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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUINZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 juillet 2018
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE sur l’égal accès aux soins des Français sur l’ensemble du territoire et sur l’efficacité des politiques publiques mises en œuvre pour lutter contre la désertification médicale
en milieu rural et urbain,
TOME I
RAPPORT
Président
M. Alexandre FRESCHI
Rapporteur
M. Philippe VIGIER
Députés
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Voir les numéros : 673 et 733
La commission d’enquête sur l’égal accès aux soins des Français sur l’ensemble du territoire et sur l’efficacité des politiques publiques mises en œuvre pour lutter contre la désertification médicale en milieu rural et urbain, est composée de : M. Didier Baichère, Mme Valérie Beauvais, Mme Gisèle Biémouret, Mme Josiane Corneloup, M. Jean‑Pierre Cubertafon, M. Marc Delatte, Mme Jacqueline Dubois, M. Jean-Paul Dufrègne, Mme Caroline Fiat, Mme Agnès Firmin Le Bodo, Mme Emmanuelle Fontaine-Domeizel, Mme Pascale Fontenel-Personne, M. Alexandre Freschi, M. Guillaume Garot, M. Éric Girardin, M. Jean-Carles Grelier, Mme Nadia Hai, M. Cyrille Isaac-Sibille, M. Jean-Michel Jacques, M. Christophe Lejeune, M. Thomas Mesnier, Mme Monica Michel, M. Bernard Perrut, Mme Stéphanie Rist, Mme Mireille Robert, M. Vincent Rolland, M. Stéphane Testé, M. Jean-Louis Touraine, Mme Nicole Trisse, et M. Philippe Vigier.
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Pages
Première partie : Des difficultÉs d’accÈs aux soins qui s’aggravent sur l’ensemble du territoire
I. Des mÉdecins en nombre insuffisant et diversement rÉpartis sur le territoire
1. Un défaut d’anticipation des mutations de la demande et de l’offre de soins
b. La baisse du temps médical disponible
c. Un décalage entre l’offre et la demande de soins qui devrait s’accentuer jusqu’en 2025-2030
2. Une pénurie de médecins dans le secteur libéral, mais aussi dans le secteur hospitalier
a. Le déclin de l’exercice libéral au profit du salariat
b. Une pénurie qui n’épargne pas l’hôpital où les services d’urgence sont de plus en plus engorgés
1. Des médecins généralistes en sous-effectif au regard des besoins de santé
2. Des médecins spécialistes en nombre insuffisant et très inégalement répartis sur le territoire
1. L’absence de visibilité sur les aides des collectivités territoriales
2. Le bilan très mitigé des aides fiscales
3. L’impact quasi-nul et les effets d’aubaine des aides conventionnelles à l’installation
4. Le bilan très modeste des aides contractuelles à l’installation sous forme de garantie de revenu
a. Le contrat de praticien territorial de médecine générale (PTMG)
b. Le contrat de praticien territorial de médecine ambulatoire (PTMA)
c. Le contrat de praticien territorial médical de remplacement (PTMR)
5. La montée en charge poussive du contrat d’engagement de service public (CESP)
6. L’absence persistante de dispositif de régulation pour les médecins
II. Des difficultés d’accÈs aux soins moins marquÉes pour les autres professionnels de santÉ
1. Les autres professions médicales
b. Les sages-femmes, une démographie très dynamique
2. Les pharmaciens, des effectifs en croissance légère mais régulière
B. Des disparités territoriales compensées par des mesures de régulation démographique
1. Des mesures incitatives pour la plupart des professionnels de santé
2. Une régulation stricte des installations
a. Les pharmacies d’officines : des ouvertures strictement réglementées
I. Décloisonner notre systÈme de santÉ
1. Sortir d’un système médico-centré et faire une vraie place à tous les professionnels de santé
a. Utiliser et valoriser pleinement les compétences qui existent déjà
b. Développer les coopérations pluri professionnelles
c. Étendre les compétences des professionnels de santé
2. L’exercice coordonné, indispensable pour optimiser le temps médical
a. Encourager l’exercice regroupé
B. Le développement de la télémédecine, un espoir exceptionnel
C. Faire sauter les verrous entre ville et Hôpital, public et privé
1. Des Groupements hospitaliers de territoire (GHT) aux Groupements de santé de territoire (GST)
2. Développer les consultations avancées
a. Un outil qui fait consensus
b. Des obstacles juridiques et financiers qui subsistent
3. Créer des ponts entre ville et hôpital pour les professionnels de santé
a. Donner un véritable statut à l’exercice mixte ville-hôpital
b. Ouvrir l’hôpital à la ville pour améliorer la prise en charge des soins non programmés
II. Penser l’avenir en réformant les études médicales
A. Substituer des Épreuves classantes rÉgionales au classement national de l’internat
B. Renforcer temporairement le contrat d’engagement de service public dans les zones sous‑denses
a. L’augmentation du nombre de maîtres de stage
b. La revalorisation financière de la maîtrise de stage
c. L’accès des praticiens libéraux aux fonctions d’enseignement
3. Un meilleur accompagnement des stages
F. Étendre le dispositif de conventionnement sÉlectif aux mÉdecins
Liste des propositions de la commission d’enquête
Contribution de M. Cyrille ISAAC-SIBILLE
Contribution du groupe La République En Marche
Contribution du groupe Les Républicains
Annexe 1 : liste des personnes auditionnées
Annexe 2 : liste des personnes auditionnées par le rapporteur
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Notre commission d’enquête a été créée par la Conférence des présidents de l’Assemblée nationale le 13 mars 2018, à la demande du groupe UDI, Agir et Indépendants (UAI). Depuis sa réunion constitutive du jeudi 29 mars 2018, la commission a conduit 31 auditions au cours desquelles elle a entendu 121 personnes représentant l’ensemble des acteurs du système de santé : professionnels de santé, étudiants, usagers et patients, pouvoirs publics, élus locaux, etc.
L'enjeu des travaux de notre commission d'enquête relève des intérêts de l'ensemble des Français, enjeux supérieurs à ceux portés par nos simples groupes politiques respectifs. C'est dans cette disposition d'esprit que chaque commissaire s'est investi sans a priori et dans la concorde, pour répondre au seul objectif d'apporter des propositions qui viendraient palier la difficulté croissante d'accès aux soins, en zone rurale comme urbaine.
Je tiens à remercier l’ensemble des membres de la commission d’enquête pour leur assiduité ainsi que pour la qualité des échanges tenus lors de nos rencontres. Les membres de la commission ont adopté le rapport porté par monsieur Philippe Vigier (UDI), le 19 juillet 2018. Accompagné de 27 propositions, ce rapport remporte globalement l’approbation de la commission. Toutefois, certaines propositions portées par monsieur le rapporteur ne suscitent pas l’adhésion de l’ensemble des commissaires, ce qui justifie la présente note.
Notre travail commun sera venu confirmer le diagnostic d'une présence médicale en constante dégradation ces dernières années. L'urgence à répondre à cette situation par des propositions pragmatiques pour garantir l'accès aux soins des Français est indiscutable.
Et si, par la situation subie sur certains territoires, je comprends la tentation d'apporter sans attendre des propositions coercitives et autoritaires, je préfère pourtant de loin, comme nombre de commissaires, valoriser la volonté actuelle des professionnels de santé de travailler, expérimenter et innover ensemble pour œuvrer à la transformation en profondeur de l'organisation des soins.
C'est là le chemin que j’estime être celui à emprunter, afin de porter des réformes utiles et convergentes.
Le 26 juin dernier, lors de son audition au sein de notre commission, la ministre des Solidarités et de la Santé, madame Agnès Buzyn a estimé que voilà plus de 30 ans que des mauvais choix ont été faits (dont la forte baisse du numerus clausus dans les années 2000 est un exemple parmi d’autres).
Notre enquête mène au constat d'une certaine mainmise de la technostructure sur nos politiques territoriales depuis plusieurs décennies. Les nombreux dysfonctionnements observés semblent toutefois pouvoir être corrigés, en particulier en s'appuyant sur les dynamiques qui se font jour partout sur les territoires : maisons et centres de santé, mise en réseaux, nouvelles pratiques. La refonte de l'organisation des soins ne réussira que sur la base d'une redéfinition des ARS dans des missions coordinatrices de projets, plus en lien avec les acteurs de territoire, et moins inscrites dans des objectifs de gestion budgétaire.
Il y a certes urgence à améliorer l’accès aux soins (pour une qualité de soin performante) et à former un nombre suffisant de médecins face à la pénurie sur tous les territoires (métropoles et zones rurales). Mais à travers nos auditions, s’engager vers un système de régulation ou de coercition ne nous a pas toujours semblé être la méthode la plus pertinente, en mesure de satisfaire ces écueils durablement.
Il faut du temps pour former des médecins de ville ou hospitalier (de 10 ans pour un généraliste à 14 ans pour certaines spécialités), or l’urgence face à l’absence de présence et à la diminution du temps médical est déjà là.
Le numérique offre des possibilités qu’il nous faut penser de manière efficiente et avec une vision à moyen et long termes. Ainsi, nous sommes favorables à repenser la formation afin que celle-ci soit en accord avec les besoins d’aujourd’hui tout comme ceux de demain (intelligence artificielle médicale, télémédecine, téléconsultation, etc.).
De la même manière, nombre de projets et innovations existent déjà qui pourraient aider à lutter contre les déserts médicaux, avec un management renouvelé et proactif. Ces dispositifs portés par les acteurs du monde médical ne demandent qu'à se développer sous l'accord et la bienveillance de l'administration, par des mesures d'accompagnement et de la souplesse dans les processus.
Voilà des pistes :
• l'ambulatoire doit s'accompagner d'une meilleure efficience, notamment à travers une réhumanisation du service ;
• il convient de faciliter la vie des jeunes médecins : dégager du temps médical face à une lourdeur administrative trop grande, mieux les intégrer dans le système de permanence des soins, etc.
• développer la télémédecine partout et vite ;
• croiser les expériences de terrain à travers des échanges ;
• proposer une formation continue et renforcée aux médecins ;
• conserver au niveau national les ECN et adapter en fonction de besoins anticipés ;
• intégrer les médecins francophones diplômés à l’étranger sous condition de passer une PAE certifiée de façon à dispenser de la période probatoire triennale les lauréats des épreuves anonymes de vérification des connaissances qui sont candidats aux professions des santé (médecins, pharmaciens, etc.) déficitaires à la condition qu’ils s’engagent à exercer à titre libéral ;
• recentrer les missions des ARS en favorisant un nouvel et meilleur équilibre entre médecins et administration dans un climat de confiance garant d’une amélioration de l’organisation de la qualité des soins sur un territoire.
Comme l'a bien compris la CNAM, il est nécessaire de redonner de l'espoir aux acteurs de santé des territoires en les associant. De même il est absolument indispensable de revoir et développer la communication entre tous les acteurs de santé pour créer du lien et de la confiance. Il pourrait par exemple être proposé aux responsables administratifs qu'ils soient directement en prise (2 mois par an) avec les réalités de terrain, à travers des immersions totales in situ.
La montée en puissance des Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) peut être un moyen de mieux assurer la concertation à partir du terrain. Elles sont, précisons-le, un des axes clés du Président de la République dans le déploiement d’une politique de santé sur tout le territoire.
Enfin, adapter les initiatives innovantes aux spécificités des territoires nous apparaît comme une démarche positive, porteuse et durable.
Dans cet esprit, les commissaires LaREM, entre autres, saluent les initiatives très favorables de madame la ministre Buzyn concernant les pratiques avancées et les nouveaux modes d'exercice médical, le développement des contrats incitatifs, la réforme des zonages, le soutien à l'ambulatoire. Tout cela contribue à dessiner un nouvel environnement positif pour la santé.
Aux côtés des commissaires qui se sont opposés à certaines propositions du rapporteur, je considère que chaque mesure doit être proposée sans sur-réaction, en tenant compte des initiatives en cours et du recul nécessaire pour les évaluer, avec une vision à moyen et long termes, en faveur des Français sans toutefois renforcer les appréhensions des futurs jeunes médecins.
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La commission d’enquête sur l’égal accès aux soins des Français sur l’ensemble du territoire et sur l’efficacité des politiques publiques mises en œuvre pour lutter contre la désertification médicale en milieu rural et urbain, a été créée par la Conférence des présidents de l’Assemblée nationale le 13 mars 2018, à la demande du groupe UDI, Agir et Indépendants (UAI).
À l’origine de la création de cette commission d’enquête, il y avait la colère d’un élu d’un département, l’Eure-et-Loir, et d’une région, le Centre-Val de Loire, particulièrement frappés par la pénurie de médecins et de professionnels de santé.
Depuis sa réunion constitutive du jeudi 29 mars 2018, la commission a conduit 31 auditions au cours desquelles elle a entendu 121 personnes, représentant l’ensemble des acteurs du système de santé : professions de santé, étudiants, usagers et patients, pouvoirs publics, élus locaux. En complément des travaux de la commission d’enquête, nécessairement contraints par des procédures et des délais, son rapporteur a également procédé à 20 auditions et a reçu de nombreuses contributions qu’il a décidé de publier sur le site internet de l’Assemblée nationale.
Cette commission a confirmé l’extrême gravité de la crise traversée par notre système de santé.
Que ce soient les élus locaux, les professionnels de santé ou les patients, tous ont souligné l’urgence vitale qu’il y avait à prendre des décisions concrètes pour enrayer la progression des déserts médicaux. Tous leurs témoignages ont ainsi fait écho au titre du livre « Santé : explosion programmée, il faut agir maintenant », que M. Patrick Bouet, président en exercice du Conseil national de l’Ordre des médecins, vient de faire paraître.
À travers les auditions qu’elle a menées, la commission a également mesuré combien la capacité d’innovation de start-up ou l’engagement personnel, l’intelligence et la volonté de travailler ensemble de professionnels de santé profondément attachés à leur territoire étaient en train de transformer en profondeur l’organisation de notre système de soins. Ces initiatives dynamiques, mais encore trop isolées, constituent une partie des solutions pour construire la médecine de demain.
Le déficit de pilotage politique sur l’accès aux soins et la mainmise de la technostructure sur nos politiques territoriales depuis plusieurs décennies se traduisent aujourd’hui par une situation dramatique : les difficultés d’accès aux soins touchent en effet de plus en plus de zones géographiques, bien au-delà des traditionnels cantons ruraux enclavés, pour englober de plus en plus de zones urbaines ou périurbaines.
Cette contagion révèle un véritable malaise de l’exercice de la profession de médecin, notamment dans la spécialité de médecine générale et en mode libéral. Mais elle illustre aussi la crise de l’ensemble du système de santé dont les indices sont nombreux : pénurie de médecins à l’hôpital public avec des taux de vacance de postes proches de 30 % en moyenne, impossibilité de faire fonctionner les services d’urgence pendant la période estivale sauf à mobiliser la réserve sanitaire et sociale, disparités insupportables des implantations territoriales des médecins spécialistes, recours de plus en plus massif à des professionnels de santé présentant des diplômes étrangers plus ou moins comparables aux titres français. À la suite de ces dysfonctionnements, ce sont les Français qui sont confrontés chaque jour à un véritable parcours d’obstacles pour se faire soigner, ce sont des drames humains pour les patients qui rencontrent des difficultés pour être pris en charge.
Les travaux de la commission d’enquête ont montré que cette situation critique allait encore s’aggraver, puisque le pic de la crise de la démographie médicale est attendu entre 2021et 2025, c’est-à-dire demain. Cette crise résulte de nombreux départs en retraite des médecins mais aussi des effets délétères et à retardement de la baisse du numerus clausus opérée au cours des années 80 et 90 par des experts et des décideurs politiques qui se sont fortement trompés dans leurs anticipations et leurs analyses.
Il est plus que temps de prendre des décisions fortes pour remédier à cette situation. Or nous pouvons craindre que le dernier plan gouvernemental destiné à renforcer l’accès territorial aux soins, annoncé le 13 octobre 2017, ne permette pas de pallier les défaillances de toute une série d’autres plans issus des précédents gouvernements depuis une vingtaine d’années.
Ces précédents rendent humble quant à la sagacité des politiques publiques en matière de santé mais ils nous obligent aussi à réagir en présentant des propositions audacieuses qui peuvent surprendre parce qu’elles n’ont jamais été tentées mais que votre rapporteur endosse car il en a le devoir à l’égard de nos concitoyens qui souffrent d’un accès aux soins de plus en plus difficile.
La commission d’enquête a fait le choix de proposer des mesures à court, moyen et long termes. Ses membres se sont efforcés de proposer des mesures novatrices qui devront traiter les différentes composantes du problème et poser les bases d’une nouvelle manière de concevoir et d’exercer la médecine.
Cela suppose une refonte en profondeur de notre système de santé, qui passera par une réorganisation des études de santé afin d’encourager les vocations pour la médecine libérale, par un effacement des frontières entre public et privé et ville et hôpital devant l’intérêt du patient, par un virage numérique ambitieux et efficace du secteur de la santé, afin de faire émerger de nouvelles solutions comme les plateformes d’orientation des malades et les téléconsultations, par une lutte contre la bureaucratie tatillonne et un soutien accru aux professionnels de santé et aux nouveaux modes d’exercice qu’ils souhaitent développer.
Certaines de ces propositions (trois sur vingt-sept) n’ont pas rassemblé une majorité de la commission d’enquête mais le rapporteur remercie ses membres de l’autoriser à les présenter à titre personnel car il est intimement convaincu que du débat naîtront les solutions.
Il y a urgence à les mettre en œuvre. Les Françaises et les Français souffrent depuis trop longtemps des fractures territoriales, et plus particulièrement de la désertification médicale. Ils vivent désormais avec le sentiment d’avoir été abandonnés par la République et d’avoir été mis à l’écart des solidarités qu’elle offre. Ils attendent des réponses fortes, dont dépend l’avenir même de notre cohésion nationale.
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Première partie : Des difficultÉs d’accÈs aux soins qui s’aggravent sur l’ensemble du territoire
« Le nombre de maternités est passé de 1 500 environ en 1970 à 500 environ aujourd’hui : il a donc été divisé par trois. […] Soixante-dix élus ont rendu leur écharpe pour protester contre la fermeture des urgences de nuit à Clamecy ; à Montceau-les-Mines, 60 [élus] ont formulé cette même menace ; dans le Jura, 500 personnes ont brûlé leur carte électorale ». À Châteaudun, en Eure‑et-Loir, et à Vierzon, dans le Cher, des milliers de personnes sont descendues dans la rue pour dire non à la fermeture de leur maternité.
Combien faudra-t-il encore de témoignages semblables à celui porté devant la commission d’enquête par M. Michel Antony, président fondateur de la Coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et maternités de proximité, pour que les pouvoirs publics prennent conscience du degré de gravité des inégalités en matière d’accès aux soins sur notre territoire et de l’urgence qu’il y a répondre aux attentes, aux besoins, voire à la détresse de nos concitoyens ?
Comme ce dernier l’a rappelé, « les statistiques sur la renonciation aux soins publiées par le Secours populaire français, l’Union confédérale CFDT des retraités ou divers organismes, montrent que 20 % à 30 % des gens n’achètent plus de prothèses, consultent moins ou même ne consultent plus du tout » – et ce non seulement pour des motifs d’ordre financier, mais aussi et surtout en raison de l’éloignement de l’offre de soins. Un sondage de la société BVA pour la fondation April publié en avril dernier a ainsi révélé que « plus de 7 Français sur 10 ont renoncé au moins une fois à se soigner, quelle que soit la raison », que « c’est avant tout du fait de délais d’attente trop longs pour obtenir un rendez‑vous (51 %), puis de l’impossibilité de trouver un médecin en dehors des horaires standards (39 %) ou du fait du refus de prendre de nouveaux patients (38 %) » et enfin « par manque de moyens financiers (33 %) » ([1]).
Cet éloignement affecte non seulement des zones rurales, mais aussi des zones urbaines ou péri-urbaines et il procède davantage des caractéristiques de la démographie et de la répartition des médecins que de celles des autres professionnels de santé.
En effet, quand les médecins sont très diversement répartis sur le territoire et en nombre très insuffisant au regard de l’évolution des besoins de santé d’une population plus nombreuse et vieillissante (I), les autres professionnels de santé connaissent, eux, une forte croissance démographique qui permet d’atténuer les effets liés à l’hétérogénéité relative de leur répartition – hétérogénéité que sont venus corriger des dispositifs de régulation auxquels les médecins n’ont, pour l’heure, jamais été soumis (II).
I. Des mÉdecins en nombre insuffisant et diversement rÉpartis sur le territoire
« Le nombre de médecins augmente en France » titrait le journal Les Échos, le 4 mai dernier, en s’appuyant sur une étude de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES). Parue la veille, cette étude se félicitait de ce qu’au 1er janvier 2018, la France comptait 226 000 médecins en activité, soit « 10 000 médecins de plus depuis 2012 », que, « depuis six ans, l’effectif de médecins a progressé de 4,5 % sous l’effet de la hausse du nombre de médecins hospitaliers » et qu’« en matière d’accès aux médecins généralistes, les inégalités de densités départementales n’ont pas augmenté depuis les années 1980 et 98 % de la population réside à moins de 10 minutes du généraliste le plus proche en 2016 » ([2]).
On répète ainsi à l’envi que la France n’a jamais compté autant de médecins et que les « déserts médicaux » dont tout le monde parle résulteraient non pas d’une démographie médicale insuffisamment dynamique, mais d’une répartition territoriale hétérogène.
Certes, selon le directeur général de la DREES, M. Jean-Marc Aubert, le creux de la démographie médicale devrait générer un besoin « de l’ordre de 15 000 médecins » généralistes libéraux d’ici 2025-2030, mais, selon M. William Joubert, secrétaire général du Syndicat des médecins libéraux (SML), « plutôt que de changer l’organisation, il faut utiliser tous les moyens qui permettent de passer ce trou d’air de quelques années » ([3]). Et M. Luc Duquesnel d’ajouter, pour la Confédération des syndicats médicaux de France (CSMF), qu’« on gère la pénurie [de médecins]. Si déjà ces créations [de maisons de santé] ont réussi à ce que vous n’en perdiez aucun, c’est cela l’indicateur de réussite » ([4]).
Ce point de vue n’est pas celui du rapporteur : les graves difficultés d’accès aux soins que l’on constate aujourd’hui tiennent non seulement à ce que la répartition territoriale des médecins, en particulier spécialistes, est marquée par de criantes inégalités (B), mais aussi à ce que les effectifs de médecins, spécialistes comme généralistes, et le temps médical disponible sont très en deçà des besoins de santé grandissants d’une population qui augmente, vieillit et souffre de plus en plus souvent de maladies chroniques (A). Et au vu de l’échec des dispositifs jusqu’ici mis en œuvre pour lutter contre les inégalités d’accès aux soins en milieux rural et urbain (C), on ne saurait se contenter de « gérer la pénurie » sans rien changer à l’organisation de notre système de santé.
A. Une Évolution rÉcente du nombre de mÉdecins qui ne permet pLus de rÉpondre À des besoins de santÉ grandissants
D’après l’Atlas de la démographie médicale en France en 2017, publié par le Conseil national de l’ordre des médecins (CNOM), notre pays dénombrait, au 1er janvier 2017, 290 974 médecins inscrits au tableau de l’Ordre, dont :
– 215 941 étaient en activité totale – soit seulement 0,9 % de plus qu’en 2007 ([5]) ;
– 16 853 étaient en situation de cumul emploi-retraite ;
– 58 180 étaient retraités sans activité médicale.
232 794 médecins étaient donc en activité au 1er janvier 2017. Si l’on rapproche ce chiffre de celui de 226 000 médecins en activité au 1er janvier 2018, fourni par la DREES dans sa récente étude sur l’évolution du nombre de médecins depuis 2012 ([6]), on constate alors qu’il y a bien un problème d’effectifs médicaux dans notre pays – et pas seulement de répartition de l’offre médicale.
Cette analyse est du reste partagée par le président de la Conférence des doyens des facultés de médecine, M. Jean Sibilia, qui, lors de son audition, a expliqué que « l’on entend un peu partout qu’il y a suffisamment de médecins en France et que le problème est simplement celui de leur répartition par défaut d’attractivité. C’est faux. Un rapport de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ([7]) a montré que, fin 2014, la France comptait 3,3 médecins pour 1 000 habitants [quand la moyenne des 34 pays de l’OCDE était alors précisément de 3,3 médecins pour 1 000 habitants ([8]) et que ce ratio s’élevait à 4,1 en Allemagne]. Mais, plus inquiétant encore, nous sommes à l’avant-avant-avant dernier rang des pays de l’OCDE en matière de croissance de formation des médecins. Cela signifie qu’au cours des quinze dernières années, nous en avons formé beaucoup moins que les autres pays. Quoi que l’on dise, il y a bien un véritable problème démographique quantitatif. Nous sommes en décroissance », alors que des pays comme le Royaume-Uni ou l’Australie ont vu le nombre de leurs médecins augmenter respectivement de 50 % et de 65 % entre 2000 et 2013, au point qu’au Royaume-Uni, « on s’inquiète maintenant de l’éventualité d’excédents de certaines catégories de médecins dans les prochaines années » ([9]).
Preuve supplémentaire, s’il en fallait, de ce que les difficultés d’accès aux soins résultent non seulement de l’hétérogénéité de la répartition des médecins, mais aussi du dynamisme insuffisant de leur démographie : l’Intersyndicale nationale des internes (ISNI) indique, dans la contribution qu’elle a remise à la commission, qu’« en 2017, le ministère de la Santé a travaillé sur les nouveaux critères de rationalisation de la notion de zone de tension ou de déficit ([10]) » et que « ces nouveaux critères ont amené les ARS [agences régionales de santé] à définir des cartes [qui] ne montrent pas un problème de répartition mais un problème de nombre global de médecins » ([11]).
Cette pénurie généralisée, qui concerne aussi bien le secteur libéral que le secteur hospitalier (2), est en grande partie la conséquence de choix de régulation de la démographique médicale, via le numerus clausus, qui, depuis trente ans, n’ont pas su anticiper l’évolution des besoins de santé de la population et du temps médical disponible (1).
1. Un défaut d’anticipation des mutations de la demande et de l’offre de soins
Instauré en 1971, le numerus clausus désigne le nombre de places disponibles en deuxième année pour les étudiants inscrits en première année commune aux études de santé (PACES). Il est fixé chaque année par arrêté conjoint des ministres chargés de la Santé et de l’Enseignement supérieur, pour chaque unité de formation et de recherche (UFR) et chaque filière (médecine, odontologie, pharmacie et maïeutique).
Censé adapter le nombre d’étudiants aux capacités d’accueil des établissements hospitaliers universitaires chargés de leur formation, le numerus clausus a en réalité été pensé comme un moyen pour l’État de réguler non seulement l’accès aux professions médicales, mais aussi, et par contrecoup, la démographie médicale, l’offre de soins et donc la consommation de soins, selon la logique suivante : « moins de médecins, donc moins de prescriptions, donc moins de dépenses ».
La même logique a inspiré le mécanisme d’incitation à la cessation d’activité (MICA) qui a été mis en œuvre pendant quinze ans (de 1988 à 2003), afin d’inciter les médecins libéraux à cesser de manière anticipée leur activité à partir de 57 ans ([12]) … alors qu’aujourd’hui, on déploie des trésors d’imagination pour persuader les médecins retraités de poursuivre leur activité dans le cadre du cumul emploi-retraite.
En somme, comme l’a fort bien résumé le président du CNOM, M. Patrick Bouet, dans un entretien récemment accordé au Journal du dimanche, « depuis le premier choc pétrolier, les budgétaires ont bel et bien triomphé sur les sociaux. L’économie de la santé et ses disciples ont imposé leur dictature dans les cabinets ministériels, la haute administration, au détriment de l’exigence de solidarité et d’innovation thérapeutique » ([13]).
Ainsi, de l’aveu même de la ministre des Solidarités et de la Santé, Mme Agnès Buzyn, les « très mauvaises décisions prises par les gouvernements successifs » ont « abouti à la catastrophe que nous connaissons aujourd’hui » ([14]).
Le résultat est en effet que la population des médecins diplômés en France vieillit, au point qu’il faille faire toujours plus appel à des médecins diplômés à l’étranger en contournant un numerus clausus qui a été fixé sans anticiper ni le vieillissement d’une population plus nombreuse ni le développement de pathologies chroniques impliquant de nouvelles formes de prise en charge (a), ni l’évolution du mode de vie des médecins (b)… tant et si bien que les besoins actuels en médecins devraient s’accentuer jusqu’au tournant des années 2025‑2030 (c).
a. Un numerus clausus inadapté aux besoins de santé de la population et de plus en plus contourné par des médecins formés à l’étranger
Fixé à 8 588 en 1971, le numerus clausus médical n’a cessé d’être abaissé de la fin des années 1970 au milieu des années 1990, chutant jusqu’à 3 500 en 1993, avant d’être relevé de manière très nette entre 2000 et 2006, puis de façon plus modérée entre 2007 et 2015. Quarante-sept ans après sa création, il n’a toujours pas retrouvé son niveau originel, puisqu’il s’élève, pour l’année 2018, à 8 205 (hors passerelles) : c’est regrettable car chacun sait que l’incidence du nombre d’étudiants formés sur les effectifs de la profession de médecins reste relative dans la mesure où tous les médecins diplômés ne pratiquent pas.
Évolution du numerus clausus médical de 1971 à 2015
Source : DREES, Portrait des professionnels de santé, 2016, p. 85.
Les choix qui ont présidé à cette évolution du numerus clausus médical ont été faits sans anticiper correctement ni l’augmentation de la population française ni l’évolution de ses besoins de santé liés à son vieillissement et au développement des affections de longue durée (ALD).
En effet, selon les données de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) et de l’Institut national d’études démographiques (INED), la population française a augmenté de plus de 20 % entre 1979 (53 481 073 habitants) et 2018 (67 609 062 habitants) ([15]).
Dans le même temps, la part des personnes âgées de 65 ans ou plus est passée de 13,9 % en 1990 à 18,8 % en 2016, et le nombre de personnes de 65 ans et plus a progressé de 1,9 % par an entre 2008 et 2013, quand la population totale augmentait de 0,5 % par an ([16]). Selon les projections de l’INSEE, au 1er janvier 2070, la France pourrait compter 76,4 millions d’habitants, soit 10,7 millions de plus qu’en 2013. La quasi-totalité de la hausse de la population d’ici 2070 concernerait les personnes de 65 ans ou plus (+ 10,4 millions) ([17]). Jusqu’en 2040, la proportion de personnes âgées de 65 ans ou plus devrait progresser fortement, en raison de l’arrivée à ces âges des générations nombreuses issues du « baby‑boom », nées entre 1946 et 1975. En 2040, environ un habitant sur quatre (26 %) aura 65 ans ou plus (contre 18 % en 2013).
Or, comme le note la DREES dans une récente étude, « les personnes âgées consultent davantage les professionnels de premier recours que les personnes plus jeunes. Ainsi, en 2016, les patients de 70 ans ou plus ont eu 2,3 fois plus recours aux médecins généralistes, 4,0 fois plus aux masseurs‑kinésithérapeutes et près de 15,8 fois plus aux infirmiers que les personnes plus jeunes » ([18]).
Cette hausse des besoins de santé des personnes âgées tient en large part à ce que « sur un plan sanitaire, le vieillissement de la population se traduit par le développement continu des affections chroniques dans un contexte de plus en plus fréquent de polypathologies. [Or] les progrès diagnostiques et thérapeutiques permettent de traiter des personnes pour lesquelles auparavant aucune prise en charge n’était possible, amenant à des soins au long cours là où l’espérance de vie était des plus limitée » ([19]). Selon la Cour des comptes, « l’effectif des assurés du régime général en ALD a doublé en vingt ans, passant de près de 5 millions en 1996 à 9,8 millions en 2014, tandis que la population augmentait de 10,7 % sur la même période, soit un rythme de progression dix fois plus rapide » ([20]).
Les besoins de santé de la population française ne devraient donc pas cesser de croître au cours des prochaines années… Or, dans le même temps, le nombre de médecins formés en France n’a pas connu une évolution en adéquation avec cette forte hausse de la demande de soins. Comme l’a montré la DREES l’an dernier, « de 1991 à 2005, la croissance [de la population médicale] a été particulièrement soutenue (1,2 % par an en moyenne). Elle était supérieure à celle de la population. Le nombre moyen de médecins par habitant a donc augmenté au cours de cette période. Depuis 2006, les effectifs de médecins poursuivent leur progression mais à un rythme moindre (0,5 % par an en moyenne). Au cours de cette période, pour la première fois depuis 1991, le nombre de médecins par habitant a légèrement baissé » ([21]), alors que la demande de soins continue d’augmenter.
Certes, les modalités de détermination du numerus clausus ont été, lors de la dernière décennie, aménagées afin qu’il tienne « compte des besoins de la population, de la nécessité de remédier aux inégalités géographiques et des capacités de formation des établissements concernés » ([22]). En outre, depuis 2012, les relèvements successifs du numerus clausus ont été ciblés sur les zones déficitaires en offre de soins ([23]). Mais les critères sur le fondement desquels est arrêté le numerus clausus ne sont toujours pas déterminés de façon à garantir un accès aux soins équitable sur l’ensemble du territoire. La Cour des comptes l’a encore récemment déploré : « les décisions sur le numerus clausus […] s’appuient sur des projections démographiques trop peu fréquemment actualisées et non territorialisées et sur un recensement des besoins qui se limite pour l’essentiel à ceux des établissements hospitaliers » ([24]).
Comme l’explique le CNOM dans son Atlas de la démographie médicale, « certes le nombre de médecins inscrits à l’ordre ne cesse de croître mais majoritairement au bénéfice des médecins retraités » ([25]).
Le CNOM s’alarme ainsi d’« un vieillissement préoccupant des médecins inscrits au tableau de l’Ordre. Actuellement, les médecins âgés de 60 ans et plus représentent 47 % de l’ensemble des médecins inscrits au tableau de l’Ordre contre 27 % en 2007 » ([26]) et « l’âge moyen des médecins en activité régulière France entière est de 51,2 ans contre 50 ans en 2007 » ([27])… ce qui signifie que la composition de la profession se fragilise car la pyramide des âges sera déséquilibrée au cours des prochaines années, ce qui doit nous alerter fortement.
Selon la DREES, « 47 % [des médecins actifs] sont âgés d’au moins 55 ans (alors que c’est le cas de 18 % des cadres et professions intellectuelles supérieures) et 30 % d’au moins 60 ans. Si l’âge moyen des médecins est élevé, c’est que les générations actuellement proches de la retraite sont issues des numerus clausus élevés des années 1970 (proches des niveaux actuels, autour de 8 000), tandis que les générations suivantes ont connu des numerus clausus plus bas (inférieurs à 4 000 dans les années 1990) » ([28]).
Pyramides des âges des médecins inscrits au tableau de l’Ordre en 2007 et en 2017
Source : CNOM, Atlas de la démographie médicale en France, 2017, p. 32.
Ce vieillissement est en outre plus ou moins marqué selon les territoires. Ainsi, « l’approche territoriale de la variation des effectifs des médecins en activité totale sur la période 2007/2017 met en évidence deux France :
– Une France dont la population médicale croît, incluant essentiellement tous les départements de la façade atlantique sans exception, […] et de façon géographiquement isolée quelques départements hospitalo-universitaires (Nord, Somme, Haute Garonne, Doubs, Hérault, Indre et Loire, Maine et Loire, Vienne) ;
– Une France qui perd ses médecins, représentée largement par une diagonale de l’intérieur du territoire, du Nord-Est au Sud-Ouest de l’hexagone, et par la région PACA [Provence-Alpes-Côte d’Azur] » ([29]).
Approche territoriale de la variation des effectifs de médecins en activité totale entre 2007 et 2017
Source : CNOM, Atlas de la démographie médicale en France, 2017, p. 36.
Si les représentants du CNOM ont, lors de leur audition, prétendu ignorer le nombre de ces médecins qui, diplômés à l’étranger, exercent sur le sol français, tout en assurant qu’il était inférieur à 22 000, un simple calcul réalisé à partir d’une récente étude de la DREES permet d’avoir une idée du nombre de médecins concernés… et d’affirmer qu’il est vraisemblablement supérieur à 22 000. En effet, selon la DREES, 226 000 médecins étaient en activité en France au 1er janvier 2018 et « 11 % des médecins exerçant en France ont obtenu leur diplôme à l’étranger » ([30]). On peut donc déduire d’un rapide calcul que le nombre de médecins exerçant en France après avoir obtenu leur diplôme à l’étranger avoisine 24 860 ([31]). La DREES précise que « plus des trois quarts d’entre eux sont des spécialistes, alors que c’est le cas de 55 % des médecins diplômés en France » ([32]).
Le fait est que « depuis dix ans, la démographie médicale est particulièrement soutenue par les flux de médecins diplômés à l’étranger. Alors qu’ils étaient entre 500 et 1 000 par an à s’installer en France au début des années 2000, leurs effectifs ont fortement augmenté en 2007 pour s’établir à environ 1 500 médecins par an, niveau auquel ils se maintiennent depuis » ([33]).
Ce constat a été corroboré par le président de la Confédération des syndicats médicaux de France (CSMF), M. Jean-Paul Ortiz, qui, lors de son audition, a indiqué que « depuis quelque temps, un quart des nouveaux inscrits au Conseil de l’Ordre possèdent un diplôme délivré par une faculté étrangère, européenne ou non ». Si l’on en croit l’Atlas de la démographie médicale publié par le CNOM en 2017, ce serait, pour l’année 2016, un cinquième des médecins nouvellement inscrits à l’Ordre qui serait titulaire d’un diplôme étranger ([34]).
Pour l’avenir, la DREES estime que « les médecins diplômés à l’étranger installés récemment représenteraient ainsi rapidement une part importante des effectifs : 80 % des nouveaux médecins diplômés à l’étranger sont des spécialistes, une proportion restée stable depuis cinq ans après une forte augmentation. Ces praticiens viendraient donc essentiellement grossir les rangs de cette catégorie de médecins, faisant ainsi augmenter le nombre de spécialistes de 2,7 % entre 2015 et 2023. Sans l’afflux de médecins diplômés à l’étranger, ce nombre diminuerait de 5 % au cours de la même période. Ces arrivées permettraient de maintenir en particulier les effectifs en ophtalmologie et radiodiagnostic et imagerie médicale, qui sinon baisseraient de 20 % entre 2015 et 2040. L’arrivée de médecins diplômés à l’étranger pourrait également permettre d’atténuer la baisse des effectifs de médecins généralistes : entre 2015 et 2023, celle-ci devrait se limiter à 0,5 %, alors qu’elle atteindrait 2,8 % sans cet apport » ([35]).
Parmi les médecins titulaires d’un diplôme étranger exerçant en France, la part de ressortissants français ne doit pas être négligée. Ainsi que l’a expliqué le président de la Conférence des doyens des facultés de médecine, M. Jean Sibilia, devant la commission, « les étudiants français formés en Roumanie à Cluj sont 600 ([36]). […] Ces étudiants qui vont en Roumanie ne sont plus uniquement ceux en échec, mais aussi des étudiants primants. Cela change tout. Les étudiants y vont directement »… avant de revenir en France soit à l’issue de leurs études, soit à l’issue de l’externat. M. Jean Sibilia a ainsi confessé qu’il était « obligé de faire inscrire dans les facultés, pour les épreuves classantes nationales (ECN), 200 étudiants étrangers de plus que l’an dernier. Ils sont près de 600 étudiants et l’on en annonce 800 l’an prochain. Ce sera intenable », selon son propre aveu ([37]).
Ce constat a été confirmé par les représentants de l’Académie nationale de médecine. Le professeur Patrice Queneau a ainsi expliqué que « beaucoup de Français reviennent de l’étranger soit qu’ils aient d’abord échoué au concours en France, soit qu’ils se soient dit : “Inutile de le passer ici, je vais tout de suite à Bucarest ou à Athènes, et je reviens ensuite, c’est dans la poche… ” ».
Atrophie de la population médicale diplômée en France au regard des besoins, recrudescence du nombre de médecins exerçant en France sur le fondement d’un diplôme obtenu à l’étranger : tel est le résultat aberrant des choix faits dans les années 1980-1990 pour un numerus clausus médical qui est désormais largement contourné.
Cela peut être lourd de conséquences pour les usagers, et susciter de légitimes inquiétudes quand on sait que, d’après Mme Françoise Durandière, conseiller médical à la Fédération des établissements hospitaliers et d’assistance privés à but non lucratif (FEHAP), « actuellement, dans certains services d’urgence, des médecins ne parlent pas le français ».
Pourtant, la procédure d’autorisation d’exercice (PAE) organisée par l’article L. 4111-2 du code de la santé publique prévoit que les personnes titulaires d’un diplôme étranger et autorisées à exercer par le ministre de la Santé, après avis favorable d’une commission du CNOM, « doivent avoir satisfait à des épreuves anonymes de vérification des connaissances [EVC], organisées par profession, discipline ou spécialité, et justifier d’un niveau suffisant de maîtrise de la langue française » – étant précisé que « le nombre maximum de candidats susceptibles d’être reçus à ces épreuves […] pour chaque discipline ou spécialité est fixé par arrêté du ministre chargé de la Santé en tenant compte, notamment, de l’évolution [du numerus clausus] ». Les lauréats candidats à la profession de médecin doivent en outre justifier de trois années de fonctions qui ne peuvent être accomplies que dans un service ou organisme agréé pour la formation des internes, ce que le rapporteur déplore car cette condition conduit à flécher des praticiens titulaires de diplômes étrangers et parfaitement compétents presqu’uniquement vers des établissements publics où ils exercent des fonctions hospitalières en qualité de praticien attaché, d’attaché associé ou d’assistant associé (suivant le nombre de vacations effectuées), au détriment de l’exercice libéral dans des zones sous‑dotées.
Par ailleurs, il faut noter que les alinéas 4 et 5 du I de l’article L. 4111-2 précité ajoutent que « les médecins titulaires d’un diplôme d’études spécialisées obtenu dans le cadre de l’internat à titre étranger sont réputés avoir satisfait aux épreuves de vérification des connaissances » et que « les fonctions exercées avant la réussite à ces épreuves peuvent être prises en compte » pour l’appréciation de la condition de trois ans de fonctions accomplies dans un service ou organisme agréé pour la formation des internes.
Ces assouplissements peuvent ouvrir la voie à l’exercice, sur notre territoire, de professionnels de santé dont la formation à l’étranger n’est pas aussi exigeante que celle prévue en France. Le professeur Patrice Queneau l’a reconnu à demi-mot lors de son audition, expliquant qu’« on nomme dans les hôpitaux à peu près 700 médecins étrangers par an, mais [que] certains jurys hésitent à retenir les 700 candidats ». Force est en effet de constater que le niveau de formation des diplômés en France est de qualité sensiblement supérieure à celle de la plupart des diplômés à l’étranger.
À l’inverse, la PAE peut aussi, faute d’un nombre suffisant de places offertes, laisser de côté des médecins diplômés à l’étranger qui présentent toutes les garanties de connaissances et compétences cliniques. Ainsi Mme Vanessa Fortané, vice-présidente du Regroupement autonome des généralistes jeunes installés et remplaçants (ReAGJIR), a déploré que des cardiologues étrangers fassent « office de vache à lait de l’hôpital » et qu’ils soient « employés en tant que “ faisant fonction d’internes ” qui sont payés moins qu’un interne [alors que] ce sont eux qui assurent les gardes et font tourner l’hôpital [, qu’] ils sont médecins [et qu’] ils ont leur diplôme ».
Il est clair que des établissements de santé continuent de recruter, en dehors de tout cadre légal, des praticiens titulaires de diplômes étrangers qui exercent la médecine sans être inscrits à l’Ordre des médecins et dont le nombre est difficile à connaître de manière précise dans la mesure où, bien qu’ayant des fonctions médicales, ces praticiens seraient rémunérés sur des postes de professionnels de santé autres que des médecins (infirmiers, aides-soignants, etc.), d’après le président du CNOM, M. Patrick Bouet.
Ce dernier a d’ailleurs fait part au rapporteur du souhait exprimé par le CNOM de voir tous ces professionnels enregistrés auprès de lui, qu’ils exercent dans le secteur public ou privé.
L’exercice de la médecine sans inscription à l’Ordre des médecins
Plusieurs cas de figure permettent à des professionnels de santé, hors ceux qui suivent un cursus de formation initiale en France, d’exercer la médecine en France, de manière plus ou moins temporaire, sans la plénitude d’exercice que confère une inscription à l’Ordre des médecins.
La première catégorie de professionnels correspond à celle des praticiens étrangers venant suivre une formation en France, dans le cadre d’un diplôme de formation médicale spécialisée (DFMS) ou d’un diplôme de formation médicale spécialisée approfondie (DFMSA), d’un accord de coopération bilatérale avec un pays du Golfe ou encore du concours d’internat à titre étranger. Ces étudiants sont employés en qualité de « faisant fonction d’interne ». Leur nombre, variable selon les années, peut être estimé en moyenne entre 800 et 900. Ces professionnels n’ont pas vocation à être inscrits à l’ordre ni à exercer en France (à l’exception de ceux admis au concours d’internat à titre étranger).
La deuxième catégorie est constituée de professionnels qui souhaitent intégrer le système de santé français, et obtenir le plein exercice en empruntant l’une des deux voies d’accès suivantes ouvertes aux praticiens à diplôme hors Union européenne (PADHUE) :
- L’accès via un concours (dit « liste A ») qui est organisé chaque année et dans le cadre duquel est ouvert par arrêté un certain nombre de places par spécialité (PAE). Le concours a lieu à l’automne et les lauréats peuvent entamer leur période probatoire et triennale de fonctions hospitalières à compter du mois de janvier de l’année suivante. 500 places ont été ouvertes au concours en 2017. Il y a donc chaque année entre 1 500 et 1 700 praticiens (chiffre variable selon le nombre de prolongations de fonctions probatoires demandées) qui exercent sans inscription à l’Ordre dans le cadre de la réalisation de ces fonctions probatoires.
- Un dispositif ad hoc existe par ailleurs pour les candidats réfugiés, apatrides et bénéficiaires de la protection subsidiaire, leur permettant de se soumettre à un examen (dit « liste B »). Leur nombre est aussi éminemment variable selon les périodes mais peut être évalué en moyenne entre 50 et 100.
La troisième catégorie est constituée de professionnels exerçant depuis de nombreuses années au sein des établissements de santé français, et qui, soit de manière définitive, soit de manière temporaire et dérogatoire, se voient accorder l’autorisation d’exercer sans la pleine capacité d’exercice qui permet par exemple de signer les certificats de décès ainsi que les certificats d’admission, de 24 heures ou de quinzaine prévus pour les hospitalisations en soins psychiatriques sans consentement :
- Les PADHUE recrutés avant le 28 juillet 1999 (avant l’interdiction du recrutement et l’instauration d’un nouveau dispositif) sont estimés à environ 250. Ils sont autorisés à exercer sans la pleine capacité et sans limitation de durée.
- Il existe par ailleurs une catégorie de professionnels exerçant dans les établissements de santé depuis la fin des années 2000, auxquels l’accès au plein exercice était rendu possible via un examen professionnel (« liste C ») mais qui n’ont pu satisfaire à cet examen et qui demeurent dans une situation précaire.
Un dispositif transitoire a en effet été instauré en 2007 pour traiter la situation spécifique de praticiens recrutés sans plein exercice, après 1999 pour la filière médicale, par des établissements publics, en dehors du cadre légal, pour répondre à des besoins médicaux. Ces professionnels ont la possibilité de présenter un examen en lieu et place du concours de « liste A ».
Ils ont été autorisés à poursuivre leurs fonctions en qualité d’associés jusqu’initialement au 31 décembre 2011. Cette procédure a été reconduite en 2012 jusqu’au 31 décembre 2016, puis jusqu’au 31 décembre 2018, compte tenu du nombre encore important de professionnels dont la situation n’était alors pas régularisée (environ 4 000 fin 2011). Les examens annuels successifs, réservés aux professionnels qui exerçaient en France au 31 décembre 2011, ont permis de ramener ce nombre à 300 environ au terme du dernier examen organisé en 2017.
Les candidats qui ont satisfait à cet examen doivent également justifier de fonctions hospitalières probatoires de trois ans, effectuées sous statuts d’associés (sans plein exercice) dans des services agréés pour la formation des internes, afin d’évaluer leurs pratiques professionnelles.
Enfin, au-delà de ces trois catégories permettant à des professionnels non titulaires d’un diplôme de formation médicale français d’exercer sans être inscrits à l’Ordre, et par conséquent sans plein exercice, un certain nombre de professionnels non lauréats du concours de la liste A, ni éligibles à l’examen de la liste C, ont manifestement continué à être recrutés par des établissements de santé depuis 2012, hors de ces procédures, pour pallier des difficultés démographiques. Ils se trouvent aujourd’hui dans une situation de non droit au regard de l’exercice de la profession de médecin en France. Leur nombre est indéterminable de façon fiable.
Source : DGOS
Interrogée l’an dernier à ce sujet par notre collègue Thomas Mesnier, la ministre de la Santé, Mme Agnès Buzyn, a indiqué qu’« une évolution de la législation actuelle est à l’étude afin d’améliorer l’ensemble du dispositif de sélection des praticiens titulaires de diplômes hors Union européenne [PADHUE] pour accéder à la plénitude de l’exercice médical en France » ([38]).
Du point de vue du rapporteur, qui, ces dernières années, a déposé plusieurs amendements en ce sens sur les projets de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) successifs, tout médecin titulaire d’un diplôme étranger devrait être inscrit au tableau de l’Ordre pour pouvoir exercer en France.
Proposition n° 1 : inscrire au tableau de l’Ordre des médecins tout médecin titulaire d’un diplôme étranger qui exerce en France, en révisant la procédure d’autorisation d’exercice (PAE) de façon à dispenser de la période probatoire triennale les lauréats des épreuves anonymes de vérification des connaissances théoriques et pratiques qui sont candidats à la profession de médecin, à la condition qu’ils s’engagent à exercer à titre libéral.
Lors de leur audition, aussi bien M. Samuel Valero, vice-président de l’Association nationale des étudiants en médecine de France (ANEMF), que M. Jean-Baptiste Bonnet, président de l’Intersyndicale nationale des internes (ISNI), se sont d’ailleurs prononcés en faveur de l’inscription au tableau de l’Ordre de tous les médecins exécutant des actes de leur profession en France, qu’ils soient titulaires d’un diplôme français ou étranger.
Une telle mesure deviendra tôt ou tard inéluctable, compte tenu de l’augmentation de la proportion des médecins diplômés à l’étranger parmi les médecins exerçant en France – augmentation qui tient non seulement à l’incapacité d’une population médicale vieillissante à faire face aux besoins de santé de nos concitoyens, mais aussi à la baisse du temps médical disponible.
b. La baisse du temps médical disponible
Comme l’a fort justement fait observer le président de la Fédération des communautés professionnelles territoriales de santé (FCPTS), M. Claude Leicher, lors de son audition, « le fait que le nombre de médecins en France augmente encore […] est trompeur. En réalité, du fait de différents facteurs comme le rajeunissement et la féminisation de la profession, le changement culturel qui affecte les hommes comme les femmes [et qui a été nourri par les lois « Aubry » fixant la durée légale du travail à 35 heures par semaine], le temps de travail diminue. Il n’est plus pensable qu’un médecin fasse 70 heures par semaine comme dans les générations précédentes. Donc le temps médical effectif est en baisse, alors même que les besoins de santé ont augmenté ».
C’est en effet moins en nombre de médecins qu’en nombre d’heures médicales disponibles qu’il faut raisonner, car, comme l’a expliqué Mme Ghislaine Sicre, présidente du syndicat Convergence infirmière, « quand on est sur le terrain, on remarque que certains médecins ferment leur cabinet à dix‑sept heures, que souvent ils ne travaillent plus le mercredi après-midi, et qu’ils arrêtent le vendredi soir à seize heures ». Et Mme Élisabeth Maylié, présidente de l’Organisation nationale des syndicats d’infirmiers libéraux (ONSIL), a ajouté que « les médecins […] sont absents le samedi, le dimanche, les jours fériés, et renvoient les patients vers le numéro d’un confrère surchargé, qui fait des consultations – même pas de la télémédecine – au téléphone ».
Ce ressenti des acteurs du terrain a été étayé par une récente étude de la DREES qui a montré que « la féminisation et le renouvellement des générations de la population de médecins libéraux devraient conduire à une baisse de l’offre de soins (c’est-à-dire du nombre de médecins converti en ETP [équivalents temps plein]) d’une ampleur plus importante que celle des effectifs : de 23 % (entre 2016 et 2027) pour la première contre 14 % pour les seconds » ([39]).
S’agissant des médecins généralistes, une enquête réalisée en 2011 auprès d’un échantillon représentatif l’avait déjà suggéré. Selon cette enquête, publiée en mars 2012 par la DREES, si « 78 % des médecins généralistes déclarent travailler 50 heures ou plus par semaine » et si « la durée moyenne d’une semaine de travail est de 57 heures » ([40]), cette durée « est en revanche moins élevée pour les médecins femmes (53 heures contre 59 heures pour les hommes) et les praticiens de 45 ans ou moins (55 heures contre 58 heures pour les 45 ans ou plus) » ([41]).
Il est vrai que la féminisation de la profession médicale – dont on ne peut que se féliciter – contribue au recul du temps médical disponible, compte tenu des exigences de conciliation entre vie professionnelle et vie privée et familiale. Or, d’après l’Atlas de la démographie médicale, en 2017, « les femmes représentent 47 % des médecins en activité régulière contre 38 % en 2007 » et « parmi les classes d’âge les plus jeunes, les femmes représentent 61 % des médecins » ([42]).
Mais la féminisation de la population médicale est loin d’être la cause exclusive de la raréfaction du temps médical disponible. Les exigences des jeunes générations de médecins en termes de conditions de vie et de travail, et leur aspiration à un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle y sont aussi pour beaucoup. Les propos tenus devant la commission par Mme Vanessa Fortané, vice-présidente du Regroupement autonome des généralistes jeunes installés et remplaçants (ReAGJIR), l’ont d’ailleurs fort bien illustré : « ce n’est pas forcément d’argent que nous avons besoin : nous en gagnons quand même et plus que la moyenne des gens. Ce qui nous intéresse, c’est de prendre des vacances pour dépenser l’argent que nous gagnons ».
Enfin, last but not least, le temps médical disponible est de plus en plus amputé par l’alourdissement des tâches administratives de gestion, de secrétariat et de comptabilité. L’enquête menée par la DREES en 2011 a révélé que « les médecins déclarent une durée moyenne de consultation au cabinet d’un peu moins de 18 minutes » et qu’« en multipliant cette durée déclarée par le nombre d’actes effectués en moyenne chaque semaine et recensés par l’assurance‑maladie, il est possible d’estimer le temps effectif que les médecins passent au contact des patients de leur cabinet. Selon ce calcul, ce temps serait d’environ 33 heures par semaine » ([43])… ce qui tend à suggérer que, sur une durée hebdomadaire moyenne de travail de 57 heures, une vingtaine d’heures est consacrée à d’autres types d’activités que les consultations ([44]).
Selon cette enquête, « les généralistes déclarent avoir consacré en moyenne 4 heures aux tâches de gestion, secrétariat et comptabilité […] ce qui représente 7 % de leur temps de travail hebdomadaire moyen », étant précisé que « 44 % des généralistes assurent eux-mêmes leur secrétariat » et que « 22 % des médecins tiennent eux-mêmes leur comptabilité » ([45]).
À cet égard, plusieurs des personnes entendues par la commission ont fait valoir avec force la nécessité d’une véritable simplification administrative. Lors de son audition, le directeur général de la Caisse nationale d’assurance-maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), M. Nicolas Revel, n’a pas manqué de mettre en exergue les efforts fournis pour « essayer de simplifier l’exercice quotidien de la profession de médecin », particulièrement en matière de tiers payant (suppression des motifs de rejet des factures établies dans ce cadre) et pour ce qui est des démarches administratives liées au suivi des patients atteints d’ALD (suppression du contrôle a priori pour les modalités d’entrée dans le dispositif, simplification des modalités de son renouvellement) ([46]).
Ces efforts semblent devoir être poursuivis et amplifiés si l’on en croit Mme Sophie Bauer, secrétaire générale du Syndicat des médecins libéraux (SML), qui a déploré que « le nombre de pages du dossier de la maison départementale de l’autonomie a[it] été multiplié par deux. Ce sont les médecins qui le remplissent, sans être financés, et les patients en ont absolument besoin. Quant aux services mis en ligne par la CNAMTS ([47]), ils sont parfois plus longs à remplir qu’un document papier. Autre exemple, on a calqué le compte rendu de sortie d’hospitalisation des établissements privés sur celui des hôpitaux où il y a des “ petites mains ” pour remplir ces comptes rendus. Cela fait maintenant quatre pages, que le généraliste n’aura probablement pas le temps de lire ». S’ils sont dotés de « petites mains », les hôpitaux aussi croulent sous la charge administrative : Mme Rosine Leverrier, vice-présidente de la Coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et maternités de proximité, a ainsi expliqué qu’« avec la tarification à l’activité (T2A), le système de cotation est tellement complexe que certains médecins consacrent des journées à saisir les cotations ».
Et quand les médecins ne passent pas leur temps à « faire de la paperasse », ils le consacrent à « passer le balai ». En effet, selon l’enquête conduite en 2011 par la DREES, « 14 % [des médecins généralistes interrogés] entretiennent eux-mêmes les sols de leurs locaux ». Or, « le temps passé à l’entretien des sols des locaux n’est pas non plus négligeable lorsque les médecins assurent eux-mêmes cette tâche : ils déclarent alors y consacrer 80 minutes par semaine en moyenne. Un quart d’entre eux y consacre deux heures ou plus » ([48]).
Toutes ces tâches empiètent sur le temps médical disponible qui, au demeurant, n’est pas nécessairement consacré par les médecins exclusivement à leur patientèle. Comme l’enquête précitée l’a montré, « au fil de l’analyse des activités pratiquées par les médecins, différents emplois du temps se dessinent : moins d’un médecin sur trois (28 %) se consacre exclusivement à la patientèle du cabinet. Les deux tiers (72 %) ont également des activités de permanence des soins, ou de soins, de coordination, d’expertise dans une autre structure, ou enfin au sein d’une organisation professionnelle ». En effet, « 60 % des médecins généralistes participent aux gardes dans le cadre de la permanence des soins. […] Les médecins impliqués dans un dispositif de gardes en effectuent en moyenne 10 heures par semaine. […] En sus de leurs activités au cabinet et de celles exercées dans le cadre de la permanence des soins, 30 % des médecins déclarent des activités de soins, de coordination ou d’expertise dans une structure telle qu’un établissement de santé (14 %), une maison de retraite en tant que médecin coordonnateur (8 %), une crèche (4 %), etc. […] 11 % des médecins ont des activités auprès d’organisations professionnelles (URPS [Unions régionales de professionnels de santé], Conseil de l’ordre, syndicats, sociétés savantes) ».
Enfin, facteur aggravant de l’inégalité d’accès aux soins, il faut souligner que le temps médical disponible varie selon les territoires – en grande partie au détriment des zones sous-dotées en médecins. Ainsi, selon l’enquête de la DREES, si la durée hebdomadaire moyenne de travail des médecins généralistes est de 57 heures, « elle s’élève à 60 heures en moyenne en zone rurale contre 56 heures en zone urbaine » ([49]). La surcharge de travail en zones rurales peut nuire à l’attractivité de territoires déjà sous-dotés car, comme l’ont écrit les sénateurs Jean-Noël Cardoux et Yves Daudigny, « dans leur choix de lieu d’exercice, les professionnels semblent privilégier, de plus en plus, la recherche d’une certaine qualité de vie, en termes à la fois d’organisation du travail mais aussi d’environnement social, économique et culturel pour eux et leur famille, plutôt qu’une rémunération plus élevée, une fois un certain niveau de revenu atteint » ([50]).
Ainsi, les exigences des jeunes générations de médecins en matière de conciliation entre vie personnelle et vie professionnelle ne favorisent pas leur installation dans des territoires où le temps médical disponible pourrait cependant être augmenté par l’allongement de la durée d’activité des médecins si le cumul emploi-retraite était davantage encouragé et facilité.
Or les mesures prises en ce sens restent trop timorées. Certes, dans le cadre de son « Plan pour l’égal accès aux soins dans les territoires », le Gouvernement a pris, le 22 décembre 2017, un arrêté qui a relevé de 11 500 à 40 000 euros le plafond de revenu annuel en-deçà duquel les médecins exerçant en situation de cumul emploi-retraite dans les zones en tension peuvent demander à être dispensés de cotiser au régime de prestation complémentaire vieillesse (PCV) ([51]).
Toutefois, comme l’a souligné, lors de son audition, le président du Syndicat des médecins libéraux (SML), M. Philippe Vermesch, « cela ne va pas assez loin, puisqu’ils continuent à payer une cotisation retraite pénalisante sans obtenir en retour une majoration de leurs revenus ».
Ce « problème des cotisations sociales qui restent à taux plein et non proportionnelles à l’activité […] peut gêner des médecins d’un certain âge qui veulent continuer [à exercer] », ainsi que l’a expliqué, devant la commission, M. Pascal Gendry, président de la Fédération française des maisons et pôles de santé (FFMPS).
En effet, le médecin retraité qui poursuit ou reprend une activité est aujourd’hui tenu de cotiser aux régimes de base et complémentaire d’assurance vieillesse, sans que ces cotisations ne lui ouvrent de droits supplémentaires.
Le rapporteur propose d’inciter plus fortement les médecins retraités toujours actifs à aller exercer en zones sous-dotées en les faisant bénéficier à ce titre d’un allègement de leurs charges sociales, dans le cadre d’une contractualisation avec les ARS, qui se traduirait par une exonération totale de cotisations retraite, sans condition de plafond de revenu annuel.
Proposition n° 2 : exonérer de toute cotisation retraite, sans condition de plafond de revenu annuel, les médecins exerçant en situation de cumul emploi-retraite dans les zones en tension.
Un tel dispositif d’exonération de cotisations contribuerait à rendre le cumul emploi-retraite plus attractif, à mobiliser rapidement de la ressource médicale, à accroître le temps médical disponible et, par conséquent, à répondre, au moins partiellement, au besoin en médecins qui devrait s’accentuer au cours des dix prochaines années.
c. Un décalage entre l’offre et la demande de soins qui devrait s’accentuer jusqu’en 2025-2030
Si l’on en croit les projections disponibles, en admettant que les comportements actuels des médecins et la législation en vigueur se maintiennent, « le nombre de médecins en activité devrait être quasiment stable entre 2016 et 2019, puis repartir à la hausse dès 2020 », mais « l’offre médicale devrait [néanmoins] croître moins vite que la demande, au cours des dix prochaines années » ([52]) dans la mesure où :
– les effectifs de médecins spécialistes de médecine générale évolueraient de manière moins dynamique que ceux des autres spécialistes qui, eux, bénéficieraient davantage des installations de médecins diplômés à l’étranger ;
– la hausse du nombre d’entrants dans la vie active ne suffira pas à contrebalancer les cessations d’activité des médecins âgés ;
– la féminisation et le renouvellement des générations de la population des médecins libéraux devraient conduire à une baisse de l’offre globale de soins, et notamment du nombre d’heures médicales disponibles, d’une ampleur plus importante que celle des effectifs ;
– en raison du vieillissement de la population, les besoins de soins devraient augmenter plus rapidement que le nombre d’habitants.
Ce n’est qu’à l’horizon des années 2030 que la population médicale et l’offre de soins devraient être en meilleure adéquation avec la demande de soins. Selon la DREES, « jusqu’en 2025, les effectifs de médecins augmenteraient moins que les besoins de soins de la population. […] La densité médicale, c’est-à-dire le nombre de médecins pour 1 000 habitants, chuterait davantage que les effectifs, en raison de l’augmentation de la population française de 10 % au cours de la période. Elle baisserait de 3,27 à 3,18 médecins pour 1 000 habitants entre 2015 et 2021, atteignant à cette date un point bas égal à la densité de 2006, avant de remonter pour retrouver en 2028 le niveau de 2015. En 2040, la densité de médecins serait supérieure de 18 % à la densité de 2015 » ([53]).
Le creux de la démographie médicale est donc devant nous, et si rien n’est fait, les inégalités d’accès aux soins, déjà difficilement supportables, pourraient encore s’aggraver ces prochaines années. Selon le directeur général de la DREES, M. Jean-Marc Aubert, « dans l’hypothèse de la stagnation du numerus clausus et compte tenu de la répartition actuelle des internes, nous devrions voir dans les prochaines années se poursuivre la baisse, déjà constatée, du nombre de médecins généralistes libéraux par rapport à la population consommatrice de soins. Cette baisse devrait être d’environ 30 % à l’horizon 2025-2030 », de sorte qu’il nous faudrait « former l’équivalent de 30 % des quelque 55 000 médecins généralistes libéraux actuels, soit de l’ordre de 15 000 médecins ».
Il sera impossible d’y parvenir sans mesures fortes, tant la pénurie de médecins est aujourd’hui sévère et généralisée, touchant aussi bien le secteur libéral que le secteur hospitalier.
2. Une pénurie de médecins dans le secteur libéral, mais aussi dans le secteur hospitalier
Passés de 118 842 en 1979 ([54]) à 290 974 au 1er janvier 2017 ([55]), les effectifs de médecins inscrits au tableau de l’Ordre comprenaient, au 1er janvier 2018 :
– parmi les médecins en activité : 45 % de spécialistes de médecine générale ; 55 % de spécialistes hors médecine générale – étant précisé que les spécialités regroupant les effectifs les plus importants sont la psychiatrie (6,8 % des médecins), l’anesthésie-réanimation (5,1 %) et le radiodiagnostic et l’imagerie médicale (3,9 %) ; 46 % de médecins exerçant exclusivement à titre libéral ; 12 % de médecins ayant fait le choix d’un exercice mixte (cumulant ainsi activités salariée et libérale) ; 44 % de médecins exerçant tout ou partie de leur activité à l’hôpital ([56]) ;
– 25 000 médecins non-répertoriés dans le fichier du Système national d’information inter-régimes de l’assurance-maladie (SNIIRAM), d’après le professeur Pierre Simon ([57]).
Confirmant le déclin de l’exercice libéral (a), ces chiffres sont issus d’une étude qui montre que, si, depuis six ans, l’effectif de médecins a progressé de 4,5 %, c’est essentiellement sous l’effet de la hausse du nombre de médecins hospitaliers dont les contingents restent cependant eux aussi insuffisants (b).
a. Le déclin de l’exercice libéral au profit du salariat
L’Atlas de la démographie médicale publié l’an dernier par le CNOM étaye, s’il en était encore besoin, le déclin de l’exercice libéral chez les médecins qui se tournent toujours davantage vers le salariat, en particulier en début de carrière. Comme l’indique ce document, lors de la première inscription au tableau de l’Ordre, seuls 12,1 % des médecins fraîchement diplômés font le choix d’exercer en secteur libéral ou mixte ([58]), soit un peu plus d’un dixième d’entre eux.
L’Atlas précité retrace l’évolution des parts respectives de l’exercice libéral et salarié au cours des dix dernières années et montre que, sur les quelque 197 859 médecins en activité régulière recensés au 1er janvier 2017 :
– 42,8 % exerçaient exclusivement à titre libéral (soit 84 738 médecins), c’est-à-dire 10,5 % de moins qu’en 2007 ;
– 46,5 % exerçaient à titre salarié (soit 91 851 médecins) – parmi lesquels 66,3 % étaient des praticiens hospitaliers –, ce qui, au cours de la dernière décennie, représente une augmentation de 10,7 % de la part des médecins salariés au sein de l’ensemble de la population médicale en activité régulière ;
– 10,7 % pratiquaient l’exercice mixte (soit 21 123 médecins) – parmi lesquels 68,6 % étaient des libéraux-hospitaliers –, ce qui, sur la période 2007‑2017, constitue une hausse de 9,7 % de la part des médecins optant pour l’exercice mixte parmi l’ensemble des médecins en activité régulière ([59]).
Le déclin de l’exercice libéral au profit de l’exercice mixte et du salariat devrait se poursuivre si l’on en juge par les projections de la DREES qui estime qu’à l’horizon de 2040, « selon [son] scénario tendanciel, la part de médecins libéraux exclusifs reculerait fortement, passant de 47 % en 2016 à 38 % en 2040 tandis que les proportions de médecins mixtes (c’est-à-dire ayant une activité libérale et une activité salariée) et salariés augmenteraient (respectivement de 11 à 15 % et de 42 à 46 % au cours de la même période) » ([60]).
Au-delà de son recul, il faut souligner que l’exercice libéral est marqué par une progression du remplacement. En effet, outre que, parmi les médecins qui se sont inscrits à l’Ordre en 2017, 63 % sont salariés – soit une proportion nettement plus élevée que parmi les médecins en exercice (43 %) –, « les deux tiers des nouveaux médecins libéraux exercent en tant que remplaçants » ([61]).
L’exercice en qualité de remplaçant se développe de façon significative puisque, l’an dernier, lors de leur première inscription au tableau de l’Ordre, 21,3 % des jeunes générations de médecins avaient privilégié ce type d’exercice ([62]) – le CNOM précisant qu’« au 1er janvier 2017, le tableau de l’Ordre recens[ait] 12 011 médecins remplaçants », que « sur les dix dernières années, les effectifs [de remplaçants] ont augmenté de 24,6 % » et que « selon [les] projections, il y a une forte probabilité que d’ici à 2025, les effectifs continuent d’augmenter pour atteindre plus de 14 300 médecins remplaçants » ([63]).
Selon le CNOM, l’augmentation de 25 % de la part des médecins remplaçants au cours de la dernière décennie tient à ce que « les jeunes générations souhaitent exercer en tant que remplaçant ou en tant que salarié durant les trois ou quatre premières années qui suivent leur première inscription au tableau de l’ordre » ([64]).
Mais là encore, certains territoires attirent davantage les médecins remplaçants que d’autres. Si « l’ensemble des régions recense une hausse plus ou moins significative du nombre de médecins remplaçants sur la période 2010‑2017, allant de + 1,2 % pour la région Île-de-France à + 150 % pour Mayotte » ([65]), « la carte à l’échelle des bassins de vie de la variation des effectifs des médecins remplaçants sur la période 2010-2017 met en évidence une France rurale de l’intérieur qui semble être peu attractive pour les médecins remplaçants » ([66]).
Afin de corriger ce phénomène, en particulier chez les jeunes médecins qui choisissent le remplacement pendant leurs premières années d’exercice, le CNOM a formulé une proposition intéressante consistant à créer un statut d’assistant de territoire inspiré de l’assistanat des hôpitaux et de l’assistanat partagé ville-hôpital.
Proposition n° 3 : créer un statut de « médecin - assistant de territoire ».
Ce statut permettrait, selon le CNOM, de flécher l’exercice des jeunes médecins qui ne souhaitent pas encore franchir le cap de l’installation vers des zones en tension où ils pourraient exercer aussi bien dans des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) que dans des centres de santé ou des centres hospitaliers locaux (CHL), en contrepartie d’avantages sociaux et conventionnels.
Le statut de « médecin – assistant de territoire » proposé par le CNOM
Les données démographiques du CNOM montrent, chez les jeunes médecins faisant le choix de l’exercice libéral, un temps de latence moyen de cinq ans entre la fin du diplôme d’études spécialisées (DES) et l’installation.
Ces cinq premières années après l’obtention du diplôme de docteur en médecine sont consacrées à la « découverte » des différents modes d’exercice, notamment par la multiplication des remplacements auprès de médecins libéraux, particulièrement en médecine générale. Cela tendrait à démontrer que la formation initiale des médecins ne permet pas, aujourd’hui, de bâtir un projet d’exercice professionnel en dehors de l’hôpital.
L’encouragement à exercer devrait être conçu sur le mode de ce qui est fait aujourd’hui à l’hôpital, à travers le recrutement de jeunes médecins dans le post-internat immédiat sous le statut contractuel d’assistant spécialiste des hôpitaux ou d’assistant généraliste des hôpitaux. Outre la prime versée à l’occasion du recrutement initial (5 329 euros pour 2 ans ; 10 658 euros pour 4 ans), ces jeunes médecins ont l’assurance de débuter leur carrière dans le cadre rassurant d’un travail en équipe et de bénéficier d’un statut sécurisant en termes notamment de droits sociaux (rémunérations encadrées, congés maladie, maternité et paternité, droit au chômage en fin de contrat, etc.)
Le CNOM propose de s’engager vers la création d’un statut équivalent pour l’exercice libéral : le « médecin-assistant territorial ».
Il s’agirait d’un statut « de médecin-assistant de territoire » de deux ans renouvelables selon les modalités permises par le statut d’assistant des hôpitaux.
Sous ce statut, le jeune médecin s’engagerait dans une zone en tension démographique actuelle ou imminente. Cet engagement se ferait, à l’instar de l’assistanat hospitalier, sur la seule base du volontariat.
Il permettrait à de jeunes médecins, quelle que soit leur spécialité, de débuter dans l’exercice de leur profession dans un environnement professionnel attractif, en étant notamment intégrés à une équipe de soins ambulatoires.
Cet engagement volontaire comme « médecin-assistant territorial » ouvrirait le droit aux mêmes contreparties que celles garanties aux assistants des hôpitaux et aux assistants partagés ville-hôpital :
- l’intégration dans un travail d’équipe ;
- une ouverture à des droits sociaux sécurisants, en termes notamment de congés maladie, de congés pour la formation, ou encore de congés maternité ou paternité.
- une ouverture aux mêmes avantages conventionnels que ceux dont bénéficient les anciens assistants des hôpitaux, après deux ans d’assistanat.
Ce statut de « médecin-assistant de territoire » contribuerait, tout en permettant aux jeunes médecins de construire leurs projets professionnels en harmonie avec leur choix de vie personnelle, de remplir une mission de service public rémunérée comme telle et une mission d’accès aux soins rémunérée comme professionnel libéral.
Source : CNOM. Voir le lien suivant : https://www.conseil-national.medecin.fr/sites/default/files/cnom_medecin_assistant_territoire.pdf
Ce statut d’« assistant de territoire » ne se confondrait pas avec celui de « médecin adjoint » qui mériterait d’ailleurs d’être précisé et conforté… car il est aujourd’hui fragilisé par les velléités manifestées par certains services de l’administration fiscale d’assujettir les médecins adjoints à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) sur leurs honoraires… alors que, d’après les informations transmises au rapporteur par la direction générale des finances publiques (DGFiP), « au regard des règles applicables en matière de TVA, le recours à un médecin adjoint doit être assimilé au remplacement occasionnel d’un praticien ». Or, de la même façon que « le 1° du 4 de l’article 261 du code général des impôts (CGI) exonère de la taxe les prestations de soins à la personne, c’est-à-dire toutes les prestations qui concourent à l’établissement des diagnostics médicaux ou au traitement des maladies humaines, [dès lors qu’elles sont] dispensées notamment par des membres des professions médicales ou paramédicales réglementées », de même, « dès lors que l’interne en médecine est autorisé à exercer la médecine à titre de remplaçant d’un docteur en médecine, les actes de prévention, de diagnostic et de soins qu’il pratique peuvent bénéficier de l’exonération de TVA au même titre que ceux dispensés par les médecins (omnipraticiens ou spécialistes), docteurs en médecine ».
L’exercice de la médecine en tant que remplaçant, adjoint ou collaborateur
• L’exercice en qualité de remplaçant est strictement encadré :
- afin d’assurer la continuité des soins à ses patients, un médecin, indisponible, peut se faire temporairement remplacer par un confrère ou un étudiant en médecine remplissant les conditions fixées par l’article L. 4131-2 du code de la santé publique (c’est-à-dire ayant suivi ou validé la totalité du deuxième cycle des études médicales, et validé, au titre du troisième cycle, un nombre de semestres déterminé selon la spécialité suivie, sans pour autant avoir soutenu sa thèse) ;
- le remplacement est personnel et ne concerne qu’un seul médecin ;
- il doit être autorisé par le conseil départemental de l’Ordre des médecins (CDOM) ;
- il est prévu pour un temps limité ;
- le médecin remplacé doit cesser toute activité médicale libérale pendant la durée du remplacement ;
- sauf clause contraire, un médecin ou un étudiant qui a remplacé un de ses confrères pendant trois mois consécutifs ou non, ne doit pas, pendant une période de deux ans, s’installer dans un cabinet où il puisse entrer en concurrence directe avec le médecin remplacé (article R. 4127-86 du code la santé publique).
• L’exercice en qualité d’adjoint à un médecin peut être autorisé par le CDOM, pour une durée maximale de trois mois renouvelable, « en cas d’afflux exceptionnel de population » constaté par un arrêté du préfet, conformément à l’article L. 4131-2 précité.
Il peut concerner les étudiants en médecine remplissant les mêmes conditions que celles mentionnées pour le remplacement, à savoir ceux qui, bien que « non thésés », ont validé leur cursus de troisième cycle et sont en possession d’une autorisation de remplacement.
Ce dispositif diffère du remplacement puisque le médecin et son adjoint peuvent exercer en même temps – étant précisé que le médecin adjoint utilise le matériel informatique et les feuilles de soins du médecin installé.
Par ailleurs, une instruction ministérielle du 24 novembre 2016 adressée aux ARS a confirmé l’interprétation déjà mise en œuvre par plusieurs conseils départementaux de l’Ordre des médecins dont celui d’Eure-et-Loir, en explicitant que le recours au statut d’adjoint, prévu en principe « en cas d’afflux exceptionnel de population constaté par un arrêté du représentant de l’État dans le département », puisse s’entendre « comme visant l’exercice dans des zones caractérisées par une situation de déséquilibre entre l’offre de soins et les besoins de la population, générant une insuffisance voire une carence d’offre de soins, dans une ou plusieurs spécialités ».
Dans un rapport de mission présenté en décembre 2016 et intitulé « Améliorer l’offre de soins : initiatives réussies dans les territoires », M. François Arnault, délégué général aux relations internes du CNOM, a suggéré qu’« on pourrait étendre cet assistanat en autorisant des lieux d’exercices multiples, toujours en partenariat et en assistance à un médecin installé dans une commune pivot ».
• La possibilité pour un médecin de s’attacher le concours d’un médecin collaborateur libéral est prévue par le code de déontologie médicale (article R. 4127-87 du code de la santé publique). Chacun d’eux exercent leur activité médicale en toute indépendance, sans lien de subordination.
Plus globalement, les statuts de « médecin remplaçant » et de « médecin adjoint » gagneraient à être assouplis afin de mobiliser plus facilement la ressource médicale disponible, et notamment celle des quelque 25 000 médecins qui sont inscrits à l’Ordre sans être pour autant répertoriés dans le fichier du Système national d’information inter-régimes de l’assurance-maladie (SNIIRAM).
Dans cette optique, le président du CNOM, M. Patrick Bouet, a suggéré, lors de son entretien avec le rapporteur, de :
– substituer au régime d’autorisation, par les CDOM, de l’exercice en qualité de médecin adjoint ou remplaçant un régime déclaratif (auprès de ces mêmes CDOM) ;
– supprimer, pour l’exercice en qualité de médecin adjoint, la condition de constat, par arrêté préfectoral, d’un afflux exceptionnel de population ou d’une situation de déséquilibre entre l’offre de soins et les besoins de la population ([67]).
Proposition n° 4 : substituer un régime déclaratif au régime d’autorisation, par les conseils départementaux de l’Ordre des médecins (CDOM), de l’exercice en qualité de médecin adjoint ou remplaçant.
Le rapporteur ne peut que souscrire à ces propositions de simplification qui semblent frappées au coin du bon sens. À ses yeux, on pourrait même aller plus loin en permettant à des médecins « thésés » de venir ponctuellement en appui d’autres médecins, en particulier de ceux installés en zones sous-denses.
Ces médecins complémentaires et « volants » bénéficieraient d’un statut propre qui ne se confondrait :
– ni avec celui des médecins remplaçants dans la mesure où les médecins « épaulés » n’auraient pas à cesser leur activité médicale libérale du fait de l’arrivée d’un confrère en appoint ;
– ni avec celui des médecins adjoints dans la mesure où les médecins venant en renfort exerceraient pour leur propre compte, sans utiliser les feuilles de soins du médecin installé et sans rétrocession d’honoraires, en qualité de travailleurs non-salariés (TNS).
Pour les « médecins volants », ce statut de TNS aurait l’avantage de limiter le poids des charges sociales, de les soumettre à un régime d’assurance‑maladie aligné sur celui des salariés et de leur ouvrir la possibilité de se constituer une protection complémentaire (notamment au titre de la retraite et de la prévoyance).
Proposition n° 5 : créer un statut de « médecin volant » qui permettrait à des médecins « thésés » de venir ponctuellement épauler d’autres médecins, en particulier ceux installés en zones sous-denses, en qualité de travailleurs non‑salariés (TNS).
Lors de son entretien avec le rapporteur, le président du CNOM, M. Patrick Bouet, s’est montré ouvert à l’idée de créer ce nouveau statut de « médecin de renfort », tout en déclarant espérer que les assouplissements des statuts de « médecin remplaçant » et de « médecin adjoint » contribueront à endiguer la pénurie de médecins qui affecte le secteur libéral et qui n’épargne pas davantage le secteur hospitalier.
b. Une pénurie qui n’épargne pas l’hôpital où les services d’urgence sont de plus en plus engorgés
Lors de son audition, le président de la Fédération hospitalière de France (FHF), M. Frédéric Valletoux, a indiqué que « quelque 26 % des postes de praticiens hospitaliers à temps plein ne sont pas pourvus, et 46 % des postes de praticiens hospitaliers à temps partiel ». C’est en effet ce qui ressort d’une enquête menée en 2016 pour le compte de la FHF auprès de 5 600 médecins et étudiants en médecine ([68]).
Il en résulte que certains établissements de santé n’ont guère d’autre choix que de recourir, parfois massivement, à l’intérim médical, avec le risque que se crée une spirale infernale aux conséquences financières désastreuses.
Ainsi, dans une question écrite adressée en novembre 2017 à la ministre des Solidarités et de la santé, la sénatrice Frédérique Gerbaud a cité le cas des hôpitaux de l’Indre – et notamment celui de Châteauroux – qui, à l’été 2017, ont fait face à une grave pénurie de médecins dans leurs services d’urgences et ont donc dû « recourir de plus en plus à des praticiens intérimaires, dont ils se disputent les services au prix fort », à tel point qu’« en juillet-août 2017, les hôpitaux de la région Centre Val-de-Loire se sont livrés à une surenchère indécente pour en recruter. Des rémunérations allant de 1 800 à plus de 2 000 euros pour 24 heures de garde ont été observées » ([69]).
Au-delà du cas de la région Centre-Val-de-Loire, M. François Simon, président de la section « exercice professionnel » du CNOM, a reconnu lors de son audition que « des hôpitaux dépensaient des sommes faramineuses pour faire venir des médecins, avec des sommets en radiologie et en anesthésie, en fonction de l’activité fournie, parfois dérisoire ». Un rapport publié par le député Olivier Véran en 2013 estimait le coût annuel de l’intérim médical pour les hôpitaux à environ 500 millions d’euros ([70]) – ce qui correspond à la moitié du déficit des hôpitaux publics en 2017 ([71]).
Certes, le décret n° 2017-1605 du 24 novembre 2017 relatif au travail temporaire des praticiens intérimaires dans les établissements publics de santé a plafonné la rémunération journalière versée à ceux que l’on qualifie parfois de « médecins mercenaires », afin de réduire le décalage entre la rémunération de ces derniers et celle des praticiens hospitaliers qui sont deux à quatre fois moins bien payés ([72]). En principe, en application de l’arrêté du 24 novembre 2017 fixant le montant du plafond des dépenses engagées par un établissement public de santé au titre d’une mission de travail temporaire, les médecins intérimaires ne peuvent désormais percevoir plus de 1 404 euros pour une journée de vingt-quatre heures de travail effectif, depuis le 1er janvier dernier. Cette rémunération devrait évoluer de manière dégressive pour atteindre 1 287 euros en 2019 et 1 170 euros à compter de 2020.
Il semblerait toutefois que certains médecins « mercenaires » tentent d’ores et déjà de contourner ce dispositif d’encadrement, ce qui, aux yeux du rapporteur, devrait conduire à des sanctions très fermes. Ainsi que l’a expliqué Mme Bernadette Mallot, directrice du centre hospitalier d’Auxonne et déléguée régionale de l’Association nationale des centres hospitaliers locaux et des hôpitaux de proximité (ANCHL) pour la région Bourgogne-Franche-Comté, « les médecins établissent désormais des listes noires et ne vont pas dans certains établissements qui refusent de les payer plus que le montant fixé par décret ».
À cet égard, le président de la Fédération hospitalière de France (FHF), M. Frédéric Valletoux, a appelé, lors de son audition, à un « renforcement des contrôles du Conseil de l’Ordre », précisant que la FHF l’avait « saisi plusieurs fois à propos du comportement non déontologique de certains médecins qui appellent au boycott des établissements respectant “ trop ” les grilles de rémunérations ». Selon lui aussi, « il circule des listes d’hôpitaux que l’on incite à éviter quand ils proposent des missions d’intérim, parce qu’ils veulent appliquer la tarification réglementaire ».
D’après M. Samuel Valero, vice-président de l’Association nationale des étudiants en médecine de France (ANEMF), certains médecins intérimaires ont « créé un syndicat dans le Grand Ouest et exercé, il y a trois semaines, un chantage sur tous les centres hospitaliers de la zone pour que ces derniers augmentent leur rémunération de manière globale ».
Si regrettable que cela soit, le risque d’un contournement de la réglementation applicable au recours à l’intérim médical dans les hôpitaux publics persistera tant qu’on sera contraint de faire appel à des « médecins mercenaires » pour pallier la pénurie de praticiens hospitaliers.
L’hôpital public paie en effet le prix non seulement d’une pénurie de médecins généralisée, mais aussi d’un défaut d’attractivité. Selon Mme Rachel Bocher, présidente nationale de l’Intersyndicale des praticiens hospitaliers, « un praticien perçoit entre 2 500 et 6 500 euros [par mois]. 6 500 [euros], c’est le salaire d’un débutant dans le privé » ([73]).
Comme l’a fort justement signalé la sénatrice Frédérique Gerbaud, « cette anomalie aboutit à la constitution d’un corps de médecins intérimaires qui reviennent excessivement cher aux hôpitaux, et elle incite les praticiens titulaires “ plein temps ” à démissionner ou à se mettre en disponibilité pour se consacrer à l’intérim, plus rémunérateur » ([74]).
Autrement dit, l’hôpital public se retrouve prisonnier d’un cercle vicieux où la pénurie de médecins nourrit le recours à l’intérim qui lui-même aggrave la pénurie…
Or cela n’est pas sans faire peser des risques sur la qualité de la prise en charge des patients. Comme l’a expliqué M. Michel Ballereau, délégué général de la Fédération de l’hospitalisation privée (FHP), « au-delà d’un certain nombre d’intérimaires, la sécurité n’est plus assurée » ([75]).
C’est en particulier le cas des quelque 719 structures des urgences que compte notre pays. Devant faire face à un nombre annuel de passages ayant évolué de 10 millions en 1996 à 21 millions en 2016 ([76]), les services d’urgences se trouvent en situation de saturation, étant confrontés tout à la fois à l’augmentation de la demande de soins, à la pénurie de médecins hospitaliers – en particulier des urgentistes – et aux conséquences de la pénurie de médecins libéraux. En effet, comme l’a dit justement dit la représentante de l’ANCHL, Mme Bernadette Mallot, « on sait bien que la raréfaction des médecins libéraux retombe sur les urgences : c’est indéniable ». Le rapporteur souligne que, conjuguée à la baisse des déplacements des services mobiles d’urgence et de réanimation (SMUR) et des ambulanciers, cette raréfaction retombe aussi sur les sapeurs-pompiers dont le nombre total d’interventions est passé de 3,4 millions en 1998 à 4,5 millions en 2017 (soit une hausse de 33 % en vingt ans) – étant précisé que la proportion des secours d’urgence aux personnes sur ce total a, dans le même temps, bondi de 54 % à 84 % ([77]) .
Dans un récent rapport sur notre système de santé, le Haut conseil pour l’avenir de l’assurance‑maladie (HCAAM) l’a du reste confirmé ([78]).
C’est aussi le constat du directeur de l’IRDES, M. Denis Raynaud, qui a expliqué lors de son audition que « sans surprise, le recours aux urgences est beaucoup plus élevé dans les endroits où l’offre est défaillante. […] La carence de l’offre de premier recours – médecin généraliste, infirmier, kinésithérapeute – conduit à une sollicitation accrue des services d’urgences. […] En la matière, l’indicateur clé est le recours aux urgences non suivi d’hospitalisation qui, dans la littérature internationale, est retenu comme l’un des signes de la mauvaise qualité de l’organisation des soins ».
Or, à cet égard, la Cour des comptes a observé en 2014 que, si « en 2012, pas moins de 10,6 millions de personnes, près d’un sixième de la population française, sont venues se faire soigner, parfois à plusieurs reprises dans l’année, dans les services d’urgence hospitaliers » et si « ceux-ci ont enregistré ainsi plus de 18 millions de passages, soit 30 % de plus en dix ans » ([79]), « un passage sur cinq n’a pas nécessité d’autre acte qu’une consultation, soit en première analyse de l’ordre de 3 600 000 “ passages évitables ” » ([80]).
D’après M. Karim Tazarourte, vice-président de la Société française de médecine d’urgence (SFMU), « la proportion des patients d’un service d’urgence qui souffrent d’une pathologie relevant de la médecine générale […] varie, mais elle est comprise entre 30 % et 40 % ».
Pour leur part, les sénateurs Laurence Cohen, Catherine Génisson et René‑Paul Savary estiment, en s’appuyant sur des chiffres fournis par la Cour des comptes, que « 43 % des passages aux urgences relèvent d’une simple consultation médicale, et [que] 35 % auraient pu obtenir une réponse auprès d’un médecin généraliste » ([81]). Il y a donc urgence à refonder en profondeur le système d’accès aux soins.
L’engorgement des services d’urgence des hôpitaux publics mais aussi privés ([82]) est en effet l’une des conséquences du « décalage croissant entre une demande de soins non programmés en hausse et une offre ambulatoire en voie de raréfaction » ([83]).
Pour reprendre la formule de M. Karim Tazarourte, « l’un des drames, actuellement, de ces services [d’urgence], c’est qu’ils apparaissent à la population comme une solution mais que celle-ci n’est pas adaptée en termes d’efficience ». Par exemple, « l’évènement aigu qui conduit une personne âgée à se rendre aux urgences doit pouvoir être traité rapidement, mais en s’insérant dans un parcours de soins et non pas, comme nous le vivons actuellement, en créant de toutes pièces ce parcours qui ne l’a pas été au cours des années précédentes ». Or, « aux urgences, nous sommes régulièrement confrontés à des événements indésirables dus à l’incapacité totale d’obtenir des informations. Ce n’est pas parce que le collègue exerçant en ville n’a pas souhaité les mettre à disposition, mais parce qu’il y a des ruptures de charge ».
Celles-ci ont d’ailleurs encore récemment été dénoncées par la Fédération hospitalière de France (FHF). Selon M. Jean-Pierre Jardry, administrateur de la FHF, « si le décret n° 2016-995 du 20 juillet 2016 relatif à la lettre de liaison impose une transmission des informations en amont et en aval de l’hospitalisation entre les professionnels de santé, ce réflexe indispensable à la bonne coordination du parcours ne semble pas encore acquis » ([84]). À cet égard, M. Karim Tazarourte a déploré les lenteurs que connaît la mise en œuvre du dossier médical personnel, désormais baptisé « dossier médical partagé » (DMP). Sorte de « carnet de santé numérique », le DMP a été institué par la loi n° 2004-810 du 13 août 2004 relative à l’assurance‑maladie, afin de favoriser la coordination, la qualité et la continuité des soins, et, en cas d’urgence, de simplifier et accélérer la consultation des antécédents médicaux du patient. Alors qu’il devait être généralisé à tous les bénéficiaires de l’assurance-maladie pour le 1er juillet 2007, ce n’est toujours pas le cas plus de dix ans plus tard. À la fin de l’année 2015, seuls 600 000 DMP avaient été ouverts, et l’on ne dénombrait que 6 000 médecins libéraux utilisateurs et 500 établissements de santé équipés ([85]).
De son côté, la ministre des Solidarités et de la Santé, Mme Agnès Buzyn, a appelé nos concitoyens à raisonner leur recours aux services d’urgence ([86]) qui est, selon elle, régi par un « besoin d’immédiateté » parfois excessif.
Ce besoin n’est aujourd’hui pas satisfait par une offre médicale – en particulier libérale – qui est caractérisée par de très fortes inégalités de répartition sur le territoire inacceptables dans un pays qui, comme la France, consacre une fraction considérable de sa richesse aux dépenses de santé ([87]).
B. Des INÉgalitÉs de rÉpartition plus accentuÉes pour les mÉdecins spÉcialistes que pour les MÉdecins gÉnÉralistes
Lors de son audition, le directeur général de la DREES, M. Jean-Marc Aubert, a dressé un constat qui se voulait plutôt rassurant, expliquant que « les médecins généralistes libéraux sont aussi bien répartis qu’en 1980 » et que « simplement, après des décennies de croissance de leur nombre, on a assisté à une stagnation puis désormais une baisse de ce nombre par rapport à la population consommatrice de soins ». On peut ainsi lire, dans une récente étude de la DREES, qu’« en matière d’accès aux médecins généralistes, les inégalités de densités départementales n’ont pas augmenté depuis les années 1980 », « 98 % de la population réside à moins de 10 minutes du généraliste le plus proche en 2016 » et « moins de 0,1 % de la population, soit 52 000 personnes environ, doit parcourir un trajet de 20 minutes ou plus en voiture pour consulter un généraliste » ([88]). La commission estime néanmoins que cet indicateur ne reflète pas la réalité des difficultés d’accès aux soins : à quoi bon faire un trajet de seulement dix minutes, à supposer que l’on dispose d’un véhicule, si le médecin croule sous les sollicitations et se trouve dans l’incapacité de vous recevoir rapidement ? Le rapporteur considère que ces données théoriques se fracassent sur les réalités du quotidien.
D’autres études paraissent plus proches de la vérité. Ainsi, en juin 2016, l’UFC-Que choisir a publié une étude sur la « fracture sanitaire » qui a analysé l’offre exhaustive de soins de ville pour quatre spécialités (généralistes, pédiatres, ophtalmologistes et gynécologues) et dont il ressort qu’entre 2012 et 2016, l’accès géographique aux médecins généralistes (à moins de 30 minutes du domicile) s’est dégradé pour plus du quart de la population (27 % exactement). L’accès aux médecins spécialistes a diminué pour 38 % des Français en ce qui concerne les ophtalmologistes, 40 % pour les pédiatres et même 59 % de la population pour l’accès aux gynécologues. Selon les spécialités, ce serait entre 14,6 millions (pour les généralistes) et 21,1 millions (pour les pédiatres) d’usagers qui vivraient dans un territoire où l’offre de soins libérale est notoirement insuffisante.
Ainsi, 23 % de la population métropolitaine ont des difficultés à consulter un médecin généraliste à moins de trente minutes de route de leur domicile. Et pour les ophtalmologistes, gynécologues et pédiatres, l’accès dans un trajet maximal de 45 minutes est difficile pour 28 à 33 % de la population métropolitaine.
Qui plus est, lorsque l’on cherche à se soigner sans dépassement d’honoraires, ce serait plus de 8 Français sur 10 qui n’auraient pas suffisamment d’ophtalmologistes ou de gynécologues près de chez eux ([89]).
S’appuyant sur cette étude, le vice-président de l’UFC-Que Choisir, M. Daniel Bideau, a estimé, lors de son audition, que « jusqu’à̀ un Français sur cinq, selon la spécialité étudiée, vit dans un désert médical ». Et le responsable des études de l’UFC-Que Choisir, M. Mathieu Escot, a précisé que « ce recul concerne toutes les régions de France, y compris l’Île-de-France ou la Provence‑Alpes-Côte d’Azur (PACA) ».
Afin d’affiner la cartographie de l’offre de soins, la DREES et l’IRDES ont développé en 2012 un indicateur : « l’accessibilité potentielle localisée (APL) » qui fournit une mesure de l’offre disponible en tenant compte du nombre de consultations que fait le médecin, de la distance entre le médecin et le patient, de la demande adressée au médecin et de l’âge de la population qui adresse cette demande. Un médecin généraliste est ainsi considéré comme disponible s’il se trouve à moins de 30 minutes de trajet, et un médecin spécialiste à moins 45 minutes de trajet.
Désormais utilisé par plusieurs agences régionales de santé (ARS) pour construire les zones servant de base à leur politique territoriale, cet indicateur est exprimé en nombre annuel de consultations par habitant avec des paramètres définis par un groupe de travail commun à la DREES, à l’IRDES, au secrétariat général des ministères sociaux, à la direction générale de l’offre de soins (DGOS), à la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) et au Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET).
Il ressort du rapport des sénateurs Jean-Noël Cardoux et Yves Daudigny que « l’accessibilité moyenne aux médecins généralistes libéraux est de 4,11 consultations par an et par habitant en 2015, sachant que 22 % des assurés du régime général ne consultent pas dans l’année. Sur le critère d’un nombre de consultations inférieur à 2,5 par an et par habitant, 8 919 communes sont situées dans des zones sous-dotées, soit une population de 5,2 millions de personnes et 8,1 % de la population. Dans ces communes sous-denses, l’indicateur APL moyen est de 1,99 et l’APL médian de 2,14. Quel que soit le seuil retenu, les régions les plus touchées sont les Antilles-Guyane, la Corse, le Centre Val-de-Loire, Auvergne Rhône-Alpes, Bourgogne Franche-Comté et l’Île-de-France » ([90]).
Ce constat recoupe, dans une certaine mesure, les données fournies par le CNOM dans son Atlas de la démographie médicale où il est par exemple indiqué que « la région Île-de-France a la particularité d’être la seule région de France dont aucun département n’enregistre une augmentation des effectifs de médecins en activité régulière durant ces sept dernières années » ([91]).
D’après le CNOM, les disparités en termes de répartition territoriale des médecins en activité régulière se situent surtout à l’échelle infra-régionale. Par exemple, « la Nouvelle-Aquitaine (région qui enregistre une augmentation des effectifs sur la période 2010-2017) est divisée en deux : six départements recensent une hausse des effectifs et six autres une diminution ». De la même façon, « la région Auvergne/Rhône-Alpes, également composée de douze départements, recensent huit départements dont les effectifs en activité régulière augmentent, deux départements dont les effectifs diminuent et enfin deux départements dont les effectifs stagnent sur ces sept dernières années » ([92]).
Si l’on raisonne en termes de densité médicale à l’échelle départementale, celle-ci variait l’an dernier du simple au quintuple. En effet, si la densité médicale moyenne en métropole et dans les départements d’outre-mer (DOM) s’élevait, toutes spécialités confondues, à 330,7 médecins pour 100 000 habitants au 1er janvier 2017, elle oscillait, à la même date, entre 133,1 médecins pour 100 000 habitants dans le département de Mayotte et 681,2 médecins pour 100 000 habitants dans le département de Paris qui est ainsi 5,1 fois plus doté que celui de Mayotte ([93]).
L’accès aux soins dans les outre-mer
Selon les précisions de la Direction générale des outre-mer (DGOM), « Mayotte est le plus grand désert médical français avec une densité de 7 médecins libéraux pour 100 000 habitants, ce qui est 20 fois plus faible que dans l’Hexagone. Concernant les médecins généralistes libéraux, la densité pour trois des quatre départements d’outre-mer, la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane, est très inférieure à la moyenne nationale. Certes, La Réunion est aussi bien pourvue, voire mieux, que l’Hexagone concernant les médecins généralistes mais comme les autres DOM, elle souffre d’un manque de spécialistes. Ainsi, les quatre collectivités précitées enregistrent les densités de médecins spécialistes les plus faibles des régions françaises ».
Par ailleurs, des inégalités persistent à l’intérieur d’un même territoire de par l’étendue, l’isolement (comme en Polynésie-française avec ses 138 îles ou à Wallis-et-Futuna) et le manque d’équipement.
Même si l’État a entrepris un effort de rattrapage à Wallis-et-Futuna, la situation de ce territoire reste spécifique. En effet, la DGOM rappelle que « l’agence de santé joue un rôle central dans le système de santé. À Wallis-et-Futuna, il n’y a pas de médecine libérale ni de pharmacie, toutes ces fonctions sont assurées par les centres de santé de proximité qui assurent les consultations médicales, la dispensation des médicaments et la prévention. Les consultations de spécialités, elles, ne sont possibles qu’à l’hôpital ».
À Saint-Pierre-et-Miquelon n’exerce qu’un seul médecin libéral. La médecine spécialisée est exclusivement assurée au centre hospitalier. Par ailleurs, le territoire dispose également d’un centre de santé permettant de compléter l’offre de soins hospitaliers.
[…] Les outre-mer doivent également anticiper le vieillissement de la population médicale. Ainsi, en Guyane, 70 % des spécialistes libéraux sont âgés de 55 ans ou plus.
Source : Conseil économique, social et environnemental (CESE), Les déserts médicaux, par Mme Sylvie Castaigne et M. Yann Lasnier, décembre 2017, p. 12.
Là encore, il ne faut pas occulter l’existence de fortes disparités de densités au sein d’une même région : par exemple, « bien que la Vendée se situe dans une région (Pays-de-la-Loire) qui a vu sa population médicale et générale augmenter depuis plusieurs années, il n’en reste pas moins que ce département se place en 5ème position des départements ayant la plus faible densité » ([94]).
Il ne faut pas non plus négliger d’importantes différences, en termes de répartition territoriale, mais aussi de démographie, selon qu’il s’agit des médecins généralistes (1) ou des médecins spécialistes (2).
1. Des médecins généralistes en sous-effectif au regard des besoins de santé
Dans la contribution écrite qu’elle a fournie à la commission, la DREES note que « les généralistes sont aussi bien répartis que les pharmaciens » sur le territoire ([95]).
Pourtant, des études de la DREES montrent qu’en 2016, 8,6 % de la population (soit près de 5,7 millions de personnes) accédaient à 2,5 consultations de généraliste ou moins par an, alors que la moyenne nationale s’élevait à 4,1 consultations annuelles par habitant. L’indicateur de l’APL révèle en effet que « les 10 % des personnes les mieux loties ont une accessibilité égale à 5,7 consultations par an et par habitant, tandis que les 10 % les moins favorisés ont accès à 2,7 consultations par an et par habitant » ([96]).
La DREES constate ainsi « des inégalités d’accessibilité plus liées aux types d’espace qu’à des différences régionales ». Au total, 9 142 communes sont en situation de sous-densité, soit un quart des communes de notre pays – étant précisé que, pour les soins non programmés, la situation est beaucoup plus grave. C’est « dans les communes rurales des périphéries des grands pôles et dans les communes hors influence des pôles que la part de la population ayant l’accessibilité la plus faible aux médecins généralistes est la plus grande » ([97]).
Ce constat rejoint celui des sénateurs Jean-Noël Cardoux et Yves Daudigny qui remarquaient, l’an dernier, que « la répartition des médecins généralistes sur le territoire est hétérogène, mais [qu’] elle l’est moins que pour d’autres spécialités médicales ou d’autres professions de santé » et que « dans tous les cas, les disparités s’observent le plus au niveau infra‑régional » ([98]).
Selon la Cour des comptes, « pour les généralistes libéraux, 90 % des inégalités de répartition s’observent entre les bassins de vie d’une même région et seulement 10 % des inégalités sont entre régions » ([99]).
Si, pour l’heure, la répartition des médecins généralistes sur le territoire est, globalement, moins disparate que celle d’autres spécialités médicales, la situation va s’aggraver compte tenu de l’évolution démographique défavorable de cette spécialité.
En effet, lors de son audition, M. Serge Smadja, secrétaire général de la Fédération SOS Médecins France a prévenu la commission que, « si nous connaissons depuis des années des difficultés de prise en charge des soins quand les cabinets médicaux sont fermés, nous en rencontrons désormais même quand les cabinets médicaux sont ouverts, du fait de l’insuffisance de la démographie médicale ».
Ces propos ont été corroborés par la contribution écrite fournie à la commission par la Société française de médecine d’urgence (SFMU) qui souligne que « l’accès aux soins programmés devient difficile dans beaucoup de villes où pourtant le ratio médecin/habitant n’est pas en dessous de la moyenne nationale » et que, pour ce qui concerne l’accès aux soins non-programmés, « l’implication de la médecine libérale pour la permanence des soins est très variable selon les territoires et plutôt en décroissance ».
M. Daniel Bideau, vice-président de l’UFC-Que Choisir a abondé en ce sens, signalant qu’« en ce qui concerne les généralistes, […] ce phénomène s’amplifie : il n’est plus limité aux campagnes mais s’étend désormais aux zones urbaines, où des problèmes se posent lorsque les médecins prennent leur retraite sans être remplacés ».
Le fait est – et l’Atlas de la démographie médicale publié l’an dernier le confirme – qu’avec 88 137 médecins généralistes en activité régulière (tous modes d’exercice confondus) au 1er janvier 2017, les effectifs de cette spécialité ont diminué de 9,1 % depuis 2007 ([100]). Selon le CNOM, « la tendance à la baisse a une forte probabilité de se confirmer jusqu’en 2025 pour atteindre 79 262 médecins généralistes en activité régulière » ([101]).
Cela a pour conséquence que :
- d’une part, nos compatriotes renoncent aux soins car, comme l’a montré le sondage de la société BVA pour la fondation April paru en avril dernier, lorsque l’on demande aux quelque sept Français sur dix qui ont déjà renoncé au moins une fois à se soigner, quels étaient les professionnels de santé ou les soins auxquels ils ont renoncé, 31 % d’entre eux (et même 49 % chez les étudiants) citent avant tout le médecin généraliste ([102]) ;
- d’autre part, nos compatriotes se trouvent en situation d’errance médicale au point que, d’après les données de la DREES qui ont été transmises au rapporteur, 11,8 % des patients consommant n’avaient pas de médecin traitant en 2017.
Part des patients consommant qui n’ont pas de médecin traitant (2017)
Source : CNAM
S’il est vrai qu’« à l’exception de la région des Pays-de-la-Loire et de l’ensemble des DOM, toutes les régions enregistrent une baisse du nombre de médecins généralistes en activité régulière sur la période 2010-2017 », la diminution du nombre de médecins généralistes est plus marquée sur certains territoires que dans d’autres. Sur cette période, elle a été de 30 % en Bretagne, de 18,3 % en Occitanie et de 15,5 % en Île-de-France ([103]). Dans cette dernière région, « une commune sur deux n’a pas de médecin généraliste » et un sondage réalisé par Ipsos a récemment révélé que « plus du tiers des Franciliens a déjà dû renoncer à des soins, principalement pour raisons financières mais aussi à cause de délais d’attente trop longs » ([104]). « 78 % des habitants de la grande couronne (Seine-et-Marne, Yvelines, Essonne, Val-d’Oise) et 71 % des habitants de la petite couronne (Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne) déclarent avoir des difficultés d’accès aux soins, contre seulement 32 % des Parisiens. […] Ce sont désormais plus de 9,1 millions de Franciliens (soit 76 % de la population et 2,5 fois plus qu’auparavant) qui résident dans des zones considérées comme déserts médicaux » ([105]).
Certes, des mesures spécifiques ont récemment été prises pour augmenter rapidement, mais légèrement, à hauteur d’un effectif de 200 ([106]), le nombre de médecins généralistes dans les zones sous-dotées, à travers le décret n° 2018-213 du 28 mars 2018 relatif à l’inscription universitaire des personnes ayant validé la formation du résidanat et n’ayant pas soutenu leur thèse.
Les résidents en médecine générale « privés de thèse »
Jusqu’en 2004, les étudiants en médecine générale ne subissaient pas le concours de l’internat, mais poursuivaient, à l’issue du deuxième cycle des études médicales, un « résidanat » de deux ans et demi (porté à trois ans pour les promotions de résidents à compter de 2001). Depuis 2004, afin d’aligner la formation en médecine générale sur celle des autres spécialités médicales, le résidanat a été abandonné et les étudiants en médecine générale doivent, comme les étudiants des autres spécialités, passer des épreuves classantes nationales informatisées (ECNi) débouchant sur l’internat.
Afin de ménager une période transitoire entre les deux régimes de formation, les « résidents » en médecine générale ont été autorisés à soutenir leur thèse dans un délai de six ans à l’issue de leur cursus. En revanche, ceux qui, pour telle ou telle raison, n’avaient pas soutenu leur thèse à la fin de l’année 2012 se sont vu interdire l’installation et l’exercice de la médecine.
Ce n’est qu’au bout de quatre ans que la loi n° 2016-1888 du 28 décembre 2016 de modernisation, de développement et de protection des territoires de montagne a levé cette interdiction. Son article 93 a modifié l’article L. 632-4 du code de l’éducation afin de confier à un décret en Conseil d’État le soin de déterminer « les conditions et les modalités selon lesquelles les personnes ayant validé en France la formation pratique et théorique du résidanat de médecine et n’ayant pas soutenu, dans les délais prévus par la réglementation, la thèse [de doctorat en médecine], peuvent être autorisées à prendre une inscription universitaire en vue de soutenir leur thèse, après avis d’une commission placée auprès des ministres chargés de l’Enseignement supérieur et de la Santé. Ce décret précise que l’autorisation est conditionnée à l’engagement d’exercer en zone sous-dotée ».
Il a fallu attendre à nouveau un an et demi pour que soit pris le décret du 28 mars 2018 qui autorise les personnes ayant validé en France la formation pratique et théorique du résidanat de médecine mais n’ayant pas soutenu leur thèse dans les délais à « 1° soit s’inscrire à l’Université en vue de soutenir leur thèse ; 2° soit s’inscrire à l’Université afin de valider, dans un délai maximum de six années, un complément de formation en stage et hors stage dispensé dans le cadre du troisième cycle des études de médecine, puis de soutenir leur thèse ».
Cette autorisation d’inscription (sous statut d’étudiant) est subordonnée à l’avis d’une commission devant laquelle les dossiers de candidature devront avoir été déposés d’ici 2021. Placée auprès des ministres chargés de l’Enseignement supérieur et de la Santé, cette commission est composée :
– du directeur général de l’offre de soins (DGOS) ;
– du directeur général de l’Enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle ;
– de deux représentants du CNOM désignés par son président ;
– de deux enseignants titulaires ou associés en médecine générale ;
– de quatre médecins qualifiés en médecine générale ou qualifiés spécialistes en médecine générale ;
– du président de la conférence des directeurs d’unité de formation et de recherche (UFR) de médecine ;
– de deux membres proposés par les organisations syndicales représentatives des médecins généralistes.
Lorsque l’étude de son dossier le nécessitera, la commission pourra décider de convoquer le candidat qui pourra être entendu par visioconférence.
En contrepartie de la possibilité qui leur est offerte de soutenir leur thèse, les résidents en médecine générale devront s’engager sur l’honneur à exercer, pendant au moins deux ans, dans une zone caractérisée par une offre de soins insuffisante ou par des difficultés dans l’accès aux soins.
Afin de s’assurer de l’exécution de cet engagement, le décret du 28 mars 2018 prévoit qu’à l’issue de délais de trois mois et de quinze mois après leur inscription à l’Ordre des médecins, les personnes ayant obtenu le diplôme d’État de docteur en médecine en application du dispositif exposé transmettent au DGOS des attestations délivrées par l’ARS de la région dans laquelle elles ont déclaré leurs lieux d’exercice confirmant que ces derniers se situent dans une ou plusieurs des zones sous-dotées.
Selon, M. Philippe Marissal, président de la Fédération des soins primaires (FSP), l’autorisation faite aux résidents en médecine générale privés de thèse de reprendre leurs études pour pouvoir s’installer et exercer dans des zones déficitaires en offre de soins pourrait porter ses fruits en deux ans.
Mais force est d’admettre que cette mesure, si louable soit-elle, a été prise de manière très tardive, et bien peu réactive. Plusieurs des personnes entendues par la commission ont déploré les lenteurs dans la constitution de la commission chargée de l’examen des dossiers des candidats qui, aux yeux du rapporteur, ne devrait pas durer plus de trois mois.
Par ailleurs, une telle mesure ne suffira pas à inverser la tendance à l’atrophie démographique de la population des médecins généralistes, qui contraste fortement avec l’évolution dynamique des autres spécialités médicales.
2. Des médecins spécialistes en nombre insuffisant et très inégalement répartis sur le territoire
Alors qu’entre 2007 et 2017, les effectifs de médecins généralistes ont reculé de près de 9 %, ceux des autres spécialistes ont, eux, progressé de 7 %, pour atteindre le nombre de 84 862 médecins spécialistes en activité régulière au 1er janvier 2017 ([107]), auxquels il faut ajouter 24 287 médecins spécialistes chirurgicaux en activité régulière, dont le nombre a crû de 9,6 % sur la même période.
Il convient cependant de nuancer ce constat car, comme l’ont mis en exergue les sénateurs Jean-Noël Cardoux et Yves Daudigny, « plusieurs spécialités en accès direct, comme l’ophtalmologie, pour lesquelles le nombre de postes ouverts n’a été rehaussé que tardivement, devraient connaître des tensions accrues sur leurs effectifs : déjà en baisse de plus de 5 % depuis 2007, le nombre de praticiens – notamment libéraux – devrait encore diminuer jusqu’en 2025 (de plus de 6 % d’après les prévisions de l’ordre des médecins), compte tenu d’une moyenne d’âge élevée (54 ans) » ([108]).
Qui plus est, cette relative vigueur démographique n’a, pour l’instant, pas pour effet de corriger la répartition très inégalitaire des médecins spécialistes.
Selon une étude publiée par la DREES en 2016, « les spécialistes [et les chirurgiens-dentistes] sont répartis de manière nettement plus déséquilibrée [que les médecins généralistes] : concernant l’accessibilité aux chirurgiens-dentistes, aux gynécologues et aux ophtalmologues, les 10 % des habitants les mieux lotis ont une accessibilité 6 à 8 fois supérieure à celle des 10 % des habitants les moins bien lotis. Les disparités les plus marquées concernent l’accessibilité aux pédiatres et aux psychiatres. […] Le rapport interdécile atteint 14 pour les pédiatres et 19 pour les psychiatres » ([109]).
Si l’on met de côté l’unité urbaine de Paris qui occupe une situation particulière dans la mesure où la faible accessibilité aux médecins généralistes est contrebalancée par une forte accessibilité aux spécialistes en accès direct et par « l’offre pléthorique de l’Assistance publique Hôpitaux de Paris (AP-HP) », pour reprendre la formule de M. Claude Leicher, président de la FCPTS, on constate, comme pour les médecins généralistes, que « plus qu’entre régions, les disparités sont fortes entre types de communes : les habitants des grands pôles urbains ont une meilleure accessibilité que ceux des communes des périphéries » ([110]), ce qui invite à prendre en considération l’échelle infra-régionale.
L’Atlas de la démographique médicale fait ainsi apparaître qu’« alors que la région Grand-Est recense une augmentation de 3 % des effectifs, le département de la Haute-Marne comptabilise une baisse de 20 % du nombre de spécialistes médicaux sur la période 2010-2017 » et que « le département de la Meuse, quant à lui, compte une diminution de 17 % » ([111]).
Ainsi que l’a noté la Cour des comptes, « les plus fortes inégalités de répartition sont infra-départementales : les concentrations de professionnels de santé libéraux sont à la fois littorales et urbaines. Les zones délaissées sont rurales et suburbaines, notamment, pour ce dernier cas, dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville » ([112]). Cela tient notamment à ce que l’« on ne peut pas dissocier la problématique de l’installation d’un médecin en zone rurale de celle de l’installation d’une école, d’un boulanger, d’un bureau de poste ou encore de la 4G », comme l’a expliqué lors de son audition le président de la Conférence des doyens des facultés de médecine, M. Jean Sibilia.
Par ailleurs, comme le fait justement observer l’UFC-Que choisir, dans la contribution qu’elle a remise à la commission, « pour les spécialistes, il faut en outre tenir compte des dépassements d’honoraires, qui aux déserts des champs ajoutent les déserts des villes, pour qui ne peut pas payer les dépassements exigés. D’un strict point de vue géographique, 12 % à 19 % des Français vivent dans un désert pour les spécialités étudiées [ophtalmologie, pédiatrie, gynécologie], à 45 minutes de route autour de chez eux. Si l’on considère uniquement l’offre de soins au tarif opposable (c’est-à-dire sans dépassement d’honoraires), c’est alors entre 29 % (pédiatres) et la moitié de la population (gynécologues et ophtalmologistes) qui subit une offre médicale notoirement insuffisante » ([113]).
La combinaison des critères d’accessibilité géographique et financière explique pourquoi 47 % des Français estiment n’avoir pas assez de médecins spécialistes près de chez eux, alors que « seuls » 29 % d’entre eux jugent n’avoir pas assez de médecins généralistes près de chez eux ([114]).
Ce ressenti s’explique sans doute aussi parce que les disparités en termes de répartition des médecins spécialistes sont décorrélées des besoins de santé des territoires. Comme le notent les sénateurs Jean-Noël Cardoux et Yves Daudigny, « la densité médicale en région Hauts-de-France est plus faible que la moyenne nationale, avec des disparités parfois fortes (le département de l’Aisne se situe dans les 15 départements les moins dotés de France), alors que les indicateurs sanitaires sont parmi les plus inquiétants : la région présente une surmortalité de 21 % par rapport à la moyenne de la métropole et une surmortalité prématurée de 30 % par rapport au niveau métropolitain ; la surmortalité par cancer y est supérieure de plus de 18 % » ([115]).
Tous ces facteurs aboutissent aux aberrations fort bien décrites, lors de son audition, par le vice-président de l’Association des maires ruraux de France (AMRF), M. Dominique Dhumeaux : des personnes vivant en zones rurales prennent le train pour consulter des médecins spécialistes à Paris et des parisiens viennent se soigner en province parce que c’est moins cher.
Déconnectée des besoins de santé de la population, marquée par de criantes inégalités qui ne font que s’aggraver, la répartition des médecins spécialistes illustre l’échec patent des politiques publiques mises en œuvre pour lutter contre la désertification médicale en milieux rural comme urbain.
C. L’Échec des politiques publiques mises en œuvre pour lutter contre la dÉsertification mÉdicale en milieux rural et urbain
Depuis plus de dix ans, les pouvoirs publics se sont évertués à corriger les inégalités d’accès aux soins en multipliant les dispositifs incitatifs à destination des médecins, plutôt que de privilégier la solution régulatrice qui a pourtant été appliquée à d’autres professionnels de santé. De l’aveu de la ministre des Solidarités et de la Santé, Mme Agnès Buzyn, « c’était un mauvais calcul. Non pas que ce ne soit pas utile, dans certains cas du moins, mais cela a également créé beaucoup d’effets d’aubaine, en attirant notamment des médecins étrangers qui venaient s’installer pour un ou deux ans dans un territoire puis repartaient, empêchant toute fidélisation des patients » ([116]).
État, agences régionales de santé (ARS), collectivités territoriales, assurance-maladie ont en effet lancé, « en ordre dispersé, sans véritable stratégie d’ensemble », des initiatives dont l’« articulation est imparfaite et [qui] se sont superposées sans évaluation intermédiaire » ([117]), pour reprendre la formule des sénateurs Jean-Noël Cardoux et Yves Daudigny qui, dans leur rapport, regrettent que « par la diversité des intervenants (ARS, services fiscaux, collectivités territoriales, assurance maladie...), les différentes aides à destination des professionnels de santé dans les zones sous-dotées constituent un paysage assez peu lisible, ce qui entrave leur portée » ([118]).
Aides fiscales, aides contractuelles à l’installation sous forme de garantie de revenu gérées par les ARS (contrats de praticien territorial de médecine générale – PTMG –, de médecine ambulatoire – PTMA – et de remplacement – PTMR), aides conventionnelles à l’installation négociées avec la CNAMTS : autant de dispositifs incitatifs dont M. Michel Antony, président fondateur de la Coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et maternités de proximité, a jugé, lors de son audition, qu’ils constituaient des « mesurettes […] très insuffisantes pour attirer les médecins ».
Outre qu’« un réel effort de simplification doit être engagé pour “ débureaucratiser ” les modalités d’obtention et de maintien de ces aides », comme l’a souligné le Syndicat des médecins libéraux (SML) dans la contribution écrite qu’il a remise à la commission, l’attribution de ces aides repose sur des zonages qui ne sont pas les mêmes selon qu’il s’agit de l’administration fiscale, des ARS et de la CNAMTS et sur des données insuffisamment actualisées. Ainsi, dans leur rapport sur les mesures incitatives au développement de l’offre de soins primaires dans les zones sous-dotées, les sénateurs Jean-Noël Cardoux et Yves Daudigny déplorent « le chevauchement imparfait des différents zonages, entre ceux servant de base d’application aux mesures fiscales, ceux définis par les ARS et ceux pris en compte par l’assurance-maladie pour les aides conventionnelles, et leur déconnexion de la réalité des besoins parfois constatés sur le terrain, […] leur manque d’actualisation ou la non prise en compte de situations particulières ayant un impact sur l’accès réel aux soins (par exemple, le fait qu’un médecin travaille à temps partiel) » ([119]). Comme ces parlementaires l’ont fait remarquer, « en fonction des dispositifs, des zonages différents [peuvent] trouver à s’appliquer : les contrats d’engagement de service public pouvaient être mis en œuvre sur les mêmes territoires que les contrats de praticien territorial de médecine générale, mais pas de façon systématique. Plus récemment, […] les derniers zonages ont été définis par les ARS pour la période 2012-2016 dans le cadre des schémas régionaux d’offre de soins, les SROS ambulatoires, sans véritable processus de concertation avec les élus locaux, ni avec les professionnels de santé » ([120]).
On aurait pu espérer que la situation s’améliore à l’occasion de la révision des zonages servant de base à l’attribution des aides incitatives des ARS et de l’assurance-maladie ([121]). Les auditions menées par la commission d’enquête ont toutefois déçu ces espoirs.
En premier lieu, plusieurs des personnes entendues ont mis en garde contre les imperfections de l’indicateur d’« accessibilité potentielle localisée » (APL) utilisé pour déterminer ceux des quelque 2 739 territoires de vie (sous‑ensembles des bassins de vie) qui devaient être caractérisés comme « fragiles ». Tout en présentant l’indicateur d’APL comme « un progrès par rapport aux indicateurs antérieurs qui se fondaient sur la seule densité en médecins pour 100 000 habitants », dans la mesure où il devrait permettre d’élargir les zones éligibles aux aides incitatives de façon à porter de 7 % à 18 % la part de la population couverte par le nouveau zonage, M. Éric Lajarge, directeur de cabinet adjoint du Commissaire général à l’égalité des territoires, a concédé que cet indicateur pouvait sans doute être encore amélioré.
Il semble que ce doive être le cas si l’on en croit les propos tenus devant la commission par Mme Céline Legendre, secrétaire générale de la Fédération nationale des centres de santé (FNCS). Selon elle, « le nouvel indicateur pour identifier les territoires carencés, celui de l’accessibilité potentielle localisée (APL), a donné en Île-de-France des résultats ubuesques » que l’ARS aurait heureusement « corrigés en partie […] en tenant compte du cumul des facteurs de fragilité des territoires ». En effet, d’après Mme Aude Bourden, conseillère nationale santé-médico-social de l’Association des paralysés de France (APF)-France Handicap, « cet indicateur met de côté tous les quartiers prioritaires de la politique de la ville, alors que l’accès aux soins dans ces quartiers est problématique ».
Le président de l’Union syndicale de médecins de centres de santé (USMCS), M. Éric May, a porté un jugement encore plus sévère sur cet indicateur, estimant qu’il « n’est pas probant. Ainsi, la population de Seine-Saint-Denis serait bien desservie car tout patient est à moins de trente minutes d’un professionnel. Mais encore faut-il que ce médecin puisse le recevoir, et que le patient ait la capacité financière de se déplacer et de payer ! » Cet indicateur serait selon lui la traduction d’une approche dépassée de la désertification médicale, qui a consisté à l’aborder « en se centrant sur les médecins, ce qu’ils désirent, comment leur offrir des conditions attractives, jusqu’à établir une concurrence entre collectivités, voire du débauchage », alors qu’« en réalité, c’est le patient qu’il faut mettre au centre ».
En second lieu, l’association des élus et des professionnels de santé, en particulier libéraux, à la mise en œuvre des différents dispositifs de lutte contre la désertification médicale semble encore perfectible. Comme l’a fort bien résumé, lors de son audition, la présidente du syndicat Convergence infirmière, Mme Ghislaine Sicre, « les infirmiers libéraux et même la médecine libérale dans son ensemble n’apparaissent nulle part dans les projets régionaux de santé de deuxième génération : c’est vous dire combien les ARS nous considèrent ! »
Ce témoignage corrobore le constat fait par les sénateurs Jean-Noël Cardoux et Yves Daudigny d’un « décalage entre les attentes des acteurs de terrain et l’approche du sujet par l’administration, à savoir notamment les ARS et les administrations centrales du ministère en charge de la santé » et d’un « fonctionnement perçu comme technocratique et rigide, du fait d’une réticence de certaines ARS à accompagner des idées sortant des cadres “ classiques ” » ([122]) qui sont souvent portées par les collectivités territoriales (1) et qui peuvent s’avérer tout aussi utiles (si ce n’est plus efficientes) que les aides fiscales (2), les aides conventionnelles (3) et contractuelles (4) à l’installation ou le CESP (5).
1. L’absence de visibilité sur les aides des collectivités territoriales
Bien que l’organisation de l’offre de soins ne soit pas à proprement parler une de leurs compétences, les communes, leurs groupements, les départements et les régions ont, depuis longtemps, investi ce terrain afin de pallier les carences de l’État et d’apporter des réponses innovantes à des situations d’urgence. Les élus se sont en effet retrouvés en première ligne face au désarroi de nos concitoyens et ont dû concevoir et développer des politiques d’amélioration de l’accès aux soins.
En application de l’article L. 1511-8 du code général des collectivités territoriales, ces aides peuvent concerner :
– l’installation ou le maintien de professionnels de santé dans les zones caractérisées par une offre de soins insuffisante ou par des difficultés dans l’accès aux soins ;
– les centres de santé, employant des professionnels de santé salariés ;
– le financement de structures participant à la permanence des soins, notamment des maisons médicales ;
– la réalisation d’investissements immobiliers destinés à l’installation de professionnels de santé ou à l’action sanitaire et sociale dans les zones sous‑dotées, les zones de revitalisation rurale (ZRR) ou les territoires ruraux de développement prioritaire ;
– l’octroi d’indemnités de logement et de déplacement aux étudiants de troisième cycle de médecine générale lorsqu’ils effectuent leurs stages dans les zones dans lesquelles est constaté un déficit en matière d’offre de soins ;
– l’octroi d’indemnités d’étude et de projet professionnel à tout étudiant, titulaire du concours de médecine, inscrit en faculté de médecine ou de chirurgie dentaire, en contrepartie d’un engagement contractuel de cet étudiant à exercer en tant que médecin généraliste, spécialiste ou chirurgien-dentiste au moins cinq années dans une zone déficitaire.
Ces aides foisonnantes ne font l’objet ni d’un inventaire exhaustif, ni d’un bilan par le ministère chargé de la Santé, ce que la Cour des comptes et plusieurs parlementaires déplorent depuis bien des années maintenant. En effet, il y a déjà sept ans, la Cour des comptes s’étonnait que « ces mesures ne [fassent] pas toutes l’objet d’un recensement des aides effectivement accordées ni d’une évaluation, avec pour conséquence le risque de redondance et de concurrence entre territoires, en l’absence de coordination nationale, pour attirer de jeunes internes ou des médecins » ([123]).
Ne disposant toujours pas d’évaluation deux ans plus tard, le sénateur Hervé Maurey a demandé un bilan directement aux vingt-six ARS qui « dans leur très grande majorité, ont répondu qu’elles n’étaient pas en mesure de [lui] communiquer d’éléments chiffrés » ([124]). Six ans après le constat de carence établi par la Cour des comptes, les sénateurs Jean-Noël Cardoux et Yves Daudigny ont regretté l’an dernier qu’aucun recensement exhaustif des initiatives prises par les collectivités territoriales n’ait pu leur être fourni par les administrations centrales ([125]).
Interrogée à ce sujet par le rapporteur, la direction générale de l’offre de soins (DGOS) a indiqué qu’« il n’est pas question de conduire un recensement exhaustif » de ces initiatives car, « en raison de leur grande diversité et du grand nombre de collectivités concernées », « un tel recensement s’avérerait […] extrêmement lourd dans sa réalisation » ([126]). Selon Mme Ève Robert, inspectrice des Affaires sociales, « leur examen demanderait un travail colossal pour une plus-value sans doute limitée » ([127]).
Ce sentiment n’est visiblement pas du tout partagé par les représentants des collectivités territoriales entendus par la commission. « On ne sait même plus à quel point c’est financé », a déploré, lors de son audition, Mme Isabelle Maincion, vice-présidente de l’Association des maires de France (AMF). Tout comme M. Dominique Dhumeaux, vice-président de l’Association des maires ruraux de France (AMRF), et M. André Accary, président du département de Saône-et-Loire, représentant de l’Assemblée des départements de France (ADF), Mme Isabelle Maincion a regretté la concurrence exacerbée que se livrent certains territoires pour attirer (financièrement) des médecins et qui aboutit parfois à l’apparition de « poches surmédicalisées ».
Si cette concurrence entre communes et intercommunalités a été quelque peu apaisée en Saône-et-Loire par la proposition d’une offre de soins à l’échelle départementale grâce à la création d’un centre départemental de santé – sur lequel le rapporteur reviendra –, M. André Accary n’en a pas moins plaidé pour une régulation et une homogénéisation des aides à l’installation de médecins multipliées par les collectivités territoriales, ce qui passe par leur recensement.
Outre qu’elles ne sont pas soumises à une évaluation globale, certaines des aides attribuées par les collectivités territoriales doublonnent des dispositifs nationaux : c’est par exemple le cas des indemnités d’étude et de projet professionnel qui ont préfiguré le contrat d’engagement de service public (CESP).
2. Le bilan très mitigé des aides fiscales
L’outil de la fiscalité a été l’un des premiers mobilisés par les pouvoirs publics pour tenter de corriger les inégalités de répartition des médecins sur le territoire.
La loi n° 2005-157 du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux a créé des zones de revitalisation rurale (ZRR) dans lesquelles la fiscalité favorise l’installation d’entreprises, y compris de professionnels de santé, et prévu, spécifiquement pour ces professionnels, une exonération d’impôt sur le revenu au titre de la participation à la permanence des soins.
Ce dispositif semble avoir connu un succès croissant si l’on en juge par la forte progression de la part du coût de la dépense fiscale concernant les professionnels de santé, qui a été multipliée par trois entre 2013 et 2015, passant de 4 à 12 millions d’euros.
D’après les informations transmises au rapporteur par la direction générale des finances publiques (DGFiP), le coût de la dépense fiscale au profit des professionnels de santé serait passé à 55 millions d’euros en 2017 (soit 44,7 % de la dépense fiscale totale au titre du dispositif « ZRR » en 2017, qui était de 123 millions d’euros). Cette très forte augmentation s’explique en grande partie par une évolution du périmètre et de la méthode de chiffrage dans le cadre du projet de loi de finances (PLF) pour 2019.
Malgré l’explosion de son coût, ce dispositif serait d’une efficacité des plus limitées d’après la DGFiP. Celle-ci a indiqué au rapporteur qu’« il apparaît que les exemptions d’impôts ne constituent pas le facteur majeur d’implantation des entreprises et que les mesures offertes en ZRR, partiellement connues, souffrent d’une technicité excessive. De plus, les aides fiscales conditionnées à la localisation d’activités dans des territoires précis peuvent conduire à des effets d’aubaine. En effet, il a pu être observé que, dans le cadre des ZRR, certaines activités professionnelles particulièrement mobiles relocalisaient plus facilement leur activité pour bénéficier de ces exonérations (secteur médical, professions réglementées, etc) sans création nette d’emploi ».
Par ailleurs, il faut souligner que, d’après les sénateurs Jean-Noël Cardoux et Yves Daudigny, « ce dispositif n’[est] pas toujours appliqué de la même façon par les directions régionales des finances publiques, s’agissant, notamment des reprises d’activité », de sorte qu’« il en résulte une incertitude préjudiciable aux choix d’installation qui devrait pouvoir être levée par les ARS en liaison avec les services fiscaux » ([129]).
Enfin, le zonage servant de base au dispositif des « ZRR » ne recoupe pas celui qui détermine les exonérations fiscales spécifiques aux médecins.
La dépense fiscale associée à ce dispositif d’exonération a fortement augmenté entre 2013 et 2016, passant de 16 à 23 millions d’euros sur cette période. Et le gain moyen par an et par professionnel de santé est passé, dans le même intervalle de temps, de 2 712 à 3 122 euros.
ExonÉration d’impÔt sur le revenu de la rÉmunération perçue au titre de la permanence des soins par les mÉdecins ou leurs remplaçants installÉs dans certaines zones rurales ou urbaines
(en millions d’euros)
|
2013 |
2014 |
2015 |
2016 |
2017 (p) |
Assiette de la dépense fiscale |
57 |
71 |
79 |
nd |
nd |
Coût de la dépense fiscale |
16 |
18 |
19 |
23 |
23 |
Nombre de bénéficiaires |
5 900 |
6 350 |
6 850 |
7 368 |
nd |
Source : DGFIP
Selon les sénateurs Jean-Noël Cardoux et Yves Daudigny, « bien qu’ayant connu une montée en puissance et atteignant une dépense globale significative, ces montants ne paraissent pas de nature à motiver une installation en zone sous-dense mais plutôt à fluidifier, pour les ARS, l’organisation de la PDSA » ([131]).
C’est bien le signe que les incitations fiscales restent impuissantes à remédier aux disparités de répartition des médecins, tout comme les aides conventionnelles négociées avec la CNAMTS, du reste.
3. L’impact quasi-nul et les effets d’aubaine des aides conventionnelles à l’installation
Initialement, cette mesure devait trouver sa contrepartie dans une diminution symétrique de 20 % de la participation de l’assurance-maladie aux cotisations sociales des médecins généralistes décidant de s’installer dans les zones qualifiées de « très sur-dotées ». Mais cette contrepartie n’a jamais vu le jour, compte tenu de l’opposition du corps médical à sa mise en œuvre.
Par ailleurs, cette mesure a eu un effet d’aubaine. Alors qu’elle a engendré une dépense cumulée de 63,4 millions d’euros entre 2007 et 2010, cette mesure ne s’est traduite que par un apport net de l’ordre de 50 médecins dans les zones déficitaires sur la même période. En outre, la majoration de 20 % des honoraires a représenté en moyenne 27 000 euros par médecin concerné et a même dépassé 100 000 euros pour l’un d’entre eux, ce qui a conduit la Cour à s’interroger sur la réalité de l’activité correspondante et sur l’absence de plafonnement de l’aide.
– une « option démographie » a ouvert à tout médecin qui s’engage à s’installer ou à demeurer installé dans une zone sous-dotée, ou à proximité immédiate (5 kilomètres en zone rurale, 2 kilomètres en zone urbaine), et qui y exerce, pour une durée de trois ans, au moins deux tiers de son activité en groupe ou au sein d’un pôle de santé, un droit à une aide forfaitaire à l’investissement (5 000 euros par an pour les médecins exerçant en groupe, 2 500 euros par an pour ceux membres d’un pôle de santé) et une aide à l’activité (selon le mode d’activité, 10 % des honoraires annuels dans la limite de 20 000 euros par an ou 5 % des honoraires annuels dans la limite de 10 000 euros par an) ;
– une « option santé solidarité territoriale » a ouvert à tout médecin libéral (généraliste comme spécialiste) qui s’engage à exercer, pendant trois ans, au minimum 28 jours par an dans une zone déficitaire sous la forme de vacations, un droit à une aide à l’activité (à hauteur de 10 % des honoraires annuels dans la limite de 20 000 euros par an) ainsi qu’à une prise en charge des frais de déplacement.
S’agissant de l’« option démographie » : pour reprendre le constat dressé par l’UFC-Que choisir dans la contribution écrite qu’elle a remise à la commission, « elle s’est traduite par un effet d’aubaine flagrant : 90 % des bénéficiaires étaient déjà installés dans ces territoires [sous-dotés], et l’aide reçue par les nouveaux installés est inférieure à celle des anciens ! ». M. Mathieu Escot, responsable des études à l’UFC-Que Choisir, a déclaré, lors de son audition, y voir la « preuve du défaut de conception de ces aides et de leur inefficacité ».
En effet, d’après les données de l’assurance-maladie datant de fin 2014, seuls 190 médecins nouvellement installés en 2013 et 2014 dans les zones déficitaires (dont 185 médecins généralistes) ont adhéré au dispositif ([132]) et ces derniers ont perçu des aides d’un montant moyen plus faible que celui des aides versées aux praticiens déjà installés, du fait de leur indexation sur le volume d’activité (11 300 euros par an – dont 4 902 euros pour l’aide forfaitaire et 6 932 euros pour l’aide à l’activité – pour les nouveaux installés, contre 15 600 euros par an pour les médecins déjà installés).
D’après les sénateurs Jean-Noël Cardoux et Yves Daudigny, « le nombre de médecins nouvellement installés dans les zones fragiles ayant bénéficié de l’option “ démographie ” ne représentait en 2014 que 39 % des nouveaux installés dans les zones concernées, probablement en raison d’une méconnaissance du dispositif ou d’une aide trop tardive par rapport à l’installation ([car] versée plusieurs mois après l’installation) » ([133]).
S’agissant de l’« option santé solidarité territoriale », qui visait à favoriser une solidarité entre médecins face à la difficulté des praticiens exerçant en zones déficitaires pour se faire remplacer, le moins que l’on puisse dire est qu’elle est loin d’avoir rencontré le succès escompté. D’après les données de la CNAMTS, seuls 31 médecins en ont bénéficié entre 2012 et 2016, ce qui a conduit M. Mathieu Escot à constater devant la commission que « le coût de conception de ce dispositif par les services de l’assurance-maladie et du ministère de la Santé excède très largement le bénéfice qu’il représente ».
En somme – et là encore, l’UFC-Que Choisir le résume bien dans sa contribution écrite –, « l’échec de ces mesures de “ saupoudrage incitatif ” est patent ».
Preuve en est que, si l’on examine les données fournies par la CNAMTS sur l’évolution des installations des médecins libéraux en zones fragiles et non fragiles entre 2010 et 2016, la part des installations de ces médecins dans les premières zones n’a progressé que de 0,5 point sur cette période, passant de 9,6 % à 10,1 %.
Évolution des installations des mÉdecins libÉraux dans les zones fragiles entre 2010 et 2016
|
Nombre d’installations |
Part des installations |
|||
|
Zone fragile |
Zone non fragile |
Total |
Zone fragile |
Zone non fragile |
2010 |
246 |
2 320 |
2 566 |
9,6 % |
90,4 % |
2011 |
284 |
2 956 |
3 240 |
8,8 % |
91,2 % |
2012 |
436 |
3 884 |
4 320 |
10,1 % |
89,9 % |
2013 |
433 |
3 532 |
3 965 |
10,9 % |
89,1 % |
2014 |
419 |
3 622 |
4 041 |
10,4 % |
89,6 % |
2015 |
451 |
3 503 |
3 954 |
11,4 % |
88,6 % |
2016 |
425 |
3 797 |
4 222 |
10,1 % |
89,9 % |
|
|
|
|
+ 0,5 point |
- 0,5 point |
Source : Cnamts
L’assurance-maladie évaluait alors l’impact financier de ces nouveaux dispositifs à 10 millions d’euros. Lors de son audition, le directeur-général de la CNAMTS, M. Nicolas Revel, a revu cette estimation à la hausse, le coût annuel des quatre nouveaux contrats avoisinant 30 millions d’euros, dont deux tiers bénéficieraient aux médecins déjà installés et un tiers (soit 10 millions d’euros seulement) aux médecins s’apprêtant à s’installer.
Les contrats issus de la nouvelle convention mÉdicale DE 2016
|
CAIM Contrat d’aide à l’installation des médecins |
COSCOM Contrat de stabilisation et de coordination pour les médecins |
COTRAM Contrat de transition pour les médecins |
CSTM Contrat de solidarité territoriale médecin |
Objet |
Favoriser l’installation des médecins via une aide forfaitaire versée dès l’installation pour faire face aux frais d’investissement |
Valoriser la pratique des médecins s’inscrivant dans une démarche de prise en charge coordonnée des patients |
Soutenir les médecins préparant leur cessation d’exercice en accueillant un médecin nouvellement installé dans leur cabinet |
Favoriser l’intervention ponctuelle de médecins dans les zones fragiles |
Bénéficiaires |
Médecin conventionné secteur 1 ou Optam, primo-installant ou installé depuis moins d’un an |
Médecin conventionné, toutes spécialités, tous secteurs d’exercice |
Médecin conventionné, toutes spécialités, âgé de 60 ans et plus |
Médecin conventionné, toutes spécialités, tous secteurs d’exercice |
Aides |
jusqu’à 50 000 € pour un exercice d’au moins 4 jours/semaine
Majoration de 2 500 € en cas d’exercice partiel dans un hôpital de proximité |
– 5 000 €/an
– Majoration de 1 250 €/an en cas d’exercice partiel dans un hôpital de proximité
– Majoration de 300 €/mois en cas de maîtrise de stage et d’accueil de stagiaire |
– Valorisation de + 10 % des honoraires conventionnés, plafonnée à 20 000 €/an |
Valorisation de + 10 % des honoraires conventionnés liés à l’activité en zone fragile, plafonnée à 20 000 €/an Prise en charge des frais de déplacement engagés |
Engagements socles ou optionnels |
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