmes au passé. Vous avez, aujourd’hui même, l’occasion de participer à cette grande lutte pour l’émancipation qu’est le combat féministe. Celui-ci nous a appris, du reste, qu’il ne fallait pas parler à la place des femmes ni distinguer celles qui seraient prétendument de vraies féministes de celles qui ne le seraient pas. Ne refusez pas d’entendre les revendications de ce mouvement en faveur de la visibilité des hommes et des femmes dans les textes fondamentaux.

M. François Ruffin. J’estime que la bataille doit être menée dans les faits et au niveau des mots. La lutte contre la féminisation excessive des emplois de service ou pour l’égalité entre les hommes et les femmes en matière de congé parental, qui a été rejetée dernièrement, ne peut pas être dissociée d’un combat qui porte sur les mots. À l’heure de la modification de la Constitution, il me paraît donc nécessaire d’envoyer un signal en ce sens. Je ne dis pas qu’il faille aller jusqu’à appliquer l’écriture inclusive, mais quel signal de l’amélioration de la reconnaissance de la place des femmes dans la vie politique et citoyenne pouvez-vous envoyer ?

À cet égard, notre histoire n’est pas très glorieuse : le droit de vote n’a été accordé aux femmes que très tardivement, et il a fallu une loi sur la parité pour favoriser leur entrée dans la vie politique… Le combat sur les mots ne doit pas remplacer le combat sur les choses, mais une évolution de la loi fondamentale me semble nécessaire. Pourtant, je ne lis pas la Constitution à ma fille, et j’ignore si cette lecture pourrait briser ses ambitions présidentielles…

M. Éric Diard. La féminisation ne me pose pas de problème. J’ai la chance d’avoir une mère qui a été une véritable « mater familias ». Résistante, elle a obtenu un doctorat d’État à la fin des années 1940, elle pilotait un planeur à l’âge de dix-huit ans et elle a été directrice d’hôpital pendant des années. Elle tient toujours la maison, et nous sommes très fiers d’elle. Toutefois, il ne faut pas confondre sens de l’histoire et air du temps.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Je veux dire, tout d’abord, à notre excellent collègue Jumel que ce n’est pas parce que je ne suis pas d’accord avec lui que je suis forcément réactionnaire ou conservateur. Nous sommes tous le conservateur et le réactionnaire de quelqu’un !

On cherche des signes, mais regardez : les députées, les présidentes, les rapporteures sont là ! Les meilleurs signes sont ceux qui s’incarnent dans la réalité politique.

La Commission rejette successivement les amendements CL1373 et CL494.

Elle est ensuite saisie de lamendement CL901 de M. Jean-Luc Warsmann.

M. Jean-Luc Warsmann. Pour mettre fin au débat que nous avons depuis des années sur le mot « race », nous proposons, par cet amendement, de remplacer les mots : « distinction dorigine, de race ou de religion » par le mot : « discrimination ».

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Le principe général d’égalité devant la loi figure également dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui garantit déjà le caractère inconstitutionnel de toute forme de discrimination. Il ne nous paraît donc pas nécessaire d’adopter cet amendement. Défavorable.

La Commission rejette lamendement.

Article additionnel avant l’article 1er
(art. 1er de la Constitution)
Prohibition des discriminations fondées sur le sexe

La Commission examine les amendements identiques CL1516 du rapporteur général, CL406 de Mme Marie-Pierre Rixain et CL1419 de M. Fabien Gouttefarde.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Les initiatives ont été nombreuses pour renforcer la protection et la proclamation constitutionnelles de l’égalité entre les sexes. C’est la raison pour laquelle l’ensemble des rapporteurs vous proposent, par l’amendement CL1516, d’ajouter la mention du sexe dans la liste des distinctions dont la loi ne saurait tenir compte. Il s’agit d’affirmer l’égalité de tous les citoyens devant la loi et de lutter contre toute discrimination entre les femmes et les hommes. Cet amendement n’est pas symbolique. Il ne s’agit pas d’un signe parmi d’autres, mais de l’affirmation au plan constitutionnel que toute distinction fondée sur le sexe ne saurait justifier une rupture du principe d’égalité devant la loi.

Mme Isabelle Rauch. L’amendement CL406 est défendu. Je tiens à saluer le travail accompli par la délégation aux droits des femmes et remercier le rapporteur général pour son amendement.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Je dois en effet souligner que, sans le travail de la Délégation aux droits des femmes, cette idée ne nous serait sans doute pas venue à l’esprit. Qu’elle en soit donc remerciée !

La Commission adopte les amendements (amendement  326).

Avant l’article 1er (suite)

La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL1237 de M. JeanFélix Acquaviva et CL1055 de M. Michel Castellani.

M. Jean-Félix Acquaviva. Il s’agit de reconnaître que, si les discriminations peuvent être d’ordre racial, sexuel ou religieux, elles peuvent également être d’ordre territorial ou géographique. Hélas, ces dernières sont très peu condamnées par les juges, dans la mesure où elles visent des populations qui ne sont pas reconnues juridiquement en tant que telles. Pourtant, ces populations sont la cible de propos ou d’articles de presse largement condamnables. Avec l’avènement des réseaux sociaux, les exemples sont légion ! Des observatoires se sont même créés dans certaines régions pour intenter des actions en justice, mais celles-ci n’ont pu aller à leur terme pour des raisons juridiques. La déconsidération de ces groupes se traduit par des discriminations à l’embauche, dont les personnes vivant dans les quartiers sensibles des grandes villes sont les premières victimes. Nous proposons donc, par l’amendement CL1237, de mentionner ce type de discriminations dans la Constitution afin que ces faits puissent avoir des suites judiciaires et que le respect de l’origine géographique ou territoriale des individus soit garanti.

M. Michel Castellani. Nous souhaitons qu’il soit précisé dans la Constitution que la République assure l’égalité devant la loi sans distinction d’origine géographique ou territoriale. On sait en effet que l’origine géographique peut être source de discriminations. L’Assemblée de Corse a ainsi voté, en réponse à un article inadmissible, une motion affirmant qu’il n’existe aucune supériorité ou infériorité d’une culture, d’un groupe ou d’une minorité nationale, religieuse ou autre par rapport à une autre culture, un autre groupe ou une autre minorité.

M. Marc Fesneau, rapporteur. En l’état, l’article 1er de la Constitution, combiné aux dispositions de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et du Préambule de 1946, garantit déjà le principe d’égalité devant la loi sans distinction d’origine géographique ou territoriale. La notion d’origine est en effet suffisamment générale pour viser une pluralité de situations, et toute forme de discrimination par la loi, de quelque nature qu’elle soit, est déjà prohibée. J’ajoute que ces amendements auraient pour conséquence, pour le premier, d’établir une hiérarchie entre les distinctions d’origine et, pour le second, de restreindre le sens du mot « origine ». Avis défavorable.

M. Jean-Félix Acquaviva. J’entends les arguments du rapporteur mais, dans ce cas, il faut m’expliquer pourquoi les tribunaux ne peuvent pas poursuivre des individus qui commettent des actes de racisme patentés contre des personnes d’origine corse, bretonne ou autre ! Nous voulons que le droit des citoyens de se défendre devant les tribunaux soit garanti. Or, actuellement, il ne l’est pas, au motif que les populations concernées ne sont pas reconnues en tant que groupes.

M. Sébastien Jumel. Nous soutiendrons ces amendements de nos amis corses, car nous savons à quel point, outre-mer et dans de nombreuses régions, cette stigmatisation territoriale est source de discriminations à l’embauche ou dans le cadre des études supérieures. Les chances ne sont en effet pas les mêmes selon le lycée où l’on a été scolarisé. Au moment où la République veut être partout et pour tous, il me semble légitime d’inscrire la discrimination territoriale dans la Constitution. Si les amendements sont mal rédigés, il appartient au rapporteur de déposer un sous-amendement rédactionnel. L’important est que l’objectif fasse consensus.

M. Paul Molac. Un certain nombre d’articles tomberaient sous le coup de la loi si l’on y substituait le mot « Noir » aux mots « Corse » ou « Breton ». Je ne sais pas quelle est la solution, mais il est vrai que les tribunaux refusent de poursuivre dès lors que les personnes visées n’appartiennent pas à une race. Cela nous paraît discriminatoire.

M. Bastien Lachaud. Je soutiens, à mon tour, cet amendement. En tant qu’élu de Pantin et d’Aubervilliers, je suis régulièrement confronté à ce type de situations. À qualifications égales, les jeunes qui habitent à Aubervilliers, dans un quartier particulier, ont moins de chance de trouver un emploi. Quant aux lycéens qui viennent du « 9-3 », ils sont victimes de discriminations dans le cadre de Parcoursup et ont le plus grand mal à accéder aux universités parisiennes. Ces faits démontrent l’existence de réelles discriminations et stigmatisations. Il n’est pas besoin d’aller en Corse ou en Bretagne pour les constater : elles existent aux portes de Paris.

M. Michel Castellani. Je tiens à rappeler que, dans un arrêt du 3 décembre 2002, la Cour de cassation a jugé qu’un article horrible, intitulé « Vingt-deux raisons de dire merde à un Corse », n’était pas discriminatoire. Si nos amendements étaient adoptés, des arrêts de ce type ne seraient plus possibles.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Nous considérons que, tels qu’ils sont rédigés, ces amendements conduiraient à établir une hiérarchie parmi les distinctions.

M. Jean-Félix Acquaviva. Non !

M. Bastien Lachaud. C’est un argument fallacieux !

La Commission rejette successivement les amendements CL1237 et CL1055.

Article additionnel avant l’article 1er
(art. 1er de la Constitution)
Suppression du mot « race » de la Constitution

La Commission aborde lexamen, en discussion commune, des amendements CL845, CL849 et CL841 de Mme Hélène Vainqueur-Christophe, des amendements identiques CL42 de M. MJid El Guerrab, CL874 de M. Charles de Courson, CL1076 de M. Michel Castellani et CL1235 de M. Jean-Félix Acquaviva, des amendements identiques CL241 de M. JeanFrançois Eliaou, CL607 de M. Philippe Dunoyer, CL838 de Mme Hélène VainqueurChristophe, CL847 de M. Sacha Houlié, CL920 de Mme Huguette Bello et CL1323 de Mme Isabelle Florennes, et des amendements identiques CL424 de Mme Cécile Untermaier et CL1017 de Mme Hélène Vainqueur-Christophe.

Mme Hélène Vainqueur-Christophe. L’amendement CL845 a pour objet de supprimer le mot « race » de notre Constitution, qui consacre en effet l’usage d’un terme dont l’application à l’espèce humaine est non seulement fausse mais surtout choquante et dangereuse. Utilisé pour signifier la différence entre les groupes humains, ce terme s’attache à des caractères apparents, le plus souvent visibles. En tout état de cause, le concept biologique de « race » n’est pas opérant pour l’espèce humaine, comme le reconnaissent l’ensemble des scientifiques. Supprimer le support qu’est le mot ne supprime évidemment pas le discours mais lui ôte la légitimité qu’il pourrait puiser dans la loi fondamentale. En effet, lorsque la Constitution interdit à la loi d’établir une distinction selon « la race », elle légitime paradoxalement l’opinion selon laquelle il existe des races humaines distinctes.

Même si ce terme avait une importance juridique dans notre arsenal législatif, sa suppression n’entraînerait aucune régression de notre droit puisque tout juge peut et doit appliquer l’ensemble de celui-ci, au sommet duquel figure le bloc de constitutionnalité. Ainsi, si la suppression de ce terme dans l’article 1er avait l’inconvénient de réduire l’arsenal antiraciste de notre droit, le bloc de constitutionnalité, dont font notamment partie le Préambule de 1946 et la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen depuis la décision du Conseil constitutionnel de 1971 relative à la liberté d’association, permettrait de se prémunir contre toute régression juridique. De plus, le juge pourrait toujours se fonder sur les dispositions figurant dans des textes de valeur supra législative, c’est-à-dire le bloc de constitutionnalité et le droit international, dont la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), pour incriminer un acte à caractère raciste.

Enfin, pour être certain que cette suppression n’entraîne pas de régression dans la lutte contre le racisme, il est proposé de remplacer le mot « origine » par le mot « origines ». Le pluriel permet en effet d’incriminer toutes les sortes de discrimination, qu’elles soient liées à l’origine ethnique, génétique ou culturelle. En outre, afin d’affirmer le principe de non-discrimination entre les femmes et les hommes, nous proposons d’ajouter, après le mot : « origines », le mot : « sexe ».

Mes deux amendements suivants déclinent des solutions de substitution. L’un prévoit d’inscrire « dorigines, de genre » et l’autre « dorigines » dans le premier alinéa de l’article 1er de la Constitution.

M. MJid El Guerrab. Par le biais de cet amendement CL42, il s’agit de retirer de l’article 1er de la Constitution le mot « race », trop connoté car témoignant du passé colonial de notre pays et ne reposant sur aucun fondement scientifique.

L’idée de supprimer ce mot de l’ordre juridique a été défendue à plusieurs reprises dans l’enceinte du Parlement. Les précédents datent des débats sur le projet de loi relatif à la répression des crimes et délits contre les personnes, puis des discussions sur la révision constitutionnelle relative à la décentralisation, ou encore de l’examen de la proposition de loi visant à aggraver les peines punissant les infractions à caractère raciste, antisémite ou xénophobe. Enfin, la proposition de loi tendant à la suppression du mot « race » de notre législation avait été portée en 2012 par le président André Chassaigne et le groupe de la Gauche démocrate et républicaine (GDR). Ces tentatives n’ont, malheureusement, pas été couronnées de succès.

Les lointaines racines de ce terme dans l’ordre juridique remontent au Code noir, promulgué en 1685, qui organisait les rapports des blancs avec les noirs et, plus largement, les peuples colonisés. Le terme « race » n’est apparu que tardivement en droit français par le biais de la loi dite Marchandeau du 21 avril 1939. C’est la législation antisémite de Vichy qui érigea la race en catégorie juridique à part entière, les lois du 3 octobre 1940 et du 2 juin 1941 établissant des discriminations en raison de l’appartenance à la race juive.

Je pense qu’il y a moyen de rassembler toutes les tendances politiques en un acte transpartisan afin de supprimer ce mot de notre Constitution.

M. Charles de Courson. Mes chers collègues, la présence du mot « race » dans la Constitution, dès son article 1er, a été interprétée a contrario par beaucoup de commentateurs : si l’on affirme l’égalité entre les êtres sans distinction de race, c’est donc que la Constitution française reconnaît l’existence de races. Or, depuis des années, nous essayons de faire exactement l’inverse dans notre droit. Notre Constitution est incohérente avec l’état du droit. Notre collègue rappelait le fameux décret-loi Marchandeau qui n’était pas du tout raciste mais qui, pour lutter contre l’extrémisme de droite, affirmait que l’on réprimait la diffamation commise par voie de presse « envers un groupe de personnes appartenant par leurs origines à une race ou à une religion déterminée dans le but d’exciter la haine entre les citoyens et les habitants. »

Il ne faut donc pas se contenter de supprimer le mot « race », il faut affirmer l’unicité de l’espèce humaine. Le principe est que l’espèce humaine est unique, même s’il y a des différences entre les uns et les autres. C’est sur cette base que l’on peut lutter contre le racisme.

L’amendement CL874 propose donc de supprimer le mot « race » et d’ajouter, à la fin de la phrase, que la République « affirme l’unicité de l’espèce humaine. » Cela permettrait d’aller au-delà du racisme et de résoudre les difficiles problèmes de bioéthique dont nous aurons à débattre.

M. Michel Castellani. Nous sommes en accord total avec notre collègue de Courson. Nous suggérons de supprimer le terme « race » et de le remplacer par l’affirmation de l’unicité de l’espèce humaine. Le mot « race » apparaît comme un anachronisme et il ne nous semble pas avoir sa place dans la Constitution. Pour nous, il n’y a que des hommes et des femmes, une espèce humaine. C’est cette conception fondamentale qui doit figurer dans la Constitution.

M. Jean-Félix Acquaviva. Mon amendement est identique : il tend à supprimer le mot « race » et à affirmer l’unicité de l’espèce humaine dans la Constitution.

M. Jean-François Eliaou. Je propose aussi de supprimer le mot « race », mais j’aimerais revenir sur les propos de notre collègue de Courson. Je ne suis pas sûr qu’il faille, dans la Constitution française, exprimer des caractéristiques biologiques même si, au niveau biologique, l’espèce humaine ne comprend pas de sous-ensembles qui pourraient être appelés des races.

M. Philippe Gomès. Nous proposons aussi de supprimer ce mot horrible de la Constitution de la République. Il n’a strictement aucun fondement d’aucune nature. Il est temps d’en débarrasser notre texte fondateur où il n’a pas sa place.

Mme Hélène Vainqueur-Christophe. Il n’existe que l’espèce humaine, donc nous demandons la suppression du mot « race » de notre Constitution.

M. Sacha Houlié. Cette unanimité salutaire doit être reconnue.

Cependant, dans d’autres enceintes – pas forcément moins sérieuses que celle-ci –, il y a eu débat sur le fait que le mot « race » puisse persister dans d’autres textes qui sont pris en référence dans le préambule et participent donc au bloc de constitutionnalité. La différence est que notre Constitution est évolutive alors que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et la Convention européenne des droits de l’homme sont, par nature, beaucoup plus figées. La Constitution peut évoluer et s’adapter à notre siècle. On peut en faire disparaître le mot « race », et je salue tous les groupes qui se sont exprimés pour qu’il en soit ainsi.

M. Jacques Marilossian. J’avais déposé l’amendement CL907, que j’ai retiré pour faciliter la discussion. Je tenais néanmoins à rappeler que le décret n° 2017-1230 du 3 août 2017, relatif aux provocations, diffamations et injures non publiques présentant un caractère raciste ou discriminatoire, a supprimé l’usage du mot « race » de l’article R. 625-7 du code pénal pour le remplacer par « prétendue race ». Il me semble que dans les textes où il subsiste, ce mot pourrait être précédé de « prétendue ».

Mme Huguette Bello. Depuis 2003, cet amendement est la troisième tentative des groupes communiste puis GDR de supprimer le mot « race » de la législation français. En cet instant, nous avons une pensée émue pour notre regretté collègue Michel Vaxès qui a plaidé longtemps et inlassablement en faveur de cette suppression. M. Alfred Marie-Jeanne était le rapporteur de notre dernière proposition de loi, celle de 2013. Elle avait été adoptée à une large majorité par notre assemblée.

Je fais ce rappel pour dire à quel point notre conviction sur cette question est ancienne, imperturbable, totale. Les conditions de l’inscription de ce mot dans le Préambule de la Constitution, puis dans la Constitution sont désormais bien établies : subrepticement, en 1946, par le biais d’un amendement de Paul Ramadier ; in extremis, douze ans plus tard, en conseil des ministres. Les raisons de cette inscription sont, elles aussi, abondamment commentées. Je n’y reviendrai pas. Mais s’il est possible, par temps calme, de recourir à la sémantique sur un mode législatif, ce procédé pose problème quand la société accumule les crises. Ne parlons pas de la recherche scientifique dont les progrès confirment chaque jour que la notion de race est totalement dépourvue de fondement scientifique.

La convergence que nous constatons dans cette enceinte en faveur de cette suppression est de bon augure. Elle rencontre les aspirations de la majorité de nos concitoyens.

Mme Isabelle Florennes. Le groupe du Mouvement Démocrate et apparentés (MODEM) a déposé l’amendement CL1323, qui rejoint ceux qui viennent d’être défendus, pour dire tout son attachement à la suppression d’un mot qui correspondait à certaines idées d’après-guerre. Nous pensons souhaitable de le retirer du texte fondateur de nos institutions.

Mme Cécile Untermaier. Nous essayons depuis quelques années de supprimer ce mot de notre Constitution, et je me réjouis de voir aboutir ces tentatives. La suppression du mot ne supprimera pas le discours, que nous devons combattre, mais elle lui ôtera la légitimité que pouvait lui donner sa place dans la Constitution. Nous saluons cette approche transpartisane, ainsi que l’idée que le mot « sexe » puisse être ajouté à cet article 1er.

Mme Hélène Vainqueur-Christophe. Mon amendement CL1017 va plus loin en proposant de remplacer les mots « de race » par les mots « de sexe, de genre », permettant d’affirmer le principe général d’interdiction des discriminations.

M. Stéphane Mazars, président. Quel est votre avis, monsieur le rapporteur général, sur ces amendements ?

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Au fond, en moins d’une heure de débat, au cours de cette première étape de notre travail sur la réforme constitutionnelle, nous aurons permis que l’absence de distinction selon le sexe soit retenue et nous nous apprêtons à faire en sorte que le mot race disparaisse. En une heure, nous pouvons donc avancer beaucoup et même faire aboutir des combats menés par le passé par nos prédécesseurs et certains de nos collègues.

Vous avez raison, les députés issus des bancs du Parti communiste français ont régulièrement porté ce combat très haut, notamment par la voix de M. Vaxès en 2002 et de nouveau en 2013. En 2003, M. Victorin Lurel, soutenu par M. François Bayrou, avait aussi mené ce combat.

À ce stade des débats, il me semble que nous sommes unanimes à trouver l’idée évidente : ce mot « race » n’a plus à figurer à l’article 1er de notre Constitution. Vos rapporteurs, qui ont défendu cette idée auprès du Gouvernement, vont rendre un avis favorable, notamment sur l’amendement CL847 défendu par M. Houlié et les amendements qui lui sont identiques.

Nous pouvons acter cette évolution sans qu’il soit nécessaire d’ajouter la notion d’origines ou d’unicité. Avançons à bon rythme. Regardons la portée de cet article 1er, après la suppression du mot « race » et l’apparition du mot « sexe ». Il me semble que cette suppression répond aux objectifs exprimés par tous les collègues.

M. Philippe Gosselin. Cette rédaction correspondait sans doute à une période particulière de l’histoire, marquée par la colonisation, les débuts de la décolonisation, la Shoah et les tragédies de la Seconde Guerre mondiale. Je comprends les arguments et la démarche des orateurs qui viennent de s’exprimer.

Néanmoins, je m’interroge sur la portée symbolique de la suppression de ce terme. Malheureusement, cette suppression pourrait donner le signal à quelques-uns que la lutte contre le racisme n’est peut-être plus aussi importante qu’elle ne l’était. On peut en faire cette lecture, même si je comprends aussi les arguments de M. Charles de Courson sur une compréhension a contrario : si le mot est dans l’article, c’est que les races existent et l’on peut défendre le racisme en s’appuyant là-dessus. À l’inverse, on peut aussi considérer que la lutte contre le racisme perdrait peut-être de sa symbolique, de son efficacité.

Nous sommes tous d’accord sur le fond mais, pour ma part, je m’interroge sur la formulation et les conséquences que pourrait en tirer le Conseil constitutionnel. Depuis la décision du Conseil constitutionnel sur la liberté d’association, en 1971, nous avons un bloc de constitutionnalité et non plus seulement une référence au Préambule et à l’article 1er. Je me demande néanmoins s’il ne serait pas préférable, en s’appuyant sur la formulation du décret de 2017, d’intégrer la notion de « prétendue race ». C’est une interrogation, je n’ai pas la prétention d’avoir la réponse absolue.

M. Raphaël Schellenberger. Je partage les interrogations de M. Gosselin. Que les choses soient claires, je pense que l’on ne peut pas accepter qu’il y ait des distinctions faites sur la race et des phénomènes comme le racisme. Pour autant, supprimer le mot ne supprimera pas les faits. Est-ce que cela ne compliquera pas la tâche de qualification des faits ? On peut se le demander. Ce mot n’est pas beau mais il vaut toujours mieux que les faits que nous avons pu connaître au cours de notre histoire. Sans avoir de certitude absolue sur le sujet, je crains les effets d’une telle suppression. Finalement, cette notion est définie pour être rejetée. Qu’accepte-t-on et que refuse-t-on dans le contrat social ? Quelles sont les causes de distinction ?

La formulation de l’amendement me semble maladroite. On exclut de distinguer les êtres humains par leur race. À partir de là, décline-t-on cette logique aux trois autres supports de distinction qui sont exclus de cet article ? On pourra débattre du fait que tous les humains sont égaux en droit quel que soit leur sexe. Supprimons alors la notion de sexe du vecteur de distinction. Supprimons l’ensemble de la déclinaison des distinctions.

Mme Delphine Batho. Il n’y a pas de races, mais il y a des hommes et des femmes !

M. Raphaël Schellenberger. Le terme peut avoir une acception juridique différente de son acception biologique. On peut être d’accord sur le rejet du mot « race » parce qu’il n’y a pas de race au sein de l’espèce humaine. Cependant, en tant que législateurs, nous pouvons entendre qu’un mot peut avoir plusieurs acceptions en fonction du contexte dans lequel il est utilisé.

M. Jean-Christophe Lagarde. Sur le fond, tout le monde dit être d’accord. Tant mieux !

Dans l’article 1er de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, il est écrit que les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune. Mais, au moment où ils ont écrit la Constitution, les constituants pensaient que les races existaient. Les connaissances scientifiques, et notamment en matière génétique, ont évolué. Il a été démontré que ces thèses, qui couraient depuis la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle, n’avaient pas de sens. Tous ces amendements proposent de le traduire dans la Constitution.

Ce débat a déjà eu lieu dans notre assemblée, notamment à l’occasion de la réforme constitutionnelle de 2008. Il me semble me souvenir qu’il reste un sujet juridique : le mot « race » figure souvent dans la loi française. Dans le code pénal, il est dit qu’on ne peut pas être distingué à raison de sa race ou de ses origines. En 2008, la réforme avait été bloquée pour cette raison et on nous avait dit qu’il fallait réformer les autres textes avant la Constitution.

Je ne suis pas du tout pour que l’on attende encore dix ans. Adoptons cette suppression dans la Constitution, mais que tout le monde – la majorité notamment – s’engage à faire disparaître ce mot de tous les textes. Sinon, le Conseil constitutionnel pourrait questionner notre capacité à poursuivre ultérieurement des actes racistes. C’est le sujet principal : ce travail doit être fait sur les autres textes de loi et pas uniquement sur la Constitution.

Le rapporteur général donne un avis favorable à l’amendement de M. Houlié, ce qui n’est pas surprenant. Son adoption fera tomber celui de M. de Courson. Pour ma part, je pense que la France a un devoir d’exemplarité. C’était le cas en 1789, au moment de l’adoption de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Aujourd’hui, il me semble utile d’affirmer, en France, qu’il y a unicité de l’espèce humaine. Nous représenterons cet amendement en séance.

M. André Chassaigne. Suite aux différentes interventions, je voudrais apporter quelques précisions, qui permettront d’ailleurs de répondre aux interrogations qui viennent d’être formulées.

M. Alfred Marie-Jeanne a fait le travail dans son rapport de 2013. Tout a été énuméré. Le mot « race » et certains de ses dérivés comme « racial » ou « raciaux » ne sont pas purement et simplement supprimés de la législation, mais ils sont remplacés par d’autres mots comme « raciste » ou un membre de phrase comportant le mot « raciste ». Tout a été listé, notamment pour modifier, pour faire les coordinations nécessaires aux articles du code de procédure pénale. Les termes « race » et « racial » ne sont plus remplacés par les termes « ethnie » ou « ethnique » mais, comme dans l’ensemble de la proposition de loi, par le mot « raciste » ou des formulations qui permettent de modifier les différents codes.

En 2013, à la suite du travail de la commission des Lois, cinquante-neuf dispositions législatives ont été modifiées dans le code du travail, le code du sport, le code du travail applicable à Mayotte, le code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre, le code de la construction et de l’habitation, le code du patrimoine. Treize lois non codifiées comportant le mot « race » ont été modifiées.

Cette proposition de loi, déposée par notre groupe, a été adoptée en première lecture. La navette n’a pas eu lieu mais le Sénat peut se saisir de cette proposition de loi qui, bien entendu, ne pouvait pas porter sur la Constitution. Il n’y a aucun obstacle : tout le travail a été fait en 2013 par M. Alfred Marie-Jeanne et la commission des Lois.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Le président Chassaigne a parfaitement raison. Au gré des différentes navettes qui vont s’engager, nous devons voir avec le Sénat s’il est utile de reprendre cette proposition de loi qui avait été adoptée à l’Assemblée nationale, dans le prolongement des travaux que nous sommes en train de conduire au plan constitutionnel. En effet, le travail a été fait de manière exhaustive et le mode d’emploi est prêt, si je puis dire.

M. André Chassaigne. Très bien !

M. Charles de Courson. Tout le monde est d’accord pour supprimer le mot « race ». Il ne reste qu’un débat, soulevé par tous les amendements déposés : affirme-t-on l’unicité de l’espèce humaine dans la Constitution ? À mon avis, ce serait le meilleur rempart contre toutes les formes de racisme. Comme le sexe, c’est un critère objectif. Les origines, c’est objectif. La religion, ce sont les gens qui la déclarent.

Il serait dommage de ne pas adopter les amendements qui proposent d’affirmer l’unicité de l’espèce humaine. Cette affirmation nous servira dans beaucoup d’autres débats. Nous serions beaucoup plus forts puisque la suppression du mot « race » est fondée sur le fait que nous partageons tous cette idée de l’unicité de l’espèce humaine.

Mme Danièle Obono. Il est nécessaire que la lutte contre les discriminations raciales apparaisse dans la Constitution. À cet égard, l’amendement CL849, défendu par Mme Vainqueur-Christophe, me semblait être une bonne base de travail. Il proposait de remplacer « d’origine, de race » par « d’origines, de genre », gardant ainsi dans la loi fondamentale un interdit sur lequel les procédures de lutte contre les discriminations pourraient s’appuyer.

L’interdiction de la discrimination en raison des origines doit apparaître – comme celle de la discrimination liée au sexe ou à la religion – dans la loi fondamentale comme dans les autres textes de loi. La suppression du mot « race » ne suffit pas et elle peut même créer un vide juridique. La référence à 1946 ou à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen n’est pas suffisante pour étayer des procédures.

Mme Maina Sage. Je voudrais affirmer tout mon soutien à la suppression du mot « race ». Je ne crois pas que cela nous fasse perdre de vue, au fil du temps, l’importance de la lutte contre les discriminations raciales. Au contraire, nous marquerons ainsi notre volonté de supprimer définitivement l’idée qu’il y aurait plusieurs races humaines.

Il y a à peine quelques années, une élue française très connue affirmait que la France était un pays « de race blanche », ne l’oubliez pas. Cette affirmation a d’ailleurs permis de rouvrir ce débat. Il est fondamental que la société française fasse un pas de géant en la matière. Pensons à l’histoire de la France et ce qu’est ce pays de nos jours. Cette grande nation n’est pas seulement hexagonale et européenne ; elle est présente dans tous les océans ; elle est mondiale et maritime ; elle est faite de différents territoires, ethnies et origines. Supprimer le mot race, c’est aussi affirmer que notre nation est riche de sa diversité. Si nous pouvions promouvoir cette idée d’unicité de l’espèce humaine, nous ferions un pas de géant.

Cet article de la Constitution différencie les notions de race et d’origine. C’est malheureusement la preuve qu’il reste beaucoup à faire sur la définition de la notion d’origine. Nous reviendrons sur les questions de territorialité, d’origine ethnique ou géographique. Pour l’heure, nous devons avancer car il n’y a pas de doute sur le sens de ces amendements.

M. François Ruffin. Il y a une espèce de difficulté, de paradoxe. Nous sommes tous d’accord pour dire qu’il n’y a pas de race et que ce mot ne doit donc pas figurer dans la Constitution. En même temps, le racisme existe de manière forte. Comment inscrire notre volonté de lutter contre le racisme dans la Constitution sans utiliser le mot « race » ? En nous contentant d’une simple suppression, nous perdrions un outil pour affirmer notre ferme opposition à cette discrimination.

Nous devons remplacer ce mot par autre chose – « origines » ou « couleur de la peau ». La référence aux origines permettrait de faire le lien avec l’amendement proposé par nos camarades corses, car il peut s’agir des origines géographiques. Si nous nous contentions de la suppression du mot « race », il y aurait comme un grand vide, un grand trou à combler.

Mme Coralie Dubost. Il ne faut pas voir le mot « race » comme un outil de lutte contre les discriminations raciales. Depuis des décennies, les magistrats n’emploient plus ce mot de cette manière. Ils parlent de discrimination raciale ou raciste pour ne pas cautionner les présupposés du mot « race ». Cela n’empêche pas de lutter contre les discriminations. Ce terme est absent des grandes conventions internationales où il est question de lutte contre les discriminations fondées sur les origines. Nous pouvons verser dans cette universalité qui sera bénéfique à tout le monde.

M. Philippe Dunoyer. Certains de nos collègues craignent un vide juridique qui ne nous permettrait plus de poursuivre le racisme au quotidien avec autant de célérité et d’efficacité. Pour ma part, je n’y crois pas du tout. Le débat est si fondamental et l’expression à ce point transpartisane que notre assemblée peut affirmer haut et fort l’inexistence de ce terme. Remise en cause par la science, la notion de race est juridiquement inutile, même si certains traités internationaux qui engagent la France – et donc la justice de notre pays – y font référence. Nous serons loin d’être démunis pour lutter contre le racisme au quotidien même si nous ôtons de notre Constitution ce mot qui fait tache, quelles qu’aient été les motivations des constituants.

Il faut affirmer haut et fort qu’il y a une espèce humaine mais pas de race. Nous pourrons ensuite modifier nos autres textes, notamment le code pénal et le code de procédure pénale. À ce stade, je milite à fond, pardonnez-moi cette expression un peu triviale, pour la suppression de ce terme de notre Constitution. Je crois que nous pouvons être rassurés sur notre capacité à lutter au quotidien contre le racisme.

M. Jean-François Eliaou. On ne peut pas laisser dans la Constitution, surtout au premier alinéa du premier article, un mot vide de sens. J’y insiste : il est vide de sens. Le mot race est à supprimer parce qu’il ne correspond à rien. Il correspondait au substrat d’une idéologie odieuse : le racisme. Laisser planer la possibilité d’avoir une discrimination vide de sens au niveau biologique n’est pas possible.

Mon cher collègue de Courson, on ne peut pas reprendre votre notion d’unicité de l’espèce humaine. Le mot « unicité » sous-entend quelque chose qui ne serait peut-être pas qu’unique. Le mot « unicité » me choque parce que l’espèce humaine est une et indivisible.

M. Hervé Saulignac. Il y a quelque chose d’assez paradoxal dans ce débat : le mot « race » est à peu près unanimement condamné, mais on sent une forme d’hésitation à le retirer. Si nous donnions le sentiment d’avoir la moindre hésitation, alors il ne faudrait pas prétendre vouloir réformer la Constitution. Réformer, c’est aussi corriger. Même s’il s’agit d’une erreur tout à fait compréhensible au regard de l’histoire, nous devons la corriger. Il n’y a aucune hésitation à avoir sur le retrait de ce mot qui, par ailleurs, a conduit à avoir une interprétation du terme « racisme » à géométrie variable. Nous devons afficher notre détermination à combattre toutes les discriminations, quelle qu’en soit la nature. J’espère que nous allons corriger notre Constitution, de la manière la plus unanime possible, en retirant sans hésitation le mot « race » de son article 1er.

M. Guillaume Larrivé. Je ferai trois séries de remarques qui m’amèneront à voter pour l’amendement après non pas une hésitation, cher collègue, mais un essai de réflexion.

Première remarque : d’une manière générale, je me méfie de ce qu’on appelle le nominalisme juridique, c’est-à-dire de l’idée très illusoire selon laquelle la suppression d’un mot supprimerait la réalité du mal. Il ne faut pas céder à cette tentation du nominalisme juridique parfois facile, qui est en réalité une forme de moralisme.

Deuxième remarque : nos prédécesseurs les plus éminents ont, eux aussi, beaucoup réfléchi. René Cassin, qui est au Panthéon, est l’une des figures majeures de la construction de l’État de droit en France et dans le monde. Sous sa plume, on lit à l’article 2 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 : « Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamés dans la présente Déclaration, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation. » Pour lutter contre le racisme, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, il ressentait le besoin de mettre ce mot précisément pour le rejeter.

Quelques années plus tard, les rédacteurs de la CEDH tenaient le même raisonnement quand ils écrivaient à l’article 14 : « La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. » Il y a tout de même des hésitations de rédaction, ces « notamment » que nous cherchons plutôt, désormais, à bannir.

Troisième et dernière remarque pour nous, constituants de 2018 : nous devons être attentifs à l’expression des sensibilités. Nous faisons du droit, mais il y a aussi des sensibilités, une évolution de l’opinion, une symbolique du texte constitutionnel. Cela me conduit à voter pour cet amendement après y avoir réfléchi. En réalité, l’essentiel a été dit avec beaucoup de concision et d’élégance juridique dès 1789. Tout est dit, ite missa est, si j’ose dire, dès l’article 1er de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune. » Il n’y a pas besoin de « notamment », d’une espèce de bavardage constitutionnel ou conventionnel. Tout été dit dès 1789.

M. Bastien Lachaud. Je trouve que l’unicité de l’espèce humaine est une belle idée. Il n’y a pas de race humaine, mais il y a une espèce humaine. Nous avons une communauté de destin parce que nous vivons sur la même planète. Nous sommes tous victimes du dérèglement climatique et nous allons devoir y apporter des solutions. Cet intérêt général nous dépasse. Il me semble important de réaffirmer l’unicité de notre espèce, y compris face à ces enjeux contemporains. C’est pourquoi je pense qu’il faut soutenir les amendements qui vont dans ce sens.

M. Jacques Marilossian. J’ai l’impression que nous sommes tous dans un avion, en train de nous demander combien nous avons de parachutes avant de sauter. Nous sommes tous d’accord pour supprimer le mot « race » car il nous paraît désormais anachronique. Faisons-le, sans état d’âme. Nous savons tous que le mot « race » apparaît à partir de 1945 parce que les horreurs du nazisme étaient fondées là-dessus. Le nazisme ayant été éradiqué, nous n’avons plus nécessairement besoin de revenir sur ce point.

Pourquoi ajouter des parachutes tels que l’« unicité » ou les « origines » ? Il n’y a pas le mot « race » dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dont l’article 1er dit simplement : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. »

M. Philippe Gosselin. On ne reconnaissait pas alors la capacité de citoyen. Il ne faut pas faire d’anachronisme.

M. Jacques Marilossian. À partir du moment où, dans l’article 1er de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, auquel nous nous référons dans notre Constitution, il est écrit que les hommes naissent libres et égaux en droits, toutes les argumentations sur la discrimination, sur les différences, sur l’origine ou sur le sexe disparaissent. N’en rajoutons pas. Allons-y. Supprimons le mot. L’arsenal constitutionnel permet de lutter contre les discriminations à partir de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Mme Hélène Vainqueur-Christophe. Je crois qu’il y a un consensus général concernant la suppression du mot « race ». De tous bords politiques, nous sommes tous d’accord sur ce principe. Pour rassurer ceux qui pensent que cette suppression va entraîner une révolution dans la lutte contre le racisme, nous voulions ajouter « origines ». Cela permettrait la prise en compte de toutes sortes de discriminations, notamment celles liées à l’origine ethnique – donc à la couleur de la peau –, génétique, culturelle, territoriale et géographique.

Mme Delphine Batho. Cette suppression du mot « race » est attendue depuis des années. Il n’y a donc plus d’hésitation à avoir. Aux collègues qui s’inquiètent, je voudrais dire qu’à l’article 1er de la Constitution et à l’article 1er de la Déclaration universelle des droits de l’homme, il restera des bases solides pour la lutte contre le racisme.

Pour compléter l’intervention d’André Chassaigne, j’indique que le code pénal n’évoque plus la race sans y ajouter le mot « prétendue ». En fait, le « nettoyage » du code pénal a été fait. Il restera à corriger quelques dispositions du code de procédure pénale et une disposition du code du sport. Même si la proposition de loi présentée par M. André Chassaigne n’avait pas été jusqu’au bout de la procédure parlementaire, d’autres textes avaient apporté ces corrections. Les arguments qui avaient été opposés en 2008 ne sont plus recevables.

M. Michel Castellani. Je me réjouis de ce débat dont le thème est essentiel. Quand je regarde autour de moi, quand j’interroge l’histoire, je constate que le thème racial a été utilisé par les nazis pour justifier la Shoah, qu’il était à la base de l’apartheid en Afrique du Sud et de la ségrégation aux États-Unis. Il a servi de support à des horreurs. Nous préférons que la Constitution proclame l’unicité des femmes et des hommes plutôt que de faire référence à la race.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Je tiens à saluer tous nos collègues ici présents, qui représentent l’ensemble des groupes politiques de notre assemblée et s’accordent tous sur la valeur plus que symbolique que représente la suppression du mot « race » de notre Constitution.

J’entends que les seules inquiétudes tiennent au fait qu’il pourrait s’ensuivre un empêchement à lutter contre le racisme, et je trouve cela particulièrement rassurant. Les explications des uns et des autres me semblent avoir bien montré que cette suppression n’affaiblira pas la lutte contre le racisme et que notre arsenal juridique est très complet. Comme vous, je me réjouis de l’engagement pris par M. le rapporteur général, et président du groupe majoritaire, de se rapprocher de nos collègues sénateurs pour envisager que la navette se poursuive sur la proposition de loi que notre assemblée avait adoptée en 2013, et qui permettait justement cette grande mise à jour de nos textes. Je tenais à saluer l’investissement de la représentation nationale sur ce point.

J’exprimerai quelques inquiétudes sur l’inscription dans la Constitution du principe d’unicité de l’espèce humaine. Je crains – mais il faudrait que j’approfondisse cette réflexion – que cela ait une influence sur l’examen prochain des textes relatifs à la bioéthique. J’émets donc un avis défavorable sur l’introduction de ce principe.

Cela dit, je tiens à saluer à nouveau l’unanimité qui se fait jour sur la suppression du mot « race » dans notre Constitution qui est plutôt encourageante.

Les amendements CL849 et CL841 de Mme Hélène Vainqueur-Christophe sont retirés.

M. Philippe Gosselin. Avant de passer au vote sur l’amendement CL845, je tiens à dire que les débats que nous venons d’avoir sont intéressants et qu’ils seront utiles au Conseil constitutionnel.

Est-il prévu qu’un amendement soit déposé qui vise à mettre le mot « origine » au pluriel ? Je pense que ce serait une bonne façon d’envelopper l’ensemble des problématiques et des questions que nous avons soulevées.

La Commission rejette lamendement CL845.

M. MJid El Guerrab. Les explications de Mme la rapporteure m’ayant convaincu, je retire mon amendement, éventuellement pour le retravailler.

Lamendement CL42 est retiré.

M. Charles de Courson. Je ne suis pas insensible à la réflexion de notre rapporteure, mais je considère que la question est extrêmement grave. L’unicité de l’espèce humaine est un vrai principe constitutionnel et le seul barrage contre toutes les formes de racisme. J’observe que vous n’avez pas dit être pour ou contre, mais que vous réfléchissez aux éventuelles conséquences que pourrait avoir son inscription dans la Constitution.

Je maintiens mon amendement afin qu’il soit mis aux voix. De toute façon, je le déposerai à nouveau en séance publique, ce qui permettra à Mme la rapporteure de nous éclairer de ses lumières sur les éventuelles conséquences de l’inscription de l’unicité de l’espèce humaine dans la Constitution.

La Commission rejette les amendements identiques CL874, CL1076 et CL1235.

Puis elle adopte les amendements identiques CL241, CL607, CL838, CL847, CL920 et CL1323 (amendement  327).

En conséquence, les amendements identiques CL424 et CL1017 tombent.

M. Stéphane Mazars, président. Mes chers collègues, je crois que nous pouvons nous féliciter du travail effectué.

M. Philippe Latombe. Nous venons de supprimer le mot « race », et je m’en réjouis. Cela dit, qu’en est-il de la proposition d’ajouter un « s » au mot « origine » ?

Mme Maina Sage. L’amendement en ce sens a été retiré.

M. Raphaël Schellenberger. L’amendement CL845 de Mme Vainqueur-Christophe visait effectivement à mettre le mot « origine », au pluriel mais aussi à ajouter les mots « de sexe ». Or ces mots avaient déjà été ajoutés.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. C’est l’amendement CL841 qui prévoyait d’ajouter un « s » au mot « origine », mais il a été retiré.

M. Raphaël Schellenberger. Monsieur le rapporteur général, il me semble important de consacrer un peu de temps à cette question. Pourriez-vous prendre l’engagement, à l’issue de la discussion en commission, de présenter un amendement en séance publique ?

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Je vous propose de ne pas discuter plus avant d’un amendement qui a été retiré.

Mme Hélène Vainqueur-Christophe. J’ai maintenu l’amendement CL845 parce qu’il me semblait faire la synthèse de tout ce qui avait été dit. Je proposais en effet de supprimer le mot « race », d’ajouter un « s » au mot « origine » ainsi que les mots « de sexe », déjà ajoutés par un amendement du rapporteur.

M. Stéphane Mazars, président. J’aurais pu ne pas mettre aux voix l’amendement CL845, puisqu’il tombait de ce fait.

M. Philippe Gosselin. C’est pour cela, monsieur le président, que j’ai évoqué, avant que soit mis aux voix cet amendement, la question du pluriel qui peut paraître anecdotique mais qui, en réalité, ne l’est pas. Nous sommes tous d’accord sur le fond, les débats ont été assez éclairants et je trouve que nous avons fait œuvre utile en réaffirmant notre volonté de lutter contre les discriminations et les doctrines qui mettent au centre de leurs éléments les prétendues races. Tout a été dit, et fort bien.

Mais, pour donner force à nos échanges et nos débats et maintenir la valeur symbolique dans cette lutte contre le racisme, avec des effets juridiques – je pense à des questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) aussi bien qu’à la saisine du Conseil avant la promulgation de la loi – il me semble qu’il faut mettre le mot « origine » au pluriel, ce qui permettrait d’englober les origines géographiques, socioculturelles, etc. Je regrette que l’amendement CL841 ait été retiré, car il le permettait. Mais nous y reviendrons en séance publique.

M. Stéphane Mazars, président. Je vous remercie pour cette précision utile en vue de la séance publique.

Avant l’article 1er (suite)

La Commission est saisie des amendements identiques CL157 de M. Vincent Descoeur, CL598 de M. Stéphane Demilly, CL919 de M. André Chassaigne et CL1198 de M. Pierre Morel-à-lHuissier.

M. Arnaud Viala. L’amendement CL157 vise à faire apparaître dans la Constitution française les notions d’espace, de superficie, de manière à permettre, dans l’interprétation qu’en fait le Conseil Constitutionnel tout comme dans les lois qui s’y conforment, un contrepoids au critère démographique, actuellement écrasant, et une meilleure prise en considération des enjeux liés à l’aménagement du territoire.

M. Jean-Christophe Lagarde. L’amendement CL598 vise à tenir compte, en prévision d’ailleurs de futures lois, du territoire pour qu’il puisse y avoir égalité. Cela nous paraît absolument essentiel, dans la mesure où les réformes en cours de discussion, notamment la modification de la composition du Sénat, dont le rôle est de représenter les territoires et de veiller à ce qu’ils soient tous traités de la même façon, modifieront profondément la représentation des territoires. C’est vrai aussi en ce qui concerne notre assemblée, avec des circonscriptions qui compteront 240 000 habitants où les grandes communes auront évidemment un poids majeur, en particulier dans les départements qui ne compteront plus qu’un seul député et un seul sénateur. C’est pourquoi il nous semble nécessaire de prévoir dans la Constitution une égalité entre les territoires, sinon la ruralité se retrouvera systématiquement défavorisée.

Lorsqu’on fait une loi et qu’on prétend garantir un égal accès aux transports, à l’éducation, aux services publics, à l’argent public, aux dotations, on doit tenir compte non seulement de la population, mais aussi de la spécificité territoriale. Notre idée est de permettre aux collectivités locales de s’appuyer ultérieurement, le cas échéant, sur cette notion d’égalité territoriale pour que la jurisprudence vienne protéger les territoires ruraux qui le seront de moins en moins politiquement parce qu’ils seront de moins en moins représentés par des personnes qui connaissent leurs problèmes. La métropolisation, l’urbanisation, la modification du corps électoral auront hélas cette conséquence.

M. Sébastien Jumel. La notion d’aménagement du territoire a été abîmée, bousculée, dégradée au fil des années. Des pans entiers de nos territoires ont le sentiment d’être les abandonnés, les oubliés, les relégués de la République. Force est de constater que ces renoncements successifs de la présence de l’État dans sa continuité aboutissent d’ailleurs à renforcer les ennemis de la République.

L’égalité d’accès et l’égalité tout court nécessitent qu’à situations différentes on mette en place des dispositifs différents, comme le reconnaît la jurisprudence du Conseil constitutionnel. L’unique critère démographique ne permet pas cette égalité. Je suis très inquiet de voir les tendances lourdes de concentration sur les régions transformées en Länder, les métropoles attrape-tout et la dévitalisation d’un grand nombre de nos territoires, où il y a pourtant de la vie, de l’intelligence, de l’énergie, et une partie de la France qui manque et de la France qui souffre. L’amendement CL919 a donc pour objectif d’affirmer, dans son texte fondamental, la présence de la République pour tous et partout, y compris dans les territoires relégués.

M. Pierre Morel-à-lHuissier. Vous comprendrez que le député de Lozère soit très sensible à tout ce qui vient d’être dit.

On essaie, à travers des lois, de compenser les inégalités territoriales par des normes nationales souvent inadaptées. C’est pourquoi il me semble important d’intégrer enfin, dans notre texte fondateur, le critère territorial, la jurisprudence du Conseil constitutionnel se développant sous l’effet des QPC. C’est un rendez-vous important pour les territoires ruraux et pour les territoires périurbains qui doivent aussi être considérés.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. L’élu du Finistère intérieur que je suis ne pourrait qu’être sensible a priori à l’ensemble de ces arguments s’il y avait nécessité à traduire dans la Constitution les exigences que nous partageons en termes d’aménagement du territoire.

Il faut d’abord noter que la portée très large du principe d’égalité devant la loi, tel que présent dans le bloc de constitutionnalité, inclut expressément une dimension territoriale. Par ailleurs, le Conseil constitutionnel a expressément jugé, de longue date et de manière répétée, qu’aucun principe ni aucune règle constitutionnelle n’interdisait au législateur de prendre des mesures de différenciation positive destinées à tenir compte des situations et à combattre les inégalités territoriales. D’ailleurs, nous avons voté, les uns et les autres, de très nombreux dispositifs sur tel ou tel quartier jugé en déshérence, telle ou telle zone rurale que l’on estimait handicapée de par sa géographie ou d’autres éléments.

Autrement dit, introduire cette notion dans la Constitution est superfétatoire puisque la notion d’égalité inclut la dimension territoriale, et que par ailleurs rien ne s’est jamais opposé à ce que nous puissions porter des politiques publiques de différenciation territoriale pour répondre précisément à ce désir de compenser certaines inégalités.

Je suis donc défavorable à l’ensemble de ces amendements.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Je souhaite compléter ce que vient de dire le rapporteur général.

Les auteurs de ces amendements soulèvent plusieurs questions. M. Lagarde a parlé de la représentation territoriale qui est plutôt une question d’ordre électoral. Il a également été question d’égalité territoriale et paradoxalement a été abordée la notion de distinction. Enfin, M. Jumel a parlé des territoires relégués, en tout cas de la présence publique si j’ai bien compris ce qu’il voulait dire.

Si je m’en tiens à la rédaction des amendements, il y a un paradoxe entre ce que vous proposez d’introduire indistinctement dans l’article 1er de la Constitution, et les articles 15, 16 et 17 que nous examinerons ultérieurement et qui prévoient précisément certaines distinctions.

En tant qu’élu du Loir-et-Cher et résident d’une commune de 700 habitants, je perçois, comme un certain nombre d’entre vous, ce qu’est la réalité territoriale. Ce dont nous avons besoin, c’est de présence publique, de puissance publique et de distinction. Vous êtes nombreux sur ces bancs à déplorer que l’on ne tienne pas suffisamment compte de la différence des territoires. Or tels qu’ils sont rédigés, et de manière un peu superfétatoire, me semble-t-il, à ce point-là de notre débat, vos amendements sont en contradiction avec notre objectif de distinction dont nous débattrons aux articles 15, 16 et 17. La distinction, c’est justement de reconnaître que les territoires sont différents et qu’ils ont des besoins différents.

M. Michel Castellani. Ces amendements sont importants et doivent être soutenus. Ils recoupent d’ailleurs un amendement que nous avons déjà présenté sur la dimension territoriale. Il y va de la reconnaissance ou non de la diversité des conditions territoriales en France et, en conséquence, de l’égalité ou non des citoyens et des territoires.

Pour notre part, nous pensons que la Constitution devrait prendre en compte la dimension territoriale. Nous avons déjà souligné, et nous le signalerons en tant que de besoin, qu’il convient de ne pas confondre deux concepts : l’égalité des citoyens face à la loi, principe intouchable et incontournable de notre démocratie, et la reconnaissance de l’existence de la diversité des territoires, qui relève d’une dimension tout aussi démocratique. La reconnaissance de la diversité des territoires a donc toute sa place dans la Constitution.

M. Fabien Di Filippo. Étant moi-même député d’une circonscription de 261 communes, l’une des plus vastes de France, je suis, comme certains de mes collègues, très préoccupé par les évolutions actuelles et surtout dans ce qu’elles impliquent en termes de relations avec nos concitoyens. Demain, si la jauge est fixée à 240 000 habitants, ma circonscription s’étendra sur 400 ou 450 communes, dans un losange de 150 kilomètres de côté.

Monsieur Ferrand, vous nous dites que la Constitution n’interdit pas la prise en compte des spécificités territoriales. Mais le projet de révision constitutionnelle fait l’inverse avec l’instillation de la proportionnelle et un nombre très élevé d’électeurs par circonscription. Nous risquons en effet d’avoir des députés à deux vitesses : d’un côté ceux qui seront élus sur une liste sans attache territoriale ou sur de très petits territoires, de l’autre ceux qui seront élus sur des territoires gigantesques où ils passeront beaucoup de temps, nécessairement au détriment de leur présence à l’Assemblée nationale. Certains citoyens pourront voir tous les jours leurs députés en dix minutes de métro, tandis que d’autres auront accès à lui une fois par mois dans le meilleur des cas, si ce n’est une fois tous les deux mois, après avoir parcouru une grande distance en voiture. Or, si les territoires ont des besoins différents, ce n’est pas le cas du citoyen, qui doit avoir accès au député et a besoin d’une écoute. Ce qui doit nous guider avant tout quand nous votons la loi, c’est la proximité avec nos territoires et nos concitoyens.

M. Arnaud Viala. Je veux réagir aux propos de M. Fesneau.

Pour avoir travaillé, avec d’autres, sur la notion d’expérimentation, de différenciation, d’adaptation territoriale dont il est question aux articles 15, 16 et 17, je peux attester que nous ne sommes pas du tout en contradiction avec ce que nous prévoyons ici. Au contraire, c’est tout à fait complémentaire puisque les articles en question prennent en compte les différences territoriales pour la définition des politiques publiques. Le citoyen doit avoir accès aux mêmes droits, quel que soit son territoire de résidence. Par ailleurs, le territoire doit bénéficier des mêmes accompagnements de la part de la nation, en dépit des spécificités, des particularités, des différences qu’il présente. Il n’y a donc aucune contradiction dans nos discours. D’ailleurs, si on y regarde de près, je pense que ce sont les mêmes députés qui soutiennent ces deux séries d’amendements.

M. Paul Molac. En France, on a tendance à privilégier la norme plutôt que la diversité.

Le Conseil constitutionnel a toujours considéré que toutes les circonscriptions devaient comporter à peu près le même nombre d’habitants. Il faudra donc expliquer aux Français pourquoi la Lozère, qui compte, si je ne me trompe, 70 000 habitants, conservera un député tandis que les autres départements auront un député pour 220 000 à 240 0000 habitants. Je comprends bien qu’il y ait une surreprésentation des territoires les plus faibles de la République, notamment de la Lozère qui est un territoire de montagne où les conditions ne sont pas faciles, mais il y aura bien une inégalité entre les territoires et je me demande ce qu’en pensera le Conseil constitutionnel.

M. Thierry Benoit. Je souhaite appeler l’attention du rapporteur général. Comme un certain nombre de députés ici, il est Breton. Pour ma part, je suis du département d’Ille‑et‑Vilaine. Je me souviens que, sous la précédente législature, le Gouvernement a créé le désordre territorial à partir de la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, avec la carte des régions, le redécoupage des cantons et la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite « loi NOTRe ».

Le département d’Ille-et-Vilaine est similaire à celui du Finistère : ils ont tous les deux une métropole rayonnante. Que s’est-il passé lors du redécoupage des cantons ? Les territoires ruraux ont « rendu » des conseillers départementaux aux territoires métropolitains alors que, dans le même temps, des compétences étaient transmises du département aux métropoles. La question posée à travers ces amendements est celle de la voix des territoires. Je suis d’accord pour inscrire dans la Constitution une notion arithmétique et démographique pour le redécoupage des circonscriptions, mais il est indispensable de faire apparaître également la voix des territoires. J’illustrerai une fois de plus mon propos par un débat d’actualité, celui sur l’abaissement de la vitesse à 80 kilomètres par heure. Si ce débat avait pu être porté par la voix de l’ensemble des territoires de France, nous aurions eu une disposition empreinte d’un réel pragmatisme. Mais comme il a été abordé avec une vision uniquement citadine et urbaine, il crée des difficultés à nos concitoyens. Il est donc nécessaire d’intégrer la voix des territoires dans la Constitution.

M. Sébastien Jumel. Personne ne peut penser que l’objectif de la majorité soit de découper au scalpel les circonscriptions, d’amoindrir les pouvoirs de l’opposition et du Parlement. D’ailleurs, le titre de ce projet de loi n’est-il pas « pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace » ? Si l’on veut renforcer la démocratie représentative, il convient de renforcer la connexion entre les représentants du peuple et les habitants des territoires dans leur diversité. La Fédération des villes moyennes mène un combat depuis de nombreuses années pour faire en sorte que ce fait urbain soit consacré.

La fusion de la Haute-Normandie et de la Basse-Normandie a eu pour conséquence de concentrer la plupart des services de l’État à Caen, comme le rectorat, l’inspection académique, l’agence régionale de santé, qui se trouvent ainsi éloignés du nord du département de la Seine-Maritime. Dans le cadre du schéma régional d’organisation des soins, les groupements hospitaliers de territoire « avalent » les territoires et font disparaître les hôpitaux de proximité. Tout est fait pour éloigner la présence de l’État des territoires oubliés de la République. Un débat a eu lieu, dans le cadre de la réforme ferroviaire, sur le maintien des petites lignes, celles qui permettent une irrigation et un aménagement équilibré du territoire et un égal accès aux transports, et qui sont de nature à résorber la crise entre le politique et nous-mêmes, car l’utilité qui est la nôtre est aussi la solution pour résorber cette crise. Cet amendement est donc vital si l’on veut réduire la crise profonde entre les citoyens et la République.

M. Jean-Félix Acquaviva. Nous soutenons ces amendements et rejoignons ceux qui considèrent qu’il n’y a pas de contradiction avec les articles 15, 16 et 17, d’abord parce que nous vivons, pour paraphraser un ouvrage de M. Joseph Stiglitz concernant les États-Unis d’Amérique, une période de « grande fracture » sociale et territoriale – c’est un constat, une réalité qui s’impose à tous aujourd’hui –, ensuite parce que nous sommes au cœur de la contradiction, du paradoxe mortifère de l’utilisation du principe d’égalité par les gouvernements et par nos administrations centrales.

Nous sommes souvent face à cette réalité, au sein du Parlement, mais aussi dans les administrations déconcentrées où le principe d’égalité n’est pas décliné de la façon dont vous l’avez évoqué tout à l’heure, c’est-à-dire pour ne pas faire obstacle à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes. Très souvent, pour ne pas dire dans la majorité des cas, l’application qui est faite de ce principe d’égalité, c’est l’égalitarisme, l’uniformité, donc le refus de recourir à des moyens spécifiques pour résorber des situations différentes et restaurer des égalités d’accès en droit. Ajouter la notion de « lieu de résidence sur le territoire national » c’est donner à la République une obligation de moyens pour garantir aux citoyens l’égalité des droits, et ce n’est en rien contradictoire avec la légitimité pour les territoires à adapter les lois et les règlements, notamment pour faire respecter cette obligation de moyens.

M. Pierre Morel-à-lHuissier. Monsieur Molac, la Lozère, qui compte 78 000 habitants, a une superficie de 5 100 km2, ce qui représente 20 % de l’ancienne région Languedoc-Roussillon. C’est la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui a décidé que la Lozère ne serait plus représentée désormais que par un seul député, après un recours du Parti socialiste à l’époque – il s’agissait de créer onze sièges de députés des Français de l’étranger. Aujourd’hui, je suis le seul député de ce département. Je passe sur toutes les difficultés que je rencontre pour assurer la représentativité de l’ensemble des 5 100 km2 de ce département.

Mon amendement vise à créer dans la Constitution une base juridique en écrivant que l’égalité prévue doit tenir compte également du lieu de résidence.

Enfin, monsieur Fesneau, il n’y a pas de difficulté sur la différenciation. Au contraire, cela ne vient que conforter notre position sur les articles 15, 16 et 17. Aujourd’hui, il est important de rappeler que la France est certes unitaire, mais aussi diverse.

M. Moetai Brotherson. Monsieur le rapporteur général, pour faire le tour de ma circonscription, simplement pour être présent et répondre aux sollicitations, il me faudrait trois semaines tous les mois, et je crois savoir qu’il faudrait à ma collègue Maina Sage deux mois et demi par mois… Vous comprenez donc pourquoi nous sommes si sensibles à ces amendements.

Je vous rappelle par ailleurs que la Constitution permet de prendre en compte certaines spécificités, mais qu’elles doivent être pondérées avec les autres impératifs constitutionnels. C’est d’ailleurs ce qu’a rappelé le Conseil d’État, le 7 décembre 2017, lorsqu’il a été saisi pour avis de ce projet de loi constitutionnelle. Aucun principe constitutionnel n’étant supérieur à un autre, cette pondération se fait forcément dans le sens de la limitation de la prise en compte des spécificités.

Face à une nécessité particulière, la Constitution oblige à ne pas pouvoir prendre la décision la plus simple et la plus logique pour préférer la plupart du temps une réponse plus constitutionnelle. Cet amendement respecte totalement, à notre sens, l’orientation prise par le Gouvernement pour permettre de rationaliser la prise de décision dans le respect du principe de subsidiarité.

M. Sébastien Huyghe. Cet amendement sur le respect et la reconnaissance des territoires est important.

Comme un certain nombre de mes collègues, je veux évoquer votre projet de diminuer drastiquement le nombre de parlementaires qui seront présents sur le terrain.

D’après les calculs que nous avons faits sur le territoire de la métropole, certaines circonscriptions vont voir leur taille doubler. On se plaint souvent qu’un fossé se soit creusé entre les citoyens et leurs élus. Ce que vous préparez ne sera pas un fossé, mais un véritable gouffre, car il n’y aura plus personne sur le terrain. Aujourd’hui, au vu de la taille des circonscriptions, on peut, en essayant de trouver un équilibre entre le travail à l’Assemblée nationale et le travail sur le terrain, être à peu près reconnu comme étant le député de ce territoire. Demain, avec le doublement de la taille des circonscriptions, ce ne sera plus possible. Par conséquent, beaucoup de députés ne seront absolument plus présents sur le terrain. Or le député, c’est l’élu national qui est accessible localement. Cette accessibilité est très importante pour que nos concitoyens sachent qu’ils ont la possibilité de s’exprimer et de s’adresser à cet élu national qu’est le député. Cela permet aussi au député d’éviter, dans certains cas, de voter des bêtises à l’Assemblée nationale, du fait qu’il connaît la réalité de ce que vivent nos concitoyens au quotidien.

En faisant cela, l’exécutif se coupe véritablement des remontées de terrain très régulières, puisqu’on sait bien que les groupes majoritaires reçoivent, à l’occasion de leur réunion de groupe hebdomadaire, les ministres et le Premier ministre. Si demain les députés ne sont plus présents sur leur territoire, ces remontées de terrain n’existeront plus et il y aura vraiment une dichotomie entre le pouvoir exécutif, le pouvoir national et nos concitoyens.

Mme Cécile Untermaier. Nous n’avons pas déposé d’amendement, mais nous soutiendrons ceux qui sont présentés parce qu’il est extrêmement important d’introduire la notion d’espace et de territoire dans la Constitution du XXIe siècle.

L’égalité proclamée ici ne trouve pas en fait son sens et sa réalité dans les territoires. Les fractures et les isolements sont manifestes. La différenciation qui sera introduite dans les différents articles ne fait pas obstacle à la légitime interrogation et inquiétude de citoyens qui se sentent abandonnés, même si nous considérons que nous faisons tout pour qu’ils ne le soient pas. Il me semble que la constitution doit pouvoir répondre à cette fracture.

Il nous faut une égalité réelle, tenant compte de la notion d’espace qui, derrière son aspect conservateur, est en réalité très moderne et un élément important de la vie démocratique.

Mme Christine Pires Beaune. Actuellement, notre Constitution est totalement muette sur la prise en compte de la gestion de l’espace. Aussi la révision constitutionnelle est-elle une bonne occasion, me semble-t-il, d’introduire cette notion d’espace et de superficie. C’est d’ailleurs ce qu’ont fait certains pays européens comme l’Espagne et le Portugal.

Nos textes de loi ne doivent pas être examinés sous le seul prisme de la population, et le critère démographique ne peut être le seul fil conducteur de nos politiques publiques, car tous les territoires ont un rôle à jouer, y compris les moins denses, qui peuvent être porteurs d’aménités positives. Aucun territoire n’est condamné d’avance, et pour peu que l’on remette en place une véritable politique d’aménagement du territoire qui a disparu depuis bien longtemps, on peut inverser la tendance. Ce n’est absolument pas incompatible avec la différenciation que l’on pourra retrouver dans des articles ultérieurs.

J’avoue que je me demande si c’est le bon endroit pour introduire la notion d’espace, et j’aimerais que nos rapporteurs nous disent si elle doit être introduite par un moyen ou un autre dans notre Constitution.

M. Claude Goasguen. Il y a ici des Finistériens élus dans la grande ville…

Au-delà de la jurisprudence du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État qui, effectivement, permet beaucoup de facilités, quelque chose est supérieur : l’esprit de la République. Je voudrais rappeler que le lieu de résidence est fondamentalement inclus dans l’esprit de la République dès son origine.

La première chose que font les constituants en 1789, c’est de tracer au cordeau l’égalité des territoires. À l’époque, ils le font avec leur matériel, c’est-à-dire des chevaux, et à l’intérieur même de chaque département ils calculent qu’aucun territoire ne doit être désavantagé – et c’est normal puisque c’est là-dessus que la Révolution française a éclaté.

Aussi la notion d’égalité, de rapprochement, est-elle une idée fondamentale à ajouter dans la Constitution dans la mesure où, pour reprendre ce qu’a dit M. Ferrand, je trouve que le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État vont trop loin. Quant à la désharmonisation des territoires, c’est là aussi une notion essentielle qu’il convient d’intégrer à la démarche constitutionnelle.

M. Bertrand Pancher. J’espère que ces amendements, qui illustrent la crispation que nous avons tous sur la place des territoires dans notre Constitution, seront adoptés. Et si nous sommes si crispés, c’est que nous nous rendons bien compte que la représentativité des élus en milieu rural sera très fortement atténuée, voire rendue impossible.

Dans un département comme la Meuse, qui fait 200 kilomètres de long sur 100 kilomètres de large, auxquels il faut ajouter l’abaissement de la vitesse à 80 kilomètres heure, et qui compte 650 communes, le fait qu’il n’y ait plus qu’un seul député et un seul sénateur va se traduire par de la recentralisation et de la perte de représentativité. Et même si ces amendements sont adoptés, on ne réussira jamais à faire entrer l’éléphant par l’entonnoir. Or c’est pourtant ce qu’il faudrait pour que l’on accepte une forte diminution du nombre d’élus sur le plan territorial.

Il est indispensable, si l’on veut maintenir le lien social qui s’effrite d’année en année, que notre Constitution continue à soutenir la place très importante que représentent les territoires. Après les villes et les banlieues qui sont de plus en plus en marge, c’est maintenant le tour des campagnes. Il ne faudra pas s’étonner si notre pays explose un jour en raison de ces populismes et de ces individualismes.

M. Erwan Balanant. Je ne comprends pas cette peur de l’agrandissement des circonscriptions. Certes, il y a des problèmes techniques, logistiques à résoudre, mais je me plais à rappeler que ce n’est pas « notre » circonscription, comme je l’entends parfois, mais la circonscription dans laquelle on est élu. Nous sommes les représentants de la nation. Nous sommes élus par une circonscription, mais nous ne sommes pas tenus par cette circonscription, même si nous avons le devoir de l’écouter, d’y être présents et de faire remonter les informations du terrain.

Depuis la fin du cumul des mandats, le rapport que nous avons au territoire a changé, comme je le remarque dans les discussions que j’ai pu avoir avec d’anciens députés qui étaient aussi maires. Auparavant, beaucoup de personnes venaient leur demander un logement, par exemple, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui, et c’est normal. Notre rôle aujourd’hui, c’est de continuer à recevoir les gens sur des problématiques pour lesquelles une modification de la loi pourra apporter quelque chose.

M. Philippe Gosselin. Encore faut-il avoir le temps de rencontrer les gens !

M. Erwan Balanant. Pour ma part, j’arrive à voir les gens, alors que mon territoire n’est pas plus grand ni plus petit que le vôtre. C’est une circonscription finistérienne, de qualité également…

Nous devons inventer un nouveau rapport à nos territoires car nous ne sommes pas des élus locaux. Nous devons cesser d’avoir peur et nous recentrer sur ce qu’est notre rôle de député : légiférer, contrôler et évaluer les politiques publiques.

M. Paul-André Colombani. Si le débat est aussi vif, c’est que la France connaît une fracture territoriale. Nos concitoyens ne bénéficient pas du même accès au numérique à Paris ou en Corse, du même prix de l’essence en Ille-et-Vilaine ou en région parisienne, du même accès aux soins en Lozère ou dans les zones plus urbanisées. Si nous n’adoptons pas ces amendements, les petits territoires seront encore lésés, ce qui ne fera qu’alimenter la défiance à l’égard du pouvoir central.

Mme Maina Sage. Ce débat me rappelle la discussion sur le rôle du député que nous avions eue l’année dernière à propos de la suppression de la réserve parlementaire. Aujourd’hui, je réaffirme qu’il n’y a pas d’opposition entre notre fonction de représentant de la nation et notre ancrage territorial. Sur quelles remontées du terrain le député pourra-t-il s’appuyer quand il sera élu sur une liste ?

Nos circonscriptions sont par essence différentes. La mienne couvre une aire aussi grande que le triangle Paris-Oslo-Athènes.

La République doit assurer l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine et de lieu de résidence. Or des inégalités liées au lieu de résidence perdurent. Les ultra-marins vivant sur le territoire national les subissent chaque jour. Un exemple : la domiciliation bancaire, qu’avec mon collègue polynésien Jean-Paul Tuaiva nous avons réussi à faire reconnaître comme facteur de discrimination dans la loi de programmation relative à l’égalité réelle.

Je vous invite, chers collègues, à voter ces amendements, sachant que le débat sur le redécoupage aura lieu dans le cadre de la loi organique.

M. Philippe Gosselin. Le débat rebondit sur le rôle du député et nous voici revenus un an en arrière. Nous sommes des représentants de la nation : nous sommes des législateurs et non pas des greffiers qui enregistreraient l’état de l’opinion publique. Conformément à l’alinéa 1er de l’article 24 de la Constitution, nous votons la loi, nous contrôlons l’action du Gouvernement et évaluons les politiques publiques, mais cela n’implique nullement que nous nous situions hors sol. Nous incarnons nos territoires.

Quand certaines circonscriptions auront doublé en taille, que ce soit dans le Finistère, dans la Manche ou ailleurs, la proximité sera affectée. Notre collègue Pierre Morel‑à‑l’Huissier parcourt près de 8 000 kilomètres par mois, ce qui représente du temps en moins auprès des habitants de sa circonscription, qui pour certains doivent parcourir 150 à 200 kilomètres pour se rendre à sa permanence. Quant aux circonscriptions outre-mer, elles couvrent une superficie considérable : l’équivalent du Portugal pour la Guyane, de l’Europe pour la Polynésie.

Affirmer l’égalité des citoyens devant la loi, quel que soit leur lieu de résidence, me paraît être un ajout de bon sens. Et il est bon parfois de rappeler le bon sens.

M. Christophe Euzet. Ces échanges suscitent chez moi un sentiment d’inconfort : sommes-nous en train d’examiner un projet de loi constitutionnelle ou de discuter d’aménagement du territoire et de décentralisation ?

La conception qu’ont certains de la représentation me semble restrictive. Nos citoyens, où qu’ils se trouvent, sont représentés à l’échelon de la commune, du département, de la région. Les députés que nous sommes représentent la nation : nous sommes élus dans une circonscription mais nous ne sommes jamais les élus de la circonscription.

Je ne vois pas en quoi faire mention dans la Constitution du « lieu de résidence sur le territoire national » réglera la question du devenir des territoires dans notre République, qui nous préoccupe tous. La République étant une et indivisible, elle traite de manière égale tous les territoires, ce qui n’empêche pas de prendre en compte leurs spécificités. Nous le verrons avec l’introduction de la notion de différenciation.

M. Michel Castellani. C’est un éternel débat : la France est-elle un bloc monolithique sans nuances géographiques, culturelles ou démographiques ou bien est-elle une mosaïque diverse mais unie par un sentiment d’appartenance et par l’adhésion à des principes communs ? Faut-il s’accrocher à des principes théoriques ? Nous pensons, mes chers collègues, que l’esprit démocratique consiste à considérer les choses telles qu’elles sont au lieu de les appréhender sur un mode technocratique. Pour avancer, il faut prendre en compte la France dans la diversité de ses territoires. C’est l’objet de ces amendements, que nous soutenons.

M. Jean-Pierre Vigier. Pour montrer votre volonté politique de prendre en considération les territoires ruraux, adoptez ces amendements qui tiennent compte de la notion d’espace et de proximité. Ne l’oublions pas, les députés votent les lois, mais ils défendent aussi leurs territoires.

La Commission rejette les amendements.

Elle est saisie de lamendement CL798 de Mme Danièle Obono.

Mme Danièle Obono. Cet amendement vise à compléter l’article 1er de la Constitution par l’alinéa suivant : « La République a pour but l’égalité réelle des citoyens. Elle combat les discriminations fondées sur le genre, le handicap, l’apparence, la couleur de peau, l’âge, l’orientation sexuelle, la religion, la croyance ou la non-croyance, l’origine sociale ou la fortune ».

L’objet de tout pacte social est d’assurer le bien-être de chacun et de chacune. L’égalité réelle doit à cet égard être inscrite dans le marbre de la Constitution avec ce qu’elle recouvre concrètement. Nous avons vu tout à l’heure les difficultés pratiques que soulevait la suppression du mot « race », qui fait du même coup disparaître des points d’appui pour lutter contre les discriminations raciales.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Le principe d’égalité et l’interdiction de toutes les discriminations ont été consacrés aux articles 1er et 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. La portée générale de ces dispositions – « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit » ; « la loi doit être la même pour tous », « tous les citoyens sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents » – leur a permis de figurer plus de deux cents ans après leur adoption parmi nos règles constitutionnelles.

Je ne pense pas qu’inscrire dans la Constitution le mot « réelle » accolé à égalité apporte quoi que ce soit. Le principe est celui de l’égalité. Il nous appartient de lui donner corps dans les politiques que nous mettons en œuvre.

Enfin, je m’insurge contre votre exposé sommaire qui laisse entendre que la majorité n’accorde que peu d’attention aux personnes en situation de handicap et aux personnes résidant dans les banlieues et qu’elle devrait dépasser l’incantation constitutionnelle pour fixer un cap.

Depuis un an, ce cap, nous le fixons en adoptant des textes qui permettront de garantir à tous les citoyens de ce pays une égalité des chances.

Mme Danièle Obono. Notre volonté d’inscrire l’égalité réelle dans la Constitution dépasse les circonstances qui nous amènent à donner tel ou tel avis sur la politique actuellement menée par le Gouvernement. S’il y a eu une loi pour l’égalité réelle, c’est qu’il a été reconnu que les principes généraux ne trouvaient pas de traduction effective. J’espère que malgré nos désaccords politiques, nous pouvons nous rejoindre pour défendre une conception de l’égalité qui assure que chacun et chacune jouisse réellement des mêmes droits.

La Commission rejette lamendement.

Elle en vient à lamendement CL1057 de M. Michel Castellani.

M. Michel Castellani. Nous proposons d’insérer à l’article 1er une phrase ainsi rédigée : « La France reconnaît une égale dignité de toutes les personnes humaines et s’engage à la respecter et à la protéger dans ses lois et règlements. »

La France est l’une des seules démocraties à ne pas avoir intégré le principe de dignité dans sa Constitution, paradoxe pour la patrie des droits de l’homme.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. J’ai moi-même songé à déposer un amendement en ce sens, et le comité présidé par Georges Vedel comme celui présidé par Simone Veil se sont penchés sur cette question.

Je me demande toutefois si le droit actuel ne suffit pas à préserver ce principe sans qu’il soit besoin de l’inscrire dans notre Constitution. Il est en effet présent dans notre ordre juridique : il a été consacré par le Conseil constitutionnel et plus de cinquante textes législatifs en vigueur font référence à la dignité ou à la dignité humaine.

En outre, il me semble qu’il s’agit d’un concept plutôt vague et je crains qu’il soit difficile de lui donner corps.

M. Michel Castellani. Le concept de dignité est essentiel. Il constitue pour nous un fondement de la démocratie. À ce titre, il doit figurer dans la Constitution.

M. Philippe Gosselin. Madame la rapporteure, vous parlez de concept flou, ce qui ne me paraît pas un argument convaincant d’un point de vue juridique. Tant la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen que les préambules de la Constitution de 1946 et de celle de 1958 comportent des concepts que le Conseil constitutionnel s’attache depuis 1971 à préciser à la lumière des débats parlementaires et des lois adoptées. Cela permet d’activer des principes.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Au-delà de son caractère flou, le principe de dignité renvoie à des options philosophiques très diverses. Je crains, notamment dans la perspective de l’examen de lois ayant trait à la bioéthique, que ce concept soit interprété de façon divergente par les uns et les autres. Est-il opportun de l’inscrire dans la Constitution ?

M. Philippe Gosselin. Ce qui veut dire, madame la rapporteure, que nos débats d’aujourd’hui sont sous l’influence de prochains débats. Veillons à ne pas fermer toutes les portes sous prétexte de futures discussions.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Je précise ma position : je ne voudrais pas que l’inscription de ce concept dans notre Constitution ferme la porte à certains débats.

La Commission rejette lamendement.

Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements identiques CL918 de M. André Chassaigne et CL1056 de Michel Castellani, ainsi que lamendement CL1240 de M. Jean-Félix Acquaviva.

M. André Chassaigne. L’amendement CL918 vise également à introduire le principe d’égale dignité de chacun dans l’article 1er de la Constitution. Je ne comprends pas votre argument, madame la rapporteure. Comment pourrait-il s’agir d’un concept flou ?

Cette proposition émane du rapport du comité Veil intitulé Redécouvrir le préambule de la Constitution. Il y est souligné que la France est l’une des rares démocraties modernes à ne pas afficher de manière lisible ce principe. Faisant allusion à la cérémonie du 1er juillet prochain, je dirai qu’il importe de l’inscrire au panthéon de nos valeurs de référence.

M. Michel Castellani. Tous les concepts peuvent apparaître comme flous, à commencer par les principes de la devise républicaine. La dignité a pleinement sa place dans la Constitution. Cela servira de base au législateur pour des décisions futures.

M. Jean-Félix Acquaviva. Pour nous, la dignité de la personne humaine n’est pas un concept mais une valeur fondamentale, une valeur que le Conseil constitutionnel interprète dans sa jurisprudence comme celle d’égalité. Le respect de la personne humaine fait partie des quatre principes à valeur constitutionnelle, et il nous semble essentiel de l’inscrire dans la Constitution.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Je maintiens ma position, qui repose elle aussi sur le rapport du comité Veil. Celui-ci soulignait aussi, rappelons-le, que « l’ambivalence même de la notion recouvre et dissimule des options philosophiques et idéologiques divergentes ». Nous pourrons en discuter lors de l’examen en séance publique.

M. Sébastien Jumel. Reprenons la définition de la dignité de la personne humaine : « principe selon lequel une personne ne doit jamais être traitée comme un objet ou comme un moyen mais comme une entité intrinsèque ». Considérez-vous qu’il s’agisse d’une définition floue ?

Si nous voulons inscrire ce principe dans la Constitution, c’est dans le but de protéger les citoyens de notre république. Nous avons tous en tête le cas de personnes subissant des traitements dégradants qui pourraient faire l’objet d’une protection accrue si nous procédions à cet ajout. Pensons à l’esclavage moderne.

Quand Simone Veil a réfléchi à la manière de redonner du sens à la dignité de la personne humaine, elle l’a fait avec l’épaisseur historique de son appréhension du monde et de la société contemporaine.

Cela mérite davantage que de nous renvoyer dans nos quarante mètres.

M. Sacha Houlié. Nous ne comptons, en cette période de Coupe du monde de football, vous renvoyer ni dans vos vingt-deux mètres ni dans vos seize mètres cinquante, monsieur Jumel. (Sourires.)

Le Conseil d’État, dans son arrêt Commune de Morsang-sur-Orge, avait condamné la pratique du lancer de nains comme portant atteinte à la dignité de la personne humaine. Quelques années plus tard, il a statué sur l’interdiction de spectacles du supposé humoriste Dieudonné, en mettant en regard dignité de la personne humaine et liberté d’expression. Il a été démontré que la définition même de la dignité humaine comme son application par nos juridictions nationales était juridiquement inaboutie et très largement commentée et qu’en tout état de cause, elle ne faisait pas l’objet d’une union nationale suffisante pour justifier aujourd’hui qu’on l’inscrive dans la Constitution.

Au nom du groupe La République en Marche, je considère que cette question ne peut pas être traitée par notre commission ni, a fortiori, être inscrite dans notre Constitution.

Mme Maina Sage. Je suis interloquée par votre intervention, cher collègue : vous dites tout et son contraire. Vos arguments plaideraient plutôt en faveur d’une inscription dans la Constitution. Cela forcerait le législateur à trancher la définition de la dignité de la personne humaine et démontrerait une attitude volontariste. Il y a un débat aujourd’hui et dire que notre commission n’est pas habilitée pour s’en emparer me paraît très dangereux. Le Parlement est le lieu même où une décision à ce sujet doit être prise.

M. Vincent Bru. Dans son arrêt de 1995, le Conseil d’État fait explicitement référence à la dignité de la personne humaine et considère qu’elle peut être regardée comme une composante de l’ordre public à l’égal de la sécurité, de la tranquillité et de la salubrité publiques. Ce n’est donc pas un concept flou, mais un principe à valeur constitutionnelle reconnu par la haute juridiction administrative et confirmé par le Conseil constitutionnel. Je considère que c’est une valeur à laquelle il faudrait rendre hommage dans la Constitution.

M. François Ruffin. Il est évident que, derrière les grands principes de la devise républicaine, « Liberté, égalité, fraternité », il y a un immense flou. La notion de liberté reste à définir tout comme celle d’égalité ou de fraternité. Cela ne nous empêche pas de les poser comme des principes fondamentaux.

J’aime cette phrase de Karl Kraus : « Plus on regarde un mot de près, plus il nous regarde de loin. » Plus on cherche la définition d’un mot, plus il nous semble difficile à cerner. Mais ce n’est pas une raison pour renoncer à inscrire le principe de la dignité de la personne humaine dans le texte fondateur qu’est notre Constitution.

M. Michel Castellani. Dans son fameux arrêt Commune de Morsang-sur-Orge, le Conseil d’État fait référence à la dignité de la personne humaine et précise que ce principe peut être invoqué contre le désir même des individus. C’est un concept fondamental qui doit impérativement figurer dans la Constitution.

M. Sébastien Jumel. Monsieur Houlié, puisque vous faites une interprétation restrictive de la jurisprudence du Conseil d’État, j’aimerais vous citer un extrait de l’intervention de M. Jean-Marc Sauvé, qui en était le vice-président, lors d’un colloque consacré à la dignité humaine et au juge administratif qui s’est tenu à Strasbourg en novembre 2009 : « la juridiction administrative trouvera dans une application ferme et raisonnée du principe de dignité humaine l’une des voies d’avenir qui lui permettra de conserver la confiance des justiciables et de la société ». Nous y voyons une invitation à inscrire le principe de la dignité humaine dans le marbre de la Constitution.

La Commission rejette les amendements identiques, puis lamendement CL1240.

Elle est saisie de lamendement CL1244 de M. Jean-Felix Acquaviva.

M. Jean-Félix Acquaviva. Cet amendement a pour but de constitutionnaliser le droit au respect de la vie privée, qui ne figure pas clairement dans le texte constitutionnel alors que le Conseil constitutionnel le considère comme un principe à valeur constitutionnelle.

Face à la toute-puissance de l’industrie du numérique et à ses multiples dérives motivées par des fins commerciales, face aux nombreuses lois sécuritaires, il est nécessaire de réaffirmer clairement ce principe essentiel aux droits fondamentaux de l’individu.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Ce droit est de longue date et de manière constante protégé par le Conseil constitutionnel qui le déduit du droit à la liberté consacré par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

De manière générale, je ne suis pas favorable au fait d’inscrire dans la Constitution la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

M. Jean-Félix Acquaviva. Les révisions constitutionnelles interviennent tous les dix ou quinze ans. L’inscription du mot « race » dans la Constitution se situait dans un contexte historique précis. Aujourd’hui, les atteintes au respect de la vie privée se sont multipliées et accélérées. Il me paraît important de prendre en compte ces changements dans la Constitution en donnant une force accrue au principe de respect de la vie privée.

M. Bastien Lachaud. Madame la rapporteure, vous vous êtes opposée hier à l’introduction d’une charte du numérique, vous vous opposez aujourd’hui à l’inscription du respect de la vie privée dans la Constitution. Autrement dit, vous laissez aux GAFAM – Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft – le champ libre pour faire ce qu’ils veulent de nos données personnelles. Il importe de prendre la mesure des changements de société que nous sommes en train de vivre. Les droits fondamentaux inscrits dans la Constitution ont pour but de protéger les citoyens. Montrons-nous à la hauteur de nos responsabilités et adoptons cet amendement.

M. MJid El Guerrab. Nous sommes là pour débattre de principes et de valeurs et pour leur donner du sens. Rejeter les amendements au motif qu’il n’est pas possible de constitutionnaliser tel ou tel principe n’est pas une argumentation suffisante.

Le respect de la vie privée prend un nouveau sens aujourd’hui : nous sommes chaque jour épiés, nos données personnelles sont vendues et notre vie privée est mise à nu. Je vous invite à voir le film Anon sorti récemment : nous ne sommes pas loin de la société qui y est décrite.

Dans ce contexte, inscrire dans le marbre constitutionnel le droit à la vie privée n’a rien d’absurde.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Ce principe, reconnu de longue date par le Conseil constitutionnel, est déjà doté d’une valeur constitutionnelle, et je ne considère pas que l’inscrire à l’article 1er de notre Constitution le rendrait plus effectif. Il faut être économe dans la rédaction de l’article 1er, qui pose les grands principes de notre République comme l’indivisibilité ou la laïcité. Pourquoi le droit à la vie privée devrait-il plus que d’autres droits prendre place à l’article 1er dès lors qu’il est déjà reconnu ?

Je ne pense pas que constitutionnaliser l’ensemble des dispositions du code constitutionnel soit une bonne façon de légiférer.

La Commission rejette lamendement.

Elle en vient à lamendement CL544 de M. Éric Ciotti.

M. Éric Ciotti. Nous proposons de consacrer dès l’article 1er de la Constitution la tradition chrétienne qui caractérise notre pays. Cet amendement ne peut se comprendre qu’en lien avec un autre de mes amendements ultérieurs qui vise à ajouter à la devise de la République le mot de « laïcité ». Si ces deux dispositions peuvent paraître contradictoires de prime abord, je les crois au contraire tout à fait complémentaires. La France ne vient pas de nulle part, elle a des origines, et notre mode de vie, notre organisation sociale, notre calendrier civil et notre architecture ont été modelés au fil des millénaires, des siècles et des ans par une tradition.

Si j’ai bien utilisé le mot de tradition, c’est qu’il ne s’agit pas ici d’affirmer un fait cultuel mais d’exprimer une réalité culturelle qui a façonné notre pays. Il s’agit de prendre acte d’un passé, d’une histoire, d’une culture et d’une identité. Le président Giscard d’Estaing, lorsqu’il avait été mandaté pour rédiger une constitution européenne, y avait également réfléchi. Il importe aujourd’hui de poser ce principe qui fige notre passé sans quoi l’on pourrait assister demain à une remise en cause de notre calendrier civil et de nos jours fériés qui, pour beaucoup, ont une origine chrétienne.

Parallèlement – je n’ose dire « et en même temps » –, il faut revendiquer pour le présent et pour l’avenir une laïcité beaucoup plus exigeante de sorte qu’aucune loi religieuse ne soit supérieure aux lois de la République.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Je suis extrêmement gênée par votre amendement. À l’article 1er, nous exprimons avec force le principe de laïcité et le respect de toutes les croyances. Je ne conçois pas que le respect de toutes les croyances côtoie l’invocation de cette tradition chrétienne. J’émets donc un avis défavorable à votre amendement.

M. Erwan Balanant. Monsieur Ciotti, votre amendement, en plus d’aller complètement à l’encontre du principe de laïcité que nous chérissons tous, est complètement faux, historiquement. La construction de notre pays ne se limite pas aux traditions chrétiennes. Notre pays est issu de millénaires d’histoire qui ne sont pas que chrétiens. Il faudrait donc viser de nombreuses autres traditions.

M. Bastien Lachaud. Cet amendement de provocation est, sur le plan factuel, totalement erroné. Comment expliquer que les traditions françaises soient chrétiennes ? Elles le sont parmi d’autres. Vous citez le calendrier, mais ce sont les Romains qui nous ont apporté notre calendrier, et la plupart des fêtes chrétiennes que vous évoquez sont le développement de fêtes païennes antérieures. Les chiffres avec lesquels nous comptons le temps ou numérotons nos amendements sont arabo-musulmans. La France républicaine, celle de 1789, détermine que le peuple n’est que le rassemblement des citoyens qui décident de se doter d’une constitution politique. C’est cela qui fait France. Est française toute personne qui se reconnaît dans nos institutions ou du moins, c’est ainsi que cela devrait être car c’est ainsi que la République a été pensée. Votre amendement est tout bonnement anachronique. D’ailleurs, le projet de Constitution européenne dans lequel M. Giscard d’Estaing avait la volonté de faire figurer les origines chrétiennes de l’Europe a été repoussé par les Français lors du référendum de 2005.

M. Mjid El Guerrab. Cet amendement est gênant à plusieurs égards. Passe encore si vous aviez fait référence à la tradition judéo-chrétienne – puisque Jésus était juif, à l’origine, et pas très français – mais nous comprenons tous très bien ce qu’il y a de sous-jacent à cet amendement. À tous ceux de nos concitoyens qui ne sont pas de tradition chrétienne, une telle référence peut apparaître comme le signe d’une volonté de les exclure de la Constitution alors que le principe de la laïcité vise justement à faire vivre ensemble toutes les traditions religieuses et, plus largement, culturelles. Cette notion de vivre-ensemble fait défaut dans votre amendement.

Mme Marie Guévenoux. Comme cela a été rappelé, ce débat a déjà eu lieu lors du projet de Constitution européenne en 2005, et la France s’était fortement opposée, par la voix du Président de la République de l’époque, Jacques Chirac, à l’inscription dans cette constitution des racines chrétiennes de l’Europe. La France est une république laïque, ce qui veut dire qu’on doit respecter à la fois la liberté de croire et celle de ne pas croire. Ce principe de laïcité garantit la neutralité de l’État, l’absence de reconnaissance du moindre culte par la République, le respect de toutes les croyances et le libre exercice des cultes. Ce principe est un puissant facteur de vivre-ensemble, et de cette « identité heureuse » à laquelle je veux croire.

Tout à l’heure, Guillaume Larrivé nous mettait en garde contre un nominalisme juridique qui serait en réalité du moralisme. Faites attention à ne pas faire du nominalisme juridique qui serait en fait de l’électoralisme. Je ne suis d’ailleurs pas sûre que les chrétiens eux-mêmes se reconnaissent dans ce type de proposition.

Vouloir affirmer les racines chrétiennes de la France dans la Constitution risque d’exclure tous ceux qui ne sont pas de confession chrétienne ou tous ceux qui ne croiraient pas. Le rôle du législateur, a fortiori lorsqu’il se trouve être constituant, est d’œuvrer à l’intérêt général et à l’unité de la nation et de se préserver de toute incitation au communautarisme ou au repli sur soi.

M. Bertrand Pancher. Je voudrais simplement formuler le vœu que ceux qui défendent la foi chrétienne commencent par s’engager à respecter les principales supplications du pape François en faveur de l’aide aux migrants et du secours à celles et ceux qui meurent en Méditerranée. Il est difficile de se revendiquer de la foi chrétienne si, en même temps, depuis des années, on met tant d’énergie à laisser tomber les migrants.

Mme Maina Sage. Cet amendement me paraît d’autant plus dangereux qu’il vient placer les mots de « tradition chrétienne » avant une phrase fondamentale qui énonce que « la République respecte toutes les croyances ». Ce qui me dérange, c’est qu’il donne une primauté à la foi chrétienne, comme si la France était d’abord de tradition chrétienne avant de respecter toutes les croyances. Cet amendement va complètement à contre-courant de ce que nous sommes, de notre histoire et de la direction dans laquelle la France souhaite aller aujourd’hui. La laïcité n’est pas l’exclusion de certaines croyances mais la neutralité à l’égard de ces croyances.

Mme Laetitia Avia. Nous venons de passer des heures à défendre des amendements visant à lutter contre l’exclusion et les discriminations. Inscrire cette tradition chrétienne dans notre Constitution ne va pas dans le sens de l’histoire ni de ce que nous sommes en train de faire dans le cadre de cette révision de la Constitution. Cet amendement, comme le disait M. Bastien Lachaud, est peut-être également provocateur. Je ne comprends pas, monsieur Ciotti, que vous défendiez un amendement de ce type, compte tenu de ce que nous sommes en train de faire aujourd’hui.

M. Éric Ciotti. Je respecte les positions qui ont été exprimées et voudrais revendiquer la mienne avec force et la dissocier des caricatures les plus grossières, comme celle qui vient d’être faite sur les migrants. Je ne m’exprime pas ici en représentant d’une foi, comme vous l’avez fait. Je n’entends aucune voix qui puisse s’exprimer de l’extérieur. Je suis un parlementaire. D’autres, manifestement, ont entendu des voix hier, si j’ai bien compris certains discours. Simplement, je n’ai pas de leçon à recevoir de votre part, monsieur Pancher. Il y a eu 15 000 morts en Méditerranée dans le cadre de la politique que vous soutenez et que vous ne voulez pas voir modifiée. Vous soutenez une politique d’ouverture qui est complice des passeurs – dont les ONG sont elles aussi complices – et qui a provoqué des morts. Le message d’ouverture des frontières de l’Europe a entraîné 6 000 morts supplémentaires dans les mois qui ont suivi. Je vous demande donc de respecter ma position comme je respecte la vôtre. Vous m’avez attaqué personnellement : je ne peux pas le tolérer.

Je ne parle pas ici en représentant d’une religion, bien au contraire. Si vous avez écouté mon argumentation, je revendiquerai, lorsque je défendrai un autre amendement, l’expression d’une laïcité beaucoup plus forte. Justement, je suis extrêmement attaché à cette laïcité républicaine : elle me paraît prioritaire aujourd’hui pour sauvegarder les principes fondamentaux de notre société. J’entends la frilosité de la majorité et du Président de la République concernant l’expression de cette laïcité, malgré quelques voix courageuses comme celle de M. Manuel Valls. Pour que nous puissions exprimer cette laïcité, il ne faut pas effacer notre passé. Nous pouvons rentrer dans de longs débats historiques mais qui peut nier que la France ait des traditions d’origine chrétienne ayant influencé nos modes de vie, notre organisation sociale, notre culture et notre identité ? Oui, je souhaite qu’on puisse figer cette identité pour que la France reste la France.

La Commission rejette lamendement.

M. Stéphane Mazars, président. À l’heure qu’il est, nous avons examiné 102 amendements et il en reste 1 262. Vous allez donc recevoir une convocation vous informant de l’ouverture de réunions ce vendredi et lundi prochain et de la probabilité que nous siégions samedi si notre rythme de travail reste le même.

Mme Delphine Batho. Peut-être les représentants des différents groupes pourraient‑ils se mettre d’accord pour qu’on laisse aux auteurs des amendements deux minutes pour les présenter et une minute aux orateurs souhaitant leur répondre ?

M. Stéphane Mazars, président. Nous réussirons à examiner l’ensemble des amendements dans des conditions satisfaisantes pour tout le monde.

3.   Deuxième réunion du mercredi 27 juin 2018 à 16 heures 30 (avant l’article 1er, suite)

Lien vidéo :

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.6313769_5b339d6475a6e.commission-des-lois--pour-une-democratie-plus-representative-responsable-et-efficace-suite-avan-27-juin-2018

M. Didier Paris, président. Avant de reprendre nos travaux je voudrais vous donner quelques chiffres, qui parlent d’eux-mêmes : nous avons examiné jusqu’à présent, en trois séances, 113 amendements ; il en reste 198 avant l’article 1er, et 1247 en tout.

Nous avons donc encore un gros travail. C’est la raison pour laquelle la commission des Lois a décidé d’ouvrir des séances supplémentaires vendredi et lundi prochain, mais également samedi si la nécessité s’en faisait sentir.

Je vous propose donc de resserrer vos interventions et de les limiter à deux minutes par orateur. Je ne donnerai par ailleurs la parole qu’à un orateur par groupe sur chaque amendement, sauf circonstances particulières.

Avant l’article 1er (suite)

[Article 1er de la Constitution, suite]

La Commission examine l’amendement CL796 de M. Jean-Luc Mélenchon.

M. François Ruffin. Il s’agit de voir reconnues par la Constitution les non‑croyances à l’égal des croyances, et de dire que la République doit protéger les non‑croyances comme elle protège les croyances. Cela n’a rien à voir avec de l’athéisme militant – j’ai personnellement échangé avec l’évêque de ma ville, participé à la rupture du jeûne et rencontrerais très volontiers le rabbin – mais constitue une mesure d’égalité pour la majorité de nos concitoyens, qui se partage entre agnosticisme et athéisme.

Nous nous inspirons ici de la constitution américaine, dans laquelle est inscrit depuis 2016 que « la liberté de croyance, de conscience et de religion protège les croyances aussi bien athéiste que non théistes et le droit à ne pas professer et ne pas pratiquer de religion ».

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Monsieur Ruffin, tout ce qui vient d’Amérique n’est pas nécessairement utile à notre République, d’autant que la mention du respect de toutes les croyances doit s’interpréter à la lumière du principe de laïcité, qu’elle vient renforcer.

Pour rappel, l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 protège la liberté de conscience, et donc d’opinion, de quelque nature que soit l’opinion, religieuse ou non ; elle protège donc la liberté de ne pas croire. Votre amendement me semble déjà satisfait. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CL795 de M. Jean-Luc Mélenchon.

M. François Ruffin. Nous proposons d’inscrire dans l’article 1er de la Constitution que « la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte et ce, sur aucun de ses territoires ». Il s’agit notamment d’en finir avec la situation singulière de l’Alsace-Moselle, où est encore appliqué le Concordat de 1801.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Il est exact que la définition de la laïcité n’est pas expressément écrite dans une norme constitutionnelle, même s’il est spécifié que la République est laïque.

Toutefois, en 2013, le Conseil constitutionnel a fait de ce principe, qui figure à l’article 1er de la Constitution et à l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, un principe constitutionnel, dont il résulte la neutralité de l’État, le respect de toutes les croyances, l’égalité de tous les citoyens devant la loi sans distinction de religion, et le fait que la République doit ne reconnaître aucun culte, garantir le libre exercice des cultes et n’en salarier aucun. Il n’apparaît donc pas nécessaire de consacrer la définition de la laïcité dans la Constitution.

À cette occasion, le Conseil constitutionnel a d’ailleurs jugé l’organisation des cultes dans le Bas-Rhin, le Haut-Rhin et la Moselle conforme au principe constitutionnel de laïcité, les constituants de 1946 et 1958 ayant expressément fait valoir qu’ils n’entendaient pas remettre en cause cette organisation.

À l’exception de ce point, votre demande est donc satisfaite. Avis défavorable.

M. François Ruffin. Vous me dites que la situation de l’Alsace-Moselle est conforme à ce qu’ont souhaité les constituants de 1946 et 1958, mais la question que je vous pose ici et maintenant est celle du maintien ou non de cette exception dans notre Constitution, après la révision constitutionnelle.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Et ma réponse est bien celle que je viens de vous donner ici et maintenant.

M. Sébastien Jumel. Si on s’appuie sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel pour rejeter les amendements, on risque de sombrer dans l’immobilisme. À ma connaissance, nous sommes ici pour enrichir la Constitution, la modifier, voire étoffer la jurisprudence du Conseil constitutionnel à partir de nos débats. Cette dernière ne nous est donc pas opposable au moment où nous révisons la Constitution, sinon qu’est ce qui va changer, si rien ne change ?

M. Richard Ferrand, rapporteur général. La révision constitutionnelle à laquelle nous travaillons ne vise pas à codifier la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Par ailleurs, le périmètre du projet de loi doit être respecté. C’est un choix, et nous l’assumons, l’idée de ce projet de loi n’est pas de remettre en cause l’organisation du culte dans le Bas‑Rhin, le Haut-Rhin et la Moselle.

Ceci explique ma réponse, qui voulait également rassurer monsieur Ruffin quant au fait que la jurisprudence du Conseil constitutionnel apporte des garanties, sans doute insuffisantes à ses yeux, mais des garanties tout de même.

M. Sébastien Jumel. C’est mieux dit comme cela.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CL545 de M. Éric Ciotti.

M. Jean-Louis Masson. Cet amendement propose que, dans les services publics et les entreprises, le port de signes ou tenues par lesquels les usagers et les salariés manifestent ostensiblement une appartenance religieuse soit interdit. Les ministres du culte et les personnes exerçant une fonction religieuse ne seraient cependant pas concernés par cette interdiction.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur général, la Commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur général, elle rejette ensuite l’amendement CL913 de M. Jean-Luc Warsmann.

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements CL1060 de M. Michel Castellani et CL1368 de M. Paul Molac.

M. Michel Castellani. Nous proposons que figure dans l’article 1er de la Constitution le respect de l’autonomie des territoires. Il s’appuie sur le rapport remis par la constitutionnaliste Wanda Mastor au président de l’Assemblée de Corse, selon lequel « le principe de l’indivisibilité ne saurait être interprété de manière absolue et faire obstacle à la décentralisation ». L’indivisibilité dont il s’agit est celle de la souveraineté, mais elle ne suppose pas l’unité des territoires.

Je rappelle que mon collègue Acquaviva et moi-même avons été élus sur un programme qui défendait clairement l’autonomie de la Corse, preuve qu’une majorité du corps électoral de la Corse est acquise à cette idée.

M. Paul Molac. L’idée est de donner davantage d’autonomie aux territoires, notamment en matière fiscale. Les élus locaux admettent en effet disposer de compétences, mais souhaiteraient également disposer des impôts qui vont avec, dont ils seraient en mesure de modifier les taux et les assiettes, selon le programme local sur lequel ils ont été élus. C’est une question de bonne gestion, et cela permettrait de responsabiliser les élus locaux par rapport à leurs électeurs, ce qui n’est pas nécessairement le cas lorsque la plupart des impôts locaux ont été remplacés par des dotations d’État. Je précise néanmoins que mon amendement va au-delà de l’autonomie fiscale.

M. Marc Fesneau, rapporteur. La décentralisation doit s’inscrire dans le respect du caractère indivisible de la République. Cela n’empêche pas la reconnaissance de certaines particularités et spécificités, comme c’est le cas pour la Corse et d’autres collectivités.

Vous le savez, le projet de loi prolonge ce mouvement, en consacrant notamment un droit à la différenciation pour les collectivités territoriales, droit spécifique dans le cas de la Corse.

Il ne nous paraît donc pas souhaitable d’aller au-delà en consacrant un principe d’autonomie des territoires, qui pourrait bouleverser l’organisation territoriale de notre pays.

J’ajoute que, dans votre exposé des motifs, monsieur Castellani, vous avez l’honnêteté de dire que cet amendement vise « à acter et à confirmer » un principe. Cela implique qu’il existe déjà dans la Constitution et qu’il est inutile de l’y intégrer de nouveau. Je suis donc défavorable à votre amendement.

Sur l’amendement CL1368, mon avis est le même, pour les mêmes raisons. Nous reviendrons sur l’autonomie fiscale, mais je vous invite à regarder la façon dont fonctionnent la fiscalité et l’autonomie des collectivités allemandes ou espagnoles, qui offrent des modèles plus aboutis que le nôtre.

La Commission rejette successivement les amendements.

Elle examine, en discussion commune, les amendements identiques CL1061 de M. Michel Castellani et CL1236 de M. Jean-Félix Acquaviva, et l’amendement CL315 de M. Paul Molac.

M. Michel Castellani. Nous proposons que le respect du principe de subsidiarité, principe essentiel du droit européen, soit inscrit dans l’article 1er de la Constitution. La constitutionnalisation de ce principe, dont le corollaire est la reconnaissance implicite de l’autonomie des territoires, permettrait de renforcer l’efficacité de l’action publique qui est, me semble-t-il, l’une des priorité du Président de la République.

M. Jean-Félix Acquaviva. J’ai bien compris que, dans l’esprit du Gouvernement, le droit à la différenciation n’est pas l’autonomie, laquelle est néanmoins reconnue par la Constitution pour la Polynésie française, Saint-Barthélemy et Saint-Martin. Or, l’autonomie permet une clarification des compétences et des financements, ce qui n’est pas le cas de la différenciation.

Ceci étant, reconnaître le principe de subsidiarité permettrait d’approfondir la décentralisation de l’organisation de la République, conformément aux principes de la construction européenne.

M. Paul Molac. La révision constitutionnelle qui a acté le fait que la République était décentralisée n’a pas produit les effets escomptés. C’est la raison pour laquelle nous déposons cet amendement sur le principe de subsidiarité, principe européen qui répartit les compétences entre l’État central et les différentes collectivités territoriales selon l’échelon le mieux adapté.

M. Marc Fesneau, rapporteur. L’article 72 de la Constitution précise que « les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l’ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à leur échelon ». C’est exactement la définition du principe de subsidiarité, il n’y a donc pas besoin d’ajouter autre chose. Avis défavorable.

M. Jean-Félix Acquaviva. Nous ne parlons pas du principe de subsidiarité qui s’applique entre l’État et les collectivités, mais entre les collectivités elles-mêmes. C’est pour cela que nous souhaitons que soit mentionné le fait que la République est organisée dans le respect du principe de subsidiarité à tous les échelons, de l’échelon européen à l’échelon local.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Je vous renvoie à l’article 72, où il n’est dit nulle part que ce principe ne s’appliquerait pas entre collectivités. On peut ensuite discuter de la pertinence de tel ou tel échelon pour telle compétence, mais je ne vois pas en quoi cela est différent de ce que vous demandez.

M. Sébastien Jumel. Sans oser le dire, c’est l’autonomie financière et fiscale des collectivités locales, ainsi que le principe de libre administration des collectivités locales qui, normalement, va de pair avec la clause générale de compétence pour les communes, que vous voulez mettre en miettes.

En effet, la vérité c’est que, bien que les communes aient une clause générale de compétence et qu’elles bénéficient formellement du principe de libre administration, leur asphyxie financière, le principe de différenciation que vous voulez inscrire dans la Constitution, et les intercommunalités mastodontes qui ont été mises en place aux forceps se conjuguent pour effacer progressivement les communes de la carte de notre organisation territoriale.

De même, la loi pour une nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe, en transformant les régions en Länder et en donnant la possibilité aux métropoles d’avaler une partie des compétences du département, a bousculé l’organisation territoriale de la France et a fait voler en éclats le couple commune-département.

D’où le fait que certains parlementaires dont je suis veuillent graver dans le marbre de la Constitution d’abord leur énorme attachement à la commune, puis l’aménagement équilibré du territoire, enfin, l’originalité de l’organisation territoriale de la France. Mais les libéraux que vous êtes, inspirés par les libéraux européens, ont décidé d’effacer cette originalité. Telle est la dure réalité des territoires oubliés de la République.

M. Jean-Pierre Vigier. Il a raison !

La Commission rejette successivement les amendements.

Elle est saisie des amendements identiques CL1199 de M. Pierre MorelÀL’Huissier, CL1464 de M. Vincent Descoeur, CL1465 de Mme Laurence TrastourIsnart et CL1467 de M. André Chassaigne.

M. Pierre Morel-À-L’Huissier. Cet amendement vise à inscrire dans l’article 1er de la Constitution que l’organisation de la République assure un aménagement équilibré des territoires. C’est une affirmation politique qui permettrait également de donner une base juridique aux politiques d’aménagement du territoire qui font défaut aujourd’hui dans notre pays. J’ajoute que le Conseil constitutionnel pourrait s’appuyer sur cette base pour développer une jurisprudence adéquate.

M. Jean-Pierre Vigier. Ces amendements sont essentiels car ils permettent de mieux prendre en compte la spécificité des territoires ruraux, qui contribuent à notre équilibre territorial et qui, s’ils ne réunissent que 20 % de la population, s’étendent sur 80 % du territoire.

Mme Laurence Trastour-Isnart. Cet amendement reprend une proposition de l’Association des maires ruraux de France, qui vise à intégrer la notion d’espace et de superficie du territoire dans la Constitution. Il s’agit de rééquilibrer et de défendre la représentativité des territoires.

M. Sébastien Jumel. Chacun a réaffirmé ici son attachement à l’unicité de la République, ce qui ne signifie pas son uniformité : ce qui fait la richesse de la France, c’est son unicité mais c’est aussi sa pluralité, sa diversité.

Afin de garantir l’unicité de la République, il faut que, quel que soit l’endroit où on naît, quel que soit l’endroit où on habite, il soit acté que l’on puisse avoir accès aux mêmes services, à la même République, à la continuité de l’État, autant de principes inscrits dans la Constitution.

Or, à force d’empilement des politiques publiques et de renoncements successifs de l’État dans les domaines sanitaire ou ferroviaire ou dans celui de bien d’autres services publics de proximité, la République a abandonné certains territoires. Pour le dire autrement, la départementalisation ou la régionalisation des services de l’État donnent le sentiment à une partie de la population qu’elle a été laissée au bord de la route.

Le fait que le constituant fasse de l’aménagement du territoire un objectif prioritaire me semble donc une urgente, une impérieuse nécessité, sinon le risque est grand que l’unicité de la République, à laquelle nous sommes tous attachés, vole en éclats façon puzzle, ce que personne ne souhaite.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Je partage avec les orateurs qui se sont exprimés l’idée que nous avons besoin d’un aménagement du territoire beaucoup plus harmonieux que ce qu’il est. M. Jumel a parlé tout à l’heure de miettes : je voudrais lui faire remarquer que cela n’est en rien imputable à la politique que nous menons, c’est le résultat d’un long processus, au terme duquel certains territoires ont pu, souvent légitimement, éprouver le sentiment d’avoir été abandonnés.

En ce qui concerne le principe d’égalité de tous, inscrit dans la Constitution, je voudrais vous faire part de mon expérience de maire d’une commune de sept cents habitants et de président d’établissement public de coopération intercommunale. La question étant posée d’ouvrir une maison de service public, j’ai abordé cette idée sous un angle différent, en imaginant une solution mieux adaptée à notre territoire rural, à savoir la mise en place de services publics itinérants. Ce que je veux dire, c’est que c’est moins l’égalité des services qui doit être prise en compte que l’égalité d’accès à ces services.

Il ne sert à rien d’ânonner « égalité, égalité » pour ne parvenir à aucun résultat car l’on n’a pas tenu compte de la spécificité de chaque territoire. Ce dont nous avons besoin, c’est de procéder à des rééquilibrages pour compenser les handicaps lorsqu’ils existent ; cela exige des réponses différentes.

En ce qui concerne la décentralisation, elle s’inscrit dans le respect de l’unité et de l’indivisibilité de la République ainsi que du principe d’égalité, et l’article 1er de la Constitution ne dit pas autre chose.

Le projet de loi que nous examinons comporte de nouvelles dispositions en matière de droit à la différenciation, dont l’un des objectifs est de concrétiser l’idéal d’égalité entre toutes les personnes, quel que soit l’endroit où elles se trouvent.

Il me semble donc que la réponse à vos préoccupations, tout à fait légitimes, relève davantage de l’effectivité des politiques publiques menées. Or, admettons que, depuis vingt ans, celle-ci n’était pas au rendez-vous.

Avis défavorable.

M. Sébastien Jumel. Je n’ânonne pas « égalité, égalité » et il ne m’a pas échappé que, selon une jurisprudence constante, le principe d’égalité conduit à ce que, à des situations différentes s’appliquent des traitements différents, y compris construites par les acteurs locaux, pour permette précisément l’égalité réelle.

Mais, force est de constater que, lorsqu’on n’y prend pas garde, notre devise s’écrit rapidement « Liberté, égalité si t’as du blé » ou « Liberté, égalité si t’es bien né », liberté et égalité en somme, pour ceux qui sont nés au bon endroit.

Or, le rôle de la République, c’est de réaffirmer sans cesse la présence de l’État et de garantir pour cela un aménagement équilibré du territoire, sans quoi on est dans l’enfumage. Je n’ânonne donc pas mais affirme qu’il faut donner une traduction concrète au principe d’égalité inscrit au fronton de tous nos édifices républicains.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. L’enfumage consiste selon moi à laisser croire qu’inscrire dans la Constitution l’aménagement du territoire est une garantie que les politiques publiques seront bénéfiques à cet aménagement. Ne faisons pas de la Constitution le réceptacle de toutes nos bonnes intentions, faisons-en plutôt un cadre où les grands principes sont rappelés, et faisons en sorte que nos politiques publiques apportent les réponses nécessaires à nos compatriotes.

Mme Cécile Untermaier. Le groupe Nouvelle Gauche soutiendra ces amendements, non que nous souhaitions qu’ils soient inclus tels quels dans la Constitution, mais nous appelons à un vrai débat, notamment lors de la discussion en séance, sur cette question d’un aménagement du territoire équilibré. Nous devons obtenir la garantie que, lorsqu’on parle de différenciation, il ne s’agit pas de lancer « débrouillez-vous ! » aux territoires, notamment ruraux, qui deviendraient les laissés-pour-compte de la République.

M. Pierre Morel-À-L’Huissier. Le rapporteur semble nous reprocher de nous livrer à une incantation sur l’égalité et sur l’aménagement harmonieux, équilibré du territoire. Je pourrais vous rétorquer que vous faites de même avec vos incantations environnementales ! Vous vous fixez de grands objectifs environnementaux ; nous défendons pour notre part une approche harmonieuse et équilibrée de l’aménagement du territoire, et vous ne pouvez pas nous le reprocher.

M. Philippe Gosselin. Notre groupe s’inquiète de la fracture territoriale et du phénomène de métropolisation qui semble laisser de côté une grande partie du pays. Ce constat s’appuie sur l’irrégularité de la couverture numérique qui prive certaines zones du haut débit, sur l’existence de déserts médicaux et de carences dans les aménagements routiers et les infrastructures. Il me semble donc que nous devons saisir l’occasion de cette révision constitutionnelle pour ouvrir le débat sur l’aménagement des territoires, et je pense également que ces amendements ont le mérite d’exprimer notre préoccupation.

S’il est important que la Constitution pose comme un principe fondamental l’égalité entre les hommes et les femmes sans aucune distinction d’origines, l’égalité entre les territoires l’est tout autant, car nous ne vivons pas en lévitation, et chaque habitant de la France, en métropole ou outre-mer, est attaché à un territoire. Ces territoires ont besoin d’être reconnus en tant que tels : c’est ce que l’on appelle l’unité dans la diversité.

M. François Ruffin. Je soutiens également cet amendement, en pensant à la fois aux banlieues et aux territoires ruraux.

Je conçois bien, comme le rapporteur, qu’il ne faut pas prendre les mots pour les choses, et que le fait de voter une loi ne transforme pas automatiquement, mécaniquement et immédiatement le réel. Il faut toujours garder à l’esprit qu’il y a un immense décalage entre le texte adopté et sa traduction sur le terrain. Cela étant, lorsqu’il s’agit de modifier la Constitution, les mots ont une valeur performative, et l’on peut penser que formuler les choses dans ce cadre-là peut avoir une forme d’efficacité – cela est vrai notamment pour les questions environnementales.

M. Michel Castellani. Le principe d’égalité est un principe fondamental, qu’il ne faut pas interpréter de façon restrictive : il s’agit non seulement de l’égalité face à la loi mais également de l’égalité face à l’accès aux services publics, face à la proximité des centres de soins, face à la couverture numérique ou à la qualité des infrastructures. Nous soutenons donc ces amendements.

La Commission rejette les amendements.

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements identiques CL316 de M. Paul Molac et CL1070 de M. Michel Castellani, les amendements identiques CL317 de M. Paul Molac et CL1071 de M. Michel Castellani, les amendements CL1221 de M. JeanFélix Acquaviva et CL1469 de M. Michel Castellani, les amendements identiques CL1058 de M. Michel Castellani et CL1285 de M. Jean-Félix Acquaviva.

M. Paul Molac. Je défendrai ensemble l’amendement CL316 et l’amendement CL317 qui est un amendement de repli. Il s’agit d’inscrire dans la Constitution la reconnaissance des communautés historiques et culturelles vivantes que constituent les divers peuples de France.

La France a en effet ceci de particulier qu’elle ne reconnaît aucune minorité ni culturelle, ni linguistique, ce qui n’est pas le cas dans d’autres pays. C’est un problème, et le comité des droits économiques, sociaux et culturels de l’ONU enjoint la France de reconnaître ses minorités pour permettre la mise en œuvre de politiques à leur attention.

Je pense aux minorités linguistiques, mais pas seulement, car on sait, par exemple, que des habitudes de consommation propres à certaines minorités peuvent favoriser telle ou telle maladie. Or, le fait de ne pas pouvoir établir de statistiques sur ces minorités compromet l’efficacité des réponses que peut apporter notre système de soins.

Cette reconnaissance n’est en rien contradictoire avec le fait de reconnaître l’unicité de la République et de la citoyenneté, puisqu’on sait qu’il existe de facto des minorités : j’en sais quelque chose puisque j’appartiens moi-même à la minorité bretonne.

M. Philippe Gosselin. Où commence la minorité bretonne ?

M. Erwan Balanant. Mais ce n’est pas une minorité !

M. Michel Castellani. La France est constituée de citoyens égaux face à la loi, mais elle est également constituée de territoires ayant leur personnalité propre, qui s’enracine dans leur cadre géographique, leur histoire, leur culture et un fort sentiment d’appartenance commune. Selon nous, la Constitution devrait donc reconnaître la diversité de ces communautés historiques et culturelles.

L’amendement CL1071 est un amendement de repli.

M. Jean-Félix Acquaviva. Il s’agit toujours de reconnaître et de favoriser l’autonomie territoriale, et il me semble qu’il est important que nous allions au fond du débat, alors que nous discutons de notre loi fondamentale.

J’entends que le projet de révision établit un droit à la différentiation et qu’il reconnaît, dans son article 16, la spécificité de la Corse. Sauf que – nous sommes mandatés par l’Assemblée de Corse et par nos électeurs pour vous le dire – la Corse a connu deux statuts, celui de 1991 et celui de 2002 et que la reconnaissance que vous proposez est une reconnaissance du droit à demander des adaptations pour la Corse, et non la reconnaissance directe de ces adaptations. Nous n’en n’avons pas besoin, puisque l’Assemblée de Corse dispose déjà de la capacité de les demander par délibération.

Cela signifie que ce que vous proposez est une inscription purement symbolique et décorative, et que nous sommes face à un nouveau rendez-vous manqué. Vous créez une nouvelle usine à gaz, alors que nous demandions l’autonomie au sein de la République, ce qui était pourtant un engagement du président Macron, ici foulé aux pieds.

En d’autres termes, vous refusez un véritable transfert de responsabilités, un vrai pacte de confiance, permettant que le législateur organise la gestion de ce qui est susceptible d’être mieux géré à l’échelle de la Corse, ou de tout autre territoire, par l’assemblée délibérante territoriale.

Vous ne le voulez pas car, comme toujours, votre jacobinisme fait que vous avez peur, et vous faites cinq pas en avant pour six pas en arrière.

Mais l’autonomie, ce n’est pas l’indépendance ! L’autonomie, c’est forcément au sein de la République, et je ne parle pas d’une république intergalactique… L’autonomie, c’est un partage des compétences et des responsabilités, c’est la responsabilisation c’est s’assumer, c’est être au plus près de ce qu’attendent les citoyens, c’est-à-dire gérer leurs problèmes.

J’en terminerai en signalant que, sur quarante demandes d’adaptation faites par l’Assemblée de Corse, dans le cadre du statut de 2002, trente-huit sont restées sans réponse et deux ont essuyé un refus. En attendant, les problèmes sociaux et économiques perdurent.

M. Michel Castellani. L’amendement CL1469 propose de compléter l’article 1er de la Constitution pour préciser que la République reconnaît et favorise l’autonomie des territoires.

L’amendement CL1058 complète le précédent en inscrivant dans l’article 1er de la Constitution que la République tient compte de la diversité culturelle et linguistique du pays. La question des langues régionales avait déjà été soulevée par M. Warsmann lors de la révision constitutionnelle de 2008. Pour ma part, je rappellerai que les langues ne s’excluent pas les unes les autres ; elles s’ajoutent les unes aux autres, ajoutent à la connaissance du monde et à la richesse individuelle et collective.

M. Jean-Félix Acquaviva. Nous manquerions à notre devoir si nous ne défendions pas ce que nous sommes, à savoir des locuteurs de différentes langues : nous nous levons le matin, et nous passons tout au long de la journée du français au corse et vice-versa. On ne peut pas renier sa couleur de peau. Or, la langue est une couleur de peau, et le fait que la Constitution reconnaisse ces langues et le droit des locuteurs à les pratiquer sans les imposer aux autres me paraît fondamental, à moins de renier la couleur de peau des citoyens et leur identité profonde.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Les amendements en discussion commune abordent des questions de nature différente.

Les premiers visent à reconnaître les communautés historiques et culturelles vivantes du territoire. Leurs auteurs introduisent de ce fait – y compris dans leur exposé sommaire – la notion de diversité des cultures, donc des peuples. Or, je suis obligé de leur rappeler que le peuple français, comme le précise la Constitution, est un et indivisible. Nous nous en tiendrons donc là. Mais cela n’empêche pas de reconnaître, par la voie de la décentralisation et par le biais des améliorations que l’on entend apporter au travers de la différenciation, une plus grande autonomie aux territoires qui pourront ainsi exprimer leur diversité.

D’autres amendements concernent les langues régionales. Or, selon l’article 75-1 de la Constitution, « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France ». Il me semble que cela participe de la reconnaissance des langues régionales.

D’autres amendements, enfin, font référence au droit à la différenciation, sur lequel M. Acquaviva s’est exprimé tout à l’heure, en évoquant l’article 16 du projet de loi. Plus précisément, notre collègue a dit que l’État et le Parlement décideraient d’éventuelles adaptations. Je relis donc cet article :

(…) « La Corse est une collectivité à statut particulier au sens du premier alinéa de l’article 72.

« Les lois et règlements peuvent comporter des règles adaptées aux spécificités liées à son insularité ainsi qu’à ses caractéristiques géographiques, économiques ou sociales.

« Sauf lorsque sont en cause les conditions essentielles d’exercice d’une liberté publique ou d’un droit constitutionnel, ces adaptations peuvent être décidées par la collectivité de Corse dans les matières où s’exercent ses compétences et si elle y a été habilitée, selon le cas, par la loi ou le règlement. » (…)

Ainsi, monsieur Acquaviva, ces adaptations peuvent être exercées « par la collectivité de Corse ». Je trouve donc inexact – je n’ai pas dit « mensonger ou faux » – ce que vous avez dit. Je pense que si nous votons l’article 16, vous aurez la capacité d’adapter les lois et les règlements.

Je citerai encore la dernière phrase de l’article 16 : « Ces adaptations sont décidées dans les conditions prévues par la loi organique ». On se donne donc un cadre pour décider de ces adaptations, ce qui ne me paraît pas illégitime.

J’ajouterai qu’une révision constitutionnelle est en cours, que l’Assemblée nationale y travaille, et que le Sénat a son mot à dire. Des avancées ont déjà eu lieu malgré les précautions, voire les craintes du Sénat – que je ne juge pas. Mais à vouloir aller trop loin, on rend tout progrès impossible.

Même si nous ne sommes pas d’accord avec vous sur les voies et moyens, nous souhaitons que ces adaptations soient rendues possibles. Pour cela, il faut réunir une majorité des trois cinquièmes. Et pour qu’il y ait une majorité des trois cinquièmes, il faut que le Sénat ait la même vision de la décentralisation.

Encore une fois, nous faisons notre travail de parlementaires, nous essayons d’aller aussi loin que possible, mais nous devons être conscients de certaines limites, comme l’a rappelé hier en préambule notre rapporteur général.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Je rappelle que sous la précédente législature, à une très large majorité, l’Assemblée nationale avait ratifié la Charte européenne des langues régionales et minoritaires. Or, le Sénat s’était opposé clairement à la révision constitutionnelle que cela impliquait. Au-delà de ce que cela peut représenter symboliquement, à quoi bon adopter une disposition qui risque d’éloigner encore les positions de l’Assemblée de celles du Sénat, et de compromettre toute chance de succès ?

Donc, on peut être, et c’est mon cas, favorable à cette ratification, mais y renoncer ici, sachant que cela n’aboutira pas et pourrait même fragiliser les avancées que nous portons ensemble depuis le début de nos débats.

M. Sébastien Jumel. Ce que vient de dire le rapporteur général est intéressant. Y a-t-il eu un deal avec le Sénat ? De quelle nature ? Et dans la mesure où certains sujets ont fait l’objet de deals ou de trocs, où en est notre marge de discussion ?

M. Erwan Balanant. M. Jumel voit toujours plus loin !

M. Sébastien Jumel. M. Jumel n’est pas naïf. Le rapporteur général vient de nous dire que si nous voulions faire prospérer notre réforme, nous ne devions pas faire violence aux sénateurs. OK, mais quelle est la nature du deal ? À partir de quel moment pouvons-nous considérer que nous perdons notre temps ? J’ai besoin de savoir jusqu’où on peut aller avec les amendements.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Monsieur Jumel, on n’a évidemment pas passé de deal. De toutes les façons, à la fin, il y aura un accord – je préfère utiliser un mot français.

Notre objectif est d’aboutir à cette révision de la Constitution, et je l’ai dit dès mon propos introductif, nous ne ferons rien pour que les points de vue entre nos deux assemblées s’éloignent plus qu’ils ne le sont déjà.

Quelle est la bonne distance à respecter ? Il suffit de lire le rapport du président Larcher et de ses collègues, les récentes tribunes parues dans de nombreux journaux, et d’écouter les uns et les autres. Et il suffit de se rappeler que l’Assemblée nationale avait adopté à une très large majorité la ratification de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires, et que le Sénat avait dit qu’il n’en était pas question.

Par conséquent, il est inutile de créer un écart entre les deux assemblées, au risque d’affaiblir nos chances de succès – succès qui ne nécessite aucun deal préalable. Je ne fais que vous inciter à faire preuve d’un peu de jugeote pour mener à bien nos travaux.

M. Sébastien Jumel. Nous voilà rassurés !

M. Philippe Gosselin. Je voudrais revenir sur la notion de peuples « divers et variés ». En disant cela, je ne me moque pas et je ne renvoie pas d’un revers de main l’existence d’origines différentes, de cultures qui se sont agrégées les unes aux autres : c’est l’histoire de France dans sa diversité, dans sa singularité. Mais la question n’est pas là.

Je vous rappelle la décision du Conseil constitutionnel, rendue il y a plus de vingt ans : il n’y a pas de peuples au pluriel, mais un seul « peuple français ». Du reste, on retrouve cette expression dans le premier alinéa du Préambule de la Constitution, qui date de 1946.

Après les épreuves difficiles de la Seconde guerre mondiale, le Préambule fait en effet référence au peuple français dans sa totalité. Et il faut lire ce premier alinéa avec l’antépénultième alinéa, qui fait également référence aux peuples d’outre-mer. On est bien sûr dans l’optique de la décolonisation, et du rapport particulier qu’entretiendra par la suite la Communauté telle qu’elle existait en 1958, avec les peuples d’outre-mer. Mais cela montre a contrario qu’il y a bien un seul peuple français, même si les peuples d’outre-mer ont été mis en situation de dépendance – ce dont on pourrait débattre, mais ce n’est pas le moment.

Il y a donc bien, et de façon constante, un peuple français qui est reconnu comme tel, ce qui ne fait d’ailleurs pas obstacle à la reconnaissance d’éléments culturels – comme les langues.

Enfin, j’observe que, par le biais de son amendement CL1071, notre collègue Castellani propose de reconnaître les communautés historiques et culturelles vivantes. Mais qu’est-ce qu’une « communauté historique » ? Par quels critères peut-on la définir ? Le critère de la langue, ou un autre critère ? Nous risquons de mettre le doigt dans un engrenage très dangereux alors même que ce matin, nous avons évoqué l’interdiction des différences liées aux origines, au sexe, etc. ce qui me paraît évidemment de bon aloi.

M. Jean-Luc Warsmann. J’ai été l’auteur de l’amendement qui a permis l’entrée des langues régionales dans la Constitution. Nous avons essayé de trouver le meilleur équilibre possible dans la Constitution, et j’apporterai tout mon soutien au rapporteur général. Je pense que pour le reste, ce sera au législateur de trouver des solutions et des aménagements. Je crois donc que la sagesse est d’en rester là.

M. Michel Castellani. Je répondrai à notre collègue que le critère, c’est le sentiment d’appartenance. Je pense que tous, autant que nous sommes, nous avons plusieurs dimensions : mondiale, européenne, française ; et puis nous avons nos racines. Tout cela est indissociable dans notre cerveau, et ne pose pas de problème, selon moi. Et en tout cas, l’unité de la France ne s’en trouve pas menacée.

Je voudrais revenir sur la question qui a été évoquée il y a deux minutes. Pour ma part, je ne connais pas les circonvolutions des relations entre le Sénat et l’Assemblée nationale : pour moi, le Sénat c’est le Sénat, et l’Assemblée nationale, c’est l’Assemblée nationale. La réforme constitutionnelle est pour nous une occasion en or de répondre à des besoins que la Corse a exprimés démocratiquement – et c’est grâce au vote de cette dernière que nous sommes ici.

Nous n’avons pas besoin de faire, par plaisir, de l’escalade institutionnelle. Nous avons besoin de moyens qui nous permettent de nous adapter de façon permanente, et de mordre sur les réalités – l’état social de la Corse, l’acculturation dont elle souffre aujourd’hui, et la spéculation déchaînée qui entraîne une ségrégation par l’argent.

C’est simple : nous avons besoin de moyens pour changer les réalités de la Corse, qui sont inacceptables pour nous et pour le corps électoral.

M. Paul Molac. Pour ma part, comme M. Pierre Joxe, je vois le peuple corse comme une partie intégrante du peuple français. Nous voulons être reconnus pour ce que nous sommes, tout en appartenant à ce peuple français. C’est ainsi qu’on voit les choses dans nos territoires – je vous renvoie aux matriochkas que j’évoquais ce matin.

Maintenant, l’article 75, alinéa premier, de la Constitution ne protège aucunement nos langues, pour la bonne raison qu’il faudrait prendre une loi derrière. D’ailleurs, le Conseil constitutionnel a dit qu’en fait, cet article ne servait à rien en tant que tel, et qu’il ne donnait aucun droit.

Je peux vous donner cet exemple : quand un inspecteur refuse d’ouvrir une classe de breton, on nous dit que de toutes les façons, ce n’est pas obligatoire. C’est donc optionnel, et si nous allions devant le tribunal administratif, nous serions déboutés. De fait, en tant qu’ancien président d’une association de parents d’élèves pour l’enseignement du breton à l’école publique, j’ai formé des recours devant le tribunal administratif, et c’est ce qui s’est passé. Si le breton avait été une matière obligatoire, ç’eût été différent. On voit bien qu’il y a deux poids, deux mesures.

J’observe enfin qu’à la vitesse où l’on va pour développer l’enseignement bilingue breton-français, il faudra attendre 2118 pour pouvoir proposer concomitamment l’enseignement du breton et du français à un tiers de la population – condition pour que la langue perdure !

La Commission rejette successivement les amendements.

Elle examine les amendements identiques CL1059 de M. Michel Castellani et CL1238 de M. Jean-Félix Acquaviva.

M. Michel Castellani. Nous suggérons, à travers notre amendement, de réintroduire à l’article 1er la Constitution : « Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France ».

Cela avait été voté en 2008 par l’Assemblée nationale, mais repoussé par le Sénat. Si je comprends bien, cette phrase a été « recasée » à l’article 75-1. Nous considérons qu’elle a davantage sa place à l’article 1er.

M. Jean-Félix Acquaviva. De la même façon, nous voulons réintroduire les langues régionales à l’article 1er. Je suis conscient des contingences politiques et tactiques qui ont été évoquées, mais on ne peut pas non plus éviter le débat solennel sur cette question d’autant plus que les réformes constitutionnelles n’ont lieu que tous les dix ou quinze ans.

La question de la Charte des langues minoritaires est malheureusement posée depuis très longtemps. Quasiment tous les candidats à la Présidence – le dernier étant M. Emmanuel Macron – se sont déclarés favorables à sa ratification, sans que celle-ci n’ait été matérialisée à un moment ou à un autre.

Nous réaffirmons que c’est une question centrale et importante. Je ne vois pas comment vous allez la résoudre. Quoi qu’il en soit, on risque encore de créer de la déception dans les territoires.

Enfin, monsieur le rapporteur Fesneau, je ne pense pas que ce que j’ai dit à propos de l’article 16 soit inexact : c’est un droit à demande, et c’est le Parlement qui disposera. Il n’y a pas de transfert de responsabilité direct à l’assemblée délibérante. Je maintiens ce que j’ai dit, et on reviendra là-dessus parce que c’est très important. Il ne faut pas que l’on pense que ce sera efficient, alors que ça ne le sera pas.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Nous partageons ce que vous dites sur les amendements CL1059 et CL1238. Simplement, l’article 75-1 de la Constitution dispose déjà que « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France ». Quelle est l’utilité de reprendre, quasiment mot pour mot, ce qui figure à l’article 75-1 de la Constitution ? Ce serait superfétatoire.

M. Paul-André Colombani. Il y a trente ans, sous M. Pierre Joxe, les législateurs qui étaient là, à notre place, avaient voté : « La République française garantit la communauté historique et culturelle vivante que constitue le peuple corse, composante du peuple français. » Et je ne sais pas si certains s’en souviennent, mais la situation de la Corse n’était pas du tout la même qu’aujourd’hui. Et j’ai peur qu’aujourd’hui, on rate notre rendez-vous avec l’Histoire.

La Commission rejette les amendements.

Puis elle examine les amendements identiques CL65 de M. M’jid El Guerrab et CL967 de M. André Chassaigne.

M. M’jid El Guerrab. L’amendement CL65 tend à préserver l’ancrage territorial des parlementaires dans la Constitution. Le principe d’égalité devant le suffrage ne saurait faire obstacle à une meilleure représentation des territoires dans les assemblées locales, dans les limites que le pouvoir constituant aura assignées au législateur.

Je souhaite donc que le texte de la Constitution soit ainsi complété : « afin de garantir l’égalité de suffrage tout en définissant les conditions dans lesquelles la représentation équitable des territoires pourra désormais être assurée par le législateur ». De cette façon, même si le nombre de parlementaires devait être réduit d’un tiers, un lien fort demeurerait entre les parlementaires et les territoires. Il faut prendre en considération les spécificités locales.

M. Sébastien Jumel. J’ai déjà dit qu’il y avait le texte et le contexte, le texte et deux autres textes. Celui-ci masque mal les velléités de ce Gouvernement de découper la France au scalpel, en formant de nouvelles circonscriptions taille XXL, et en affaiblissant l’opposition qui ne pourra plus porter la voix du peuple et la force des territoires.

Il faudra bien, à un moment donné, parler de la commission qui conseillera le ministre de l’intérieur pour procéder à ce découpage. Sera-t-il nécessaire de recourir à des experts indépendants ? Mais surtout, il faudra s’être assuré de la représentation équitable des territoires qui font la France. C’est le sens de l’amendement CL967.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Il n’est pas question pour nous, ni maintenant, ni à l’avenir, de remettre en cause la représentation des territoires au sein de la République.

J’ai le sentiment que vous souhaitez, en ajoutant cette précision, anticiper le débat que nous aurons en septembre sur la modification du nombre et du mode d’élection des parlementaires. Nous en parlerons à ce moment-là.

J’ajoute que le juge constitutionnel a toujours rappelé ce principe de représentation équitable des territoires, notamment à l’occasion des découpages électoraux. La jurisprudence du Conseil constitutionnel est assez constante et claire en la matière.

Pour le reste, le Sénat a pour mission de représenter les collectivités territoriales de la République, comme le prévoit l’article 24 de la Constitution, et les députés sont élus dans des circonscriptions organisées par département.

Le projet de loi constitutionnel que nous examinons ne remet en cause aucune dimension de cette organisation, donc la jurisprudence qui va avec.

Enfin, je m’interroge sur le sens à donner à la notion de « représentation équitable » qui n’est pas un principe constitutionnel. D’ailleurs, qu’est-ce que l’équité ?

Avis défavorable.

M. Philippe Gosselin. Effectivement, le Conseil constitutionnel a une jurisprudence constante, en précisant toutefois que la répartition se fait sur « une base essentiellement démographique ». Or, cette base essentiellement démographique exclut, de fait, la représentation « des territoires ». C’est important de le rappeler. Autrement dit, il y a bien une difficulté.

La Commission rejette les amendements.

Elle est saisie de l’amendement CL1039 de M. Vincent Bru.

M. Vincent Bru. J’ai trouvé un peu surprenant que, dans ce projet de loi constitutionnel, on ne fasse pas référence à l’Union européenne. En effet, l’exercice de la souveraineté nationale, l’exercice des compétences de l’État, est fortement influencé par l’existence de l’Union.

L’article 1er de notre Constitution pose les valeurs, les principes fondamentaux de cette République française, qui exerce désormais sa souveraineté, comme le dit l’article 88-1 – de manière volontaire, d’ailleurs – dans le cadre des compétences de l’Union européenne.

J’ai fait en quelque sorte un parallèle. Le titre XII de la Constitution est intitulé « Des collectivités territoriales ». Mais en 2003, le Constituant a pris le soin de préciser à l’article 1er que l’organisation de la République française était décentralisée. De la même manière, il existe dans la Constitution un titre XV « De l’Union européenne ». Je propose donc que la référence de l’appartenance à l’Union européenne soit reprise à l’article 1er, au titre des caractéristiques fondamentales de la République française.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Vous avez rappelé, cher collègue, ce que j’ai dit moi-même tout à l’heure à l’occasion des débats sur le Préambule, en indiquant que le texte actuel de la Constitution portait déjà, au titre XV, la marque d’une adhésion profonde à l’idée européenne. En fait, vous vous demandez si cet aspect des choses est placé au bon endroit…

M. Vincent Bru. Il faut le confirmer à l’article 1er !

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Il me semble que les choses, quand elles sont écrites, le sont une bonne fois pour toutes. Par conséquent, avis défavorable à cette proposition.

M. Sébastien Jumel. Je réagis avec retard, et vous prie de m’en excuser. Mais je souhaiterais éclairer notre collègue rapporteur. L’équité est-elle un principe juridique, et ce principe a-t-il une valeur constitutionnelle ?

Selon un maître des requêtes du Conseil d’État, le droit au recours et l’équité sont deux notions si cardinales en droit qu’elles sont en réalité presque consubstantielles à l’appréhension de l’identification de notre système juridique. Ainsi l’équité – donc la répartition équitable des territoires – n’est pas une notion inventée pour la circonstance : elle a bien une valeur juridique irréfragable.

M. Marc Fesneau. Certes, un maître des requêtes au Conseil d’État dit que l’équité est un principe important. Mais cela ne répond toujours pas à la question posée sur ce que cela veut dire.

La Commission rejette l’amendement.

Elle est saisie, en discussion commune, des amendements identiques CL184 de M. M’jid El Guerrab et CL1374 de Mme Stella Dupont, de l’amendement CL799 de Mme Clémentine Autain, de l’amendement CL405 de Mme Marie-Pierre Rixain, des amendements identiques CL457 de Mme Cécile Untermaier et CL922 de M. Sébastien Jumel, des amendements identiques CL821 de Mme Delphine Batho et CL1019 de Mme Hélène Vainqueur-Christophe et de l’amendement CL430 de Mme Cécile Untermaier.

M. M’jid El Guerrab. Dans son livre L’amour en plus, Mme Élisabeth Badinter observait que « la femme pouvant être mère, on en a déduit qu’elle devait l’être… et ne trouver son bonheur que dans la maternité ». Les choses ont très heureusement évolué, et il est souhaitable que les femmes puissent exercer des responsabilités politiques, professionnelles et sociales. Par le biais de cet amendement CL18, il s’agit de renforcer l’égalité entre les femmes et les hommes dans la Constitution. C’est une préconisation du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes.

M. Sébastien Jumel. Mon collègue Moetai Brotherson vient de me montrer un beau dessin, qui représente l’égalité et l’équité. L’égalité, ce sont trois bonshommes de taille différente qui regardent un match de foot, chacun étant debout sur la même caisse ; mais le petit ne voit que la palissade. L’équité, ce sont toujours trois bonshommes de taille différente ; mais le petit est assis sur une caisse un peu plus haute, ce qui lui permet de voir le match comme le plus grand.

L’équité et l’égalité, lorsque l’on est parlementaire de la République, c’est de considérer que, pour tendre à l’égalité, il faut, à situation différente, un traitement différent. Et c’est de cela dont il s’agit lorsque l’on parle de la représentativité et de la diversité des territoires.

Mme Stella Dupont. L’amendement CL1374 vise à renforcer l’égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités politiques, professionnelles et sociales. On parle souvent du « plafond de verre », et nous le constatons par exemple au quotidien, sur nos bancs, dans l’hémicycle. Malgré des évolutions positives, on a encore du chemin à faire, mesdames, chères collègues… et messieurs, chers collègues, puisque c’est une affaire d’hommes et de femmes.

Notre amendement propose de lutter contre cet état de fait, dont on parle depuis fort longtemps, sans qu’on ait trouvé à ce jour de solution totalement efficace. Nous pensons que nous devons inscrire dans la norme suprême cet égal accès de toutes et tous aux différentes fonctions. Là encore, nous jouons sur l’imaginaire collectif, qu’il convient de faire évoluer pour faire évoluer toute notre société. Et, comme on l’a déjà dit, c’est une recommandation du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes.

Mme Danièle Obono. Nous proposons de réécrire l’alinéa 2 de l’article 1er, pour inscrire dans la Constitution l’objectif d’atteindre l’égalité réelle entre les femmes et les hommes. Il ne suffira plus de proclamer que l’égalité femme homme est une grande cause nationale, il faudra la réaliser !

Nous tenons à ce que la loi « garantisse » l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes, et ne se contente pas de la favoriser, comme c’est indiqué jusqu’à présent dans le texte constitutionnel.

Cela correspond à une préconisation du Haut Conseil à l’égalité, afin d’encourager le pouvoir législatif à toujours s’assurer que son activité permet d’atteindre l’égalité réelle entre les femmes et les hommes. C’est également en lien avec des propositions que nous faisons en tant que mouvement. Mais nous ne doutons pas que cet amendement recueillera un large assentiment, comme les précédents, puisque nous sommes toutes et tous, investis et engagés pour garantir cette égalité réelle, et pas simplement formelle, dans le texte de loi.

Mme Isabelle Rauch. L’amendement CL 405 est issu du rapport qui a été adopté à l’unanimité par la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité entre les hommes et les femmes. Il vise à renforcer le principe de parité inscrit au second alinéa de l’article 1er.

En effet, nous devons aujourd’hui aller plus loin en l’inscrivant et en le garantissant explicitement dans notre Constitution. Cet amendement propose de reformuler le second alinéa de l’article 1er de la Constitution, en remplaçant « la loi favorise » par la formule « la France assure », afin d’accentuer la portée du principe de l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales.

Remplacer le verbe « favoriser » par « assurer » permettra de passer d’une obligation de moyens à une obligation de résultats. Remplacer le sujet « la loi » par « la France » permettra de ne pas limiter ce dispositif à une simple habilitation du législateur, mais de garantir que ce principe irrigue l’ensemble de notre droit : il appartient à notre pays, à tous les niveaux, dans tous ses engagements nationaux et internationaux, de défendre ce principe de parité.

Mes chers collègues, il est temps de garantir la parité dans notre pays si nous voulons construire une société d’égalité.

Mme Cécile Untermaier. Monsieur le président, je défendrai en même temps les trois amendements du groupe Nouvelle Gauche : CL457, CL1019 et CL430.

Dans le premier amendement, nous souhaitons substituer « assure » à « favorise ». À un moment où l’on constate que l’égalité des femmes et des hommes n’est pas un objectif atteint, une affirmation de principe qui n’a pas seulement une valeur performative, mais aussi une portée juridique, est bien nécessaire.

Dans l’amendement CL1019, nous proposons d’écrire « garantit » au lieu de « favorise ». Nous faisons ainsi référence au Préambule de la Constitution de 1946 qui dispose, au 3° : « La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme ».

Enfin, en l’état actuel de notre Constitution, l’article 1er prévoit que la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités sociales et professionnelles. L’amendement CL430 vise à étendre à tous les autres domaines le principe de l’intervention législative en vue d’assurer l’égalité des femmes et des hommes. En outre, il précise que la loi devra garantir une égale rémunération entre les femmes et les hommes.

Le groupe Nouvelle Gauche sera satisfait si à « favoriser », on substitue le mot « garantit ».

M. Sébastien Jumel. Il s’agit d’aller plus loin dans notre volonté de concrétiser les objectifs de parité. Les favoriser est une chose, les assurer en est une autre, et les garantir, au bout du compte, doit être au cœur de notre texte constitutionnel. C’est le sens de l’amendement CL922. Quelquefois le diable est dans le détail, et dans les verbes employés : assurer la parité, c’est plus fort que la favoriser. Et ce peut être un support pour la jurisprudence constitutionnelle.

Mme Delphine Batho. Ce débat illustre l’importance du choix des verbes.

Je ne peux pas aborder les alinéas sur la parité sans saluer la réforme qui avait été engagée par M. Lionel Jospin à l’époque. Mais la rédaction est effectivement datée et de fait, « favoriser » l’égal accès des hommes et des femmes aux responsabilités électives, aux responsabilités sociales, économiques, etc. ce n’est pas la même chose que de le « garantir ». En voici un exemple concret : le législateur s’est contenté d’instituer des amendes pour les partis qui ne respecteraient pas la parité, au lieu de leur interdire de proposer autre chose que des candidatures paritaires aux élections.

Voilà ce que recouvre le débat sur « favorise » ou « garantit ». Et c’est le sens de l’amendement CL821.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Je m’inscrirai avec beaucoup de plaisir dans les pas de ma prédécesseure, Mme Catherine Tasca, qui a présidé la commission des Lois, et qui a porté la révision constitutionnelle du 8 juillet 1999 sur le fondement de laquelle a été inscrit à l’article 1er de la Constitution la phrase : « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ». Et c’est peut-être en partie grâce à elle qu’une grande majorité d’entre nous siègeons dans cette assemblée aujourd’hui.

Pourquoi avoir choisi « favorise » ? Je cite Mme Catherine Tasca : « La commission des Lois a également souhaité qu’il revienne clairement au législateur de déterminer au cas par cas les conditions appropriées pour atteindre cet objectif inscrit dans la Constitution. Le Parlement doit demeurer souverain en ce domaine, c’est à lui qu’il appartient d’apprécier les moyens à mettre en œuvre pour assurer l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions. Si la loi détermine les conditions dans lesquelles cet égal accès est organisé, le Conseil constitutionnel n’aura pas besoin de se substituer au Parlement pour juger si les mécanismes choisis par le législateur sont les plus adaptés. La rédaction que la commission des Lois a adoptée à la quasi-unanimité me semble claire sur ce point. Il ne s’agit pas aujourd’hui de décréter une égalité mathématique et abstraite. Il ne s’agit pas de créer une sorte d’apartheid entre les hommes et les femmes. Il nous appartiendra ensuite, en tant que législateurs, de prendre les mesures destinées à concrétiser le principe de l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions. Je suis persuadée que les majorités, quelles qu’elles soient, seront aussi jugées par nos concitoyens sur leur capacité à donner à cette égalité juridique une réalité sociale. »

Je souscris tout à fait à de tels propos. Autant la loi peut garantir une égalité des droits, ce qu’elle a déjà fait en application du Préambule de 1946 et avec la nouvelle rédaction proposée à l’article 1er, autant elle ne peut pas garantir une égalité de fait, mais la favoriser. Je pense que c’est ce que nous pouvons faire en tant que législateurs, ce que nous pouvons faire en tant que représentants politiques en menant une action très concrète, déterminée, dans nos politiques publiques. Je crois que c’est le sens des dernières mesures qui ont été annoncées le 8 mars dernier par le Gouvernement, pour servir cette grande cause du quinquennat.

Je pense donc très sincèrement qu’il faut en rester à cette utilisation du verbe « favoriser » dans notre texte constitutionnel.

M. Erwan Balanant. Je ne suis pas du tout d’accord. Vous citez les propos de votre prédécesseure, Mme Tasca. C’était un moment important, mais force est de constater qu’aujourd’hui, la situation a peu évolué. Vous me rétorquerez que notre assemblée est presque paritaire. J’ai envie de dire : heureusement ! Mais l’égalité réelle entre les femmes et les hommes n’existe pas, et les inégalités sont encore énormes aujourd’hui.

Mme Batho remarquait que les verbes ont une importance, et elle avait raison. Mais les mots aussi ont une importance. Certains ont proposé d’écrire « la loi favorise ». Moi je pense qu’il faut aller plus loin et écrire, en respectant un certain parallélisme des formes avec le premier alinéa : « La France assure l’égal accès des femmes et des hommes … ». La loi n’est pas tout, comme nous passons notre temps à le répéter.

En adoptant la proposition de la Délégation, qui est le fruit d’un long travail, mené avec des juristes, des spécialistes des questions d’égalité femmes-hommes et de notre Constitution, nous marquerions un moment important de la lutte pour l’égalité des femmes et des hommes, qui est loin d’être achevée.

M. Sébastien Jumel. La Constitution a pour objet de porter le projet de société déterminé par le constituant. Garantir la parité entre les hommes et les femmes dans ce texte n’est pas la même chose que de se fixer comme objectif de la favoriser. Il est ensuite curieux que le rapporteur général propose de s’en remettre à la souveraineté du Parlement pour l’atteindre alors que la révision constitutionnelle que vous proposez va affaiblir les pouvoirs du législateur.

Par ailleurs, la Délégation aux droits des femmes a réalisé un travail qui me semble mériter d’être intégré et respecté ; sinon il faut la dissoudre puisque vous refusez chaque proposition qu’elle formule.

Nous devons progresser sur ce sujet et substituer au mot « favorise » le mot « garantit » ou « assure ».

Mme Delphine Batho. Dans la réponse de la rapporteure, deux éléments se mélangent parce que nous menons une discussion globale qui porte sur plusieurs amendements. Il y a le sujet de la phrase, pour ma part je considère le sujet « la loi » comme une obligation pour le législateur, pas comme une simple habilitation. C’est pourquoi je n’ai pas déposé d’amendement, car je considère qu’à l’article 1er de la Constitution, la mention de la loi constitue une obligation pour le législateur.

Le problème c’est le verbe, et ici la réponse est extrêmement datée. Il faut resituer les propos de Mme Tasca que vous avez rappelés dans un contexte ; c’était la première fois, justement parce que la garantie de l’égalité des droits figurant dans le Préambule de la Constitution n’était pas respectée, qu’existait en quelque sorte un principe de « discrimination positive » en faveur des femmes, pour l’accès aux fonctions électives notamment.

Aujourd’hui, cette égalité ne doit plus être simplement favorisée, mais garantie, cela pour les femmes comme pour les hommes ; car les femmes, plus nombreuses aujourd’hui, pourraient demain être largement majoritaires. C’est pourquoi il me semble très préférable de substituer au mot « favorise » le mot « garantit ».

Mme Danièle Obono. Il me semble que la réponse de la rapporteure est insuffisante, car les propos tenus par Mme Tasca datent d’une époque à laquelle ils constituaient un pas en avant, mais nous sommes aujourd’hui en droit d’exiger que le retard contracté soit rattrapé.

Utiliser le verbe « garantir » revient à poser une obligation concrète, la fin est ce qui importe, et tous les moyens doivent être mobilisés pour cela. « Favoriser » ne renvoie qu’à une déclaration d’intention, alors que « garantir » laisse au Parlement le choix des moyens pour y parvenir et ouvre par ailleurs au Conseil constitutionnel la possibilité de sanctionner des lois régressives au regard de la parité dont le principe aura été gravé dans le marbre de la loi constitutionnelle.

Le Parlement n’a donc pas les mains liées : nous avons toujours à jouer notre rôle, mais il faut adresser un signal beaucoup plus offensif en faveur de la parité, ce qui va dans le sens du progrès social.

M. Hervé Saulignac. Ce matin nous avons supprimé le mot « race » de notre Constitution, ce qui a constitué une avancée majeure. Nous avons l’occasion de réaliser une autre avancée importante, qui paraît moins évidente à certains de nos collègues.

La loi peut assurer ou garantir – dans cet article premier, elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens. Elle peut ainsi parfaitement assurer ou garantir l’accès des femmes et des hommes à des responsabilités politiques, professionnelles ou sociales ; c’est une formulation qui n’emporte pas d’obligation de résultat, mais oblige le législateur à se doter des moyens d’y parvenir.

Chacun admettra que l’on peut favoriser a minima. En revanche, s’il faut garantir, il s’agit d’une intentionnalité beaucoup plus forte, il serait dommage que, depuis l’époque de Mme Tasca, on ne franchisse pas un palier et qu’on renonce à faire entrer notre Constitution dans une modernité que les auteurs de ces amendements appellent de leurs vœux.

Chacun doit prendre ses responsabilités, nous pensons que le verbe « assure » est peut-être plus approprié que « garantit », mais quand bien même ce dernier serait retenu, nous nous en satisferions.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Je souhaiterais rappeler à nos collègues que ce matin il n’y a pas eu une seule avancée avec la suppression du mot « race » de l’article premier de notre Constitution, mais bien deux puisque nous avons ajouté le mot « sexe ».

L’article a ainsi été rédigé : « Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de sexe ou de religion. » Nous avons donc affirmé très clairement que nous souhaitions l’égalité entre les sexes.

En revanche, il me semble qu’il y a un malentendu au sujet du dernier alinéa de l’article premier, qui a été rédigé afin de permettre une discrimination positive qui était alors interdite par le Conseil constitutionnel. Cet alinéa n’a pas vocation à créer des droits positifs pour une égalité réelle entre hommes et femmes devant l’accès aux mandats électifs, mais permet au législateur d’adopter une série de dispositions qui permettront d’atteindre cet objectif. Il ne faut donc pas se tromper sur le sens de cet alinéa.

Enfin, vous nous appelez à prendre nos responsabilités de législateur. Je vous rappelle que nous les avons prises : notre groupe compte 47 % de femmes et, juridiquement, je ne vois pas comment vous pouvez adopter une disposition, quelle qu’elle soit, qui garantisse d’atteindre cet objectif par la loi. Nous élisons nos représentants sur la base d’un scrutin majoritaire à deux tours, je ne vois pas comment, dans la France entière, vous pouvez atteindre une égalité parfaite entre les hommes et les femmes.

Je pense que cet égal accès aux mandats électifs est une réalité aujourd’hui et qu’il n’est nul besoin de changer l’article 1er de la Constitution ; mon avis demeure donc défavorable à l’ensemble de ces amendements.

Mme Delphine Batho. Dans le monde entier, le combat des femmes pour l’égalité est devenu irréversible, il est mené partout, sur tous les fronts, y compris celui de la Constitution.

Le sujet de notre débat est de savoir si le législateur peut se donner bonne conscience en permettant aux entreprises qui n’appliquent pas l’égalité salariale de payer une amende, aux partis politiques qui ne respectent pas les règles de payer une amende ou s’il existe une obligation d’assurer l’égal accès. C’est un débat qui a des conséquences, c’est le choix du verbe, il ne s’agit pas simplement de littérature constitutionnelle.

La Commission rejette successivement les amendements.

Article additionnel avant l’article 1er
(art. 1er de la Constitution)
Affirmation de l’action pour la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et contre les changements climatiques

La Commission examine, en discussion commune, les amendements identiques CL1506 du rapporteur général et CL852 de M. Sacha Houlié, qui font l’objet du sousamendement CL1527 de Mme Delphine Batho et des sous-amendements identiques CL1528 de Mme Delphine Batho et CL1530 de M. Christophe Arend, rapporteur pour avis de la commission du Développement durable et de l’aménagement du territoire, les amendements CL1470 et CL492 de Mme Cécile Untermaier, CL305 de M. Bertrand Pancher, CL371 de M. Matthieu Orphelin, CL211 de M. Christophe Arend, rapporteur pour avis de la commission du Développement durable, CL1004 de M. André Chassaigne, CL784 de M. Jean-Luc Mélenchon, CL783 de Mme Danièle Obono, CL1471 de Mme Delphine Batho, CL1311 de Mme Maina Sage, CL491 et CL493 de Mme Cécile Untermaier.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Ce matin notre commission a réalisé deux avancées, cet amendement en propose une nouvelle, qui est de taille.

Avant la dernière phrase du premier alinéa de l’article 1er de la Constitution, il est proposé d’insérer une phrase ainsi rédigée : « Elle agit pour la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et contre le changement climatique ».

Chacun sait que la préservation de l’environnement est l’un des plus grands défis auxquels doivent faire face nos sociétés contemporaines, et que les crises environnementales et les luttes qu’elles appellent menacent la paix et la sécurité. C’est donc l’avenir de l’humanité qui est en cause. La France a été à la pointe de ce combat, notamment par l’organisation de la COP21, au terme de laquelle a été conclu l’Accord de Paris.

De notre point de vue, la Constitution doit acter notre volonté de poursuivre l’action initiée par l’Accord de Paris, auquel nous demeurons fidèles, mais aussi que notre nation inscrit dans ses textes fondamentaux qu’elle prend la mesure des défis auxquels nous devons répondre. C’est ce que le pouvoir constituant avait déjà affirmé dans la loi constitutionnelle du 1er mars 2005 par l’inscription de la Charte de l’environnement dans la Constitution ainsi que par la modification de l’article 34 de la Constitution.

Cet amendement propose d’aller plus avant et de consacrer la préservation de l’environnement et de la diversité biologique ainsi que l’action contre les changements climatiques à l’article 1er de la Constitution, parmi les principes fondateurs de notre République.

Mme Delphine Batho. Mes sous-amendements sont de repli au regard de l’amendement que je défends.

Je prends acte, Monsieur le rapporteur général, qu’il est désormais question d’inscrire la problématique de l’écologie à l’article 1er de la Constitution, et non plus simplement à travers la modification de son article 34 ; cela marque un indéniable progrès.

En revanche, inscrire à l’article 1er de la Constitution une disposition dénuée de portée constitutionnelle, qui ne sera pas à l’origine de nouvelles jurisprudences du Conseil constitutionnel au regard de la Charte de l’environnement, qui figure déjà dans le Préambule de la Constitution, ne sert à rien.

La question est donc de bien identifier le progrès que la République doit accomplir pour l’écologie. Ce progrès passe par la reconnaissance du caractère fini des ressources planétaires ou, à défaut, du principe de non-régression qui est absent de la Charte de l’environnement. Nous avons longuement débattu ce point hier, et les amendements proposant l’insertion de ce principe dans la Charte ont été rejetés au bénéfice des amendements portant sur l’article 1er de la Constitution que nous examinons à présent.

C’est pourquoi mon sous-amendement CL1527 substitue aux mots : « agit pour » les mots : « assure un niveau élevé et en progression constante » de la préservation de l’environnement et de la biodiversité, etc.

De son côté, le sous-amendement CL1528 est plutôt rédactionnel, l’expression « changement climatique » étant toujours accordée au pluriel, dans les conventions des Nations Unies notamment.

M. Christophe Arend, rapporteur pour avis de la commission du Développement durable et de l’aménagement du territoire. Je veux saluer, monsieur le rapporteur général, le progrès que constitue votre amendement CL1506. Après la suppression du mot « race », après l’intégration du mot « sexe », nous partageons le projet d’insérer une formulation très ambitieuse dans la Constitution.

Il me semble simplement bon, comme l’a indiqué Mme Batho, de se conformer à la rédaction retenue par les textes de portée internationale qui écrivent en anglais « climate change » au singulier, ce qui est toujours traduit en français par « changements climatiques », au pluriel. Tel est l’objet du sous-amendement CL1530.

Pour aller jusqu’au terme de cette démarche, monsieur le rapporteur général, nous serions rassurés si vous pouviez nous confirmer que les expressions « agir pour » et « assurer » ont la même valeur juridique. Car lorsque l’on écrit « agir pour la préservation », préserver quelque chose constitue déjà une action, et écrire « assurer » revient à la même chose.

M. Sacha Houlié. L’article 2 du projet de loi prévoyait d’ajouter aux compétences du Parlement l’action contre les changements climatiques ; cet ajout dans la Constitution nous a paru nettement insuffisant. C’est pourquoi trois actions ont été entreprises par le groupe La République en Marche. La première consiste à inscrire la protection de l’environnement dans l’article 1er de la Constitution. Contrairement à ce qui a pu être dit, cela a bien une incidence sur le principe constitutionnel qui est ainsi consacré, ainsi que sur les recours que les citoyens seraient susceptibles de former devant le Conseil constitutionnel, notamment au moyen de questions prioritaires de constitutionnalité (QPC).

Mais il y avait aussi le verbe, qui incarne une action forte de la France pour la préservation de l’environnement ainsi que pour la préservation de la diversité biologique et la lutte contre le changement climatique. Cela fait écho à l’action engagée par l’Accord de Paris, qui traduit un acte fort, et que le Gouvernement et la France veulent protéger puisqu’il est remis en cause par d’autres pays, et, qu’en tant que majorité, il nous incombe d’intégrer à notre Constitution.

En plus des progrès réalisés en supprimant la mention de la race dans notre loi fondamentale, et en abolissant la discrimination établie en fonction du sexe, ce puissant symbole est l’expression de ce que nous appelons la Constitution du XXIème siècle, la Constitution de notre temps pour reprendre les mots du président du Conseil constitutionnel, M. Laurent Fabius.

Mme Cécile Untermaier. Je salue l’initiative du rapporteur général qui inscrit dans l’article 1er de la Constitution trois items fondamentaux : la préservation de l’environnement, les changements climatiques – qui doivent effectivement être mentionnés au pluriel – et la préservation de la biodiversité.

En revanche, il me semble que le principe de non-régression manque ; c’est un minimum que de dire que nous n’allons pas reculer. Les protecteurs de la nature ont hésité à revisiter le régime de la protection parce que des milieux défavorables à la préservation de l’environnement menaçaient.

Inscrire le principe de non-régression à l’article 1er de la Constitution, c’est garantir une marche en avant au profit des générations futures. C’est le sens de la question que j’ai posée à M. Nicolas Hulot hier, lors des questions au Gouvernement. Inscrire à cet article premier cette préoccupation n’est pas rien, car il ne s’agit ni du préambule ni des titres : on y retrouve les principes fondateurs. Mentionner la protection de l’environnement, ce qui renvoie à la Charte de l’environnement, ainsi que les changements climatiques, qui en sont absents, et la diversité biologique, est essentiel.

Mais pour aller jusqu’au bout, il faut absolument inscrire le principe de non-régression qui a déjà été intégré dans la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité.

M. Bertrand Pancher. Cet amendement a été adopté par l’ensemble des membres de la commission du Développement durable ; ayons l’honnêteté de reconnaître qu’il a été largement inspiré par les grandes organisations de défense de l’environnement qui nous ont démontré, analyses juridiques à l’appui, que mentionner la protection de l’environnement à l’article 1er de la Constitution constituerait une protection contre d’éventuelles tentations de législateurs futurs de revenir sur cet acquis.

Il est arrivé dans beaucoup de pays occidentaux qu’un gouvernement populiste accède au pouvoir : si nous prenons cette précaution, nous empêcherons des lois de dégrader la biodiversité ou le climat.

Toutefois, contrairement à ce que j’ai entendu de quelques collègues imprudents ou de ministres impressionnés par cette mesure, elle ne constituera pas l’alpha et l’oméga de la protection de l’environnement. Il est clair que si, parallèlement, nous ne nous engageons pas dans des mesures très fortes afin de permettre une stabilité réglementaire, d’engager des moyens importants et de modifier totalement nos pratiques, rien ne changera.

M. Matthieu Orphelin. Il s’agit de bien plus qu’un symbole, ce que nous avions compris dès l’adoption de la loi du 30 décembre 2017 mettant fin à la recherche ainsi qu’à l’exploitation des hydrocarbures, dite loi Hulot.

Chaque fois que nous voulions aller beaucoup plus loin, on nous opposait le principe de constitutionnalité. Cette mesure va nous permettre de confirmer un certain nombre de lois ambitieuses pour le climat et l’environnement.

Il était important de mentionner la protection de l’environnement à l’article 1er de la Constitution plutôt qu’à l’article 34, ce qui a recueilli l’assentiment général des constitutionnalistes et des acteurs ayant étudié la question.

Ensuite, il importait d’user d’un verbe fort tel « assure » ou « agir ».

Enfin, il fallait parvenir à englober la notion générique de l’environnement et les deux grands défis que sont la lutte contre le changement climatique et le maintien de la biodiversité.

Nous pourrons toujours débattre et affiner le dispositif, mais nous touchons là aux trois fondamentaux. Je remercie tous ceux qui ont contribué à obtenir ce résultat : les ONG ainsi que le Gouvernement qui a su mûrir avec nous.

Pour l’ensemble de ces raisons, je retire mon amendement CL371 au profit des amendements CL1506 du rapporteur général et CL852 du groupe LaREM.

L’amendement CL371 est retiré.

M. Christophe Arend, rapporteur pour avis de la commission du Développement durable et de l’aménagement du territoire. Je défends l’amendement CL211 au nom de la commission du Développement durable, ce qui m’empêche de le retirer.

L’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 rappelle les grands principes de la République française. Ces principes étaient initialement inscrits à l’article 2 de la Constitution, dont le premier alinéa est devenu l’article 1er par la loi constitutionnelle du 4 août 1995. Élaborée à une époque où l’impact de l’activité humaine sur notre environnement n’était pas véritablement connu, la Constitution de 1958, proclamation de la volonté du peuple français, ne prenait pas en compte l’urgence écologique.

Par-delà sa valeur symbolique, ce choix place l’environnement au cœur de l’action politique et de toutes les politiques publiques. Il lui confère ainsi une portée juridique importante, puisque le juge constitutionnel peut l’invoquer, comme il le fait pour d’autres principes inscrits à l’article 1er de la Constitution.

Je suis par ailleurs pleinement satisfait par la formulation retenue par le rapporteur général et le groupe LaREM.

M. André Chassaigne. Les divers amendements que nous avons préparés sur les questions environnementales constituent un bloc. Trois d’entre eux complétaient la Charte de l’environnement ; le parti a été pris de ne pas la modifier, mais nous aurons probablement l’occasion d’y revenir en séance publique.

Le premier affirmait le droit de vivre dans un environnement préservant les équilibres écosystémiques, la biodiversité et la santé humaine.

Le second substituait à la notion de développement durable celle de transition écologique ; hier, j’ai eu l’occasion de m’exprimer à ce sujet.

Nous avions aussi souhaité inscrire dans la Charte de l’environnement le principe de non-régression.

Le présent amendement propose la formulation qui nous a paru la plus équilibrée pour figurer dans l’article 1er de la Constitution, mais il prend en compte la modification de la Charte de l’environnement que nous escomptions. La rédaction proposée est la suivante : « Elle assure la préservation de son patrimoine naturel et de la biodiversité, de la qualité de l’air, de l’eau et des sols ».

Nous présenterons par la suite un autre amendement proposant d’inscrire le principe de la lutte contre le changement climatique dans l’article 2 du projet de loi.

Mme Danièle Obono. L’amendement CL784 propose d’intégrer dans la Constitution de véritables exigences touchant à l’environnement.

L’amendement du rapporteur, qui intègre dans l’article 1er de la Constitution la nécessité de lutter contre le changement climatique, n’est pas suffisant. C’est pourquoi il faut définir des obligations claires pesant sur l’organe législatif en matière d’environnement : la préservation de la diversité biologique par un usage équitable des ressources naturelles au profit des générations futures et dans le cadre des limites planétaires.

Cet amendement permet d’intégrer une des notions fondamentales de la préservation écologique, celle de ressources finies. Il inverse la logique de subordination : ce n’est pas à la nature de se plier aux exigences de l’insatiable désir humain de productivité, mais bien aux sociétés humaines, au premier rang desquelles la société française, de se soumettre à la finitude de certaines ressources naturelles et de leur faible capacité de résilience. Il en va de la survie de l’humanité, mais aussi de celle de l’ensemble du vivant auquel nous appartenons et par lequel nous subsistons.

L’adoption de cet amendement rendrait contraignante la règle verte qui veut que l’on ne puisse pas prendre plus à la nature que ce qu’elle peut remplacer ou régénérer dans un laps de temps raisonnable.

M. Bastien Lachaud. L’amendement CL783 est de repli. Il vise à introduire les notions de lutte contre les changements climatiques et de protection de la biodiversité dans l’article 1er de la Constitution, et plus encore le principe de non-régression afin de préserver les générations futures. En effet, selon la formule d’Antoine de Saint Exupéry : « Nous n’héritons pas de la terre de nos parents, nous l’empruntons à nos enfants ».

Dans cet esprit, nous ne pouvons pas accepter que des lois encore plus néfastes à l’environnement que celles actuellement en vigueur puissent être adoptées.

Mme Delphine Batho. Notre amendement présente trois différences avec ceux du rapporteur général et de son groupe.

Premièrement, la référence au niveau élevé de progression de protection de l’environnement, qui figure dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, mais pas dans la Constitution française.

Deuxièmement, le principe de non-régression, que j’ai déjà exposé.

Enfin, l’ajout à la mention de l’environnement, du climat et de la biodiversité, de celle de la raréfaction des ressources, car il faut franchir le pas institutionnel de la reconnaissance de ce qu’est l’anthropocène.

Je souhaiterais interroger le rapporteur général sur son amendement. Au premier chef sur les conjonctions « et » qui figurent dans la rédaction qu’il a retenue – je suis par ailleurs favorable à la mention de la diversité biologique et du climat en tant que tel –, et qui semblent séparer l’environnement de la diversité biologique et de l’action contre les changements climatiques.

Dans tous les cas de figure où le législateur souhaiterait, afin de protéger le climat et l’environnement, porter une atteinte proportionnée à la liberté d’entreprendre, l’inscription à l’article 1er de la Constitution de la formule proposée changerait-elle quelque chose ? Personnellement, à ce stade du débat, j’en doute, mais ne demande qu’à être convaincue.

Mme Maina Sage. Nous proposons également de consacrer le principe du respect de l’environnement et de la lutte contre le changement climatique à l’article 1er de la Constitution. Je m’associe aux amendements défendus par mes collègues et remercie la majorité d’avoir été sensible à leurs arguments déjà exposés devant la commission du Développement durable.

Ce que nous faisons aujourd’hui aura une portée certaine et conférera une valeur juridique à l’action de lutte contre les changements climatiques ainsi qu’à l’action de préservation de l’environnement. Dans un autre amendement, nous avons évoqué la notion de résilience, et je veux vous sensibiliser à ce sujet, qui à mon sens va plus loin que la simple préservation et l’attention que nous pouvons porter à ce qui nous entoure.

L’enjeu est de faire face à ce qui est déjà en cours, car, avec ou sans « s », le changement climatique est déjà une réalité. Des territoires sont ainsi particulièrement touchés, je pense à ceux qui vivent en milieu insulaire, notamment dans les atolls : le point culminant s’y situe à trois mètres et le changement climatique est donc une réalité dans ces territoires.

Au-delà de la préservation de l’environnement, ce qui compte c’est aussi la capacité pour la France d’être avant-gardiste et d’adopter des politiques de résilience permettant de résister et de survivre à ce qui est déjà en cours.

Mme Cécile Untermaier. La question posée par Mme Delphine Batho au rapporteur général me paraît importante. Nous parlons de préservation de l’environnement, pourquoi ne pas parler de protection ?

Si nous intégrons cette notion dans la Constitution, c’est aussi pour les générations futures, car la loi fondamentale est avant tout pour ces générations. Cette notion de générations futures est consubstantielle à celle d’environnement ; c’est pourquoi la préservation d’un acquis n’est pas suffisante. Il faut donc utiliser un terme plus performant, qui serait celui de « protection », et faire valoir que cette action est destinée à garantir un avenir meilleur aux générations futures.

Mon amendement propose de compléter l’article 1er de la Constitution par l’alinéa suivant : « Une génération ne peut assujettir les générations futures à des lois moins protectrices de l’environnement, que celles actuellement en vigueur». 

Cette rédaction m’a été suggérée par un constitutionnaliste, ami de trente ans. Il permet de prendre en compte ce souci des générations futures que nous devons avoir pour l’environnement comme nous l’avons pour les retraites. Et il serait regrettable que l’article 1er de la Constitution ne comporte pas cette notion de non-régression ainsi que cet engagement d’aller vers le meilleur.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Je rappelle ce qui est proposé : plutôt que de prévoir la compétence du législateur pour fixer les principes fondamentaux en matière d’action contre les changements climatiques, notre amendement vise à consacrer, dans l’article 1er de la Constitution qui recèle les principes fondateurs de la République, la préservation de l’environnement et de la diversité biologique ainsi que l’action contre les changements climatiques.

Cette inscription aura une portée symbolique et normative plus importante que la seule modification de l’article 34 de la Constitution. En clair, si on ne fait rien, ça n’est pas bien ; si on fait quelque chose, ça n’est pas bien non plus.

Pourquoi, écrivons-nous « et, et, et » ? Afin d’éviter la synecdoque, c’est-à-dire que l’on puisse considérer que l’évocation d’un terme vienne masquer l’importance des autres défis. Il nous est apparu que l’énumération de ces trois grands enjeux, qu’il faut rapprocher de la valeur constitutionnelle de la Charte pour l’environnement, recouvrait l’ensemble des enjeux.

Pour répondre à la question de notre collègue Christophe Arend, je dirai que l’expression « agir pour » me paraît préférable au verbe « assurer ». « Agir pour » marque une volonté d’action visant l’atteinte d’un certain nombre d’objectifs ; « assurer » paraît presque plus passif.

Le principe de non-régression a été consacré dans la loi en 2016 et s’impose au pouvoir réglementaire. D’aucuns considèrent que, s’il était intégré dans la Constitution, il s’imposerait à l’avenir au pouvoir législatif.

Nous n’avons pas retenu cette proposition pour deux raisons. D’abord, l’introduction et la définition d’un tel principe ne nous paraissent pas conformes aux exigences de généralités et de clarté qui s’imposent au pouvoir constituant lorsqu’il modifie la Constitution, a fortiori son article 1er. Ensuite, le niveau d’exigence qu’implique l’inscription de l’action en faveur de la préservation de l’environnement, de la biodiversité et de la lutte contre les changements climatiques est déjà élevé, sans qu’il soit nécessaire – j’ai bien compris que ce n’était pas un point que nous partagions tous – d’y ajouter ce principe. Et il faut bien avoir conscience que cela viendrait diminuer significativement la souveraineté parlementaire avec un principe dont la portée est incertaine.

Qu’est-ce qu’une régression et une non-régression ? Confier au juge le soin d’apprécier la réalité, avec le risque qu’il se repose sur des experts à l’impartialité parfois contestable ou en tout cas toujours contestée dans ce domaine, reviendrait à affaiblir le processus démocratique de délibération. Par conséquent, mieux vaut mesurer la portée concrète de ce principe qui s’impose déjà au pouvoir réglementaire avant de lui donner une telle portée juridique. Le Conseil d’État, d’ailleurs, en a déjà fait application ; attendons que la jurisprudence s’étoffe.

Aussi mes chers collègues suis-je tenté de vous lancer une sorte d’appel et de vous dire que nous avons tous – comme sur d’autres sujets ce matin – la volonté de faire en sorte que les défis environnementaux et la préservation de l’environnement prennent un rang éminent. Par conséquent, je souhaiterais que nous puissions nous rassembler autour des amendements CL1506 et du sous-amendement CL1528, en conservant la mise au pluriel de l’expression « changement climatique » proposée par Mme Delphine Batho et M. Christophe Arend par les sous-amendements CL1528 et CL1530.

Aussi, en l’état actuel des choses, afin de porter raisonnablement mais avec enthousiasme l’exigence la plus haute et inscrire cela à l’endroit le plus élevé de la Constitution, il serait préférable que les autres amendements soient retirés au bénéfice de cette formulation sous-amendée.

Car, si nous faisons du droit, nous n’en faisons pas moins de la politique, et il me semble que nous devrions pouvoir démontrer ensemble que cette rédaction, trop audacieuse pour certains, trop peu pour d’autres, peut nous rassembler autour de l’idée que ces trois grands enjeux seront inscrits au fronton de notre Constitution.

Je vous invite donc à ce mouvement qui montrerait à notre peuple que dans notre diversité – chacun avec des exigences plus ou moins appuyées – nous sommes capables de donner un signal conforme à ce que notre pays a pu faire – j’évoquais tout à l’heure l’Accord de Paris et sa portée internationale. Nous rassembler autour de cette formulation qui appartiendra aux générations futures, qui pourront demain l’améliorer s’il le faut, montrera que, dans un œcuménisme dynamique, nous avons souhaité que cette modification constitutionnelle signe une évolution extrêmement forte de ce texte qui est la clé de voûte de notre République. Voilà à quoi je vous invite, mes chers collègues.

Mme Barbara Pompili, présidente de la commission du Développement durable et de l’aménagement du territoire. Je suis heureuse de voir que grâce au travail collectif que nous sommes en train de faire, nous donnons encore une fois ses lettres de noblesse au Parlement, qui enrichit considérablement ce texte constitutionnel.

Tout d’abord en inscrivant la préservation de l’environnement à l’article 1er, qui est un article absolument fondamental. Nous l’avions proposé au sein de la commission du Développement durable, cette proposition est reprise et j’en suis vraiment très heureuse. Contrairement à ce que j’ai pu entendre, notamment de la part de Mme Batho, cela apporte beaucoup par rapport à la Charte de l’environnement. Cette charte mentionnait le principe de précaution et des politiques publiques tendant à promouvoir le développement durable, mais pas dans des termes enjoignant à agir pour la préservation de l’environnement, et pas de la manière dont l’article premier reprend la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 pour lui donner valeur constitutionnelle.

Ensuite, nous ajoutons la protection de l’environnement, du climat et de la diversité biologique. Nous avions des doutes quant au risque qu’intégrer le climat et la diversité biologique n’affaiblisse la portée des autres composantes de l’environnement. Nous avons été rassurés sur ce point, il n’y a pas de hiérarchisation, donc les pollutions et les déchets seront aussi intégrés.

Enfin, nous avions proposé de retenir le verbe « assure » plutôt qu’« agit ». Nous avons été rassurés sur le fait que les garanties étaient les mêmes. Je tiens à ce que cela figure au compte-rendu, car nous savons que l’esprit de la loi est aussi important que le texte.

Je me satisfais donc de cette formulation et j’appelle tout le monde à s’y rallier. C’est un travail collectif, politique, qui va permettre une protection bien supérieure de notre environnement, et c’est le plus important.

M. Moetai Brotherson. Je regrette que nous n’ayons pas retenu la notion de résilience proposée par Mme Maina Sage, parce que si c’est un concept pour certains, quand vous vivez à Takoumé ou à Akamaru, à un mètre au-dessus de l’eau, c’est une réalité.

J’ai deux questions à propos du verbe « agir ». Quelle est la réelle définition que vous lui donnez dans notre contexte, quelle est sa portée ? N’y a-t-il pas un risque de friction constitutionnelle avec le transfert de compétences dans le domaine de l’environnement opéré aujourd’hui dans le statut de la Polynésie ? Comment l’État va-t-il agir en Polynésie, alors que la compétence est transférée ?

Ensuite, comment allez-vous conjuguer ce verbe avec les traités supranationaux tels que le CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement, soit accord économique et commercial global), dont l’esprit va très souvent à rebours de ce que nous énonçons ici ?

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Par « agir », nous entendons « produire une action ». Et, évidemment, ce que nous écrivons ici est sous réserve des autres dispositions constitutionnelles. Si telle ou telle compétence est transférée, l’obligation d’agir incombera à l’autorité à laquelle la compétence a été confiée.

Quant aux textes internationaux que vous évoquez, il faut faire jouer la subsidiarité. Ce n’est pas parce que des traités internationaux n’iraient pas aussi loin que notre Constitution que cela nous interdit de le faire.

S’agissant des compétences transférées, le bénéficiaire du transfert de compétence a charge d’agir, mais cela n’empêche pas l’État de le faire non plus. Sera donc inscrite dans la Constitution la charge pour l’État de produire une action, au côté de ceux qui auraient la compétence transférée, et dans le respect des traités internationaux. À ma connaissance, aucun traité international n’interdit d’agir pour ce que nous nous proposons de faire.

M. André Chassaigne. Je salue et reconnais le pas important que constitue l’inscription à l’article 1er de notre loi fondamentale de la protection de l’environnement. Nous partageons complètement la philosophie et la démarche de l’amendement proposé.

Cela étant dit, le vocabulaire choisi soulève quelques observations. « La préservation de l’environnement » est une formulation vaste, très vague, et qui ne renvoie pas à des notions bien définies ni à des objectifs mesurables. La preuve en est que vous avez ajouté la diversité biologique, qui fait elle-même partie de la préservation de l’environnement. Nous aurions pu nous limiter à un terme qui englobe la totalité des actions de préservation de l’environnement, et qui ne soit pas aussi vague et imprécis, ou balayer les sujets en incluant la biodiversité, mais aussi la préservation de la qualité de l’air, de l’eau et des sols. Mme Pompili a fait remarquer que les principales composantes n’apparaissent pas. Je crains que l’expression « préservation de l’environnement » ne soit au final une coquille vide qui ne permette pas garantir suffisamment la protection de l’environnement.

Mme Delphine Batho. Je vois bien que le rapporteur général veut nous séduire en mettant en avant l’acte politique et symbolique que représente cette inscription à l’article 1er de la Constitution. Je crois à la force des symboles en politique, mais je ne veux pas de greenwashing constitutionnel. Pour l’instant, je n’ai pas de réponse aux questions juridiques que j’ai posées sur la portée de la phrase proposée. Elle a un mérite : elle est simple. Mais le verbe « agir » n’est pas utilisé ailleurs dans la Constitution. Il n’y a aucune jurisprudence du Conseil constitutionnel sur « elle agit » : « elle assure », « elle garantit », oui, mais « elle agit », non. Je ne demande qu’à être convaincue, mais je n’ai pas encore eu les réponses précises aux questions que j’ai posées.

La deuxième chose que je voulais dire porte sur le principe de non-régression. La France, à l’initiative de M. Laurent Fabius, soutenu par M. Emmanuel Macron, se bat aujourd’hui sur la scène internationale pour l’adoption du pacte mondial pour l’environnement dans lequel figure le principe de non-régression. La question constitutionnelle posée est bien de prévoir un verrou de valeur constitutionnelle qui guide les législateurs futurs en empêchant des régressions environnementales, lesquelles sont très bien cadrées dans le code de l’environnement et la jurisprudence sur son application. Cela n’empêche en rien de modifier la législation, c’est le niveau de protection de l’environnement qui doit être garanti.

Je retire mon amendement de réécriture globale au bénéfice des deux sous-amendements à l’amendement du rapporteur.

L’amendement CL1471 est retiré.

Mme Danièle Obono. Je reconnais au rapporteur général beaucoup de sens politique, et son intervention l’a démontré. Mais au sein de La France Insoumise, nous assumons le niveau d’exigence que l’on pourrait qualifier de maximaliste sur cette question. On ne peut contester que le tournant irréversible a déjà été pris, et qu’il ne s’agit plus d’échapper à l’urgence mais de réagir et de faire en sorte d’atténuer les effets – le consensus s’est fait sur la réalité de l’impact actuel de tous ces phénomènes – tout en se contentant d’un effet symbolique dont la portée normative n’est absolument pas assurée, sans nous donner des contraintes très fortes en la matière. Le texte constitutionnel est aussi prévu pour fixer un cap qui ne se contente pas d’un effet symbolique mais garantit une obligation de résultat, et pas simplement de moyens.

C’est le débat, peut-être un peu subtil, autour de l’expression « agir pour » : on peut agir sans obtenir de résultats. Le groupe La République en Marche devrait être sensible à cette volonté d’efficacité et de résultats.

M. Erwan Balanant. Vous le reconnaissez enfin !

Mme Danièle Obono. L’efficacité et l’objectif de résultat sont adossés à une stratégie politique et un objectif politique qui rassemble très largement dans nos rangs. Le consensus qui s’est fait autour du verbe « assure » a rassemblé tous les groupes au sein de la commission du Développement durable. Je ne comprends pas cette pusillanimité et la volonté de se contenter du symbolique, alors que nous avons des exigences pour nous-mêmes et pour le reste de l’écosystème.

Mme Isabelle Florennes. Le groupe du Mouvement démocrate et apparentés se félicite et félicite le rapporteur général pour cet amendement que nous attendions, pour deux raisons.

D’une part, à la suite des auditions des acteurs sur le sujet, il apparaissait effectivement que l’article 2 du projet de loi tel qu’il était rédigé ne leur convenait pas. Pour reprendre leurs termes, il était au mieux inutile et au pire dangereux dans sa rédaction initiale. Je vous remercie donc pour cet amendement qui consacre ce principe à l’article 1er de la Constitution.

Nous nous félicitons également, et nous n’allons pas cacher notre joie, des termes que vous employez. On peut discuter de la portée juridique, mais il nous semble, à l’écoute des différents interlocuteurs, que l’expression « agit pour » traduit bien une action. On peut discuter de la portée, de la valeur, de l’absence de jurisprudence – il y en aura peut-être une – mais il me semble que ce qui nous a été dit, cette consécration à l’article 1er et ces termes forment un bon équilibre. Ce qui existait jusqu’alors n’était pas suffisant pour invoquer un principe constitutionnel, donc nous voterons bien évidemment cet amendement, nous n’en avions pas déposé car nous attendions, et nous ne sommes pas déçus de cet apport.

M. Guillaume Larrivé. J’aurais quelques questions à l’attention de notre collègue Richard Ferrand, non pas en sa qualité de président du groupe majoritaire, bien sûr, mais de rapporteur général de la commission des Lois, car ce sont des questions exclusivement juridiques. Au plan politique, j’ai bien compris l’intérêt qu’il y avait à montrer dès le premier article de la Constitution que nous nous intéressons à l’environnement. Cela permet au ministre d’État, ministre de l’environnement, d’avoir enfin un motif de satisfaction. J’ai bien compris cela, mais je veux me concentrer sur des questions juridiques.

Monsieur le rapporteur général, je voudrais que vous donniez votre définition d’un « principe fondateur de la République ». Vous avez tout à l’heure employé ces termes en nous disant que vous souhaitiez que, par cet amendement, la protection de l’environnement et la lutte contre le changement climatique soient reconnus comme tels. Jusqu’alors, en droit positif, les principes fondateurs de la République n’existent pas. Donc j’aimerais que vous précisiez un peu la notion, je comprends que nous sommes dans une démarche très progressiste au plan juridique, et que nous créons des concepts nouveaux, mais qu’est-ce qu’un principe fondateur de la République ?

J’aimerais également comprendre pourquoi vous vous écartez du choix initial du Gouvernement, qui consistait à modifier l’article 34. Cet article définit le domaine de la loi et du règlement. L’avis de l’assemblée générale du Conseil d’État était plutôt encourageant, si j’ose dire, quant à cette modification de l’article 34.

Mme Delphine Batho. Non !

M. Guillaume Larrivé. N’est-ce pas une forme de fétichisme constitutionnel qui vous fait dire qu’il est mieux d’écrire quelque chose à l’article 1er qu’à l’article 34 ou un autre ? Ce ne serait pas très satisfaisant au plan juridique.

M. Bertrand Pancher. Toutes les grandes organisations environnementales nous ont demandé d’inscrire ce principe à l’article 1er de la Constitution. Si elles l’ont fait, c’est parce qu’elles ont travaillé avec les juristes chargés des questions de l’environnement. Elles expliquent que cela nous permettra d’ancrer progressivement le principe de non-régression dans notre droit. C’est donc une avancée très importante, et il ne faut pas bouder notre plaisir de voir une avancée dans le domaine environnemental, surtout à une époque où tous les indicateurs sur nos objectifs environnementaux se dégradent, que ce soit au plan national, européen ou international.

Lors de la réunion de la commission du Développement durable présidée par Mme Barbara Pompili il y a à peu près quinze jours, M. Jean Jouzel, climatologue du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), prix Nobel de la paix, nous expliquait que l’augmentation de deux ou trois degrés des températures était maintenant un rêve, que si l’on réussissait à maintenir la hausse à trois ou quatre degrés, nous aurions beaucoup de chance, parce qu’il faut y dédier des moyens considérables et changer notre modèle de société.

Ce n’est pas la Constitution qui va le faire, ce serait trop simple et trop facile, mais tous nos engagements collectifs. Ce principe va nous permettre de cranter nos actions et de ne pas revenir en arrière en adoptant des lois qui intenteraient à la lutte contre le réchauffement climatique ou la biodiversité. Si nous pouvions nous accorder à dire que nous ne sommes pas plus malins que les organisations de défense de l’environnement ou les juristes, ce serait très bien.

Je retire donc mon amendement au profit de celui du rapporteur général, et je me félicite que l’on arrive à une quasi-unanimité sur cette question.

L’amendement CL305 est retiré.

M. Philippe Gosselin. Les débats sur ce thème me laissent un peu dubitatif. Non pas que je doute de l’intérêt de la défense de l’environnement, ni de l’intérêt d’agir contre les changements climatiques, simplement je trouve que notre Constitution va beaucoup bavarder et beaucoup radoter. Si la « loi bavarde » est dénoncée depuis bien longtemps, notamment par M. Pierre Mazeaud, c’est maintenant la Constitution qui va bavarder.

La Charte de l’environnement de 2004 nous dit les choses de façon claire : son cinquième alinéa cite expressément la diversité biologique. Le sixième alinéa fait déjà de la préservation de l’environnement – c’est mot à mot la même chose – un intérêt fondamental de la nation, dont découle tout le reste.

Je vois bien l’intérêt politique, je m’associe à la démarche sans difficulté, mais sur le plan juridique et constitutionnel, je ne vois absolument pas l’apport de cet amendement. La distinction entre le domaine de la loi et du règlement opérée par les articles 34 et 37 avait un sens, et permettait d’attribuer à la loi la compétence environnementale en lui donnant une place particulière dans la hiérarchie des normes. Mais avec cet amendement, nous n’apportons rien aux « principes fondateurs de la République », que je ne connais pas non plus, à la différence des « Principes fondamentaux reconnus par les lois de la République » révélés par la décision de 1971. Nous enfonçons des portes ouvertes.

Mme Maina Sage. S’agissant tout d’abord de la place de cette disposition à l’article premier, je rappelle qu’avant la révision de 1995, cet article premier était le premier alinéa de l’article 2. Ces principes ont été détachés du reste de l’article et placés hors du titre premier. Depuis, plusieurs jurisprudences ont renforcé la valeur juridique de cet article premier, j’ai à disposition toute une série de décisions juridiques en ce sens. Il n’est donc pas seulement symbolique de faire figurer cette disposition à l’article premier, et je rejoins les propos de mon collègue Pancher : un grand nombre de spécialistes ont fortement recommandé que nous l’intégrions à cet article.

Monsieur le rapporteur général, j’ai l’impression que l’on ne tolère pas trop d’autres amendements que les vôtres. Le sujet est assez grave pour que nous l’acceptions, mais c’est dommage, surtout sur des sujets de cette nature, qui doivent être transpartisans : nous aurions pu travailler tous ensemble. En tout cas, quand je vois la richesse des propositions faites, je voudrais remercier tous les groupes qui ont contribué à renforcer ce principe au sein de l’article 1er. Je soutiendrai l’amendement proposé par le rapporteur général.

Je souhaiterais tout de même que nous évoquions la notion de résilience, et que nous puissions trouver une piste d’ici à la séance publique. Ce sera l’enjeu de demain, autant s’y préparer dès aujourd’hui.

Mme Cécile Untermaier. Je vais également retirer mes amendements, mais j’en présenterai un autre lorsque le texte sera construit. Nous souhaitions lancer des pistes. Je trouve très bien que cette disposition figure à l’article 1er, qui fixe les principes de fond, tous les constitutionnalistes nous l’ont rappelé à maintes reprises. Je trouve très bien que les trois thèmes soient cités : préservation de l’environnement, diversité et climat. En revanche, le verbe « agir » me semble inopérant et me pose un vrai problème. Il n’a aucune portée juridique, nous allons donc y travailler et nous vous ferons des suggestions, j’espère qu’elles seront bienvenues et acceptées par le Sénat.

Les amendements CL1470, CL492, CL491 et CL493 sont retirés.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Je ne veux pas inutilement prolonger les débats, simplement remercier celles et ceux qui ont retenu ma proposition de retirer leurs amendements pour que nous puissions nous retrouver sur les formulations que j’ai indiquées.

Agir, c’est « mettre en œuvre tous les moyens » selon le Conseil d’État, qui préférait cette formulation à « lutter contre ». Certains ici connaissent la fertilité et la rigueur du Conseil d’État dans ses suggestions de formulation, ce qui m’amène tout de suite à aborder le point soulevé par M. Larrivé. Lorsque j’évoque les principes fondateurs, je n’aurai pas la cuistrerie d’essayer d’ergoter, je voulais dire que le Conseil constitutionnel produit sa jurisprudence à l’aune des principes fondamentaux contenus à l’article 1er, entre autres. Nous proposons que les enjeux abordés par cet amendement rejoignent la liste de ces principes fondamentaux.

Il n’y a là nul fétichisme, je ne crois pas que le sujet soit un objet magique, c’est une nécessité absolue, politiquement et juridiquement, de porter au plus haut les préoccupations liées aux problématiques décrites. J’entends bien le scepticisme de certains, et le maximalisme d’autres, sans souci de savoir si cela pourrait prospérer. Nous, nous voulons faire aboutir les choses, que cette avancée soit la troisième de la journée. Vous verrez que nous sommes en train de dessiner une Constitution progressiste et, lorsque nous aurons abouti, nous constaterons que nous aurons transformé, dans un mouvement important, notre texte constitutionnel.

Comme l’avait naguère dit le président Chirac, notre maison brûle, et je vous demande de ne pas regarder ailleurs et de voter cet amendement sous-amendé comme je l’ai indiqué.

M. Didier Paris, président. Je vais mettre aux voix les sous-amendements…

M. Sébastien Jumel. Je suis confus, mais quand on dépose un amendement, on doit pouvoir dire si on souhaite le maintenir. Et quand on vote, on doit pouvoir expliquer son vote. Tant que vous n’aurez pas modifié la capacité du Parlement à défendre des amendements, c’est ainsi que ça se passe, à la commission des Lois comme dans toutes les autres.

M. Didier Paris, président. Monsieur Jumel, j’ai fixé une règle très claire : une prise de parole par groupe politique. Il s’est trouvé que pour cette discussion commune, très dense et regroupant de nombreux amendements, j’ai accepté deux prises de parole par groupe, et ce fut le cas. J’ai ensuite donné la parole au rapporteur général, nous n’allons pas prévoir de réponses aux réponses.

Mais je vous donne volontiers la parole pour nous dire si vous maintenez votre amendement.

M. Sébastien Jumel. Je vais donc vous expliquer les raisons qui nous conduisent à maintenir notre amendement.

M. Didier Paris, président. Pardonnez-moi de vous reprendre la parole, Monsieur Jumel, mais ce n’est qu’une manière détournée de parvenir aux mêmes fins. Si vous m’aviez dit que vous retiriez votre amendement, comme l’ont fait Mmes Batho ou Untermaier, nous aurions pu en tenir compte.

M. Sébastien Jumel. Non, justement, je voulais vous expliquer pourquoi je le maintenais ! Tout ceci en dit long sur la volonté de priver le Parlement de sa capacité à débattre !

La Commission rejette le sous-amendement CL1527.

Elle adopte les sous-amendements identiques CL1528 et CL1530, puis les amendements identiques CL1506 et CL852, sous-amendés (amendement 328).

En conséquence, les amendements CL211, CL1004, CL784, CL783 et CL1311 tombent.

L’amendement CL431 de Mme Cécile Untermaier est retiré.

Avant l’article 1er (suite)

La Commission est saisie de l’amendement CL432 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Marietta Karamanli. Nous souhaitons compléter l’article 1er de la Constitution par l’alinéa suivant : « La loi garantit un accès libre, égal et universel aux réseaux numériques. Elle assure la formation des citoyens à leur utilisation. Elle veille à la protection des données à caractère personnel et au respect de la vie privée ».

Nous pensons que ce sont des éléments essentiels qui doivent figurer dans la Constitution.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Avis défavorable, pour les raisons exposées au sujet de la charte du numérique.

Mme Cécile Untermaier. Je pense en effet que sur la charte du numérique, nous devons travailler de manière à fonder tous les éléments, et cela ne se fait pas comme ça. En revanche, s’agissant du numérique, et dans cette Constitution qui parle du XXIème siècle, je ne vois pas comment on peut ne pas inclure de dispositions sur le numérique. C’est l’objet de cet amendement et, plutôt que de nous donner un avis défavorable, il serait agréable de vous entendre dire qu’il est effectivement légitime de déposer un amendement sur la neutralité du net et la protection des données, et que nous pourrions travailler ensemble à ce que ce dispositif trouve sa place dans la Constitution.

M. Philippe Gosselin. Je crois que nous devons effectivement adapter nos institutions, qui doivent faire l’objet d’un dépoussiérage de temps en temps. On a coutume de parler des droits de première, deuxième, troisième voire quatrième génération. Nous pouvons ouvrir une page plus concrète de droits fondamentaux de la quatrième génération. L’environnement en fait partie : si je suis en désaccord avec la formulation proposée à l’article 1er, je suis en accord sur le fond.

Dans le domaine du numérique aussi, des questions essentielles se posent sur la protection des données personnelles, sur les atteintes à la vie privée Ce sont des éléments forts, et à défaut d’adopter la charte, il me semble qu’a minima, il faudrait envoyer un signal.

Je ne suis pas définitivement fixé sur la formulation à retenir, mais notre groupe voit cette évolution de façon très favorable.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Ce n’est pas seulement pour être agréable à Mme Untermaier : nous en avons parlé un peu hier, et M. Gosselin a justement rappelé que ce sujet méritait de figurer dans la loi constitutionnelle. Je propose que nous réfléchissions à une formulation d’ici à la séance publique : nous allons travailler ensemble et avec les rapporteurs pour trouver comment inclure dans la Constitution ce qui relève d’une nécessité et d’une modernisation. Ce n’est pas seulement l’air du temps ; dans le temps long, de nombreuses questions vont se poser sur les données.

M. Philippe Latombe. J’ajoute que le Conseil constitutionnel, dans sa décision sur la loi d’adaptation au règlement général sur la protection des données personnelles, a fait une digression sur les algorithmes autoapprenants en expliquant qu’il ne fallait pas que l’administration fonde ses décisions uniquement sur eux. C’est un sujet dont le Conseil s’est emparé, qui devient majeur, et il faut que nous y adaptions notre Constitution. Nous avons parlé hier soir de la charte du numérique, ce n’est pas la seule option, peut-être peut-on prévoir quelque chose à l’article 1er. Les débats sur ce sujet en séance seront bienvenus.

M. Pierre Dharréville. Le groupe GDR souhaite aussi des avancées sur cette question du numérique. De nouveaux territoires sont en train d’émerger, donc de nouvelles questions, sur lesquelles la Constitution ne peut pas être muette. Il faut écrire les droits fondamentaux en la matière, et déterminer la manière dont ils peuvent s’exprimer dans ces nouveaux territoires, ces nouveaux espaces de vie.

Il faut avancer dans cette direction, je ne sais pas s’il faut amender la Constitution dans la précipitation, mais beaucoup d’acteurs ont des propositions pour faire bouger les choses en la matière. Un certain nombre de droits et de principes doivent être affirmés, auxquels notre République doit proclamer son attachement pour les garantir.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CL488 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier. Le numérique et l’environnement doivent entrer dans la Constitution, mais aussi le citoyen. Nous constatons que, dans le projet de loi, aucune place n’est faite aux citoyens. C’est un manque, la Constitution s’adresse d’abord aux personnes qui vivent sur notre territoire, aux citoyens en particulier.

Nous proposerons un autre amendement à l’article 24, sur lequel nous reviendrons de manière beaucoup plus précise. Mais il me semble que l’Assemblée nationale est le lieu où le citoyen doit pouvoir s’exprimer par la démocratie représentative, mais aussi par l’intermédiaire d’un certain nombre de dispositifs que nous pourrions adopter afin d’avoir un Parlement ouvert et non un Parlement un peu trop fermé sur lui-même. Cela vaudra d’autant plus lorsque les députés seront beaucoup moins en circonscription, et beaucoup plus ici, au contact de la haute administration.

Votre projet de réduire drastiquement le nombre de députés doit aussi s’accompagner de garanties de la présence et de l’écoute du citoyen, car nous connaissons la grande difficulté dans laquelle nous sommes d’un point de vue politique et démocratique.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. J’ai été frappée, comme vous, par l’absence de la participation citoyenne de ce projet de loi. C’est pourquoi je vous proposerai, par l’intermédiaire du concept de « Forum de la République », que le Conseil économique, social et environnemental soit le lieu de cette participation citoyenne. Je pense comme vous qu’il y a aujourd’hui une forte aspiration à la démocratie participative. Il faut l’entendre et lui permettre de s’exprimer partout où elle le souhaite.

Le Gouvernement mène des consultations, l’Assemblée a fait de même et cela doit continuer, mais je pense également qu’il faut qu’il y ait un lieu privilégié pour ce faire, c’est la raison pour laquelle je propose la transformation du CESE en Forum de la République, lieu du débat et de la participation citoyenne. Je partage vos intentions, mais sur cet amendement précis, j’émets un avis défavorable.

M. Erwan Balanant. Nous sommes co-auteurs de l’amendement dont vient de parler la rapporteure. Je comprends les problématiques de participation citoyenne, c’est un des éléments afin de résoudre le paradoxe de notre démocratie, dans laquelle on sent que les Français aiment la politique et veulent y participer mais où l’idée de représentation est en crise. Nous en reparlerons à l’article 14, en espérant qu’il ne sera pas débattu nuitamment, car c’est à mon sens un des sujets très importants de cette révision.

M. Pierre Dharréville. Nous avons besoin d’un régime fondé sur le plein déploiement de la souveraineté populaire. Inscrire dans le premier article de notre Constitution qu’il s’agit de favoriser l’intervention citoyenne et de permettre au peuple d’exercer tout le pouvoir qu’il peut, comme le disait Gracchus Babeuf, me semble fondamental. Je souscris à cet amendement, et je pense que ce devrait être un des axes de notre débat, car nous vivons une crise politique qui dure depuis trop longtemps, et il me semble que des dispositions de cette nature sont la meilleure manière d’en sortir.

M. Jean-Félix Acquaviva. C’est un point central. Nous vivons un contexte de rupture du citoyen avec la politique, il est nécessaire d’enraciner la démocratie et la vie démocratique.

Je pense tout à fait opportun que ce principe soit inscrit dans la Constitution, et qu’il soit traduit en politiques publiques.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CL739 Mme Danièle Obono.

Mme Danièle Obono. Nous proposons de compléter la Constitution par la phrase suivante : « Aucune norme juridique ne peut être moins protectrice que la législation sociale et environnementale de la République ».

Nous voulons ainsi consacrer la primauté juridique des normes sociales et environnementales, garantes du bien commun, sur toute autre norme, notamment internationale, sauf si cette dernière est plus protectrice.

La loi, c’est-à-dire l’expression de la volonté générale du peuple, est trop souvent violée par la signature de traités internationaux sur lesquels ni le peuple, ni ses représentants, n’ont de pouvoir. Or, les traités internationaux ont un impact direct sur notre ordre juridique interne et ont une valeur juridique supérieure aux lois de la République, c’est par exemple le cas du traité CETA.

Le groupe La France insoumise souhaite garantir qu’en matière environnementale et sociale, les normes insérées dans l’ordre interne par les traités ne puissent pas être moins protectrices que celles contenues dans la loi. Ceci signifie un aménagement de notre organisation juridique. Mais il nous semble que le constat de l’urgence climatique, qui est partagé, impose de changer notre tradition et de faire en sorte que la norme suprême soit celle qui protège l’environnement et les conditions sociales, y compris sur les enjeux économiques de grande ampleur. Je ne doute pas que vous adopterez cet amendement, en cohérence avec la volonté affirmée à plusieurs reprises par toutes et tous de répondre aux enjeux de la transformation climatique.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Les discussions que nous avons eues précédemment nous ont permis d’adopter un amendement à l’article 1er de la Constitution consacrant l’exigence d’un haut niveau de protection de l’environnement. Je ne pense pas qu’il soit nécessaire d’aller au-delà. Surtout, nous ne devons pas hiérarchiser les droits et libertés au sein de la Constitution mais les concilier. Avis défavorable.

Mme Danièle Obono. Il ne s’agit pas de hiérarchiser les droits et les libertés fondamentales. Nous considérons simplement que les normes environnementales et sociales doivent primer sur les intérêts économiques. Cela nécessite effectivement de changer de culture constitutionnelle. Encore une fois, on ne peut se payer de mots et répéter « make our planet great again », tout en se contentant du minimum, ce qui est de toute évidence insuffisant pour répondre aux enjeux. Les petits pas déjà réalisés doivent être suivis d’exigences et de contraintes clairement affirmées, faute de quoi nous en resterons au stade des grandes déclarations. Lorsqu’il s’agit de passer aux actes et de trancher sur ce qui doit primer, on choisit toujours les intérêts économiques. Cela nous semble très dangereux pour l’avenir de la planète. Nous maintenons cet amendement et le défendrons en séance, espérant convaincre au moins la majorité.

La Commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CL752 de M. Jean-Luc Mélenchon.

M. Bastien Lachaud. Cet amendement vise à rappeler la vocation universelle de la France et sa contribution à la paix dans le monde. La France, présente dans tous les océans, ne peut être réduite à une vision occidentaliste ou européenne du monde. La France existe par sa devise « Liberté, égalité, fraternité », par la proclamation des droits universels lors de la grande révolution de 1789, à l’adresse de tous les habitants du monde. La vocation de notre pays est nécessairement d’œuvrer à la paix du monde, puisque son acte fondateur proclame l’universalité de la condition humaine et, par voie de conséquence, l’égalité de tous les hommes en droits. Cela rend illégitime toute volonté de domination de la France sur quelque peuple que ce soit. Il faut réaffirmer que la France est une nation universelle, qu’elle contribue à la paix dans le monde et qu’elle ne doit pas entrer dans des jeux d’alliances qui la conduiraient mécaniquement à des enjeux de domination.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Je m’interrogeais sur l’expression « qui contribue à la paix dans le monde » : pourquoi n’avez-vous pas préféré « assurer » ou « garantir » au verbe « contribuer » ?

Au-delà de cette boutade, l’alinéa 14 du préambule de 1946 prévoit déjà que la France « n’entreprendra aucune guerre dans des vues de conquête et n’emploiera jamais ses forces contre la liberté d’aucun peuple ». Cette affirmation se suffit à elle-même, nul besoin d’en ajouter. Avis défavorable.

Mme Danièle Obono. Ce sont les institutions internationales comme l’ONU qui ont la responsabilité de garantir la paix. Nous contribuons à l’ONU, et c’est la raison pour laquelle nous souhaitions que ce soit inscrit dans la Constitution. Mais si madame la rapporteure souhaite sous-amender nos amendements, et si cela doit emporter son avis final, nous sommes ouverts à ses propositions.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Si cela devait réellement contribuer à la paix dans le monde, soyez assurée, madame Obono, que je le ferais. Mais j’en doute.

La Commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CL834 de Mme Marietta Karamanli.

Mme Marietta Karamanli. Un éminent professeur de droit, M. Paul Cassia, a mis en évidence l’existence d’une collusion entre intérêts publics et intérêts privés. Cette situation, très développée dans notre pays, est de nature à mettre en cause la séparation des pouvoirs, principe de valeur constitutionnelle.

Un millier de fonctionnaires d’État seraient concernés chaque année par le pantouflage, c’est-à-dire par le fait de passer du secteur public au secteur privé. Jadis observée en fin de carrière, cette pratique s’est généralisée en France et dans le monde, au point que l’OCDE s’en est inquiétée dans un rapport paru en 2009 : « les relations proches entre, d’un côté, les régulateurs et le pouvoir politique, et de l’autre, l’industrie de la finance et ses lobbyistes, sont alimentées par le recyclage régulier de personnel entre ces deux univers. (…) S’attaquer aux portes tournantes constitue le début d’un processus indispensable afin de restaurer la confiance des citoyens dans le système politique et le fonctionnement des marchés financiers ».

Plusieurs propositions de loi comportent des dispositions qui, comme l’a analysé le président de la commission de la déontologie de la fonction publique, « encouragent ces passages entre la fonction publique et l’exercice d’activités privées ».

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Vous imaginez bien que l’interdiction du pantouflage n’a rien à faire à l’article 1er de la Constitution, qui consacre les principes fondamentaux de notre République. La commission des Lois a mené une mission d’information sur le pantouflage, question qui nous occupe depuis les débats sur la loi « confiance » et les amendements qui avaient été défendus au Sénat. Les conclusions de ce rapport, si elles vont dans le sens d’une modification de notre législation en matière de lutte contre le pantouflage, n’indiquent pas que cette législation est entravée par une difficulté constitutionnelle. Je ne vois donc pas l’intérêt de modifier la Constitution. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

M. Didier Paris, président. Nous avons examiné 177 amendements. Il en reste 1 182. Nous avons passé 10 heures à débattre. À ce rythme, il nous faudrait approximativement 70 heures pour terminer l’examen du texte. Nous allons suspendre nos travaux, qui reprendront à 21 heures ce soir.

4.   Troisième réunion du mercredi 27 juin 2018 à 21 heures (avant l’article 1er, suite)

Lien vidéo :

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.6316757_5b33dd0c357dd.commission-des-lois--pour-une-democratie-plus-representative-responsable-et-efficace-suite-avan-27-juin-2018

M. Didier Paris, président. Nous reprenons l’examen du projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace.

Avant l’article 1er (suite)

[Article 1er de la Constitution, suite]

La Commission examine l’amendement CL1384 de M. Jean-Félix Acquaviva.

M. Jean-Félix Acquaviva. Il s’agit d’introduire au rang constitutionnel l’idée que le principe d’égalité devant la loi ne fait pas obstacle à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes – une doctrine du Conseil constitutionnel.

On sait très bien qu’il existe des interprétations abusives du principe d’égalité, aussi bien de la part des collectivités locales que des parlementaires. Elles tendent à en faire un principe égalitariste ou uniformisant. Il nous semble nécessaire, et plus clair, d’inscrire ce principe dans la Constitution, afin d’éviter toute interprétation abusive et de pouvoir le mettre en œuvre dans le cadre de politiques publiques.

M. Marc Fesneau, rapporteur. J’ai déjà indiqué que notre travail ne pouvait consister à codifier la jurisprudence constitutionnelle. Régler des situations différentes de façon différente est précisément l’objet des articles 15, 16 et 17, que nous examinerons plus tard. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CL1016 de M. Pierre Dharréville.

M. Sébastien Jumel. Cet amendement vise à insérer un alinéa à l’article 1er pour protéger et promouvoir les biens communs. Le système économique actuel a transformé l’ensemble des biens en marchandises, notamment les éléments indispensables à la vie comme l’eau ou les semences – les États généraux de l’alimentation ont permis des débats intéressants sur ces questions –, ainsi que les services essentiels au bien-être des peuples, comme le droit au transport, à l’éducation ou à la santé.

Une réflexion partagée avec des économistes et des professeurs de droit nous a amenés à considérer qu’inscrire la question de la protection, de la promotion et de la gestion démocratique des biens communs dans la Constitution était un élément de nature à préserver la notion de service public à la française.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Nous avons déjà eu le débat sur les biens communs et leur inscription dans la Constitution. Mon avis reste le même, défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

[Article 2 de la Constitution]

La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL318 de M. Paul Molac, CL1062 de M. Michel Castellani, CL1253 de M. Jean-Félix Acquaviva, les amendements identiques CL320 de M. Paul Molac et CL1072 de M. Michel Castellani, les amendements CL319 de M. Paul Molac, CL1224 de M. Jean-Félix Acquaviva, CL1315 de Mme Maina Sage et CL1218 de M. Moetai Brotherson.

M. Paul Molac. Il s’agit de supprimer le premier alinéa de l’article 2 de la Constitution, « La langue de la République est le français. » Ajouté par la loi constitutionnelle du 25 juin 1992, soi-disant pour lutter contre l’anglais, il a principalement servi à lutter contre les langues régionales grâce à plusieurs décisions du Conseil constitutionnel.

Accoler la notion de langue à celle de République revient à ethniciser celle-ci. C’est d’ailleurs ce que demandait Guy Carcassonne : « la République a-t-elle besoin d’une langue ? ». Si c’est le cas, il n’est pas nécessaire que cette langue soit placée au-dessus des autres. Si, dans le cadre de la laïcité, l’État reconnaît toutes les religions, il ne reconnaît qu’une langue dans la Constitution. On peut très bien comprendre la nécessité d’une langue commune, mais lui donner un statut supérieur et se servir de ce statut pour empêcher les autres langues d’exister est une mauvaise chose.

Je vous invite à ne pas sous-estimer cette question. Le français n’est pas la langue maternelle d’un certain nombre d’entre nous. Imposer le français sans reconnaître la langue maternelle des personnes revient à ethniciser la notion de République.

M. Michel Castellani. Notre amendement vise à compléter le premier alinéa de l’article 2 de la Constitution par les mots : « et les langues régionales sont reconnues comme co-officielles, l’État s’engageant à leur développement ». Vous savez que ces langues risquent de s’éteindre et que leur sauvegarde est un enjeu essentiel, reconnu comme tel par l’État lors de la signature de la charte européenne des langues régionales.

J’ajoute que les députés de Corse ont été élus sur ce programme. Nous sommes donc très fiers de défendre cet amendement qui, bien évidemment, ne concerne pas que la langue corse, mais toutes les langues régionales.

M. Jean-Félix Acquaviva. L’amendement vise à compléter le premier alinéa de l’article 2 de la Constitution par les mots : « dans le respect des langues régionales qui appartiennent au patrimoine historique et culturel de la France. ». L’article 75-1, « Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France » ne garantit à ce jour aucun statut qui permettrait le sauvetage de ces langues ; il est quelque peu décoratif.

Inscrire à l’article 2 que le français n’est pas exclusif des autres langues permettrait de défendre, au niveau législatif, un statut qui garantirait à la fois le sauvetage de langues en extinction, les droits des locuteurs à en user, y compris dans la sphère publique. La langue n’est pas une religion, elle ne peut être traitée comme la laïcité traite les religions : il s’agit d’identité, non de croyance.

Ce débat, récurrent, a déjà eu lieu en 2008 avec l’adoption de l’amendement dit « Warsmann ». Nous n’avons que faire des contingences qui obligent à obtenir un accord du Sénat sur la réforme constitutionnelle quand il s’agit de sujets aussi importants que l’environnement ou la question de l’identité. J’ajoute qu’une république désincarnée, où les individus seraient substituables de Lille à Bonifacio, comme s’ils étaient identiques en tous points, ne saurait s’enraciner au sein de ses populations.

M. Paul Molac. L’amendement CL320 est un amendement de repli par rapport à l’amendement CL318. Il vise à compléter le premier alinéa de l’article 2 de la Constitution par les mots : « dans le respect des langues régionales de la France ». Toutes les langues régionales de France sont classées par l’Unesco en grand danger d’extinction, sauf le basque. Sa vigueur est surtout due à la politique menée dans la communauté autonome du Pays basque, où il jouit d’un véritable statut, où deux chaînes de télévision au moins émettent en basque et où l’enseignement bilingue basque-castillan est généralisé.

L’article 2 de la Constitution est régulièrement invoqué par des fonctionnaires pour refuser toute mention des langues régionales. Il faut bien souvent batailler, ne serait-ce que pour faire coexister la langue régionale à côté du français, conçu comme langue exclusive de la République. Le Conseil constitutionnel a indiqué que les traductions pouvaient être acceptées, mais il faut bien souvent engager une épreuve de force avec l’administration pour obtenir une inscription des langues régionales.

M. Michel Castellani. En somme, avec cet amendement identique à celui de M. Molac, il s’agit de déplacer les langues régionales de l’article 75-1 à l’article 2. Il me semble important de signaler que la langue corse a été, pendant des siècles, et pour beaucoup, un moyen d’intégration et non de ségrégation.

M. Paul Molac. Avec ce nouvel amendement de repli, le CL319, nous proposons de compléter le premier alinéa de l’article 2 de la Constitution par la phrase : « La République reconnaît les langues régionales. ». L’objet est de permettre à ces langues d’obtenir un statut. Elles pourront ainsi être enseignées, présentes dans la signalétique et dans les médias. Les vecteurs qui portaient autrefois ces langues n’existent plus, le monde a changé ; il faut les remplacer par de nouveaux afin de pérenniser ces langues.

Il n’est pas question de faire du monolinguisme en langue régionale, mais de faire en sorte que les sociétés soient plurilingues, associant aussi les langues étrangères. Le but est de préserver notre diversité et notre patrimoine sans s’enfermer dans une seule langue. Une éducation plurilingue est possible, ainsi que le montrent les exemples gallois ou irlandais. Je pense que la France aurait tout intérêt à emboîter le pas des pays européens déjà avancés dans cette pratique. Pour cela, nos langues régionales doivent avoir un statut.

M. Jean-Félix Acquaviva. Dans la lignée de l’amendement précédent, cet amendement vise à compléter le premier alinéa de l’article 2 de la Constitution par la phrase : « Les langues régionales sont reconnues et leur statut est déterminé par la loi. ». C’est la volonté politique et juridique de sauver et développer ces langues qui manque.

Élément de richesse pour la République, ces langues ne viennent pas contrarier le français, loin s’en faut, mais enrichir la société plurilingue. Elles ont même une utilité sociale et économique, notamment dans les zones frontalières, comme l’Alsace ou la Corse, car elles participent au développement des territoires. Il me paraît donc important d’insister sur la notion de statut et de rappeler que le budget de promotion des langues régionales en France est de 400 000 euros, ce qui montre le peu d’intérêt porté à la question.

M. Paul Christophe. L’amendement CL1315 vise à compléter le premier alinéa de l’article 2 par la phrase : « Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France. », ainsi qu’à abroger l’article 75‑1 de la Constitution.

Il a fallu attendre la révision constitutionnelle de 1992 pour voir apparaître au sein de la norme fondamentale une disposition consacrée à l’usage d’une langue. Adopté pour lutter contre le recul de la langue française au profit de la langue anglaise, le premier alinéa de l’article 2 de la Constitution ne soulève pas moins la question du statut et même de l’exclusion éventuelle des autres langues parlées sur le territoire de la République.

L’insertion dans la Constitution de la disposition consacrant l’appartenance des langues régionales au patrimoine de la France a été opérée par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008, par adjonction d’un nouvel article 75-1. Si cette disposition avait pour objectif de ratifier la charte européenne des langues régionales ou minoritaires, l’avis du Conseil d’État du 7 mars 2013 a rendu cet article inopérant, tendant à muséifier les langues régionales, pourtant très présentes en métropole et dans les outre-mer.

Sans remettre en cause le fait que le français est la langue de la République, il est nécessaire de replacer la mention des langues régionales à la seule place adéquate de notre Constitution, l’article 2.

M. Moetai Brotherson. Il s’agit d’insérer après le premier alinéa de l’article 2 de la Constitution l’alinéa suivant : « Les langues régionales des territoires au sein de la France sont reconnues comme celles de la République sur ces territoires. La loi organique liste les langues régionales qui sont reconnues selon les territoires. »

Je sais bien que cela n’est pas du tout dans la tonalité de nos discussions, mais je suis lassé d’entendre cette approche obsolète, d’observer la République arc-boutée sur la notion de langue officielle unique, à l’heure où 54 nations comptent plusieurs langues officielles et s’en sortent très bien, à l’image de la Nouvelle-Zélande. Je ne sais pas si vous avez vu récemment jouer les All Blacks : il ne leur est pas nécessaire de parler une langue officielle unique pour se sentir appartenir à leur nation.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Nous partageons la volonté de conserver, promouvoir et développer les langues régionales. Pour ce faire, les moyens mis en œuvre, auxquels certains d’entre vous ont fait référence, relèvent moins de la Constitution que de dispositifs législatifs.

Un certain nombre d’amendements développent la notion de co-officialité de la langue régionale. Celle-ci suppose que la maîtrise d’une de ces langues devienne une condition d’accès à un emploi public ou que des actes juridiques puissent être dressés dans ces langues, ce qui rendrait leurs effets difficiles dans d’autres régions. Je ne rappellerai pas les articles que nous avons déjà cités à maintes reprises et qui seraient en contradiction avec un certain nombre de vos propositions.

M. Acquaviva a dit que les habitants de Lille ou de Bonifacio n’étaient pas substituables. Personne n’a dit le contraire ! Personne n’a dit qu’il n’y avait pas de différenciation, ou qu’il ne fallait pas aller plus loin dans la différenciation pour reconnaître la spécificité des Lillois ou des Bonifaciens. Nous aurons ce débat à l’occasion de l’examen des articles 15, 16 et 17.

Enfin, monsieur Christophe, je ne vois pas en quoi abroger l’article 75-1 et compléter l’article 2 changerait les choses. Si nous commençons à distinguer les langues à l’article 2, alors il faudra le faire sur d’autres sujets. Il faut conserver sa force à l’article 2. L’article 75-1 permet de reconnaître la valeur patrimoniale des langues et il semble à la bonne place, même si certains indiquent que son application peut poser problème. Nous aborderons peut-être tout à l’heure la question des hymnes : rien n’empêche que l’on ait à la fois un hymne national et d’autres hymnes, au travers desquels s’exprime la diversité. Personne ne l’a jamais empêché. Il n’est nul besoin d’inscrire dans la Constitution des choses qui sont de l’ordre de la pratique. Avis défavorable sur l’ensemble des amendements.

M. Julien Aubert. Cette discussion mêle des amendements qui ne sont pas de même nature. Il y a pour moi une différence évidente entre l’amendement de M. Molac, qui vise à supprimer la mention de la langue française comme langue officielle, et d’autres amendements, qui proposent plutôt de développer les langues régionales.

Comme cela a été dit, le problème, ce sont les moyens et l’ardeur que met l’État au service de la protection et du développement de ces langues. Ce n’est pas parce que l’on aura modifié la Constitution que cela changera les politiques publiques.

Je ne peux pas ne pas critiquer l’argumentation de M. Molac qui nous a expliqué que la proclamation d’une langue officielle revenait à ethniciser la République. C’est parfaitement faux : les Africains parlent français ; le français n’est pas la langue d’une ethnie. En revanche, il ne faut pas confondre le multiethnique et le multiculturel. Effectivement, la langue est l’expression d’une culture et l’on peut considérer que nous partageons une partie de notre culture avec les pays francophones.

République vient du latin res publica, chose commune. Si nous ne sommes plus capables d’avoir quelque chose en commun, à commencer par la langue qui nous permet d’échanger, que reste-t-il de la République ?

D’un vièi pople fièr e libre / Sian bessai la finicioun – D’un ancien peuple fier et libre /Nous sommes peut-être la fin – dit l’hymne provençal Coupo Santo. De fait, de tels amendements signeraient peut-être la fin de la République. Je vous mets en garde contre la volonté de breveter ou de labelliser les langues régionales. En Provence, un débat dure depuis 1905, qui voit s’affronter ceux qui pensent qu’il n’y a qu’une langue d’Oc et ceux qui distinguent deux graphies et deux parlers, le mistralien et la norme classique. Donner un statut à telle ou telle langue régionale supposerait d’entrer dans des détails linguistiques fort compliqués. Ces amendements constituent une atteinte à la République et à l’unicité de la nation, ils sont très dangereux.

M. Sacha Houlié. M. Molac a fait un parallélisme avec la constitution espagnole qui reconnaît plusieurs langues. Cela s’explique par la résistance dont ont fait preuve les Galiciens, les Basques ou les Catalans à l’époque du franquisme. La création des statuts – Estatutos – a eu pour effet de renforcer les identités locales et d’exacerber le pouvoir local à l’encontre du pouvoir national, donc de créer plus de problèmes encore. Dans la pratique, cela a mené à une dissension entre une Constitution unitaire et un pouvoir profondément fédéralisé, sans que cela transparaisse dans l’écriture ou dans l’application de la loi fondamentale.

Je ne me ferai pas plus chiraquien que ne le sont les chiraquiens sur ce sujet – c’était un engagement du Président de l’époque. Je note simplement que la non-reconnaissance des langues régionales à l’article 2 de la Constitution n’empêche pas leur existence : elles sont enseignées, affichées sur de nombreux panneaux de signalisation, en Bretagne, au Pays basque ou en Corse. J’y vois le signe d’une convivance, pour reprendre un hispanisme, de deux langues, en cohérence avec nos dispositions constitutionnelles.

M. Erwan Balanant. Cher collègue Paul Molac, vous connaissez mon intérêt pour la langue bretonne et pour les langues régionales en général. Cependant, je suis circonspect au sujet d’une éventuelle suppression du français comme langue de la République. Bien que je sois amoureux de la langue bretonne, je suis en effet attaché à l’idée que le français est la langue de la République.

Quant à transférer, comme le suggère notre collègue Paul Christophe, le contenu de l’article 75-1, relatif à la reconnaissance des langues régionales, vers l’article 2, qui définit aujourd’hui la langue de la République, l’idée me semble intéressante. Même si les langues régionales sont désormais reconnues, il n’a pas été si simple de mettre en place des panneaux routiers bilingues. De même, les réseaux d’enseignement bilingue français/breton connaissent des difficultés parce que les politiques publiques ne sont pas mises en œuvre. À Quimper, la semaine dernière, le Président de la République s’est tout de même engagé à soutenir ces filières de langue régionale.

Pour ma part, je voterai en faveur de la proposition de M. Paul Christophe.

M. Pierre Dharréville. Nous portons nous aussi un intérêt au débat qui s’amorce sur la place des langues régionales. Dans l’histoire de notre pays, ce sujet a parfois été traité avec une forme d’autoritarisme qui a laissé des traces. Nous pensons qu’il vaut mieux faire une force de cette richesse que constitue la diversité linguistique. À travers les langues, ce sont différentes manières de dire le monde qui se rencontrent. Reconnues à leur juste place, les langues régionales peuvent tout à fait contribuer à renforcer la République.

Il me semble que nous pourrions examiner plus finement les différents amendements proposés à ce sujet, pour faire le meilleur choix entre eux.

M. Paul Molac. Monsieur Aubert, la Confédération helvétique a quatre langues officielles, mais n’en constitue pas moins une nation. À l’inverse, Serbes et Croates parlent la même langue, mais cela ne les empêche pas de se détester cordialement. Cela nous montre que la République et la langue sont deux choses différentes.

Je pose la question de la pérennité de ces langues et de la nécessité de les sauvegarder. J’attends des réponses claires. Car je pense que nous ne pourrons nous passer d’un recours à la loi, en particulier pour pérenniser des filières d’enseignement.

Je remets en cause, non pas la langue commune, car il en faut bien une, mais les pratiques qui font qu’aujourd’hui, les langues régionales sont en voie d’extinction comme l’Unesco le reconnaît.

M. Didier Paris, président. La discussion est close. Pour la suite de nos débats je propose que les interventions en réponse au rapporteur n’excèdent pas une minute.

M. Sébastien Jumel. Nous ne sommes pas d’accord. Qu’est-ce que cela veut dire ? Il s’agit tout de même de la réforme de la Constitution…

M. Didier Paris, président. Je vous en prie, vous avez largement le temps de vous exprimer quand vous présentez des amendements.

M. Sébastien Jumel. Une révision de la Constitution implique la souveraineté des parlementaires que nous sommes. Elle implique qu’on prenne le temps qu’il faut pour examiner un texte qui engage la République dans la durée. Le respect du Parlement – tant que votre réforme n’est pas allée jusqu’à son terme – nécessite que nous puissions défendre nos amendements et répondre au rapporteur, en se respectant les uns, les autres. Non aux oukases et au temps programmé ! Il n’est pas acceptable de bâillonner l’opposition sur ce sujet.

M. Jean-Félix Acquaviva. Cela ne va pas du tout, monsieur le président. Vous glissez, vous dérivez... Nous attendons que vous vous ressaisissiez.

M. Sébastien Jumel. Je demande que les présidents de groupe se réunissent pour que nous examinions les conditions de déroulement de nos débats.

M. Didier Paris, président. En tant que président de séance, j’organise les prises de parole de la manière qui m’apparaît convenir. Il nous reste plus de 1 200 amendements à examiner. Vous disposez de deux minutes pour présenter vos amendements. En réponse à l’avis des rapporteurs, il apparaît logique de s’en tenir à une minute. Cela ne fait pas peser de contrainte excessive sur le droit d’expression qui est le vôtre. En outre, cette règle sera la même pour tous.

M. Sébastien Jumel. Je demande une suspension de séance.

M. Didier Paris, président. Il n’existe pas de droit de suspension de séance automatique à la commission des Lois. Permettez que nous poursuivions.

M. Sébastien Jumel. C’est inacceptable.

La Commission rejette, successivement, les amendements CL318, CL1062, CL1253, CL320, CL1072, CL319, CL1224, CL1315, CL1218.

Puis elle examine, en présentation commune, l’amendement CL1225 de M. Jean-Félix Acquaviva ainsi que les amendements CL1064 de M. Michel Castellani et CL1246 de M. Jean-Félix Acquaviva, qui sont en discussion commune.

M. Jean-Félix Acquaviva. Mes amendements portent sur la possibilité, pour une région, d’avoir un drapeau ou un hymne, qui leur donne une reconnaissance symbolique.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Nous prenons le temps d’examiner tous les amendements, à un rythme raisonnable, et je vais ainsi prendre le temps de vous répondre.

Vos amendements touchent à une autre partie des dispositions de l’article 2 de la Constitution, celles qui concernent les drapeaux et enseignes. D’abord, ils entrent en contradiction avec le principe d’unicité de la République. En outre, votre amendement CL1225 n’évoque que les emblèmes des régions historiques alors que, dans une ville comme Marseille, on pourrait hisser aussi bien les couleurs de la Provence que le drapeau bleu blanc… Je relève ici une contradiction.

Les conséquences de cet amendement sont lourdes, alors que rien ne vous empêche, aujourd’hui, de hisser des drapeaux et d’entonner des hymnes à côté de ceux de la République française, sans enfreindre l’article 2. C’est d’ailleurs ce qui se pratique couramment en Corse.

M. Michel Castellani. Mon amendement porte également sur les hymnes régionaux. Ils ne bénéficient aujourd’hui d’aucune protection juridique même si personne n’interdit de les chanter. Ce sont pourtant des symboles qui nourrissent le sentiment d’appartenance régionale.

En Corse, l’hymne régional est chanté partout : dans les mariages, dans les enterrements, dans les matchs de foot… Il rassemble tous les Corses, quelle que soit leur origine ou leur sensibilité politique.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Il n’est besoin ni de la Constitution ni du juge constitutionnel pour vous livrer aux activités que vous venez de décrire. Vous ne trouverez pas d’occasion où elles ne seraient pas autorisées. Avis défavorable.

M. Paul Molac. Je voulais seulement apporter une précision. Quand un Président de la République se rend en Corse ou en Bretagne, il nous faut enlever le drapeau corse ou le drapeau breton. Les services du protocole refusent toute autre solution.

La Commission rejette, successivement, les amendements CL1225, CL1064 et CL1246.

Puis elle examine l’amendement CL543 de M. Éric Ciotti. 

M. Éric Ciotti. Cet amendement vise à renforcer, au sein de notre République, le principe de laïcité inscrit dans l’article 1 de notre constitution. Il est en effet remis en cause de manière quasi quotidienne. Menacé, il s’érode et s’altère.

C’est pourquoi cet amendement vise à ajouter à la devise de la République « Liberté, égalité, fraternité » la laïcité. Nous marquerions ainsi notre opposition à ceux qui estiment que certaines règles religieuses doivent être supérieures à la République. Cela apporterait une protection salutaire à notre société.

Aujourd’hui, la République est menacée par le communautarisme et par le terrorisme islamiste. Face à ces dérives, nous devons rappeler notre attachement à une laïcité exigeante, fidèle aux principes de 1905 sans être contradictoire avec notre histoire et notre identité chrétienne. La laïcité s’est d’ailleurs fondée en opposition à la religion catholique. Voilà l’équilibre qu’il faut préserver.

Alors que certains veulent imposer leur appartenance religieuse aux autres, dans l’espace public, au-delà de la sphère privée, nous devons, comme l’a fait M. Manuel Valls au sein de la majorité avec un courage que je veux saluer, réaffirmer l’expression de la laïcité. C’est un pilier de l’avenir de notre République. La remettre en cause nous exposera à de lourdes menaces.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. L’article premier de la Constitution fait état du fait que la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Il affirme ainsi hautement le caractère laïc de l’État.

En outre, je ne souhaite pas revenir sur la devise de notre République, adoptée en 1848. Elle est sacrée, à mon sens. Les trois valeurs qui y figurent ne sont d’ailleurs pas sur le même plan qu’un principe comme la laïcité. Évitons donc un inutile mélange des genres.

Cela étant, je suis sûre que nous sommes tous attachés, dans cette salle, à défendre la laïcité. Récemment encore, la commission des Lois a créé une mission d’information sur la radicalisation qui s’intéressera notamment à la laïcité dans les services publics. Cela montre combien elle nous est chère. Mais il n’est pas nécessaire de l’inscrire dans la devise de notre République. Avis défavorable.

M. Ugo Bernalicis. L’idée peut paraître alléchante et intéressante. Sur un plan purement pragmatique, il faudrait cependant faire beaucoup de travaux pour changer tous les frontons…

Au sujet de la laïcité, le récent déplacement du Président de la République au Vatican a montré que le débat est loin d’être épuisé. C’est pourquoi nous avons déposé deux amendements visant à étendre le principe de la laïcité, certes déjà présent dans le texte constitutionnel. Nous voudrions ainsi qu’elle s’applique à tout le territoire de la République… Car il y a encore aujourd’hui, sur notre territoire, du personnel religieux qui est payé par le contribuable !

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Ce point a été abordé lors du débat sur un amendement précédent, de sorte que la discussion a déjà eu lieu sur cette question-là.

M. Éric Ciotti. Je regrette, madame la rapporteure, la frilosité de la majorité sur ce thème. Vous devrez un jour sortir de l’ambiguïté dont le Président de la République veut se satisfaire. C’est un sujet grave. Le communautarisme menace la République et vous ne voyez rien, vous ne regardez rien, vous n’agissez pas… Je trouve cette pusillanimité extrêmement dangereuse et lourde de conséquences.

Dans ma circonscription, un principal m’a rapporté que des élèves de quatrième ont refusé de suivre, pour des raisons religieuses, un cours de sciences de la vie. Convoqués, les parents se disent impuissants… On voit les dégâts pour notre société. C’est pourquoi je vous conjure d’agir. Ne restez donc pas dans l’immobilisme actuel, qui est dangereux pour notre pays !

M. Erwan Balanant. Monsieur Ciotti, je ne comprends pas complètement votre position. Certes, je la partage totalement sur la question de la laïcité, mais vous ne pouvez défendre ainsi la laïcité tout en demandant, par d’autres amendements, que nous inscrivions dans notre Constitution la tradition chrétienne. Voilà un discours inaudible !

Certaines religions ne sauraient intégrer la laïcité tandis qu’une autre serait reconnue dans notre Constitution ? On ne peut tenir ce double discours.

M. Julien Aubert. Il y a un amalgame entre l’exercice de la religion – domaine sur lequel porte la laïcité, en marquant qu’on ne souhaite pas que la sphère publique soit envahie par une religion – et la reconnaissance d’une culture qu’on ne saurait changer. Il est en effet impossible de s’inventer une culture améro-indienne ou japonaise ! Notre culture est judéo-chrétienne. Il s’agit seulement de reconnaître des racines. Que cela nous plaise ou non, notre pays est marqué par la présence d’un héritage judéo-chrétien.

Mme Danièle Obono. « Nos ancêtres les Gaulois » ? Non, ce ne sont pas les miens !

M. Christophe Euzet. Je voudrais vous faire part de notre inquiétude quant à la tournure des débats, qui oscillent entre des commentaires de posture sur l’actualité du jour et des propositions de réfection totale de la Constitution par la gauche de la gauche de l’hémicycle.

Aurons-nous encore l’espace pour envisager le projet de révision constitutionnelle tel qu’il a été circonscrit par le Gouvernement ? Nous sommes censés le développer, non en nous comportant comme un constituant originaire qui aurait pour dessein de ficeler un texte en partant de zéro, mais en nous efforçant de le rendre plus moderne.

M. Ugo Bernalicis. Vos remarques n’ont aucun lien avec l’amendement en discussion !

M. Sébastien Jumel. Je vais m’exprimer calmement, mais avec la même fermeté. Limiter notre temps de parole est une chose, même si cela se fait dans des conditions qui me semblent inacceptables, mais c’en est encore une autre que de vouloir limiter notre capacité à réfléchir à la révision de la Constitution, en nous enfermant dans un cadre qui serait préalablement fixé par le Gouvernement !

Vous ne faites qu’anticiper sur les pleins pouvoirs renforcés qu’il est prévu de donner à une présidence hypertrophiée. Vous voulez priver le Parlement du pouvoir de faire la loi et de la modifier. Vous voulez cisailler la République en amputant les circonscriptions législatives, pour priver les territoires de représentants à l’Assemblée nationale. Et il faudrait discuter seulement des amendements que vous déposez ? C’est une plaisanterie ! En tout cas, c’est sans nous ! Car nous faisons comme bon nous semble.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CL1065 de M. Michel Castellani. 

M. Michel Castellani. Il s’agit d’intégrer dans la Constitution la notion de « peuples » constituant la France. L’amendement vise ainsi à faire reconnaître la diversité des peuples composant l’unité de la France. Cette modification préciserait le principe d’unicité autour d’une souveraineté unie, mais exercée par des peuples différents qui font le choix d’adhérer à des principes communs.

Pour nous, la structure de l’État devrait reposer sur trois principes : la reconnaissance de la diversité, de l’unicité et de la diversité régionale à travers la décentralisation.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

[Article 3 de la Constitution]

La Commission examine l’amendement CL1426 de M. Paul-André Colombani. 

M. Paul-André Colombani. Je vous propose une modernisation de l’article 3.

Nous passerions d’une souveraineté nationale à une souveraineté populaire. Ensuite, nous préciserions que les modalités d’exercice de la souveraineté ne peuvent être seulement sous-entendues ou déduites, au risque de tomber dans la vision napoléonienne d’une Constitution « courte et obscure ».

La Constitution prévoirait que « Le peuple légifère par la voie du référendum et à travers ses représentants au Parlement européen et au Parlement national. Il rend la justice à travers les magistrats. » L’exécutif mettrait en œuvre ce que le peuple a décidé par la voie du référendum ou par la voix de ses représentants.

Dans une logique évolutive, les pouvoirs exécutif et législatif peuvent être exercés par l’État au niveau national ou par les collectivités au niveau local. Le pouvoir juridictionnel ne peut évidemment être exercé que par les magistrats. Enfin, le droit d’éligibilité est accordé à tous les citoyens de l’Union européenne établis en France, pour toutes les élections.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Dans plusieurs de vos amendements, vous réécrivez totalement les articles. C’est une démarche hardie ! Vos articles seraient d’abord beaucoup plus longs que les articles initiaux. Or, quand la Constitution bavarde, elle n’est pas efficace.

En outre, vous mettez en cause les principes établis depuis 1958 voire 1789. Or, nous n’entendons pas y toucher. Avis défavorable.

M. Julien Aubert. Cet amendement présente l’intérêt d’aborder le problème politique que constitue l’émancipation du juge. Mais il présente par ailleurs des contradictions.

La théorie de la souveraineté populaire est la doctrine qui a fondé, au début de l’histoire constitutionnelle de notre pays, l’idée de la démocratie directe. Cette théorie s’oppose à la souveraineté nationale, qui fait de la nation un concept abstrait, qui ne se réduit pas à une addition arithmétique de tous ceux qui forment le peuple.

Vous voulez donc revenir à l’an I de la République. Ce n’est pas forcément très moderne. Comme l’an II l’a montré, les résultats n’ont d’ailleurs pas toujours été très positifs. Cela revient à déclarer nulle et non avenue la démocratie représentative.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine, en présentation commune, les amendements CL1066 et CL1067 de M. Michel Castellani. 

M. Michel Castellani. Au premier alinéa de l’article 3 de la Constitution, les mots : « au peuple qui l’exerce par ses représentants » seraient remplacés par les mots : « aux peuples de France qui l’exercent par leurs représentants ».

En effet, la mention de peuple au singulier ne rend pas compte de la diversité des peuples en France. Le deuxième alinéa serait modifié dans le même esprit.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Avis défavorable.

La Commission rejette, successivement, les amendements CL1066 et CL1067.

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements CL1023 de Mme Hélène Vainqueur-Christophe et CL639 de M. Jean-Luc Mélenchon. 

M. Hervé Saulignac. Depuis longtemps, certains ont la volonté de rendre le vote obligatoire. C’est l’objet de cet amendement. Par ce moyen, nous combattrions l’abstention grandissante en France. Par ailleurs, nous renforcerions la légitimité démocratique des élus et des résultats des consultations.

M. Bastien Lachaud. Ce vote obligatoire s’inscrit dans une conception plus large que nous développerons dans les amendements ultérieurs. Le contrat social tisse des liens entre tous les individus qui composent la société française. Il se matérialise concrètement par l’action de l’État, des institutions publiques et des collectivités territoriales à tous les échelons. Les politiques publiques bénéficient à tous et sont élaborées par les détenteurs de mandats électifs, qu’ils soient exécutifs ou législatifs.

Le vote est donc le moment fondateur de l’action de ces pouvoirs qui influent sur notre vie. Aujourd’hui, nous voyons l’abstention massive. Dans ce contexte, le vote obligatoire devrait permettre de rappeler l’importance des scrutins. Cela serait complété par la reconnaissance du vote blanc et par une extension du vote à seize ans qui élargirait le corps électoral.

La mesure proposée n’est en rien révolutionnaire. Ce dispositif existe dans de très nombreux pays, tels que la Belgique, l’Australie ou le Brésil. Certes, le vote obligatoire n’est pas la panacée pour résoudre les problèmes de légitimité démocratique, mais c’est un élément central pour renforcer l’importance du vote dans notre société.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. J’ai toujours été très opposée au vote obligatoire car je ne crois pas qu’il constitue la bonne réponse à l’abstention. Mieux vaut donner aux électeurs l’envie d’exprimer leur choix dans les urnes. Ce n’est pas en rendant le vote obligatoire qu’on y parviendra, bien au contraire ! En n’allant pas voter, ils disent quelque chose qu’il faut entendre. Il ne faut pas brider cette forme d’expression qui consiste à ne pas aller choisir de candidat. Je trouve anti-démocratique d’obliger les électeurs à aller voter. Avis défavorable.

M. Julien Aubert. Pourtant, le texte de révision constitutionnelle propose d’écourter le nombre de mandats d’un élu, ce qui empêchera les électeurs souhaitant reconduire leur représentant de le conserver. On ne peut aimer ainsi l’obligation quand elle nous intéresse et la supprimer quand elle ne nous intéresse pas.

Il faut aussi marcher sur deux jambes. Si nous rendons le vote obligatoire, il faut aussi reconnaître le vote blanc. Les deux vont ensemble et doivent être votés conjointement.

Enfin, la Belgique a adopté le vote obligatoire. Mais elle l’a assorti de sanctions financières. Un électeur belge qui ne se rend pas aux urnes encourt une amende. La mesure ne serait donc pas du tout populaire. Nous devons réfléchir aussi aux conséquences concrètes.

Sur le principe, compte tenu du fait que nombre de nos aïeux sont tombés pour défendre le droit de vote, je suis assez favorable à l’amendement.

M. Ugo Bernalicis. M. Aubert, vous m’obligez à dévoiler la suite de nos amendements. Soyons clairs : nous ne concevons pas le vote obligatoire de manière isolée. Si nous rendons le vote obligatoire, le vote blanc doit être reconnu. Ceux qui ont envie de protester, de dire quelque chose doivent pouvoir le faire aussi en usant du vote blanc ; il doit même entraîner des conséquences.

Le vote obligatoire serait de nature à renforcer la participation et le contrat social. Frapperait-on d’une amende ceux qui ne votent pas ? On peut aussi songer à du travail d’intérêt général, à la participation à des journées de citoyenneté...

M. Sacha Houlié. Le premier des principes évoqués dans la devise constitutionnelle est la liberté, ce qui se traduit notamment par la liberté d’aller voter ou non. La Constitution est d’essence libérale, même si cette liberté n’exclut pas des régulations, notamment en ce qui concerne, monsieur Aubert, le cumul entre mandats exécutifs locaux et mandats législatifs ou le nombre de mandats successifs.

M. Philippe Gosselin. Les élections sénatoriales sont-elles antidémocratiques, si on songe que les grands électeurs sont tenus d’aller voter ?

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Les grands électeurs votent en raison de leur fonction et il s’agit d’un suffrage indirect. Si le vote n’était pas obligatoire aux élections sénatoriales, la représentativité du Sénat pourrait être contestée.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Monsieur Gosselin, j’ajoute que les grands électeurs sont, dans la plupart des cas, désignés, c’est-à-dire qu’ils font le choix d’être électeurs. Il y a très peu de membres de droit.

M. Philippe Gosselin. Si : les conseillers régionaux et départementaux, les parlementaires…

M. Jean-Félix Acquaviva. La représentation nationale s’honorerait de permettre qu’on entre dans le cycle d’une société de droits et de devoirs. Les citoyens doivent avoir conscience de leurs droits comme de leurs obligations, dont le vote fait partie. Le vote est non seulement un droit et une liberté, mais aussi un devoir moral et collectif. Il est sain de donner cette réponse. C’est pourquoi nous sommes favorables au vote obligatoire, ce qui ne nous empêche pas d’explorer d’autres voies pour inciter à une participation plus forte.

M. Sébastien Jumel. Ce débat fait la démonstration que notre démocratie est malade. Il y a donc urgence à réparer le lien entre nos citoyens et la République. Inscrire des objectifs de démocratie participative dans notre Constitution aurait pu y contribuer. En créant les conditions d’une co-élaboration par les citoyens, nous ferions en effet la démonstration de l’utilité de l’engagement citoyen et du vote, comme de l’utilité d’avoir des représentants qui répondent aux questions posées.

En fait, votre projet va dans la direction opposée. Il va éloigner les citoyens toujours un peu plus des décisions qui les concernent, au plan territorial et au plan politique, notamment en privant leurs représentants de leur capacité à intervenir. Votre projet ne va donc qu’aggraver la crise.

Mme Cécile Untermaier. Je suis très réservée quant à l’idée de transformer un droit en un devoir. Il faut effectivement chercher plutôt la solution dans des institutions qui sachent parler aux citoyens.

Je rejoins le diagnostic de mon collègue Jumel. Il faut que nous travaillions, nous députés, de manière différente, en lien avec les citoyens. Plutôt que de les sommer d’aller voter, donnons-leur l’envie de le faire !

La Commission rejette, successivement, les amendements CL1023 et CL639.

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements CL640 de M. Jean-Luc Mélenchon et CL1024 de Mme Hélène Vainqueur-Christophe.

Mme Danièle Obono. Cet amendement est complémentaire du précédent. Il s’agit de reconnaître le vote blanc de manière autonome, comme suffrage exprimé et choix politique à part entière. Cela constituerait un progrès démocratique.

Lors du débat sur la moralisation de la vie politique, nous avions déjà formulé des propositions sur les modalités d’exercice du vote blanc. De manière générale, une élection qui n’aurait pas rassemblé plus de 50 % de suffrages exprimés d’électeurs et d’électrices inscrits serait invalidée, de manière que la volonté de l’électorat soit prise en compte. Cela éviterait les situations où l’abstention nuit à la légitimité des élus.

Au sein de la population, il y a une attente réelle au sujet de la reconnaissance du vote blanc, par-delà même le cadre favorable à une démocratie directe dans lequel nous exprimons cette revendication. En octobre 2016, 79 % des électeurs et électrices français étaient favorables à une reconnaissance du vote blanc, taux monté à 86 % en mars 2017.

M. Hervé Saulignac. Vous nous avez dit, madame la rapporteure, que ne pas voter est une forme d’expression. Monsieur Houlié, vous avez soutenu quant à vous qu’il s’agissait d’une liberté. Eh bien, il en va de même du vote blanc. Il s’agit de reconnaître cette forme de protestation comme expression d’un suffrage choisi.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Madame Obono, vous avez raison de rappeler que nous avions déjà débattu du vote blanc lors de l’examen du projet de loi pour la confiance dans la vie politique. Il a aussi fait l’objet d’un certain nombre de propositions de loi, qui prévoyaient d’y attacher des conséquences.

Si le vote blanc a pu faire l’objet de propositions de loi ordinaire, c’est qu’il ne s’agit pas, en soi, d’un sujet de nature constitutionnelle. Notre Constitution ne doit pas être le réceptacle de toutes les idées et réflexions que nous pourrions nourrir, si légitimes fussent-elles.

Quant au principe, le vote blanc est effectivement, monsieur Saulignac, une expression dont il faut tenir compte. Mais comment en tirer des conséquences sur l’élection d’une personne qui n’aurait pas recueilli le nombre de suffrages suffisant à vos yeux pour disposer de la légitimité nécessaire ? Je pense au contraire que nous tirons notre légitimité du fait que la majorité des exprimés s’est portée sur nous. Même si des électeurs ne souhaitent pas se prononcer sur tel ou tel candidat, cela ne remet pas en cause la valeur de nos élections. Je ne crois pas qu’un nombre important de votes blancs puissent valablement invalider une élection, alors que c’est ce que vous proposez.

Avis défavorable.

Mme Alice Thourot. Dans un pays de liberté, il est dommage de ne pas choisir car cela équivaut à laisser les autres choisir.

Il est dit dans l’amendement qu’« une loi organique détermine les conditions dans lesquelles l’insuffisante expression du corps électoral entraîne l’invalidation d’une élection ». Pouvez-vous nous préciser ce qui se passera dans le cas où l’élection est invalidée : devra-t-on revoter indéfiniment jusqu’à ce qu’un candidat soit élu ? Pour ma part, j’estime que le dispositif que vous proposez est très dangereux.

M. Guillaume Larrivé. Mme la rapporteure nous a brillamment démontré combien il était dangereux d’envisager d’introduire, dans le texte ordinaire qui nous est soumis, la fameuse dose de proportionnelle. Vous avez souligné, à juste titre, que les députés tenaient leur légitimité du fait qu’ils avaient obtenu la majorité des suffrages exprimés – ce qui correspond à ma propre conviction. La difficulté, c’est que le texte ordinaire formant l’appendice de cette révision constitutionnelle va précisément créer deux catégories de députés : d’une part, des députés parfaitement légitimes car désignés par une majorité, d’autre part, des députés en réalité nommés par les partis politiques, qui ne seront que des « battus élus » minoritaires par essence. Je vous remercie, madame la présidente de la commission des Lois, d’avoir apporté cet argument décisif à la position que nous soutenons, avec toute l’autorité et la légitimité qui sont les vôtres.

Mme Danièle Obono. L’argument technique ne tient pas, car il est tout à fait possible d’inscrire dans la Constitution le fait que la République reconnaît le vote blanc, et de prévoir les modalités de sa prise en compte.

Sur le fond, le vote blanc est bien une expression, même si celle-ci ne porte pas sur les noms proposés au suffrage – et s’il y a plus de 50 % de votes blancs, on n’a pas la majorité des votants, ce qui signifie que l’on doit à nouveau s’efforcer de convaincre les électeurs. Pour nous, ce n’est pas le signe d’une faillite, mais au contraire celui d’une maturité politique et d’une démocratie vivante, où les gens votent parce qu’ils ont été convaincus.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Je me demande comment Mme Obono peut évoquer le fait d’aller trouver les électeurs pour les convaincre, juste après avoir défendu le vote obligatoire et proposé de pénaliser financièrement les personnes qui ne voteraient pas !

Mme Danièle Obono. Vous faites preuve d’une certaine mauvaise foi, madame la rapporteure : nous n’avons jamais parlé d’imposer des pénalités financières !

La Commission rejette successivement les amendements CL640 et CL1024.

Elle examine l’amendement CL638 de M. Jean-Luc Mélenchon.

M. Ugo Bernalicis. Par cet amendement, nous proposons d’abaisser le droit de vote en France de 18 ans à 16 ans. Nous estimons en effet que cette mesure serait de nature à améliorer la vitalité démocratique de notre pays, ne serait-ce qu’en apportant 1,5 million d’électeurs supplémentaires.

La société reconnaît aujourd’hui à un jeune de 16 ans le droit d’être émancipé, de travailler et de voter aux élections professionnelles, d’exercer l’autorité parentale… Pourquoi ne lui reconnaîtrait-elle pas également le droit de se prononcer sur l’avenir du pays, et celui d’être éligible ?

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Une telle disposition n’a clairement pas vocation à figurer dans la Constitution, qui précise simplement à l’article 3 un principe de majorité des deux sexes sans indication d’âge. Il me semble dangereux de graver dans le marbre des principes qui ne méritent pas de l’être : ne faisons pas de la Constitution un texte bavard. Si vous souhaitez modifier l’âge de la majorité, nous pouvons en discuter, mais cela ne doit pas se faire dans le cadre de l’examen d’une loi portant sur le texte fondamental.

M. Ugo Bernalicis. Nous ne souhaitons pas modifier l’âge de la majorité, mais uniquement l’âge à partir duquel on peut voter. Contrairement à vous, nous estimons qu’une telle disposition doit figurer dans la Constitution – et si cet amendement était adopté, ce serait tout simplement inscrit dans la Constitution ! Dans d’autres cas de figure, la référence à la majorité ouvre ou ferme un certain nombre de droits. Or, nous ne souhaitons pas qu’une personne de 16 ans dispose de la totalité des droits dont bénéficie une personne de 18 ans, mais simplement qu’elle puisse se prononcer sur l’avenir de son pays.

M. Pierre-Henri Dumont. Sur la forme, on voit ici le danger qu’il y a à faire une réforme de la Constitution quand ce n’est pas justifié : cela permet à certains de saisir cette occasion pour tenter de faire passer un peu tout et n’importe quoi par voie d’amendement…

Mme Danièle Obono. Ce que nous proposons, c’est n’importe quoi ?

M. Pierre-Henri Dumont. …sans aucun égard pour la hiérarchie des normes.

Sur le fond, certains pays européens ont déjà abaissé la majorité électorale à 16 ans, ce qui n’a pas produit des résultats très enthousiasmants : je pense au résultat des dernières élections en Autriche, par exemple, qui n’est sans doute pas de nature à plaire à nos collègues de La France insoumise.

M. Ugo Bernalicis. Ce n’est pas le sujet !

M. Pierre-Henri Dumont. Cela dit, le vote des jeunes ayant tendance à aller aux extrêmes, je peux comprendre l’intérêt que vous avez à défendre une mesure d’abaissement de la majorité électorale.

M. Sébastien Jumel. Le titre de ce projet de loi fait référence à une démocratie plus représentative, responsable et efficace. Toute la question est de savoir si l’on veut donner force de symbole à cette réforme, afin de réparer la démocratie. C’est pourquoi il me paraît pertinent d’inscrire dans le texte constitutionnel l’abaissement de l’âge permettant de voter – comme, de la même manière, il était utile et raisonnable de proposer que le vote blanc soit vu comme la modalité d’une expression. La hiérarchie des normes est décidée par le constituant, c’est-à-dire par nous, et je ne vois pas pourquoi nous serions empêchés d’aborder certains sujets. Sur un thème de cette importance, cela me paraît légitime.

La Commission rejette l’amendement.

Mme Danièle Obono. M. le président, je veux protester contre la façon dont nos propositions sont accueillies. Le groupe La France insoumise présente une petite centaine d’amendements sur les plus de 1 300 qui vont être examinés au cours de ce débat. Nous avons pris le temps de travailler sérieusement sur ces propositions, dont nous pensons qu’elles ont leur place au sein d’un texte auquel nous sommes par ailleurs opposés : nous avons décidé de jouer le jeu, comme nous le faisons toujours au sein de notre assemblée et notamment de la commission des Lois.

Pour la bonne tenue de nos débats, il serait souhaitable que chacun soit un peu plus respectueux, et évite par exemple d’employer l’expression « tout et n’importe quoi » pour désigner nos amendements, mais aussi de reprocher systématiquement à ces amendements de n’être pas de niveau constitutionnel. Nous estimons qu’une telle attitude est insultante à l’égard de notre travail et de celui de nos collaborateurs. Je suis désolée, mais le travail parlementaire ne se résume pas à voter en bloc et sans réfléchir tout ce que Jupiter a décidé…

Mme Lætitia Avia. Affubler le Président de la République d’un surnom, ce n’est pas insultant ?

Mme Danièle Obono. C’est vous qui avez donné le ton, il ne faut pas vous plaindre que je réponde de la même manière ! En tout état de cause, je vous conseille de changer d’attitude avec nous si vous ne voulez pas que le débat, qui promet d’être long, vire à l’affrontement à chaque fois que nous présenterons l’un de nos cent amendements.

M. Didier Paris, président. Madame Obono, votre groupe a eu jusqu’à présent la possibilité de défendre ses amendements dans les mêmes conditions que tout le monde. Il va continuer à en être ainsi.

La Commission est saisie de l’amendement CL805 de M. Bastien Lachaud.

M. Bastien Lachaud. Madame la rapporteure, vous nous avez dit à plusieurs reprises que la Constitution ne devait pas devenir un texte bavard. L’amendement CL805, qui vise à la concision, devrait vous satisfaire. Il vise à simplifier le texte de la Constitution en remplaçant, au dernier alinéa de son article 3, les mots : « tous les nationaux français majeurs des deux sexes » par les mots : « toutes les personnes majeures de nationalité française ».

L’article 3 de la Constitution est l’un des plus importants du texte fondamental, en ce qu’il détermine qui est le souverain. Or, si l’expression « majeurs des deux sexes » était adaptée à l’époque où il s’agissait d’ouvrir le droit de vote aux femmes, elle ne l’est plus aujourd’hui, où nous avons la préoccupation d’inclure toutes les personnes qui, pour une raison ou une autre, ne se reconnaissent pas dans cette classification binaire – je pense notamment aux personnes intersexes ou transgenres. Avec la rédaction que nous proposons, qui clarifie et simplifie le texte, il suffit d’être français et majeur pour être citoyen et participer au suffrage.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Je suis un peu interloquée par la précédente intervention de Mme Obono. Vous savez très bien que La France insoumise est particulièrement respectée en commission des Lois et que nous examinons aussi attentivement qu’il se doit tous les amendements que vous déposez. Dès lors, vous n’avez aucune raison de vous victimiser pour le traitement qui vous serait prétendument réservé. (Exclamations dans les rangs du groupe La France insoumise.)

Mme Danièle Obono. Vous dites maintenant que nous nous victimisons ! De mieux en mieux !

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Pour ce qui est de l’amendement CL805, j’y suis défavorable.

M. Didier Paris, président. Allons, mes chers collègues ! Peut-on essayer de s’écouter les uns les autres ?

Mme Danièle Obono. Il faudrait déjà qu’on se respecte !

M. Fabien di Filippo. Je ne pense pas, pour ma part, que les députés de La France insoumise proposent tout et n’importe quoi, mais au contraire qu’il y a une stratégie idéologique derrière chacune de leur proposition – en l’occurrence, la reconnaissance du troisième sexe.

Mme Danièle Obono. Ou de l’intersexe !

M. Fabien di Filippo. Or, l’état civil ne reconnaît actuellement que deux sexes : les hommes et les femmes. Il faudra nous expliquer ce que c’est que d’être intersexe mais, en tout état de cause, je ne pense pas qu’il soit souhaitable d’ouvrir la porte à cette notion. Nous reconnaissons l’honnêteté intellectuelle de votre réflexion mais, sur le fond, nous avons de très fortes réserves de principe à ce type de proposition – vous noterez que je dis cela de manière aussi diplomatique que possible, afin de ne pas heurter votre sensibilité.

Mme Danièle Obono. J’apprécie cette réponse sur le fond, qui ouvre au moins la porte à un éventuel débat sur la question des identités de genre et de sexe, et sur les personnes – bien réelles – qui, pour des raisons physiques ou émotionnelles, ne se reconnaissent pas dans la classification binaire des sexes.

M. Philippe Gosselin. Ça ne les prive pas du droit de vote !

Mme Danièle Obono. Cela pose un certain nombre de problèmes très concrets, mais je pense que nous aurons l’occasion de les aborder et, pour notre part, nous aurons des propositions à formuler afin d’y remédier. Pour l’heure, l’objet de notre amendement est de faire en sorte que le texte constitutionnel reflète dans sa rédaction l’acceptation de toutes les identités de sexe et de genre, en cohérence avec notre ligne idéologique progressiste visant à l’ouverture de droits nouveaux.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CL646 de M. Jean-Luc Mélenchon, CL1026 de Mme Hélène Vainqueur-Christophe et CL1385 de M. Gaël Le Bohec.

Mme Danièle Obono. L’amendement CL646 vise à ce que les personnes qui ne sont pas détentrices de la nationalité française puissent, sous condition de résidence régulière, disposer du droit de vote aux élections municipales et départementales, dans des conditions déterminées par la loi.

Aujourd’hui, les droits politiques de ces personnes sont niés, sauf si elles sont ressortissantes d’un État membre de l’Union européenne. Or, de notre point de vue, rien ne justifie que les citoyens européens aient accès à ces droits politiques et que les ressortissants des autres États n’y aient pas droit, eu égard à la tradition universaliste de la France. En effet, ces personnes ne jouissent pas du droit de vote aux élections locales alors même qu’elles travaillent, participent à la vie économique et sociale, vivent leur vie de famille et payent leurs impôts et cotisations sociales. Faisant pleinement partie du tissu politique et social de notre pays, ces personnes devraient pouvoir participer aux élections qui régissent la trajectoire politique de la collectivité où elles résident, en vertu d’une conception ouverte de la citoyenneté qui permettrait par ailleurs une extension du champ de la démocratie.

Nous estimons dommage que, sur ce point, la France soit en retard par rapport à d’autres pays européens, notamment la Belgique, le Danemark, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Suède et plusieurs cantons suisses, qui octroient le droit de vote à tous les étrangers qui résident sur leur territoire depuis quelques années. L’Irlande, elle, ne subordonne pas le droit de vote des étrangers à une durée minimale de résidence.

Notre pays honorerait ses traditions en étendant le droit de vote aux personnes étrangères qui vivent en France.

M. Hervé Saulignac. L’amendement CL1026 est défendu.

M. Gaël Le Bohec. L’amendement CL1385 vise, via la définition de l’électeur figurant à l’article 3 de la Constitution, à accorder le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales aux résidents étrangers, sous conditions de réciprocité et de durée de résidence, pour les résidents étrangers ressortissants ou non de l’Union européenne en raison du fait qu’ils sont intégrés à la société française à laquelle ils contribuent.

Il s’agit de véritablement appliquer une politique en faveur d’une République apaisée, capable de réunir chaque membre de la cité, quelle que soit sa nationalité, en lui accordant un droit hautement symbolique : être citoyen et participer à la vie de la collectivité.

Je regrette que M. le rapporteur général ne soit pas parmi nous, car j’aurais aimé connaître son point de vue sur notre proposition, lui qui était signataire, en 2012, d’une tribune allant dans le sens de cet amendement.

M. Julien Aubert. Pourquoi le droit de vote est-il réservé aux Français ? Parce que nous sommes en France ! Je trouve toujours étonnant qu’un parti s’appelant La France insoumise cherche constamment à nier l’identité de son mouvement politique en sapant les fondements même de la Nation française, à savoir que notre pays est la France, et son peuple, les Français.

C’est une nouvelle incohérence qui est ici avancée, après celle ayant consisté tout à l’heure à proposer de reconnaître le troisième sexe dans une Constitution qui, justement, affirme en son article 1er qu’elle ne fait aucune discrimination. Pour la même raison, votre position en faveur de l’écriture inclusive est tout aussi incompréhensible.

Il ne faut pas perdre de vue qu’une Constitution est faite pour un pays et pour un peuple. En multipliant les propositions incohérentes, vous niez l’existence même de notre République et de ses frontières.

M. Sébastien Jumel. Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine soutiendra cet amendement. Nous en avons d’ailleurs déposé un similaire, que nous examinerons prochainement.

Le critère de la nationalité, qui prive nombre de personnes résidant en France de voter aux élections locales, n’est pas une condition sine qua non du sentiment d’appartenance à un collectif, à la vie de la cité, et du fait de permettre à chacun de s’investir dans la vie politique locale. Pour nous, ce n’est en rien une négation de la France que de proposer le droit de vote aux résidents étrangers : au contraire, c’est faire en sorte que le collectif citoyen apporte au quotidien des réponses à la vie de la cité, dans la perspective de la construction d’une République apaisée.

M. M’jid El Guerrab. Je soutiens cet amendement même si je ne peux pas le voter, n’étant pas membre de la commission des Lois.

Pour que la France reste la France – je fais ici référence à un slogan figurant sur un tract récent du parti Les Républicains –, il faut qu’elle soit ouverte. Pour que la France reste la France, qu’elle n’ait pas peur de l’immigration. Pour que la France reste la France, qu’elle regarde son passé et son présent, et admette que les immigrés qui vivent sur son territoire ne sont pas tous des terroristes en puissance ou des personnes n’ayant pas vocation à rester sur le territoire français.

Surtout, vous commettez une erreur en affirmant que le droit de vote des étrangers aux élections locales n’existe pas : il est bel et bien accordé aux ressortissants des États membres de l’Union européenne : ainsi, ces étrangers que sont les Britanniques ou les Allemands peuvent déjà voter en France. Mais étrangement, certains étrangers sont plus étrangers que d’autres.

Mme Danièle Obono. Effectivement, il y a des étrangers qui votent en France…

M. Julien Aubert. C’est bien dommage !

Mme Danièle Obono. …et le lien entre la nationalité et la citoyenneté a donné lieu à des débats passionnants au sein des constituants, dès le XVIIIe siècle. Pour La France insoumise, ce qui fait la France, c’est le choix de faire communauté nationale et politique : en d’autres termes, c’est un choix d’adhésion. Quand des personnes qui viennent d’Europe ou d’ailleurs font le choix de vivre, d’élever leur enfant, de payer des impôts – à la différence de certains Français qui font le choix inverse – elles font un choix politique d’adhésion qui devrait leur garantir le droit de voter là où elles vivent : c’est ce qui fait la grandeur républicaine de notre pays.

M. Julien Aubert. C’est l’inverse de la République !

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. J’entends ce que vous dites, madame Obono, sur le choix des personnes étrangères vivant depuis longtemps en France – certains amendements prévoient une condition de résidence de dix ans – de faire communauté nationale. Cela dit, si des étrangers font vraiment le choix d’appartenir à notre communauté nationale, ils ont la possibilité de demander la naturalisation. Je participe tous les mois à des cérémonies de naturalisation, qui sont l’occasion d’assister à des moments très émouvants, quand des personnes expriment leur choix d’intégrer la communauté nationale.

En revanche, je ne crois pas que le fait d’accorder le droit de vote à toutes les personnes étrangères résidant en France, sans aucune condition de réciprocité, soit une bonne solution, et j’émets donc un avis défavorable à ces amendements.

Mme Christine Pires Beaune. Je rappelle que l’amendement proposé par La France insoumise prévoit bien que le droit de vote est soumis à la condition d’une résidence régulière en France.

Quand on réside en France depuis dix, quinze ou vingt ans et qu’on a émigré parce qu’on n’a pas eu d’autre choix, on peut ne pas vouloir demander la naturalisation française, tout simplement parce que pour les personnes concernées, la nationalité est le seul lien qu’elles conservent avec leur pays d’origine. Ce n’est donc pas parce que certaines personnes décident de ne pas demander la naturalisation qu’elles ne sont pas françaises : elles sont peut-être même plus françaises que d’autres. (Protestations dans les rangs du groupe Les Républicains).

M. Philippe Gosselin. C’est de la provocation !

Mme Christine Pires Beaune. Non, ce n’est pas de la provocation.

Vous pouvez peut-être comprendre que certaines personnes aujourd’hui âgées de soixante ou soixante-dix ans, qui ont immigré à une certaine période, ont vécu des moments très difficiles. Elles vivent en France depuis des années, elles y cotisent, y paient leurs impôts, y ont parfois même acheté une concession, mais ne peuvent se résoudre à demander la naturalisation française. Pour elles, cela reviendrait à trahir le seul lien qui les unit encore à leur pays d’origine.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Comme nombre d’entre nous, je ne pense pas que des personnes étrangères vivant en France soient plus françaises que les Français : un tel propos n’est pas acceptable.  Bravo ! » dans les rangs du groupe Les Républicains).

Mme Christine Pires Beaune. Ce n’est pas ce que je voulais dire : je voulais souligner le fait qu’il y a des personnes étrangères qui paient leurs impôts en France alors que certains Français ne le font pas.

M. Gaël Le Bohec. Si l’on suit bien son raisonnement, notre collègue Aubert est opposé à ce que des Français établis dans d’autres pays européens puissent y prendre part aux élections locales, alors que pour ma part, je trouve cela tout à fait normal.

Par ailleurs, les étrangers établis en France y sont activement intégrés à la vie locale, notamment en payant des impôts et en participant à la vie sociale et communautaire.

Enfin, on peut avoir envie de passer dix ou douze ans en France sans projeter de s’y établir définitivement, auquel cas on peut comprendre que certaines personnes ne souhaitent pas demander la naturalisation, bien qu’elles participent à la vie de la collectivité et puissent donc, de ce fait, souhaiter prendre part aux élections.

La Commission rejette successivement les amendements CL646, CL1026 et CL1385.

Elle est saisie de l’amendement CL647 de Mme Danièle Obono.

M. Ugo Bernalicis. Afin qu’un maximum de nos concitoyennes et concitoyens puissent avoir un mandat électif, il a été créé un système d’indemnités bénéficiant aux personnes élues, ce qui permet d’éviter que seuls les riches puissent détenir un mandat. Cela dit, pour être élu, il faut aussi pouvoir faire campagne, ce qui suppose des moyens matériels : il peut s’agir de moyens financiers, mais aussi du fait d’être fonctionnaire, ce qui constitue un avantage non négligeable – non que les fonctionnaires aient plus de temps disponible, mais ils bénéficient d’une garantie de retrouver leur emploi à l’issue de leur mandat.

Avec l’amendement CL647, nous proposons de mettre en place un congé républicain destiné à ce que toutes les personnes désirant se présenter à une élection soient placées sur un pied d’égalité. On voit bien que, d’un point de vue sociologique, notre assemblée n’est pas représentative de la société française, ce qui tend à démontrer qu’il existe une discrimination entre les personnes désirant se présenter aux élections : notre amendement vise précisément à remédier à ce problème.

M. Marc Fesneau, rapporteur. On est ici clairement dans le domaine de la loi et non dans celui de la Constitution. C’est un fait, il existe une hiérarchie des normes : c’est aujourd’hui de la Constitution que nous débattons.

Je précise que la loi octroie déjà jusqu’à vingt jours d’absence autorisée aux salariés-candidats, à la seule condition de prévenir l’employeur 24 heures à l’avance – des conditions qui me paraissent tout à fait raisonnables.

J’émets donc un avis défavorable à cet amendement.

M. Ugo Bernalicis. C’est un congé non rémunéré que prévoit la loi !

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CL742 de Mme Danièle Obono.

Mme Danièle Obono. Avec l’amendement CL742, nous proposons que la Constitution prévoie explicitement une limitation du cumul des mandats, d’une part entre mandats électifs – à savoir un mandat unique –, d’autre part dans le temps – un même mandat ne peut être exercé plus de deux fois.

En effet, le renouvellement de la vie politique française implique de mettre fin au cumul dans l’espace et dans le temps. Contre la captation du pouvoir politique par une oligarchie, une telle interdiction permettra d’empêcher la professionnalisation de la politique et l’émergence d’une véritable implication et d’un apprentissage collectif citoyen de l’exercice des mandats électifs.

Certes, la majorité a déjà prévu une proposition sur ce thème, mais celle-ci nous semble incomplète, ses effets ne devant s’exercer que très tardivement et sans effet rétroactif. Une telle proposition ne peut suffire à diversifier la représentation, ni à permettre au plus grand nombre de citoyens de se rendre compte de ce qu’est la responsabilité élective – ce qui permettrait peut-être de mettre fin à certains fantasmes, en particulier à l’idée selon laquelle être élu peut constituer une sinécure. Les objectifs que nous proposons de fixer seraient pour l’ensemble de la communauté nationale, prise individuellement et collectivement, un exercice important, qui viendrait utilement compléter les dispositifs en vigueur.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Sur la forme, les règles de cumul des mandats relèvent de la loi et, comme vous l’avez vous-même indiqué, il existe déjà des dispositifs en la matière.

Sur le fond, vous estimez qu’il convient d’empêcher le cumul de deux mandats, y compris locaux, afin d’éviter la professionnalisation : je vous invite à aller expliquer cela aux maires de petites communes qui sont également conseillers départementaux – pour ma part, je trouve cela excessif.

Vous allez jusqu’à considérer qu’on ne peut pas être remplaçant d’un candidat quand on a soi-même déjà été candidat deux fois. C’est là un exercice coercitif de la démocratie auquel je ne peux adhérer. Nous sommes déjà allés très loin dans la limitation du cumul des mandats  Trop loin ! » dans les rangs du groupe Les Républicains) et devons désormais examiner comment s’appliquent les mesures prises…

Par ailleurs, je vous rappelle que les députés peuvent exercer un mandat de conseiller municipal, ce qui est une bonne chose en ce que cela permet de conserver un ancrage local.

La Commission rejette l’amendement.

[Article 4 de la Constitution]

La Commission est saisie de l’amendement CL1428 de M. Paul-André Colombani.

M. Paul-André Colombani. L’amendement CL1428 précise que les partis politiques ont pour rôle d’assurer le dialogue entre, d’une part, la société civile et, d’autre part, l’État et les collectivités territoriales. Une société de défiance a émergé, celle que Pierre Rosanvallon évoque dans son essai La Contre-démocratie. Les partis politiques avaient autrefois un rôle de laboratoire des innovations sociales, ils servaient à faire vivre des projets de société, mais ils ont abandonné ce rôle auprès de la société pour devenir de simples écuries en vue des présidentielles – une évolution dont nous avons subi la sanction lors de la dernière élection. Je propose donc d’affirmer le devoir des partis politiques de servir de pont entre la classe gouvernante et les forces vives de la société civile.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Je salue la cohérence de M. Colombani à réécrire tous les articles de la Constitution. Faisant preuve de la même cohérence, j’émets un avis défavorable à cet amendement.

M. Paul-André Colombani. J’espère que nous avons encore le droit de faire des propositions !

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CL1022 de M. Jean-Luc Warsmann.

Mme Maina Sage. L’amendement CL1022 de M. Warsmann vise à introduire quelques modifications rédactionnelles au premier alinéa de l’article 4 de la Constitution afin de renforcer le caractère obligatoire de ses dispositions.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CL883 de Mme Cécile Untermaier.

M. Hervé Saulignac. Comme chacun le sait, le débat politique a de nos jours très largement lieu sur internet, en particulier sur les réseaux sociaux – certainement plus qu’au sein des réunions de nos formations politiques – et les élections se jouent de plus en plus sur la toile. Il nous paraît donc nécessaire de fixer un cadre légal à cette réalité : c’est l’objet de notre amendement CL883, selon lequel la loi doit prévoir les conditions dans lesquelles les technologies numériques contribuent à l’expression des opinions et à la participation des partis et des personnes à cette vie démocratique.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Nous ne sommes pas dans le domaine de la Constitution, qui prévoit déjà « la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation ».

Que cette participation passe par différents médias, dont les réseaux numériques, est évidemment une excellente chose, mais nous n’avons pas besoin d’une accroche constitutionnelle pour cela, comme en témoignent les différents votes par correspondance et par voie électronique organisés par diverses formations politiques au cours des dernières années. J’émets donc un avis défavorable à cet amendement.

M. Julien Aubert. Je vois un intérêt très pratique à cet amendement : il reviendrait à instaurer un service public d’accès à internet et au numérique qui n’existe pas actuellement, contrairement au droit à accéder au service public du téléphone. Au-delà de l’objectif juridique, reconnaître que les réseaux numériques participent à la vie démocratique de la Nation impliquerait d’en tirer des conséquences en matière de politique économique. En tant qu’élu rural d’un territoire non couvert par la 4G, je les trouverais particulièrement pertinentes.

La Commission rejette l’amendement.

[Après l’article 4 de la Constitution]

La Commission est saisie de l’amendement CL469 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier. Dans le prolongement de la loi pour un État au service d’une société de confiance, cet amendement vise à parachever les efforts entrepris depuis plusieurs années pour construire un dispositif efficace de contrôle de la probité des responsables publics, de prévention des conflits d’intérêts et de transparence de la vie publique en réponse à la crise de confiance que traverse actuellement notre pays.

Jean-Jacques Rousseau écrivait dans le Contrat social que « rien n’est plus dangereux que l’influence des intérêts privés dans les affaires publiques ». L’exigence démocratique est un impératif républicain qui a traversé les siècles jusqu’à nous. En ce début de XXIe siècle, la République doit être intègre et même exemplaire.

Il nous semble que le moment est venu d’inscrire dans la Constitution une exigence de probité s’imposant à tout dépositaire d’une mission de service public. Cela a déjà été l’objet de lois votées au cours du précédent quinquennat, mais nous n’avons jamais pu faire en sorte que cette obligation des membres du Parlement s’applique également au Président de la République et aux membres du Gouvernement. Tel est l’objet du présent amendement, visant à améliorer la transparence, à favoriser l’intégrité et à mettre fin aux conflits d’intérêts.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Vous savez à quel point notre mouvement a mis la recherche de la probité et de l’intégrité au sommet de ses préoccupations. C’était d’ailleurs l’objet de la première grande loi de cette législature – celle relative à la confiance dans la vie politique, que nous avons examinée l’été dernier et que vous avez évoquée. Les dispositions que vous proposez sont déjà prévues par cette loi et par celle de 2013, et je ne pense pas qu’il faudrait les hisser au rang constitutionnel pour assurer leur effectivité. Comme le dispositif en vigueur concerne le Premier ministre et les membres du Gouvernement, je pense que votre amendement est satisfait, du moins dans son esprit.

Mme Cécile Untermaier. Nous avons fait le nécessaire dans le cadre de la loi de 2013 relative à la transparence de la vie publique, en effet. Il existe même une autorité indépendante dans ce domaine. Néanmoins, nous n’avons jamais pu aller très loin dans l’encadrement du Gouvernement et du Président de la République. Ce n’est pas celui d’aujourd’hui qui nous cause une inquiétude : c’est pour les temps à venir que nous avons une exigence. Au même titre que nous devons intégrer dans la Constitution le numérique et les citoyens, comme nous avons essayé de le faire, je pense qu’il faut consacrer la transparence et l’exemplarité. Ce serait un très bon signe donné par notre loi fondamentale, de manière générale, afin de couvrir l’ensemble du service public, au lieu de se contenter de dispositifs tronçonnés – il y a les fonctionnaires, les membres du Gouvernement, etc. Il est temps de nous doter d’une sorte de droit qui permettra de rassurer le citoyen sur l’ensemble des gouvernants.

M. Fabien Di Filippo. De prime abord, on pourrait penser que cet amendement n’a rien à faire ici, car un tel sujet relève de la loi. Par ailleurs, comme nous l’avons déjà dit l’été dernier, toutes les règles que vous pourrez établir ne remplaceront jamais l’éthique individuelle. En revanche, la notion de dignité est très intéressante. Si vous pouviez nous montrer que ce concept, tel que vous l’avez présenté, pourrait empêcher qu’à l’occasion de certaines fêtes, comme celle de la musique, des propos obscènes et des insanités soient proférés dans l’enceinte de l’Élysée avec l’approbation et la participation du Président de la République (Exclamations sur quelques bancs), nous serions tout à fait disposés à soutenir l’amendement.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CL785 de M. Jean-Luc Mélenchon.

M. Ugo Bernalicis. Cet amendement vise à inscrire dans la Constitution le principe de la planification écologique. L’écosystème permettant la vie humaine doit nécessairement être protégé, ce qui ne peut se faire que sur le temps long, au moyen d’une action dans la durée. Or la Constitution permet justement de se projeter sur le temps long. Du fait son objectif, la planification écologique doit être placée au sommet : il faut commencer par préserver l’écosystème qui permet la vie humaine afin de pouvoir continuer à débattre tranquillement, à s’opposer et même à se disputer. On doit faire en sorte que les lois se conforment à un certain nombre de principes qui figurent dans cet amendement, notamment la protection des biens communs, tels que l’eau et l’air. Le droit à l’eau est vital, car on ne peut pas vivre sans eau. Il en est de même pour l’air – j’en sais quelque chose, car nous sommes à Lille au-dessus des seuils de pollution au moins cinquante jours par an. Nous devons veiller à ce que les politiques publiques prennent en compte le changement climatique en cours et à venir : elles doivent être soutenables pour nous-mêmes et pour les générations futures. J’espère que nos propositions ne seront pas considérées, une fois encore, comme étant n’importe quoi…

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Nous avons déjà évoqué à de nombreuses reprises ces questions, notamment celle des biens communs – nous avons rejeté leur inscription dans la Constitution. La protection de l’environnement a, en revanche, été ajoutée à l’article premier. Cela me paraît suffisamment fort pour que n’ayons pas besoin d’adopter le titre Ier bis que vous souhaitez insérer. J’émets donc un avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

[Article 5 de la Constitution]

La Commission est saisie de l’amendement CL1429 de M. Paul-André Colombani.

M. Paul-André Colombani. Par cet amendement, je vous propose une nouvelle rédaction de l’article 5 de la Constitution. Le Président de la République partagera avec le Premier ministre le pouvoir exécutif national, par opposition au pouvoir exécutif local qui revient aux collectivités. Il veillera au respect de la Constitution et du droit de l’Union européenne. Il ne sera plus l’arbitre, mais le médiateur des institutions. La notion d’indépendance de la nation sera par ailleurs supprimée, car elle est devenue désuète dans le cadre de l’Union européenne. Enfin, le Président devra veiller à la collaboration des trois pouvoirs, à la participation de la France à l’Union européenne et au respect par le Gouvernement des prérogatives du Parlement. Toutes ces dispositions existent dans d’autres démocraties qui fonctionnent parfaitement bien.

M. Marc Fesneau, rapporteur. En cohérence avec ma position sur vos propositions de réécriture des articles 1 à 4 de la Constitution, je suis au regret d’émettre un avis défavorable à cet amendement.

La Commission rejette l’amendement.

Elle en vient ensuite à l’amendement CL43 de M. M’Jid El Guerrab.

M. M’Jid El Guerrab. Pour paraphraser ce qu’a dit Talleyrand au congrès de Vienne, ce qui va sans dire ira encore mieux en le disant. C’est une évidence mais elle n’est écrite nulle part : le Président de la République définit la politique de la nation. Grâce à cet amendement, nous aurons une meilleure précision du rôle du chef de l’État, qui correspond à une recommandation du Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de 2007.

L'objectif est de prendre acte de soixante années de présidentialisme majoritaire, en clarifiant la lettre de l’article 5 de la Constitution. Le chef de l’État est essentiellement appréhendé comme un « pouvoir neutre », selon la formule de Benjamin Constant, ou comme le « gardien de la Constitution ». Sa vocation serait de faire valoir l’intérêt de la nation par-delà les combinaisons et les contingences partisanes. Lorsque les ressorts de l’État « se croisent, s'entrechoquent et s'entravent », observait Benjamin Constant, « il faut une force qui les remette à leur place ». L’article 5 attribuait cette mission au chef de l’État. En pratique, pourtant, le Président de la République est non seulement l’arbitre du jeu politique, mais aussi un capitaine d’équipe. Il joue ces deux rôles dans notre monarchie républicaine. Telle est la logique de la Ve République, qui a été instillée d’emblée par le général de Gaulle. Il serait opportun de mettre le texte constitutionnel en conformité avec la pratique.

Je suis naturellement prêt à retirer cet amendement, mais j’aimerais entendre les rapporteurs sur cette proposition. Elle présente une faiblesse, liée aux périodes de cohabitation, mais la pratique prévaut sur ce qui est écrit dans notre Constitution.

M. Marc Fesneau, rapporteur. C’est une faiblesse, en effet. L'article 20 de la Constitution dispose que la détermination et la conduite de la politique de la nation relèvent du Gouvernement. Celle-ci est évidemment conforme, la plupart du temps, à ce que souhaite le Président de la République, mais je rappelle que nous avons connu trois cohabitations. Votre amendement pourrait donc créer une distorsion. Par ailleurs, l’exposé des motifs pose un problème : le Président de la République serait un « capitaine d’équipe », à la tête d’une « monarchie républicaine » : cela ne me paraît conforme ni à la lettre ni à l’esprit de notre Constitution.

M. M’Jid El Guerrab. C’est un peu ce que le général de Gaulle voulait, tout de même.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Il faut être prudent quand on évoque le général de Gaulle…

M. Philippe Gosselin. Je ne vois pas très bien comment cet amendement peut se combiner avec l’article 20 de la Constitution. Le Président de la République serait chargé de « définir la politique de la nation », alors que le Gouvernement la « détermine » aux termes de l’article 20. Même si cette disposition n’est pas nécessairement appliquée de manière courante, cela pose un problème sémantique. Il y a aussi la question de la cohabitation, qui peut être incontournable après des élections législatives.

M. Sébastien Jumel. Nous ne sommes pas d’accord avec cet amendement, mais je dois reconnaître qu’il est assez fidèle à la pratique du pouvoir que nous constatons depuis un an.

M. M’Jid El Guerrab. Pas seulement depuis un an…

M. Sébastien Jumel. Lorsque le Président de la République réunit le Parlement en Congrès la veille de la déclaration de politique générale du Premier ministre, il rabaisse le rôle de ce dernier à celui d’un collaborateur. Je vois que M. Ferrand bougonne, mais c’est la réalité. Quand le Président de la République convoque le Congrès, alors que nous sommes en train d’examiner la révision constitutionnelle, pour fixer le cap de votre majorité et la mettre au pas en ce qui concerne le périmètre de ce texte, il se comporte en monarque républicain. Lorsqu’il donne des impulsions comme il l’a fait dans son discours de la Mutualité, en fixant d’une certaine manière l’ordre du jour de l’Assemblée pour les deux prochaines années, et que l’on révise par ailleurs la Constitution pour réduire la capacité du Parlement à établir son propre agenda, le Président de la République se comporte également en monarque républicain. Cet amendement est donc une traduction assez fidèle de l’exercice actuel du pouvoir.

M. Didier Paris, président. Retirez-vous votre amendement, monsieur El Guerrab ?

M. M’Jid El Guerrab. Oui, je le retire : il visait à ouvrir le débat et je vois que c’est le cas.

L’amendement est retiré.

La Commission examine ensuite l’amendement CL747 de M. Jean-Luc Mélenchon.

M. Bastien Lachaud. Cet amendement vise à compléter l’article 5 de la Constitution sur la question de la laïcité et plus particulièrement sur la manière dont le Président de la République devrait se comporter afin de respecter ce principe fondamental de notre République. Nous proposons de mettre un terme à une tradition rétrograde et profondément antirépublicaine selon laquelle la République française se rattache à un culte, à une religion, en méconnaissance du principe à valeur constitutionnel de laïcité. La décision d’Emmanuel Macron d’accepter le titre de « chanoine du Latran », décerné par une autorité religieuse, M. le Pape (Exclamations), comme l’avait déjà fait Nicolas Sarkozy en 2007, constitue une atteinte grave à la laïcité et à la neutralité qui doivent être adoptées par les institutions de la République à l’égard de tous les cultes. Accepter ce titre revient à admettre que l’on a été baptisé, ce qui est en contradiction avec le caractère laïque de la fonction présidentielle. Nous souhaitons préciser dans la Constitution que le Président d’une République laïque, où le principe de la séparation entre l’Église et l’État est une valeur centrale depuis 1905, ne peut pas accepter un titre religieux. En effet, quoi que puisse en dire le porte-parole du Gouvernement, le titre de « chanoine du Latran » est bien un titre religieux.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. J’ai l’impression qu’à chaque instant, on se rapproche un peu plus des préoccupations quotidiennes des Français, comme l’illustre bien cet amendement. (Sourires.) La laïcité figure déjà à l'article premier de la Constitution : le Président de la République en est le garant, comme il l’est par ailleurs de toutes les institutions.

Même s’il convient dans certains cas de faire du passé table rase, on ne doit pas négliger l'histoire, ni les relations internationales. Le titre de chanoine de Saint-Jean de Latran appartient de droit aux chefs d'État français depuis Henri IV. Il est décerné par un autre chef d'État, le pape, qui est à la tête du Vatican, pour marquer un événement historique. Cela ne suppose nullement que le récipiendaire soit religieux ou croyant. Évitons les amalgames et les approximations qui vous conduisent à la proposition baroque que vous nous faites !

Cet amendement créerait, par ailleurs, une situation dangereuse. Si le Maroc, par exemple, pays avec lequel la France entretient des liens forts, souhaitait demain honorer le Président de la République française, d’une manière ou d’une autre, faudrait-il opposer un refus au motif que le souverain de ce pays est aussi Commandeur des croyants ? Votre amendement, qui sert de prétexte pour promouvoir la laïcité, nous ferait entrer dans des querelles théologiques, voire byzantines, qui n’éclairent nullement la situation.

Pour toutes ces raisons, j’émets un avis défavorable. L’objectif poursuivi n’est aucunement atteint, mais on risquerait, en revanche, d’affaiblir la fonction présidentielle et la capacité de la France à prendre ses responsabilités en toutes circonstances.

M. Philippe Gosselin. Outre le Commandeur des croyants, on pourrait citer la reine d’Angleterre, qui est chef de l’Église anglicane et chef d’État de 17 ou 18 pays qui appartiennent au Commonwealth. Cet amendement tombe un peu à l’eau…

M. Vincent Bru. Le titre de « chanoine du Latran » vient de l’histoire – il n’est pas profondément religieux. Par ailleurs, il n’y a pas que les autorités religieuses : vous pourriez tout aussi bien présenter un amendement demandant que le Président de la République ne soit plus coprince d’Andorre.

M. Bastien Lachaud. Tout à fait.

La Commission rejette l’amendement.

[Article 6 de la Constitution]

La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL925 de M. Sébastien Jumel, CL1259 de M. Julien Aubert, CL923 de M. André Chassaigne, CL311 de Mme Laurence Trastour-Isnart, CL891 de M. Jean-Christophe Lagarde et CL471 de Mme Cécile Untermaier.

M. Sébastien Jumel. Nous souhaitons créer, vous l’avez compris, des conditions qui permettront de réduire les prérogatives exorbitantes du Président de la République.

À côté de mille autres combats et actes de résistance plus connus, Raymond Aubrac était farouchement opposé à l’élection du Président de la République au suffrage direct. Il pensait, en effet, que ce mode d’élection conduisait la vie politique à la vacuité, en engendrant la prééminence des personnes sur les idées et de la forme sur le fond. Il dénonçait le danger d’une élection par les médias et critiquait les campagnes électorales à l’américaine, fondées sur l’instant et la réactivité plutôt que sur la réflexion. Ce grand homme maudissait les sondages, devenus la base d’une politique court-termiste. Je trouve que cette analyse politique reste profondément d’actualité.

M. Hervé Morin, président du Nouveau Centre, ce qui devrait parler à un certain nombre d’entre vous, a par ailleurs déclaré que l’élection du Président de la République au suffrage universel est une « gangrène pour la démocratie ». Il faut ajouter que l’inversion du calendrier électoral a renforcé le problème.

C’est pourquoi notre amendement CL925 vise à faire élire le Président de la République non pas au suffrage universel direct, mais par le Parlement réuni en Congrès.

M. Julien Aubert. Nous devons revenir à l’esprit qui était, à l’origine, celui de la Ve République, en redonnant à son Président une visibilité de long terme. La réforme du quinquennat visait à supprimer la cohabitation. Moralité : les Français, qui étaient dépourvus de toute capacité de sanctionner le pouvoir en place, se sont mis à voter systématiquement pour l’opposition aux élections locales, ce qui a provoqué une nouvelle cohabitation : entre un pouvoir central d’une couleur et des pouvoirs locaux d’une autre couleur, ce qui a d’ailleurs fini par faire basculer le Sénat.

Contrairement à ce que l’on peut penser, le quinquennat n’a pas amputé de 2/7e le mandat présidentiel : il l’a en réalité diminué de moitié. La durée moyenne du mandat des Présidents de la République entre 1958 et 1995 était en effet de dix ans. Porter ce mandat à 8 ans, comme le propose l’amendement CL1259, conduirait ensuite à faire passer le mandat parlementaire à 4 ans.

On me demandera peut-être pourquoi je ne propose pas de rétablir le septennat : je pense qu’il faut réduire le mandat parlementaire et renouveler l’Assemblée nationale par moitié tous les deux ans, ce qui permettrait d’adresser des signaux au Gouvernement et d’avoir une plus grande vitalité démocratique. La durée de 7 ans s’explique par des raisons historiques. Elle a été choisie à l’époque de Mac Mahon, alors qu’il s’agissait en réalité d’attendre l’héritier du trône de France. À notre époque, cette durée ne répond donc à aucune autre logique. En 1958, Michel Debré avait d’abord envisagé un mandat de dix ans, qui correspondait à la durée moyenne du règne des rois de France.

Tout cela pour dire que nous sommes assez libres sur cette question. L’octennat, que je propose d’instaurer, permettrait de revenir à un système comportant une différenciation entre le Président de la République et le Premier ministre, ce qui supposerait d’adopter aussi des mécanismes assurant un partage des responsabilités en cas de cohabitation. Sans une telle évolution, nous irons vers le régime présidentiel qui s’est mal terminé en 1851.

M. Sébastien Jumel. L’amendement CL923 est un amendement de repli par rapport à celui que j’ai déjà présenté. En réduisant la durée du mandat présidentiel de sept à cinq ans et en faisant précéder l’élection législative par l’élection présidentielle, on a renforcé le fait majoritaire. Vous en êtes d’ailleurs l’illustration…

Nous proposons de revenir à un mandat présidentiel de sept ans, non renouvelable, ce qui permettra de déconnecter le Président de la République de la gestion quotidienne des affaires publiques tout en le faisant sortir du jeu des partis et du rôle d’éternel candidat à sa réélection. Le Président y gagnera une autorité morale, conformément à ce que souhaitaient ceux qui ont participé à la genèse de notre Constitution. On déliera ainsi l’élection présidentielle de l’élection législative, ce qui renforcera la vitalité démocratique de notre pays.

Mme Laurence Trastour-Isnart. L’amendement CL311 a pour objet de rétablir le septennat, tout en rendant le mandat présidentiel non renouvelable. Le Parlement retrouvera alors une véritable force d’impulsion sur le plan politique. Cela nous paraît la meilleure solution pour régénérer l’exercice du pouvoir exécutif et ses relations avec le Parlement.

M. Michel Zumkeller. Par l’amendement CL891, nous proposons également d’instaurer un septennat non renouvelable. Le quinquennat a très clairement conduit à un régime présidentiel : on élit un Président puis, dans la foulée, une majorité, et la démocratie n’y a guère gagné. Nous estimons que 5 ans est une durée courte, qui ne facilite pas la mise en œuvre d’une politique. Il faut d’ailleurs noter qu’aucun Président de la République n’a été réélu depuis que l’on a instauré le quinquennat. Nous préférons une durée de 7 ans, sans perspective de renouvellement. Cela permettrait au Président d’appliquer sa politique et de déconnecter l’élection présidentielle de l’élection législative, ce qui instaurerait une vraie démocratie dans ce pays, voire une cohabitation qui nous ferait travailler tous ensemble.

Mme Christine Pires Beaune. Je ne comprends pas bien pourquoi l’amendement CL471 est en discussion commune. En effet, tous les autres amendements visent à modifier la durée du mandat présidentiel, alors que nous voulons simplement inscrire dans la Constitution un fait constant depuis l’instauration de la Ve République : aucun Président n’a été élu plus de deux fois. Nous ne proposons pas de modifier le mandat présidentiel, mais de faire en sorte qu’un Président ne puisse effectuer plus de deux mandats.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Je voudrais d’abord saluer la variété des sources de M. Jumel et son ouverture d’esprit. Je pourrais aussi lui recommander de saines lectures de centriste. (Sourires.)

Cette série d’amendements n’a pas pour objet de renforcer les pouvoirs du Parlement mais de revenir à une situation antérieure à la Ve République, en affaiblissant les pouvoirs du Président. Le faire élire par le Parlement constituerait une rupture avec ce qui constitue la fonction présidentielle depuis 1962. C’est votre droit de le proposer, mais ce n’est pas en affaiblissant les pouvoirs du Président de la République que l’on renforcera ceux du Parlement – nous y reviendrons lorsque nous pourrons enfin aborder ce débat.

De même, les propositions de rétablissement du septennat ne conduiraient pas à revenir à la situation antérieure : il s’agissait d’un septennat renouvelable alors que vous proposez un septennat unique, ce qui poserait la question de la succession dès le début. On a vu des doubles mandats avoir des difficultés à se terminer, car la fin du dernier septennat, ou quinquennat, conduisait à la question de la succession. Vous allez affaiblir dès le début celui qui est élu.

J’émets donc un avis défavorable.

M. Sébastien Jumel. Je voudrais rassurer le rapporteur. Nous avons déposé toute une série d’amendements qui visent à renforcer les pouvoirs du Parlement, en lui confiant des compétences nouvelles en matière budgétaire, en posant clairement le principe de sa responsabilité en ce qui concerne la politique économique et sociale, en renforçant son rôle en cas d’opérations extérieures, en supprimant le régime des ordonnances, dont on a vu à quel point vous les utilisez pour priver le Parlement de sa capacité à discuter la loi, mais aussi en renforçant nos capacités en matière d’initiative législative et de fixation de l’ordre du jour. Il y a une cohérence : nous souhaitons non seulement réduire les pouvoirs du Président de la République, qui est devenu omniprésent, mais aussi renforcer ceux du Parlement, dans une logique de rééquilibrage.

M. Julien Aubert. J’ai l’impression que le rapporteur a répondu à l’ensemble des amendements, mais pas au mien.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Pas encore, en effet.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. J’émets un avis défavorable. Avec ces idées lumineuses, nous allons éteindre la lumière. Tout cela ne nous éclaire pas beaucoup. (Sourires.).

M. Julien Aubert. Ce n’est pas une réponse. Par ailleurs, je ne propose pas de revenir à la situation antérieure à 1958 : je souhaite que le Président de la République soit élu au suffrage universel, pour une durée de 8 ans. Des mandats de 5 ou 7 ans rendent la question de la cohabitation beaucoup plus aléatoire. Il y aurait désormais deux mandats parlementaires de 4 ans au sein d’un mandat présidentiel de 8 ans, ce qui permettrait de comprendre bien mieux la dialectique et la dynamique de ce mandat. Je propose aussi qu’il ne soit pas renouvelable, car on a bien vu qu’une durée totale de 14 ans était très longue – celle de 16 ans serait impossible à expliquer.

Vous avez évoqué, avec beaucoup d’intelligence, le problème que l’on appelle les lame ducks ou « canards boîteux » aux États-Unis, qui survient dans les deux dernières années du mandat présidentiel, lequel est de 4 ans, à partir du moment où les élections de mi-mandat ont eu lieu. S’agissant d’un mandat de 8 ans, vous reconnaîtrez que l’impact serait moindre. Même avec le quinquennat, on a par ailleurs un phénomène de lame duck quand un Président ne veut pas ou ne peut pas se représenter – et cela peut même durer quatre ans.

M. Bastien Lachaud. Je voudrais saluer l’ingéniosité de tous ces amendements. Je ne sais pas, encore une fois, si on se situe du côté du tout et n’importe quoi, comme on nous l’a dit tout à l’heure. En tout cas, le diagnostic est clair : nos institutions ne sont plus satisfaisantes depuis que le calendrier électoral a été inversé et que le quinquennat a été instauré, car cela nous a conduits à une présidentialisation accrue du régime. Je pense que seule une Assemblée constituante, en redonnant la parole au peuple, permettrait de se mettre d’accord sur la durée du mandat présidentiel et sur l’inversion, ou non, du calendrier électoral. Seule cette méthode est de nature à éclairer les débats.

La Commission rejette successivement ces amendements.

Puis elle est saisie de l’amendement CL622 de M. Jean-Luc Mélenchon.

M. Jean-Hugues Ratenon. Nous proposons de consacrer un droit de révocation du Président de la République par le peuple français.

Cela imposera au Président de la République une responsabilité permanente vis-à-vis du peuple, et conférera à ce dernier un pouvoir de contrôle régulé et institutionnel sur celui qui est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traité. Les électeurs pourront voter en toute quiétude puisqu’ils disposeront d’un pouvoir de contrôle sur des Présidents de la République qui se renient, trahissent leurs engagements et tournent casaque dès leur arrivée au pouvoir.

Ce nouveau droit sera suffisamment encadré pour ne pas perturber l’ordre démocratique : il sera, au contraire, employé avec parcimonie par les électeurs, comme le montrent les expériences étrangères. Un droit de révocation existe notamment, à différents degrés et pour différents élus publics, dans dix-neuf États des États-Unis d’Amérique, dans une province du Canada et dans six cantons suisses.

La procédure de révocation sera engagée à l’initiative d’1/10e du corps électoral et elle aboutira si une majorité absolue est réunie. Si le Président de la République est révoqué, le Conseil Constitutionnel déclarera son empêchement définitif dans les conditions prévues par l’article 7 de la Constitution. Le scrutin pour l’élection du nouveau Président aura lieu dans un délai de vingt jours au moins et de trente-cinq jours au plus.

Ce dispositif permettra d’allier pleinement l’exigence démocratique avec la nécessité d’assurer la continuité et le fonctionnement régulier des pouvoirs publics.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Je donne évidemment un avis défavorable à cet amendement. Chacun peut avoir ses modèles, mais je ne suis pas sûr que nous ayons tous envie d’importer celui qui prévaut au Venezuela. Je voudrais aussi vous rappeler que M. Schwarzenegger est devenu gouverneur de la Californie après la révocation de son prédécesseur.

M. Bastien Lachaud. Je m’inquiète de ce que le rapporteur vient de dire. Il se permet de juger le choix des électeurs californiens, alors que vous ne cessez pas de nous rappeler que les États-Unis sont un allié et une grande démocratie. De tels propos me semblent un peu cavaliers. En outre, vous n’avez pas répondu sur le fond. La révocation permettrait de renforcer la confiance des électeurs dans le système, car ils auraient un droit de sanction à l’égard des Présidents de la République. Plusieurs orateurs ont souligné qu’aucun d’entre eux n’a été réélu à l’issue de leur quinquennat, ce qui conduit à s’interroger. Une révocation permettrait peut-être de résoudre le problème.

M. Erwan Balanant. L’idée d’une révocation peut paraître séduisante a priori, mais vous ne vous rendez pas compte de ce que cela implique.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Mais si !

M. Erwan Balanant. Un Président venant d’être élu n’aurait plus qu’une idée : faire du populisme. Afin de ne pas être révoqué, la meilleure solution serait de n’adopter que des mesures plaisant à la majorité.

M. Bastien Lachaud. Quel mépris du peuple !

M. Erwan Balanant. Pas du tout. Le peuple choisit un Président au moment de son élection, puis il choisit de nouveau cinq ans plus tard. Il faut du temps pour mettre en place des politiques, et cet amendement est parfaitement contradictoire avec la volonté exprimée de rétablir le septennat.

Pourquoi ne pas instaurer une élection annuelle, bisannuelle, voire trimestrielle du Président de la République ? On serait alors certain que des décisions très populistes seront prises.

M. Rémy Rebeyrotte. Ce qui nous est proposé est tout à fait contraire à l’article 27 de la Constitution : tout mandat impératif est nul, et c’est heureux. Cet amendement est une négation de la démocratie représentative. Si la personne élue ne respecte pas exactement son programme de départ, on pourra trouver le moyen de la révoquer. Or la démocratie représentative repose sur la possibilité de prendre, en toute responsabilité, les mesures qui s’imposent pour diriger le pays. Mais je ne suis pas surpris que vous n’en soyez pas de très fervents défenseurs.

M. Sébastien Jumel. La nullité des mandats impératifs est une question intéressante : elle devrait nous conduire à réaffirmer, quels que soient les groupes auxquels nous appartenons, mais en particulier quand on fait partie de la majorité, l’existence d’une liberté de vote pleine et entière. Je ne suis pas certain qu’elle soit au rendez-vous dans tous les groupes politiques.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CL743 de M. Jean-Luc Mélenchon.

Mme Caroline Fiat. Je sens que cet amendement ne va pas beaucoup vous plaire, lui non plus, car il vise à prendre en compte les citoyens français – ces gens qui votent puis subissent tous les textes adoptés ici.

Nous proposons de compléter la procédure de parrainage des candidats à l’élection présidentielle – vous savez qu’il faut actuellement 500 signatures d’élus – par la mise en place d’un parrainage citoyen. Il faudra désormais recueillir, dans des conditions définies par une loi organique, le parrainage de 150 000 citoyens. Les candidats n’auront plus à engager des démarches complexes pour recueillir des parrainages d’élus, et leurs moyens humains et financiers pourront ainsi être utilisés pour le débat d’idées et la campagne électorale au sens strict du terme.

Les 150 000 parrainages d’électeurs et d’électrices devront émaner d'un minimum de 50 départements ou collectivités d’outre-mer, sans qu'un département ou une collectivité ne puisse fournir plus de 5 % du total.

Je voudrais enfin souligner que cet amendement correspond à une proposition formulée en 2012 par la commission présidée par Lionel Jospin.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur général, la Commission rejette l’amendement.

[Article 7 de la Constitution]

La Commission examine l’amendement CL936 de M. Sébastien Jumel.

M. Sébastien Jumel. Cet amendement vise à faire en sorte que le second tour de l’élection présidentielle ne soit pas privée de vitalité et de pluralisme. Nous éviterons ainsi d’élire un Président de la République par défaut, ou en choisissant le moindre mal. Nous souhaitons qu’un candidat ayant obtenu 12,5 % des suffrages exprimés puisse être présent au second tour. Cela permettra de redonner du souffle à l’élection présidentielle et à notre démocratie.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Avis défavorable.

M. Bastien Lachaud. C’est une proposition qu’il serait intéressant de soumettre à une Assemblée constituante, seul moyen de repenser complètement nos institutions et de refonder notre démocratie. C’est avec de telles idées que nous pourrions nourrir un débat riche, dans l’ensemble de la nation, et rétablir la confiance dont vous nous rebattez les oreilles. À chaque fois que des initiatives vous sont proposées pour redonner des pouvoirs aux citoyens et leur permettre de se ressaisir de la chose publique, vous les rejetez en bloc, et désormais sans même argumenter.

M. Christophe Euzet. Ne retenir que les deux candidats arrivés en tête au premier tour présente, quand même, pour intérêt d’asseoir la légitimité de celui qui l’emporte, avec plus de 50 % des voix. Je peux être ouvert à l’idée d’une triangulaire, voire d’une quinquangulaire, au deuxième tour, mais je me demande quelle sera la légitimité d’un Président de la République élu avec 22 % des voix.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CL861 de M. Jean-Christophe Lagarde. 

M. Michel Zumkeller. Nous vous proposons que l’élection présidentielle se tienne entre 20 et 35 jours avant la fin de l’année, par cohérence avec l’année civile et budgétaire. Je rappelle que c’était le cas avant la démission du général de Gaulle, en 1969.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Le système proposé serait sans doute assez frustrant pour le nouvel élu à la présidence de la République. En effet, l’année civile est une chose, l’année budgétaire en est une autre. Un président élu en décembre serait prisonnier de la loi de finances tout juste votée par la majorité précédente, sans la moindre possibilité d’appliquer son programme à brève échéance.

Au contraire, l’élection au printemps apparaît comme un meilleur système puisqu’il permet l’examen d’un collectif budgétaire pour le semestre restant et le vote en toute responsabilité d’un projet de loi de finances complet à l’automne par le Parlement.

Avis défavorable à cette fausse bonne idée.

M. Michel Zumkeller. Les constituants de 1958 ont donc eu selon vous une mauvaise idée, voilà une bonne nouvelle…

M. Vincent Bru. Si l’élection présidentielle a eu lieu, alors, en décembre, c’est parce que la Constitution a été adoptée le 4 octobre !

M. Richard Ferrand, rapporteur général. En effet !

M. Michel Zumkeller. Quand le général de Gaulle a été élu fin 1965, cela ne l’a pas empêché de diriger le pays. Et quand il est élu en mai, reconnaissez que le nouveau Président gère le budget de la majorité qui était en place six mois auparavant. Même si le fait d’être élu au printemps permet le vote d’un collectif budgétaire, le nouveau président, pendant les six premiers mois de son mandat, j’y insiste, fait avec le budget voté par la majorité précédente.

M. Philippe Latombe. Certes, mais que fait-on si le Président de la République démissionne ou s’il décède ?

M. Michel Zumkeller. Le président du Sénat assure l’intérim.

M. Philippe Latombe. Je sais, mais pendant un bref délai qui, suivant la date du décès ou de l’empêchement, ne permettra pas au président du Sénat d’assurer l’intérim jusqu’en décembre. Alors comment fait-on ? C’est donc vraiment une fausse bonne idée.

M. Fabien Di Filippo. Si le président est élu en décembre, le temps de la campagne législative, de l’installation de la nouvelle Assemblée et du vote d’un nouveau budget, l’exécution d’un précédent budget ne sera pas de six mois mais d’au moins une année complète. Il faudrait donc organiser l’élection présidentielle avant l’examen du budget, à savoir en août ; or les Français sont en vacances. Si l’élection présidentielle est dès lors organisée au moins un mois avant les vacances d’été et si l’on tient compte de la nécessité de convoquer les électeurs pour désigner leurs députés ensuite, nous tombons bien sur le mois de mai.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle en vient à l’amendement CL727 de Mme Christine Pires Beaune.

Mme Christine Pires Beaune. En cas de vacance de la présidence de la République, la Constitution prévoit que l’intérim est assuré par le président du Sénat, lequel n’est pas élu au suffrage universel. Le présent amendement vise, en cas de vacance prévisible, due à un problème de santé ou à une démission, à organiser les élections de manière anticipée afin que l’élection au suffrage universel du nouveau Président de la République ait lieu sans discontinuité.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. J’ai le sentiment que c’est le type d’amendement qui facilitera l’aboutissement avec le Sénat de ce projet de révision constitutionnelle – merci de cette contribution au consensus qui démontre une volonté farouche d’aboutir. (Sourires.)

Le cas imaginé ici est tout à fait théorique puisqu’il ne s’est jamais produit. Seul Charles de Gaulle a démissionné de la présidence de la République, et il l’a fait sans préavis à la suite de sa défaite au référendum de 1969.

Dans tous les cas, il n’apparaît pas souhaitable que la présidence de la République soit occupée par une personne qui aurait déjà notifié sa démission pour un avenir plus ou moins proche. Ce serait déjà, en soi, une forme d’intérim, et exercée par quelqu’un qui s’estime lui-même hors d’état d’assurer pleinement sa fonction.

En outre, il n’existe pas de rupture du suffrage universel puisque le président du Sénat, appelé à exercer l’intérim, en procède aussi, quoique indirectement. Donc avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

[Article 8 de la Constitution]

La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL924 de M. André Chassaigne et CL835 de Mme Marietta Karamanli.

M. Sébastien Jumel. Je vais vous faire une révélation : j’ai vraiment un profond respect pour le Premier ministre, pas seulement parce qu’il a été le maire d’une ville proche de la mienne mais parce que, même si je combats résolument sa politique, il assume sa responsabilité avec hauteur de vue. Or je n’aime pas l’idée que le Premier ministre soit le collaborateur du Président de la République – que ce soit sous M. Nicolas Sarkozy ou le président actuel. C’est rabaisser le rôle du Premier ministre. Sa nomination ne doit donc pas être le fait du prince.

C’est pourquoi, par l’amendement CL924, nous proposons que le Premier ministre, issu de la majorité parlementaire, tire sa légitimité de l’Assemblée nationale. En effet, je le répète, rabaisser le rôle du Premier ministre à celui d’un collaborateur, c’est rompre l’équilibre des pouvoirs.

Mme Marietta Karamanli. Dans le même sens, je défends depuis longtemps l’idée que le Premier ministre doit être investi par l’Assemblée nationale, propre d’un vrai régime parlementaire. Et puisque notre régime politique fonde l’autorité politique sur le principe de la responsabilité, le Gouvernement, qui détient l’autorité publique, doit être pleinement responsable devant l’Assemblée.

La défense d’un Parlement plus autonome donc plus fort, sur laquelle une très large majorité de responsables politiques s’accordent, suppose qu’on lui redonne précisément toute sa place dans les relations entre le législatif et l’exécutif, sans toutefois qu’il soit nécessaire de toucher aux prérogatives essentielles du Président de la République. Dans un récent article à paraître, très circonstancié, un éminent spécialiste de droit constitutionnel et parlementaire met en évidence une dévalorisation continue du Parlement. C’est en effet le Président de la République qui gouverne ou, plus exactement, qui demande au Gouvernement d’agir et au Parlement d’obéir à ses ordres.

Dans ces conditions, le nécessaire rééquilibrage institutionnel passe par la correction du texte constitutionnel. Par souci de cohérence, la légitimité du Premier ministre doit être réaffirmée et l’Assemblée nationale peut lui donner, dans cette perspective, ce supplément de force en votant son investiture avant sa nomination par le chef de l’État. Cette amélioration du dispositif, qu’apporte l’amendement CL835, est nécessaire à une République moderne.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Avis défavorable à ces deux amendements pour des raisons évidentes. Le choix du Premier ministre relève exclusivement du Président de la République. L’Assemblée nationale est libre de le renverser de sa propre initiative par une motion de censure ou à l’occasion d’un discours de politique générale. Voyons les faits : les premiers ministres sont en général nommés par les présidents nouvellement élus, tandis que les majorités parlementaires sont « expirantes ». Moyennant quoi, à coup sûr, un Premier ministre nommé au lendemain de l’élection du Président de la République, alors même que siège encore pour quelque temps une majorité issue d’une législature précédente, ne pourrait pas obtenir cette investiture. Cela aurait pour exclusif bénéfice, comme sous la IVe République ou comme dans les pays voisins, de bloquer le fonctionnement de l’exécutif pendant quelques mois, et donc de faire dysfonctionner les pouvoirs publics et la capacité du pays à agir.

Mme Marietta Karamanli. Nous ne sommes pas d’accord. Je me souviens très bien, il y a quelques années, surtout pendant la législature 2007-2012, que vous partagiez l’analyse selon laquelle le Premier ministre n’était pas autonome, en tout cas qu’il ne gouvernait pas.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Cela m’étonnerait : je ne siégeais pas à l’Assemblée nationale !

Mme Marietta Karamanli. Mais je me souviens très bien qu’entre 2012 et 2017 nous avons eu de nombreux débats, à l’Assemblée nationale, alors que nous siégions au sein du même groupe, et que nous étions d’accord.

Nous sommes des élus de la nation et non d’un exécutif. Or, à la suite de l’élection présidentielle, il serait difficile de ne pas investir un Premier ministre qui ne soit pas issu de la majorité présidentielle. Il s’agit pour l’Assemblée de renforcer le pouvoir et la reconnaissance du Premier ministre.

M. Sébastien Jumel. La cohérence des amendements en discussion n’aura pas échappé au président Ferrand : il ne s’agit pas de les considérer isolément mais dans leur ensemble.

Nous avons expliqué tout à l’heure que, selon nous, l’une des malformations congénitales des institutions était l’effet mécanique que l’élection présidentielle entraînait sur les élections législatives, surtout depuis qu’on a inversé le calendrier électoral de façon que ces dernières suivent la première, si bien que le fait majoritaire s’en trouve renforcé et l’équilibre des pouvoirs perturbé. C’est bien pourquoi nous entendons renforcer la légitimité du Premier ministre puisque sa nomination serait approuvée par l’Assemblée.

La Commission rejette successivement les amendements CL924 et CL835.

Elle en vient à l’amendement CL398 de M. François-Michel Lambert.

M. Paul Molac. En 2006, Nicolas Hulot appelait les candidats à l’élection présidentielle à signer un « Pacte écologique » composé de plusieurs propositions concrètes dont la première consistait à créer la fonction de vice-Premier ministre chargé du développement durable. Cette proposition procédait d’un constat assez simple : le ministre chargé de l’environnement, même animé des meilleures intentions, ne peut pas imposer que l’écologie soit, non plus une politique publique parmi d’autres, mais au fondement de toute politique publique.

Le Pacte écologique défendu par Nicolas Hulot précisait ainsi : « En bonne logique, nous proposons donc que les objectifs du développement durable et les impératifs de la crise écologique reçoivent enfin leur traduction concrète au plus haut niveau de l’action gouvernementale. Cela implique la création d’une nouvelle fonction, celle de vice-Premier ministre en charge du développement durable. Il s’agit là, dans notre esprit, d’une fonction de haut niveau : ce vice-Premier ministre sera responsable de l’insertion de l’impératif écologique dans l’ensemble des politiques de l’État. Si les candidats à la magistrature suprême veulent réellement convaincre l’opinion qu’ils sont acquis à la nécessité de placer le développement durable au cœur de leur politique, ils doivent le montrer, en s’engageant à le faire figurer au cœur de l’action et de l’architecture gouvernementales. »

Une telle proposition est assez novatrice mais elle a été défendue par un certain nombre de personnalités.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Le Premier ministre, sous l’autorité du Président de la République, est libre de composer son gouvernement comme il l’entend, en fonction des défis qui se présentent au pays.

Chacun est conscient de l’urgence environnementale. La France n’a pas à rougir de son action nationale et internationale en la matière. Faut-il, pour autant, créer un vice-Premier ministre à l’environnement ? N’y a-t-il pas, aussi, urgence à agir dans les domaines de l’éducation, de la santé, de la justice ?

Je ne vois pas bien l’intérêt de fixer dans la Constitution les intitulés des portefeuilles ministériels. Créer un « vice » de plus, fût-il « vice-Premier ministre », n’est pas forcément vertueux. (Sourires.) Avis défavorable.

M. Michel Castellani. Je suis pour ma part favorable à cet amendement : la création d’un poste de vice-Premier ministre chargé de l’environnement serait le moyen de promouvoir le développement durable au sein de toutes les politiques publiques. Il ne faut pas y voir un exercice de style : nous avons la conviction profonde que telle est la direction à prendre pour préparer l’avenir.

M. Paul Molac. Je comprends bien qu’il y ait de nombreux domaines dans lesquels il soit nécessaire d’agir. Je rappelle tout de même que le changement climatique, l’augmentation de la température, est une bombe à retardement. Notre proposition novatrice consiste bien à faire entrer l’écologie dans toutes les politiques publiques.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Je ne crois pas une demi-seconde que cette proposition soit novatrice. S’il suffisait de nommer un ministre pour résoudre un problème, ça se saurait.

M. Philippe Gosselin. En effet !

M. Sébastien Jumel. Vous avez présenté comme une avancée extraordinaire le vote de dispositions constitutionnelles visant à la réalisation d’objectifs en matière de défense de l’environnement et de la biodiversité, mais aussi de lutte contre le réchauffement climatique. Nous étions alors un certain nombre considérant qu’il fallait garantir ces nouvelles dispositions alors qu’on s’est contenté d’introduire le verbe agir. Alors que nous avons inscrit en première place, dans la Constitution, la défense de la biodiversité, la lutte contre le réchauffement climatique, nous considérons, dans un souci de cohérence, qu’il faut un vice-Premier ministre pour coordonner cette action.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CL408 de Mme Marie-Pierre Rixain, CL413 de Mme Cécile Untermaier, CL186 de M. M’Jid El Guerrab et CL1375 de Mme Stella Dupont.

Mme Laurence Trastour-Isnart. Issu de la recommandation n° 4 de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, l’amendement CL408 vise à renforcer la parité en politique, et par-là même à contribuer à la promotion de l’égalité de droit et de fait entre les femmes et les hommes dans notre République. Si, depuis plusieurs années, le pouvoir exécutif s’est attaché à respecter le principe de parité dans la composition du Gouvernement, cette bonne pratique mériterait d’être consacrée dans la Constitution.

Mme Yaël Braun-Pivet, rappoteure. Il y a des objectifs, comme la parité, que nous souhaiterions toujours voir satisfaits pour ce qui concerne la composition du Gouvernement. Ne nous enfermons pas, toutefois, dans des règles trop strictes en la matière et privilégions la volonté politique, celle de l’actuelle majorité, par exemple, que je salue. Avis défavorable.

M. Hervé Saulignac. Je ne considère pas que prévoir un Gouvernement paritaire soit une exigence « trop stricte ». Ce serait au contraire une avancée intéressante, proposée par l’amendement CL413, ne serait-ce que pour ne plus entendre des présidents de la République se targuer d’avoir nommé des gouvernements paritaires. C’est une attente forte de la part de nos concitoyens.

M. M’Jid El Guerrab. Former un gouvernement paritaire est une pratique louable, une forme d’affichage d’une volonté politique. Or puisque nous révisons la Constitution, nous pouvons en profiter pour constitutionnaliser cette règle, objet de l’amendement CL186 : l’écart entre le nombre de femmes et d’hommes nommés ne doit pas être supérieur à un. Il s’agit ici de penser aux éventuels remaniements ministériels qui risquent de remettre en cause la parité initiale : nous voulons que la parité soit respectée tout le temps.

Mme Stella Dupont. L’amendement CL1375 ne vise pas à inscrire dans la Constitution l’obligation de parité dans la répartition des portefeuilles ministériels et en particulier dans l’attribution des ministères régaliens : il tend simplement à garantir la parité dans la composition du Gouvernement. C’est un acquis aujourd’hui mais l’inscrire dans la Constitution reviendrait à l’inscrire dans la durée.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. L’adoption d’un tel amendement nous empêcherait de faire comme nos voisins espagnols dont l’actuel gouvernement est composé de onze femmes et de six hommes. Nous nous empêcherions en effet d’atteindre un nombre de femmes supérieur, ce qui serait bien dommage, vous en conviendrez.

M. M’Jid El Guerrab. Eh bien, proposez un sous-amendement !

M. Bastien Lachaud. Vous ne croyez pas vous-même en cet argument, madame la rapporteure. Je dirais plutôt que, pour moi, inscrire la parité dans la Constitution n’est pas faire preuve de rigidité puisqu’il s’agit de promouvoir l’égalité entre les genres. Imposer cette règle pour le Gouvernement ne m’apparaît pas plus rigide que de l’imposer pour les listes des élections européennes, des élections régionales… Certes, cela nous empêche d’avoir des assemblées composées uniquement de femmes, mais comme ce n’est pas aujourd’hui un risque – malheureusement –, la consécration constitutionnelle de l’égalité serait une avancée et non pas, je le répète, une rigidité.

M. Erwan Balanant. Madame la rapporteure, franchement, votre argument n’est pas sérieux. Inscrire la parité dans la Constitution n’est pas une idée de doux farfelus puisque cette règle s’impose d’ores et déjà pour la plupart des scrutins de listes. Deux présidents de la République ont fait preuve de volonté politique à cet égard, mais un de leurs successeurs pourrait fort bien ne plus avoir envie d’appliquer la parité et nous nous retrouverions alors avec un gouvernement composé uniquement d’hommes blancs barbus.

Plus sérieusement, partout où la parité n’est pas obligatoire, elle n’existe pas. Prenons l’exemple des intercommunalités : on ne compte que 16 % de femmes.

Mme Maina Sage. Dans l’absolu, nous aimerions ne pas avoir à contraindre à la parité. L’assemblée de Polynésie est paritaire depuis 2001, fruit d’une décision avant-gardiste pas évidente à appliquer. Le gouvernement, lui, n’est pas paritaire. Je rejoins ce qui vient d’être dit sur les intercommunalités : on voit tout de suite la différence.

M. Erwan Balanant. Et encore, j’ai avancé le chiffre de 16 % de femmes, en fait, c’est 8 % !

Mme Maina Sage. Il serait bon que les dispositifs imposant la parité soient temporaires car elle devrait être naturelle. Tant mieux si vous prônez la présence d’un maximum de femmes dans les institutions et en particulier au sein du Gouvernement, mais vous n’êtes pas éternels et l’inscrire dans la Constitution est une garantie.

Je termine en vous invitant à bien réfléchir : à terme, la parité protégera les hommes en politique.

Mme Marietta Karamanli. Vous n’avez cessé de répéter que le présent quinquennat était placé sous le signe de l’égalité entre les femmes et les hommes. Vous avez une belle occasion ici de le montrer au plus haut niveau, celui de la Constitution.

Mme Laurence Trastour-Isnart. Vous avez raison, madame la rapporteure, nous ne devrions pas avoir besoin d’inscrire la parité dans la Constitution. Malheureusement, on a bien vu que, pour l’obtenir, il a fallu l’instaurer pour un certain nombre de scrutins. Et j’espère que vous avez raison et qu’un jour nous ferons comme les Espagnols… avec une proportion entre les hommes et les femmes inverse de ce qu’elle est en général aujourd’hui.

La Commission rejette successivement les amendements CL408, CL413, CL186 et CL1375.

[Article 9 de la Constitution]

La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL1439 de M. Paul-André Colombani, CL926 de M. André Chassaigne et CL839 de Mme Marietta Karamanli.

M. Paul-André Colombani. L’amendement CL1439 vise à réduire la présidentialisation du régime et à donner une place centrale au Premier ministre dans la gestion des affaires intérieures du pays. Le Président doit garder une certaine distance vis-à-vis des affaires courantes car, à la différence du Premier ministre, il ne rend pas compte de son action au Parlement. Son rôle originel consiste à se concentrer sur les affaires extérieures. Ainsi, aux termes de l’amendement CL1439, le Président de la République ne présiderait plus le Conseil des ministres mais assisterait à ses réunions sur invitation du Premier ministre qui les dirigerait.

M. Sébastien Jumel. Le Premier ministre n’est pas un collaborateur et doit donc pouvoir présider le Conseil des ministres. C’est l’objet de l’amendement CL926.

Mme Marietta Karamanli. L’amendement CL839 prévoit que le Conseil des ministres est présidé par le Premier ministre ou, quand c’est nécessaire, par le Président de la République. L’article 20 de la Constitution dispose que le Gouvernement détermine et conduit la politique de la nation – sous-entendu : sous la direction du Premier ministre dont il serait dès lors logique qu’il préside le Conseil des ministres.

Je rappelle par ailleurs que des constitutionnalistes ont déjà signalé que notre Constitution n’était pas formellement appliquée du fait d’un accord des pouvoirs constitués entre eux. Ainsi toute sa force n’est-elle pas donnée à l’article 21. Il est donc important de redonner au directeur du travail gouvernemental, le Premier ministre, la maîtrise de certains pouvoirs qui lui sont logiquement propres.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure, la Commission rejette successivement les amendements CL1439, CL926 et CL839.

[Article 10 de la Constitution]

La Commission examine l’amendement CL937 de M. Sébastien Jumel.

M. Sébastien Jumel. Nous souhaitons supprimer la possibilité qu’a le Président de la République de demander une seconde délibération des lois définitivement adoptées par le Parlement. Vous aurez compris que le fait du prince nous chagrine beaucoup.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Cette disposition a été utilisée à trois reprises et permet au Président, lorsque le Conseil constitutionnel censure une disposition d’un texte voté par le Parlement, de suspendre le délai de promulgation et de rouvrir les débats pour corriger la disposition censurée. Cette possibilité, utilisée, j’y insiste, de façon exceptionnelle pour parer à une situation exceptionnelle, a montré sa nécessité puisqu’elle permet d’éviter la prolongation des débats qui risquerait d’entamer l’unité du texte partiellement censuré par le Conseil constitutionnel. Avis défavorable.

M. Sébastien Jumel. J’entends bien votre argument, qui est solide ; en même temps l’article 10 de la Constitution n’envisage pas exclusivement le cas que vous avez mentionné. On pourrait en effet prévoir que le Conseil constitutionnel, lorsqu’il censure une partie de la loi, donne un délai supplémentaire avant la promulgation et la possibilité pour le président de l’Assemblée nationale de remettre à l’ordre du jour ledit texte afin que soit atteint l’objectif d’unité que vous venez d’évoquer. Reste, j’y insiste, que l’alinéa 2 de l’article 10 de la Constitution donne un pouvoir exorbitant au Président de la République qui contrevient au principe d’équilibre des pouvoirs auquel nous devons demeurer profondément attachés et à la préservation duquel nous devons donc veiller.

La Commission rejette l’amendement.

[Article 11 de la Constitution]

La Commission examine les amendements identiques CL1 de M. Marc Le Fur, CL172 de M. Vincent Descoeur et CL1069 de M. Michel Castellani.

Mme Laurence Trastour-Isnart. Afin, à l’avenir, que sur des textes sociétaux majeurs, les Français puissent être consultés par voie de référendum, il s’agit d’insérer, au premier alinéa de l’article 11 de la Constitution, après le mot « sociale », le mot « , sociétale ».

M. Didier Paris, président. L’amendement CL172 étant défendu, nous passons à celui de M. Castellani.

M. Michel Castellani. L’objet de ces amendements identiques est d’élargir l’article 11 de la Constitution dans le sens précisé à l’instant par Mme Trastour-Isnart. Ainsi, sur des sujets de fond comme l’euthanasie, le mariage de personnes de même sexe… les Français estiment, si l’on en croit certains sondages, qu’ils auraient dû décider par la voie du référendum. Or, les sujets de société n’ont pas fait l’objet de référendums jusqu’à présent. Ces amendements vont donc dans le sens de la démocratie.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. L’adoption de ces amendements accroîtrait de façon considérable les pouvoirs du Président de la République en lui permettant de procéder plus facilement à des référendums et, par conséquent, d’enjamber le travail du Parlement.

Les instruments de démocratie directe peuvent être des outils intéressants pour trancher des questions relativement binaires, mais ils ne se prêtent pas toujours à l’étude approfondie de questions complexes ou qui demandent des auditions, des analyses subtiles.

Alors que, depuis des semaines, j’entends dire qu’il faut veiller à ce que les droits du Parlement ne soient pas abaissés, voilà une trouvaille qui, précisément, les abaisserait considérablement. Puisque le Parlement est l’organe chargé de voter les lois, il n’a pas à avoir honte de le faire. Les deux chambres doivent mener des débats sérieux, prendre leurs responsabilités et, dans le cadre de notre démocratie représentative, voter la loi.

Outre le fait d’attenter aux droits du Parlement, le vote de ces amendements ne permettrait pas l’organisation de débats sereins et éclairés sur les sujets que vous avez évoqués. Avis défavorable.

M. Michel Castellani. Président Ferrand, je reconnais que vos arguments peuvent être entendus mais, dans notre esprit, il ne s’agit pas d’enjamber les prérogatives du Parlement, loin de là. Nous souhaitons au contraire qu’elles soient renforcées, nous voulons faire rayonner davantage la démocratie directe à l’initiative du Président de la République et forcément sur des grands sujets.

M. Fabien Di Filippo. Si le Parlement était dessaisi de certaines de ses responsabilités au profit du peuple, ce serait légitime. Mais c’est toujours au profit de l’exécutif – que ce même Parlement est censé contrôler – et c’est ce qui est regrettable.

Ensuite, quand des changements sont susceptibles d’affecter pour toujours et de façon importante la société, il est bien normal que nous n’en décidions pas entre nous puisque, quand les lois, en la matière, sont adoptées, nous n’y revenons jamais. Il paraît donc légitime, que pour de tels changements, ce soit le peuple qui décide dans quel sens il souhaite aller.

La Commission rejette ces amendements.

Elle en vient à l’amendement CL642 de M. Jean-Luc Mélenchon.

M. Jean-Hugues Ratenon. Il s’agit de donner à la population la possibilité d’abroger une loi par voie de référendum.

Depuis des décennies, l’on assiste à de vastes mouvements de contestation de la part du peuple français des décisions des exécutifs successifs. La plupart du temps, ces contestations sont dirigées à l’encontre de décisions qui ne figuraient pas dans le programme du candidat devenu président. Par exemple, la loi dite El Khomri a provoqué un mouvement de contestation considérable alors même que son principe n’a jamais été validé par les électeurs. Ainsi, un référendum abrogatif d’initiative citoyenne aurait permis au peuple français de se prononcer sur l’opportunité ou non de cette loi. Cela aurait permis, d’une part, de prendre une décision légitime et, d’autre part, de rejeter une mesure sans que soit mise en cause la responsabilité du ministre concerné, ni celle du Gouvernement qui en est responsable.

Nous proposons donc, après l’alinéa 2 de l’article 11 de la Constitution, d’insérer un alinéa ainsi rédigé : « Un référendum tendant à l’abrogation de tout projet ou proposition de loi peut être organisé sur l’initiative d’un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales. »

Enfin, le présent amendement correspond parfaitement au programme de La France insoumise : L’avenir en commun.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Vous aurez noté, chers collègues, que, par définition, cette proposition ne fait pas partie du programme de ceux qui aujourd’hui forment la majorité. En outre, l’adoption d’un tel amendement importerait dans notre droit une procédure de démocratie directe nommée « veto populaire », qui permet aux électeurs de voter l’abolition d’une loi en vigueur.

Il se trouve que nous y sommes hostiles comme à toutes les propositions comparables. Nous croyons en effet à l’utilité et à la force de la démocratie représentative. Les débats et les changements de règles passent par les élus, qui ne sont pas dans une tour d’ivoire – inutile de nourrir cette caricature –, mais qui au contraire sont au contact des électeurs, à l’écoute de leurs attentes, de leurs espoirs ou de leurs récriminations.

Voter cet amendement reviendrait à estimer que le travail législatif serait inférieur à des campagnes d’opinion ou d’agitation. C’est pourquoi j’émets un avis défavorable.

M. Fabien Di Filippo. Outre qu’il est très difficile de récolter et de contrôler la validité de la signature d’un dixième du corps électoral, comme le prévoit l’amendement, ce qui représente des millions de personnes, le problème, ce ne sont pas les textes de loi adoptés, débattus au Parlement très démocratiquement et dont nous rendons compte devant nos électeurs, mais ce sont certaines décisions réglementaires prises de façon discrétionnaire par l’exécutif et notamment par le Premier ministre – je pense ici à la décision de limiter la vitesse à 80 kilomètres par heure sur certaines routes départementales, qui aurait mérité davantage de débats au Parlement alors qu’elle a été prise de manière complètement antidémocratique.

M. Philippe Gosselin. Ce n’est pas faux.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CL643 de M. Jean-Luc Mélenchon.

Mme Caroline Fiat. La pseudo-initiative populaire prévue par l’alinéa 5 de l’article 11 de la Constitution a été tellement verrouillée qu’elle n’a, depuis 2008, tout simplement jamais pu être appliquée.

En Suisse, pourtant régime directorial, 50 000 citoyens peuvent demander la tenue d’un référendum obligatoire sur les lois fédérales. En Californie, les initiatives populaires, qui peuvent avoir pour objet une révision de la Constitution ou l’adoption d’une loi ordinaire, sont soumises à référendum en dehors de toute intervention du Parlement. Selon qu’elle porte sur une matière constitutionnelle ou législative, une telle initiative doit être présentée par un nombre minimal d’électeurs égal à 8 %, ou à 5 % des personnes ayant participé à la dernière élection du gouverneur. Le dépôt de l’initiative populaire entraîne automatiquement l’organisation d’un référendum à l’issue duquel la norme proposée peut être définitivement adoptée.

Ainsi, on voit bien, avec ces deux exemples, que la possibilité pour une fraction du peuple de proposer une loi soumise à référendum est de nature à accentuer le caractère démocratique d’un régime politique sans provoquer une quelconque instabilité juridique, la Californie et la Suisse étant reconnues dans le monde entier pour le caractère démocratique de leurs procédures législatives sans pour autant qu’elles soient taxées d’États instables.

Nous proposons donc qu’un « référendum tendant à l’adoption de tout projet ou proposition de loi puisse être organisé sur l’initiative d’un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales ».

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Pour les mêmes raisons, exactement, que pour le précédent amendement, j’émets un avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

M. Didier Paris, président. Nous avons examiné 254 amendements au cours de treize heures trente de réunion. Il reste 1 105 amendements et, au rythme actuel, il nous faudrait cinquante-huit heures de débats pour en venir à bout.

Je vous remercie pour votre assiduité et pour la qualité de vos interventions. La Commission sera présente demain matin dans l’hémicycle. Nous nous retrouverons ici dès quatorze heures.

5.   Première réunion du jeudi 28 juin 2018 à 14 heures (avant l’article 1er, suite, à après l’article 1er)

Lien vidéo :

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.6323781_5b34cc3fa314e.commission-des-lois--pour-une-democratie-plus-representative-responsable-et-efficace-avant-l-art-28-juin-2018

Mme Laurence Vichnievsky, présidente. Nous reprenons l’examen du projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace. Il a été décidé hier soir que deux minutes de temps de parole seraient accordées à l’auteur de chaque amendement et qu’une fois donné l’avis du rapporteur, une minute serait accordée par intervenant et par groupe en réponse.

Avant l’article 1er (suite)

[Article 11 de la Constitution, suite]

La Commission examine l’amendement CL927 de M. André Chassaigne.

M. Sébastien Jumel. L’amendement CL927 a pour objet de créer un véritable référendum d’initiative populaire.

Le référendum d’initiative populaire, présenté comme une innovation fondamentale de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, était censé impliquer davantage les citoyens dans le processus législatif afin de leur permettre de s’approprier, en partie à tout le moins, les choix politiques.

Or, la procédure de l’article 11 de la Constitution, bien en deçà des espérances, n’a de référendum d’initiative populaire que le nom. Elle correspond davantage à un droit de pétition contraignant le Parlement à examiner un texte qu’à une nouvelle modalité de consultation référendaire. En outre, les conditions posées s’apparentent à un véritable parcours du combattant qui empêchent in fine l’organisation d’un référendum.

Par cet amendement, nous proposons donc l’instauration d’un véritable référendum d’initiative populaire afin de renforcer et d’amplifier la souveraineté directe du peuple. Je n’oublie jamais que j’ai été élu avec une idée simple : faire entrer la voix du peuple à l’Assemblée nationale, faire entendre la voix des territoires et faire en sorte que leurs préoccupations trouvent leur traduction dans nos amendements.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Nous avons déjà évoqué la question du référendum d’initiative populaire. Vous savez à quel point nous sommes attachés au fait d’entendre la voix des citoyens, par le biais de consultations qui peuvent prendre la forme de pétitions mais pas seulement. Nous proposons d’organiser cette consultation citoyenne tout au long de l’année grâce à une refondation profonde du Conseil économique, social et environnemental (CESE). Ce peut être l’organe adéquat pour traiter les pétitions aujourd’hui examinées par la commission des Lois de façon insatisfaisante. C’est pourquoi j’émets un avis défavorable à votre amendement.

M. Sébastien Jumel. Je ne suis ni enthousiasmé ni convaincu par les explications de notre rapporteure. Le flou artistique et juridique qui entoure la réforme du CESE n’emporte pas notre conviction. Je pense notamment à la place des organisations de jeunesse et à leur capacité à apporter une contribution pertinente à la vie publique. Nous savons à quel point il est un enjeu majeur de réduire la fracture qui se creuse chaque jour un peu plus entre la puissance publique et nos concitoyens, notamment les plus jeunes.

Dans cet amendement, il s’agit d’autre chose. Nous souhaitons permettre à 500 000 électeurs inscrits sur les listes électorales d’être à l’initiative de la loi et de coconstruire avec nous la législation.

M. Erwan Balanant. Il faudrait peut-être lire les amendements déposés par les groupes du Mouvement Démocrate et apparentés (MODEM) et de La République en Marche (LREM) avant de dire que ce que nous imaginons pour le nouveau CESE est flou. Cela vous donnera déjà des éléments d’information sur ce que pourrait être ce nouveau Forum de la République – institution pivot de débat public et de participation citoyenne s’inscrivant dans le long terme.

M. Sébastien Jumel. Je les ai tous lus attentivement.

Mme Cécile Untermaier. Cet amendement est important. Nous débattons d’un projet de révision constitutionnelle. Devons-nous maintenir le dispositif de l’article 11 de la Constitution alors qu’il ne permet pas le recours au référendum ? On le sait très bien : les seuils fixés pour recourir au référendum d’initiative partagée sont tels que ce mécanisme n’a jamais fonctionné.

Indépendamment du projet de réforme du CESE que vous défendez par ailleurs et que je respecte totalement, il me paraît nécessaire que les députés s’interrogent sur les outils donnés par la Constitution. Celui-ci, de toute évidence, n’est pas pertinent. Ce que proposent les auteurs de l’amendement, c’est un référendum qui fonctionne. Cela ne veut pas dire que l’on va marcher à coups de référendums, mais nous sommes élus au suffrage universel et le député doit favoriser le lien avec le citoyen.

Mme la présente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Vous avez raison de dire que le dispositif constitutionnel n’est pas le bon, en ce que les seuils fixés sont trop élevés pour permettre le recours effectif au référendum. Le principe du référendum d’initiative partagée entre les parlementaires et les citoyens me semble vraiment pertinent.

La Commission rejette l’amendement CL927.

Elle examine, en discussion commune, l’amendement CL321 de M. Paul Molac et les amendements identiques CL1027 de Mme Hélène Vainqueur-Christophe et CL1124 de M. Michel Castellani.

M. Paul Molac. Sous la précédente législature, j’avais écrit un rapport dans lequel j’écrivais que la procédure de référendum d’initiative partagée serait inefficace. Il ne fallait pas être devin tant c’était prévisible.

Je rejoins M. Jumel quant au fait que nous sommes là pour représenter les gens au milieu desquels nous vivons, dont nous connaissons les besoins et les attentes, et pour être en même temps la voix de nos territoires. Comment, à l’heure où de plus en plus de citoyens veulent prendre part à la chose politique, leur en donner les moyens ? Il y a un gouffre entre une démocratie représentative – où des gouvernants prennent le pouvoir à un moment donné et se trouvent « seuls aux manettes » jusqu’à leur retour devant les urnes – et un peuple qui, lui, voudrait aller vers plus de démocratie directe. À l’heure d’internet, c’est sans doute l’un des mouvements de société les plus importants.

Je défendrai conjointement l’amendement CL321 et l’amendement CL1484, qui vient en discussion un peu plus loin. Le premier permet à un groupe parlementaire – au lieu d’un cinquième des membres de Parlement – de demander un référendum. Le second fixe un délai de six mois pour l’organisation de ce référendum, le Parlement étant ensuite chargé de rédiger une loi sur la question posée.

Mme Christine Pires Beaune. La rapporteure vient d’indiquer qu’elle s’interrogeait sur les seuils qui empêchent le déclenchement du référendum prévu à l’article 11 de la Constitution. Notre amendement CL1027 vise précisément à revenir sur ces seuils.

M. Michel Castellani. L’amendement CL1124 vise à ce que le référendum d’initiative partagée puisse être déclenché à l’initiative d’un dixième des membres du Parlement soutenus par un vingtième des électeurs inscrits sur les listes électorales. Il s’agit de renforcer ainsi notre démocratie.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Je maintiens mon avis défavorable. Je m’interroge sur les seuils adéquats, mais je ne peux pas vous dire à l’instant si je privilégie l’un ou l’autre de vos amendements car ma conviction n’est pas faite. Je suis en revanche persuadée que nous avons besoin de plus de démocratie participative et que les citoyens y aspirent fortement. On le voit lorsqu’on organise des débats sur des questions aussi diverses que la bioéthique ou la réforme des retraites. Nous avons auditionné Mme Chantal Jouanno, qui préside la Commission nationale du débat public (CNDP), et qui nous a dit que lorsqu’elle organise des débats, ils sont extrêmement suivis et permettent d’apporter des éléments aidant les décideurs publics à faire évoluer leurs projets pour aboutir à de meilleures solutions. J’ai vraiment à cœur, dans ce projet de loi constitutionnelle, de faire entrer notre démocratie dans le XXIe siècle, mais je n’ai pas d’idée définie des seuils à fixer pour l’organisation du référendum d’initiative partagée. Mes co-rapporteurs et moi-même souhaitons y réfléchir et voir si nos groupes ont des propositions à formuler. En l’état, donc, avis défavorable.

M. Sébastien Jumel. J’aimerais vous croire, madame la rapporteure, quand vous dites vouloir inscrire la démocratie participative au cœur de ce projet de révision. Hier, étant arrivé avec trois minutes de retard, je n’ai pas pu défendre mon amendement visant à inscrire ce concept dans la Constitution. Ayant été maire dix ans, j’ai pu mesurer à quel point, quand on prend le temps et le soin d’associer les habitants à des opérations de renouvellement urbain ou à des projets d’aménagement qui touchent à leur quotidien, on réfléchit mieux à plusieurs têtes que dans une seule, et à quel point cela contribue à réconcilier nos citoyens avec la chose publique. Fort de cette expérience locale, je pense que si on multipliait les passerelles et les traits d’union entre les citoyens et les parlementaires dans l’élaboration de la loi, on pourrait réduire la fracture qui nous sépare – qu’on pourrait atténuer cette crise de la citoyenneté. Je fonde l’espoir qu’en séance publique vous pourrez reprendre à votre compte cette proposition d’inscrire la démocratie participative dans notre Constitution.

Mme Christine Pires Beaune. J’ai bien entendu vos interrogations et je n’ai pas de doute quant au travail qui peut être mené d’ici à la séance publique. Je n’ai pas, moi non plus, de certitude quant aux seuils adéquats, mais, le texte examiné en séance étant le projet de loi initial, rien ne nous empêche de donner un signal en adoptant maintenant ces amendements.

M. Michel Castellani. Comme viennent de le dire nos collègues, l’idée est d’insuffler plus de démocratie et de donner davantage la parole au peuple. C’est important en ces temps de méfiance envers les élus et le fait public en général. Après, on peut toujours discuter, madame la rapporteure, de l’opportunité de tel ou tel seuil. Mais il faut avancer dans cette direction.

M. Paul Molac. La réponse que vient de faire la rapporteure me satisfait plus que la première. Si le CESE, représentant des corps intermédiaires, ne donne pas satisfaction aujourd’hui, il n’est pas certain que la nouvelle assemblée créée n’aura pas les mêmes travers – une institutionnalisation excessive, facteur de « ronronnement ». De toute façon, les procédures d’initiative populaire sont complémentaires de toute assemblée que nous pourrions créer. J’apprends donc avec intérêt ce que vient de nous dire la rapporteure et je retire mes amendements CL321 et CL1484.

M. Erwan Balanant. Vous avez raison de dire que le travail sur le CESE rénové est un des enjeux de cette révision. J’aimerais donc qu’on réfléchisse à une redéfinition des seuils. Il faut que nous trouvions une rédaction suffisamment souple et ouverte pour faire de ce futur « Forum de la République » un véritable lieu du débat citoyen, qui s’articule avec la représentation nationale.

L’amendement CL321 est retiré.

La Commission rejette les amendements identiques CL1027 et CL1124.

Elle étudie l’amendement CL1486 de Mme Hélène Vainqueur-Christophe.

Mme Christine Pires Beaune. Cet amendement, qui fait suite à notre amendement précédent, vise à limiter le nombre de référendums à deux par législature.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Étant donné que nous venons de le rejeter, j’émets un avis défavorable.

L’amendement est retiré.

L’amendement CL1484 de M. Paul Molac est retiré.

[Article 12 de la Constitution]

La Commission en vient à l’amendement CL846 de Mme Marietta Karamanli.

Mme Marietta Karamanli. Ce projet de loi invoque dans son titre même une démocratie plus « responsable ». Or, dans l’ensemble des États européens, le Gouvernement détient l’autorité politique car il est responsable devant le Parlement, tandis que le chef de l’État, politiquement irresponsable devant les assemblées, assure une fonction d’arbitre et de garant de la continuité des institutions.

Le texte de la Constitution de 1958, au contraire, met en avant le Président de la République. Sa légitimité est équivalente à celle des 577 députés élus au suffrage universel direct. Il a une fonction d’inspiration de la politique menée tout au long de son mandat. Il serait logique, sans remettre en cause la fonction du Président de la République, que ce soit le chef du Gouvernement, responsable devant le Parlement, qui puisse décider de dénouer une crise politique avec l’Assemblée nationale. Le général de Gaulle, fondateur de notre régime politique actuel, avait lui-même précisé à maintes reprises que le Gouvernement devait prendre en charge les contingences politiques, économiques et sociales ainsi que le fonctionnement des services publics, tandis que le Président de la République était responsable de la place de la France sur la scène internationale, de sa défense, et plus largement, des choix fondamentaux. Il serait donc logique que la dissolution de l’Assemblée nationale soit décidée en Conseil des ministres, puisque c’est à celui-ci qu’il appartient, sous la conduite du Premier ministre, de mettre en œuvre la politique de la majorité parlementaire – même si cette politique est inspirée par le chef de l’État.

M. Marc Fesneau, rapporteur. L’amendement n’aurait guère d’effet puisque, depuis la IVe République, on ne vote pas en Conseil des ministres. La légitimité du Président de la République est à ce point supérieure à celle de chaque ministre pris individuellement que cela n’aurait pas de sens.

De plus, la dissolution doit venir trancher une crise politique qui n’est pas forcément de nature parlementaire. Par exemple, en mai 1968, la majorité qui soutenait le Gouvernement de Georges Pompidou ne faisait aucun doute. C’est dans la relation directe entre le Président de la République et le peuple que résidait la difficulté, qui a été clairement tranchée alors.

Enfin, vous proposez que la dissolution soit décidée « après avis du président de l’Assemblée nationale ». Or, dans le droit actuel, ce sont les présidents des deux assemblées qui sont consultés. Il faut garder cet équilibre.

Avis défavorable.

Mme Marietta Karamanli. Notre amendement a vocation à améliorer les rapports entre les pouvoirs constitués et à mieux faire appliquer le principe de responsabilité. Je regrette que nous ne parvenions pas à rendre notre République plus moderne et plus responsable. Le Premier ministre, responsable devant le Parlement, devrait avoir un autre rôle que celui d’attendre que le Président de la République décide d’une dissolution.

M. Sébastien Jumel. Nous soutiendrons cet amendement, puisque nous avons nous‑mêmes proposé de réduire les prérogatives exorbitantes du Président de la République pour renforcer l’équilibre des pouvoirs.

Vous semblez très préoccupés de ne pas déstabiliser nos collègues sénateurs, mais nous sommes à l’Assemblée nationale et nous examinons une loi constitutionnelle. Nous n’avons que faire d’un accord conclu entre le Président de l’Assemblée nationale et celui du Sénat, ni des marchandages entre la droite et la droite pour adopter ce mauvais projet. Nous examinons les textes au fur et à mesure qu’ils arrivent en discussion et nous ne sommes pas liés par une entente dont nous n’avons connaissance ni quant à la forme ni quant au fond.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Ma remarque concernant le Sénat n’était pas mon argumentation principale. Par ailleurs, il n’y a pas de marchandage. Nous sommes liés par les travaux que nous avons à mener ensemble et par l’exigence de trouver un compromis susceptible d’être approuvé par les trois cinquièmes des membres de nos deux assemblées. Nous aurons beau écrire tout ce que nous voulons, si nous n’avons pas cette majorité des trois cinquièmes, il n’y aura pas de révision constitutionnelle.

La Commission rejette l’amendement CL846.

Suivant l’avis défavorable des rapporteurs, elle rejette l’amendement CL1025 de M. Jean-Christophe Lagarde.

[Article 13 de la Constitution]

La Commission aborde l’amendement CL728 de Mme Christine Pires Beaune.

Mme Christine Pires Beaune. Cet amendement concerne le système des dépouilles. « L’idée du spoil system n’est ni de droite ni de gauche » : ce sont les mots prononcés par le Président de la République lors de la campagne présidentielle. Nous proposons ni plus ni moins que de mettre en application cette idée à laquelle je souscris depuis longtemps. Il est rédigé de telle sorte qu’il concerne peu de fonctionnaires – moins que l’ensemble de ceux qui pourraient être visés par l’article 13 de la Constitution : il ne touche que les directeurs d’administration centrale. Un rôle serait dévolu aux commissions compétentes des deux assemblées pour leur nomination.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Avis défavorable. Les directeurs d’administration centrale sont choisis par le pouvoir exécutif. Demander à la représentation nationale d’émettre un avis sur ces choix serait excessivement contraire au principe de séparation des pouvoirs. Accessoirement, sur le plan pratique, il y aurait près de 180 directeurs à auditionner, ce qui me paraît impraticable.

Mme Christine Pires Beaune. Dois-je comprendre que le système des dépouilles ne devrait pas passer, selon vous, par nos deux assemblées ? Le Président de la République avait promis son instauration, à l’américaine, pour 4 000 hauts fonctionnaires.

La Commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CL58 de M. M’jid El Guerrab.

M. M’jid El Guerrab. Les dispositions introduites par la révision constitutionnelle de 2008 représentent incontestablement une avancée en matière de contrôle parlementaire, notamment si l’on songe à l’entière discrétion dont s’entouraient jadis les nominations effectuées sur le fondement de l’article 13 de la Constitution.

Cependant, des améliorations sont possibles, voire souhaitables. Un autre de mes amendements vise ainsi à inverser la logique de cette procédure afin de passer d’un veto prononcé à une majorité qualifiée à une validation à la majorité absolue.

En outre, rien n’est prévu actuellement quant à l’éventuelle révocation des personnes nommées. C’est un véritable angle mort du droit constitutionnel, les renvois s’opérant à la discrétion de l’autorité jouissant du pouvoir de nomination. Il importe de remédier à cette situation en instaurant, par parallélisme des formes, un droit de regard des parlementaires sur la révocation des personnalités nommées aux fonctions visées à l’article 13 de la Constitution. Ce serait de nature à renforcer le contrôle parlementaire.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. L’article 13 a été modifié lors de la révision constitutionnelle de 2008 pour encadrer le pouvoir de nomination du Président de la République, qui jusque-là, était libre de pourvoir aux emplois publics comme il l’entendait. L’article 13 prévoit une procédure d’audition des candidats devant les commissions parlementaires compétentes afin de s’assurer que les personnalités que le Président de la République envisage de nommer aient bien les compétences adéquates. Ce n’est donc pas un contrôle politique, mais une garantie contre l’erreur manifeste d’appréciation.

En revanche, la révocation relève d’une toute autre logique : sa procédure diffère selon les organismes concernés. Il ne nous appartient pas de nous ériger en juges des conditions justifiant un renvoi. Avis défavorable.

M. M’jid El Guerrab. Il s’agit simplement de parallélisme des formes. Est-il normal qu’un ministre ou le chef de l’État révoque quelqu’un qui a été légitimé par le Parlement ?

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CL50 de M. M’jid El Guerrab, CL434 de Mme Cécile Untermaier et CL938 de M. Sébastien Jumel.

M. M’jid El Guerrab. Introduite en 2008, l’actuelle procédure est certes un progrès par rapport à l’entière discrétion de jadis, mais il s’agit tout au plus d’un pouvoir de veto à majorité qualifiée dans la mesure où, comme le dit l’ancien sénateur Bernard Frimat, « donner au Parlement le droit de s’opposer à une nomination à la majorité des trois cinquièmes, c’est fixer le seuil d’approbation aux deux cinquièmes ». Du reste, des revendications en faveur d’une validation positive de ces nominations à la majorité des trois cinquièmes sont régulièrement émises, comme le souligne le rapport du groupe de travail sur l’avenir des institutions.

Par le biais de cet amendement, il s’agit de renforcer le droit de regard parlementaire sur les nominations. Une inversion de la logique de cette procédure serait profondément positive afin de passer d’un veto à une majorité qualifiée à un vote à la majorité simple.

Mme Cécile Untermaier. Le pouvoir du Parlement sur les nominations visées à l’article 13 est limité mais essentiel. Il s’agit de cinquante-deux nominations seulement, mais d’un enjeu important puisqu’il s’agit de la garantie des droits et libertés ainsi que de la vie économique et sociale de la nation. Additionner les voix positives plutôt que les voix négatives renforcerait les prérogatives du Parlement – tant de l’Assemblée nationale que du Sénat.

M. Sébastien Jumel. C’est effectivement un enjeu important puisqu’il s’agit de la nomination de personnalités à la tête de France Télévisions, de la Caisse des dépôts et consignations et à un grand nombre de fonctions stratégiques, voire régaliennes. L’obligation d’un vote positif nous semblerait de nature à rétablir un lien de confiance entre les citoyens et les élus, à renforcer les prérogatives du Parlement. Le président de Rugy, lorsqu’il appartenait à notre groupe parlementaire, était favorable à cette mesure. Il ne peut donc aujourd’hui que souscrire à cette proposition de bon sens. Cet amendement permettra de lever la suspicion sur les nominations, ce qui va dans le sens de l’intérêt général.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Cette question s’est posée lors de nos travaux, et notre réflexion nous a conduits à désapprouver vos propositions. L’objectif du contrôle parlementaire prévu à l’article 13 est de sanctionner l’erreur manifeste d’appréciation qu’aurait commise l’autorité de nomination, ou un éventuel choix non rationnel. Instaurer une règle des trois cinquièmes positifs – sachant que seraient mêlés les effectifs de nos deux assemblées – entraînerait nécessairement une appréciation beaucoup plus politique des nominations, ce qui n’est pas le sens de l’article 13. Ce serait en outre dangereux, s’agissant en particulier de nominations de personnalités à la tête d’autorités indépendantes comme le Défenseur des droits ou la Commission nationale du débat public (CNDP). Avis défavorable.

M. M’jid El Guerrab. Je suis satisfait par votre réponse. Il ne faut pas politiser ces nominations. Je retire mon amendement.

M. Sébastien Jumel. Je maintiens le nôtre. L’obligation de réunir une majorité des trois cinquièmes exige la recherche d’un consensus, ce qui suppose que le choix de la personne proposée ne soit pas de nature politicienne et, donc, que cette personne ait le profil correspondant à la mission qu’on souhaite lui confier. Je partage votre idée, madame la rapporteure, d’extraire ce type de nominations d’une approche politicienne, mais elle implique justement de recueillir un plus large consensus que dans le droit actuel : c’est bien ce que propose notre amendement.

Mme Cécile Untermaier. Je rejoins les propos de M. Jumel. Je suis sensible à l’explication de Mme la rapporteure, mais nous devons évoluer vers des majorités de conviction et ne pas avoir peur de mêler nos avis. Je maintiens notre amendement.

L’amendement CL50 est retiré.

La Commission rejette successivement les amendements CL434 et CL938.

Puis elle est saisie de l’amendement CL187 de M. M’jid El Guerrab.

M. M’jid El Guerrab. Cet amendement vise à renforcer l’égalité entre les femmes et les hommes en empêchant que les nominations effectuées par le chef de l’État en vertu de l’article 13 de la Constitution soient accaparées par des hommes. Cela aura un effet d’entraînement positif.

Il s’agit d’une préconisation du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes. Je pense qu’il a raison.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Je me suis déjà longuement exprimée sur la parité, à laquelle je souhaite donner corps et réalité. Je ne crois toutefois pas que la mesure proposée soit de nature à y concourir ; mieux vaut être animé d’une réelle volonté d’y parvenir.

Par ailleurs, sur le plan pratique, je vois mal comment pourrait s’organiser l’alternance. Il me semblerait dommage que, chaque fois que le Président de la République nomme une femme à une fonction, on puisse considérer – j’en suis parfois victime – qu’elle doit sa nomination au seul fait d’être une femme.

Pour ces deux raisons, je suis défavorable à votre amendement.

M. M’jid El Guerrab. Vous ne m’avez pas convaincu, madame la rapporteure. Puisque la liste de ces nominations est limitative, le bilan pourrait en être établi et les postes fléchés en fonction des sexes. Je vous concède que la volonté politique est présente, et je fais confiance au Gouvernement, mais la confiance n’exclut pas le contrôle. Je préfère que la chose soit écrite.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL928 de M. André Chassaigne.

M. Sébastien Jumel. J’apprécie, madame la rapporteure, la tonalité apaisée de nos débats. Je n’en rappelle pas moins que nous modifions le texte de la Constitution, ce qui appelle l’unité du peuple, y compris dans sa diversité.

De ce fait, il serait intéressant que la majorité accepte quelques amendements de l’opposition, faute de quoi le risque serait grand que la coloration politique de cette révision constitutionnelle l’emporte sur l’unité. Si je formule cette remarque, c’est que d’autres amendements restent à venir, sur lesquels il faudra donner des signes.

Celui que je présente à l’instant peut vous offrir cette occasion. Il s’agit d’interdire à une personnalité nommée par le Président de la République à des fonctions d’intérêt général d’avoir, au cours des trois années précédant sa nomination, exercé une activité privée en lien avec cette mission. Cela devrait vous parler, madame la rapporteure, car il s’agit d’une mesure de précaution visant à prévenir tout conflit d’intérêts, de nature à rétablir la confiance entre nos concitoyens et nous-mêmes.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Comme j’ai eu l’occasion de le rappeler hier en répondant à Mme Karamanli, la question du conflit d’intérêts et du « pantouflage » nous préoccupe et a déjà fait l’objet de débats à l’été 2017. Une mission d’information sur la déontologie des fonctionnaires et l’encadrement des conflits d’intérêts avait d’ailleurs été constituée, qui comprenait une participation du groupe Les Républicains. Il faut évidemment progresser sur cette question, mais la mesure très radicale que vous proposez ne me paraît pas être appropriée et n’a d’ailleurs pas été retenue par la mission d’information. Une fois encore, et vous m’avez déjà entendu le dire, elle n’est absolument pas de rang constitutionnel.

Pour ces raisons de fond et de forme, j’émets un avis défavorable.

M. Sébastien Jumel. Sans mauvais jeu de mots, je suggère que, s’agissant de déontologie, nous ne nous endormions pas dans nos pantoufles... (Sourires.) Si, par les temps qui courent, la probité n’est pas élevée au rang des principes fondamentaux, à celui du sens que nous donnons au service de la République, nous nous préparons des lendemains qui déchantent et qui ne pourraient profiter qu’à ses ennemis.

Si vous jugez radicale ma proposition, en réalité modérée, je puis vous en fournir d’autres qui le sont autrement ! Nous avons précisément recherché quelque chose qui fasse consensus : que l’on ne puisse pas, dans les trois ans précédant sa nomination à une fonction déterminée, avoir exercé dans le secteur privé une activité liée à cette fonction.

Nous nous grandirions en posant cette interdiction dans la Constitution.

Mme Marietta Karamanli. Si je suis intervenue hier à ce sujet, c’est parce que nous sommes montrés du doigt dans différents rapports, notamment celui de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Il faut mettre à profit notre débat pour franchir, d’ici à l’examen du texte en séance publique, un pas supplémentaire par rapport aux lois pour la confiance dans la vie politique. Nous devons faire un geste car nous ne pouvons pas laisser passer cette révision de la Constitution sans l’évoquer.

M. Jean-Pierre Vigier. Je vous invite à réfléchir, madame la rapporteure : il serait dommage de rejeter cet amendement de bon sens, qui nous éviterait de reproduire certaines erreurs du passé.

M. Paul Molac. Nous avons un réel problème avec le pantouflage : le cas d’une personne chargée au sein d’une administration de suivre une entreprise chinoise, et qui a par la suite été embauchée par cette même entreprise, m’est ainsi revenu.

À l’occasion du débat sur le projet de loi pour un État au service d’une société de confiance, j’avais déposé plusieurs amendements sur ce sujet, qui n’ont hélas pas prospéré. Par cohérence personnelle, je ne peux que soutenir cet amendement.

Mme Caroline Fiat. Quelle déception, lorsque l’on entend par ailleurs le Gouvernement défendre un projet de loi censé rendre confiance à nos concitoyens dans la politique, d’obtenir toujours ces mêmes réponses : « il y a un doute », « nous hésitons », « la proposition est trop radicale », « il y a un problème de seuil »…

Si l’on veut redonner confiance, il faut avoir le courage d’être présent en commission et de prendre des décisions, quitte à adopter des amendements de précision lors de la séance publique : nous devons montrer aux Français que nous avons envie de faire bouger les choses.

M. Philippe Dunoyer. J’aurais aimé être cosignataire de cet amendement. J’ai entendu les arguments de la rapporteure, mais, en l’occurrence, ne sont visés que quelques emplois particulièrement exposés, à telle enseigne qu’ils sont précisément mentionnés dans la Constitution, qui requiert une procédure spécifique pour les nominations à ces emplois.

Si je soutiens l’amendement, c’est parce qu’il est important que, s’agissant de postes particulièrement exposés, et étant nous-mêmes déjà soumis à des incompatibilités, nous émettions ce signal au nom de l’intérêt de la nation.

M. Michel Castellani. Il est difficilement envisageable, et il serait même malsain, que l’on puisse occuper un poste élevé dans la fonction publique pour ensuite exercer dans le même domaine dans le secteur privé. Ce problème déontologique doit être traité, ce que permettrait l’adoption de cet amendement.

M. Christophe Euzet. Le constat établi, qui a conduit au dépôt de cet amendement, est partagé par tous. La préoccupation qu’il exprime est parfaitement légitime. En revanche, on ne peut pas accepter que la norme constitutionnelle s’abaisse à un tel degré de précision, qui relève du bavardage législatif, et il convient de replacer cette proposition à un étage normatif inférieur.

M. M’jid El Guerrab. Si la Constitution n’est pas le bon niveau, quel est le bon niveau ? La disposition peut être jugée trop technique, mais on peut écrire ce que l’on veut dans une Constitution : la Constitution suisse évoque le bien-être animal… Si le niveau n’est pas le bon, celui de la loi organique ou de la loi ordinaire l’est peut-être.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Je ne pense pas, mon cher collègue, que l’on puisse écrire ce que l’on veut dans la Constitution : il existe une hiérarchie des normes et la Constitution a un objet précis. Il faut veiller à ce que les dispositions que l’on y insère concernent bien l’organisation des pouvoirs publics, de nos institutions, la préservation des libertés et droits fondamentaux, etc.

Je rappelle à nouveau que la question de la déontologie des fonctionnaires a été évoquée à l’occasion de l’examen du projet de loi pour la confiance dans la vie politique, et que nous avions examiné des amendements adoptés par le Sénat. Lors du débat dans l’hémicycle, nous avions ensuite convenu que ce texte concernait uniquement la vie politique, et non la fonction publique.

Ne souhaitant pas pour autant éluder cette question, nous avons créé une mission d’information de la commission des Lois, conduite par M. Olivier Marleix pour le groupe Les Républicains et par M. Fabien Matras pour La République en Marche ; elle a remis son rapport au mois de janvier dernier. Nous avons discuté de ses conclusions, qui sont consensuelles, avec le ministre de la fonction publique afin de les concrétiser à l’avenir.

Nous n’ignorons donc pas cette question extrêmement importante, mais nous estimons qu’elle n’a pas sa place dans la Constitution. Par ailleurs, par le terme « radical », j’entendais que l’interdiction que vous souhaitez poser est d’ordre général, et exclut le cas par cas. Or, la mission d’information ne préconisait pas de règle impérative, mais proposait d’apprécier chaque situation, car chacune est différente.

Je tiens à vous rassurer sur les intentions de notre majorité, mais aussi à redire que la Constitution ne peut être le réceptacle de toutes les propositions.

Mme Émilie Chalas. Vous n’êtes pas sans savoir, mes chers collègues, que M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État chargé de la fonction publique, mène une large concertation portant sur la transformation de la fonction publique. Par la suite, un projet de loi ne manquera pas d’être soumis au Parlement, certainement l’année prochaine. Il comportera une partie traitant de la déontologie des fonctionnaires qui fera écho aux travaux de la commission des Lois, ce qui constituera le vecteur opportun pour ce débat de fond.

M. Sébastien Jumel. Je ne suis pas partisan d’une Constitution bavarde, mais je ne souhaite pas pour autant qu’elle soit muette.

Le constituant a décidé qu’un certain nombre de nominations avaient rang constitutionnel. Je considère donc que, pour ces postes très peu nombreux, il lui revient d’en déterminer les conditions déontologiques. Je n’en ai pas moins confiance dans la possibilité de progresser en matière de déontologie des fonctionnaires, mais, en l’occurrence, pour les postes concernés, le constituant a considéré que leur statut relevait de la Constitution ; c’est donc bien ici qu’il faut décider de ce qui leur est autorisé ou non.

La Commission rejette l’amendement.

[Après l’article 13 de la Constitution]

La Commission en vient à l’amendement CL487 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier. Cet amendement s’inscrit dans l’esprit du débat que nous venons d’avoir ; cependant, l’amendement précédent ne traitait pas de fonction publique. Par ailleurs, chaque fois que nous avons voulu ajouter par la loi de la déontologie et de la transparence dans ce genre de nominations, qui sont du ressort du Gouvernement, nous nous sommes heurtés à son refus car il considérait que nous n’avions pas à intervenir.

Nous devrions donc nous interroger sur notre capacité à inscrire de telles dispositions dans une loi organique.

L’amendement que je présente est de principe, mais non de méfiance. Il se borne à prévoir que : « Le Président de la République nomme ses conseillers dans le respect des principes de transparence et de déontologie. » Il ne s’agit pas de prétendre que ce ne serait pas le cas aujourd’hui, mais d’inscrire dans la Constitution le principe qui a présidé à la création de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) et à l’adoption des lois relatives à la transparence de la vie publique et à la confiance dans la vie politique.

Ces textes nous demandent à nous, parlementaires, de faire des efforts ; la présidence de la République, quelle qu’elle soit, doit aussi se conformer à de telles exigences de façon à rassurer les citoyens de notre pays.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Comme vous, je suis soucieuse que les conseillers qui entourent le Président de la République observent les principes de transparence et de déontologie. Cependant, la mesure que vous proposez n’est pas normative, et il me semble singulièrement difficile de lui conférer une réalité juridique.

Par ailleurs, les conseillers du Président de la République sont soumis aux mêmes obligations déontologiques que les autres agents publics.

Pour ces raisons, mon avis est défavorable.

Mme Cécile Untermaier. Je sais que ces matières ne sont pas aisées, mais je considère qu’il y a derrière le dispositif de mon amendement une portée normative, car si les principes visés n’étaient pas respectés, nous pourrions à tout moment aller au contentieux pour contester une nomination.

Il me semble donc impérieux de fixer aujourd’hui des critères fondamentaux de probité, de transparence et de déontologie. Le XXIe siècle sera celui de la déontologie.

La Commission rejette l’amendement.

[Article 16 de la Constitution]

La Commission étudie ensuite les amendements identiques CL442 de Mme Cécile Untermaier et CL939 de M. Sébastien Jumel.

Mme Cécile Untermaier. À l’occasion de l’examen de ce projet de loi constitutionnelle, nous nous sommes arrêtés à des articles dont l’actualité pouvait faire question.

Depuis longtemps, beaucoup considèrent que l’article 16 de la Constitution comme dangereux ou inutile, car lorsqu’il est en mesure d’être soutenu et déterminé, le chef de l’État n’a pas besoin d’y recourir, et lorsqu’il n’est ni déterminé ni soutenu, il ne peut se satisfaire de cet article pour conduire son action.

Dans la mesure où la loi sur l’état d’urgence a été précisée, et puisque nous ne voulons pas d’une Constitution « bavarde », ne devons-nous pas substituer aux dispositions qui n’ont plus de sens celles qui sont plus actuelles – ce qui pourrait être le cas de l’état d’urgence ?

M. Sébastien Jumel. Chacun a présent à l’esprit les circonstances historiques qui ont présidé à la rédaction de l’article 16 ainsi que les réactions du Comité consultatif constitutionnel, notamment l’inquiétude de Guy Mollet. Plus récemment, M. François Bayrou, Mme Ségolène Royal et de nombreux candidats à l’élection présidentielle ont considéré cet article caduc. Cela fait sourire le rapporteur, mais M. François Bayrou fait souvent preuve d’un avis éclairé…

Le Conseil d’État ne peut pas contrôler l’application de l’article 16. Depuis la réforme de 2008, le Conseil constitutionnel peut le faire, mais seulement au terme de trente jours d’exercice des pouvoirs exceptionnels. Or en trente jours, bien des choses peuvent se produire. En supprimant cet article, nous adresserions un signe de modernité ; nous n’avons pas prévu de revivre juin 1940 demain ni après-demain.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Je salue à nouveau les remarquables références de M. Jumel : hier M. Hervé Morin, aujourd’hui M. François Bayrou…

Ce débat a le mérite de nous faire relire l’article 16, ce que nous ne faisons pas régulièrement, parce qu’il n’a pas été utilisé depuis la guerre d’Algérie. C’est dire si les Présidents de la République successifs n’en ont pas abusé et s’il n’a été que peu utilisé.

Je vous rappelle ce que dit le début de cet article : « Lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont menacées d’une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président de la République prend les mesures exigées par ces circonstances ». Ensuite, il est prévu qu’au terme de trente jours d’exercice des pouvoirs exceptionnels, le Conseil constitutionnel puisse être saisi par le Parlement aux fins de vérifier si les conditions de recours aux pouvoirs exceptionnels sont toujours réunies. Cette disposition est donc très encadrée par la Constitution.

Ce n’est pourtant pas parce que des outils n’ont jamais été utilisés qu’il ne faut pas les conserver. On peut toujours espérer que les conditions ne soient pas réunies, mais il me semble qu’il est préférable de conserver cet article par précaution, puisque nous ignorons ce que peut être l’avenir. Car la Constitution permet d’éviter que nous soyons confrontés à des situations que nous ne maîtriserions pas, or les événements justifiant le recours aux pouvoirs exceptionnels sont bien ceux que vise l’article 16.

Pour ces raisons, je suis défavorable à l’adoption de ces amendements.

Mme Cécile Untermaier. De votre analyse, monsieur le rapporteur, je retiens le principe de précaution, auquel je suis moi-même favorable.

M. Sébastien Jumel. Pour ma part, je retire de votre analyse que vous êtes en désaccord avec M. François Bayrou. (Sourires.)

M. Marc Fesneau, rapporteur. J’avais bien compris que tel était le sens principal de votre intervention !

M. Sébastien Jumel. Je retiens aussi de votre analyse que, lorsqu’un article ne sert à rien, il importe de le conserver au cas où un jour il servirait à quelque chose. Et je retiens encore que le principe de précaution n’est pas entériné, car, dans les mains d’un ennemi de la République, cet article 16 serait de nature à porter préjudice aux pouvoirs institutionnels que nous représentons.

Aussi, conformément à ce que souhaitaient Guy Mollet, François Mitterrand et beaucoup d’autres, je maintiens cette demande de suppression de l’article 16.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Monsieur Jumel, vous êtes trop fin politique pour ne pas caricaturer les propos. Je n’ai pas dit qu’il fallait conserver cet article parce qu’il ne servait à rien, j’observais simplement – et vous devriez vous en féliciter pour des raisons historiques et de paix européenne – qu’il n’avait été utilisé qu’une seule fois. Ceci n’empêche pas qu’il puisse malheureusement avoir vocation à l’être à nouveau.

M. Vincent Bru. Je rappelle qu’un avis public du Conseil constitutionnel est prévu. Je n’imagine pas, avec la place de cette institution aujourd’hui, qu’un Président de la République défierait un avis négatif considérant que les conditions ne sont pas réunies. Ce serait très grave pour la démocratie.

M. Sébastien Jumel. Le Conseil constitutionnel ne peut se prononcer qu’au terme de trente jours !

M. Vincent Bru. Pas du tout ! Le premier alinéa de l’article 16 le dit : « après consultation officielle du Premier ministre, des présidents des assemblées ainsi que du Conseil constitutionnel. »

M. Paul Molac. Mon parcours professionnel m’a conduit à faire des études d’histoire qui m’ont appris à être particulièrement méfiant vis-à-vis de ce genre d’article.

Je rappelle que bien des dictatures ont accédé au pouvoir par des moyens tout à fait légaux, et que des attentats pourraient conduire à certaines dérives, à faire monter la pression médiatique. Un garde-fou pourrait consister en ce que le Parlement se prononce par un vote, car aujourd’hui rien de tel n’est prévu. L’article 16 prévoit certes la consultation de certaines personnalités, mais celle du Parlement lui-même n’est pas prévue, ce qui est selon moi très regrettable.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Je ne vais pas en redonner lecture, mais l’article 16 est un des plus longs de la Constitution, ce qui montre à quel point le constituant a pris soin de l’encadrer.

Pour répondre à M. Molac, je rappellerai que le premier alinéa de cet article pose comme conditions : « Lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont menacées d’une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu. » Ces circonstances exceptionnelles et graves ne correspondent pas aux cas que notre collègue a mentionnés.

M. Christophe Euzet. Cet article a été inséré dans la Constitution de 1958 afin d’éviter la réitération de la débâcle de 1940. On ne peut pas demander au Parlement de décider la mise en œuvre de l’article 16 dans une période à laquelle il n’est plus en mesure de siéger !

Cette disposition a été retenue afin de ne jamais servir, sauf en cas de force majeure. Par ailleurs, si un dictateur en puissance devait un jour se présenter, il n’aurait que faire des conditions posées par l’article 16.

La Commission rejette ces amendements.

Elle en vient à l’examen de l’amendement CL1028 de M. Jean-Luc Warsmann.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Cet amendement de forme réclame d’être étudié plus avant ; à ce stade mon avis est défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle se saisit ensuite de l’amendement CL929 de M. André Chassaigne.

M. Sébastien Jumel. Cet amendement est de repli par rapport à celui qui proposait la suppression de l’article 16. Je rassure le rapporteur : lorsque j’amende un article, c’est que j’en ai auparavant pris connaissance !

M. Marc Fesneau, rapporteur. Vous avez une certaine propension à me faire dire ce que je n’ai pas dit…

M. Sébastien Jumel. Dans sa rédaction actuelle, l’article 16 dispose qu’« après trente jours d’exercice des pouvoirs exceptionnels, le Conseil constitutionnel peut être saisi […] aux fins d’examiner si les conditions […] sont toujours réunies », qu’« il se prononce dans les délais les plus brefs par un avis public » et qu’« il procède de plein droit à cet examen et se prononce dans les mêmes conditions au terme de soixante jours d’exercice ».

Notre amendement vise à rendre cette saisine possible à tout moment par le président de l’Assemblée nationale, le président du Sénat, quarante députés, quarante sénateurs ou un groupe parlementaire. L’article 16 ne serait ainsi pas supprimé, mais la procédure serait encadrée démocratiquement.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Avis défavorable pour les raisons déjà exposées.

La Commission rejette l’amendement.

[Article 17 de la Constitution]

La Commission examine les amendements identiques CL322 de M. Paul Molac, CL679 de M. Jean-Louis Masson, CL1009 de M. Sébastien Jumel et CL1073 de M. Michel Castellani.

M. Paul Molac. Cet amendement propose la suppression du droit de grâce présidentielle, survivance de l’Ancien Régime. Cette disposition paraît d’autant moins nécessaire que la peine de mort a heureusement été supprimée dans notre pays depuis 1981, ce dont MM. Badinter et Mitterrand doivent être remerciés.

La grâce présidentielle relève du fait du prince. Elle suscite une pression indésirable sur le Président de la République, particulièrement pour les affaires dont les médias se sont fait l’écho. Ce dernier facteur peut causer une rupture de l’égalité entre les citoyens, car plus un cas est médiatisé, plus il est susceptible de recueillir la grâce présidentielle. C’est ainsi que Mme Sauvage a été graciée, mais que d’autres femmes battues qui se sont débarrassées de leur mari indélicat restent incarcérées.

De surcroît, cet article 17 va à l’encontre du principe de séparation des pouvoirs en empiétant sur le domaine de la justice, car il s’agit d’une décision unilatérale du Président de la République.

En outre, certaines mesures de grâce se sont révélées délicates, comme ce fut le cas de Paul Touvier, gracié par Georges Pompidou, ou de Jean-Charles Marchiani, condamné pour trafic d’influence dans une affaire de commissions occultes et gracié par Nicolas Sarkozy.

Il serait donc bon pour notre démocratie de supprimer ce droit de grâce.

M. Jean-Louis Masson. Réfléchir à une loi constitutionnelle ne dispense pas d’un toilettage des pouvoirs présidentiels ; c’est pourquoi, comme notre collègue, je propose la suppression de l’article 17 de la Constitution.

Cette disposition constitue un vestige de l’ancien monde, pour ne pas dire de l’Ancien Régime. Alors que la peine de mort était encore en vigueur, elle pouvait avoir du sens. Mais les choses ont changé.

De plus, le renforcement des garanties résultant de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), qui par le passé n’existait pas, les voies d’appel et de cassation ainsi que l’émergence de nouvelles générations de magistrats soucieux des droits de la défense et du procès équitable, réduisent considérablement les erreurs judiciaires. Ces éléments contribuent à rendre le droit de grâce anachronique.

Enfin, comment un seul homme, fût-il Président de la République, pourrait-il avoir un avis de nature juridique supérieur à celui d’un collège de magistrats et de jurys populaires ? Pour ma part, je ne le crois pas : il me semble que cet article 17 est devenu obsolète et qu’il conviendrait de l’abroger.

M. Sébastien Jumel. Pouvoir de droit divin, pouvoir exorbitant, atteinte au principe de la séparation des pouvoirs… Nous sommes ici pour rétablir le lien de confiance entre nos concitoyens et la puissance publique. Les deux précédents chefs de l’État s’étaient engagés à supprimer le droit de grâce.

J’ai ici un tableau récapitulatif qui montre à quel point cette mesure a été utilisée de façon erratique : plus de 2 061 mesures de grâce en 1973, contre 94 en 2008, et un peu moins encore depuis. Nous voulons une République modernisée, une République qui réaffirme son attachement au principe de séparation des pouvoirs, ce que certaines dispositions permettront, je pense au Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Nous pouvons aller dans ce sens en supprimant le droit de grâce.

M. Michel Castellani. Sous de précédentes législatures, l’Assemblée nationale a déjà débattu de l’abrogation de l’article 17, car le droit de grâce appartient aux vestiges de l’époque de la monarchie. Cette disposition, pour des raisons de morale et de conviction, pouvait encore se comprendre lorsque la peine de mort était en vigueur, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Il ne semble donc plus légitime que le Président de la République puisse venir interférer dans les décisions de justice.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Je partage votre avis, monsieur Jumel : il nous faut une République modernisée, une République humaine, et je considère que le droit de grâce tel qu’il s’exerce aujourd’hui permet cette humanité.

Depuis 2008, il n’existe plus de grâces collectives. Vous venez de rappeler les chiffres : cette année-là, 94 mesures individuelles ont été prononcées, et l’usage de ce droit est désormais très circonscrit.

Pour autant, il ne s’agit pas du fait du prince, car les dossiers sont examinés par le bureau des grâces de la Chancellerie. Ils sont instruits, et lorsqu’une mesure de clémence se justifie, ils sont présentés au Président de la République. Nous avons besoin de cette souplesse qui permet de pallier l’impossibilité à laquelle les juridictions peuvent être confrontées de mettre en œuvre des mesures de libération conditionnelle notamment.

Je rappelle que le droit de grâce n’efface pas la condamnation, qui continue à produire ses effets. Le président Emmanuel Macron en a récemment fait usage au bénéfice d’une personne condamnée à la réclusion perpétuelle, dont la place était manifestement plus dans un hôpital psychiatrique que dans une maison centrale.

Je pense que nous devons conserver ce dispositif de souplesse et d’humanité, qui, de façon extrêmement parcimonieuse, permet de régler des situations individuelles très difficiles.

Enfin, l’abolition de la peine de mort ne justifie pas la suppression de ce droit de grâce, car la condamnation à perpétuité, par exemple, ne constitue pas une peine anodine dont on pourrait considérer qu’elle n’est pas assez grave pour ne pas justifier ce droit.

Pour ces raisons, je suis défavorable à ces amendements.

M. Sébastien Jumel. Il ne m’a pas échappé que le droit de grâce n’est pas une amnistie. Je n’ai toutefois pas le sentiment qu’une décision prise par un collège de magistrats au nom du peuple français est nécessairement dénuée d’humanité – sauf à considérer que les sentiments humains soient réservés au Président de la République, ce qui m’aurait échappé…

D’ailleurs, je proposerai plus loin un amendement allant dans le sens de vos propos, madame la rapporteure. Il s’agit, pour la réparation d’une erreur judiciaire ou d’un manque d’humanité dans la mise en œuvre de la sanction, de permettre au Président de la République d’user du droit de grâce après avis du Conseil supérieur de la magistrature.

Il serait surprenant que cet amendement de repli ne fasse pas consensus, car le droit de grâce serait alors préservé, mais encadré par la neutralité, l’autorité et l’expertise du Conseil supérieur de la magistrature.

M. Paul-André Colombani. Je veux abonder dans le sens de mes collègues. Alors que la peine de mort a été abolie, qu’il peut être fait appel des décisions de justice, et que la Cour européenne des droits de l’homme existe, il est choquant qu’un Président de la République puisse contredire deux décisions de jury populaire. La séparation des pouvoirs n’est pas respectée.

M. Jean-Louis Masson. Madame la rapporteure, malgré le respect que j’ai pour vous, je ne puis accepter l’argument selon lequel une forme d’humanité serait le propre du Président de la République. Aujourd’hui, même si le code pénal s’applique, les juges font preuve de toute l’humanité possible lorsqu’ils rendent un verdict, et ne se prononcent pas sans recourir à certaines expertises. Ils ne sont pas des machines qui appliqueraient la loi pénale de manière absurde et rigide, et ce n’est pas vous, qui avez été avocate, qui démentirez mon propos. Vous ne pouvez jeter ainsi le discrédit sur les magistrats !

Mme Caroline Fiat. Comme l’ont dit mes collègues, il faut prendre garde à la séparation des pouvoirs. Tout comme M. Jumel, je considère que le droit de grâce, c’est le fait du prince. Donner à une personne le pouvoir d’en juger une autre contrevient complètement à la séparation des pouvoirs. Il convient plutôt de doter la justice de meilleurs moyens, du budget nécessaire pour qu’elle puisse travailler dans de bonnes conditions. Le Président de la République n’a pas à décider qui doit aller en hôpital psychiatrique et qui doit aller en prison, les juges savent très bien le faire !

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Je veux préciser un point, cher collègue Masson. Je ne jette absolument pas le discrédit sur les magistrats. Chaque fois qu’ils ont à traiter un dossier, ils l’examinent attentivement et avec la plus grande humanité, je n’en doute pas. Cependant, le droit de grâce intervient à un tout autre moment de la chronologie : dix, quinze ou vingt ans après la condamnation. Ce n’est pas la même logique, ni la même temporalité.

Mme Laurence Vichnievsky, présidente. Je ne puis donner la parole à notre collègue Gosselin : il a été décidé qu’il y aurait une seule prise de parole par groupe.

M. Philippe Gosselin. Il peut arriver, madame la présidente, qu’on défende un amendement sans être l’orateur du groupe.

Mme Laurence Vichnievsky, présidente. Nous examinons une série d’amendements identiques, et celui de votre groupe a été défendu.

M. Philippe Gosselin. Ce n’est pas la même chose.

Mme Laurence Vichnievsky, présidente. Il s’agit de la règle arrêtée hier.

La Commission rejette les amendements.

Puis elle aborde les amendements identiques CL46 de M. M’Jid El Guerrab et CL1010 de M. André Chassaigne.

M. M’Jid El Guerrab. Le Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions, dit « comité Balladur », avait, en 2007, qualifié le droit de grâce d’anomalie de notre Constitution. Non encadré, c’est le vestige d’une époque très éloignée. Certes, en vertu de l’article 19 de la Constitution, un contreseing ministériel est nécessaire pour un tel acte de justice retenue, mais la solidarité politique qui lie habituellement le Gouvernement au chef de l’État a pour conséquence de neutraliser cette obligation.

Un premier pas a été franchi en 2008 lorsque le constituant a décidé que ce droit s’exercerait désormais à titre individuel, mais il paraît nécessaire d’aller plus loin en soumettant la grâce à un avis consultatif du Conseil supérieur de la magistrature. Le chef de l’État conservera donc une certaine marge d’appréciation mais la publicité d’un tel avis empêcherait toute dérive.

Par coordination, il conviendrait par la suite de compléter la loi organique déterminant les conditions d’application de l’article 65 de la Constitution, relatif au Conseil supérieur de la magistrature.

M. Sébastien Jumel. Du temps où la peine de mort était en vigueur, le Conseil supérieur de la magistrature était consulté lorsqu’un condamné sollicitait une grâce. Sans retirer le droit de grâce au Président de la République, il paraît nécessaire de soumettre son exercice à l’avis du Conseil supérieur de la magistrature – car c’est tout de même un droit quelque peu exorbitant. Tel est l’objet de l’amendement CL1010.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Je suis défavorable à ces amendements. Le Conseil supérieur de la magistrature ne dispose pas de compétences particulières qui lui permettent de formuler un avis sur un dossier judiciaire.

M. Sébastien Jumel. Le Conseil supérieur de la magistrature appréciera !

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. C’est un organe administratif qui a vocation à procéder aux nominations et à exercer un pouvoir disciplinaire sur le corps des magistrats judiciaires, pas à apprécier des dossiers particuliers.

M. Guillaume Larrivé. Je souscris aux propos de M. Jumel. De 1958 à 1993, la possibilité que ces amendements identiques ont pour objet de rouvrir était offerte au Conseil supérieur de la magistrature par une loi organique prise en application de l’article 65 de la Constitution, sans que l’avis rendu lie le chef de l’État.

J’ai donc plutôt envie de voter en faveur de ces amendements, même si j’ai bien compris qu’ils ne portent pas sur le cœur de la révision constitutionnelle qui nous est proposée. Le président Giscard d’Estaing explique d’ailleurs dans ses mémoires qu’il exerçait le droit de grâce en s’appuyant sur l’avis du Conseil supérieur de la magistrature – éventuellement pour s’en écarter, mais c’était un élément d’appréciation.

Votant pour une fois un amendement communiste, j’aurai fait la preuve de mon ouverture d’esprit. (Sourires.)

M. M’Jid El Guerrab. Je ne suis malheureusement pas communiste…

M. François Ruffin. Cela peut s’arranger ! (Sourires.)

M. M’Jid El Guerrab. … mais mon amendement est identique à celui qu’a défendu M. Jumel. Je peux retirer le mien pour vous permettre de voter précisément un amendement communiste, cher collègue Larrivé, mais c’est en raison des arguments avancés par Mme la rapporteure que je le retire.

L’amendement CL46 est retiré.

La Commission rejette l’amendement CL1010.

Elle se saisit ensuite de l’amendement CL588 de M. Charles de Courson.

M. Philippe Dunoyer. Il s’agit de circonscrire un peu plus le champ dans lequel peut s’exercer ce droit totalement exorbitant. Certes, l’administration du ministère de la justice et la direction des affaires criminelles et des grâces prennent part à son exercice, mais il conviendrait de l’encadrer encore un peu mieux. Nous proposons donc qu’il ne puisse être exercé qu’à la suite de condamnations pour crime, étant entendu qu’un certain nombre de crimes sont déjà exclus par la coutume de son champ – les actes terroristes, les attaques contre les forces de l’ordre, les crimes racistes…

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Je suis défavorable à votre amendement. Pourquoi contraventions et délits devraient-ils être exclus du champ du droit de grâce ? Pourquoi le réserver aux crimes ? Cela me paraît assez incohérent. Cette soupape du droit de grâce qui permet de manifester une certaine humanité doit pouvoir fonctionner pour toute infraction.

La Commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CL680 de M. Jean-Louis Masson.

M. Jean-Louis Masson. La question du droit de grâce transcende largement, nous le constatons, les appartenances politiques, et je m’en réjouis. Je suis satisfait de partager le point de vue de M. Jumel – il me semble que cela prouve que la majorité devrait s’interroger également. Et je voudrais saluer des personnalités éminentes pour lesquelles j’ai un grand respect, tels MM. Balladur et Sarkozy, qui s’interrogeaient également sur le droit de grâce.

L’amendement CL680 est un amendement de repli. Il s’agit d’exclure de son champ les périodes de sûreté et les crimes et délits relevant du terrorisme ou d’atteintes à la sûreté de l’État.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Si le Président de la République a le droit de grâce, ce n’est pas uniquement pour les excès de vitesse ! S’il lui appartient – c’est l’esprit du constituant de 1958 – de l’exercer avec intelligence et parcimonie, il faut, pour ce faire, que ce droit soit général et absolu.

En l’occurrence, si une situation politique s’est apaisée des décennies après une condamnation, si une grâce est justifiée de ce fait, pourquoi la Constitution l’interdirait-elle ? Dois-je vous rappeler que le général de Gaulle avait gracié les auteurs de l’attentat du Petit-Clamart, à l’exception notable de leur chef Bastien-Thiry ? Il y a une dimension politique, une dimension de réconciliation nationale à l’exercice du droit de grâce, qui doit donc rester d’une portée générale et absolue.

M. Fabien Di Filippo. C’est précisément le mot que vous venez de prononcer, monsieur le rapporteur général, qui peut poser problème dans le droit de grâce.

Pourquoi certains justiciables, condamnés dans certaines affaires, pourraient-ils, pour des raisons politiques, être graciés, tandis que le justiciable ordinaire resterait jusqu’au terme de sa peine soumis à la volonté de la justice, comme il est tout à fait normal qu’il le soit ? Pour des raisons d’équité, tout le monde doit être soumis aux mêmes lois. Il ne saurait y avoir de grâce ni de justice politiques. C’est ce caractère politique du droit de grâce qui rend si problématique, y compris pour des membres de la majorité, l’article 17 de la Constitution.

M. Sébastien Jumel. Le droit de grâce fut parfois exercé pour permettre, y compris, quelquefois, dans les outre-mer, à des concitoyens d’échapper à l’inéligibilité et de se présenter à des élections malgré leur condamnation. On voit bien là sa nature très politique.

M. Michel Castellani. Les propos que vient de tenir M. Ferrand sur la réconciliation m’évoquent la situation en Corse. Vous le savez, l’opinion publique y attend majoritairement que l’on solde les comptes du passé. Il n’y a plus d’attentat en Corse depuis plusieurs années, nous sommes revenus à une paix civile totale, et c’est une très bonne chose – nous avons travaillé pour y parvenir. Peut-être serait-il utile que nous réfléchissions tous ensemble à une procédure d’amnistie qui permette de solder totalement les comptes du passé sur le plan judiciaire. C’est une question pendante.

La Commission rejette l’amendement.

[Article 18 de la Constitution]

La Commission examine l’amendement CL629 de M. François Ruffin.

M. François Ruffin. Cet amendement part d’un double postulat.

Premièrement, l’Assemblée n’est pas seulement la fabrique la loi. C’est aussi un lieu politique, un lieu de la représentation des conflits, des idéaux, des espoirs et des colères qui traversent la société. Il s’agit de faire en sorte que cela aussi soit représenté. Aujourd’hui, par exemple, le temps des questions d’actualité au Gouvernement est un exercice politique, détaché du travail législatif.

Deuxièmement, la séparation des pouvoirs est aujourd’hui une fiction. Nous allons défendre un certain nombre d’amendements pour distendre le lien entre l’exécutif et le législatif mais, pour l’instant, la confusion est quasiment totale entre les deux. Le véritable du chef du Gouvernement se trouve à l’Élysée.

Lucien Goldmann expliquait dans une étude qu’il y avait, chez Racine, un « Dieu caché », un Dieu qui n’était jamais évoqué mais qui, en fait, régnait sur la totalité des pièces de Racine et décidait de ce qu’il s’y passait. Il ne faudrait pas que le Président de la République soit aujourd’hui le Dieu caché de la politique, c’est-à-dire qu’il décide de tout ce qu’il peut se passer à l’Assemblée nationale et dans la vie politique française sans descendre lui-même dans l’arène pour expliquer ses choix.

Par cet amendement, je propose que le Président de la République, puisqu’il est le véritable chef du Gouvernement, se présente devant la représentation nationale pour répondre aux questions qui lui seraient donc directement posées.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Par cet amendement, vous proposez que le Président de la République vienne devant les assemblées mais, dans un instant, nous examinerons un amendement de M. Jumel visant à ce qu’il ne vienne plus s’exprimer devant le Congrès ! L’un voudrait le Président bavard, l’autre le voudrait muet. Soit, examinons dans l’ordre ces propositions.

En l’occurrence, nous en sommes à l’amendement CL629. C’est simple, monsieur Ruffin : sous la Ve République, le Président de la République n’est pas responsable devant les assemblées ; il ne l’est que devant le peuple français. Je suis donc défavorable à cet amendement.

M. François Ruffin. Je ne vois pas de contradiction entre cet amendement et celui que présentera M. Jumel.

Ce qui se passe au Congrès, c’est que le Président de la République vient parler sans qu’il y ait d’échange ; il n’y a pas d’interpellation et il n’est pas un homme parmi les hommes, un représentant parmi les représentants. Il « flotte » au-dessus. Il vient, il intervient, il repart. C’est un exercice quasi monarchique, alors que nous souhaitons dialoguer – c’est ainsi que nous voulons faire de la politique – avec un homme parmi les hommes.

Quant à votre deuxième argument, en fait votre seul argument, il est tautologique. Sous la Ve République, le Président de la République est responsable devant le peuple, mais non devant les représentants de la nation, dites-vous, mais nous sommes précisément réunis pour nous demander ce qu’il faut écrire dans la Constitution ! Nous cherchons à sortir de cette tautologie, nous proposons autre chose. Sinon, à la limite, vous pouvez nous répondre à peu près chaque fois que nous défendons un amendement que, sous la Ve République, c’est comme ça que ça fonctionne. Si nous cherchons précisément à modifier le fonctionnement de cette Ve République, ce contre-argument n’est pas recevable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite, en discussion commune, l’amendement CL940 de M. Sébastien Jumel et les amendements identiques CL323 de M. Paul Molac, CL819 de M. Jean-Christophe Lagarde, CL930 de M. André Chassaigne et CL1074 de M. Michel Castellani.

M. Sébastien Jumel. Le rapporteur général a rappelé que le Président de la République n’était responsable que devant le peuple, mais c’est précisément la raison pour laquelle, si l’on tient à la séparation des pouvoirs, il n’a pas à venir bavarder devant le Congrès sans engager sa responsabilité – et j’assume tout à fait que cette approche soit différente de celle défendue par mon camarade Ruffin, même si je suis souvent d’accord avec lui. C’est la raison pour laquelle nous avons proposé, de manière cohérente, que le Premier ministre préside le Conseil des ministres. De même, nous avons proposé que le Président de la République soit élu non plus au suffrage universel direct, mais par le Parlement.

M. Philippe Gosselin. C’est le retour à l’inauguration des chrysanthèmes !

M. Sébastien Jumel. Non, ce n’est pas le retour à l’inauguration des chrysanthèmes. Et j’ai dit à plusieurs reprises que le respect que j’avais pour le Premier ministre, y compris pour le titulaire actuel de la fonction, me conduisait à ne pas souhaiter que l’on résume son rôle à celui d’un collaborateur.

Lorsque le Président de la République réunit le Congrès à Versailles la veille du jour où le Premier ministre engage sa responsabilité devant l’Assemblée nationale, je considère qu’il affaiblit, affadit, méprise le Premier ministre. Lorsqu’il réunit, comme il le fera lundi prochain, le Congrès à Versailles, alors que nous examinons une réforme de la Constitution visant, en gros, à discipliner la majorité, je considère qu’il affaiblit non seulement le Premier ministre et le Gouvernement, mais aussi le Parlement.

Je suis donc cohérent en proposant cet amendement qui vise à ne pas permettre au Président de la République de venir s’exprimer devant le Congrès sans engager sa responsabilité.

M. Paul Molac. Depuis 1875, le Président de la République n’a plus le droit de se présenter devant les assemblées. Si la révision constitutionnelle de 2008 lui a ouvert ce droit devant le Congrès à Versailles, les débats consécutifs à cette allocution doivent se tenir hors la présence du Président de la République. Je propose pour ma part qu’ils se tiennent en sa présence. S’il peut s’exprimer sans que les parlementaires puissent lui répondre, ce dispositif ne fait qu’offrir un temps supplémentaire à la communication du Président de la République. La parole et l’image présidentielles prennent pourtant déjà une place importante…

Par ailleurs, dès lors que le débat n’est pas suivi d’un vote, la légitimité du Président de la République n’est pas remise en cause. L’exercice reste distinct des questions d’actualité au Gouvernement. Ce n’est donc pas affaiblir le Président de la République que de donner un droit de réponse aux parlementaires, c’est rééquilibrer les pouvoirs.

M. Philippe Dunoyer. Ce qui ferait l’intérêt de ces réunions, qui ont vocation à devenir plus fréquentes, c’est qu’elles soient non plus un moment d’expression unilatérale, mais un échange bilatéral. L’expression présidentielle est importante, mais l’expression parlementaire l’est tout autant. C’est pourquoi nous proposons, par cet amendement CL819, de supprimer les mots « hors sa présence ».

M. Sébastien Jumel. L’amendement CL930 est un amendement de repli. Si l’amendement CL940 par lequel nous proposons de supprimer la possibilité offerte au Président de la République de s’exprimer devant le Congrès est rejeté, autant que le Président de la République puisse entendre nos réponses et que ce moment ne soit pas le moment d’expression unilatérale d’un discours descendant, voire condescendant, de ce Dieu qui n’est pas le moins du monde caché.

Et puis cela conduira les députés à venir. L’an dernier, notre groupe avait boycotté le Congrès. Cette fois-ci, nous irons, en prêtant serment devant la salle du Jeu de paume avant de nous rendre en séance, afin de réaffirmer notre attachement aux fondamentaux de la République. Il serait bon que le Président de la République puisse entendre ce que nous avons à dire, d’autant que le risque d’une extrême solitude est grand pour n’importe quel exécutif
– celui-ci comme d’autres. Au bout du compte, le Président de la République risque d’être enfermé dans une cage de verre qui le prive de sa faculté d’entendre le peuple. En ce moment, il est en colère, voyez les sondages et le titre du Monde, selon lequel le Président de la République agace ceux qu’il irritait et désespère ceux qu’il avait enchantés. C’est dire s’il y a du chemin pour retrouver la confiance ! Peut-être serait-ce plus facile si nous lui permettions d’entendre ce que nous avons à dire.

M. Michel Castellani. L’adresse du Président de la République au Parlement peut déjà apparaître comme une entorse au principe de séparation des pouvoirs, puisque le législateur n’a pas la possibilité de lui répondre en sa présence. Cela manifeste indiscutablement un déséquilibre en faveur du pouvoir exécutif. Supprimant les mots « hors sa présence », l’amendement CL1074 vise à instaurer un réel débat entre le Parlement et le Président. On comprend aussi l’intérêt que pourrait éventuellement revêtir un tel dialogue entre le législatif et le chef de l’exécutif. Ce n’est pas, dans notre esprit, rabaisser le Président de la République même si, de fait, cela rehausserait le rôle du Parlement.

On peut se demander, en revanche, quel est l’intérêt d’un discours présidentiel devant un Parlement muet. S’il s’agit simplement de prononcer un discours, vu les moyens techniques dont nous disposons – radio, télévision et tout le reste –, le Président de la République peut s’adresser directement à la nation plutôt qu’à un Parlement spectateur.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Comme nous, le constituant de 2008 a travaillé pour longtemps. Il n’a pas travaillé pour que l’on vienne, dix ans plus tard, mettre à bas son œuvre – ou alors une Constitution n’est guère plus qu’une loi… Le constituant de 2008 a réfléchi en profondeur – reportez-vous aux travaux accomplis alors que la majorité n’était pas tout à fait identique à la majorité actuelle – et souhaité que le Président de la République puisse venir délivrer un message et s’adresser aux parlementaires pour faire part de ses orientations futures ou pour répondre à une grave crise nationale. Il revient ensuite au Gouvernement, lui responsable devant le Parlement, de donner un tour concret aux orientations exposées par le Président de la République.

Certains collègues, qui témoignent ainsi de leur sollicitude, disent qu’il faut que le Président de la République puisse entendre ce que nous avons à lui dire, mais je pense qu’il dispose des moyens technologiques de prendre connaissance de nos propos. Selon l’esprit de l’article 18 de la Constitution, il s’agit cependant de faire en sorte que le Président de la République ne puisse être pris à partie ni interpellé directement – ce serait remettre en cause le fait qu’il n’est pas responsable devant le Parlement. Le choix du constituant de 2008 est cohérent et pertinent : le Président de la République peut délivrer un message, se faire entendre, et, ensuite, en présence du Gouvernement, responsable devant le Parlement, les groupes parlementaires s’expriment. Ces modalités sont conformes à la logique même de nos institutions.

J’entends bien l’objection de M. Castellani : pourquoi le Président de la République ne s’exprime-t-il pas plutôt directement à la télévision ? Je crois que cette expression présidentielle devant le Congrès est un moment important pour les citoyens. Il n’est pas si fréquent que la parole présidentielle s’adresse aux représentants de la nation, et, au fond, je suis sûr que si nous décidions que le Président de la République ne doit plus jamais s’exprimer devant le Congrès, il s’en trouverait ici pour y voir une énième marque d’un mépris témoigné aux représentants de la nation.

Encore une fois, si elle donne un certain charme à nos débats, la réversibilité des arguments invalide ceux-ci les uns après les autres,…

M. Sébastien Jumel. Cela vaut aussi pour les vôtres !

M. Richard Ferrand, rapporteur général. … je suis donc défavorable à tous ces amendements.

M. Philippe Gosselin. Pour votre information, chers collègues, le 8 juillet sera la « journée du Roi » à Versailles – vous pouvez vérifier. Le lendemain, ce sera la journée du Président – à moins que ces deux réalités n’en fassent qu’une.

En tout cas, ces amendements visent à donner un peu plus de naturel à un échange très formalisé, pour ne pas dire ritualisé. Nous pourrions transformer une adresse en un temps un peu plus interactif. Le constituant de 2008 a effectivement voulu graver dans le marbre de la Constitution un cérémonial très particulier avec une prise de parole singulière, rare, réservée aux grandes occasions. Sans remettre en cause la responsabilité du Gouvernement devant le Parlement, sans mettre en cause celle du Président de la République, il me semble qu’il serait intéressant d’apporter un léger complément à la réforme de 2008 en permettant un réel échange avec le chef de l’État.

M. Christophe Euzet. Je vous en prie, cher collègue Jumel, nous ne révisons pas la Constitution en fonction des résultats des sondages, soyons un peu responsables !

Pour des raisons tenant à la séparation des pouvoirs, que vous avez très justement évoquée, le Président de la République ne se rend ni à l’Assemblée nationale ni au Sénat depuis la IIIe République. Assouplissant cette règle, le constituant de 2008 lui a permis de s’exprimer devant les deux assemblées réunies en Congrès. Cette légère modernisation de notre République n’a jamais visé à rompre avec la logique fondamentale de la Ve République. Il ne s’agit pas de faire descendre le Président de la République dans l’arène du Parlement. Son intervention revêt un caractère solennel.

M. François Ruffin. Monsieur le rapporteur général, nous aussi avons les moyens technologiques de suivre l’adresse du président de la République sans y être présents ! Et il me semble que le roi, lui, restait aux États généraux. Si on appelle « modernisation de la République » le fait que le roi descende quelques heures prononcer son adresse et reparte, il me semble qu’on est complètement à côté du sujet !

Ce que je présentais aurait finalement dû être présenté comme un amendement de repli. Oui, ce que je souhaite, c’est distendre au maximum, sinon couper, le cordon entre l’Élysée et l’Assemblée nationale, entre l’exécutif et le supposé pouvoir législatif – parce que l’essentiel du pouvoir législatif est en fait entre les mains du Président de la République. À défaut, je souhaite que le Président descende dans l’arène comme un véritable chef du Gouvernement.

M. Sébastien Jumel. Je vous rassure, cher collègue Euzet. Évidemment, les propositions que je formule ne sont pas liées aux mauvais sondages du Président de la République. Mais, pour parler aussi sérieusement que j’essaie toujours de le faire, ce qui guette le Président de la République, à toutes les époques, ce sont les phénomènes de cour. La parole présidentielle est si sacrée qu’on nous la répète maintes fois à l’Assemblée nationale depuis que nous y siégeons, comme s’il s’agissait de tables de la Loi ou d’une Bible présidentielle. Ce qui guette n’importe quel exécutif, c’est l’isolement, c’est d’être coupé du monde, c’est d’être déconnecté des réalités. Peut-être est-ce ainsi que l’on est conduit à augmenter la contribution sociale généralisée, à revenir deux fois sur l’augmentation des aides personnalisées au logement – la deuxième fois alors même que l’on a admis que, la première fois, c’était une erreur. Je vous propose de reconnecter le Président de la République en lui permettant de nous entendre.

La Commission rejette l’amendement CL940.

Puis elle rejette les amendements identiques CL323, CL819, CL930 et CL1074.

Elle en vient à l’amendement CL51 de M. M’Jid El Guerrab.

M. M’Jid El Guerrab. Je voudrais voir inscrit dans l’article 18 de la Constitution que le Président de la République peut être entendu à sa demande par une commission permanente ou spéciale, ainsi que par une commission d’enquête parlementaire. Le chef de l’État pouvant s’exprimer devant les chambres réunies en Congrès depuis 2008, cela ne contrevient pas à l’esprit de la Constitution, et cela aurait été utile, par exemple dans le cadre de l’enquête parlementaire relative aux attentats du mois de novembre 2015. Une telle évolution peut répondre aux nécessités politiques comme l’observait le Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions. Il ne s’agit pas de remettre en cause la séparation des pouvoirs, à laquelle leur communication ou leur coopération ne contrevient pas. De plus, il sera peut-être moins coûteux que le Président, s’il en ressent le besoin ou si la situation politique le nécessite, s’exprime devant une commission plutôt que devant le Congrès une ou deux fois par an.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Il serait paradoxal de renforcer brutalement les pouvoirs du Président de la République en lui permettant de s’inviter à sa convenance devant une commission parlementaire. Cela ne me paraît pas conforme à l’esprit de nos débats.

Par ailleurs, c’est le Gouvernement qui est responsable devant les assemblées, non le Président de la République ; celui-ci y est, d’une certaine manière, interdit de séjour, et il est sans doute bon que cela reste ainsi.

Je suis donc défavorable à cet amendement.

L’amendement est retiré.

[Article 20 de la Constitution]

La Commission examine l’amendement CL1433 de M. Paul-André Colombani.

M. Paul-André Colombani. Cet amendement vise à mettre à jour l’article 20 de la Constitution pour améliorer la gouvernance des collectivités locales. Il serait notamment précisé que le Gouvernement détermine et conduit la politique de l’État, et non celle de la nation, afin de distinguer, au sein de la nation, l’État et les collectivités. Cela permettrait de mieux affirmer la libre administration des collectivités. La solidarité collégiale du Gouvernement serait aussi affirmée par la prestation d’un serment.

La nouvelle rédaction préciserait aussi que le Gouvernement ne dispose que des administrations de l’État, c’est-à-dire des administrations dépendant des ministres, et non de l’administration territoriale.

Le Gouvernement devrait aussi, obligatoirement, obtenir la confiance de l’Assemblée nationale dans les dix jours qui suivent sa formation. Cette investiture obligatoire marquerait le fait que la légitimité du Gouvernement ne peut procéder de la seule nomination par le Président de la République et qu’il doit obligatoirement être adoubé par le pouvoir législatif – actuellement, la déclaration de politique générale n’est que facultative.

M. Marc Fesneau, rapporteur. L’amendement supprimerait le terme de nation, que vous semblez juger désuet – jugement que je ne partage pas.

Il préciserait aussi que les administrations dont dispose le gouvernement sur les administrations d’État, et non la fonction publique territoriale. Avec la décentralisation, cela tombe sous le sens ; il est donc inutile de le préciser.

Enfin, il est proposé que les ministres prêtent serment dans les mains du Président. Une telle pratique, qui a effectivement cours ailleurs, y compris dans des pays voisins, a mauvaise presse en France depuis la Seconde Guerre mondiale. Je propose que les ministres se bornent à respecter la loi, comme tout citoyen, et qu’ils ne prêtent allégeance à personne.

La Commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CL44 de M. M’Jid El Guerrab.

M. M’Jid El Guerrab. Il s’agit de donner une définition plus exacte du rôle du Gouvernement, en écho à la proposition faite à propos de l’article 5 de la Constitution et de la mission du Président de la République. Je reprends là une recommandation du Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions.

Cet amendement vise à clarifier la lettre de l’article 20 de la Constitution en fonction de la pratique observée depuis 1958.

M. Marc Fesneau, rapporteur. C’est un amendement de conséquence d’un amendement que nous n’avons pas adopté. Par cohérence, j’y suis défavorable.

L’amendement est retiré.

La Commission en vient à l’amendement CL188 de M. M’Jid El Guerrab.

M. M’Jid El Guerrab. Il s’agit de renforcer l’égalité entre les femmes et les hommes dans la Constitution. C’est une préconisation du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes.

L’objectif est de reconnaître le principe de la budgétisation sensible au genre, c’est-à-dire l’intégration de la dimension de genre dans la procédure budgétaire, avec une évaluation des budgets fondée sur le genre à tous les niveaux de la procédure et en restructurant les recettes et les dépenses de manière à promouvoir l’égalité. C’est un moyen d’impliquer toutes les administrations et d’utiliser plus efficacement les ressources publiques.

Dans cet esprit, l’article 13 de la Constitution autrichienne, par exemple, dispose que la fédération, les Länder et les communes doivent viser l’égalité des femmes et des hommes dans leur gestion budgétaire. En d’autres termes, cette option est techniquement réalisable.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Quoique vous ayant attentivement écouté, je ne vois pas ce que peut être la parité dans la gestion budgétaire, sinon un surcroît de complexité. Et si cela figure dans la Constitution autrichienne, l’article 1er de la nôtre résume d’une phrase plus sobre votre objectif : « La loi favorise l’égal accès des hommes et des femmes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales. » Toutes les lois doivent respecter ce principe, y compris les lois de finances.

Je suis donc défavorable à votre amendement, cher collègue.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CL837 de Mme Marietta Karamanli.

Mme Marietta Karamanli. Cet amendement est en cohérence avec celui présenté hier concernant l’investiture du Premier ministre par l’Assemblée nationale, au scrutin public et à la majorité absolue des députés.

M. Marc Fesneau, rapporteur. L’avis est le même sur l’investiture du Premier ministre comme du Gouvernement : défavorable.

La Commission rejette cet amendement.

[Après l’article 20 de la Constitution]

La Commission étudie l’amendement CL486 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier. Il s’agit d’un amendement qui tient à cœur non seulement aux députés du groupe Nouvelle Gauche, mais aussi aux membres du groupe de travail qui se penche depuis un an sur la démocratie numérique et les nouvelles formes de participation citoyenne.

Nous avons voté le non-cumul des mandats pour 2017. Nous avons adopté une réforme extrêmement claire et lisible, avec des choix qui n’étaient pas forcément faciles, notamment par rapport aux petites collectivités, mais nous ne regrettons rien. On nous a opposé le risque du « mandat hors sol ». Mais le non-cumul des mandats a pour objet de libérer le parlementaire d’une attache à une collectivité, source de conflits d’intérêts, et de lui permettre de travailler dans sa circonscription de manière totalement différente : avec les élus, les acteurs locaux, économiques et sociaux, mais aussi les citoyens, le peuple. Car nous sommes les représentants du peuple, et nous considérons que c’est quelque chose qu’il faut rappeler dans la Constitution, en indiquant que le parlementaire doit établir ce lien et favoriser l’expression citoyenne. Ce n’est pas une mesure cosmétique.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Nous partageons avec Mme Untermaier les objectifs de déontologie. Le point sur lequel nous divergeons, c’est que, selon nous, il ne s’agit pas d’une norme de rang constitutionnel. C’est l’occasion de saluer la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, qui s’applique déjà aux ministres et à leurs cabinets. Le législateur est libre d’étendre leurs obligations sans que le constituant n’ait à intervenir. Avis défavorable.

Mme Cécile Untermaier. Je m’attendais à cet avis et je le comprends, mais je ne le partage pas car il y a un impensé juridique total dans la Constitution sur la fonction du député dans sa circonscription. C’est certes un représentant national, mais élu dans une circonscription. La Constitution devrait se préoccuper de cette question.

La Commission rejette l’amendement.

[Article 21 de la Constitution]

La Commission se saisit de l’amendement CL1435 de M. Paul-André Colombani.

M. Paul-André Colombani. Cet amendement vise à préciser que les prérogatives du Premier ministre s’exercent dans le cadre de l’État, sans remettre en cause la libre administration des collectivités, dont certaines adoptent d’ores et déjà des actes à valeur législatives qui doivent donc être appliqués par les exécutifs locaux et non par le Premier ministre, d’où la nécessité de préciser que ses prérogatives sont nationales et non territoriales.

Cet amendement précise aussi que les exécutifs locaux ont bien un pouvoir réglementaire pour l’exercice des compétences de leur collectivité, et que le Premier ministre peut, sous certaines conditions, en habiliter certaines par décret – c’est ce qui est envisagé pour la Corse – à exercer un pouvoir réglementaire.

La présidence du Conseil des ministres serait en outre confiée au Premier ministre afin de renforcer son rôle en politique intérieure et mieux souligner ainsi la prépondérance du Président de la République pour la politique extérieure.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Avis défavorable, pour les mêmes raisons que celles exposées à l’encontre de votre amendement de réécriture de l’article 20. J’ai déjà expliqué, aussi, pourquoi il revenait au Président de la République et non au Premier ministre de présider le Conseil des ministres.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL842 de Mme Marietta Karamanli.

Mme Marietta Karamanli. Il s’agit du pendant de l’amendement présenté hier soir sur la nomination du Premier ministre par le Président de la République. Il est demandé par cohérence que le Premier ministre préside le Conseil des ministres et puisse déléguer ce droit au Président de la République pour un ordre du jour déterminé.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l’amendement.

Mme Laurence Vichnievsky, présidente. Mes chers collègues, nous avons consacré à cet instant seize heures et trente minutes à l’examen des amendements, et nous abordons seulement l’article 1er.

Article 1er
(art. 23 de la Constitution)
Incompatibilité des fonctions de membre du Gouvernement avec l’exercice de fonctions exécutives locales

La Commission est saisie de l’amendement CL1436 de M. Paul-André Colombani.

M. Paul-André Colombani. Cet amendement vise à tenir compte des évolutions de la construction européenne. Il s’agit d’une précision sur les incompatibilités de la fonction de membre du Gouvernement avec celle de parlementaire. Il est ainsi spécifié que les mandats parlementaires s’entendent des mandats parlementaires nationaux et européens.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. L’article 1er du projet de loi vise à réformer le régime des incompatibilités des membres du Gouvernement et à l’aligner sur celui qui existe pour les parlementaires. Par ailleurs, l’incompatibilité avec le mandat de parlementaire européen est déjà prévue par l’article 6 de la décision du Conseil des communautés du 20 septembre 1976. Je souhaite donc le retrait de l’amendement.

L’amendement est retiré.

La Commission adopte successivement les amendements rédactionnels CL1501 et CL1502 des rapporteurs (amendements  329 et 330).

Par conséquent l’amendement CL1172 tombe.

Puis elle examine l’amendement CL669 de M. Jean-Louis Masson.

M. Jean-Louis Masson. Le débat sur le non-cumul des mandats ne sera jamais vraiment clos entre ceux qui considèrent que le cumul doit être proscrit et ceux qui pensent qu’il doit être maintenu même s’il doit avoir des limites. Je crois que c’est M. Jumel qui a dit qu’il fallait prendre garde à ne pas vivre en vase clos. Parmi les présidents de la République qui ont marqué notre histoire récente, Valéry Giscard d’Estaing était très attaché à Chamalières, François Mitterrand à Château-Chinon, Jacques Chirac à la Corrèze. C’était, de mon point de vue, un atout, car cela permettait au Président de la République de ne pas être isolé dans l’Élysée et de rencontrer de temps en temps des Français ne vivant pas sous les ors de la République. C’est pourquoi je propose une exception au non-cumul pour les collectivités de moins de 10 000 habitants.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Nous ne souhaitons pas couper les ministres de leurs territoires et nous ne leur interdirons pas l’exercice de tous mandats locaux : nous voulons simplement qu’ils ne puissent cumuler avec des fonctions exécutives locales, car nous considérons que celles-ci, tout comme les fonctions ministérielles, méritent plus qu’un temps partiel. Avis défavorable.

Mme Cécile Untermaier. Je suis d’accord avec l’analyse de Mme la rapporteure, et c’est dans l’esprit de ce que nous avons fait précédemment. Il est essentiel qu’il ne puisse y avoir conflit d’intérêts : un ministre ne doit pas diriger en même temps un exécutif local !

M. Fabien Di Filippo. Il y a aujourd’hui des membres du Gouvernement qui cumulent avec des exécutifs locaux, notamment le ministre des comptes publics. Le métier de ministre serait-il donc à temps partiel et celui de député à temps plein ? La réalité, c’est que, dans de petites communes, il s’agit d’un engagement bénévole que l’on peut remplir sur son temps libre et qui permet de garder le contact avec une réalité difficile, celle de nos collectivités locales. Il serait bon qu’un certain nombre d’entre nous puissent siéger non pas en tant que simples conseillers municipaux, coupés des responsabilités des réunions de bureau, mais au sein d’un exécutif local, notamment dans les petites communes. Cela ne remettrait pas en cause notre travail parlementaire : au contraire, cela le renforcerait par une prise directe avec les responsabilités au plus près de nos concitoyens.

M. Vincent Bru. Les maires de petites communes, je puis en parler puisque je l’ai été, sont extrêmement accaparés. Ils jouent parfois à eux seuls le rôle de direction générale des services. Dans les petites communes rurales, on voit des maires qui passent leur temps et leur vie au service de leurs concitoyens.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Le régime applicable aux parlementaires prévoit une incompatibilité pour l’ensemble des exécutifs locaux. Le Conseil d’État suggère que le régime des incompatibilités des membres du Gouvernement qui sera défini par la loi organique soit, dans toute la mesure du possible, identique à celui des parlementaires. Nous en reparlerons le moment venu.

M. Sébastien Jumel. Je ne souhaite pas rouvrir le débat sur le cumul, qui est tranché, mais il y a une réalité dont je veux faire part, et la « triangulation » dont a fait preuve le mouvement En Marche renforce ma conviction sur ce point. Certains ministres qui étaient députés, et dont les suppléants sont devenus députés quand ils sont devenus ministres – sans tourner casaque, c’est-à-dire sans changer de groupe –, reprennent, le week-end, la place de leurs suppléants. Vous en connaissez. On a donc des ministres qui sont tous les week-ends en circonscription, au mépris de leurs suppléants qui, bien que devenus titulaires, sont en réalité de faux titulaires.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’article 1er modifié.

La séance, suspendue à seize heures quarante-cinq, est reprise à dix-sept heures quinze.

Mme Laurence Vichnievsky. Mes chers collègues, au rythme actuel, il nous faudrait encore cinquante-cinq heures de débat en commission ; avec l’ouverture de séances vendredi et lundi, nous n’en aurons que vingt-sept… Ce sont là de froides statistiques, mais tout dépendra du rythme que nous adopterons dans les jours qui viennent.

Après l’article 1er

[Article 24 de la Constitution]

La Commission examine, en discussion commune, l’amendement CL941 de M. Sébastien Jumel et les deux amendements identiques CL650 de M. Christophe Euzet et CL1324 de Mme Isabelle Florennes.

M. Sébastien Jumel. J’ai expliqué lors de la discussion générale que notre objectif était de renforcer concrètement les pouvoirs du Parlement. C’est le sens de mon amendement 941, qui propose de réécrire le premier alinéa de l’article 24 de la Constitution de la façon suivante : « Le Parlement conduit la politique économique et sociale du pays. Il décide de la politique budgétaire. Il vote la loi. » Vous mesurez ainsi notre volonté de renforcer les pouvoirs budgétaires du Parlement – et notamment de ne plus nous voir opposer l’article 40 en toute occasion.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. En affirmant que le Parlement conduit la politique économique et sociale du pays, votre amendement est en contradiction avec l’article 20 de la Constitution, selon lequel le Gouvernement définit et conduit la politique de la Nation. Avis défavorable.

M. Christophe Euzet. Mon amendement CL650 se veut de témoignage après un an de députation et met en exergue le caractère très restrictif de l’article 24 de la Constitution, qui dispose que « le Parlement vote la loi ». Au bout d’un an, j’ai pu constater que nous faisions bien plus que cela, en travaillant en amont dans le cadre des missions d’information et commissions d’enquête, et avec notre travail d’amendement. Il me semble plus conforme à la réalité de dire que le Parlement « contribue à l’élaboration de la loi et la vote ».

Mme Isabelle Florennes. Notre amendement CL1324 a le même objet. Pour le Mouvement Démocrate, la rédaction « le Parlement participe à l’élaboration de la loi et la vote » correspond bien plus à l’esprit du travail parlementaire depuis un certain nombre d’années. Nous ne sommes pas une simple chambre d’enregistrement. Il ne s’agit pas pour autant de dire que nous coécrivons la loi : nous participons à un travail de débat et d’enrichissement des textes par le biais des amendements. Nous reviendrons plus loin sur le droit d’amendement.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Ces trois amendements, qui disposent que le Parlement contribue à l’élaboration de la loi, semblent redondants avec l’article 24 de la Constitution, en vertu duquel le Parlement vote la loi. Sans être un très fin observateur, je pense que le nombre, qui n’est pas décroissant, des amendements déposés à l’occasion de chaque examen des textes qui nous sont soumis prouve à l’évidence le Parlement contribue largement à l’élaboration et à la rédaction de la loi avant de la voter. Avis défavorable.

M. Christophe Euzet. Dès lors qu’il est pris acte du fait que nous faisons plus que voter la loi, la réponse me satisfait.

L’amendement CL650 est retiré.

Mme Isabelle Florennes. Je ne retire pas notre amendement : je maintiens que le terme « élaborer » est plus précis.

M. Sébastien Jumel. Je ne peux croire que M. Ferrand ne soit pas un fin observateur… Il sait fort bien ce qui se passe : si les députés étaient associés en amont de manière plurielle à l’élaboration de la loi, cela permettrait peut-être que nos amendements soient intégrés au moment du projet et qu’il y en ait moins in fine. Et la pratique gouvernementale de recours successifs aux ordonnances, au vote bloqué, à des amendements arrivant en plein milieu du débat sans avoir pu être correctement examinés au préalable par les parlementaires, atteste que l’élaboration de la loi a été très égratignée.

M. Paul Molac. Autant j’étais opposé au précédent amendement de M. Jumel, parce que j’estime qu’il ne revient pas au Parlement de mener des politiques sociales et économiques mais bien au Gouvernement, autant je suis d’accord avec lui pour dire que c’est au législateur qu’il appartient d’élaborer et même de faire la loi, alors que nous savons que ce n’est pas le cas aujourd’hui. À entendre certaines paroles de ministres, j’ai cru comprendre que c’est tout juste si nous avions le droit d’avoir notre mot à dire sur l’élaboration de la loi ; on nous reproche notamment de déposer trop d’amendements. Or c’est notre rôle en tant que législateur ; ou alors, on estime qu’il n’y a plus de pouvoir législatif et que l’exécutif fait tout. Ce serait la confusion des pouvoirs.

M. François Ruffin. Je note que l’amendement de M. Jumel est plus incitatif tandis que les autres restent purement indicatifs : dire que « le Parlement participe à l’élaboration de la loi et la vote » est à peu près exact, même si je pense que notre participation n’est pas majeure dans l’élaboration de la loi…

Vous avez, madame la présidente, annoncé à la reprise de la séance le nombre d’amendements restant en discussion et le temps que cette discussion prendrait. C’est le cœur du sujet : si nous allons peut-être devoir venir ce week-end défendre des amendements, c’est parce que le mode d’organisation du Parlement n’est pas arrêté par le Parlement mais par l’Élysée, c’est là qu’il a été décidé que ce texte passerait en séance publique la semaine du 9 juillet et qu’il fallait donc en terminer en commission au plus vite. Nous sommes au cœur du sujet de la réforme constitutionnelle quand on voit comment se passe cette réforme constitutionnelle elle-même.

Mme Laurence Vichnievsky, présidente. Monsieur Ruffin, j’essaye d’indiquer régulièrement l’état d’avancement de nos travaux. C’est simplement factuel, afin que chacun sache ce qu’il en est.

M. François Ruffin. Je ne vous mettais pas en cause, madame la présidente.

La Commission rejette successivement ces amendements.

Elle examine ensuite l’amendement CL490 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Marietta Karamanli. Nous souhaitons compléter l’alinéa 3 de l’article 24 de la Constitution qui indique que les députés, dont le nombre ne peut excéder 577, sont élus au suffrage direct, par la phrase : « Chacun de ses membres favorise la participation des citoyens à la vie publique. » Ce rôle du parlementaire en tant qu’animateur et intermédiaire avec les citoyens n’est pas suffisamment défini dans la Constitution. Il mériterait d’être précisé.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Je suis attachée à la participation citoyenne mais je ne crois pas utile d’apporter cette précision : rencontrer les citoyens et d’être à leur écoute fait évidemment partie, sinon de notre ADN, en tout cas de notre fonction de parlementaires. D’autant que je proposerai qu’une institution soit spécifiquement dédiée à la participation citoyenne, qui sera le CESE ou futur Forum de la République. Avis défavorable.

Mme Cécile Untermaier. Je n’ai pas envie qu’on me réponde « CESE » à chaque fois que l’on parle de participation citoyenne. D’une part, nous n’avons pas le texte concernant le CESE. D’autre part, nous sommes des députés élus au suffrage universel et nous devons nous soucier des citoyens : ils nous le reprocheront si nous ne le faisons pas. J’espère qu’ils nous entendent et déplorent qu’on leur dise d’aller voir à gauche ou à droite, où on aura installé un placard dans lequel ils pourront déposer leurs arguments. Je peux tout imaginer, puisque je n’ai pas le texte. Le député doit-il représenter les citoyens ? Je pense que oui.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Je crois que vous ne m’avez pas écoutée, car j’ai dit justement l’inverse !

M. Sébastien Jumel. Mme la rapporteure s’énerve un peu… J’ai envie de la croire lorsqu’elle se dit attachée à la démocratie participative, mais rien ne l’atteste dans le texte, et les amendements que nous avons proposés soit pour l’ériger au rang constitutionnel soit pour lui donner du contenu ont tous été balayés. Il faudrait que vous traduisiez dans le texte votre attachement à la démocratie participative, et pas seulement dans un CESE qui ne sera au bout du compte qu’un think tank à peine amélioré.

M. Pierre-Henri Dumont. Je ne vois pas bien le lien entre cet amendement et le CESE, mais je suis quoi qu’il en soit très opposé à ce type d’amendement. J’ai créé dans ma circonscription un conseil citoyen pour inclure les personnes qui désirent travailler aux côtés du député, toutes tendances confondues, mais on ne peut pas forcer un élu à le faire : c’est lui qui est maître de la façon dont il veut représenter la population. Je ne vois pas non plus comment inscrire dans la loi fondamentale une telle contingence qui reste d’ordre technique et matériel. Nous savons déjà, du reste, en tenant des permanences, en faisant des sondages, en publiant sur les réseaux sociaux, comment connaître le sentiment des citoyens sans qu’il soit besoin de passer par la Constitution.

M. François Ruffin. Je soutiendrai tout ce qui rendra le parlementaire le moins technocrate possible, et cet amendement va précisément dans ce sens. Il souligne la nécessité pour le député d’être un animateur de la démocratie. Ce n’est pas une fonction directement législative et je ne veux pas que l’on réduise le parlementaire au seul rôle de faire la loi et de l’amender, au demeurant largement fictif, la loi étant faite depuis l’Élysée. Le député a une véritable fonction d’animateur démocratique. Il ne s’agit pas dans cet amendement de lui demander d’organiser un conseil citoyen dans son quartier ; c’est une déclaration de principe rappelant qu’il lui revient une autre mission que celle de faire la loi et qui est de favoriser la participation des citoyens à la vie publique : pour certains, cela supposera de créer par des conseils citoyens, et peut-être pour d’autres, d’organiser des manifestations.

Mme Cécile Untermaier. Ce n’est pas du tout quelque chose d’impératif, mais l’absence dans une Constitution de toute mention de l’activité locale du député est choquante. Le député est élu au suffrage universel, mais rien n’y est dit de ce qu’on attend de nous dans nos circonscriptions ou ailleurs – il m’arrive de travailler sur d’autres territoires. Au moment où nous allons tous être grandement fragilisés, il est de notre intérêt d’identifier le député en tant que porte-parole des citoyens.

M. Philippe Gosselin. Et ceux qui seront élus dans le cadre de la proportionnelle nationale ?

Mme Laurence Vichnievsky, présidente. Nous débordons largement le cadre de cet amendement.

La Commission rejette cet amendement.

Puis la Commission est saisie de l’amendement CL206 de Mme Valérie Petit.

Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe. Cet amendement touche à la mission d’évaluation et de contrôle du Parlement. Le fait de remplacer le pronom « il » par « le Parlement » contribue à souligner que le Parlement a besoin de moyens pour assurer cette mission.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Votre amendement prévoit en fait une sorte de droit de tirage du Parlement sur les expertises relevant de l’administration afin de mieux contrôler l’action du Gouvernement : cela me paraît soulever des difficultés quant au principe de séparation des pouvoirs et aboutit de surcroît à faire paradoxalement dépendre le Parlement de l’administration dans sa mission de contrôle. Avis défavorable.

La Commission rejette cet amendement.

Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements CL90 de M. Jean-François Eliaou et CL472 de Mme Pires Beaune.

Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe. Toujours en ce qui concerne la mission d’évaluation et de contrôle du Parlement, l’amendement CL90 propose d’introduire à l’alinéa 2 de l’article 24 de la Constitution la possibilité pour le Parlement de bénéficier d’une agence parlementaire de l’évaluation. C’était une des volontés exprimées par le Président de la République de mieux asseoir cette mission importante du Parlement en lui permettant de se doter d’un outil approprié.

Mme Christine Pires Beaune. Mon amendement CL472 tend également à doter le Parlement d’un office parlementaire d’évaluation des politiques publiques. La discussion tombe bien puisque, deux étages plus haut, se tient aujourd’hui même la journée de l’évaluation, à l’initiative de Jean-Noël Barrot et de Jean-François Eliaou, qui n’est pas ici présent pour cette raison. Les discussions que nous avons eues au sein de la commission des Finances convergent sur le fait que le Parlement n’a pas aujourd’hui les moyens de réaliser des études d’impact sur ses propres amendements. Cet amendement ne contrevient pas à la séparation des pouvoirs puisqu’il vise à doter le Parlement d’une agence indépendante, quel que soit le nom qu’on lui donne.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Ces amendements tendent à doter le Parlement d’un organisme d’évaluation chargé de l’assister dans ses missions d’évaluation et de contrôle. Tout le monde souhaite un renforcement des moyens du Parlement dans ce domaine. Toutefois, le nouvel organisme que vous appelez de vos vœux aurait davantage sa place dans l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires. Au demeurant, l’inscrire dans la Constitution risquerait de freiner sa mise en œuvre si le Sénat n’était pas intéressé par la création d’un tel organe – hypothèse d’autant plus probable qu’il a mis au point ses propres méthodes d’évaluation.

M. Sébastien Jumel. C’est un sujet dont vous n’avez pas encore parlé…

M. Richard Ferrand, rapporteur général. À cet égard, je rappelle que le Parlement a déjà été doté, il y a vingt-deux ans, par la loi du 14 juin 1996, d’un office parlementaire d’évaluation des politiques publiques, qui a été supprimé en 2001 après que l’on a eu constaté l’arrêt de son fonctionnement. Par ailleurs, l’actuel comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques pourrait se voir confier de nouvelles fonctions sans qu’il soit besoin de créer un organe supplémentaire. Sans oublier le Printemps de l’évaluation, lancé à l’initiative de certains parlementaires, dont vous venez de parler.

Par conséquent, les outils juridiques existent, un organe est déjà en place – le comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques – et des budgets peuvent, si le bureau de l’Assemblée nationale le décide, être consacrés à des évaluations réalisées par des organismes indépendants, notamment universitaires. Il serait donc superfétatoire d’inscrire la disposition que vous proposez dans la Constitution, puisque les assemblées parlementaires sont libres de créer les organes qu’elles souhaitent. Inutile d’aller surcharger la norme suprême de facultés qui existent déjà.

M. Fabien Di Filippo. Je suis sidéré par ces amendements et, bien au-delà, par la philosophie qui les sous-tend. Outre le fait qu’elle n’a sans doute pas sa place dans la Constitution, une telle disposition s’inscrit en effet dans une logique qui consiste à substituer des fonctionnaires à des parlementaires, dont on s’apprête par ailleurs à réduire le nombre d’un tiers. De fait, rien ne nous empêche, actuellement, de contrôler sur pièces et sur place…

M. Erwan Balanant. Pas sur pièces !

M. Fabien Di Filippo.… et de disposer de tous les rapports possibles et imaginables. Si nous créions une agence d’évaluation, elle serait composée de fonctionnaires qui rédigeraient des rapports sur la base de rapports déjà existants et des données qu’on voudra bien leur communiquer. La démocratie y serait perdante, au profit de la technocratie. Nous le dénonçons avec force !

M. Cédric Villani. En premier lieu, cher collègue Di Filippo, moins nous serons de parlementaires, plus nous aurons besoin d’experts à notre disposition pour prendre des décisions en toute connaissance de cause.

M. Pierre-Henri Dumont. C’est bien ce que nous disons !

M. Cédric Villani. En second lieu, monsieur le rapporteur général, il n’est pas exact que l’Assemblée est parfaitement libre en matière d’évaluation. En effet, en 2009, le Conseil constitutionnel a censuré, au nom du principe de la séparation des pouvoirs, une résolution tendant à modifier notre règlement pour donner au rapporteur du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques la possibilité de bénéficier du concours d’experts placés sous la responsabilité du Gouvernement. Ce qui prouve que, sans une accroche constitutionnelle, nous ne pourrons faire ce que nous souhaitons en matière d’évaluation.

M. Sébastien Jumel. Premièrement, reconnaissons entre nous que le Printemps de l’évaluation, c’est du pipeau – ou de la poudre de perlimpinpin.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Arrêtez avec ces propos méprisants !

M. Sébastien Jumel. C’est mon opinion, et j’ai la possibilité de l’exprimer ici sans être jugé.

Deuxièmement, certains offices parlementaires d’évaluation ont montré leur efficacité : ainsi l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques a su convaincre, en son temps, le ministre Claude Allègre de renoncer à l’implantation d’un synchrotron en Angleterre et de favoriser la recherche publique. En tout état de cause, il est nécessaire, si nous ne voulons pas que la mission de contrôle échoie aux technocrates, de doter le Parlement de son propre outil d’évaluation et de l’inscrire au niveau constitutionnel. Par ailleurs, je ne crois pas que le renforcement des pouvoirs de contrôle du Parlement aille forcément de pair avec la diminution du nombre de ses membres, à laquelle nous sommes opposés.

M. Marc Fesneau, rapporteur. La question n’est pas celle du nombre des parlementaires, monsieur Di Filippo, mais de savoir si les assemblées parlementaires peuvent se doter de moyens qui leur permettent de mieux remplir leurs missions d’évaluation et de contrôle. Certains outils existent, M. Jumel a raison. Mais sans doute faut-il les renforcer. Il semble en tout cas que ce soit nécessaire, comme en témoigne la réflexion menée par les groupes de travail de l’Assemblée.

Cela étant, y a-t-il besoin d’une accroche constitutionnelle ? Sur ce point, je partage plutôt le sentiment de notre rapporteur général : en l’état actuel des choses, rien ne nous interdit de créer un nouvel outil. Maintenant, doit-il être commun au Sénat et à l’Assemblée, comme le prévoit l’amendement CL472, ou doit-il être propre à l’Assemblée nationale, comme cela est proposé dans l’amendement CL90 ? Enfin se pose la question de l’accès réel aux données. Tels sont les trois éléments qui doivent guider notre réflexion d’ici à la séance publique.

Mme Christine Pires Beaune. L’amendement CL412 n’a en effet aucun lien avec la question de la réduction du nombre des parlementaires. Par ailleurs, l’évaluation à laquelle je pense doit également s’exercer ex ante : elle devrait porter notamment sur nos propres amendements. Je puis, du reste, vous assurer, pour en avoir fait l’expérience sous la précédente législature, qu’une telle évaluation est nécessaire : sans l’aide d’un cabinet extérieur, jamais nous n’aurions pu prouver que nous avions raison – je pense à un amendement très précis. Le besoin est donc réel.

Quant à l’accroche constitutionnelle, elle me paraît nécessaire, notamment pour garantir l’indépendance de cet office. Enfin, nous proposons que cet outil soit commun aux deux chambres, par simple souci d’économie ; mais s’il devait être rattaché à la seule Assemblée nationale, je n’y verrais aucun inconvénient.

En tout cas, l’argument de M. Villani me conforte dans l’idée qu’il est nécessaire d’inscrire cet organisme indépendant, au même titre que d’autres, dans la Constitution.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Personne, ici, ne doute que le Parlement a besoin d’autres sources que celles de l’administration de l’État pour évaluer les textes qui lui sont soumis – les raisons en sont évidentes. Ainsi, Mme Pires Beaune l’a dit, elle a eu besoin du concours d’un cabinet indépendant pour mesurer l’impact d’une de ses propositions. Toutefois, il est loisible aux bureaux des assemblées d’affecter une somme au financement de travaux d’évaluation des propositions des parlementaires ou de ses travaux de contrôle : c’est du reste dans cette voie que le Sénat s’est engagé. L’important pour les parlementaires n’est donc pas tant de créer un organisme ou une agence supplémentaire que d’avoir les moyens de faire appel à un cabinet ou à un laboratoire indépendant, voire à une université ou que sais-je encore : ce n’est pas à la Constitution de dire quelle forme doit prendre la volonté des assemblées de se doter d’outils d’évaluation.

En somme, je souscris entièrement à l’objectif politique que vous défendez, mais faisons déjà ce que nous avons le droit de faire pour peu que les bureaux des assemblées en décident, plutôt que d’adopter une disposition d’ordre constitutionnel qui sera de toute façon sans lendemain si nous ne nous saisissons pas de la question à l’échelle opérationnelle pertinente, celle des bureaux des assemblées.

Mme Marietta Karamanli. Les propos que vous venez de tenir, monsieur le rapporteur général, montrent que nous partageons la même analyse : il est nécessaire que le Parlement dispose d’outils indépendants qui permettent à chacun de ses membres, et pas uniquement aux groupes, de travailler correctement. Or, nous ne disposons actuellement que d’un budget d’à peine 100 000 euros, ce qui est loin d’être suffisant, et les fonctionnaires sont très peu nombreux. Si nous ne sacralisons pas, en quelque sorte, ces outils au plan budgétaire en les inscrivant dans la Constitution, comment pouvons-nous être sûrs qu’ils seront à la hauteur de nos besoins ?

M. Sacha Houlié. Je suis d’accord avec M. Di Filippo : c’est bien le politique qui doit gouverner et, pour cela, il doit être éclairé par rapport à la technocratie. C’est la raison pour laquelle la création d’un nouvel organe dans la Constitution ne suffit pas. Il serait intéressant de renvoyer cette question à une loi organique relative aux institutions chargées du contrôle au sein du Parlement – c’est du reste l’objet d’un amendement que nous défendrons après l’article 9. En effet, comme l’a dit le rapporteur général, dans ce domaine, l’Assemblée nationale ne travaille pas forcément de la même manière que le Sénat, qui a fait le choix de commander des études externes.

M. François Ruffin. Tout d’abord, peut-être faudrait-il s’inspirer de ce qui se fait en Allemagne où, m’a-t-on dit sur Telegram, le service de documentation et de bibliothèque est beaucoup plus fourni que dans notre assemblée.

J’ai entendu dire que la création d’un organe d’évaluation aurait pour conséquence de renforcer la technocratie au détriment du politique. Cet argument est faux dans l’absolu ; il n’est valable que si l’on fonctionne à enveloppe constante et si l’on considère que le coût de cet organe est tel qu’il nécessite que l’on réduise le nombre des parlementaires. Si, sur le principe, je suis favorable à la création d’un tel organisme, je crains que, dans la pratique, elle ne se fasse au détriment du politique.

M. Fabien Di Filippo. C’est exactement ce que nous dénonçons. Il est indiqué, dans l’exposé des motifs de cette révision constitutionnelle, qu’il convient de diminuer le nombre des parlementaires pour leur donner les moyens de remplir leurs missions, notamment de contrôle. Autrement dit, on remplace du travail d’élu par du travail de fonctionnaire. Je le répète : moins nous serons nombreux, moins nous aurons de temps à consacrer à nos circonscriptions, qui seront devenues gigantesques, et à nos tâches parlementaires. Ainsi nous ne pourrons plus exercer nous-mêmes notre mission de contrôle en faisant appel au concours d’agences indépendantes, qui produisent déjà des données en quantité très importante, et en réalisant toutes les auditions que nous voulons. De ce fait, nous dépendrons de ce qu’on voudra bien mettre à notre disposition. Voilà quel sera le résultat de cette réforme. Encore une fois, c’est la démocratie qui y perdra, au profit de la technocratie.

M. Erwan Balanant. Monsieur Di Filippo, votre position est paradoxale : vous dites que les députés auront de moins en moins de temps mais vous avez défendu, tout à l’heure, un amendement visant à supprimer le cumul des mandats…

M. Fabien Di Filippo. Non !

M. Philippe Gosselin. Ce n’est pas lui !

M. Erwan Balanant. D’accord, mais c’était un député de votre groupe.

M. Philippe Gosselin. Cet amendement a été déposé à titre individuel.

M. Erwan Balanant. En tout cas, moins de députés, cela ne signifie pas : moins de temps pour travailler.

M. Philippe Gosselin. Et comment ferez-vous pour participer à toutes les commissions ?

M. Erwan Balanant. Ce serait sympathique de me laisser finir mes propos ! Du coup, je ne sais plus où j’en suis. Moins de députés…

M. Sébastien Jumel. C’est moins de députés ! (Sourires.)

M. Erwan Balanant. Certes, mais ce n’est pas moins de temps !

M. Fabien Di Filippo. C’était vraiment très éclairant…

La Commission rejette successivement les amendements CL90 et CL472.

Elle en vient ensuite à l’examen de l’amendement CL625 de M. Éric Coquerel.

M. François Ruffin. Je tiens à m’élever contre la réduction du nombre des parlementaires. Les gens n’ont pas besoin de moins de députés, mais de plus de députés. Lors de la Révolution française, ceux-ci étaient déjà au nombre de 577, ce qui faisait quatre parlementaires pour 100 000 habitants, contre 1,5 aujourd’hui. Actuellement, la France est déjà en dessous de la moyenne européenne.

Le député est quelque part un service public de proximité. Quand les gens ont des problèmes individuels avec une administration, ils doivent pouvoir pousser sa porte. Et quand le problème prend une dimension collective, une fermeture de classes, de collèges ou d’un hôpital par exemple, le député joue un rôle d’entremetteur auprès des institutions et de l’État. Ne serait-ce que pour bien faire ce travail de proximité, être aux côtés des gens, écouter leurs doléances, s’en faire l’écho à Paris puis redescendre les informer de ce qui se passe là-haut, il faudrait que nous soyons bien plus nombreux que nous ne le sommes actuellement.

C’est pourquoi nous proposons, par cet amendement, de supprimer, à l’article 24 de la Constitution, les mots : « dont le nombre ne peut excéder cinq cent soixante-dix-sept », et d’y ajouter un alinéa précisant que « le nombre de représentants du peuple ne peut être inférieur à un parlementaire pour 50 000 habitants ».

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Compte tenu de ce ratio, quel serait le nombre des parlementaires, monsieur Ruffin ?

M. François Ruffin. Le ratio peut être discuté : vous pouvez déposer un sous-amendement, madame la rapporteure.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Ce n’était pas mon intention. Comme vous le savez, votre proposition est à rebours de la réforme globale que nous défendons. Notre avis ne peut donc qu’être défavorable.

M. Sébastien Jumel. Cet amendement a le mérite de traduire notre désapprobation et notre colère face à votre mauvais projet. Je vais vous dire comment, moi, je fonctionne.

Quand je parle de la loi « Travail », de la pénibilité, des CHSCT, j’ai en tête les ouvrières du verre de la vallée de la Bresle, qui trient 1 600 flacons à l’heure.

Quand je parle de pêche et des projets éoliens offshore, j’ai en tête le dur et difficile métier des pêcheurs de Dieppe et du Tréport et la façon dont ils sont assassinés par les politiques publiques menées depuis trente ans.

Quand je parle de la nécessité d’aménager le territoire, j’ai dans les yeux les communes rurales qui maillent mon territoire, qui en sont la sève. Je ne peux pas séparer le travail de parlementaire, qui consiste à élaborer et à amender la loi, de la réalité de mon territoire.

Votre projet a pour but de faire du Parlement une assemblée de bobos parisiens, de technocrates enfermés dans un bocal. Un moule à pensée unique !

M. Fabien Di Filippo et M. Pierre-Henri Dumont. Bravo !

M. Philippe Gosselin. Lorsque le projet du Gouvernement – je prends en compte les trois textes – aura abouti, les citoyens français seront les moins représentés d’Europe ! Sept cent neuf membres au Bundestag, soit à peu près l’équivalent de chez nous, six cent cinquante représentants à la Chambre des communes, ce qui n’est pas rien, trois cent cinquante au Congrès des députés espagnol, ce qui équivaudrait à environ 510 députés en France. Nous serons les muets du sérail !

Nos territoires seront moins représentés, avec des circonscriptions qui auront doublé de superficie. Et, en effet, nous qui, comme notre collègue Jumel et d’autres, avons le souci d’être en phase avec nos territoires, nous n’aurons plus le temps de rencontrer le syndicaliste, le pêcheur, le bénévole, ni de faire le tour des administrations préfectorales ou académiques pour défendre certains dossiers. Autant d’activités qui nourrissent notre travail au plan national. L’élu national a besoin de travailler en phase avec le terrain.

M. Sacha Houlié. Nous aurons probablement ce débat lors de l’examen des lois organique et ordinaire, mais vous m’obligez à prendre la défense du Sénat – je n’aurais jamais cru me trouver dans une telle situation… À vous entendre, les députés seraient les seuls parlementaires de France.

M. François Ruffin. Non !

M. Sacha Houlié. De fait, en retenant un ratio d’un parlementaire pour 116 000 habitants, vous faites fi du Sénat, laissant ainsi entendre que celui-ci ne représenterait pas le peuple, ce qui est contraire à la Constitution. C’est juste incohérent !

M. Sébastien Jumel. Il est vrai que certains sénateurs sont élus par douze grands électeurs…

M. Philippe Gosselin. J’ai comparé ce qui était comparable, en prenant le Bundestag, et non le Bundesrat !

M. François Ruffin. Madame la rapporteure, vous avez indiqué que notre amendement était contraire à l’orientation de votre projet, mais vous ne justifiez pas cette orientation. Vous ne dites pas un mot des raisons pour lesquelles vous choisissez de réduire le nombre des parlementaires, en particulier des députés. Par ailleurs, monsieur Houlié, les statistiques que, pour ma part, j’ai citées, intégraient bien les sénateurs.

Actuellement, des soignants en psychiatrie sont perchés sur le toit de l’hôpital psychiatrique du Havre parce qu’ils n’arrivent pas à entrer en contact avec l’Agence régionale de santé. Il serait urgent que des parlementaires se mobilisent sur cette question et aillent travailler au Havre, à Amiens ou à Rouvray pour être aux côtés de ces personnels soignants. Or, nous ne le pouvons pas, car nous n’en avons pas le temps.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle est saisie de l’amendement CL1043 de M. Vincent Bru.

M. Vincent Bru. Le projet de loi constitutionnelle, le projet de loi organique et le projet de loi ordinaire forment un tout. La réduction du nombre des parlementaires, en particulier des députés, va entraîner un redécoupage des circonscriptions, encadré par les règles fixées par le Conseil constitutionnel, qui veille notamment à ce que l’écart de population ne soit pas trop important d’une circonscription à l’autre. C’est pourquoi, afin de garantir une représentation territoriale minimale, nous proposons, par cet amendement, d’inscrire à l’article 24 de la Constitution que « chaque département, chaque collectivité à statut particulier, chaque collectivité d’outre-mer compte au moins un député et un sénateur ». C’est la moindre des choses : notre collègue Pierre Morel-À-L’huissier est déjà seul député de Lozère… En l’inscrivant dans la Constitution, nous éviterions tout risque de censure du Conseil constitutionnel.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Vous proposez de constitutionnaliser le principe selon lequel chaque département compte au moins un député et un sénateur. Une disposition analogue est prévue à l’article 6 du projet de loi organique pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace.

M. Philippe Gosselin. Cela n’a pas la même valeur !

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Chaque texte a sa cohérence juridique et sa propre valeur normative. Or cette disposition ressort clairement d’une loi organique et non de la Constitution. Avis défavorable.

M. Vincent Bru. La loi organique est automatiquement soumise au contrôle du Conseil constitutionnel. Il me paraît donc préférable, pour éviter une éventuelle censure, d’inscrire ce principe dans la Constitution. Néanmoins, j’entends votre argument.

Mme Laurence Vichnievsky, présidente. Maintenez-vous votre amendement, monsieur Bru ?

M. Vincent Bru. Je le maintiens.

M. Pierre-Henri Dumont. On touche là aux limites de votre projet de révision constitutionnelle – puisque les trois textes forment un tout. La réduction du nombre des parlementaires est avant tout une mesure populiste, qui ne se fonde sur aucune étude fiable et ne répond à aucun objectif concret. En effet, aucune économie n’est à en attendre, même si c’est ainsi que vous présentez cette mesure à nos concitoyens.

S’il est nécessaire d’inscrire dans la Constitution le principe selon lequel un département doit comprendre au moins un député et un sénateur, c’est parce que la diminution du nombre des parlementaires va se combiner avec l’introduction d’une dose de proportionnelle, et ce double « effet Kiss Cool » va créer de grandes disparités de représentation. Ainsi, un département comptant 70 000 habitants aura un député et un sénateur alors que, dans d’autres, plus peuplés, il y aura moins d’un député par tranche de 240 000 habitants. En prenant la décision populiste de réduire le nombre des parlementaires, vous vous créez des nœuds au cerveau et vous encourez en effet la censure du Conseil constitutionnel si vous n’inscrivez pas ce principe dans la Constitution, car les écarts de population seront trop importants d’une circonscription à l’autre. C’est bien là la limite de votre réforme populiste.

M. François Ruffin. Madame la rapporteure, vous nous avez dit que l’amendement précédent était contraire à votre projet, mais vous n’avez absolument pas justifié votre choix de réduire le nombre des parlementaires.

M. Sébastien Jumel. On n’insiste pas suffisamment sur le fait qu’il existe une véritable cohérence entre les trois projets de loi, au point que l’on peut s’étonner de devoir les examiner séparément.

M. Philippe Gosselin. Ce n’était pas prévu à l’origine…

M. Sébastien Jumel. Peut-être votre principale préoccupation est-elle de découper la France au scalpel en diminuant le nombre des députés. Ça, c’est poujadiste, c’est populiste, c’est démago !

M. Pierre-Henri Dumont. Exactement !

M. Sébastien Jumel. Lorsque je m’inquiète de ne plus pouvoir, demain, porter la parole des pêcheurs ou faire entrer la fierté ouvrière à l’Assemblée, on me traite de populiste. Non ! Ce qui est populiste et démago, c’est de prétendre vouloir faire des économies en diminuant le nombre des parlementaires, alors qu’on va augmenter celui des collaborateurs. C’est une démocratie technocratique et désincarnée que vous nous proposez. C’est un moule à pensée unique dont vous rêvez ! Au fond, votre seul projet est d’effacer tous ceux qui ne pensent pas comme le Président des riches, les corps intermédiaires comme les députés.

M. Fabien Di Filippo. Il a raison !

M. Philippe Dunoyer. Je souhaiterais faire entendre la voix des outre-mer. Je souscris à l’esprit de l’amendement de M. Bru. La réforme globale va en effet accentuer l’écart de population entre les circonscriptions. Prenons donc garde de ne pas pécher par excès de prudence, car une partie des électeurs risquent d’être sanctionnés. Il serait beaucoup plus simple et sécurisant que le principe soit affirmé dans la Constitution. Cela conduira la jurisprudence du Conseil constitutionnel et garantira l’élection d’au moins un sénateur et un député par territoire.

Mme Cécile Untermaier. Je suis évidemment favorable à cet amendement. Le nombre de 400 députés a été lancé, comme cela. Si l’on en était resté à 450 ou 470, vous n’auriez pas été dans l’obligation de chercher une solution pour ne pas déshabiller les départements.

M. Philippe Gosselin. Très bonne démonstration !

M. David Lorion. Lors de la présentation, ce matin, du Livre bleu des Assises de l’outre-mer, le Président de la République a décrit un « archipel France » composé de territoires continentaux et de territoires îliens. Je souhaiterais que la Constitution reflète ce nouveau regard porté sur les outre-mer, et qu’il y soit précisé que chaque territoire ultramarin, quelle que soit sa population, est représenté par au moins un député et un sénateur.

M. Sacha Houlié. Permettez à un député qui n’est diplômé d’aucune grande école et qui est élu d’un territoire rural privé de capitale régionale d’ajouter un mot. Car les faits sont têtus, comme dirait l’autre.

M. Erwan Balanant. Je serais curieux de savoir qui est l’autre…

M. François Ruffin. C’est Lénine !

M. Sacha Houlié. Il est prévu, dans les projets de loi organique et ordinaire, que chaque département aura au moins un élu et que le ratio sera d’un parlementaire pour 106 000 habitants. Aux États-Unis, que vous avez abondamment cités en exemple, on compte un parlementaire pour 608 000 habitants. (Exclamations sur divers bancs).

M. Philippe Gosselin. Vous ne pouvez pas comparer, c’est un État fédéral ! Quel argument bidon !

M. Erwan Balanant. Chers collègues, vous craignez que les circonscriptions soient trop vastes pour que vous ayez le temps de travailler et d’assurer une présence de proximité. Mais vous oubliez un détail important : l’organisation territoriale de la France, qui est parfois critiquée, se traduit par un réseau d’élus très nombreux, organisés et de très grande qualité.

M. Philippe Gosselin. Et alors ?

M. Sébastien Jumel. Cela n’a rien à voir ! Et vous supprimez des communes par ailleurs !

M. Erwan Balanant. Vous ne pouvez donc pas comparer la situation de la France à celle de l’Allemagne, de l’Italie ou des États-Unis. Monsieur Gosselin, vous savez, pour avoir été élu local, combien ceux-ci sont proches des citoyens.

M. Philippe Gosselin. Allez au fait !

Mme Laurence Vichnievsky, présidente. Merci, monsieur Balanant.

M. Erwan Balanant. J’ai été interrompu, madame la présidente !

Mme Laurence Vichnievsky, présidente. J’en ai tenu compte. Vous avez une minute pour vous exprimer : c’est la règle commune.

M. Philippe Gosselin. Il faut être plus concis !

M. Erwan Balanant. Ce n’est pas très élégant, monsieur Gosselin !

M. Vincent Bru. Je veux rappeler à notre ami Sacha Houlié que l’intérêt d’inscrire cette disposition dans la Constitution est d’éviter la censure du Conseil constitutionnel, car celui-ci contrôle systématiquement la loi organique. Mon amendement a uniquement pour objet de nous apporter une garantie supplémentaire que ce principe ne sera pas annulé.

La Commission rejette l’amendement.

Elle en vient ensuite à l’examen de l’amendement CL412 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier. Par cet amendement, nous proposons qu’aucun député ne puisse représenter plus de 150 000 habitants et que l’écart de population entre les circonscriptions ne puisse excéder 20 % – je suis persuadée que ce dispositif est à revoir et que, de toute façon, il sera rejeté. Mais nous proposons également que le nombre des députés soit fixé en fonction de l’évolution de la population, et donc qu’il augmente si celle-ci augmente, comme cela se fait notamment au Canada. Je trouve cette règle respectueuse des citoyens, qui ont besoin de leurs députés. Nous savons bien que le temps de l’élection ne suffit plus et que nous exerçons désormais notre mandat dans ce que l’on appelle une démocratie d’exercice, qui exige proximité et impartialité.

Ce n’est pas de nous que nous nous préoccupons, mais des citoyens. On doit leur garantir un nombre suffisant de députés pour qu’ils n’aient pas à faire, comme ce sera le cas, deux heures de route pour les rencontrer. Ils doivent pouvoir bénéficier de l’écoute du parlementaire, dont le rôle est tout à fait particulier – c’est un être hybride – et qui est irremplaçable, tant à l’Assemblée que dans les territoires.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Pour les mêmes motifs que ceux que nous avons évoqués tout à l’heure, avis défavorable – nous y reviendrons ultérieurement.

M. Philippe Gosselin. Par élégance, je laisse mon temps de parole à Erwan Balanant, pour qu’il puisse poursuivre son explication.

Mme Laurence Vichnievsky, présidente. Nous discutons d’un autre amendement, mon cher collègue.

M. Philippe Gosselin. Mais le sujet est le même.

M. Erwan Balanant. L’élégance, monsieur Gosselin, consiste à ne pas interrompre les autres. Peut-être est-ce dû à la fatigue de certains, mais il serait bon que nous laissions les uns et les autres s’exprimer.

M. François Ruffin. Nous discutons toujours du même sujet, et je continue de m’étonner du silence des rapporteurs sur la diminution du nombre des parlementaires. Les députés de la majorité tentent bien de justifier cette mesure en arguant que, dans certains pays, les députés sont moins nombreux qu’en France. Mais on ne nous dit rien des raisons d’une telle diminution, de l’objectif poursuivi, de la finalité politique !

On nous dit également qu’il faut tenir compte des élus locaux. Mais, pour ma part, je suis assez sensible à une spécificité du parlementaire : n’ayant aucun pouvoir propre dans sa circonscription, il a la possibilité d’interpeller relativement librement et d’incarner, même lorsqu’il appartient à la majorité, un contre-pouvoir. Il a un rôle d’alerte pour les citoyens.

M. Pierre-Henri Dumont. À l’appui des propos de M. Ruffin, je voudrais vous raconter une anecdote. La semaine dernière, j’ai participé, dans ma circonscription, à un conseil citoyen. Lorsqu’a été abordée la révision constitutionnelle, certains de mes concitoyens m’ont demandé pourquoi il fallait diminuer le nombre des parlementaires. Je n’ai pas trouvé une seule réponse concrète à leur apporter, et ce n’est pas faute d’avoir cherché. Du reste, personne, dans la salle, n’a été en mesure de répondre à cette question. Il serait donc intéressant que nous puissions savoir, au-delà de l’avantage « sondagier » escompté, en quoi le pays sera mieux administré si l’on a moins de parlementaires.

Mme Maina Sage. Je soutiens, moi aussi, ces amendements qui visent à garantir une juste représentation. Ce matin, j’ai assisté à la présentation du Livre bleu des outre-mer, dont je vous invite à prendre connaissance. Lors de cette réunion, le Président de la République a prononcé un très beau discours dans lequel il a donné une nouvelle vision de la France, une « France archipel », unique grâce à ce chapelet d’îles disséminées autour du monde qui lui donnent sa dimension mondiale et maritime. Lorsque nous réclamons une représentation forte de ces territoires, c’est aussi pour que cette dimension soit bien présente et réelle dans nos institutions.

Mme Laurence Vichnievsky. Merci, ma chère collègue.

Mme Maina Sage. Madame la présidente, permettez-moi de vous dire que je n’approuve pas la règle qui limite notre temps de parole à une minute.

M. Sébastien Jumel. Je suis content de voir émerger, y compris dans les rangs de la majorité, l’idée que cette règle est insupportable. J’ai donc eu raison avant l’heure.

Si nous ne vous lâchons pas, madame, messieurs les rapporteurs, sur la question de la diminution du nombre des parlementaires, ce n’est pas parce que nous sommes attachés à notre siège comme à un privilège, c’est parce que nous estimons que c’est une véritable saignée sur la démocratie. Partout, dans le monde, la République renonce, recule. Cette mesure s’inscrit dans un schéma global : après avoir transformé les régions en Länder et obligé les communes à se marier dans des intercommunalités technocratiques, on veut à présent éloigner les députés des territoires. Tout cela, c’est une machine à fabriquer le rejet de la démocratie et de la République et à favoriser les vagues brunes. Et vous en êtes responsables. C’est pour cela que nous sommes en colère.

J’existais avant d’être député ; je me trouverai une autre utilité demain, lorsque vous aurez charcuté toutes les circonscriptions – ce n’est pas la question. Mais c’est dangereux pour la démocratie, et vous le savez !

La Commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CL1196 de M. Pierre Morel-À-L’Huissier.

Mme Maina Sage. Je veux vous alerter sur cette incohérence totale entre la vision et l’ambition que vous affichez et la réalité de ce que vous proposez dans cette réforme. Bien sûr, notre mission est nationale, mais notre ancrage territorial garantit l’efficience de cette représentation au niveau national.

M. Fabien Di Filippo. Bravo !

Mme Maina Sage. Si nous ne sommes pas certains d’avoir des représentants issus de l’ensemble de ces territoires, nous perdrons ce fil essentiel à l’exercice démocratique.

La Polynésie française est un territoire grand comme l’Europe. Nous avons 118 îles, dont 76 qui sont habitées. Nous avons imposé, à l’assemblée de Polynésie, une surreprésentation des archipels éloignés : alors qu’ils ne pèsent que 30 % de la Polynésie, ils représentent plus de la moitié des sièges. Si on l’a fait, c’est parce qu’on sait très bien qu’entre les îles Marquises, qui sont à trois heures d’avion de nous, et le centre, il y a de telles différences qu’avec un seul représentant sur cinquante-sept élus à l’assemblée, les Marquisiens seraient perdus. C’est pour cela que nous les avons surreprésentés puisqu’ils ont trois sièges à l’assemblée, tout comme les îles Tuamotu, les îles Gambier et les îles Australes. À eux seuls, alors qu’ils ne pèsent que 30 % de la population, ils détiennent 50 % des sièges. Je pense que nous avons bien fait, même si les zones urbaines ont râlé. Nous l’avons fait parce qu’il était nécessaire de leur donner cette force au sein de notre assemblée, qui est la reconnaissance de ce qu’ils pèsent en termes de représentation territoriale.

Inscrire dans la Constitution que chaque département est représenté par au moins un député sera la garantie, non pour les élus, mais pour nos populations qu’elles seront respectées dans leur vote, dans ce qu’elles représentent au sein de notre Nation. (Applaudissements.)

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Le débat pourrait se poursuivre encore longuement. Nous savons bien, madame Sage, que les territoires ultramarins ont des spécificités qui justifient votre présence ici et au Sénat.

Mme Maina Sage. Nous allons passer de cinq à deux députés ! C’est cela, votre projet !

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure.. Je maintiens que ce projet préservera la représentation de chaque territoire quel qu’il soit et où qu’il soit.

M. Philippe Gosselin et M. David Lorion. Mais non !

M. Fabien Di Filippo. C’est faux !

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Notre conception est différente de la vôtre. Pour ma part, je suis convaincue que cela n’entravera pas le lien que nous pouvons avoir avec nos territoires, qui ne dépend pas uniquement d’une traduction géographique ou comptable du nombre d’électeurs.

Mme Maina Sage. Nous en sommes au début de la discussion et, avec les navettes, nous avons une année devant nous pour étudier ce texte. Je souhaite que vous ouvriez ce débat et que vous compreniez l’importance de garantir une juste représentation. Aujourd’hui, les planètes ne sont pas alignées. J’essaie de vous sensibiliser sur les conséquences qu’aura demain le respect ou non de cette juste représentation. Ce débat de fond n’est pas uniquement ultramarin : il concerne aussi les zones rurales de l’hexagone et les Français de l’étranger. Bref, nous devons débattre d’une vision globale. Mais permettez à notre Commission d’ouvrir ce débat au fond. Vous êtes une majorité puissante, très large au sein de l’Assemblée ; ayez ce respect de vous ouvrir aux voix différentes de celles que vous entendez et de comprendre pourquoi nous défendons ces points de vue.

La Commission rejette l’amendement.

La Commission est saisie, en discussion commune, des amendements identiques CL411 de Mme Cécile Untermaier, CL1068 de M. Michel Castellani et CL1257 de M. Jean-Félix Acquaviva, et des amendements identiques CL626 de M. Éric Coquerel et CL942 de M. Sébastien Jumel.

Mme Cécile Untermaier. Le précédent amendement avait ma préférence : identifier un nombre d’habitants par rapport à un député c’est se préoccuper du citoyen avant que du nombre de députés. Je trouve cette approche beaucoup plus moderne.

L’amendement CL411 vise à maintenir à 577 le nombre de députés, mais ce n’est pas celui que je préfère. Comme chacun l’a dit, nous sommes soucieux non de nous-mêmes, mais de la démocratie et de cette représentation de qualité. Olivier Rozenberg, professeur de sciences politiques à Sciences Po Paris, nous démontre, par des schémas, que nous allons perdre en pluralisme, en diversité et en parité. C’est pourquoi nous présenterons ultérieurement un amendement qui alerte sur ce point.

Il y aura désormais un député pour 166 000 habitants, contre un député pour 116 000 actuellement. Notre travail sera extrêmement compliqué. Ne comparons pas avec les États-Unis : cela n’a rien à voir, ce sont des États fédérés qui ont chacun leur propre congrès.

M. Philippe Gosselin et M. Fabien Di Filippo. Exactement !

Mme Cécile Untermaier. Si l’on veut respecter le pluralisme, il faut au minimum un député et un sénateur dans un département. On ne sait pas comment faire pour éviter cette hémorragie d’élus tout à fait particuliers que sont les députés et les sénateurs. Avec un seul député et un seul sénateur, il est fort à parier qu’ils auront tous deux la même appartenance politique : il n’y aura alors plus de pluralisme sur le territoire.

M. Michel Castellani. Je n’interviendrai pas ici pour dire des choses révolutionnaires, mais des choses très simples. Et les choses simples sont parfois les plus efficaces. Nous souhaitons conserver le nombre de députés à 577, afin de sauvegarder la proximité entre les élus et le peuple.

La réduction du nombre de parlementaires éloignerait de fait géographiquement, physiquement l’élu des électeurs, ce qui n’a pas de rationalité. Cela aggraverait la difficulté de l’élu à parcourir sa circonscription, à écouter, entendre les citoyens.

Dire qu’un député est élu de la Nation a un sens, mais dire qu’un député doit garder ses racines a aussi un sens. Quelle est la rationalité de la baisse attendue du nombre de députés ?

M. Fabien Di Filippo. Très bonne question !

M. Michel Castellani. Quels progrès seraient induits par cette baisse ?

M. Pierre-Henri Dumont. Aucun ! Il y aurait seulement plus de place dans l’hémicycle…

M. Michel Castellani. À cette question simple, nous attendons des réponses simples.

M. Jean-Félix Acquaviva. L’amendement CL1257 vise à conserver le nombre actuel de parlementaires. Nous aurions pu vous suivre sur la baisse du nombre de parlementaires si l’ensemble du projet avait été détaillé. Permettez-moi d’être un peu provocateur en disant qu’un État fédéral, cela ne dérange pas les Corses… (Sourires).

M. Philippe Gosselin. C’est bien amené !

M. Jean-Félix Acquaviva. Mais la conséquence de l’État fédéral, c’est que la loi et le règlement sont pour partie déterminés par les Länder allemands, par les régions autonomes. On peut donc réduire le nombre des députés de la Nation – je rappelle que la Suisse est une nation – parce que les matières évoquées dans la loi à l’échelle de la Nation sont séquencées par la répartition des compétences, par exemple entre ce qui relève des Länder allemands ou des cantons suisses et ce qui est du domaine du Parlement national. Dans de telles conditions, on pourrait réduire le nombre de parlementaires ; mais en l’absence d’une refonte totale de l’architecture institutionnelle, on aboutit forcément à un amoindrissement de la proximité avec les territoires.

Je tiens à rendre hommage à Maina Sage qui a bien montré que la solidarité avec les territoires peut ne pas être une solidarité de dépendance ou d’assistanat, mais une solidarité effective, y compris jusque dans la représentation politique, et qu’elle est tout à fait noble. La République dans son ensemble devrait s’inspirer de l’exemple polynésien dans la répartition des territoires à handicap qui ont besoin d’être davantage pris en compte que les autres.

Mais il ne faudrait pas « court-circuiter » ce qui s’est produit avec l’instauration du quinquennat : en affaiblissant la dimension territoriale de proximité dans l’élection, on rend les parlementaires seront encore plus fortement dépendants de l’élection présidentielle. Sans enracinement réel à une dimension territoriale renforcée, cela veut dire que c’est un service de proximité qui s’éteint. De surcroît, qu’on le veuille ou non, les députés devront leur réélection au Président de la République. Loin de renforcer le rôle de contre-pouvoir du Parlement, cela accentuera encore la présidentialisation du régime. Il y a une dimension territoriale dans l’élection, une opportunité de faire remonter la spécificité des territoires parce que la loi a encore des conséquences sur le territoire et qu’il faut éviter toute relation anxiogène. Autrement dit, les territoires qui ont besoin d’avoir une vision sur la loi doivent être bien représentés.

M. François Ruffin. Là encore, il s’agit de protester contre la diminution du nombre de parlementaires. Je sais bien que je martèle toujours le même message, mais la question a été posée sur presque tous les bancs de l’opposition, et notamment par nos amis corses : au nom de quelle logique veut-on supprimer des parlementaires ? Pourquoi cette diminution du nombre de parlementaires ? Comme nous n’avons aucune explication, il faut bien répondre pour vous.

Le projet de réforme constitutionnelle met en lumière tous les biais spécieux de cette République. Tout est intégralement décidé depuis l’Élysée. Et le caprice de l’Elysée, c’est d’abaisser de 577 à 404 le nombre de députés. Dès lors que le Président de la République l’a décidé, la majorité à l’Assemblée nationale doit suivre. Et même si elle n’a aucun argument à nous proposer, il faut voter cette disposition parce qu’elle a été décidée par le Président de la République. J’aimerais que les rapporteurs nous expliquent la logique de la diminution du nombre de parlementaires. La logique est-elle économique, démagogique ?

Monsieur Houlié, si l’on ne compte pas les sénateurs, le seul pays d’Europe qui sera en dessous de nous en nombre de parlementaires, c’est la Russie de Vladimir Poutine ! Est-ce l’exemple de démocratie que nous voulons suivre ? J’aimerais que les rapporteurs nous fournissent des éléments de réponse pour que nous puissions avoir une discussion.

M. Sébastien Jumel. J’interviens en prenant quelques précautions oratoires. Je vous le dis sans porter de jugement de valeur ni volonté de froisser ou de stigmatiser personne : nous venons décidément de deux mondes complètement différents. Il y a ici des députés qui sont tombés de la planète Mars et qui ont été élus en huit jours, après avoir posté leur candidature sur internet.

Mme Émilie Chalas. N’insultez pas la démocratie !

M. Sébastien Jumel. J’ai dit que je prenais des précautions oratoires ! Vous n’étiez pas visée.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Heureusement qu’il a pris des précautions !

M. Sébastien Jumel. Il y en a d’autres qui tirent leur légitimité, leur force, leur énergie quotidienne de la relation humaine, de l’ancrage, de l’incarnation territoriale et même des visages des hommes et des femmes qui nous donnent envie de nous lever le matin pour se battre et porter leur voix ici.

Je comprends que lorsque je parle, je suscite soit de la réprobation, soit de l’incompréhension. Nous ne parlons pas la même langue, nous n’avons pas la même conception du rôle de parlementaire.

M. Philippe Gosselin. Ce sont deux mondes différents !

M. Sébastien Jumel. Il y a d’un côté le monde virtuel d’une société « startupisée » et de l’autre la démocratie réelle que nous souhaitons continuer à incarner.

M. Éric Poulliat et Mme Émilie Chalas. C’est honteux, indigne !

M. Sébastien Jumel. C’est de cela qu’il s’agit quand on parle du nombre de parlementaires, de la représentation des territoires, de la diversité des territoires, de la nécessité de prendre en compte la parole des Domiens, des ultramarins, de tous ceux qui veulent faire la diversité de la France au service de l’unicité de la France.

M. Éric Poulliat. Vous faites du mal à la République !

M. François Ruffin. Non, c’est vous qui lui faites mal !

M. Marc Fesneau, rapporteur. Avant de vous donner mon avis sur les amendements, je veux revenir sur quelques-uns des arguments que nous venons d’entendre.

Beaucoup d’entre vous ont dit qu’on allait basculer dans un système qui rendra les Français beaucoup plus distants de leurs élus, moins écoutés, etc. Mais que croyez-vous que l’élection présidentielle de 2007 ait montré, si ce n’est la défiance profonde des gens à l’endroit d’un système que vous persistez à défendre ? Cela fait des années que l’on voit se succéder en France des gouvernements de gauche et de droite. Pensez-vous qu’ils aient écouté les demandes des citoyens et réformé le pays ? C’est bien de cela dont on a hérité.

M. Erwan Balanant. Bravo !

M. Sébastien Jumel. François Hollande, ce n’était pas mon président !

M. Marc Fesneau, rapporteur. La défiance exprimée en 2017, c’était à l’égard de votre monde : les gens ont eu le sentiment qu’on ne les écoutait plus. Vous nous vantez un système qui a échoué, et qui a abouti à une abstention de 50 % et un second tour avec Mme Le Pen ! Avec un tel bilan, ne venez pas nous donner des leçons !

Je ne dis pas que des questions ne se posent pas – je pense à ce que vient de nous dire notre collègue de la Polynésie, mais c’est un autre type de questions – mais ne venez pas nous dire que ce système fonctionnait et qu’il était parfait.

M. Éric Poulliat. Il a été rejeté !

M. Marc Fesneau, rapporteur. Pour être un bon parlementaire, il faut aussi se souvenir des candidats que l’on a soutenus.

M. Sébastien Jumel. Je suis d’accord !

M. Marc Fesneau, rapporteur. Ce sont les mêmes candidats qui défendaient la réduction du nombre de parlementaires, et je le dis à nos collègues de droite et très à droite : vous souteniez un candidat qui disait exactement la même chose, monsieur Di Filippo.

M. Erwan Balanant. Exactement !

M. Marc Fesneau, rapporteur. Si vous voulez être cohérent et restaurer la confiance des citoyens, rappelez quels étaient vos engagements et n’en changez pas six mois plus tard ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)

La confiance, monsieur Ruffin, suppose de tenir les engagements qui sont les nôtres. Nous avions dit que nous réduirions le nombre de parlementaires. Pour être de bons parlementaires, il ne suffit pas d’être nombreux ! Je pense que nous sommes beaucoup ici à le penser, y compris ceux qui sont témoins de l’échec du système précédent. Il faut être présent sur son territoire, vivre comme les gens et les écouter. Et quand on est dans l’opposition, il ne faut pas avoir ce réflexe pavlovien de voter contre les textes alors que les gens qui vous soutiennent vous disent qu’ils vont dans le bon sens. Ce réflexe, c’est l’échec de la démocratie ! Quand on est dans la majorité, il faut écouter les mêmes citoyens…

M. François Ruffin. Et ne pas voter systématiquement les textes !

M. Marc Fesneau, rapporteur.… et, tout en étant loyal, ne pas s’interdire le réflexe citoyen et oser amender les textes. C’est ainsi que l’on modernisera la démocratie, qu’on lèvera le doute sur la vie politique et la moralisation. Vos amendements correspondent à quelque chose qui ne fonctionne pas.

Notre objectif, monsieur Ruffin, est de rompre avec trente-cinq ans d’échecs, de gens qui ne croient plus en la politique ni aux promesses. Nous aurons besoin pour ce faire de moyens supplémentaires, et nous l’assumons. Le Président de la République et le Premier ministre l’ont dit : nous aurons plus de moyens pour mieux exercer nos missions, faire la loi et la contrôler.

Voilà pourquoi nous émettons un avis défavorable sur tous ces amendements. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)

M. Christophe Euzet. Je fais partie de ces Martiens qui, depuis cette planète éloignée, regardaient couler l’hexagone depuis une trentaine d’années et qui essaient de faire en sorte que ce ne soit plus le cas.

Je suis attristé par la platitude, le manque de verticalité et de dimension dynamique de vos analyses à l’égard du système dans lequel nous vivons. Il ne vous aura pas échappé que depuis trente ans le pouvoir n’a cessé de se rapprocher des citoyens, avec une décentralisation marquée au profit de la région, du département et des établissements publics de coopération intercommunale. Loin d’être le pays le moins représenté de la planète, nous sommes au contraire celui qui compte le plus d’élus. Vous nous montrez une photographie en noir et blanc, vieille de trente ans, et vous prétendez porter le progrès alors que vous êtes totalement rétrogrades.

M. Fabien Di Filippo. Je veux revenir sur les propos de M. Jumel. Il n’y a rien d’infamant à dire que certains d’entre vous ont été élus après avoir candidaté sur internet. C’est la vérité.

M. Christophe Euzet. On a la même légitimité que vous !

M. Fabien Di Filippo. Ils ont la même légitimité que nous. Nous avons tous été élus, certains dans la vague présidentielle, et d’autres contre ; il faut aussi tenir compte de ce message. S’il y a une leçon à tirer des dernières élections, c’est avant tout celle de la fracture territoriale. Je ne vous reproche pas d’être à l’origine de ce qui s’est passé depuis trente ans ; je dis simplement que ce que vous faites aggrave la défiance de nos concitoyens. Avant de dire que rien n’a été fait depuis trente ans, attendez de voir les résultats de votre politique. J’en veux pour preuve qu’au premier trimestre 2018 les voyants commencent à passer au rouge. Prenez garde aux leçons que vous donnez !

Je suis un parlementaire libre. J’ai été élu sur mon nom et pas sur une vague, comme c’est le cas de tous mes collègues. Je parle ici au nom des citoyens que je représente et en mon nom. Je suis libre de tous mes votes.

Mme Émilie Chalas. Nous aussi !

M. Fabien Di Filippo. Je réponds de chacun de mes votes et je n’ai pas de leçon à recevoir en la matière. Je vote en fonction des intérêts de mon territoire.

Vous êtes incapables de nous dire quel est l’apport concret de cette réforme. Vous prétendez que les députés auront davantage de moyens ; c’est faux. Cela n’entraînera aucune économie de la dépense publique, seulement une moindre représentation, notamment des territoires les plus éloignés de la République.

Mme Maina Sage. Il serait dommage que ce débat de fond que je trouve fondamental tourne en invectives. Nous ne sommes pas là pour juger qui que ce soit. Si nous sommes là, c’est parce que nous sommes tous légitimes, choisis par une population qui nous a fait confiance.

Lors de la précédente législature, j’étais dans l’opposition. J’ai vu ce qui s’était passé. On a bien compris qu’un message est tombé en 2017, mais ce n’est pas pour autant que vous devez faire fi de la richesse de l’opposition. C’est cela, la démocratie. Il ne s’agit pas seulement de dire qu’on a été élu sur un programme, et que c’est cela qu’on doit faire. Certes, les citoyens ont fait des choix, mais ils n’ont pas nécessairement validé à 100 % le programme de qui que ce soit. Oui, il y a eu un programme présidentiel, mais je vous rappelle qu’il y a aussi un programme législatif. Nous sommes issus d’une autre élection, nous portons tous ici notre programme individuel, que nous avons présenté devant les électeurs.

M. Jean-Félix Acquaviva. Sortons des postures caricaturales : avant d’être député, j’ai été pendant dix ans maire d’une commune de haute montagne en Corse, et je mettais mes mains dans le cambouis pour réparer des réseaux d’eau qui avait un taux de déperdition de 90 % et pour lutter contre une fracture territoriale grandissante. Nous sommes nous aussi issus du renouvellement puisque nous n’appartenons pas à un grand parti central. C’est bien un projet territorial qui nous a conduits jusqu’ici. Nous critiquons tout autant que vous l’ancien monde, mais aujourd’hui nous voudrions seulement parler du fond de cette réforme.

Si l’on diminue le nombre de parlementaires, on touche à la répartition de la responsabilité vis-à-vis des territoires. En termes de pouvoirs, on a souvent assisté à une fausse décentralisation, ce qui aboutit aujourd’hui à une relation anxiogène entre les territoires et ceux qui élaborent la loi. De deux choses l’une : ou bien nous nous orientons vers un troisième cycle de décentralisation qui répartira mieux les compétences, auquel cas on pourra diminuer le nombre de parlementaires parce qu’on aura mieux partagé les tâches, notamment dans l’élaboration de la loi, ou bien nous nous dirigeons vers un système où les territoires dépendront de cette élaboration, auquel cas, effectivement, le projet réduit la relation des territoires à la loi.

M. M’Jid El Guerrab. Sur le principe, la réduction du nombre de parlementaires ne me choque pas. Je crois que tout le monde l’a défendue, à un moment ou un autre, dans une enceinte publique.

M. Sébastien Jumel. Pas nous !

M. M’Jid El Guerrab. Nous ne sommes pas sur un plateau de télévision pour nous lancer des invectives ou nous intenter des procès en légitimité. Nous sommes tous des parlementaires et il n’y a pas des parlementaires plus égaux que d’autres, comme aurait dit Coluche. Nous sommes tous là pour faire la loi. Nous devons nous respecter les uns les autres. Tant mieux pour ceux qui ont postulé sur internet et qui sont devenus députés : ils ont fait campagne, ils ont été élus. Il ne faut pas caricaturer les choses.

Ce qu’il va falloir regarder attentivement et qui concerne tout le monde, c’est l’application de la réduction du nombre de parlementaires et les moyens qu’on va leur donner.

Mme Laurence Vichnievsky, présidente. Je vais donner la parole à M. Ruffin. Puis nous passerons au vote.

M. Pierre-Henri Dumont. J’ai demandé la parole…

Mme Laurence Vichnievsky, présidente. Monsieur Dumont, M. de Filippo s’est déjà exprimé. Nous devons tous essayer de nous discipliner.

M. Philippe Gosselin. Mais le débat est important !

Mme Laurence Vichnievsky, présidente. Vous avez raison, le débat est important, mais vous aurez sans doute d’autres occasions d’avoir cette discussion.

M. Philippe Gosselin. Pas « sans doute » ! Nous aurons forcément l’occasion d’y revenir !

Mme Laurence Vichnievsky, présidente. C’est certain !

M. François Ruffin. Je suis heureux que le rapporteur soit enfin sorti de son silence et que nous ayons obtenu des réponses, même si elles me paraissent insatisfaisantes.

Que le système ne soit pas parfait, j’en suis d’accord ; j’appelle même à un bouleversement démocratique d’une autre ampleur que celle qui est proposée dans cette réforme. Je n’incarne pas une démocratie qui voudrait être à l’arrêt, conservatrice, etc. Nous sommes bien conscients du sentiment de défiance de nos concitoyens. Mais nous n’avons toujours pas de réponse sur le fond, si ce n’est que cette réforme doit être faite parce qu’elle figurait dans le programme d’Emmanuel Macron. Par conséquent, je reviens à la charge.

Le rapporteur nous a dit que le rôle du parlementaire est de faire la loi et de la contrôler. Je suis désolé, mais cette réponse ne me suffit pas. Il a des missions d’une autre ampleur, comme l’expression d’une sensibilité politique, la défense des habitants d’un territoire, qui ne sont pas comprises dans la définition des tâches les plus technocratiques de la fonction de député. Je crains que ce ne soient précisément ces autres fonctions qui soient discrètement éliminées.

Mme Émilie Chalas. N’en déplaise à M. Ruffin, je crois que les citoyens se sont malgré tout exprimés sur le programme d’Emmanuel Macron et sur son engagement de réduire le nombre de parlementaires à l’Assemblée nationale. C’est une expression que nous devons respecter.

Je rappelle que cette réforme constitutionnelle introduit une part de proportionnelle qui, nous semble-t-il, améliorera nettement la représentativité et l’expression des sensibilités des Français.

M. Philippe Gosselin. Ça, c’est le deuxième sujet !

Mme Émilie Chalas. Ajoutons que le nombre ne fait pas la qualité.

M. M’Jid El Guerrab. Tout à fait !

M. Sébastien Jumel. Là-dessus, je suis d’accord !

Mme Émilie Chalas. Si nous sommes moins nombreux et que nous avons davantage de moyens, nous gagnerons en efficacité, en performance, parallèlement à une réforme de la procédure parlementaire. Cela a dû échapper à M. Di Filippo, qui semble ignorer ce qu’est la performance.

La Commission rejette les amendements identiques CL411, CL1068 et CL1257, puis les amendements identiques CL626 et CL942.

Elle examine ensuite l’amendement CL2 de M. Marc Le Fur.

M. Pierre-Henri Dumont. Cet amendement vise en réalité, vous l’avez compris, à interdire l’instillation d’une dose de proportionnelle et à inscrire dans la Constitution que nous n’utilisons pas le système proportionnel.

En diminuant le nombre de parlementaires et en introduisant une dose de proportionnelle, ce que j’appelle le « double effet Kiss Cool », votre seul but est d’affaiblir les oppositions.

Avec des circonscriptions beaucoup plus grandes, l’apport personnel de l’élu, qui de surcroît ne peut plus être élu local du fait de l’interdiction du cumul des mandats, sera nul. Les députés ne seront donc pas élus sur leur nom, mais sur leur étiquette – vous en êtes déjà des témoins, chers amis et collègues de la majorité…

Il y aura beaucoup moins de places pour les oppositions et la part de proportionnelle que vous allez introduire est tellement minime qu’elle n’aura aucun effet, si ce n’est de donner des hochets pour faire plaisir à quelques apparatchiks parisiens et chapeaux à plumes dans les partis, à des personnes qui sont trop nulles pour se faire élire sur leur propre nom. En réalité, vous êtes en train de dévoyer totalement la démocratie et d’en faire un instrument à la main de l’exécutif.

Vous soutenez que votre réforme donnera davantage de moyens aux parlementaires. Mais si l’on fait le ratio, en gardant la même enveloppe budgétaire on aboutit à un collaborateur supplémentaire par député pour des circonscriptions deux fois plus grandes et une population beaucoup plus importante. Pouvez-vous nous dire où est le gain ? En réalité, on y perdra. Les oppositions seront donc moins représentées, les circonscriptions beaucoup plus grandes, et il y aura proportionnellement moins de collaborateurs pour appuyer le parlementaire. Mais tout va bien, puisqu’ils auront à leur côté des hauts fonctionnaires totalement gérés par l’administration centrale et par la majorité à l’Assemblée nationale !

Ce que vous êtes en train de faire, mes chers collègues, c’est du terrorisme intellectuel. Vous nous dites que vous ne faites qu’appliquer le programme sur lequel vous avez été élu, et c’est très bien, mais vous ajoutez que l’opposition représente l’ancien monde qui a échoué partout.

Mme Laurence Vichnievsky, présidente. Il faut conclure !

M. Pierre-Henri Dumont. Si vous êtes là, dites-vous, c’est pour réparer les erreurs du passé. Mais faites preuve d’un peu de modestie, regardez quel est le rang de la France dans le monde ! Pour qui vous prenez-vous ?

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Le sujet abordé à travers cet amendement est sans doute intéressant : c’est du reste la raison pour laquelle nous y reviendrons lors de l’examen des lois organique et ordinaire. Cela dit, il est hors périmètre de la réforme constitutionnelle. Pour ce seul motif, j’émets un avis défavorable.

M. Guillaume Larrivé. Monsieur le rapporteur général et président du groupe majoritaire, je veux, au nom du groupe Les Républicains, dire que cet amendement est au cœur de ce que nous pensons, non seulement du projet de révision constitutionnelle, mais du projet de révision des institutions que nous propose Emmanuel Macron.

Ce que vous essayez de dessiner, c’est une Constitution Macron, avec des dispositions constitutionnelles organiques et ordinaires, et, au cœur du dispositif, une décomposition du Parlement avec la création de deux catégories de députés. Vous faites le choix, en effet, de ne pas l’écrire expressément dans la Constitution, tandis que nous faisons le choix de proposer qu’à l’article 24 de la Constitution figure bien l’unicité des députés, tous élus selon le même mode de scrutin majoritaire uninominal à deux tours. Ce mode de scrutin, et je le rappelle même si cela ne fait pas nouveau monde, c’est le mode de scrutin utilisé depuis la IIIe République, c’est la légitimité donnée à chaque député de la Nation par une majorité de Françaises et de Français dans un territoire donné.

Nous sommes en désaccord fondamental avec Richard Ferrand et les députés macronistes sur cet amendement, et nous aurons l’occasion de le redire de vive voix dans l’hémicycle.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle étudie l’amendement CL635 de M. François Ruffin.

M. François Ruffin. Cet amendement vise à s’attaquer au vice originel, au problème majeur de cette Ve République, en essayant de distendre, sinon de couper, le cordon ombilical entre l’Assemblée et l’Élysée.

Il ne s’agit pas seulement d’endiguer la vague En Marche : nous avons connu précédemment une vague rose et une vague bleue, par l’effet d’une élection législative organisée systématiquement dans la foulée de l’élection présidentielle et qui se traduit par un prolongement, une confirmation, et même une amplification de ce vote. Du coup, on se retrouve avec des parlementaires qui ont été choisis par le Président de la République pour figurer dans des circonscriptions, qui sont élus essentiellement parce qu’ils sont du parti du Président, avec la photo du Président à côté de la leur. N’y voyez aucun reproche à l’égard du groupe majoritaire : il en avait été exactement de même lors de la vague bleue de 2007 et la vague rose de 2012 – Mme Untermaier doit s’en souvenir.

Mme Cécile Untermaier. Pour ma part, je n’avais pas mis de photo du Président !

M. François Ruffin. Il en ressort sans doute une légitimité collective et une légitimité du Président, et cela induit une fidélité directe très forte à l’égard du Président qui vous a choisi pour la circonscription et qui a permis votre élection ; mais votre légitimité propre d’élu en est d’autant amoindrie.

Ce lien direct contribue pour beaucoup à la transformation du Parlement en une chambre d’enregistrement des désirs du Président. Et, je le répète, je ne parle pas uniquement d’Emmanuel Macron : cela vaut tout aussi largement pour François Hollande et Nicolas Sarkozy.

Mon amendement vise à déconnecter l’élection présidentielle et les élections législatives en prévoyant un délai d’un an entre les deux élections, de manière à laisser le temps à la vague de retomber.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Je suis sensible à l’intention de M. Ruffin qui, en voulant éviter les vagues successives, cherche à nous prémunir, si je suis son raisonnement, d’une vague insoumise…

Hormis ce principe de précaution, je ne suis pas favorable à son amendement qui prévoit en fait l’inversion du calendrier, car il revient à remettre en cause la logique de la Ve République, récemment confortée par la mise en place du quinquennat, et qui veut que l’élection présidentielle soit, selon les termes du constitutionnaliste Guy Carcassonne, « prédominante et structurante ». En effet, la logique des institutions suppose une harmonie entre les majorités présidentielle et parlementaire afin que le choix des Françaises et des Français trouve sa traduction législative et donc sa traduction dans la vie de notre pays.

Enfin, je tiens à rappeler que, jamais depuis 1965, c’est-à-dire depuis l’élection du Président de la République au suffrage universel direct, un Président de la République n’a été élu aussitôt après l’Assemblée nationale. Il n’y a pas d’exemple où le calendrier ait été ainsi fixé. C’est pourquoi je donne un avis défavorable à votre proposition.

M. François Ruffin. Je suis pour la vitalité de la démocratie, qu’il s’agisse des Insoumis, des Républicains, du Parti socialiste et d’En Marche. Je vise ici l’intérêt général en défendant une logique de rupture avec la Ve République, même si, sur ce point, nous sommes manifestement en désaccord.

Permettez-moi un trait d’humour. Lors d’un échange avec le président de Rugy pour le journal Marianne, nous nous étions accordés sur le fait qu’il puisse y avoir un an de décalage entre les élections législatives et l’élection présidentielle – avant ou après.

Enfin, nous souhaitons favoriser une certaine modération. Quand bien même il y aurait une majorité, elle n’a pas besoin d’être aussi pléthorique.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle en vient à l’amendement CL634 de M. François Ruffin.

M. François Ruffin. C’est un amendement de repli, qui de ce fait, devrait recevoir l’approbation du rapporteur général…

Comme il n’est pas possible que les élections législatives aient lieu un an avant ou après l’élection présidentielle, nous avons choisi de nous adapter en proposant que ces deux élections aient lieu le même jour. Quel en serait l’intérêt ? Celui de ne pas laisser à la vague le temps de s’amplifier. On sait en effet que l’élection du Président de la République entraîne une forte légitimation de son camp et le découragement de ses oppositions. C’est ce qui se produit entre l’élection présidentielle et les élections législatives. Si l’élection législative avait lieu « à l’aveugle », si je puis dire, c’est-à-dire sans savoir qui sortira du chapeau présidentiel, on aurait une représentation de l’opinion sans doute plus équilibrée et plus proche de sa sensibilité à cet instant T.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Je m’interroge sur cette idée de voter « à l’aveugle ». Je préfère quand on vote avec un jugement éclairé : ça peut servir !

Il me semble que les Françaises et les Français ont eu l’occasion de démontrer, en 2007 et 2012, et pas seulement en 2017, la cohérence de leur choix. Autrement dit, les Françaises et les Français choisissent un Président et, à la suite, parce qu’ils sont logiques, cohérents, ils donnent au Président de la République et au Gouvernement qu’il a nommé entre-temps une majorité parlementaire de nature à appuyer son action.

Il ne s’agit pas de jouer au Loto, en quelque sorte. La démarche des Français est rationnelle : une fois que le Président de la République est choisi, ils veillent à lui donner une majorité, tout simplement parce qu’ils attendent l’application dans la stabilité du projet qu’il a présenté. C’est pourquoi je suis défavorable à votre amendement.

M. Pierre-Henri Dumont. En réalité, cet amendement briserait l’équilibre ou le déséquilibre de la Ve République. Je souscris, bien évidemment, aux propos du rapporteur général.

Si je devais faire un peu d’humour, je dirais que le décalage dans le temps entre la connaissance du résultat de l’élection présidentielle et les élections législatives a un autre effet positif : il permet à certains de changer de casquette et de choisir la bonne couleur pour être enfin élus au Parlement, après avoir essuyé plusieurs échecs successifs sous d’autres couleurs.

M. Philippe Gosselin. Cela permet d’être toujours du bon côté !

M. Pierre-Henri Dumont. Je profite de la présence du rapporteur général pour lui reposer une question à laquelle nous souhaitions obtenir enfin une réponse : quel est concrètement l’intérêt de diminuer le nombre de parlementaires ? Nous souhaiterions le savoir avant de rentrer chez nous.

Mme Maina Sage. Ce débat est intéressant.

Je voudrais proposer à mon collègue Ruffin de prévoir les élections législatives juste avant l’élection présidentielle pour que nous puissions confirmer, dans un choix éclairé, le vote du Président en accord avec la représentation fidèle des élus de l’Assemblée…

Plus sérieusement, il est certain qu’un Président souhaite pouvoir bénéficier d’une majorité stable, large. Je pense que c’est le cas dans tous les pays, comme dans nos petites collectivités. Mais il ne faut pas oublier que nous parlons de deux pouvoirs, le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, censés êtres indépendants. C’est en ce sens qu’il faut peut-être trouver des délais suffisants pour garantir la pleine expression d’une Assemblée nationale indépendante.

M. François Ruffin. Le problème majeur, c’est qu’entre les deux élections, il y a un énorme différentiel d’abstention : nos concitoyens ne font pas que confirmer leur choix, ils abandonnent les urnes. Or on sait que ceux qui les abandonnent sont ceux qui ont le sentiment d’avoir perdu la campagne présidentielle et ceux qui sont les plus éloignés de la vie politique, notamment les classes populaires et les jeunes. C’est ce problème qu’il faut tenter de résoudre. Le résultat des législatives ne découle pas seulement de la cohérence des choix des Français ; c’est aussi la conséquence de l’exacerbation d’un choix et d’un phénomène d’abstention différentielle, par découragement, pendant le mois et demi qui sépare les deux élections. C’est contre ce phénomène que cet amendement prétend lutter.

À l’instant, j’ai parlé d’un vote à l’aveugle, c’est-à-dire sans savoir quel Président sortira des urnes, ce qui n’interdit évidemment pas un vote en conscience.

M. Éric Poulliat. Il n’y a pas d’homogénéité de classe dans l’abstention, monsieur Ruffin : les abstentionnistes ne sont pas tous issus des mêmes classes sociales ; ils sont aussi divers que les votants.

M. François Ruffin. Mais non, ce n’est pas vrai ! Il y a bel et bien une abstention différentielle.

La Commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CL651 de M. Christophe Euzet.

M. Christophe Euzet. Le présent amendement est beaucoup moins anecdotique qu’il n’y paraît. Nous, députés, représentons la Nation. Or j’ai le sentiment que ce principe devrait figurer dans la Constitution. Même si je n’ai pas l’ambition d’emporter la conviction de la Commission, je nourris celle, plus modeste, de bousculer les esprits. L’article 24, alinéa 4, de la Constitution dispose que le Sénat représente les collectivités territoriales de la République ; or rien n’est précisé quant à ce que les députés, eux, représentent. Le parallélisme des formes, l’harmonie du texte constitutionnel suggéreraient que nous précisions que nous sommes les représentants de la Nation.

Plus encore, sur le fond, une telle précision aurait le mérite de lever l’ambiguïté qui plane sur nos débats depuis tout à l’heure : parce que nous sommes élus dans une circonscription, nous serions les élus de cette circonscription. Il est vrai que le député qui, par le passé, cumulait les mandats a pu donner cette impression – et celui qui parcourait sa circonscription avec sa réserve parlementaire a pu l’alimenter… Mais tel n’est plus le cas. Plus que jamais, le député n’a qu’une mission, faire la loi, la voter et contrôler le Gouvernement. Ce pourquoi nous nous accommoderons de les voir moins nombreux.

M. Sébastien Jumel. Le voilà révélé, le vrai projet !

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Votre amendement me semble à la fois être déjà satisfait par plusieurs dispositions de la Constitution et, paradoxalement, s’inscrire en contradiction avec ces mêmes dispositions.

En vertu de l’article 3 de la Constitution, chaque parlementaire, représentant la Nation tout entière, concourt à l’exercice de la souveraineté nationale. Par ailleurs, l’article 27, relatif à la nullité du caractère impératif du mandat des parlementaires, reprend le principe posé par la Constitution de 1791 selon lequel « les représentants nommés dans les départements ne seront pas représentants d’un département particulier, mais de la Nation entière, et il ne pourra leur être donné aucun mandat ».

Ce mandat est général, ce qui signifie que chacun de ses détenteurs représente la Nation – les députés sont élus dans une circonscription et non par une circonscription. C’est d’ailleurs ce qui explique que la sécession éventuelle ou l’indépendance d’un territoire ne fait normalement pas perdre leur qualité d’élu de la nation à ceux qui y avaient été désignés.

M. Philippe Gosselin. La question s’était posée en 1962.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Tout à fait.

C’est ce qui explique aussi que, hormis quelques situations particulières, aucun quorum n’est exigé pour la validité des délibérations des assemblées. C’est ce qui explique enfin que les assemblées refusent toute reconnaissance aux représentations de groupes d’intérêt géographique ou sectoriel.

Aussi votre amendement présente-t-il deux inconvénients, un majeur et un mineur. L’inconvénient majeur est qu’il paraît redondant avec des dispositions en vigueur et, sur le mode mineur, très honnêtement, je nous vois mal aller expliquer aux sénateurs que nous serions, nous seuls députés, les représentants de la Nation, si nous voulons vraiment que notre projet de réforme prospère durablement… D’où mon avis défavorable.

M. Sébastien Jumel. Ah ! Encore et toujours votre idée fixe.

M. Philippe Gosselin. La question s’était en effet posée en 1962, à propos des députés des trois départements français d’Algérie, de savoir s’ils devaient rester ou non ; puis s’est appliquée la doctrine Capitant ; bref, ils ont fini par démissionner pour éviter d’embarrasser politiquement le Gouvernement et la présidence de la République. Quoi qu’il en soit, les parlementaires sont bien des représentants de la Nation.

En revanche, l’intérêt de l’amendement de M. Euzet est d’ancrer malgré tout le député dans un territoire, ce qui nous ramène au débat – que je ne vais pas relancer, rassurez-vous – sur la représentation des citoyens, la proximité etc.

M. Vincent Bru. Contrairement au rapporteur général, je considère que l’inconvénient qu’il qualifie de mineur est bel et bien majeur, dans la mesure où l’article 3 de la Constitution dispose que « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants ». Un sénateur est donc un représentant de la Nation, au même titre qu’un député, avec cette particularité que le Sénat représente les collectivités territoriales. Ce serait donc bien une erreur majeure de considérer que les sénateurs ne sont pas des représentants de la Nation.

M. Sébastien Jumel. Vous auriez fait un très bon rapporteur !

Mme Maina Sage. Autant il me semble évident que nous représentons la Nation, autant l’objet de l’amendement me pose problème puisqu’il entend signifier que nous sommes élus dans une circonscription mais pas par la circonscription. C’est un vrai débat de fond que j’ai d’ailleurs avec plusieurs d’entre vous. Je suis persuadée, vraiment, que nous pouvons être les deux à la fois, que les deux notions ne s’opposent pas et sont complémentaires – nous sommes issus de ces territoires et fiers de l’être ; nous venons ici les représenter et, bien sûr, lorsque nous sommes ici, nous sommes les députés de la Nation tout entière mais, j’y insiste, avec ce prisme territorial. Nous sommes les représentants de la Nation – laquelle est composée de nombreux territoires.

M. Christophe Euzet. Fort de l’esprit démocratique qui m’habite, je souscris à la grande démonstration qui m’a été faite et, conscient d’avoir sans doute sous-estimé l’argument touchant aux sénateurs, je retire mon amendement.

L’amendement est retiré.

La Commission examine ensuite l’amendement CL324 de M. Paul Molac.

M. Paul Molac. Le présent amendement vise à changer le mode d’élection des sénateurs de sorte qu’ils proviennent des conseils régionaux, des collectivités territoriales à statut particulier et des collectivités d’outre-mer. Comme l’a suggéré tout à l’heure M. Acquaviva, passons à un système où nous n’avons pas besoin des députés pour un certain nombre de décisions qui auront déjà été prises dans les régions – j’en suis déjà à cette étape. Je propose donc que le Sénat fasse sa mue en devenant un peu ce que le Bundesrat est en Allemagne, afin que les sénateurs ne soient plus les représentants des communes, comme ils le sont beaucoup aujourd’hui, mais plutôt des régions.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. C’est à ce type d’amendement, qui va sans doute susciter l’enthousiasme des sénateurs, que l’on reconnaît la volonté de M. Molac de voir notre démarche prospérer… Afin de lui préserver toutes ses chances de réussite, j’émets un avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CL641 de M. Jean-Luc Mélenchon.

M. Jean-Hugues Ratenon. Le présent amendement vise à consacrer un droit de révocation des députés et des sénateurs. Il impose aux élus une responsabilité permanente vis-à-vis du peuple et confère à celui-ci un pouvoir de contrôle régulé et institutionnel des élus. La population sait disposer désormais d’un pouvoir de contrôle des élus qui se renient et trahissent leurs engagements dès leur arrivée au pouvoir. En même temps, le principe est suffisamment encadré pour que ce droit ne perturbe pas l’ordre démocratique, mais soit au contraire employé avec parcimonie par les électeurs, à l’instar de ce que montrent les expériences étrangères. La procédure de révocation est lancée à l’initiative d’un dixième du corps électoral concerné.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. La « révocabilité » dont vous parlez a lieu à chaque élection soit, normalement, pour les députés, tous les cinq ans, et pour les sénateurs tous les six ans. Il n’apparaît pas utile de raccourcir outre mesure ces mandats. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL62 de M. M’Jid El Guerrab.

M. M’Jid El Guerrab. Le présent amendement me tient tout particulièrement à cœur : c’est une chansonnette que je ne cesse de fredonner depuis quelques semaines. Je souhaite que la Constitution dispose que les parlementaires « sont égaux en droit dans leurs chambres respectives ». Or ce qui paraît évident ne l’est pas. Cette égalité résulte de la tradition parlementaire depuis la Révolution française : les représentants ne sont pas les ambassadeurs de leur circonscription d’élection, et le Parlement pas davantage un congrès d’ambassadeurs. Ils sont les élus de la Nation tout entière, comme l’a si bien expliqué le rapporteur général.

L’apparition des groupes et la « collectivisation », pour reprendre un terme bolchevique, du travail parlementaire, se sont accompagnées d’une marginalisation des parlementaires non-inscrits – que d’ailleurs je n’appellerais plus ainsi mais plutôt « libres de toute appartenance à un parti ou à un groupe politique » –, en particulier à l’Assemblée où il n’existe pas de réunion administrative des non-inscrits comme au Sénat, ni de groupement comme au Bundestag. L’examen des derniers projets de loi dans le cadre du temps législatif programmé l’a du reste montré. Les non-inscrits ne bénéficient pas non plus des mêmes droits s’agissant de la participation concrète au travail parlementaire. Il s’agit donc de remédier à cette situation, les non-inscrits restant des muets dans le Parlement de la parole.

Je salue d’ailleurs le geste de la Conférence des présidents qui a décidé, sous l’impulsion du président de l’Assemblée, d’ajouter dans le temps législatif programmé une demi-heure de temps de parole aux non-inscrits – mais, là encore, il ne s’agit que d’une volonté personnelle et politique.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. À en juger par nos travaux, depuis le début de nos réunions, je n’ai pas l’impression que le député non-inscrit que vous êtes soit totalement muet – ou alors nous n’avons pas la même perception de la réalité. Vous l’avez vous-même signalé, la situation des non-inscrits n’est pas la même au Sénat, et c’est d’ailleurs ce qui fonde mon avis défavorable : votre amendement ne relève à aucun titre de la Constitution, mais tout simplement du règlement des assemblées. Je vous engage donc à saisir le bureau de l’Assemblée pour plaider votre cause et à laisser la Constitution paisible.

M. M’Jid El Guerrab. Je reconnais que je suis bavard au sein de cette commission, même si je m’efforce de me restreindre… Mais quand le temps législatif programmé guillotine mon temps de parole, je dois bien me taire.

Le sens de mon amendement est de signifier que nous ne pouvons nous appuyer sur aucune disposition pour éventuellement contester ou réformer le règlement de l’Assemblée. C’est pourquoi, pour faire valoir l’égalité en droit des parlementaires dans le Règlement, il m’était apparu nécessaire de l’inscrire au préalable dans la Constitution. J’ai toutefois bien entendu votre argumentation et je retire mon amendement.

L’amendement est retiré.

[Article 25 de la Constitution]

La Commission examine, en discussion commune, les amendements identiques CL1507 du rapporteur général et CL1420 de Mme Bérangère Abba, et les amendements CL137 de M. Guy Bricout et CL836 de Mme Bérangère Abba.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. L’article 25 de la Constitution dispose qu’un parlementaire est remplacé s’il accepte des fonctions gouvernementales, mais ne prévoit pas d’autres possibilités de remplacement. L’amendement CL1507 a par conséquent pour objet d’y ajouter les cas « d’empêchement provisoire », à savoir de longue maladie ou de congé maternité. Les conditions de cet empêchement seraient bien sûr précisées par la loi organique, comme le prévoit du reste déjà l’article 25. Il s’agirait pour ces parlementaires de se faire temporairement remplacer par leur suppléant afin de pouvoir se soigner sereinement ou exercer leur droit au congé maternité. Surtout, une telle disposition permettrait aux électeurs dont le député serait empêché provisoirement de continuer à être représentés, dans leur circonscription comme à l’Assemblée.

Mme Bérangère Abba. La rapporteure l’a très bien expliqué : l’alinéa 2 de l’article 25 de la Constitution ne prévoyant le remplacement temporaire des députés et sénateurs que lorsqu’ils acceptent des fonctions gouvernementales, il est essentiel de prévoir dès à présent d’autres cas, comme le propose l’amendement CL1420, et d’en préciser les détails dans le cadre de la loi organique. Ce serait aussi une manière d’impliquer davantage les suppléants.

M. Philippe Gosselin. Je vois bien l’aspect généreux de ces amendements mais ils ne règlent pas les problèmes de fond sur le statut du parlementaire, sur les rémunérations. De plus, je m’étonne que l’on évoque le congé de maternité alors que l’on cherche à promouvoir les congés de paternité et je rappelle que, dans le cadre de la législation sociale, on intègre aussi, traditionnellement, les congés d’adoption. L’exposé – très – sommaire des motifs ne me rassure pas particulièrement sur l’application d’une telle mesure. Reste en effet, en outre, à savoir ce qu’on appelle un congé long. Un collègue atteint d’un cancer, par exemple, doit-il suspendre ou non son mandat ? Est dès lors posée la question d’un mandat en pointillé. C’est vraiment la question pratique qui me préoccupe ici et, sur le plan constitutionnel, même si le peuple, que nous représentons ici, est souverain, ce que vous proposez me paraît très curieux.

Mme Maina Sage. L’amendement CL137 est défendu.

Mme Bérangère Abba. L’amendement CL836 correspond en fait à la version initiale, améliorée depuis, de l’amendement CL1420, identique à celui du rapporteur général. C’est pourquoi je le retire.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. À ce stade de notre travail, sur l’aspect constitutionnel de la réforme, nous suggérons uniquement d’ajouter cette notion « d’empêchement provisoire » en renvoyant à la loi organique le soin de préciser le contenu et la portée pratique de cette disposition.

M. Philippe Gosselin. J’entends bien, mais l’exposé des motifs…

M. Richard Ferrand, rapporteur général. L’exposé des motifs est peut-être incomplet, mais j’entends ici ramener notre proposition à ce qu’elle est vraiment.

M. Philippe Gosselin. Entendons-nous bien : il n’y avait aucune appréciation d’ordre dogmatique dans mon propos.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Il faut avoir conscience que si nous n’introduisons pas dès à présent cette modification dans la Constitution, nous nous interdisons d’y réfléchir ensuite. C’est pourquoi nous avons souhaité faire cette accroche, si j’ose dire, très générale – il faudra débattre de ce que la notion d’empêchement provisoire recouvre exactement. Il serait dommage pour l’avenir de ne pas voter l’amendement.

M. Sébastien Jumel. Je n’ai pas d’opposition de principe à ce que nous ouvrions cette réflexion, mais cela supposera de définir un statut du suppléant. Si la suspension temporaire d’un parlementaire devient constitutionnelle dans les conditions que vous souhaitez, il faudra donner un rang constitutionnel au suppléant, faute de quoi vous allez vous retrouver avec des députés low cost.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Ou Manpower…

M. Philippe Gosselin. La question du statut du suppléant sera en effet sans doute sur la table. On va réduire le nombre de parlementaires titulaires, mais on va peut-être le doubler en créant un statut pour les suppléants… Cela ne manque pas de sel !

D’un point de vue pratique, si un parlementaire est remplacé pendant quatre ou cinq mois, son régime d’incompatibilités s’appliquera au remplaçant qui devra immédiatement faire des choix, notamment en ce qui concerne le cumul de mandats locaux, et ce dans les trente jours qui suivent sa nomination. Va-t-il donc démissionner de ses mandats pour quelques mois ? Devra-t-il être réélu quand il reviendra ? Honnêtement, je crains que nous n’ouvrions là une boîte de Pandore. L’idée est généreuse, mais je ne vois pas très bien comment nous allons pouvoir la gérer.

M. Sébastien Jumel. Moi non plus.

L’amendement CL836 est retiré.

La Commission adopte les amendements identiques CL1507 et CL1420 (amendement  331).

Par conséquent l’amendement CL137 tombe.

Mme Laurence Vichnievsky, présidente. Avant de suspendre la séance je vous informe que nous venons de passer sous la barre des mille amendements restant à examiner. Nous reprendrons nos échanges à 21 heures. Les membres du bureau de la Commission sont invités à se réunir pour organiser la suite de nos travaux.

6.   Seconde réunion du jeudi 28 juin 2018 à 21 heures (après l’article 1er, suite, à après l’article 2)

Lien vidéo :

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.6326702_5b352e940e0a7.commission-des-lois-soir--pour-une-democratie-plus-representative-responsable-et-efficace-suite-28-juin-2018

Après l’article 1er (suite)

[Article 25 de la Constitution (suite)]

La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL1045 de M. Vincent Bru et CL1491 de M. Guy Bricout.

M. Vincent Bru. Nous souhaitons prévoir un statut pour les suppléants de députés. En effet, l’élargissement prévu des circonscriptions va logiquement entraîner une organisation nouvelle aussi bien à l’Assemblée qu’en circonscription. La loi organique visée à l’article 25 de la Constitution évoque les conditions de remplacement du député par son suppléant mais il faudrait aussi qu’elle fixe le statut du remplaçant éventuel afin qu’il agisse sous l’autorité du député titulaire et ainsi le seconde utilement.

Mme Maina Sage. L’amendement CL1491 est un amendement de repli, le CL137 étant tombé. L’objectif est de consolider le rôle des suppléants des députés et des sénateurs. En effet, on minimise l’importance du rôle qu’ils peuvent jouer pendant la campagne électorale mais aussi après. Quand on vit à 20 000 kilomètres de Paris, il est d’autant plus important d’avoir un suppléant à même d’assurer une représentation, d’où la nécessité de lui accorder les moyens nécessaires.

Nous souhaitons donc, après le deuxième alinéa de l’article 25 de la Constitution, insérer un alinéa ainsi rédigé : « Le règlement de chaque assemblée précise les conditions dans lesquelles les personnes mentionnées au deuxième alinéa assurent la représentation des députés et des sénateurs. »

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. L’amendement que nous avons adopté tout à l’heure prévoit le remplacement temporaire d’un député en cas d’empêchement provisoire et il n’avait pas pour objet de couper en deux le mandat parlementaire entre le suppléant et le député. Le mandat parlementaire est évidemment unique et c’est bien le député ou le sénateur sur le nom duquel se sont prononcés les électeurs qui l’exerce.

J’ajoute qu’un éventuel statut du suppléant relève de la loi organique et non de la Constitution. Je ne pense donc pas qu’il soit sage d’en discuter plus avant ici.

Avis défavorable aux deux amendements.

M. Michel Castellani. Je n’entends pas me substituer aux deux précédents orateurs mais je tiens à souligner qu’il ne s’agit pas d’élire deux députés au lieu d’un seul. Reste que vouloir diminuer le nombre des parlementaires implique qu’on prévoie un statut du remplaçant.

M. Philippe Gosselin. La remarque qui vient d’être formulée est de bon sens : si on diminue le nombre de députés, il va falloir donner un statut au suppléant ; ce qui montre bien qu’en réalité on va plutôt multiplier par deux le nombre de députés et qu’au lieu d’en avoir 404, nous en aurons 808, soit davantage que les 577 actuels !

Mme Cécile Untermaier. Je rejoins M. Gosselin. Nous ne sommes pas contre le principe d’une réduction du nombre des parlementaires mais elle est tout de même ici de 30 % ! Dès lors, d’une certaine façon, on essaie de se raccrocher aux branches : on insiste sur la nécessité qu’il y ait au moins un député et un sénateur dans chaque département et on se rend compte maintenant que le suppléant pourrait être utile dans une circonscription de grande taille… Tout cela montre en tout cas la faiblesse de l’argumentation censée justifier la baisse du nombre de députés.

Mme Maina Sage. Si vous examinez l’activité de vos collègues, vous vous rendrez compte que depuis très longtemps, et pas seulement depuis le début de la présente législature, nous sommes nombreux à travailler en binôme avec notre suppléant. Je rappelle par ailleurs qu’au sein des groupes de travail que vous avez lancés, vous avez prôné une meilleure prise en considération du suppléant, notamment pour ce qui est des frais de transport. C’est donc en toute logique et en toute cohérence que sont proposés ces amendements. En effet, la réduction du nombre des parlementaires va alourdir la charge du député qui devra couvrir un espace plus grand. Réfléchir à un vrai statut du suppléant ne signifie pas qu’on découpe le mandat en deux mais qu’on donne les moyens nécessaires à une représentation officielle effective.

La Commission rejette successivement ces amendements.

Elle en vient à l’amendement CL969 de M. Sébastien Jumel.

Mme Huguette Bello. Les propositions que nous défendons dans le cadre de la réforme constitutionnelle visent à renforcer les pouvoirs du Parlement et de l’opposition face à l’hypertrophie du pouvoir exécutif. Mettre fin à ce déséquilibre des pouvoirs est indispensable pour corriger le déficit démocratique du régime. Dans cet esprit, nous proposons également de renforcer les droits de participation démocratique. Enfin, une réforme de la Constitution ne peut se concevoir sans qu’y soient inscrits des principes essentiels qui en sont aujourd’hui absents.

Dans ce cadre, nous proposons de préciser la composition de la commission chargée de prononcer un avis public sur les projets de texte et propositions de loi délimitant les circonscriptions pour l’élection des députés ou modifiant la répartition des sièges de députés ou sénateurs. En effet, la notion de commission « indépendante » ne garantit en rien le caractère pluraliste et représentatif des différentes sensibilités politiques. Cette commission devra donc comprendre, au minimum, un membre de chaque groupe parlementaire.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Une représentation pluraliste ne garantirait pas l’indépendance de la commission non plus. C’est pourquoi je donne un avis défavorable : il me semble préférable de prévoir, comme c’est le cas actuellement, que la commission consultative sur les délimitations de circonscriptions soit indépendante plutôt que composée de représentants de chaque groupe parlementaire.

Je vous rappelle en effet qu’en application du code électoral, la commission consultative indépendante sur les projets de redécoupage des circonscriptions électorales comprend : une personnalité qualifiée nommée par le Président de la République ; une personnalité qualifiée nommée par le président de l’Assemblée nationale ; une personnalité qualifiée nommée par le président du Sénat ; un membre du Conseil d’État ; un membre de la Cour de cassation ; enfin un membre de la Cour des comptes.

Il nous paraît que cette pluralité institutionnelle, comme la pluralité d’origine des personnalités qualifiées, garantit l’indépendance et l’objectivité de ladite commission.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL559 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier. Nous souhaitons éviter une régression démocratique et donc maintenir une représentation paritaire des femmes et des hommes quels que soient les éventuels changements des modes de scrutin à venir. Une baisse substantielle de la représentation des femmes poserait problème. Nous y avons travaillé pendant cinq ans et vous avez transformé l’essai, si j’ose dire, à l’occasion des dernières élections législatives, c’est pourquoi nous entendons poser un principe que j’appellerais de non-régression.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. C’est parce que nous montrons l’exemple que nous ne comptons pas régresser. Si tous les groupes politiques pouvaient avoir la même démarche, la progression dont vous vous félicitez serait garantie. Même s’il reste, certes, des progrès à faire, nous ne pensons pas que c’est l’inscription dans la Constitution d’un principe de non-régression dans la composition des assemblées parlementaires qui changera les choses mais plutôt des dispositions législatives adaptées, à la portée plus générale, et, surtout, une évolution des pratiques. Nous avons démontré, vous l’avez souligné, que c’était possible. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur général, elle rejette l’amendement CL473 de Mme Cécile Untermaier.

[Article 27 de la Constitution]

La Commission examine l’amendement CL630 de M. François Ruffin.

M. François Ruffin. Nous souhaitons permettre aux députés de s’exprimer par tous les moyens qu’ils jugent bons alors qu’ils n’ont le droit, aujourd’hui, de s’exprimer que par la parole. Il serait plus moderne, novateur de pouvoir montrer un graphique, depuis la tribune de l’Assemblée, et même, pourquoi pas, de se servir d’un PowerPoint (diaporama), de brandir un objet si on l’estime nécessaire. Notre fonction consiste à intéresser le maximum de personnes au débat public. Au XVIIIe siècle, époque où est institué le Parlement, cette fonction passait par l’écrit : on envoyait des motions, des résolutions à travers le pays… Heureusement, depuis, la vidéo a été introduite à l’Assemblée, mais je pense qu’on peut aller plus loin en permettant au député d’utiliser toutes les armes, tous les outils à même, selon lui, d’intéresser la population – et je n’ai aucune honte, pour ma part, à chercher à intéresser le maximum de citoyens aux débats qui se tiennent à l’Assemblée.

S’ils estiment de telles pratiques inappropriées, clownesques… les électeurs en puniront les députés. Ce serait là la sanction à un comportement qui leur paraîtrait déplacé. Je suis donc favorable, dans une perspective de modernisation, à la possibilité d’utiliser d’autres outils que la parole comme, je l’ai dit, des graphiques et autres moyens de représentation visuelle du discours.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Je n’ai pas le sentiment, de manière générale, que l’expression des uns et des autres soit ici réellement bridée. Par ailleurs, les dispositions que vous défendez n’ont pas leur place dans la Constitution mais dans les règlements des assemblées, les présidents de séance veillant au bon déroulement des travaux. Avis défavorable.

M. François Ruffin. Je ne suis pas le plus qualifié pour trancher sur le fait de savoir si ce que je propose relève du règlement de chaque assemblée ou de la Constitution mais il me semble que préciser que les parlementaires peuvent s’exprimer par tous les moyens qui leur p les plus pertinents, dans le respect de leurs collègues, peut très bien être ajouté à l’article 27 de la Constitution.

La Commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CL632 de M. François Ruffin.

M. François Ruffin. Il s’agit ici d’aller à l’encontre de la discipline de groupe, donc de permettre à chaque parlementaire de s’exprimer en son âme et conscience sans risquer de sanction. Pour cela, nous souhaitons ajouter à l’article 27 de la Constitution l’alinéa suivant : « Toute atteinte à l’indépendance de pensée, de travail, de proposition, et de vote d’un membre du Parlement fait l’objet de sanctions. Une loi organique fixe les conditions d’application du présent alinéa. »

On peut se référer au règlement intérieur du groupe majoritaire qui, dans son article 16, menace ses membres de sanctions : « Les députés membres et apparentés du groupe ne cosignent aucun amendement ou proposition de loi ou de résolution issus d’un autre groupe parlementaire. En cas de manquement, les sanctions mentionnées à l’article 19 peuvent s’appliquer. » On a d’ailleurs constaté, à l’occasion de l’examen de certains textes, que des menaces avaient été brandies pour que le groupe continue à faire corps. Or, ces dispositions sont de nature à transformer l’Assemblée en assemblée de godillots.

Cette pratique n’est malheureusement pas propre au groupe La République en Marche aujourd’hui, encore que, n’ayant pas eu de corpus commun pendant des années, c’est comme si la discipline devait s’y appliquer depuis l’extérieur. Aucune discipline chez vous n’est en effet possible à partir d’un corpus idéologique commun.

Je rappelle que l’article 27 de la Constitution dispose que tout mandat impératif est nul et que le droit de vote des membres du Parlement est personnel. Dans le même ordre d’idées, nous voulons dissoudre la discipline de groupe.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Aucun groupe, et certainement pas celui de La République en Marche, ne peut avoir la vanité de penser que son règlement intérieur aurait rang constitutionnel. Par ailleurs, votre amendement porte atteinte à la capacité des groupes à rédiger leur propre règlement, atteinte insupportable à la vie démocratique et à la liberté d’association. Avis défavorable.

M. Jean-Christophe Lagarde. Pour mémoire, et pour répondre à M. Ruffin, son amendement est déjà satisfait puisque tout mandat impératif est nul. De tels règlements sont donc nuls. En outre, la République en Marche n’a pas inventé ce type de disposition ; il s’agirait plutôt du groupe communiste ! À l’époque, les députés devaient rendre compte au parti de leurs votes à l’Assemblée nationale. J’espère que les choses ont changé depuis.

Le parti socialiste a également inscrit cela dans son règlement. Cela a abouti à d’ubuesques pantalonnades : même lorsque nous déposions la même proposition de loi, nous étions obligés de le faire séparément… Il me semble que c’est toujours le cas au sein du groupe Nouvelle Gauche.

Il est donc inutile de constitutionnaliser de telles dispositions puisque ces règlements seraient annulés si quelqu’un venait à faire valoir ses droits devant le Conseil constitutionnel.

M. Sébastien Jumel. Monsieur Lagarde, vous nous parlez d’un « temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître »…

M. Jean-Christophe Lagarde. Vous n’avez pas vingt ans !

M. Sébastien Jumel. Certes, mais je n’ai pas connu la période que vous évoquez. La liberté de vote est consubstantielle au fonctionnement de notre groupe. D’ailleurs, les députés ultramarins qui en font partie défendent parfois des amendements de sensibilité différente.

La Constitution interdit le mandat impératif. L’amendement de François Ruffin a le mérite de préciser que ce principe constitutionnel s’applique également aux groupes. C’est une manière de protéger les groupes « à l’insu de leur plein gré », comme disait Richard Virenque.

M. François Ruffin. Monsieur Lagarde, je n’ai jamais été membre du Parti communiste ! Monsieur le rapporteur général, je n’ai jamais prétendu que vous vouliez constitutionnaliser le règlement de votre groupe. Il est plutôt inconstitutionnel ! Nous souhaitons juste que le groupe majoritaire se conforme à la Constitution.

La Commission rejette l’amendement.

[Article 28 de la Constitution]

La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL1326 de Mme Marielle de Sarnez et CL735 de M. Jean-Christophe Lagarde.

Mme Isabelle Florennes. L’amendement CL1326 est le premier d’une série de trois amendements, dont l’objet est de modifier de manière cohérente l’organisation du temps parlementaire, pour que le Parlement puisse travailler mieux et plus efficacement.

En effet, l’organisation actuelle n’est pas satisfaisante. Plusieurs constats sont partagés : les sessions extraordinaires de juillet et de septembre sont devenues systématiques. Nous en prenons acte, proposons d’allonger la session ordinaire et de supprimer le verrou des cent vingt jours.

Les sessions extraordinaires ne pourront quant à elles être ouvertes que pour répondre à des circonstances exceptionnelles.

Enfin, nous proposons de procéder à un nouveau découpage sur la base d’un cycle de cinq semaines, mais nous y reviendrons.

M. Jean-Christophe Lagarde. L’amendement CL735 vise à résoudre un phénomène ubuesque. À l’origine, nous travaillions du 1er octobre au 31 décembre, puis du 1er avril au 30 juin. Philippe Seguin a pensé que l’Assemblée nationale sortirait renforcée de la mise en place d’une session unique, du premier jour ouvrable d’octobre au 30 juin. En réalité, cette session unique commence le 15 septembre – quand les gouvernements sont raisonnables ! –, et se termine le 31 juillet. La rentrée prochaine aura même lieu le 4 septembre, c’est-à-dire fin août pour les parlementaires, alors que nous terminons le 4 août. Arrêtons avec ces sessions extraordinaires, elles n’ont plus d’extraordinaire que le nom ; elles sont systématiques tous les ans, au début du mois de septembre et à partir de fin juin !

Il serait plus logique de modifier la Constitution pour indiquer que nous commençons à travailler en même temps que tous les Français – le dixième jour ouvrable du mois de septembre – ce qui nous permettrait au préalable de débattre en commission. Nous terminerions le 31 juillet car, de toute façon, nous ne finissons jamais avant – sauf, peut-être, les années électorales.

Mettons-nous au diapason de la réalité de l’exercice parlementaire ! Les dates que nous proposons peuvent être modifiées, mais inscrivons dans la Constitution ce qui fait notre réalité.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Nous comprenons votre objectif de mieux organiser le travail parlementaire, toutefois la modification de l’organisation de l’ordre du jour semble une meilleure solution que l’allongement de la session ordinaire. En effet, ce dernier ne nous permettra pas nécessairement de dégager du temps pour débattre des textes du fait des contraintes pesant sur l’ordre du jour, les semaines de contrôle par exemple. Mon avis sera donc défavorable à vos amendements.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Ces amendements introduisent parfaitement la réflexion plus globale que nous devons mener sur notre calendrier parlementaire : nous devons mieux prévoir nos travaux et mieux organiser ce calendrier ; nous devons retrouver la maîtrise de notre ordre du jour ; enfin, Jean-Christophe Lagarde l’a dit, nous devons sortir de l’hypocrisie dans laquelle nous vivons depuis de très nombreuses années. Nous n’avons pas assez de jours… La question du verrou des cent vingt jours est centrale dans ce contexte – nous ne sommes pas le 30 juin et les avons déjà dépassés.

Nous devons trouver le moyen de répondre aux exigences légitimes du Gouvernement – il veut que ses projets de loi soient examinés – et mettre en conformité la Constitution et la pratique. D’où l’importance d’être en mesure d’anticiper l’examen des textes, pour procéder aux auditions dans des conditions favorables et mieux organiser nos travaux – nous en aurons encore la démonstration ce week-end – entre nos obligations en circonscription, dans l’hémicycle, en commission et, éventuellement, hors circonscription et hors les murs. Cela nous permettra de mieux effectuer le travail de contrôle et d’évaluation – c’est d’ailleurs un des objectifs du projet de loi.

Mme Danièle Obono. Nous prenons les choses dans le mauvais sens… Monsieur Fesneau, vous l’avez indiqué, nous devons retrouver la maîtrise de notre ordre du jour. Mais quelle est la réalité ? L’Assemblée nationale ne le maîtrise pas. C’est bien le Gouvernement qui a décidé qu’il fallait faire voter autant de textes à cette échéance.

Nous devons inverser le rapport de forces entre l’exécutif et le Parlement. Ici, nous ne faisons que de la mécanique ! Actuellement, 75 % de l’initiative législative est gouvernementale. Le Parlement et les députés ne font que s’adapter au rythme voulu par les gouvernements. Au final, nous ne maîtriserons plus rien et nous courrons encore plus après le temps si nous ne nous attaquons pas à ce problème de fond. La qualité du travail législatif risque de s’en ressentir.

M. Arnaud Viala. Ces questions ont été abordées par le groupe de travail « Moyens de contrôle et évaluation » qui a remis son rapport la semaine dernière, comme tous les autres groupes de travail.

Avant de modifier la Constitution, nous devons nous interroger sur notre façon de faire la loi. L’embouteillage législatif est certes lié à la très large maîtrise de l’ordre du jour par le Gouvernement, mais également à la taille des projets de loi. Nous votons des lois extrêmement bavardes, aux thématiques multiples, qui donnent donc lieu à quantité de débats. Nous venons de le vivre et le vivons encore ! En outre, ces lois sont peu lisibles pour nos concitoyens, malgré leur titre souvent extrêmement racoleur. Cela doit nous interroger.

M. Jean-Christophe Lagarde. Je suis sûr que le rapporteur général a vu l’ensemble de nos amendements. Ils sont parfaitement cohérents : nous souhaitons allonger la durée de la session, réduire les semaines de contrôle parlementaire qui ne servent à rien et faire sauter le verrou des cent vingt jours, pour retrouver du temps et en redonner au Gouvernement, car il est légitime qu’un Gouvernement veuille faire voter ses projets de loi – encore qu’aux États-Unis, seuls les groupes parlementaires présentent des projets de loi.

Nous déplorons tous l’inflation législative, tout en plaidant pour de nouvelles lois. Nous proposons donc que le temps parlementaire additionnel ne soit plus fictif – comme le sont actuellement les semaines de contrôle – mais effectif – consacré à moitié à l’initiative parlementaire, à moitié au Gouvernement. Le travail parlementaire retrouvera ainsi sa qualité.

Madame la présidente, monsieur le rapporteur général, je souhaiterais que nous débattions plus globalement de cette nouvelle vision de nos travaux, plutôt que d’aborder cette thématique amendement par amendement.

M. Sébastien Jumel. Ce débat est intéressant ; il pose la question de notre rythme de travail, qui est moins un problème en termes de charge de travail que pour la démocratie. Combien de temps consacrons-nous à l’élaboration juste, efficace et pertinente de la loi ?

J’ai bien peur que ces amendements soient en contradiction avec le projet du Gouvernement et de la majorité. La nouvelle rédaction des articles 8 et 9 ne revient pas sur le principe du partage – deux semaines pour le gouvernement, une semaine pour l’Assemblée et une semaine de contrôle – mais permet néanmoins au Gouvernement – cela n’a échappé à personne – d’inscrire l’examen de textes dans les deux semaines qui lui échappent. C’est la preuve que cette réforme cherche surtout à renforcer les pouvoirs du Gouvernement.

Je ne crois pas au hasard : la volonté d’accumuler l’examen de textes et de nous asphyxier participe d’une approche réfléchie…

M. Sylvain Waserman. La maîtrise de notre temps passe par des situations plus saines et plus organisées, à l’échelon annuel. Ces cent vingt jours ne correspondent plus à aucune réalité ; pire, ils nuisent à la programmation annuelle. Les amendements présentés sont cohérents et j’y suis très favorable.

M. Sacha Houlié. Monsieur Viala évoquait les multiples thématiques des projets de loi dont nous débattons. Ce point fera l’objet d’une discussion à l’article 3. Monsieur Jumel, vous indiquez que le calendrier de la semaine de contrôle va nous échapper. Nous en discuterons à l’article 10. Vous vous inquiétez que le Gouvernement reprenne la main sur les textes fondamentaux – économiques ou socioenvironnementaux – de notre République. C’est l’objet de l’article 8. Ne les réécrivez pas avant d’y arriver, puisque nous en discuterons le moment venu.

M. Sébastien Jumel. Ces prises de parole d’une minute maximum sont frustrantes pour l’opposition. Une telle règle n’est pas de nature à favoriser la bonne défense des amendements. Pour respecter le principe d’égalité, je propose que l’on applique la même règle aux rapporteurs.

Mme Laurence Vichnievsky, présidente. C’était une décision collective…

M. Sébastien Jumel. Collective sans notre accord ?

Mme Laurence Vichnievsky, présidente. ... et majoritaire, monsieur Jumel.

La Commission rejette les amendements.

[Article 29 de la Constitution]

La Commission en vient à l’amendement CL931 de M. André Chassaigne.

M. Sébastien Jumel. Nous entendons restreindre l’utilisation des sessions extraordinaires par l’exécutif. Elles ne permettent pas des débats sereins.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Défavorable, en deux secondes…

M. Philippe Gosselin. Je souhaite pointer une difficulté méthodologique. Nous discutons de la fin potentielle des sessions extraordinaires, du verrou des cent vingt jours et, plus globalement, de l’organisation du Parlement. Or, nous n’avons aucun débat avec les oppositions et la majorité n’est pas totalement au point sur tous ces sujets.

Dans cette même salle, mercredi dernier, le président de l’Assemblée nationale assistait à la remise des conclusions des travaux des groupes de travail de l’Assemblée nationale. Des propositions de réforme constitutionnelle ont été formulées. Qu’en avez-vous fait ? Comment pouvons-nous débattre si nous ne savons pas ce vers quoi vous voulez tendre ? Nous mettons tout simplement la charrue avant les bœufs…

M. Sébastien Jumel. Le rapporteur général a répondu en deux secondes ; cela me laisse du temps supplémentaire ! Notre amendement est simple : si le Gouvernement veut ouvrir une session extraordinaire, le Parlement doit la valider. C’est logique puisque nous sommes concernés par cette convocation. Au bout du compte, le rythme qui est le nôtre, la manière dont on appréhende les textes, le temps que l’on souhaite y consacrer en fonction de leur importance doivent être de la responsabilité du Parlement. Le président de l’Assemblée ne peut pas parler de burn out, déclarer que cela ne peut plus durer et faire continuellement allégeance à l’exécutif !

Mme Danièle Obono. Je soutiens cet amendement. Beaucoup d’interventions soulignent la nécessité de maîtriser notre ordre du jour et notre calendrier. Cet amendement nous donne les moyens de cette maîtrise, grâce à une capacité collective retrouvée de décider. Je ne comprends d’ailleurs pas l’absence d’explication du rapporteur général sur son avis défavorable. Pourquoi balayer cet amendement d’un revers de la main quand vous proclamez vouloir renforcer les pouvoirs du Parlement et lui permettre de retrouver la maîtrise de son temps ?

M. Jean-Christophe Lagarde. Ma culture communiste est limitée, mais je vais soutenir cet amendement : comment expliquez-vous que nous puissions modifier la Constitution avec une majorité de trois cinquièmes, mais que nous ne puissions nous réunir de notre propre initiative – sauf quand le Président de la République utilise l’article 16 – d’autant plus que les sessions débutent désormais début septembre et se terminent le 31 juillet. Je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas nous réunir au mois d’août si nous en avons envie !

Par ailleurs, je suis surpris que l’amendement de Mme de Sarnez n’ait pas été adopté, car ces sessions extraordinaires de juillet et septembre offrent deux possibilités de plus au Gouvernement de recourir à l’article 49 : vous venez ainsi de consentir à un abaissement supplémentaire du Parlement…

La Commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CL1327 de Mme Isabelle Florennes.

M. Erwan Balanant. Cet amendement est le deuxième d’une série concernant le calendrier parlementaire. Nous souhaitons délimiter les sessions ordinaires de manière réaliste et ajouter que seules des circonstances exceptionnelles justifient les sessions extraordinaires. Nous travaillerions de manière plus prévisible de septembre à juillet, ce qui correspond à une année scolaire, ou à la période d’activité de la plupart des entreprises.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Mon avis sera défavorable. Les sessions extraordinaires sont prévues pour apporter de la souplesse à la session ordinaire. Il s’agit de pouvoir réagir à l’actualité, notamment internationale, comme c’est le cas lors de l’intervention des forces armées à l’extérieur, mais également de mener à bien des travaux législatifs de grande ampleur, comme la révision constitutionnelle de 2008 ou celle qui nous occupe aujourd’hui, ou encore de prolonger la session ordinaire en vue de l’adoption de textes qui sont en navette. Il n’est pas opportun de rigidifier cet outil.

Mme Cécile Untermaier. Nous avons un problème de méthode, je le dis sans polémique. Pourrait-on avoir connaissance des propositions de la majorité et, à partir de là, faire valoir nos observations ? Nous pourrions être d’accord avec votre projet si nous le connaissions ! J’ai beaucoup de mal à travailler de la sorte, à l’aveugle, amendement après amendement…

M. Philippe Gosselin. Le rapporteur général pourrait répondre !

La Commission rejette l’amendement.

[Article 31 de la Constitution]

La Commission examine l’amendement CL631 de M. François Ruffin.

M. François Ruffin. Il s’agit à nouveau d’affirmer le rôle politique, et non uniquement législatif, de l’Assemblée nationale. Nous souhaitons renouveler les formes du débat pour intéresser l’opinion publique.

Je suis d’accord avec l’esprit de réforme qui anime la majorité sur un point : le droit d’amendement est malheureusement notre seul outil pour faire de la politique. C’est dommage et – nous pouvons tous le constater… – un peu long. En outre, je ne suis pas sûr que ce soit la manière la plus efficace d’intéresser nos concitoyens.

Nous proposons donc un débat d’une demi-heure avec un ministre chaque semaine, à la demande des groupes politiques, qui disposeraient d’un droit de tirage : le ministre de l’Éducation nationale pourrait ainsi venir débattre de la rentrée prochaine.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Le droit d’interroger le Gouvernement en séance a été consacré par la Constitution de 1958. Il a été renforcé lors des modifications constitutionnelles de 1995 et 2008. Mon cher collègue, vous pouvez interroger les ministres lors des questions au Gouvernement, lors des questions orales sans débat – questions posées par un député à un ministre, d’une durée de deux minutes, qui entraînent une réponse de même durée – et, lors des auditions des ministres par les commissions.

Je suis défavorable à votre amendement : il n’est ni utile ni nécessaire.

M. François Ruffin. Au contraire, on gagne à renouveler les formes de ces interpellations. Nos formes sont relativement figées. Vous évoquez les questions au Gouvernement. Je ne souhaite pas les supprimer, mais ces deux minutes de temps de parole du député d’un côté et ces deux minutes de réponse du ministre de l’autre ne sont pas un échange, pas plus que les bien nommées questions orales sans débat ! La situation n’est pas différente en commission : chacun vient faire son « numéro », évolue dans deux mondes parallèles et on ne peut véritablement débattre. Afin de moderniser la vie démocratique française, nous devons inventer de nouvelles formes de débat, sans nous limiter d’ailleurs à la forme proposée par cet amendement.

Mme Maina Sage. Cet amendement illustre la nécessité de changer de méthode dans la gestion de nos débats ! Cette minute maximum pour intervenir m’est insupportable. Les textes débattus en temps programmé le démontrent également. Les débats ont été particulièrement riches sur les derniers grands textes que nous avons votés. Pourquoi ? En l’absence de cet effet couperet, chacun a eu le temps d’exposer son point de vue et d’échanger. Je suis d’accord, nous devons renouveler nos méthodes : débattre uniquement des amendements n’est pas satisfaisant.

M. Sacha Houlié. Nous nous proposons de répondre à la demande de M. Ruffin par l’organisation d’un débat d’orientation lorsqu’un projet de loi, présenté en conseil des ministres, est déposé sur le bureau de notre Assemblée. Par ailleurs, l’amendement de rénovation des questions au Gouvernement porté par le groupe UDI, Agir et Indépendants et M. Lagarde est intéressant. Enfin, nous souhaitons auditionner le ministre six mois après l’adoption d’une loi, afin qu’il nous rende compte de sa mise en œuvre.

Ces mesures permettront de rénover les méthodes de travail du Parlement. Vous aurez noté que je suis intervenu en trente secondes !

M. Michel Castellani. Le débat est la base de la vie démocratique. Je tiens à souligner que l’expérience du temps contrôlé est traumatisante quand on assiste à des débats, que l’on a des choses intéressantes à dire et qu’on se trouve dans l’impossibilité de le faire… J’ai donc beaucoup de sympathie pour cet amendement, même si je ne peux pas le voter, car je ne suis pas membre de la commission.

M. Philippe Gosselin. Puisque notre collègue Sacha Houlié est capable de nous fournir des explications en moins de trente secondes, à défaut d’une réponse du rapporteur général à la question posée par notre collègue Untermaier, nous pouvons lui laisser une trentaine de secondes de plus pour qu’il nous explique quels sont les projets de la majorité s’agissant de l’organisation du temps parlementaire, des sessions extraordinaires, des cent vingt jours, etc. Nous ne sommes pas dans une opposition frontale et systématique. Nous sommes prêts à nous associer à un projet collectif dans l’intérêt de tous. Mais encore faudrait-il qu’il y ait un projet… Nous tournons en rond : ces amendements ont leur pertinence et leur cohérence, j’en donne crédit à La France Insoumise, même si je ne partage pas toujours son point de vue. J’aimerais retrouver cette cohérence au sein de la majorité…

M. Sébastien Jumel. Devant le silence assourdissant de la majorité, je me risque à fournir une explication : le projet qui nous est présenté est parfaitement cohérent, il consiste à affaiblir systématiquement les pouvoirs du Parlement, à priver l’opposition de sa capacité à résister aux mauvais coups, à priver le député intuitu personae de sa capacité à amender les textes et à priver les territoires de leur voix. C’est une forme de cohérence que nous ne partageons pas !

La Commission rejette l’amendement.

[Article 32 de la Constitution]

La Commission en vient à l’amendement CL946 de M. Sébastien Jumel.

M. Sébastien Jumel. Le président de Rugy a tenté de faire le bilan de sa première année de mandat – peut-être un mi-mandat d’ailleurs ? Toute l’opposition a quitté l’hémicycle. Le symbole est fort… Chacun, avec ses mots et sa sensibilité, a considéré que le président de l’Assemblée nationale n’avait pas su résister au déséquilibre des pouvoirs que subit le Parlement. Pourquoi ? Parce qu’il appartient à la majorité et semble confiné dans un mandat impératif : faire allégeance au Président de la République.

Notre amendement propose donc de confier la présidence de l’Assemblée nationale à un membre de l’opposition pour remédier à cette situation. Cela permettrait à l’Assemblée de résister à ce déséquilibre, conséquence de l’exercice majoritaire du pouvoir.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Votre amendement est contraire à la logique des institutions de la Ve République. Le président de l’Assemblée nationale est élu à la majorité des voix. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

[Article 33 de la Constitution]

La Commission examine l’amendement CL474 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier. Je persiste, ces débats, amendement par amendement, sont difficiles à suivre…

Notre amendement concerne le compte rendu intégral des débats dans les commissions permanentes. Nous considérons que le travail en commission n’est pas anodin. C’est pourquoi le compte rendu intégral des débats des commissions permanentes de l’Assemblée nationale et du Sénat devrait être publié au Journal officiel, selon des modalités prévues par les règlements des assemblées. Cette publication garantirait une bonne information du citoyen, faciliterait le travail des élus de la Nation et permettrait aux chercheurs de disposer d’informations. Les assemblées réglementeraient en leur sein la question du huis clos.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Madame Untermaier, l’amendement de M. Jumel concernait l’article 32, le vôtre concerne l’article 33. Il est donc logique qu’ils soient examinés l’un après l’autre.

Le compte rendu des débats en commission est disponible sur le site de l’Assemblée et du Sénat et cela est suffisant : il n’est pas besoin de le publier au Journal officiel en complément. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

[Après l’article 33 de la Constitution]

La Commission en vient à l’amendement CL489 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier. Cet amendement concerne la pétition citoyenne. Un dispositif de pétition existe, la commission des Lois de l’Assemblée Nationale en fait l’expérience, mais il ne fonctionne pas.

Cet amendement est le fruit de la réflexion que nous avons menée collectivement pendant un an. Ce droit de pétition mérite attention et ne doit pas s’exercer de la façon dont il s’exerce actuellement. Bien entendu, il faut l’encadrer pour éviter tout risque – en particulier la prise en main par des lobbies et le mandat impératif qui pourrait en résulter. À partir d’un certain nombre de signatures, la pétition devrait être examinée par l’Assemblée nationale, dans des conditions fixées par le Règlement.

Le citoyen prendra ainsi conscience qu’il s’agit d’un contrat « gagnant-gagnant ». Une pétition qui reçoit suffisamment de signatures pourra faire l’objet d’un débat, d’une proposition de loi ou d’un amendement. C’est un moyen constructif d’ouvrir l’Assemblée nationale et le Sénat, les outils numériques garantissant l’effectivité du dispositif.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Vous l’avez indiqué, il existe de très nombreux moyens de faire prospérer l’idée que vous défendez, sans forcément la constitutionnaliser.

Le droit de pétition auprès des assemblées parlementaires est apparu en France sous la Révolution. Ses modalités d’exercice ont varié dans le temps. En l’état actuel du droit, il est organisé par l’article 4 de l’ordonnance de 1958 et par les règlements des assemblées. Des pétitions collectives ou individuelles peuvent être adressées aux présidents des assemblées.

Par conséquent, si vous souhaitez faire évoluer ce droit, afin qu’il soit mieux pris en compte, nul besoin de modifier la Constitution. Il serait en revanche utile de saisir le bureau de notre assemblée, afin que son règlement soit modifié, le cas échéant. Avis défavorable.

Mme Cécile Untermaier. J’entends vos arguments, monsieur le rapporteur général. Loin de me décourager, cela m’incitera au contraire à solliciter le bureau de l’Assemblée.

Pouvez-vous me confirmer que nous n’avons pas besoin de modifier la Constitution pour que l’Assemblée nationale soit obligée de répondre à ces pétitions par un débat, une proposition de loi, un amendement ou tout autre véhicule idoine ? Si ce n’est pas nécessaire, je suis de celles et ceux qui considèrent qu’il ne faut pas surcharger la loi fondamentale et je retire donc mon amendement.

L’amendement est retiré.

La Commission en vient à l’amendement CL633 de Mme Danièle Obono.

M. François Ruffin. Lors d’une audition devant la commission des affaires économiques, M. Maxence Bigard, fils du président-directeur général Jean-Paul Bigard du groupe Bigard, a refusé de répondre à quasiment toutes nos questions, qu’elles portent sur la santé de ses salariés ou sur ses comptes. De la même façon, Patrick Kron, fossoyeur d’Alstom, a refusé de se présenter devant une commission d’enquête. En 2012, Frédéric Oudéa, directeur général de la Société Générale, a menti en affirmant que sa banque n’avait plus d’activité dans les paradis fiscaux.

Nous souhaitons disposer d’un moyen de pression supplémentaire pour effectuer nos missions de contrôle, en renforçant les sanctions contre les personnes qui refusent de répondre aux questions, omettent volontairement des informations, dissimulent ou mentent devant l’Assemblée nationale.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Il n’y aurait pas un grand intérêt à inscrire la mesure proposée dans la Constitution, dont l’article 34 précise qu’il revient à la loi de fixer les règles concernant les crimes et délits, ainsi que les peines qui leur sont applicables et la procédure pénale. Par ailleurs, l’arsenal législatif est aujourd’hui suffisant : en cas de faux témoignage ou de subornation de témoin, le code pénal prévoit, à son article 434-13, cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende ; d’autres articles prévoient 100 000 euros d’amende et d’autres encore trois mois d’emprisonnement.

Toutes ces dispositions du code pénal sont applicables, dans le cadre de poursuites exercées à la requête du président de la commission ou, lorsque le rapport de la commission a été publié, à la requête du bureau de l’Assemblée nationale.

Ainsi, aujourd’hui, sans même attendre que nous adoptions ensemble cette révision constitutionnelle, votre volonté de sanctionner les menteurs est déjà exaucée. J’émets donc un avis défavorable à votre amendement.

M. Jean-Christophe Lagarde. Aujourd’hui, lorsqu’une personne vient devant une commission d’enquête, elle est passible de sanctions pénales. Je pense que, non pas dans la Constitution, mais dans nos règlements ou dans une loi organique, nous devrions pouvoir recourir au même type de dispositifs pour les missions d’information et les missions d’évaluation. Une personne entendue dans ce cadre peut en effet parfaitement mentir ou tromper la Représentation nationale, ce qui serait dommage, car nous aurions les moyens d’imposer sur le plan législatif qu’une personne entendue par le Parlement dise la vérité.

M. Sébastien Jumel. Si l’argument défendu par François Ruffin emporte la conviction de tout le monde, notamment du rapporteur général, qui lui répond que sa préoccupation est déjà satisfaite par les dispositions pénales actuelles, le président du groupe majoritaire peut-il s’engager, d’une part, à ce que le bureau de l’Assemblée nationale fasse jouer les sanctions prévues lorsque le flagrant délit de mensonge est constaté – ce qui n’a malheureusement pas été fait jusqu’à présent, alors que les circonstances l’auraient justifié –, d’autre part, à ce qu’il soit transcrit dans le règlement intérieur de notre assemblée – ainsi, peut-être, que dans une loi ordinaire ou organique – que l’obligation pour les personnes entendues de dire la vérité ne soit pas limitée aux commissions d’enquête, mais s’étende aux missions d’information et d’évaluation ?

Mme Danièle Obono. M. le rapporteur général nous dit que toutes les sanctions que nous demandons existent déjà, mais on trouve déjà dans la Constitution de nombreuses choses qui, en réalité, ne sont jamais appliquées – ce qui montre bien la nécessité de donner plus de pouvoir au Parlement. Quand une personne est auditionnée devant le Congrès des États-Unis, quel que soit son statut – il peut même s’agir d’un responsable politique ou économique, tel Mark Zuckerberg –, elle ne se risque pas à mentir ! Il en va tout autrement devant le Parlement français qui, lui, n’est pas suffisamment pris au sérieux, ce qui montre bien la nécessité de renforcer les sanctions.

La Commission rejette l’amendement.

Article 2
(art. 34 de la Constitution)
Inscription dans le domaine de la loi de l’action contre les changements climatiques

La Commission examine l’amendement CL213 de M. Philippe Gosselin.

M. Philippe Gosselin. L’article 2 modifie l’article 34 de la Constitution, en y ajoutant que la loi définit les principes fondamentaux de l’action contre les changements climatiques.

Nous avons déjà abordé la thématique du changement climatique il y a quelques longues heures. Alors que le Gouvernement avait fait le choix d’intégrer cette problématique à l’article 34 de la Constitution, le rapporteur général et la majorité ont souhaité introduire ces éléments dans l’article 1er. Pour notre part, il nous semblait plus cohérent de compléter la Charte de l’environnement, où figurent déjà la quasi-totalité des dispositions relatives au changement climatique, plutôt que de créer un droit ex nihilo.

L’amendement CL213 propose donc de supprimer l’article 2 du présent projet de loi.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. J’émets un avis défavorable à votre amendement de suppression, au profit de l’amendement de réécriture globale de l’article 2 que nous avons nous-mêmes déposé. Il est en effet nécessaire, comme le propose d’ailleurs la commission du Développement durable, de tirer les conséquences de l’inscription à l’article 1er de la Constitution de l’action pour la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et contre les changements climatiques en supprimant l’inscription dans le domaine de la loi de l’action contre les changements climatiques – qui apparaît en réalité, comme l’a souligné le Conseil d’État dans son avis sur le projet de loi constitutionnel, comme une simple reconnaissance de l’état du droit. Toutefois, comme l’a proposé le groupe La République en Marche, il apparaît également nécessaire d’inscrire le service national au sein de l’article 34 de la Constitution, afin de permettre la mise en œuvre du service national universel.

Pour ce qui est du sujet de la protection des données personnelles, sur lequel le groupe du Mouvement Démocrate et apparentés a déposé un amendement, je vous renvoie aux travaux d’approfondissement sur le numérique qui doivent être menés d’ici à l’examen du texte en séance.

Pour toutes ces raisons, nous vous proposerons une réécriture globale de l’article 2.

M. Philippe Gosselin. La réponse de M. le rapporteur général ne me surprend pas.

J’estime que nous pourrions faire autrement au sujet de l’environnement, mais je n’y reviendrai pas. Pour ce qui est du service national, on voit bien que le sujet est loin d’être clos, en dépit des annonces récentes dans la presse.

Quant à la charte du numérique, il s’agit aussi d’un sujet important et je regrette que les arbitrages attendus ne soient pas encore rendus. En commission des Lois, on a l’impression de n’être face qu’à un brouillon de révision, ce qui me paraît fâcheux.

M. Michel Castellani. J’aimerais simplement souligner que la lutte contre le changement climatique, qu’elle soit inscrite ou non dans la Constitution, est une priorité intangible et incontournable.

Mme Isabelle Florennes. Avec votre permission, madame la présidente, je voudrais rappeler que vous aviez déposé au nom du groupe du Mouvement Démocrate et apparentés un amendement CL1325 visant à compléter le troisième alinéa de l’article 34 de la Constitution par les mots : « et la protection des données personnelles ; ».

J’ai bien compris qu’il y aurait, avant la séance, une réflexion sur l’inclusion de la charte du numérique dans le texte. Nous n’avons pas encore la certitude que cela répondra à notre préoccupation mais, dans la mesure où tous les amendements suivant celui de M. le rapporteur général vont tomber après l’adoption de celui-ci, il est assez vain de se poser des questions à ce sujet…

Mme Cécile Untermaier. Nous avons déjà parlé du numérique et, puisque la majorité devait nous présenter un amendement à ce propos, il me paraît assez curieux qu’on ne puisse pas en connaître la teneur.

M. Sacha Houlié. Nous avons vu tout à l’heure que le thème de l’environnement était rétabli à l’article 1er, ce qui nous permettait d’avoir ensuite une discussion sur le contenu de l’article 34, au sein duquel nous avions proposé d’inscrire le service national – M. le rapporteur général en reparlera tout à l’heure.

Pour ce qui est du numérique, il est ressorti de notre discussion que la charte du numérique, telle qu’elle était rédigée et inscrite à l’article 1er, portait sur un trop grand nombre de sujets pour être adoptée en l’état. Si cela ne signifie pas que la protection de la vie privée ne peut pas être étudiée, voire retenue, en l’état actuel des choses, ni les rédactions ni les discussions ne sont suffisamment abouties pour permettre une inscription de ce sujet dans la Constitution.

M. Jean-Christophe Lagarde. M. le rapporteur général nous a indiqué qu’un amendement allait réécrire tout l’article 2. J’aimerais savoir s’il s’agit de l’amendement CL1534 car, si c’est le cas, tous les amendements suivants vont tomber, et notre Commission va dès lors se trouver privée de toute discussion sur le reste de l’article 34 de la Constitution, qui est un article essentiel. Ce serait là une situation exceptionnelle, qui justifierait que nous disposions d’un peu plus de temps pour évoquer en séance publique tous les amendements que nous n’aurons pas pu présenter en commission : est-il possible que nous obtenions des assurances sur ce point ?

M. Philippe Gosselin. Je m’associe totalement aux propos de notre collègue Lagarde et, si j’estime que le sujet du numérique mérite que l’on s’y intéresse, je constate que l’on s’apprête à nous faire siéger vendredi, samedi et lundi sur un texte qui n’est absolument pas prêt. Nous serions tout à fait disposés à vous laisser huit jours supplémentaires – voire à ne reprendre qu’à la rentrée de septembre, compte tenu de l’arrivée prochaine du projet de loi PACTE et du retour du projet de loi sur l’asile et l’immigration – afin de vous permettre de rendre vos arbitrages.

Je trouve stupéfiant de constater qu’alors que nous sommes censés débattre de la révision de la Constitution, rien n’est finalisé : nous n’en sommes qu’aux balbutiements, aux réflexions inabouties, aux arbitrages restant à rendre au sein de la majorité… tout cela ressemble furieusement à de l’amateurisme !

M. Jean-Christophe Lagarde. Pouvons-nous obtenir une réponse de la part du rapporteur général, madame la présidente ? L’article 34 de la Constitution précise tout ce qui relève de la loi, ce qui n’est pas rien !

Mme Laurence Vichnievsky, présidente. Nous suivons la procédure habituelle d’examen des amendements et, compte tenu de votre expérience, vous n’êtes pas sans savoir que le débat se poursuivra dans l’hémicycle

M. Jean-Christophe Lagarde. Ce qui est habituel, madame la présidente, c’est de pouvoir obtenir des réponses !

Mme Laurence Vichnievsky, présidente. Mes chers collègues, je vous propose de voter sur l’amendement de M. Gosselin et qu’ensuite chacun prenne un peu plus de temps que d’ordinaire pour présenter ses amendements.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements CL1534 du rapporteur général, CL1005 de M. André Chassaigne, CL557 et CL558 de M. Dominique Potier.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. J’ai déjà présenté l’objet de l’amendement CL1534, et expliqué la méthode consistant à tirer les conséquences de l’inscription à l’article 1er de la Constitution de l’action pour la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et contre les changements climatiques. Par ailleurs, comme l’a proposé le groupe La République en Marche, cet amendement vise à inscrire dans le domaine de la loi le service national, afin de permettre la mise en place du service national universel.

M. Sébastien Jumel. Les enjeux de la lutte contre les changements climatiques n’étant pas seulement environnementaux, il convient de leur réserver une place spécifique. C’est ce que nous proposons de faire avec l’amendement CL1005 en insérant, après le quinzième alinéa de l’article 34 de la Constitution, un nouvel alinéa consacré à l’action contre les changements climatiques. Quoique rédactionnel, cet amendement a une portée symbolique.

M. Dominique Potier. Les amendements CL557 et CL558 visent à prévoir, à l’article 34 de la Constitution, que la loi détermine les mesures propres à assurer que l’exercice du droit de propriété et de la liberté d’entreprendre respecte le bien commun – c’est l’amendement CL557 – ainsi que l’intérêt général – c’est l’amendement CL558. En d’autres termes, il s’agit pour la loi de déterminer les conditions dans lesquelles les exigences constitutionnelles ou l’intérêt général justifient des limitations à la liberté d’entreprendre et au droit de propriété.

Le groupe Nouvelle Gauche, qui a déposé ces amendements, a été rejoint dans son combat par des parlementaires d’autres formations politiques. Les dispositions proposées s’inspirent de l’expérience tirée de l’observation de certaines lois adoptées durant la précédente législature, notamment de la loi Sapin 2, qui prévoyait des dispositions destinées à lutter contre le dumping fiscal, mais aussi d’une loi votée en mars 2017, relative à la lutte contre l’accaparement des terres agricoles et au développement du biocontrôle. À plusieurs reprises en effet, nous avons été confrontés à la mise en œuvre d’une sorte de verrou constitutionnel invoquant une sorte de sacralisation du droit de propriété et de la liberté d’entreprendre – ce qui nous paraît totalement déplacé, en ce que l’application d’un tel principe a pour effet de protéger les puissants contre les faibles et contrevient en cela à l’esprit des Lumières, qui avait fait de l’émancipation et du droit des sociétés une liberté, certes, mais une liberté pour tous, et non un principe favorisant le despotisme de la toute-puissance économique des multinationales, qui s’abritent derrière leur statut de société pour mieux se permettre de déroger au droit commun.

Nous proposons une réforme mesurée, qui permette de rouvrir le débat démocratique et de rendre droit à cette réforme constitutionnelle. Le grand sujet du XXIe siècle, ce n’est pas le nombre de députés ou de sénateurs, mais l’équilibre à trouver entre la puissance publique et la puissance privée : en l’occurrence, la Constitution actuelle aboutissant à une limitation de la puissance publique destinée à favoriser le bien commun et l’intérêt général, nous devons saisir l’occasion qui nous est donnée de la réformer.

La portée de ces amendements est telle qu’ils ont été soutenus par une tribune signée par cinquante intellectuels, dont de nombreux constitutionnalistes ayant fait le constat de cette déformation de l’esprit de la Révolution française et de la Constitution de 1958. Pour eux comme pour nous, cette réforme mesurée serait à même de redonner au Parlement sa pleine capacité de délibérer et de concourir à l’égalité des droits devant l’impôt et la possession de biens communs – je pense notamment au foncier et au renouvellement des générations.

Je reviens tout juste du forum Planet A qui vient de se tenir à Châlons‑en‑Champagne avec la participation de Benoist Apparu et de nombreux parlementaires, et où il a été affirmé à maintes reprises que l’enjeu des biens communs, consistant notamment à nourrir la planète, ne peut pas s’effondrer devant la toute-puissance privée telle que la défend actuellement notre Constitution.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Nous avons déjà débattu à plusieurs reprises des biens communs au sein de notre Commission, et nous émettons toujours un avis défavorable à ce type d’amendements, car ils prévoient que la loi détermine les mesures à même de concilier le droit de propriété et la liberté d’entreprendre avec le bien commun et les conditions dans lesquelles les exigences constitutionnelles ou d’intérêt général justifient des limitations à ces droits et libertés.

Or, le « bien commun » que vous mentionnez est une notion suffisamment vaste et floue pour se prêter aisément à tous les détournements politiques. Sous cette expression, les injustices les plus criantes et les exactions les plus arbitraires peuvent être légalement perpétrées.

Par ailleurs, votre amendement revient à confier au législateur le rôle dévolu au Conseil constitutionnel de veiller au respect de l’équilibre entre des principes constitutionnels opposés, voire contradictoires. Pour toutes ces raisons, j’émets un avis défavorable à vos deux amendements.

M. Dominique Potier. L’abus de puissance privée fait de réelles victimes, qu’il s’agisse de paysans spoliés de leurs terres, de la difficulté à renouveler les générations d’agriculteurs et à partager la terre comme bien commun, ou encore à l’égalité fiscale dont s’exonèrent les multinationales dans le cadre de la loi Sapin 2, en vertu d’une déformation du droit. Les limitations que nous proposons sont très mesurées et relèvent de nos assemblées ; résultant d’un dialogue entre la Constitution d’une part, la loi issue du Parlement d’autre part, elles ne peuvent donner lieu à aucun dérapage.

En fait, j’aimerais que vous répondiez à cette simple question, madame la rapporteure : doit-on continuer à accepter, en vertu de la Constitution, la pratique du dumping fiscal, et à fermer les yeux quand les sociétés étrangères accaparent le foncier français ?

Mme Laurence Vichnievsky, présidente. Je vous fais simplement observer, mes chers collègues, que si la Commission avait adopté l’amendement de M. Gosselin, cela aurait eu pour conséquence de faire tomber tous les amendements suivants – exactement ce qui va se passer si nous adoptons l’amendement de M. le rapporteur général.

Je vous propose donc que chaque groupe prenne maintenant la parole deux minutes, afin de compenser le fait que les amendements suivant celui de M. le rapporteur général ne pourront pas être défendus.

M. Erwan Balanant. Si j’ai bien compris, l’adoption de l’amendement de M. Gosselin aurait eu, comme celle de l’amendement de M. Ferrand, pour conséquence de faire tomber tous les amendements suivants à l’article 2. Moi qui suis un jeune député encore inexpérimenté, je me pose deux questions à ce sujet. Premièrement, je ne comprends pas pourquoi cela concerne des amendements qui ne sont pas en lien avec l’article 2 ; deuxièmement, j’aimerais savoir si la même chose risque de se reproduire lors de l’examen de l’article 2 en séance publique.

Mme Laurence Vichnievsky, présidente. J’ai l’impression que vous avez en réalité fort bien compris le mécanisme que vous évoquez, monsieur Balanant. Il nous appartiendra, aux uns et aux autres, de sous-amender l’amendement de la commission ou, si cela est possible, de rédiger des articles additionnels avant ou après l’article 2.

M. Jean-Christophe Lagarde. Je constate, madame la présidente, qu’après avoir demandé aux groupes s’ils étaient d’accord avec la solution que vous avez proposée, vous n’avez pas attendu leur réponse.

Mme Laurence Vichnievsky, présidente. J’ai proposé que chaque groupe puisse disposer d’un temps de parole un peu supérieur à celui convenu hier – en votre absence, monsieur Lagarde – afin que personne, y compris moi-même, ne se sente frustré de ne pouvoir défendre ses amendements. Mais en cas de refus, nous pouvons revenir au temps de parole initial, à savoir une minute par intervenant et par groupe.

M. Jean-Christophe Lagarde. Puis-je répondre à cette question ?

Mme Laurence Vichnievsky, présidente. J’aimerais surtout que nous avancions, monsieur Lagarde.

M. Jean-Christophe Lagarde. Pour répondre à M. Balanant, je dirai qu’il est assez rare que les amendements de suppression de l’opposition soient adoptés ; quant au fait qu’un amendement de la majorité le soit et fasse tomber tout le reste, cela arrive de temps à autre – mais assez rarement dans le cadre d’un débat constitutionnel, a fortiori sur l’article 34, qui définit le domaine de la loi, c’est-à-dire la totalité de ce que nous avons le droit de faire dans cette assemblée !

Nous avons dit au début du débat que nous souhaitions moderniser ensemble le fonctionnement de cette assemblée. Il me semble que ce n’est pas trop demander que de souhaiter pouvoir bénéficier d’une plus grande largesse en séance publique, dans la mesure où le débat ne pourra pas avoir lieu en commission : en effet, dans quelques secondes, plus aucun débat ne sera possible sur l’article 34 de la Constitution. Certes, on peut penser qu’un jeudi soir à vingt-deux heures trente, il n’y aura pas grand monde pour s’en émouvoir, mais nous qui sommes attachés au Parlement ne pouvons que déplorer cet état de fait. Pour y remédier, c’est-à-dire pour être certains qu’un amendement de la majorité ne fasse pas à nouveau tomber tous les autres, nous allons devoir redéposer la totalité de nos amendements avant ou après l’article 2. Le problème, c’est qu’en procédant de la sorte, nous allons perdre beaucoup de temps – ce qui est injuste à l’égard des groupes d’opposition, qui n’ont pas exagéré dans le nombre d’amendements déposés et cherchaient simplement à ce que le débat puisse avoir lieu.

Je reconnais que ce qui est en train d’arriver ne résulte sans doute pas d’une démarche volontaire des membres de la majorité : cela provient simplement du fait qu’ils tenaient à faire figurer le sujet du service national dans la Constitution et que, l’amendement contenant cette disposition aboutissant au texte le plus éloigné du texte initial, c’est celui-ci qui devait être examiné et voté en premier – avec cette conséquence de faire tomber tous les autres. Cela étant, la situation particulière où nous nous trouvons justifie, à mon sens, que chacun de nous puisse s’exprimer plus longuement que la minute réglementaire – je pense surtout à Mme Sage ou à M. Dunoyer, qui viennent de loin pour défendre des amendements importants –, et je ne vois pas ce qui justifierait de ne pas faire droit à cette demande raisonnable.

M. Philippe Gosselin. Très franchement, je suis affligé de voir la tournure que prennent nos débats. Il ne s’agit pas ici de défendre des positions dogmatiques et tranchées, mais simplement de se mettre d’accord sur une méthode de travail qui satisfasse tout le monde. Mes chers collègues, j’appelle votre attention sur le fait que nous sommes en train de toucher au cœur de réacteur de la révolution juridique qu’a représentée la Constitution de 1958 avec ses articles 34 et 37, par lesquels le Parlement devenait un peu moins souverain – ce que nous avons corrigé avec la révision de 2008.

Aujourd’hui, en triturant l’article 34 de la Constitution, nous nous sabordons nous-mêmes, sans que la majorité paraisse s’en émouvoir. Dans les rangs des députés Les Républicains, cela provoque du désarroi, de l’incompréhension et du dépit devant cette façon de procéder, car ce n’est pas d’un texte ordinaire que nous parlons, mais bien de la Constitution, qui régit les pouvoirs publics dans notre pays.

Mme Laurence Vichnievsky, présidente. Je vous rappelle que vous avez vous-même déposé un amendement de suppression, monsieur Gosselin…

M. Philippe Gosselin. Je peux m’en expliquer, madame la présidente.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Il y a quelque paradoxe à vous entendre vous indigner ainsi, monsieur Gosselin. En effet, si nous avons proposé un amendement de réécriture qui va produire les effets que vous semblez déplorer, vous aviez vous-même proposé un amendement de suppression qui, non content d’avoir les mêmes effets, aurait également fait tomber d’autres amendements. Finalement, je ne regrette qu’une chose, c’est de ne pas avoir proposé d’adopter votre amendement, qui aurait abouti au même résultat ! En tout état de cause, vous ne pouvez pas nous reprocher à la fois de ne pas vous avoir suivi et d’avoir proposé un amendement de réécriture qui a des effets de moindre portée que votre propre amendement – et maintenant, je suggère que nous passions à autre chose, car il serait bon que nous avancions.

M. Philippe Gosselin. Si nous souhaitions supprimer l’article 2, c’était pour en rester à l’épure des articles 34 et 37, constituant le cœur de réacteur de la Constitution de 1958 : il s’agissait là d’une démarche très cohérente, que je revendique.

M. Sébastien Jumel. La majorité est prise en flagrant délit de limitation des pouvoirs du Parlement, ce qui donne lieu à un débat absolument délirant, où on ne peut même pas discuter de l’article 34 de la Constitution. Dominique Potier, qui vient de rentrer du forum Planet A, aurait eu des choses importantes à nous rapporter au sujet du bien commun. De son côté, Huguette Bello, qui a l’ardente obligation et la volonté d’ouvrir le débat sur les préoccupations de l’outre-mer, s’en trouve également empêchée, puisqu’on ne peut débattre de l’article 34. Au moment où vous cherchez à affaiblir le Parlement (Protestations)

Que vous protestiez ne m’étonne pas : je sais que ça vous embête qu’on dise ça ! Mais c’est bien à un déni de démocratie que vous vous livrez en vous asseyant sur le Parlement, que vous méprisez, en bâillonnant l’opposition et en refusant que l’on débatte au sujet de l’article 34, qui constitue le cœur des prérogatives du Parlement.

Aucun groupe de l’opposition ne peut accepter cela et, quand je vois la majorité avancer à marche forcée sur ce terrain, je me dis que cela nous éclaire sur le sens qu’il convient de donner à cette réforme constitutionnelle : ça commence comme ça, l’abus de position dominante – et je dis cela pour éviter d’employer un autre mot.

M. Sacha Houlié. Monsieur Jumel, votre indignation feinte, au bout de trois jours de débat,…

M. Sébastien Jumel. Elle n’est pas feinte, et je passe ici autant de temps que vous !

M. Sacha Houlié. … me paraît tout à fait déplacée, car nous avons examiné près de 350 amendements après l’article 1er, portant sur de nombreux sujets tels que le numérique, l’environnement, les compétences du Parlement, les droits de l’homme ou la parité. Après un amendement de suppression de l’article 2, qui a été rejeté, nous examinons un amendement consistant à réécrire cet article et, dans la mesure où vous êtes des députés bien plus expérimentés que nous, vous connaissez suffisamment la procédure parlementaire pour savoir que vous aurez la possibilité de réintroduire vos amendements en séance publique. Maintenant, pourrions-nous avancer et aborder l’examen de l’article 3 ?

M. Erwan Balanant. Monsieur Jumel, vous êtes un parlementaire chevronné, possédant un talent d’orateur connu de tous, qui confine parfois à un don de manipulateur…

M. Sébastien Jumel. C’est une attaque personnelle ! Je ne peux pas vous laisser dire des choses pareilles !

M. Erwan Balanant. Ce n’est pas une attaque personnelle : au contraire, je rends hommage à votre talent d’orateur !

Vous aviez déposé un amendement CL1005, dont l’adoption aurait également fait tomber tous les amendements qui suivaient, portant sur des sujets extrêmement intéressants. Si vous vouliez que le débat ait lieu sur ces sujets, pourquoi n’avez-vous pas placé votre amendement après l’article 2 ?

Mme Danièle Obono. C’est la séance qui décide !

M. Erwan Balanant. Pour conclure, si vous estimez offensant d’avoir été félicité pour votre talent d’orateur, je m’en excuse auprès de vous.

Mme Huguette Bello. Puisque mon amendement CL1164 ne pourra pas être soutenu, j’aimerais dire quelques mots du sujet sur lequel il porte, à savoir les mers et océans, qui constituent le plus grand écosystème mondial, dont il serait restrictif de faire une sous-catégorie des enjeux liés à l’environnement.

Par ailleurs, même si les problématiques de la lutte contre les dérèglements climatiques et en faveur de la préservation des mers et des océans sont liées et convergentes, elles ne se recoupent pas totalement. L’amendement que je voulais présenter vise donc précisément à la préservation des mers et des océans qui, du fait de leur importance vitale, des enjeux qui leur sont liés, de l’exploitation et de la pollution exacerbée dont ils font l’objet, exigent une mobilisation et un engagement spécifiques.

Mon amendement présente en outre l’avantage d’inscrire pour la première fois dans la Constitution française, les mots « mer » et « océan » qui n’y ont jamais figuré jusqu’à présent, pas plus que dans la Charte de l’environnement. Cette longue absence n’est pas anodine, et je pense que le temps est venu de prendre en compte solennellement la dimension maritime de la France qui, avec une zone économique exclusive de 11 millions de km2, est la première puissance maritime européenne, et la deuxième du monde. Avec cette inscription dans la loi fondamentale, la puissance maritime de la France serait soulignée, ainsi que les responsabilités que cette place implique au niveau européen et international.

Mme Maina Sage. Je veux commencer par remercier Mme Bello pour sa très belle initiative en faveur d’une meilleure reconnaissance des enjeux océaniques. Nous portons une lourde responsabilité en la matière, puisque nous possédons le deuxième domaine maritime mondial.

Ce qui me dérange dans votre amendement, monsieur le rapporteur général, c’est qu’il a pour conséquence de substituer au thème initial de l’article 2 un tout autre sujet, celui du service national. Si nous sommes tout à fait d’accord sur le fond, nous aurions préféré que ce thème ne vienne que s’ajouter à la question environnementale.

Lorsque nous avons entamé ce débat, vous nous avez affirmé que la préoccupation environnementale était prise en compte, et promis que nous en reparlerions au moment d’aborder l’article 34 de la Constitution, c’est-à-dire l’article 2 de ce projet de loi. Aujourd’hui, nous avons le sentiment que votre amendement joue le rôle d’un couperet, qui nous empêche de nous exprimer. L’amendement de Mme Bello était très intéressant, et je trouve préoccupant que l’on accuse d’obstruer le débat en évoquant des problématiques telles que la préservation des mers et océans ou l’égalité entre les femmes et les hommes.

Vous aviez proposé, madame la présidente, que l’on regroupe les sujets par thèmes. Or, si on peut le faire pour certains articles, ce n’est pas le cas pour l’article 34.

M. Philippe Dunoyer. Puisque je ne peux défendre mon amendement, je n’y reviendrai pas.

Monsieur le rapporteur général, vous avez dit tout à l’heure à M. Gosselin que vous ne compreniez pas son indignation, puisque l’adoption de son amendement de suppression aurait eu sensiblement les mêmes effets que celle de l’amendement de réécriture de l’article 2. Or, vous ne pouvez nous opposer le même argument, puisque le groupe UDI, Agir et Indépendants n’avait pas déposé d’amendement de suppression. Au contraire, nous vous avions entendu lorsque vous nous aviez dit, au début de l’examen de texte, partager nos préoccupations relatives au changement climatique et lorsque le Président de la République, à qui Mme la ministre des outre-mer a remis aujourd’hui le Livre bleu, synthèse des travaux des Assises des outre-mer, a déclaré que si la Charte de l’environnement ne pouvait pas être intégrée à l’article 1er, elle pouvait l’être à l’article 34, et donner lieu à un débat à ce titre.

En tant que jeune député, je prends cet épisode comme une leçon, mais une leçon qui gardera un goût amer compte tenu de tous les sujets importants qui ne pourront pas être évoqués aujourd’hui, alors qu’ils relevaient de la loi.

M. François Ruffin. Tout à l’heure, on demandait qu’il y ait des poursuites contre ceux qui viendraient faire œuvre de dissimulation devant le Parlement. Or, nous sommes devant une œuvre de dissimulation organisée. Nous faisons face à une volonté d’affaiblissement déguisé de l’Assemblée nationale, particulièrement criante à ce moment du débat et accomplie, évidemment, avec des complicités internes.

J’en viens au fond du débat – la question des biens communs soulevée par Dominique Potier. Mme la rapporteure disait tout à l’heure que le Conseil constitutionnel proposait une approche équilibrée du droit de propriété, de la liberté d’entreprendre, de l’intérêt général et du bien commun. Or, sur les thèmes évoqués par Dominique Potier et d’autres, sur l’accaparement des terres, sur le devoir de vigilance, sur la transparence des holdings, on peut lire le dernier livre de Christian Eckert, ancien ministre du budget, qui s’est heurté, sur de nombreux sujets, au verrou qu’opposait le Conseil constitutionnel au nom du droit de propriété. Il est donc nécessaire que nous indiquions au Conseil constitutionnel qu’il a un outil pour passer outre le droit de propriété et la liberté d’entreprendre quand ils mettent en péril l’intérêt général ou les biens communs. Lors d’une conférence de presse, on a entendu des constitutionnalistes dire que la génération précédente avait eu pour mission de limiter les pouvoirs publics face aux régimes totalitaires. Notre responsabilité à nous est d’assurer un rééquilibrage entre la puissance publique et la puissance privée.

M. Dominique Potier. Vous admettrez, madame la présidente, qu’il soit un peu difficile de débattre, compte tenu de la probable adoption de l’amendement CL1534. Nous avons pourtant déposé un amendement soulevant un enjeu constitutionnel structurant : celui des rapports entre la puissance publique et la puissance privée. Il faut s’émanciper du pouvoir totalitaire et donner de la liberté aux individus – c’est le mouvement révolutionnaire – mais il y a aujourd’hui une toute puissance privée qui s’affranchit du droit commun, nous en avons donné de nombreux exemples. Madame la rapporteure, continue-t-on à se laisser déposséder du sol national par des sociétés privées protégées par notre Constitution ? Permet-on à des milliards d’euros d’être détournés par le dumping social alors que nos PME et nos sociétés continuent à payer l’impôt ? Nos multinationales, dont les chaînes de valeurs provoquent parfois de l’esclavage ou des écocides à l’autre bout du monde, peuvent-elles continuer à travailler dans l’impunité ? Je pose des questions extrêmement précises auxquelles vous ne nous répondez pas. J’ai envie de dire au nom du groupe Nouvelle Gauche avec un peu de solennité, alors que j’ai une réputation plutôt modérée dans ces rangs, que cette réforme constitutionnelle, si vous ne répondez pas à cette question, est dure avec le peuple et douce avec les puissants.

M. Sébastien Jumel. Je le dis devant le rapporteur général : le débat ne peut pas continuer ainsi. Il faut que chacun puisse s’exprimer. Nos amis corses ont des choses à dire.

Mme Laurence Vichnievsky, présidente. Je crois que chacun a eu la possibilité de s’exprimer largement. Je ferai une dernière exception pour M. Castellani. Ensuite, je serai ferme et mettrai l’amendement CL1534 aux voix.

M. Fabien Di Filipo. Votre fermeté est à géométrie variable, madame la présidente…

M. Michel Castellani. Si l’amendement CL1534 est adopté, beaucoup d’autres tomberont parmi lesquels les amendements relatifs à l’équilibre des compétences entre collectivités territoriales et État central. Ces amendements nous semblent très importants. Ils ne mettent pas du tout en cause l’unité nationale mais la répartition des compétences. Nous y reviendrons lors de la discussion des articles 15, 16 et 17.

Mme Laurence Vichnievsky, présidente. Je vous remercie tous, chers collègues, d’avoir fait en sorte que nous puissions nous apaiser.

L’amendement CL1534 est adopté (amendement  332) et l’article 2 est ainsi rédigé.

En conséquence, les amendements CL1005, CL557, CL558, CL3, CL1442, CL1081, CL1082, CL190, CL1190, CL4, CL532, CL1095, CL685, CL686, CL1087, CL1085, CL1086, CL1287, CL1325, CL895, CL884, CL1489, CL932, CL802, CL803, CL804, CL546, CL547, CL548, CL549, CL552, CL553, CL966, CL1079, CL458, CL520, CL499, CL762, CL977, CL1083, CL1164, CL1317, CL25, CL28, CL145, CL903, CL950, CL1088, CL754, CL410, CL191, CL606, CL1089, CL1011, CL1014, CL1015, CL170, CL1239, CL519, CL665, CL716, CL574, CL390, CL681, CL165, CL391, CL682, CL581, CL696, CL306, CL192, CL892, CL690, CL505, CL749 et CL394 deviennent sans objet.

Après l’article 2

La Commission examine l’amendement CL694 de M. Olivier Véran.

M. Olivier Véran. Tandis que la logique sous-jacente à chacune de nos politiques sociales et sanitaires est restée la même depuis la création de la sécurité sociale, les défis sociaux et sanitaires auxquels nous sommes confrontés ne sont plus ceux de l’après-guerre. La population vieillit. L’enjeu de la dépendance prend une importance forte dans l’opinion. Le boom des maladies chroniques suppose une adaptation de notre système de santé. La période de vie à la retraite s’est elle aussi allongée. Les retraites complémentaires ont pris une place plus importante comme complément de revenu. Notre vie professionnelle n’est plus linéaire comme elle a pu l’être il y a quelques décennies, nous mettant au défi de la reconversion, de la mobilité professionnelle et de la prise de risques. Le chômage n’est plus tant un problème conjoncturel auquel il faudrait suppléer transitoirement qu’un enjeu structurel nécessitant des réformes structurelles.

Le financement de ces dépenses a lui aussi évolué dans le temps. La solidarité nationale s’est étendue, non plus aux seuls travailleurs, mais à l’ensemble de la population. Face au chômage de masse et à l’émergence d’une véritable mobilité professionnelle des individus, née d’une reconversion, d’une période d’inactivité ou d’une formation continue, les seules cotisations sociales n’ont plus été à même, à elles seules, d’assurer un financement pérenne de notre système de sécurité sociale. Le début du XXIème siècle marque un momentum dans l’histoire de la sécurité sociale. Le financement de nos dépenses sociales par l’impôt est devenu de plus en plus important.

Cependant, le cadre juridique inhérent à notre système de protection sociale n’a pas connu de transformation similaire.

Cet amendement vise donc à étendre le champ de la loi de financement de la sécurité sociale à la protection sociale de façon globale. Nous avons par exemple besoin de cette modification constitutionnelle pour répondre à l’objectif annoncé par le Président de la République d’intégrer demain le risque dépendance au sein de la protection sociale. Cela nous permettra notamment d’avoir une vision plus globale des questions de dépendance puisqu’aujourd’hui, il y a d’un côté la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), les dépenses de vieillesse et les dépenses relevant du département qui finance l’allocation personnalisée d’autonomie (APA).

Nous pourrons avoir d’autres débats lors de l’examen de projets de lois organiques qui feront évidemment appel aux corps intermédiaires et à la négociation avec les organisations syndicales pour faire évoluer progressivement le droit et étendre le champ de la protection sociale au-delà du socle qui a été le sien en 1945.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. L’amendement qui nous est proposé consiste à rebaptiser les lois de financement de la sécurité sociale (LFSS) « lois de financement de la protection sociale ». C’est un pas vers l’élargissement du champ des LFSS – champ qui devra faire l’objet de définitions précises dans le cadre d’une loi organique. L’amendement proposé s’inscrit dans une logique consistant à aborder l’ensemble des questions – singulièrement celle de la dépense, que vous évoquez. J’émets donc un avis favorable.

La Commission adopte l’amendement (amendement  333).

M. Philippe Gosselin, vice-président, remplace Mme Laurence Vichnievsky.

[Article 34-1 de la Constitution]

La Commission est saisie de l’amendement CL822 de M. Jean-Christophe Lagarde.

M. Jean-Christophe Lagarde. Je voudrais d’abord revenir sur ce qui s’est passé concernant l’article 34 de la Constitution. J’avais engagé ce débat avec l’espoir, pour que cette révision constitutionnelle aboutisse, que majorité et opposition parviennent à s’entendre. Les attitudes que je viens de voir m’interpellent quant à la réelle portée de ce débat. Nous allons néanmoins continuer à examiner les amendements dans le même esprit, même si je ne suis plus convaincu que ce soit en réalité l’objet de l’exercice. Je le dis pour prendre date.

Il s’agit en l’occurrence d’une disposition qui a été introduite en 2008 à la demande du Président de la République de l’époque mais qui n’a pas pu être menée au bout de sa logique. Il s’agissait de faire en sorte que les résolutions ne puissent pas comporter d’injonction. Cependant, une résolution qui ne comporte pas d’injonction à l’égard du Gouvernement n’est qu’un signe de plus de l’asservissement du Parlement vis-à-vis du Gouvernement. Je précise que l’injonction n’a aucun caractère juridique : sa portée est purement politique. Sans possibilité d’injonction, les parlementaires se voient limités dans leur capacité de proposition.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Vous proposez de supprimer la disposition qui limite la possibilité d’inscrire à l’ordre du jour une résolution dont le Gouvernement estime qu’elle constituerait une injonction à son égard. Je ne suis pas favorable à cet amendement. D’abord, parce que la limite qui a été posée par le constituant de 2008 vise à prévenir le risque que ces résolutions, qui avaient d’ailleurs été réintroduites dans la Constitution après en avoir été bannies en 1958, ne servent à mettre en cause l’autorité du Gouvernement, comme sous la IIIe ou la IVe République. Cette restriction est parfaitement cohérente avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui sanctionne de telles injonctions lorsqu’elles figurent dans des lois dont il est saisi. Avis défavorable.

M. Jean-Christophe Lagarde. La jurisprudence du Conseil constitutionnel s’explique précisément par le fait que la Constitution interdise les injonctions ! Cela veut dire que lorsqu’un traité international est en cours de négociation – le TAFTA (Trans-Atlantic free trade agreement, soit Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement) en son temps, le CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement, soit Accord économique et commercial global) aujourd’hui –, l’Assemblée nationale ne peut pas donner mandat de négociation au Gouvernement, comme le font tous les autres parlements sans aucune exception dans les démocraties occidentales. Voilà ce qu’est le Parlement français !

La Commission rejette l’amendement CL822.

[Article 35 de la Constitution]

La Commission étudie l’amendement CL933 de M. André Chassaigne.

M. Sébastien Jumel. Demain, au réveil, nous indiquerons à l’opinion publique qu’il n’a pas été possible ici de discuter de l’article 34 de la Constitution qui fixe pourtant les prérogatives pleines et entières du Parlement. Cela va colorer d’une certaine manière le projet de loi de révision constitutionnelle que vous nous proposez, qui consiste à museler le Parlement, tout le monde, désormais, l’a bien compris. Vous avez eu tort de nous priver de débattre de l’article 34, monsieur le rapporteur général ; c’est une faute politique. Nous déposerons donc des amendements portant article additionnel avant l’article 2. N’étant pas plus stupides que la moyenne, nous trouverons le moyen de nous exprimer en séance publique sur les prérogatives du Parlement.

J’en viens à l’amendement CL933 qui vise à renforcer sensiblement le contrôle du Parlement sur les opérations extérieures. Le droit d’information du Parlement sur les interventions des forces armées françaises à l’étranger et son autorisation pour la prolongation d’une intervention lorsque sa durée excède quatre mois ne constitue pas un dispositif suffisant pour permettre au Parlement d’exercer un contrôle effectif.

Or, l’envoi de troupes à l’étranger est une décision qui peut avoir de graves conséquences. On se souvient, dans l’histoire récente, du courage politique dont avait fait preuve le Président Chirac au moment de l’intervention en Irak. Il est légitime, dans une démocratie, que le Parlement, en tant que représentant de la Nation, autorise ce type d’intervention et soit informé des accords de défense et des engagements d’assistance militaire souscrits par la France. Jean-Paul Lecoq qui siège à la commission des Affaires étrangères était très enthousiasmé par cet amendement que je me devais de défendre devant vous.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Permettez-moi simplement de constater qu’après vingt heures de débat, nous avons franchi l’article premier. Pour une commission muselée, je me demande bien quels borborygmes nous aurions pu émettre pendant vingt heures s’il ne s’agissait de véritables débats au cours desquels chacun a pu s’exprimer…

En ce qui concerne l’amendement, il convient plutôt de garder le mécanisme de l’article 35 dans sa rédaction actuelle qui est simple et compatible avec la réactivité que le Gouvernement est en droit d’attendre de nos forces armées lorsqu’il décide d’engager des opérations militaires – puisque la décision initiale d’engagement appartient toujours à l’exécutif. Une opération doit parfois être mise en œuvre très rapidement – je pense notamment à l’opération Serval de janvier 2013. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement CL933.

Elle en vient à l’amendement CL744 de M. Jean-Luc Mélenchon.

Mme Danielle Obono. Excusez-nous d’exercer nos droits, monsieur le rapporteur général ! Ce n’est pas une faveur qui nous faites que de nous laisser débattre en commission : c’est un droit ! Ce n’est pas en faisant des manœuvres pour empêcher que le débat ait lieu que la majorité grandira le Parlement. Nous y reviendrons en séance publique, n’en doutez pas.

Par l’amendement CL744, nous souhaitons étendre le rôle décisionnaire du Parlement en matière de déclaration de guerre et d’intervention des forces armées à l’étranger.

Nous considérons qu’un débat parlementaire doit avoir lieu en amont de l’intervention, et non a posteriori comme cela a été le cas récemment, afin de permettre une décision éclairée de la Représentation nationale. Ce débat serait suivi d’un vote qui déterminerait si l’intervention peut avoir lieu ou non. Il n’est pas légitime que les questions internationales et de défense soient le domaine réservé du Président. Dans d’autres démocraties, il faut l’aval du Parlement pour s’engager dans des opérations ayant des conséquences extrêmement graves. Ce sont effectivement des questions stratégiques importantes mais, à moins de considérer que le Parlement est incapable d’en saisir les enjeux et de mener rapidement ces débats, à moins de considérer que la Représentation nationale est illégitime à décider de ce type d’interventions, il nous semble important de lui donner la faculté de débattre et d’assumer les conséquences de ces interventions.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Pour les mêmes raisons que celles invoquées précédemment, je suis défavorable à cet amendement.

M. François Ruffin. La raison principale invoquée à l’encontre de l’amendement précédent, et qui semble prévaloir contre celui-ci, est la rapidité avec laquelle nous devons entrer en guerre. Cependant, le Parlement est capable de se réunir en urgence pour débattre. Peut-être allons-nous réunir en commission ce dimanche pour débattre d’enjeux qui ne paraissent pas de toute urgence. Je pense donc que les représentants de la Nation que nous sommes galoperaient pour venir discuter de l’entrée ou non sur un nouveau de champ de bataille. Nous serions au rendez-vous car ce type de décisions a des conséquences qui se font encore sentir des années plus tard. Je pense en particulier au choix d’entrer en guerre en Libye qui continue à avoir des conséquences sur le terrain migratoire. Quand il peut y avoir des conséquences en cascade pendant des années, la moindre des choses serait qu’il y ait une consultation et un vote du Parlement.

Mme Marie Guévenoux. Intervenir peut parfois avoir des conséquences mais ne pas intervenir peut aussi en avoir. La décision d’intervenir au Mali, sous la présidence de François Hollande, a été prise en quelques heures à la suite d’une urgence absolue. Nous avons attaqué directement un ennemi clairement identifié : les djihadistes. Ils ont été interceptés à la suite de cette offensive au Sud-Mali. En Syrie, nous sommes intervenus afin de détruire des armes chimiques. Si nous avions passé trop de temps à discuter avec le Parlement, nous aurions annulé l’effet de surprise produit par cette intervention et nous aurions eu encore plus de morts à déplorer. Néanmoins, je tiens à vous rassurer : ce n’est pas un pouvoir absolu puisqu’un débat et un vote sont bien prévus au Parlement.

M. Jean-Christophe Lagarde. Je n’interviendrai qu’une seule fois dans ce débat, en dehors de l’amendement que nous présentons, pour expliquer la position de notre formation. La Ve République a donné – parce que c’est celle du Général de Gaulle – tous pouvoirs à un seul homme non pas de déclarer la guerre – puisque selon la Constitution, c’est théoriquement nous qui la déclarons – mais de la faire. Cela peut choquer mais cela répond à des enjeux qui n’étaient sans doute d’ailleurs pas les mêmes du temps du Général de Gaulle. On ne déclare plus la guerre mais on est malheureusement régulièrement conduit à la faire. Simplement, il n’est pas possible de demander qu’un débat parlementaire ait lieu avant une intervention telle que celle qui vient d’être évoquée.

Si l’exécutif était moins monarchique dans notre pays – je ne parle pas du Président de la République actuel mais de tous ceux qui se sont succédé –, il accepterait le débat. Au Royaume-Uni, il y a eu débat parlementaire avant les bombardements en Syrie – pas ici. Sous le mandat de François Hollande, des interventions militaires des États-Unis et du Royaume-Uni ont parfois pu être évitées car dans ces pays, il y a eu débat. Je ne prétends pas qu’il faille qu’il y ait toujours débat mais, si nous avions successivement à la tête de l’État des Présidents de la République qui acceptent que le Parlement soit autre chose qu’un croupion, ils accepteraient aussi de débattre avec les parlementaires de ce genre de sujets. Enfin, il est curieux de trouver préférable que nous soyons informés une fois, tardivement, d’une intervention militaire alors que nous pourrions l’être beaucoup plus rapidement. Je rappelle qu’aux États-Unis d’Amérique, le Président américain peut décider seul mais que les quatre chefs d’état-major, qui sont des militaires, sont capables d’empêcher M. Trump de mener une opération militaire s’ils la jugent inopportune. Rien de tel dans notre pays – aucune forme de contrôle.

M. Guillaume Larrivé. Je voudrais dire au nom du groupe Les Républicains que je ne voterai pas ces amendements car je crois que l’équilibre de l’article 35, issu non seulement de la rédaction de 1958 mais surtout de celle de 2008 qui avait été suggérée par le Président Nicolas Sarkozy, permet de concilier – en même temps, si j’ose dire – l’exigence de rapidité qui incombe au seul chef des armées et l’exigence de débat qui nous revient.

Néanmoins, je ne suis pas statique. Je pense qu’une question devrait être traitée en modifiant non pas l’article 35 mais l’ordonnance qui régit le pouvoir des assemblées. C’est la raison pour laquelle, il y a quelques mois, j’ai déposé une proposition de loi visant à la création d’un office parlementaire relatif à la sécurité nationale. Cet organe bicaméral aurait un pouvoir d’accès à l’information stratégique classifiée – ce qui n’est pour l’instant pas possible. Moi qui suis parlementaire depuis six ans, j’essaie de m’intéresser aux questions de sécurité nationale : à aucun moment, je n’ai eu accès à de l’information stratégique classifiée. Nous aurions donc intérêt, parallèlement au débat constitutionnel proprement dit, à nous interroger sur nos pouvoirs d’information et d’évaluation sur les matières qui tiennent à la sécurité nationale et qui ne peuvent être traitées sans qu’un organe ad hoc ait accès à l’information stratégique classifiée.

La Commission rejette l’amendement.

Elle aborde l’amendement CL996 de M. André Chassaigne.

M. Sébastien Jumel. Cet amendement de repli dispose que lorsque la participation des forces françaises à des opérations de guerre ou de maintien de la paix ne résulte pas d’une décision du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies ni de l’application d’un accord de défense, elle doit faire l’objet d’une autorisation préalable du Parlement. Il s’agit d’assurer une certaine collégialité dans la prise de décision.

Cet amendement propose aussi que les accords de défense soient transmis, dès leur signature, à la commission compétente de chaque assemblée. Cette disposition serait de nature à nous éclairer sur des éléments stratégiques dans ce domaine.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Pour les mêmes raisons que celles invoquées à l’amendement CL933, j’émets un avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CL970 de M. Sébastien Jumel.

M. Sébastien Jumel. C’est, là aussi, un amendement de repli qui a pour objectif de rendre obligatoire le débat qui suit l’information du Parlement en cas d’opération militaire. Cette proposition vise à renforcer les pouvoirs du Parlement.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Avis défavorable. La rédaction actuelle de l’article 35 me paraît satisfaisante en ce qu’elle prévoit une information dans les trois jours au plus tard, une fois prise la décision d’agir, et la sollicitation, au bout de quatre mois, d’une autorisation.

La Commission rejette l’amendement.

Elle étudie l’amendement CL1441 de M. Paul-André Colombani.

M. Paul-André Colombani. Cet amendement va faire appel au sentiment europhile de la majorité et de notre rapporteur. Il introduit l’obligation, pour le Gouvernement, d’informer le Parlement européen et la Commission européenne en cas d’opérations extérieures. L’objectif est de renforcer l’intégration européenne. Personne ne pourra mieux le faire que la première puissance militaire européenne. Cet amendement exprime notre volonté d’une coordination renforcée dans le cadre de la construction d’une défense commune européenne. Face aux menaces qui peuvent peser sur l’Europe, les États doivent s’efforcer de renforcer leur coopération, de cultiver un sentiment d’appartenance commun et de travailler à construire l’Europe de demain qui doit définitivement s’éloigner des intérêts personnels pour se diriger vers une Union plus sûre et plus forte.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Prévoir ce type d’information ne relève pas de notre texte suprême mais plutôt d’un traité qui pourrait éventuellement être conclu au plan européen et qui devrait imposer, à tout le moins, une parfaite réciprocité. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine les amendements identiques CL971 de M. Sébastien Jumel et CL1494 de M. Jean-Luc Mélenchon.

M. Sébastien Jumel. Lorsque nous avons proposé de renforcer les prérogatives du Parlement en prévoyant une autorisation préalable à une intervention militaire sur un sol étranger, on nous a opposé les principes de réalité, d’urgence et de confidentialité de l’intervention et de ses modalités. Cet argument n’a pas emporté ma conviction mais je peux aisément le comprendre. Il s’agit donc ici d’un amendement de repli prévoyant qu’en cas de prolongation de l’intervention militaire, il y ait obligation, tous les quatre mois, de solliciter une nouvelle autorisation du Parlement. Ce serait très utile lorsqu’un conflit dure longtemps.

Mme Danielle Obono. Nous souhaitons aussi que le Gouvernement soumette la prolongation d’une intervention à l’autorisation du Parlement tous les quatre mois. Comme on va nous présenter les mêmes objections, je voudrais souligner que pour une majorité qui se prétend en marche dans le XXIème siècle et très moderne, c’est là s’accrocher à une vision très ancienne de la démocratie. C’est considérer que nous ne sommes pas un peuple mûr que de laisser un seul homme décider de telles opérations. Nous ne pourrions pas, comme les parlementaires britanniques, prendre la mesure d’une situation très grave, discuter très sérieusement de ses enjeux ni décider, en notre âme et conscience, de voter ou non en faveur de l’intervention militaire. L’argument de Marie Guévenoux, selon lequel on n’aurait pas pu intervenir au Mali si on avait procédé à un débat, ne vaut pas. Le Parlement aurait pu prendre la décision d’intervenir car il aurait eu conscience des enjeux et de l’urgence de la situation. Un tel argument relève d’une vision très martiale de la guerre alors qu’au XXIème siècle, on devrait en avoir une vision plus collective et plus mûre et considérer que, sur des questions qui engagent la sécurité même de la nation, la décision doit être prise de façon collective et démocratique. On voit à quel point vous vous inscrivez dans une Ve République à bout de souffle.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. La commission de la Défense de l’Assemblée nationale exerce le contrôle du Gouvernement en la matière, notamment dans le cadre de l’examen du budget. En outre, prévoir un bilan d’étape tous les quatre mois me semble une périodicité trop courte et mal fondée. Les opérations ont besoin d’une certaine visibilité pour le déploiement optimal des ressources et l’engagement des différentes actions nécessaires. Avis défavorable.

M. François Ruffin. Je ne comprends pas la réponse du rapporteur général quand il nous dit que quatre mois correspondent à un délai trop court. L’idée n’est pas forcément de faire cesser toutes les opérations au bout de quatre mois mais de discuter pour savoir si on les prolonge ou pas.

Plus largement, moi qui suis un jeune député, j’espérais qu’il y aurait au sein de l’Assemblée nationale des débats réguliers sur les engagements de la France à l’étranger. Nous sommes engagés sur de nombreux terrains militaires en ce moment et nous n’en débattons pas. Il est vraiment problématique que nous ne sachions pas où sont engagées nos troupes exactement et ce qu’on fait dans le cadre de ces opérations et pendant combien de temps. Encore une fois, il ne s’agit pas pour moi de faire cesser ces opérations mais de m’interroger sur la validité de certaines d’entre elles.

La Commission rejette les amendements identiques.

Elle examine en discussion commune les amendements CL758 de M. Jean-Christophe Lagarde et CL934 de M. André Chassaigne.

M. Jean-Christophe Lagarde. Je voudrais d’abord dire que l’article 35 a été profondément modifié par la réforme de 2008. On ne rappelle pas assez que, jusqu’en 2008, jamais le Parlement n’avait son mot à dire sur les interventions militaires. C’était une avancée – à laquelle j’ai contribué puisque je suis, moi, un vieux député et que j’en suis à ma troisième révision constitutionnelle. L’objectif de cet amendement est de tirer le bilan de ces dix dernières années – au cours desquelles la France a malheureusement dû intervenir militairement. Notre conviction est qu’évidemment, le Président de la République doit pouvoir déclencher une action militaire sans débat au Parlement, ne serait-ce que pour des raisons de secret. Imaginez le résultat militaire si on avait annoncé en direct sur BFM TV aux djihadistes qui envahissaient le Mali qu’on allait bientôt les attaquer. En revanche, quatre mois, avant que la prolongation soit autorisée par le Parlement, me semblent excessifs : deux mois me sembleraient plus raisonnables, c’est l’objet de cet amendement.

M. Sébastien Jumel. L’amendement CL934 est dans le même esprit.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. La durée prévue aujourd’hui par les textes semble convenir. Je ne vois donc pas pour quelle raison on la modifierait.

M. Jean-Christophe Lagarde. D’abord, parce que l’avancée que Nicolas Sarkozy a voulue en faveur des droits du Parlement pourrait être partagée et amplifiée par la majorité actuelle qui est sans doute plus moderne. Ensuite, puisque nous siégeons tout le temps, excepté au mois d’août, je ne vois pas pourquoi, pendant quatre mois, le Parlement devrait être privé de débat. Aujourd’hui, le mécanisme est simple : le Président décide d’une intervention ; il en informe le Parlement ; il décide avec son Gouvernement si, oui ou non, il y a un débat et quatre mois après, seulement, il est obligé de demander l’autorisation de prolonger l’action militaire. Je pense qu’un délai de deux mois, étant donné que l’action peut être déclenchée au mois de juillet et que nous nous retrouvons au mois de septembre, serait suffisant. Il n’y a aucune raison que nous siégions pendant plus de deux mois supplémentaires comme s’il ne s’était rien passé. Un tel débat renforcerait même une intervention militaire française. Quand une intervention n’est pas ressentie comme légitime parce qu’elle n’a pas été approuvée par les représentants de la Nation, cela peut finir par fragiliser l’action militaire de la France.

La Commission rejette successivement les amendements.

Elle est saisie de l’amendement CL779 de M. Jean-Christophe Lagarde.

M. Jean-Christophe Lagarde. Cet amendement a un objet différent du précédent. Vous venez de refuser que le Parlement s’exprime pendant les quatre mois qui suivent le début d’une intervention. Là, il s’agit de faire en sorte que, quand cette intervention perdure après autorisation du Parlement, il puisse y avoir un débat tous les six mois dans l’hémicycle ou en commission de la Défense – qui a l’habitude d’avoir ce genre de discussion, éventuellement à huis clos pour éviter que certaines informations filtrent à l’extérieur. Si nous étions un Parlement digne de ce nom, comme ceux de toutes les démocraties occidentales, il y aurait des débats sur la prolongation d’une action militaire. Vous vous rendez quand même compte que nous sommes maintenant engagés depuis plusieurs années au Mali, que nous avons tous des informations sur ce qui est en train de se passer dans ce pays – sur l’échec de l’opération militaire et sur l’échec politique, alors que des élections ont lieu au mois de juillet. C’est comme si la France était au Mali comme les États-Unis étaient au Vietnam mais qu’il n’y avait pas eu de débat au Congrès américain. Une fois que le débat a eu lieu, quatre mois après, il n’y en a plus jamais. D’ailleurs, depuis que la nouvelle majorité est arrivée au pouvoir, y a-t-il eu un seul débat sur l’intervention militaire française au Mali ? La plupart d’entre vous n’étiez pas députés sous la dernière législature : vous n’avez ainsi pas eu l’occasion de débattre de cette intervention. Je propose donc que la Constitution prévoie la possibilité pour le Parlement de débattre de ces interventions tous les six mois, à huis clos si nécessaire. Il serait normal que les parlementaires français, comme les parlementaires de toutes les démocraties occidentales, puissent se prononcer régulièrement lorsque nos enfants sont en train de faire la guerre en notre nom ailleurs.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Je comprends votre préoccupation et je pense que le débat a lieu dans notre assemblée sur ces questions – peut-être pas là où vous le souhaiteriez. La commission de la Défense a cette compétence et y siège quiconque s’intéresse à ces questions. On peut participer aux débats, aux auditions et aux déplacements.

M. Michel Castellani. Il est inutile de souligner l’extrême gravité des interventions militaires. Nous venons donc en appui de tous les amendements qui ont été déposés sur le sujet. Il est fondamental que le Parlement soit non seulement informé mais également associé à ces interventions.

M. Arnaud Viala. Je voudrais également apporter mon soutien plein et entier à l’amendement de notre collègue Lagarde et dire à Mme la rapporteure que son dernier propos me paraît empreint d’une grande inexactitude. Il n’y a aucun débat, où que ce soit à l’Assemblée nationale, sur l’opération qui a été citée par notre collègue. Il n’y a aucune possibilité non plus pour les parlementaires de se déplacer sur le théâtre des opérations. Or, le conflit au Mali est effectivement en train de poser des problèmes qui doivent être portés à la connaissance des Français. Cette révision constitutionnelle est l’occasion de replacer le Parlement à sa juste place dans le contrôle des opérations militaires extérieures et autres.

M. Jean-Christophe Lagarde. Étant membre de la commission de la Défense, je confirme ce que dit M. Viala. J’appelle l’attention de la majorité sur le fait que, si elle est majorité aujourd’hui, elle sera opposition un jour. Or, la Constitution est faite pour préserver les droits de l’opposition. Vous pouvez user et abuser des prérogatives de la majorité aujourd’hui mais, si vous n’adoptez pas cet amendement et que, demain, un pouvoir autoritaire advenait en France et décidait de faire la guerre, vous n’auriez pas le droit de savoir ce qui se passe. Vous n’avez pas l’obligation habituelle d’être solidaires de votre majorité lorsqu’il s’agit d’une révision constitutionnelle ou de ces sujets-là. Je le redirai dans l’hémicycle. Ce ne sont pas pour moi des sujets anecdotiques. Je me suis battu il y a dix ans à ce propos et la France n’est toujours pas une démocratie. Elle ne se protège toujours pas contre les majorités abusives. Majorité après majorité, ce sont les majorités de l’Assemblée nationale qui consentent à l’abaissement du Parlement et au risque que cela fait peser sur nos libertés.

M. Sébastien Jumel. C’est un sujet sérieux que notre collègue Lagarde défend avec justesse et pertinence. On a peut-être là le moyen de vérifier qu’on n’a pas de mandat impératif, en se laissant convaincre par les arguments développés qui visent à protéger non seulement la majorité qui sera l’opposition demain mais aussi l’opposition d’aujourd’hui qui sera la majorité de demain.

Mme Danielle Obono. Pour aller dans le sens des interventions précédentes, je voudrais citer le cas de notre collègue Bastien Lachaud qui a demandé à pouvoir se rendre sur les théâtres d’opération au Mali mais qui s’est vu refuser ce déplacement. Il n’est pas vrai que les parlementaires ont aujourd’hui les moyens et la possibilité de faire leur travail de contrôle et d’évaluation. Ce n’est pas le cas, madame la rapporteure, et c’est un problème. La commission de la Défense ne devrait d’ailleurs pas être la seule à avoir ces prérogatives car la question des interventions militaires la dépasse et concerne l’Assemblée nationale toute entière. Nous aurions l’occasion de donner un peu plus de pouvoir aux parlementaires en adoptant cet amendement. Ce n’est malheureusement pas le choix que vous faites.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Monsieur Lagarde, vous avez dû assister le 8 mars à l’audition par votre Commission de la ministre de la Défense, qui lui a permis de faire un point sur l’opération Barkhane. Les parlementaires, y compris ceux qui ne sont pas membres de la Commission, ont eu certainement tout loisir de l’interroger à cette occasion.

Tous les députés ne peuvent pas, au nom de l’Assemblée nationale, se déplacer à l’étranger pour contrôler les opérations. J’ai participé, dans un autre cadre, à une délégation qui s’est rendue au Mali.

Mme Danièle Obono. Vous appartenez à la majorité ! L’opposition, elle aussi, souhaiterait effectuer ce travail…

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. … mais pas dans n’importe quel cadre, madame Obono. Les missions d’information, les opérations de contrôle ne sont pas ouvertes n’importe quand, à n’importe qui.

M. Sébastien Jumel. Ce n’est pas une attaque ad hominem, j’espère !

La Commission rejette l’amendement.

[Après l’article 35 de la Constitution]

La Commission examine l’amendement CL746 de M. Bastien Lachaud.

Mme Danièle Obono. Bastien Lachaud n’est pas n’importe qui, c’est un parlementaire sérieux qui s’est donné les moyens de faire son travail. Vous donnez l’impression qu’il a vu de la lumière et frappé à la porte ! Notre groupe, qui s’exprime souvent, est très impliqué sur ce sujet, non dans un esprit d’opposition systématique, mais parce qu’il souhaite participer à un débat qui concerne l’ensemble de la nation. Cela transparaît aussi dans nos demandes de création de commissions d’enquête.

Nous demandons par cet amendement que le Parlement, dans des conditions fixées par une loi organique, contrôle et supervise l’exportation de matériels de guerre et matériels assimilés, ainsi que de produits liés à la défense. Ce contrôle est fondamental car la France est devenue la troisième puissance exportatrice d’armes en 2017 et que le pouvoir exécutif a récemment procédé, sans contrôle parlementaire, à des autorisations d’exportation qui ont pu le rendre complice de crimes de guerre, ainsi que le dénoncent un certain nombre d’associations.

En nous inspirant de la procédure en œuvre aux États-Unis, qui implique une information du pouvoir législatif par le pouvoir exécutif sur les ventes d’armes envisagées, ainsi que la possibilité pour le pouvoir législatif d’interdire ces ventes par une motion de désapprobation, nous avons déjà proposé un mécanisme d’application qui serait transposable en France. Nous le soumettons à nouveau.

Concrètement, les autorisations préalables d’exportation, ainsi que les décisions de suspension, modification, abrogation ou retrait de telles autorisations prévues par les articles L. 2335‑3 et L. 2335‑4 du code de la défense pourraient être contrôlées par le Parlement.

Le rôle accru du Parlement dans un domaine aussi fondamental pour la République que l’exportation d’armes à des États tiers découle des articles 34 et 35 de la Constitution

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Les dispositions que vous visez ne sont pas de rang constitutionnel. Ce régime relève actuellement de dispositions législatives et réglementaires puisqu’aux termes de l’article L. 2335-3 du code de la défense : « l’autorisation préalable d’exportation, dénommée licence d’exportation, est accordée par l’autorité administrative, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État. » Cela me semble le bon niveau de norme. Avis défavorable.

Mme Danièle Obono. L’article 34 de la Constitution dispose que la loi détermine les principes fondamentaux de l’organisation générale de la défense nationale ; l’article 35 vise les opérations extérieures. La question du militaire est donc dans la Constitution, mais elle ne relève que de l’exécutif. C’est bien ce que nous voulons changer. Grâce à cet amendement, les parlementaires pourraient exercer leur contrôle sur des ventes qui ont des conséquences ; la guerre au Yémen devrait nous interpeller sur les enjeux de ce débat.

La Commission rejette l’amendement.

[Article 36 de la Constitution]

La Commission examine l’amendement CL443 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier. Il existe plusieurs régimes de crise, parmi lesquels l’état de siège semble, et de loin, le moins bien adapté. L’article 16 et les dispositions relatives à l’état d’urgence suffisent. Quelle que soit la situation de crise, le pouvoir exécutif dispose de moyens considérables pour défendre le territoire national. Rien ne justifie le transfert des pouvoirs de police de l’autorité civile à l’autorité militaire. Nous proposons de supprimer l’article 36, qui nous paraît anachronique.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Notre état de droit prévoit des dispositifs qui varient en fonction de la gravité de la situation. Ainsi, l’état d’urgence a été déclaré pour faire face à des émeutes urbaines en 2005 et répondre à la situation post-attentats de novembre 2015, tandis que l’état de siège a été utilisé lors des deux précédentes guerres mondiales, et jamais depuis.

Même si l’état de siège appartient à un passé lointain, la disposition est toujours nécessaire dans notre arsenal. Elle est en outre encadrée, puisque l’état de siège doit être autorisé par le Parlement à partir du douzième jour. Avis défavorable.

M. Jean-Christophe Lagarde. Je suis opposé à la suppression de cet article. Le fait qu’une disposition soit tombée en désuétude n’est en rien un argument : si elle figure dans la Constitution, c’est pour qu’elle puisse être utilisée. Toutefois, elle doit être complétée et nous défendrons des amendements en ce sens en séance. C’est quand même le seul moment où un Conseil des ministres – l’instance la moins démocratique puisque nommée par le chef de l’État – décide seul de prendre tous les pouvoirs pendant douze jours ! Et il n’est pas précisé, par exemple, que les parlementaires ne peuvent être mis aux arrêts ou incarcérés pendant cette période ! Tout en maintenant la possibilité de décréter l’état de siège, et même si l’on espère ne jamais connaître les circonstances qui l’exigeraient, le Parlement gagnerait à encadrer cette disposition. Contrairement à l’article 16, l’article 36 ne prévoit aucune limite, si ce n’est une limite de temps.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CL1012 de M. Sébastien Jumel.

M. Sébastien Jumel. Nous ne proposons pas de supprimer l’état de siège, mais d’en encadrer l’utilisation en complétant le premier alinéa de l’article 36 par les mots « en cas de péril imminent résultant d’une guerre ou agression étrangère sur le territoire national ». Nous nous sommes inspirés des limites fixées au recours à l’état d’urgence.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Votre amendement reprend certaines dispositions en vigueur du code de la défense, comme l’article L. 2121-1 qui prévoit que l’état de siège ne peut être déclaré, par décret en Conseil des ministres, qu’en cas de péril imminent résultant d’une guerre étrangère ou d’une insurrection armée.

Vous proposez cependant de restreindre les hypothèses de déclenchement de l’état de siège. En restreignant ainsi l’état de siège à la guerre étrangère, vous interdiriez à notre pays de réagir, par exemple, aux tentatives de déstabilisation d’une puissance étrangère armant des mouvements indépendantistes locaux.

M. Sébastien Jumel. Il ne faut pas tomber dans la paranoïa ! Vous avez bien vu que nous avons limité la possibilité de déclencher l’état de siège aux périls imminents résultant d’une guerre ou d’une agression étrangère sur le territoire national, en excluant l’insurrection.

La Commission rejette l’amendement.

[Après l’article 36 de la Constitution]

La Commission examine l’amendement CL627 de Mme Danièle Obono.

Mme Danièle Obono. Cet amendement prévoit que le Parlement peut mettre fin à l’état d’urgence. Actuellement l’état d’urgence est décrété en Conseil des ministres pour une durée qui ne peut excéder douze jours. Au terme de cette période, le Parlement autorise la prolongation pour une durée déterminée. Il n’a pas le pouvoir d’y mettre fin. Pourtant, l’état d’urgence n’est pas neutre pour les libertés fondamentales, puisqu’il organise une sortie temporaire du cadre normal de l’état de droit par le renforcement des pouvoirs de l’administration et des restrictions importantes à certaines libertés publiques. Il est par nature temporaire et fonction de la permanence d’un péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public ou d’une calamité publique.

Nous proposons de renforcer le pouvoir du Parlement en lui permettant de mettre fin, à tout moment, à l’état d’urgence, en dehors des débats sur son renouvellement. Le renforcement des pouvoirs du Parlement implique qu’il puisse se saisir et décider souverainement, à tout moment, de l’application de ce droit d’exception.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Je ne suis pas favorable à la constitutionnalisation de l’état d’urgence pour plusieurs raisons.

D’abord, cela n’est pas nécessaire juridiquement, puisque l’absence de cadre constitutionnel n’empêche pas le législateur de définir un régime d’état d’urgence. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 22 décembre 2015 sur les assignations à résidence pendant l’état d’urgence a confirmé cette interprétation d’une manière très claire : « Considérant que la Constitution n’exclut pas la possibilité pour le législateur de prévoir un régime d’état d’urgence ; qu’il lui appartient, dans ce cadre, d’assurer la conciliation entre, d’une part, la prévention des atteintes à l’ordre public et, d’autre part, le respect des droits et libertés reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République. »

Ensuite, cela ne paraît pas utile puisque le régime de l’état d’urgence tel qu’il est défini par la loi du 3 avril a été considérablement rénové au cours du précédent état d’urgence. De nombreuses garanties nouvelles ont pu être apportées : contrôle parlementaire, suppression de la possibilité de transférer à la juridiction militaire la compétence pour se saisir des crimes et des délits connexes relevant de la cour d’assises, suppression des mesures pour assurer le contrôle de la presse et des publications de toute nature ainsi que celui des émissions radiophoniques, des projections cinématographiques et des représentations théâtrales, meilleur encadrement des perquisitions…

Enfin, la possibilité pour le Parlement de mettre fin à l’état d’urgence existe de facto au-delà de douze jours puisque, en application de l’article 2 de la loi de 1955, la prorogation de l’état d’urgence au-delà de douze jours ne peut être autorisée que par la loi. Lors de chaque prorogation, le Parlement peut rejeter le texte. Ce qu’une loi fait, une loi peut le défaire.

Le Parlement a pu se saisir de ce débat et de la raison d’être de la prorogation. Je vous indique aussi que le contrôle parlementaire de l’état d’urgence s’est déroulé de façon extrêmement fluide et que l’opposition y a été associée. Nous n’avons pas besoin de constitutionnaliser l’état d’urgence pour l’encadrer. Avis défavorable

M. Jean-Christophe Lagarde. Il est exact que le contrôle parlementaire a été fluide mais je regrette, madame la présidente de la commission des Lois, qu’il ne constitue pas un droit, tout comme, d’ailleurs, l’association de l’opposition à ce contrôle – M. Gosselin en sait quelque chose. Certes, ce n’est pas d’ordre constitutionnel, mais il me paraît nécessaire de garantir un droit de l’opposition sur l’état d’urgence. La précédente majorité l’a refusé, la vôtre, me semble-t-il, pourrait l’accepter.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Le contrôle de l’état d’urgence, sous ma présidence, s’est effectué en association avec l’opposition. Nous effectuons actuellement un contrôle parlementaire de la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (SILT), auquel participent MM. Ciotti et Gauvain. Pour le contrôle de l’état d’urgence, je me souviens m’être rendue avec M. Ciotti à Nice et à la préfecture de police de Paris et avoir effectué avec lui des auditions. L’opposition est donc associée depuis le début de cette législature au contrôle de l’état d’urgence, puis au contrôle de la loi SILT. Croyez que j’y veille particulièrement.

M. Jean-Christophe Lagarde. Je ne peux que vous en féliciter. Je vous demande d’en faire un droit pour qu’une majorité malavisée ne puisse pas l’empêcher.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Je n’ose imaginer que cela soit possible…

La Commission rejette l’amendement.

[Article 37 de la Constitution]

La Commission examine l’amendement CL736 de M. Jean-Christophe Lagarde.

M. Jean-Christophe Lagarde. L’information du Parlement avant la prise de décrets d’application est un sujet qui retiendra particulièrement notre attention dans les débats et in fine, orientera notre vote.

Il n’est pas question de revenir sur le domaine réglementaire, sur lequel nous n’avons pas à légiférer. Mais force est de constater que bien peu de ministres lisent les décrets d’application que l’administration leur fait signer. Si les ministres étaient auditionnés devant les commissions pour expliquer quels décrets ils entendent prendre – sans que nous ayons, bien sûr, droit d’amendement, esprit des institutions oblige –, ils retrouveraient du pouvoir auprès de leur administration, dont ils exigeraient quelques explications. Il n’est pas rare, en effet, que les décrets d’application finissent par dire le contraire ou pervertissent la volonté du législateur, même lorsqu’elle a été précisée dans les débats. Rendre du pouvoir aux ministres en les incitant à interpeller leur administration serait sain. Après tout, le pouvoir administratif est si important dans notre pays qu’en rendre un peu à ceux qui sont censés le diriger ne serait pas un mal !

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Je ne comprends pas si l’information du Parlement concerne ici les dispositions législatives visées au second alinéa de l’article 37, c’est-à-dire ayant fait l’objet d’un déclassement par le Conseil constitutionnel, ou les décrets d’application des lois.

M. Jean-Christophe Lagarde. L’exposé des motifs me semble assez clair : « cet amendement vise à prévoir une information du Parlement avant la prise de décrets d’application par le Gouvernement. Les conditions de cette information sont déterminées par la loi organique. »

Lorsque les décrets d’application sont prêts, et avant qu’il les signe, le ministre est auditionné par la Commission. Cela lui permet d’expliquer pourquoi il a pris les décrets dans telle ou telle orientation. Trop souvent, les décrets ne sont pas conformes à la volonté du législateur, exprimée dans les débats et les votes.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Placer l’amendement au second alinéa de l’article 37 relatif au déclassement de dispositions législatives crée une confusion. Il n’est pas nécessaire de modifier la Constitution pour que nos commissions puissent auditionner les ministres sur les décrets d’application qu’ils ont pris – ou pas –, ou qu’ils entendent prendre, et exercer ainsi leur pouvoir de contrôle. Avis défavorable.

M. Sacha Houlié. Le débat sur le contrôle des mesures d’application de la loi, qui ne pourra avoir complètement lieu car de nombreux amendements ne sont pas défendus, a une limite, celle de la séparation des pouvoirs. Pour autant, M. Lagarde a raison de souligner que les mesures d’application dénaturent parfois la loi : ainsi, alors que la loi pour la croissance et l’activité avait prévu de le réserver aux jeunes notaires, les décrets ont ouvert le tirage au sort aux notaires déjà installés. Le ministre de l’Économie de l’époque avait prévu des mesures de contrôle de cette loi afin de permettre aux parlementaires, dans le cadre de comités de suivi, d’être associés à l’application des dispositions. Nous défendrons un amendement prévoyant que le ministre qui a fait voter une loi soit systématiquement auditionné par la Commission et rende compte des mesures prises.

M. Jean-Christophe Lagarde. Madame la rapporteure, ainsi que vous y invite Sacha Houlié en parlant de systématicité, il vous faut, à l’occasion de ce texte, créer des droits. Je vous adjure de le faire. Dans le cas d’espèce, cela permettrait de rendre du pouvoir aux ministres. Nombre de ceux que j’ai vus passer se font bouffer par leur administration lors de la rédaction des décrets d’application. M. Houlié, en un an d’expérience, a déjà constaté que les administrations pouvaient faire le contraire de ce que nous souhaitions. Lorsque le ministre viendra ici et sera interpellé par la Commission, il secouera à son tour son administration et la volonté du législateur sera mieux respectée.

M. Fabien Di Filippo. Le mot-clé, c’est bien celui de systématicité. Nous avons tous des exemples de décrets qui ne respectent pas l’esprit des lois qui ont été votées. Ce qui compte à nos yeux, c’est le changement concret qu’une loi peut entraîner dans le quotidien de nos concitoyens : c’est surtout cela que nous devons contrôler.

Mme Cécile Untermaier. Comme l’a dit Sacha Houlié, la mission de suivi que nous avions mise en place avec Richard Ferrand à la suite de la loi pour la croissance et l’activité était une première. Le ministre de l’Économie d’alors avait joué le jeu. D’autres ne l’auraient peut-être pas fait. Le caractère systématique est donc indispensable. Malgré tous nos efforts, il est parfois difficile d’éviter des décrets contra legem. Prévoir un droit du Parlement dans ce domaine est fondamental.

Mme Maina Sage. Cela pourrait aussi nous aider dans le bilan d’application des lois. Nous avons contrôlé, pour la loi relative à l’égalité réelle outre-mer, le décret relatif à la continuité funéraire – qui prévoit une aide au rapatriement des défunts depuis l’hexagone. Lorsque vous regardez dans le détail, vous vous apercevez que les plafonds de ressources qui ont été fixés rendent le décret inopérant. Par décret, on est venu bloquer un dispositif qui était très attendu. Je soutiens cet amendement.

M. Sébastien Jumel. Je soutiens aussi cet amendement, qui vise à retirer des pouvoirs à la technostructure et à renforcer les pouvoirs de contrôle du Parlement. Au 31 mars 2018, le taux d’application des 24 lois promulguées au cours de l’année parlementaire 2016- 2017 était de 71 %. Cela signifie que 29 % des lois promulguées n’ont pas fait l’objet de décrets d’application.

L’amendement CL935, que je défendrai tout à l’heure, vise à imposer un délai de six mois pour la publication des décrets d’application, ce qui répond aux objectifs que la majorité a fait siens – efficacité, rapidité et réactivité – et permet de rendre utile le temps que nous passons ici.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CL935 de M. André Chassaigne et CL477 de Mme Cécile Untermaier.

M. Sébastien Jumel. L’amendement est défendu.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Avis défavorable.

M. Sébastien Jumel. Pourquoi ? N’est-ce pas une bonne chose d’obliger le Gouvernement à prendre les décrets d’application dans un délai raisonnable, afin de rendre les lois que nous votons efficientes – seules 30 % d’entre elles sont d’application directe ?

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Ce n’est pas de niveau constitutionnel et je ne pense pas qu’il faille imposer la publication des décrets d’application dans un délai de six mois. Les statistiques montrent que la grande majorité des décrets sont pris dans ce délai. S’agissant des lois pour lesquelles la commission des Lois a été saisie au fond, les taux, excellents, dépassent de loin ceux que vous avez indiqués.

Mais il arrive que la rédaction des décrets soit plus compliquée et demande davantage de temps. Je ne pense pas qu’il soit possible d’inscrire une telle contrainte de délai. Avis défavorable.

M. Sébastien Jumel. Les statistiques dont je dispose montrent que la moyenne est plutôt de dix mois, et que pour certaines lois, les décrets sont publiés au bout de plusieurs années, voire pas du tout. J’avais compris que nous étions dans l’ère de la réactivité, de l’efficacité, de la modernité…

Mme Cécile Untermaier. L’amendement CL477 fixe un délai, non pas de six mois, mais d’un an. Veiller à ce que les décrets d’application soient publiés dans les délais représente en effet un travail considérable. Une telle disposition ne peut être que du niveau de la Constitution, car le législateur ne peut, par la loi, imposer à l’exécutif un délai.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Avis défavorable.

M. Philippe Dunoyer. Ces dispositions sont bien du niveau de la Constitution, tout comme les suivantes qui visent, dans le même esprit, à encadrer l’action du Gouvernement. La pertinence de l’action politique se joue dans la capacité à rendre les lois efficaces sur le terrain : il n’y a rien de pire qu’une loi votée, annoncée, mais pas mise en œuvre. Si les statistiques dont Mme la rapporteure dispose indiquent des délais de publication inférieurs à ceux que proposent nos collègues, rien ne s’oppose à l’adoption de ces amendements.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Je ne vois pas comment l’on pourrait sanctionner le Gouvernement s’il ne respectait pas cette disposition. Par ailleurs, une nouvelle majorité se verrait contrainte de prendre les décrets d’application d’une loi votée sous une précédente législature. Je ne pense pas qu’il soit utile d’imposer une telle obligation.

Mme Cécile Untermaier. Ces amendements visent à poser le principe. Une loi organique viendrait fixer les détails et les sanctions applicables – l’administration n’est pas totalement irresponsable !

La Commission rejette successivement les amendements.

[Article 37-1 de la Constitution]

La Commission examine l’amendement CL208 de Mme Valérie Petit.

M. Cédric Villani. Dans le même esprit, cet amendement prévoit que la loi fixe les modalités de son évaluation et peut comporter une clause de réexamen automatique. Mais je le retire, au profit de l’amendement que Sacha Houlié a évoqué.

L’amendement est retiré.

La Commission examine l’amendement CL1444 de M. Paul-André Colombani.

M. Paul-André Colombani. Il s’agit de préciser que le droit à l’expérimentation décidé par le Parlement porte sur les lois et les règlements nationaux, et non sur les actes à valeur législative et le règlement local. Étant donné que les régions disposeront du pouvoir d’adaptation des règles nationales dans le cadre de statuts d’autonomie, avec la possibilité de légiférer dans les compétences qui leur seront transférées, la notion même d’expérimentation au niveau des actes normatifs adoptés par les collectivités sera désuète.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Compte tenu de l’introduction d’un droit à la différenciation aux articles 15, 16 et 17, vous proposez de distinguer les règlements ou les lois locaux et les règlements ou lois ordinaires, que vous voulez rebaptiser « nationaux ».

Vous introduisez cette distinction dans l’article 37-1 sur l’expérimentation en matière normative. Je n’y suis pas favorable pour deux raisons : ce qualificatif ne changerait rien à la portée du règlement par rapport aux normes réglementaires locales. A contrario, cet amendement pourrait induire une hiérarchisation entre le règlement national et le règlement local, ce qui n’est ni votre intention ni le sens du droit à la différenciation. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

[Article 38 de la Constitution]

La Commission examine l’amendement CL972 de M. Sébastien Jumel.

M. Sébastien Jumel. Avant d’être député, je pensais que les ordonnances, c’était pour se soigner. Depuis, j’ai compris que les ordonnances, c’est pour faire saigner. Du coup, je suis vacciné ! (Sourires.)

Le débat parlementaire, qui a mis en lumière le caractère abusif du recours aux ordonnances, a contraint le Gouvernement à renoncer aux ordonnances pour la SNCF, parce que l’absence de débat parlementaire pouvait être préjudiciable à la défense de l’intérêt public, de l’intérêt général et, au bout du compte, des objectifs poursuivis.

Nous proposons d’abroger le régime des ordonnances, négation ultime des pouvoirs du Parlement.

M. Philippe Gosselin, président. Monsieur le rapporteur général, avez-vous un remède ?

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Homéopathique, car l’avis sera défavorable. Il ne faut pas exagérer le dessaisissement de compétence que cette procédure peut représenter. Depuis la révision de 2008, qui a interdit la ratification implicite, le Parlement peut reprendre la main au moment de la loi de ratification.

L’augmentation du recours aux ordonnances est incontestable, mais c’est une tendance de fond depuis plus de vingt ans. Sous cette législature, le Gouvernement n’y a recouru que 37 fois, ce qui est comparable aux 274 ordonnances publiées sous la précédente majorité. Après ce calcul d’apothicaire, avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CL1445 de M. Paul-André Colombani.

M. Paul-André Colombani. Dans le cadre de l’autonomie régionale, les collectivités pourront, selon leur statut, adopter des actes normatifs, réglementaires voire législatifs, le Parlement n’ayant plus le monopole sur la loi depuis l’adoption du statut de la Nouvelle-Calédonie.

Il est proposé de parler des « lois de l’État » pour parler des actes votés au Parlement national. L’enjeu est de sortir d’une conception légicentriste, en favorisant les initiatives locales, par des autonomies renforcées prenant mieux en compte la réalité plurielle des régions.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Vous proposez de qualifier les lois ordinaires de « lois de l’État », au regard du droit à la différenciation créé par les articles 15, 16 et 17. C’est un débat que nous avons déjà eu sur l’article 37 de la Constitution. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine les amendements CL425, CL426, CL427, CL428 et CL429 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier. Certes, nous avons besoin des ordonnances – nous les avons utilisées et nous les utiliserons –, mais pas trop non plus, car elles constituent un dessaisissement du Parlement.

Nous souhaitons en limiter le champ en excluant de leur domaine les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens ; le régime électoral des assemblées parlementaires, des assemblées locales et des instances représentatives des Français établis hors de France ainsi que les conditions d’exercice des mandats électoraux et des fonctions électives des membres des assemblées délibérantes des collectivités territoriales ; les règles concernant les nationalisations d’entreprises et les transferts de propriété d’entreprises du secteur public au secteur privé ; les principes fondamentaux du droit du travail, du droit syndical et de la sécurité sociale ; les principes fondamentaux de la préservation de l’environnement.

Comme l’a très bien dit Jean-Christophe Lagarde, la Constitution sert aussi à se prémunir, demain, d’un régime autoritaire qui pourrait abuser des ordonnances. Nous vous proposons, par précaution, de la modifier en ce sens.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Je comprends bien le sens de vos amendements qui consistent à amputer le champ du recours aux ordonnances. Mais, pour les raisons indiquées en défaveur de l’amendement CL972, cela ne me paraît pas une bonne idée. De surcroît, lorsque l’ordre du jour est encombré, il peut être utile de recourir à ces ordonnances. Pour utiliser une règle avec souplesse, encore faut-il qu’elle ait une sphère d’application assez grande. La restreindre a priori nous ôterait l’agilité législative dont nous pouvons avoir besoin. Avis défavorable.

Mme Cécile Untermaier. Il est vrai, monsieur le rapporteur général, que nous aurons bien besoin de cette agilité : je viens d’apprendre que l’examen en commission, en deuxième lecture, du projet de loi asile et immigration aura lieu en même temps que l’examen en séance du projet de loi constitutionnelle.

M. Philippe Gosselin, président. Nous venons effectivement de prendre connaissance du décret du Président de la République. Celui-ci pose, il faut bien le dire, quelques problèmes.

La Commission rejette successivement les amendements.

Elle en vient aux amendements CL604 et CL605 de M. Philippe Dunoyer.

M. Philippe Dunoyer. Il ne s’agit ni d’empêcher ni de circonscrire le recours aux ordonnances, mais d’en encadrer l’utilisation. L’amendement CL604 fixe un délai de trois mois dans lequel les ordonnances doivent être prises à compter de la promulgation de la loi d’habilitation. L’amendement CL605 fixe un délai d’un an pour leur ratification.

Le groupe de travail du Sénat qui s’est penché sur l’ensemble de la révision constitutionnelle a formulé ces propositions. Même si le nombre d’ordonnances n’a pas augmenté, le délai entre la demande d’habilitation et la ratification des ordonnances est en moyenne de dix-huit mois, ce dont nous ne pouvons nous satisfaire.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Le délai de trois mois est très court et difficilement tenable pour élaborer des ordonnances, dans des matières parfois techniques. En outre, un tel amendement peut créer des incohérences, dans la mesure où les ordonnances sont des actes réglementaires délibérés en Conseil des ministres et signés par le Président de la République. Or, l’article 13 de la Constitution, pour le cas général des décrets présidentiels, ne prévoit aucun délai.

Par ailleurs, cette disposition aboutirait à rendre caduques deux fois sur trois les habilitations, obligeant à réintroduire les ordonnances, sous forme d’amendement, dans des textes dont l’objet le permettrait. Les délais s’allongeraient alors démesurément, sans que le Parlement n’ait mieux débattu du fond. Avis défavorable à l’amendement CL604.

Je ne suis pas davantage favorable à votre second amendement, qui propose de fixer à douze mois le délai de ratification. Cela voudrait dire que le Parlement lui-même s’oblige à ratifier plus rapidement les ordonnances. Par ailleurs, c’est une question liée à celle de l’ordre du jour, que nous aborderons à la faveur des amendements relatifs à l’article 48 de la Constitution et, plus particulièrement, à l’ordre du jour prioritaire du Gouvernement. Si nous souhaitons que le Parlement puisse examiner au fond les ordonnances au moment de leur ratification, à défaut d’avoir la possibilité le faire auparavant, peut-être ne faudrait-il pas s'enfermer dans des délais contraignants.

M. Philippe Dunoyer. Je suis assez convaincu par votre argumentation en ce qui concerne le premier amendement. Je vais donc le retirer. Je maintiendrai en revanche le second. Je peux comprendre la contrainte que vous avez évoquée, mais on court un risque en laissant subsister des situations créées par les ordonnances avant l’intervention de la loi de ratification. C’est un facteur qui peut ensuite empêcher le Parlement d’agir : il pourrait avoir l’intention de ne pas valider certaines mesures adoptées dans le cadre d’une ordonnance, mais être ennuyé de le faire parce qu’elles ont déjà produit des effets. D’où le délai d’un an que je propose d’instaurer pour la ratification des ordonnances.

L’amendement CL604 est retiré.

La Commission examine l’amendement CL479 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier. Cet amendement concerne les avis du Conseil d’État : ils sont déjà publics, ce qui nous paraît essentiel, mais sans que cela soit garanti par la Constitution.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. J’émets un avis défavorable. Le Conseil d’État est constitutionnellement le conseiller de l'exécutif, en particulier pour l'élaboration des décrets : il faudrait envisager un changement profond de nature avant de systématiser la publicité des avis.

En ce qui concerne l'information du Parlement et du grand public, par ailleurs, l'avis du Conseil d'État est sans doute moins éclairant que le rapport au Président de la République qui accompagne systématiquement les ordonnances, et qui est disponible sur Legifrance.

Mme Cécile Untermaier. Je ne comprends pas bien vos explications – mais c’est sans doute à cause de l’heure tardive… Les avis du Conseil d’État sont précieux, mais rien n’oblige à l’heure actuelle de les rendre publics. Tout dépend du bon vouloir du Gouvernement. Il me semble important de formaliser la situation qui prévaut.

La Commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur général, la commission rejette l’amendement CL605 de M. Philippe Dunoyer.

[Après l’article 38 de la Constitution]

La Commissionexamine l’amendement CL417 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier. Nous demandons la transmission au Parlement d’un avant-projet de loi deux mois avant la délibération d’un texte en Conseil des ministres. Néanmoins, puisque vous avez décidé de faire un package sur ces questions, nous allons attendre de voir ce que vous nous proposez.

L’amendement CL417 est retiré.

[Article 39 de la Constitution]

La Commission est saisie de l’amendement CL1447 de M. Paul-André Colombani.

M. Paul-André Colombani. Comme cet amendement a été déposé par coordination avec d’autres, je ne reviens que très brièvement sur ce que j’ai dit tout à l’heure. Le but est de clarifier les formulations retenues afin de sortir du légicentrisme et de favoriser l’autonomie des territoires.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Par homothétie avec les avis que j’ai précédemment émis, je suis défavorable à cet amendement.

M. Michel Castellani. Je soutiens la proposition de notre collègue Colombani, qui concerne un problème fondamental dont nous avons déjà parlé et sur lequel nous aurons probablement à revenir encore, à propos d’autres articles, c’est-à-dire l’équilibre des compétences entre l’État central et les collectivités. Nous considérons que, sans défaire la France, il faut donner davantage de compétences aux territoires.

La Commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CL644 de M. Jean-Luc Mélenchon.

M. Jean-Hugues Ratenon. Nous proposons de reconnaître au peuple un droit d’initiative en matière législative. Un million d’électeurs inscrits sur les listes électorales pourra déposer une proposition de loi sur le bureau de l’une des deux assemblées. Celle-ci devra examiner cette proposition de loi populaire dans un délai d’un mois suivant son dépôt. Vous savez qu’un tel mécanisme existe dans de nombreux pays, notamment l’Espagne, le Portugal, la Pologne et la Suisse.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Je suis défavorable à un tel partage de l’initiative des lois sous la forme de propositions de loi citoyennes. Le Constituant a créé des référendums d'initiative partagée en 2008, qui reposent sur une initiative parlementaire soutenue par des citoyens, mais force est de constater que cet outil n'a pas été utilisé. Les seuils et les délais fixés par l’article 11 de la Constitution sont pourtant très bas : la proposition de loi doit être soutenue par 10 % du corps électoral, soit 4,5 millions de citoyens, et le Parlement ne peut pas examiner de texte sur le même sujet dans un délai de six mois. Sur le plan technique, votre proposition soulève un certain nombre de questions : ce partage pourrait conduire à un droit d'abrogation par les citoyens de dispositions votées par leurs représentants, donc à une forme de concurrence normative qui ne favoriserait ni la stabilité, ni la clarté, ni la lisibilité du droit.

La Commission rejette l’amendement.

Elle est ensuite saisie de l’amendement CL613 de Mme Maina Sage.

Mme Maina Sage. Cet amendement prévoit que les projets de loi soumis au Conseil d’État ou à la Chambre de la société civile, prévue à l’article 14, sont concurremment transmis au Parlement. J’ai bien vu en Polynésie à quel point c’est important : comme le Conseil économique, social et environnemental (CESE) local doit obligatoirement étudier les textes entrant dans ses domaines de compétence, les projets de loi lui sont transmis mais l’Assemblée de la Polynésie n’est pas informée, ce qui est problématique. Notre amendement permettra d’améliorer l’information dont le Parlement dispose, en amont, sur les textes à venir.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Nous nous sommes beaucoup interrogés sur cette question, et nous vous proposerons un amendement un peu différent qui portera sur le CESE. Le moment où il doit intervenir pose une question, de même que le caractère obligatoire ou non de cette intervention. Je partage vos préoccupations, mais je vous propose d’y revenir plus tard.

Mme Maina Sage. Nous nous sommes aussi interrogés sur l’endroit où une telle disposition devrait figurer. Si votre amendement s’insère dans la même partie de la Constitution, cela nous convient. S’il porte, en revanche, sur les dispositions concernant la future Chambre de la société civile, je crois qu’il faudra aussi apporter une précision dans le bloc de la Constitution qui traite du rôle du Parlement – mais nous pourrons peut-être y travailler d’ici à la séance.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Nous regarderons en effet d’ici à la séance comment tout cela doit s’articuler.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CL1302 de M. Daniel Labaronne.

M. Daniel Labaronne. Cet amendement vise à permettre la bonne information du Parlement en généralisant la transmission des avis du Conseil d’État aux assemblées en même temps que les projets de loi. Cela permettra une discussion plus constructive et plus éclairée entre le Parlement et le Gouvernement : chacun doit bénéficier du même niveau d’information.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Je ne suis pas favorable à cet amendement. Il est, dans une large mesure, satisfait car les avis du Conseil d’État sont systématiquement publiés depuis plusieurs années, sauf quelques rares exceptions. Par ailleurs, je redis que le Conseil d'État est le conseiller de l'exécutif, auquel ses avis sont seuls destinés. Votre amendement renvoie donc à un débat plus large sur la place du Conseil d'État vis-à-vis du Parlement et de l'exécutif. Enfin, le Gouvernement doit rester libre de suivre ou non l’avis qui lui est donné. En rendant obligatoire sa transmission aux assemblées, sans possibilité d’y déroger, on ancrerait l'idée, d’une certaine manière, que le Gouvernement doit suivre les modifications de forme et de fond que le Conseil d'État propose. Il vaut mieux, pour notre démocratie, que le débat public porte sur le projet de loi déposé par le Gouvernement, plutôt que sur les avis du Conseil d’État. On voit bien à quel point certains débats sont biaisés, y compris dans notre assemblée, parce que l’avis du Conseil d’État déchaîne les passions, alors que le projet de loi du Gouvernement n’en tient aucun compte. Discutons du projet de loi, c’est-à-dire de ce qui est sur le présentoir, plutôt que de ce qui se trouve dans l’arrière-cuisine. Je précise que je n’entends pas être désobligeant à l’égard du Conseil d’État.

La Commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur général, elle rejette l’amendement CL478 de Mme Cécile Untermaier.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CL92 de M. Jean-François Eliaou, CL207 de Mme Valérie Petit et CL568 de M. Jean-François Eliaou.

Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe. La généralisation des études d’impact était une mesure nécessaire, mais elle ne produit pas toujours les effets que l’on pouvait en attendre. Il faut systématiser le dispositif, en incluant les propositions de loi, mais aussi veiller à ce que les études d’impact soient effectivement réalisées au préalable et à ce qu’elles répondent à des impératifs de qualité – elles doivent être rigoureuses et exhaustives. Tel est l’objet de l’amendement CL92.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Je regrette de ne pas pouvoir émettre un avis favorable. Il ne suffit pas de prévoir dans la Constitution que les études d’impact doivent être exhaustives et rigoureuses pour avoir la garantie que c’est bien le cas. C’est désirable, mais le vœu risque d’être pieux. Il appartient à la Conférence des présidents de vérifier si les études d'impact sont conformes ou non aux prescriptions de l'article 8 de la loi organique d'avril 2009 et, si elle souhaite le faire, d’en pointer les éventuelles carences. La vraie question est celle qui a été posée par la décision n° 2009-579 DC du 9 avril 2009 du Conseil constitutionnel : si l'on souhaite rendre les études d'impact obligatoires, il faut le prévoir expressément dans la Constitution.

Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe. Je voudrais revenir sur l’idée selon laquelle l’étude d’impact doit être préalable. La décision de 2009 du Conseil constitutionnel a censuré la loi organique sur ce point. Or, on n’attend pas seulement que les études d’impact aient une réelle qualité, une plus-value, mais aussi qu’elles soient préalables.

M. Philippe Dunoyer. J’entends bien les remarques du rapporteur général. Néanmoins, et même si comparaison n’est pas raison, je voudrais vous faire part de ce qui est prévu en Nouvelle-Calédonie : la procédure en vigueur exige la production d’une fiche d’impact, et l’examen d’un texte par le Conseil d’État est repoussé si elle n’existe pas. Cela ne signifie pas que la fiche d’impact est toujours très pertinente et complète – cela ne se décrète pas – mais il me paraît utile que nous débattions de cette question.

Les amendements CL92, CL207 et CL568 sont successivement retirés.

La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL542 de M. Jean-François Eliaou, CL599 de M. Philippe Dunoyer et CL600 du même auteur.

Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe. Je retire l’amendement CL542.

M. Philippe Dunoyer. L’amendement CL599 vise à compléter la disposition qui donne au Président de notre assemblée la possibilité de soumettre pour avis au Conseil d’État une proposition de loi, si son auteur ne s’y oppose pas : la Conférence des présidents en aura aussi la possibilité, ce qui permettra d’élargir la prise de décision à tous les groupes politiques. L’amendement CL600 est un peu différent, puisqu’il donnera cette possibilité aux présidents de groupe. Je souligne que l’auteur de la proposition de loi pourra toujours s’opposer à la saisine du Conseil d’État.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. J’aimerais tellement finir par vous plaire, mais je vais encore vous décevoir en émettant un avis défavorable (Sourires.). S’agissant de l’amendement CL599, il n’existe pas de cas où la Conférence des présidents ait été d’un avis différent du Président de l’Assemblée nationale en ce qui concerne la saisine du Conseil d’État. Si votre amendement était adopté, la Conférence des présidents devrait se prononcer à la majorité des voix, ce qui n’octroierait pas, en réalité, de droit nouveau aux oppositions – j’ai eu l’occasion de vérifier qu’il en est ainsi.

L’amendement CL600 permettrait à un président de groupe de soumettre une proposition de loi au Conseil d’État, comme le Président de notre assemblée peut déjà le faire. Je ne suis pas davantage favorable à cette proposition, car il existe un risque d’instrumentalisation d’une telle procédure à des fins un peu politiciennes – cela pourrait servir à entraver l’initiative d’un autre groupe. J’ajoute que l’auteur de la proposition de loi ne pourra plus, en réalité, refuser que le Conseil d’État soit saisi.

M. Philippe Dunoyer. Je ne reviendrai pas sur le fait que la Conférence des présidents va majoritairement dans le même sens que le Président de notre assemblée, du moins traditionnellement. Il n’est pas exclu, pour autant, qu’elle prenne des décisions à l’unanimité, et l’amendement CL599 permettrait d’associer plus largement les groupes politiques.

S’agissant du second amendement, je ne suis pas certain d’avoir bien compris toute l’argumentation développée par le rapporteur général. Sauf erreur de ma part – mais c’est possible à cette heure tardive –, le dernier alinéa de l’article 39 de la Constitution permet, de toute façon, à l’auteur du texte de s’opposer à une saisine du Conseil d’État qui serait souhaitée par un président de groupe dans la simple intention de mettre en défaut une proposition de loi. Nous parions sur l’intelligence de chacun des présidents de groupe, qu’ils appartiennent à la majorité ou à l’opposition, pour l’utilisation à bon escient de cette nouvelle faculté.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Je dois être moins optimiste que vous.

L’amendement CL542 est retiré.

La Commission rejette successivement les amendements CL599 et CL600.

Elle est saisie de l’amendement CL648 de M. Jean-Hugues Ratenon.

M. Jean-Hugues Ratenon. Comme le demande notre programme « L’avenir en commun », cet amendement vise à créer un droit de pétition numérique. Cela correspond, en outre, à une proposition faite par le Président de la République devant le Parlement réuni en Congrès le 3 juillet 2017.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Il n’y a rien de nouveau sous le soleil : le droit de s’adresser aux pouvoirs publics pour formuler une plainte ou une suggestion est déjà prévu par l’ordonnance de 1958 et les règlements des assemblées. En pratique, néanmoins, le droit de pétition a presque totalement disparu. Il ne me paraît donc pas utile de le constitutionnaliser : avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

[Article 40 de la Constitution]

La Commission en vient aux amendements identiques CL628 de M. Éric Coquerel et CL1094 de M. Michel Castellani.

M. Jean-Hugues Ratenon. L’amendement CL628 vise à abroger l’article 40 de la Constitution, qui limite grandement l’initiative parlementaire en nous interdisant de proposer des amendements qui auraient pour conséquence d’aggraver une charge publique.

M. Michel Castellani. Par l’amendement CL1094, je vous propose aussi d’abroger l’article 40, dont l’inefficacité n’est plus à démontrer – au risque d’être un peu provocateur, on peut dire qu’elle est suffisamment mise en lumière par la situation extrêmement pénible dans laquelle se trouvent nos finances publiques : les dérapages parlementaires, supposés, n’y sont pour rien. L’article 40 apporte une restriction au droit d’initiative parlementaire qui traduit une méfiance indiscutable à notre égard. Nous pensons que les membres du Parlement peuvent être responsables, y compris en matière de finances publiques.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. De nombreux amendements ont été déposés, par tous les groupes, pour supprimer l’article 40. C’est une question qui s’est déjà posée, notamment en 2008 et en 2011, et à laquelle la réponse a toujours été négative. Je suis défavorable à ces amendements pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, arrêtons de penser que l’article 40 constituerait une anomalie, voire une innovation propre à la Vème République. Des règles similaires étaient déjà prévues par le règlement de la Chambre des députés dès 1920, avant d’être reprises par l’article 17 de la Constitution de 1946, puis sous la forme des règles dites des maxima dans la plupart des lois budgétaires sous la IVème République. Par ailleurs, ce n’est pas une forme d’arbitraire : l’appréciation de la recevabilité financière repose sur une jurisprudence ancienne des présidents successifs de la commission des finances, qui est toujours bien documentée et favorable à l’initiative parlementaire dès lors que la lettre de la Constitution le permet. Enfin, le contrôle de la recevabilité financière est utile : il limite la tentation de grever la dépense budgétaire dans n’importe quel texte de loi et permet un contrôle très opportun des cavaliers budgétaires et sociaux dans les projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale. Cet article, dont on mesure bien l’efficacité, même si elle est finalement relative, nous préserve contre certaines dépenses publiques excessives.

La Commission rejette ces amendements.

Elle est saisie de l’amendement CL586 de M. Charles de Courson.

M. Philippe Dunoyer. Nous proposons que les règles imposées aux membres du Parlement par l’article 40 de la Constitution s’appliquent aussi aux amendements du Gouvernement.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. On pourrait être tenté de vous suivre, sur le principe. En effet, l’article 40 n’a pas suffi à prévenir la dégradation des finances publiques sous les différentes majorités qui nous ont précédés. Votre amendement pose néanmoins plusieurs difficultés. Le contrôle relevant des seules instances parlementaires, que se passerait-il en cas de divergence d’interprétation s’il n’y a pas devant le Conseil constitutionnel de voie de recours comparable à ce que prévoit l’article 41 de la Constitution ? En outre, l’intention du Gouvernement peut couvrir l’irrecevabilité de certains amendements parlementaires, donc permettre de les déclarer recevables. Avec l’élargissement de l’article 40 que vous proposez, le juge de la recevabilité financière serait finalement conduit à faire preuve d’une plus grande sévérité à l’égard des parlementaires, de sorte que votre amendement pourrait avoir un effet paradoxal et presque contradictoire avec l’objectif que vous visez. C’est donc en toute complicité avec vous que j’émets un avis défavorable (Sourires.).

M. Philippe Dunoyer. Je crois que je fatigue, car je commence à être convaincu par ce que dit le rapporteur général : il faut vraiment que la séance s’achève. (Sourires.) Néanmoins, comme je ne suis pas le premier signataire de l’amendement, je ne le retire pas.

La Commission rejette l’amendement.

Elle passe à l’amendement CL459 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier. Cet amendement vise à atténuer la portée de l’article 40, qui fait l’objet d’interrogations depuis des années. Nous vous proposons d’unifier sa rédaction afin de permettre aux parlementaires de déposer des propositions de loi ou des amendements qui augmentent les charges publiques à condition que ce soit correctement gagé. Par ailleurs, cet assouplissement ne s’appliquera que dans la limite d’un montant défini par une loi organique.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Vous proposez d’assouplir l’irrecevabilité au titre de l’article 40 de la Constitution. Une fois encore, je regrette de ne pas pouvoir émettre un avis favorable. L’introduction d’un renvoi à une loi organique suspendrait tout contrôle de la recevabilité financière entre l’entrée en vigueur de la révision constitutionnelle et celle de la loi organique, ce qui créerait une sorte de vide redoutable à tous égards. Autre flou, quels seraient les outils d’expertise que vous souhaitez créer ? L’amendement n’en dit rien. Vous savez pourtant ce qu’il en est quand il y a un flou…

M. Philippe Gosselin, président. Martine, réveille-toi. (Sourires.)

La Commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur général, elle rejette successivement les amendements CL569, CL570 et CL571 de M. Charles de Courson.

Elle est ensuite saisie de l’amendement CL1093 de M. Michel Castellani.

M. Michel Castellani. C’est une proposition de repli par rapport à l’amendement CL1094 qui a été rejeté tout à l’heure. On pourra déroger au principe énoncé au premier alinéa de l’article 40 s’il est prévu une compensation réelle, immédiate et bénéficiant aux mêmes collectivités ou organismes que ceux qui percevaient la ressource diminuée ou supportaient la charge aggravée. La création d’une nouvelle charge publique obéira aux mêmes conditions et devra être justifiée par un motif d’intérêt général. En assouplissant ainsi les règles de la recevabilité financière, nous renforcerons les pouvoirs du Parlement. Cette proposition, qui nous donnera un peu plus de marge de manœuvre, est directement inspirée des recommandations formulées par le comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République, qui était présidé par M. Balladur.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. J’émets le même avis que précédemment.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CL582 de M. Charles de Courson.

M. Philippe Dunoyer. Cet amendement vise à compléter l’article 40 de la Constitution de manière à éviter les risques de surtransposition des actes juridiques de l’Union européenne. Cela permettra d’éviter des dérives que nous constatons dans de trop nombreux cas – je ne parle pas de cette législature en particulier.

M. Philippe Gosselin, président. La surtransposition est, en effet, un vrai problème.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Cet amendement me paraît un peu ésotérique. L’article 40 peut conduire à déclarer irrecevables des dispositions aboutissant à une perte de recettes ou à une dépense. Or vous voulez soudain en faire un outil de régulation contre d’éventuelles surtranspositions. Je ne vois pas de lien entre l’article 40 et ce que vous proposez. J’émets donc un avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

M. Philippe Gosselin, président. Nous en sommes à l’article 3. Je vais lever la séance, après un bref point sur l’état d’avancement de nos travaux : nous avons examiné 567 amendements en 23 heures de débat, et il nous en reste 777 à examiner.

7.   Réunion du vendredi 29 juin 2018 à 9 heures 30 (article 3 à après l’article 4)

Lien vidéo :

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.6327853_5b35de1c14335.commission-des-lois-matin--pour-une-democratie-plus-representative-responsable-et-efficace-suit-29-juin-2018

M. Philippe Gosselin, président. Nous avons pour l’heure examiné 567 amendements, en quelque 23 heures de débat. Il reste 777 amendements à examiner.

Nous abordons l’article 3, qui concerne l’extension de l’irrecevabilité des propositions de loi ou des amendements.

Article 3
(art. 41 et 45 de la Constitution)
Cas d’irrecevabilité des propositions de loi et des amendements

La Commission est saisie des amendements identiques CL214 de M. Philippe Gosselin, CL448 de Mme Cécile Untermaier, CL1292 de M. Jean-Félix Acquaviva et CL1331 de Mme Isabelle Florennes. 

M. Arnaud Viala. Nous proposons de supprimer cet article, qui réécrit l’article 41 de la Constitution en étendant notamment l’irrecevabilité aux amendements « sans portée normative » ou « sans lien direct avec le texte ».

Cet article touche au fondement même du droit d’amendement inscrit à l’article 44 de la Constitution, et qui avait même été renforcé lors de la révision constitutionnelle de 2008. En effet, l’article 45 avait été alors modifié par l’ajout, au premier alinéa, de la phrase suivante : « Sans préjudice de l’application des articles 40 et 41, tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu’il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis. »

M. Erwan Balanant. L’article 3 du projet de loi crée trois irrecevabilités systématiques à l’article 41 de la Constitution. Son dernier alinéa prévoit en outre la suppression de la deuxième phrase du premier alinéa de l’article 45, dont notre collègue vient de donner lecture.

Pour notre part, nous considérons que limiter le droit d’amendement aux seuls amendements ayant un lien « direct » avec le texte constituerait une restriction disproportionnée. Quant à rendre irrecevables ceux qui seraient dépourvus de portée normative, cela signifierait empêcher, par exemple, toute demande de rapport. Or, ce type d’amendement permet aux parlementaires de porter certains sujets qu’il leur est impossible de mettre en avant compte tenu des règles de recevabilité financière édictées à l’article 40.

Cette nouvelle rédaction de l’article 41 risque de multiplier les cas de recours au Conseil constitutionnel en cas de désaccord sur la recevabilité d’un amendement, puisqu’il n’appartient pas au Conseil de contrôler a priori la loi en cours de rédaction.

Dès lors, le présent amendement vise à supprimer cet article, le Gouvernement comme les présidents des assemblées ayant déjà tout loisir de s’assurer de la recevabilité des amendements.

M. Jean-Félix Acquaviva. Cet article est une atteinte importante aux pouvoirs du Parlement et à la liberté du parlementaire.

Sous prétexte d’efficacité, le Gouvernement envisage de restreindre le droit d’amendement en ajoutant de nouvelles conditions de recevabilité et donc de renforcer encore davantage la prépondérance de l’Exécutif dans l’élaboration des lois.

De plus, il faut noter que les nouvelles conditions d’irrecevabilité, faisant référence à la « portée normative » des amendements et à leur « lien direct avec le texte », sont particulièrement subjectives et pourraient donner lieu à un rejet quasi systématique des propositions émanant des parlementaires.

On a l’impression que le Gouvernement veut transformer le Parlement en une simple chambre d’enregistrement. Nous voulons, nous, qu’il reste un lieu de débat contradictoire, dans le cadre duquel les propositions puissent, le cas échéant, enrichir les textes.

M. David Habib. L’article 3 présente un caractère extrêmement dangereux. Il vise à réduire la capacité d’intervention des députés. Un discours politique se construit autour d’une prétendue insuffisance des propositions des parlementaires, voire de leur caractère fantaisiste.

Or l’expérience nous permet d’affirmer que les amendements de portée normative émanent le plus souvent du Gouvernement ou du groupe majoritaire, lesquels s’efforcent de corriger les difficultés rencontrées dans l’application de telle ou telle disposition, y compris quand celle-ci relève du règlement. De même, l’expérience montre que les « cavaliers » législatifs sont, la plupart du temps, d’origine gouvernementale, parfois le groupe majoritaire, rarement les groupes d’opposition.

La pratique du contrôle a posteriori permet déjà de lutter contre ces dérives. Par cet article, vous voulez y ajouter un contrôle a priori. C’est une amputation grave du droit d’amendement dont jouissent aujourd’hui les parlementaires.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. L’article 3 du projet de loi vise à inscrire à l’article 41 de la Constitution la règle selon laquelle sont irrecevables les propositions de loi et amendements de nature réglementaire, dépourvus de caractère normatif ou constituant des « cavaliers législatifs ». J’entends certains protester contre ce qui serait une « amputation » du droit d’amendement, alors que la règle proposée s’applique déjà, à bien des égards, au Sénat, ce qui ne paraît pas avoir entamé la capacité des autres parlementaires de la République à améliorer les textes. En 2015-2016, la règle y a été appliquée 110 fois, et 30 fois en 2017-2018.

Vous proposez de supprimer ces nouvelles dispositions, et donc d’en rester à une irrecevabilité facultative et centrée uniquement sur les dispositions de nature réglementaire. Je ne suis pas favorable au statu quo. Il faut savoir évoluer.

L’augmentation du nombre d’amendements déposés devant les assemblées est un phénomène connu : les chiffres sont dans mon rapport. Nul ne semble considérer qu’il s’ensuive une amélioration de la qualité du travail législatif ni de celle de la loi elle-même, bien au contraire.

Il faut, par conséquent, donner davantage de cohérence à l’ensemble formé par les règles de recevabilité de l’article 40 en matière financière et par celles de l’article 41. Il ne peut y avoir une irrecevabilité absolue face à une irrecevabilité facultative, sauf à compliquer encore un peu plus la compréhension et l’exercice même du droit d’amendement.

M. Arnaud Viala. Monsieur le rapporteur général, votre réponse n’embrasse pas complètement les remarques que nous avons faites. J’en veux pour preuve les projets de loi récents. Ils ont donné lieu à quantité d’amendements, dont certains ont été considérés comme des cavaliers législatifs. Mais à y regarder de plus près, ces projets de loi étaient déjà, dans leur forme initiale, de tels fourre-tout, balayant tant de domaines, qu’ils constituaient eux-mêmes une invite à formuler des amendements hors du cœur de cible.

En posant a priori la question de la recevabilité des amendements, l’article 3 du présent projet ne fera qu’amoindrir le droit d’initiative et de participation des parlementaires – et écorner la démocratie.

M. David Habib. Monsieur le rapporteur général, vous dites n’être pas favorable au statu quo ? Dites plutôt que vous n’êtes pas favorable au renforcement du droit d’initiative des parlementaires. Quant à la qualité des travaux menés par le Gouvernement, je rappellerai seulement qu’il lui arrive de déposer, en séance publique, des amendements de grande portée sans que ceux-ci aient pu faire l’objet d’un examen approfondi en commission. Il lui arrive aussi d’introduire des dispositions nouvelles qui sont à la limite du domaine réglementaire.

Vous voulez cadenasser l’initiative parlementaire. Je tiens cette démarche pour une erreur monumentale.

M. Sacha Houlié. Monsieur Habib, vous intentez un faux procès. C’est au contraire la première fois, depuis 1958, que le Gouvernement accepte de limiter son droit d’amendement. Pour la première fois, les rôles respectifs du Parlement et du Gouvernement sont définis de manière plus précise que par le partage qu’opèrent les articles 34 et 37.

Avec le présent article, la loi sera plus claire et mieux limitée à son objet principal. La définition du cavalier législatif, que nous proposerons dans un amendement ultérieur, ne fait d’ailleurs que rejoindre la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Cela protège aussi bien les droits du Parlement que la qualité de nos travaux. Dans la présente discussion elle-même, aucun des amendements déposés n’aurait pu être déclaré irrecevable sur la base de la nouvelle règle proposée. Il s’agit donc seulement de mieux réguler et encadrer le droit d’initiative parlementaire, afin de le rendre plus performant.

Mme Marie Guévenoux. Après un an de mandat, je mesure le prix du travail conjoint mené par le Parlement et par le Gouvernement, des auditions préliminaires à l’examen en commission jusqu’à l’examen en séance publique. Parfois, les amendements adoptés sont assez éloignés du texte initial, mais, ainsi, on arrive du moins à avancer.

L’autre partie de l’article 3 nous engage toutefois à ne délibérer que sur des dispositions ayant une portée législative. J’y vois une incitation à respecter un certain cadre, sans s’égarer ni chercher, si j’ose dire, à « amuser la galerie ».

M. Marc Fesneau, rapporteur. Le droit d’amendement est un droit fondamental des parlementaires à titre individuel. En un certain sens, on peut même regretter qu’il soit l’un des rares moyens d’action et de visibilité à leur disposition. Sans doute faut-il, pour cette raison, réfléchir à d’autres voies qui leur permettraient de s’exprimer.

Quelle est l’équation à résoudre ? D’abord, il nous faut rester conformes à l’esprit de la Constitution de 1958. Reconnaissons qu’elle prévoyait, en ses articles 34 et 37, de distinguer ce qui relève de la loi et ce qui relève du règlement. Reconnaissons aussi que nous rencontrons des difficultés à respecter ce partage. Le Sénat est parvenu à se réguler et à mieux respecter l’esprit de la Constitution de 1958 ; nous voudrions nous fonder sur sa pratique.

En vertu du parallélisme des formes, cette volonté de mieux faire respecter le partage entre ce qui relève de la loi et ce qui relève du règlement doit s’appliquer aussi bien au Gouvernement qu’au Parlement. C’est bien ce que fait l’article 3.

Dans un amendement ultérieur, nous vous proposerons de retirer les propositions de loi de ce dispositif. Nous reviendrons aussi sur la définition du lien nécessaire entre l’amendement et le texte sur lequel il porte, laquelle n’est pas acceptable en l’état.

Nous voulons donc conserver la capacité d’amender, en observant un parallélisme des formes qui permet à chacun d’assumer ses responsabilités.

La Commission adopte les amendements (amendement  334).

L’article 3 est ainsi supprimé.

En conséquence, les amendements CL976 de M. Sébastien Jumel, CL777 de M. Éric Coquerel, CL71 de Mme Marie-France Lorho, CL175 de M. Vincent Rolland, CL266 de M. Éric Diard, CL281 de M. Marc Le Fur, CL327 de M. Paul Molac, CL1386 de M. Gaël Le Bohec, CL1332 de Mme Isabelle Florennes, CL1515 des rapporteurs, CL1333 de Mme Isabelle Florennes, CL1448 de M. Paul-André Colombani, CL1310 de M. Fabien Gouttefarde, CL147 de M. Robin Reda, CL601 de M. Philippe Dunoyer, CL1096 de M. Michel Castellani, CL1293 de M. Jean-Félix Acquaviva, CL1334 de Mme Isabelle Florennes, CL1508 des rapporteurs, CL869 de M. Sacha Houlié, CL652 de M. Christophe Euzet, CL529 de M. Jean-Marc Zulesi, CL1493 de M. Fabien Gouttefarde, CL611 de Mme Maina Sage, CL512 de M. Olivier Becht, CL618 et CL621 de M. Jean-Christophe Lagarde, CL176 de M. Vincent Rolland, CL776 de Mme Clémentine Autain, CL1098 de M. Michel Castellani, CL1457 de M. Fabien Gouttefarde, CL1450 de M. Paul-André Colombani, CL1047 de M. Charles de Courson, CL10 de M. Marc Le Fur, CL1390 de M. Gaël Le Bohec, CL177 de M. Vincent Rolland, CL1517 des rapporteurs, CL150 de M. Robin Reda, CL328 de M. Paul Molac, CL516 de Mme Émilie Bonnivard, CL1099 de M. Michel Castellani, CL1269 de M. Jean-Félix Acquaviva, CL1393 de M. Gaël Le Bohec, CL1458 de M. Fabien Gouttefarde, CL1461 de Mme Isabelle Florennes, CL1462 de M. Éric Diard tombent.

La séance est suspendue de neuf heures cinquante à dix heures.

Article 4
(art. 42 de la Constitution)
Procédure d’examen en commission des textes de loi

La Commission est saisie des amendements identiques CL215 de M. Philippe Gosselin, CL775 de Mme Danièle Obono, CL948 de M. André Chassaigne, CL1101 de M. Michel Castellani et CL1295 de M. Jean-Félix Acquaviva.

M. Philippe Gosselin, président. Nous abordons l’article 4, qui concerne l’adoption des textes de loi en commission. Nous sommes saisis d’abord d’une série d’amendements de suppression de cet article.

M. Arnaud Viala. Cet article permet l’examen en commission, en tout ou en partie, de projets ou propositions de loi, qui seraient alors uniquement mis seuls en discussion en séance – donc sans débat. Le droit d’amendement sur les articles ne pourrait se faire alors qu’en commission.

Là encore, il s’agit d’une atteinte au droit d’amendement des parlementaires et à la démocratie. La pratique le montre : même si le travail est fastidieux, le fait d’examiner un texte d’abord en commission, puis en séance publique, est un facteur d’enrichissement.

Prenons en outre l’exemple de nos débats de ce matin : la majorité ne pourrait déposer en séance publique un amendement réintroduisant l’article 3 dans le texte ; cela pourrait nous arranger, mais nous restons néanmoins fidèles à notre volonté de conserver notre droit d’amendement en commission et en séance.

M. Michel Castellani. L’objectif du présent article est de restreindre la séance publique aux projets ou propositions de loi justifiant un débat solennel. Cela réduit le champ des délibérations de nos assemblées. C’est pourquoi nous proposons de supprimer cet article.

M. Jean-Félix Acquaviva. En l’absence de détails sur les modalités d’examen en commission, nous pouvons dire que cet article tend à restreindre les pouvoirs du Parlement et la liberté du parlementaire. C’est pourquoi nous proposons de supprimer cet article.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Nous assistons à des prises de position surréalistes. L’article 4 du projet de loi facilite la mise en œuvre d’une procédure de « législation en commission », en réservant l’exercice du droit d’amendement à cette étape des travaux parlementaires. Et vous proposez de supprimer cet article.

Or l’article 4 ne fait que reprendre le droit existant : cette procédure existe déjà, sur la base des dispositions introduites à l’article 44 de la Constitution en 2008, par une majorité un tantinet différente de celle d’aujourd’hui. Le Sénat l’a expérimentée pendant près de trois ans, avant de la généraliser cette année. L’ancrage constitutionnel permet uniquement de garantir la présence des ministres.

Ne prétendez donc pas qu’il s’agisse de restreindre je ne sais quelle faculté de légiférer : des dispositions similaires sont déjà présentes dans la Constitution, à la suite d’une révision décidée par une autre majorité ; l’article 4 permet seulement de garantir la présence des ministres. Ce sont donc les obligations du Gouvernement qui sont renforcées, tandis que les parlementaires obtiendraient l’assurance de se faire entendre de lui. C’est donc l’inverse des arguments que j’ai entendus.

J’ajoute que le développement de cette procédure sera assorti de garanties, prévues par la loi organique, telles qu’un droit d’opposition en Conférence des présidents.

Avis défavorable.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Je ne comprends pas le sens de ces amendements de suppression. Nous examinons en effet un bon article, qui permet d’ancrer plus solidement encore dans la Constitution ce qu’elle prévoit déjà.

Il permet en outre de reprendre, en la définissant mieux, une pratique adoptée par le Sénat depuis quelques années. Même si nous décidons qu’un texte est examiné en commission, il sera néanmoins mis aux voix dans l’hémicycle.

L’article va donc dans le sens d’une amélioration du travail parlementaire. Monsieur Viala, jetez donc un œil à la pratique de vos collègues membres du groupe Les Républicains du Sénat. Ils ne dénaturent pas le travail parlementaire.

M. Sacha Houlié. Permettez-moi d’abonder dans le sens du rapporteur général et de Marc Fesneau. Il est naturel qu’un certain type de textes puisse être examiné en commission. Cela pourrait délester l’ordre du jour dans l’hémicycle. La présence d’un ministre en commission garantirait enfin que des échanges contradictoires y aient lieu entre parlementaires et Gouvernement.

M. Erwan Balanant. Comme les deux rapporteurs, je trouve que l’article 4 est un très bon article. Il ne fait que renforcer les pouvoirs du Parlement car, pour un certain nombre de textes, la qualité des débats en commission est plus grande encore qu’en séance publique. Il nous permettra, s’il est adopté, en outre de libérer du temps supplémentaire pour les textes difficiles qui exigent un examen en séance publique.

M. Arnaud Viala. Il y a un élément dont nous n’avons pas débattu, à savoir qu’il est important, sur le plan matériel, de pouvoir être présent aux réunions de commission. Un parlementaire n’appartenant qu’à une commission, il perd toute capacité d’intervention sur un texte non examiné dans l’hémicycle. Les Français s’étonnent que celui-ci ne soit pas plus rempli. Mais pourquoi un député y siègerait-il s’il n’a aucune capacité d’intervention ? C’est pourquoi je défends le droit démocratique d’amendement.

M. Éric Coquerel. Monsieur le rapporteur général, il faut assumer ce que l’on fait. Si vous prétendez légiférer à droit constitutionnel constant, pourquoi donc proposez-vous un article tel que l’article 4 ?

M. Marc Fesneau, rapporteur. Pour garantir la présence du Gouvernement en commission !

M. Éric Coquerel. La priorité me semble devoir aller au débat entre parlementaires, à ce travail de persuasion mutuelle. Il n’est pas convenable de se contenter d’une simple approbation dans l’hémicycle. Les droits du Parlement se trouvent minorés. Assumez-le, au moins !

M. Jean-Félix Acquaviva. Je trouve cocasse que le Sénat doive nous servir de référence. Il me semble que les sénateurs disposent de plus de moyens que l’Assemblée nationale.

M. David Habib. Quand la réforme de la carte administrative des régions a été adoptée, je n’avais pas voté avec mon groupe. Mais j’avais au moins pu en donner l’explication en séance publique. La situation sera encore plus dégradée pour les non-inscrits. Mesurez seulement l’audience de Jean Lassalle lorsqu’il a protesté, l’autre jour, contre le fait qu’on lui avait coupé la parole en séance !

Mme Marie Guévenoux. L’article proposé permettrait de gagner du temps et d’être plus efficace. Récemment, en commission des Lois, n’avons-nous pas adopté à l’unanimité une proposition de loi sur les rodéos motorisés ? Las, le retard pris par l’examen des autres textes inscrits à l’ordre du jour de la séance publique n’a pas permis qu’il y soit examiné. En suivant la nouvelle procédure proposée, nous aurions pu l’adopter plus rapidement. Lorsqu’une proposition de loi est adoptée à l’unanimité en commission, quel intérêt y a-t-il à en redébattre en séance publique ? On ne fait que perdre des semaines.

Quant à la forme de la nouvelle procédure et aux conditions dans lesquelles il pourra y être recouru, elles seront fixées par la loi organique.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Monsieur Coquerel, je ne crains pas du tout d’assumer ce que nous faisons. Nous opérons à droit constant, mais en garantissant la présence des ministres en commission. Les arguments de propagande n’ont donc pas lieu d’être : un député aura toujours la liberté de voter contre un texte. Au surplus, les dispositions existantes ont déjà adoptées, en 2008, par une autre majorité.

M. Arnaud Viala. Votre réponse montre à quel point vous soutenez le fait majoritaire. Les députés n’auraient plus que le vote, et non la parole, pour manifester leur désapprobation. Aujourd’hui, même si les amendements déposés par l’opposition sont rarement adoptés, nous avons pourtant parfois ce plaisir, comme nous l’avons vu tout à l’heure.

La Commission rejette les amendements.

La séance est suspendue de dix heures vingt à dix-heures vingt-cinq.

La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL556, CL416 et CL415 de Mme Cécile Untermaier.

M. David Habib. Si le projet de révision constitutionnelle vise réellement à améliorer la qualité du travail législatif, le rapporteur général ne pourra qu’approuver notre amendement CL556. Il consiste en effet à imposer un délai minimum de quinze jours entre l’adoption d’un texte en commission et son examen en séance publique.

La demande me paraît être raisonnable, et fournir l’occasion au rapporteur général de montrer qu’il est prêt, le cas échéant, à accepter des amendements de l’opposition.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Le problème est que votre amendement n’est pas de rang constitutionnel.

Il tend en effet à supprimer l’accroche pour la législation en commission et à inscrire dans la Constitution un délai de deux semaines entre l’adoption en commission et la discussion en séance d’un texte.

Il n’est pas utile de prévoir ce délai de quinze jours dans la Constitution : l’article 86 du Règlement de l’Assemblée nationale prévoit déjà un délai de sept jours entre la mise à disposition du texte adopté par la Commission et son examen en séance. Il suffirait donc d’une modification réglementaire.

En retenant ce délai de quinze jours, en outre, nous aboutirions à un séquençage très contraignant pour l’organisation des travaux de la Commission.

Avis défavorable, donc.

M. David Habib. Pour témoigner de ma volonté d’écoute, je me rends à ces arguments et retire l’amendement ainsi que le suivant. Peut-être aurez-vous ainsi plus à cœur, monsieur le rapporteur général, d’entendre les arguments de l’opposition, voire d’émettre un avis favorable à certaines de ses propositions.

Les amendements CL556 et CL416 sont retirés.

M. David Habib. Les arguments que j’ai déjà développés montrent qu’il est nécessaire de codifier les délais d’examen des projets de loi de finances (PLF) et des projets de lois de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Vous nous dites, monsieur le rapporteur général, que cela doit se faire selon une autre voie qu’une révision constitutionnelle. Soit. En tout état de cause, il est indispensable de prévoir un délai entre l’examen de ces textes en commission et dans l’hémicycle. C’est l’objet de notre amendement CL415.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l’amendement.

Elle est ensuite saisie de l’amendement CL460 de Mme Cécile Untermaier.

M. David Habib. Il s’agit d’un amendement de coordination avec l’amendement présenté à l’article 2 et visant à créer la catégorie des lois de financement des collectivités territoriales. Son objet est d’aligner le régime procédural de cette nouvelle catégorie de textes sur celui des PLF et des PLFSS : s’appliquerait ainsi la règle selon laquelle le texte présenté en séance en première lecture est le texte du Gouvernement et, pour les autres lectures, le texte transmis par l’autre assemblée.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Avis défavorable, votre proposition d’instaurer cette nouvelle catégorie de lois de financement ayant été écartée.

La Commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’examen de l’amendement CL1041 de Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe.

Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe. Actuellement, le délai qui court entre le dépôt d’un texte et son examen en séance publique est de six semaines pour la première assemblée et de quatre semaines pour sa transmission à la seconde. Dans ces conditions, les commissions sont trop souvent appelées à se prononcer sur un texte dans un temps trop court après son dépôt, ce qui fait que la discussion en est parfois plus nourrie dans l’hémicycle. Il n’est pas exceptionnel, en effet, que les auteurs d’amendements soient invités à les retirer pour les retravailler en vue de la séance.

Cela amoindrit la portée d’une des mesures majeures de la réforme de 2008, qui consistait à faire porter les discussions en séance publique sur le texte de la Commission.

Le Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République, dit « comité Balladur », avait jugé souhaitable, en 2007, de prévoir un délai minimum de deux mois entre le dépôt d’un texte et son examen par la première assemblée.

Cet amendement a donc pour but de laisser un délai suffisamment long aux parlementaires pour qu’ils puissent conduire leurs travaux préparatoires dans des conditions leur permettant d’être parfaitement informés sur les enjeux des réformes.

Dans la même logique que l’amendement précédent, cette mesure permettrait une meilleure préparation des textes en amont, en autorisant notamment les parlementaires à procéder à des auditions supplémentaires ou à des déplacements et ce, dans la continuité de la réforme de 2008.

Il s’agit donc de consacrer le rôle des commissions permanentes dans le travail législatif, rôle d’autant plus essentiel que la nouvelle procédure permet l’examen de certains amendements par ces seules commissions.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Avis défavorable, même s’il pourrait être tentant d’adopter cet amendement. En effet, le temps supplémentaire gagné serait modeste : compte tenu des délais réglementaires entre l’examen en commission et l’examen en séance, le gain serait de l’ordre de sept jours. Et encore ce gain n’est-il pas assuré, dans la mesure où le Gouvernement serait sans doute systématiquement tenté de recourir à la procédure accélérée. Quoi qu’il en soit, la durée globale de la navette serait augmentée de deux à trois semaines, ce qui n’est pas conforme à nos objectifs de rapidité et d’efficacité.

Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe. J’entends les propos du rapporteur général, mais la qualité de nos travaux préparatoires pose une vraie question.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Je partage les propos du rapporteur général et voudrais ajouter que, lorsqu’on se penche sur la pratique du Gouvernement, on constate que, globalement, les délais sont respectés, sous cette législature comme sous les précédentes. La question qui me semble se poser est donc plutôt celle du calendrier et de l’organisation de nos travaux.

Comme le faisait en outre remarquer fort justement Richard Ferrand, si nous posions une telle contrainte, le Gouvernement ne manquerait pas d’avoir recours à la procédure accélérée qui, pour le coup, raccourcit radicalement les délais.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements identiques CL374 de la commission des Finances et CL395 de la commission des Affaires sociales, ainsi que les amendements CL668 de Mme Lise Magnier et CL1335 de M. Jean-Noël Barrot.

M. Laurent Saint-Martin, rapporteur pour avis de la commission des Finances. La commission des Finances, qui s’est prononcée favorablement sur l’article 6, a fait valoir, de manière assez consensuelle, la nécessité d’un rééquilibrage de l’examen des textes budgétaires entre ce que nous appellerons désormais l’« automne de l’autorisation » et le « printemps de l’évaluation » que nous avons mis en place cette année avec l’intervention des commissions d’évaluation des politiques publiques (CEPP) avant le vote de la loi de règlement.

Il ne faudrait pas, cependant, que la réduction du temps consacré à l’automne aux textes budgétaires se traduise par du temps en moins laissé à la commission des Finances pour ses travaux préparatoires. C’est pourquoi nous proposons l’instauration d’un délai incompressible de quatre semaines entre le dépôt du projet de loi de finances et le début de son examen en séance, à l’intérieur du délai de cinquante jours fixé par l’article 6 du présent projet.

M. Olivier Véran, rapporteur pour avis de la commission des Affaires sociales. Cet amendement a également été voté à l’unanimité par la commission des Affaires sociales.

Nous souhaitons instaurer, à l’occasion de l’examen de la réforme constitutionnelle, un dialogue particulier avec l’exécutif, pour essayer d’obtenir quelques engagements en matière de délais d’examen des textes budgétaires. S’il existe un délai de six semaines incompressible entre le dépôt d’un texte de loi ordinaire et son examen en séance, ce délai ne s’applique pas aux textes budgétaires, ce qui complique le travail des parlementaires. C’est ainsi que, rapporteur du volet « assurance – maladie » du PLFSS sous la précédente législature, je n’ai disposé que de quarante-huit heures pour prendre connaissance du texte avant son examen en commission, ce qui est court pour absorber un rapport de 350 pages.

Nous souhaitons donc attirer l’attention du Gouvernement sur le fait qu’il est indispensable que nous disposions du temps nécessaire pour travailler sur des textes extrêmement volumineux et les amender correctement.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. La commission des Finances comme celle des Affaires sociales nous proposent de fixer un délai minimal de quatre semaines avant la discussion en séance du PLF ou du PLFSS. Je ne suis pas hostile au principe, mais nous devrons y travailler d’ici la séance publique pour affiner le dispositif.

En effet, les délais de l’article 42 de la Constitution ne s’appliquent pas à ces deux textes, et le Gouvernement et ses services ont pris l’habitude de déposer le PLF et le PLFSS dans les derniers jours de septembre – le 27 septembre l’an dernier. Et il vrai que ce dépôt tardif conduit les commissions concernées et leurs rapporteurs généraux à travailler dans l’urgence.

Fixer un délai nécessite cependant un calibrage fin : la procédure budgétaire est elle-même encadrée par un délai global, prévu aux articles 47 pour le PLF et 47-1 pour le PLFSS. Le présent projet de loi ramène d’ailleurs de soixante-dix à cinquante jours le délai applicable au PLF, ce qui n’est pas incompatible avec votre position.

Je vous propose donc de retirer cet amendement afin que nous dialoguions avec le Gouvernement sur un compromis qui préserve à la fois la capacité de ses services à élaborer les textes plus en amont et des délais d’examen raisonnables pour les parlementaires.

M. Olivier Véran, rapporteur pour avis de la commission des Affaires sociales. J’entends les arguments du rapporteur général et prends sur moi de retirer cet amendement adopté par la Commission. Nous le redéposerons probablement pour pouvoir en discuter avec la garde des sceaux dans l’hémicycle.

M. Laurent Saint-Martin, rapporteur pour avis de la commission des Finances. Je retire également notre amendement, pour des motifs similaires à ceux d’Olivier Véran.

J’insiste néanmoins sur la nécessité de trouver un équilibre avec le Gouvernement d’ici à la séance, et en particulier sur la partie dépenses, car c’est principalement pour cette dernière que les délais vont être compressés : l’examen de la seconde partie du PLF, qui s’étalait jusqu’à présent sur trois semaines entre son passage en commissions élargies et son examen en séance, ne se fera plus désormais qu’en une semaine. Nous aurons donc besoin de temps en amont pour mieux préparer la discussion. Je ne sais si cela relève ou non de la loi organique mais, quoi qu’il en soit, nous attendons du Gouvernement un véritable engagement.

Les amendements CL374 et CL395 sont retirés.

M. Jean-Christophe Lagarde. L’amendement CL668 vise à prévoir un délai minimum de quatre semaines entre le dépôt et l’examen, en première lecture, des projets de loi de finances et des projets de loi de financement de la sécurité sociale, ainsi que de leurs annexes. En effet, malgré leur importance, l’article 42 de la Constitution ne soumet pas ces textes au délai de droit commun.

L’instauration de ce délai minimum serait une juste contrepartie du fait que l’on raccourcisse, par ailleurs, les délais d’examen du PLF et du PLFSS car, en les recevant plus en amont, nous pourrions mieux les travailler et raccourcir d’autant leur examen en commission ou en séance, examen dont j’ai moi-même admis, lors de la discussion générale, qu’il était beaucoup trop long.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Même avis que pour les amendements précédents.

L’amendement CL668 est retiré.

Mme Isabelle Florennes. Compte tenu des explications apportées par le rapporteur, nous retirons notre amendement CL1335, qui était surtout un amendement d’appel.

L’amendement CL1335 est retiré.

La Commission adopte l’amendement rédactionnel CL1518 des rapporteurs (amendement  335).

Elle en vient à l’examen, en discussion commune, des amendements CL896 de M. Charles de Courson, CL722 de M. Philippe Dunoyer et CL449 de Mme Cécile Untermaier.

M. Jean-Christophe Lagarde. L’amendement CL896 prévoit que, lorsque la majorité des présidents des groupes politiques acceptent qu’on ne discute d’un texte qu’en commission, la discussion n’a lieu qu’en commission, ce qui n’empêche pas un passage dans l’hémicycle pour formaliser son adoption ou son rejet.

Cela permettrait de gagner beaucoup de temps sur des textes de rang secondaire. Nous tenons à cette précision de l’article car, par nature, la majorité au sein de la Conférence des présidents est aux mains du président du groupe majoritaire – quand toutefois il y a une majorité absolue, ce qui est le cas depuis 2002. En demandant que cette décision soit prise par la majorité des présidents, nous empêchons toute manœuvre de blocage mais faisons malgré tout en sorte que les groupes d’opposition soient associés à la décision, de manière à obtenir une forme de consensus.

Dans le même esprit, l’amendement CL722 pose trois exigences supplémentaires, à savoir l’accord du Gouvernement, celui du président de la commission saisie au fond et le fait qu’aucun président de groupe ne manifeste son opposition, ce qui donne aux groupes minoritaires une capacité de blocage.

M. David Habib. L’amendement CL449 s’inscrit dans la lignée de nos amendements précédents, en proposant que la procédure de législation en commission ne puisse s’appliquer qu’en cas de consensus de l’ensemble des groupes parlementaires.

Je me permets de rappeler à Richard Ferrand que la Constitution qui sortira de nos travaux est vouée à perdurer au-delà de l’actuelle majorité, et que nous avons donc tous intérêt à y inscrire des dispositions qui préservent la vie démocratique au sein de cette assemblée.

Notre amendement relève de ce souci de préserver nos institutions et d’organiser correctement l’examen des textes au sein de l’Assemblée nationale, ce n’est pas une attaque contre La République en Marche. Mais si le rapporteur général ne nous entendait pas, nous serions prêts à nous rallier à l’amendement de Charles de Courson.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. C’est une constante historique que l’on défend avec plus de vigueur les droits de la démocratie et, singulièrement, ceux de l’opposition, lorsqu’on se situe dans celle-ci. Je suis, pour ma part, contraint de donner un avis défavorable à ces amendements, puisqu’ils ne sont pas de rang constitutionnel et relèvent d’une loi organique ou du Règlement, cadres dans lesquels je les verrai soumis à discussion avec grand intérêt.

M. Jean-Christophe Lagarde. Il me semble que notre rapporteur général n’a pas encore fait l’expérience de l’opposition, mais cela peut se produire un jour, en tout cas je le lui souhaite, non pour son parti politique mais pour la longévité de sa propre action publique.

Quoi qu’il en soit, je ne crois pas à son argument selon lequel ces amendements ne seraient pas de rang constitutionnel. En effet, la loi organique ne permet pas de protéger l’opposition : la majorité, à l’Assemblée nationale, fait ce qu’elle veut de la loi organique ; quant au règlement intérieur, je n’en parle même pas… Dans ces conditions, seules des mesures de rang constitutionnel permettent de protéger les droits de l’opposition.

Que l’on me pardonne de le dire, mais l’élection présidentielle qui vient d’avoir lieu est tout à fait exceptionnelle, non pas seulement parce que les élus de La République en Marche sont heureux du résultat, mais parce qu’au premier tour 55 % des électeurs ont choisi de rejeter le système. Cela veut dire que, demain, un pouvoir plus autoritaire pourrait s’installer, et qu’il est donc urgent, plus encore qu’en 2008, lorsque je défendais déjà ce type de principe, d’inscrire dans la Constitution des garanties pour se prémunir du cas où – comme en Italie aujourd’hui – les élections porteraient au pouvoir des gens chez qui le sens de la démocratie est moins développé que celui que nous partageons tous.

J’appelle donc l’attention du président du groupe majoritaire sur le fait que seule la Constitution protège l’opposition. À moins – et c’est la solution que nous proposons dans un autre de nos amendements – que nous décidions que les lois organiques doivent être votées à la majorité des trois cinquième à l’Assemblée nationale.

Il nous faut en tout cas trouver un dispositif, car vous ne serez pas toujours au pouvoir ; des gens dangereux peuvent vous y succéder, et la Constitution sera alors notre seul rempart.

M. Sacha Houlié. Je tiens à assurer M. Lagarde que nous avons entendu son message sur la protection des droits de l’opposition. Chacun est vigilant à ce sujet, y compris dans la majorité, parce que chacun sait que les choses peuvent évoluer.

L’article 4, qui traite de la procédure de législation en commission, renvoie à la loi organique, mais il est également complété par une autre disposition, celle de l’article 51-1 de notre Constitution qui prévoit que le Règlement des assemblées reconnaît les droits de l’opposition. Il y a donc là une forme de protection constitutionnelle, sur laquelle nous pourrons revenir lors de la discussion en séance s’il est nécessaire de la préciser.

Mme Danièle Obono. J’irai dans le sens de Jean-Christophe Lagarde en insistant sur le fait qu’il ne s’agit pas seulement de protéger les droits de l’opposition, mais aussi de garantir un exercice du pouvoir et un débat qui soient démocratiques. C’est le principe même de la démocratie que de faire coexister une opposition et un pouvoir majoritaire, et que puisse avoir lieu entre eux un débat contradictoire. C’est à cette aune-là que l’on juge la nature démocratique d’un régime.

M. M’Jid El Guerrab. Le concept de groupe politique me pose problème. Nous sommes des députés élus au scrutin uninominal direct, et rien ne nous oblige à faire partie d’un groupe politique ; on peut être, comme moi, non-inscrit. Il me semble que la question que nous devrions nous poser, c’est celle de l’égalité de traitement entre tous les députés.

M. Michel Castellani. Je comprends la logique de ces amendements. Ils devraient permettre un fonctionnement souple mais efficace de notre assemblée, tout en apportant des garanties démocratiques. Il n’en reste pas moins, comme vient de le souligner M. El Guerrab, qu’un certain nombre de députés sont non-inscrits et se trouvent, de fait, exclus du débat démocratique, ce que nous ressentons douloureusement à l’occasion de la discussion de certains textes sur lesquels nous sommes privés de parole. Il faut en tenir compte.

La Commission rejette successivement les amendements.

Puis elle adopte l’article 4 modifié.

Après l’article 4

[Article 43 de la Constitution]

La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL94 de M. Jean-François Eliaou, CL54 de M. M’Jid El Guerrab, CL1256 de Mme Sabine Thillaye, CL1339 de Mme Isabelle Florennes, CL602 de M. Philippe Dunoyer, CL1250 de M. Jean-Christophe Lagarde, CL980 de M. André Chassaigne et CL1254 de Mme Sabine Thillaye.

M. Cédric Villani. Devant le Congrès à Versailles, le Président de la République a souhaité que, au Parlement, la majorité comme les oppositions puissent avoir davantage de moyens pour cadrer la responsabilité politique de l’exécutif. Or l’organisation des commissions et la répartition des tâches entre elles est l’une des façons pour le Parlement d’exercer au mieux ses prérogatives, mais il se trouve que cette organisation est muselée par la Constitution, ce qui est une exception française. Cela correspond historiquement à la volonté des constituants de 1958 de limiter la capacité d’expertise du Parlement, crainte qui a aujourd’hui disparu…

Sur les vingt-huit membres actuels de l’Union européenne, seuls deux ont moins de onze commissions permanentes dans leur chambre basse, la Grèce et la France ; tous les autres en ont entre onze et quarante et une, la moyenne se situant à dix-neuf : le Royaume-Uni en a ainsi vingt, et l’Allemagne vingt-trois, or les parlements de ces deux pays ne sont guère moins puissants que celui de la France, certains pensent même le contraire.

De tous les pays européens, seule la France fixe le nombre de commissions dans la Constitution. Nos commentateurs les plus éclairés – je pense notamment à Guy Carcassonne et à Marc Guillaume – montrent par ailleurs combien la répartition des tâches entre ces commissions est inégale – nous l’avons vu cette année, certaines commissions ayant été saisies trois fois plus que d’autres – et s’étonnent de ce que la réforme de 2008 ait limité à huit le nombre de commissions.

L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), dès avant que j’en assume la présidence l’an dernier, ainsi que la commission chargée des Affaires européennes, se sont portées candidates à se transformer en commissions permanentes, mais la Constitution nous interdit même d’y réfléchir et de reprendre le droit de décider nous-mêmes de notre organisation.

Nous estimons pourtant que c’est du Règlement des assemblées, non de la Constitution, que doit dépendre notre faculté d’expertise en commission, et que la limitation à huit n’a plus lieu d’être, comme l’ont d’ailleurs souligné, après les constitutionnalistes, les groupes de travail de l’Assemblée nationale qui se sont penchés sur le sujet.

M. M’Jid El Guerrab. De très longue date, les présidences des commissions permanentes de la Diète fédérale d’Allemagne sont réparties entre les groupes à la proportionnelle ; c’est là une très ancienne tradition, remontant à l’ère du Konstitutionalismus. Malgré cet extrême libéralisme, ce Parlement fonctionne correctement et, depuis 1949, ce système a permis d’associer toutes les sensibilités politiques représentées au Bundestag à la reconstruction démocratique du pays. Ce n’est pas rien, en particulier si l’on songe à l’expérience tragique du totalitarisme nazi.

En France, une telle innovation serait facilitée par une augmentation du nombre de commissions, trop strictement contingenté depuis 1958. L’attribution de fonctions honorifiques et symboliques à la proportionnelle des groupes et des élus libres de toute appartenance à un groupe serait une forme de « courtoisie qui ne coûte pas cher », pour reprendre l’expression de Joseph Barthélemy, et aurait le mérite d’accorder un peu de visibilité au pluralisme interne du Parlement, car ni les chambres, ni la majorité ni même les oppositions ne sont monolithiques. Peut-être même serait-ce là un moyen d’introduire un peu de consensus dans les mœurs politiques de notre pays. De ce point de vue, la Ve République a des progrès substantiels à réaliser.

C’est pourquoi je propose de supprimer la limitation du nombre de commissions permanentes. À titre de comparaison, il y en a vingt-quatre au Bundestag. Sans aller jusqu’à ce degré de spécialisation, une augmentation de leur nombre serait souhaitable.

Mme Sabine Thillaye. Un rapport d’information que j’ai présenté hier montre que, dans l’Union européenne, le nombre de commissions par assemblée est en moyenne de dix-neuf. Je pense donc que nous devons nous donner de la souplesse pour organiser les prochaines législatures, et le fait de renvoyer au Règlement des assemblées la définition du nombre de commissions permanentes permettrait de s’adapter aux besoins, sans que cela nous oblige, pour l’instant, à changer d’organisation.

Mme Isabelle Florennes. Nous avions déposé un amendement visant à supprimer la limitation à huit du nombre de commissions permanentes. Cependant, depuis le dépôt de cet amendement, notre groupe a réfléchi et abouti à la conclusion que, compte tenu de la réduction probable du nombre de parlementaires, ce n’était pas forcément une bonne proposition, sachant que cela pourrait créer un « appel d’air ».

Si nous pensons qu’il faut sans doute revoir l’organisation du travail en commission, notamment la répartition des textes entre les différentes commissions, nous estimons que cela relève du Règlement. C’est pourquoi nous retirons notre amendement.

L’amendement CL1339 est retiré.

M. Jean-Christophe Lagarde. Comme l’a expliqué Cédric Villani, la limitation du nombre de commissions avait au départ pour but de limiter les pouvoirs de l’Assemblée. Cet objectif a été parfaitement atteint par la Ve République, si bien atteint que je considère que nous ne sommes plus vraiment un parlement à l’égal des autres parlements occidentaux.

Pour autant, je ne suis pas sûr que ne plus encadrer le nombre de commissions soit le remède qui convienne. Cela signifierait en effet que n’importe quelle majorité pourrait décider de limiter le nombre de commissions à quatre, voire à trois ou à deux.

Si la Constitution a voulu limiter à six au départ, puis à huit en 2008, le nombre de commissions, c’est que moins les commissions sont nombreuses, moins les parlementaires travaillent. Or tous les parlements travaillent avec un nombre important de commissions, voire de sous-commissions.

Je pense donc que, s’il faut déplafonner le nombre de commissions, il faut également fixer un nombre minimum, qui intègre la commission chargée des Affaires européennes, dont l’importance est désormais sans commune mesure avec ce qu’elle était naguère. En 2008, la question s’était déjà posée mais on a préféré, puisque l’on passait de six à huit commissions, scinder des commissions existantes.

À mon sens, il faudrait au minimum dix commissions permanentes, dont la commission chargée des Affaires européennes. De plus, il faudrait pouvoir y ajouter des sous-commissions, qui ne seraient pas permanentes mais travailleraient sur des missions ponctuelles. À cet égard, si certaines choses m’ont heurté, j’ai trouvé très positif que, depuis le début de cette législature, les travaux en petits groupes, réunissant la majorité et l’opposition, se soient multipliés et qu’ils aient abouti à des résultats utiles.

Mme Huguette Bello. L’amendement CL980 propose que nous passions de huit à dix commissions permanentes, afin de pouvoir mieux travailler.

Mme Sabine Thillaye. L’amendement CL1254 vise à accorder aux commissions chargées des Affaires européennes de l’Assemblée nationale et du Sénat le statut de commission permanente.

L’actualité montre en effet que les parlementaires doivent beaucoup plus intervenir dans le processus législatif européen, ce qui implique un dialogue politique fort avec les institutions européennes. Cela implique également que la commission chargée des Affaires européennes puisse, au sein de l’Assemblée, intervenir dans la procédure législative. Or la Commission ne peut pour l’instant se saisir d’un projet de loi pour avis.

Plus généralement, il s’agit de mieux prendre en compte les questions européennes, dont le travail législatif.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Nous avons envisagé sous tous les aspects cette question du déplafonnement et de l’augmentation du nombre de commissions. La tentation serait grande de se laisser convaincre, mais vos rapporteurs ont identifié quelques raisons de ne pas y céder.

La première est que l’augmentation du nombre de commissions pourrait remettre en question la pluralité de la représentation au sein desdites commissions, a fortiori si, demain, il n’y a plus que quatre cents députés : avec dix commissions, nous n’aurions plus que quarante députés par commission. Les semaines continuant de faire sept jours, le risque serait grand, selon le nombre de groupes qui se seraient constitués, de voir certaines commissions désertées faute de temps, voire faute d’intérêt. Faisons donc attention à ce que la prolifération des commissions ne contribue pas à affaiblir les débats en empêchant les groupes peu fournis d’être représentés partout. Au moment où nous nous apprêtons à organiser l’adoption des textes en commission, il me paraît plus que jamais nécessaire de garantir la pluralité d’expression.

Il faut ensuite se garder de tomber dans une forme d’hyperspécialisation des commissions, qui aboutirait à ce que certains sujets deviennent l’affaire de quelques-uns, avec le risque de voir certains députés devenir ainsi la cible des groupes de pression. Nous devons nous protéger.

Ayant une conception très libérale de l’organisation des assemblées, j’étais à l’origine partisan de les laisser se débrouiller et de leur permettre de constituer autant de commissions qu’elles le souhaitaient. Mais, au fil des auditions, vos rapporteurs ont abouti à la conclusion inverse de cette intuition première. D’où les réserves que j’exprime ici.

J’ajoute que l’émiettement de trop nombreuses commissions aboutirait à affaiblir celles-ci, et donc leurs rapporteurs, dans leurs relations avec le Gouvernement. À en croire les anciens et leur expérience parlementaire, si le poids d’une commission est amoindri parce que ses membres sont peu nombreux ou qu’elle se détache moins au milieu d’un nombre plus élevé de commissions, le Gouvernement pourra sans doute lui résister plus facilement. Pour le dire autrement, et en gardant à l’esprit l’idée de ce rapport de forces qui existe entre l’exécutif et le législatif, déplafonner le nombre des commissions reviendrait en quelque sorte à diviser nos forces – pour moins régner. Cela me semble une fausse bonne idée, qui me pousse donc à demander le retrait de ces amendements.

Autre point, qui n'est pas fondamental mais qui est nécessaire à nos réflexions. Si nous voulons faire prospérer cette révision constitutionnelle, il nous faudra trouver un accord avec le Sénat. C'est une chose qu'il nous faut avoir à l'esprit. Je constate que le Sénat, qui s'était opposé naguère à un déplafonnement du nombre des commissions, n’atteint pas le plafond autorisé depuis 2008 puisqu'il n’y a que sept commissions permanentes au Palais du Luxembourg. J'ai la conviction que dans cette assemblée-là aussi, qui est numériquement plus faiblement composée que la nôtre et qui va se réduire encore si les réformes que nous proposons vont à leur terme, la tendance sera également à ne pas multiplier les commissions.

Enfin, il me semble que le Règlement offre tout de même des possibilités. Sous la précédente législature, certains avaient proposé de fusionner la commission de la Défense avec celle des Affaires étrangères – une action militaire n'a de sens que si elle s'inscrit dans une logique diplomatique – et de faire de la commission chargée des Affaires européennes une commission de plein exercice. Pour opérer ce changement auquel je souscris, il n’est pas nécessaire de s'abriter sous les nécessités constitutionnelles. Il suffit de traduire notre volonté politique dans notre règlement. Nous pouvons modifier beaucoup de choses dans l'organisation de nos propres commissions sans toucher à la Constitution.

Eu égard aux effectifs, au pouvoir des commissions futures, au risque d'émiettement, au parallélisme avec le Sénat, je formule une demande de retrait de vos amendements. À défaut, j’émettrais un avis défavorable.

Comme l'a dit M. Lagarde, il y a moyen de recourir à des missions d'information, des commissions d'enquête, des groupes de travail, des groupes d'études. Chaque début de législature est fertile en la matière. Ensuite, quand il s'agit réunir ces instances pour produire et travailler, nous sommes très inféconds. C’est à chaque fois la même chose, quelles que soient les majorités, ce qui démontre une certaine constance. Cela doit tenir à notre nature humaine. En tout cas, toute une série d'outils permettent d'interpeller, de travailler, de produire. Faisons attention de ne pas imaginer que c'est le cadre qui ferait la réalité politique et législative.

M. Cédric Villani. Monsieur le rapporteur général, merci pour votre analyse.

Je vais m'exprimer en tant que député, bien sûr, mais aussi en tant que premier vice-président de l’OPECST, dont je me suis convaincu, après un an d'exercice, rejoignant en cela les conclusions de mon prédécesseur, qu’il ne pourrait pas fonctionner normalement s'il n'était pas transformé en commission permanente, ne serait-ce que du fait des contraintes de calendrier. Par fidélité à cet office et pour d'autres raisons que je vais évoquer, je maintiens mon amendement, tout en étant conscient de cet avis défavorable.

Je rappellerai que la réduction du nombre de parlementaires servait un objectif d'efficacité. Il s’agissait de permettre aux parlementaires de travailler mieux et plus efficacement. L’un de nos collègues a évoqué la possibilité de créer des sous-commissions. À l’occasion de tentatives passées, le Conseil constitutionnel a estimé que l'actuelle rédaction de Constitution rendait impossible ce type de création, nous privant ainsi d'un exercice que des dizaines de démocraties dans le monde utilisent avec succès.

Dans leur commentaire sur la Constitution, Guy Carcassonne et Marc Guillaume, actuel secrétaire général du Gouvernement, s'étonnent que l'on n'aille pas au moins jusqu'à dix ou douze commissions. C'est donc, en un sens, l'exécutif qui s'exprime par ce traité qui est extrêmement réputé. Je suis surpris que notre Parlement conserve une position qui est en deçà de ces recommandations extérieures.

Je ne plaide pas pour le morcellement ou la multiplication à l'infini des commissions, je voudrais que le choix de leur nombre revienne au Parlement. Serions-nous le seul Parlement européen à avoir si peur de nous-mêmes que nous préférions voir le plafond inscrit dans la Constitution ?

M. M’Jid El Guerrab. M. le rapporteur général a vraiment utilisé des arguments qui me donnent envie de retirer mon amendement. Je vais quand même le maintenir par souci de cohérence avec mon amendement suivant, dans lequel je demande que l’on attribue les présidences de commissions aux différents groupes qui composent le Parlement. Si nous créons moins de quinze commissions, chaque groupe politique sera forcément représenté dans chacune d’elles, ce qui répond à l'argument sur la représentativité.

M. Jean-Christophe Lagarde. Il ne me paraît pas sain de ne pas prévoir un nombre minimum pour que, à l’avenir, une majorité ne vienne pas nous raconter que trois ou quatre commissions suffisent.

Après l’intervention du rapporteur général, je veux revenir sur le problème de représentation. Dans une assemblée de 400 députés, le nombre minimum de députés pour constituer un groupe – actuellement fixé à quinze – devrait être un peu réduit.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Ou augmenté !

M. Jean-Christophe Lagarde. Dans ce cas, de nombreux groupes disparaîtraient et il faudrait assumer cet acte politique volontaire. J’imagine que vous plaisantez, monsieur le rapporteur général.

À mon avis, le problème n’est pas celui que vous soulevez, il tient à la représentation proportionnelle des groupes dans les commissions. Si l’on passe en deçà d’un certain nombre, il ne peut plus y avoir de représentation proportionnelle. Pour remédier à cela, on peut imaginer que le représentant du groupe – qui ne peut pas fournir une représentation proportionnelle – porte l’équivalent des voix de son groupe, comme cela se fait dans de nombreux parlements.

Pour favoriser la réflexion d’ici à la séance publique, je voudrais revenir sur le périmètre des commissions. La commission des Affaires européennes doit devenir une commission permanente et, pour ma part, je serais totalement favorable à une fusion entre la commission des Affaires étrangères et la commission de la Défense. Le Sénat a remarquablement bien réussi une telle fusion. À l’inverse, le champ de la commission des Lois me semble hypertrophié.

L'amendement CL688 pourrait être un point d'atterrissage utile. Il prévoit la création de sous-commissions, permanentes ou non, par chacune des commissions. Cela permettrait à la commission des Lois d'avoir des missions particulières en son sein, de fusionner la commission Affaires étrangères avec celle de la Défense, et de donner un rang de commission permanente à la commission chargée des Affaires européennes.

Mme Sabine Thillaye. Monsieur le rapporteur général, je comprends vos observations et vos craintes mais je voudrais souligner le rôle particulier de la commission chargée des Affaires européennes. Les quarante-huit membres de cette commission sont les seuls à devoir siéger dans deux commissions. Les collègues ont parfois du mal à être présents et, chaque semaine, on cherche le créneau le plus propice pour siéger. Devenir une commission permanente nous permettrait d’avoir davantage les moyens de travailler. Néanmoins, je suis prête à retirer l’amendement CL1256 et aussi l’amendement CL1254 qui sera réécrit d’ici à la séance.

M. Sacha Houlié. Au nom du groupe La République en Marche, je me prononce contre une augmentation du nombre des commissions et a fortiori contre son déplafonnement, pour rester dans l'esprit de la Constitution de 1958 qui prévoyait six commissions permanentes. Le Sénat, dont chacun fait le constat qu'il est mieux organisé et plus puissant que l'Assemblée nationale, en compte sept. Quand le nombre de commissions permanentes est réduit, les parlementaires ont plus de pouvoir et sont mieux protégés des influences extérieures. C’est encore plus net à l'Assemblée nationale où les majorités se succèdent. Cette régulation est au bénéfice de la liberté.

L’augmentation du nombre de commissions permanentes nuirait aussi aux droits de l'opposition qui ne pourrait plus siéger dans toutes ces instances. Je m'arrête là puisque mon temps de parole est écoulé mais nous avons bien d'autres arguments que nous ne manquerons pas de faire valoir en séance.

M. Arnaud Viala. Une fois n’est pas coutume, monsieur le rapporteur général, nous sommes d'accord sur un point : il ne faut pas augmenter le nombre des commissions. Nos arguments sont liés aux autres éléments de votre réforme, notamment à la réduction du nombre de parlementaires, qui conduira inévitablement à des contraintes plus lourdes en termes d’agenda. Je m'étonne d'ailleurs d’entendre notre collègue Thillaye nous dire à la fois qu'il faut augmenter le nombre de commissions et qu'elle a du mal à siéger dans deux commissions à la fois.

M. Jean-Christophe Lagarde. Elle siègera dans une seule !

M. Arnaud Viala. Ce n’est pas parce que la commission chargée des Affaires européennes deviendra permanente que vous aurez davantage de temps pour y siéger.

En raison de l’émiettement dû à cette augmentation, aucun parlementaire n’aura de vision d'ensemble. Et compte tenu des dispositions que vous envisagez pour que certains textes ne soient examinés qu'en commission, l'exercice deviendrait absolument antidémocratique.

Pour terminer, j’aimerais faire une remarque, notamment à l'adresse de M. Houlié : je veux bien que vous cherchiez à recueillir l'aval du Sénat, mais arrêtons de dire toutes les deux phrases que tout est merveilleux au Sénat et qu’il est plus puissant que l'Assemblée nationale.

Mme Danièle Obono. Je vais aller dans le sens de l'intervention précédente et, une fois n'est pas coutume, être plutôt d'accord avec le rapporteur général.

Ironiquement, ces amendements montrent à quel point les députés de la majorité sont cohérents avec la logique de l'ensemble du texte. Au nom de l'efficacité, on peut souhaiter être moins nombreux en commission pour que ça aille vite. Au nom de l'efficacité, on peut se focaliser davantage sur des sujets techniques. En déroulant le fil, on arrive à ne voir aucun problème à l’émiettement du travail parlementaire : chacun devient spécialiste de son sujet. En fait, c'est votre logique qui alimente ce que vous critiquiez. Si on va au bout de la logique, peu de députés voteront la loi en commission, ce qui éclatera le sens même de l'Assemblée nationale. C’est pourquoi nous nous opposons à ces amendements qui révèlent le problème fondamental posé par la logique qui sous-tend tout ce texte.

M. David Habib. J’abonde dans le sens de M. Viala et de Mme Obono. La procédure simplifiée, qui conduira à ce que des textes ou des parties de textes soient examinés exclusivement en commission, va bouleverser naturellement les choses au sein de notre assemblée. C'est une grave erreur, une rupture avec la tradition démocratique et républicaine de notre pays. Vous l'avez voulu. En conséquence, si l’on multipliait le nombre de commissions permanentes, l'opposition serait totalement incapable ne serait-ce que d'exprimer ses réserves par rapport à tel ou tel texte.

Pour ces raisons, j'adhère aux arguments du rapporteur général. Il admettra que ses propres arguments peuvent conduire à s’opposer aux autres dispositions qui nous sont soumises : la procédure simplifiée mais aussi la réduction du nombre de députés.

M. Erwan Balanant. Au départ, j'étais plutôt favorable à l’accroissement du nombre de commissions permanentes. Après réflexion, je pense que c’est une mauvaise idée, pour les raisons évoquées par le rapporteur général et certains collègues. J’ajouterais un argument : le nombre des députés qui se disent un peu frustrés d’appartenir à des commissions qui examinent peu de textes va augmenter.

Nous devons travailler à une meilleure répartition des textes entre les commissions. À la commission des Lois, le nombre de textes examinés nous fait parfois travailler dans une tension énorme. Nous devrions aussi multiplier les commissions spéciales. Sur l’eau et l’assainissement, par exemple, il aurait été logique que la commission des Lois partage le travail avec la commission du Développement durable.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Je suis sensible au fait que des orateurs de l'opposition aient pu constater combien j'étais vigilant concernant les droits des oppositions futures. Certes, à peine cet hommage rendu, les mêmes orateurs ont laissé entendre que la volonté de préserver les droits des oppositions dans ce cadre illustrerait une volonté de les anéantir. C’est un genre d'oxymore. Vous nous dites : vous voulez nous protéger parce que vous voulez que nous n’existions plus. Eh bien non. Je me sentirais bien seul sans les oppositions. Je voulais ne pas laisser prospérer ces interprétations fallacieuses.

M. Philippe Gosselin, président. Si je puis me permette un petit commentaire amusé, monsieur le rapporteur général, comptez sur nous pour ne pas vous laisser dans le désarroi.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Le débat est intéressant et ce que disait Richard Ferrand est assez juste : à la réflexion, nous sommes défavorables à ces amendements alors que nous avions été plutôt séduits, au départ, par l’idée qui les sous-tend.

Certains citent des assemblées parlementaires européennes qui ont plus de commissions que la nôtre. On pourrait aussi citer les Grecs qui en ont seulement six. Comparaison n'est pas raison. Hier, je m’étais défini comme un ardent défenseur de la différenciation territoriale. Je suis aussi un ardent défenseur de la différenciation nationale. Nous avons des histoires différentes.

Émietter, c'est sans doute affaiblir les commissions à un moment où nous voulons réaffirmer leur rôle : les débats seront éclatés dans plusieurs commissions et nous risquons de perdre le sens global du texte. Nous voyons déjà que certaines commissions peuvent être saisies pour avis sur un ou deux articles d’un texte. Je ne dis pas que cela n’a pas d'intérêt, mais le risque de perte de sens global est réel.

Sans même avoir fait d’« appel à candidatures », au vu des demandes qui s’expriment et qui sont toutes légitimes, nous en sommes déjà à une douzaine ou une quinzaine de commissions potentielles. C'est dans la nature des choses. En plus, nous nous retrouverions en situation de refuser la création d’une commission sur tel ou tel sujet, par exemple sur les collectivités locales. Certains en tireraient la conclusion que nous ne nous intéressons pas aux collectivités. Nous entrerions dans un engrenage. Pourquoi ne pas créer trente ou quarante commissions, puisque tous les sujets sont profondément légitimes ? Si notre intérêt pour un sujet doit se traduire par la création d’une commission, nous affaiblissons notre propos.

Comme l'a très bien dit Richard Ferrand, nous devrons travailler sur notre Règlement. Il faut probablement regrouper certaines commissions et en créer une pour la délégation chargée des Affaires européennes.

Mme Sabine Thillaye. Nous sommes déjà une commission ! La commission des Affaires européennes est inscrite dans Constitution, ce n'est plus une délégation !

Marc Fesneau, rapporteur. Oui, je vois bien que chacun est attaché aux titres. Je ne pense pas que le sujet européen soit étranger à la plupart d'entre nous. Méfions-nous des titres, pour lesquels on peut parfois s'emballer. Ce qu’on y fait est plus intéressant que le titre.

Quoi qu’il en soit, pour renforcer les pouvoirs de l'Assemblée nationale, le plus utile est d’en rester au stade où nous en sommes aujourd'hui.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Nous nous sommes beaucoup interrogés sur cette question. En tant que présidente de la commission des Lois et rapporteure de ce texte, j’avoue avoir été d’emblée contre le déplafonnement du nombre de commissions pour les mêmes raisons que celles exposées par nombre d’entre vous, et principalement parce qu’il me semblait dangereux de modifier plusieurs curseurs à la fois. La baisse du nombre de parlementaires se conjuguera à l'augmentation des pouvoirs des commissions, où il sera possible de légiférer. Ces deux modifications auront des conséquences suffisamment importantes sur nos travaux pour ne pas s'attaquer à un troisième curseur : l'augmentation du nombre de commissions.

Pour avoir organisé un certain nombre de commissions mixtes paritaires avec le président de la commission des Lois du Sénat, je pense aussi que le parallélisme de nos périmètres est un facteur de réussite de nos travaux. Nous apprenons à nous connaître et à travailler ensemble, et nous bénéficions aussi d’une cohérence de calendrier. Si les périmètres de l’Assemblée nationale et du Sénat étaient extrêmement différents, nous aurions à gérer des chevauchements parfois incompatibles. Ce serait néfaste aux négociations et aux rapprochements que nous effectuons régulièrement. La limitation du nombre de commissions permet cette cohérence de périmètres, même si elle n’est pas tout à fait aboutie depuis que la commission de la Défense et la commission des Affaires étrangères du Sénat ont fusionné.

Le Règlement ne nous interdit pas de réfléchir au périmètre interne de chaque commission. Il y a peut-être des choses à revoir. Je ne pense absolument pas à la commission des Lois, monsieur Lagarde, qui n'est pas hypertrophiée. C'est une commission qui fonctionne de façon très fluide. Certes, nous avons beaucoup de travail, mais nous ne prenons jamais de retard : les textes sont toujours présentés en temps et en heure et de façon très aboutie. Il y a une cohérence dans son périmètre interne auquel je souhaite bien évidemment que l'on ne touche pas.

Les amendements CL1256 et CL1254 sont retirés.

La Commission rejette successivement les amendements CL94, CL54, CL602, CL1250 et CL980.

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements CL949 de M. André Chassaigne et CL1496 de M. M’Jid El Guerrab.

M. M’Jid El Guerrab. Mon amendement vise à permettre que les présidences des commissions permanentes soient réparties à la proportionnelle des groupes et des parlementaires.

Comme je l’indiquais précédemment, les présidences des commissions sont réparties à la proportionnelle en Allemagne. Héritée du constitutionnalisme du XIXe siècle, cette caractéristique a été reprise en 1949. Il est parfaitement possible d’adopter la même disposition en France et de l’inscrire dans la Constitution pour qu’elle soit pleinement respectée. Il faut permettre aux oppositions comme aux groupes de la majorité, qu'ils soient minoritaires ou pas, d'exercer les présidences de commission. C'est actuellement le cas pour la seule commission des Finances, et cela se passe très bien. Il s’agit de permettre la diversité de l'expression politique dans notre pays et d’assurer à l'opposition sa pleine participation à la démocratie parlementaire.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Je suis défavorable à ces amendements. La représentation de l'opposition est assurée au sein du bureau de chaque commission, qui se réunit très régulièrement et organise les travaux de celle-ci. Il me semble que nous risquerions d’entraver le bon fonctionnement des commissions si nous décidions de répartir leurs présidences à la proportionnelle.

Une commission doit tout de même être représentative des groupes présents à l'Assemblée nationale. Il se trouve qu'il y a un groupe majoritaire. C'est la raison pour laquelle les présidences de commission – à l’exception de celle de la commission des Finances – sont détenues par la majorité. La composition du bureau – élu de manière parfaitement démocratique – reflète celle de la Commission.

M. M’Jid El Guerrab. Compte tenu des arguments déployés par la rapporteure, je retire mon amendement. Mais nous sommes en commission et j'essaie de faire évoluer le texte dans le sens d’un accroissement du pouvoir du Parlement. Il me semble que cela passe aussi par un accroissement du pouvoir de l'opposition. L’opposition d'aujourd'hui peut être la majorité demain et vice versa.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Vous avez la meilleure preuve que le pluralisme est assuré dans les commissions : notre séance est présidée par mon vice-président, membre du groupe Les Républicains.

M. Philippe Gosselin, président. Je ne veux pas servir d'alibi, car je n’ai pas l’impression d’en être un ce matin, madame la présidente.

La Commission rejette successivement les amendements CL949 et CL1496.

Elle en vient à l’amendement CL194 de M. M’Jid El Guerrab.

M. M’Jid El Guerrab. Par cet amendement, je propose que l’écart entre le nombre de femmes et d’hommes nommés au sein de chaque commission permanente ne soit pas supérieur à un. Il s'agit de renforcer l’égalité entre les femmes et les hommes dans la Constitution. C'est une préconisation du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Ne serait-ce que par souci de cohérence avec la position que nous avons adoptée vis-à-vis de tous les autres amendements sur la parité, j'émets un avis défavorable. En outre, votre proposition est irréalisable car elle suppose une parfaite parité au sein de notre assemblée. Nous ne pouvons assurer cette parité, compte tenu de notre mode de scrutin. En revanche, nous avons une marge de manœuvre pour les présidences de commission et nous l’avons utilisée.

M. Philippe Gosselin, président. Sans vouloir peser sur les débats de façon arbitraire, je me permets d’ajouter un autre élément. Si une telle disposition était adoptée, il faudrait que tous les groupes politiques se mettent d'accord entre eux pour faire leur propre désignation de commissaires, ce qui nuirait à la libre expression et représentation des groupes politiques.

M. M’Jid El Guerrab. J'accepte le sous-amendement de la rapporteure pour que la mesure concernant les présidences de commission soit inscrite dans la Constitution. (Sourires.)

M. Jean-Christophe Lagarde. Un argument me paraît encore plus central, quand bien même, un jour, notre assemblée deviendrait paritaire : nous sommes tous obligés de nous inscrire dans une commission et, en prévoyant cette parité, vous obligeriez des députés et des députées à aller dans des commissions qui ne les intéressent pas. À mettre la parité à toutes les sauces, on finit par nuire à la cause et à la qualité du travail.

Mme Danièle Obono. Pour moi, il s’agit d’un amendement d'appel, d’autant que d'autres amendements visant à garantir la parité des positions politiques ont été rejetés. De tels amendements obligent à réfléchir à la question. Il ne s'agit évidemment pas d'obliger les députés à aller dans des commissions « qui ne les intéressent pas ». La parité aux élections avait suscité le même genre de réaction : n’oblige-t-on pas des femmes à se porter candidates alors qu’elles ne le souhaitent pas ? En vérité, quand on cherche, on trouve des femmes intéressées par tous les sujets. C'est bien d'avoir ce genre d'amendement qui repose la question. Il ne suffit pas d'avoir une femme présidente de la Commission. Il y a autant d'hommes que de femmes qui peuvent s'intéresser à un sujet donné, quel qu’il soit. On devrait donc arriver au moins à corriger les déséquilibres que l’on observe parfois dans certaines commissions, sinon à obtenir la parité. Je trouve cet amendement assez sain et je le soutiens.

La Commission rejette l'amendement.

Puis elle examine l’amendement CL721 de M. Jean-Christophe Lagarde.

M. Jean-Christophe Lagarde. Nous en revenons au débat précédent sur le nombre de commissions. Je propose une solution consistant à autoriser la création de sous-commissions, actuellement interdites par notre Constitution, qui offriraient la possibilité de travailler en petits groupes.

J’y insiste, et je regrette que notre rapporteur général ait dû s’absenter mais je lui représenterai mes arguments dans l’hémicycle : cette liberté d'organisation serait nécessaire si l’on ne veut pas se raconter des histoires. Comparaison n'est pas raison, disait M. Fesneau. La vérité est que le Parlement français n’a pas les mêmes pouvoirs que les autres parlements. S’ils s'organisent en groupes de travail efficaces, c’est parce qu'ils ont des pouvoirs alors que nous n'en avons pas. Voilà la réalité. Créer des groupes de travail plus dynamiques et plus efficaces permettrait de redonner du pouvoir au Parlement, si tel est l’objectif recherché.

Madame la présidente de la commission des Lois, je comprends bien que vous ne vouliez pas la réduction de votre périmètre, comme tous les présidents de la commission des Lois que j’ai connus en quatre mandats. Chacun est attaché à son petit pouvoir. C'est comme cela que ladite commission chargée des Affaires européennes n'est toujours pas une commission au bout de seize ans. C'est valable pour tout le monde. Cette réaction finit par nuire au fonctionnement et au pouvoir de l'Assemblée.

L’argument des périmètres n’est pas opérant, car l’Assemblée nationale et le Sénat n’ont pas les mêmes. Les commissions des Lois ont à peu près le même mais ce n’est pas le cas pour les autres commissions. Cela se comprend, puisque nous avons huit commissions alors qu’ils en ont sept. Dans tous les autres parlements bicaméraux, on accepte d'avoir des périmètres discordants, si j'ose dire.

Par cet amendement, je vous demande d’ouvrir la réflexion pour permettre à toute majorité de s'organiser en sous-commissions. Cela permettrait de répondre à la problématique de la veille permanente soulevée par M. Villani. Cela permettrait d'avoir des groupes plus efficaces, plus restreints, plus techniques, sans pour autant toucher au pouvoir des commissions elles-mêmes.

M. Olivier Marleix. L’amendement de Jean-Christophe Lagarde est un bon compromis entre les deux aspirations que nous avons à peu près tous exprimées : avoir un nombre limité de commissions permanentes pour garder une symétrie par rapport au Sénat et éviter que les parlementaires ne se dispersent lors des travaux ; pouvoir travailler en plus petits groupes comme nous le faisons déjà dans le cadre des commissions d'enquête et des missions d'information.

Au passage, je salue l’initiative de l'actuelle majorité de confier des missions à la fois à des membres de la majorité et parfois de l'opposition. On arrive à faire un travail consensuel intéressant, bien qu’on n’arrive pas toujours à rendre les rapports… (Sourires.) C’était une petite parenthèse pour la présidente de la commission des Lois. La création de sous-commissions permettrait de systématiser un peu ce mode de fonctionnement.

Le rapporteur général s'est absenté, mais j’aimerais répondre à l’un de ses arguments. J'étais assez horrifié de l’entendre dire qu’il ne fallait pas trop spécialiser les parlementaires parce qu'ils risqueraient d'être identifiés pour leurs compétences. M. Ferrand a tout de même une drôle de conception du Parlement. Pour ma part, je trouve qu’il est bon que des parlementaires puissent être identifiés par leurs compétences sans que l'on y voie un risque de conflit d'intérêts. D'ailleurs, on n'a pas ces préventions lorsqu'il s'agit de hauts fonctionnaires qui eux, par définition, sont identifiés par leurs compétences.

Je n’ai qu’un reproche à faire à l’amendement de Jean-Christophe Lagarde. Il écrit que le règlement de chaque assemblée détermine les conditions dans lesquelles doivent être créées des sous-commissions. Il en fait un impératif. On pourrait en faire une faculté en remplaçant « doivent » par « peuvent ». En tout cas, l’amendement est intéressant et la réflexion utile.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Je suis assez opposée à la création de sous-commissions. Nous avons déjà de nombreuses possibilités de travailler en petits groupes. Nous avons des missions d'information sur des thématiques spéciales, qui regroupent des membres de l’opposition et de la majorité – j'y veille particulièrement au sein de la commission des Lois, comme l'a rappelé M. Marleix. Au passage, je vous indique, monsieur Marleix, que vous pourrez prochainement remettre votre rapport. Ne vous inquiétez pas, j'y veillerai parce que je n'aime pas le travail inutile.

M. Philippe Gosselin, président. C’est un engagement public, monsieur Marleix !

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. C'est un engagement public. En revanche, je n'ai pas encore fixé la date parce que, même si la commission n’est pas hypertrophiée, elle a un calendrier qui nous lie.

Nous avons aussi la possibilité de constituer des groupes de travail. Avec mes vice-présidents, j’ai réalisé des travaux sur les conditions de détention en France. En Conférence des présidents, nous pouvons décider de créer des commissions spéciales, des délégations. Au sein de la commission des Lois, ou presque, il y a deux délégations : la délégation aux collectivités territoriales et la délégation aux outre-mer. Ces délégations ne sont pas techniquement et formellement des sous-commissions, mais elles effectuent des travaux et des missions d'information qui nous ont parfois été demandées, sur lesquelles nous avons délibéré en bureau, et qui ont ensuite été présentées de façon concurrente aux délégations.

Nous avons divers moyens d'organiser notre travail sans avoir besoin de créer des sous-commissions. C'est la raison pour laquelle je suis défavorable à votre amendement.

Mme Marie Guévenoux. Comme le rapporteur général et le rapporteur Fesneau, je faisais partie des députés assez enthousiastes à l’idée de modifier le nombre des commissions et l’organisation des chambres. En les écoutant, j'ai été convaincue que le déplafonnement pouvait poser des problèmes de représentativité, affaiblir la commission par rapport au Gouvernement, nuire à l'organisation du travail avec le Sénat.

Cela étant, je pense que nous pourrions avancer sur certains sujets. Faut-il relever le seuil ou créer des sous-commissions ? Nous pourrions y réfléchir d’ici à la séance.

M. Éric Coquerel. Nous ne pouvons pas séparer ces amendements du contexte dans lequel ils nous sont proposés. Pris isolément, l’amendement visant à créer des sous-commissions peut susciter l’adhésion. Même s’il s’agit d’une faculté et non d’un impératif, pourquoi pas ? Cependant, au niveau global, on nous propose de faire en sorte que les commissions prennent toujours plus de poids par rapport aux assemblées plénières. Compte tenu de la baisse du nombre de députés que veut imposer la majorité, on peut imaginer que les textes ne seront plus discutés que par cinquante commissaires au lieu de soixante-dix dans les commissions actuelles.

Cela pose un problème de fond. Nos concitoyens élisent des députés et non pas des commissaires. Ce n'est pas seulement de la sémantique. Certains réclament une spécialisation. Or nos concitoyens n’élisent pas quelqu'un qui va s'occuper d'affaires étrangères ou d'économie ; ils élisent quelqu'un qui va assumer une part de la souveraineté nationale. Les députés non-inscrits expriment bien ce problème. Au-delà des groupes auxquels nous appartenons, au-delà de tels ou tels domaines sur lesquels nous pouvons débattre de manière plus précise selon les commissions, il nous appartient de pouvoir trancher sur la globalité des débats.

M. Jean-Christophe Lagarde. Je suis absolument navré d’entendre la présidente de la commission des Lois refuser cet amendement. Vous avez énuméré, chère collègue, tout un tas de méthodes de travail existantes sans nous dire, à aucun moment, pourquoi l'existence de sous-commissions dérangerait. Il ne s’agit pas de supprimer ce qui existe. Dès lors que l’on réorganise le périmètre de nos commissions, nonobstant vos hésitations, la création de sous-commissions serait utile dans un certain nombre de domaines. M. Marleix a probablement raison de vouloir remplacer « doivent » par « peuvent ». Au nom de quoi s’interdirait-on de créer des sous-commissions ? En quoi seraient-elles dérangeantes ?

Je veux bien que comparaison ne soit pas raison, mais la France n'est pas le seul pays à avoir un parlement. Elle est peut-être le seul pays à en avoir un qui en soit si peu un. Si les autres parlements l’ont fait, ce n’est pas pour rien. Je ne dis pas que cela doit être systématisé. Soyons clairs : un président de sous-commission n’aurait aucun droit à une voiture, une secrétaire, etc. Je sais en que, dans cette maison, on pense souvent à cela. Pourquoi se priver de la capacité de travailler de cette façon ? Si vous n'en voulez pas, ne le faites pas, mais laissez au moins la Constitution l’autoriser. Il n’y a aucune raison de se priver de cette capacité d’organisation que tous les parlements du monde démocratique se sont accordée. Cessons de nous automutiler !

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Nous avons déjà à notre disposition une multitude de moyens de travail, pourquoi ajouter cette nouvelle modalité qui ne me paraît d’aucune utilité ?

M. Fabien Di Filippo. L’avantage des sous-commissions, c’est qu’elles seraient actives pendant toute la durée de la législature, contrairement aux missions d’information ou aux délégations.

À ce stade de nos débats, je tire la sonnette d’alarme. Nous avons retourné le problème dans tous les sens : faut-il plus de commissions ? Moins de commissions ? Des sous-commissions ? Reste qu’avec quatre cents députés et des groupes politiques de dix députés, un problème de représentation se posera forcément. Si la loi est votée en commission et non plus dans l’hémicycle, ce sont une vingtaine de députés, si l’on tient compte des absences, qui auront la faculté de voter la loi tandis que tous les autres seront dépossédés de ce droit. Réfléchissez bien à ce que vous faites. Tout cela conduit à un affaiblissement des droits du Parlement, à un affaiblissement du débat public, à un affaiblissement de la représentation démocratique.

La Commission rejette l’amendement.

Article additionnel après l’article 4
(art. 42 de la Constitution)
Faculté pour la Conférence des présidents d'organiser un débat d'orientation générale

La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL1514 du rapporteur général, les amendements identiques CL875 de M. Sacha Houlié et CL1338 de Mme Isabelle Florennes, ainsi que l’amendement CL1330 de Mme Marielle de Sarnez.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Nous vous proposons d’inscrire dans la Constitution la faculté pour la Conférence des présidents d’organiser, sur tout projet ou proposition de loi, un débat d’orientation générale.

Ce débat concernerait les enjeux du texte, permettrait de discuter de son esprit, de ses principes et de ses objectifs, de son opportunité et de son architecture. Il interviendrait après le dépôt du projet de loi, car seuls la délibération en conseil des ministres et le dépôt engagent le Gouvernement sur un texte. Le choix d’organiser un tel débat reviendrait à la Conférence des présidents qui en déterminerait la date et les modalités ; le cas échéant, elle pourrait décider que ce débat remplace la discussion générale. Le débat d’orientation demeurerait facultatif. Chaque conférence des présidents à l’Assemblée et au Sénat serait libre de se forger une doctrine.

M. Sacha Houlié. Mon amendement CL875 vise les mêmes objectifs que celui du rapporteur général. Il satisfera tous ceux qui réclament que les débats soient davantage « politiques », et je tends là une perche à M. Di Filippo. Il permet en effet, avant l’examen en commission, d’organiser une discussion sur les orientations politiques d’un texte et non sur ses dispositions techniques. Ce sera l’occasion de fixer un cap, chose que les Français ont attendue pendant tout le quinquennat précédent. C’est une étape salutaire vers le renforcement de nos droits.

Mme Isabelle Florennes. Le groupe du Mouvement Démocrate et apparentés estime que ce débat d’orientation contribuerait, dans un souci de rationalisation, à mieux répartir le travail sur un texte entre la séance publique, où seraient présentés les enjeux politiques, et la commission qui aborderait les aspects plus techniques.

M. Erwan Balanant. Notre amendement CL1330 précise que la tenue d’un débat d’orientation préalable devrait intervenir avant la transmission du projet de loi au Conseil d’État. Le Conseil économique, social et environnemental (CESE), devenu Forum de la République, pourrait animer le débat public citoyen autour des textes examinés.

Le Parlement, de son côté, travaillerait mieux sur les textes car il aurait connaissance par avance des orientations politiques voulues par le Gouvernement. Nous disposerions d’une meilleure visibilité et nous rédigerions nos amendements en étant moins sous la pression de facteurs extérieurs. Je suis persuadé que si, aujourd’hui, nous déposons autant d’amendements, c’est parce que nous nous sentons parfois frustrés de n’avoir pu analyser sereinement les textes.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. J’invite nos collègues à retirer leurs amendements au profit de l’amendement CL1514, et émettrais, dans le cas contraire, un avis défavorable.

M. Marc Fesneau, rapporteur. L’amendement CL1514 répond à la volonté de nourrir plus en amont nos débats et de mieux organiser la discussion. Avant la discussion en commission, le Gouvernement donnerait le cap qu’il se fixe, ce qui permettrait d’identifier les enjeux politiques, les consensus possibles et les points de divergence. Le risque, à chaque discussion d’un nouveau texte, est de se noyer dans des détails techniques, article après article, amendement après amendement, sans avoir de vision globale.

Avec un tel débat d’orientation générale, nous pourrions prendre du recul avant que les amendements ne soient déposés. Actuellement, le débat politique arrive beaucoup trop tard, après que le texte a été adopté, voire jamais.

M. David Habib. Nous voyons bien que ce qui est aujourd’hui réservé à la Conférence des présidents sera demain une prérogative étendue aux présidents des groupes qui en exprimeront le souhait.

Il est important qu’en amont de l’examen des textes en commission, nous puissions avoir une vision globale, politique. On ne doit pas réduire les députés – et c’est peut-être une tendance de La République en Marche – à des techniciens et des experts.

Mme Danièle Obono. Je suis plus sensible à l’amendement présenté par Erwan Balanant, qui prévoit l’organisation du débat avant la transmission au Conseil d’État, alors que celui du rapporteur général fait de ce débat davantage une discussion générale bis.

M. Fabien Di Filippo. Je suis un peu interloqué par ces amendements, même si j’apprécie la perche tendue par M. Houlié.

Nous nous sommes offusqués hier du fait que les décrets allaient parfois à l’encontre des lois qui avaient été adoptées. Qu’y aura-t-il de contraignant dans ces simples débats d’orientation ? Quand une loi est votée, ce qui importe, c’est ce qu’elle change concrètement à la vie des gens ou à la marche du pays. Il faut que nous puissions nous débattre des détails de chaque texte.

Ce qui m’inquiète, c’est qu’on s’achemine vers un Parlement qui donne de grandes orientations de principe qui ne trouvent pas de traductions concrètes. Souvenez-vous de la loi « Asile et immigration » : on allait voir ce qu’on allait voir en matière de fermeté, nous disait-on. Et que constate-t-on aujourd’hui ? Que le texte est totalement inopérant.

Nous sommes en totale opposition avec ces amendements. Nous ne voulons pas de grandes déclarations de principe qui sont d’une inefficacité totale.

Mme Marie Guévenoux. Je tiens à remercier l’ensemble des collègues qui ont travaillé sur ces amendements et nos rapporteurs qui les ont repris. Dialoguer avant l’examen en commission sur les grandes orientations d’un texte améliorera l’organisation de nos travaux : nous cernerons mieux les grands enjeux et rédigerons nos amendements dans de meilleures conditions. En outre, ce débat donnera une tribune aux groupes de l’opposition, ce qui devrait satisfaire ceux qui nous invitaient hier à davantage prendre en compte les droits de l’opposition.

Je précise, monsieur Di Filippo, que ces débats ne viendraient nullement se substituer aux réunions des commissions puisqu’ils les précéderaient.

Les amendements CL1338 et CL875 sont retirés.

La Commission adopte l’amendement CL1514 (amendement  336).

En conséquence, l’amendement CL1330 tombe.

Après l’article 4 (suite)

La Commission en vient à l’amendement CL418 de Mme Cécile Untermaier.

M. David Habib. Cet amendement prévoit que l’examen des projets et propositions de loi en commission ne puisse intervenir en première lecture qu’une semaine après la présentation de l’étude d’impact. Cela aurait l’avantage de constitutionnaliser ce document.

Comme nous l’avons constaté à de nombreuses occasions, les études d’impact sont très largement insuffisantes. Au mois d’octobre 2017, l’étude d’impact du projet de loi mettant fin à la recherche et à l’exploitation des hydrocarbures indiquait que les dispositions nouvelles étaient susceptibles d’entraîner 200 suppressions d’emploi. Or – je prends Vincent Bru à témoin – pour notre seul département des Pyrénées-Atlantiques, 20 000 emplois étaient en jeu. Autrement dit, l’étude d’impact a été bâclée. Le ministre de l’Environnement, à qui je rends hommage, l’a lui-même reconnu.

Rendre obligatoire le débat sur les études d’impact avant le travail en commission conduirait le Gouvernement à en améliorer la qualité.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Nous partageons l’intégralité des arguments que vous venez d’avancer. Nous avons même discuté hier d’un amendement qui tendait à préciser dans la Constitution que les études d’impact devaient être rigoureuses et exhaustives, mais, devant les difficultés à définir ce qui est rigoureux et exhaustif, nous avons conclu que ces adjectifs ne pouvaient avoir un caractère normatif.

Je crains, monsieur Habib, que votre amendement n’aboutisse au résultat inverse de celui que vous recherchez. Vous souhaitez que nous disposions d’études d’impact de meilleure qualité, ce qui rejoint notre préoccupation à tous de pouvoir nous appuyer sur des outils d’évaluation et de contrôle plus développés. Mais en faire un préalable obligatoire donnerait le sentiment que la qualité d’un texte ne peut être mesurée qu’à l’aune de son étude d’impact, ce qui n’est jamais le cas, sinon il n’y aurait pas d’opinions divergentes. Le débat d’orientation générale n’empêche en rien les débats en commission et les débats en séance publique de se tenir.

En outre, la disposition que vous proposez me paraît davantage relever de la loi organique.

Pour toutes ces raisons, je déplore de devoir donner un avis défavorable à votre amendement.

M. David Habib. Ce débat sur l’étude d’impact précéderait le débat en commission et non le débat d’orientation générale. Vous n’avez pas fait une lecture assez rigoureuse de mon amendement, monsieur le rapporteur général.

J’ajoute que notre initiative a été motivée par le traumatisme provoqué dans notre département par l’étude d’impact de la loi relative aux hydrocarbures. Un membre éminent de votre majorité, qui a été ministre un temps, a taxé d’amateurisme la démarche du Gouvernement. Un moyen d’améliorer les études d’impact est d’en faire le point d’appui d’un débat avant l’examen en commission.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Je vois, cher collègue, que vous aimez à souligner que votre département est un vivier de talents.

Je reconnais une légère approximation dans ma lecture de votre amendement, qui est, il est vrai, redoutablement mal écrit. Jugez-en vous-mêmes, chers collègues : « L’examen des projets et propositions de lois en commission ne peut intervenir, en première lecture, qu’une semaine après la présentation de l’étude d’impact qui les accompagne dans le cadre d’un débat préalable en séance. »

Vous le savez, « Ce que l’on conçoit bien, s’énonce clairement. Et les mots pour le dire arrivent aisément ». Ce n’est pas le cas avec cette rédaction. Avis défavorable.

M. David Habib. Je vous le concède, monsieur le rapporteur général, mais je regrette que vous en restiez à la forme sans aborder le fond. Je vous ai interpellé sur une question essentielle et vous n’apportez pas de réponse. C’est dommage.

M. Olivier Marleix. Je trouve la piste proposée par M. Habib extrêmement intéressante. Les études d’impact constituent un bel outil issu de la réforme constitutionnelle voulue par Nicolas Sarkozy en 2008. Inscrites dans la loi organique de 2009, elles permettent au Parlement, avant d’aborder l’examen d’un projet de loi, de disposer d’un minimum d’éléments d’évaluation fournis par l’administration.

On peut regretter, avec le sénateur Hugues Portelli qui leur a consacré un rapport, qu’elles soient trop légères ; on peut aussi déplorer que le Conseil constitutionnel n’apprécie pas assez sévèrement leur qualité.

L’idée d’un débat d’orientation générale m’inquiète. Il n’y a rien de pire que de donner l’impression qu’il y a, d’un côté, des grands discours, et, de l’autre, la petite réalité. Qu’ils y aient des « grands diseux » et des « petits faiseux », c’est le plus grand risque que court notre démocratie.

S’appuyer sur une étude d’impact pour échapper au pur verbe serait quelque chose d’utile à la réflexion. Nous pourrions peut-être réécrire collectivement cet amendement d’ici à l’examen en séance.

La Commission rejette l’amendement.

[Article 44 de la Constitution]

La Commission examine ensuite les amendements CL269 et CL270 de M. Éric Diard.

M. Fabien Di Filippo. L’amendement CL269 va tout particulièrement plaire à la majorité, car il devrait lui permettre d’atteindre l’objectif affiché dans le titre du projet de loi, une fois n’est pas coutume sous cette législature.

Il procède à un rééquilibrage entre droit d’amendement du Gouvernement et droit d’amendement du Parlement. Aujourd’hui, le droit d’amendement du Gouvernement n’est absolument pas encadré. Il peut déposer à la dernière minute en séance des amendements qui réécrivent totalement certaines parties du texte, ce qui trouble la sérénité des débats. Je prendrai l’exemple du projet de loi pour un nouveau pacte ferroviaire : le nombre de ses articles est passé de huit dans la version initiale à vingt et un après la première lecture, du seul fait d’amendements gouvernementaux. On peut légitimement se sentir pris en traître en pareil cas.

Nous proposons donc de concentrer le droit d’amendement dans les mains des parlementaires.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Mon cher collègue, vous proposez ni plus ni moins de supprimer le droit d’amendement du Gouvernement, ce qui est un peu brutal, vous nous le concéderez. Je n’y suis pas favorable.

Il est vrai qu’il y a quelque chose de profondément choquant à voir le Gouvernement modifier ses propres projets de loi à la va-vite alors qu’il dispose d’autres outils, comme les lettres rectificatives, pour apporter des modifications.

Toutefois, les amendements du Gouvernement ont leur utilité : ils permettent d’élaborer des compromis entre majorité et opposition, entre Assemblée et Sénat ; ils peuvent tempérer les rigueurs de l’article 40 ; ils opèrent des ajustements techniques indispensables, par exemple, sur l’article d’équilibre du projet de loi de finances.

Privé de son droit d’amendement, le Gouvernement serait conduit à faire défendre ses propres amendements par les rapporteurs ou les parlementaires de la majorité, ce qui, pour être franc, n’ajouterait pas à la clarté de nos débats.

M. Fabien Di Filippo. J’ai oublié de préciser que l’amendement CL270 offrait une solution de repli : le droit d’amendement serait réservé au Parlement au stade de l’examen en séance publique.

Aujourd’hui, les projets de loi ne sont pas suffisamment bien préparés par le Gouvernement. Ils ne devraient être présentés en conseil des ministres que lorsqu’ils sont bien ficelés. Cela nous laisserait le temps de les examiner et de préparer nos amendements.

Que des amendements du Gouvernement soient défendus par les parlementaires, cela arrive, nous ne sommes pas naïfs, mais cela renvoie à la responsabilité individuelle des parlementaires, ce qui me paraît plus satisfaisant du point de vue de l’équilibre des pouvoirs.

La Commission rejette successivement les amendements.

Elle en vient à l’examen de l’amendement CL1102 de M. Michel Castellani.

M. Michel Castellani. Nous proposons de faire du droit d’amendement un droit inaliénable car il s’agit d’un fondement de la démocratie, indispensable à l’équilibre des pouvoirs.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Dans l’exposé sommaire de votre amendement, vous indiquez qu’il répond aux propositions visant à modifier l’article 3. Comme celles-ci n’ont pas été adoptées, votre amendement n’a pas lieu d’être.

M. Michel Castellani. Il n’en demeure pas moins qu’il serait bon de préciser que le droit d’amendement est inaliénable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CL1173 de Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe, CL1367 de M. Sylvain Waserman et CL444 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe. La loi organique du 15 avril 2009 prévoit un délai au-delà duquel sont seuls recevables les amendements déposés par le Gouvernement ou la commission saisie au fond. Cela ne laisse pas le temps nécessaire aux parlementaires pour expertiser ces amendements déposés hors délais, ce qui peut constituer une source de tensions entre le Parlement et le Gouvernement.

Le présent amendement propose donc de rééquilibrer les prérogatives du Parlement et du Gouvernement en la matière, en permettant au Règlement de chaque assemblée de fixer les conditions dans lesquelles les amendements cessent d’être recevables, selon des modalités qui seront précisées par la loi organique.

Une meilleure préparation des projets de loi devrait rendre moins nécessaire le dépôt d’amendements hors délai.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Vous proposez de soumettre le Gouvernement à un délai de dépôt de ses amendements, au nom de l’égalité des armes. Je n’y suis pas favorable.

L’égalité des armes est d’ores et déjà assurée : le Gouvernement, comme la commission saisie au fond, peut amender après l’expiration du délai de dépôt. Lorsqu’ils le font, cela rouvre le délai sur l’article visé pour l’ensemble des parlementaires.

L’exception au délai de dépôt constitue une soupape très utile : elle permet d’élaborer des amendements de compromis et de corriger des erreurs tardivement repérées. Ne venons pas corseter le déroulement de nos discussions.

Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe. Je vais retirer cet amendement pour le retravailler. Je reste toutefois très préoccupée par l’équilibre à établir entre droit d’amendement du Gouvernement et droit d’amendement du Parlement.

L’amendement CL1173 est retiré.

La Commission rejette successivement les amendements CL1367 et CL444.

Elle examine l’amendement CL1103 de M. Castellani.

M. Michel Castellani. Nous souhaitons compléter l’article 44 de la Constitution par l’alinéa suivant : « Le Gouvernement ne peut introduire, par amendement à un projet de loi, de dispositions nouvelles autres que celles qui sont en relation directe avec une des dispositions du texte en discussion ou dont l’adoption est soit justifiée par des exigences de caractère constitutionnel soit nécessitée par la coordination avec d’autres textes en cours d’examen au Parlement. »

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Avis défavorable, pour les mêmes raisons que précédemment.

La Commission rejette l’amendement.

Elle en vient aux amendements identiques CL1191 de Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe et CL1342 de M. Sylvain Waserman.

Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe. La révision constitutionnelle de 2008 a instauré, sur le fondement de l’article 44, le temps législatif programmé dans le but de renforcer la qualité et l’efficacité des débats, de permettre aux députés de consacrer davantage de temps aux amendements les plus importants et de renforcer la prévisibilité de la durée des délibérations.

Son application est toutefois insatisfaisante. Une évolution de la procédure serait souhaitable. En tant que nouvelle élue, les conditions d’organisation du temps de travail à l’Assemblée m’ont paru éloignées du pragmatisme qui prévaut dans la société civile.

Il nous apparaît nécessaire de donner plus de marges de manœuvre aux assemblées dans la mise en œuvre de leur procédure afin que le Parlement puisse reprendre la maîtrise de son temps. Les parlementaires doivent pouvoir moduler les conditions d’application du temps législatif programmé selon la nature des textes. Cela serait un moyen d’enrichir la qualité des débats en accordant plus de temps à ce qui est important. Nous pourrions, par ailleurs, décliner la durée globale de discussion par jour de séance et réguler le travail de nuit. Je ne suis pas sûre que nous soyons dans les meilleures conditions pour légiférer à deux ou trois heures du matin après douze heures de débats dans une même journée. À titre personnel, je dois dire que je ne suis pas armée chronobiologiquement pour travailler toutes les nuits.

M. Sylvain Waserman. Le Parlement veut-il reprendre la maîtrise de son temps ? Toute la question est là. Il me semble essentiel de nous pencher sur l’organisation interne de nos débats.

Autre question qui a agité notre groupe : ces modifications sont-elles de niveau constitutionnel, ou bien le Règlement suffit-il ? En réalité, il s’agit moins d’une alternative que d’une façon de placer le curseur entre notre pouvoir de décision en matière d’organisation interne de notre temps de travail et la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui statue sur toute modification de notre Règlement. Certains pensent que cette tâche revient au constituant. Cela permettrait de sécuriser les décisions à venir en matière de gestion interne de notre temps, qui est un facteur clef pour organiser nos débats. L’historique des changements intervenus dans le règlement intérieur montre que nous avons assez peu de marges de manœuvre.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Je comprends à quelle nécessité répondent ces amendements. Mais pourquoi proposer de nouvelles solutions alors que nous disposons déjà des moyens pour apporter une réponse ? Cela me semble être une manie bien française que de raisonner ainsi. Si la Conférence des présidents décidait de consacrer davantage de temps à certaines dispositions d’un texte parce qu’elle les estime essentielles, un accord pourrait se dégager et nous mettrions immédiatement en œuvre cette organisation. Essayons d’inventer de nouvelles pratiques à partir de l’existant plutôt que de fabriquer du droit. Du reste, les modifications que vous souhaitez pourraient être de niveau organique ou réglementaire.

D’ici à la séance, proposons à la Conférence des présidents une telle expérimentation. Les présidents l’accepteront sans doute et nous développerons une pratique vertueuse qui nous gardera d’une inflation législative, ce qui me paraît toujours plus sain.

Je vous demande donc de bien vouloir retirer vos amendements.

Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe. J’entends l’interrogation du rapporteur général : pourquoi vouloir inscrire l’organisation de notre temps de travail et le nombre des commissions permanentes dans la Constitution ? Bref, je ne suis pas pleinement convaincue.

Il ne m’en semble pas moins que nous devons améliorer la façon dont nous travaillons. Sous cette réserve, je retire mon amendement au profit d’une autre rédaction que je présenterai en séance.

M. Sylvain Waserman. Les modifications du Règlement de l’Assemblée nationale et leurs conséquences mériteraient une expertise complémentaire d’ici l’examen du texte dans l’hémicycle. M’appuyant sur des analyses précises que j’ai pu consulter, je considère qu’il y a des limites, et qu’il convient de différencier nettement une modification du Règlement d’une décision ad hoc de la Conférence des présidents.

Si mon groupe en est d’accord, je propose de retirer l’amendement afin d’étudier la possibilité d’aboutir à une rédaction conciliant les deux points de vue, que nous pourrions présenter pour la séance publique.

M. le président Philippe Gosselin. Je prends acte du retrait constructif de ces amendements.

M. Olivier Marleix. Ce débat est savoureux. C’est avec une certaine émotion que j’entends nos collègues de la majorité se plaindre des mauvais traitements infligés ces dernières semaines à l’Assemblée nationale : séances de nuit, séances le samedi et le dimanche… C’est un problème pour le fonctionnement de la démocratie dans ce pays, particulièrement pour les petits groupes politiques qui n’ont pas la capacité d’organiser la même permanence que le grand groupe majoritaire. C’est donc un sujet important que vous abordez.

Avec moins de pudeur que le rapporteur général, je vous confirme que la réponse existe : elle est dans la Conférence des présidents, qui reflète la composition de l’Assemblée nationale. Conséquemment, le groupe majoritaire à cette Conférence, celui de La République en Marche, impose le fonctionnement de notre institution que vous-même dénoncez.

Je ne saurais donc trop vous conseiller de vous adresser à un certain Richard Ferrand afin de vous expliquer en réunion de groupe avec votre président. (Sourires.) Je le dis très sérieusement : celui qui, sous la Ve République, fait l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, c’est le président du groupe majoritaire, a fortiori lorsque ce groupe dispose à lui seul de la majorité absolue. M. Ferrand l’a dit avec plus de pudeur, de modestie et d’humilité que je ne l’ai fait en mettant son rôle en valeur ; mais c’est lui qui décide et à qui il faut en parler.

M. Michel Castellani. Nous pouvons entendre l’argument de la nécessaire efficacité, mais celle-ci ne doit pas être au prix de la diversité, de l’expression démocratique et de la qualité des débats. Certes, le temps législatif programmé fixe un cadre aux débats de l’Assemblée nationale, mais il les organise de façon mécanique, « à la tronçonneuse ». Nous sommes souvent obligés d’intervenir les yeux rivés sur le chronomètre, et il arrive que nous ne puissions pas exprimer la moindre idée.

Cette pratique est contraire au droit démocratique d’expression d’un élu ainsi qu’au droit d’amendement. Un député en vaut un autre, quel que soit le groupe auquel il appartient, et même s’il n’appartient à aucun groupe.

Mme Danièle Obono. J’entends dire que le temps législatif programmé constituerait l’exemple à suivre. Pour notre part, nous en dressons un bilan plus mitigé, car nous sommes régulièrement conduits à pratiquer l’autocensure afin de disposer du temps nécessaire à la défense des amendements qui nous paraissent les plus importants.

Beaucoup de nos propositions, de ce fait, ne sont pas discutées, et tout passe sous la coupe réglée de la tronçonneuse. Ce mécanisme peut effectivement accélérer les débats, mais l’expérience des trois derniers textes examinés par l’Assemblée nationale confirme que nous ne pouvons pas pleinement nous exprimer.

C’est à juste titre qu’il a été dit que nous ne pouvons pas maîtriser le temps parlementaire si nous ne reprenons pas la main sur l’ordre du jour de nos travaux. Nous demeurons sous la coupe du Gouvernement, qui décide du calendrier, donc du nombre de textes à examiner, ce qui nous vaut une session extraordinaire due à ses propres impératifs.

Nous assistons impuissants à une course après le temps, car c’est le président du groupe majoritaire, mais aussi le président de l’Assemblée nationale, membre de ce même groupe, qui décident de tout à la Conférence des présidents.

M. Sylvain Waserman. Il faut éviter la caricature, le confort des députés n’est pas notre sujet, pas plus que le temps législatif programmé.

Le propos de départ porte sur la façon dont les assemblées parlementaires déterminent les modalités d’organisation des débats en séance publique, ainsi que sur la maîtrise du temps. Mme Obono a raison : la question est de savoir comment maîtriser notre temps : non pas pour des motivations de confort personnel, mais parce que les Français ne comprennent pas nos hémicycles vides ni l’examen d’amendements sur le glyphosate à une heure cinquante du matin.

Nous portons, majorité comme opposition, une responsabilité collective. Si, au terme de l’examen de ce projet de loi constitutionnelle, nous choisissions collectivement de ne rien changer et de ne pas reprendre la maîtrise de notre temps, nous passerions à côté de l’exercice.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Je suis très sensible à la flatterie de M. Marleix. (Sourires.)

Je rappelle que, si nous souhaitons que la proposition de nos collègues prospère sous la forme d’une convention de la Conférence des présidents comme je l’ai indiqué et si nous voulons que les débats se passent bien, cela ne peut être sous la domination du groupe majoritaire. Il faudrait que nous nous entendions sur les points devant être hiérarchisés afin de centrer les débats sur l’essentiel et de « laisser filer » le reste.

Mais, pour se mettre d’accord sur ce qui est important ou non – et l’on pourrait ajouter que le diable est dans les détails, que tout est important, etc. –, il faut que les oppositions aient envie qu’il y ait cet accord sur la hiérarchie des priorités au sein d’un texte. Or, j’entends surtout exprimée la peur d’être « tronçonné », la crainte que, si l’on n’aborde que trois sujets, il ne soit pas possible de se faire entendre sur les autres. Dans un tel état d’esprit, ces processus ne peuvent pas être mis en œuvre.

S’ils devaient l’être par la seule force du groupe majoritaire, ce serait la tyrannie, l’anéantissement des oppositions, l’impossibilité de faire prospérer la démocratie ; comme vous pouvez le constater, l’enfer est parfois pavé de bonnes intentions.

Les amendements sont retirés.

La Commission examine l’amendement CL1341 de M. Sylvain Waserman.

M. Sylvain Waserman. Cet amendement réaffirme la place et le rôle que les assemblées doivent tenir dans la détermination des modalités d’organisation des débats en séance publique. De façon plus ambitieuse, il est proposé de leur laisser une plus grande marge de manœuvre dans cette organisation.

Au regard de notre débat précédent, l’histoire montre à quel point il est difficile de vouloir collectivement changer les règles, par exemple sur le temps législatif programmé. Aujourd’hui le Règlement de l’Assemblée nationale trace un cadre très strict qu’il est difficile de faire évoluer. Nous proposons de réaffirmer le rôle du Parlement, dans un domaine excédant légèrement le cadre du seul temps législatif programmé, mais qui relève de la même logique.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. L’argumentation est la même que la précédente ; je demande le retrait de cet amendement.

L’amendement est retiré.

Suivant l’avis défavorable des rapporteurs, la Commission rejette l’amendement CL480 de Mme Cécile Untermaier.

Article additionnel après l’article 4
(art. 44 de la Constitution)
Faculté de saisine du Conseil d’État pour avis sur les amendements

La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL1510 des rapporteurs, CL375 de la commission des Finances et CL1337 de M. Jean-Noël Barrot.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Nous proposons d’ouvrir la possibilité de saisine du Conseil d’État sur les amendements, sur le modèle des dispositions introduites par le constituant en 2008 pour les propositions de loi.

Il paraît en effet utile, et pas uniquement à l’occasion de l’examen des PLF et des PLFSS, de pouvoir consulter le Conseil d’État sur des dispositifs juridiques d’ampleur, parfois insérés sous la forme d’amendements du Gouvernement ou du rapporteur.

Nous proposons de renvoyer à une loi organique le soin d’organiser la procédure, car il convient d’assurer un strict parallélisme des procédures à l’Assemblée nationale et au Sénat.

Comme en matière de projets et de propositions de loi, deux procédures distinctes sont prévues : le Gouvernement saisirait le Conseil d’État sur ses amendements, le président de l’assemblée concernée le saisirait des amendements parlementaires.

Nous aurions ainsi égalité des armes et parallélisme des formes. Cette proposition me paraît bien répondre à l’esprit des débats qui nous anime depuis quelques dizaines d’heures.

M. Laurent Saint-Martin, rapporteur pour avis de la commission des Finances. Je remercie le rapporteur général pour son amendement. Celui que j’avais présenté à la commission des Finances, qui l’a adopté à l’unanimité, va dans le même sens, mais son champ se limitait, pour que nous puissions l’examiner valablement, aux dispositions relatives aux impositions de toute nature et au régime d’émission de la monnaie.

Une telle disposition est particulièrement importante pour les commissaires aux Finances car, à la fin de l’examen du PLF, pas moins de 15 % à 25 % du texte sera déféré au Conseil d’Etat. Ce constat incite à étendre la saisine du Conseil d’État aux amendements du Gouvernement et du Parlement, chacun des présidents des deux assemblées bénéficiant de cette possibilité.

Cette procédure, que préciserait la loi organique, concernerait quelques amendements particulièrement importants, choisis sur la base d’un droit de tirage restant à définir. Il s’agit de faire en sorte que la saisine du Conseil d’État ne soit pas limitée à 15 % du projet de loi de finances adopté par le Parlement.

Cependant, dans la mesure où le champ de l’amendement présenté par le rapporteur général est plus large, nous retirons notre amendement.

L’amendement CL375 est retiré.

M. Erwan Balanant. L’amendement CL1337 vise à élargir les possibilités de saisine pour avis du Conseil d’État aux amendements portant sur les impositions de toute nature et de régime d’émission de la monnaie, et ayant un fort impact budgétaire, déposés par les parlementaires et par le Gouvernement.

Ainsi, le président de l’Assemblée nationale ou du Sénat sélectionnerait les amendements transmis pour avis au Conseil d’État, qui se prononcerait avant leur examen afin de garantir la pleine et entière information du Parlement.

Ce mécanisme serait de nature à renforcer la qualité et la régularité juridique des textes, particulièrement dans le domaine fiscal.

M. Olivier Marleix. Autant je comprends la logique présidant à la proposition de la commission des Finances, autant l’amendement du rapporteur général m’inquiète. En effet, il confère au Gouvernement le pouvoir de soumettre pour avis au Conseil d’État un projet d’amendement d’origine parlementaire.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Non : chacun resterait « dans son couloir ».

M. Olivier Marleix. Il faudrait peut-être alors le préciser, car la seule expression « projet d’amendement » laisse planer l’ambiguïté au sujet d’une censure a priori du Parlement par le juge administratif.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. S’il devait y avoir une possibilité de confusion dans notre rédaction, nous pourrions l’améliorer, mais elle me paraît claire : « Dans les conditions prévues par la loi organique, le président d’une assemblée peut soumettre pour avis au Conseil d’État, avant son examen, un amendement déposé par l’un des membres de cette assemblée. Le Gouvernement peut également soumettre pour avis au Conseil d’État un projet d’amendement. »

M. Olivier Marleix. J’ignore si la notion de « projet d’amendement » est aussi clairement établie par les textes que celle de proposition de loi. Si le terme de « projet » renvoie automatiquement à une initiative gouvernementale, cela me convient, mais dans le cas où la chose n’est pas si claire, il faut écrire « projet d’amendement gouvernemental ».

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Soit.

La Commission adopte l’amendement CL1510 ainsi rectifié (amendement  337).

En conséquence, l’amendement CL1337 tombe.

Après l’article 4 (suite)

Suivant l’avis défavorable des rapporteurs, la Commission rejette l’amendement CL451 de M. Olivier Faure

M. Philippe Gosselin, président. Mes chers collègues, avant de lever la séance, je vous informe que 599 amendements restent à examiner. Si, à l’issue de notre réunion de ce soir, il nous en restait 350 ou moins, nous pourrions ne pas siéger demain et reprendre nos travaux lundi matin.

M. Michel Castellani. Monsieur le président, les députés élus des circonscriptions éloignées de la capitale sont tributaires des avions, qui sont tous complets, ce qui rend difficile de modifier son heure de départ. Nous avions prévu d’être présents lundi à partir de quatorze heures ; si l’horaire est ainsi avancé, nous ne pourrons être présents pour défendre les amendements qui concernent la Corse.

M. le président Philippe Gosselin. Nous étudierons cette question tout à l’heure. Nous trouverons une solution, car j’ai bien entendu votre remarque.

8.   Réunion du vendredi 29 juin 2018 à 14 heures 30 (article 5 à article 11)

Lien vidéo :

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.6329161_5b36246cb1273.commission-des-lois-apres-midi--pour-une-democratie-plus-representative-responsable-et-efficace--29-juin-2018

M. Philippe Gosselin, président. Mes chers collègues, nous reprenons nos travaux. Quelque 599 amendements restent à examiner au cours des réunions qui se tiendront cet après-midi, ce soir et lundi, dans la mesure du possible. Par ailleurs, je veux rassurer nos collègues corses, cette organisation des débats respectera leur droit à l’expression, particulièrement au cours de la journée de lundi.

Article 5
(art. 45 de la Constitution)
Raccourcissement de la navette parlementaire en cas d’échec de la CMP

La Commission examine les amendements identiques CL216 de M. Philippe Gosselin, CL 774 de M. Jean-Hugues Ratenon et CL1104 de M. Michel Castellani.

Mme Clémentine Autain. L’amendement CL774 est défendu.

M. Michel Castellani. Vous pouvez constater, monsieur le président, que les élus corses sont particulièrement utiles au travail législatif.

M. Philippe Gosselin, président. Nous n’en avons jamais douté ! La Corse est bien partie intégrante de la République ! (Sourires.)

M. Michel Castellani. Mon amendement propose la suppression de l’article 5.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Plusieurs amendements préconisent la suppression de cet article, à laquelle nous ne sommes pas favorables.

La navette parlementaire joue de moins en moins son rôle et allonge le temps nécessaire à l’adoption des lois : sous la XIVe législature, les nouvelles lectures ont représenté à l’Assemblée nationale près de 350 heures de séance, soit environ 10 % du temps d’examen des lois considérées.

Dans la procédure proposée par l’article 5, le droit d’amendement est, comme aujourd’hui, strictement limité. Il est possible de rependre des amendements adoptés par le Sénat sur le texte en discussion au cours de la lecture qui a immédiatement précédé. Une possibilité nouvelle, à ce stade de la procédure, est même ouverte en permettant la reprise, mais sous réserve de l’accord du Gouvernement, d’amendements ayant été déposés, mais non adoptés par le Sénat, ce qui peut recouvrir une portée réelle en cas de rejet du texte.

Nous proposerons cependant un amendement permettant de lever toute restriction au droit d’amendement afin de favoriser la prise en compte des dispositions votées par le Sénat, lors de la lecture définitive par l’Assemblée nationale.

Pour ces raisons, l’avis est défavorable.

M. Sacha Houlié. Pour notre part, nous souhaiterions une évolution pour rétablir le droit d’amendement postérieur à la commission mixte paritaire (CMP), pour l’Assemblée nationale. C’est pourquoi nous proposons une modification que je présente à ce stade, car un amendement présenté par le rapporteur devrait venir ultérieurement en discussion commune.

La Commission rejette ces amendements.

Elle est ensuite saisie des amendements identiques CL1509 du rapporteur général et CL1336 de Mme Isabelle Florennes.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. La convocation de la CMP après une lecture devant chaque assemblée est désormais le droit commun de la navette parlementaire. Nous proposons de mettre le droit en accord avec la pratique, tout en l’assortissant de garanties nouvelles.

Chacun l’a constaté, depuis la précédente législature, l’encombrement de l’ordre du jour a conduit à systématiser le recours à la procédure accélérée, afin de provoquer une conciliation dès la fin de la première lecture. Il est proposé de prendre acte de cette évolution, tout en conservant la faculté pour les Conférences des présidents de s’y opposer conjointement.

Pour autant, la procédure accélérée emporte aujourd’hui l’écrasement des délais entre le dépôt et l’examen en séance, puis entre la transmission à la deuxième assemblée saisie et l’examen en séance. Il est donc proposé de dissocier ces deux sujets, en prévoyant une procédure d’urgence spécifique pour passer outre les délais, qui serait elle-même soumise à un droit d’opposition conjointe des Conférences des présidents.

Ces dispositions permettront de concilier les objectifs que nous poursuivons, et de prendre acte de pratiques devenues habituelles.

M. Erwan Balanant. La convocation de la CMP après une lecture devant chaque assemblée est désormais le droit commun de la navette parlementaire. Cela satisfait aux exigences d’une procédure moderne. Il est proposé d’en tirer les conséquences.

Les Conférences des présidents des assemblées conserveraient toutefois le droit de s’y opposer, et en conséquence d’imposer la tenue d’une deuxième lecture.

De même, les délais de six et quatre semaines instaurés en 2008 entre le dépôt ou la transmission d’un texte et le début de son examen sont maintenus. Le Gouvernement conserverait la faculté de s’en exonérer, mais, comme aujourd’hui, sur la base d’un engagement de la procédure accélérée, rebaptisée « procédure d’urgence », auquel les Conférences des présidents des deux assemblées auraient la faculté de s’opposer.

La Commission adopte ces amendements (amendement  339).

Elle examine ensuite l’amendement CL726 de M. Jean-Christophe Lagarde.

M. Philippe Dunoyer. Cet amendement propose une mesure propre à garantir au sein de la CMP la présence de membres titulaires pour chacun des groupes parlementaires ; cette précision valant principalement pour les groupes d’opposition qui, dans la pratique de la CMP, ne sont que titulaires de mandats de suppléance.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Vous proposez de garantir la représentation de l’ensemble des groupes de l’Assemblée nationale et du Sénat parmi les membres titulaires de la CMP.

Je n’y suis pas favorable.

Les délégations reflètent déjà la composition de chacune des deux assemblées, en prenant en compte parmi les titulaires et les suppléants, éventuellement à tour de rôle, l’ensemble des groupes à raison de leurs effectifs respectifs.

Compte tenu du caractère paritaire – sept députés, sept sénateurs – de la CMP, il serait difficile d’assurer la représentation de tous les groupes, d’autant plus qu’ils ne sont pas mécaniquement les mêmes dans les deux assemblées.

La seule solution consisterait à augmenter le nombre de membres de la CMP, mais cela aurait pour conséquence de rendre plus difficile l’élaboration d’un texte de compromis.

M. Philippe Dunoyer. J’entends le sens de l’argumentation. Mais en l’occurrence, nous révisons la Constitution, nous ne nous situons pas dans les modalités pratiques, qui demeurent à déterminer. Cet amendement présuppose effectivement, s’il était adopté, que des modifications s’ensuivent dans la composition de la CMP. L’objet n’est certes pas d’empêcher la vocation de la CMP à conclure. Il s’agit simplement d’affirmer dans la Constitution le principe de représentativité assurée des groupes d’opposition, qui, en tout état de cause, demeureraient minoritaires.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. L’objet d’une commission paritaire est d’adopter un texte susceptible d’être voté ensuite par les deux chambres. Une modification de la composition de la CMP telle que vous la proposez, rendrait difficile ensuite l’adoption du texte issu de ses travaux par l’Assemblée nationale ou le Sénat consécutivement. C’est la principale raison pour laquelle, au sein de la commission mixte paritaire, la représentation proportionnelle des groupes politiques correspond à l’image de l’Assemblée.

M. Philippe Dunoyer. Malgré le respect que je porte à la rapporteure, je ne suis toujours pas convaincu. Je suis en effet au regret de constater qu’un présupposé consiste à suggérer que cet amendement pourrait être de nature à bloquer le processus.

La Commission rejette cet amendement.

Elle se saisit ensuite des amendements identiques CL1511 du rapporteur général, CL872 de M. Sacha Houlié et CL1345 de Mme Isabelle Florennes.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Cet amendement vise à libérer le droit d’amendement en lecture définitive.

L’article 5 impose que l’Assemblée nationale, après la lecture par le Sénat, « statue », sous-entendu définitivement, sur le « dernier texte voté par elle ». Elle supprime donc la nouvelle lecture actuelle devant l’Assemblée, au profit de la lecture définitive.

Comme aujourd’hui, le droit d’amendement est à ce stade strictement limité. Il est possible de reprendre des amendements adoptés par le Sénat sur le texte en discussion au cours de la lecture qui a immédiatement précédé. En revanche, la dernière phrase de l’alinéa 2 introduit une possibilité nouvelle, à ce stade de la procédure, en permettant la reprise, mais sous réserve de l’accord du Gouvernement, d’amendements ayant été déposés, mais non adoptés par le Sénat, ce qui peut recouvrir une portée réelle en cas de rejet du texte.

Nous vous proposons d’aller plus loin, à la fois par rapport au projet de loi et à l’état actuel du droit, en supprimant toute limitation du droit d’amendement en lecture définitive.

Voilà une nouvelle avancée réelle pour l’Assemblée nationale, et je m’adresse ici plus particulièrement à ceux qui voient au détour de chaque alinéa une limitation des droits du Parlement. Nous sommes donc en quête d’un accord pour adopter cet amendement.

M. Sacha Houlié. Cet amendement est l’expression de la vigilance de la majorité. Il s’agit d’accélérer nos travaux, avec la suppression d’une partie de la navette parlementaire, et donc de la nouvelle lecture par l’Assemblée après la CMP. Toutefois, cela ne doit pas se faire au détriment de l’expression des groupes politiques et, plus généralement, des députés. C’est pourquoi nous avons souhaité introduire le droit d’amendement des députés. Cela témoigne de la volonté politique de ce texte.

Mme Isabelle Florennes. Je remercie le rapporteur général d’avoir déposé un amendement identique au nôtre.

Tel qu’il était rédigé, l’alinéa 2 de l’article 5 constituait une régression du droit parlementaire et du droit d’amendement. Aussi cet amendement constitue-t-il plus un rétablissement de notre droit qu’une avancée.

M. Olivier Marleix. Permettez-moi, monsieur le rapporteur général, de rectifier votre propos : il s’agit, certes, d’un pas en avant, mais il a été précédé de deux pas en arrière. C’est un pas de tango, en quelque sorte puisque, après avoir limité les possibilités d’expression, notamment du Sénat, en abrégeant la navette, vous permettez aux députés de récupérer des amendements qui n’auraient pas été adoptés.

C’est intéressant, car on aperçoit, au fil de cette discussion, tous les problèmes que soulève votre projet de révision constitutionnelle. Ainsi, nous avons débattu, tout à l’heure, des inconvénients que présente, pour le fonctionnement démocratique de notre assemblée, la réduction du nombre des parlementaires, qui compliquera l’expression des groupes minoritaires et leur participation à l’élaboration de la loi. Maintenant, on constate que vous avez un peu hardiment réduit le pouvoir d’amendement. Vous vous corrigez légèrement ; nous ne pouvons que vous en donner acte.

La Commission adopte ces amendements (amendement  338).

En conséquence, les amendements CL332 de M. Paul Molac et CL1397 de M. Gaël Le Bohec tombent.

La Commission en vient à l’examen de l’amendement CL620 de M. Jean-Christophe Lagarde.

M. Philippe Dunoyer. Cet amendement a pour objet de rétablir la possibilité pour le Sénat de se faire entendre lors de la navette post CMP. L’article 5 du projet de loi dispose en effet que « l’Assemblée nationale statue sur le dernier texte voté par elle », et non sur le dernier texte voté par le Sénat. Cette disposition justifiait la dernière phrase de l’article, qui vient d’être supprimée et qui donnait, de fait, au seul Sénat la possibilité d’amender le texte.

Parce que la Sénat doit être reconnu, nous proposons que l’Assemblée nationale statue sur le dernier texte qu’il a voté. Cette modification ne serait pas contradictoire avec l’amendement qui vient d’être adopté – l’Assemblée aurait ainsi la possibilité d’amender le texte du Sénat – et, j’y insiste, elle ne ralentirait pas la procédure, car notre amendement ne touche pas aux délais.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Au fond, M. Dunoyer propose que la lecture définitive, dans la nouvelle rédaction de l’article 45 de la Constitution, ait lieu sur la base du texte voté par le Sénat. Naturellement, nous n’y sommes pas favorables car cela conduirait à intégrer systématiquement les amendements adoptés par le Sénat. Et, comme le droit d’amendement est très limité en lecture définitive, l’Assemblée ne serait pas en mesure d’y faire échec. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’article 5 modifié.

Après l’article 5

[Article 46 de la Constitution]

La Commission examine les amendements CL830 et CL833, tous deux de M. Jean-Christophe Lagarde.

M. Philippe Dunoyer. Par l’amendement CL830, nous proposons que les lois organiques relatives à l’Assemblée nationale soient votées par elle à la majorité qualifiée des trois cinquièmes des suffrages exprimés. L’amendement CL833 est défendu.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Actuellement, les lois organiques relatives à l’Assemblée nationale sont adoptées à la majorité absolue. Décider qu’elles doivent l’être à la majorité des trois cinquièmes conduirait plutôt à bloquer le processus qu’à le faciliter, dès lors que l’Assemblée nationale a, en toutes circonstances, le dernier mot. En outre, il ne me semble pas particulièrement nécessaire de protéger les lois relatives à l’Assemblée nationale. C’est pourquoi j’émets un avis défavorable.

M. Philippe Dunoyer. M. le rapporteur général semble craindre que l’application de la règle de la majorité des trois cinquièmes aboutisse presque systématiquement à une opposition. Je comprends cette crainte, mais je ne la partage pas. Les lois organiques relatives au fonctionnement de l’Assemblée nationale ne sont pas toutes révolutionnaires au point de susciter l’opposition de 49 % des députés. Je crois, au contraire, qu’elles sont susceptibles de recueillir une large majorité, voire une approbation unanime de la Représentation nationale. Surtout, la majorité des trois cinquièmes donnerait une valeur supplémentaire au vote et, partant, au contenu de la loi organique. J’ajoute que la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés, proposée à l’amendement CL830, représente un moindre risque qu’une majorité des trois cinquièmes des membres.

La Commission rejette successivement ces amendements.

[Après l’article 46 de la Constitution]

La Commission est saisie de l’amendement CL850 de M. Éric Coquerel.

Mme Clémentine Autain. Cet amendement vise à inscrire dans notre Constitution le principe essentiel de la justice fiscale.

L’article 101 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1793 proclame que « nul citoyen n’est dispensé de l’honorable obligation de contribuer aux charges publiques ». Pourtant, force est de constater qu’en France, des inégalités devant l’impôt existent. En effet, certains contribuables échappent à l’impôt, en maquillant leurs revenus ou en les déclarant à l’étranger, dans des pays où la fiscalité est moindre, voire inexistante. De 60 milliards à 80 milliards d’euros échappent ainsi à l’impôt. Cette injustice nous paraît inadmissible.

Face à ce problème, les gouvernements successifs n’ont pas fait preuve d’un grand volontarisme et, lorsque des lois vont dans le bon sens, il arrive que le Conseil constitutionnel les censure. Ce fut le cas, par exemple, de la loi de finances de 2014, qui comportait une nouvelle définition de l’abus de droit, laquelle aurait permis, si elle n’avait pas été censurée par le Conseil constitutionnel, de mieux sanctionner des contribuables ayant précisément abusé des règles de droit pour contourner le paiement de l’impôt. De même, le Conseil constitutionnel a censuré, la même année, une disposition préconisant l’inscription, sur la liste noire française, des États refusant à notre pays l’échange automatique d’informations fiscales. Cette liste est donc toujours aussi vide et inefficace ! Divers rapports, dont je vous fais grâce, soulignent l’ampleur de ces injustices, dont un rapport récent d’Oxfam.

Nous souhaitons donc inscrire dans la Constitution des dispositions claires qui permettent de lutter contre ces injustices. Nous proposons ainsi que soient insérés, à l’article 46, les quatre principes suivants : «  La progressivité de l’impôt en fonction des capacités contributives réelles des citoyens. Le Parlement est libre dans les taux d’imposition qu’il peut fixer pour atteindre cet objectif ;

« 2° L’égalité devant l’impôt entre les citoyens. À cette fin, la lutte contre la fraude fiscale, ainsi que la lutte contre l’optimisation et l’évasion fiscales en tant qu’elles constituent un abus de droit, doivent être prioritaires. »

Je vous laisse découvrir les deux autres principes contenus dans notre amendement, car j’ai épuisé mon temps de parole. Nous devons aller de l’avant dans ce domaine !

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Avis défavorable. En vérité, cet amendement est satisfait. En effet, la Déclaration des droits de l’homme proclame bien l’égalité des citoyens devant l’impôt, et une jurisprudence abondante et régulière du Conseil constitutionnel précise les modalités d’application de ce principe. Toute mention supplémentaire en la matière serait superfétatoire.

Mme Clémentine Autain. Le troisième principe que l’amendement vise à inscrire dans la Constitution, que je n’ai pas eu le temps de lire, est le suivant : « 3° l’égalité devant l’impôt suivant le type de revenus. Le Parlement veillera notamment à ce que les revenus du capital soient davantage taxés que les revenus du travail ». Ces principes peuvent contrevenir aux logiques économiques qui sont celles de la majorité. Dès lors, je veux bien, monsieur le rapporteur général, que vous me répondiez que vous ne souscrivez pas à ces principes car ils ne correspondent pas à votre orientation politique, mais ne me dites pas que l’amendement est satisfait par l’article 101 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Prenez vos responsabilités, mais ne me dites pas que l’amendement est satisfait !

M. Vincent Bru. Je précise que la Déclaration des droits de l’homme à laquelle Mme Autain fait référence n’est pas celle de 1789 mais celle de 1793, qui n’a pas de valeur constitutionnelle.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Madame Autain, tout comme vous, je dis ce que je veux. Ce n’est pas moi qui vais vous mettre en joue pour vous imposer ce que vous avez à dire. C’est cela, la liberté et l’égalité.

Réviser la Constitution ne consiste pas à y inscrire des motions de congrès. Les dispositions que vous proposez relèvent de la loi. La Constitution ne ferait pas obstacle à ce qu’elles soient votées au plan législatif. Par ailleurs, je vous le dis, nous assumons parfaitement nos choix. Ainsi, vous ne pourrez pas nous taxer de je-ne-sais-quoi, car tel est souvent votre mode d’expression et celui de vos amis. Encore une fois, ces dispositions ne sont pas de niveau constitutionnel et c’est la principale raison pour laquelle j’émets un avis défavorable.

Mme Clémentine Autain. Je regrette le ton polémique que vous adoptez. Nous pouvons avoir un débat serein et assumer nos désaccords.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Nous les assumons.

Mme Clémentine Autain. La Constitution est ce que l’on décide d’en faire. Vous pouvez nous dire que nos propositions relèvent d’une politique qui ne correspond à votre projet de révision, sans pour autant faire montre de mépris. Non seulement, ces principes ne relèvent pas d’une motion de congrès, mais ils ne figurent pas dans la Constitution. Cependant, ils vont dans le sens de la justice fiscale et de l’égalité des citoyens et, à cet égard, ils sont pleinement conformes aux principes et aux valeurs de notre République. Mais j’entends que cela ne vous convienne pas. Décidément, nous regrettons que cette révision constitutionnelle ne fasse pas l’objet d’un vaste processus de consultation citoyenne, car de tels principes auraient sans doute été approuvés par une majorité, dans le pays.

M. Michel Castellani. Nous avons eu de longs débats en commission des Finances sur la lutte contre l’évasion fiscale. Que celle-ci figure ou non dans la Constitution, elle doit demeurer, je tiens à le signaler, une priorité de l’action publique.

La Commission rejette l’amendement.

Article 6
(art. 47 de la Constitution)
Réduction des délais d’examen du PLF

La Commission est saisie des amendements identiques CL773 de M. Éric Coquerel et CL1105 de M. Michel Castellani.

Mme Clémentine Autain. Par cet amendement, nous proposons de garantir le droit du Parlement d’examiner dans de bonnes conditions les projets de loi de finances.

En effet, rappelons-le, seul le peuple, par l’intermédiaire de ses représentants, consent à l’impôt, a le pouvoir de le faire voter et donc de contrôler la pertinence de son utilisation. Ce principe fondamental est l’un des socles de notre démocratie, consacré par l’article 14 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée ».

Le budget est donc l’un des textes de loi les plus fondamentaux examinés par le Parlement. Cette année, il comportait, par exemple, la suppression de l’ISF ou la création du prélèvement forfaitaire unique. Jusqu’à présent, les parlementaires disposaient d’une période de soixante-dix jours pour l’adopter. Le Gouvernement veut réduire cette période à cinquante jours. Or, ce délai serait bien trop court pour permettre aux députés de l’opposition, en petit nombre et ne disposant pas d’appuis dans la haute administration, d’étudier sérieusement un texte dont les seules annexes comportaient cette année 22 000 pages !

En souhaitant ainsi restreindre sans justification réelle le temps d’examen des projets de loi de finances, qui établissent les impôts devant être levés et les politiques publiques auxquelles celui-ci doit être alloué, le Gouvernement fait donc une proposition dangereuse. En effet, en quoi la restriction du temps d’examen, alors que le Gouvernement souhaite également restreindre le nombre des représentants du peuple, va-t-il améliorer le consentement à l’impôt, garantir un meilleur travail et une meilleure analyse par les représentants du peuple du bon usage des deniers publics ?

Le seul but de cet article est de déposséder un peu plus le peuple français du contrôle de l’action du pouvoir exécutif et de renforcer l’opacité dans laquelle celui-ci souhaite dépenser l’argent de la Nation.

M. Michel Castellani. Les articles 6 et 7 du présent projet tendent à ramener les délais d’examen des textes financiers à cinquante jours. Ces dispositions marquent clairement un recul de la place du Parlement, dont la légitimité historique réside notamment dans le consentement à l’impôt et le vote du budget de l’État. Restreindre le champ du débat fiscal et budgétaire revient à conforter la place déjà prépondérante de l’exécutif et, plus particulièrement, du ministère des Finances dans la détermination de la règle fiscale. C’est pourquoi, le présent amendement vise à supprimer l’article 6 du projet de loi constitutionnelle.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. De nombreux amendements tendent à supprimer cet article, afin de maintenir le droit existant. Toutefois, le raccourcissement, il est vrai significatif, de la période d’examen des textes budgétaires que nous proposons permettra l’examen, à l’automne, d’autres textes que les lois financières et facilitera l’octroi d’un délai – que plusieurs d’entre vous proposent – entre le dépôt du projet de loi de finances (PLF) et le début de son examen en séance. Par ailleurs, la réorganisation de la discussion budgétaire, l’éventuelle discussion simultanée de la première partie du PLF et du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) et les commissions élargies consacrées à l’examen des crédits de la seconde partie doivent permettre de recentrer le débat en séance publique, d’en raccourcir la durée et d’avoir une lecture plus cohérente et globale de l’ensemble de ces textes. Il faut ainsi avoir à l’esprit que l’article 7 vise à allonger, au contraire, la durée de la discussion du PLFSS.

Enfin, notre objectif est également de donner plus de temps à l’examen du projet de loi de règlement, qui retrace l’exécution du budget. Permettez-moi de vous dire, à cet égard, qu’il est étrange de considérer que cinquante ou soixante jours sont nécessaires pour élaborer le budget mais qu’une seule journée suffit à examiner son exécution. Que personne n’ait relevé, sinon le ridicule, du moins la singularité de cette situation m’étonne encore.

Nous nous inscrivons donc dans une logique de rééquilibrage des travaux de l’Assemblée nationale, afin que celle-ci, non seulement examine le budget qu’elle vote, mais aussi et surtout évalue et contrôle la bonne exécution de ce qu’elle a voté. Rendre compte au peuple, c’est passer au moins autant de temps à expliquer ce que l’on a fait, comment on l’a fait et pourquoi on l’a fait qu’à dire ce que l’on va faire. C’est pourquoi je suis défavorable à ces amendements.

M. Michel Castellani. Monsieur le rapporteur général, votre approche peut se défendre. Néanmoins, notre souci demeure : un délai de cinquante jours compressera fortement les conditions d’examen du budget, qui est un domaine vaste et multiforme.

M. Laurent Saint-Martin, rapporteur pour avis de la commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. La dernière partie de la réponse du rapporteur général est la plus importante. Il est en effet erroné d’envisager cet article comme un affaiblissement des pouvoirs du Parlement dans la procédure d’examen budgétaire. Il s’agit en fait d’un véritable rééquilibrage entre ce que nous avons appelé l’Automne de l’autorisation et le Printemps de l’évaluation. Ce rééquilibrage est, du reste, le fruit d’une volonté collective : au sein de la commission des Finances, des députés de tous bords souhaitent que l’on cesse de consacrer soixante-dix jours et nuits à l’examen du budget à l’automne pour consacrer, non pas une journée – le rapporteur général a été généreux –, mais seulement une heure et demie à son exécution.

Cette année, nous avons franchi une première étape en créant le Printemps de l’évaluation. Elle a pour corollaire une diminution du temps que nous consacrons, à l’automne, à la prévision. J’indique à M. Castellani – mais nous en avons débattu lors de l’examen du texte pour avis – que c’est, pour l’essentiel, le temps consacré à l’examen des dépenses qui sera réduit, puisqu’il devrait être ramené de trois semaines à une semaine. Il est en effet nécessaire de conserver le même temps d’examen pour la partie « recettes », la discussion de la partie « dépenses » ayant beaucoup plus de sens dans le cadre de l’évaluation et du contrôle, au printemps. De fait, c’est en ayant bien contrôlé l’exécution des crédits que nous pourrons bien voter, à l’année n +1, leur autorisation. Le dernier alinéa de l’article 6 marque, à cet égard, une avancée fondamentale puisque y est mentionnée l’exécution des crédits, c’est-à-dire du projet de loi de règlement.

Cet article ne représente donc pas du tout une régression. Il s’agit d’une réelle avancée, qui a été souhaitée, je le répète, de manière transpartisane. Je crois d’ailleurs, madame Autain, que vos collègues du groupe La France insoumise membres de la commission des Finances étaient d’accord avec nous pour estimer que nous consacrons trop de temps, qui plus est de manière inefficace, à l’autorisation. Pour conclure, j’ajoute que cette réforme est parfaitement conforme à l’esprit de la Loi organique relative aux lois de finances (LOLF), que nous n’avons, jusqu’à présent, jamais véritablement respecté en matière de contrôle et d’évaluation. Il nous faut donc voter l’article 6 pour réduire le temps d’examen du projet de loi de finances à l’automne.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Nous avons véritablement la volonté de rééquilibrer les temps budgétaires, qu’il s’agisse du temps de la préparation – nous aurons cette discussion d’ici à la séance publique – ou du temps de l’examen, qui passe de soixante-dix à cinquante jours. La France est, du reste, le pays démocratique qui consacre le plus de temps à l’examen de son budget, sans remporter pour autant, reconnaissons-le, un franc succès, tant en matière d’exécution qu’en matière de gestion de la dette et des déficits – cela devrait nous faire réfléchir. Par ailleurs, comme l’a dit Richard Ferrand, cette réforme nous permettra de consacrer davantage de temps à l’évaluation. Or, notre volonté est bien de nous doter d’outils et de temps pour améliorer l’évaluation parlementaire.

On peut comprendre la logique qui est à l’œuvre ici. Il s’agit de permettre au Parlement de mieux se saisir de la discussion budgétaire, en évitant, à l’automne, un tunnel de soixante-dix jours qui ne permet pas de bien maîtriser l’exercice auquel on se prête, et en consacrant à l’examen de l’exécution davantage que l’heure et demie que nous lui octroyons actuellement, ce qui est pour le moins étonnant pour un grand pays démocratique comme le nôtre.

Mme Clémentine Autain. Je ne suis pas convaincue par vos arguments. Je puis vous dire, pour avoir participé au Printemps de l’évaluation dans le cadre de la commission dont je suis membre, que le travail qui y a été accompli m’a paru terriblement technocratique. Au cours des trois heures qu’a durées la réunion, je n’ai pu m’exprimer, en tant que membre de l’opposition, que durant dix minutes, après deux heures quarante-sept de discussion, et la teneur des débats était particulièrement technocratique. Faisons très attention : nous sommes tout de même là d’abord pour décider d’un budget avant d’évaluer des politiques. Si vous réduisez le temps de la discussion budgétaire, le débat sera moins pluraliste et il se déroulera en vase clos, entre la majorité et les services techniques.

M. Philippe Dunoyer. M. de Courson, qui a une certaine expérience des discussions budgétaires à l’Assemblée, estime qu’il serait utile d’augmenter le temps consacré au contrôle – j’aurai d’ailleurs l’occasion de défendre un amendement de mon groupe en ce sens –, mais il s’interroge sur la raison pour laquelle nous ne pourrions consacrer que soixante-dix jours à l’examen du budget et à l’évaluation de son exécution. Nous pourrions parfaitement, en effet, maintenir les soixante-dix jours actuels pour améliorer la qualité des discussions sur les recettes et les dépenses, tout en augmentant le temps consacré au Printemps de l’évaluation, qui a en effet besoin d’être renforcé.

Mme Marie Guévenoux. J’ai été frappée par l’intervention de Laurent Saint-Martin. Soixante-dix jours pour définir un budget, une heure et demie pour contrôler son exécution : quel foyer français fait ses comptes de cette manière ? L’article 6 nous permettra de renforcer les moyens qu’a le Parlement de contrôler ce qu’est devenu le prévisionnel voté à l’automne. J’approuve donc cette disposition.

M. Olivier Marleix. Comme l’a dit le rapporteur pour avis, il est vrai qu’il existe une convergence sur le principe d’un rééquilibrage en faveur de l’examen du projet de loi de règlement et des rapports de performance ; c’est la raison pour laquelle le groupe Les Républicains n’a pas déposé d’amendements de suppression de l’article 6. Mais nous nous heurtons au même écueil : nous n’aurons désormais plus qu’une semaine pour examiner 400 milliards d’euros de dépenses – et pour se souvenir, au passage, que, dans le PLF pour 2018, le déficit est de 80 milliards et que les dépenses sont donc beaucoup plus importantes que les recettes.

Or, il convient d’envisager cette mesure – et l’organisation de nos débats est spécieuse, à cet égard – dans la perspective de la réduction du nombre des parlementaires. Quelle sera, en effet, la situation des petits groupes qui auront à examiner quelque trente-deux missions dans un délai aussi bref ? En réalité, on va exclure, en grande partie, les groupes d’opposition du contrôle de la dépense publique, car ils ne seront pas en mesure, physiquement, de participer à l’examen de l’ensemble de ces missions – cela se vérifiera rapidement à l’usage. La réflexion de Mme Autain mérite donc d’être prise en compte.

M. Laurent Saint-Martin, rapporteur pour avis de la commission des Finances. Tout d’abord, madame Autain, ce n’est pas parce que l’examen du budget est technique qu’il est technocratique. En disant cela, vous illustrez parfaitement la situation actuelle : nous faisons de l’idéologie pendant soixante-dix jours et de la technique pendant une demi-journée. C’est pourquoi nous voulons ce rééquilibrage.

Monsieur Marleix, ce que vous avez dit de la place de l’opposition est extrêmement important. Je rappelle, à ce propos, que les acteurs centraux du Printemps de l’évaluation sont les rapporteurs spéciaux et les rapporteurs pour avis. Or, ceux-ci appartiennent à la majorité et à l’opposition ; ils sont issus de tous les groupes politiques. Quant au fait qu’il nous faudra examiner trente-deux missions en une semaine, vous auriez raison si l’on conservait le calendrier actuel. Mais, dès lors que nous discuterons, pendant tout le mois précédant l’examen du projet de loi de règlement, de l’exécution des crédits de l’année n-1, nous n’aurons pas besoin de plus d’une semaine pour examiner les crédits de l’année n +1, six mois plus tard. C’est pourquoi il est pertinent de réduire de vingt jours le temps consacré à la discussion du PLF. Non seulement la nouvelle organisation sera plus efficace en rationalisant les délais d’examen, mais elle améliorera la compréhension par les parlementaires du budget qu’ils votent.

M. Michel Castellani. Je me réjouis de cette discussion, car il est évident qu’un rééquilibrage au profit du contrôle de l’exécution budgétaire est nécessaire. Sur ce point, je partage entièrement l’approche de notre collègue Dunoyer.

Mme Clémentine Autain. Dans la technique, il y a du politique. M. Ferrand me disait tout à l’heure que la Constitution comporte d’ores et déjà tous les éléments qui permettent de mener une politique de justice fiscale. Or, je rappelle que la taxation à 75 % des revenus les plus hauts, décidée par François Hollande, a été censurée par le Conseil constitutionnel. Il ne faudrait pas que, comme lors du Printemps de l’évaluation, la discussion de microdétails techniques nous éloigne de la politique.

M. Laurent Saint-Martin, rapporteur pour avis de la commission des Finances. Il restera cinquante jours à l’automne pour cela !

Mme Clémentine Autain. Oui, mais la politique, elle se fait aussi avec les groupes de l’opposition et les citoyens.

La Commission rejette ces amendements.

Elle examine ensuite l’amendement CL461 de Mme Cécile Untermaier.

Mme George Pau-Langevin. Actuellement, l’article 47 de la Constitution donne quarante jours à l’Assemblée nationale pour se prononcer en première lecture sur le projet de loi de finances et soixante-dix jours au Parlement pour adopter ce projet. L’article 6 du projet de loi constitutionnelle vise à réduire ces délais en les fixant respectivement à vingt-cinq jours et à cinquante jours.

Cet article dispose également qu’une loi organique devra déterminer les conditions dans lesquelles les commissions permanentes de chaque assemblée entendent les membres du Gouvernement sur l’exécution de la loi de finances. Si le groupe Nouvelle Gauche est favorable au renforcement de l’évaluation de l’exécution des lois de finances, il s’oppose à la détérioration des conditions d’examen des projets de loi de finances. C’est la raison pour laquelle cet amendement propose de maintenir les délais fixés actuellement à l’article 47 de la Constitution.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. La réponse se trouve dans les arguments qui ont été échangés lors de la discussion sur les amendements précédents. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle est saisie de l’amendement CL138 de M. Jean-François Eliaou.

M. Jean-François Eliaou. Il s’agit d’un amendement d’appel. Je suis d’accord avec notre collègue Saint-Martin, mais il me semble que la préparation de la discussion budgétaire, au mois d’octobre, nécessite du temps. C’est pourquoi nous proposons de fixer un délai minimal de quatre semaines entre le dépôt du projet de loi de finances et son inscription à l’ordre du jour de l’Assemblée.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Nous essaierons d’avancer, d’ici à la séance publique, sur le tuilage des différents délais. Dans cette attente, je vous suggère, monsieur Eliaou, de retirer votre amendement.

L’amendement est retiré.

La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL376 de la commission des Finances et CL95 de M. Jean-François Eliaou.

M. Laurent Saint-Martin, rapporteur pour avis de la commission des Finances. J’ai défendu, à l’article 4, un amendement visant à instaurer un délai incompressible de quatre semaines entre l’examen du projet de loi de finances en conseil des ministres et le début de sa discussion en séance publique. L’amendement CL376 vise, quant à lui, à définir le point de départ du calcul du délai constitutionnel d’examen des projets de loi de finances au début de la discussion en séance publique.

M. Jean-François Eliaou. L’amendement CL95 est défendu.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Vous proposez de fixer le point de départ de la durée d’examen du PLF au début de la discussion et non à son dépôt, ce qui est une manière astucieuse d’assouplir les délais sans avoir l’air de le faire – cela ne nous a pas échappé. Il me semble qu’une rénovation de notre discussion budgétaire, qui doit prévoir un peu plus de temps entre le dépôt du projet de loi et son examen en commission est indispensable. Il nous faudra, comme je le disais à l’instant, « retuiler » tous ces délais pour parvenir à un dispositif fluide, pertinent, qui réponde aux aspirations de différents collègues. Je vous suggère donc de retirer votre amendement, en prenant note de votre suggestion s’agissant de la refonte de l’ensemble des délais.

Ces amendements sont retirés.

L’amendement CL139 de M. Jean-François Eliaou est retiré.

La Commission adopte l’amendement rédactionnel CL1519 du rapporteur général (amendement  340).

Puis elle adopte l’article 6 modifié.

Article 7
(art. 47-1 de la Constitution)
Harmonisation des délais d’examen du PLFSS avec ceux du PLF

La Commission examine les amendements de suppression CL772 de M. Éric Coquerel, CL955 de M. André Chassaigne et CL1106 de M. Michel Castellani. 

Mme Clémentine Autain. Nous considérons qu'un examen conjoint du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale serait de nature à nier le principe même de la sécurité sociale. En effet, les finances publiques de l'État ont vocation à répartir le produit de l'impôt, payé par les citoyens, entre les différentes missions de l'État, tandis que le financement de la sécurité sociale est assuré par la répartition des cotisations des salariés entre les différentes administrations de la sécurité sociale.

 Fondre dans un même débat la répartition des crédits entre les finances de l'État et de la sécurité sociale, c'est nier l'apport essentiel de la Libération, qui est que le salaire socialisé des travailleurs sert à financer la sécurité sociale de tous.

D'autre part, nous considérons qu'un examen conjoint serait un moyen détourné pour le Gouvernement de ne pas assumer une politique d'austérité en manière de financement de la sécurité sociale.

Mme Huguette Bello. L’amendement CL955 est défendu.

M. Michel Castellani. Mon amendement procède du même esprit que celui que j’ai défendu à l’article 6, à propos de l'adoption du budget général et de l’accélération du calendrier d’examen.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Il serait utile de regarder la portée des textes au lieu de disserter sur les intentions cachées ou prétendues telles. L’article 7 vise à augmenter les délais d'examen du PLFSS. Depuis quelques heures, on nous bassine sur la volonté de brider le Parlement, d’empêcher les oppositions de s'exprimer. Mais le premier acquis de cet article que vous voudriez supprimer, c’est de mettre en place des délais supplémentaires pour examiner le PLFSS.

L’article organise aussi un rapprochement des discussions du PLF et du PLFSS. J’entends l’argument selon lequel ce sont des textes de nature différente, qui ne procèdent pas de la même recette. Mais ce qui importe à nos compatriotes, c’est la portée pratique des décisions qui sont prises dans le cadre de l'une ou de l'autre loi. Par conséquent, il est utile de mettre en perspective et en cohérence les différents choix budgétaires qui peuvent être faits sur ces deux textes essentiels.

Enfin, je rappelle que la partie commune concerne essentiellement les recettes. Les parties disjointes, pour les dépenses, sont donc importantes. Cet article donne plus de temps et plus de droits au Parlement. Avis défavorable sur ces amendements qui visent à supprimer les améliorations proposées.

M. Philippe Dunoyer. Il est certain que passer d’un délai de 20 à 25 jours ajoute du temps. Par contre, rendre conjoint l’examen du PLF, dont l’article 6 réduit la durée, peut donner le sentiment, sans rechercher des intentions cachées, que la durée totale de l’examen des deux textes pourrait être réduite. Pourriez-vous nous éclairer sur ce point ?

M. Richard Ferrand, rapporteur général. L’article 7 permet – il n’impose pas – d’examiner de façon conjointe les deux textes. C'est la loi organique qui fixera ces règles. Nous nous en tenons aux principes pour aujourd’hui.

M. Laurent Saint-Martin, rapporteur pour avis de la commission des Finances. À l’automne 2017, nous avons dû examiner la suppression du CICE dans le projet de loi de finances et la réduction des charges pour les entreprises dans le PLFSS, deux sujets liés. Pourtant, pendant que les débats sur le PLFSS avaient lieu dans l’hémicycle, les commissaires aux finances étaient réunis salle Lamartine en commission élargie. C’est un exemple très parlant, qui montre combien il est nécessaire d’imbriquer parfois les deux débats. Je conclurai en disant que l’article 7, en prévoyant la possibilité d’une discussion jointe, consacre définitivement la séparation de ces deux textes.

Mme Clémentine Autain. Ce débat a lieu dans un contexte politique et je veux expliquer notre position sans esprit polémique. On voit bien que des menaces peuvent peser sur la sécurité sociale et ses modalités de fonctionnement. Nous tenons à la séparation des deux textes, qui obéissent à des logiques bien différentes : l'impôt d'un côté, les cotisations sociales de l’autre, ne relèvent pas de la même forme de solidarité et les cotisations sociales sont indexées sur la productivité. Nous craignons que l’austérité budgétaire, imposée avec votre assentiment par l'Union européenne, ne s’impose aussi au budget de la sécurité sociale et remette en cause in fine notre système de protection.

M. Philippe Dunoyer. L’exemple donné par Laurent Saint-Martin illustre la portée et l’intérêt de la deuxième partie de l’article 7. Mais je pense qu’il aurait fallu préciser la rédaction, dans la mesure où elle laisse penser que c’est l’ensemble des deux textes qui peut faire l’objet d’un examen conjoint.

M. Olivier Marleix. Je regrette que nous menions cette réflexion sans anticiper la réduction du nombre de parlementaires. La présidente de la commission des Lois m’a confié une mission flash pour explorer ce que seraient les conséquences d’une réforme sur laquelle Cédric Villani a aussi travaillé en tant que vice-président de l'OPECST.

La réforme électorale conduira à un écrasement de la représentation des petites formations politiques. Des groupes qui comptent aujourd'hui entre 15 et 20 députés vont subir, avec l'élargissement de circonscriptions, un écrasement de leur représentation au scrutin majoritaire, qui ne sera pas compensé par l’introduction d’une dose de 15 % de proportionnelle. Cela signifie que, dans la prochaine assemblée, peu de groupes de l’opposition parviendront à passer le seuil de constitution, qui pourrait être néanmoins ramené à une dizaine de députés.

Par définition, ce projet de loi constitutionnelle ne sera pas soumis à la censure du Conseil constitutionnel : il faut donc légiférer avec une main tremblante et réfléchir aux conséquences, en termes de fonctionnement, de ce que nous allons voter. Je suis, pour ma part, très inquiet sur la capacité qu’auront ces groupes minoritaires à participer aux débats législatifs, notamment dans ces procédures à délais raccourcis, et a fortiori lorsque deux débats ont lieu en même temps.

M. Olivier Véran, rapporteur pour avis de la commission des Affaires sociales. Madame Autain, si vous lisez le rapport que j’ai rédigé au nom de la commission des Affaires sociales, vous verrez que je me suis posé des questions : quelle est l'intention politique ? Allons-nous nous donner les moyens au Gouvernement, par le biais d'une loi organique dont nous ne maîtriserions pas les conséquences, de fusionner demain le budget de l’État et celui de la sécurité sociale ? Les auditions, les débats en commission m’ont convaincu qu’il n’y avait pas d'intention masquée de fusionner les deux budgets. Ils sont complètement indépendants, et doivent le rester. Les Français ne comprendraient pas, par exemple, que les cotisations retraite aillent dans une caisse et que ce soit une autre qui leur verse les prestations retraite. S'il vous fallait une preuve, je vous renvoie à l'amendement adopté hier : en transformant la sécurité sociale en protection sociale, il permet une extension du périmètre de la sécurité sociale.

En pratique, cet article permettra aux deux commissions saisies au fond d’examiner conjointement, selon un calendrier plus intelligent, quelques articles des titres « recettes ».

La Commission rejette ces amendements.

Elle examine l’amendement CL377 de la commission des Finances.

M. Laurent Saint-Martin, rapporteur pour avis de la commission des Finances. Il s’agit, comme à l’article 6, de faire courir le délai d'examen du PLFSS à compter du début de la discussion, et non du dépôt, astuce que le rapporteur général a bien vue. Je retire l’amendement.

L’amendement est retiré.

La Commission examine l’amendement CL462 de Mme Cécile Untermaier. 

Mme George Pau-Langevin. Il s’agit d’un amendement de coordination avec l'amendement présenté à l'article 2 visant à créer la catégorie des lois de financement des collectivités territoriales.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Cette possibilité sera précisée dans la loi organique. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CL396 avis de la commission des Affaires sociales.

M. Olivier Véran, rapporteur pour avis de la commission des Affaires sociales. Comme pour l’exécution des lois de finances, cet amendement vise à permettre l'audition des ministres par la commission des Affaires sociales sur l’exécution du PLFSS. Compte tenu de la structure de la loi de financement, l'exécution est aujourd'hui abordée presque en même temps que le budget suivant. Le Parlement ne dispose pas du temps nécessaire pour donner son quitus sur cette exécution. Vous savez que nous nous livrons à un exercice très intéressant au milieu de l'été, le rapport d’application de la loi de financement de la sécurité sociale – RALFSS. L’idée est de systématiser un temps d’audition des ministres chargés du budget de la sécurité sociale, à l’instar de ce qui se fait aux finances.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Cela va mieux en le disant, et en l’écrivant, pour le coup, dans la Constitution. Avis favorable sur cet amendement utile et cohérent avec ce que nous avons voté pour le PLF.

La Commission adopte l’amendement (amendement  341).

Elle examine l’amendement CL572 de Mme Cécile Untermaier. 

Mme George Pau-Langevin. Il s’agit de rendre obligatoire l’examen conjoint, en tout ou partie, du PLFSS et du PLF.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l’amendement.

Elle adopte ensuite l’amendement rédactionnel CL1520 du rapporteur général (amendement  342).

Puis elle adopte l’article 7 modifié.

Après l’article 7

[Après l’article 47-1 de la Constitution]

La Commission est saisie des amendements identiques CL463 de Mme Cécile Untermaier et CL523 de M. Charles de Courson.

M. Philippe Gosselin, président. La particularité de ces amendements est d’être privés de leur article support, l’article 2.

Mme George Pau-Langevin. Cet amendement prévoit une procédure inspirée de celle prévue à l’article 47-1 de la Constitution pour les lois de financement de la sécurité sociale. Nous proposons un examen conjoint, en tout ou partie, non seulement du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale, mais aussi du projet de loi de financement des collectivités territoriales.

M. Jean-René Cazeneuve. Cet amendement prévoit une nouvelle catégorie de loi de financement, la loi de financement des collectivités territoriales. N’ayant pu intervenir lors de l’examen de l’article 2, je souhaite rappeler l’importance des enjeux : 100 milliards de dotations, 230 milliards de dépenses, plus de 50 % des investissements publics réalisés par les collectivités territoriales. On observe un éparpillement des dispositifs financiers, ce qui nuit à la cohérence, à la visibilité et à la sincérité de la discussion. Il nous paraît aujourd'hui essentiel de rassembler l'ensemble de ces discussions. La mission « Relations avec les collectivités territoriales » – RCT –, qui se rapproche le plus de cet objet, ne concerne que 3 % des dotations faites aux collectivités territoriales.

La situation n’est pas satisfaisante. L’idée est de discuter, en cohérence avec le PLF, mais de manière tout à fait indépendante.

Enfin, cette année encore, la Cour des comptes a recommandé dans le rapport qu’elle vient de présenter la création d’un projet de loi de financement des collectivités territoriales.

M. Marc Fesneau, rapporteur. C’est un débat qui revient à chaque fois que l’on parle de la Constitution. À l'heure où l’on essaie de rationaliser la procédure budgétaire, dans son temps et dans son organisation avec les outils d’évaluation, la création d’un projet de loi de financement des collectivités locales créerait un risque d’éparpillement du PLF lui-même.

Prenons l’exemple de la taxe d’habitation : serait-elle examinée dans le cadre du PLF ou dans celui du projet de loi de financement des collectivités locales ? Il y a quand même une cohérence dans le PLF. Cela n'empêche pas que nous réfléchissions, d’ici à la séance ou lors de la navette de la loi organique, sur la façon dont nous pourrions mieux identifier les collectivités locales et leurs moyens dans le PLF.

Enfin, il me semble difficile d’articuler, ou de coordonner, l’examen de trois textes financiers. Avis défavorable.

M. Michel Castellani. Nous sommes très réservés sur la possibilité d’une mise sous tutelle des collectivités. Les collectivités doivent pouvoir s'exprimer sur le plan budgétaire et fiscal, comme dans d'autres domaines. Par contre, nous sommes favorables à un contrôle de légalité très strict des opérations budgétaires des collectivités.

M. Olivier Marleix. Depuis quelques années, les collectivités locales sont confrontées à un jeu de l'État sur leurs recettes, sur leurs dépenses aussi d’ailleurs, qui crée une grande incertitude. Nous ne respectons sans doute plus vraiment l'esprit de ce que nous avions inscrit il y a quelques années à l’article 1er de la Constitution, « son organisation est décentralisée ». Chaque année, les collectivités attendent la loi de finances pour savoir à quelle sauce l'État les mangera. Comme l’a rappelé notre collègue, la mission RCT représente très peu par rapport aux dizaines de milliards d’euros reversés aux collectivités locales, lesquelles réalisent par ailleurs 70 % de l'investissement public dans notre pays. Si le Gouvernement prenait l’engagement, par exemple, d’une loi d'orientation spécifique sur les finances locales, cela permettrait de rétablir le lien de confiance avec les collectivités territoriales.

M. Jean-René Cazeneuve. L’idée n’est pas de rajouter du temps contraint, mais de réorganiser les discussions. Compte tenu des enjeux, il ne s’agit pas d’une mesure seulement symbolique.

La Commission rejette ces amendements.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CL594 de M. Charles de Courson et CL1114 de M. Michel Castellani. 

M. Philippe Dunoyer. Par cet amendement, qui vise à insérer un article 47-1-1 après l’article 47-1 de la Constitution, nous proposons deux modifications auxquelles, j’en suis persuadé, la majorité ne pourra que souscrire.

Le premier alinéa de cet article vise à tirer les conséquences de l’article 24. S’agissant du vote des lois de finances ou de lois de financement de la sécurité sociale, ce principe n'est précisé nulle part et il s'agit de l'affirmer dans notre loi fondamentale.

Par ailleurs, nous proposons d’inscrire, au deuxième alinéa de cet article, une demande ancienne : « L'Assemblée nationale et le Sénat mettent en place, au printemps, une procédure de contrôle budgétaire et d’évaluation des politiques publiques, qui intervient avant l'examen du projet de loi de règlement, dans un délai de quinze jours. » C’est une nouvelle tâche qui nous attend. La journée ou la demi-journée que nous y consacrions, ne représentait quasiment rien. Cet amendement nous permet d’inscrire dans le marbre de la Constitution le printemps de l’évaluation.

M. Michel Castellani. Nous soutenons l'idée que l'Assemblée nationale contrôle l'exécution des crédits des lois de finances et évalue l'efficience des politiques publiques, donc l'orientation des finances publiques. Cela suppose de doter le Parlement des capacités d'expertise nécessaires, sur lesquelles nous reviendrons. Il est essentiel, au vu de l’état des finances publiques et de la dégradation de la vie sociale, que le Parlement mène une réflexion sur le rapport coût/efficacité des politiques publiques.

M. Marc Fesneau, rapporteur. La première modification ne me semble pas utile, car cela relève de la loi organique et, pour ce qui est du contrôle et de l’évaluation, de l’article 24 de la Constitution.

Même si toutes les saisons ont leur charme, je ne suis pas sûr que parler de « printemps » de l’évaluation soit de niveau constitutionnel. Avis défavorable.

M. Philippe Dunoyer. Je l’ai dit moi-même, l'article 24 le prévoit déjà. Cela n’a pas empêché le constituant de prévoir également, à l’article 47-2, que la Cour des comptes assiste le Parlement dans le cadre du contrôle et de l'évaluation. Ce principe étant rappelé à la fois pour sa valeur générale et, in fine, pour l'assistance de la Cour des comptes, il est tout de même étonnant que le Parlement lui-même ne soit pas conforté dans l’évaluation de ces deux textes.

Pour ce qui est du « printemps », la précision n’a peut-être pas une valeur constitutionnelle, mais le deuxième alinéa a une portée plus générale. Je regrette cette réponse car je crois que nous aurions tout à gagner à inscrire dans la loi fondamentale la faculté pour notre Parlement, de procéder à cette évaluation – quelle que soit la saison !

La Commission rejette successivement les amendements.

[Article 47-2 de la Constitution]

La Commission examine l’amendement CL985 de M. Sébastien Jumel.

Mme Huguette Bello. Il est défendu.

M. Marc Fesneau, rapporteur. En 2008, les dispositions sur la Cour des comptes ont été transférées de l'article 47 au nouvel article 47-2 de la Constitution. Pourquoi revenir en arrière ? D'autres amendements entendent au contraire renforcer les missions de la Cour. Je propose d'en rester à la rédaction de 2008. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CL956 de M. André Chassaigne et CL902 de M. Sacha Houlié.

Mme Huguette Bello. L’amendement CL956 est défendu.

M. Sacha Houlié. Notre collègue Dunoyer, dans une référence à Vivaldi, a souhaité que le Parlement puisse s’adosser sur l’expertise, ou du moins profiter de l'accompagnement de la Cour des comptes. C'est l'objet même de cet amendement, qui vise à permettre aux parlementaires de se référer à l'expertise de la Cour des comptes dans le cadre de l'évaluation des politiques publiques.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Vous proposez de « réserver » au Parlement l'assistance de la Cour des comptes pour l'évaluation des politiques publiques. À l'heure actuelle, la Cour assiste déjà étroitement le Parlement, au travers de rapports publics qu’elle lui remet et de travaux d'enquête qu'elle réalise pour son compte. En sens inverse, la Cour assiste aussi l'État, ne serait-ce que pour la certification de ses comptes. Je propose que l'on s’en tienne à une certaine équidistance. Nous pourrions, d’ici à la séance, travailler à un parallélisme entre la relation entre le Parlement et la Cour des comptes et celle que le Gouvernement entretient avec le Conseil d'État.

Les deux sont des juridictions. Le Conseil d'État est le conseil du Gouvernement, lequel peut également solliciter la Cour des comptes. Il nous faut regarder quelles peuvent être les modalités de travail avec la Cour des comptes, pour qu’elle concoure plus activement encore qu'elle ne le fait aujourd'hui à notre travail de contrôle et d'évaluation.

Mais « réserver » au Parlement cette expertise me paraît imposer une forme d'exclusivité : le Parlement aurait ainsi le monopole du conseil de la Cour. Il nous faut trouver une formulation d'ici à la séance qui permette de reprendre cette idée, mais dans des termes plus nuancés. Il s’agit d’indiquer que le Parlement et la Cour des comptes marchent ensemble, si je puis dire, pour bien contrôler et évaluer les politiques du Gouvernement. Je vous propose de retirer ces amendements.

M. Sacha Houlié. Par cette volonté d'exclusivité, j’ai montré sans doute un appétit trop féroce. Il convient de partager l’outil que représente la Cour des comptes et privilégier cette notion d'équidistance : je retire mon amendement.

L’amendement est retiré.

M. Olivier Marleix. Je ne suis pas spécialiste du code des juridictions financières, mais il me semble que la Cour des comptes peut répondre, de façon souvent très éclairante, à des commandes de l'État sur de grandes politiques publiques, partagées, de fait, ou déléguées aux collectivités locales. Il faut, de toute évidence, qu’elle puisse continuer à assumer cette mission.

Surtout, il ne faudrait pas que cet amendement conduise à une mise sous tutelle de la Cour des comptes. Celle-ci mène en propre, et de façon annuelle, l’évaluation des politiques publiques, en examinant l’exécution budgétaire et le bon usage des deniers publics, ce qui permet d'éclairer le débat public. Il ne faudrait pas qu'à l'avenir, j’espère que ce n’est pas là l’intention cachée de cet amendement, on en arrive à un système où la Cour des comptes ne regarderait que ce que la majorité parlementaire lui demanderait de regarder. C’est sans doute une vision cauchemardesque dont je vous fais part, ce dont je vous prie de m’excuser, mais il ne serait pas inutile que vous précisiez vos intentions sur ce projet.

La Commission rejette l’amendement CL956.

Elle examine les amendements identiques CL464 de Mme Cécile Untermaier et CL524 de M. Charles de Courson.

Mme George Pau-Langevin. Cet amendement, qui proposait d'étendre la mission d'assistance du Parlement par la Cour des comptes au contrôle de l'application des lois de financement des collectivités territoriales, est désormais hors de propos.

M. Jean-René Cazeneuve. L’amendement CL524 est défendu.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette ces amendements.

La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL825 de M. Jean-Christophe Lagarde et CL1117 de M. Michel Castellani.

M. Philippe Dunoyer. Cet amendement ne prévoit pas de restreindre, mais au contraire d’étendre la saisine de la Cour des comptes aux présidents des deux assemblées et aux présidents de groupe parlementaire. La Cour pourrait ainsi assister de manière objective et transpartisane le Parlement, ainsi que le proposait Sacha Houlié dans l’amendement qu’il a retiré. Il est de notoriété publique que ce concours est plus difficile à obtenir lorsqu’il est demandé par des parlementaires, quelle que soit la taille de leur groupe, que lorsqu’il est demandé par le Gouvernement, qui, pourtant fait lui-même l’objet d’un contrôle des Sages.

M. Michel Castellani. J’ai le sentiment que le débat est déjà clos avant même d’avoir été ouvert… Nous proposons que le Conseil d'État et la Cour des comptes soient mis à la disposition du Parlement pour l'obtention de moyens en expertise et en contre-expertise. Il conviendrait de faciliter l'accès du Parlement à l'expertise afin d'accroître l'efficacité et la stabilité de la production législative.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Monsieur Dunoyer, vous proposez d'étendre aux présidents de groupe la faculté de saisine de la Cour des comptes. Nous n'y sommes pas favorables pour plusieurs raisons : d'abord, ce n'est pas de niveau constitutionnel ; ensuite, si chaque président de groupe peut saisir la Cour sans filtre ni contrôle, il y a objectivement un risque d'instrumentalisation de celle-ci ; enfin, il faut limiter la multiplicité des auteurs de saisine, si l’on veut dialoguer avec la Cour et qu'elle puisse bâtir un programme de contrôle. Avis défavorable.

Avis défavorable également sur l’amendement de M. Castellani, pour les mêmes arguments que ceux qu’a développés Richard Ferrand sur les rôles respectifs du Conseil d'État et de la Cour des comptes.

M. Philippe Dunoyer. Vous avez expliqué tout à l’heure qu’il ne fallait pas voir malice dans les modifications suggérées par le Gouvernement, mais il ne faut pas systématiquement voir malice dans nos amendements. Vous avez sous-entendu que, potentiellement, de manière exagérée ou risquée, les groupes minoritaires ou d'opposition auraient tendance à saisir la Cour afin de bloquer l'action du Gouvernement. Ce n’est pas du tout notre intention.

Par ailleurs, cet amendement n’est peut-être pas de nature constitutionnelle, mais il ne faut pas lui faire dire ce qu’il ne peut pas dire : la Constitution n'ayant pas vocation à tout prévoir, il induit qu’une loi organique ou ordinaire vienne expliciter le droit qu’il introduit.

La Commission rejette successivement les amendements.

Elle examine l’amendement CL481 de Mme Cécile Untermaier.

Mme George Pau-Langevin. Pour mieux légiférer, nous estimons qu’il serait utile que les groupes parlementaires puissent bénéficier d'une assistance de la Cour des comptes, donc puissent demander son avis lors de l'examen des projets de loi.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Avis défavorable, car ce n'est pas le métier de la Cour que d’expertiser les projets de loi.

La Commission rejette l’amendement.

La Commission examine l’amendement CL1115 de M. Michel Castellani.

M. Michel Castellani. L’article 47-2 de la Constitution stipule que la Cour des comptes assiste le Parlement aussi bien dans le contrôle de l’action du Gouvernement que dans le contrôle de l’exécution des lois de finances ou de l’évaluation des politiques publiques. Pour assurer l’effectivité du travail parlementaire et des missions de contrôle et d’évaluation, il convient que les parlementaires puissent disposer aussi des avis du Conseil d’État sur les projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Considérer que le débat parlementaire devrait se « cranter » sur les avis du Conseil d’État relève d’une conception bonapartiste. Comme je sais que vous êtes très éloigné de cette conception, je suggère de ne pas donner suite à cette proposition : le Conseil d’État agit en tant que conseil du Gouvernement, auquel il appartient ensuite de mettre sur la table ses intentions, puis il revient au Parlement d’en débattre. Je ne crois pas que le débat public en France doive être organisé autour d’avis d’organismes extérieurs, qui ne portent pas de responsabilités politiques. Défavorable.

M. Michel Castallani. Je respecte infiniment ce propos, monsieur le rapporteur général, mais il me semble utile que les parlementaires puissent avoir accès à de tels documents. Cela se discute même si, je le reconnais, ce n’est pas un élément essentiel du débat.

La Commission rejette l’amendement.

[Après l’article 47-2 de la Constitution]

La Commission examine l’amendement CL1107 de M. Michel Castellani.

M. Michel Castellani. Je propose que le Parlement se dote d’un office parlementaire d’évaluation et de contrôle des politiques publiques. Je n’y reviens pas mais il est nécessaire que notre Parlement dispose de moyens d’expertise – peut-être est-ce plus particulièrement le membre de la commission des Finances que je suis qui s’exprime ainsi, mais c’est aussi une préoccupation de citoyen. Quand on sait ce que représentent les dépenses publiques rapportées au produit intérieur brut (PIB) et l’ampleur des déséquilibres budgétaires, comment ne pas trouver que doter le Parlement de moyens d’enquête et d’évaluation serait une bonne chose ?

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Je suis défavorable à cet amendement. Il n’a pas été nécessaire de réviser la Constitution pour créer le comité d’évaluation et de contrôle. Une telle mesure ne relève pas de la Constitution. Vous-même écrivez, cher collègue, dans l’exposé sommaire de votre amendement, que la création de l’office que vous appelez de vos vœux « pourra prendre la forme d’un nouvel article de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 sur le fonctionnement des assemblées parlementaires ». C’est parce que vous avez raison que je suis défavorable à cet amendement, cher collègue.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle se saisit de l’amendement CL421 de Mme Cécile Untermaier.

Mme George Pau-Langevin. Il s’agit de procéder à un rééquilibrage entre l’exécutif et le Parlement, qui dispose de moyens bien moins importants. Nous souhaiterions que les administrations puissent épauler le Parlement dans l’évaluation des politiques menées. Bien entendu, le comité d’évaluation et de contrôle de l’Assemblée nationale fait un bon travail, mais il n’a évidemment pas les moyens d’une administration.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Je suis défavorable à cet amendement, pour les raisons évoquées à l’instant.

M. Sacha Houlié. Nous avons eu ce débat hier. Il ne s’agit pas forcément de créer un organe constitutionnel, et les pratiques sont différentes entre l’Assemblée nationale, qui souhaite une gestion en régie, et le Sénat, qui souhaite plutôt déléguer, voire recourir à des organismes extérieurs. Nous avons déposé un amendement portant additionnel après l’article 9 qui renvoie à une loi organique le soin de régler cette question.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL1347 de M. Jean-Noël Barrot.

Mme Isabelle Florennes. Cet amendement, qui va dans le même sens que les précédents, tient à cœur à notre collègue Jean-Noël Barrot, qui a notamment travaillé sur les questions d’évaluation et de contrôle. Il vise à conforter Parlement dans les missions que lui confère l’article 24 de la Constitution. En particulier, il a pour objet de sécuriser la capacité d’un organe d’étude, d’analyse et d’évaluation propre au Parlement d’accéder aux données nécessaires pour accomplir ses missions.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Ce sont là d’excellentes idées, mais les dispositions qu’elles justifieraient ne sont pas de rang constitutionnel. L’accès aux données, le secret sont des matières législatives ordinaires, qui peuvent parfaitement justifier de prochaines propositions de loi de votre groupe, chère collègue. Je suis donc défavorable à cet amendement.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle suspend ses travaux de seize heures trente à seize heures quarante.

Présidence de Mme Naïma Moutchou

Mme Naïma Moutchou, présidente. Mes chers collègues, c’est avec un immense plaisir que je m’apprête à présider la suite de nos travaux.

Article additionnel après l’article 7
(art. 48 de la Constitution)
Transmission d’un programme législatif prévisionnel

La Commission examine, en discussion commune, les amendements identiques CL1512 du rapporteur général et CL873 de M. Sacha Houlié et les amendements CL1329 de Mme Marielle de Sarnez, CL899 de Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe, CL782 de M. Jean-Christophe Lagarde, CL97 de M. Jean-François Eliaou, CL1328 de Mme Isabelle Florennes et CL422 de Mme Cécile Untermaier.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Chers collègues, vos rapporteurs vous proposent d’introduire dans la Constitution l’obligation pour le Gouvernement d’adresser à chaque assemblée un programme prévisionnel non contraignant des textes et débats dont il envisage l’inscription lors du jour. Seraient transmis, six mois à l’avance, des orientations de travail, et, tous les trois mois, un calendrier plus précis. Cela garantirait une visibilité dans l’organisation de nos travaux et permettrait, y compris au Gouvernement, d’anticiper. J’ai la conviction que cet amendement donne satisfaction aux autres amendements en discussion commune. Ils pourraient donc être utilement retirés, d’autant qu’il répond à une demande formulée par nos collègues de tous les groupes.

Avec plus de visibilité, plus d’anticipations, une meilleure méthode de travail, les droits du Parlement se trouveraient renforcés et les rapports avec le Gouvernement en seraient rééquilibrés.

M. Sacha Houlié. L’amendement CL873, identique à celui de nos rapporteurs, vise à tordre le cou, une nouvelle fois, au procès qui nous est fait de vouloir affaiblir les droits du Parlement. En l’occurrence, il s’agit au contraire de conforter le Parlement en l’informant à l’avance de son ordre du jour, sous la forme de grandes orientations à six mois et d’un programme législatif plus détaillé à trois mois. Ainsi le Parlement ne se retrouverait plus à devoir ramasser les pots cassés et gérer les travers de l’ordre du jour tel que nous le connaissons actuellement, et pourrait s’organiser en fonction des textes inscrits à son agenda. Je vous invite à adopter ces très utiles amendements identiques.

Mme Isabelle Florennes. L’amendement CL1329, auquel Mme de Sarnez tient particulièrement, est quasiment identique à ceux qui viennent d’être défendus. Prévisibilité et anticipation sont tout à fait nécessaires et importantes pour notre travail parlementaire. La lisibilité de nos travaux à l’extérieur de notre institution, pour nos concitoyens, nous semble également essentielle.

Mme Coralie Dubost. L’amendement CL899 est défendu.

M. Philippe Dunoyer. Effectivement, l’amendement présenté par le rapporteur général va plus loin encore que l’amendement CL782 déposé par le président Lagarde et le groupe UDI, Agir et Indépendants pour améliorer l’information, la prévisibilité, le calendrier et la gestion du temps. Ce sont là des objectifs partagés, mais, si vous me permettez des considérations plus personnelles, cette visibilité à trois ou six mois est particulièrement importante pour Mme Sage, M. Sanquer, M. Gomès et moi-même, qui venons de circonscriptions peut-être un peu plus éloignées que d’autres.

Nous retirons l’amendement CL782.

M. Jean-François Eliaou. J’ajoute simplement que cette visibilité permettra un meilleur travail en amont sur les projets de loi. Je retire l’amendement CL97.

M. Erwan Balanant. Merci, monsieur le rapporteur général, pour cet amendement CL1512, qui va effectivement dans le même sens que notre amendement CL1328. Je l’ai constaté au cours de cette première année de la législature : quand nous avons le temps de travailler sur un texte et que nous sommes prévenus de son examen, nous faisons du meilleur travail. C’est ce que nous permettra le calendrier que vous proposez de demander au Gouvernement.

Et, puisqu’on entend beaucoup dire que cette révision constitutionnelle affaiblirait les pouvoirs du Parlement, voilà une mesure qui lui donne du pouvoir. La prévisibilité permet effectivement à chacun, y compris à l’opposition, de préparer ses arguments.

Notre amendement CL1328 étant satisfait par celui que vient de défendre le rapporteur général, nous le retirons.

Mme George Pau-Langevin. Notre amendement CL422 s’inscrit dans le débat actuel sur la nécessité de mieux organiser le travail du Parlement et de mieux anticiper. Nous souhaitons que le Gouvernement présente au Parlement un calendrier et que celui-ci soit soumis à un vote.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Chers collègues, je vous remercie des propos que vous venez de tenir. Je crois effectivement que l’amendement CL1512 répond à certaines préoccupations qu’expriment bien les nombreux amendements en discussion commune et qui avaient également été exprimées par les députés de toutes sensibilités membres des groupes de travail dont l’objet était d’améliorer notre procédure. Il vise à parvenir à une meilleure prévisibilité de nos travaux, à six mois et à trois mois.

Nous avons cependant un point de désaccord avec Mme Pau-Langevin : dans notre esprit, il ne peut s’agir que d’une information. En vertu de la séparation des pouvoirs, c’est bien au Gouvernement de décider de son programme ; nous ne nous soucions que de sa prévisibilité. Je suis donc défavorable à cet amendement CL422, qui romprait profondément avec l’esprit de la Constitution de 1958, et je demande le retrait des autres amendements, satisfaits par l’amendement CL1512.

M. Olivier Marleix. Je suis plutôt tenté de saluer l’amendement des rapporteurs, qui part d’une belle intention – informer le Parlement –, mais je m’interroge un peu sur la valeur de ce cadeau et, disons-le clairement, sur sa cohérence avec les articles 8 et 9 de ce projet de loi constitutionnelle qui, pour leur part, renforcent très sensiblement le droit de priorité du Gouvernement : d’un côté, on s’engage à informer à l’avance, mais de l’autre, on se donne un droit d’urgence et d’inscription prioritaire notablement accru… Tout cela ne me paraît pas totalement convaincant ; en tout cas, l’amendement CL1512 ne compense pas le tort qui sera fait au Parlement par les articles 8 et 9.

M. Sacha Houlié. Vous anticipez, cher collègue Marleix, mais à chaque article son rééquilibrage ! Nous examinons pour l’heure le rééquilibrage que nous proposons pour l’article 7. À l’article 8, nous vous proposerons de limiter le droit de priorité du Gouvernement à deux textes par session. À l’article 9, nous proposerons de réserver la semaine de contrôle au seul examen des textes d’initiative parlementaire. C’est là un tout, et nous faisons notre travail de parlementaire en équilibrant cette réforme constitutionnelle et, finalement, en confortant le rôle du Parlement. C’est pourquoi je vous invite à voter d’abord cette première des trois étapes que je viens de décrire.

Les amendements CL782, CL97 et CL1328 sont retirés.

La Commission adopte les amendements identiques CL1512 et CL873 (amendement  343).

En conséquence, les amendements CL1329, CL899 et CL422 tombent.

Après l’article 7 (suite)

La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL986 de M. Sébastien Jumel et CL1531 de Mme Isabelle Florennes.

Mme Huguette Bello. L’amendement CL986 tend à rééquilibrer les pouvoirs et à renforcer la maîtrise par le Parlement de son ordre du jour : une seule semaine sur quatre serait réservée par priorité au Gouvernement

Mme Isabelle Florennes. Par l’amendement CL1531, nous vous proposons pour notre part de réorganiser le cycle du travail parlementaire sur cinq semaines : trois semaines réservées à l’ordre du jour du Gouvernement ; une semaine consacrée aux missions de contrôle du Parlement et aux textes d’initiative parlementaire ; une semaine sans siéger, que les parlementaires consacreraient à leurs obligations de terrain.

Cet amendement vise donc à modifier l’article 48 de la Constitution, mais c’est plutôt un amendement d’appel, que je soumets à votre réflexion.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Chère collègue Isabelle Florennes, je ne suis pas hostile, loin de là, à une réflexion sur ces modalités d’organisation, ne serait-ce que parce que l’imprévisibilité de nos agendas rend difficile le contact avec les habitants de nos circonscriptions et ne nous permet pas de nous investir convenablement dans toutes nos tâches ni à nos groupes de produire des propositions à un rythme satisfaisant. Il faut impérativement desserrer l’ordre du jour prioritaire du Gouvernement. Ensuite se pose la question d’une semaine d’interruption des séances.

Cela étant, si nous en faisons une règle constitutionnelle, elle ne pourra que s’appliquer aux deux chambres, ce qui suppose une concertation avec le Sénat. Par conséquent, il faut convenir entre nous de notre détermination à arrêter un séquençage clair des périodes de travail sur le terrain ou à l’Assemblée et fixer les modalités d’une concertation qui puisse aboutir à un résultat accepté tant par le Gouvernement que par nos collègues du Sénat.

À la faveur de cet engagement formel, je vous invite, chère collègue, à retirer l’amendement CL1531, afin de nous saisir à nouveau de cette question en séance.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Le calendrier parlementaire a nourri nombre de conversations entre vos rapporteurs, chers collègues. Sans doute est-ce le débat central de cette révision constitutionnelle si nous voulons améliorer nos processus d’élaboration de la loi et d’évaluation et de contrôle. De nombreux travaux ont été réalisés par les différents groupes de travail mis en place à l’Assemblée nationale.

La proposition d’un cycle de cinq semaines, organisé selon un découpage « 3-1-1 », est intéressante, notamment avec cette semaine « hors les murs » – on ne répétera jamais assez que le travail parlementaire ne se résume pas au temps passé à Paris, dans l’hémicycle ou en commission. Le principe est intéressant, mais il nous faut tout d’abord voir comment tout cela peut s’emboîter – les questions liées au calendrier sont nombreuses – et de trouver un terrain d’atterrissage qui répondrait au souci, que nous partageons tous, d’avoir un calendrier aux contours mieux dessinés, moins serré et qui permettrait d’alterner les différents moments de la vie du parlementaire.

À ce stade, nous demandons le retrait de l’amendement CL1531, à la faveur de notre engagement d’examiner, d’ici à la séance publique, les modalités selon lesquelles nous pouvons parvenir à ce meilleur séquençage de nos travaux sur un pas de temps de quatre ou cinq semaines.

Mme Isabelle Florennes. Notre groupe, qui mène depuis déjà un certain temps une réflexion sur le calendrier parlementaire, appréciera votre réponse et mes collègues seront d’accord pour travailler avec le Gouvernement sur cette question. Comme vous le rappelez, monsieur le rapporteur, il s’agit d’un élément central de cette révision constitutionnelle, mais nous retirons bien volontiers notre amendement en vue d’une discussion prochaine.

M. Michel Castellani. Je remercie mes collègues d’avoir déposé ces amendements et les deux rapporteurs pour votre contribution. Sans doute tout le monde aura-t-il fait le même constat : en circonscription, la demande de contact avec le député est très forte. Les contraintes et le stress du travail, certes utile, que nous accomplissons à l’Assemblée nationale même nous laissent donc quelque regret car nous ne pouvons, dans le même temps, répondre aux demandes qui s’expriment en circonscription. Une telle réflexion en vue d’une amodiation de notre rythme de travail doit donc être saluée.

Mme Marie Guévenoux. Je m’associe aux remerciements adressés par mes collègues aux rapporteurs. Nous voyons bien, depuis le début de ces débats, à quel point l’organisation et la prévisibilité de nos travaux sont cruciales, ne serait-ce que pour prévoir dans nos agendas quand nous pouvons être en circonscription ou travailler en dehors de la séance, et quand la discussion des textes requiert notre présence au Palais-Bourbon. C’est extrêmement important, et si nous pouvons à un résultat d’ici à la séance, je m’en féliciterai. Mieux informé des sujets et des textes sur lesquels nous devrons travailler et mieux organisé, le Parlement sera plus efficace et pourra mieux répondre aux exigences des Français.

M. Jean-François Eliaou. Je suis bien entendu tout à fait d’accord avec ce qui vient d’être dit. Un seul petit point me gêne : il ne faudrait pas que la définition des semaines « hors les murs » soit trop rigide. Compte tenu de notre charge de travail, réserver précisément toutes ces semaines à la présence en circonscription pourrait poser problème.

L’amendement CL1531 est retiré.

La Commission rejette l’amendement CL986.

Article 8
(art. 48 de la Constitution)
Conditions d’inscription prioritaire à l’ordre du jour des assemblées parlementaires

La Commission examine les amendements identiques CL96 de M. Jean-François Eliaou, CL217 de M. Philippe Gosselin, CL450 de Mme Cécile Untermaier, CL612 de Mme Maina Sage, CL771 de M. François Ruffin, CL957 de M. André Chassaigne, CL1108 de M. Michel Castellani et CL1348 de Mme Isabelle Florennes.

M. Jean-François Eliaou. L’amendement CL96 vise à supprimer l’article 8.

M. Olivier Marleix. L’amendement CL217 a le même objet. Quels que soient les efforts qui déploiera Sacha Houlié pour prouver le contraire, si tant est qu’il puisse prouver quoi que ce soit, cet article 8 marque incontestablement une régression. Vous revenez sur une des avancées majeures de la réforme constitutionnelle proposée par le président Nicolas Sarkozy en 2008, qui avait permis à un véritable partage, équitable, de l’ordre du jour parlementaire, avec deux semaines réservées à l’ordre du jour gouvernemental, une semaine consacrée aux initiatives parlementaires et une semaine au contrôle parlementaire. La majorité veut donner au Gouvernement un « droit de préemption » supplémentaire et élargir considérablement le champ des textes qu’il pourra inscrire de manière prioritaire à l’ordre du jour des assemblées au-delà des deux semaines qui lui sont réservées. Le Conseil d’État a rendu un avis très sévère sur ces dispositions et ne peut que constater la régression que vous proposez, au point qu’il se demande à quoi sert de distinguer encore des semaines de contrôle ou des semaines d’initiative parlementaire. Nous déplorons profondément cet article. Comment pourrait-on le qualifier autrement que d’atteinte au Parlement ?

Atteinte d’autant plus inutile que, neuf fois sur dix, ce sont des textes d’origine gouvernementale que nous examinons. Cette logorrhée législative que l’on reproche si injustement aux parlementaires, qui n’y sont pour rien, est d’origine gouvernementale – reconnaissons, pour être tout à fait honnête, que ce n’est pas le propre de ce gouvernement : tous les gouvernements ont succombé à cette tentation.

La priorité ne devrait plus être la rationalisation du Parlement – il n’y a plus rien à rationaliser au Parlement, nous avons atteint l’âge de raison… En revanche, il serait temps de rationaliser la technostructure qui nous gouverne et qui inspire les gouvernements successifs.

Mme George Pau-Langevin. Nous demandons, avec l’amendement CL450, la suppression de cet article qui nous semble de nature à rabaisser le Parlement en organisant une nouvelle régression de ses droits, puisqu’il permettrait au Gouvernement de déroger à la répartition de l’ordre du jour prévue à l’article 48 de la Constitution en déclarant prioritaires certains textes. Cela nous semble contrevenir au travail que nous menons depuis de longues années pour donner au Parlement une plus grande maîtrise de son ordre du jour.

M. Philippe Dunoyer. L’amendement CL612, dont Mme Sage est la première signataire, vise également à supprimer l’article 8.

Alors que nous sommes parvenus, de manière tout à fait consensuelle, à un équilibre à l’article précédent, celui-ci introduit un déséquilibre par ailleurs susceptible de nuire à cette plus grande prévisibilité de nos travaux que nous évoquions à l’instant. « Par priorité », cela signifie dans l’urgence, sans que ce soit aucunement prévu – et alors que le verrou de la semaine de contrôle sera lui-même supprimé.

L’inscription par priorité est par nature exceptionnelle, exorbitante du droit commun. Elle se justifie dans le cas d’un projet de loi de finances, d’un projet de loi de financement de la sécurité sociale, d’une déclaration de guerre ou de la prolongation d’une situation de guerre, mais le champ visé par l’article 8 est beaucoup trop large : la totalité de la politique économique et sociale, mais également de la politique environnementale – que l’on nous annonce riche et dense – est susceptible de faire l’objet d’une demande d’inscription prioritaire. Si nous allons dans le sens d’un meilleur équilibre et d’une organisation plus prévisible du temps parlementaire, ce ne sera pas grâce à cet article 8.

Mme Clémentine Autain. Nous voulons également, par l’amendement CL771, supprimer un article 8 à nos yeux particulièrement dangereux et empêcher le Gouvernement de renforcer son emprise sur un ordre du jour qu’il détermine déjà de manière excessive, empêcher l’exécutif d’avoir encore plus de pouvoir sur le législatif. Avec cet article 8, tout projet de loi qui semble prioritaire au Gouvernement pourra, à sa demande, être inscrit à l’ordre du jour par priorité.

Il s’agit, à notre sens, d’une double négation particulièrement grave.

Premièrement, une négation de la fonction législative du Parlement. Nous le voyons depuis un an et la tendance s’aggrave : l’ordre du jour du Parlement est décidé par le Gouvernement, qui impose un rythme très soutenu. Si l’ordre du jour est encore plus grandement décidé par l’exécutif, l’emprise de celui-ci sur la vie même de notre assemblée s’en trouvera accrue.

Deuxièmement, une négation de la fonction législative du Parlement, ce qui revient à nier l’existence de l’opposition et son utilité démocratique. En effet, il reste quand même un lieu de confrontation politique et de vitalité démocratique : la Conférence des présidents au cours de laquelle on peut discuter de cet ordre du jour. Avec cet article 8, cet espace sera réduit à la portion congrue.

Cette question de l’ordre du jour arrivant après d’autres, à la veille du Congrès de Versailles et de la réduction annoncée du nombre de parlementaires, tout porte à croire que l’exécutif veut un Parlement aux ordres, et que le Sénat et l’Assemblée nationale finiront par devenir de pures chambres d’enregistrement, qui n’examineront, par exemple avec ces commissions d’évaluation des politiques publiques, que de menus détails, et ne serviront plus à faire vivre la démocratie.

Je conclus en citant l’avis du Conseil d’État lui-même : « il s’agit là d’un élargissement considérable du champ des textes susceptibles d’être inscrits à l’ordre du jour par priorité ».

Mme Huguette Bello. En effet, comme le souligne le Conseil d’État dans son avis du 9 mai 2018, l’article 8 élargit considérablement le champ des textes susceptibles d’être inscrits à l’ordre du jour par priorité.

Au contraire de ce qui est actuellement prévu au troisième alinéa de l’article 48 de la Constitution, le caractère prioritaire des nouveaux textes résultera moins de leur objet que du choix du Gouvernement et le nombre de textes pouvant être ainsi déclaré prioritaires ne sera pas limité. La modification qui est l’objet de cet article 8 donne au Gouvernement la mainmise sur l’ordre du jour du Parlement : l’ordre du jour de l’assemblée sera quasi exclusivement entre les mains du Gouvernement qui se verra ainsi reconnaître un pouvoir que n’équilibre aucun contre-pouvoir réel.

Telle est la raison pour laquelle nous demandons, par l’amendement CL957, la suppression de cet article.

M. Michel Castellani. Je ne répéterai pas les considérations développées par mes collègues, auxquelles je souscris. Cet article 8 tend à un recul du pouvoir du Parlement, dans sa fonction législative et dans sa fonction de contrôle, et, parallèlement, à un renforcement du pouvoir du Gouvernement qui accroît son emprise sur l’ordre du jour. Voilà pourquoi j’en propose, par mon amendement CL1108, la suppression.

Mme Isabelle Florennes. Pour les mêmes raisons que celles que viennent de développer nos collègues, le groupe du Mouvement Démocrate et apparentés a déposé un amendement de suppression CL1348. L’article 8, tel qu’il est rédigé, donnerait au Gouvernement une maîtrise quasi totale de l’ordre du jour, ce qui marquerait, selon nous, une régression des droits du Parlement et des parlementaires.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. C’est donc un consensus assez large, quoique minoritaire, qui s’est formé pour proposer la suppression de l’article 8 du projet de loi constitutionnelle. Cet article permettrait au Gouvernement d’inscrire à l’ordre du jour des assemblées parlementaires certains textes qu’il déclare prioritaires, par dérogation à l’organisation qui réserve aujourd’hui, sur quatre semaines, une semaine à l’initiative parlementaire et une semaine aux travaux de contrôle du Parlement.

Comme le faisait observer tout à l’heure M. Marleix, lorsque, en Conférence des présidents, nous concédons au Gouvernement le droit d’empiéter sur la semaine parlementaire, il s’agit bien d’une concession. Cela signifie que la majorité de l’Assemblée nationale en est d’accord. Ce n’est donc pas un acte de domination, mais un acte de consentement – je tenais déjà à remettre cette pendule à l’heure.

Par ailleurs, l’article 8 reconnaît aux Conférences des présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat un pouvoir d’opposition conjointe. Je précise ce fait qu’il faut prendre en compte si l’on veut considérer l’article 8 dans sa réalité, ce que personne n’a fait jusqu’à présent.

Au fond, cet article procède du souci de remédier à l’encombrement, voire la thrombose, de l’ordre du jour parlementaire. Deux solutions sont possibles : il pourrait s’agir de créer des passerelles entre les différentes semaines de l’ordre du jour, ce que l’on appelle le fast track, affreux anglicisme que je préférerais traduire par « super-priorité », pour rester à peu près français ; on pourrait aussi procéder à une complète remise à plat de l’article 48, ce qui exigerait une concertation approfondie avec le Sénat et le Gouvernement.

Quoi qu’il en soit, le statu quo n’est plus tenable. Je suis donc opposé à ces amendements de suppression. Nous serons cependant conduits, mes collègues rapporteurs et moi-même, à émettre tout à l’heure un avis favorable à l’amendement CL890, qui limite à deux textes par session la possibilité offerte à l’exécutif de recourir à ce droit de priorité élargi.

En somme, nous rejetons les amendements de suppression tout simplement parce que le droit actuel n’est plus tenable et qu’il faut bien trouver une solution au lieu de continuer à faire comme si tout allait bien, mais nous proposerons de limiter la portée de cet article 8 à deux textes par session.

À la faveur de ces précisions, je vous invite, chers collègues, à rejeter les amendements de suppression.

M. Marc Fesneau, rapporteur. La réponse de notre rapporteur général prouve que nous entendons bien vos objections, chers collègues.

Regardons les choses telles qu’elles sont. La question du calendrier, je ne cesse de le répéter, est une question globale. Les dispositions que nous examinons constitueront précisément un ensemble nous permettant d’atteindre notre objectif : un travail mieux anticipé, un séquençage mieux connu et des travaux d’évaluation et de contrôle plus intéressants. Avec l’ensemble des amendements que nous avons égrenés depuis le début de l’après-midi, nous commençons à voir se dessiner une philosophie de l’action parlementaire.

Actuellement, l’ordre du jour est partagé en deux fois deux semaines, mais, la plupart du temps, ce partage n’est pas respecté – et ce n’est pas là un trait spécifique de cette législature : cela dure depuis des années. Le plus souvent, le temps parlementaire est « écrasé ». Nous voulons rétablir le temps parlementaire et limiter la capacité du gouvernement à l’écraser.

De ce point de vue, l’amendement qu’a évoqué le rapporteur général peut assurer un équilibre. Certes, nous en reparlerons en séance, mais nous envoyons déjà un signal de notre volonté de reprendre la maîtrise d’un calendrier parlementaire dont les majorités précédentes, reconnaissons-le, ne se sont pas vraiment saisies. Nous essayons de le faire en introduisant tous ces dispositifs, qu’il faudra considérer dans leur globalité, en tenant compte également des travaux complémentaires que Richard Ferrand a évoqués et qu’il nous faut poursuivre d’ici à la séance publique.

Pour l’heure, nous vous adressons un signe de notre volonté de reprendre la main sur le temps parlementaire.

M. Jean-François Eliaou. Appréciant effectivement tous ces éléments dans leur globalité, je retire l’amendement CL96. Je vous appelle cependant à la vigilance, chers collègues : il faudra vraiment limiter la possibilité pour le Gouvernement d’exercer ce droit de priorité à deux textes par session. Il y va de la prévisibilité et de la visibilité de nos travaux, de la qualité de la fabrique de la loi et de notre mission d’évaluation.

M. Olivier Marleix. Je n’ai pas bien compris l’argument de M. le rapporteur général, selon qui la situation n’est plus tenable. Ce n’est pas tenu, effectivement…

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Donc ce n’est pas tenable !

M. Olivier Marleix. Si, et c’est justement toute la différence ! Vous-même l’avez précisé : la Conférence des présidents peut effectivement permettre à la majorité de se sacrifier, mais si elle fait ce cadeau ou cette concession à l’exécutif, en raison d’une nécessité urgente, cela fait une immense différence avec l’application d’un droit jupitérien qui s’appliquerait d’office au motif qu’il est inscrit dans la Constitution.

J’ai connu, monsieur Ferrand, une époque où des présidents de groupe majoritaire plaidaient pour la coproduction législative et savaient s’opposer au Gouvernement quand ils trouvaient des textes mal aboutis, mal ficelés, perfectibles. J’ai connu une époque où le Président de l’Assemblée nationale était capable de faire preuve d’autorité face à la majorité.

La majorité aussi peut être utile, peut éclairer le Gouvernement. La majorité n’est pas simplement le cabinet d’audit de la start-up nation, ce à quoi, j’en ai l’impression, vous réduisez le Parlement. C’est regrettable, car la qualité du travail parlementaire s’en ressentira.

Je note le geste de repentance que vous faites en proposant de limiter ce droit de préemption sur le temps parlementaire, mais pourquoi avoir ouvert ce sujet ? C’est regrettable.

Mme George Pau-Langevin. Vous comprendrez, monsieur le rapporteur général, monsieur le rapporteur, que la volonté de la Conférence des présidents, notamment du groupe majoritaire, de s’opposer à celle du Gouvernement nous laisse quelque peu sceptiques.

Nous avons bien vu, au rythme imposé à l’Assemblée ces dernières semaines, que même le président du groupe majoritaire n’avait pas les moyens de s’opposer à la volonté du Gouvernement. Lui permettre encore plus de nous imposer notre ordre du jour, c’est une manière, me semble-t-il, de réduire davantage les pouvoirs du Parlement.

M. Sacha Houlié. J’entends votre scepticisme, chère collègue, d’autant que, députée de la majorité au cours de la législature précédente, vous pouvez avoir quelque expérience de ces pratiques d’inscription à l’ordre du jour…

Mme George Pau-Langevin. Jamais le Parlement n’a siégé ainsi le week-end durant la précédente législature.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Si, à l’occasion de la loi Macron, justement ! Vous vous trompez, madame la ministre.

M. Sacha Houlié. Effectivement !

Cher collègue Marleix, puisque vous avez appelé à rationaliser la technostructure, j’espère que vous apprécierez le programme Action publique 2022, qui vise à dynamiser la fonction publique, mais, par ailleurs, vous comparez le Parlement à un cabinet d’audit… Je ne comprends donc pas très bien où vous voulez en venir, vos propos sont contradictoires.

Quoi qu’il en soit, permettez-nous quand même de ne pas nous cantonner au rôle de bons soldats et de proposer d’atténuer sensiblement la portée de cet article en limitant à un maximum de deux textes par session l’exercice de la possibilité qu’il offre.

Mme Isabelle Florennes. Les réponses des rapporteurs me donnent le sentiment que notre réflexion va dans le bon sens, celui du pragmatisme. Sortons d’un débat politique qui n’a pas lieu d’être. Nous essayons de progresser sur la voie de la rationalisation du travail parlementaire commencée avec de précédentes révisions de la Constitution, notamment celle de 2008. Je reconnais aux rapporteurs qu’ils travaillent effectivement en ce sens et je retire l’amendement CL1348.

M. Philippe Dunoyer. Pour ma part, je ne retirerai pas notre amendement CL612, même si le débat dérive déjà vers l’amendement que notre collègue Houlié nous présentera tout à l’heure. Lorsque vous évoquez, monsieur le rapporteur général, cette sécurité que représenterait le pouvoir d’opposition des Conférences des présidents, je ne suis pas convaincu. À mon tour de faire preuve de scepticisme : je ne suis pas très convaincu de la solidité de ce verrou. Et surtout, je ne comprends pas la suppression, subreptice mais certainement délibérée, des mots « sous réserve des dispositions de l’alinéa suivant » de l’article 48 de la Constitution, qui, eux, apportaient une sécurité dans l’organisation des travaux de l’Assemblée.

Mme Clémentine Autain. Monsieur Ferrand, le verrou dont vous parlez est purement formel dans la mesure où la définition du caractère prioritaire est extrêmement large – social, économie, environnement. D’où notre inquiétude de voir le Parlement de plus en plus marginalisé et l’exécutif prendre la main sur tout. Je partage le sentiment de M. Marleix : le président de l’Assemblée nationale ne nous semble pas défendre véritablement le Parlement face au pouvoir exécutif. Nous savons tous que nous aurons à discuter de la réduction du nombre de parlementaires au mois de septembre. Au total, l’addition nous paraît particulièrement salée ! L’équilibre des pouvoirs avait été remis en cause en 2008, mais dans un sens favorable au Parlement, contrairement à la dégradation opérée par ce texte.

M. Michel Castellani. Je ne suis ni constitutionnaliste ni juriste, mais je sais que l’exercice de la démocratie repose sur un équilibre entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif et que cet équilibre doit être respecté.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Voter une telle disposition n’en fait pas un droit jupitérien, mais un droit constitutionnel. Il serait bon de nommer les choses convenablement…

Par ailleurs, je conçois que certains soient nostalgiques des antagonismes et de cette période glorieuse où le président Copé s’écharpait avec le président Sarkozy… Cela fait un peu « Radio Nostalgie », mais ce n’est pas à l’ordre du jour. Nous préférons l’harmonie, la volonté de porter ensemble un programme politique et une certaine vision des institutions. Construire l’antagonisme pour exister soi-même ne guide pas notre action. Les références antérieures ne nous éclairent pas beaucoup, vous avez raison de le souligner.

En outre, il ne s’agit pas de faire un cadeau au Gouvernement. Le rapport de force, fait d’antagonisme et l’hostilité entre un Gouvernement dominant et un Parlement dominé, procède d’une lecture purement hypothétique. Notre démarche est différente : nous souhaitons apporter une solution, comme l’a expliqué notre collègue Fesneau, tempérer, comme l’a souligné notre collègue Eliaou, un système qui pourrait apparaître excessif si on le laissait en l’état. Nous apportons donc tout à la fois une solution et une tempérance.

Une majorité peut en effet être utile au Gouvernement qu’elle soutient, c’est en tout cas notre sentiment. Nous ne sommes pas sensibles aux caricatures.

Enfin, ce verrou n’est pas purement formel : la limitation de « l’assiette thématique », si je puis m’exprimer ainsi, sur laquelle peut intervenir la super-priorité est importante puisque cette disposition ne peut être utilisée que deux fois par session ; qui plus est, les deux Conférences des présidents peuvent conjointement s’y opposer. Ainsi, nous répondons à l’urgence, tout en instaurant des garde-fous pour sauvegarder les droits du Parlement.

Nous avons la conviction que c’est par la pertinence et le volume de sa production que le Parlement gagne chaque jour en crédibilité, et non dans des querelles byzantines ou, pires encore, une opposition au Gouvernement. C’est en tout cas notre conception des choses. Les dispositions telles que nous allons les modifier nous conviennent. Je vous confirme donc notre opposition aux amendements de suppression de l’article.

Les amendements CL96 et CL1348 sont retirés.

La Commission rejette les amendements CL217, CL450, CL612, CL771, CL957 et CL1108.

Elle examine en discussion commune les amendements CL423 de Mme Cécile Untermaier, CL636 de Mme Clémentine Autain, ainsi que l’amendement CL890 de M. Sacha Houlié

Mme George Pau-Langevin. L’amendement CL423 vise à mieux équilibrer le calendrier de travail du Parlement : une semaine pourrait être réservée au Gouvernement, une semaine à la majorité et une semaine aux groupes minoritaires et d’opposition. Ainsi, la majorité aurait la maîtrise des deux tiers de l’ordre du jour.

Mme Clémentine Autain. L’amendement CL636 propose que l’intégralité de l’ordre du jour de l’Assemblée nationale soit fixée par l’Assemblée nationale et qu’il ne soit plus partagé. Il s’agit en fait d’un amendement de repli, dans la mesure où, comme nous vous l’indiquons depuis le début des débats, nous aurions souhaité un processus constituant, et non une réforme parlementaire de la Constitution. Un des objectifs de ce processus constituant aurait été d’aboutir à un autre équilibre des pouvoirs, de sortir de la monarchie présidentielle et de renforcer le pouvoir du Parlement. C’est dans cet état d’esprit que nous avons rédigé cet amendement.

M. Sacha Houlié. Lors de la discussion générale, je l’avais indiqué : la rationalité se justifie lorsque les excès se multiplient. Notre amendement CL890 limite ainsi à deux fois par session l’utilisation du fast track.

Mais cette expression s’applique aussi aux collègues et à certains groupes minoritaires qui ne cessent de déplorer l’affaiblissement du Parlement tout en passant leur temps à détruire l’image du président de l’Assemblée nationale. Ce faisant, ils creusent la tombe du Parlement. Je le dis aux collègues Insoumis : on ne peut revendiquer le renforcement du Parlement quand on fait tout pour en affaiblir le Président. Cela suffit !

Tout en défendant mon amendement, je tenais à faire ce rappel.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Ces amendements sont de nature différente.

Les deux premiers ont sans doute leur logique interne, mais, pour nous, ils sont totalement incohérents ! Votre amendement CL423, madame Pau-Langevin, revient à réserver une semaine sur trois à l’ordre du jour de l’opposition. Respecter les droits de l’opposition est une chose : c’est indispensable, car l’opposition est utile à la démocratie. Mais il faut aussi respecter la volonté du peuple français qui s’exprime lors des élections et faire en sorte que la majorité et son Gouvernement puissent gouverner. Votre amendement réduit de fait les droits de la majorité et du Gouvernement. En 2008, on avait même prévu un partage deux-deux ; on s’est rapidement aperçu que cela ne fonctionnait pas.

Quant à l’amendement CL636 de nos collègues de La France insoumise, il propose que les assemblées déterminent seules leur ordre du jour. Le pays risque d’être assez rapidement bloqué puisque l’Assemblée déciderait d’un ordre du jour que le Sénat pourrait refuser !

Mme Clémentine Autain. Le Sénat, ce n’est pas notre problème : nous ne sommes pas le Sénat…

M. Marc Fesneau, rapporteur. Certes, mais il a une réalité ; et, que je sache, vous ne proposez pas de le supprimer.

Par ailleurs, hier, vos collègues ont défendu l’idée que toute loi votée au Parlement puisse être remise en cause par les citoyens. Dans ce cas, où est le pouvoir ? La vie démocratique risque d’en être totalement déstructurée. Je suis sans doute un esprit trop cartésien et trop conservateur, mais j’ai du mal à imaginer comment fonctionnerait une démocratie dans laquelle le Sénat empêcherait l’Assemblée de travailler, l’Assemblée serait seule maîtresse de l’ordre du jour – on se demande à quoi servirait le Gouvernement –, mais pourrait voir ses lois retoquées par les citoyens ! Plus de démocratie représentative, plus d’exécutif… Je reconnais que c’est audacieux !

Mon avis sera défavorable sur les amendements CL423 et CL636, favorable à l’amendement CL890.

Mme Clémentine Autain. Nous ne voulons pas déstructurer, mais bien restructurer en profondeur ! Nous essayons de faire valoir une tout autre logique institutionnelle. Les parlementaires pourraient disposer de plus de pouvoirs, tout en donnant plus de contrôle et de pouvoir direct aux citoyens. Ce n’est pas contradictoire.

Quant au Sénat, vous avez raison, nous souhaitons sans doute repenser sa place, voire réfléchir au bicamérisme… Disons qu’il n’a pas tout à fait la préférence dans nos cœurs.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Vous le dites avec de gentils mots !

Mme Clémentine Autain. Mais je voulais réagir aux propos de Sacha Houlié, qui sont une véritable provocation. Je pratique le président de l’Assemblée nationale au Bureau et le respecterai le jour où il respectera l’opposition. Je m’étonne d’ailleurs que la majorité n’ait pas déposé un amendement de suppression de l’opposition, votre rêve étant probablement qu’elle disparaisse au profit de l’harmonie et de la technique, et adieu la politique !

M. Olivier Marleix. Je regrette que M. Ferrand soit sorti car je voulais saluer son son intervention qui mériterait d’être distribué aux étudiants en première année de sciences politiques. Il théorise la soumission par principe du groupe majoritaire au Gouvernement. C’est une révolution dans la pratique de la Ve République. Normalement, le groupe majoritaire est celui sur lequel repose un minimum de dialogue entre le Gouvernement et le Parlement, d’où ressort toujours une certaine dynamique.

Sans doute M. Ferrand est-il encore plein de la foi du nouveau converti à la religion à laquelle il s’est rangé il y a quelques mois. Mais que se passera-t-il dans quatre ans ? Le chef de l’État n’aura pas tout anticipé dans son programme initial et vous serez bien obligés de contribuer. Par ailleurs, vous aurez peut-être des choses à dire. Avec vous, tout est acquis de plein droit à l’exécutif : ce n’est évidemment pas la même chose que le consentement d’une majorité. Je regrette que ce Parlement réduise ses propres droits au profit du Gouvernement. C’est une conception bien étrange de son rôle…

Mme Laetitia Avia. Je soutiens les propos de Clémentine Autain : en effet, l’expression de nos concitoyens doit primer et être respectée en toute hypothèse. Or les Français se sont exprimés massivement contre une VIe République et une assemblée constituante. Cela doit guider nos travaux de réforme constitutionnelle.

Mme Clémentine Autain. À quel moment le leur a-t-on demandé ?

La Commission rejette les amendements CL423 et CL636.

Puis elle adopte l’amendement CL890 (amendement  344).

Elle adopte l’amendement rédactionnel CL1521 des rapporteurs (amendement  345).

La Commission examine l’amendement CL1109 de M. Michel Castellani.

M. Michel Castellani. Cet amendement de repli vise à donner à la Conférence des présidents des deux assemblées un pouvoir accru d’opposition vis-à-vis du droit de priorité du Gouvernement sur l’ordre du jour des séances d’initiative parlementaire.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Mon avis est défavorable. Cela revient de facto à donner ce pouvoir de blocage à la seule Conférence des présidents du Sénat…

Mme George Pau-Langevin. Je ne commenterai la proposition de notre collègue Castellani, mais tenais à faire part ma surprise face à la virulence déplacée de l’attaque de notre collègue Houlié contre notre proposition. Je n’ai pour ma part ni été désagréable ni impertinente, à l’égard du président de l’Assemblée nationale. Sa réaction n’avait aucune raison d’être.

M. Olivier Marleix. Il a décidé d’être méchant avec tout le monde aujourd’hui…

M. Michel Castellani. Je réponds au rapporteur que l’exercice de la démocratie repose avant tout sur l’équilibre entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’article 8 modifié.

Article 9
(art. 48 de la Constitution)
Conditions d’inscription prioritaire à l’ordre du jour des assemblées parlementaires

La Commission examine les amendements identiques de suppression CL57 de M. M’Jid El Guerrab et CL218 de M. Philippe Gosselin.

M. M’Jid El Guerrab. L’amendement CL57 de suppression de l’article 9 s’inscrit dans la même logique que la proposition de suppression de l’article précédent. En effet, le Gouvernement, qui dispose déjà de plus de la moitié de l’ordre du jour, s’en assure avec cette réforme un contrôle quasi-total. Certes, les Conférences des Présidents des deux assemblées pourront conjointement s’y opposer, mais cette faculté qui existe déjà pour la procédure accélérée n’a jamais abouti, en raison du fait majoritaire. En effet, pourquoi la Conférence des présidents de l’Assemblée nationale suivrait-elle un refus de son homologue du Sénat – potentiellement d’opposition, comme c’est actuellement le cas ?

C’est pourquoi nous plaidons pour la suppression de cet article qui tend à abaisser le rôle du Parlement. Avec une telle réforme, ce dernier aura de moins en moins de prise sur ses travaux.

M. Olivier Marleix. Le Gouvernement s’arroge une fois de plus le droit de venir piocher dans le temps réservé à l’initiative parlementaire – le temps du contrôle notamment. C’est d’autant plus regrettable que le Conseil constitutionnel a indiqué que c’était envisageable en l’état actuel du droit. Pourquoi l’insérer dans Constitution ? Faut-il y voir une forme de provocation à l’endroit du Parlement ?

Par ailleurs, vous affirmez vouloir renforcer le pouvoir de contrôle du Parlement. Pourtant, vous affaiblissez la semaine de contrôle. C’est totalement incompréhensible. En cet instant, mes pensées vont à Philippe Seguin, dont on a dévoilé la plaque dans l’hémicycle il y a quelques jours. Je me souviens du combat qu’il a mené pour redonner du pouvoir à l’Assemblée nationale face au Gouvernement. Quel drôle d’hommage lui rendons-nous quand la majorité saborde elle-même les pouvoirs du Parlement !

Telles sont les raisons pour laquelle nous avons déposé l’amendement CL218 de suppression de cet article.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Monsieur Marleix, quand nous proposons des avancées, vous avez des doutes, et quand nous rééquilibrons les choses, vous avez des suspicions…

M. Olivier Marleix. Je n’aime pas le tango !

M. Marc Fesneau, rapporteur. Sans malice, je vous invite à analyser ce que nous essayons de construire et les pistes que nous ouvrons, et à regarder cet article 9 sous un autre angle : en réalité, ce que vous défendez n’existe pas. Ce n’est en tout cas pas ce qui se passe actuellement. Nous souhaitons pour notre part consacrer réellement ce temps au contrôle – au lieu de le voir écrasé en permanence – et pouvoir y examiner des propositions de loi qui tirent parti du contrôle et de l’évaluation préalablement effectués. Reconnaissons, sans porter de jugement, que, pour l’heure, les propositions de loi examinées sont plus conjoncturelles et politiques que la traduction d’une évaluation et d’un contrôle exercés par le Parlement. Le dispositif proposé sera une réelle nouveauté, qui redonnera de l’intérêt à ces séances. Pour toutes ces raisons, j’émets un avis défavorable à ces amendements de suppression.

M. Sacha Houlié. La politique est l’art de la répétition… J’espère que vous ne m’en voudrez pas, M. Marleix, de répéter ce que j’ai déjà dit.

Les trois derniers articles examinés correspondent à trois dispositions qui visent à conforter le rôle du Parlement et la maîtrise de son agenda : nous avons exigé du Gouvernement la communication d’un agenda prévisionnel à six, puis à trois mois ; nous avons limité la possibilité de recourir à la procédure d’inscription préférentielle à certains thèmes, environnementaux, sociaux ou économiques ; enfin, nous allons proposer dans le présent article un amendement qui permettra de réserver cette semaine de contrôle à l’examen des seules propositions de loi – à l’exclusion des projets de loi –, contribuant ainsi à redonner au Parlement la main sur son agenda.

M. Olivier Marleix. La précision qu’apporte Sacha Houlié est évidemment intéressante. Mais vous ne pouvez pas dire qu’il s’agit d’un progrès : vous faites deux pas en arrière et un pas en avant, c’est une sorte de tango permanent !

Mes doutes viennent de mon expérience : sous l’autorité de Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, j’ai eu l’honneur de conduire avec mon collègue Mazars une mission d’information concernant le pantouflage de hauts fonctionnaires, dont le rapport a été adopté à l’unanimité par la commission des Lois. La présidente nous avait annoncé que la proposition de loi issue de ces travaux pourrait bientôt être adoptée de façon aussi unanime. Depuis, j’attends… Peut-être est-ce le sujet du pantouflage qui met le groupe majoritaire mal à l’aise ?

C’est l’exemple parfait de ce que vous évoquez et pourtant, le blocage est bien réel. C’est dommage. J’espère qu’on en finira avec cette vieille habitude et qu’à l’avenir, les conclusions des missions seront suivies d’effets.

La Commission rejette les amendements.

Elle examine en discussion commune les amendements CL1525 de Mme Cécile Untermaier et CL1349 de Mme Isabelle Florennes.

Mme George Pau-Langevin. L’amendement CL1525 est défendu.

Mme Isabelle Florennes. J’ai déjà eu l’occasion d’exposer notre point de vue sur l’organisation du calendrier et des semaines parlementaires et d’écouter les réponses encourageantes des rapporteurs. Je soulèverai seulement un point de procédure : notre amendement initial CL1349 a été scindé par les services de la Commission en deux amendements ; je peux en comprendre la raison technique mais cela nuit à sa cohérence initiale.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Madame Florennes, vous avez raison et, avec le rapporteur général, nous avons eu l’occasion de le dire : d’ici à la séance publique, nous allons réfléchir tous ensemble afin de trouver l’architecture la plus adaptée, en fonction des amendements déjà adoptés et des avancées que nous pourrions produire d’ici à la séance. Je demande le retrait de ces amendements.

L’amendement CL1349 est retiré.

La Commission rejette l’amendement CL1525.

La Commission en vient à l’amendement CL100 de M. Jean-François Eliaou.

M. Jean-François Eliaou. L’article 9 institue un droit de suite sur lequel je reviendrai à l’occasion d’un autre amendement. Actuellement, une semaine de séance sur quatre est réservée par priorité au contrôle de l’action du Gouvernement et à l’évaluation des politiques publiques. Afin de sanctuariser la semaine de contrôle et d’évaluation, mon amendement CL100 propose de substituer au quatrième alinéa de l’article 48 de la Constitution, le mot « exclusivement » au mot « par priorité ».

M. Marc Fesneau, rapporteur. Ce sujet a fait l’objet de plusieurs amendements dont nous avons déjà débattu, et d’un à venir. Il faut préserver une certaine souplesse car le bilan de la semaine de contrôle est décevant.

Je connais votre volonté et le travail que vous avez mené pour réhabiliter, ou plutôt habiliter la semaine de contrôle et d’évaluation. La possibilité d’y inscrire des textes de loi nous paraît intéressante, si elle est réservée à des propositions de loi. C’est le sens de notre prochain amendement. Mon avis sur votre amendement sera donc défavorable.

M. Jean-François Eliaou. Je me suis sans doute mal fait comprendre. Il ne s’agit ici que de remplacer « par priorité » par « exclusivement ». Cela n’obère pas nos capacités de décider dans un amendement ultérieur s’il s’agit de projets ou de propositions de loi.

La Commission rejette l’amendement.

Elle passe aux amendements identiques CL616 de Mme Maina Sage, CL880 de M. Sacha Houlié et CL1350 de Mme Isabelle Florennes.

M. Philippe Dunoyer. L’amendement CL616 me semble voué à un avenir prometteur car il correspond en tout point à l’amendement présenté par notre collègue Houlié !

L’article 9 ne peut être conçu que dans le cadre du développement de notre politique interne de contrôle et d’évaluation, qui doit aboutir à l’examen de propositions de loi – et non de projets. Nous resterons ainsi dans le domaine de compétence exclusive de chacune de nos assemblées. Cette disposition sera protectrice de l’ordre du jour réservé au Parlement. Elle est surtout cohérente, puisqu’elle réserve aux parlementaires le soin d’évaluer les politiques publiques et de les aménager, le cas échéant, par le biais de propositions de loi.

M. Sacha Houlié. Notre amendement CL880 est identique à celui de nos collègues de l’UDI et du MODEM. Il a été très bien défendu par notre collègue Dunoyer.

Mme Isabelle Florennes. L’amendement CL1350 est défendu.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Le consensus est tel que plus personne ne prend la parole ! Reconnaissons que cette modification était annoncée. Nous saluons ce compromis, logique : qui dit temps parlementaire de contrôle et d’évaluation dit propositions de loi.

Nous sommes bien entendu favorables à ces amendements. En les adoptant, nous ferons œuvre utile dans la construction du nouveau calendrier et dans le renforcement du temps de contrôle et d’évaluation. D’ici à la séance, nous pourrons sans doute progresser sur d’autres points, mais c’est une avancée intéressante, qui permet de mieux identifier les différents temps parlementaires et d’améliorer la qualité de notre travail.

Je vous vois lever les yeux, M. Marleix : je ne vous dis pas que c’est un bouleversement de l’ordre des choses ; mais lorsqu’il y a une avancée, il est plutôt bon de la saluer…

M. Olivier Marleix. J’admire l’optimisme de notre rapporteur. Ce n’est pas une avancée puisque cela se fait déjà dans la pratique, le Conseil constitutionnel l’ayant autorisé. Puisque le rapporteur général nous fait l’honneur de revenir, peut-être pourrait-il nous éclairer sur les modalités de fonctionnement de ce dispositif ? Actuellement, tous les groupes – y compris d’opposition – ont un droit de tirage sur ces semaines d’évaluation et de contrôle. Cela sera-t-il toujours le cas ? Cela me permettra peut-être enfin de voir ma proposition de loi contre le pantouflage inscrite… Je ne voudrais pas que votre réforme soit l’occasion d’écraser les droits de l’opposition. Je vous prie de bien vouloir m’excuser de ce procès, s’il est injustifié.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. L’intention du constituant, que nous portons, est bien que tout ce qui touche au contrôle et à l’évaluation ne se fera pas au seul bénéfice de la majorité, mais du Parlement dans son ensemble. Tout cela devra donner lieu à un partage avec l’ensemble des membres de l’Assemblée nationale, voire du Sénat.

La Commission adopte les amendements (amendement  348).

Puis elle adopte l’article 9 modifié.

Après l’article 9

[Article 48 de la Constitution]

La Commission examine en discussion commune l’amendement CL1312 de M. Jean-Christophe Lagarde et CL725 de M. Philippe Dunoyer.

M. Philippe Dunoyer. Ces deux amendements sont défendus.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Dans la suite de nos précédents échanges, mon avis sera défavorable.

La Commission rejette successivement les deux amendements.

Elle en vient à l’amendement CL108 de M. M’Jid El Guerrab.

M. M’Jid El Guerrab. L’idée de cet amendement est de rendre les séances de questions au Gouvernement plus dynamiques et plus constructives. Le droit de regard du Parlement sur la politique menée par l’exécutif en sortira renforcé. Un droit de réplique, comme celui existant pour les questions orales sans débat, rendrait de la vigueur à ce qui avait été conçu en 1995 comme un instrument de contrôle et qui tend à devenir un simple « exercice de style », à la fois critiqué et critiquable pour la mauvaise image qu’il donne parfois des travaux de l’Assemblée. Lors de la récente réforme de son Règlement, le Sénat a prévu la possibilité d’une telle réplique. Il s’agit d’une proposition du groupe de travail sur l’avenir des institutions.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Votre amendement ne relève pas de la Constitution, mais du règlement des assemblées.

J’en profite pour regretter que l’amendement CL780 du groupe UDI qui prévoyait une séance unique de questions au Gouvernement n’ait pas été défendu. Là encore, les dispositions étaient plutôt du ressort du règlement, mais dans le même esprit que le droit de suite que vous défendez. Collectivement, nous devons réfléchir à ce que nous pouvons faire de ce temps. Je ne suis pas sûr que ces deux séances de questions aient permis d’améliorer le travail parlementaire ou notre image.

Pourtant, sauf pour les passionnés qui suivent nos travaux en commission,…

M. M’Jid El Guerrab. Et qui nous regardent !

M. Marc Fesneau, rapporteur.… c’est parfois le seul moment où les citoyens perçoivent ce qu’est l’activité des parlementaires. Or, la façon dont s’organise l’exercice, l’image que les questions au Gouvernement donnent de l’institution et leur utilité prête à interrogation. C’est un temps important d’expression, pour la majorité comme pour l’opposition.

Cela peut évidemment prêter à posture : vous allez immédiatement nous soutenir, monsieur Marleix, que c’est un temps important, significatif, déterminant dans la vie démocratique. Je ne suis pas sûr que la plupart d’entre nous pensent comme vous et je sais ce que les Français en pensent.

Je le répète donc : même si le débat n’est pas constitutionnel, nous devrons réfléchir à ce temps d’échange direct et nécessaire avec le Gouvernement ; il en est du reste d’autres qui peuvent paraître très formels et sans utilité – je n’ai pas dit sans intérêt. Reconnaissons en tout cas que cette procédure des questions ne produit pas ce que nous voudrions qu’elle produise.

M. M’Jid El Guerrab. Je vous remercie pour cette réponse, monsieur le rapporteur. Il s’agissait évidemment d’un amendement d’appel ; vous y avez répondu. En conséquence, je vais le retirer ; mais je souhaite en préalable écouter M. Marleix. Comment rendre cet exercice plus dynamique ? Comment intéresser nos concitoyens à ces séances, parfois purement stylistiques ? La plupart des questions posées par la majorité sont coécrites ou écrites par l’exécutif. Ce sont donc les questions de l’opposition que nos concitoyens attendent, car elles dynamisent l’exercice.

Par ailleurs, je regrette que France Télévisions ait choisi de transférer aux chaînes parlementaires la retransmission des questions au Gouvernement.

M. Olivier Marleix. Comme mon collègue El Guerrab, je regrette que le service public ne diffuse plus les séances de questions.

Je m’inquiète de cette réflexion que la majorité compte mener. Depuis 1993, j’observe la vie parlementaire, à laquelle je participe désormais plus activement. J’ai pu le constater auprès de l’exécutif : ces questions sont un moment de contrôle extrêmement fort et même les ministres les plus expérimentés arrivent inquiets à l’Assemblée nationale, en ne connaissant pas toujours le contenu des questions, surtout lorsqu’elles viennent de l’opposition. C’est un moment solennel très important, d’autant plus qu’il est diffusé en direct. Ce n’est pas du théâtre, mais un moment de vérité : l’ensemble du Gouvernement est convoqué pour répondre aux représentants de la Nation.

Vous avez raison sur un point : le peu d’intérêt des questions de la majorité. Mais la majorité n’est pas condamnée à la servilité. Elle a le droit de poser des questions qui dérangent. Il est regrettable que ce ne soit pas la conception que M. Ferrand a de son rôle.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Ce n’est pas possible d’être aussi systématiquement dans la provocation !

M. Marc Fesneau, rapporteur. Contrairement à vous, je ne jugerai pas du fond de vos questions. Pourtant, je pourrais m’amuser à compter le nombre de questions que vos collègues multiplient sur un même sujet…

M. M’Jid El Guerrab. Sur l’immigration, par exemple !

M. Marc Fesneau, rapporteur. Ce faisant, vous dévoyez vous-même le système que vous entendez défendre.

Vous avez par ailleurs mal compris mon propos : je n’ai pas remis en cause l’utilité d’un moment d’échange public et solennel, mais reconnaissons collectivement que parfois, dans ce qu’il montre du débat public aux citoyens, cet exercice n’est peut-être ce que l’on fait de mieux dans une démocratie moderne, aboutie…

Vous devez l’entendre. Il m’étonnerait que des électeurs de votre circonscription d’Eure-et-Loir n’aient pas soulevé ce point. Vous seriez bien le seul… Or je ne veux pas croire que vous n’êtes pas ancré dans votre territoire.

Nous devons donc prendre le temps d’y consacrer une réflexion plus aboutie, dans le cadre d’une réforme du règlement.

M. Philippe Dunoyer. Je saisis la perche tendue par M. le rapporteur, qui a eu la gentillesse de revenir sur l’amendement CL780 de notre président M. Lagarde, que je n’avais pas cosigné.

Il n’est pas question pour moi de porter un jugement sur la qualité, le nombre de questions, la durée des séances de questions au Gouvernement ou leur organisation. Mais je pense moi aussi qu’il conviendrait d’engager une réflexion critique, au bons sens du terme, autour de ces séances, afin d’en améliorer le dispositif. Ces séances doivent perdurer, dans la mesure où elles constituent une vitrine. Mais il faut que cette vitrine soit de qualité. C’est bien le sens de l’amendement porté par notre président de groupe.

L’amendement CL108 est retiré.

[Article 49 de la Constitution]

La Commission examine l’amendement CL414 de Mme Cécile Untermaier.

Mme George Pau-Langevin. Défendu.

M. Marc Fesneau, rapporteur. La capacité d’user de l’outil que représente le recours à l’article 49, alinéa 3, est caractéristique de l’esprit de la Ve République et de la Constitution de 1958. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

[Article 51-1 de la Constitution]

La Commission est saisie de l’amendement CL119 de M. M’Jid El Guerrab.

M. M’jid El Guerrab. Vous reconnaîtrez là ma constance…

Il s’agit, par cet amendement, de renforcer l’égalité entre les parlementaires dans leurs chambres respectives. Les députés libres de toute appartenance à un groupe parlementaire devraient pouvoir bénéficier des mêmes droits que ceux qui sont membres d’un groupe parlementaire. Or c’est loin d’être le cas dans la pratique, ainsi que l’a par exemple récemment souligné le recours au temps législatif programmé durant l’examen des projets de loi dits « EGALIM » ou « ELAN », ou du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel.

Sans attache avec une formation parlementaire, les non-inscrits sont structurellement marginalisés. Leur indépendance ne pèse guère face à la force du nombre, les groupes agençant tous les aspects de la vie parlementaire. Ainsi, ce sont eux qui, en fonction de leurs effectifs respectifs, répartissent les sièges au sein des commissions permanentes. Quant aux non-inscrits, ils sont convoqués en fin de procédure, afin d’être nommés aux postes vacants. De ce point de vue, la position des députés isolés paraît inférieure.

Par surcroît, divers droits et prérogatives, pourtant inhérents au statut de député, leur sont déniés. Tel est spécialement le cas des rapports ayant trait à la législation et au contrôle. Quant aux questions au Gouvernement, elles étaient très strictement contingentées jusqu’à janvier dernier, selon une clé fondée sur l’importance réciproque des groupes, avec une attribution quelque peu arbitraire aux non-inscrits : seul le premier d’entre eux à s’être manifesté auprès des services de l’Assemblée avait le droit d’interroger l’exécutif.

Leur sort n’est pas meilleur concernant la répartition des fonctions de direction au sein de la chambre et des instances extraparlementaires. Cette situation est paradoxale à maints égards : alors que tous les députés ont vocation à apporter leur concours, les non-inscrits en sont rendus incapables, faute d’affiliation à un groupe, unique structure juridiquement reconnue par le règlement. Les angles morts sont nombreux dans le traitement juridique des non-inscrits – dénomination que j’aimerais d’ailleurs voir modifiée.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Il faut prendre en main son destin : quand on décide d’être seul, on se condamne à la solitude ou à l’héroïsme. Mais il suffit là, non pas du tout de chambouler la Constitution, mais de convaincre le Bureau de l’Assemblée nationale de faire évoluer son Règlement, comme les non-inscrits du Sénat ont su le faire dans le Règlement du Sénat.

Cela vaut pour cet amendement, comme pour celui qui suit immédiatement.

Pour le premier, je rends un avis d’ores et déjà défavorable. Pour le second, c’est une question de minutes.

M. M’jid El Guerrab. J’aurais voulu le retirer, mais c’est un combat que je mène depuis des mois et des semaines. Je le maintiens donc.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL52 de M. M’jid El Guerrab.

M. M’jid El Guerrab. Défendu.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle est alors saisie de l’amendement CL437 de Mme Cécile Untermaier.

Mme George Pau-Langevin. Il s’agit, par cet amendement, de poser la question suivante : qu’est un groupe d’opposition ?

Les groupes d’opposition se sont vu conférer des droits spécifiques par l’article 51-1 de la Constitution, dans sa version de 2008 – par exemple, le fait que la présidence de la commission des Finances revienne de droit revienne en priorité à un député issu des rangs de l’opposition.

Nous estimons qu’un groupe d’opposition ne peut pas être un groupe qui a approuvé le programme ou la déclaration du Gouvernement. Il nous semblerait préférable de préciser ce point.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. On pourrait toujours apporter des précisions pour mieux définir ce que sont des groupes d’opposition. Toutefois, deux raisons me conduisent à émettre un avis défavorable à cet amendement.

Premièrement, ce niveau de précision n’est pas de rang constitutionnel. C’est au niveau du règlement de l’Assemblée qu’il faut réagir aux difficultés qui ont pu ou pourraient se faire jour.

Deuxièmement, votre dispositif, tel que vous le détaillez dans un exposé qui n’a finalement rien de sommaire, ne « tourne » pas. Or nous savons que les effectifs des groupes évoluent ; des députés arrivent, d’autres partent. Comment établir une majorité de personnes pour, ou contre, ou sans avis sur la déclaration de politique générale votée des mois auparavant ? Et surtout, la désignation des questeurs et des présidents de commission ayant lieu avant la déclaration de politique générale, comment s’y rapporter ?

En résumé, je comprends l’objectif poursuivi par votre amendement, mais cela ne relève pas de la Constitution, et ce qui est proposé ne me paraît pas « tenir la marée ». D’où mon avis défavorable.

M. Sacha Houlié. C’est une petite attaque contre l’un des groupes de l’opposition qui s’est déclaré comme tel ; mais c’est la déclaration qui fait foi en la matière. Et si l’on devait observer les votes de chacun des membres d’un groupe, cela porterait atteinte à une liberté fondamentale, qui est propre à chaque député.

En dehors du fait qu’elle n’est pas de rang constitutionnel, cette disposition est de nature à entraver la liberté du député. C’est la raison pour laquelle il faut s’y opposer.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine alors l’amendement CL48 de M. M’jid El Guerrab.

M. M’jid El Guerrab. Les droits spécifiques qui ont été reconnus aux groupes d’opposition dans les règlements des chambres à la suite de la révision constitutionnelle de 2008 l’ont été de façon un peu jacobine, voire autoritaire, sans que les opposants de l’époque n’aient pu influer sur leur propre sort.

Une telle situation n’est qu’en apparence paradoxale, tant elle découle des spécificités du parlementarisme de la Ve République. Elle reflète le penchant conflictuel et « romanesque » – selon la formule d’André Malraux – des acteurs politiques français, par comparaison avec leurs homologues allemands, plus portés au « consensualisme ».

En tout état de cause, par le biais de cet amendement, je propose de remédier au précédent de l’attribution de droits à l’opposition sans son assentiment. De la sorte, une dose de « consensualisme », certes un peu contraint, pourrait être instillée dans un des temples de la conflictualité.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Le principe de la démocratie est que la majorité est majoritaire… C’est assez simple à comprendre. Les droits de l’opposition, qui sont inscrits dans la Constitution, font l’objet d’une protection spécifique par le Conseil constitutionnel auquel les règlements des assemblées sont obligatoirement soumis. Celui-ci doit en effet s’assurer qu’aucun changement de règlement intérieur, réalisé à l’initiative d’une majorité, ne vient altérer les droits des oppositions.

L’adoption de votre amendement nous conduirait à développer une jurisprudence byzantine pour savoir ce qui met en jeu les droits de l’opposition et exige une majorité qualifiée, et ce qui ne concerne pas l’opposition et peut être voté à la majorité simple. Quel serait, par exemple, le statut des sanctions prononcées par le Bureau, par nature dominé par la majorité, à l’encontre d’un membre de l’opposition ? Serait-on dans la première ou dans la deuxième hypothèse ? Quel serait le statut d’une réduction du nombre de motions de procédure, qui peuvent être employées par la majorité mais qui, dans la pratique, et c’est bien naturel, restent l’apanage de l’opposition ?

Parce qu’il ne me semble ni lisible ni fondé de multiplier les majorités qualifiées, mon avis sera défavorable.

M. M’jid El Guerrab. Vous avez raison, monsieur le rapporteur général. Évitons d’entrer dans le byzantin en multipliant les difficultés d’interprétation… Je retire mon amendement… même si vous ne me l’avez pas demandé.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Merci !

L’amendement est retiré.

Article additionnel après l’article 9
(art. 512 de la Constitution)
Pouvoirs de contrôle et d’évaluation du Parlement

La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL101 de M. Jean-François Eliaou et CL 893 de M. Sacha Houlié.

M. Jean-François Eliaou. L’amendement CL101 qui, j’en suis sûr, recueillera l’assentiment des rapporteurs, a pour objectif de donner aux deux assemblées des moyens réels de contrôle et d’évaluation, compte tenu de l’importance de ces missions.

Cet amendement propose notamment une nouvelle rédaction du deuxième alinéa de l’article 51-2 de la Constitution : « Dans des conditions déterminées par une loi organique, les instances chargées au sein de chaque assemblée d’exercer les missions de contrôle de l’action du Gouvernement et d’évaluation des politiques publiques, définies au premier alinéa de l’article 24, disposent des pouvoirs de convocation de toute personne dont l’audition est jugée utile, de communication de tout document et de contrôle sur pièces et sur place. »

M. Sacha Houlié. L’amendement CL893 reprend une proposition du groupe de travail du Bureau de l’Assemblée nationale sur les moyens de contrôle et d’évaluation, présidé par M. Jean-Noël Barrot, et dont le rapporteur était M. Jean-François Eliaou, que nous avons quelque peu adaptée afin de proposer la création d’une instance de contrôle du Parlement dotée de certains pouvoirs.

Cette proposition est conforme à la promesse que j’avais faite de déposer une série d’amendements après l’article 9, afin de conforter le Parlement dans ses prérogatives de contrôle en lui permettant de recourir à des organismes tiers, extérieurs ou en régie – pour ce qui concerne l’Assemblée nationale, il serait plus opportun et plus conforme à sa culture, de recourir à la régie –, et en lui permettant d’accéder aux données publiques sans que le secret puisse lui être opposé, et d’obtenir du Gouvernement la communication de certains documents.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Comme l’ont expliqué les auteurs de ces amendements, le contrôle de l’action gouvernementale et l’évaluation des politiques publiques sont des enjeux fondamentaux pour le Parlement dont le fonctionnement dans ce domaine est tout à fait perfectible.

Nous soutenons la recommandation issue du groupe de travail qui avait été installé à l’initiative du Président de l’Assemblée nationale, pour donner une accroche constitutionnelle à nos pouvoirs d’investigation, accroche qui permettra juridiquement de nous adjoindre, dans un avenir proche, les services d’une agence dédiée.

Parmi les rédactions proposées, celle de M. Houlié a la préférence des rapporteurs, dans la mesure où elle inclut la question stratégique de l’accès aux données publiques, qui nous permettra d’améliorer nos capacités de calcul de statistiques et de modélisation. Je voudrais donc suggérer à M. Eliaou de bien vouloir s’y rallier.

M. Jean-François Eliaou. Je m’y rallie, monsieur le rapporteur général !

M. Michel Castellani. Cet amendement va dans le bon sens. C’est important pour nous.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Je trouve que nous allons accomplir une avancée significative, s’agissant de notre travail parlementaire et de nos missions de contrôle et d’évaluation du Gouvernement. Je suis sûr que cela intéressera M. Marleix… Cela participe de notre volonté, de plus en plus perceptible dans nos travaux depuis trois ou quatre jours, de réhabiliter ces missions de contrôle et d’évaluation. L’amendement CL893 tel que rédigé par nos collègues du groupe La République en Marche y contribuera en nous permettant de mieux travailler et de mieux exercer ces missions.

M. Philippe Dunoyer. Mes collègues n’étant pas présents pour défendre leur amendement CL1194 qui allait dans le même sens, je me glisse subrepticement dans le débat… L’amendement CL893 est probablement plus complet, plus sûr, et sa rédaction plus adaptée à un texte constitutionnel : l’objectif est bien de pouvoir se doter in fine de cet organisme, de cette agence qui nous permettra d’être plus efficaces. Mon groupe le soutiendra.

L’amendement CL101 est retiré.

La Commission adopte l’amendement CL893 (amendement  346).

En conséquence, les amendements CL1389 de M. Jean-Christophe Lagarde, CL475 de Mme Cécile Untermaier, CL693 de M. Jean-Christophe Lagarde, CL438 et CL439 de Mme Cécile Untermaier tombent.

Après l’article 9 (suite)

[Après l’article 51-2 de la Constitution]

La Commission examine l’amendement CL99 de M. Jean-François Eliaou.

M. Jean-François Eliaou. Cet amendement, qui recueillera sûrement l’assentiment des rapporteurs, propose d’insérer un nouvel article 51-3 dans la Constitution, ainsi rédigé : « Les membres du Gouvernement destinataires de recommandations formulées par les instances chargées du contrôle de l’action du Gouvernement et de l’évaluation des politiques publiques, au sein de chaque assemblée, sont entendus dans des conditions fixées par une loi organique. »

L’objectif est de faire disparaître de la jurisprudence constitutionnelle le célèbre verrou de la « mission de simple information », qui nous est souvent opposé.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Je vous invite, monsieur Eliaou, à examiner les deux amendements identiques qui suivent, CL887 et CL1351, déposés par les groupes La République en Marche et du Mouvement Démocrate et apparentés. Bien que rédigés de manière différente, ils ont le même objectif.

Entre l’amendement CL893, que nous venons d’adopter, et ces deux amendements identiques, qui visent à faire en sorte que le Gouvernement rende compte de l’application d’une loi devant la commission permanente compétente de chaque assemblée six mois après la date de la promulgation de la loi, nous répondons pour l’essentiel, aux préoccupations que vous exprimez dans votre amendement.

Je vous inviterai donc à vous rallier aux deux amendements qui viennent. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.

M. Jean-François Eliaou. Je m’y rallie !

L’amendement est retiré.

Article additionnel après l’article 9
(art. 513 [nouveau] de la Constitution)
Reddition de compte par le Gouvernement sur l’application d’une loi six mois après sa promulgation

La Commission est saisie des amendements identiques CL887 de M. Sacha Houlié, et CL1351 de Mme Isabelle Florennes.

M. Sacha Houlié. Au-delà du ralliement de M. Eliaou, je me souviens de celui de M. Lagarde, hier, et de Mme Untermaier, dans les mêmes termes, lorsque j’ai annoncé hier la présentation de cet amendement.

Pourquoi de tels ralliements ? Parce que cet amendement CL887 prévoit la « comparution » du ministre devant la Commission, ou en tout cas devant l’assemblée qui a examiné et voté son texte, dans un délai de six mois après la date de sa promulgation, afin qu’il rende compte de l’application de ce texte.

C’est une réelle avancée. Si le principe de la séparation des pouvoirs nous interdit d’édicter des délais de publication des décrets d’application, il nous est permis de contrôler que ces décrets d’application correspondent à la loi que nous avons votée. J’avais pris l’exemple, pour illustrer mon propos, de la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances, qui avait prévu le tirage au sort des notaires. Alors qu’initialement le dispositif devait être réservé aux jeunes notaires nouvellement installés, il a finalement été ouvert, dans les décrets d’application, à l’ensemble de la profession, en contradiction avec l’esprit de la loi.

Mme Isabelle Florennes. Notre amendement CL1351, identique, a été parfaitement défendu par mon collègue Houlié.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Avis favorable.

M. Jean-François Eliaou. Ainsi, la boucle est bouclée – je le dis pour nos collègues, et notamment pour M. Marleix : après l’évaluation, le contrôle, la production de travaux, le droit de suite instauré par ces amendements permet d’améliorer réellement l’efficacité du travail parlementaire, mais également de le rapporter afin de le faire connaître et au besoin de modifier la position du Gouvernement.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Je tiens à faire remarquer que nous agissons conformément à ce qui a été dit au moment où ce texte a été présenté en Conseil des ministres, c’est-à-dire avec la réelle volonté d’exercer des missions de contrôle et d’évaluation. Grâce à ces trois amendements, nous commençons à avoir une vision très précise ce que pourront être nos missions de contrôle et d’évaluation, et de la façon dont nous pourrons les exercer.

Je voudrais également saluer au passage les groupes de travail qui ont été initiés par le président de Rugy, au sein desquels M. Eliaou et M. Barrot ont beaucoup œuvré, et qui ont su proposer les solutions envisageables. Leur travail nous sera utile dans les années qui viennent.

La Commission adopte les amendements (amendement  347).

Après l’article 9 (suite)

La Commission examine ensuite l’amendement CL440 de Mme Cécile Untermaier.

Mme George Pau-Langevin. Cet amendement vise à constitutionnaliser le principe du « dialogue social préalable à la loi » en reprenant les termes du projet de loi constitutionnel relatif à la démocratie sociale présenté en 2013 en Conseil des ministres, mais jamais discuté à l’Assemblée.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Cet amendement peut être soutenu dans son esprit, mais point dans sa lettre. Je crains qu’il ne s’avère un terrible nid à contentieux. Comment justifier l’urgence que vous admettez dans votre amendement ? Comment apprécier si les organisations ont bien été, ou non, en mesure de négocier ? Comment apprécier la réalité de leur souhait de négocier, qui peut tout aussi bien relever d’une appréciation tactique ? On a connu cela…

Fondamentalement, la procédure législative doit s’opérer dans le respect de la démocratie, qui passe par le respect du Parlement. Nous devons également respecter la démocratie sociale et ses règles. Mais chacun conviendra que, de toutes les façons, les projets du Gouvernement sont bien souvent éventés dans la presse bien avant leur dépôt devant le Parlement, le plus souvent au stade de la consultation du Conseil d’État… Avis défavorable.

Mme George Pau-Langevin. Je maintiens que l’on peut tout à fait inscrire le principe dans le texte constitutionnel. Ensuite, il vous appartiendra de le décliner et de mettre les garde-fous que vous souhaitez, soit dans la loi, soit dans le règlement.

La Commission rejette l’amendement.

[Article 52 de la Constitution]

La Commission examine l’amendement CL1110 de M. Michel Castellani.

M. Michel Castellani. L’article 52 de la Constitution dispose que le Président de la République négocie et ratifie les traités, ce qui est tout à fait logique. Nous suggérons dans cet amendement que les collectivités soient associées à la préparation des décisions de politique extérieure, dans la mesure évidemment où elles affectent leurs intérêts essentiels.

Je voudrais rappeler cet exemple : le Président de la République, lors de sa venue à Bastia en février 2018, a affirmé que la Corse était un poste avancé de la France en Méditerranée. Or nous constatons que ni la collectivité de Corse ni, à plus forte raison, la ville de Bastia ne sont de quelque manière que ce soit associées à la réflexion menée autour de la préparation du traité du Quirinal.

Nous essayons donc de faire en sorte que les collectivités soient associées aux traités qui peuvent les concerner.

M. Marc Fesneau, rapporteur. L’État doit prendre en compte les sentiments de la population, de toutes les populations, quand il contracte un engagement international avec un autre État souverain. Ces populations s’expriment par des canaux privilégiés, c’est-à-dire les parlementaires députés par elles pour exercer les prérogatives liées à la souveraineté.

Je suis favorable à l’implication des collectivités territoriales, et au travers d’elles, des citoyens, dès lors que leurs compétences sont en cause. Ainsi, pour une infrastructure majeure, la région concernée pourra évidemment exprimer ses positions. J’ose ajouter qu’elle en peut même en devenir la cheville ouvrière. En revanche, en dehors de leurs compétences et sur des questions très générales, je ne vois pas de légitimité particulière, pour les collectivités, à intervenir ès qualités. Avis défavorable.

M. Michel Castellani. Nous ne demandons pas qu’elles interviennent ès qualités, mais qu’elles soient associées, ce qui est un terme plus souple.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Il me semble que les voies et moyens pour associer les collectivités – on l’a vu dans un certain nombre de sujets qui peuvent les concerner – existent. Il n’est donc pas nécessaire de l’inscrire par ailleurs dans la Constitution. J’ai l’impression que cette deuxième réponse vous convient mieux…

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL1111 de M. Michel Castellani.

M. Michel Castellani. C’est un amendement de repli. Par rapport à l’amendement précédent, nous avons utilisé une formule plus souple – « les collectivités peuvent être associées », au lieu de « les collectivités sont associées » –, qui peut-être aura davantage de chances d’être acceptée.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Même avis que précédemment : défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

[Article 53 de la Constitution]

La Commission est saisie de l’amendement CL751 de Mme Clémentine Autain.

M. Jean-Hugues Ratenon. Par cet amendement, nous proposons d’intégrer le respect des règles fondamentales de l’Organisation du travail (OIT) dans les accords commerciaux.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Il n’existe pas de hiérarchie entre les normes internationales et la Constitution, qui est une norme interne, à moins de considérer que les règles de l’OIT acquièrent elles-mêmes un rang constitutionnel, ce qui n’est pas du tout notre objectif. Je ne saurais le recommander, dans la mesure où les protections qu’elles procurent sont souvent inférieures aux lois françaises. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CL832 de Mme Clémentine Autain.

M. Jean-Hugues Ratenon. Cet amendement propose de consacrer l’obligation de recourir au référendum pour ratifier tout traité de commerce ayant des incidences sociales et environnementales.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Il faut se garder de la frénésie référendaire : si nous adoptions l’ensemble des amendements que vous avez proposés, tantôt pour modifier un texte de loi, tantôt, comme ici, pour ratifier un traité de commerce, nous passerions, j’en ai peur, notre temps à faire des référendums ! Par ailleurs, nous sommes en démocratie représentative : il revient au Parlement de se saisir de ces questions. C’est d’ailleurs un point de divergence que nous avons avec vous. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CL745 de Mme Clémentine Autain.

M. Jean-Hugues Ratenon. Par cet amendement, nous proposons que le Parlement ait le droit de formuler des réserves sur les traités et accords internationaux signés par la France. En effet, à l’heure actuelle, ceux-ci ne sont étudiés par le Parlement qu’en procédure simplifiée, qui ne permet que le simple vote du texte de loi. Les parlementaires sont ainsi privés du droit d’amender et ne peuvent ni débattre ni déposer de motions sur ces textes.

En ne permettant qu’à l’exécutif de négocier les traités et accords internationaux, cette procédure dépossède le Parlement de sa fonction légitime et le relègue au simple rôle de chambre d’enregistrement.

Afin que la Représentation nationale puisse mener un véritable débat démocratique sur des sujets aussi essentiels que les traités de paix, les traités de commerce, les traités ou accords relatifs à l’organisation internationale, il nous paraît essentiel que le Parlement puisse émettre des réserves sur ces traités et accords internationaux.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Un traité n’est pas une loi. Ce n’est pas une manifestation de la souveraineté, mais un accord entre deux ou plusieurs souverainetés concurrentes. Dans ce format, le pouvoir du Parlement consiste à l’autoriser, ou non, et celui du Président de la République à le ratifier. Il ne faudrait pas transformer des centaines de parlementaires en plénipotentiaires, d’autant que la possibilité de poser des réserves est très encadrée par la Convention de Vienne sur le droit des traités. Donc, avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

[Après l’article 53 de la Constitution]

La Commission examine l’amendement CL755 de M. Jean-Luc Mélenchon.

M. Jean-Hugues Ratenon. Le protectionnisme solidaire doit se substituer à la guerre économique généralisée et à la mise en concurrence des hommes et de territoires. C’est le moyen de rétablir une justice sociale et écologique contre l’aggravation du modèle de dérégulation qui ronge la planète, au sens propre comme au sens figuré.

Le protectionnisme solidaire est indissociable de la souveraineté alimentaire et de la préservation de la biodiversité. La souveraineté alimentaire est une nécessité d’indépendance et d’autonomie, mais on ne saurait porter préjudice à la souveraineté des autres par des exportations concurrentielles par le moins-disant social et environnemental. À titre d’exemple, le traité CETA entre l’Union Européenne et le Canada va entraîner la perte de 430 000 emplois en Europe et 45 000 en France et fortement affecter la lutte contre le changement climatique par une hausse des émissions de gaz à effet de serre liées au transport de marchandises.

Ce grand déménagement du monde n’est plus acceptable à l’heure de l’urgence écologique.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Cet amendement serait une proclamation unilatérale d’un protectionnisme, certes social et environnemental – même si l’on peut comprendre que l’on ait envie de défendre notre modèle social et environnemental –, mais qui n’en reste pas moins un protectionnisme. Il aurait pour effet de mettre en péril nos accords de libre-échange, notamment dans le cadre de l’OMC. C’est sans doute le but poursuivi par les auteurs de l’amendement, mais pas celui de l’actuelle majorité.

J’ajoute que cela aboutirait à interdire aux pays qui n’ont pas les mêmes niveaux de revenus et dont les normes sociales sont parfois plus basses que nous de commercer avec nous. Ce qui me semble contraire à votre objectif d’élever, par le commerce, le niveau de développement de ces pays.

Mon avis sera donc doublement défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

[Article 53-1 de la Constitution]

La Commission est saisie de l’amendement CL808 de Mme Danièle Obono.

M. Jean-Hugues Ratenon. Nous proposons que l’aide au séjour irrégulier d’un demandeur ou d’une demandeuse d’asile ne puisse pas donner lieu à des poursuites pénales lorsque cette aide est le fait d’une personne physique ou morale ayant agi sans but lucratif.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Le droit d’asile figure déjà dans la Constitution. Dans une rédaction tout à fait explicite, le quatrième alinéa du Préambule de 1946 dispose que « tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République ».

Par ailleurs, l’aide au séjour irrégulier sur le territoire fait l’objet d’une disposition pénale, actuellement débattue dans le cadre du projet de loi sur l’asile et l’immigration. J’ajoute que des avancées ont eu lieu dans ce domaine, que nous pourrions peut-être collectivement saluer. Je vous encourage donc, si vous souhaitez aller plus loin, à user de votre force de conviction en tant que législateurs, dans la mesure où le constituant a déjà posé les principes nécessaires en matière de droit d’asile. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

[Après l’article 53-2 de la Constitution]

La Commission examine l’amendement CL1112 de M. Michel Castellani.

M. Michel Castellani. Après l’article 53‑2 de la Constitution, nous proposons d’insérer un article 53‑3 ainsi rédigé : « Les collectivités territoriales visées au premier alinéa de l’article 72 peuvent conclure avec des États étrangers des accords de coopération économique et culturelle avec leurs pays voisins respectifs. »

Cela intéresse les régions, et surtout les régions frontalières, et favoriserait les contacts avec les autres pays européens.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Je reconnais à M. Castellani la constance de ses propositions, qui visent d’ailleurs à une certaine forme d’autonomie… Mais nous en reparlerons à l’occasion des articles 15, 16 et 17, qui traitent du droit à la différenciation territoriale.

Pour les mêmes motifs que ceux que nous avons déjà évoqués, avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Article 10
(art. 56 de la Constitution)
Suppression des membres de droit du Conseil constitutionnel

La Commission examine l’amendement CL196 de M. M’jid El Guerrab.

M. M’jid El Guerrab. Il s’agit, par cet amendement, de renforcer l’égalité entre les femmes et les hommes dans la Constitution. C’est là une préconisation du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Vous ne serez pas surpris de ma réponse…

M. M’jid El Guerrab. Pour gagner du temps, je retire mon amendement.

M. Erwan Balanant. Cela nous prive d’une discussion intéressante…

L’amendement est retiré.

La Commission est saisie de l’amendement CL991 de M. Sébastien Jumel.

Mme Huguette Bello. Cet amendement vise à étendre le régime des incompatibilités afin qu’il soit impossible à un membre du Conseil constitutionnel d’exercer des activités de conseil, même réglementées. L’exercice de telles activités crée, pour les membres d’une telle institution à caractère juridictionnel, un risque élevé de conflit d’intérêts.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Certes, on peut s’interroger sur les obligations déontologiques qui peuvent peser sur les membres du Conseil constitutionnel. Mais je pense que ce n’est pas de rang constitutionnel ; mieux vaudrait passer par une loi organique. Par ailleurs, le fait de resserrer la composition du Conseil constitutionnel aux neuf membres uniquement nommés, dont les nominations auront été examinées par chacune des assemblées, permet de limiter ce risque autant que faire se peut. Avis défavorable. Cela étant, je reconnais que la question peut effectivement se poser.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL961 de M. André Chassaigne.

Mme Huguette Bello. Cet amendement vise à permettre la désignation du président du Conseil constitutionnel par ses pairs, et non plus par le Président de la République. Il s’agit de soustraire le président du Conseil constitutionnel à l’influence du Président de la République auquel il doit sa fonction et son titre, et ainsi, de renforcer l’indépendance de la juridiction constitutionnelle.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Il faut rappeler que le président du Conseil constitutionnel est un primus inter pares, qui ne dispose pas de prérogatives particulières dans la fonction de jugement. Ce n’est pas un président de tribunal qui, par exemple, rend aussi des référés. Votre amendement aurait pour effet de provoquer, tous les trois ans, des campagnes au sein du Conseil constitutionnel pour en exercer la présidence, ce qui, à nos yeux, serait horriblement malsain : cela reviendrait à introduire une logique politique, voire partisane dans un organe qui, à l’inverse, ne doit cultiver la fidélité qu’à la Constitution. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Enfin, elle adopte l’article 10 sans modification.

Après l’article 10

[Article 61 de la Constitution]

La Commission examine l’amendement CL1113 de M. Michel Castellani.

M. Michel Castellani. La commission mixte paritaire (CMP) n’a pas de règlement ni de statut défini. À notre avis, il lui faudrait un règlement intérieur et des règles de délibération. Par cet amendement, nous suggérons de soumettre ce règlement au Conseil constitutionnel.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Dans la mesure où nous nous sommes déjà déclarés défavorables à la création d’un règlement des CMP, il serait incongru de le soumettre au Conseil constitutionnel… Avis défavorable, de conséquence.

La Commission rejette l’amendement.

[Article 62-1 de la Constitution]

La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL436 de Mme Cécile Untermaier et CL962 de M. André Chassaigne.

Mme George Pau-Langevin. Par l’amendement CL436, nous entendons proposer le principe d’une procédure publique et contradictoire devant le Conseil constitutionnel. Nous avons déjà fait l’expérience de nous exprimer directement devant le Conseil à l’occasion d’un recours concernant la loi dite « asile et immigration » et nous nous sommes rendu compte que c’était utile – d’où l’idée de rendre ce procédé plus systématique.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Nous y avons réfléchi dans la mesure où la question se pose de façon récurrente. Votre proposition pourrait paraître séduisante dans la mesure où les différentes options s’offrant au Conseil constitutionnel pourraient ainsi être précisées. Cependant, les personnes que nous avons interrogées, en particulier d’anciens présidents du Conseil, nous ont rappelé qu’il n’était pas dans notre tradition judiciaire de rendre publiques des opinions dissidentes. En outre, les décisions du Conseil sont caractérisées par leur unicité et faire apparaître des opinions dissidentes risquerait de les politiser : chaque membre ayant été nommé par une autorité politique, il pourrait se sentir redevable, d’une manière ou d’une autre, à cette autorité, alors que l’unicité de la décision du Conseil constitutionnel permet précisément à ses membres de se concentrer sur leur fonction sans être soumis à d’autres contingences susceptibles de nuire à la pertinence de leurs décisions et d’entamer leur légitimité.

Mme Huguette Bello. L’amendement CL962 vise à permettre la publication d’opinions de la part des membres du Conseil constitutionnel. Cette proposition a été soutenue par le groupe de travail sur l’avenir des institutions présidé par MM. Bartolone et Winock – c’était la proposition n° 17.

Cette mesure aurait le mérite de faire vivre le débat et le droit constitutionnel au sein et en dehors du Conseil, sans pour autant rompre avec le secret de la délibération ni affaiblir la portée de ses décisions. Elle permettrait également d’assumer la diversité – y compris politique – des membres qui y siègent.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Précisément, madame Bello, nous ne souhaitons pas que les membres du Conseil constitutionnel expriment publiquement leurs convictions politiques. On voit ce qu’il en est en ce moment à la Cour suprême des États-Unis, où le départ d’un de ses membres va permettre la constitution d’une majorité politiquement très affirmée – or, j’y insiste, nous ne voulons pas de cela pour notre système judiciaire.

Avis défavorable sur ces deux amendements.

M. M’Jid El Guerrab. Il est des endroits où la médiatisation ou la publicité n’est ni utile ni souhaitable. Je partage l’avis de la rapporteure.

La Commission rejette successivement ces amendements.

Article 11
(art. 16, 54, 61 et 88-6 de la Constitution)
Modalités de la saisine parlementaire du Conseil constitutionnel

La Commission examine l’amendement CL219 de M. Philippe Gosselin.

M. Olivier Marleix. L’amendement CL219 vise à supprimer l’article 11. Nous nous apprêtons à voter une disposition tendant à réduire le nombre de parlementaires nécessaires à la saisine du Conseil constitutionnel sans avoir la moindre idée de ce que sera la configuration politique de l’Assemblée après l’entrée en vigueur des réformes électorales que vous envisagez par ailleurs.

Depuis le début de la Ve République, il y a toujours eu deux ou trois groupes d’opposition en mesure de saisir le Conseil ; or on ne sait absolument rien de ce qu’il en sera demain. Comme vous voulez réduire de 30 % le nombre de parlementaires, vous appliquez mécaniquement le même ratio au nombre de parlementaires nécessaires pour saisir le Conseil constitutionnel, mais le mécanisme électoral que vous allez mettre en place avec la réduction de 40 % du nombre de circonscriptions aura pour effet d’écraser les diversités. En outre, la combinaison des scrutins proportionnel et majoritaire va obliger les alliés de l’actuelle majorité à choisir car ils ne pourront pas être alliés et adversaires en même temps – je pense à nos collègues du groupe MODEM, que je cite pour les intéresser au débat…

Au sein de l’Assemblée actuelle, trois séries de députés peuvent saisir ensemble ou séparément le Conseil constitutionnel : d’abord les députés du groupe Les Républicains, puis les centristes du MODEM et du groupe Union des démocrates et indépendants (UDI), Agir et Indépendants, s’ils le voulaient, enfin les trois formations les plus à gauche. Eh bien, demain, vous n’avez aucune idée du nombre de formations politiques qui en seront capables. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a pas encore eu de rapports sur les autres textes visant à réformer les institutions. Il y a bien une mission « flash » qui aurait pu vous éclairer si Mme la présidente Braun-Pivet m’avait permis de la restituer…

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Vous allez la restituer, ne vous inquiétez pas !

M. Olivier Marleix. Je bénéficie même des lumières de notre collègue Cédric Villani qui a fait faire prévisions très précises, département par département, et grâce auxquelles on peut savoir qui d’entre vous est susceptible d’être réélu ou pas…

On modifie la Constitution de manière totalement aveugle et je le regrette.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. J’appelle l’attention des cosignataires de cet amendement sur un élément dont je n’ose imaginer qu’il leur ait échappé : l’article du projet de loi est autonome ; autrement dit, il n’est pas lié au contenu de la loi organique et de la loi ordinaire dont l’Assemblée sera saisie en septembre. En effet, quoi que le Parlement décide quant à la réduction du nombre de parlementaires, les modalités de saisine du Conseil constitutionnel par les oppositions seront, au pire, constantes en proportion, au mieux, facilitées pour tous.

Je vous engage à ne pas anticiper le débat à venir et à entériner l’avancée démocratique que constitue en vérité cet article sur le chemin de l’État de droit. Avis défavorable.

M. Sacha Houlié. Depuis le début de l’examen de ce texte certains membres de l’opposition théorisent l’affaiblissement du Parlement. Or l’article 11, qui déconnecte la réduction du nombre de parlementaires et la révision de la Constitution pour ce qui concerne la saisine du Conseil constitutionnel, implique que même si nous ne diminuions pas le nombre de parlementaires ou même si, après l’avoir fait, nous venions par la suite à le réaugmenter, les droits de l’opposition seraient renforcés puisqu’il suffirait toujours de quarante députés ou quarante sénateurs pour saisir le Conseil.

Ensuite, monsieur Marleix, vous venez de faire allusion à une carte qui nous indiquerait si nous serions ou non réélus, après avoir théorisé sur la technocratisation. C’est assez paradoxal : ne devrions-nous donc être élus qu’en fonction de cette fameuse carte et non grâce à nos qualités intrinsèques ?

M. Olivier Marleix. L’intelligence artificielle nous aura tout pris…

M. Sacha Houlié. Je pense que la politique fait son travail dans ce schéma, et c’est heureux.

M. Pierre-Alain Raphan. Bravo !

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel CL1522 du rapporteur général (amendement  349).

En conséquence, l’article 11 est ainsi rédigé et les amendements CL435 de Mme Cécile Untermaier, CL338 de M. Paul Molac, et CL990 de M. Sébastien Jumel, tombent.

Mme Naïma Moutchou, présidente. Mes chers collègues, nous allons suspendre nos travaux. Nous les reprendrons à vingt et une heures.

9.   Réunion du vendredi 29 juin 2018 à 21 heures (après l’article 11 à après l’article 14)

Lien vidéo :

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.6330759_5b367fd9db1f5.commission-des-lois-soir--pour-une-democratie-plus-representative-responsable-et-efficace-suite-29-juin-2018

Mme Naïma Moutchou, présidente. Nous reprenons nos travaux en entamant l’examen des amendements portant article additionnel après l’article 11.

Après l’article 11

[Article 64 de la Constitution]

La Commission examine les amendements identiques CL111 de M. M’Jid El Guerrab, et CL992 de M. Sébastien Jumel.

M. M’Jid El Guerrab. Dans l’intitulé du titre VIII de la Constitution, je souhaite que les mots : « De l’autorité » soient remplacés par les mots : « Du pouvoir ». Il s’agit de renforcer l’indépendance et l’impartialité de la justice vis-à-vis des autres pouvoirs. C’était là une recommandation du groupe de travail sur l’avenir des institutions.

Mme Huguette Bello. De même, l’amendement CL992 vise à consacrer l’indépendance et l’impartialité du pouvoir judiciaire dans le titre VIII de la Constitution qui porterait non plus sur l’autorité judiciaire mais sur le pouvoir judiciaire. Il s’agit de regagner la confiance des citoyens légitimement exigeants envers leurs juges.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Avis défavorable. Dans la tradition française, à laquelle il n’est pas question de déroger, les magistrats tirent leur légitimité de leur réussite à un concours de recrutement, aussi n’exercent-ils pas un pouvoir. La justice est une autorité qui est légitime par sa compétence technique et non pas par la confiance des urnes. Et c’est du vote des Français et seulement de lui que découle le pouvoir. Ce n’est pas là un débat seulement sémantique : l’autorité judiciaire sera plus impartiale, plus indépendante et plus efficace une fois que nous aurons adopté cette révision constitutionnelle, mais elle ne sera pas un pouvoir pour autant.

M. M’Jid El Guerrab. Les explications de la rapporteure se sont révélées si limpides que je retire mon amendement.

L’amendement CL111 est retiré.

La Commission rejette l’amendement CL992.

M. Ugo Bernalicis. Je souhaite faire un rappel au règlement.

Mme Naïma Moutchou, présidente. Il n’y a pas de rappel au règlement en commission, mais nous vous écoutons.

M. Ugo Bernalicis. Madame Moutchou, vous n’êtes pas membre du bureau et vous ne pouvez donc présider cette réunion. Étant membre associé du bureau, je demande par conséquent à présider la séance, faute de mieux et si vous en êtes d’accord.

Je ne crois pas en effet que votre qualité de simple membre de la commission vous permette, en soi, de présider, bien que je vous apprécie énormément : n’y voyez donc pas une attaque personnelle. Si je pense être le plus indiqué pour vous remplacer, à défaut de la disponibilité d’un membre du bureau, c’est parce que j’ai été un « bon perdant » à l’occasion de l’élection des membres du bureau puisque, arrivé à égalité avec mon concurrent, celui-ci a été désigné au seul bénéfice de l’âge. Et c’est avec grand plaisir que je présiderai la séance et ce sera pour moi un grand honneur.

Mme Naïma Moutchou, présidente. Je laisse la parole à la présidente de la commission des Lois pour vous répondre.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Vous savez, monsieur Bernalicis, que je suis présidente de la commission des Lois et que j’ai délégué ma présidence afin de rapporter le texte constitutionnel. Quatre vice-présidents ont successivement présidé nos réunions mais vous n’avez peut-être pas pu le constater puisque vous n’étiez pas présent.

M. Ugo Bernalicis. En partie seulement.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Stéphane Mazars, Didier Paris, Laurence Vichnievsky et Philippe Gosselin ont successivement dirigé nos travaux.

M. Ugo Bernalicis. Il manque un « insoumis » au casting.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Il s’est trouvé que cet après-midi et ce soir aucun d’eux n’était disponible et j’ai donc choisi un membre associé du bureau en la personne de Naïma Moutchou. Je ne vois donc pas à quel titre vous pourriez davantage qu’elle prétendre présider la réunion. Je précise en outre que quand, à seize heures trente, nous avions besoin d’une présidence, vous n’étiez pas là. Mme Moutchou est tout à fait apte à présider.

M. Ugo Bernalicis. J’ai fait aussi vite que j’ai pu, madame la présidente, et je note que vous ne m’avez pas téléphoné pour savoir si j’étais disponible.

Mme Naïma Moutchou, présidente. L’incident étant clos, nous poursuivons l’examen des amendements.

La Commission examine les amendements identiques CL518 de M. M’Jid El Guerrab et CL963 de M. André Chassaigne.

M. M’Jid El Guerrab. C’est un honneur pour moi de défendre mon amendement sous votre présidence, madame Moutchou, n’en déplaise à notre collègue. (Sourires.)

En matière d’indépendance de la justice, des avancées ont été réalisées lors de la révision constitutionnelle de 2008 : les attributions du chef de l’État ont été limitées.

Il s’agit ici d’aller plus loin en faisant du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) le garant de l’indépendance du pouvoir judiciaire. C’était là une recommandation du comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions en 2007, puis du groupe d’étude sur l’avenir des institutions en 2012.

En effet, une certaine confusion persiste entre les fonctions exécutive et judiciaire. En confiant la mission de garantir l’indépendance du pouvoir judiciaire au seul Conseil supérieur de la magistrature, l’on clarifierait la répartition des compétences.

Mme Huguette Bello. L’article 64 de la Constitution dispose que « le Président de la République est garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire », ce qui induit une forme de confusion des pouvoirs entre l’exécutif et le judiciaire. Cet amendement propose donc de confier cette fonction au CSM.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Avis défavorable. En effet, le Président de la République est le garant de toutes les institutions de la République donc de l’indépendance de l’autorité judiciaire. S’il peut pour cela s’appuyer sur sa légitimité démocratique, ce n’est pas le cas du CSM.

La Commission rejette ces amendements.

Puis elle examine les amendements identiques CL110 de M. M’Jid El Guerrab et CL1533 de M. André Chassaigne.

M. M’Jid El Guerrab. L’amendement CL110 vise à renforcer l’indépendance et l’impartialité de la justice vis-à-vis des autres pouvoirs. C’était là une recommandation du groupe de travail sur l’avenir des institutions en 2012.

Mme Huguette Bello. L’amendement CL1533 est défendu.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure, la Commission rejette ces amendements.

Puis elle en vient à l’amendement CL999 de M. Sébastien Jumel.

Mme Huguette Bello. L’amendement CL999 reprend la formulation proposée par l’Assemblée nationale dans le projet de loi constitutionnelle portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature en 2013. Le CSM ne se contentera plus « d’assister » le Président de la République dans la mission consistant à garantir l’indépendance de la justice, mais il y concourra – ce changement est aussi flagrant sur un plan grammatical, le CSM devenant le sujet de la phrase. En outre, le terme « concourt » assure une meilleure reconnaissance du rôle dévolu au CSM.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Ce projet de réforme avait finalement été voté dans les mêmes termes par l’Assemblée et le Sénat, sans toutefois comporter la modification grammaticale que vous proposez. Aussi, dans la perspective d’un accord avec nos collègues sénateurs, il est beaucoup plus sage de nous en tenir à la version commune à laquelle l’Assemblée nationale et le Sénat étaient parvenus. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Article 12
(art. 65 de la Constitution)
Renforcement des garanties relatives à l’indépendance des magistrats du parquet

La Commission examine l’amendement CL964 de M. André Chassaigne.

Mme Huguette Bello. Il s’agit de reprendre la formulation du projet de loi constitutionnelle portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature, adopté, en première lecture, par l’Assemblée en juin 2013.

Le présent amendement vise à remplacer l’article 65 de la Constitution par trois nouveaux articles 65, 65-1 et 65-2, le premier précisant les compétences du CSM, le deuxième fixant la composition de ses différentes formations et le dernier renvoyant à une loi organique la fixation des modalités d’application des deux premiers articles.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Une fois encore, il me paraît plus sage de nous en tenir à la rédaction adoptée par les deux chambres. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle en vient ensuite à l’amendement CL68 de M. M’Jid El Guerrab.

M. M’Jid El Guerrab. Je souhaite que la présidence du Conseil supérieur de la magistrature soit confiée à une personnalité indépendante n’appartenant ni au Parlement ni à l’ordre judiciaire. Elle pourrait être nommée par le Président de la République dans les conditions prévues au dernier alinéa de l’article 13 de la Constitution. Ainsi, par le biais de leurs commissions compétentes, les assemblées pourraient-elles donner leur avis sur la nomination envisagée.

L’objectif est de renforcer l’indépendance de la justice. C’était là, encore une fois, une recommandation du comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions en 2007, puis du groupe d’étude sur l’avenir des institutions en 2012.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Quitte à me montrer redondante, même avis que précédemment : je préfère qu’on ne touche pas à l’équilibre atteint par les deux chambres. Nous avons par ailleurs auditionné les présidents de section du CSM qui se satisfont de nos propositions et qui n’ont pas fait valoir de motifs qui justifieraient un changement de formulation. Avis défavorable.

M. M’Jid El Guerrab. J’apprécie les explications de la rapporteure. N’ayant pas assisté à ces auditions, je lui fais confiance et retire mon amendement.

L’amendement est retiré.

La Commission examine ensuite l’amendement CL445 de Mme Cécile Untermaier.

M. François Pupponi. Nous souhaitons appliquer la règle de la parité au sein du CSM.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Je vais vraiment paraître une adversaire farouche de la parité hommes-femmes…

M. François Pupponi. Nous en sommes tous convaincus… (Sourires.)

M. M’Jid El Guerrab. Nous savons bien que c’est impossible, madame la présidente de la commission.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. … mais je considère qu’au sein de telles formations, il est primordial de s’assurer de la qualité des personnes que l’on nomme et que cette qualité ne dépend pas de leur genre. Je suis résolument défavorable à ce type d’amendement.

M. Erwan Balanant. C’est bien dommage !

M. François Pupponi. Vos propos, madame la rapporteure, sont tout de même un peu particuliers. Vous affirmez qu’au sein de ces institutions il faut d’abord prendre en compte la qualité plutôt que le genre des personnes que l’on nomme. Ce qui signifie que dans les organismes où la parité est imposée, la qualité n’a pas d’importance ? Il s’agit simplement d’imposer la parité en faisant en sorte que les personnes nommées soient de qualité, puisque la parité n’est pas un obstacle à la qualité. Et on ne peut pas vouloir la parité pour tout un tas d’institutions et pas pour le CSM.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Je vais préciser mon propos. Au sein des organismes comprenant peu de membres, comme le CSM ou le Conseil constitutionnel, ce qui compte par-dessus tout, c’est la qualité des personnes nommées et non pas l’objectif de parité.

M. François Pupponi. Permettez-moi d’être un peu gêné. Quand, dans un conseil municipal de vingt membres, on assure la parité, c’est bien, c’est important, il faut des gens de qualité.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Je n’ai pas dit le contraire.

M. François Pupponi. Il n’y a pas de raison que le CSM ne respecte pas cette règle ; mais je prends acte de votre avis.

M. Erwan Balanant. Cet exemple montre qu’il faut imposer la parité tant qu’on peut afin de mettre un terme au débat.

M. François Pupponi. Eh oui.

M. Erwan Balanant. Hélas on ne révise pas une Constitution tous les quatre matins et nous aurons donc raté une occasion, celle d’y inscrire le plus possible la parité. C’est dommage et en tout cas ce n’est pas aussi anodin qu’il y paraît.

Je connais vos convictions, madame la rapporteure, et je sais bien qu’en la matière vous ne souffrez aucune critique : vous êtes autant pour la parité que nous tous. Reste qu’inscrire la parité dans la Constitution permettra de progresser énormément. Les conseils municipaux en sont un bon exemple. En 2001, quand ils ont commencé d’être paritaires, on a eu des femmes et, à partir de là, c’est devenu automatique, c’est à partir de ce moment qu’il y a eu de plus en plus de femmes dans tous les partis politiques – et c’est bien grâce à l’application de la parité en 2001 que nous avons aujourd’hui un Parlement presque paritaire avec 39 % de femmes. Continuons ce combat, ne nous arrêtons pas en si bon chemin.

Mme Huguette Bello. Vous avez tort, madame la rapporteure, vous le savez pertinemment. Aujourd’hui, les femmes magistrates sont majoritaires.

M. François Pupponi. Absolument.

Mme Huguette Bello. Je me souviens du jour où M. Perben, garde des sceaux, était allé remettre leur diplôme aux magistrats : il avait demandé si l’on ne pouvait prévoir un quota d’hommes parce que les femmes étaient déjà plus nombreuses qu’eux. Saisissons donc l’occasion qui nous est offerte d’inscrire la parité au sein du CSM.

M. Vincent Bru. Mon avis sera un peu différent. La profession de magistrat, en effet, se féminise. Je ne connais pas la composition actuelle du CSM mais il sera bientôt composé d’une nette majorité de femmes du seul fait de la présence déjà très majoritaire de femmes dans la magistrature.

Mme Marie Guévenoux. Je tiens, puisque j’ai le loisir de souvent travailler avec elle, à réaffirmer l’attachement de la rapporteure à la parité. Autant, à l’échelon municipal, on peut organiser une liste de façon qu’elle soit paritaire pour que le conseil municipal le soit à son tour, autant, concernant un concours – et on peut se réjouir que de nombreuses femmes réussissent celui de la magistrature –, il me paraît compliqué de tenir le même type de raisonnement.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Peut-être que je me trompe, peut-être faut-il que j’évolue sur ce point mais je suis convaincue qu’en 2001, monsieur Balanant, c’était il y a presque vingt ans, il était indispensable de fixer des objectifs de parité. Peut-être est-ce de la naïveté, peut-être suis-je un peu idéaliste, mais je pense qu’en 2018 nous avons dépassé ce stade et qu’il ne viendrait plus à l’esprit de personne d’avoir un gouvernement qui ne soit pas paritaire, que certaines formations ne le soient pas… Nous avons, j’y insiste, dépassé le stade de l’obligation de la parité.

M. M’Jid El Guerrab. Cela va sans dire mais cela va mieux en le disant.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Mais peut-être, je le répète, suis-je trop naïve – mais je ne le crois pas.

M. Erwan Balanant. Vous n’êtes pas naïve, madame la rapporteure, et nous le savons bien, et ce que vous affirmez est parfaitement juste. Les femmes et les hommes qui nous ont précédés et qui ont pris ces décisions ont remporté des victoires, certes, mais je rappelle que l’écart des salaires entre les femmes et les hommes est toujours de 20 % (Murmures) – et ceci a à voir avec notre sujet puisque cet écart a diminué grâce aux victoires auxquelles je viens de faire allusion. La majorité a fait une avancée énorme : jamais un parlement n’avait été aussi féminisé, il faut s’en féliciter et féliciter le président Ferrand qui faisait partie du comité d’investiture, lequel a alors décidé de prendre des femmes. Je m’en félicite pour ma part car cette féminisation est extraordinaire dans l’Histoire.

Cela ne signifie pas pour autant qu’il faille arrêter le combat et c’est pourquoi vous trouverez toujours en moi un bon soldat.

M. François Pupponi. Je suis tout de même étonné : l’amendement me paraît de bon sens. Depuis vingt ans tout le monde essaie d’introduire la parité partout et les résultats sont là. Et ici, pour le CSM, nous devrions dire : pas eux… J’ai le droit de vous dire, madame la rapporteure, que vous faites une erreur, une de plus…

M. M’Jid El Guerrab. Oh !

M. Vincent Bru. Non, c’est la première !

M. François Pupponi. Car enfin y a-t-il matière à débattre sur cette question ?

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Vous n’avez pas assisté à toutes nos réunions, cher collègue ; or je me suis exprimée contre une parité obligatoire pour la composition du Gouvernement…

M. François Pupponi. Il faut le dire au Président de la République, alors.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. … de même que pour la composition du Conseil constitutionnel… Je me suis prononcée contre la parité obligatoire pour tous ces types d’organismes et non pas pour le seul CSM. Cette position, je la défends depuis plusieurs jours et avec constance.

M. François Pupponi. J’en prends acte avec délectation.

M. Ugo Bernalicis. Je viens de consulter le site internet du CSM et il se trouve qu’il est composé d’une plutôt large majorité d’hommes alors qu’il y a manifestement plus de magistrates que de magistrats. Il y a donc une distorsion, sinon il y aurait plus de femmes que d’hommes au sein du CSM. Je ne sais pas si ma parole vaut quelque chose étant donné que je n’ai pas suivi le début de la discussion – puisqu’on passe son temps à dire que, parce que je n’étais pas là au début, ce que je raconte a une moindre valeur, traitement qu’on vient d’ailleurs de réserver à notre collègue Pupponi –, mais je vous adjure de comprendre que la réalité ne plaide pas pour vous. Je vais donc voter l’amendement.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Ce n’est pas parce que vous nous avez beaucoup manqué, monsieur Bernalicis…

M. Ugo Bernalicis. Vous n’étiez pas là au début de cette réunion !

M. Richard Ferrand, rapporteur général. J’allais vous dire quelque chose d’aimable, or vous êtes tellement susceptible que vous ne voulez pas m’écouter.

M. Ugo Bernalicis. Mon propos de tout à l’heure n’était pas dirigé contre vous.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Je voulais donc vous dire que ce n’est pas parce que vous nous avez beaucoup manqué que votre parole serait moins pertinente.

M. Ugo Bernalicis. Merci !

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Vous voyez : pas de quoi se cabrer.

Néanmoins, ainsi que l’a souligné la rapporteure, dans le souhait que la parité s’applique aux fonctions les plus éminentes, il faut tenir compte certes des lois en vigueur, de la volonté des organisations politiques, mais aussi de l’esprit de responsabilité des autorités de nomination ; or, que je sache, depuis maintenant un an, qu’il s’agisse des préfets, des hauts fonctionnaires qui dépendent de l’exécutif, notre démarche est des plus exemplaires et je n’oublie pas l’action de la secrétaire d’État Mme Schiappa. On ne peut que s’en réjouir.

Cela n’annule pas l’argument de Yaël Braun-Pivet, présidente de la commission des Lois, l’une des plus éminentes de l’Assemblée – notez-le au passage. Moyennant quoi il ne sert à rien de vouloir constitutionnaliser des dispositions qui relèvent de la loi et de la volonté politique des autorités de nomination. Il faut donc s’en tenir à ce qu’a, de mon point de vue, brillamment exposé la rapporteure.

La Commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CL993 de M. Sébastien Jumel.

Mme Huguette Bello. Je me permets tout de même une petite réflexion sur la discussion que nous venons d’avoir : si la cause des femmes a bien progressé ces dernières années, nous marquons le pas. Nous serons contentes lorsqu’il y aura une femme Première ministre ou Présidente de la République. (Exclamations.)

J’en viens à l’amendement CL993 qui prévoit une incompatibilité formelle entre la fonction de membre du Conseil supérieur de la magistrature et des fonctions publiques électives, même passées. En effet, les personnalités nommées au CSM doivent être complètement indépendantes du pouvoir politique. Elles ne doivent pas pouvoir être soupçonnées d’être politiquement engagées.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Le soupçon que les personnalités nommées au CSM soient engagées politiquement est l’un des motifs, mais pas le seul, qui préside à notre souhait que des personnalités politiques n’y figurent plus. Reste que votre amendement me paraît superflu. Avis défavorable.

M. Marc Fesneau, rapporteur. À l’heure où Simone Veil va entrer au Panthéon, madame Bello…

Mme Huguette Bello. J’en suis très heureuse.

M. Marc Fesneau. … je rappelle qu’elle fut membre du Conseil constitutionnel alors qu’elle avait eu auparavant des engagements politiques ; or personne n’a jamais douté de ses qualités. Ce sont les motifs de la nomination qui comptent ; de nombreuses personnalités ont eu des fonctions électives et pourtant ont fait autorité par la suite au sein de ce type d’organismes – d’où l’inutilité des barrières ou des freins que vous voulez instaurer.

Mme Coralie Dubost. Je tiens à apporter un élément de comparaison extérieur qui nous permettra d’apprécier l’apport du présent article sur le renforcement des garanties relatives à l’indépendance des magistrats du parquet. En Pologne, mardi prochain 3 juillet, du fait de l’entrée en vigueur d’une réforme constitutionnelle, les quinze membres de l’équivalent du conseil supérieur de la magistrature seront désormais élus par les parlementaires. Ils vont tous être renouvelés d’office, après révocation, et donc en fonction de critères politiques, l’indépendance de la justice étant dès lors vraiment remise en cause.

Or l’article 12 du présent texte vise précisément à renforcer et non à affaiblir cette indépendance de la justice en France. Aussi je me félicite qu’en des temps obscurs qui affectent une partie de l’Europe la France soit exemplaire, emblématique en la matière.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL197 de M. M’Jid El Guerrab.

M. M’Jid El Guerrab. Connaissant d’avance la réponse de la rapporteure, je retire l’amendement CL197, mais je ne veux pas qu’on dise que je ne défends pas la parité.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Mais non ! (Sourires.)

L’amendement est retiré.

La Commission en vient à l’amendement CL109 de M. M’Jid El Guerrab.

M. M’Jid El Guerrab. Je retire également l’amendement CL109.

L’amendement est retiré.

La Commission adopte l’article 12 sans modification.

Après l’article 12

[Article 66 de la Constitution]

La Commission examine l’amendement CL112 de M. M’Jid El Guerrab.

M. M’Jid El Guerrab. L’amendement CL112 vise à renforcer l’indépendance et l’impartialité de la justice vis-à-vis des autres pouvoirs, conformément à une recommandation du groupe de travail sur l’avenir des institutions en 2012.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. La présente proposition montre bien la valeur, la portée des mots. Vous proposez ainsi que l’on remplace la notion d’autorité judiciaire par celle de pouvoir judiciaire – suggestion qui n’est pas anecdotique.

L’autorité judiciaire désigne l’ensemble des institutions dont la fonction est de faire appliquer la loi afin de trancher les litiges. Le fait que la fonction de juger soit confiée à une autorité plutôt qu’à un pouvoir n’a rien d’anodin : au moment de la Révolution, le souvenir des parlements d’Ancien Régime et le dogme de la primauté de la loi ont contribué à disqualifier durablement le pouvoir judiciaire. Il n’est pas excessif de dire que c’est le pouvoir judiciaire, précisément, qui a nourri, suscité le sentiment d’injustice qui a provoqué les heureux événements révolutionnaires du XVIIIe siècle.

La Constitution de la Ve République, dont le titre VIII est consacré à l’autorité judiciaire, reste fidèle à cette conception « restrictive » de la justice : si les juges exercent leurs attributions « au nom du peuple français », ils n’en sont pas pour autant les représentants au même titre que les membres du Parlement ou du Gouvernement, et ne peuvent donc constituer un pouvoir propre.

Faire de l’autorité judiciaire un pouvoir judiciaire aurait, par exemple, pour conséquence de remettre en cause le principe selon lequel le Gouvernement définit et est responsable de la politique pénale. Faire de l’autorité judiciaire un pouvoir judiciaire aurait par ailleurs des conséquences budgétaires non négligeables puisque cela reviendrait à doter l’institution d’un budget propre.

Pour toutes ces raisons qui résultent de la sédimentation de l’Histoire, mais aussi de l’équilibre des pouvoirs tel que nous le concevons, j’émets un avis défavorable tout en précisant que, aussi vrai que nous sommes attachés à l’indépendance de l’institution judiciaire, de l’autorité judiciaire, nous devons veiller à ne jamais en faire un pouvoir.

M. M’Jid El Guerrab. Merci, Monsieur le rapporteur général, pour cet excellent cours de définitions juridiques.

N’étant absolument pas candidat ou responsable d’une future révolution comme celle de 1789, que je n’appelle pas de mes vœux, je retire mon amendement.

L’amendement est retiré.

[Après l’article 66-1 de la Constitution]

La Commission est saisie de l’amendement CL121 de M. M’Jid El Guerrab.

M. M’Jid El Guerrab. Il s’agit, là encore, d’un sujet compliqué sur lequel j’aimerais avoir les explications du rapporteur général et des rapporteurs.

Par le biais de cet amendement, il s’agit de constitutionnaliser l’article 1er du code de procédure pénale avec la mention de la matière fiscale pour faire sauter le monopole qu’exerce le ministre du Budget sur les décisions de poursuites judiciaires en matière de fraude fiscale, c’est-à-dire le verrou de Bercy.

Je crois savoir que ce sujet qui n’est pas du tout polémique…

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Pas du tout, en effet ! (Sourires.)

M. M’Jid El Guerrab. … est en débat au Sénat.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Je ne savais pas que le verrou de Bercy était une obsession parlementaire. Lorsque nous avons étudié le projet de loi pour la confiance dans la vie politique, nous avons découvert qu’effectivement il s’agissait presque d’un marronnier.

Cela ne vous surprendra pas si je vous indique qu’il y a eu une mission d’information commune de la commission des Lois et de la commission des Finances sur le verrou de Bercy. Nous espérons peut-être clore ce sujet lors des prochains débats parlementaires sur le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude. En tout état de cause, cela n’a strictement rien à voir avec la Constitution.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Très bien !

M. M’Jid El Guerrab. En attendant les conclusions de cette mission d’information pilotée par Mme Émilie Cariou et M. Éric Diard…

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Ils ont rendu leur rapport il y a un mois et demi.

M. M’Jid El Guerrab. Je n’ai pas encore eu le plaisir de le lire !

Je retire mon amendement.

L’amendement est retiré.

La Commission en vient à l’amendement CL584 de M. François Pupponi.

M. François Pupponi. Cet amendement concerne un sujet important.

La France a reconnu deux génocides : la Shoah et le génocide arménien.

Aujourd’hui, en France, on est réprimé pénalement si on nie la Shoah mais pas si on nie le génocide arménien. Il y a là une anomalie juridique dans notre pays puisque, alors que deux génocides sont reconnus par la France, l’un peut être nié tandis que l’autre ne peut pas l’être. Cette anomalie vient en particulier d’une jurisprudence du Conseil constitutionnel qui considère que la France a reconnu des génocides, mais que la négation des génocides n’est pas un problème. Dès lors que cette négation n’est pas constitutionnelle, n’importe qui peut nier l’existence d’un génocide.

Soit on est cohérent avec ce que l’on a fait, auquel cas on pénalise la négation des deux génocides reconnus par la France et l’on n’oppose pas la souffrance des Arméniens d’un côté, et des Juifs de l’autre, soit on considère qu’on peut nier les génocides en France et donc on peut également nier la Shoah.

C’est un sujet d’une importance considérable. Lors du dernier repas du Conseil de coordination des organisations arméniennes de France, le Président de la République a demandé aux parlementaires et Arméniens présents de trouver une solution juridique à cette problématique. Je pense que la seule solution juridique consiste à constitutionnaliser la pénalisation de la négation des génocides et des crimes contre l’humanité reconnus par la France.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. L’amendement que vient de défendre François Pupponi ne pose évidemment pas qu’une question de droit. Évoquer la capacité, au nom de la liberté d’expression, de minorer voire de nier des génocides ne peut que nous atteindre profondément en tant qu’êtres humains et en tant qu’élus.

Le fait de constitutionnaliser la minoration ou la négation de génocides n’empêchera aucune minoration ni aucune négation. Le Conseil constitutionnel a construit à plusieurs reprises une jurisprudence en considérant qu’il serait contraire aux principes de la Déclaration des droits de l’Homme de limiter la liberté d’expression, y compris si c’était au détriment de la loi. En clair, le Conseil constitutionnel a dit qu’il nous revenait par la loi de sanctionner, de punir la minoration, la négation de crimes contre l’humanité, de génocides ou autres, mais que la Déclaration fondamentale des droits prévalait en quelque sorte pour la liberté d’expression. C’est la construction globale de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Comme moi, vous savez que toute une série de lois ont été votées et sont appliquées, et qu’il existe une loi pénale qui sanctionne la minoration et la négation de génocides. Constitutionnaliser ces faits serait au fond une manière de porter atteinte à la liberté d’expression qui aurait des effets de bord qui concerneraient d’autres expressions de la liberté sur d’autres sujets qui n’ont aucun lien avec les crimes que vous évoquez.

Voilà pourquoi nous émettons un avis défavorable sur votre amendement en vous disant, et vous le savez bien, qu’il n’y a pas de bonne solution à l’échelle de la réforme constitutionnelle. J’entends bien que votre amendement appelle l’attention sur les paradoxes, à bien des égards douloureux, de notre hiérarchie des normes, mais je ne crois pas qu’il serait positif pour notre société d’accéder à votre demande. C’est pourquoi je donne un avis défavorable, sans minorer la complexité et la gravité du sujet que vous avez soulevé.

M. François Pupponi. Je suis très étonné de votre réponse, à la fois sur le plan juridique et sur un plan plus politique.

Le Conseil constitutionnel a dit le contraire de ce que vous avez indiqué puisqu’il estime qu’une loi ne peut pas pénaliser la négation d’un génocide reconnu par la Nation. Permettez-moi de vous lire sa dernière décision de 2017 : « Article 1er : la loi visant à réprimer la contestation de l’existence des génocides reconnus par la loi est contraire à la Constitution. » En France, on peut donc nier les génocides reconnus par la France. Les négationnistes ont le droit de s’exprimer, et ils peuvent dire que la Shoah n’a pas existé et que les Arméniens n’ont pas été exterminés par les Turcs en 1915.

Nous faisons presque tous ici partie d’organisations politiques qui, depuis des années, sont horrifiées par le négationnisme et qui se demandent comment on peut, dans notre pays, nier l’existence de la Shoah. Le Conseil constitutionnel dit qu’il y a un principe constitutionnel qui est la liberté d’expression, et comme la négation des génocides n’est pas un principe constitutionnel, on privilégie le principe constitutionnel, c’est-à-dire la liberté d’expression.

Nous proposons de placer au même niveau la liberté d’expression et la pénalisation de la négation de génocides. Ainsi, le Conseil constitutionnel ne pourra plus censurer une loi puisqu’il aura en face de lui deux principes constitutionnels.

Mme Naïma Moutchou, présidente. Il faut conclure, monsieur Pupponi !

M. François Pupponi. Madame la présidente, on parle d’un million et demi de morts en 1915 ! On peut prendre un peu de temps pour parler d’un sujet aussi grave !

Si vous voulez pénaliser la négation de deux génocides reconnus par la Nation – je ne parle pas de tous les génocides, seulement de ceux qui sont reconnus par la Nation – il faut le constitutionnaliser. Sinon, la jurisprudence du Conseil constitutionnel permet la négation. C’est un choix juridique, mais éminemment politique. Ce serait dommage de sortir de cette seule réforme constitutionnelle de la législature sans régler le problème de la négation des génocides.

Mme Naïma Moutchou, présidente. Monsieur Pupponi, je vous rappelle que nous avons fixé un temps de parole de deux minutes pour présenter les amendements et d’une minute pour répondre.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Je ne voudrais pas qu’un membre de notre assemblée ou un citoyen qui regarderait nos débats puisse exciper de nos échanges que quiconque ici tolérerait la négation ou la minoration de génocides. Là n’est pas l’enjeu. l’enjeu est de savoir comment s’équilibre la répression de la minoration ou de la négation de ces crimes à la lumière de la Déclaration universelle des droits de l’Homme et de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, autrement dit par rapport à la liberté d’expression. L’objet de la liberté d’expression et la protection de la liberté n’est pas de protéger la négation ou la minoration de la Shoah, mais toutes les expressions qui ne sont pas que des négations scélérates. Il existe un arsenal pénal pour réprimer tous les faits que nous évoquons, vous et moi, et une sorte de chapeau général, si je puis dire, de notre Constitution qui fait primer au fond une forme d’optimisme, c’est-à-dire de protection de la liberté d’expression, tout en assurant par la loi la répression des atteintes aux minorations ou aux négations de génocides.

Lorsque l’on oppose la liberté d’expression et l’horreur que représentent la négation et la minoration de génocides, on pourrait être tenté de vouloir constitutionnaliser telle ou telle dérive – le mot est faible –, telle ou telle pratique condamnable. Mais au fond, on se dit que la République est armée pour sanctionner ceux qui nient les génocides tout en restant porteuse de cet idéal et de cet esprit de liberté d’expression, qu’il faut veiller à ne pas cantonner par une réforme constitutionnelle qui pourrait avoir au final des effets de bord sans commune mesure avec l’origine de ce qui pourrait fonder notre appréciation.

M. François Pupponi. Je suis vraiment étonné de votre réponse. Si la pénalisation de la négation de génocides reconnus par la France était une réalité, il n’y aurait pas de problème. Or les descendants d’Arméniens qui ont attaqué des représentants turcs qui nient la négation du génocide arménien ont tous été déboutés. Les tribunaux n’ont pas considéré que la négation était pénalisable, puisque la loi ne le prévoit pas.

Si la République avait protégé les descendants des victimes du génocide arménien, il ne serait pas nécessaire de légiférer. Mais c’est parce que la justice considère que quiconque peut dire que le génocide arménien n’a pas existé, même si la France l’a reconnu, que le besoin s’est fait sentir par la majorité précédente, à laquelle vous apparteniez monsieur le rapporteur général, de voter une loi pour pénaliser la négation. Or elle a été censurée parce que le Conseil conditionnel oppose une valeur supérieure : la liberté d’expression. C’est pourquoi je demande, et c’est un raisonnement juridique, de mettre les deux droits à égalité. Ainsi, la négation du génocide arménien serait sanctionnée par les tribunaux. Mais c’est justement parce que les tribunaux refusent, au nom de la République, de la sanctionner, qu’il y a un problème.

M. Olivier Marleix. Notre collègue Pupponi ouvre à l’évidence un débat qui a toute sa place dans nos travaux. Deux Présidents de la République, Nicolas Sarkozy puis François Hollande, avaient présenté des textes de loi – j’imagine, monsieur le rapporteur général, que vous aviez voté à l’époque la loi de la majorité à laquelle vous apparteniez qui tendait à réprimer la négation du génocide arménien – qui ont fait l’objet l’un et l’autre d’une censure par le Conseil constitutionnel. Aujourd’hui, c’est l’occasion ou jamais de faire évoluer le débat, et vous ne pouvez pas l’évacuer d’un revers de main comme vous venez de le faire alors que deux chefs d’État successifs l’avaient pris à bras-le-corps.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Ce n’est pas ce que j’ai fait !

M. Olivier Marleix. Si ! Votre première réponse fait état de trous de mémoire sur le sujet. Mais je ne vous en veux pas parce que nous sommes en fin de semaine et que nous sommes fatigués.

Je pense que le Gouvernement peut chercher à construire une réponse à la demande de M. Pupponi d’ici à l’examen de ce texte en séance publique.

Mme Coralie Dubost. Je ne reviendrai pas sur le débat de fond, le rapporteur général ayant apporté des précisions importantes en termes de questionnement sur la hiérarchie des droits fondamentaux.

Monsieur Pupponi, je ne comprends pas pourquoi vous souhaitez inscrire votre proposition dans le titre VIII de la Constitution et non dans le préambule. Cela ne me semble pas du tout adéquat.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Monsieur Marleix, j’ai bien remarqué que dans vos modalités d’expression vous ne pouviez pas vous empêcher de titiller, de provoquer... Là encore, vous avez jugé utile de dire que j’aurais balayé d’un revers de main ce que M. Pupponi exprimait avec gravité. Je n’admets pas que vous disiez cela. Je ne traite pas avec désinvolture ni légèreté ce qu’il a dit. Tenez-vous le simplement pour dit. Personne n’est léger, ni vous ni moi.

Lorsque l’on reprend la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur les lois que vous évoquez, on voit bien qu’il continue à faire ce mouvement de balance entre la liberté d’expression qu’il considère comme étant le plus sacré des éléments de notre République et les lois pénales dont il a pu juger certaines inconstitutionnelles, pour sanctionner un certain nombre des actes que vous évoquez.

Monsieur Pupponi, en l’état de nos travaux, je vous confirme que notre appréciation sur votre amendement est défavorable. Gageons que nous puissions trouver une formulation, d’ici à l’examen du texte en séance publique, qui permette de prendre en compte de ce que vous dites, même si vous avez, comme nous tous, mesuré la complexité du sujet.

J’émets donc un avis défavorable sans désinvolture et je prends l’engagement de regarder comment on peut essayer de trouver une solution par rapport aux deux enjeux que nous venons d’évoquer.

M. François Pupponi. J’entends la proposition de M. Ferrand que j’apprécie.

M. Marleix a parlé de deux Présidents la République. Pour ma part, j’en ai entendu un troisième évoquer le sujet : c’est Emmanuel Macron qui, au mois de novembre dernier, a demandé aux parlementaires de trouver une solution. J’attends toujours que le groupe La République en Marche nous dise quelle solution il propose.

M. Sacha Houlié. Nous ne sommes pas aux ordres du Président de la République !

M. François Pupponi. Je n’ai pas envie de rire sur de tels sujets !

Cela fait quinze ans que je me penche sur ce sujet, ce qui fait que je peux prétendre avoir une expérience, et je sais que l’on ne peut régler le problème que dans le cadre d’une réforme constitutionnelle. Comment voulez-vous dire à des descendants de la Shoah que la loi Gayssot pénalise la négation et aux descendants des Arméniens que l’on peut nier le génocide arménien ? Cela n’a pas de sens dans le pays des droits de l’Homme. Il faut donc trouver une solution juridique. On ne peut pas tout dire dans le pays des droits de l’Homme !

Mme Coralie Dubost. Monsieur Pupponi, je vous ai posé une question !

M. François Pupponi. Excusez-moi de m’être trompé de titre, madame Dubost ! Et vous, dans quel titre l’avez-vous mis ?

J’attends que la majorité propose quelque chose d’ici à la séance publique pour que l’on ne puisse plus nier, dans le pays des droits de l’Homme, l’extermination, en 1915, d’un million et demi de chrétiens d’Orient !

M. Erwan Balanant. La France l’a reconnu !

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL748 de M. Jean-Luc Mélenchon.

M. Ugo Bernalicis. Il s’agit ici d’inscrire dans la Constitution un encadrement des médias et de la presse, de manière à garantir leur indépendance. C’est pourquoi, nous proposons de rappeler un certain nombre de principes, d’abord que les citoyennes et les citoyens ont le droit à l’information, ensuite que les journalistes ont des droits et des devoirs. Nous proposons d’introduire la notion de Conseil national de la déontologie, comme cela a été fait dans plusieurs pays d’Europe, de façon que la presse, en tant que pouvoir médiatique, ne puisse pas faire n’importe quoi, influencer telle ou telle décision politique ou l’opinion publique. Vous le savez, l’essentiel des médias sont détenus par quelques milliardaires, ce qui a un impact flagrant, ne serait-ce que sur la ligne éditoriale, sur le traitement médiatique. Il suffit de voir le traitement médiatique qui a été fait de la grève de la SNCF pour s’apercevoir que l’indépendance de la presse est encore un combat.

Nous proposons donc d’inscrire dans la Constitution quelque chose qui encadre ce pouvoir qui est souvent livré à lui-même et qui n’est peut-être pas au niveau auquel il devrait être, c’est-à-dire au niveau de la Constitution, texte tout indiqué pour discuter de la séparation des pouvoirs. Cela permettrait de se prémunir contre d’éventuelles tentatives de détenteurs d’organes de presse de continuer à influencer le débat public et les décisions qui s’imposent dans le pays.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Au fond, vous souhaiteriez intégrer dans la Constitution un nouveau titre destiné à garantir la protection de la presse – c’est aimablement dit – et l’existence d’un Conseil national de la déontologie des journalistes. Vous voyez bien que, sans être un exégète chevronné, on peut douter en quelque sorte des deux éléments de la phrase. Cela ressemble à un oxymore puisque d’un côté vous proposez de garantir la protection de la presse, et de l’autre de veiller à leurs devoirs.

Spontanément, je donne un avis défavorable à votre amendement car la liberté de communication est en effet affirmée à l’article 11 de la déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, et le Conseil constitutionnel a bâti sur son fondement une jurisprudence à même d’assurer la libre communication des informations.

J’ajoute que la création d’un Conseil national de la déontologie n’est évidemment pas d’ordre constitutionnel et que certaines des dispositions que vous proposez sont inexactes. On ne peut ainsi renvoyer à une loi organique, qui a pour objet de préciser l’organisation et le fonctionnement des pouvoirs publics, les modalités de rédaction d’une charte de déontologie des journalistes.

Comme vous, je partage l’idée que cette profession gagnerait, comme d’autres, à se doter sans doute d’outils de déontologie, comme c’est le cas pour les professions de justice. Mais ceci n’engage que moi.

M. Ugo Bernalicis. Monsieur le rapporteur général, si vous voyez un oxymore entre droits et devoirs, il va falloir revoir la situation « oxymorique » de la République dans laquelle on vit. Je ne crois pas le débat se situe à ce niveau-là. Bien évidemment, à chaque fois que nous construisons des droits, nous construisons aussi des devoirs.

Il n’est pas possible que le pouvoir des médias ne puisse pas être encadré dans la Constitution, puisque je pense que personne ne peut nier ici que c’est un pouvoir au moins de facto. Oui, nous pensons qu’un Conseil national de la déontologie pourrait faire son œuvre en la matière, afin qu’il y ait un endroit où l’on pourrait contester la bonne ou la mauvaise information, qu’on soit journaliste, citoyen, etc. Je ne vois pas en quoi ce serait un problème de l’inscrire dans la Constitution et encore moins en quoi le fait de le décliner en loi organique serait un autre problème.

J’ai bien compris que vous préfériez la loi sur les fake news qui est bien en deçà des enjeux en termes de partage et de séparation des pouvoirs.

M. M’Jid El Guerrab. Ce débat est passionnant et, comme M. Bernalicis, je considère qu’il s’agit bien d’un pouvoir. Il faut faire en sorte que ce pouvoir s’exerce de la manière la plus normale possible, sans excès, dont on a vu qu’ils étaient nombreux.

Vous parlez des droits et des devoirs des journalistes. Pour ma part, je préfère que l’on fasse confiance à la presse en responsabilité, par rapport à une déontologie, plutôt que l’on crée une structure un peu figée.

Cela dit, c’est un amendement d’appel qui est très intéressant, qui peut ouvrir le débat et permettre de revenir sur le texte relatif aux fakes news que je trouve assez restreint puisqu’il ne réduit les temps de contre-pouvoir que sont la justice et la presse qu’aux périodes de campagne électorale.

M. Erwan Balanant. Il y a là un paradoxe puisque vous étiez vent debout, non contre le texte sur les fake news, mais contre les manipulations, alors que là vous voulez constitutionnaliser un organe qui contrôlerait la presse. Je comprends toutes les oppositions feintes et les cris d’orfraie que vous avez poussés pendant l’examen de la proposition de loi contre les manipulations. Soyons sérieux, la presse doit être libre dans notre pays…

M. Ugo Bernalicis. La presse n’est pas libre !

M. Erwan Balanant. Si, la presse est libre, et elle est encadrée par une grande et belle loi qui résiste au temps et qui a su s’adapter. Restons-en là et arrêtons de faire des choses qui ne riment pas à grand-chose !

Mme Marie Guévenoux. Dans la continuité de ce que vient de dire Erwan Balanant, je suis extrêmement gênée par les propos que vous avez tenus sur les journalistes, monsieur Bernalicis. Ce que vous dites sur la déontologie de la presse est assez grave.

Je ne vois pas pourquoi on devrait passer d’une liberté de la presse à une liberté surveillée. Je récuse totalement ce mouvement vers ce type de société et je suis extrêmement défavorable à votre amendement.

La Commission rejette l’amendement.

Article 13
(art. 68-1 à 68-3 de la Constitution)
Responsabilité pénale des ministres

La Commission est saisie de l’amendement CL220 de M. Philippe Gosselin.

M. Olivier Marleix. Lorsque j’ai dit tout à l’heure au rapporteur général qu’il « évacuait d’un revers de main », je n’évoquais aucunement une légèreté de comportement de sa part. Je trouvais seulement que sa réponse était somme toute assez peu développée par rapport au sujet.

Avec l’article 13, vous remplacez un privilège de juridiction par un autre. J’aimerais connaître votre analyse sur la compatibilité des dispositifs que vous imaginez avec l’article 6-1 de la Convention européenne des droits de l’Homme sur le droit au procès équitable. En fait, vous créez un système dans lequel le ministre sera jugé directement par la cour d’appel, avec la possibilité, j’imagine, de se pourvoir ensuite en cassation. Or la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme évoque le fait qu’en appel on a le droit de refaire un procès plein et entier en matière pénale. J’aimerais que vous nous apportiez des éclaircissements sur ce point et avoir la certitude que l’on aura un système de droit plein et entier.

Il est regrettable également que vous ne régliez qu’à moitié le problème. Les ministres et leurs collaborateurs continueront d’être jugés différemment par deux organes différents pour des faits sur lesquels ils peuvent être coauteurs. La solution que vous apportez reste donc à mon sens à mi-chemin par rapport à toutes les questions que pose un dossier que vous avez choisi d’ouvrir.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Oui, monsieur Marleix, nous allons supprimer la Cour de justice de la République.

Avec cette réforme de la Constitution, les politiques ne seront plus jugés par des politiques, les politiques seront jugés comme tout le monde par des juridictions de droit commun. C’est une avancée considérable pour la confiance que les citoyens peuvent avoir et dans leur justice et dans la classe politique qui exerce les responsabilités.

Nous avons réalisé beaucoup d’auditions sur ce sujet parce qu’il est éminemment complexe. La Cour de justice de la République n’est pas arrivée dans notre système par hasard : elle a été le fruit d’une histoire, elle est la conséquence de difficultés qui se sont posées dans le passé. Nous avons souhaité apporter des réponses concrètes, efficaces et indispensables pour nos concitoyens.

Nous souhaitons que les ministres soient jugés demain par des juridictions de droit commun. Nous avons entendu les reproches que la Cour de justice de la République suscite. On reproche notamment à cette juridiction d’être composée par des politiques, son absence de double degré de juridiction, et le fait que les poursuites soient disjointes avec les coauteurs, les complices, etc. Nous avons souhaité répondre à toutes ces objections, la plus importante étant que les poursuites étaient séparées.

Nous proposons donc une compétence exclusive de la cour d’appel de Paris qui est composée de magistrats aguerris, compétents, aptes à juger des affaires complexes, et qui sont des magistrats du droit commun.

Nous proposerons ultérieurement, par l’amendement CL1535, d’apporter une réponse à la difficulté relative à la connexité. Nous souhaitons que les poursuites soient communes entre les ministres, leurs coauteurs, mais aussi les complices, receleurs, etc., parce que nous savons que si nous voulons une bonne administration de la justice nous ne pouvons continuer à dissocier les procédures. Nous apporterons donc une réponse à ce défaut majeur.

Avec ce nouveau dispositif, nous répondons à une vraie attente des citoyens : que les politiques soient jugés comme tout le monde. Je ne doute pas un seul instant que c’est ce que vous souhaitez.

Avis défavorable à cet amendement de suppression de l’article 13.

M. Olivier Marleix. Vous n’avez pas répondu à ma question, madame la rapporteure.

M. François Pupponi. Madame la rapporteure, vous nous dites que les politiques seront jugés comme tout le monde. Pourtant, ce n’est pas ce qui est écrit à l’article 13. Ils ne seront pas jugés par le même tribunal ni les mêmes juges que tout le monde

On peut comprendre qu’il faille un traitement particulier pour les femmes et les hommes politiques, auquel cas on assume de dire qu’ils seront traités différemment. Mais on ne peut pas dire qu’ils seront traités comme tout le monde et créer une juridiction spéciale au motif qu’ils ne peuvent pas être jugés par tout le monde.

L’article 13 est donc en totale contradiction avec ce que vous dites. S’ils doivent être jugés comme tout le monde, ils doivent aller devant les tribunaux comme tout le monde, sans choisir les magistrats.

M. Erwan Balanant. Monsieur Pupponi, je comprends ce que vous dites parce que, initialement, avant le début de nos auditions extrêmement nombreuses, fournies et d’une qualité qui m’a fortement impressionné – j’avoue avoir eu une certaine fierté à participer à ces auditions au cours desquelles on a eu la chance d’entendre les personnes qui comptent dans notre appareil judiciaire français – j’avais la même position que vous. Mais on nous a expliqué que ça ne marcherait pas.

M. François Pupponi. Donc, ils ne peuvent pas être jugés comme tout le monde !

M. Erwan Balanant. Si, ils seront jugés par des juges du droit commun. La seule différence, c’est que ce sont des juges aguerris.

De même, pour certaines affaires, notamment dans des cas de terrorisme, on n’est pas jugé exactement par les mêmes juges.

M. Olivier Marleix. Tout à l’heure, j’ai posé une question à la rapporteure sur l’absence de double niveau de juridiction, et notamment la compatibilité du dispositif que vous avez imaginé par rapport à la Cour européenne des droits de l’Homme.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Par une décision du 12 février 2004 relative à la loi portant statut d’autonomie de la Polynésie française, le Conseil constitutionnel a considéré que le principe du double degré de juridiction n’avait pas en lui-même valeur constitutionnelle.

En 1980, la France a émis une déclaration sur l’alinéa 5 de l’article 14 du pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, indiquant qu’elle interprétait cet article comme posant un principe général auquel la loi pouvait apporter des exceptions limitées, qu’il en était ainsi notamment pour certaines infractions relevant en premier et dernier ressort du tribunal de police et, au demeurant, que les décisions rendues en dernier ressort – c’est cela qui est important – pouvaient faire l’objet d’un recours devant la Cour de cassation qui statue sur la légalité de la décision intervenue.

Une déclaration faite par la France, le 22 novembre 1984 et confirmée lors du dépôt de l’instrument de ratification, le 17 février 1986, relative à la Convention européenne des droits de l’Homme indique que l’examen par une juridiction supérieure peut se limiter à un contrôle de l’application de la loi, tel le recours en cassation.

Il ressort de ces éléments, que je pourrai vous communiquer intégralement, que le double degré de juridiction n’est pas une exigence, ni constitutionnelle ni conventionnelle, et qu’en fait le recours en cassation fait office de double degré de juridiction au sens prévu par les conventions internationales auxquelles la France est partie.

C’est un point sur lequel nous nous sommes beaucoup interrogés. Comme l’a rappelé Erwan Balanant, nous avons réalisé treize auditions sur la Cour de justice de la République car nous pensions que c’était un des éléments à prendre en compte. Mais il n’a pas résisté à l’ensemble de l’examen de cette jurisprudence.

M. François Pupponi. Imaginez qu’un ministre soit mis en examen et poursuivi dans le cadre d’une affaire de terrorisme. Aujourd’hui, pour une affaire de terrorisme on va devant une cour d’assises spéciale pour terroristes. Demain, on va donc créer un tribunal différent, avec des magistrats de la cour d’appel qui ne sont pas des spécialistes en matière de terrorisme. Et les complices du ministre mis en examen pour faits de terrorisme seront jugés devant la même cour.

M. Erwan Balanant. Ce n’est pas demain que l’on va rencontrer le cas d’un ministre mis en examen dans le cadre d’une affaire de terrorisme !

M. François Pupponi. Cela veut donc dire qu’il n’y a pas en France de cour d’assises spéciale pour des faits de terrorisme !

M. Erwan Balanant. Ce n’est pas ce que j’ai dit !

Mme Marie Guévenoux. Monsieur Pupponi, je veux vous rassurer : si demain un ministre était mis en examen pour des faits de terrorisme, il serait jugé comme un Français normal.

Avec cet article, on a essayé de lever cette connivence du jugement de l’entre-soi qui avait été dénoncée dans de précédents débats dans le cadre de la Cour de justice de la République et de savoir si l’exercice de la fonction ministérielle était anodin. Je ne le crois pas personnellement.

Notre volonté a été à la fois de supprimer cette suspicion en passant par une formation de jugement de droit commun et de faire en sorte que l’exercice si particulier d’une fonction gouvernementale puisse être exercé dans une sérénité suffisante pour pouvoir diriger ce pays.

Mme Naïma Moutchou, présidente. Je pense que la Commission est suffisamment éclairée.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CL965 de M. André Chassaigne.

Mme Huguette Bello. L’article 68-3 de la Constitution doit être maintenu afin que le nouveau dispositif puisse s’appliquer aux faits commis avant son entrée en vigueur, donc aux affaires pendantes devant la Cour de justice de la République.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. L’organisation de la transition entre les deux juridictions a été l’une de nos préoccupations mais l’ensemble des personnes que nous avons interrogées nous ont indiqué qu’il n’était pas nécessaire de prévoir des dispositions transitoires, que la transition s’effectuerait automatiquement. Je vous rejoins dans votre préoccupation mais la précision n’est pas nécessaire. Avis défavorable.

La Commission rejette cet amendement.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel CL1503 du rapporteur général (amendement  350).

Elle se saisit de l’amendement CL451 de Mme Cécile Untermaier.

M. François Pupponi. Si l’on considère que les ministres sont des justiciables comme les autres, ils doivent être jugés par les mêmes tribunaux dans les mêmes conditions. Si ce ne sont pas des justiciables comme les autres, comme le dit la présidente de la commission, il vaut mieux qu’ils soient jugés par des magistrats choisis. On peut le justifier, et c’est ce qui expliquait la création de la Cour de justice de la République.

Faites comme vous voulez. Nous savons quels commentaires nous trouverons dans les journaux. L’article tel que rédigé sera interprété par le commun des mortels comme la création d’une juridiction spécifique pour les ministres. Vous avez raison de dire que ce n’est pas vrai si vous y croyez, mais c’est comme cela que ce sera interprété. Je ne vais pas vous convaincre mais je lirai la presse avec délectation dans les jours à venir.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Moi, je ne lirai pas la presse avec délectation parce qu’il s’agit d’une affaire bien trop sérieuse.

Il ne s’agit en aucun cas d’une juridiction spécifique, mais de magistrats de la cour d’appel de Paris, et nous ne prévoyons pas non plus de composition spécifique à la cour d’appel de Paris. Mais nous considérons, à la suite de multiples auditions et réflexions, que la responsabilité d’un ministre qui exerce des fonctions politiques n’est pas celle de tout un chacun. C’est la raison pour laquelle il existe un dispositif, dont vous ne parlez pas, avec une commission des requêtes chargée d’effectuer un filtre relatif aux plaintes visant les ministres. La présidente de cette commission des requêtes nous a indiqué que, sur près de 1 500 plaintes reçues, seulement quarante ont fait l’objet d’une instruction. J’ai même appris un mot à cette occasion : les « quérulents » sont des personnes qui portent plainte de façon récurrente contre tel ou tel ministre pour des faits complètement farfelus. Il est indispensable d’avoir un dispositif de filtre, d’instruction et de jugement.

Cette réforme vise à ce que les ministres soient redevables d’une justice avec les mêmes magistrats que vous et moi, mais selon une procédure de mise en cause de leur responsabilité spécifique, parce qu’ils sont, de fait, plus exposés aux plaintes abracadabrantesques et que l’action ministérielle procède d’un régime de responsabilité qui ne peut être assimilé à tout un chacun.

M. Erwan Balanant. Je connais l’intelligence de M. Pupponi et je pense qu’il fait semblant de ne pas comprendre. Ce dispositif excellemment construit résulte d’une réflexion approfondie et d’auditions nombreuses. Nous supprimons la justice d’exception de ministres jugés par leurs pairs. Ils seront jugés par des juges. C’est simple.

M. Olivier Marleix. Je modérerai un peu l’enthousiasme de madame la rapporteure : un homme politique restera jugé par ses pairs, le chef de l’État, car je n’ai pas entendu M. Macron s’engager sur la question du statut pénal du Président de la République, contrairement à son prédécesseur, qui en avait parlé et ne l’a pas fait.

Plus sérieusement, vous m’avez, madame la rapporteure, répondu tout à l’heure sur la constitutionnalité du double niveau de juridiction. Ce n’est pas le sujet. La question est de savoir ce qui se passera demain si un ministre condamné saisit la CEDH au titre de l’article 6-1 de la Convention relatif au droit à un double niveau de juridiction. En matière pénale, la CEDH exige un double niveau de juridiction, elle l’a encore dit dans un arrêt de 2017, qui rappelle en outre que ce double niveau doit avoir la qualité de pleine juridiction, ce qui ne paraît pas être le cas de la cour de cassation. Je ne voudrais pas qu’un dispositif de notre norme suprême soit demain balayé par un arrêt de la CEDH.

La Commission rejette cet amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL1353 de Mme Laurence Vichnievsky.

Mme Isabelle Florennes. L’amendement de notre collègue Laurence Vichnievsky, précisant l’alinéa 4 de cet article, peut justement nous éclairer sur la question du premier et du dernier ressort, et on ne peut douter du professionnalisme de notre collègue en la matière.

L’article 2 du protocole n° 7 de la Convention européenne des droits de l’homme reconnaît à toute personne déclarée coupable en matière pénale le droit à un double degré de juridiction. Mais, d’une part, le recours en cassation, qui sera normalement exercé devant la chambre criminelle de la cour de cassation, répond, selon la jurisprudence de la CEDH, à l’exigence du double degré de juridiction, d’autre part, le protocole lui-même prévoit que ce droit peut faire l’objet d’une exception lorsque la personne en cause a été jugée en première instance par la plus haute juridiction.

Dès lors, il est préférable que les décisions de la cour d’appel de Paris soient prises, en la matière, en premier et dernier ressort, c’est-à-dire sans possibilité d’appel.

Les auteurs du projet de loi constitutionnelle ont sans doute considéré que cette solution se déduisait de la rédaction de l’article 13. Pour éviter toute incertitude à cet égard, il est proposé qu’elle figure expressément dans le texte de la Constitution.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Le dispositif que nous prévoyons, avec la cour d’appel de Paris, permettra un jugement par des magistrats expérimentés et un appel à la cour de cassation pour un contrôle en droit, je pense que c’est suffisant. Avis défavorable.

M. Olivier Marleix. Mme Vichnievsky est un peu dure, pour une magistrate, avec les droits d’un ministre, qui n’aurait droit qu’à un seul jugement en premier et dernier ressort. Même avec l’intervention de la Cour de cassation, cela paraît un peu restrictif. Nous aurions pu imaginer, comme c’est le cas depuis plusieurs années en assises, la possibilité, après l’appel, d’un autre examen, une procédure plus respectueuse du droit des personnes.

La Commission rejette cet amendement.

Mme Naïma Moutchou, présidente. L’amendement CL734 de Mme Christine Pires Beaune n’est pas défendu.

M. Richard Ferrand. Il faudra, à l’occasion, que nos collègues Mme Pires Beaune, M. Dufrègne et Mme Bareigts nous expliquent pourquoi ils ont imaginé qu’il convenait que la cour d’appel de Paris, qui est compétente parce que les ministères sont à Paris, soit remplacée, au nom de la déconcentration, par la cour d’appel de Riom de sinistre mémoire…

La Commission adopte successivement l’amendement rédactionnel CL1504 (amendement  351) et l’amendement de précision CL1505 (amendement  352) du rapporteur général.

Elle examine l’amendement CL1535 du même auteur.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Cet amendement a pour objet d’éviter la dissociation des procédures entre les membres du Gouvernement et les co-auteurs ou complices présumés, qui fait courir un risque de discordance entre les décisions rendues par les juridictions répressives de droit commun et par la juridiction dont relèvent les ministres, comme cela a déjà été le cas, par exemple, en 2010.

M. Ugo Bernalicis. J’ai tout à l’heure défendu un amendement dans lequel je prévoyais une déclinaison par une loi organique et vous m’avez répondu, monsieur le rapporteur général, qu’il était problématique d’inscrire une telle chose dans la Constitution. À moins que je ne vous aie mal compris, je m’étonne donc que vous utilisiez le procédé.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. J’ai sans doute dû mal m’exprimer, car je n’imagine pas que vous m’ayez mal compris...

L’amendement que nous proposons dispose : « Une loi organique fixe les conditions dans lesquelles la cour d’appel de Paris peut connaître des faits commis par les coauteurs ou complices des ministres et détermine les conditions d’application du présent article. » Il s’agit de modifier un point de notre Constitution relatif à l’autorité judiciaire, qui préexiste donc dans le texte de la Constitution, ce qui n’était pas le cas de votre proposition.

M. Olivier Marleix. Comment s’articulent, s’agissant des poursuites contre un ministre, le rôle de la commission des requêtes et celui du procureur territorialement compétent, contre les fonctionnaires ? Le procureur a la pleine et entière liberté des poursuites et donc quid de sa relation avec la commission des requêtes agissant pour le compte du ministre ? Comment assure-t-on la coordination, étant entendu qu’il s’agit de deux autorités parfaitement indépendantes ?

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Nous avons prévu un renvoi à la loi organique qui doit justement préciser l’articulation de ces procédures. Ce n’est pas simple mais nous nous sommes rendu compte, au cours des auditions, que les procédures distinctes étaient problématiques en termes de bonne administration de la justice, d’équité des peines et d’efficacité parce que, pour mener des instructions dont on espère qu’elles feront jaillir la vérité, il faut que les personnes puissent être entendues, ce que les poursuites séparées ne permettent pas. Nous renvoyons donc à une loi organique mais la connexité des poursuites doit impérativement figurer dans la Constitution.

M. Olivier Marleix. Vous prévoyez dans la Constitution la possible soumission du procureur à la décision de la commission créée dans la Constitution, sinon vous ne pourrez pas organiser cette soumission.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Vous êtes d’une particulière mauvaise foi !

La Commission adopte cet amendement (amendement  353).

Puis elle adopte l’article 13, modifié.

Après l’article 13

[Après l’article 68-3 de la Constitution]

La Commission est saisie de l’amendement CL753 de M. Éric Coquerel.

M. Ugo Bernalicis. Cet amendement parle de démocratie sociale. Comme l’a dit Jean Jaurès, « la Révolution a fait du Français un roi dans la cité et l’a laissé serf dans l’entreprise ». C’est à cette problématique qu’entend répondre l’amendement, qui dispose que la République garantit la démocratie sociale.

Reposant sur le constat de l’impact puissant des déterminants économiques sur l’exercice effectif de la citoyenneté, la démocratie sociale induit notamment les principes suivants. Le lien de subordination économique ne doit pas nuire à l’exercice de la citoyenneté. La conduite des affaires économiques doit se faire de façon démocratique, par la participation de l’État ou des salariés à la gestion des entreprises, comme cela se fait déjà dans les entreprises coopératives. Les inégalités de revenus doivent être limitées pour ne pas conduire à la séparation sociale des groupes sociaux les plus riches ou les plus pauvres ; on ne vit plus, de fait, dans la même République quand on accumule des richesses excessives. L’État protège les salariés des excès du lien de subordination en entreprise. Les salariés participent à la gestion de l’entreprise par leur présence ou celle de leurs représentants dans les instances de décisions. L’État peut réquisitionner une entreprise privée dont la gestion porterait atteinte à l’intégrité et à la dignité de ses salariés, ou pour des considérations d’intérêt général. Dans les entreprises, l’écart entre les salaires doit être limité.

Par toutes ces dispositions, nous proposons une certaine forme de révolution au sein de l’entreprise en y rendant effective la citoyenneté du salarié.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Avis défavorable à cet amendement qui vise à introduire dans la Constitution un nouveau titre consacré à la démocratie sociale. Une Constitution, je le répète, doit être claire, lisible, précise, concise. Là, nous avons quelque chose de long, de bavard, de sujet à appréciations pouvant varier selon que notre peuple choisit telle ou telle majorité politique et qui pourrait être un ferment de discussions permanentes. Nous sommes pour des Constitutions qui durent et non pour la révolution permanente.

Les dispositions du préambule de 1946 qui garantissent l’action syndicale, le droit de grève et la participation à la détermination collective des conditions de travail et à la gestion des entreprises constituent un cadre constitutionnel suffisant et adapté. Ce que j’ai lu dans ce qu’il est coutume d’appeler l’exposé sommaire, et qui est ici non pas sommaire mais très richement détaillé, relève éventuellement de procédures législatives.

M. Ugo Bernalicis. Vous ne souhaitez pas que ce soit dans la Constitution mais dans la loi…

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Vous surinterprétez un tantinet.

M. Ugo Bernalicis. Je n’ai pas le sentiment que votre réponse portait sur le fond, c’est pourquoi je me permets de tourner cette réponse sur la forme à mon avantage. Nous continuerons avec mes collègues à chercher à obtenir des réponses au fond.

Vous trouvez cela bavard : quant à moi, je ne trouve pas que « dans l’entreprise, l’écart entre les salaires doit être limité » soit bavard : c’est clair, net, efficace, précis, et compréhensible pour l’ensemble des salariés de ce pays.

La Commission rejette cet amendement.

Elle en vient à l’amendement CL756 de M. Éric Coquerel.

M. Ugo Bernalicis. Cet amendement porte sur les services publics car il existe une volonté récurrente de démanteler, amoindrir, restreindre les services publics qui sont pourtant notre bien commun et, comme on le dit souvent, le patrimoine de ceux qui n’ont rien. Nous proposons de placer au niveau de la Constitution des principes qui existent aujourd’hui, pour certains, dans la loi, car nous ne souhaitons pas qu’une ou des majorités à venir remettent en cause ce qui fonde la République et permet à sa devise « Liberté, égalité, fraternité » de s’incarner, dans les services publics.

Nous proposons par exemple d’écrire : « Les services publics sont garants de l’unité et de l’indivisibilité de la République. Ils composent l’ensemble des organismes destinés à satisfaire un besoin d’intérêt général et à la gestion des biens communs. » L’État veille à ce que les services publics soit administrés dans le respect des principes suivants : la continuité, l’égalité sur le plan social et territorial, la neutralité et le respect de la laïcité. Nous ajoutons même : « Une loi organique précise les conditions d’application du présent article. » Nous constitutionnalisons le statut des fonctionnaires et nous ajoutons : « Les services publics ne peuvent être privatisés dans la mesure où ils constituent une ressource nécessaire à l’unité de la République », ce qui est notamment la problématique des biens communs. Nous constatons dans nos débats la tentation du secteur marchand, c’est-à-dire des capitalistes, de s’accaparer de secteurs de la société aujourd’hui socialisés et qui le sont parce que cela permet de garantir la liberté, l’égalité et la fraternité.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. L’introduction dans la Constitution d’un nouveau titre consacré aux services publics n’apparaît pas nécessaire. Les services publics sont saisis dans leur fonctionnement par un grand nombre de principes constitutionnels. Qu’il s’agisse de l’égalité, de la laïcité ou du français langue de la République, leur champ d’application dépasse le seul cadre du service public, même si leurs effets y jouent à plein. Votre amendement est finalement très restrictif.

En outre, il existe des principes constitutionnels propres au service public, comme le principe de continuité, dont la valeur constitutionnelle a été reconnue par le Conseil d’État en 1950 et le Conseil constitutionnel en 1979. Pour toutes ces raisons, de manque d’ambition mais aussi d’absence de nécessité, j’émets un avis défavorable.

M. Ugo Bernalicis. Une telle constitutionnalisation embêterait sans doute certains ministres actuels, dont M. Dussopt, qui passe son temps à chercher à réduire la voilure de l’État et de ses services publics en augmentant la part de contractuels, en externalisant, en privatisant… Vous, les libéraux, vous pensez qu’il faut moins de services publics et que l’on doit moduler la voilure du service public en fonction des majorités ; nous pensons quant à nous que la République est sociale et qu’il faut constitutionnaliser le service public en tant qu’outil pour garantir l’accès égal aux biens communs. Les décisions du Conseil constitutionnel ne concernent que l’état présent de la Constitution et pas celui d’une Constitution révisée.

M. M’Jid El Guerrab. Je suis déçu par cet amendement car il y manque le service public de l’enseignement du français à l’étranger. Il existe plus de 500 lycées français à l’étranger, où résident 2,5 millions de nos compatriotes, qui sont une richesse pour notre Nation. J’aurais donc sous-amendé votre amendement si j’avais le droit de le voter, mais je ne fais pas partie de la commission des Lois.

La Commission rejette cet amendement.

Article 14
(art. 69, 70 et 71 de la Constitution)
Transformation du Conseil économique, social et environnemental en une Chambre de la société civile

Suivant l’avis défavorable du rapporteur général, la Commission rejette l’amendement CL221 de M. Philippe Gosselin.

Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements identiques CL1513 du rapporteur général et CL1354 de M. Erwan Balanant, ainsi que les amendements CL452 et CL453 de Mme Cécile Untermaier.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, rapporteure. Nous proposons de substituer aux alinéas 3 à 14 de l’article 14 dix alinéas refondant le CESE. Nous étions opposés à l'amendement de suppression, mais nous sommes d’accord sur le constat : le CESE n’a pas trouvé sa place dans notre République et doit être réformé. Nous avons réfléchi, avec Erwan Balanant du groupe du Mouvement Démocrate et apparentés, non pas à ce que nous pourrions faire du CESE mais à ce dont nous avions besoin en tant que Représentation nationale. Il existe une forte aspiration à la rénovation démocratique et à la participation citoyenne, et le CESE pourrait devenir un espace de dialogue au sein de la société civile organisé pour les citoyens, pour la démocratie participative, pour l’innovation, pour des débats citoyens, pour des jurys citoyens.

Nous avons donc également souhaité le renommer et proposons, M. Balanant, mes collègues rapporteurs et moi, le nom de « Forum de la République ». Il sera ainsi dénommé par ce qui le constitue et il n’y aura plus de confusion dans les esprits ou de mélange des genres.

Ce Forum de la République nous permettra d’institutionnaliser un espace de dialogue qui pourra nous conseiller mais en aucun cas décider. Le rôle de chacun sera bien établi : le Gouvernement gouverne, le Parlement vote les lois, contrôle et évalue les politiques publiques, et le Forum de la République nous conseille en étant un espace de dialogue entre les corps intermédiaires et avec les citoyens.

M. Erwan Balanant. Merci, madame la rapporteure, pour cet exposé brillant et pour le travail que nous avons conduit ensemble et dont je suis assez fier, pour une institution qui a été en son temps pleine de promesses et est aujourd’hui source de soucis. Nous ne faisons pas table rase de l’existant, nous prévoyons son évolution. Ce Forum de la République permettra de résoudre un des paradoxes de notre démocratie, avec des citoyens qui, d’un côté, veulent participer de plus en plus à la décision, sont allants vers la chose politique, mais qui, d’un autre côté, éprouvent une défiance envers la démocratie représentative. Ce Forum de la République sera, je l’espère, un pivot entre cette volonté et cette défiance, en redorant le blason de la démocratie participative.

Les missions qu’il pourrait avoir seront de conduire le débat public, travailler sur les enjeux du long terme, porter les orientations de la société civile au sens large, au-delà des corps intermédiaires – la société civile est aussi dans notre assemblée –, animer la participation citoyenne.

M. Olivier Marleix. Je vous soumets une autre idée. Le CESE n’a en effet pas réussi à s’imposer comme une troisième chambre car il y avait déjà assez de deux chambres. En faire un lieu de recueil des pétitions et de concertation me paraît plus pertinent ; c’est ce qu’il est d’ailleurs déjà en grande partie.

Dans notre pays, le niveau réglementaire pèche. Sauf à de rares exceptions où le législateur a imposé au Gouvernement des procédures avant l’adoption de décrets, par exemple sur le handicap, où une instance nationale doit être consultée, généralement le niveau d’échange et de concertation avant décret est extrêmement bas, et il existe un fossé immense entre la concertation sur la loi et la concertation sur le décret. Une obligation de consultation de ce nouveau Forum de la République sur les projets de décret serait utile. Ce serait une procédure parallèle au Conseil d’État pour représenter la société civile.

M. Ugo Bernalicis. Tout cela est très intéressant, mais il est tout de même dommage que nous discutions de la réforme constitutionnelle au mois de juillet, qui n’est pas la bonne saison pour impliquer nos concitoyens.

Si l’on voulait réellement impliquer le citoyen, il faudrait lui donner des pouvoirs plus directs. Nous avons proposé, dans ce débat, la révocation des élus ou encore un droit de pétition non pas devant le Forum de la République mais directement devant les assemblées parlementaires.

M. Philippe Dunoyer. Ces amendements ne me posent pas problème dans le principe mais il me semble que, par rapport à ce que prévoit le Gouvernement, il n’y a plus de consultation obligatoire du Forum de la République sur les projets de loi qui ont une vocation économique, sociale et environnementale. De même, il n’est plus fait mention d’une consultation par le Conseil d’État. J’aimerais savoir pourquoi.

M. Erwan Balanant. Il nous a semblé que donner un caractère obligatoire en réalité affaiblit la puissance de ce futur Forum de la République ; nous l’avons donc enlevé. Je ne pense pas que cette instance aura vocation à se saisir de tous les textes. Ici, avec plus de 2 000 collaborateurs et administrateurs, nous avons une force de travail importante qu’elle n’aura pas. Le forum travaillera plutôt sur les grandes orientations.

Mme Lætitia Avia. Ces amendements répondent à l’objectif que nous portons de rénover notre vie politique et d’y renforcer la présence des citoyens. Avec cette transformation du CESE en Forum de la République, nous répondons aux demandes y compris des actuels membres du CESE, qui sont les premiers à déplorer le peu de poids des différents rapports qu’ils rendent. Les membres de ce Forum pourront venir exposer leur avis devant les assemblées parlementaires, ce qui l’ancrera vraiment dans le processus d’élaboration de la loi. J’ai une petite réserve sur le nom car le mot « forum » peut être un peu contre-productif, mais le plus important, c’est le fond et les compétences que l’on donne à cette instance.

M. Erwan Balanant. Il faut donner un nom aux choses et cela me semble être le nom le plus éloquent, celui qui répond le mieux à l’ambition de ce futur Forum. Notre Président de la République, au Congrès, le 3 juillet 2017, déclarait : « L’actuel CESE doit pouvoir devenir le forum de la République. Il réunira toutes les sensibilités et toutes les compétences du monde de l’entreprise. »

La Commission adopte les amendements identiques CL1513 et CL1354 (amendement  354).

En conséquence, les amendements CL452 et CL453 tombent, de même que les amendements CL37, CL360, CL454, CL675, CL509, CL38, CL204, CL181, CL1376, CL658, CL1166, CL1258, CL1242, CL39, CL182, CL676, CL1291, CL455, CL456, CL614, CL40, CL615, CL41, CL677, CL678 et CL309.

La Commission adopte l'article 14, modifié.

Après l’article 14

[Article 71-1 de la Constitution]

La Commission examine l’amendement CL441 de Mme Cécile Untermaier.

M. François Pupponi. Cet amendement vise à renforcer substantiellement les pouvoirs du Défenseur des droits.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur général, la Commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CL198 de M. M’jid El Guerrab.

M. M’jid El Guerrab. Il est défendu.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur général, la Commission rejette l’amendement.

[Après l’article 71-1 de la Constitution]

La Commission est saisie de l’amendement CL470 de Mme Cécile Untermaier.

M. François Pupponi. Cet amendement vise à franchir une étape supplémentaire dans la construction du système de prévention des risques déontologiques en inscrivant dans la Constitution l’objectif de probité et d’intégrité de la vie publique et en créant une nouvelle Haute Autorité constitutionnelle qui reprendrait les missions actuelles de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique et de la commission de déontologie de la fonction publique.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Avis défavorable. Il ne semble pas justifié de créer une nouvelle autorité constitutionnelle. Certes, il a été proposé dans plusieurs rapports de fusionner la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique avec la Commission de déontologie de la fonction publique, mais aucun ne préconise la constitutionnalisation de l’entité ainsi créée, qui n’apparaît pas nécessaire. S’agissant des questions de transparence et de déontologie, il convient selon nous de ne pas figer les choses dans le marbre – dont je vous rappelle qu’il est le matériau dont sont faites les pierres tombales.

La Commission rejette l’amendement.

Mme Naïma Moutchou, présidente. Chers collègues, nous avons examiné 1 115 amendements en trente-six heures et 228 amendements restent en discussion. Nous reprendrons nos travaux lundi 2 juillet, à quatorze heures.

10.   Réunion du lundi 2 juillet 2018 à 14 heures (article 15 au titre)

Lien vidéo :

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.6332085_5b3a11e319e01.commission-des-lois--pour-une-democratie-plus-representative-responsable-et-efficace-suite-arti-2-juillet-2018

M. le président Didier Paris. Nous reprenons l’examen du projet de loi à l’article 15, sachant qu’il nous reste 228 amendements à examiner. Je rappelle les règles dont nous avons convenu : chaque amendement peut être défendu pendant deux minutes puis, après la réponse du ou des rapporteurs, chaque groupe peut répondre pendant une minute.

Article 15
(art. 72 de la Constitution)
Droit à la différenciation des collectivités territoriales

La Commission examine l’amendement CL1000 de M. Sébastien Jumel.

Mme Marie-George Buffet. L’article 15 permet d’attribuer à certaines collectivités territoriales des compétences en nombre limité dont ne disposent pas l’ensemble des collectivités de la même catégorie. Lorsque la loi ou le règlement le prévoit, les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent ainsi déroger pour un objet limité aux dispositions législatives ou réglementaires qui régissent l’exercice de leurs compétences. Cette dérogation pérenne peut être décidée, le cas échéant, après l’expérimentation déjà prévue à l’article 72 de la Constitution. Une loi organique détermine les conditions dans lesquelles s’exercent ces droits.

Si la différenciation territoriale n’est pas une nouveauté, la généralisation de ce droit amplifiera les dissonances territoriales. C’est un droit qui continue à masquer les inégalités et les injustices sociales ou fiscales derrière le paravent de la « différence » sans pour autant les réduire ou, au contraire, les assumer. C’est pourquoi nous proposons la suppression de l’article.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Sans rejouer tout le débat multiséculaire entre Jacobins et Girondins, je me bornerai à dire que, loin de présenter le risque d’une inégalité, l’adaptation des règles aux exigences objectives des territoires me semble correspondre à une égalité intelligente. C’est précisément pour prévenir toute dérive que de multiples conditions – que d’aucuns jugent excessives – sont prévues : elles permettent d’éviter que l’autonomie ne se mue en égoïsme ou en franchise d’Ancien Régime, si j’ose dire. Rappelons ces dispositions : loi organique, préservation des libertés publiques, contrôle par la loi ou le règlement suivant la procédure, objet limité et circonscrit aux compétences de la collectivité concernée. L’article 15 n’inaugure pas l’ère du démembrement de la nation, tant s’en faut. Avis défavorable.

Mme Marie-George Buffet. Replongeons-nous dans les livres d’histoire : la conception de la République des Girondins et celle des Jacobins ne diffèrent pas tant que cela – c’est une ancienne élève d’Albert Soboul qui vous le dit.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CL1131 de M. Michel Castellani et CL816 de M. Jean-Luc Mélenchon.

M. Michel Castellani. Les articles 15, 16 et 17 nous intéressent particulièrement et nous mènerons à cette occasion un véritable combat parlementaire, dans un esprit démocratique. Ne vous étonnez donc pas si nous proposons de nombreux amendements qui, tous, iront dans le même sens : donner aux collectivités locales en général et à la Corse en particulier des pouvoirs spécifiques d’adaptation permanente des lois en allant le plus loin possible. Il ne s’agit pas d’émanciper pour le seul plaisir d’émanciper, mais de privilégier l’efficacité au plus près des réalités du terrain, qu’elles soient sociales, culturelles ou foncières, car elles méritent d’être traitées.

L’amendement CL1131, qui est donc le premier d’une longue série, vise à permettre aux collectivités territoriales, à leur demande, d’être habilitées par décret en Conseil des ministres après avis du Conseil d’État à exercer des compétences transférées par l’État et à déroger aux dispositions applicables sur leur territoire.

M. Bastien Lachaud. L’amendement CL816 vise à limiter les expérimentations prévues aux alinéas 2 à 5 du présent article, car elles ouvriraient la voie à l’adoption de véritables lois locales. Permettre à chaque collectivité de prendre des décisions pérennes dans de nombreux domaines reviendrait à renforcer la compétition entre les territoires. Il ne suffit désormais plus au libéralisme de nourrir la concurrence entre pays et entre grandes régions : il lui faut encore organiser la concurrence au sein même des territoires en privilégiant le moins-disant social et environnemental pour satisfaire ses appétits. Si nous lançons la République sur la voie d’une concurrence et de localismes toujours croissants, nous dénaturerons complètement le principe d’égalité devant la loi, qui est pourtant l’un de ses principes fondamentaux.

Il ne s’agit pas de brandir l’étendard girondin face au jacobinisme : les livres d’histoire nous apprennent en effet que le jacobinisme ne signifie pas que Paris impose sa loi au reste de la France, mais que l’égalité de tous et toutes devant la loi est garantie.

M. Paul Molac. On peut toujours rêver !

M. Marc Fesneau, rapporteur. L’amendement de M. Castellani importerait dans le droit commun les dispositions que le projet de loi prévoit d’appliquer à l’outre-mer, c’est-à-dire une possibilité de dérogation autorisée par décret. Nous y sommes défavorables : chacun comprend que la situation outre-mer se caractérise par des déterminants qui la singularisent de celle de la métropole. Le principe est simple : les dérogations à la loi sont autorisées par la loi, non par décret.

En outre, cet amendement serait quelque peu contradictoire avec l’objectif de l’article 16 d’identifier particulièrement la question corse, car il reviendrait à la banaliser – au sens premier du terme.

Quant à votre amendement, monsieur Lachaud, il consiste simplement à réaffirmer le droit en vigueur concernant l’expérimentation. La procédure d’expérimentation ne menace rien ni personne. À preuve : elle n’a été utilisée que quatre fois en quinze ans et plus personne n’en veut.

Au contraire, nous faisons le choix de la différenciation territoriale. C’est un choix assumé, affirmé par le Président de la République et soutenu par la majorité et par la plupart des élus locaux, contrairement à ce que vous semblez prétendre. Avis défavorable également.

M. Michel Castellani. Il n’est aucunement question de favoriser la concurrence entre les territoires, monsieur Lachaud. Bien au contraire : nous prônons l’adaptation aux réalités des territoires. Loin de toute politique libérale ou antisociale, nous demandons la dévolution fiscale non pas pour privilégier les catégories les plus aisées mais pour mordre sur les réalités en favorisant la justice, la croissance, donc l’emploi.

D’autre part, monsieur le rapporteur, la Corse est singulière.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Oui !

M. Michel Castellani. Elle n’est certes pas un territoire d’outre-mer au sens juridique mais, en termes géographiques, elle est outre-mer, qu’on le veuille ou non ! Elle possède ses particularités, sa culture, ses réalités sociales et économiques. À ce titre, elle mérite donc un traitement particulier !

M. Erwan Balanant. La République n’est pas faite de localismes, monsieur Lachaud. Elle est diverse et composée de Corses, de Bretons, de Picards ou encore d’Alsaciens. Vous ne cessez de vous dire proches du peuple : les « localismes » dont vous parlez sont en fait des singularités et des richesses culturelles qui s’additionnent, avec des différences que la République appréhendera enfin mieux afin que chaque territoire puisse, sur tel ou tel sujet, porter sa propre appréciation des politiques publiques. Voilà ce que signifie aussi être proche du peuple !

M. Bastien Lachaud. Il va de soi, monsieur Castellani, que la Corse possède une spécificité insulaire. Cet article, cependant, vise l’ensemble du territoire métropolitain.

D’autre part, monsieur Balanant, je ne vois pas en quoi les particularismes auxquels vous faites référence ne pourraient pas être pris en compte dans une même loi. Quels sont les domaines dans lesquels ces territoires pourraient déployer une vision qui leur est propre ? La loi Littoral, par exemple, doit-elle être appliquée de manière différenciée selon les territoires ? Et le droit du travail ? La législation écologique ?

Mme Maina Sage. C’est déjà le cas !

M. Bastien Lachaud. Dans quels domaines ces localismes ne devraient-ils pas viser l’universalisme ?

M. Marc Fesneau, rapporteur. La spécificité corse existe, monsieur Castellani, et c’est précisément l’objet de l’article 16, qui, pour la première fois, inscrira cette différenciation dans la Constitution. Sur ce sujet, il me semble que nous pouvons nous rejoindre.

D’autre part, monsieur Lachaud, il n’est pas question d’organiser la concurrence entre les territoires mais de donner à chacun d’entre eux la capacité de s’organiser. La loi Littoral est précisément une dérogation à la loi collective et aux règles urbanistiques pour tenir compte des spécificités des zones littorales. Elle n’existerait pas si nous appliquions votre principe égalitaire.

M. Bastien Lachaud. Mais elle s’applique sur tous les littoraux de la même manière !

M. Marc Fesneau, rapporteur. Au contraire, il s’agit bel et bien d’une différenciation. La loi Littoral en est un exemple emblématique.

M. Bastien Lachaud. Mais non !

M. Marc Fesneau, rapporteur. Par définition, elle ne s’applique pas sur l’ensemble du territoire national ; c’est donc bien une différenciation ! De même, les zones peu denses, les zones de montagne, les territoires urbains sont spécifiques et exigent une différenciation de l’ensemble des territoires, comme cela s’est fait avec la loi Littoral.

M. Bastien Lachaud. La loi nationale sait donc tenir compte des différences !

Mme Marie-George Buffet. En effet, monsieur le rapporteur : la France est diverse. Elle est faite de montagnes, de littoraux, de lacs, de plaines, de zones denses et moins denses. La loi Littoral est un bon contre-exemple : elle tient compte d’une particularité – la protection du littoral par exemple – et s’applique partout en France.

M. Bastien Lachaud. Exactement !

La Commission rejette successivement les amendements.

Elle passe à l’amendement CL345 de M. Paul Molac.

M. Paul Molac. Cet amendement vise à ce que les représentants des communautés de communes et des communautés d’agglomération soient élus au suffrage universel. Étant donné leur taille, les budgets qu’elles gèrent et les investissements massifs qu’elles consentent, il est étonnant que ces collectivités qui n’en sont pas réellement de plein droit n’aient pas des représentants élus au suffrage universel direct. De ce fait, les candidats à la présidence d’une communauté de communes font généralement campagne pour leur commune et non pour l’intercommunalité, au point que l’on ignore ce qu’ils entendent en faire. Le système du fléchage fait que l’on vote du même coup pour les élus des communes et les représentants des communautés de communes alors que l’identité de leur président n’est pas connue, pas davantage que son programme pour l’intercommunalité.

Ce combat n’est pas nouveau : je l’ai déjà mené lors de l’examen de la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, dite MAPTAM, et de celui de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe. À l’époque, un amendement visant à ce que les représentants des communautés de communes soient élus au suffrage universel direct avait disparu lors de la commission mixte paritaire. Je reviens donc à la charge.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Votre amendement soulève deux sujets. Le premier est d’ordre constitutionnel :               vous proposez de donner aux intercommunalités le rang de collectivités territoriales de plein exercice, au même titre que les communes, les départements et les régions. Le débat est ancien, en effet, mais il nous semble qu’il n’est pas temps de sauter ce pas. Les communautés de communes procèdent du bloc communal, donc de la volonté des communes. Votre proposition présente en outre le risque de rompre le lien entre les intercommunalités et les communes.

Le deuxième sujet est d’ordre électoral et ne relève donc pas de la Constitution – raison pour laquelle il a déjà été abordé à l’occasion des lois MAPTAM et NOTRe. À chaque fois, le choix a été fait de ne pas procéder à l’élection des représentants intercommunaux au suffrage universel direct parce que les communes ne partagent pas ce souhait, et parce que cette mesure met inopportunément en question le rôle de la commune.

Pour ne pas ériger les communautés de communes en collectivités territoriales, j’émets donc un avis défavorable.

M. Guillaume Larrivé. Les membres du groupe Les Républicains tiennent à ce que les communautés de communes et les communautés d’agglomérations restent ce qu’elles sont, à savoir non pas des collectivités territoriales mais des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Parce que nous sommes profondément attachés aux communes, qui sont l’échelon fondamental de l’organisation territoriale, nous sommes totalement hostiles à l’idée que des élections directes permettent de choisir les présidents des EPCI. Nous voterons donc contre l’amendement de notre collègue Molac, au demeurant excellent et sympathique.

M. François Pupponi. Ce débat est d’une grande hypocrisie. Toutes les lois votées depuis quelques années, jusqu’à la récente portant évolution du logement et aménagement numérique (ELAN), ont consisté à transférer des compétences communales aux intercommunalités. Le dernier transfert a porté sur le permis de construire. N’est-ce pas un véritable déni de démocratie de transférer des compétences communales aux EPCI sans soumettre ceux qui les exerceront à une quelconque sanction démocratique ? Allons jusqu’au bout du raisonnement et assumons la suppression progressive de la commune au bénéfice de l’intercommunalité en faisant en sorte que ceux qui seront appelés à signer les permis de construire, à élaborer des plans locaux d’urbanisme et autres programmes locaux de l’habitat et à exercer des compétences majeures en termes d’aménagement du territoire soient au moins sanctionnés par le peuple. En l’état, nous créons des intercommunalités qui, sans être des collectivités, assument sans sanction populaire des compétences bien plus importantes que celles des communes. Si cela ne s’appelle pas de l’hypocrisie…

La Commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CL1231 de M. Jean-Félix Acquaviva.

M. Jean-Félix Acquaviva. Cet amendement vise à ériger la subsidiarité en principe constitutionnel afin de clarifier certains points dans les lois à venir. Plusieurs raisons à cela, comme vient de l’illustrer le débat sur la différenciation : tout d’abord, le principe d’égalité donne lieu dans les faits à de nombreuses interprétations différentes, qui l’orientent davantage vers l’égalitarisme que vers l’adoption de moyens différenciés selon les situations. La constitutionnalisation du principe de subsidiarité clarifierait la répartition des compétences entre l’État et les collectivités et concourrait à une meilleure application du principe d’égalité.

Ensuite, le droit à la différenciation proposé à l’article 15 pose plusieurs problèmes. L’échec du droit à l’expérimentation est patent et reconnu par le monde politique et par les constitutionnalistes. Il coexiste pourtant dans un même alinéa avec un droit à la différenciation qui peut éventuellement s’y substituer à terme – selon une formule assez lourde – dans un nombre limité de cas, qui plus est, dans le cadre d’une procédure au cas par cas.

Il nous semble nécessaire de clarifier les compétences entre l’État et les collectivités territoriales. Trente-cinq années de décentralisation ont laissé les réformes au milieu du gué : des compétences et des charges ont été transférées sans les moyens correspondants. L’inscription du principe de subsidiarité dans le marbre constitutionnel permettrait de tenir un discours plus clair en matière de décentralisation.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Cet amendement vise en quelque sorte à rejeter l’État à la marge en lui laissant les compétences que les collectivités n’exerceraient pas, ce qui n’équivaut pas tout à fait au principe selon lequel les compétences doivent s’exercer au niveau le plus adapté. Le principe de subsidiarité est déjà parfaitement inscrit dans la Constitution en l’état ; pour ce qui est de la différenciation de la Corse, nous y reviendrons à l’article 16. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CL768 de M. Jean-Luc Mélenchon.

M. Bastien Lachaud. Cet amendement vise à supprimer les alinéas 2 et 3 de l’article 15 qui remettent en question les principes d’unité et d’indivisibilité de la République car ils permettront des différenciations territoriales préjudiciables à nos concitoyens les plus vulnérables. En effet, ils se traduiront par une mise en concurrence des territoires et par la différenciation de la protection sociale et écologique privilégiant le moins-disant au nom de l’attractivité économique.

L’exemple que vous avez pris de la loi Littoral apporte la preuve parfaite que la loi nationale sait tenir compte des différences, voire des divergences locales. Qu’il s’agisse du littoral, de la montagne, des zones plus ou moins denses, la loi peut réglementer les différences tout en apportant des réponses identiques sur tous les territoires. Globalement, il faut apporter les mêmes réponses à tous les territoires de montagne, par exemple, qu’ils se trouvent dans les Alpes ou dans les Pyrénées.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Vous proposez de supprimer les alinéas 2 et 3 de l’article au motif déjà indiqué qu’ils rompront l’égalité entre les citoyens et organiseront la compétition entre les territoires. Je vous invite à relire les alinéas en question : ils visent à autoriser le transfert d’une compétence d’une collectivité à une autre, sans généralisation aucune. Prenons un exemple concret : à la fin des années 1990, la région Alsace a décidé de gérer elle-même les fonds structurels européens en recourant à la voie de l’expérimentation, raison pour laquelle il a fallu à terme généraliser le transfert de la gestion des fonds structurels européens. Si l’expérience avait été tentée au titre de la différenciation, certaines régions pourraient accepter de gérer les fonds européens qui, dans les autres cas, demeureraient sous la responsabilité de l’État. En quoi cela nuirait-il à l’égalité des citoyens devant la loi ? La différenciation des compétences consiste à examiner les meilleurs modes de gestion selon les territoires et les collectivités.

M. Bastien Lachaud. Bien sûr !

M. Marc Fesneau, rapporteur. Deuxième exemple : certaines régions ou départements souhaitent récupérer une partie de la voirie nationale, d’autres non. En quoi les territoires seraient-ils par là mis en concurrence les uns avec les autres ? J’émets donc un avis défavorable tout en revenant sur la loi Littoral, qui est une dérogation pour certaines zones – même si elles sont géographiquement homogènes – à la loi générale en matière d’urbanisme. C’est donc bien une différenciation territoriale par rapport à la norme générale – il suffit de consulter le code de l’urbanisme et le droit applicable aux zones littorales pour s’en convaincre. La différenciation ne doit pas nécessairement se faire qu’en fonction des communes ; elle peut aussi concerner des ensembles homogènes de territoires. Nul besoin de différencier les quelque 35 500 communes de France. Sur des sujets spécifiques, il peut être opportun de différencier par blocs lorsque les problèmes se rejoignent. Quoi qu’il en soit, il s’agit bien d’une différenciation puisque la règle générale n’est pas appliquée dans des zones répondant à des caractéristiques identiques – littorales ou autres.

M. Erwan Balanant. Lors de l’examen de la loi ELAN, nous avons débattu d’une modification de la loi Littoral concernant les dents creuses – un problème qui diffère selon qu’il s’agit de la Bretagne, de la Corse ou encore de la Côte d’Azur. Le principe de différenciation aurait pu permettre de tenir compte de la particularité de la Bretagne à cet égard sans imposer la modification de la loi à la Côte d’Azur, par exemple. C’est ainsi que nous serions au plus près de la réalité des territoires.

Autre sujet : l’enseignement. Il existe en Bretagne des réseaux bilingues performants qui sont au plus près de la population et répondent à des attentes culturelles et sociétales.

M. Didier Paris, président. Je vous remercie, cher collègue.

M. Erwan Balanant. Je concluais, monsieur le président ! J’espère, dans ces conditions, que vous serez équanime en imposant une minute de temps de parole à tous les orateurs !

M. Paul Molac. J’ajoute que la loi Littoral n’a pas différencié entre l’habitat groupé et l’habitat dispersé. Or, l’urbanisation des dents creuses permet d’économiser du foncier agricole.

M. Erwan Balanant. Évidemment !

M. Paul Molac. De plus, depuis qu’elle gère le transport express régional (TER), la région Bretagne est parvenue en dix ans à doubler le nombre de passagers ; la SNCF n’aurait pas obtenu un tel résultat !

En ce qui concerne les langues et les cultures, je n’ai pas le sentiment d’une égalité d’accès. Ce n’est pas grâce à l’école que j’ai appris le breton mais seul ! Et que l’on ne me dise pas que le breton n’est pas la langue des Bretons ! Il y va du respect des minorités. Sachez que le Pays de Galles et l’Écosse utilisent leur autonomie pour conduire une politique moins libérale que celle de Londres !

M. François Pupponi. La loi ELAN est un excellent contre-exemple : la modification de la loi Littoral n’a concerné presque exclusivement que la Bretagne. Les autres amendements déposés pour défendre les spécificités de tel ou tel territoire par rapport à la loi Littoral ont été refusés. Autrement dit, la majorité a modifié la loi au bénéfice de particularismes locaux lorsqu’ils l’intéressent, et a refusé les modifications pour d’autres territoires.

M. Erwan Balanant. C’est un autre sujet !

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Puisque ce débat suscite une passion croissante, je rappelle un fait simple : partout, les représentants locaux sont élus et méritent autant de respect que nous en exigeons à notre endroit. Par conséquent, lorsque des élus dépositaires de l’intérêt général auront à faire valoir un besoin, une opportunité, une nécessité voire un désir de différenciation pour qu’il soit mieux répondu aux attentes des citoyens, ils le feront en toute responsabilité. Si leur choix s’avérait mauvais, défaillant ou inadapté à l’intérêt général, ils seraient soumis comme à chaque échéance électorale au choix des électeurs, qui les mettraient à la porte. Oublier que des politiques régionales ou départementales sont conduites par des élus tout aussi respectables que nous me semble au mieux inconvenant, voire quelque peu méprisant. Les propositions qui sont faites seront examinées dans le cadre d’un dialogue entre le Parlement, les administrations et les élus locaux qui prendront certaines initiatives. Nous ne sommes pas ici dans un organisme central qui octroie je ne sais quelles libertés à d’obscures provinces ! Les assemblées locales sont élues et formulent des propositions qui pourront désormais être validées – ou non – dans le respect de la loi et bientôt de la Constitution. Ayons cette différence à l’esprit dans ce débat !

M. Bastien Lachaud. En effet, les élus décideront, mais ce sont aussi des élus – à l’Assemblée nationale – qui, au nom de la compétitivité internationale de la France, ont décidé de s’attaquer au droit du travail national !

M. Erwan Balanant. Ils ont été élus !

M. Bastien Lachaud. Imaginons que la compétence du droit du travail soit transférée aux régions – pourquoi ne serait-ce pas le cas, puisqu’il est différent selon que l’on se trouve en Bretagne, en Corse ou à Paris ? La même logique prévaudrait alors : les acquis sociaux seraient rognés pour attirer des entreprises et des emplois. Gardons-nous d’ouvrir cette boîte de Pandore.

Mme Marie-George Buffet. Je suis élue locale depuis 1977, monsieur le rapporteur général ; c’est dire si je respecte les élus locaux. Cependant, lorsque certaines communes décident d’interdire l’inscription d’enfants à la restauration scolaire, il est heureux que les lois de la République rappellent les élus locaux à leurs devoirs ! La République assure le respect des droits des citoyens partout sur le territoire ; c’est une nécessité.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. La loi encadre tout transfert de compétences, vous le savez bien !

M. Marc Fesneau, rapporteur. Je comprends votre préoccupation, madame Buffet, mais je rappelle que l’article 15, comme chaque tête de chapitre, précise que la différenciation peut avoir lieu « dans les conditions prévues par la loi organique et sauf lorsque sont en cause les conditions essentielles d’exercice d’une liberté publique ou d’un droit constitutionnellement garanti ». C’est bien de cela qu’il s’agit.

La Commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CL763 de M. Vincent Rolland.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Cet amendement aurait pour conséquence d’élever au niveau organique la quasi-totalité des dispositions relatives aux compétences des différentes collectivités. Ce ne serait guère pertinent, sauf à vouloir alourdir la charge du législateur lors des réformes territoriales successives. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CL1180 de M. Jean-Luc Warsmann.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Avis défavorable car cet amendement procède d’une confusion. Il vise à reprendre l’expression employée par le constituant pour définir la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) afin de circonscrire le périmètre des libertés protégées des adaptations par les collectivités. C’est une erreur car, par nature, le Conseil constitutionnel fait respecter la Constitution. Il se fonde donc sur les droit et libertés reconnus dans le bloc de constitutionnalité, à l’exclusion des autres sources.

Dans cet article 15, en revanche, les sources sont plus larges : il s’agit à la fois des libertés protégées par la loi et des droits fondamentaux énumérés par la Convention européenne des droits de l’homme. Sous couvert de correction juridique, l’amendement permettrait en fait aux collectivités de mettre en cause de nombreux droits dont disposent les citoyens sans qu’ils figurent dans la Constitution – comme le droit à l’avortement par exemple.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CL366 et CL346 de M. Paul Molac ainsi que l’amendement CL764 de M. Vincent Rolland.

M. Paul Molac. Je retire l’amendement CL366, redondant, pour défendre l’amendement CL346, qui vise à rendre le droit à la différenciation et à la dérogation législative ou réglementaire plus effectif. Actuellement, toute adaptation impose de repasser par la loi. Nos collègues corses pourront en témoigner : leur collectivité a déposé cinquante-deux demandes d’habilitation ; deux d’entre elles seulement ont reçu une réponse – négative – et les autres sont restées sans réponse. Autrement dit, la procédure ne fonctionne pas.

C’est pourquoi je propose que dans un certain nombre de domaines à définir avec le Gouvernement dans le cadre de la loi, les collectivités puissent bénéficier d’une adaptation générale – et les Corses ne sont pas les seuls à exprimer ce besoin d’adaptation. La suppression de la période d’expérimentation va dans le bon sens ; j’entends simplement aller plus loin.

M. Bastien Lachaud. C’est exactement la porte ouverte que j’évoquais !

M. Marc Fesneau, rapporteur. Je vois que M. Molac veut en effet aller plus loin, mais nous avons hiérarchisé les situations respectives des collectivités ordinaires, de la Corse et de l’outre-mer. Vous entendez importer les dispositions prévues pour la Corse dans le droit commun des collectivités territoriales. Ce n’est pas la logique que nous prônons ; avis défavorable.

M. Vincent Rolland. L’article 15 du projet de loi constitutionnelle vise à permettre à une collectivité de disposer de compétences différant de celles qu’exercent les collectivités relevant de sa catégorie, qu’elles soient transférées par l’État ou par des collectivités territoriales d’une autre catégorie, après qu’une loi organique en aura défini les conditions et à l’exception des deux domaines que sont l’exercice d’une liberté publique et d’un droit constitutionnellement garanti.

Or, il faut s’interroger sur le sens de cette proposition de révision qui vise à mieux prendre en compte les « particularités locales » moyennant l’exercice d’un droit différencié, sans toutefois consolider la libre administration des collectivités locales définie par la loi.

Malgré les doutes relatifs à la portée de cet article, qui ne seront levés que par la loi organique et sa pratique, la loi constitutionnelle doit placer les collectivités territoriales au cœur de l’initiative de la différenciation. Afin de promouvoir un véritable droit ascendant à la différenciation, cet amendement vise à réécrire l’alinéa 3 de l’article 15 pour faire des collectivités le moteur de leur propre destin car en l’état, le texte – plutôt frileux – semble donner la seule initiative à la loi.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Nous partageons cette logique. À l’évidence, la différenciation territoriale ne doit pas être organisée contre l’avis des collectivités concernées – c’est le principe même sur lequel repose la notion de différenciation territoriale que nous défendons. La procédure ne commencera qu’à l’initiative des collectivités et même, plus précisément, à l’initiative de leurs organes délibérants. C’est ce qui ressort clairement de l’avis du Conseil d’État, ce qui figure dans notre projet de rapport et ce qui apparaîtra de nos débats. Le législateur organique ne nourrira aucun doute sur ce qu’il convient de faire pour répondre à votre exigence, monsieur Rolland. Je vous propose donc de retirer l’amendement ; à défaut, avis défavorable.

L’amendement CL366 est retiré.

La Commission rejette successivement les amendements CL346 et CL764.

Elle est saisie de l’amendement CL1355 de M. Vincent Bru.

M. Vincent Bru. En 2003, le droit à l’expérimentation pour une durée et un objet précis a été introduit dans la Constitution. Au terme de l’expérimentation, la mesure était soit généralisée, soit supprimée. Le droit à la différenciation vise à aller plus loin, comme l’a souhaité le Président de la République avec l’avis favorable du Conseil d’État.

Ce droit à la différenciation permettra tout d’abord à des collectivités d’exercer des compétences – en nombre limité – dont ne disposent pas les autres collectivités de même catégorie, et d’obtenir des dérogations aux lois et règlements en vigueur. Or, le texte présente une différence entre les deux alinéas qui me semble anormale : l’alinéa 5 fait référence aux collectivités territoriales et à leurs groupements tandis que l’alinéa 3 ne mentionne pas les établissements publics de coopération intercommunale. Pourtant, de nombreuses compétences sont actuellement exercées par des EPCI – des groupements de communes ayant une taille et des responsabilités parfois très importantes.

Il me semble nécessaire de raisonner en termes de bloc communal. C’est pourquoi je propose que l’alinéa 3, comme l’alinéa 5, précise que le droit à la différenciation concerne les collectivités territoriales ou leurs groupements.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Nous nous sommes posé la question du non-parallélisme des formes entre l’alinéa relatif à la différenciation des compétences et celui qui concerne la différenciation de l’adaptation des lois et règlements, et nous avons interrogé le Gouvernement ainsi que la direction générale des collectivités locales. À ce stade, nous n’avons pas de réponse claire : les uns considèrent que les groupements, qui procèdent de la volonté des communes, sont ainsi tacitement inclus, mais les autres – comme vous, monsieur Bru – estiment que cela irait mieux en le disant. Le parallélisme me semble nécessaire : soit les groupements sont mentionnés dans les deux alinéas, soit ils ne le sont nulle part.

Puisque nous avons identifié cette question avec le Gouvernement et que nous y reviendrons en séance publique, je vous propose de retirer l’amendement. Il est parfaitement légitime de s’interroger sur le transfert de compétences pour les EPCI dès lors qu’ils sont autorisés plus loin dans l’article à adapter les lois et règlements. Attendons d’avoir une vision claire de la place des groupements dans cet article sur la différenciation.

M. Vincent Bru. Pourquoi ne pas adopter cet amendement puisque le rapporteur semble estimer que cette différence n’est pas normale ? Le fait de mentionner les groupements dans un alinéa mais pas dans un autre pourrait être interprété comme une restriction – ce qui ne semble pas correspondre à la volonté du constituant. Mieux vaut donc adopter d’emblée l’amendement !

Mme Cécile Untermaier. Nous écoutons les explications de M. le rapporteur avec beaucoup d’intérêt, mais nous nous interrogeons tout de même sur le lien qui doit être établi entre l’élection au suffrage universel et la possibilité offerte à un EPCI de déroger à une loi ou à un règlement. Les mesures inscrites dans la Constitution doivent être étudiées avec beaucoup d’attention – je ne doute pas que le rapporteur l’a fait – à la lumière de l’élection au suffrage universel des catégories de collectivités considérées.

M. Marc Fesneau, rapporteur. C’est bien pourquoi j’estime qu’il faut examiner cette question sérieusement. Pour répondre à M. Bru, les groupements n’étaient pas mentionnés jusqu’à présent dans la Constitution et les choses ont pu se faire tout de même.

J’ai tâché, dans mon argumentation, de faire valoir le non-parallélisme des alinéas…

M. Vincent Bru. C’est exact.

M. Marc Fesneau, rapporteur. … ce qui ne signifie pas qu’il faut apporter la précision dans les deux cas car on peut très bien ne rien préciser du tout si l’on considère que cela irait de soi. C’est pourquoi j’appelle à la prudence et je demande le retrait de l’amendement.

Mme Maina Sage. Je vous signale que les groupements figurent déjà dans la Constitution. L’amendement propose bien d’ajouter, à l’alinéa 2, au mot « territoriales », les mots « ou leurs groupements ». J’imagine qu’il y a de bonnes raisons pour que le texte ne le précise pas.

M. Vincent Bru. Je me range à l’avis du rapporteur et, avant que nous revenions sur le sujet en séance, je retire mon amendement.

L’amendement est retiré.

La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL761 et CL781 de M. Vincent Rolland.

M. Vincent Rolland. L’article 15 a pour objet d’introduire dans la Constitution le droit à la différenciation et de favoriser l’expérimentation normative pour les collectivités territoriales. Or, le risque serait grand de donner la possibilité au pouvoir central de se défausser de certaines de ses missions sur une partie du territoire sans accord préalable. Par conséquent, il apparaît indispensable que le processus évoqué dans l’alinéa 3 ne puisse se faire à l’insu des collectivités concernées. C’est l’objet de l’amendement CL761.

Quant à l’amendement CL781, de précision, il vise à expliciter la manière dont les collectivités territoriales solliciteront ce mécanisme.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Nous partageons votre volonté, j’y insiste, même si j’émets un avis défavorable à ces deux amendements. L’amendement CL781 entend introduire, à l’alinéa 3, après le mot : « territoriales », les mots « qui, après délibération, en font la demande auprès du Gouvernement » ; or, il peut également s’agir de transferts entre collectivités. Dès lors, votre proposition est imparfaite si vous voulez vraiment que s’exerce la différenciation territoriale entre les collectivités.

La Commission rejette successivement ces amendements.

Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements identiques CL347 de M. Paul Molac et CL1130 de M. Michel Castellani, puis l’amendement CL1175 de M. Jean-René Cazeneuve.

M. Paul Molac. L’amendement CL347 prévoit la possibilité d’un transfert différencié des compétences de l’État vers les collectivités locales demandeuses. À l’alinéa 3, après le mot : « compétences », nous souhaitons insérer les mots : « transférées par l’État ou ». Il s’agit de montrer, en dehors des compétences propres au département et à la région – par exemple en Corse, qui ne forme qu’une seule collectivité et qui a donc à la fois les compétences de la région et du département –, que certaines compétences peuvent être transférées directement par l’État, comme cela a été le cas en Bretagne pour l’eau.

M. Michel Castellani. Je ne reprendrai pas les arguments exposés par notre collègue Molac. Sur le fond, il s’agit d’adapter le mieux possible la loi aux réalités du terrain. J’entends déjà la réponse qui me sera faite : ce serait la cacophonie.

Une loi organique fixerait les conditions de l’application de la mesure proposée, application qui pourrait se traduire par une contractualisation entre l’État et les collectivités, le contrôle de légalité étant assuré par les services préfectoraux voire par le Conseil d’État. Le reproche de semer le désordre parmi les diverses collectivités de l’État ne tient dès lors pas.

M. Éric Poulliat. L’article 15 prévoit un droit à la différenciation territoriale. La délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation approuve bien sûr cette volonté et a d’ailleurs mené une mission sur le sujet. Aussi, dans le prolongement de ses travaux, nous proposons d’apporter, par le biais de l’amendement CL1175, une précision sur l’origine des compétences concernées par la différenciation. Il pourra s’agir de compétences aussi bien transférées par l’État que par des collectivités d’une autre catégorie. L’amendement prévoit également l’accord des collectivités concernées. Cela nous paraît indispensable en application du principe de libre administration des collectivités territoriales.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Vous avez vous-même apporté une réponse à votre propre amendement, monsieur Poulliat, puisque le principe de libre administration et de non-tutelle d’une collectivité sur une autre reste dans la Constitution. Il ne saurait donc être question, entre collectivités, d’œuvrer différemment. Il me semble par ailleurs que votre proposition, même si, je l’ai déjà dit, j’en partage la philosophie, relève de la loi organique. Demande de retrait ou avis défavorable.

Ensuite, les deux amendements identiques de MM. Castellani et Molac me semblent satisfaits par la rédaction actuelle. La différenciation, caractérisée par l’exercice de compétences différentes par des collectivités d’un même niveau, pourra résulter soit d’un transfert venu des collectivités de taille supérieure parmi lesquelles l’État, soit d’un transfert de collectivités de taille inférieure si elles s’y accordent. Or, la rédaction que vous proposez présente le risque d’une interprétation selon laquelle la différenciation ne pourrait résulter que du transfert de compétences de l’État à l’exception de tout autre. Je comprends bien la volonté de nos collègues corses mais nous en discuterons à l’occasion de l’examen de l’article 16. Avis défavorable.

M. Jean-Félix Acquaviva. Si je comprends bien, vous avez donné un avis favorable à l’amendement CL1175.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Non, défavorable, parce qu’il relève de la loi organique.

M. Jean-Félix Acquaviva. Il s’agit à mon avis de propositions de rang constitutionnel. S’il n’est pas clairement précisé dans la Constitution que l’État peut transférer des compétences aux collectivités territoriales ou que ce transfert peut avoir lieu entre collectivités si elles s’accordent, on considère qu’il n’est pas possible, dans l’exercice du droit à la différenciation, de peaufiner le statut et les compétences. Or, c’est un nœud gordien. En effet, à ne considérer que le fameux débat sur la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), les collectivités – parmi lesquelles la Corse – sont soumises à un effet ciseaux : il y a eu un transfert de compétences pendant trente-cinq ans sans transfert des dotations – elles ont même diminué. Or, s’il n’y a pas d’avancées sur les transferts fiscaux avec une contractualisation entre l’État et les collectivités, ces dernières risquent d’aller à l’abîme – l’histoire le montre. Vous voulez donc verrouiller le système a priori.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Il me semble, monsieur Acquaviva, que le texte – dans ses articles 15 et 16 notamment – envisage les dispositions constitutionnelles nécessaires à la réalisation de la différenciation territoriale. Je pensais que sur ce point au moins nous étions d’accord.

M. Jean-Félix Acquaviva. Ce n’est pas le cas.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Il est évident que la question du transfert de compétences est posée entre l’État et les collectivités et entre les collectivités entre elles – sinon de quelle différenciation parlerions-nous ? C’est la logique même des choses, sinon il était inutile de prévoir un article 15. Nous reviendrons ensuite sur la loi organique. Mais le principe est posé et le Conseil d’État, le Gouvernement le soulignent bien. Il n’est pas utile d’alourdir la Constitution dès lors que la volonté du constituant est aussi claire.

La Commission rejette successivement les amendements.

Elle en vient aux amendements identiques CL348 de M. Paul Molac, CL1125 de M. Michel Castellani, et CL1308 de M. Jean-Félix Acquaviva.

M. Paul Molac. J’ai posé à la garde des Sceaux la question de savoir s’il y aurait des délégations de la part de l’État. La réponse fut curieuse : les collectivités auront le droit d’exercer des compétences transférées par d’autres collectivités mais il n’y aura pas forcément de transfert de la part de l’État. Il faudra donc que nous y revenions en séance publique afin que tout soit bien clair.

L’amendement CL348 vise à supprimer, à l’alinéa 3, les mots : « en nombre limité ». En effet que signifient-ils ? Par exemple, la loi dispose que les secteurs de taille et de capacité d’accueil limitées (STECAL) sont exceptionnels. Or, leur nombre dépend de la situation du territoire, comme, en Bretagne, un territoire d’habitat dispersé où les STECAL deviennent de plus en plus nombreux. Un bourg comprenant une quarantaine de villages avec de nombreuses dents creuses nécessiterait une quarantaine de STECAL pour les combler. Vous comprendrez donc que les mots « en nombre limité » ne me paraissent pas très clairs.

M. Michel Castellani. On se demande en effet à quoi correspond cette expression. On peut par ailleurs observer que les compétences éventuellement dévolues aux collectivités territoriales sont soumises à des conditions : habilitation par le pouvoir législatif, expérimentation… Il semble redondant et donc inutile de limiter le nombre de ces compétences, le pouvoir législatif pouvant décider de ce qui est dévolu aux collectivités territoriales ou non.

M. Jean-Félix Acquaviva. Il semble que l’article 15 comporte de nombreux verrous. On ne sait pas trop ce que signifient, nos collègues viennent de le souligner, le « nombre limité », sinon, évidemment, que les compétences en question seront très encadrées. Je rappelle que le droit à l’expérimentation est un échec patent – prévisible dès lors qu’on a voulu généraliser des spécificités structurelles. En matière d’échec des demandes d’adaptation, je pense également au statut de la Corse du 22 janvier 2002. La notion de « nombre limité » sans précision nous paraît la manifestation d’une crainte inutile puisque le dispositif, vous venez de le préciser, monsieur le rapporteur, peut être défini par la loi.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Comme indiqué précédemment, la différenciation du droit commun suppose des adaptations par rapport à ce qui demeurerait un droit commun globalement intelligible – y compris par les citoyens, d’ailleurs. Il ne s’agit pas d’imaginer que des départements pourraient vider la région qu’ils composent de ses compétences – ou l’inverse dans une autre région –, mais bien d’adapter, en fonction de spécificités territoriales, les compétences exercées.

Le projet de loi propose judicieusement que les transferts de compétences soient en nombre limité, ce qui permet de garantir un bon fonctionnement du dispositif – la capacité à différencier – sans que soit totalement remise en cause l’architecture territoriale qui procède tout de même d’un certain nombre d’années et de lois territoriales. Ceci n’empêche pas, dans certains cas – donc en « nombre limité » –, d’adapter les compétences. Avis défavorable.

Mme Maina Sage. J’entends vous alerter, chers collègues, sur la réécriture de l’alinéa 4 qui traite de l’expérimentation. À l’origine, ce droit visait une dérogation pour un objet et une durée limitée. Or là, sous couvert d’un assouplissement censé permettre un droit à l’expérimentation dans une seule collectivité, on retouche légèrement le texte en apparence mais avec une grave modification de fond. L’objet visé et la durée limitée deviennent « nombre limité ». Vous changez complètement l’objet même du droit à l’expérimentation !

Je vous invite à examiner ce point de près afin que nous réécrivions cette disposition d’ici à l’examen en séance.

M. François Pupponi. Il y a un problème de rédaction. Qui va décider des contours de ces fameuses limites ?

Mme Maina Sage. Bien sûr, ça ne veut rien dire.

M. François Pupponi. Si une collectivité fait une demande d’expérimentation trois fois, quatre fois, cinq fois, va-t-on lui répondre qu’au-delà de trois fois, comme c’est « en nombre limité », ce n’est plus possible ? Nous sommes tout de même en train de réviser la Constitution ! Or cette imprécision peut, à terme, poser un problème juridique.

M. Jean-Félix Acquaviva. Bien sûr !

La Commission rejette ces amendements.

Puis elle examine les amendements identiques CL1128 de M. Michel Castellani et CL1313 de M. Jean-Félix Acquaviva.

M. Michel Castellani. À l’alinéa 3, après le mot : « limité », je propose d’insérer les mots : « dont des compétences en matière fiscale et réglementaire ». L’article 15 ne caractérise pas les compétences que nous venons d’évoquer et dont disposerait l’ensemble des collectivités.

Aussi l’amendement a-t-il pour objet de préciser ces compétences, accordant la possibilité aux collectivités territoriales de prendre des mesures en matière fiscale ou réglementaire pour les adapter au contexte social. Je précise, à la suite de ce qui a été dit il y a quelques minutes, qu’il s’agirait d’adapter les mesures au contexte social pour l’améliorer et non pour le dégrader ; le but est bien, pour notre administration corse, de renforcer l’homogénéité sociale. Il ne s’agit pas d’appauvrir les pauvres et d’enrichir les riches, mais bien de stimuler la croissance économique.

M. Jean-Félix Acquaviva. Si nous évoquons ici la fiscalité, c’est que nous y sommes souvent confrontés dans le cas corse, mais d’autres territoires sont également concernés qui eux aussi doivent faire face à une application tronquée du principe d’égalité, notamment pour éviter les transferts fiscaux. Inscrire dans le marbre constitutionnel qu’il est possible, pour résoudre des situations différentes, de disposer de compétences fiscales, c’est avoir la garantie d’une bonne base de discussion législative sur le principe d’égalité.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Avis défavorable.

La fiscalité locale française est complexe et il ne paraît pas nécessaire de la compliquer davantage. Pour ce qui est de la question corse, nous allons plus loin dans la différenciation et c’est à l’occasion de l’examen de l’article 16 que nous pourrons en discuter. En outre, l’expression « compétence réglementaire » n’a pas grand sens dans la mesure où toutes les collectivités peuvent d’ores et déjà prendre des arrêtés et disposent donc déjà d’un pouvoir réglementaire.

La Commission rejette ces amendements.

Elle en vient à l’amendement CL759 de M. Vincent Rolland.

M. Vincent Rolland. Le présent amendement vise à sécuriser la possibilité nouvelle donnée aux collectivités territoriales par la Constitution. En effet, afin d’apporter de la stabilité juridique aux citoyens des collectivités concernées, il serait nécessaire d’encadrer cette disposition, en précisant à quelles conditions la latitude donnée aux collectivités territoriales peut leur être retirée par la suite. Nous souhaitons apporter une précision en conditionnant la modification de la possibilité de dérogation à un motif d’intérêt général.

Par ailleurs, il convient de préciser que le présent amendement n’empêche pas qu’il soit mis fin à une expérimentation si cette dernière n’était pas concluante

M. Marc Fesneau, rapporteur. Il y a quelque chose d’un peu paradoxal dans votre amendement puisque vous dites à la fois que la différenciation territoriale est nécessaire et, dans le même temps, que les collectivités ou l’État pourraient agir contrairement à l’intérêt général. Or, nous espérons bien que les collectivités et l’État agissent pour l’intérêt général. L’article 15 du présent texte prévoit par ailleurs une limite à ces exercices de différenciation en ce qu’ils doivent respecter les conditions d’exercice d’une liberté publique ou d’un droit constitutionnellement garantis. Enfin, évidemment et c’est la logique même des choses, la différenciation doit servir l’intérêt général. Avis défavorable.

M. Vincent Rolland. L’intérêt général est ici entendu comme celui des collectivités territoriales et de leurs territoires.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements CL1176 de M. Jean-René Cazeneuve et CL352 de M. Paul Molac.

M. Éric Poulliat. L’amendement CL1176 est la traduction de la première partie de la proposition n° 5 de la mission de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation sur l’expérimentation et la différenciation territoriale. S’il existe des lois pour la montagne » ou des lois pour le littoral, il semble possible d’améliorer la prise en compte des spécificités de l’ensemble des territoires. C’est pourquoi le présent amendement vise à introduire dans la Constitution une obligation pour le législateur et pour le pouvoir réglementaire, à chaque fois qu’ils édictent une norme s’imposant aux collectivités ou à leurs groupements et surtout si elle a un impact significatif, de prendre en compte, s’il y a lieu, les spécificités objectives des territoires concernés.

M. Paul Molac. Si la loi est faite dans l’intérêt général, dès qu’on en vient à son application dans les territoires, c’est nettement plus compliqué avec des inégalités de fait et qui sont très loin de l’équité. Il s’agit donc d’examiner la manière dont les textes pourraient s’appliquer directement sur le terrain ; ce serait sans doute moins rigoureux d’un point de vue juridique mais plus facilement adaptable aux territoires. Un juriste m’a déclaré un jour qu’il trouvait bizarre que le règlement qu’il avait rédigé ne puisse s’appliquer puisqu’il était conforme à la loi ! J’ignore s’il était naïf ou de mauvaise foi mais on sait bien que quand on veut qu’une mesure ne passe pas, on trouve toujours un modus operandi… Aussi la prise en compte des difficultés spécifiques des territoires permettrait-elle à la loi de gagner en efficacité réelle.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Ces amendements sont très ambitieux.

Imaginons une loi qui concerne les communes. Il faudrait, à peine d’inconstitutionnalité, qu’elle adapte toutes ses prescriptions à ce que vous nommez les « spécificités objectives des territoires ». Mais où trouver la liste de ces spécificités ?

Je suppose que la faible densité démographique en est une, que la forte densité en est une autre, ou encore une répartition démographique irrégulière. Sans compter la montagne, la ville, la campagne, la mer, les fleuves, l’insularité qui sont autant de spécificités également. J’y ajouterai les activités polluantes, la présence de zones protégées, l’existence d’espèces animales en danger – et j’interromps la liste ici.

Vous voyez que la liste des spécificités objectives est sans fin et qu’aucune loi sur les collectivités ne pourrait être constitutionnelle. Aussi, plutôt qu’un mécanisme juridique de différenciation, que la Constitution permet d’ailleurs déjà, je vous invite à privilégier une procédure politique : que les députés et sénateurs des territoires concernés fassent connaître à leurs collègues ces éléments objectifs qui pourraient justifier une adaptation spécifique par la loi. Demande de retrait ou avis défavorable pour ces deux amendements.

M. François Pupponi. La question que posent ces amendements est la manière d’élaborer la loi. Je vais prendre un exemple montrant que leur adoption pourrait créer des difficultés mais qu’ils répondent à un vrai problème.

La loi de finances prévoit la contractualisation pour les collectivités locales dont le taux de croissance des dépenses de fonctionnement ne doit pas dépasser 1,2 % par an, inflation comprise. Parmi les critères d’attribution d’un malus aux collectivités figure la construction de logements. J’avais déposé un amendement faisant valoir que certaines communes ne peuvent pas construire de logements : celles devant respecter un plan d’exposition au bruit (PEB), celles soumise à la loi sur le littoral, celles relevant de la loi sur la montagne. Le territoire de ces communes est contraint, si je puis dire. On m’a répondu que ce n’est pas grave. Eh bien, une commune que je connais bien a été pénalisée par le préfet parce qu’elle n’a pas construit assez de logements alors même que la loi le lui interdit !

M. Jean-Félix Acquaviva. Le rapporteur semble se demander comment faire pour prendre les spécificités en compte : par le dialogue, tout simplement, par la confiance, par le pacte de confiance entre l’État et les territoires et qui doit relever du domaine de la loi. Or, l’administration centrale et parfois le Parlement ne s’y livraient pas. Ainsi, s’il y a eu une seconde loi montagne, en décembre 2016, c’est parce que celle de 1985 qui devait consacrer la diversité des territoires de montagne n’a pas été bien appliquée et cela pour des raisons culturelles et politiques. C’est bien pourquoi, pour remédier à ce déficit de confiance, d’aucuns ressentent le besoin de contraindre par la loi l’État et les collectivités à dialoguer.

La Commission rejette successivement ces amendements.

Elle examine ensuite l’amendement CL760 de M. Vincent Rolland.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Il est proposé que les compétences puissent être transférées d’une collectivité à une autre par simple accord entre elles, sans passer par la loi. C’est difficilement envisageable : l’État est le garant de l’intérêt général, il lui appartient de vérifier que l’accord en question ne porte préjudice à personne, notamment aux collectivités tierces et aux personnes qui résident sur le territoire concerné. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CL815 de Mme Danièle Obono.

M. Bastien Lachaud. Étant donné qu’on renforce les compétences des élus locaux, il semble cohérent d’accroître dans le même temps leur responsabilité, d’où la présente proposition d’instaurer un droit de révocation à l’issue de la première moitié du mandat – pour éviter des révocations permanentes, donc des élections à répétition. Ainsi, à la demande d’un dixième des électeurs d’une collectivité, pourrait se tenir un référendum révocatoire afin que les citoyens contrôlent l’action de leurs élus sans attendre la fin de leur mandat.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Ce n’est pas la première fois que nous abordons le sujet. Reconnaissons que vous avez la révocation assez facile, seul moyen selon vous de responsabiliser les élus.

M. Bastien Lachaud. Non, c’est un moyen parmi d’autres.

M. Marc Fesneau, rapporteur. C’est le seul moyen de régulation que vous nous proposez. Le Président de la République, le Premier ministre, les ministres et maintenant les élus locaux ! Il ne manque plus que les partis politiques mais je ne vois pas qu’une telle idée figure dans vos statuts…

Franchement, proposer que 10 % des citoyens puissent révoquer un maire…

M. Bastien Lachaud. Non, il s’agit de lancer une procédure de révocation, ce n’est pas la même chose.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Soit, créer les conditions de la révocation… Reste que je ne sais pas si vous connaissez la réalité territoriale, mais dans une commune de cinquante habitants, il suffirait de cinq habitants ! C’est donc là ce que vous proposez ? Ce seul exemple suffit à justifier un avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL767 de M. Jean-Luc Mélenchon.

M. Bastien Lachaud. Le présent amendement vise à supprimer les alinéas 4 et 5, donc la possibilité pour les collectivités territoriales ou leurs groupements de déroger aux lois ou aux règlements qui régissent l’exercice de leurs compétences.

Si nous adoptons cette réforme constitutionnelle, les élus ne seront plus jugés et ne feront plus campagne uniquement sur leur façon de gérer les compétences qu’ils possèdent mais sur leur capacité à en obtenir de nouvelles. Nous courons ainsi le risque d’une inflation, donc du démembrement de la République.

M. François Pupponi. Oh !

M. Bastien Lachaud. Imaginons qu’un élu obtienne une nouvelle compétence et qu’il soit battu aux élections parce qu’il n’arrive pas à l’exercer correctement – et aussi peut-être parce qu’elle n’est pas adaptée au périmètre de sa collectivité –, eh bien, son successeur hérite de cette compétence et, dès lors, soit il devra exercer une compétence qu’il ne peut pas exercer, soit il revient en arrière et nous assisterons alors à un va-et-vient permanent et hasardeux de transferts de compétences entre l’État et les collectivités. Les dispositions prévues sont donc plus de nature à créer le désordre qu’autre chose.

M. Marc Fesneau, rapporteur. J’ai déjà répondu sur la philosophie générale de la différenciation. Donc, pour le même motif que précédemment, j’émets un avis défavorable.

M. Erwan Balanant. Il est toujours instructif de lire les exposés sommaires des amendements déposés par les députés du groupe La France Insoumise. Je ne sais pas qui a rédigé celui de l’amendement que vous venez de défendre, monsieur Lachaud, mais il comporte des mots choquants. Selon vous, les élus seraient des « petits seigneurs locaux ». Nombre d’entre nous ont été conseillers municipaux, adjoints au maire, maires, présidents d’EPCI… Plus qu’un travail, c’est un engagement de tous les jours qui réclame beaucoup d’abnégation. Le rapporteur général l’a rappelé : les mandats locaux sont renouvelés tous les six ans ; or, pour conduire un projet municipal, six ans, c’est court. Aussi les élus font-ils ce qu’ils peuvent avec ce qu’ils ont et toujours avec détermination. Je suis donc choqué, je le répète, par cette qualification.

M. Bastien Lachaud. Je suis ravi, monsieur Balanant, que vous lisiez les exposés sommaires de nos amendements. J’aurais souhaité que vous lisiez attentivement et jusqu’au bout. Vous auriez ainsi pu noter que les expressions « seigneurs locaux », « baronnies »… se réfèrent à l’Ancien Régime et à la situation qui découlerait de l’application de la réforme et qu’elles ne décrivent en rien la situation actuelle. Nous revendiquons d’ailleurs, et j’espère vous aussi, un véritable statut protecteur pour les élus locaux mais aussi nationaux.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CL1177 de M. Jean-René Cazeneuve, CL1126 de M. Michel Castellani, CL349 de M. Paul Molac, CL1481 de M. Jean-Luc Warsmann, puis les deux amendements identiques CL350 de M. Paul Molac et CL1314 de M. Jean-Félix Acquaviva, enfin les amendements CL1127 de M. Michel Castellani et CL351 de M. Paul Molac.

M. Michel Castellani. À l’alinéa 5, je souhaite supprimer les mots : « lorsque, selon le cas, la loi ou le règlement l’a prévu ».

Le projet de loi conditionne les compétences accordées aux collectivités territoriales à une autorisation, limitant le pouvoir accordé. Les compétences seraient sujettes à d’autres conditions : un objet limité comme nous en avons discuté, une expérimentation que nous avons aussi évoquée. Cette autorisation systématique est une limite objective. On comprend que sont remis en question le degré de compétence des collectivités et le potentiel d’initiative de ces dernières. En clair, l’amendement CL1126 a pour objet de faire sauter ce verrou afin, à l’inverse, d’élever le niveau de compétence des collectivités.

M. Paul Molac. L’amendement CL349 propose que soit trouvé un mécanisme plus pertinent en ce qui concerne l’habilitation. On a vu que celui mis en œuvre en Corse n’a pas fonctionné. C’est pourquoi nous souhaitons, à l’alinéa 5, retenir le principe d’une habilitation par décret en Conseil des ministres après avis du Conseil d’État. Il s’agit de faire en sorte que la procédure soit plus fluide afin qu’on parvienne vraiment à un droit d’adaptation puisque, jusqu’à présent, tout est resté bloqué.

Mme Maina Sage. Je retire l’amendement CL1481.

M. Paul Molac. Le texte prévoit que « les collectivités territoriales ou leurs groupements peuvent, lorsque, selon le cas, la loi ou le règlement l’a prévu, déroger, pour un objet limité, aux dispositions législatives ou réglementaires qui régissent l’exercice de leurs compétences […] » Nous ne voudrions pas que cet « objet limité » soit un objet politique non identifié. Comme tout à l’heure, cette expression n’est pas très claire. Il n’est pas nécessaire de la faire figurer dans la Constitution si un décret en Conseil d’État ou une loi détermine cet objet. C’est le sens de l’amendement CL350.

M. Jean-Félix Acquaviva. Comme vient de le souligner M. Paul Molac, l’expression « objet limité » est très floue et peut être la manifestation d’une crainte. En effet, pourquoi le préciser dans la Constitution alors que c’est la loi qui va définir la portée des dérogations elles-mêmes examinées au cas par cas ? Je trouve décidément qu’il y a beaucoup de virgules, de conditions, bref de verrous dans cet article. Si on veut libérer l’action des territoires, c’est inutile, à moins qu’à l’inverse on ne veuille cadenasser d’avance la loi qui suivra. Or, comme nous avons l’expérience, en la matière, de l’échec des usines à gaz, l’amendement CL1314, identique au précédent, supprime les mots « objet limité » de l’alinéa 5. En effet, le seul objet qui vaille est l’intérêt des populations librement entendues dans le cadre des discussions entre l’État et les collectivités territoriales.

M. Michel Castellani. L’amendement CL1127 vise, à l’alinéa 5, à substituer aux mots « un objet limité » les mots : « une matière définie ». J’entends par là préciser la rédaction d’un texte qui, on l’a dit, reste floue. Cette matière sera définie par la loi organique.

M. Paul Molac. L’amendement CL351 vise à ce que la dérogation aux lois et règlements soit rendue possible pour les collectivités locales au-delà du seul exercice de leurs compétences. Je rappelle que les collectivités font une demande pour être habilitées.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Certains de ces amendements visent à étendre à l’article 15 les dispositifs relatifs aux départements et régions d’outre-mer prévus à l’article 17. Or, la différenciation doit être une première étape et l’extension de son périmètre à ce qui est prévu pour l’outre-mer ne me paraît pas fondée.

Ensuite, concernant l’expression « objet limité », M. Acquaviva propose, lui, un objet illimité ou du moins limité au seul intérêt des populations ou des collectivités locales… C’est là notre différence : nous estimons que la Constitution doit préciser qu’il s’agit d’une habilitation bornée.

C’est pourquoi je suis défavorable à tous les amendements en discussion commune.

M. François Pupponi. Les propos de M. Molac sur l’habilitation sont tout à fait exacts. Le vrai problème, c’est que quand des collectivités qui en ont le droit demandent une habilitation, le Gouvernement ne répond pas. La Constitution ne peut pas imposer une habilitation alors que les gouvernements successifs ne l’ont pas allouée à ce point. Il y a là une sorte de mépris insupportable vis-à-vis des collectivités locales. Nous devons trouver le moyen, d’ici à l’examen du texte en séance, de faire en sorte que le Gouvernement ait l’obligation de répondre à la demande d’habilitation et qu’un silence de sa part vaille dès lors accord tacite. On ne peut pas continuer ainsi, j’y insiste.

M. Jean-Félix Acquaviva. Je n’ai pas dit que l’objet devait être illimité mais précisé par la loi, donc par le Parlement au terme d’une discussion. Au rang constitutionnel, c’est, je le répète, appliquer un verrou de trop.

L’amendement CL1481 est retiré.

La Commission rejette successivement les amendements.

Elle en vient aux amendements identiques CL1129 de M. Michel Castellani et CL1316 de M. Jean-Félix Acquaviva.

M. Michel Castellani. À la fin de l’alinéa 5, je souhaite supprimer la référence à une expérimentation. C’est un des verrous précédemment évoqués, qui traduit à tout le moins une grande méfiance pour toute évolution de la loi. Un nombre suffisant de conditions sont déjà posées afin de contrôler l’initiative locale. Du fait de l’habilitation, il n’y a pas lieu de procéder à une expérimentation.

M. Jean-Félix Acquaviva. La dérogation est susceptible d’être associée à l’expérimentation. On a donc l’impression d’une juxtaposition illogique puisqu’on greffe une nouveauté censée remplacer un ancien mécanisme ayant largement prouvé son inefficacité… précisément sur cet ancien mécanisme. De surcroît, l’avis du Conseil d’État a suggéré une réforme du régime d’expérimentation qui pourrait donner lieu à une dérogation pérenne et non plus seulement à une généralisation ou à un abandon. Il faudra nous expliquer la différence, pas simplement conceptuelle, entre une expérimentation qui deviendrait permanente et le droit à la différenciation. Tous ces éléments, du point de vue de la logique, du droit et de la pratique commandent la suppression de la référence à l’expérimentation.

M. Marc Fesneau, rapporteur. J’ai l’impression que nous ne comprenons pas l’article 15 de la même manière. L’expérimentation et la différenciation sont les deux faces d’une même pièce : la première a vocation à rester temporaire tandis que la seconde serait pérenne.

L’expérimentation imaginée en 2003 était vouée à l’échec précisément parce qu’elle ne pouvait être que temporaire et donner lieu, à terme, soit à un abandon, soit à une généralisation. Nous entendons ici combler ce manque en proposant l’issue de la pérennisation.

Dans cette optique, l’expérimentation reprend tout son sens. On n’est jamais certain, quand on défend une idée politique, de la voir prospérer en la confrontant au réel. De même, une bonne initiative peut être bonne pour tout le monde, d’où une généralisation.

Le texte dispose : « Dans les conditions prévues par la loi organique, et sauf lorsque sont en cause les conditions essentielles d’exercice d’une liberté publique ou d’un droit constitutionnellement garanti, les collectivités territoriales ou leurs groupements peuvent, lorsque, selon le cas, la loi ou le règlement l’a prévu, déroger, pour un objet limité, aux dispositions législatives ou réglementaires qui régissent l’exercice de leurs compétences, éventuellement après une expérimentation autorisée dans les mêmes conditions. » Tout est dans le mot « éventuellement » : l’expérimentation n’est pas obligatoire ; seulement, nous en laissons la possibilité aux collectivités qui le souhaitent si elles estiment nécessaire de tester le besoin de transfert de telle ou telle compétence ou l’adaptation de la loi ou du règlement sans passer directement à sa pérennisation.

Nous n’avons donc pas du tout la même lecture que vous de cet alinéa. Avis défavorable.

M. Paul Molac. Si je comprends bien, il suffit qu’une collectivité soit habilitée à exercer une compétence pour que, placée dans les mêmes conditions, une autre puisse expérimenter elle aussi la même solution.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Vous défendez toujours, avec une constance remarquable, les mêmes positions. Concédez que je fasse de même. Les sujets dont nous débattons sont propres… à la Corse, puisqu’ils relèvent de l’article 16 du projet de loi. On ne saurait donc invoquer un parallélisme des formes entre cette collectivité à statut spécial et les autres collectivités.

M. Jean-Félix Acquaviva. L’expérimentation a échoué par le passé parce que c’était une usine à gaz. Nous craignons un échec de la différenciation pour les mêmes raisons.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Je ne vois pas de risque d’une usine à gaz, puisque le texte ouvre seulement la possibilité de cette différenciation. Les collectivités peuvent opter d’emblée pour un dispositif pérenne. Vous n’avez aucune crainte à avoir.

La Commission rejette les amendements.

Elle examine les amendements CL1455 et CL1456 de M. Paul-André Colombani.

M. Paul-André Colombani. Il s’agit d’amendements d’appel. Nos électeurs nous ont en effet donné le mandat de faire évoluer le statut de la Corse vers l’autonomie ; pour ce faire, nous avons besoin d’outils.

L’amendement CL1455 vise à permettre à la Corse dans une loi organique spécifique et déterminant les conditions de son statut particulier, de modifier, après consultation des populations intéressées, le nombre – y compris par fusion – et le nom des communes sur le territoire insulaire. En effet, à la suite de la loi NOTRe, le préfet a peiné à dessiner la carte de nouvelles communes.

L’amendement CL1456 vise à instituer un contrôle de légalité conjoint du préfet et de la collectivité de Corse sur les actes des communes corses. Une disposition similaire existe chez nos voisins italiens, dans le statut spécial du Val-d’Aoste, à l’article 43. J’observe d’ailleurs que, dans la Constitution italienne, l’autonomie régionale est la règle et non une exception.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Je trouve bien hardis vos amendements d’appel… Il s’agit tout de même de laisser une collectivité s’arroger des prérogatives d’État au détriment des communes ! Pour votre premier amendement, je rappelle que la loi du 16 mars 2015 relative à l'amélioration du régime de la commune nouvelle, pour des communes fortes et vivantes, dite « loi Pélissard », permet aux communes qui le souhaitent d’engager une fusion sur une base volontaire. Pour le second, le principe de non-tutelle d’une collectivité sur une autre s’oppose à son adoption.

Je suis donc, à plusieurs titres, très défavorable à vos deux amendements.

M. Philippe Gosselin. Ce débat sur la spécificité annonce ceux que nous pourrons avoir lorsque nous examinerons l’article 16, relatif à la collectivité de Corse. Laissez-moi vous dire que, lorsqu’on foule aux pieds le principe de libre administration des collectivités territoriales et qu’on revendique pour l’une d’entre elles l’exercice du contrôle de légalité, on ne défend plus l’autonomie mais la création d’un État indépendant.

En effet, grâce à la « loi Pélissard », les communes peuvent devenir des collectivités nouvelles sur une base volontaire tandis qu’il revient à l’État de rester le gardien des grands principes.

M. Jean-Félix Acquaviva. Je maintiens que la création d’un État indépendant n’est pas l’objectif que nous poursuivons, mais la pleine réalisation de l’autonomie de la Corse. Je me contente de vous renvoyer de nouveau au statut du Val-d’Aoste, que je peux vous distribuer, pour la meilleure information de la Commission. En Europe, 400 millions de citoyens vivent dans des régions autonomes ; n’agitons donc pas le chiffon rouge !

S’agissant des intercommunalités, l’ensemble des communes corses se sont déclarées favorables à ce que les compétences en ce domaine soient confiées à la collectivité de Corse. Aujourd’hui, les critères très restrictifs, notamment ceux relatifs à la très faible densité démographique, empêchent d’opérer les rapprochements nécessaires. Devant cette demande unanime des communes corses, ne parlons donc pas d’atteinte à la démocratie.

M. David Habib. La question de la tutelle d’une collectivité sur une autre peut être embarrassante. Mais la présentation de notre collègue Jean-Félix Acquaviva montre quelle est la défiance des territoires envers le pouvoir central, qui leur impose des critères de regroupement très restrictifs. C’est pourquoi j’avais refusé, lorsque nous avions examiné la loi NOTRe, la notion de chef de file, qui me paraissait contraire au principe de non-tutelle d’une collectivité sur une autre.

M. Marc Fesneau, rapporteur. La loi MAPTAM, la loi NOTRe, le découpage des régions… voilà autant de sujets débattus du temps où vous, monsieur Habib, aviez la majorité ! Certes, le pouvoir central a parfois procédé à des découpages à la hussarde, mais tous ses péchés ne se concentrent pas sur la seule année écoulée. Ce n’est pas nous qui avons voté ces lois imposant un seuil de 15 000 habitants et de faibles possibilités d’y déroger. Ce n’est pas nous non plus qui avons effectué un découpage des régions dénué de sens au plan culturel, historique et géographique.

M. David Habib. Vous êtes bien désagréables avec notre rapporteur général, qui appartenait à cette majorité…

M. Marc Fesneau, rapporteur. La défiance des territoires n’est pas née aujourd’hui. Mais la différenciation leur ouvre des perspectives. Il reste à en mesurer la faisabilité dans la loi organique. En tout cas, la loi NOTRe a créé des espaces où les communes ne se retrouvent pas. Nous voulons au contraire réentendre la voix des territoires.

M. Paul-André Colombani. À chaque fois que nous prononçons le mot « autonomie », nous entendons pousser de hauts cris. Elle est pourtant, notre collègue Jean-Félix Acquaviva le rappelait, tout simplement la norme dans l’Union européenne. Habituons-nous donc à ce mot, qui n’est pas un gros mot. Nous voulons seulement administrer au plus près du citoyen.

M. Paul Molac. Que le rapporteur se rassure, les difficultés que nous rencontrons ne me semblent pas, à moi non plus, dater d’aujourd’hui, mais elles sont plutôt consubstantielles à la formation de la France. Lors du débat sur la réforme des régions, j’ai non seulement voté contre le texte, mais, dans une explication de vote, j’ai aussi engagé mes collègues à faire de même, car je ressens dans ma propre région les problèmes dont il est fait état.

M. Philippe Gosselin. Ni la Belgique, ni l’Allemagne, ni le Royaume-Uni n’offre le type d’autonomie que vous revendiquez. Certes, il s’en faut de beaucoup que l’État ait toujours été exemplaire, comme l’ont prouvé le découpage des régions ou les regroupements obligatoires en intercommunalité à compter du 1er janvier 2017.

Il est bon d’assouplir le cadre général pour qu’il s’adapte aux singularités et aux spécificités des territoires, mais les amendements que vous défendez sont beaucoup plus que des amendements d’appel. Vous le voyez bien, ils nous font tous monter au créneau. Je vous appelle donc à faire preuve de plus de modération.

Mme Cécile Untermaier. Je suis d’accord avec l’analyse du rapporteur. Mais ne confondons pas l’État et le pouvoir législatif. Tant au stade de son élaboration que de sa mise en œuvre, la loi MAPTAM aurait pu, à mon sens, intégrer une participation accrue des communes.

Mme Maina Sage. Élue dans un territoire d’outre-mer autonome, je voudrais vous rassurer : il s’agit juste de placer au bon niveau le curseur entre autorité centrale et autonomie régionale. Les Corses veulent seulement obtenir les compétences les plus adaptées pour eux, pour être le plus efficaces possible.

L’exercice conjoint du contrôle de légalité, qui reconnaît le rôle du représentant de l’État, montre que celui-ci n’est pas écarté. La Polynésie connaît elle aussi un double contrôle de légalité de ce type. L’exercice se révèle très productif.

La Commission rejette les amendements.

Elle adopte l’article 15 sans modification.

Après l’article 15

[Après l’article 72 de la Constitution]

La Commission examine l’amendement CL995 de M. André Chassaigne.

Mme Huguette Bello. Cet amendement vise à étendre le droit de vote et d’éligibilité à tous les étrangers offrant les conditions de résidence requises et ainsi à mettre fin à l’inégalité entre ressortissants communautaires et ceux qui ne le sont pas.

Actuellement, le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales pour les ressortissants de l’Union européenne est prévu par l’article 88-3 de la Constitution. Aussi existe-t-il une discrimination à l’égard des citoyens non ressortissants de l’Union européenne, souvent installés dans notre pays depuis de longues années. Il est contraire au principe d’égalité que tous les étrangers n’aient pas les mêmes droits alors même que les élections locales les concernent au même titre et de la même manière.

Nous proposons de créer dans la Constitution un article relatif au droit de vote et d’éligibilité des ressortissants extra-communautaires aux élections municipales.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Nous avons déjà évoqué cette question. Avis défavorable.

Mme Marie-George Buffet. Ce sujet est souvent débattu et s’attire toujours un avis défavorable. Accepter une telle proposition aurait pourtant du sens, vu les attentes qui s’expriment au sujet de la nation et de la mise en commun de nos efforts. Nous parlons ici de gens qui, depuis parfois des dizaines d’années, enrichissent notre pays par leur travail. Cet amendement propose seulement qu’ils puissent participer à la vie de nos communes. Je souhaite que nous en débattions pour de bon. N’écartons pas simplement cette proposition, au moment même où c’est le moment d’en parler.

M. Bastien Lachaud. Contrairement à ce que vous dites, monsieur le rapporteur, nous n’avons pas mené ce débat. Nous avions évoqué le droit de vote des étrangers à l’ensemble de nos élections. Mais il ne s’agit ici que de leur participation aux scrutins locaux. Les ressortissants des États membres de l’Union européenne y prennent déjà part. Or, d’autres pays ont des liens beaucoup plus anciens avec la République française.

Notre débat d’aujourd’hui tourne moins autour de la question de la citoyenneté et de la nationalité qu’autour de la question de l’égalité entre ressortissants étrangers. Oui ou non, voulons-nous faire une différence entre les Polonais et les Allemands, d’un côté, les Marocains et les Algériens, de l’autre ?

La Commission rejette l’amendement.

[Article 72-1 de la Constitution]

La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL353 de M. Paul Molac, CL1018 de M. Bastien Lachaud, CL812 de Mme Clémentine Autain, CL811 de M. Éric Coquerel, CL813 de Mme Danièle Obono et CL810 de M. Bastien Lachaud.

M. Paul Molac. Nous voulons qu’un référendum local soit obligatoire en cas de changement de délimitation des collectivités territoriales. C’est pourquoi nous proposons d’insérer à l’article 72-1 les deux phrases suivantes : « Cette consultation est obligatoire pour la modification des limites des régions, des collectivités territoriales à statut particulier et des collectivités d’outre-mer régies par les articles 73 et 74. La consultation s’effectue auprès des électeurs directement concernés par le changement de territoire. »

L’Alsace n’a-t-elle pas disparu des radars sans crier gare ? Je m’étais élevé contre la suppression de cette région à qui sa culture germanique donne des contours si affirmés. Pourquoi la rayer d’un trait de plume ?

De même, en 1941, le département de Loire-Atlantique a été enlevé à la Bretagne. Les Bretons ne l’ont toujours pas accepté. Ce n’est pas une question de vouloir l’indépendance régionale ; mais, aujourd’hui, il n’est pas même pas possible au président d’un conseil départemental de se prononcer sur le rattachement de sa collectivité à sa région ou à une autre, comme l’a indiqué un préfet à l’un d’entre eux.

Je veux que nous reconnaissions, au contraire, l’identité de certaines régions.

M. Bastien Lachaud. Nos amendements visent à accroître l’initiative citoyenne. Ils leur ouvrent soit la possibilité de forcer une collectivité à délibérer, soit de demander un référendum citoyen sur une délibération de cette collectivité. Ils vont donc dans le sens d’un plus grand engagement citoyen et d’une initiative populaire renforcée.

Ces démarches n’ont bien sûr de valeur que si elles sont contraignantes. Favorisons l’initiative populaire en nous assurant qu’aucun regroupement ni aucun transfert de compétences ne puisse avoir lieu sans que les citoyens aient leur mot à dire. Prenons l’exemple de la collecte des déchets. La question de savoir si elle doit être gérée par un établissement public industriel et commercial ou en régie municipale doit pouvoir être tranchée par le citoyen, grâce à un référendum.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Monsieur Molac, vous prônez un référendum local obligatoire en cas de changement de délimitation des collectivités territoriales. Mais, d’abord, je ne crois pas que l’Alsace, en tant que telle, ait disparu ; je regrette que nos collègues élus dans cette région ne soient pas là cet après-midi pour vous porter eux-mêmes la contradiction.

L’effet de cet amendement serait d’empêcher toute modification des périmètres régionaux tant que les populations concernées n’auraient pas donné leur accord. Par exemple, s’il était un jour question de faire changer de région le département de Loire-Atlantique, il faudrait que les populations des deux régions directement concernées donnent leur accord, sans quoi ce ne serait pas possible, nous en sommes bien d’accord ?

L’amendement aurait tendance à rigidifier la carte régionale en bloquant son évolution, du moins en empêchant le législateur de formuler une orientation globale puisque toutes les modifications donneraient lieu à une multitude de référendums. Avis défavorable.

Monsieur Lachaud, vous défendez quant à vous avec constance un pouvoir de révocation par les électeurs, un recours accru au référendum. Si nous vous suivions, un simple arrêté de circulation dans une commune pourrait faire l’objet d’un référendum, au motif qu’il dérange 10 % de ses habitants, quand bien même il serait conforme à l’intérêt général. Vous vous rendez compte que l’activité de toutes les collectivités se trouverait vite paralysée. Soit vous voulez que les électeurs révoquent leurs élus, soit vous voulez qu’ils puissent se prononcer par référendum sur les décisions que prennent ces derniers. Nous sommes quant à nous partisans d’une démocratie représentative.

M. David Habib. Je suis surpris que nous ayons engagé une discussion commune sur des amendements si différents les uns des autres. Celui qu’a défendu notre collègue Paul Molac me semble être le résultat d’une rédaction empirique et le fruit de l’expérience. Quel que soit le gouvernement, nous observons en effet que, si un verrou démocratique n’est pas mis, l’organisation territoriale finit toujours par procéder des décisions d’une technocratie parisienne.

M. Bastien Lachaud. Je regrette de n’avoir pas reçu de réponse au sujet de mon amendement CL810, qui tend à soumettre à référendum local la création de structures intercommunales. Je ne comprends d’ailleurs pas non plus pourquoi il est en discussion commune avec les autres.

L’attitude du rapporteur et de la majorité me paraît procéder d’un mépris – et d’une peur – des électeurs : comme l’écrivait Pierre Mendès-France dans Pour une République moderne, on semble seulement attendre d’eux qu’ils se taisent pendant cinq ans. Pour ma part, je crois que nos concitoyens sont des gens tout à fait responsables, qui méritent de participer plus activement aux prises de décision.

M. Erwan Balanant. Depuis deux siècles, les constitutionnalistes réfléchissent à la question de la souveraineté nationale et de la souveraineté populaire. C’est l’équilibre entre ces deux notions qui rend possible la vie collective. C’est pourquoi, si je suis partisan d’une démocratie représentative, je veux aussi qu’elle soit encadrée et organisée. Car nous savons d’expérience où peut mener, dans une commune, le choc des multiples intérêts.

Mme Maina Sage. Je soutiens l’amendement de notre collègue Paul Molac. J’ai été moi aussi marquée par le redécoupage des régions intervenu en 2014 : en une nuit, toute la carte a été bouleversée. C’est pourquoi il me semble utile que, dans un cas pareil, une consultation populaire soit organisée. Pour les collectivités d’outremer régies par l’article 74, c’est d’ailleurs déjà le cas.

En revanche, le recours au référendum local ne doit, à mon sens, être qu’une option, et non être organisé systématiquement.

La Commission rejette les amendements.

[Article 72-2 de la Constitution]

La Commission examine en discussion commune, les amendements CL468 de Mme Cécile Untermaier, CL1013 de M. Sébastien Jumel, les amendements identiques CL466 de Mme Cécile Untermaier et CL608 de M. Jean-Christophe Lagarde, les amendements identiques CL467 de Mme Cécile Untermaier et CL609 de M. Jean-Christophe Lagarde, ainsi que l’amendement CL1008 de M. Sébastien Jumel.

Mme Huguette Bello. Par cet amendement particulièrement important puisqu’il conditionnera le recours des collectivités aux possibilités d’adaptation ouvertes par l’article 15, nous proposons de garantir un droit à compensation intégral et évolutif du coût des compétences transférées. Au vu des expériences passées et actuelles, notamment dans le domaine des dépenses sociales des départements qui progressent constamment alors que la dotation financière de l’État diminue, nous nous prononçons en faveur d’une règle de compensation intégrale et évolutive.

Mme Cécile Untermaier. Notre amendement reprend la proposition n° 1 de la mission sur l’autonomie financière des collectivités territoriales, dont nos collègues Jerretie et de Courson étaient rapporteurs, proposition reprise par notre groupe et approuvée par la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation.

Il est d’abord proposé de remplacer le simple mot « taux » par les mots « taux ou tarif », car ce dernier terme est parfois plus approprié. L’amendement a ensuite pour objet de garantir une définition réaliste des ressources propres, en excluant la fiscalité transférée de ces ressources.

Mme Maina Sage. L’amendement CL608 est similaire.

Mme Huguette Bello. L’amendement CL1008 a pour but de compléter l’autonomie financière des collectivités par le droit à une certaine autonomie fiscale, néanmoins limitée aux communes.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Ces amendements abordent à la fois la question de l’autonomie fiscale et financière et celle de la compensation des transferts de compétence de l’État vers les collectivités territoriales.

Il est toujours curieux de voir la différence entre les positions prises quand on appartient à l’opposition et à la majorité… Sous le gouvernement de M. Manuel Valls, une part de la TVA n’avait-elle pas été transférée aux régions ? Quand on est aux responsabilités, il est plus difficile d’aborder de manière volontariste la question de l’autonomie fiscale et financière.

Le sujet principal est, à mon sens, davantage celui de l’autonomie financière. Elle repose à la fois sur des recettes et sur le non-transfert des dépenses, d’une part, et sur la compensation ou non-compensation des transferts de compétence, d’autre part.

Certes, monsieur Molac, vous me direz que comparaison n’est pas raison. Mais, dans les autres pays, le thème de l’autonomie fiscale est beaucoup moins débattu que celui de l’autonomie financière. Sous le gouvernement Raffarin, une réforme avait jeté les bases, en 2003, d’une autonomie financière et fiscale des collectivités. Le principe retenu était celui d’un transfert de ressources équivalentes.

Il me semble, en effet, que les transferts opérés doivent suivre le modèle des transferts de compétences communales aux établissements intercommunaux, au risque que la commune qui a déjà bien développé une compétence se trouve moins bien traitée que les autres. Prenons l’exemple du transfert des lycées aux régions, il y a trente ans. L’État aurait-il mis autant de moyens dans leur rénovation ? Ce sont les collectivités auxquelles les compétences sont transférées qui doivent décider des sommes qu’elles y consacrent. Vous le voyez, la question du transfert de compétences met en jeu un équilibre complexe.

J’apporte ainsi une réponse globale défavorable à cette série d’amendements. Chaque révision constitutionnelle ramène les mêmes sujets dans le débat. À mon sens, des efforts restent en effet à consentir en matière d’autonomie financière.

Sans être démagogue, reconnaissons qu’un effort considérable a été demandé aux collectivités concernant la dotation globale de fonctionnement. De mémoire, on leur a pris de façon unilatérale près de 12 milliards d’euros : le saut est extrêmement raide ! Disons que tout cela a été un peu trop automatique. Comme vous le disiez, monsieur Habib, on aurait aimé que s’exerce un droit à la différenciation qui n’a pas été mis en place au-delà, en dehors des questions de péréquation.

Trois questions se posent finalement : celle de l’autonomie au sens financier du terme, celle des transferts et de la relation entre l’État et les collectivités – quels moyens l’État consacrait à un secteur et quels moyens les collectivités veulent-elles y consacrer ? –, et celle des transferts de normes et de charges qui d’invisibles deviennent extrêmement visibles si l’on n’y prend pas garde. En la matière, le dialogue avec l’État est nécessaire. Je vois que nos amis corses m’écoutent avec attention…

M. Jean-Félix Acquaviva. Religieusement !

M. Marc Fesneau, rapporteur. Le débat devra se tenir s’agissant du transfert de compétences entre collectivités. L’exercice a toujours été compliqué pour tous les gouvernants. Nous devons l’aborder en responsabilité les uns et les autres. Il ne s’agit pas d’opposer les collectivités et l’État.

Je suis, en conséquence, défavorable à l’ensemble des amendements en discussion commune

M. Philippe Gosselin. De façon élégante et courtoise, mais également ferme et sûre, le rapporteur nous envoie aux pelotes sur ces amendements. Évidemment chacun pourra balayer devant sa porte : tous les Gouvernements ont été tentés, à un moment ou à un autre, de jouer sur les transferts financiers – et le Gouvernement en place ne fait pas exception comme le montre la loi de finances pour 2018. D’où l’intérêt de préciser les choses dans la Constitution ! L’autonomie et la libre administration des collectivités locales sont bien illusoires si l’on ne les accompagne pas de moyens financiers. Cette demande de la délégation aux collectivités territoriales de l’Assemblée nationale reprend celles des associations de maires et de tous les élus locaux qui ont, qui sont ou qui seront à la tête d’une commune.

Une obligation gravée dans le marbre constitutionnel empêcherait que le législateur oublie le principe d’une véritable autonomie financière et fiscale. Il faut que les collectivités aient les moyens de leur politique.

M. François Pupponi. Monsieur le rapporteur, il faut différencier trois sujets : l’autonomie fiscale, la libre administration et l’autonomie des collectivités locales, et ce que j’appelle parfois le « racket de l’État », ce sujet n’ayant rien à voir avec les deux autres. Quand le Parlement décide d’une exonération d’impôts locaux qu’il ne compense pas pour les collectivités locales, quand il leur fait perdre des recettes depuis Paris sans leur demander leur avis, comment appeler ça ?

Je prends l’exemple des classes de cours préparatoire (CP) à douze élèves. Nous sommes tous favorables ; c’est formidable. Seulement, lorsque nous allons passer à douze élèves par classe au cours élémentaire de première année (CE1), les collectivités locales devront financer sur leurs propres deniers des préfabriqués et des travaux dans les écoles… C’est une décision du Gouvernement – une bonne décision ! – mais ce sont les communes qui paient ! Jusqu’à quand ce système peut-il fonctionner ? C’est cela qu’il faut empêcher…

M. Didier Paris, président. Merci, monsieur Pupponi !

M. François Pupponi. Quand l’État prend une décision, il doit l’assumer. Il ne faut pas faire payer à d’autres ce qui est décidé à Paris.

M. Jean-Félix Acquaviva. Je soutiens ces amendements qui ne sont pas là par hasard. Lors des transferts de compétences et de charges, la règle a plutôt consisté à ne pas les accompagner d’une juste compensation ni d’une autonomie fiscale. En Corse, nous pourrions parler des transferts des ports et des aéroports : il a par exemple fallu que la collectivité se substitue sans dotation à l’État qui n’avait pas consenti l’investissement minimal pour les pistes d’aéroport. Les cas de ce type sont légions.

L’autonomie financière et fiscale sera le véritable sujet. La République est décentralisée, c’est inscrit dans la Constitution. Le degré de décentralisation appelle un changement de modèle global de finances publiques de la République. Il est nécessaire d’introduire une obligation.

Je rappelle par exemple que la TVA est une dotation indexée et non un transfert véritable que nous appelons de nos vœux car, depuis quinze ans, les recettes de TVA en Corse ont crû de 71 %.

M. Didier Paris, président. Monsieur Acquaviva, merci !

M. Jean-Félix Acquaviva. Le mouvement de responsabilisation commande l’autonomie fiscale.

Mme Marie-George Buffet. On ne peut pas parler de libre administration des collectivités territoriales si les transferts de compétences ne s’accompagnent pas de moyens. Sans ces transferts, les communes seront dans l’obligation de choisir à quoi elles consacreront les moyens qui leur restent. Cela portera atteinte à la liberté des élus de gérer les collectivités.

L’amendement CL1013, que notre groupe soutient et qui a été présenté par Mme Huguette Bello, permet d’inscrire dans la Constitution qu’il ne peut y avoir de transferts sans compensation, ce qui donnera aux élus locaux une autonomie réelle de gestion.

M. Erwan Balanant. Je remarque que dans l’un des pays les plus décentralisés d’Europe, l’Allemagne, les Länder n’ont pas d’autonomie fiscale. Les deux sujets ne sont pas liés.

Il y a aussi la question de l’équilibre général des territoires. En cas d’autonomie fiscale pleine et entière, je préférerais habiter en Seine-Saint-Denis qu’en Lozère. Le rôle de l’État et le projet national consistent aussi à assurer un équilibre entre les territoires.

M. Philippe Gosselin et M. François Pupponi. Ça s’appelle la péréquation !

La Commission rejette successivement les amendements.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CL483 et CL482 de Mme Cécile Untermaier, ainsi que l’amendement CL968 de M. Sébastien Jumel.

M. David Habib. Au dernier alinéa de l’article 72-2 de la Constitution qui dispose que « la loi prévoit des dispositifs de péréquation destinés à favoriser l’égalité entre les collectivités territoriales », l’amendement CL483 vise à remplacer les mots « favoriser l’égalité » par « compenser l’inégalité ».

Il ne s’agit pas d’introduire un débat sémantique, mais de signifier l’ardente obligation faite à l’État d’agir. Comment caractériser la situation en matière d’inégalités ? Je vois mon ami Vincent Bru, député, comme moi, des Pyrénées-Atlantiques. Nous avons été tous deux maires durant vingt ans. Dans ma commune, il y avait 66 % de logement sociaux, et le plus grand nombre d’allocataires sociaux ; dans la sienne, atteindre 5 % de logements sociaux eût été miraculeux… Les politiques conduites par le département étaient pourtant strictement les mêmes pour les deux collectivités. Je me suis demandé où était la justice. Mme Cécile Untermaier nous propose de prendre acte de ces réalités et d’introduire dans la Constitution une obligation pour l’État d’agir pour compenser ces injustices.

Mme Cécile Untermaier. L’amendement CL482 vise à remplacer le mot « favoriser » par le mot « garantir » au dernier alinéa de l’article 72-2 de la Constitution. Nous devons avancer dans cette voie ; nous devons nous montrer déterminés. Cela va bien au-delà de la sémantique.

Mme Huguette Bello. Proposant de remplacer « favoriser » par « assurer », l’amendement CL968 reprend une proposition de l’Association des maires ruraux de France visant à renforcer la notion de péréquation.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Je ne suis pas certain que l’amendement CL483 ne porte pas essentiellement sur une question de vocabulaire. J’ai l’impression qu’entre la rédaction de la Constitution et la vôtre, le changement ne serait pas totalement signifiant, en tout cas je ne crois pas qu’il amènerait le Conseil constitutionnel à modifier sa doctrine. En conséquence, je n’ai pas jugé utile de le retenir et j’y suis défavorable.

Les deux autres amendements soulèvent la question de la péréquation. Je considère que nous n’avons pas à modifier la Constitution sur ce point car elle contient déjà des éléments suffisants. La question de l’égalité des territoires me semble plus vaste que celle de la garantie ou de l’assurance apportée par la péréquation. Cette dernière est bien un outil, particulièrement utilisé par les gouvernements que vous avez soutenus, madame Untermaier. Lors de la dernière législature, on est parti d’un montant de péréquation d’environ 100 millions pour arriver à plus d’1 milliard. Nous reconnaissons que ce dispositif a son utilité, qu’il est efficace – même s’il y a des biais – et qu’il va dans le bon sens.

Mais la péréquation n’est pas la solution à tout. Pourquoi y a-t-il des zones où l’on trouve des médecins et des zones où il n’y en a pas ? Tant que nous ne saurons pas résoudre ce problème, nous n’aurons pas de solution. L’absence d’égalité territoriale ne se résout pas par la seule péréquation. Cette dernière est utile, je l’ai dit, mais ce qu’il faut, en l’espèce, c’est faire en sorte que les médecins soient présents partout sur le territoire.

Il me semble que le dispositif actuel de péréquation fonctionne plutôt bien – même s’il peut éventuellement être développé. Il n’y a pas lieu d’y toucher. La question de l’égalité entre les territoires est plus complexe et diverse que ce que vos amendements laissent entendre : elle ne saurait se résoudre par l’ajout d’un mot à l’article 72-2.

Je suis donc défavorable aux amendements CL482 et CL968.

M. François Pupponi. Monsieur le rapporteur, nous sommes en train de réviser la Constitution. Il se trouve qu’elle évoque la péréquation Nous ne prétendons pas que la péréquation constitue l’unique solution aux problèmes d’inégalités entre les territoires ; nous traitons seulement d’un sujet qui est bel et bien inscrit à l’article 72-2.

Nous disons que cet article consacré à la péréquation n’est pas opérationnel. Même si les choses vont dans le bon sens, dans les faits, cette disposition n’a pas permis de régler le problème d’inégalité que le constituant souhaitait régler. Lorsqu’un article de la Constitution n’est pas efficace, il faut le changer. Si on met dans la Constitution quelque chose qui ne sert à rien, on se fait plaisir, ça n’a aucun effet. Si l’on écrit que l’on « garantit » l’égalité entre collectivités territoriales, ce n’est pas comme écrire qu’on la « favorise » – c’est d’ailleurs bien pour cela que le constituant a choisi le verbe « favoriser ».

M. Didier Paris, président. Monsieur Pupponi, votre temps de parole est écoulé.

M. François Pupponi. Monsieur le président, nous examinons plusieurs amendements en discussion commune : si vous appliquiez la règle que vous avez énoncée, vous devriez laisser la parole à chaque groupe non pas seulement une minute mais une minute pour chaque amendement…

M. Didier Paris, président. Ils sont en discussion commune !

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Parce que vous avez de la mémoire, vous vous souvenez de ce phénomène, dramatique ou amusant, c’est selon : invariablement, lorsque l’on parle de péréquation, chacun évoque avant tout la pauvreté de sa propre commune, l’éloignement des centres sur son territoire, ses charges de centralité… Lorsque Mme Marylise Lebranchu essayait de défendre les textes qui relevaient de son ministère, les majorités se constituaient selon les amendements. Tous les élus des communes de montagne pouvaient voter ensemble : plus personne n’était alors ni rose ni blanc ni rouge…

On ne peut pas garantir l’égalité alors que l’analyse des inégalités fait l’objet de débats entre les associations d’élus de toute sorte, et que l’objectivation du diagnostic n’est jamais atteinte. Mieux vaut dire que l’on va compenser les inégalités car nous savons que nous pouvons y parvenir, plutôt que d’affirmer que l’on garantira l’égalité alors que l’on sait parfaitement que l’on n’y arrivera pas – ce serait une simple pétition de principe.

M. Didier Paris, président. Monsieur Pupponi, vous pouvez répondre à M. le rapporteur général si vous le souhaitez. La règle est très claire. Elle s’applique à tous.

M. François Pupponi. Alors, pouvez-vous nous la rappeler ?

M. Didier Paris, président. Le défenseur d’un amendement dispose de deux minutes pour le présenter et, après l’intervention du rapporteur, chaque groupe peut s’exprimer pendant une minute.

M. François Pupponi. Une minute par amendement, évidemment !

M. Didier Paris, président. Ça, c’est vous qui le dites ! J’édicte la règle et elle s’applique de la même façon aux discussions communes, que vous le vouliez ou non.

M. François Pupponi. Monsieur le président, nous avons défendu deux amendements, le rapporteur général a donné un avis sur chacun : nous avons le droit de répondre pendant une minute pour chacun des amendements. C’est la règle. On fait comme cela à l’Assemblée nationale depuis des décennies.

M. Didier Paris. J’essaie d’appliquer les règles avec pondération. Je vous prie maintenant de revenir à votre réponse au rapporteur général.

M. François Pupponi. Si on a la volonté de lutter contre les inégalités territoriales dans ce pays, il ne semble pas extraordinaire d’écrire dans la Constitution que la loi prévoit des dispositifs de péréquation destinés à garantir l’égalité entre les collectivités territoriales. J’ai bien dit : « destinés à garantir ». Vous avouerez que nous sommes encore loin du compte. Ce n’est qu’un objectif assigné pour essayer d’aller plus loin et de donner de l’efficience à un alinéa de la Constitution qui ne produit pas ses effets aujourd’hui. Cela peut avoir un intérêt opérationnel, c’est l’objectif, mais aussi politique et symbolique.

M. Philippe Gosselin. Monsieur président, jusqu’à maintenant, nous disposions de deux minutes pour soutenir un amendement même en cas de discussion commune.

M. Didier Paris, président. Il n’y a aucun doute sur ce point. Les réponses au rapporteur doivent en revanche tenir en une minute. Je crois que vous avez appliqué cette règle lorsque vous occupiez ce fauteuil.

M. Philippe Gosselin. Je ne remets évidemment pas en cause la présidence de séance.

On semble nous dire qu’une Constitution ne devrait comporter que des éléments précis et opérationnels. C’est faire fi de l’intérêt d’une Constitution. Dans la nôtre sont heureusement inscrits des droits fondamentaux qui ne sont pas tous encore totalement appliqués comme ils devraient l’être. Il n’empêche que leur inscription dans la Constitution permet d’affirmer l’objectif que l’État se fixe.

De la même manière, il me semble nécessaire d’affirmer la nécessité de compenser les inégalités territoriales. Cela ne peut pas être évacué d’un revers de la main et mérite que l’on en discute de façon approfondie – comme des transferts de charges et de l’autonomie financière… Tout cela relève du même sujet. Sous d’autres gouvernements, certains ont été échaudés avec l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) ; aujourd’hui, c’est avec la taxe d’habitation.

La Commission rejette successivement les amendements.

[Article 72-3 de la Constitution]

La Commission en vient, en discussion commune, aux amendements CL1132 et CL1133 de M. Michel Castellani, aux amendements identiques CL1137 de M. Michel Castellani et CL1233 de M. Jean-Félix Acquaviva, aux amendements identiques CL1138 de M. Michel Castellani et CL1358 de M. Jean-Félix Acquaviva, et à l’amendement CL1449 de M. Paul-André Colombani.

M. Michel Castellani. L’amendement CL1132 vise, d’une part, à définir la France non comme un peuple, selon une conception monolithique, mais comme des peuples unis démocratiquement autour d’un idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité, entre autres principes. Il vise, d’autre part, à reconnaître la Corse ès qualités, au même titre que les territoires d’outre-mer, avec sa géographie, son histoire, sa culture, sa langue. Ces éléments ne sont pas spécifiques à la Corse, toutes les régions ont leur géographie, leur histoire, leur culture et souvent leur langue, mais nous avons également un sentiment d’appartenance très fort.

Liberté d’association et choix démocratiques constituent pour nous le meilleur ciment et le moins discutable. Certains d’entre vous, comme M. Gosselin, nous ont mis en garde au prétexte que nous introduisions l’indépendance de façon rampante. L’indépendance ne se fait pas de façon rampante, souterraine ou insidieuse. Un jour ou l’autre, il faut que le sujet sorte en pleine lumière. Pour notre part, nous avons été élus sur un programme clairement exposé dans nos professions de foi. Notre cahier des charges, validé par les électeurs et le processus démocratique, ne comprend pas l’indépendance de la Corse. Ce n’est pas le sujet du jour. Nous défendons l’autonomie de notre île et notre possibilité d’agir dans des domaines fondamentaux en Corse.

L’amendement CL1133 vise à mentionner les populations de Corse à côté de celles d’outre-mer au premier alinéa de l’article 72-3 de la Constitution. Je n’insiste pas sur la conscience historique séculaire et le sentiment d’appartenance qui caractérise les habitants de Corse, venus d’ailleurs se fondre dans une communauté. Nous souhaitons que cette réalité soit prise en compte dans la Constitution afin qu’une loi organique nous donne les moyens d’être nous-mêmes et de travailler dans le cadre de la République française.

M. Didier Paris, président. Peut-être pouvez-vous également présenter votre amendement CL1137 qui est identique à l’amendement CL1233 de M. Jean-Félix Acquaviva ?

M. Jean-Félix Acquaviva. C’est la première fois que la Corse s’invite au débat du texte fondamental dans l’histoire avec la République. Il y a eu en la matière de nombreux rendez-vous manqués, y compris s’agissant de la reconnaissance du « peuple corse, composante du peuple français » tel que le Parlement l’avait voulue en 1991, dans l’article 1er du projet de loi portant statut de la collectivité territoriale de Corse, dit « statut Joxe », avant que le Conseil constitutionnel ne le censure.

Mon amendement vise à introduire la population de Corse à l’article 72-3 de la Constitution. Je rappelle que la République a déjà reconnu les populations d’outre-mer dans un idéal commun de liberté, d’égalité, et de fraternité, et que l’unicité du peuple français n’est pas proclamée par la Constitution de 1958, comme l’a confirmé le Conseil constitutionnel. La République est indivisible, mais elle n’est plus « une » depuis 1946.

Nous sommes au cœur du débat politique avec une question symboliquement importante qui doit permettre de restaurer la confiance entre la République et la Corse, dont l’histoire tumultueuse est faite de conflits, de discriminations et de fautes de part et d’autre. Pour nous, qui sommes mandatés pour représenter un peuple Corse, communauté de destin et de culture, il est essentiel que cette réalité puisse se traduire clairement dans la Constitution. La reconnaissance d’une composante du peuple français permettrait de garantir les interprétations dans le temps, y compris s’agissant de notre rapport aux projets de loi généraux qui pourraient prendre en compte la spécificité corse, au-delà de nos propres mandats, pour les générations à venir.

C’est la même démarche qui a animé les outre-mer et leur populations – je crois que ce terme a été introduit après la décision du 9 mai 1991 du Conseil constitutionnel relative au projet de loi portant statut de la collectivité territoriale de Corse.

Cette inscription est donc importante culturellement et symboliquement. Elle doit s’appuyer sur une volonté politique. Rien n’interdit d’adopter ces dispositions sur le plan juridique, et la notion d’indivisibilité de la République ne s’y oppose pas davantage.

M. Paul-André Colombani. L’amendement CL1449 vise également à faire mention de la population de Corse aux côtés des populations d’outre-mer reconnues par la République dans l’article 72-3 de la Constitution. Sur le plan culturel, historique et linguistique, les faits sont indéniables. Cet amendement permettrait d’accéder à l’article 74 de la Constitution. Il s’agit d’une sorte de verrou constitutionnel. Nous sommes tous d’accord pour considérer que la Corse est une région pauvre et sous-développée. C’est probablement le résultat de deux cents ans de jacobinisme. Recentraliser serait un véritable retour en arrière catastrophique.

Nous avons eu un statut particulier en 1982. Il a été revu en 2002 mais il n’a jamais fonctionné. Aujourd’hui encore, avec la fausse décentralisation, certains services de l’État doublonnent avec ceux de la collectivité. Le seul remède pour guérir ce mal qui vient de loin, comme disait Michel Rocard, serait un système, comme celui de l’article 74, avec un transfert de compétences et une répartition claire entre l’État et la collectivité, ce qui implique une véritable spécialité législative et la possibilité de faire des lois du pays.

Les demi-mesures ne servent plus à rien aujourd’hui. Les Corses ont largement exposé leurs sentiments lors des différents scrutins. J’ai interrogé le ministre de l’intérieur, au mois d’octobre dernier, sur la façon dont il voyait la volonté corse d’évoluer vers un statut d’autonomie. Il m’avait répondu à l’époque qu’une autonomie dans la République pouvait se concevoir. Les chemins sont donc tracés. Aujourd’hui, ils passent par l’article 74…

M. Didier Paris. Merci, monsieur Colombani.

M. Paul-André Colombani. En dehors de l’article 74, nous aurions une mauvaise recette de l’autonomie.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Sans me prononcer sur le fond de ce que viennent de dire nos collègues élus dans des circonscriptions corses, et je les ai écoutés avec attention, je rappelle que le projet de loi constitutionnelle porte sur un périmètre qui comprend des questions relatives à la différenciation et la capacité des territoires à porter un certain nombre d’initiatives.

J’ai également souligné au début de nos travaux une dimension un peu inhibitrice de nos débats : si nous voulons que ce que nous adoptons puisse devenir réalité, il faut que cela ait un minimum de chance de recueillir un avis conforme de nos collègues sénateurs. Nous pouvons évidemment adopter tout ce que nous estimons positif, mais il faut nous souvenir qu’en vertu de l’article 89 de notre Constitution, sans vote conforme des deux chambres, nous aurons eu le plaisir de voter ensemble des dispositions qui nous conviennent mais qui ne verront jamais le jour. Et cela ne nous mènera pas loin de politicailler en rejetant la faute sur le Sénat… 

À l’Assemblée nationale, nous savons que la majorité est déterminée à développer le plus possible la capacité des territoires à prendre des initiatives, à s’adapter, à se différencier… Les réponses de M. Marc Fesneau ont été claires et nous avons déjà avancé sur le sujet.

S’agissant de la Corse, il est une défiance qui vient de loin et qui persiste – vous l’avez vous-mêmes évoquée –, qui fait que beaucoup voient dans le désir d’autonomie une volonté de sécession. Ceux-là considèrent qu’au fond l’autonomie ne serait qu’un prélude, un apéritif institutionnel. Quand bien même nous adopterions ces amendements, ce ne serait pas en responsabilité puisque nous savons qu’ils ne prospéreront pas dans l’autre chambre.

Parce que nous avons déjà longuement débattu de l’article 3 de la Constitution et de l’unicité du peuple français, je ne reviendrai pas sur les arguments échangés il y a quelques jours. Sur le fond des choses, permettez-moi cependant de faire remarquer que si, d’une manière générale, un changement de statut ou de situation juridique réglait les problèmes, nous l’aurions déjà remarqué. Les modifications institutionnelles relatives à la Corse ont été multiples : je n’ai pas le sentiment que cela ait jamais suffi à régler les problèmes de l’île. Le nouveau statut défendu par M. Jean-Michel Baylet sous la précédente législature avait été salué comme une avancée significative. Il n’est mis en œuvre que depuis le 1er janvier, et il faudrait déjà s’en saisir pour montrer que les règles de droit et les statuts peuvent permettre de régler des difficultés…

Vous avez évoqué les doublons avec les services de l’État. On peut considérer que des services doivent être mutualisés : pour certains, des guichets uniques peuvent s’organiser entre les collectivités et l’État. Il n’est pas nécessaire de conserver des tuyaux d’orgue parallèles qui compliquent la vie à tout le monde et constituent des freins au développement et au portage de projet.

J’ai la conviction que les évolutions les plus récentes, celles que nous nous proposons de favoriser, qui auront de bonnes chances de prospérer dès l’instant que nous ne franchirons pas certaines bornes, constitueront un net progrès. Ce progrès concerne notre vie démocratique, mais aussi la capacité des élus de Corse à se saisir des opportunités pour lutter contre ce que vous avez appelé, de manière surprenante, une forme de sous-développement.

Cette expression m’a beaucoup surpris car, personnellement, je ne regarde pas la Corse comme un territoire sous-développé, même si tous les atouts de l’île ne sont peut-être pas suffisamment mis en valeur faute de capacité à le faire – c’est sans doute ce que vous voulez dire.

J’ai la conviction que les avancées législatives et bientôt constitutionnelles – si nous arrivons à nos fins – seront de nature à permettre de porter vos projets pour celles et ceux qui vivent en Corse. Il nous faut donc tout faire pour réussir ensemble ces avancées afin que la Corse elle-même en tire le meilleur bénéfice. Nous aurons déjà fait un grand pas ensemble, même si je sais que vous en attendiez plusieurs autres.

Je suis défavorable à ces amendements.

Mme Maina Sage. Monsieur le rapporteur général, je suis d’autant plus choquée de vous entendre dire que nous devons anticiper les décisions du Sénat que nous ne sommes pas en deuxième lecture. Je veux bien que cet argument soit discuté en deuxième lecture, mais en première lecture, l’Assemblée nationale doit souverainement adopter ce que les députés veulent retenir et ce qu’ils considèrent comme la solution la plus judicieuse. Depuis quand le Sénat décide-t-il de ce que nous devons voter ?

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Je n’ai pas dit cela !

Mme Maina Sage. C’est pourtant un peu le sentiment que vous avez donné. Sur le fond des amendements, je suis d’accord avec vous : on sent bien qu’ils visent à permettre à la Corse de s’exprimer grâce à un statut particulier. Je m’étonne un peu que votre avis soit strictement défavorable parce qu’il me semble que l’article 72-3 de la Constitution permet de bien distinguer les cas spécifiques de la Corse et des outre-mer.

M. François Pupponi. Je ne comprends pas bien ce débat : les amendements que nous examinons ne traitent pas du statut de la Corse. L’article 72-3 de la Constitution dispose déjà que « la République reconnaît, au sein du peuple français, les populations d’outre-mer, dans un idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité ». La Constitution elle-même commence donc à détailler la composition du peuple français. Ces amendements proposent seulement d’ajouter la population corse aux populations d’outre-mer – on aurait pu ajouter les populations bretonnes…

M. Vincent Bru. Et les populations basques !

M. François Pupponi. Cela ne fait que détailler ce qui constitue le peuple français. Ce n’est pas un crime de lèse-majesté. Il faut s’en tenir aux amendements : on ne peut pas donner un avis défavorable en disant que le Sénat sera opposé au statut de la Corse, qui est un autre sujet. Moi, je suis favorable à l’ajout des populations corses dans celles qui constituent le peuple français : nous sommes loin de la question du statut.

M. Philippe Gosselin. Je souscris à l’idée que nous sommes l’Assemblée nationale et pas le Sénat. Nous faisons ce que nous voulons, le Sénat fera ce qu’il voudra et nous verrons la suite en deuxième lecture.

Sur le fond, si l’indivisibilité de la République n’induit pas une unité absolue et monolithique du territoire, elle implique une indivisibilité du peuple français, parce que c’est la souveraineté nationale qui est indivisible. Je suis pour ma part très attaché à cette justification théorique. Si nous commençons à dresser une liste des peuples, il faudra savoir lesquels inclure, lesquels exclure, et déterminer sur quels critères faire ces choix. Cela poserait de nombreux problèmes et conduirait à une forme de communautarisme.

Vous savez parfaitement que les populations d’outre-mer ont été inscrites dans la Constitution dans un cadre particulier découlant de la doctrine Capitant relative à la libre détermination des peuples à disposer d’eux-mêmes. Elle renvoie à 1946 et au processus de décolonisation, ce qui ne me semble pas tout à fait comparable au cas de la Corse.

M. Jean-Félix Acquaviva. Je voudrais que l’on se souvienne, disait Michel Rocard, le 12 avril 1989, devant la représentation nationale, que « lorsque Louis XV acheta les droits de suzeraineté sur la Corse à la République de Gênes, il fallut une guerre (...). La France y perdit plus d’hommes que pendant la guerre d’Algérie. » Il y a eu des dizaines de milliers de morts, des pendus. Messieurs Colombani, Castellani et moi-même n’allons pas nous excuser d’être issus de familles depuis mille ans en Corse. Corses d’origine, Corses d’adoption, Corses de culture, nous avons été administrativement Pisans puis Génois, et nous sommes aujourd’hui Français avec le prix payé par nos grands-pères durant la Première Guerre mondiale. En 1914-1918, les Corses ont été mobilisés plus qu’ailleurs, jusqu’aux pères de six enfants : lorsqu’on a voulu faire de la discrimination à l’envers de manière particulière, on l’a fait en Corse – j’ai été le maire de la commune qui compte certainement, proportionnellement, le plus grand nombre de morts durant la Grande Guerre, de toute la France.

Monsieur le rapporteur général, il y a bien des verrous constitutionnels et juridiques qui empêchent le développement de la Corse, par exemple en matière de fiscalité du patrimoine et d’autres sujets.

Lorsque nous parvenons à des avancées, comme pour le transport maritime, nous réglons des problèmes que l’État n’avait pas réglés – depuis trois ans nous avons résolu la question de la SNCF…

M. Didier Paris, président. Merci, cher collègue !

Mme Marie-George Buffet. À nouveau, nous ne traitons pas du statut, qui fait l’objet de l’article 16 du projet de loi constitutionnelle. Il n’est pas davantage question de diviser le peuple : l’amendement CL1132 place bien les populations de Corse et d’outre-mer « au sein des peuples de France » – pour ma part, je conteste un peu la notion de peuples de France au pluriel, car je considère qu’il n’y a qu’un seul peuple de France.

L’Assemblée nationale est souveraine : nous dire que le Sénat envisage de voter autre chose ne doit pas influencer nos propres choix. Je dis cela alors que je ne voterai certainement pas comme nos collègues élus en Corse sur l’article 16.

M. Bruno Questel. Je ne voudrais pas faire accroire que le rapporteur général nous a demandé de mettre à mal nos opinions au seul prétexte que nos votes seraient enserrés par des injonctions du Sénat. En revanche, si nous n’avons pas d’ores et déjà à l’esprit qu’il nous faut collectivement trouver les termes qui nous permettront d’obtenir un accord au terme de l’examen du projet de loi constitutionnelle, nous n’avancerons pas bien loin.

Plusieurs d’entre vous ont parlé de la Grande Guerre, quatre des frères de ma grand-mère ne sont pas revenus des tranchées de 1914, tout comme un certain nombre de jeunes hommes partis de Corse. La notion de peuple m’intéresse au plus haut point : de mère corse et de père normand – j’ai remarqué que la Normandie n’était jamais citée comme la terre d’un éventuel peuple ; je vous en remercie –, il m’arrive assez souvent….

M. Didier Paris, président. Mon cher collègue, il faut conclure !

M. Bruno Questel. J’avance en tout cas sur deux jambes, mais je ne me tiens debout que grâce à la République française.

M. Didier Paris, président. Je n’autorise plus qu’une dernière prise de parole. Monsieur Colombani…

M. Michel Castellani. Je demande la parole depuis cinq minutes car je ne me suis pas exprimé sur l’amendement CL1137 qui porte mon nom. Vous laissez tout le monde parler, sauf moi ! Vous organisez les débats comme vous voulez, mais j’estime que vous ne faites pas cela de façon juste. Si c’est ce que vous voulez, je ne défendrai pas mon propre amendement, mais je ne trouve pas cela logique du tout !

M. Didier Paris, président. Nous sommes en discussion commune. J’applique la règle habituelle. Je donne la possibilité de prendre une deuxième fois la parole compte tenu du fait que ce sont vos amendements. L’article 16 va être examiné dans un instant : vous aurez tout le temps d’aborder les sujets qui vous préoccupent.

M. Paul-André Colombani. Nous avons parlé d’un nouveau statut, pas de nouvelles compétences : il ne s’agit que de la fusion des anciennes collectivités. Ayons bien cela à l’esprit pour qu’il n’y ait pas de confusion dans le débat qui va arriver. J’habite à douze kilomètres de la Sardaigne, un territoire autonome, développé, dans une République indivisible : aucune volonté de sécession ne s’y est fait jour depuis plus de cinquante ans.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. J’ai dû mal m’exprimer et c’est pourquoi j’ai été mal compris. Il est évident que chacun est libre de son vote et qu’il faut attendre la deuxième lecture. J’ai simplement voulu rappeler – juste pour mémoire – qu’aux termes de l’article 89, tout projet de révision constitutionnelle doit être voté par les deux assemblées en termes identiques. Je l’ai dit plusieurs fois, mais que voulez-vous, c’est l’envie de réussir ce texte qui me rend trop insistant !

M. François Pupponi. Je demande la parole !

M. Didier Paris, président. Le groupe Nouvelle Gauche a déjà pris la parole. Les règles s’appliquent à tous, et je continue à les faire respecter.

M. David Habib. Ce n’est pas possible !

M. Serge Letchimy. C’est un débat important !

M. M’Jid El Guerrab. C’est l’un des avantages d’être non-inscrit, chers amis socialistes ! Pour ma part, je suis né dans le Cantal et, contrairement à mes amis corses, je ne demande pas à ce que l’on reconnaisse les populations d’Auvergne dans la Constitution. Il est légitime que les Corses souhaitent cette inscription – même si je parlerais plus volontiers du peuple de France que des peuples de France –, mais je comprends aussi qu’il faille prendre en considération le Sénat, ce projet de loi constitutionnelle devant être adopté aux trois cinquièmes.

M. François Pupponi. Pourquoi refusez-vous le droit à M. Michel Castellani de s’exprimer alors que vous donnez la parole à un orateur non-inscrit ? Il est l’auteur de quatre amendements !

M. Didier Paris, président. Ils ont déposé des amendements ; ils les ont défendus.

M. François Pupponi. Que signifie ce « ils » ? M. Michel Castellani est député à part entière ! Nous en reparlerons en Conférence des présidents !

M. Didier Paris, président. M. Castellani n’a pas besoin d’un avocat ; il a eu tout loisir de présenter ses amendements. Je vous demande de retrouver votre calme, monsieur Pupponi.

La Commission rejette successivement les amendements CL1132, CL1133, les amendements identiques CL1137 et CL1233, les amendements identiques CL1138 et CL1158 et l’amendement CL1449.

La séance est suspendue de dix-sept heures à dix-sept heures dix.

La Commission examine l’amendement CL484 de Mme Cécile Untermaier.

M. Serge Letchimy. Je regrette l’incident qui vient de se produire. Ce sont des sujets importants et il faut respecter un minimum de bienséance lorsque l’on modifie la Constitution.

Longtemps, j’ai espéré que l’on puisse tenir compte de la situation de la Corse et des outre-mer de manière spécifique et que cette réforme serait l’occasion de donner un sens à ce qu’on appelle les identités particulières, aux cultures locales, à la différenciation. M. Macron, d’ailleurs, a utilisé à bon escient le terme différenciation, mais sans lui donner de contenu éthique, moral et politique. Je le regrette profondément. J’aurais voté, s’il m’était permis de le faire, l’amendement de M. Castellani visant à reconnaître la population corse au sein des peuples de France, car il me semble très important.

Il est tout de même assez grave de soumettre la liberté de l’Assemblée nationale à la position du Sénat. De façon fort opportune, on fait un amalgame entre la demande, qui est formulée, de reconnaître une population et la demande, qui n’est pas formulée, de reconnaître un peuple. L’Assemblée nationale s’élèverait à faire la distinction.

L’amendement CL484 vise à mettre l’expression « d’outre-mer » au pluriel. En effet, les situations géographiques, les cultures, les langues sont extrêmement différentes : la Nouvelle-Calédonie n’est pas la Martinique, la Martinique n’est pas la Guadeloupe, la Guadeloupe est très différente de la Guyane, un territoire dont la surface est équivalente à celle du Portugal et les ressources naturelles d’une richesse incroyable.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Votre volonté est satisfaite puisque le statut différent dont est dotée chacune des collectivités est bien la preuve que cette diversité est reconnue. Il me semble par ailleurs qu’évoquer les populations d’outre-mer, au pluriel, c’est faire référence à leur diversité et qu’il n’est nul besoin d’en ajouter. Avis défavorable.

M. Serge Letchimy. S’il y a une expression que j’ai en horreur, c’est « outre-mer » : qu’est-ce que l’outre-mer ? Est-ce un pays ? Je suis martiniquais, pas « outremérien » ! Lors du débat en séance publique, nous demanderons à supprimer ces termes.

Restons-en au niveau technique puisque vous ne voulez pas vous élever en acceptant un débat politique majeur. Vous ne reconnaissez pas les particularités. La difficulté n’est pas de respecter l’égalité, mais de parvenir à traiter de manière identique des situations différentes. Nous sommes riches de nos différences, nous ne sommes pas des handicapés, des personnes qui pèsent lourdement dans la République. Oui, la Corse et les outre-mer ont besoin d’émancipation et de liberté. Je vous demande d’y réfléchir et nous tenterons encore de vous en persuader en séance publique. Sinon, ce sera l’échec de la réforme !

M. Marc Fesneau, rapporteur. Pourquoi le prendre ainsi ? Avez-vous détecté un quelconque mépris dans mes propos, un manque de reconnaissance ? Ce n’est ni ma philosophie ni ma volonté.

M. Serge Letchimy. Pour savoir ce que veut dire la reconnaissance, lisez Edgar Morin !

Mme Maina Sage. Parfois, de petits changements de mots sont lourds de sens. Ajouter un « s » peut sembler un détail, mais cela peut avoir beaucoup de sens. Parler des populations ne suffit pas. Le fait de faire figurer ce pluriel dans la Constitution comporte une symbolique forte. C’est, depuis quelques années, un mouvement à l’œuvre dans tous les textes qui concernent les outre-mer ; le ministère lui-même n’a-t-il pas changé d’appellation ? Je ne porte pas de jugement, et je sais que vous êtes conscients de ces différences, mais réfléchissez à cette modification d’ici à la séance : elle a, à nos yeux, une haute valeur symbolique.

La Commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CL817 de M. Jean-Hugues Ratenon.

M. Jean-Hugues Ratenon. Le rapport remis en mai 2016 au Premier ministre de l’époque par M. Victorin Lurel, sous le titre Égalité réelle outre-mer, montrait que les dépenses d’investissement de l’État dans un département d’outre-mer s’élèvent à 120 euros par habitant, contre 169 euros par habitant dans l’Hexagone – ce qui fait un écart de 29 %. Lors de l’examen du dernier budget, une majorité des élus ultramarins était prête à rejeter la mission « outre-mer » ; celle-ci a été sauvée de justesse par le fait majoritaire et les élus des autres territoires. Cela doit vous interpeller sur la détresse que nous exprimons. Nous proposons d’inscrire dans la Constitution un principe d’égalité de moyens pour les territoires. La moyenne des dépenses publiques par habitant outre-mer doit être au moins égale à la moyenne nationale : nous savons tous que les territoires d’outre-mer ont besoin d’un plan de rattrapage important, qui nécessite des dépenses plus élevées qu’ailleurs.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CL818 de M. Jean-Hugues Ratenon.

M. Jean-Hugues Ratenon. Hormis La Réunion, qui sera l’objet de l’un de nos amendements à l’article 17, les outre-mer peuvent largement adapter la loi et les règlements. Si ce droit d’adaptation est nécessaire et pertinent, nous tenons à constitutionnaliser le principe de faveur : aucune des adaptations ne doit constituer une régression sur le plan social et écologique par rapport à la loi. Sous prétexte de concurrence dans un contexte mondialisé, avec des pays aux règles moins protectrices, certains voudraient tordre le droit ou déroger aux règles qui protègent notre modèle social ou notre biodiversité. Nous nous opposons à cette politique du moins-disant.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l’amendement.

[Article 72-4 de la Constitution]

La Commission examine, en discussion commune, les amendements identiques CL1135 de M. Michel Castellani et CL1365 de M. Jean-Félix Acquaviva, et les amendements identiques CL1136 de M. Michel Castellani et CL1366 de M. Jean-Félix Acquaviva.

M. Michel Castellani. Aux termes de l’article 72-4 de la Constitution, le Président de la République peut décider d’organiser une consultation des électeurs d’une collectivité d’outre-mer relativement à son organisation sur les questions relatives à son organisation, à ses compétences ou à son régime législatif. Nous souhaitons étendre cette possibilité à l’ensemble des populations de la métropole.

Nous ne sommes pas en train de défendre une indépendance rampante, animés par une volonté insidieuse de déconstruire la France : ce que nous voulons, c’est une autre structure d’État en France. Il faut faire l’effort de comprendre que l’on n’est pas obligé, dans un État moderne, d’avoir une structure monolithique et centralisée. Sans remettre en cause l’existence de l’État ni sa vitalité économique, sociale et culturelle, nous pouvons concevoir une autre structure. C’est là notre programme. Nous avons reçu mandat de nos électeurs pour défendre cette approche et nous nous y tenons. Que chacun fasse l’effort de comprendre qu’il y a une rationalité dans ce que nous défendons : ce ne sont pas des lubies !

M. Jean-Félix Acquaviva. D’un point de vue démocratique, il nous semble sain d’étendre ce dispositif aux électeurs des autres territoires, y compris la Corse. Même si cela ne passe pas lors de cette réforme, c’est un processus irréversible.

L’amendement suivant, CL1366, prévoit d’étendre le dispositif seulement aux électeurs de la collectivité de Corse.

M. Michel Castellani. L’amendement CL1136 est un amendement de repli. Nous sentons une forte suspicion, du moins une grande réserve à l’égard de nos propositions. Nous ne voulons pas nous substituer aux élus que vous êtes, et si vous ne souhaitez pas que ce dispositif soit étendu à vos territoires, permettez au moins aux Corses de s’exprimer sur l’organisation de leur collectivité.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Monsieur Castellani, nous avons tout à fait saisi la cohérence de vos propositions, tout comme vous avez compris la manière dont nous entendons conduire la différentiation. Cet amendement a pour effet de rapprocher encore une fois le statut de droit commun de celui des territoires ultramarins, ce qui ne nous semble pas pertinent. Par ailleurs, les électeurs inscrits sur les listes de Corse ont déjà été consultés sur l’évolution statutaire de leur territoire, selon les dispositions actuelles de la Constitution qui ne l’empêche aucunement. Il en est allé de même, d’ailleurs, pour l’Alsace. Avis défavorable.

La Commission rejette successivement les amendements identiques CL1135 et CL1365 et les amendements identiques CL1136 et CL1366.

Article 16
(art. 725 [nouveau] de la Constitution)
Statut de la collectivité à statut particulier de Corse

[Après l’article 72-4 de la Constitution]

La Commission est saisie de deux amendements de suppression, CL222 de M. Philippe Gosselin et CL915 de M. Sébastien Jumel.

M. Philippe Gosselin. La modification de la Constitution prévue à l’article 16 ne nous paraît pas à ce stade opportune.

J’entends les arguments, fort bien introduits, sur la notion de peuple corse et sur la diversité. Nous nous heurtons à des approches différentes, qui tiennent pour certaines au statut. Pour ma part, je n’ai jamais eu d’objection à ce que l’on prenne en compte la singularité des territoires. Certes, la République est une et indivisible, et cela remonte bien avant la Constitution de 1946 puisque, sous la Constitution de 1791, le royaume était déjà un et indivisible. Mais la singularité existe de fait, qu’elle soit insulaire ou non, et cela se traduit dans les statuts. Je veux bien entendre aussi les arguments selon lesquels un certain nombre d’éléments découlent du principe de reconnaissance des peuples.

Mais nous considérons que le statut de la Corse, en place depuis le 1er janvier 2018, n’a pas suffisamment prospéré. Pour reprendre une expression présidentielle des années 1980, il est nécessaire de laisser du temps au temps pour évaluer les effets de ce statut avant, le cas échéant, de le modifier. Certes, les révisions constitutionnelles prennent du temps : celle-ci intervient dix ans après celle de 2008. Mais il nous paraît important, pour des raisons pratiques, politiques, économiques, sociales ou fiscales, de tirer toutes les conséquences du statut avant d’aller plus avant, d’où notre amendement de suppression.

Mme Marie-George Buffet. Je n’ai aucun doute sur la place de la Corse dans la République, aucun a priori sur les propos et les objectifs de nos collègues. Je veux mettre en exergue le rapport de la Corse à la nation et à la France : à plusieurs reprises, les Corses ont choisi d’être cofondateurs de la nation française, aussi bien au lendemain de la Seconde Guerre mondiale qu’au moment de la grande Révolution, en apportant leur culture, leur spécificité, leurs exigences, dans un objectif d’émancipation et de liberté pour tous les enfants de la nation. C’est pour cette raison que la Corse n’est ni une collectivité ni un territoire associé, mais une région métropolitaine reconnue dans sa spécificité insulaire. Son statut peut être amélioré mais il ne relève pas, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine, des articles 73 et 74 de la Constitution. C’est la raison pour laquelle nous demandons la suppression de l’article 16.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Ces amendements sont une utile introduction à la philosophie qui nous a inspirés dans la rédaction de l’article 16.

Je rappelle que la Corse est une collectivité à statut particulier depuis 1982, dans le pur respect de la Constitution. Cela ne signifie pas que cet article 16 soit inutile, bien au contraire, puisqu’il empêchera un législateur futur de revenir au droit commun, mais que le principe de la différenciation territoriale est admis depuis longtemps pour ce territoire particulier, confronté à des enjeux liés à l’insularité que seuls nos collègues ultramarins sont à même d’apprécier et de comprendre.

La possibilité pour la Corse d’adapter sur habilitation la législation ou la réglementation est directement inspirée de ce qui se pratique aujourd’hui dans les départements d’outre-mer, régis par l’article 73, sans que l’on ait jamais eu le sentiment de défaire la République. Il est faux de dire que ce dispositif y a échoué : je vous renvoie aux travaux publiés par la Commission, qui montrent que la Guadeloupe et la Martinique en ont fait utilement usage à compter de 2009.

Enfin, l’alinéa 2 de l’article 16 me semble rédigé pour apaiser les craintes, d’où qu’elles viennent. Les spécificités liées à l’insularité ainsi qu’aux caractéristiques géographiques, économiques ou sociales de la Corse permettront désormais des adaptations de la loi et du règlement.

Pour les défenseurs de la souveraineté nationale, cela veut dire que la décision restera une prérogative du Parlement, tous les élus de la nation délibérant ensemble pour déterminer la meilleure voie à suivre.

Pour les promoteurs de l’autonomie corse, cela signifie que le principe d’égalité ne sera plus opposable par le Conseil constitutionnel aussi strictement qu’aujourd’hui. Je le dis et le répète : les règles foncières et fiscales, puisque c’est là que résident les attentes les plus fortes, pourront être dérogatoires au droit commun, dès lors que la situation fera apparaître des spécificités liées à l’insularité, à la géographie, à l’économie ou à la situation sociale.

Pour toutes ces raisons, et pour la philosophie du droit à la différentiation et à la spécificité corse, j’émets un avis défavorable à ces amendements de suppression.

M. Bruno Questel. Pour la première fois, et c’est heureux, la Corse est reconnue dans la Constitution ; pour la première fois, son statut de collectivité à statut particulier est inscrit dans le marbre. Il est des chemins de progrès, c’est indéniable. Une fois cette révision constitutionnelle adoptée, il faudra retravailler sur la question d’habilitation pour ne pas replonger dans les méandres du passé et permettre aux responsables de la collectivité territoriale d’user pleinement des prérogatives qui seront les leurs. Le groupe La République en Marche votera contre les amendements de suppression de l’article 16.

M. Paul-André Colombani. Je suis évidemment contre ces amendements de suppressions, mais je voudrais vous faire part de mon incompréhension à l’égard des propos de M. Gosselin et de mon regret concernant la prise de parole de Mme Buffet.

Mme Buffet a sans doute eu des discussions avec les communistes corses, qui ne veulent rien changer ni bouger. Pour eux, tout va très bien même si un habitant de Corse sur cinq vives sous le seuil de la précarité… Du coup, ils ont été systématiquement battus et systématiquement privés d’un groupe à l’Assemblée de Corse depuis 1982. Je déplore que le Parti communiste français ait pris attache avec eux : depuis le début de la législature, nous partageons pourtant beaucoup de points de vue et de votes avec le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. François Pupponi. Je suis très étonné de l’amendement défendu par le groupe Les Républicains. Le statut de la Corse, réglé par la loi précédente et les ordonnances, est une chose ; la question de l’inscription dans la Constitution pour permettre enfin le vote de textes spécifiques pour la Corse en est une autre. Je précise que le dernier texte spécifique que l’on ait voté, en tentant de détourner la jurisprudence constitutionnelle, était la proposition de loi de M. Camille de Rocca Serra, au nom du groupe Les Républicains, soutenue par la majorité de l’époque, il y a de cela un an et demi !

Tout le monde sait qu’il faut déroger aux règles compte tenu de la spécificité de la Corse. Mais tant que la Corse ne figurera pas dans la Constitution, le Conseil constitutionnel censurera. Il faut que la Corse figure dans la Constitution pour permettre une évolution législative qui tienne compte des spécificités de l’île ; c’est juridiquement imparable. Nous pourrons débattre ensuite du degré d’autonomie, mais si ces amendements venaient à être adoptés, c’en serait fini des spécificités législatives dont la Corse a besoin.

La Commission rejette ces amendements.

Puis elle examine l’amendement CL1479 de M. Jean Félix Acquaviva.

M. Jean-Félix Acquaviva. Cet amendement vise à insérer après l’article 74-1 de la Constitution un article 74-2. Cet article, qui reprend les travaux de Mme Wanda Mastor, missionnée par l’Assemblée de Corse, y a fait l’objet d’un vote très largement majoritaire : non seulement la majorité territoriale l’a adopté, mais aucun groupe n’a voulu voter contre.

Pour assurer une véritable clarification, il faut placer ces dispositions dans l’environnement de l’article 74, notamment pour régler les questions d’ordre foncier et fiscal. À cet égard, je rappelle qu’il y a, en Corse, quatre fois plus de biens indivis que dans n’importe quelle autre région. Cela signifie qu’il y a rupture d’égalité dans l’accès au logement, au foncier ou au bâti. Le remède ne peut passer que par des moyens différents. Or, les avis du Conseil constitutionnel, à droit constant – et quand bien même l’article 16 serait adopté en l’état – ne permettraient pas de résoudre cette question.

Si l’on ajoute à la question des biens indivis la part des résidences secondaires – 39 % – et une spéculation foncière et immobilière galopante, qui augmente la valeur d’imposition des futurs titres de propriété, on obtient une accumulation de contraintes mortifères créatrices d’inégalité sociale, de rupture culturelle et des tensions politiques telles qu’on les connaît depuis cinquante ans – on connaît l’attachement des Corses à leur terre. Sans inscription claire d’un statut clair, qui ne peut être que celui de la spécialité législative, jamais on ne résoudra les questions qui se posent depuis si longtemps dans l’île – et le foncier n’est qu’un exemple parmi d’autres.

C’est la raison pour laquelle l’Assemblée de Corse a voté en faveur de cette disposition, conformément au vote des Corses qui ont été 56,5 % à se prononcer pour un statut d’autonomie au sein de la République. Ce statut, c’est celui de la Polynésie française, de Saint-Martin, de Saint-Barthélemy. Aujourd’hui, l’autonomie à la française est reconnue !

M. Marc Fesneau, rapporteur. Nous partageons vos préoccupations, et je vous rappelle les termes de l’alinéa 3 de l’article 16 : « Les lois et règlements peuvent comporter des règles adaptées aux spécificités liées à son insularité ainsi qu’à ses caractéristiques géographiques, économiques ou sociales. »

La création d’un statut organique de la Corse, qui lui attribuerait des compétences régaliennes et la possibilité de voter la loi, nous placerait de fait dans une situation fédérale. Vous demandez une autonomie plus large que celle dont jouit la Polynésie française !

M. Jean Félix Acquaviva. C’est faux !

M. Marc Fesneau, rapporteur. C’est pourtant la réalité : votre amendement placerait pratiquement la Corse dans la situation de la Nouvelle-Calédonie qui est, pardonnez-moi, incomparable. Avis défavorable.

M. François Pupponi. L’inscription de la Corse dans la Constitution est une initiative qui va dans le bon sens et qu’il convient de saluer. Mais où faut-il la placer ? À l’article 72, à l’article 73, à l’article 74 ? Quel degré d’autonomie laisser à la Corse ? Le Gouvernement décide d’en rester à un minimum : la Corse ne pourra déroger que sous certaines conditions très précises, et avec l’accord du Parlement. Nos collègues ultramarins, qui bénéficient d’un texte plus favorable,…

Mme Éricka Bareigts. Pas partout !

M. François Pupponi.… nous disent eux-mêmes que cela ne fonctionne pas.

M. Serge Letchimy. Cela dépend des cas. Je veux le dire pour le compte rendu : il y a des territoires sur lesquels cela fonctionne bien.

M. François Pupponi. Le Gouvernement a fait le choix de limiter l’autonomie de la Corse au strict minimum. Monsieur le rapporteur, ne pensez-vous pas que l’alinéa 4 – « sauf lorsque sont en cause les conditions essentielles d’exercice d’une liberté publique ou d’un droit constitutionnellement garanti » – empêchera de déroger, malgré l’habilitation au droit fiscal ? Je rappelle que la prorogation des arrêtés Miot a été censurée par le Conseil constitutionnel au motif de l’égalité devant la loi fiscale.

M. Jean Félix Acquaviva. Non, monsieur le rapporteur, cette proposition ne met pas la Corse au même rang que la Nouvelle-Calédonie. Je rappelle qu’il a fallu créer un titre à part pour la Nouvelle-Calédonie. Nous demandons à être placés dans l’environnement de l’article 74, qui concerne le statut de la Polynésie française, de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy, lequel permet d’adapter les lois et règlements existants et d’édicter des règles lorsque la spécificité le permet. Ce statut d’autonomie est reconnu depuis 2003.

Par ailleurs, comme l’a dit François Pupponi, la rédaction de l’article 16 ne permet pas de régler la question de la fiscalité du patrimoine. Nous allons nous trouver bloqués, notamment sur la demande de transfert de fiscalité. Nous ne demandons pas des exonérations, mais une politique fiscale du patrimoine adaptée. La rédaction de l’article 16 ne donne aucune garantie à cet égard ; seul l’environnement de l’article 74, la spécialité législative, permettrait de résoudre cette question.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle est saisie, en discussion commune, des amendements CL1145 de M. Michel Castellani, CL894 de M. Jean Félix Acquaviva, CL1146 de M. Michel Castellani, CL1171 de M. Jean-Félix Acquaviva et CL1399 de M. Jean-Félix Acquaviva.

M. Michel Castellani. Nous entrons dans le cœur de la discussion sur le statut que nous souhaitons pour notre île. Par l’amendement CL1145, nous proposons que le début du premier alinéa de l’article 72-5, prévu à l’article 16, soit ainsi rédigé : « La Corse est une collectivité territoriale à statut particulier dotée de l’autonomie. »

Une fois ce principe posé, nous déroulons les compétences qui, à nos yeux, relèvent dans ce que nous entendons par cette autonomie en proposant qu’une loi organique fixe les compétences exercées par la collectivité de Corse, mais aussi les matières, relevant de la loi et du règlement, relatives à la protection du patrimoine foncier, au statut fiscal, à la préservation des particularités linguistiques et culturelles de l’île, au développement économique et social, à l’emploi, à la santé et à l’éducation. Ce faisant, nous reprenons ici le vote d’une grande majorité de la collectivité de Corse et, surtout, le vote des Corses sur notre programme.

Sans doute trouverez-vous que nous mettons exagérément la Corse au centre de cette réforme constitutionnelle. Vous devez comprendre que nous venons, pour ne parler que de l’époque contemporaine, de cinquante ans de combats, de polémiques, de souffrances, d’attentats, de vies sacrifiées, de perte de liberté. Aujourd’hui, la Corse a besoin d’être dotée de compétences. Si son statut était si favorable, cela se verrait sur le terrain : on ne connaîtrait pas ces conditions sociales médiocres, voire désastreuses. Et surtout, on ne verrait pas les Corses s’exprimer aussi majoritairement en faveur de ce programme que nous défendons ici. Vous qui êtes démocrates, vous devez comprendre cette logique profondément démocratique.

M. Jean Félix Acquaviva. L’article que mon amendement propose d’insérer après l’article 72-4 a été adopté par l’Assemblée de Corse. Dans le cadre de la discussion avec le Gouvernement, nous avons montré que nous étions capables de trouver des solutions de compromis, en proposant d’insérer ces dispositions dans l’environnement de l’article 72.

Il s’agit de prévoir un statut d’autonomie pour l’île, avec la volonté de clarifier les choses. Nous ne sommes pas dans un nouveau statut depuis le 1er janvier 2018, date de la fusion des deux départements ; le statut qui régit la Corse aujourd’hui, d’un point de vue législatif et réglementaire, est celui du 22 janvier 2002. Certes, il lui donne la possibilité de demander l’adaptation des lois et règlements. Mais je rappelle que, sur 50 demandes, il y a eu 48 non-réponses et 2 refus ! Nous ne proposons rien d’autre que d’inscrire dans la Constitution les termes de la loi au 22 janvier 2002, qui rejoignent en tout point l’article 73 applicable à certains territoires d’outre-mer.

Nous ne voulons pas d’une habilitation au cas par cas, qui serait pesante. Nous voulons agir évidemment sur les préoccupations quotidiennes – j’ai évoqué la question prégnante du foncier et de l’indivis, mais j’aurais pu tout aussi bien parler de la fiscalité touristique, de l’urbanisme ou de l’environnement. Ce besoin de clarification passe par un pacte de confiance. Il nous semble que cette proposition permet de placer le curseur au bon niveau, alors que trop de rendez-vous ont été manqués.

M. Michel Castellani. Je n’ai pas grand-chose à ajouter. La Corse sera-t-elle, ou pas, dotée de moyens pour mordre sur ces réalités économiques, sociales et culturelles ? C’est le débat du jour, et nous comptons sur cette réforme constitutionnelle pour avancer, enfin.

M. Jean Félix Acquaviva. L’amendement CL1171 se borne à modifier la rédaction proposée par le Gouvernement à l’article 16. Nous ne sommes pas des partisans du tout ou rien ; nous voulons placer correctement le curseur, pour agir sur la vie quotidienne. Nous craignons que l’article 16 ne nous oblige à faire de l’habilitation au cas par cas, quand bien même la loi organique prévoirait des garanties. Or c’est exactement ce que produit l’article actuel. Aucune des collectivités visées à l’article 73 n’a été habilitée à légiférer sur un ensemble de domaines.

Aller vers une loi d’habilitation donnant les prérogatives d’adaptation sur un ensemble de domaines et non au cas par cas serait un pas décisif et très important. Cela ferait gagner beaucoup de temps aux acteurs économiques de Corse. Mais cela suppose une garantie. C’est le sens de la rédaction que nous proposons. Il s’agit d’un appel, qui peut être modifié d’ici la séance publique. Sans prévoir l’autonomie, ces dispositions constituent un saut qualitatif suffisant, qui nous permet d’être en conformité avec le mandat démocratique que nous ont donné les Corses. Cela permettra une confiance suffisante pour que la collectivité adapte les lois et règlements de manière efficace sur le terrain, en évitant de reproduire les échecs que nous avons malheureusement connus.

M. Marc Fesneau, rapporteur. La question de l’applicabilité de l’article 16 et de son efficience par rapport aux objectifs qui sont les nôtres a fait l’objet de débats dans cette commission et à l’extérieur. Vous avez dit à plusieurs reprises, et à juste titre, que cela fait cinquante ans que vous réclamez des avancées, en particulier la reconnaissance. Actons quand même que l’article 16 comporte la reconnaissance de la Corse en son insularité, avec toutes les conséquences que cela emporte sur la vie économique et sociale. Il s’agit de la satisfaction d’une demande ancienne et d’une réelle avancée.

Vous avez dit qu’il s’agissait d’un amendement d’appel. Je comprends que vous exigiez que ce que nous allons écrire dans la Constitution soit traduit, soit dans la loi organique, soit, avec des garanties, dans le droit constitutionnel. Je vous propose que d’ici à la séance, nous sollicitions la garde des Sceaux pour savoir comment elle aborde la question de la mise en œuvre de ce droit à la différenciation. Mais en l’état actuel des choses, je maintiens mon avis défavorable.

M. Serge Letchimy. Cette revendication est légitime et elle est exprimée également par les outre-mer. Vous en êtes conscient, monsieur le rapporteur : en témoigne l’ouverture que vous venez de faire, très importante.

Pensez-vous qu’il soit cohérent d’habiliter les collectivités morceau par morceau, pour mener une politique générale ? Vous leur interdisez toute vision globale de leur avenir, toute approche transversale des différentes thématiques. On ne veut pas d’un volet fiscal, un volet technique, un volet foncier, un volet formation ; ce que les Corses demandent, c’est une habilitation globale pour adapter les textes. Nous le demandons aussi pour édicter la loi. Cela enrichirait la diversité législative française.

M. François Pupponi. Nous sommes au cœur du débat. Vous avez raison, monsieur le rapporteur : inscrire la Corse dans la Constitution est juridiquement, constitutionnellement et symboliquement très fort.

Mais la seule inscription de la Corse dans la Constitution aura peu d’effet sur la situation locale. Cela ne donnera pas le pouvoir aux élus locaux de mettre en œuvre les politiques indispensables, compte tenu des spécificités du territoire. Imaginez que, pour voter un texte fiscal, ils devront d’abord demander l’autorisation, éventuellement attendre une loi d’habilitation. Cela prendra entre deux et trois ans !

Pour résoudre un problème de manière efficace, il faut pouvoir prendre des décisions rapidement. Ce temps long, M. Serge Letchimy l’a dit, est impossible. Si le Gouvernement pense qu’il va pouvoir inscrire la Corse dans la Constitution, tout en tentant d’arracher quand même un accord constitutionnel avec le Sénat, nous manquerons le train de l’histoire alors que la Corse a besoin de cette ouverture fondamentale.

M. Paul-André Colombani. L’accord était unanime : 100 % des élus de la nouvelle Assemblée de Corse ont défendu la nécessité d’un article spécifique. Sur cet amendement, la majorité territoriale a reçu le soutien du groupe En Marche en Corse. Cette motion, telle qu’écrite aujourd’hui, le groupe En Marche en Corse l’a votée : c’est dire son importance. Elle n’est peut-être pas parfaite, mais libre à vous, monsieur le rapporteur, de nous proposer des modifications. Nous sommes descendus d’un cran, nous avons entendu que vous ne vouliez pas d’un placement à l’article 74, mais il vous faut écouter la volonté du peuple !

Mme Maina Sage. La première partie du texte qui nous est proposé vise à accorder à la Corse un statut particulier. Là-dessus, nous sommes entièrement d’accord, et je pense que cela constitue une réelle avancée. Mais la façon dont on différencie ce statut particulier me paraît particulièrement dérangeante : en définitive, on ne propose rien de plus qu’à l’article précédent. On se contente de préciser qu’en Corse, les règles peuvent être « adaptées aux spécificités liées à son insularité ». On ne dit pas autre chose à l’article 15.

Voilà pourquoi je pense, monsieur le rapporteur, qu’il serait bon que vous puissiez faire évoluer la situation d’ici la séance publique. Il me semblerait logique d’aller plus loin que l’article 15 et de faire en sorte que le statut particulier reconnu à la Corse se traduise dans un cadre de base.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Madame Sage, nous n’avons pas la même lecture de l’article 16. L’article 16 n’est pas l’article 15 : d’abord, il identifie les handicaps de la Corse liés à son insularité, ce que ne fait pas l’article 15 ; ensuite, et ce n’est pas la moindre des différences par rapport à l’article 15, il dispose que « les lois et règlements peuvent comporter des règles adaptées aux spécificités liées à son insularité, ainsi qu’à ses caractéristiques géographiques, économiques et sociales ».

Au-delà de la mention de la Corse dans la Constitution, dont M. Pupponi a marqué le caractère symbolique, l’article 16 donne la capacité réelle à tenir compte de la Corse dans les lois et règlements.

Enfin, monsieur Letchimy, ce que je disais tout à l’heure est simple : nous avons besoin que le Gouvernement nous éclaire sur la façon dont il envisage la mise en œuvre de l’article 16 – c’est-à-dire la loi organique. D’ici à la séance, la semaine prochaine, nous aimerions savoir comment il entend rendre effectif ce que nous inscrivons dans cet article, dans des conditions qui permettent de limiter les risques de morcellement – dont on connaît les effets.

M. Serge Letchimy. Nous en avons l’expérience, monsieur le rapporteur. On peut vous aider !

M. Marc Fesneau, rapporteur. Reconnaissez toutefois que nous débattons ici d’un texte constitutionnel, et que s’il est voté, nous débattrons aussi d’une loi organique. Mieux vaudrait en avoir une idée. Je ne doute pas nous aurons des éléments d’éclairage sur la loi organique puisque nous l’avons demandé.

M. Bruno Questel. Comme je l’ai évoqué tout à l’heure, si on ne verrouille pas le processus pour qu’il soit lisible, intelligible et permette un minimum de prospective, cette réforme constitutionnelle n’aura que peu d’effets malgré son caractère éminemment symbolique et important pour la majorité territoriale issue du suffrage universel qui, nos collègues nous l’ont rappelé plusieurs fois à juste raison, a remporté les deux derniers scrutins. Il nous revient maintenant de veiller à ce que la loi organique à venir soit lisible et intelligible pour que la collectivité territoriale en place depuis le 1er janvier puisse, en coopération avec le Gouvernement, travailler sur le court, le moyen et le long termes dans le cadre de l’habilitation.

M. François Pupponi. Monsieur le rapporteur, tel qu’est écrit l’article 16, tout est verrouillé. Vous pourrez faire toutes les lois organiques que vous voudrez : l’habilitation se fera au coup par coup. En écartant toute mise en cause de droits constitutionnellement garantis, vous limitez les capacités de la collectivité de Corse à demander des habilitations sur certains sujets, et à les obtenir. Sincèrement, si l’on ne modifie pas l’article 16, on aura inscrit la Corse dans la Constitution, mais cela n’aura aucun effet juridique et ne permettra pas de régler les problèmes. Il faut le savoir, il faut l’assumer et ne pas laisser croire le contraire aux Corses. Cette inscription est une bonne chose, mais ce n’est que le début d’un très long processus qu’il faudra un jour achever.

M. Philippe Gosselin. J’entends bien que nous sommes dans la révision constitutionnelle, mais justement, celle-ci a besoin de lois d’application ; la loi d’application de la Constitution, c’est la loi organique. Or je déduis des propos de notre rapporteur qu’en réalité, à quelques jours d’un débat en séance publique, on ne sait toujours pas ce que veut le Gouvernement.

Je rejoins nos collègues corses qui veulent savoir où on va et où on ne va pas. S’il s’agit de leur lâcher un peu de laisse, de la raccourcir là, d’avoir un peu moins de bride pour calmer le cheval, on ne va pas aller très loin. Je comprends bien leur attitude et leur incompréhension. Il faut donc absolument que le Gouvernement sorte du bois et nous dise où il veut nous emmener.

Vous l’avez compris, je ne suis pas un fana de la reconnaissance institutionnelle ni du peuple corse, mais je suis ouvert et je veux que les territoires puissent se gérer en bonne intelligence. Encore faut-il qu’on nous donne les éléments pour en juger. Je vous repose donc la question, monsieur le rapporteur : pourriez-vous nous éclairer davantage ?

M. Serge Letchimy. C’est très bien, monsieur Gosselin : bonne ouverture !

M. Michel Castellani. Je voudrais d’abord remercier tous les collègues qui viennent de s’exprimer, MM. Letchimy et Pupponi ainsi que Mme Sage. À travers leurs interventions, vous voyez bien, mes chers collègues, que la question n’est pas de savoir si on va faire exploser la France, mais bien celle des différentes conceptions de l’architecture de l’État en France : une conception monolithique, que l’on connaît ; une conception décentralisée que nous souhaitons faire avancer.

Prenons garde, mes chers collègues, à ne pas confondre deux concepts : d’une part, l’égalité des citoyens face à la loi, qui est un principe de base de la démocratie, auquel personne n’entend toucher ici – en tout cas pas nous ; d’autre part, la reconnaissance constitutionnelle de la diversité des territoires, que nous souhaitons et nous sommes mandatés pour cela, voir inscrite dans la Constitution.

M. Serge Letchimy. Il vient de se passer quelque chose, monsieur le rapporteur : d’abord, c’est du moins ce que j’ai entendu, vous avez dit que vous étiez prêt à travailler avant la séance publique ; ensuite, la droite, par le biais de M. Gosselin, a fait une ouverture inattendue. J’ai rarement entendu cela, mais c’est bien.

Quelles sont les modalités ? Je pense qu’on ne sait pas toujours de quoi on parle. Le texte ne fait pas mention de l’initiative locale. Et qui habilitera la collectivité de Corse à procéder à ces adaptations, le Parlement ou l’exécutif ? Rien n’est précisé.

Ce que demandent les Corses, ce qu’ont obtenu les Martiniquais et les Guadeloupéens, c’est de pouvoir adapter directement, à leur initiative, sans passer par une demande d’habilitation. C’est une démarche essentielle, qui devrait passer par une discussion entre les Corses – et demain avec nous – sur la question de l’évolution automatique de la possibilité d’adapter. Je proposerai bientôt en séance un amendement allant en ce sens.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Il ne vous aura pas échappé que ceux qui veulent continuer les discussions peuvent le faire avec le Gouvernement, y compris aujourd’hui.

M. Philippe Gosselin. Cela ne nous a pas échappé.

M. Marc Fesneau, rapporteur. C’est normal. Et ce n’est pas la première fois qu’il mène de telles discussions, que ce soit avec des collectivités ou des territoires.

M. Philippe Gosselin. Oui, mais le temps presse.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Tant mieux si on discute.

M. Philippe Gosselin. Il ne s’agit pas seulement de discuter, il faut parfois aussi conclure…

M. Marc Fesneau, rapporteur. Monsieur Letchimy, je ne crois pas qu’il y ait de doute sur la rédaction de l’article 16 : « Les lois et règlements peuvent comporter des règles adaptées aux spécificités liées à son insularité ainsi qu’à ses caractéristiques géographiques, économiques ou sociales. » C’est donc bien le Parlement qui vote. « Sauf lorsque sont en cause les conditions essentielles d’exercice d’une liberté publique ou d’un droit constitutionnellement garanti, ces adaptations peuvent être décidées par la collectivité de Corse dans les matières où s’exercent ses compétences…

M. Serge Letchimy. Il faut une habilitation !

M. Marc Fesneau, rapporteur.et si elle y a été habilitée, selon le cas, par la loi ou le règlement. Ces adaptations sont décidées dans les conditions prévues par la loi organique. » Conditions dont je ne préjuge pas, pas plus que vous d’ailleurs. Vous dites que ces adaptations seront autorisées compétence par compétence. Rien de cela n’est indiqué dans le texte constitutionnel.

M. Serge Letchimy. Nous l’avons expérimenté !

M. Marc Fesneau, rapporteur. J’entends, mais c’est dans la loi organique !

M. Didier Paris, président. Je vous en prie, chers collègues, laissez le rapporteur s’exprimer !

M. Marc Fesneau, rapporteur. Tel que le texte est rédigé, rien n’empêche que cela se fasse de façon groupée et rien n’empêche que cela se fasse de façon séquentielle. Je ne comprends pas la prévention que vous avez sur le sujet.

M. François Pupponi. On n’intervient pas pour dire qu’on est pour ou contre, mais pour avoir des précisions qui s’imposent sur ce texte. Tout à l’heure, j’ai demandé comment on allait interpréter le « droit constitutionnellement garanti », qui restreint énormément le champ des habilitations. Il faudra que vous nous répondiez à ce propos.

Nous sommes bien d’accord sur le fait que la Corse ne pourra déroger aux règles qu’après habilitation par les lois et règlements, donc par le Parlement ou par le Gouvernement. Mais nous nous interrogeons sur les conditions de l’habilitation, d’où l’intérêt d’en savoir plus sur la loi organique. Il faut faire en sorte que l’habilitation intervienne rapidement, et éviter que le Parlement ne mette quatre, cinq ou dix ans à l’accorder.

Les conditions de l’habilitation figureront dans la loi organique. Mais comme le demandait notre collègue Gosselin à juste titre, avant de voter l’article 16, ne pourrait-on pas avoir quelques précisions sur la façon cette question sera traitée dans la loi organique ?

Mme Huguette Bello. Et dans quel délai ?

M. Serge Letchimy. Vous nous renvoyez à la loi organique. Soit, mais nous aimerions en savoir un peu plus avant de voter…

M. Marc Fesneau, rapporteur. Monsieur Pupponi, l’article 73 de la Constitution, tel qu’il s’applique aux départements et régions d’outre-mer dispose : « Les habilitations prévues aux deuxième et troisième alinéas sont décidées, à la demande de la collectivité concernée, dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique. Elles ne peuvent intervenir lorsque sont en cause les conditions essentielles d’exercice d’une liberté publique ou d’un droit constitutionnellement garanti. » Tout cela est comparable. Considérez-vous que cela ait pu constituer un facteur bloquant outre-mer ?

M. Serge Letchimy. Cela restreint !

M. Marc Fesneau, rapporteur. Oui, cela a-t-il été un facteur bloquant ? J’ai entendu tout à l’heure que le dispositif avait bien fonctionné dans un certain nombre de territoires.

M. Serge Letchimy. Trois ans pour avoir une habilitation !

M. Marc Fesneau, rapporteur. Ce n’est pas la question ! M. Pupponi a posé une question sur le droit constitutionnellement garanti ; nous en avons l’exemple avec les dispositions actuellement applicables aux régions et départements d’outre-mer.

M. Jean-Félix Acquaviva. Vous avez fait le plus ; vous pouvez faire le moins. Nous voilà maintenant au cœur du réacteur. La Corse ne veut pas, parce qu’elle a subi du cas par cas avec la loi du 15 juillet 2002, perdre cinq ans, sept ans, dix ans à cause du morcellement qu’on lui a imposé. C’est clair, net et précis.

Tel qu’il est rédigé, l’article 16 ne permet pas d’avoir une habilitation permanente, en une seule fois, sur un ensemble de domaines : cela n’est pas prévu dans les lois organiques applicables aux territoires d’outre-mer. Il faut donc le garantir dans la Constitution. Or, l’article 16 du projet de loi constitutionnelle ne fait que reprendre les termes de l’actuel article 73 de la Constitution, dont on connaît le résultat en termes d’échecs, de temps d’habilitation et de morcellement. C’est le premier problème majeur, qui peut être résolu avec un peu de volonté politique.

Le deuxième problème est qu’il est restreint aux compétences de la collectivité alors qu’il faudrait l’élargir pour assurer le développement économique de la Corse – et je vous renvoie à la rédaction actuelle du code général des collectivités territoriales concernant la Corse sur les adaptations de la loi. N’oublions pas qu’il y a des compétences mixtes entre les collectivités et les collectivités infraterritoriales. C’est très important.

La Commission rejette successivement les amendements CL1145, CL894, CL1146, CL1171, CL1261 et CL1399.

Puis elle examine les amendements identiques CL828 de M. Jean-Félix Acquaviva et CL1139 de M. Michel Castellani.

M. Jean-Félix Acquaviva. L’amendement CL828 aurait dû intervenir avant, puisqu’il fait référence à ce qu’avait été la rédaction de l’article 1er de la loi du 13 mai 1991 portant statut de la Corse, qui traitait de la reconnaissance de la communauté historique culturelle vivante que constitue le peuple corse, composante du peuple français. Problème dont nous avons déjà débattu, même si nous continuerons à en débattre.

M. Michel Castellani. Je tiens à souligner l’importance symbolique et surtout politique qu’aurait l’adoption de mon amendement CL1139, et préciser que ce ne serait finalement que la prise en compte d’une réalité historique, culturelle et psychologique.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Nous avons effectivement déjà eu ce débat et sans doute l’aurons-nous encore. Donc, pour les mêmes motifs que ceux que nous avons exposés avant l’article 1er, j’ai un avis défavorable.

M. François Pupponi. L’article 16 prévoit que des adaptations peuvent être décidées par la collectivité de Corse dans les matières où s’exercent ses compétences et si elle y a été habilitée, pour autant qu’elles ne remettent pas en cause les conditions essentielles d’exercice d’une liberté publique ou d’un droit constitutionnellement garanti.

Mais reprenons la décision du Conseil constitutionnel sur les fameux arrêtés Miot : « une nouvelle prorogation de ce régime dérogatoire méconnaît le principe d’égalité devant la loi et les charges publiques… Par suite, l’article 14 concerné doit être déclaré contraire à la Constitution. » Autrement dit, avec cette rédaction de l’article 16, on ne pourra toujours pas voter des textes dérogatoires qui prolongent les arrêtés Miot. Ainsi, sur des sujets aussi fondamentaux que la fiscalité, on risque de nous opposer l’article 16 comme on l’a opposé aux outre-mer en arguant des droits constitutionnels garantis.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Je peux vous répondre que le deuxième alinéa de l’article 16 dispose que « les lois et règlements peuvent comporter des règles adaptées aux spécificités liées à son insularité… »

M. François Pupponi. Je parlais de l’alinéa suivant.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Vous ne lisez que le troisième. Mais les deux alinéas vont ensemble. Le deuxième alinéa n’est pas une sous-partie du troisième : c’est lui qui pose le principe d’une possibilité d’adaptation des lois et des règlements.

M. François Pupponi. Sauf lorsque sont en cause les conditions essentielles d’exercice d’une liberté publique ou d’un droit constitutionnellement garanti.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Nous aurons le débat en séance publique ! Je peux essayer de vous convaincre, mais si je n’y arrive pas…

M. Guillaume Larrivé. À l’intention de M. François Pupponi et de M. le rapporteur, je voudrais donner lecture de l’avis de l’Assemblée générale du Conseil d’État sur la question précisément posée par François Pupponi, lequel a techniquement raison : les dispositions prises en application de l’habilitation « ne pourront porter atteinte au principe d’égalité entre les personnes auxquelles elles s’appliquent, ni mettre en cause les conditions essentielles de l’exercice des libertés publiques ou d’un droit constitutionnellement garanti ». Expressis verbis, le Conseil d’État considère que la question des arrêtés Miot n’est pas traitée par la rédaction actuelle de l’article 16.

Ensuite, on peut avoir un débat d’opportunité ; mais je ne m’exprime pas en opportunité, seulement sur le plan de la régularité juridique. Je pense donc que le rapporteur de la commission des Lois devrait reconnaître que la question est complètement tranchée par la rédaction actuelle. Il faut savoir lire ce qui a été écrit à notre attention…

M. François Pupponi. C’est fondamental !

M. Didier Paris, président. Je vais mettre les amendements identiques aux voix…

M. François Pupponi. Le rapporteur peut répondre !

M. Didier Paris, président. Jusqu’à preuve du contraire, j’organise les débats comme il me semble préférable de le faire, quand bien même cela ne vous conviendrait pas.

La Commission rejette les amendements.

Elle examine les amendements identiques CL1141 de M. Michel Castellani et CL1282 de M. Jean-Félix Acquaviva.

M. Michel Castellani. L’amendement CL1141 vise à compléter le projet de loi dans sa reconnaissance du statut géographique particulier de la Corse. La Corse, en plus d’être une île, est une montagne ; la dénomination proposée permet de mieux apprécier le relief contraignant de ce territoire.

Par ailleurs, la loi du 28 décembre 2016, en son article 5, reconnaît « la spécificité de la Corse, territoire montagneux et insulaire présentant le caractère d’île-montagne ». Étant donné que le présent projet de loi vise à reconnaître les particularités de la Corse, il est essentiel de prendre en compte ce statut d’île-montagne qui traduit les contraintes auxquelles ce territoire est assujetti.

On rejoint ainsi l’article 174 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui concerne notamment les régions insulaires, montagneuses et souffrant de handicap démographique, la Corse cumulant les trois handicaps.

M. Jean-Félix Acquaviva. Mon amendement CL1282 a le même objet. Il me semblerait logique de faire figurer dans la Constitution le cumul des contraintes subies par la Corse, telles qu’elles sont prises en compte par l’article 174 du traité de l’Union européenne.

Cette intervention me permet de revenir sur la question des compétences liées à l’article 16. Je répète que la rédaction de l’article 16, qui permet l’adaptation, ou la demande d’adaptation des lois et règlements sur les compétences de la collectivité, est en deçà de la rédaction actuelle du statut de la loi de janvier 2002 qui permet de demander des adaptations réglementaires et législatives sur des domaines liés au développement économique, social et culturel de la Corse.

C’est très important, du fait des compétences mixtes, partagées entre la collectivité territoriale et des collectivités de niveau inférieur : ainsi l’aménagement du territoire, l’urbanisme et la lutte contre la spéculation foncière et immobilière.

La collectivité établit un plan d’aménagement et de développement durable de la Corse (PADDUC) qui a valeur de directives territoriales d’aménagement (DTA), avec lesquelles les plans locaux d’urbanisme (PLU) doivent être compatibles. Mais des adaptations de la loi sont nécessaires. S’il ne nous est pas possible de présenter des demandes d’adaptation sur l’ensemble de la problématique de l’urbanisme, et non au cas par cas, et aller au-delà de la compétence juridique stricto sensu de la collectivité, nous ne nous en sortirons jamais. Et le même problème se pose dans d’autres domaines. C’est un véritable piège. Il en est de même de la prise en compte des principes fondamentaux en matière de fiscalité du patrimoine.

Cela mérite de relayer l’appel de M. Serge Letchimy : on ne peut s’en remettre pour tout à la loi organique. Nous sommes bien sur des problématiques de rang constitutionnel. Étant donné ce qui se passe en Corse, avec laquelle il est nécessaire de renouer un pacte de confiance, il serait très important de prendre un peu de temps pour faire, d’ici à la séance publique, ce petit effort qui serait un grand pas dans l’histoire de la Corse.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Je donne à ces deux amendements un avis défavorable pour les raisons déjà évoquées tout à l’heure.

Je tiens également à compléter la lecture que nous a faite M. Larrivé par celle du point 70 de l’avis du Conseil d’État : « En premier lieu, la loi ou le règlement, selon le cas, peut comporter des règles adaptées aux spécificités liées à l’insularité et aux caractéristiques géographiques, économiques ou sociales de la Corse. Le Conseil d’État considère que cette disposition, d’une portée comparable à celle prévue au premier alinéa de l’article 73, offre au législateur et au pouvoir réglementaire des possibilités de différenciation plus étendues que celles permises dans le cadre constitutionnel en vigueur, y compris en matière fiscale, dans le respect des critères qui suivent. »

M. Guillaume Larrivé. Et dans le respect du principe d’égalité… Je ne veux pas faire de polémique, nous sommes d’accord sur la lecture de l’avis du Conseil d’État : vous nous avez lu le point 70 ; je vous ai lu le point le point 71.

M. Paul-André Colombani. Je tiens à saluer la qualité de ces débats, et à saluer notre rapporteur qui se retrouve tout seul à défendre un sujet bien difficile.

M. Francois Pupponi. Il a du mérite !

M. Paul-André Colombani. Mais j’observe aussi qu’on nous demande de juger un film dont nous n’avons pas vu la fin. Sans aucune vision de la loi organique sur la Corse, on est au point mort. C’est pour cela que nous vous demandons de constitutionnaliser un certain nombre de paramètres. Tant que nous ne connaîtrons pas certains éléments de cette loi organique, tant que le Gouvernement n’aura pas arbitré, il nous sera difficile d’aller plus loin.

M. Serge Letchimy. Je suis personnellement très triste : vous obligez les Corses à faire de la mécanique juridique pour ne pas répondre à leurs aspirations. Et demain, en séance publique, vous nous obligerez à agir de la même façon. Or ce n’est pas en faisant de la mécanique juridique que l’on peut développer un pays et assumer l’identité d’un pays. Je considère pour ma part que c’est très mauvais.

L’article 72 privilégie les expérimentations alors que le principe même de l’expérimentation, y compris dans le cadre d’une habilitation, est d’aboutir à terme à un élargissement. Quel est aujourd’hui l’enjeu du débat, entre l’autonomie de l’article 74 et de l’article « 73 plus » ? C’est d’obtenir un pouvoir fiscal et surtout patrimonial afin d’être en mesure de mettre globalement en pratique une certaine vision du développement. C’est de cela qu’il faudrait débattre entre les deux moments que vous nous avez indiqués, monsieur le rapporteur. Nous serons avec vous pour améliorer le texte corse et, en même temps, le texte martiniquais.

La Commission rejette les amendements.

Elle examine ensuite en discussion commune les amendements identiques CL1142 de M. Michel Castellani et CL1283 de M. Jean-Félix Acquaviva, puis les amendements CL848 de M. Jean-Félix Acquaviva et CL1140 de M. Michel Castellani.

M. Michel Castellani. L’alinéa 3 prend en compte les réalités géographiques, économiques et sociales de la Corse. Nous souhaitons y ajouter une dimension linguistique. L’amendement CL1142 complète le projet de loi et son objectif d’inscrire la Corse et ses caractéristiques dans la Constitution.

La langue corse est un ciment. Nous ne la concevons pas comme un moyen de ségrégation, bien au contraire ; n’oublions pas qu’en tout temps et en permanence, chaque année, chaque jour, des hommes et des femmes sont venus se fondre dans cette communauté de destin qu’est le peuple corse, dont ils ont adopté la langue. Savez-vous, chers collègues, que la langue corse a bercé et berce toujours toute notre vie, qu’elle est une partie du patrimoine de l’humanité à laquelle nous tenons par-dessus tout ? Je sais très bien qu’une part de l’opinion en France considère ces langues minoritaires comme une survivance du passé, voire comme du passéisme. Pour ma part, je peux vous dire qu’avec une langue minoritaire, on peut exprimer les sentiments les plus nobles et bâtir les poésies les plus belles – je pourrais vous en réciter beaucoup.

M. Jean-Félix Acquaviva. Évidemment, les spécificités de la Corse ne sont pas seulement physiques, géographiques, économiques et sociales : elles sont aussi culturelles et linguistiques. Le mettre au rang constitutionnel permettrait de trouver des solutions juridiques adaptées à la demande des Corses et de refaire de cette langue une langue vivante, capable de s’insérer dans la sphère publique. Si elle n’a pas d’utilité sociale, économique et publique, si elle n’est pas utilisée dans les actes de l’administration, elle risque de s’éteindre. Une fois cette reconnaissance constitutionnelle acquise, on peut très bien trouver des formules législatives qui ne contraignent pas les gens qui ne veulent pas parler le corse, mais qui garantissent des droits aux locuteurs, ceux qui veulent le parler, qui le parlent, qui le pensent, qui le rêvent depuis qu’ils sont nés. C’est une façon de respecter le droit des individus.

En Finlande, l’autonomie culturelle est un principe constitutionnellement reconnu. Par exemple, les suédophones disséminés dans la Finlande – plus de 800 000 y sont recensés – ont droit à ce que l’État leur réponde en suédois, ont droit à une école primaire et à un lycée bilingue, bref, ont droit au respect du droit du locuteur.

Nous n’en demandons pas tant ; nous disons seulement que le respect, la tolérance des langues et des cultures existent en Europe, dans des pays démocratiques. À défaut d’obtenir la co-officialité – qui, selon nous, n’est pas une contrainte pour les gens qui ne veulent pas parler la langue – nous souhaitons pouvoir donner un avenir à notre langue dans un cadre législatif ; il nous reste à le trouver ensemble, dans le cadre d’un pacte de confiance qui est encore à développer. Mais on ne saurait d’entrée de jeu limiter cette question : il faut l’ouvrir. Et l’ouvrir, c’est l’inscrire. Tel est le sens de l’amendement CL1283.

L’amendement CL 848 est un amendement de repli, mais procède du même esprit.

M. Michel Castellani. Mes amendements CL1283 et CL1140 traitent de la même question, et apportent la même réponse. Nous sommes dans la même ligne de pensée.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Nous avons déjà eu ce débat avant l’article 1er, à l’occasion d’amendements qui étaient exactement de même nature. Je ne vais pas redévelopper l’argumentation présentée il y a quelques jours et je donnerai un avis défavorable à l’ensemble de ces amendements.

Mme Maina Sage. Effectivement, il y a quelques jours, vous nous disiez qu’un article spécifique à la Corse allait être discuté, et que ce serait l’occasion d’en débattre…

Je voudrais appuyer la demande formulée par nos collègues. Ne pas prendre en compte ces spécificités revient, d’une certaine manière, à nier ce qu’est le peuple français aujourd’hui. Leurs amendements sont l’occasion de reconnaître pleinement notre diversité. De fait, il existe des territoires français où la langue vernaculaire, d’origine, de naissance, n’est pas forcément le français. C’est une réalité qu’il faut reconnaître. Cette langue peut être pratiquée pour se réapproprier un patrimoine, pour le maintenir et le préserver. En l’occurrence, la Corse, et d’autres territoires comme la Polynésie française, sont des territoires bilingues, voire multilingues.

M. François Pupponi. Monsieur le rapporteur, je suis un peu étonné de votre réponse. Il ne s’agit pas de déterminer s’il faut tendre à une co-officialité des deux langues ; il s’agit de justifier l’inscription d’une région française, la Corse, dans la Constitution.

M. Serge Letchimy. Exactement.

M. François Pupponi. Le texte du Gouvernement met en avant les caractéristiques géographiques, économiques et sociales de la Corse. Les élus corses considèrent que d’autres raisons permettent de justifier son inscription dans la Constitution, en l’occurrence le fait qu’elle ait une histoire et une langue particulière. Franchement ce n’est pas mettre en cause l’intégrité nationale, ni le fait que le français est la langue le République.

M. Jean-Félix Acquaviva. On a besoin d’ouvrir le jeu. Je vais prendre un exemple précis dont on ne parle jamais, pas même dans cette loi constitutionnelle : la Corse est une zone frontalière. Elle est plus proche de la Toscane, de la Sardaigne et du Latium qu’elle ne l’est de Nice ou de Marseille. Dans un tel cadre, la langue est un outil indispensable, politique, diplomatique, économique et social, pour développer et émanciper la Corse en Méditerranée, surtout si la République veut avoir une vision méditerranéenne qui jusqu’à ce jour peine à s’affirmer.

Quand j’étais à l’Office des transports de Corse et que j’allais voir mon homologue sarde, je m’exprimais en corse – de manière tout à fait illégale, j’entends bien – et il me répondait en italien. Nous nous comprenions très bien. Des partenariats et des coopérations se sont développés parce que l’affinité culturelle est là : c’est une réalité. On ne peut pas nier que la terre tourne, disait Galilée ; il en est de même pour la langue et la culture corses. Il serait de bon ton que la République le reconnaisse dès la Constitution, pour ouvrir le jeu.

La Commission rejette successivement les amendements CL1142 et CL1283, l’amendement CL848 et l’amendement CL1140.

Elle est alors saisie de l’amendement CL1182 de M. Jean-Luc Warsmann.

Mme Maina Sage. Je le retire.

L’amendement est retiré.

La commission examine en discussion commune les amendements CL1446 de M. PaulAndré Colombani, CL888 de M. Jean-Félix Acquaviva, CL1143 de M. Michel Castellani et CL1440 de M. Paul-André Colombani.

M. Paul-André Colombani. Je refais l’historique : nous avons demandé l’article 74, on nous a dit non ; nous avons demandé il y a quelques minutes l’article de l’Assemblée de Corse, on nous a dit non ; et là, nous sommes au cœur de l’article 72, dans lequel nous avons identifié des verrous. Or il faut absolument faire sauter ces verrous pour rendre opérationnel cet article. Sinon, ce sera une véritable usine à gaz. Tel est l’objet de l’amendement CL1446.

La Corse pourrait, non seulement adapter la loi et les règlements, mais aussi fixer les règles, tant au niveau législatif que réglementaire, dans le domaine où elle a été habilitée par l’État. Cette habilitation ne se ferait pas par la loi, procédure législative longue, liée entre autres à la navette parlementaire, mais par un décret en Conseil des ministres après avis du Conseil d’État, et sous réserve de ratification par le Parlement des mesures adoptées. Une procédure de ratification expresse des actes pris sur habilitation, juridiquement peu sûre et lourde, encombre inutilement l’agenda du Parlement, qui conserve la possibilité, de toute manière, de refuser de ratifier certaines mesures. Ainsi, les actes adoptés par la collectivité de Corse seraient caducs dans le cas d’une non-inscription du projet de ratification du Gouvernement à l’ordre du jour.

M. Jean-Félix Acquaviva. Mon amendement CL888, dans la droite ligne de nos discussions sur l’article 16, vise à clarifier les choses et à mettre au niveau de la nouvelle rédaction de l’article 73 la compétence, dévolue à la Corse, de demander des adaptations réglementaires et législatives. Certes, une telle avancée n’est pas suffisante. Mais on sait déjà que l’article 72-5 sera totalement inefficient.

Je veux lancer un appel à un saut politique qualitatif d’ici à la séance publique. Je viens d’apprendre que la réunion organisée par le Premier ministre ne s’est pas très bien passée. Nous sommes toujours très en deçà, non seulement du statut de l’autonomie, ce que nous savions, mais également d’une volonté de faire bouger les lignes de cet article, qui n’est pas clair, d’autant plus que la loi organique nous est toujours inconnue.

Lorsque l’on dit « non » vingt fois, trente fois, quarante fois à 56,5 % des gens qui savent pourquoi ils ont voté, à 60-63 % pour les trois députés que vous avez devant vous, pour en finir avec les blocages à propos du foncier, avec la spéculation immobilière et les divisions, pour faire en sorte que la Corse se développe, lorsque l’on essaie de trouver des solutions, de faire des pas et que l’on ne nous donne aucune réponse, cela commence à devenir de l’irrespect ! Je le dis tranquillement, après ce que je viens d’apprendre.

Je vous appelle vraiment à la raison. Nous savons pourquoi nous sommes là ; nous ne sommes pas des partisans du tout ou rien, mais nous voudrions que l’on évite tout dogmatisme sur cet article. Toute avancée suppose de la confiance – qui a fait défaut, notamment depuis juin 2017 – et aucune réforme institutionnelle ne vaut sans cette confiance.

Ce sont des hommes qui ont fait les accords de Nouméa parce qu’ils ont fait le chemin qu’il fallait et les pas nécessaires. Cette fois-ci, nous avons identifié les pas qu’il convient de faire – sur l’habilitation et les compétences. Maintenant, s’il n’y a pas d’avancée là-dessus, sachant qu’en l’état, on va vers une usine à gaz, c’est que vraiment on le veut.

M. Michel Castellani. Le projet de loi indique que les adaptations peuvent être décidées dans les domaines de compétences de l’Assemblée de Corse si elle y a été habilitée par les lois et règlements. Pour des raisons d’efficacité, nous suggérons, par l’amendement CL1143, que celle-ci puisse être habilitée par décret en Conseil des ministres, pas seulement dans les matières où s’exercent ses compétences, mais dans les matières définies par la loi organique. Nous espérons que, cette fois-ci, cette nouvelle proposition sera adoptée par la Commission.

M. Paul-André Colombani. L’amendement CL1440 vise également à compléter l’article 72-5. Il nous faut une loi organique complète, pas une loi organique qui se limite à préciser les conditions d’habilitation. La Corse a besoin d’une loi organique qui porte sur le statut de la collectivité de Corse, son fonctionnement, ses institutions, ses compétences. Nous pourrions ainsi sanctuariser les dispositions du code général des collectivités territoriales qui portent sur la collectivité de Corse ; il ne serait plus possible de les modifier à l’occasion d’un projet de loi ordinaire sur les collectivités, par le biais des amendements passés à une heure du matin qui viendraient détruire le statut de la Corse. Cela s’est déjà produit dans le passé ; nous n’en voulons plus.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Avis défavorable pour les raisons évoquées tout à l’heure. Mais j’entends bien, et nous entendons bien, les questions que vous posez. D’ailleurs, monsieur Acquaviva, vous le savez : vous avez dit vous-même que les autorités de la Corse étaient en discussion avec le Gouvernement. Cela étant, vous avez des informations dont nous ne disposons pas.

Je ne vais pas redévelopper mes arguments. On a bien vu quels étaient les points d’achoppement, ce qui pouvait inquiéter les uns et des autres. À vrai dire, les difficultés ne résident pas tant dans l’article 16 que dans l’application de l’article 16.

M. Paul-André Colombani. C’est important !

M. Marc Fesneau, rapporteur. J’ai bien compris que c’était important. Mais nous l’avons entendu. Vous ne pouvez pas dire qu’on a éludé la question.

M. Philippe Gosselin. Parfois, en signe de bonne foi, dans le cadre d’une discussion sur une loi ordinaire, le Gouvernement met tout sur la table, en l’occurrence les décrets d’application. Or le décret d’application de la Constitution, c’est la loi organique. Ce serait difficile pour le rapporteur, qui n’est pas ministre ; mais nous pourrions demander au ministre de nous rejoindre pour nous éclairer, le temps d’une suspension.

Il serait intéressant de mettre sur la table la loi organique et ses éléments. Personnellement, vous le savez, j’ai un avis mitigé sur la question. Mais sur le fond, il faut bien avoir des éléments en main pour pouvoir discuter, prendre, ne pas prendre, avancer dans la discussion. Pour le moment, on s’étripe gentiment et symboliquement autour de termes dont, en réalité, on ne mesure pas bien les conséquences. Sans jeu de mots, va-t-on desserrer ou pas le corset ? On ne sait pas. De ce fait, notre discussion fait un peu brouillon. Cela ne me convient pas. Intellectuellement, ce n’est pas satisfaisant. Cela fait des mois que l’on doit avoir ce débat sur la Corse ; le Gouvernement s’était engagé, il serait bon qu’aujourd’hui, on ait des éléments.

M. Michel Pupponi. Il faut que l’on précise les règles. Les Corses ont déposé des amendements sur l’article 74, on leur a dit non. Très bien. Maintenant, ils déposent des amendements à l’occasion de l’article 16, pour améliorer le texte de l’article 72-5 tel qu’il nous est proposé, y compris pour en gommer les incohérences juridiques. Il y a donc des propositions juridiques pour que le texte soit mieux écrit. Ensuite, il y a des amendements quasiment rédactionnels, par exemple ceux qui rajoutent des raisons pour lesquelles la Corse doit figurer dans la Constitution. Cela ne pose pas de problème politique. Si vous avez décidé qu’aucun amendement ne sera admis sur l’article 16, même ceux qui sont bons, même ceux qui vont dans le bon sens, le débat est clos, on n’en parlera plus, et on en tirera les conséquences. Mais si l’on ne peut même pas améliorer la rédaction d’un texte constitutionnel pour qu’il soit mieux rédigé sans remettre en cause la volonté politique du Gouvernement, il faut nous le dire aussi.

La Commission rejette successivement les amendements Cl1146, CL888, CL1143 et CL1440.

Puis elle examine l’amendement CL1183 de M. Jean-Félix Acquaviva.

M. Jean-Félix Acquaviva. Cet amendement est une énième tentative, qui consiste à insérer dans l’article 16 les mots : « sans que le principe d’égalité devant la loi ne fasse obstacle à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général ». Ce que l’on a entendu sur les avis du Conseil d’État, sur les décisions du Conseil constitutionnel, sur les différences d’interprétation qui peuvent exister, et sur l’échec de certaines demandes en matière de fiscalité du patrimoine, nous a incités à proposer cet amendement.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Selon moi, cette préoccupation est satisfaite par le troisième alinéa de l’article 16 qui vise précisément à desserrer la contrainte imposée par le principe d’égalité au regard des spécificités insulaire, géographique, économique et sociale de la Corse. Je demanderai donc le retrait de cet amendement. Sinon, avis défavorable.

M. François Pupponi. Pour ma part, je relie ce troisième alinéa au suivant, puisque l’on peut déroger au principe d’égalité… sauf si cela met en cause un principe constitutionnel. Et je répète que le principe d’égalité devant l’impôt est un principe constitutionnel.

Tout à l’heure, M. Colombani a bien démontré que le Conseil d’État faisait la même interprétation que nous. Donc, tel qu’est rédigé l’article 16, un certain nombre de principes constitutionnels empêcheront les Corses de pouvoir demander des habilitations sur des sujets indispensables. Peut-être est-ce la volonté du Gouvernement ? Encore faut-il le dire et l’assumer !

La Commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CL1144 de M. Michel Castellani.

M. Michel Castellani. Nous suggérons de supprimer la fin de la première phrase de l’alinéa 4 : « dans les matières où s’exercent ses compétences et si elle y a été habilitée, selon les cas, par la loi ou le règlement ».

Nous voyons qu’il y a deux points de confrontation fondamentale : l’autorisation préalable d’habilitation et la limitation des matières où s’exercent les compétences. Nous souhaitons, et la majorité des Corses avec nous, que la Corse dispose des moyens permanents d’adaptation des lois sur son territoire. C’est l’objet de cet amendement.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Avis défavorable. Je voudrais simplement relever une incohérence. M. Pupponi souhaite supprimer l’expression : « sauf lorsque sont en cause les conditions essentielles d’exercice ». Il se trouve que nos amis corses proposent de la maintenir et d’arrêter la phrase d’une manière qui revient à doter la Corse d’un parlement de plein exercice. Cela veut donc bien dire que la première partie de la phrase ne pose pas tant de problèmes que cela.

M. François Pupponi. La phrase, non…

M. Marc Fesneau, rapporteur. Vous nous dites depuis tout à l’heure que cette phrase pose problème, en fait ce n’est pas la phrase, c’est la façon dont certains veulent l’appliquer, puisque nos collègues de Corse veulent faire de la Corse un parlement de plein exercice.

M. Serge Letchimy. Monsieur le rapporteur, c’est vous qui obligez les Corses à réduire leur curseur en leur refusant tout. L’article 73 de la Constitution pour les outre-mer offre plus de possibilités et n’emploie pas le terme « constitutionnellement garanti ». Vous avez resserré le verrou à l’égard des Corses : même si vous donnez l’impression que l’article 72 offre plus de possibilités d’émancipation, c’est un leurre. L’article 73 de la Constitution ne contient pas cette expression : « constitutionnellement garanti ».

M. Marc Fesneau, rapporteur. Permettez que je vous relise le texte de l’article 73 : « Les habilitations prévues aux deuxième et troisième alinéas sont décidées, à la demande de la collectivité concernée, dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique. Elles ne peuvent intervenir lorsque sont en cause les conditions essentielles d’exercice d’une liberté publique ou d’un droit constitutionnellement garanti. »

M. Serge Letchimy. Ce n’est pas la même rédaction : la preuve en est que, sur le plan fiscal ou sur le transport, nous avons pu avoir des habilitations.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Preuve en est que c’est possible avec cette phrase !

M. Serge Letchimy. Vous leur refusez même la reconnaissance de leur langue, de spécifier leur culture ou garantir leur identité.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Monsieur Letchimy, je ne dis pas qu’il n’y a pas de problème, mais n’en inventons pas là où il n’y en a pas. Vous nous dites que les mots « constitutionnellement garanti » ne figurent pas à l’article 73, relisez-le, ils y sont.

M. Serge Letchimy. L’article 73, dans ses alinéas 1, 2 et 3, prévoit trois possibilités : la possibilité d’adapter la loi au Parlement, celle que les collectivités adaptent elles-mêmes la loi, ou celle qu’elles édictent elles-mêmes la loi, ce que vous n’autorisez pas à la Corse.

M. François Pupponi. Monsieur le rapporteur, l’article 73 alinéa 2 prévoit que dans les outre-mer, les collectivités concernées peuvent déroger aux lois et règlements, et des adaptations peuvent être décidées par ces collectivités dans les matières où s’exercent leurs compétences et si elles y ont été habilitées, selon le cas, par la loi ou par le règlement.

L’alinéa précédent prévoit que « les lois et règlements sont applicables de plein droit. Ils peuvent faire l’objet d’adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités. »

La Constitution n’est donc à l’évidence pas écrite de la même façon pour les outre-mer, qui ont un pouvoir plus large.

M. Serge Letchimy. Les collectivités peuvent y fixer la loi.

M. François Pupponi. Dans le cas de la Corse, les possibilités d’adapter la loi ou le règlement sont juridiquement restreintes au maximum. Voulez-vous réduire complètement cette possibilité, ou l’ouvrir plus largement pour les Corses ? La même question se pose depuis tout à l’heure, à laquelle nous n’avons toujours pas de réponse.

La Commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l’amendement CL876 de M. Jean-Félix Acquaviva.

L’amendement CL1477 de M. Jean-Luc Warsmann est retiré.

La Commission en vient à l’amendement CL1201 de M. Jean-Félix Acquaviva.

M. Jean-Félix Acquaviva. Cet amendement vise à compléter l’article relatif à l’inscription de la Corse dans la Constitution en permettant un transfert de compétences.

Le problème des compétences dans les matières fiscale, foncière et linguistique est un nœud gordien qui n’est pas résolu par la rédaction actuelle de l’article 72-5, puisqu’il est incohérent de prévoir une adaptation des lois et règlements dans le domaine des compétences juridiques de la collectivité. Et si c’est volontaire, c’est très restrictif.

C’est en deçà de ce que prévoit le code général des collectivités territoriales pour l’adaptation des lois et règlements dans le cadre du statut du 22 janvier 2002 qui permettait d’adapter la loi et le règlement dans le cadre de compétences économiques liées au développement économique, social et culturel de la Corse. Je rappelle que l’article 1er de l’actuel statut de la Corse dispose que la collectivité de Corse gère les affaires de la Corse.

Compléter le texte constitutionnel en prévoyant la nécessité de peaufiner le statut de la Corse s’agissant du transfert de compétences permet de clarifier les choses et de disposer d’une mécanique statutaire et des prérogatives qui servent l’intérêt général des Corses.

M. Marc Fesneau. Cet article prévoit une décentralisation de compétences au bénéfice de la collectivité de Corse. C’est différent de l’objet du projet de loi, qui vise à la différenciation des territoires.

De surcroît, si les matières fiscale et foncière peuvent se discuter et pourront éventuellement être transférées grâce au mécanisme voté à l’article 15, ce n’est pas le cas des affaires linguistiques. Avis défavorable.

L’amendement est rejeté.

La Commission en vient à l’amendement CL1197 de M. Pierre Morel-À-L’Huissier.

M. Pierre Morel-À-L’Huissier. C’est un sujet récurrent, que je développe souvent : la création d’un principe juridique d’adaptabilité des règlements aux spécificités des territoires ruraux. Il est important que notre texte constitutionnel puisse le formaliser.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Le Conseil constitutionnel admet déjà que des situations différentes donnent lieu à l’édiction de prescriptions législatives différentes. C’est le cas d’un certain nombre de dispositifs fiscaux, y compris pour les territoires ruraux. Je pense par exemple aux zones de revitalisation rurale. Le principe d’égalité ne s’y oppose aucunement. Il n’est pas un principe d’uniformité, sans quoi il n’existerait aucune mesure d’aménagement du territoire et aucune loi poursuivant cet objectif explicite.

Par ailleurs, le dispositif de l’article 15, dont nous avons débattu en milieu d’après-midi, va permettre de mieux tenir compte des spécificités des territoires ruraux. Avis défavorable.

L’amendement est retiré.

La Commission est saisie de deux amendements en discussion commune, CL151 et CL152 de M. Patrick Hetzel.

M. Patrick Hetzel. Ces deux amendements portent sur le droit local d’Alsace-Moselle. Nous avons un problème particulier, lié à une décision du Conseil constitutionnel dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité, la décision n° 2011‑157 QPC du 5 août 2011, Somodia. Elle bloque le droit local dans sa forme actuelle et ne permet pas au législateur de procéder à des évolutions de ce droit local. Nous avons constaté à plusieurs reprises que cette situation aboutissait à des difficultés, notamment lorsque nous avons débattu de l’accord national interprofessionnel (ANI). Le droit local, qui donnait un certain nombre d’avantages, notamment aux salariés, était exclu de l’ANI. La décision Somodia rend donc toute évolution difficile.

Mon amendement CL151 prévoit d’ajouter que : « Les intérêts propres des départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin sont pris en compte par le maintien et le développement du droit particulier à ces départements. » L’amendement CL152 est rédigé de manière à généraliser le principe. Pour résoudre la question du droit local, l’amendement le plus adapté est le CL151, qui traite uniquement de ce sujet.

Il y a pour nous un sujet lié à la sécurisation et au bon équilibre de ce droit local. Je précise, parce que nous avons eu des débats à d’autres moments sur cette question, que toute évolution du droit local ne peut se faire qu’après un débat à l’Assemblée nationale. Un tel amendement prévoit simplement une sécurisation juridique, au niveau constitutionnel, afin de permettre les évolutions nécessaires, faute de quoi la décision Somodia entraînera une extinction progressive de ce droit local, ce que nous ne souhaitons évidemment pas.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Reconnaissons que ce n’était pas un sujet que nous avions envisagé lors des travaux préparatoires, mais c’est tout l’intérêt de nos débats. L’un de vos collègues alsaciens-mosellans nous a signalé l’existence d’un problème, et pour tout vous dire, nous prenons un peu mieux la mesure de votre difficulté sur cette question du droit local.

À ce stade, mon avis est défavorable car je ne suis pas sûr que la solution que vous proposez soit raisonnable et acceptable. Votre amendement CL151 revient à constitutionnaliser les départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin, ce qui aboutit à rendre impossible la fusion de ces départements. C’est peut-être d’ailleurs, à voir votre sourire, l’objet principal de cet amendement, et j’ai cru lire que la fusion de l’Alsace restait en débat. Je ne suis pas sûr qu’il appartienne à la Constitution de figer les contours départementaux. D’ailleurs, le droit n’est pas celui du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, mais celui d’Alsace-Moselle.

Mais nous identifions les problèmes posés dans la capacité d’adaptation ou de pérennisation de ce dispositif, qui est un héritage historique. J’émets un avis défavorable à ce stade et je vous propose de le retirer, sans pour autant être en mesure de vous donner de garanties sur ce que nous pouvons faire. Nous devrons cependant essayer de résoudre les questions justes que vous posez.

M. Patrick Hetzel. Vous aurez noté qu’un certain nombre de collègues de La République en Marche ont déposé un amendement rédigé un peu différemment, mais qui soulevait le même problème. Le sujet est donc très largement transpartisan. Vous avez raison, l’amendement CL151 est perfectible. Nous souhaitons avant tout prendre date et indiquer qu’il y a un vrai problème. La discussion de ce texte constitutionnel serait l’occasion de traiter de cette question ; nous sommes du reste ouverts à un débat avec le Gouvernement lors de la séance publique. Peut-être un amendement gouvernemental permettrait-il de formuler une réponse satisfaisante ?

En raison des arguments invoqués et du risque de figer les contours des départements, je retire ces deux amendements. Mais vous avez pris note de ce sujet, et il faudra bien trouver un moyen de le traiter. Nous souhaitons une solution équilibrée qui éviterait une extinction de ce droit local, qui joue un rôle très important dans nos territoires d’Alsace-Moselle.

Les amendements sont retirés.

La Commission en vient à l’amendement CL1202 de M. Pierre Morel-À-L’Huissier.

M. Pierre Morel-À-L’Huissier. Je vous invite à consacrer quelques petites secondes à un département qui m’est cher, celui de la Lozère. Nous avons parlé de la Corse et des outre-mer, et je suis très solidaire avec tout ce qui a été dit.

Le département de la Lozère est le seul à compter moins de 100 000 habitants. Il s’étend sur 5 100 kilomètres carrés. La densité y est de quinze habitants au kilomètre carré, et dans certains secteurs, de deux habitants au kilomètre carré. Si au cours de ce débat sur la Constitution, je n’abordais pas les spécificités lozériennes, je ne ferai pas le travail de l’unique député de ce département. Le second département le moins peuplé est la Creuse, avec 123 000 habitants… La Lozère est un département très atypique. Je sais que mon amendement peut sembler étrange, mais aujourd’hui, cette spécificité justifie un statut particulier.

On nous impose des ratios nationaux sur les routes, sur les dotations, sur les services publics. Mais la base fiscale est tellement faible que nous avons de grandes difficultés à gérer ce département, dont 98 % des communes comptent moins de 300 habitants. Mon amendement tend à préserver ce territoire, qui a le droit de vivre dans la République et avec la République.

M. Marc Fesneau, rapporteur. J’apprécie cet amendement d’appel à la différence de la Lozère. Reconnaissons que vous savez la faire entendre, en commission et dans l’hémicycle… Cela étant, vous posez une question tout à fait valide sur un territoire vraiment particulier du fait de sa faible densité. Il me semble que le droit à la différenciation consacré par l’article 15 est prévu pour résoudre des problèmes tels que ceux que vous évoquez.

Vous avez raison de souligner le cumul de facteurs qui font que ce département est dans une situation particulière, mais c’est aussi le cas d’autres départements, pour d’autres motifs. Je ne voudrais pas que nous en venions à créer une collectivité à statut particulier pour chaque département particulier, de crainte d’aboutir à une Constitution un peu longue. L’article 15 permettra de prendre en compte les spécificités que vous décrivez si bien.

M. Pierre Morel-À-L’Huissier. J’apprécie votre réponse et je retire mon amendement.

M. Jean-Félix Acquaviva. Ma remarque n’est pas ironique, mais nous voyons bien au travers de nos débats sur la Corse, la Lozère ou l’Alsace-Moselle – je note au passage la souplesse et l’envie de dialogue du rapporteur – ainsi que les débats portant sur l’autonomie fiscale ou financière, que la République doit se remettre en question de manière très profonde. Si le débat constitutionnel a bien un mérite, c’est d’aller au fond de ce débat en espérant qu’il y ait une suite.

L’amendement est retiré.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l’amendement CL1359 de Mme Huguette Bello.

Elle en vient à l’amendement CL1147 de M. Michel Castellani.

M. Michel Castellani. Il s’agit du dernier amendement sur l’article 16… S’il venait à être refusé, vous aurez adopté un article 16 a minima ; ce serait dommage.

Nous revenons sur un débat que nous avons déjà eu à de nombreuses reprises et par divers canaux. Nous suggérons d’ajouter un article 72-6 dans lequel la République reconnaît les communautés historiques et culturelles vivantes que constituent les divers peuples de France ; elle reconnaîtrait en somme sa diversité dans l’union. C’est une proposition qui ouvre une porte, non pas au démantèlement de la France, mais à la possibilité accordée aux territoires d’accéder à des compétences plus larges.

Craignant que cet amendement ne soulève l’indignation horrifiée d’un certain nombre d’entre nous, je précise que cette possibilité est fortement encadrée, tant dans son initiative que son expression démocratique, par la délibération et la consultation éventuelle des électeurs.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Je ne souhaite pas éluder le débat mais nous avons largement discuté de la question de la langue et des communautés historiques et culturelles. Pour les mêmes motifs que précédemment, avis défavorable.

M. Paul-André Colombani. Un mot avant de conclure les débats sur cet article 16. En 1978, Giscard arrivait en Corse et disait qu’il n’était pas possible de discuter avec les autonomistes car ils n’étaient pas élus. Après, les autonomistes ont été élus. Maintenant, nous sommes élus et majoritaires.

Une volonté s’est exprimée, et dans cet article 16, avec quelques mots, quelques pas, vous pourriez faire quelque chose de bien pour la Corse. Il ne faut pas manquer cette occasion, pour la jeunesse corse.

M. Serge Letchimy. Nous sommes en train de rater une occasion magnifique. François Mitterrand avait fait évoluer les conceptions de rapport au territoire avec la décentralisation. Jacques Chirac a mis en place des politiques de statuts différenciés, notamment pour l’outre-mer. Puis le jeune président Emmanuel Macron est arrivé. Lorsque j’ai vu qu’il avait emprunté au débat philosophique et culturel la question de la différenciation, j’ai trouvé cela très intéressant et j’ai pensé que ce serait une bonne occasion.

Mais vous partez du principe que ce n’est qu’un problème de mécanique juridique ; vous vous trompez totalement. Les peuples ne sont pas identitairement nus : ce sont des populations – si vous ne voulez pas parler de peuple – qui ont une histoire, une manière de concevoir, une culture, une langue. C’est de cela qu’il fallait partir, pas d’une mécanique. Qui plus est, vous ignorez la charte européenne de l’autonomie locale et la charte européenne des langues régionales. Nous ne nous situons pas dans le contexte contemporain d’évolution des sociétés. C’est une occasion ratée, et je le dirai au Premier ministre que je rencontre bientôt. C’est une occasion ratée pour tout le monde, y compris pour vous au sein du groupe La République en Marche.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Je ne vois pas comment vous pouvez dire que c’est une occasion ratée. Après les phases de décentralisation, qui ont été de bonnes choses, mais dont nous avions atteint les limites, le Président de la République reconnaît pour la première fois le droit à différenciation.

M. Serge Letchimy. Vous le galvaudez !

M. Marc Fesneau, rapporteur. Ne préjugez pas avant d’avoir vu les éléments du texte et les réponses que nous fera la ministre. C’est une avancée par rapport à la situation dans laquelle nous sommes, c’est la reconnaissance du fait que les territoires sont différents, l’idée que l’on pourra s’adapter à la diversité des territoires grâce à la différenciation.

M. François Pupponi. Ce n’est pas la même diversité dont vous parlez !

M. Marc Fesneau, rapporteur. Vous nous faisiez beaucoup le reproche d’attacher trop d’importance à ce qu’allait faire le Sénat. Pour la loi organique, nous pourrons travailler de manière différente car la majorité requise pour l’adoption n’est pas la même. Nous sommes nombreux à être des élus territoriaux convaincus de la diversité de nos territoires, de leur identité, et de l’idée qu’il faut les défendre. C’est ce qu’il faudra défendre dans la loi organique.

Je vous sens sceptiques, c’est le moins que l’on puisse dire. Nous, nous ne sommes ni sceptiques ni d’un optimisme béat. Nous connaissons les limites de l’exercice. Mais cet article 16 pose les termes permettant de mieux tenir compte de la diversité des territoires.

Mme Maina Sage. L’avancée, pour moi, figure à l’article 15. Elle consiste à dire que le droit à l’expérimentation, s’il est concluant, pourra n’être appliqué que dans un seul territoire, sans que les mesures ne soient nécessairement étendues aux autres.

À l’article 16, certes, on donne à la Corse un statut particulier, ce qui constitue en soi une avancée. Mais c’est la suite qui me dérange : au dernier alinéa, nous en restons à l’ouverture prévue à l’article 15. En ce sens, nous pouvons peut-être aller un peu plus loin pour la Corse.

Je rejoins notre collègue Serge Letchimy : quelque part, nous loupons le coche.

M. Jean-Félix Acquaviva. Nous avons bien compris que le problème n’était pas d’inscrire les spécificités, notamment la Corse, dans la Constitution. Le problème est le caractère opérationnel des mesures, et de mesurer la vraie volonté politique de faire confiance à un territoire, notamment en lui accordant une habilitation permanente, en délimitant les compétences qui lui sont attribuées, et en lui permettant de modifier la fiscalité du patrimoine.

Nous nous sommes tout dit sur ces questions, nous nous en sommes même trop dit depuis juin 2017, puisque si nous en sommes là, à combattre dans ce débat parlementaire, c’est que la confiance n’a pas été instaurée. Malheureusement, nous ne voyons pas les petits pas qui restent à faire pour déplacer ce curseur opérationnel. Les Corses sont des gens très politisés : ils savent ce qu’est l’autonomie, ils savent que ce n’est pas l’indépendance, ils savent pourquoi nous nous battons pour la fiscalité du patrimoine, et ils connaissent la situation sur le terrain. Il n’y a rien de pire qu’un espoir déçu pour quelques petits pas.

M. François Pupponi. Monsieur le rapporteur, je ne doute pas de votre volonté d’adapter les règles aux différences territoriales de notre pays, l’article 15 ne me pose aucune difficulté, c’est un engagement du Président de la République, vous allez au bout de votre logique, et cela va plutôt dans le bon sens.

La spécificité qui fait l’objet de l’article 16, et dont nous parlerons en séance par rapport à l’article 73, fait partie d’autres éléments, qui tiennent compte d’une histoire différente, de la manière dont la France a agrégé des territoires contre la volonté des populations locales. C’est cela qui manque dans ce texte, même si l’inscription de la Corse dans la Constitution est un grand pas, que je salue. Mais il ne faudrait pas que ce grand pas reste sans suite, car nous manquerions quelque chose d’unique. En matière de décentralisation, sur ces territoires spécifiques que sont les îles françaises, il y avait autre chose à faire. Nous ratons quelque part un rendez-vous avec l’histoire.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’article 16, sans modification.

La séance, suspendue à 19 heures 15, est reprise à 19 heures 20.

Article 17
(art. 73 de la Constitution)
Droit à la différenciation des départements et régions doutre-mer

La Commission en vient à l’amendement CL1478 de Mme Manuéla Kéclard-Mondésir.

Mme Huguette Bello. L’amendement est défendu.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Avis défavorable. Nous venons d’accroître l’autonomie des collectivités métropolitaines et de la Corse aux articles 15 et 16, il y aurait quelque chose d’original à faire le mouvement exactement inverse pour les départements et régions d’outre-mer.

La Commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l’amendement CL1037 de Mme Hélène Vainqueur-Christophe.

La Commission examine deux amendements en discussion commune CL1185 de M. Jean-Luc Warsmann et CL1149 de M. Michel Castellani, ainsi que l’amendement CL1150 de M. Michel Castellani.

Mme Maina Sage. Je retire l’amendement CL1185.

M. Michel Castellani. L’article 17 alinéa 3 prévoit : « Les collectivités peuvent, à leur demande, être habilitées par décret en conseil des ministres après avis du Conseil d’État, à fixer elles-mêmes les règles applicables sur leur territoire dans un nombre limité de matières pouvant relever du domaine de la loi ou du règlement. » Nous suggérons que cette habilitation puisse aussi intervenir après un vote du Parlement après avis du Conseil d’État. L’objectif est de donner au Parlement la possibilité d’agir dans ce domaine important.

L’amendement CL1150 procède de la même logique en prévoyant de rendre possible un vote par les citoyens eux-mêmes sur l’avenir institutionnel de leur collectivité. Nous suggérons cette initiative démocratique, dans un cadre législatif précis, et sous le contrôle du Gouvernement, du Conseil d’État, et pourquoi pas du Conseil constitutionnel.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Avis défavorable à ces deux amendements.

L’amendement CL1185 est retiré.

La Commission rejette successivement les amendements CL1049 et CL1050.

Elle examine ensuite cinq amendements en discussion commune : l’amendement CL1321 de M. Thierry Robert, et les quatre amendements identiques CL314 de M. Jean-Hugues Ratenon, CL1046 de M. Hubert Julien-Laferrière, CL1163 de Mme Huguette Bello et CL1192 de Mme Éricka Bareigts.

M. Thierry Robert. L’amendement CL1321 modifie l’article 17 de ce projet de loi en proposant de supprimer l’alinéa 5 de l’article 73 de la Constitution. Cet alinéa fait de La Réunion la seule exception de tous les territoires d’outre-mer. Ce traitement différencié trouve ses racines en 2003 dans la crainte qu’un tel pouvoir ne constitue un premier pas vers l’indépendance. Cette crainte n’est plus justifiée.

Ainsi, la suppression de l’alinéa 5 permettra une avancée décisive du droit de la décentralisation. Cette suppression est une question de principe fondamental : celui de l’égalité de traitement. Le maintien de cet alinéa revient à considérer La Réunion comme un incapable majeur.

Pourquoi ce qui est autorisé aux élus des autres territoires ne le serait pas aux élus de La Réunion ? Est-ce à dire qu’on n’y trouve que des sous-élus ou des élus incapables ? En disposant d’une compétence d’habilitation pleine, les élus réunionnais pourront conduire une politique en phase avec nos spécificités locales. Je pense nécessaire de lever le verrou que constitue cet alinéa 5 de l’article 73, pour libérer les énergies afin de développer la production locale et prendre les mesures adaptées pour l’emploi, l’agriculture, la santé et j’en passe.

Le Président Macron, pendant la campagne, s’est engagé à donner davantage de pouvoirs aux collectivités, il s’est de nouveau prononcé sur ce sujet lors de son discours en Guyane et lors de la présentation du Livre Bleu. Comme il l’a souvent dit, il n’y a pas de transformation dans l’immobilisme, pas de nouveaux résultats en appliquant les mêmes recettes. Mes chers collègues, quels que soient les bancs sur lesquels vous siégez, cette discrimination contre La Réunion doit prendre fin.

M. Jean-Hugues Ratenon. Chers collègues, des divergences profondes existent entre nous. Mais au-delà de nos différences, des points de convergence peuvent également exister. J’appelle particulièrement votre attention sur mon amendement CL314.

Depuis 2003, l’alinéa 5 de l’article 73 de la Constitution soumet La Réunion à un traitement inégalitaire, voire discriminatoire, dénoncé par une grande majorité des associations, syndicats, organisations politiques et élus sur place. La Réunion, avec ce blocage, avance en mode dégradé. On en voit les conséquences : gaspillage d’argent public, chômage de masse durable, pauvreté sévère, mauvais vieillissement et dépendance plus précoce de la population, sans oublier des entreprises en grande difficulté.

La délégation aux outre-mer de l’Assemblée nationale a confié à M. Hubert Julien-Laferrière, du groupe de La République en Marche, et à moi-même, une mission d’étude qui nous a amenés à mener un certain nombre d’auditions, ici et à La Réunion. Le résultat est sans appel : il faut en finir avec le verrou posé par l’article 73 de la Constitution.

Aussi, compte tenu de cette situation, cinq députés de cinq groupes sur sept portent d’une même voix le même amendement : Mme Huguette Bello du groupe GDR, Mme Éricka Bareigts du groupe NG, M. David Lorion du groupe LR, M. Hubert Julien-Laferrière du groupe LaREM, et moi-même, du groupe FI.

Jeudi dernier, la délégation aux outre-mer a approuvé à l’unanimité la proposition d’amendement qui vous est soumise aujourd’hui. Le président de la délégation aux outre-mer, M. Olivier Serva du groupe LaREM, mentionnait même un fait historique. Mes autres collègues vous donneront d’autres arguments, tout aussi pertinents, pour vous convaincre.

M. Hubert Julien-Laferrière. Mon amendement CL1046 est identique. Comme l’ont déjà dit mes collègues, depuis 2003, la Constitution interdit à La Réunion un pouvoir d’adaptation qu’elle accorde aux autres collectivités d’outre-mer relevant de l’article 73. Comme le disait Jean-Hugues Ratenon, nous avons mené un travail qui a abouti à un rapport, et je veux dire ici que toutes les auditions que nous avons menées sur le territoire font apparaître un consensus, non seulement politique, mais aussi des forces vives qui font vivre La Réunion, qui font son développement économique et social, qui travaillent à la réduction des inégalités. Tous pensent que La Réunion doit revenir dans le droit commun des collectivités d’outre-mer relevant de l’article 73.

Le Président de la République, la semaine dernière, a dit qu’il était favorable à une évolution de la Constitution concernant La Réunion à condition qu’il y ait un consensus politique. Je crois que ce consensus politique existe, en prenant en compte la particularité de La Réunion, qui, à la différence des autres, n’a pas de congrès des élus départementaux et régionaux. C’est pourquoi l’amendement que je présente précise que les demandes d’habilitation prévues au deuxième alinéa doivent être prises à la majorité des conseillers présents ou représentés des deux assemblées lorsqu’elles visent un champ de compétences partagées. Il faudra en quelque sorte un vote conforme de la région et du département pour procéder aux adaptations nécessaires pour que La Réunion puisse se développer et réduire les écarts à la moyenne avec la métropole.

Mme Huguette Bello. Il est établi depuis longtemps que le développement d’une société suppose a minima une combinaison équilibrée de ses multiples dimensions. L’objectif de notre amendement CL1163 est de doter la région et le département de La Réunion de celles qui relèvent du droit, et plus précisément de la Constitution.

Pour ce faire, trois leviers sont actionnés. Le premier consiste à permettre à La Réunion de fixer des normes dans le domaine de la loi, pour prendre en compte les nouveaux enjeux du développement liés aux transitions écologiques et numériques, à la croissance bleue et verte, aux perspectives renouvelées de la coopération régionale, mais aussi aux évolutions de l’Union européenne, qui veut désormais renforcer le droit à l’adaptation des politiques et de la législation européenne aux régions ultrapériphériques.

Le deuxième levier vise à éviter les blocages entre les collectivités lorsque les demandes d’habilitation concernent un champ de compétences qu’elles partagent. C’est en ce sens que nous prévoyons qu’elles doivent être prises par la majorité des conseillers des deux collectivités.

Le troisième levier, enfin, consiste à affirmer de manière solennelle que l’architecture institutionnelle actuelle demeure, que la région et le département continuent à coexister, que rien ne peut se faire sans consultation des électeurs de La Réunion et sans référendum.

J’ajoute que les dispositions prévues à l’article 15 du projet de loi ne créeront pas ces conditions, pour la simple raison qu’elles existent déjà à La Réunion depuis 2003, depuis quinze ans ; de toute évidence, elles ne suffisent plus pour prendre en compte nos spécificités et nos réalités.

Mme Éricka Bareigts. Je ne reviendrai pas, en défendant mon amendement CL1192, sur ce que mes collègues ont brillamment exposé, je vais revenir sur quelques éléments historiques. Nous nous retrouvons en 2018 dans une situation complètement anachronique, complètement infondée, où le seul département d’outre-mer de La Réunion se retrouve dans l’incapacité de mettre en place des lois d’habilitation comme le permet la Constitution aux autres départements français.

Pourquoi nous retrouvons-nous dans une telle situation ? Parce qu’elle s’est construite sur la peur et la confusion juridique. La peur, tout d’abord, en faisant croire à toute une population que disposer d’une émancipation et maturité pour construire des lois et des règles adaptées à sa géographie, à sa situation économique, à son environnement, ouvrirait la voie à l’indépendance ou à l’autonomie. Ce n’est pas vrai, et nous le savons maintenant au regard de ce qui s’est passé dans les autres départements d’outre-mer. Il n’y a pas à avoir peur.

Un mensonge juridique, ensuite, parce qu’il y a deux choses très distinctes : la possibilité de faire des lois d’habilitation, et la question de l’évolution institutionnelle. Or les deux choses ne sont pas liées.

Nous demandons à pouvoir faire ces lois d’habilitation spécifiques pour lancer un nouveau développement de nos territoires. Cela va dans le sens de ce que le Président de la République a dit, et qu’il a confirmé lors des assises des outre-mer, puis en nous recevant dernièrement. Il nous a dit vouloir la prise en compte des spécificités locales parce que les défis ne sont pas les mêmes. Et cela passe par l’article 73. Le Président de la République a dit que c’était de la bonne politique. C’est cette bonne politique que nous voulons aujourd’hui.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Je vais prendre un peu de temps pour expliquer notre position sur cet ensemble d’amendements, avant que nous n’examinions le texte en séance publique la semaine prochaine.

Nous héritons d’une règle constitutionnelle établie en 2003 qui fait de La Réunion une exception. À la demande de parlementaires réunionnais, et notamment du sénateur Virapoullé, le constituant avait fait à La Réunion un sort particulier, en l’excluant des possibilités d’habilitation prévues pour tous les autres départements et régions d’outre-mer. Le Gouvernement d’alors, comme la commission des Lois de l’Assemblée nationale, avait regretté que l’on ferme constitutionnellement cette prérogative alors qu’il suffisait aux autorités qui n’en voulaient pas de ne pas l’exercer. Mais le choix a été fait à la majorité dans tous les hémicycles ; il en résulte la situation que vous avez pu décrire, avec les écueils et les difficultés qu’elle produit.

Aujourd’hui, la situation est la suivante : certains, dont une majorité de députés, me semble-t-il, veulent lever l’exception réunionnaise. D’autres, dont les organes des collectivités locales, n’en veulent absolument pas et adoptent des résolutions en ce sens. Notre rôle, en tant que rapporteurs, est de faire en sorte qu’au sein de l’Assemblée nationale, nous puissions trouver une solution.

La solution que nous proposons, en entendant bien vos attentes et en reconnaissant la légitimité de votre demande, est de nous laisser le temps, d’ici à la séance, pour converger. Le texte que vous nous proposez en commun constitue une bonne base pour ce faire. Ainsi, nous pourrions trouver un texte qui satisfasse vos demandes, en effectuant les allers-retours nécessaires avec le Gouvernement, avec lequel je sais que vous avez déjà travaillé. Nous voulons trouver une voie de rupture avec la situation que vous connaissez depuis 2003 pour apporter une solution aux problèmes que vous évoquez.

Nous vous proposons donc de retirer ces amendements, au bénéfice de l’engagement que nous prenons, avec le rapporteur général. Nous avons les bases qui nous permettront de cheminer jusqu’à la séance pour que ces amendements soient utiles, non à l’Assemblée nationale, mais bien aux Réunionnais.

M. Thierry Robert. Monsieur le rapporteur, vous avez bien compris qu’aujourd’hui, il existe un consensus entre l’ensemble des parlementaires pour dire qu’on ne peut pas en rester au statu quo. Il faut que les choses évoluent.

Vous proposez de réécrire un amendement. J’y suis totalement favorable et je suis prêt à retirer le mien. Mais je le dis publiquement, j’y attache une condition : cette réécriture doit se faire dans les murs de l’Assemblée nationale, et non pas hors les murs. Nous sommes des députés sérieux et responsables, et nous voulons voir l’île de La Réunion se développer avec des outils nouveaux. Il serait totalement inconcevable, inimaginable, impensable que cela soit influencé par l’extérieur.

M. Jean-Félix Acquaviva. Je tiens à marquer ma totale solidarité avec mes collègues, avec, serai-je tenté de dire, nos frères et sœurs de La Réunion qui, justement, pointent une incohérence historique, une faute morale même : la République a cédé à la peur. Mme Bareigts l’a mis en évidence ; c’est également ce que nous vivons concernant la Corse.

Il n’y a aucune raison objective – géographique, économique, sociale… – pour que La Réunion soit exclue de l’application des alinéas 3 et 4 de l’article 73 de la Constitution. Il est ici question de pure volonté politique, ce qui n’a plus rien à voir avec le droit mais avec la prise en compte des situations. Nous sommes, concernant La Réunion, à la croisée des chemins, face à un choix historique. Et, d’un point de vue général, je me demande quelle serait la force de cette République si elle restait enkystée dans ses principes par trop impériaux.

Mme Éricka Bareigts. Merci à notre collègue corse pour son intervention. J’entends bien ce que vous nous proposez, monsieur le rapporteur, mais je rappelle qu’avant de présenter ces amendements, nous avons beaucoup travaillé, cherché sinon le consensus, du moins une majorité. Lors des questions au Gouvernement, la ministre de la justice et la ministre des outre-mer nous avaient demandé de trouver une majorité. Nous l’avons fait, comme le montrent ces amendements.

Ensuite, j’appuie les propos de M. Thierry Robert : ce travail doit être fait par les parlementaires. J’entends que l’avis des collectivités doit être entendu, mais il ne lie pas les députés que nous sommes. Je fais donc droit à votre demande et j’accepte de retirer mon amendement, pour peu, monsieur le rapporteur, que nous puissions ensemble, ici, travailler à une amélioration du texte.

Mme Huguette Bello. À elles seules, les institutions ne déterminent pas le développement d’un territoire mais une approche imparfaite du socle peut l’entraver. C’est pourquoi je retire mon amendement au profit d’une solution consensuelle, pour peu, comme l’ont souhaité nos collègues, que cela soit fait dans les murs et non hors les murs.

Mme Maina Sage. Je soutiens ces amendements et me réjouis de cette belle unanimité transpartisane, qui va de la majorité à l’opposition. C’est fondamental. Nous nous associons totalement à la demande formulée dans la mesure où le régime actuel est en pleine inégalité par rapport aux autres territoires et en totale incohérence avec le dispositif que nous venons d’adopter à l’article 15.

Mme Éricka Bareigts. Absolument.

Mme Maina Sage. Une question à l’adresse des rapporteurs : La Réunion pourra-t-elle bénéficier de ce dispositif ?

M. Jean-Hugues Ratenon. Comme nos collègues, je prends acte de la proposition du rapporteur. Il est néanmoins important d’insister sur le fait que La Réunion ne peut en rester au statu quo. Je retire moi aussi mon amendement en attendant une réécriture partagée dans l’intérêt des Réunionnais.

M. Hubert Julien-Laferrière. Tout comme mes collègues, je retire mon amendement. Je tiens toutefois à préciser que lorsque, avec M. Jean-Hugues Ratenon, nous avons fait notre travail sur l’île, certains voulaient réveiller des fantasmes – Mme Érika Bareigts évoquait la peur –, comme celui de l’opposition entre départementalistes et autonomistes, alors qu’il ne s’agit évidemment pas de cela. Encore une fois, il était important pour nous de rencontrer, au-delà des politiques, les forces vives de l’île : ceux qui font son développement économique, ceux qui réduisent les inégalités, ceux qui travaillent à la protection de l’environnement. Tous évidemment sont favorables à la suppression de l’alinéa 5 de l’article 73 de la Constitution ; personne ne nous a parlé d’autonomie ou n’a revendiqué pour La Réunion l’application de l’article 74, ni même évoqué l’idée d’une collectivité unique. Il s’agit seulement de garantir à La Réunion les moyens de son développement économique, social et environnemental.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Je tiens à vous remercier pour votre effort collectif en retirant vos amendements, moyennant notre engagement de trouver une voie dans la perspective de l’examen du texte en séance. Je salue également l’effort que vous avez fait pour converger avant même que nous n’entamions le débat : cela nous permet de disposer d’une base pour envisager d’ores et déjà ce que sera le nouveau dispositif. Cette affaire est suffisamment importante pour que la recherche du consensus soit, à nos yeux, nécessaire. Or, tous, vous avez montré votre capacité à défendre la même position alors que vous venez d’horizons quelque peu différents… Je ne doute pas, et je m’exprime aussi, ici, au nom de mes collègues Yaël Braun-Pivet et de Richard Ferrand, que nous trouverons un chemin. C’est en tout cas notre exigence compte tenu de ce que vous venez de faire et de dire.

Je réponds à Mme Sage : oui, l’article 15 s’applique à toutes les collectivités.

Mme Maina Sage. Donc, c’est un blocage pour rien.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Je salue votre continuité, monsieur Acquaviva, mais tous les combats ne sont pas bons à mener : qui avait demandé, à l’époque, la différenciation, cette fois au mauvais sens du terme, à savoir l’application d’une règle différente à La Réunion ? Ce sont des Réunionnais eux-mêmes. (Exclamations.)

Mme Éricka Bareigts. Non ! C’était un sénateur !

M. Marc Fesneau, rapporteur. Je veux dire des parlementaires. Je doute que M. Virapoullé ait été seul.

Mmes Éricka Bareigts et Huguette Bello. Il était seul !

M. Marc Fesneau, rapporteur. Déjà en 2003 ?

M. Jean-Félix Acquaviva. Oui !

M. Marc Fesneau, rapporteur. Monsieur Acquaviva, la différenciation territoriale, ce n’est pas seulement une question d’unanimité. Vous-même, vous représentez une partie des Corses…

M. Jean-Félix Acquaviva. Je représente tous les Corses de ma circonscription.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Vous représentez tous les Corses de votre collectivité, mais l’opinion que vous exprimez n’est pas partagée par tous. Aussi, ce n’est pas la peine de faire des généralités en soutenant que ce serait, une fois de plus, l’État qui n’aurait pas écouté les Réunionnais. Je crois me souvenir qu’il y avait tout de même eu des discussions à l’époque et qui étaient plus mitigées que ce que vous laissez entendre.

M. Jean-Félix Acquaviva et Mme Huguette Bello. Non, le responsable était le sénateur Virapoullé !

M. Marc Fesneau, rapporteur. Je ne vais de toute façon pas alimenter la gazette à l’heure qu’il est et je tiens à vous remercier de nouveau du travail que vous avez fait et à vous assurer que nous allons essayer de trouver un terrain d’entente d’ici à la semaine prochaine.

M. Serge Letchimy. Monsieur le président…

M. Didier Paris, président. Les amendements ont tous été retirés ; je vous en prie, monsieur Letchimy, ne poursuivons pas le débat, vous n’avez pas la parole.

M. Serge Letchimy. J’ai bien compris, mais vous avez donné la parole aux représentants de tous les groupes sauf à celui du groupe Nouvelle Gauche.

Mme Éricka Bareigts. C’est vrai !

M. Serge Letchimy. Je demande donc que ce soit bien inscrit au compte rendu. J’ai levé le doigt pendant un bon moment et vous m’avez complètement ignoré.

M. Didier Paris, président. Je n’ai pas vu que vous demandiez la parole, pardonnez-moi, ce peut être une erreur de ma part. Reste que vous appartenez bien au même groupe que Mme Bareigts…

Mme Éricka Bareigts. J’ai défendu un amendement, je ne me suis pas exprimée au nom du groupe !

M. Serge Letchimy. Mme Bareigts a présenté un amendement ! Vous jouez avec les règles !

M. Didier Paris, président. Je vous en prie, ne reprenez pas le débat inutilement…

M. Serge Letchimy. Le représentant du groupe a le droit de prendre la parole ; or vous refusez de…

M. Didier Paris, président. Allez, je vous donne quelques secondes.

M. Serge Letchimy. Vous me gênez, vraiment. Vous êtes très sympathique, mais vous me gênez…

M. Didier Paris, président. Vous appartenez au même groupe, Mme Bareigts et vous-même !

M. Serge Letchimy. Mme Bareigts a présenté un amendement ; il ne faut pas exagérer.

M. Didier Paris, président. Allez-y, monsieur Letchimy.

M. Serge Letchimy. Ah, merci beaucoup, vous êtes vraiment très gentil.

M. Didier Paris, président. Ce n’est pas une question de gentillesse.

M. Serge Letchimy. Je salue ce qui s’est passé aujourd’hui. C’est un peu la méthode que nous pouvons appliquer ensemble pour améliorer un texte et en particulier celui-ci qui vise à réformer la Constitution et qui donc a pour moi une importance fondamentale.

Il s’agit ici de permettre aux Réunionnais de se libérer, de disposer d’une énergie politique plus puissante pour organiser la production réglementaire d’initiative locale. C’est dans ce cadre-là qu’il faut continuer, à la fois pour la Corse mais aussi, demain, pour la Martinique, la Guadeloupe, afin de leur donner la capacité d’impulser un développement local dans le cadre de règles qui tiennent compte des problématiques propres à ces territoires.

M. Didier Paris, président. Merci infiniment à vous, monsieur Letchimy.

Les amendements sont retirés.

La Commission examine les amendements identiques CL1154 de M. Michel Castellani et CL1424 de M. Jean-Félix Acquaviva.

M. Michel Castellani. Je suggère par l’amendement CL1154 de supprimer l’alinéa 7 de l’article 17, qui dispose que le Gouvernement dépose un projet de loi de ratification des actes des collectivités. L’habilitation proposée à cet article 17 est déjà soumise à un certain nombre de conditions, notamment un décret en Conseil des ministres. Il ne nous semble pas nécessaire d’imposer en plus un projet de loi de ratification.

M. Jean-Félix Acquaviva. Imposer le dépôt de ce projet de loi de ratification alourdirait effectivement le dispositif, d’où l’amendement de suppression de l’alinéa CL1424. J’en profite pour souligner, monsieur le rapporteur, que nous avons une attitude tout à fait constructive, et heureux de voir qu’il peut y avoir un consensus en vue de permettre à La Réunion de bénéficier des possibilités offertes par l’article 73 de la Constitution.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Cela ne dépend que de vous.

M. Jean-Félix Acquaviva. Pour ma part, je n’ai fait acte que de solidarité. Nous exprimions des craintes. Nous sommes sur le bon chemin, mais cela dépend de vous d’ici à la séance publique.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Les actes pris dans le domaine de la loi par les départements et régions d’outre-mer découleraient, selon l’article 17, d’une habilitation par décret. Si nous supprimons la ratification par le Parlement, cela veut dire que le Président de la République pourra donner à des collectivités territoriales la possibilité de modifier la loi sans même en informer le Parlement. Cela nous paraît inenvisageable, car cela confinerait à un abaissement des pouvoirs du Parlement. Je suis donc défavorable à ces amendements.

La Commission rejette les amendements.

La Commission examine les amendements CL1151, CL1152 et CL1153 de M. Michel Castellani, qui peuvent faire l’objet d’une présentation commune.

M. Michel Castellani. L’article 17 dispose que ces actes des collectivités « deviennent caducs en l’absence de ratification par le Parlement dans le délai de vingt-quatre mois suivant l’habilitation ». Je propose, par l’amendement CL1151, de supprimer cette phrase. Frapper de caducité les actes non ratifiés revient à imposer un contrôle a posteriori et permet de les annuler alors qu’ils ont été adoptés dans le respect de procédures démocratiques. C’est un fusible dont nous pouvons nous passer : le processus de décision en comporte suffisamment.

L’amendement CL1152 est un amendement de repli. Il transpose le principe du droit administratif selon lequel le silence gardé par l’administration pendant plus de deux mois vaut accord. L’amendement CL1153 vise à tenir compte des délais de la procédure parlementaire, en proposant que les actes en question deviennent effectifs au bout de douze mois après l’habilitation.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Avis défavorable sur l’ensemble de ces amendements.

La Commission rejette successivement les amendements CL1151, CL1152 et CL1153.

Puis elle adopte l’article 17 sans modification.

Après l’article 17

[Article 74-1 de la Constitution]

La Commission examine l’amendement CL1167 de M. Jean-Félix Acquaviva.

M. Jean-Félix Acquaviva. C’est un amendement de cohérence avec la proposition d’un article 74-2 consacré au statut de la Corse. Il s’agirait de viser à l’article 74-1, après la référence aux collectivités de l’article 74, la collectivité de Corse. Cette proposition s’inscrit dans le prolongement des travaux de la professeure Wanda Mastor et des votes de l’Assemblée de Corse et des Corses eux-mêmes, aux élections du mois de décembre dernier.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l’amendement.

Puis elle se saisit de l’amendement CL485 de Mme Cécile Untermaier.

M. Serge Letchimy. Le mot « métropole » a des connotations colonialistes. Dans le système colonial, dans l’organisation économique et sociale d’une colonisation qui avait partie liée à l’esclavage, il renvoie à un centre impérial qui domine des périphéries qu’il s’agit d’exploiter pour en tirer le meilleur profit, y compris au mépris de la dignité humaine. Nous avons eu l’occasion à plusieurs reprises de débattre de la question, mais il ne faut plus employer ce terme. Bien sûr, le mot renvoie aussi, aujourd’hui, aux agglomérations. Mais, en l’occurrence, il s’agit bien de la relation des pays et des peuples d’outre-mer avec la « France hexagonale », expression que nous préférons, que nous jugeons plus cohérente, plus respectueuse, et que nous voulons substituer à « métropole ». C’est une manière de respecter les peuples, de ne pas les diminuer dans leur être collectif par un terme qui les écrase – car l’histoire du mot de métropole, c’est l’histoire de leur écrasement.

Cet amendement est très important pour moi. Nous pouvons tous y souscrire, pour relever la conscience nationale et affirmer le respect et la diversité.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Je comprends tout à fait, cher collègue, que vous soyez particulièrement attaché à cet amendement et que vous vouliez remplacer ce terme. N’ayant pas réfléchi de manière approfondie à la question, je n’inventerai pas une théorie devant vous. Quoiqu’il ait également aujourd’hui une autre acception, il conserve, j’en conviens, les connotations que vous avez rappelées.

Je ne sais si le moment est opportun pour le changer… mais pourquoi pas, me direz-vous. Cela étant, l’expression « France hexagonale » n’est pas très heureuse à mon goût. Certes, ce n’est que mon jugement et nous ne sommes pas réunis pour faire de l’esthétique. Nous allons y réfléchir, et je ne promets rien, même si je comprends le point de départ de votre démarche. Il s’agit de voir si nous pouvons trouver mieux que le mot que vous voulez remplacer.

M. Philippe Gosselin. Je n’ai pas d’idée arrêtée sur la question, mais j’entends bien ce que dit notre collègue Serge Letchimy et peut-être est-ce effectivement le moment d’ouvrir le débat. Je ne suis pas sûr que l’expression « France hexagonale » soit la meilleure, mais, puisqu’on parle de l’Europe continentale, pourquoi ne pas parler de la France « continentale » ? Je ne veux certes pas heurter – je le dis en souriant – nos collègues corses. Peut-être faut-il y travailler d’ici à la séance. Nous aurions l’occasion de marquer cette diversité et d’enlever certaines références. Quoi qu’il en soit de la formule proposée, l’esprit dont procède l’amendement défendu par M. Letchimy nous convient plutôt.

Mme Maina Sage. Nous avons eu le même débat lorsqu’à l’automne 2016 nous avons examiné la loi de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer. Nous tenions vivement à modifier ce terme partout où il était possible. Effectivement, parler de métropole et d’outre-mer renvoie à un autre temps. De même, le fait que nous parlions désormais de plusieurs outre-mer plutôt que d’un outre-mer n’a pas qu’une importance symbolique.

Quant à la Corse, où se situe-t-elle donc lorsque l’on parle de France hexagonale ? J’ai rappelé que la France n’était pas que territoriale : elle est mondiale, elle est maritime, et l’Hexagone est terrestre et maritime. Nous avons d’ailleurs précisé cela à l’article 1er de cette loi de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer. Nous n’oublions pas les Corses.

M. Serge Letchimy. J’ai bien entendu ce que vous disiez, monsieur le rapporteur. Je peux retirer l’amendement CL485 et nous verrons en séance, peut-être après en avoir reparlé entre nous, quelle est la meilleure rédaction possible.

L’amendement est retiré.

[Article 75-1 de la Constitution]

La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL1422 de M. Paul-André Colombani, CL1320 de M. Jean-Félix Acquaviva et les amendements identiques CL355 de M. Paul Molac et CL1158 de M. Michel Castellani.

M. Paul-André Colombani. L’amendement CL1422 vise à ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires et changera un peu la nature du concept, c’est-à-dire que nous parlerons plutôt de communauté vivante et de minorités linguistiques.

M. Jean-Félix Acquaviva. Nous manquerions à nos devoirs si nous n’inscrivions pas enfin, à cet article 75-1 de la Constitution, la mise en œuvre des principes de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. La question est pendante en France depuis 1992, date à laquelle notre pays l’a signée, sans jamais la ratifier ensuite. Au-delà des considérations tactiques ou de la nécessité d’un accord politique avec le Sénat, nous ne pouvons pas ne pas débattre de la question, pour faire en sorte d’aboutir enfin, quelle que soit la voie retenue, à la ratification de la Charte.

M. Paul Molac. Effectivement, cet article 75-1 qui dispose que « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France » aurait normalement dû être complété par une loi. Deux textes législatifs portant sur les langues régionales ont été examinés au cours de la précédente législature, l’un a été a rejeté et, bien sûr, l’autre n’est pas parvenu au terme de la navette parlementaire.

Il s’agit aujourd’hui de donner corps à cet article 75-1, en y inscrivant ce qui est quasiment une règle européenne. Aujourd’hui, tout pays qui veut adhérer à l’Union européenne est obligé de ratifier cette charte. La France, pays fondateur, n’y est pas tenue mais si elle voulait aujourd’hui adhérer à l’Union européenne, elle serait obligée de le faire.

Cette charte me semble un bon début : elle permettrait de donner une assise juridique et offrirait un ensemble de mesures permettant de développer ces langues régionales, dont je rappelle qu’elles sont considérées en grand danger d’extinction. Nous avons donc besoin d’un certain nombre de mesures concrètes pour avancer dans les domaines de l’enseignement, de la signalétique et des médias. Ce n’est possible que si une loi nous permet de régler un certain nombre de problèmes dans le développement des filières bilingues ou d’un certain nombre d’activités culturelles.

M. Michel Castellani. Je ne répéterai pas les propos de mes collègues, ni ce que j’ai déjà dit de la langue corse. J’étends simplement le champ de mon propos à l’ensemble des langues minoritaires de France. Je veux avoir une pensée pour tous les locuteurs de ces langues si souvent méprisées et pour tous ceux qui s’engagent, tous ceux qui militent et tous ceux qui font vivre ces langues.

M. Marc Fesneau, rapporteur. Je suis défavorable à l’ensemble de ces amendements. Nous avons d’ailleurs déjà débattu de la question avant l’article 1er. Je ne reviens pas sur l’argumentation que M. Richard Ferrand a déjà développée : nous voulons une révision constitutionnelle, mais nous savons aussi quelles positions les uns et les autres ont prises, en particulier au Sénat. Je ne prétends pas que cela doive déterminer les termes de notre réflexion… mais quand même.

Il me semble que, comme cela a été dit à plusieurs reprises au cours de nos débats, c’est une évolution dont nous ne voulons pas car, en pratique, elle reviendrait à conférer des droits différents à certains Français et non à d’autres, notamment dans l’accès à l’emploi et les relations avec les administrations.

Vous évoquez cependant très justement la nécessité d’aider ces langues à vivre et même à se développer. Selon nous, cela relève plutôt de l’action de l’État et de celle des collectivités locales, donc plutôt de la loi et du règlement.

M. Vincent Bru. Même si, au Pays basque, nous sommes parfois allés au-delà de ce que prévoit la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires je ne peux que soutenir les amendements présentés. Il me semble important que la France puisse la ratifier, même si elle est largement dépassée aujourd’hui. C’est aussi une promesse de campagne du candidat Emmanuel Macron, et nous aurions intérêt à tenir les promesses de la campagne.

M. Jean-Félix Acquaviva. Bien sûr, on entend toujours l’argument du Sénat mais nous sommes ici en commission des Lois de l’Assemblée nationale, qui délibère souverainement. En l’occurrence, il s’agit d’un débat solennel, lié à la révision de la Constitution. Il y en a eu une il y a dix ans ; il y en aura peut-être une autre dans dix ou quinze ans. Cela vous donne une idée du temps qui peut être passé à ne pas mettre en place les outils nécessaires à la sauvegarde de ces langues… Et puis, si nous nous disons un pays attaché à l’Europe, il faudra bien que nous nous montrions à la hauteur des enjeux, sans doute par un amendement la Constitution, puisque ni la voie législative ni la voie réglementaire ne permettent, en l’état, de donner à ces langues un statut qui les sauve de l’extinction et leur offre une utilité sociale, notamment en zones frontalières – il est indispensable d’enraciner la jeunesse d’aujourd’hui.

M. Paul Molac. Je ne vois pas très bien quelle rupture d’égalité nous pouvons craindre, monsieur le rapporteur Fesneau, dans un territoire où l’on parle et enseigne une langue, mais je veux vous rassurer : les trente-neuf articles de la Charte, que la France a déjà signée, ne remettent en cause ni l’unicité de la République, ni quoi que ce soit en matière d’administration ou de justice – d’ailleurs, certains étaient purement déclaratifs. Ne faisons pas de cette Charte, à la suite du Conseil constitutionnel, autre chose que ce qu’elle est. Elle donne des droits aux langues ; elle n’en donne pas à des minorités. C’était précisément conçu pour que le Conseil constitutionnel ne s’y oppose pas ; elle ne donnait pas de droits aux minorités, mais il n’a pas voulu l’accepter.

M. Erwan Balanant. Je ne sais si la Charte est la solution mais il faut que l’on avance sur cette question. Au-delà des langues, il s’agit de sauver des cultures, des identités et la richesse de la France. Trop souvent, notre République a eu peur de ses diversités. Il est vrai qu’elle s’est construite sur le français, qui fait le fondement de notre pays. L’édit de Villers-Cotterêts est l’un des socles de notre pays, mais il nous faut avancer. Jamais un tilde sur un n n’a menacé la République !

La Commission rejette successivement les amendements CL1422 et CL1320.

Puis elle rejette les amendements identiques CL355 et CL1158.

Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements identiques CL1040 de Mme Hélène Vainqueur-Christophe et CL1318 de Mme Maina Sage, l’amendement CL356 de M. Paul Molac et les amendements identiques CL1159 de M. Michel Castellani et CL1356 de M. Jean-Félix Acquaviva.

M. Serge Letchimy. L’amendement CL1040 procède du même esprit. Il vise à inciter la France à ratifier la Charte et à entrer dans un processus de reconnaissance des langues régionales – il s’agit de les reconnaître, pas d’en faire d’autres langues officielles –, d’encourager le développement d’organisations sociales qui tiennent compte des bassins maritimes transfrontaliers, notamment lorsque les pays concernés parlent la même langue, comme Sainte-Lucie, la République dominicaine ou Haïti, de créer des communautés de cohésion à une périphérie très éloignée de la France, de construire les résiliences nécessaires à la production ou à l’organisation sociale. La reconnaissance des langues régionales est vraiment très importante pour nous, et, bien sûr, une loi organique peut en déterminer le statut. C’est ce que nous proposons par cet amendement CL1040.

Mme Maina Sage. Par cet amendement CL1318, nous proposons, dans le prolongement de tout ce que nous venons de dire sur les langues régionales, d’assurer l’effectivité de l’article 75-1 de la Constitution en précisant qu’une loi organique détermine le statut de ces langues.

Au-delà de leur reconnaissance comme éléments du patrimoine de la France, faisons en sorte qu’elles soient un patrimoine vivant. Leur extinction menace vraiment. Nous avons rencontré de nombreuses associations qui œuvrent à l’enseignement de ces langues. Il y a un problème de formation des maîtres, de moyens donc.

C’est là une négation de ce que nous sommes. Reconnaître ces langues régionales, c’est permettre à chaque citoyen de s’épanouir dans sa région avec des avantages évidents : être mieux qualifié, mieux formé et, répondre aussi à des exigences et des besoins locaux.

M. Paul Molac. L’amendement CL356 s’inscrit un peu dans la même veine. Je propose pour ma part de compléter l’article 75-1 de la Constitution par la phrase suivante : « Le statut public des langues régionales est défini par la loi. » Peut-être est-ce un peu enfoncer une porte ouverte, mas cela obligera peut-être le Gouvernement à se saisir de ce problème et à légiférer, ce qu’il n’a pas fait jusqu’à maintenant – et le Parlement voyant la plupart du temps son pouvoir législatif réduit à la portion congrue, il a bien du mal à légiférer lui-même. Alors qu’une cinquantaine de propositions de loi relatives aux langues régionales ont été déposées sur le bureau de l’Assemblée nationale, seules deux ont été discutées et seulement lors de la dernière législature. Il y a bien un blocage, mais qui est plus le fait de l’administration et des ministères que des députés et de nos concitoyens, qui trouvent cette querelle un peu d’un autre âge. Par exemple, la plupart des parents d’élèves sont favorables à l’enseignement bilingue. Ils sont favorables à ce qu’on enseigne le breton en Bretagne, l’occitan en Occitanie, le basque au Pays basque, le corse en Corse. Pour qu’un enseignement bilingue puisse être proposé à peu près à un tiers d’une classe d’âge, soit environ la proportion nécessaire pour que la langue reste vivante, il faut, en l’état, attendre l’année 2118. Nous ne pouvons attendre un siècle, d’autant que nous pouvons aller beaucoup plus vite. Contrairement à ce que l’on prétend, faire de l’enseignement bilingue, ce n’est pas une minute de plus d’enseignement, c’est un enseignement différent et cela ne coûte pas très cher.

M. Michel Castellani. L’amendement CL1159 participe du même esprit. Il s’agit d’inscrire dans la Constitution que le statut des langues régionales est défini par la loi. Alors que les langues régionales, finalement, ont été reléguées au rang d’éléments du patrimoine, nous voulons leur donner un autre statut et les reconnaître en tant que véritables langues.

M. Jean-Félix Acquaviva. Effectivement, si la Constitution ne prévoit pas la possibilité de définir un statut pour ces langues, elles mourront, c’est inévitable. Il faut un accompagnement de l’État pour sauver ce patrimoine de l’humanité, ce patrimoine vivant, grâce auquel des locuteurs échangent et qui a une véritable utilité sociale. Sinon, voyez : la communauté d’agglomération du Pays basque vient de délibérer pour que basque et béarnais soient langues officielles du territoire. De même, le sarde a été reconnu en Sardaigne, pas plus tard que la semaine dernière. Il vaut mieux que la République s’honore de reconnaître définitivement, même si c’est compliqué, ce qui relève d’un droit et ressort de l’identité des individus.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Je veux simplement faire un point d’histoire. J’ai voté à l’Assemblée nationale en faveur de la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, avec d’autres – M. Molac, M. Letchimy étaient là. Par un de ces hasards de l’histoire – qui n’en est pas un, je le dis par antiphrase – la majorité précédente s’est ingéniée à proposer cette ratification non pas lorsqu’elle était majoritaire au Sénat mais dès l’instant où elle ne l’était plus. Voilà très concrètement quelle hypocrisie nous ne voulons pas faire nôtre.

M. Erwan Balanant. Je n’entrerai pas dans une discussion politique sur la question de savoir pourquoi cette charte n’est pas ratifiée – pour moi, elle restera longtemps en suspens –, mais, dans mon esprit, une chose est sûre : avec les langues minoritaires, nous touchons à quelque chose qui est de l’ordre de l’ADN. Sauver la biodiversité, c’est sauver le patrimoine de notre humanité ; de même, sauver nos langues régionales, sauver nos langues minoritaires, c’est sauver le patrimoine de la langue française aussi. Les deux sont liés, et notre République s’est autant construite sur le breton ou le basque que sur le français. Tout cela est lié, tout cela est notre patrimoine culturel, notre patrimoine linguistique.

Mme Maina Sage. Je veux préciser à M. le rapporteur qu’une décision du Conseil constitutionnel est venue préciser que l’article inséré en 2008 n’instaurait pas un droit, et, à ce titre, ne pouvait donner lieu à une question prioritaire de constitutionnalité. Cependant, ce n’est plus de cela que nous débattons. Nous voulons faire en sorte que l’article 75-1 de la Constitution puisse effectivement être appliqué dans le cadre d’une loi organique. Aujourd’hui, on fait fi de besoins réels de développement et de promotion des langues régionales.

M. Jean-Félix Acquaviva. Je ne fais nul procès à quiconque sur l’inscription de cette question dans notre loi fondamentale, mais nous touchons ici, précisément, aux fondamentaux. Nous nous trouvons simplement face à un système qui nous donne le choix entre nous résigner, nous locuteurs de langues régionales, et résister. Il est assez difficile de considérer qu’il n’y a pas d’autre alternative, mais, en ce qui nous concerne, nous ferons en sorte que la langue corse vive sur le territoire de la Corse, y compris dans la sphère publique, par tous les moyens possibles, parce que c’est légitime.

La Commission rejette les amendements identiques CL1040 et CL1318.

Elle rejette ensuite l’amendement CL356.

Puis elle rejette les amendements identiques CL1159 et CL1356.

Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements CL1155, CL1156 et CL1157, tous trois de M. Michel Castellani, CL1006, CL1021 et CL1030, tous trois de M. Vincent Bru, CL1160 de M. Michel Castellani et CL1281 de M. Jean Lassalle.

M. Michel Castellani. L’amendement CL1155 a pour objet de compléter l’article 75-1 de la Constitution par une phrase ainsi rédigée : « Une loi organique détermine les règles de leur enseignement et de leurs usages, notamment leur diffusion dans les médias ainsi que leur utilisation dans la toponymie, la signalétique et l’affichage public. » Il s’agit, comme beaucoup d’orateurs l’ont déjà dit, de sauver les langues régionales ou minoritaires.

L’amendement CL1156 va dans le même sens, sans référence à une loi organique : « L’État garantit par la loi leur enseignement et leur usage et notamment leur diffusion dans les médias. Il garantit également la protection des langues et cultures régionales dans la toponymie, la signalétique et l’affichage public. »

Et l’amendement CL1157 procède de la même logique.

M. Vincent Bru. La révision constitutionnelle de 2008, en reconnaissant les langues régionales comme appartenant au patrimoine de la France, avait suscité beaucoup d’espoir. Malheureusement, depuis, le nombre de locuteurs de ces langues diminue très sensiblement, parce que beaucoup, qui étaient âgés, sont morts. Je pense donc que l’État doit maintenant garantir l’apprentissage et l’usage de ces langues. Tel est l’objet de l’amendement CL1006.

Par l’amendement CL1021, je propose de garantir par une loi organique la transmission de ces langues, notamment leur enseignement dans toutes les filières possibles, et leur usage dans la vie publique et dans la vie sociale.

Par l’amendement CL1030, il s’agirait de rappeler que l’État doit garantir l’apprentissage et l’usage de ces langues régionales par la loi.

M. Michel Castellani. Toujours dans le même sens, avec l’amendement CL1160, je propose de compléter l’article 75-1 de la Constitution par la phrase suivante : « À ce titre, l’État contribue à leur développement. » Évidemment, il s’agit de préserver un patrimoine culturel régional. Je signale au passage la signature en 2016 d’une convention entre l’État et la collectivité de Corse pour le développement du corse. C’était implicitement une reconnaissance.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette successivement les amendements CL1155, CL1156, CL1157, CL1006, CL1021, CL1030, CL1160 et CL1281.

[Article 75-2 de la Constitution]

La Commission se saisit de l’amendement CL994 de M. Sébastien Jumel.

Mme Huguette Bello. Une moralisation, que souhaitent nos concitoyens et que nous préconisons, paraît nécessaire au sein de la haute fonction publique. La propension de certains de ses membres à rechercher des pantouflages rémunérateurs et à multiplier les allers-retours entre services de l’État et grandes entreprises est de plus en plus dénoncée. Il y a là une grave source de conflits d’intérêts et de grands risques d’affaiblissement du sens de l’État. L’application de la loi, comme son élaboration, ne doit souffrir d’aucune suspicion et ne doit être inspirée que par l’intérêt général.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. La lutte contre la prise illégale d’intérêt, qui est ici visée, a déjà fait l’objet de nombreux textes, qui la répriment, et, en tout cas, ce n’est pas un sujet de nature constitutionnelle. Je suis donc défavorable à cet amendement.

La Commission rejette l’amendement.

[Article 87 de la Constitution]

La Commission se saisit de l’amendement CL1364 de M. Jean-Félix Acquaviva.

M. Jean-Félix Acquaviva. Cet amendement vise à permettre aux collectivités territoriales de favoriser la signature d’accords de coopération avec des États voisins avec lesquels elle partage un héritage culturel commun – la Corse avec l’Italie, l’Alsace avec l’Allemagne. Il s’agit simplement de faire entrer la République dans le cadre d’une intégration européenne encore plus poussée et de permettre à des territoires qui ont vocation à se développer de manière transfrontalière de tirer un bénéfice optimal, sur les plans économiques, sociaux et culturels, de leur situation.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Au risque de donner une réponse peu satisfaisante mais nullement provocatrice, je rappelle que le titre XIV de la Constitution est consacré à la francophonie. Y inscrire les coopérations de collectivités territoriales avec d’autres pays n’aurait guère de sens, d’autant qu’il est loisible à toute collectivité d’entretenir des rapports amicaux, de coopération, de développement, sans qu’il soit nécessaire de l’inscrire dans la Constitution. Je suis donc défavorable à cet amendement.

La Commission rejette l’amendement.

La Commission examine l’amendement CL115 de M. M’Jid El Guerrab.

M. M’Jid El Guerrab. Cet amendement me tient particulièrement à cœur. Il s’agit de garantir la continuité du service public de l’éducation nationale à l’étranger. Cela concerne les écoles, collèges et lycées, dont l’importance est considérable pour les Français établis hors du pays. Il y a une envie de France à travers le monde et il convient d’y répondre. Le réseau d’enseignement français à l’étranger rassemble près de 500 établissements scolaires dans 137 pays. En son sein sont scolarisés 350 élèves, dont les trois cinquièmes sont étrangers. Il importe de pérenniser ce réseau dynamique et de l’alimenter afin de faire rayonner notre pays et notre culture. Le Président de la République a lui-même rappelé que l’enseignement du français à l’étranger serait une priorité de notre action diplomatique. En ce sens, le nombre d’élèves dans ces établissements sera doublé, ce qui permettra de développer cet outil d’influence.

Par cet amendement, il s’agit d’inscrire l’enseignement du français à l’étranger dans notre Constitution mais surtout de défendre nos lycées et notre service public de l’éducation nationale à l’étranger, car nos compatriotes qui font rayonner notre pays à l’étranger ont aux aussi le droit à l’excellence française. Ils le demandent.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Les Alliances françaises et les lycées français à l’étranger ne sont pas un sujet constitutionnel. Ils relèvent de la loi et du règlement.

La préoccupation que vous exprimez pourrait donner l’idée qu’au nom de la protection de la francophonie, il faudrait établir un droit quasiment universel pour tout citoyen français, partout dans le monde, de recevoir un enseignement en langue française. Ce pourrait être un débat de nature constitutionnelle mais je crains que les termes ne soient un peu trop engageants financièrement. Nous pouvons y travailler et voir comment faire progresser l’idée d’ici à la séance publique, mais à ce stade l’avis est défavorable.

M. M’Jid El Guerrab. Je suis heureux d’entendre que la notion de service public de l’éducation nationale à l’étranger peut être introduite dans la Constitution. C’était un amendement d’appel ; vous l’avez entendu, je le retire donc, et vivement la séance publique.

L’amendement CL115 est retiré.

M. Serge Letchimy. S’agissant de l’amendement CL1364 qui précède, la possibilité donnée aux présidents de collectivités de signer des accords internationaux est très limitée. J’ai présenté à l’Assemblée nationale une loi, qui a été votée à l’unanimité, pour permettre dans les outre-mer la signature, dans des conditions spécifiques, d’accords internationaux. C’est le seul texte alors que la notion de diplomatie territoriale est en pleine émergence.

M. Jean-Félix Acquaviva. En Corse, en matière de continuité territoriale européenne sur les zones transfrontalières, nous sommes en face d’un vide juridique et la direction générale des collectivités locales intervient avec des ersatz juridiques. Ces cas très pratiques pourraient être débloqués si l’on donnait la possibilité aux collectivités de signer des accords de collaboration.

[Article 88 de la Constitution]

La Commission est saisie de l’amendement CL1362 de M. Jean-Félix Acquaviva.

M. Jean-Félix Acquaviva. L’article 88 de la Constitution était destiné à l’origine aux pays colonisés par la France qui auraient souhaité hypothétiquement conserver des liens avec elle après avoir arraché leur indépendance. Dans la mesure où cet article n’a jamais reçu d’application réelle à ce jour, il n’a plus lieu d’être et mérite d’être supprimé.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur général, la Commission rejette cet amendement.

Ensuite de quoi, suivant l’avis défavorable du rapporteur général, la Commission rejette l’amendement CL1360 de M. Jean-Félix Acquaviva.

[Article 88-1 de la Constitution]

La Commission examine, en présentation commune, les amendements CL1430 et CL1434 de M. Paul-André Colombani.

M. Paul-André Colombani. Le second est un amendement de repli. Il s’agit de moderniser un peu l’article 88-1 de la Constitution qui affirme la primauté du droit de l’Union européenne. Une précision apportée est que l’Union européenne ne « rassemble » pas mais « fédère » les États.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Avis défavorable. L’Union européenne n’est pas une fédération d’États et il ne suffirait pas de le mentionner dans la Constitution française pour qu’elle le devienne. En outre, en droit interne, la Constitution est notre norme suprême ; elle n’est pas soumise au droit européen dès lors que la souveraineté continue de résider essentiellement dans la nation, qui peut effectivement l’exercer en commun avec d’autres États membres.

La Commission rejette successivement ces amendements.

Elle examine ensuite l’amendement CL738 de M. Jean-Luc Mélenchon.

M. Bastien Lachaud. Il s’agit d’un amendement pour garantir la souveraineté du peuple, disposant que « toute révision des traités européens ou toute nouvelle délégation ou transfert de compétence doit nécessairement être approuvée par référendum ». Dans le précédent de 2005, la Constitution européenne a été refusée majoritairement par le peuple français et pourtant, trois ans plus tard, en 2008, le Gouvernement nouvellement élu a fait adopter une révision constitutionnelle par le Congrès, incluant les traités européens, et a donc bafoué la souveraineté populaire en faisant adopter par le Parlement une réforme qui avait été rejetée par le peuple souverain.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Même la révision de la Constitution, notre norme suprême, ne pose pas l’obligation d’un référendum et il serait par conséquent étrange que la modification d’un traité rende ce référendum nécessaire. Avis défavorable.

M. Paul Molac. Je rappelle à ceux qui y voient un déni de démocratie que M. Nicolas Sarkozy avait clairement dit, dans sa campagne de 2007, que, s’il était élu, il ferait ratifier le traité, ce qu’il a fait. Je n’ai pas voté pour M. Sarkozy mais je ne peux accepter l’idée qu’il y aurait eu déni de démocratie dès lors que cela figurait dans son programme électoral.

M. Bastien Lachaud. Monsieur le rapporteur général, ce n’est pas parce que la Constitution de la Ve République manque de démocratie en permettant une révision constitutionnelle sans consultation du peuple qu’il faut l’accepter et s’y résigner. Nous maintenons cet amendement car il est essentiel que le peuple soit consulté quand des transferts de souveraineté ont lieu, et même qu’il puisse se saisir de ces questions, qu’un débat ait lieu dans la société et que le peuple éclairé tranche.

La Commission rejette cet amendement.

[Article 88-3 de la Constitution]

La Commission examine l’amendement CL1437 de M. Paul-André Colombani.

M. Paul-André Colombani. Cet amendement tend à la reconnaissance du droit de suffrage direct et de l’éligibilité de tous les citoyens de l’Union européenne établis en France.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. L’amendement ne change rien au fond. Sur la forme, il renvoie aux règles européennes, ce qui n’est pas conforme au droit. La Constitution est la norme suprême, elle fixe donc ses prescriptions elle-même, sans renvoi à un autre texte quel qu’il soit. Avis défavorable.

La Commission rejette cet amendement.

[Article 88-4 de la Constitution]

La Commission est saisie, en discussion commune, des amendements CL446 de Mme Cécile Untermaier, CL1035 de M. Vincent Bru et CL917 de M. Sébastien Jumel.

M. Vincent Bru. Par cet amendement il est demandé que le Gouvernement informe les parlementaires de toute négociation et discussion en cours avec la Commission européenne. C’est une exigence de transparence. Aujourd’hui ont lieu des négociations commerciales, notamment, et de plus en plus de nos concitoyens réclament cette transparence, qui doit se faire vis-à-vis des élus.

Mme Huguette Bello. Cet amendement a pour objet d’informer le Parlement de l’état de la législation européenne et d’empêcher l’adoption de transpositions de directives européennes sans vote.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Ces amendements sont pleinement satisfaits. Encore faudrait-il que les commissions et les parlementaires se saisissent de ces sujets vigoureusement pour obtenir plus de renseignements de la part de l’exécutif. Comme je sais que nos commissions des Affaires étrangères et des Affaires européennes sont remarquablement bien présidées, je vous invite à stimuler leurs deux présidentes pour qu’elles répondent in concreto à ce qui est déjà fondé en droit. Avis défavorable.

La Commission rejette successivement ces amendements.

L’amendement CL199 de M. M’Jid El Guerrab est retiré.

La Commission est saisie de l’amendement CL447 de Mme Cécile Untermaier.

M. Serge Letchimy. Le sujet est celui du respect du principe de subsidiarité dans les relations entre l’Europe et l’État. Nous pensons qu’il faut ouvrir une possibilité de recours quand le principe n’est pas respecté.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Le contrôle du respect du principe de subsidiarité par les Parlements nationaux est assuré par une procédure préalable à l’adoption de nouveaux actes par l’Union européenne. Lorsque les Parlements nationaux estiment qu’un acte législatif n’est pas conforme au principe de subsidiarité, ils peuvent adresser un avis motivé à la Commission européenne dans un délai de huit semaines. Chaque Parlement national dispose de deux voix et, dans un système bicaméral comme le nôtre, chaque chambre dispose donc d’une voix. Selon le nombre d’avis motivés reçus, le processus d’adoption de l’acte européen est plus ou moins contraignant. Il revient donc aux commissions des Affaires européennes de se saisir pleinement des prérogatives dont elles disposent pour faire respecter le principe de subsidiarité. Je demande le retrait de l’amendement, à défaut avis défavorable.

L’amendement est retiré.

[Après l’article 88-7 de la Constitution]

La Commission examine les amendements identiques CL1161 de M. Michel Castellani et CL1361 de M. Jean-Félix Acquaviva.

M. Michel Castellani. Nous suggérons que les régions, départements et collectivités territoriales soient habilitées à nouer des relations avec des États européens limitrophes dans les domaines de la langue et de la culture.

M. Jean-Félix Acquaviva. Il s’agit en effet d’approfondir de manière significative la coopération décentralisée dans le domaine linguistique et culturel, notamment dans les aires transfrontalières. C’est un enjeu très important, en Méditerranée, pour la Corse.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Seul l’État détient la compétence de nouer des relations internationales. Il n’y a pas réellement d’exception à ce principe et il est d’ailleurs à noter que, même dans des États fédéraux, il est peu commun que des entités infra-étatiques disposent d’une personnalité juridique internationale. C’est encore moins le cas pour des États unitaires tels que la France. Des liens peuvent toutefois se nouer, même si ce n’est pas dans le cadre statutaire. Avis défavorable.

M. Jean-Félix Acquaviva. Quand on connait la difficulté de créer des groupements européens de coopération transfrontalière dans les domaines où il y a urgence, comme les parcs marins, par exemple dans une Méditerranée de plus en plus polluée, je pense que cette question devra rebondir. Il faudra que la capacité juridique à agir soit réelle.

La Commission rejette ces amendements.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur général, la Commission rejette l’amendement CL1443 de M. Paul-André Colombani.

[Article 89 de la Constitution]

La Commission examine l’amendement CL737 de M. Bastien Lachaud.

M. Bastien Lachaud. Par cet amendement, nous proposons d’inscrire dans la Constitution le principe du peuple constituant, c’est-à-dire que le peuple a le droit de revoir, de réformer et de changer sa Constitution.

Il n’existe pas actuellement de disposition constitutionnelle explicite permettant de changer de République, ni pour le peuple, ni pour le Parlement, ni même pour le Président. Or la Constitution de 1958 appartient, il nous semble, à une autre époque, et une grande partie du peuple français a affirmé sa volonté de changer de système politique, que ce soit pour passer à une VIe République ou en balayant l’ancien monde.

La Constitution est, en France, la norme suprême, dont le contenu révèle la nature du peuple français, qui définit son identité nationale comme étant intrinsèquement républicaine. Or, le système politique actuel apparaît illégitime aux yeux des Français, ce que les taux d’abstention aux élections démontrent régulièrement. Il importe donc d’affirmer le principe selon lequel le peuple français est son seul maître et que, s’il le décide, il peut se définir lui-même à travers l’élaboration d’une nouvelle Constitution.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Je connais une méthode qui permet au peuple de modifier sa Constitution car j’ai lu votre programme quand M. Mélenchon portait vos couleurs. Figurez-vous que vous proposiez qu’en cas d’élection de votre candidat, une assemblée constituante soit immédiatement réunie pour modifier la Constitution. Manque de chance : le peuple n’en a pas voulu. Par conséquent, quand le peuple ne veut pas changer de Constitution, il ne vote pas pour vous. Avis défavorable.

M. Bastien Lachaud. Merci au rapporteur général d’avoir lu avec attention notre programme. Il aura également lu avec attention la Constitution et aura vu que rien ne permet de changer de Constitution. On peut la réformer mais on ne peut en changer. Or la Constitution de 1958 n’est pas éternelle, aucune Constitution française ne l’a été, et il serait donc sage de prévoir l’inévitable, à savoir que les Français voudront un jour ou l’autre, plus ou moins proche, changer de Constitution. Notre programme n’est pas là en question.

M. Vincent Bru. Nous avons souvent changé de Constitution après une guerre ou des événements politiques graves. Mais nous pouvons aussi changer la Constitution en profondeur, sans quasiment aucune limite, en utilisant l’article 89. Je vous donne du reste comme exemple le passage de la IVe à la Ve République : le général de Gaulle a utilisé l’article 90 de la Constitution de 1946 pour non pas modifier à la marge cette Constitution mais en réalité proposer une nouvelle Constitution.

La Commission rejette cet amendement.

Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements CL649 de M. Jean-Luc Mélenchon et CL916 de M. André Chassaigne.

M. Bastien Lachaud. En cohérence avec notre volonté de soumettre à ratification les transferts de souveraineté, l’idée est que nul changement de Constitution ne soit possible sans validation par référendum du peuple français.

Mme Huguette Bello. L’article 89 de la Constitution prévoit que les révisions constitutionnelles, après avoir été adoptées par les deux chambres, doivent être approuvées de manière définitive par référendum. L’alinéa 3 prévoit néanmoins que le Président peut décider d’écarter le recours au référendum pour soumettre le projet de révision au Parlement convoqué en Congrès. C’est ce qui va se passer pour le présent texte. Considérant qu’une révision constitutionnelle doit nécessairement être approuvée par le peuple, les auteurs de cet amendement proposent de supprimer le troisième alinéa de l’article 89.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Les modalités de révision de la Constitution en vigueur depuis soixante-dix nous conviennent. Avis défavorable.

La Commission rejette successivement ces amendements.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur général, la Commission rejette l’amendement CL1432 de Mme Manuéla Kéclard-Mondésir.

Elle examine ensuite l’amendement CL637 de M. Bastien Lachaud.

M. Bastien Lachaud. On a beaucoup parlé de parité. Nous proposons un amendement qui vise à récrire la Constitution non pas en écriture inclusive, ce qui alourdirait peut-être le texte, et ce que le Gouvernement a d’ores et déjà refusé, mais en écriture épicène, qui permet d’allier syntaxe et grammaire en évitant toute discrimination de genre.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Nous avons déjà eu ce débat et, au risque de passer pour un affreux réactionnaire, ce sera un avis défavorable.

La Commission rejette cet amendement.

Article 18
Conditions d’entrée en vigueur

La Commission se saisit de l’amendement CL1523 des rapporteurs.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Il s’agit d’un amendement rédactionnel.

La Commission adopte cet amendement (amendement  355).

Elle examine ensuite les deux amendements identiques CL476 de Mme Cécile Untermaier et CL766 de M. François Ruffin.

M. Serge Letchimy. La disposition permettant aux anciens Présidents de la République de siéger au Conseil constitutionnel étant supprimée, cet amendement vise à ce que ceux qui y siègent actuellement ne le puissent plus.

M. Bastien Lachaud. Nous saluons la volonté du Gouvernement et de la majorité de retirer leur statut de membre permanent du Conseil constitutionnel aux anciens Présidents de la République. Nous ne comprenons pas que M. Valéry Giscard d’Estaing échappe à cette remise en ordre des choses : nous souhaitons que lui comme les autres ne puissent être membres du Conseil. Si vous me permettez, ce n’est pas parce que l’on soupçonne en ce moment le Président Macron de « giscardisation » que cela devrait légitimer ce cadeau à M. Giscard d’Estaing.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Il n’est pas interdit d’éviter les mauvaises manières. Voilà un ancien Président de la République âgé de quatre-vingt-douze ans qui a servi son pays et a toujours siégé, depuis quinze ans, au Conseil constitutionnel avec beaucoup de régularité, et dans cette matière comme dans d’autres nous estimons que les nouvelles dispositions doivent s’appliquer pour l’avenir. Nous ne voyons pas à quoi servirait un tel geste d’inélégance. Avis défavorable sur cet amendement qui est de surcroît très ad hominem, car si cela concernait trois ou quatre personnes on pourrait le comprendre, mais MM. Hollande et Sarkozy ont publiquement renoncé à siéger au Conseil constitutionnel.

M. Serge Letchimy. Je n’ai aucun soupçon sur la personnalité de M. Giscard d’Estaing et je partage le fait qu’il ne faut pas viser une personne. Je retire l’amendement.

L’amendement CL476 est retiré.

La Commission rejette l’amendement CL766.

Elle adopte ensuite l’article 18 modifié.

Titre

La Commission examine, en discussion commune, les amendements identiques CL1050 de M. Michel Castellani et CL1248 de M. Jean-Félix Acquaviva, ainsi que les amendements identiques CL1051 de M. Michel Castellani et CL1284 de M. Jean-Félix Acquaviva, ainsi que l’amendement CL1052 de M. Michel Castellani.

M. Michel Castellani. Nous souhaitons que le terme de décentralisation figure dans le titre, ce pourquoi nous proposons de substituer au mot « efficace » le mot « décentralisée ».

M. Jean-Félix Acquaviva. La décentralisation a en effet bien besoin d’une nouvelle ère, d’où cet amendement sur le titre.

M. Michel Castellani. Avec l’amendement CL1051, il s’agit de substituer au mot « efficace » les mots « plus respectueuse de l’autonomie de ses territoires ».

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Cette suggestion, selon laquelle il vaudrait mieux parler de République décentralisée que de République efficace, ne me choque pas particulièrement, d’autant moins que la décentralisation pourrait être considérée comme un synonyme actif de l’efficacité. Nous considérons que la décentralisation est un des attributs d’une démocratie responsable et efficace, comme le montrent les dispositifs contenus dans le projet de loi. À ce stade, l’avis est plutôt défavorable mais, après discussion avec nos collègues, il pourrait devenir favorable d’ici à la séance publique. Cela mérite d’être regardé.

M. Michel Castellani. Nous souhaitons, par l’amendement CL1052, voir figurer dans le titre le respect des peuples et des territoires.

C’est le dernier amendement. Je considère que nous avons échoué à faire avancer les choses. Tout d’abord, je tiens à dire que nous comprenons et soutenons les attentes de nos collègues d’outre-mer. En ce qui concerne la Corse, je résume les débats : statut d’autonomie : non, statut d’outre-mer : non, reconnaissance du peuple corse : non, consultation des Corses sur leur avenir institutionnel : non, dévolution fiscale : non, langue corse : non, habilitation permanente : non. En somme, vous ne profitez pas de la réforme constitutionnelle pour avancer réellement. L’inscription a minima de la Corse que vous proposez ne permettra pas de doter l’île de compétences indispensables. C’est une occasion manquée. Tout cela a bien sûr l’apparence de la démocratie mais, au fond, l’approche est douloureusement non démocratique, en ce sens qu’elle refuse aux citoyens corses l’évolution qu’ils ont validée par des votes libres, convergents et répétés. Je vous conjure de reconsidérer votre position et d’en changer au moment où cette réforme sera examinée en séance publique.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Si ce que vous dites est vrai, il serait paradoxal d’ajouter au titre les mots « respectueuse des peuples et des territoires » car, après ce que je viens d’entendre, ce serait un oxymore. J’entends la déception que vous exprimez. Même si avez dit que c’était insuffisant, je répète que la Corse est inscrite dans la Constitution de la République et que, de ce fait, d’autres discussions doivent encore avancer. Nous avons une réelle volonté de décentraliser et de faciliter adaptations et expérimentations. Il y a d’ores et déjà beaucoup de grain à moudre pour qui veut se saisir de l’avenir d’un territoire. Il nous reste à progresser et il vous reste à travailler dans le sens des convictions que vous portez avec constance. Ce qui se termine aujourd’hui n’est jamais que la première phase du commencement. Avis défavorable, par cohérence avec ce que M. Castellani vient d’exprimer avec fermeté.

M. Serge Letchimy. L’ajout d’une référence à la décentralisation me paraît une bonne idée. Vous avez ressenti dans nos débats une volonté de résilience, une volonté d’exister à partir de cultures et de réalités locales, dans les outre-mer, en Corse mais aussi sur le continent européen – j’ai entendu parler de la Lozère. C’est en libérant les énergies locales que nous pourrons compenser les limites de l’État à organiser le développement interne en relation avec le voisinage. Il faut consolider cela d’ici à la séance.

M. Jean-Félix Acquaviva. J’entends la notion de grain à moudre ; ce que nous voulons éviter, ce sont les moulins à vent. Je conclus ces débats en commission, qui se poursuivront d’ici à la séance publique, en disant de nouveau que vous avez fait le plus, l’inscription dans la Constitution, et pouvez donc faire le moins, afin de faire en sorte que les politiques soient opérationnelles. Seuls quelques petits pas sont demandés pour que la confiance existe, notamment par des outils comme l’habilitation permanente et non au cas par cas. C’est ainsi que la Corse se sentira enfin comprise au sein de la République française.

M. Rémy Rebeyrotte. Le mot « décentralisée » serait en effet un signe fort donné aux initiatives territoriales. Il n’est pas si simple, encore, de parler de décentralisation à notre époque. J’ai tenté d’inaugurer une rue de la décentralisation à Autun ; je n’ai jamais pu trouver un préfet pour l’inaugurer. Allier efficacité et décentralisation va dans le bon sens.

M. Richard Ferrand, rapporteur général. Au terme de ces débats, je remercie nos collègues qui y ont participé mais aussi les administrateurs ainsi que l’ensemble des agents de l’Assemblée nationale qui ont prêté main forte dans des délais brefs avec leur talent et dévouement habituels.

La Commission rejette successivement ces amendements.

Puis elle adopte l’ensemble du projet de loi modifié.

M. Didier Paris, président. Je m’associe aux remerciements du rapporteur général.

Près de 1 400 amendements ont été examinés pendant plus de quarante heures de débat, des débats parfois vifs mais toujours respectueux, dans l’esprit de la commission des Lois et de nos institutions.

Ce texte sera examiné en séance publique à partir du mardi 10 juillet.