N° 1185

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 juillet 2018

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE sur légal accès aux soins des Français sur l’ensemble du territoire et sur l’efficacité des politiques publiques mises en œuvre pour lutter contre la désertification médicale
en milieu rural et urbain,

 

TOME II
COMPTES RENDUS DES AUDITIONS

 

 

Président

M. Alexandre FRESCHI

 

Rapporteur

M. Philippe VIGIER

 

Députés

 

——

 

 

 

 

 


La commission d’enquête sur l’égal accès aux soins des Français sur l’ensemble du territoire et sur l’efficacité des politiques publiques mises en œuvre pour lutter contre la désertification médicale en milieu rural et urbain, est composée de : M. Didier Baichère, Mme Valérie Beauvais, Mme Gisèle Biémouret, Mme Josiane Corneloup, M. JeanPierre Cubertafon, M. Marc Delatte, Mme Jacqueline Dubois, M. Jean-Paul Dufrègne, Mme Caroline Fiat, Mme Agnès Firmin Le Bodo, Mme Emmanuelle Fontaine-Domeizel, Mme Pascale Fontenel-Personne, M. Alexandre Freschi, M. Guillaume Garot, M. Éric Girardin, M. Jean-Carles Grelier, Mme Nadia Hai, M. Cyrille Isaac-Sibille, M. Jean-Michel Jacques, M. Christophe Lejeune, M. Thomas Mesnier, Mme Monica Michel, M. Bernard Perrut, Mme Stéphanie Rist, Mme Mireille Robert, M. Vincent Rolland, M. Stéphane Testé, M. Jean-Louis Touraine, Mme Nicole Trisse, et M. Philippe Vigier.

 

 

 

 

 

 


—  1  —

   comptes rendus des auditions

Les auditions sont présentées dans lordre chronologique des séances tenues par la commission denquête

(Toutes les auditions ont été ouvertes à la presse)

Audition commune des ordres médicaux et pharmaciens (Réunion du jeudi 19 avril 2018 à 8 heures 30)                             7

Audition commune de la Société française de télémédecine et du Haut conseil français de télésanté (Réunion du jeudi 19 avril 2018 à 10 heures 30)                             31

Audition du Professeur Jean Sibilia, président de la conférence des doyens des facultés de médecine (Réunion du jeudi 19 avril 2018 à 11 heures 30)                             45

Audition de M. Denis Raynaud, directeur de l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES) (Réunion du mercredi 25 avril 2018 à 8 heures 30)                             61

Audition de Mme Agnès Ricard-Hibon, présidente, et de
M. Karim Tazarourte, vice-président de la Société française de médecine d’urgence (SFMU) (Réunion du mercredi 25 avril 2018 à 9 heures 30)......73

Audition du Professeur Patrice Queneau et du Professeur Yves Prost, de l’Académie nationale de médecine (Réunion du mercredi 25 avril 2018 à 10 heures 30)                             85

Audition du Dr Pierre Henry Juan, président de la Fédération SOS Médecins France, et du Dr Serge Smadja, secrétaire général (Réunion du mercredi 25 avril 2018 à 11 heures 30)                             99

Audition commune de syndicats de jeunes médecins (Réunion du mercredi 25 avril 2018 à 14 heures)                             109

Audition commune des syndicats de médecins (Réunion du jeudi 26 avril 2018 à 8 heures 30)                             143

Audition commune des fédérations hospitalières (Réunion du jeudi 26 avril 2018 à 10 heures 30)                             169

Audition de M. Nicolas Biard, directeur technique de l’Association française de ergothérapeutes (ANFE) (Réunion du jeudi 26 avril 2018 à 15 heures)                             187

Audition de M. Charles Eury, président de l’Association nationale des puéricultrices(teurs) et des étudiants (ANPDE), de Mme Anaïs Valencas, secrétaire générale, et de M. Jean-Christophe Boyer, conseiller juridique (Réunion du jeudi 26 avril 2018 à 16 heures)                             195

Audition commune des ordres paramédicaux (Réunion du jeudi 17 mai 2018 à 8 heures 30)                205

Audition commune des associations d’usagers (Réunion du jeudi 17 mai 2018 à 10 heures 30)                             237

Audition commune des syndicats d’infirmiers (Réunion du jeudi 24 mai 2018 à 8 heures 30)                             265

Audition de M. Jean-Marc Aubert, directeur général de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), et de Mme Muriel Barlet, sous-directrice (Réunion du jeudi 24 mai 2018 à 10 heures 30)                             295

Audition de M. Franck Hilton, directeur de l’Association nationale des centres hospitaliers locaux et des hôpitaux de proximité (ANCHL), et Mme Bernadette Mallot, directrice du centre hospitalier d’Auxonne et déléguée régionale ANCHL pour la région Bourgogne-Franche-Comté (Réunion du jeudi 24 mai 2018 à 11 heures 30)                             305

Audition commune des centres et maisons de santé (Réunion du jeudi 31 mai 2018 à 8 heures 30)                             319

Audition commune communes de M. Philippe Marissal, président de la Fédération des soins primaires, et du Dr Claude Leicher, président de la Fédération des communautés professionnelles territoriales de santé (Réunion du jeudi 31 mai 2018 à 10 heures 30)                             337

Audition du Commissariat général à l’égalité du territoire (CGET) (Réunion du jeudi 31 mai 2018 à 11 heures 30)                             347

Audition commune de M. Nicolas Wolikov et M. Alexandre Maisonneuve, fondateur et directeur médical de Medical Qare, de M. Cyrille Charbonnier, président de Médiveille, de M. François Lescure, président de Médecin direct, et de Mme Sibel de la Selle Bilal et M. Souhil Zebboudj, fondatrice et directeur marketing et développement de Coursier sanitaire et social, accompagnés de Mme Olivia Galley-Allouch, membre de l’Association CRCMRP (structure qui porte les Coursiers sanitaires et social) (Réunion du jeudi 7 juin 2018 à 9 heures 30)                             353

Audition de la Mutualité française (Réunion du jeudi 7 juin 2018 à 11 heures 30) ..... 383

Audition de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) (Réunion du jeudi 14 juin 2018 à 8 heures 30)                             395

Audition de la Cour des Comptes (Réunion du jeudi 14 juin 2018 à 10 heures 30) ..... 421

Audition du Professeur Pierre Simon, ancien directeur de la Société française de télémédecine (Réunion du jeudi 14 juin 2018 à 11 heures 30)                             437

Audition de la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) (Réunion du jeudi 21 juin 2018 à 8 heures 30)                             451

Audition de la Direction de la sécurité sociale (DSS) (Réunion du jeudi 21 juin 2018 à 10 heures 30)                             481

Audition du Dr Bertrand Joseph, médecin coordonnateur de la maison de santé pluriprofessionnelle (MSP) de Grindelle Châteaudun et président de la communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) Sud 28, et de Mme Sylvie Mathiaud, chargée de mission à la Mutualité sociale agricole Beauce Cœur de Loire (Réunion du jeudi 21 juin 2018 à 11 heures 30)                             491

Audition du collège des directeurs généraux des Agences régionales de santé (ARS) (Réunion du mardi 26 juin 2018 à 8 heures 30)                             505

Audition Mme Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé (Réunion du jeudi 21 juin 2018 à 10 heures)                             529

Audition commune des associations d’élus des collectivités territoriales (Réunion du jeudi 28 juin 2018 à 8 heures 30)                             545

 

 

 

 


—  1  —

Audition des ordres médicaux

Présidence de M. Alexandre Freschi, Président de la commission denquête

La commission d’enquête reçoit en audition commune les ordres médicaux et pharmaciens : M. François Arnault, délégué général aux relations externes du Conseil national de l'Ordre des médecins, et M. François Simon, président de la section exercice professionnel ; Mme Myriam Garnier, secrétaire générale et présidente de la commission de démographie du Conseil national de l'Ordre des chirurgiens-dentistes ; Mme Anne-Marie Curat, présidente du Conseil national de l'Ordre des sages-femmes, Mme Sylvaine Coponat, trésorière, et M. JeanMarc Delahaye, responsable des relations institutionnelles et des affaires européennes ; Mme Carine Wolf-Thal, présidente du Conseil national de l'Ordre des pharmaciens, et M. Alain Delgutte, président du conseil central des pharmaciens titulaires d'officine.

M. le président Alexandre Freschi. Notre commission s’est constituée le 29 mars dernier et elle commence ses auditions en recevant les représentants du Conseil national de l'Ordre des médecins, du Conseil national de l'Ordre des chirurgiens-dentistes, du Conseil national de l'Ordre des sages-femmes et du Conseil national de l'Ordre des pharmaciens, auxquels je souhaite la bienvenue.

Je précise que cette audition est ouverte à la presse.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, les personnes entendues déposent sous serment. Je vous demande donc de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Les personnes auditionnées prêtent successivement serment.)

Je donne la parole à un représentant de chaque Ordre pour une intervention liminaire, avant de passer aux échanges avec les parlementaires.

M. François Simon, président de la section exercice professionnel du Conseil national de l'Ordre des médecins. Vous avez reçu hier, avec un retard dont je vous prie de nous excuser, un document qui sert de trame à mon intervention.

Nous avons mené en 2015 une grande consultation sur les attentes et réflexions des médecins, à laquelle 35 000 d’entre eux ont répondu. Sur cette base, l’Ordre a fait, en janvier 2017, des propositions pour « construire l’avenir à partir des territoires », parmi lesquelles sa troisième priorité est « ouvrir et professionnaliser la formation des médecins ». Vous pouvez consulter ce document sur notre site.

En effet, le modèle actuel de sélection et de formation des futurs médecins ne répond manifestement plus aux besoins des territoires. À l’évidence, un jeune praticien s’installe rarement dans un territoire qu’il ne connaît pas ; aussi faut-il tout mettre en œuvre pour que le parcours de formation soit étroitement lié aux territoires et non plus centré sur l’hôpital.

Dès le lycée, il convient d’informer et d’inciter les jeunes des territoires en difficulté à s’orienter vers les études de médecine. Or ils subissent un handicap par rapport à ceux qui habitent près d’une faculté.

La première année commune aux études de santé (PACES) doit être réformée afin de modifier le mode de sélection. Les stages de découverte en premier cycle doivent débuter très tôt et les stages du second cycle doivent être professionnalisants et permettre de découvrir le travail en équipes et toutes les formes d’exercice. Ils doivent se passer sur des territoires, et ceux-ci pouvant être éloignés de l’université, il faudra réorganiser le temps universitaire pour permettre que ces stages soient plus longs. S’il est possible d’être à l’hôpital le matin et à l’université l’après-midi dans une ville universitaire, ce ne l’est pas ailleurs. Il faudra aussi trouver des solutions pour financer les déplacements et l’hébergement des stagiaires. On a évoqué des internats ruraux, mais des internats urbains aussi sont envisageables.

À la suite de l’internat, on pourrait mettre en œuvre très rapidement un post-diplôme d’études spécialisées (DES), sur le type de l’assistanat hospitalier, sous forme d’assistants dans les zones déficitaires.

S’agissant de l’exercice, on sait que les médecins ne veulent plus exercer seuls. Ils privilégient l’exercice regroupé, si possible en équipe. Ces regroupements, qu’ils soient physiques, sur un site ou plusieurs, permettent de mutualiser les moyens, le personnel d’accueil, la gestion administrative du cabinet. Ils facilitent l’organisation de la continuité des soins, qui n’est pas assurée, et qui permet d’éviter des hospitalisations qui n’étaient pas nécessaires. Toutes les formes de regroupement doivent être encouragées, non seulement sous la forme matérielle de maisons de santé, mais aussi des regroupements virtuels et multisites. Les outils informatiques, les moyens juridiques, techniques, réglementaires, sont disponibles pour autoriser ces échanges. Contrairement à une idée reçue, l’Ordre refuse très peu d’ouvertures de sites secondaires dans le cadre du multisites. C’est d’ailleurs moins compliqué qu’on ne le dit et nous avons engagé des travaux pour simplifier encore les démarches.

Mais cet exercice sur le territoire ne peut se faire que si le praticien a un accès facile aux plateaux techniques – biologie et radiologie, bien sûr – et à des spécialistes de second recours – cardiologues, oto-rhino-laryngologistes (ORL) – ainsi que l’appui d’un centre hospitalier ouvert.

Il faut encourager toutes les solutions innovantes. François Arnault a répertorié toutes celles qui fonctionnent bien. En général, elles sont proposées et mises en œuvre par des leaders. Aussi vaut-il la peine de réfléchir à intégrer dans le cursus des médecins une formation au leadership à la fois dans une équipe médicale, mais aussi s’agissant de la réflexion sur le système de santé, ce que nous pratiquons moins que ne le font les Anglo-Saxons.

Il faut aussi évidemment décloisonner le secteur public et le secteur privé dans les territoires et les faire travailler en synergie. Ils ne sont pas concurrents mais complémentaires.

Enfin, n’oublions pas que si la désertification concerne les zones rurales, bien des zones urbaines connaissent aussi de grandes difficultés.

Comme vous le voyez, cette introduction a été centrée sur la formation. À nos yeux, c’est le pont capital.

Mme Myriam Garnier, secrétaire générale et présidente de la commission de démographie du Conseil national de l'Ordre des chirurgiens-dentistes. Je m’occupe de la démographie des chirurgiens-dentistes depuis 2007 et je dois avouer que depuis cette date, j’ai constaté très peu d’évolutions.

Nous sommes environ 43 000 chirurgiens-dentistes en exercice, avec une densité de 65 pour 100 000 habitants, qui évolue de façon positive, contrairement à une prévision de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) du ministère de la santé de 2007, qui projetait une densité de 27 chirurgiens-dentistes pour 100 000 habitants en 2030. La moyenne d’âge est de 44 ans pour les femmes et de 55 ans pour les hommes, et la profession se féminise énormément, comme celle des médecins. Une préoccupation est l’arrivée massive de chirurgiens-dentistes, européens et français, à diplôme européen. Depuis quatre ans, 37 % des primo-inscrits sont dans ce cas, ce qui bouscule le numerus clausus. C’est en quelque sorte une promotion entière qui se forme hors de notre territoire.

Notre principal souci est donc plutôt le maillage territorial et la répartition des cabinets. Je mentionne d’abord ce qui fonctionne. Depuis dix ans, nous avons créé dix unités odontologues dans des régions dépourvues de faculté de chirurgie dentaire. Il s’est avéré que les étudiants, malgré leur désir initial de rester près d’un centre urbain, finissent par s’expatrier. Nous avons commencé par une unité à Dijon en 2008. Il apparaît que 30 % à 40 % des étudiants restent et font leur vie sur place. On a donc réussi à la délocaliser. Deux projets sont en cours, au Mans et à Tours. Les doyens des facultés laissent partir leurs étudiants, ce qui n’était pas le cas auparavant.

Nous souhaitons aussi un renforcement de la coordination entre le centre hospitalier universitaire (CHU) et les cabinets de ville, pour mieux prendre en charge des pathologies bucco-dentaires spécifiques et mieux réguler l’accès aux soins. Nous sommes aussi très favorables à la création des maisons de santé pluriprofessionnelles car actuellement, l’exercice isolé devient impossible pour le chirurgien-dentiste étant donné le plateau technique nécessaire. C’est donc là un mode d’exercice d’avenir.

Nous avons été très satisfaits de récupérer en 2013 les contrats d'engagement de service public (CESP) créés par la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (HPST). Nous avons attribué tous nos contrats, soit une centaine de bourses d’étude et tous semblent avoir été respectés.

Nous avons également proposé d’intégrer plus vite nos étudiants de sixième année dans la profession par un stage actif de 250 heures – voire de 600 heures – dans un cabinet dentaire. Nous aimerions aussi que la mise en place du service sanitaire de trois mois dont on a parlé récemment permette à nos étudiants de faire de la prévention et de connaître le terrain. Depuis cinq ou six ans, nous demandons aussi la création d’un tutorat d’un an dans des zones peu denses, pour permettre l’exercice d’un junior sous la supervision d’un senior.

Nous envisageons d’instaurer une inscription provisoire au tableau, qui pourrait être liée au tutorat, pour tout nouvel arrivant, afin de déceler les situations d’insuffisance professionnelle préjudiciables et permettre d’effectuer les stages obligatoires liés à l’obtention d’une autorisation ministérielle.

Nous attachons aussi une grande importance au développement des soins en établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), où les soins bucco-dentaires sont un souci majeur.

Enfin, nous commençons seulement à travailler au développement de la télémédecine et des objets non connectés.

Mme Anne-Marie Curat, présidente du Conseil national de l’Ordre des sages-femmes. La profession de sage-femme est une profession médicale à compétence définie et cette compétence, ciblée sur la grossesse a été élargie par la loi HPST au suivi gynécologique de prévention pour les femmes en bonne santé. Le ministère avait voulu, par cette mesure, anticiper sur la désertification médicale que nous constatons. Par leur formation initiale, leur connaissance de la physiologie féminine, l’enseignement théorique qu’elles reçoivent en gynécologie, sur la contraception et l’interruption volontaire de grossesse (IVG), soit plus de 240 heures, les sages-femmes étaient bien désignées pour ce rôle. Leur formation en stage comprend aussi 420 heures de prise en charge gynécologique. Depuis 2009, il y a eu effectivement une hausse de la prise en charge de la santé gynécologique par les sages-femmes, notamment les sages-femmes libérales.

À ce propos je rappelle que nous avons 29 000 inscrits à l’Ordre et 23 000 sages-femmes en activité, et que la profession connaît une évolution importante vers l’exercice libéral, soit 30 % désormais, contre 51 % de personnel des hôpitaux et cliniques. Selon les derniers chiffres de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), il y a eu une montée en charge de l’activité gynécologique de prévention. Cependant, le zonage établi il y a quelques années à la demande des syndicats se révèle un frein, car il avait été établi sur le seul nombre des naissances et non sur la demande de soins des femmes. Or la sage-femme ne fait pas seulement des suivis de grossesse, mais aussi une activité de suivi, de contraception, de dépistage et de vaccination. Nos syndicats professionnels négocient actuellement avec la CNAMTS pour revoir ce zonage devenu obsolète. Cela permettrait d’élargir l’offre de soins pour répondre à la demande.

Dans ce même esprit, de réponse à la demande, la loi de santé de 2016 a élargi les compétences des sages-femmes en ce qui concerne la prise en charge de l’IVG médicamenteuse. Mais beaucoup de sages-femmes en libéral nous disent avoir des difficultés à exercer cette compétence, car elles doivent pour cela signer une convention de partenariat avec les centres hospitaliers à proximité et beaucoup de centres refusent. Les sages-femmes seraient également d’accord pour que leur compétence soit étendue à l’IVG instrumentale afin de pouvoir répondre plus rapidement à la demande des femmes. Globalement, cette extension de compétences éviterait à certaines de perdre la possibilité d’obtenir ce qu’elles demandent.

Si je résume nos demandes, par rapport à la densité médicale, il est important que la CNAMTS révise le zonage pour permettre des installations ; nous demandons que les sages-femmes qui s’installeront dans les zones en voie de désertification obtiennent des aides comme celles qui ont été accordées aux médecins. Pour améliorer l’offre de soins, il est aussi fondamental de renforcer la coopération interprofessionnelle, améliorer l’articulation entre médecine de ville et hôpital et l’information des patients sur le rôle de chaque professionnel de santé. Beaucoup de femmes ne connaissent pas les compétences de la sage-femme pour assurer le suivi gynécologique tout au long de leur vie. Bien entendu, la sage-femme exerce une profession médicale à compétence définie, donc dès qu’il y a une pathologie, elle oriente la personne vers le médecin. Or il arrive que dans des zones où une consultation médicale est difficile, des personnes présentant une pathologie s’adressent directement à une sage-femme. Celle-ci se trouve en difficulté car sa compétence propre lui interdit de prendre en charge cette personne et il n’y a pas de médecin vers qui la réorienter : il importe donc de favoriser la communication en santé pour que les compétences de chacun soient bien connues.

Les sages-femmes demandent aussi de pouvoir prescrire aux couples, par exemple pour la surveillance des infections sexuellement transmissibles (IST), le suivi tabacologique, la surveillance vaccinale. La loi de 2016 a donné compétence aux sages-femmes pour vacciner aussi l’entourage de la personne prise en charge. Mais il faudrait améliorer ses possibilités de prise en charge complète du couple.

Mme Carine Wolf-Thal, présidente du Conseil national de l'Ordre des pharmaciens. Pour ma part, je vous donnerai plutôt une bonne nouvelle : il n’y a globalement pas de problème d’accès aux pharmacies dans notre pays, grâce à leur répartition homogène, même si certaines officines sont fragilisées, notamment par le départ ou le transfert d’un médecin. Grâce à ce maillage territorial harmonieux, les pharmaciens contribuent à l’accès égal aux soins pour tous les Français. Ce maillage homogène est le résultat de règles d’établissement des officines qui ont fait leurs preuves et qui ont récemment été révisées sur certains points afin de l’optimiser dans les zones fragiles. Rappelons aussi que tous les pharmaciens sont approvisionnés en médicaments en moins de 24 heures grâce à un système de répartiteurs organisé sur tout le territoire. Sur les 8 200 communes ayant une ou plusieurs pharmacies, 419 n’ont pas de médecin. Le pharmacien y assure donc un rôle de premier plan dans l’accès aux soins, qui serait plus important encore en cas d’élargissement de ses missions. Il joue déjà un rôle social d’orientation dans le parcours de soins. Quatre millions de Français franchissent chaque jour la porte d’une pharmacie, qui est souvent leur seul point d’accès aux soins.

Nous nous posons cependant une question à propos des maisons de santé, que le gouvernement veut favoriser. C’est une bonne chose pour l’accès aux médecins, mais leur regroupement dans les bourgs peut fragiliser des officines de certains villages. Nous demandons donc aux directeurs d’agences régionales de santé (ARS) de manifester une certaine vigilance et d’impliquer les pharmaciens dans la création de ces pôles.

L’Ordre couvre l’ensemble des pharmaciens, pas seulement l’officine. Pour les biologistes, avec la financiarisation de la biologie médicale, il pourrait y avoir un risque quant à la présence d’un laboratoire dans certains sites et donc d’accès aux analyses. Pour les soins non programmés, la nécessité éventuelle d’obtenir une analyse biologique en moins d’une heure serait compliquée si le plateau technique est éloigné.

Les pharmaciens représentent donc une force, et ils sont en mesure de faire des propositions pour améliorer l’accès aux soins : la possibilité de renouveler certaines prescriptions ; la prise en charge de pathologies bénignes, avec information et validation du médecin ; les cabines de téléconsultation dans les pharmacies ; la vaccination, à laquelle les pharmaciens commencent à contribuer par une expérimentation en Auvergne-Rhône-Alpes et Nouvelle-Aquitaine et dont la ministre a annoncé l’extension dès 2019.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Je vous remercie de votre contribution aux travaux de notre commission. Nous avons souhaité vous entendre ensemble au nom de l’interdisciplinarité – vous avez d’ailleurs parlé de mise en réseau. Mais je ne vous ai pas beaucoup entendus, les uns et les autres, parler d’urgence. Or le sujet est devenu brûlant pour les parlementaires, dont une trentaine sont venus vous entendre. Elle l’est aussi pour la société, car les questions s’accumulent.

M. François Simon. Volontiers. L’urgence, c’est d’une part la garde, soit une mission de service public selon une réglementation qui définit un créneau horaire, de 20 heures le soir à 8 heures le matin. Mais je pense que vous parlez plutôt de l’accès, dans la journée, aux soins.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Quelles sont les mesures à prendre à court terme, alors qu’on constate que le problème de l’accès aux soins s’aggrave ? Pour ce qui est de la garde, on y viendra peut-être dans les questions.

M. François Simon. La question est compliquée : en fonction de la démographie médicale, de l’organisation des cabinets, du fait que les médecins reçoivent pour la plupart sur rendez-vous, comment dégager des créneaux horaires pour s’occuper de soins non programmés ? Il s’agit donc de ce que nous appelons la continuité des soins. Nous avons été interrogés sur le sujet par une commission récemment, nous travaillons sur le sujet. Il faudra probablement des incitations, une contractualisation peut-être comme dans le cadre des maisons de santé. Il n’y a pas de remède miracle. On peut penser à un assistanat pour étoffer l’offre.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Vous pensez à des internes de troisième année qui pourraient s’installer auprès de médecins ?

M. François Arnault, délégué général aux relations externes du Conseil national de l'ordre des médecins. En effet, la situation dans les territoires est assez grave et il faut certainement prendre des mesures d’urgence. Nous en avons proposé une, qui figure de façon peut-être trop discrète dans la note que nous vous avons communiquée. Il s’agit des postes d’assistants de territoire, libéraux, en parallèle avec les postes d’assistants de spécialité de médecine générale des hôpitaux proposés plutôt à de jeunes médecins qui ont la thèse et en post-DES. Cette mesure est relativement facile à mettre en place. Notre proposition s’assortit d’un volontariat. Ce n’est pas à nous d’aller plus loin, et nous n’avons pas senti vraiment un agrément chez nos jeunes confrères. C’est une mesure d’urgence facile à mettre en place dans des territoires où des patients ne trouvent pas de médecin. De plus, cela peut ancrer des médecins qui ont terminé leurs études dans le territoire où ils ont suivi leur formation et accélérer leur installation.

M. Philippe Vigier, rapporteur. C’est ce que vous appelez les post-DES ?

M. François Arnault. Oui.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Ils seraient en exercice libéral et n’auraient pas de statut.

M. François Arnault. Non, mais cela serait facile en mettre en œuvre. Qu’il s’agisse d’un médecin ou d’un assistant de territoire, le financement par l’assurance-maladie est tout à fait possible.

Mme Carine Wolf-Thal. Quel peut-être le rôle des pharmaciens dans l’urgence ? Écartons la véritable urgence qui doit être dirigée vers l’hôpital. Mais il y a des soins non programmés, le patient ressentant l’urgence d’avoir un avis médical. Certains patients viennent dans les officines puis, car ils n’ont pas la gratuité des soins, se rendent aux urgences, contribuant à leur engorgement. Il y a là un aspect économique. Le pharmacien pourrait jouer un rôle de tri, en orientant vers les urgences, vers une consultation, ou même une téléconsultation comme c’est le cas en Suisse avec le dispositif netcare : avec cet encadrement par des médecins si nécessaire, le pharmacien peut prendre en charge des pathologies bénignes. D’autre part, le système de garde pour les pharmaciens, c’est sept jours sur sept, 24 heures sur 24, sur tout le territoire.

M. Jean-Michel Jacques. La présidente de l’Ordre des pharmaciens a dit que leur maillage était cohérent, grâce à la réglementation des installations, et en tant que maire d’une commune rurale, je peux en attester. Il n’y a pas de problème pour les pharmacies. Pourquoi ne pas utiliser le même dispositif pour les médecins ? Cela vaut aussi pour d’autres professions, comme les infirmières, dont il est dommage qu’elles ne soient pas représentées aujourd’hui.

M. François Arnault. Nous ne sommes pas surpris par votre question. Étant aussi maire d’une commune rurale, je parle les deux langues. Il est vrai que la question de la répartition des pharmacies sur le territoire est réglée. Quant à exercer une incitation forte, voire une coercition, pour envoyer les jeunes médecins dans les campagnes, nous ne sommes pas convaincus qu’ils entreront par la porte qui leur sera montrée.

M. Jean-Michel Jacques. Les pharmaciens le font bien !

M. François Arnault. C’est qu’ils ont d’autres choix, si on leur ferme l’installation en cabinet. Les hôpitaux sont de gros recruteurs de médecins généralistes. Si on leur refuse une installation en libéral là où ils le souhaitent au motif que l’offre est déjà suffisante, il n’est pas sûr qu’ils aillent pour autant là où elle ne l’est pas. Les portes des hôpitaux leur sont grandes ouvertes.

M. Jean-Carles Grelier. En effet, on oublie trop qu’aujourd’hui, 52 % des médecins exercent à l’hôpital et 48 % en ville. L’hôpital est donc le principal concurrent de la médecine de ville. Croire que plus on exercera de pressions sur les étudiants en médecine, moins ils s’installeront en ville, c’est une fausse bonne idée.

Monsieur le président Simon, je vous ai lu et écouté avec attention. Vous n’avez pas évoqué le statut du médecin et la possibilité d’exercer à la fois en libéral et en salarié à l’hôpital ou dans un centre de santé, ce qui procurerait beaucoup de souplesse. Vous n’avez rien dit non plus du statut social du médecin libéral, par exemple les problèmes que connaît une jeune femme médecin – aujourd’hui, 70 % des jeunes diplômés dans ce secteur sont des femmes – étant donné les conditions de prise en charge de la maternité. Vous n’avez pas non plus évoqué la prise en charge des soins, avec un délai de carence de 90 jours pour un médecin libéral qui s’installe – quand, dans la fonction publique, on débat d’un jour de carence… Vous avez évoqué les maisons pluridisciplinaires. Elles font l’objet d’un effet de mode. Madame la ministre de la santé envisage d’en doubler le nombre. Elles valent « un million pièce ». Dans mon département, il y en treize, et une seule a réussi à attirer de nouveaux praticiens. Elles offrent certes des conditions d’exercice plus confortables aux praticiens, mais pour ce qui est d’attirer de nouveaux professionnels de santé, le résultat n’est pas évident. Quel est votre avis ?

Enfin, si l’essentiel est la formation, elle prend du temps. Comment, en attendant, envisagez-vous le partenariat avec les sages-femmes, les pharmaciens et des paramédicaux comme les infirmiers de pratiques avancées ?

M. François Simon. Sur le statut mixte du praticien, à la fois libéral et salarié, la réglementation n’est pas un obstacle, à cette réserve près que le praticien hospitalier est théoriquement à plein temps, sauf dérogation. En tout cas, il n’y a pas de problème du côté de l’Ordre.

Sur la couverture sociale, par exemple sur la maternité, des progrès ont été faits, mais il faudra en faire d’autres. Nous parlions par exemple d’un statut de l’assistant de territoire, qui peut être un élément de transition.

En ce qui concerne les maisons de santé, nous avons soutenu l’idée et la mise en place des sociétés interprofessionnelles de soins ambulatoires (SISA). Mais nous avons toujours dit que ce n’était pas une panacée. Nous sommes très favorables à l’exercice regroupé, physique ou virtuel. Bien sûr, les maires veulent toujours avoir leur médecin dans la commune, mais des médecins isolés, il n’y en aura plus, il faut le savoir. Nous promouvons cette idée, car c’est la seule manière d’assurer une continuité des soins non programmés.

Nous nous parlons, avec les paramédicaux. Pendant un an, j’ai participé au comité de pilotage mis sur pied par la direction générale de l’offre de soins (DGOS), qui devrait aboutir rapidement à un décret sur les pratiques avancées pour les infirmières. Mais il ne faut pas rêver : les pratiques avancées concerneront, d’ici quelques années, 3 000 à 4 000 personnes, dont les deux tiers à l’hôpital. C’était une aspiration des infirmiers, un besoin pour les patients et les médecins, mais pas une solution pour demain matin. Nous rencontrons aussi les sages-femmes. Quant aux pharmaciens, nous avons entrepris, avec la nouvelle présidente, un travail sur notre coopération.

Mme Monica Michel. Monsieur le président Simon, vous avez parlé de la complémentarité entre le public et le privé. Mais quels seraient les secteurs gagnants, et s’agissant du secteur hospitalier, comment cela se ferait-il de façon équitable ?

M. François Arnault. Je prends deux exemples de réorganisation et d’amélioration de l’offre sanitaire. À Belle-Île, il ne restait que trois médecins généralistes. La création d’un hôpital local a permis qu’un généraliste, qui avait cessé d’exercer sur le continent, installe un cabinet communiquant avec l’hôpital, où il exerce des fonctions hospitalières et d’urgence tout en ayant sa clientèle privée. Depuis, l’île est passée à dix médecins généralistes, surtout des jeunes des facultés de Rennes et de Nantes, encouragés par l’amélioration des conditions locales et par une organisation des horaires lisible. Ce système, qui implique les collectivités, pourrait être repris ailleurs.

À Nogent-le-Rotrou, un hôpital public qui avait perdu son plateau technique de chirurgie a réussi, sous l’impulsion d’un leader – c’est toujours le cas – à rouvrir dans ses locaux un service de chirurgie ambulatoire exercé par des praticiens libéraux qui viennent du Mans et de Chartres…

M. Philippe Vigier, rapporteur. C’est mon département. Je vous expliquerai comment cela s’est passé vraiment.

M. François Arnault. Je veux bien, je vous fais entièrement confiance. Ce que je relate ici, c’est ce que le docteur Champeau m’a encore dit hier au téléphone, à savoir que des praticiens libéraux viennent du Mans et même de Paris. Il n’y avait plus de chirurgie, et il a réussi à récréer, avec vous, une offre de soins avec des spécialités comme la cardiologie et d’autres. Je reprendrai contact avec lui.

Il y a d’autres exemples. Sur le site de l’Ordre, sous l’encart « initiatives réussies », vous trouverez une liste, non exhaustive, de ces cas où des médecins ont réussi à maintenir, et le plus souvent améliorer l’offre de soins sur des territoires en difficulté. Il s’agit de jeunes médecins et dans ces expériences, les stages professionnalisants ont été un levier de fixation très important.

Mme Agnès Firmin Le Bodo. Un médecin généraliste maître de stage a plus de chances de trouver un remplaçant et peut-être même un successeur. Quel est le pourcentage de généralistes qui le sont, et avez-vous des pistes pour lever les obstacles qui en empêchent un plus grand nombre de le devenir ?

M. François Simon. Je ne peux vous donner le nombre, mais nous le demanderons à notre service chargé de la démographie. C’est assez compliqué à répertorier, nous avons du mal à l’obtenir des facultés. C’est bien évident, on ne s’installe pas par hasard. Disposer d’un maillage départemental de maîtres de stage est donc fondamental. Certaines facultés sont mieux organisées que d’autres pour cela. C’est important pour les généralistes, mais aussi pour les médecins de second recours, les spécialistes. Beaucoup a été fait, mais il faut aller plus loin, car c’est un passage obligé. Dans nos propositions, nous demandons que le stage commence beaucoup plus tôt. Vous mentionnez ici du stage pour les internes, mais il faut que le second cycle, qu’on est en train de réformer, soit plus professionnalisant. Un problème, que nous allons voir avec les doyens, est celui du séquençage : pour être à 200 kilomètres de la faculté il faut par exemple un rythme de quelques jours, régulièrement, à la faculté. Et sur place, il faut se soucier de l’hébergement, du loyer. Il y a une réflexion générale à avoir avec les élus. On a parlé de prise en charge des transports, d’internats ruraux car le problème de l’accès aux territoires concerne aussi les dentistes, les pharmaciens.

M. Jean-Michel Jacques. Et quelles sont les solutions ?

M. François Simon. Les solutions d’hébergement viendront des territoires eux-mêmes. Tous leurs responsables doivent y travailler.

M. Christophe Lejeune. Le numerus clausus pour 2018 est de 8 205 nouveaux médecins. Or il semble qu’entre le quart et le tiers des médecins diplômés n’exercent pas, soit au moins 2 000 entre eux sur la promotion 2018. C’est un vrai problème. Le type de sélection qui conduit aux études de médecine n’est-il donc plus approprié, pour qu’on en arrive à cette déperdition ?

M. François Simon. Là encore, vous trouverez des éléments dans les résultats de la grande consultation que nous avons organisée, à laquelle 35 000 médecins ont répondu. Il y a en effet un problème de recrutement. La PACES, qu’on suit juste après le bac, est discutable et n’a pas les bons critères de sélection garantissant que, quelques années plus tard, les diplômés choisissent une carrière dans le soin, ce qui explique aussi une certaine perte. Une réflexion expérimentale est en cours à Angers et à Brest – où elle sera mise en place à la rentrée prochaine – sur un nouveau type de sélection qui offrira une seule possibilité d’admission au premier concours, le tiers des étudiants qui restent étant orientés vers des études plus larges, mais pouvant réintégrer ultérieurement le cursus, sur dossier. On pourrait peut-être par ce moyen laisser entrer des gens qui n’entraient pas par le concours classique mais ont peut-être plus d’aptitudes, de manière à éviter le problème que vous soulevez, qui est réel.

M. Didier Baichère. Je reviens sur l’urgence. Dans ma circonscription, très urbaine, de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, le manque de médecins est aussi fort qu’en zone rurale. Or le territoire est jugé attractif. Vous avez évoqué la possibilité de trouver des étudiants en post-DES, auxquels il faudrait trouver un statut, mais sur la base du volontariat. Je m’interroge sur ce dernier critère. J’ai cru déceler dans vos propos que peut-être les maisons de santé n’étaient pas la solution, mais qu’il fallait des regroupements, toujours sur cette base du volontariat. Or nous sommes en situation d’urgence. Que faire, maintenant, pour trouver des médecins, en zone rurale mais aussi en zone dense attractive ?

M. François Simon. Je précise : je n’ai pas dit que les maisons de santé n’étaient pas la bonne solution, mais que ce n’était pas la seule solution.

M. François Arnault. En effet, le problème existe aussi dans certaines zones urbaines, et parfois de façon plus grave. En effet, les populations y sont plus défavorisées qu’en zone rurale, et l’accès aux soins y est gravement mis en cause. La mesure d’urgence, c’est de dire aux étudiants en médecine qui ont soutenu leur thèse qu’il faut exercer pour aider la population. Les doyens ont abouti à la même solution que nous, sous la forme d’un service civil. Les médecins ayant soutenu leur thèse ne peuvent pas être insensibles au fait que des patients restent sans soins, et il faut les inciter à apporter leur contribution, pendant un certain temps. C’est la solution la plus rapide. Ensuite, tout ce qui porte sur la modification des études s’inscrit dans le temps plus long.

M. Didier Baichère. Il se trouve qu’à Versailles-Saint-Quentin, nous avons beaucoup d’avantages, dont une université, ce qui simplifie le problème des stages. Et pourtant, nous ne trouvons pas plus de solutions qu’ailleurs. Est-ce que, dans l’urgence, il ne va pas falloir en venir à une certaine contrainte ?

M. François Arnault. Sur la contrainte, je n’ai pas de commentaire à faire.

M. Marc Delatte. Le constat, c’est qu’on s’attend à une diminution de 25 % du nombre de généralistes d’ici 2025, et cela fait quinze à vingt ans que nous – j’étais généraliste – tirons la sonnette d’alarme. Mais quelle image ont les étudiants du médecin généraliste, en faculté ? Elle est plutôt délétère. L’hypersélection par les maths a peu à voir avec la vocation. Avec le numerus clausus, on ne forme pas assez de médecins. Et à force de charger la barque, les confrères en ont assez, ils veulent aussi s’arrêter à heure fixe pour s’occuper de leur famille. Quant aux urgences, où l’on est passé en dix ans de dix à vingt millions de patients, ce n’est pas seulement une question économique : les gens vont travailler de plus en plus loin, quand ils rentrent à 19 heures il n’y a plus de cabinet ouvert, ils vont aux urgences, plutôt que de perdre leur journée du lendemain. C’est donc aussi un problème d’offre de soins. Ne devrait-on pas mettre des généralistes aux urgences ? Il y a un problème de génération, les jeunes ne veulent plus faire soixante à soixante-dix heures par semaine comme nous le faisions, ils veulent être salariés et avoir un temps médical défini. Toutes les initiatives sont bonnes à prendre, comme, devant l’inflation de maladies chroniques, le recours aux infirmiers avec le système ASALEE – acronyme d’« action de santé libérale en équipe » – et aux pharmaciens.

M. François Simon. Bien sûr, toutes les initiatives sont bonnes à prendre et c’est par l’exercice regroupé sur le terrain qu’on va pouvoir s’organiser. Nous devons le faire tous ensemble, il faut que tout le monde s’implique. Nous avons par exemple lancé l’idée de bassin de proximité de santé. La solution ne tombera pas de Paris, et les médecins qui manquent, nous ne les avons pas dans la poche. Personne n’a de solution immédiate pour en envoyer comme cela, dès demain.

M. Jean-Pierre Cubertafon. Je me félicite de cette initiative car le Périgord vert, où je suis élu, est dans un état très grave, en pré-coma. Par exemple, des personnes qui étaient venues se fixer à Nontron sont reparties faute de trouver un médecin référent. Il faut agir vite. Les maisons de santé ne sont pas le seul outil pour cela, mais surtout il ne faut pas les réduire à un dossier immobilier, il faut que l’initiative parte des médecins. Chaque fois qu’on a fait une maison de santé sans impliquer les professionnels et paramédicaux, cela a été un échec.

M. François Simon. Je vous remercie de dire ce que nous disons depuis le début. Une maison de santé, c’est d’abord un projet, pas seulement des médecins, mais des professionnels qui veulent travailler ensemble. Le médecin n’en est pas forcément l’initiateur, celui qui va assumer le « leadership managérial » selon le terme qu’utilisent les infirmiers.

Mme Stéphanie Rist. Vous dites qu’il faut s’organiser sur le terrain, j’en suis convaincue. Dans ma région, des professionnels le font dans le cadre de communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). Comment le Conseil de l’Ordre pense-t-il inciter à la diffusion de ces expérimentations, qui sont efficaces, et quelle responsabilité pourraient prendre les médecins sur leur territoire ?

M. François Simon. Les médecins, comme les autres professionnels, ont leur part de responsabilité dans la prise en charge des populations. Il faut le transmettre pendant la formation, et, de façon urgente, assurer cette formation sur les territoires, pas seulement autour des universités. Dans le Finistère, deux tiers des étudiants viennent des environs de la faculté. Comme il y a aussi des maîtres de stage, cela ne se passe pas trop mal, mais les jeunes diplômés connaissent mal le territoire au-delà. Nous soutenons donc les CPTS, et l’Ordre reçoit la DGOS la semaine prochaine à ce sujet. La solution CPTS ne partira que du terrain.

Mme Nicole Trisse. Monsieur Simon, il est très bien de vouloir développer les stages pour les étudiants en médecine. Mais comment obliger, ou du moins convaincre les médecins en exercice de devenir maîtres de stage ? Il y en a trop peu et beaucoup, qui ont déjà assez de travail, n’y sont pas prêts.

Madame Garnier, vous avez évoqué le recours à la télémédecine pour les chirurgiens-dentistes. En quoi cela consisterait-il ?

M. François Simon. Comment convaincre ? Excellente question. Il se trouve qu’il y a beaucoup de maîtres de stage dans certaines régions et peu dans d’autres. Cette situation est difficile à analyser : il y a un tissu local, des traditions, un mode d’organisation, là où l’exercice est déjà regroupé. Il y a une cinquantaine d’années, il y a déjà eu un maillage du territoire par ce qu’on appelait la médecine de groupe. L’explosion de la démographie médicale après 1968 a arrêté ce mouvement : de nombreuses communes d’un millier d’habitants qui n’avaient jamais eu de cabinet ont vu arriver un médecin isolé – ce sont ceux-là mêmes qui partent à la retraite aujourd’hui. Les départements où la médecine de groupe était en avance ont moins de problèmes aujourd’hui pour avoir une continuité des soins, des remplaçants et même des repreneurs, et des maîtres de stage, ce qui est plus facile que dans un cabinet isolé. Ensuite se pose le problème de l’hébergement des étudiants. La démographie médicale de l’Aveyron, par exemple, n’était pas meilleure que celle de ses voisins, mais les collectivités locales se sont organisées pour organiser l’hébergement, la faculté de Toulouse a promu des maîtres de stage, et cela a fonctionné pour compenser le déficit.

Mme Myriam Garnier. Sur la télémédecine, notre réflexion est embryonnaire. Il s’agit surtout de prévention et de consultation. Il existe déjà des cabinets équipés en caméras intrabuccales connectées à un professionnel compétent qui oriente vers un professionnel en fonction de la pathologie bucco-dentaire. Il faut le développer pour la répartition des soins et face à l’urgence dentaire.

Mme Anne-Marie Curat. Si les sages-femmes étaient reconnues comme professionnels de premier recours, par exemple pour la contraception, la pose de stérilet, le suivi gynécologique, cela libérerait du temps médical pour les généralistes. On pourrait cartographier cette complémentarité. Nous demandons cette reconnaissance.

Mme Jacqueline Dubois. Je m’interrogeais justement sur les pratiques avancées. Nos échanges ont porté sur le manque de médecins. Mais, en 2016, le Parlement a voté un texte qui offre à d’autres professionnels de santé la possibilité d’étendre leur exercice. Peut-être d’ailleurs notre commission recevra-t-elle l’Ordre des infirmiers, qui n’est pas présent aujourd’hui. N’est-ce pas là une piste pour répondre rapidement aux besoins et, même, en allant plus loin, établir des passerelles et former à la médecine des professionnels qui ont déjà fait des études médicales ?

Mme Anne-Marie Curat. C’est ce qu’apporterait une augmentation de compétence des sages-femmes. Dans le cadre de la stratégie nationale de santé, elles pourraient avoir une compétence pour la vaccination, chez le nourrisson mais aussi pour le suivi chez l’enfant mais aussi toute personne. Il en va de même pour l’IVG instrumentale et la prescription, dans toute la population, de dépistage des IST.

M. François Simon. La loi a prévu que les professionnels « auxiliaires » médicaux peuvent suivre une formation aux pratiques avancées de leur profession. Dans un premier temps, pour des raisons de proximité, ces pratiques avancées ne concernent que les infirmières. Un comité de pilotage a fait des auditions et défini le périmètre de ces pratiques. L’objectif est bien de soulager le médecin de certains suivis, par exemple pour des pathologies chroniques stabilisées. Pour les diabètes de type 2 par exemple, avec contrôle tous les trois mois et d’autres examens, il y a la possibilité de soulager le médecin de cette tâche chronophage, ce qui lui laissera plus de temps médical pour les soins non programmés. Le décret est en cours d’élaboration. Mais ce ne sera pas une solution pour demain, plutôt après-demain, dans quatre ou six ans. Par exemple, il existe deux formations, à Aix-Marseille et Saint-Quentin-en-Yvelines, mais tout reste à construire.

M. le président Alexandre Freschi. Or notre question c’est l’urgence.

Mme Jacqueline Dubois. S’agira-t-il d’infirmiers liés à des médecins, ou auront-ils une certaine autonomie dans des territoires où il n’y a pas de médecin ?

M. François Simon. Ces infirmiers feront obligatoirement partie d’une équipe de soins coordonnée par un médecin, ou dans un établissement médical ou médicosocial ou en assistance d’un médecin spécialiste. La demande est d’abord venue des services hospitaliers d’oncologie, pour les chimiothérapies ; le deuxième secteur est la néphrologie pour les insuffisances rénales ; ensuite il y a le gros contingent des maladies chroniques stabilisées. Un autre secteur en demande est la psychiatrie, mais cela pose d’autres problèmes, sur lesquels la réflexion est en cours.

Mme Carine Wolf-Thal. On pourrait gagner très vite du temps médical, en se reposant sur l’expertise des pharmaciens en matière de médicament. En ce qui concerne les patients chroniques, on peut renouveler des ordonnances, ajuster les doses ; on peut renouveler, sur des pathologies aigues comme les rhinites allergiques que nous voyons en ce moment, renouveler le traitement prescrit l’année précédente. Et il y a les pathologies bénignes : le pharmacien a la compétence et fait déjà de la « bobologie ». Mais cela devrait être mieux encadré, en se mettant d’accord avec les médecins sur des arbres décisionnels permettant d’aller plus loin dans la prise en charge. Les compétences existent, il n’y a pas besoin de formation, mais de textes législatifs et réglementaires pour encadrer ces pratiques.

Le large champ de la prévention ne relève pas de l’urgence, mais comme je l’ai évoqué, le pharmacien a été formé dans le cadre de l’expérimentation de la vaccination contre la grippe et pourrait vacciner contre la rougeole, dont il y a une épidémie actuellement. Ces pistes peuvent être activées immédiatement. C’est au législateur d’ouvrir le champ des possibles. Et pour un avenir moins proche, des expérimentations de téléconsultation dans des pharmacies sont en cours dans le Roannais et dans le nord-ouest de la Vendée, qu’on pourrait facilement accélérer.

Mme Gisèle Biémouret. Nous n’avons pas abordé la question de l’intérim médical. A-t-il, selon vous, des conséquences sur la non-installation ? La pénurie fait que les vacations sont bien plus élevées dans les hôpitaux que les salaires des personnels en poste. Est-ce que cela joue ? Je préside le conseil d’administration d’un centre hospitalier rural et nous avons eu beaucoup de difficultés. La situation est stabilisée, mais les médecins en poste doivent s’investir énormément. Venir faire des remplacements demande moins de responsabilité et présente moins « d’inconvénients » que de s’installer, pour des spécialistes comme pour les généralistes.

M. François Simon. Vous faites allusion, si je comprends bien, à cette catégorie de médecins que les hôpitaux embauchent comme « mercenaires »…

Mme Gisèle Biémouret. Oui, je n’ai pas osé employer le mot.

M. François Simon. Une transition est en cours. Il est vrai que des hôpitaux dépensaient des sommes faramineuses pour faire venir des médecins, avec des sommets en radiologie et en anesthésie, en fonction de l’activité fournie, parfois dérisoire. Un plafond réglementaire vient d’être fixé et il faut réfléchir à une graduation des prises en charge dans certains services.

Concernant les généralistes, la situation est moins compliquée, mais elle justifie nos réserves sur des mesures coercitives. Les niveaux de salaire sont connus et pas vraiment en cause. Par exemple, pour être coordonnateur d’EHPAD, il y a une base de salaire. Mais l’offre de ces postes, ces dernières années, a provoqué une saignée dans l’effectif des généralistes dont certains ont opté pour un temps partiel, d’autres pour un temps plein. Mais pendant ce temps-là, ils n’assurent plus de soins. Une offre existe, on ouvre une porte, on s’y précipite, et cela dégarnit un peu les rangs.

Mme Emmanuelle Fontaine-Domeizel. Il existe des no man’s lands médicaux, et cela pèse plus lourdement encore sur les personnes pour lesquelles a été votée la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Chacun de vous peut-il me dire, pour son ordre, ce qui est mis en place en France pour les personnes handicapées, notamment en exercice libéral ?

M. François Simon. Nous avons beaucoup travaillé avec les associations. L’accès au cabinet est élémentaire, mais aussi l’adaptation du matériel. Il y a eu des situations tendues, nous avons essayé d’être médiateurs, d’accompagner, de promouvoir aussi des solutions. Évidemment, les choses avancent moins vite qu’il ne faudrait, mais nous essayons de poursuivre.

Mme Myriam Garnier. Nous venons de publier un rapport, consultable sur notre site, sur l’accès aux soins des personnes en situation de handicap. Nous avons dressé un inventaire national et nous avons eu la bonne surprise de constater que chaque département a son réseau pour l’accès aux soins.

Mme Anne-Marie Curat. Il y a l’accès au cabinet, comme pour les médecins, et les sages-femmes prennent en charge et suivent les femmes handicapées tout à fait comme les autres. Au moment de l’accouchement, elles s’adaptent. Il y a un service spécialisé à Paris. Mais nous sommes surtout dans la prévention et le dépistage.

Mme Carine Wolf-Thal. Je vous remercie de cette question. Le fait même qu’il m’a fallu quelques instants pour trouver des réponses – elles existent – me laisse penser que nous ne faisons peut-être pas assez, en ce qui concerne l’Ordre. Je vais faire en sorte que nos efforts soient plus visibles sur notre site. Mais les réponses sont classiques : accès de l’officine, fourniture de matériels, déplacements à domicile.

Mme Mireille Robert. Mme Wolf-Thal m’a répondu sur les officines de premier recours, mais je crois qu’il n’y a pas d’expérimentation en cours.

Madame Garnier, vous dites que 38 % des jeunes chirurgiens-dentistes installés ont un diplôme étranger. A-t-on ouvert le numerus clausus ou compte-t-on le faire ?

Mme Myriam Garnier. Nous maintenons le numerus clausus à 1 200 depuis trois ou quatre ans. Auparavant, les étudiants suivaient la voie classique de la PACES. Avec la directive européenne 2005-36 sur la reconnaissance automatique des diplômes, nos étudiants ont eu la possibilité de partir en Espagne et en Roumanie, deux pays où il n’y a pas de numerus clausus, puis en Belgique et au Portugal. Ils reviennent, plus nombreux que prévu, et c’est pour cela que nous n’augmentons pas le numerus clausus. Vont-ils dans les zones sous-dotées ? Ils se comportent comme les étudiants à diplôme français, sauf les praticiens de nationalité roumaine pour lesquels aller s’installer dans les zones sous-dotées, avec les aides qu’on accorde, c’est un peu l’eldorado. Dans quelques années, 40 % des nouveaux installés auront un diplôme européen. En tout cas, il y a de plus en plus de chirurgiens-dentistes pour répondre à la demande et la répartition est meilleure.

La formation qui leur a été dispensée pose problème. Une étude faite l’an dernier par un étudiant de Rennes montre que 10 % de ces diplômés n’ont pas eu de formation clinique. Il y a là une insuffisance professionnelle. Nous inscrivons les Français à diplôme européen, en revanche nous n’inscrivons pas forcément les étrangers s’ils ne maîtrisent pas la langue. Mais nous n’avons pas vraiment de critère pour discerner l’insuffisance professionnelle.

Mme Carine Wolf-Thal. Pour ce qui est du pharmacien comme professionnel de premier recours, c’est déjà le cas dans le quotidien. Il y a aussi des protocoles de coopération avec les maisons pluridisciplinaires de santé, par exemple dans le cadre d’un SIDA. Les pharmaciens souhaitent aller dans ce sens et par exemple, nous voulons mettre en place des expérimentations sur la prise en charge des pathologies bénignes dans le cadre de l’article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018, qui clarifie les règles de prise en charge et de financement des soins.

Mme Pascale Fontenel-Personne. Je vous remercie pour la qualité et la franchise de ces propos. Je reviens sur les pratiques avancées. Actuellement, des infirmières, bien formées, créent leur cabinet, après être passées dans des services hospitaliers importants par exemple. Ne peut-on prendre en compte une validation des acquis de l’expérience, pour mettre en place plus vite des pratiques avancées ?

M. François Simon. Il y aura une validation des acquis quand les pratiques avancées seront installées. Il faut commencer par bien définir avec des conseils de spécialité, des référentiels d’activités, de compétences, afin de déboucher sur un référentiel de formation. Les infirmières participant à l'expérimentation ASALEE, par exemple, pour le diabète, pourront prétendre à devenir des infirmières à pratique avancée par validation.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Le sujet central est l’urgence de la prise en charge. Je le dis au Conseil de l’Ordre des médecins, on ne peut pas travailler à moyen terme et à long terme. Vous êtes des responsables. L’accès aux soins est-il garanti sur tout le territoire ? Non, il ne l’est plus. Le témoignage du député de Versailles est édifiant : l’accès n’est plus garanti, comme il ne l’est plus dans le 20e arrondissement ni dans le rural profond. On ne peut pas se contenter de poser un emplâtre sur une jambe de bois. Il faut faire des propositions fortes, sinon on en reste à dire qu’on verra, dans cinq ans ou dans dix ans. Or la situation est gravissime. En outre, personne n’en a parlé, il y a à évaluer les politiques publiques et tout l’argent qui a été mis sur la table. À ce propos le rapport de la Cour des comptes est édifiant.

Alors, êtes-vous prêts à ouvrir complètement le numerus clausus ou non ? Cela vous concerne tous, puisqu’il s’agit de la PACES. J’ai même lu des propositions de médecins pour la supprimer. On a dit que les dentistes formés en Roumanie, en Espagne, en Belgique sont de moins bon niveau que ceux formés en France. Est-ce à dire que l’on laisse une sous-médecine s’installer ou fait-on en sorte que plus de jeunes puissent être formés chez nous pour l’ensemble des professions médicales ?

Mme Myriam Garnier. Former plus de jeunes professionnels n’influe pas sur leur répartition géographique.

M. Philippe Vigier, rapporteur. L’offre et la demande vont tout de même jouer. Il faudra bien aller chercher une clientèle là où elle se trouve.

Mme Myriam Garnier. Sans doute, mais tel n’est pas l’état d’esprit des jeunes praticiens qui vont s’installer.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Ce n’est pas un problème d’état d’esprit des jeunes. Êtes-vous décidés à former plus de jeunes ? En France, la formation est presque gratuite ; en Roumanie, c’est 5 000 à 10 000 euros par an. Laisserons-nous ce système se perpétuer, alors que nous avons des manques, notamment en orthodontie. Vous êtes tous attachés à la qualité des soins. Laisse-t-on une sous-médecine s’installer ?

Mme Carine Wolf-Thal. Il est clair que le numerus clausus n’a plus de sens. Il ne joue pas son rôle, et même il crée des inégalités chez nos jeunes dans l’accès aux professions de santé. Aller se former en Roumanie parce qu’on a raté la PACES, ce n’est pas donné à tout le monde.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Seriez-vous d’accord pour régionaliser la formation ? Cela créerait des filières locales. Les dentistes ont fait des propositions.

Mme Myriam Garnier. Si le numerus clausus n’a plus de sens, il y a quand même un problème de capacité de formation dans les universités, sur le plan financier comme sur celui des locaux – les amphis sont pleins à craquer. Il faut un système de régulation à l’entrée des professions, certainement au niveau des territoires.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Le contrat d’engagement du service public, le CESP permet à des étudiants d’être payés contre l’engagement d’exercer quelques années dans la région. Est-ce vous y êtes favorables ? J’ai constaté que les dentistes se plaignaient de ne pas en avoir assez et demandaient à récupérer les CESP non utilisés par les médecins.

Mme Myriam Garnier. Le CESP fonctionne pour les étudiants en dentaire, pas forcément pour la médecine. D’ailleurs, ils ne sont pas tous pourvus.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Le CESP n’est peut-être pas proposé partout avec la même force. À Tours, il y a dix CESP. À d’autres étudiants, on n’explique peut-être pas le détail des choses.

M. François Simon. Le succès est modeste, et variable d’une faculté à l’autre. Un problème est que l’étudiant de deuxième année de médecine ne sait pas encore ce qu’il veut faire, or les objectifs de ces contrats sont ciblés sur des spécialités.

M. Philippe Vigier, rapporteur. On a évoqué des cabines de télémédecine dans les officines. Qu’en pensez-vous ? Comment rémunère-t-on le pharmacien, qui paye l’installation, comment établit-on la nomenclature des actes ?

Mme Carine Wolf-Thal. Vous l’avez dit, on a consenti des financements énormes qui n’ont abouti à rien. Il faut donc éviter d’investir de nouveau dans de fausses bonnes idées. L’expérience a fait ses preuves en Suisse et au Québec, il serait dommage de ne pas s’en inspirer.

M. Philippe Vigier, rapporteur. L’Ordre des médecins serait-il d’accord pour valider l’ensemble des diplômes des médecins étrangers qui exercent dans nos centres hospitaliers ? Il y a des mercenaires cher payés et dont la qualité des diplômes n’est pas reconnue, voire simplement pas vérifiée.

M. François Simon. Les mercenaires, c’est autre chose. Ceux auxquels vous faites allusion, ce sont des médecins étrangers que les hôpitaux accueillent pour certaines missions et qui ne peuvent pas travailler en autonomie faute de diplôme français. D’énormes efforts ont été faits depuis les lois Kouchner pour les intégrer. Il y en avait alors 10 000 à 12 000 – le ministère de la santé ne pouvait pas donner de chiffre. Un bon nombre ont été intégrés avec beaucoup de tolérance.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Sous Balladur.

M. François Simon. Peut-être, mais pas seulement, nous n’allons pas polémiquer. Il y a eu des commissions pour les intégrer. Pour notre part, ces médecins, nous ne les connaissons pas.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Vous ne les connaissez pas, mais quand je vois avec quelle vigueur les ordres s’impliquent dans le fonctionnement de la santé au quotidien… Par exemple, j’ai des courriers indiquant que, dans tel SISA, l’Ordre des médecins refuse la présence d’un paramédical, pour des raisons complexes de non-conformité. Et à côté de cela, on ne vérifie pas les diplômes de médecins étrangers.

M. François Simon. Si vous disposez de tels courriers, communiquez-les-moi, je serais heureux de les avoir.

En ce qui concerne l’homologation des diplômes de ces milliers de médecins…

M. Philippe Vigier, rapporteur. Ils sont 22 000 au minimum.

M. François Simon. Vous avez les chiffres, pas moi. Je pensais que c’était nettement moins. Je ne suis pas sûr que vous ayez raison. Par le Centre national de gestion des praticiens hospitaliers (CNG), qui organise des concours, nous le saurons. Mais pensez-vous qu’on puisse dire aujourd’hui – nous, nous ne le pensons pas – que des médecins qui travaillent dans un hôpital sous l’autorité de quelqu’un dans un domaine particulier puissent avoir, du jour au lendemain, l’autorisation d’exercer sur le territoire en dehors de ce cadre ? Aujourd’hui c’est non, sauf à travers des procédures qui existent déjà.

M. le président Alexandre Freschi. Pourquoi non, s’ils en ont la capacité ?

M. François Simon. Ou j’ai mal compris, ou on nous parle de valider les 22 000 professionnels concernés et de les inscrire à l’Ordre. Dans les compétences de l’Ordre figure la vérification de la compétence professionnelle et il existe un décret sur l’insuffisance professionnelle que nous appliquons. Il y a aujourd’hui une procédure simple et très tolérante pour entrer dans l’exercice de la profession, c’est la procédure d’autorisation d’exercer (PAE), et elle fonctionne. Pensez-vous qu’on puisse changer du jour au lendemain sans le moindre moyen de contrôle sur les aptitudes des gens ?

M. Philippe Vigier, rapporteur. Monsieur Simon, si je me permets de vous dire cela, c’est que chacun connaît la situation, mais chacun ferme les yeux. Or elle appelle une réflexion des ordres et des responsables des politiques de santé. C’est que le trou est abyssal et le cumul de travail plus grand qu’on ne le dit. Pour prendre l’exemple que je connais, celui de l’Eure-et-Loir, des médecins travaillent à l’hôpital de Chartres pour 35 à 40 heures – ils n’ont pas droit de travailler plus de quatorze heures par jour, sinon cela ouvre droit à récupération – et ils vont aussi faire dans des hôpitaux des astreintes, qui sont payées comme des temps de garde. Au bout d’un certain temps, ils deviennent dangereux, ils coûtent très cher aux pouvoirs publics, en plus de tous ces médecins qui sont en situation irrégulière. Quand on constate cela, on ne peut pas rester les bras ballants. Il ne s’agit pas de dire qu’on régularise ces gens-là, mais de savoir si nous sommes capables d’apporter à 65 millions de Français une offre de soins de qualité, qui passe par l’attractivité. Mais nous n’avons pas entendu parler d’argent, de revalorisation des consultations – je ne sais pas si c’est un problème. L’Ordre des sages-femmes a indiqué que des centres hospitaliers bloquent sur la signature de conventions. Nous le ferons remonter au ministère, c’est notre travail. Pour les délégations, nous aimerions que vous vous mettiez d’accord entre ordres pour savoir exactement ce qu’on peut faire. Est-ce que le pharmacien ne peut pas s’occuper d’un suivi de traitement anticoagulant ? Ne peut-on généraliser les expérimentations réussies sur la primovaccination ? Celle des nouveaux nés ne peut-elle pas se faire par délégation sous le contrôle des pédiatres ? Et cela, sur le court terme. On ne peut pas nier la gravité de la situation, sinon nous ne ferions ni vous ni nous notre travail.

M. François Simon. Merci de tous ces messages, nous connaissons les problématiques et, croyez-nous, si elles n’étaient pas compliquées, elles auraient été résolues depuis longtemps. Pour les délégations, nous sommes au début d’une réflexion avec l’Ordre des pharmaciens. Pour le reste, nous sommes plus perplexes et il semble y avoir une certaine confusion sur les médecins hospitaliers. Nous allons éclaircir cela et nous vous tiendrons au courant.

Mme Nicole Trisse. La délégation des tâches et l’équipe pluridisciplinaire sont de très bonnes choses. Mais le frein n’est-il pas de savoir qui aura la responsabilité pénale en cas de problème ? Si un infirmier fait un acte, que le pharmacien délivre un médicament qui cause un problème, est-ce le praticien qui est responsable ?

M. François Simon. Excellente question. Je l’avais traitée dans les prérequis pour les pratiques avancées. On ne semble pas avoir conscience, même au plus haut niveau, qu’une équipe de soins n’a aucune responsabilité par elle-même. C’est chaque membre de l’équipe qui a sa responsabilité propre dans son domaine de compétence. Il y a deux domaines où le médecin a seul la responsabilité : la démarche de diagnostic et le choix thérapeutique. Si quelque chose se déroule mal, l’assurance du patient s’adressera à celle de l’hôpital. Mais dans une équipe de soins primaire, il n’y a pas de responsabilité de l’équipe.

M. Jean-Carles Grelier. Ce qui se négocie comme statut sur les pratiques avancées, c’est simplement l’officialisation de ce qui se passe déjà dans les hôpitaux. On n’avancera pas sur les territoires, si l’on ne va pas plus loin, notamment par la formation des paramédicaux et l’intégration de la formation des infirmiers dans le dispositif licence-maîtrise-doctorat (LMD) pour leur ouvrir la possibilité d’une spécialisation.

Aujourd’hui, pour améliorer l’accès à la médecine de ville, il faut que les étudiants fassent des stages, et le plus tôt possible. Mais il manque 15 000 maîtres de stage. Leur rémunération n’est-elle pas le problème ? Ne pourrait-on l’intégrer dans la rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP) ?

D’autre part, de jeunes praticiens prennent l’habitude d’enchaîner des remplacements de généralistes sur une très longue durée. N’est-ce pas là une déviance et ne serait-il pas judicieux d’encadrer cette possibilité dans le temps ?

M. François Simon. La pratique avancée s’inscrit bien dans l’esprit du LMD. Elle est souvent hospitalière, mais il faudrait l’exporter en ville en clarifiant bien les deux domaines.

Le remplacement de longue durée est limité à trois mois renouvelables. Mais il est vrai que, dans des départements, on fait preuve de souplesse dans l’intérêt des patients. Nous avons proposé un statut un peu bâtard de médecin adjoint, l’adjuvat, c’est-à-dire la possibilité pour un jeune médecin de travailler avec un autre comme dans des endroits où il y a des afflux de population, comme les stations balnéaires en été ou la montagne en hiver. C’est une solution qui a un certain succès. Nous en avions d’autres, comme l’assistance des médecins qui ont soutenu leur thèse. Ce n’est pas négligeable et rester un an ou un an et demi près d’un médecin aide à préparer l’installation.

Oui, il faut favoriser les maîtres de stage, amplifier la formation, et pourquoi ne pas déplafonner le numerus clausus, qui est totalement contourné. Mais comment assurer la formation ensuite ? S’il manque déjà 15 000 maîtres de stage et qu’on ajoute encore 5 000 étudiants à encadrer ? C’est ce que font valoir les doyens. Les capacités de formation sont saturées.

M. Jean-Pierre Cubertafon. De plus en plus de collectivités, communes et départements, recrutent des médecins salariés. Quelle est votre position à ce sujet ?

M. François Arnault. Nous y sommes tout à fait favorables et l’Ordre encourage ces initiatives, qui ont un certain succès.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Je vous remercie de vous être soumis à nos questions pressantes.

On vient de dire qu’il n’y avait pas assez de maîtres de stage. J’ai été surpris qu’on n’évoque pas, comme souvent, la suradministration et la nécessité de simplifier. De même, on n’a pas parlé de l’attractivité de la carrière. Mme la présidente de l’Ordre des pharmaciens a dressé un tableau satisfaisant, mais il y a pourtant un certain nombre de pharmacies qui ferment chaque année.

J’ai bien retenu que vous étiez prêts à augmenter le numerus clausus et à régionaliser des formations. M. Simon a parlé de médecins adjoints, non « thésés », qui pourraient s’installer. Quelle complexité ! Êtes-vous d’accord pour que l’on généralise la formule ? La thèse se prépare désormais au long des six années, ce qui est très bien car c’est un exercice convenu.

Sur le statut de remplaçant, je constate en effet que, pour des jeunes autour de la trentaine, enchaîner les remplacements pendant très longtemps est un mode de vie. Les limiter, c’est quand même une forme de coercition. Si l’on ne veut pas avoir d’un côté dans des zones très denses – de plus en plus rares – des médecins qui posent leur plaque mais ne font pas bénéficier les patients du remboursement de la Sécurité sociale, on pratique une régulation cartographiée, ce que les pharmaciens, les sages-femmes, les kinésithérapeutes ont accepté. Seuls les médecins n’ont accepté aucune modalité de régulation.

Enfin, j’ai rencontré il y a peu les syndicats d’interne. Ils demandent que leur formation de médecine générale soit allongée d’une année. En 2000, former un médecin généraliste prenait sept ans ; en 2020, ce serait onze ans. Est-ce que la formation est devenue moins bonne alors que le niveau aurait dû s’élever ? Je ne comprends pas.

M. François Simon. Je n’ai pas dit que j’avais réussi avec les remplacements, mais que l’Ordre avait accepté d’être tolérant dans l’intérêt de la population. La question des remplacements a fait polémique chez nous, mais veut-on que des gens se détournent de l’exercice ? C’est une offre de soins qui est offerte.

S’agissant d’introduire une quatrième année de médecine générale, il semble que ce soit la volonté d’harmoniser la médecine générale avec les autres spécialités. Les discussions à ce sujet se mènent dans la profession elle-même plutôt qu’au niveau de l’Ordre qui est un peu en retrait sur ces questions.

M. le président Alexandre Freschi. Je vous remercie. D’autres questions auraient pu être évoquées, en particulier sur le conventionnement. Nous nous permettrons de vous les faire parvenir.

 


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Audition de la Société française de télémédecine et
du Haut conseil français de télésanté

Présidence de M. Alexandre Freschi, président de la commission denquête

M. le président Alexandre Freschi. Mes chers collègues, nous allons procéder à l’audition commune de la Société française de télémédecine (SFT), représentée par son président, M. Thierry Moulin, et du Haut Conseil français de la télésanté représenté par sa présidente Mme Ghislaine Alajouanine, qui est accompagnée du docteur Patrice Cristofini, président du club « e-santé » du Centre d’étude et de prospective stratégique (CEPS), ainsi que du docteur Line Kleinebreil, présidente de l’Université numérique francophone mondiale (UNFM), tous deux également membres du Haut Conseil français de télésanté. Je vous remercie d’avoir bien voulu répondre à notre invitation à participer à cette audition commune.

Je vous informe que nous avons décidé de rendre publiques nos auditions et que, par conséquent, celles-ci sont ouvertes à la presse et rediffusées en direct sur un canal de télévision interne, puis consultables en vidéo sur le site Internet de l’Assemblée nationale.

Je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire « Je le jure ».

(M. Thierry Moulin, Mme Ghislaine Alajouanine, Mme Line Kleinebreil et M. Patrice Cristofini prêtent successivement serment.)

M. Thierry Moulin, président de la Société française de télémédecine. Je vous remercie pour cette invitation. Je suis docteur en médecine, professeur en neurologie. J’exerce au centre hospitalier universitaire (CHU) de Besançon et je suis actuellement président élu et en exercice de la Société française de télémédecine. Je suis, par ailleurs, doyen de l’unité de formation et de recherche (UFR) de médecine à Besançon. La Société française de télémédecine est une association pluridisciplinaire qui agit au nom des sociétés savantes – dix-neuf à ce jour – de diverses disciplines médicales, paramédicales, maïeutiques, pharmaceutiques, etc. Elle s’intéresse aussi à l’ingénierie des technologies et, surtout, met l’accent sur les sciences humaines, c’est-à-dire les aspects éthiques, philosophiques, sociologiques, juridiques et économiques liés à la pratique de la santé numérique. La santé numérique aura un rôle majeur à jouer pour faire progresser la diffusion des connaissances et la standardisation des pratiques.

Pour nous, Société française de télémédecine, le changement de paradigme est lié non seulement au numérique, mais aussi à la répartition inégalitaire des professionnels de santé sur le territoire national. Aussi s’agit-il de réorganiser l’offre de soins et les organisations professionnelles au service des usagers. Depuis les lois Kouchner, le patient est au centre du dispositif et l’ensemble des éléments doit concourir à cette prise en charge. Notre objectif vise à faire en sorte que le numérique favorise la chaîne de solidarité autour du patient.

Comme l’a souligné la stratégie nationale de santé, il faut également agir sur les préventions – primaire, secondaire, tertiaire et quaternaire – et sur l’aide à nos concitoyens. Il faut le faire là où ils sont et là où ils désirent vivre. Dans ce contexte, il est très important de bien définir les déserts médicaux. Ils se caractérisent à la fois par une mauvaise répartition des professionnels sur le territoire, mais aussi et surtout par la difficulté à répondre à l’immédiateté du besoin, ce qui impose une réponse coordonnée permettant une prise en charge. L’indisponibilité sur le terrain doit être graduée. Il arrive aussi que nous ayons accès à un certain nombre de professionnels de santé, mais pas à une certaine expertise. Il sera important de répondre à ce sentiment de nécessité d’avoir accès à l’expertise.

La santé connectée et la télémédecine, puisque les deux sont liées, doivent nous aider en prévention primaire avec les objets connectés, lesquels doivent favoriser le bien-être. Le législateur doit s’assurer qu’ils répondent à des règles totalement claires quant à la fiabilité et la sécurité des usages. Cela impose un effort de labellisation.

La réponse à l’immédiateté du besoin pourra venir de l’accès au téléconseil, qui a un rôle à jouer dans la prévention primaire, mais aussi de la télésurveillance, avec une organisation professionnelle permettant des transferts de compétences, ou encore de la télé-expertise, qui met en lien les différents types de professionnels – médecins généralistes ou spécialistes. Les groupements hospitaliers de territoire (GHT) en sont le modèle, au niveau hospitalier. Il faut pouvoir le construire avec les maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP), voire les officines pharmaceutiques afin de le déployer sur le territoire libéral. Dans ce cadre, en effet, le téléconseil permettra de désengorger l’accès aux urgences. D’autres mesures peuvent aussi être citées, comme le regroupement, le numerus clausus et la meilleure définition d’un parcours de soins, en sortant de la rémunération à l’acte. Des plateformes territoriales de téléconseil pourraient être montées, afin de ne pas relever de la seule responsabilité d’administrateurs privés, au risque d’entraîner une part d’« ubérisation » contre laquelle il faut lutter.

Réviser le cadre réglementaire nous paraît important, en particulier le décret relatif à la télémédecine. Il s’agirait de réécrire ce cinquième acte qu’est le téléconseil, aujourd’hui limité à la régulation médicale du « 15 », mais aussi de libéraliser l’accès des organisations en dehors de contrats sous l’égide des agences régionales de santé (ARS).

Nous ne supprimerons pas les déserts médicaux par le seul recours à des outils, en l’absence de professionnels. Aussi faudra-t-il travailler sur la réorganisation territoriale des professionnels de santé. D’une part, il faudrait agir sur le numerus clausus qui est aujourd’hui obsolète, pour plutôt retenir un numerus apertus. Ce plancher serait ajusté en fonction des besoins et des possibilités territoriales de formation. C’est très important, car si vous ne formez pas localement, vous continuerez à favoriser l’évasion et l’ubérisation. D’autant que la contrainte réglementaire et les incitations financières ont montré leurs limites. D’autre part, il importe de former tous les professionnels. La transversalisation de la formation des professionnels de santé au sein des universités de santé est un enjeu très important, en particulier pour les pratiques avancées.

Pour conclure ce bref exposé, j’indiquerai que nous souhaitons pouvoir favoriser le changement d’organisation que le nouveau paradigme nous impose, en l’étayant par les outils du numérique. Non seulement ceux-ci engloberont les professionnels de santé dédiés tels que nous les connaissons, mais ils favoriseront aussi de nouveaux métiers aux interfaces avec les ingénieries à destination des professionnels de santé. Parce que, finalement, la technique de la télémédecine lie surtout des hommes et des femmes qui ont besoin de rapports humains.

Mme Ghislaine Alajouanine, présidente du Haut Conseil français de la télésanté. Je préside le Haut Conseil français de la télésanté. J’ai présidé la Fondation pour la recherche médicale et je suis la vice-présidente de la Société française des technologies pour l’autonomie et de gérontechnologie (SFTAG), sorte de société savante de la silver economy. Je suis accompagnée du docteur Line Kleinebreil, médecin et mathématicienne auprès de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), présidente de l’Université numérique francophone mondiale (UNFM), et par un autre membre du Haut Conseil, le docteur Patrice Cristofini, médecin hospitalier avec une très grande expérience industrielle.

Je souhaite tout d’abord préciser que nous nous inscrivons pleinement dans la lignée du professeur Thierry Moulin. Nous complèterons donc simplement ses propos par des éléments sur la télésanté.

Une nouvelle ère liant numérique et santé s’ouvre devant nous, avec une formidable accélération, mais aussi une nouvelle société – celle du vieillissement. Depuis fin 2015, un plus grand nombre de personnes entre dans les soixante ans que dans les vingt ans. Un senior naît toutes les trente-sept secondes, un junior toutes les quarante-deux secondes. L’apport des nouvelles technologies implique, avec le changement qu’il induit, une transformation dans l’industrie, mais aussi de nouveaux usages, notamment dans le secteur des services, en particulier les services à la personne. C’est une véritable révolution du soin. J’emploie « révolution » au sens de revolvere, c’est-à-dire « retournement ». D’autres diront « rupture » ou même « disruption ». Je préfère signifier qu’il s’agit d’une mutation, d’une métamorphose.

Ce nouveau paradigme nous oblige, si nous voulons avancer, à nous adapter avec des refontes, une reconstruction structurelle à partir des valeurs fondamentales. Soit une idée centrale, avec une ingénierie globale pour effacer les déserts médicaux et sociaux : osons cette révolution pour nos territoires. Cela requiert d’ouvrir un grand chantier à part entière pour la télésanté, qu’il s’agit de déployer au service d’une santé et d’un parcours de soins équitable pour un mieux-vivre et un bien-vieillir de tous nos concitoyens, avec une mise en œuvre, une mise en ouvrage et une force d’intervention et d’appui à la télésanté. Fiat ! Il faut faire ! Il faut que cela soit ! L’enjeu est de pouvoir, entre autres, répondre à tous et n’importe où à la question angoissante « Qu’ai-je ? » pour le patient, à la question « Que puis-je faire dans ce cas-là ? » pour le praticien. Il s’agit également de permettre à chacun de rester dans le lieu qu’il a choisi, aussi longtemps et dans d’aussi bonnes conditions que possible.

C’est un choix de société. Notre pays le peut et le mérite, en conjuguant notre excellence médicale, notre bienveillance sociale et notre incomparable capacité d’innovation technologique. Une grande avancée technologie, quand elle s’accompagne d’une forte volonté politique, permet une transformation radicale de société. Rappelez-vous l’électricité, le Concorde, le TGV, le spatial. Et pourquoi pas un égal accès aux soins, en permettant le désenclavement des zones isolées et en abolissant les distances ? Cet effet de rapprochement des hommes accélérera la modernité et permettra un mieux-être. C’est donc un enjeu sociétal et économique qui nous concerne tous et se situe au-dessus des clivages politiques.

Il faut aussi répondre à la troisième dimension du développement durable, celle du social, du sociétal. Santé, solidarité, sécurité : ces règles claires correspondent à une démarche de haute sécurité santé (HS2). La labellisation doit être centrée sur la personne. Sortons du « tout hôpital ». Revenons à la personne. Essayons de résoudre ses problèmes, afin de protéger son capital santé. Les dernières politiques publiques sont insuffisantes, mais elles vont dans le bon sens, avec le dispositif d’appui à la coordination et les plateformes territoriales d’appui (PTA). Les statistiques sont connues. La cartographie des déserts médicaux et sociaux est parfaitement identifiée par l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE). Ce sont d’ailleurs les mêmes que les déserts de patients, avec le cas particulier des zones urbaines sensibles. Depuis des années, de nombreux rapports font ressortir les préconisations nécessaires et les outils qui permettraient d’améliorer cette situation désastreuse. La Cour des comptes s’est même prononcée sur le sujet. Elle cite notamment « des initiatives hétérogènes aboutissant à des résultats modestes ». Le Conseil économique, social et environnemental (CESE), qui a auditionné de nombreux experts, a adopté l’ensemble du projet d’avis sur les déserts médicaux en décembre 2017, par 131 voix sur 167. Il y a donc consensus. La maison brûle !

La boîte à outils est presque complète, avec le pacte territoire santé, les contrats d’engagement de service public (CESP), les praticiens territoriaux de médecine générale (PTMG), les stages autonomes en soins primaires ambulatoires supervisés (SASPAS) ou encore les médecins correspondants du service d’aide médicale urgente (SAMU). La note que je vous ai transmise les détaille. Mais aucune situation n’est semblable. Aucun endroit ne se ressemble. C’est une mosaïque. Il faut une coordination globale, une couverture numérique minimale, de la continuité et de l’efficience des réseaux, de l’interopérabilité, une base de la protection des données, un cadre tarifaire valable, une constante adaptabilité et de l’évaluation. L’enjeu est dans la mise en œuvre : qui, quand, comment, pourquoi.

M. le président Alexandre Freschi. Je vous propose de conclure votre intervention, car nous avons beaucoup de questions à vous poser.

Mme Ghislaine Alajouanine. La télésanté n’est pas la panacée. Rien ne remplacera l’examen clinique, l’empathie. Mais elle deviendra indispensable. La télémédecine-télésanté en in, d’hôpitaux à hôpitaux, est en voie de généralisation. En revanche, la télémédecine-télésanté en out dans les foyers, le dernier kilomètre, le rural et les zones sensibles est en stagnation, et depuis des années. À vous de jouer !

M. Philippe Vigier, rapporteur. Je vous remercie tous les deux pour votre vision et votre engagement. Vous avez prononcé des mots forts : « santé », « sécurité », « solidarité ». Vous avez insisté sur la notion d’égal accès aux soins sur tout le territoire. C’est un enjeu qui nous anime. Je serai très synthétique. Vous l’avez indiqué, il faut une forte volonté politique. Nous savons qu’une nomenclature est en négociation. Je crois qu’il faut éclairer la représentation nationale sur les actes qui peuvent être accomplis en télémédecine et ceux qui ne le peuvent pas encore, sur la desserte numérique et sur la coordination. Il ne s’agit pas de voir fleurir des initiatives non coordonnées, qui deviendraient facteurs d’hétérogénéité et d’inégalité de prise en charge. Je vous invite à répondre à ces points.

C’est à ce même bureau qu’en 2010, le premier amendement sur la télémédecine est passé. C’est une proposition de loi que j’avais déposée à l’époque. Je suis ravi que nous puissions avancer. Je vous félicite de le faire avec autant de professionnalisme.

M. Thierry Moulin. J’ajouterai le mot-clé de « formation ».

Mme Ghislaine Alajouanine. Et la notion de transfert des tâches. Il faut un plan quinquennal en H2S, avec une structuration, un chantier, en sachant où l’on va et avec un calendrier clair. Cela impose une ingénierie globale. Il ne s’agit pas de changer les institutions, mais d’en monter des parallèles. D’où ce que j’avais proposé en 2009, puis en 2013 lors d’une audition au Sénat. J’ai ressorti le schéma d’une force d’intervention étatique pour la santé. Il faut y aller, maintenant ! Il faut du temps, un plan quinquennal avec des tâches, un calendrier et une évaluation. L’objectif est de répondre, sur le terrain, aux questions posées par ceux qui y vivent.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Qui pilote ce plan national ? Les ARS font des appels à expérimentation. Mais c’est très hétérogène. Dans ma région, par exemple, le plan de télémédecine sera lancé à Tours, là où il y a le moins de désertification médicale. Cela n’a pas de sens.

Mme Ghislaine Alajouanine. Vous avez parfaitement raison. Il faut qu’il y ait une agence, un haut-commissaire, c’est-à-dire une mission dans un bref délai, pour stimuler la mise en œuvre. C’est le cas dans tous les autres pays. Je ferai le parallèle avec la parité : il arrive un moment où il faut des lois pour que les choses avancent plus vite. Nous sommes à peu près dans la même situation, avec les déserts médicaux.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Pouvez-vous répondre à la question sur la nomenclature ?

M. Thierry Moulin. Il faut, aux deux bouts de la chaîne, un pilote et des effecteurs.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Les communautés professionnelles territoriales de santé peuvent-elles être un relais territorial ? Elles présentent l’avantage de réunir l’ensemble des professionnels de santé, les pratiques, la formation, la prise en charge, l’accès aux soins. Je rappelle qu’elles conventionnent avec les ARS. La mise en œuvre ne peut-elle se faire avec elles ?

M. Thierry Moulin. Il faudra inscrire les actes dans les fondements mêmes de l’assurance maladie, afin qu’ils soient identifiés. Aujourd’hui, l’on considère que c’est en routine dans les hôpitaux. Mais ce n’est pas le cas. Aucune évaluation ne permet d’indiquer qu’un groupement homogène de séjour (GHS), par exemple, a été fait avec l’aide de la télémédecine. Dès lors que cet indicateur de qualité n’existe pas, les professionnels ne s’en saisissent pas et les directeurs d’hôpitaux non plus. Il importe que les usagers disposent des pièces du puzzle pour pouvoir identifier les actes concernés. Sans une organisation qui permette de tracer, de compter et d’évaluer, cette mécanique ne se mettra pas en place.

M. Jean-Michel Jacques. Ma question concernera la formation et les glissements de tâches que vous avez évoqués. La télémédecine apportera quelque chose de nouveau et permettra de faire barrage aux difficultés que nous rencontrons en raison du manque de médecins. Les opérateurs qui utiliseront la télémédecine pourront exercer différents métiers de la santé, mais ils devront tous avoir une formation adaptée. Je pense qu’il y aura des possibilités de glissement de tâches. Vous l’avez d’ailleurs évoqué. Quelle est votre proposition dans ce domaine, en termes de formation ?

Par ailleurs, l’intelligence artificielle (IA), qui monte en puissance, est-elle abordée dans la télémédecine ?

M. Thierry Moulin. Il faut inscrire la formation dans les bonnes pratiques cliniques (BPC), avec une action forte. Tous les professionnels doivent en bénéficier. Il s’agit d’investir des masses financières qui soient en conséquence. Une réserve, toutefois : il importe que les organismes formateurs soient certifiés. Nous voyons fleurir des officines qui font de la télémédecine depuis quinze ans, sans aucun background. Il faut y faire attention. L’un des moyens consiste à contractualiser avec les universités et à mettre en place des organisations avec des liens. C’est ce que nous avons fait à la SFT, puisque nous avons contractualisé avec sept universités.

L’intelligence artificielle, en l’occurrence algorithmique, apportera certainement une aide dans le cadre de l’association avec la télémédecine. En effet, elle permettra de faire des traitements semi-automatiques qui faciliteront le diagnostic. J’identifie, toutefois, un point de vigilance : les données sont une valeur, comme le sang ou les organes. Le don des données que font les usagers de la santé, que nous faisons tous, a une valeur. Il faut donc se montrer extrêmement attentif à leur sécurisation et vérifier qu’elles restent sur le territoire national et sont exploitées au service de nos usagers.

Mme Ghislaine Alajouanine. Nous préconisons une démarche en haute sécurité santé, c’est-à-dire une démarche de développement durable – santé, solidarité, sécurité – avec une certification par un tiers de confiance de type APAVE.

Pour ce qui est de l’IA, si vous le voulez bien, je propose de céder la parole au docteur Cristofini.

M. Patrice Cristofini, président du club « e-santé » du CEPS. Je partage ce qui vient d’être dit sur la formation. Une première proposition concrète viserait à prévoir un minimum d’heures d’enseignement dans toutes les professions de santé. Pour réussir la télésanté, nous devons marier l’usage et les technologies. La deuxième proposition est très concrète elle aussi. Les étudiants en médecine effectuent des stages d’internat. La French Tech santé est enviée dans le monde entier. Je peux en témoigner car j’ai une expérience à l’international. Pourquoi ne pas créer un stage de six mois dans les French Tech pour les professionnels de santé ? Il s’agit d’allier usage du numérique sur des applications avec le métier.

Concernant l’IA, j’identifie trois grands enjeux. Première condition de réussite, pointée par le rapport Villani, il faut des super-calculateurs. Il existe un acteur en Europe mais pour le reste, le marché est dominé par les Américains et les Chinois. Deuxième condition de succès, il faut des bases de données avec des données utilisables. Malheureusement, les grandes bases de données sont américaines ou chinoises. En France, nous en avons, mais elles ne communiquent pas entre elles et elles sont fragmentées. La troisième condition concerne les développeurs d’algorithmes. En l’occurrence, si la France n’a pas de GAFA ni de BATX – Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi –, nos développeurs sont enviés dans le monde entier pour leurs connaissances mathématiques.

Il est certain que la nouvelle révolution digitale passera par l’IA. Il y aura donc de nouveaux métiers et des transferts de tâches. D’où l’importance de la formation.

Mme Ghislaine Alajouanine. Si vous le voulez bien, je vous propose aussi d’entendre le docteur Line Kleinebreil, qui travaille auprès de l’OMS et de l’Union internationale des télécommunications (UIT).

Mme Line Kleinebreil, présidente de l’Université numérique francophone mondiale. Je vous remercie de me donner la parole. Je serai brève. L’excellence française n’est pas suffisamment présente et valorisée dans les instances internationales. Les Nations unies ont donné mandat à deux de leurs agences : l’OMS et l’UIT. Ces deux agences ont pour mission de travailler ensemble et depuis quatre ans, elles ont lancé le chantier d’un programme intitulé Be Healthy, Be Mobile, qui consiste à utiliser le numérique dans certains pays pilotes, à grande échelle, pour combattre et contenir les maladies chroniques – qu’elles soient issues de pays développés ou de pays en développement. Parmi les pays pilotes qui bénéficient de cette expertise et de cet accompagnement figurent aussi bien la Norvège, confrontée au problème du vieillissement et à celui des déserts médicaux liés aux distances, que l’Inde, qui ne manque pas de technologies. Le seul pays francophone sur les neuf concernés est le Sénégal, que j’accompagne. Ces deux agences aident les pays à développer leur plan stratégique du numérique. Je voudrais vraiment faire passer le message selon lequel il y a une place pour nos autorités françaises, qui pourraient rejoindre ce programme au titre de la quarantaine de pays observateurs qui participent aux commissions et donnent leur avis. Il faut absolument que la France y entre.

Mme Nicole Trisse. Vous évoquiez, professeur Moulin, le risque d’ubérisation de la santé avec la télémédecine. Comment ne pas la redouter, en effet ? Comment ne pas redouter une monétisation de la télémédecine lorsque nous sommes confrontés aux assurances complémentaires ou aux mutuelles qui lancent des plateformes en ligne ? Qu’en pensez-vous ?

Ma deuxième question s’adresse à Mme Alajouanine et a trait aux secteurs ruraux où de nombreuses personnes vivent isolées. Dans le dernier kilomètre, comment rassurer les patients qui ont des problèmes cardiaques importants, ou les femmes avec des grossesses à risque ? À un moment donné, la télémédecine et le télé-conseil trouvent leurs limites. Quel est votre avis sur ce sujet, auquel vous avez nécessairement déjà pensé ?

M. Thierry Moulin. Concernant l’ubérisation, le problème n’est pas vraiment celui des plateformes privées et assurantielles, puisque la prise en charge du cinquième risque peut être pour partie privée et pour partie publique. Il concerne davantage la répartition de ces quotités, que la définition de ce qui est fait. Actuellement, par exemple, il arrive que du télé-conseil soit présenté comme de la téléconsultation. Nous avons besoin, réglementairement, d’ajuster les choses pour permettre que chaque usage soit parfaitement défini et que chaque financement soit déclaré. Le « 15 », qui est une plateforme de téléconseil et d’urgence, est financé par l’assurance maladie. Je n’ai pas de dogme sur les modalités de financement. Il faut voir ce que nous sommes en mesure de financer. Mais il ne faut pas se tromper d’usage, il faut vérifier les diplômes et contrôler les lieux d’implantation des plateformes.

Je voudrais juste ajouter un point sur la formation.Depuis 2012, il faut former les professionnels par la simulation. La télémédecine a tout à fait sa place dans ce cadre. Mais les facultés de médecine, les facultés de santé et les UFR de santé n’ont pas les moyens d’organiser des plateaux de simulation corrects. Je connais très bien le sujet, et je puis vous dire que sur le territoire national, il existe une très grande hétérogénéité. Une action très concrète doit être menée dans ce domaine.

Mme Ghislaine Alajouanine. Je suis née dans la Creuse et ma vocation en télémédecine et en télésanté est venue du fait que nous étions isolés. Nous étions loin de tout. Hier, j’ai appelé la cadre de santé de l’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) de Chambon-sur-Voueize, où je suis née, pour lui demander où elle en était avec la télémédecine. Elle m’a répondu que l’installation d’un chariot avait permis d’économiser, pour son établissement de 82 lits, au moins une vingtaine de grosses hospitalisations en dermatologie, en cardiologie et en angiologie, soit l’équivalent de 100 000 euros. Je crois que c’est cela, la réponse. Outre le gain économique, extraordinaire, la HS2 permet aux personnes de rester chez elles le plus longtemps possible, dans les meilleures conditions possible. Sachez qu’en télé-prévention, un investissement de dix mille euros pour équiper un logement en adéquation avec la perte d’autonomie permet aux personnes de rester cinq ans de plus chez elles en moyenne. Là encore, le gain économique est réel, doublé d’un gain lié à la proximité.

Le problème n’est plus la technologie mais celui de la ressource humaine. Il s’agit aussi de problèmes d’ingénierie globale : transport, territoire, énergie. C’est un tout. C’est la raison pour laquelle nous appelons un grand chantier d’ingénierie globale. Vingt-sept ministères sont concernés.

M. le président Alexandre Freschi. Très bien. Je vous demanderai de faire des réponses un peu plus courtes, s’il vous plaît.

M. Didier Baichère. Je dirai un mot rapide des sujets scientifiques, pour en venir à la question des usages. L’Assemblée nationale est particulièrement sensible aux sujets scientifiques, en particulier celui des objets connectés. J’ai eu la chance de rédiger la première note sur les objets connectés, avec Cédric Villani. Nous avons pris l’exemple de la télémédecine à travers les cabines de santé. La conclusion est similaire à celle que vous venez d’évoquer. Tout d’abord, il faudrait déjà qu’il y ait un accès numérique partout. À défaut, la télémédecine, qui requiert des débits élevés, ne fonctionne pas. Ensuite, il s’agit d’assurer la protection des données. Je voudrais nous inviter collectivement à ne pas « réinventer le fil à couper le beurre ». Un laboratoire de l’École nationale de la statistique et de l’administration économique (ENSAE), le centre de recherche en économie et statistique (CREST), fournit déjà des boîtiers sécurisés pour toutes les analyses de politiques publiques en France et en Europe. Nous savons donc comme faire pour sécuriser les données avec ces fameux boîtiers. Des choses existent. Vous l’avez dit, le problème n’est pas celui de la technologie, mais celui des usages, de manière générale. J’entends votre proposition sur l’adaptation des logements, qui permettront d’économiser. Mais en matière de télémédecine, quel est le niveau d’acceptabilité des Français ? Ce sujet est compliqué.

M. Thierry Moulin. Plus vous coconstruisez le programme avec les organisations professionnelles, programme dans lequel les usagers sont partie prenante, plus l’adhésion est au rendez-vous. La question est de savoir comment nous parviendrons à changer l’organisation des pratiques et à modifier le rendu auprès des patients. Cela passe toujours par la formation, la transparence et la sécurisation. La pédagogie de la répétition a toute son importance, de même que la simplification des outils. Affirmer « il y a un outil, utilisez-le » est la voie de l’échec. Il importe de demander aux usagers quels sont leurs besoins. La télémédecine ne remplace pas le face-à-face, mais s’y intègre. Il importera donc de proposer l’usage de la télémédecine dans ce cadre.

Mme Ghislaine Alajouanine. Enlevez la télémédecine, vous constaterez le mécontentement !

M. Didier Baichère. Dans le cas des cabines de santé, qui peuvent être une solution dans certains territoires, il s’agira probablement de rassurer les populations en précisant que l’interface sera assurée par une personne – le pharmacien, un assistant médical, etc. Ne laissons pas penser qu’une cabine de santé fonctionnera toute seule. Il y aura nécessairement une interface humaine.

M. Thierry Moulin. C’est le rôle du pharmacien, en effet.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Profitons du maillage des pharmacies d’officine sur notre territoire.

Mme Ghislaine Alajouanine. Absolument. Aujourd’hui, une personne sur dix doit faire face à la dépendance d’un de ses proches. C’est un véritable problème. Là aussi, la maison brûle. Il faut trouver des solutions qui ne coûtent pas cher. Une cabine, c’est cher. Maintenant, il existe des chariots dont le coût est inférieur à cinq mille euros. Il existe aussi des tablettes. Même dans les situations de précarité, nous pourrons amener la télémédecine.

M. Jean-Pierre Cubertafon. Vendredi dernier, je me suis rendu dans le Périgord vert, dans un établissement d’hébergement avec un service de télémédecine. La directrice m’a parlé d’une dame de cent deux ans qui souffrait d’importants problèmes dermatologiques dont elle aurait pu mourir, et qui refusait d’aller voir un spécialiste. Grâce à la télémédecine, elle a aujourd’hui cent quatre ans. La télémédecine lui a permis d’être soignée.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Ainsi que vous l’avez mentionné les uns et les autres, il faut que nous disposions d’une sorte de modèle standard de plateforme, pour que la qualité soit au rendez-vous. Nous pensons à l’urgence de la situation et à l’amélioration de la prise en charge de nos compatriotes. Serions-nous capables, au nom d’une stratégie nationale à cinq ans, d’affirmer qu’au 1er janvier 2019, dix ou quinze plateformes seront susceptibles de fonctionner ? Cela exige de disposer d’une liste des actes, d’une nomenclature appropriée, et d’hommes et de femmes en capacité de bien faire ce travail. Sommes-nous capables d’arrêter rapidement un programme pluriannuel avec ces critères ?

M. Thierry Moulin. Oui.

Mme Ghislaine Alajouanine. Oui, s’il y a un pilote dans l’avion.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Il faudrait que vous transmettiez à la commission d’enquête la liste des actes et la nomenclature attendue. J’ai entendu parler d’actes de radiologie dédiés dont l’interprétation était facturée entre douze et quinze euros, sur une plateforme de Bordeaux. J’ignore si des radiologues accepteront de lire des images de radiologie fine. Il faudrait éclairer nos collègues, puis les ministères, sur ce qui peut être fait. Il ne faut pas que nous restions dans une nébuleuse, mais que nous agissions de façon scientifique.

M. Thierry Moulin. Concernant l’acte de radiologie, c’est assez simple. En télémédecine, l’acte technique est fait sur site et l’acte intellectuel peut être fait à distance. Les outils existent déjà, dans la nomenclature. Lorsqu’ils n’existent pas, notamment lorsqu’il y a une organisation graduée entre établissements, aucun GHS ne mentionne qu’il été réalisé ou fiabilisé avec la télémédecine. La lettre clé du « T » de télémédecine n’existe pas pour fiabiliser les organisations. À chaque fois qu’un acte technique pourra être distingué d’un acte intellectuel, cela fonctionnera. Il est inutile de réinventer la roue. En revanche, il faut qu’un pilote vérifie et que les ARS puissent influer un certain nombre de paramètres.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Dans ma région, la personne en charge du développement numérique est totalement incompétente. C’est la raison pour laquelle je revenais tout à l’heure à cette question simple : quelle modélisation ? Il faut un standard. Vous avez parlé d’un simulateur. C’est une excellente idée. Comment cela se passe-t-il dans l’aéronautique ? Comment forme-t-on les pilotes ?

Mme Ghislaine Alajouanine. Vous avez parfaitement raison, il faut de la formation. Et il faut aussi une agence en charge de son organisation..

M. Patrice Cristofini. Si la maîtrise d’ouvrage des projets n’est pas claire, si elle ne colle pas au processus de soin, la maîtrise d’œuvre ne peut pas délivrer.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Vous avez bien éclairé nos collègues quant à la nécessité d’un cadre fonctionnel opérationnel, reposant tant sur les actes que sur une nomenclature et sur des ressources. Avez-vous évalué les ressources potentielles interprofessionnelles ou multidisciplinaires ? Un adossement au Centre 15 est-il possible ? Est-il souhaitable ?

Mme Nicole Trisse. Ce pourrait être confié aux ARS.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Les ARS ne peuvent pas tout.

Mme Ghislaine Alajouanine. Il est temps de monter une institution parallèle.

M. Thierry Moulin. Il faut de la coordination.

M. Didier Baichère. Quelle est l’instance qui délivre le label HS2 ?

Mme Ghislaine Alajouanine. C’est l’APAVE.

M. Didier Baichère. L’APAVE est en charge de la certification, mais quelle est l’instance qui délivre le HS2 ?

Mme Ghislaine Alajouanine. Tout comme il existe l’association Haute Qualité environnementale (HQE), il existe une association HS2. Celle-ci disposera de tout le référentiel nécessaire. Mais un référentiel ne suffit pas, il faut aussi un tiers de confiance qui labellise. Et derrière tout cela, il faut de la certification de compétences et de l’évaluation.

M. Thierry Moulin. Nous sommes d’accord sur le fait qu’il faut un pilote ou une centrale, mais il faut surtout jouer avec les effecteurs. J’entends ici qu’une ARS ne joue pas son rôle. Or il existe des critères d’évaluation d’une ARS : nombre de projets déployés, nombre de patients pris en charge, nombre d’actes. S’ils ne sont pas respectés, vous pouvez changer le pilote local. Pour connaître un tout petit peu votre région, pour y être allé à trois reprises animer des réunions, j’observe qu’il existe une difficulté conceptuelle sur l’état de pensée d’un certain nombre de professionnels.

Mme Nicole Trisse. Ils ont une feuille de route.

M. Thierry Moulin. Les professionnels ne sont pas nécessairement incités à travailler les uns avec les autres. Ils n’y sont pas forcés. Prenons le cas de l’hôpital. Pourquoi un hôpital X qui n’est pas obligé de travailler avec Y le ferait-il ?

M. Philippe Vigier, rapporteur. Vous avez parfaitement raison. Nous arrivons au sujet des difficultés de mise en place des GHT. À l’heure actuelle, les ARS n’ont aucun pouvoir de faire en sorte que tout le monde travaille ensemble. Pour vous dire très clairement ce que je pense, madame Alajouanine, je ne suis pas très favorable à la création d’une agence complémentaire. En France, quand cela ne va pas, on crée une commission ou une agence. Or à force de créer trop d’agences, plus rien ne se passe et tout est cloisonné.

Lundi matin, j’ai assisté à la pose de la première pierre d’une maison médicale. La directrice de l’ARS a tenu ce propos : « Je laisse la parole à l’État ». Elle considère donc qu’elle n’est même plus l’État. En supprimant la responsabilité sanitaire des préfets, on a créé des préfets sanitaires sans que les uns ne rendent compte aux autres. Vous avez raison d’insister sur le besoin de coopération des professionnels de santé. Mais, vous l’avez exprimé tous les deux, c’est un nouveau métier. L’arrivée du numérique, de ses données et de l’intelligence artificielle ouvre des potentialités extraordinaires. Il me semble que pour la jeunesse, ces métiers peuvent s’avérer extrêmement captivants et attractifs. Comment standardiser la télémédecine de façon bien organisée ? Telle est notre préoccupation.

Le déploiement du numérique n’est pas du tout homogène dans notre pays, pour la bonne raison que l’on a laissé faire les départements et qu’il n’y a pas eu de coordination. La situation est donc profondément inégalitaire. Comme vous, je pense que la télémédecine dans les EHPAD est une bonne solution, d’autant plus qu’ils ne comptent quasiment plus de médecins. La domotique aussi, peut constituer un moyen formidable pour aider. Mais l’hétérogénéité des situations que nous vivons est malheureusement liée à d’autres facteurs extérieurs. D’où l’importance de la notion de tuyaux : l’on ne peut pas déconnecter la télémédecine d’un déploiement de tuyaux sécurisés.

M. Marc Delatte. La télémédecine est l’un des leviers de la lutte contre les déserts médicaux. Vous savez que le ministère s’y emploie. Nous envisageons jusqu’à 500 000 actes d’ici à 2019, et nous allons vers une téléconsultation et une télé-expertise. Actuellement, le déploiement est conditionné à la tarification des actes et à une couverture numérique qui devrait arriver d’ici 2020. Dans l’Aisne, nous devrions avoir une 4G associée avec l’ensemble des départements alentour. Je pense donc que cette barrière sera levée.

Je pense qu’il faut aussi développer des normes et des certifications pour aller vers un standard obligatoire, avec la généralisation – enfin ! – du dossier médical partagé (DMP), qui favorise l’efficience du parcours de soins. Vous me direz quel est votre sentiment sur ce point.

Pour revenir à l’intelligence artificielle, un travail sur la dimension éthique est nécessaire. Nous y travaillons au Comité consultatif national d’éthique (CCNE), dont je suis membre titulaire. Quant à l’aide au diagnostic et la prise de décision, l’anticipation et la prévention des pathologies est recommandée, de manière personnalisée. Cédric Villani a effectué un excellent travail sur ce sujet.

Comment valoriser la télémédecine dans nos territoires ?

M. Thierry Moulin. Par le forfait. Sortons du paiement à l’acte. Deux systèmes s’opposent. D’un côté, il existe un système rémunéré à la performance. Les hôpitaux sont payés à la performance, mais pas encore assez car nous n’allons pas suffisamment loin dans les critères de qualité. La télémédecine peut en être un supplémentaire. De l’autre côté, il existe un système rémunéré uniquement à l’acte. Pourtant, pour les maladies chroniques, il faudrait prévoir un système de forfait pour décloisonner le parcours. Cessons d’opposer la ville et l’hôpital. Le patient se promène un peu partout. Dans certains endroits, le spécialiste d’hôpital est le dernier spécialiste qui reste, et qui donne un avis à l’ensemble du territoire. Décloisonnons par le forfait, et arrêtons de tarifer deux euros la minute.

Je vous rejoins concernant l’aspect éthique de l’intelligence artificielle. Je réitère mes propos : les données sont des valeurs, économiques mais surtout humaines. Envisageons le don de ces données dans l’esprit retenu pour la mise en place de l’Établissement français du sang (EFS) ou l’Agence de biomédecine.

M. Patrice Cristofini. Il est certain qu’il faut arriver à trouver un modèle économique. La télésanté et la télé-expertise auront un modèle économique intégrant le coût de l’équipement de l’infrastructure, du réseau et celui de l’usage. Nous devons y arriver. Les solutions existent. C’est ce modèle qui se fera, et les industriels y sont prêts. Cela requiert de l’ingénierie, car nous n’avons plus les moyens de racheter des équipements et de refaire les réseaux. Les budgets sont très élevés.

Concernant l’intelligence artificielle, avoir des bases de données est une chose, il faut de grosses quantités de données – mais il faut des données de qualité. Le rapport Villani insiste sur la nécessité de surveiller la qualité de la programmation. En matière de diagnostic, la prudence est de mise.

M. le président Alexandre Freschi. J’ai le regret de vous dire que nous devons conclure cette audition. Je vous remercie de nous avoir éclairés, mesdames et messieurs, sur la télémédecine et la télésanté. Nous vous ferons peut-être parvenir quelques questions supplémentaires par écrit.

 

 

 

 


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Audition du Professeur Jean Sibilia, président de la conférence des doyens des facultés de médecine

Présidence de M. Alexandre Freschi, Président de la commission denquête

M. le président Alexandre Freschi. Mes chers collègues, nous allons procéder à l’audition de la Conférence des doyens des facultés de médecine, représentée par son président, le professeur Jean Sibilia.

Monsieur le professeur, je vous remercie d’avoir bien voulu répondre à notre invitation à cette audition. Je vous informe que nous avons décidé de rendre publiques nos auditions, qui sont ouvertes à la presse et rediffusées en direct sur un canal de télévision interne, puis consultables en vidéo sur le site de l’Assemblée nationale.

Je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Monsieur Sibilia, je vous invite donc à lever la main droite et à dire « Je le jure ».

(M. Jean Sibilia prête serment.)

M. Jean Sibilia. Je vous remercie pour votre invitation. Je suis très heureux de venir discuter d’un sujet qui nous préoccupe, vous et nous, ensemble, depuis de nombreuses années. Il s’agit du problème de la démographie médicale et de la gestion des zones défavorisées que l’on appelle « déserts médicaux » – mais je pense que cette notion s’est étendue à d’autres secteurs.

Je préciserai tout d’abord que les formateurs que sont les universitaires et les doyens ne nient pas cette situation. Nous en avons absolument conscience, dans nos territoires. Nous avons aussi conscience que cette notion de désert médical comprend des entités assez différentes. Le désert peut être rural, mais il peut aussi être urbain, dans des zones de non-droit et des zones défavorisées. Un deuxième point important mérite d’être noté : à l’instar d’une équation mathématique, la résolution de la problématique de la démographie médicale est extrêmement compliquée, d’autant que celle-ci ne peut pas être sortie de son contexte général. Je prendrai ou trois exemples pour l’expliquer. En particulier, on ne peut pas dissocier la problématique de l’installation d’un médecin en zone rurale de celle de l’installation d’une école, d’un boulanger, d’un bureau de poste ou encore de la 4G. Un médecin n’ira pas s’installer dans une zone territoriale qui ne bénéficie pas d’éléments d’accompagnement pour lui et sa famille. L’autre élément de contexte est que la profession a beaucoup évolué. Elle s’est féminisée. C’est un souci potentiel en zone défavorisée pour la continuité des soins, notamment les gardes. En effet, nous savons qu’il est difficile pour une femme de sortir après dix-neuf heures dans une zone urbaine difficile ou dans une zone de non-droit. De fait, le problème de la démographie quantitative est doublé d’un problème qualitatif. Je citerai un dernier point, pour être bref. Ces zones dites défavorisées que sont les déserts médicaux ont aussi été modulées et modifiées par l’organisation des soins, notamment une sorte de déficit de la médecine générale, l’engorgement des urgences et d’autres facteurs qui accroissent la difficulté d’organisation des soins. Voilà pour les éléments de contexte général, que vous connaissez tous. Mais je tenais à vous dire que nous avons pleinement conscience de ce contexte. Souvent, l’on taxe les universitaires, en particulier les doyens, d’être dans leur tour d’ivoire et de ne pas voir les choses. C’est faux. Nous avons totalement conscience du contexte.

Nous avons également conscience que l’on vous « challenge » sur ce message politique, que vous êtes en première ligne et que vous devez y répondre. C’est donc à nous de vous apporter des solutions, en précisant quelles sont les bonnes, les moins bonnes et les mauvaises. En effet, certaines solutions sont acceptables, mais d’autres le sont difficilement.

J’ai préparé un texte très complet, qui retrace l’intégralité de la situation actuelle, avec les enjeux de la formation, qui sont à la fois quantitatifs, démographiques et qualitatifs. On ne peut y répondre par la seule augmentation du nombre de médecins, voire de professionnels de santé. Nous devons répondre très clairement par une amélioration qualitative. C’est notre responsabilité, j’en suis conscient. Aujourd’hui, les enjeux sont ceux de la mondialisation, de la marchandisation, de la modification des outils, notamment la télémédecine. Celle-ci ne réglera évidemment pas tout, loin de là. Mais des outils nouveaux existent. Nous devons en tenir compte dans la formation et dans le qualitatif. Ce texte propose vingt engagements très modernes de notre Conférence, partagés avec la Conférence santé. J’ai discuté avec les pharmaciens et les hôpitaux, qui sont évidemment engagés à un niveau différent mais qui partagent cette analyse. Ces vingt engagements nous permettraient d’avancer ensemble. Nous pouvons essayer de voir comment les mettre en œuvre, car il faut qu’ils soient accompagnés clairement, politiquement. Ce ne sont pas uniquement des engagements techniques.

Je suis prêt à répondre à vos questions.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Merci, monsieur le doyen, pour votre propos liminaire. Sa tonalité n’est pas tout à fait la même que ce que nous avons pu entendre du Conseil national de l’Ordre des médecins. Il est de mon rôle, en tant que rapporteur, d’agir comme un aiguillon. Je vous remercie de le dire avec autant de franchise.

Nous sommes là pour essayer de construire quelque chose. Notre souhait est d’obtenir des réponses à court terme. Nous savons qu’elles sont complexes. Que faire, dans les prochaines semaines, pour permettre une amélioration de la situation dans les deux à trois années à venir et éviter une dégradation ? Je ne vois pas d’actions, dans celles qui ont déjà été mises en place, susceptibles d’améliorer la situation. Que pouvons-nous faire à moyen terme et que pouvons-nous envisager à long terme ?

Ma première question sera très rapide, pour que tous mes collègues puissent intervenir. Elle concerne le numerus clausus. Certains préconisent sa suppression, d’autres son augmentation – même s’il a déjà doublé. Vous savez que nous avons retrouvé le chiffre d’il y a trente ans.

Quid de l’internat des régions, tel que l’on a pu le connaître à une époque ?

Une autre question porte sur l’évolution dans la formation, notamment pour les jeunes étudiants en médecine ou les internes que l’on pourrait envoyer non pas six mois mais un an, voire dix-huit mois dans des centres hospitaliers ou des maisons de santé avec des maîtres de stage.

Il existe aussi un sujet sur lequel vous devez nous aider. C’est d’ailleurs le seul point de votre propos que j’ai relevé comme me posant une difficulté. Vous avez indiqué que les jeunes médecins n’iront pas s’installer là où il n’y a ni boulangerie ni école. Je pense que nous sommes assez loin de la vérité : il existe des villes de 30 000 ou 40 000 habitants avec des boulangeries, une école, voire un excellent lycée, je pense par exemple à Châteaudun, dans lesquelles les médecins ne s’installent pas non plus. C’est vrai à la fois en milieu rural et dans les grandes villes, en particulier Paris.

Je n’ai pas entendu parler, ce matin, de l’attractivité des métiers de la santé. Nous en sommes venus à proposer des aides financières sans que personne ne se pose la question de la revalorisation des consultations. Quel est votre sentiment sur ce point ?

Enfin, concernant la télémédecine, vous avez prononcé le terme « qualitatif ». Ne pensez-vous pas qu’il faudrait une sorte de modélisation de plateformes de télémédecine accréditées, avec des critères d’accréditation semblables à ceux qui existent dans l’industrie ? À l’heure actuelle, une seule profession médicale est accréditée, celle des biologistes. Cela permet à un audit extérieur d’autoriser tel type d’acte, mais pas tel autre lorsque la compétence n’est pas au rendez-vous.

M. Jean Sibilia. Vous avez posé de nombreuses questions et formulé de nombreuses remarques. Je répondrai d’abord sur le seul point d’achoppement que vous avez retenu, pour préciser que ce n’en est pas un. En effet, nous faisons l’analyse que la ruralité n’est pas la seule désertifiée et que des zones urbaines très importantes le sont également. L’unique réponse ne consiste donc pas à mettre des écoles en ruralité. C’est une réponse pour la ruralité, mais pas pour nos zones urbaines. Nous partageons ce point de vue. Il faut trouver des facteurs d’attractivité différents.

Concernant le numerus clausus, des choses fausses sont avancées et j’entends les rectifier. Ainsi, l’on entend un peu partout qu’il y a suffisamment de médecins en France et que le problème est simplement celui de leur répartition par défaut d’attractivité. C’est faux. Un rapport de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a montré que, fin 2014, la France comptait 3,3 médecins pour 1 000 habitants – quand la moyenne de l’OCDE était de 3,5. Mais, plus inquiétant encore, nous sommes à l’avant-avant-avant dernier rang des pays de l’OCDE en matière de croissance de formation des médecins. Cela signifie qu’au cours des quinze dernières années, nous avons formé beaucoup moins que les autres pays. Quoi que l’on dise, il y a bien un véritable problème démographique quantitatif. Nous sommes en décroissance.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Avons-nous la capacité de former plus ?

M. Jean Sibilia. Oui, clairement. Le premier point du document que je vous ai transmis le démontre.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Le Conseil national de l’Ordre des médecins nous a indiqué le contraire ce matin.

M. Jean Sibilia. Nous avons la capacité et la volonté de former plus. Il faudra que nous réfléchissions aux moyens pédagogiques, mais nous pouvons former plus. Pour prendre mon exemple, je suis doyen d’une grosse faculté à Strasbourg. Très clairement, j’aurais la capacité d’augmenter dans une proportion importante le numerus clausus. Nous pouvons le faire, en accord avec l’université, dans le cadre de négociations et en adaptant les moyens pédagogiques. C’est tout à fait réalisable. Il ne faut pas dire que ce ne l’est pas – mais cela ne peut pas se faire totalement sans moyen.

Je souhaite ici rappeler quelques chiffres. Former un médecin de plus dans le dispositif actuel coûte environ 150 000 euros à la Nation, à moyens constants. Mais il existe aussi un coût à ne rien faire. Cette remarque était un préliminaire pour répondre à votre question sur le numerus clausus. Nous avons un déficit quantitatif marqué, en particulier en termes de progression de la formation.

Par ailleurs, l’on affirme souvent que le problème sera réglé par la formation des paramédicaux. Ce n’est pas vrai. Les pays qui ont augmenté leur nombre de médecins ont également accru leur nombre de paramédicaux. C’est dans le rapport de l’OCDE pour 2017. C’est traçable. Donc cela ne suffira pas non plus. C’est vertueux, parce que la prise en charge de demain se fera dans les territoires, au travers de parcours qui ne pourront être que pluriprofessionnels. Il est inutile, effet, de demander à un médecin de passer à domicile pour prendre le pouls d’un patient ou faire une injection. Le parcours sera pluriprofessionnel. Nous avons besoin de ces métiers de la santé, mais cela ne suffira pas non plus.

Nous voulons supprimer le numerus clausus. J’exprime clairement ma position. Depuis le début, nous, les doyens, sommes favorables à sa suppression. Politiquement, le numerus clausus est illisible. Il est devenu le symbole de l’échec du système jacobin descendant. Pire encore, il est synonyme de « massacre des étudiants » – vous avez sans doute vu, un dimanche soir récent, cette émission de Laurent Delahousse sur France 2. C’est vécu ainsi. Dans la vie, il y a votre vérité et la vérité reçue par les autres. Aujourd’hui, le numerus clausus n’est plus tenable. On ne le veut plus ni politiquement, ni techniquement. Il a été contourné et il ne sert plus à rien.

Les étudiants français formés en Roumanie à Cluj sont 600. C’est pour cela que la problématique des moyens est importante. Aujourd’hui, je suis obligé de faire inscrire dans les facultés, pour les épreuves classantes nationales (ECN), 200 étudiants étrangers de plus que l’an dernier. Ils sont près de 600 étudiants et l’on en annonce 800 l’an prochain. Ce sera intenable.

M. Philippe Vigier, rapporteur. 9 % des nouveaux médecins diplômés chaque année seraient des médecins formés en Roumanie. Voilà où nous en sommes.

M. Jean Sibilia. Effectivement. Ce nombre est en croissance continuelle et exponentielle. Je citerai un autre indicateur, concernant Cluj. Les étudiants qui vont en Roumanie ne sont plus uniquement ceux en échec, mais aussi des étudiants primants. Cela change tout. Les étudiants y vont directement. Ils vont acheter leur diplôme en Roumanie en direct.

Mme Jacqueline Dubois. Ils ne vont pas l’acheter ! On ne peut pas dire cela.

Mme Nicole Trisse. Non, ils ne vont pas l’acheter. J’interviendrai après.

M. Jean Sibilia. Ils ne vont pas l’acheter, mais ils vont payer leur diplôme.

J’en viens à l’internat en région, ou ECN en région. Notre position va en faveur d’une modification totale de la validation du deuxième cycle, donc de sa finalité. L’ECN doit être divisé en deux. Il est pervers, aujourd’hui, car il mélange l’évaluation pédagogique et un système de distribution. Ce n’est pas possible. C’est pour cela qu’il est mal vécu. Pédagogiquement, les étudiants en deuxième cycle ne s’engagent ni dans un projet professionnel, ni dans une vision d’installation en territoire, pour une raison très simple – et c’est le terrain qui le dit : ils attendent leur classement. Il n’est pas rare d’entendre : « J’attends mon classement et je déciderai après ». Ce que nous voulons, très clairement, c’est un projet professionnel et une sortie différente.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Vous êtes donc favorable à l’internat des régions, avec un choix permettant de passer le concours dans toutes les régions.

M. Jean Sibilia. Absolument. Par ailleurs, je propose un gradient. Il faut proposer une gradation régionale. Pour la médecine générale, par exemple, le gradient peut être très régionalisé. Les besoins sont territoriaux. À l’inverse, il n’est pas utile de former 200 médecins à la neurochirurgie par navigation 3D dans le cerveau. Il faut un niveau de régulation qui peut être régional, suprarégional, voire national. Dans la majorité des cas, je pense qu’il faut une régionalisation de la régulation.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Quelle est votre position sur les stages d’interne de médecine générale, d’une durée de douze voire de dix-huit mois, auprès de médecins généralistes ayant le « dossard » de formateurs ?

M. Jean Sibilia. Cette mesure est actée. Elle est obligatoire.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Si ce n’est que la situation n’est pas la même dans toutes les régions.

M. Jean Sibilia. C’est acté. Le train est lancé. Il s’agit également d’un des points que nous défendons. Il faut que nous formions nos étudiants en deuxième cycle à tous les exercices, notamment l’ambulatoire. Lorsqu’ils entrent en médecine, environ huit à neuf étudiants veulent faire de la médecine générale. À la sortie, après un cursus très hospitalier, ils ne sont plus que deux. Cela signifie que la formation formate. C’est logique. Nous voulons donc des stages ambulatoires, et pas seulement pour la médecine générale. Arrêtons de faire de celle-ci une exception. C’est une discipline universitaire comme les autres. Il faut des stages ambulatoires pour toutes les disciplines dites de santé publique. Elles sont nombreuses, nous les avons tracées. C’est une ingénierie complexe, car il faut former les formateurs et les payer. Par définition, il est plus facile de regrouper tout le monde dans un stage hospitalier. Envoyer les étudiants en région est vertueux, mais il faut l’organiser. Cette ingénierie de la formation n’est pas simple, mais elle est en place.

Mme Stéphanie Rist. Si le numerus clausus était supprimé, faudrait-il prévoir une régulation à un autre moment dans le cadre de la formation, ou laisser une libéralisation totale du nombre de médecins en France ?

Si l’on supprime le numerus clausus, certains doyens pourraient être tentés pour des raisons diverses de baisser le nombre. Comment peut-on les responsabiliser sur leur action territoriale ?

M. Jean Sibilia. Nous ne sommes pas favorables à une libéralisation totale. À mon avis, nous avons besoin d’un curseur de régulation – dans les deux sens. Dans les années 1970, nous avons connu une pléthore de médecins généralistes. Mon père était de ceux-là, dans un village de 1 000 habitants. Il a été seul durant quinze ans, puis le village en a compté quatre. Cela a été une guerre quotidienne. Ou alors, il faut changer la tarification à l’acte et trouver un autre système que celui de la compétition à l’acte dans un territoire. L’exemple des personnes opérées du dos est très parlant. La première corrélation avec le nombre de patients opérés du dos n’est pas l’indication, mais le nombre de chirurgiens du dos sur le territoire. Attention à une démographie dérégulée, qui crée des effets pervers que l’on paie dix à quinze ans après. À cet égard, je ne suis pas favorable à une dérégulation totale.

Qui plus est, il faut un chiffre plancher. Celui-ci doit être adapté aux besoins du territoire et aux capacités pédagogiques. Il faut toujours les deux. N’oubliez pas que les médecins et les soignants ne sont pas les seuls à souffrir. L’administration souffre aussi. Il est de mon devoir de vous dire que l’administration universitaire a doublé le numerus clausus à moyens constants en dix ans, qu’on lui assène le service sanitaire, et qu’on lui demande de réformer le troisième cycle. Le tout à moyens constants ! Certes, il existe une marge de manœuvre avec l’arrivée du numérique qui remplace le papier. Une adaptation des moyens pédagogiques et humains est nécessaire, sur le terrain.

Je suis donc favorable à un chiffre plancher, et une augmentation par région laissée à la liberté de la subdivision universitaire, en dialogue avec les agences régionales de santé (ARS) et les universités – je l’ai écrit. Cela me paraît normal. Il faut que les collectivités se saisissent aussi du sujet. Elles sont très souvent absentes. Pas partout, certes. Elles sont très présentes dans certaines zones, mais dans d’autres elles sont absentes. Il faut que les politiques locaux prennent leurs responsabilités.

Responsabiliser les doyens est le rôle du président – donc le mien. D’où le texte que nous avons écrit, avec des mots d’ordre qui sont des engagements solennels. Si des engagements sont pris, ils sont signés par les doyens. Ce sont des engagements à faire le travail. Mais cela ne suffit pas. Nous devons aussi donner l’assurance aux doyens qu’ils auront les moyens de faire ce travail.

D’où une réforme indispensable du CHU. Je passe ce message : il faut que le CHU de demain soit universitaire. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Je passe ce message politique très important. Récemment, le Président de la République a annoncé des modifications importantes pour l’hôpital. Nous attendons que celui-ci soit « universitarisé », avec un statut spécifique qui permette de donner à l’université, au sein du dispositif que l’on appelle le CHU, une force de frappe en matière de formation. Tout est lié. Il faut que nous ayons un appui politique. Il faut changer le CHU, qui ne peut pas rester, au même titre qu’un établissement de santé, avec des petites missions de formation et de recherche. Il faut changer de calibre pour la formation et la recherche – c’est un autre débat.

M. Jean-Michel Jacques. Je voudrais partager avec vous ce que j’entends souvent sur le terrain lorsque je rencontre mes concitoyens. Ceux-ci ne comprennent pas pourquoi il n’y a pas de médecin. Ils observent que ces professionnels sont formés, que cette formation coûte 145 000 euros à la Nation, et qu’on ne les retrouve pas sur le territoire. Sans compter qu’un médecin qui exerce en libéral gagne, en moyenne, 11 000 euros nets par mois. C’est quand même une belle somme, quand on voit que parfois, nos concitoyens gagnent 1 200 euros, voire moins. Face à cette incompréhension, que pouvons-nous leur répondre ?

M. Jean Sibilia. Je considère que cette réponse est la plus compliquée qui soit à donner. De temps en temps, quand on préside une assemblée, l’on a son point de vue personnel, qui est un engagement presque moral vis-à-vis de la Nation qui vous a formé, et puis il y a la réalité pragmatique de terrain. Je vais vous faire deux réponses, mais la bonne sera la seconde. La première est la suivante. Au titre de mon engagement personnel, j’aurais rendu à la Nation par un service civique en zone défavorisée. Je jure que c’est ma conviction profonde. Je l’aurais fait, au même titre que j’ai fait mon service national à l’époque. Cela me paraît normal. L’État nous aide, tout en nous donnant le droit au remords. Je rappelle que, parfois, il paye deux cursus à un étudiant qui se trompe. C’est quand même un avantage notable, dans un pays où la formation est excellente, à un prix qui est celui que vous connaissez. La République est là pour soutenir ses étudiants quel que soit leur niveau social. Je crois que l’université reste un ascenseur social. Selon les écoles, nous comptons entre 10 % et 20 % de boursiers. Cela montre que tous les étudiants en médecine ne sont pas des enfants de nantis. Je pense qu’une frange d’étudiants serait en phase avec mes propos, et capable de rendre à la Nation, par réciprocité. Mais ce message est difficile à faire passer aujourd’hui, avec un métier en telle métamorphose, tellement difficile et avec une telle souffrance au travail. L’engagement personnel que nous demandons, pour des raisons sociétales et d’évolution personnelle, est vécu plus difficilement encore lorsqu’il est imposé aux médecins et à leurs familles, car cela revient à proposer un projet familial délocalisé, peut-être en conflit avec un projet professionnel maturé par ailleurs. Un médecin qui s’est formé durant son deuxième cycle, en vue de devenir cardio-pédiatre, peut se voir demander d’aller faire de la médecine générale durant deux ans en Corrèze ou dans une zone urbaine défavorisée. C’est très bien, cela rend service. Mais ce projet professionnel peut être difficile à accepter, dans une période de la vie où l’on a un certain âge, souvent avec une famille que l’on doit entraîner avec soi. Vous voyez que ce n’est pas simple. L’approbation des professionnels de santé sur un projet qui serait imposé de cette manière est difficile à obtenir.

Il est de ma responsabilité de vous dire que je ne suis pas entendu quand je propose cela. J’ai pourtant essayé de le faire. Je vous parle en toute sincérité.

Mme Nicole Trisse. J’ai écouté attentivement vos propos. Vous êtes à Strasbourg. Je suis mosellane, élue dans la circonscription de Sarreguemines-Bitche. Je suis étonnée d’entendre que vous auriez la capacité de former davantage d’étudiants. Or ceux qui partent de chez moi pour venir chez vous ont été refusés sous prétexte qu’ils ne sont pas en Alsace, qu’il y a beaucoup trop d’étudiants et que vous n’avez pas la capacité de les prendre tous. Or nous sommes dans un contexte de milieu rural, à équidistance entre Metz et Strasbourg, et l’on nous ferme les portes du côté strasbourgeois.

Concernant le numerus clausus et le nombre de médecins libéraux librement installés, je souhaite vous faire part d’une anecdote. Il y a trois ans environ, j’ai regardé le cahier du Conseil national de l’Ordre des médecins qui s’installent en Moselle. Sur les 800 qui sont sortis « thésés », ils étaient moins d’une petite centaine à être prêts à s’installer comme généralistes. Tous les autres ont décidé de devenir spécialistes, d’aller dans les hôpitaux ou d’autres structures, ou encore de rester remplaçants. Ce n’est pas le problème du numerus clausus, mais celui de l’après. Nous posons-nous les bonnes questions ? Je n’ai pas la réponse.

Enfin, concernant les étudiants formés à Cluj, j’ai du mal à entendre qu’ils sont en situation d’échec. Lorsque l’on est classé 272e et que l’on n’en prend que 270 ou 271, l’on est tout aussi vertueux que les 270 ou 271 premiers. Ces étudiants vont à Cluj parce qu’ils ne se voient pas refaire une année dans des conditions assez terribles. Je reviens ici à votre affirmation selon laquelle vous avez la capacité de former plus d’étudiants. Je connais un peu les conditions de la faculté de Strasbourg, et j’imagine que c’est partout pareil. Certes, il n’y a pas d’égalité des chances et ce n’est pas très académique, mais les étudiants préfèrent aller à Cluj, où 90 % des étudiants sont francophones, voire français. Ces jeunes font leurs études mais se sentent quand même en situation d’échec, même s’ils réussissent à Cluj. Ils se sentent très mal par rapport à leurs amis qui sont restés en France. Il y a eu des suicides, pour cette raison, et nous avons dépêché des psychiatres. Ces étudiants n’ont pas trouvé leur place. Tout le système doit être repensé. Il ne s’agit pas d’augmenter les capacités pour augmenter les capacités.

Que fait un étudiant durant sa première année, puis lorsqu’il sort thésé ? Il faut y penser. En outre, comment éviter la déperdition d’étudiants, qui finalement restent mal dans leur peau parce qu’ils sont ailleurs ?

M. Jean Sibilia. Merci pour ces très bonnes questions, qui montrent qu’il est nécessaire de préciser mes propos. Je pense qu’il n’y a pas de discordance dans nos analyses. Pour répondre à votre première question, notre cœur balance aussi vers la Moselle. Nous aimons bien les étudiants de ce département, qui préfèrent le Bas-Rhin à la Meurthe-et-Moselle. C’est l’histoire de l’Alsace-Lorraine.

Mme Nicole Trisse. Nous avons un train direct pour Strasbourg, mais nous n’en avons pas pour Metz.

M. Jean Sibilia. Je sais. Il est plus facile de vous rendre à Strasbourg. Vous savez que c’est simplement lié au système précédent, qui nous obligeait à inscrire en priorité les étudiants de notre académie. Or l’académie, c’est le Bas-Rhin et le Haut-Rhin. J’ai toujours plaidé, quand c’était possible, via la commission dérogataire, pour accueillir les étudiants de Moselle ou des Vosges qui souhaitaient venir. Je l’ai toujours fait, en fonction des capacités d’accueil. Le problème est peut-être en partie modifié maintenant par Parcoursup. La semaine dernière, nous avons reçu six mille six cents dossiers à Strasbourg. Ils ont tous été traités. Cela montre que c’est possible, avec des moyens constants.

Vous posez aussi le problème des capacités d’accueil. Il existe deux niveaux. Celui de la capacité d’accueil de la première année commune est en fait un problème d’amphi. Tous nos cours sont en massive open online course (MOOC) sur des plateformes. Notre capacité d’accueil est de 2 100 étudiants. Demain, je peux faire ouvrir un amphithéâtre de 300 places. J’en ai déjà neuf. Le présentiel ne concerne qu’un seul d’entre eux, et tout le reste est en télétransmission. Demain, il suffirait de connecter un amphi de 300 places pour proposer 300 places supplémentaires aux étudiants en première année commune aux études de santé (PACES). Ce n’est pas le problème. Ce qui est le plus compliqué, c’est l’accueil après la PACES, pendant les études de médecine. Cet accueil dépend des enseignants, des terrains de stage, de l’ingénierie de répartition. C’est plus compliqué. Mais, je l’ai dit, nous avons une marge de manœuvre. Nous avons bien augmenté le numerus clausus graduellement depuis dix ans. Nous pouvons encore faire un effort. Nous pouvons encore augmenter. Il faut que l’on travaille en réseau avec les centres hospitaliers et les maisons de santé pluri-professionnelles, et que l’on développe l’ambulatoire. Ce sera une façon de répondre à la situation. Nous ne pouvons pas mettre tous les étudiants dans les mêmes services hospitaliers du CHU. Il faut donc que le CHU fasse une métamorphose universitaire, je le répète.

Concernant Cluj, je n’ai jamais dit qu’il n’y avait pas de problème ou que les étudiants concernés n’étaient pas en souffrance. Auparavant, ils s’y rendaient après des échecs en France – à une place ou à mille du dernier classé, selon les cas. Je regrette profondément cette situation, qui vient du numerus clausus que nous souhaitons modifier. La souffrance là-bas est réelle. Il n’y existe pas de terrain de stage, même si l’enseignement n’est pas mauvais. Mais je voulais souligner que, désormais, cette université n’attire pas seulement des étudiants en échec. Certains s’y inscrivent directement, sans être passés par la PACES. Ce n’est pas du tout la même chose. Peut-être vivent-ils ensuite un sentiment d’exclusion. Je comprends qu’ils ne sont pas bien accueillis lorsqu’ils reviennent en France. Cela étant, la Conférence a déjà consenti des efforts. Ainsi, nous acceptons d’inscrire ces étudiants sur la plateforme « Système Inter-universitaire Dématérialisé d'Evaluation en Santé  nationale » (SIDES), à condition que les universités étrangères de l’Union européenne paient au minimum la même cotisation que les universités françaises. Ce serait un comble que l’on inscrive des étudiants d’une université étrangère dont les droits de scolarité sont dix fois supérieurs aux nôtres sans lui demander de cotisation. Je serai intransigeant sur ce point. Nous attendons la création de la filiale de la plateforme francophone « Université numérique en sport et santé » (UNESS), laquelle sera ouverte à toutes les universités francophones, et en priorité les roumaines qui accueillent des Français. J’espère qu’un jour, nous pourrons former ces Français en France. Nous continuerons à les accueillir au moment de l’internat, ou l’équivalent de la fin du deuxième cycle, pour les intégrer en espérant qu’ils s’installeront en France. Si nous pouvions réintégrer dans notre dispositif les étudiants formés en Belgique, en Roumanie et en Pologne, et leur permettre de s’installer assez rapidement, ce serait un mécanisme immédiat d’amélioration de la situation.

Pour finir, j’en viens au no man’s land des étudiants inscrits et non installés. C’est un fait sociétal, lié à une envie de développement personnel et d’investissement dans son temps de travail qui n’est plus le même qu’avant. Mon père, généraliste rural, ne fermait jamais son cabinet. Jamais. Il ne partait pas en vacances. Aujourd’hui, les cabinets sont fermés. Les médecins ont des familles. Ce sont des femmes, qui ont une vision de la vie et une organisation différentes – c’est noble, elles font des enfants pour la Nation. L’installation est donc évidemment décalée, et l’exercice professionnel aussi. Il s’écoule maintenant huit à neuf ans entre la sortie et l’installation. C’est un fait. Il s’agit de trouver des facteurs d’attractivité pour favoriser l’installation. Mais je n’ai pas de solution magique à proposer.

M. Marc Delatte. Vous avez raison, lorsqu’un médecin généraliste qui travaille soixante à soixante-dix heures par semaine s’arrête, il en faut deux pour le remplacer. C’est une évidence. En outre, lorsque les médecins s’installent, ils ont entre trente et trente-quatre ans, et une vie bien organisée. Il faut alors trouver un travail pour le conjoint. Il s’agit de réfléchir au bon niveau de territorialité pour trouver une attractivité. Le Gouvernement s’y emploie, avec les programmes « Cœur de ville » et « Quartiers prioritaires de la ville » ou encore le travail sur la mobilité et la couverture numérique d’ici 2020.

Je voudrais revenir sur la vocation des jeunes qui s’orientent vers ce métier – qui est plus qu’un métier. Je m’interroge sur le mode de sélection et la valorisation de la médecine de premier recours. En Australie, on prend en compte le parcours du lycéen et l’on retient les meilleurs élèves de première et de seconde, sans numerus clausus. Cela fonctionne. Mais ce pays subit aussi un manque de médecins.

M. Jean Sibilia. De mémoire, le rapport de l’OCDE montre que l’Australie est le pays qui a le plus augmenté son nombre de médecins – de 35 % environ. Elle a donc aussi apporté une réponse démographique quantitative. Par ailleurs, nous partageons pleinement votre analyse sur l’évolution du métier et l’importance d’attirer des étudiants différents en donnant un sens nouveau. Vous lirez les engagements originaux que nous avons pris. Plusieurs expériences sont en cours. Nous intervenons dans les lycées. Nous pourrions même profiter du service sanitaire, pour faire d’une pierre deux coups. Nous nous rendons dans les lycées pour expliquer ce que sont les études de santé, qui forment au plus beau métier du monde – en dehors de celui de député, peut-être ! C’est un métier avec du sens et de l’humain. Vous sortez de vos études avec un salaire, dans un domaine dans lequel il n’y a pas de chômage. Il faut informer dès le lycée, pour encourager les jeunes à s’engager dans cette voie. Dans les zones rurales défavorisées, les étudiants s’autocensurent en raison d’une vision déformée et arbitraire, alimentée par les médias qui ne retiennent que les suicides et le « massacre » de la PACES. Pourtant, ce métier est fantastique. Il faut donc redonner confiance. Le plus souvent, qui plus est, ce sont les plus sensibles et les plus bienveillants qui s’autocensurent. Il s’agit de lutter contre ce biais de sélection lié au manque d’information. Nous avons donc un engagement dans ce domaine.

Nous avons aussi un engagement sur la modification du programme de la PACES. Si vous ne le limitez plus aux mathématiques et à la physique, vous attirerez probablement des profils différents et vous favoriserez la diversification. Celle-ci sera rendue possible de deux manières : par la modification de la pédagogie – en donnant un coefficient supérieur aux sciences humaines et sociales, par exemple – et par l’autorisation de passerelles entrantes, précoces et tardives. C’est déjà le cas avec les passerelles de type « AlterPACES ». Trois dispositifs sont en cours d’expérimentation. En 2019, la loi devra fixer des recommandations sur ces expérimentations de modes d’entrée diversifiés. Je vous rappelle qu’il existe aussi, ainsi que je viens de l’évoquer, des modes d’entrée tardifs, sous la forme de passerelle vers la deuxième ou la troisième année pour des étudiants hors santé. Tous les ans, nous faisons entrer des avocats, des juristes, des polytechniciens ou des normaliens avec des diplômes de niveau master. Dans une faculté comme la mienne, nous en faisons entrer environ 5 % à 7 % dans chaque promotion, soit dix à vingt sur une promotion avec un numerus clausus de 230 à 250 étudiants. Les processus de diversification existent.

M. Jean-Pierre Cubertafon. Vous nous redonnez un peu d’espoir. Je vous remercie pour ce discours. Peut-être faudrait-il que nous renforcions nos contacts entre les doyens et les territoires. Ils pourraient vanter l’attractivité de nos territoires aux étudiants de cinquième et sixième années. Pensez-vous qu’ils l’accepteraient ?

M. Philippe Vigier, rapporteur. C’est une très belle initiative. Nous serons amenés à y réfléchir avec les membres de cette commission d’enquête. Monsieur le président des doyens, j’ai rencontré quelques-uns de vos prédécesseurs. Vous paraissez particulièrement engagé, et rien ne pourra se faire sans vous. Ce serait une bonne idée qu’à un moment ou un autre, les conclusions de nos travaux puissent vous êtes présentées. Nous serons peut-être amenés à le faire vis-à-vis d’autres professions également. Nous avons besoin de relais.

Vous avez indiqué qu’il fallait donner plus de responsabilités aux CHU, et renforcer l’intégration universitaire. Cela me va très bien, à la seule condition que la mise en réseau avec les centres hospitaliers régionaux se fasse de façon plus intégrée qu’à l’heure actuelle. Sinon, vous n’y arriverez pas. Je pense que nous sommes d’accord.

M. Jean Sibilia. Oui.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Par ailleurs, vous cherchez des structures d’accueil et des terrains de stage. Les maisons de santé sont une piste formidable. Les structures privées aussi, d’autant qu’elles obligeront public et privé à travailler ensemble. Êtes-vous prêts à généraliser ce que j’ai obtenu en région Centre-Val-de-Loire, à savoir la validation d’un certain nombre de semestres pour les internes dans les structures privées ? Il existe des hôpitaux publics, mais aussi des hôpitaux privés – et des hôpitaux privés de qualité à certains endroits, c’est incontestable, de même que de grandes cliniques de qualité. Êtes-vous prêt à y aller ?

Si vous le permettez, je souhaite faire part d’une réflexion personnelle concernant les CESP. Ils reposent, actuellement, sur le volontariat. Ne pourrions-nous pas proposer aux étudiants, à partir de la deuxième année de médecine ou de dentaire, d’être salariés à hauteur 1 500 euros par mois jusqu’à la sixième année, puis de passer leur internat ? Cela ne serait-il pas un moyen de générer plus d’attractivité ? Dans votre note qui est très bien faite, et que je vous invite à lire mes chers collègues, vous montrez que les étudiants en médecine viennent souvent des classes moyennes et supérieures. En terminale ou en première, certains jeunes paient jusqu’à 4 000 euros pour se former dès le mois de juillet ou d’août.

Je souhaite dire encore deux mots. Tout d’abord, les syndicats d’internes veulent une quatrième année d’internat de médecine générale (IMG). C’est vous qui avez la main. Ne lâchez pas tout de suite. Sinon, vous allez encore retarder l’arrivée de ces jeunes sur le marché du travail. Ensuite, notre collègue observait à l’instant que seuls 12 % des médecins formés s’installaient dans le privé. Je crois qu’en France, nous sommes passés sous la barre des 10 % consolidés. À ma connaissance, ce taux est de 9 %.

M. Jean Sibilia. Je vous répondrai très brièvement, car nous sommes totalement en phase. Le CHU doit s’ouvrir. Il doit s’ouvrir sur les territoires, en réseau. J’ai présidé durant quatre ans le comité national de coordination de la recherche, et j’ai plaidé avec beaucoup de difficulté auprès des directeurs généraux de CHU afin qu’ils s’ouvrent en réseau ne serait-ce qu’aux centres hospitaliers (CH), pour la recherche.

Dans les territoires, l’ouverture pour la formation et la recherche doit se faire dans des établissements privés. Et nous le faisons déjà. Comme vous le savez, c’est le doyen qui propose les agréments de stage. Pour ma part, j’ai agréé des structures privées, notamment pour la chirurgie de la main ou la gastro-entérologie. Je n’ai pas de « religion » sur le sujet.

M. Philippe Vigier, rapporteur. La religion a évolué vers une laïcité…

M. Jean Sibilia. Tout à fait. Il faut casser la frontière entre le privé et le public, et ce, dans tous les domaines. Dans nos établissements, nous essayons de défaire cette barrière par des structures privées que nous appelons des fédérations hospitalo-universitaires (FHU), des départements hospitalo-universitaires (DHU) ou des instituts hospitalo-universitaires (IHU). Il faut continuer.

Pour la formation, nous sommes en phase également. Aujourd’hui, moins de 200 CESP sont signés chaque année en France. C’est trop peu. Nous pourrions imaginer un système d’engagement salarié volontaire qui aboutirait à un contrat d’installation plus généralisé. Si l’on demande aux étudiants de s’engager dans une forme de volontariat que l’on compense ensuite, pourquoi pas ? Le côté coercitif ne passera pas. En revanche, une généralisation du contrat semble une piste intéressante. Aujourd’hui, le contrat semble peu attractif. Pourtant, les ARS font d’importants efforts d’explication. Mais ce contrat a du mal à prendre. Je pense qu’il faut aussi passer par les syndicats des jeunes médecins, en particulier l’Association nationale des étudiants en médecine de France (ANEMF) et l’Intersyndicale nationale des internes (ISNI), afin qu’ils convainquent leurs troupes que ce système est performant et qu’il procurera un point de sortie intéressant qui n’ira pas à l’encontre de leur projet professionnel – car c’est ce qu’ils craignent.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Et quelle est votre position concernant la quatrième année d’IMG ?

M. Jean Sibilia. Nous ne pousserons pas en ce sens pour l’instant, vous avez lu nos communiqués de presse. Et ce, pour une raison technique : la réforme du troisième cycle est complexe à mettre en place et nous ne pouvons pas tout bouleverser tout de suite. Stabilisons ce que nous avons mis en place et nous verrons après.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Revenons-en à l’idée, évoquée par l’un de nos collègues tout à l’heure, d’un statut mixte public-privé. Pensez-vous que l’on puisse dire à un jeune médecin recruté interne qu’il pourra continuer à travailler à l’hôpital tout en s’installant en libéral ? Vous avez des capacités d’intégration. Ce serait une sorte de parrainage. J’ai trouvé que ces étudiants étaient très solidaires entre eux. La notion de « grands frères » fonctionne bien.

M. Jean Sibilia. Je suis totalement d’accord pour créer ce nouveau statut. Pour nous, permettre des statuts « U » qui soient « H », pour hôpital, ou « A », pour ambulatoire, est un élément évolutif du statut du CHU de demain. C’est ce que nous avons modalisé pour les praticiens en médecine générale. Ils ne sont pas médecins hospitaliers. Ils sont universitaires, et formateurs en ambulatoire sur le terrain. Nous voudrions développer ce système dans deux disciplines. Je réponds donc totalement oui, d’autant plus que cela se fait déjà. Mais il faut, là encore, essaimer le processus.

M. Jean-Pierre Cubertafon. Vous n’avez pas répondu à ma question. Pensez-vous que nous puissions organiser des rencontres avec les doyens ?

M. Jean Sibilia. Si vous m’invitez dans votre circonscription de Dordogne, je viendrai avec plaisir. Notre premier engagement concerne l’information dans les lycées. Il faut avoir vraiment conscience que le problème ne se pose pas à l’université. La vision du monde sans enthousiasme et l’incapacité à se projeter et à s’émerveiller commencent à l’école. Lorsque les jeunes arrivent chez moi, il est déjà trop tard. Nous avons été obligés d’imaginer Admission Post-Bac (APB) puis Parcoursup, car le baccalauréat ne produit pas son effet de diversification et d’orientation. Si vous donnez le baccalauréat à tout le monde, sans diversification, vous créez un goulot d’étranglement. Aujourd’hui, ce goulot est au niveau de l’université. Je suis donc totalement convaincu que l’information doit se faire à l’école. À nous de sortir de l’université, laquelle doit travailler avec le rectorat.

Le service sanitaire est une bonne idée. C’est même une excellente idée, à condition de ne pas en faire une usine à gaz. L’idée est que l’université doit aller vers les lycées, vers les jeunes et vers le peuple. Cela me paraît très bien.

Mme Jacqueline Dubois. Je ne pense pas que c’est ce que voulait dire mon collègue. Il souhaite simplement renforcer les liens entre les territoires et les doyens d’université, non pas au niveau des lycées mais à celui des futures installations, pour inciter les étudiants en médecine à venir faire des stages dans nos territoires. Certains collègues diffusent des dépliants dans les universités pour vanter leur territoire.

M. Jean Sibilia. Reprenez les éléments du rapport « Améliorer l’offre de soins : initiatives réussies dans les territoires » écrits par la Conférence des doyens des facultés de médecine et le Conseil national de l’Ordre des médecins. Ce document va dans ce sens. Nous y sommes tout à fait favorables. Mais notre difficulté vient du fait que nous sommes dans un CHU fermé parce qu’il existe un chef d’établissement unique, qui est un administrateur et qui est le seul pilote dans l’avion, et parce que l’UFR est liée à son CHU et peine à rayonner dans sa subdivision et dans ses territoires. Je vous le répète, il faut changer le CHU. Il faut arrêter d’en faire un bastion fermé. Le CHU doit être piloté par l’université et la santé.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Monsieur le président, identifiez-vous un obstacle du Conseil national de l’Ordre des médecins vis-à-vis de vos idées, propositions ou pistes ?

M. Jean Sibilia. Sur le rapport « Améliorer l’offre de soins : initiatives réussies dans les territoires », non, puisque nous l’avons coécrit. Nous avons certainement des points de divergence en matière de démographie. Nous n’avons d’ailleurs pas les mêmes grilles de lecture. Il faudra peut-être s’accorder. Notre idée, avec Patrick Bouet qui est un président de l’Ordre qui travaille et qui porte une forme de vision, est que nous ne pouvons pas ne pas nous accorder. Nous essayons de le faire sur la démographie, sur la certification et sur d’autres sujets importants. Nous devons trouver un point de sortie commun.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Une chose m’indigne. Certains médecins exercent dans notre pays alors qu’ils n’en ont pas les compétences. Il faut nous aider à y mettre bon ordre. Je ne vous dis pas que nous allons tout arrêter en trois mois mais nous ne pouvons pas rester avec une telle hétérogénéité territoriale, alors que nous parlons de qualité de l’accès aux soins. Je ne vois pas comment l’on peut continuer ainsi.

M. Jean Sibilia. Je suis tout à fait d’accord. C’est le point 4 de ma note. Je l’ai mis en exergue. Il n’est plus acceptable, aujourd’hui, de ne pas avoir de re-certification des compétences des médecins. Lorsque vous entrez dans un avion, vous souhaitez que le pilote fasse du simulateur et soit certifié périodiquement. Il n’est pas acceptable que tel ne soit pas le cas pour les médecins. C’est d’autant moins acceptable qu’en médecine, les compétences, les connaissances et l’innovation évoluent à un rythme qui n’est pas celui d’il y a vingt ou trente ans. Ce n’est plus acceptable. Je suis formel, ferme. Nous l’avons dit, nous l’avons écrit et nous le répétons.

C’est un doyen, le doyen Uzan, qui pilote la mission « certification ». Je vous incite à le rencontrer. Il se heurte à des difficultés multiples, notamment syndicales et corporatistes, sur le sujet. Je le regrette profondément. J’ai fait des propositions concrètes la semaine dernière, à commencer par une certification obligatoire de tous ceux qui sortiront demain du troisième cycle. J’avance deux arguments. Le premier est générationnel. Les jeunes sont capables de l’accepter. J’en suis sûr. J’en ai parlé avec leurs syndicats. Le second est que nous avons les capacités numériques de le faire de façon simple. Ces étudiants de troisième cycle ont vécu dans un environnement numérique, celui de l’UNESS et de la SIDES. Nous leur proposons une certification sur le même environnement numérique, pour les embêter le moins possible. Ils sont prêts à jouer le jeu. Si nous en formons 10 000 pendant dix ans, cela fera 100 000 et nous aurons mis le pied à l’étrier. Le problème, c’est que j’ai cru comprendre que le Conseil de l’Ordre et les syndicats étaient d’accord à condition de former tout le monde en même temps. Cela ne me paraît pas réaliste. C’est pour cela que le développement professionnel continu (DPC), la formation médicale continue (FMC) et la re-certification ne se font pas. On veut globaliser, mais je crois qu’il faut commencer par quelque chose.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Un paragraphe est consacré à ce sujet dans votre document. Mais il serait peut-être bon que vous alliez un peu plus loin, en nous présentant un dispositif objectif de renouvellement de la certification.

M. Jean Sibilia. Nous proposons à l’issue du troisième cycle, aux professionnels de santé qui entrent dans la vie active, des modules de formation sur cinq ou dix ans, sur la base d’un référentiel que nous appelons « quatrième cycle de la vie ». Ce référentiel étant préparé par les conseils nationaux professionnels (CNP), il est professionnalisant – car il n’est pas question que l’université fasse tout. Celle-ci proposera un module pour la connaissance et l’innovation, et les CNP des modules sur la professionnalisation. Le tout étant autoévalué, dans un environnement numérique, avec un résultat d’autoévaluation garanti en matière de certification par le Conseil national de l’Ordre. Le professionnel peut suivre des MOOC et s’autoévaluer dans un portfolio commun, dans cet environnement. Le Conseil national de l’Ordre a accepté de ne pas créer son propre portfolio.

Si le professionnel refuse de suivre ce processus, il n’est pas certifié. Tout comme un pilote de ligne ne vole plus s’il ne refait pas du simulateur.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Lorsque l’on passe le permis de conduire, on est recalé si l’on fait trop de fautes à l’examen du code de la route et on ne peut pas le repasser avant plusieurs semaines.

M. le président Alexandre Freschi. C’était le mot de conclusion parfait pour cette matinée ! Je vous remercie.

 

 


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Audition de M. Denis Raynaud, directeur de l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES)

Présidence de M. Alexandre Freschi, Président de la commission denquête

M. le président Alexandre Freschi. Mes chers collègues, nous débutons cette série d’auditions avec M. Denis Raynaud, directeur de l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES) à qui je souhaite la bienvenue et que je remercie d’avoir bien voulu se rendre à notre invitation.

Je vous informe, monsieur Raynaud, que nous avons décidé de rendre publiques nos auditions et que, par conséquent, celles-ci sont ouvertes à la presse, diffusées en direct sur un canal de télévision interne et consultables en vidéo sur le site internet de l’Assemblée nationale.

Avant de vous donner la parole pour un exposé liminaire, je vous rappelle que, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je dois vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Denis Raynaud prête serment.)

M. Denis Raynaud, directeur de l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES). Merci beaucoup de me donner l’occasion de m’exprimer devant cette commission. Mon intervention a été préparée avec des collègues de l’IRDES : Guillaume Chevillard, Véronique Lucas-Gabrielli et Julien Mousquès.

À l’IRDES, nous travaillons notamment sur l’accessibilité des soins, qui intéresse les membres de votre commission : mesure de la qualification et de la densité de l'offre, organisation des soins, conditions d'exercice des praticiens.

Avec la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES), nous avons développé un indicateur – l’accessibilité potentielle localisée (APL) – qui est utilisé par les agences régionales de santé (ARS) pour construire les zones servant de base à leur politique territoriale. À l’IRDES, nous continuons à travailler sur cet indicateur qui a le mérite d'exister et d’avoir une déclinaison opérationnelle mais qui reste perfectible.

Nous cherchons notamment à mieux prendre en compte l’offre, la demande et l’éloignement. Loin d’être triviales, ces questions vont permettre d’affiner la notion de désert médical, qui dépend de seuils définis à partir de nos travaux méthodologiques. Nous cherchons aussi à remédier au caractère par trop communal de cet indicateur, qui peut le rendre discutable quand il faut prendre en compte la réalité dans les périphéries des grandes villes ou dans les zones de montagne. Nous travaillons donc sur des mesures infra-communales. Nous voulons améliorer la mesure des distances, compte tenu de remarques qui nous ont été faites sur les zones urbaines denses et les zones de montagne : chacun sait que l’on ne traverse pas Paris en trente minutes et que, en montagne, la durée du déplacement dépend de ce que les géographes appellent la déclivité et la sinuosité des routes, qui peuvent rendre les conditions d'accès particulièrement difficiles.

Pour améliorer ces travaux sur la mesure du temps d’accès aux soins, nous ne nous focalisons pas uniquement sur la durée des trajets en voiture mais nous nous intéressons aussi aux transports en commun ou à la marche. Dans certaines zones urbaines très denses comme la région parisienne, ces modes d'accès sont sans doute plus pertinents que la voiture.

Il y a deux ans, nous avons publié une étude sur les déplacements des patients, dont je vais mettre quelques exemplaires à votre disposition. Il est important de comprendre les déterminants de ces déplacements qui atténuent voire compensent la disparité de l’offre, même s’ils constituent une contrainte.

Quant aux questions d’organisation des soins et de conditions d’exercice des professionnels, elles sont cruciales pour vos travaux dans la mesure où elles ont des répercussions sur les motivations des médecins quand ils décident de s’installer ou de se maintenir dans un lieu donné. Nous travaillons sur l'exercice dans les structures pluri-professionnelles de proximité. Les évaluations passées ont montré que ces maisons de santé pluri-professionnelles (MSP) avaient eu un effet vraiment positif en matière de démographie médicale, que ce soit dans les zones rurales ou dans les zones urbaines.

Dans les zones rurales, ces structures ont permis de maintenir la démographie médicale ou de limiter sa décroissance. Dans les zones urbaines, les maisons de santé se sont installées plutôt dans des quartiers périphériques, ce qui a souvent permis d'améliorer un peu l'offre. Nous sommes en train de compléter nos travaux, qui datent de deux ou trois ans, car la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) nous a demandé d'évaluer l'accord conventionnel interprofessionnel qui sert de cadre à la rémunération des maisons de santé.

Nous avons une évaluation en cours sur la coopération entre les médecins et les infirmières, à travers l'évaluation du protocole « Action de santé libérale en équipe » (ASALEE), un cadre dans lequel le suivi de malades chroniques s’effectue sous la forme d’une délégation de certaines tâches de médecins aux infirmières. Cette pratique peut permettre au médecin de dégager du temps, et donc d'accroître l’offre médicale.

Dernière thématique liée à vos sujets et sur laquelle nous travaillons : l'évaluation des expérimentations de télésurveillance. La télésurveillance permet-elle d'améliorer l'offre de soins ou la qualité de la prise en charge du patient ? Les résultats ne seront pas disponibles dans l’immédiat car nos travaux viennent de commencer.

En conclusion, je dirai que l'organisation des soins est l’un des facteurs qui peuvent expliquer les comportements d'installation des médecins. Ce n’est donc pas à négliger. À la lecture de la littérature internationale sur l’efficacité des mesures destinées à réguler ces installations, on identifie d’ailleurs trois principaux leviers : le profil de recrutement des étudiants en médecine, leur lieu de formation, les modes d'organisation des soins.

Jusqu’à présent, il n’y a jamais vraiment eu d’évaluation très sérieuse des mesures de coercition ou d'incitation financière, que ce soit en France ou à l'étranger. Nous avons le sentiment confus qu’elles ne sont pas très efficaces, mais les publications internationales regrettent l'absence d'évaluation vraiment sérieuse.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Vous dites qu’il n’y a pas vraiment d'évaluation. Dans ces conditions, sur quoi peut-on s'appuyer ? Je rappelle que l'intitulé de notre commission d'enquête fait référence à l'accès aux soins et à l'évaluation des politiques publiques.

En matière d’incitation financière, des mesures de régulation ont été adoptées pour certaines professionnels : les infirmières, les kinésithérapeutes, les sages-femmes, les dentistes. Il serait bon que vous nous éclairiez sur les modèles d'organisation et de régulation européens. La dégradation de l’accès aux soins a été très sensible en France, mais aussi dans les pays voisins.

Votre éclairage nous serait aussi utile en ce qui concerne les déplacements dont les coûts sont mis en exergue tous les ans, lors de l’examen du budget de la sécurité sociale. Je ne parle pas des traitements très lourds pour lesquels les taxis et les ambulances coûtent une fortune. Les dépenses de déplacement se multiplient et, parfois, il est difficile d’avoir des bons de transport dans les territoires les plus éloignés. Comme les actes médicaux, ces déplacements induisent aussi un reste à charge pour le patient.

En matière de conditions d'exercice, vous avez indiqué que les maisons de santé pluri-professionnelles (MSP) ont évité un accroissement de la désertification. Avez-vous des préconisations à nous faire dans ce domaine ?

M. Denis Raynaud. L’IRDES est un institut de recherche. Quand je parle d’évaluation, je fais état de travaux effectués par des chercheurs, publiés dans des revues scientifiques et fondées sur des méthodologies validées. De telles évaluations permettent de produire des conclusions établies d'un point de vue scientifique.

Quand on veut apprécier l'effet d'une politique publique, il est important d'avoir un groupe de contrôle. Or il n’y en a pas dans la plupart des évaluations menées, ce qui peut conduire à des contresens. Prenons l'exemple des maisons de santé dans les zones rurales. Si l’on observe seulement l'évolution de la densité médicale dans les endroits où sont installées les maisons de santé, on va constater qu'il n’y a pas d'amélioration. On va alors en conclure qu’elles ne servent à rien. Si l’on dispose d’un groupe de contrôle, on pourra observer deux zones rurales comparables à tous points de vue – ce qui pose des questions méthodologiques assez complexes que je ne vais pas exposer ici –, dont l’une possède une maison de santé et l’autre pas. On peut alors se rendre compte que les tendances sont différentes d’une zone à l’autre en matière de densité médicale. Cette différence s’appelle l'effet du traitement, en l’occurrence l’effet de l’organisation des soins dans le cadre d'une maison de santé.

De tels groupes de contrôle seraient nécessaires pour évaluer l’effet des incitations financières. On aurait envie d’observer des territoires comparables, les uns ayant bénéficié d’incitations financières et les autres pas.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Avez-vous des éléments qui permettent d'apprécier les choses de façon précise ?

M. Denis Raynaud. Non.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Département par département, des cartographies ont été établies pour faire des comparaisons. Soit dit en passant, vous parlez toujours de zones rurales, mais il y a aussi des déserts médicaux en ville.

Quel est le coût social et sanitaire des déserts médicaux ? L'accès aux soins y est difficile mais, en plus, la prise en charge est encore plus décalée, plus différée, comme on le voit en matière de prévention des cancers.

Le déficit d'organisation des soins rejaillit naturellement sur l'encombrement de l'hôpital public et sur les urgences. Comme nous le savons, 85 % à 90 % des gens qui vont aux urgences n’ont rien à y faire, ce qui engendre un coût très élevé qu’il faudrait prendre en compte.

M. Denis Raynaud. Nous n’avons pas d'évaluation détaillée des différentes mesures et nous ne disposons pas des données nécessaires pour le faire. Les chercheurs aimeraient bien avoir des données sur l'évolution des zonages dans les ARS et savoir quelles zones ont bénéficié d'aides afin de mener des travaux d'évaluation.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Les ARS ont tout cela ! Vous leur avez écrit ? Elles ne vous donnent rien ? Je ne crois pas que les statistiques soient très compliquées à réaliser.

M. Denis Raynaud. Détrompez-vous. Pour faire des statistiques, il faut des bases de données homogènes et historicisées. Il nous faut des séries longues. Peut-être que ça existe dans certaines ARS mais il n’existe pas de base nationale de zones. D’ailleurs, chacune des ARS possède des marges de manœuvre – et je pense que c’est une bonne chose – pour décliner les préconisations nationales au niveau local afin de tenir compte des spécificités de son territoire. Ces informations existent au sein de chaque ARS mais il n’y a pas vraiment de base qui permette d’évaluer sérieusement l’ensemble des mesures d’incitation financière qui ont été appliquées. En tout cas, à ma connaissance, le travail n’a pas été fait selon les règles que je préconise, en ayant notamment un groupe témoin.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Avez-vous demandé aux ARS les cartographies et les zonages ?

M. Denis Raynaud. Nous travaillons avec des ARS.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Vous avez demandé ces données ?

M. Denis Raynaud. Nous travaillons avec certaines ARS, notamment celle d’Île-de-France, et avec la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Val-d’Oise sur les questions d’accessibilité. Les ARS sont des partenaires. Peut-être pourrez-vous poser la question à la DREES avec laquelle nous travaillons aussi sur ces sujets. Il est clair qu’il faudrait dégager plus de moyens pour l’évaluation. On ne peut pas tout faire.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Vous ne l’avez pas demandé formellement ? Je posais la question pour savoir si elles vous avaient refusé les éléments.

M. Denis Raynaud. Non, non.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Les derniers éléments dont nous disposons par les ARS datent de 2015. Dans nos départements, les conseils de l’Ordre ont tout, car aucun médecin ne s’installe sans s’y inscrire. C’est assez facile de faire la cartographie. Je suis un professionnel du secteur, c’est pourquoi je vous en parle librement.

M. Denis Raynaud. En ce qui concerne les déplacements, je parlais des patients qui se rendent chez leur médecin et non pas des transports remboursés par l'assurance maladie. Il est important de comprendre les déterminants de ces déplacements. Des chercheurs ont analysé les déplacements pour des soins hospitaliers, et ils ont notamment fait apparaître les taux de fuite – fraction des journées d'hospitalisation des malades d'une région donnée, réalisées hors de cette région – auxquels les hôpitaux sont attentifs pour établir leur modèle économique. Cette approche peut aussi être utilisée pour la médecine de ville.

Il y a quelques mois, nous avons publié une étude sur le recours aux urgences des personnes âgées. Cette étude a été effectuée en marge des travaux d'évaluation des expérimentations concernant les personnes âgées en risque de perte d'autonomie (PAERPA). Nous avons pu montrer qu’il y avait un lien très net entre l'offre de ville, de premier recours, et l'accès aux urgences. Sans surprise, le recours aux urgences est beaucoup plus élevé dans les endroits où l’offre est défaillante. En la matière, l’indicateur clé est le recours aux urgences non suivi d'hospitalisation qui, dans la littérature internationale, est retenu comme l’un des signes de la mauvaise qualité de l'organisation des soins. La carence de l'offre de premier recours – médecin généraliste, infirmier, kinésithérapeute – conduit à une sollicitation accrue des services d’urgences. Le résultat n’est pas surprenant mais il est établi.

L’IRDES travaille beaucoup sur les restes à charge et sur les remboursements des assurances complémentaires, données qui nous posent des difficultés de collecte car elles n’entrent pas dans le système national des données de santé (SNDS) même si la loi le prévoit. Sous l’angle de la problématique du jour, on peut parler de cumul de difficultés : les personnes qui habitent dans des zones éloignées de l’offre doivent se déplacer pour accéder aux soins et elles risquent de subir des restes à charge plus élevés.

Même éloigné de l’offre, le patient accède aux soins. On ne sait pas mesurer, cela dit, les délais d’attente et les éventuels reports de soins dus à l’éloignement. Nous retenons quelques indicateurs, notamment la probabilité pour un patient d’avoir une consultation de généraliste dans l’année. Cet indicateur, aussi simple que discutable, dépend très peu de la densité de l’offre de soin. Il est légèrement supérieur dans les zones où l’offre est très importante – le premier quartile – mais il est stable entre le deuxième et le quatrième quartile. Les gens se déplacent et accèdent aux soins. En revanche, nos travaux montrent qu’ils perdent de la capacité de choix, ce qui peut poser la question des dépassements d’honoraires et des restes à charge. Éloigné de l’offre de soins, le patient peut avoir plus de mal à choisir un médecin qui ne pratique pas de dépassement d’honoraires.

M. le président Alexandre Freschi. Dans le rapport intitulé Pratique spatiale d’accès aux soins, publié par l’IRDES en octobre 2016, il est écrit qu’« une faible accessibilité de l'offre de soins conditionne les déplacements des patients et majore les inégalités sociales d'accès aux soins. » C'est quand même fondamental. L’IRDES existe depuis trente-trois ans. D’après votre expérience, quelles pistes pouvez-vous nous proposer pour parvenir à trouver une solution à ce manque d'égalité dans l’accès aux soins ?

M. Denis Raynaud. La localisation des médecins sur le territoire est une problématique d’aménagement du territoire, qui fait l’objet de travaux de recherche. Il y a deux ans, j’ai été membre d’un jury de thèse, devant lequel une étudiante a montré que l’installation des médecins était notamment liée à la présence, ou non, de la 3G sur le territoire. C’était ce qui ressortait de manière significative, une fois pris en compte tout le reste.

La formation et les conditions d’exercice ont également leur importance ; je crois d’ailleurs que l’Ordre des médecins vous a dit la même chose. La délégation des tâches est à mon avis intéressante, et je note qu’elle est d’autant plus facile à mettre en place que l’on exerce dans des structures collectives, regroupées, pluriprofessionnelles. On pourrait aussi évaluer le développement de la télémédecine, qui est encore assez limité. Mais là encore, il faudra mener des travaux d’évaluation sérieux, et ne pas se borner à quelques observations basiques.

M. Patrick Hetzel. Ma question concerne justement la télémédecine. En tant qu’organisme de recherche, vous vous inscrivez dans une démarche scientifique. De son côté, la représentation nationale se demande comment construire l’avenir, à partir des données disponibles. Il nous faudra, notamment, résoudre rapidement le problème des déserts médicaux, sans quoi la situation continuera à se dégrader. Je sais bien que le temps de la science n’est pas celui de la décision politique. Mais quand on mène des politiques publiques, il faut s’adapter et prendre des décisions.

L’accès aux soins fait partie des missions de l’IRDES. Pouvez d’ores et déjà nous dire ce que vous avez pu collecter comme informations sur le rôle potentiel de la télémédecine ? En quoi celle-ci pourrait-elle nous apporter des éléments de réponse ?

Par ailleurs, quand on fait de la recherche, on travaille sur des données françaises, mais on peut également être amené à regarder ce qui se fait ailleurs. Y-a-t-il déjà, dans les pays étrangers, des travaux consolidés permettant de voir dans quelle direction on aurait intérêt à aller ? Peut-on en tirer des enseignements qui nous permettraient d’améliorer de manière significative l’accès aux soins ?

M. Jean-Pierre Cubertafon. Aujourd’hui, on parle beaucoup des maisons de santé. Je pense qu’elles sont efficaces. Mais on n’a jamais évalué leur efficacité, en comparant les secteurs où il y en a aux secteurs où il n’y en a pas. Est-ce que cela fait ou fera partie de vos travaux ? J’aimerais également que vous nous parliez du système de prise en charge ASALEE, et du rapport entre médecins et infirmiers.

M. Denis Raynaud. Pour le moment, on n’a malheureusement encore rien fait sur la télémédecine – dont font partie la télésurveillance, la téléconsultation et la télé-expertise. Sur la téléconsultation et la télé-expertise, des négociations sont en cours. Sur la télésurveillance, nous avons commencé à travailler : le ministère nous a en effet confié la mission d'évaluer les expérimentations de télésurveillance. Mais ces travaux ayant démarré il y a à peine quelques semaines, il est beaucoup trop tôt pour vous répondre.

Ensuite, nous essayons de tirer des enseignements des comparaisons internationales, auxquelles nous nous livrons le plus souvent possible. Par exemple, à la demande du Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM), nous étudions l’organisation des soins de second recours, dans le cadre d’une étude internationale qui est menée dans différents pays d’Europe et aux États-Unis. C’est donc une approche que nous essayons vraiment de développer. Mais nous ne l’avons pas encore fait pour la télémédecine.

J’en viens à l’évaluation de l’efficacité des maisons de santé. Oui, il y a déjà des publications anciennes de l’IRDES, et nous sommes en train de les actualiser. Il s’agit de travaux où l’on essaie de construire des groupes témoins, et d’identifier des zones qui n’ont pas de maisons de santé, mais qui ressemblent en tous points à celles dans lesquelles il y en a. On s’intéresse à la localisation, dont j’ai parlé tout à l’heure, mais aussi à la qualité de la prise en charge, à la productivité des professionnels de santé qui travaillent au sein de ces structures, et à l’effet qu’elles peuvent avoir sur la consommation de soins.

Quelles leçons en tirer ? Nous avons l’impression qu’il y a une meilleure qualité de prise en charge, et une bonne qualité de suivi des patients dans les maisons de santé. Celles-ci permettent de dégager du temps médecin, ce qui est plutôt favorable pour la productivité des médecins qui y travaillent. En même temps, les médecins peuvent y trouver un mode d’exercice qui soit compatible avec d’autres exigences, notamment la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle. Dans les maisons de santé, ils ont sans doute une activité plus intensive, mais ne travaillent pas forcément cinq jours par semaine – plutôt quatre.

Sur la consommation des soins, les travaux sont en cours de consolidation et ne sont pas encore publiés. Nous avons l’impression que la consommation de médicaments y est un peu moindre, et les consultations de spécialistes moins fréquentes. Mais la comparaison entre « maisons de santé » et « hors maisons de santé » ne dépasse pas l’épaisseur du trait. On ne peut donc pas imaginer que les maisons de santé constituent le Graal absolu, et qu’elles vont permettre de faire des économies importantes. Mais il nous semble qu’elles ont des effets positifs. Ce sont les résultats qui avaient été publiés dans le passé, et ce sont les impressions qu’on peut tirer des travaux en cours.

Nous cherchons à mesurer un indicateur qui serait potentiellement source d’économie, et qui se résume à cette question : est-il ainsi possible de réduire les hospitalisations ? C’est un résultat que l’on n’a pas encore démontré. Il est difficile d’apprécier certains effets qui s’étalent dans le temps – par exemple, les effets de la prise en charge des maladies chroniques ou des actions visant à diminuer les risques cardio-vasculaires

Enfin, on attend, dans les prochains mois, plusieurs publications sur l’évaluation d’ASALEE – les travaux d’évaluation se terminent. Une étude qualitative vient d’être publiée, qui permet de décrire la manière dont les infirmières travaillent avec les médecins, dans un cadre de délégation des tâches, pour le suivi de certaines pathologies chroniques : diabète, risques cardiovasculaires, bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO), troubles cognitifs. Pour nous, il est clair que cela permet d’améliorer la qualité de la prise en charge des patients, en développant des activités que les médecins n’avaient pas le temps de faire. Je pense, par exemple, à l’éducation thérapeutique : les infirmières prennent beaucoup de temps avec les patients. Elles peuvent les recevoir quarante-cinq minutes, alors que les médecins les recevront au maximum quinze minutes.

Maintenant, est-ce que cette délégation des tâches entre médecins et infirmières se fait dans un cadre de substitution du temps de travail entre médecins et infirmières ? Est-ce que cela permet vraiment de dégager du temps médecin ? Ne doit-on pas plutôt parler d’une forme de complémentarité entre eux, l’infirmière faisant ce que le médecin n’aurait pas fait par manque de temps ? Cela signifie que la délégation de tâches permet d’améliorer la qualité de la prise en charge, mais que ce n’est sans doute pas la solution idéale pour améliorer la démographie médicale.

Cette notion de complémentarité est vraiment établie : clairement, dans le suivi des patients chroniques, les infirmières font ce que les médecins n’ont pas le temps de faire. C’est un effet important.

Qu’en est-il de l’éventuelle substitution de temps de travail ? Est-ce que cela dégage du temps médecin ? Les travaux sont encore en cours. Certains témoignages qualitatifs montrent que c’est possible. Mais est-ce que c’est généralisé ? On n’est pas encore capable de conclure en ce sens.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Je prolongerai la question de Patrick Hetzel. Nous avons du recul sur le phénomène de désertification médicale, qui devient chronique dans ce pays. Si vous aviez deux ou trois mesures d’urgence à nous proposer, quelles seraient-elles ?

M. Denis Raynaud. Vous n’allez pas aimer ma réponse : je vais me réfugier derrière ma qualité de chercheur pour vous dire que je ne vois pas quelles mesures d’urgence je pourrais vous proposer. Je vous ai parlé de certains leviers, comme la formation. Mais la démographie médicale s’apprécie sur des temps extrêmement longs. La gestion de la démographie médicale par le numerus clausus…

M. Philippe Vigier, rapporteur. Que dites-vous, justement, du numerus clausus ? Faut-il le faire sauter ? Faut-il l’augmenter de 40 % ? Faut-il régionaliser la formation, ou ne pas y toucher ?

M. Denis Raynaud. La question de la gestion du numerus clausus rejoint celle de la coordination au niveau européen. Certains médecins s’installent en France sans passer par le numerus clausus…

M. Philippe Vigier, rapporteur. Après s’être formés en Roumanie ?

M. Denis Raynaud. Pas seulement. Certes, des Français vont se former à l’étranger pour contourner le numerus clausus. Mais il y a aussi des médecins étrangers qui ont obtenu un diplôme, des équivalences, et qui exercent en France.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Combien y en a-t-il par an ? Avez-vous vu leur nombre augmenter ces dix dernières années ? A-t-on des chiffres là-dessus ?

M. Denis Raynaud. Oui, la DREES diffuse des chiffres, et c’est colossal : plus de 20 % des nouvelles installations sont le fait de médecins ayant un diplôme étranger. D’après les projections démographiques de médecins faites par la DREES, le flux de médecins à diplôme étranger aura un poids décisif sur les résultats que l’on peut attendre en matière de démographie médicale. Si l’on maintient les flux au niveau actuel…

M. Philippe Vigier, rapporteur. Selon vous, implicitement, on augmente le numerus clausus. Ce n’est pas compliqué : sur les 7 250 médecins formés chaque année, 9 % s’installent dans le privé, soit environ 700. Sur ces 700, 600 sortent de Roumanie ou en sortiront dans deux ans pour les générations pleines. On table donc sur un chiffre voisin de 100 installations.

M. Denis Raynaud. Tous ces chiffres ont été publiés par la DREES. Je ne les ai pas sous les yeux, mais je crois qu’ils sont beaucoup plus importants que ce que vous dites. Il faudra vérifier.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Vous êtes d’accord avec moi sur le fait que 9 % des médecins formés s’installent dans la sphère privée ? Ce sont les derniers chiffres. Donc, comme il y a un peu moins de 7 500 nouveaux médecins, cela fait 700. Sur les 700 qui s’installent dans la sphère privée, si vous avez 20 % de médecins formés à l’étranger, cela fait 140.

M. Denis Raynaud. Je ne veux pas dire de bêtises, mais je pense que c’est davantage. Il faudra vérifier sur les publications de la DREES.

À propos du numerus clausus, mon sentiment personnel est que ce n’est plus un bon outil de régulation et qu’il faut donc réfléchir à une autre forme de régulation. À l’IRDES, en partenariat avec l’Ordre des médecins, nous allons travailler sur l’installation des médecins à diplôme étranger. Nous voulons comprendre dans quelles zones ils s’installent. Est-ce qu’ils s’installent dans des zones sous-denses et surtout, est-ce qu’ils y restent ? Est-ce qu’ils s’installent de manière durable dans des territoires défavorisés, ou est-ce qu’ils vont de zone en zone pour courir le cachet ? Ce sont des questions importantes.

Jusqu’à présent, il n’y a pas vraiment eu de travaux là-dessus. On sait que le flux de médecins à diplôme étranger permet de compenser, en tout cas au niveau global, la carence de médecins – si ce n’est que le problème que l’on rencontre en France n’est pas lié au nombre de médecins, mais à leur répartition.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Vous dites qu’il n’y a pas de problème de nombre de médecins ? Et pourtant, le nombre d’heures disponibles est inférieur à celui d’il y a vingt ans.

M. Denis Raynaud. Quand on regarde les comparaisons internationales, la France…

M. Philippe Vigier, rapporteur. On parle de la situation de la France ! En vingt ans, la population s’est accrue de 10 millions d’habitants, et la quantité de soins a sensiblement augmenté. Cela a forcément des conséquences sur le temps disponible. C’est un fait. D’ailleurs, le Conseil de l’ordre et vos prédécesseurs l’ont reconnu. Sinon, pourquoi aller chercher 600 médecins en Roumanie chaque année ?

M. Denis Raynaud. Plutôt que d’augmenter le nombre de médecins, on pourrait se concentrer sur l’organisation de l’offre, pour qu’ils puissent vraiment se concentrer sur le temps médical, le temps sur lequel ils ont le plus de valeur ajoutée.

Il y a quelques années, dans le cadre des enquêtes que mène régulièrement la DREES auprès des médecins généralistes, des questions ont été posées sur l’organisation de leur cabinet. Je ne me souviens plus des chiffres, mais il y avait une proportion non négligeable de médecins qui faisaient des tâches invraisemblables – secrétariat, entretien, ménage dans leur cabinet !

Quand un médecin déclare travailler 60 heures, 40 heures seulement sont dévolues au temps médical, ce qui est dommage. L’organisation des soins peut permettre de maximiser le temps de travail médical.

Mais à côté de l’organisation des soins, il y a naturellement la localisation. Tout le monde le sait, le problème est surtout lié à la répartition de l’offre. Mais il y a sans doute un lien entre l’organisation des soins et la localisation. Il est exact que l’exercice collectif correspond aux aspirations des professionnels. C’est peut-être un levier pour les inciter à aller dans des territoires où ils refuseraient d’aller exercer seuls.

M. Patrick Hetzel. Je vous rejoins sur la question de l'organisation des soins.

Je voudrais savoir si, aujourd’hui, on dispose d’études un tant soit peu fines pour regarder ce qui se passe. J’ai une circonscription rurale où il y a des déserts médicaux – même si, comme le rappelait Philippe Vigier, les déserts médicaux ne sont pas l’apanage de la ruralité. J’ai constaté que l’on arrivait à faire venir des jeunes médecins à partir du moment où, en amont, les facultés de médecine faisaient en sorte de faire découvrir les cabinets ruraux aux médecins en cours de formation.

Je sais bien qu’en économie de la santé, on a plutôt tendance à avoir une vision macroéconomique des choses. Mais ne commence-t-on pas à essayer de voir ce qui se passe au niveau microéconomique, afin de faire évoluer certaines pratiques ? Dans le secteur de la santé, il y a beaucoup de sujets à traiter – déserts médicaux, mais aussi manque de médecins dans certaines spécialités qui sont maintenant en souffrance, etc. Comment faire évoluer l’offre de soins par rapport aux besoins de santé de nos populations ? Et comment s’assurer de la relève dans les endroits touchés par la désertification médicale ?

M. Denis Raynaud. Effectivement, il est très important d’avoir une connaissance microéconomique de ce qui se passe au niveau local. C’est ce que nous essayons de faire dans nos travaux de recherche.

L’IRDES est un institut de recherche pluridisciplinaire ; on ne travaille pas qu’avec des économistes et des statisticiens, mais aussi avec des sociologues et des démographes. D’ailleurs, la publication que l’on vient de faire sur ASALEE est un travail de sociologues qui s’appuient sur des observations de terrain : ils ont interviewé pendant deux à trois ans une vingtaine de médecins, une trentaine d’infirmières, des patients, et de nombreux acteurs de cette organisation de soins, pour en décrire le fonctionnement. C’est très utile lorsque l’on travaille ensuite sur des données administratives – le SNDS, les données de consommation de soins. Sans cette connaissance vraiment locale, on risque de mal interpréter les résultats.

Un troisième niveau d’analyse permet de compléter les observations locales, de type sociologique, anthropologique, qui ne sont que qualitatives. Certes, interviewer vingt médecins, trente infirmières, c’est déjà énorme, et on ne peut pas tous les interroger. Mais on va au-delà, en menant des enquêtes auprès des structures, notamment auprès des maisons de santé, qui nous expliquent comment elles organisent concrètement le travail.

Les enquêtes menées autour des structures sont parfois un moyen de pallier certaines carences dans les données statistiques disponibles. Par exemple, aujourd’hui, les données administratives de l’assurance maladie ne nous permettent pas de faire cette observation microéconomique que vous souhaiteriez voir se développer. Elles ne nous permettent pas de savoir, notamment, si un médecin exerce dans une maison de santé. On doit le reconstruire à partir de la géolocalisation, en faisant des hypothèses.

Il y a sans doute du travail à faire pour améliorer la qualité des données, si l’on veut améliorer la qualité des travaux d’évaluation. Aujourd’hui, pour comparer l’exercice dans les maisons de santé à nos cas témoins qui sont hors maisons de santé, on a besoin de savoir si nos cas témoins exercent en individuel ou en regroupé.

En passant par les maisons de santé, il est possible de reconstituer les informations qui ne sont pas disponibles dans les données administratives. Mais il est impossible de faire des enquêtes sur nos cas témoins : ils ne sont pas concernés, ils ne vont pas répondre. Voilà pourquoi, après les avoir localisés, on fait des hypothèses : s’ils exercent à la même adresse, on dit qu’ils travaillent ensemble. Mais, en fait, on n’en sait rien. En zone rurale, ce n’est pas trop grave. Mais en zone urbaine, cinq médecins peuvent exercer dans un immeuble de dix étages sans qu’on soit capable de dire si ces cinq médecins travaillent ensemble, ou s’ils se croisent juste dans l’ascenseur. Ce sont les limites de l’analyse.

On pourrait sans doute encore mieux structurer les données pour améliorer notre qualité d’observation et d’analyse microéconomique.

M. le président Alexandre Freschi. Monsieur Raynaud, nous vous remercions.

 


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Audition de Mme Agnès Ricard-Hibon, présidente, et de
M. Karim Tazarourte, vice-président de la Société française de médecine d’urgence (SFMU)

Présidence de M. Alexandre Freschi, Président de la commission denquête

M. le président Alexandre Freschi. Mes chers collègues, nous allons maintenant procéder à l’audition de Mme Agnès Ricard-Hibon et de M. Karim Tazarourte, qui sont respectivement présidente et vice-président de la Société française de médecine d’urgence.

Madame, monsieur, je vous informe que nous avons décidé de rendre publiques nos auditions ; celles-ci sont par conséquent ouvertes à la presse et rediffusées en direct sur un canal de télévision interne puis consultables en vidéo sur le site internet de l’Assemblée nationale.

Je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Agnès Ricard-Hibon et M. Karim Tazarourte prêtent successivement serment.)

Mme Agnès Ricard-Hibon, présidente de la Société française de médecine d’urgence. Mesdames, messieurs les députés, je vous remercie de nous recevoir. Si les déserts médicaux sont un problème pour vous, élus, ils en sont également un pour nous, urgentistes, car lorsqu’un patient a des difficultés d’accès aux soins, il se rend aux urgences. Or, ce n’est pas toujours la bonne solution. À ce propos, on parlera de difficultés d’accès aux soins plutôt que de « désert médical », car ces difficultés peuvent exister dans des territoires où les ratios sont normaux. Je concentrerai mon propos sur les soins non programmés, qui comprennent notamment, mais pas uniquement, les soins urgents.

La ressource médicale est rare, chère, et peut être mieux utilisée : des solutions existent, qui ne sont pas forcément beaucoup plus coûteuses que les dispositifs actuels. J’ajoute que, s’agissant des soins non programmés, cette ressource doit être disponible 24 heures sur 24, et pas uniquement la nuit et le week-end. Le meilleur moyen d’utiliser la juste ressource médicale pour apporter le juste soin aux patients est d’effectuer un tri médical préalable à la consultation, de façon à réserver cette ressource médicale rare et chère aux patients qui en ont vraiment besoin. Ce tri médical est assuré par la régulation médicale élargie, qui associe médecins généralistes et médecins urgentistes et permet, grâce à ce partenariat efficace, d’assurer une rationalisation du besoin. Un patient qui appelle la régulation médicale bénéficiera ainsi, dans un cas sur deux, d’une téléconsultation, c’est-à-dire une consultation téléphonique. Il convient donc de développer et de conforter cette régulation en modernisant les outils de téléconsultation. Mais nous avons également besoin d’effecteurs organisés pour prendre en charge les patients dont on estime, une fois le tri médical effectué, qu’ils ont besoin d’une consultation physique. À cette fin, on pourrait développer, à l’instar de ce qui a été fait dans la région Centre-Val-de-Loire, des maisons médicales pluridisciplinaires qui comprennent des praticiens orientés vers le soin non programmé.

Pour conclure, je dirai qu’il faut conforter la régulation médicale élargie associant médecins généralistes et urgentistes, informer la population pour qu’elle ait un juste recours aux ressources médicales et moderniser les outils afin de favoriser la téléconsultation.

M. Philippe Vigier, rapporteur. On voit bien que la modélisation actuelle est à bout de souffle. Parmi les personnes qui se rendent aux urgences, quel est, selon vous, le pourcentage de celles qui ne devraient pas s’y rendre ? On voit bien qu’il y a un pont naturel entre la médecine libérale et la médecine hospitalière. Tous les professionnels que nous avons pu rencontrer ou lire indiquent que, dans les centres hospitaliers universitaires (CHU) comme dans les petits centres hospitaliers, les services des urgences pâtissent actuellement d’un encombrement très important. Quel éclairage pouvez-vous nous donner sur ce point ?

Deuxièmement, seriez-vous favorables à la généralisation de maisons de garde à l’intérieur des hôpitaux, qui s’accompagnerait d’une modification de l’organisation des gardes telles qu’elles sont actuellement pratiquées en ville ?

Troisièmement, vous avez cité les maisons de santé de la région Centre-Val-de-Loire, qui est la région de France, vous le savez, où l’accès aux soins est le plus délicat. Je sais, pour être un élu de cette région, qu’assez peu de soins non programmés y sont pris en charge. Ils le sont à Châteaudun, mais tel n’est pas le cas, hélas , dans les onze autres maisons de santé. Je souhaiterais savoir ce que vous attendez de la télémédecine, notamment des plateformes de télérégulation. Comment comptez-vous articuler la régulation du « 15 » et celle des plateaux de télémédecine ? Enfin, la création d’unités de SOS Médecins dans certains départements pourrait-elle être un élément de réponse ?

M. Karim Tazarourte, vice-président de la Société française de médecine d’urgence. Tout d’abord, je me permets de reformuler votre première question : il s’agit de connaître, non pas la proportion de patients qui se retrouvent dans un service d’urgence sans avoir rien à y faire, mais la proportion des patients d’un service d’urgence qui souffrent d’une pathologie relevant de la médecine générale – cette proportion varie, mais elle est comprise entre 30 % et 40 %. En effet, ce n’est pas parce que leur pathologie relève de la médecine générale que ces patients n’ont rien à faire aux urgences : il n’y a pas de « tourisme médical » dans les services des urgences. Les gens s’y rendent parce qu’ils sont confrontés à une difficulté d’accès aux soins, que ce soit pour des raisons géographiques, sociologiques ou autre. C’est une véritable question. Cela dit, on peut en effet s’adapter et décider, dans certains territoires, d’inclure une offre de médecine générale dans le service des urgences.

Le véritable problème, me semble-t-il, est le suivant. Le soin non programmé peut être urgent ou non ; or, il est difficile – mais pas impossible – pour les patients d’avoir une idée précise du niveau d’urgence. Prenons l’exemple du parent dont l’enfant a de la fièvre. Il aurait intérêt à avoir rapidement un avis médical. S’il appelle la régulation médicale – ce que vous appelez télérégulation –, le médecin fait un tri rapide. On pourrait imaginer que cet appel non programmé soit reprogrammé : le médecin estime, compte tenu des informations qui lui sont données par téléphone, qu’il n’y a pas de caractère de gravité et propose au parent de le rappeler une heure plus tard pour réaliser une véritable vidéo-consultation. Là, ça change tout ! Nous faisons mieux, nous, pour les membres de notre famille, avec FaceTime ou WhatsApp, que la régulation qui, actuellement, ne bénéficie pas de la vidéo. Cette téléconsultation, avec l’aide de la vidéo, pourrait donner lieu à une téléprescription, faite par un médecin. Allons jusqu’au bout : en l’absence de critères de gravité et d’antécédents, l’enfant pourrait être pris en charge par une puéricultrice, qui pourrait intervenir dans ce cadre. En effet, pour des pathologies a priori bénignes affectant des populations ciblées, nous pourrions déléguer les téléconsultations à des professionnels de santé autres que des médecins. Dans ce cas, le problème de l’envoi d’un effecteur ou de l’adressage à un effecteur ne se pose pas.

La régulation médicale doit être large : outre des urgentistes, elle doit comprendre des généralistes : SOS Médecins y participe, par exemple. Nous sommes vraiment œcuméniques dans ce domaine : il s’agit de fédérer les énergies, et non de les segmenter. Le soin urgent relève du maillage du service mobile d’urgence et de réanimation (SMUR) – nous pourrons en reparler, mais ce n’est pas le sujet qui nous occupe. Le soin non urgent, une fois qu’on a considéré qu’il pouvait être reprogrammé, peut être prodigué soit dans le cadre d’une vidéo-consultation, soit en maison médicale, soit lors d’une visite de type SOS Médecins – il ne faut pas sous-estimer l’importance des visites.

Se pose ensuite la question de savoir où doit s’implanter la maison médicale. À Lyon, où j’exerce, je sais que, pour les personnes qui n’ont pas de véhicules motorisés, il est impossible ou très difficile de se rendre dans certaines maisons médicales. Ces personnes vont donc dans les structures desservies par les transports en commun. Mais il n’existe pas de solution unique. La maison médicale doit être située à l’endroit qui est le plus accessible pour les patients. Ce peut être à côté de l’hôpital ou même dans l’hôpital, à condition qu’une convention assure une étanchéité. Il faut faire preuve de plasticité ; nous y sommes tout à fait prêts.

En ce qui concerne les maisons pluridisciplinaires, des problèmes de reprogrammation de soins se posent : les plages horaires d’ouverture ne correspondent pas aux besoins. La maison médicale est une sorte d’excroissance qui ouvre à certaines heures. On peut imaginer que, dans les maisons pluridisciplinaires, des plages horaires soient consacrées aux soins non programmés aux heures ouvrables et, un peu comme à La Poste, jusqu’à 22 heures. Il existe donc tout un panel de propositions qui peuvent être faites en lien avec le service des urgences, qui représente tout de même une solution. L’un des drames, actuellement, de ces services, c’est qu’ils apparaissent à la population comme une solution mais que celle-ci n’est pas adaptée en termes d’efficience. Certains services des urgences s’adaptent. À Lyon, par exemple, nous sommes en train de recruter un certain nombre de médecins généralistes, faute d’autres moyens, en attendant que les maisons médicales puissent s’implanter dans des endroits qui ne soient pas difficiles d’accès. Quant à SOS Médecins, il nous apporte une aide stratégique. J’ai été un peu long, mais le tableau est protéiforme.

Mme Agnès Ricard-Hibon. L’important, c’est le lien entre les médecins généralistes et les médecins urgentistes. Un patient envoyé en médecine générale mais qui relève plutôt de la médecine d’urgence peut toujours être réorienté pour sécuriser l’urgence vitale – les médecins généralistes sont assez satisfaits de ce partenariat, car ils sont sécurisés de ce point de vue. Inversement, lorsque l’appel est dirigé vers la médecine d’urgence, il peut être rebasculé vers la médecine générale. Ce dispositif est un véritable rempart contre la surconsommation de ressources, grâce notamment à la téléconsultation. Lorsque, dans le cadre des campagnes sur l’infarctus ou l’accident vasculaire cérébral (AVC), on dit à la population pour éviter de consommer trop de ressources, d’appeler le service des urgences ou la consultation non programmée avant de se déplacer, cela fonctionne et permet de rationaliser le besoin de soin et de le sécuriser.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Je vous rejoins lorsque vous dites qu’il faut de la plasticité, de la souplesse. Pour chaque territoire de santé – puisque nous sommes en train d’élaborer les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), comme vous le savez –, il faut étudier quelles sont les meilleures modalités d’organisation. S’agissant des urgences, nous nous sommes compris, je crois. Il est important de quantifier les personnes qui se rendent aux urgences mais qui doivent être prises en charge différemment. De fait, l’encombrement des urgences entraîne des surcoûts, les traitements parfois plus longs du fait de la prise en charge... Si, pour 30 %, 40 % ou 50 % des patients, on peut trouver une autre modélisation, cela me convient très bien. J’ajoute qu’en pédiatrie, le taux est beaucoup plus important : à Clermont-Ferrand, il atteint 87 % !

Je suis également entièrement d’accord avec vous, madame Ricard-Hibon, à propos des plateformes de télémédecine, qui permettent de reprogrammer des soins. Mais les maisons de santé pluridisciplinaires – je le sais pour en connaître une petite cinquantaine dans ma région – ferment à 19 heures. Il faut en être conscient. Je prolonge donc ma question : des généralistes pourraient-ils, au lieu d’assurer la garde conventionnelle de ville, être présents entre 19 heures et minuit ou deux heures du matin, dans la maison de garde située à l’intérieur de la structure hospitalière ? Il y a en effet un désordre terrible, et je ne parle même pas du samedi matin : dans la région Centre-Val-de-Loire, chère à mon cœur, plus un médecin ne vous répond le samedi matin, de sorte que se retrouvent aux urgences des personnes qui n’ont rien à y faire. Ils peuvent attendre ainsi quatre heures dans un couloir pour un problème de traitement anticoagulant qui pourrait être résolu par téléphone !

Mme Agnès Ricard-Hibon. L’association de médecins généralistes et de médecins urgentistes que nous avons mise sur pied au service d’aide médicale urgente (SAMU) fonctionne. On pourrait donc faire exactement la même chose dans les hôpitaux. Nous y sommes favorables, bien sûr. Toutefois, la véritable problématique des urgences n’est pas tant liée à ces patients-là qu’à ceux qui, en aval, doivent être hospitalisés et restent dans les structures d’urgence, faute d’accès aux lits d’aval. Les patients qui relèvent de la médecine générale se rendent aux urgences car ils n’ont pas d’autre accès aux soins, mais ils sont traités assez rapidement et orientés vers des filières de soins programmés. Le principal problème est donc moins celui de l’engorgement des urgences que celui de l’accès aux soins de la population. L’association de généralistes et d’urgentistes au sein des hôpitaux pourrait être une solution. J’ajoute que beaucoup de visites physiques, notamment en période de permanence de soins, pourraient être remplacées par des téléconsultations. Il faut développer ce dispositif.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Comment pourraient s’articuler de manière efficace le « 15 » et la télémédecine ? J’ai un peu peur de la manière dont cela se passera sur le terrain.

M. Karim Tazarourte. À l’avenir, les plateformes du type SAMU devront élargir leur palette de compétences, en y incluant la télémédecine, des avis en puériculture, en gériatrie… Pour rebondir sur ce qu’a dit ma consœur, je crois que le soin non programmé est très dépendant du soin programmé. Le principal problème des urgences réside, pour les médecins, dans le fait de recevoir des personnes qui arrivent en situation de polypathologies, qui sont âgées et pour lesquelles ils n’ont aucune définition du parcours de soins préalable, bien que ces personnes aient un médecin traitant – que je ne critique pas. De ce fait, ils doivent construire ce parcours ex nihilo. Le non programmé doit se voir dans l’accès aux soins programmés. Cela nous ramène à la question de savoir à quoi sert un médecin : dans de nombreux cas, les patients pourraient être adressés à d’autres professionnels afin que le médecin puisse se concentrer sur son cœur de métier, dans un territoire donné, en programmé, et que le non programmé soit remis à une juste valeur.

M. Jean-Pierre Cubertafon. Pour qu’il n’y ait pas de confusion, pourriez-vous revenir sur la différence entre maison médicale de garde, maison de santé et maison pluridisciplinaire ?

M. Karim Tazarourte. Maison de santé et maison pluridisciplinaire, c’est la même chose. Quant à la maison médicale de garde, c’est une structure ex nihilo ouverte aux heures de garde.

M. Jean-Pierre Cubertafon. Monsieur le rapporteur, vous évoquiez la possibilité qu’une maison pluridisciplinaire ferme à minuit plutôt qu’à 19 heures et reçoive des urgences. Est-ce bien cela ?

M. Philippe Vigier, rapporteur. Pas tout à fait, mon cher collègue. Je crois précisément que la maison médicale de garde doit se trouver dans l’hôpital ou la clinique, au cas où se présenterait une véritable urgence pour laquelle il faudrait consulter un cardiologue ou un neurologue. Pour le reste, le médecin généraliste prendrait en charge tout ce qui relèverait de sa pratique, comme il le ferait dans son cabinet. L’avantage, c’est qu’il bénéficie du réseau de l’ensemble des services hospitaliers et ne se sent donc pas seul. Il s’agit d’une sorte de plateforme d’aiguillage.

M. Karim Tazarourte. Je précise que les patients qui arrivent dans une maison médicale de garde ont été préalablement orientés par une plateforme de régulation.

M. Jean-Pierre Cubertafon. Ces maisons médicales de garde n’existent pas dans tous les départements : dans le mien, par exemple, il n’y en a pas. En revanche, dans ma circonscription, à Nontron, le centre des sapeurs-pompiers a été doté d’un véhicule qui permet à une infirmière et à un sapeur-pompier d’intervenir à tout moment avant que le SAMU n’arrive sur place. Ces moyens sont-ils utilisés au niveau national ?

Mme Agnès Ricard-Hibon. Oui, c’est ce que l’on appelle les protocoles infirmiers de soins d’urgence (PISU), qui ont été élaborés conjointement par la SFMU et la Fédération nationale des sapeurs-pompiers, pour les zones dites « blanches », où l’on rencontre des difficultés d’accès aux soins urgents. Mais c’est une autre question que celle des soins non programmés.

Ce que vous avez dit, monsieur le rapporteur, est très important. Il faut sécuriser les praticiens qui interviennent dans le cadre des soins non programmés, car les patients ne savent pas s’ils relèvent d’un soin urgent ou d’un soin non programmé. Du reste, les praticiens libéraux qui travaillent en lien avec la régulation ont un contrat apparenté au service public, qui les sécurise sur le plan médico-légal. Ainsi, patients et praticiens sont sécurisés.

M. Philippe Vigier, rapporteur. J’avoue avoir une grande admiration pour les urgentistes, car la nature de vos interventions vous conduit à être particulièrement bien formés.

Nous avons entendu le président de la conférence des doyens de faculté de médecine qui a considéré qu’il était très formateur pour un interne de passer un semestre dans une maison de garde ; or trop peu de semestres qualifiants sont concernés. N’y aurait-il pas quelque intérêt à généraliser cette pratique, les médecins généralistes faisant alors fonction de maîtres de stage ? Car la médecine d’urgence constitue un élément de formation très fort, et pourrait créer chez les intéressés une appétence pour cette médecine bien particulière.

M. Karim Tazarourte. La médecine d’urgence est parfaitement codifiée, elle répond à un type de patient précis pour des pathologies aiguës appelant une intensité de soins thérapeutique conséquente. Beaucoup de patients venant en situation non programmée ne relèvent pas de la médecine d’urgence ; or ce que vous évoquez des maisons médicales de garde concerne la médecine générale de soins non programmés. Ce sont deux choses différentes.

Que l’on mette des médecins urgentistes en formation dans les territoires isolés, c’est-à-dire, en gros, à plus de trente minutes d’une structure mobile d’urgence et de réanimation (SMUR), est possible parce qu’on leur demande une forte intensité de soins thérapeutiques d’attente avant l’intervention de l’équipe spécialisée.

Mais le métier des urgentistes ne relève pas de l’exercice en maison médicale de garde : en situation de soins non programmés, il ne peut pas y avoir seulement des urgentistes, car beaucoup de patients ne relèvent pas de cette médecine.

Nous avons indéniablement besoin, en revanche, de gériatres, qui ne sont pas prévus dans le dispositif, et de généralistes ; votre idée est excellente, et plusieurs territoires ont d’ailleurs commencé à la mettre en pratique, mais cela constitue plutôt le reflet de la médecine générale.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Il ne faut surtout pas généraliser, mais les semestres sont différents et peuvent concerner un gériatre ou un urgentiste. C’est l’addition de l’ensemble de ces volets de formation qui fait que, in fine, le médecin est très qualifié.

Mme Agnès Richard-Hibon. En revanche, mettre des internes de médecine générale dans ces maisons médicales de garde et dans la régulation médicale serait une bonne idée car, effectivement, un certain nombre de praticiens généralistes ne connaissent pas cette activité et, lorsqu’ils la découvrent, y adhèrent pleinement ; je suis complètement d’accord avec vous.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Nous entendrons aujourd’hui le président de la Fédération SOS Médecins France. Vous semble-t-il utile que cet organisme crée de nouvelles antennes ? Plutôt que de consacrer 50 000, 200 000, 500 000 euros ici ou là à des bâtiments qui risquent d’être des coquilles vides, ne serait-il pas souhaitable, à l’instar de l’implantation de relais SMUR coordonnés avec les pompiers dans certaines zones blanches, de donner quelques exemples départementaux de création d’antennes SOS Médecins ?

Mme Agnès Richard-Hibon. SOS Médecins est très utile, c’est indiscutable, mais les services de cette association sont engorgés par une activité qui ne relève pas toujours de soins non programmés immédiats, et qui pourrait être reprogrammée.

Il faudrait qu’un tri indépendant puisse être effectué, de façon que la ressource que constitue SOS Médecins demeure à la disposition des patients qui en ont réellement besoin, et ne soit pas engorgée par l’activité « tout venant ». Faute d’éducation aux pratiques de soins, la population fait appel à SOS Médecins sans que cela soit toujours médicalement justifié ; or cette ressource médicale qui est rare et précieuse devrait être réservée aux patients qui en ont vraiment besoin.

La visite médicale, celle de SOS Médecins comprise, devrait être revalorisée par rapport aux consultations en poste fixe, car, dans le contexte du virage ambulatoire que nous souhaitons faire prendre à la médecine en général, il faut avoir conscience que les personnes âgées ne peuvent pas toujours se déplacer.

M. le président Alexandre Freschi. Notre évolution démographique conduit à une inflation des besoins en soins médicaux. Or nous ne disposons pas d’un maillage territorial suffisant pour dispenser les premiers soins, ce qui a pour conséquence l’engorgement des services d’urgence, qui n’est pas dû aux seules personnes âgées, bien que la proportion de cette catégorie de population soit appelée à croître.

Que peut-il être fait, selon vous, pour juguler cet engorgement qui menace ?

M. Karim Tazarourte. En premier lieu, j’observe que la communauté dépense beaucoup d’argent pour un accès open bar : que l’on me pardonne cette expression, mais il faudra une régulation de l’accès aux soins non programmés ainsi que l’évaluation de leur coût pour la société. Il y aura des personnes à qui l’accès sera refusé, mais elles se verront proposer d’autres solutions comme une consultation programmée, une téléconsultation, etc.

En second lieu, s’agissant des personnes âgées, trois facteurs se cumulent : la polypathologie, l’âge et la dépendance ; qui sont des drames. Nous connaissons un problème de réaffectation des lits en France ; nous ne sommes pas dans une logique d’accroissement des moyens, mais de subsidiarité, de réflexion sur la ressource rare et précieuse que constitue la ressource médicale. Comment pouvons-nous déléguer un certain nombre d’actes sous contrôle ? Je pourrais multiplier les exemples à l’envi.

De nouveaux métiers vont devoir émerger, pour soulager le médecin d’actes qui ne relèvent pas de sa formation, qui porte sur le diagnostic, la prescription et le suivi ; tout le reste pouvant être délégué.

Enfin, l’anticipation d’un parcours de soins pour les personnes âgées est possible. Le rôle d’un médecin généraliste est de maintenir la santé du patient et de préparer son parcours de soins. Dès lors, l’évènement aigu qui conduit une personne âgée à se rendre aux urgences doit pouvoir être traité rapidement, mais en s’insérant dans un parcours de soins et non pas, comme nous le vivons actuellement, en créant de toutes pièces ce parcours qui ne l’a pas été au cours des années précédentes.

Nos études de médecine sont payées par l’État, et il n’est pas anormal que la société, à l’heure où l’on parle de service universel, nous demande de l’entraide. D’autres pays le font déjà : au Canada, quand vous êtes jeune médecin, vous passez trois ans dans les forêts avec les grizzlis.

M. Jean-Pierre Cubertafon. Vous tenez ces propos autour de vous ? (Sourires.)

M. Karim Tazarourte. C’est mon opinion personnelle, elle n’engage pas la SFMU. C’est ce que j’appelle remettre un peu de sens dans notre pays.

M. Philippe Vigier, rapporteur. J’apprécie le franc-parler dont vous faites preuve tous deux, ainsi que la qualité de vos réponses.

Je souhaiterais toutefois que vous puissiez préciser quelques points.

Le principe de délégation de tâches est essentiel à nos yeux : pourriez-vous nous faire parvenir une nomenclature de ce qui pourrait être délégué, et qui ne l’est pas aujourd’hui ? Nous avons adressé la même demande aux ordres que nous avons auditionnés.

Par ailleurs, je partage pleinement votre point de vue sur l’émergence de nouveaux métiers, singulièrement du fait de l’avènement du numérique. Je serais intéressé par un document de votre part présentant votre vision de la plateforme de demain, pour laquelle la puissance publique doit investir.

Vous avez également évoqué la question de la récollection et du stockage des données relatives aux patients, afin d’en disposer pour ne pas repartir de zéro à chaque fois. Dans la mesure où tous les achats effectués restent en mémoire dans une carte de crédit, je ne serais pas choqué que toutes les données médicales du patient soient disponibles de la même façon. Elles seraient ainsi disponibles, l’accès étant évidemment protégé par des clés de cryptage, comme cela se fait déjà dans le domaine de la biologie. J’aimerais recueillir votre avis sur ce sujet qui ne manquera pas d’être pris en compte dans les lois à venir sur la bioéthique.

Enfin, certains de nos interlocuteurs ont évoqué la télémédecine, et des mathématiciens travaillant sur les données algorithmiques, car des pathologies affectent plus fréquemment certaines catégories que d’autres. Ne pensez-vous pas que l’ensemble des données disponibles devrait permettre d’apporter les soins appropriés au bon moment, ce qui éviterait les difficultés que vous avez mentionnées ?

M. Karim Tazarourte. L’intelligence artificielle (IA) et la médecine prédictive posent des problèmes assez complexes. Mais l’intelligence artificielle nous aidera à définir des populations à risque et à leur prédire un devenir. Toutefois, l’IA ne remplacera pas le médecin, elle fera mieux : elle nous aidera, nous médecins, à redevenir ce que nous n’aurions jamais dû cesser d’être, c’est-à-dire des humains parlant aux humains. Nous y réfléchissons beaucoup en médecine d’urgence, car on ne nous demande pas d’être spécifiques, mais sensibles.

Lorsque vous venez pour une douleur abdominale aiguë de moins de 24 heures, et qu’au terme des examens il vous est dit qu’il n’y a rien, le ministère vérifie souvent, et considère que nous aurions pu faire autrement. Ce à quoi nous répondons qu’il nous est demandé d’être sensibles et de ne pas passer à côté. Ce type de pathologies met nos collègues exerçant en cabinet en difficulté, ne l’oublions pas : la société nous demande d’être sensibles, et non spécifiques. Nous ne pouvons pas passer à côté, sauf à considérer que nous avons droit à 5 % d’erreurs et que, dans ce cas, nous pouvons procéder différemment…

À l’heure où, sans vergogne, on n’hésite pas à divulguer sur Facebook énormément de données ultraconfidentielles, la pusillanimité portant sur les données médicales nous met en défaut au regard de notre besoin de savoir, qui n’est pas assumé. Aux urgences, nous sommes régulièrement confrontés à des évènements indésirables dus à l’incapacité totale d’obtenir des informations. Ce n’est pas parce que le collègue exerçant en ville n’a pas souhaité les mettre à disposition, mais parce qu’il y a des ruptures de charge. Et je n’évoque pas les directives anticipées, pour lesquelles devrait exister ce qui existe pour les dons d’organes. Où en sommes-nous, que faisons-nous lorsque la famille n’est pas joignable ? Cela constitue un réel sujet sur lequel il faut progresser.

La question de la nomenclature et des pratiques avancées est très sensible. Aux urgences, nous sommes à l’avant-garde depuis vingt ans, car la base du tri dans nos services repose sur des infirmiers d’orientation et d’accueil. Si le tri n’est pas le bon, le médecin aura du mal à récupérer le patient, car cette première étape détermine les temporalités d’accès ; et, globalement, nous obtenons de bons résultats.

Nous montrons que, pour des choses aussi cruciales que la phase aiguë, une pratique avancée, formée et évaluée peut fonctionner. Je pourrais multiplier les exemples, mais, le sujet étant très sensible, je ne voudrais pas m’attirer les foudres de mes collègues. Pour l’avoir été, j’affirme que le métier d’un généraliste est de maintenir la santé ; il serait presque possible de considérer que tout autre sujet ne relève pas de son domaine.

De ce fait, le maintien de la santé consiste à définir des plans d’action, de les faire exécuter et d’en assurer le contrôle ; dans ce contexte, le financement est évidemment déterminant, et il induit des comportements, je n’irais pas plus loin.

M. Jean-Pierre Cubertafon. Dans le secteur rural où je suis élu, le médecin qui est de garde n’appartient pas au groupe médical dont dépend le patient : il ne dispose d’aucune information ; on imagine ce que peut produire une telle situation à l’hôpital. Beaucoup reste à faire.

Mme Agnès Richard-Hibon. Une réflexion avait été lancée au sujet du dossier médical partagé, auquel nous étions très favorables ; elle a été transformée en usine à gaz. Le dispositif doit être simplifié, le partage des informations médicales va aider l’orientation dans la bonne filière de soins ainsi que dans la sécurisation du maintien à domicile et de la limitation du recours à la ressource médicale lorsque cela n’est pas nécessaire.

La décision est en effet beaucoup plus aisée lorsque l’on dispose des informations, l’inverse étant bien plus complexe.

M. le président Alexandre Freschi. Merci pour ces propos très intéressants.

 

 

 

 

 

 


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Audition du Professeur Patrice Queneau et du Professeur Yves de Prost, de l’académie nationale de médecine

Présidence de M. Alexandre Freschi, Président de la commission denquête

M. le président Alexandre Freschi. Mes chers collègues, nous procédons à l’audition de l’Académie nationale de médecine représentée par les professeurs Patrice Queneau et Yves de Prost.

Nous avons décidé de rendre nos auditions publiques. Elles sont ouvertes à la presse et diffusées en direct sur le site internet de l’Assemblée nationale, sur lequel elles peuvent ensuite être visionnées.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Veuillez lever la main droite et dire : « Je le jure ».

(M. Queneau et M. de Prost prêtent successivement serment.)

M. Patrice Queneau, membre de l’Académie nationale de médecine. Le sujet sur lequel vous travaillez nous préoccupe beaucoup. La situation est grave, je dirais même que, dans certains domaines, elle est tragique. Les déserts médicaux sont un problème très préoccupant dans certaines régions rurales, en périphérie des villes, mais aussi en zones urbaines – je pense en particulier aux villes moyennes. De très nombreux secteurs sont concernés. Il y a de véritables urgences, mais il est indispensable d’effectuer une photographie de la situation, et d’actualiser en permanence cet état des lieux.

Il est donc nécessaire de prendre des mesures aussi bien à court qu’à moyen ou long terme.

À court terme, il faut saluer, encourager et développer toutes les mesures incitatives actuelles, mais elles ne suffisent pas. Il faut aller au-delà.

Il faut inciter fortement à des regroupements pour la formation de cabinets pluridisciplinaires. Ils devront aussi parfois être pluridisciplinaires et universitaires, car on doit pouvoir y fixer des maîtres de stages. Je suis provincial – j’ai été pendant dix-huit ans et demi le doyen de la faculté de médecine de Saint-Étienne – et, avec l’un de mes amis, médecin généraliste retraité, de Haute-Savoie, nous avons récemment publié un ouvrage intitulé : Sauver le médecin généraliste. Cela nous a permis de recueillir de nombreux témoignages. Je peux vous citer de très nombreux cas dans lesquels on a frôlé la catastrophe : la pharmacie et le cabinet médical fermaient dans des villages en déshérence. Je pense, par exemple, à Usson-en-Forez, aux confins du département de la Loire, près de la Haute-Loire où les deux médecins en exercice ont cessé leur activité – du jour au lendemain pour l’un d’eux. Le dialogue efficace entre l’agence régionale de santé (ARS), le préfet, et le président et le doyen de l’université a permis de faire rapidement appel à un étudiant qui devait effectuer son dernier stage de troisième année de spécialité de médecine générale, encadré par les médecins de la région. Ce garçon a pris goût au lieu et au métier, et il a même fait venir un ami. En quelques semaines, là où on était passé de deux médecins à plus aucun, on a retrouvé deux médecins. Cet exemple montre l’importance des connexions administratives : il faut une chaîne administrative pour préserver la chaîne de soins. J’ajoute que, finalement, à Usson-en-Forez, ils ont même pu constituer une maison de santé pluridisciplinaire en récupérant une infirmière et, bien sûr, des internes.

Il est capital que les internes soient ainsi mis en situation : c’est utile pour leur formation, et cela leur permet de découvrir un mode d’exercice qui pourra les intéresser.

Comme Claude de Bourguignon, avec qui j’ai écrit l’ouvrage que je citais, j’estime qu’il y a un devoir de soigner. La France doit soigner les patients là où il n’y a plus de médecins. Les études de médecine ont été, dans l’immense majorité de cas, financées par l’État. Cependant, avec le Conseil de l’Ordre, nous sommes nettement défavorables à une obligation d’installation en zone sous-dotée pour les derniers classés de l’internat – ce serait contre-productif.

Je suis en revanche très favorable à la mise en place de mesures contraignantes collectives, gérées par l’ARS, sous la forme d’un système de consultations avancées ou délocalisées, dans le cadre de missions territoriales qui engagent une contribution des médecins de la région – médecins libéraux, médecins salariés, médecins hospitaliers. Il faut imaginer un système à la fois contraignant et relativement souple, avec des contributions mutualisées, qui permettent de ne pas laisser vacant un cabinet médical indispensable. Sur ce niveau de contrainte, Claude de Bourguignon et moi sommes d’accord.

Il ne faut pas non plus négliger la question du prix de la consultation, ni celle des visites à domicile.

Moi qui suis un vieux clinicien, j’ai toujours plaidé, et depuis très longtemps, y compris dans mes précédents livres, comme Le malade n’est pas un numéro !, pour que la tarification prenne en compte les consultations complexes. C’est chose faite depuis la convention de 2017, même si cela mérite d’être mieux expliqué.

Quant aux visites à domicile, elles sont capitales. On évoque souvent les abus, mais le médecin qui connaît bien sa clientèle sait parfaitement les limiter.

Cette connaissance permet que la médecine générale constitue d’ailleurs un facteur majeur de la diminution du recours aux urgences. J’ai retrouvé une étude anglaise effectuée pendant trois ans, qui montre une baisse de 20 % à 30 % de la fréquentation des urgences lorsque la population est suivie par un médecin généraliste – surtout si c’est le même praticien sur la durée.

J’en viens au moyen terme en m’exprimant surtout en tant qu’ancien doyen.

Il faut supprimer la première année commune aux études de santé (PACES). Je ne veux pas supprimer la sélection, je veux seulement qu’elle soit davantage médicalisée. Cela ne veut pas dire qu’il ne faille pas faire de sciences fondamentales, mais que, dès la première année, l’étudiant apprendra un peu de sémiologie médicale – même s’il ne devient pas médecin, il pourra dépister un début d’accident ischémique d’un membre de sa famille… Il faut absolument éviter que les étudiants de première année aient l’impression d’être dans un cursus un peu « surréaliste » dans lequel on leur parle de sujets n’ayant qu’un rapport assez lointain avec le corps, la santé et leurs dysfonctionnements. Je ne dis pas cela contre les mathématiques – mon père était polytechnicien, et j’ai fait math-sup –, mais il faut aller vers plus de médicalisation.

Comme au Québec, en Allemagne et à Angers, nous devrions mettre en place une admissibilité et des épreuves orales permettant de juger de la personnalité et de la motivation des candidats. Sur cent postes, soixante-six sont attribués dès l’admission, et trente-quatre après les épreuves orales. Il ne s’agit pas de tout révolutionner, mais de médicaliser et de tester la motivation.

Je propose aussi de renforcer les stages cliniques, qui sont essentiels pour les médecins généralistes. Tous les étudiants de deuxième cycle, même ceux qui savent qu’ils veulent devenir cardiologues ou neurochirurgiens, doivent connaître la médecine générale ou la médecine libérale des praticiens en gynécologie ou autres disciplines sous-dotées. Ce passage par la médecine extrahospitalière en deuxième cycle permet de comprendre et de vivre ce type de médecine.

Faut-il augmenter le numerus clausus ? Ma réponse est « discrètement positive ». Il ne s’agit pas de multiplier les places par deux, ou par un et demi, mais il serait utile d’en proposer un peu plus.

Il y a 8 000 places au concours, et on a besoin de 3 500 médecins généralistes. Sur ces 3 500, finalement combien d’étudiants exerceront volontairement ?

M. Philippe Vigier, rapporteur. 400 !

M. Patrice Queneau. 1 000 ou 1 500. Après le concours, j’ai souvent constaté que la médecine générale n’attirait pas. J’ai par exemple interrogé une centaine d’étudiants qui visitaient l’Académie de médecine après avoir réussi le concours. « Surtout pas la médecine générale » semblait être la réponse la plus répandue. Il faut motiver les jeunes pour qu’ils aillent vers un métier exigeant et difficile.

Sur les 3 500 postes de médecine générale actuellement ouverts, un sur deux sera pris par quelqu’un qui n’exercera pas la médecine générale : il n’exercera pas du tout, il exercera comme médecin du sport, journaliste ou homéopathe, par exemple, ou il effectuera des remplacements. Finalement, seul un diplômé sur deux s’installera comme vrai généraliste à l’issue de son troisième cycle.

Concernant les médecins étrangers, l’académie de médecine a pris une position sur l’épreuve classante nationale (ECN). Il ne s’agit ni d’un concours ni d’un examen, puisqu’on peut la réussir avec zéro, et être nommé interne – éventuellement sans parler français – en étant payé pendant quatre ans. Nous parlons de gens qui seront internes de garde et dont le niveau n’a jamais été vérifié ! L’Académie de médecine a émis sur ce sujet une proposition pour laquelle je me suis énormément battu. En remplacement de l’ancien certificat de synthèse clinique et thérapeutique (CSCT), les ministres ont mis en place le certificat de compétences cliniques (CCC), qui est assez comparable. Il faut qu’il soit passé par tous les étudiants ayant effectué leurs études en France, qu’ils soient français ou étrangers. Nous demandons que ce même niveau soit un préalable à l’inscription en troisième cycle pour tous les étudiants venant d’ailleurs, qu’ils soient étrangers ou français – beaucoup de Français reviennent de l’étranger soit qu’ils aient d’abord échoué au concours en France, soit qu’ils se soient dit : « Inutile de le passer ici, je vais tout de suite à Bucarest ou à Athènes, et je reviens ensuite, c’est dans la poche… »

Avec mon ami Claude de Bourguignon, dans Sauver le médecin généraliste, nous estimions que si nous étions dans l’impasse – et nous y sommes –, il faudrait proposer, en plus des contrats d’engagement à devenir médecin généraliste – leur succès est relatif mais il s’agit d’une solution qu’il ne faut pas négliger –, d’instaurer, dès le concours, un quota de places destinées à la médecine générale, ou éventuellement à d’autres disciplines fortement sous-dotées. Ce devrait être un concours de spécialité, encore plus médicalisé que le concours classique. Je vois bien les inconvénients de cette solution : la décision doit être précoce, certains commencent à parler de « sous-concours »…. Je n’en sais rien, je n’en suis pas sûr, mais ce que je sais, c’est que nous avons besoin de gamins et des gamines motivés, alors que beaucoup d’entre eux échouent à la PACES alors qu’ils sont d’excellents candidats. Nous pourrions en tout cas mettre en place une expérimentation en ce sens.

M. Yves de Prost, membre de l’Académie nationale de médecine. La lutte contre la désertification médicale s’inscrit dans un problème beaucoup plus vaste. Elle pose non seulement la question de toute la réorganisation de la médecine en ambulatoire, mais elle dépasse aussi totalement le champ médical.

Je ne reviens pas sur la baisse avérée du nombre et des vocations de médecins généralistes, voire de médecins spécialistes. Je passe aussi sur ce qui motive le choix des jeunes, mais je retiens un élément.

Lorsque j’ai commencé la médecine, je l’ai apprise en faisant des remplacements. Lorsque l’on était interne, on faisait des remplacements de médecine générale. C’était absolument formidable, et c’est là que nous apprenions la médecine. Il s’agissait d’un début fondamental. Aujourd’hui, c’est impossible : la quantité de connaissances nécessaires pour faire de la médecine, en particulier de la médecine générale ou interne, est telle qu’une personne seule ne peut y parvenir. Les jeunes le sentent très bien, et ce facteur s’ajoute à de nombreux autres – l’élément financier n’est que l’un d’eux, et la plupart concernent tous les secteurs de notre société.

Il n’y a pas de véritable désert médical pris isolement. Il n’y a un désert médical que lorsqu’il y a déjà un désert total : les commerçants ont disparu, il n’y a plus de pharmacie ou de poste… Il ne faut pas traiter le problème de la désertification médicale sans prendre le problème globalement.

La mauvaise répartition de l’offre médicale touche tout le monde. On pense souvent au milieu rural, bien entendu, mais il y a aussi les banlieues et Paris. J’exerce à Paris, je travaille à l’hôpital Necker depuis longtemps : je ne sais pas que répondre aux nombreux patients ou aux membres de ma famille qui me demandent les coordonnées d’un bon généraliste dans le 7e arrondissement. Vous n’en trouvez plus, ce qui s’explique par la pyramide des âges. Il ne faut donc pas penser seulement au milieu rural, le problème est beaucoup plus grave.

Il faut une réorganisation absolument globale de la médecine et de la médecine générale. Le médecin généraliste isolé, le médecin de famille, ça n’existe plus, et ça n’existera plus, pour plein de raisons qu’on pourra détailler. Il faut donc favoriser toutes les autres solutions. L’une d’entre elles réside dans l’ouverture de maisons médicales. Vous en avez déjà parlé. Il est évident qu’il faut les favoriser. Certaines sont énormes, en particulier dans le nord de la France, dans des bâtiments immenses. Les médecins y sont entourés de professionnels paramédicaux : infirmières, kinésithérapeutes…

En effet, la solution n’est pas tellement d’augmenter le nombre de médecins, mais plutôt celui des professionnels paramédicaux qui les aident. Je crois qu’on fait souvent erreur sur cette question, en particulier lorsque l’on parle d’élever le numerus clausus. Il faut avant tout favoriser les professions paramédicales. Au terme d’« infirmière sur poste avancé », je préfère celui d’« infirmière clinicienne ». Nous avons évoqué ce sujet à l’Académie et avec la direction compétente du ministère : il est clair que nous cherchons une aide pour le médecin généraliste plus qu’un poste « avancé ».

Il faut évidemment aussi modifier et adapter le cursus médical. Les stages en ville doivent être beaucoup plus nombreux et effectués plus précocement. Nous, nous avons appris en faisant nos premiers remplacements, alors que nous avions déjà été internes : c’était beaucoup trop tardif. Je vous invite à lire le rapport que la mission de concertation dirigée par Mme Élisabeth Hubert a consacré, en 2010, à la médecine de proximité. Il montre bien que si l’on veut une bonne organisation de la médecine générale, il est absolument indispensable que les étudiants la connaissent et qu’ils puissent voir comment elle est pratiquée. Cela implique que l’on forme de nombreux maîtres de stage, car il n’y en a pas – ils doivent aussi être motivés financièrement, c’est très important.

Il faut également donner davantage de pouvoirs aux ARS. Le problème n’est pas national : la solution ne tombera pas toute faite de l’avenue de Ségur ou de l’avenue Duquesne. Le problème est régional, il faut donc le confier aux ARS qui ont été créées pour cela à partir de la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite « HPST ». Il s’agit de l’un des points essentiels de la gestion du territoire.

Les ARS doivent aussi remplir une autre mission. Si la couverture médicale nationale est très mauvaise, celle du service d’aide médicale urgente (SAMU) est vraiment bonne. Le poste le plus important du SAMU, ce n’est pas celui du docteur Pelloux qui va faire semblant d’aller sur place, c’est le régulateur. L’essentiel, c’est la régulation. C’est à ce poste que l’on place les plus grands du SAMU. La régulation, c’est ce qui manque sur le territoire. La régulation n’existe que pour les urgences cardiaques et respiratoires, pas pour les autres spécialités. Lorsque le médecin est face à une urgence en urologie, en dermatologie ou en gastro-entérologie, il ne sait pas où s’adresser.

À Paris, par exemple, il existe un service d’urgences pour la dermatologie. Vous pouvez interroger les médecins de Paris et de sa banlieue, libéraux, hospitaliers ou autres – je me suis amusé à poser la question à un grand nombre d’entre eux : ils ne savent pas où il se trouve. En cas de réaction cutanée très grave d’un patient, d’un syndrome de Lyell ou d’une maladie bulleuse, le service d’urgences ouvert vingt-quatre heures sur vingt-quatre est à Créteil.

Ces notions relèvent de la modulation. Je suis partisan d’une modulation confiée aux ARS : en cas d’urgence, le médecin ou l’infirmière, isolés dans leur « désert », pourraient appeler et obtenir des informations.

Je cite rapidement, avant de conclure, quelques instruments qu’il est indispensable de développer. Je pense évidemment à la télémédecine qui est une question majeure. On travaille aussi, sans aucun résultat, depuis des années, sur le dossier médical : il faut avancer en la matière. Nous devons également promouvoir ce que l’un de mes amis, le professeur Guy Vallencien, appelle les « hubs sanitaires » connectés : ils opéreraient un regroupement, intellectuel plus que physique, de médecins pour assurer la poursuite des soins.

J’estime, pour conclure, que les parlementaires peuvent être très utiles.

Selon moi, ils doivent d’abord favoriser les contacts entre les paramédicaux et les médecins généralistes. Vous pouvez essayer de rassembler les acteurs pour qu’ils avancent ensemble. Vous avez par exemple constaté que l’idée de la création des « infirmières sur poste avancé » a donné lieu à une opposition immédiate du syndicat de certains médecins généralistes. Il y aura toujours des oppositions syndicales, mais vous pouvez contribuer à fluidifier les relations et faire avancer la lutte commune contre les déserts médicaux.

Ensuite, j’en ai déjà parlé, vous devez donner un plus grand rôle aux ARS et soutenir la régionalisation.

Il faut encore que vous favorisiez l’implantation des maisons médicales. Toutes les aides doivent être utilisées pour cela, y compris les aides financières.

Enfin, il faut renforcer la possibilité d’intervention des paramédicaux. Je pense à ce que fait Olivier Lyon-Caen, qui conseille le directeur de l’assurance maladie, en mettant en place un programme destiné à la prise en compte de la psychothérapie et au remboursement des psychothérapeutes. C’est fondamental ! C’est comme cela que l’on fera avancer les choses, et que l’on aidera les professions paramédicales.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Ne pensez-vous pas que, pour rendre la profession plus attractive, il est indispensable de se poser la question de la consultation à 25 euros ? Une revalorisation forte, dans le cadre d’une convention généralisée, ne s’impose-t-elle pas ?

Vous proposez de supprimer la PACES dont l’organisation et les enseignements, assez distants de la médecine, excluent des hommes et des femmes désireux d’embrasser votre profession. Je vous rejoins volontiers, mais, il faut bien ouvrir les vannes. Si l’on veut plus de médecin, il faut bien augmenter le numerus clausus. Si l’on supprime la PACES, on modifie totalement l’organisation de la première année de médecine.

Je rappelle, comme presque à chaque audition, que le nombre d’heures de médecine disponible est inférieur à ce qu’il était il y a vingt ans, alors que la population est plus nombreuse et que la demande de soins est plus forte. Il faut résoudre cette équation. J’entends bien que vous évoquez la mobilisation des paramédicaux, mais je ne suis pas persuadé qu’elle soit possible lorsque l’on connaît le conservatisme assez fort des médecins qui estiment, parce qu’ils sont omnipraticiens – du latin omnis –, qu’ils savent tout faire, qu’ils ont le droit de tout faire et de tout prescrire et qu’une délégation ne peut être accordée que sous leur responsabilité, quand ils veulent, quand ils décident et s’ils contrôlent.

Professeur de Prost, nos visions divergent totalement s’agissant des ARS. Sur le papier, l’idée de « consultations avancées » semble parfaite, mais expliquez-moi comment, dans un territoire frappé de désertification médicale, vous exigerez d’un médecin d’Orléans qu’il aille faire des consultations à 60 kilomètres de chez lui en pleine Sologne alors qu’il ne parvient pas à satisfaire sa propre patientèle ? Sur ce plan, l’ARS est en faillite totale. Je suis pour ma part très déçu par ces préfets sanitaires qui se sont installés dans une sorte de dualité bicéphale à côté des préfets de l’État. Ils sont totalement inopérants alors que l’accès aux soins est essentiel dans notre société – il est même garanti par le préambule de notre Constitution.

J’ai encore en mémoire le discours de la ministre, Mme Agnès Buzyn, qui demandait au mois d’octobre dernier que les ARS organisent ces consultations avancées. Le bilan est édifiant plusieurs mois après : rien ne se passe et rien ne bouge ! Comment ferons-nous alors que nous nous trouvons dans une véritable impasse ?

M. Yves de Prost. Ma vision pour l’ARS n’est pas celle que vous décrivez. Il ne s’agit pas d’envoyer le médecin d’Orléans à 60 kilomètres de chez lui. Ce qui m’intéresse, c’est la modulation, c’est la régionalisation. Beaucoup de problèmes rencontrés sont locaux : il ne faut pas les traiter de façon générale. On peut critiquer les ARS et l’organisation en place, ce n’est pas mon problème. Je mets en avant les ARS parce qu’elles existent, et parce que, théoriquement, elles ont le mérite de traiter aussi de l’ambulatoire – contrairement aux anciennes agences régionales de l’hospitalisation (ARH) qui ne s’occupaient que de l’hôpital.

M. Patrice Queneau. C’est très simple. Premièrement, nous avons le devoir de soigner les patients. Deuxièmement, l’autorité de l’État est déléguée aux ARS. Donc, les ARS doivent mettre en place une chaîne de solidarité. C’est tout ! Pour le reste, je ne suis pas le ministre…

M. Philippe Vigier, rapporteur. Je ne cherchais pas à vous contredire. La semaine dernière, au conseil régional du Centre-Val de Loire toutes les familles politiques ont voté contre le programme régional de santé présenté par l’ARS. Ça ne marche pas !

J’entends bien ce que vous dites sur la PACES. Votre proposition de créer une filière de médecine générale me semble très intelligente. J’ai aussi entendu que vous souligniez que tout le monde devenait interne, même avec zéro. Vous, vous êtes issus de l’externat, vous avez passé l’internat. Ne pourrait-on revenir au diplôme d’études spécialisées (DES) de médecin généraliste et d’autres spécialités, à bac plus six ou sept, à côté du corps d’internes ? Je réfléchis à voix haute.

M. Patrice Queneau. Sur cette question de l’entrée en troisième cycle, c’est, en quelque sorte, une question d’honneur par rapport au malade. Les internes ont des responsabilités : ceux qui feront des gardes demain matin doivent connaître la médecine, et parler français.

Qu’attendons-nous d’un interne de première année après six ou sept ans d’études parfois « surréalistes » ? C’est le vieux clinicien qui parle de programmes « surréalistes » – et ne me faites pas dire qu’il ne faut pas comprendre la biologie cellulaire. Dès le deuxième cycle, on doit prévoir de nombreux stages chez le praticien, et des stages hospitaliers.

Comment se passent les concours ? C’est publier ou mourir ! Il faut avant tout présenter un dossier de publications scientifiques. Vous avez enseigné, vous avez soigné des malades : c’est bien, mais bon… Pourtant, enseigner aux étudiants à l’hôpital, en particulier pendant les consultations, qui sont un instrument pédagogique extraordinaire, c’est essentiel. Il faut en tout cas donner aux étudiants un solide niveau de formation clinique.

M. Yves de Prost. Nous entendons que les ARS ne marchent pas, et c’est bien pour cela que nous en parlons. C’est parce qu’il faut qu’elles marchent. Elles peuvent s’appeler autrement, mais ce qu’il faut, c’est un support régional.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Si je reprends vos propositions, vous évoquiez la revalorisation des consultations, la nécessité d’un plus grand nombre de maîtres de stage. Vous seriez sans doute d’accord avec nous pour que l’on simplifie les dossiers administratifs qu’ils doivent remplir – au XXIe siècle, dans une société du numérique, cela doit être possible. Vous appelez aussi de vos vœux un effort concernant leur rémunération…

M. Patrice Queneau. Ils y consacrent du temps et cela demande du travail. Les maîtres de stage jouent un rôle absolument majeur pour faire découvrir la médecine générale et libérale à un grand nombre d’étudiants.

M. Philippe Vigier, rapporteur. En tant qu’académicien, avez-vous écrit au président de la conférence des doyens pour demander la modification de l’organisation de la PACES ?

M. Patrice Queneau. Je connais bien l’ancien président de la conférence des doyens, Jean-Luc Dubois-Randé. Je lui avais soumis beaucoup des idées du livre que nous avons écrit avec Claude de Bourguignon. Il aurait été en profond accord avec tout ce que nous avons dit devant vous ce matin. Je connais moins le nouveau président.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Nous constatons qu’un grand nombre de candidats échouent à l’issue de la PACES en raison de notes dans des disciplines qui ne sont pas médicales. La question d’une refonte profonde de cette première année, qui concerne aussi les futurs pharmaciens, dentistes et sages-femmes, est-elle la solution ?

M. Patrice Queneau. C’est cela que j’évoque en disant qu’il faut supprimer la PACES. On a eu l’illusion, en mélangeant toutes les professions, que les choix faits par les étudiants seraient plus adaptés. Il est clair, qu’au cours de cette première année, un dosage raisonnable et mieux équilibré doit être trouvé entre les disciplines fondamentales et les disciplines médicales.

Je pense qu’il faut se séparer des pharmaciens, dentistes et autres, parce que nous avons affaire à des métiers différents. Je suis de très près les épreuves auxquelles on soumet les étudiants : franchement, l’espèce de melting pot qui constitue le concours actuel n’est pas de la médecine, en tout cas pas suffisamment. Je suis favorable au rétablissement d’un concours d’entrée en médecine qui soit davantage « médicalisé », avec une admissibilité suivie d’une épreuve orale de motivation et de personnalité.

M. Jean-Pierre Cubertafon. Je suis entièrement d’accord avec vos tout premiers mots, professeur Queneau : « la situation est grave. » Elle est même très grave, et elle devrait être une priorité nationale. Je suis élu d’un territoire dont certains habitants ne peuvent plus se faire soigner – certains le quittent même parce qu’ils ne trouvent pas de médecin traitant.

Vous avez évoqué les maîtres de stage. Je pense qu’ils constituent la clé du succès. Pourquoi aujourd’hui les médecins ne veulent-ils pas devenir maîtres de stage ? Est-ce uniquement un problème de rémunération ?

M. Yves de Prost. Bien sûr que non ! Il y a peut-être un problème de rémunération, il ne faut pas le nier, mais ce n’est pas du tout le problème majeur.

La vraie question est celle de la formation dès les études médicales. À partir du moment où l’on inculquera vraiment cette notion de compagnonnage et de formation, avec des stages très précoces chez le médecin, tout suivra automatiquement. Nous aurons alors des vocations de maîtres de stage, et il ne sera plus question d’obligation, comme c’est souvent le cas.

M. Patrice Queneau. Le mot-clé est « valorisation ». Il faut valoriser l’enseignement, en particulier l’enseignement clinique, où qu’il se fasse. À tous les niveaux, il faut valoriser cette mission, y compris s’agissant des nominations hospitalo-universitaires et celles de maîtres de stage – et je ne parle évidemment pas que de valorisation financière.

M. Jean-Pierre Cubertafon. Ce matin, lors d’une autre audition, nous parlions des travaux d’évaluation. Par exemple, dans mon département, le docteur Faroudja est depuis très longtemps maître de stage, et certains stagiaires ont fini par s’installer dans sa petite commune de 400 habitants. Cette question est donc extrêmement importante.

M. Patrice Queneau. Le dernier chapitre du livre que nous avons écrit avec Claude de Bourguignon est une sorte de forum. Nous avons donné la parole à des maîtres de stage qui racontent que leurs internes deviennent leurs collaborateurs. Ils et elles – elles sont très nombreuses – découvrent la réalité et un métier exigeant mais fascinant.

M. Jean-Pierre Cubertafon. Pour conclure, de mon côté, je veux ajouter que je suis d’accord avec notre rapporteur : les rapports avec l’ARS, qui est devenue un État dans l’État, ne sont pas satisfaisants. Il ne s’agit pas de remettre en cause la régionalisation, mais l’organisation actuelle est tout à fait décevante.

Mme Mireille Robert. Je suis globalement d’accord avec vos propositions, messieurs, mais je voulais signaler que les maisons médicales sont très utiles à condition d’être remplies. Dans l’Aude, nous avons quelques coquilles vides, jolies mais vides.

Vous évoquez une réforme de la PACES. Faut-il former les élèves dès le niveau du lycée ? Faut-il les préparer davantage à un concours plus médical ?

Les pharmacies sont nombreuses dans mon département. Que penseriez-vous d’une coopération avec des pharmacies de premier recours pour des premiers soins ?

M. Patrice Queneau. Les maisons de santé ne sont pas une solution magique qu’il faut faire sortir d’un chapeau. Elles fonctionnent d’autant mieux qu’elles émanent d’un projet médical et de santé.

Tout se tient sur le terrain. Comme le disait Yves de Prost, le désert médical ne vient pas seul : la présence de la pharmacie compte. Ne vous méprenez pas sur ce que j’ai dit sur la nécessité de concours d’entrée différenciés : le lien entre les professions est capital.

Vous m’avez interrogé sur un prérequis pour l’inscription en médecine. J’estime tout d’abord que davantage de place pourrait être réservée durant les études secondaires aux questions de santé. Dans notre livre, nous proposons de recréer l’ancien bac D, consacré aux sciences de la vie et de la nature. On peut y réfléchir.

Ensuite, pour entrer en médecine, avoir effectué préalablement un stage de huit jours auprès de médecins ne semble pas absurde. Peut-être s’agit-il d’un idéal ou d’une preuve de naïveté. Cela dit, autrefois, certains quittaient ce premier stage en se rendant compte qu’ils ne voulaient pas tout devenir médecin.

Enfin, j’évoque l’un de mes chevaux de bataille : on ne doit pas passer le permis de conduire ou le bac, ni s’inscrire à l’université, si l’on n’a pas son brevet de secourisme. Je ne comprends vraiment pas que notre pays ne forme pas ses jeunes aux premiers secours. Ça n’est pas possible !

M. le président Alexandre Freschi. Le directeur de l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES) que nous entendions ce matin nous disait être dans l’incapacité d’évaluer l’impact des incitations financières à l’installation des médecins. Vous proposez pourtant de renforcer ce dispositif. Quels sont vos arguments ?

M. Yves de Prost. Je n’ai évoqué que l’incitation financière pour les maîtres de stage. Les incitations à l’installation n’ont pas donné de résultats extrêmement concluants – c’est le moins que l’on puisse dire.

M. le président Alexandre Freschi. Professeur Queneau, dans la brève note que vous nous avez fait parvenir, je trouve, parmi les mesures qui s’imposeraient à court terme, la nécessité de « renforcer toutes les mesures d’incitation possibles à l’installation en zones sous-dotées – professionnelles, administratives, financières… »

M. Patrice Queneau. Ce n’est pas parce que ces efforts n’aboutissent pas qu’il faut les minorer. Il peut s’agir de l’aide accordée par une commune ou un département – je pense au cas de la Saône-et-Loire et, récemment, de la Dordogne. J’y crois beaucoup. Ce n’est pas exclusif d’autres méthodes plus spectaculaires.

Je ne connais pas l’impact de ces mesures. On peut imaginer qu’elles ne sont pas très efficaces, qu’elles sont un peu efficaces, ou même inefficaces.

M. Alexandre Freschi. Peut-être faut-il en avoir le cœur net avant de les renforcer ?

M. Patrice Queneau. Il faut aussi travailler sur ce qui permet de libérer du temps médical. Dans le cadre de la commission XVI de l’Académie de médecine, nous réfléchissons à la question du secrétariat. Parmi les aides à l’installation des jeunes médecins, on pourrait imaginer la mise en place d’un soutien administratif. Cela permettrait de valoriser le temps médical et devrait, dans tous les cas, être efficace – même si je n’ai pas d’idée de l’impact chiffré qu’aurait une telle mesure.

Les mesures incitatives sont utiles. Sur le terrain, je connais des situations ou tel ou tel maire a facilité l’obtention de locaux. Je pense aussi à des facilitations financières et fiscales. Quoi qu’il en soit, ces mesures sont positives. Elles ne sont, à l’évidence, pas suffisantes, mais ce n’est pas une raison pour les exclure.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Il existe encore quelques médecins pro-pharmaciens, notamment dans mon département. Seriez-vous favorables à ce qu’il y ait des pharmaciens pro-médecins ?

D’autre part, certains médecins étrangers n’ont pas les bons diplômes et ne sont pas inscrits au Conseil de l’Ordre : seriez-vous favorables à ce que cette inscription leur soit rendue obligatoire ?

M. Yves de Prost. Vous avez absolument raison sur le second point. Il ne faut pas seulement regarder le niveau des gens qui vont s’installer, mais aussi être extrêmement rigoureux à leur égard.

En ce qui concerne votre première question, tout d’abord, les médecins ont beaucoup à apprendre des pharmaciens en ce qui concerne le dossier médical personnel (DMP) : les pharmaciens ont une avance considérable à cet égard. Cela nous manque énormément en médecine ambulatoire et hospitalière. Ensuite, je suis tout à fait favorable à ce qu’on donne la possibilité aux pharmaciens de faire certains actes comme les vaccinations, par exemple. Il y a cependant des problèmes d’émoluments financiers qui ne sont pas toujours résolus. Je vous ai donné l’exemple de ce qu’Olivier Lyon-Caen essaie de mettre en place pour les psychothérapeutes. Tout ce qui peut soulager le corps médical de certaines fonctions et qui est contrôlable me paraît une très bonne chose. Je suis donc tout à fait d’accord avec vous.

M. Patrick Queneau. Il faut valoriser la formation à tous les niveaux. Il faut que le concours soit davantage médicalisé et que l’on récupère les meilleurs futurs médecins pour soigner les malades. C’est pour ces derniers qu’on fait médecine et qu’on défend la médecine. Je le dis en tant que vieux clinicien marié avec la médecine jusqu’à la mort. La formation n’est pas suffisamment prise en compte dans les critères de compétence pour les carrières universitaires. Toute personne qui arrive en fin de deuxième cycle et qui deviendra interne de garde le lendemain matin – d’où qu’il vienne, qu’il soit français ou étranger – doit pouvoir présenter un niveau de compétence qui soit vérifié et avalisé.

M. le président Alexandre Freschi. Les médecins francophones qui viennent s’installer dans les hôpitaux relèvent du Centre national de gestion (CNG) et ont un concours à passer. Faudrait-il renforcer ce dispositif pour résoudre le problème du maillage territorial des soins ? Serait-il envisageable de créer des passerelles entre certaines formations, comme la biologie, et la formation médicale, sous réserve que les étudiants déposent un dossier ou passent un examen complémentaire ?

M. Patrick Queneau. Il existe déjà un certain nombre de passerelles. Il me paraît tout à fait souhaitable de les développer, à condition que les étudiants qui en bénéficient acquièrent cette compétence médicale particulière dont je parlais tout à l’heure.

S’agissant des médecins étrangers, pensez-vous à ceux qui viennent en France à l’entrée en troisième cycle ou à ceux qu’on nomme après leurs études ?

M. Philippe Vigier, rapporteur. À ceux qu’on nomme après.

M. Patrick Queneau. Je crois savoir qu’on nomme dans les hôpitaux à peu près 700 médecins étrangers par an, mais que certains jurys hésitent à retenir les 700 candidats. Je regrette que ce ne soient pas des Français qui occupent ces postes. Vous me direz que s’ils ne les occupent pas, c’est peut-être que personne n’a voulu y aller. En effet, est-il intéressant d’exercer à Châteauroux ou à Montbrison ? Pour moi, le mot-clef est la compétence – qu’il faut vérifier. Bien sûr, je ne suis pas du tout opposé à la contribution de médecins étrangers…

M. le président Alexandre Freschi. Peut-être ai-je mal formulé ma question. Nous avons les compétences en France, mais elles sont rares. Ne pourrait-on pas profiter des compétences des médecins des pays francophones où le niveau de qualification est aussi élevé, sous réserve que ces médecins soient certifiés par l’institution ? Il s’agit de trouver une solution dans l’immédiat pour les dix prochaines années, car même si l’on augmente aujourd’hui le numerus clausus, il faudra entre dix et treize ans pour former des médecins. On ne va pas demander aux gens d’attendre dix ans avant de tomber malades !

M. Yves de Prost. À condition d’attirer ces médecins étrangers. Il n’est pas certain que la médecine française, telle qu’elle est actuellement, attire beaucoup de candidats.

M. Patrick Queneau. Ayant été vice-président de la conférence des doyens des facultés francophones du temps d’André Gouazé, je peux dire qu’on y voit effectivement des médecins extraordinaires. La possibilité que vous évoquez existe donc.

M. le président Alexandre Freschi. Qu’est-ce qui empêche le recrutement de ces médecins, dans ce cas ?

M. Patrick Queneau. Je ne sais pas. J’ai bientôt quatre-vingts ans si bien que mon expérience date un peu. Je sais néanmoins qu’il y a une petite dizaine d’années, les possibilités offertes aux étrangers de venir apprendre une spécialité – ou plus souvent une sur-spécialité – en France sur de bons postes d’accueil étaient beaucoup plus importantes qu’aujourd’hui. Cela ne répond pas directement à votre question mais, pour des raisons que j’ignore, il semble que la mise en adéquation entre les bons apports étrangers et nos besoins ne soit pas facilitée.

M. Yves de Prost. Il y a aussi un blocage majeur d’ordre financier : en France, les salaires des médecins hospitaliers ne sont pas du tout à la hauteur de la moyenne des salaires en Europe. Ainsi, nous n’avons fait venir à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP‑HP) qu’un seul professeur des universités praticien hospitalier (PUPH) de l’étranger en une dizaine d’années – un neuropédiatre belge, excellent d’ailleurs. Quand les médecins étrangers s’aperçoivent qu’en CHU la moitié de leurs émoluments n’est pas prise en charge en cas de maladie, ils fuient. Ne nous faisons pas d’illusions. La médecine française a une excellente réputation pour beaucoup de choses mais pas sur le plan du salaire.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Vous avez tout à fait raison. Un praticien hospitalier de niveau bac plus quatorze gagne 4 000 euros par mois.

M. le président Alexandre Freschi. Je vous remercie, messieurs, de votre participation à cette commission d’enquête.

 

 

 

 

 

 


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Audition du du Docteur Pierre Henry Juan, président de la Fédération SOS Médecins France, et du Docteur Serge Smadja, secrétaire général

Présidence de M. Alexandre Freschi, Président de la commission denquête

M. le président Alexandre Freschi. Mes chers collègues, nous auditionnons ce matin la fédération SOS Médecins, représentée par son président, M. Pierre Henry Juan, et son secrétaire général, M. Serge Smadja.

Nous avons décidé de rendre publiques nos auditions. Elles sont ouvertes à la presse et diffusées en direct sur le site internet de l’Assemblée nationale.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(MM. Pierre Henry Juan et Serge Smadja prêtent successivement serment.)

M. Pierre Henry Juan, président de la fédération de SOS médecins France. SOS Médecins a été créé en 1966 et a donc plus de cinquante ans. Premier réseau libéral d’urgence et de permanence de soins en France, nous prenons en charge plus de 6 millions d’appels qui aboutissent à l’ouverture de 4 millions de dossiers médicaux, ensuite répartis en 2,5 millions de visites, 900 000 consultations et 700 000 conseils téléphoniques. Soixante pour cent des actes sont réalisés en permanence de soins, la nuit, le week-end ou les jours fériés. La fédération et l’ensemble de ses associations couvrent plus de 90 % des grandes agglomérations et plus de 60 % de la population française, métropolitaine et ultramarine : nous avons une antenne à la Martinique.

SOS Médecins est devenu un chaînon incontournable de l’organisation des soins. C’est un service libéral qui assure également beaucoup de missions de service public et permet un accès aux soins pour tous. Certaines associations SOS Médecins ont jusqu’à plus de 40 % de patients bénéficiaires de la couverture maladie universelle (CMU) ou de l’aide au paiement d’une complémentaire santé (ACS). Nous contribuons aussi au maintien à domicile des patients en mettant à disposition un médecin à leur chevet, ce qui évite des coûts d’hospitalisation, et en aidant les personnes âgées qui ont des pathologies chroniques et qui ont du mal à se déplacer. Nous intervenons également dans les maisons de retraite et les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD).

La continuité des soins ayant, depuis une dizaine d’années, augmenté de plus de 30 % entre 8 heures et 20 heures, nous avons été amenés à adapter nos modes de fonctionnement pour répondre aux besoins du système là où notre complémentarité était nécessaire. La permanence de soins ambulatoires représente 60 % de notre activité. C’est une activité bien régulée. Nous avons des standards interconnectés qui permettent d’optimiser la prise en charge des appels. Le service rendu associe conseils téléphoniques, visites à domicile et consultations dans nos points fixes. Enfin, nous effectuons des actes médico-administratifs : beaucoup d’associations assurent la visite des personnes placées en garde à vue, la découverte de cadavres, les constats de décès, les interventions dans les prisons et les hospitalisations sous contrainte – essentiellement psychiatrique. Nous participons aussi à la surveillance sanitaire. Depuis plus de dix ans, nous sommes le plus gros réseau libéral de fournisseurs de données de veille sanitaire à Santé publique France.

Nous offrons un service différent de celui des médecins installés en cabinet mais sommes un chaînon essentiel de la médecine ambulatoire et intervenons en complémentarité avec ces médecins. Nous allons dans le sens de la politique actuelle qui prône un retour à la médecine ambulatoire et un maintien à domicile des patients – maintien dont le médecin, aidé par les assistantes sociales et les infirmières, est la clef de voûte. Notre système est regardé à l’étranger et nous avons régulièrement des demandes en provenance d’autres pays – pas plus tard qu’hier encore. Les médecins de SOS Médecins exercent en secteur 1 et leurs revenus leur reviennent, pour l’essentiel. Nous ne sommes pas une société capitalistique mais une association de médecins libéraux dans un groupement de type société civile de moyens (SCM). Les médecins assument donc les charges de fonctionnement de l’association. SOS Médecins France ne demande pas de tarification privilégiée mais un traitement équitable des cotations, par rapport aux autres professionnels.

Cette audition est pour nous l’occasion de souligner l’échec de l’hospitalocentrisme et la nécessité absolue d’optimiser la complémentarité entre tous les acteurs médicaux. Cet échec s’est en effet traduit par une crise tant du secteur hospitalier que du secteur libéral. Nous voudrions également souligner le grand danger de l’excès de forfaitisation qui conduit à une déresponsabilisation et porte atteinte à un des grands principes de la médecine libérale : le paiement à l’acte. Il faut relancer l’attractivité de la médecine libérale et pour cela, discuter de la réévaluation des rémunérations et de la diminution des charges. Il convient par ailleurs de ne pas détricoter le système de la permanence des soins qui fonctionne bien. En conclusion, nous ne pouvons pas toujours tout faire partout mais nous sommes force de proposition.

M. Serge Smadja, secrétaire général de la fédération de SOS Médecins France. Si le problème de l’accès aux soins dure depuis plusieurs années, on ne peut envisager de le résoudre que si l’ensemble de la profession travaille en toute complémentarité. La médecine libérale vit une crise sans précédent car elle n’est plus attractive. On a beaucoup parlé du numerus clausus mais ce n’est plus tellement la question. Le problème, aujourd’hui, est que les médecins qui sortent des facultés ne sont pas du tout attirés par la médecine libérale. Il faut donc susciter les vocations d’emblée, lors des études médicales, et ne pas faire de l’hôpital la seule référence au cours de la formation de plus en plus longue des médecins. On envoie en effet inconsciemment et involontairement le message aux médecins qu’il y aurait une vraie médecine, la médecine hospitalière, et que la médecine libérale serait un peu secondaire. Il faut que davantage de médecins libéraux enseignent dans les facultés pour bien montrer à la profession que la médecine générale libérale est une discipline comme les autres. Une telle réforme est fondamentale non seulement sur le plan symbolique mais aussi sur le plan pratico-pratique. Il convient aussi de ne pas empêcher les structures de SOS Médecins d’être des terrains de stage pour les médecins car on rencontre souvent des médecins qui ont été bien formés à l’hôpital mais qui, faute d’expérience libérale de ville, ne se sentent pas bien armés pour participer à la permanence des soins et à la prise en charge des soins non programmés. Enfin, les médecins, avant de s’installer, se renseignent souvent pour savoir comment est organisée la prise en charge de la permanence des soins dans leur futur secteur d’exercice. La bonne organisation de cette permanence des soins est en effet pour eux un facteur d’attractivité, notamment dans les grandes villes.

S’agissant de la continuité des soins, si nous connaissons depuis des années des difficultés de prise en charge des soins quand les cabinets médicaux sont fermés, nous en rencontrons désormais même quand les cabinets médicaux sont ouverts, du fait de l’insuffisance de la démographie médicale. Comme les médecins traitants de cabinet sont débordés, ils peuvent difficilement s’organiser pour sortir ou prendre en charge dans leur cabinet des soins urgents en dehors de leurs rendez-vous. Si on veut trouver des solutions de prise en charge des soins dans la journée, il faut veiller à ne pas désorganiser la permanence de soins qui ne fonctionne pas partout parfaitement mais pour laquelle on a trouvé des solutions dans bien des endroits. Il ne faudrait pas détricoter un système qui se consolide à peine.

Le paiement à l’acte étant l’âme de la médecine libérale et un de ses principes fondamentaux, il doit être maintenu et nous vous mettons en garde contre l’excès de forfaitisation. Pour la prise en charge des soins non programmés, il conviendrait peut-être de mettre en place une lettre-clef type, comme cela a déjà été proposé par le passé dans divers rapports, notamment celui de Jean-Yves Grall de juillet 2015 et, plus récemment, dans le rapport d’information sénatorial sur la situation des urgences hospitalières de juillet 2017. Ce dernier a proposé qu’on étende les horaires de la permanence de soins au samedi matin. C’est une petite mesure mais c’est grâce à un ensemble de petites choses qu’on fera évoluer le système. Déjà qu’on a donné des horaires arbitraires à la permanence de soins mais il est un peu surprenant de considérer le samedi matin comme n’étant pas une période de week-end. Enfin, si le 3624 est le numéro national de la permanence de soins, à côté du 15, il ne faut pas trop multiplier les numéros. Il faut que les numéros qui sont bien connus de la population soient maintenus, ce que prévoit d’ailleurs l’article 75 de la loi de modernisation de notre système de santé.

La complémentarité des acteurs étant très importante, SOS Médecins doit pouvoir accéder au dossier médical partagé. Notre spécificité étant l’urgence et les soins non programmés, il faudrait que nous puissions, comme les SAMU (services d'aide médicale urgente) centres 15, avoir accès au dossier du patient en cas d’urgence. Tous les éléments qui peuvent concourir à une meilleure complémentarité et à un meilleur travail en réseau avec l’ensemble des acteurs hospitaliers, avec le SAMU et les médecins installés sont de nature à améliorer la prise en charge des patients, notamment notre diagnostic au chevet de ces derniers. Il faut tout faire pour éviter l’engorgement des urgences hospitalières, donc améliorer l’amont en faisant en sorte que les médecins qui voient les gens chez eux, à leur chevet, aient le meilleur équipement et puissent faire le meilleur tri possible entre un patient qu’on peut laisser à domicile et un patient qui doit être hospitalisé. Beaucoup de structures SOS commencent à faire de l’échoscopie en urgence, à s’équiper et à se former dans ce but, mais cet acte est fait gracieusement puisqu’il n’y a pas de cotation pour le médecin libéral au chevet du patient.

Le maintien à domicile et le virage ambulatoire sont des sujets fondamentaux. Si on veut maintenir les gens à domicile et éviter le recours aux urgences, il faut inciter les médecins à se déplacer et à aller voir les patients. Or, la tarification conventionnelle du déplacement à domicile est quasiment indécente et n’est pas du tout incitative. Je ne parlerai pas ici des difficultés de circulation et de stationnement, que ce soit dans les grandes villes ou en milieu rural.

Du fait de notre expertise, SOS Médecins prend complètement en charge le patient dès qu’il appelle. Nous avons nos propres centres d’appel, nos propres assistants de régulation médicale (ARM) et nos propres standardistes. Nous avons un médecin régulateur pour hiérarchiser les urgences, apporter la meilleure réponse possible et donner des conseils médicaux. Nous pourrions donc être une structure qui fédère, rassemble et travaille avec d’autres intervenants extérieurs à SOS Médecins, tels que des médecins installés qui pourraient venir dans nos structures pour participer à un grand tour de garde local.

Nous évoquerons d’autres points lors de notre échange, notamment la question des infirmières de pratiques avancées et la télémédecine.

M. Philippe Vigier, rapporteur. J’ai bien noté que vous étiez prêts à accueillir de jeunes internes en stage. Êtes-vous favorable à la création d’une plateforme unique, réunissant le 15, SOS Médecins et la télémédecine dans chaque département ? Êtes-vous prêt à lancer des expérimentations de création d’unités de SOS Médecins dans certains départements ? Quel financement public souhaiteriez-vous obtenir pour les créer ? Pour renforcer l’attractivité de la médecine libérale, vous proposez une tarification particulière pour les soins non programmés et une nouvelle tarification pour les déplacements dans le cadre des visites à domicile : pourriez-vous nous en dire davantage ?

M. Pierre Henry Juan. En ce qui concerne la tarification, en journée de semaine, la consultation est à 25 euros contre 35 euros pour une visite à domicile – 51,50 euros contre 55 euros le dimanche. Il n’y a donc qu’entre 3,50 et 10 euros d’écart entre une consultation et une visite à domicile. Une tarification dédiée à la visite semble d’actualité car la dernière réévaluation doit dater d’il y a plus de onze ans. Nous proposons également la création d’un acte dédié aux soins non programmés – nous avons aussi été auditionnés par M. Thomas Mesnier dans le cadre de la mission qui lui a été confiée à ce propos. Je crois donc qu’une double réflexion sera menée sur ce point.

En ce qui concerne les plateformes d’interconnexion, les standards de SOS Médecins sont complets : nous avons la capacité de réguler les demandes, de faire venir un médecin sur nos points fixes et d’envoyer un médecin effecteur chez un patient. Ce n’est pas toujours le cas des SAMU centres 15. Mutualiser les plateformes n’est pas parmi nos idées et ne serait pas forcément faisable sur le plan logistique.

M. Serge Smadja. On parle de relancer l’attractivité du milieu libéral. Autant la complémentarité avec le service public est absolument fondamentale et est notre réalité, tous les SAMU centres 15 étant interconnectés avec les plateformes de SOS Médecins, autant fondre nos plateformes au sein d’une structure unique n’enverrait pas un bon message au monde libéral. Il faut éviter de substituer le libéral au public.

M. Philippe Vigier, rapporteur. J’entends bien mais la médecine libérale et la médecine publique ne peuvent pas courir dans deux couloirs distincts. Cela a totalement échoué puisqu’on manque de médecins en ville et que les urgences hospitalières sont encombrées. Nous allons donc notamment demander que les généralistes aillent dans les maisons de garde des hôpitaux plutôt que de leur faire faire des gardes chez eux, isolés. Les médecins nous disent tous qu’ils veulent travailler en équipe. D’où l’idée d’une plateforme de régulation réunissant des urgentistes, des gens de SOS Médecins et la télémédecine, pour éviter que les patients reçoivent trois avis différents. Nous voulons pour cela mobiliser des moyens informatiques et numériques et assurer une complémentarité entre urgentistes et généralistes – fussent-ils de SOS Médecins. Il faut que nous proposions des mesures d’urgence car aucune de celles qui ont été prises depuis quelques années n’a endigué la fuite qui s’aggrave.

M. Pierre Henry Juan. Quant à ouvrir de nouvelles associations, nous en avons déjà discuté. Dans un bassin de population, il faut un certain volume de patients pour qu’une association existe de façon autonome, et il faut qu’un certain nombre de médecins soient prêts à créer cette association. Nous pourrions venir en appui logistique de trois ou quatre médecins dans une zone située à proximité d’une ville moyenne où il y a une association SOS Médecins : cette association pourrait gérer leurs appels de garde et, éventuellement, fournir un ou deux médecins pour assurer quelques jours de garde lorsqu’ils ne sont pas libres. Nous pourrions aussi faire tourner ces médecins dans nos associations pour qu’ils gardent une attractivité dans le cadre des visites à domicile et de la présence auprès des populations. En somme, nous pourrions fournir une aide logistique et technique aux médecins qui auraient peur de se retrouver tout seuls en s’installant dans certaines communes. En revanche, créer par principe des associations – sans respecter nos cahiers des charges ni nos règlements – alors que ce n’est pas faisable serait une erreur. Il est illusoire de penser qu’on peut monter une association dans des endroits reculés. En revanche, on peut apporter un soutien logistique, via deux associations SOS Médecins situées aux deux bouts d’un département. Cela rassurerait les médecins qui hésitent à s’installer dans ces endroits.

M. Jean-Pierre Cubertafon. Comment devient-on médecin chez SOS Médecins ?

M. Pierre Henry Juan. Très souvent, on vient pour voir car on a envie d’avoir un complément d’expérience professionnelle avant de savoir ce qu’on va faire dans sa carrière et la plupart du temps, on reste chez SOS Médecins car c’est une médecine changeante. Il faut évidemment avoir pratiqué dans des services d’urgence ou dans des SAMU. Certains de nos médecins y travaillent d’ailleurs encore. Les médecins qui viennent chez nous ont souvent la volonté d’aller découvrir une activité qui leur semble un peu atypique et très variée, allant de la médecine classique à la médecine médico-administrative en passant par la médecine d’urgence.

Mme Mireille Robert. Avez-vous une formation spécifique, d’urgentiste notamment ? Renvoyez-vous certains patients vers le 15 quand vous les avez au téléphone si vous sentez qu’ils ne relèvent pas de vos services ?

M. Serge Smadja. C’est exactement comme cela que nous fonctionnons. Nous sommes des spécialistes de médecine générale mais sommes tous formés aux urgences, comme l’a dit Pierre Henry Juan, soit que nous soyons passés par des services d’urgences ou par le SAMU, soit que nous continuions à y travailler. Évidemment, nous travaillons en complémentarité avec les SAMU centres 15. C’est pourquoi je pense qu’un système de complémentarité est la bonne voie. Quand nous estimons qu’un appel relève de la détresse vitale, il est transféré au SAMU. De la même manière, lorsque le SAMU reçoit un appel qui ne concerne pas une situation de détresse vitale mais qui nécessite l’intervention rapide d’un médecin, notamment en cas de douleur très aiguë ou atypique, il fait appel à nous.

Mme Mireille Robert. Vous êtes très présents en milieu urbain mais venant pour ma part d’un département rural, je me demandais si vous étiez en permanence médecins pour SOS Médecins ou si vous ne pourriez pas ne relever de SOS Médecins que pour assurer la permanence des soins.

M. Pierre Henry Juan. Tout le monde nous pose ce type de question car la pertinence de notre structure est évidente pour tous les partenaires sociaux et tous les acteurs politiques et administratifs. Cependant, nous sommes attachés au fait d’exercer notre activité 24 heures sur 24 chez SOS Médecins. Créer des structures dégradées nous semble dangereux. Non seulement nous pourrions y perdre notre âme mais on risque aussi de déshabiller Pierre pour habiller Paul. Le fait que SOS Médecins fonctionne 24 heures sur 24 implique des contraintes, notamment de travailler la nuit et le week-end. Si vous créez des structures de type SOS Médecins qui ne font pas ce type d’activités, l’attractivité de nos associations actuelles ne risque-t-elle pas d’être remise en cause du fait des contraintes horaires qu’elles impliquent ? Une solution alternative a été offerte par des associations qui proposent, en Lorraine notamment, des points fixes de consultation en périphérie des zones d’activité voire en grande périphérie ou dans des secteurs non pourvus. C’est un moyen d’éviter le déplacement de personnes en offrant un accès aux soins dans une zone déficitaire en offre de soins ou qualifiée de désert médical. En revanche, nous ne sommes pas favorables à un SOS Médecins à demi-volume.

M. le président Alexandre Freschi. À Sens, dans l’Yonne, SOS Médecins a adopté le statut de structure collective traitante par dérogation. Cette dérogation autorise les médecins intervenant dans le cadre de cette association à prendre en charge les personnes âgées n’ayant pas de médecin traitant. Quel bilan tirez-vous de cette initiative ? Le dispositif pourrait-il être diffusé ?

M. Pierre Henry Juan. C’est un dossier que je connais bien, ayant signé ce partenariat avec le directeur du centre communal d’action sociale (CCAS) en présence de la direction de l’Union nationale des caisses de sécurité sociale (UNCASS). Ce partenariat a permis la prise en charge d’une centaine de patients n’ayant plus de médecin traitant mais il illustre l’impasse dans laquelle nous sommes. Ces patients n’ayant plus de médecin traitant, il faut que les médecins de SOS Médecins renouvellent des traitements d’affection de longue durée sans être médecins traitants, ce qu’ils ont le droit de faire, mais ils ne peuvent pas, en revanche, renouveler les demandes de traitement d’affection de longue durée. Le député, le directeur du CCAS, le maire et l’Agence régionale de santé (ARS) sont intervenus mais la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) refuse d’accorder cette faculté aux médecins de SOS Médecins. Or, le médecin traitant de certains patients est décédé. La CPAM continue de prendre en charge à 100 % les traitements prescrits par nos médecins, même lorsque le dossier de renouvellement de ces traitements n’est pas fait. Bref, nous avons optimisé la prise en charge de ces patients qui ont plus de quatre-vingts ans et huit pathologies en moyenne et dont il faut s’occuper pendant une heure et quart. SOS Médecins Sens apportant ses compétences, il demande une chose : c’est que la structure soit considérée comme structure traitante, sachant que le CCAS exerce un filtre entre les patients. Nous avons repris cette demande parmi les propositions que nous vous avons transmises.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Il faut aussi que vous ayez accès au dossier médical personnel (DMP). Quant à la notion de médecin traitant, elle a été inventée à un moment donné pour faire de ce médecin le pivot de l’entrée dans le parcours de soins coordonné mais on s’aperçoit qu’elle crée des obstacles.

M. le président Alexandre Freschi. Nous avons bien compris que SOS Médecins n’allait pas s’installer dans les déserts médicaux. Malgré tout, serait-il possible de créer dans les zones rurales un dispositif comparable à celui de Sens ?

M. Pierre Henry Juan. Il y a deux possibilités. D’une part, le médecin peut se déplacer physiquement. Dans ce cas, le CCAS local sélectionne des personnes âgées et le médecin va leur rendre visite et peut même se rendre hors des zones couvertes par les gardes. D’autre part, on peut installer un point fixe délocalisé qui soit optimisé – c’est-à-dire équipé d’un échoscope, d’un électrocardiogramme et de tout le matériel nécessaire. Ce point fixe permettrait déjà d’assurer beaucoup d’actes médicaux, à tout le moins pour les patients qui peuvent se déplacer.

M. Philippe Vigier, rapporteur. On pourrait installer ces points fixes dans les EHPAD.

Pour reprendre ma question de tout à l’heure, seriez-vous prêts à mener des expérimentations pour créer des antennes de SOS Médecins, non seulement à la campagne mais dans certaines villes désertées ? Le mode particulier d’exercice de la médecine qui caractérise SOS Médecins peut en effet séduire les jeunes générations. Cette solution me paraîtrait préférable au recours à des remplaçants toujours plus nombreux – puisqu’ils sont 46 000 en France. Ces derniers forment un vivier considérable qui pourrait éventuellement vous rejoindre. Si ces médecins remplaçants ne viennent pas chez vous, est-ce dû à vos contraintes horaires ou à des problèmes de rémunération ?

M. Pierre Henry Juan. On assiste non seulement à une évolution de la démographie des patients, avec une population qui vieillit, mais aussi de nombreux jeunes enfants, mais également à une évolution sociétale et à une évolution de la démographie médicale. Les jeunes médecins ne travaillent plus comme il y a quarante-cinq ans et s’y reprennent à deux fois avant de venir chez nous. Cependant, nous continuons à être attractifs.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Vous m’accorderez que les mêmes jeunes médecins qui terminent leur internat n’hésiteront pas à parcourir 200 kilomètres s’ils sont payés 1 200 euros. Les médecins qui vous disent qu’ils veulent travailler trente-cinq heures, avoir leur mercredi libre et être libres en semaine après dix-sept heures peuvent aussi avoir des besoins financiers ou souhaiter travailler dix jours par mois pour avoir quinze jours de libres. C’est pourquoi je crois en la création d’une plateforme, avec le soutien financier de la puissance publique.

Quant aux CPAM, elles ne sont pas là pour édicter les règles mais pour les appliquer. Si le paritarisme ne sert pas la noble cause pour laquelle il a été créé, il faut le réformer.

M. Jean-Pierre Cubertafon. Êtes-vous rappelés par des patients souhaitant revoir le même médecin ?

M. Serge Smadja. Qu’on veuille nous revoir nous honore mais en principe, les gens qui s’adressent à SOS Médecins font appel à une structure. Comme notre cahier des charges prévoit que nous puissions répondre aux patients 24 heures sur 24 dans des délais raisonnables, nous ne pouvons que très rarement répondre aux demandes des patients qui souhaitent voir le docteur untel. Cela peut néanmoins arriver fortuitement.

Pour en revenir à la question de la mise à disposition de la plateforme de SOS Médecins, si la création de structures SOS Médecins en milieu rural où la densité de population est plus faible et où les distances sont importantes ne correspond pas à notre modèle, peut-être notre plateforme pourrait-elle servir de centre d’appel pour recueillir et réguler les demandes et envoyer aux patients des effecteurs qui ne soient pas nécessairement membres de SOS Médecins.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Seriez-vous prêts à mener des expérimentations ?

M. Pierre Henry Juan. Si elles visent à une communauté de moyens entre du paramédical, de la logistique technique et de l’expertise médicale, nous y sommes tout à fait prêts, oui.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Nous ferions un appel à projet auprès de jeunes ou de remplaçants pour lancer de nouvelles unités de SOS Médecins dans cinq à dix endroits en France.

M. Serge Smadja. On peut toujours essayer à titre expérimental et dans le cadre que nous venons de décrire.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Pourrions-nous disposer du modèle économique et financier de vos antennes SOS Médecins pour identifier les besoins de soutien financier qu’impliqueraient ces expérimentations ?

M. Serge Smadja. Notre modèle économique est celui d’un cabinet de groupe : des médecins libéraux se regroupent et partagent les frais de fonctionnement de leur structure. Si nous ne nous sommes pas étendus aux endroits où la densité de population est plus faible ou bien où les distances à parcourir sont plus longues, c’est parce que cela ne correspond pas à notre modèle. Cependant, nous pourrions à titre expérimental mettre à disposition notre plateforme en échange d’incitations financières.

M. Philippe Vigier, rapporteur. On donne 50 000 euros aux médecins pour qu’ils aillent s’installer seuls dans une zone désertifiée, en ville ou à la campagne. Les ARS donnent aux maisons de santé pluridisciplinaires jusqu’à 50 000 euros également. Les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) qui sont en train de se créer reçoivent quant à elles des financements versés soit par l’assurance maladie soit par les régions. Si je vous interroge sur votre modèle économique, c’est que nous souhaitons proposer dans notre rapport des expérimentations pour attirer des jeunes et des remplaçants dans certaines zones.

M. Pierre Henry Juan. Peut-être percevez-vous chez nous une forme de retenue car notre philosophie a toujours été de nous autofinancer et de ne dépendre de personne. Les seules gratifications financières que nous touchons sont celles qui sont légalement obligatoires : astreintes de garde perçues par les médecins de permanence et défiscalisation en zone déficitaire. Nous n’avons jamais voulu constituer de structures telles que les unités de proximité d’accueil, de traitement et d’orientation des urgences (UPATOU) qui bénéficient d’aides financières des ARS. En revanche, nous pourrions très bien mener des expérimentations pour mutualiser des moyens et, éventuellement créer, un réseau non seulement avec des remplaçants mais aussi avec des infirmiers, des aides-soignants, des aides à domicile et des pharmaciens. Nous pourrions d’ailleurs être intégrés aux CPTS.

M. le président Alexandre Freschi. Merci beaucoup, messieurs.

 

 

 

 


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Table ronde des syndicats de jeunes médecins 

Présidence de M. Alexandre Freschi, Président de la commission denquête

La commission d’enquête procède à l’audition commune des syndicats de jeunes médecins : l’Association nationale des étudiants en médecine de France (ANEMF), représentée par M. Samuel Valéro, vice-président, en charge des perspectives professionnelles, l’Intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale (ISNAR-IMG), représentée par M. Maxence Pithon, président, et M. Pierre Guillet, vice-président, l’Intersyndicat national des internes (ISNI), représentée par M. Jean-Baptiste Bonnet, président, le Syndicat national des jeunes généralistes, représentée par M. Benoît Blaise, et le Regroupement autonome des généralistes installés et remplaçants (ReAGJIR), représenté par Mme Vanessa Forané, vice-présidente.

M. le président Alexandre Freschi. Nous recevons cet après-midi les représentants des syndicats des jeunes médecins, à qui je souhaite la bienvenue et que je remercie de s’être rendus disponibles pour venir témoigner devant cette commission d’enquête qui porte sur un sujet d’avenir ; or, madame et messieurs, vous représentez l’avenir.

Je précise que cette audition est ouverte à la presse et diffusée en direct sur un canal de télévision interne, puis consultable  sur le site internet de l’Assemblée nationale.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, les personnes entendues déposent sous serment. Je vous demande donc de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Les personnes auditionnées prêtent successivement serment.)

M. Samuel Valero, vice-président de l’Association nationale des étudiants en médecine de France (ANEMF). Je vous remercie de donner la possibilité aux jeunes médecins de s’exprimer sur ces problématiques, importantes pour l’ensemble de nos concitoyens, et qui rejoignent les débats qui ont cours au sein des syndicats des étudiants.

La problématique de l’accès aux soins est primordiale. S’agissant du ressenti de la population, celui-ci s’aggrave de jour en jour, même si les chiffres de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES)  ou de l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES), dont vous avez reçu les représentants, ne le reflètent pas. Des solutions doivent donc être trouvées pour pallier à la fois ce ressenti négatif et les situations existantes dans certains territoires.

Une grande partie des problèmes concerne l’installation des médecins et, de fait, l’accès aux soins dans l’ensemble du territoire. Cette question peut être résolue, dans un premier temps, par une modification en profondeur de la formation initiale, très hospitalo-centrée, très hospitalo-universitaire, et manquant d’ouverture sur les autres formes d’exercice de la médecine.

La sélection en première année est très scientifique, insuffisamment orientée vers les sciences fondamentales, le numérique et les autres matières indispensables à une bonne pratique de la médecine ; il convient donc de réformer cette première année en profondeur. S’ajoute à cela, toujours en première année, un problème démographique lié aux études communes de santé. Diversifier le profil des médecins permettrait, selon nous, une installation des praticiens dans des territoires plus diversifiés.

Cet hospitalo-centrisme régit toutes les étapes de nos études, qui se déroulent uniquement en centre hospitalier universitaire (CHU). Certains étudiants peuvent, en effet, réaliser la totalité de leur cursus – de neuf à douze années – sans jamais connaître l’exercice libéral, malgré l’obligation légale, depuis 2009, d’y effectuer des stages de médecine générale – une obligation non suivie par l’ensemble des unités de formation et de recherche (UFR).

Le taux de passage en médecine générale est stagnant depuis quelques années. La pénurie de maîtres de stage des universités (MSU) en médecine générale empêche les étudiants de découvrir la médecine générale, de sorte que des fantasmes s’installent à propos de cette spécialité : elle serait compliquée et comporterait un poids administratif trop lourd. Autant d’a priori qu’on ne prend jamais la peine de déconstruire durant nos études.

En outre, nos enseignants nous expliquent, tout au long desdites études, que la seule expérience qui vaille est hospitalo-universitaire et que la médecine générale n’est pas vraiment une spécialité. Tout récemment, quand un membre de mon bureau, qui doit passer ses épreuves classantes nationales (ECN) d’ici à un mois et demi, et donc choisir son poste d’interne, a dit à l’un de ses chefs, pendant une garde, qu’il souhaitait s’orienter vers la médecine générale, ce dernier lui a répondu qu’il avait encore le temps de choisir et qu’il ne s’agissait pas d’une vraie spécialité – une opinion encore bien trop répandue.

Nous formulerons plusieurs propositions sur ce sujet. Il serait tout d’abord nécessaire de mettre en place des stages ambulatoires – en médecine générale comme dans les autres spécialités. Les textes le permettent, mais actuellement, aucun stage de médecine générale ne se fait en médecine libérale – excepté à Bordeaux, me semble-t-il. Ils ne sont effectués qu’en CHU. En outre, très peu de stages sont proposés dans les centres hospitaliers (CH) périphériques, pourtant très formateurs. Des études démontrent pourtant qu’on y trouve un meilleur encadrement et un taux plus élevé de médecins par étudiant.

Toutes ces lacunes empêchent les étudiants de découvrir les territoires. Ils restent dans les villes hébergeant une UFR. Et quand ils se déplacent pour effectuer leur stage, ils sont mal accueillis : manque de logements, pas d’indemnités de déplacement pour des stages pourtant obligatoires. Cela fait qu’ils n’ont pas envie d’y retourner. Nous disposons de nombreux témoignages d’internes qui, dans certains CH périphériques, sont livrés à eux‑mêmes pour assurer des missions de soins, alors qu’ils sont toujours étudiants.

Ensuite, une question récurrente se pose durant nos études : comment construire un projet professionnel puisque, jusqu’aux ECN, à la fin de la sixième année, les étudiants ne savent pas où ils iront faire leur internat ? Il nous est en effet impossible, avant les résultats, de nous projeter. Une réforme en profondeur des études du deuxième cycle est donc nécessaire, telle qu’elle est proposée par le rapport de la mission confiée à Quentin Hennion-Imbault, vice-président de l’ANEMF, et au doyen Jean-Luc Dubois-Randé.

S’il était donné suite à ce rapport, ce serait un premier pas vers une possibilité, non seulement pour les étudiants de construire un projet professionnel, mais d’ouvrir les études à la médecine générale et, de fait, d’assurer une meilleure répartition des étudiants  sur le territoire.

M. Maxence Pithon, président de l’Intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale (ISNAR-IMG). Un certain nombre de mesures ont déjà été mises en place depuis quelques années, et il nous semble nécessaire aujourd’hui d’évaluer leurs effets à court et long terme, afin de prioriser celles qui fonctionnent et, éventuellement, réaménager celles sur lesquelles nous sommes plus réservés.

Par exemple, le contrat d’engagement de service public (CESP) existe depuis 2011 ou 2012 et arrive à maturité ; il serait temps de mener une étude sur ce dispositif pour en identifier les limites et l’améliorer.

D’autres mesures sont trop récentes pour être évaluées. Je pense aux aides contenues dans la convention de 2016, et notamment celles qui dépendent des zonages des agences régionales de santé (ARS). Ces aides qui n’ont pas encore été mises en place retardent certains projets d’installation.

Les grands axes que nous souhaitons aborder aujourd’hui concernent la découverte des territoires pendant la formation initiale et l’amélioration de leur attractivité. Cela passe par différentes mesures.

D’abord, développer les stages extra-hospitaliers. La réforme du troisième cycle a été mise en place en novembre 2017. Depuis, nous notons déjà une augmentation de 500 maîtres de stage des universités. Cette dynamique doit être poursuivie sans affecter la qualité de notre formation.

Le jeune médecin s’installerait dans l’un des lieux qu’il connaît ou qu’il a découverts pendant ses stages ambulatoires, notamment dans des bassins de vie où l’offre de soins est faible. C’est l’occasion de casser les préjugés des étudiants sur ces zones, de leur faire découvrir une patientèle, un mode d’exercice, une pratique, et de les aider à se projeter dans un avenir professionnel dans un territoire donné. Par ce biais, l’interne apprendrait son futur métier, les spécificités de la médecine générale et le travail en équipe de soins primaires.

Pour développer ces stages en ambulatoire, il convient d’optimiser les conditions d’accueil. Les internes sont de jeunes adultes qui doivent, tous les six mois, changer de lieu de stage, donc de lieu de vie. Pour ce faire, il est primordial que les territoires soient attractifs et que leur accès soit facilité. Cela passe par des aides logistiques, notamment pour trouver un logement. L’internat rural, lieu de vie partagé par des étudiants en santé dans un même territoire, est un format qui fonctionne bien. Il permet de  rompre l’isolement social, de commencer à développer un réseau professionnel et de s’ancrer dans un territoire.

C’est un dispositif pour lequel les collectivités locales ont un rôle majeur à jouer. Elles pourraient, par exemple, proposer à l’étudiant des actions lui permettant de s’impliquer dans la vie locale – événements, temps d’accueil, etc.

L’accompagnement des internes et des jeunes diplômés est essentiel. L’exercice libéral ne les attire pas spontanément, n’y étant pas confrontés pendant leurs études, et les démarches administratives s’y rattachant leur paraissent souvent complexes, tandis que le salariat peut leur assurer un revenu régulier et un cadre rassurant, sans démarches particulières à effectuer.

En effet, à aucun moment de nos études, nous ne sommes formés à la gestion d’un cabinet. Et si des cours sur ce sujet sont prévus, ils ne représentent que quelques heures sur les trois ans d’internat de médecine générale. Les associations locales d’internes et les syndicats locaux organisent des événements pour tenter de pallier ce manque de formation. Mais nous pouvons espérer un meilleur investissement de nos universités sur cette question.

L’accompagnement de l’étudiant dans son projet professionnel, à la fin de son cursus, est également nécessaire. Si le département de l’Aveyron est souvent cité en exemple, c’est parce qu’il a mis en place un référent départemental ayant pour mission de suivre les internes en fin de cursus et de les accompagner dans leur projet professionnel en les aidant dans leurs démarches – notamment pour trouver un lieu d’habitation. Il y a moins de dix ans, l’Aveyron était l’un des départements les moins bien dotés en généralistes ; aujourd’hui, le nombre d’inscriptions à l’Ordre des médecins est supérieur au nombre de départs à la retraite. Sous réserve du nouveau zonage, qui devrait rester à peu près stable dans ce département, il ne reste qu’un seul lieu d’exercice éligible au CESP – les autres zones étant considérées comme pourvues.

Il convient, par ailleurs, de favoriser le regroupement des professionnels – le travail en inter-professionnalité – et de développer les nouveaux modes d’exercice. Le développement des maisons de santé pluri professionnelles (MSP) répond à une volonté des jeunes médecins, qui sont prêts à s’installer en zone dite sous-dense, de ne pas exercer seuls.

Cette tendance a été objectivée dans une enquête que nous avons menée à l’ISNAR-IMG, en 2011, et que nous sommes en train de mettre à jour. Mais cette volonté de regroupement doit être portée par les professionnels autour d’un projet de santé qui doit ensuite être soutenu par les collectivités locales.

La MSP n’est pas le seul mode de regroupement possible et il serait intéressant de communiquer sur toutes les possibilités existantes, afin que chaque professionnel puisse facilement trouver la formule qui lui correspond le mieux.

Pour cela, une approche globale est nécessaire. Nous ne devons pas agir uniquement sur un seul levier. C’est vraiment en agissant sur tous les leviers existants, dès le début de notre formation, et jusqu’à notre installation, que nous arriverons à améliorer qualitativement le maillage de l’offre de soins.

M. Jean-Baptiste Bonnet, président de l’Intersyndicale nationale des internes (ISNI). Je vous remercie de nous accueillir pour débattre de ce sujet central, sur lequel nous n’avons pas assez de contacts avec la représentation nationale. Je vous remercie également de nous entendre ensemble, car, comme vous pourrez le constater, il existe un socle commun de pensée entre les différentes organisations présentes, quelles que soient leurs divergences par ailleurs.

La démographie médicale est un sujet important pour nous, comme pour le ministère de la santé. L’année dernière, ce dernier a arrêté de nouveaux critères visant à définir les zones d’attractivité prioritaires, avec un nouveau zonage proposé aux ARS ; ces propositions ont été actées le 13 novembre 2017.

La nouvelle carte de l’Ile-de-France est assez parlante : le jaune  représente la  zone d’action complémentaire, le rouge, la « catastrophe » c’est-à-dire la zone d’intervention prioritaire, et la zone blanche, la situation normale qui devrait exister partout. Je ne suis pas originaire d’Ile-de-France, mais je sais qu’à Fontainebleau, à Rambouillet, il y a des forêts. Ce qui veut dire que, en dehors des forêts et des arrondissements centraux de Paris, il n’y a que des zones problématiques.

Il s’agit là d’un élément central de notre réflexion, qui est à corréler au numerus clausus des années 1970 à 2002. Il n’y a pas nécessairement une mauvaise répartition des médecins dans le territoire : il existe bel et bien un déficit global en médecins. La preuve en est qu’une mesure coercitive en matière d’installation et de pratique de la médecine a été mise en place : je veux parler de l’internat.

Avec la réforme du troisième cycle, les centres hospitaliers publics se sont rendu compte qu’ils perdaient une énorme « force de frappe » et qu’ils n’avaient pas particulièrement anticipé ce déficit. Nous sommes donc vraiment face à un déficit global et, finalement, habiller Pierre voudra certainement dire déshabiller Paul.

L’ISNI réalise, depuis plusieurs années, un travail sur ce sujet. Nous avons produit deux documents cette année. Le premier, relatif à la carrière hospitalo-universitaire, évoque, sans toutefois le traiter, le problème de la territorialité. Le second est un livre blanc que nous ne manquerons pas de vous transmettre.

Au-delà de ces publications, nous avons dégagé quelques lignes de force. La première concerne le numerus clausus. Nous n’avons pas d’opinion sur le sujet, nous disons simplement que, s’il est augmenté, les capacités d’accueil des universités devront l’être également – les locaux, mais aussi les lieux de stage. S’il est supprimé, il faudra à tout prix en anticiper les répercussions d’ici à dix ans, puisque nous payons aujourd’hui les politiques publiques des années 1980. Nous devons absolument éviter que, en 2030, les médecins paient les politiques publiques de 2018.

La collectivité doit aujourd’hui avoir une vision beaucoup plus en réseau, plus globale pour répondre à une nouvelle donne : le déficit de médecins pour les vingt prochaines années.

Alors, comment assurer l’accès aux soins à tous et de qualité ?

Notre première proposition, que nous partageons avec de nombreuses institutions, est de créer un « CHU hors les murs », ou plutôt une UFR de médecine régionale. La faculté de médecine doit récupérer ses fonctions d’enseignement et de recherche et les partager dans tout le territoire. Cela nécessiterait non seulement des MSU de médecine générale et dans les autres spécialités médicales pour le libéral, mais aussi de confier des fonctions de recherche et d’enseignement aux praticiens libéraux et aux médecins des CH périphériques – notamment pour venir parler de l’attractivité de leur métier.

Il convient, en effet, de casser le format hospitalo-centré, qui attire et bloque les talents comme une sorte d’aspirateur, et qui empêche les internes d’envisager une carrière autre qu’hospitalo-universitaire. La réflexion du vice-président de l’ANEMF est pour moi symptomatique de la réflexion générale.

Notre deuxième proposition vise à redéfinir la distribution de l’argent de l’enseignement de la médecine en fonction des besoins du territoire. Pour cela, il conviendra peut-être de  redonner les pleins pouvoirs à l’université pour qu’elle puisse, avec la représentation nationale, déterminer les objectifs de formation – et non pas les réserver aux CHU, comme c’est le cas actuellement, à 90 %.

Une autre de nos propositions, et nous sommes là d’accord avec l’ANEMF et l’ISNAR-IMG, concerne la formation des jeunes médecins à l’ensemble des métiers de la médecine, et ce dès le deuxième cycle. À la médecine générale, bien entendu, puisque c’est le fondement même de leur métier, mais également aux autres spécialités – la représentation nationale devant déterminer des objectifs.

Il n’est pas normal que, dans les internats de dermatologie, de gastroentérologie ou d’endocrinologie, nous n’ayons pas accès au libéral. Actuellement, cela se fait de façon extrêmement ponctuelle dans les différentes facultés de France. Peut-être faut-il fixer des objectifs d’évaluation, d’intéressement ou d’obligation. En tout cas, nous y sommes prêts, nous n’attendons que des validations universitaires. Et si cela ne peut se faire en libéral, pourquoi ne pas ouvrir au privé ?

Enfin, au-delà de la formation, nous avons réfléchi à la pratique de la médecine, à des filières de soins... Y a-t-il besoin, dans certaines zones, d’un endocrinologue diabétologue cinq jours sur sept ? Peut-être pas. En revanche, un jour sur cinq, pourquoi pas ? Ma femme est chef de clinique de néphrologie et réalise des transplantations rénales. Y aura-t-il besoin d’un transplanteur rénal à Millau cinq jours sur sept ? Peut-être pas non plus. En revanche, un jour cinq pour recevoir en consultation des patients greffés, certainement.

L’idée est également de créer un lien entre les médecins généralistes, les néphrologues locaux et le CHU, marqueur de l’innovation et de la performance de cette filière, pour partager leurs connaissances. Fonder des équipes territoriales, inciter les gens à travailler ensemble et à partager leurs connaissances, et fixer des objectifs territoriaux sur une région donnée est aujourd’hui indispensable.

De même, comment faire en sorte que l’ensemble des professionnels paramédicaux puisse être en lien avec les médecins ? Et comment aider les médecins à connaître rapidement les interlocuteurs dont ils ont besoin dans un territoire ? Car si la question du médecin généraliste dans un bassin de population se pose, se pose aussi celle de la sortie de l’hospitalisation – par exemple celle d’une personne âgée qui est en capacité de rester chez elle, mais qui doit être suivie par un certain nombre de professionnels : infirmier, kinésithérapeute, ergothérapeute, etc. Pour cela, il faut un coordinateur de soins hospitalier, mais aussi territorial, avec du temps dédié. Les missions de coordination, assurées par les médecins et autres soignants, devront être encadrées dans le temps et rémunérées correctement.

Par ailleurs, il convient de se doter des outils du XXIe siècle. Notre génération ne comprend pas le retard qui a été pris concernant le dossier médical personnalisé (DMP). Nous sommes nés avec. J’utilise ma carte bancaire tous les jours, partout en France et même ailleurs ; ce qui a été fait pour la banque peut être fait pour la médecine.

Enfin, le sujet de l’interopérabilité, ce que nous appelons les systèmes d’information hospitaliers, à savoir les logiciels hospitaliers, est primordial. Comment faire, quand on reçoit à Montpellier un patient de Millau, pour recevoir l’information médicale ? En termes de sécurité des soins, cette information est absolument cruciale.

En résumé, nous sommes tout à fait conscients que la population française veut l’électricité dans chaque village, mais la question reste la suivante : installons-nous des générateurs ou un réseau électrique ?

M. Benoît Blaise, représentant du Syndicat national des jeunes médecins généralistes (SNJMG). Je serai bref, mes collègues ayant déjà à peu près tout dit. Et notre syndicat est entièrement d’accord avec les propos et les propositions qui viennent d’être formulés.

Au-delà de la question du nombre de médecins et du numerus clausus, nous ne pouvons plus raisonner avec les mêmes chiffres qu’autrefois ni avec la crainte de former trop de médecins, étant donné l’évolution de la médecine générale. Il s’agit d’une filière qui s’« universitarise », qui se transforme, et qui développe une pensée particulière autour de la complexité et de compétences spécifiques, avec, en outre, des impératifs de formation continue et de réseau qui ne sont pas les mêmes qu’auparavant.

Il est probable, dans ces conditions, que ce développement qualitatif ait un impact sur le fonctionnement quantitatif, c’est-à-dire sur le nombre d’actes réalisés par les médecins généralistes, ainsi que sur le temps qu’ils sont prêts à consacrer aux consultations par rapport à leurs autres activités, dont celles de réseau et de formation continue. Si le nombre de médecins augmente, cela permettra de diversifier leurs pratiques, et en particulier de renforcer leur rôle de prévention et d’éducation à la santé.

Au-delà de la question du nombre de médecins, qui est primordiale, se posera celle du temps non médical : la délégation des tâches et des pratiques avancées à d’autres professionnels de santé, qui est en cours d’expérimentation et qu’il me semble essentiel de poursuivre. Le dispositif ASALEE – acronyme d’« action de santé libérale en équipe » – fonctionne plutôt bien et semble avoir vocation à se pérenniser ; d’autres sont en train d’être créés, mais ne sont pas encore formalisés.

S’agissant des outils informatiques, il est primordial de les développer et de les généraliser, tout en gardant à l’esprit la nécessaire vigilance quant à la gestion et à l’exploitation de ces données.

Mme Vanessa Fortané, vice-présidente du Regroupement autonome des généralistes jeunes installés et remplaçants (ReAGJIR). Mon discours sera quasiment le même que celui de mes collègues. Les jeunes médecins s’installent dans les territoires qu’ils connaissent, mais, étant donné les modifications des conditions d’exercice de notre métier, ils ont besoin d’accompagnement. Si le projet professionnel était préparé au cours de l’internat, cela simplifierait certainement les choses.

Je veux parler, notamment, d’équipes de soins primaires, de MSP, de communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS)… Personnellement, je fais partie d’une MSP et nous tentons de créer une CPTS, mais nous ne disposons d’aucune formation ni information pour cela – j’ai terminé mon internat il y a dix ans, ce n’était pas au programme de mes études.

Une mobilisation des collectivités locales et des professionnels est évidemment nécessaire, car dans les territoires en tension démographique, comme celui où j’exerce, les médecins se demandent quand ils auront le temps de dormir ! Nous avons besoin d’une information globale, claire et simple, pour que les professionnels puissent accorder du temps médical aux médecins, du temps de pratique aux infirmiers et aux kinésithérapeutes, afin que nous puissions enfin travailler ensemble en bonne intelligence.

Les pratiques avancées doivent être développées et, s’agissant des cabinets secondaires, si effectivement nous n’avons pas besoin d’un cardiologue cinq jours sur sept, nos patients doivent pouvoir bénéficier d’une consultation cardiologique une à deux fois par mois – ce qui changera, en outre, la vie des généralistes.

Dans la région où j’exerce, l’hôpital local nous délègue des consultations. Les chirurgiens ont une consultation au cabinet deux fois par mois, de sorte que plus aucun patient, par exemple, ne cherche un chirurgien orthopédique. Alors effectivement, le jour de l’opération, ils doivent se rendre à l’hôpital qui se situe à 20 ou 25 kilomètres de chez eux, mais pour la consultation, ils n’en font que trois. Si toutes les spécialités participaient à un tel dispositif, les territoires peu denses deviendraient plus attractifs pour les médecins généralistes.

Je suis MSU, j’entends donc régulièrement les internes – ainsi que les externes d’ailleurs – s’étonner du fait que la profession de médecin généraliste n’est pas aussi compliquée que cela ! ReAGJIR a dû créer un blog pour expliquer aux jeunes médecins que notre métier était intéressant et qu’on pouvait s’y épanouir. C’est un peu lassant ! En fait, au bout de dix ans d’études, on fait le bilan qu’on est content d’avoir fait dix ans d’études. Mais de tels propos, nous n’en entendons jamais ; on ne parle de notre métier que pour le dénigrer et expliquer que nous sommes sous-payés… Un travail de communication est donc nécessaire pour rendre ce métier plus attractif. Et le nombre de MSU doit être augmenté pour que les étudiants puissent découvrir les territoires sous-dotés – il faut motiver les médecins installés à devenir maîtres de stage.

Par ailleurs, et cela a été dit, les médecins ne sont pas formés à la gestion d’entreprise. Le développement professionnel continu (DPC), à savoir la formation médicale continue, ne doit pas concerner uniquement le médical, car l’exercice en libéral requiert des connaissances en matière de gestion d’entreprise.

M. le président Alexandre Freschi. En vous écoutant, je suis rassuré pour la médecine de demain et l’organisation des soins sur le territoire, car vous êtes tous porteurs d’initiatives extrêmement intéressantes.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Je vous remercie de votre présence et de vos propos totalement cohérents les uns avec les autres.

Vous avez choisi la médecine, un métier formidable, puisque, par définition, vous allez soigner les gens. Il appartient aux pouvoirs publics et aux futurs professionnels de définir les bons dispositifs pour que nous puissions offrir un accès aux soins à tous et partout.

J’aimerais que nous dégagions quelques points de consensus. Vous avez tous dit qu’il conviendrait d’augmenter le nombre de médecins. Vos aînés, eux, disent le contraire, mais nous sommes plutôt d’accord avec vous : il faut plus de médecins, ne serait-ce que parce que la population a augmenté depuis trente ans et que nous sommes 15 millions de plus, sans même parler de l’évolution des pratiques. Nous ne pouvons que comprendre votre souhait d’exercer la médecine de façon différente de vos aînés.

S’agissant du numerus clausus, j’ai bien compris que vous étiez favorables à l’ouverture des vannes, à condition que les facultés aient la capacité d’accueillir les nouveaux étudiants. C’est un point sur lequel nous ne pouvons qu’être d’accord.

Ensuite, j’ai pu lire dans les documents que vous nous avez communiqués que vous étiez favorables à la suppression des ECN, une sélection qui intervient à la fin de la sixième année et à laquelle tous les étudiants sont suspendus avant de commencer à construire un projet de vie. Revenir à l’internat tel que nous le connaissions à une époque et instaurer un diplôme d’études spécialisées (DES), est-ce une piste pour vous ? Par ailleurs, si les ECN sont supprimées, comment réguler les spécialités médicales ?

J’ai bien aimé la notion d’« hospitalo-centrisme » et la volonté de sortir les étudiants des murs de la faculté. Nous en avons parlé au président de la Conférence des doyens des facultés de médecine, qui était plutôt favorable à cette idée. Avec l’idée complémentaire de ne pas envoyer les étudiants en ville au début de l’internat afin qu’ils n’oublient pas, en fin d’études, ce qu’est la médecine générale ou une spécialité pratiquée en ville.

Je suis très intéressé par votre proposition d’évaluer les besoins, région par région. Que pensez-vous de la proposition visant à régionaliser la répartition ? Avec, éventuellement, une possibilité de bouger dans plusieurs régions de France, selon les choix et les désirs de chacun ?

S’agissant des stages, sans doute serons-nous d’accord avec l’idée selon laquelle, sur 36 mois de stage, la moitié devrait être effectuée en dehors des murs du CHU : en MSP, CTPS, dans les centres hospitaliers, les cliniques privées. Le président de la Conférence des doyens nous a indiqué que certains stages effectués dans le privé allaient devenir qualifiants.

En ce qui concerne le dossier médical partagé (DMP), nous avons reçu ce matin les représentants de SOS Médecins, qui, eux non plus, n’ont pas accès au DMP, alors que celui-ci était censé être la pierre angulaire de la réforme qu’il conviendrait de réaliser.

Enfin, l’idée d’établir une maison médicale de garde (MMG) dans une structure hospitalière, de manière à bénéficier du réseau – je sais, madame Fortané, que vous êtes attachée à cette notion de médecine en réseau –, est-ce là aussi une piste qui vous satisferait ?

M. Samuel Valero. Les étudiants ne sont pas opposés à une ouverture plus large du numerus clausus, dès lors que la qualité de la formation n’est pas touchée. Or actuellement, aucune faculté de médecine n’est en capacité d’accueillir davantage d’étudiants.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Ce n’est pas ce qui nous a été dit par le président de la Conférence des doyens.

M. Samuel Valero. C’est le retour que nous font les étudiants, qui nous expliquent qu’il n’y a même plus la place d’ajouter des chaises dans les salles d’enseignement dirigé (ED). Alors, effectivement, on peut continuer à faire de la pédagogie en amphithéâtre comme le font actuellement les professeurs des universités praticiens hospitaliers (PUPH) – un enseignement cependant décrié par l’ensemble du monde pédagogique.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Que pensez-vous de l’enseignement par vidéo ?

M. Samuel Valero. L’enseignement numérique, à distance, est une avancée pour certains cours théoriques – en particulier pour les informations que nous pouvons trouver dans les livres –, mais le contact avec les professeurs, notamment s’agissant des ED, reste primordial. Ils nous enseignent un certain nombre de pratiques qui sont actuellement mal transmises – le relationnel, les sciences humaines, etc. Des enseignements qui ne font plus partie de nos études.

M. Philippe Vigier, rapporteur. J’entends ce que vous dites, mais pour certains cours très théoriques, l’enseignement à distance reste une possibilité. Je pense là aussi à une optimisation de la gestion des bâtiments et des équipements.

M. Samuel Valero. J’étais présent, en début d’année, à la réunion de l’Observatoire national de la démographie des professions de santé (ONDPS) lorsqu’a été annoncé le numerus clausus pour l’ensemble des subdivisions. Les représentants des facultés étaient présents pour dire combien d’étudiants supplémentaires ils pouvaient accueillir ; or les chiffres ne correspondaient pas à ceux qui nous ont été fournis par les étudiants. Le seul représentant qui ait été honnête est celui de la faculté de Clermont-Ferrand, qui a dit qu’il ne pouvait accueillir aucun étudiant supplémentaire, que sa bibliothèque était saturée et qu’il n’y avait plus de place au restaurant universitaire.

Nous souhaitons que la future génération de médecins soit de même qualité que les générations précédentes. Nous ne sommes pas opposés à une augmentation du numerus clausus si les moyens adéquats sont débloqués et la qualité pédagogique assurée. Mais peut-être est-il temps d’envisager un autre moyen de régulation ?

M. Philippe Vigier, rapporteur. Vous avez une idée à proposer à ce sujet ?

M. Samuel Valero. Non, nous n’avons pas d’idée pertinente à formuler sur le mode de régulation. Mais cela passera indéniablement par une réforme en profondeur de nos études.

S’agissant des ECN, je vous invite à vous rapprocher de Jean-Luc Dubois-Randé et de la mission « deuxième cycle des études de médecine », qui, dans son rapport, propose une ventilation sur le territoire national, qui reposerait sur trois  critères : connaissances, compétences, parcours-initiatives. Ainsi serait supprimé le classement de 1 à 8 000, délétère pour le bien-être des étudiants qui sont, selon des chiffres officiels, anxieux pour 67 % et souffrant de syndromes dépressifs pour 29 % – un nombre important ayant même des pensées suicidaires. Les étudiants de médecine vont mal et les ECN sont l’une des causes de ce mal-être.

En revanche, nous sommes attachés à la ventilation nationale, les ECN régionaux ayant démontré de nombreuses dérives – inégalité dans la préparation au concours entre les régions, difficulté dans l’accès aux spécialités, etc.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Que voulez-vous dire par « inégalité dans la préparation » ?

M. Samuel Valero. Un étudiant parisien aura plus de chances de réussir l’ECN de Paris qu’un étudiant préparé à Tours.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Selon vous, comment se passeraient les concours si nous établissions des ECN par région, selon les besoins ? Comment adapter la formation aux besoins des régions ?

M. Samuel Valero. Nous sommes opposés à une régulation régionalisée. En revanche, il conviendrait de mieux définir les capacités de formation des postes d’interne en fonction des territoires, sachant que les internes s’installent, pour une grande majorité, là où ils ont fait leur troisième cycle.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Cela se fait déjà. Mais nous constatons, si je prends l’exemple de Tours, qui est dans ma région, que les postes d’internes en médecine générale sont vacants.

M. Samuel Valero. Il en est de même à Paris.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Mais le problème est plus important à Tours qu’à Paris.

M. Maxence Pithon. Je compléterai les propos de Samuel Valero concernant les ECN régionaux. Nous n’y sommes pas favorables, car nous ne pensons pas qu’ils seront efficaces, et ce pour plusieurs raisons.

D’abord, l’échelle de la région est beaucoup trop grande. La région Auvergne-Rhône-Alpes, par exemple, abrite quatre facultés de médecine, et les disparités de répartition des médecins sont les mêmes que dans toutes les autres régions. Par ailleurs, fixer les étudiants dans la région où ils ont suivi leur deuxième cycle ne réglera pas le problème de la répartition des médecins au sein de la région. Au mieux, ils resteront dans la faculté où ils ont été formés.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Vous nous avez dit que vous ne pouviez pas construire de projet de vie avant les résultats des ECN, à la fin de la sixième année, ce que je comprends parfaitement. Avec cette solution, vous pourriez le bâtir bien plus en amont, puisque vous pourriez choisir trois régions.

M. Maxence Pithon. Certes, mais une partie des étudiants bouge par choix. Même quand ils ne veulent pas se former à une spécialité parce qu’elle est trop demandée, la mobilité se fait par choix. Empêcher un étudiant de bouger, c’est lui couper son projet de vie.

En outre, passer un examen dans plusieurs régions augmente les coûts, les frais de déplacement, etc. C’est compliquer les choses pour un bénéfice très modeste. Et puis, il existe déjà une régulation par région, puisque le nombre de postes aux ECN est défini en fonction des capacités d’accueil et des besoins des régions.

Il conviendrait plutôt d’optimiser ce système. Les recommandations des comités régionaux de l’ONDPS ne sont peut-être pas forcément bien suivies au niveau national, mais il serait plus intéressant de développer cet axe que de s’orienter vers une régionalisation des ECN.

M. Jean-Baptiste Bonnet. À titre personnel, je suis également opposé aux ECN régionaux. En effet, soit on tente plusieurs internats régionaux et, dans ce cas, nous sommes confrontés à la même problématique des concours d’infirmiers pour lesquels 2 000 candidats se présentent pour 2 places ; c’est donc aléatoire. Par ailleurs, de quel droit les pouvoirs publics décideraient-ils qu’un étudiant de 18 ans – âge de la première année – devra rester dans une région donnée pour le restant de sa vie ?

Il n’est pas complètement aberrant de dire qu’en fin de sixième année un citoyen français peut bouger pour exercer ses activités. Dans d’autres disciplines, un thésard peut changer de lieu de vie s’il trouve un directeur de thèse. Personnellement, je suis resté dans ma ville d’origine parce que je me suis marié dans cette même ville, mais je comprendrais qu’un étudiant qui rencontre une personne vivant à l’autre bout de la France veuille partir y vivre. Et c’est possible avec l’internat, malgré tous ses défauts.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Que proposez-vous ?

M. Jean-Baptiste Bonnet. Cassons les ECN. La question du contingentement est difficile et posera toujours un problème, même avec des ECN régionaux. Régler la question par une régionalisation des ECN en fonction de l’origine des étudiants est selon moi une soviétisation qui n’amènera qu’à des drames.

M. Philippe Vigier, rapporteur. J’entends ce que vous dites, mais si un étudiant rencontre son futur conjoint en quatrième année, le problème sera le même.

M. Jean-Baptiste Bonnet. Non, car il peut se déclasser.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Il sacrifiera alors une partie de sa vie professionnelle.

M. Jean-Baptiste Bonnet. Oui, mais ce sera son choix.

M. le président Alexandre Freschi. Madame Fortané, le rapporteur a posé une question concernant la maison médicale de garde. Quel est votre avis ?

Mme Vanessa Fortané. Je suis bien entendu favorable à l’installation d’une MMG dans les hôpitaux, à condition qu’il y ait des hôpitaux ! Il ne sert à rien d’en établir une si la majorité des citoyens d’un territoire doit parcourir 40 ou 50 kilomètres pour y accéder. Il convient donc d’en créer également en dehors des hôpitaux. Elles doivent, par ailleurs, être adaptées au territoire et être à échelle humaine. Par exemple, les patients qui vivent à la frontière de deux départements doivent être en mesure d’accéder au CPTS la plus proche, quel que soit le territoire dans lequel ils vivent. Une telle organisation doit être réfléchie par de véritables professionnels.

Que faire pour les patients qui habitent loin des hôpitaux locaux ? Soulager les urgences en créant un service de médecine générale de garde, oui, mais ouvrir un second service d’urgence à 80 kilomètres de tout pour aller voir le médecin généraliste de garde, non.

M. Samuel Valero. Selon les retours que nous avons pu avoir d’urgentistes exerçant près d’une MMG, ce qui fonctionne, ce sont les circuits courts. La MMG doit être située à proximité des urgences qui, ainsi, peuvent y orienter les patients.

Mais il convient de réfléchir à une incitation financière, car nous ne pouvons négliger le problème de la tarification de l’activité ; un patient qui va aux urgences rapporte de l’argent à ce service, ou en tout cas justifie son maintien.

M. Jean-Baptiste Bonnet. Je voudrais appuyer les propos de Samuel Valero, s’agissant du nombre de médecins : nous ne sommes pas défavorables à l’augmentation du numerus clausus, à condition d’augmenter aussi les capacités d’accueil des UFR. J’ai écouté l’audition de M. le doyen Sibilia, avec qui nous discutons par ailleurs, et je ne suis pas d’accord avec lui sur cette question.

Par ailleurs, le contact humain, avec le professeur et les patients, est essentiel en médecine. Et la simulation est un facteur indispensable et stratégique pour la formation de la médecine et des soins en France. Or la simulation se fait en présentiel et demande des crédits importants. Nous sommes donc inquiets quant au financement des plateaux de simulation dans les facultés.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Je suis entièrement d’accord avec vous : si nous voulons augmenter le numerus clausus, il faudra s’en donner les moyens, et notamment augmenter la capacité des amphithéâtres. Vous l’avez dit, vous avez la chance, en ED, d’avoir des assistants qui vous accompagnent, ce qui est indispensable pour les relations humaines ; il n’est donc pas question de tout dématérialiser. Les réseaux sociaux, c’est bien, mais ils sont parfois antisociaux.

S’agissant des simulateurs, j’entends votre cri d’alarme. Nous en avons débattu au cours d’une audition précédente et j’avais cité l’exemple de l’aéronautique qui dispose de simulateurs extrêmement performants dans toutes les écoles.

Vous avez parlé tout à l’heure d’une pratique mixte public-privé. Une pratique intéressante qui est déjà en place dans les écoles de commerce, où des chefs d’entreprise viennent donner des cours dans les écoles. Que des médecins libéraux aillent donner des cours à la faculté est une proposition intéressante. Il convient effectivement de casser la forteresse des CHU.

Par ailleurs, avez-vous réfléchi à la question de la rémunération ? Un spécialiste libéral qui travaille cinq jours sur sept ne sacrifiera peut-être pas une journée à l’hôpital pour toucher cinq fois moins que dans son cabinet. Il faut parler franchement de ces choses. J’ai bien entendu l’exemple de Millau, mais quand on connaît le niveau de la rémunération hospitalière, on peut être inquiet ; une pratique mixte ne tirera peut-être pas vers le haut le montant de la rémunération à laquelle vous pouvez prétendre. Et je dis cela pour vous soutenir, car aucun de vous n’a abordé le sujet de l’attractivité financière. Est-ce sciemment ? Avez-vous des revendications particulières sur cette question ?

Concernant le CESP, que pensez-vous de la proposition suivante : rémunérer dès leur deuxième année les étudiants en médecine, et ce durant toute la durée de leurs études, dans la spécialité de leur choix et dans le territoire où ils sont formés, contre quelques années d’exercice dans le service public – comme certaines professions, dont celles des infirmières.

M. Jean-Baptiste Bonnet. S’agissant de l’attractivité de la rémunération des étudiants et des libéraux qui délivreraient des cours en faculté, la réponse est simple : la représentation nationale est ordonnatrice du budget, il lui appartient donc de demander des montants convenables et engageants pour exercer ce métier et remplir les missions de service public.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Monsieur Bonnet, si les députés votent le budget, l’article 40 de la Constitution dispose que « les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence, soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique ». Nous n’avons donc pas la capacité de décider de la dépense engagée. Nous ne pouvons que la suggérer.

M. Jean-Baptiste Bonnet. L’ISNI ne levant pas d’impôt, il est difficile pour nous de déterminer les sources de financement. Mais je veux bien en lever, car cela voudrait dire que notre association est riche !

S’agissant de votre proposition relative au CESP, personnellement je la refuserai, la visibilité n’étant pas assurée quant aux lieux d’exercice et le nombre de spécialités étant trop réduit au moment de la signature du contrat.

Par ailleurs, si un grand nombre d’étudiants de deuxième année souhaite exercer la médecine générale, ils sont beaucoup moins nombreux en sixième année. C’est la raison pour laquelle le choix doit rester libre, et les étudiants garder la possibilité de changer d’avis pendant leurs études. Nous ne devons pas mettre en place un cadre trop rigide qui ferait fuir un certain nombre de talents ou réduirait les opportunités personnelles.

M. Maxence Pithon. Le CESP est un dispositif que l’ISNAR-IMG a soutenu depuis sa mise en place. Il serait cependant intéressant, aujourd’hui, de l’évaluer – de cibler les problématiques rencontrées par les étudiants – avant de décider de le généraliser ou de le modifier.

Voici des chiffres du Centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière (CNG) : entre 2010 et 2015, 35 contrats ont été rompus, dont un bon tiers au moment de la sixième année, avant les ECN, pour des questions de choix de la spécialité. Les étudiants avaient choisi en deuxième année une spécialité dans laquelle, au moment de leur arrivée en sixième année, aucun poste n’était ouvert, de sorte qu’ils ont décidé de rompre leur contrat. Ce problème d’orientation est pour nous un échec du dispositif, d’autant qu’il y a plus de demandes que de contrats signés ; il aurait donc été utile de bien informer et orienter les étudiants, afin que d’autres puissent en profiter.

Entre 2010 et 2015, 1 509 CESP ont été signés, or 229 médecins ne sont pas encore installés. Si la grande majorité d’entre eux n’ont pas fini leur thèse, 26 internes sont concernés par un report de leur installation – ils attendent les zonages ARS. Ils ne peuvent donc s’engager sur un projet professionnel tant qu’ils ne sauront pas quelles zones feront partie de la liste.

M. Jean-Pierre Cubertafon. Je suis un élu rural, mais le problème est le même en milieu urbain : la situation est grave, bien plus que d’aucuns ne le pensent.

J’ai beaucoup apprécié vos différentes interventions qui, toutes, ont fait allusion à la notion de territoire et au rôle des collectivités locales. Les députés ont un rôle d’information à jouer auprès des autres élus. Vous savez d’ailleurs que les élus s’engagent beaucoup en faveur des MSP, et autres dispositifs, pour inciter les médecins à s’installer dans les territoires peu denses.

Qu’attendez-vous des collectivités locales en général ?

Par ailleurs, quel est votre avis sur les médecins étrangers qui exercent en France sans être inscrits à l’Ordre des médecins ?

M. Samuel Valero. Je voudrais d’abord revenir sur la question de l’augmentation du numerus clausus. Nous avons besoin de mesures urgentes pour pallier le déficit de médecins et l’accès aux soins. Or l’augmentation du numerus clausus ne fera effet que dans quinze ans.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Votre organisation du travail – que je respecte – prévoit des semaines de 35 heures alors que la démographie et les besoins en soins continuent d’augmenter.

Vous avez par ailleurs cité un point sur lequel je voudrais revenir : la prévention. Nous sommes très en retard sur cette question en France, et j’ai regretté, dans le budget 2018, la diminution des crédits de prévention – que je dénonce chaque année.

M. Samuel Valero. La nouvelle organisation des métiers de la santé, avec, par exemple, les pratiques avancées et les autres modes de regroupement, ne va pas dans le sens d’une augmentation du temps médical. Selon les chiffres de la DREES de 2016, la diminution continuera jusqu’en 2024, avant que la tendance ne s’inverse grâce à l’apport de 1 500 médecins étrangers, dont le nombre a presque triplé en dix ans.

La question de la pertinence d’augmenter le numerus clausus doit donc être débattue, puisqu’il s’agit d’un levier qui prendra effet dans quinze ans, soit une augmentation du nombre de médecins en 2032.

S’agissant du CESP, votre question portait bien sur le versement d’une rémunération convenable dès la deuxième année, avec une obligation de rendre quelques années à l’État…

M. Philippe Vigier, rapporteur. Oui, mais avec un salaire décent. Je considère qu’un interne payé 1 500 euros est exploité. Et ce n’est pas nouveau, cela dure depuis quarante ans : les services de médecine, dans les CHU et les CH, ne tiennent que grâce à des forçats, des internes qui sont payés au lance-pierres.

C’est la raison pour laquelle je parle d’attractivité financière. N’est-ce pas le moment pour avancer sur cette question ? Car sans vous, les services ne tournent plus.

M. Samuel Valero. Les internes rendent déjà à la collectivité, puisqu’ils travaillent un temps nettement supérieur à ce qu’ils devraient. Par ailleurs, leurs droits à la formation ne sont pas respectés, puisque les deux demi-journées obligatoires par semaine ne sont jamais accordées.

J’ai assisté à une réunion, il y a quelques jours, du comité de suivi sur la mise en place de la réforme du troisième cycle. Une coordinatrice nationale a tranquillement expliqué que les demi-journées de formation n’étaient jamais données car on travaillait de 8 heures à 20 heures et que la formation s’apprenait sur le tas. C’est un gros problème, surtout quand on connaît l’état de mal-être d’un grand nombre d’étudiants.

Alors qu’attendent les étudiants des collectivités ? Qu’elles créent un lien avec les étudiants. Actuellement, ces derniers sont envoyés dans les CH périphériques – quand il y en a un –, loin de leur UFR, souvent sans indemnités de déplacement – les CHU ne veulent pas les leur accorder alors qu’elles sont inscrites dans la loi –, sans indemnités de logement, etc. Telles sont les aides que pourraient nous apporter les collectivités, même s’il ne leur appartient pas d’assumer seules ce poids. Sachant que, quand ils sont été exploités en CH ou CHU, les étudiants ne veulent pas retourner y exercer – 30 % des postes, à l’échelle nationale, ne sont pas pourvus.

S’agissant des médecins étrangers, dès lors qu’ils sont inscrits à l’Ordre des médecins et que la qualité de leur formation est suffisante, il n’y a aucune raison qu’ils ne puissent pas exercer en France.

M. Jean-Pierre Cubertafon. Nous avons pris une initiative, avec mes collègues de Dordogne : nous avons pris rendez-vous avec les doyens de la faculté de médecine de Limoges et de Bordeaux afin de créer des liens. Par exemple, pour qu’ils nous invitent en sixième année, ou avant, à venir parler de nos territoires aux étudiants. Il est vrai que nous n’avons que très peu de rapports avec les universités.

M. Maxence Pithon. S’agissant des collectivités locales, nous attendons effectivement qu’elles accompagnent les étudiants et qu’elles leur donnent la possibilité de découvrir les territoires.

J’ai cité, dans mes propos liminaires, les internats ruraux – appellation qui n’est d’ailleurs pas adaptée. L’objectif, à terme, est que l’ensemble des stages extrahospitaliers puissent bénéficier d’un internat et d’un lieu de vie spécifiques.

Un interne est amené à se déplacer tous les six mois. Lorsque nous sommes dans un CH, nous sommes à l’internat, du coup il y a du lien et du réseau : nous ne sommes pas en situation d’isolement. En revanche, pour les stages ambulatoires, nous sommes seuls sur un ou deux cabinets de médecine générale, et nous avons une réelle sensation d’isolement.

Ces stages sont mal vécus par l’interne qui est loin de ses attaches. Il n’aura donc pas envie, ensuite, d’aller y exercer. L’objectif de ces internats est de regrouper les étudiants qui sont en stage dans le même territoire, de créer du réseau et du lien afin de lutter contre l’isolement, et transformer ainsi ces stages en expérience positive.

Nous attendons donc des collectivités qu’elles organisent des réunions d’accueil, qu’elles nous impliquent dans les événements locaux. Des actions qui ne coûtent pas cher et qui permettent de fédérer les étudiants.

S’agissant de l’attractivité financière, nous n’en avons pas parlé car, aujourd’hui, ce n’est pas la priorité. La priorité, c’est l’accompagnement des étudiants et de leur projet de vie.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Je suis en zone d’aide à finalité régionale (AFR) : cela veut dire que, quand un médecin s’y installe, il touche un chèque de 50 000 euros. Malheureusement, certaines actions sont hors zone – il s’en faut parfois de deux kilomètres seulement –, ce qui met à mal le dispositif. Dans mon territoire, deux internes sont en train de partir sur les AFR, ce qui donne une mauvaise image de la profession. Je suis donc surpris que vous n’ayez pas de revendication financière.

M. Jean-Baptiste Bonnet. Deux sujets doivent être différenciés. D’abord, celui du mode de rémunération des médecins, actuellement payés à l’activité avec un tarif de consultation fixe. Ensuite, l’attractivité du bassin de population.

Je précise par ailleurs que le temps de travail légal des internes est de 48 heures et non de 35 heures.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Je parlais des médecins, non des internes.

M. Jean-Baptiste Bonnet. Pour les internes, c’est 48 heures, alors qu’ils en font 65 en moyenne, et que les heures supplémentaires ne sont pas payées. Donc, commençons par payer les plages additionnelles – au-delà de la 48e heure – comme cela est défini par l’Union européenne. N’hésitez pas à valider cette proposition au niveau de la représentation nationale, nous en serions très heureux.

S’agissant de l’attractivité financière, cela a été dit, nous préférons être accompagnés : indemnités de transport, de logement, conditions de travail et d’installation correctes, défiscalisation de la permanence. Ce genre de leviers paraissent, selon nous, prioritaires car ils induiront une certaine reconnaissance par la collectivité du travail réalisé par les internes au quotidien.

Le rôle des collectivités locales est central. Il est d’abord d’inciter les médecins à devenir MSU. On ne peut pas prétendre, en tant qu’élus, avoir des médecins dans des territoires sans qu’ils y aient appris la médecine.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Je vous entends, mais, d’une part, il conviendra de les rémunérer, et, d’autre part, il est difficile pour un médecin d’aller se rendre quatre demi-journées à une faculté située à 150 kilomètres de chez lui. C’est là que l’enseignement à distance est intéressant.

M. Jean-Baptiste Bonnet. Le focus doit effectivement être mis sur cette question, d’autant qu’il s’agit d’un défi pour la médecine générale.

Pour nous projeter dans une carrière, nous avons besoin, en tant qu’internes, d’avoir une meilleure visibilité de ce qui se passe dans un territoire. C’est la raison pour laquelle, nous attendons des collectivités la création d’organisations dans un bassin de population : qui est où et qui fait quoi – sans entrer dans du coercitif. C’est ainsi que moi, médecin, quand je m’installe dans un territoire, je sais à qui adresser mes patients – infirmière, kinésithérapeute, etc.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Le CPTS peut être une réponse.

M. Jean-Baptiste Bonnet. C’est une partie de la réponse.

Concernant les médecins étrangers, tout médecin inscrit à l’Ordre des médecins doit pouvoir exercer. Les mêmes règles doivent être appliquées à tout le monde. Le travail qui est mené actuellement sur la certification est intéressant.

M. le président Alexandre Freschi. L’accompagnement des internes, qui est une proposition intéressante, ne répond pas à l’urgence de la situation : que devons-nous faire, aujourd’hui, pour pallier l’insuffisance de l’offre de soins dans le territoire ? L’apport de médecins formés à l’étranger, plutôt francophones, plus ou moins exploités dans les CH et pas forcément reconnus par l’Ordre, est-il – à compétences équivalentes, naturellement – une solution répondant à l’urgence de la situation ?

Par ailleurs, l’âge moyen d’installation des jeunes médecins est de 37 ans environ. Comment expliquez-vous cela ?

Mme Vanessa Fortané. Une fois que nous avons fini notre internat, nous attendons des collectivités locales une aide logistique, mais les internes ne sont pas les seuls concernés. Il existe une autre espèce, dont on parle peu, qui s’appelle les remplaçants ! Il est très important de permettre aux médecins installés de prendre du temps pour eux.

M. le président Alexandre Freschi. Il y a actuellement 46 000 remplaçants.

Mme Vanessa Fortané. Oui, et il faut les loger. C’est une occasion pour eux de découvrir les territoires. Et c’est la raison pour laquelle nous mettons du temps à nous fixer. Nous prenons le temps de tout tester en effectuant des remplacements : l’exercice solitaire, l’exercice en groupe, l’exercice en MSP, avec secrétariat, sans secrétariat, avec vacances, sans vacances, etc. Et cela prend du temps, car si nous savons en général ce que nous ne voulons pas faire, nous ne savons pas forcément ce que nous voulons faire. On ne peut pas avoir l’idée de venir s’installer dans un « désert médical » sans y avoir exercé auparavant. Il est donc important de loger les remplaçants, tout comme les internes.

S’il est important de motiver les médecins remplaçants à venir dans certains territoires, il est aussi important de convaincre les médecins de se faire remplacer. Je connais des collègues qui ont arrêté de chercher des remplaçants. Les collectivités locales peuvent donc nous aider pour la logistique et la communication.

Ce n’est pas forcément d’argent que nous avons besoin : nous en gagnons quand même et plus que la moyenne des gens. Ce qui nous intéresse, c’est de prendre des vacances pour dépenser l’argent que nous gagnons. Et si, en plus, nos patients, à qui nous tenons, sont pris en charge pendant notre absence, nous profitons mieux de nos vacances.

La qualité de vie est donc très importante. La différence avec les anciennes générations est là : il y a trente ans, la concurrence entre les médecins était forte. Ils voulaient être seuls dans un village. Personnellement, s’il y en a un qui s’installe en face de la MSP dans laquelle je travaille, je lui paye le champagne !

Même si vous me proposez 5 000 euros de plus pour faire des gardes supplémentaires, je les refuserai. Je recherche une qualité de vie. Je veux que les 45 heures de consultations que je réalise par semaine soient efficientes et de qualité. Je veux pouvoir déléguer certaines tâches. Actuellement, j’ai la chance de travailler avec une infirmière ASALEE qui s’occupe de mes diabétiques. Il faut sortir de la croyance que les médecins – français ou étrangers – ont des super pouvoirs et peuvent tout faire seuls. Ce n’est pas vrai. Il faut sortir de l’ultra-monopole. Un patient est mieux pris en charge si trois personnes s’occupent de lui.

Il faut par ailleurs motiver les gens à faire ce qu’ils ont envie de faire. Ce n’est pas en leur imposant les choses que cela marchera. Rappelez-vous que nous sommes français et médecins : deux raisons pour râler. (Sourires.)

M. le président Alexandre Freschi. Nous n’avons jamais parlé de coercition.

Nous avons reçu ce matin un représentant de l’IRDES qui nous faisait part de son incapacité à évaluer l’impact, positif ou négatif, de cette politique incitative.

Mme Vanessa Fortané. ReAGJIR a mené des études sur l’installation et le remplacement ; a priori, les aides ne font que conforter les personnes dans leur choix de s’installer dans tel ou tel territoire.

Par ailleurs, il est vrai que le retard du nouveau zonage est agaçant. Un médecin de ma MSP attend de connaître ce nouveau zonage pour s’installer avec nous. Il souhaite exercer en tant qu’échographiste et a besoin de ces 50 000 euros pour acheter son matériel.

M. Jean-Baptiste Bonnet. Je voudrais rebondir sur cette question. Je ne suis pas surpris que le représentant de l’IRDES se dise dans l’incapacité d’évaluer cette politique. Concernant la question de l’internat régional, il faut savoir que, actuellement, l’organisme compétent pour déterminer le numerus clausus par spécialité et par subdivision est l’ONDPS, qui emploie 2,5 et 2,6 équivalents temps plein (ETP) : un organisme composé, donc, de gens compétents, mais pas assez nombreux.

Or l’analyse des besoins de santé d’un territoire et des capacités de formation dans les UFR est un exercice très difficile, effectué par des gens de bonne volonté, mais qui n’ont pas la possibilité de faire autre chose que du « doigt mouillé » pour les trois quarts des cas.

S’agissant des médecins étrangers, il est délicat pour nous de se prononcer sur cette question. En tant que médecin et futur adhérent au Conseil de l’Ordre, nous avons un devoir de réserve et de confraternité à respecter. Nous pouvons simplement dire que les mêmes règles doivent être appliquées à tous. Et vous rappeler que, quelle que soit la direction que vous prendrez, elle devra être centrée sur la qualité ; la formation médicale en France est de très bonne qualité.

Enfin, je n’ai aucun doute sur le fait que beaucoup de médecins étrangers disposent du même niveau de compétence que les médecins français ; j’en suis même convaincu, j’en ai croisé.

Mme Mireille Robert. Je suis une élue de la ruralité profonde. Or j’ai bien entendu que, pour inciter un médecin à venir s’installer dans ces territoires, nous devons avoir une approche globale, donner au jeune médecin la possibilité de découvrir les territoires et lui offrir un accompagnement.

Cependant, j’ai pu constater, dans ma région, que les médecins remplaçants ne souhaitaient pas rester, au motif, par exemple, qu’il n’y a pas d’activités culturelles. Et quand ils sont plus âgés, le problème est encore différent : le conjoint n’a pas de travail et il n’y a pas d’écoles pour les études des enfants.

Je n’ai pas de solution. En avez-vous une à proposer ? Faut-il que les médecins se marient avant de venir ? Devons-nous organiser une foire aux célibataires ?

Par ailleurs, que pensez-vous de l’idée selon laquelle il conviendrait de faire sortir les spécialistes des hôpitaux pour leur faire rejoindre les MSP ? Vous, futurs spécialistes en médecine générale, êtes-vous prêts à vous installer dans les territoires ruraux pour exercer en MSP ? À Chalabre, par exemple, un gastro-entérologue de Montpellier assure une consultation une fois par semaine.

M. Jean-Baptiste Bonnet. Personnellement, je suis prêt à venir.

Aujourd’hui, il y a un grand « boom » des assistanats partagés financé par les ARS : les assistants ont désormais un poste dans deux endroits différents – dans 99 % des cas, en CHU et CH. Et des réflexions sont menées pour faire du CH libéral, du CH privé, etc. Mais tant que ces assistants n’auront pas la possibilité réelle de devenir chefs de clinique, il y aura toujours un système de hiérarchie : chez les spécialistes, ce sont toujours ceux qui ne sont pas chefs de clinique qui seront dans ce dispositif-là. D’où deux effets pervers : d’abord, ce n’est pas attractif et, d’autre part, un nivellement par spécialité est généralement créé dans les réseaux de soins.

Cela reste une piste intéressante, car la présence d’un spécialiste n’est pas utile cinq jours sur sept. Mais il n’existe pas de solution miracle. Il est important de vérifier, par exemple, que les médecins sur place soient des MSU et que les conditions d’accueil soient attractives. Il convient d’analyser, territoire par territoire, comment ils se sont construits et organisés.

Mme Vanessa Fortané. Madame Robert, connaissez-vous, dans votre territoire, des bacheliers qui souhaitent faire médecine ?

Mme Mireille Robert. Oui, j’en connais quelques-uns.

Mme Vanessa Fortané. Et ceux-là, les chouchoutez-vous ? Car ce sont eux qui sont de la région et qui souhaiteront revenir s’y installer.

Mme Mireille Robert. Ceux que je connais et qui ont fini leurs études se sont installés à Toulouse et ne souhaitent pas revenir.

M. Samuel Valero. L’ONDPS, dont Jean-Baptiste Bonnet a rappelé le manque d’effectif, fonde toute sa recherche relative aux capacités de formation à partir d’une directive du doyen et d’une autre de l’union régionale des professionnels de santé (URPS). Ce qui n’est pas suffisant pour établir des estimations à long terme, s’agissant de l’ouverture du numerus clausus.

L’Observatoire a tout de même établi des premiers tableaux d’analyse des bassins de population et de réussite des bacheliers en première année commune aux études de santé (PACES). Et l’une de leurs propositions visait à diversifier l’origine géographique des différents étudiants qui réussissent la PACES pour tenter de diversifier les zones dans lesquelles, a posteriori, ils retourneront. Car, pour le moment, nous ne connaissons toujours pas les raisons pour lesquelles des jeunes médecins s’installent dans des zones rurales ou périurbaines qui ne sont pas celles de leur formation. Y retournent-ils pour raisons familiales ? Pour construire un projet professionnel particulier ? Ou parce qu’ils y ont rencontré des personnes ?

S’agissant des consultations avancées, avez-vous reçu M. Ortiz, qui réalise des consultations dans les montagnes, comme il aime à le dire, pour aller visiter les populations âgées et éloignées de tout ? Il s’agit d’une initiative qu’il convient de soutenir et d’encourager. Or un médecin qui exerce dans une zone n’a pas le droit d’en sortir, ce qui entraîne, entre autres, des problèmes d’inscription à l’Ordre – même si, nous devons le reconnaître, la mentalité de l’Ordre a changé. En effet, en 2013, par exemple, il parlait de « médecine foraine » qu’il fallait selon lui interdire totalement. Aujourd’hui, il projette de faire assurer des soins dans les territoires désertés, notamment par des spécialistes pour qui cela est particulièrement pertinent – plus que pour la médecine générale.

S’agissant des consultations mixtes, il conviendrait d’encourager les médecins hospitaliers à exercer en libéral et les libéraux à exercer dans certains CH périphériques. Il est malheureusement très compliqué de revenir en hospitalier quand on a fait du libéral, et de quitter le milieu hospitalier lorsqu’on y exerce depuis longtemps – pour des questions de retraite notamment.

En ce qui concerne l’incitation financière à venir enseigner dans les universités, la question sous-jacente est celle du statut hospitalo-universitaire qui régit un grand nombre de sujets : le nivellement, la notion de hiérarchie dans les hôpitaux, etc. Le statut hospitalo-universitaire est un gros problème, car il concentre énormément de missions dont certaines ne sont pas assurées ; je pense notamment à l’encadrement du troisième cycle. Une répartition plus homogène des « crédits d’enseignement, de recherche, de référence et d'innovation (MERRI) », par exemple, serait nécessaire.

Le coût de nos études intègre la recherche, alors que nous n’en faisons pas. Et nos études ne coûtent pas si cher que cela, comparé au statut hospitalo-universitaire.

M. Philippe Vigier, rapporteur. J’entends vos propos, mais l’autre volet est le suivant : un professionnel de santé libéral qui va délivrer des cours à la faculté doit être correctement rémunéré. La rémunération doit au moins compenser sa perte d’activité dans son cabinet, ce qui n’est pas si simple.

Je voudrais revenir à la question des médecins étrangers. Tous, ici, vous êtes attachés à la qualité de la formation ; et c’est  tout à votre honneur. Un grand nombre de médecins étrangers ont passé leur diplôme dans un pays étranger, membre ou non de l’Union européenne, et 22 000 médecins sont en situation irrégulière en France et ne sont pas enregistrés au Conseil national de l’Ordre. Or les médecins français doivent être inscrits au Conseil de l’Ordre avant d’accrocher leur plaque en ville – contrairement aux médecins hospitaliers.

Par ailleurs, les médecins hospitaliers étrangers négocient pour venir travailler dans nos hôpitaux – jusqu’à 1 400 euros la garde de 24 heures. Ce que vous gagnez en un mois, ils le gagnent en une journée avec un diplôme inférieur au vôtre. Telle est la situation en France.

Et nous n’avons pas pu, dans la loi de financement de la sécurité sociale – alors que je dépose le même amendement depuis six ans – imposer à ces médecins étrangers de s’inscrire au Conseil de l’Ordre. Si ces médecins travaillaient à diplôme égal, cela ne me gênerait pas, mais ce n’est pas le cas.

Il y a une telle désertification médicale en France – y compris dans les centres hospitaliers parisiens et à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) – que nous sommes obligés de faire appel à des mercenaires qui pratiquent des tarifications élevées avec une compétence qui n’est pas toujours au rendez-vous. Et pendant ce temps, vous faites tourner la maison. Je ne comprends pas, en tant que syndicalistes, que vous n’ayez pas une réaction plus forte, alors que la qualité de la médecine est en cause.

Aidez-nous en nous présentant un kit du bon accueil des internes français. Dans l’hôpital de ma région, deux logements sont à disposition des internes pour 100 euros par mois – et si nous devons appliquer la gratuité, nous le ferons. Concernant les logements, je pense donc que les collectivités locales vous donneront satisfaction, en revanche, elles ne sont pas en capacité de vous verser des indemnités de transport. Peut-être conviendrait-il de l’intégrer à votre rémunération ?

Enfin, Mme Fortané a évoqué le cas des médecins remplaçants. Effectivement, nous ne parlons jamais des remplaçants, des médecins adjoints, de cette période charnière où un médecin a fini ses études mais ne peut encore s’installer. Il y a là un vrai problème de statut et de couverture sociale. Devons-nous créer un nouveau statut pour le médecin qui a fini ses études, qu’il soit « thésé » ou non, et qui est disponible immédiatement, en attendant qu’il s’installe ? Vous l’avez dit, madame, il est obligé de « tester » un certain nombre de situations avant de se décider. Le président a cité le chiffre de 46 000 médecins en attente d’installation.

M. Samuel Valero. S’agissant des médecins intérimaires – avant de parler des médecins étrangers –, certains d’entre eux ont créé un syndicat dans le Grand Ouest et ont exercé, il y a trois semaines, un chantage sur tous les CH de la zone pour que ces derniers augmentent leur rémunération de manière globale. Cette pratique existe, certains médecins sont intéressés par l’argent, comme dans toutes les professions.

Nous pointons-là du doigt la question de l’attractivité hospitalière : selon la Fédération hospitalière de France (FHF), 30 % des postes ne sont pas pourvus. Faut-il revoir le statut ? Le mode d’organisation ? Le salaire ? Nous ne détenons pas toutes les réponses.

Revoir les modes d’organisation et de management est peut-être nécessaire, cette formation étant très demandée par les syndicats séniors. La réforme du financement des hôpitaux qui est en cours améliorera peut-être les choses.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Je dis cela pour vous aider. Il y a 3 milliards d’euros de déficit dans les hôpitaux, ce n’est pas nouveau.

Êtes-vous favorables à l’inscription de tous les médecins – français et étrangers – au Conseil national de l’Ordre ?

M. Samuel Valero. Oui.

M. Jean-Baptiste Bonnet. Oui.

M. Philippe Vigier, rapporteur. C’est important pour nous de le savoir.

S’agissant de la qualité des diplômes, dans les CH, 40 % des médecins ont suivi une formation à l’étranger – et je ne parle pas là des 600 étudiants français qui paient des frais de scolarité absolument déments pour aller se former en Roumanie parce qu’ils n’ont pas été reçus à la PACES. Il s’agit d’ailleurs souvent d’enfants de médecins – j’en connais quatre dans mon environnement proche –, leurs familles ont les moyens. Alors on parle d’ascenseur social, de mixité…

Quel est votre avis, madame Fortané ?

Mme Vanessa Fortané. Tout le monde est le bienvenu en médecine. Dès lors qu’ils ont reçu un diplôme, tous les médecins qui exercent en France, qu’ils soient français ou étrangers, devraient être inscrits à l’Ordre et exercer sur des postes de médecins. Je connais des cardiologues roumains employés en tant que « faisant fonction d’internes » qui sont payés moins qu’un interne. C’est inadmissible, car ce sont eux qui assurent les gardes et font tourner l’hôpital. Et il ne s’agit pas d’un problème de qualité. Ils sont médecins, ils ont leur diplôme, mais ils sont roumains. Leurs diplômes ne sont pas reconnus, ils font donc office de vache à lait de l’hôpital. Là, je ne suis pas d’accord.

Alors, si je suis favorable à ce qu’ils soient inscrits à l’Ordre, je suis également favorable à ce que leur diplôme, leur travail et leur compétence soient reconnus – et qu’ils soient rémunérés en conséquence. En revanche, si le professionnel n’est pas médecin, la question ne se pose même pas.

M. Maxence Pithon. S’agissant du kit du bon accueil, nous venons d’élaborer un document, initialement à la demande de l’Association des maires ruraux de France (AMRF), que nous vous enverrons, et dans lequel nous formulons des propositions visant à améliorer l’accessibilité des stages ambulatoires.

En ce qui concerne le transport et le logement, il existe actuellement une indemnité de transport pour les stages ambulatoires, lorsque ceux-ci sont effectués à une certaine distance de notre résidence principale. Par ailleurs, un texte visant à accorder une indemnité de logement est en cours d’élaboration. Nous pourrions débattre longuement pour savoir si le montant est adapté ou pas, mais le principe devrait bientôt être appliqué.

Enfin, concernant le principe des consultations avancées, notamment pour les spécialistes de second recours, il s’agit d’un réel apport pour certaines populations. Or, il n’est pas encouragé. Je pourrais vous citer plusieurs exemples de MSP qui avaient organisé des consultations avancées, notamment post-opératoires, avec des spécialistes de l’hôpital le plus proche. Ces derniers ont été contraints d’arrêter après un an d’exercice parce qu’ils payaient deux fois la cotisation foncière des entreprises (CFE) et que les charges pour assurer ces consultations leur coûtaient deux fois plus cher que ce qu’elles leur rapportaient.

Il est donc important de faciliter la réglementation des cabinets secondaires, en supprimant notamment cette double taxation, ou au moins en faisant en sorte que cela ne coûte rien au médecin qui fait l’effort de se déplacer.

M. le président Alexandre Freschi. Le plan relatif à l’accès territorial, présenté par M. le Premier ministre, évoque cette question du transport et de l’amélioration de l’accueil. Je conviens, cela dit, que la somme de 200 euros bruts qui est proposée est une somme symbolique.

Je vous repose la question : quelles mesures pouvons-nous mettre en place aujourd’hui pour répondre à l’urgence de la situation – sachant qu’il est hors de question, bien entendu, de prendre des mesures coercitives ? Que pensez-vous du conventionnement sélectif et du déconventionnement, en termes d’outils de régulation pour une occupation territoriale organisée ?

M. Jean-Baptiste Bonnet. Je voudrais tout d’abord appuyer le propos de Maxence Pithon s’agissant du kit d’accueil, notamment par rapport à un travail en commun que nous menons sur les internats ruraux. Ce n’est pas tout de payer un logement à un stagiaire qui va être seul dans un endroit où il ne connaît personne. Une colocation avec, par exemple, un infirmer, un kinésithérapeute, un externe et un autre interne, quitte à faire un peu plus de route, lui permettra de passer un meilleur moment ; or il est important que les étudiants effectuent leur stage dans une bonne ambiance.

En fin d’année 2017, la question du conventionnement sélectif a été posée. Personnellement, si j’exerçais au centre de Paris et que l’on me menaçait de me déconventionner si je ne m’installais pas ailleurs, je serais extrêmement contrarié – sachant que dans certains endroits la consultation est à 75 euros.

Selon moi, une telle mesure entraînerait une explosion du secteur 3, à savoir le secteur déconventionné. Il existe toute une série de pratiques médicales pour laquelle il y a de la place actuellement pour pratiquer le déconventionnement ainsi que pour une certaine clientèle ‑ j’emploie ce mot à dessein –, et ce dans les hôpitaux privés comme publics. Vous ne gagnerez rien à adopter une telle mesure, sauf de la défiance de notre part.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Vous constatez tout de même avec nous que de moins en moins de médecins s’installent en secteur 1. Dans mon territoire, la consultation d’un ophtalmologiste est à 135 euros. C’est ça ou attendre dix-huit mois. Que font les gens ? Eh bien ils paient, même les personnes à faible revenu. Et le reste à charge augmente, tous les chiffres de l’assurance maladie le prouvent.

Alors que faisons-nous ? Nous parlons d’égalité de traitement dans l’ensemble du territoire, mais à Paris, à 200 mètres de l’Assemblée nationale, la consultation de certains phlébologues est à 500 euros. Même à Orléans, des spécialistes tarifient leur consultation de 180 à 250 euros ! Ce phénomène existe depuis longtemps et s’est même amplifié.

M. Jean-Baptiste Bonnet. Je n’ai pas de chiffres à donner, mais quelques réalités peuvent être présentées au régulateur public qu’est la sécurité sociale. Typiquement, pour la chirurgie, il n’y a pas eu de revalorisation des actes – même des actes de base – depuis une éternité. De nombreux chirurgiens effectuent des assistanats et des « clinicats » pour avoir accès au secteur 2. Le remboursement de l’appendicectomie, par exemple, est de 130 euros environ. Et le matériel pour les prothèses de genou coûte bien plus cher que le remboursement de l’acte. Alors, certes, beaucoup de chirurgiens se mettent en secteur 2, mais c’est aussi parce que c’est le seul moyen pour eux d’être rentables.

Globalement, il n’est pas difficile de trouver des généralistes en secteur 1.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Je voudrais revenir sur le CESP pour vous dire que le Conseil de l’Ordre des dentistes a demandé à récupérer les CESP de médecine qui ne sont pas pourvus.

M. Jean-Baptiste Bonnet. Si les commissions CESP ne les attribuent pas tous…

M. Philippe Vigier, rapporteur. Ce que je vous demande, c’est si vous avez eu vent du fait que les étudiants en orthodontie seraient plus intéressés par les CESP que les étudiants en médecine ?

M. Jean-Baptiste Bonnet. Pour l’instant, il ne s’agit que d’une demande, nous ne connaissons pas la réalité de terrain.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Vous n’avez pas répondu à la question portant sur la création d’un nouveau statut des médecins non encore installés. Madame, avez-vous un avis sur cette question ? N’oubliez pas que nous avons à formuler des propositions pour le court terme !

Mme Vanessa Fortané. Quand le jeune médecin termine son salariat – l’internat est bien du salariat –, la question de la protection sociale est essentielle. Par exemple, accorder un congé de maternité à une femme médecin de plus de cinquante ans, biologiquement, cela ne sert à rien. En revanche, sécuriser l’exercice libéral et le début d’exercice des remplaçants en leur accordant un congé de maternité est essentiel. Il est anormal également que la couverture des accidents du travail soit optionnelle et que l’on subisse un délai de carence de 90 jours. Améliorer la protection sociale du jeune médecin est indispensable.

On peut évidemment salarier tous les médecins pour que tout le monde bénéficie de la même protection sociale, mais il ne faut pas sanctionner ceux qui prennent le risque d’exercer en libéral. Il suffit d’une jambe cassée pour que le jeune médecin ne puisse travailler, abandonnant une patientèle entière du jour au lendemain…

Peut-être conviendrait-il de mettre en place un pool de médecins salariés, qui s’engageraient à se déplacer dans tout le territoire, à la disposition des médecins ? ReAGJIR a produit un document sur ce sujet. Je pense qu’il convient, non pas de créer un nouveau statut, mais d’améliorer le statut actuel.

M. Philippe Vigier, rapporteur. La création d’un nouveau statut est nécessaire pour les médecins qui n’ont pas fini leur thèse et qui, de fait, n’ont pas le statut de médecin adjoint. La ministre Marisol Touraine avait accordé une dérogation dans un département, mais aujourd’hui de nouvelles dispositions fiscales sont en train de vous contraindre, puisque les services fiscaux n’ont rien trouvé de mieux que d’essayer de vous assujettir à la TVA, au motif que le médecin adjoint l’acquitte – nous sommes en train de régler ce problème. C’est tout Bercy ! Quand nous trouvons une solution, ils trouvent une nouvelle complexité.

Mme Vanessa Fortané. Je voudrais revenir sur le rôle des collectivités – je suis loin de la problématique du centre-ville de Paris – pour dire que leur intérêt est de mettre à la disposition des médecins des locaux à loyer raisonnable ; cela encouragera le secteur 1. Je parle des médecins généralistes, je ne maîtrise pas les frais des autres spécialistes.

M. le président Alexandre Freschi. Toutes les collectivités sont prêtes à le faire.

Mme Vanessa Fortané. Qu’elles n’hésitent pas à communiquer sur ce sujet !

M. Philippe Vigier, rapporteur. Cela fait plusieurs fois que l’on nous parle de la protection sociale. Vous pourriez tenir le même discours pour le chef de clinique d’un hôpital, qui perd 30 % de son salaire quand il est en arrêt de maladie.

M. Samuel Valero. À l’hôpital, la problématique est encore différente, car il nous est carrément demandé, quand nous postulons pour le poste de chef de clinique, si nous souhaitons faire des enfants. Bien entendu, il vaut mieux répondre non…

M. Philippe Vigier, rapporteur. C’est de la discrimination.

M. Samuel Valero. Oui, mais elle existe dans tous les hôpitaux. Et si nous crions à la discrimination, notre carrière est entachée.

S’il est vrai que l’on constate une augmentation de la proportion de médecins en secteur 2 selon le rapport du Sénat – ou de la Cour des comptes, je ne sais plus –, les dépenses ne se sont pas accrues, malgré l’augmentation du nombre d’actes.

En ce qui concerne le déconventionnement, les médecins qui se déconventionneront continueront à pratiquer les mêmes tarifs, mais les patients seront remboursés de 3 euros seulement. Il s’agira alors d’une réelle rupture du contrat social entre la médecine libérale et la population, ce que ni vous ni nous ne souhaitons.

Concernant le statut et la protection sociale, il reste en effet beaucoup à faire. La profession se féminise, les risques augmentent et les protections sociales sont très archaïques.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Il en va de même pour toutes les professions libérales. Cette question concerne la refonte des systèmes de retraite pour laquelle nous devons accepter des règles communes. D’ailleurs, si nous fusionnons les caisses des professions libérales, nous ferons de sérieuses économies de gestion – j’ai déjà publié ce type de propos et je pourrais vous fournir quelques informations en la matière.

Je reviens sur mon interrogation : que faire à court terme ?

M. Maxence Pithon. Malheureusement, il n’existe pas de solutions à court terme.

Cela été dit en propos liminaire, nous payons les politiques des années 1980. Nous devons donc bien faire attention à ce que les politiques que nous allons mettre en place ne soient pas délétères pour la future génération – médecins et patients.

Je souhaiterais revenir sur le conventionnement sélectif. Vous nous dites que vous ne prendrez pas de mesures coercitives. Pour moi, le conventionnement sélectif en est une. À partir du moment où l’on empêche un professionnel de s’installer dans le territoire de son choix…

M. le président Alexandre Freschi. Non, ne souhaitons pas empêcher qui que ce soit de s’installer où il veut. Nous disons simplement que si certains médecins s’installent dans certains territoires, ils ne seront pas conventionnés.

M. Maxence Pithon. Un médecin pourra donc s’installer là où il le désire, mais ses patients ne seront remboursés que de 3 euros. C’est bien cela ?

M. Philippe Vigier, rapporteur. Cet entretien est intéressant, car il est sincère.

Toutes les autres professions médicales ont accepté des règles de conventionnement ainsi que des modifications de ces règles, et c’est heureux. Madame, vous l’avez dit, sans infirmières, kinésithérapeutes et autres, les médecins généralistes seraient encore plus en difficulté.

Vous avez raison quand vous dites que les mesures prises aujourd’hui toucheront la prochaine génération, mais nous devrons être également capables d’évoluer en fonction de la situation.

J’ai été impressionné par la faiblesse des propos du directeur de l’IRDES. Quand je lui ai demandé ce matin si l’Institut avait interrogé les ARS, il n’a pas été capable de me répondre. Ce n’est quand même pas compliqué, en 2018, de savoir qui s’installe et où dans un département !

Quel serait, selon vous, le système le plus intelligent et le moins coercitif à mettre en place ? Cette question dépasse les étiquettes politiques, car tout le monde souhaite le bien commun. Et vous, vous représentez l’avenir de la médecine française, qui est l’un des marqueurs de ce pays. C’est pourquoi je vous le dis avec franchise : quand je vois les médecins étrangers exercer en France alors qu’ils n’ont pas votre qualité de formation, je suis effondré. Je suis également effondré de constater que 60 % des médicaments génériques sont fabriqués en Inde et que 70 % des prothèses le sont dans des pays low cost. Enfin, alors que la France était leader en nanotechnologies et en biotechnologies, elle est en train de régresser !

Je vous parle avec un peu d’engagement, car je souhaiterais vraiment trouver une solution à la question de la désertification médicale. Or si vous êtes engagés, c’est bien parce que vous avez réalisé que des bêtises ont été commises par vos aînés et que vous ne souhaitez pas que l’on récidive. Je rappelle que la motivation du numerus clausus, décidé par des énarques, était le suivant : moins de médecins, moins de prescriptions. Voilà d’où on vient ! Et cela sans s’adapter aux gens, à la féminisation du métier, aux parcours de vie, à l’évolution des soins et des pratiques médicales.

Il y a trente ans, on craignait la concurrence. Aujourd’hui, le problème n’est pas le même : les clientèles ne valent plus rien. Nous sommes au fond du trou, nous avons besoin de vous.

M. Maxence Pithon. Je n’avais pas terminé mon propos concernant le conventionnement sélectif. Les raisons qui ont été évoquées nous confortent dans l’idée de la dangerosité de la mesure et de son inefficacité.

Vous avez évoqué les autres professions de santé. Dans le rapport publié par la DREES en mai 2016, il est indiqué que la répartition d’une profession régulée est la même que celle d’une profession non régulée – pharmaciens et médecins généralistes. Cela démontre que la médecine générale s’autorégule très bien.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Non, je ne pense pas que cela soit vrai.

M. Maxence Pithon. La cartographie des pharmacies d’officine et celle des cabinets de médecine générale sont superposables.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Les cartes ne peuvent pas se superposer, puisque vous savez bien qu’une pharmacie ne peut être ouverte n’importe où – et les critères ont encore changé. Et, depuis trois ans, une pharmacie fait faillite chaque jour. Pourquoi ? Parce que le prix du médicament a beaucoup baissé.

D’ailleurs, nous avons auditionné le Conseil national de l’Ordre des pharmaciens concernant la délégation de tâches. Les pharmaciens sont en train de se lancer dans l’ouverture de cabinets de télémédecine – sujet que nous n’avons pas abordé aujourd’hui. En effet, ils savent prendre la tension, savent doser avec une bandelette le taux de sucre et d’albumine chez la femme enceinte, etc.

Pour les pharmaciens, la régulation est là, et je ne porte pas de jugement de valeur. Même à Paris, des pharmacies ont fermé pour des raisons de rentabilité.

M. Maxence Pithon. J’ai le rapport sous les yeux : les difficultés des pharmaciens sont superposables à celle des cabinets de médecine générale – à 2 % près. Ce qui démontre que la profession médicale s’autorégule très bien.

M. Jean-Baptiste Bonnet. Je reste persuadé que vous pouvez obtenir des résultats en cinq ans, et ce sans aucune régulation. La régulation ne répondra pas, de toute façon, au manque de médecins.

Pour pallier le déficit, il faudra s’attaquer à de gros dossiers qui n’ont pas été ouverts depuis soixante ans, tels que les ordonnances Debré sur le CHU. C’est un préalable.

Il conviendra aussi de créer des statuts pour les coordonnateurs de soins – médecins ou soignants – qui parcourront les territoires pour relever tout ce qui s’y passe, pour déterminer qui est installé où, etc. – et ainsi, filière par filière, organiser les soins.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Dans mon territoire, nous venons de signer un CPTS avec l’ARS après quatorze mois de pourparlers. C’est un travail que nous avons mené bénévolement, le soir, avec des professionnels ; un travail peu complexe au demeurant, mais qui demande de la disponibilité et du bénévolat.

Il est vrai que nous ne sommes pas assistés par les ARS, alors qu’assurer l’accès aux soins pour tous fait partie de leur mission. Elles ne sont pas capables, par exemple, d’inciter les médecins de CH à venir effectuer des consultations dans des sous-préfectures.

M. Jean-Baptiste Bonnet. Vous parlez de bénévolat, mais si nous voulons une vraie coordination des soins, nous devrons payer des professionnels – qui ont une activité de soignants – pour qu’ils organisent le territoire, filière par filière – diabète, rhumatoïde, cancer de tel ou tel type. Les patients seront ainsi pris en charge dès la sortie d’hôpital grâce à cette organisation. C’est de cette façon que nous aurons une réponse : peut-être pas un médecin dans chaque village, donc, mais des soins pour tous.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Je suis d’accord. Mais vous savez bien que, pour un tel projet, les professionnels doivent être impliqués dans des groupes de travail ; sinon, les décisions seront prises à leur insu.

C’est ce que nous avons réalisé dans mon territoire ; nous avons créé sept groupes et ensuite une personne rémunérée par la Mutualité sociale agricole (MSA) a fait le lien. Mais, pour arriver à un résultat, les bénévoles ont dû sacrifier un certain nombre de leurs soirées. Le coordinateur ne pourra pas faire le travail à la place des médecins, des infirmières ou des kinésithérapeutes.

M. Jean-Baptiste Bonnet. Il est donc important qu’un médecin libéral dégage du temps pour cette mission – qui fait d’ailleurs partie de son travail.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Mais il a besoin d’un remplaçant ; donc, comment faire ? C’est le chien qui se mord la queue ! On retarde la mise en place des CPTS parce qu’on n’arrive pas à dégager pour les médecins le temps dont ils sont besoin.

M. Jean-Baptiste Bonnet. Je ne suis pas convaincu que l’on ne puisse pas dégager quelques heures pour un médecin, toute question de rémunération mise à part.

M. Benoît Blaise. Une étude, de 2009 me semble-t-il, démontrait que, grâce aux assistants médicaux, il était possible de dégager, sur une semaine de 55 heures d’un médecin généraliste, 6,4 heures.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Oui, mais quand le DMP sera complet et que toutes les numérisations et transmissions existeront.

Par ailleurs, nous avons encore un problème de puissance publique – mais qui ne vous concerne pas : nous nous battons pour installer la fibre dans tout le territoire.

M. Samuel Valero. Je voudrais revenir sur vos propos et sur l’échec des ARS à envoyer un médecin d’un CHU vers un CH périphérique. Si ces médecins n’appartiennent pas au même groupement hospitalier de territoire (GHT), ils ne participent pas au même compte, de sorte qu’ils se livrent une concurrence. Même si vous obligez un médecin de CHU à donner des consultations en CH, le directeur du CHU refusera de le détacher, puisqu’il ne produira pas d’activité pour lui.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Et à l’intérieur d’un même GHT, certains médecins refusent de se déplacer au motif qu’ils sont fonctionnaires et que ce n’est pas prévu dans leur statut.

M. Jean-Baptiste Bonnet. Et du coup, on l’impose aux jeunes.

Nous avons abordé cette discussion avec les syndicats séniors de praticiens hospitaliers qui souhaitent que le détachement soit instauré sur la base du volontariat. Je leur ai répondu que la notion de volontariat n’existait pas pour les jeunes médecins.

Je ne sais pas s’il faut taper du poing sur la table ou si les praticiens hospitaliers attendent simplement des garanties.

Je viens d’un territoire où nous avons la chance d’avoir deux CHU, dont l’un ‑ Nîmes – est pourvu d’un service d’endocrinologie qui a réalisé ce travail-là. Tous les praticiens vont, une journée par semaine ou tous les quinze jours, consulter dans les CH périphériques. Le fait est que cela marche. Un véritable réseau de soins a été créé et les gens se connaissent. De sorte que, j’avais l’impression de faire partie d’une équipe départementale.

Par ailleurs, être interne dans un tel service de CHU est une grande chance : les médecins nous envoient les plus beaux cas, les CH peuvent se décharger quand ils ne contrôlent plus la situation et nous, nous pouvons renvoyer le patient quand le problème est réglé.

Cet exemple démontre bien que cela marche, simplement tous les acteurs doivent s’investir. Mais c’est peut-être le défi d’aujourd’hui.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Je vous remercie de votre contribution. Je terminerai en disant à M. Pithon qu’il m’est impossible d’écrire dans le rapport que la profession médicale « s’autorégule bien » !

M. le président Alexandre Freschi. Madame, messieurs, nous vous remercions.

 

 

 

 

 

 


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Table ronde des syndicats de médecins 

Présidence de M. Alexandre Freschi, Président de la commission denquête

La commission d’enquête procède à l’audition commune de la Confédération des syndicats médicaux de France (CSMF), représentée par M. Jean-Paul Ortiz, président, le Dr Luc Duquesnel, président des Généralistes, et M. Patrick Gasser, président de l’UMESPE-CSMF, le Syndicat des médecins généralistes (MG France, représenté par le Dr Marguerite Bayart, première vice-présidente, et le Dr Bernard Plédran, le Syndicats de médecins libéraux (SML), représenté par le Dr Philippe Vermesch, président, le Dr Sophie Bauer et le Dr William Joubert, secrétaires généraux, la Fédération nationale des médecins radiologues, représentée par le Dr Bruno Silberman, 1er vice-président, et M. Wilfrid Vincent, délégué général, et les Cellules de coordination des dentistes libéraux (CCDeLi) de France, représentées par le Dr Laurent Pinto.

M. le président Alexandre Freschi. Notre commission reçoit aujourd’hui les représentants des syndicats de médecins, auxquels je souhaite la bienvenue.

Je précise que cette audition est ouverte à la presse.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, les personnes entendues déposent sous serment. Je vous demande donc de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Les personnes auditionnées prêtent successivement serment.)

M. Jean-Paul Ortiz, président de la Confédération des syndicats médicaux de France (CSMF). La CSMF est très sensible au problème des déserts médicaux, qu’elle préfère appeler les zones sous-denses, et l’a beaucoup étudié. Il s’agit en effet de l’accès aux soins pour tous les Français sur le territoire. La situation actuelle en ce qui concerne la médecine libérale, tant des spécialistes, dont on parle moins, que des généralistes est le résultat d’une évolution sur plusieurs années, et s’il y avait une solution simple pour y remédier, on l’aurait déjà trouvée. Il faut donc envisager une série de mesures, sachant que pour la démographie médicale globale, nous allons traverser une dizaine d’années difficiles. En effet, le numerus clausus dans les facultés a limité le nombre de médecins. Cependant, depuis quelque temps un quart des nouveaux inscrits au Conseil de l’Ordre possèdent un diplôme délivré par une faculté étrangère, européenne ou non. Malgré ce contournement du numerus clausus, la densité médicale va diminuer pendant les dix années à venir.

Une série de mesures devraient donc être immédiatement mises en œuvre, mais la plupart n’auront que des effets décalés dans le temps. Ainsi l’ouverture du numerus clausus ‑ que nous ne préconisons pas – ne permettra de produire de nouveaux praticiens que dans dix à douze ans, donc trop tard car, dans dix ans, le nombre de médecins en exercice augmentera nettement.

La première série de mesures concerne la formation. Elle est centrée uniquement sur les centres hospitaliers universitaires (CHU). Seuls les médecins généralistes font six mois de formation à la fin de leur troisième cycle dans des cabinets de médecine générale en ville. Il faut élargir ce temps de formation et surtout étendre, en troisième cycle, la formation en médecine spécialisée libérale à l’extérieur des CHU. Il faut même pratiquer cette ouverture dès le deuxième cycle, car il est anormal que la délivrance d’un diplôme à exercer une profession ne prépare pas au véritable exercice professionnel qui sera celui de la plupart, la médecine de ville libérale. En troisième cycle, il faut repenser l’accompagnement des stages y compris sur le plan financier, pour le déplacement et l’hébergement, surtout en zone sous-dense, et aussi indemniser les surcoûts que subiront les étudiants pour effectuer ces stages.

En second lieu, l’accès à la vie professionnelle doit être facilité et se faire par étapes. Les étudiants sont un peu angoissés à l’idée de s’installer en exercice libéral, qu’ils connaissent mal. Il faut les accompagner par des périodes de remplacement, d’assistant, de collaborateur. La réglementation y met trop d’obstacles et il faut la simplifier. De même, il faut faciliter l’exercice mixte libéral et salarié. Les jeunes y aspirent, mais même les anciens avaient de grands regrets de ne pas garder un pied à l’hôpital. Les ordonnances de 1958 devraient donc être revues, voire remises en question.

Il faut aussi développer l’exercice multisites. Mesdames et messieurs les élus, il faut faire comprendre à la population que l’exercice à la Charles Bovary est du passé. Nous ne mettrons plus un médecin au pied de chaque clocher. Les médecins veulent travailler en équipes, regroupés, car c’est l’exercice médical moderne. Pour autant, il ne faut pas délaisser les populations plus éloignées des centres importants. Il va donc falloir développer des consultations avancées, des exercices multisites et accompagner ce mouvement pour assurer la fluidité de l’accès aux soins sur le territoire.

Toujours sur la vie professionnelle, il faut prendre en compte les conjoints. Cela nécessite de penser à ces choses simples comme l’accès à l’éducation, pour faciliter son installation. Il faut aussi faire que la vie professionnelle soit viable, grâce à une bonne organisation de la permanence des soins et des gardes. Malheureusement, en beaucoup d’endroits les pouvoirs publics ne soutiennent pas cette organisation de la continuité des soins. Il convient de développer la délégation de tâches chaque fois que c’est possible. Par exemple, il faudrait une évolution réglementaire pour faire appel aux médecins retraités, même à temps partiel. Or ils ne sont pas très encouragés à le faire sur le plan financier.

Enfin, les nouveaux modèles de pratiques autour de la télémédecine doivent faciliter l’accès aux soins dans les territoires. Nous avons beaucoup travaillé avec la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) sur la téléconsultation et la téléexpertise. La télésurveillance reste au stade expérimental, mais est une voie à développer, accompagnée de l’extension à tous les Français du dossier médical partagé.

Tel est l’éventail de mesures que nous avons présentées à plusieurs reprises pour assurer l’accès aux soins sur tout le territoire.

Mme Marguerite Bayart, première vice-présidente du Syndicat des médecins généralistes (MG France). Je voudrais, sans développer les solutions que nous préconisons, rappeler les valeurs des médecins généralistes regroupés dans MG France. Nous nous centrons sur la prise en charge globale de la personne et insistons sur l’organisation des soins et la notion de médecin traitant. À nos yeux, il ne faut pas considérer la désertification comme une catastrophe face à laquelle on mettrait en place de fausses bonnes solutions, mais comme un levier pour améliorer l’organisation, avec ce principe essentiel : les professionnels sur le terrain doivent être les promoteurs du changement. Nous préciserons les solutions au fil des échanges.

M. Philippe Vermesch, président du Syndicat des médecins libéraux (SML). Les médecins libéraux sont les premiers à vouloir maintenir une médecine de proximité. Mais toutes les solutions ne se valent pas, et il faut recourir à un ensemble de mesures à construire avec les médecins libéraux. Qu’en est-il des « déserts » médicaux ? En réalité, les territoires où l’on n’a accès ni à un médecin, ni aux urgences, ni à une pharmacie, sont peu nombreux, même si c’est déjà trop pour ceux qui y vivent. En revanche, de nombreuses disparités d’accessibilité à un généraliste ou à un spécialiste, dans des zones qui ne sont pas en situation de pénurie médicale, traduisent une répartition inégale. Quand on superpose les cartes, on distingue que ce sont les zones où la population est faible, où les pouvoirs publics ont démissionné en y fermant écoles et bureaux de poste et qui sont aussi des déserts numériques où l’on a le plus de problèmes. Dans les centresvilles, les normes d’accessibilité des locaux ont forcé les médecins qui ne pouvaient pas faire les aménagements nécessaires, à déménager. Dans les zones où les médecins sont présents, la charge administrative qu’ils subissent les empêche d’accepter de nouveaux patients en tant que médecins traitants.

Je le répète, les médecins libéraux sont les premiers à vouloir maintenir une médecine de proximité, car il y va de leur outil de travail et de la transmission. Nous vous demandons donc de renoncer à la facilité que s’accordent certains en nous plaçant en permanence en position d’accusés et en agitant la menace de mesures contraignantes. Des mesures coercitives et des contraintes de toutes sortes auront pour effet de détourner les jeunes des filières médicales et de précipiter le départ des plus âgés.

Le plan proposé par le Gouvernement va dans le bon sens, parce qu’il a repris certaines propositions du SML. Les allégements de cotisation dans le cadre du cumul d’emploi sont effectivement un encouragement pour les médecins retraités à apporter leur aide à l’offre de santé publique. Cela ne va cependant pas assez loin, puisqu’ils continuent à payer une cotisation retraite pénalisante sans obtenir en retour une majoration de leurs revenus. Ce point est fondamental.

La généralisation des stages en milieu libéral pour les futurs médecins est une attente forte pour ne plus enfermer la formation initiale à l’hôpital et la découverte de l’exercice libéral. Le SML défend cette mesure, qui doit être complétée par l’ouverture des facultés à des enseignants issus de la médecine libérale afin d’initier les étudiants à l’entreprise médicale, ce qui n’est pas le cas actuellement, d’où leur peur de s’installer.

La création d’un statut de collaborateur, que nous préconisons, permettrait de renforcer l’exercice libéral et de le rendre compatible avec les exigences de la vie personnelle.

Il faut aussi simplifier la coordination entre professionnels de santé, soutenir l’exercice coordonné, mettre en place plus rapidement la télémédecine qui permettra aux professionnels de santé de mieux travailler entre eux, à la condition que ces mesures profitent aux différentes formes d’exercice et pas uniquement aux structures. Il faut favoriser aujourd’hui les 90 % de médecins qui ne travaillent pas dans des maisons de santé pluridisciplinaires (MSP). Certaines mesures auront des effets contreproductifs. Ainsi, le développement de la médecine salariée dans des dispensaires communaux ou départementaux entre souvent en concurrence avec les structures libérales existantes et les fragilise, alors qu’il faudrait plutôt  soutenir des projets leur permettant de se maintenir. Le cas s’est présenté la semaine dernière en Dordogne, et il y a bien d’autres exemples en France de maires ou de conseils départementaux qui installent des médecins salariés alors que le territoire dispose de médecins libéraux.

Pour donner aux jeunes médecins la possibilité de s’intéresser à l’exercice libéral et de s’installer alors qu’ils sont formés à l’hôpital, nous recommandons de leur permettre de découvrir la médecine libérale au cours de leur formation. Nous proposons donc un compagnonnage des étudiants dès la troisième année, avec des stages en milieu libéral, et éventuellement, un accompagnement pendant toutes leurs études. Nous prônons la création de stages d’internat en libéral pour toutes les spécialités et toutes les années. Cela va de pair avec une extension de la couverture sociale et de l’avantage maternité à toutes les femmes médecins quelle que soit leur activité, et nous demandons le pendant pour la paternité. Le projet de maternité est, actuellement, le principal frein à l’installation des jeunes femmes en ville pendant trois ou quatre ans à la sortie de leurs études.

Il s’agit ensuite de sécuriser les conditions d’installation des jeunes médecins, qui seront, en majorité, des femmes, et de favoriser leur installation en libéral par des dispositifs tels qu’un contrat de solidarité de succession active avec leur prédécesseur, afin d’éviter les fermetures de cabinet sans successeur. Le médecin sortant, dans le cadre d’une retraite active, pourra transmettre sa patientèle au nouveau qu’il aura épaulé pendant plusieurs années.

Les jeunes médecins doivent disposer d’un réel choix dans leur installation en libéral, notamment au niveau des structures permettant l’exercice de groupe. Le SML souhaite que les dispositifs d’aide existant ne soient plus fléchés uniquement vers les maisons de santé pluridisciplinaires, mais aussi vers d’autres modèles entrepreneuriaux, notamment les cabinets de groupe. Un effort de simplification doit être engagé pour débureaucratiser les modalités d’obtention et de maintien de ces aides.

Ces entreprises médicales doivent aussi pouvoir créer des emplois afin de libérer du temps médical. Le secteur de la santé comprenait 117 000 salariés il y a huit ans ; ils sont 87 000 aujourd’hui. Le SML propose d’instaurer une exonération durable de charges et de taxes pour toute création d’emploi administratif et d’augmenter le forfait conventionnel « structure » afin de rendre possible l’embauche par les entreprises médicales. À défaut, il faudra revoir le niveau des honoraires pour que les médecins puissent recourir à des salariés dans leur cabinet.

Notre syndicat est satisfait que le concept de « médecin volant » qu’il défend soit retenu. Inciter les médecins à exercer quelques jours par an dans une zone fragilisée est une mesure à privilégier, pour peu qu’elle soit accompagnée de réelles incitations financières et fiscales, avec la prise en charge des frais d’exercice et de déplacement.

Au total, nous vous appelons à faciliter et simplifier la vie des médecins libéraux. Cela commence par des choses simples, comme le stationnement, qui devient un casse-tête dans certaines communes qui n’accordent plus aucune tolérance aux véhicules professionnels. Cela continue par le retour du tiers-payant généralisé, qui sera source d’impayés et de temps médical perdu si l’on persiste dans la voie actuelle.

Enfin, l’insécurité est un facteur aggravant de désertification médicale dans certains secteurs difficiles comme les banlieues. Les agressions contre les médecins libéraux lors des visites à domicile qui se multiplient doivent être traitées de façon très énergique et volontaire par les pouvoirs publics. Nous avons proposé des initiatives en ce sens, mais le ministère de l’Intérieur reste immobile sur ce dossier au prétexte d’impuissance. Nous le regrettons.

D’autre part, selon nous, en attendant l’arrivée des médecins en formation, des solutions permettent d’atténuer le problème démographique, notamment le cumul emploi‑retraite grâce à des mesures d’exonération et d’incitation. Mais le SML reste méfiant face aux mesures en faveur des infirmières de pratique avancée qui sont en discussion. Ce modèle est importé de l’hôpital où il est, au demeurant, assez peu développé. Derrière l’effet cosmétique des annonces politiques, nous redoutons la poursuite du « mercato » des compétences médicales. Attention à ne pas dégrader la qualité de notre système de soins pour boucher les trous en urgence. De notre point de vue, les infirmières de pratique avancée sont nécessaires et leur nombre doit se développer, mais elles doivent être placées en grande partie sous l’autorité du médecin.

Pour conclure, ce dossier doit être traité de façon sérieuse et résolue dans la durée en y consacrant les moyens indispensables pour soutenir la médecine libérale et en évitant de stigmatiser les médecins libéraux qui demeurent, quoi qu’on en dise, les professionnels les plus présents et les mieux répartis dans les territoires, avec les infirmiers et les pharmaciens. La collectivité publique devra, de son côté, appuyer les efforts des médecins libéraux et revitaliser les territoires dont elle s’est désengagée, notamment pour la couverture numérique, sans laquelle il n’y aura pas de télémédecine. Ne l’oublions pas, les déserts médicaux sont souvent des déserts tout court.

M. Bruno Silberman, premier vice-président de la Fédération nationale des médecins radiologues (FNMR). Le radiologue est un spécialiste, mais il n’exerce pas à distance : il voit les patients et juge de l’intérêt de l’examen qui lui est demandé – il n’est pas prescrit – et qui le réalise avec les moyens les plus pertinents, dans les meilleures conditions et avec la meilleure qualité, qui explique à son patient ce qu’il en est, discute quand il y a lieu avec le médecin qui a fait la demande, voire participe au trajet ou oriente la prise en charge. Il participe aussi aux réunions de concertation pluridisciplinaire et, en radiologie libérale, à la permanence des soins, notamment en établissement. Les soins non programmés font aussi partie de l’exercice quotidien.

La radiologie est aussi une spécialité de premier recours – l’une des plus sollicitées par les généralistes – et d’expertise en deuxième recours. Pour autant, la radiologie n’est pas une médecine à distance, et la télémédecine ne va pas tout résoudre. Ce qui est possible en biologie ne l’est pas pour l’examen radiologique, qui doit se faire au plus près du patient, si possible en contact avec le médecin qui le connaît.

Le métier de radiologue couvre le dépistage, le diagnostic, parfois le traitement. Le secteur est à 70 % en libéral, à 30 % hospitalier, et, selon les chiffres du ministère, 80 % des examens de scanner et d’imagerie par résonance magnétique (IRM) se font en ambulatoire et non à l’hôpital.

En ce qui concerne la désertification médicale, l’imagerie est un accompagnement nécessaire pour les généralistes, comme le sont d’autres spécialités. Ils s’installent désormais en regroupements, mais ne le font pas s’ils n’ont pas accès au radiologue, au cardiologue etc. Il faut y réfléchir.

Les radiologues eux-mêmes ont réfléchi depuis longtemps au regroupement. Il existe déjà en raison des investissements importants à consentir, mais devient de plus en plus important, avec parfois de trente à cinquante radiologues, couvrant un grand territoire, toujours en raison des coûts. Ainsi, le prix de l’équipement pour la mammographie a quadruplé : pour parvenir à un équilibre économique, il faut faire plus d’examens et les cabinets de proximité sont amenés à se regrouper. Ces « petits » cabinets ont aussi été fragilisés depuis une quinzaine d’années par la baisse de la nomenclature ; ils pratiquent de la radiologie, pulmonaire, osseuse, de l’échographie et de la mammographie. Comme cette dernière exige un équipement plus coûteux et que le prix baisse pour les autres actes, depuis 2012, beaucoup de ces petits cabinets ont fermé, ce qui déstabilise l’offre de premier recours et fragilise le tissu des généralistes, dont certains n’ont plus d’accès direct pour les patients.

D’autre part, il n’y a pas une petite et une grande radiologie, mais une radiologie pertinente. Autrement dit, on ne fait pas une radiographie simple en territoire rural et le scanner à une heure et demie de bus. Il faut pouvoir réaliser d’emblée le bon examen pour le patient. Il y a donc une réflexion à avoir sur la réorganisation territoriale d’une offre de radiologie pertinente. Heureusement, les radiologues sont de plus en plus organisés en groupes et peuvent se tourner les uns vers les autres, y compris pour la télémédecine. Mais il faut aussi pouvoir faire des scanners et de l’IRM de manière légitime au plus près des patients. Il faut donc bien réfléchir, dans le cadre des regroupements de médecins, à la répartition territoriale de l’imagerie médicale moderne. Or l’imagerie en coupe est soumise à autorisation et, pendant très longtemps, on a pensé qu’elle devait être hospitalière, alors que 80 % des examens se pratiquent en ville, au quotidien. Il faut donc inverser la donne. Bien entendu, dans certaines villes, la démographie conduit à réfléchir et agir en coordination avec nos collègues hospitaliers. Autant il est facile pour les radiologues libéraux ou leurs groupements d’intervenir dans les petits hôpitaux ou de prendre cela en charge dans les déserts ruraux, autant c’est compliqué pour les collègues hospitaliers, car leur statut les empêche de travailler sur place. Nous pensons qu’il faut introduire beaucoup de souplesse dans ce domaine et changer leur statut pour rendre possible un regroupement. Les dispositions de la loi de modernisation de notre système de santé sur les projets médicaux mutualisés sont d’une complexité folle et ne rapprocheront pas hôpital et médecine de ville. Il faut trouver des dispositifs plus simples pour que l’accès à l’imagerie soit organisé sur un territoire.

Par ailleurs, il faut être attentif à une tendance qui fait que, par exemple, tout le monde pense que le dépistage du cancer du sein peut se faire sans voir la patiente. Or la qualité de la radiologie en France tient à celle de la formation et au fait qu’on voit la patiente. Si l’on veut faire de la mauvaise médecine, qu’on la fasse à distance. Maintenir la présence du médecin près du patient est un enjeu majeur, y compris dans le dépistage. Actuellement, cela est remis en cause. Il faut accompagner les regroupements en donnant des autorisations d’imagerie en coupe en ambulatoire, même dans les territoires ruraux. Il faut aussi être attentif à la dérive de la télémédecine. En France, la téléradiologie a des années de retard sur nos voisins. Or elle est en train d’évoluer non vers une téléradiologie de qualité par un groupe territorial de proximité qui connaît les confrères et travaille avec eux, mais vers une interprétation simple par des groupes à distance qui font de l’imagerie sans même avoir les renseignements nécessaires. Il faut donc veiller à ce que la téléradiologie, pour rester de qualité, se pratique comme nous l’avons décrit dans une charte avec les hospitaliers et le Conseil professionnel de la radiologie.

Enfin, puisque chacun a parlé de fiscalité, les jeunes ont les mêmes problèmes d’installation que dans d’autres spécialités, mais en plus il leur faut investir. Aujourd’hui, la forme juridique est de plus en plus assimilable à celle des sociétés à responsabilité limitée (SARL) et des sociétés anonymes (SA). Or, quand on investit dans l’équipement au travers de ces parts sociales, la défiscalisation est quasi nulle. De ce fait, les jeunes ont de plus en plus de mal à s’installer, en ville comme à l’hôpital. Depuis dix ou quinze ans, on dit que l’imagerie coûte trop cher et qu’il faut diminuer ce coût. La bonne politique serait d’accompagner l’installation, qui est facteur d’organisation territoriale, pour la bonne prise en charge des patients.

M. Laurent Pinto, membre de la cellule de Paris des Cellules de coordination des dentistes libéraux de France (CCDeLi). Les Cellules de coordination des dentistes libéraux sont issues d'une dynamique de contestation du règlement arbitral mis en place par le précédent gouvernement suite à l'échec des négociations conventionnelles de mars 2017.

C'est en quelque sorte une « agrégation de chirurgiens-dentistes en marche » dont l'essence est l'information des confrères, la rencontre des élus locaux, la coordination d'actions communes. C'est un mouvement qui n'a pas de représentants nationaux et qui n'en souhaite pas. Il repose sur une organisation départementale. Je fais partie de la CCDeLi75 et je n'ai pas de mandat particulier pour m'exprimer de façon nationale même si je m'y suis impliqué lorsque j'ai créé le site internet vww.ccdeli.fr, dont je suis propriétaire.

Depuis plus de cinquante ans, la situation des chirurgiens-dentistes en France est choquante. Le système conventionnel actuel basé sur le paiement à l'acte conduit notre profession entière à tirer ses revenus d'une pratique de soins qui va à l’encontre d'une pratique de santé. Si elle bénéficie encore d'un statut libre, la profession se voit de plus en plus encadrée de la même manière que l'ensemble des professions de soins et de santé, prise entre une assurance maladie exsangue et des mutuelles aux intérêts contradictoires.

L'ensemble des acteurs, inclus dans un système qui a perdu tout sens, n'a plus d'espace de dialogue, plus de perspectives claires et saines, plus d'espoir de sortie par le haut.

On nous impose des conditions de moins en moins cohérentes. La spécificité et l'expertise de notre métier sont niées. Si, pendant les dernières décennies, cela restait en harmonie avec les technologies de la période, aujourd'hui les nouvelles avancées scientifiques nous permettent de nouvelles pratiques beaucoup plus conservatrices de la dentition. Avec le temps, c'est l'enlisement qui gagne et un sentiment de révolte qui naît, entre des dentistes apparemment individualistes et divisés, mais qui ont su récemment se mobiliser un temps par ces coordinations.

L'égal accès des Français aux soins dentaires sur l'ensemble du territoire se heurte à plusieurs freins qui limitent l'attractivité pour des chirurgiens-dentistes français et européens d’une installation dans les zones sous-dotées. La politique générale d'aménagement du territoire concerne l'ensemble des professions de santé et peut être discutée dans la concertation, avec une nouvelle gouvernance de l'assurance maladie, une vraie démocratie sanitaire et un véritable encadrement des complémentaires de santé.

La carte des chirurgiens-dentistes est exactement superposable à celle du niveau socio-économique de la population et les zones sous-dotées existent aussi dans les zones urbaines et périurbaines.

Parmi les freins à l'installation en zone sous-dotée, il y a d’abord le coût initial très élevé du plateau technique. Les dentistes se regroupent donc pour les mutualiser, ce qui affaiblit le maillage du territoire : ils quittent les petites communes.

Le cadre d'exercice réglementé par la convention dentaire signée avec l'assurance maladie n’est plus en adéquation avec les progrès de la science. La classification commune des actes médicaux (CCAM) comprend plus de 900 actes en odontologie, mais elle n'est toujours pas exhaustive. De très nombreux actes ne sont pas pris en charge et ceux qui le sont sont fortement sous-évalués. Aussi le patient est-il largement mis à contribution, ce qui compromet l'accès aux soins sur l'intégralité du territoire.

L'exercice salarié est attractif, mais les centres de profit que sont les centres de soins à bas coût du type Dentexia s'installent uniquement dans les zones surdotées des grandes villes. Les mesures incitatives fonctionnent un temps, les mesures répressives nous semblent complètement inutiles. Aucune commune n’est surdotée en professionnels.

Nous souhaitons retrouver une vraie éthique de santé. Actuellement, les confrères les plus impliqués dans la qualité des soins sont pénalisés financièrement, juridiquement et intellectuellement.

Ainsi, le coût de nos actes est dépendant de nos charges, du temps passé à les réaliser, et de la gestion administrative du cabinet. La rémunération du temps passé est fonction de critères personnels : diplômes, formation continue, écoute et attention aux patients, et même qualité artistique dans certains cas. C'est la substance même du caractère libéral de notre activité. Ce temps n'a donc pas la même valeur pour chacun et c'est à chacun de se définir par rapport à ces critères et à les soumettre aux patients en fonction du travail qu'il réalise.

Or ces soins sont plafonnés depuis trente ans, de façon identique pour chaque praticien. La destruction du modèle économique de l'exercice libéral va tarir les installations et accélérer les départs en retraite avec une pyramide des âges qui ne nous est pas favorable.

La convention dentaire, depuis cinquante ans, a été conçue dans un esprit contraire à l’éthique du soin qui devrait l’inspirer : Les tarifs opposables de soins sont bloqués, ceux des autres actes techniques sont libres. Cela revient à imposer au professionnel de santé  la responsabilité d'arbitrer entre soins à perte et soins non à perte. Il y a là une distorsion éthique, qui porte atteinte à la déontologie.

Le sens du vent pousse les pouvoirs publics à plafonner notre espace de liberté, au grand bénéfice des patients les plus aisés, ce qui est incompréhensible. Il est d'ailleurs étonnant qu'un Président souhaite donner son nom à une couronne de qualité moyenne déjà dénommée par avance, dans le cadre du reste à charge zéro, « couronne Macron ».

La profession appelle de ses vœux une réforme totale du système permettant de garantir la santé bucco-dentaire en respectant les avancées scientifiques et en même temps les contraintes économiques.

Un groupe de réflexion, le think tank « Agir pour la santé dentaire » s’est constitué. J’ai communiqué sa production récente à la commission, soit notre contribution « La santé bucco-dentaire, un enjeu de santé publique » et deux sondages réalisés par l'Institut français d’opinion publique (IFOP), l'un auprès de chirurgiens-dentistes et l'autre auprès de la population. Sa démarche vise à présenter une base argumentée, compréhensible par tous, de ce que serait une pratique normale de la profession. Nous voulons ainsi réagir au fait que, depuis des années, l’application des conventions successives a obligé, de façon pernicieuse, le chirurgien-dentiste, dans sa pratique au quotidien, à faire des arbitrages qui rendent l’exercice totalement flou pour lui-même et pour la société.

Mais vous avez le pouvoir de réaliser cet objectif. À l’instar du président Macron qui a fait le tour des capitales européennes pour tenter d'imposer la notion républicaine « à travail égal, cotisations égales », je vous propose de vous réapproprier la loi républicaine dans notre pays en modifiant les conditions de l'exercice non conventionné avec pour principe « à cotisations égales, prestations égales ». Nos concitoyens doivent être tous pris en charge de la même façon quelle que soit la situation conventionnelle du praticien.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Je vous remercie de votre présence. D’abord, on demande souvent aux élus de « prendre leurs responsabilités ». Sachez bien que notre commission n’est en rien hostile au corps médical, mais qu’elle vise, au-delà des sensibilités politiques, à apporter un éclairage dans un domaine où l’échec est ancien et répété, pour contribuer, ensemble, à bâtir l’avenir. Je le dis d’autant plus librement que j’avais déposé une proposition de loi sous la présidence Sarkozy, puis sous la présidence Hollande, et que j’ai soutenu récemment la proposition de loi du groupe Nouvelle Gauche qui allait dans le même sens. Toute la commission n’a qu’un objectif, en auditionnant environ soixante-dix organisations, c’est de contribuer à avancer.

Il n’y a pas qu’une solution, c’est évident, sinon elle serait déjà en application. Le problème de l’accès aux soins est divers, et l’intitulé de notre commission le dit assez : il ne concerne pas seulement le désert médical rural ; il se pose également dans le 20e arrondissement de Paris. Or l’égalité d’accès aux soins, qu’affirme le Préambule de la Constitution, est un pilier de la République, et nous entendons bien qu’il soit assuré, que ce soit par le public ou par le privé.

Je repars du constat : un nombre de médecins identique à ce qu’il était il y a vingt ans, une population en croissance, c’est, logiquement moins d’heures de pratique médicale disponibles pour la population. Il faut donc prendre des mesures à très court terme, immédiates même. Or je vous ai peu entendu en parler. On a évoqué le cumul emploi-retraite. J’ai soutenu cette mesure par amendement dans la loi de financement de la sécurité sociale, nous la proposerons sans doute dans notre rapport, et sinon je le ferai à titre personnel. À propos de l’aspect financier, notre commission a aussi pour objet d’évaluer l’efficacité des politiques publiques. Les mesures financées par les collectivités et par l’État ont-elles produit leur effet ? La réponse se trouve dans le rapport de la Cour des comptes.

Va-t-on laisser la situation se dégrader ? Le chiffre n’a pas été évoqué, mais sur dix médecins formés, un seul va s’installer en libéral. Et si votre génération a fait sept ans d’études, on en est à neuf et les représentants des internes que nous avons auditionnés demandent une année supplémentaire. Pour certaines spécialités on va arriver à quinze ans d’études. Comment inverser la courbe de l’offre médicale ? Certains de vous contestent la création de centres de santé municipaux – ce qui, à Paris et ailleurs, n’est pas nouveau. Les élus sont soumis à forte pression de la population. Ils ne sont pas contre les médecins, mais leur liberté c’est aussi de prendre ces initiatives.

À très court terme, quelles sont les solutions possibles ? Vous n’avez guère parlé de la revalorisation des actes. De plus en plus de jeunes médecins s’installent en secteur 2. En outre, chaque année 1 500 médecins étrangers s’installent et le Conseil de l’Ordre refuse de reconnaître leur capacité d’exercer. À l’hôpital, il y a 20 000 médecins qui ne sont pas inscrits au Conseil de l’Ordre. Nous avons beaucoup parlé de qualité des soins avec les jeunes médecins. Laisse-t-on une telle situation perdurer ? Avez-vous des propositions à nous faire à ce sujet ?

Il faut nous aider, car d’autres idées sont dans l’air : déconventionner, réguler en obligeant les nouveaux à s’installer quelques années dans tel territoire – encore est-il difficile de savoir de quoi on parle et je n’aime pas le terme de désert : la région Centre-Val-de-Loire est finalement un grand désert. Pour ma part, en tant que biologiste libéral, je suis attaché à l’exercice libéral, mais avec quelques contraintes, car nous devons apporter un service à nos concitoyens.

La commission n’a donc pas d’idées préconçues, mais nous ne pourrons pas rester sans rien faire devant une situation qui ne fait que s’aggraver. Actuellement, un médecin formé sur dix  rejoint la médecine libérale, qui dit que demain ce ne sera pas seulement un sur vingt ? Pour prendre un exemple, on essaye de pousser le statut des médecins adjoints, ceux qui ont terminé leur cursus d’internat mais n’ont pas  défendu leur thèse et peuvent s’installer. On a encore des difficultés avec l’administration fiscale qui veut les assujettir à la TVA sur leurs honoraires. Faites-nous remonter les difficultés. Il en va de même pour les maîtres de stage – faut-il les rémunérer ? – pour sortir la formation de l’hôpital – les médecins hospitaliers sont tout à fait d’accord. Que des professionnels libéraux puissent aller enseigner, d’accord. On doit être capable d’innover en ce qui concerne les rémunérations. Il faut un arsenal puissant de mesures, sinon, j’en ai peur, nous nous retrouverons dans la même situation dans cinq ans.

Pour notre part, nous avons des comptes à rendre à nos concitoyens. Une France qui va chercher 1 500 médecins étrangers par an, c’est indigne. Quand on compare le coût de la formation en France et en Roumanie, c’est un véritable scandale d’État. Je demande qu’on établisse ce coût précisément, car c’est aussi un coût social, dont personne ne parle – imaginez ce que cela veut dire de prendre un taxi pour aller à 80 kilomètres faire un examen ou attendre des heures aux urgences. Si vous jugez les moyens coercitifs décourageants, dites-nous comment on pourrait d’abord encourager les médecins.

Encore un mot : les épreuves nationales classantes (ENC) sont un échec. On organise la sélection à la fin de la sixième année. Ne vaudrait-il pas mieux des internats régionaux ? Enfin, une certaine appétence s’est manifestée pour les contrats d’engagement de service public. Peut-on les généraliser, et salarier plus de jeunes, comme c’est le cas, après tout, pour les étudiants de certaines grandes écoles, avant de rendre ensuite un peu à la société ?

C’est là un certain nombre de réflexions que je vous livre. Au fil des auditions, sur les mesures de moyen terme et de long terme, une convergence se dessine au moins sur la formation : ouvrir les portes du CHU par exemple – j’avais déjà proposé il y a six ans que les internes en médecine générale passent dix-huit mois dans un cabinet de professionnel libéral. N’est-ce pas aussi un bon moyen ?

M. Jean-Paul Ortiz. Résoudre le problème à court terme est bien le plus compliqué. Mais gardons-nous de prendre des mesures qui auraient un impact après que cette période de court terme sera passée. Ainsi, augmenter le numerus clausus, comme certains le proposent, ne résoudra rien sur le court terme. La formation a des effets sur le moyen terme.

Des enquêtes sur l’exercice médical, il ressort de façon constante que les médecins se plaignent que leur vie professionnelle soit embolisée par une dérive administrative et bureaucratique. Déjà, récupérons tout ce temps perdu en paperasserie pour en faire du temps médical. Un tiers seulement des généralistes installés ont une secrétaire dans leur cabinet, un tiers un secrétariat téléphonique et un tiers fonctionnent seuls.

M. Philippe Vigier, rapporteur. C’est leur liberté.

M. Jean-Paul Ortiz. Cela signifie qu’ils n’ont pas les capacités financières d’avoir un environnement professionnel qui leur permette de se consacrer à leur cœur de métier.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Alors, il faut revaloriser les honoraires ?

M. Jean-Paul Ortiz. C’est vrai également pour un certain nombre de spécialités cliniques qui ont le moins de revenus – pédiatres, psychiatres, endocrinologues. Les spécialistes médicotechniques comme les radiologues ont, par la force des choses, un environnement leur permettant de se consacrer beaucoup plus à leur cœur de métier, même s’ils doivent assumer un temps de gestion qui tient aussi de la dérive bureaucratique. En tout cas, on voit bien que pour les cabinets, il y a un problème de dérive bureaucratique et il y a là des mesures simples à prendre : leur donner les moyens d’avoir un support pour leur exercice professionnel.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Donner des moyens ?

M. Jean-Paul Ortiz. Il y a deux leviers. Le premier porte sur la valeur des actes. Je suis moi-même médecin libéral et je prône l’entreprise médicale libérale car c’est elle, non le salariat, qui offre l’efficience maximale. C’est donc la façon dont ma production est achetée qui va permettre une revalorisation. Sans faire de misérabilisme, regardez le tarif des consultations. Et cela fait des dizaines d’années qu’on n’a pas su suivre l’évolution de la valeur des services, si bien que leur niveau actuel est déconnecté de la réalité.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Je suis d’accord avec vous.

M. Jean-Paul Ortiz. Aujourd’hui, une consultation médicale au tarif conventionnel devrait valoir le double dans l’échelle des services du pays. Or doubler le prix est impossible. De ce fait, des jeunes ne s’installent pas. À ce propos les chiffres que vous donniez, au moment de l’inscription au Conseil de l’Ordre, évoluent cinq ans après l’inscription.

M. Philippe Vigier, rapporteur. La tendance est réelle : de 14 %, on est passé à 9,5 % d’installations en libéral. C’est un échec terrible de la médecine libérale.

M. Jean-Paul Ortiz. Les jeunes s’installent peu en exercice libéral aujourd’hui parce qu’ils ne le connaissent pas et surtout parce qu’il les attire peu, ce qui n’était pas le cas auparavant, parce que, au-delà des revenus, cette vie professionnelle est difficile.

M. Luc Duquesnel, président de l’Union nationale des omnipraticiens français (UNOF), affiliée à la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF). On a parfois l’impression qu’il ne se passe rien. Mais il faut aller dans les départements ruraux ‑ comme le mien, la Mayenne – voir ce qu’on fait et évaluer ce qui marche. Je ne parle que pour les généralistes. Dans un département où la permanence des soins n’est pas organisée, on n’attirera pas de jeunes libéraux, car c’est là la contrainte la plus importante pour un généraliste – je pense à la Charente et à d’autres cas. Depuis longtemps nous demandons qu’on inclue le samedi matin dans la période de permanence des soins : que le généraliste qui a travaillé 57 heures dans la semaine puisse se sentir libre le vendredi à 20 heures n’a rien de choquant. Il faudrait aussi que la permanence commence à 19 heures et non à 20 heures. Si, après 19 heures, le patient ne trouve plus personne au téléphone, ce n’est pas que le médecin est rentré chez lui, mais qu’il a des rendez-vous jusqu’à 21 heures et que s’il répond, il finira à 22 heures.

L’autre élément primordial, c’est que les médecins généralistes soient maîtres de stage dans les zones sous-dotées. Tout aussi important, proposer des lieux d’installation : les MSP doivent s’organiser, mais autour d’un projet – non pas en commençant par bâtir des murs. La solution du médecin adjoint peut prendre la forme de l’assistant libéral : puisque la marche est trop haute pour s’installer, il y a la fonction de remplaçant, puis celle de collaborateur libéral, et dans mon département, elle rencontre un vrai succès auprès des jeunes.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Nous proposerons un nouveau statut pour les médecins adjoints.

M. Luc Duquesnel. Il faut une réflexion territoriale sur l’offre de soins, mais le bon niveau n’est plus la commune, mais l’EPCI.

S’agissant du court terme, hier matin nous étions à la direction générale de l’offre de soins (DGOS) pour parler des infirmières de pratique avancée. On voit bien que ce sera une véritable aide pour les généralistes. Elles vont entrer en master 2 en septembre. Mais comment allons-nous faire si les infirmières libérales partent faire deux ans d’études ? Celles qui sont salariées à l’hôpital le pourront. Mais dans les territoires ? À certains endroits, on est passé de huit à deux médecins. Ceux qui restent ne peuvent pas multiplier leur patientèle par quatre. Il faut chercher dans la boîte à outils. Une solution réside dans les assistants médicaux, qui ne sont pas des professionnels de santé, et dans les infirmières de pratique avancée – en veillant à ce qu’elles n’aillent pas toutes à l’hôpital. Chaque jour, je pèse des patients, je prends la tension, je fais nombre d’opérations qui ne requièrent pas mon expertise médicale. Autre outil, la téléconsultation qui peut éviter au généraliste de passer des heures sur la route. Et il y a le cumul emploi-retraite. Je viens de réunir tous les médecins du département qui partent : cinq sur trente étaient d’accord pour continuer à travailler, et ils auraient été opérationnels immédiatement. La revalorisation des actes est également essentielle. Le nombre de généralistes libéraux n’est pas stable comme vous le disiez, il a diminué de 15 % depuis 2007. Tous les moyens que je viens d’évoquer n’ont pas permis d’éviter cette baisse, mais de faire qu’elle soit moins importante que la moyenne nationale. Seulement, elle va se poursuivre dans les dix ans à venir.

M. Bernard Plédran, délégué régional (Aquitaine) de MG France. La médecine générale est un vrai métier, de plus en plus complexe, qui ne peut pas être exercé par n’importe qui n’importe comment. La première mesure utile, qui ne coûterait rien et qui peut être prise immédiatement, serait d’arrêter le dénigrement, à tous les niveaux, de la médecine générale. Pour donner un exemple, les internes rapportent que le professeur Pellegrin de l’université de Bordeaux leur dit systématiquement, au moins une fois par an : « Vous êtes nuls, nuls, nuls, tellement nuls que vous finirez médecins généralistes au fin fond du Périgord. » Sur France Inter cette semaine, Martin Hirsch a expliqué comment l’hôpital allait faire de la médecine générale dans Paris car les médecins généralistes sont des salauds qui prennent des vacances, etc. Rappelons quand même les chiffres : la médecine générale fait 500 millions d’actes par an, les urgences 18 millions. On entend sans cesse à la radio les médecins urgentistes qui viennent pleurer sur le manque de moyens. Les médecins généralistes sont là, ils font leur boulot, ils reçoivent les gens. Il y a un problème pour les actes non programmés : un généraliste qui reçoit un appel à 19 heures va devoir désorganiser la fin de sa consultation pour éviter que la personne aille aux urgences. Mais au lieu de pratiquer un dénigrement systématique dans les médias, tout en affirmant que les généralistes sont utiles, il faudrait rappeler qu’ils jouent un rôle essentiel et qu’on en a besoin partout, pas seulement dans les prétendus déserts de la Creuse et de la Corrèze, mais aussi dans le centre de Paris et dans certaines banlieues.

Il faut aussi arrêter de vendre la médecine générale par appartements, car cela engendre de la démotivation. C’est bien beau de dire que les pharmaciens vont faire de la vaccination, mais on a montré que plus on multiplie le nombre d’intervenants, moins on est efficace sur la couverture de la population. Et si l’on enlève tous les actes faciles au généraliste pour lui laisser seulement les plus complexes, au tarif de 25 euros la consultation, c’est indigne. Développer des forfaits, qui couvriraient toute la partie administrative et technique – je ne suis pas particulièrement pour le paiement à l’acte – et nous permettraient d’embaucher du personnel, et de revenir au moins au nombre d’employés que nous avions il y a une vingtaine d’années, ce qui ferait 30 000 demandeurs d’emploi en moins, serait déjà une bonne chose.

Mme Sophie Bauer, secrétaire générale du SML. Vous souhaitez des mesures immédiates, en voici une : la mise en place de la commission qui permettra aux médecins sans diplôme de se réinscrire et de passer leur thèse. Le décret est enfin sorti, mais on attend toujours sa constitution.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Effectivement, à la fin des études, on avait trois ans pour passer la thèse. Mais les doyens viennent de se mettre d’accord pour que les étudiants puisent la passer avant la sixième année, ce qui va régler le problème.

Mme Sophie Bauer. Je parlais des médecins qui ont été victimes de la loi sur les résidents, qui n’ont pas été contactés à temps par les facultés et se sont trouvés devant un diktat, ne pouvant plus passer leur thèse. La loi « Montagne » a créé une commission pour résoudre le problème, mais elle n’est toujours pas en place. Plus vite on le fait, plus vite on règle des problèmes…

M. Philippe Vigier, rapporteur. Combien de médecins sont concernés ?

Mme Sophie Bauer. Une centaine se sont déclarés, et l’on pense qu’il y en a autant ou plus qui ne l’ont pas fait par peur de mesures de rétorsion quand ils ont réussi à continuer quand même à travailler. Un certain nombre est en Suisse, et ce serait bien de les faire revenir sur le territoire français. D’autre part, après la nouvelle loi sur le résidanat, il reste un certain nombre de cas non réglés de titulaires de diplômes d’études supérieures (DES) qui se sont heurtés à un problème pratique pour passer leur thèse : à l’époque, il n’y avait pas assez de maîtres de stage et de sujets de thèse. La faculté ne semble pas avoir envie de régler le problème et le vide législatif les empêche de le faire. Voilà encore d’autres médecins, qui ont fait leurs études en France et qui ne peuvent exercer.

Ensuite, on estime que les généralistes, et même des spécialistes, passent 40 % de leur temps à des tâches administratives et non médicales. Une mesure immédiate, c’est la simplification administrative. Exerçant en secteur 2, j’ai la chance inouïe de pouvoir employer une secrétaire 35 heures par semaine. Étant donné la prolifération de la paperasserie, les problèmes de codage, il me faudrait un poste et demi de secrétaire, ce que je n’ai pas les moyens de payer. Je ne parle pas des généralistes qui n’ont pas les moyens d’avoir de secrétaire. Un secrétariat extérieur ne règle pas le problème, car il ne fera pas l’accueil des patients, la coordination des parcours de soins, la prise d’autres rendez-vous pour les patients fragiles. Actuellement, il y a donc une perte de temps médical considérable.

M. le rapporteur. Parmi les tâches administratives, lesquelles sont les plus dévoreuses de temps ?

Mme Sophie Bauer. Par exemple, le nombre de pages du dossier de la maison départementale de l’autonomie a été multiplié par deux. Ce sont les médecins qui le remplissent, sans être financés, et les patients en ont absolument besoin. Quant aux services mis en ligne par la CNAMTS, ils sont parfois plus longs à remplir qu’un document papier. Autre exemple, on a calqué le compte rendu de sortie d’hospitalisation des établissements privés sur celui des hôpitaux où il y a des « petites mains » pour remplir ces comptes rendus. Cela fait maintenant quatre pages, que le généraliste n’aura probablement pas le temps de lire. Or, un compte rendu efficace au médecin traitant passe par quelques mots clefs, pas le rappel de toute la vie du patient – que de toute façon, il connaît. Tout cela limite le temps médical, est épuisant et compromet l’écoute nécessaire pour les cas compliqués.

M. Patrick Gasser, président de l’Union nationale des médecins spécialistes confédérés (UMESPE), affiliée à la Confédération des syndicats médicaux de France (CSMF). La réponse ne peut être que globale, et nous parlons encore en couloirs, si je puis dire. Par exemple, la médecine générale, qui présente un problème aigu certes : nous avons tous besoin d’un médecin traitant. Mais aucun médecin ne s’installera dans une zone isolée, sous-dotée, s’il n’y trouve pas, en appui, l’ensemble de l’expertise nécessaire pour la prise en charge. Il ne faut donc pas oublier de traiter aussi la médecine spécialisée, comme on le fait trop souvent. D’ailleurs, la définition des zones sous-dotées médicalement se fait sur un seul critère, la densité de généralistes. Si l’on compare notre environnement à celui d’autres pays, on peut dire qu’il y aura une diminution des généralistes, et c’est normal, même si bien sûr ils doivent mailler l’ensemble du territoire. Mais il va falloir des spécialistes, on l’oublie souvent. Le parisianisme fait que, trop souvent, on pense que les spécialistes sont dans les hôpitaux.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Une critique qui ne nous concerne pas !

M. Patrick Gasser. Bien sûr, sinon je n’oserais pas le mentionner. Les maisons pluridisciplinaires de santé sont une excellente expérience, mais assez peu de spécialistes s’y installent et ont cette réflexion territoriale. C’est celle-ci qu’il faut approfondir pour parvenir à une organisation globale, comme elle existe en Allemagne.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) ont une réflexion territoriale. On a mis 220 praticiens autour de la table pendant quatorze mois, on ne peut pas faire beaucoup plus. Mais on gère la pénurie.

M. Patrick Gasser. Pour ce qui est de gérer la pénurie dans l’immédiat, des spécialités ont montré la voie, comme les ophtalmologues, avec le travail aidé et la coopération avec un orthoptiste. Nous demandons aussi qu’on permette la délégation de tâches. C’est pourquoi il n’y a pas d’opposition franche aux infirmières de pratique avancée, mais une opposition à la notion d’autonomie, qui présente des risques de dérive du système.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Seriez-vous en état de faire, ensemble, d’ici juin, une liste de tâches susceptibles d’être déléguées ? Il y a sans doute des mesures applicables presque immédiatement. On a parlé du vaccin en pharmacie, mais pour la recherche d’albumine chez la femme enceinte, il ne faut pas non plus avoir fait dix ans d’études.

M. Patrick Gasser. Les collèges nationaux professionnels ont demandé à chaque spécialité de s’engager dans cette démarche de définir ce qu’on peut déléguer comme tâches dans chaque cas. Il y a certes une responsabilité des professionnels de santé. Mais n’y a-t-il pas aussi une responsabilité des politiques, qui devraient réfléchir à une politique de la ville un peu différente ?

M. William Joubert, secrétaire général du SML. Je pense qu’il faut distinguer d’une part les territoires ruraux sous-médicalisés, d’autre part les banlieues, dont les populations et les modalités de prise en charge sont différentes.

Vous demandez des mesures à appliquer immédiatement. Mais il y a aussi des mesures structurelles qui influeraient sur les jeunes voulant s’installer, ainsi que sur les seniors pour les inciter à rester un peu plus longtemps. Il y a un creux important dans la démographie, mais dans quelques années, il va sortir des facultés un nombre de médecins aussi important qu’autrefois. Plutôt que de changer l’organisation, il faut utiliser tous les moyens qui permettent de passer ce trou d’air de quelques années.

Parmi les mesures utiles, il y a le passage à la permanence des soins à 19 heures et le samedi matin. On a dit que la politique des revenus n’était pas suffisante, par exemple pour se décharger de tâches administratives et éviter le burn out. Mais il ne faut pas prendre des mesures qui freinent l’installation en libéral, comme le statut du remplaçant, qui finit par ne pas avoir intérêt à s’installer. Si on limitait ce statut, on en conduirait certains à vouloir s’installer.

M. Philippe Vigier, rapporteur. On tient à la liberté, donc toucher au statut la compromet. D’un autre côté, le libéral finit aussi par être régulé. Seule la médecine générale et les spécialistes ont échappé à toute régulation, quand toutes les autres professions de santé ont fait des efforts.

M. William Joubert. La pénalisation de certaines formes d’exercice, cela existe déjà, par exemple pour le secteur 2 et la prise en charge des charges sociales.

Pour prolonger l’activité des seniors, nous demandons le contrat de solidarité active avec les jeunes et que l’on revoit le cumul emploi-retraite.

M. Jean-Carles Grelier. Permettez à un élu des Pays-de-la-Loire de s’exprimer !

M. le président Alexandre Freschi. C’est un lobby régional ! (Sourires.)

M. Jean-Carles Grelier. Je ne vous cache pas que ce que j’ai entendu ce matin m’a un peu inquiété. J’attendais des propositions concrètes de la profession. J’entends des mesures qui confortent la situation des médecins d’aujourd’hui, rien ou très peu sur celle des médecins de demain. On nous a dit qu’il y aurait dix années difficiles. Mais quid de la médecine générale dans dix ans ? Aux ENC de 2016, il y avait 3 500 postes de médecine générale ; 3 200 ont été pourvus, dont 1 500 par choix, et 1 700 parce que les intéressés n’avaient pas réussi l’examen. Ces derniers, on ne les verra jamais dans les cabinets. Ce sont donc 1 500 généralistes qui seront diplômés dans trois ans. Quelle garantie avons-nous que, dans dix ans, quand l’ouverture du numerus clausus produira un peu plus de médecins qu’aujourd’hui, il y aura plus de généralistes dans nos territoires ? Il faut que l’Université et la profession prennent des engagements et que l’on sache où l’on va. Comme l’a dit le docteur Plédran, il faut cesser de dénigrer la médecine générale. Il faut même réfléchir à la façon de revaloriser ce beau métier, car on peut produire beaucoup plus de médecins, mais si l’on ne convainc pas des étudiants de choisir la médecine générale, la situation perdurera.

J’ajoute qu’il ne faut pas non plus dénigrer les élus locaux. Ils ont beaucoup fait, et même les nombreuses initiatives depuis quelques années sont le fait des élus du territoire, dont ce n’est pas la compétence, mais qui jouent ce rôle car ce sont les élus proches des citoyens. On y met beaucoup d’argent public. J’ai envie de demander à la profession quelle garantie nous avons que tout cet argent public va produire les résultats escomptés. Dans mon département, il existe treize MSP, dont une seule a permis d’attirer un nouveau médecin. Les douze autres ont amélioré les conditions d’exercice des médecins existants, et c’est très bien. Mais les élus ont investi dans ces maisons parce qu’on leur a fait la promesse que cela pourrait attirer de nouveaux médecins et ce n’a pas été le cas.

Enfin, j’entends, pour l’immédiat, qu’on dit oui aux infirmières de pratique avancée (IPA), mais avec délégation de tâche par le médecin. Mais par qui ? Sur les territoires où il n’y a plus de médecin, qui va consentir à cette délégation ? Pourquoi d’ailleurs ces IPA, formées à bac plus cinq, auraient-elles besoin d’une délégation quand les sages-femmes ou les kinés, qui ont le même niveau de bac plus cinq, n’en ont pas besoin ? Les médecins ne pourraient-ils porter un regard différent sur les professions paramédicales, voir en l’opticien non un marchand de lunettes mais un professionnel de santé formé, en l’hygiéniste bucco-dentaire, un vrai assistant de premier recours en chirurgie dentaire ? Il y a un certain nombre de personnes convenablement formées qui, en amont du médecin, peuvent constituer un recours pour une consultation paramédicale dans un premier temps, pour réserver l’acte technique, l’expertise, au médecin dûment formé. Peut-être pourrait-on du même coup rendre sa valeur technique à la médecine générale, et revaloriser son image aux yeux d’étudiants brillants qui se tournent vers la neurochirurgie et qui se diraient que ce n’est pas si mal d’être généraliste.

Mme Stéphanie Rist. Le décret qui permet aux étudiants partis en Suisse ou ailleurs de passer leur thèse s’ils s’installent deux ans dans une zone sous-dotée date du 30 mars 2018. Sur le cumul emploi-retraite, un arrêté a relevé le plafond dans les zones en tension en décembre 2017.

M. Luc Duquesnel. Il est totalement insuffisant !

Mme Stéphanie Rist. Le plafond a été porté à plus de 40 000 euros.

Je suis convaincue que la coercition n’est pas la solution, mais qu’on peut parler d’une responsabilité territoriale des médecins, notamment par des consultations avancées. Comment voyez-vous la mise en place d’une telle responsabilité ?

Mme Mireille Robert. Élue de l’Aude, je comprends bien les problèmes des médecins généralistes, sur le plan administratif notamment, mais la permanence des soins à partir du vendredi soir est vraiment un gros problème. S’il n’y a pas plus de médecins, si on n’utilise pas la coercition pour en faire venir dans les territoires isolés, comment fait-on ? Il faut penser aux patients.

M. Éric Straumann. Le docteur Vermesch a évoqué le stationnement. Depuis le 1er janvier, la législation a évolué. Les villes, comme Colmar, fixent ces droits. Que souhaitez‑vous ? Un cadre national ? La gratuité totale, ou êtes-vous prêt à payer un droit minimum ?

Mme Marguerite Bayart. Dans le court terme, la première chose à faire est de maintenir les généralistes en activité, en évitant qu’ils se mettent en burn out. Je suis tout à fait d’accord sur l’idée de limiter le temps administratif au profit du temps médical. Désormais, quand je suis à mon cabinet, j’en sors à 21 heures 30 après avoir consacré deux heures de la journée à remplir des papiers. C’est un problème assez français.

La formation est essentielle, mais le choix de la spécialité est aussi lié au nombre d’enseignants. Or il y en a dix fois moins en médecine générale que dans les autres spécialités. Le problème n’est pas résolu. Je reçois des étudiants en stage, et j’ai peur qu’en me voyant courir ainsi le soir, ils soient découragés. Je suis passionnée par mon métier, j’essaye de travailler pour lui en militant, mais il est vrai que nous sommes sous pression. Le paiement se fait à l’acte, mais on ne peut pas les multiplier. Lorsque je faisais de la médecine plus pointue, il me fallait quinze minutes, maintenant j’en prends trente au moins pour des consultations plus générales, avec plusieurs motifs, et qui nécessitent ensuite une coordination importante qui n’est pas prise en compte. Pour le moyen et le long terme, il faudra revoir complètement le mode de rémunération de la médecine générale. Le métier n’est plus le même et le paiement à l’acte n’est plus adapté. Or le paiement au forfait fait peur aux médecins, qui craignent d’être assujettis au bon vouloir du décideur, à preuve la grogne sur la rémunération sur objectif de santé publique.

D’autre part, un cabinet est une entreprise, et les jeunes ne sont pas formés à cette dimension entrepreneuriale de l’exercice. Il faut aussi revoir le mode d’organisation. Par exemple, j’étais en cabinet individuel. J’ai pris une infirmière dans le cadre du protocole « Action de santé libérale en équipe » (ASALEE), ce qui a déjà modifié mon mode de fonctionnement depuis cinq ans. Puis, pour être crédible, j’ai voulu passer en maison de santé privée, à côté d’une maison de santé initiée par la communauté de commune. Il a vraiment fallu que je fournisse énormément de justifications pour remplir toutes les cases et obtenir le label de l’agence régionale de santé (ARS). C’est un véritable parcours du combattant, il faut changer cela.

Ce dont ont besoin les généralistes, c’est de fonctions support à tous les niveaux, au sein de leur cabinet, et pour l’organisation dans les territoires. Si je veux créer une CPTS, je n’en ai pas le temps. Je demande à l’ARS si elle peut déléguer quelqu’un pour assurer la fonction support, et on me répond que ce n’est pas possible.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Vous avez raison.

Mme Marguerite Bayard. Les professionnels prennent des initiatives, mais il faut les écouter et mettre à leur disposition les fonctions support pour lesquelles ils n’ont pas les compétences.

M. Luc Duquesnel. Monsieur Grelier, nous avons fait des propositions pour l’immédiat, nous pouvons vous les refaire. Pour les infirmières de pratique avancée, qu’il n’y ait pas d’ambiguïté, il ne s’agit pas de délégation de tâches. Les syndicats représentatifs étaient tous hier matin à la DGOS pour parler de ce sujet et le décret va partir au Conseil d’État en fin de semaine. Ce que nous avons demandé, c’est que cette pratique ait lieu dans le cadre d’une équipe de soins sous la responsabilité du médecin traitant et dans le cadre d’un protocole. J’en suis tout à fait d’accord, je peux ne voir qu’une fois par an un patient dont le diabète est équilibré, que l’infirmière de pratique avancée verra trois fois, tandis que je passerai plus de temps avec celui dont le diabète n’est pas équilibré.

Vous disiez aussi que la création de treize maisons de santé dans votre département n’a attiré qu’un médecin. Mais on gère la pénurie. Si déjà ces créations ont réussi à ce que vous n’en perdiez aucun, c’est cela l’indicateur de réussite. Le nombre de généralistes libéraux a diminué de 15 % et va encore diminuer de 10 % dans les prochaines années. Et il n’y a pas qu’eux. La situation des spécialistes cliniques aujourd’hui est le fruit de la politique conventionnelle menée depuis trente ans. On a parlé de coercition, mais comment l’utiliser pour gérer la pénurie ? Dans votre région, il y a peut-être eu une petite augmentation du nombre de médecins en Loire-Atlantique, mais la population a augmenté, a vieilli et les besoins de santé ont suivi : Il n’y a pas de zone « surdotée » en médecins généralistes en France.

Sur la permanence des soins, madame Robert, il faut regarder ce qui fonctionne. C’est le cas dans les Pays-de-la-Loire : avec l’ARS, avec SOS Médecins, ce service confié aux généralistes fonctionne. Il en va de même pour l’organisation professionnelle, quand on se met ensemble pour gérer la pénurie, par exemple dans les CPTS. Je ne réfléchis plus au niveau de ma patientèle, mais plus globalement en fonction aussi des spécialistes de deuxième recours. En tant que généraliste, je ne m’installerais pas dans un territoire où il n’y en a pas pour prendre en charge mes patients. Mais quelle assistance, quelle maîtrise d’ouvrage en quelque sorte, offre-t-on au médecin, qui a ses propres compétences mais pas celles nécessaires pour créer une CPTS, avec le secteur social et le médicosocial ?

M. Bruno Silberman. Vous demandez des mesures immédiates. La première chose à faire, c’est de nous assurer la stabilité. Même dans une spécialité comme la radiologie, réputée sans problème, le changement de réglementation permanent, la baisse des tarifs sont un frein à l’installation des jeunes et à l’investissement.

Pour sortir des Pays-de-la-Loire, en Ile-de-France, qui va devenir un désert médical
– et pas seulement dans le 18e arrondissement –, le plus gros frein est le coût de l’immobilier. Très peu de collectivités considèrent qu’il est de leur rôle de « porter » les murs. Or les nouveaux ne peuvent s’installer et ceux qui le sont déjà partent sans trouver de repreneur en raison de cette cherté. Il est essentiel de trouver une solution pour un portage social des murs.

M. le président Alexandre Freschi. Dans les déserts médicaux, ce n’est pas le problème.

M. Bruno Silberman. Dans Paris, plus un généraliste ou un spécialiste ne s’installe. C’est notre seul problème avec l’ARS : Qui assume le coût des murs ? Nous avons peut-être besoin d’un acteur social dans ce domaine.

M. Philippe Vigier, rapporteur. On ne peut pas à la fois être en régime libéral et être assisté. Vous en arrivez à une contradiction. Ou alors, quand il n’y aura plus de boulangerie, on demandera qui porte les murs ? Les collectivités locales ont essayé de faire le maximum. Dans mon département, nous avons créé treize maisons de santé et attiré un peu plus de médecins que dans la Sarthe. On fait aussi des efforts sur le numérique, à grands frais.

S’agissant des délégations de tâches et des pratiques avancées, il y a des choses que l’on peut faire presque immédiatement, avec des gens qui sont déjà dans la chaîne de soins et auxquels on fait confiance. Il faut que le médecin arrête de penser qu’il est le seul à pouvoir vacciner. Il y a eu une commission d’enquête après l’expérience de vaccination généralisée de Mme Bachelot, qui s’est terminée en jetant 45 millions de doses à la poubelle. À l’époque, on ne s’est appuyé ni sur les généralistes, ni sur les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), ni sur les biologistes, ni aucun paramédical pour ce vaccinodrome.

Nous sommes face à un problème de santé public majeur, d’accès aux soins, de reste à charge et, disons-le, d’impuissance publique. Comment sortir de l’ornière ? Certains disent même que nous subissons une onde de choc qui aura des conséquences pendant plus que dix ans, car la population vieillit et les besoins de santé augmentent. Comment des professions sont-elles capables de s’engager, avec une évaluation chaque année sur ce qui a fonctionné, ce qu’il faut renforcer ? Nous, élus locaux, sommes parfois démunis. Ainsi, un médecin est venu me voir la semaine dernière en disant qu’il lui fallait 50 000 euros ou il partait : à trois kilomètres près, il n’était pas dans le bon zonage. Ce n’est pas un discours acceptable. Je comprends bien qu’il faille des primes à l’installation, mais il faut des contreparties. Si l’on donne 50 000 euros à quelqu’un, on lui dit aussi qu’il ira dans les zones désignées, sinon il n’aura pas de convention.

Ce serait aussi une aide si, dans les deux dernières années d’internat de médecin générale, on imposait aux étudiants de passer douze mois auprès d’un médecin généraliste. La greffe peut prendre. Êtes-vous prêts à aller dans ce sens ?

M. Patrick Gasser. Encore une fois, vous ne nous parlez que de la médecine générale. Pour les spécialistes, il en va de même.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Vous avez raison, mais je dis médecin en général car tout désormais est spécialité. C’est l’ensemble des médecins, mais aussi des paramédicaux et tout le personnel soignant.

M. Patrick Gasser. Je vous en remercie.

Oui, nous avons une réflexion sur la territorialité et nous amenons l’ensemble de nos collègues à y participer. Le faire de façon isolée est difficile. C’est pourquoi nous prônons depuis des années l’entreprise médicale libérale, qui doit être une entreprise de biens et de services et doit pouvoir contractualiser. La réflexion sur les contrats de prise en charge de la population est une piste pour le moyen terme.

S’agissant de la permanence de soins en ambulatoire, elle n’est reconnue qu’en médecine générale, pas en médecine spécialisée. Elle a existé, mais aujourd’hui, cette permanence pour les spécialités n’existe que dans les établissements, la plupart du temps les hôpitaux publics. C’est un ensemble de petites choses qui vont rendre aux professionnels la confiance dans l’organisation et la gestion du système.

J’appartiens, à Nantes, à un groupe de quinze médecins. Les jeunes veulent y venir, car ils ont une visibilité sur ce qu’ils vont gagner et sur leur temps de travail. Au sein de nos groupes, demain, nous allons réfléchir aussi au salariat. Actuellement, le médecin libéral n’a pas de parcours professionnel : s’il évolue c’est en fonction de ses initiatives propres. Il faut penser à son statut sur le long terme. Bien entendu, dans le cadre de la médecine de groupe, il y aura la possibilité de faire des consultations avancées, par rotation. Notre entreprise a une responsabilité auprès de la société et nous revendiquons aujourd’hui cette responsabilité territoriale. Mais il faut nous en donner les moyens. De plus, notre rôle est aussi de rendre confiance à l’ensemble des professionnels sur le terrain – ils en manquent un peu, comme l’ensemble de la population.

Si l’on parle d’avoir des auxiliaires médicaux, les tarifs de prise en charge doivent évoluer. Or cette évolution se fait vers le bas et nous ne négocions la plupart du temps que des baisses de tarifs. Dans le plan imagerie figure la notion de pertinence de la prise en charge. Il va vraiment falloir que cela fonctionne, sinon nous perdrons la confiance de tous.

M. Laurent Pinto. Les chirurgiens-dentistes sont toujours un peu isolés parmi les médecins, car leurs problèmes sont différents. Pour nous, le court terme est à très court terme, exactement la semaine prochaine dans la négociation conventionnelle avec l’assurance maladie. Ce qu’elle a proposé aux trois syndicats les 5 et 6 avril entraîne une destruction programmée du modèle économique de l’exercice libéral. À la suite de la loi de santé qui a créé les contrats responsables, la part de l’assurance maladie dans la prise en charge des soins dentaires est de 30 %, celle de l’assurance complémentaire 40 % et le reste sort de la poche du patient. Ces contrats ont eu un impact. Ensuite, la loi du 27 janvier 2014 relative aux modalités de mise en œuvre des conventions conclues entre les organismes d'assurance maladie complémentaire et les professionnels, établissements et services de santé, dite loi Le Roux, a eu un impact professionnel, et l’accord-cadre rendant l’assurance complémentaire obligatoire pour les salariés en a eu un aussi. Dans ces propositions, qui reprennent, en pire, le règlement arbitral d’il y a deux ans, il y a un plafonnement des tarifs à moins 30 % au niveau national, et à moins 40 % pour Paris et les grandes villes. Si un seul syndicat signe, c’est ce qui va s’appliquer. Dans le sondage IFOP effectué auprès de la profession il y a quelques semaines, 31 % des confrères ont répondu s’adapter à cette nouvelle convention, 23 % se déconventionner, 17 % anticiper leur départ à la retraite, 15 % restreindre leur activité à certains actes, 8 % partir à l’étranger. La profession est donc au bord du gouffre et extrêmement stressée.

M. Bernard Plédran. Je travaille beaucoup avec des confrères québécois et j’ai beaucoup admiré leur réactivité sur un point particulier : la valeur des actes de petite chirurgie. Quand les autorités se sont rendu compte que beaucoup de ces actes étaient pratiqués aux urgences, avec une grande perte de temps, et non pas en ville en raison des tarifs, elles ont su s’adapter en revalorisant considérablement la valeur des actes en médecine de ville et en la diminuant à l’hôpital : les médecins de ville se sont alors réapproprié cette pratique. Si nous avons cette même capacité, au lieu de devoir attendre des mois dans des procédures extrêmement lourdes de la classification commune des actes médicaux, on pourrait avancer rapidement.

M. Philippe Vermesch. Il y a certes plusieurs manières de voir les choses, mais si on en est là, c’est que cela fait vingt ans qu’on pratique une politique « anti-libérale ». Sur le court terme, nous vous avons présenté des préconisations. Ainsi, les retraités actifs doivent être exonérés complètement de cotisation retraite, laquelle est en plus un forfait, alors qu’elle ne leur apporte aucun point de retraite.

S’agissant des remplaçants, il y en a 14 000 en France, non installés parfois depuis dix-sept ans. Plutôt que de parler de coercition…

M. le président Alexandre Freschi. Nous n’avons pas dit cela.

M. Philippe Vermesch. Nous avions bien un mécanisme d’incitation à la cessation anticipée d'activité (MICA). Pourquoi ne pas mener une politique d’incitation pour ces remplaçants s’ils s’installent dans une zone définie ?

M. Philippe Vigier, rapporteur. Une aide financière ?

M. Philippe Vermesch. Oui. S’agissant des « privés de thèse », il y a effectivement eu un décret, indiquant qu’ils doivent s’installer dans une zone sous-dense. Mais cela passe par une commission et elle n’est toujours pas créée. Le décret est du mois dernier, mais cela fait un an et demi que notre syndicat s’occupe de la question.

Pour ce qui est des infirmières de pratique avancée, personne n’est contre, mais le problème est celui de l’autonomie. Avec la « délégation de tâches », la vaccination par les pharmaciens, le médecin traitant à 25 euros la consultation, à qui il ne restera que les pathologies lourdes qui exigent des consultations de 25 ou 30 minutes, ne s’y retrouvera plus financièrement. Il faudrait revoir cela, pour que le médecin puisse embaucher du personnel et dégager du temps médical.

Quant à l’assistant médical – ne parlons pas de secrétaire –, la branche a négocié pendant un an et demi sur un statut d’assistant médico-technique qui est complètement bloqué en raison du problème de la grille salariale. Il faudrait voir avec Actalians où on en est. Nous avions proposé un forfait structure si deux médecins généralistes embauchent ensemble un assistant. Pour le moment, nous n’avons pas eu l’accord de la caisse.

Sur le moyen terme, le nerf de la guerre reste le financement, ce qui est, finalement un problème politique. Ne pourrait-on envisager un secteur conventionné unique, avec la liberté pour tout le monde. Actuellement, les médecins généralistes et les spécialistes en secteur 1 ne s’y retrouvent pas. Cela réglerait peut-être le problème de l’immobilier pour les Parisiens.

Sur le long terme, il faut que les politiques sachent ce qu’ils veulent. Les élus ont leurs problèmes, j’en suis tout à fait conscient. Mais en Dordogne, par exemple, un des rares départements où le nombre de médecins augmente, deux nouveaux praticiens devaient venir à Bergerac et ne l’ont pas fait parce que le maire de la commune a créé un centre municipal avec des salariés. Sans discussion, sans coordination, on a imposé un pôle municipal en face d’un pôle de santé qui fonctionne très bien. Donc, on est en train de transférer une partie du budget des collectivités locales sur la santé pour payer des salariés. Si l’on essayait d’utiliser plutôt une partie de cet argent au profit du secteur libéral, qui est quand même plus efficace que le salariat, ce serait peut-être beaucoup plus rentable.

M. Philippe Vigier, rapporteur. On peut toujours demander plus de moyens, mais le budget de la sécurité sociale est déjà supérieur à celui de la nation. S’agissant de l’efficacité des soins, on peut certainement faire des économies. En tout cas, puisqu’on vient parler des maires, de Bergerac, il ne faut pas monter en épingle le vilain petit canard. Chacun fait, en gros, ce qu’il peut là où il est élu. Ne portez pas trop de jugement de valeur, vous le serez peut-être un jour.

Je n’ai pas entendu grand-chose sur la télémédecine. La favoriser ne serait-ce pas une mesure d’urgence, pour permettre un délestage ? Il y a surcharge dans les services d’urgence hospitaliers avec un coût énorme pour la société. Le sort du privé est lié à celui du public. Pour ma part, je n’ai pas envie d’une médecine à l’anglaise, avec une sectorisation géographique sinon les prix sont très élevés. Sauf pour les Pays-de-la-Loire, où j’ai bien compris que c’était formidable, je n’ai pas entendu grand-chose non plus sur le rôle régulateur des ARS. Mme Buzyn avait donné des directives aux ARS pour qu’il y ait des consultations avancées. Dans ma région, la situation est peut-être particulière, mais personne ne veut venir en faire.

Au terme de notre travail, nous essaierons de synthétiser nos propositions. Mais seriez-vous prêts à signer un document prévoyant des clauses de revoyure ? Dans une telle situation, il faut un engagement. Beaucoup d’argent public a été mis sur la table. Mais par exemple, j’ai proposé aux radiologues de venir dans la maison de santé que j’ai créée, ils n’ont pas voulu.

M. Patrick Silberman. Là, c’est vous qui mettez en avant le vilain petit canard.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Non, ce n’est pas un reproche. Mais on ne peut pas forcer les médecins libéraux qui, par définition, sont individualistes. Certains veulent travailler seuls, d’autres à plusieurs. Dans le cas de cette maison de santé, le dentiste a été content de venir et qu’on règle son problème immobilier et de plateau technique. On va même faire des implants dans une ville de 5 000 habitants, donc tout n’est pas perdu ! Simplement, on ne peut pas rester figés sur ses positions. Nous comprenons que le problème de la rémunération doit être soulevé, mais après tout, il y a bien eu des représentants des professionnels pour signer les conventions. Essayons d’avoir une réflexion globale, des engagements réciproques que chacun tient, sinon je vois mal comment les mesures de court terme vont produire leur effet.

Un dernier mot, à propos de la promotion de 1 500 généralistes qui arrivent. Comment les faire entrer dans le système ? Par une exonération de charges sociales et fiscales, mais sur tout le territoire ? Imaginez la réaction de ceux qui sont installés. De toute façon, le législateur ne peut inventer seul une nouvelle niche fiscale, car l’article 40 de la Constitution le lui interdit. Toute dépense nouvelle ne peut venir que de l’initiative du Gouvernement. Si l’on veut utiliser un levier puissant, il faut aussi qu’il soit accepté par les professionnels.

Merci de ce débat, et nous sommes tout à fait preneurs si vous avez quelques mesures de portée immédiate à proposer.

M. le président Alexandre Freschi. Nous vous remercions tous de votre participation.

 


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Audition commune des fédérations hospitalières 

Présidence de M. Alexandre Freschi, Président de la commission denquête

La commission d’enquête procède à l’audition commune des fédérations hospitalières : la Fédération hospitalière de France (FHF), représentée par M. Frédéric Valletoux, président, et M. Alexis Thomas, directeur de cabinet, la Fédération des établissements hospitaliers et d’assistance privés à but non lucratif (FEHAP), représentée par le Dr Françoise Durandière, conseillère médicale, et Mme Christine Schibler, directrice de l’offre de soins et de la coordination des parcours de santé, et la Fédération de l’hospitalisation privée (FHP), représentée par M. Michel Ballereau, délégué général, Mme Béatrice Noellec, directrice des relations institutionnelles, et M. Emmanuel Daydou, secrétaire général.

M. le président Alexandre Freschi. Nous allons maintenant procéder à l’audition commune des fédérations hospitalières, dont je remercie les représentants d’avoir bien voulu se rendre à notre invitation. Nous avons décidé de rendre publiques nos auditions. En conséquence, elles sont ouvertes à la presse, diffusées en direct sur un canal de télévision interne et pourront être consultées en vidéo sur le site internet de l’Assemblée nationale.

Avant de vous donner la parole pour une intervention liminaire, je vous indique que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Les personnes auditionnées prêtent successivement serment.)

M. Frédéric Valletoux, président de la Fédération hospitalière de France. La Fédération hospitalière de France (FHF) est pleinement concernée par le problème des déserts médicaux, qui a une incidence sur l’hôpital. Quelque 26 % des postes de praticiens hospitaliers à temps plein ne sont pas pourvus, et 46 % des postes de praticiens hospitaliers à temps partiel. Le taux de vacance statutaire est donc très important, de manière constante depuis quelques années, et il ne diminue pas. Les déserts médicaux s’observent donc aussi à l’intérieur des établissements, avec de grandes disparités selon les spécialités et les régions. Il ressortait ainsi d’une enquête sur les besoins médicaux dans les établissements de la région Occitanie, menée au mois de mars par les hôpitaux d’Occitanie, que 450 postes y sont vacants, la perspective étant que le besoin doublera d’ici 2023 – en cinq ans, donc. Le sujet, prégnant, n’apparaît peut-être pas assez dans le plan pour renforcer l’accès aux soins récemment lancé par le Gouvernement.

Pour remédier à ce problème interne aux hôpitaux, nous formulons cinq propositions. La première est d’engager, en se fondant sur une gestion prévisionnelle des métiers et des compétences à l’échelle territoriale et nationale, et à la suite d’une phase de concertation, la révision sinon la suppression du numerus clausus. Le contingentement a montré toutes ses limites. Il est temps de partir des besoins des territoires pour ajuster les formations et la coopération entre les coordonnateurs de spécialités des services hospitaliers, voire les médecins spécialistes libéraux, et structurer l’offre de formation initiale à cette échelle. Le maillage des groupements hospitaliers de territoire (GHT) pourrait être un échelon intéressant dans le dialogue avec l’Université et la structuration d’une offre de formation permettant aussi de mieux articuler les stages d’internat dans les centres hospitaliers universitaires (CHU) et en ambulatoire. Ainsi assurerait-on une meilleure visibilité, dès les études, de toutes les pratiques professionnelles possibles.

La deuxième proposition est de recentrer les médecins sur le cœur de leur métier, en développant de manière un peu plus volontariste les coopérations entre professionnels de santé et en valorisant les compétences des professionnels paramédicaux par l’exercice en pratique avancée.

La troisième proposition consiste à développer des modalités d’exercice innovantes et attractives, tel l’exercice mixte ville-hôpital. Le docteur Jean-Pierre Jardry, élu local et médecin généraliste libéral, a rendu il y a un mois un rapport dans lequel il avance dix-sept propositions visant à améliorer les liens entre médecine de ville et médecine hospitalière. La FHF souhaite faire évoluer le statut, le mode de rémunération et les perspectives de carrière des médecins qui ont choisi l’exercice mixte, pour mieux valoriser les hôpitaux de proximité en tant qu’échelons structurants de l’offre de soins dans des territoires où elle est lacunaire. Il convient à cette fin de valoriser l’expérience acquise en libéral pour faciliter l’accès au statut de praticien hospitalier à temps plein ou à temps partiel. On intéresserait davantage les médecins qui choisiraient de pratiquer à l’hôpital en prenant en compte les années pendant lesquelles ils ont exercé en qualité de médecin de ville. Aujourd’hui, les dispositions statutaires et réglementaires ne le permettent pas, ce qui rend cette perspective moins attractive.

La quatrième proposition est d’organiser l’offre de soins à l’échelle territoriale, en partenariat avec les collectivités. Le rapport du docteur Jardry est nourri de nombreux exemples d’initiatives qui montrent l’investissement des collectivités locales ; elles prennent souvent le parti de mieux s’adosser aux hôpitaux de proximité, considérant qu’ils peuvent être des hubs de premier recours dans de nombreux territoires.

Notre cinquième proposition est de compléter l’arsenal juridique pour soutenir l’effort d’attractivité des établissements de santé ; c’est capital au regard de la pénurie de praticiens hospitaliers dont j’ai fait état. C’est un sujet de préoccupation majeur pour nous que celui des médecins intérimaires, sinon mercenaires, et nous souhaitons très vivement le renforcement des contrôles du Conseil de l’Ordre. Nous l’avons saisi plusieurs fois à propos du comportement non déontologique de certains médecins qui appellent au boycott des établissements respectant « trop » les grilles de rémunérations. Il circule des listes d’hôpitaux que l’on incite à éviter quand ils proposent des missions d’intérim, parce qu’ils veulent appliquer la tarification réglementaire. Cette « course au tarif » pénalise les établissements en portant atteinte à leur santé financière. Nous appelons à des sanctions beaucoup plus fortes à ce sujet, afin qu’une régulation effective du recours à l’intérim voie le jour.

Ainsi se pose la problématique pour les établissements publics.

Mme Françoise Durandière, conseillère médicale de la Fédération des établissements hospitaliers et d’assistance privés à but non lucratif. La Fédération des établissements hospitaliers et d’assistance privés à but non lucratif (FEHAP) regroupe 4 500 établissements et services qui ont pour particularité d’assurer une transversalité entre le sanitaire, le médico-social, le social et le domicile. L’ensemble des sujets relatifs aux politiques de santé nous concerne donc particulièrement, ce pourquoi nous avons rédigé une série de propositions constituant notre contribution à la stratégie nationale de santé ; elles se déclinent en une trentaine de fiches que nous vous remettrons. Pour cette audition précisément, nous avons formulé plusieurs propositions regroupées en chapitres : comment donner envie aux jeunes médecins de faire de la médecine générale ? Comment leur donner envie de travailler collectivement ? Comment leur donner envie de s’installer dans des zones « désertiques » ? Quel rôle pour les paramédicaux ? Comment limiter, sans perte de chance pour lui, la demande du patient d’accès au médecin ? Comment développer une politique d’accès à des soins non programmés ? Quelques autres propositions visent à compenser partiellement le déficit en médecins généralistes.

Bien sûr, cette réflexion ne doit pas concerner seulement les GHT et le secteur public, mais être conduite aux niveaux national, régional, et territorial. Jusqu’à présent, on a assisté à un empilement de mesures progressives mais timides qui n’ont manifestement pas permis de limiter la désertification médicale. Les dispositions de court terme ne suffisent plus. Il est impératif de définir un plan d’envergure nationale avec une vision prospective à moyen et long terme, mais nous craignons la complexité des réformes en cours. L’enchevêtrement des thèmes abordés – stratégie nationale de santé, transformation du système de santé, plan pour l’égal accès aux soins –, qui se double d’expérimentations et de réformes des autorisations et du financement, rend l’ensemble difficile à lire.

M. Michel Ballereau, délégué général de la Fédération de l’hospitalisation privée. L’hospitalisation privée regroupe quelque mille établissements. Pour le court séjour, l’exercice a très majoritairement lieu en mode libéral, avec des médecins qui exercent également en ville, et l’hôpital privé représente à peu près un tiers de l’ensemble de l’hospitalisation. La proportion est d’environ deux tiers pour la chirurgie ambulatoire.

Les fédérations hospitalières ont l’habitude de travailler ensemble, et je pense pouvoir dire que vous avez leur soutien unanime pour résoudre les problèmes du système de santé français. Nous apprécions ces consultations, aussi bien à l’Assemblée nationale qu’au ministère.

La Fédération de l’hospitalisation privée (FHP) considère que l’hôpital public et l’hôpital privé doivent contribuer au maillage du territoire en tous lieux, y compris pour désengorger les urgences publiques. Nous sommes aussi d’avis que l’offre de soins doit être repensée. L’exercice médical s’est profondément modifié et la sécurité n’est pas assurée avec un médecin isolé. Nous sommes opposés à l’idée de contraindre les médecins à s’installer dans des conditions qui ne leur permettent pas d’exercer convenablement leur métier ; cela ne répondrait pas de manière adéquate à la demande de sécurité de nos concitoyens. Comme l’a souligné le directeur général de l’agence régionale de santé (ARS) d’Île-de-France, il y a largement plus de dix ans que l’on ne peut pas exercer la médecine sans disposer en un même lieu d’imagerie et de biologie médicale. L’importante notion de pertinence des soins implique d’une part des audits par les pairs, fondés sur des référentiels, d’autre part une liberté d’organisation rendue possible par les évolutions décidées – notamment avec les infirmiers de pratique avancée – et par l’utilisation de moyens techniques tels que la télé-médecine pour l’ambulatoire. Nous souhaitons à cette fin certaines évolutions législatives, probablement minimes, pour organiser le « hors les murs ».

Comme la FHF, la FHP juge que les médecins doivent pouvoir exercer tantôt dans le secteur public, tantôt dans le secteur privé, sans freins artificiels et stérilisants. En revanche, nous ne sommes pas sur la même ligne, à ce stade, s’agissant de la suppression du numerus clausus. Nous notons toutefois que des médecins formés dans d’autres pays européens exercent en France sans que nous soyons, pour le moins, toujours certains de la qualité de la formation qu’ils ont suivie. Autrement dit, nous prônons une approche plus européenne du sujet, de manière que, tout en préservant la liberté de circulation, le niveau de compétence des médecins formés dans tous les pays membres de l’Union européenne soit réellement garanti.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Nous avons pour mission de définir ensemble comment endiguer un phénomène dramatique puisque, comme je l’ai dit en recevant les syndicats de médecins, la médecine libérale ne court pas seule dans son couloir ni la médecine publique seule dans le sien.

Quel bilan tirez-vous, au terme de deux années, de l’hôpital de proximité, censé apporter une réponse forte à un grave problème territorial ? Quelle est votre position à l’égard de la télé-médecine, dont le développement pose de multiples questions : qui la pratique, pour quels types d’actes et avec quelle assurance de qualité ? Pour ce qui est de la coopération entre la ville et l’hôpital, on constate que les ARS ont beaucoup de mal à constituer des GHT associant public et privé ; comment l’expliquer, sachant qu’il n’y aura pas de maillage sécurisé ni de parcours de soins efficient sans cela ? Vos établissements doivent devenir des terrains de stage effectifs pour les internes, car ce n’est pas en passant six mois dans un hôpital privé que peut se développer le désir d’y exercer ; ne faut-il pas faire un peu de forcing à ce sujet ? Enfin, comment créer des passerelles avec les services d’urgence des CHU et des centres hospitaliers régionaux (CHR) ? Des maisons de garde dans vos établissements ne sont-elles pas préférables à des gardes assurées individuellement par les médecins dans leur cabinet, voire dans des maisons de santé pluri-professionnelles (MSP) ?

Le Président de la République et le Premier ministre ont annoncé, il y a quelques semaines, un plan visant à donner une nouvelle impulsion à la prise en charge de la santé de nos compatriotes. Quels en sont, à votre avis, les aspects positifs, et quels points devront être renforcés pour nous permettre de faire face à notre responsabilité collective, après que de nombreuses erreurs ont été collectivement commises ?

Enfin, nous avons eu avec le Conseil national de l’Ordre des médecins des échanges assez directs au sujet des 22 000 médecins étrangers qui exercent en France sans avoir les bons diplômes, et aussi des médecins « mercenaires » qui font de la surenchère, exigeant jusqu’à 1 400 euros la journée sinon davantage. C’est ainsi qu’à Bourges, l’été dernier, le maire, en sa qualité de président du conseil de surveillance de l’hôpital, et le directeur de l’établissement ont été contraints de payer les urgentistes 1 600 euros par jour : s’y seraient-ils refusés que la préfecture du Cher se serait trouvée sans service d’urgence pendant trois semaines.

M. Frédéric Valletoux. Il est un peu tôt pour dresser le bilan des hôpitaux de proximité. Nous avions plaidé pour que le statut d’hôpital de proximité soit mieux reconnu. Aujourd’hui, il est adossé aux missions de service public telles qu’elles figurent dans la loi Touraine et un financement mixte a été calé – pour partie financement à l’activité, pour partie dotation socle. C’est dans ces établissements que l’on peut sans doute inventer des coopérations nouvelles entre médecine de ville et médecine hospitalière, et en tout cas les tester. Nécessité faisant loi, de nombreuses collectivités territoriales n’ont fort heureusement pas attendu l’adoption des grandes lois pour retrousser leurs manches. Alors que la France n’a jamais compté autant de médecins, jamais le problème de l’accès aux soins, qui entraîne celui de la qualité des soins auxquels accèdent les patients, n’a été aussi criant. Ce paradoxe français, difficile à faire comprendre, résulte de certains blocages dont j’imagine que vous les signalerez.

Depuis quelques années déjà, nous avons fait de conditions d’installation coercitives une proposition parmi d’autres. Nous avons proposé de conserver la liberté d’installation mais de ne plus autoriser l’installation en secteur 2 dans les zones surdotées, en refusant cette possibilité au énième spécialiste venant s’installer dans une ville déjà largement fournie. Nous estimons qu’il ne revient pas à la solidarité nationale de financer des médecins qui choisissent de s’installer là où le besoin ne s’en fait pas sentir en termes de santé ou de santé publique. Le Gouvernement esquisse de nouvelles propositions pour tenter de trouver une voie de passage entre la liberté d’installation et la coercition. Pour être franc, de nombreuses solutions ont été testées depuis des années, et je pense que ce plan sera la dernière chance d’éviter la coercition. S’il ne fonctionne pas, je ne vois pas comment on pourra faire l’économie d’un débat transparent à ce sujet. Les Français pourraient demander à juste titre de manière un peu plus vigoureuse pourquoi, alors qu’il n’y a jamais eu autant de médecins dans notre pays, on a autant de mal à accéder à un cabinet médical. Il y a là une question politique majeure.

La FHF plaide depuis toujours en faveur de la coopération entre médecine de ville et hôpital. Dans un premier temps, les GHT regroupent des hôpitaux publics ; dans un second temps, quand cette synergie aura eu lieu, quand chaque établissement membre d’un GHT ne pensera plus son avenir entre ses quatre murs mais en coopération dans son territoire, il serait logique et souhaitable que les GHT s’ouvrent au secteur privé dans toutes ses composantes : cliniques et tous établissements, et aussi médecine de ville. Ainsi construira-t-on le projet médical de territoire avec toutes les forces de santé qui y sont présentes.

Actuellement, 90 % des urgences sont assurées par les établissements publics. Y a-t-il trop de services d’urgence en certains lieux ? Peut-être, et il faut s’interroger sur la carte de ces services. Au nombre de nos propositions figure celle de permettre aux hôpitaux d’accueillir dans les locaux hospitaliers, à proximité des urgences, un exercice libéral. Ainsi des médecins de ville pourraient-ils, tous en gardant leur mode de rémunération habituel, venir exercer en lien avec les urgences. Je connais au moins un exemple de ce type, à Fontainebleau, où une maison de santé universitaire travaille en liaison avec les urgences ; il y en a d’autres.

Le plan santé suscite de grands espoirs, car le précédent quinquennat a fait beaucoup perdre à notre système de santé en éludant les réformes nécessaires, qu’il s’agisse de celle du financement, de la lutte contre les actes inutiles ou encore de la permanence des soins. Qui doit participer à celle-ci ? Doit-elle reposer uniquement sur l’offre publique ? Il faut rendre grâce au gouvernement actuel d’aborder les questions de fond qui ne l’ont pas été, et nous attendons maintenant des annonces plus précises. La situation se tend dans les hôpitaux. Le Président de la République a dit qu’il n’y aurait pas d’économies sur l’hôpital pendant son quinquennat ; dont acte. Néanmoins, en 2018, les établissements de santé devront faire un milliard d’euros d’économies. J’aurais tendance à penser que cela commence mal, mais qui sait : peut-être aurons-nous un milliard d’euros supplémentaires dans les quatre années qui restent ? En tout cas, l’équation économique reste pour l’instant très difficile. Or, derrière les chiffres, il y a la réalité des pressions dans l’activité quotidienne et dans le fonctionnement des établissements. Cela doit être pris en compte, mais il s’agit d’autre chose que des déserts médicaux et de l’accès aux soins.

Mme Françoise Durandière. Des hôpitaux de proximité sont très bien structurés et disposent du personnel médical et paramédical nécessaire pour répondre à un besoin territorial par une offre de soins intéressante, mais ce n’est pas le cas de tous. Certains éprouvent les plus grandes difficultés à ce qu’un médecin, même généraliste, intervienne, ou un kinésithérapeute. La difficulté est un peu moindre pour ce qui est des infirmières mais, d’une manière générale, leur offre médicale et paramédicale est insuffisante pour répondre aux besoins sanitaires du territoire considéré. Cela doit être revu.

Il est compliqué pour nos établissements, qui sont pourtant très demandeurs, d’accueillir des internes comme stagiaires. D’une part, nous peinons à les faire reconnaître comme terrain de stage, ce qu’ils sont pourtant ; d’autre part, les stagiaires ne nous sont attribués qu’en nombre très limité parce que les doyens de facultés tiennent d’abord à doter en internes les services publics, et n’affectent les étudiants aux établissements privés, lucratifs ou non lucratifs, que dans un second temps.

Le recrutement de médecins étrangers pose un réel problème. Actuellement, dans certains services d’urgence, des médecins ne parlent pas le français ; vous imaginez ce qu’il peut advenir. C’est une perte de chances pour le patient, et c’est surtout la persistance d’une inéquité socio-culturelle dans l’accès aux soins. Ni vous ni moi n’allons dans ces services-là : ceux qui y vont sont les personnes âgées et celles qui ont un faible niveau socio-culturel. Des décisions devront être prises au sujet de ces services qui fonctionnent très mal.

Nous sommes convaincus de la nécessité d’un plan ambitieux de développement de la télémédecine, qui peut concerner un vaste nombre de sujets – télémédecine, télésuivi, téléconsultations – mais qui demande la reconnaissance de nouveaux métiers. Parce qu’il s’agit du maintien à domicile des personnes âgées et des personnes en situation de handicap, et aussi de l’élargissement du périmètre des actes qui pourraient être financés, le développement de la télémédecine suppose une formation spécifique au cours des études médicales et paramédicales. Le plan numérique doit couvrir toutes les composantes du système de santé, que ce soit le sanitaire, le médico-social, le social, la ville ou le domicile.

De nombreuses plateformes de télémédecine se développent ; cela appelle impérativement la vigilance. On vient nous présenter ces plateformes, mais quand nous demandons quels sont les médecins qui exercent et selon quelles modalités, on ne sait nous dire s’ils sont présents 24 heures sur 24, 365 jours par an. Nos interlocuteurs prétendent que les services qu’ils proposent concernent toutes les spécialités, mais quand cherche à savoir si cela vaut 24 heures sur 24, la réponse se fait floue. Surtout, quand on demande le nom des médecins qui seront employés et l’origine de leurs diplômes, tout devient évasif. Le concept est donc intéressant, mais vigilance et contrôles rigoureux sont une nécessité absolue, sans quoi le risque est sérieux d’une dérive vers le mercenariat.

Mme Christine Schibler. Par le terme « hôpital de proximité », on a essentiellement entendu des modalités de financement complémentaires sans définir précisément la mission qui lui échoit ; il faudrait revoir et élargir ce concept.

LA FEHAP regroupe des établissements de santé, des établissements médico-sociaux et des activités sociales ; le maillage territorial de l’accès aux soins doit utiliser l’ensemble de ces structures. Les territoires étant inégalement dotés en établissements de santé, on ne peut limiter la réflexion à l’accueil des soins non programmés dans ces établissements ; il faut l’élargir aux établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) et à toutes les structures existantes. On ne peut non plus envisager l’accès aux soins uniquement comme l’accès à un médecin ; il faut réfléchir à des complémentarités entre médecins, infirmières, voire autres professionnels de santé, et, bien entendu, prévoir aussi l’accès à l’imagerie et à la biologie médicale. Dans ce cadre, il sera judicieux d’utiliser le maillage territorial des établissements médico-sociaux pour mutualiser des équipements, organiser des téléconsultations et apporter de la sorte une réponse territoriale à la demande de soins de premier recours. Outre que ces établissements emploient déjà des professionnels de santé, une telle approche renforcerait leur attractivité et faciliterait le recrutement d’un personnel médical et paramédical qui pourrait pratiquer un exercice mixte. De plus, cela limite les investissements nécessaires à l’amélioration de l’accès aux soins de premier recours puisque les équipements existent déjà ; renforcer les systèmes d’information n’est pas extrêmement onéreux.

La réflexion sur la qualité et la sécurité des soins doit être concomitante à la réorganisation de l’accès aux soins d’urgence et de premier recours. La FEHAP ne souhaite pas que des mesures prises trop rapidement aient pour conséquence une dégradation de la sécurité des soins qui ne serait bénéfique à personne.

Les soins de premier recours concernent différents types de patientèle ; il faut distinguer la prise en charge d’une maladie chronique de celle d’un épisode aigü. Une réflexion générale s’impose, tant sur le financement que sur le rôle des infirmières et des autres professionnels de santé car même si l’on peut, par essence, anticiper les interventions nécessaires en cas de maladie chronique, de nombreux malades chroniques peuvent être amenés à se rendre aux urgences. L’organisation générale des soins doit être repensée. Un regard particulier doit être porté sur l’accès aux soins de premier recours des personnes âgées ; des expérimentations ont lieu à ce sujet avec les infirmières de nuit en EHPAD. On doit s’interroger sur les modalités d’accès aux établissements de santé des personnes âgées : doivent-elles systématiquement passer par les services d’urgence ?

Il faut aussi réfléchir au financement des urgences : doit-il être entièrement à l’activité ou faut-il envisager une responsabilité partagée, voire un intéressement avec les médecins de ville ?

Des réflexions s’imposent aussi sur l’accès aux soins des personnes en situation de handicap. Leurs pathologies entraînent des besoins particuliers et leur sort nous inquiète, nulle mesure prospective visant à améliorer leur accès à ces soins ne figurant dans aucun des projets régionaux de santé. Cette question doit être traitée, comme doivent l’être celles des modalités de gradation des urgences, de la tarification et aussi de la prise en charge des urgences en matière de santé mentale.

On a évoqué la coopération entre établissements publics et établissements privés au sein des GHT. La réforme, récente, a demandé aux établissements publics de mobiliser beaucoup d’énergie en très peu de temps pour organiser le projet médical partagé. La réforme, qui a pris la forme d’une réforme du conventionnement entre établissements et non celle de la création d’une personnalité morale, a alourdi la gestion des GHT. Nous espérons que c’est pourquoi nous n’avons pas été associés à ces groupements, mais nous sommes très inquiets à l’idée que les établissements privés à but non lucratif pourraient devenir la variable d’ajustement des GHT. Certains directeurs peuvent penser que la force du GHT fait qu’ils auront toutes les autorisations, et des projets médicaux pourraient conduire à des réorientations internes aux GHT ayant pour effet de casser des coopérations anciennes qui fonctionnaient très bien, sans que cela soit toujours favorable aux patients – par exemple s’ils sont contraints de se rendre pour des soins de suite et de réadaptation en un lieu beaucoup plus éloigné de chez eux que précédemment.

M. Michel Ballereau. J’observe qu’il n’a pas encore été question de l’hospitalisation à domicile. La qualité et la pertinence des soins sont des points clés de la stratégie nationale de santé, tout comme le travail en équipe. Quel que soit le mode de rémunération – salariat ou exercice libéral –, plusieurs médecins doivent travailler ensemble et un médecin doit pouvoir demander au pied-levé à ses collègues et à l’imageur ce qui est en train de se passer. La réflexion en cours entre les radiologues et le ministère en matière d’imagerie – référentiels, audit par les pairs… – nous paraît particulièrement fructueuse.

Nous demander si nous sommes favorables à la télémédecine revient à nous demander si nous sommes favorables aux smartphones… La réponse est immédiate mais, cela dit, veillons à ce que la télémédecine ne soit pas la médecine dégradée des territoires peu développés. Nous devons renforcer l’attractivité des territoires, car les médecins s’installent là où leurs conditions de travail sont satisfaisantes. La télémédecine doit être du même niveau que le reste de la médecine et l’on ne travaille bien qu’en dialoguant, on ne se téléphone facilement que quand on se connaît.

Nous sommes résolument favorables à la coopération entre médecine de ville et établissements de santé de tous statuts. Cela étant, nos adhérents développent les deux tiers de la chirurgie ambulatoire ; il ne nous semble pas souhaitable de penser l’organisation territoriale de la chirurgie ambulatoire en s’appuyant d’abord sur l’hôpital privé pour lui adjoindre éventuellement l’hôpital public, et il ne nous paraîtrait pas mieux de procéder dans l’autre sens. En bref, l’organisation territoriale doit obligatoirement tenir compte de tous les établissements de santé, en lien avec le médico-social. Il est essentiel que nos collègues du secteur public puissent mieux travailler ensemble, mais constituer un GHT uniquement composé d’établissements publics et apprécier ensuite si l’hôpital privé peut s’y intégrer de façon supplétive ne nous paraît pas possible. Cela pourrait même s’apparenter à un chiffon rouge. Raisonnons dans chaque territoire en mesurant les besoins et le maillage.

L’accueil des internes est un sujet d’une extrême importance. Chacun d’entre nous veut s’installer dans des lieux qu’il connaît. Or, comme cela a été dit, on peut avoir le sentiment que les internes ne sont affectés à l’hôpital privé que lorsqu’il n’y a plus de place pour eux dans le public. Une démarche volontariste s’impose : il faut dire que des internes peuvent être affectés en stage dans des établissements de plus petite taille que les CHU et les CHR, où ils seront bien encadrés. Incidemment, les modalités de rémunération des internes dans le secteur privé, qui ne sont pas très favorables puisqu’ils ne peuvent facturer les consultations, méritent d’être revues ; mais, sur le fond, nous sommes très favorables à l’accueil des internes.

J’en viens aux urgences – les seuls services où l’on trouve tout. Pour les urgences vitales, il y a le « 15 », bien sûr. Il nous semble dommage, que dans un pays où les établissements privés de tous statuts constituent l’un des éléments importants de l’offre de soins, on laisse de côté les urgences privées. Nous avons dit, lors d’une audition devant le Conseil d’État, que nous manquions de possibilités d’informer sur ce qui existe. Certes, il ne faut pas confondre information et publicité, mais il faut pouvoir diffuser l’information dont les gens ont besoin quand ils consultent Internet. Il y a également les consultations non programmées, et il nous revient aussi – nous le rappelons à nos adhérents – lorsqu’une autorisation d’assurer les urgences a été accordée, de l’assumer pleinement, ce compris aux horaires les plus difficiles. Il nous semble important que cette notion de service public hospitalier soit étendue. Pour en finir à ce sujet, je tiens à souligner que, dans tout le secteur hospitalier privé, il n’y a pas de suppléments d’honoraires pour l’accueil des urgences. J’ajoute que l’hospitalisation privée commerciale accueille à peu près un quart des patients bénéficiaires des différents systèmes d’aide médicale d’urgence.

Mme Béatrice Noellec, directrice des relations institutionnelles de la FHP. L’information et la transparence en termes de qualité nous paraissent essentielles. Les patients doivent avoir accès aux soins, certes, mais à des soins de qualité et pertinents pour tous ; c’est aggraver l’inégalité d’accès aux soins que de laisser perdurer des offres de soins de mauvaise qualité. Aussi souscrivons-nous entièrement à l’axe de la stratégie d’appui à la transformation du système de santé relatif à la pertinence et à la qualité des soins.

Mme Stéphanie Rist. Dans le cadre de l’organisation de l’offre de soins à l’échelle territoriale, les directeurs d’hôpitaux ont-ils assez de leviers pour favoriser les consultations avancées ?

Mme Mireille Robert. Que 450 postes de praticiens hospitaliers ne soient pas pourvus en Occitanie me trouble. Nous avons pourtant deux facultés de médecine, l’une à Montpellier, l’autre à Toulouse ; comment expliquer que l’on ne parvienne pas à attirer de jeunes médecins dans cette belle région ? Sur un autre plan, serait-il judicieux de plafonner le ratio intérimaires/salariés dans les services d’urgence ? Enfin, dans ma région, les maisons de garde sont peu utilisées parce que les consultations y sont payantes alors qu’elles sont gratuites aux urgences ; une solution est-elle envisageable ?

M. Jean-Carles Grelier. Il est rassurant de savoir que, même si les discours sont modulés en fonction des trois fédérations, toutes partagent constats et objectifs. Je suis très favorable au rapprochement ville-hôpital. La présence d’établissements de santé, qu’ils soient publics ou privés, sur la plupart des territoires, permet le soutien d’équipes pluridisciplinaires que les médecins des villes et des campagnes sont en droit d’attendre. On a donc tout intérêt à renforcer ces liens. Je considère également que les GHT n’auront pas de sens si l’hôpital privé et la médecine de ville n’y sont pas associés, dans un esprit de coopération et non de concurrence. On connaît des exemples de réussites : ainsi, dans mon département, le GHT a su organiser le service des urgences en les répartissant entre l’hôpital privé et l’hôpital public pour ne pas mobiliser des spécialistes de toutes les disciplines dans toutes les structures aux mêmes horaires ; c’est le « 15 » qui fait la régulation et la répartition. Dans ce département, le même GHT est en train de bâtir un projet innovant en cancérologie, fondé sur un partenariat entre l’hôpital public et l’hôpital privé. Cela va dans le bon sens, mais quand on dessine la carte sanitaire d’un territoire, il est pertinent d’associer aussi aux projets de ce type les médecins de ville, qui sont souvent les prescripteurs de l’hospitalisation. Comme nos invités, je suis favorable à un juste partage de l’accueil des internes pour que la formation des médecins soit un peu moins centrée sur l’hôpital public et que, de temps en temps, l’expérience du secteur privé et du secteur médico-social enrichisse le cursus de formation des futurs médecins.

Mme Christine Schibler. Il peut y avoir des consultations avancées dans l’ensemble des secteurs, un établissement de grande taille pouvant organiser des consultations de spécialités sur un autre site, et pas uniquement dans des établissements publics ; à ma connaissance, rien ne s’y oppose et il n’est pas besoin de textes complémentaires. Mais il ne faut pas confondre consultations avancées et « chirurgie sac à dos ». Pour dispenser une activité chirurgicale de qualité, étant donné les équipements nécessaires et le développement des sous‑spécialités, il faut avoir une taille critique suffisante pour que nos concitoyens bénéficient des meilleurs soins. Autant le concept de consultation avancée nous paraît intéressant, autant l’idée d’un plateau chirurgical où viendraient ponctuellement opérer des « chirurgiens sac à dos » nous paraît aussi dangereuse pour les patients que démotivant pour des professionnels de santé dont je pense qu’ils n’ont aucune envie d’un exercice dilué.

Il faut s’interroger sur les véritables besoins des patients sur un territoire plutôt que de vouloir à tout prix conserver un plateau chirurgical en un certain lieu. Il y a là un problème de pédagogie vis-à-vis des élus, auxquels il faut expliquer qu’un établissement de santé peut être très utile aux patients sans qu’il y ait forcément un service de chirurgie. Les actes chirurgicaux sont des actes ponctuels qui doivent être faits dans des sites où il y a un certain volume d’activité, des équipements et des professionnels de santé de qualité. En résumé, nous sommes favorables aux consultations avancées mais pas dans n’importe quelle discipline. D’autre part, une réflexion est certainement nécessaire sur la tarification des urgences.

Mme Françoise Durandière. La FEHAP considère indispensable de lier les autorisations à la stabilité des équipes et donc au plafonnement du nombre d’intérimaires. C’est essentiel pour assurer la qualité et la sécurité des soins et nous le recommandons instamment. D’autre part, rendre les consultations payantes quand les patients se présentent dans un service d’urgence sans raison probante demande une réflexion de fond ; il est certain que l’on éviterait ainsi de nombreuses admissions injustifiées.

M. Frédéric Valletoux. Les consultations avancées sont bien entendu utiles, nécessaires et opportunes. Il en existe déjà, mais des freins réglementaires subsistent qu’il faut lever, notamment au sujet de la rémunération des praticiens. Je citerai l’exemple de Belle-Île-en-Mer : si les médecins de l’hôpital de Vannes ne s’étaient pas retroussé les manches, ils n’auraient pas permis d’irriguer à nouveau l’offre médicale dans une île où vivent 5 000 habitants l’hiver et où ne restait qu’un médecin libéral. Les consultations avancées évitent aux Bellilois d’aller sur le continent et la pratique mixte ville-hôpital a rendu l’installation plus attractive pour les médecins généralistes libéraux, si bien que Belle-Île n’est plus le désert médical qu’elle était il y a quelques années. C’est un exemple parmi beaucoup d’autres. Raisonner sur l’offre de santé d’un territoire permet de déceler les besoins de consultations ici ou là. En dépit des freins réglementaires qui subsistent en matière de rémunération, cette pratique utile va se développer.

Que l’Occitanie soit une belle région et qu’elle compte deux facultés de médecine n’empêche pas qu’elle soit confrontée comme toutes les autres à la vacance des emplois hospitaliers, dans la proportion que j’ai dite et qui doublera dans les cinq ans, ce qui est un sujet d’inquiétude, Mesdames et messieurs les députés, n’oubliez pas, au moment de rédiger vos recommandations, que les déserts médicaux concernent aussi les hôpitaux !

Je suis favorable sans réserve à ce que tout établissement pratique les urgences s’il a les forces médicales adéquates et s’il en a le désir. Toutefois, répondre aux urgences signifie que l’on respecte la notion de service public et ce que cela implique en termes de droits et de devoirs : droits parce que cette activité fait l’objet de financements particuliers, devoirs parce qu’il n’y a pas de discrimination à l’entrée des urgences, que l’on participe pleinement aux obligations de service public et que l’on répond à la demande 24 heures sur 24. Or, de nombreuses informations remontent des territoires selon lesquelles des établissements privés limitent leurs activités d’urgence – et l’affichent. J’ai ainsi sous les yeux un courrier envoyé à l’ARS par des chirurgiens orthopédistes exerçant dans une grande capitale régionale à l’Est de la France. « Notre objectif », expliquent-ils, « est de participer à l’accueil des urgences orthopédiques en tenant compte de nos spécificités de structure, d’organisation et de compétence. Et donc ainsi, nous limitons la prise en charge des patients adultes ne relevant pas d’un délai de prise en charge de moins de six heures, excluant d’entrée de jeu les pathologies suivantes : les polytraumatisés, les polyfracturés, la traumatologie du rachis, les fractures ouvertes… ». Une liste complète de pathologies refusées est donc envoyée à l’ARS, à laquelle on explique en bref que l’on veut bien participer aux urgences mais pas à toutes, au soin de certaines pathologies mais pas de toutes… Je sais que la FHP condamne ces pratiques, mais telle est parfois la réalité. Encore une fois, si l’on participe à l’organisation du service d’urgence, c’est à la condition de souscrire pleinement aux obligations que cela entraîne : la non-sélection et l’entière participation à la permanence des soins à toute heure, tous les jours.

Effectivement, les gens se rendent dans les services d’urgence plutôt que dans les maisons de santé. C’est que si l’accès aux soins est de plus en plus difficile sur le plan géographique, il l’est aussi sur le plan économique. Il n’en existe sans doute pas de mesure précise, mais si l’on prenait le temps d’étudier l’évolution du taux de renoncement aux soins, on s’apercevrait certainement qu’il va croissant. Des gens ne se font pas soigner ou espacent les consultations, et entrent finalement dans le système de soins alors qu’ils sont malades depuis longtemps sans que leur pathologie ait été décelée quand il l’aurait fallu, ce qui pose évidemment d’autres problèmes économiques à la collectivité.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Je vous remercie pour les propos responsables que vous tenez. Chacun a bien compris qu’une articulation nouvelle doit être inventée entre la médecine hospitalière publique, la médecine hospitalière privée et la médecine de ville. Comment construire au mieux les GHT pour éviter le risque de subordination évoqué ? Vous semblerait-il de bonne pratique d’établir un référentiel d’organisation pour fixer le rôle de chacun, privilégiant ainsi une démarche hyper-qualitative ? Le courrier dont M. Valletoux vient de donner lecture appelle cette réaction : on ne peut, quand on a une délégation de service public, choisir le type d’urgence ou le type de patient que l’on soigne. Si les choses sont organisées en fonction d’un référentiel, moins il y aura de redondances et plus d’argent sera disponible pour rendre le meilleur service possible.

S’agissants des postes de praticiens hospitaliers vacants, avez-vous tracé une perspective à deux, quatre ou six ans ? Le potentiel est considérable puisque sur les 1 500 nouveaux médecins généralistes qui achèvent chaque année leur cursus universitaire, très peu s’installent. Comment répondre à ce problème majeur de recrutement ? Comment aiguiller les jeunes médecins vers les centres hospitaliers qui devraient incarner une sorte de sécurité professionnelle pour ceux d’entre eux qui redoutent de s’installer en libéral ?

M. Michel Ballereau. Je reviens un instant sur les maisons de santé pour préciser que le tarif est le même partout, en libéral et dans les établissements de santé publics et privés. La seule différence tient à l’avance de frais, qui peut être ou ne pas être.

Le point essentiel des systèmes d’information n’a pas été abordé pour le moment. Nous nous sommes extraits de la réflexion sur les référentiels des systèmes d’information en santé depuis six ou sept ans et nous sommes en train d’y revenir progressivement. C’est un sujet important, car nous ne devons pas nous déconnecter des autres pays de l’Union européenne.

Autre chose : un référentiel des actes innovants hors nomenclature (RIHN) est actuellement en vigueur ; il n’est pas acceptable qu’une innovation passée dans la pratique médicale courante soit encore hors nomenclature, car c’est faire perdre des chances aux malades. On a parlé tout à l’heure d’organisation innovante, mais certains outils existent que l’on oublie parfois d’employer. Pour ce qui est des centres avancés, publics ou privés, le nécessaire lien avec les établissements à caractère médico-social a été évoqué précédemment ; il ne faut pas oublier que certains services de soins de suite et de réadaptation disposent aussi d’imagerie et de biologie médicale.

S’agissant des « médecins sac à dos », l’autorisation pour des soins de qualité prouvée et pertinents suppose, comme cela a été dit, que des équipes travaillent sur des sites déterminés. Il doit s’agir d’équipes médicales ou chirurgicales qui ont toute la compétence requise et qui sont donc des équipes constituées. Cela signifie qu’au-delà d’un certain nombre d’intérimaires, la sécurité n’est plus assurée. Pour agir efficacement, il faut établir un plafond et poser le principe que s’il n’est pas respecté, la structure ne peut plus assurer la spécialité en cause, l’autorisation étant reprise immédiatement. Autrement dit, il faut inverser la charge de la preuve, tout en prévoyant, comme cela a été fait pour la biologie médicale, que le directeur général de l’ARS peut autoriser le dépassement du seuil fixé dans des cas exceptionnels dûment motivés. Ce seuil peut varier selon les spécialités, mais disposer que l’autorisation sera ipso facto suspendue s’il est dépassé poussera les responsables à réfléchir. Nous apportons notre complet soutien à nos collègues de l’hôpital public qui souhaitent ne pas surpayer des intérimaires dont il peut se révéler de surcroît que la qualité n’est pas garantie et qui, quoi qu’il en soit, même s’ils sont de bons professionnels, ne sont pas intégrés dans l’équipe.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Estimez-vous que le plafonnement du nombre d’intérimaires devrait se doubler du plafonnement de leur rémunération pour que les « sédentaires » ne se sentent pas pénalisés ?

M. Michel Ballereau. Chacun a besoin de considération. Comment quelqu’un qui exerce tous les jours dans son établissement de santé peut-il avoir le sentiment d’être considéré si celui qui passe par là est payé bien davantage qu’il ne l’est ? Aussi, oui, nous sommes favorables au plafonnement de la rémunération des médecins intérimaires.

S’agissant des gardes, il faut distinguer deux sujets. Lorsque j’ai dit tout à l’heure que nous devions prendre nos responsabilités, cela signifiait la prise en charge attendue d’un service d’urgence ; si je l’ai souligné, c’est qu’en certains lieux il peut en aller autrement. L’autre sujet, médical, est celui de la régulation, excellemment faite par le service d’aide médicale d’urgence (SAMU). Face à un polytraumatisme, le médecin peut avoir une suspicion de fracture hépatique. Si le malade est amené dans un centre, public ou privé, qui n’est pas compétent pour faire une hépatectomie partielle, son sort est réglé : il est mort. En cas de fracture du rachis, la régulation doit adresser le patient en neurochirurgie ; ce n’est pas par hasard que, dans des villes comme Paris, on a inventé les grandes gares de neurochirurgie. Il ne faut pas confondre les deux sujets, et mettre en exergue des cas particuliers quand il s’agit de sujets médicaux.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Tout le monde ne pouvant tout faire, il faut des « gares de triage » intelligentes. Comment, alors, prendre en charge au mieux un polytraumatisme, un accident vasculaire cérébral ou une grossesse à risque qui se termine mal ?

M. Frédéric Valletoux. La FHF plaide en faveur de l’introduction en France du principe de « responsabilité populationnelle », qui a révolutionné le systéme de santé du Québec. Dans un territoire dont les données pathologiques sont identifiées et où l’offre de soins est ce qu’elle est, l’État, qui souhaite des ratios de santé publique optimaux – avec, par exemple, la réduction des taux de diabète et de mortalité infantile – demande à tous les professionnels de santé de s’organiser pour parvenir à cet objectif, et juge de la réussite de l’organisation choisie à cette fin en fonction des données territoriales de santé publique collectées. Pour la France, cela signifie que l’on sorte du système de santé actuel, jacobin et hyper-centralisé, et que l’on admette que les professionnels de santé sont capables, ensemble et quel que soit leur statut, d’inventer des systèmes de prises en charge adaptés aux données épidémiologiques de la population et à l’offre de soins. Ce serait une révolution à 180 degrés. Cela rejoint l’idée que les hôpitaux de proximité, qui n’ont pas tous les mêmes vocations et n’accueillent pas tous les mêmes professionnels, doivent se voir reconnaître la souplesse en termes de rémunération et de statuts qui leur permettra de devenir des hubs de premier recours, à partir desquels, en fonction de la pathologie et de sa gravité, une régulation et une orientation auront lieu. C’est d’autant plus nécessaire que la population française, vieillissante, doit être prise en charge au plus près – et l’hôpital de proximité est un lieu de fixation de l’offre des soins. Le modèle québécois, qui donne plus de responsabilités aux acteurs locaux parce que les caractéristiques régionales diffèrent, est pour moi le modèle rêvé.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Je partage votre analyse, mais les professionnels de santé sont-ils prêts à accepter des contraintes, en matière de consultations avancées particulièrement ? J’entends ce qui a été dit au sujet de la qualité des soins et je suis d’accord avec l’idée que l’on ne peut faire de la chirurgie partout, mais si les orthopédistes ne se déplacent pas pour faire une consultation à 60 kilomètres, que fait-on ? On installe le grand-père dans un taxi ou un véhicule sanitaire léger (VSL), et l’assurance maladie se trouve devoir régler pour quelque 7 milliards d’euros de frais extra-médicaux en 2017. Je préférerais allouer 2 milliards d’euros supplémentaires à l’offre de soins classique.

Mme Françoise Durandière. Les consultations avancées – qui n’ont rien à voir avec la médecine « sac à dos », laquelle met en jeu la sécurité puisqu’on est amené à exercer avec une équipe que l’on ne connaît pas – sont une modalité d’exercice qui semble ne pas déplaire aux jeunes médecins ; nous pensons qu’elles ont de l’avenir.

On a mentionné les difficultés de recrutement des médecins généralistes et le fait que très peu s’installent, mais on n’a rien dit du carcan administratif qui les dégoûte au point de les pousser à une décennie de remplacements plutôt que de s’installer. Les établissements membres de la FEHAP, qui emploient une majorité de médecins salariés, ont beaucoup moins de problèmes de recrutement que les établissements publics. C’est qu’il y a aussi des lourdeurs internes aux grands établissements ; dans les nôtres, qui sont de plus petite taille que les CHU, ces lourdeurs sont moindres, ce qui rend l’exercice professionnel plus plaisant.

Si l’on envisage de lier l’autorisation à la stabilité de l’équipe, il faut, comme c’est le cas en cancérologie, la mesurer sur une période de trois ans car si un seuil est fixé à 20 %, les intérimaires peuvent représenter 19 % de l’effectif une année, 21 % une autre et 18 % la troisième.

Enfin, on n’a toujours pas fermé ceux des plateaux techniques chirurgicaux et obstétricaux qui n’apportent pas la sécurité. Il faut en décider, car le ferait-on qu’il y aurait moins besoin d’intérimaires, moins de dépenses indues, moins d’actes non pertinents et un recentrage des professionnels, si bien que les équipes en manque d’effectif seraient moins nombreuses.

Mme Christine Schibler. La réforme des hôpitaux de proximité s’est caractérisé par un mode de financement particulier plus que par une réflexion sur leur métier. Au moment où l’on pense à la gradation des urgences, il faut réfléchir à la terminologie. Á cet égard, l’expression « consultation non programmée » n’est pas la bonne ; mieux vaudrait parler d’une « antenne de prise en charge » regroupant le sanitaire et le médico-social. Le parcours des individus n’est pas qu’un parcours de santé, c’est aussi un parcours de vie. Des perspectives positives seront mieux acceptées par des élus très attachés, comme il est normal, à « leur » hôpital : mieux vaut parler de plateforme de prise en charge, de télémédecine et d’orientation. Ces sujets essentiels n’ont pas été traités faute de réflexion sur l’organisation de ces points de prise en charge sur le territoire.

M. Michel Ballereau. Il faut réfléchir, ensemble, à une organisation associant la ville, l’hôpital, le médico-social, le public et le privé, quelles que soient les modalités de rémunération. Cette organisation doit être rendue publique et accesssible à tout le monde. Il est heureux que les responsables de l’ARS aient une grande compétence car ces agences, duales, sont à la fois le régulateur du public et du privé et la « holding » du public ; c’est être un peu juge et arbitre ce qui, quelle que soit la qualité des individus, peut être compliqué… Or plus le système sera équilibré et plus nous y gagnerons tous.

Enfin, quiconque se lance dans des études de médecine sait que les gardes et les astreintes sont des obligations consubstantielles au métier. Permettez-moi de dire que si l’on en appelait au volontariat des conducteurs de train pour faire circuler les convois le dimanche, le service ne serait vraisemblablement pas ce qu’il est. La considération dont tous les soignants ont besoin passe aussi par le respect de ces obligations professionnelles. Un médecin généraliste du Morvan m’a dit assurer seul la permanence des soins toute l’année là où il exerce ; la considération dont il jouit pour cela fait qu’il n’est appelé qu’un nombre de fois infime hors ses heures de consultation régulières, et toujours pour des raisons graves.

Mme Françoise Durandière. Je reviens sur la nécessaire égalité d’accès aux soins pour les personnes fragiles. On parle beaucoup des autistes mais peu des déficients intellectuels et des polyhandicapés, alors que les soins qu’ils requièrent demandent du temps, des équipements adaptés et des compétences particulières. Or la réforme du troisième cycle des études médicales et la maquette de formation des généralistes ne prévoient pas de sensibilisation à la prise en charge de ces personnes, non plus que des personnes âgées. C’est un véritable problème, car il faut se donner les moyens de faire que toutes les personnes handicapées aient accès aux soins dont elles ont besoin, et non seulement certaines tranches de population diminuées ou fragiles.

M. le président Alexandre Freschi. Mesdames, messieurs, je vous remercie pour ces échanges de grande qualité.

 

 

 

 

 

 


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Audition de M. Nicolas Biard, directeur technique de l’Association nationale française des ergothérapeutes (ANFE)

Présidence de M. Alexandre Freschi, Président de la commission denquête

M. le président Alexandre Freschi. Nous recevons M. Nicolas Biard, directeur technique de l’Association nationale française des ergothérapeutes (ANFE), à qui je souhaite la bienvenue.

Je précise que cette audition est ouverte à la presse.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, les personnes entendues déposent sous serment. Je vous demande donc de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Nicolas Biard prête serment.)

M. Nicolas Biard, directeur technique de l’Association nationale française des ergothérapeutes (ANFE). Je vous remercie de consulter les ergothérapeutes dans le cadre de cette commission d’enquête. Il importe de ne pas considérer l’égal accès de tous à la santé sous le seul angle du manque de médecins. L’ergothérapie fonde sa pratique sur le lien entre les activités humaines et la santé, afin que chacun puisse mieux assurer son équilibre personnel, travailler et s’insérer dans la vie sociale et citoyenne. Les ergothérapeutes qui sont des paramédicaux, interviennent dans le champ social et médicosocial, de façon pluridisciplinaire sous prescription médicale lorsque la nature de l’activité l’exige, pour faciliter la pleine réalisation des activités de chacun. Notre action consiste à prévenir, à réduire, à supprimer les difficultés de l’individu à les réaliser, en tenant compte des habitudes de vie et de l’environnement.

Le nombre d’ergothérapeutes en France a doublé en dix ans, pour atteindre 12 225 au 1er septembre 2017. Ces professionnels sont jeunes – 35 ans en moyenne. La densité est de 16 ergothérapeutes pour 100 000 habitants, soit moins que nos voisins puisque cette densité est de 189 au Danemark, 88 en Belgique et 71 en Allemagne. Cette densité est également largement inférieure à celle d’autres paramédicaux s’occupant de la réadaptation : ainsi, en 2013, il y avait 120 kinésithérapeutes pour 100 000 habitants. Il y a également une forte disparité dans la répartition par département, y compris outre-mer, avec, par exemple, 6,6 en Haute-Loire et 48,8 en Lozère.

Les ergothérapeutes exercent essentiellement comme salariés, mais il existe un exercice libéral : la densité en libéraux est de 1,8 pour 100 000 habitants, mais varie de 0,3 pour 100 000 en Lot-et-Garonne à 5,6 en Côte-d’Or.

La formation se fait en trois ans. Le nombre d’instituts de formation a triplé ces dernières années, d’une part pour faire face à une pénurie annoncée suite au remplacement des premiers professionnels qui partent en retraite, mais surtout pour répondre à la demande de la population. Il y a actuellement  entre un et trois instituts de formation par région, alors qu’il y a quelque temps  certaines régions n’en possédaient pas. Alors que 500 professionnels arrivaient sur le marché du travail en 2014, ils seront 1 000 en 2018. Ce marché est prometteur et la profession a su s’adapter pour répondre aux besoins.

Au-delà de l’inégale répartition sur le territoire, la principale difficulté d’accès aux soins d’ergothérapie est liée au mode de financement des actes, pour lesquels la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) refuse tout conventionnement.

De ce fait, l’accès aux soins d’ergothérapie se fait presque uniquement dans le cadre des institutions. Mais ce n’est ni adapté, ni souhaitable pour chacun de passer par l’hôpital ou par un service de soins de suite et de réadaptation. Les personnes âgées, les personnes en situation de handicap et leurs familles ne souhaitent pas une entrée en institution uniquement pour bénéficier de l’ergothérapie. Contrairement à d’autres professions paramédicales, l’ergothérapie ne peut donc que difficilement se développer en milieu ordinaire de vie puisque l’exercice libéral est limité par le financement.

Pourtant les demandes affluent et le besoin est réel dans la population. Pour bénéficier de ces actes, les usagers doivent présenter un dossier de prestation exceptionnelle, soumis à un certain nombre de conditions, notamment financières, auprès de l’assurance-maladie, d’attendre plusieurs mois pour avoir une réponse et donc d’avancer les frais pour, éventuellement, se voir notifier un refus de remboursement.

Pourtant différentes études de la Mutualité française, ainsi que des rapports techniques, que je pourrais vous communiquer, montrent l’intérêt de cette prise en charge hors institution, en service de soins à domicile ou en libéral, pour améliorer la réadaptation, diminuer le temps d’hospitalisation et, finalement, les coûts globaux pour la société. Ainsi, en Angleterre, le recours à l’ergothérapie permet d’économiser 50 000 à 60 000 euros par patient dans certaines pathologies chroniques.

Pour pallier le défaut de remboursement par l’assurance maladie, certaines mutuelles, caisses de retraite et compagnies d’assurance offrent des forfaits de soins en ergothérapie, pour les couvertures les plus complètes et les plus onéreuses. Cela accroît l’inégalité d’accès aux soins : ceux qui ont les moyens de payer de bonnes mutuelles et caisses complémentaires ont accès à ces soins, pas les autres. Se pose également la question de la non-reconnaissance de handicap, par exemple pour les personnes souffrant de troubles musculo-squelettiques, ou les personnes qui ont mal au dos et pourraient bénéficier de ces soins s’il existait des modalités de financement. Selon une étude récente de la fédération française Dyspraxie France, de nombreuses familles d’enfants dyspraxiques renoncent à entreprendre des soins pour cette raison financière. Certaines initiatives locales, encore trop rares, permettent une prise en charge, mais sont généralement destinées à une catégorie particulière d’âge ou de pathologie, ou à un territoire défini : deux personnes à quelques kilomètres de distance ne bénéficient pas des mêmes soins. C’est un souci important pour les professionnels. Il existe quelques financements pour les enfants grâce à l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé (AEEH) versée par les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH). Mais ces financements, très disparates d’un département à l’autre, tendent à s’épuiser, et les familles ont de moins en moins de solutions.

Très récemment, le Gouvernement a présenté la stratégie nationale pour l’autisme 2018-2022, qui comprend un financement des actes d’ergothérapie pour les enfants autistes. C’est une avancée dont nous nous réjouissons, mais encore une fois, l’action porte sur une catégorie de population. D’autre part, M. Pierre Morel-à-l’Huissier a déposé une proposition de loi en vue du remboursement des actes d’ergothérapie pour les enfants dyspraxiques, qui est intéressante. Mais de très nombreux autres enfants pourraient aussi en bénéficier.

Pour conclure, le nombre d’ergothérapeutes est assez faible compte tenu de l’évolution démographique et des besoins de la population. L’accès à ces prestations reste inégal en l’absence d’un modèle économique clair. L’ANFE formule donc les propositions suivantes : généraliser l’accès des personnes à l’ergothérapie en milieu de vie dans le cadre d’un parcours de soins coordonné, qu’il s’agisse de services d’aides et de soins à domicile ou en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD),  pour des soins de prévention, de rééducation et de réadaptation ; obtenir le financement des prestations d’ergothérapie pratiquées en exercice libéral et en maison de santé pluridisciplinaire par la CNAMTS ; rendre ce mode de financement universel, accessible à tous quels que soient l’âge, la pathologie et le lieu d’habitation ; développer l’ergothérapie en pratique avancée, comme la loi le permet et comme les infirmiers y sont engagés, notamment pour la préconisation des aides techniques, les interventions précoces chez l’enfant avant diagnostic, les interventions dans le cadre de certaines maladies chroniques.

Je suis à votre disposition pour répondre aux questions.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Nous vous remercions pour la note que vous nous avez remise, qui est très synthétique et correspond exactement à ce que nous souhaitons.

Permettez-moi de revenir sur la différence de densité que vous avez soulignée entre la Lozère et la Haute-Loire. C’est que, à l’initiative du département, la Lozère, dont Pierre Morel-à-l’Huissier est député, accueille des enfants dyspraxiques. Je pense que la situation est voisine en Corrèze : dès qu’il existe des établissements qui conventionnent ces actes et qu’ils sont remboursés, la profession est représentée.

Je voudrais aborder plusieurs sujets. D’abord, pour les enfants autistes, les dyspraxiques, certaines pathologies, l’ergothérapie est reconnue communément dans la « communauté médicale » comme une pratique indispensable pour améliorer la qualité des soins. Il y a sans doute là des possibilités de conventionnement plus larges que celles qui existent. Les MDPH, devenues maisons départementales de l’autonomie (MDA), le font. Il y a là une piste pour généraliser, pour harmoniser ; les départements n’y sont pas hostiles, et un plan « Autisme », que je trouve bien fait, vient d’être lancé. Il me semble que vous avez intérêt à travailler dans cette voie, celle des pathologies pour lesquelles votre apport thérapeutique est parfaitement démontré, car le contexte des finances publiques ne permet pas d’aller loin. Pour certaines pathologies, seules les mutuelles assurent un remboursement.

Justement, pour les actes qui ne donnent lieu à aucun financement, par exemple des pathologies chroniques comme les cancers de longue durée, avez-vous pu trouver un accord avec des mutuelles sur des remboursements partiels ou totaux ?

Ensuite, quel impact le manque de remboursement peut-il avoir sur l’équilibre économique d’un cabinet, pour ces praticiens qu’on continue à former ?

Il apparaît que l’Ordre des médecins ne souhaite pas la présence de professionnels paramédicaux dont l’organisation ne repose pas sur un ordre, dans les maisons de santé pluridisciplinaires et essaye d’imposer cette règle aux agences régionales de santé (ARS). Avez-vous des informations sur des difficultés qui se seraient présentées ? Il peut être intéressant d’avoir dans ces maisons de santé des professionnels comme des ergothérapeutes, des diététiciens ou des ostéopathes.

Enfin, vous avez signalé des études qui tendent à prouver que le recours à l’ergothérapie permet de faire, globalement, des économies substantielles. La commission aimerait en disposer – sous la forme la plus synthétique possible, vous le comprenez bien.

M. Nicolas Biard. Nous avons, bien sûr, compilé nombre de documents et nous pouvons vous fournir de brèves synthèses.

À propos de financement, il y a les secteurs dans lesquels la communauté médicale reconnaît vraiment les ergothérapeutes comme l’autisme, la dyspraxie, la santé mentale, les pathologies chroniques ou la maladie de Parkinson. Dans certains cas, des plans nationaux ont été mis en place, celui pour l’autisme, devenu stratégie nationale, le plan « Alzheimer » qui a permis de financer des services – ainsi des ergothérapeutes font partie des équipes spécialisées en Alzheimer qui interviennent au lieu de vie de la personne. Il y a donc eu de réelles avancées. Ce que nous défendons, c’est la possibilité d’exercer en libéral, mais aussi l’accès de la population à l’ergothérapie, quelles que soient les modalités.

Les mutuelles prennent très peu d’initiatives ; elles se soucient un peu des enfants dyspraxiques, mais même dans ce cas le principal financement vient des MDPH. Pour les autres pathologies, la difficulté subsiste. Certaines caisses de retraite complémentaire assurent des financements, par exemple l’AGIRC-ARRCO finance des prestations d’ergothérapie non pas comme soins de réadaptation mais à titre préventif pour l’amélioration de l’environnement domestique, afin de prévenir les chutes par exemple. De nombreuses études montrent que cela a des effets bénéfiques et fait faire des économies.

Il y a donc des financements pour les enfants et un peu pour les personnes âgées. Pour l’adulte qui a mal au dos ou une sclérose en plaques, il n’y en a pas. Nos collègues libéraux travaillent donc, pour 90 % de leur temps, avec les enfants dyspraxiques, et pour 10 % à aménager l’habitat de personnes âgées. Beaucoup hésitent donc à s’installer, car l’activité est peu viable économiquement. On pourrait multiplier par dix le nombre de cabinets s’il existait un remboursement des soins. Et ce serait très utile pour les personnes qui ont subi un accident cardio-vasculaire (AVC) ou un traumatisme crânien. En phase aiguë, à l’hôpital, ils reçoivent des soins. Une fois rentrés chez eux, ils voient un kiné, peut-être un orthophoniste, mais ce n’est que s’ils vont une fois par an par exemple à l’hôpital qu’ils bénéficient de conseils de prévention et d’une évaluation d’un ergothérapeute. La situation est très différente en Amérique du Nord où ces personnes rencontrent régulièrement des ergothérapeutes, plus fréquemment même que des kinésithérapeutes.

M. le président Alexandre Freschi. Vous avez donné des chiffres frappants sur la différence de densité en France et au Danemark ou en Allemagne. Comment l’expliquez-vous ?

M. Nicolas Biard. Les explications sont multiples et la différence liée en premier lieu à la politique et au système de santé. En Amérique du Nord, la prise en charge des frais de santé a pour objectif que les personnes puissent vivre seules et rentrer chez elles très rapidement. L’ergothérapie – occupational therapy –, qui s’y est développée il y a très longtemps, vise à rendre les personnes plus autonomes pour qu’elles puissent réaliser seules leurs activités quotidiennes. Le secteur privé de la santé s’est vite rendu compte que cela procurait de réelles économies et a donc développé des prestations, en institutions, mais aussi en libéral.

Actuellement les ergothérapeutes proposent des soins de rééducation sans se limiter, par exemple, à faire qu’une personne âgée puisse marcher, ce qui est une très bonne chose, mais en se demandant aussi comment elle se servira de cette fonction pour réaliser les différentes activités qui sont importantes pour elle, aller faire ses courses ou au club du troisième âge.

M. Philippe Vigier, rapporteur. La prise en charge n’est pas généralisée, sauf pour certaines pathologies précises, et on ne peut croire qu’elle le sera demain. Mais vous indiquez que l’ergothérapie apporte un plus médical reconnu par toute la communauté médicale. Puisqu’il existe des travaux en ce sens, ne peut-on les utiliser pour au moins standardiser la prise en charge dans les établissements publics et parapublics, avant de penser à l’exercice libéral ?

M. Nicolas Biard. Nous échangeons régulièrement avec la communauté médicale, notamment avec la Société française de médecine physique et de réadaptation (SOPMER). On s’appuie essentiellement sur des études réalisées à l’étranger pour montrer les effets bénéfiques de l’ergothérapie. Mais comme le modèle n’y est pas le même, on n’est pas absolument certain qu’on puisse transposer ces résultats à la France. On travaille donc à des études montrant l’efficacité de l’ergothérapie pour certaines populations en France. Mais il faut réaliser cette recherche. Un certain nombre d’ergothérapeutes s’inscrivent en doctorat, et la ministre de la santé et celle de l’enseignement supérieur et de la recherche ont annoncé la création d’une sous-section « réadaptation » du Conseil national des universités (CNU). C’est une réelle avancée.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Vous avez en effet intérêt à vous appuyer sur les études faites en France. Par exemple, pour la prévention chez la femme enceinte, en Amérique du nord, on ne fait pas de sérologie virale, de recherche de toxoplasmose ou de rubéole. En France, on fait différemment, et la différence est due à la façon dont la prise en charge a été accordée historiquement. Le plan « Autisme » qui vient d’être lancé vous offre des occasions. Dans ma circonscription, une usine Andros a lancé une expérience avec de jeunes autistes qui viennent y travailler, et vous avez là une expérience réussie en grandeur nature, qui peut vous être utile.

M. Nicolas Biard. La profession partage tout à fait votre point de vue. Un autre exemple est la prise en charge précoce de l’AVC, qui se pratique différemment en France, avec des bénéfices différents sur la vie quotidienne. La difficulté est de faire financer ces activités de recherche. Ce peut être fait dans le cadre d’un programme hospitalier de recherches infirmières et paramédicales (PHRIP), ainsi que grâce à certaines fondations privées. Mais cela reste difficile.

M. le président Alexandre Freschi. Quelles sont vos relations avec les autres professions médicales et vous refuse-t-on de participer à certains circuits ou d’entrer dans les maisons de santé pluridisciplinaires ?

M. Nicolas Biard. Des informations qui nous parviennent, les ergothérapeutes peuvent participer aux maisons de santé. Nous avons d’excellentes relations avec les autres professions paramédicales. Nous siégeons ensemble au conseil des professions paramédicales de l’Union interprofessionnelle de rééducateurs et médicotechniques (UIPARM). Nous travaillons d’autant plus étroitement avec ces autres organisations que, par essence, notre pratique est interdisciplinaire. Le blocage est au niveau de l’assurance maladie qui, d’après ses réponses, ne s’inscrit pas dans une démarche d’ouverture de la nomenclature des actes pour financer des actes d’ergothérapie. De ce fait, au lieu de pratiquer un acte d’ergothérapie en ville, qui coûterait une cinquantaine d’euros, nous allons le pratiquer à l’hôpital, pour un coût beaucoup plus important. Les inégalités sont grandes sur le territoire entre privé et public. Cela dit, la stratégie nationale de santé ouvre depuis quelques années des possibilités de financement d’initiatives locales, mais cela reste très disparate.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Comment sont organisées les études pour devenir ergothérapeutes et avez-vous réfléchi à un tronc commun avec d’autres professions paramédicales ?

M. Nicolas Biard. Les études sont de trois ans après le bac avec un recrutement soit par concours soit par voie universitaire. Notre diplôme a été réorganisé en 2010 et il est désormais du niveau de la licence. Nous suivons de très près les travaux de la mission confiée à M. Stéphane Le Bouler par les ministères de la santé et de l’enseignement supérieur pour l’universitarisation des études paramédicales. Dans ce cadre, il y a une réflexion sur la mutualisation d’un certain nombre d’unités d’enseignement seulement pour les filières de la réadaptation pour l’instant, mais ce serait possible ultérieurement pour toutes les professions paramédicales. Il existe un certain nombre de freins : les maquettes de formation ne sont pas toutes adaptées et il faut les revoir. Les associations professionnelles d’ergothérapeutes sont tout à fait prêtes à participer et à faire des adaptations, y compris des contenus, en fonction de nouveaux besoins. Ainsi la télémédecine inclut la télérééducation à distance autour des troubles cognitifs, et il y a déjà quelques expérimentations. La réalité virtuelle est aussi un outil intéressant pour s’occuper de personnes âgées ou de traumatismes crâniens de même que la réalité augmentée avec les lunettes qui donnent des informations complémentaires pour guider dans leur environnement des personnes souffrant de désorientation spatiale. Les professionnels ont besoin d’accroître leurs compétences pour utiliser ces nouveautés techniques. Cela passe par l’aménagement du parcours de formation et la profession est ouverte à tous les échanges à ce sujet.

M. le président Alexandre Freschi. Nous vous remercions de cet échange et du document que vous nous avez communiqué. Nous attendons ceux auxquels vous vous êtes référé.

 

 

 

 

 

 


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Audition de M. Charles Eury, président de l’Association nationale
des puéricultrices(teurs) diplômés et des étudiants (ANPDE),
de Mme Anaïs Valencas, secrétaire générale, et de M. Jean-Christophe Boyer, conseiller technique

Présidence de M. Alexandre Freschi, Président de la commission denquête

M. le président Alexandre Freschi. Nous allons entendre l’Association nationale des puéricultrices(teurs) diplômé(e)s et des étudiants (ANPDE), dont je remercie les représentants d’avoir bien voulu se rendre à notre invitation. Nous avons décidé de rendre publiques nos auditions. En conséquence, elles sont ouvertes à la presse, diffusées en direct sur un canal de télévision interne et pourront être consultées en vidéo sur le site internet de l’Assemblée nationale.

Avant de vous donner la parole pour une intervention liminaire, je vous indique, madame, messieurs, que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Charles Eury, Mme Anaïs Valencas et M. Jean-Christophe Boyer prêtent successivement serment.)

M. Charles Eury, président de l’Association nationale des puéricultrices(teurs) diplômé(e)s et des étudiants (ANPDE). Je préciserai pour commencer le contexte de l’exercice professionnel des infirmières puéricultrices. Elles acquièrent leurs compétences au terme de douze mois d’une formation spécialisée, accessible sur concours après le diplôme d’État infirmier. On en compte aujourd’hui près de 21 000 en France, dont 60 % travaillent en milieu hospitalier, dans les services de pédiatrie ou de néonatalogie par exemple, et 40 % en milieu extrahospitalier – dans les services de protection maternelle et infantile (PMI) et les établissements d’accueil du jeune enfant – ou en libéral ; mais ce dernier mode d’exercice reste marginal pour des raisons sur lesquelles nous reviendrons.

Le problème de l’accès aux soins et de la désertification médicale affecte toute la population, mais plus particulièrement les familles et les jeunes enfants. En effet, selon la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) du ministère des solidarités et de la santé, la répartition territoriale des médecins spécialistes est plus inégalitaire que celles des médecins généralistes, et l’inégalité d’accès aux soins pédiatriques est particulièrement marquée : l’accessibilité est près de quatorze fois supérieure dans les 10 % des communes les mieux dotées en pédiatres à ce qu’elle est dans les communes les moins bien dotées et, en 2013, un quart de la population résidait dans une commune située à plus de 20 minutes du pédiatre le plus proche, et à plus de 45 minutes pour 4 % de la population. Si l’on prend aussi en compte les difficultés d’accès à un médecin généraliste et, de plus en plus fréquemment, aux services d’urgence, c’est là au moins une double peine pour les enfants et leur famille.

L’élargissement des compétences des infirmières puéricultrices permettrait d’apporter, en collaboration avec les autres professionnels de santé, une réponse aux besoins de santé des enfants et de leur famille. Le médecin généraliste pourrait alors faire appel à l’infirmière puéricultrice pour prendre en charge un enfant ayant besoin d’un suivi particulier ; les pédiatres pourraient assurer le suivi de plus nombreux enfants en collaboration avec les puéricultrices ; les centres de PMI pourraient confier plus de responsabilités aux puéricultrices pour proposer des consultations, l’orientation vers d’autres professionnels spécialisés ou encore un suivi vaccinal simplifié.

Plusieurs dispositions peuvent être envisagées à cette fin. Certaines, relativement simples, peuvent être effectives rapidement, d’autres permettent d’envisager différemment l’organisation du parcours de santé de l’enfant et visent à promouvoir sa santé.

Ainsi pourrait-on décider l’élargissement des compétences vaccinales en autorisant les puéricultrices, spécifiquement formées à la prise en charge de la douleur de l’enfant et à la réalisation d’injections particulières chez le tout-petit, à réaliser de manière autonome les rappels des vaccinations. De la sorte, on faciliterait l’acte vaccinal, notamment en PMI. La définition, inexistante à ce jour dans la nomenclature générale, d’actes spécifiques aux infirmières puéricultrices, favoriserait une activité libérale aujourd’hui extrêmement difficile puisque le temps supplémentaire consacré à une prise en charge adaptée de l’enfant n’est pas pris en compte financièrement. La possibilité pour les puéricultrices de réaliser les certificats médicaux d’entrée en établissements d’accueil de jeunes enfants – où elles exercent déjà – libérerait du temps médical embolisé par le grand nombre de certificats à rédiger.

Les moyens de la PMI et de la médecine scolaire doivent être ajustés aux besoins. La PMI souffre d’un grave manque de ressources et les disparités locales dans l’organisation des centres sont importantes. La norme actuelle – une puéricultrice pour 250 naissances annuelles dans un département – est peu ou mal appliquée et ne correspond plus aux besoins. Les missions confiées aux professionnels doivent être repensées.

Pour ce qui est la médecine scolaire, près d’un enfant âgé de 6 ans sur deux n’a pas eu d’examen médical pendant l’année scolaire 2015-2016. Si le Gouvernement souhaite améliorer la situation, on peut s’interroger sur la capacité actuelle du système de santé scolaire à répondre aux besoins. Or, les puéricultrices n’ont aucune reconnaissance spécifique au sein de l’Éducation nationale, ce qui aiderait pourtant à mobiliser leurs compétences.

À moyen terme, la création de formations en pratique avancée, de courte durée mais ouvertes uniquement aux infirmières puéricultrices ayant une certaine expérience professionnelle, permettrait, dans le cadre d’un exercice coordonné par le médecin traitant, de faire des consultations avec la possibilité de diagnostics et d’orientations. Cela doit être prévu dès maintenant dans les textes en cours d’élaboration par le ministère.

Enfin, la révision actuelle du diplôme d’État doit être finalisée pour permettre dès la rentrée 2019 la formation en deux ans des puéricultrices au niveau du master. Cela permettra une montée en compétences au service de la santé de l’enfant ; elle doit être anticipée pour que l’exercice professionnel use au mieux des nouvelles possibilités offertes par ce niveau de formation. Il faut pour cela ajuster la réglementation actuelle.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Je vous remercie pour ce propos concis et efficace. On en retient que vous voyez dans la délégation de tâches une mine de possibilités. Deux voies d’action me paraissent d’une importance particulière. La première est le soutien aux pédiatres, dont le nombre est gravement insuffisant en ville comme à l’hôpital ; d’ailleurs, il serait bon que vous nous disiez comment votre implication à l’hôpital peut être renforcée. La seconde concerne les établissements d’enseignement : les infirmières scolaires sont si peu nombreuses qu’il y en a parfois une seule pour deux collèges ou deux lycées ; vous pourriez leur apporter un soutien marqué. D’autre part, si la formation des puéricultrices se fait désormais en cinq ans, n’y a-t-il pas un risque de déperdition des étudiants, dont certains pourraient s’interroger sur l’utilité de si longues études pour un avenir professionnel incertain ? Enfin, alors même que le manque de médecins est criant dans les centres de la PMI, toute ouverture d’un centre de loisirs suppose que l’un d’eux ait contrôlé le respect de la conformité des locaux aux règles relatives à l’accueil des enfants scolarisés de moins de six ans. Ne pourrait-on vous déléguer cette tâche ? En est-il question ?

M. Charles Eury. Avant de parler de délégation de tâches, il faudrait utiliser les compétences spécifiques acquises au cours de la formation. Alors que nous avons suivi un cursus spécialisé de douze mois assez dense, notre exercice professionnel est le même que celui de l’infirmière ayant suivi la seule formation initiale. Mobiliser entièrement nos compétences permettrait de faire bien davantage et en particulier de réaliser les contrôles relativement simples que vous avez mentionnés. Auditionnés par le Conseil social, économique et environnemental (CESE) au sujet de la médecine scolaire, nous avions évoqué la reconnaissance de nos compétences spécifiques. Nous avions proposé que les puéricultrices assurent la coordination entre les infirmières scolaires et les médecins, et accompagnent les infirmières, dont je rappelle que la formation initiale, depuis la réforme de 2009, ne comprend plus d’enseignement pédiatrique. Il nous paraîtrait tout à fait pertinent d’être le chaînon intermédiaire entre médecins et infirmières. Un très grand nombre d’actes de ce type pourraient être imaginés.

Cela rejoint votre observation relative au risque de déperdition des étudiants. Si l’on n’ajuste pas l’exercice professionnel à la nouvelle formation pour tenir compte des compétences particulières acquises, de nombreux étudiants se demanderont effectivement quel intérêt ils ont à suivre une formation supplémentaire de deux ans si cela les conduit à un exercice professionnel similaire à celui d’une infirmière n’ayant qu’une formation initiale. La question doit donc être envisagée sous deux aspects : pour le système de santé, il faut mobiliser des compétences disponibles mais inutilisées ; d’autre part, la formation des étudiants doit leur permettre de mobiliser réellement les compétences acquises.

M. le président Alexandre Freschi. Comment expliquez-vous les oppositions au plein exercice de vos compétences ?

M. Jean-Christophe Boyer, conseiller juridique de l’ANPDE. Il y a d’abord une difficulté d’ordre juridique : la loi renvoie à une liste de soins infirmiers définie par décret, nullement au contenu de la formation. C’était un problème pour les trois spécialités, et s’il a été réglé pour les infirmiers anesthésistes diplômés d’État (IADE) en 1988 et pour les infirmiers de bloc opératoire diplômés d’État (IBODE) en 2015, il ne l’a pas été pour les puéricultrices. Il faut donc inscrire le contenu des actes dans le décret de compétences infirmier – les articles R. 4311-1 et suivants du code de la santé publique. Actuellement, les étudiants en puériculture suivent, après avoir obtenu le diplôme d’infirmier, une formation complémentaire de douze mois qui porte sur la physiologie de l’enfant, une discipline qui n’est pas enseignée en formation initiale. Or, cette compétence supplémentaire n’est pas transcrite dans le décret ; nous sommes contraints de le quémander au ministère.

M. le président Alexandre Freschi. Pourquoi cette situation ?

M. Jean-Christophe Boyer. Je pense que les infirmiers diplômés d’État craignent de se voir soustraire un champ de compétences. C’est une vision très étriquée, alors même que les compétences acquises par les puéricultrices permettraient de leur confier une analyse clinique en première intention. Venir en renfort du médecin, ce n’est rien prendre aux infirmiers diplômés d’État. Pourtant, il suffit que nous tentions d’obtenir des rendez-vous pour présenter nos demandes pour être cueillis à froid avec l’argument que nous cherchons à scinder le champ de compétence des infirmiers. Nous avons fait une seconde tentative lors de l’élaboration du projet de loi de santé de 2016, qui instituait les infirmières de pratique avancée. Nous considérions que nous pourrions disposer là d’une deuxième base juridique permettant de confier aux infirmiers de spécialité des missions de soins entre le médecin et la première ligne infirmière. Voyez ce qu’il est advenu : le texte s’est traduit par une fin de non-recevoir, les spécialités n’étant pas concernées. Les IADE et les IBODE ont réussi à négocier et à obtenir des champs de compétence supplémentaires, mais pour les puéricultrices, la négociation n’est même pas ouverte.

D’autre part, le passage à une formation spécialisée en deux ans est une idée extrêmement dangereuse : allez convaincre un établissement de financer la formation professionnelle d’une infirmière diplômée d’État qui veut devenir puéricultrice, mais qui, à son retour, n’aura le droit que de faire exactement ce qu’elle faisait auparavant ! Il y a eu un précédent pour les IBODE au début des années 2000 et cela avait entraîné la chute du nombre d’inscrits dans les écoles. Le risque est que si l’on ne reconnaît pas le champ d’exercice professionnel propre aux puéricultrices, le passage à une formation complémentaire en deux ans entraîne la diminution du nombre de professionnels qui parviendront à se spécialiser.

Mme Anaïs Valencas, secrétaire générale de l’ANPDE. Je compléterai ce propos en précisant que l’article R. 4311-13 du code de la santé publique dispose que certains actes concernant les enfants de la naissance à l’adolescence sont à réaliser en priorité par une infirmière titulaire du diplôme d’État, sans qu’il soit question d’exclusivité.

M. Charles Eury. Un exemple vous éclairera. Lors d’une séance récente du Haut Conseil des professions paramédicales (HCPP) a été présenté un projet d’arrêté modifiant la liste des personnes pouvant recevoir un rappel de vaccination antigrippale de la main d’un infirmier, sans prescription médicale. L’élargissement préconisé visait à une mise en conformité avec les recommandations du Haut Conseil de la santé publique (HCSP). J’ai proposé que les vaccinations antigrippales concernant les enfants souffrant de certaines pathologies soient réservées aux personnes ayant une formation spécifique – les puéricultrices. Finalement, le texte publié ne concerne que l’adulte ; les enfants ne sont pas mentionnés. En résumé, plutôt que de donner la possibilité aux puéricultrices et puériculteurs de réaliser cet acte, on a préféré exclure les enfants du champ de l’arrêté, alors même que la proposition d’amendement avait reçu un avis unanimement favorable du HCPP.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Il nous faudra donc essayer de remédier à l’absence de mention des compétences spécifiques des puéricultrices, comme on a su le faire pour les IBODE, pour qu’elles soient parfaitement identifiées. Avez-vous une vision générale de ce que pourrait être la répartition des actes ou des tâches entre les médecins et les puéricultrices ? Des expérimentations de vaccinations par les pharmaciens ont été faites, que l’on parle de généraliser. Je ne serais pas opposé à ce que, pour les jeunes enfants, ce soient plutôt des puéricultrices qui interviennent. La primo-vaccination reste sous la responsabilité du médecin pour le moment, mais je n’ai pas de religion en la matière et je pense que les infirmières, qui font des intraveineuses tous les jours, pourraient même faire les primo-vaccinations. J’ai pris note de la contribution que vous pourriez apporter à la vaccination des enfants et de votre conviction de pouvoir favoriser un meilleur accès aux soins dans un milieu scolaire confronté à une pénurie de pédiatres. Au-delà, quelle est votre approche au sujet de l’accès aux soins en général ? En tant que citoyens, quel jugement portez-vous sur l’évolution de l’ensemble auquel vous prêtez votre concours et sur les mesures prises ces dernières années ?

M. Charles Eury. S’agissant de la répartition des actes entre médecins et puéricultrices, nous vous avons dit notre sentiment au sujet de la vaccination. Nous n’avons pas dressé la liste précise des actes que chacun pourrait réaliser, mais une consultation nationale est en cours auprès des puéricultrices et des puériculteurs, et des rendez-vous sont prévus avec différentes organisations, de pédiatres notamment. Il résultera de cette consultation un livre blanc, que nous publierons d’ici la fin de l’année ; il contiendra des propositions sur ce qui peut être réalisé par chacun et sur ce que peut être notre contribution.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Il vous faudrait être un peu plus précis avant que nous ne publiions notre propre rapport, car on comprend bien que déléguer certaines tâches à des personnels paramédicaux ou reconnaître qu’ils ont la compétence requise pour accomplir certains actes relève des mesures d’urgence en faveur de l’accès aux soins en milieu scolaire. Le niveau de prise en charge des enfants, dans les lycées, dans les collèges et à l’école, est tel que l’on ne peut qu’améliorer les choses.

M. Charles Eury. Qu’il s’agisse de la vaccination, de la médecine scolaire ou de l’activité libérale, nos propositions sont précises. Parce que nous pensons pouvoir aller encore plus loin, nous avons lancé des consultations avec les différentes institutions médicales. Nous souhaitons par ce moyen parvenir à des propositions qui auraient un impact global sur le système de santé. Nous cherchons à en finir avec une certaine frilosité, en élargissant les compétences et en cassant les carcans qui font que chaque profession reste dans ses retranchements. Les possibilités seraient bien plus nombreuses si on élargissait les capacités et les compétences de chacun en matière de prévention. Le service sanitaire est une bonne chose, mais chacun n’en a pas forcément la vision transversale qui est la nôtre, puisque nous exerçons à la fois en libéral, dans le cadre de l’école, en milieu hospitalier et extrahospitalier. De manière générale, il faut avoir une vision plus transversale, pas obligatoirement celle d’actes précis à un instant T.

M Jean-Christophe Boyer. Ce qui est applicable directement et permettrait d’avancer serait de faire sauter le verrou juridique auquel nous nous heurtons. Il faut cesser de considérer que les puéricultrices ont le même champ de compétences que les infirmières diplômées d’État et celui-là seulement, alors que – c’est ce qui est si difficilement transposable dans le décret de compétences – la puéricultrice, connaissant la physiologie de l’enfant, est capable d’une analyse clinique médicale en première ligne, évidemment coordonnée par le médecin et en suivant ses directives. Elle peut aussi répondre au besoin de prévention. L’infirmière diplômée d’État, elle, a une approche du soin par actes et n’a pas eu une formation pédiatrique. Si vous décloisonnez et reconnaissez aux puéricultrices un champ de compétences étendu à des missions spécifiques de diagnostic pédiatrique, un médecin qui, en PMI ou en milieu scolaire, a besoin de temps pour rencontrer les enfants et les familles, pourra demain être efficacement secondé par la puéricultrice. Pour l’instant, dans les centres de PMI comme en milieu scolaire, les médecins ignorent que les infirmières diplômées d’État n’ont pas de formation spécifique ; pour eux, une infirmière diplômée et une puéricultrice sont équivalentes. À mon sens, c’est sur ce plan que les choses peuvent se jouer. Il ne faut pas raisonner par acte mais privilégier le modèle retenu pour les IADE en l’adaptant à la petite enfance.

De même, les sages-femmes, qui ont toute leur place dans la prise en charge de la mère à la sortie de la maternité, ont dans leur champ de compétences le suivi des enfants de la naissance à 28 jours, mais elles ne se concentrent pas sur ce sujet parce que ce n’est pas leur mission première, et c’est le médecin qui doit prendre le relais pour assurer les visites obligatoires. En créant un binôme associant la sage-femme et la puéricultrice sur prescription d’un médecin généraliste ou d’un pédiatre, on développerait un secteur libéral répondant à la demande, au moment où les pédiatres sont trop peu nombreux pour voir personnellement chaque famille et chaque enfant.

Mm Anaïs Valencas. Dans les établissements d’accueil du jeune enfant, où le recrutement des médecins devient de plus en plus difficile, les puéricultrices pourraient réaliser l’examen d’aptitude à la collectivité.

M Philippe Vigier, rapporteur. En résumé, il faudrait parcourir pour les puéricultrices le chemin parcouru pour les sages-femmes ?

M. Charles Eury. Nous disons, depuis un certain temps qu’il faut utiliser les compétences existantes. Ne pas le faire, c’est jeter l’argent de la collectivité par la fenêtre, puisqu’une formation spécifique de douze mois a été suivie, qui va passer à deux ans. Reconnaître ces compétences particulières permettra de fluidifier les choses et d’être plus efficaces.

M. le président Alexandre Freschi. Je peine à déterminer si le problème est d’ordre législatif ou réglementaire.

M. Jean-Christophe Boyer. Selon le décret de compétence, « est considérée comme exerçant la profession d’infirmière ou d’infirmier toute personne qui donne habituellement des soins infirmiers sur prescription ou conseil médical (…) ». Le problème tient à ce que le décret s’en tient à dresser une liste d’actes. On peut donc se demander si la base réglementaire suffit à confier de l’analyse clinique à une puéricultrice. Sans doute devrez-vous en débattre.

M. le président Alexandre Freschi. Les autres professions médicales mettent-elles un frein à ce que vous exerciez l’ensemble de vos compétences ?

M. Jean-Christophe Boyer. C’est souvent par méconnaissance. Quand on évoque devant un médecin l’éventualité de faire prescrire un acte par un infirmier, il a le sentiment que l’on tente de transformer un acte médical en mission infirmière. C’est une erreur : il s’agit d’un acte médical qui peut être confié à un auxiliaire médical. Les médecins ont souvent l’impression qu’on les dépossède de leur pratique, mais ils n’en sont pas dépossédés puisqu’ils en sont à l’origine : ce sont eux qui décident de confier, ou non, une certaine mission à leur collaborateur auxiliaire médical. Il faut user de pédagogie pour faire disparaître ces réserves.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Combien de professionnels sont formés chaque année ? Disposez-vous d’une cartographie permettant d’apprécier leur répartition territoriale, au cas où de nouvelles responsabilités vous étaient confiées dans le domaine de la petite enfance ?

M. Charles Eury. Un millier d’étudiants sont formés chaque année et 21 000 puéricultrices et puériculteurs, dont quelque 40 % travaillent dans le secteur extrahospitalier, sont installés, qui pourraient, demain, accomplir certains actes qu’ils ne sont pas autorisés à réaliser aujourd’hui. Notre répartition sur le territoire national est homogène, ce qui est assez rare, puisque nous travaillons notamment dans les centres de PMI, et donc dans chaque département. Si de nouvelles compétences nous sont reconnues, il sera certainement nécessaire de former davantage de professionnels, mais la refonte du diplôme devrait conduire à l’universitarisation et à la formation de puéricultrices en nombre supplémentaire chaque année. La répartition territoriale est bonne et les professionnels en exercice déjà nombreux.

M. le président Alexandre Freschi. Lorsque vous vous installez en libéral, votre exercice est-il exclusivement libéral ou est-ce un exercice mixte ?

M. Charles Eury. Parce que nos actes ne sont pas reconnus dans la nomenclature, il nous est assez difficile de nous installer en libéral. Cependant, des installations ont lieu dans le cadre de cabinets réunissant plusieurs professionnels, ce qui permet de répartir les tâches, et dans ce cas, cela fonctionne très bien. J’en connais un exemple à Bordeaux, et la demande des parents est forte. Mais cette modalité d’exercice est limitée, faute de reconnaissance financière d’une activité spécifique qui demande plus de temps qu’un acte simple défini dans la nomenclature.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Quelles sont vos propositions précises visant à compléter la nomenclature des actes comme on la fait pour les sages-femmes, pour lesquelles une consultation sui generis a été créée, assortie d’une tarification et d’une tarification complémentaire dans les cas de suivi de grossesses gémellaires ?

M. Charles Eury. Le suivi vaccinal et le suivi de l’allaitement, par exemple. Nous vous transmettrons un document précis.

Je reviens un instant sur les freins mis à notre exercice. Nous demandons au ministère la création d’un groupe de travail pour pousser la réflexion sur ces questions et notamment sur la refonte du diplôme, mais l’on nous dit que l’on ne peut aller plus loin que la réglementation actuelle et qu’il n’y a pas de marge de manœuvre pour la changer. Le blocage est patent.

M. Philippe Vigier, rapporteur.  Vos collègues étrangers, venus de pays membres de l’Union européenne ou de pays tiers, exercent-ils en France ?

M. Charles Eury. Des collègues venant de pays membres de l’Union, oui. Le système français est une sorte d’exception en Europe en raison de la transversalité de nos modes d’exercice. Ailleurs, ce sont plutôt des infirmières spécialisées : soit elles exercent à l’hôpital, soit ce sont des directrices de structures d’accueil des jeunes enfants, soit il s’agit d’infirmières visiteuses familiales. Nos collègues, à l’étranger, peuvent réaliser bien davantage d’actes techniques dans les services hospitaliers que nous en France.

M. Jean-Christophe Boyer. Pour ce qui est de la méthodologie, nous ne voudrions pas voir se répéter pour les puéricultrices ce qui s’est produit pour d’autres spécialités : que l’on mette la charrue avant les bœufs. Il est primordial et urgent de faire évoluer le champ de compétence en même temps que l’on modifie les modalités de formation. Or, nous ne sommes pas entendus : nous frappons toujours à la porte, mais aucun groupe de travail n’est installé au ministère pour s’atteler à cette réflexion. Le problème est réel.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Nous avons noté vos interventions et nous prendrons connaissance avec intérêt de vos propositions écrites.

M. le président Alexandre Freschi. Madame, messieurs, je vous remercie.

 

 

 

 

 


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Audition commune des ordres paramédicaux

Présidence de M. Alexandre Freschi, Président de la commission denquête

La commission d’enquête entend les ordres paramédicaux : M. Patrick Chamboredon, président du Conseil national de l’Ordre des infirmiers, Mme Pascale Mathieu, M. Jean-François Dumas et M. Pierre Degonde, respectivement présidente, secrétaire général et consultant de l’Ordre national des masseurs-kinésithérapeutes, et MM. Éric Prou et Guillaume Brouard, président et délégué aux affaires internes de l’Ordre des pédicures-podologues.

M. le président Alexandre Freschi. Mes chers collègues, nous débutons aujourd’hui nos travaux par une audition commune des ordres paramédicaux, auxquels je souhaite la bienvenue. Il s’agit plus précisément du Conseil national de l’Ordre des infirmiers, représenté par son président, M. Patrick Chamboredon, de l’Ordre national des masseurs-kinésithérapeutes, représenté par sa présidente, Mme Pascale Mathieu, accompagnée de M. Jean-François Dumas, secrétaire général, et de M. Pierre Degonde, consultant, et de l’Ordre des pédicures-podologues, représenté par M. Éric Prou, président, et M. Guillaume Brouard, délégué aux affaires internes.

Mesdames et messieurs, je vous remercie d’avoir bien voulu accepter notre invitation à participer à cette audition commune. Je vous informe que nous avons décidé de rendre publiques nos auditions, par conséquent celles-ci sont d’abord ouvertes à la presse, puis rediffusées en direct sur un canal de télévision interne, et enfin consultables en vidéo sur le site de l’Assemblée nationale.

Je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Les personnes auditionnées prêtent successivement serment.)

M. Patrick Chamboredon, président de l’Ordre national des infirmiers. Je vous remercie de nous avoir invités à cette consultation. En préambule à cette audition, je rappellerai certains chiffres et quelques faits.

Numériquement, les infirmiers représentent la profession de santé la plus importante en France : actuellement, nous sommes environ 600 000. Nous sommes les dernières professions de santé à nous déplacer au domicile des patients, et donc à prendre en charge leur contexte sanitaire, mais aussi social : cette particularité ne se retrouve quasiment plus dans les autres professions. Nous sommes conscients que la santé est un facteur essentiel de l’attractivité du territoire. Notre répartition géographique, déterminée depuis quelques années par une régulation imposée, nous rend très présents et très disponibles. Les missions imparties aux infirmiers, du fait de leur formation initiale, leur permettent de couvrir tous les champs de la santé, y compris celui de la prévention. Exercer une politique de prévention, voilà un atout important de notre profession – voyez les prévisions du Gouvernement et sa stratégie de transformation du système de santé.

Mme Pascale Mathieu, présidente de l’Ordre national des masseurs-kinésithérapeutes. Monsieur le président, je suis ravie de participer à cette commission d’enquête, parce qu’il me paraît extrêmement important de relayer la parole de ceux qui touchent les patients, tous les jours, sur tout le territoire. Avec M. le secrétaire général, nous allons vous présenter rapidement la situation démographique de notre profession, mais, avant, je dirai quelques mots en guise de préambule.

La profession de kinésithérapeute a été profondément réformée, puisqu’elle demande maintenant cinq années de formation. C’est une profession très dynamique, qui s’est largement transformée au fil des années et qui a acquis une certaine maturité. Je vous ai entendu parler d’ordres paramédicaux. Cette appellation n’existe pas pour nous. Le code de la santé publique ne parle pas d’« ordres paramédicaux », mais d’« auxiliaires médicaux », ce qui est peut-être un petit peu dépassé. Peut-être faudrait-il changer la façon de voir la santé dans ce pays. Peut-être conviendrait-il d’arrêter ce distinguo qui n’a plus lieu d’être, selon nous, entre les professions médicales et les auxiliaires médicaux. Nous sommes en profonde mutation. Cette appellation d’une autre époque a fait son temps. Peut-être faudra-t-il en passer par la loi. Toujours est-il qu’une évolution en ce sens serait profitable aux patients.

M. Jean-François Dumas, secrétaire général de l’Ordre national des masseurs-kinésithérapeutes. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames les députées, messieurs les députés, je vous remercie de nous recevoir et de nous écouter. Nous représentons une profession en très grande majorité libérale : 80 % des kinésithérapeutes exercent en libéral, 20 % sont salariés. Cette profession est en pleine explosion démographique. Nous étions 44 000 professionnels en exercice en 1990 – période à laquelle je me suis installé – contre 93 000 aujourd’hui. Nous enregistrons 5 000 nouveaux professionnels par an et nous estimons que, d’ici à deux ou trois ans, nous franchirons le cap des 100 000 professionnels en exercice. Tous auront une activité, il n’y a pas de kinésithérapeute inscrit au chômage.

Malgré cette explosion démographique, la population est confrontée à une importante difficulté pour accéder aux soins de kinésithérapie. Le premier désert en kinésithérapie, c’est l’hôpital, notamment l’hôpital public ; les jeunes ne veulent plus exercer à l’hôpital. Le deuxième désert, bien évidemment, à l’image des autres professions médicales et des infirmiers, ce sont les zones rurales, que nous appelons des zones très sous-dotées. J’exerce personnellement dans une zone très sous-dotée en Normandie ; je connais le système des mesures incitatives et les carences de ce système ; je pourrai vous en parler si cela vous intéresse.

L’explosion démographique est due à une formation encadrée, qui produit 2 800 diplômés d’État tous les ans, auxquels s’ajoutent environ 2 200 à 2 300 diplômés formés par d’autres pays de l’Union européenne. La moitié de ses diplômes sont obtenus par des Français qui, tous les ans, sont presque un millier à s’expatrier pour accéder à leur rêve, devenir kinésithérapeute.

C’est pourquoi la notion de régulation démographique ne peut plus simplement s’envisager à l’échelon national. Cela n’a plus de sens : il faut l’appréhender dans un ensemble européen cohérent. Un pays comme la Roumanie participe à la formation de jeunes Français, comme des Roumains qui viennent travailler sur territoire français. En France, la densité moyenne des kinésithérapeutes sur le territoire se situe autour de 13 kinésithérapeutes pour 10 000 habitants, salariés et libéraux compris ; en Roumanie, elle est de 1 pour 10 000 habitants. Ainsi, un pays de l’Union européenne forme des professionnels de santé dont il a besoin, mais qui vont directement travailler sur le territoire français.

Les plus importantes densités en kinésithérapie se trouvent dans les pays du Nord, notamment dans le Benelux. Ces pays ont fait le choix de la kinésithérapie, qui est une médecine douce, officielle, basée sur des preuves scientifiques, quasiment sans aucun effet secondaire. Ces densités sont quasiment deux fois plus importantes qu’en France, avec 24 ou 25 kinésithérapeutes pour 10 000 habitants.

Mme Pascale Mathieu. Le premier désert auquel nous devons nous attaquer en kinésithérapie, c’est l’hôpital. Le problème est prégnant. Il s’explique, d’une part, par des salaires extrêmement bas : 1 350 euros nets par mois en début de carrière à l’hôpital public, et ce après cinq années d’études, c’est indécent, il n’y a pas d’autre mot. La deuxième raison est l’absence totale d’attractivité et d’évolution possible à l’hôpital public. Nous pourrons parler aussi de la répartition des kinésithérapeutes et d’un autre sujet essentiel, celui de l’accès direct.

Il ne vous a pas échappé que nous sommes une profession prescrite, du moins en thérapeutique. Nous ne pouvons agir que sur prescription médicale. Or une régulation vient d’être signée par un syndicat, qui va nous imposer bientôt de nous installer dans les zones sous-dotées en conventionnement sélectif. Il nous semble tout à fait incohérent d’envoyer des kinésithérapeutes dans des zones où il n’y aura pas de médecins prescripteurs. C’est une véritable difficulté puisque, dans les zones sous-dotées, il est déjà difficile d’obtenir des prescriptions médicales, les médecins qui restent étant débordés.

L’une de nos demandes, qui rejoint les dispositions de la plupart des pays développés, est l’accès direct au kinésithérapeute. La majeure partie des pays l’a déjà mis en œuvre. C’est une évidence pour une profession qui a cinq années de formation et qui a fait la preuve de sa capacité d’autonomie. Dans les faits, l’accès direct existe déjà dans le cas de l’urgence, comme le prévoit la loi. À ma connaissance, il n’y aura pas de danger pour la santé publique, dans la mesure où d’autres professions, qui ont une formation de bien moindre qualité, non universitaire, ont l’accès direct sans que cela pose problème, en tout cas ni au Gouvernement ni à la représentation nationale – je pense par exemple aux chiropraticiens et aux ostéopathes.

M. Éric Prou, président de l’Ordre des pédicures-podologues. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, mon intervention s’appuiera sur la contribution qui vous a été transmise en amont de cette audition. Dans un premier temps, je vous rappellerai ce qu’est la profession de pédicure-podologue, profession atypique et souvent méconnue, mais dont l’activité et les compétences apportent une plus-value indéniable au parcours de soins et à la prise en charge du patient.

Le pédicure-podologue est un professionnel de santé. Je partage les propos de Mme Mathieu sur les termes d’« auxiliaire médical » ou « paramédical ». Nous sommes réellement des « professionnels de santé ». Ces termes devraient entrer dans la littérature commune. Le pédicure-podologue est un professionnel qui bénéficie de la libre réception du patient, qui a un droit à la prescription et qui, depuis la loi du 26 janvier 2016, de modernisation de notre système de santé, a la compétence de diagnostic. Dans les faits, c’est une profession médicale à compétence définie, car elle bénéficie de l’accès direct. En effet, la majeure partie des patients consulte en première intention chez le pédicure-podologue.

Environ 13 200 podologues sont aujourd’hui présents sur le territoire. Il n’existe pas de désert podologique. En outre, 98 % de ces pédicures-podologues exercent une activité libérale exclusive. L’accès aux soins est donc satisfaisant. Cependant, cet accès a un revers – c’est l’un des premiers points que nous avons évoqués dans la contribution. En effet, il existe une inégalité économique, puisque nos actes sont très peu ou pas du tout pris en charge, ce qui fait que le reste à charge pour les patients est très important.

Un deuxième axe de réflexion – nous y reviendrons au moment des questions – concerne la pertinence des soins, qui est forcément corrélée à l’exercice pluridisciplinaire. Les exemples sont criants. Nous avons un droit de prescription pour les orthèses plantaires, droit inscrit dans nos compétences par le code de la santé publique, mais qui n’est pas retranscrit dans le code de la sécurité sociale. Le patient vient donc nous consulter en première intention pour réaliser des orthèses plantaires, alors qu’une prescription est nécessaire pour la prise en charge. Notre prescription n’est pas valable au regard de la sécurité sociale, le patient doit donc repasser chez le médecin généraliste. Ainsi, nous multiplions les consultations pour une même pathologie. Nous pourrions faire gagner du temps médical au médecin prescripteur. Je pourrais vous citer d’autres exemples similaires dans notre pratique quotidienne.

Notre troisième axe de réflexion porte sur la prévention. La politique de prévention en France a souvent été mise de côté. Aujourd’hui, nous revenons à une vraie politique de prévention, mais notre système de santé marche parfois un peu sur la tête. Nous pourrons aussi évoquer la convention de prise en charge, signée entre notre profession et l’Union nationale des caisses d’assurance maladie (UNCAM), sur la prise en charge des pieds des patients diabétiques, convention de prévention qui n’en est pas vraiment une.

Je terminerai mon propos liminaire en insistant sur la formation. Celle-ci a été réformée en 2012. Aujourd’hui, elle doit véritablement passer par l’universitarisation. Une L1 commune permettra à l’ensemble des professions de santé d’avoir une véritable culture pluridisciplinaire, dès la formation initiale. Cela permettra également de développer des connaissances partagées, les compétences et les activités de chacun des acteurs de santé et, ainsi, de favoriser le développement des structures pluridisciplinaires.

M. Philippe Vigier, rapporteur.Concernant les infirmiers, quel est votre avis sur la fameuse convention en cours d’élaboration, qui permettrait de plus grandes délégations de tâches ? Le mot « délégation » n’est pas toujours apprécié, appelez-la comme vous le souhaitez. Il s’agit d’élargir les missions qui sont confiées aux infirmiers. Quel est votre avis sur ce point, et quelles sont vos attentes ?

Ma deuxième question concerne toutes les mesures de régulation. Toutes vos professions, à l’exclusion des médecins, ont, à un moment ou un autre, été l’objet de mesures de régulation. Quel bilan dressez-vous de ces mesures ? Quelles sont les perspectives pour les cinq et dix ans à venir ? Nous faisons de la prospective et nous souhaitons savoir quelle sera l’offre de soins dans ce pays dans dix ans, afin de prendre des mesures immédiates, des mesures à court terme et des mesures à moyen et long termes.

Ma troisième question porte sur les formations qui ont lieu dans l’Union européenne – M. Prou a évoqué ce point. Nous vivons cela pour les médecins, les dentistes, les pharmaciens, les podologues, les kinésithérapeutes, etc. Quelles sont vos préconisations ? Souhaitez-vous une harmonisation des diplômes vers le haut ? Nous avons besoin que vous exprimiez un avis clair, puisqu’un volet du rapport de cette commission d’enquête portera sur la formation. Il va de soi que les mesures de formation n’ont pas d’incidence immédiate, mais qu’elles en ont une, a minima, à moyen terme. En attendant, que fait-on ?

Les kinésithérapeutes et les infirmiers notamment vivent un phénomène absolument étonnant. Alors que les médecins s’orientent de plus en plus vers les domaines public et parapublic – sur dix médecins formés, un seul s’installe en ville contre neuf dans une structure publique ou parapublique –, 70 % à 80 % des kinésithérapeutes s’installent comme profession libérale. Notre but n’est pas de nous occuper uniquement de la médecine libérale, mais de la médecine hospitalière et de la médecine libérale, tant on constate qu’elles sont parfaitement imbriquées. Cessons d’avoir deux canaux où personne ne se parle. Voyez les conséquences sur l’hôpital, qui connaît à l’heure actuelle de grandes difficultés – c’est le moins que l’on puisse dire. Et cela ne date pas d’hier !

M. Patrick Chamboredon. Vous avez évoqué les points débattus hier au Comité des professions paramédicales, dans le texte sur la pratique avancée, qui concerne l’ensemble des professionnels de santé paramédicaux – je préfère, moi aussi, le terme de « professionnel de santé ». Nous avons été invités aux concertations, mais le texte présenté n’est pas celui qui était attendu. Il a fait l’objet de beaucoup de lobbying. Le texte est finalement très contraint pour les infirmiers – nous sommes les premiers concernés, le tour des podologues et kinésithérapeutes viendra ensuite. Nous n’avons pas la liberté souhaitée, et qui est l’ambition du Gouvernement. Ce texte reprend des mesures qui n’ont pas fonctionné, notamment l’article 51 de la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (HPST), que Mme Bachelot a fait voter, et qui contraint les infirmiers à écrire des protocoles et à trouver des délégations d’actes, alors que nous devrions en venir à des logiques de mission.

Les infirmiers sont des professionnels formés à l’université. Ils ont un niveau de master 2, avec une responsabilité clairement écrite dans la loi pour les actes qu’ils pratiquent. Or le texte, tel qu’il est présenté à ce jour, nous oblige à écrire des protocoles, à rendre compte, comme si nous étions des petits garçons. Voilà qui est décevant.

Une infirmière de pratique avancée (IPA) pourrait très bien travailler dans des champs qui ne sont pas prévus par les textes de loi, tels que la psychiatrie, la santé mentale, etc. Nous savons qu’il existe, dans les centres médico-psychologiques de proximité, un déficit de médecins psychiatres. Nous pourrions aussi parler de la place des IPA dans l’éducation nationale, où les enfants pourraient recevoir une véritable éducation à la santé, alors que – nous le savons bien – la pénurie médicale frappe de plein fouet l’éducation nationale. Et que dire de la santé au travail, où les infirmiers sont les seuls, à ce jour, à proposer des consultations régulièrement, au moins tous les deux ans ?

Le texte manque d’ambition sur la pratique avancée, sur le rôle et la place des infirmiers, et sur tous les champs que je viens d’énumérer et qui sont importants. Je veux aussi aborder la question du premier secours. À l’arrivée à l’hôpital public, les infirmiers d’accueil et d’orientation sont ceux qui assurent le premier tri : sur ce point, il n’existe ni reconnaissance ni expertise. Je ne m’attarderai pas sur la régulation téléphonique et le drame qui a eu lieu à Strasbourg. Les infirmiers anesthésistes, diplômés d’État, ont une réelle expertise de la maîtrise de la douleur et de la prise en charge. Ils pourraient très bien participer au tri en premier ou second niveau, derrière les personnes qui répondent au téléphone.

En ce qui concerne la régulation démographique des infirmiers, vous trouverez quelques chiffres dans la note qui vous a été transmise. Concernant la liberté d’installation, nous sommes des professionnels prescrits, si bien que nous sommes obligés d’avoir autour de nous d’autres professionnels de santé, des médecins pour prescrire. Le rôle des pharmaciens est aussi très important, puisque les infirmiers ont besoin d’aller chercher les médicaments chez eux. Les infirmiers travaillent très facilement en réseau.

Le point gênant est l’effet d’aubaine et de frontière. Nous constatons que certaines zones sont très surdotées, avec un faible taux de remplacement et très peu de mutations. Nous pouvons mesurer ces chiffres depuis que nous incombe la mission de régulation et de délivrance des autorisations de remplacement. Les effets d’aubaine et de frontière sont assez marqués.

Je n’en dirai pas plus, parce que l’Ordre, qui est pourtant l’instance de régulation et de délivrance des autorisations de placement, n’est pas du tout partie prenante dans les négociations avec la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), concernant cette régulation. C’est totalement dommageable, puisque nous sommes le seul organe qui a une vue d’ensemble des remplacements.

Par ailleurs, nous sommes une profession très mobile, avec une grande fluidité des parcours professionnels entre secteurs salarié et libéral, puisque nous avons une obligation de servir pendant deux ans à l’hôpital avant de pouvoir accéder au secteur libéral. Seul l’Ordre peut mesurer ces questions, et nous ne comprenons pas très bien pourquoi nous ne sommes pas invités dans les négociations sur la régulation démographique. Nous ne maîtrisons donc pas les tenants et les aboutissants de la question, puisque nous n’avons aucun pouvoir, si ce n’est de contractualiser avec l’agence régionale de santé (ARS), avec une latitude de redéfinition des zones totalement marginale.

Concernant l’universitarisation, notre profession a accédé au processus de Bologne voilà dix ans. Nous avons été la première profession paramédicale à y accéder. Je m’inquiète et je m’étonne que, depuis dix ans, il n’y ait pas eu d’évaluation de ce processus. C’est un fait. Nous sommes en train d’accéder à l’université, et donc de préfigurer, à travers les IPA, le futur de la profession d’infirmier, tout du moins de la discipline infirmière. L’ambition de Stéphane Le Bouler, qui a été mandaté par le Gouvernement, est de créer des postes d’enseignants chercheurs spécialisés dans la discipline infirmière. Je ne peux que m’en féliciter : nous allons avoir, comme c’est déjà le cas pour les kinésithérapeutes, à nous intégrer dans une formation commune avec les médecins, les pharmaciens et tous ceux qui passent par la première année commune aux études de santé (PACES). Nous aurons ainsi un langage commun, permettant une plus grande fluidité dans les échanges avec toutes les professions de santé. Je rejoins les propos de Mme Mathieu : nous devons être réellement considérés comme des professionnels de santé.

Les infirmiers qui travaillent à l’hôpital ne peuvent pas accéder directement au secteur libéral. Nous sommes 80 % de salariés à ce jour. La possibilité d’une plus grande fluidité serait bienvenue, afin que les infirmiers suivent un parcours mixte, à la fois hospitalier et libéral. Ce serait une mesure de bon aloi, puisque ce modèle existe déjà pour les médecins. Des IPA, avec un niveau supérieur de formation, y gagneraient la possibilité d’orienter les patients et de les prendre en charge au long cours, notamment pour les maladies chroniques, qui ne sont pas soignées à l’hôpital. Une coordination est absolument nécessaire pour ces nouveaux métiers et ces nouveaux besoins, qui vont forcément exploser dans les années à venir. Nous parlons d’environ 10 millions de malades chroniques à venir dans les prochaines années.

J’attire l’attention de la commission sur le fait que, pour la première fois, il y a eu 30 % de moins d’inscrits au concours d’entrée dans les instituts de formation en soins infirmiers (IFSI). Voilà qui est inquiétant, d’autant plus que les ARS prévoient un besoin de 800 000 infirmiers. Actuellement, nous sommes 600 000 à exercer. Nous parlons de personnes ayant une formation universitaire, des responsabilités élevées, mais, comme l’a souligné Mme Mathieu, un revenu mensuel de 1 350 euros en début de carrière à l’hôpital. L’attractivité de notre profession doit être revue. C’est un signal d’alerte que de constater que des jeunes, qui généralement s’orientent vers ces métiers par conviction, n’ont plus cette conviction pour venir travailler et servir.

Mme Pascale Mathieu. Monsieur Chamboredon, nous nous rejoignons sur beaucoup de points.

Je commencerai par les pratiques avancées, qui faisaient l’objet de votre première question, monsieur le rapporteur. Je suis très préoccupée quand je vois ce qui se passe pour les infirmiers. J’ose à peine imaginer comment travailler pour les pratiques avancées en kinésithérapie. Nous avons beaucoup d’idées, nous avons beaucoup de projets, mais les freins et les corporatismes me font craindre une longue bataille avant de voir un texte émerger, qui sera de toute façon complètement vidé de son sens. Notre profession est soumise à un socle  de cinq années d’études, ce qui correspond aux termes du rapport Hénart-Berland définissant les métiers qui pouvaient accéder à des professions médicales à compétence définie et à des professions intermédiaires dans la santé.

Nous pourrions imaginer des kinésithérapeutes de pratique avancée, par exemple pour toutes les maladies chroniques respiratoires, puisque nous avons une forte compétence en kinésithérapie respiratoire sur les bronchopathies chroniques obstructives. Ils pourraient effectuer les épreuves fonctionnelles respiratoires et les interpréter. Une expérimentation a été conduite pour proposer un dépistage de la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO), en demandant une mesure du flux expiratoire en cabinet libéral, avec de petits débitmètres de pointe. Une sorte de guerre a eu lieu entre les pneumologues et les généralistes, les pneumologues ne voulant pas que les généralistes effectuent ce dépistage. Quand les kinésithérapeutes ont proposé de participer au dépistage, on leur a dit que ce n’était pas le moment, parce qu’il y avait un problème entre médecins. Finalement, ce fut un échec cuisant, puisque rien n’a été fait.

Pour les pratiques avancées, les kinésithérapeutes sont les prochains concernés. J’étais avant-hier en réunion sur l’universitarisation avec le groupe de travail de M. Le Bouler qu’évoquait M. Chamboredon. Je fais partie du comité de suivi : il nous a été dit que l’universitarisation serait le prochain chantier et que nous y serions inclus. Nous avons beaucoup d’idées, nous attendons et nous verrons.

Vous avez évoqué les mesures de régulation. Elles sont récentes pour les kinésithérapeutes et ont été mises en place avec un processus incitatif, sur laquelle reviendra M. Dumas, qui le connaît bien. Elles seront applicables au 1er juillet prochain pour les kinésithérapeutes libéraux – le texte ayant été retoqué pour un problème de légalité.

Comme M. Chamboredon, nous ne comprenons pas que ce soit le payeur, à savoir l’assurance maladie, qui assure la régulation territoriale. Ce sont des logiques de coûts, non des logiques de santé publique, qui présideront à cette régulation. Cela me paraît complètement déconnecté de la réalité : l’assurance maladie prendra des chiffres bruts – le nombre de kinésithérapeutes et le nombre d’habitants sur un secteur, fera une division et donnera les chiffres qu’elle attend. Cependant, le nombre de kinésithérapeutes n’est pas le même dans une zone très industrielle, qui voit les troubles musculo-squelettiques (TMS) se multiplier, ou dans une zone rurale. J’exerce en plein cœur du Sauternais, pas très loin de chez M. le président : les TMS concernent des personnes jeunes, qui travaillent à la vigne. Nous n’aurons pas le même besoin ici que dans d’autres régions. La régulation ne peut pas se faire uniquement sur des critères quantitatifs, déconnectés des réalités médicales.

De plus, seul l’Ordre des kinésithérapeutes suit en temps réel la réalité démographique. Or l’Ordre n’est pas du tout associé à cette régulation, dont je crains qu’elle ne soit pas du tout pertinente.

M. Jean-François Dumas. Avant d’aborder les mesures incitatives, je rappelle que ces mesures de régulation ne concernent bien évidemment que l’exercice conventionné, alors que le premier désert, c’est l’hôpital. Nous avons établi un système cloisonné et n’avons défini aucune mesure pour réguler la pratique salariée, alors que tout est lié. Tout cela n’a pas de sens. De plus, le conventionnement des professionnels dans les zones très surdotées va être interdit. Ils s’installeront donc dans les zones moyennement dotées. Qu’est-ce qui les poussera à s’installer dans des zones très sous-dotées ? Les incitations sont totalement insuffisantes.

Pour diverses raisons socio-économiques, les kinésithérapeutes font des études supérieures, comme les médecins. Leurs conjoints ont fait des études supérieures. Dans un bassin de vie où le tissu économique est détruit, il n’y a pas d’emploi pour les cadres, il n’y a pas d’emploi pour des jeunes qui ont fait des études supérieures. Nous obligeons les professionnels à s’installer dans ces zones-là, avec des mesures qui ne sont pas suffisamment incitatives. Les parents calculent le coût de la vie d’un enfant qui va faire des études supérieures. Par exemple, pour moi qui habite en Normandie, il faudra un appartement à Caen ou à Paris pour le premier enfant, un appartement à Rouen pour le second, etc. Tout cela entre en compte, si bien que les mesures qui sont proposées pour les kinésithérapeutes sont largement insuffisantes. Quand les jeunes font ce calcul…

M. Philippe Vigier, rapporteur. Monsieur, permettez-moi de vous interrompre. Il faut faire attention à ce que nous allons faire. J’entends votre propos : il nous faut mettre plus d’argent sur la table parce qu’Untel habite à 50 kilomètres de Caen. Mais l’université de Caen ne propose pas toutes les formations. Si un étudiant qui habite Caen veut faire une école vétérinaire, où ira-t-il ? Faudra-t-il payer un appartement à Paris ? Je suis professionnel de santé, j’ai étudié à Clermont-Ferrand, à l’époque où tous les certificats d’études spéciaux se passaient à Tours, à Lyon ou à Paris. Je souhaite vous appeler à une certaine forme de raison. Nous sommes là pour vous écouter et définir les mesures incitatives les plus pertinentes. Cependant, lisez le rapport de la Cour des comptes, qui passe ces sujets au vitriol.

Nous avons beau jeu de demander toujours plus d’argent public. Certains médecins touchent 50 000 euros de prime, puis, au bout de cinq ans, s’en vont. Voilà ce à quoi nous assistons ; tous mes collègues parlementaires vous le diront. Certains pharmaciens menacent de quitter tel village de 2 000 habitants si on ne leur donne pas 50 000 euros par an. L’assurance maladie donne actuellement 20 000 euros à chaque radiologue qui reste dans les zones sous-dotées. La situation est inquiétante. Le remboursement de la sécurité sociale pour une consultation de podologue s’élève à 1,26 euro. Sans mutuelle, elle s’élèverait à zéro euro. Je voudrais essayer de trouver une cohérence dans ce que nous proposons.

M. Jean-François Dumas. Vous parlez à un professionnel qui est installé dans une zone très sous-dotée depuis trente ans. Je me suis installé sans aucun problème. Cependant, je ne suis absolument pas représentatif du choix sociétal des jeunes. Ils ne sont pas dans cette démarche-là. Voilà ce que j’essaie de vous expliquer. Quant à moi, je suis déjà installé dans cette zone et je n’ai pas l’intention de la quitter.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Je vous comprends, là n’est pas la question. Il est nécessaire que nous ayons ce débat, qui est utile à l’efficacité de notre commission d’enquête. Espérons que nous ne faisons pas qu’empiler les dossiers, sans rien faire ensuite.

Les mesures incitatives financières ont-elles montré leur pertinence ? Voilà la question qui se pose, pour les médecins et pour tous les autres professionnels de santé. Est-ce uniquement un problème d’argent ? Je suis moi-même père de médecins, je vous parle donc très librement. Est-ce uniquement une question d’argent qui fera que des médecins s’installeront dans les zones sous-dotées ? Ces zones se trouvent dans les zones rurales, mais aussi dans les grandes villes, par exemple dans le 20e arrondissement de Paris. Notre approche doit être générale, et non seulement financière. D’autres mesures incitatives portant sur l’attractivité ne sont-elles pas nécessaires ? Nous avons besoin d’entendre l’avis des professions que vous représentez, afin que nous soyons les plus objectifs possible.

M. Jean-François Dumas. Vous avez tout à fait raison, mais, pour ma profession, seul le biais financier existe. Il n’existe pas de projet professionnel qui pourrait être beaucoup plus valorisant, notamment par le biais de l’accès direct, ou par l’encadrement d’une équipe de soins interprofessionnels. La seule incitation existante est financière.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Ne voyez-vous pas dans les communautés professionnelles territoriales de santé (CTPS) un moyen de créer des réseaux ? Ces instances permettent, à l’échelle d’un territoire, la mise en place de politiques de prévention, grâce à des financements de l’ARS. Voyez le dossier médical partagé (DMP), ou les parcours de soins – certes, ces politiques n’en sont qu’à leurs balbutiements. Tous les professionnels demandent à travailler en réseau ; or un réseau n’existe que par la présence d’un médecin, d’un dentiste, de pharmaciens, d’un kinésithérapeute, d’une infirmière, d’un podologue, etc.

M. Jean-François Dumas. Vous avez tout à fait raison. Cependant, l’incitation, présentée comme mesure de régulation, n’est que financière. Elle s’élève à 3 000 euros par an.

Mme Pascale Mathieu. Permettez-moi de compléter les propos de M. Dumas.

Nous donnons en effet des primes de 50 000 euros qui ne servent à rien. Quant aux kinésithérapeutes, ils touchent la plus petite rémunération des professionnels de santé. De plus – et c’est une particularité de notre profession –, la majorité d’entre eux s’endettent pour financer leurs études. Pour se former, ils ont le choix entre quatre instituts privés à but lucratif, où les frais de scolarité s’élèvent jusqu’à 10 000 euros par an, des instituts privés à but non lucratif, où les frais de scolarité atteignent jusqu’à 9 200 euros par an, et des instituts publics où les frais d’inscription universitaires sont de 6 000 euros par an. Pour un étudiant dont les parents n’ont pas les moyens, et qui s’endette pour faire ses études, exercer à l’hôpital public pour 1 350 euros par mois n’est pas envisageable. Il n’aurait même pas de quoi vivre.

De plus, les zones très sous-dotées, ou même sous-dotées tout court, ne sont pas attractives ! Disons-le franchement ! C’est ce que nous disent les jeunes. Quand j’ai fini ma journée, j’ai envie d’aller boire un verre avec des amis. Quand je sors de chez moi, à Langon, à 20 heures 30, rien n’est ouvert, pas même un bar sympa pour aller boire un verre avec des amis. Des jeunes, à la sortie des études supérieures, n’ont pas forcément envie de cela. J’entends bien que l’on ne peut pas distribuer de l’argent partout, mais ce n’est pas avec 3 000 euros par an que vous les inciterez à s’installer dans des endroits où il n’y a pas de loisirs. Cela ne correspond pas à l’envie sociétale actuelle.

Pour ma part, j’ai trois enfants et j’habite à 50 kilomètres au sud de Bordeaux. Il fut un temps où je louais un appartement pour ma fille et un autre appartement pour mon fils à Bordeaux, et un troisième à Nice, et ce avec des revenus qui n’étaient pas très importants. J’ai hésité à quitter mon cabinet à Langon, situé en zone moyennement dotée, pour m’installer à Bordeaux et vivre en famille, avec mes enfants. Voilà un vrai problème ! Même 50 000 euros n’incitent pas les médecins à s’installer, et l’échelle n’est pas la même ! D’ailleurs, je ne dis pas que 50 000 euros inciteront les kinésithérapeutes.

M. Éric Prou. Concernant les pratiques avancées, j’abonde dans le sens de Mme Mathieu. Nous étions hier au Haut Conseil des professions paramédicales (HCPP) pour la présentation du décret sur les IPA. Nous avons nous aussi des projets de pratiques avancées, mais il ne faut pas que celles-ci empiètent sur les diplômes d’exercice initiaux et les vident de leur substance. C’est un petit peu ce qui ressort. Concernant la formation, douze instituts de formation existent aujourd’hui sur le territoire français, dont dix privés, pour des coûts de formation allant, à l’année, de 7 000 à 14 000 euros en fonction des instituts.

Deux instituts de formation sont publics, à Bordeaux et Toulouse. Or 62 % des futurs professionnels sont formés en Île-de-France. J’ai dit tout à l’heure qu’il n’existait pas de désert podologique, mais nous constatons une concentration importante des podologues en Île-de-France.

M. Guillaume Brouard. Concernant les mesures incitatives, pour reprendre les propos du président, l’accès aux soins concernant la pédicurie-podologie est disponible sur l’ensemble du territoire. La difficulté actuelle porte sur la répartition des professionnels et des lieux de formation. Une mesure de régulation pertinente serait de proposer une meilleure répartition des centres de formation sur le territoire. Nous constatons, dans notre profession, que les professionnels sont souvent amenés à travailler là où ils ont fait leurs études. Il serait donc intéressant de proposer des mesures incitatives au niveau des régions.

Un autre point porte sur le niveau de formation des étudiants. Grâce à l’universitarisation, nous envisageons pour notre profession la mastérisation, des parcours de recherche et des masters professionnels avec des compétences étendues. Voilà une mesure incitative pour les futurs professionnels. Ils pourront intégrer une filière de soins qui leur permettra soit d’avoir un diplôme d’exercice du niveau actuel, avec le service rendu aux patients, soit la possibilité d’aller un petit peu plus loin, d’innover et de libérer un petit peu leur énergie, car des étudiants souhaitent, aujourd’hui, aller plus loin dans leur parcours de formation.

Je pense qu’il y a la place aujourd’hui pour un corps intermédiaire de professionnels de santé, entre des formations paramédicales de trois ans et des professions médicales, en particulier pour les médecins généralistes, de onze ans, à l’image de ce qui existe chez nos voisins européens, en Espagne, en Italie, en tout cas pour les pédicures-podologues. Nous pourrions aussi aller un peu plus loin, comme au Canada, où existe une véritable formation de podiatre, c’est-à-dire une profession médicale à compétence définie. Il faut oser aller vers ces modèles-là, proposer ce genre de compétences sur le territoire français et ne pas laisser nos voisins européens, à terme, grâce à l’évolution du numérique, proposer ces compétences à la place de nos propres professionnels.

M. Christophe Lejeune. Madame, messieurs, la présence d’un médecin en milieu rural est visiblement la clé de voûte de notre système de santé, et surtout de votre plein exercice, qu’il soit qualitatif ou quantitatif. L’une des hypothèses évoquées est la télémédecine, en particulier grâce au binôme médecin-infirmier. Comment envisagez-vous une telle hypothèse ?

Mme Pascale Mathieu. La télémédecine est très intéressante. Voilà un vrai sujet pour les kinésithérapeutes. Beaucoup est possible grâce au numérique et aux objets connectés, comme un éventuel suivi des séances de kinésithérapie. Prenons un exemple mis en place par les kinésithérapeutes dans un hôpital de la région parisienne : des bracelets connectés sur les hémiplégiques. Le kinésithérapeute propose un programme de rééducation, que le patient effectue avec un bracelet connecté au membre supérieur. Les données sont envoyées au professionnel, qui peut suivre les mouvements effectués, apporter des corrections et se mettre en rapport avec le patient à domicile – puisque ce dernier doit être acteur de son soin –, éventuellement adapter le traitement. Nous avons identifié de nombreux sujets en kinésithérapie, dans de nombreux domaines.

Cependant, l’article 2 de la loi HPST constitue un frein : « La télémédecine est une forme de pratique médicale à distance, utilisant la technologie de l’information et de la communication. Elle met en rapport entre eux ou avec un patient un ou plusieurs professionnels de santé, parmi lesquels figure nécessairement un professionnel médical. » En d’autres termes, nous ne sommes pas intégrés dans la télémédecine. Nous en revenons à mes propos liminaires et à cette dichotomie complètement hors du temps entre les professions médicales et les auxiliaires médicaux.

Personnellement, je veux bien faire de la télémédecine au fin fond de ma campagne, en suivant certains patients chroniques à domicile. Cela diminuerait les coûts et simplifierait vraiment les choses. Toutefois, actuellement, cela n’a même pas été imaginé. Je veux bien que le médecin vienne dans mon cabinet, pour analyser avec moi les données, mais est-ce pertinent ? Je pense que la télémédecine est l’avenir, mais un avenir avec beaucoup plus d’autonomie pour les kinésithérapeutes ; nous reviendrons probablement sur l’accès direct au kinésithérapeute. Je pense que vous parliez aussi des infirmiers.

M. Patrick Chamboredon. Effectivement, le fait que la loi prévoit que la télémédecine n’existe qu’entre médecins pose un vrai problème. De plus, il ne faut pas se leurrer, la France rencontre un important problème d’aménagement du territoire. Nous ne pourrons pas faire de télémédecine sans haut débit, c’est une réalité – même si on nous dit que ça va changer…

Il y a un autre fait à prendre en compte, c’est que les infirmiers prennent en charge des gens. Est-ce que tous les gens ont actuellement accès à un guichet électronique pour retirer de l’argent ? Qui sera le médiateur ? Il y a tout de même une fracture numérique en France. Notre patientèle à domicile a plus de 70 ans et n’a pas forcément de tablette ou, si elle en a une, ne sait pas comment s’en servir. Il y a aussi un problème de technologies. L’infirmier va-t-il devenir un médiateur technologique ? Pourra-t-il faire des soins ? La télémédecine est réservée aux médecins : la convention réalisée avec la CNAMTS ne parle absolument pas de valorisation économique pour les infirmiers, au cas où ils prendraient part à la télémédecine. Cela n’a pas du tout été évoqué, alors que la convention avec la CNAMTS vient de se terminer. Il va falloir aller très loin concernant ce dispositif.

Un sujet connexe doit aussi être évoqué. Les municipalités ont considérablement augmenté le coût du stationnement. Les infirmiers se déplacent partout au domicile des patients. Or nous constatons de très grandes disparités pour stationner sur la voie publique, afin d’accéder au domicile des patients pour dispenser les soins. Le coût varie entre zéro et 350 euros par an. Aucune harmonisation nationale n’existe sur ce point, alors qu’il s’agit d’un immense service rendu à la population, qui permet de soigner à domicile et de permettre l’existence de la médecine ambulatoire, à laquelle les infirmiers participent largement. C’est un frein aux soins à domicile.

M. Éric Prou. Je souscris tout à fait à ces propos. La législation doit évoluer pour que nous ayons accès à la télémédecine. Nous sommes concernés par toutes les nouvelles technologies, notamment pour la fabrication d’orthèses plantaires. Il faut aussi bien comprendre que la télémédecine ne remplacera pas le professionnel de santé. Nos actes sont très techniques, notre plateau technique en soins instrumentaux est similaire à celui des chirurgiens-dentistes, et la machine ne pourra pas toujours tout faire.

Mme Agnès Firmin Le Bodo. Je voulais poser une question sur la délégation de tâches. Je suis pharmacien. Que pensez-vous de la délégation de tâche faite aux pharmaciens de pouvoir vacciner contre la grippe A ? J’aurais aussi souhaité savoir la position de l’Ordre des pharmaciens sur ce sujet.

Quel est votre avis sur la notion de parcours ? Dans le cadre du développement du maintien à domicile, pour l’établissement du parcours, la relation entre les professionnels de santé, entre le médecin, le pharmacien et l’infirmier, est essentielle si nous souhaitons faire un jour du maintien à domicile une vraie politique.

Enfin, je vous rejoins sur la nécessité, peut-être dans le cadre de la pratique avancée, de faire que les infirmiers soient plus présents à l’école. Les médecins scolaires n’existent plus, disons-le. La présence de votre profession à l’école représente un véritable enjeu, puisque nous savons bien que la présence d’une profession de santé à l’école est nécessaire.

M. Patrick Chamboredon. La question de la vaccination est très récurrente. Les pharmaciens ont bénéficié d’une expérimentation, qui a été étendue à ce jour. Je n’ai eu connaissance d’aucune évaluation de cette expérimentation, mais j’ai constaté qu’elle a été étendue. L’Ordre des infirmiers réclame – je crois que c’est le bon terme – la possibilité de vacciner en première intention, sans avoir besoin de passer par une prescription, au moins pour la grippe. Il nous arrive, notamment pour des rappels en zone rurale, de vacciner des gens alors qu’ils n’ont pas de prescription. Les gens ont le vaccin chez eux et – c’est la réalité – il n’y a pas de médecin. Il faut vacciner et faire les rappels, nous le faisons donc ! Nous souhaitons simplement une régularisation de la pratique courante !

Nous sommes 600 000 infirmiers en France. Comment est-il possible qu’une profession de santé chargée de la prévention ne soit pas plus impliquée dans la prévention ? Pourquoi ne pas donner plus de latitude aux infirmiers pour vacciner ? Nous serons plus nombreux à pouvoir faire les vaccins, et nous serons de meilleurs ambassadeurs de la vaccination. Aujourd’hui, des maladies réapparaissent en Europe, des migrants arrivent en France avec de graves problèmes sanitaires et nous ne nous donnons pas les moyens en personnel pour vacciner. Si les infirmiers sont plus impliqués, ils auront forcément une appétence pour vacciner. Soit nous disons que les vaccins sont dangereux au mépris du fait scientifique, soit nous formons mieux les professionnels de santé – je pense aux infirmiers et à tous les professionnels de santé – et nous disons que la vaccination est efficace et qu’elle a fait disparaître beaucoup de maladies en Europe. Les infirmiers peuvent le faire, ce n’est qu’une question de bon sens. Il ne s’agit ni de corporatisme ni de lobbying ; nous parlons ici de santé publique.

Nous ne pouvons que souscrire au parcours de soins. Je ne suis pas là pour opposer les professions ; il nous faut travailler ensemble, notamment avec les pharmaciens. Nous avons tous besoin du médecin prescripteur, mais aussi d’un pharmacien à proximité, et surtout de travailler ensemble.

En ce qui concerne la vaccination, des freins existent, puisque les infirmiers ne peuvent pas vacciner dans les pharmacies. Est-ce une piste de travail judicieuse, puisque le sujet est polémique ? Quoi qu’il en soit, il nous faut travailler de concert. Que la coordination du parcours de soins soit assurée par les infirmiers est une question de bon sens.

M. Vincent Rolland. Des maisons médicales ou pluridisciplinaires naissent un petit peu partout sur le territoire. Il est vrai que des régions sont un peu plus dynamiques que d’autres dans ce domaine. Ces maisons semblent être une réponse à la désertification médicale, parce qu’elles permettent non seulement un partage des tâches administratives, mais aussi la création du réseau professionnel dont nous parlions tout à l’heure. Quel est votre avis sur ce point ?

Par ailleurs, quelles sont vos relations avec vos administrations de tutelle ? Je pense notamment aux relations avec les caisses primaires d’assurance maladie (CPAM), qui parfois sont difficiles. N’est-ce pas aussi un frein au développement de vos professions ?

Mme Pascale Mathieu. Les maisons de santé sont une piste intéressante, qui ne répond toutefois pas à tous les besoins. Les kinésithérapeutes ont des plateaux techniques assez importants, ils ont besoin d’espace. Leurs loyers peuvent être assez importants. Or les projets actuels de maisons de santé ne se montent pas forcément dans des endroits où il n’y a pas de kinésithérapeutes. Cela pose un vrai problème.

L’Ordre a souvent été sollicité par des kinésithérapeutes, localement implantés de longue date, qui étaient particulièrement émus de voir des maisons de santé s’implanter près de chez eux. On leur proposait de s’y installer, mais ils étaient déjà propriétaires de leur cabinet ; ils n’avaient donc pas de loyer à payer – je vous rappelle que les revenus ne sont pas très élevés. De ce fait, quand vous êtes propriétaire d’un cabinet qui est mis aux normes, pour l’accessibilité par exemple, que vous ne pouvez pas le retransformer en un bien différent puisque les grandes salles ne sont pas transformables en bien locatif, et que l’on vous propose d’aller dans une maison de santé, il est compréhensible que vous refusiez, parce que ça n’est pas du tout intéressant pour vous. De ce fait, il arrive que l’on fasse venir des professionnels d’ailleurs, ce qui déséquilibre l’offre de soins sur le territoire.

Je soulèverai un autre problème. Que voit-on dans les maisons de santé ? Nous donnons caution à des professionnels qui utilisent les pseudosciences. Des maisons de santé vides voient s’installer des réflexologues, des hypnothérapeutes ou je ne sais quoi, des gens qui ne sont pas des professionnels de santé. Parfois, c’est véritablement le salon de la voyance ! Un médecin, par sa présence, à son corps défendant d’ailleurs, cautionne des professionnels qui n’ont strictement rien à voir avec la science. Nous voyons fleurir sur les réseaux sociaux des photos particulièrement préoccupantes, car elles donnent crédit à des gens qui ne sont pas des professionnels de santé et qui proposent des choses parfois dangereuses.

M. Jean-François Dumas. Dans ma commune de Thiberville, dans l'Eure, se prépare actuellement un projet de création d'une maison de santé. Mon message est le suivant : le plus important, c'est d'abord de valoriser le projet de santé avant de valoriser le projet immobilier. Or, souvent, nous mettons la charrue devant les bœufs, en pensant que les murs attireront les jeunes. Nous recherchons actuellement des médecins. En vingt-cinq ans, dans ma commune, le nombre d’auxiliaires médicaux a été multiplié par deux : deux fois plus de kinésithérapeutes et deux fois plus d'infirmiers. De trois médecins avec une très grosse clientèle, et un très gros pouvoir de prescription, nous sommes passés à la configuration suivante : un médecin qui ne demande qu’à partir à la retraite et qui est complètement épuisé, un autre qui sera à la retraite dans cinq ans, et une jeune médecin qui vient d’arriver et qui ne se voit absolument pas assumer toute seule le départ des deux médecins sans qu’ils trouvent des successeurs.

Nous sommes en train de monter une maison de santé, projet auquel je participe. Cependant, je refuse de l’intégrer, pour des raisons bassement matérielles : j’ai des revenus très faibles. Les kinésithérapeutes et les infirmiers ont les plus faibles revenus des professions de santé. Ma maison et mon cabinet sont mon seul patrimoine. Intégrer la maison de santé, c'est abandonner mon cabinet. Il n’est pas question de me le racheter pour me faire intégrer la maison de santé ; je le comprends parfaitement et je ne le demande pas. Quant à l’autre cabinet, il est tout neuf, puisqu’il a été créé il y a quatre ans ; le kinésithérapeute refuse lui aussi d'intégrer la maison de santé.

Valoriser le projet de santé nous paraît beaucoup plus judicieux. Ce sera un travail en équipe, une meilleure prise en charge pluridisciplinaire du patient, par des projets innovants comme le traitement de la petite traumatologie ou le triage auquel peut participer le kinésithérapeute. Malheureusement, c'est le projet immobilier qui prévaut. Je pense que c'est une erreur et je ne suis pas sûr que cela soit viable. Un grand nombre de maisons de santé ont été créées dans le centre de la France, mais les retours du terrain montrent qu’elles sont en partie vides. C'est pourquoi il faut trouver des professionnels pouvant payer le loyer : nous nous retrouvons avec des professionnels qui prétendent apporter des soins aux patients, mais sans aucune base scientifique, exerçant des métiers qui ne sont même pas reconnus en France – naturopathie, réflexologie – et d'autres disciplines qui sont reconnues, mais distinctes des professions de santé. C'est un véritable problème. Le projet de santé, oui ; mais le projet immobilier comme vecteur de promotion de l'installation dans une zone très sous-dotée, je n'y crois pas.

M. Éric Prou. Comme nous l’avions indiqué dans la contribution, les maisons de santé sont pour nous l’un des leviers pour répondre au problème, mais ce n’est pas le seul. M. Vigier l’a dit tout à l’heure, les CPTS sont peut-être une solution intéressante, qui commence à émerger. Des pédicures-podologues sont intégrés dans certaines de ces structures, qui favorisent la pluridisciplinarité.

Les maisons de santé souhaitent favoriser l’exercice pluridisciplinaire. J’exerce aussi dans une commune semi-rurale, où je suis installé avec des kinésithérapeutes et des infirmiers. La maison médicale, avec trois médecins, est située à deux rues, la pharmacie à trois rues, et tout le monde travaille ensemble. L’exercice pluridisciplinaire existe, sans qu’il y ait eu besoin de faire financer par l’ARS une maison de santé. Dans les faits, la pluridisciplinarité existe, parce que les professionnels sont des gens sérieux. Ils ont compris depuis longtemps que l’exercice pluridisciplinaire était nécessaire, et qu’exercer tout seul dans son coin n’était plus possible.

M. Patrick Chamboredon. Nous constatons un phénomène assez intéressant. Les maisons de santé dont vous parlez ressemblent beaucoup à des projets immobiliers. Quant à nos professions, elles ne sont pas représentées, de par la loi, dans les conférences régionales de la santé et de l'autonomie (CRSA). C’est tout de même hallucinant ! On nous demande de travailler ensemble, de façon pluridisciplinaire, et nous sommes exclus des CRSA. Nous ne pouvons pas peser sur l’organisation fine du territoire. Nous avons beau jeu de parler de santé et de territorialité !

Concernant les liens avec les CPAM, nous constatons que ces dernières n’exercent qu’une gestion comptable. On nous impose des seuils. Or nous sommes une profession prescrite et nous répondons à des besoins de santé exprimés par les patients. Seule la logique du bâton existe.

M. Éric Prou. Je compléterai la réponse sur les freins dans les relations avec les caisses primaires d’assurance maladie. Comme vous avez pu le constater, la profession de pédicure-podologue n’est absolument pas prise en charge par la sécurité sociale ; sur prescription médicale, le patient peut espérer obtenir un remboursement de 1,26 euro. Les relations avec la CPAM peuvent être réellement un frein quand il n’existe pas d’accompagnement des patients. Je pense particulièrement aux patients qui viennent nous consulter en première intention, dans le cadre de notre accès direct.

Le pédicure-podologue, par sa compétence de diagnostic, est amené à dépister des maux perforants plantaires, des complications importantes pour la suite de la prise en charge du patient. Le parcours de ce patient, une fois le diagnostic posé, consiste à aller consulter le médecin pour un second diagnostic, qui est en général identique au premier. Le médecin renvoie ensuite le patient chez le pédicure-podologue pour envisager des soins.

Notre champ de compétence, aujourd’hui, est un peu contraint ; des champs de compétence partagés rencontrent des freins législatifs, tels que la prise en charge d’un patient diabétique avec des risques de complication, les maux perforants plantaires, le suivi de cicatrisation, etc. Un pédicure-podologue pourrait assumer de telles prises en charge, avec un accompagnement de la part de ses pairs. Alors, oui, de fait, le frein de l’assurance maladie concernant notre profession constitue un vrai problème d’accès aux soins pour le patient.

M. Marc Delatte. Pour rebondir sur les maisons de santé pluridisciplinaires, il est évident que ce n'est pas la seule solution. Cependant, les jeunes médecins ne veulent plus travailler 60 à 70 heures par semaine. Ils veulent travailler en association, entourés de l'ensemble des professionnels de santé. Ainsi, nous gagnons en efficience.

Monsieur Prou, quand vous indiquez que le médecin se trouve à deux rues de chez vous, c’est une remarque tout à fait pertinente. Nous sommes beaucoup d’élus à penser que les maisons de santé sont avant tout des murs. C'est comme si vous vouliez lutter contre la faim en Afrique avec des épiceries vides. Un beau mirage ! Il faut nous recentrer sur le patient. Que veulent-ils ? La possibilité de se soigner. Dans le plan du mois d’octobre défini par les ministres, un mot a été très apprécié : la prévention. C’est la priorité. Tout comme l’offre et la qualité des soins. Le système français d'éducation thérapeutique doit aller vers une prévention dès le primaire.

Prenons l’exemple du diabète. Un diabète de type 2, suivi à 80 % en ville, coûte près de 20 milliards d’euros. Avec les complications, il faut rajouter 8 milliards d’euros : plaies, ostéites, artériopathies, neuropathies, etc. En cas de plaie avec surinfection, nous savons qu’une nouvelle plaie avec surinfection interviendra dans les deux à quatre ans, et que dans les trois ans, 10 % des patients subiront une amputation, qui coûte à peu près 30 000 euros. Je partage votre point de vue. Je suis pour une forfaitisation de prise en charge dès le grade 0.

Concernant l’universitarisation des études, il me paraît pertinent d’associer l’ensemble des soignants en vue d’un travail commun et d’une meilleure relation entre la médecine de ville et l’hôpital.

Comment voyez-vous l'évolution de la forfaitisation des filières de soins et qu’en attendez-vous ? Nous sommes obligés de changer de modèle. Nous garderons les consultations à l'acte, mais nous allons évoluer vers une forfaitisation, parce nous constatons une inflation des affections de longue durée (ALD), du diabète, des maladies cardio-vasculaires, etc. Voyez le cas du traitement de l'hypertension : nous n’en parlons pas assez, alors que cela coûte extrêmement cher, notamment à cause des risques d’accident vasculaire cérébral (AVC). Comment voyez-vous cette évolution et comment travailler mieux ensemble, puisque l’on est plus intelligent à plusieurs que seul ?

M. Patrick Chamboredon. Je ne veux pas mettre ma profession en avant, mais les infirmiers ont comme prérogative la prévention. Notre formation est axée sur la prévention, et la qualité des soins délivrés par les infirmiers n’est plus à démontrer. Tout se joue à l’école. Nous devons concentrer nos efforts sur l’éducation. Les infirmiers doivent être en contact avec les enfants et les jeunes. Il y a quelques années, nous donnions encore des brosses à dents dans les écoles. Nous l’avons oublié. Nous devons placer dans les écoles des professionnels de santé de premier recours, qui vont parler aux enfants. Le diabète de type 2 existe par manque d’hygiène et à cause d’une mauvaise alimentation. Un professionnel de santé doit être au plus près des enfants, au quotidien, pour renforcer les messages de prévention. Tout se joue très tôt.

Voyez la santé au travail ! Il s’agit bien de consultations, alors que le terme de consultation n’apparaît pas dans le texte, parce que cela froisse certains lobbies et certains corporatismes. L’on nous a dit que cela allait ouvrir droit au paiement à l’acte. Or, la ministre l’a dit à plusieurs reprises, elle n’envisage pas une logique de paiement à l’acte, mais une logique de parcours, et donc le paiement de la soulte. Nous devons faire évoluer le modèle, mais certains lobbies l’empêchent.

Revenons à la simplicité. Donnons du sens là où c’est nécessaire, dès la petite enfance. Si les gens ne comprennent pas l’étiquetage alimentaire, que soutient actuellement votre collègue Olivier Véran, que des médiateurs l’expliquent : il nous faut du bon sens et des infirmiers.

Il nous faut aborder un autre sujet, qui est très polémique – je ne suis pas là pour dire les choses qui font plaisir. A-t-on forcément besoin du recours médical en première intention ? Ce modèle-là n’a-t-il pas vécu ? Je pose cette question, mais je n’ai pas la réponse. On dira que je fais du corporatisme, ce qui est peut-être de mauvais aloi ici. Le premier recours doit-il revenir au médecin pour l’accès aux soins ?

M. Jean-François Dumas. Je rejoins parfaitement les propos du président Chamboredon. Les professionnels de santé, les infirmiers doivent retourner à l’école, être présents auprès de la petite enfance ; les kinésithérapeutes doivent être présents pour le dépistage des déformations rachidiennes, dans la prévention des TMS, dans la prévention de l’obésité, du diabète, dans la promotion de l’activité physique. Nous sommes les représentants de 93 000 professionnels : nous sommes les seuls professionnels à être présents à la fois dans le code de la santé publique, parce que nous sommes des professionnels de santé, et dans le code du sport, car nous sommes tous éducateurs sportifs. La population à prendre en charge est tellement importante que les 93 000 kinésithérapeutes ne seront pas de trop, en complément, bien évidemment, des professionnels du sport issus de la filière sciences et techniques des activités physiques et sportives (STAPS) ou de la filière fédérale d’éducateur sportif.

Il faut absolument que nous intégrions l’école. Il existe un projet très intéressant en région parisienne, « Aime ton dos », où des kinésithérapeutes interviennent à l’école pour la prévention des troubles rachidiens et des TMS. Il faut également promouvoir l’intervention des kinésithérapeutes en entreprise ; un certain nombre de professionnels interviennent dans la prévention des TMS en entreprise. C’est extrêmement important. Nous avions proposé et nous proposons toujours la création d’un statut de kinésithérapeute du travail, comme il existe le médecin du travail en entreprise. J’interviens également en entreprise, mais je n’interviens pas à l’école. Les infirmiers et les kinésithérapeutes ont vraiment un rôle majeur à jouer en la matière. C’est au cours de la petite enfance que tout se joue. Après, tout devient extrêmement difficile. Le discours en entreprise passe très difficilement, contrairement au discours auprès de la petite enfance.

M. Éric Prou. Nous envisageons plus la notion d’enveloppe dans le cadre de la prévention. C’est un moyen d’intégrer le pédicure-podologue dans une prise en charge globale du patient. Je rejoins les propos de M. Dumas sur les pathologies au travail. J’en ai une expérience directe par mon épouse, qui a intégré un service de maladies professionnelles à Toulouse en tant que pédicure-podologue. Elle est probablement la seule dans ce cas en France. Les médecins du travail lui adressent les salariés en difficulté au niveau du chaussage, qui est une obligation pour eux, voire un motif de licenciement s’ils ne peuvent pas respecter les normes de sécurité. Aujourd’hui, sa consultation a pris une ampleur considérable, elle n’arrive plus à répondre à toutes les demandes. En effet, les médecins du travail commencent à devenir dépendants de ce service nouvellement créé et lui demandent d’en faire un peu plus. En l’état actuel des choses, elle ne peut aller au-delà du temps dédié. Une réflexion est nécessaire sur la prise en charge du salarié au travail, notamment au niveau de la prévention des risques d’accident.

Mme Nicole Trisse. Je trouve les propos que vous avez tenus, les uns et les autres, très intéressants ; ils montrent une autre façon de parler de santé. Je reviens simplement sur les maisons de santé. Au départ, l’idée d’une maison de santé était d’attirer des professionnels de santé, qui étaient absents dans des communes ou dans des bassins de vie particulièrement ruraux. Il est vrai que, par la suite, ce projet initial a beaucoup changé, pour en arriver à des projets immobiliers tous azimuts. Ce n’est pas ce que nous souhaitons et nous en sommes conscients.

J’ai une question concernant l’envie de faire des études pour les infirmiers. Vous parliez d’une baisse de 30 % du nombre de candidats au concours d’infirmier. À quoi attribuez-vous cette baisse ? Est-ce l’attractivité du métier ? Je souhaite également savoir si c’est le cas pour les autres professions de santé.

M. Patrick Chamboredon. Je ne reviendrai pas longuement sur les maisons de santé. Néanmoins, rappelons que nous nous adressons, dans les maisons de santé, à des professionnels de santé. Il est bien qu’il y ait des murs. Avec des murs, il est possible de faire venir des gens. Mais qu’en est-il du financement et de la répartition des charges ? Voilà peut-être une piste pour faire en sorte que des professionnels viennent habiter ces maisons de santé. La représentation nationale devrait peut-être mieux encadrer les choses et promouvoir une meilleure répartition des coûts, au-delà des simples frais de fonctionnement.

La baisse de 30 % du nombre de candidats au concours d’entrée est une vraie surprise. Plusieurs facteurs jouent, dont le premier est l’attractivité de la profession. La profession connaît un vrai malaise. Nous avons fait face à une augmentation des suicides. Le salaire d’un infirmier est de 1 350 euros par mois la première année, après trois ans d’études, avec la responsabilité de trente patients, des horaires de travail pénibles – il n’est plus à démontrer que la journée de 12 heures est néfaste. Même si c’est une bonne chose, nous sommes astreints au travail de nuit et à l’obligation de continuité du service public ; mais tout cela pour 1 350 euros par mois… Il faut remettre les choses en perspective. Je sais que les ordres n’ont pas à aborder ces sujets et que c’est à la représentation syndicale de le faire. Cependant, vous me demandez d’être clair ; je pense que c’est un point que l’on ne peut occulter dans ce débat.

Nous avons parlé d’universitarisation. D’autres pays d’Europe forment sans concours d’entrée, comme la Roumanie ou la Belgique. Des professionnels infirmiers vont ailleurs, où il n’y a pas de sélection. De plus, une rumeur a couru cette année, du fait que les études d’infirmier sont, en France, en pleine phase d’universitarisation : ainsi, il aurait fallu attendre l’année prochaine, parce qu’il n’y aurait pas de concours et qu’il serait possible d’entrer de plein droit dans les formations. Mais nous allons passer par Parcoursup, ce qui ne sera pas forcément mieux.

Je souhaite attirer votre attention sur un autre problème, dont je ne sais comment il peut être résolu. Être infirmier – c’est mon expérience de vie – est un facteur d’élévation et d’intégration sociale. C’est ce qui permettait la promotion sociale au sein de l’hôpital. Avec l’universitarisation, cela va devenir beaucoup plus compliqué, parce que les crédits de formation ne sont pas à la hauteur pour financer des jeunes pendant trois, voire quatre ans à l’université. L’universitarisation bloque aussi ceux qui ne sont pas titulaires du baccalauréat. C’est aussi un point de blocage pour les aides-soignants qui voudraient bénéficier de cette formation professionnelle en continu, tout au long de la vie. Ce sera sûrement une difficulté, alors que nous savons très bien que les jeunes qui sont aide-soignant veulent évoluer au sein de l’hôpital et dans leur carrière professionnelle.

Mme Pascale Mathieu. Je souhaitais revenir sur les maisons de santé et sur un projet très intéressant, déjà évoqué avec M. Vigier lors d’une précédente rencontre, qui se développe à Nancy. Il ne s’agit pas d’une maison de santé en tant que telle, mais d’un local avec un service de secrétariat. Les professionnels viennent à tour de rôle, sur la base du volontariat. Ils ne restent pas dans les murs, ce qui veut dire que les professionnels de santé, à Nancy, se sont spontanément organisés pour consulter dans cette maison et prendre en charge les patients ; ce ne sont pas leurs patients dédiés qu’ils rencontrent à chaque fois ; par exemple, le kinésithérapeute viendra une demi-journée ou une journée par mois. Tous les professionnels de terrain ont une sorte d’astreinte, avec un planning déterminé à l’avance, et viennent pour de l’accès aux soins. De cette manière, on ne contraint pas des professionnels à aller dans des endroits dans lesquels ils n’ont pas envie d’aller.

Nous pourrions généraliser un tel système, pas forcément sur la base du volontariat, mais peut-être avec une forme de contrainte, dans la logique d’un nécessaire accès aux soins des concitoyens. Je précise que nous ne réinventons pas les dispensaires, où le médecin vient faire des consultations. Vu le nombre de professionnels présents aux alentours, si tout le monde s’y mettait, je pense que je pourrais consacrer une journée par mois à une telle forme de pratique, dans les Landes, là où il n’y a personne, pour prodiguer des soins à nos concitoyens. Cette autre forme d’organisation pourrait être intéressante.

Concernant la formation, nous ne connaissons aucun creux, au contraire. Je laisse sur ce point la parole à M. Dumas.

M. Jean-François Dumas. Il y a une très forte attractivité pour le métier, pour diverses raisons. Les kinés sont issus en très grande majorité de la PACES, avec des notes qui leur permettraient très facilement de continuer médecine, mais ils préfèrent s’orienter vers la kinésithérapie, parce que les études sont plus courtes, parce qu’il y a moins de tâches administratives dans l’exercice de la profession que chez les médecins, peut-être parce que le temps passé auprès du patient est plus long, ce qui crée une complicité – ça aussi, c’est très important. Il faudrait plutôt interroger le représentant des étudiants.

Nous connaissons l’effet inverse : il y a tellement de demandes qu’à peu près un millier de jeunes Français s’expatrie en Belgique, en Espagne et en Roumanie. Nous y reviendrons peut-être tout à l’heure, pour comparer ces niveaux de formation.

M. Éric Prou. Pour ce qui est de notre profession, voici quelques chiffres : 9 500 podologues en 2006, 13 200 aujourd’hui. Il existe un surplus de podologues, puisque, ces dernières années, 8 % des jeunes diplômés n’exercent jamais, ne s’inscrivent pas au tableau de l’Ordre et partent vers d’autres formations. Il n’y a pas de problème d’attractivité. Depuis deux ans, les instituts qui recrutent par concours ont certes du mal à recruter des candidats. Ce sont les conseils régionaux qui donnent les agréments pour l’ouverture d’un institut. Nous en avons ouvert beaucoup trop. Nous sommes une profession jeune, qui connaît peu de départs en retraite – cela viendra en 2025.

Cette compétence dévolue aux conseillers régionaux constitue un frein, et une politique de concertation entre tous les conseils régionaux serait nécessaire. Même avec des avis négatifs des ARS, des instituts se sont ouverts. C’est un vrai souci, et, aujourd’hui, ces instituts ont du mal à faire le plein dans les concours. Des quotas de 120 étudiants terminent en promotions de 80… Nous avons eu une vision à court terme. C’est pourquoi l’universitarisation est très importante pour notre profession. Si ce frein existe aujourd’hui, c’est parce que les coûts de formation vont de 7 000 à 14 000 euros par an. C’est, je pense, le frein essentiel pour entrer dans notre formation. Quant à nos revenus – je ne veux pas faire un concours sur ce point –, certaines sources indiquent que c’est la profession d’orthoptiste qui a les plus faibles revenus, devant les pédicures-podologues.

M. le président Alexandre Freschi. Cela n’empêche pas de susciter les vocations, malgré tout.

M. Bernard Perrut. Madame, messieurs, je vous remercie de vos analyses et de vos témoignages, qui nous sont très utiles. Nous sommes tous préoccupés par l’égal accès de nos concitoyens au système de santé et à la mise en place d’un parcours de soins, dont l’objectif est, à mon sens, d’avoir le juste soin au bon endroit et au bon moment. C’est, je pense, le défi qui est devant nous, quel que soit le territoire – et nous sommes tous dans des territoires différents.

La coordination de l’ensemble des professionnels sur le terrain me préoccupe beaucoup. Comment peut-on promouvoir une prise en charge globale et structurée du patient au plus près de son lieu de vie ? Je vois toute la difficulté à coordonner les actions entre établissements publics et établissements privés, domaine sanitaire et domaine médico-social, et entre l’ensemble des professionnels de santé libéraux que vous êtes.

Des expériences sont menées, d’ailleurs au-delà de ce que sont censées être leurs compétences, par certains groupements hospitaliers de territoire (GHT). Ces expériences ont permis, dans nos territoires respectifs – un certain nombre d’entre nous a déjà mis sur pied des GHT – de consolider l’hôpital comme le lieu public central, de l’entourer des autres établissements, en quelque sorte de les sauver, et de les coordonner en un système unique. Ainsi, des chirurgiens vont parfois consulter à 30 kilomètres, dans un hôpital de plus basse importance, et sont ainsi présents sur le terrain. Toutefois, nous constatons la difficulté à aller plus loin, c’est-à-dire à faire en sorte que l’ensemble des professionnels libéraux de santé puisse être associé au GHT et que nous ayons une vision globale du territoire. Nous pouvons même imaginer que des professionnels de santé exercent en milieu rural, dans des lieux assez isolés, mais aussi à l’hôpital public, ou bien dans un établissement privé, pour que cette complémentarité nous permette d’avoir une vision stratégique territoire par territoire, avec des professionnels qui ne soient pas isolés, des professionnels qui soient reliés à notre organisation et qui nous permettent de sortir d’une situation difficile.

J’aimerais avoir votre point de vue sur cette situation. Je suis sur un territoire où nous essayons, à travers un GHT, d’aller plus loin, c’est-à-dire d’associer l’ensemble des professionnels de santé. Or les difficultés sont grandes, par manque d’interlocuteurs. Comment chaque profession est-elle représentée ? Je pense notamment aux médecins ; peut-être est-ce plus facile pour les infirmiers ou pour les kinésithérapeutes. Toujours est-il qu’il est assez difficile d’avoir en face de soi le porte-parole, le représentant des différents domaines professionnels, pour mettre en œuvre une stratégie globale. Quel est votre point de vue sur cette situation ? N’est-elle pas une voie ouverte sur un nouveau mode de coopération au travail ?

Mme Emmanuelle Fontaine-Domeizel. Ma question est similaire.

Madame et messieurs, je vous remercie d’être présents aujourd’hui et de nous avoir exposé votre avis. Nous avions tous été frustrés, lorsque nous avions reçu l’Ordre des médecins et l’Ordre des dentistes, de ne pas vous voir associés à l’audition. Je suis très heureuse de vous voir aujourd’hui.

Ma question s’adresse plus aux infirmiers. Le modèle à l’hôpital est presque à l’inverse du modèle libéral. Le patient, à l’hôpital, est reçu par une infirmière d’accueil et d’orientation (IAO). Inversement, en ville, le patient consulte en première intention chez le médecin.

Pour une même prise en charge, l’approche est différente. Moi non plus, je ne souhaite pas opposer les professionnels entre eux. Pourriez-vous nous donner votre avis sur cette consultation, qui pourrait être une consultation infirmière, et l’évolution de la profession par rapport à cette consultation ? Cela implique la prise en charge, dans les IFSI, de cette formation, tout comme la télémédecine, car seule une formation à la télémédecine permettra son utilisation sur le terrain.

Mme Jacqueline Dubois. Je souhaite moi aussi revenir aux pratiques avancées, afin de mieux comprendre la définition qui est la vôtre des professions médicales à compétence définie. Comment imaginez-vous ces professions ? Je m’adresse particulièrement au président de l’Ordre national des infirmiers.

M. Patrick Chamboredon. Finalement, nous avons bien fait de venir ! Il y a un tel décalage entre les demandes que vous exprimez et ce que l’on voit avenue Duquesne que l’on se demande si l’on est dans le même monde et si l’on est toujours en France.

Voilà la réalité ! M. Prou était présent avec moi, hier au HSPP, le texte est en deçà de toutes les attentes exprimées depuis 2015. Heureusement que Mme Agnès Buzyn est arrivée au ministère de la santé, car il s’agit de textes qu’elle a rédigés quand elle était présidente de l’Institut national du cancer (INCa). Les derniers textes concernant les infirmiers ont mis dix ans avant d’arriver à l’Assemblée nationale et d’être promulgués. Nous pouvons au moins saluer cet effort et cette volonté politique.

Je pense qu’il faudrait créer un exercice mixte, à l’instar des médecins. Une expérimentation a lieu à l’Institut Paoli-Calmettes à Marseille, où, pour assurer la coordination, ils font appel à une association qui emploie des infirmiers libéraux. Qui est mieux placé qu’un infirmier libéral pour parler à un autre infirmier libéral ? Nous savons tous que la lettre de sortie du patient, à l’hôpital, met dix jours à arriver, quand elle arrive, alors que la préconisation est de deux ou trois jours.

Et je ne parle pas des patients qui doivent sortir le vendredi à 15 heures de l’hôpital, pour que les patients des urgences ne meurent pas sur les brancards. On fait sortir la personne, l’infirmier tente de garder le patient à domicile ; or ce n’est pas possible et il faut réhospitaliser, contre l’avis du patient, alors qu’il aurait fallu trouver une autre solution, à savoir une vraie coordination ville-hôpital. Clairement, c’est l’infirmier qui l’assure, c’est notre travail.

Se pose donc la question statutaire : il n’existe pas de fluidité de parcours entre les infirmiers à l’hôpital et les infirmiers en ville, contrairement aux médecins, ce qui constitue un véritable frein. Il est tout à fait possible, envisageable, pertinent et cohérent que les jeunes bénéficient des deux modes d’exercice. Il nous faut nous parler et nous connaître.

Nous avions demandé le premier recours. L’accès direct à l’infirmier, c’est niet ! Les infirmiers devaient être considérés comme des professionnels à compétence limitée. Il n’en est rien. Il n’y a eu ni logique de mission ni décrets d’actes. Les listes sont déjà obsolètes, comme l’on dit les syndicats confédérés. Je suis très à l’aise sur cette question. Je n’ai même pas déposé d’amendements sur ce texte, que j’ai demandé au Haut Conseil des professions paramédicales de rejeter. Je tiens à dire à la représentation nationale que j’ai été entendu par les syndicats confédérés qui ont rejeté le texte, ce dont je me félicite.

Le texte passera quand même, nous en sommes bien conscients. Reste qu’il va à la fois contre les préconisations de la Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers (FNESI), des professionnels de santé libéraux, de l’Ordre des infirmiers et des syndicats confédérés. Nous constatons un certain autisme dans certaines rues de Paris quant aux besoins de santé et aux besoins des infirmiers.

La logique de missions ou de prise en charge pourrait très bien exister dans le cadre de consultations. C’est un terme qui est refusé aux infirmiers. Faire une consultation n’est pas possible. Soit nous ne sommes pas assez intelligents, soit notre formation n’est pas à la hauteur de ce que l’on nous demande. Je suis très étonné.

L’enjeu, ce sont les personnes âgées et la médecine ambulatoire. Vous l’avez très bien dit, monsieur Perrut. L’ambulatoire, c’est la vraie question : comment fait-on pour vider les hôpitaux et pour que les gens soient pris en charge de façon pertinente ? Concernant la douleur, des dispositions pratiques font que le médecin doit intervenir à domicile à tout moment. Les infirmiers interviennent à sa place, ils sont obligés de faire et de facturer à la sécurité sociale des actes qui ne sont pas du tout en phase avec la pratique de tous les jours. En tant qu’ordre, et donc instance régulatrice, nous ne parlons pas de la pratique professionnelle avec la CPAM. Je vous rappelle qu’il s’agit simplement de prendre en charge la douleur des patients à domicile.

Il nous est très difficile d’être entendus par les pouvoirs publics ; c’est le cas pour chacune de nos professions respectives. Pourquoi les infirmiers et les médecins sont-ils auditionnés séparément dans les commissions d’enquête ? Nous sommes tous des professionnels de santé et notre but à tous est le bien-être du patient et le maintien à domicile.

Nous sommes contraints parce que le médecin est le point d’entrée. Ce n’est pas l’objet de notre revendication, nous revendiquons simplement de pouvoir assurer le suivi. Nous n’avons pas pu inscrire non plus, dans le texte, les termes « consultation de suivi », pas même pour les diabétiques, alors que vous avez rappelé l’importance du poids économique de cette maladie, pour laquelle il faut constamment adapter les posologies. La situation est la même pour toutes les maladies chroniques ; nous ne pouvons assurer le suivi.

Mme Pascale Mathieu. Rappelons clairement une réalité : sur le terrain, tout va bien. Avec des coups de téléphone, avec les médecins, avec les pharmaciens, avec les infirmiers, nous nous voyons au chevet des patients. Sur le terrain, tout va bien entre professionnels de santé. Les problèmes surviennent quand il faut travailler des textes avec les instances des différentes professions. Je constate qu’il n’y a pas de corporatisme sur le terrain, mais je ne peux que constater du corporatisme chez certains décideurs de certaines professions. Voilà, c’est dit.

Le problème que nous rencontrons à l’hôpital est celui du statut de la fonction publique hospitalière, qui empêche les parcours mixtes. Je ne donnerai qu’un seul exemple. Très souvent, certains hôpitaux qui manquent de kinésithérapeutes sont prêts à payer ces derniers au dernier échelon. Par conséquent, ils ne seront jamais titularisés ; de plus, ils sont employés selon je ne sais quel statut bâtard. Nous avons reçu dernièrement les kinésithérapeutes de l’Assistance publique Hôpitaux de Partis (AP-HP), qui sont vraiment désespérés – je pèse mes mots, la situation est catastrophique – parce qu’ils n’arrivent pas à recruter et qu’on embauche à leur place des professeurs de sport.

Les professeurs de sport ne sont pas des professionnels de santé. Je pensais naïvement que ces professeurs de sport étaient rémunérés au SMIC, 1 100 euros par mois, ce qui me paraissait intéressant pour l’hôpital. Il n’en est rien, ils sont payés au niveau « bac +5 », parce qu’ils ne sont pas soumis au statut de la fonction publique hospitalière, qui oblige à recruter un kinésithérapeute selon des grilles de 1962, soit anciennement « bac +2 », malgré une petite revalorisation d’une vingtaine d’euros par mois. Nous en venons donc à recruter, avec des rémunérations attractives « bac +5 », des non-professionnels de santé qui se substituent aux professionnels de santé, parce que le directeur d’hôpital n’a pas le droit de déroger au sacro-saint statut. Si un kinésithérapeute est engagé, le directeur est obligé de suivre la grille des kinésithérapeutes.

Pour répondre à tous ces problèmes, il est temps de parler de ces professions médicales à compétence définie. Un jour, avenue Duquesne, on m’a dit : « Ne dites pas cela pour les kinésithérapeutes, vous allez faire peur. » Je l’ai compris, et c’est pourquoi je n’en parle plus. En effet, il y a des confrontations entre professionnels à compétence définie. Une profession médicale à compétence définie, c'est une profession qui a un droit de prescription, ce que nous avons déjà – nous demandons par ailleurs qu'il soit élargi – et c'est une profession qui a un accès direct.

Le kinésithérapeute ne s’occupe pas que d'entorse de la cheville et de lombalgie – c'est la vision qu'ont certains de notre métier – : c'est celui qui rééduque l’AVC, qui s'occupe de la sclérose en plaques, qui s'occupe du BPCO, qui concourt au maintien à domicile de la personne âgée et qui lutte contre l'entrée en dépendance. Nous agissons dans les cancers du sein, dans les cancers en général, notre champ d'activité est très large. Actuellement, dans nos zones sous-dotées, quand nous n'avons pas de prescription médicale, parce que le médecin n'a pas fait la prescription ou parce que le patient en ALD a oublié de la demander au médecin, quand le kinésithérapeute n'a plus de séance, nous continuons à soigner avec des prescriptions qui ne sont plus valables, ce qui engendre des problèmes de facturation. L'ordonnance est un bon à remboursement, si bien qu’avec l'accès direct et les ALD, c'est un frein pour que nous soyons rémunérés.

Dans notre référentiel de formation, d’activité et de compétences, les drapeaux rouges sont le Québec, la Norvège, la Pologne, etc. Je ne parle pas de la Nouvelle-Zélande ou de l'Australie, où l'accès direct au kinésithérapeute existe. J'ajoute que cet accès direct ne va pas générer de coût, cela ne changera rien au parcours de soins du patient en ALD qui a besoin de kinésithérapie ; cet accès direct fluidifiera et facilitera son parcours de soins. Dans le cas d’un patient dont l’épaule a été opérée, l'accès direct n’entraînera pas de coûts supplémentaires, car les référentiels de l'assurance maladie encadrent ces soins ; pour un canal carpien opéré, aucune séance n’est prise en charge ; pour une entorse de cheville externe, dix séances sont prises en charge. Il n’y aura donc pas d'inflation. L’accès direct, pour ce genre de pathologie, ne générera pas de coûts supplémentaires.

Avec le conventionnement sélectif, des kinésithérapeutes seront envoyés dans des endroits où il n'y a pas de médecin. La profession a pris ses responsabilités et s’est volontairement engagée dans cette voie. Il faut l'accompagner et souligner cet effort, en considérant que nous sommes des professionnels responsables, qui ne prendront pas de risque. Quand nous sommes en difficulté, il n’est pas du tout question de recevoir les patients et de court-circuiter le médecin, bien évidemment. Il est question de travailler de façon cohérente avec l'évolution de la formation et de nos compétences.

M. Guillaume Brouard, Monsieur Perrut, vous avez bien résumé la situation avec cette notion de « juste soin, au bon endroit et au bon moment ».

Le « juste soin » correspond à la compétence, à l’offre de soin du professionnel de santé sur le territoire. « Au bon endroit » correspond à la possibilité d’accéder à un professionnel de santé. « Au bon moment » correspond à la capacité d’offrir du temps de consultation. Concernant notre profession de pédicure-podologue, pour comprendre ce que pourrait être une profession médicale à compétence définie, les compétences possibles et envisageables sont faciles à imaginer. Elles existent de l’autre côté de la frontière, en Espagne. Si nous allons un peu plus loin, dans les faits, la profession de podiatre, au Canada, est une profession médicale à compétence définie, avec initialement le même profil que ce que peut être le pédicure-podologue aujourd’hui.

Concernant le « bon endroit », nous disposons de l’accès direct. Sur l’ensemble du territoire, il est aujourd’hui possible de consulter un pédicure-podologue. Le temps de consultation est en général de 45 minutes. C’est une profession qui travaille aussi chez les patients : le pédicure-podologue se déplace à domicile pour prodiguer ces soins et ses compétences de diagnostic. Ce temps de consultation est donc disponible. La difficulté porte sur le temps de consultation médicale. Contrairement à ce qui était attendu, le nombre de médecins n’a pas diminué ; ce qui pèche, c’est le temps de consultation disponible, à savoir la possibilité pour le patient d’avoir un rendez-vous. Je pense qu’il faut utiliser ce qui est disponible sur le terrain, et le temps de consultation concernant notre profession est disponible.

M. Patrick Chamboredon. Je voulais rajouter un point sur la pratique avancée. Dans le monde, 31 pays ont déjà une pratique avancée infirmière. Nous sommes le dernier pays développé à mettre cela en place. C’est hallucinant.

Mme Jacqueline Dubois. Ce que je crains, c’est qu’un jour nous ouvrions les vannes. Si notre pays ne se modernise pas, ne développe pas les parcours de soins et l’accès aux soins, les professionnels viendront un jour de l’étranger, avant que les professionnels français ne soient prêts concernant les pratiques avancées.

M. Patrick Chamboredon. Tous les ordres vont intervenir, avec la chaire « Santé » de Sciences Po, dans une conférence sur l’exercice partiel et sur l’accès dans la communauté européenne de diplômés étrangers. Ces diplômés n’ont pas forcément les mêmes diplômes, ce qui complexifie le système. C’est un vrai problème, nous en sommes conscients et nous souhaitions en parler.

Nous sommes le dernier pays en Europe à mettre en place les pratiques avancées. Concernant la prescription infirmière, je dirai que le corollaire de la consultation, c’est la prescription. Quand je suis chez moi, je peux donner du Dafalgan à mes enfants. Quand je suis en blouse blanche à l’hôpital, je ne peux pas le faire. Les infirmiers qui se déplacent à domicile ne peuvent pas prescrire des antiseptiques pour faire les pansements qu’ils vont réaliser. En France, certaines pratiques relèvent du surnaturel.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Tous les députés sont extrêmement sensibilisés par ces questions, et je vous remercie de votre liberté de ton et des réponses à nos questions.

Premièrement, concernant les pratiques avancées – vos derniers propos l’illustrent parfaitement –, vous couvrez des actes que vous ne devriez pas couvrir. Voilà la vérité. Disons les choses clairement. Il serait bien que l’on vous remette un tout petit peu à contribution. Nous avons parlé du diabète, de la surveillance des traitements anticoagulants, des vaccins, etc. Sans que cela ne déclenche la guerre des polices ni la guerre des professions, un pharmacien, un biologiste et un infirmier peuvent vacciner. L’audition des infirmiers puériculteurs a été très intéressante. Il y a des choses à faire.

Madame, vous avez raison, la médecine du travail est un naufrage dans ce pays. C’est un naufrage absolu. Les kinésithérapeutes et les podologues connaissent ces pathologies. Voyez le taux d’accidents du travail, notamment dans le domaine de la santé dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), les problèmes de dos que rencontre le personnel – 98 % sont des femmes. Ne pourrait-on pas inventer de nouveaux dispositifs pour la médecine du travail ? Pour les infirmiers, dans le cadre de la régulation ? Voyez ce drame du service d’aide médicale urgente (SAMU) de Strasbourg ; un nouveau cas est évoqué ce matin. Avec l’arrivée de la télémédecine, ne peut-on pas imaginer l’émergence de nouveaux métiers – des infirmiers régulateurs, des infirmiers internistes, voire des kinésithérapeutes régulateurs ? Il nous faut inventer. Nous allons faire des propositions, mes collègues et moi-même. Nous allons nous mettre d’accord sur un document de synthèse. Vous pouvez constater que, quelles que soient les sensibilités politiques, l’envie d’avancer est prégnante.

Je vais vous poser une question encore un peu plus directe. Voilà la proposition : nous vous laissons pendant deux ans plus de liberté de prescription. Si des dérives sont constatées, vous ne pourrez plus prescrire. Cela vous semble-t-il recevable, ou inenvisageable ? Seriez-vous prêts à assumer une telle responsabilité ?

Deuxièmement, pour reprendre les propos de ma collègue sur la question des diplômes européens, je souhaiterais que vous, responsables des ordres, vous disiez avec force que le niveau de diplôme n’est pas le même. Qui mieux que vous peut le dire ? Je suis un Européen convaincu, génétiquement. Cependant, disons les choses clairement : nous allons être, entre guillemets, « envahis  », et je pèse mes mots. Cela fait trente ans que, quand un étudiant veut être vétérinaire et qu’il n’arrive pas à entrer à l’école vétérinaire de Maisons-Alfort, il part en Belgique. Sommes-nous capables de mettre ces questions sur la table ?

Troisièmement, nous ne vous avons pas entendus concernant le dossier médical partagé. J’aimerais bien que vous me fassiez des propositions, car le DMP fait partie du parcours de santé, de la non-redondance d’examens et de la qualité de la prise en charge. C’est un dispositif essentiel.

Quatrièmement, nous croyons à la télémédecine, mais pour des actes identifiés, réalisés par des professionnels.

Je terminerai par un mot sur le problème de l’attractivité, notamment dans le domaine public, à l’hôpital, avec les débuts de carrière à 1 350 euros que vous évoquez. Pourriez-vous nous faire des propositions comparatives ? Je pense qu’une des solutions passe aussi par une meilleure attractivité à l’hôpital. Neuf médecins sur dix vont à l’hôpital, et ceux qui suivent les cursus habituels sont plutôt très mal payés pour des « bac + 12 » ou « bac + 13 ». Ce sont les mercenaires qui font le prix, à la dernière minute de la dernière heure ! C’est lastminute.com ! Untel vient faire la garde de 24 heures, mais réclame 1 800 euros. Voilà la situation dans laquelle nous sommes.

Pourriez-vous essayer de synthétiser vos propos pour apporter quelques éléments de réponse sur ces quatre ou cinq questions, qui résument cette audition particulièrement riche ? Je ne reviens pas sur les maisons de santé, mais je pense que nous sommes tous d’accord pour dire qu’il faut un projet médical à la clé. Serait-il possible de synthétiser tous ces éléments, pour que nous puissions être encore plus prospectifs dans nos propositions ?

M. Jean-François Dumas. La France propose pour les kinésithérapeutes le plus haut niveau de formation : cinq ans après le bac, 300 crédits ECTS, et un niveau master. Nous partageons ce niveau de formation avec la Belgique flamande. Les Wallons y viennent, le niveau belge sera donc équivalent au nôtre très rapidement. La Belgique et la Pologne sont les deux seuls pays qui proposent un master.

Je suis obligé de vous dire que les 2 200 diplômés européens qui viennent tous les ans en France passent par la région, par la direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DRJSCS), qui délivre l’équivalence et l’autorisation d’exercer. Or le dispositif juridique indique que l’on doit comparer le niveau de formation actuel en France avec le niveau de formation du pays d’origine. Le niveau actuel est de « bac + 5 » depuis 2015 ; or les services déconcentrés reçoivent des directives de la DRJSCS, qui leur demande d’appliquer l’ancien programme à « bac + 3 ». Nous nous battons depuis trois ans et nous n’arrivons pas à obtenir gain de cause. Aujourd’hui, plus aucun étudiant en kinésithérapie n’est formé à bac + 3, le modèle est périmé. Le texte de septembre 2015 n’est pas appliqué dans les DRJSCS. Cette année, il n’y aura pas de kinésithérapeutes formés par la France, c’est une année blanche, puisque nous passons, dans les écoles de kinésithérapie, de trois à quatre ans. Il n’y aura que des diplômes européens ! Malgré notre désaccord !

C’est un sujet très politique, je laisse la parole à ma présidente…

Mme Pascale Mathieu. Nous avons rencontré la ministre ; elle est véritablement tombée des nues. Elle a demandé que les consignes soient appliquées, la direction générale de l’offre de soins (DGOS), a reçu ces consignes, les services du ministère aussi, cela a été confirmé lors d’une réunion avec la DGOS. Une réunion a eu lieu trois jours plus tard avec la DRJSCS, l’un de nos représentants était présent, et le représentant de la DGOS leur a demandé de continuer à appliquer le programme d’avant 2015.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Il est temps de reprendre en main les services de l’État !

M. Jean-François Dumas. Pour la profession de kinésithérapeute, nous souhaitons travailler au niveau européen, pour obtenir un cadre commun de formation, à l’instar des médecins, ce qui permettrait d’instaurer une reconnaissance automatique du diplôme. Plutôt qu’une dérégulation européenne, nous sommes beaucoup plus favorables à une harmonisation des réglementations. Actuellement, quand le diplôme est reconnu, les compétences ne sont pas les mêmes. Dans les autres pays, les compétences sont autres ou moindres. Les professionnels étrangers n’ont pas les compétences que nous avons, et ils ont exactement les mêmes droits que les professionnels français. Un problème d’harmonisation existe. Le fameux cadre d’exercice n’est pas le même.

Mme Mireille Robert. Qu’en est-il, par exemple, des écoles portugaises qui s’installent en France ?

M. Jean-François Dumas. Nous constatons la mise en place d’un véritable système marchand de l’offre de formation. Des familles sont prêtes à payer 9 200 euros par an pendant quatre ans pour former leurs enfants qui souhaitent devenir kinésithérapeute. Des écoles proposent donc des tarifs moins chers, notamment des universités espagnoles, qui ont ouvert énormément d’écoles de formation à la kinésithérapie. Il en va de même en Roumanie.

Un nouveau système est apparu : l’école vient s’implanter sur le territoire français, sans aucune autorisation ni reconnaissance du ministère de l’enseignement supérieur ni du ministère de la santé, et sans que nous puissions, pas plus que le ministère, obtenir de l’État portugais l’attestation selon laquelle cette formation autorisera l’exercice sur le territoire portugais. Le régime de reconnaissance européen veut que si un pays européen reconnaît une équivalence française, ses ressortissants puissent exercer chez nous un jour ou l’autre. Il ne s’agit que de mesures compensatoires. Actuellement, la France n’est pas capable d’apprendre de l’État portugais si cette école, la fameuse CLES – ou ESEM, puisqu’ils ont changé de statut entre-temps –, est reconnue par lui. La juridiction française, le tribunal de grande instance de Toulon, a déclaré cette formation illégale sur le territoire français. Je n’irai pas plus loin, car il y a eu appel.

M. Éric Prou. Nous ne faisons qu’affirmer haut et fort l’exigence d’harmonisation au niveau de toute l’Europe. Cependant, je suis obligé de parler de l’accès partiel. C’est un souci pour nos professions de santé. Nous n’avons pas été beaucoup entendus quand le texte est arrivé en discussion. Cela va poser des problèmes. Malgré un avis de l’Ordre, ce sont les DRJSCS qui décident, sans toujours tenir compte de notre avis.

Nous sommes d’accord pour la mise en place de la prescription ou son élargissement. Pour notre profession, je peux vous garantir que cela va engendrer des économies. Si le pédicure-podologue peut prescrire les orthèses plantaires sans renvoyer chez le médecin pour obtenir un remboursement, c’est une consultation du médecin qui est économisée. Il en va de même pour les examens. Nous vous proposerons un document de synthèse de nos propositions. Enfin, il est très important que le DMP soit élargi à tous les professionnels de santé, sinon il n’y aura pas de coordination.

M. Patrick Chamboredon. Pour améliorer l’attractivité de la profession, il faut favoriser la fluidité des parcours, améliorer le statut, améliorer les carrières, notamment les possibilités de validation des acquis de l’expérience (VAE) et d’évolution de carrière, qui sont malgré tout assez bloquées. Partout où des infirmiers de pratique avancée ont été mis en place, nous n’avons pas mesuré d’augmentation des coûts ; ce qui a été dit avenue Duquesne est complètement faux. L’expérience internationale montre que ces dispositifs ont des coûts maîtrisés, sans inflation sur la dépense publique. Je ne peux que souscrire à ce qui est dit concernant les diplômes européens. Certains pays d’Europe « achètent » la directive européenne 2005/36, gérée par les DRJSCS. Les professionnels qui passent par les DRJSCS ont besoin de stage allant de six mois à un an pour être au niveau de ce qu’est la formation française. Voilà qui est frappant. Concernant le DMP, nous ne sommes pas associés aux travaux, et nous ne savons pas ce qui se passe. Quant à la télémédecine, vous avez bien compris que le texte ne concerne que les médecins.

M. le président Alexandre Freschi. Madame, messieurs, nous vous remercions.

 


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Audition commune des associations d’usagers

Présidence de M. Alexandre Freschi, Président de la commission denquête

La commission d’enquête entend les associations d’usagers : M. Gérard Raymond et Mme Féreuze Aziza, vice-président et chargée de mission assurance maladie de France Assos Santé, M. Daniel Bideau et M. Mathieu Escot, vice-président et responsable des études de l’Union fédérale des consommateurs UFC-Que choisir, Mme Aude Bourden, conseillère nationale santé - médico-social de l’Association des paralysés de France (APF) – France Handicap, et M. Michel Antony, Mme Rosine Leverrier et M. Joseph Maatouk, respectivement président fondateur, vice-présidente et secrétaire de la Coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et maternités de proximité.

M. le président Alexandre Freschi. Nous recevons l’Union nationale des associations agréées d’usagers du système de santé France Assos Santé, représentée par son vice-président, M. Gérard Raymond, qui est accompagné de Mme Aziza Féreuse, chargée de mission. L’Union fédérale des consommateurs (UFC)-Que Choisir est représentée par son vice-président, M. Daniel Bideau, qui anime également la commission santé de l’UFC-Que Choisir, ainsi que par M. Mathieu Escot, responsable des études. L’Association des paralysés de France (APF)-France Handicap, est représentée par Mme Aude Bourden, conseillère nationale santé - médico-social. Enfin, nous recevons la Coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et maternités de proximité, représentée par M. Michel Antony, son président fondateur, accompagné de Mme Rosine Leverrier, vice-présidente, et M. Joseph Maatouk, secrétaire. Je vous souhaite à tous la bienvenue.

Je vous informe que nous avons décidé de rendre publiques nos auditions. En conséquence, elles sont ouvertes à la presse, diffusées en direct sur un canal de télévision interne et pourront être consultées en vidéo sur le site internet de l’Assemblée nationale.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, les personnes entendues déposent sous serment. Je vous demande donc de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité et je vous donne la parole pour une intervention liminaire qui sera suivie d’un échange.

(M. Gérard Raymond, Mme Aziza Féreuse, M. Daniel Bideau, M. Mathieu Escot, Mme Aude Bourden, M. Michel Antony, Mme Rosine Leverrier et M. Joseph Maatouk prêtent successivement serment.)

M. Gérard Raymond, vice-président de l’Union nationale des associations agréées d’usagers du système de santé France Assos Santé. C’est toujours un honneur et un plaisir de venir dialoguer avec vous à propos des problèmes de santé publique, particulièrement à l'heure actuelle, alors qu’il est nécessaire de transformer le système de soins en un véritable système de santé. Nous devons en effet instaurer un système de santé qui inclue la prévention, l’éducation à la santé, et qui permette à chaque citoyen de conserver son capital santé, tandis que le système de soins doit être mis en place lorsqu’une maladie s’est déclarée.

Aujourd'hui, tous les voyants sont au rouge : notre système est en train de perdre son universalité, sa capacité à offrir à chacun d’entre nous une offre de soins qui corresponde à ses attentes et à ses demandes. Nous sommes préoccupés par l’hétérogénéité de l’offre de soins selon les différents territoires. Or il faut tenir compte du fait que les besoins de la population ne sont pas homogènes. Par conséquent, dans un premier temps, il est nécessaire d’évaluer l’état de santé de la population dans chaque territoire, afin de réfléchir avec l’ensemble des acteurs, aussi bien avec les représentants politiques qu’avec les professionnels de santé et les agences régionales de santé (ARS), pour établir comment répondre aux attentes et aux besoins.

En particulier, il faut observer le développement des pathologies chroniques lié à l’évolution de notre société. Or outre la vice-présidence de France Assos Santé, j’assume aussi la présidence de la Fédération française des diabétiques (FFD). En France, 4 millions de personnes sont actuellement atteintes de cette maladie : elles rencontrent des problèmes cardio-vasculaires, d’obésité ou d’apnée du sommeil ; elles représentent une grande partie de la population relativement âgée et atteinte de pathologies chroniques, pour laquelle il faut trouver un autre système de prise en charge que celui de la simple consultation. Il faut donc chercher à établir des parcours de soins, coordonner l'ensemble des acteurs et dépasser la rémunération à l’acte pour penser une rémunération forfaitaire ou globale dans le cadre de critères préalablement définis de qualité et d'efficience.

En outre, afin d’enrayer la désertification médicale et de mettre en place une offre de soins continue sur des territoires donnés, il faut proposer des transferts de compétences pour permettre à d'autres professionnels de santé que les médecins, comme les pharmaciens ou les infirmiers, de devenir la porte d’entrée dans le système de santé, d’orienter les patients et de participer à des parcours de coordination en particulier en ce qui concerne les maladies chroniques. De tels transferts nous semblent nécessaires pour atteindre une certaine homogénéité de l'offre de soins. Dans ce sens, un décret concernant la pratique avancée des infirmiers est actuellement en cours d’élaboration.

Ensuite, le regroupement des professionnels de santé doit certainement être soutenu. Il existe des maisons de santé pluri-professionnelles ; les techniques modernes de communication pourraient leur permettre d’assurer certains services de manière virtuelle, afin d’atteindre l’ensemble du territoire. Cela requiert bien évidemment des plateaux techniques qui assurent que les SMS ou les courriels fassent l’objet d’une communication sécurisée entre les professionnels de santé, mais aussi entre ces professionnels et les patients. Rappelons que la télémédecine constitue un ensemble d’outils et non un objectif en soi.

Cela implique une véritable réorganisation du système de premier recours qui offre à chaque acteur la possibilité de jouer un rôle de prévention, d’accompagnement, d’information et de communication auprès du patient. Il faut également redéfinir le rôle de l’hôpital, ainsi que la liaison entre l’hôpital, la ville et le domicile. Cette réorganisation du système de premier recours est indispensable pour garantir l’accès aux soins sur l’ensemble du territoire.

M. Daniel Bideau, vice-président et animateur de la commission santé de l’Union fédérale des consommateurs (UFC)-Que Choisir. Je commencerai par vous présenter rapidement l’UFC-Que Choisir. Elle est composée de 145 associations locales et regroupe 140 000 adhérents. Vous connaissez sans doute la revue Que Choisir, qui tire chaque mois à 400 000 exemplaires, mais peut-être connaissez-vous moins bien Que Choisir Santé, qui tire à 80 000 exemplaires par mois et qui reflète notre politique en matière de santé. Le réseau de l’UFC comprend notamment des référents régionaux santé qui sont en relation avec les élus et avec les établissements de soins et qui s’efforcent de faire avancer la cause des usagers, lesquels ont droit non seulement à des soins mais aussi à une prévention de qualité.

L’UFC est très attachée à proposer une approche concrète des problèmes, à partir des études que nous conduisons. Ainsi, d’après une étude sur la « fracture sanitaire » menée sur le périmètre de chaque commune, à partir de données de l’assurance maladie, sur le prix et la localisation des médecins libéraux exerçant dans quatre spécialités – généralistes, pédiatres, ophtalmologistes, gynécologues –, jusqu’à un Français sur cinq, selon la spécialité étudiée, vit dans un désert médical.

En ce qui concerne les généralistes, 5 % de la population vit dans un désert médical. Cependant ce phénomène s’amplifie : il n'est plus limité aux campagnes mais s'étend désormais aux zones urbaines, où des problèmes se posent lorsque les médecins prennent leur retraite sans être remplacés, car les patients peinent alors à trouver un médecin traitant.

Pour les trois autres spécialités étudiées, il faut aussi tenir compte des dépassements d'honoraires, difficulté qui s'ajoute au problème géographique. En effet, si on ne prend en considération que la géographie, 12 % à 19 % des Français vivent dans un désert médical, c'est-à-dire qu’ils ne trouvent pas de médecins dans ces trois spécialités à moins de 45 minutes de chez eux. Cependant, si l’on considère uniquement l'offre de soins au tarif opposable, c'est-à-dire sans dépassement d'honoraires, ce qui nous paraît constituer l'accès normal des usagers au système de soins, 29 % de la population vit à plus de 45 minutes de route d’un pédiatre, et la moitié de la population connaît une offre médicale notoirement insuffisante en ce qui concerne la gynécologie ou d'ophtalmologie.

Mathieu Escot vous exposera la méthodologie de notre étude.

M. Mathieu Escot, responsable des études à l’Union fédérale des consommateurs (UFC)-Que Choisir. Je souhaite en effet vous présenter brièvement l’origine de ces données. Il s’agit des données de l’annuaire santé de l’assurance maladie, que nous avons traitées d’après une méthodologie développée par la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) et par l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES), qui comptent parmi les instituts de recherche en économie de la santé les plus avancés de France. Cette méthodologie, qui est très longue et très coûteuse à mettre en œuvre, permet d’estimer l’accessibilité potentielle localisée, c'est-à-dire l’offre disponible à moins de 30 minutes de trajet pour les généralistes, 45 minutes pour les spécialistes.

Cette approche donne des résultats plus précis que l’évaluation de la densité de médecins par département. Plus facile à mettre en œuvre, celle-ci est trop approximative, car elle ne tient pas compte du fait que ceux qui habitent à la frontière d’un département la franchissent aisément pour consulter un médecin comme ils le font quotidiennement pour autre chose. Le niveau de la commune n’est pas pertinent non plus car il est trop restreint.

En outre, nous avions déjà mené une enquête selon cette même méthode en 2012, de sorte que nous pouvons observer comment l’accès aux soins a évolué en quatre ans. Nous avons ainsi constaté une dégradation marquée pour 25 % de la population en ce qui concerne l’accès aux généralistes, pour 40 à 60 % en ce qui concerne les trois autres spécialités que nous avons étudiées, la situation la plus grave étant celle des gynécologues. Ce recul concerne toutes les régions de France, y compris l’Île-de-France ou la Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA).

En 2016, nous avons pu observer les effets des mesures incitatives de lutte contre les déserts médicaux contenues dans la convention nationale organisant les rapports entre les médecins libéraux et l’assurance maladie, signée le 26 juillet 2011, et dans le « Pacte territoire santé » lancé par Marisol Touraine en décembre 2012. À l’époque, nous avions qualifié ces mesures de « saupoudrage incitatif », et nous en constatons aujourd'hui l’échec. Examinons les deux dispositifs principaux.

Premièrement, l’option « démographie » consiste à verser des aides aux médecins exerçant en groupe dans des déserts médicaux. Cette option a entraîné un effet d’aubaine massif plutôt qu’un effet incitatif : 90 % des bénéficiaires étaient déjà installés dans ces zones sous-dotées. Or les études de la DREES montrent que, si les conditions d’exercice de ces médecins sont souvent difficiles, s’ils sont parfois en situation de suractivité, leurs revenus sont relativement corrects. Une autre preuve du défaut de conception de ces aides et de leur inefficacité réside dans le fait que les médecins déjà installés recevaient une aide supérieure aux nouveaux médecins que l’on parvenait à attirer. En effet, ces aides s’élevaient en moyenne à 15 600 euros par an pour les médecins qui étaient déjà installés, et à 11 400 euros par an seulement pour les nouveaux médecins. Ainsi, non seulement ce dispositif bénéficie à des médecins qui pour 90 % d’entre eux sont déjà installés, mais en outre, les 10 % de médecins nouvellement installés touchent moins d’argent que ceux qui le sont déjà.

Deuxièmement, l’option « santé solidarité territoriale » consiste en une majoration des honoraires pour les médecins qui exercent au moins 28 jours par an dans un désert médical… Seuls 28 médecins en ont bénéficié entre 2012 et 2016 ! Le coût de conception de ce dispositif par les services de l’assurance maladie et au ministère de la santé excède donc très largement le bénéfice qu’il représente.

M. Daniel Bideau. Permettez-moi à présent de vous exposer nos propositions essentielles. Tout d’abord, il nous paraît urgent de procéder à un conventionnement sélectif des médecins par l’assurance maladie. Toute nouvelle installation dans une zone où l'offre est surabondante ne doit pouvoir se faire qu'en secteur 1, sans dépassement d'honoraires, ce qui permet une meilleure répartition géographique des médecins.

En outre, l’association demande la fermeture de l'accès au secteur 2, car l’existence du secteur 2 entraîne des effets délétères, notamment des dépassements d'honoraires importants, qui ne sont plus à prouver. L’option de pratique tarifaire maîtrisée (OPTAM), autrement dit l’encadrement des dépassements d’honoraires, ne pourra produire ses effets que si elle cesse d’être facultative. Par conséquent, elle doit devenir obligatoire pour constituer le substitut du secteur 2.

Enfin, les aides publiques aux médecins doivent être réorientées vers les seuls médecins conventionnés en secteur 1. L’intérêt de l’usager, auquel nous tenons, implique que les honoraires ne soient pas dépassés et que tous aient accès à un système de santé qui puisse être financé.

Mme Aude Bourden, conseillère nationale santé - médico-social de l’Association des paralysés de France (APF)-France Handicap. Permettez-moi tout d’abord de vous informer que l’APF a changé de nom en avril 2018, pour devenir APF-France Handicap. Ce changement de nom est important pour nous, car nous ne représentons pas seulement les personnes paralysées, mais toutes les personnes qui présentent un handicap moteur et les troubles associés et, plus largement, des personnes atteintes par tous les types de handicap.

Je vous remercie sincèrement de nous avoir invités aujourd’hui à cette audition de la commission d'enquête sur l’égal accès aux soins des Français. Nos adhérents témoignent souvent auprès de nous des difficultés qu'ils rencontrent en ce qui concerne l’accès aux soins, lequel est rendu plus difficile encore par leur handicap. Or le handicap est souvent révélateur des carences du système de santé pour l’ensemble de la situation.

En outre, il faut tenir compte des problèmes spécifiques que rencontrent les personnes en situation de handicap dans les déserts médicaux. Elles peinent à trouver un médecin traitant ; elles ont des difficultés pour consulter des médecins exerçant les spécialités évoquées précédemment, ainsi que d’autres types de professionnels de santé, tels que les orthophonistes ou les kinésithérapeutes. En outre, des pharmacies ferment faute de prescripteur dans un territoire donné. Or les personnes en situation de handicap sont très dépendantes des produits de santé pour leur vie quotidienne, de sorte que ces fermetures les pénalisent encore davantage.

Enfin, rappelons que la désertification ne touche pas seulement la médecine de ville, mais également les lieux de vie médico-sociaux. En effet, nous avons des difficultés à recruter un personnel suffisant pour accompagner correctement les personnes que nous accueillons dans nos établissements ou dans nos services.

C’est pourquoi APF-France Handicap adhère à des associations qui militent pour l’accès aux soins des usagers, telles que France Assos Santé, ou l’Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux (UNIOPSS). Or l’UNIOPSS a souligné les limites du nouvel indicateur de zonage qui sert à attribuer les aides à l’installation. Comme le rappelle l’intitulé de votre commission d’enquête, il s’agit bien de « lutter contre la désertification médicale en milieux rural et urbain » ; or cet indicateur met de côté tous les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), alors que l’accès aux soins dans ces quartiers est problématique, comme le montre le rapport « Vivre ensemble, vivre en grand » présenté par Jean-Louis Borloo. L’UNIOPSS dénonce également le fait que le nombre d’installations ne soit pas du tout équilibré entre l’exercice libéral et l’exercice salarié. Nous pensons nous aussi qu’il faut prendre des mesures pour augmenter le nombre d’installations en exercice salarié.

Tout d’abord, nous souhaitons attirer votre attention sur le fait que la question des déserts médicaux doive faire l’objet d’une approche interministérielle, qui prenne en compte l’aménagement du territoire et plus particulièrement la question de la mobilité. Ainsi, les personnes en situation de handicap ont besoin de transports adaptés pour se rendre sur les lieux de soins. Sans cela, les mesures que l’on pourra prendre pour lutter contre les déserts médicaux resteront inefficaces. De même, l’accès au numérique dans les différents territoires doit être amélioré si l’on souhaite développer la télémédecine et la « e‑santé ».

Ensuite, l’accessibilité universelle concerne non seulement les lieux de soins mais également les équipements. Or l’accessibilité des équipements n’a pas été pensée. Ainsi, sur l’ensemble du territoire français, aujourd'hui, il n’y a que quelques équipements qui permettent à une personne en fauteuil roulant de faire une mammographie en étant assise. Toute une frange de la population n’a donc pas accès à ces équipements.

En outre, il est nécessaire de développer l’accompagnement et le maintien à domicile. Aujourd'hui, un certain nombre de personnes ont besoin d’un accompagnement pour certains gestes de la vie quotidienne, de soins à domicile et d’une coordination des professionnels de santé. Or, aujourd'hui, les soins à domicile sont mal financés et mal coordonnés. Permettez-moi de vous donner un exemple : une personne lourdement handicapée, qui vit à domicile avec sa mère vieillissante, lorsque son médecin traitant est parti récemment à la retraite, a contacté plus de 20 médecins sans trouver un médecin traitant qui accepte de se rendre à domicile. À l’heure où l’on parle de « virage ambulatoire », de « virage inclusif », de maintien à domicile des personnes dépendantes, les déserts médicaux ne nous permettent pas de mettre en œuvre ces objectifs.

Enfin, permettez-moi de vous présenter une proposition assez originale : il ne suffit pas de réguler l’installation des médecins ou de réfléchir à la répartition de l’offre de soins, il faut aussi accompagner les populations qui vivent dans les déserts médicaux. Il nous semble que les ARS devraient développer des dispositifs d'accompagnement des personnes qui ne trouvent pas de lieu de soins ou de médecin traitant. Ces dispositifs constitueraient un véritable observatoire sur un territoire donné, lequel assurerait un suivi plus régulier que les indicateurs et les études. Nous sortirions ainsi de la logique individuelle actuelle, dans laquelle ce sont les médecins qui acceptent ou refusent des patients, pour faire advenir une responsabilité collective des acteurs de la santé sur un territoire.

M. Michel Antony, président fondateur de la Coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et maternités. Je suis enchanté d’être parmi vous aujourd'hui. Je me souviens d’avoir participé à une réunion dans ces mêmes locaux avec une trentaine de nos collectifs voici une dizaine d’années, à l’initiative de Christian Paul.

La Coordination nationale que je représente est une association d’usagers, même si ce n’est pas une association de patients. En effet, les usagers citoyens représentent autant les patients que les professionnels de santé ou les élus locaux. Nos analyses bénéficient de ces approches diverses et complémentaires.

Depuis 30 ans environ, on constate une désertification médicale. En particulier, nous nous sommes beaucoup appuyés sur le Livre blanc de l’Association des petites villes de France (APVF), publié pour la première fois en 1999, dans lequel cette association poussait un cri d’alarme extraordinairement fort et proposait une remise en cause de la liberté d’installation. Selon nous, cela constitue un des axes incontournables pour avancer sur la question de l’accès aux soins. Un constat s’impose avec évidence : on ne pourra pas avancer sans service public et sans politique globale d’aménagement du territoire. En effet, les différents services sont imbriqués : quand on affaiblit une maternité, un hôpital, une gare ou d’autres secteurs du service public, on contribue à désorganiser totalement les régions qui font le ciment de la société française. Telle est la vision que nous défendons. Nous avons plusieurs propositions à avancer pour inverser cette tendance.

Premièrement, il faut absolument arrêter toutes les destructions de services et les fermetures de lits dans les structures hospitalières. Quand on affaiblit un site hospitalier territorial de proximité (SHTP), on désertifie l’ensemble du secteur. En effet, tout le secteur médical et para-médical, et en particulier les généralistes libéraux qui s'appuient sur ces structures hospitalières, se sentent à leur tour démunis, en surcharge, et par conséquent n’ont plus la volonté ou la vocation de venir dans ces territoires. Il faut donc arrêter de détruire et de fermer les urgences de nuit ou les maternités. Comme on a fermé les deux tiers des maternités en France, les femmes doivent faire des distances de plus en plus grandes, ce qui entraîne déjà des problèmes, dont certains mettent en danger leur vie, problèmes qui s’accroîtront à l’avenir. Ainsi, en Bourgogne-Franche-Comté, la région où je vis, on va fermer les urgences de nuit dans six structures hospitalières. Certes, les flux ne sont pas suffisants, mais ce n’est pas un argument recevable en matière de santé de proximité, car ces services sont indispensables pour garantir les droits des habitants de ces territoires en termes d’accessibilité et de prise en charge. Il faut donc mettre en œuvre un moratoire sur les fermetures de services. Conservons les structures sanitaires de proximité pour donner à nos régions l’ossature dont elles ont besoin.

Deuxièmement, autour de ces sites hospitaliers territoriaux de proximité, nous demandons de développer de manière prioritaire les centres de santé. C’est un non-sens de se focaliser exclusivement sur les maisons de santé. En effet, il s’agit de groupements privés de professionnels, alors que les centres de santé peuvent être assimilés à des institutions publiques. En tant que représentants politiques, vous devriez souligner la différence, car une confusion extraordinaire règne aussi bien dans les médias que parmi les responsables politiques.

Pourquoi défendre les centres de santé ? D’une part, ils reposent sur le salariat, auquel aspirent de plus en plus les médecins en formation, comme en témoignent les deux tiers des promotions des cinq ou six dernières années. Si on ne prend pas en compte ce nouveau paradigme médical, on passera à côté des changements. D’autre part, les centres de santé, comme l’ont dit nos amis de l’UFC-Que Choisir, vont contribuer à supprimer le tiers payant et à rétablir une démocratie médicale de proximité. En effet, les usagers sont représentés de plein droit dans les centres, qu’ils soient municipaux, coopératifs, mutualistes ou associatifs : ils agissent avec les professionnels pour le bien de l’ensemble de la population d’un territoire. Toutefois, ces centres de santé ne doivent pas être des coquilles vides. Le problème qui se pose est similaire à celui des aides qui bénéficient en pratique aux médecins qui sont déjà en place ; c’est un scandale, car on gaspille l’argent public sans parvenir à inverser la tendance à la désertification médicale.

Troisièmement, il faut augmenter le nombre de médecins. Ce troisième axe repose sur deux mesures. Il faut d’abord faire exploser le numerus clausus. On nous dit qu’il a connu une énorme augmentation ces dernières années, mais on oublie toujours de dire que l’on a ainsi atteint le même niveau – 8 000 places – que dans les années 1970, quand il a été créé. Or la population française compte 15 millions de personnes supplémentaires, elle vieillit, et les mœurs médicales sont différentes. Ainsi, dire que le numerus clausus a augmenté, c’est se moquer du monde ! En tant que représentants politiques, vous devez dire que c’est un mensonge éhonté. Je n’ai pas de consignes ni d’ordres à vous donner, mais il faut vous souvenir que le citoyen de base est toujours excédé quand le débat est faussé. Si on ne fait pas exploser le numerus clausus, on va contribuer à maintenir cette densité de plus en plus basse du nombre de médecins pour mille habitants. Le calcul est simple à faire, quand on sait que le niveau du numerus clausus est le même mais que la population a augmenté de 15 millions.

En outre, il faut évidemment accorder des moyens aux institutions de formation pour assumer cette charge nouvelle, sans quoi on assistera à la situation qu’évoquait le doyen de l’université de Rennes lorsqu’il menaçait de fermer la formation s’il y avait trop de candidats ! Surtout, il faut augmenter le nombre de centres de formation où les étudiants effectuent leurs stages, notamment chez les généralistes les plus éloignés ou dans les petits centres, de manière à montrer que l’on peut vivre et exercer très bien, dans d’autres lieux que les centres hospitaliers universitaires (CHU).

Quatrièmement, les mesurettes proposées depuis quinze ans sont très insuffisantes pour attirer les médecins. Elles ne sont pas à la hauteur de la crise, et constituent seulement des avantages financiers, techniques ou associatifs. Aujourd'hui, toutes les collectivités locales sont en concurrence pour attirer le médecin qui leur manque. Cette concurrence va parfois jusqu'à l'indécence : certaines collectivités offrent même des places pour le théâtre ou l'opéra local, pour signifier aux médecins qu’ils ne vont pas s’installer dans un territoire reculé, perdu. C’est une honte en termes de service public et d’aménagement du territoire ! Il ne faut pas aller dans ce sens-là. Les droits doivent être les mêmes partout.

C’est pourquoi nous pensons qu’il faut en finir avec la liberté d’installation. Tant qu’on ne la remettra pas en cause, on pourra proposer des mesurettes, des aides financières, mais les médecins ne viendront pas dans certaines zones. Permettez-moi de prendre de nouveau l’exemple de ma région. Le docteur Laine est extrêmement connu au niveau national car c’est le roi du Bon Coin : il a mis en vente son officine, son logement et ses services gratuitement sur ce site, afin que ses patients ne soient pas abandonnés, car c’est un médecin libéral qui croit à la qualité de la santé. Néanmoins, depuis un an et demi que son cabinet est sur le Bon Coin, il n’a pas trouvé de remplaçant. Un tel exemple montre que si on ne remet pas en cause la liberté d’installation, nous ferons les mêmes constats dans dix ans, ou plutôt nous observerons que la situation s’est aggravée.

Il ne s’agit pas de mettre une baïonnette dans le dos des médecins ! Nous reprenons la proposition faite par l’Association des petites villes de France en 1999 dans le Livre blanc que j’ai cité, qui consiste en un service civil de trois à cinq ans. En effet, si on pouvait, pendant trois ans, installer des jeunes médecins dans un centre de santé créé en accord avec les centres hospitaliers territoriaux, afin qu’ils se rendent compte des réalités locales et qu’ils exercent la médecine, on rétablirait peut-être une médecine territoriale égalitaire et solidaire sur notre territoire.

Nous aurons peut-être l’occasion d’évoquer nos autres propositions, mais je vous ai présenté les principales : ne pas continuer à détruire les services de proximité, ouvrir le plus possible des centres de santé, élargir le numerus clausus et remettre en cause partiellement la liberté d’installation. Bien entendu, tout cela doit se faire en concertation avec les professionnels pour que cela se passe dans les meilleures conditions pour eux.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Je souhaite d’abord remercier chacun d’entre vous d’être venu nous communiquer avec passion votre vision de la santé. Vous avez bien compris que cette commission d’enquête parlementaire rassemble des femmes et des hommes de toutes sensibilités politiques autour de cette question absolument cruciale.

M. le Premier ministre, dans un discours important à Cahors, a présenté quatre pistes pour améliorer l’accès aux soins, non seulement en milieu rural mais aussi en milieu urbain. Madame Bourden, vous évoquiez à juste titre le rapport Borloo : il est vrai qu’aujourd’hui, il n’y a plus un territoire qui échappe à ce drame.

Premièrement, des courriers ont été adressés par la ministre de la santé aux directeurs des ARS pour engager les professionnels de santé à s’organiser différemment, en particulier pour demander à ce que les praticiens des groupements hospitaliers de territoire aillent faire des consultations avancées dans les hôpitaux de proximité. On commence donc à endiguer la désertification. Ces démarches témoignent d’une volonté de lier la santé à la politique d'aménagement du territoire, lien dont vous avez rappelé la nécessité. Édouard Philippe est allé jusqu’à affirmer que la santé était un enjeu d'aménagement du territoire dont il fallait que tous se saisissent, aussi bien les usagers que les professionnels et les élus locaux. Avez-vous déjà quelques éléments d’appréciation des premiers résultats de ces démarches ?

Deuxièmement, en ce qui concerne le conventionnement sélectif, j'ai entendu ce qu’affirment les représentants de l’UFC-Que Choisir, à savoir qu’il faut limiter l'installation en secteur 2. Ne pensez-vous pas qu’il faut y joindre un corollaire, consistant à revaloriser le montant des consultations, comme je l’ai demandé il y a quelques années dans une proposition de loi ? En effet, le temps médical est amputé de 25 % à 35 % par des tâches administratives tandis que le montant des consultations, qui a un peu augmenté récemment, reste bloqué à 25 euros environ. N’est-ce pas ce qui explique que les médecins sont de plus en plus nombreux à s’installer en secteur 2, comme nous le constatons en particulier depuis trois ans ? Vous savez que le montant de la consultation chez certains généralistes peut monter jusqu’à 50 euros en fonction du type de public. Une revalorisation complète des grilles ne permettrait-elle pas d’améliorer l’attractivité de la profession de médecin généraliste ?

Troisièmement, des politiques de régulation ont été mises en place en ce qui concerne les autres professionnels de santé que les médecins. Quelle vision en avez-vous ? D’après vous, ces mesures de régulations sont-elles efficaces ? Avez-vous des inquiétudes ?

On assiste depuis deux ans à une accélération des fermetures des maternités, de centres d’appels d’urgence, ainsi que je le constate tous les jours dans ma propre région. Monsieur Antony, la Coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et maternités dispose-t-elle d’un document synthétique qui dresse l’état des lieux ? Je vous rejoins lorsque vous évoquez un moratoire : on ne peut pas, d’un côté, accélérer ces fermetures, et, de l’autre, expliquer que la santé est au cœur de l’aménagement du territoire, ce dont témoignaient les propos sincères et pertinents d’Édouard Philippe. Or il est vrai que nous sommes en phase d’accélération, en même temps que nous développons les soins ambulatoires.

Enfin, je partage votre appel à l’ouverture du numerus clausus. Permettez-moi d’ajouter un point à votre argumentaire déjà très solide : le nombre d’heures pendant lesquelles le médecin est disponible est inférieur de 20 % à ce qu’il était en 1985 — sans parler de ce qu’il était en 1970. Là encore, nous devons prendre en compte cette évolution de la société, sans la critiquer. Quelles que soient nos sensibilités et nos parcours, nous devons constater que les médecins généralistes ne travaillent plus 80 heures par semaine comme ils le faisaient par le passé. C’est un fait acté. Je ne leur jette pas la pierre : pourquoi constitueraient-ils une catégorie à part dans la société ? Ils ont droit eux aussi à s’épanouir hors du travail, dans la vie de famille, par exemple.

Nous vous serions donc reconnaissants de nous apporter des éléments complémentaires à partir de ces quelques pistes. Mes collègues vous interrogeront ensuite et nous nous efforcerons de faire converger vos propositions.

M. Michel Antony. Il va de soi que nous ne remettons pas en cause l’évolution de la société : au contraire, nous applaudissons à la féminisation et aux changements de mode de vie des médecins. Déjà, dans ma jeunesse, certains de mes collègues du monde médical travaillaient à temps partiel parce qu’ils avaient envie de vivre autrement. Nous ne critiquons donc pas ces évolutions.

Permettez-moi de rappeler encore que même si nos propositions paraissent restreindre de manière draconienne la liberté d’installation, nous désirons qu’elles soient mises en œuvre en accord avec les professionnels de santé. Il ne faut pas qu’il y ait d’ambiguïté sur ce point.

Par ailleurs, il est impossible de dresser un état des lieux général. On ne peut le faire que sur certains points : ainsi on connaît le nombre de services d’urgence qui ont été supprimés ; on sait qu’à l’époque des regroupements hospitaliers un millier de petits centres ont été fermés ; le nombre de maternités est passé de 1 500 environ en 1970 à 500 environ aujourd’hui : il a donc été divisé par trois. La Coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et maternités assure le suivi de la situation au jour le jour – c’est une tâche insupportable et déprimante, parce que l’on ajoute chaque jour une fermeture à la liste. Vous avez fait remarquer à juste titre que la situation s’aggrave.

En Bourgogne-Franche-Comté, comme en Bretagne, dans les Ardennes ou dans d’autres régions où la mobilisation est importante, s’exprime un « ras-le-bol » qui touche la totalité de la population, et notamment des élus. Ainsi, vous savez sans doute que le conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté, qui est régulièrement sollicité par nos comités très actifs dans le secteur, a voté à l’unanimité contre le projet régional de santé (PRS). Ses arguments sont très clairs – ce sont les nôtres depuis très longtemps. Nous travaillons avec l’ARS lorsqu’il s’agit de monter un centre local de santé ou d’accueillir des étudiants, mais l’ARS ne répond jamais en rien à notre demande principale, qui concerne l’arrêt des fermetures de service et la « fourniture » des personnels de santé nécessaires.

Une quinzaine de localités sont mobilisées dans notre secteur, où le PRS a donc été rejeté, comme il l’a été récemment par les conseils départementaux du Doubs, de la Haute-Saône, de l’Yonne ou de la Nièvre. Il y a une fronde des élus : 70 élus ont ainsi rendu leur écharpe pour protester contre la fermeture des urgences de nuit à Clamecy ; à Montceau-les-Mines, 60 de vos collègues ont formulé cette même menace ; dans le Jura, 500 personnes ont brûlé leur carte électorale. Il existe une tension véritable, que l’on se doit de prendre en compte à l’Assemblée nationale. Comme le montre l’exemple de Bourgogne-Franche-Comté, on ne peut plus continuer aujourd'hui à gratter un os qui est déjà largement gratté. On ne peut pas supprimer des services continuellement. On ne peut plus dire aux gens que c’est pour leur bien, que la concentration permettra de leur rendre un meilleur service ailleurs, que la télémédecine et les hélicoptères vont les sauver ! Les gens n’y croient plus, ils en rigolent, et les professionnels aussi. On sait très bien que sans la présence humaine et sans le maintien des services nécessaires aux populations, on va vers la catastrophe annoncée. La Coordination souhaite ardemment que l’exemple de Bourgogne-Franche-Comté fasse boule de neige, car on ne peut plus continuer ainsi.

M. Daniel Bideau. Les propos de M. le Premier ministre étaient effectivement tout à fait pertinents, puisqu’il a parlé d’aménagement du territoire. Pour nous, l’aménagement du territoire ne consiste pas en quelques mesures de saupoudrage ou d’augmentation des tarifs, mais en une véritable politique de soins qui refonde le système tarifaire actuel.

En effet, le système actuel repose sur le paiement à l’acte. On sait déjà que, dans les hôpitaux, ce système est catastrophique. Au niveau de la médecine libérale, le problème est exactement le même. Tant qu’on n’aura pas repensé la politique de santé en termes de prévention et de suivi des soins, on ne pourra pas réussir. Je vois bien d’où vient la proposition de revalorisation des grilles : le secteur professionnel et en particulier les syndicats de médecins la mettent en avant, comme vous l’avez fait vous-même, monsieur le rapporteur. Pourtant, je ne crois pas que ce soit la solution. Ainsi, selon moi, le paiement à l’acte doit être revu, aussi bien dans la politique hospitalière que dans la politique libérale.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Si vous voulez supprimer le paiement à l’acte, cela signifie-t-il que vous souhaitez que les médecins deviennent des fonctionnaires, quelle que soit la forme que prend cette fonctionnarisation ?

M. Daniel Bideau. Pas du tout. On peut imaginer d’autres formes de rétribution.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Il s’agit d’un point très important. Permettez-moi d’abord de rappeler que nous ne sommes pas les porte-parole de tel ou tel groupe. On ne peut pas d’un côté déplorer l’augmentation du nombre de médecins conventionnés en secteur 2 et des dépassements d’honoraires, et de l’autre refuser d’examiner la politique tarifaire.

M. Daniel Bideau. Il faut tenir compte du fait que l’augmentation de la part du secteur 2 est le résultat des mesures qui ont été prises. On a ouvert une boîte de Pandore en favorisant l’accès au secteur 2. C’est bien ce qui s’est passé sur le terrain : beaucoup de médecins ont opté pour le secteur 2, qui était la seule mesure qui leur était offerte pour revaloriser leurs actes, au lieu de mettre en œuvre une véritable réflexion sur la politique de santé.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Quelle est votre proposition ?

M. Daniel Bideau. Nous proposons de revoir la politique de santé en mobilisant l’ensemble des professionnels de santé et non seulement les médecins, comme vous l’avez dit. L’aménagement du territoire implique d’indexer la politique de santé sur les besoins des populations et sur les zones géographiques. Nous ne devrions pas connaître ce qui se passe actuellement, les offres que l’on fait aux médecins libéraux afin qu’ils s’installent dans tel ou tel endroit. J’ignorais qu’on allait jusqu’à leur proposer des billets d’opéra, mais je savais que des avantages financiers étaient offerts à des médecins pour qu’ils s’installent.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Vous m’accorderez que, malgré les avantages financiers consentis, les déserts médicaux progressent partout. Le rapport de la Cour des comptes est incendiaire, et montre que l’on a épuisé les charmes du système actuel. Les contrats d’engagement de service public (CESP) constituaient un dispositif assez intelligent ; ils ont été préfigurés par Roselyne Bachelot et mis en place par Marisol Touraine — je cite leurs noms, comme je pourrais citer celui de la ministre actuelle, pour montrer que, toutes sensibilités politiques confondues, on constate que la politique de santé est un échec depuis longtemps dans le pays. Or ces CESP sont très peu nombreux et certains sont remboursés par ceux qui en sont bénéficiaires avant même qu’ils n’exercent pendant le nombre d’années pour lesquelles ils s'étaient engagés.

C’est pourquoi je vous demande d’exposer clairement ce que vous proposez. Il ne suffit pas de mettre en place une politique de prévention en consultant tous les acteurs. Comment faire pour que l’offre de soins soit plus équilibrée et mieux structurée sur l’ensemble du territoire ?

M. Thomas Mesnier. Je vous ai entendu dire qu’il fallait « en finir » avec le paiement à l’acte. Cela signifie-t-il que vous voulez salarier les libéraux ?

M. Mathieu Escot. Il est effectivement nécessaire d’être précis, car le sujet est complexe. Tout d’abord, nous sommes tout à fait conscients que c’est par déficit d’attractivité du secteur 1 que le secteur 2 a autant proliféré. Il faut donc effectivement rétablir l’attractivité du secteur 1, ce qui peut passer aussi par une baisse d’attractivité du secteur 2. C’est pourquoi nous demandons de fermer l’accès au secteur 2, et non de le retirer aux médecins qui sont déjà conventionnés en secteur 2. De même, nous savons qu’il est impossible de supprimer tous les dépassements d’honoraires du jour au lendemain, même si ce serait idéal. Nous sommes réalistes et nous essayons d’avancer de manière structurée et progressive.

Nous ne sommes pas hostiles à la revalorisation des actes conventionnés en secteur 1, étant entendu tout de même qu’il ne faut pas s’intéresser uniquement aux actes pour la rémunération des médecins. Il faut voir qu’a été développé tout un ensemble de rémunérations annexes, telles que la rémunération sur objectifs de santé publique, qui complète de manière non négligeable les revenus des médecins. Il faut donc considérer la rémunération dans son ensemble et non uniquement sur la question des actes.

Nous souhaitons interpeller en disant qu’il faut en finir avec le paiement à l’acte. Cela ne signifie pas qu’il faut y renoncer complètement, mais que la rémunération doit comprendre plusieurs parties, le paiement à l’acte, les objectifs de santé publique, et, pourquoi pas, d’autres éléments de rémunération tels que le forfait ou la capitation, qui ne soient pas liés uniquement au nombre d’actes mais par exemple au nombre de patients qui sont suivis durant l’année, comme cela se fait dans d’autres pays.

M. le président Alexandre Freschi. M. Raymond semble avoir la réponse...

M. Gérard Raymond. Il serait prétentieux de vous apporter des réponses ; en revanche, nous vous présentons des propositions ou des idées à étudier, de manière à travailler ensemble.

Rappelons quel est notre objectif : nous voulons que la population soit en bonne santé, et que les personnes qui sont atteintes de pathologies soient bien soignées. Notre objectif n’est pas que les professionnels de santé « fassent du chiffre ». Il faut revenir aux origines de notre système de santé.

Depuis trop longtemps, on s’est concentré sur une rémunération à l’acte. Je suis d’accord avec vous : les 25 euros que reçoit aujourd'hui le médecin généraliste sont dérisoires ! Un plombier prend beaucoup plus. Cependant, nous devons nous interroger sur la valeur de chaque acte : pour prendre la tension et faire un certificat d’aptitude physique, cette somme est bien suffisante, mais non pour une consultation longue qui nécessite un suivi et une attention particulière. Il faut donc examiner les actes de manière beaucoup plus précise.

Nous sommes d’accord avec ce qu’ont dit nos amis de l’UFC : la rémunération doit reposer sur plusieurs bases. Comme on l’a dit, on constate le vieillissement de la population, l’importance croissante des maladies chroniques, lesquelles nécessitent un accompagnement, un suivi au long cours, qui doit être rétribué autrement que par la rémunération à l’acte. On peut ainsi envisager une rémunération forfaitaire, sur des critères de qualité et d’efficience. Les acteurs doivent se coordonner et chacun doit faire des efforts. L’évaluation doit porter sur ces parcours et sur leurs résultats, et non sur les individus. C’est l’avenir de notre médecine, et c’est aussi celui des médecins et des professionnels de santé. Chacun doit jouer le jeu. Les réformes sont nécessaires, et la rémunération doit reposer sur des critères de qualité, de performance et d’efficience.

Mme Aude Bourden. Je pense moi aussi que la rémunération ne doit pas reposer uniquement sur le paiement à l’acte, mais sur plusieurs bases.

Je souhaite attirer votre attention sur la question du reste à charge. Aujourd’hui, la tarification différenciée entraîne des différences dans le montant du ticket modérateur. Quand on augmente le tarif des consultations, on augmente aussi les avances de frais et le reste à charge. Cela peut également entraîner une augmentation des assurances complémentaires et du forfait hospitalier. Il faut donc se demander ce que la population peut supporter financièrement. En effet, si les patients renoncent aux soins pour des raisons financières, la politique de santé aura échoué.

Monsieur Vigier, vous avez posé une question à propos du conventionnement sélectif qui existe pour d’autres professions de santé que les médecins. Il convient de rappeler que les études de médecine sont particulièrement longues et que les jeunes médecins commencent souvent à construire leur vie à l’endroit où ils font leurs études. Par conséquent, si on ne diversifie pas les lieux de formation et de stage, on ne résoudra pas le problème de la désertification par le conventionnement sélectif.

Enfin, pour répondre à votre question concernant les démarches actuelles, nous ne constatons aucun recul de la désertification médicale ; nous recevons au contraire de nouveaux témoignages qui attestent des difficultés que rencontrent nos adhérents.

Mme Rosine Leverrier, vice-présidente de la Coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et maternités. Je souhaite moi aussi rappeler quel est notre objectif : que la population soit soignée et qu’elle ait accès à ce qui lui permet d’être en bonne santé. Le politique, au sens large du terme, doit s’attacher à garantir ce droit.

Aujourd'hui, les jeunes médecins qui finissent leurs études demandent à travailler un nombre d’heures plus restreint et à être salariés. Dans ce sens, la Coordination propose de développer des centres de santé publics, qui emploient des médecins salariés.

Distinguer les consultations courtes des consultations longues est extrêmement compliqué. Pensez à ce qui passe à l’hôpital avec la tarification à l’activité (T2A) : le système de cotation est tellement complexe que certains médecins consacrent leurs journées à saisir les cotations. Les médecins libéraux ne peuvent pas faire cela ! La seule réponse possible nous semble consister dans l’emploi de médecins salariés dans des centres de santé. Je ne sais pas si le député élu dans la circonscription de La Ferté-Bernard est ici, car je sais qu’il appartient à cette commission : un centre de santé y a été ouvert et fonctionne assez bien.

Il faut également prendre en compte les problèmes de financement : le remboursement à 100 % est la seule solution pour que le droit de chacun soit respecté. Les deux principes fondamentaux sont donc les suivants : la présence des personnels soignants et le remboursement total des frais de santé.

M. Christophe Lejeune. Mesdames et messieurs, vos interventions correspondent à ce que nous en attendions et permettent de faire remonter des informations du terrain. Messieurs les représentants de l’UFC, vous avez affirmé que les aides octroyées aux médecins étaient inefficaces. Vous avez donné deux exemples : les médecins installés depuis un certain temps bénéficient d’une aide plus importante que ceux qui s’installent ; l’option « santé solidarité territoriale » n’a été accordée qu’à 28 médecins. Pensez-vous qu’il faille supprimer les aides ou repenser totalement le système d’aides en le contrôlant ?

Permettez-moi de compléter ce qu’ont dit MM. Antony et Raymond, lorsqu’ils ont évoqué la nécessité d’un système de santé efficient pour que la population soit en bonne santé. Michel Antony et moi sommes issus du même territoire. J’ai rencontré il y a quelques semaines l’association hospitalière de Bourgogne-Franche-Comté, forte de plus de 2 000 collaborateurs, qui traite les maladies psychiques sur un bassin de population de plus de 500 000 personnes. Cette association appelle notre vigilance sur le fait que leur intervention n’est pas homogène sur le territoire : la circonscription du Nord dont nous sommes originaires est la plus touchée, parce que c’est la plus éloignée des lieux de soins. Or cet éloignement entraîne une dégradation de la santé, qui se marque par l'apparition de maladies psychiques et psychiatriques.

Mme Nicole Trisse. J’ai moi aussi écouté avec beaucoup d’attention toutes les informations que vous faites remonter du terrain.

Concernant la question très discutée du numerus clausus, le problème n’est pas tant celui du nombre d’entrants en faculté de médecine que celui des sortants. En outre, comme je l’ai déjà dit au cours d’une autre audition, ceux qui s’installent en libéral constituent une minorité des étudiants sortant de faculté de médecine. Que faire alors ? Il faut examiner ce qui se passe au cours de l’ensemble de la formation.

Je me réjouis que les centres de santé publics fonctionnent chez vous, mais cela suppose que l’on salarie les médecins, et s’ils ne sont pas mis en œuvre alors qu’on en parle depuis tant d’années, sous différentes majorités politiques, c’est peut-être parce que leur coût est trop élevé. Dans ma circonscription, un tel centre existait, dans le bassin houiller, mais il est sur le point de fermer. Il apparaît que sa gestion n’était pas simple et que l’on a dû l’ouvrir à des médecins libéraux parce que les médecins n’étaient pas assez nombreux. Comment rendre alors ces centres efficients ?

Enfin, permettez-moi de revenir à la question du maillage territorial et de l’ARS. Madame Bourden, vous rappeliez que l’accès aux soins est encore plus difficile pour les personnes handicapées. Que pensez-vous de la télémédecine ? Cela peut-il résoudre un certain nombre de problèmes, comme l’affirment les ARS ?

Mme Mireille Robert. Je souhaiterais revenir sur la nomadisation des patients. Madame Bourden, vous avez fait une proposition intéressante à ce sujet, pourriez-vous la développer ? Peut-être les autres intervenants voudront-ils aussi intervenir sur cette question.

M. Mathieu Escot. Nous avons évoqué deux types d’aides : les aides de prise en charge des cotisations par l’assurance maladie et les aides spécifiques à l’installation.

Premièrement, pour nous, les aides doivent être résolument réorientées vers les médecins conventionnés en secteur 1. Ces médecins consentent un effort financier pour permettre un meilleur accès aux soins de la population. Si l’assurance maladie ou l’État réévaluent la rémunération des médecins – c’est au pouvoir public d’en décider –, pour nous, c’est à ces médecins-là qu’il faut donner cet argent, et non pas aux médecins conventionnés en secteur 2.

Deuxièmement, en ce qui concerne les aides spécifiques pour inciter les médecins à exercer dans des zones désertifiées ou sous-dotées, nous avons fait le bilan de deux dispositifs mis en place récemment, au début des années 2010. Les premières aides sont beaucoup plus anciennes, mais aucune n’a freiné le mouvement de désertification.

C’est pourquoi il nous semble qu’il faut avancer vers le conventionnement sélectif. Cependant, ce n’est pas parce que l’on introduit un peu de contrainte qu’il faut supprimer tout élément incitatif. En effet, les aides peuvent avoir une légitimité pour soutenir les médecins qui accepteraient de changer leurs pratiques, de donner de leur temps, voire même de s'installer dans les zones sous-dotées. Nous voulions simplement rappeler que les aides seules ne trouvent pas leur public, qu’elles sont mal conçues puisqu’elles créent des effets d’aubaine, qu’elles ne servent donc pas à grand-chose et gaspillent l’argent public. Cependant, si elles sont ciblées en direction du secteur 1 et des médecins qui acceptent d’aller dans des zones sous-dotées et si elles sont combinées avec des mesures plus fermes de conventionnement sélectif, elles sont légitimes.

M. Daniel Bideau. Il faut aussi mettre en place des procédures efficaces et publiques d’évaluation des mesures, car aujourd'hui, cette évaluation n’est pas transparente.

M. Joseph Maatouk, secrétaire de la Coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et maternités. Il me semble que l’on sépare un peu trop le libéral et le public. C’est prendre le problème à l’envers : comme on l’a rappelé, l’essentiel est de savoir comment les gens sont soignés. Certes, l’efficacité est importante, mais je constate que les mesures d’évaluation ont toujours conduit à la fermeture de services, aussi je les considère avec quelque réserve.

Comme le disait M. Antony, nous proposons de restructurer les soins en s’appuyant à la fois sur l’exercice libéral et sur les services hospitaliers. Les hôpitaux de proximité constituent un soutien pour les médecins libéraux afin qu’ils répondent aux besoins des patients. Je viens d’Ardèche ; or, l’hôpital de notre secteur, à Aubenas, était en difficulté. On ne trouvait pas le moyen d’installer une maison médicale dans le centre-ville, en sus de celle qui existait depuis un certain temps, ce qui posait problème pour le remplacement d’un médecin parti à la retraite. C’est finalement l’hôpital qui a trouvé une solution à ce problème, en s’appuyant sur des structures départementales pour créer un vrai centre de santé. L’hôpital a délégué des médecins salariés pour l’ouvrir, et aujourd'hui, il fonctionne et il est efficace en termes d’accès aux soins.

Il est donc important de trouver les moyens adéquats et d’être inventifs. La télémédecine permet de résoudre des problèmes concrets de lecture d’examen, par exemple, mais je trouve surprenant de tant parler de télémédecine pour une population qui vieillit et qui peine à utiliser ces nouvelles technologies. En effet, il faut prendre en considération le fait que la télémédecine ne s’adresse pas à tout le monde. M. Raymond a évoqué l’accroissement du nombre de personnes qui souffrent de maladies chroniques ; or celles-ci touchent souvent les personnes âgées, aussi il faut faire attention à ce que des problèmes techniques ne leur rendent pas plus difficile l’accès à des soins.

Mme Aziza Féreuse, chargée de mission à l’Union nationale des associations agréées d’usagers du système de santé France Assos Santé. Il est vrai qu’il est nécessaire de proposer des solutions concrètes, néanmoins il n’existe pas de solution unique. Ainsi, nous sommes tout à fait favorables aux centres de santé, mais ils ne peuvent constituer l’unique solution.

Nous devons donc réfléchir aussi à des solutions en ce qui concerne la médecine libérale, en tentant compte de l’évolution des jeunes médecins, qui sont de moins en moins nombreux à s’orienter vers celle-ci à la fin de leurs études. Il faut par exemple développer des passerelles entre différents cursus universitaires, adapter les stages et aider à l’installation des médecins qui exercent de manière libérale, de différentes manières et non pas seulement d’un point de vue financier.

L’évaluation des aides financières paraît effectivement indispensable, afin d’établir quelles sont celles qui peuvent avoir un impact dans la lutte contre la désertification médicale. Il faudra peut-être les cibler davantage afin de soutenir les médecins qui font l’effort d’être conventionnés en secteur 1, ou proposer des aides à effet immédiat, comme celles qui permettent de financer un secrétariat médical partagé, ou encore favoriser financièrement la coordination entre les médecins libéraux. Comme nous l’avons dit, la rémunération à l’acte a ses limites, cependant cela ne signifie pas qu’il faut la supprimer totalement. Toutefois, des indicateurs de qualité doivent être créés, notamment des indicateurs de la satisfaction des patients, qui évaluent la pertinence et la qualité des soins — tels sont les chantiers actuels. Il me semble qu’il faudra en tenir compte dans la rémunération, même dans celle des médecins libéraux. Cela permettra de valoriser la rémunération des médecins sur des objectifs pondérés éventuellement en prenant en considération les caractéristiques de la population. Il faudra ainsi prendre en compte les besoins spécifiques que rencontrent les populations dans certains territoires.

Ensuite, la télémédecine est un outil indispensable. Encore faut-il que cet outil soit adapté à tous, en particulier aux personnes en situation de handicap – il faut y penser dès le départ.

Enfin, il faudra aussi favoriser, malgré tout, le maintien à domicile. Il convient donc d’en tenir compte dans la formation des professionnels de santé, notamment dans celles des infirmiers et des auxiliaires de vie, qui sont en lien constant avec les personnes en situation de handicap. Il faut augmenter leurs compétences et réorganiser l’ensemble des soins de premier recours.

Mme Aude Bourden. La question de la mobilité se pose à plusieurs niveaux. Tout d’abord, pour que les personnes se rendent chez les médecins, des transports accessibles sont nécessaires. C’est pourquoi je disais que la question des déserts médicaux impose de réfléchir à l’aménagement du territoire.

La pénurie de transports sanitaires adaptés constitue également une difficulté. En particulier, les véhicules sanitaires actuels ne permettent pas d’emporter un fauteuil roulant électrique, ce qui implique que les personnes handicapées restent sur un brancard toute la journée lorsqu’elles se rendent par exemple en hospitalisation de jour. Nous demandons donc que les flottes de transports sanitaires comportent obligatoirement des transports pour personnes à mobilité réduite (TPMR), ou qu’il soit possible de passer une convention avec des prestataires de transports adaptés pour qu’ils puissent assurer le transport sanitaire.

Enfin, ces transports sanitaires ne sont pas remboursés pour tous les soins. Ils sont remboursés pour les personnes qui souffrent d’une affection de longue durée (ALD), mais pas pour faire des soins bucco-dentaires ou une mammographie.

Il me semble en effet que la question de la nomadisation recouvre notamment les difficultés que peuvent rencontrer les patients pour se déplacer.

Mme Mireille Robert. Permettez-moi de m’expliquer davantage : par nomadisation, j’entends la situation des personnes qui ne trouvent pas de médecins traitants et qui vont d’un médecin à l’autre. Vous aviez une proposition impliquant à l’ARS à ce sujet.

Mme Aude Bourden. Effectivement, dans le secteur du handicap, nous rencontrons cette difficulté, laquelle existe aussi pour la population dans son ensemble. En effet, certaines personnes ne sont pas accueillies dans des établissements ou des services médico-sociaux, de sorte qu’elles restent à domicile sans que personne ne s’occupe d’elles. Pour remédier à cette situation, nous avons décidé de sortir de nos logiques individuelles, selon lesquelles chacun prend en compte le budget et plus généralement la situation de son établissement, pour trouver une solution collective.

Nous avons ainsi mis en œuvre la mission « Une réponse accompagnée pour tous », dont vous avez peut-être entendu parler, ainsi que des plans d’accompagnement globaux. Peut-être pourrions-nous mettre en place une solution de ce type pour les personnes qui peinent à trouver un médecin : réunir autour d’une table l’ensemble des acteurs concernés, comme par exemple les représentants du Conseil de l’Ordre, des centres de santé, les caisses primaires d'assurance maladie (CPAM), afin de trouver une solution concrète pour chacun. Aujourd'hui, ce sont les patients qui sont responsables de trouver un médecin. Il faut inverser la logique et considérer que c’est à l’autorité qui régule l’offre de soins sur un territoire que revient cette responsabilité.

Je réfléchis ici par analogie avec ce qui se fait pour le handicap dans le secteur médico-social et je suis sûre que l’on peut trouver des solutions. Ainsi, pour la personne dont je vous parlais tout à l’heure, qui, après avoir contacté 20 médecins, n’avait trouvé aucun médecin traitant, nous avons finalement trouvé une solution. Comment ? Au niveau local, notre association l’a accompagnée ; au niveau national, j’ai pu saisir le Conseil national de l'Ordre des médecins et la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) ; nous avons trouvé une solution ensemble. Il faut vraiment sortir des logiques individuelles pour promouvoir une responsabilité collective.

Enfin, la télémédecine peut permettre d’améliorer la qualité des parcours de soins. En revanche, cela ne peut pas être une solution globale au problème des déserts médicaux car il y a toujours besoin de consultations, et plus généralement de présence. En outre, il est important de poser le cadre éthique de l’utilisation de la télémédecine, en sus des cadres technique et financier. Il faut rendre la télémédecine accessible à tous et qu’elle intègre les pratiques avancées des professionnels de santé. Ainsi, les établissements et services médico-sociaux sont de plus en plus nombreux à faire usage de la télémédecine. Par exemple, en Occitanie, une infirmière passe une caméra dans la bouche des résidents d’un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) et d’un établissement qui accueille des personnes polyhandicapées, ce qui permet de conduire une action de prévention. L’analyse des images a lieu au cabinet, et lorsqu’on constate une carie, on prend rendez-vous. Ainsi, on n’attend pas que la personne souffre parce qu’elle a des caries qui nécessitent des soins bucco-dentaires sous anesthésie générale à l'hôpital. La télémédecine ne se substitue donc pas à la relation humaine, qui est nécessaire et elle doit être accessible à tous.

M. le président Alexandre Freschi. Je dois vous prier les uns et les autres d’être un peu plus concis dans vos réponses, sinon nous ne pourrons pas poser toutes les questions.

M. Michel Antony. Je souhaite apporter deux brefs éclaircissements. Tout d’abord, depuis quarante ans que j’anime un comité de défense des hôpitaux, je ne puis que constater que l’augmentation des déserts médicaux est évidente. Des analyses plus fines doivent être menées sur le territoire, car de nombreux documents, tels que des cartes, sont largement erronés. Par exemple, je suis intervenu à Châtillon-sur-Seine, en Côte-d’Or, qui est considéré comme l’un des départements les mieux dotés de la région ; mais en fait, hors du pourtour dijonnais, c’est le désert ! Il y a même des déserts médicaux au cœur de Paris ! Il faut y faire attention pour attribuer correctement les aides.

Ensuite, les statistiques sur le renoncement aux soins publiées par le Secours populaire français, l’Union confédérale CFDT des retraités ou divers organismes, montrent que 20 % à 30 % des gens n’achètent plus de prothèses, consultent moins ou même ne consultent plus du tout. On met souvent en avant le problème financier, qui est effectivement le motif principal de renoncement aux soins. Cependant, les analyses montrent que le problème de l’éloignement est de plus en plus souvent mentionné. En effet, la mobilité est difficile dans de nombreuses régions, lorsqu’il n’y a plus de transports publics et que des services hospitaliers ont été fermés. Dans notre secteur, par exemple, on prête des scooters aux jeunes pour qu’ils aillent en formation. Certaines régions cumulent donc les handicaps. Voici quelle est la vie de nombre de nos concitoyens aujourd'hui.

Il faudrait également analyser précisément ce que coûtent les regroupements hospitaliers et les restructurations opérées depuis une vingtaine d’années en termes de déplacement. Les chiffres de prise en charge des déplacements médicaux ont explosé partout ; il y a parfois eu des abus – je me souviens qu’André Grimaldi disait qu’un de ses patients venait en taxi depuis Orléans à sa consultation à Paris. On exclut généralement ces coûts lorsqu’on analyse les dépenses de santé, alors que les transports constituent une part importante du reste à charge.

En ce qui concerne le numerus clausus, vous avez rappelé, madame Trisse, que c’est en aval et non en amont que se pose le problème. Mais si on a restreint l’entrée à la faculté, on aura d’autant plus de problèmes en aval. En outre, ouvrir le numerus clausus n’exclut pas de repenser les stages.

Les aides actuelles ont montré leur inefficacité, comme tout le monde le dit. L’Ordre des médecins lui-même l’a affirmé sur son site, en expliquant que les « mesurettes » prises depuis dix ans ne portent pas leurs fruits et qu’elles doivent être attribuées de manière plus ciblée ; mais ils ont dû retirer ces déclarations sous la pression de leur base. Nous souhaiterions que les aides publiques permettent par exemple d’assister les médecins dans leur travail administratif, sans quoi celui-ci est financé par les associations ou les collectivités municipales.

Mme Jacqueline Dubois. Votre proposition de changer de paradigme afin de passer d’une logique individuelle à une responsabilité collective me paraît vraiment intéressante. Lors de l’audition précédente, nous avons évoqué avec des infirmiers, des pédicures et des kinésithérapeutes la question des pratiques professionnelles avancées et les difficultés que nous rencontrons en France pour imaginer des professions médicales à compétences définies. J’aimerais avoir votre avis sur ce point. De telles pratiques peuvent-elles permettre de faire correspondre l’offre de soins aux besoins dans les déserts médicaux ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo. Je connais bien le dispositif « Une réponse accompagnée pour tous », pour l’avoir mis en place en Seine-Maritime dès sa création. Dans ce cadre, les partenaires qui sont autour de la table ont effectivement une obligation d’accueillir dans une structure un adulte ou un enfant pour lequel on n’a pas trouvé de solution jusqu’alors.

J’aimerais que vous précisiez votre proposition. Voulez-vous dupliquer ce système pour les personnes qui ne trouvent pas de médecin traitant ? Proposez-vous par conséquent d’exercer une incitation forte à accepter un patient ? Cela risque encore de remettre en cause la médecine libérale.

M. Thomas Mesnier. Nous avons beaucoup parlé d’augmenter le numerus clausus ; je comprends cette proposition, à condition que l’on pose le problème de la capacité de formation. En effet, l’augmentation du numerus clausus ces dernières années a entraîné des problèmes en termes de qualité de formation. En outre, une augmentation du numerus clausus ne produit ses effets que dix à douze ans plus tard. Quelles sont vos propositions à plus court terme ? Cet enjeu est essentiel.

M. Gérard Raymond. Je commencerai par ce qui peut sembler être le plus facile : je répondrai à votre question sur les professionnels de santé autres que les médecins. Nous souhaitons bien sûr qu’ils aient davantage de compétences, à condition que ce soit dans le cadre d’un projet médical librement consenti et réfléchi avec l’ensemble des acteurs. Ainsi, les soins aux malades atteints de pathologies chroniques requièrent différents professionnels. La pratique avancée en soins infirmiers répond en partie à cette attente, mais elle doit être renforcée par une vraie coordination des soins. Par exemple, un podologue dont certains patients sont diabétiques doit avoir une connaissance de leur état de santé ; le pharmacien, qui est un expert du médicament, doit être capable d’accompagner les patients pour établir la posologie indiquée, de leur expliquer le traitement, et les infirmiers ou les kinésithérapeutes doivent eux aussi développer d’autres compétences. Pour ce type de pathologies, des professionnels paramédicaux tels que diététicienne ou coach sportif peuvent également être amenés à intervenir.

La médecine d’hier est révolue. Nous devons travailler de manière collective, mettre en œuvre des programmes qui répondent aux attentes et aux besoins d’une population dans un territoire donné. Il faudra évaluer les programmes locaux construits avec les patients eux-mêmes et faire évoluer le statut des professionnels de manière pragmatique. Une décision venue d’en haut, contenue dans des textes réglementaires, ne marchera pas. Donnons l’initiative à l’intelligence collective qui est volontaire et créative.

M. le président Alexandre Freschi. Des expérimentations sont possibles dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).

M. Gérard Raymond. Il faut en effet que des expérimentations soient possibles sans passer par un texte de loi. L’article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 permet de créer une dynamique territoriale. Les expérimentations de télémédecine pour l’amélioration des parcours en santé (ETAPES) permettent de suivre les pathologies avec d'autres acteurs que les professionnels de santé, tels que les prestataires de santé qui peuvent proposer un suivi. Il faut cependant encadrer ces pratiques, en établissant un cahier des charges bien précis et en les évaluant.

M. Daniel Bideau. Pour ma part, je pense que la télémédecine est un remarquable outil, mais qu’elle doit rester un appoint pour les professions médicales ou paramédicales. Ensuite, il faut se méfier des nombreuses applications qui voient le jour dans le domaine médical : on doit s’assurer qu’elles soient techniquement fiables et qu’elles rendent le service pour lequel on paye, car ces services ont toujours un coût.

Comme vous l’avez dit, la formation des médecins évolue, notamment avec les stages de médecine générale, ce qui est très positif. Cependant, nous devons chercher à comprendre pourquoi il y a une crise de la médecine libérale à l’issue de cette formation. Il y a quelque chose qui cloche en termes d’attractivité de la profession médicale. Il est donc nécessaire de trouver d’autres débouchés à cette formation et d’organiser différemment l’équipe médicale, paramédicale et sociale. En effet, l’équipe sociale, qu’on oublie souvent, est un complément indispensable, parce que c’est celle qui va permettre à des personnes en situation de précarité d’accéder à la médecine ou à la paramédecine.

Enfin, n’oublions pas le dossier médical partagé (DMP), dont j’aurais préféré qu’il soit nommé « dossier médical du patient ». Nous aimerions savoir où en est sa mise en œuvre, qui devrait peut-être être accélérée, car nous pensons que le DMP peut améliorer la coordination des professionnels médicaux et paramédicaux.

Mme Aude Bourden. Je souhaite préciser que l’obligation en ce qui concerne les établissements et services médico-sociaux (ESMS) est toute relative, car les décisions sont prises sous réserve que des places soient disponibles dans l’établissement concerné et qu’un financement soit possible. C’est précisément parce qu’existe une possibilité de refuser que certaines personnes se trouvent sans solution.

Je pense qu’il faut réfléchir à partir du dispositif « Une réponse accompagnée pour tous », sans nécessairement aller jusqu’à l’obligation. On peut trouver une solution si les différentes parties se réunissent autour d’une table en exposant leurs conditions. Par exemple, un médecin pourrait accepter de prendre en charge un patient à condition que celui-ci soit suivi aussi par un kinésithérapeute ou une infirmière avec laquelle il précise quelle surveillance est nécessaire. En effet, si une telle coordination est mise en place, le suivi demande sans doute moins de temps au médecin. Il faut donc chercher ensemble une solution commune, mais non obliger un médecin à prendre en charge un patient.

M. Mathieu Escot. Pour pouvoir utiliser la télémédecine, il faut une connexion internet de qualité, voire de très haut débit. Or si vous observez quelles sont les zones sous-dotées sur le plan médical et celles où l’accès internet est mauvais, vous remarquerez une concordance inquiétante. Nous avons publié une étude sur ce sujet à la fin de l’année 2017 : près de la moitié de la population n’a pas accès au très haut débit et 5 millions de consommateurs, soit 11 % de la population, n’a pas accès au haut débit. Le plan « France très haut débit » et le plan « fibre » sont en retard. Cette situation empêche aujourd'hui d’avoir recours à la télémédecine.

Mme Nicole Trisse. Vous savez que l’amélioration de la couverture en très haut débit est prévue. En 2020, il devrait être possible de se connecter partout sur le territoire français.

M. Mathieu Escot. Mais le plan est en retard.

Mme Rosine Leverrier. Je souhaite répondre à M. Mesnier en ce qui concerne la difficulté à attirer les médecins à l’issue de leurs études. C’est peut-être assez difficile à entendre, mais on sera obligé de passer par une obligation de service de quelques années dans les zones sous-dotées. Le choix est simple : soit on laisse des populations entières sans accès au système de soins, soit on oblige les médecins à un service de trois ans à l’issue de leurs études. Cela ne signifie pas qu’on leur dit de se débrouiller seuls. Il faut au contraire que le secrétariat soit prévu – les médecins demandent en effet à être libérés de ces tâches-là – et que des réunions de concertation avec les collègues soient organisées. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous insistons sur les centres de santé, qui fourniraient ces services et qui peuvent être mis en place par les professionnels, les élus et l’ensemble de la population.

M. Michel Antony. Monsieur Mesnier, vous avez soulevé la question très difficile de la période précédant les effets de l’ouverture du numerus clausus. Actuellement, il faut faire feu de tout bois ! Ainsi, nous devons utiliser la télémédecine, sans en faire un outil de remplacement du médecin absent. En effet, vous savez bien que, malheureusement, ces propositions innovantes ont aussi pour but de pallier la pénurie de professionnels. Puis, à chaque fois que l’on constate cette pénurie, on explique que cette situation met en danger les patients et on en tire argument pour fermer un service. C’est donc un cercle vicieux.

Dans cette phase intermédiaire, on peut notamment multiplier les protocoles de déplacement des professionnels dans des territoires en difficulté. Pourquoi regroupe-t-on toujours dans des grands centres ? Telle est la politique que l’on mène depuis trente ans. Les groupements hospitaliers de territoire (GHT) vont encore aggraver cette tendance, car ils vont transformer les petits centres hospitaliers en annexes où l’on puisera la main-d’œuvre nécessaire au fonctionnement des grands centres. Ce n’est pas acceptable en termes d’aménagement du territoire et de solidarité nationale. En revanche, il est possible de signer des conventions pour maintenir des services ouverts pendant deux ou trois jours chaque semaine, y compris en chirurgie. Ainsi, on a réussi à maintenir certains services en Bretagne ou à Saint-Affrique, en liaison étroite avec les CHU, qui acceptent dans certains cas de libérer pour un jour ou deux un professionnel. Or maintenir un service, c’est également maintenir tout ce qui va autour, à commencer par les autres services. Voici donc une solution intermédiaire.

Cependant, elle ne résoudra pas le débat de fond, qui porte sur un monde libéral qui n’a pas réussi à s’autoréguler et qui le fait de moins en moins. Nous devons dresser un constat d’échec – je ne le dis pas par plaisir, mais parce que c’est une réalité. Les jeunes n’en veulent plus. Si on n’institue pas une obligation sur une courte période, comme pour les fonctionnaires de l’Éducation nationale ou de la police, ou pour les cheminots, on laissera de plus en plus de territoires en déshérence. Le processus actuel est absolument désastreux : la qualité des soins dans les régions diminue, tandis que les centres sont surchargés et ne peuvent plus faire accueillir les 21 millions de personnes qui se présentent aux urgences chaque année. Vous savez bien que quand on ferme des urgences dans des hôpitaux de proximité, cela aggrave les problèmes des grands centres.

M. le président Alexandre Freschi. La discussion de ce matin n’est pas un débat politique. Nous devons nous concentrer sur la dimension collégiale de notre travail.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Je tiens à vous remercier une fois de plus d’être venus nous rencontrer. Il me semble que vous avez eu le temps de vous exprimer ; je ne voudrais surtout pas que certains d’entre vous se sentent frustrés, aussi n’hésitez pas à apporter des éléments complémentaires, à condition de les exposer de la manière la plus succincte possible.

De nombreux points sont communs aux différentes interventions. Il faut prendre des mesures d’urgence, des mesures à moyen terme et des mesures à long terme. Thomas Mesnier a raison de rappeler qu’ouvrir le numerus clausus ne résoudra pas le problème à court terme. Nous devons avoir une vision globale, contrairement à celles qu’ont eues nos prédécesseurs depuis si longtemps.

Sans entrer dans un débat politique, monsieur Antony, vous accorderez que les pays où la santé est uniquement dans les mains de l’État sont souvent dans une situation catastrophique.

Nous avons un combat en partage : la défense de la maternité de l’hôpital de Châteaudun qui sera fermée ce soir. Si l’on avait dû faire confiance aux GHT, on n'en serait pas là. Les GHT sont organisés par les ARS et par des directeurs d’hôpitaux qui sont des fonctionnaires. Nous constatons que cela ne fonctionne pas.

Comme plusieurs d’entre vous l’ont dit, il faudra que public et privé travaillent ensemble, sachant que, dans le cas de la santé, le privé est une délégation de service public, comme en atteste le remboursement par la sécurité sociale. Ce n’est pas n’importe quoi ! Étant biologiste, j’appartiens à la seule profession de santé qui soit accréditée. Monsieur Antony, je vous invite à venir passer une journée dans un laboratoire accrédité et je suis sûr que vous repartirez avec une vision différente. Ce sera une surcharge administrative insupportable qui va décourager plus encore les jeunes médecins. Pourtant, je n’affirme pas qu’il ne faut pas le faire, mais il faut prendre la mesure des difficultés.

Ensuite, nous avons besoin de vous, notamment de l’UFC, pour interpeller les patients à propos de la surconsommation médicale, en particulier en ce qui concerne les antibiothérapies ou l’usage d’Internet qui conduit les patients à dire à leur médecin : « J’ai vu qu’il fallait faire une IRM, sinon on ne peut pas établir le diagnostic. » On ne dit pas au plombier comment il doit procéder quand on n’est pas du métier. Je me permets une certaine liberté de ton pour rappeler cette responsabilité collective…

Monsieur Antony, je suis attaché à cette notion d’efficience, de qualité de soins. L’accès aux soins pour tous est inscrit dans le Préambule de la Constitution de 1946 ; c’est l’un des ciments de notre démocratie.

Il me semble que nous sommes tous d’accord à propos de la télémédecine. Tout d’abord, un dispositif technique qui assure non pas 30 mégaoctets, mais au moins un gigabit pour tous les habitants est nécessaire. Il est vrai que nous sommes en retard – en le reconnaissant, je n’instruis pas un procès à ce gouvernement. Pour l’avoir vécu au quotidien depuis des années, je sais que tant qu’on n’atteint pas ce niveau d’un gigaoctet, on n’a pas une bonne résolution d’image, ce qui pose évidemment problème pour l’analyse des examens. En outre, il est nécessaire que les actes de télémédecine soient nomenclaturés, ce qui implique qu’on ne pourra pas tout faire. De nombreuses questions restent posées : où installer le centre de télémédecine ? Dans une pharmacie, dans une mairie ? Qui paye ? Qui fait l’acte ? Comment est-il rémunéré ? Avec quelle nomenclature ? Les images de radiologie sont interprétées actuellement par des médecins à Lyon ou à Bordeaux pour 11,83 euros. Je vous laisse imaginer qu’ils regardent cela avec la plus grande des précisions.

On nous avait dit que le tiers payant généralisé serait l’alpha et l’oméga, mais il n’est pratiqué que pour 20 % des actes, sauf en ce qui concerne les affections de longue durée – ce sont les chiffres de l’assurance maladie elle-même. Ainsi, la panacée n’existe pas, contrairement à ce que l’on peut croire.

Je voudrais vous demander de nous adresser un petit exercice complémentaire à propos des solutions à court terme. Nous sommes tous d’accord sur le fait qu’il n’existe pas une mesure miracle. Mes collègues et moi sommes très désireux de nous faire les interprètes de vos propositions sur le court terme pour aider les pouvoirs publics et en particulier la ministre de la santé à trouver comment enrayer la désertification. Nous vous serions donc reconnaissants de nous indiquer dans un document concis quatre ou cinq mesures qui vous semblent particulièrement efficaces. Nous essaierons de voir comment les articuler avec d’autres dispositions auxquelles nous aurons pensé en dialoguant avec nos différents interlocuteurs. Je crois que nous n’échapperons pas, à court terme, à une sorte de plan Marshall de la santé.

Par ailleurs, nous travaillons à la réorganisation des études. Avec Thomas Mesnier à qui a été confiée une mission importante sur l’accès aux soins, nous avons rencontré un président de la conférence des doyens extrêmement ouvert, ce qui n'était pas une caractéristique de ses prédécesseurs. Le président du Conseil national de l'Ordre a tenu récemment des propos extrêmement courageux et forts dans une double page du Journal du dimanche. Alexandre Freschi et moi-même avons demandé à le revoir. Il nous avait envoyé ses collègues membres du Bureau, mais nous n’avions pas été totalement convaincus — pour m’exprimer selon les usages parlementaires — par leur contribution.

Nous sommes entièrement d’accord pour affirmer que l’aménagement du territoire et l'accès aux soins sont intimement liés. Sachez donc que nous irons au bout de l’exercice. Nous avons besoin de vous, du travail de sensibilisation que vous faites auprès des populations. Continuez ce travail, mesdames et messieurs. Il ne faut pas laisser s’accroître la rupture dans notre pays ; on l’observe dans de nombreux domaines, mais elle est plus intolérable encore dans le domaine de la santé.

M. le président Alexandre Freschi. Il me semble que c’est une bonne conclusion. Mesdames et messieurs, nous vous remercions et nous restons ouverts à vos propositions.

 


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Audition commune des syndicats d’infirmiers

Présidence de M. Alexandre Freschi, Président de la commission denquête

La commission d’enquête procède à l’audition commune des syndicats d’infirmiers : M. Daniel Guillerm, vice-président de la Fédération nationale des infirmiers (FNI), Mme Ghislaine Sicre, présidente de Convergence infirmière (CI), Mme Catherine Kirnidis, présidente du Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (SNIIL), Mme Élisabeth Maylié, présidente de l’Organisation nationale des syndicats d’infirmiers libéraux (ONSIL), et Mme Françoise Pacchioli, présidente ONSIL Rhône-Alpes.

M. le président Alexandre Freschi. Mes chers collègues, nous débutons aujourd’hui nos travaux par l’audition commune des représentants de syndicats d’infirmiers, auxquels je souhaite la bienvenue.

Mesdames et monsieur, je vous rappelle que l’article 16 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relatif au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Je vous invite à lever la main droite et à dire « Je le jure ».

M. Daniel Guillerm, Mme Ghislaine Sicre, Mme Catherine Kirnidis, Mme Élisabeth Maylié et Mme Françoise Pacchioli prêtent successivement serment.

M. Daniel Guillerm, vice-président de la Fédération nationale des infirmiers (FNI). La problématique des déserts médicaux revient de façon récurrente, y compris dans les médias. Nous avons quelques idées à vous soumettre. La FNI n’a pas produit de contribution écrite, mais vous en fera parvenir une à l’issue de cette audition.

Aujourd’hui, en tout cas en France, il n’y a jamais eu autant de médecins. Les numerus clausus ont augmenté, et l’effet s’en fera sentir dans les années qui viennent. Pour ce qui nous concerne en tout cas, le phénomène des déserts médicaux ne tient pas au nombre des médecins, mais à leur répartition.

Les infirmières libérales l’avaient anticipé en s’organisant, et en signant, par le biais de leur convention, un avenant de régulation démographique. Certes, des oppositions se sont exprimées contre l’application de ces mesures au niveau de la médecine générale. Maintenant, y a-t-il d’autres solutions ? À notre sens, il peut y en avoir, par exemple en élargissant le champ de compétences des infirmières.

Vous allez sans doute nous parler des métiers intermédiaires, notamment des infirmières de pratiques avancées (IPA). Il se trouve que le projet de décret concernant les IPA n’a pas été validé la semaine dernière par le Haut conseil des professions paramédicales (HCPP). Le décret paraîtra peut-être et en l’état, mais à notre sens, il ne résoudra absolument rien au problème qui se dessine. Mais j’aurais l’occasion d’y revenir.

Une des solutions consisterait peut-être à modifier les conditions de passage en deuxième année de médecine. Il faut réfléchir au profil de recrutement. Aujourd’hui, les étudiants en médecine sont recrutés sur des critères quasi uniquement scientifiques. Or la médecine générale requiert d’autres compétences, notamment en sciences humaines et en sciences sociales. Cela susciterait peut-être des vocations et de nouvelles installations de médecins dans des territoires ruraux, qui sont aujourd’hui désertés.

Par ailleurs, ne faudrait-il pas commencer à réfléchir à la possibilité de faire accéder, par validation des acquis de l’expérience (VAE) et sous certaines conditions, des professionnels de santé au statut de médecin généraliste ? C’est une question qui se pose dans certains secteurs, une forme de compagnonnage pourrait remédier, dans des champs de compétences précis, aux problèmes posés par les déserts médicaux.

Mme Ghislaine Sicre, présidente du syndicat Convergence infirmière. Pour Convergence infirmière, le nombre de médecins formés n’est pas vraiment la cause de la pénurie. Quand on est sur le terrain, on remarque que certains médecins ferment leur cabinet à dix-sept heures, que souvent ils ne travaillent plus le mercredi après-midi, et qu’ils arrêtent le vendredi soir à seize heures, ce qui pose tout de même problème. Et je ne parle pas de déserts où il n’y a plus du tout de médecins, mais d’endroits où il y en a…

Je peux vous parler d’un cas qui s’est produit pendant les vacances de Noël, période difficile où il n’y a pas de médecins, sauf des remplaçants, qui ne répondaient pas au téléphone. Car voilà ce qui se passe dans un désert médical : personne ne répond et les patients se rendent aux urgences, alors que cela ne devrait pas se faire.

S’agissant des infirmières, le maillage territorial est relativement équilibré. Il n’y a pas de zone désertique. Même si les infirmières sont surchargées dans certains territoires, elles assurent les soins et, surtout, la continuité des soins, 24 heures sur 24, sept jours sur sept, et 365 jours sur 365. Elles prennent en charge 1,5 million de personnes par jour, ce qui n’est pas rien !

Elles sont les seules, parmi les professionnels de santé, à assurer la continuité des soins auprès des patients puisqu’elles se déplacent, dans 80 et 90 % des cas, à domicile, ce que les médecins ne font quasiment plus aujourd’hui. Il faudrait regarder les chiffres ; j’ai vu passer ceux de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) lorsque j’ai préparé notre contribution, mais je n’ai pas fouillé la question par manque de temps.

Les infirmières sont capables de s’organiser pour prendre en charge les patients tout au long de ce cursus. Dès lors qu’elles peuvent être en lien avec un médecin, au moins par le biais de la télémédecine ou d’un outil digital, il leur est aisé de répondre aux besoins des patients dans les déserts médicaux, ou dans les endroits où les médecins ne répondent pas. À mon avis, il ne faut pas se focaliser sur le seul désert médical.

Les infirmières sont le véritable pivot entre le sanitaire et le social et elles peuvent apporter une réponse au discours social.

Pour des soins non programmés, elles peuvent répondre à l’appel d’un patient, à condition d’entrer en communication avec un médecin se trouvant à un autre endroit. Mais pour cela, il faut une bonne couverture réseau, ce qui n’est pas le cas partout en France. Même à côté de Montpellier où j’habite, on rencontre des difficultés.

Les infirmières pourraient assurer une pré-consultation, coordonnée via un outil digital, tel LEO – pour lien, échange, organisation – qui sera opérationnel en septembre. Par ce biais, on peut organiser une visioconférence sécurisée à domicile. Le médecin, à l’autre bout de la chaîne, est à même de voir le patient et de discuter avec lui.

Il existe aujourd’hui des objets connectés. Grâce à eux, on peut remonter au médecin un électrocardiogramme ou tout élément dont il a besoin. On peut assurer la surveillance clinique du patient : description des symptômes, de l’environnement – ce que connaît rarement le médecin s’il ne se déplace pas à domicile – et différents paramètres. On peut faire des photos, qui sont également sécurisées, surveiller l’index de pression systolique (IPS), évaluer la douleur, etc. et transmettre ces données.

On peut effectuer un bilan sanguin par le biais du laboratoire, et via une messagerie sécurisée, l’envoyer au médecin, même s’il est loin. Celui-ci peut envoyer une ordonnance virtuelle, toujours par messagerie sécurisée, à l’infirmière, au laboratoire et au pharmacien, qui peut livrer des médicaments au patient, même s’il est éloigné de ce médecin.

Nous avons imaginé d’organiser une équipe d’infirmières libérales pour assurer les astreintes, avec un paiement par l’Agence régionale de santé (ARS) pour répondre aux besoins. Ces infirmières disposeraient d’une mallette d’urgence, seraient formées aux gestes d’urgence et interviendraient, si nécessaire, en appui des pompiers, par exemple dans le cadre de l’urgence, notamment dans les déserts médicaux. Dans des villes où il y a des médecins, en principe tout est organisé – services d’urgence, pompiers, etc.

Pour assurer le suivi des patients, les infirmières pourraient mettre leur cabinet à disposition : elles l’utilisent peu puisqu’elles effectuent 80 à 90 % de leur activité au domicile des patients. Autant optimiser les dépenses.

Elles pourraient également faire une consultation physique une fois par semaine, pour assurer, notamment, le suivi des pathologies chroniques ; elles seraient assistées, par exemple en visioconférence, par exemple par une infirmière de pratique avancée (IPA), qui jouirait de beaucoup plus d’autonomie qu’il n’est prévu dans le texte actuel, d’où le rejet du projet de décret.

La mairie pourrait aussi proposer un lieu de visioconférence pour permettre au médecin d’effectuer une consultation à distance avec l’infirmière libérale qui serait d’astreinte ; il y aurait une salle d’attente et les patients devraient prendre rendez-vous.

On pourrait également organiser une consultation avec un médecin, qui se déplacerait une fois par semaine, soit dans cette salle de mairie, soit dans le cabinet de l’infirmier. C’est tout à fait faisable.

Enfin, je reviendrai sur les IPA : ces infirmières, dans le cadre de prise en charge organisée ou de mise en place des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), pourraient renouveler des ordonnances chez les patients atteints de pathologie chronique stabilisée – comme il est écrit dans le texte – et prescrire des examens complémentaires.

Mme Catherine Kirnidis, présidente du syndicat national des infirmières et des infirmiers libéraux (SNIIL). La désertification médicale est en effet une préoccupation, s’agissant notamment des médecins. Mais il ne faut pas oublier qu’en fonction de ce que l’on va décider, le même phénomène peut se produire avec les autres professionnels de santé. Répondre à la désertification par l’augmentation du nombre de professionnels, par exemple en augmentant le numerus clausus, n’est pas forcément la seule solution.

Pour le SNIIL, c’est l’organisation qu’il faut améliorer. Nous devons chercher comment, entre eux, les professionnels de santé peuvent y contribuer. Car cela passera aussi par la coopération pluri-professionnelle – on a vu ce que cela pouvait donner avec les maisons de santé pluridisciplinaires (MSP) : ce n’est pas forcément la seule réponse, mais on voit bien que lorsque tous les professionnels de santé s’organisent et se coordonnent, l’accès aux soins de l’ensemble de la population s’en trouve facilité.

Mme Sicre a indiqué que 90 % de l’activité des infirmières se faisaient à domicile. Mais la difficulté de l’accès aux soins, c’est aussi celle que rencontrent certains professionnels à accéder à leurs patients, dans les centres hyper-ruraux, mais aussi dans les hyper-centres des villes très urbanisées. Aujourd’hui, dans les villes qui souhaitent favoriser les transports en communs, on multiplie les zones piétonnes. C’est un élément à prendre en compte : pour habiter et travailler en Avignon, je peux vous garantir que le Festival pendant les vacances, c’est quelque chose !

Les infirmiers libéraux sont les professionnels de santé les plus nombreux – avec plus de 116 000 infirmiers libéraux, entre conventionnés et remplaçants – et les mieux répartis dans l’ensemble du territoire, couvert quasiment à 100 %.

Nous sommes les plus proches du domicile des patients, et les plus accessibles, selon l’indicateur d’accessibilité potentielle localisée (APL). Une enquête a en effet été menée, dans le cadre des négociations conventionnelles, pour redéfinir les zonages démographiques des infirmières avec ce nouveau critère, qui prend en compte la proximité géographique et la disponibilité des professionnels de santé.

Surtout, nous sommes assujettis à la continuité des soins, c’est-à-dire disponibles sept jours sur sept et 24 heures sur 24. Nous sommes conventionnés quasiment à 100 % – nous n’avons pas de secteur 1 ni de secteur 2. Enfin, quasiment la totalité de ces professionnels de santé acceptent le tiers payant, ce qui n’est pas négligeable quand on sait que certaines personnes renoncent aux soins parce qu’elles n’ont pas les moyens de payer directement un médecin.

Nous intervenons en libéral, mais aussi dans le cadre de structures plus organisées. Il faudrait d’ailleurs revoir avec elles nos modalités d’intervention. Je pense notamment à nos relations avec l’hospitalisation à domicile (HAD) et avec les services de soins infirmiers à domicile (SSIAD).

Dans le document que nous vous avons transmis, nous avons élaboré plusieurs pistes de réflexion.

Bien évidemment, il faudrait donner plus de temps médical au médecin en essayant de s’appuyer sur les compétences inexploitées des infirmiers, qui sont très larges, et en premier rang auprès de la population. Mais il faudrait aussi oser penser autrement que le « tout structure » - HAD, SSIAD, MSP. Ce sont des solutions qui ont apporté des réponses, mais elles ne sont pas les seules. Je pense que les professionnels de santé, s’ils s’organisaient différemment, pourraient répondre très largement aux besoins.

Les patients ont un médecin traitant. De la même façon, il pourrait y avoir des infirmières référentes ou des cabinets d’infirmières référents, qui permettraient d’identifier les infirmières des patients aussi bien à leur domicile que lorsqu’ils sont hospitalisés. L’intérêt serait d’assurer le partage de l’information entre les structures et la ville, et d’améliorer la prise en charge des patients. Nous sommes parfois un peu démunis lorsque nous devons soigner des patients qui sortent de l’hôpital ou qui sont hospitalisés, et que nous ne disposons pas des informations nécessaires. Tous les professionnels de santé, dont les infirmiers, doivent pouvoir accès à des informations coordonnées, complètes et accessibles.

Cela m’amène au dossier médical partagé (DMP), dont on parle beaucoup. C’est un outil utile, mais on le sait, les médecins se réservent certaines prérogatives en la matière. Il faudra donc faire en sorte que les infirmiers puissent avoir un large accès aux données de santé des patients via le DMP.

Les infirmiers assurent 100 % des soins sur 100 % du territoire, 24 heures sur 24, sept jours sur sept. Des expérimentations ont prouvé que lorsque les infirmiers étaient pris en compte dans l’offre de soins, il était possible de faire des choses intéressantes. Je vous renvoie à notre contribution, où vous pourrez trouver des exemples d’expérimentations – on peut citer, dans les Pyrénées-Orientales, l’équipe pluri-professionnelle libérale spécialisée dans la prise en charge des soins palliatifs, avec des infirmiers libéraux qui jouissent, sur protocole, des compétences pour intervenir sur appel du patient.

Les infirmiers n’ont jamais été considérés comme des professionnels de premier recours. Pourtant, quand les patients n’arrivent pas à joindre leur médecin le vendredi après dix-huit heures ou le week-end, comme le disait ma collègue, ils téléphonent à l’infirmier parce qu’ils savent qu’il répondra toujours. Si c’est un patient que l’on prend en charge, on intervient. Mais sachez qu’on le fait gratuitement parce qu’on ne peut être rémunéré par l’assurance maladie qu’avec la prescription d’un médecin. Donc, quand on se déplace après l’appel d’urgence d’un patient, c’est parce que l’on a le souci de nos patients. C’est très fréquent : au bout d’un moment, cela peut lasser.

Nous sommes appelés très régulièrement quand les patients n’arrivent pas à joindre leur médecin pour des réadaptations de zones de traitement à marge thérapeutique étroite. Par exemple, les anticoagulants nécessitent une surveillance avec un bilan sanguin ; et, selon le résultat, il peut être urgent d’intervenir pour modifier la dose. Dès lors que les patients ne sont pas en capacité de gérer eux-mêmes leur traitement, ils appellent leur infirmière qui se rend à leur domicile et modifie la dose, là encore gratuitement puisque c’est en dehors de la prescription du médecin qui nous permettrait de soumettre un remboursement à l’assurance maladie.

Tout cela prouve bien que les infirmières ont des compétences. Ce n’est peut-être qu’une anecdote, mais pendant les grèves de Mayotte, malgré les difficultés, les infirmiers ont été en mesure de prendre en charge la population.

L’accès aux soins c’est aussi, en termes de santé publique, pouvoir vacciner l’ensemble de la population. Il faudrait élargir le droit des infirmiers à vacciner, pas simplement dans le cadre de la vaccination antigrippale, mais de toutes les vaccinations.

Il faudrait élargir le droit des infirmiers à prescrire certains dispositifs médicaux. Savez-vous que quand nous allons faire un pansement chez un patient, si le médecin a oublié de prescrire l’antiseptique ou le sérum physiologique nécessaire à la réfection du pansement, nous n’avons pas le droit de le prescrire ? Nous devons donc renvoyer le patient chez son médecin pour cette prescription.

La télémédecine peut également être une solution, mais il faut absolument que les infirmiers y soient intégrés. Nous pourrions tout à fait répondre à des demandes : dans nos cabinets avec un équipement adapté – cela nous permettrait effectivement d’intervenir en première ligne pour désengorger, soit les consultations médicales, soit les urgences ; mais aussi au domicile du patient.

Enfin, nous revendiquons la sortie des soins infirmiers des forfaits SSIAD. En effet, lorsque les patients sont pris en charge par un SSIAD et que les soins deviennent lourds, les SSIAD ne peuvent plus les assurer, et ce peut-être un souci.

Mme Élisabeth Maylié, présidente de l’Organisation nationale des syndicats d’infirmiers libéraux (ONSIL). Intervenant en quatrième position, je ne répéterai pas tout ce qui a été dit avant moi. Mais je suis un peu gênée : j’ai entendu parler de « coordination ». Or, je pense que les infirmières en ont toujours fait, même si ce n’est pas reconnu. Sans coordination avec les autres professionnels, on ne pourrait d’ailleurs pas prendre correctement en charge nos patients. Il est donc inutile de dire que cela va aller mieux parce que l’on va faire de la coordination.

Je préférerais qu’on parle de « collaboration », et qu’on fasse en sorte que la relation entre le médecin et l’infirmière ne soit plus verticale, mais horizontale. Je pense que tous les problèmes seraient résolus si les médecins commençaient à accepter notre existence, à reconnaître nos compétences, et à admettre qu’on agisse en collaboration.

Nous exerçons sur tout le territoire, 24 heures sur 24 et sept jours sur sept. Malgré tout, il est difficile de collaborer avec quelqu’un qui n’est pas là. Comme l’a fait remarquer ma collègue, les médecins partent à dix-sept heures, sont absents le samedi, le dimanche, les jours fériés, et renvoient les patients vers le numéro d’un confrère surchargé, qui fait des consultations – même pas de la télémédecine – au téléphone. Ce n’est pas bon non plus.

Les infirmiers pensent majoritairement qu’ils devront être à côté des patients lorsque la télémédecine aura été mise en place. Les patients n’ont pas le vocabulaire adapté, ils n’ont pas la connaissance clinique, ils mentent assez souvent…

Mme Ghislaine Sicre. Disons qu’ils ne disent pas toujours la vérité…

Mme Élisabeth Maylié. C’est une façon de s’exprimer. Je suis peut-être un peu trop violente dans mes propos…

On nous parle de télémédecine, mais si le médecin n’est pas là et qu’il n’a pas le temps de faire une consultation dans son cabinet ou d’aller voir le patient, est-ce qu’il en prendra pour ouvrir son ordinateur et parler avec le patient ? Et un patient de quatre-vingts ans, au fond de son lit, dans un coin perdu de la campagne ou en ville, est-il capable de lancer l’ordinateur et de se connecter ? Si nous sommes là et que nous avons tout ce qu’il faut pour faire l’observation clinique avec le médecin, à côté du patient, on pourra avancer.

Enfin, nous devrions changer de posture en demandant aux médecins de nous prendre en considération et de collaborer avec nous. Je pense qu’on résoudrait ainsi beaucoup de problèmes, et que l’on parviendrait à couvrir la demande en consultation, en diagnostic et au-delà.

Mme Françoise Pacchioli, présidente de l’ONSIL Rhône-Alpes. Je rejoins tout ce qui a été dit, notamment par ma collègue Élisabeth Maylié. J’ajouterai simplement que je suis très attachée au parcours de soins et que, selon moi, la collaboration, la coordination et l’efficacité des prises en charge supposent que l’on donne tout son sens au « parcours de soins » - aujourd’hui, on en est encore un peu trop loin. Si tous les professionnels de santé prenaient vraiment en compte le patient, sans que chacun d’entre eux agisse de son côté, nous gagnerions sans doute du temps et nous économiserions des consultations inutiles.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Ma première question porte sur la démographie : depuis que la compétence a été donnée aux régions en 2004, la formation paramédicale a explosé. Y a-t-il des risques de tension à court terme, avec des risques induits d’inflation de prescriptions ? Comment voyez-vous l’évolution de la démographie des infirmiers à court, moyen et long terme ? Êtes-vous prêts, en cas de dérives, à prendre des mesures de régulation ?

S’agissant des délégations de tâches, j’ai bien aimé le mot « collaboration », que je relie aux communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). Avez-vous établi une liste synthétique entre vous, puisque vous êtes plusieurs à représenter les infirmiers ? Seriez-vous capables de nous dire quelles sont les tâches que vous souhaitez vous voir confiées en responsabilité ?

Le décret sur les pratiques avancées a été rejeté par le Haut conseil. Que serait selon vous le décret idéal ?

Que penseriez-vous de la généralisation des CPTS ? Leur animation pose problème. Qui fait le travail ? Les CPTS ne sont-elles pas le moyen le plus efficace de la collaboration et de la mise en réseau ?

Avez-vous par ailleurs réfléchi à un dossier médical partagé de façon efficace ? Madame, vous disiez tout à l’heure qu’il était parfois difficile d’aller chercher son ordinateur. J’observe tout de même qu’avec le très haut débit, on pourra se connecter en quelques secondes, et que trente secondes de connexion permettent d’éviter des erreurs. Jusqu’où iriez-vous en matière de DMP ? Que penseriez-vous des cryptages gradués pour que chaque professionnel puisse y accéder, en responsabilité dans son domaine de compétences ? Cela existe déjà pour certaines spécialités médicales.

Quelle est votre vision des ARS ? On leur a confié une mission exceptionnelle en matière d’organisation des soins. Mais à l’heure actuelle, on s’aperçoit de leurs immenses difficultés, pour ne pas dire de leur échec.

Ne croyez-vous pas qu’on pourrait monter une instance de régulation unique, dans laquelle il pourrait y avoir de nouveaux métiers, comme des infirmières internistes régulatrices ? Cela éviterait d’avoir affaire à une hôtesse en intérim arrivée trois jours auparavant, et permettrait de compter sur des personnes ayant une compétence avérée par un certain nombre d’années d’études, et capables d’orienter un appel vers le bon service ou la bonne urgence.

Enfin, en ce qui concerne les systèmes de garde, seriez-vous prêts à accepter que l’on rapproche le public et le privé ? Il pourrait s’agir d’un généraliste ou d’une infirmière, qu’elle soit libérale ou du secteur hospitalier. Des passerelles seraient possibles. Doit-on inventer un nouveau système des gardes en France ?

Vous avez dit que les infirmiers étaient disponibles 24 heures par jour, et 365 jours par an. Dans les maisons de santé ou dans les hôpitaux, on pourrait prévoir des maisons de garde. Ainsi, tout le monde ne viendrait pas encombrer les urgences, mais en face, il y aurait au moins un médecin et une infirmière ou un infirmier de garde.

M. Daniel Guillerm. Vous vous êtes interrogé sur d’éventuelles tensions démographiques au sein de notre profession.

Si aujourd’hui, on revient en arrière sur la réorganisation et la transformation du système de santé, on peut s’attendre à une bascule hôpital-ville, avec une intensification de la diminution des durées moyennes de séjour (DMS) à l’hôpital, donc à un transfert de ses patients vers la ville.

Il y avait effectivement beaucoup de personnels dans les services hospitaliers quand les DMS étaient longues, et que la culture hospitalière était de garder, en tout cas de sécuriser au maximum le patient dans la structure de l’hôpital. Aujourd’hui, le paradigme a changé. On sait que les séjours hospitaliers sont source d’iatrogénie, et on veut les écourter.

On constate une fuite très importante des infirmières hospitalières vers le secteur de ville. Selon moi, cette fuite est liée aux conditions de travail à l’hôpital, mais aussi au fait que le système libéral infirmier en ville s’est organisé. Nous sommes en effet une des rares professions libérales à partager sa patientèle, ce qui n’est pas tout à fait le cas des médecins qui restent attachés au colloque singulier avec le patient. De ce fait, les cabinets s’organisent, notamment en termes de conditions de travail. Une infirmière qui appartient à un cabinet de six ou sept infirmiers ne travaille évidemment pas sept jours sur sept. Mais ce partage de patientèle permet la prise en charge de tous les patients, dans la mesure où l’on est soumis à une obligation de continuité des soins.

Cela étant précisé, aujourd’hui, on n’a pas le sentiment qu’il manque d’infirmières.

Mme Ghislaine Sicre. D’infirmières libérales !

M. Daniel Guillerm. Et, à court et à moyen terme, cela dépendra de la manière dont vous réorganiserez le système, et des compétences que vous donnerez à ces professionnels.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Mais au-delà de l’organisation, numériquement, n’y a-t-il pas de risque de tension ?

M. Daniel Guillerm. Très clairement, si.

Mme Catherine Kirnidis D’autant qu’on parle beaucoup du virage ambulatoire, et de la chirurgie ambulatoire. Les infirmiers actuellement en exercice vont participer à ce virage ambulatoire. Tout dépend donc ce qu’il sera.

Les infirmiers seront amenés à s’investir de plus en plus dans les prises en charge en ville. Il faudra alors veiller à ne pas négliger les soins qui relèvent du rôle propre des infirmiers, qui participent au maintien à domicile des personnes dépendantes ; ils sont même en première ligne.

Mais on parle d’égalité d’accès aux soins. Si on observe la démographie infirmière telle qu’elle est actuellement, on distingue des zones sur-dotées, et des zones sous-dotées ; par exemple, la région PACA est une zone sur-dotée, avec une pléthore d’infirmières libérales par rapport à d’autres zones. Selon les zones, les personnes prises en charge par les infirmières ne sont pas tout à fait les mêmes. Dans les zones sur-dotées, les infirmières sont nombreuses et l’offre de soins permet de prendre davantage en charge la dépendance. Dans les zones où l’on manque d’infirmières, celles-ci vont se cantonner par nécessité aux actes dits techniques et prescrits par les médecins. De ce fait, on peut considérer qu’il y a inégalité d’accès aux soins. Lors de la canicule de 2003, dans les zones où il y avait beaucoup d’infirmières pour prendre en charge les patients dépendants, il y a eu beaucoup moins de décès.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Et les mesures de régulation ?

Mme Catherine Kirnidis. Nous sommes la première profession qui se soit engagée dans la régulation démographique, et la seule qui l’ait fait de façon efficace. On est actuellement en négociations conventionnelles.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Le bilan est-il positif ?

Mme Catherine Kirnidis. Aujourd’hui, on le juge positif, mais il ne faudrait pas qu’à terme, en fonction de ce que vous allez préconiser, on se trouve dans une situation tendue. À l’heure actuelle, il y a suffisamment d’infirmiers libéraux.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Et la délégation de tâches ?

Mme Catherine Kirnidis. Je n’aime pas beaucoup l’expression.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Seriez-vous prêts à des propositions communes avec les infirmiers hospitaliers ?

M. Daniel Guillerm. Nous exerçons la même profession et nous travaillons avec d’autres professions de santé. Notre défi à tous, et celui de la société, est de faire face à l’explosion des maladies chroniques et à l’allongement de la durée de vie. Il va falloir effectivement à un moment donné, qu’il y ait la possibilité de faire des choses ensemble

M. Philippe Vigier, rapporteur. Mais si on veut prendre des mesures à court terme, cela pourrait faire partie de l’arsenal ?

Mme Catherine Kirnidis. Nous avons quand même des compétences propres, qui sont inscrites dans notre nomenclature.

Mme Ghislaine Sicre. Toutes nos compétences ne figurent toutefois pas dans la nomenclature et nous ne pouvons donc pas les exercer de façon pleine et entière comme c’est le cas à l’hôpital. Ce pourrait être une ouverture. Mais à chaque fois que nous lui faisons des propositions, la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés, la CNAMTS, les rejette.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Pourriez-vous nous mettre cela noir sur blanc ? Ainsi, dans l’arsenal de nos propositions, nous pourrions évoquer les idées partagées par les professionnels.

Mme Catherine Kirnidis. Sans que cela relève forcément de la délégation de tâches…

Mme Ghislaine Sicre. Les infirmières peuvent travailler sur protocole. Dès lors qu’elles en ont un, elles peuvent faire des bilans cliniques, etc. Sauf que ces actes ne sont pas « nomenclaturés » et qu'ils ne sont donc pas rémunérés, bien qu’il puisse s’agir d’une pré-consultation pour les médecins.

M. Daniel Guillerm. Le problème est qu’il n’y a pas aujourd’hui de reconnaissance de certains volets du décret de compétences dans notre nomenclature. Je pense qu’il faudrait effectivement commencer par introduire la notion de « consultation clinique infirmière ».

Mme Ghislaine Sicre. Nous sommes tous d’accord !

M. Daniel Guillerm. Mais dès que vous parlez de consultation devant le corps médical, des lobbies sont vent debout contre ce qui relève selon eux de la dialectique médicale, et refusent que le sujet soit débattu.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Il faudrait changer de vocabulaire : vous ne pouvez pas dire que vous souhaitez la collaboration et la coconstruction, et qualifier les autres de « lobbies »

M. Jean-Michel Jacques. Les personnes que nous auditionnons sont libres de leur parole : si elles veulent dire les choses de cette façon, nous devons leur laisser toute liberté d’expression.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Une commission d’enquête doit aussi permettre un dialogue nourri…

M. Jean-Michel Jacques. J’entends bien. Mais ceux que l’on auditionne ont tout de même des remarques à formuler. Ils sont bloqués depuis plusieurs années dans leurs capacités de faire ; les blocages viennent bien de quelque part et il est bon que cela soit dit.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Je rappelle que tout est public, que tout est enregistré, et que chacun a la capacité de s’exprimer. Mais, si le dialogue ne s’installe pas, nous ne sommes là que pour écouter les personnes que nous recevons. Or, sans échange, on n’arrive à rien.

M. Jean-Michel Jacques. L’échange suppose la liberté d’expression. Allez-y, dites-nous d’où viennent ces lobbies ?

Mme Ghislaine Sicre. Lors de l’ouverture des négociations, nous avons défendu l’idée de la consultation de surveillance clinique infirmière, notamment de prévention – si on veut diminuer le nombre des pathologies chroniques il faut travailler sur la prévention. Or cela a été balayé par la CNAMTS, comme à chaque fois.

Nous sommes tout à fait à même d’assurer une consultation de surveillance clinique infirmière, où qu’elle soit positionnée – suivi des cancéreux, maladies chroniques, etc. Puisque les infirmières de l’hôpital le font, je ne vois pas pourquoi les infirmières libérales ne pourraient pas le faire. Il suffit que l’on travaille sur des outils, avec des fiches de coordination, des bilans – bilans nutritionnels, bilans d’évaluation de la douleur, etc.

Il serait tout à fait possible de faire une telle consultation dans une zone désertique, par exemple en utilisant un outil digital qui pourrait être transmis à un médecin. Mais en dehors même des déserts médicaux, ce suivi permettrait de dégager du « temps médical », qui ne l’est pas parce qu’aujourd’hui on est bloqué.

On a l’impression que « consultation » est un gros mot que nous ne devons surtout pas utiliser parce que nous sommes des infirmières et qu’il n’appartient qu’aux médecins.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Je rappelle aux membres de cette commission d’enquête que nous avons demandé à chacun des organismes que nous avons auditionnés de nous envoyer pour le 1er juin un petit document de synthèse de leurs souhaits. Je pense donc que la liberté d’expression est totale.

Mme Nicole Trisse. Je reviens sur la démographie de votre profession. Vous parliez de 116 000 infirmiers. Hier, j’ai auditionné le professeur Salomon, directeur général de la santé, en ma qualité de vice-présidente du groupe d’étude sur la maladie de Lyme. Il m’a dit qu’il y avait 600 000 infirmières et infirmiers recensés, et que 200 000 seulement travaillaient. Qu’en est-il ?

Mme Catherine Kirnidis. Il y a effectivement 116 000 infirmiers libéraux. Je ne connais pas le chiffre des infirmiers salariés ; il faudrait s’adresser au Conseil national de l’ordre ou à la DREES qui seraient plus à même de vous renseigner. Mais il est exact qu’il y a beaucoup plus d’infirmiers formés.

La durée de carrière d’une infirmière, qu’elle soit à l’hôpital ou qu’elle exerce en libéral, est courte. Les métiers sont fatigants, pénibles physiquement et moralement. Surtout, les infirmières acceptent de plus en plus mal le manque de reconnaissance. Le découragement, le burn out, est d’ailleurs davantage lié au manque de reconnaissance des compétences qu’aux conditions de travail.

Nous n’avons pas forcément besoin que des tâches nous soient déléguées, car nous en avons déjà beaucoup : notre décret de compétences est très riche. Si déjà, nous avions la possibilité, au domicile, d’exploiter l’ensemble des compétences figurant dans notre décret de compétences, bien des problèmes disparaîtraient.

M. le président Alexandre Freschi. C’est peut-être une question de responsabilité juridique. À l’hôpital, il y a une hiérarchie, et un médecin qui vous accompagne.

Mme Catherine Kirnidis. Dès lors que cela fait partie de nos compétences, ce n’est pas un problème.

M. le président Alexandre Freschi. Donc, la responsabilité juridique incomberait à l’infirmière ?

Mme Catherine Kirnidis. Bien sûr !

Mme Élisabeth Maylié. Le rôle propre de l’infirmière n’est pas reconnu à domicile.

M. Daniel Guillerm. C’est un problème médico-économique.

Je vais vous donner un exemple : nous sommes aujourd’hui en négociations conventionnelles avec la CNAMTS et nous devions signer un avenant – numéro 6 – fin mars, mais nous ne l’avons pas fait. Au regard des ambitions affichées par la CNAMTS nous avions calculé qu’elle aurait dû mettre à peu près 180 millions d’euros au titre de cet avenant. Or, elle n’y consacrait que 60 millions ! Vous comprendrez que nous n’ayons pas voulu « charger la mule » et continuer à prendre en charge à moyens constants, sans pouvoir être rémunérés.

Aujourd’hui, certaines infirmières libérales accomplissent des actes qui ne sont pas rémunérés. On oppose les revenus moyens des professionnels libéraux à ceux des hospitaliers. Mais à un moment donné, si on veut agir sur le système, il faut prendre des mesures systémiques et pas cosmétiques. Notre sentiment est que l’on fait l’inverse.

Une des mesures systémiques consisterait à retranscrire dans notre nomenclature la totalité de notre décret de compétences.

Mme Stéphanie Rist. Selon vous, pour améliorer l’accès aux soins, il faut renforcer la collaboration avec les médecins. Venant du milieu hospitalier, j’ai l’impression que la collaboration entre les aides-soignantes et les infirmières a faibli ces dernières années. Qu’en est-il en ville ? Cette collaboration est-elle suffisante ? Je pense plus particulièrement au maintien à domicile.

Mme Élisabeth Maylié. Il n’y a pas d’aides-soignantes libérales. Donc, quand je travaille avec une aide-soignante, je ne suis pas obligée de passer par une structure.

Je suis désolée, mais les structures ne savent parler que « structures » : encore une fois, on nous oublie ! C’est du grand n’importe quoi ! Il en est de même de l’HAD et des SSIAD. Et je vais être encore un peu violente, mais il y a du « copinage » entre les structures et ces services : pourquoi l’HAD ? Pourquoi le SSIAD ? Pourquoi pas l’infirmière ?

On n’y comprend plus rien, on ne sait pas qui on est, les rôles ne sont pas bien définis. Il suffirait pourtant que tous les actes de notre décret de compétences exercés à domicile soient reconnus, et tout irait mieux.

Vous parliez de responsabilité. Oui, nous faisons des actes et nous prenons des décisions. Nous n’avons pas de préconisations, nous changeons les dosages, par exemple pour les diabétiques. Nous le faisons parce qu’il faut bien le faire, parce la santé de nos patients passe avant tout. Si nous ne le faisions pas, cela entraînerait des coûts supplémentaires, auxquels nous pensons aussi, parce que nous sommes des professionnels de santé, mais aussi des citoyens. Bien sûr, s’il arrivait quelque chose, cela poserait problème.

Mme Catherine Kirnidis. Actuellement, la collaboration avec les aides-soignantes n’est possible que dans le cadre des SSIAD puisque les infirmières peuvent être appelées par les SSIAD pour intervenir pour des soins infirmiers. Mais ce sont des soins très ponctuels. Les forfaits de SSIAD étant de 35 euros par jour, il était impossible pour un SSIAD de prendre au long cours un patient avec des soins infirmiers techniques, donc importants. La solution, qui a été récemment trouvée, consiste à permettre au SSIAD de collaborer avec l’HAD, qui est beaucoup plus chère : le décret est sorti.

Il suffirait de sortir les soins techniques infirmiers des forfaits de SSIAD, qui seraient à nouveau pris en charge par l’assurance-maladie, pour que la collaboration infirmières-SSIAD se fasse dans un esprit de collaboration. Or, actuellement, dans certains secteurs, les infirmières considèrent les SSIAD comme des concurrents, alors que nous pourrions être complémentaires dans l’offre de soins.

Mme Ghislaine Sicre. Je n’ai pas connaissance de problèmes de maintien à domicile, qui est assuré dans toute la France, que ce soit par des SSIAD, effectivement en collaboration avec les infirmiers, mais dans le cadre de prises en charge simples et non complexes puisque le forfait est extrêmement bas. Cela étant, les honoraires des infirmiers ne sont pas non plus très élevés.

M. Guillaume Garot. Je voudrais vous interroger sur les outils de régulation dont il a été question à l’instant. Pourquoi avez-vous participé à la mise en place de cette régulation d’installation ? Comment ? Quel a été votre rôle vis-à-vis des pouvoirs publics ? Quel bilan en tirez-vous aujourd’hui ?

M. Jean-Carles Grelier. Je ferai quelques observations rapides, inspirées par l’échec de la discussion sur le décret des IPA.

On ne sortira des difficultés d’accès aux soins dans l’ensemble du territoire que lorsque l’on aura donné à chaque professionnel de santé la reconnaissance à laquelle il a droit. Une infirmière, ce n’est pas seulement une dame gentille et souriante qui fait un pansement de temps en temps, c’est un professionnel de santé. Un pharmacien, ce n’est pas seulement un marchand de pilules, c’est un professionnel de santé. Un kinésithérapeute, ce n’est pas seulement quelqu’un qui positionne quelqu’un sur un vélo pendant deux heures, c’est un professionnel de santé.

Il faut impérativement que chacune de ces professions paramédicales bénéficie d’une vraie reconnaissance, et que l’on envisage de les positionner en amont des consultations médicales. C’est aussi par ce canal qu’on arrivera à traiter le problème de la démographie médicale.

Cela soulève une autre question, celle de la formation, sur laquelle je voudrais que l’on revienne. Il me semblerait intéressant de transférer la formation des paramédicaux à l’université, dans des instituts qui les amèneraient au même niveau que celui qu’ils ont aujourd’hui – une équivalence licence – et de prévoir des spécialisations jusqu’à un niveau bac plus 5, ce qui permettrait de remettre sur la table la question des IPA.

Comment ressentez-vous cette nécessité de formation, et cette nécessité de reconnaître le rôle et la place des professions paramédicales ? Le regard qu’on porte sur elles date beaucoup, il faut le faire changer.

M. Marc Delatte. Il faut toujours recentrer l’offre et la qualité de soins sur le patient, que l’on a parfois tendance à oublier.

Vous avez parlé de consultation avancée mais je pense aux médecins de Marly-Gomont, en Thiérache – dans l’hyper-ruralité, donc – qui m’ont livré leur témoignage : ils n’ont pas attendu l’implantation de maisons pluridisciplinaires de santé pour agir en groupe, et ils proposent précisément des consultations avancées, un jour par semaine par exemple, dans tel ou tel village. Les lieux de consultation – une école désaffectée ou autre – sont aisés à trouver et le médecin, au fond, n’a besoin que de sa trousse pour intervenir.

Selon vous, quelle doit être l’articulation entre le médecin et l’infirmier dans ce domaine ? La médecine évolue, les maladies chroniques se développent – plus de 80 % des diabètes sont suivis en médecine de ville – et vous jouez un rôle essentiel en matière de prévention primaire, car vous exercez dans une proximité beaucoup plus grande que les médecins qui, eux, n’ont pas le temps d’effectuer des visites à dix ou vingt kilomètres de leur lieu de consultation.

M. Thomas Mesnier. En amont du rapport de M. Vigier, qui paraîtra cet été, il se trouve qu’il y a deux jours j’ai rendu à la ministre un rapport sur l’accès aux soins qui aborde les CPTS et les soins coordonnés. J’y propose notamment de décloisonner et de reconnaître les compétences des pharmaciens, des kinésithérapeutes et des infirmiers. J’y aborde également les questions de la télémédecine, des visites à domicile, de la consultation sous protocole, et ainsi de suite. Quel sentiment vous inspirent ces propositions ?

M. Jean-Michel Jacques. À l’évidence, les infirmières ont besoin que leurs compétences soient reconnues. Nous avons évoqué les formations, parfois conséquentes, qui peuvent être dispensées. Ma question, cependant, est précise : pourquoi ne parvenez-vous pas à faire reconnaître vos compétences ? Je vous prierais de me répondre en nommant les choses – les lobbies par exemple.

M. Daniel Guillerm. La technostructure française est médicocentrée. Nous avons tendance à considérer que ce qui est bon pour les médecins l’est aussi pour l’ensemble des professions de santé. C’est aussi simple que cela !

Mme Ghislaine Sicre. Nous défendons un projet de réorganisation des soins sur les territoires, monsieur Mesnier, notamment les CPTS et les équipes de soins primaires. Je crains cependant que les CPTS, étant donné les modalités de leur mise en place, ne soient que des coquilles vides. L’objectif est de travailler ensemble pour éviter les redondances et améliorer la pertinence des soins, mais une gouvernance exercée par une multitude d’acteurs chargés de la coordination – comme cela s’est déjà vu avec les CLIC (centres locaux d'information et de coordination gérontologique), les MAIA (méthode d’action pour l’intégration des services d’aide et de soins dans le champ de l’autonomie) et autres – ne produira pas de résultats. Il faut partir du terrain, de sorte que les professionnels de santé se regroupent et travaillent ensemble, faute de quoi nous échouerons. Les professionnels libéraux ont l’habitude de travailler de manière cloisonnée et verticale plutôt qu’horizontale. Je défends des projets concrets consistant à créer d’abord des équipes de soins primaires puis, dans un deuxième temps, des équipes de second recours pour créer une CPTS. Pourtant, nous allons peut-être devoir procéder dans le sens inverse, car certains acteurs – les cliniques et les acteurs du second recours par exemple – se positionnent déjà pour entrer dans la médecine de ville ; ils ne connaissent pas les professionnels libéraux ! Cela ne marchera pas.

Nous sommes tout à fait favorables à la télémédecine, mais elle ne doit pas être redondante par rapport aux actes existants. Elle doit répondre à une nécessité, dans le seul but d’améliorer le temps médical. La télémédecine en soi ne résoudra aucun problème si un professionnel de santé compétent n’intervient pas derrière l’écran ; si le patient est seul, elle sera inutile.

S’agissant des infirmières, il faut mettre au point des bilans des prises en charge de tous types, y compris la prévention et l’éducation thérapeutique. Nous proposons justement d’utiliser à terme un outil numérique pour élaborer un programme d’éducation thérapeutique partagé. Toutes les informations relatives au parcours du patient qui seront nécessaires aux autres intervenants pourront ensuite être intégrées au DMP.

Mme Françoise Pacchioli. Selon moi, il faut commencer par traiter la question des équipes de soins primaires (ESP) avant celle des CPTS. Les professionnels de santé ont besoin de structures d’appui telles que des maisons ou des réseaux pour les aider à s’organiser en ESP, car c’est un travail d’organisation considérable et les professionnels sont déjà accaparés par leurs actes.

Permettez-moi de revenir sur les compétences de chacun : nous sommes tous complémentaires. Le dispositif Asalée (action de santé libérale en équipe) est très pertinent mais, en ce qui me concerne, par exemple, j’ai une formation à l’éducation thérapeutique que je ne peux pourtant dispenser qu’à titre gracieux car elle n’est pas reconnue dans notre nomenclature. Certaines infirmières Asalée travaillent dans des cabinets médicaux mais je regrette que nous n’ayons aucun retour concernant ces consultations. Prenons l’exemple d’un patient diabétique : il est vu à domicile par une infirmière Asalée et ensemble, ils fixeront des objectifs et prendront des décisions – dont nous n’aurons pas connaissance ! Nous travaillons de manière cloisonnée.

M. Thomas Mesnier. Vous évoquez les ESP, mais l’objectif concernant la CPTS vise précisément à engager des moyens humains de coordination pour aider les professionnels à établir des réseaux. De ce point de vue, la CPTS me semble être l’échelon adapté pour aider les professionnels à s’acquitter des tâches administratives hélas très lourdes que nécessite leur mise en réseau.

Mme Catherine Kirnidis. La régulation démographique a été mise en place par la convention de 2007 à l’initiative de l’assurance maladie, qui entendait mieux contrôler les installations en raison des dépenses de santé qu’elles généraient par le jeu de l’offre et de la demande. Il est vrai que de très nombreuses infirmières quittent l’hôpital, pour des raisons diverses liées notamment aux conditions de travail et à la rémunération. En outre, les réorganisations en cours entraînent un phénomène de chômage des infirmières dans certains secteurs. De ce fait, lorsqu’une infirmière ne trouve pas de poste salarié, elle s’installe dans le secteur libéral.

La régulation a produit des effets positifs dans certaines zones et des effets moins positifs dans d’autres : de nombreuses infirmières n’ont pas eu d’autre choix que de s’installer dans des zones – notamment périphériques – sans besoins particuliers, un phénomène qu’il a été difficile de contrôler et qui se traduit par une situation pour le moins complexe et quelque peu déséquilibrée.

M. Guillaume Garot. La leçon à en tirer est-elle donc celle de l’efficacité du contrôle ?

Mme Catherine Kirnidis. Le système doit être mis en œuvre dans l’intérêt des patients. Les infirmiers s’installant dans tel ou tel secteur répondront-ils concrètement aux besoins des patients qui s’y trouvent ? Certains infirmiers n’ont guère de travail dans le secteur où ils sont installés.

Mme Ghislaine Sicre. Ajoutons que des biais sont possibles : les zones en situation de surdensité sont très bien régulées, mais les zones voisines, elles, ne le sont pas, ce qui permet à n’importe qui de s’y installer pour aller travailler dans les zones surdenses. Le système d’accessibilité potentielle localisée (APL) instaurera cependant un nouveau mode de régulation.

M. Daniel Guillerm. En 2007, lors de la mise en place de la régulation démographique, l’écart d’installation entre zones, notamment entre départements, était d’un à sept, à population égale. Il fallait donc agir pour éviter de créer des problèmes d’accès aux soins. Nous avons donc instauré un système en échelle de perroquet : d’abord un mécanisme très léger, à titre expérimental, puis, ses résultats étant probants, un système renforcé qui n’a cessé de gagner en efficacité. Aujourd’hui, nous négocions la mise en place d’un nouveau système, l’APL, qui permettra de lisser au mieux les biais qu’évoquait Mme Sicre en tenant compte des temps de déplacement des professionnels et des patients.

Ce système, que nous affinons, a fait ses preuves. On parle de déserts médicaux : pourquoi dès lors ne pas appliquer la régulation démographique à l’ensemble des professions de santé ?

M. Philippe Vigier, rapporteur. Cette régulation a-t-elle été ressentie par les infirmiers comme une entrave à leur liberté ?

M. Daniel Guillerm. Absolument pas, bien au contraire : les infirmières en redemandent. Prenons l’exemple de la Guadeloupe qui, lors de l’entrée en vigueur de la régulation, était considérée comme une zone intermédiaire – ni surdotée, ni sous-dotée. Le très grand nombre d’installations qui s’y sont produites depuis a provoqué une situation de quasi-guerre civile professionnelle. Ce sont les professionnels eux-mêmes qui demandent la régulation !

Mme Nicole Trisse. Est-ce donc une sectorisation que vous souhaitez ?

Mme Ghislaine Sicre. Nous demandons une régulation démographique qui soit maîtrisée par les professionnels de santé, et non pas à la seule main de l’État, car cela susciterait des craintes concernant les structures. Les ARS, par exemple, prônent systématiquement le tout-structure.

M. Daniel Guillerm. La question de la porosité et de la collaboration des métiers est très intéressante. Chaque corps – médecins, infirmiers, pharmaciens – protège son propre champ de compétences. Les collègues avec qui il faudrait collaborer sont considérés comme des concurrents potentiels. Les infirmières ont peur que les aides-soignantes ne leur prennent des actes, mais les médecins nourrissent la même crainte au sujet des infirmières. Or, le parcours du patient crée nécessairement une porosité des métiers ; il faut l’encadrer.

Mme Ghislaine Sicre. Cela passera par les CPTS…

Mme Élisabeth Maylié. J’ignore pourquoi, mais les acteurs du secteur libéral ne savent pas travailler ensemble. Je me suis installée en 1980 dans un regroupement pluridisciplinaire qui existait depuis 1975. Les quatre médecins de garde se sont associés pour alterner les gardes de nuit et de fin de semaine, et ont demandé aux personnels paramédicaux de travailler avec eux. Ce regroupement englobait donc un laboratoire d’analyses, un kinésithérapeute, un dentiste, des infirmiers, des spécialistes en cardiologie et en radiologie. Personnels médicaux, paramédicaux et spécialistes : nous travaillons tous ensemble et cela fonctionne très bien, dans le respect mutuel, la communication et la bonne entente. Le reproche de compérage ne nous a jamais été adressé ; chacun est à sa place.

Quant aux études, le syndicat que je représente rejette majoritairement la spécialisation des infirmières : nous prônons le niveau licence pour tout le monde. Ensuite, chacun est libre de choisir son secteur. La spécialisation créerait une strate supplémentaire parmi nous : outre les infirmières et les médecins, il y aurait une nouvelle catégorie de super-infirmières ? Pourquoi une spécialisation des infirmières ? Les adhérents de notre syndicat réprouvent cette option.

Mme Ghislaine Sicre. J’ai récemment créé une équipe de soins primaires composée de quinze professionnels de santé fondateurs, une quinzaine d’autres voulant y entrer, notamment un laboratoire. Nous ne nous connaissions pas tous ; c’est la preuve qu’il est possible de travailler et de se former ensemble, et de mettre au point des protocoles de prise en charge et de bilan. Nous allons aussi tâcher d’avancer sur la question plus délicate de l’accès aux soins du point de vue du médecin. Mon équipe de soins comprend de jeunes femmes médecins pour qui il est beaucoup plus difficile d’accepter une éventuelle ouverture d’horaires afin de prendre en charge les patients concernés. Quoi qu’il en soit, je le répète : ne pas se connaître n’empêche pas de parvenir à travailler ensemble.

D’autre part, nous connaissons avec l’hôpital un sérieux problème lié à l’absence totale de fiches de liaison. Il nous arrive de prendre en charge des patients qui sortent de l’hôpital sans savoir ce qu’ils ont, et ce n’est éventuellement qu’à la lecture de l’ordonnance que nous le découvrons. Parfois, le patient est capable de nous informer mais ce n’est pas toujours le cas. J’ai déjà eu à prendre en charge un patient atteint du sida sans en avoir été informée. C’est à croire qu’il ne faudrait pas nous divulguer l’information – je trouve cette manière de faire lamentable. Nous sommes tout de même en 2018 !

Mme Catherine Kirnidis. Permettez-moi de revenir sur la question de la reconnaissance de la formation. Aujourd’hui, la formation des infirmières équivaut à un bac +3, c’est-à-dire une licence, alors que si l’on comparait le temps d’études des infirmières avec le temps universitaire, elles atteindraient plutôt le niveau bac +6. Cela étant, l’universitarisation est importante pour permettre aux infirmières d’évoluer dans leur filière. J’ajoute qu’en France, les infirmières ne font pas de recherche comme c’est le cas ailleurs : la recherche en sciences infirmières est le fait des médecins. Nous n’avons pas de docteur en sciences infirmières – alors qu’il s’agit bien de disciplines scientifiques propres.

Le Haut conseil des professions paramédicales (HCCP) a rejeté en bloc le projet de décret sur les IPA et nous l’avons refusé aussi au motif qu’il ne donne pas une autonomie suffisante à l’IPA, encore trop sous la coupe des médecins. Nous refusons d’être les petites mains des médecins. Ceux-ci attendent des assistantes, peut-être des secrétaires, mais nous sommes des infirmiers à part entière, et nous détenons des compétences – dont certaines sont complémentaires avec celles des médecins, d’autres uniques.

Il est vrai que la consultation avancée pose problème dans les zones désertes. Les infirmières pourraient y effectuer des pré-consultations dans les zones où l’accès aux urgences est difficile. Une expérimentation a été conduite en Normandie avec un hôpital et une clinique où les infirmières assurent des gardes. Leur rémunération est couverte par une enveloppe de l’ARS. Les infirmiers peuvent ainsi effectuer un tri préliminaire pour déterminer si l’intervention d’un médecin voire l’hospitalisation sont nécessaires.

Quant à votre rapport, monsieur Mesnier, j’estime que vous n’y parlez guère des infirmiers. Je l’ai lu avec beaucoup d’attention : nous avons certes eu droit à une petite phrase in extremis – il a fallu attendre la trente-huitième page pour voir apparaître quelque chose nous concernant.

M. Thomas Mesnier. Je me suis aperçu a posteriori que le texte ne les faisait peut-être pas assez ressortir. Vous aurez néanmoins constaté que je passe mon temps, surtout ces derniers jours, à parler des infirmiers !

M. Daniel Guillerm. La solution à l’engorgement des files actives dans les services d’urgence se trouve en amont. La prise en charge dans les déserts médicaux pose sans doute problème, mais entrez là où il y a de la lumière, c’est-à-dire dans les cabinets d’infirmiers libéraux qui ont l’obligation d’assurer la continuité des soins. Nous sommes la seule profession de ville accessible aux patients à tout moment, sept jours sur sept.

M. Marc Delatte. Nous devons à tout prix travailler en subsidiarité et de manière efficiente. Dans la maison médicale où j’exerçais jusqu’à récemment, les infirmières me disaient qu’il est plus « rentable » de faire une piqûre d’insuline qu’une toilette – car une toilette prend du temps. Lorsque le territoire d’intervention est vaste et les patients nombreux, le travail se fait en subsidiarité et nous sommes pris au piège d’une sorte de course à l’acte. À quel niveau doit selon vous être fixée la forfaitisation des actes concernant des patients souffrant de maladies chroniques, pour assurer une prévention plus efficiente ?

Mme Monica Michel. S’agissant de la démographie médicale, je crois qu’il y a erreur sur le nombre de médecins généralistes : selon l’INSEE, la France en comptait 136 600 en juin 2017.

Mon souci concerne votre proposition de permettre aux infirmiers d’intervenir en première ligne pour effectuer un tri initial afin d’orienter les patients vers les urgences ou les médecins traitants. J’ai le plus grand respect pour vos compétences et votre professionnalisme, mais nous savons tous combien la rapidité de la prise en charge de certains patients est importante. Que se passerait-il en cas d’erreur de pré-diagnostic lors du tri préalable effectué par un infirmier ?

Vous proposez également une notion nouvelle, celle d’infirmière référente, sur le modèle de celle du médecin traitant. Je m’interroge sur la possibilité que vous auriez d’enregistrer vos actes dans le dossier médical du patient. Question subsidiaire : la charge de travail supplémentaire ainsi induite entraînerait-elle une surtaxation de vos honoraires, dont vous avez indiqué qu’ils ne sont pas très élevés ?

M. Daniel Guillerm. Nous entretenons des contacts avec les ARS par l’intermédiaire des unions régionales des professions de santé (URPS), mais nous constatons qu’elles ont une vision structurocentrée du système. Elles ne retiennent de l’offre de soins que ce qui est visible et lisible de leur point de vue, notamment les structures – hospitalisation à domicile, services de soins infirmiers à domicile – à côté desquelles l’offre libérale n’existe pas. Une étude – qui date un peu, certes – démontre pourtant que 75 % des personnes âgées de plus de soixante-quinze ans sont prises en charge par le secteur infirmier libéral.

M. Philippe Vigier, rapporteur. C’est vrai.

M. Daniel Guillerm. Autrement dit, les ARS ne prennent en charge que 25 % de ces patients. Je prends cet exemple à dessein pour illustrer la logique des ARS.

D’autre part, les CPTS n’existeront selon moi que si elles ont un projet professionnel à l’échelle du territoire. Pas de projet, pas de CPTS. Il ne sert à rien de créer des coquilles vides.

Mme Catherine Kirnidis. L’infirmière référente n’aura pas à inscrire ses actes dans le dossier médical mais simplement à identifier les professionnels qui interviennent auprès d’un patient dans son parcours de soins, surtout en cas d’hospitalisation, afin d’éviter toute rupture du lien entre les intervenants et de préparer le retour au domicile, lequel se fait aujourd’hui dans le cadre du programme de retour à domicile (PRADO) – je peux en témoigner de première main – et est organisé par le personnel de la caisse d’assurance maladie. Si les professionnels autres que le médecin traitant étaient identifiés, ils pourraient aisément – l’infirmier, en particulier – se charger du retour à domicile des patients, d’où l’intérêt selon moi d’une infirmière référente.

Quant au rôle des infirmières dans la prise en charge par les urgences, il ne s’agit pas qu’elles fassent un diagnostic mais simplement une évaluation clinique qui permet d’orienter le patient. Certes, la prise en charge doit être rapide. Cependant, vous êtes élue d’une zone rurale, madame Michel : hormis les pompiers et le Samu, il est parfois difficile de faire venir des professionnels en urgence. Or, les pompiers et le Samu emmèneront les patients à l’hôpital le plus proche moyennant des distances allant parfois jusqu’à plusieurs dizaines de kilomètres. Les infirmières, elles, sont souvent appelées pour faire de la « bobologie », ce traitement des affections légères qui, autrement, engorge les urgences, surtout en soirée et en fin de semaine.

Mme Ghislaine Sicre. Les infirmiers libéraux et même la médecine libérale dans son ensemble n’apparaissent nulle part dans les projets régionaux de santé de deuxième génération : c’est vous dire combien les ARS nous considèrent !

Quant aux soins d’hygiène – et non la toilette, monsieur le député –, ils sont rémunérés par un forfait brut de 7,95 euros qui englobe la prise de sang, l’injection et les petits pansements. Une piqûre intramusculaire est rémunérée 4,35 euros bruts. En outre, les infirmières se déplacent sans cesse au domicile des patients – et ce sont les seules à le faire. Chaque déplacement est rémunéré 2,50 euros bruts ! Nous avons maintes fois sollicité le ministère de l’intérieur à ce sujet, car le prix du diesel a considérablement augmenté. Autant vous dire que les infirmières se heurtent à de graves difficultés lorsqu’elles passent à la pompe à essence, parce qu’elles ne sont pas rémunérées à leur juste valeur compte tenu de l’augmentation des carburants.

Autre point : les diagnostics. Les orthoptistes font désormais des pré-consultations consistant à travailler sur une fiche pour le compte de l’ophtalmologiste, ce qui prend du temps. On pourrait très bien imaginer que les infirmiers travaillent de la même manière en amont, le diagnostic restant confié au médecin. Nous ferons quant à nous des relevés de surveillance clinique infirmière à partir de l’observation de symptômes. Rappelons que les infirmières sont formées à l’observation globale d’un patient. Hélas, aucun acte ne correspond à cette prise en charge.

L’accès direct, enfin : les kinésithérapeutes le réclament pour prendre en charge des entorses, par exemple. Nous pouvons également prendre en charge des patients en accès direct, sans qu’ils aient à passer par le médecin. La compétence des infirmières en matière de pansements est avérée : c’est un cas où l’accès direct est parfaitement envisageable. Nous nous heurtons cependant au problème constant de la prescription : les infirmières ne sont pas habilitées à prescrire des antiseptiques, par exemple, ni aucun autre produit nécessaire à l’accès direct. Il faut débloquer toutes ces questions.

Mme Élisabeth Maylié. Mme la députée Michel a dit nous respecter pour, dans la foulée, craindre le risque que nous commettions des erreurs : pourquoi en commettrions-nous plus que d’autres – que les médecins, par exemple ? Si vous mettez nos compétences en question, il faut le faire pour tous les professionnels de santé, et même tous les professionnels quels qu’ils soient ! Le contraire n’est pas très sympathique.

Vous avez évoqué les maisons de garde et les médecins et infirmiers qui se chargent de ces gardes. Nous sommes tenus d’exercer en permanence, vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept ; nous effectuons donc ces gardes, en quelque sorte. Lorsque les patients n’arrivent pas à accéder à un médecin, ils nous appellent, et nous sommes démunies. Si l’accès direct – ou le pré-tri, même si le terme n’est sûrement pas idéal – existait, nous pourrions résoudre d’innombrables problèmes. Nous sommes aussi des citoyens, nous avons des parents, nous sommes les vieux de demain, et c’est pourquoi nous voulons que l’accès aux soins puisse être égal pour tous sur tout le territoire, car les professionnels de santé citoyens que nous sommes constatent ces difficultés en permanence.

M. le président Alexandre Freschi. C’est l’un des objectifs de notre commission d’enquête.

M. Daniel Guillerm. Je reviens à la préférence supposément donnée aux piqûres d’insuline par rapport aux « toilettes ». La tendance actuelle – qui est lourde – est à favoriser le forfait par rapport au paiement à l’acte. Le paiement à l’acte présente l’inconvénient de favoriser l’inflation, mais la forfaitisation conduit à la sélectivité des patients. Si tous les professionnels sont rémunérés au forfait, y compris les infirmières, la sélection des patients s’en trouvera renforcée et certains patients ne trouveront plus d’infirmières.

Mme Ghislaine Sicre. En effet, parce que les cas les moins complexes seront traités en priorité !

M. Daniel Guillerm. Le paiement à l’acte permet de décrire l’acte en question – une injection, par exemple – et de le rémunérer en conséquence. Les SSIAD créés en 1981 et forfaitisés constituaient initialement une alternative à l’hospitalisation. Au fil du temps, ils se sont transformés en services de maintien à domicile. Il ne s’agissait donc plus d’une alternative à l’hospitalisation, ce qui a nécessité la création des services d’hospitalisation à domicile. La forfaitisation induit la sélectivité des patients. Si la prise en charge des personnes dépendantes est forfaitisée, par exemple, les patients les moins contraignants pour les professionnels de santé seront pris en charge en priorité pour des raisons économiques – c’est naturel. On l’observe d’ailleurs tous les jours.

M. le président Alexandre Freschi. Je ne sais pas si vos consœurs partagent le même point de vue. Madame Sicre ?

Mme Ghislaine Sicre. Pour corroborer les propos de M. Guillerm, je dirai que certains SSIAD prennent en effet en charge les patients les plus « légers » qui ne nécessitent pas des soins quotidiens mais trois à quatre déplacements par semaine seulement – alors que la rémunération correspond à des soins quotidiens.

Je reviens sur la question des compétences des infirmières en citant un exemple dont j’ai été témoin il y a une quinzaine de jours et encore la semaine dernière dans ma propre patientèle. Les infirmières sont en bout de chaîne. À chaque fois qu’un médecin prescrit un médicament et qu’il est délivré, l’infirmière a obligation de vérifier l’ordonnance, la date de péremption du médicament, sa posologie et d’autres données. À deux reprises, donc, notre cabinet d’infirmiers a évité de graves erreurs, notamment dans le cas d’un enfant à qui un médicament avait été prescrit à une dose dix fois supérieure à la dose adaptée – erreur que le pharmacien n’avait pas détectée. Chacun ses compétences, certes, mais la vigilance des infirmières qui, en bout de chaîne, sont chargées d’injecter les produits, est pleine et entière. La semaine dernière encore, un pharmacien n’a pas donné la posologie adéquate à l’un de mes patients à qui nous n’avons donc pas pu délivrer immédiatement le médicament ; il a fallu retourner chez le pharmacien – qui, accessoirement, était fermé le soir, mais je vous passe les détails.

Mme Nicole Trisse. Vous évoquiez la forfaitisation, qui suscite certes des abus, mais il me semble que le paiement à l’acte n’est pas non plus sans danger car il favorise une forme d’abattage et, par conséquent, le travail mal fait.

M. Daniel Guillerm. En effet : comme je vous le disais, c’est inflationniste !

Mme Nicole Trisse. Quelle que soit la solution retenue, un encadrement est nécessaire, car les abus existent partout.

Je m’interroge, madame Sicre : la rémunération de 2,50 euros pour les déplacements prend-elle la forme d’un forfait ou d’une indemnité kilométrique ?

Mme Ghislaine Sicre. C’est une indemnité forfaitaire de déplacement.

Mme Nicole Trisse. Soit. S’agissant de l’ARS, enfin, je conclus de vos propos qu’étant donné la feuille de route des plans régionaux de santé et la priorité accordée au maillage territorial, les infirmiers libéraux auraient été oubliés dans la concertation ; est-ce le cas ?

M. Daniel Guillerm. Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. Je dis que le logiciel des ARS privilégie les structures. Les directeurs d’ARS auront quelque difficulté à vous décrire les tâches d’une infirmière libérale ; demandez-leur en revanche en quoi consistent les missions d’un service de HAD et ils vous feront une réponse précise.

Nous voulons vous dire ceci : dans le cadre du virage ambulatoire, les ARS ne s’appuient pas assez sur les représentants régionaux des secteurs de ville, notamment les URPS, pour élaborer les plans régionaux de santé – même si elles le font tout de même un peu puisque les textes les y obligent. En pratique, cependant, tout indique que leur vision est structurocentrée : elles privilégient l’hôpital, les structures telles que les SSIAD et la HAD, mais quid du reste ?

Mme Françoise Pacchioli. Permettez-moi de revenir sur la question des gardes dans le secteur privé et le secteur public. Lorsque j’ai commencé d’exercer il y a trente ans, à Grenoble, les infirmières pouvaient s’inscrire sur une liste de garde volontaire : elles se rendaient au Samu du CHU où il leur était donné un boîtier – les portables n’existaient pas à l’époque – qu’elles utilisaient pour faire de véritables gardes de nuit, y compris en effectuant les injections prescrites. Ce type de garde n’existe plus – hors continuité des soins – puisque les infirmières sont déprescrites. Prenons l’exemple d’un patient rentrant à domicile pour une chimiothérapie de quarante-huit heures : je dors toujours à proximité de mon téléphone car, si la perfusion pose problème, je me déplace sur-le-champ.

Mme Catherine Kirnidis. Il est vrai que les ARS sont non seulement structurocentrées mais aussi médicocentrées. Tous les élus régionaux que nous sommes – je le suis dans la région PACA – ont constaté que la part des infirmières dans les plans régions de santé est quelque peu légère. D’autre part, il me semble que les responsables politiques méconnaissent notre métier et nos capacités. M. Grégory Emery et un responsable de l’ARS de la région PACA ont récemment fait une tournée à Mayotte en compagnie d’un infirmier libéral pour constater la réalité de la situation sur place. Leurs conclusions sont très instructives. Nous ne faisons pas de « toilettes », monsieur Delatte ; nous effectuons des soins d’hygiène et assurons une prise en charge globale du patient. La toilette, quant à elle, peut être faite par un conjoint ou toute autre personne. Il est heureux qu’il ne soit pas nécessaire de recourir à une infirmière pour faire une toilette en cas de problème de santé.

Nous prodiguons donc des soins d’hygiène, qui sont déjà forfaitisés à raison de 7,95 euros bruts par demi-heure. Autrement dit, le tarif des soins d’hygiène des infirmières est inférieur à celui d’une femme de ménage, hors le forfait de déplacement qui s’élève à 2,50 euros, puisque l’indemnité kilométrique ne vaut qu’en zone rurale ou montagneuse – ce qui pose un problème en zone urbaine où le temps passé dans les embouteillages est également rémunéré 2,50 euros. Or, les hypercentres des grandes métropoles commencent à peiner à trouver des professionnels de santé parce qu’il est impossible de s’y garer et d’y circuler pour 2,50 euros, et que le temps passé en voiture est souvent supérieur au temps passé à effectuer les soins.

Mme Ghislaine Sicre. Je reviens sur les gardes. En Nouvelle-Aquitaine, un pool d’infirmières libérales a mis en place un service de garde avec des pharmaciens, qui leur remettent des mallettes d’urgence. Leur astreinte est rémunérée par l’ARS et elles assurent des gardes de nuit pour toutes sortes de patients ; elles sont joignables à un numéro de téléphone communiqué par l’ARS.

Le stationnement, ensuite : c’est en effet un problème. J’ai plusieurs fois interpellé en vain le président de l’Association des maires de France et le ministère de l’intérieur. Nous avons adressé des courriers dans toutes les villes où des problèmes de stationnement existent. La carte de stationnement est très chère dans certaines villes et vous comprendrez qu’avec 2,50 euros, il est difficile d’y stationner, d’y circuler et de mettre du carburant dans les véhicules. Plusieurs villes comme Paris ont résolu le problème en accordant un macaron santé gratuit aux infirmiers dès lors qu’ils adressent leur numéro ordinal et leur cotisation à la mairie – ce qui est normal. Ailleurs, il est à mon sens probable que se créent des zones blanches sans infirmiers à cause de ce seul problème de stationnement. Les professionnels ne se déplaceront plus dans des endroits où les amendes sont aussi élevées et où la carte de stationnement coûte 300 euros.

M. Jean-Carles Grelier. Permettez-moi d’illustrer ce que je disais tout à l’heure sur le regard que l’on porte sur le monde de la santé et son organisation, qui est ancienne. Vous évoquiez l’incapacité à prescrire du sérum physiologique, qui est pourtant un produit vendu en grande surface : autrement dit, il est interdit à un professionnel de santé de prescrire un produit que le patient peut se procurer directement et sans prescription dans les rayons d’un grand magasin !

Permettez-moi également d’évoquer une dimension de la fonction des infirmières, notamment libérales, qui me paraît essentielle et illustrative de la nécessaire collaboration horizontale avec les autres professionnels de santé. Parce que vous passez beaucoup de temps au domicile des patients, vous êtes les seules à pouvoir faire de l’observance des traitements. Or, cette question est très problématique pour l’assurance maladie, parce qu’il arrive souvent que vous retrouviez dans un sachet délaissé des médicaments qui ne seront jamais pris, alors qu’ils ont un coût énorme.

En outre, votre rôle en matière d’observance des traitements permet aussi de prévenir le risque iatrogénique : souvent, dans ces petits sachets délaissés au bout de la table de la salle à manger, se trouvent aussi des médicaments qui sont mal pris. Le risque iatrogénique fait dix mille victimes chaque année en France. C’est la preuve que la collaboration entre les médecins, les infirmières, les pharmaciens et d’autres professionnels de santé est indispensable.

Mme Ghislaine Sicre. Nous sommes en cours de négociation conventionnelle avec la CNAMTS sur l’observance. Nous ne disposons pas encore d’acte nomenclaturé pour prendre en charge ces patients. La CNAMTS refuse d’y consacrer les fonds nécessaires et propose des actes très restrictifs. Au moins deux de nos organisations syndicales ont notamment demandé un bilan médicamenteux lors de la prise en charge de ces patients, mais la CNAMTS l’a occulté.

En ce qui concerne la transversalité, nous avons fait des propositions qui, là encore, ont été rejetées. C’est pourtant une nécessité : nous avons des armoires pleines de médicaments. C’est catastrophique, mais nos capacités d’observance ne sont pas prises en considération par l’État et par la CNAMTS – ou alors à moindre coût.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Je vais m’efforcer de conclure en évoquant quelques points que cette audition a mis en relief. J’ai notamment été très attentif à vos remarques sur les mesures de régulation. Il est utile de constater avec le recul du temps les résultats, positifs et négatifs, d’une expérimentation dans laquelle la profession s’est totalement impliquée.

J’en viens à la notion de coopération : c’est un véritable édifice, un jeu de Lego que nous bâtissons. Il faut reconnaître les compétences des professionnels de santé – je rechigne à distinguer entre les professionnels médicaux et paramédicaux, car tous sont des professionnels des soins ; ne jouons pas sur les mots. Chacun a ses compétences, sa formation, sa mission.

Ensuite, je suis favorable à la porosité, à la perméabilité entre les corps. L’expérience grenobloise que vous avez décrite, madame Pacchioli, est intéressante : pour accueillir les patients à leur sortie – toujours plus tôt – de l’hôpital, les premiers fantassins sont les infirmiers. J’ai moi aussi connu les gardes à l’ancienne, il y a trente ans : elles présentaient l’avantage de la prise en charge permanente. Il va bien falloir réfléchir à une nouvelle organisation des gardes.

S’agissant du dispositif Asalée, je vous demanderai de nous présenter un récapitulatif de la nomenclature des tâches à vous confier. Tout travail mérite rémunération. Nous avons certes des pistes en tête mais c’est de la confrontation des idées que naîtront les propositions les plus équilibrées.

D’autre part, ma question sur les plateaux de régulation est restée sans réponse. Je rebondissais sur une proposition de M. Mesnier : à multiplier les instances de régulation – le 15, le 112, le SMUR, SOS Médecins –, on finit par produire de la dérégulation. Selon vous, serait-ce une perspective d’ouverture professionnelle que de placer les infirmiers au cœur des plateaux de régulation – comme dans les métiers du numérique ? Nous avons eu cette conversation avec Pierre Simon, ancien président de la Société française de télémédecine. Si les interlocuteurs répondant sur les plateformes n’ont pas les compétences requises, alors ces plateformes sont vouées à échouer. Les nouveaux métiers me semblent donc receler de nouvelles possibilités.

Enfin, je crois à l’infirmière de 2020 dotée d’un micro-ordinateur, comme c’est déjà parfois le cas dans les hôpitaux et les EHPAD où, à condition d’utiliser des logiciels adéquats, elles peuvent faire apparaître sous leurs yeux toutes les incompatibilités médicamenteuses. Il me semble utile que les infirmières puissent noter dans les DMP différents actes comme des injections, par exemple. Loin d’être de la suradministration, cette précaution me semble participer d’une chaîne de soins et représenter un gage d’efficacité qui permettrait en outre d’apporter une solution mixte de rémunération – sans la réduire à la simple alternative entre la tâche et le parcours – qui s’appuierait sur la traçabilité. Je rappelle qu’une seule profession a accepté l’accréditation en médecine : les biologistes. Existe-t-il une traçabilité plus contrôlée des professions de santé, et vous agréerait-elle ?

M. Daniel Guillerm. Selon la Fédération nationale des infirmiers, le dispositif Asalée n’est pas un modèle adapté, car il consiste – comme ce à quoi les médecins sont parvenus avec le décret IPA – à vider le décret de sa substance pour produire des assistantes médicales. De fait, les infirmières Asalée sont aujourd’hui des assistantes médicales.

Nous sommes très favorables à l’instauration du DMP mais c’est une arlésienne dont on nous parle depuis plus de dix ans sans évoquer les outils. En ce qui nous concerne, nous sommes persuadés que la collaboration passe par le partage d’informations, et que le DMP le favorisera – à condition de ne pas noyer les professionnels de santé sous les informations. Il faut impérativement périmétrer le contenu des informations à intégrer dans le DMP pour que les professionnels concernés évitent de se perdre dans d’immenses bibliothèques où ils ne trouveraient jamais l’ouvrage recherché. À cette condition, tous les outils qui favorisent le partage d’informations amélioreront la coordination et, par conséquent, la prise en charge du patient. En clair : oui au DMP.

Mme Françoise Pacchioli. En ce qui concerne le DMP, la messagerie sécurisée SISRA a été mise en place dans la région Rhône-Alpes-Auvergne, mais c’est un outil très lourd et donc très peu utilisé, dont il apparaît au fil de nos conversations avec les médecins qu’il n’est pas pratique. Mieux vaut un outil unique pour l’ensemble des patients et des territoires. Dans mon cas, par exemple, seuls deux médecins avec lesquels je travaille le plus utilisent cette messagerie ; je ne peux donc pas l’utiliser avec les autres. Il faudrait la généraliser et la rendre obligatoire pour garantir la traçabilité et la protection de toutes les informations transmises.

Mme Ghislaine Sicre. Je rejoins M. Guillerm sur le dispositif Asalée. Quant au plateau de régulation, il offre en effet des possibilités aux infirmières à condition qu’elles soient formées à la prise en charge de l’urgence, comme le sont certaines d’entre elles dans le cadre de l’attestation de formation aux gestes et soins d’urgence (AGFSU).

Le DMP est un outil important dans lequel, à l’image d’une dropbox, nous pourrions déposer des fiches et des bilans concernant un patient pour servir aux autres professionnels de santé. Néanmoins, je sais par expérience de la coordination permanente de la prise en charge des patients que le DMP ne convient pas ; il faut un autre outil. Nous prônons la création d’un outil sécurisé comportant des indicateurs de suivi du patient et d’amélioration de la prise en charge, l’essentiel étant qu’il soit axé sur le patient. De cet outil, nous pourrons extraire des fiches à inclure dans le DMP, qu’il est impossible de rendre accessible en permanence à tous les acteurs qui interviennent autour du patient – au risque de disposer d’une bibliothèque gigantesque dont nul ne saurait se servir, et qui présenterait des risques importants d’erreurs de référencement des dossiers et des informations. Cela étant dit, nous sommes favorables au DMP – même si c’est en effet une arlésienne.

Mme Catherine Kirnidis. Le DMP serait en effet un bel outil s’il était périmétré, facile d’accès et compatible avec les logiciels métiers, qui varient selon les fournisseurs. Il faudra donc adapter les différents logiciels et leurs versions.

Le dispositif Asalée n’est certes pas la seule solution mais elle est intéressante : les infirmières qui travaillent sous ce régime en sont plutôt satisfaites. C’est un mode d’organisation parmi d’autres, qui produit des résultats et qui permet aux infirmières d’exercer des compétences qu’elles ne pourraient pas exercer autrement, en particulier en matière de prévention et d’éducation thérapeutique.

Mme Ghislaine Sicre. Toujours sous la tutelle du médecin !

M. le président Alexandre Freschi. C’est pourtant un mécanisme collaboratif.

M. Jean-Carles Grelier. Au cas où ce fait avait échappé à la sagacité légendaire du rapporteur, l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES) vient de publier cette semaine une excellente enquête-bilan sur Asalée qui s’appuie sur des entretiens avec de très nombreux acteurs – médecins, infirmières et autres. Éclairante et nuancée, elle confirme que c’est en fonction de la qualité des relations sur le terrain entre médecins et infirmiers que le dispositif fonctionne ou non. Peut-être notre rapporteur voudra-t-il y faire référence.

M. Daniel Guillerm. Dans ce cas, il faut aussi préciser qu’était à l’origine de l’expérimentation Asalée Yann Bourgueil, directeur de l’IRDES. La précision me semble importante.

M. Philippe Vigier, rapporteur. En effet.

Mme Élisabeth Maylié. M. Vigier nous a demandé de nous mettre d’accord sur les tâches qui pourraient nous être déléguées. Soit ; je veux bien m’asseoir autour de la table pour en discuter à condition que l’on ne parle pas de « tâches » – le terme me choque. Je ne fais pas des tâches mais des actes ; j’ai des compétences. Nous avons demandé x fois de supprimer ce terme – comme celui de « toilette » – du vocabulaire qui nous concerne, mais en vain. Je vous le dis franchement : s’il s’agit de me déléguer des « tâches », ce sera non.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Nous attendons donc vos contributions écrites sur les délégations d’actes – et non pas de tâches...

M. le président Alexandre Freschi. Je vous remercie.

 


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Audition de M. Jean-Marc Aubert, directeur général, et Mme Muriel Barlet, sous-directrice de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) 

Présidence de M. Alexandre Freschi, Président de la commission denquête

M. le président Alexandre Freschi. Nous auditionnons ce matin M. Jean-Marc Aubert, directeur général de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) du ministère des solidarités et de la santé, et Mme Muriel Barlet, sousdirectrice. Nous avons décidé de rendre publiques nos auditions. Celles-ci sont ouvertes à la presse, diffusées en direct sur un canal de télévision interne et consultables en vidéo sur le site internet de l’Assemblée nationale.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Jean-Marc Aubert et Mme Muriel Barlet prêtent successivement serment.)

Je vous cède à présent la parole pour une courte introduction.

M. Jean-Marc Aubert, directeur général de la DREES. La DREES a une double mission d’information statistique, entrant dans le cadre du réseau de la statistique publique, mission indépendante du ministère des solidarités et de la santé, et une mission de conseil auprès de ce ministère. La plupart des demandes de chiffres que vous nous avez envoyées entrent dans le cadre de la première mission. Nous faisons deux types d’exercices : d’une part, nous travaillons sur l’état actuel de la démographie médicale et, plus généralement, des professionnels de santé et, d’autre part, nous faisons des projections à long terme de cette démographie.

Le nombre de médecins en France continue à croître mais nous observons une décroissance du nombre des médecins généralistes libéraux et un fort vieillissement de ceux-ci. Dans l’hypothèse de la stagnation du numerus clausus et compte tenu de la répartition actuelle des internes, nous devrions voir dans les prochaines années se poursuivre la baisse, déjà constatée, du nombre de médecins généralistes libéraux par rapport à la population consommatrice de soins. Cette baisse devrait être d’environ 30 % à l’horizon 2025-2030.

S’agissant des déserts médicaux, on observe depuis les quinze dernières années une diminution de la capacité de soins et une baisse d’environ 15 % du nombre de consultations de médecine générale par habitant en France – baisse qui se poursuit, voire s’accentue. Par conséquent, même si les médecins généraux sont relativement aussi bien répartis sur le territoire que les pharmaciens – dont l’installation est pourtant soumise à régime d’autorisation – et même si l’indice de dispersion des médecins spécialistes, des infirmières et des kinésithérapeutes libéraux est beaucoup plus élevé, le nombre de généralistes baisse sur le territoire. Il y a donc des difficultés dans certains endroits. Le fait qu’il y ait une fragilisation générale de la population de généralistes entraîne une fragilisation encore plus importante des zones déjà fragiles au départ. On assiste ainsi à une croissance de la population qui n’aurait accès qu’à 2,5 consultations de généraliste par personne, contre une moyenne de 4,1 par an en France. Cela concerne un peu plus de 8 % de la population et ce pourcentage est en train de croître.

Comme nous le montrons dans notre dernière publication du mois de mai sur le sujet, les zones rurales ne sont pas seules concernées, loin de là. Beaucoup de zones périurbaines, notamment en région parisienne, le sont également, de même que certains petits pôles urbains. Les médecins généralistes libéraux sont aussi bien répartis qu’en 1980. Simplement, après des décennies de croissance de leur nombre, on a assisté à une stagnation puis désormais une baisse de ce nombre par rapport à la population consommatrice de soins.

M. Philippe Vigier, rapporteur. À vous écouter, tout va bien ! Franchement, je vous invite à venir visiter nos territoires ! Vous dites qu’il n’y a pas moins de médecins qu’en 1980 : je ne vous ferai pas l’injure de vous rappeler que la population a augmenté depuis ! J’aurais bien aimé que vous nous disiez aussi quel est le nombre d’heures disponibles des médecins. Auriez-vous des chiffres précis ? De quand datent vos statistiques ? Selon un rapport de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) publié l’an dernier, 6 millions de Français renoncent à des soins : pourquoi ? Parallèlement, le reste à charge a augmenté pour eux, ce qui pose un problème de cohésion sociale. J’ai la chance d’habiter dans le département de France où la densité médicale est la plus faible. Vous avez d’ailleurs bien fait de rappeler que la ruralité n’était pas seule touchée : les grandes villes le sont également. En dehors de la ville de Tours, la région Centre‑Val-de-Loire est sous-densifiée partout. Ce n’est pas nous qui avons établi les critères, ce sont les agences régionales de santé (ARS). Et quand vous faites la comparaison avec les pharmaciens, vous me faites sourire. Il y a moins de 18 000 pharmacies installées sur le territoire : combien y en a-t-il de moins qu’il y a trente ans ? Pourquoi des pharmacies ont-elles disparu ? Pourquoi y a-t-il une pharmacie par jour qui ferme à l’heure actuelle ?

Vous prévoyez un creux de la vague en 2030. Il s’agit quand même de la santé publique, le plus gros budget de l’État ! Nous avons les meilleures statistiques du monde et toutes les données informatiques. On devrait donc travailler en temps réel. Cependant, mon ARS travaille avec des chiffres de 2014 ! Comment peut-on, dans ces conditions, avoir la vision la plus actualisée possible du nombre d’heures disponibles des médecins ? On assiste en effet à une évolution singulière qui est cautionnée et demandée par les professionnels – les jeunes en particulier. On peut comprendre ces professionnels : il y a notamment une féminisation de la profession dont vous n’avez pas dit un mot. Notre travail de parlementaires est de faire des propositions au Gouvernement et non pas de taper sur qui que ce soit. Tout le monde est responsable et tout le monde porte un jugement extrêmement sévère sur une organisation des soins qui est en rupture. Tous les scandales auxquels on assiste depuis quelques semaines ne font qu’illuster un système à bout de souffle. Nous avons donc besoin de votre appréciation statistique et de données démographiques précises. S’agissant par exemple de l’âge de départ à la retraite, il serait bien qu’on ait des histogrammes. Vous ne pouvez pas passer de 1980 à 2017 en ignorant qu’au milieu est passé le micmac de Mme Aubry. Cela a entraîné une accélération considérable de ces départs à la fin des années 1990. On vous expliquait alors que vous pouviez partir plus jeune à la retraite et que c’était formidable. Maintenant, on vous demande à 67 ans de cumuler votre emploi et votre retraite, moyennant une exonération de charges sociales. Nous avons donc besoin d’une aide au diagnostic. Je ne porte pas de jugement sur les propos que vous tenez mais je voudrais être parfaitement éclairé par de vraies statistiques car il n’est pas acceptable qu’on travaille avec cinq ans de retard.

M. Jean-Marc Aubert. Tout d’abord, je n’ai pas dit que cela allait bien mais que les généralistes étaient aussi bien répartis que les pharmaciens, ce qui est une réalité. J’ai dit aussi que le nombre de médecins généralistes libéraux allait baisser de 30 % d’ici à 2025 et qu’au milieu des années 2000 on avait perdu 15 % de consultations généralistes. On continue à en perdre chaque année. La situation se dégrade donc effectivement.

Ensuite, je tiens à vous rassurer : les derniers chiffres publiés le 5 mai dernier par la DREES présentent le nombre global de médecins au 1er janvier 2018 et des statistiques géographiques de 2017. Nos données n’ont donc pas cinq ans de retard sur ces sujets.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Comment expliquez-vous que les ARS, alors qu’elles sont le bras armé de l’État pour la régulation et l’accès aux soins et au médico-social dans les régions, n’aient pas les chiffres au 1er janvier 2018 ?

M. Jean-Marc Aubert. Les derniers chiffres pour 2017 ayant été publiés le 5 mai dernier, les ARS travaillent sur les chiffres de l’accessibilité potentielle localisée (APL) de 2016, ce qui est normal. Même s’il y a eu des évolutions depuis, elles ne sont pas telles que les chiffres de 2016 soient totalement invalidés. Ensuite, quand nous produisons des données, elles sont en open data. Les ARS peuvent donc sans aucune difficulté actualiser leurs chiffres. N’étant pas responsable du fonctionnement de chacune des ARS, je ne sais pas pourquoi celle dont vous parlez travaille avec les chiffres de 2014 puisque nous lui avons officiellement fourni des données pour l’année 2016 il y a quelques mois et que les ARS ont maintenant à leur disposition les données de 2017.

Quant à la question du temps de travail, elle est extrêmement complexe. Si l’on a la capacité de mesurer le temps de travail, en équivalent temps plein (ETP), des salariés des établissements de santé, en revanche on n’a pas le même type d’informations concernant les médecins libéraux. Par contre, nous faisons régulièrement des enquêtes sur l’évolution du temps de travail des professionnels et nous avons constaté une réduction du temps de travail génération après génération. Il est dommage que nous n’ayons pas de données datant des années 1960, sans quoi nous aurions peut-être pu démontrer qu’à cette époque, déjà, il y avait une réduction du temps de travail des professionnels libéraux – puisque les salariés suivent une telle évolution depuis un siècle. Cette réduction du temps de travail, génération après génération, est d’abord liée à l’évolution des préférences. Les médecins des générations les plus récentes travaillent moins que les médecins des générations les plus anciennes, à âge égal. Par ailleurs, les médecins les plus âgés réduisent aussi leur temps de travail par rapport à celui des médecins d’âge intermédiaire.

Comme nous ne pouvons connaître en permanence le temps de travail des médecins libéraux, nous nous référons aussi au nombre de consultations. Nous essayons de faire des prévisions intégrant deux variables : celle du nombre de médecins et celle du nombre de consultations. Pour identifier les déserts médicaux, où l’accessibilité potentielle localisée (APL) est inférieure de 30 % à l’indice moyen du territoire national, nous prenons en compte l’âge des médecins et leur capacité d’activité. C’est ainsi que nous avons calculé que 8,6 % des Français accédaient à une offre potentielle inférieure à 2,5 consultations de généralistes par population standardisée. Nous travaillons aussi sur la question des spécialistes et sur celle d’autres professions. Il y a des endroits où tant les généralistes que les spécialistes manquent, d’autres où ce sont essentiellement les premiers ou les seconds. Nous pourrons vous transmettre des documents sur le sujet.

Mme Muriel Barlet, sous-directrice de la DREES. Pour connaître l’offre libérale disponible à une date donnée, on tient compte à la fois du nombre de médecins et de leur âge. Comme l’a rappelé Jean-Marc Aubert, les médecins plus jeunes font plutôt moins de consultations. C’est en cumulant ces paramètres avec celui de la croissance de la population et de son vieillissement qu’on projette, à l’horizon 2025-2030, une baisse du nombre de médecins libéraux de l’ordre de 30 %.

M. le président Alexandre Freschi. Nous avons bien compris que le temps médical baissait de génération en génération. Vous nous indiquez que 98 % de la population vit à moins de dix minutes d’un médecin généraliste, mais que, comme les généralistes sont moins disponibles qu’auparavant, il y a une baisse du temps médical et de la présence des généralistes sur le territoire.

M. Jean-Marc Aubert. Le fait qu’il y ait un médecin à dix minutes de chez vous ne veut pas dire qu’il a le temps de vous recevoir. C’est pourquoi nous calculons cette APL. La statistique existe mais ce n’est pas sur elle que j’ai insisté.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Le président a posé une question extrêmement pertinente. C’est un peu comme habiter à dix minutes d’une gare : s’il n’y a pas de train, cela ne sert à rien. Le problème n’est pas de savoir si nos concitoyens sont à dix minutes d’un médecin mais si on a la capacité ou non de prendre en charge les patients. Pour évaluer cette capacité, vous êtes obligé de tenir compte du fait que 6 millions de personnes ont renoncé à des soins.

M. Jean-Marc Aubert. C’est pourquoi, dans les zones denses, nous communiquons non pas sur le temps d’accès au médecin, mais sur ce qu’on appelle l’APL. Je laisserai Muriel Barlet vous rappeler ce que c’est. Vous comprendrez alors que nous prenons en compte et les besoins de la population et la capacité de soins.

Mme Muriel Barlet. L’indicateur d’accessibilité potentielle localisée tient compte du nombre de consultations que fait le médecin, de la distance entre le médecin et le patient, de la demande adressée au médecin et de l’âge de la population qui adresse cette demande. Les enfants et les personnes âgées consomment en effet plus.

Mme Stéphanie Rist. Si j’ai bien compris, le problème de l’accès aux soins s’explique par un nombre de médecins trop faible par rapport aux besoins de consultations. Avez-vous établi des comparaisons européennes en la matière ?

M. Jean-Marc Aubert. Nous vous transmettrons des données européennes et mondiales, qu’il s’agisse du nombre de professionnels de santé ou du nombre de médecins. Certains pays ont une démographie médicale de même ordre qu’en France, tels que l’Allemagne. En Europe du Sud, la démographie est plutôt supérieure. À l’inverse, les États-Unis et le Royaume-Uni ont une démographie inférieure. Cependant, il faut faire attention à ce type de comparaisons. Dans les pays à démographie inférieure, le système de soins primaire comme le système de soins secondaires ne sont pas du tout organisés de la même manière qu’en France. Dans un practice médical britannique, il y a autant d’autres professionnels que de médecins généralistes. Pour préparer le diagnostic du médecin, le patient rencontre d’abord une infirmière, ce qui réduit le temps nécessaire chez le médecin. En Europe du Sud et en France, le système n’est pas du tout organisé de la même manière. Il faut donc se méfier. La France est plutôt dans la moyenne basse de l’Europe en termes de démographie médicale. Eurostat et l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ont établi des comparaisons et ont, pour ce faire, procédé à une standardisation sur dix ans, à laquelle la DREES a contribué.

M. le président Alexandre Freschi. Auriez-vous des éléments quant aux effets des initiatives qui ont été prises en Allemagne, telles que l’interdiction d’installations supplémentaires de médecins dans les zones déjà pourvues ou « surdenses » ? Savez-vous quel serait l’impact de ce type de mesures sur les déserts médicaux français ?

M. Jean-Marc Aubert. Nous avons des éléments d’évaluation des expériences étrangères menées sur les soins primaires – évaluations généralement faites elles-mêmes à l’étranger. Nous avions fait passer ces éléments à une commission parlementaire il y a quelques mois. Je vous les renverrai. Que ce soit en Allemagne ou au Québec, les résultats des expériences menées en matière de soins primaires sont assez décevants. Il y a eu beaucoup d’installations autour des zones interdites et peu d’installations dans les déserts médicaux. Cependant, les difficultés dépendent des pays et il est complexe de comparer l’expérience québécoise à l’expérience allemande. Au Québec, les déserts médicaux correspondent à des zones qu’on n’a pas en France, compte tenu de la très faible densité de la population québécoise. En Allemagne, le territoire est beaucoup plus densément peuplé. L’interdiction d’installation dans certaines zones pourrait éventuellement avoir des effets positifs en région parisienne mais pas dans le rural profond ni dans les zones périurbaines.

M. le président Alexandre Freschi. Un système de régulation a été mis en place pour les infirmières, qui fonctionne plutôt bien puisque la couverture du territoire par les infirmières libérales est assurée.

Mme Muriel Barlet. La répartition des infirmières libérales est bien plus inégalitaire que celle des médecins généralistes.

M. Jean-Marc Aubert. Ce système de régulation a eu des effets positifs mais je ne suis pas certain qu’il suffira à rééquilibrer la répartition des infirmières libérales sur le territoire car le dispositif couvre peu de zones du territoire.

Mme Nicole Trisse. Vous nous avez parlé des médecins généralistes. Quid des spécialistes ? Prenez-vous les mêmes paramètres en compte pour évaluer la répartition des uns et des autres sur le territoire ?

M. Jean-Marc Aubert. Autant on peut considérer les généralistes comme un groupe relativement homogène, autant, pour les spécialistes, on est obligé de travailler spécialité par spécialité. Globalement, les spécialistes sont moins bien répartis sur le territoire.

Mme Muriel Barlet. Nous avons travaillé pour l’instant sur quatre spécialités : les gynécologues, les ophtalmologues, les pédiatres et les psychiatres. Notre travail est moins poussé sur les spécialistes, car comme leur temps de travail ne comprend pas uniquement des consultations, il est plus complexe à prendre en compte. Nous avons néanmoins utilisé la notion d’équivalent temps plein (ETP) pour ces spécialistes. Enfin, je vous ai dit qu’on rapportait les chiffres à une population pondérée, mais on s’aperçoit que la pondération varie d’une spécialité à l’autre. Chaque spécialité nécessite un travail particulier et la distance ne joue pas de la même façon : on considère un médecin généraliste qui est à plus de vingt minutes comme totalement inaccessible pour son patient alors que pour les médecins spécialistes, on a mis cette borne à quarante-cinq minutes. Moyennant ces ajustements, on développe le même type d’indicateurs et l’on montre que la répartition est beaucoup plus inégalitaire pour les médecins spécialistes avec, cette fois, une opposition très marquée entre l’urbain et le rural. Les grands pôles urbains sont eux-mêmes mieux dotés que les moyens et petits pôles urbains.

Mme Nicole Trisse. Pourriez-vous nous préciser quel est l’écart entre les régions les mieux pourvues et les régions les moins bien pourvues dans les quatre spécialités dont vous avez parlé ?

Mme Muriel Barlet. Ce sont les psychiatres qui sont les plus mal répartis, suivis par les pédiatres, les ophtalmologues puis les gynécologues.

M. Guillaume Garot. Pourriez-vous nous indiquer la variation de ces inégalités selon les départements ?

Mme Muriel Barlet. Nous ne regardons pas les choses département par département, mais par territoires continus car nous voulons éliminer les effets de frontière.

M. Guillaume Garot. Dans ce cas, donnez-nous les chiffres par territoires.

Mme Muriel Barlet. Nous regardons le rapport entre les 10 % de communes les mieux dotées et les 10 % les moins bien dotées.

M. Jean-Marc Aubert. Pour les psychiatres, le rapport est de 1 à 18,6 ; pour les pédiatres, de 1 à 13 ; pour les gynécologues, de 1 à 8 ; pour les ophtalmologues, de 1 à 6 environ.

M. Guillaume Garrot. Il y a donc des inégalités criantes dans la répartition des professionnels de santé, et en particulier des spécialistes, dans notre pays. Partons quand même de ce constat objectif. Vous êtes là pour nous donner les chiffres. Avez-vous une cartographie de l’offre de santé pour chaque territoire ? Si vous ne l’avez pas aujourd’hui, pourriez-vous la produire et nous la présenter ?

M. Jean-Marc Aubert. On produit des cartes par type de professionnels, mais on peut faire des croisements. Il faut seulement choisir une méthode de croisement, pour ne pas parler de choux et de carottes : si, en premier recours, on peut imaginer des substitutions, un psychiatre ne fera pas le travail d’un ophtalmologue ni inversement.

M. Guillaume Garrot. Ce serait un outil important pour nous.

Vous nous avez dit qu’à l’horizon 2030, la population de médecins généralistes allait diminuer de 25 % à 30 % par rapport à ce qu’elle est aujourd’hui. Combien de médecins faudrait-il former pour répondre aux besoins de la population ?

M. Jean-Marc Aubert. Il faut former l’équivalent de 30 % des quelque 55 000 médecins généralistes libéraux actuels, soit de l’ordre de 15 000 médecins. J’insiste sur les mots « généralistes » et « libéraux ». La question se pose en effet différemment pour les médecins spécialistes et pour les médecins salariés. Le nombre de généralistes a stagné, voire légèrement augmenté, ces dernières années. Par contre, le nombre de médecins généralistes libéraux a diminué.

Mme Mireille Robert. Que pensez-vous d’une réouverture du numerus clausus ?

M. Jean-Marc Aubert. Si l’on observe ce qui se passe à l’étranger, l’ouverture du numerus clausus est une solution à dix ans. La répartition des internes est une solution à trois-quatre ans. La question est de savoir si l’on structure ou pas l’offre de soins et si, comme l’ont fait les Britanniques dans les années 1960, on fait en sorte que les médecins généralistes travaillent avec des infirmières. L’expérience qui a été faite dans le cadre du protocole ASALEE en France a quand même permis de conforter l’offre de soins. Ce peut donc aussi être une solution à cinq ans ou plus, en fonction de l’attractivité du dispositif et de la volonté qu’auront les professionnels de santé d’y participer. Les Britanniques l’avaient fait dans les années 1960 avec de très fortes incitations, mais même dans ce cas-là le dispositif n’est pas effectif immédiatement. Si l’on souhaite vraiment maintenir l’offre de soins de généralistes libéraux à l’horizon 2030, il faut probablement combiner ces mesures et quelques autres car le maintien de la répartition de ces médecins nous interroge aussi. Aucune mesure à elle seule ne suffira.

M. le président Alexandre Freschi. Pourriez-vous estimer le nombre de médecins supplémentaires qui serait nécessaire pour maintenir le niveau de l’offre de soins ? Combien de médecins vont être formés en France durant cette même période ?

M. Philippe Vigier, rapporteur. Il faut tenir compte de tous les paramètres. Estime‑t-on normal qu’un médecin parte à la retraite à taux plein à 67 ans alors qu’une grande réforme des retraites arrive l’année prochaine ? On peut ensuite évaluer sans beaucoup se tromper l’augmentation de la population d’ici à 2035. Il faut aussi tenir compte de l’évolution de la prise en charge médicale. À l’heure actuelle, on fait de plus en plus d’ambulatoire et toutes les personnes que nous avons auditionnées nous expliquent qu’on sort de plus en plus tôt de l’hôpital. C’est un paramètre dont il faut tenir compte. On sait qu’avec les progrès de la médecine, on a accès au fil du temps à de nouveaux actes. Quelle formation doit-on mettre en place de manière à pouvoir apporter en 2035 la réponse la plus crédible possible à la question de l’accès aux soins ?

M. Jean-Marc Aubert. La plupart des paramètres dont vous parlez sont déjà intégrés dans nos projections. Mais comme je le disais, ces projections sont faites à organisation donnée de la médecine. Des changements s’opèrent dont certains sont spontanés et d’autres pas. Le nombre de médecins n’a pas plus de sens que le nombre de consultations si l’on décide que, demain, une partie du travail de consultation des médecins sera faite soit par des infirmières de pratique avancée, soit par des infirmières salariées travaillant pour les généralistes. Le nombre de médecins seul n’a pas non plus de sens si l’on décide que demain, la vaccination sera faite par des pharmaciens et plus par le médecin généraliste comme aujourd’hui. Au-delà du nombre de professionnels de santé, il y a plusieurs moyens de transformer l’offre de premier recours. Si vous voulez régler le problème d’ici à 2025, c’est-à-dire en moins de dix ans, il faudra prendre des mesures probablement autres que la seule augmentation du numerus clausus.

Mme Stéphanie Rist. Y a-t-il des études concernant le lieu de formation des étudiants en médecine et leur installation future ? Si ce n’est pas le cas, avez‑vous les données nécessaires ?

Mme Muriel Barlet. C’est quelque chose qu’on regarde quand on fait des projections. Les médecins restent un peu plus dans leur région de formation. C’est donc un outil qu’on peut utiliser.

Mme Stéphanie Rist. Quel cycle d’études prenez-vous en compte ?

Mme Muriel Barlet. Le dernier cycle.

M. Jean-Marc Aubert. On ne suit pas de manière assez fine l’évolution du positionnement géographique des cycles de médecine.

M. Philippe Vigier, rapporteur. La conférence des doyens estime que le taux de sédentarisation est de 65 % par rapport au lieu de formation, mais les doyens des facultés de médecine n’ont pas fixé les mêmes règles partout. Il y a des endroits où on peut refuser un premier choix et le redéposer l’année suivante, ce qui n’est pas le cas sur l’ensemble du territoire. Si les règles ne sont pas harmonisées, on risque de se retrouver, comme dans une région qui m’est chère, avec des postes d’internes de médecine générale qui ne sont pas pourvus.

Mme Gisèle Biémouret. Connaissez-vous la sociologie des personnes qui renoncent aux soins ? L’éloignement n’est en effet pas le seul paramètre à prendre en compte dans vos études.

Mme Muriel Barlet. On observe que l’essentiel du renoncement aux soins est dû à des raisons financières et concerne donc des soins dentaires et optiques. L’éloignement géographique est assez peu cité comme raison du renoncement aux soins.

M. Jean-Marc Aubert. Les données que la CNAMTS a citées l’année dernière provenaient de la DREES. Nous pourrons donc vous faire passer notre dernière enquête sur le sujet, les réponses à vos questions et quelques éléments sociodémographiques quand ce sera possible. En effet, pour des raisons de représentativité statistique, nous ne travaillons pas sur chaque segment de la population mais sur des segments qui sont suffisamment importants.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Le chiffre de 65 % de sédentarisation figure dans le rapport d’information des sénateurs Jean-Noël Cardoux et Yves Daudigny.

M. le président Alexandre Freschi. Nous attendons les éléments que vous pourrez nous transmettre et vous remercions de votre disponibilité et de vos réponses.

 


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Audition de l’Association nationale des centres hospitaliers locaux et des hôpitaux de proximité (ANCHL), représentée par M. Franck Hilton, directeur, et Mme Bernadette Mallot, directrice du centre hospitalier d’Auxonne et déléguée régionale ANCHL pour la région Bourgogne-Franche-Comté 

Présidence de M. Alexandre Freschi, Président de la commission denquête

M. le président Alexandre Freschi. Mes chers collègues, nous recevons M. Franck Hilton, directeur de l’Association nationale des centres hospitaliers locaux et des hôpitaux de proximité (ANCHL), et Mme Bernadette Mallot, directrice du centre hospitalier d’Auxonne et déléguée régionale ANCHL pour la région Bourgogne-Franche-Comté.

Madame Mallot, monsieur Hilton, je vous souhaite la bienvenue. Je vous informe que nous avons décidé de rendre publiques nos auditions, qui sont ouvertes à la presse et diffusées en direct sur un canal de télévision interne, puis consultables en vidéo sur le site Internet de l’Assemblée nationale.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Madame, monsieur, je vous invite donc à lever la main droite et à dire « Je le jure ».

(Mme Bernadette Mallot et M. Franck Hilton prêtent successivement serment.)

Mme Bernadette Mallot, directrice du centre hospitalier d’Auxonne et déléguée régionale ANCHL pour la région Bourgogne-Franche-Comté. Mesdames, messieurs les députés, je suis directrice adjointe au centre hospitalier universitaire (CHU) de Dijon, chargée de la filière gériatrique, et directrice déléguée de l’hôpital d’Auxonne. C’est cette seconde casquette qui m’amène devant vous aujourd’hui. Je suis également déléguée régionale de la fédération ANCHL pour la région Bourgogne-Franche-Comté depuis la fusion des régions. Je précise qu’auparavant j’étais déléguée régionale pour la région Bourgogne.

L’hôpital local d’Auxonne compte 178 lits, dont 30 lits de soins de suite et de réadaptation (SSR) – il a perdu sa spécialisation gériatrique en 2015 –, et douze places de services de soins infirmiers à domicile (SSIAD). Le taux d’occupation est plus qu’honorable puisqu’il est de plus de 96 % pour le SSR, de près de 100 % pour le SSIAD et de 99,5 % pour l’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD).

S’agissant du budget, c’est de plus en plus compliqué. Si le budget de 2016 a été à l’équilibre, celui de 2017 a été difficile. Notre établissement a la particularité d’avoir des médecins salariés. Auparavant ces médecins étaient libéraux, mais ils ont souhaité se retirer de cette association il y a quelques années, avant mon arrivée. Aussi je ne peux pas vous en dire plus. L’avantage de cet établissement, pour une ville qui compte un peu moins de 9 000 habitants, c’est cet ancrage et cette offre à la population. Cela permet d’avoir des consultations avancées avec l’établissement de Dole avec qui nous avons signé une convention sur la diabétologie, et nous espérons mettre en place d’autres conventions.

L’établissement fait partie du groupement hospitalier de territoire (GHT) 21-52 qui rassemble les établissements de Côte-d’Or, à l’exception de Beaune qui a fait son propre GHT, et ceux du sud de la Haute-Marne, à savoir les centres hospitaliers de Bourbonne-les-Bains, Chaumont et Langres.

Bien entendu, je suis amenée à me rendre dans toutes ces instances, et à travailler plus particulièrement sur deux filières, la filière SSR et la filière gériatrique. Des fiches actions sont en train de se mettre en place. La hotline permettra d’aider les EHPAD autonomes parce qu’il n’y a pas de médecins à demeure. Ils en ont besoin pour avoir des avis éclairés et si possible éviter des hospitalisations. Nous allons également travailler sur les consultations avancées, sur les consultations mémoire pour éviter de déplacer les résidents. D’autres pistes sont encore à l’étude.

Nous réfléchissons à la mise en place d’équipes mobiles de SSR, ce qui pourrait rendre service étant donné la rareté des professions, notamment les masseurs-kinésithérapeutes. Nous travaillons également sur l’opportunité de mettre en place des hôpitaux de jour sur le SSR.

M. Franck Hilton, directeur de l’Association nationale des centres hospitaliers locaux et des hôpitaux de proximité. Je suis directeur du centre hospitalier Basse-Vilaine, dans le Morbihan, qui comporte 26 lits de SSR polyvalents et deux lits identifiés soins palliatifs, 60 places d’EHPAD et 80 places de SSIAD. L’établissement, qui a ouvert en 2011, comprend en son sein une antenne du réseau Aide à domicile en milieu rural (ADMR) et un centre de permanence des soins. Le travail avec les médecins libéraux est intéressant. Nous sommes aussi intégrés, dans le cadre de la réforme sur les groupements hospitaliers de territoire, dans le GHT Brocéliande-Atlantique et nous avons un partenariat fort avec le centre hospitalier de Vannes en ce qui concerne l’intervention des médecins et des assistances sociales.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Madame, monsieur, quelle est votre vision de la mise en place des GHT après quelques années de démarrage ?

On assiste à un mouvement de grande rationalisation des hôpitaux avec la fermeture d’un certain nombre de services. Quelle échelle voyez-vous entre l’hôpital de proximité, hôpital rural dont j’ai bien compris qu’il avait deux gros piliers, les soins de suite et la réadaptation et la gériatrie, et d’autres hôpitaux intermédiaires qui ont un service d’urgence ?

On parle beaucoup de la réforme de la tarification à l’activité (T2A). Avez-vous réfléchi à des pistes nouvelles de financement des hôpitaux ?

Mme Bernadette Mallot. En ce qui concerne la mise en place des GHT et la situation actuelle, je vous parlerai de ce que je connais bien, c’est-à-dire de celui auquel j’adhère parce que les réponses ne seront pas nécessairement les mêmes selon les GHT.

Le GHT 21-52 regroupe neuf établissements de taille extrêmement différente, puisque cela va du CHU, qui a un budget d’exploitation de 550 millions d’euros, au centre hospitalier d’Is-sur-Tille qui est le plus petit. Lorsque l’on crée des instances, il est difficile que tout le monde s’y retrouve. Pour l’instant, nous ne sommes pas dans une politique d’intégration, ce qui est rassurant pour les collègues et les territoires. Notre directeur général a la volonté que chacun y trouve sa place, mais sans que tout soit trop concentré au niveau du CHU. Mais un nouveau directeur pourrait avoir un autre avis. Voilà pour le côté positif. L’aspect négatif, c’est qu’on doit se battre tous les jours avec le budget, car avec le budget G, qui est une conséquence des GHT, chaque établissement doit mettre la main à la poche pour financer des actions communes. Si elles sont communes, on veut bien payer, mais si elles ne le sont pas on n’a pas envie de le faire et surtout on n’a pas l’argent. En 2017, dans mon établissement, le budget G était de 3 000 euros environ, mais pour 2018 le budget prévisionnel a été multiplié par dix pour s’établir à 30 000 euros environ. Or c’est beaucoup pour un petit budget, cela représente un poste. Pour ma part, j’ai averti les équipes : si le budget G augmente, il conviendra de faire des économies sur d’autres postes.

Le SSR n’est en T2A que depuis le mois d’avril 2017. Comme vous le savez, le financement des SSR est assuré à 90 % par la dotation annuelle de financement (DAF) et à 10 % par la dotation modulée à l’activité (DMA). Nous venons juste de recevoir nos budgets pour 2018. Permettez-moi de vous dire que je trouve cela déprimant : qu’on travaille ou qu’on ne travaille pas, on ne voit pas grand-chose !

Je ne suis pas contre la T2A. Je me dis que ce système peut être motivant. En 2017, j’ai dit à mes équipes : on y va, on travaille, on est meilleur, il faut qu’on augmente notre taux d’occupation. Mais finalement, on ne voit rien arriver financièrement. Aussi, je ne suis pas sûre que l’on puisse motiver les équipes très longtemps.

L’année prochaine, le taux sera encore bloqué à 10 %. Pardonnez-moi de dire qu’on a du mal à le vendre aux équipes. Si c’est vraiment intéressant, peut-être faut-il l’augmenter à 20 ou 30 %. Mais on n’ira pas au-delà, on a peur, on ne veut pas du 100 % comme les services de médecine chirurgie obstétrique (MCO) sinon c’est la mort des établissements. 30 % : cela peut être un signe intéressant au niveau budgétaire. Mais cela reste à démontrer car c’est très compliqué.

Nous n’avons pas de soins non programmés d’urgence. Nous travaillons aussi bien sur les urgences du CHU de Dijon qui sont à trente kilomètres, que sur celles de Dole, qui sont à quinze kilomètres. Dans ce dernier cas, ce n’est pas simple puisque l’on change de département et de région, mais c’est la population qui décide.

S’agissant des petits établissements, je ne veux pas donner d’informations qui seraient désagréables. Pour ma part, je travaille en Côte-d’Or et j’habite en Saône-et-Loire. On sait que la Saône-et-Loire est un département sinistré, que 25 lits de SSR viennent d’être fermés dans un établissement rural. On ne sait pas encore si ces lits seront repris. Les lignes d’urgence baissent en Bourgogne, et la « nuit profonde » n’existe plus depuis longtemps. On sait bien que la raréfaction des médecins libéraux retombe sur les urgences : c’est indéniable. On sait tous que l’on fait de la « bobologie ». Nous souhaiterions avoir des maisons de santé adossées à nos établissements – mais je sais que j’enfonce une porte ouverte. Malheureusement, je vis le contraire. Dans la commune, on envisage de créer une maison de santé. On m’a demandé de faire une proposition, ce que j’ai fait. A priori, elle ne sera pas retenue. Je trouve cela dommage.

M. le président Alexandre Freschi. Quelles raisons ont été invoquées pour refuser cette maison de santé ?

Mme Bernadette Mallot. On ne me les a pas données ! J’attends.

M. Jean-Paul Dufrègne. Vous représentez les petites structures. Or on est plutôt dans un phénomène de grossissement des structures, avec comme argument l’amélioration de la qualité des soins, des services. Avez-vous le sentiment d’être un établissement de seconde zone ? Quel regard portez-vous sur l’organisation des soins dans un territoire et sur la place des structures comme la vôtre dans cette organisation ?

Mme Bernadette Mallot. Je vais commencer par répondre à votre seconde question.

Notre rôle est fondamental parce que la population est proche de nous. Il n’y a pas de transports en commun partout. S’il y a ce qu’il faut à Dijon, ce n’est plus le cas trente kilomètres plus loin. Quand une personne a des soucis de santé qui nécessitent une hospitalisation dans un centre hospitalier plus important, il faut respecter le parcours patient, mais nos établissements ont toute leur place lorsqu’il sort de l’hôpital – et vous savez bien qu’il sort de plus en plus tôt. Cela permet d’avoir la famille sur place, les visites. Sinon, c’est compliqué. Par ailleurs, notre taux d’occupation démontre que nous sommes largement utiles, sinon nous serions vides. J’ajoute que la durée du séjour n’est pas excessive : nous sommes à moins de trente jours pour un SSR dans nos établissements, ce qui est très correct, contre quarante-cinq jours il y a quelques années. Cela dit, je ne vous cacherai pas que nous avons parfois des patients qui devraient sortir mais qui sont en attente de placement – les lits d’EHPAD, on ne les fabrique pas ! Nous avons donc un vrai service à rendre à la population.

Bien entendu, nous ne sommes pas un établissement de seconde zone, sinon nous ferions autre chose. Nous sommes opposés à la concentration, car ce n’est pas une bonne chose. Cela dit, il faut avoir recours à des médecins, des professeurs qui sont reconnus dans leur métier et qui font beaucoup d’actes de chirurgie – on sait très bien ce n’est pas bon pour un praticien de ne pas en faire beaucoup. Notre place est extrêmement importante, et nous la soutenons.

Actuellement, le GHT est en construction, et les visites de certification se font établissement par établissement. Les prochaines visites se feront au choix des GHT mais de manière harmonisée, c’est-à-dire que tous les établissements recevront une visite en même temps et ils conserveront leur spécificité.

Il y a des supports métiers qu’il est intéressant de mettre en commun – il ne faut surtout pas tout jeter –, car nos petits établissements ont beaucoup de difficultés à recruter des qualiticiens, et ils n’ont pas l’argent nécessaire pour les payer. Ce que nous voulons, c’est pouvoir faire notre marché, si je puis dire, c’est-à-dire que l’on est partant pour les choses intéressantes mais que ce qui est compliqué, c’est ce qu’on nous impose et ce qui coûte. Vous l’avez compris, nous avons des budgets à respecter.

M. Franck Hilton. Le phénomène de concentration existe dans presque tous les domaines de la société, mais il est un peu antinomique avec notre souhait d’ouverture et de lutte contre les déserts médicaux. Comment les centres hospitaliers locaux peuvent-ils être la tête de pont pour endiguer les difficultés ? Normalement, les GHT devraient consolider l’offre de centres hospitaliers locaux. En réalité, les chiffres montrent qu’il y avait 307 centres hospitaliers locaux en 2013, contre 227 en 2017. Cette fermeture des centres hospitaliers locaux nous semble antinomique avec la volonté de lutter contre les déserts médicaux. Ces centres permettent d’améliorer le fonctionnement pour endiguer ces difficultés. Ce n’est pas parce qu’on concentre que l’on génère des économies. En tout état de cause, il faut le prouver par des études d’impact. Or les centres hospitaliers locaux s’aperçoivent que les systèmes d’information mis en place et le coût à payer pour cette grosse structure affectent significativement leur mode de fonctionnement, et comme l’a dit Mme Mallot, c’est la masse salariale qui est malheureusement la variable d’ajustement. Mais vous en avez bien conscience.

M. Jean-Louis Touraine. Quels sont vos liens éventuels avec le CHU et leur place dans les GHT ? Une politique d’achats en commun a-t-elle été élaborée ?

Y a-t-il un accès à la recherche ? Si oui, cela contribue-t-il à l’attractivité médicale de vos établissements ?

Vous avez évoqué un projet de maison de santé qui n’a pas abouti. S’agissait-il seulement d’un projet architectural, ou bien des médecins avaient-ils été retenus ? Un projet de maison de santé pluridisciplinaire avait-il déjà été élaboré avec les médecins eux-mêmes ?

Vous dites que la T2A stimule l’augmentation d’activité. Cela la stimule-t-il en prélevant des activités à d’autres établissements ou d’autres modes d’activité ou cela génère-t-il des activités supplémentaires ? On nous dit qu’il y a 30 % d’actes dont la pertinence est contestée. Est-il opportun d’augmenter, via la T2A, l’activité si celle-ci n’est pas absolument indispensable ?

Mme Bernadette Mallot. Je suis directrice adjointe du CHU. Si j’ai choisi d’y aller, c’est que cela me convenait. Sinon, j’aurais fait autre chose.

J’ai la chance d’avoir une vraie direction déléguée. Je peux donc travailler en toute autonomie, et j’ai des liens de reporting sans souci avec ma direction générale. C’est extrêmement intéressant et valorisant. Nous sommes sur la même longueur d’onde sur le fait que le directeur délégué doit gérer son établissement, ses instances.

Une politique d’achats en commun a été mise en place sur le CHU. Mais cela a pris du temps, parce que nous avons eu des difficultés à prendre les bonnes orientations. Comme vous le savez, si le CHU de Dijon n’est pas le plus grand de France, il est tout de même important. Il a fallu recruter, mettre des personnes à disposition, ce qui a été un peu long. En 2018, le système fonctionne, mais un peu seulement, et c’est tant mieux. Nous ne voulons absolument pas avoir d’obligation. S’agissant des marchés, comme je suis directrice adjointe, j’ai la signature. Mais certains collègues n’ont plus le droit de signer alors qu’ils en ont encore la responsabilité.

Nous sommes favorables à une politique d’achats en commun si nous y sommes gagnants. Pour le moment, on ne nous oblige pas. Mais nous craignons qu’un jour nous n’ayons plus le choix. On achète dans des quantités tellement plus faibles que parfois on aboutit à des tarifs moins chers avec trois devis. Si on achète à Dijon pour tout le GHT, cela engendrera des frais de transport supplémentaires. Concernant les travaux, c’est encore bien pire.

La recherche représente un avantage pour faire venir les médecins, mais pas dans nos petits établissements. Par contre, s’agissant du GHT 21-52, les directions des soins sont très actives. Elles font de la recherche à leur niveau – ce n’est pas de la recherche médicale mais paramédicale – et entraînent dans le bon sens les autres établissements. C’est un point positif.

J’ai eu des soucis pour recruter des médecins. Très honnêtement, le GHT ne m’a rien apporté.

S’agissant du projet de maison de santé dont je vous ai parlé tout à l’heure, en fait je n’ai pas encore eu de réponse écrite officielle, mais je sais qu’a priori mon projet n’est pas retenu. Jusqu’à présent, le projet n’était pas défendu par les médecins mais par les élus. Si un projet n’est pas défendu par les médecins, il se casse la figure ou en tout cas il met du temps à émerger, ce qui est le cas. Lors des réunions que nous avons organisées à la demande des élus, nous avons découvert que les médecins ne se connaissaient même pas. Comme ils ne s’étaient jamais rencontrés, ils ne risquaient pas de monter un projet en commun.

Pourquoi ne veulent-ils pas travailler avec l’hôpital ? C’est historique, mais c’est dommage.

M. Franck Hilton. Je souhaite compléter le propos de Mme Mallot pour expliquer qu’avec les achats en commun on risquerait de créer des monopoles avec un seul fournisseur alors que l’on travaille avec des fournisseurs locaux. On fait vivre un tissu économique local à un tarif qui n’est pas forcément supérieur, pour ne pas dire inférieur, à certains groupements quand ils nous sont proposés.

M. le président Alexandre Freschi. Ce que vous dites, c’est qu’actuellement il n’y a pas d’obligation à faire des achats en commun.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Cela dépend des GHT.

Mme Bernadette Mallot. Monsieur Touraine demande si la T2A créée de l’activité. Non, et heureusement ! En tout cas, pas le SSR. L’activité existait déjà. Je demande seulement qu’elle soit mieux codée.

M. Jean-Louis Touraine. Par qui était-elle faite avant votre arrivée ?

Mme Bernadette Mallot. Elle était mal codée. J’ai dû prendre 1 % ou 2 %, ce qui n’est pas énorme. Comme le financement était assuré par une DAF, les médecins disaient, à juste titre, que l’on gagnait la même chose que l’on ait trois ou six lits de libres. J’estime qu’on est là surtout pour rendre service à la population. Ce que je leur dis tous les jours ou presque, c’est qu’on remplit les lits mais qu’on rend aussi service aux CHU et aux CH parce qu’on permet aux personnes de rentrer chez elles et du coup de diminuer la durée moyenne de séjour (DMS). Mais je ne pense pas qu’on soit source de création d’actes.

Mme Mireille Robert. Pourquoi n’installez-vous pas les maisons de garde au sein même de vos GHT au lieu de les accoler et de faire vous-mêmes les gardes ? Quels dispositifs attractifs préconisez-vous pour attirer les professionnels libéraux, médicaux et paramédicaux ?

Mme Gisèle Biémouret. Pour ma part, je plaide en faveur de directions autonomes, quelle que soit la taille de l’établissement. Dans mon département, les hôpitaux qui ont une direction autonome fonctionnent mieux que ceux qui ont une direction déléguée. Pour vous, ce doit être difficile, surtout lorsque des travaux sont programmés.

Mme Bernadette Mallot. Les maisons de garde ne font pas partie de nos attributions, c’est-à-dire que le centre hospitalier local n’est pas là pour ouvrir ce genre de service. On ne peut qu’accueillir et participer. Sinon, on le ferait avec joie.

Vous m’interrogez sur les dispositifs attractifs pour attirer les professionnels. Attirer les médecins est compliqué, mais on y arrive grâce à la proximité de Dijon. Concernant le personnel non médical, pour ma part j’ai la chance que tous les postes soient pourvus mais nous peinons à recruter des infirmières au mois de juin parce que les sorties d’école ont lieu à la fin du mois de juillet. Je travaille étroitement avec tous ceux qui le veulent bien pour proposer une mini-crèche. Cela fait partie des avantages qui pourraient nous permettre de conserver nos jeunes infirmières. Je ne dis pas qu’il faut privilégier avant tout les femmes, mais comme vous le savez nos services comptent 80 % de femmes. C’est aussi la raison pour laquelle les infirmières partent.

M. le président Alexandre Freschi. Pourriez-vous nous donner une vision un peu moins locale par rapport aux questions qui ont été posées ? L’expérience n’est peut-être pas la même partout.

M. Franck Hilton. Chaque situation est différente. Je ne suis peut-être pas le mieux à même pour vous répondre. Ce serait plutôt au ministère de le faire. En tout cas, c’est à partir de ces situations locales que peut émerger une situation globale. On doit à la fois penser globalement et agir localement. C’est la seule réponse que je peux vous faire.

Il est clair que notre centre hospitalier s’appuie au maximum sur les professionnels libéraux – masseurs-kinésithérapeutes, orthophonistes, ergothérapeutes – pour faire fonctionner les services.

Je veux rebondir sur la question des directions autonomes. Nous partageons totalement votre vision, madame Biémouret.

M. Jean-Paul Dufrègne. Les hôpitaux locaux ont-ils des contraintes budgétaires qui sont au-delà du raisonnable, par rapport aux soins, aux moyens ?

M. Philippe Vigier, rapporteur. Très bonne question !

Mme Bernadette Mallot. On est dans une évolution de contraintes parce que les dotations étaient déjà très justes. La modification de la tarification, c’est-à-dire la T2A, est trop jeune et en tout cas pas assez évoluée pour créer une vraie bouffée d’oxygène. Nos établissements, et je parle là au niveau national, ont la particularité d’avoir un secteur médico-social important, et le secteur médico-social ce sont les EHPAD. Comme vous le savez, les réformes des EHPAD font beaucoup de mal à nos établissements. Les forfaits dépendance sont extrêmement contraints, et les forfaits en matière d’hébergement sont fixés par les conseils départementaux. On fait avec.

M. Franck Hilton. On gère des deniers publics. Si on nous octroie 300, on dépense ce qu’on nous donne. Malheureusement, les dotations sont à la baisse. Est-on arrivé à l’os, si je puis dire ? Je ne le sais pas. En tout état de cause, c’est très compliqué car on gère essentiellement les EHPAD, et la convergence tarifaire dépendance nous affecte dans tous les domaines.

M. le président Alexandre Freschi. Je souhaite vous interroger sur le manque de spécialistes dans certains centres hospitaliers locaux qui mettent à mal le fonctionnement de certains services. Dans la ville de Marmande, il y a trois obstétriciens et un pédiatre qui doivent bientôt partir à la retraite. L’absence de spécialistes risque d’entraîner la fermeture progressive de ces services. Quelles solutions pourriez-vous proposer pour éviter de telles situations ?

Mme Bernadette Mallot. Le numerus clausus a été revu, mais il faut attendre d’en voir les fruits. Former des médecins prend du temps, et encore plus des spécialistes. Les réformes se mettent en place, mais elles ne produiront pas leurs effets tout de suite.

On peut faire de la télémédecine, de la téléconsultation, de la télé-expertise dans certains domaines, mais comme vous, je pense qu’on ne peut pas en faire dans tous les domaines. Il faudra qu’on m’explique comment on pourrait faire une téléconsultation de gynécologie Par contre, c’est possible en matière de dermatologie : on peut donner un avis pour éviter que les gens se déplacent. Peut‑être faut-il que ce soit une solution transitoire pour empêcher la fermeture de services.

La question l’on se pose tous les jours pour tous les établissements, quelle que soit leur taille, est de savoir si l’activité est importante et s’il faut garder les services.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Madame Mallot, je vous remercie pour votre sincérité et pour l’équilibre des réponses entre M. Hilton et vous-même. Vous êtes une directrice générale adjointe de CHU. Or on connaît le poids des CHU en France. Mais vous êtes aussi directrice d’un hôpital de proximité avec délégation de signature, tandis que M. Hilton n’a pas la délégation de signature.

Pour ma part, je considère que les GHT ont été un peu les pompes aspirantes, avec des mutualisations à la maison-mère.

Pensez-vous qu’un établissement qui compte 350 salariés peut avoir un directeur qui soit présent une demi-journée par semaine ?

Vous savez que tous nos établissements hospitaliers font l’objet d’une accréditation de la Haute Autorité de santé (HAS). Actuellement, le nombre de services en voie de non-accréditation par la HAS est en augmentation. Une vraie organisation de solidarité a-t-elle été créée autour de deux sujets qui concernent tous les établissements, le plus petit comme le plus grand, à savoir le parcours du médicament et le dossier du patient ? Ce sont les deux clés d’entrée d’une accréditation par la HAS, au-delà des urgences, de la maternité, etc.

Ne pensez-vous pas que l’on pourrait réunir autour d’une même organisation territoriale la sphère publique et la sphère publique, le Premier ministre ayant eu cette intelligence des mots en expliquant que la santé était un enjeu d’aménagement du territoire, social et sociétal ? Ne pourrait-on pas imaginer une sorte de gouvernance sur ce « marché », comme vous l’avez dit ? En revanche, il y a avant tout une exigence de qualité de soins et de prise en charge du patient pour lui apporter les meilleurs soins, de A à Z. Pour ma part, je me moque qu’il s’agisse de la sphère publique ou de la sphère privée, ce qui m’importe c’est que la prise en charge se fasse dans les meilleurs endroits, au meilleur moment parce que, comme vous l’avez dit, les actes sont moins bien faits lorsqu’ils ne sont pas faits fréquemment. Peut-on imaginer une organisation public-privé à l’échelle territoriale, rattachée à un CHU, qui permette d’évaluer quelle est la meilleure prise en charge des patients à toute heure du jour et de la nuit et qui ne repose pas uniquement – et là je m’adresse à la directrice du CHU – sur les urgences qui sont très encombrées et qui ont des coûts considérables ?

Mme Bernadette Mallot. Vous demandez si un directeur pourrait seulement être présent une demi-journée par semaine. Non, jamais !

M. Philippe Vigier, rapporteur. Merci madame !

Mme Bernadette Mallot. Un directeur doit être présent. J’ai la particularité d’avoir un double poste. J’ai oublié de vous préciser que, sur le papier, je suis à 70 % sur mon établissement. Mais j’essaie d’être très présente.

Il est important de dire que les postes de directeur se raréfient. Cela ne veut pas dire qu’on va tous disparaître ou qu’on sera bientôt tous morts, mais juste qu’ils ne sont plus publiés – je fais exprès d’insister lourdement. Le fait de centraliser implique que les postes de chefferie d’établissement n’existent pratiquement plus, et quand ils sont publiés c’est la foire d’empoigne. Auparavant, on était quelques-uns à postuler. Aujourd’hui, ça devient très compliqué. Certains collègues – et là je parle pour l’ensemble du territoire français – ne veulent pas des postes d’adjoints mais des chefferies. On ne les ouvre plus et c’est très dommage.

S’agissant des accréditations par la HAS, je n’ai pas connaissance de l’évolution des résultats. On a tellement de difficulté à gérer les nôtres qu’on ne va pas voir les autres… Pour un petit établissement, une certification est un dispositif extrêmement lourd car les experts visiteurs sont là plusieurs jours, etc.

Oui, une organisation a été créée autour du circuit du médicament, mais ce n’est pas nouveau. Lors de l’avant dernière visite que j’ai vécue, tout le monde avait été un peu montré du doigt sur ce point. Cette visite-là se passe bien mieux pour beaucoup d’établissements. Là non plus, on n’est pas tous égaux : le circuit est très différent selon que l’on a une pharmacie à usage intérieur ou pas.

Quant au dossier du patient, aujourd’hui les établissements sont en grande majorité informatisés. Les dossiers sont à peu près bien tenus quand il y a des médecins sur place. Mais quand ce sont des médecins libéraux, on peut comprendre qu’ils aient autre chose à faire. Le résultat n’est pas toujours excellent.

Je ferai un aparté concernant les systèmes d’information GHT. En la matière, il faut être vigilant parce que ce qui convient à un CHU ne convient absolument pas à un petit établissement. Il est sûr que les logiciels ne sont pas adaptés.

Cela fait plus de trente ans que je suis dans le service public. Ma vision est donc peut-être un peu plus restrictive. Peut-être M. Hilton pourra-t-il répondre mieux que moi à cette question de l’organisation entre le public et le privé, parce qu’il est plus jeune.

Nous ne sommes pas opposés à travailler avec le secteur privé. Mais il faut comparer ce qui est comparable, c’est-à-dire qu’on doit rendre le même travail et être jugé sur les mêmes valeurs. On sait – c’est peut-être faux mais pas encore démontré – que lorsqu’un patient est dans le privé et que son cas est complexe, il va ailleurs. Et quand il faut opérer, peut-être va-t-on le transférer dans un établissement plus grand. Je n’ai pas d’opposition de fait à un rapprochement entre le public et le privé, mais on est quand même loin du compte.

M. Franck Hilton. S’agissant de la certification, nous n’avons pas ces données au niveau national en ce qui concerne des problématiques sur les petits établissements. Les certifications se passaient plutôt bien car, comme l’a dit M. Dufrègne, nos établissements sont très qualitatifs, et l’ANCHL défend au niveau national cette qualité et cette autonomie.

Monsieur le président, vous me demandez comment avoir recours à des médecins spécialistes. À mon avis, c’est l’un des points positifs du GHT.

Enfin, la présence d’un directeur sur site a tout son sens pour suivre au plus près les politiques mises en place et les risques psychosociaux dont vous avez, bien évidemment, entendu parler dans vos établissements.

Mme Nicole Trisse. Il y a des GHT qui n’ont pas de CHU mais seulement des hôpitaux de proximité. Si je résume vos propos, il est clair que le GHT n’est pas nécessairement bénéfique. Je suis élue d’une circonscription rurale où le GHT n’a pas de CHU. On parle de chefferies en moins, de fermeture de lits, et du coup de personnels en moins, donc de licenciements, etc.

Avez-vous réfléchi à une autre organisation du pôle de santé, par exemple un pôle de santé par bassin de vie qui pourrait être bénéfique pour les hôpitaux locaux et les hôpitaux de proximité, et permettrait de ne pas dépenser trop d’argent ?

Mme Bernadette Mallot. Comme vous l’avez dit, la plupart des GHT n’ont pas de CHU. Mais le CHU est partenaire de tous les GHT. Quand il est dans le GHT, il est site pivot, mais il doit avoir des conventions avec tous les GHT de la région, ce qui fait qu’il est là pour servir d’appui, notamment pour les ressources médicales. Disons-le clairement, le GHT est une structure qui nous a fait peur. C’était l’inconnu, on ne savait pas trop où on allait. Les petits établissements craignaient d’être absorbés.

L’intérêt du CHU, c’est d’être utile pour le personnel médical. Il reste extrêmement attractif : il y a la faculté, les stages, les internes, les externes, les chefs de clinique. Les assistants partagés font partie de cette réponse. C’est quelque chose qui a constitué un plus. Il ne faut pas tout jeter.

M. le président Alexandre Freschi. Nous avons reçu des syndicats d’étudiants, des représentants des facultés. 80 % de ceux qui sont en internat restent dans la région dans laquelle ils ont été formés. Les stages pourraient-ils être délocalisés ? Pourrait-on envisager que des jeunes puissent être formés pendant trois, quatre ou cinq ans dans des zones un peu plus petites ?

Mme Bernadette Mallot. Actuellement, les internes doivent faire des stages en dehors de leur périmètre. Je prendrai un exemple que je connais bien : le Morvan. C’est une belle région, mais ce territoire n’est pas très attractif, et il faut pouvoir y aller. Or tous les jeunes n’ont pas de voiture. Et il faut aussi les loger. Peut-être faudrait-il prévoir un dispositif pour les aider. On dit que si le jeune va faire un stage dans une maison de santé…

M. le président Alexandre Freschi. Je ne vous parle pas de cela, mais d’unités de formation qui seraient délocalisées.

Mme Bernadette Mallot. Nous n’y sommes pas favorables. Nous pensons qu’il y aura deux vitesses, sauf s’ils vont tous six mois ailleurs. Si la faculté de médecine est à Dijon et qu’on ouvre une antenne à Nevers…

M. Jean-Paul Dufrègne. On en parle à Nevers !

Mme Bernadette Mallot. C’est pour cela que je le dis !

Pour le moment, les esprits ne sont pas prêts. La décentralisation des études n’est pas pour tout de suite, contrairement à la décentralisation des stages. Lorsque le CHU recrute des médecins, le contrat prévoit qu’ils doivent passer une ou deux journées dans un autre hôpital du GHT. C’est clairement un atout pour les autres établissements.

Mme Jacqueline Dubois. Puisque les CHU sont plus attractifs, qu’ils ont la chance d’attirer davantage les médecins, ne pourrait-on pas prévoir dans chaque département un hôpital qui soit associé à un CHU en ce qui concerne les stages, l’accompagnement et la formation ?

Dans la continuité du partenariat au sein du GHT entre le CHU et les petits hôpitaux, vous avez parlé de consultations avancées dans votre hôpital. Est-ce lié à cela ou autre chose ?

J’habite dans le Sarladais. L’hôpital, alors qu’il ne parvenait plus à recruter de médecins spécialistes, bénéficie de consultations de spécialistes grâce au GHT. C’est intéressant, même si on a perdu certains services.

M. Franck Hilton. Vous avez parfaitement raison, madame la députée. Les consultations avancées peuvent représenter une plus-value pour les établissements comme les nôtres et les centres hospitaliers locaux. C’est un avantage indéniable et il faut approfondir, consolider cela. C’est quelque chose qui est en train de se construire mais qui prend du temps. L’idée, c’est vraiment de faire du centre hospitalier local une plateforme innovante grâce aux consultations avancées, aux téléconsultations, à l’innovation en matière de télémédecine, pour l’ancrer sur le bassin de vie et travailler davantage en concertation et en coopération avec les EHPAD, les résidences autonomie qui se constituent et les SSIAD, la politique actuelle encourageant le maintien à domicile.

M. Philippe Vigier, rapporteur. En clair, avez-vous des capacités d’accueil des internes pendant leur cursus ?

Comment peut-on obliger les médecins, les professionnels de santé à aller faire des consultations avancées lorsqu’ils les refusent systématiquement et demandent le paiement des frais de déplacement et le paiement, par l’hôpital dans lequel ils font les actes, de leurs honoraires, voire les dépassements ?

Mme Bernadette Mallot. J’ai tout de suite compris ce que vous vouliez dire parce que je me bats là-dessus depuis deux ans.

S’agissant des consultations avancées, il y a deux situations. Si vous êtes un établissement local de proximité avec de la médecine, ça ne pose pas de problème parce qu’avec la T2A vous avez droit de coder les actes.

Pour notre part, nous n’avons pas de médecine, seulement du SRR. Pour l’instant, on ne peut donc pas facturer de consultation avancée, ce qui veut dire qu’il faut pouvoir s’entendre avec les collègues. Avec Dole, on s’est mis d’accord : lorsque les médecins viennent, je ne paye rien. Je ne gagne rien et je ne perds rien. Par contre Dole gagne ses consultations et ramène la patientèle dans son établissement. C’est du gagnant-gagnant. Avec le CHU, j’attends depuis deux ans de trouver un terrain d’entente parce qu’on me réclame de payer les médecins qui feraient des vacations, les frais de déplacement, etc. Mais mon budget ne me le permet pas. J’ai interpellé l’ARS à maintes reprises afin que des solutions soient trouvées. On pourrait faire bien mieux, bien plus.

Mme Jacqueline Dubois. Dans des petits hôpitaux, il est effectivement difficile de recruter des médecins. Les « remplaçants pérennes » n’acceptent de venir qu’au tarif de remplaçant. Dans le service de gynécologie de l’hôpital, par exemple, il y a deux remplaçants qui font quinze jours chacun et qui se font rémunérer au taux de remplaçant alors qu’ils sont là depuis deux ans.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Ils préfèrent ce système parce qu’ils sont mieux payés.

Mme Jacqueline Dubois. Ils gagnent en une semaine ce qu’ils gagneraient sinon en un mois !

Quel recours peut-on avoir ?

Mme Bernadette Mallot. Il y a deux sujets dans votre question. D’abord, peut-on garder des remplaçants ad vitam aeternam et ne pas leur demander de passer le concours de praticien hospitalier ? C’est le directeur qui essaie parce que nous ne sommes pas hiérarchiquement au-dessus des médecins. On fait comme on peut, mais ce n’est pas forcément la bonne solution. Auparavant, il y avait un vide juridique. Un décret fixe désormais les rémunérations des médecins remplaçants et des limites à l’intérim. C’est bien, mais c’est compliqué parce que les médecins établissent désormais des listes noires et ne vont pas dans certains établissements qui refusent de les payer plus que le montant fixé par décret. Nous en avons parlé à l’ARS qui nous a répondu que si on n’y arrivait pas, on n’avait qu’à fermer nos services.

M. le président Alexandre Freschi. Madame, monsieur, je vous remercie.

 

 

 

 

 

 


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Audition commune des centres et maisons de santé

Présidence de M. Jean-Carles Grelier, Vice-président de la commission denquête

La commission d’enquête procède à l’audition commune des centres et maisons de santé : Mme Céline Legendre, secrétaire générale de la Fédération nationale des centres de santé (FNCS), Dr Éric May, président, et Dr Frédéric Villebrun, secrétaire général de l’Union syndicale des médecins de centres de santé (USMCS) et  M. Pascal Gendry, président de la Fédération française des maisons et pôles de santé (FFMPS).

M. Jean-Carles Grelier, président. Notre commission reçoit les responsables d’organisations représentant les centres de santé et maisons de santé, auxquels je souhaite la bienvenue.

Je précise que cette audition est ouverte à la presse.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, les personnes entendues déposent sous serment. Je vous demande donc de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Céline Legendre, M. Éric May, M. Frédéric Villebrun et M. Pascal Gendry prêtent successivement serment).

Je donne la parole à chacun pour une intervention liminaire, avant de passer aux échanges avec les parlementaires.

Mme Céline Legendre, secrétaire générale de la Fédération nationale des centres de santé (FNCS). Notre fédération regroupe les gestionnaires de centres de santé médicaux et polyvalents, qu’ils soient municipaux ou associatifs. J’aborderai trois points : notre diagnostic sur la désertification médicale, les centres de santé comme réponse pertinente et l’efficacité de l’aide publique.

La situation actuelle dans de nombreux territoires tient à trois facteurs. D’abord, on a voulu limiter l’offre médicale par le numerus clausus, alors que de nombreux médecins partent en retraite. Ensuite, le mode de vie des médecins a évolué. Les jeunes aspirent à concilier vie professionnelle et vie familiale, à travailler en équipe, à pouvoir rester mobiles. Le nombre de ceux qui s’installent en libéral est en chute. Enfin, on n’a pas remis en cause la liberté d’installation.

Cependant, selon nous, ce problème de désertification n’est pas la cause des inégalités dans l’accès aux soins. Celles-ci existaient déjà et il ne fait que les aggraver. En outre, le vieillissement de la population et le développement des pathologies chroniques rendent nécessaires des prises en charge pluridisciplinaires.

Comme la formation des médecins est longue, toute décision d’élargir le numerus clausus mettra du temps à se traduire sur le terrain. Les centres de santé sont une solution pour enrayer la désertification médicale, même s’ils ne sont pas la seule. Ils offrent aux professionnels la possibilité de passer au salariat et de travailler en équipe sans avoir à se soucier des tâches administratives et logistiques mais en consacrant leur temps à l’exercice médical, ce qui correspond à une large attente. Ils pratiquent le tiers payant et les tarifs conventionnés. Ils développent une offre de soins innovante et accueillent les infirmières de pratiques avancées. Les centres de santé sont adaptés à toutes les situations pour répondre aux besoins sanitaires, mais il faut leur donner leur juste place d’acteurs de la santé : ce ne sont pas les solutions de dernier recours, leur modèle a sa propre valeur.

Depuis l’accord conventionnel interprofessionnel de 2016, le nombre de projets de centres de santé a augmenté. Ils restent cependant fragiles, car un certain nombre de leurs activités ne sont pas rémunérées et ils reçoivent peu de subventions. La FNCS et ces partenaires accompagnent ce mouvement partout en France, avec une vision globale de l’action à mener pour lever les obstacles à l’ouverture de nouveaux centres.

S’agissant de l’efficacité des aides publiques, qui est l’un des objets de votre commission d’enquête, il nous est plus difficile de répondre dans la mesure où les centres de santé ont été exclus jusque très récemment du bénéfice de ces aides, réservées au secteur libéral. Ce traitement inégal a été modifié en partie en 2016. Néanmoins, il reste toujours difficile pour un centre de santé, même installé en zone déficitaire, de convaincre l’agence régionale de santé (ARS) de lui accorder une aide, d’autant que celles-ci dépendent souvent de critères pensés pour l’exercice libéral, comme la permanence des soins. Quant aux aides qui dépendent de la localisation en zone difficile, le nouvel indicateur pour identifier les territoires carencés, celui de l’accessibilité potentielle localisée (APL), a donné en Ile-de-France des résultats ubuesques. Heureusement l’ARS en a corrigé en partie les résultats en tenant compte du cumul des facteurs de fragilité des territoires.

 Pour soutenir les centres de santé, il faut moins envisager des aides à l’ouverture que conforter l’équilibre global du modèle, en se penchant sur le statut des praticiens qui y travaillent, et en tenant compte du coût de gestion du tiers payant. Il faut lever un certain nombre de freins mis par l’ARS. En outre, dans certains départements, les centres de santé ne sont pas reconnus comme maîtres de stage, alors que c’est le cas dans d’autres départements comme en Ile-de-France. Il faudra développer l’animation régionale, renforcer les compétences, soutenir la formation des équipes. Une autre piste est d’accompagner les centres de santé infirmiers vers la médicalisation.

M. Éric May, président de l’Union syndicale de médecins de centres de santé (USMCS). L’USMCS regroupe les médecins qui exercent en centres de santé, quel que soit le mode de gestion. Sans revenir sur la présentation qu’a faite Mme Legendre de la place des centres de santé dans les soins ambulatoires, je me concentrerai sur deux aspects, celui des déserts médicaux et celui de l’égal accès aux soins qui, pour nous s’envisage non seulement du point de vue territorial, mais aussi social. En effet l’inégalité d’accès aux soins sur le plan social peut être aggravée par l’inégalité territoriale, jusqu’à créer des situations kafkaïennes. Dans la ville de Paris par exemple, où le nombre de médecins a diminué de 25 %, la plupart de ceux qui restent sont en secteur 2. Où est, dans ces conditions, l’égalité d’accès aux soins ?

Avec le recul, on peut affirmer que les centres de santé publics, gérés par une collectivité et parfois une association, sont une solution qui fonctionne pour certaines zones désertifiées dans lesquelles il n’y allait plus y avoir de praticien du tout. On ne leur donne d’ailleurs pas la place qu’ils méritent dans les plans de lutte contre la désertification médicale. Notre syndicat accompagne la FNCS dans ses actions, et des projets comme ceux de Bergerac, de La Roche-sur-Yon, de Figeac. Les élus de ces territoires, très compétents pour analyser les problèmes, ont vu l’intérêt que présentent les centres de santé.

J’en viens au problème général de la désertification médicale. On l’a trop abordé en se centrant sur les médecins, ce qu’ils désirent, comment leur offrir des conditions attractives, jusqu’à établir une concurrence entre collectivités, voire du débauchage. En réalité, c’est le patient qu’il faut mettre au centre. Celui-ci a besoin d’un médecin traitant et de personnels de santé à proximité. De ce point de vue, l’indicateur d’accessibilité potentielle localisée, l’APL, qui est désormais utilisé, n’est pas probant. Ainsi, la population de Seine-Saint-Denis serait bien desservie car tout patient est à moins de trente minutes d’un professionnel. Mais encore faut-il que ce médecin puisse le recevoir, et que le patient ait la capacité financière de se déplacer et de payer !

Dans cette logique centrée sur le patient, le nombre de médecins, en particulier de généralistes, pose problème. Mais à un problème de démographie médicale, il faut apporter une solution démographique. En ce sens, nous appuyons l’ouverture du numerus clausus, qui doit être plus large encore. Nous pensons que la question de la répartition des médecins ne peut pas être traitée uniquement par les professionnels eux-mêmes. Enfin, nous répétons depuis des années qu’il faut mieux organiser la coordination entre l’ensemble des professionnels et les établissements sanitaires et médicosociaux, pour optimiser l’offre. Elle a du mal à se mettre en place faute de cadre national pour la médecine libérale et aussi faute de moyens. Au départ, il y a toujours un investissement nécessaire. Or on se heurte à un problème structurel : les collectivités disent que cela ne relève pas de leur compétence mais de celle de l’État. Qu’est-il en mesure de faire pour mieux répondre aux besoins de la population ? Se pose le problème de la liberté d’installation. L’absence de schéma territorial régional de l’organisation des soins ambulatoire est en soi un facteur qui contribue à la création de zones vides.

Les centres de santé exercent des missions de service public et d’intérêt général définis par l’article L. 6323-1 du code de la santé publique. Ils ont des obligations comme de pratiquer le tiers payant, respecter des tarifs opposables, assurer des soins de proximité, sans avoir les financements à la hauteur de ces missions. L’ordonnance de janvier 2018 modifiant le code de la santé publique ouvre des perspectives nouvelles à l’action des centres, de manière encore insuffisante. L’UCMCS adhère aux propositions que vient de présenter la secrétaire générale de la FNCS. Les médecins des centres de santé veulent participer en tant qu’acteurs à part entière, dans le court terme et le long terme, à une réorganisation qui améliorera l’accès des soins pour tous les Français sur tout le territoire.

M. Pascal Gendry, président de la Fédération française des maisons et pôles de santé (FFMPS). En préalable, je tiens à dire que les maisons de santé n’ont pas vocation à être la solution pour mettre fin aux déserts médicaux, et elles ne le revendiquent pas. La FFMPS regroupe d’une part des pôles de santé, qui ont une dimension territoriale, et d’autre part des maisons de santé, qui ne correspondent pas à un lieu, à un bâtiment, mais à un regroupement de professionnels libéraux, pour l’essentiel, autour d’un projet de santé. Ces pôles et maisons de santé adhèrent à des fédérations régionales, lesquelles adhèrent ensuite à la fédération nationale.

Il existe environ 1 200 maisons de santé sur le territoire et 300 autres sont en projet. Leur répartition régionale est contrastée, essentiellement en fonction de la politique menée par les ARS, dont certaines les aident, d’autres pas.

Ce qui importe à nos yeux, c’est la constitution d’équipes de soins primaires, pouvant accueillir également des professionnels de second recours et des structures médicosociales, autour d’un projet de santé. Pour beaucoup de ces équipes, l’objectif fédérateur a été à la fois de favoriser l’accès aux soins et de lutter contre la désertification médicale, au sens large, car elle ne concerne pas seulement les généralistes, mais aussi par exemple les kinésithérapeutes.

Les professionnels de santé sont confrontés à une révolution dans les soins primaires, au vieillissement et au développement des maladies chroniques, et au désir, exprimé par la population, de prise en charge globale de la santé, et pas seulement d’accès aux soins. Ils doivent inscrire leur démarche dans ce contexte. D’autre part, ces professionnels ont envie de travailler en équipe. Le faire dans un désert médical, c’est préserver la possibilité et sans doute la pérennité d’une présence médicale : un professionnel ne peut y rester s’il est isolé. Les maisons de santé ont également un lien avec le territoire : on ne crée pas une maison de santé ou un centre de santé sans relation forte avec les élus et les usagers. Il ne sert à rien de chercher simplement à remplacer un médecin qui s’en va par un autre médecin : il faut mener une réflexion globale avec les autres professionnels de santé, quels qu’ils soient, du pharmacien au directeur de la maison de retraite. C’est ainsi que l’on crée une dynamique territoriale qui soit utile au-delà du problème de la désertification. Si l’on veut répondre aux besoins de la population, il faut assurer la coordination des soins, la prévention et l’éducation à la santé. Les équipes de soins primaires se structurent pour aller dans cette direction.

Cependant, elles font face à des obstacles ou à des faiblesses. D’abord, au cours de leurs études, les professionnels de santé n’ont jamais appris à travailler en équipe. Ce problème de la formation initiale est majeur si l’on veut améliorer l’accès aux soins. Ensuite, les aides publiques n’ont jamais été fléchées vers les pratiques regroupées, que ce soit les centres de santé ou les équipes de soins primaires. Par exemple, l’existence d’une maison de santé sur un territoire n’est pas un critère pour l’attribution des aides. Et on encourage les jeunes professionnels à aller remplacer un autre professionnel, pas à s’orienter vers une équipe de soins primaires. Certes, beaucoup de maisons de santé ont bénéficié de fonds publics, en particulier pour un projet immobilier. Mais la nouveauté fondamentale est que se dessine une sorte de contrat entre les élus et les professionnels, afin qu’ils se sentent investis d’une responsabilité territoriale. Ayant bénéficié de fonds publics pour créer leur maison de santé, ils peuvent difficilement refuser ensuite d’accueillir de nouveaux patients. Au passage, cette expérience a aussi donné aux élus une nouvelle compétence en santé publique et a pu les amener à investir dans des projets de prévention ou à signer des contrats locaux de santé. L’utilité des maisons de santé dépasse largement la résolution d’un problème de démographie.

L’accord conventionnel interprofessionnel de 2017 relatif aux structures pluri-professionnelles a ouvert de nouvelles possibilités pour mieux structurer les équipes de soins primaires. Elles doivent se concentrer sur l’exercice professionnel lui-même, et pour cela bénéficier d’aides pour les fonctions support, le secrétariat. Les maisons de santé l’offrent et constituent donc un cadre de travail acceptable. Reste qu’on a consacré beaucoup d’argent pour étudier la création d’équipes de soins et de maisons de santé sans évaluation de la qualité des projets, dont certains n’étaient pas proposés à bon escient, sans un investissement suffisant des professionnels. Or un projet collectif porté par des professionnels, des usagers, des élus a plus de chances de réussir.

M. Philippe Vigier, rapporteur. On entend souvent dire que les maisons de santé sont des coquilles vides, que les centres de santé fonctionnent mal. Avez-vous des données permettant de tordre le cou à cette idée ?

Par ailleurs, les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), qui associent des professionnels en réseau, en vue d’objectifs que vous avez mentionnés, sont une bonne réponse à l’échelle du territoire. N’est-il pas urgent d’organiser un maillage national des CPTS ?

Vous n’avez rien dit de la télémédecine. Comment voyez-vous son arrivée dans vos structures ?

Enfin, avez-vous des suggestions pour attirer dans les maisons de santé et les CPTS les remplaçants, qui sont de plus en plus nombreux ?

M. Éric May. Aujourd’hui, il existe 500 centres de santé polyvalents, et d’autres se créent. Est-ce qu’ils fonctionnent ? Oui. Nous savons ce qu’est leur image : « c’est pour les pauvres » ; « c’est une médecine de fonctionnaires » ; « cela coûte de l’argent à la collectivité ».

D’abord, les centres de santé ont été les premiers à imaginer de coordonner tous les acteurs en santé publique d’un territoire dans un cadre coopératif. Les médecins des centres de santé font effectivement partie de la fonction publique territoriale, et à ce titre, font 35 heures. Mais, selon une étude réalisée par la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) il y a quelques années, les généralistes en exercice libéral consacrent à peine plus de temps à la pratique médicale ; le reste est consacré à la gestion de leur cabinet.

Quant au coût, avec le recul on peut dire qu’un centre de santé peut tout à fait fonctionner de façon équilibrée, en garantissant la pérennité de l’offre de soins. Rappelons que si une maison de santé est créée par des professionnels, pour un centre de santé, le porteur de projet est la collectivité, qui écrit le projet en fonction des besoins de la population de son territoire. Si, en plus, des professionnels de santé y sont associés, c’est mieux.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Il faut toujours qu’il y ait et des professionnels de santé et des élus, sinon l’ARS n’accordera pas de financement.

M. Éric May. Elle pratique de toute façon, dans le niveau de l’aide, une discrimination au détriment des centres de santé. Dans des projets comme ceux que nous avons signalés, par exemple celui de Figeac, il n’y a plus de professionnels de santé impliqués : les médecins libéraux ont bien trop le nez dans le guidon pour trouver le temps d’y réfléchir. La collectivité est seule à porter le projet.

M. Pascal Gendry. Les maisons de santé sont-elles des coquilles vides ? Selon une étude menée sur l’expérimentation des nouveaux modes de financement dans le cadre de l’accord conventionnel interprofessionnel, en zone rurale, la démographie médicale s’affaiblit moins vite dans les lieux d’implantation d’une maison de santé, et dans les quartiers sensibles, en banlieue, elle se renforce là où existent une maison de santé ou un regroupement de professionnels.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Pouvez-vous donner un pourcentage de « coquilles vides » ?

M. Pascal Gendry. Sur 1 200 maisons de santé, plus de 600 ont signé l’accord conventionnel avec l’assurance maladie et en ont reçu une dotation. Pour toutes, l’enveloppe a été majorée. Quand on connaît les indicateurs retenus par l’accord conventionnel, c’est qu’elles correspondent bien au fonctionnement de base. Certaines maisons de santé n’ont pas signé l’accord car elles ne voulaient pas avoir de rapport avec l’assurance maladie. D’autres qui ne l’ont pas signé sont peut-être des coquilles vides. Mais il s’agit alors de maisons de santé qui ne s’appuyaient pas sur un véritable projet de santé et n’étaient pas nées d’une collaboration entre élus et professionnels.

Les CPTS sont, en premier lieu des communautés, c’est-à-dire l’aboutissement d’une négociation, et d’une maturation. Une communauté ne se décrète pas, donc l’idée d’avoir un maillage de CPTS sur tout le territoire me paraît être un leurre.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Mais tous les jeunes disent qu’ils veulent travailler en équipe, et les régions et les ARS accompagnent ces communautés.

M. Pascal Gendry. Un préalable nécessaire est que les professionnels s’approprient le concept. Actuellement, on a tendance à vouloir faire des CPTS partout. C’est alors qu’on risque d’avoir des coquilles vides. Il faut un projet mobilisateur, et ce peut être l’accès aux soins. Mais la CPTS n’est pas la panacée.

Pour attirer les remplaçants, il faut leur offrir un statut différent, comme celui d’assistant, ou de salarié de la maison de santé.

M. Philippe Vigier, rapporteur. On s’interroge sur un statut mixte dérogatoire, permettant de combiner deux activités.

M. Frédéric Villebrun, secrétaire général de l’Union syndicale de médecins de centres de santé (USMCS). Pour attirer les remplaçants, il faut d’abord revaloriser le métier de généraliste. Les études médicales sont centrées sur une spécialité avec ses exigences purement médicales. Il faut, dès l’université, valoriser un métier plurifonctionnel, ce qui conduira certains à s’impliquer dans les centres de santé, mais aussi à avoir un sens politique propre à les faire s’intéresser aux problèmes de santé et d’accès aux soins sur tout le territoire. En fait, l’importance du nombre de remplaçants est un symptôme de la crise de la médecine générale. Il faut impliquer la médecine générale comme acteur de santé publique dans les territoires, et cela peut prendre dix ou quinze ans. Les remplaçants actuels peuvent être formés rapidement dans les maisons de santé : il leur faut une remise à niveau, un sens de la politique de santé. Il faut leur dire qu’ils ne sont pas que des acteurs des soins, mais des acteurs de la santé publique. Qu’ils nous rejoignent dans les centres et maisons de santé. Mais il faut aussi financer cette période de transformation qui leur est nécessaire pour rénover la fonction de médecin généraliste.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Pour beaucoup d’entre eux, c’est un choix de vie. Ce n’est donc pas un problème de formation.

M. Frédéric Villebrun. Ils n’ont pas intérêt à s’installer, ce n’est pas attractif. Ce qu’il faut, c’est rénover le référentiel de la médecine générale. Dites-le aux universitaires, si vous le pouvez. Alors, les centres de santé auront leur rôle à jouer, de même que le recours aux pratiques avancées.

Mme Céline Legendre. Est-ce que les centres de santé fonctionnent ? Oui, même s’il y a des difficultés de recrutement comme partout. Créer un centre ne garantit pas que des médecins y viendront. Mais on peut par exemple créer les conditions propres à attirer les médecins qui veulent rester mobiles en leur proposant un contrat d’un an au terme duquel ils repartent. Il faut offrir des solutions diversifiées. Huit centres de santé sur dix ont satisfait à l’ensemble des critères, contraignants, de l’accord national.

Les CPTS sont devenus le nouveau Graal des ARS. En réalité, nos centres de santé sont déjà des CPTS qui ne disent pas leur nom, mais s’occupent de prévention, en lien avec le médicosocial, dans le cadre de l’accord conventionnel. Il ne leur manque pas grand-chose. Mieux vaudrait donc soutenir ce qui existe déjà.

La télémédecine a plusieurs formes. La télé expertise est pratiquée, par exemple pour le dépistage de maladies de la rétine. Pour la téléconsultation, une expérimentation est menée en Alsace par l’Association de soins et d’aides de Mulhouse et environs (ASAME). Lors de ces téléconsultations, une infirmière se tient aux côtés du patient. Une évaluation est menée en ce moment et semble positive.

M. Jean-Michel Jacques. Vous êtes dans un rôle d’accompagnant de projets souvent identiques. Avez-vous un kit de démarrage à proposer aux communes ? D’autre part, avez-vous établi une charte ? Il arrive que, dans les débuts, certains partenaires se livrent à une surenchère, demandant par exemple que la collectivité leur paye un secrétariat. Vous pouvez jouer un rôle de médiation, mais aussi mettre à disposition un avant-projet pour lancer la machine.

M. Pascal Gendry. La FNMPS dispose d’équipes ressource au niveau régional pour accompagner un projet, de son émergence à son installation complète, y compris jusqu’à la télémédecine, avec des formes de mutualisation. La télémédecine justement, tout le monde en veut. Mais elle ne peut s’inscrire que dans un projet territorial et dans le développement d’un parcours de santé coordonné par une équipe traitante. C’est aussi le rôle des équipes ressource régionales que d’y veiller et, face à des demandes qui vont en tous sens, de les recentrer sur les besoins réels.

M. Éric May. Notre syndicat, comme la FNCS, est en mesure d’accompagner des projets et de participer à la maîtrise d’ouvrage. L’important, c’est de répondre à des besoins bien identifiés. Il faut aussi appeler l’attention des collectivités sur le contexte économique local et sur les établissements existants, pour que le nouveau projet en soit complémentaire.

La télémédecine se pratique déjà dans différents établissements pour la radiologie. Nous participons à la réflexion sur son utilisation dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) et à des expérimentations non seulement en zone rurale mais aussi en Ile-de-France, par exemple à des expériences de télérégulation avec des infirmières.

Je reviens sur l’installation des jeunes professionnels. C’est un vrai problème. Beaucoup aspirent à la multiactivité. Dans les maisons de santé et centres de santé, le souci premier est l’accès aux soins, mais nous avons pu aussi, dans certains d’entre eux, développer des fiches de postes plus diversifiées. Certains voudraient exercer à la fois en libéral et en salarié, mais dans ce cas, le Conseil de l’Ordre refuse l’autorisation d’exercer.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Pourrez-vous nous envoyer une note sur un cas concret ?

M. Éric May. Un centre s’est ouvert récemment dans un quartier de Marseille mal doté. Sept médecins spécialistes exerçant en libéral étaient prêts à venir y faire des vacations. Le conseil départemental de l’Ordre a refusé.

M. Philippe Vigier, rapporteur. C’est un abus de pouvoir !

M. Éric May. Il a argué que le code de déontologie leur interdisait d’avoir une deuxième activité. D’autre part, face à un centre qui pratique le tiers payant et respecte les tarifs opposables, les quelques médecins libéraux installés dans le quartier ont fait valoir qu’il s’agissait de concurrence déloyale.

Mme Stéphanie Rist. Les CPTS, telles qu’elles fonctionnent, fédèrent des acteurs qui ont un rôle central dans la responsabilité territoriale, notamment pour la permanence et la continuité des soins. Comment faire assumer cette responsabilité ?

M. Pascal Gendry. Les CPTS qui fonctionnent bien sont celles où les soins primaires sont bien structurés et où l’on a réfléchi à la notion de projet de santé. Mais c’est un processus qui prend du temps. Il faut trois à cinq ans pour élaborer un projet entre professionnels de soins primaires, et que ce projet soit bien ancré, avant, dans un deuxième temps, que les acteurs s’investissent plus largement dans les problèmes de santé publique, par exemple les sorties d’hôpital, le travail avec les handicapés et les centres médicosociaux. Il est aussi difficile de demander que la structuration en soins primaires réponde au problème de la désertification et en même temps à tous les aspects de la santé publique. En tout cas, il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs. Mais il est vrai que les professionnels qui se sont investis, se sont frottés au langage de l’ARS, à des méthodologies diverses, sont mieux placés, alors que les professionnels isolés restent loin des problèmes généraux – le risque serait d’ailleurs qu’ils se perdent à aborder des sujets qui les dépassent.

M. Frédéric Villebrun. Pour tout cela, il faut du temps, et c’est ce dont les professionnels ne disposent pas, surtout si on veut aborder tous les sujets de front. En s’installant, ils sont déjà débordés. Pour bien identifier le temps médical, il faut consacrer un financement public pour tout le reste.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Exemple intéressant, dans la CPTS qui vient de se créer dans mon département, en quatorze mois, la Mutualité sociale agricole (MSA) a accompagné le projet des professionnels.

M. Frédéric Villebrun. Reste que le temps nécessaire pour réaliser cette implantation est bien celui de militants et de bénévoles. Il faudrait financer aussi ce temps.

M. Philippe Vigier, rapporteur. On ne peut quand même pas tout rémunérer.

M. Frédéric Villebrun. Mais ceux qui sont volontaires pour participer n’ont pas le temps pour réfléchir. On tombe dans un cercle vicieux et il faut bien rémunérer le temps consacré à l’organisation.

M. Éric May. Les CPTS peuvent être une chance à saisir pour disposer d’une organisation territoriale des soins. Mais il faut leur fournir un cadre matériel, sinon les professionnels auront peur de s’y engager. De toute façon, elles ne peuvent pas reposer sur la bonne volonté de certains et se limiter aux soins primaires : elles doivent couvrir aussi les établissements de santé et médicosociaux. Pour répondre à cet enjeu, il faut un cadre national, un financement, et des missions d’intérêt territorial, par exemple l’articulation de la médecine de ville et de l’hôpital, l’accompagnement des étudiants et de stagiaires des différentes professions, la formation à la pratique coordonnée.

Mme Mireille Robert. Quel est le profil des médecins qui choisissent d’exercer en centre de santé, et ceux-ci assurent-ils des urgences et des services de garde ?

M. Éric May. Il existe un statut de collaborateur occasionnel du service public qui peut être utilisé par des médecins de centres de santé. Seulement, l’ARS a beaucoup de mal à comprendre ce statut et il faut une convention entre le centre de santé, l’ARS et le participant. En ce qui concerne les urgences en journée, il y a déjà une obligation conventionnelle. Une extension progressive demandera des moyens supplémentaires.

Pour ce qui est du profil, le projet de santé d’un centre est porté par la collectivité et les professionnels sont salariés : ce peut être des jeunes diplômés, des médecins de prévention qui veulent revenir au soin, des médecins hospitaliers qui veulent revenir sur le terrain, des libéraux qui veulent desserrer leurs contraintes. S’agit-il plutôt de femmes ? Le souci de mieux gérer son temps ne leur est plus réservé désormais, mais elles représentent 50 % des professionnels et 70 % des étudiants.

Mme Céline Legendre. Dans les projets récents de création de centres de santé, on rencontre le profil du médecin en fin de carrière qui est saturé mais veut continuer à exercer tout en prenant plus de temps pour lui et qui veut aussi assurer une transition pour ses patients.

M. Pascal Gendry. Dans les maisons de santé, nous nous heurtons à un problème quand un médecin veut y travailler en partie tout en restant en libéral. Dans ce cas, il diminue son activité, mais la diminution de charges n’est pas proportionnelle. C’est donc possible, mais peu réaliste. Il faudrait inventer un nouveau statut de collaborateur des maisons de santé.

Mme Jacqueline Dubois. Vous avez souligné l’intérêt de regrouper différents types de praticiens. Quelle est votre attitude à l’égard des pratiques avancées ?

M. Pascal Gendry. Nous avons beaucoup milité en faveur du projet d’infirmières de pratique avancée. Elles nous sont très utiles, à condition d’être intégrées dans une équipe de soins primaires bien soudée. Nous travaillons sur un nouveau protocole de prise en charge des soins non programmés et de délégation de compétences aux pharmaciens, aux infirmières et aux kinésithérapeutes. L’essentiel est qu’ils fassent partie d’une même équipe et utilisent les mêmes outils, dans un cadre sécurisé pour le patient.

M. Frédéric Villebrun. Initialement, la formation des infirmières de pratique avancée était centrée sur l’hôpital. Nous avons œuvré pour qu’elle porte également sur la participation à une équipe de soins primaires. Nous avons eu du mal à faire reconnaître leur compétence pour les soins de première ligne. Dans le projet de décret en examen, on mentionne les pathologies chroniques, mais nous voudrions que la compétence de ces infirmières s’étende aux polypathologies primaires.

M. Éric May. Un autre enjeu est le problème de la reconnaissance des compétences. Par exemple, des ophtalmologues refusent que des orthoptistes fassent des bilans de base.

M. Christophe Lejeune. Est-ce que la réussite d’un projet est fonction de son lien avec un centre hospitalier ? Plus on serait loin, moins on réussirait.

Mme Céline Legendre. Ce n’est pas tant le lien avec un centre hospitalier qui joue que la disparition des services publics en général. Sur les territoires qu’ils ont quittés, on a du mal à recruter dans un centre.

M. Pascal Gendry. Le lien qui se crée dépend aussi du directeur d’hôpital. S’il veut contribuer à l’offre territoriale de santé, il s’implique dans le projet. En Mayenne par exemple, nous avons des maisons de santé installées dans l’enceinte même d’un hôpital, et d’autres à proximité immédiate avec les liens juridiques. C’est une stratégie où les deux partenaires sont gagnants. Les groupements hospitaliers de territoire (GHT) devraient s’en préoccuper.

M. Éric May. Le succès dépend aussi de l’implication des équipes médicales de l’hôpital. La distance peut être un obstacle mais dans un projet qui a un sens, avec un parcours de santé intégré, cela peut fonctionner. Bien sûr, certains hôpitaux de proximité ont déjà beaucoup de difficultés. Il n’est pas simple de leur demander, en plus, de participer à cette réflexion.

M. Jean-Pierre Cubertafon. L’accès aux soins est essentiel et j’ai l’exemple à Nontron, en Dordogne, de familles venues s’installer qui sont reparties car elles ne trouvaient pas de médecin référent. Une maison de santé va à l’échec si elle se réduit à un projet immobilier ; il faut que l’initiative vienne des professionnels. Dans ma commune, la maison de santé regroupe douze professionnels. Au lieu de leur louer les locaux, nous les leur avons vendus et chacun est propriétaire d’un certain nombre de mètres carrés. C’est aussi un facteur de stabilité.

M. Pascal Gendry. Sur les 1 200 maisons de santé, il y a de nombreuses solutions différentes, adaptées au territoire. La notion de maison de santé ne se limite pas à une « maison », un lieu. Il existe des équipes de soins qui fonctionnent sans lieu, et des professionnels, comme les pharmaciens, qui ont le leur propre. Il est certain qu’avoir un lieu rend plus facile l’organisation des soins programmés, les délégations de compétences. Mais il existe différentes solutions pour la question de l’immobilier, mais aussi celle du matériel informatique, du partage des données. L’important est que les professionnels, les élus, les usagers, avec l’ARS, puissent aboutir à la solution la plus pragmatique. Beaucoup de collectivités louent les locaux aux professionnels regroupés par exemple dans une société interprofessionnelle de soins ambulatoires (SISA). Cela donne lieu à négociation, mais elle se fait entre des élus et une équipe soudée, pas avec des individus. C’est déjà un atout pour s’impliquer ensuite dans le service public territorial.

M. Jean-Carles Grelier, président. Pendant toute une période, les médecins répétaient aux élus que nous sommes que la seule solution pour attirer les jeunes, c’était de créer des maisons de santé, et on en a créé. Mais le résultat n’est pas là. Qu’en pensez-vous ?

D’autre part, je peux attester qu’il y a des centres de santé qui ne perdent pas d’argent. Mais les médecins qui travaillent dans un centre de santé municipal ne peuvent pas être intégrés dans la fonction publique hospitalière. Ce n’est qu’au terme de deux périodes de trois ans en tant que contractuel qu’on peut leur accorder un contrat à durée indéterminée (CDI). Cela décourage certains, parce que, pendant ces six ans de statut fragile, ils peuvent par exemple se voir refuser un prêt bancaire.

M. Pascal Gendry. Développer un projet de santé pour attirer de jeunes professionnels, c’est aller à l’échec. Un projet de santé se construit avec les professionnels sur place, qui ont envie de travailler dans de meilleures conditions et de mieux prendre en charge leurs patients. Ensuite, si ce projet réussit, il devient attractif. De jeunes professionnels peuvent en voir les avantages, ceux du travail en équipe, et les contraintes – qui sont bien définies dans le règlement intérieur, pour les permanences par exemple –, et c’est ce caractère sécurisant de l’exercice qui peut les faire venir, pas qu’on leur déroule le tapis rouge.

M. Éric May. Effectivement la précarité du statut des médecins exerçant dans les centres de santé publics est un obstacle. Nous militons pour obtenir un statut de praticien ambulatoire qui soit l’équivalent de celui du praticien hospitalier. On ne nous écoute pas vraiment. La redéfinition des centres de santé ambulatoire publics va de pair avec celle du statut. En finir avec les contrats à durée déterminée (CDD) rendrait l’emploi plus attractif.

M. Jean-Carles Grelier, président. Nous souhaitons que vous fassiez parvenir à la commission une note sur ces aspects techniques. Nous pourrions ainsi réfléchir sur la création d’un statut. Il aurait aussi pour avantage de mettre fin au dumping salarial qui se pratique entre les collectivités : il n’y a pas de règle, que ce soit pour le temps de travail ou pour la rémunération.

Mme Céline Legendre. Avec la multiplication des centres de santé municipaux, cette question de précarité devient essentielle. Cependant, soyez prudents en concevant un nouveau statut : celui des médecins qui travaillent dans la prévention est si peu attractif qu’on a du mal à en recruter. Il faut plutôt s’inspirer du statut du praticien hospitalier.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Nous vous demandons de recenser à l’intention de la commission tous les problèmes statutaires, pour que nous réfléchissions à des évolutions possibles.

En premier lieu, pour les médecins des centres de santé, je pense qu’il faut un nouveau statut de la fonction publique territoriale, dans lequel la titularisation est acquise au bout d’un an dans les communes de plus de 2 000 habitants. On met en avant le statut du praticien hospitalier. Mais – et je parle en connaissance de cause – un praticien en centre hospitalier universitaire (CHU), à « bac plus 12 », gagne 4 000 euros par mois. Ceux qui exercent en centre de santé sont mieux rémunérés.

Ensuite se pose le problème du médecin qui, après 55 ans, veut continuer à exercer, y compris dans un centre, et qui en est découragé car, en maintenant une activité libérale, il paye des cotisations sociales comme s’il travaillait à temps plein. Xavier Bertrand avait mis en place un dispositif relatif au cumul des cotisations sociales, mais Mme Touraine est revenue dessus.

On a aussi parlé de responsabilité territoriale. Elle consiste à organiser un parcours de soins avec différentes maisons de santé, un centre de santé, un hôpital, et une prise en charge du patient selon des pratiques partagées. Comment voyez-vous l’articulation entre un tel système et la prise en charge des soins non programmés ?

Je reviens aussi sur un problème soulevé à propos des CPTS. À mon avis, s’il faut commencer à indemniser les réunions de travail le soir, on ouvre la boîte de Pandore. Les professionnels tirent quand même un bénéfice de la nouvelle structure. Et qui financerait ? L’assurance maladie ? Autre sujet : les GHT, qui courent actuellement le système public. N’y aurait-il pas intérêt à ce qu’ils couvrent également les structures privées, pour avoir une approche globale ?

Enfin, c’est le rôle des ARS que d’organiser les soins sur le territoire. Elles existent maintenant depuis une dizaine d’années, un bilan est possible. Quelle vision en avez-vous ?

Mme Céline Legendre. S’agissant des CPTS, le problème du manque de temps soulevé par M. Villebrun est primordial. Dans la commune de Saint-Ouen, dont je suis directrice adjointe de la santé, nous avons du mal à mettre en place une CTPS simplement car il est difficile de réunir les professionnels libéraux, non par manque d’intérêt mais par manque de disponibilité. Faut-il financer la présence à une réunion le soir, je ne sais pas. Mais il faut financer la coordination.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Dans mon département, la MSA a financé une coordinatrice. Mais les médecins ne veulent pas qu’on écrive le projet à leur place…

Mme Céline Legendre. L’ARS pour sa part finance des ingénieurs de projet. Ce sont de nouveaux métiers, du niveau du master, qu’il faut valoriser.

Pour les soins non programmés, centres de santé et maisons de santé se sont organisés pour proposer des consultations sans rendez-vous. Le mouvement a commencé depuis cinq ou six ans et c’est aujourd’hui une démarche normale.

La Fédération nationale des centres de santé constate que l’attitude des différentes ARS est très variable. Souvent elles voient les centres de santé comme la roue de secours quand tout le reste a échoué. Nous préférerions une vision politique plus large. L’ARS d’Ile-de-France, par exemple, a une attitude très volontariste.

M. Jean-Carles Grelier, président. Dans certains territoires, la politique de santé a une histoire. Dans d’autres, elle n’en a pas.

M. Frédéric Villebrun. Je comprends l’inquiétude de M. Vigier en ce qui concerne le financement du temps autre que le temps médical. C’est pourtant une nécessité, car il faut qu’un projet de santé se fasse à l’initiative des professionnels. Sinon, ce seront des ingénieurs et des administratifs qui le géreront et ce sont des professionnels de la santé, mais pas des professionnels de terrain. Or il est nécessaire que ces derniers s’impliquent, ce qui passe par du temps en réunion, du travail de secrétariat. On ne peut pas en rester au volontariat.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Si l’on veut réunir les professionnels de santé, il faut mettre les réunions le soir à 20 heures 30.

M. Frédéric Villebrun. Payons-les quand même à 20 heures 30 !

M. Éric May. Nous vivons une révolution des soins de premier recours, qui oblige en quelque sorte à « changer de logiciel ». Le médecin qui travaille seul le jour puis fait de la formation, etc., est un modèle qu’il faut oublier. L’exercice doit se structurer dans le cadre des centres de santé, de maisons de santé, des équipes de soins primaires, et dans ce cadre il faut admettre que le travail de coordination doive être rémunéré. Le problème, c’est la tarification à l’acte, qui freine cette dynamique. Les réunions dont on parle ont lieu avec les équipes médicosociales, les administratifs, qui, eux, ne viennent pas travailler le soir. Si l’on veut travailler en équipe, il faut expérimenter une rémunération forfaitaire sur la base de missions.

M. Pascal Gendry. C’est un aspect de la réflexion sur la structuration des soins primaires, avant même de parler de CPTS. Quand une structure est bien identifiée, elle a un représentant qui va discuter avec des personnes qui ne sont pas seulement des professionnels de santé, mais aussi des administrateurs, et le but c’est de faire reconnaître la structure comme interlocuteur. Cette étape très importante est délicate à prendre en charge. Les maisons de santé ou centres de santé sont déjà, à leur échelle, une structure organisée qui peut le faire, et parfois elles se regroupent. Elles peuvent alors aller discuter avec le directeur de l’hôpital, dans le cadre du GHT, lequel n’organise pas ses réunions en soirée, mais dans l’après-midi. Si les équipes de soins primaires sont bien organisées, avant que la CPTS soit constituée, elles peuvent se poser en partenaires. Les ARS commencent à assurer l’accompagnement nécessaire dans de plus en plus de cas.

M. Jean-Michel Jacques. La question est celle de la structuration des soins primaires. Sur la rémunération, soyons prudents. Les médecins employés par les collectivités ont un revenu de 8 000 à 11 000 euros par mois, et en plus il faudrait les payer pour une réunion le soir ? Si deux praticiens libéraux veulent bien prendre chacun 1 000 euros sur leurs revenus, ils peuvent se payer une secrétaire. On ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre. Il ne faut pas pousser le bouchon trop loin !

M. Pascal Gendry. Le mouvement en cours, c’est aussi de faire comprendre aux professionnels que s’organiser, cela permet de gagner du temps, d’avoir une meilleure logistique, de gagner sur les frais aussi. Il faut aménager son temps de travail pour que la situation soit tenable.

M. Éric May. À propos des GHT, attention à ne pas grossir le millefeuille et à veiller à la bonne articulation avec ce qui existe. L’organisation territoriale des soins se fera dans le cadre de plusieurs CPTS. Les GHT évoluent beaucoup ; au départ, ils demandaient des fermetures, désormais ils demandent des partenariats avec les maisons de santé.

Avec les ARS, il y a de grandes difficultés même de compréhension et d’interprétation des dispositifs relatives aux centres de santé, que certaines ARS appliquent, d’autre non. Il faudrait faire un travail pédagogique à leur égard.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Que pensez-vous de l’idée d’intégrer toutes les structures médicales dans les GHT ?

M. Pascal Gendry. Si l’on veut réfléchir selon une logique de parcours de santé, il faut s’intéresser à tous ceux qui sont susceptibles d’intervenir au cours de ce parcours, en particulier pour nous qui sommes en train de passer du médecin traitant à l’équipe traitante. Par exemple, nos structures peuvent accueillir des consultations avancées, et des spécialistes venir en soutien des professionnels de soins primaires, pas seulement les médecins. Le problème est alors l’accès à la consultation, étant donné ce qu’est la démographie médicale. Ces consultations, dans le cadre du GHT, peuvent aussi avoir lieu dans une clinique locale ou chez un spécialiste en libéral. Mais si les maisons de santé et centres de santé sont intégrés dans la réflexion menée par le GHT, il faut que tous les établissements intervenant dans le parcours de santé le soient.

M. Jean-Carles Grelier, président. Je partage l’idée selon laquelle le GHT ne peut définir correctement la carte sanitaire du territoire dans le cadre d’un projet médical partagé qu’en prenant en compte les établissements privés, à but lucratif ou non, et tous les professionnels de santé qui, sauf dans les cas d’urgence, sont les prescripteurs de l’hospitalisation.

M. Éric May. Ce que nous craignons, c’est que, dans ce cadre, l’égalité d’accès soit mise en cause, notamment par les dépassements d’honoraires. Notre conception de la santé publique, de l’accès généralisé aux soins passe par l’application du tiers payant et un secteur conventionné sans honoraires libres.

M. Christophe Lejeune. Le cumul emploi-retraite d’un médecin est soumis à un plafonnement. Faut-il, à votre avis, le déplafonner ? C’est un frein.

M. Pascal Gendry. C’est en effet le problème des cotisations sociales qui restent à taux plein et non proportionnelles à l’activité. Cela peut gêner des médecins d’un certain âge qui veulent continuer.

M. Frédéric Villebrun. Il existe des dérogations, mais, dans les centres de santé publics, nous ne pouvons pas employer de médecins de plus de 65 ans.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Il y a en effet deux problèmes pour ces médecins, celui du plafonnement de l’activité en cas de cumul et celui des cotisations sociales.

Le paiement à l’acte est une vraie question. Seriez-vous d’accord pour dire que, dans 9 % des cas, on sait que le patient a telle pathologie, va suivre tel parcours de soins, et que cela correspond donc à telle rémunération ?

Enfin, je reviens à l’ARS, qui peut exiger que les professionnels d’une maison de santé se regroupent en SISA. De leur côté, certains conseils de l’Ordre n’acceptent pas que des professionnels paramédicaux entrent dans une SISA. Que faire alors ? Qu’un médecin ou un dentiste leur fasse une sous-location ? C’est compliqué. Ne pourrait-on imaginer un statut plus souple ? Je connais des cas impliquant un diététicien et un ergothérapeute.

M. Pascal Gendry. Je suis surpris de cette interprétation du Conseil de l’Ordre car, normalement, peuvent appartenir à une SISA tous les professionnels qui relèvent du code de la santé publique. Peut-être y a-t-il problème pour les ostéopathes, qui ne sont pas encore dans le champ du code. C’est une situation qu’il faut faire évoluer. À propos de la SISA, on s’exagère les difficultés. Une fois que l’équipe est bien constituée, avec une compétence de coordination, il devient plus facile de résoudre des problèmes juridiques, par forcément grâce à un professionnel de santé mais à un professionnel de la gestion d’une structure, qui pourra aussi répondre à un appel d’offres de l’assurance-maladie ou de l’ARS.

Concernant le paiement à l’acte, il est vrai que beaucoup d’équipes s’interrogent sur un financement innovant. Nous prenons déjà en charge de nombreuses pathologies chroniques. Il y a d’ailleurs un problème quand les prestations de professionnels qui interviennent dans ce cadre, comme le podologue ou le diététicien, ne donnent pas lieu à remboursement. On peut sûrement passer à un forfait qui serait adapté à la pathologie, à la patientèle, dans des cas où le paiement à l’acte ne correspond plus à la situation. Il faut expérimenter, mais seul des professionnels regroupés en équipe peuvent le faire.

Mme Céline Legendre. Les centres de santé sont prêts à expérimenter d’autres modes de financement que le paiement à l’acte. Ce peut être le cas aussi dans une CPTS. Ce serait une occasion de collaborer entre une équipe de soins primaires et des chercheurs pour évaluer le modèle économique. Les associations de patients pourraient participer.

M. Jean-Carles Grelier, président. Une autre voie intéressante à explorer est la carte Vitale prépayée pour le parcours de soins dans une pathologie chronique.

M. Éric May. On peut aussi imaginer une rémunération forfaitaire pour des épisodes de soins, par exemple la chirurgie du genou ou des affections du larynx. Il existe des modèles étrangers que l’on pourrait adapter. La rémunération forfaitaire porterait sur les soins mais aussi la coordination et toutes les missions de l’équipe. L’expérimentation serait possible dans le cadre de l’article 51 de la loi du 21 juillet 2009 réformant l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (HPST). Plusieurs maisons de santé pourraient porter un tel projet et on verrait quelle serait la réaction de l’ARS

M. Jean-Carles Grelier, président. Madame, messieurs, je vous remercie.

 

 

 

 


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Audition communes de M. Philippe Marissal, président de la Fédération des soins primaires, et du Dr Claude Leicher, président de la Fédération des communautés professionnelles territoriales de santé

Présidence de M. Jean-Carles Grelier, Vice-président de la commission denquête

M. Jean-Carles Grelier, président. Notre commission reçoit le docteur Philippe Marissal, président de la Fédération des soins primaires et le docteur Claude Leicher, président de la Fédération des communautés professionnelles territoriales de santé, auxquels je souhaite la bienvenue.

Je précise que cette audition est ouverte à la presse.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, les personnes entendues déposent sous serment. Je vous demande donc, messieurs, de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Philippe Marissal et M. Claude Leicher prêtent successivement serment).

Je donne la parole à chacun pour une intervention liminaire, avant de passer aux échanges avec les parlementaires.

M. Philippe Marissal, président de la Fédération des soins primaires (FSP). La Fédération des soins primaires – nous entendons par là les soins de base nécessaires à la population, et non ce qu’on appelle par ailleurs les soins premiers – a été créée, il y a à peine deux ans, par différents partenaires de terrain, médecins, pharmaciens, kinésithérapeutes, etc., désirant réfléchir ensemble et s’exprimer d’une seule voix. D’autres organisations, comme la Fédération française des maisons et pôles de santé (FFMPS) et la Fédération nationale des centres de santé (FNCS) que votre commission vient d’auditionner, en sont adhérentes.

Les difficultés d’accès aux soins primaires sont connues et résultent de plusieurs facteurs. Les médecins sont mal répartis sur le territoire, même si, au vu des adresses postales, plus de communes ont un médecin résident que ce n’était le cas en 1981. En faculté, trop peu d’étudiants choisissent la médecine générale comme spécialité. Au cours de leurs études, ils entendent d’ailleurs dénigrer systématiquement cette médecine générale, et les médias en donnent plutôt une image négative. S’y ajoute le fait que plus de 11 000 médecins ont choisi d’exercer comme remplaçants.

Comment améliorer cette situation ? À court terme, il faudrait autoriser les résidents privés de thèse à s’inscrire à l’université pour la soutenir. L’intérêt de cette mesure est qu’elle porterait ses fruits en deux ans. À l’université, il faudrait faire la promotion de la spécialisation de médecine générale en quatrième année, en organisant les stages de façon prioritaire dans les zones où les besoins sont les plus grands. Des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) se sont engagées dans cette voie. Il conviendrait aussi de rappeler aux étudiants qui entrent en troisième cycle de médecine générale qu’ils sont liés par un contrat moral avec l'État qui a financé leurs études, et devraient à leur tour contribuer au service public. Il est vrai que les étudiants auxquels on tient ce discours répondent souvent qu’ils sont surexploités dans les hôpitaux. Plus globalement, il faudrait donner une image positive de la spécialité de médecine générale, et motiver une partie des étudiants en les initiant au travail interprofessionnel. Il faudrait aussi cesser de considérer la médecine générale comme une variable d’ajustement d’un système à bout de souffle et ne pas présenter le statut libéral comme un statut d’« escroc ». Une autre mesure efficace serait la création de fonctions support pour favoriser le travail coordonné. Au cours de leurs études, les futurs médecins n’ont pas appris toutes les tâches auxquelles ils seront confrontés et qui, de surcroît, mettent en danger leur modèle économique. Dans cet esprit, on devrait créer un métier d’assistant médical.

À moyen terme, il serait nécessaire de mieux faire découvrir la médecine générale aux étudiants au cours du deuxième cycle d’études. Il faudrait aussi mieux « vendre » le contrat d’engagement de service public (CESP), qui n’est pas suffisamment connu et favoriser les exercices mixtes. Enfin, il faudrait avoir à proposer un autre profil de carrière, car le jeune médecin envisage difficilement de s’installer dans une fonction qu’il exercera pendant quarante ans, le plus souvent il souhaite pouvoir évoluer professionnellement.

À long terme, il faut s’efforcer de mettre en valeur la spécialité de médecine générale comme un métier d’expertise, créatif et valorisant, auprès des jeunes dès avant le bac.

M. Claude Leicher, président de la Fédération des communautés professionnelles territoriales de santé (FCPTS). Je suis moi-même médecin généraliste, dans une maison de santé créée dans la Drôme en 2003. S’agissant de l’organisation de notre système de santé, je considère que le niveau régional n’est pas le bon. Il faut, et je l’avais proposé à Mme Touraine, définir un étage national qui garantit la réglementation et l’homogénéité sur le territoire, et, en complément, une organisation territoriale calquée sur le bassin de vie, adaptée à la fois aux besoins de santé de la population qui y réside et aux ressources disponibles – qui ne sont pas les mêmes si l’on a un CHU ou un simple centre hospitalier. La loi de modernisation de notre système de santé de 2016 permet de s’engager dans cette voie puisqu’elle a officialisé la notion de soins primaires et créé l’échelon intermédiaire que sont les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS).

On sait quelle situation ont à affronter et la population, et les professionnels, et les responsables en charge de décision. Le fait que le nombre de médecins en France augmente encore, passant de 218 000 en 2015 à 280 000 en 2017 est trompeur. En réalité, du fait de différents facteurs comme le rajeunissement et la féminisation de la profession, le changement culturel qui affecte les hommes comme les femmes, le temps de travail diminue. Il n’est plus pensable qu’un médecin fasse 70 heures par semaine comme dans les générations précédentes. Donc, le temps médical effectif est en baisse, alors même que les besoins de santé ont augmenté, que l’on a reconnu des pathologies chroniques et désormais des polypathologies et que la population vieillissante tient à rester à domicile jusqu’en fin de vie si possible.

Dans ce contexte, on a parfois proposé d’établir une carte sanitaire avec obligation pour les médecins de s’installer dans les déserts médicaux. Mais ce terme lui-même n’est plus adapté. Nous faisons face en réalité à une pénurie généralisée qui affecte tout le territoire à l’exception de deux ou trois grandes villes. À Paris même, il manque mille médecins, mais la situation est masquée par l’offre pléthorique de l’Assistance publique Hôpitaux de Paris (AP‑HP). Ailleurs, il ne faut pas organiser la concurrence entre départements.

Les solutions se trouvent toutes dans le rapport que vient de publier hier le Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie (HCAAM), pour une stratégie de transformation du système de santé. Son axe général vise à réinvestir dans la proximité et les soins primaires, en particulier dans le cadre des CPTS. Sur le plan financier, cela passe par une meilleure utilisation des crédits définis par l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (ONDAM). Il s’agirait en particulier de mieux organiser les soins ambulatoires de façon à soulager les urgences hospitalières. Il n’est pas question d’interdire aux patients d’aller aux urgences, mais de leur offrir une autre solution rapide et moins coûteuse. Si l’on parvenait à réduire de vingt à dix millions les passages aux urgences chaque année, on obtiendrait des ressources à réaffecter. D’autre part, le rapport propose aussi de mieux coordonner les moyens sur le territoire grâce à des associations communautaires qui seraient cogérées par la médecine de ville et l’hôpital. On pourrait ainsi dégager des moyens nécessaires pour assurer le maintien à domicile.

M. Jean-Carles Grelier, président. La médecine m’apparaît aujourd’hui comme une religion sans dieu, qui s’en cherche un. Pendant tout un temps, on a cru le trouver dans les maisons de santé pluri-professionnelles (MSP). Aujourd’hui, dans tous les rapports, la nouvelle divinité, c’est la CPTS. On voit les résultats des maisons de santé. Si intéressant et intelligent que soit l’avis du HCAAM, a-t-on déjà des preuves de ce qu’apporte une communauté professionnelle de santé territoriale ? Quelle garantie, au moins quel espoir avons-nous que les CPTS sont la solution permettant de régler le problème dans la durée ?

M. Claude Leicher. Il est vrai que, dans la réflexion collective, surgissent bien des mots magiques. Auparavant, c’était celui de réseau. Mais il s’agissait au fond d’exporter un modèle hospitalier confortable, très professionnel, qui se limitait toujours à une pathologie ou un groupe de population. En médecine de ville, cela ne pouvait pas fonctionner. On a certes créé en 2002 la spécialité de médecine générale, puis on a développé le travail en équipe, qui se pratiquait déjà à l’hôpital et dans les centres de santé. Enfin on a créé des MSP, et en effet les professionnels avaient besoin de se regrouper pour être plus efficaces. Mais je relate ici mon expérience personnelle : j’ai mis quatre ans pour construire le projet, deux ans pour en assurer le financement, huit ans pour former une équipe qui fonctionne bien. Voyez la lourdeur du travail que cela représente. Dire aujourd’hui à un jeune médecin que s’engager dans cette voie, c’est dix ans de travail, est-ce possible ?

On veut maintenant développer les CPTS. Si quelqu’un d’autre a une meilleure idée, qu’il le dise, nous sommes preneurs.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Très bien ! Nous aussi !

M. Claude Leicher. Il y a un autre mot magique, c’est celui de régionalisation. On est allé jusqu’à proposer de créer des objectifs régionaux de dépenses d'assurance maladie, des ORDAM !

Vous demandez ce qu’apportent les CPTS. Personnellement, je passe vingt à vingt-cinq minutes par consultation, dont une partie à aider au déshabillage et au rhabillage, à des vérifications administratives. Je pourrais me limiter à dix minutes pour le véritable examen clinique, si j’avais un assistant de cabinet pour m’aider. Un médecin de la protection maternelle et infantile (PMI), par exemple, examine beaucoup plus d’enfants car il est assisté par une infirmière et une secrétaire. Dans notre cabinet, pour six médecins, il faudrait trois postes d’assistants pour accueillir, aider, vérifier et mettre en œuvre le traitement d’un patient. Il y a aussi d’autres possibilités : par exemple une infirmière de pratique avancée peut prendre en charge les renouvellements de prescription pour un diabétique, que je ne verrai que deux fois par an au lieu de quatre, ou quand elle me le demanderait. En effet, je ne fais plus de visite à domicile sauf si elle le demande, je suis en quelque sorte à ses ordres. Elle est la vigie qui me dit si le maintien à domicile est pertinent. Il va de soi que, s’il faut poser une perfusion à 20 heures et venir la surveiller à minuit, je n’ai pas d’autre solution que d’hospitaliser la personne.

La CPTS est le lieu où décider de le faire. Comme je l’ai dit, si, grâce à une médecine cordonnée, la pression s’allège, cela permet la mise en cohérence du système de santé. C’est là qu’il faudrait investir, et vous pouvez penser qu’à l’hôpital, la dotation s’allégera aussi. Il ne s’agit pas de déshabiller Pierre pour habiller Paul, de déshabiller l’hôpital pour habiller la médecine de ville. L’hôpital représente 30 % des dépenses de santé en moyenne dans les pays de l’OCDE, 29 % en Allemagne, mais 38 % en France. La médecine de ville peut faire beaucoup de choses, et avec une assistance, prendre 30 % de patients en plus.

M. Philippe Marissal. J’insiste sur le fait que la CPTS est pertinente si l’on accompagne les équipes de soins primaires – et un médecin plus une infirmière, c’est déjà une équipe de soins primaires.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Je vous remercie de ces interventions fondées sur l’expérience de terrain. Nous en sommes d’accord, parler de « déserts médicaux » n’est plus adapté, et d’ailleurs l’intitulé de notre commission vise bien l’accès aux soins sur l’ensemble du territoire.

La CPTS est un projet qui doit mûrir dans les esprits. À Châteaudun, par exemple, il nous a fallu quatorze mois pour la mettre sur pied. Mais le modèle en vigueur d’organisation du territoire, ce n’est pas la CPTS, c’est le groupement hospitalier de territoire, (GHT), qui couvre les besoins de santé d’un bassin de vie. Il faut, effectivement, obliger l’hôpital public et le secteur privé à être en liaison étroite.

De toute façon, cette question d’organisation ne résout pas tout, et le principal problème est la baisse du nombre d’heures de travail disponibles dans les professions de santé. Dès lors, quelle réponse suggérez-vous, à court terme, pour convaincre les jeunes qui terminent leur cursus – un sur dix s’installe en exercice libéral – ainsi que les remplaçants, de venir sur le terrain ?

Enfin, comment voyez-vous l’action des ARS pour l’organisation de la prise en charge des besoins médicaux ?

M. Philippe Marissal. Comment mettre en place une CPTS ? J’ai lancé l’initiative il y a un an dans un territoire de l’Ain bien délimité géographiquement, où se trouvent un hôpital et trois gros pôles de santé. La première chose a été de nous réunir pour définir les besoins, avant de penser au financement éventuel. Nous en avons fait l’analyse avec les urgences hospitalières. Puis nous avons écrit une lettre d’intention à l’ARS qui a accepté le projet et il a été financé. Il est maintenant dans la phase de construction. Les professionnels libéraux qui se lancent dans une telle entreprise se heurtent à de nombreux obstacles administratifs auxquels ils ne sont pas préparés. Il faudrait leur procurer une fonction support. Les institutions et la sécurité sociale n’ont pas encore tenu compte de cette évolution.

En ce qui concerne les ARS, nous dépendons, pour des raisons géographiques non de Lyon mais de Chambéry-Grenoble. Nous bénéficions d’une certaine écoute. Mais l’ARS Rhône-Alpes n’est pas aussi attentive aux projets que ce que l’on pourrait espérer et que l’on observe dans d’autres régions.

Comment attirer les jeunes ? Il faut bien dire que, dans l’immédiat, ils ne sont pas prêts à gérer une entreprise médicale, dont ils découvrent tous les autres aspects que le soin lors d’un stage.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Cela a toujours été le cas.

M. Philippe Marissal. En fait, il y a aujourd’hui beaucoup plus de choses à gérer dans le cadre de la politique de santé, et des nécessités administratives – ainsi que des frais supplémentaires. Il y a trente ans, s’installer était beaucoup plus simple. Or la faculté ne les prépare pas à ce métier difficile, et entre les étudiants et les externes, il y a une très grande différence de motivation.

M. Claude Leicher. La réforme hospitalière de 1958 a créé les centres hospitaliers universitaires consacrés à l’enseignement, à la recherche et aux soins. Ces CHU sont devenus dans les années 1960 des pôles d’excellence. Mais ils se sont par la suite engagés dans la voie d’une spécialisation de plus en plus pointue. Heureusement, on peut désormais y suivre une spécialité de médecine générale. Cela étant, un étudiant en médecine de nos jours doit absorber un volume de connaissances deux ou trois fois plus grand qu’il ne l’était au temps où je faisais mes études. Désormais, la base scientifique est plus approfondie, mais la gestion au quotidien n'est pas abordée. D’autre part, les généralistes sont soumis à une pression constante, avec une obligation de résultat – tout ce qui peut être ensuite considéré comme une erreur peut amener devant un tribunal. On peut sans doute supporter cela, mais pas 56 heures par semaine : ce n’est pas tenable, même sur le plan physique. Les jeunes ont donc du mal à faire face à la polyvalence nécessaire – et la sinistralité judiciaire a beaucoup augmenté en médecine générale. Ils préfèrent souvent choisir une spécialité, ce sera au fond plus simple et confortable intellectuellement.

Quant aux ARS, il faut qu’elles évoluent vers des structures chargées de valider et d’accompagner les projets, et non de gérer tout le système de santé. C’est le modèle anglo-saxon, et en Grande-Bretagne l’équivalent des ARS a fini par disparaître quand ont été bien établis des territoires fermement organisés.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Pourrait-on envisager que les groupements hospitaliers de territoire deviennent des groupements de santé régionaux, et se transforment de GHT en GST ?

M. Claude Leicher. Il n’y a pas besoin d’ajouter un échelon de plus. L’organisation doit se faire au niveau de chaque bassin de vie, où il faut inciter les différents acteurs à contractualiser et les financer. La dotation d’une CPTS doit y servir en partie. Encourageons la coordination sans ajouter un étage pour chapeauter le tout.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Le parcours de soins est une prise en charge d’une pathologie, de façon cloisonnée. Il faut encourager des coordinations plus approfondies.

M. Claude Leicher. En effet, il faut se parler et se coordonner entre équipes de soins primaires. Le parcours de soins doit suivre une certaine gradation. Plutôt que de faire beaucoup de kilomètres pour aller à l’hôpital, le patient doit revenir s’inscrire dans ce parcours de soins. C’est d’ailleurs pratiquement une obligation d’aller dans ce sens car le financement dépend aussi du niveau de contractualisation et dépendra peut-être, à terme, des résultats. Si les consultations hospitalières diminuent de 50 %, il faut s’en féliciter, car cela ne signifie pas une perte de 50 % du budget : le résultat final d’une meilleure coordination est qu’il y a de nouveaux moyens.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Que pensez-vous de la tarification à l’acte ? Sur un parcours de soins programmé, on peut penser aussi à utiliser une carte Vitale prépayée.

M. Claude Leicher. C’est une vision assez idéalisée, dans la mesure où le comportement du patient est souvent différent de ce qui est prévu. Comment programmer le parcours de soins ? Le patient agit en accord avec son médecin traitant et c’est donc celui-ci qui devrait avoir la possibilité de gérer ce parcours de soins plutôt que de faire des actes.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Mais qui fera l’évaluation ?

M. Claude Leicher. Bien entendu, si un médecin traitant prend en charge un patient diabétique et ne le voit que deux fois par an au lieu de quatre, il faut que cela s’inscrive dans une forfaitisation.

Mais au fond, le débat sur la tarification est clos. On a interdit le forfait car ce serait contraire à l’exercice libéral. Ce qu’il faudrait c’est une tarification à l’acte pour 70 %, et le reste en fonction de la qualité des soins, et aussi de l’organisation, des objectifs, des procédures et peut-être des résultats.

M. Jean-Carles Grelier, président. Quelle est la nature des aides financières qu’accorde l’ARS lors de la constitution d’une CPTS ? D’autre part, la Cour des comptes a critiqué, dans un de ses rapports, le risque financier qu’encourt l’assurance maladie étant donné l’évolution des versements forfaitaires. Il existe déjà la rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP), mais comment évaluer si ces objectifs ont bien été atteints ?

M. Claude Leicher. Quand on veut créer une CPTS, on envoie une lettre d’intention à l’ARS. Pour ma part, quand je l’ai fait, mon projet a été refusé.

M. Jean-Carles Grelier, président. Sur quel fondement ?

M. Claude Leicher. On m’a répondu de représenter le projet quand il serait plus mûr. La première étape est de rencontrer les confrères et les professionnels pour définir les problèmes à régler – par exemple l’impossibilité de trouver des rendez-vous de spécialistes à l’hôpital local surchargé, qui oblige les patients à aller dans une grande métropole. À ce stade, il faut aider les porteurs de projet, et donc consentir un minimum de financement. Par exemple, j’ai consacré deux après-midi par semaine sur la durée à aller rencontrer mes collègues et discuter avec eux. La deuxième étape consiste à écrire le projet et à fonder l’association. Pour cette mise en route, on peut faire un dossier de financement auprès du fonds d'intervention régional (FIR). Ensuite la CPTS se met à fonctionner et à produire des services, avec des objectifs. Dans l’accord conventionnel interprofessionnel relatif aux structures pluri professionnelles négocié en 2017 avec l’assurance maladie, il est prévu un volet territorial. À terme, l’objectif, partagé par le HCAAM, est de couvrir la totalité du territoire par des CPTS.

S’agissant du financement, il y a des économies à faire. Ainsi nous demandons depuis des années le déremboursement des médicaments prescrits pour les malades d’Alzheimer. La ministre vient de décider cette économie, qui est de l’ordre de 80 à 85 millions par an, soit trois fois le budget consacré aux maisons de santé. Il faudrait investir les crédits ainsi économisés pour favoriser le démarrage des CPTS. Elles conduiront ensuite à des économies d’échelle considérables.

M. Thomas Mesnier. Pour aider les CPTS, qu’on leur accorde à chacune un demi-emploi à temps plein. S’il y en a une par bassin de vie, cela coûtera 72 millions d’euros par an. On vient d’évoquer des économies possibles ; réinvestir les crédits dans une telle action aurait du sens.

M. Claude Leicher. La première étape est de sensibiliser les professionnels et le secteur médico-social.

M. Philippe Marissal. Il faut aussi sensibiliser les payeurs, car je peux vous assurer qu’en Rhône-Alpes on ne nous donnera jamais un demi-temps plein par CPTS !

M. Christophe Lejeune. Vous dites qu’un assistant médical vous ferait gagner beaucoup de temps lors d’une consultation. Mais les visites à domicile, quant à elles, ont-elles encore un sens ? Conduire, c’est aussi une perte de temps. Est-ce que la télémédecine serait un relais utile ?

Vous évoquez aussi l’importance des connaissances à assimiler pour un étudiant en médecine. Mais un médecin doit-il vraiment être un excellent scientifique ? Quand en plus on sait que 25 % à 30 % des diplômés n’exercent pas, le concours est-il vraiment adapté à ce que l’on attend d’un médecin généraliste, qui doit en plus être un gestionnaire ?

M. Claude Leicher. La télémédecine ? Voilà encore un mot magique ! Distinguons d’abord la consultation téléphonique que je peux avoir avec un spécialiste de l’hôpital pour un cas compliqué, de la téléconsultation qui passe par la vidéo. Il s’agit là d’un service ponctuel peu fréquent et peu rentable. Cela pèse pour rien dans l’organisation des soins et consomme plus de temps que la médecine traditionnelle.

En ce qui concerne l’importance des connaissances à maîtriser, je pense pour ma part que si l’on ne peut pas prouver le service rendu à un patient, il faut changer de métier. Et la preuve, c’est la science qui la donne à partir de pratiques répétitives ayant le même résultat. Oui, la médecine doit être scientifique. Cela étant, il faut bien dire qu’on peut tuer des gens en ne leur parlant pas. Les relations humaines et l’empathie sont aussi des nécessités.

M. Philippe Marissal. Pour ce qui est des visites à domicile, une bonne coordination de l’équipe de soins primaires permet d’en décider en toute confiance. L’infirmière ou le kinésithérapeute donne des informations qui permettent un premier tri avant de décider d’une visite.

En ce qui concerne les connaissances, on vous dit à la faculté qu’on ne peut pas tout vous apprendre : le reste, vous l’apprendrez en formation médicale continue. Seulement on est passé de dix jours de formation par an à deux jours et demi par an. Voilà un autre champ dont il faudrait s’occuper.

M. Claude Leicher. Et j’insiste une fois encore sur l’importance du rapport du HCAAM.

M. Jean-Carles Grelier, président. Je vous remercie.

 

 

 

 

 

 


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Audition de M. Éric Lajarge, directeur adjoint de cabinet au Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET), M. Benoît Lemozit, responsable du pôle de l'égalité d'accès aux services publics et aux publics, M. Éric Briat, chef de service et adjoint au directeur de la ville et de la cohésion urbaine, M. Stephan Ludot, et Mme Clémence Bre

Présidence de M. Jean-Carles Grelier, Vice-président de la commission denquête

M. Jean-Carles Grelier, président. Notre commission reçoit M. Éric Lajarge, directeur adjoint du cabinet du commissaire général à l'égalité des territoires, et M. Éric Briat, chef de service adjoint au directeur du service de la ville et de la cohésion urbaine du Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET). Nous avions demandé à auditionner le commissaire général lui-même. Il est en effet convenable, et courtois, de se déplacer devant la représentation nationale lorsqu’une commission d’enquête parlementaire vous convoque. La Constitution donne au Parlement le pouvoir de contrôle sur l’ensemble des administrations, et le Commissariat général à l'égalité des territoires en est une.

Je précise que cette audition est ouverte à la presse.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, les personnes entendues déposent sous serment. Je vous demande donc de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Éric Lajarge et M. Éric Briat prêtent successivement serment).

Je vous donne la parole pour une intervention liminaire.

M. Éric Lajarge, directeur de cabinet adjoint du Commissaire général à l'égalité des territoires. J’entends bien ce que vous rappelez, monsieur le président, des pouvoirs du Parlement sur l’administration et je vous présente les excuses de M. le commissaire général, qui est aussi en charge de la préfiguration de la future Agence nationale de la cohésion territoriale.

Le CGET, qui a pris la succession de la Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale (DATAR), a l’ambition de servir tous les territoires, et déploie son action dans les quartiers de la politique de la ville (QPV) comme dans les territoires ruraux. Il travaille de façon efficace avec le ministère des solidarités et de la santé, est en contact régulier avec ses services et plus encore en cas de crise et participe au pilotage de la stratégie nationale de santé. Le Commissariat a également autorité sur le réseau des secrétaires généraux pour les affaires régionales (SGAR).

Pour identifier les territoires carencés dont il est ici question, le CGET se fonde sur un indicateur, celui de l’accessibilité potentielle localisée (APL), qui met en relation le besoin de soins avec l’offre de temps médical disponible à l’échelle d’un territoire. C’est un progrès par rapport aux indicateurs antérieurs qui se fondaient sur la seule densité en médecins pour 100 000 habitants. Mais sans doute peut-il encore être amélioré. À partir de cet indicateur, le CGET a étudié les territoires les plus fragiles, qui sont en fait les communes isolées et les communes multipolarisées en bordure de métropole, qui ne bénéficient pas du « ruissellement » sanitaire. Entre ces territoires fragiles et ceux qui sont mieux desservis, entre deux France donc, l’écart s’accroît. Il s’ensuit que les bons indicateurs pour analyser les problèmes et définir une stratégie sont les indicateurs locaux, et non régionaux.

Néanmoins, pour compléter les indications que donne l’indicateur d’APL, il faudrait pouvoir faire une lecture prospective de l’évolution de la démographie médicale. On sait que l’âge moyen des professionnels de santé dépasse 50 ans et qu’un tiers d’entre eux ont plus de 60 ans. S’il était possible de les localiser, on verrait par exemple si les plus âgés sont concentrés dans les territoires carencés, ce qui aggraverait la situation de ces derniers. Mais on ne dispose pas encore d’un tel indicateur.

Le CGET souhaiterait pouvoir également tenir compte de l’impact des évolutions technologiques : on ne soignera pas demain comme on soigne aujourd’hui. L’accord signé en début d’année par Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires, et par son secrétaire d’État, Julien Denormandie, avec l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) et les opérateurs mobiles vise à accélérer la couverture numérique des territoires en très haut débit d’ici 2022. Il favorisera les nouvelles pratiques de soins en densifiant l’accès à la télémédecine.

Dans le cadre des travaux sur la politique de la ville auxquels le CGET a participé, une attention particulière a été portée à l’accès à la prévention en santé. Selon nous, les maisons de services au public (MSAP) pourraient, en plus de leur rôle commercial ou de relais du réseau postal, constituer des centres de premier recours, délivrer des informations sur le parcours de soins, les spécialités en accès direct ou encore les compétences des différents professionnels de santé. Une inspection des MSAP en cours permettra d’évaluer la possibilité de cette extension en santé.

M. Jean-Carles Grelier, président. J’ai trois questions.

Quel est le point de vue du Commissariat général sur l’organisation de la santé sur le territoire ? On a souvent mentionné, dans le cadre de cette commission, les disparités de comportement d’une ARS à l’autre, en particulier à propos des communautés professionnelles territoriales de santé qui se créent. On a même évoqué un retour aux agences régionales de l’hospitalisation (ARH), qui ont précédé les ARS et développaient une stratégie de santé avec une structure administrative bien moins lourde.

Recourir à la télémédecine, oui sans doute. On en a parlé au vu de la démographie médicale et notamment pour les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). Mais sachez que pour l’heure, dans plus de 10 % des communes de ma circonscription, le portable ne passe pas ! Aussi la télémédecine relève-t-elle, en l’état, du vœu pieux.

Enfin pour ce qui est de la prévention, qui vous semble importante, j’avoue mon étonnement. Sept départements ministériels gèrent chacun un petit morceau du budget qui y est consacré, sans se coordonner. Santé publique France regroupe une douzaine d’organismes, et chaque ARS a une direction générale en charge de la prévention. N’y aurait-il pas lieu de mieux organiser la gouvernance des actions de prévention au niveau national, en faisant de Santé publique France une agence interministérielle qui rendrait cette action plus efficace ?

M. Éric Lajarge. Sur ce dernier point, le choix des opérateurs ne relève pas du ministère de la cohésion des territoires. Je ne peux donc qu’émettre un avis. L’objectif, en créant Santé publique France, était déjà de regrouper les opérateurs. Le but n’est pas atteint, mais on est sur le chemin…

M. Jean-Carles Grelier, président. Il faudrait quand même que ce chemin mène quelque part !

M. Éric Lajarge. On s’est engagé à travailler, pour 2022, sur d’ambitieuses améliorations de la gouvernance dans l’administration. Mais je ne sais pas si Thomas Cazenave, nommé délégué interministériel à la transformation publique, traitera de cet aspect. Dans ses travaux de préfiguration de l’Agence, le Commissariat général souhaite qu’il y ait une très forte simplification pour une meilleure réactivité des acteurs publics. On verra aussi comment M. Cazenave traite de la dispersion des responsabilités en ce qui concerne la prévention.

S’agissant de la télémédecine, j’ai fait référence à l’accord signé par le Gouvernement pour accélérer le passage au très haut débit. Le CGET sera un partenaire important de ce dispositif. C’est vrai, actuellement, l’accès au réseau n’est pas satisfaisant. Mais grâce à cet accord, le haut débit sera plus disponible et permettra de nouveaux usages du numérique. Dans ce cadre, l’accès aux soins sera un point privilégié. Comme le déclarait hier M. Mézard, c’est désormais au-delà de 2020 qu’il faut se projeter. Par exemple, la télémédecine dans les EHPAD – lesquels n’utilisent pas suffisamment les fonds d’intervention régionaux pour s’équiper, devrait s’ouvrir à toute la population résidant autour de l’établissement, pour procurer un service de télémédecine en ambulatoire.

Vous m’interrogez sur les ARS. Je me souviens effectivement qu’en 1996, lorsqu’après les ordonnances Juppé, on a créé l’ARH d’Alsace, c’est une équipe légère qui s’occupait de financement et d’aménagement. Aujourd’hui les ARS emploient des centaines de personnes et ont un poids bien différent. Sont-elles plus efficaces ? Il ne m’appartient pas de le dire.

On a changé de paradigme. Les ARS regroupent désormais les différents acteurs de la politique de santé, qu’ils dépendent de l’État ou de l’assurance maladie. Il est vrai que l’articulation avec les directions départementales interministérielles (DDI) peut donner lieu à des frottements et qu’il est parfois difficile de mobiliser les unités territoriales sur des projets communs.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Les fractures territoriales se sont aggravées, et c’est pourquoi j’avais déposé une proposition de loi visant à créer une agence nationale de la cohésion des territoires, destinée à jouer un rôle stratégique. La santé est un domaine essentiel car il touche à la vie de tous les jours et soulève des problèmes de qualité des soins, de dépenses publiques et d’organisation.

Pour ce qui est du numérique, le plan que vous évoquez n’est pas adapté à la télémédecine, car un équipement ne dépassant pas les 30 mégaoctets par seconde ne donne pas des images d’une résolution suffisante pour porter un diagnostic en toute sécurité. Le seuil à atteindre pour cela serait d’avoir un gigaoctet sur tout le territoire. Pour y parvenir, dans la région Grand-Est, les collectivités apportent 20 % du financement et les opérateurs 80 %. En Eure-et-Loir, on nous demande 60 millions d’euros pour avoir la 4G partout.

Les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) sont des structures intéressantes, répondent au souhait des médecins et s’inscrivent bien dans les objectifs énoncés dans le discours du 13 octobre 2017 par lequel le Premier ministre a lancé le programme « Action publique 2022 ». On peut solliciter des crédits des fonds régionaux d’aménagement du territoire (FRAT), mais ils sont plutôt destinés à l’animation des filières économiques. Le CGET a la haute main sur les contrats de plan État-régions. Seriez-vous d’accord pour financer, pendant trois ans, les CPTS ? En revanche, ne vous engagez pas sur la piste de la télémédecine dans les MSAP, et n’allez surtout pas lancer un appel d’offres pour 4 000 cabines, ce serait gaspiller l’argent public.

Enfin, les ARS sont en conflit presque quotidiennement avec les préfets de département, ce qui nuit à l’efficacité. Il faut rétablir l’autorité politique et décisionnelle de ces derniers. Espérons que la nouvelle agence ne sera pas une agence de plus mais aura bien un rôle fédérateur. Pour jouer pleinement son rôle dans la cohésion des territoires, il faut qu’elle ait la compétence santé et la responsabilité sur les ARS, dont nous avons constaté, au fil des auditions, qu’elles soulevaient une levée de boucliers.

M. Éric Lajarge. Sur le numérique, je vous entends, mais la santé n’est pas le seul domaine concerné. Les architectes aussi par exemple ont besoin de haut débit. Il y a des problèmes de tuyauterie mais, comme y invite M. Mézard, il faut déjà penser au coup d’après.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Attention à ne pas gaspiller des milliards !

M. Éric Lajarge. En ce qui concerne les CPTS, je ne peux pas prendre d’engagement, je n’ai pas la légitimité pour cela.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Que pensez-vous au moins de leur pertinence ?

M. Éric Lajarge. Leur pertinence, peut-être, mais la santé est bien un domaine de niveau régional. Il est vrai que les SGAR n’en ont pas fait un thème porteur, il est vrai aussi qu’il peut y avoir des incidents entre l’ARS et les préfets. Mais désormais, les interlocuteurs de l’ARS sont aussi les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Peut-être faut-il modifier le cadre actuel ou l’utiliser différemment. Mais le préfet de région reste bien le président du comité exécutif de l’ARS.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Voyez comment les conseils régionaux accueillent le plan régional de santé de l’ARS. Ils n’y ont pas été associés !

M. Éric Lajarge. Au niveau de l’application, c’est-à-dire le département, l’ensemble des acteurs responsables ont leur rôle. L’ARS joue le sien, avec un succès d’estime relatif. La vraie question tient au pouvoir de persuasion du préfet pour mettre tous les acteurs autour d’une table.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Les directeurs des unités territoriales font preuve, comme les inspecteurs d’académie, d’une forte indépendance.

M. Éric Lajarge. C’est pourquoi je parle de succès d’estime relatif. Selon les cas, cela fonctionne ou pas.

M. Jean-Carles Grelier, président. Tout de même, le préfet reste le premier interlocuteur des élus quand ils ont à faire remonter ce que leur disent les professionnels. Certains délégués départementaux de l’ARS exercent vraiment leurs responsabilités, mais d’autres se contentent d’être des boîtes aux lettres.

M. Éric Lajarge. Il est vrai que les administrés s’adressent en premier lieu aux élus locaux, lesquels se tournent alors vers le préfet.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Que pense le CGET, qui a une vision nationale des choses, de certaines expériences locales, en Dordogne, dans le Lot, où l’on a réussi à remplacer un médecin sans que cela se révèle trop coûteux ? Il serait peut-être intéressant d’examiner les facteurs d’attractivité des endroits qui réussissent.

D’autre part, avez-vous une vision consolidée des aides fiscales et financières consenties, par exemple, pour maintenir un médecin là où il est, ou pour accorder une exonération fiscale au titre de l’installation en zone de revitalisation urbaine à un médecin qui s’est juste déplacé de quelques kilomètres pour en profiter ? Nous parlions du fonctionnement des CPST : mieux vaudrait utiliser cet argent à leur payer un assistant à temps plein que de le dépenser à subventionner une forme de nomadisme médical.

M. Éric Lajarge. Pour ce qui est de l’attractivité, tout le monde cherche à faire venir un étudiant, à l’aide de divers dispositifs de bourses de l’État, de la région, et la commune. On espère qu’après cette phase dans leur parcours de vie, ils resteront sur place. La première chose est donc de les faire venir. Mais il faut aussi prendre en compte d’autres questions comme le logement, l’indemnité de frais de déplacement.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Elles sont résolues en partie.

M. Éric Lajarge. On peut imaginer par exemple construire un logement d’accueil dans le cadre de la MSAP, pour favoriser une installation durable.

En ce qui concerne les données sociales, le CGET a une direction des stratégies territoriales qui s’y consacre et dont les notes peuvent répondre à vos questions. Nous abordons ces études d’un point de vue territorial plutôt du point de vue des flux et des stocks de professionnels. Je vous renvoie au rapport de l’Observatoire national de la politique de la ville (ONPV) et au rapport annuel de l’Observatoire des territoires, qui est très dense et traite des questions de santé. Mais nous lirons le rapport de votre commission qui nous inspirera sans doute de bonnes questions.

Notre programme d’études nationales comprend une enveloppe de 500 000 à 600 000 euros réservée à des études locales faites à la demande des SGAR. Ces études, utiles pour leur territoire et qui, en même temps, nourrissent les données du CGET, peuvent porter sur des questions de santé. Se financer ainsi sur des crédits nationaux permet de ne pas entamer les crédits déconcentrés.

Je ne peux évidemment pas vous répondre sur les exonérations fiscales, sujet qui relève du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Je ne peux que vous renvoyer au volet territorial des contrats de plan État-régions. D’une certaine façon, la réflexion qu’a engagée votre commission d’enquête est en avance sur la nôtre, laquelle va prendre un tour plus dynamique avec l’arrivée du nouveau commissaire général, le 23 avril dernier. Les questions de restructuration que vous avez abordées intéressent le préfigurateur de la future agence nationale de la cohésion sociale, y compris pour le domaine hospitalier. Le CGET souhaite se donner une vision large de l’aménagement du territoire et donc, au moins, disposer de toutes les connaissances disponibles.

M. Jean-Carles Grelier, président. Je vous remercie.

 

 

 


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Audition commune de M. Nicolas Wolikov et M. Alexandre Maisonneuve, fondateur et directeur médical de Medical Qare, de M. Cyrille Charbonnier, président de Médiveille, de M. François Lescure, président de Médecin direct, et de Mme Sibel de la Selle Bilal et M. Souhil Zebboudj, fondatrice et directeur marketing et développement de Coursier sanitaire et social, accompagnés de Mme Olivia Galley-Allouch, membre de l’Association CRCMRP (structure qui porte les Coursiers sanitaires et social)

Présidence de M. Alexandre Freschi, Président de la commission denquête

M. le président Alexandre Freschi. Mes chers collègues, nous débutons nos travaux de la matinée avec une audition commune de représentants de start-up, à qui je souhaite la bienvenue.

Il s'agit plus précisément de Qare, représentée par ses cofondateurs, M. Nicolas Wolikow et M. Alexandre Maisonneuve ; de Médiveille, représentée par son président, M. Cyrille Charbonnier ; de Médecin direct, représentée par son président, M. François Lescure ; de Coursier sanitaire et social, représentée par sa fondatrice, Mme Sibel de La Selle Bilal, par son directeur marketing, M. Souhil Zebboudj, et par Mme Olivia Galley-Allouch, médecin généraliste.

Je vous informe que nous avons décidé de rendre publiques nos auditions et que, par conséquent, celles-ci sont ouvertes à la presse et diffusées en direct sur un canal de télévision interne, puis consultables en vidéo sur le site internet de l'Assemblée nationale.

Avant de vous donner la parole pour une brève introduction et d’ouvrir le débat avec l’ensemble des commissaires, je vous rappelle que l’article 16 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Je vous invite à lever la main droite un par un et à dire : « Je le jure ».

(Les personnes auditionnées prêtent successivement serment.)

M. Alexandre Maisonneuve, cofondateur et directeur médical de Qare. Merci de votre invitation. J’aimerais commencer par un bref historique de Qare afin d’expliquer comment mon cursus m’a conduit à la téléconsultation. Médecin généraliste de formation, je me suis orienté rapidement vers la médecine d’urgence, que j’exerce depuis maintenant 2003, à la fois dans son versant extrahospitalier – régulation téléphonique au service d’aide médicale urgente (SAMU), service mobile d’urgence et de réanimation (SMUR) – et dans son versant intrahospitalier – les urgences.

Pour la médecine d’urgence, l’accès aux soins constitue une problématique quotidienne. Dans l’histoire de l’accès aux soins, le virage des années 2000 a été particulièrement important : c’est à ce moment-là que la médecine libérale s’est désengagée – volontairement ou pas, je ne porte aucun jugement – de la permanence des soins. Auparavant, tous les médecins généralistes étaient obligés de prendre des gardes. Le 1er janvier 2002 a marqué un tournant puisque c’est à partir de cette date que toutes les demandes de soins d’urgence ont été dirigées vers les centres 15. À l’époque, tout le monde approuvait le désengagement de la médecine libérale des soins non programmés, désengagement qui s’est traduit d’abord dans l’activité de nuit et dans l’activité de permanence de soins, puis, progressivement, dans l’activité de jour.

J’étais à cette époque médecin généraliste remplaçant et j’ai assisté à ce virage en ville. Devenu ensuite médecin urgentiste hospitalier, j’ai vu les demandes augmenter en continu, à la fois dans les services d’urgence et sur les lignes d’appel des centres 15. Ces demandes ne relevaient pas forcément de la médecine d’urgence, mais elles ne trouvaient désormais plus de réponses auprès de la médecine libérale.

Petit à petit, le problème s’est accentué, du fait notamment des modifications apportées au financement des hôpitaux. Les services d’urgence sont incités à faire des consultations peu urgentes parce qu’elles sont rentables. On constate actuellement un engorgement des SAMU et des services d’urgence. Quant aux patients, ils ne sont pas contents.

Parallèlement à cette évolution, j’ai diminué mon activité hospitalière pour me réinvestir dans la médecine libérale et les soins non programmés. Fort de cette double casquette, il m’a semblé que la solution la plus pertinente à court terme était de développer la téléconsultation. De cette conviction ont découlé ma rencontre avec Nicolas Wolikow et, à la mi-2016, le projet de création de Qare. La start-up est opérationnelle depuis avril 2017, c’est-à-dire depuis un an.

M. Nicolas Wolikow, co-fondateur et directeur général de Qare. Alexandre a été très complet, je n’ajouterai donc que quelques mots. Aujourd’hui, Qare permet la mise en relation de patients et de médecins. L’une des originalités de la plateforme est qu’elle regroupe, outre des médecins généralistes, plus de vingt et une spécialités médicales. Nous essayons de proposer une offre la plus riche possible qui s’articule au mieux dans le parcours de soins. Nous sommes capables d’orienter le patient vers une consultation présentielle, de gérer ses informations de santé, de lui envoyer si nécessaire un compte rendu de sa consultation ou même une ordonnance. Nous tentons de répliquer au plus juste la vie du patient en présentiel grâce à de nouveaux outils.

M. Cyrille Charbonnier, président de Médiveille. À mon tour, je vous remercie pour votre invitation. Je suis médecin généraliste. J’ai travaillé pendant neuf ans comme effecteur SAMU avec la société Médecins à domicile 94. Ce travail constituait à effectuer des visites sur demande du SAMU, dans tout le Val-de-Marne, 24 heures sur 24. J’ai également été le gérant de la structure Médecins à domicile 94, qui comptait une vingtaine de médecins entre 2009 et 2010, et praticien attaché à la régulation du centre 15 de 2011 à 2014.

J’exerce actuellement l’équivalent d’un mi-temps dans un cabinet de soins non programmés que j’ai ouvert en juin 2014 avec deux confrères au Puy-en-Velay. Je suis également médecin, le matin, dans un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), au sein d’une unité de soins longue durée (USLD). Je m’occupe de ma start-up Médiveille, pour laquelle je travaille bénévolement depuis quatre ans, sur mon temps libre.

Médiveille, qui a vu le jour officiellement en août 2017, a suivi le parcours classique des start-up : incubation, bourse French Tech, accélération, avec désormais deux sites, l’un à Clermont-Ferrand, l’autre à Saint-Étienne, financements régionaux, financement Bpifrance. Médiveille est une application qui facilite l’accès aux soins des patients en temps réel. Le système est aujourd’hui complètement opérationnel.

L’idée de Médiveille est née à l’époque où j’étais régulateur au SAMU de l’hôpital Henri-Mondor. Fin 2013, un samedi à 11 heures, c’est-à-dire en dehors des heures de permanence de soins, nous avons reçu l’appel d’une femme qui venait d’arrêter sa voiture et qui ne connaissait pas du tout la région parisienne. Son fils, à l’arrière, était malade et elle souhaitait consulter un médecin. Elle avait pris la sortie d’autoroute de Champigny-sur-Marne, qui indiquait la ville à deux kilomètres.

Le SAMU d’Henri-Mondor, l’un des plus gros de France, recevait alors entre 400 et 600 appels par jour, et nous n’avions aucune réponse à donner à cette dame. À l’époque, une application mobile existait qui permettait de pointer un avion dans le ciel et de connaître immédiatement sa provenance et sa destination. Quant à nous, nous étions incapables de dire, un samedi, à 11 heures, si un médecin était disponible à cinq kilomètres de notre SAMU. Avec mon collègue, le docteur Denis Andrieu – qui s’est finalement dissocié du projet –, nous avons alors commencé à réfléchir au moyen de remédier à cette situation. C’est ainsi que sont nés l’application et le site internet Médiveille, aujourd’hui opérationnels.

Plus globalement, le constat que je fais sur l’accès aux soins est le même que celui de mon confrère, M. Maisonneuve. Outre le rapport de Thomas Mesnier sur les soins non programmés, je me réfère au rapport de la Cour des comptes de septembre 2014 et, en particulier, à son chapitre 12, « Les urgences hospitalières : une fréquentation croissante, une articulation avec la médecine de ville à repenser. ». Il est indiqué, dans ce chapitre, qu’une consultation aux urgences, sans bilan complémentaire et sans acte de radiologie, a un coût de 161,50 euros. Je rappelle qu’une consultation en médecine générale coûte actuellement 25 euros en cabinet médical.

Le rapport de la Cour des comptes préconise de favoriser la collaboration entre les médecins généralistes volontaires et les services d’urgence afin de développer les consultations médicales de soins non programmés en journée. Il souligne par ailleurs l’intérêt des primary care centers aux États-Unis et au Royaume-Uni, sortes de dispensaires qui permettent d’orienter les patients. Le mot « dispensaire » peut avoir une connotation négative, mais j’ai travaillé à Mayotte pendant un an quand je préparais ma thèse et j’ai pu observer l’efficacité des dispensaires qui existent là-bas : tout le monde peut venir y consulter, on n’y refuse personne.

C’est le principe de mon cabinet médical de soins non programmés : il n’y a pas de sélection à l’entrée. Je suis installé au Puy-en-Velay, dans une zone de désert médical. Les gens qui viennent me consulter me disent qu’ils ont déjà appelé vingt numéros de téléphone avant le mien pour obtenir un rendez-vous. Tous les cabinets médicaux qu’ils ont contactés leur répondent qu’ils ne prennent pas de nouveaux patients et les invitent à aller voir ailleurs. Quand je demande à mes confrères pourquoi ils ne font pas de soins non programmés, ils me répondent qu’ils ont des créneaux libres en fin de journée pour les patients qui appellent en début de journée. En creusant un peu, on se rend compte que ces créneaux sont réservés à leur patientèle. Il ne s’agit donc pas de soins non programmés.

Si tous les généralistes libéraux de France, soit 50 000 praticiens, prenaient en charge ne serait-ce que deux heures par semaine de soins non programmés, via notre application, on pourrait réduire notablement la croissance ininterrompue des urgences. Je rappelle que le nombre de passages aux urgences est passé de 8 millions en 1990 à plus de 21 millions en 2017. Médiveille permet aux médecins de se rendre disponibles en temps réel, de manière visible pour le SAMU et les patients : ils apparaissent en vert sur notre site internet, ce qui signifie qu’ils peuvent être contactés.

M. François Lescure, président de Médecin direct. Je vous remercie également de nous avoir invités. Médecin direct est « la plus vieille des plus jeunes » sociétés, puisque nous faisons de la téléconsultation en France depuis maintenant sept ans. Nous commençons d’ailleurs à disposer d’un certain nombre de données disponibles. Ces données permettent d’expliquer les raisons pour lesquelles les gens font appel à nos services, ce qui est essentiel dans le débat actuel.

Médecin direct est un service de consultation médicale à distance qui regroupe une quarantaine de médecins - je suis quant à moi pharmacien ! Nous l’avons créé il y a sept ans après avoir constaté que les médecins échangeaient avec leurs patients en utilisant des outils absolument pas sécurisés. Notre ambition était de faciliter et de sécuriser l’accès des patients aux médecins grâce aux technologies de l’information et de la communication.

D’après différentes enquêtes, 80 % des médecins, voire plus, échangent quotidiennement ou de manière régulière avec leurs patients en utilisant les technologies de l’information et de la communication. Le temps médical diminue en France. Vous connaissez les chiffres, mais j’aime à rappeler que 55 % des médecins ont plus de 55 ans aujourd’hui. La pyramide des âges du corps médical est donc totalement inversée. Certains praticiens continuent de travailler à plus de 70 ans, mais nous avons tous les jours des appels de pharmaciens qui nous disent qu’ils n’ont plus de médecin dans leur village. Sans médecin, plus d’ordonnances, et sans ordonnances, plus de pharmacie. Or, quand on ferme une pharmacie, on ferme un centre de premier recours – vous comprendrez qu’en tant que pharmacien je défende la pharmacie dans le parcours de soins.

La raison principale pour laquelle les gens sollicitent Médecin direct est le manque de temps médical. Ces patients n’ont généralement pas réussi à obtenir un rendez-vous avec leur généraliste dans un délai raisonnable, sans même parler des spécialistes, dermatologues et ophtalmologues notamment, pour lesquels c’est encore plus difficile.

Quand les patients s’adressent à nous pour poser une question ou nous envoient une photo en cas de problème dermatologique, la réponse leur arrive dans la demi-journée. Je rappelle qu’il y a souvent six mois d’attente avant de pouvoir consulter un dermatologue. Lorsque notre dermatologue n’a pas la solution au problème qui lui est soumis, il renvoie le patient dans le parcours de soins. Notre intervention permet dans tous les cas une forme de régulation. Chez Médecin direct, nous orientons et nous rassurons les patients, mais nous résolvons aussi les problèmes. Aujourd’hui, nos médecins considèrent qu’ils apportent une solution à 85 % des patients qui nous sollicitent. Il y a trois ans, notre service se limitait à du conseil car nous n’étions pas encore autorisés à faire des diagnostics et à délivrer des ordonnances. Le taux de résolution des cas ne dépassait pas 40 %.

Mme Sibel de La Selle Bilal, fondatrice de Coursier sanitaire et social. Mon parcours professionnel m’a amenée à créer le métier de coursier sanitaire et social. Je suis l’une des cofondatrices de la mission France de Médecins du monde et c’est dans le cadre de cette mission, créée en 1985, que j’ai fait pour la première fois l’expérience du système de soins français. J’ai vu passer à cette période plus de 14 000 exclus des soins. La quasi-totalité des médecins bénévoles qui exerçaient dans le cadre de la mission France étaient des médecins libéraux. Il n’y avait parmi eux ni médecins de santé publique, ni médecins de la sécurité sociale, ni médecins hospitaliers.

L’arrivée du sida, en 1987, nous a conduits à créer le premier centre de dépistage anonyme et gratuit (CDAG). Il m’est arrivé, à cette époque, d’avoir à informer des personnes que leur dépistage était positif, des usagers de drogues et des personnes en situation de marginalité. J’ai aussi contribué à créer le mouvement du réseau ville-hôpital, dont j’ai été la première vice-présidente en charge de la coordination nationale. À partir de 1998, nous avons mobilisé un nombre important de professionnels autour des malades du sida. Cette épidémie nous a tous pris de court. Avec le mouvement du réseau ville-hôpital, il ne s’agissait pas de créer une institution de plus, mais de proposer un mode d’organisation alternatif et de lutter contre l’exclusion.

En 1991, grâce au travail d’analyse de données mené par un sociologue, nous avons compris que le problème n’était pas uniquement l’exclusion ou l’accessibilité aux soins. Les personnes que nous imaginions triplement exclues étaient en réalité vues douze fois par les services sociaux et sept fois par les services médicaux sur un mois. Plutôt que d’exclusion, il fallait donc parler de non-adaptation de l’offre aux besoins du public. Il fallait par ailleurs s’attaquer au problème de communication entre la ville et l’hôpital. Plutôt que d’initier des parcours de soins après des périodes de crise aiguë, nous devions agir en amont, pendant et après, en particulier pour les maladies chroniques.

J’ai repensé, en écoutant les précédents intervenants, à un rapport publié par La Documentation française en 1991 sur la santé des Français. Il préconisait cent orientations possibles pour prévenir les catastrophes que nous affrontons aujourd’hui ! Certaines portaient bien sûr sur le numerus clausus et le vieillissement des médecins libéraux. En 2000, quelques milliers de médecins ont été incités, par des aides financières, à partir en préretraite. L’idée était alors, en réduisant l’offre, de réduire la demande et par conséquent les coûts. Des hôpitaux de proximité ont alors été fermés, mais j’ai appris hier qu’on envisage d’en ouvrir à nouveau…

Actuellement, 153 cabinets généralistes, qui suivent 1 118 patients, utilisent le service offert par Coursier sanitaire et social. Si nous en avions les moyens, nous le proposerions à un bien plus grand nombre de médecins généralistes. Quand on leur offre un service qui correspond à leurs besoins et à ceux de leurs patients, ils sont toujours prêts à s’investir.

Le problème de l’accès aux soins et de leur continuité ne dépend pas uniquement de l’offre et de la demande, mais aussi des besoins. Le rapport de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) sur les urgences hospitalières au cours des cinq dernières années, montre que 90 % des urgences justifient une intervention d’urgence, même si le recours au plateau technique n’est pas toujours nécessaire. Par ailleurs, j’ai cru longtemps que les urgences étaient plus fréquentées la nuit que le jour, parce que les gens sont plus angoissés. Je me trompais : la majorité des patients viennent pendant la journée.

Les médecins généralistes sont payés environ 5 000 euros nets par mois. Ils ont des charges de cabinet très lourdes, travaillent 65 heures par semaine en moyenne annuelle et ne prennent que trois semaines de vacances chaque année. On ne peut décemment pas, dans ces conditions, faire porter à ce corps professionnel la responsabilité du déficit de l’offre médicale. Les médecins généralistes, cheville ouvrière du système de santé français, sont reconnus depuis seulement 2010 comme le pivot de la politique de santé publique. La stratégie nationale de santé confie l’action de prévention primaire, secondaire et tertiaire, aux médecins généralistes de premier recours. La loi de 2009 les a rendus responsables dans le cadre du parcours de soins coordonnés.

L’ensemble des lois adoptées au cours des dix dernières années sont très intéressantes mais, permettez-moi de le dire, elles ne sont appliquées ni par les instances officielles, ni par le terrain, en raison de résistances culturelles, de la pression des lobbys et d’intérêts divers.

Je suis à votre disposition pour répondre à vos questions. J’aimerais toutefois que nous puissions entendre maintenant le témoignage de Mme Galley-Allouch, médecin généraliste et utilisatrice de notre service depuis sa création.

Mme Olivia Galley-Allouch, médecin généraliste. Dans la médecine générale, nous ne faisons pas tous le même métier. Tout dépend de nos préférences. Les confrères qui se sont exprimés avant moi sont très intéressés par la gestion des soins non programmés, et c’est en effet une question importante dans la médecine actuelle, mais la médecine programmée doit également être prise en compte, tout comme le suivi, la coordination de soins et le travail en équipe. Ces deux volets relèvent de la médecine générale mais n’en sont pas moins très différents. Avec Coursier sanitaire et social, il s’agit des soins, du suivi, de la coordination et de la prise en charge au long cours.

Je suis installée en zone déficitaire depuis quinze ans, à Bagnolet. J’ai demandé des subventions pour pouvoir maintenir mon activité et surtout payer une secrétaire, mais on me les a refusées. Je suis particulièrement dégoûtée du manque de considération des tutelles, qui déclarent pourtant vouloir favoriser l’installation et le maintien des médecins. En ce qui me concerne, je n’ai pas été entendue. On considère que je n’ai pas droit à ces subventions. J’ai donc décidé de partir.

Personnellement, en tant que médecin installé, j’aime le suivi. Les consultations non programmées, ce n’est pas mon truc, mais je n’ai pas le choix, je dois en avoir. J’ai donc ouvert une permanence tous les jours, de 15 heures à 17 heures 30. Pendant cette permanence, je ne prends que mes patients. Pourquoi ? Parce que j’en ai entre vingt et vingt-cinq pendant ces deux heures et demie. Je m’attache en priorité au parcours de soins. Je ne peux donc pas prendre les patients que je ne connais pas. C’est du moins ainsi que je vois les choses. J’essaie d’assurer un suivi auprès de mes patients.

Dans un désert médical urbain comme Bagnolet, très différent d’un désert médical rural, je fais face à des populations en grande difficulté sociale et psychologique, qui demandent du temps et de la coordination de soins avec les hôpitaux et les services sociaux. Pour les médecins généralistes, les coursiers sanitaires et sociaux sont une formidable aide. Lorsque nous sommes confrontés à des situations de soins difficiles, avec des patients qui ne parlent pas bien le français et dont le parcours à l’hôpital ou au service social est compliqué, nous déclenchons l’intervention de nos coursiers sanitaires et sociaux, qui permettent à ces patients de voir un spécialiste à l’hôpital, de faire une radio ou de consulter l’assistante sociale de secteur.

Les coursiers sanitaires et sociaux ne prennent pas la place des différents acteurs qui travaillent autour du patient. Ils nous aident à coordonner nos soins et à maintenir les patients à domicile. Ils organisent des réunions de coordination avec les infirmières, le service social et les différents professionnels. Je ne suis pas étonnée d’apprendre qu’un grand nombre de médecins en difficulté aimeraient bénéficier de leurs services. Les coursiers sanitaires et sociaux ne peuvent malheureusement pas répondre à tous, faute de subventions.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Bonjour à toutes et à tous. Merci d’être parmi nous. Je commencerai par une question synthétique s’adressant à Médiveille, à Qare et à Médecin direct.

Avec la montée en puissance du numérique et des téléconsultations, quelles marges de progression envisagez-vous pour vos sociétés au cours des cinq prochaines années ? Quels sont les obstacles réglementaires qui pourraient freiner votre développement ?

Ma seconde question porte sur la couverture numérique et vous concerne également tous les trois. Quel devrait être, selon vous, le bon niveau de débit internet pour apporter une réponse de qualité partout sur le territoire aux équipes que vous représentez ?

Enfin, à Mme de La Selle Bilal, je voudrais demander combien il faudrait de coursiers sanitaires et sociaux à l’échelle du pays pour permettre une réponse globale. J’ai entendu le regret de Mme Galley-Allouch de ne pas avoir reçu de subvention pour payer une secrétaire. Les coursiers sanitaires et sociaux pourraient-ils fournir une aide dans ce domaine, à travers une plateforme numérique par exemple ?

M. Cyrille Charbonnier. Comment favoriser l’émergence de solutions numériques ? Le premier problème réside dans la complexité du système de santé français et dans la diversité de ses acteurs, qui travaillent en outre selon des réglementations très contraignantes, propres à un domaine non commercial - les médecins n’ont pas le droit de faire de la publicité. Il n’est pas évident de communiquer avec l’ensemble d’entre eux, d’autant que leurs intérêts sont divergents. Une solution ne pourra s’imposer qu’à condition de les avoir tous convaincus. Qui sont-ils ? Principalement l’assurance maladie, le ministère de la santé, les agences régionales de santé (ARS), le conseil de l’ordre, les hôpitaux publics, les cliniques privées, les médecins libéraux, les médecins hospitaliers et les syndicats de médecins.

Toutes les start-up de l’e-santé sont confrontées à la difficulté de fédérer les acteurs. Nous avons du mal, en particulier, à obtenir des réponses cohérentes à nos demandes. J’ai reçu plusieurs lettres d’accréditation du ministère après que le professeur Jean-Yves Fagon, délégué ministériel à l’innovation en santé, a décidé de soutenir notre projet. Une autre institution m’a envoyé la réponse suivante : « Nous sommes tout à fait disposés, dans le cadre de notre mission, avec le soutien d’une autre instance, à faciliter la mise en œuvre d’un dispositif expérimental de mise en relation patients-médecins. » Deux ans plus tard, quand nous avons enfin eu la solution technique permettant de mettre en œuvre notre projet, nous avons proposé à cette institution une expérimentation sur son territoire. Voici sa réponse : « Toute action concernant la continuité ou la permanence des soins doit prendre en compte tous les acteurs. Ces derniers ont eu le sentiment qu’on leur forçait la main dans un projet qui pourrait les intéresser en tant qu’observateurs de l’offre de soins, mais pas en tant qu’acteurs de la mise en place d’un outil sous-tendu par un modèle économique non public. »

On est ici au cœur du problème : certaines instances du secteur de la santé ne peuvent encore se résoudre à des partenariats public-privé avec des start-up. Ce blocage institutionnel handicape les petites entreprises comme les nôtres. Il est d’autant plus regrettable que d’autres institutions, en revanche, sont prêtes à travailler avec nous. Je pense notamment à Martin Hirsch, qui a passé des accords avec des start-up pour des consultations au sein de l’Assistance publique Hôpitaux de Paris (AP-HP).

En 2016, j’ai décidé de participer à un appel public à projets de plusieurs millions d’euros, qui réservait 10 % des fonds à des start-up de l’e-santé. J’ai répondu point par point au cahier des charges et déposé ma candidature en août sur une plateforme très complexe d’utilisation. On m’a répondu un mois plus tard, par une simple lettre, que ma candidature n’avait pas été retenue. Aucune audition n’avait été organisée. J’ai appris un an plus tard que les 10 % dédiés aux start-up n’avaient finalement pas été utilisés à cette fin. Les crédits avaient été intégralement dépensés dans le cadre d’un projet hospitalier.

Un nouvel appel à projets a été lancé en décembre 2017, auquel j’ai également participé. Cette fois-ci, je n’ai reçu aucune réponse par lettre, mais un simple coup de fil, pour m’expliquer que mon projet privé ne rentrait pas dans les clous de ce type d’expérimentation.

Plus positif, j’ai rencontré il y a trois semaines Yann Bubien, le directeur adjoint du cabinet de la ministre Agnès Buzyn, qui m’a fait part de son vif intérêt pour des start-up comme les nôtres. Elles répondent selon lui à des besoins que l’État ne sait pas satisfaire et peuvent l’aider à mener de nouvelles expérimentations.

Ainsi, le centre hospitalier universitaire (CHU) de Nice nous a contactés pour une expérimentation qui vise à décharger les urgences de l’hôpital de Nice, en partenariat avec l’union régionale des professionnels de santé (URPS), la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur (PACA) et l’agence régionale de santé (ARS).

De manière générale, l’ambivalence à l’égard du privé demeure. Les réponses qui nous sont faites sont parfois positives, parfois négatives, sans que l’on comprenne vraiment leurs motivations intrinsèques.

M. François Lescure. Sur la question de savoir si les médecins vont faire un usage croissant des technologies de l’information et de la communication pour échanger les dossiers médicaux et communiquer avec leurs patients et leurs confrères, nous sommes tous d’accord ici. Deux consultations sur dix pourraient bénéficier d’un mode éloigné de consultation, ou en tout cas d’une visite virtuelle, qu’elle soit par téléphone, par écrit ou par visioconsultation.

Quand on leur demande de se projeter à cinq ans, les médecins estiment qu’une consultation sur deux se fera probablement à distance. L’utilisation des technologies de l’information et de la communication va donc aller en augmentant, mais dans des proportions variables selon les tranches d’âges et le sexe des patients. Ces deux critères sont très importants. Ils sont les plus discriminants lorsque nous faisons des analyses de données.

Les moins de 30 ans qui n’ont pas de pathologie déclarée ou chronique communiquent de manière naturelle par visioconsultation ou par SMS. Leur relation au médecin est calquée sur leur comportement de consommateur. Ils consomment du médecin comme ils consomment du taxi. Il s’agit évidemment d’un simple constat, non d’un jugement.

Les plus âgés ont une relation au médecin tout à fait inverse, ce qui suscite des inquiétudes après que la sécurité sociale a décidé de privilégier les visioconsultations. Que devons-nous dire aux 20 % de plus de 80 ans qui font appel à Médecin direct, qui n’ont pas la possibilité de faire une visioconsultation et qui aimeraient avoir leur médecin traitant au téléphone ? La sécurité sociale et le ministère de la santé entendent lutter contre une médecine à deux vitesses, mais ils vont créer avec cette mesure une médecine à trois vitesses. La population qui a besoin de nos services dans le cadre de soins non programmés ne correspond pas du tout au profil souhaité par la sécurité sociale. Certes, de gros progrès ont été faits, avec une ouverture beaucoup plus large de la possibilité de téléconsulter aujourd’hui. Rappelons-nous cependant que la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite « loi HPST », qui a instauré la télémédecine, a neuf ans aujourd’hui. Force est de constater que nous ne sommes pas dans une démarche proactive sur ce sujet.

Depuis neuf ans, des expérimentations et uniquement des expérimentations ont eu lieu. Je suis bien placé pour le savoir puisque je suis l’un des cofondateurs de France eHealth Tech, l’association des start-up d’e-santé de France. Nous avons été considérés comme des perturbateurs et des expérimentateurs satellites, et on nous a laissés faire, même si nous n’en avions pas tout à fait le droit. Il est temps aujourd’hui de conclure cette phase. Telles qu’elles ont été menées, les expérimentations se sont révélées contre-productives car elles n’ont fait qu’ajouter des couches de technologies de l’information et de la communication au système existant, sans réformer son organisation en profondeur. Il est difficile, dans ces conditions, de dire qu’une solution est plus efficace qu’une autre. Ce constat est important pour tous les acteurs de la télémédecine et de l’e-santé au sens large.

La standardisation des dossiers est indispensable pour faire en sorte que les professionnels de santé puissent communiquer entre eux. Nous sommes les premiers favorables au dossier médical partagé (DMP) à condition que l’on puisse vraiment y accéder. Nous voulons échanger avec le médecin traitant dans le cadre du parcours de soins. Les rapports que nous produisons, nous ne souhaitons pas les garder pour nous. Nous ne sommes pas dans le suivi des soins. Pour autant, les technologies de l’information et de la communication pourraient permettre de rappeler à certains patients, grâce à des outils de suivi adaptés, l’observance thérapeutique et la bonne conduite à tenir dans certaines situations. Des expérimentations très intéressantes sont menées en ce sens.

La question du numérique est importante, mais il ne faut pas se leurrer. Si je demande qui, dans cette pièce, a déjà fait une visioconsultation avec son médecin, personne ne répondra positivement. Pourquoi ? Parce que cette technique n’est pas encore très fonctionnelle. Une visioconsultation pixélisée, avec un débit exécrable, n’a évidemment pas d’intérêt. Quand un dermatologue examine la peau d’un patient par visioconsultation, si la transmission est de mauvaise qualité, tout le monde perd son temps. Le dermatologue a plus vite fait de demander à son patient de lui envoyer des photos.

Faire de la visioconsultation un élément structurant de la réponse est absurde selon moi. Cette conviction est au cœur du combat que je mène avec l’assurance maladie. À l’origine, on ne considérait pas comme un acte médical le fait, pour un médecin, de parler à son patient. Maintenant que c’est enfin le cas, je ne vois pas ce qui différencie un colloque singulier en présentiel d’un colloque singulier à distance. Dans les deux cas, il s’agit d’un acte médical effectué par un médecin auprès d’un patient, qu’il soit pris en charge ou non par la sécurité sociale.

Pourquoi les modèles que nous avons utilisés chez Médecin direct sont-ils pris en charge par la complémentaire santé ? Parce qu’ils ne le sont pas par la sécurité sociale, mais peut-être cela changera-t-il en septembre. Il faut bien trouver un payeur et répondre à une demande. Tous les praticiens auxquels je fais appel ne sont pas des médecins salariés, mais des médecins libéraux, vacataires, qui vivent des situations de surcharge professionnelle considérable, comme Mme Galley-Allouch. La visioconsultation évitera peut-être les contaminations croisées dans les salles d’attente, mais elle n’allégera pas leur emploi du temps.

Ce qu’il nous faut, c’est du temps médical. Or, il y a du temps médical disponible chez les jeunes retraités. Ces derniers sont capables de donner une heure de leur temps par jour pour faire de la téléconsultation. Ils ont l’intelligence, la clinique et l’expérience pour le faire. Malheureusement, ce n’est pas possible aujourd’hui car les cotisations sociales sont forfaitaires et mensuelles. À condition de réformer ce volet-là, on pourrait libérer du temps médical et accroître du même coup la capacité de réponse de nos plateformes.

Dernier point, si 50 % des 400 millions de consultations annuelles passaient en téléconsultations, aucune des start-up ici présentes ne seraient capables de proposer 200 millions de téléconsultations annuelles. Il va donc falloir que nous grossissions et que nous trouvions des relais.

Il faut permettre aux plateformes de télémédecine d’apporter un service efficient et efficace. Il ne faut pas grande chose, sur le plan économique, pour qu’elles deviennent des sociétés qui gagnent de l’argent. Dans le privé, nous ne rechignons pas à faire du profit et à offrir un service de qualité, surtout dans le domaine médical.

M. Alexandre Maisonneuve. Avant de répondre aux questions que vous avez posées sur nos perspectives, la couverture débit et les obstacles qui persistent, j’aimerais souligner que nous revenons de loin s’agissant de la télémédecine et de la téléconsultation en France. Comme l’a dit le docteur Lescure, nous avons connu neuf années d’expérimentations régionales, qui ont abouti à un bilan que la Cour des comptes elle-même a déclaré ne pas pouvoir évaluer. La situation a notablement changé depuis septembre 2017 et l’annonce de la fin des expérimentations par Mme Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. La Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) a aussitôt pris le relais, par la voix de son directeur général Nicolas Revel, afin de travailler activement à l’intégration de la télémédecine au parcours de soins, et donc à son remboursement. Ce premier élément est important car, comme le dit M. Revel, il est possible de passer d’une situation de retard à une situation de quasi-leader européen. Nous devons donc nous inscrire dans une démarche résolument positive.

Sur les perspectives de la téléconsultation, nous disposons des mêmes chiffres que le docteur Lescure. Nous avons en outre demandé à l’institut de sondage Ipsos de réaliser une étude, dont je pourrai, si vous le souhaitez, vous communiquer les résultats précis. Les patients interrogés estiment que la moitié des consultations qu’ils ont effectuées au cours de l’année écoulée auraient pu faire l’objet de visioconsultations. C’est un résultat très optimiste et, je partage l’avis de M. Lescure, nous ne sommes pas en mesure, pour le moment, de répondre à une telle demande – mais nous pourrons l’être à terme. Les médecins généralistes et spécialistes estiment quant à eux que 20 % de leur activité pourrait consister en des visioconsultations. Précisons que la population de médecins interrogés n’était pas une population de médecins pratiquant déjà la téléconsultation. La vérité se trouve probablement entre la projection des patients et celle des médecins, c’est-à-dire entre 50 % et 20 % de visioconsultations, soit un chiffre considérable.

Au sujet des perspectives d’avenir, un point n’a pas encore été abordé, celui des objets connectés, un domaine encore très flou. Le Conseil national de l’Ordre des médecins a demandé qu’ils fassent l’objet d’une labélisation. Ce sera sans doute une deuxième étape importante dans le développement de la téléconsultation.

Je partage tout à fait la vision de François Lescure sur la question du temps médical. Les activités médicales de suivi de patients sont actuellement très programmées. La population des médecins a profondément changé. Non seulement elle vieillit, comme cela a été rappelé – 55 % des médecins ont plus de 55 ans -, mais les médecins les plus jeunes, qu’ils soient hommes ou femmes – la médecine est une profession qui s’est notablement féminisée -, ont adopté un nouveau modèle de fonctionnement. Leurs aspirations personnelles et professionnelles sont très différentes de celles de leurs aînés.

Les médecins retraités ont été évoqués. Pour ma part, j’insisterai particulièrement sur les médecins hospitaliers. Mme Buzyn a appelé de ses vœux, dans le développement de la stratégie nationale de santé, des coopérations entre médecins hospitaliers et médecins libéraux favorisant l’ouverture de l’hôpital sur la ville. Je pense qu’on peut en effet aller plus loin dans ce domaine, même si des limites physiques et pécuniaires réelles existent. Un médecin hospitalier qui se lance dans une activité libérale a des charges. Il doit payer des cotisations à l’Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) et à la Caisse autonome de retraite des médecins de France (CARMF). Son point d’équilibre, je l’ai vérifié moi-même, se situe autour de 50 % du temps consacré à l’activité libérale. Celle-ci n’est absolument pas envisageable, en revanche, s’il lui consacre moins de la moitié de son temps. Un statut doit par ailleurs être trouvé pour les médecins hospitaliers qui veulent s’investir dans d’autres structures que l’hôpital. Il faut permettre à ces structures de les embaucher en toute légalité. Actuellement, un médecin qui a le statut de praticien hospitalier ne peut pas exercer dans une autre structure.

Pour favoriser le développement de la télémédecine, il est important qu’elle soit bien intégrée au parcours de soins. Ce n’est sans doute pas très original de le dire, mais la télémédecine doit être assurée principalement par des médecins libéraux installés. C’est précisément ce dont discutent actuellement la CNAMTS et les syndicats de médecins. L’objectif n’est absolument pas de créer des plateaux avec 500 télémédecins, présents 24 heures sur 24. Je rejoins la position de ma consœur, Mme Galley-Allouch, dont l’activité de médecine générale se caractérise par un fort suivi de patients chroniques : la télémédecine va servir principalement – à 80 % peut-être – au suivi des patients chroniques par leur médecin généraliste. Ce point a été acté entre la CNAMTS et les syndicats de médecins.

N’oublions pas cependant qu’à l’origine, la télémédecine et la téléconsultation devaient permettre de cibler les personnes qui n’ont pas accès aux soins ou qui en sont éloignées. Si on réserve désormais la téléconsultation aux patients qui ont déjà un médecin traitant, on inflige une double peine aux patients qui ont du mal à accéder aux soins. La logique territoriale qui préside actuellement est positive, mais il faut ouvrir un champ organisationnel structurant pour l’accès aux soins.

En ce qui concerne la couverture débit, il est aujourd’hui admis qu’une téléconsultation, pour être considérée comme telle, et donc facturable, devra être réalisée en vidéo. Il existe un peu partout sur le territoire des problèmes de débit, mais une consultation audio peut parfois avoir la valeur d’une consultation vidéo. Il s’agit d’un point qui mériterait d’être précisé. Chez Qare, nous avons anticipé cette problématique. Dès que le débit ne permet pas une consultation vidéo, nous passons directement à l’audio, pour ne pas abandonner le patient.

S’agissant des obstacles qui persistent, j’en ai évoqué quelques-uns tout à l’heure, mais je voudrais insister sur un point particulier. L’accès aux soins repose sur deux jambes : d’un côté, le suivi de patients chroniques, soit 80 % de l’activité ; de l’autre, les soins non programmés. Lorsqu’on privilégie une jambe, on marche à cloche-pied. Nous devons réussir à trouver un équilibre entre les deux formes d’accès aux soins. Aussi l’accord entre la CNAMTS et les syndicats de médecins, sur le point d’être signé, mériterait-il selon moi une dernière discussion avant d’être finalisé, sur le statut des organismes de télémédecine en particulier.

Nous avons pris du retard sur le DMP, c’est une évidence, tout comme sur l’utilisation des messageries sécurisées de santé (MSS) - elles constituent un élément très important pour la communication des informations -, sur la standardisation et l’interopérabilité entre les logiciels. Dernier élément, et non des moindres, un certain nombre de citoyens français vivent en dehors des frontières de la France. Le système de santé français leur manque souvent. Que prévoit-on pour eux ?

Mme Sibel de La Selle Bilal. Contrairement à ce que tout le monde pense, les médecins généralistes libéraux n’exercent pas seuls. C’est ce qu’a montré l’étude d’opportunité et de faisabilité que nous avons menée pendant deux ans, dans cinq régions, auprès de 1 700 participants – médecins infirmières et pharmaciens. La quasi-totalité des médecins libéraux collaborent avec d’autres professionnels. François Lescure, qui est pharmacien, le confirmerait sans doute : il ne se passe pas un seul jour sans qu’un médecin appelle un pharmacien ou un pharmacien un biologiste. Cette collaboration a toujours existé. Dans une région, nous avons réussi à mettre en place la prise en charge intégrée des malades de l’hépatite C, des usagers de drogues et des patients alcooliques, en parlant avec un gastro-entérologue local, désormais correspondant des médecins généralistes.

Reste qu’une évolution est patente : les communications entre les professionnels de santé se font de plus en plus par messagerie sécurisée. Il faut donc réfléchir à la manière d’améliorer les conditions de communication interne entre les professionnels du soin de premier recours. Chez Coursier sanitaire et social, nous avons conçu un nouveau système intranet entre le médecin, ses correspondants et nous. Nous communiquons en temps réel avec les médecins par mails ou par Skype. Nos équipes effectuent des visites à domicile pour les patients inclus dans le dispositif. Malheureusement, la sécurité sociale ne rembourse pas le temps passé par un médecin au téléphone pendant un quart d’heure de consultation, non plus que le temps passé par un pharmacien, un kinésithérapeute ou une infirmière diplômée d’État (IDE) avec le patient.

Nous organisons également des réunions de concertation de proximité. D’aucuns pensent que les médecins généralistes devraient se rendre davantage à l’hôpital pour se familiariser avec les dernières évolutions médicales. Les médecins généralistes considèrent pour leur part que les médecins hospitaliers et les salariés des ARS gagneraient à venir les voir travailler dans leur cabinet. Nous sommes tous passés par l’hôpital. Nous avons été internes et nous savons comment il fonctionne. En revanche, il y a peu de médecins hospitaliers qui connaissent le fonctionnement de la médecine libérale.

En ce qui concerne l’opposition entre soins programmés et soins non programmés, les études de la DREES montrent bien que les épisodes de crise aiguë s’expliquent par des lacunes dans le suivi en amont des patients. L’une d’elles a ainsi révélé que plus de la moitié des personnes qui s’étaient rendues aux urgences hospitalières n’avaient pas consulté préalablement leur médecin généraliste, pourtant censé réguler le parcours de soins. Comment l’expliquer ? Tout simplement parce qu’aux urgences, ces personnes n’ont pas besoin de payer. Quand on touche le salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) ou d’autres minima sociaux, il est très compliqué de faire une avance de frais. Passer au tiers-payant généralisé permettrait de réduire les consultations en soins non programmés.

Quant à la couverture numérique, je rappelle qu’il existe un grand nombre d’endroits en France où le débit est insuffisant. Les patientèles que nous accompagnons ne disposent pas d’une connexion internet. Les personnes qui achètent un smartphone sont souvent obligées de le rendre au bout de six mois. Les conditions du suivi médical des patients en difficulté ne sont pas réunies. Il faudrait leur permettre de s’équiper avec les outils internet et d’acquérir un smartphone.

J’en viens à votre question, monsieur Vigier, sur le nombre de coursiers sanitaires et sociaux nécessaire pour gérer les cabinets de médecins généralistes. D’après l’Atlas de la démographie médicale en France, les médecins généralistes sont 101 000, dont 60 % de médecins libéraux, soit environ 60 000 praticiens. Un cabinet médical couvre en général entre 1 000 et 1 200 patients ; dix cabinets médicaux couvrent donc 10 000 patients environ. Si l’on se réfère aux expérimentations menées en Angleterre depuis 2014 et à notre propre expérimentation depuis 2008, un effectif de trois équivalents temps plein est nécessaire pour couvrir dix cabinets médicaux et 5 % de malades chroniques en situation difficile.

M. Marc Delatte. Nous faisons face essentiellement à un problème de temps médical et de nombre de médecins. Le vieillissement de la population s’accroît. Les patients sont de moins en moins mobiles. Pour les médecins que vous êtes, la « patate chaude », c’est le patient qui vous appelle dans la journée et qui ne peut pas se déplacer. Vous ne pouvez pas vous rendre à son domicile car une visite vous prend une heure.

Comment maintenir l’offre de soins, voire l’accroître, alors que les médecins sont en nombre insuffisant ? Toute la problématique est là, me semble-t-il. Nous avons connu autrefois des médecins qui faisaient des consultations libres. Les soins non programmés étaient alors beaucoup plus simples. Maintenant, pratiquement tous consultent sur rendez-vous, car ils veulent maîtriser leur temps, ils ont une famille, des enfants.

L’outil numérique me paraît effectivement essentiel, d’autant que la France a un bon maillage d’infirmières, même en zone rurale. Quelles solutions numériques pouvez-vous apporter aux patients les plus chronophages, qui ne peuvent plus se déplacer et qui habitent à plusieurs kilomètres d’un cabinet médical ?

J’ai connu l’informatisation des cabinets médicaux. Au nom du sacro-saint libéralisme, chacun pouvait alors choisir son ordinateur et son logiciel. Résultat, nous avons perdu en efficience et en efficacité. Il aurait sans doute fallu organiser un appel d’offres pour harmoniser l’outil informatique. Qu’en pensez-vous ?

Vous êtes des médecins généralistes de terrain et vous avez créé des start-up avec des outils efficaces en vous appuyant sur la subsidiarité. Comme je le dis souvent : ce que l’on demande à une voiture, c’est qu’elle roule ; après, il peut y avoir des options. Pour les patients les plus fragilisés, ceux qui ne peuvent pas se déplacer, quelle est l’efficience de l’outil informatique ?

Mme Nicole Trisse. Je vous ai écoutés attentivement et j’ai entendu parler beaucoup de start-up, d’expérimentations, de problèmes de haut débit.

Pensez-vous qu’il existe en France une gouvernance cohérente de la politique numérique en matière de santé ? En sentez-vous les prémisses ou reste-t-elle inexistante ? Dans ce cas, quelles seraient les propositions que vous pourriez formuler ?

Mme Monica Michel. Monsieur Lescure, vous proposez de réformer notre système en y introduisant davantage de prévention. Quelles mesures envisageriez-vous pour mettre en œuvre ce changement ?

M. Éric Girardin. L’installation de plateformes de télémédecine se heurte aujourd’hui à la problématique de leur harmonisation. Les patients se déplacent sur tout le territoire. S’ils utilisent une plateforme dans leur région, il faut que les informations collectées et l’utilisation qui en est faite soient compatibles avec les systèmes utilisés dans d’autres régions. C’est toute la question de la cohérence technique.

Sur mon territoire, l’entreprise Axon’Cable a mis en place un logiciel de prévention de la santé au travail. Cet outil, qui s’appelle « e-check », collecte l’ensemble des données de santé des personnels de l’entreprise. Comment pourrait-il être possible, selon vous, de coordonner les différents dispositifs existants, dans un souci d’efficience et pour le bénéfice des malades comme des médecins ? Ces derniers courent après le temps et cherchent à soigner mieux.

M. le président Alexandre Freschi. Avant de vous laisser répondre, j’aimerais à mon tour vous poser deux questions.

Tout d’abord, j’ai mal saisi quelles sont les actions concrètes de Qare et Médiveille, et j’ai du mal à évaluer leur valeur ajoutée pour un territoire qui n’a pas de médecins actuellement. Vous proposez la géolocalisation de médecins disponibles, soit, mais à quoi cela sert-il dans les territoires où il n’y a pas du tout d’offre de soins ? J’ai peut-être mal compris le mécanisme que vous nous avez expliqué.

Ma seconde question concerne votre cœur de métier, c’est-à-dire la collecte de données. Comment vous assurez-vous de la protection des données personnelles que vous recueillez et de leur réemploi éventuel ?

M. Alexandre Maisonneuve. Le problème, en effet, réside essentiellement dans le temps médical et le nombre de médecins, les médecins ne se déplaçant plus pour certains patients. Pour répondre à cette problématique, nous avons deux pistes : à la fois les infirmières, car en effet leur maillage est bon sur le territoire et elles sont très demandeuses, et les pharmacies, qui vont probablement évoluer en devenant des lieux de soins. Le métier de pharmacien est en pleine évolution. Pour les patients qui n’ont plus de cabinet médical à proximité de chez eux et qui peuvent être aidés dans le cadre d’une visioconsultation, la pharmacie pourrait devenir un lieu de soins essentiel.

Quant aux questions posées sur la mobilité, l’interopérabilité des systèmes et la valeur ajoutée des plateformes de télémédecine, après avoir insisté sur l’aspect territorial des négociations, je voudrais insister à présent sur le caractère supraterritorial de Qare. La solution que nous développons est valable au niveau national, voire même international. C’est tout le charme d’internet : vous y avez accès de partout dans le monde. Pour un patient mobile, l’application est donc exactement la même qu’il soit à Lille ou à Marseille. Si le cadre légal finit par adopter une logique nationale, Qare aura une valeur ajoutée pour l’ensemble de ses utilisateurs, y compris dans les déserts médicaux. Un patient du 19e arrondissement de Paris – cessons de stigmatiser la Creuse, cet arrondissement est en train de devenir un véritable désert médical – pourra ainsi poser une question à un médecin de Lille si ce médecin est le seul disponible à ce moment-là.

Sur la structuration de la stratégie nationale de santé, je n’ai pas de commentaire particulier à formuler. Une fois de plus, nous revenons de loin. Nous sommes probablement au début d’un processus qui va se structurer.

Les données de santé, enfin. Il s’agit d’un aspect essentiel pour les patients comme pour les professionnels. Nous sécurisons bien évidemment toute la chaîne. Nous ne chargeons rien ni sur l’ordinateur du médecin, ni sur l’ordinateur ou le téléphone portable du patient. Toutes les données sont « cloudées » et hébergées par un hébergeur agréé de données de santé – OVH en l’occurrence, mais il en existe d’autres. Tous les flux montants et descendants sont des flux cryptés. Par ailleurs, il n’y a pas d’enregistrement des sessions vidéo. Ce qui fait foi, c’est le compte rendu rédigé à la fin de la consultation par le médecin, exactement comme dans un dossier médical.

M. Cyrille Charbonnier. Qu’attendons-nous aujourd’hui ? J’ai eu, à titre personnel, différents échanges avec des responsables du ministère et avec le Conseil national de l’Ordre des médecins, en particulier avec son président et son vice-président, Patrick Bouet et Jacques Lucas. Dans les deux cas, une labélisation m’a été promise. Elle nous serait en effet très utile pour avancer, mais le Conseil de l’Ordre n’a rien confirmé. Un département e-santé devrait par ailleurs être créé au sein du ministère de la santé, avec des aides financières dédiées. Nous attendons bien évidemment sa création avec intérêt.

S’agissant de la plus-value de Médiveille, elle provient également de son fonctionnement national. Tous les médecins libéraux français sont référencés dans notre application, ainsi que les maisons médicales de garde et les hôpitaux dotés d’un service d’urgence ouvert 24 heures sur 24. Médiveille présente donc l’offre de soins la plus globale possible, sur tout le territoire, en temps réel. Les médecins se déclarent disponibles en temps réel sur l’application.

La plus-value de Médiveille par rapport à l’offre de soins se trouve aussi dans les partenariats que nous avons noués avec les SAMU. Quand on est régulateur SAMU en journée, on peut proposer aux patients qui appellent le 15 de leur envoyer les pompiers ou une ambulance, d’attendre l’ouverture de la maison médicale de garde à 20 heures, de se rendre aux urgences ou de recevoir la visite d’un SMUR – mais le coût élevé de cette visite, 3 000 euros, nous incite à la proposer avec prudence. La prise en charge des urgences et les réponses qui sont faites au niveau du standard du SAMU ont fait récemment fait la une de l’actualité. Il faut aider le SAMU à avoir une visibilité en matière de médecine générale, et à apporter des solutions en temps réel aux patients en les adressant à des médecins immédiatement disponibles.

Pour mobiliser les médecins, une réforme des rémunérations sera nécessaire. Des pistes sont actuellement examinées au niveau du ministère. La MRT, « majoration régulation médecin traitant », mise en place depuis le 1er janvier 2018, pourrait être généralisée. Il s’agit d’un supplément de 15 euros pour les médecins qui acceptent de voir un patient sur demande du SAMU. De nouveaux modes de rémunération sont par ailleurs à l’étude. La rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP), est versée de manière annuelle par la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM). Toute disruption par laquelle on change le mode de fonctionnement du système grâce à une rupture innovante se heurte à des oppositions. Elle ne peut aboutir que par des rémunérations adaptées.

On peut se féliciter que cinq territoires de soins numériques aient été mis en place, avec 80 millions d’euros dédiés à l’innovation numérique. Je pense notamment à TerriSanté en Île-de-France et à Pascaline en Auvergne-Rhône-Alpes. De nombreuses expérimentations locales ont été menées. Nous pensons, comme d’autres, qu’il convient maintenant de passer à l’échelle du pays. Médiveille propose une solution qui est tout de suite applicable au niveau national.

Nous avons été contactés par la Guadeloupe. L’hôpital de Pointe-à-Pitre a brûlé et le service d’urgence fonctionne à 30 % de ses capacités. Médiveille permettrait d’organiser une permanence de soins en journée et d’envoyer les patients chez les médecins généralistes disponibles. La Guyane nous a aussi contactés après que dix-sept médecins urgentistes ont démissionné à Cayenne. Notre offre est donc très actuelle et concrète.

M. François Lescure. De nombreuses questions ont été posées, auxquelles je vais tenter de répondre.

Pour les personnes dépendantes, il est clair qu’une médiation est nécessaire, qu’elle vienne d’un aide-soignant ou d’une infirmière, pourvu que ce soient des requérants de la téléconsultation. Ces patients ont besoin de consulter des spécialistes, un gériatre notamment. L’aide-soignant et l’infirmière, parce qu’ils sont à leur contact direct et qu’ils sont requérants de la télé-expertise, jouent un rôle d’intermédiaire important.

Le pharmacien lui-même doit devenir un requérant de la téléconsultation et de la télé-expertise. Ce n’est pas encore acquis, mais cela permettrait de remettre un peu d’élan dans l’accueil et les premiers soins en pharmacie.

Sur le développement de la télémédecine, nous sommes plutôt satisfaits. Reste toutefois à mettre en œuvre le fonctionnement pratique. Si nous tardons trop, nous risquons de voir des sociétés européennes et américaines prendre d’assaut le marché français. Nos petites start-up qui commencent à se structurer et à s’ancrer localement ne tiendraient pas la distance face à des sociétés beaucoup plus organisées. Pour leur permettre de jouer dans la cour des grands, il faut leur accorder plus de moyens. Les systèmes de santé anglais et français ne sont pas comparables, mais la sécurité sociale anglaise a débloqué il y a cinq ans 100 millions de livres au profit des start-up d’e-santé pour les aider à démarrer. En France, le financeur de toutes nos activités santé est la sécurité sociale. Or, aujourd’hui, elle est la grande absente. Nous touchons des financements régionaux, dans le cadre des fonds d’intervention régionaux (FIR), mais ils nous restreignent au niveau régional. Comme mon confrère l’a souligné, il faut arrêter le régional et engager une démarche nationale. Il n’est pas cohérent qu’un dossier médical se construise différemment dans deux régions. L’intérêt des technologies de l’information et de la communication est de proposer, à partir d’un maillage national, des applications régionales.

M. Philippe Vigier, rapporteur. J’entends votre volonté de construire au niveau national, mais il faut aussi accompagner les initiatives locales et régionales. Si on ne fait que du national partout, on ne fait jamais rien. Je rappelle par ailleurs qu’il existe des fonds d’amorçage de start-up. Ce sont notamment la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et Bpifrance.

M. François Lescure. Certes, mais il faut un modèle économique.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Un modèle économique extrêmement modeste. Évidemment, si vous demandez 500 000 euros de fonds, c’est plus difficile, mais, franchement, il y a de belles initiatives. Plusieurs fonds d’amorçage existent dans ma région et je m’occupe moi-même d’une association qui gère un village de start-up. Je vous en parle donc en connaissance de cause.

M. François Lescure. On ne peut pas construire une entreprise privée pérenne sans des financements très clairs. Chez Médecin direct, pourquoi avons-nous choisi les complémentaires santé ? Parce que ce sont les seules qui ont accepté de relever le défi de la téléconsultation. Par qui sont financées les plateformes de téléconsultation aujourd’hui ? Par les complémentaires santé.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Accordez-moi qu’il n’existe pas actuellement de modélisation nationale de la téléconsultation. Vous avez vous-même évoqué les pharmacies. Comment les pharmaciens sont-ils rémunérés ? Qui paie l’installation et qui assure le fonctionnement au quotidien ? Quels types d’actes vont-ils effectuer ? Comment le temps passé est-il rémunéré ? Ce sont des questions légitimes, que j’ai soulevées lorsque j’ai rencontré le Conseil national de l’ordre des pharmaciens et auxquelles il n’y a pas de réponses aujourd’hui. Nous sommes dans un moment où émergent un grand nombre d’idées. Nous verrons plus tard quelles sont les plus pertinentes. Vous ne pouvez pas avoir une réponse identique dans la Creuse, dans le 20e arrondissement et en Bretagne.

M. François Lescure. On peut très bien avoir des initiatives régionales. Mais pour créer des modèles pérennes, il faut le niveau national. Vous savez qui sont les payeurs dans la santé : le patient, la complémentaire et la sécurité sociale. Pour être pérenne, un modèle économique doit reproduire rapidement ce schéma.

Les expériences de suivi de patients en insuffisance cardiaque ou de patients traités par pression positive continue, démontrent l’importance d’un modèle économique pérenne. La télésurveillance d’un insuffisant cardiaque qui dispose d’une balance et d’un tensiomètre à domicile, peut lui sauver la vie. À un moment donné, il faut juste choisir le bon curseur dans la prise en charge et la mutualisation.

Dernier point, nous assistons aujourd’hui à des évolutions profondes et à un changement de paradigme. Nous ne sommes plus dans une prise en charge du soin mais dans une prise en charge de la santé globale, d’où mon insistance sur la prévention. Au quotidien, les médecins de Médecin direct qui répondent aux appels de patients se consacrent avant tout à rassurer, orienter et faire de la prévention. L’évolution du système de soins dans les prochaines années, avec l’émergence des objets connectés et de nouveaux outils, va permettre de prévenir un certain nombre de problèmes de santé.

L’un de nos médecins m’a dit une fois : « Tu sais, François, nous n’avons rien appris d’autre que de soigner un mal avec des médicaments. » Chez Médecin direct, nous formons à la téléconsultation, parce qu’on ne fait pas une téléconsultation comme une consultation. Nos médecins sont formés et encadrés. Nous ne sommes donc pas en train de déplacer la consultation vers la téléconsultation. Nous apportons, via la téléconsultation, les éléments qui manquent à la consultation physique.

M. le président Alexandre Freschi. Vous avez dit tout à l’heure que vous ne seriez pas en capacité de satisfaire un trop grand nombre de patientèles. Un point est important, en revanche : l’urgence de la situation. Vous avez de beaux projets, de belles pépites, mais il nous faut trouver une solution immédiatement, ou tout du moins dans les cinq ans à venir. Il est sans doute un peu tard pour se positionner sur la question de l’accès aux soins.

En termes de financements, quel accompagnement recevez-vous de la part du secrétariat d’État chargé du numérique ?

M. Alexandre Maisonneuve. Je partage votre avis sur les perspectives. Nous avons l’impression d’en être encore aujourd’hui au niveau zéro. Pour franchir un pas, il faudrait que la réglementation évolue. Elle est en train de le faire puisque le remboursement de la téléconsultation sera effectif à partir du 15 septembre prochain. On imagine l’effet d’accélérateur qu’aura cette mesure pour les patients. Je rappelle qu’il y a un mois et demi, la perspective était encore l’année 2020 pour les patients en affection de longue durée (ALD), en EHPAD ou en zone sous-dense uniquement. Il y a donc aujourd’hui un gros coup d’accélérateur. On ne peut prévoir quel sera le nombre de visioconsultations. La CNAMTS l’a évalué, un peu « au doigt mouillé ». On est de toute façon au début du processus et personne ne peut dire ce qu’il en sera dans deux ans. Reste que le remboursement de la téléconsultation, ou encore son intégration dans le droit commun, est une première bonne décision.

M. le président Alexandre Freschi. Le sondage que vous avez évoqué tout à l’heure montre par ailleurs l’acceptabilité sociale de la téléconsultation.

M. Alexandre Maisonneuve. Tout à fait.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Pour généraliser la téléconsultation, il faut toutefois régler le problème de la couverture numérique. Avec un débit de 20 mégaoctets, on ne peut pas faire une téléconsultation de qualité.

Par ailleurs, où se feront les téléconsultations ? Va-t-on demander aux mairies de monter des cabines de téléconsultation ? Ou seront-elles installées dans les pharmacies ?

Enfin, question à laquelle vous n’avez pas répondu, quelle nomenclature doit-on mettre en place pour rémunérer les professionnels de santé qui gèrent ces cabines ?

M. Alexandre Maisonneuve. La couverture numérique du territoire ne dépend malheureusement pas de structures comme les nôtres. Je ne sais pas si vous avez entendu parler du projet OneWeb, largement financé par Airbus. En réalité, ce qui tire actuellement la couverture en haut débit, c’est la voiture autonome. Celle-ci ne peut évidemment pas fonctionner avec la fibre optique, ni avec les relais actuels, sinon elle arrêterait de rouler dès qu’elle passerait dans une forêt ou une vallée. La voiture autonome va rouler grâce à un réseau de satellites à basse altitude. Airbus est très présent sur ce marché, via ce projet OneWeb. Je ne sais pas pourquoi on en entend si peu parler.

Vous avez probablement davantage entendu parler de SpaceX. Pourquoi Elon Musk travaille-t-il actuellement sur des fusées réutilisables ? C’est parce qu’il faut 1 000 à 1 200 satellites pour faire un réseau satellitaire de basse altitude. Une fusée qui peut servir plusieurs fois est donc un avantage. Les fusées réutilisables commenceront à être lancées à partir de 2020. L’objectif est que la voiture autonome puisse rouler partout en 2025. Des services comme les nôtres vont évidemment bénéficier de cette dynamique.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Vous ne m’avez pas encore répondu sur la nomenclature.

S’agissant du dossier médical partagé (DMP), redoutez-vous l’échange généralisé du Big Data et le mode dégradé d’accès aux données ? Comme vous le savez, le DMP n’est pas accessible à tout le monde. Il constitue pourtant le nœud gordien de la redondance des soins, source de surcoûts et de conséquences thérapeutiques graves.

M. Alexandre Maisonneuve. Sur le DMP, comme le disait le docteur Lescure, nous y sommes évidemment plus que favorables. Pourquoi certains pays sont-ils plus avancés que nous dans la téléconsultation ? Parce qu’ils ont déjà réglé le problème des messageries sécurisées de santé, du dossier partagé et de l’identifiant unique. La CNAMTS nous l’a promis pour octobre 2018. Nous savons très bien qu’il contiendra d’abord uniquement des données de facturation, et très peu de données médicales. Nous apprendrons probablement en faisant, comme le veut une stratégie très à la mode aujourd’hui, mais il faudra que le système évolue. Une fois de plus, cela ne relève pas de nous.

En ce qui concerne la nomenclature, il est prévu a priori que la CNAMTS utilise des lettres clés qui existent déjà, ce qui permettrait de tenir l’objectif du 15 septembre. Je ne suis pas directeur général de la CNAMTS, je ne peux donc vous en dire plus.

M. Cyrille Charbonnier. Concernant les évolutions politiques à attendre, j’aimerais citer Patrick Bouet, pour qui la solution viendra des médecins. Il va falloir réussir à travailler ensemble et faire en sorte que les soins non programmés soient liés à des médecins traitants. Les médecins hospitaliers et libéraux doivent coopérer pour les soins non programmés et le suivi. Je le répète, la solution viendra des médecins.

Sur la question du financement, lors du congrès de Bpifrance, en octobre 2017, son dirigeant nous a clairement encouragés à solliciter des financements. C’est Bpifrance qui accorde des financements bien plus que les ministères ou la CNAMTS, même si un fonds Bpifrance-CNAMTS vient d’être ouvert. Pour ce qui nous concerne, nous avons été financés par Bpifrance à hauteur de quasiment 200 000 euros. On nous a clairement avertis que nous avions trois ans devant nous pour mettre en place une solution avant que les GAFAM – Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft –, mais aussi les Chinois, viennent conquérir le marché.

Quant au DMP, je rappelle qu’Alain Juppé a créé la carte Vitale il y a vingt-cinq ans dans le but d’y mettre le dossier du patient. Les premières expérimentations de télémédecine remontent aussi à vingt-cinq ans. Aujourd’hui, nous faisons du sur-place, alors que de belles propositions existent. En tant que médecin généraliste, on m’a imposé d’avoir un DMP synchronisé sur mon logiciel. Les choses bougent et je m’en félicite. L’État manifeste une vraie volonté aujourd’hui de faire évoluer le système. On nous a promis des avancées sur le DMP d’ici la fin de l’année. Il reste un vrai serpent de mer.

M. François Lescure. Vous avez évoqué la question de la rémunération des pharmaciens. Aujourd’hui, ils sont en dehors de la légalité quand ils pratiquent un certain nombre d’actes, qui leur sont théoriquement interdits. Il faut savoir que 98 % d’entre eux prennent la tension de leurs patients régulièrement, alors qu’ils n’ont pas le droit de le faire. Ils pratiquent également des prélèvements, alors qu’ils n’y sont pas autorisés. Il règne sur ce sujet une certaine hypocrisie, comme lorsqu’un médecin envoie un courriel à son patient avec une ordonnance en pièce jointe. Tout le monde le fait, mais on se cache les yeux. Et quand une start-up comme la nôtre cherche à développer des services, elle se heurte à la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) et à quatorze organismes de certification. On nous demande de tout enregistrer et on nous impose des procédures très complexes. Nous nous plions à toutes les exigences, mais cela devient compliqué.

Il faudrait probablement trouver un modèle de rémunération pour les pharmaciens. Ils sont des intermédiaires de la téléconsultation au même titre que les assistantes sociales.

M. Marc Delatte. Le patient a changé. Il est aujourd’hui davantage consommateur qu’acteur de soins. L’éducation thérapeutique permet de réduire le nombre d’hospitalisations, soit un gain financier conséquent.

Personnellement, en tant que patient, je sais que je trouverai toujours dans une ville de France un service médical ouvert 24 heures sur 24 : les urgences. Puisque je sais que les urgences sont ouvertes, pourquoi téléphonerais-je au SAMU ? En plus, je n’ai rien à payer. Cela coûte 161,50 euros, mais je ne le vois pas.

Finalement, le système lui-même n’est-il pas un frein aux services numériques que vous proposez dans le cadre des soins non programmés ? Que pensez-vous, au fond, de ce système ?

Mme Monica Michel. J’ai bien entendu, madame Galley-Allouch, votre problème, que j’observe aussi sur mon territoire.

Ma question s’adresse à Mme de La Selle Bilal. Quel est le nombre de coursiers sanitaires et sociaux en France ? Sont-ils toujours subventionnés par l’ARS ? Quel est le parcours d’installation de cette organisation ?

Mme Nicole Trisse. La multitude des acteurs que nous évoquons me donne l’impression d’un puzzle, mais quid, en effet, de l’ARS ? Il faudrait peut-être l’auditionner pour savoir si elle est le véritable maître d’œuvre et comment son action s’articule avec celles des autres acteurs. Je suis très étonnée que personne n’en ait parlé jusqu’à présent.

Mme Sibel de La Selle Bilal. Plusieurs régions commencent à utiliser les coursiers sanitaires et sociaux. Elles nous demandent l’autorisation, parce que nous avons déposé le nom, et nous la leur donnons évidemment. Après notre étude d’opportunité et de faisabilité, j’avais déposé le dossier dans cinq régions. Seule la région Île-de-France l’a accepté, avec un financement très réduit.

Notre modèle est très particulier. Nous touchons des financements de l’ARS et des collectivités territoriales, mais aussi des aides financières liées à la création d’emplois. Les profils de nos coursiers sanitaires et sociaux sont très variés. Il s’agit en réalité d’un nouveau métier, que j’ai créé en 1991, il n’y a donc pas si longtemps. Jusqu’en 2001, j’ai eu dix-sept salariés. Nous recrutons avant tout des gens atypiques. J’ai commencé par recruter des assistants sociaux, mais ils ne connaissaient rien aux problèmes de santé. J’ai embauché ensuite des infirmières, mais c’était encore pire : elles ne connaissaient pas le social et avaient beaucoup de mal à collaborer avec les médecins de ville. C’est pourquoi nous recrutons désormais des gens atypiques, que nous formons et professionnalisons en interne dans le cadre de notre « école d’application ».

Aujourd’hui, les coursiers sanitaires et sociaux sont une centaine, répartis dans plusieurs villes. Dans son rapport de mars 2012, le défenseur des droits a fortement préconisé le recours aux coursiers sanitaires et sociaux. Nous sommes également référencés par la Haute Autorité de santé (HAS) comme apportant un appui à la coordination en médecine générale. Tout ceci nous est favorable, mais nous continuons de nous heurter à la question du financement. Il n’est pas facile d’innover dans des cultures très horizontales, caractérisées par des financements tout aussi horizontaux.

Le programme « territoire de soins numérique » a été évoqué tout à l’heure. Nous avons proposé des expérimentations intégrées aux cabinets de médecins de ville. La réponse a été négative alors que 37 cabinets généralistes étaient prêts à s’impliquer concrètement et à utiliser le numérique dans leur pratique quotidienne. Cette réponse s’explique certainement par le fait que nous n’avons pas choisi la même société que l’ARS d’Île-de-France. Cette société travaille notamment avec les EHPAD alors que nous sommes spécialisés en médecine de ville. Sur le terrain, la situation est compliquée.

Les coursiers sanitaires et sociaux pourraient toutefois créer beaucoup d’emplois. Le ministère du travail et le préfet de Paris nous ont financés pour cette raison. Nous pouvons créer des emplois utiles dans le cadre de la silver economy et aider les médecins à mieux travailler dans leur cabinet. Tout le monde parle du temps médical, mais quand les médecins généralistes travaillent avec nous, ils gagnent en moyenne sept heures par semaine. Ils ont le choix d’utiliser ce temps libéré pour leurs loisirs ou pour le temps médical.

De nouvelles expérimentations vont démarrer sur les modes organisationnels. Le modèle des coursiers sanitaires et sociaux ressemble beaucoup aux link officers du Royaume-Uni, qui commencent aujourd’hui à publier leurs résultats.

M. Souhil Zebboudj, directeur commercial de Coursier sanitaire et social. Nous estimons qu’il faudrait un coordinateur d’appui et trois coursiers sanitaires et sociaux pour dix cabinets médicaux. Une telle équipe serait à même de soutenir les médecins libéraux en leur dégageant du temps médical. Elle pourrait également intervenir pour la prévention et l’accompagnement dans le cadre du parcours de soins.

Je viens du monde des GAFAM et j’ai été confronté, il y a une dizaine d’années, à toutes les problématiques qui ont été évoquées. Dans ces entreprises, on parle souvent de l’« expérience client » et de l’« usage ». J’ai découvert le monde médical notamment en travaillant avec Mme Galley-Allouch. Le « forfait structure » inscrit dans la ROSP est censé inciter les médecins à utiliser les dispositifs de soins électroniques, mais les médecins que je côtoie n’y comprennent rien. Ils savent simplement qu’ils peuvent y gagner des points. Je leur ai expliqué que les données passaient par des tuyaux sécurisés, conformément aux obligations fixées par la CNIL, et que l’important était l’usager.

Nous n’avons pas parlé de la formation et de l’accompagnement, qui sont pourtant essentiels. Les coursiers sanitaires et sociaux ne fournissent pas qu’un accompagnement aux patients. Le coordinateur d’appui accompagne les médecins sur le plan administratif.

Lorsqu’un médecin ne peut payer une secrétaire, quel autre mode d’organisation peut-il lui être proposé ? Le télésecrétariat est arrivé avant la téléconsultation et la télémédecine. Nous parlions tout à l’heure de l’arrivée des Américains sur le marché. Nous en avons un bel exemple avec Doctolib et MonDocteur. Si l’on n’accompagne pas les usagers de ces plateformes, les patients et les médecins, l’essor du numérique ne prendra pas et nous aurons, comme d’habitude en France, dix années de retard.

M. Cyrille Charbonnier. Doctolib est ce qu’on appelle un copycat dans le milieu des start-up, c’est-à-dire une société qui a repris un modèle déjà existant, en l’occurrence celui de Zocdoc aux États-Unis. Des fonds d’investissement américains ont permis la création de Doctolib en 2013 par trois diplômés de l’École des Hautes Etudes commerciales (HEC). Depuis sa création, cette start-up a reçu 91 millions d’euros. Elle se lance aujourd’hui à l’international en se développant sur le marché allemand.

Cette parenthèse étant refermée, je reviens à la question des urgences hospitalières. Pourquoi appeler le 15 et bénéficier de la régulation d’un médecin généraliste plutôt que de se rendre aux urgences ? Parce que les urgences représentent souvent quatre à six heures d’attente. Les patients n’y sont pas, en outre, forcément satisfaits de leur prise en charge. Dans certains territoires, les maisons de garde sont parfois opérationnelles juste à côté des urgences. J’ai même travaillé à La Réunion dans une maison médicale qui se trouvait au sein des urgences. Il y avait beaucoup moins d’attente et les gens étaient très satisfaits d’avoir pu bénéficier d’une prise en charge adaptée.

Il faut remettre de la cohérence dans le système en apportant des réponses adaptées. Il faut éviter de saturer les services d’urgence.

Le patient doit toujours être replacé au cœur du système. Les exemples concrets tirés de la réalité du terrain sont riches d’enseignement. Au tout début de mon cabinet de soins non programmés, j’ai reçu un patient qui avait fait une crise d’épilepsie dans la rue. Il s’était retrouvé aux urgences et le médecin urgentiste lui avait prescrit un antiépileptique pour quinze jours. Il est venu chez moi en me suppliant de renouveler son ordonnance et de le prendre comme patient. J’ai continué à le suivre depuis et je lui ai fait faire des bilans. Cette personne n’avait plus de médecin traitant depuis plusieurs années. Il était en errance médicale.

Au cours des trois derniers mois, j’ai découvert des cancers chez deux patients qui n’avaient pas vu de médecins depuis trois ans. J’assure désormais leur suivi. Quand les gens n’ont plus aucun suivi médical, ils ne bénéficient d’aucune prévention. Dans mon territoire de 28 000 habitants, 2 000 patients n’ont plus de médecin généraliste référent, d’après la caisse primaire d’assurance maladie. Ce chiffre est de 4 000 selon le Conseil national de l’ordre des médecins. Sur le territoire de Saint-Étienne, à proximité, qui compte environ 300 000 habitants, ce sont 20 000 personnes qui sont sans médecin traitant.

Concernant maintenant l’ARS, nous avons des discussions avec ses responsables, qui sont souvent compréhensifs et conscients des enjeux. Dans d’autres instances, nos interlocuteurs sont parfois moins au fait des problématiques de l’économie du numérique et quelque peu donneurs de leçons. J’ai souvent eu l’impression d’être au café du commerce tant certaines questions qui m’étaient posées trahissaient une méconnaissance du sujet. Les gens ne savaient même pas ce qu’était une donnée numérique ou comment fonctionnait une start­up. Nos interlocuteurs abondent parfois dans notre sens, mais ils changent en permanence, ce qui est compliqué. J’ai eu affaire à six intervenants en quatre ans dans le cadre du programme « territoire de soins numérique ». J’ai dû à chaque fois raconter à nouveau mon histoire et convaincre.

Mme Nicole Trisse. On a donné une feuille de route aux ARS pour les prochaines années. La mission de notre audition d’enquête est aussi de les auditionner.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Je les ai bien inscrites sur la liste des auditions.

J’ai eu un débat très intéressant, sur France 3, avec la directrice de l’offre de soins de l’ARS de mon territoire, une énarque. La technocratie qui s’occupe de la médecine, je trouve ça extraordinaire.

M. Alexandre Maisonneuve. La question de l’ARS me semble très pertinente. Le dimensionnement régional et le rôle de l’ARS étaient pertinents dans le cadre des expérimentations sur la télémédecine et la téléconsultation, mais ils n’ont plus aucun sens, selon nous, avec l’entrée dans le droit commun de la téléconsultation. Nous avons eu l’occasion d’en parler avec les représentants du ministère, qui partagent apparemment notre position.

Je constate que vous êtes très pressés d’avancer sur la couverture débit, le DMP et les MSS. Nous le sommes également. Je pense que nous devons nous revoir.

M. le président Alexandre Freschi. Le collège des directeurs généraux d’ARS sera auditionné. Nous aurons donc l’occasion de les interroger, d’évaluer leur action et de nous faire une opinion.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Pour évaluer, il faut des critères d’évaluation. Or, à ma connaissance, nous n’en disposons pas.

J’aimerais votre sentiment, en quelques mots, sur les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), dotées d’un maillage général.

Pensez-vous, par ailleurs, que demander à des médecins généralistes, afin d’assurer une perméabilité complète entre la ville et l’hôpital, d’assurer des gardes au sein de maisons de garde à l’intérieur des centres hospitaliers, soit une bonne piste ?

Mme Sibel de La Selle Bilal. Les communautés professionnelles territoriales de santé sont une excellente idée, à condition que les ARS les soutiennent réellement. Les médecins généralistes auront-ils du temps pour porter ce projet ? Il faut les indemniser pour cela, au lieu d’indemniser des sociétés de consultants.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Quand on monte une communauté territoriale, elle est utile ensuite pour les médecins dans la pratique puisqu’elle permet la mise en réseau de tous les acteurs. Que l’on finance un poste de permanent pour assurer l’animation complète de la communauté territoriale, soit, mais on ne va pas mettre en place un système d’indemnisation pour des médecins qui travaillent aux CPTS dans la journée ou le soir.

J’ai l’expérience d’une communauté territoriale qui s’est montée en moins de quatorze mois et qui va être auditionnée par la commission d’enquête. Les médecins ont dû travailler le soir. C’était un peu dur, certes, mais regardez les députés : nous sommes quelques-uns aussi à être présents le soir dans l’hémicycle.

Mme Sibel de La Selle Bilal. Si l’on continue comme cela, il n’y aura pas de projet de CPTS. Aucun médecin aujourd’hui ne peut travailler une heure de plus par jour. Ils travaillent déjà 65 heures par semaine.

Mme Olivia Galley-Allouch. Personnellement, je serais très intéressée par la constitution d’une CPTS ou d’équipes de soins primaires (ESP) avec mes confrères. J’y réfléchis depuis trois ans. Néanmoins, pour me lancer dans de tels projets, je dois prendre sur mon temps du soir. Et le soir, monsieur, j’ai des enfants. Le soir, j’ai besoin d’être avec eux pour surveiller les devoirs. J’ai besoin aussi de souffler après ma journée de soins. J’ai plein d’idées pour une CPTS ou une ESP : la personne âgée à domicile, le maintien, le repère de la fragilité, le suivi des bébés. Mais depuis trois ans, je ne trouve pas le temps ! Quatorze mois pour monter une CPTS ? Mais comment font-ils ?

M. Philippe Vigier, rapporteur. Ce n’est évidemment pas tous les soirs pendant quatorze mois. Si vous regardez les modélisations telles qu’elles ont été faites, il y a sept groupes de travail, avec des animateurs par groupe et des réunions de synthèse. Si vous avez un jour la chance d’être élue municipale, vous verrez qu’on est souvent pris le soir. Les CPTS sont un outil extraordinaire pour assurer le travail en réseau et apporter une vraie réponse à la population. L’animation de la structure, naturellement, doit être assurée par un financement qui peut provenir de différents organismes. Nous allons signer la semaine prochaine chez moi avec la Mutualité sociale agricole (MSA), qui va apporter un financement à l’année.

Mme Olivia Galley-Allouch. Les jeunes médecins qui ont des enfants ne peuvent pas consacrer du temps à monter une CPTS. Peut-être ceux dont les enfants sont déjà partis le peuvent-ils, mais les autres non ! Moi, je suis tombée malade, et je suis fatiguée déjà de porter mon cabinet médical à bout de bras. Les médecins sont fatigués. Monter le dossier, rencontrer l’ARS, modifier le dossier en fonction du modèle, tout cela demande du temps, et c’est du temps de soins ou de loisirs en moins.

M. le président Alexandre Freschi. Vous avez bien fait d’exprimer votre position, madame, qui est sans doute partagée par d’autres médecins.

M. Alexandre Maisonneuve. Il faut mettre les CPTS en perspective. Les maisons de santé pluridisciplinaire (MSP) ont fait l’objet d’un engouement réel, mais elles n’ont pas répondu aux attentes initiales, en raison du problème de la démographie des médecins. Il y a des MSP qui n’ont pas de médecins, ce qui est évidemment gênant. La logique adoptée ensuite a été, plutôt que de faire venir de nouveaux médecins, d’aider ceux qui sont présents à mieux travailler. En ce sens, les CPTS sont une excellente chose, mais leur maillage au niveau national est très incomplet. Il n’y a pas partout des CPTS, c’est une évidence. Pourra-t-on en créer partout ? La question est posée. Sans prêcher pour ma paroisse, je suggère de réfléchir à des CPTS digitales et numériques. Les CPTS doivent-elles forcément être des communautés physiques ?

M. le président Alexandre Freschi. C’est une bonne conclusion pour cette audition. Je vous remercie, mesdames et messieurs, pour votre participation.

 

 

 

 

 

 


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Audition de M. Albert Lautman, Mme Séverine Salgado, M. Alexandre Tortel et M. Matthieu Ledermann, respectivement directeur général, directrice santé, directeur adjoint des affaires publiques et responsable du pôle influence nationale, et directeur adjoint de la direction santé de la Mutualité française

Présidence de M. Alexandre Freschi, Président de la commission denquête

M. le président Alexandre Freschi. Nous poursuivons nos travaux par l’audition de la Mutualité française, représentée par son directeur général, M. Albert Lautman, sa directrice santé, Mme Séverine Salgado, son directeur adjoint des affaires publiques, M. Alexandre Tortel, et son directeur adjoint de la direction santé, M. Matthieu Ledermann, auxquels je souhaite la bienvenue.

Nous avons décidé de rendre publiques nos auditions. En conséquence, elles sont ouvertes à la presse et diffusées en direct sur un canal de télévision interne et pourront ensuite être consultées en vidéo sur le site internet de l’Assemblée nationale.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. C’est ce que je vous invite à faire avant de vous céder la parole.

(M. Albert Lautman, Mme Séverine Salgado, M. Alexandre Tortel et M. Matthieu Ledermann prêtent serment.)

M. Albert Lautman, directeur général de la Mutualité française. Je vous remercie de nous donner l’occasion de nous exprimer sur l’accès aux soins et la lutte contre le renoncement aux soins, des engagements qui sont au cœur de l’action mutualiste. La Mutualité française est un acteur du champ de l’assurance complémentaire santé : notre fédération couvre un peu plus de 50 % du marché, avec une présence très forte après des publics en grande difficulté sociale et des retraités. Nous sommes aussi offreur de soins avec 2 600 services d’établissements de soins et d’accompagnement présents dans le sanitaire, y compris le secteur hospitalier privé non lucratif, les centres de santé, les centres dentaires, et fortement dans le secteur médico-social et les soins de suite et de réadaptation (SSR). Nous sommes enfin acteur de prévention, nos unions régionales réalisant chaque année plusieurs milliers d’actions. Cette triple expérience nous donne une vision transversale et décloisonnée des sujets.

Dans la note que nous vous avons transmise et que je ne détaillerai pas, nous partageons un diagnostic assez documenté car, sur l’accès aux soins et l’optimisation du temps médical utile, tout a été dit et écrit. Le consensus est maintenant assez fort pour décrire un système de santé complexe, probablement trop tourné vers l’hôpital, centre de gravité, et caractérisé par un cloisonnement entre l’hôpital, les soins de ville et le médico-social qui fait du patient, selon le mot de notre président, Thierry Beaudet, le chef d’une gare dans laquelle il n’a jamais mis les pieds et le coordonnateur en chef de son parcours de santé, un rôle difficile à jouer quand on est fragile, dépendant ou que l’on manque des informations nécessaires.

La coordination des professionnels de santé et leur coopération sont rendues difficiles par les cloisonnements évoqués et des modes de financement inadaptés, mais aussi par des attitudes parfois corporatistes, des verrous ordinaux, et par le manque d’interopérabilité des systèmes d’information.

On constate encore l’évolution de la démographie médicale, avec un vieillissement important du corps médical et des jeunes générations qui ne veulent plus rien savoir des modes antérieurs d’exercice de la médecine. On note enfin une transition démographique et épidémiologique, l’allongement de la durée de vie augmentant la prévalence des maladies chroniques et des polypathologies.

La Mutualité française est convaincue qu’il ne peut y avoir de réponse jacobine unique à ces difficultés. Nous sommes convaincus qu’une solution uniforme ne fonctionnera pas et que sans l’adhésion des acteurs territoriaux, on ne construira rien. Aussi la Mutualité française, petit acteur du système de santé, travaille-t-elle avec les élus locaux à construire des solutions avec les professionnels de santé dans leur ensemble et tous les acteurs locaux – et le paysage est très différent d’un territoire à l’autre. Nous tiendrons notre congrès la semaine prochaine. Un des temps forts en sera la signature d’une convention de partenariat avec l’Association des maires de France (AMF), précisément pour construire cette manière de travailler ensemble. Il ne faut pas opposer les modèles. La Mutualité, grand acteur historique des centres de santé, peut être un facilitateur et éventuellement un ensemblier pour aider des professionnels libéraux à ouvrir des maisons de santé pluridisciplinaires. Parce qu’il n'existe pas de solution unique, il faut lever les freins qui entravent les innovations.

Trois exemples de projets innovants illustreront la valeur ajoutée que nous pouvons apporter. À Laval, le constat était flagrant : vieillissement important du corps médical, difficulté pour les habitants qui n’en ont pas déjà un à trouver un médecin traitant, grand nombre de départs à la retraite de médecins prévu dans les années qui viennent. Nous avons donc travaillé avec l’ordre départemental des médecins, l’agence régionale de santé (ARS) et l’université à un projet de service médical de proximité, sous la forme d’un centre de santé géré par la Mutualité française. Nous avons pour cela fait appel à des médecins retraités volontaires qui ont accepté de venir encadrer des étudiants en médecine, dont nous espérons que le fait de pouvoir ainsi exercer en groupe avec un plateau technique de bonne qualité leur donnera ensuite envie de s’installer. Travaillent ensemble différentes catégories de médecins retraités devenus vacataires salariés, qui ont accepté de prolonger un peu leur activité en raison de la qualité de l’accompagnement proposé.

Une autre expérimentation a lieu, qui me tient à cœur. Dans le domaine médico-social, nous gérons des établissements en tous lieux, y compris dans des zones sous-denses : des établissements de soins de suite et de réadaptation mais aussi 213 établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) et des établissements spécialisés dans la prise en charge du handicap. Nous avons analysé la crise des EHPAD, sujet sur lequel nous nous sommes beaucoup exprimés. Nous sommes plutôt en phase avec les propositions de la ministre de la santé, mais nous pensons urgent de faire évoluer les modalités de prise en charge. Il faut en finir avec le système actuel dans lequel le médecin coordonnateur ne peut pas prescrire aux résidents, et en venir à une équipe médicale salariée prenant en charge les résidents mais pas seulement eux et qui, ouverte sur son territoire, facilitera l’accès aux soins de la population locale, singulièrement quand l’EHPAD est situé dans une zone sous-dense. Il faut expérimenter l’EHPAD « hors les murs », plateforme d’expertise gérontologique voire gériatrique pluridisciplinaire comprenant médecins, infirmières et aides-soignantes. Cette équipe appuiera les médecins généralistes libéraux, lesquels, quand le traitement de polypathologies compliquées les dépasse, ont tendance à hospitaliser les patients, provoquant plus d’effets indésirables qu’ils ne règlent de problèmes. Nous avons engagé des expérimentations en ce sens, notamment en Loire-Atlantique.

La Mutualité s’est aussi engagée dans le projet Médipôle, à Lyon, coopération inter-hospitalière et inter-statut originale qui montre que l’on parvient à faire travailler ensemble des acteurs différents aux règles dissemblables. Sur le même site qu’un important établissement privé à caractère lucratif propriété du groupe de santé Capio, nous ferons fonctionner un établissement mutualiste. Nous nous sommes lancés avec l’ARS dans la recomposition de l’offre dans l’agglomération de Lyon en organisant la complémentarité de nos établissements et non leur concurrence. Dans ce pôle de santé, Capio s’occupera de la chirurgie, la Mutualité française de la médecine, de l’obstétrique et de la maternité. Certes, tout n’est pas simple, de nombreux débats ont lieu avec l’ARS parce que les modes de financement demandent quelque souplesse, mais nous avons pris des risques car nous considérons que le rôle de la Mutualité est aussi, éventuellement, d’être un acteur de facilitation dans le système de santé.

Les modes de financement et les évolutions législatives et réglementaires des dernières décennies n’ont pas entièrement permis de s’affranchir de freins et de pesanteurs qui ne facilitent pas la complémentarité et la coopération des acteurs de la santé. Nous croyons beaucoup aux perspectives ouvertes par l’article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018. Il faut évidemment parvenir à organiser la prise en charge globale des patients, ce que les expérimentations par pathologie ou par acteur ne permettent pas nécessairement. Nous préparons des projets dans le cadre de cet article, en relation avec la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privés non lucratifs (FEHAP).

Enfin, il me semble particulièrement important de tout faire pour augmenter le temps médical disponible. Cela passe par des coopérations entre professionnels médicaux et non médicaux, des transferts ou des délégations de tâches. Ainsi, nous travaillons actuellement avec les pouvoirs publics au chantier du « reste à charge zéro ». En ophtalmologie, l’une des pistes est de modifier la formation des opticiens pour qu’ils soient capables de pratiquer l’examen de la vue et l’adaptation de la correction, de manière à dégager du temps pour les ophtalmologistes, qui se consacreront ainsi à la médecine, au traitement des pathologies et aux opérations.

La libération du temps médical utile passe aussi par l’exploitation du potentiel offert par le virage numérique. Ce qui est en cours de négociation avec la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) au sujet du financement de la télémédecine est un progrès. Nous sommes persuadés que la télémédecine – téléconsultation, télé-suivi, télé-expertise, télé-régulation – peut améliorer l’efficience du système de santé.

Enfin, nous nous abstenons d’utiliser le terme « déserts médicaux » car nous considérons que le sujet réel est celui de l’organisation du temps médical. Des mesures de contrainte ne feront pas durablement changer les pratiques – d’autant moins que le rapport de force est en faveur des médecins et que l’on ne fera pas de médecine sans médecins. Nous sommes favorables à l’élargissement du numerus clausus, en étant conscients que cela ne réglera pas le problème si l’on n’a pas travaillé sur tous les autres sujets. Il faut le faire, ne serait-ce, justement, que pour desserrer le rapport de force – je sais que l’expression n’est pas la plus heureuse –, et en tout cas investir dans la formation des médecins.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Notre commission d’enquête se penche sur l’évaluation des politiques publiques qui ont été conduites. À vos yeux, quelles mesures ont eu un effet bénéfique et lesquelles n’ont pas fonctionné ? Y a-t-il des échecs, des signes d’amélioration ? Vous avez souligné l’importance du numérique ; la Mutualité française est-elle prête à investir en ce domaine pour permettre à ses ressortissants d’accéder à des téléconsultations ? Avez-vous déjà réfléchi à une cartographie ? Vos collègues de la MSA Centre-Val-de-Loire commencent à financer le fonctionnement des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) ; envisagez-vous d’en faire autant ? Si vous étiez aux affaires, quelles seraient les trois mesures applicables rapidement que vous prendriez pour combattre le renoncement aux soins ?

M. Albert Lautman. Je ne suis pas certain d’avoir des réponses à toutes ces questions. S’agissant de l’investissement dans les nouvelles technologies, nous nous sommes attachés depuis cinq ans au moins à être des pionniers en matière de télémédecine en EHPAD. L’accès à un médecin spécialiste, un dermatologue par exemple, est compliqué pour des patients difficilement transportables qui résident dans des EHPAD situés dans des zones où il est malaisé de trouver un spécialiste à proximité. En ce cas, la télémédecine permet une prise en charge avec une qualité des soins élevée. Nous l’utilisons beaucoup, notamment en cas de difficultés de cicatrisation. Tant que les modalités de financement n’étaient pas pérennes et que nous dépendions d’un petit bout de budget pour une expérimentation dirigée par un chef de projet dans un sous-service d’ARS appelé à changer de poste tous les deux ans, c’était épuisant : il fallait à chaque fois tout réexpliquer et convaincre, et les financements n’étaient jamais acquis. On ne peut mobiliser une équipe médicale, ni dans l’établissement ni dans un centre de santé ni en médecine libérale, pour faire fonctionner un dispositif dont on se demande chaque année si l’on parviendra à reconduire le financement. Aussi, ce qui a été introduit à ce sujet dans la loi de financement de la sécurité sociale l’année dernière et qui se traduit par une négociation conventionnelle en passe d’aboutir sur le financement pérenne de la télémédecine nous permettra de poursuivre notre fort investissement sur ce plan. Il est encore un peu tôt pour évaluer le dispositif, mais la mesure nous paraît utile.

D’autre part, en notre qualité d’assureur santé, nous faisons face à une très forte demande des entreprises. C’est avec elles que nous négocions désormais les contrats collectifs et elles nous transmettent les attentes des salariés. Nous constatons, non seulement pour les cadres supérieurs des grandes agglomérations mais aussi dans les zones sous-denses où l’accès au cabinet médical pose un problème, une demande très forte de financement de service de téléconsultations comme accès de premier niveau. Cette option n’entrant pas dans le périmètre de l’accord en cours de négociation à la Caisse nationale d’assurance maladie, aucun financement n’est prévu. Il reviendra donc aux assurances complémentaires de financer entièrement ces dispositifs, si bien que cette possibilité ne pourra être incluse que dans des contrats assez haut de gamme, réservés de facto à certaines catégories de la population.

Nous voudrions pouvoir développer la télémédecine parce qu’il y a une demande et un besoin mais, sur ce point, les pouvoirs publics, les syndicats médicaux et l’Ordre des médecins nous paraissent frileux et en retrait au regard des attentes de la population qui, elle, voit bien l’utilité de pouvoir ainsi consulter un médecin – et pas seulement, comme il est parfois dit de manière caricaturale, pour se rassurer. Quand on discute de l’encombrement des services d’urgence, les médecins urgentistes décrivent par exemple l’arrivée de nombreux parents qu’inquiètent la plaie d’un enfant ou un symptôme un peu effrayant. À défaut de parvenir à organiser la permanence des soins de façon entièrement satisfaisante, donner accès à un service pendant des plages horaires très étendues et à un premier avis médical rendu par télémédecine ne remplacera pas le besoin de proximité physique mais offrira un service qui, de notre point de vue, correspond à l’intérêt général.

Il y a donc là un axe de progrès et nous sommes convaincus qu’il faut aller plus loin en matière de télémédecine – dont j’ajoute que ce n’est pas un dispositif inflationniste. Favoriser le développement de la télémédecine n’est pas encourager une consommation. Cette vision restrictive, celle-là même qui a conduit à la politique assez absurde du numerus clausus, avec l’idée qu’il fallait fermer le robinet pour réduire la consommation médicale, finit toujours par se retourner contre les pouvoirs publics et nous mettre en difficulté.

Pour nous, l’urgence est de donner les moyens permettant d’organiser l’exercice mixte sur les territoires, c’est-à-dire de construire des plateformes réunissant les médecins et les professionnels de santé libéraux qui en ont envie, parce que l’exercice pluridisciplinaire est aujourd’hui vraiment nécessaire. L’urgence est aussi de sortir d’une forme de féodalité dans laquelle le rôle de certains professionnels de santé n’est pas celui qu’il devrait être dans la coordination du parcours de soins. L’idée selon laquelle seul le médecin peut-être le coordonnateur du parcours de soins est un mythe, et ce mythe nous a fait achopper, si bien que depuis des années nous avons échoué sur ce plan. Il faut faciliter le regroupement des professionnels de santé libéraux, des professionnels de santé salariés d’un centre de santé, par exemple mutualiste, et éventuellement des professionnels de santé hospitaliers. Nous creusons certaines pistes.

Je vous ai parlé, par exemple, de créer dans les EHPAD un cabinet médical comprenant médecins, infirmières, aides-soignantes et éventuellement d’autres types de professionnels. On n’a pas besoin, dans certaines zones sous-denses, d’un cardiologue, d’un dermatologue ou d’un dentiste à temps plein toute la semaine. Mais le cabinet secondaire est une affaire compliquée, et l’on nous parle vite de « médecine foraine » quand nous disons qu’il leur suffirait de venir une demi-journée par semaine pour répondre au besoin.

Nous essayons d’être pragmatiques. La Mutualité française peut mettre à disposition le foncier, le secrétariat pour prendre des rendez-vous, la salle d’attente, et permettre à des médecins hospitaliers, libéraux ou salariés, de venir assurer des consultations. Nous venons d’inaugurer dans un quartier de la politique de la ville de Clermont-Ferrand une maison pluridisciplinaire de santé (MPS). Le projet a été entièrement porté par des praticiens libéraux, qui ont investi leurs économies pour construire le bâtiment, dont ils louent des espaces à plusieurs professionnels de santé. Parce qu’ils n’avaient pas trouvé de dentistes libéraux qui acceptent de les rejoindre, la Mutualité a décidé d’utiliser une partie du local, et donc de payer un loyer, pour installer deux fauteuils ; viennent travailler dans ce cabinet des chirurgiens-dentistes de la mutualité. Ma priorité, c’est celle-là : la souplesse. Il faut accélérer les projets de ce type.

Mme Séverine Salgado, directrice santé de la Mutualité française. Vous nous avez interrogés sur des dispositions propres à enrayer rapidement le renoncement aux soins. Tout dépend des freins qui en sont à l’origine ; ils peuvent être d’ordre financier, territorial ou psychologique. Plusieurs mesures prises récemment devraient le limiter : il paraît évident que le « reste à charge zéro » devrait permettre d’aller plus souvent voir le dentiste, l’ophtalmologue ou l’ORL pour se voir prescrire un équipement auditif ou optique ou des prothèses dentaires. Il y a aussi la convention dentaire dont la négociation vient de s’achever et qui sera bientôt signée ; elle bouleverse radicalement le modèle économique des cabinets dentaires en revalorisant les soins conservateurs, une mesure qui permettra aux patients de ne pas attendre d’avoir besoin de soins prothétiques pour aller consulter un chirurgien-dentiste, ce qui est bien sûr un échec thérapeutique. Je citerai encore le tiers payant généralisé, que soutient la Mutualité française ; la mesure a été retardée en raison des quelques réticences à ce sujet de la part des médecins mais, dans leur grande majorité, les médecins ne sont pas réticents par principe au tiers payant, et si on leur apporte des solutions pratiques et fonctionnelles, ils y adhéreront. Tout cela devrait aussi favoriser l’accès aux soins et donc limiter le renoncement aux recours au système de soins.

À cela s’ajoute que si, comme la stratégie nationale de santé prévoit de le faire, on axe le système de santé autour de la prévention, cela devrait limiter le renoncement aux soins. En effet, de nombreux assurés peuvent avoir des freins psychologiques et n’osent pas aller voir les professionnels de santé, même lors des campagnes de prévention, parce qu’ils craignent le coût des traitements éventuels. Cela est manifeste en matière de santé bucco-dentaire : d’excellentes campagnes de prévention ont eu lieu, mais les soins qui auraient dû suivre étaient très coûteux, et cela a restreint l’impact de la campagne. Si les soins dont la nécessité est révélée lors des campagnes de prévention sont pris en charge, cela limitera aussi le renoncement aux soins.

La coopération entre professionnels de santé nous paraît être un des leviers d’action les plus efficaces, puisque la densité du maillage territorial en professionnels paramédicaux et en pharmaciens d’officine est sans commune mesure avec le maillage médical. L’expérimentation de la campagne de vaccination antigrippale par les pharmaciens, l’hiver dernier, a été un réel succès ; elle va être reconduite et vraisemblablement généralisée. Toutes ces actions et toutes ces mesures permettent un recours au système de soins plus fluide et plus simple et limiteront le renoncement aux soins.

Mme Jacqueline Dubois. Le projet d’EHPAD « hors les murs » est extrêmement intéressant, mais en Dordogne, où j’habite, j’ai entendu plusieurs fois mentionner des difficultés de recrutement : on ne trouve pas de médecins coordonnateurs, souvent manquent des infirmières et des cadres de santé, et le turn-over est très important à la direction des établissements. Comment redonner envie de travailler en ces lieux ? D’autre part, favorisez-vous les pratiques professionnelles avancées ?

M. Albert Lautman. On a décrit la crise des EHPAD comme une crise générale alors que tous les établissements ne sont pas dans la même situation. L’urgence est due à ce que dans les EHPAD publics gérés par des hôpitaux publics, on paye aujourd’hui un sous-investissement ancien dans l’adaptation du bâti, les ressources humaines, le management et le soin. Objectivement, cela n’a pas été la priorité des établissements hospitaliers ; dans certains cas, on a même installé des EHPAD dans d’anciens sanatoriums, bâtiments qui avaient été construits à une autre fin et où il est compliqué d’organiser des soins. Je vous invite à visiter tous les EHPAD mutualistes ; vous verrez des établissements dans lesquels le personnel n’est pas en grande souffrance, où le management n’est pas dans un turn-over permanent et où l’on arrive à faire des choses.

Cela étant dit, pourquoi manque-t-on de médecins coordonnateurs ? Alors que la densité médicale est très faible dans certaines parties du territoire, quel médecin a vraiment envie de remplir un emploi tel qu’il ne peut pas prescrire, qu’il n’est pas vraiment le médecin traitant les résidents et que ses marges de manœuvre sont très faibles mais qu’il a néanmoins une responsabilité ? Objectivement, l’organisation du système est dissuasive et doit être repensée. À Grenoble, où se trouvent un gros centre hospitalier mutualiste et, dans le même groupe, plusieurs EHPAD, nous avons mutualisé le pilotage de l’équipe médicale, si bien que l’infirmière de nuit est une infirmière de la clinique, d’astreinte, qui interviendra si elle est appelée pour une urgence ; il en va de même pour le médecin gériatre. Avec une autre organisation englobant un médecin vraiment responsabilisé, des moyens, une équipe pluridisciplinaire et une patientèle qui n’est pas seulement celle des résidents des EHPAD –c’est-à-dire des cas très lourds aux polypathologies très avancées et en perte d’autonomie – mais qui s’étend au bassin de vie alentour, on doit pouvoir trouver des solutions. Je ne suis donc pas pessimiste, mais nous voudrions la marge de manœuvre suffisante pour pouvoir expérimenter.

Mme Jacqueline Dubois. Soit, mais le moindre surmenage et le moindre turn-over dont vous faites état dans vos établissements ne tient-il pas à ce que le personnel a un statut de droit privé ? Les EHPAD publics n’ont pas de moyens financiers ; je pense que le jour où l’on résoudra ce problème, il n’y aura plus de surmenage.

M. Albert Lautman. Nous avons exactement les mêmes règles de dotation ; l’absentéisme n’est pas pris en compte dans les tarifs et ne nous est pas payé. Que les tarifs soient très serrés, que les objectifs nationaux de dépenses d’assurance maladie (ONDAM) médico-sociaux soient trop justes et qu’ils doivent être élargis, c’est un fait pour tous. Ensuite entre en jeu la qualité de la gestion des EHPAD : si l’on s’efforce de prévenir les risques psychosociaux, si l’on s’attache à améliorer les postures et la qualité de vie au travail, si l’on a des équipements permettant d’éviter de porter les personnes, l’usure du personnel est bien moindre. Avec un management un peu faible, le taux d’absentéisme augmente très rapidement, et tout aussi rapidement l’établissement devient très déficitaire.

Bien entendu, l’annonce de la ministre que le rattrapage du forfait soins se fera en cinq ans et non plus en sept ans est une bonne nouvelle. Le fait que les établissements aient de problèmes budgétaires tient à ce que l’âge moyen d’entrée dans les EHPAD a beaucoup augmenté ces dernières années et avec lui le niveau de dépendance, si bien que le budget soins ne correspond pas à la réalité des besoins de soins de personnes plus âgées et plus dépendantes.

M. le président Alexandre Freschi. On ne trouve pas de médecins coordonnateurs mais, surtout, on ne trouve pas de médecins tout court. Le problème est donc plus vaste et plus grave. Vous avez mentionné des délégations de tâches ; comment, selon vous, renforcer le rôle d’autres professions de santé ? Les mutuelles remboursent des consultations non remboursées par l’assurance maladie, chez les ostéopathes par exemple ; considérez-vous que cela devrait s’étendre ? Plus largement, quels protocoles de coopération faudrait-il développer entre les professionnels de santé ?

M. Albert Lautman. Le remboursement des consultations d’ostéopathie par les mutuelles est souvent évoqué devant moi par les parlementaires. Il faut remettre les choses en perspective : ces remboursements représentent 1 % des dépenses des assurances complémentaires, sinon moins. Certains syndicats médicaux instrumentalisent cette question, expliquant qu’au lieu de rembourser davantage les dépassements d’honoraires, les assurances complémentaires remboursent qui l’ostéopathie, qui la physiothérapie. Non : nous remboursons essentiellement des actes qui sont dans la nomenclature de l’Assurance maladie, en complément de l’assurance maladie.

Que, dans un contexte très concurrentiel où tout le monde rembourse à peu près la même chose, on garantisse dans certains contrats collectifs la consultation d’un ostéopathe une ou deux fois dans l’année, cela se peut. C’est un élément de marketing dans un système concurrentiel qui n’est pas complètement régulé par les pouvoirs publics et par les contrats responsables, et nous avons encore une tout petite marge de manœuvre. Cela se fait donc, mais dans des proportions très faibles. Alors que la pression sur les tarifs des complémentaires est forte, que les Français les examinent presque à l’euro près, il ne s’agit pas de se disperser en remboursant des consultations qui ne seraient pas strictement indispensables sur le plan médical.

M. le président Alexandre Freschi. Ma question portait surtout sur le fait que certains professionnels de santé ont le sentiment qu’ils pourraient satisfaire des besoins, sans que cela soit reconnu. Qu’en pensez-vous ?

M. Albert Lautman. La Mutualité française n’a ni l’expertise ni la légitimité qui lui permettraient de répondre à cette question, mais travailler sur ces sujets avec les sociétés savantes et la Haute Autorité de santé (HAS) nous paraît être prioritaire. Nous avons fortement soutenu l’expérimentation de la vaccination par le pharmacien, qui nous paraît être une piste extrêmement prometteuse ; le bilan de la première campagne a été très positif et nous appelons la généralisation de nos vœux. Il existe aussi des centres d’ophtalmologie innovants ainsi organisés que le patient est d’abord examiné par un orthoptiste ou par d’autres professionnels qui analysent les besoins de correction avant qu’un médecin ophtalmologiste vérifie au cours d’une consultation très courte l’absence de pathologie. Nous essayons, dans nos centres de santé, de mettre en œuvre tout ce qui accroît l’efficience du parcours et l’organisation, permet d’utiliser le temps utile de chacun au maximum de sa contribution et, à chaque fois que le cadre légal et réglementaire le permet, d’aller vers les pratiques avancées, qui nous paraissent une piste très intéressante. Pour le reste, il est difficile au directeur de la Mutualité française de faire des propositions pratiques sur les moyens d’aller plus loin ; les professionnels de santé mettraient en cause ma légitimité car c’est à eux de conduire cette approche.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Vous ne nous avez pas dit votre sentiment sur l’animation des CPTS ; ne pourraient-elles comprendre des centres mutualistes ? Dans mon département, les difficultés de recrutement sont telles que la seule solution consiste à doter les infirmières de tablettes numériques : elles prennent les décisions et transfèrent les informations directement au médecin généraliste en cas de problème particulier ; c’est ainsi que les choses se passent en réalité. Enfin, comme vous l’avez souligné, tous les EHPAD connaissent des problèmes de financements en raison de l’âge d’entrée plus tardive des résidents et de leur état de santé – et vous connaissez le niveau de revalorisation des groupes iso-ressources (GIR) par les départements depuis quatre ans.

M. Albert Lautman. Le problème de la démographie médicale dans les zones rurales existe, mais ce n’est pas le seul. Il se trouve aussi que l’on maintient la fiction selon laquelle l’EHPAD étant un lieu de vie et non un lieu de soin, chaque résident garde son médecin traitant – même quand celui-ci est à 100 kilomètres parce que la place en EHPAD n’a pas toujours été trouvée à côté de l’ancien domicile, et qu’il ne viendra jamais. On essaye donc de recruter des médecins coordonnateurs que l’on met dans une situation intenable – et, évidemment, comme on manque de médecins partout, il est a fortiori plus difficile d’en trouver un si on lui propose un poste qui n’est pas très intéressant et dont le périmètre n’est pas très clair. Je ne dis pas que, demain, il sera facile de recruter des médecins, mais il est sûr que ces problèmes se poseront aussi longtemps que l’on ne reverra pas complètement la prise en charge médicale et pluriprofessionnelle du soin au sens large dans les EHPAD. Les choses seront plus faciles si l’on propose un vrai projet médical et pluriprofessionnel, ce qui ne peut se concevoir que pour le périmètre de l’EHPAD et de la zone géographique alentour.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Vous avez raison, le projet médical est la base de tout, mais encore faut-il des professionnels pour le bâtir.

M. Albert Lautman. C’est l’éternel problème de l’œuf et de la poule… Pour avoir des professionnels, il faut aller les chercher. Voyez ce que nous avons fait à Laval, où il n’y a plus de médecins traitants : non seulement ceux qui sont là ne prennent plus de nouveaux patients parce qu’ils sont débordés, mais dans les trois ou quatre ans à venir, une trentaine d’entre eux partira à la retraite. Les élus se sont demandés que faire, des réunions ont eu lieu avec le Conseil de l’Ordre et avec les syndicats libéraux – lesquels disent qu’ils ne veulent pas d’un centre de santé de la Mutualité, parce que cela leur ferait concurrence. On voit bien que, bien qu’il faille huit mois pour avoir un rendez-vous avec un ophtalmologue, ces spécialistes ne veulent pas spontanément que nous organisions des transferts de tâches pour que la correction de la vue soit faite par d’autres professionnels de santé. Il y a toujours des réflexes légitimes de crainte du changement, des questions de responsabilités… J’entends ces craintes, mais il faut du volontarisme pour que l’on avance.

À Laval, nous avons voulu innover en travaillant avec les libéraux et avec l’hôpital, et il a finalement été décidé de faire un essai. Des médecins retraités vont faire du tutorat et encadrer les stagiaires, l’université joue le jeu en nous envoyant des internes et nous tenterons de convaincre ces jeunes de rester. Notre objectif premier est de donner envie à des jeunes gens qui sont de la région mais qui n’en auraient pas eu spontanément l’idée de revenir exercer là au terme de leurs études de médecine. Tous ne resteront pas, mais si nous réussissons chaque année à en garder un ou deux, ce dispositif transitoire aura à terme rempli son but. Peut-être cela ne fonctionne-t-il pas en zone rurale, mais nous pensons qu’adosser une maison de santé à un établissement médico-social permettrait de trouver des solutions à moindres frais puisque l’infrastructure immobilière existe déjà.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Ce dont vous parlez évoque la mutualisation public-privé dont je parlais précédemment. Je pense que l’outil ne suffit pas à augmenter l’attractivité. Pour attirer les médecins retraités et les persuader de prolonger leur activité, eux qui sont tenus d’exercer jusqu’à 67 ans pour percevoir une pension de retraite à taux plein, préconisez-vous l’exonération complète de charges sociales ?

M. Albert Lautman. À Laval, nous avons été très soutenus par les élus, mais nous avons eu une petite guerre avec l’ARS, qui considérait que la Mutualité payait les médecins trop cher. Ils sont vacataires salariés, et la vacation négociée avec eux, dont je n’ai pas le montant à l’esprit, est évidemment incitative. Pour ce qui est de l’équilibre économique du dispositif, nous verrons ce que cette expérimentation donne d’ici deux ou trois ans, mais il va sans dire qu’il faut libérer un peu de ressources pour être incitatif, sinon on ne trouve pas de volontaires.

M. le président Alexandre Freschi. Il nous serait utile que vous nous transmettiez une note sur l’expérimentation en cours à Laval.

M. Albert Lautman. Vous l’aurez.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Sachant que, sur le plan statistique, les dix années à venir seront dramatiques, seriez-vous prêt, demain, à généraliser le dispositif expérimenté à Laval ?

M. Albert Lautman. Nous aimons à parler de ce projet parce qu’il montre que la Mutualité française est aux côtés des pouvoirs publics pour essayer de trouver des solutions dans cette situation d’urgence. Je ne sais si cette expérimentation fonctionnera : si aucun interne ne reste à l’issue de ses études, cela n’aura pas marché. Mais nous sommes assez confiants ; cette année déjà, nous pensons que l’un d’eux au moins va s’installer. Sommes-nous prêts à aller plus loin ? Si nous voulons signer la semaine prochaine, pendant le congrès de la Mutualité française, un partenariat avec l’AMF, c’est bien parce que nous souhaitons dupliquer ce modèle. Nous pensons que la Mutualité, les élus locaux et d’autres acteurs doivent mettre leur énergie et leur ingénierie en commun pour trouver des solutions, dont des solutions mixtes public-privé. Dans le Limousin, autour de Limoges, nous travaillons dans certains établissements à faire venir une demi-journée par semaine du CHU ou de l’hôpital local des médecins salariés pour des vacations. Cela fonctionne.

M. Philippe Vigier, rapporteur. L’idée d’un partenariat avec l’AMF ou avec les collectivités me plaît ; nous les recevrons. Dans l’intervalle, je constate que vous n’avez toujours pas répondu à ma question, que je vous pose donc pour la troisième fois : êtes-vous prêt à donner un coup de main pour l’animation des CPTS ?

M. Albert Lautman. L’organisation des soins relève de la puissance publique. Vous avez mentionné tout à l’heure la MSA, mais elle n’a rien à voir avec la Mutualité française : la MSA est la sécurité sociale obligatoire des agriculteurs. Il revient aux pouvoirs publics, par le biais du régime obligatoire et des ARS, d’organiser le système de santé ; ce n’est pas la fonction des assurances complémentaires santé. Nous présenterons lors de notre congrès, la semaine prochaine, les résultats d’un sondage sur l’image que les assurés ont de leur complémentaire santé. On constate que les mutuelles ont une très bonne image mais que les assurés les jugent assez chères et estiment qu’ils pourraient être encore mieux remboursés. Nous n’avons ni vocation ni légitimité à organiser le système de santé. Mais, comme vous m’avez entendu le dire, la Mutualité française a un engagement sociétal. Nous sommes concernés par le sujet, et nous voulons, si nous le pouvons, apporter une contribution par l’offre de santé mutualiste, et en tout cas nous mettre en synergie avec d’autres acteurs pour axer les initiatives sur les complémentarités plutôt que sur des concurrences qui ne sont vraiment pas constructives.

M. Matthieu Ledermann, directeur adjoint de la direction santé. La Mutualité française ne peut pas lever tous les obstacles à la fluidité du parcours de santé et l’on voit bien que l’organisation des soins ne fait pas toute sa place au secteur médico-social. Après la création des groupements hospitaliers de territoire et la fusion des régions, les ARS couvrent parfois dix ou douze départements et nous avons perdu en capacité à organiser un parcours de proximité pour les patients sur toute la chaîne de soins – la prévention, le sanitaire et le médico-social. La Mutualité française apporte sa contribution à chaque fois qu’elle le peut, mais elle ne peut pas tout, toute seule.

M. le président Alexandre Freschi. Madame, messieurs, je vous remercie.

 

 

 


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Audition de M. Nicolas Revel, directeur général, et Mme Véronika Levendof, responsable des relations avec le Parlement de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS)

Présidence de M. Alexandre Freschi, Président de la commission denquête

M. le président Alexandre Freschi. Notre commission reçoit ce matin M. Nicolas Revel, directeur général de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), et Mme Véronika Levendof, responsable des relations de la CNAMTS avec le Parlement.

Je précise que cette audition est ouverte à la presse et rediffusée en direct sur un canal de télévision interne. Elle sera ensuite consultable sur le site internet de l’Assemblée nationale.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, les personnes entendues déposent sous serment. Je vous demande donc de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Nicolas Revel et Mme Véronika Levendof prêtent successivement serment.)

Je vous donne la parole pour une intervention liminaire.

M. Nicolas Revel, directeur général de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS). Beaucoup de nos concitoyens sont inquiets face à l’évolution de la démographie médicale. Le phénomène est composé d’un certain nombre d’éléments presque paradoxaux : une augmentation globale du nombre de médecins en exercice en France sur les dernières années ; une stagnation des médecins exerçant de manière libérale, qui contraste avec la rotation forte des médecins exerçant sous un mode salarié ; une médecine générale plutôt en légère progression globale, mais qui va être en réduction forte s’agissant des généralistes libéraux, sur une période de temps qu’il est difficile de fixer précisément mais qui se situe, dirais-je, entre cinq et dix ans ; des médecins relevant d’autres spécialités médicales, dont le nombre global progresse fortement, y compris, quoique légèrement, chez les spécialistes libéraux, mais pour lesquels on note, en revanche, un phénomène de concentration géographique, reflet du choix d’installation des médecins.

On voit donc bien qu’un sujet d’accès aux soins se pose, voire se pose de manière aiguë, même si c’est une question d’une petite dizaine d’années en médecine générale, et qu’il s’agit d’un phénomène plus structurel, celui de la concentration des lieux d’exercice,  pour les autres spécialités.

Le premier levier d’action, à savoir la régulation coercitive, est un levier d’action qui a trouvé à s’employer de manière globalement efficace, je crois. Nous y reviendrons cependant, car il y a beaucoup de contournements possibles pour les professions autres que la profession de médecins : sages-femmes, infirmières ; demain, masseurs-kinésithérapeutes et peut-être chirurgiens-dentistes. Toutes ces professions voient du reste leurs effectifs croître en matière d’exercice libéral.

S’agissant des médecins libéraux, j’imagine que nous reviendrons sur ce sujet dans le courant de l’audition. La position de l’assurance maladie, qui évolue dans un cadre législatif fixé par le Parlement, a été de s’interroger sur les leviers d’actions à sa disposition aujourd’hui, notamment sur une régulation s’appuyant sur les conditions de conventionnement de certaines professions ou encore sur le levier incitatif que constituent les aides à l’installation dans des zones dites sous-dotées.

Pour l’avenir, quatre leviers essentiels me paraissent devoir être privilégiés. D’abord, le dispositif des consultations avancées de spécialistes  doit être singulièrement renforcé. Nous sommes en train de finaliser l’amélioration d’un contrat que nous avons créé dans la convention de 2016 ; il bonifie la valeur des actes et consultations réalisés par des médecins qui exercent de manière ponctuelle, mais régulière, dans des zones sous-dotées.

Le deuxième levier d’action d’avenir est celui des stages. Aujourd’hui très concentrés en milieu hospitalier, ils me semblent devoir être plutôt répartis entre les différents modes d’exercice et devoir donner lieu à des incitations plus fortes sur le territoire.

Notre troisième levier d’action est la télémédecine. Nous finalisons un sixième avenant à la convention médicale, qui va permettre d’intégrer dans le droit commun, aussi bien en ville qu’à l’hôpital, des actes de télémédecine qui me paraissent très importants : les téléconsultations et les téléexpertises.

Le quatrième levier d’action me paraît être le plus important, même si les trois premiers le sont aussi. Il s’agit de l’organisation des soins sur les territoires. J’ai pour ma part la conviction que, dans dix ans, nous n’aurons pas de levier décisif si nous souhaitons contraindre davantage les installations. Ce qui me paraît être en revanche être un élément-clé, c’est d’optimiser la ressource médicale qui exerce aujourd’hui au quotidien dans les territoires.

Les modes d’exercice y sont cloisonnés, isolés et non coordonnés. Il faut donc les revisiter. Nous connaissons beaucoup de pistes, sur lesquelles un consensus est en train de se construire progressivement. Il faut maintenant définir des leviers qui permettent, dans les deux ou trois prochaines années, de faire évoluer les choses, qu’il s’agisse du regroupement d’exercices – mais tout le monde ne se regroupera pas dans les mêmes structures physiques ou juridiques –, ou de modes d’exercice beaucoup plus coordonnés, incluant une délégation de tâches et de compétences. L’idée serait de permettre à des structures ou à des territoires de mieux partager, ou d’optimiser, le temps médical, en partageant la prise en charge. Cela répondrait à ces deux grands enjeux que sont le suivi des pathologies chroniques et le soin non programmé, enjeux sur lesquels nous sommes en butée aujourd’hui.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Qu’est ce qui n’a pas marché dans notre pays, depuis quinze ans, pour qu’on en soit arrivé là ? Vous avez en effet pu observer, monsieur le directeur général, que nous avons pris comme titre de commission d’enquête exactement la mission que vous vous êtes assignée, c’est-à-dire apporter des soins à tous sur l’ensemble du territoire.

Deuxièmement, quel est votre bilan des conventions signées en matière de conventionnement sélectif ? Je rappelle que cela n’existe pas pour les médecins. Au vu du bilan pour les professions pour lesquelles cela a été pratiqué, quelle est votre vision pour une possible application aux médecins ? C’est ma troisième question.

Quatrièmement, quel est votre bilan des modes de rémunération établis en 2015 ? L’évolution en est tout de même singulière.

Cinquièmement, qu’est-ce qu’on fait pour redonner aux carrières privées un peu d’appétence ou d’attractivité, de sorte que les jeunes y reviennent ?

M. Nicolas Revel. Les phénomènes qui sont à l’œuvre depuis quinze ans ont conduit à cette situation où, comme je vous l’ai dit en introduction, nous avons davantage de médecins en exercice en France au cours des dernières années. Simplement, nous avons principalement des médecins qui travaillent sur un mode salarié, et pas nécessairement dans les territoires où ils seraient le plus à proximité des patients, en un mot là où sont les besoins de santé.

D’abord, l’exercice salarié est devenu plus attractif que l’exercice libéral, parce qu’il semble répondre davantage aux aspirations d’un nombre important de jeunes médecins. À quoi cela tient-il ? D’une part, je dirais, à une aspiration à un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie familiale ; d’autre part, à une aspiration à rester dans un cadre d’exercice plus collectif, parce qu’il se situe dans des structures hospitalières ou dans des structures de villes qui sont plus larges. De ce fait, l’exercice professionnel se concentre en effet sur le temps médical. Par définition, c’est moins le cas pour un médecin libéral, qui exerce le plus souvent seul aujourd’hui ; il se trouve ainsi soumis à des horaires plus importants et à une charge globale qui est celle de la gestion d’un cabinet.

Le deuxième élément tient à la répartition géographique observée. Sans épuiser toutes les hypothèses, il y en a une qui nous paraît relativement évidente. Nous sommes en face d’une évolution sociologique de la profession médicale. Il y a désormais plus de femmes que d’hommes qui sortent de ces études – à un âge avancé de leur vie, puisqu’elles sont fort longues. Cela se répercute sur les choix d’implantation territoriale. Quand elles choisissent un exercice salarié, elles sont en effet attirées par le milieu hospitalier. Des effets de concentration s’opèrent, parce que les établissements hospitaliers ne maillent pas le territoire de manière uniforme.

Quant aux médecins qui choisissent un mode d’exercice libéral, il y a chez eux une certaine tentation de se diriger vers des spécialités autres que la médecine générale, et dans des zones plus urbaines que rurales, plus concentrées que dispersées. Cela correspond bien à des problématiques familiales, mais aussi à la volonté d’exercer sous une forme mixte, à la fois libérale et hospitalière.

Voilà les phénomènes qui sont à l’œuvre.

Nous n’avions pas, il y a quinze ou vingt ans, d’autres règles du jeu. Vu ce que sont les cycles d’études, il aurait en effet fallu faire preuve d’une certaine anticipation. Pour qu’un contrat passé entre la nation et de jeunes étudiants en médecine produise des effets, il faut qu’il ait des conséquences claires au moment où ils s’engagent dans cette voie. Or nous n’avons pas dit : « Vous n’aurez pas le choix de votre mode d’exercice et vous n’aurez pas le choix de votre lieu d’exercice pendant un certain nombre d’années. ».

Je ne sais pas si cette évolution interviendra demain, mais elle n’est évidemment pas anodine. Elle nécessite un préavis vis-à-vis des intéressés. C’est un choix qui peut tout à fait être envisagé, en prévoyant une prise en charge des études. Le législateur a toujours la possibilité de le faire.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Il peut aussi ne pas y avoir de conventionnement dans une zone hyper dense, ce qui est moins coercitif que d’indiquer à quelqu’un l’endroit où il doit s’installer.

M. Nicolas Revel. L’outil de régulation que serait la fermeture des zones surdotées apparaît, quand je lis les rapports et les expressions qui y sont employées, comme l’outil qui semble le plus raisonnable. C’est lui qui contraint finalement le moins, tout en s’inspirant de ce que nous observons et de ce que nous avons fait pour d’autres professions.

Mais je pense qu’il n’aura pas les effets escomptés s’agissant des médecins. Prenons les généralistes : où sont les zones surdotées en médecine générale aujourd’hui ? Il y a, dans toutes les zones, plus de départs que d’arrivées… Vous ne trouverez donc aucune zone surdotée en médecine générale, hormis peut-être quelques micro-quartiers à Paris. L’observation vaut quand bien même vous raisonneriez en termes relatifs, en disant : « Je ne veux pas savoir si le nombre de médecins couvre ou non les besoins de santé d’un territoire, mais je vais, par principe, dire que les 10 % du territoire où on trouve l’intensité la plus forte sont, par définition, surdotés. » Quand, dans ces départements, les départs ne seront pas comblés, il ne sera pas très simple d’expliquer qu’il n’y a pas de possibilité de remplacer ces médecins.

Paradoxalement, d’ailleurs, dans les dispositifs qui concernent aujourd’hui les infirmiers et les sages-femmes, et demain les kinésithérapeutes, il y a une arrivée pour un départ, c’est-à-dire que nous n’organisons pas la déflation des effectifs. Appliquer demain la même règle du un pour un dans toutes les zones dites surdotées passerait donc à côté du problème, s’agissant des médecins.

Prenons maintenant les autres spécialités médicales.

On peut, en ce domaine, de manière tout à fait objective, identifier des situations de surdensité. À Paris, dans certaines spécialités, il y a un nombre considérable de professionnels ; les délais de rendez-vous, dans certaines spécialités, sont incroyablement rapides par rapport à bien d’autres territoires en France.

Mais, si nous fermons des possibilités de conventionnement, en ophtalmologie par exemple, sur le territoire parisien, est-ce que cela fera une installation dans un territoire sous‑doté ?

Je ne crois pas, car je pense que les médecins concernés s’installeront à la périphérie de la zone sous-dotée, d’autant que les patients sont prêts, sur certaines consultations très spécialisées, à se déplacer.

Je pense donc que ce levier, qui apparaît comme nouveau et susceptible de produire des résultats, ne produira pas, en fait, ceux qu’on en attend. Par ailleurs, nous aurons une crispation assez forte vis-à-vis des médecins, qui considèreront qu’on est en train d’entraver la liberté d’installation. La priorité me semble être plutôt, dans les trois prochaines années, de ne pas forcément ouvrir des conflits avec eux, mais de mener au contraire avec eux un travail qui les engage et les amène à évoluer dans leur mode d’exercice et dans leurs conditions d’exercice.

La vraie bataille des prochaines années sera de faire que des médecins qui exercent aujourd’hui de manière isolée travaillent demain de manière coordonnée. Voilà la bataille à mener pour optimiser le temps médical.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Mais alors, comment expliquez-vous, au nom du raisonnement que vous tenez, qu’on soit allé jusqu’à donner 50 000 euros à des généralistes pour s’installer dans des zones sous-dotées, y inclus des exonérations fiscales ? Car cela a été fait et continue d’être fait, alors même que vous dites qu’on ne réussira pas à les envoyer dans ces territoires. Le raisonnement ne vaut-il pas pour les spécialistes comme pour les généralistes ?

M. Nicolas Revel. Je pense au cas d’un médecin qui a décidé de s’installer dans une zone en cœur de métropole. Vous ne l’emmènerez pas dans une zone sous-dotée parce que vous avez fermé le cœur des métropoles. Un médecin souhaitant s’installer dans une zone large qui n’est pas nécessairement le cœur d’une métropole peut, en revanche, être sensible à un signal économique conçu pour que, entre plusieurs zones, il en choisisse une qui soit plus particulièrement sous dense, du fait d’une aide financière spécifique.

Nous ne prétendons donc pas opérer des changements radicaux de choix géographique d’installation, mais seulement amener certains médecins à définir plus finement leur choix. Souvent, ceux-ci attendent d’ailleurs les zonages que les agences régionales de santé (ARS) sont en train de définir et de publier, région par région, car ils souhaitent savoir où sont les zones sous-denses pour bénéficier de ce type d’aide financière.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Avez-vous une idée de la part prise par cette aide financière dans la décision des praticiens de s’installer à tel ou tel endroit ?

M. Nicolas Revel. Cette aide financière a été élaborée avec les structures auxquelles appartiennent les jeunes médecins. C’est eux qui nous ont amenés à aborder le sujet dans la discussion préparatoire à la convention 2016.

Nous partions d’un dispositif existant, puisqu’en 2011 un certain nombre d’aides avaient déjà été définies dans le champ conventionnel. D’ailleurs, elles venaient davantage soutenir les médecins en exercice dans ces zones que, plus spécifiquement, les médecins qui venaient s’y installer.

Dans la négociation de 2016, il n’aurait pas été de bonne politique de supprimer purement et simplement ce dispositif. Cela n’aurait pas été forcément bien compris. J’ai en revanche pris le parti d’essayer de le concentrer. Non pas en supprimant complètement les aides aux médecins déjà installés, mais en les réduisant, parce que ce sont des médecins qui n’ont pas de problème de revenus – ils sont même plutôt débordés.

J’ai considéré que la priorité était de « concentrer les feux » sur l’installation. Les jeunes médecins nous ont eux-mêmes dit que ce qui leur importait était d’avoir une aide rapide à l’installation. En effet, ils veulent pouvoir couvrir les dépenses liées à cette installation par une aide qui arrive très vite.

Les 50 000 euros que vous évoquez sont ainsi la somme, additionnée et améliorée, des mesures antérieures. L’aide annuelle qui durait trois ans a finalement été regroupée. On l’a améliorée. Ce n’est pas énorme, car on ne l’a pas doublée,  mais on a fait en sorte que cette aide arrive très rapidement.

Voilà donc quelque chose qui n’est pas uniquement une création issue des services de la CNAMTS. En outre, même si les chiffres sont encore modestes aujourd’hui, parce que les zonages ARS ne sont pas encore complètement réalisés, on voit bien, objectivement, que des médecins regardent cela avec intérêt.

J’en viens à la régulation démographique pour les professions qui en sont dotées, comme celle des infirmières. Le dispositif existe depuis 2010 ; il a permis de faire face aux défis posés par une profession dont l’effectif est extrêmement dynamique. Nous avons réussi à réduire la dispersion et les écarts entre zones, que nous appelons, dans notre jargon, l’ « indice de Gini » des infirmières.

Cet indice de dispersion était de 0,355 en 2008 et il s’est réduit à 0,315 en 2017. Il y a donc un petit peu moins d’infirmières dans les zones surdotées et un peu plus dans les zones sous-dotées. C’est un dispositif qui est totalement porté par la profession. Nous sommes en train, en ce moment même, de négocier un accord conventionnel avec les infirmières libérales. Il porte sur de nombreux sujets. Elles demandent de ne pas durcir un certain nombre de règles. On observe en effet que la fermeture de zones surdotées conduit des infirmières à s’installer dans des zones intermédiaires, afin de pouvoir exercer en réalité, au quotidien, une large part de leur activité dans les zones surdotées. Dans la convention, nous sommes donc en train d’imaginer des verrous supplémentaires pour limiter ce type de phénomène.

Avec les masseurs-kinésithérapeutes, nous avons aussi conclu un accord conventionnel fin 2017. Il introduit, ou réintroduit, le dispositif qui avait été signé en 2012, mais censuré par le Conseil d’État faute de base législative. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 en fournit désormais une.

Avant que le Conseil d’État ne censure ce dispositif, il avait cependant produit de premiers effets. Là aussi, nous sommes en effet en face d’une profession très dynamique dans sa progression démographique. Ce sont donc des dispositifs utiles, même s’ils sont imparfaits, car il y a forcément des voies de contournement. Leur intérêt reste cependant d’autant plus important que nous sommes en face de professions dont l’effectif croît de 3 % à 4 % par an.

J’en viens au dossier médical partagé (DMP). L’assurance maladie en a récupéré la responsabilité en 2016, conformément à la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé. Nous avons commencé à déployer le DMP dans neuf caisses primaires et allons le déployer dans la France entière à l’automne, c’est-à-dire en octobre prochain.

Nous essayons de comprendre ce qui avait conduit à son échec au cours des dix dernières années. Pour que le dispositif connaisse le succès, il faudrait en effet qu’il y ait beaucoup de DMP ouverts, alors qu’il n’y en a que 500 000.

Pour ouvrir un DMP, il faut qu’un médecin muni de sa carte professionnelle de santé (CPS) en face d’un patient muni de sa carte Vitale, prenne le temps de le faire. Or, est-ce la priorité, aujourd’hui, que de demander à des médecins de se consacrer à ce sujet ?

Nous avons donc, premièrement, prévu beaucoup de modalités possibles pour ouvrir un DMP. Les professions de santé, à commencer par les médecins, pourront continuer à le faire. Les patients assurés pourront le faire directement en ligne, ce qui n’était pas le cas auparavant, ou encore à l’accueil des caisses primaires, comme la loi le prévoit. Nous accueillons ainsi beaucoup de monde dans les caisses primaires.

Mais, surtout, nous demanderons aux pharmaciens et aux infirmières d’ouvrir des DMP. C’est déjà prévu dans la convention passée avec les pharmaciens et nous sommes en train d’examiner ce point avec les infirmières en ce moment même. Voilà comment nous pouvons envisager d’ouvrir rapidement des millions de DMP. Je rappelle qu’il faut une décision du patient pour qu’il y ait ouverture de son DMP.

Deuxièmement, il faut qu’il y ait des données dans le dossier. Ce n’était pas le cas auparavant, de sorte que nous commençons par injecter dans le DMP deux années de consommation de soins tels qu’ils sont enregistrés dans nos bases. L’information est présentée de manière médicalisée pour que ce soit une donnée utile aux professionnels de santé.

Mais nous voudrions compléter ces premières données par toutes les informations médicales utiles venant des établissements de santé, des laboratoires de biologie, des cabinets médicaux de ville… Ce travail est en cours. Progressivement, les systèmes d’information permettront l’alimentation automatique du DMP.

Troisièmement, il faut que les patients considèrent que le DMP leur est utile et qu’il soit pour eux une réalité. Nous avons donc d’emblée réfléchi à mettre à la disposition des patients une application mobile leur permettant d’accéder très facilement à leurs informations médicales. Cette application est aujourd’hui disponible sur le Store. Elle passe encore par des modes d’authentification très sécurisés que la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) nous a demandé de respecter. C’est parfois un peu lourd, mais nous verrons comment essayer de simplifier l’accès.

Tels sont les trois éléments qui nous permettent d’espérer que le DMP devienne ce carnet de santé numérique pour les patients et cet outil de coordination pour les professionnels dont se dotent tous les pays ayant un système de santé un peu organisé, structuré et coordonné.

Sur le bilan des rémunérations de 2015, suite à une négociation tenue en 2014, il y a eu un règlement arbitral, le 2 février 2015, sur les maisons et pôles de santé, c’est-à-dire sur les structures d’exercice pluriprofessionnel regroupé.

Comme il s’agissait d’un règlement arbitral, nous avons repris la négociation en 2017. Ainsi, nous avons conclu un accord conventionnel avec toutes les professions de santé le 20 avril 2017. Aujourd’hui, un peu plus de 500 structures sont donc conventionnées. Elles bénéficient d’une aide moyenne qui approche les 70 000 euros par an et qui couvre notamment des obligations d’ouverture, en termes d’amplitude horaire.

Ce qui fait la valeur ajoutée de ces structures, c’est cependant la notion de travail collectif et de coordination. Nous rémunérons donc une fonction de coordination au sein de la structure et finançons des systèmes d’information partagée parce qu’il n’y a pas de travail coordonné sans information partagée.

La question est de savoir si nous allons voir un nombre croissant de structures entrer dans ce dispositif. Nous observons, entre 2016 et 2017, une progression un peu plus forte que ce que nous avions anticipé au moment de la négociation de cet accord. En particulier, les structures rassemblent davantage de professions de santé et accueillent davantage de patients que ce que nous avions anticipé il y a un an. Il y a donc une dynamique qui se poursuit.

Nous souhaitons l’accélérer. La seule vérité sera celle des chiffres des deux ou trois prochaines années. Du réseau de l’assurance maladie, nous recevons des retours positifs : un certain nombre de médecins et d’équipes de soins primaires s’intéresseraient à ce dispositif. Il ne sera pas, évidemment, la seule réponse, mais il en constitue certainement une, très importante et très structurante.

Pour augmenter la capacité de réponse à la demande médicale, je pense en effet que le vrai levier est de travailler sur l’organisation des soins et l’optimisation de la ressource médicale existante.

Je pense notamment aux communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), car tout le monde ne souhaitera pas constituer une société interprofessionnelle de soins ambulatoires (SISA) et s’associer. Il s’agit ainsi de prendre les ressources médicales qui existent et de faire en sorte que le médecin passe prioritairement son temps à soigner, que son temps médical « se libère », parce qu’on dégage plus de temps pour le soin. Cette délégation de certaines tâches à d’autres professions de santé, dans un cadre juridique et financier équilibré, me paraît être une réponse pragmatique.

M. le président Alexandre Freschi. Quels seraient les freins à la mise en place de dispositifs comme celui-ci ?

M. Nicolas Revel. Du fait du poids de l’histoire et des habitudes, les professions de santé privilégient un exercice libéral. Certes, il peut y avoir des regroupements : des cabinets comptent aujourd’hui deux ou trois médecins, voire davantage ; des regroupements de cabinets infirmiers ou de kinésithérapie existent aussi. Mais il n’y a pas, aujourd’hui en France, d’appétence forte pour des structures d’exercice plus collectives. Ce n’est pas le modèle dans lequel chaque profession se projette.

S’il y a des maisons de santé, il y en a moins qu’il n’en faudrait. Nous sommes très loin du modèle qu’on peut observer dans d’autres pays autour de nous, où des structures de soins primaires atteignent d’emblée une taille critique.

M. le président Alexandre Freschi. Qu’est ce qui permettrait ce changement de paradigme par rapport à ce que vous décrivez ? Qu’est ce qui permettrait de surmonter ces difficultés à travailler ensemble et à se coordonner ?

M. Nicolas Revel. C’est en effet la question décisive, celle de savoir quels sont les leviers qui pourraient, demain, conduire des professionnels à évoluer dans leur mode et leur méthode d’exercice.

Mme Nicole Trisse. Le premier frein, sont-ce vraiment les habitudes des médecins et leur façon d’exercer, ou bien est-ce autre chose ? Est-ce une mentalité à changer, ou faut-il plutôt chercher du côté administratif, opérer des changements dans le fonctionnement d’autres institutions ?

M. Nicolas Revel. Les jeunes générations privilégient très fortement le travail dans des équipes regroupées, si possible pluriprofessionnelles. Peu de jeunes médecins viennent s’installer de manière isolée. Quand on en voit et qu’on les retrouve quelques années plus tard, on observe, d’ailleurs, que leur tâche est évidemment beaucoup plus difficile. Quand on examine le flux des installations, c’est cependant un phénomène minoritaire, du moins en médecine générale.

En revanche, l’essentiel des médecins en exercice aujourd’hui est en exercice depuis de nombreuses années, parfois vingt ans, parfois trente ans. Ils ont pris des habitudes, gèrent un cabinet qui tourne et ne manquent pas de travail. Leur dire qu’il est urgent de modifier leur cadre d’exercice pour déplacer leur cabinet et s’associer avec des professionnels qu’ils ne connaissent pas n’est pas nécessairement évident, quand on a des journées aussi chargées.

La vraie question est de savoir comment nous parvenons, dans les prochaines années, à envoyer des signaux, économiques et autres, suffisamment forts pour que les lignes bougent. Je ne crois pas, là encore, à une forme de menace. J’ai parfois entendu des propositions de déconventionnement de tous ceux qui ne seraient pas en mode d’exercice coordonné d’ici quelques années. Je ne crois pas à un déconventionnement de qui que ce soit, compte tenu de l’importance de l’enjeu des médecins dans les territoires.

En revanche, je crois qu’il est très important que les pouvoirs publics, l’assurance maladie et la stratégie nationale de santé portée par le Gouvernement soient extrêmement clairs sur la ligne à atteindre, mais aussi que le travail soit réalisé avec les syndicats médicaux et avec les unions régionales des professionnels de santé (URPS). Car ce sont eux aussi qui seront, autant que les ARS et l’assurance maladie, les vrais ambassadeurs de ce nouveau mode d’exercice. À l’appui de quoi, il faudra au demeurant mettre en place les aides financières nécessaires.

M. Jean-Carles Grelier. Je partage votre analyse. La prise en charge de la maternité a été revalorisée ces dernières années, mais elle reste aujourd’hui notoirement insuffisante au regard du montant des revenus d’un médecin. Quant à la prise en charge de la maladie, le délai de carence est très largement supérieur à ce qui se pratique partout ailleurs. Ne pensez-vous pas qu’il faudrait, de ce point de vue, rapprocher autant qu’il est possible le mode d’exercice libéral du statut salarié, de façon à faciliter l’installation en libéral ?

S’agissant du DMP, qui va se déployer dans les prochains mois, le Président de la République parlait hier de l’importance de la prévention. Je me réjouis qu’elle devienne enfin une priorité de santé publique. Est-ce que vous pensez que, dans le DMP, on pourrait intégrer un parcours de prévention permettant aux médecins de protection maternelle et infantile (PMI) de communiquer avec le médecin scolaire, avec les médecins du travail, avec le médecin généraliste et, éventuellement, avec d’autres praticiens ?

Ma troisième question portera sur l’organisation territoriale. Vous avez dit à juste titre, monsieur le directeur général, qu’il fallait favoriser la coordination, dans les territoires, entre les médecins et les autres professionnels de santé. Mais on sait aussi que la permanence des soins ne serait alors pas toujours assurée, ou systématiquement assurée, par les médecins. Or, aujourd’hui, une infirmière qui travaille à toute heure du jour et de la nuit n’est pas rémunérée sur des périodes de temps de garde. Est-ce qu’il peut être possible d’imaginer que, demain, d’autres professionnels de santé que les médecins puissent être rémunérés au titre des gardes qu’il pourrait effectuer dans le cadre de la permanence des soins ?

M. Christophe Lejeune. Vous avez évoqué les aides à l’installation. Le retour est visiblement mitigé si on examine l’apport que la société peut en tirer. Vous êtes par ailleurs très méfiant et très inquiet au sujet des mesures coercitives, point de vue que je partage.

En revanche, je pense qu’un médecin, dans son cycle d’études, devrait avoir comme passage obligé un stage dans le cabinet d’un médecin exerçant en libéral. Il y aurait à cela deux bénéfices : la découverte de l’exercice libéral de la profession et la découverte d’un territoire, base d’un possible choix de vie. Je pense que les médecins en place doivent aussi être incités à former un confrère. De quelle manière pourrait-on les accompagner ?

M. Jean-Paul Dufrègne. On parle beaucoup des jeunes médecins, on parle de mesures coercitives, on parle de l’attractivité des zones concentrées des grandes agglomérations… Mais est-ce que vous explorez les possibilités d’aller plutôt vers une sensibilisation des médecins qui exercent déjà depuis plusieurs années ? On peut en effet s’installer dans une grande agglomération, puis, quand on a un peu plus d’âge et que les enfants sont partis, avoir peut-être envie de recommencer une forme de vie. Comment travaillez-vous là-dessus ?

La question de la prévention vient aussi d’être abordée. En ce domaine, est-ce que vous vous intéressez à la médecine thermale ?

M. Nicolas Revel. Vous avez évoqué la question des revenus de substitution pendant la maternité. Vous savez que nous avons évolué sur ce sujet, puisque, maintenant, depuis un avenant conclu il y a un, il existe une aide conventionnelle d’un peu plus de 3 000 euros par mois pendant trois mois, qui s’ajoute aux éléments de revenus déjà prévus par le régime de prestations versées aux médecins libéraux. C’est un élément nouveau significatif qui apporte, je crois, une réponse forte.

S’agissant en revanche des arrêts de maladie, il y a, en effet, un délai de carence de 90 jours. Le sujet a été évoqué dans nos négociations de 2016. Mais nous avons buté sur le fait que la convention n’a pas la possibilité juridique de modifier ces règles, car elles relèvent de la loi. Ce délai de carence devrait être ramené à une durée moindre, et la contribution des médecins s’ajuster en conséquence, pour équilibrer le régime. Le cas échéant, il faudrait prévoir aussi une prise en charge des cotisations pour les médecins en secteur 1 ou pour ceux qui, étant en secteur 2, ont souscrit à l’option tarifaire maîtrisée. Pour le reste, nous ne prenons pas en charge les cotisations maladie des médecins du secteur 2. Aujourd’hui, d’ailleurs, ces médecins ont cependant la possibilité de souscrire des contrats de prévoyance supplémentaire.

Le DMP pourra-t-il contenir des éléments permettant d’organiser un parcours de prévention ? Il serait évidemment utile que le DMP rassemble toutes les informations à la fois, y compris celles qui pourraient relever de la prévention, de même qu’il serait utile qu’il puisse être « accessible » à tous les professionnels que le patient consulte, rencontre ou contacte.

Je pense que le DMP a vocation à être un instrument très puissant de rassemblement de l’information. Il faut évidemment essayer de faire en sorte que cette information soit la plus structurée et la plus synthétique possible, pour éviter qu’il ne devienne une immense bibliothèque où les médecins perdent beaucoup de temps à rechercher et trouver l’information utile. Mais le DMP ne sera pas forcément le seul outil de coordination entre des professionnels qui auront probablement, demain, aussi vocation à se doter de systèmes plus enrichis, en termes de coordination, sur des territoires donnés.

En revanche, le DMP apportera une vraie fonction de partage de l’information, puisqu’il couvrira toute la population et, potentiellement, l’ensemble de la consommation de soins, d’où qu’elle vienne. Ce DMP accessible en tout point du territoire par tous les professionnels de santé formera comme une sous-couche ou une méta-couche permettant d’enrichir des systèmes d’information plus localisés et plus thématisés ayant eux vocation à se développer demain.

Quant à l’organisation territoriale et à la question de savoir comment on rémunère la garde éventuellement prise en charge par d’autres professionnels de santé que les médecins, une permanence des soins est déjà intégrée dans le fonctionnement même des cabinets infirmiers, dont les membres se relaient sur la semaine et le week-end. Donc, à ce stade, je suis réservé sur le fait de devoir rémunérer cette notion de permanence, aujourd’hui déjà assurée par un partage du temps qui s’opère relativement bien.

D’ailleurs, en ce moment, je négocie avec les syndicats infirmiers et cette demande ne m’est pas exprimée. Une permanence a été instituée pour les chirurgiens dentistes. Mais, aujourd’hui, je ne sens pas de demande qui s’exprime fortement de la part d’autres professions.

Sur les aides à l’installation, dont vous dites qu’elles ne produisent pas l’effet escompté, elles n’ont certes pas d’effet décisif, mais personne n’a jamais pensé non plus que ce pourrait être le cas. Elles représentent un budget somme toute raisonnable. Le dispositif dont nous sommes partis en 2016 coûtait 30 millions d’euros par an, à comparer aux 23 milliards d’euros que représentent les honoraires. Quand on retire de ces 30 millions d’euros ce qui était dédié aux médecins déjà installés, et qu’on isole la partie ciblée sur les jeunes qui s’installent, on arrive à 10 millions d’euros par an.En tout état de cause, j’assume complètement le fait qu’à un moment donné, un jeune médecin qui décide de s’installer dans un territoire sur lequel les besoins de santé sont avérés puisse recevoir une aide à son installation. Je ne vois pas où est la difficulté à proposer ce type de dispositif.

M. le président Alexandre Freschi. Mais, si vous n’êtes pas en mesure de montrer que c’est efficace, comment pouvez-vous maintenir ces aides ? Je ne comprends pas que vous puissiez agir ainsi si vous ne savez pas si elles sont efficaces ou non.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Pour compléter ce que dit notre président, j’en viens à l’avenant de la convention médicale de 2007, qui prévoyait une majoration de 20 % des honoraires des généralistes libéraux exerçant dans des zones sous-dotées. Le coût s’élevait à 20 millions d’euros pour 773 bénéficiaires en 2010, selon la Cour des comptes, qui a aussi indiqué que l’apport net induit de médecins s’élevait à… 50 en trois ans !

Sur les options de la convention médicale de 2011 relatives à la démographie ainsi qu’à la santé territoriale et à l’aide à l’installation, je rappelle que 90 % des médecins bénéficiaires étaient des médecins déjà installés. Le montant moyen des aides versées aux nouveaux médecins était en outre inférieur à celui des aides versées aux médecins déjà installés.

M. Nicolas Revel. C’est pourquoi nous avons très fortement réduit, dans la négociation du nouvel accord de 2016, la partie du dispositif qui aidait les médecins déjà installés. Nous avons décidé de recentrer le dispositif sur l’aide à l’installation de nouveaux médecins dans ces zones. Les zonages ARS sont en train d’être réalisés, avec une extension du nombre de zones. Nous ferons le bilan de ce dispositif tout récent le moment venu, quand on aura suffisamment d’historique pour juger.

Mais je connais déjà des exemples très précis de médecins qui ont, en effet, entre plusieurs territoires d’installation possibles, privilégié un territoire éligible à cette aide, territoire parfois même placé en zone extrêmement sous-dense. Donc, en supprimant cette aide, on aura effectivement économisé 10 millions d’euros. Mais je ne suis pas sûr que, ce faisant, on aura fait avancer la cause de l’installation dans les zones sous-denses.

M. le président Alexandre Freschi. Dans un récent rapport, relatif aux dépenses de 2016, le montant était estimé à 46 millions d’euros.

M. Nicolas Revel. Il s’agit alors de l’ensemble des professions de santé, y compris des professions de santé pour lesquelles nous avons des dispositifs de régulation des zones surdotées. Or, quand on met en place des dispositifs de régulation interne sur des zones surdotées, nous mettons aussi en place des incitations pour les zones sous-dotées. C’est symétrique.

Pour ce qui est des médecins, nous avions trente millions d’euros sur ce dispositif, dont les deux tiers allaient aux médecins déjà installés, ce que j’ai modifié. Aujourd’hui, un médecin déjà installé va recevoir seulement un tiers de ce qu’il recevait précédemment. Nous allons ainsi concentrer l’aide sur les jeunes installés. Je pense que c’est un signal qu’il faut maintenir. Nous verrons, dans trois ou quatre ans, si ce signal a conduit ou non des médecins, non à choisir entre le centre de Toulouse et le fin fond du Lot, mais à opérer des choix de localisation sur un territoire donné : par exemple, dans un département, d’aller plutôt dans le canton ou dans les zones où les besoins en santé sont les plus forts.

Quand il y a sous-densité médicale, d’autres handicaps s’attachent aussi souvent au territoire concerné, qui manque parfois d’attractivité. Le fait de proposer une aide à l’installation peut donc avoir du sens. On peut décider de la supprimer, mais je pense que cela ne fera pas avancer la cause des déserts médicaux. La supprimer pour le seul motif qu’elle ne serait pas décisive serait aujourd’hui une erreur.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Confirmez-vous, monsieur le directeur général, qu’on va traverser dix années extrêmement difficiles ? Tous ceux qui sont passés avant vous sur ce fauteuil nous ont bien expliqué qu’en termes de démographie, le pire était devant nous. On ne saurait donc dire : « On verra bien dans trois ou quatre ans ce qui se passe ! »

S’agissant des ARS, je déplore que l’étude des zonages accuse un décalage de deux ans par rapport à la réalité. Comment la CNAMTS n’est-elle pas capable d’établir la meilleure cartographie, alors que, disposant par définition des feuilles d’assurance maladie, elle doit connaître la localisation des praticiens ?

Deuxièmement, vous avez dit qu’on verrait quelles sont les aides financières à mettre en place. Mais n’est-il pas destructeur de dire que, tant qu’on ne se sera pas rendu maître des leviers financiers, on n’arrivera pas à rétablir un exercice libéral de l’activité professionnelle ? Connaissez-vous, d’ailleurs, d’autres professions libérales pour lesquelles il y a des aides financières ? Je suis prêt à voir les contre-exemples.

Troisièmement, notre collègue a posé une très bonne question sur la prévention. Mais je pense qu’il faut une personne sur qui faire reposer l’organisation de la prévention, une tête de pont percevant une rémunération pour appliquer le schéma de prévention. Que se passe-t-il en effet si vous ne faites pas de médiation ? Prenons l’exemple de ma petite ville de Châteaudun, qui est en train de perdre son centre de médecine du travail. Comment les salariés vont-ils aller à Chartres ? Les deux villes ne sont pas reliées par le train. Nous avons besoin, me semble-t-il, d’un plan extrêmement ambitieux.

Mme Nicole Trisse. Vous parlez, monsieur le directeur général, d’aide aux installations pour les jeunes médecins. Mais, tout au début, en préambule, vous disiez que presque toutes les zones sont sous-dotées. Cela signifierait qu’il devrait y avoir une aide à l’installation massive pour tous les médecins qui vont sortir des études et qui veulent bien être généralistes libéraux, quelle que soit leur zone d’exercice. Mais est-ce bien le nœud du problème ?

Je reviens toujours à la question des mentalités, sur les possibles délégations de tâches, sur la coordination et sur la prévention. Qui va effectivement se charger de ces sujets ? J’ai l’impression qu’on pose des rustines financières qui nous laisseront sans solution dans trois, quatre ou cinq ans, quand on sera vraiment au creux de la vague.

Est-ce que vous croyez vraiment que le médecin qui sort d’une faculté de médecine et qui sait que tout le monde l’attend à bras ouverts, quel que soit le secteur où il va aller, sera sensible à l’aide financière que vous allez lui apporter et que celle-ci va changer la donne ? Il y a peut-être d’autres solutions à envisager avec les syndicats de médecins et avec les professionnels de santé, pour arriver à des solutions gagnant-gagnant pour tout le monde, et surtout pour la société.

M. Nicolas Revel. Je vous ai dit que j’avais hérité d’un dispositif qui avait été en quelque sorte détourné, puisqu’on rémunérait davantage les médecins déjà installés que les nouveaux arrivants. C’est pourquoi, si nous avons maintenu ce dispositif, nous l’avons recentré sur les nouveaux installés. Je pense que le supprimer purement et simplement n’aurait pas été compris. Et ce ne sont pas les dix ou quinze millions d’euros que cela coûte qui constituent l’enjeu de notre affaire.

Lorsque je vous ai présenté tout à l’heure les quatre leviers d’action à notre disposition, je n’y ai pas inclus les aides à l’installation. Au nombre des quatre leviers, il y a en revanche les stages, qui sont évidemment un élément très important. La convention de 2016, pour la première fois, a d’ailleurs introduit une rémunération du maître de stage.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Seriez-vous prêt à la revaloriser ? Certes, une aide financière ne relève pas normalement de vos missions…

M. Nicolas Revel. Si, bien sûr. Nous fixons les rémunérations des médecins conventionnés : nous pouvons les rémunérer pour leur acte, pour leur système d’information, pour leurs murs, pour leur installation, pour leur équipement, pour la protection sociale… Nous fixons ainsi le cadre financier de l’exercice économique des médecins conventionnés. C’est au cœur de nos missions.

M. Philippe Vigier, rapporteur. La rémunération du maître de stage pourrait donc entrer dans le champ. Fin 2014, 90 % des aides à l’installation allaient bien à des médecins déjà installés…

M. Nicolas Revel. Dans l’accord de 2016, j’ai modifié ce dispositif pour faire que ce ne soit justement plus le cas : on a réduit drastiquement les aides aux médecins déjà installés, vu qu’il y avait un effet d’aubaine n’ayant pas lieu d’être. En revanche, j’ai maintenu le dispositif en le concentrant sur les médecins qui décident de s’installer dans une zone sous-dense.

Car, si toutes les zones sont en tension, il y en a qui sont, aujourd’hui, objectivement plus en tension que d’autres. L’autre solution était de supprimer purement et simplement les aides existantes.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Mais on ne vous a pas dit de les supprimer. Il s’agit d’en mesurer l’effectivité.

Comment fait-on pour que les choses aillent mieux alors qu’elles s’aggravent ? Il y a l’outil de formation. Je propose depuis longtemps des stages dans le cadre de l’internat. Nous avons vu le président de la conférence des doyens sur ce sujet. Pour les maîtres de stage, comment peut-on les rémunérer un peu plus qu’on ne le fait ? Dans l’artisanat, une petite rémunération est donnée aux maîtres de stage.

M. Nicolas Revel. Aujourd’hui, on a aujourd’hui une rémunération des maîtres de stage qui est versée par les facultés de médecine. Cette aide n’est pas énorme. Donc, en 2016, alors que ce n’est pas notre rôle, nous avons décidé de mieux rémunérer les maîtres de stage, grâce à une majoration de 50 % de l’indemnité de stage versée aux médecins libéraux qui accueillent des internes et des externes en stage en ville.

Peut-être faudrait-il aller jusqu’à la multiplier par deux, trois ou quatre, en considérant que l’assurance maladie doit se substituer aux facultés de médecine et que c’est à nous d’apporter l’essentiel de la rémunération des maîtres de stage. Je crois d’ailleurs aussi qu’il faudrait réfléchir à la rémunération des internes eux-mêmes, sujet qui nous échappe aujourd’hui, puisqu’ils ne sont pas conventionnés.

L’élément-clé à suivre dans les prochaines années, ce ne sont pas les aides à l’installation, mais le soutien financier puissant que nous devrons apporter aux médecins et autres professionnels de santé qui décident de travailler différemment. Mettre en place des aides financières ne suffira pas. Pour qu’ils se saisissent des nouvelles opportunités, il va falloir qu’il y ait une forme de mobilisation collective, institutionnelle et professionnelle, nationale et territoriale, pour que, dans les deux ou trois années qui viennent, les pratiques et les organisations évoluent. Si elles ne le font pas, nous serons devant un échec majeur. Mais les ingrédients de cette approche ne sont pas si simples à assembler. Il ne suffira pas, ni d’écrire des rapports ni de signer des conventions nationales à la CNAMTS.

Quand il s’agit d’amener des médecins ou des professionnels qui ont un exercice lourd à des réunions, le soir, où on leur explique qu’il faut qu’ils travaillent différemment en s’associant à d’autres, en se coordonnant, en investissant sur des fonctions administratives de coordination des outils informatiques, c’est-à-dire en faisant plus que ce qu’ils font déjà, ce n’est pas la perspective d’une superbe aide financière qui sera nécessairement déterminante.

Il va plutôt falloir, à un moment donné, trouver le cadre de responsabilité qu’il appartiendra aux pouvoirs publics, mais aussi aux syndicats professionnels, de porter, pour que quelque chose se passe, qui prenne la forme d’une sorte d’électrochoc.

Vous savez, que des annonces seront faites par le président de la République dans les prochaines semaines ; elles ne porteront pas que sur l’hôpital, si je comprends bien. Car la question de l’hôpital et la question de l’organisation des soins de ville sont totalement connectées. Je m’attends donc à des initiatives fortes qui interviendront prochainement.

M. Cyrille Isaac-Sibille. On peut faire le constat que la médecine libérale n’attire plus. Il y a actuellement plus de médecins salariés que de médecins libéraux. Or, moins il y aura de médecins libéraux, plus les territoires sensibles connaîtront de difficultés. Comment faire, dès lors, pour que les médecins s’installent en libéral ?

Je ne crois pas que ce soit un problème de rémunération. Il faut plutôt rendre du temps médical au médecin. Actuellement, les médecins sont surchargés par des tâches administratives, par l’informatique… J’étais encore médecin il y a peu et je recevais tous les jours, ou presque, des papiers de la sécurité sociale dont je ne comprenais même pas le sens ; la plupart du temps, il s’agissait de remboursements. Je n’y répondais même pas et les mettais dans un tiroir. Je n’avais pas le temps, car mon boulot, ce n’était pas de remplir des papiers, mais de soigner des personnes. Comment faire pour rendre la médecine libérale plus attractive et qu’est-ce que vous avez imaginé pour y contribuer ?

Mme Jacqueline Dubois. Je vais prendre l’exemple de la petite ville de Sarlat, qui compte 9 000 habitants. Depuis longtemps, les médecins s’y sont organisés en centres de santé, assistés ou non de secrétariats. Pensez-vous que la transmission de ces cabinets soit plus facile ?

Mon autre question concerne la télémédecine. N’y aura-t-il pas de risque de surconsommation, quand elle va se répandre ? Comment vont être décidés les tarifs des consultations et les remboursements ?

S’agissant du DMP, offrira-t-il aussi le moyen d’envoyer au pharmacien une ordonnance qui sera directement lisible ? Actuellement, on recourt souvent au fax, ce qui peut poser des problèmes de discrétion.

M. Nicolas Revel. S’agissant de la sensibilisation de médecins qui sont déjà en exercice, et dont on pense qu’ils pourraient peut-être envisager de changer leur lieu d’exercice, nous n’avons pas de schémas déjà définis, mais nous souhaitons proposer, là aussi, une incitation financière, qui cible plutôt des médecins spécialistes – je vous ai dit qu’ils étaient de plus en plus nombreux à s’installer dans des zones urbaines.

Nous proposerions une revalorisation de 25 % de leurs actes et consultations quand ils vont exercer dans une zone sous-dense. Je ne crois guère que nous arriverons à dissuader des spécialistes de s’installer dans des zones globalement bien pourvues et à les persuader de venir plutôt, avec leurs familles, dans des zones qui ne le sont pas. Je pense, en revanche, qu’il peut être tout à fait rationnel et intéressant de leur proposer des consultations avancées, une fois par mois, notamment dans des maisons et pôles de santé qui peuvent les accueillir.

Sur l’attractivité de la médecine libérale, il est vrai qu’en termes relatifs nous connaissons une stagnation du nombre de médecins libéraux. Leur nombre ne diminue pas, mais la médecine salariée augmente. En termes relatifs, il y a donc, évidemment, un décrochage. Mais nous n’avons pas moins de médecins libéraux aujourd’hui qu’il y a cinq ans, seulement une baisse des médecins généralistes et une légère hausse des médecins spécialistes.

À quoi tient cette attractivité du mode salarié ? À l’absence de l’insécurité personnelle liée à l’exercice libéral. Deux points sont à prendre en considération. D’abord, quand on est médecin salarié, on se concentre sur sa vocation médicale ; on n’a pas à gérer la complexité globale de l’exercice professionnel dans toutes ses dimensions. Ensuite – et cela compte beaucoup pour les jeunes – l’exercice dans des structures collectives est plus attractif que dans des cabinets médicaux qui sont encore souvent de petite taille.

L’assurance maladie est très consciente de ce que l’une de ses contributions est d’essayer de simplifier l’exercice quotidien de la profession de médecins. Concrètement, nous avons essayé d’identifier ce que pouvaient être des leviers de simplification. Il y en a deux. Comme vous l’avez parfaitement dit, monsieur Isaac-Sibille, le gros des courriers que vous recevez correspond aux « indus », c’est-à-dire aux cas où vous avez réalisé un tiers payant et où vous n’êtes pas rémunéré de l’acte que vous avez réalisé.

Dans le cadre de la réforme du tiers payant, nous avons modifié les choses très concrètement, pour tenter de réduire ou supprimer toutes les causes de rejet. Nous avons défini les deux principaux types de rejet qui ne devraient pas exister. Le premier était celui du patient hors parcours ; cela représentait 30 % des cas. Dans ce cas, nous ne payions pas le médecin pour l’acte ou la consultation qu’il avait effectué. Il y a un an et demi, ce motif de rejet a été supprimé.

Le deuxième motif de rejet que nous avons supprimé est celui relatif aux problèmes des droits de l’assuré : l’assuré a changé de caisse primaire ou de régime, ou bien il ne bénéficie plus – ou pas encore – de l’exonération du ticket modérateur… Quand il y avait un décalage entre la facturation des médecins et les droits, le rejet était automatique. Nous avons désormais introduit une règle selon laquelle le médecin facture sur la base de la carte Vitale et des droits lus sur cette carte, quand bien même ces droits ne sont plus à jour. Il n’y a plus de rejet pour ce motif, c’est à nous d’en faire notre affaire.

Que fait-on, par ailleurs, pour les gens qui n’ont pas leur carte Vitale ? Nous avons mis en place un système de vérification des droits en ligne, qui effectue la facturation sur la base des droits qui sont à jour dans nos bases. Pas moins de 50 % des médecins y recourent déjà. Cela réduit drastiquement le nombre des rejets, qui constituaient la pollution quotidienne dont vous me parliez.

Les affections de longue durée (ALD) constituent une autre source d’encombrement, notamment pour les généralistes. L’une de leurs charges administratives consiste à opérer régulièrement le renouvellement de ces ALD. Nous l’avons doublement simplifiée. D’une part, depuis un an, nous avons levé les contrôles a priori sur toute une série de pathologies pour lesquelles le taux d’avis favorables était déjà de 98 % ou 99 %. Après cette levée des contrôles, quelques mois ont passé et le nombre d’ALD a légèrement augmenté, mais nous connaissons maintenant exactement les mêmes chiffres qu’auparavant. C’est donc moins de travail pour les médecins, grâce à un téléservice désormais utilisé par les médecins dans 60 % des cas.

Deuxièmement, s’agissant des ALD pour lesquelles le renouvellement est automatique car ce sont des pathologies pour lesquelles il n’y a pas de guérison possible, nous déchargeons complètement le médecin de cette tâche. En revanche, nous lui demandons, pour les autres patients au sujet desquels la question doit être posée et tranchée, d’instruire la demande auprès de l’assurance maladie. Nous allons ainsi réduire de 70 % les formalités liées au renouvellement.

Depuis deux ans, nous avons donc fourni des réponses reconnues et saluées par les médecins libéraux, avec lequel je suis en dialogue permanent.

Est-ce que les centres de santé ou les structures collectives d’exercice sont des structures plus attractives que l’exercice libéral classique isolé ? La réponse est oui, puisque, quand on regarde ce que sont les choix d’exercice des jeunes générations, on constate qu’elles privilégient – plébiscitent même – des formes d’exercice de ce type, qu’elles soient salariées ou libérales, dans des maisons, pôles de santé ou centres de santé.

Par définition, quand on est dans ce type de structure et qu’arrive le départ à la retraite d’un des médecins, il y a de plus fortes chances d’attirer un jeune médecin qu’il n’y en a pour un médecin travaillant seul dans un cabinet situé dans une zone où il y a beaucoup de pression.

S’agissant de la télémédecine, nous avons introduit deux axes dans le droit commun des actes médicaux, à savoir la téléconsultation et la téléexpertise. Nous avons laissé dans le champ expérimental la télésurveillance des patients, car c’est un objet plus difficile à cerner. Je ne crois pas que la téléconsultation sera inflationniste ; une téléconsultation requiert en effet du médecin le même temps médical qu’une consultation « présentielle ». Le temps médical étant contraint, je ne crois pas que, parce qu’on bascule des consultations présentielles vers des téléconsultations, il y aura plus de consultations.

J’espère d’ailleurs que les téléconsultations vont se développer. Nous ferons en sorte que le dispositif puisse intégrer d’autres professions que le médecin. Après avoir signé un accord avec les médecins, nous voulons signer des accords avec les infirmières, avec les pharmaciens et avec d’autres professions. On voit bien l’intérêt d’avoir une télé consultations pour un patient ou une patiente à domicile qui est en perte d’autonomie et qui ne peut plus aller au cabinet médical.

Le médecin n’a pas forcément le temps de venir en visite ; l’infirmière qui passe tous les jours pourrait déclencher une consultation qui ne serait peut-être pas intervenue aussi rapidement, mais qui est médicalement très utile.

Les téléexpertises ne jouent pas, quant à elles, sur l’espace, c’est-à-dire sur le temps de transport et la difficulté d’aller vers le médecin. Dans la téléexpertise, il n’y a en effet pas de patients présents : un médecin requiert l’expertise, par messagerie sécurisée, d’un autre médecin, à partir d’éléments cliniques documentés, pour obtenir un retour, souvent de second recours, sur une situation clinique complexe. Notre dessein est d’accélérer le temps de la réponse médicale, là où aujourd’hui il faut aller en consultation, puisque seules les consultations sont rémunérées. Demain, une telle expertise serait rémunérée, intervenant beaucoup plus rapidement que n’interviendrait une consultation en bonne et due forme.

Nous devons évidemment régler la question des prescriptions, que ce soit dans le cas de la télémédecine ou de manière générale. La plupart des pays autour de nous se sont dotés d’un dispositif de prescription électronique et dématérialisé. La France, de ce point de vue, est en retard. Je viens de lancer, dans trois territoires, une expérimentation portant sur une prescription électronique et dématérialisée entre médecins et pharmaciens. Je suis en pleine discussion avec les syndicats nationaux sur une possible extension de ce dispositif et j’envisage de passer à une généralisation dans les trois ans. Cela suscite des questions et des craintes auxquelles nous sommes en train de répondre, mais je pense que ce sera évidemment totalement nécessaire si on veut avancer.

Mme Monica Michel. Malgré les aides dont nous parlons ici, on se rend bien compte que, malgré tout, il y a des zones où il n’y a pas de médecin, ou dans lesquelles les médecins prêts à partir à la retraite ne trouvent pas de remplaçant. Voilà la situation dans les zones sous-denses, comme vous les appelez. Le refléchage des aides dont vous avez parlé est-il trop récent pour se prêter à évaluation aujourd’hui ?

D’autre part, existe-t-il une aide pour les étudiants qui accepteraient d’aller pratiquer dans ces zones déficitaires ? Que prévoyez-vous, dans ce cas, pour les maîtres de stage qui assureraient le relais avec les jeunes étudiants ?

M. Vincent Rolland. Pour pratiquer la médecine, y compris en zone rurale, nous avons besoin d’infirmières. Peut-on évoquer leur cas ici ce matin ? Elles créent souvent un lien social important, puisque ce sont elles qui passent dans les familles, accompagnent les malades qui en ont besoin et leur prodiguent les soins. Or ces soins, pour peu qu’ils soient répétitifs, sont rémunérés à des niveaux que je qualifierais d’extrêmement faibles.

De surcroît, votre organisme semble assez pointilleux s’agissant de leurs indemnités kilométriques. Il y a un risque que ces infirmières, notamment en zone de montagne, renoncent progressivement à aller chez les patients faute d’une rémunération correcte. Elles ne demandent pas d’aide à l’installation ou d’autres subventions ou aides financières, mais attendent tout simplement d’être rémunérées à un juste niveau, et notamment au regard du service qu’elles apportent en matière de santé et de lien social. J’insiste aussi sur cet aspect-là.

M. le président Alexandre Freschi. En zone urbaine, cela pose aussi des difficultés, en termes de stationnement, vu le coût du parking.

Mme Jacqueline Dubois. J’ai été interpellée par une ancienne infirmière, qui m’a posé la question de savoir si la profession d’aide-soignante libérale était à l’étude. Il pourrait être très utile, dans nos zones rurales, que les infirmières puissent salarier une aide-soignante. Est-ce que ces possibilités sont d’actualité ?

M. Nicolas Revel. Encore une fois, je ne vous ai pas dit aujourd’hui que je misais prioritairement, dans les leviers stratégiques, sur les aides à l’installation. J’ai seulement souhaité maintenir cet élément, parce qu’il existe déjà, mais en le recentrant sur ce qui nous paraissait être le cœur du sujet. Pour le reste, ce n’est pas là-dessus que les choses vont se jouer, mais sur les conditions d’organisation des soins et des conditions d’exercice.

Par ailleurs, il existe un dispositif qui n’est pas du ressort de l’assurance maladie et qui permet de contractualiser avec des étudiants en médecine, en finançant une partie de leurs études, en contrepartie de quoi ils s’engagent à exercer dans des zones déficitaires pendant un certain nombre d’années. C’est le contrat d’engagement de service public (CESP). Il n’a fonctionné que modérément, mais tous les différents outils doivent pouvoir être mobilisés, même si aucun n’est en lui-même décisif.

S’agissant du maître de stage, sa rémunération de droit commun relève de la faculté qui l’indemnise du temps qu’il consacre à cette activité. Nous y avons rajouté une couche d’aide supplémentaire, conventionnelle. Je suis convaincu que nous devrions certainement aller plus loin sur les stages, parce que, de la même manière que les internes occupent une fonction soignante très importante dans les établissements de santé, on pourrait tout à fait imaginer qu’ils occupent aussi une fonction soignante en médecine de ville. Il faut le favoriser davantage.

S’agissant des infirmières, je partage tout à fait ce que vous avez dit quant à leur rôle. Leur profession est aujourd’hui la profession du domicile. Ce sont elles qui suivent les patients ayant des problèmes de déplacement et de perte d’autonomie.

J’en viens aux indemnités kilométriques dont vous avez parlé. Les infirmières ont une rémunération qui est liée à leurs actes, mais aussi à leur déplacement. S’agissant de leurs indemnités de déplacement, 90 % d’entre elles sont, non pas kilométriques, mais forfaitaires, ce qui ne donne lieu à aucune difficulté. En revanche, dans les zones de montagne, nous sommes bien confrontés à un problème d’indemnités kilométriques, car nous y observons une pratique non conforme à la réglementation : des infirmières, par exemple, qui font une tournée pendant la journée et qui nous facturent chaque visite à domicile en comptant un trajet aller-retour entre le domicile de chaque patient et leur cabinet, comme si elles y revenaient entre chaque visite.

Il faut donc que nous sachions identifier les infirmières dont le volume d’honoraires est presque davantage lié à ce système de facturation en étoile qu’à leurs actes. Il y a évidemment un détournement, d’autant qu’une jurisprudence a conforté notre lecture de la nomenclature. Nous avons voulu reprendre le sujet avec les syndicats. Nous sommes en train, aujourd’hui, de négocier – des discussions vont avoir lieu encore cet après-midi – avec les syndicats nationaux d’infirmières, sur toute une série de sujets, dont celui-là. Si ce système de facturation en étoile s’est développé, cela renvoie sans doute à la spécificité de l’exercice en montagne, avec des temps de trajets plus longs d’un point à un autre. Nous sommes donc en train de réfléchir à un plafonnement : à la journée, il ne serait plus possible de nous facturer plus d’un certain quantum – 200, 250 ou 300 kilomètres – au titre du déplacement. Nous cherchons donc une solution qui maintiendra le système, mais plafonnera son emploi, pour éviter les pratiques qui nous apparaîtraient complètement déviantes.

Quant à la notion d’aide-soignante libérale, on voit bien aujourd’hui que la structure des honoraires des infirmières est très liée aux actes médico-infirmiers (AIS), c’est-à-dire non des actes techniques, mais plutôt des soins de nursing pour des personnes âgées. C’est un état de fait. Je n’ai pas connaissance, aujourd’hui, d’une quelconque réflexion qui consisterait à ce que l’on crée une profession d’aides-soignantes exerçant à titre libéral.

Mme Jacqueline Dubois. Cela pourrait être attractif, donc, dans les territoires ruraux, pour l’accompagnement des personnes âgées. Il y a des structures qui salarient des aides-soignantes, mais peut-être leur donner la possibilité d’exercer à leur compte permettrait‑il d’étendre le champ des accompagnements possibles.

M. Nicolas Revel. Le métier d’aide-soignant s’exerce de manière salariée. Je sais que certaines structures infirmières salarient des aides-soignantes et que certains syndicats infirmiers réfléchissent à ces sujets. Mais, à ce stade, je n’ai pas de projet de créer une profession libérale conventionnelle des aides-soignantes.

M. Cyrille Isaac-Sibille. Je pense que l’exercice libéral incite à multiplier les actes, alors qu’à l’hôpital on voit, à mon avis, les patients de manière plus confortable. Tout cela est lié à la rémunération à l’acte. Quand on songe que la rémunération du généraliste est fixée à 25 euros, il y a quand même un vrai problème.

J’ai vu récemment qu’une mutuelle avait contractualisé, avec un syndicat, une visite de prévention à 125 euros, pouvant éventuellement durer trois quarts d’heure, dans une démarche de médecine de qualité. Une telle remise à niveau des honoraires ne pourrait-elle être une solution pour valoriser la médecine libérale ?

M. Nicolas Revel. Dans la convention que nous avons signée en août 2016, il est prévu de revaloriser globalement les honoraires des médecins de 1,3 milliard d’euros. Nous sommes par ailleurs comptables de la soutenabilité du système d’assurance maladie…

M. Cyrille Isaac-Sibille. Je vous repose la question. À votre avis, combien un médecin devrait facturer par heure ? Je ne dis pas par consultation, mais par heure ; nous ferons la division ensuite.

M. Nicolas Revel. Je connais les revenus professionnels des médecins, dans toutes les spécialités. On peut les prendre et les rapporter au nombre d’heures… Le revenu moyen d’un généraliste s’élève à plus de 83 000 euros. Pour les spécialistes, la dispersion est plus forte. La solution est-elle d’investir massivement dans la revalorisation des actes ? Non, à mon sens.

J’ai vu cette visite de prévention financée par un assureur complémentaire privé. Il sait pouvoir la financer à ce niveau, parce qu’il sait qu’elle ne concernera pour lui qu’un nombre très réduit de patients. Et je ne sais pas si cette visite durera trois quarts d’heure ou non, car personne ne chronomètre les consultations dans les cabinets médicaux.

M. Cyrille Isaac-Sibille. Je vous pose donc la question directement : quelle est la moyenne de malades vus par un généraliste chaque jour ?

M. Nicolas Revel. Entre 20 et 30. Oui, une trentaine de consultations par jour.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Vous nous dites que la revalorisation ne sert à rien ?

M. Nicolas Revel. Je ne voudrais pas que mon propos, qui est retransmis, soit mal interprété. Nous avons, en 2016, procédé à des revalorisations importantes des actes et des consultations médicales : 1,3 milliard d’euros. Ce n’est pas rien, et cela montre que nous avons souhaité investir fortement sur l’exercice libéral, en assumant une priorité en faveur des médecins généralistes.

Pourquoi vous dis-je aujourd’hui que la priorité, en termes d’investissements, ne me paraît pas être la valeur des actes ? Parce qu’il me paraît plus essentiel d’investir dans l’organisation et dans la structuration des soins, c’est-à-dire dans les moyens donnés directement aux médecins qui veulent exercer de manière mieux coordonnée.

Il faut investir directement dans l’appui administratif, dans des outils et des ressources humaines permettant que des maisons et des pôles de santé se créent, de sorte que les CPTS soient non seulement une organisation informelle de médecins, mais apportent aussi des appuis administratifs, des ressources et des outils informatiques. C’est ainsi que l’exercice coordonné va se construire. En augmentant demain les rémunérations de chacun des médecins libéraux, je ne suis pas certain que nous les conduirions directement à décider d’investir ce supplément de rémunération dans des outils partagés avec leurs confrères. Mieux vaut directement rémunérer ce qui constitue le levier décisif d’un exercice coordonné.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Vous venez de dire : « je suis pas certain ». C’est déjà différent de votre réponse de tout à l’heure. Une maison de santé pluridisciplinaire (MSP) n’est pas payée par les médecins, mais, dans 95 % des cas, par la puissance publique. Elle offre aux médecins des conditions économiques extraordinaires, ce qui constitue une aide indirecte – que nous ne remettons d’ailleurs pas en cause. Mais nous voudrions voir comment on peut améliorer les choses.

Sur la télémédecine, est-ce que vous imaginez un dispositif où c’est un médecin qui s’occupe de tout ? Ou êtes-vous prêt à ce que des infirmiers et infirmières, jouissant d’une compétence particulière, puissent faire de l’orientation ?

Actuellement, vous êtes en discussion avec les infirmiers sur l’avenant 6 de leur convention, et sur les dispositions relatives aux conseils de consultation et à la surveillance clinique. Pour que les actes du médecin soient possibles, il faut confier à des infirmiers, à des biologistes et à des pharmaciens un certain nombre d’actes. Seriez-vous prêt à évoluer sensiblement sur ce sujet ?

Je prendrai l’exemple de la surveillance d’un traitement anticoagulant. Est-il nécessaire d’aller chez le médecin tous les trois mois ? Certainement pas ! Pour la surveillance d’une hypertension, est-il nécessaire d’aller chez le médecin tous les trois mois ? Certainement pas non plus, sauf s’il y avait, évidemment, une augmentation très importante de la tension. Pour la surveillance d’un diabète, c’est exactement la même chose.

Êtes-vous prêt à foncer sur les délégations de tâches, mot certes un peu impropre pour les professionnels, ou du moins sur la répartition des tâches et la réorganisation des agents ? Vous êtes en effet contre la coercition, vous ne voulez pas non plus de régulation. Quant aux études médicales, nous savons que les décisions d’aujourd’hui n’apporteront des réponses que dans cinq ans ou dix ans, d’autant plus que les syndicats de jeunes internes nous demandent quatre années d’internat de médecine générale, et non plus trois à l’heure actuelle...

M. Nicolas Revel. Je cherche d’abord des solutions pragmatiques et efficaces. Je ne pense pas que ces solutions de type coercitif et de régulation contraignante produiront les résultats que vous en attendez dans les prochaines années. En effet, je pense qu’une des réponses sera d’optimiser le temps médical en recentrant le médecin sur son expertise propre. Car il existe des espaces de délégations de tâches et de compétences, termes à choisir évidemment minutieusement, selon celui que chacun privilégie.

Quant à elle, l’assurance maladie fixe les éléments de rémunération dans le cadre réglementaire applicable.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Il y a des obstacles législatifs, à l’heure actuelle, qui interdisent une téléconsultation avec une infirmière. En médecine du travail, ce sont pourtant des infirmières qui effectuent, grâce à la télémédecine, l’orientation vers des médecins et assurent le suivi des patients.

M. Nicolas Revel. C’est un peu différent. Aujourd’hui, une téléconsultation est une consultation médicale. Une telle consultation, dans le droit actuel, a lieu avec un médecin.

Demain, avec les infirmières de pratique avancée (IPA), vous aurez la possibilité que des médecins, dans le cadre de protocoles formalisés, délèguent à des infirmières un certain nombre de tâches, comme le suivi de patients chroniques. Dès que le cadre réglementaire aura été posé, nous le déclinerons dans le champ des rémunérations conventionnelles.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Vous avez dit tout à l’heure que vous étiez en discussion avec les syndicats de pharmaciens. Écarte-t-on toute idée de cabine de télémédecine dans les pharmacies ? Les maires ruraux nous disent être prêts à en installer dans les petits villages.

M. Nicolas Revel. Il pourra tout à fait y avoir une infirmière, aux côtés d’un patient, pour déclencher demain une consultation. Les infirmières en pratique avancée pourront également être parfois à l’autre bout d’une téléconsultation.

Quant aux officines de pharmacie, nous prévoyons de décliner le déploiement de la télémédecine, non seulement avec les infirmières, mais aussi avec les pharmaciens. Les pharmaciens et leurs syndicats nationaux savent que nous ouvrirons « à l’été », donc en juillet, en août ou en septembre, une négociation relative à un avenant qui portera sur divers autres sujets prévus. Évidemment, les officines peuvent être des lieux pertinents pour accueillir une cabine de télémédecine. Cela a un coût, par ailleurs. Il faut donc être certain de pouvoir les rentabiliser. S’il y a cependant des aides financières, tant mieux pour les pharmaciens.

Cela permettra à des patients atteints dans leur mobilité de ne se déplacer que jusqu’à la pharmacie, sans avoir à parcourir dix ou quinze kilomètres. De la télémédecine depuis les pharmacies ? Ma réponse est positive.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Enfin, une dernière question, pour moi, sur le DMP. C’est très important. On a parlé du volet prévention, mais je ne suis pas sûr d’avoir bien entendu la réponse. Le volet prévention pourrait-il, oui ou non, figurer dans le DMP ? Pour moi, le DMP doit couvrir le parcours de soins complet.

Est-ce que vous seriez prêt à autoriser l’accès à l’ensemble du dossier médical  par segment ? Hier, le président de la République évoquait fort justement la surconsommation en de nombreux domaines… Nous avons auditionné SOS Médecins : ils n’ont pas accès au DMP !

M. Nicolas Revel. Le jour où le DMP se sera développé, SOS Médecins arrivera chez un patient et accédera évidemment à son DMP. Le DMP est construit pour être accessible à tous les professionnels de santé,  mais un professionnel de santé n’a pas le droit d’aller consulter le DMP de n’importe quel patient qu’il ne suit ni ne connaît, par simple curiosité. En revanche, quand il a une relation de soins avec ce patient, il peut accéder au DMP, comme SOS Médecins le pourra également.

M. Jean-Paul Dufrègne. Le fait d’exercer dans certaines zones peut être parfois perçu comme dévalorisant, car ces zones sont peu attractives. Est-ce qu’on pourrait envisager, par exemple, la création d’un label « médecin de campagne », auquel on attacherait un certain nombre de particularités qui distinguerait les médecins qui en bénéficieraient des autres médecins ?

M. Nicolas Revel. Ce type de piste ne ressort pas directement du champ d’intervention de l’assurance maladie.

Si vous proposez de moins rémunérer des médecins en leur disant que ce n’est pas grave parce qu’on les appelle « médecin de campagne », c’est un sujet auquel on peut toujours réfléchir, mais je ne suis pas sûr d’avoir beaucoup de partenaires de jeu pour aller dans cette direction…

Néanmoins, nous sommes tous demandeurs, dans une certaine mesure, d’une valorisation non monétaire d’un certain nombre d’engagements professionnels. Il y a des pistes intéressantes, mais ce ne sont pas des objets que l’assurance maladie peut aborder facilement dans le champ des conventions négociées. Seul un syndicat pourrait faire aboutir un tel projet, qui reste cependant une belle idée.

 

 

 


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Audition de M. Denis Morin, président de la 6ème chambre

à la Cour des Comptes

Présidence de M. Alexandre Freschi, Président de la commission denquête

M. le président Alexandre Freschi. Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux avec l’audition de la Cour des comptes, représentée par le président de sa sixième chambre, M. Denis Morin, à qui je souhaite la bienvenue au nom de l’ensemble des membres de la commission.

Je vous informe que nous avons décidé de rendre publiques nos auditions. Par conséquent, celles-ci sont ouvertes à la presse. Elles sont diffusées en direct sur un canal de télévision interne et donnent lieu à une vidéo qui peut être consultée sur le site internet de l’Assemblée.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. C’est ce que je vous invite à faire avant de vous céder la parole.

(M. Denis Morin prête serment.)

M. Denis Morin, président de la sixième chambre de la Cour des comptes. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, ces dernières années, la Cour des comptes n’a pas consacré de rapport spécifique aux déserts médicaux, objet de votre commission d’enquête. Néanmoins, elle s’est exprimée sur les inégalités sociales et territoriales de santé. Elle a eu l’occasion de dresser des constats, connus et partagés, et de formuler des propositions à la fois dans le dernier rapport sur l’application de la loi de financement de la sécurité sociale de 2017 et dans le rapport sur l’avenir de l’assurance maladie, qui a été remis en novembre 2017, un mois avant que je ne prenne mes fonctions de président de la sixième chambre.

Je ferai donc, pour l’essentiel, référence à des travaux auxquels je n’ai pas été amené à participer mais vous pouvez me faire confiance pour préparer les prochains rapports qui alimenteront vos réflexions ainsi que celles de la commission des affaires sociales.

Pour ce qui est des constats, je dirai que notre système de santé connaît des inégalités sociales et territoriales fortes. Beaucoup de travaux le confirment, notamment ceux de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) et de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS). Les territoires du sud sont privilégiés par rapport à ceux du nord, les centres villes par rapport à la périphérie, les espaces urbains par rapport aux espaces ruraux. À l’échelle des bassins de vie, voire à une échelle plus fine encore, la carte de France fait apparaître une mosaïque qui reflète des inégalités de santé majeures.

Une fois ce constat posé, nous sommes face à deux possibilités.

La première consiste à miser, dans le cadre actuel de la médecine libérale, sur les incitations existantes en considérant qu’elles finiront par produire leurs effets – position qui inspire largement les travaux de la Cour.

La deuxième vise à passer à un registre plus énergique de régulation, notamment en reposant la question des conditions de la liberté d’installation des médecins, les autres professions de santé étant déjà soumises à des règles fortes, et à défendre l’idée d’un conventionnement sélectif.

Avant d’arriver à cette éventualité, qui soulève de multiples difficultés, notamment de mise en œuvre, il est préférable, selon la Cour, de laisser se déployer tous les instruments progressivement mis en place ces dernières années. C’est le mouvement qu’ont suivi les réformes de santé avec, après les ordonnances de 1996, l’instauration de la tarification à l’activité (T2A) en 2003, la réforme de la gouvernance de l’assurance maladie en 2004 et la loi hôpital, patients, santé et territoire (HPST) en 2009.

Les dispositifs qui s’attachent spécifiquement à lutter contre les inégalités de santé se sont développés à partir de 2012. Ils ont commencé à être mieux coordonnés à partir de 2015, après avoir porté la marque d’une double régulation : celle opérée par l’État, par le ministère des affaires sociales et au niveau interministériel, d’une part, celle opérée par l’assurance maladie, d’autre part.

Parmi ces dispositifs, citons les pactes « territoire santé » de 2012 et 2015, ainsi que le plan d’accès aux soins d’octobre 2017. Dans ce panorama, n’oublions pas non plus les potentialités liées au développement du numérique en santé, domaine dans lequel nous accusons un certain retard par rapport à nos voisins. Nous y reviendrons dans le prochain rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale.

Ce bouquet de solutions permet d’aborder dans de meilleures conditions la réduction des inégalités de santé, sujet de préoccupation pour nos concitoyens. Dans beaucoup de territoires, l’accès à un généraliste reste compliqué car les délais pour obtenir une consultation sont trop longs et des filières entières souffrent de pénurie, je pense notamment aux soins visuels.

Il sera sans doute nécessaire de mieux coordonner dispositifs et aides mais on peut penser qu’ils seront efficaces à terme. Je prendrai l’exemple des contrats d’engagement de service public (CESP). Lorsque j’étais directeur général de l’agence régionale de santé (ARS) Rhône-Alpes en 2009, j’ai accueilli le premier signataire de la région, un jeune généraliste souhaitant s’installer dans une zone de désertification médicale et il y en a 300 aujourd’hui, preuve que le système fonctionne.

Faisons maintenant le point des aides existantes, qui pourraient faire l’objet d’une simplification. C’est probablement un travers de notre administration que de générer de la complexité. Or, comme chacun sait, la complexité nuit à l’efficacité.

Il existe quatre aides de l’assurance maladie : le contrat d’installation en zone sous-dotée, le contrat de transition pour les médecins qui préparent leur sortie d’exercice, le contrat de stabilisation et de coordination pour les médecins ayant une pratique groupée, le contrat de solidarité territoriale pour les médecins installés en ville qui viennent aider leurs collègues exerçant dans des zones peu denses.

À cela s’ajoutent les aides de l’État liées au CESP, au praticien territorial de médecine générale (PTMG), au praticien territorial médical de remplacement (PTMR), au praticien territorial de médecine ambulatoire (PTMA), qui sont dispensées sous forme de garanties de revenus ou de soutien à l’investissement.

Les collectivités locales distribuent également des aides : prise en charge de frais d’investissement et de fonctionnement, mise à disposition de locaux – c’est souvent le cas pour les maisons de santé –, versement de primes dans les zones couvertes par les dispositifs mis en place par l’État et par l’assurance maladie.

Enfin, il faut citer les aides fiscales et sociales qui ne sont pas neutres, qu’il s’agisse des aides spécifiques aux zones de revitalisation rurale (ZRR) ou aux zones de redynamisation urbaine (ZRU) ou des exonérations d’impôt sur le revenu, notamment dans le cadre de la permanence des soins ambulatoire (PDSA) dans les zones fragiles.

La situation à laquelle nous sommes confrontés appelle à miser sur l’intelligence des territoires. Il faut laisser les initiatives monter depuis la périphérie plutôt que d’organiser les choses depuis le centre. Entre les maisons pluriprofessionnelles de santé (MSP) et la constitution d’équipes territoriales de professionnels de santé, il existe des possibilités de sortir de la pratique médicale isolée en médecine libérale pour entrer dans une pratique groupée et mettre en place, à travers la définition d’un projet territorial de santé, des solutions répondant mieux aux besoins de nos concitoyens. Certaines actions couronnées succès sont ensuite labellisées, si l’on peut dire, par la réglementation et par la loi. Les ARS sont à la manœuvre en ce domaine. Les enjeux ne sont pas négligeables. Le rapport de 2017 sur l’avenir de l’assurance maladie, sous-titré « Assurer l’efficience des dépenses, responsabiliser les acteurs », considère qu’ils représentent entre 1 milliard et 3 milliards d’euros.

Le sentiment de la Cour est que le maintien d’inégalités sociales et territoriales de santé extrêmement fortes tient non seulement à l’insuffisante régulation de la médecine de ville mais aussi à la recomposition hospitalière, qui est un sujet sensible. On peut attendre beaucoup des groupements hospitaliers de territoire (GHT), mais il reste à supprimer de nombreux plateaux techniques ne présentant pas des garanties suffisantes de qualité des soins et de sécurité, du fait d’un trop faible volume d’actes.

Je termine par ce propos très encourageant, en espérant n’avoir pas été trop long, monsieur le président.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Je vous remercie, monsieur le président, pour l’esprit synthétique dont vous avez fait preuve. Ayant exercé les fonctions de directeur d’ARS, vous pouvez allier diagnostic financier propre à la Cour et vision organisationnelle des soins.

Au moment où les comptes de l’assurance maladie approchent de l’équilibre, les comptes des hôpitaux connaissent un déficit abyssal, et l’accès aux soins accuse un recul : le reste à charge s’accroît et le renoncement aux soins augmente.

Responsabiliser les acteurs est un enjeu d’importance. Tout doit partir de la base, comme vous le dites. L’offre de soins ne saurait reposer sur un cloisonnement entre public et privé. Depuis quelques mois, les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) gagnent en importance. Selon vous, l’organisation territoriale doit-elle être revue ? Ne pourrait-on envisager de mettre en place de nouveaux schémas territoriaux de soins publics et privés ? Que pensez-vous de l’idée de décerner des labels de qualité, que l’ordonnateur soit public ou privé ?

La profession médicale a des comportements parfois étonnants. Elle cherche la liberté absolue, ce qui est vain puisqu’il n’est pas possible pour un médecin de s’installer où il veut, quand il veut, avec la formation qu’il veut : le rang obtenu à l’examen national classant détermine la spécialité et le lieu de formation. Pour être radiologue à Lyon, il faut avoir été parmi les 450 premiers aux épreuves classantes nationales (ECN). Un moyen de contourner cet obstacle pour le jeune médecin est de signer un CESP. Que pensez-vous d’un élargissement substantiel de ce dispositif ? Pourrait-il contribuer à une meilleure reconnaissance de la médecine libérale, aujourd’hui en déclin, et à une réduction du gouffre abyssal qui en train de s’ouvrir ?

Ma dernière question porte sur les coûts induits par la mauvaise répartition des soins sur le territoire. La Cour des comptes avait pointé il y a quelques années l’augmentation exponentielle du coût des transferts en véhicule sanitaire léger (VSL) et en taxi. Pouvez-vous nous donner des précisions supplémentaires à ce sujet ?

M. Denis Morin. La dynamique des dépenses liées au transport sanitaire tient aussi au fait que le prescripteur n’est pas le payeur, ce qui induit une mauvaise maîtrise de la dépense. Cela renvoie à une question ouverte depuis une vingtaine d’années déjà et qui est restée sans solution : faut-il ou non internaliser ces coûts dans les budgets hospitaliers ?

Pour les CESP, les chiffres sont plus frappants encore en Ile-de-France avec 400 signataires sur un total de 2 500 à l’échelle de la France, ce qui est à la fois beaucoup et trop peu. C’est le signe toutefois que le dispositif permet de répondre à des problèmes d’implantation dans des zones peu denses pour lesquelles chaque médecin gagné est précieux.

Au sujet de la qualité des actes, des discussions sont en cours et la Cour hésite toujours à se prononcer sur l’actualité la plus chaude. Les réflexions lancées par le Président de la République sur le financement de notre système de santé et la place plus grande qu’il convient de laisser à la qualité, à l’innovation et à la pertinence des actes fourniront probablement une partie de la réponse à la question que vous avez soulevée.

Notre organisation générale est marquée par des dichotomies que nous surmontons peu à peu. Toutes les réformes menées ces dernières années conduisent à réduire la dichotomie entre l’État et l’assurance maladie. Le transfert du dossier médical partagé (DMP) à la CNAMTS était probablement le seul moyen disponible pour faire monter en puissance cet outil, qui constitue un élément déterminant de l’accès aux soins. En ce domaine, nous sommes très en retard par rapport à la plupart des pays voisins, où les réticences des personnels de santé ont été surmontées, pour faire du DMP un instrument irremplaçable de qualité et de sécurité dans la prise en charge des patients.

Il nous faudra aussi réduire la dichotomie entre médecine de ville et hôpital. Les nouveaux instruments mis en place par les dernières lois, en particulier les communautés professionnelles territoriales de santé, constituent un moyen de la résorber, tout comme le déploiement des consultations avancées, notamment à partir de certains groupes hospitaliers territoriaux. Je les ai vus fonctionner très concrètement dans certains territoires difficiles de la Drôme ou de l’Ardèche où étaient organisées des consultations de spécialistes venus d’hôpitaux implantés dans la vallée du Rhône.

Là encore, il faudra laisser les dispositifs se déployer au rythme de chaque territoire. Cela prendra du temps, évidemment, mais je crois que nous ne pouvons pas faire autrement.

Dans l’organisation du système de santé, il faut doser subtilement régulation nationale et capacité du terrain à prendre des initiatives, notamment grâce au dialogue avec les collectivités locales qui sont parties prenantes de cette équation.

M. le président Alexandre Freschi. La loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2018 a facilité les expérimentations. Il s’agit d’une vision girondine du système de santé.

M. Denis Morin. Je l’espère.

M. Philippe Vigier, rapporteur. J’aimerais revenir sur les CESP, en m’appuyant sur un document publié par le Centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière (CNG).

Mme Marisol Touraine, lorsqu’elle était ministre, visait dans le pacte « territoire santé 2 » de 2015 un objectif de 1 700 CESP d’ici à 2017. En 2010, sur les 400 contrats proposés, un tiers a trouvé signataire. Entre 2010 et 2015, sur un total de 2 134 CESP proposés, 1 141, soit un peu plus de la moitié seulement, ont été signés : 743 par des étudiants, 398 par des internes. Le président de l’Intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale (ISNAR-IMG) a expliqué qu’entre 2010 et 2015, 35 contrats ont été rompus.

Je trouve qu’il s’agit d’une belle initiative. Avez-vous réfléchi à une généralisation de ces contrats, moyennant quelques aménagements ? Les internes leur reprochent d’impliquer un pré-choix de leur spécialité. En réalité, il serait possible d’introduire la possibilité de faire un choix à l’intérieur de la région où est signé le CESP. En outre, dans certaines régions, il y a plus de postes d’internes ouverts qu’il n’y a de candidats susceptibles de les pourvoir.

M. Denis Morin. Les chiffres qui m’ont été fournis sont un peu différents. Ils font état à la rentrée 2017 de 2 281 signataires sur la France entière – dont 300 en Auvergne-Rhône-Alpes et 360 en Ile-de-France – : 1 870 en médecine et 411 en odontologie. Il faut laisser le système se déployer sans changer ses paramètres.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Pour les consultations avancées, un problème se pose dans certaines régions où les praticiens refusent de se déplacer, c’est le cas de ceux d’Orléans ou de Chartres, par exemple. Faut-il aller jusqu’à la coercition ?

M. Denis Morin. Par nature, je ne crois pas trop à la coercition. Il faut convaincre et jouer sur toute la palette des instruments existants : en dehors des consultations avancées, il y a les maisons de santé pluridisciplinaires, les équipes pluriprofessionnelles ou encore les communautés professionnelles territoriales de santé. La diversité des territoires oblige à faire du cas par cas. À tel endroit, la solution de la consultation avancée fonctionnera et ce d’autant mieux qu’elle sera adossée à un établissement hospitalier solide aux effectifs importants ou à un groupement hospitalier territorial dont les soins seront coordonnés par un centre hospitalo‑universitaire (CHU). En l’occurrence, l’expérience que j’évoquais liait l’hôpital de Valence, grand hôpital de la région, et l’hôpital de Privas, petit hôpital qui ne pourrait remplir ses missions sans ces consultations avancées. À tel autre endroit, la structuration du système de santé pourra s’appuyer sur un hôpital local à partir duquel se développera l’offre.

Je crois beaucoup à l’incitation, notamment à la rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP) qui permet d’accorder des rémunérations complémentaires à partir de toute une série d’indicateurs, notamment les objectifs de pratiques coordonnées.

Revenons à la filière des soins visuels. Si nous ne choisissons pas de mettre en place des délégations de tâches et éventuellement de compétences, les délais d’accès aux soins visuels continueront de s’accroître alors qu’ils atteignent plus de 500 jours dans certaines parties de notre pays. Les orthoptistes et optométristes pourraient être appelés à remplir certaines tâches qui reviennent aujourd’hui aux ophtalmologistes.

Mme Monica Michel. J’aimerais savoir comment sont évalués les résultats du dispositif du CESP. Quelle est sa gouvernance ?

Par ailleurs, pouvez-vous d’ores et déjà dresser un bilan du refléchage des aides pour les nouveaux arrivants ?

Mme Stéphanie Rist. Pensez-vous que l’organisation actuelle des groupements hospitaliers de territoire (GHT) suffise à rendre efficaces les consultations avancées ? Serait-il possible de déterminer lors des évaluations annuelles des GHT si les consultations avancées faisant partie de leurs projets médicaux ont été réalisées ou non ?

Mme Nicole Trisse. Pensez-vous que les outils en place soient suffisants ? Certains ne sont-ils pas redondants ?

M. Denis Morin. Je pense que les outils sont aujourd’hui suffisants. Leur modularité permet de tenir compte de la diversité territoriale, ce qui est un atout majeur. Il s’agit de dispositifs récents qui misent sur la volonté des jeunes médecins libéraux de sortir d’une pratique isolée pour entrer dans des pratiques coordonnées et sur leur propension à accepter des délégations de tâches. Tout cela se construit peu à peu et c’est probablement l’un de moyens de répondre à la crise de la médecine libérale que vous évoquiez, monsieur le rapporteur.

Certains outils sont toutefois redondants. Les dernières décisions prises dans le plan d’accès aux soins de l’automne dernier, notamment en matière de zonage, vont dans le sens d’une coordination accrue. Une meilleure articulation entre les interventions centrales, de l’État et de l’assurance maladie, et les interventions locales serait souhaitable. Il n’est pas toujours facile d’identifier le bouquet d’aides à l’installation que les collectivités locales mettent en place, j’ai pu le constater lorsque j’étais directeur d’ARS. Les professionnels de santé eux-mêmes peinent à s’y retrouver. Il y a sans doute matière à simplifier.

Quant aux GHT, il est peut-être un peu tôt pour faire un bilan, mais nous en ferons un. Nous avons d’ailleurs prévu d’y travailler et de faire une évaluation, probablement, en 2020 – c’est le rythme de la Cour, mais il faut aussi laisser les choses se déployer. Nous verrons bien sûr si les consultations avancées se mettent en place dans les GHT, mais elles se mettaient déjà en place il y a quelques années. Les GHT sont un élément potentiel d’accélération, il faudra vérifier, au moment de l’évaluation, que cela fonctionne bien comme cela. Je pense qu’il y a aura, là aussi, autant de cas particuliers que de GHT. Il y a par exemple, aujourd’hui, des GHT qui sont centrés sur un CHU, notamment à Lyon – uniquement les Hospices civils de Lyon (HCL). Dans d’autres cas, l’articulation entre l’hôpital public principal et la périphérie est compliquée ; je pense à l’Assistance publique Hôpitaux de Paris (AP-HP) en Île-de-France – il n’y a pas non plus de GHT, mais est-ce que l’AP-HP n’est pas, en soi, un GHT ? Il y a beaucoup de cas particuliers mais nous ferons cette évaluation. Se poseront bien sûr aussi des questions de gouvernance et d’intégration des GHT, et aussi la question de savoir si le GHT sera un moyen d’aspirer l’activité vers le centre ou au contraire de la diffuser vers la périphérie, en essayant de trouver un modèle économique viable dans un contexte d’aggravation des déficits hospitaliers, en particulier les déficits des CHU, comme vous l’évoquiez, monsieur le rapporteur.

Quant aux contrats d’engagement de service public (CESP), je pense que la gouvernance dépend aujourd’hui des ARS, qui sont vraiment à la manœuvre, en lien avec les doyens de médecine, dont la consultation est aujourd’hui tout à fait courante. Je pense qu’il y aura des éléments de réflexion sur ce sujet, en marge des travaux à venir ou déjà engagés, comme à la Cour, à la chambre que je préside ou, plus généralement, dans l’ensemble des conférences sur l’avenir des centres hospitaliers universitaires (CHU).

La ministre a confié aux six conférences une réflexion sur ce sujet, qui doit aboutir, en principe, au moment du soixantième anniversaire de la loi Debré. L’organisation de la formation médicale est évidemment abordée puisque les CHU remplissent les trois missions de recherche, de formation et de soin. D’ailleurs, un certain nombre d’auditions sont menées sur ce sujet à la Cour, puisque nous y travaillons aussi, en vue d’une publication à la fin de l’année. Je pense qu’un certain nombre d’éléments de réponses vous seront alors apportées, madame la députée.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Vous ne m’avez pas répondu sur l’articulation entre le public et le privé, alors que la Cour insiste, dans de précédents rapports, sur la nécessité d’un décloisonnement. Vous savez comme moi que les débordements de coûts sont terribles dans les structures hospitalières. Par ailleurs, la Cour des comptes avait relevé que l’on faisait appel à des « mercenaires » pour assurer des gardes dans les hôpitaux, et nous savons qu’en nombre d’endroits la réserve spéciale sanitaire vient d’être activée pour cet été. N’est-ce pas la démonstration que le système est à bout de souffle ?

Et si vous estimez qu’il faut attendre 2020 pour évaluer les GHT, je sais pour ma part, connaissant quelques GHT de ma région ou d’autres, qu’ils ont plutôt été des pompes aspirantes mises en place en cinq ans sans véritable projet médical. Quand vous avez des conseils régionaux qui votent contre le projet régional de santé élaboré par l’ARS, on s’interroge, d’autant que la compétence pleine et entière des formations paramédicales leur a été donnée par la loi en 2004, et que l’aménagement du territoire est également une compétence régionale. Quelque part, il y a un dysfonctionnement, avec une vision assez technocratique de la façon de procéder, à rebours de la vôtre, selon laquelle tout repart du territoire, qui ne correspond pas vraiment à notre expérience.

Vraiment, remettre toutes les structures privées en lien avec les structures publiques, ne serait-ce pas le gage de cette efficience à laquelle, normalement, la Cour des comptes est attachée ?

M. Denis Morin. Je ne suis pas allé au bout de mon propos, j’ai commencé à vous parler des cassures ou des ruptures dans la prise en charge des patients, dans la régulation, mais pas forcément dans l’organisation territoriale. J’ai parlé un peu de ville et d’hôpital tout à l’heure en répondant à votre question, c’est une part de votre sujet.

La question de l’articulation entre l’hôpital public et le secteur des cliniques privées est évidemment très compliquée. Le législateur lui ayant donné cette compétence, la Cour commence à contrôler les cliniques privées. C’est évidemment un sujet tout à fait intéressant, relativement peu connu de l’administration centrale et régionale. Nos tout premiers contrôles ayant concerné seize structures, il reste difficile, même si c’est un échantillon supposé représentatif défini par les statisticiens, d’en tirer des conséquences, mais ce qui frappe, effectivement, c’est la dichotomie entre public et privé, l’absence de coopération entre établissements publics et privés. C’est difficile à concevoir mais, là encore, il faut partir du territoire. Pour un patient, il n’y a pas marqué « public » ou « privé » sur la porte d’un établissement, il y a marqué « bon établissement » ou « mauvais établissement ». Et, parfois, sur un même territoire, vous avez un très bon CHU et une très bonne clinique privée. Il faut dire les choses : il y a des cliniques privées qui sont très bien gérées, d’autres évidemment beaucoup moins bien.

On ne peut pas se satisfaire de situations, probablement sous-efficientes, d’absence de coopération entre public et privé – ce thème a été mis en avant dans la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite « loi HPST ». Ensuite, on trouve toutes les situations dans les différents territoires : des situations dans lesquelles la coopération peut se faire, d’autres dans lesquelles la compétition est maximale et probablement sous-efficiente.

M. Philippe Vigier, rapporteur. De la concurrence, monsieur le président, alors qu’il s’agit de soigner les gens ! Nous avons, en Indre-et-Loire, un exemple de coopération entre un hôpital public et une clinique privée, mais si cela ne vient pas d’en haut, cela ne marchera pas.

M. Denis Morin. Je ne suis pas sûr que cela puisse venir d’en haut, mais cela peut venir du terrain. Dans certains cas, les choses marchent bien parce que, effectivement, les gens se parlent et organisent un certain nombre de coopérations. C’est encore très marginal dans le pays, et je ne suis pas sûr que l’on puisse être totalement prescriptif. Et puis il y a des écarts dans la régulation et la tarification qui ne facilitent probablement pas les choses.

Mme Stéphanie Rist. Je voudrais revenir sur l’intérim. Des plafonds de rémunération ont été fixés mais la règle est parfois très compliquée à respecter, notamment dans des zones à la démographie très faible. Certaines agences d’intérim tiennent des listes d’hôpitaux à éviter parce que le directeur ne veut pas aller au-delà du plafond. Une évaluation est-elle prévue, monsieur le président ?

M. Denis Morin. Sur ce point, je ne peux pas vous répondre mais, puisque vous me le soufflez, si je puis dire, c’est peut-être un sujet à inscrire dans nos travaux.

M. le président Alexandre Freschi. J’ai été très surpris d’apprendre que le CHU de Bordeaux comptait 57 directions et sous-directions. C’est quand même beaucoup, me semble-t-il.

Dans le même temps, certains hôpitaux locaux ont un agrément pour accueillir des internes, mais aucun n’y vient jamais. Que préconisez-vous pour répartir un peu mieux les étudiants en formation sur le territoire ?

M. Denis Morin. Je trouve, à la vérité, qu’on les répartit beaucoup plus qu’on ne le faisait il y a dix ans. À Bordeaux, cela marche plutôt bien, avec une très bonne coopération entre le CHU et la faculté de médecine. C’est plutôt une région efficace en la matière.

La diversification des lieux de stage est nécessaire dès lors que le nombre d’internes va dépasser 5 000. Les GHT devraient notamment permettre d’assurer des lieux de stages dans le cadre du GHT, pas simplement dans le CHU. Aujourd’hui, les lieux de stage extrahospitaliers se développent considérablement. Dans quelques régions – pas les plus grosses : ni l’Île-de-France ni Rhône-Alpes –, 100 % des internes auront fait un stage en médecine de ville, plutôt dans des MSP ou autres. Tout ce qui sort les internes de l’hospitalocentrisme est bienvenu. Cela fait aussi partie de ce qui va les amener progressivement, sans contrainte, à des pratiques d’installation dans des zones peu denses, même pour une durée limitée. De ce point de vue, les incitations développées à partir de 2009 et dont le développement s’est accéléré à partir de 2012 et confirmé dans les derniers plans vont tout à fait dans le bon sens.

Ensuite, il faut organiser des choses pratiques. Ainsi, un dispositif d’aide existe dans certaines collectivités locales, consistant en une prise en charge du logement ou en une aide au logement. Un interne effectivement rattaché à un CHU dans une spécialité quelconque, qui va passer quelques mois de stage dans un territoire un peu isolé, est éligible, dans certains cas et certains territoires, à des aides spécifiques, et nécessaires. Ce n’est probablement pas quelque chose qui doit être géré au niveau national, mais, sur le terrain, cela existe. Une fois encore, la situation évolue très différemment d’un CHU à l’autre, mais l’important est d’arriver à en parler et de mettre en avant, dans les discussions, ce qu’on appelle les bonnes pratiques pour inciter l’ensemble du système à embrayer – comme toujours, il y a des réticences dans certains endroits, et dans d’autres cela se déploie bien.

On peut regretter le retard de l’Île-de-France et de Rhône-Alpes en matière de diversification des lieux de stage mais, malgré tout le mouvement progresse, et il le fait fortement dans certaines régions.

M. le président Alexandre Freschi. Pas de malentendu : je ne voulais pas du tout mettre à l’index le CHU de Bordeaux !

En revanche, à Agen en Lot-et-Garonne, une clinique bénéficie depuis cinq ans d’un agrément pour recevoir un interne en cardiologie, dans un service qui fonctionne très bien – et ils attendent depuis cinq ans ! Peut-être que cela fonctionne très bien ailleurs, mais je voulais simplement ajouter cela à mon propos.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Je connais la situation dans ma région, c’est le même problème. J’entends bien ce que vous dites sur les bonnes pratiques locales, et le diagnostic territorial, nous nous retrouvons sur ces points, mais sans impulsion au niveau national, on n’y arrivera pas. Et verriez-vous un inconvénient à une gouvernance des soins entre public et privé à l’échelle du département ? Ne serait-ce pas cela, l’efficience ?

M. Denis Morin. Les instruments existent et les chiffres sont quand même frappants. Nous n’avons certes pas forcément atteint tous nos objectifs, mais ce n’est pas très grave. Honnêtement, aurions-nous parié en 2009 que nous aurions 2 000 jeunes médecins – demain, 2 500 – en CESP ? Probablement pas.

Et voyez le succès des maisons de santé pluriprofessionnelles : 1 250 MSP ! Il en existe plus de 1 000 aujourd’hui et 250 à 300 sont en projet, alors que nous partons de zéro ! Bien sûr, il y a de petites maisons de santé et d’ailleurs toutes ne sont pas dans le radar des ARS, mais les chiffres sont frappants. C’est la région Auvergne-Rhône-Alpes qui est en tête, avec 170 MSP. Là encore, les choses se déploient et nous progressons.

Il faut probablement ne pas trop envisager les choses au niveau national mais mettre en place à ce niveau les instruments, et probablement simplifier. Nous n’avons pas, aujourd’hui, de problèmes pour financer l’ensemble de ces dispositifs et ensuite accompagner le mouvement.

L’alternative, et la Cour l’écrit dans son rapport, c’est de dire que, si on veut aller plus vite, il faut mettre en place le conventionnement sélectif.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Vous ne m’avez pas répondu sur le pilotage public-privé de la prise en charge des patients à l’échelle départementale – en clair, transformer par exemple des GHT en groupements de santé de territoire (GST).

M. Denis Morin. C’est une possibilité. Cela n’existe pas aujourd’hui.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Ne pensez-vous pas, vous qui avez été patron d’ARS, qu’en termes de qualité de prise en charge, de non-redondance de soins, ce serait l’assurance d’un parcours pour les patients ? Vous savez très bien que le patient se fiche de savoir s’il est soigné dans le public ou le privé. Ne croyez-vous pas temps de donner cette impulsion ?

L’effet de ciseau est extraordinaire. Au moment où les comptes de la sécurité sociale arrivent à l’équilibre, les petits hôpitaux, dans les GHT, ont un mal fou à obtenir le petit matériel qui dépend de la maison mère. Au bout d’un moment, ils s’en trouveront fragilisés.

M. Denis Morin. En fait de déficit des hôpitaux, la dégradation des comptes de l’AP-HP pèse extrêmement lourd dans les chiffres ont avancés, puisque son déficit est passé de 40 à 250 millions d’euros en un an. C’est aussi une explication. Ailleurs, il y a probablement plus d’établissements hospitaliers déficitaires aujourd’hui, si l’on regarde les chiffres de l’année 2017, mais il faut s’interroger sur l’AP-HP et la stabilisation, voire la dégradation, de son activité.

En ce qui concerne le public et le privé, on peut, effectivement, inciter à des coopérations, nous avons déjà des instruments, avec les groupements de coopération sanitaire (GCS). Je disais, dans une formule, que le patient ne regarde pas toujours sur la porte si c’est public ou privé. Parfois, quand même, il constate que les dépassements d’honoraires sont beaucoup plus fréquents dans les établissements privés, et cela peut être un critère pour lui. Je pense que des éléments de coopération sont possibles à la marge en ce qui concerne un certain nombre de fonctions, et l’instrument des GCS existe.

Pour le reste, peut-être pourrait-on ouvrir les GHT – c’est une interrogation que nous avons déjà eue au moment des communautés hospitalières de territoires (CHT), qui ont précédé les GHT. Peut-être est-ce envisageable dans certains cas mais, encore une fois, c’est au cas par cas. Je ne pense pas qu’on puisse dire, par principe, que l’efficacité du système de santé passe par une coopération entre deux univers qui présentent quand même des différences majeures du point de vue de la nature de leur mission.

M. Philippe Vigier, rapporteur. A priori, ils ont des missions analogues : soigner les gens. Et, quand vous parlez de dépassements d’honoraires, vous savez mieux que moi qu’il y en a également dans les CHU. En revanche, avec une organisation dans le cadre de laquelle public et privé se mettent d’accord, avec un parcours de soins, vous pouvez encadrer les dépassements et faire en sorte que les patients sachent parfaitement quelle structure les accueille et quels dépassements d’honoraires cela peut éventuellement engendrer ; nous l’avons fait à un tout petit niveau. Si vous avez, au contraire, une volonté administrative de ne pas faire une coopération public-privé, eh bien, cela ne se fera jamais.

Et, quand vous parlez de consultations avancées dans des cliniques privées, il pourrait également y en avoir dans des territoires sous-dotés.

Mme Stéphanie Rist. Avant d’intégrer le privé, ce qui, à mon sens, peut se faire au niveau local, qu’en est-il de la nécessaire évaluation des GHT ? Est-ce que les contrôleurs de l’argent public vont insister sur cette évaluation des GHT ?

M. Denis Morin. Oui, je suis assez d’accord : avant de se poser la question de l’intégration du privé, il y a déjà l’énorme problème de l’évolution du public. Il y a aujourd’hui des coopérations possibles, et des instruments de coopération possibles, avec les GCS, et il y a effectivement des coopérations dans certains territoires, vous l’avez dit, madame la députée, très justement.

Je conserve quand même l’idée que la mission de l’hôpital public et la mission de cliniques privées ne sont pas tout à fait identiques. Je continue également de penser que les dépassements d’honoraires atteignent un niveau particulièrement élevé dans les cliniques privées. Peut-être n’est-ce pas grave dans certains cas, mais on sait très bien que ce n’est pas sans lien avec les inégalités sociales de santé. Et si nous parlons tant aujourd’hui du reste à charge zéro, c’est parce que le reste à charge est considéré comme trop important dans certaines filières. C’est quand même un aspect du secteur privé qu’il ne faut pas perdre de vue.

Ensuite, des coopérations peuvent se développer sur certaines fonctions, et cela se fait déjà. Je ne suis pas sûr que ce soit ce qui permette le plus à notre système de santé de gagner en efficience. Je pense plus à la façon dont les GHT permettront de faire évoluer le secteur public et de traiter le sujet des petits plateaux techniques qui subsistent dans les territoires.

Mme Nicole Trisse. Moi qui n’ai jamais eu l’occasion de parler avec un président de chambre de la Cour des comptes, je suis assez perplexe.

Vous avez des mots très consensuels, ou tièdes : vous parlez d’interrogations à avoir, de questions à se poser, de coopérations qui peuvent se développer… M’attendant à des avis et des arguments plus tranchés, et à moins de généralités, je suis un peu frustrée, mais peut‑être est-ce ainsi que la Cour des comptes envisage les questions.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Ma collègue m’a devancé. Effectivement, les diagnostics et propositions que formule chaque année le Premier Président dans la salle, mitoyenne, de la commission des finances, à propos des projets de loi de finances et de divers textes budgétaires sont plus tranchés.

Pour ma part, je pense que, malheureusement, nous allons vivre dix années difficiles. Je sais bien, vous avez raison, qu’il y a un panel de solutions, et non une solution unique, clés en main, à déployer immédiatement, mais je crois qu’il faut que nous soyons un peu plus fermes dans nos orientations au niveau local ou au niveau national. Cela peut passer par les collectivités parce qu’effectivement il faut que tout le monde se parle, avec une clause de revoyure. Tout à l’heure, vous annonciez une évaluation en 2020, mais nous sommes au mois de juin 2018, et il y a urgence. Il faudrait que nous fassions le point chaque année, au mois de juin 2019, au mois de juin 2020, au mois de juin 2021, et que nous envisagions tous les leviers qu’il faut actionner, à court, moyen et long terme.

Je crains qu’un jour la Cour ne s’interroge sur toutes les aides financières distribuées. La somme de 120 à 130 millions d’euros par an figurait dans un rapport sénatorial. Ne devrons-nous pas, demain, mettre 250 ou 300 millions d’euros sur la table ?

Je rappelle que la réserve sanitaire sera mobilisée à Bourges cet été. Il est dramatique que nous ne soyons plus, en France, en mesure d’assurer les urgences l’été dans un chef-lieu de département !

M. Denis Morin. On peut toujours braquer le projecteur sur l’endroit où cela ne marche pas et le braquer sur l’endroit où cela marche. Je suis probablement trop optimiste, peut-être trop tiède, mais, à le braquer sur ce qui ne marche pas, on prend aussi le risque de casser ce qui marche. Je pense que c’est un sujet qui est trop…

Mme Nicole Trisse. Je ne vous appelle pas forcément au pessimisme. Vous pouvez être moins tiède, tout en étant plus d’accord avec ce qui marche, cela ne me dérange pas. Il suffit de le dire de manière plus ferme – cela m’intéresserait.

M. Denis Morin. Je suis comme je suis, donc probablement pas assez ferme. Il y a des sujets sur lesquels on peut avoir un avis tranché et d’autres sur lesquels je pense qu’il faut être prudent. Le message que je voulais faire passer ce matin devant votre commission d’enquête est plutôt un appel à la stabilité : je pense qu’il y a des dispositifs auxquels il faut laisser le temps de se déployer, sans changer en permanence la réglementation sur tous les sujets – je parle de réglementation, pas forcément de législation, je m’adresse avec beaucoup de modestie à la représentation nationale. La stabilité est parfois aussi la garantie du succès. Il faut adapter les dispositifs, je pense que les différents plans 2012, 2015, 2016 ont conduit à cette adaptation, que les derniers développements conventionnels en matière de télémédecine apportent une réponse sur un certain nombre de sujets. Les choses se construisent pas à pas.

Ce n’est peut-être pas flamboyant mais, voilà, c’est ma façon de voir les choses. Vous auditionnez beaucoup de personnes, vous avez notamment auditionné le directeur général de la CNAMTS. Peut-être est-il beaucoup plus tranché,…

M. Philippe Vigier, rapporteur. Non, rassurez-vous !

M. Denis Morin. …ce n’est pas forcément mon style, mais je suis comme je suis.

Mme Stéphanie Rist. Ne pensez-vous pas que le système ou l’organisation du système de santé soit un peu à bout de souffle et qu’il faille quand même l’adapter ou le transformer ?

M. Denis Morin. Ce n’est pas du tout ce que je crois.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Voyez la télémédecine, monsieur le président. À l’heure où nous parlons, rien n’est organisé, nous n’avons connu que des expérimentations. Un jour, la Cour tombera à bras raccourcis sur le système : « il y a une inflation considérable des consultations de télémédecine », « la nomenclature mise en place ne correspondait pas… », etc. Vous voyez ce que je veux dire.

On laisse faire des expérimentations locales, il n’y a pas de cadre national, on ne sait pas si on doit mettre un médecin ou une infirmière, comment on fait un centre de régulation… Et, malheureusement, alors que les CHU sont gages de qualité, une jeune femme est décédée il y a quelques semaines à la suite d’une orientation faite au niveau d’un CHU. C’est la médecine dans son ensemble qui est touchée.

M. Denis Morin. Il faut raison garder. Pardon si je parais tiède, mais notre système de santé est tout à fait au standard des meilleurs systèmes internationaux. Certes, on peut dire qu’il y a des choses qui ne vont pas, et il y a effectivement des inégalités difficiles à accepter mais ma conviction, que je suis désolé de ne pas vous faire forcément partager, est que nous avons une série d’instruments qui permettent d’agir. Il faut simplement être capable de faire confiance un certain temps – pardon d’être encore imprécis – aux acteurs de terrain. Peut-être ai-je été marqué par mon expérience de directeur général d’ARS, mais je pense que la solution se trouve quand même au plus près du terrain, territoire par territoire, qu’elle se construit de cette façon et qu’elle emprunte des chemins nécessairement divers. Cela n’interdit pas à la Cour des comptes, par ses travaux, ni à une commission d’enquête comme celle-ci, d’exercer une certaine pression – c’est très heureux. Cela n’exclut pas non plus l’évaluation ni les bilans, pour parvenir à plus d’efficacité et plus d’efficience, mais gardons à l’esprit que, malgré tout, tous les indicateurs sanitaires dont nous disposons témoignent de l’efficience et de la pertinence de notre système de santé. Nous sommes le pays d’Europe, et même du monde, dont l’espérance de vie féminine est la plus élevée – évidemment, c’est aussi le facteur de déterminants extérieurs au système de santé, qui se trouvent à l’école, au travail, dans l’environnement et dans de multiples autres paramètres.

Cela étant, de mon point de vue, certes subjectif, mais dans la droite ligne de ce que la Cour écrit, si notre système est perfectible, nous avons désormais – c’est récent – des instruments qui permettent d’agir sur le problème des déserts médicaux.

M. le président Alexandre Freschi. Merci, monsieur le président.

 


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Audition du Pr Pierre Simon,
ancien président de la Société française de télémédecine

Présidence de M. Alexandre Freschi, Président de la commission denquête

M. le président Alexandre Freschi. Mes chers collègues, nous allons conclure nos travaux de la matinée en recevant le professeur Pierre Simon, ancien président de la Société française de télémédecine, à qui je souhaite la bienvenue.

Nous avons décidé de rendre publiques nos auditions. En conséquence, elles sont ouvertes à la presse et diffusées en direct sur un canal de télévision interne, et pourront ensuite être consultées en vidéo sur le site internet de l’Assemblée nationale.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. C’est ce que je vous invite à faire avant de vous céder la parole.

(M. Pierre Simon prête serment.)

M. Pierre Simon. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je m’exprime devant vous en tant qu’ancien praticien hospitalier. J’ai exercé à l’hôpital de Saint-Brieuc durant trente-sept ans et, durant toute ma carrière, j’y ai formé des internes en médecine générale. Je vais vous faire part de l’évolution du métier de soins primaires dont j’ai été témoin au cours de carrière hospitalière, grâce aux liens que j’ai gardés avec tous mes anciens internes qui se sont installés – essentiellement dans les Côtes-d’Armor, un département touché par la sous-densité médicale.

Par ailleurs, ayant été pendant plusieurs années président de la commission médicale d’établissement (CME) de l’hôpital de Saint-Brieuc, j’ai également assisté à l’évolution du service des urgences, en particulier à partir de la grève du début des années 2000. Je pourrai donc témoigner des conséquences sur le fonctionnement hospitalier du changement de pratique professionnelle pour les soins primaires, intervenu à partir des années 2000.

Enfin, j’ai un regard national sur l’évolution de la télémédecine, puisque j’ai terminé ma carrière au ministère de la santé comme conseiller général des établissements de santé (CGES) et que j’ai rédigé avec Dominique Acker, en 2009, un rapport ministériel sur la place de la télémédecine dans l’organisation des soins ; à ce titre, j’ai travaillé sur l’article de la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (HPST) relatif à la télémédecine, puis sur le décret d’application publié le 19 octobre 2010. Je précise que je suis également juriste et que c’est à ce titre que j’ai été présent pendant trois ans au ministère de la santé. J’ai ensuite repris, en 2010, la présidence de la Société française de télémédecine que j’avais créée en 2006, pour la laisser en 2015 au professeur Thierry Moulin, que vous avez auditionné au mois d’avril.

Au cours de ma carrière, j’ai pu constater les difficultés d’accessibilité à des médecins, puisque j’ai également eu la responsabilité de la conférence des présidents de CME de Bretagne, ce qui m’a permis de porter un regard sur l’ensemble de cette région. Pour moi, le problème de l’accessibilité existe depuis au moins une quinzaine d’années : il a pris naissance en 2003 quand on a reconnu la spécialité en médecine générale, ce qui a conduit nos collègues de soins primaires à s’organiser comme des médecins spécialistes, c’est-à-dire à prendre des rendez-vous et à ne plus se déplacer à la demande non programmée, comme cela se faisait couramment au XXe siècle.

L’assurance maladie avait choisi de financer des urgences hospitalières, afin que les patients non programmés se présentent aux urgences de l’hôpital – ce qui s’est mis en place progressivement, jusqu’à la situation que l’on connaît actuellement. La non-accessibilité pour le non-programmé est aujourd’hui devenue un problème majeur en raison de l’importance prise par les maladies chroniques, qui nécessitent des consultations programmées, mais suscitent également chez les patients le besoin d’obtenir des réponses dans un cadre non programmé : c’est ce dernier aspect que nous maîtrisons mal, ce qui peut donner l’impression à la population d’être mal prise en charge, voire d’être en danger.

L’un des marqueurs de cette situation est le nombre d’appels au centre 15, qui a pratiquement doublé en quinze ans, avec aujourd’hui plus de 30 millions d’appels par an – alors que l’on compte moins de 700 000 urgences vitales. La population exprime un besoin de conseil médical ayant deux origines : d’une part le vieillissement, qui augmente le nombre de patients atteints de maladies chroniques, d’autre part l’arrivée du smartphone en 2007, qui nous a rapidement fait évoluer vers une société de l’immédiateté, où chacun veut pouvoir joindre un médecin quasi instantanément. Or, les médecins ont du mal à répondre à cette demande, car ils se sont toujours organisés selon le système du rendez-vous – il faut reconnaître qu’ils ne sont pas les seuls, et que l’on imagine mal des juristes, par exemple, faire du conseil juridique instantané… En tout état de cause, ni la faculté ni les stages effectués par les médecins ne les préparent à cette pratique de la médecine immédiate.

En ce qui me concerne, j’ai des solutions à apporter au moyen de la télémédecine, et je me tiens à votre disposition pour vous les présenter.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Nous sommes ravis de vous accueillir, monsieur le professeur, vous qui êtes l’un des pères de la télémédecine, car si aujourd’hui tout le monde a ce mot à la bouche, personne ne sait comment en faire une filière organisée – c’est encore l’impression que nous avons eue lors de la première audition de ce matin, lorsque nous avons reçu le directeur général de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS).

Je souhaite savoir si vous estimez que nous devrions mettre en place des plateformes de télémédecine départementales, plutôt que de laisser s’installer des cabines de télémédecine de-ci de-là, avec des protocoles de prise en charge pouvant différer les uns des autres.

Par ailleurs, quelle serait selon vous l’organisation idéale de la filière de télémédecine ? Y a-t-il, parmi nos voisins européens, un pays qui pourrait nous servir de modèle ?

M. Pierre Simon. Je commencerai par préciser que la télémédecine n’est qu’un moyen, et je regrette que les médias la présentent toujours comme un outil, car elle est avant tout un moyen organisationnel. Les problèmes qu’elle rencontre aujourd’hui dans son développement relèvent de l’organisation : on ne peut pas faire de télémédecine sur le modèle d’une organisation traditionnelle.

Je ferai deux remarques au sujet des plateformes de consultation. Premièrement, la consultation par téléphone proposée par certaines d’entre elles me paraît être de la sous-consultation – la Société française de télémédecine a toujours été opposée à cette pratique qui n’est rien de plus que du conseil médical par téléphone. En effet, tout praticien sait qu’une consultation digne de ce nom ne peut se faire par téléphone, sans que le médecin puisse voir son patient et sans même qu’il sache qui il est. Nous avons été satisfaits de constater que la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 rétablissait l’obligation de faire  les téléconsultations par vidéotransmission.

Pour un médecin, le fait de voir son patient constitue déjà une donnée importante en matière d’examen clinique. La téléconsultation par vidéotransmission a d’ailleurs initialement été imaginée comme une prise en charge alternative aux consultations en face-à-face, afin de répondre à la demande des patients atteints de maladies chroniques. Dans le cadre de mes fonctions au ministère, je me suis inspiré du rapport de l’ancienne ministre Élisabeth Hubert, ancien médecin généraliste, qui avait clairement montré qu’une proportion importante de patients ne se rendait au cabinet de leur médecin que pour obtenir le renouvellement d’une ordonnance, sans que leur visite donne lieu à un suivi clinique. Sur ce constat, nous avions préconisé dans notre rapport de 2009 que, pour les patients atteints de maladies chroniques, les consultations en face-à-face puissent alterner avec des téléconsultations programmées – cette idée a été reprise dans le décret de 2010.

Par ailleurs, dès l’arrivée des premiers smartphones, on a vu apparaître une demande en matière de santé mobile, vite relayée par de grands assureurs désireux de mettre en place des plateformes de téléconsultation. Nous avons donc travaillé, avec le Conseil national de l’ordre des médecins (CNOM), à la définition du téléconseil médical personnalisé, une pratique médicale différente de la téléconsultation. On peut regretter que l’analyse juridique du décret – effectivement insuffisant – ait conduit les pouvoirs publics, représentés par certaines agences régionales de santé (ARS), à considérer qu’il était possible de faire des consultations par téléphone. Cela a jeté le trouble dans le milieu médical et dans le milieu ordinal, dans la mesure où tout le monde avait conscience qu’il ne s’agissait que d’une sous-consultation.

Heureusement, des solutions correctives sont apparues avec le développement des objets connectés, qui a permis la mise en place de téléconsultations enrichies, permettant notamment de prendre la tension artérielle ou la fièvre, ou d’examiner les tympans d’un enfant. Aujourd’hui, il existe donc des plateformes permettant une téléconsultation qui, enrichie d’objets connectés, est assez proche en termes de qualité de l’examen clinique en cabinet, et a vocation à être intégrée au parcours de soins primaires.

La Société française de télémédecine préconise une coopération entre les cabinets de soins primaires, qui ne sont pas capables de faire face à toute la demande actuelle, et ces plateformes de téléconsultation de qualité. Ainsi, un médecin de soins primaires pourrait laisser sur son répondeur le vendredi soir, quand il ferme son cabinet, un message invitant ses patients à appeler telle ou telle plateforme, afin que celle-ci lui transmette le résumé des actes médicaux effectués en son absence.

Les plateformes doivent faire un effort, car l’image qu’elles donnent aujourd’hui est celle d’une « ubérisation » de la santé, qui serait fondée sur un marché de la téléconsultation. Or, les plateformes de téléconsultation bien structurées et recourant aux objets connectés n’ont rien à voir avec le marché de la téléconsultation : elles sont censées apporter une aide à l’exercice des soins primaires, en coopération avec les cabinets médicaux. En résumé, il ne faut pas reconnaître les plateformes n’ayant pour objectif que d’être présentes sur le marché de la téléconsultation, sans aucune réflexion sur le parcours de soins primaires, mais au contraire encourager les plateformes dotées d’équipements de bonne qualité, et acceptant de coopérer avec les cabinets de soins primaires.

Deuxièmement, j’estime qu’il faut demander aux plateformes qui se sont autoproclamées plateformes de consultation, alors qu’elles n’établissent qu’une communication téléphonique entre le médecin et le patient, de devenir des plateformes de téléconseil médical. Je ne suis absolument pas choqué de voir des assureurs et les mutuelles s’intéresser à la prévention et permettre pour cela à leurs assurés d’obtenir des conseils par téléphone : cela peut répondre en partie aux besoins de notre société de l’immédiateté. En revanche, il faut exiger de toute plateforme voulant faire de la consultation qu’elle se dote des équipements nécessaires complémentaires – non seulement ceux permettant la vidéotransmission, mais également ceux permettant de consolider le diagnostic.

Nous disposons d’un excellent modèle en Europe, que nous ne suivons malheureusement pas : celui des centres d’appels médicaux Medgate et Medi24 en Suisse, qui ont plus de quinze ans d’expérience. Une vingtaine d’assureurs ont conclu un accord pour demander à leurs affiliés d’appeler l’une de ces plateformes avant de se rendre chez le médecin traitant, ce qui permet une première orientation des patients sous la forme d’un téléconseil. Une partie des appels relève de la « bobologie » et peut être réglée rapidement par le médecin intervenant sur la plateforme, qui peut par exemple établir une ordonnance et l’envoyer à la pharmacie. Je précise que les ordonnances sont très rares en Suisse – elles n’y représentent que 8 % des appels –, contrairement à la France, où les plateformes de consultations par téléphone, que j’appelle des plateformes de téléconseil, ont été définies par rapport à leur capacité à faire de la téléprescription. À mon sens, il faut justement essayer de rompre avec l’idée selon laquelle tout appel médical doit donner lieu à une prescription médicamenteuse et, d’une part, privilégier la notion de parcours de soins pour les maladies chroniques, d’autre part, apprendre aux patients atteints de maladies aiguës à se prendre en charge, en leur proposant du conseil en automédication : ce pourrait être l’une des missions premières des mutuelles que d’apprendre aux gens à prendre du Doliprane ou des antipyrétiques à bon escient.

M. le président Alexandre Freschi. Sur le plan organisationnel, le déploiement de la télémédecine suscite quelques inquiétudes quant à la vitesse à laquelle il va pouvoir s’effectuer sur notre territoire. Ce point dépend aussi de l’acceptabilité sociale du dispositif dans le contexte d’une société de l’immédiateté, y compris en matière de consommation médicale : quand ils estiment avoir besoin d’une consultation, la plupart des Français souhaitent voir un médecin directement et obtenir une prise en charge médicamenteuse à l’issue de la consultation. Pouvez-vous nous rassurer sur ce point et nous dire de quelle manière il faudrait agir pour parvenir à surmonter ces obstacles ?

M. Pierre Simon. En matière d’organisation, j’estime qu’il est difficile pour un médecin exerçant seul, et se trouvant déjà débordé, de pratiquer la télémédecine. J’aurais aimé que, dans les négociations conventionnelles, on aille plus loin dans la réflexion sur la possibilité qu’ont les médecins exerçant seuls la médecine libérale de soins primaires de faire de la télémédecine. Quand nous procéderons à l’évaluation, nous constaterons sans doute  un usage très rare de la télémédecine par ces médecins, actuellement plutôt réservée à ceux exerçant en maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP), dotées d’une organisation favorisant le développement de la télémédecine. Ainsi, nombre de MSP font en sorte qu’il y ait chaque jour au moins un médecin chargé du non-programmé, c’est-à-dire de répondre aux demandes de conseils – et l’on sait que, dans ces maisons de santé pluriprofessionnelles, il y a beaucoup moins d’adressage aux urgences. Je peux vous assurer que les MSP sont prêtes à développer les stations de télémédecine, destinées d’une part à réduire les déplacements des médecins, notamment dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), qui peuvent être éloignés, d’autre part à traiter les personnes qui n’ont pas accès à internet.

Je regrette d’ailleurs que le déploiement de l’assurance maladie sur les réseaux sociaux se soit effectué sans prendre en compte le fait que, selon le rapport de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) de 2016, on compte aujourd’hui 8 millions de Français qui n’ont pas accès à internet : on ne pourra évidemment pas demander à ces personnes-là de se connecter à leur médecin, dès le 15 septembre prochain, en vue d’effectuer une consultation à distance. À mon sens, l’une des solutions qui va émerger afin d’y remédier est celle du développement de la téléconsultation mobile – un dispositif que je connais bien, car j’accompagne certains projets en ce sens –, consistant pour certaines sociétés d’ambulances à se rendre au domicile des patients, en coopération avec les maisons de santé pluriprofessionnelles. On peut envisager une organisation nouvelle, dans le cadre de laquelle les maisons de santé programmeraient des téléconsultations pour des personnes handicapées ou isolées, et chargeraient des sociétés d’ambulance de se rendre au domicile de ces personnes afin de rendre la téléconsultation possible, grâce à un équipement permettant le contact satellitaire – ceci afin de pallier l’insuffisance du réseau numérique terrestre dans certaines régions, et le fait qu’il existe encore de nombreuses zones blanches.

L’article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 prévoit la mise en place et le financement de dispositifs destinés à favoriser l’innovation par l’émergence de nouvelles organisations des soins. J’estime que la téléconsultation mobile au domicile du patient, sur prescription du médecin de soins primaires, a vocation à figurer parmi les solutions qui pourraient être retenues, et mérite donc d’être étudiée – d’autant que les grandes sociétés d’assurances sont, elles aussi, disposées à participer au financement de solutions de ce type.

Mme Jacqueline Dubois. Chacun d’entre nous est fréquemment mis en contact téléphonique avec des plateformes appelant pour le compte de sociétés françaises, mais qui sont basées à l’étranger. Pourra-t-on avoir la certitude que les téléconsultations seront réalisées par des médecins français, et non sous-traitées par des médecins se trouvant éventuellement à l’autre bout du monde ?

M. le président Alexandre Freschi. Ce point peut effectivement revêtir une certaine importance en termes d’acceptation du dispositif de téléconsultation par la population.

M. Pierre Simon. Il est vrai que certaines sociétés sont aujourd’hui tentées de faire un marché de la téléconsultation, ce qui constitue une dérive. Le droit fondamental de 1945 posait pour principe que tous les citoyens français devaient pouvoir accéder aux mêmes prestations et aux mêmes innovations, et c’est le modèle vers lequel nous devons tendre. En comparaison avec ce qui se fait à l’étranger, la prise en charge de la télémédecine par la sécurité sociale française est exemplaire. Aujourd’hui, il est tout à fait possible d’organiser des plateformes de téléconsultation au niveau régional ou territorial, sans avoir besoin de le faire au niveau national et encore moins au niveau international. Au demeurant, pour mettre en place une coordination efficace des soins primaires, il faut que les médecins traitants d’un territoire ou d’une région connaissent les plateformes avec lesquelles ils travaillent. Il y aura toujours des personnes pour appeler des plateformes situées aux États-Unis ou en Grande-Bretagne, mais cela restera marginal et n’a pas vocation à donner lieu à une prise en charge par la sécurité sociale.

Mme Monica Michel. Pouvez-vous nous préciser comment sont rémunérés les professionnels de santé pratiquant la télémédecine ?

M. Pierre Simon. Il faut savoir que nous avions prévu, dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2010, le financement dans le droit commun de la téléconsultation et de la télé-expertise et qu’à cette époque, c’est l’assurance maladie qui n’avait pas suivi, craignant que la télémédecine ne soit à l’origine d’une explosion des dépenses de santé. Il a fallu attendre 2014 pour que l’assurance maladie fasse de nouvelles propositions dans le cadre de droits dérogatoires, prévus à l’article 36. Malheureusement, cela n’a pas marché : le premier arrêté assorti d’un cahier des charges sur la téléconsultation et la téléexpertise n’a été publié qu’en avril 2016 – en raison de la demande de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) que soit pris un décret préalable –, et ce n’est finalement qu’une petite partie des 8,5 millions d’euros prévus pour financer les expérimentations qui a été engagée.

Il faut se féliciter que, pendant la campagne présidentielle, Emmanuel Macron se soit engagé à faire entrer ce financement dans le droit commun avec l’aide du directeur de l’assurance maladie. C’est une bonne décision et qui aurait dû être prise dès 2010. Toujours est-il que les conditions sont désormais réunies pour le développement de la télémédecine, à condition que les médecins puissent s’organiser en conséquence.

Comment sont-ils payés ? Comme dans les pays où ce dispositif est en vigueur, nous n’avons pas établi de tarif spécial pour la téléconsultation : de même que pour une consultation face à face, le prix est de 25 euros pour le médecin généraliste et de 30 euros pour le médecin spécialiste. Je pense que c’est raisonnable parce que l’assurance maladie, en faveur de la forfaitisation du parcours de soins, a probablement eu peur – et je comprends qu’elle ait résisté – qu’à la faveur du développement de la télémédecine, les médecins cherchent à augmenter leurs tarifs – augmentation qu’ils réclament depuis très longtemps. Reste qu’aujourd’hui la téléconsultation, si elle est bien organisée, peut tout à fait entrer dans les pratiques des médecins de soins primaires.

Pour ce qui est de la téléexpertise, elle obéit à la logique de forfaitisation d’un parcours. Le médecin de soins primaires est rémunéré au bout de la dixième demande de téléexpertise par un forfait de 50 euros et ensuite, lorsqu’il dépasse dix expertises par an, il peut percevoir jusqu’à 500 euros. Le médecin spécialiste, lui, est payé en fonction de deux niveaux de téléexpertise : le premier est considéré comme une téléexpertise simple – c’est la photo d’une lésion dermatologique, ou la photo d’un électrocardiogramme, envoyée par messagerie sécurisée –, rémunérée 15 euros ; le second niveau correspond à une expertise plus complexe qui sera rémunérée 20 euros. L’assurance maladie a décidé d’évaluer le caractère incitatif, ou non, de ces tarifs, les syndicats des spécialistes ayant bien sûr estimé qu’ils étaient nettement insuffisants par rapport aux tarifs des consultations spécialisées.

Personnellement, je serais favorable à ce qu’on libéralise l’expertise : nous avons des médecins de soins primaires formés, à l’hôpital, à des demandes immédiates d’avis spécialisés ; quand ils sont de service, en effet, les internes montent à l’étage supérieur pour montrer le dossier de leur patient au cardiologue, au rhumatologue etc. Or quand ils s’installent ensuite en médecine générale, ils n’ont plus accès aux spécialistes et c’est pour eux très compliqué. Donc, si l’on veut intéresser de nouveau les médecins de soins primaires à leur métier qui est la coordination des soins, il faut leur donner la liberté totale d’accéder à un spécialiste lorsqu’ils en ont besoin et la régulation se fera avec l’expérience : il faut laisser aux jeunes la possibilité d’appeler très souvent le médecin spécialiste alors que les plus expérimentés appelleront, eux, moins souvent.

M. le président Alexandre Freschi. Je souhaite revenir sur la question du temps médical – c’est un peu la quête qui nous anime ici. Dans le document que vous nous avez fait parvenir, vous indiquez que 98 % des Français ont accès à un cabinet médical de soins primaires en moins de dix minutes par la route. Or le temps médical tend à diminuer continûment. Aussi, dans quelle mesure la télémédecine est-elle un facteur de gain de temps médical ?

M. Pierre Simon. La direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) doit disposer des chiffres exacts. Alors qu’au XXe siècle la moyenne du temps médical consacré par les médecins de soins primaires était de cinquante à soixante heures par semaine, on s’approche des quarante heures par semaine pour les nouvelles générations. On ne peut pas leur en vouloir de privilégier leur vie privée – l’exercice de la médecine ne doit pas impliquer qu’on sacrifie sa vie de famille. Faut-il pour autant augmenter le numerus clausus pour retrouver un temps médical suffisant ? Je n’en sais rien.

M. le président Alexandre Freschi. Ma question portait précisément sur la télémédecine.

M. Pierre Simon. Je vais vous répondre.

La génération actuelle semble intéressée par l’exercice de la médecine sur des plateformes de téléconsultation. J’ignore pourquoi. Vous savez qu’entre le nombre de médecins inscrits au conseil de l’ordre – je suis conseiller ordinal dans mon département depuis vingt ans – et le nombre de médecins répertoriés dans le fichier du système national d’information inter-régimes de l’assurance maladie (SNIIRAM) il y a une différence de 25 000 médecins dont on ne sait pas ce qu’ils font. Ensuite, depuis 2012, on compte 10 000 médecins de plus, augmentation qui n’a profité qu’aux zones urbaines alors que leur nombre continue de diminuer dans les zones rurales. Il y a là un phénomène sociologique : un certain nombre de jeunes médecins ne veulent pas s’installer en cabinet – seuls 10 % s’installent dans l’année de leur thèse, 30 % la troisième année. Pourquoi ne s’installent-ils plus en cabinet ? Parce qu’ils ont envie d’exercer la médecine autrement. Il faut donc leur offrir un lieu d’exercice, pour ceux qui sont très geek, un peu différent. On a connu un phénomène similaire avec les urgentistes : quand on a créé les services d’urgences, des urgentistes étaient passionnés par l’intubation, le massage cardiaque… c’était une manière d’appréhender la médecine et, au bout de quinze ou vingt ans, ils ont eu envie de faire autre chose. Aujourd’hui, de jeunes médecins ont peut-être envie de travailler sur des plateformes mais des plateformes très bien encadrées, bien équipées en objets connectés, pour faire de la bonne médecine, et des plateformes qui coopèrent avec les cabinets de soins primaires.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Vous dites, monsieur le professeur, qu’il peut s’agir de nouveaux métiers – médecin télérégulateur… – et qui peuvent en effet correspondre à une forme de modernité intéressante. Peut-on définir un modèle qui rassemble les services du 15, du 18 et du « tout-venant » en matière de télémédecine ?

Ensuite, quand on évoque la télémédecine on oublie ce qui à mon avis est fondamental : le diamètre des tuyaux, la fibre optique, le débit… desquels dépend la qualité des images envoyées.

Enfin, quelle est pour vous la cabine de télémédecine qui va bien fonctionner, où la met-on ?

Mme Jacqueline Dubois. Pensez-vous que les infirmières, qui se déplacent beaucoup auprès des personnes âgées, pourraient, dans la perspective de délégations supplémentaires dans le suivi des maladies chroniques, jouer un rôle important en matière de téléconsultation ?

Avons-nous, d’autre part, des données comparées sur les risques d’erreurs de diagnostic entre la téléconsultation et la consultation en cabinet ?

M. Pierre Simon. Certains de nos concitoyens, s’ils sont capables d’utiliser Skype pour communiquer avec leurs petits-enfants, ne pourront pas tout seuls faire une téléconsultation par internet ou cliquer sur un lien qui les mettra en relation avec un médecin. Il faudra donc qu’il y ait un professionnel de santé à leurs côtés.

Pour ce qui est du débit, aujourd’hui, pour faire de la téléconsultation, d’énormes progrès ont été réalisés puisque, il y a encore dix ans il fallait un débit numérique de 2 mégabits par seconde ; qu’il y a cinq ans, un mégabit par seconde suffisait ; et qu’aujourd’hui on peut se contenter de 300 kilobits par seconde. On peut donc faire de la bonne téléconsultation avec un faible débit numérique.

Souvent, l’argument avancé par certaines plateformes est que les 8 millions de personnes qui n’ont pas accès à internet ne sont pas capables de se brancher en visio-conférence et c’est pourquoi il faudrait maintenir la plateforme par téléphone puisque tout le monde sait se servir d’un téléphone. À ne prendre en compte que cet argument, on risque de ne faire que de la sous-consultation, ce qui présente, je vais y revenir dans un instant, des risques médicaux. Par contre, on a besoin de professionnels de santé aux côtés des personnes âgées, isolées, qui n’entreprendront jamais d’elles-mêmes une téléconsultation, même si elles ont accès à internet.

Plusieurs solutions existent comme les cabines de téléconsultation – largement présentées dans les médias –, assez nombreuses aux États-Unis. Aux promoteurs de ces cabines, je dis qu’il faut d’abord les installer dans les pharmacies d’officine, qui doivent être désormais, en effet, un lieu de téléconsultation car la France dispose d’un maillage de pharmacies important. En outre, une telle installation leur permettrait de définir un nouveau modèle économique avec le médecin traitant prescrivant à distance. Certains pharmaciens d’officine sont prêts à installer une cabine de téléconsultation fixe : selon ce système, il appartiendra toujours au patient de se déplacer.

Vous aurez cependant toujours des gens sans voiture, sans voisins susceptibles de les emmener à la pharmacie, ou des gens qui n’oseront pas forcément appeler un véhicule sanitaire léger (VSL). C’est pourquoi il faut développer la téléconsultation mobile. Les grandes sociétés d’ambulanciers qui y réfléchissent – je tairai leur nom – équiperaient les ambulances d’infirmières qui elles-mêmes seraient intéressées par ce genre de pratiques. Il est vrai qu’on attend le décret concernant les infirmières de pratique avancée. Devra-t-on former des personnels pour aider les personnes à se brancher pour avoir une téléconsultation, et devra-t-on pour cela avoir recours à des infirmières de niveau « bac + 5 » ? On aura de toute façon besoin de ces dernières pour prendre en charge certains problèmes médicaux actuellement confiés à des médecins de soins primaires. Il reste de nombreuses initiatives à prendre à cet égard pour que le parcours de soins soit mieux partagé entre les professionnels de santé.

Dans le cas précis de la télémédecine, il faut, j’y insiste, que la personne âgée ait un professionnel de santé à ses côtés pour l’aider à se brancher pour une téléconsultation. Il va falloir aider ceux qui se trouvent dans les zones isolées, ainsi que les 8 millions de nos concitoyens qui ne pratiquent pas internet. C’est pourquoi, pendant une période transitoire, en attendant que le réseau soit complètement équipé en fibre optique, nous devrions proposer des solutions satellitaires.

Mme Nicole Trisse. Précisément, en ce qui concerne la télémédecine, comment sera rémunéré le professionnel de santé qui se trouvera avec le patient ? Je pense en particulier aux infirmières.

M. Pierre Simon. L’assurance maladie s’est engagée, après la fin des discussions conventionnelles avec les médecins, à ouvrir des discussions conventionnelles avec les pharmaciens puis avec les infirmiers, afin de définir leur place dans la télémédecine. À ma connaissance, l’assurance maladie est prête à discuter avec les représentants de ces professions de santé du financement de la participation, soit du pharmacien d’officine, soit de l’infirmière, à la réalisation d’une téléconsultation.

M. le président Alexandre Freschi. Pouvez-vous revenir sur les erreurs de diagnostic ?

M. Pierre Simon. Aucune publication n’a traité de la question en France. On peut regretter par exemple que toute l’activité du centre 15 n’ait jamais fait l’objet d’études montrant la fréquence des erreurs médicales commises dans ce cadre. On entend malheureusement parler des accidents quand ils sont médiatisés, mais il aurait été intéressant, j’y insiste, de connaître le nombre d’accidents médicaux survenus à l’occasion de téléconseils par téléphone parce qu’on n’aurait pas répondu à la demande.

Une belle étude, en revanche, aux Pays-Bas, a montré que le téléconseil par téléphone entraînait plus d’erreurs que la consultation. C’est pourquoi il ne faut pas faire du téléconseil médical – et surtout ne pas l’appeler « téléconsultation » par téléphone – parce que tout médecin sait que ce type de pratique est nettement insuffisant pour faire le tour d’une question, surtout à l’ère des maladies chroniques où l’expression même d’un symptôme, d’un mal-être, n’est pas facilement appréciable par téléphone. Et c’est pourquoi la vidéotransmission est déjà un progrès. Si l’on développe des plateformes collaboratives avec les centres de soins primaires, il faut qu’elles soient bien équipées – objets connectés qui permettent de nombreux examens complémentaires réalisés dans un cabinet en face-à-face – et c’est de cette façon qu’on réduira le risque d’erreur.

Mme Jacqueline Dubois. On imagine que l’installation des cabines de téléconsultation dans les officines de pharmacie sera aussi complexe que coûteuse. Vous avez également évoqué l’idée d’ambulances équipées de satellites – technologie qui n’est du reste pas entièrement satisfaisante. Est-ce qu’à l’aide d’une tablette, une infirmière peut accompagner une téléconsultation depuis un lieu couvert par la 4G ?

M. Pierre Simon. Bien évidemment.

Mme Jacqueline Dubois. Et avec un téléphone ?

M. Pierre Simon. Non, c’est trop petit. Il faut au moins la taille d’une tablette pour que le dialogue entre le patient et le médecin soit correct, même si, désormais, certains téléphones prennent des allures de tablette… Il faut respecter la procédure d’une consultation médicale et ne pas donner l’impression qu’il s’agit de fast time comme dans le cadre de l’exercice privé. De plus, si une professionnelle de santé aide à la téléconsultation, il faut qu’elle apparaisse à l’écran.

J’en viens à votre remarque sur le satellite. Le satellite, si je puis dire, c’est le réseau et non pas l’outil de téléconsultation. C’est dans les zones où il n’y a pas de réseau – et il y en a en France – qu’est utilisée la solution satellitaire. Je pense au camion Diabsat dans la région Midi-Pyrénées où se trouvent de nombreuses zones blanches : la liaison avec l’infirmière qui fait le tour dans le Tarn-et-Garonne ou dans d’autres coins complètement isolés se fait par satellite, faute de réseau numérique. On a procédé de cette façon en Guyane. Des bandes passantes sont inutilisées et elles doivent être employées pour la télémédecine.

Pour vous répondre, ensuite, sur l’usage des tablettes : oui, il faut des outils simples et mobiles. Concrètement : le médecin sera derrière son ordinateur, utilisera un petit logiciel qui lui permettra de lancer une visioconférence via un réseau sécurisé. À l’autre bout, le patient devra se connecter sur internet et cliquer sur le lien pour entrer en relation avec le médecin, et il faut qu’il soit aidé car ce n’est pas évident – je fais moi-même beaucoup de visioconférences à l’étranger et, même pour les habitués, il y a toujours de petits problèmes techniques. Il ne faut en tout cas surtout pas pratiquer la visioconférence là où le réseau est déficient – or la 4G et même la 3G suffisent.

Mme Jacqueline Dubois. Nous sommes tout à fait d’accord et en montagne, par exemple, il est évident que le satellite aura encore longtemps son utilité. Mais ailleurs, vu la rapidité de couverture du territoire, ce n’est peut-être pas le moment d’engager des frais en suréquipant certaines ambulances – c’était le sens de ma question.

Mme Monica Michel. Je suis l’élue d’une zone plutôt rurale – la commune d’Arles, la plus grande commune de France – dont certains endroits ne sont pas du tout couverts par le réseau, sans compter que certains villages ont du mal à avoir un pharmacien. Je souhaite savoir si une dotation est prévue pour les pharmacies qui s’équiperaient d’un matériel satellitaire en attendant la généralisation de la couverture numérique, ce qui risque de prendre du temps.

M. Pierre Simon. L’ARCEP a souligné de nouveau, en 2016, que si tous les opérateurs privés coopéraient, il y aurait moins de zones blanches. Voilà plusieurs années qu’on demande que dans le domaine de la santé les quatre opérateurs s’accordent.

Mme Nicole Trisse. Cela fait partie de leur feuille de route…

M. Pierre Simon. La demande a été faite il y a plusieurs années, et pour l’heure rien n’est fait… Reste que ce serait une première solution, et je suis d’accord avec vous pour considérer qu’il est inutile d’engager des dépenses satellitaires dans les zones où la mutualisation des réseaux des différents opérateurs permettrait de réaliser des téléconsultations.

Ensuite, je ne plaide pas pour les cabines de téléconsultation mais pour des téléconsultations en pharmacie – il existe d’autres solutions que les cabines. La cabine est un modèle provenant des États-Unis et qui a beaucoup fait parler de lui. Il est, je le reconnais, de qualité – j’ai étudié les prestations réalisées à partir de ce système – mais son coût est très élevé – il baisserait peut-être s’il était davantage utilisé mais je ne vois pas actuellement de pharmacies d’officine à même de se payer ces cabines. Il existe par contre d’autres équipements beaucoup moins chers grâce auxquels les pharmacies pourraient réaliser des téléconsultations.

M. le président Alexandre Freschi. Votre audition est terminée, nous vous remercions, monsieur le professeur.

 

 

 

 

 

 


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Audition de Mme Cécile Courrèges, directrice générale de l’offre de soins (DGOS), du Dr Michel Varroud-Vial, conseiller soins primaires et
professionnels libéraux, de M. Thomas Deroche, adjoint à la sous-direction de la performance en offre de soins, de M. François Lemoine, conseiller médical recherche et enseignement supérieur, et de Mme Eve Robert, membre de l’inspection générale des affaires sociales

Présidence de M. Alexandre Freschi, Président de la commission denquête

M. le président Alexandre Freschi. Mes chers collègues, nous débutons aujourd’hui nos travaux par une audition de la direction générale de l’offre de soins.

Mesdames, messieurs, je vous souhaite la bienvenue. Je vous informe que nous avons décidé de rendre publiques nos auditions, et que par conséquent, celles-ci sont ouvertes à la presse et rediffusées en direct sur le canal de télévision interne, puis consultables en vidéo sur le site internet de l’Assemblée nationale.

Je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite à lever la main droite et à dire « Je le jure ».

Mme Cécile Courrèges, M. Michel Varroud-Vial, M. Thomas Deroche, M. François Lemoine et Mme Eve Robert prêtent successivement serment.

Mme Cécile Courrèges, directrice générale de la direction générale de l’offre de soins (DGOS). Le sujet de la démographie médicale, qui concerne directement l’ensemble des citoyens, est complexe et le restera au moins dans les cinq ou dix prochaines années. En raison de la durée des études médicales et de l’existence d’un numerus clausus, on a en effet une vision assez claire du nombre de professionnels qui exerceront dans cette période. Par ailleurs, la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) a fait une projection démographique à 2040, et je pense que son directeur, que vous avez auditionné, vous en a fait part.

La situation, qui recouvre des réalités différentes selon les territoires, les concerne quasiment tous, ce qui a conduit les différents gouvernements à intervenir : le Premier ministre et la ministre des solidarités et de la santé ont ainsi annoncé un plan d’accès aux soins le 13 octobre dernier.

Dès le départ, on a pris le parti de dire très clairement, ce qui n’est pas toujours facile à porter politiquement – mais le Premier ministre a choisi un discours de vérité – qu’il n’y avait pas de mesure unique, pas de mesure miracle qui permettrait de résoudre une telle situation partout. Nous devrons donc mobiliser un ensemble de dispositions qui seront déclinées de façon différente. Car on a pris également le parti de dire que le travail ne pouvait se faire que dans les territoires, ce qui a amené à un repositionnement clair de l’action ministérielle : le ministère n’a pas à jouer un rôle de prescripteur, comme il a pu l’être très souvent – et sans doute trop longtemps – mais plutôt de facilitateur et d’accompagnateur, non seulement dans le cadre de l’impulsion donnée, mais aussi et surtout de tous les dispositifs qu’il peut promouvoir au niveau national, soit pour donner de nouveaux leviers aux acteurs, soit pour lever les freins qui existent.

Nous nous sommes donc installés dans cette dynamique, nourrie par les délégués de l’accès aux soins qui ont été désignés dans le cadre de ce plan : le député Thomas Mesnier, la sénatrice Élisabeth Doineau, et le docteur Sophie Augros. Dans les derniers mois, ceux-ci ont multiplié les déplacements sur le terrain, précisément pour aller constater concrètement les besoins et les difficultés des acteurs concernés. Leur rapport, qui nous sera remis au mois de septembre, devrait donner lieu à une nouvelle version d’un plan qui n’est pas conçu comme rigide, établi une fois pour toutes pour les cinq prochaines années, mais évolutif, alimenté au fur et à mesure des itérations qu’on souhaite promouvoir entre les territoires et le niveau national.

Pour autant, tout ceci ne peut reposer que sur l’engagement de l’ensemble des parties prenantes, parce que l’État, et même le ministère de la santé, ne peut pas faire tout et tout seul sur un tel sujet.

J’en veux pour preuve l’intéressante étude du Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET), qui a démontré que, contrairement aux idées reçues, les éléments de rémunération sont loin d’être les seuls à prendre en compte dans les motifs d’installation des jeunes professionnels de santé. Ce qui motive l’installation, c’est aussi le cadre d’exercice et d’organisation. Les jeunes professionnels n’ont plus envie de s’installer seuls, dans un cadre isolé ; ils veulent travailler avec leurs pairs et avec d’autres professionnels de santé, et pouvoir concilier vie personnelle et professionnelle ; ils veulent que leur conjoint puisse exercer sa profession ; ils veulent une école pour leurs enfants, une vie sociale, culturelle, et tout ce qui va avec. On voit bien que la satisfaction de leurs attentes ne relève plus seulement du ministère de la santé, mais de bien d’autres logiques, de l’aménagement du territoire, mais surtout de l’action des collectivités territoriales.

Ainsi, le succès de notre démarche repose sur une triple alliance entre les pouvoirs publics dans toutes leurs composantes – principalement l’État et l’assurance maladie ; les professionnels de santé car tout projet doit passer par eux si on ne veut pas revivre les expériences que l’on a pu connaître sur certains territoires, par exemple, avec des maisons de santé vides ; et les collectivités territoriales, chacun intervenant dans le cadre de ses compétences et de ses responsabilités.

J’y reviens, la ressource médicale est connue pour les années qui viennent. Donc, si on ne travaille que sur la ressource et l’installation, on ne pourra pas répondre à l’ensemble des besoins de santé des territoires. Il faut sortir de cette logique dominante des plans précédents, pour élargir le sujet à l’ensemble des professions de santé.

On peut ainsi travailler sur la présence soignante, et faire monter en compétences et en responsabilité les autres professions de santé dans le cadre des équipes de soins qui se mettent déjà en place et qu’on doit promouvoir. C’est notamment la philosophie de la création des infirmières de pratique avancée (IPA). Un texte paraîtra dans les toutes prochaines semaines – j’étais mardi à la section sociale du Conseil d’État – et les premières formations d’IPA ouvriront en septembre.

On peut aussi travailler à la « projection » de ressources médicales sur une journée, par vacations : consultations avancées, plutôt avec des personnels de statut hospitalier ; partage d’exercice – cabinets mixtes, cabinets secondaires ; et plus largement, tout ce qui permet un exercice multi-sites et des exercices mixtes.

Dernier point : puisque l’on est dans un monde qui bouge, on peut utiliser les ressources du numérique.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Vous l’avez dit, les prochaines années vont être terribles : dans la mesure où la ressource médicale n’est pas extensible, on va donc gérer la pénurie. D’où ma première question : pourquoi en est-on arrivé là ? Pourquoi, depuis vingt ans, il n’y a pas eu une prise de conscience collective, alors même que vous gérez les cursus, et que les évolutions de pratiques vous sont connues ? Le constat est accablant pour l’offre de santé.

Ma deuxième question portera sur votre vision du numerus clausus. Faut-il le supprimer, comme certains le disent ? Si on choisit plutôt de l’augmenter, quelle est notre capacité de formation ? Enfin, faut-il le régionaliser ?

Ma troisième question porte sur les infirmières de pratique avancée, que vous venez d’évoquer. Comment faire en sorte de résoudre les difficultés qui se posent, et qui sont liées à des questions de délégation et de répartition de tâches ? Êtes-vous prêts à établir une liste très précise d’actes que l’on pourrait répartir entre les professionnels de santé, l’infirmier ou l’infirmière de pratique avancée devenant, en quelque sorte, la tour de contrôle du système ?

Ma quatrième question porte sur les fameux contrats d’engagement de service public (CESP). Pourquoi sont-ils aussi peu nombreux ? Pourquoi tant de renoncements, d’abandons en cours, ou de rachats à terme ? La généralisation des CESP pendant quelques années, comme cela se fait dans d’autres grands corps de l’État, ne permettrait-elle pas de fidéliser les professionnels de santé, d’améliorer l’attractivité de la profession, et de pallier le plus rapidement possible ce déficit ?

M. le président Alexandre Freschi. Je souhaite compléter la première question posée par M. le rapporteur : est-il important de relever, ou pas, de conserver, ou pas, ce numerus clausus, quand on sait que l’on manque de médecins et que les diplômes sont reconnus au niveau européen ? Quelle est votre position ?

Mme Cécile Courrèges. Pourquoi en est-on arrivé là ? Il est difficile de parler pour mes prédécesseurs, ou plutôt pour nos prédécesseurs, dans la mesure où cela relève d’une responsabilité politique beaucoup plus large. Le cadre de l’exercice médical est un cadre légal, qui a donc été posé à la fois par le Gouvernement et par le Parlement dans les vingt ou trente dernières années – il faut en effet se reporter vingt ou trente ans en arrière pour comprendre pourquoi on en est arrivé là aujourd’hui.

On peut tous constater qu’il y a eu un défaut d’anticipation et de projection. Je me rappelle que lorsque je faisais mes études, on nous parlait du mécanisme d’incitation à la cessation d’activité (MICA), un dispositif de retraite anticipée qui reposait sur l’idée que l’offre créait la demande, en particulier dans le champ médical, et que la dépense de santé était en hausse.

Il est vrai qu’on ne peut que s’interroger sur la façon dont les décisions ont pu être prises, d’autant plus qu’un certain nombre de représentants des médecins – qui sont les premiers à battre leur coulpe – avaient poussé à l’adoption de dispositifs de ce type. À l’époque, il y avait donc un certain consensus. D’ailleurs, quand vous parlez aujourd’hui avec des médecins qui se sont installés dans les années soixante-dix – j’en ai eu dans mes équipes à l’Agence nationale de santé, et j’en vois au quotidien – ils vous racontent qu’il n’y avait pas assez de patientèle, et qu’ils rencontraient plutôt un problème de concurrence. N’oubliez pas qu’alors, les médecins vendaient leur patientèle au moment où ils partaient à la retraite : c’était leur capital-retraite. On en est loin aujourd’hui !

Pour autant, on hérite de cette situation et des décisions qui ont été prises à l’époque, qui ont notamment abouti à faire descendre le numerus clausus en dessous de 4 000, avec un effet retard de six à dix ans – la médecine générale n’était pas encore une spécialité. Aujourd’hui, toutes les décisions que l’on prend sur le numérus clausus ont un effet retard de dix ans.

Il a tout de même été fortement augmenté puisque l’on est repassé au-dessus de 8 000. Hier, 8 800 étudiants – dont les étudiants étrangers qui réintègrent le système français à ce niveau – passaient les épreuves classantes nationales (ECN). Certes, il ne s’agit plus d’étudiants en cours de formation. Mais ce sont ces professionnels qui, avec le décalage de temps que l’on vient d’évoquer, alimenteront demain le système de santé. Ils devraient nous permettre de nous rapprocher du nombre de médecins souhaitable, au regard des besoins de la population.

Depuis, grâce à des dispositifs d’observation beaucoup plus importants, notamment l’Observatoire de la démographie des professionnels de santé et ses observatoires régionaux, nous disposons d’éléments supplémentaires de projection pour anticiper nos besoins, à la fois par territoire et par spécialité. On doit en effet avoir ce double regard dans les choix de régulation que l’on peut être amené à faire dans l’orientation des professions médicales.

Je redis par ailleurs qu’on doit sortir de la seule logique médicale, et faire participer beaucoup plus à la prise en charge des patients l’ensemble des personnels de santé, en particulier les professions paramédicales – ce qui rejoint votre question sur les IPA. Leur intégration à l’université, avec une formation interdisciplinaire, sinon conjointe, pour les professions médicales et paramédicales, devrait nous aider à avancer en ce sens.

M. Michel Varroud-Vial, conseiller « soins primaires » et « professionnels libéraux ». J’ai eu la chance d’être médecin généraliste entre 1976 et 1986, avant que la spécialité qui était la mienne, la diabétologie, n’ait été créée. Je ne peux que mesurer – c’est un avantage douteux lié à l’âge – les changements majeurs qui sont intervenus depuis cette époque en termes de besoins de soins, qui n’ont pas forcément été anticipés.

Vous le savez, ces besoins sont liés au poids désormais énorme des maladies et des polypathologies chroniques, et des pathologies liées à l’âge. La gériatrie – pas en tant que spécialité, mais en tant que soins aux personnes âgées – qui était tout à fait marginale lors de nos études est ainsi devenue une composante essentielle des soins primaires.

L’augmentation et la modification des besoins en soins vont perdurer. Face à cela, nous ne pouvons que constater un certain retard dans l’adaptation des soins de ville. Jusqu’à ces derniers temps, le modèle prédominant était celui du petit cabinet libéral, avec peu de ressources médicales, peu de supports professionnels pour aider les médecins à travailler, peu de supports numériques pour partager et donner des avis à distance. Mais la situation est en train de changer en profondeur.

Nous observons, depuis deux à trois ans, l’émergence d’une nouvelle structuration des soins de ville : le modèle éprouvé de la maison de santé pluri-professionnelle ou des centres de santé subsiste, mais une nouvelle organisation se dessine au niveau territorial autour des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), qu’on appelait antérieurement « pôles de santé ambulatoires » dans certaines régions. Ces CPTS sont issues d’un mouvement professionnel qui existait avant la loi de 2016, mais celle-ci l’a renforcé.

Cela permet réellement d’adapter l’offre de soins aux besoins, et aux modifications que je vous signalais. Bien sûr, il faut que les mesures gouvernementales suivent. Et elles suivent : par exemple, nous avons appris hier que le Conseil national de l’Ordre des médecins avait voté la transformation de l’autorisation d’exercice multi-sites, qui pouvait parfois poser quelques problèmes, en déclaration simple, et exclu, dans les causes de refus, la clause de concurrence qui pouvait être utilisée de façon quelquefois abusive, en ne retenant que les clauses de qualité et de sécurité des soins. On constate donc un effort de la part à la fois du Gouvernement et des partenaires professionnels avec lesquels nous travaillons.

Mme Cécile Courrèges. Je vais laisser François Lemoine intervenir à propos du numerus clausus. Toutefois, je tiens à préciser qu’il nous sera difficile de nous prononcer sur sa suppression ou pas, puisque cela fait partie des questions qui sont étudiées à l’heure actuelle dans le cadre de la stratégie de transformation du système de santé sur laquelle le Président de la République doit s’exprimer dans les prochaines semaines. Nous ne saurions préjuger de ses annonces, mais nous allons pouvoir revenir sur la mécanique du numerus clausus.

M. François Lemoine, conseiller médical « recherche et enseignement supérieur ». Le numerus clausus a été instauré au début des années soixante-dix. Différents resserrages ont été opérés dans les années quatre-vingt, mais depuis une dizaine d’années, on a rouvert les vannes. Telle est la stratégie qui a été adoptée par nos prédécesseurs.

Sur le fond, le numerus clausus n’est pas adapté à la qualité de formation des médecins. Il crée d’énormes disparités entre les étudiants et provoque des drames familiaux, tout le monde le sait. La question de sa suppression est à l’étude. Dans ce cadre, différentes expérimentations ont été lancées et seront prolongées au moins jusqu’en 2020, précisément pour tenter de trouver des solutions. On peut citer le parcours PluriPASS, système d’orientation progressive qui est expérimenté à Angers. L’objectif est d’orienter progressivement les étudiants, d’éviter ce qui constitue un échec un peu violent pour certains, puis de mieux les canaliser et de mieux les former.

Tel qu’il est, ce mode de sélection est absurde. Il ne permet pas de sélectionner les étudiants pour qu’ils deviennent des professionnels de qualité, dans la mesure où les critères de sélection, qui sont appliqués au bout d’un an d’études, ne sont pas ceux qui seront demandés pour pouvoir devenir médecin en fin de cursus.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Que pensez-vous de la modification du concours de première année ?

M. François Lemoine. Le problème est de pouvoir orienter progressivement les étudiants ; c’est le sens des expérimentations qui ont été lancées. Et en fin de compte, la question qui se pose est de savoir quelle est la qualité de la formation que nous voulons dispenser aux étudiants.

Prenons l’hypothèse où on laisse les vannes complètement ouvertes. On n’aura pas la capacité de former tous les étudiants, et de toutes les façons, ce n’est la bonne solution. Cela ne résoudra pas non plus le problème des déserts médicaux. Dans certaines régions, il y a beaucoup d’enseignants, y compris des maîtres de stage en ambulatoire, qui pourront prendre en charge les étudiants. Dans d’autres régions plus désertifiées, cette capacité de formation n’existe pas. Donc, on ne peut pas travailler sur la régionalisation.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Vous avez dû vous pencher sur l’éventualité d’une modification en première année, et sur notre capacité de formation. J’imagine qu’en étant en lien avec la conférence des doyens des facultés de médecine, vous avez obtenu des éléments ?

M. François Lemoine. On a étudié le ratio des enseignants chercheurs, des hospitaliers capables d’enseigner. On cherche par ailleurs à renforcer la formation en ambulatoire avec des maîtres de stage…

M. Philippe Vigier, rapporteur. Les Centres hospitaliers universitaires (CHU) ont-ils été tous interrogés pour savoir quelle est exactement notre capacité de formation ?

M. François Lemoine. Oui. Le quota est établi dans le cadre d’une réflexion menée avec nos services et avec les doyens.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Ce n’est pas ma question, que je reformule : a-t-on, oui ou non, envoyé une lettre aux patrons des CHU en leur demandant combien d’étudiants supplémentaires ils pourraient former en deuxième année ? Et est-ce que l’on a fait la somme de toutes les possibilités offertes par les CHU de France ?

Mme Cécile Courrèges. À ce stade, il n’y a pas obligatoirement de travail de réalisé avec le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche (MESR). Les doyens se penchent sur la suppression du numerus clausus et sur la suppression des ECN puisque c’est le deuxième sujet sur la table – il avait été ouvert par le rapport de Jean-Luc Dubois-Randé et Yanis Mérad sur la réforme du second cycle.

Une réflexion a été lancée, dans le cadre de la stratégie de transformation du système de santé (STSS) qui est portée par trois pilotes, dont le député Thomas Mesnier qui fait partie de votre commission, et par les trois responsables du chantier de la formation professionnelle de la STSS, dont la députée Stéphanie Rist, également membre de votre commission, le MESR et nous.

La conférence des doyens commence donc à examiner quelles seraient les implications, les conséquences et les conditions d’une suppression du numerus clausus et, dans un second temps, d’une suppression éventuelle des ECN. Mais cela oblige, au-delà, à ré-envisager tout le dispositif du premier cycle et du second cycle ainsi, bien sûr, que la capacité de formation.

Il y a une capacité de formation un peu supérieure à celle d’aujourd’hui, mais elle n’est pas illimitée.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Tel n’était pas mon propos : si je l’ai précisé, c’est bien parce que cette capacité n’est pas illimitée. Mais dans chaque faculté, on sait de quelle capacité on dispose. La question est simple : qu’est-ce que les CHU peuvent faire ?

On ne peut pas envisager de supprimer le numerus clausus dans la mesure où, quoi qu’il arrive, il y aura toujours un mode de sélection. On ne pourra que modifier le contenu du passage de première en deuxième année. D’ailleurs, il faudra se mettre d’accord sur les mots : si vous parlez de suppression, les étudiants vont penser que tout le monde peut y arriver. Il faut se mettre dans la peau de ceux qui sont en première année.

Mme Cécile Courrèges. D’autres motifs peuvent pousser à repenser la question. L’enjeu n’est pas de répondre à la problématique des déserts médicaux : il est d’abord lié à l’inadaptation du mode de sélection au regard de ce qui est attendu d’un futur professionnel de santé. Ce n’est pas grâce à des questionnaires à choix multiples que l’on peut évaluer si quelqu’un peut devenir médecin. L’autre enjeu est de revenir sur un mécanisme qui conduit à l’échec de jeunes plutôt brillants, à qui tout avait réussi jusque-là. Le gâchis humain est extrêmement important. D’où des réflexions sur les passerelles, les réorientations et la création d’études plus communes au cours des premières années, afin de permettre de devenir, sinon un médecin, du moins un professionnel de santé.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Que pouvez-vous nous dire du bilan des contrats d'engagement de service public (CESP), et de la question de leur extension ou de leur généralisation ?

Mme Cécile Courrèges. En tant qu’ancienne directrice générale d’ARS, je considère que c’est un bon outil. À ce jour, 2 800 CESP ont été signés dans l’ensemble de la France, et le dispositif monte en puissance : il y a plus de 500 CESP supplémentaires chaque année. Cela signifie que 2 800 professionnels de santé vont s’installer dans des territoires sous-denses. C’est un motif de satisfaction, même si l’on peut toujours estimer qu’il pourrait y avoir encore davantage de CESP. J’ai vu comment cela fonctionne sur le terrain – j’ai d’ailleurs été régulièrement saisie de demandes d’installations dérogatoires en dehors des zones sous-denses, de la part de jeunes ayant conclu un CESP, à qui j’ai systématiquement répondu négativement – et je considère que c’est un dispositif attractif et intéressant. J’ai vu des exemples concrets d’installations réussies de jeunes professionnels grâce à des CESP. Ils ne se seraient sans doute pas lancés sans le soutien financier apporté pendant leurs études et, d’une certaine façon, sans la garantie que l’on va faciliter et accompagner leur installation – car il n’y a pas que le volet financier, c’est-à-dire la bourse. Cela lève l’angoisse de l’installation, qui est un phénomène assez important – cela explique que beaucoup commencent plutôt par faire des remplacements que par s’installer.

Je le dis d’autant plus que je ne ferais pas le même bilan positif d’un autre dispositif, qui a été adopté dans le cadre du pacte territoire santé : celui des contrats de praticien territorial de médecine générale (PTMG), qui a surtout eu un effet d’aubaine. Dans ma région, ce dispositif bénéficiait notamment à des jeunes femmes qui avaient des projets de maternité, car il offre une couverture sociale. La montée en puissance des CESP et des PTMG est d’ailleurs très différente. J’ajoute que les avantages qui ont pu conduire certains médecins à signer un contrat de PTMG ont été étendus à tous.

M. Thomas Deroche. À peu près 6 % des promotions s’engagent dans des CESP. Ce chiffre pourrait certes être supérieur, mais il est déjà significatif et l’on constate une augmentation importante chaque année : de 13 % en 2018. Parmi les 2 800 CESP conclus, très peu ont été rompus in fine – cela concerne moins de 70 contrats.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Et qu’en est-il d’une éventuelle généralisation pour les zones sous-dotées, à titre temporaire ?

Mme Cécile Courrèges. Ce serait une autre logique. Celle qui prévaut aujourd’hui est incitative, au moyen d’un accompagnement particulier pour les jeunes désireux de s’inscrire dans ce dispositif. Une généralisation impliquerait une coercition, une contrainte exercée sur tous les professionnels, qui devraient commencer à exercer dans une zone sous-dense, si je comprends bien ce que vous suggérez.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Non. Je pense à l’exemple, déjà très ancien, des Instituts de préparation aux enseignements de second degré (IPES) : on pouvait se préparer à devenir enseignant tout en étant rémunéré par l’État, en contrepartie d’un engagement de dix ans. Ce dispositif a très bien fonctionné à une époque où l’on cherchait des enseignants. Nous avons d’ailleurs la même problématique à l’heure actuelle, comme Jean-Michel Blanquer l’a souligné hier.

Le CESP permet d’échapper aux ECN : selon son classement, on n’obtient pas nécessairement la formation et la région que l’on souhaitait, alors que le CESP apporte la garantie de rester à la maison, dans la région où l’on est formé. Même si je suis bien conscient qu’il ne s’agit pas d’une mesure de court terme, mais de moyen ou de long terme, à l’issue des formations, ne faudrait-il pas généraliser les CESP dans les régions les plus sous-dotées, pendant une phase transitoire de rattrapage ? Ne serait-ce pas un facteur complémentaire d’attractivité ? Tout le monde n’a pas accès aux études médicales, contrairement à ce que l’on peut croire. Quand on est loin d’une ville de fac, il y a des difficultés matérielles. J’ai une certaine expérience de cette question dans ma région.

Nous rencontrons un problème politique majeur, qui est l’accès aux soins, dont vous avez la responsabilité. Comme vous l’avez très bien dit tout à l’heure, les pouvoirs publics peuvent s’appuyer sur trois pieds : l’assurance maladie et l’État, les professionnels de santé, que l’on ne peut pas écarter du système, enfin les collectivités territoriales. En ce qui concerne ces derniers acteurs, il faut quand même souligner que la loi leur a conféré peu de responsabilités – sauf lorsque la loi de 2004 a confié la formation paramédicale aux régions. Sinon, les collectivités agissent par défaut. Aucune compétence particulière ne leur a ainsi été donnée par la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe.

Mme Cécile Courrèges. Nous sommes prêts à soutenir le développement des CESP sans limite : un nombre est fixé chaque année, mais je suis prête à l’augmenter. C’est un dispositif que j’estime positif pour beaucoup de raisons. Il n’y a pas de logique de contingentement et nous répondrons tout à fait positivement si des régions ou des territoires souhaitent s’investir encore plus dans cet outil, dans la limite des zones sous-denses. Il faut résister, en effet, à la pression visant à remettre en cause le lien avec le zonage. J’ai fait l’objet de nombreuses interventions lorsque je dirigeais une ARS : on me demandait de faire des efforts au motif que l’on se trouvait juste à côté d’une zone sous-dense et que le jeune concerné risquait, sinon, de quitter la région… Si l’on commence à revenir sur les critères, il y aura toujours des zones plus attractives que d’autres.

Mon inquiétude est liée à un autre sujet : je pense que si l’on généralise les CESP, comme vous le suggérez, cela conduira beaucoup plus de jeunes à ne pas choisir la médecine générale, afin d’échapper à une installation dans des territoires où ils ne souhaitent pas exercer, et les études de médecine risquent aussi de perdre en attractivité. Certains jeunes ne voudront peut-être pas s’inscrire dans un dispositif qui, à terme, ne leur permettra de s’installer que dans certaines zones ou certains territoires, lesquels ne sont pas nécessairement ceux où ils ont envie d’aller. Il faut bien mesurer cette difficulté.

M. le président Alexandre Freschi. Combien d’étudiants passent-ils le concours de fin de première année ?

M. François Lemoine. Il y a environ 54 000 étudiants inscrits en première année de médecine et nous en sélectionnons à peu près 8 800.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Pouvez-vous revenir sur les infirmières en pratique avancée et les délégations de tâches ?

Mme Cécile Courrèges. Je vous remercie de me donner l’occasion de m’exprimer sur la question des infirmières en pratique avancée, qui nous tient particulièrement à cœur à la DGOS. Cela me permettra aussi de rectifier un certain nombre de propos que l’on a pu lire dans la presse professionnelle.

Il s’agit pour nous d’une des réformes les plus structurantes pour l’avenir. Le Dr Varroud-Vial a fort justement rappelé tout à l’heure qu’il y a une évolution extrêmement importante des prises en charge, compte tenu du vieillissement de la population et du développement des maladies chroniques et des polypathologies. Cette évolution légitime de moins en moins le système français, qui a été largement construit sur le curatif et l’aigu : cela conduit davantage à des prises en charge et des suivis au long cours, qui peuvent être beaucoup plus facilement partagés entre différentes professions de santé, avec un rôle plus important pour les professions paramédicales.

Le développement des infirmières en pratique avancée s’inscrit totalement dans cet esprit, tout en permettant de combler un trou qui existait jusque-là dans notre système par rapport à celui d’autres pays – nous sommes très clairement en retard dans ce domaine. Notre système a été conçu selon deux niveaux : il y a les professions médicales, nécessitant dix ans d’études, et les professions paramédicales, qui en demandent trois ou quatre, sans que rien n’existe entre les deux. Nous allons désormais avoir une profession intermédiaire, de niveau master, soit cinq années d’études, dont la particularité sera certes d’être une profession infirmière, mais de donner aussi une capacité d’exercice médical. On parle en effet d’un certain nombre d’actes qui relèvent aujourd’hui de la compétence médicale. Cette « compétence élargie » va au-delà de la délégation de tâches telle qu’on a pu la connaître jusqu’à présent : cela devient un rôle propre. Il y a notamment la possibilité de renouveler des prescriptions et même de prescrire un certain nombre d’examens. C’est une révolution !

M. Philippe Vigier, rapporteur. Pourquoi le Haut conseil des professions paramédicales (HCPP) a-t-il donc refusé le décret ?

Mme Cécile Courrèges. Il est fréquent que le HCPP émette des avis défavorables. Au-delà de cet aspect, il existe deux visions totalement antinomiques de ce sujet. Certains représentants du monde médical ont vu l’arrivée des infirmières en pratique avancée comme une concurrence éventuelle, qui pourrait leur retirer les tâches ou les consultations les plus faciles, ce qui alourdirait finalement leur travail quotidien – je caricature, mais c’est un peu ce qui imprègne certains propos. D’un autre côté, certaines organisations infirmières avaient d’autres formes de revendications, qui étaient un exercice totalement autonome où l’on pourrait décider soi-même quels patients on prend en charge et quelle est la thérapeutique associée. Or, ce n’est pas ce qui figure dans la loi. Selon le modèle promu dans notre pays, une infirmière en pratique avancée prend place dans une équipe, à l’hôpital ou en ville, qui est coordonnée par un médecin.

Notre responsabilité est de ne pas reproduire les erreurs du passé. Parmi celles-ci, il y a notamment le fait de laisser des professionnels se mettre en concurrence les uns avec les autres. On doit promouvoir des organisations conformes à ce que l’on veut pour l’avenir, c’est-à-dire des équipes de soins, des professionnels qui travaillent ensemble de manière coordonnée, et non pas concurrentielle ou autonome. L’infirmière en pratique avancée est à mi-chemin entre ce que certains représentants de la profession infirmière auraient souhaité, dans le cadre de leurs revendications pour leur profession, assez légitimes et que l’on peut entendre, et les positions d’autres professions, qui avaient d’autres craintes à l’égard du modèle proposé.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Combien de personnes seront-elles formées en septembre prochain ?

Mme Cécile Courrèges. Quelques centaines.

M. Michel Varroud-Vial. Compte tenu des capacités de formation et de l’engagement des acteurs concernés, on devrait former entre 500 et 600 personnes d’ici à deux ans. Les capacités de formation vont s’accroître avec le temps.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Pouvez-vous nous dire aussi un mot des délégations de tâches ?

M. Michel Varroud-Vial. C’est un facteur majeur pour l’adaptation du système de santé. Le bilan n’est pas extrêmement positif à l’heure actuelle, puisqu’il n’y a que trois modèles de coopérations entrés dans le domaine public. Il y a notamment les infirmières dites « Asalée » – action de santé libérale en équipe –, qui sont plusieurs centaines. Ce dispositif, que le plan pour l’égal accès aux soins sur le territoire vient de renforcer, fait l’objet d’un satisfecit général au sein de la profession, même si les compétences exercées restent très en deçà de la « pratique avancée » que nous sommes en train de promouvoir. Il y a aussi la filière usuelle. Nous souhaitons donner la priorité aux coopérations les plus utiles du point de vue de l’offre de soins. Je pense notamment à la prise en charge, en première ligne, des urgences liées à des petites pathologies par les auxiliaires médicaux ou les pharmaciens, avec le soutien d’équipes coordonnées. Nous sommes en train d’y travailler, car nous pensons que c’est un facteur de libération du temps médical et de réponse aux besoins des usagers.

M. le président Alexandre Freschi. Nous en venons aux questions des autres membres de la commission d’enquête.

Mme Jacqueline Dubois. Je vous remercie, monsieur le président. Merci également à notre honorable rapporteur de bien vouloir nous laisser la parole…

M. Philippe Vigier, rapporteur. Je crois avoir été extrêmement concis dans chacune de mes interventions. Il faut seulement que chacun le soit – certaines réponses ont été un peu larges. J’ajoute que nous avons encore une heure devant nous…

Mme Jacqueline Dubois. Je n’ajouterai rien…

Ma question porte sur le rôle des ARS dans l’organisation des soins médicaux dans le territoire, en lien avec les différents praticiens. La fiche qui nous a été remise met en avant des coopérations entre les ARS et les universités pour les formations, entre les ARS et les Unions régionales des professionnelles de santé (URPS) pour l’exercice pluriprofessionnel et coordonné, entre les ARS et les maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) pour la télémédecine, entre les ARS et les collectivités pour la « projection de temps médical », notamment les cabinets éphémères.

Mme Cécile Courrèges. Ayant été deux fois directrice générale d’ARS, ma conviction, que j’espère partagée dans cette salle, est que les choses ne doivent pas se mettre en place depuis Paris : elles se jouent dans les territoires, dans les régions. Les ARS représentent le ministère de la santé au niveau régional, et tous les dispositifs que l’on peut être amené à promouvoir leur sont confiés à des fins d’animation, d’impulsion ou d’accompagnement, en partenariat et en collaboration avec tous les autres acteurs de la région, selon leurs responsabilités. Pour la formation, on travaille ainsi très étroitement avec les doyens et les départements de médecine générale. De même, les actions en faveur de l’installation ont lieu avec les URPS, les ordres et les représentants des différentes professions de santé.

La logique est celle de l’accompagnement, ce qui représente une forme de transformation. Je l’ai dit tout à l’heure : nous sommes appelés, au ministère, à changer de posture, et il en va de même en région. Il s’agit d’être moins dans la logique qui a pu être, traditionnellement, celle de l’action de l’État, très régalienne, très prescriptive, voire planificatrice, que dans un accompagnement, ce qui implique un changement de posture et de culture. Tous les directeurs généraux d’ARS sont convaincus par cette évolution, qui est indispensable. Ce ne sont pas les ARS qui vont monter les projets dans les territoires, mais des professionnels de santé, avec le soutien des collectivités territoriales, bien souvent, même si ces acteurs vont aussi avoir besoin d’un soutien.

Quand on veut créer une maison de santé pluriprofessionnelle, par exemple, on sait qu’il s’écoule souvent trois ans entre le moment où le projet est lancé et celui où la maison ouvre. Cela représente du temps et de la disponibilité pour les professionnels de santé qui travaillent au projet. Les ARS participent souvent financièrement, via les fonds d’intervention régionaux (FIR), afin d’aider les professionnels de santé à porter le projet. L’assurance maladie, quant à elle, n’intervient qu’une fois que la MSP est ouverte, dans le cadre de l’accord conventionnel.

Le pacte territoire santé avait demandé qu’il y ait un référent « installation » dans chaque ARS, mais cela ne suffit pas : on a besoin d’une logique beaucoup plus large. D’où l’idée du « guichet unique », au sein duquel on essaie de réunir dans un premier temps l’assurance maladie et l’ARS, car chacun peut apporter une contribution, puis les Urssaf, car il y a beaucoup de sujets autour de l’installation qui concernent les cotisations, le régime social et fiscal, ainsi que les professionnels qui voudront s’inscrire dans cette démarche, notamment les URPS, les représentants régionaux des fédérations de maisons de santé et les collectivités territoriales. Le but est de simplifier, de faciliter et d’accompagner. C’est une autre culture, qui est absolument indispensable.

Mme Jacqueline Dubois. Avez-vous le sentiment que ça se met bien en place dans chaque région ? On entend dire des choses diverses… Je précise que je n’ai rien contre les ARS et que je suis bien dotée dans ma circonscription.

Mme Cécile Courrèges. Il y a des réalités différentes, bien sûr : nous sommes tous différents, et je dirais que c’est vrai pour toutes les structures et toutes les instances. Par ailleurs, on part de stades différents. Le changement est plus ou moins facile selon les personnes et les structures. Néanmoins, je crois que la conviction est partagée dans tous les cas, que ce soit au niveau des directeurs d’ARS ou des interlocuteurs que nous avons dans le cadre de l’équipe projet qui a été constituée au plan national pour accompagner le plan d’accès aux soins, ce qui nous vaut d’ailleurs la participation à cette réunion d’Eve Robert, au titre de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) : elle est en mission d’appui auprès de nous. La conviction est partagée, mais cela demande un peu de temps et peut-être, en partie, un renouvellement des personnes. Cela demande aussi de faire évoluer les attentes et les formations des professionnels qui vont investir les ARS dans les années à venir.

Mme Jacqueline Dubois. Quand vous dites que l’on est en train de passer d’une logique de prescription à une logique d’accompagnement, cela signifie-t-il également que les ARS seront mieux capables d’entendre les demandes qui viennent des territoires, par exemple en termes de places de soins médicalisés dans les foyers pour personnes handicapées ?

Mme Cécile Courrèges. On attend des ARS qu’elles s’inscrivent dans un dialogue avec l’ensemble des acteurs, dans la limite de ce qu’elles peuvent faire. Je ne sais pas précisément à quoi vous faites référence, mais il y a des sujets pour lesquels les ARS n’ont pas de ressources financières permettant d’accompagner les transformations. Je le répète : on attend des ARS qu’elles soient dans un échange, un dialogue, une tentative de compréhension.

Notre responsabilité est aussi de leur donner les moyens d’y arriver. Jusqu’à présent, il faut reconnaître que l’on disposait de systèmes de financement en tuyaux d’orgue, même pour les ARS. Elles sont destinataires de crédits médico-sociaux, hospitaliers ou relevant de dispositifs pour la ville. Dans le cadre du plan précédent, tous les dispositifs d’accompagnement pour la ville, comme le CESP et le PTMG, avaient leurs propres tuyaux et leurs propres boîtes – il y avait un nombre donné de CESP et de PTMG, chacun restant dans sa ligne. Notre responsabilité est de permettre qu’il y ait des discussions en région, avec une évolution et une transformation de l’offre – il ne s’agit pas toujours de moyens nouveaux, mais simplement d’un peu de reconversion ou de réallocation, au sein d’une même région, des moyens et de l’offre. Il faut le permettre, et c’est notre responsabilité de le faire.

Le FIR offre déjà un moyen d’avancer, je rappelle qu’il représentait 1,5 % des dépenses de santé dans la région Pays de la Loire, lorsque j’y étais en poste, soit 170 millions d’euros. Le FIR est un outil extraordinaire. J’ai connu les ARS avec le FIR et sans lui : il y a un effet de levier majeur, mais cela ne représente que 1,5 % des dépenses de santé d’une région, ce qui ne permet pas, en soi, de porter toutes les évolutions requises.

Cela renvoie à un autre sujet, qui est celui de la fongibilité – excusez-moi d’utiliser un terme un peu jargonnant. Il s’agit de permettre que les ARS disposent d’une enveloppe de crédits à leur main, quelle que soit leur nature à l’origine – c’est-à-dire qu’ils soient hospitaliers, médico-sociaux ou « ville » – et qu’elles puissent les réallouer en fonction des besoins et des projets, en sortant de la logique selon laquelle des crédits hospitaliers abondent les crédits hospitaliers, des crédits médico-sociaux les crédits médico-sociaux, etc. C’est cela que l’on doit être en mesure de promouvoir, ce qui suppose que nous fassions nous-mêmes bouger les lignes. Sur ces sujets, le blocage ne se trouve pas au niveau régional, mais national.

M. Marc Delatte. Il ne faut pas tomber dans la sinistrose et élaborer des plans en utilisant seulement le rétroviseur : on ne peut pas conduire de cette manière. Mais vous avez raison de dire qu’il ne faut pas répéter les erreurs du passé. Je pense que l’on n’a pas accompagné les changements profonds de notre société, en particulier le vieillissement et l’émergence des maladies chroniques. Je l’ai vécu en tant que médecin généraliste : j’ai ouvert un cabinet et j’ai créé deux maisons médicales. Le problème était qu’il y avait certes des infirmières et des dentistes, mais que j’étais le seul médecin.

Vous avez dit que 8 800 étudiants vont passer les ECN. Quel pourcentage y aura-t-il de médecins généralistes ? On ne va pas pourvoir tous les postes, c’est certain. Pourquoi cette profession n’a-t-elle pas d’attractivité ? Il faudrait un accompagnement. On a un réservoir de professionnels de santé, notamment les infirmières, qui doivent monter en compétences. Je crois qu’il y aura, en septembre, un master pour les infirmières, mais j’irais plus loin, pour ma part : beaucoup d’infirmières ont passé le concours de médecine, mais ne l’ont pas eu à cause d’un problème de mathématiques. Ne pourrait-on pas créer des passerelles leur permettant d’intégrer la médecine ? Elles ont développé une pratique dans leur territoire, elles sont très attachées à leurs patients, elles ont une vocation – je ne veux pas dire, loin de là, que les médecins ne l’ont pas. Il faudrait peut-être voir ce que l’on pourrait faire à ce niveau-là : il y a un vrai réservoir.

J’ai vu qu’il y avait beaucoup d’exemples innovants dans la note de la DGOS qui nous a été remise, ce qui est réjouissant. Les mentalités évoluent et vous accompagnez avec beaucoup d’efficience les initiatives locales. Je suis notamment intéressé par le dispositif « passerelle » dans la région Grand-Est. Il faut aller voir non pas les doyens des facultés, même s’ils ont toute leur raison d’être, mais les jeunes, les internes et les représentants des syndicats d’internes pour leur montrer le travail relatif aux soins de premier recours. Je pense qu’il faut vraiment revaloriser cette fonction.

J’aimerais aussi évoquer l’articulation, qui me semble très intéressante, entre les ARS et les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), les ARS étant davantage dans la régulation. Que prévoyez-vous dans ce domaine ?

Dans le système « passerelle », il faut raisonner par bassins de vie. À Soissons, les étudiants vont à Reims ou à Paris, mais pas à Amiens, qui est à une heure quarante-cinq de route. Comment peut-on faire évoluer le dispositif « passerelle » dans ce cas ? Je plaide pro domo, mais la question se pose dans beaucoup de bassins de vie. Comment mieux articuler les choses et éviter cette séquence administrative : « Soissons, c’est Amiens, donc Picardie et Hauts-de-France ».

M. Michel Varroud-Vial. Je vous remercie d’avoir mis l’accent sur le dispositif « passerelle ». Cet accompagnement des étudiants en médecine au niveau du troisième cycle, qui vise à faciliter leur insertion directe dans l’offre de soins, en médecine de ville, est en effet un élément tout à fait important. Nous avons été absolument convaincus par la visite que nous avons faite à Nancy, où le dispositif est mis en œuvre dans la faculté, sur le lieu de formation, avec le concours du conseil départemental de l’ordre des médecins et de l’ARS. C’est un dispositif partenarial qui a l’air de marcher très bien – il y a une personnalisation du suivi. Les étudiants que nous avons rencontrés avaient l’air particulièrement convaincus.

Vous avez tout à fait raison en ce qui concerne la simplification des frontières. Vous avez évoqué le problème qui se pose entre Soissons et Reims, et nous savons qu’il y en a d’autres, par exemple entre Poitiers et Nantes – c’est un cas que nous avons récemment eu à traiter. Nous sommes tout à fait conscients de la situation et nous sommes en train de la faire évoluer.

Pour la médecine générale, c’est une spécialité récente, je pense que vous en êtes conscients. La discipline de médecine générale a en effet été créée en 2004 et s’est constituée progressivement dans sa composante d’exercice et dans sa composante universitaire avec le soutien des différents gouvernements. Je pense que l’attractivité de la médecine générale s’est singulièrement accrue ; elle n’est plus choisie par défaut par de nombreux professionnels grâce, en particulier, à de nouveaux dispositifs comme la possibilité d’encadrer les étudiants en ville. Il ne s’agit pas seulement d’offrir la possibilité de s’installer là où on a fait son stage, mais de revaloriser le métier pour l’encadrant qui maintient ainsi un lien avec l’université. Nous entendons également développer l’exercice mixte entre la ville et l’hôpital, je pense à des dispositifs comme « assistant partagé » que nous sommes en train de promouvoir.

Actuellement, près de 40 % des postes sont attribués à la médecine générale, taux que nous souhaitons augmenter.

Il reste certes des progrès à réaliser en matière d’attractivité pour la médecine générale et pas seulement en ce qui concerne les rémunérations mais les conditions d’exercice. L’avenir, c’est vraiment l’exercice de la médecine générale non pas isolément mais au sein d’équipes où les médecins généralistes disposent de fonctions support pour organiser avec leurs collègues paramédicaux les parcours de soins au sein des territoires, pour dialoguer avec les hôpitaux, trouver des solutions aux problèmes médico-sociaux et aux problèmes sociaux de leurs patients.

M. François Lemoine. Je reviens sur ce qu’on appelle les passerelles entrantes. Ce procédé a déjà été mis en place il y a quelques années non à l’intention de professionnels paramédicaux mais des étudiants issus des écoles d’ingénieurs. Puis il a profité à des étudiants provenant d’autres horizons – biologistes, professionnels paramédicaux… Reste que les quotas de passerelles entrantes sont relativement faibles et le nombre de candidats utilisant ce processus n’est pas très important du fait probablement d’une forme d’autocensure de la part des étudiants – d’autant plus qu’un jury vérifie la possession d’un minimum de prérequis. Aussi veillons-nous, avec les doyens, à augmenter les passerelles entrantes. La proportion visée est de 25 % de personnes utilisant les passerelles entrantes et de 75 % de personnes sélectionnées empruntant le parcours standard.

Mme Cécile Courrèges. Nous misons beaucoup sur les CPTS pour l’organisation des soins dans les territoires. Quelque 180 projets ont été recensés et nous en espérons beaucoup plus. Le Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM) estime à mille le nombre nécessaire de CPTS pour couvrir le territoire national. Certaines régions ont déjà bien avancé, comme la région Centre-Val de Loire puisque l’Union régionale de professionnels de santé (URPS)-médecins a engagé une démarche en ce sens avec un soutien financier substantiel de l’ARS. Mais il faut aller plus loin : si l’on ne structure pas mieux les soins de ville, toutes les évolutions que nous appelons de nos vœux n’auront aucun effet. Ainsi l’évolution de la médecine ambulatoire avec ce que cela peut impliquer pour l’hôpital – dont j’ai aussi la responsabilité – atteint vite ses limites dès lors qu’on ne trouve pas, si je puis dire, de réponse en ville. Et cette réponse, ce n’est pas seulement la médecine généraliste qui peut l’apporter, c’est aussi une prise en charge du patient dans toutes ses dimensions, y compris l’aide à domicile.

Or, jusqu’à présent il n’y avait pas d’espaces communs pour permettre ce travail et cette structuration entre des professionnels de ville, en lien avec l’hôpital et avec le secteur médico-social. C’est ce que doit apporter la CPTS demain : on change avec elle de dimension, l’objectif étant que, pour un territoire donné, une population donnée, on construise une responsabilité, si je puis dire, de l’ensemble des professions amenées à répondre aux besoins d’une personne et à répondre à l’évolution de ces besoins. Nous sommes ici dans une logique de réseau de proximité d’emblée pluri-professionnel, communicant entre la ville, l’hôpital et le secteur médico-social.

Au-delà des initiatives prises spontanément – j’y ai fait allusion –, il faut donner vie à ce projet d’autant que les professionnels de santé y sont favorables, même au niveau national – je le précise car ceux qui connaissent un peu l’histoire doivent se rappeler que les maisons de santé pluridisciplinaires (MSP) ont été en partie faites, au début, contre l’avis de certains syndicats nationaux de médecins. Or, l’ensemble des organisations syndicales de médecins et des autres professions de santé adhèrent au modèle des CPTS. Il faut donc désormais, je le répète, changer de dimension, que nous rendions ces projets intéressants et souhaitables pour les professionnels eux-mêmes. L’IGAS est investie d’une mission d’appui auprès de la DGOS pour définir ce que pourrait être un cadre de déploiement beaucoup plus fort des CPTS ; l’Inspection devrait terminer ses travaux au cours de l’été. Nous travaillons d’ores et déjà avec la CNAMTS car nous avons la conviction profonde qu’il ne faut pas rester dans un cadre expérimental trop longtemps – alors que ce fut le cas pendant sept ans avec les MSP. Nous devons en effet définir très vite un cadre pérenne si nous voulons que les professionnels s’impliquent, qu’ils aient la certitude que leurs efforts se poursuivent dans la durée. C’est une condition pour apporter une réponse concernant notamment les soins non programmés.

M. Marc Delatte. L’un d’entre vous a estimé qu’il fallait trois ans pour construire une MSP, or c’est trop long pour les patients et il faut vraiment que nous trouvions le moyen de réduire les délais.

Mme Cécile Courrèges et M. Michel Varroud-Vial. Nous sommes d’accord !

M. Christophe Lejeune. On parle beaucoup de mesures incitatives, coercitives, or, pour découvrir un territoire, pour donner envie à un futur médecin généraliste de s’installer dans un territoire sous-doté, le passage dans un cabinet existant est une approche qu’il faut absolument encourager. Il faudrait même rendre obligatoire l’accueil de leurs futurs confrères par les médecins généralistes exerçant dans des zones sous-dotées, afin d’assurer le maillage territorial.

Pensez-vous qu’interdire à un étudiant d’aller faire son stage dans un cabinet de ville où il n’y a pas de problème d’offre médicale, pour l’obliger à se rendre dans un territoire sous-doté, pourrait faire partie de son cursus, avec, in fine, je l’espère, la ruine de certains clichés, la découverte d’un territoire ? Si vous deviez retenir cette hypothèse, il faut affiner la notion de territoire sous-doté. En effet, raisonner à la seule échelle du département me paraît une erreur, un département rural comme la Haute-Saône, par exemple, étant certes très largement sous-doté mais à proximité pour une part de Besançon et, pour l’autre, de Belfort et Montbéliard.

M. Michel Varroud-Vial. Nous sommes particulièrement attentifs à ce que les stages ambulatoires en médecine générale mais aussi dans les autres spécialités utiles en soins de premiers recours, se développent également à distance des villes pourvues d’une faculté, dans les zones considérées comme les moins attractives par les étudiants, pour des raisons d’éloignement, de logement… De ce point de vue, nous en sommes encore au stade de l’incitation – forte – avec une prime de 200 euros mensuels pour les transports et éventuellement un logement à temps partiel. Nous faisons un effort particulier pour recruter les maîtres de stage, comme vous le proposez. Nous nous rejoignons d’ailleurs souvent, en la matière, avec les représentants des collectivités locales qui souhaitent maintenir l’attractivité de leurs territoires. Nous avons demain une réunion avec tous les acteurs professionnels – y compris les représentants du ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation – pour définir des stratégies encore plus ambitieuses.

M. Thomas Mesnier. Vous connaissez mon attrait pour le soin coordonné, pour les bassins de vie, les bassins de santé.

Vous avez évoqué le rapport du HCAAM qui estime que mille CPTS seront nécessaires pour ouvrir le territoire national alors que j’étais pour ma part parti de 2 000 bassins de vie recensés par l’INSEE, donc 2 000 CPTS. À quelle échéance, pour peu qu’on fasse preuve de volontarisme, pensez-vous qu’on pourrait atteindre au moins ces mille CPTS ? Car on voit bien qu’on a besoin de solutions de court et moyen termes pour répondre aux difficultés.

Pour ce qui est de l’attractivité, vous avez mentionné la rémunération – qui n’est certes pas l’élément incitatif majeur mais qui reste important – qui, composée à 100 % d’actes pourrait être davantage forfaitaire. Une rémunération au parcours est une piste très intéressante sans compter les fonctions support.

Voilà qui m’amène au métier nouveau de coordinateur de santé : on en a rencontré au cours de nos visites sur le terrain ; j’y crois beaucoup, ce peut être une vraie aide pour les professionnels de santé, au sens large, dans un bassin de vie. Une formation est en train de se créer avec l’école des hautes études en santé publique (EHESP). Qu’en pensez-vous ? Comment développer ce dispositif ?

Mme Cécile Courrèges. Pour déployer une CPTS, il faut en effet en moyenne trois à cinq ans. Nous allons faire en sorte d’aller plus vite, ce qui suppose une volonté très forte. Encore une fois, l’avantage est que le sujet fait consensus. La première étape – pour laquelle la mission de l’IGAS nous aide – consiste à bien se mettre d’accord sur ce qu’est une CPTS et sur le fait de savoir quelles sont ses missions premières. On ne pourra en effet se déclarer soi-même CPTS : on devra rendre un minimum de services à la population – ce qui justifiera ensuite le financement public. Ainsi, dans les semaines qui viennent, une stratégie très claire va être définie en la matière.

Il est vrai que nous n’avons pas évoqué l’évolution des rémunérations – sujet clef sur lequel il faut évoluer. Tant qu’on reste à des financements strictement liés à l’acte ou à l’activité on ne réussira pas à faire avancer les choses puisque, chaque fois qu’un acteur développe une activité déjà développée par un autre acteur dans le même territoire, il y perd financièrement. Dans cette logique, chacun va examiner ses gains et ses pertes. Il faut donc établir une forme de solidarité financière : soit par l’intégration financière, c’est l’expérimentation qui vient d’être lancée dans le cadre de l’article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale, soit par le développement d’une part forfaitaire, la rémunération étant moins directement dépendante de la seule activité et des actes – ce qu’on souhaite pour les IPA : qu’elles perçoivent une rémunération forfaitaire fonction du nombre de personnes suivies. C’est un des éléments clefs pour déverrouiller les logiques de coopération.

Mme Jacqueline Dubois. L’idée d’utiliser un forfait pour les IPA est une bonne idée mais de quelle manière prendre en compte le grand nombre de kilomètres qu’elles parcourent dans un territoire rural pour, notamment, suivre les malades chroniques ?

Mme Cécile Courrèges. L’intérêt du forfait est qu’il couvre le coût de l’activité. Je n’entre pas dans les détails car ce projet va être soumis à une négociation conventionnelle dont je ne peux anticiper le résultat. Reste que l’idée est bien qu’on prenne en compte le coût de l’activité dans toutes ses dimensions.

Nous soutenons très fortement, par ailleurs, la création des coordonnateurs de santé puisque nous sommes également partie prenante à leur formation assurée par l’EHESP. Nous sommes convaincus qu’il faut que les médecins puissent se recentrer sur leur activité médicale. En effet, les activités de coordination vont se renforcer au fur et à mesure qu’il y aura des professionnels au sein de ces équipes – la coordination tend donc à devenir en soi une profession. C’est déjà le cas pour les maisons de santé les plus importantes comme en Mayenne où certains pôles de santé, qui comptent soixante professionnels, ont des coordonnateurs. L’accord conventionnel interprofessionnel (ACI) pour les maisons et pour les centres de santé doit prévoir la couverture, en plus de l’activité à l’acte, de ces charges de coordination. La création des coordonnateurs de santé doit selon nous être accélérée.

M. Michel Varroud-Vial. Je vous remercie d’avoir cité cette formation mise en place par l’EHESP, la Haute autorité de santé (HAS) et soutenue par le ministère des solidarités et de la santé. C’est en effet l’exemple même d’une formation-action qui aide les professionnels à mieux travailler, à mieux se situer par rapport aux autres fonctions des équipes de soins – il y avait jusqu’à présent une légère confusion entre coordination et leadership. Ainsi, nous pourrons avancer sensiblement en termes d’efficience et d’ergonomie des équipes.

M. le président Alexandre Freschi. Nous nous rendons compte qu’il n’y a jamais eu autant de médecins en France pour un temps médical moindre – temps médical qui est vraiment l’objet de notre enquête. Ce phénomène, au-delà des capacités de formation, est-il pris en compte dans la détermination du numerus clausus puisqu’on sait que les pratiques médicales seront différentes dans les années à venir et qu’il y aura encore moins de temps médical par médecin formé. Si je force le trait, pour avoir l’équivalent du temps médical consacré par un médecin à ce qu’il était il y a dix ans, il faudrait former deux médecins.

Mme Cécile Courrèges. Le numerus clausus est un équilibre entre les besoins de santé…

M. le président Alexandre Freschi. Qui vont croître.

Mme Cécile Courrèges.…qui, en effet, vont croître, le temps médical qui évolue différemment en fonction des pratiques médicales et les capacités de formation. C’est bien cet équilibre qui justifie le numerus clausus. Aussi le phénomène que vous évoquez est-il pris en compte mais n’est-il pas le seul.

M. Philippe Vigier, rapporteur. J’ai quelques questions flash à vous poser et si nous pouvions avoir également des réponses flash, cela nous fera gagner du temps.

Dans le questionnaire que nous vous avons adressé, nous vous demandions où en était le recensement exhaustif, demandé par la Cour des comptes et par plusieurs rapports sénatoriaux, des aides des collectivités territoriales. Il peut y avoir en effet des situations de concurrence.

Deuxième question rapide : les fameux professionnels de santé non-titulaires d’un diplôme de formation médicale qui ne sont pas inscrits au conseil de l’ordre sont de plus en plus nombreux et interviennent dans les hôpitaux. Êtes-vous favorables à leur inscription au conseil de l’ordre ? Êtes-vous favorables à ce qu’ils puissent exercer sous réserve de validation de leurs diplômes ?

Et la troisième question flash concerne les statuts des personnels dans les facultés. Qu’en est-il du statut de praticien libéral universitaire – très demandé par les médecins – qui permet d’avoir une activité libérale et de bénéficier du statut d’enseignant à la faculté ?

Mme Cécile Courrèges. Je parle sous le contrôle de François Lemoine mais le statut que vous venez d’évoquer existe déjà. Dans la filière de médecine générale, les universitaires exercent également une activité libérale clinique.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Les chefs de clinique assistants, certes, mais un praticien universitaire et libéral dans une filière autre que la médecine générale…

M. François Lemoine. Les départements de médecine générale sont constitués de professeurs et de maîtres de conférences, universitaires qui par ailleurs n’exercent pas à l’hôpital mais dans un cabinet libéral. Ce statut existe déjà, en effet.

M. Michel Varroud-Vial. Chaque année, en Île-de-France, il y a environ soixante-quinze assistants universitaires qui partagent leur activité entre un cabinet libéral et l’hôpital.

Mme Cécile Courrèges. Pour répondre à vos deux autres questions, monsieur le rapporteur, nous ne sommes pas capables d’obtenir le recensement exhaustif des aides des collectivités territoriales.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Pourquoi ?

Mme Cécile Courrèges. D’abord nous ne sommes pas compétents vis-à-vis des collectivités territoriales…

M. Philippe Vigier, rapporteur. Vous le leur avez demandé ? Écoutez, il suffit d’avoir accès aux délibérations des conseils départementaux et des conseils régionaux. Je rappelle que la loi oblige chaque année départements et régions à faire le bilan de toutes les aides économiques apportées, de toutes les aides aux associations. Ce bilan est annexé aux comptes administratifs.

Mme Ève Robert, membre de l’inspection générale des affaires sociales. Il n’est pas très difficile d’identifier ces délibérations qui sont bien connues et des étudiants et des ARS. La mise en place du guichet unique les rendra encore plus visibles. En revanche, les communes interviennent au titre de la clause générale de compétence et il y a donc 36 000 délibérations adoptées et régulièrement revues. Leur examen demanderait un travail colossal pour une plus-value sans doute limitée, l’essentiel étant que les étudiants en médecine bénéficient de ces aides. Ce travail sera mené au niveau infra-régional et, encore une fois, nous ne sommes pas certains de l’intérêt de le faire à l’échelon national.

En revanche, en ce qui concerne la concurrence qui peut naître entre les différents niveaux de collectivités ou entre une collectivité et une autre, on sait bien que certains départements vont offrir une prime de stage d’un montant supérieur à celui de la prime offerte par le département voisin. Il faut donc trouver une solution respectueuse de la libre administration des collectivités territoriales.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Et qu’en est-il de ma question sur les professionnels de santé non-titulaires, non-inscrits au conseil de l’ordre ? Combien sont-ils ?

Mme Cécile Courrèges. Nous ne le savons pas exactement puisque cet exercice est pour partie illégal. Aussi…

M. Philippe Vigier, rapporteur. Dans chaque hôpital, vous ne pouvez pas recueillir la liste des personnels concernés ?

Mme Cécile Courrèges. Non. Nous n’avons pas cette liste et les hôpitaux ne vont pas nous la donner puisque, je le répète, cette pratique est illégale.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Ils sont pourtant déclarés ne serait-ce que parce qu’ils sont payés !

Mme Cécile Courrèges. Non, ce n’est pas ainsi que le système d’information de la direction générale des finances publiques (DGFiP) fonctionne – il n’identifie pas la nationalité de la personne, par exemple – et je vous invite donc à poser votre question aux services de la DGFiP.

Nous avons une connaissance précise de ceux qui ont un statut relevant des différents cadres conçus pour les médecins pourvus d’un diplôme étranger, qui ont une possibilité d’intégration en France : un concours est organisé pour les praticiens extracommunautaires, dans le cadre des plateformes d’accueil diversifiées et d’urgence (PADU). Nous souhaitons conserver ce système car la France a vocation à accueillir des médecins et des professionnels étrangers tout en garantissant à la population la compétence, la qualification de ces professionnels. Il existe par ailleurs tout un système d’équivalences avec les autres pays membres de l’Union européenne, d’où proviennent la plupart des professionnels en question.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Les hôpitaux doivent remplir une déclaration annuelle de données sociales (DADS) avec recension nominative du personnel rémunéré…

Mme Cécile Courrèges. Vous demanderez à la DGFiP de vous renseigner.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Je fais confiance à ceux qui ont pu être, à un moment ou à un autre, chargés du comité de surveillance des hôpitaux et qui ont pu avoir accès à ces données…

Quelle est votre vision des choses sur les médecins adjoints ? Une expérimentation a été lancée qui a provoqué tout un débat sur la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) sur les honoraires, problème enfin réglé depuis quelques jours. Et il y a tous ces médecins remplaçants, qui sont dans la nature, et dont on évalue le nombre à 45 000 ou 47 000. Un nouveau statut vous paraît-il envisageable ?

M. Michel Varroud-Vial. Leur nombre augmente mais ils sont plutôt autour de 10 000 ou 11 000, chiffre déjà important et qui montre qu’il y a un certain délai à l’installation. Nous sommes tout à fait en phase avec vous sur l’intérêt que présente le dispositif de médecin adjoint. Il s’agit de médecins « non thésés » qui vont remplacer un médecin de façon permanente. Jusqu’à présent, ce dispositif était soumis à une autorisation préfectorale un peu compliquée. Nous souhaitons par conséquent que l’autorisation préfectorale soit remplacée par une simple information de l’Ordre. De même, nous souhaitons la suppression d’une disposition selon laquelle il faut renouveler cette autorisation tous les trois mois, ce qui est complètement dissuasif. Il faudra pour cela modifier la loi en vigueur.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Vous pensez donc qu’on pourrait établir un nouveau statut pour les médecins adjoints non « thésés » voire les remplaçants puisque vous savez qu’il y a des problèmes de rétrocession, considérés par eux comme un obstacle ?

Mme Cécile Courrèges. Pour les médecins adjoints, plusieurs pistes sont envisagées et il s’agit vraiment du genre de sujet que nous souhaitons prendre en main dans la logique du plan d’accès aux soins. Nous tâchons de lever les freins et cela dans un cadre interministériel car souvent nous abordons des thèmes fiscaux ou sociaux sur lesquels le ministère des solidarités et de la santé n’a pas la main – et sur lesquels nous avons déjà saisi le ministère des finances pour faire évoluer des dispositions comme l’application de la cotisation foncière des entreprises, la CFE.

M. le président Alexandre Freschi. Je reviens au statut des médecins remplaçants, qu’envisagez-vous ? On se rend compte en effet qu’il faut compter une dizaine d’années en moyenne entre la fin des études et l’installation.

M. Michel Varroud-Vial. Faciliter la vie des remplaçants est dans notre viseur, si je puis dire. Si certaines mesures devraient être prises à cette fin, nous ne sommes pas certains qu’il faille instaurer un statut du médecin remplaçant. Le délai entre la fin d’études et l’installation est plutôt de quatre à cinq ans, ce qui est certes déjà important puisqu’auparavant on s’installait sitôt sa thèse soutenue. On pourrait agir par exemple sur les cotisations sociales, des médecins remplaçants n’exerçant qu’à temps très partiel. Il faut donc trouver des équilibres : quand vous commencez votre vie professionnelle pendant quatre ou cinq ans avec des exonérations de charges sociales, c’est très agréable ; ce l’est beaucoup moins en fin de carrière. Depuis l’année dernière, les médecins remplaçants ont la possibilité d’adhérer au régime des praticiens et auxiliaires médicaux conventionnés (PAMC), ce qui renforce leur protection sociale.

Mme Jacqueline Dubois. Je vous remercie pour ces informations nombreuses. On constate qu’une dynamique est lancée. Nous avons largement évoqué les médecins et les équipes pluriprofessionnelles, mais je souhaiterais que les « petites mains » – les aides-soignantes travaillant aux fins fonds de nos territoires –, qui sont très utiles et interviennent auprès des personnes dépendantes maintenues à domicile, ne soient pas oubliées.

J’ai récemment été interpelée au sujet de la création d’un statut de l’aide-soignante indépendante ; cela serait-il envisageable et favorable à leurs intérêts ?

Mme Cécile Courrèges. Je ne suis pas en mesure de vous répondre, car nous n’avons pas été saisis de cette question. En revanche, je m’interroge, car l’aide-soignante travaille toujours au sein d’une équipe et dépend d’autres professionnels de santé. Les interventions de cette profession sont donc toujours coordonnées ou prescrites.

Notre philosophie consiste à ne pas laisser des systèmes se construire sur des logiques concurrentes ou autonomes, je ne suis pas sûre que cela favorise les prises en charge coordonnées susceptibles d’être prescrites.

M. Thomas Deroche. Nous venons d’autoriser l’intervention conjointe de l’hospitalisation à domicile (HAD) et des services de soins infirmiers à domicile (SSIAD), dont les aides-soignantes font partie, afin de laisser la complémentarité jouer entre la HAD et les aides-soignantes qui sont connues des patients, et permettre une gestion complémentaire mais pas concurrente.

Mme Jacqueline Dubois. Il serait possible d’imaginer que ces aides-soignantes fassent partie d’une équipe pluriprofessionnelle, qu’elles soient installées en libéral, et travaillent en coordination avec les infirmiers et les médecins. Il se trouve peut-être des endroits où il n’existe pas de couverture satisfaisante du territoire ; ce pourrait être une façon de valoriser ce métier.

M. Varroud-Vial. Le sujet que vous évoquez est effectivement très important. La valorisation du métier d’aide-soignante doit être poursuivie, particulièrement en augmentant leurs compétences dans des domaines triviaux comme pratiquer une glycémie capillaire à une personne diabétique âgée, ce qui n’est pas actuellement le cas, mais constitue un rôle infirmier prescrit.

Avec leur accord, nous travaillons à transférer un certain nombre de compétences aux aides-soignantes. Toutefois, l’exercice du métier d’aide-soignante n’existe pratiquement pas en ville en dehors des équipes médico-sociales, ce qui est un véritable « trou dans la raquette ». Je ne suis pas certain – mais ce débat n’a pas encore eu lieu – que le modèle libéral soit le plus simple, même s’il peut être attirant, car il emporte des contraintes de tarification dont la mise en place est complexe.

En revanche, l’intégration d’aides-soignantes au sein de l’équipe de soins infirmiers constitue peut-être une voie à envisager parce que nous avons à relever l’immense défi du maintien à domicile des personnes âgées relativement peu dépendantes, mais qui éprouvent des difficultés à se déplacer pour recevoir des soins. Cela passe par une force d’intervention composée de médecins, d’infirmiers et d’aides-soignantes, qu’il va falloir bâtir dans les territoires C’est une de nos préoccupations et probablement un objectif important pour les CPTS.

M. Marc Delatte. Le vieillissement et le maintien des personnes âgées à domicile constituent un enjeu important pour la société : lorsque l’on est vieux, on veut rester et mourir chez soi ; c’est pourquoi il faut faire évoluer le modèle de l’EHPAD. La France compte 1,5 million de personnes âgées de plus de 85 ans, mais ils devraient être 4,8 millions d’ici 2048, ce qui posera aussi la question du financement de leur prise en charge.

Je souhaite par ailleurs m’exprimer au nom des aides à domicile, que je connais pour les avoir rencontrées. Elles font un métier difficile, peu reconnu et sous-payé, elles souffrent d’un manque de formation, et sont en demande. Ne pourrait-il pas être fait appel aux écoles d’infirmières pour pallier ce manque et garantir une vraie reconnaissance aux intéressées, qui précisément concourent au maintien des personnes âgées à domicile, et partant, à une vie meilleure ?

Mme Cécile Courrèges. Dans la mesure où cette question relève du champ de compétence de la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) au nom de laquelle je ne puis m’exprimer, je préfère m’abstenir de répondre. Nous atteignons là les limites de nos attributions respectives.

M. Marc Delatte. D’où l’intérêt de ne pas travailler en silo…

Mme Cécile Courrèges. Nous travaillons actuellement ensemble à la feuille de route portant sur la prise en charge des personnes âgées annoncée par la ministre, qui comporte un volet important sur les diverses professions, qu’elles relèvent du domaine sanitaire et dépendent de la DGOS, ou plutôt du domaine social et relèvent de la DGCS. Un travail sur leur formation et la coordination de leurs interventions est engagé sous la direction de la DGCS, auquel la DGOS est pleinement associée.

C’est dans ce cadre que nous serons probablement conduits à évoquer la question de la formation et du statut des aides-soignantes.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Dans l’offre de soins, on distingue les soins dispensés à l’hôpital de ceux dispensés en ville : que pensez-vous de ce cloisonnement qui existe depuis tant d’années ? Demain, les groupements hospitaliers de territoire (GHT) deviendraient des structures regroupant les offres publiques et privées présentes dans les territoires.

Pourriez-vous nous livrer votre perception de la télémédecine car des initiatives différentes, parfois concurrentielles et pas toujours convergentes, ont été prises ?

Vous avez assez largement abordé la question des CPTS, mais qu’en est-il de leur animation au quotidien ? Nous avons entendu des médecins qui nous ont fait part de leur désarroi au sujet de leurs capacités à créer de telles structures et, surtout, à les faire vivre.

Dans le cadre des missions qui leur sont confiées depuis de longues années, mais aussi dans le cadre du plan d’égal accès aux soins dans les territoires lancé au mois d’octobre dernier, vous avez évoqué les consultations avancées dans les territoires. Quel bilan pouvez-vous en établir alors que des médecins hospitaliers, au regard de leur statut, refusent absolument de les pratiquer ?

Mme Cécile Courrèges. Il ne faut pas se méprendre sur l’objet des groupements hospitaliers de territoires, qui est avant tout de renforcer la coopération entre les hôpitaux publics ; c’est la base sur laquelle ils ont été créés. Vous êtes en effet, monsieur le rapporteur, bien placé pour savoir que ce n’est pas parce que vous avez le même statut que vous coopérez de façon naturelle, même si les missions et les attentes sont partagées, alors que vous le faites parfois beaucoup plus facilement avec une clinique.

Le renforcement de cette coopération constitue un réel enjeu, de même que le partage et l’intégration de certaines fonctions entre les GHT, alors que cette logique ne sera pas nécessairement partagée par l’ensemble des cliniques et hôpitaux privés. J’ai pour ma part connu des territoires où existaient des pôles de santé privés, mais on observe aussi des logiques très concurrentielles, opposant hôpitaux publics et privés, l’intégration devant être promue par les GHT ne pourra donc pas être systématiquement partagée par les établissements privés.

L’autre objet des groupements hospitaliers territoriaux est le projet médical partagé (PMP), pour lequel il s’agit d’organiser des filières de prise en charge. Jusqu’à présent, ce PMP a concerné les hôpitaux publics qui avaient besoin de définir ensemble ce qui relève de la proximité ou de la spécialisation. Nous venons de loin, car les GHT n’ont été créés qu’en 2016 et le PMP en 2017, le niveau d’ambition étant très variable selon les régions, car les situations y sont différentes. Il n’en faut pas moins continuer à déterminer un cadre pour les hôpitaux publics afin de conduire cette dynamique à son terme.

Nous devons maintenant passer à une autre étape : celle de l’ouverture de groupements hospitaliers régionaux sur leurs territoires. Il était indispensable que, pendant deux ans, les GHT travaillent beaucoup entre eux parce qu’ils avaient des choses à régler. Mais l’hôpital public ne peut pas se concevoir seul, isolé de ce qui l’entoure. L’enjeu est donc aujourd’hui celui de l’ouverture à d’autres acteurs présents dans le territoire ; à cette fin, les différents intervenants gagneront à s’organiser eux-mêmes, ce qui renvoie à la question de la structuration des soins de ville et des CPTS notamment.

Il sera en effet difficile pour un hôpital de se trouver face à une centaine de professionnels libéraux dispersés, isolés et non organisés. C’est pourquoi nous nous investissons beaucoup dans l’enjeu des CPTS et des GHT car, s’ils ne progressent pas, leur indispensable dialogue sera rendu moins aisé. Je rappelle enfin, comme à chaque fois que la confusion est faite, que le projet médical partagé n’est pas un projet médical de territoire : ce n’est pas à l’hôpital qu’il revient d’organiser l’ensemble des professionnels de santé de son ressort.

Nous souhaitons donc accentuer la démarche vers le projet médical de territoire, qui doit obligatoirement être coconstruit avec l’ensemble des acteurs.

Je n’ai guère abordé la question de la télémédecine, car il me semblait que vous l’aviez évoquée avec le directeur général de la CNAMTS, qui est en train de terminer la négociation conventionnelle devant lui conférer un statut de droit commun, évolution cruciale à mes yeux.

J’ai connu localement le développement de la télémédecine, qui est impliquée dans nombre de projets, dont beaucoup en dehors des expérimentations conduites par le ministère dans le cadre du programme Étapes (Expérimentations de télémédecine pour l’amélioration des parcours en santé), sans statut pérenne et chacun travaillant de façon isolée. Cette situation ne peut plus durer : soit on recourt à la télémédecine, soit on y renonce.

Si on croit en elle, on estime qu’elle peut devenir un espace de soins équivalent à la consultation physique, auquel cas il faut se lancer, entrer dans le droit commun et mettre un terme à la situation précédente dans laquelle, par crainte d’une dérive inflationniste, avait été pris un luxe inutile de précautions. Pour ma part, je souhaiterais pouvoir constater une augmentation significative des actes de télémédecine, car dans le cadre expérimental que nous avons connu jusqu’à présent leur nombre était extrêmement limité.

De fait, elle se développait beaucoup plus en dehors du programme Étapes. L’ARS des Pays de la Loire y a ainsi investi 800 000 euros par an dans le cadre d’un appel à projets spécifique. Beaucoup plus d’actes étaient ainsi réalisés sans aucun statut pérenne, et en dehors de ce que nous avions mis en place.

La télémédecine est donc une très bonne chose sans pour autant constituer l’alpha et l’oméga. Dans tous les cas elle requiert la présence d’un médecin ; en outre, des activités lui échappent, comme certaines consultations ; par ailleurs, tous les patients n’y ont pas accés. Mais il faut croire en cette pratique, ce qui implique d’accompagner les territoires dans son organisation. Car ce serait donner un coup d’épée dans l’eau que de ne pas aider les maisons de santé, les EHPAD et les hôpitaux de proximité à s’organiser et à s’équiper afin de pouvoir offrir ce service à la population.

S’agissant du financement des CPTS, vous avez raison, monsieur le rapporteur : c’est l’enjeu. C’est à juste titre que leurs représentants vous disent qu’ils sont insuffisamment accompagnés.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Qui finance l’animation et le maillage ?

Mme Cécile Courrèges. Les CPTS n’ont pas fait l’objet d’un cadre conventionnel, ils dépendent du FIR, ce qui n’a pas conduit à définir une politique claire. En effet le choix – que nous assumons – qui a été opéré pour les CPTS au moment de la construction de la loi a été de ne pas prendre un texte d’application afin de laisser la place aux initiatives. Cela présente l’avantage de laisser les mains libres aux territoires, mais aboutit à ce que les professionnels ne se sentent pas suffisamment sécurisés dans leur pratique. Il nous est en outre difficile de déterminer le modèle économique d’accompagnement de ces projets.

Nous savons désormais qu’il faut passer à une autre étape en conférant un modèle économique aux CPTS, ce qui implique que nous sachions les définir en déterminant leurs missions de base ainsi que d’autres, plus optionnelles, pour ceux ayant atteint une certaine maturité, et que nous assurions les financements correspondants.

M. Marc Delatte. Il ne faut pas voir dans la télémédecine, téléconsultation et télé-expertise, une panacée et l’ultime solution ; le meilleur service demeurant de l’humain à l’humain, car il ne faut pas perdre son âme.

S’agissant de la consultation avancée, il m’est revenu que les hôpitaux publics craignaient que l’on déshabille Pierre pour habiller Paul, car ils n’ont pas à constituer une réserve pour les soins de ville. Les médecins hospitaliers sont très peu nombreux à refuser les consultations avancées, le problème est qu’ils n’ont pas le temps de les faire.

C’est pourquoi les CPTS constituent à mes yeux la meilleure solution.

Mme Cécile Courrèges. Je considère effectivement que l’hôpital n’a pas vocation à se substituer à la médecine de ville, que nous souhaitons renforcer. Pour autant, dans certains territoires et pour certaines spécialités, les difficultés d’accès sont bien réelles, car la médecine générale n’est pas la seule concernée et il faut aussi prendre en compte la démographie des spécialistes.

C’est à ce titre que les consultations hospitalières avancées apportent une valeur ajoutée, et il ne s’agit que de consultations de spécialités. En revanche, si la démographie médicale en ville est souvent évoquée, celle de la démographie en milieu hospitalier peut aussi poser problème. Et si certains établissements hospitaliers éprouvent des difficultés à développer les consultations avancées, c’est parce qu’ils connaissent des difficultés démographiques dans certaines spécialités.

C’est pourquoi nous devons beaucoup plus nous tourner vers des projets médicaux partagés de territoire afin de pouvoir faire appel à l’ensemble des ressources médicales disponibles.

M. Philippe Vigier, rapporteur. En ce qui concerne les GHT, je pense comme vous qu’il faut optimiser les parcours de soins des patients.

Dans mon département une concurrence s’exerce entre les IRM et les scanners, des autorisations sont attribuées et des appareils fonctionnent à 40 %, d’autres à 85 %. Au-delà des dépenses qui sont parfois insupportables – nous sommes en pleine loi de règlement dans le cadre du « printemps de l’évaluation » –, un pilotage de l’ensemble de l’offre publique et privée de soins ne constituerait-il pas une bonne solution pour savoir qui fait quoi, comment, dans quelles conditions ? Et pourquoi pas un encadrement des dépassements d’honoraires et autres ?

Comment faire sans une telle volonté de pilotage ?

Par ailleurs, certains plans régionaux de santé ont été refusés à l’unanimité par les conseils régionaux ; cela interroge car ces plans ont été élaborés par les ARS.

Mme Cécile Courrèges. Ma réponse à votre première question ne va pas vous plaire : le pilote répartiteur de l’offre en région est l’agence régionale de santé, toutes les activités étant soumises à régulation, c’est elle qui doit s’assurer de la complémentarité de l’offre sur le territoire.

Il n’en est pas moins vrai que la situation que vous évoquez au sujet de l’imagerie médicale est assez révélatrice de ces préoccupations, la concurrence étant parfois très vive. Nous avons toutefois les moyens de réguler. Ainsi, dans la région Pays de la Loire, je ne décernais pas d’autorisation d’IRM qui n’était pas portée par un GIE (groupement d’intérêt économique) de coopération entre les secteurs public et privé. Cela afin de faire en sorte que l’offre soit toujours commune : c’est pourquoi j’ai refusé à des hôpitaux comme à des cliniques des autorisations d’IRM au motif qu’elles ne remplissaient pas ces critères.

Ce sont là des choses susceptibles d’être inscrites dans le projet régional de santé.

Nous avons engagé la réforme du régime des autorisations dans le cadre de laquelle nous réfléchissons à une meilleure prise en compte de ces dimensions de territoire. Car, vous l’avez souligné, ces autorisations sont actuellement déposées offre par offre, et lorsqu’il y a des projets concurrents, la commission spécialisée pour l’organisation des soins (CSOS) doit trancher. En dernier ressort, le juge est l’ARS, dans un cadre juridique qui lui permet de refuser ou non l’autorisation, et les affaires aboutissent souvent au contentieux, le juge demeurant le régulateur final.

C’est pourquoi nous souhaitons prendre plus en compte l’offre de territoire au détriment de l’offre porteur par porteur. Ce n’est pas gagné, car les premières discussions que nous avons avec les diverses fédérations, qu’elles soient publiques ou privées, montrent qu’il leur est difficile d’entrer dans cette logique, l’esprit de concurrence et la suspicion étant encore très présents.

S’agissant des projets régionaux de santé, ce sont des avis qui sont rendus, la démarche doit être la plus participative possible, mais des décisions doivent être prises. Pour avoir exercé dans plusieurs régions, j’ai constaté que les cultures sont très différentes : dans certaines l’atmosphère est sereine, la légitimité de l’État est reconnue, et les PRS recueillent des avis très favorables, dans d’autres ce n’est pas le cas.

Il faut par ailleurs accepter qu’organiser l’offre dans un territoire signifie la recomposer, ce qui implique de faire bouger des activités, et ne fait pas toujours consensus, car chacun représente légitimement ses intérêts, particulièrement lorsque l’on est amené à mettre un terme à certaines activités. Il faut toutefois conserver à l’esprit que, pour des raisons historiques, culturelles ou d’action publique, le niveau de l’offre varie beaucoup d’une région à l’autre. Dans certaines, l’organisation de l’offre est stabilisée et il n’y a guère lieu de réorganiser l’offre au sein des PRS, ce qui était le cas dans les Pays de la Loire. Dans d’autres régions, ces réorganisations n’ont pas été faites, et il faut y procéder aujourd’hui dans un contexte moins propice parce que les conditions financières d’accompagnement ne sont plus les mêmes. Il est donc très difficile d’obtenir un avis favorable à un projet régional de santé qui prévoit la fermeture d’activités, même s’il est nécessaire dans ces situations.

M. le président, Alexandre Freschi. Merci beaucoup, mesdames et messieurs pour vos propos.

 

 

 

 

 

 


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Audition de Mme Mathilde Lignot-Leloup, directrice de la Sécurité sociale, et de M. Hugo Gilardi, adjoint au sous-directeur du financement
du système de soins

Présidence de M. Alexandre Freschi, Président de la commission denquête

M. le président Alexandre Freschi. Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux avec l’audition de la direction de la sécurité sociale (DSS), représentée par sa directrice, Mme Mathilde Lignot-Leloup, et M. Hugo Gilardi, adjoint au sous-directeur du financement du système de soins.

Je rappelle que nous avons décidé de rendre publiques nos auditions. Par conséquent, celles-ci sont ouvertes à la presse. Elles sont diffusées en direct sur un canal de télévision interne et donnent lieu à une vidéo qui peut être consultée sur le site internet de l’Assemblée.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. C’est ce que je vous invite à faire avant de vous céder la parole.

(Mme Mathilde Lignot-Leloup et M. Hugo Gilardi prêtent serment.)

Mme Mathilde Lignot-Leloup, directrice de la sécurité sociale. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, la direction de la sécurité sociale travaille, dans le cadre de son domaine de compétence, à la mise en œuvre du plan d’égal accès aux soins lancé par le Gouvernement en octobre dernier.

Il est clair qu’il n’existe pas de solution miracle pour améliorer la présence médicale dans les territoires où l’offre de soins est insuffisante. C’est en laissant à la disposition des acteurs un panel d’outils qu’il est possible d’agir sur le terrain.

La direction de la sécurité sociale se concentre sur quatre leviers : favoriser l’installation et le maintien des professionnels de santé ; faciliter l’exercice coordonné ; encourager les délégations de compétences ; soutenir le développement de la télémédecine.

Pour favoriser l’installation et le maintien des professionnels de santé, nous nous appuyons sur les contrats incitatifs négociés dans la convention médicale. Une autre piste intéressante consiste à rechercher comment accroître le temps de présence médicale, même s’il n’y a pas d’installation définitive. Dans ce but, nous cherchons à faire monter en charge le dispositif du contrat solidarité territoriale médecin (CSTM) qui permet d’inciter les médecins à assurer des heures de consultation dans ces zones. L’avenant 6 qui vient d’être conclu par l’assurance maladie renforce l’incitation financière : la majoration financière passera de 10 % à 25 % des honoraires. Nous devrons promouvoir ce nouveau dispositif et mieux le faire connaître.

Nous développons également le cumul emploi-retraite : le plafond d’autorisation a été relevé depuis le 1er janvier 2018.

Nous allons en outre favoriser l’exercice mixte dans ces zones en renforçant la présence de remplaçants. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 (LFSS) a permis aux médecins candidats au remplacement ne plus être soumis au délai préalable d’exercice libéral de trente jours. Nous allons poursuivre les travaux dans ce sens.

Le deuxième levier sur lequel nous avons beaucoup travaillé est le soutien à l’exercice coordonné. Les travaux de l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES) ont montré que la présence de maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) et de centres de santé d’exercice regroupé constituait une incitation pour les professionnels à rester dans les territoires ou à venir s’y installer. L’accord conventionnel interprofessionnel (ACI) prévoit un développement de ces dispositifs. Nous souhaitons utiliser le cadre d’innovation organisationnelle établi par l’article 51 de la LFSS pour 2018 afin d’expérimenter sur le territoire des modalités d’incitation aux exercices regroupés ou coordonnés. Un appel à manifestation d’intérêts a été publié en mai dernier pour engager les maisons de santé pluriprofessionnelles à faire évoluer leurs actions. Ces dispositifs peuvent être pilotés au niveau national, mais ils visent surtout à favoriser l’émergence de projets locaux et à les soutenir.

Le troisième levier consiste à encourager les délégations de compétences pour dégager du temps médical et le recentrer sur certaines prises en charge, en particulier dans les zones sous-denses. La DSS a notamment soutenu l’expérimentation ASALEE – Action de santé libérale en équipe – qui repose sur une distribution des tâches entre médecins et infirmiers. L’évaluation effectuée par l’IRDES a montré que l’intervention des infirmières ASALEE dans les territoires sous-denses avait permis aux médecins de dégager au moins 10 % de temps médical. Forts de ces résultats, nous avons prévu d’augmenter le nombre d’infirmiers participant au dispositif : nous déploierons 100 équivalents temps plein supplémentaires, ce qui permettra d’atteindre un total de 400 ETP en 2018. En outre, la LFSS a inscrit ASALEE dans un mécanisme de financement de droit commun.

La LFSS a également défini des priorités pour les protocoles de délégations de compétences : un arrêté publié en début d’année permettra de fluidifier leur élaboration. Nous pourrons certainement aller plus loin. Deux protocoles seront généralisés en matière de soins visuels, qui constituent une priorité dans certains territoires. Ils s’appuieront notamment sur une collaboration entre ophtalmologues et orthoptistes.

Nous disposons donc d’instruments nouveaux ; reste à accélérer leur mise en œuvre et leur déploiement.

Quatrième levier : le développement de la télémédecine et de la télé-expertise. L’assurance maladie vient de conclure un accord avec les représentants des médecins : à partir du 15 septembre 2018, la téléconsultation rentrera dans le droit commun, conformément aux dispositions de la dernière LFSS, et, en 2019, la télé-expertise sera développée partout en France.

Les délégations de compétences et la télémédecine concernent l’ensemble des territoires, mais présentent un intérêt particulier dans les zones sous-denses où elles permettent de faire face à la pénurie de médecins.

La DSS participe, dans le cadre de ses compétences, au plan d’égal accès aux soins. À mesure que les territoires s’empareront des différents outils mis à leur disposition, nous verrons les dispositifs qui fonctionnent bien, ceux qui fonctionnent moins bien et nous proposerons des adaptations en conséquence.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Comme vous l’avez très bien dit vous-même, la solution ne réside pas dans un outil en particulier mais dans un panel d’outils.

Notre commission porte sur l’« accès aux soins des Français sur l’ensemble du territoire ». Pour la sécurité sociale, un tel intitulé a un sens. À vos yeux, quelles sont les plus grandes inégalités à l’heure actuelle ? Elle a également pour objet « l’évaluation des politiques publiques ». Quels sont les bons et les mauvais points que vous pourriez décerner ?

Il existe des solutions immédiates à travers les dispositifs de médecins remplaçants et les médecins adjoints. Comment accélérer leur déploiement pour renforcer la présence de ces professionnels et enrichir l’offre de soins ?

Par ailleurs, même si quelques efforts ont été accomplis en matière de prise en charge de cotisations, l’indemnisation du congé maternité reste un problème pour les femmes médecins qui exercent en libéral. Dans la situation de crise que nous traversons, des solutions s’imposent, ne serait-ce qu’à titre transitoire. Quelles propositions feriez-vous ?

Ma dernière question portera sur l’exercice mixte entre la médecine de ville et la médecine hospitalière. Quelles sont vos préconisations ? Beaucoup de généralistes expriment le souhait d’exercer aussi dans des structures hospitalières. Nous avons même auditionné un jeune généraliste ayant monté une start-up qui travaille le matin dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), qui reçoit l’après-midi ses patients dans son cabinet et qui, à partir de dix-sept heures, se consacre à des soins non programmés grâce à une application informatique.

Mme Mathilde Lignot-Leloup. Je répondrai d’abord à votre question sur l’évaluation des dispositifs : qu’est-ce qui marche, et qu’est-ce qui marche moins bien ?

Les études de l’IRDES ont montré que l’exercice regroupé coordonné, notamment au sein des maisons de santé pluriprofessionnelles, constituait un bon moyen de maintenir les professionnels dans un territoire et de les inciter à s’y installer.

Les évaluations ASALEE ont souligné les effets positifs des délégations de compétences : elles ont permis aux médecins de gagner du temps pour se recentrer sur les soins à plus-value médicale.

Nous devons faire en sorte de développer plus largement ces deux dispositifs sur l’ensemble du territoire. Les MSP ont déjà vu leur nombre doubler. Il faudra aller plus loin encore, en améliorant l’adéquation entre le temps disponible des médecins libéraux et le maillage territorial.

Le nouveau dispositif de prise en charge des congés maternité des femmes médecins mis en place depuis l’automne dernier dans le cadre de la convention médiale devrait faciliter leur installation en libéral.

Le dispositif de cumul emploi-retraite, qui contribue au maintien d’une présence médicale, a connu une forte augmentation depuis 2009. Aujourd’hui, 12 000 médecins cumulent emploi et retraite, dont 50 % de médecins généralistes. Grâce au relèvement, depuis le 1er janvier 2018, du plafond d’autorisation de 11 500 euros à 40 000 euros, ce dispositif devrait connaître un développement accru. Il est encore trop tôt pour en mesurer les effets mais nous disposerons au début du mois de juillet de premiers éléments qui permettront de dresser un premier bilan.

L’incitation à l’exercice mixte est l’une des pistes sur lesquelles nous travaillons avec la direction générale de l’offre de soins (DGOS). Deux modalités principales peuvent être envisagées : l’exercice salarié de médecins hospitaliers dans le cadre de consultations avancées dans les territoires, l’exercice en libéral en complément de l’activité à l’hôpital. Il faudra veiller à lever les obstacles liés au statut de praticien hospitalier afin d’élargir les possibilités d’exercer une activité libérale en plus de l’activité salariée. Nous nous tournerons également vers les conseils de l’ordre pour faciliter l’exercice dans des cabinets secondaires.

M. le président Alexandre Freschi. Madame Lignot-Leloup, vous avez surtout insisté sur les dispositifs qui fonctionnaient. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur ceux qui fonctionnent moins bien ? Certaines analyses montrent que les incitations financières à l’installation ne sont pas pleinement efficaces. Qu’en pensez-vous ?

Mme Mathilde Lignot-Leloup. Les incitations financières à l’installation ont connu des évolutions dans le cadre de la convention médicale en 2016. Nous sommes partis d’un double constat : il fallait sans doute moins insister sur le maintien des praticiens établis et donner davantage de visibilité aux aides destinées à l’installation de jeunes médecins ; ensuite, il était plus judicieux de favoriser la venue de médecins dans ces zones pour une période temporaire que d’encourager les installations pérennes, toujours plus délicates à obtenir. À cet égard, le contrat type régional solidarité territoriale médecin apparaît comme un outil particulièrement utile et mériterait d’être développé : il incite les médecins à assurer des jours de consultation dans les zones sous-denses. Pour être tout à fait honnête, nous estimons qu’il n’est pas suffisamment développé. Dans la convention médicale précédente, le CSTM n’avait pas rencontré le succès espéré ; il a donc été reconfiguré pour le rendre plus lisible et plus incitatif. L’avenant 6 qui vient d’être signé prévoit une majoration des aides financières. Nous devons maintenant le faire mieux connaître et le développer. Cela permettra d’accroître les offres de soins spécialisés et de disposer d’un outil efficace en termes d’appui dans les territoires.

M. le président Alexandre Freschi. Comment envisagez-vous le déploiement de la télémédecine et de la télé-expertise ? Il existe de nombreuses initiatives au niveau départemental ou au niveau régional, mais elles ne semblent pas toujours bien coordonnées.

Mme Mathilde Lignot-Leloup. Nous avons levé deux freins liés au caractère expérimental de la télémédecine en faisant entrer sa rémunération dans le droit commun et en supprimant l’obligation pour les praticiens de s’inscrire en amont auprès des agences régionales de santé (ARS). Cela devrait faciliter son déploiement sur l’ensemble du territoire.

Le développement des téléconsultations reposant sur des équipements, il faudra développer l’appui aux médecins, notamment à travers le « forfait structure ». Nous comptons sur l’assurance maladie pour faire connaître ces nouveaux outils et sur les ARS pour soutenir leur déploiement.

M. Marc Delatte. Prenons garde à ne pas mettre en place des usines à gaz. Nous sommes face en effet à une succession de propositions, qui me semblent tout à fait efficientes, mais qu’il faut parvenir à articuler dans les bassins de vie et les territoires. Il faut, pour cela, faire confiance aux pratiques et aux innovations que proposent les professionnels de santé et pouvoir leur répondre rapidement : trois ans pour mettre en œuvre une maison pluridisciplinaire de santé, c’est beaucoup trop long pour les patients, car nous sommes dans une situation d’urgence.

Je souhaite également revenir sur le rôle des délégués d’accès aux soins : pourriez-vous nous détailler quelles sont leurs missions, leurs qualités et sur quels critères ils sont recrutés ?

Plusieurs médecins de l’Aisne m’ont interrogé sur le fait de savoir si une maison pluridisciplinaire de santé dotée de quatre médecins ne pourrait pas faire de la pratique avancée, les médecins se déplaçant une fois par semaine dans un rayon de dix à quinze kilomètres.

En ce qui concerne les incitations financières, je ne pense pas que ce soit une réelle motivation. Je connais par exemple un médecin, à Marly-Gomont, qui préférait qu’on  exonère la rémunération de ses gardes…

Enfin, je suis plutôt dubitatif sur le contrat de solidarité territoriale médecin (CSTM) et les incitations financières qui lui sont liées. Il me semble que contractualiser avec les MSP serait un dispositif beaucoup plus efficient.

Mme Jacqueline Dubois. Dans mon département de Dordogne, plusieurs maisons de santé sont confrontées au même problème : de jeunes médecins viennent s’y installer, mais pour en partir au bout de deux ou trois ans, laissant la maison de santé sans médecin, pendant parfois un ou deux ans. Pensez-vous que les incitations proposées sont suffisantes dans le cadre d’un exercice individuel ? Ne faudrait-il pas réfléchir à des regroupements territoriaux ou pluriprofessionnels ?

En ce qui concerne les délégations de tâches, comment s’opère le partage de la rémunération dans le cadre des protocoles de coopération simplifiés entre professionnels de santé ?

M. Didier Baichère. La télémédecine est un sujet qui revient dans pratiquement chacune de nos auditions. Je suppose que sa mise en place va nécessiter d’importants investissements financiers. Se poseront par ailleurs des questions d’interopérabilité et de compatibilité entre les différentes technologies utilisées. Sans oublier celle de la sécurisation des données personnelles des usagers.

J’ai cru comprendre de ce que vous nous avez dit que la télémédecine bénéficiait de financements mais, pour le reste, qu’en est-il de la coordination globale de ce projet, de l’interopérabilité, voire de l’équité des financements selon les territoires ? Au-delà des expérimentations actuelles par les ARS, a-t-on planifié au niveau national le développement du projet pour faire en sorte que la France fasse en la matière les bons choix technologiques ?

Mme Mathilde Lignot-Leloup. Monsieur Delatte, vous avez posé à juste titre la question de la lisibilité de l’offre. Nous devons en effet faire en sorte que le panel d’outils à disposition des professionnels de santé sur le terrain soit clair et lisible, de manière à ce qu’ils comprennent quels sont les types d’aides auxquelles ils ont droit et à qui s’adresser. C’est la raison pour laquelle, dans le plan d’accès aux soins, il est aussi prévu un guichet unique, organisé par les ARS et l’assurance maladie, pour informer les professionnels de santé sur l’ensemble des dispositifs, dès lors qu’ils veulent venir s’installer sur un territoire. Il s’agit d’avoir à la fois un panel de solutions diversifiées et une information centralisée et unique.

En ce qui concerne le CSTM, il peut en effet être intéressant de contractualiser avec une MSP, dans le cadre d’un exercice regroupé. Cela peut notamment permettre à ces centres de proposer ponctuellement une offre de médecine spécialisée supplémentaire, le temps de la présence du médecin contractant. C’est en tout cas un outil de plus dans le panel dont nous disposons.

Quant aux délégués d’accès aux soins, ils s’insèrent dans le plan d’accès aux soins pour le faire vivre. Nous avons mis en place un certain nombre d’outils, mais des bilans sont régulièrement effectués par le comité de pilotage, dont la prochaine réunion aura lieu début juillet. Nous avons souhaité que, lors de ces réunions, le comité puisse examiner les initiatives intéressantes mises en place sur le terrain. Les délégués ont donc pour mission de nous faire remonter ces initiatives afin que, le cas échéant, nous puissions les traduire par des mesures qui viendront compléter ce plan.

Madame Dubois, vous avez raison de dire que l’un des enjeux des incitations financières, c’est de convaincre les professionnels d’exercer de manière coordonnée, notamment dans les MSP. C’est une des pistes de réflexion que nous approfondissons. C’est ainsi que, dans le cadre de l’ACI, les maisons de santé pluriprofessionnelless peuvent bénéficier d’aides financières plus importantes en fonction notamment des services supplémentaires qu’elles offrent aux patients. L’enveloppe qui leur est destinée a d’ailleurs doublé entre 2016 et 2017.

En ce qui concerne les délégations de compétences, un des freins à leur développement tient précisément au partage des rémunérations entre le déléguant et le délégataire – autrement dit, pour parler concrètement, entre le médecin et l’infirmier, l’ophtalmologue et l’orthoptiste. Dans le cadre du protocole ASALEE, c’est l’association qui rémunère directement l’infirmière et prend en charge ses dépenses professionnelles ; l’impact est donc nul pour le médecin traitant. Il nous reste à prévoir une manière de généraliser ce dispositif. En ce qui concerne les ophtalmologues et les orthoptistes, le tarif du bilan visuel pratiqué par l’orthoptiste et validé par l’ophtalmo est fixé à 28 euros ; cette somme va à l’ophtalmo, qui rémunère ensuite l’orthoptiste en tant que salarié. Il s’agit désormais de décliner ce dispositif en libéral, pour lui permettre de se développer.

Monsieur Baichère, pour ce qui concerne la télémédecine, l’enjeu est en effet de développer un système interopérable, avec des dispositifs de facturation et de transmission des données valables sur la France entière. La DSS et la CNAM sont en train de mettre en place un dispositif de facturation qui utilise le système SESAM-Vitale et devrait être opérationnel pour les téléconsultations à partir de l’automne prochain.

M. Hugo Gilardi, adjoint au sous-directeur du financement du système de soins de la Direction de la sécurité sociale. En ce qui concerne l’harmonisation technique, l’Agence des systèmes d’information partagés de santé (ASIP) a été saisie sur la question des protocoles communs minimums, sachant que cette harmonisation ne doit pas aboutir à un dispositif trop lourd qui aggraverait les contraintes et pèserait sur le déploiement du dispositif. À ce stade le seul impératif qu’impose la loi, c’est que les téléconsultations se fassent par vidéotransmission.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Je souscris à ce qu’a dit Didier Baichère sur l’interopérabilité. Vous avez parlé, quant à vous, de l’entrée de la télémédecine dans le droit commun. Que va-t-il advenir dès lors des différentes expériences qui ont été menées dans les territoires, notamment en Franche-Comté ? Par ailleurs, les pharmaciens sont demandeurs de cabines de télémédecine, mais la DGOS nous a expliqué que l’intervenant de télémédecine devait nécessairement être un médecin. Comment comptez-vous donc faire pour que ce nouveau service réponde aux besoins propres à chacun et à chaque territoire ?

J’aimerais également connaître votre position sur le dossier médical partagé (DMP), qui est, selon moi, un outil indispensable du parcours de soins. La direction de la sécurité sociale a-t-elle l’intention d’investir dans son développement ?

Enfin, un certain nombre de conventions ont été établies avec des professionnels qui ont accepté des mesures de régulation. Les seules qui n’ont pas été mises en place, ce sont celles qui concernent les médecins : quelles sont donc vos préconisations pour faire évoluer le dispositif ?

Mme Mathilde Lignot-Leloup. Le dossier médical partagé est effectivement un outil très important pour garantir une continuité de la prise en charge et le partage d’informations entre les professionnels de santé. La relance du dispositif est prévue, son déploiement ayant été confié à l’assurance maladie. Une première série de tests a été menée dans des territoires pilotes, pour voir comment le DMP pouvait être à la fois mieux utilisé par les professionnels de santé et mieux déployé sur le terrain entre médecine de ville, hôpital et secteur médico-social. La priorité a été de faire en sorte que ce DMP soit facile d’utilisation pour les professionnels de santé, et nous avons beaucoup travaillé avec les éditeurs de logiciel pour réussir à l’intégrer dans les logiciels métiers des médecins et des hôpitaux. Il s’agit non seulement de garantir son interopérabilité mais également de permettre au praticien de l’alimenter en direct sans avoir besoin de sortir de son logiciel métier. Nous avons également veillé à ce que l’hôpital puisse facilement transmettre les comptes rendus d’hospitalisation à travers le DMP, manière d’inciter les médecins de ville à l’utiliser.

En second lieu, nous faisons également en sorte que le DMP contienne désormais l’historique des remboursements de l’assurance maladie. Il est ensuite prévu que le DMP puisse être déployé à partir de l’automne prochain sur la France entière, au-delà de la dizaine de départements pilotes. Nous suivrons sa montée en charge jusqu’à la fin de l’année, l’idée étant qu’il soit mieux connu et davantage utilisé par les professionnels de santé afin de devenir un véritable outil de régulation.

Vous avez rappelé que des dispositifs de régulation avaient été mis en place entre zones sous-denses et sur-denses. Ils s’appliquent aux professions dont le dynamisme est important, autrement dit les professions dans lesquelles le nombre de primo-installations est important et donne tout son sens au rééquilibrage par la régulation.

Deux raisons expliquent que ce dispositif ait d’abord été déployé avec les infirmières, puis les masseurs-kinésithérapeutes et les sages-femmes : d’une part, ces professions connaissent des écarts de répartition entre départements beaucoup plus importants que chez les médecins généralistes – ils peuvent aller d’un à huit pour les infirmières et les masseurs-kinésithérapeutes ; d’autre part, comme je l’ai dit, ce sont des professions où les installations en libéral sont en forte croissance – + 8 à 9 % par an pour les sages-femmes – et où les mesures consistant à n’autoriser l’installation dans une zone qu’en cas de départ d’un autre professionnel ou à proposer des incitations à s’installer dans des zones sous-denses prennent donc toute leur efficacité. Ce n’est pas le cas pour les médecins généralistes : non seulement leur répartition territoriale est plus homogène, mais la profession souffre par ailleurs d’une pénurie d’installations en libéral. On ne peut donc avoir recours aux mêmes outils de régulation.

Lorsque je parle d’entrée dans le droit commun de la télémédecine, je vise les téléconsultations auprès de médecins, dans le cadre de la convention médicale. D’autres professionnels de santé demandent de pouvoir eux aussi pratiquer des actes de télémédecine. Pour ce qui concerne les officines de pharmacie, nous devons donc étudier la question et voir comment cela peut s’organiser, l’installation des cabines notamment, sachant qu’en tout état de cause, la consultation doit se faire avec un médecin. Quoi qu’il en soit, dans le cadre de la convention médicale, il est d’ores et déjà possible de développer les téléconsultations dans les centres de santé ou chez les médecins de ville.

M. Didier Baichère. Si j’ai bien compris ce que vous nous avez dit, les maisons de santé pluriprofessionnelles qui prétendent à un financement complet doivent exposer un projet de soins territorial et pluridisciplinaire, dont l’acceptation débloque les financements. Comment évaluez-vous ensuite la mise en place effective du projet et selon quel dispositif ?

Mme Mathilde Lignot-Leloup. En réalité, ce qui est demandé aux MSP pour bénéficier des aides prévues dans la convention, c’est un peu plus qu’un projet de santé. Des objectifs et des indicateurs ont été définis, qui permettent notamment de s’assurer que la mise en place de la MSP se traduit par une augmentation des services rendus au patient. Le cahier des charges comporte notamment des indicateurs et des exigences en matière d’amplitude d’ouverture de la MSP au public, ainsi que des objectifs en termes de prise en charge des soins non programmés, ce qui nécessite le maintien de plages horaires sans rendez-vous. D’autres indicateurs et d’autres objectifs se déclinent également en matière de coordination des soins et de système d’information, car le regroupement en MSP doit évidemment s’accompagner d’un partage coordonné des éléments d’information entre les différents professionnels.

En fonction des résultats que produit la MSP eu égard aux indicateurs et aux objectifs du cahier des charges, les aides financières qui lui sont allouées seront plus ou moins importantes. Elle peut donc augmenter ces dotations en renforçant à la fois son intégration et sa réponse aux objectifs.

D’abord établi par un règlement arbitral de 2015, le dispositif relève, depuis 2017, d’une convention qui permet un suivi annuel des objectifs et une modulation des aides en conséquence.

M. Marc Delatte. Les soignants sur le terrain, les médecins et les infirmiers connaissent leur métier, et ils savent travailler ensemble de manière efficace. Pourquoi ne pas leur faire confiance et les accompagner en amorçant la pompe pour leur permettre de construire leur maison pluridisciplinaire, quitte à suivre ensuite leur projet ? Je crains autrement que la lourdeur des procédures ne ralentisse à l’excès la mise en place de cette offre de soins pour les usagers. J’insiste sur cette notion de confiance, sans laquelle on risque de condamner un certain nombre d’initiatives. Beaucoup de professionnels renoncent déjà aux MSP, rebutés par le mille-feuille administratif et par l’idée de devoir quémander de l’argent.

Quant au guichet unique, si son rôle se limite à l’information, vous pouvez mettre la clef sous la porte : il ne servira à rien.

Mme Mathilde Lignot-Leloup. Le degré de maturité des MSP est effectivement très variable selon les territoires, et c’est tout l’enjeu de ce guichet unique qui réunit l’ARS et les caisses primaires d’assurances maladie de mieux informer, dans un premier temps, les professionnels sur le terrain, mais aussi de servir d’incubateur et de les accompagner afin que les MSP puissent se développer et intégrer le cadre du dispositif conventionnel qui leur permet d’obtenir des financements dès lors qu’elles remplissent leurs objectifs.

Sur le nombre total de MSP – elles sont environ un millier aujourd’hui –, seule la moitié bénéficie pour l’instant des aides financières prévues par l’ACI. L’objectif, à terme, c’est non seulement que ces MSP se multiplient mais surtout qu’elles soient plus nombreuses à bénéficier des aides conventionnelles.

M. le président Alexandre Freschi. Il existe actuellement très peu de zones sur-denses, même en Île-de-France : le déficit de médecins généralistes est devenu à peu près partout une réalité. J’aimerais néanmoins connaître votre position sur le conventionnement sélectif ou le déconventionnement, qui, du reste, n’a jamais été appliqué. Si les orientations que vous proposez ne s’avéraient pas assez efficaces, pensez-vous que cela reste une piste exploitable ?

Mme Mathilde Lignot-Leloup. Comme vous le rappelez, nous n’avons plus de zone sur-dense en médecins généralistes. Cela étant, on constate dans les autres pays qui ont mis en place des dispositifs similaires – c’est notamment le cas de l’Allemagne – que ces dispositifs n’atteignent pas leur objectif et que, souvent, les médecins ne s’installent pas dans les zones sous-denses qui en ont vraiment besoin, mais en périphérie. Ces mesures risquent par ailleurs d’être d’autant moins efficaces chez nous que, ainsi que je l’ai évoqué, la médecine générale ne bénéficie pas d’une démographie dynamique, contrairement aux infirmières, sages-femmes et masseurs-kinésithérapeutes. Je n’y vois donc pas une piste permettant d’assurer un rééquilibrage et de répondre à la demande des zones sous-denses.

M. le président Alexandre Freschi. Merci beaucoup pour vos réponses et votre disponibilité.

 


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Audition du Dr Bertrand Joseph, médecin coordonnateur de la maison de santé pluriprofessionnelle (MSP) de Grindelle Châteaudun et président de la communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) Sud 28, et de

Mme Sylvie Mathiaud, chargée de mission à la Mutualité sociale agricole Beauce Cœur de Loire

Présidence de M. Alexandre Freschi, Président de la commission denquête

M. le président Alexandre Freschi. Mes chers collègues, nous achevons nos travaux de la matinée par l’audition du docteur Bertrand Joseph, médecin coordonnateur de la maison de santé pluri-professionnelle (MSP) de Grindelle Châteaudun et président de la communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) Sud 28, et de Mme Sylvie Mathiaud, chargée de mission à la Mutualité sociale agricole Beauce Cœur de Loire.

Madame, monsieur, au nom de la commission d’enquête, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de votre présence. Je vous informe que nous avons décidé de rendre publiques nos auditions et que, par conséquent, celles-ci sont ouvertes à la presse et rediffusées en direct sur un canal de télévision interne puis consultable en vidéo sur le site internet de l’Assemblée nationale.

Je vais vous donner la parole pour une intervention liminaire d’une durée de cinq minutes qui précédera nos échanges avec les membres de la commission présents. Mais, auparavant, je dois vous demander, conformément à l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Bertrand Joseph et Mme Sylvie Mathiaud prêtent successivement serment.)

Dr Bertrand Joseph, médecin coordonnateur de la Maison de santé pluri-professionnelle de Grindelle Châteaudun et président de la communauté professionnelle territoriale de santé Sud 28. Je veux tout d’abord remercier les membres de votre commission, et notamment son président et son rapporteur, de me permettre de m’exprimer sur la question de l’égal accès aux soins. Médecin généraliste, installé en 1993, j’ai, durant vingt ans, exercé en libéral de manière isolée. Depuis cinq ans, j’exerce au sein d’une maison de santé pluri-professionnelle, dans laquelle je suis maître de stage universitaire et animateur de groupes de pratique. Je suis ainsi, par groupes de six, une quarantaine d’internes par an – ce qui est très important, comme nous le verrons ultérieurement.

Je souhaiterais aborder trois axes. Premièrement, je ferai un parallèle assez rapide entre maison de santé pluri-professionnelle (MSP) et communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS). Deuxièmement, je vous présenterai les pistes de travail qui permettraient de résoudre les problèmes de démographie médicale. Enfin, j’aborderai la question de la rémunération, puisqu’il en a été question lors de vos précédentes auditions.

En 2004, j’ai pris mon bâton de pèlerin et constitué une équipe de soins primaires. Nous avons organisé des réunions publiques avec l’ensemble des professionnels du territoire, d’où a émergé une équipe d’une vingtaine de professionnels. Au cours de la phase d’élaboration de notre projet, qui nous a pris du temps, nous nous sommes aperçus que le trio réunissant professionnels de santé, élus et partenaires financiers était indispensable.

La maison de santé pluri-professionnelle a ouvert en 2012. Nous nous sommes retrouvés face à des difficultés auxquelles nous n’étions absolument pas préparés : il nous a fallu assurer la gestion du bâtiment, organiser la structure, animer une équipe de professionnels et mettre en œuvre un projet de santé, qui comprend le développement d’actions de prévention et la recherche de financements. Très rapidement, heureusement, nous avons pu nous appuyer sur un partenaire que nous avions rencontré dès le début : la MSA. C’est pourquoi je suis accompagné de Sylvie Mathiaud, qui est une partenaire indispensable de la maison de santé et qui est aujourd’hui coordinatrice de la CPTS.

L’équilibre d’une maison de santé est très précaire. Le départ à la retraite d’un professionnel, par exemple, provoque un bouleversement financier car les charges pèsent sur le restant des professionnels installés. Grâce à Sylvie Mathiaud et à la MSA, nous avons pu structurer l’organisation de la maison de santé, en désignant un référent distinct pour chaque domaine : le bâtiment, la gestion du personnel, la gestion financière, la gestion des actions de prévention, qui sont au nombre de huit… Par ailleurs, afin d’assurer de bonnes conditions de vie au sein de la maison santé, nous avons également désigné un référent électricité, un référent plomberie, un référent ascenseur, etc. Ainsi chacun des professionnels de santé a pris la charge d’un domaine lié à la vie du bâtiment.

Nous aimons à dire que la CPTS est une MSP sans les murs, mais avec des couloirs représentant autant de voies de communication. Les individualités que nous n’avons pas pu intégrer initialement, en 2004, dans la maison de santé, nous sommes allés les chercher pour organiser le travail sur le territoire. Nous avons ainsi réuni les trente-sept professionnels qui participaient à la réflexion au sein de notre maison de santé et développé une réelle attractivité puisque onze professionnels ont adhéré après la création de celle-ci : un médecin généraliste un kiné, une sage-femme… Dans le cadre de la CPTS, nous avons pu réunir 250 acteurs autour d’un projet de santé.

La maison de santé nous permet d’exercer notre métier, la CPTS permet d’organiser son exercice sur le territoire. On s’aperçoit aujourd’hui que ces 250 acteurs, dans le cadre d’une CPTS, permettent aussi et surtout d’assurer une représentativité face à l’hôpital et à d’autres instances.

Les partenaires qui nous sont indispensables aujourd’hui et sur lesquels nous avons pu nous appuyer sont les suivants : les Unions régionales des professionnels de santé médecins libéraux, l’Agence régionale de santé (ARS), qui est un partenaire important, la MSA – dont le réseau nous a apporté une expertise en ingénierie et en conduite de réunion et de structuration –, la CPAM et l’hôpital, avec lequel nous nous efforçons de travailler à la définition de parcours : l’idée est de revenir à l’accès direct aux services, qui était très facile il y a une quinzaine d’années et qui ne l’est plus aujourd’hui, d’où l’engorgement des urgences. Il est très compliqué de travailler avec l’hôpital – chez nous, le contexte est peut-être un peu particulier –, mais c’est un partenaire indispensable. Il y a moins d’un mois, nous avons pu rencontrer de nouveau le directeur et établir certaines bases de travail ; je pense à la participation d’un représentant au sein de la commission médicale d’établissement, à l’officialisation de ces parcours de santé et à la participation des hospitaliers aux différents groupes de travail de la CPTS.

Deuxième axe : les pistes de travail qui pourraient être explorées pour remédier aux problèmes de démographie médicale sont au nombre de dix.

Première piste : en tant qu’animateur de groupes de pratique, je suis une quarantaine d’internes par an. La maison de santé et, désormais, la CPTS, à laquelle je travaille depuis un an également, sont une vitrine pour le territoire ; notre action porte donc ses fruits. La maison de santé est en effet très bien cotée auprès des internes en matière de maîtrise de stage. Ceux d’entre eux qui la choisissent sont les meilleurs, mais ils ne sont pas toujours, hélas ! originaires de notre territoire et, après leur stage, ils repartent à Angers, Rennes, Brest, Strasbourg ou Metz. Quel dommage ! Une solution consisterait à leur demander, en contrepartie de ce bon stage, de donner à la structure un an ou deux ans.

Deuxième piste : le remplacement. Nous avons la chance inouïe, au sein de notre maison de santé, d’avoir fidélisé, grâce à notre organisation de travail, trois remplaçantes qui, depuis deux ans, viennent chaque semaine et permettent ainsi à l’un des cinq médecins de bénéficier d’un jour « off » pour se former, se reposer ou travailler pour la CPTS. Il est donc indispensable de fidéliser ces jeunes.

La troisième piste de travail, c’est la création d’une unité de soins non programmés. À ce propos, on entend beaucoup parler de l’engorgement des urgences et de la responsabilité des médecins généralistes qui ne prennent pas en charge les soins non programmés. Lundi prochain, je réunirai les trente-sept médecins généralistes du secteur et je les interrogerai sur ce point. C’est ainsi, du reste, que la CPTS a été créée : nous avons établi un diagnostic puis organisé quarante réunions qui se tenaient le soir. L’équipe de soins primaires et les autres professionnels se sont exprimés et nous avons posé huit diagnostics. L’unité de soins non programmés fait l’objet de discussions avec l’hôpital. Il s’agit de faire tourner un service avec des internes de niveau 2, qui sont donc supervisés de manière indirecte, puis en fin de journée. Ces internes doivent donc être suffisamment nombreux pour disposer d’un pool de remplaçants. Hôpital, maison de santé, autres cabinets ? C’est en cours de discussion. L’article 51 de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2018 nous permet de mener une expérimentation dans ce domaine.

Quatrième piste : actuellement, une dermatologue travaille en tant que gériatre à l’hôpital de Châteaudun… Elle est argentine et a enfin pu obtenir la nationalité italienne ; c’est en effet le parcours le plus rapide pour obtenir une nationalité dans l’Union européenne – heureusement, son mari est italien. Ses compétences professionnelles viennent de lui être reconnues, puisqu’elle a été admise au concours du Centre national de gestion (CNG). Du coup, elle doit trois ans au milieu hospitalier ! Son mari – c’est une chance – travaille à Châteaudun, où ses enfants sont gardés par une nourrice. J’ai conclu un deal avec l’hôpital, de manière à ce qu’au terme de ces trois années, elle puisse nous rejoindre tout en conservant une activité hospitalière. La dermatologie évoluant, grâce aux biothérapies et aux nouvelles technologies de traitement de maladies complexes telles que le psoriasis ou les maladies inflammatoires, il est intéressant pour l’activité libérale d’avoir un pied dans l’hôpital. Mais trois ans en gériatrie, n’est-ce pas un peu trop long ? Le secteur libéral est vraiment trop borné par la législation. Or, à l’hôpital, malheureusement, des médecins se retrouvent aux urgences sans avoir les compétences que l’on exige de nous en libéral – vous me pardonnerez de parler cash !

Cinquième piste : l’adjoint. Grâce à Philippe Vigier et Olivier Marleix, deux députés de l’Eure-et-Loir assez toniques, nous avons obtenu – malheureusement, au bout de deux ans – la possibilité de faire travailler un adjoint dans une zone médicalement dépeuplée. Pour ce faire, nous avons un peu inversé la logique du texte, qui a été conçu pour les zones d’affluence, mais le service juridique de l’Assemblée a bien voulu aller dans notre sens, et je les en remercie. Demeurait un seul point noir, qui a été éclairci la semaine dernière seulement : le médecin qui travaille avec cet adjoint n’aura pas de TVA à payer. Il faut savoir en effet que le médecin travaille avec l’adjoint, contrairement au médecin remplacé. En tout état de cause, dans une zone à forte densité de population, les incitations financières ne nous semblent pas être l’élément le plus important car il y a du travail et l’on peut donc gagner de l’argent si on le souhaite.

Sixième piste : simplifier la gestion comptable et financière. Malheureusement, les étudiants, les internes, les remplaçants ne sont pas accompagnés dans ce domaine. Il est prévu, dans le cadre de notre structure, de les accompagner dans leur installation et de les préparer à la gestion comptable et financière.

Septième piste : amélioration de la protection sociale. Pour les médecins libéraux, le délai de carence est de 90 jours, contre trois jours pour le salariat. C’est la raison pour laquelle les jeunes médecins préfèrent le salariat à l’heure actuelle. Qu’attendons-nous pour passer outre ces problèmes de carence ?

Je passe rapidement sur les trois dernières pistes : certains chantiers actuels me semblent très positifs. Tout d’abord, la formation est hospitalo-centrée. Vous en êtes, je crois, tous conscients : la médecine générale n’est pas encore assez représentée dans le monde hospitalo-universitaire. Ensuite, la réduction des tâches de gestion a une grande importance. Enfin, l’article 51 de la loi de financement de la Sécurité sociale nous permet, grâce à l’expérimentation, d’élaborer des protocoles de coopération et de délégation de tâches. Dans ce domaine, nous servons un peu d’exemple, car nous sommes partis bien avant l’heure : une délégation en milieu professionnel existe depuis cinq ans dans le cadre de la maison de santé.

Troisième axe, enfin : la rémunération. Les médecins ou les professionnels doivent-ils être rémunérés pour les réunions du soir ? Non, absolument pas. Gardons plutôt l’argent pour organiser des actions de prévention et des formations, pour rémunérer l’organisateur et défrayer les intervenants, qui viennent de loin. Nous avons organisé quarante réunions, et, si notre CPTS est en train de monter en charge, c’est grâce aux temps de convivialité que nous aménageons. Nous accueillons les participants le soir, nous les écoutons lors d’un tour de table, nous les respectons et nous prenons soin d’eux : à vingt heures, ils n’ont pas dîné, ils ont faim et sont fatigués.

Un mot sur le Contrat de stabilisation et de coordination des médecins (COSCOM). La Sécurité sociale indemnise, à hauteur de 5 000 euros par an, le médecin, et uniquement le médecin, au motif qu’il adhère à une équipe fédérée, qu’il s’agisse d’une maison de santé ou d’un CPTS. Ces 5 000 euros tombent dans la poche du seul médecin alors que nous travaillons dans un cadre pluri-professionnel. Imaginez la discorde que cela peut créer au sein d’une équipe, surtout lorsque la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) insiste lourdement sur cet avantage dont bénéficie le médecin par rapport aux autres… Au sein des équipes, les niveaux de revenus et les indemnités kilométriques – la voiture du médecin coûte plus cher que la voiture de l’infirmière – sont déjà différents. Nous serions les rois du monde si ces 5 000 euros étaient versés à l’association de la CPTS : ils nous permettraient de développer beaucoup plus rapidement nos pistes de travail, les groupes et le projet de santé.

M. Didier Baichère. Vous suggérez que l’on demande aux internes de rester deux ans dans la maison de santé qui les a accueillis dans le cadre de leur stage. Cela vous paraît-il jouable ?

Dr Bertrand Joseph. Cela doit faire l’objet d’une réflexion. J’ai dit deux ans, mais cela peut être un an ou six mois ; l’important est que le système soit pérennisé. Il est intéressant pour un interne d’effectuer un stage dans une maison de santé ou une CPTS comme les nôtres, dynamiques et qui fonctionnent, grâce à un outil de communication fédérateur, qui facilite l’adhésion de l’ensemble des professionnels. Je n’ai pas le temps d’en parler, mais nous allons, dans chaque canton, prêcher la bonne parole, présenter la CPTS et ses avantages pour les patients. Donc, oui, l’interne qui vient chez nous en tire de nombreux avantages ; il faut donc qu’en contrepartie, il nous donne six mois, un an ou deux ans.

M. Philippe Vigier, rapporteur. À mon tour de vous dire que je suis très heureux de vous accueillir. Je tiens à souligner le travail considérable qui a été accompli. Mais on a pu constater l’intérêt que suscitent les CPTS lors des auditions que nous avons réalisées ce matin de la direction générale de la sécurité sociale et de l’offre de soins. L’idée d’un maillage généralisé du territoire est en effet en train d’émerger.

Je souhaiterais aborder tout d’abord la question de l’offre de soins et de sa coordination à l’échelle d’un département et des fameux groupements hospitaliers de territoire. Comment imaginer la manière dont l’offre de soins peut, demain, être coordonnée autour de l’hôpital public et des différentes structures privées – cliniques, MSP, centres de santé ou d’autres structures de regroupement –, de manière à offrir un véritable parcours de soins à tous les habitants d’un département ou d’un territoire ?

Ensuite, comment améliorer encore l’attractivité et inciter les jeunes internes à rejoindre les MSP ? Faut-il aller jusqu’à la coercition et imposer dix-huit mois de stage, sur les trente-six mois de l’internat, non pas au début mais à la fin du cursus, pour permettre en quelque sorte leur sédentarisation et faciliter leur prise en charge par une communauté territoriale de professionnels de santé ?

Ma troisième question concerne les relations avec les ARS : comment envisagez-vous cette relation au quotidien, notamment en ce qui concerne le numérique et la télémédecine ?

Enfin – mes collègues m’autoriseront une remarque plus personnelle –, l’Eure-et-Loir, qui m’est très cher, est le département où la densité médicale est la plus faible et celui où est née l’une des premières CPTS de la région Centre. Cette affaire a quelque chose d’un peu héroïque, lorsqu’on connaît la situation dans laquelle nous nous trouvons…

M. Bertrand Joseph. Je laisserai Sylvie Mathiaud parler des partenariats. Le problème des maisons de santé, c’est qu’elles démarrent sans aucune aide. Au départ, nous n’avons rien eu. Ensuite, nous avons bénéficié du fonds d’intervention régional (FIR), puis de l’expérimentation des nouveaux modes de rémunération (ENMR) et des nouveaux modes de rémunération, et, depuis un an, de l’accord conventionnel interprofessionnel (ACI). Quel cheminement incroyable pour toucher une somme qui permet, d’abord, d’ouvrir l’accès aux soins à tous les patients, ensuite, d’assurer une meilleure coordination, et, enfin, de mettre en place un système d’information ! Ces trois axes permettent de toucher un pactole via l’ACI, en proportion du nombre de patients et de professionnels et de l’investissement. Auparavant, il a fallu plusieurs années de bénévolat, et il en faut encore. Heureusement, l’expertise dont nous avons bénéficié grâce à Sylvie Mathiaud, nous a permis, dès le départ, au sein de la CPTS, de bénéficier d’un temps de coordination.

Mme Sylvie Mathiaud, chargée de mission à la mutualité sociale agricole (MSA) Beauce-Cœur de Loire. Il y a de nombreuses années, les caisses centrales de la Mutualité sociale agricole ont fait le pari d’accompagner l’accès aux soins dans les territoires ruraux afin de lutter contre les problèmes de démographie médicale qui commençaient déjà à poindre. La MSA est un partenaire incontournable dans la ruralité par le fait que c’est le régime de protection sociale du monde agricole.

La réflexion des caisses centrales les a amenées à créer le poste de chargé de mission, comme celui que j’occupe, pour accompagner les projets de maisons de santé. C’était le projet initial. En effet, il faut des compétences particulières pour créer cet outil de travail au service des professions médicales ; ce n’est ni vraiment le métier des élus, ni celui des professionnels de santé. Nous avons en conséquence inventé une boîte à outils, nous nous sommes formés, et nous avons proposé de l’ingénierie médico-sociale avec une méthodologie applicable à ces projets.

Depuis la création des communautés professionnelles territoriales de santé, nous expérimentons leur accompagnement – cette première expérience en Eure-et-Loir est particulièrement observée au niveau national. Nous apportons une plus-value, car nous connaissons bien nos territoires et leurs populations. Nous sommes en mesure de poser des diagnostics, de travailler là où c’est le plus nécessaire, de faire le lien avec tous les professionnels de santé. Il est important de gérer l’animation des réunions et les moments de convivialité, mais aussi de s’occuper des professionnels de santé qui passent leur temps à s’occuper des autres. La MSA est heureuse d’y contribuer. C’est notre cheval de bataille de relever ce défi aux côtés des professionnels sur des territoires que l’on connaît bien.

Mon métier a sa spécificité : je travaille depuis quarante ans pour la MSA avec une approche particulière des professionnels de santé. Nous sommes un facilitateur ; nous aidons à faire aboutir des projets au service de professionnels dont ce n’est pas le cœur de métier.

M. Bertrand Joseph. La coordination médicale et la coordination administrative sont toutes deux indispensables. C’est la clé de notre réussite – je me permets d’utiliser ce mot, mais nous sommes tout de même un peu fiers de ce que nous avons fait.

Il faut impérativement à la fois préparer les réunions et les coanimer. Des comptes rendus doivent être diffusés immédiatement. La rédaction du projet de santé a exigé un gros travail qui a permis de faire différentes rencontres. Il faut aussi avoir une approche administrative que les professionnels de santé n’ont pas toujours.

S’agissant du rapport au groupement hospitalier de territoire (GHT), sans nous voiler la face, nous pouvons impulser leur dynamique, et être des facilitateurs de l’entente des professionnels extérieurs.

Sur notre territoire, nous sommes repartis à zéro après des éclatements de GHT. Le monde hospitalier va mal. Nous avons travaillé avec deux médecins hospitaliers, mais ils ne sont plus à l’hôpital, ils ont quitté le navire. On sent que la dynamique est lourde : les professionnels de l’hôpital ont besoin d’une autorisation pour assister à nos réunions – j’espère que, bientôt, cela se fera plus facilement.

Faut-il introduire de la coercition pour lutter contre les problèmes de démographie médicale ? Non, je pense que ce n’est pas une bonne idée. De toute façon, les jeunes deviennent salariés, quitte à revenir en libéral plus tard, après avoir acquis une certaine expérience. Si on les force à s’installer quelque part, ils choisiront encore plus massivement le salariat, parce que c’est plus facile pour eux et qu’ils sont bien encadrés.

Les incitations financières ne sont pas une bonne idée. Cet argent serait un peu gaspillé. L’incitation financière peut avoir du sens pour les structures comme celle que nous sommes en train de monter. Là, oui, il faut un peu plus d’aides. La devise de Sylvie Mathiaud c’est : « On fait, on travaille, on prouve qu’on sait faire, et, ensuite seulement on va demander de l’argent. » Je la suis sur ce chemin, parce que je la respecte, mais, honnêtement, c’est galère ! Il faut y croire, j’y crois. Il faut que j’emmène beaucoup de monde derrière moi, mais financièrement, nous aurions besoin d’être aidés dès le départ. Évidemment, comme partout, il faudrait commencer par défendre et expliquer son projet, mais à partir de cela, on devrait pouvoir nous faire confiance. La MSA nous a fait confiance, et c’est grâce à cela que nous avons pu nous lancer.

Nous avons, pour notre part, d’excellents rapports avec l’ARS, en raison de sa structuration. La délégation territoriale départementale nous fait confiance. C’est du donnant-donnant : nous les informons quasiment au quotidien de toute notre activité, et ils jouent pour nous le rôle de facilitateurs, par exemple pour des rencontres.

Nous ne nous sommes pas lancés avec un projet de télémédecine, mais aujourd’hui, pour répondre à la pénurie d’ophtalmologistes qui sévit sur toute la France, nous travaillons à des projets d’installation d’orthoptistes dans la structure, et dans la CPTS, qui utiliseraient la télémédecine en liaison avec des centres de lecture de la rétinographie, par exemple, pour le suivi des diabétiques. Nous cherchons à mettre en place des articulations avec des centres hospitaliers universitaires (CHU) pour avoir des ophtalmologues de référence qui soutiendraient ces orthoptistes. Mais nous ne faisons pas de télémédecine en tant que telle – téléconsultation et télé-expertise – pour l’instant.

M. le président Alexandre Freschi. Votre projet s’est mis en place à une vitesse incroyable. Vous avez été extrêmement mobilisés, mais il est impressionnant de constater qu’en si peu de temps, vous êtes parvenus à trouver des solutions…

M. Philippe Vigier, rapporteur. Ils sont très bons !

M. le président Alexandre Freschi. Dans quelle mesure pensez-vous que votre expérience pourrait servir de modèle pour d’autres territoires de France afin de répondre aux problèmes que l’on rencontre un peu partout ?

Pourriez-vous nous donner des précisions sur les missions de base d’une CPTS ?

M. Philippe Vigier, rapporteur. La généralisation de ce modèle est dans tous les esprits : à quoi serviraient demain les CPTS au quotidien ?

Mme Sylvie Mathiaud. Je crois que nous sommes une des causes de la rapidité avec laquelle ce projet a pu se mettre en place. Les professionnels qui veulent entamer une démarche visant à créer une maison de santé ou une CPTS ne disposent pas de la méthodologie indispensable : ce ne sont pas des administratifs. Alors qu’ils savent parfaitement faire leur propre métier, ils ne savent pas forcément faire celui d’un chargé de mission et apporter les outils nécessaires à la mise en œuvre de ces projets. C’est cela que la MSA met à leur disposition en finançant du temps de chargé de mission, à côté du temps des bénévoles professionnels de santé. Cette méthode explique la réussite du projet.

Grâce à notre méthodologie, nous avons commencé à organiser des réunions par profession : nous avons structuré le diagnostic, nous avons écouté les professionnels. Nous avons par exemple découvert qu’il y avait des infirmières spécialisées dans la prise en charge des plaies chroniques et qu’elles souhaitaient travailler dans ce domaine : aujourd’hui, ce chantier est ouvert. Les kinésithérapeutes ont souhaité remettre à l’ordre du jour les astreintes en kiné respiratoire pendant l’hiver : nous avons travaillé sur ce sujet. Pour ma part, je porte le montage des dossiers relatifs à ces projets.

Le fait que nos réunions soient structurées et donnent systématiquement lieu à des comptes rendus qui fixent des objectifs a permis d’avancer très rapidement. La MSA, qui est un régime de protection sociale avec une identité reconnue sur les territoires, a ses entrées à l’ARS, elle travaille avec la sécurité sociale : elle a pu mettre son réseau à disposition.

Au début de ma mission auprès des maisons de santé, j’ai constaté l’existence de grosses lacunes en matière de partenariat et de réseaux. Nous avons commencé à travailler sur ce sujet en rencontrant l’ARS. Nous avons avancé progressivement avec elle, nous la tenons en permanence informée. C’est également le cas avec la sécurité sociale. Ils participent à nos réunions. Lundi prochain, nous recevons trente-cinq médecins de la CPTS : les réunions sont préparées, nous avons un ordre du jour, nous savons ce que nous allons leur dire.

Mon métier c’est de chercher, avec le docteur Joseph, le potentiel des professionnels, et de les tirer vers le haut. L’enjeu, c’est de produire quelque chose. On gagne du temps en essayant d’être le plus structuré possible – je m’y efforce en tout cas. Les professionnels de santé s’y retrouvent. Nous n’organisons pas de réunion dont on ne saurait pas à quoi elle aboutirait. Tout est organisé avec quelqu’un qui apporte une méthodologie à des gens qui n’en ont pas – je veux dire : en dehors de leur profession.

M. le président Alexandre Freschi. L’exercice médical est toujours libéral chez les professionnels dont vous parlez ? Il n’y a pas de salariat ?

Mme Sylvie Mathiaud. Non.

M. le président Alexandre Freschi. Et c’est vous, madame, qui effectuez cette coordination ?

Mme Sylvie Mathiaud. Oui, je suis mise à disposition par la MSA sur un poste de coordination administratif. Comme nous n’avons pas encore de budget – la région va nous octroyer 20 000 euros pour démarrer et l’ARS, 50 000 sur trois ans, nous faisons sans moyens hormis ceux de la MSA. Ailleurs, cela ne se fait tout simplement pas.

M. le président Alexandre Freschi. C’est intéressant de voir que la MSA joue le jeu en vous mettant à disposition.

M. Bertrand Joseph. Nous commençons par dépenser de l’argent, et par solliciter des emprunts auprès des unions régionales qui nous avancent de l’argent. Il est prévu de mettre en place une plateforme régionale – chaque région avancera dans le cadre du cahier des charges des services numériques d’appui à la coordination (SNAC). Toutefois, à ce stade, nous ne pouvons pas laisser les 250 acteurs que nous avons fédérés sans outils de fédération. Cet outil de communication, c’est une plateforme, un réseau qui permet de créer du lien, de trouver à tout moment le spécialiste nécessaire, de disposer en permanence des contacts des 250 autres acteurs, d’avoir accès à une banque documentaire qui donne au professionnel des outils du quotidien. Cette plateforme permettra aussi de faire de la visioconférence sur les cinq secteurs de notre territoire.

Vous me demandiez à quoi sert une communauté professionnelle territoriale de santé. La loi lui fixe deux rôles : le premier auprès des professionnels qu’elle va soutenir et accompagner pour qu’ils travaillent mieux, qu’ils vivent mieux leur métier, et qu’ils s’organisent mieux ; le second auprès des patients, en apportant des solutions pour mieux les prendre en charge et diffuser auprès d’eux des actions de prévention – ce que nous avons fait dans les cinq secteurs de notre territoire. Nous avons même prévu de répéter régulièrement ces actions de prévention.

Nous essaimons dans les secteurs avec un planning pour les six mois à venir. Lundi prochain, comme vous l’indiquait Mme Mathiaud, nous rencontrons plus de trente médecins généralistes. Au mois de juillet, nous rencontrerons des médecins qui pourraient participer au programme ASALEE correspondant au protocole de coopération en vigueur que nous essayons de développer. Nous réfléchissons au métier avec les médecins généralistes. Nous leur expliquons par exemple : « Vous voyez vos diabétiques tous les quatre mois, vous dites que vous êtes débordés, on vous propose de les voir une fois par an puisque la délégation de compétences va permettre à l’infirmière de les prendre en charge dans le cadre d’un protocole sécurisé et strict. » On économise ainsi du temps médical pour que le médecin puisse éventuellement voir de nouveaux patients. Il y a des patientèles en souffrance sur notre territoire, car elles n’ont pas été reprises. Dans ma seule commune, pas moins de 4 000 à 5 000 personnes se retrouvent en errance médicale, ce qui crée des difficultés pour l’infirmière, pour le pharmacien, pour le patient qui arrête son traitement.

Mme Sylvie Mathiaud. À quoi peuvent servir les CPTS demain ? Nous pensons qu’elles doivent permettre de fluidifier le parcours du patient – il ne faut pas perdre de vue que nous mettons tout cela en place pour le patient. Il s’agit surtout d’organiser un travail entre la ville et l’hôpital, et je peux vous dire que c’est un chantier gigantesque. Nous avons par exemple essayé de mettre en place un parcours pour les patients diabétiques avec l’hôpital de Châteaudun : un seul médecin était d’accord, les autres y étaient fermement opposés. Pour nous, régimes de protection sociale, de telles aberrations ont de quoi nous faire dresser les cheveux sur la tête…

Il faudra travailler sur tous ces sujets. Nous parvenons à motiver les professions libérales, nous trouvons des leviers pour agir ; c’est un petit peu difficile avec l’hôpital.

Une CPTS a vocation à mieux organiser les professionnels sur un territoire, mais elle ne concerne pas uniquement le secteur libéral. Toutes les structures qui gravitent autour du patient sont concernées : l’hôpital, les cliniques, le service de soins, l’hospitalisation à domicile, etc. Sans oublier un axe fort, que la MSA est résolue à développer : les actions de prévention en santé publique. Il faut prendre en charge de nombreuses pathologies et faire beaucoup de prévention. Nous réunissons les professionnels au sein de groupes de travail à partir de leurs besoins, de leurs diagnostics pour trouver des solutions.

M. Bertrand Joseph. Les médecins hospitaliers sont formés par les hospitalo-universitaires : c’est vraiment du nombrilisme car la prise en charge se fait uniquement au sein de l’hôpital. Je vous rappelle que, dans une ville, la plupart des pathologies d’un patient sont prises en charge par le trio pharmacien-infirmière-médecin généraliste : c’est l’équipe de soins primaires. Lorsque nous avons dit aux hospitaliers le nombre de diabétiques que nous voyons dans nos consultations, je crois qu’ils sont restés pantois. Je pense qu’il faut se rencontrer. Tant qu’on ne se voit pas, on ne se connaît pas, on ne s’apprécie pas. Lors de nos différentes réunions de diagnostic, nous avions commencé par mettre des hospitaliers autour de la table : eux-mêmes ne se connaissent pas. Ils ont par exemple découvert que leur hôpital comptait deux infirmières spécialisées en plaies chroniques. Ils ont découvert certaines réalités. Je dis cela sans polémique, c’est un simple constat fait par tous.

Nous avons entamé huit chantiers divers allant de la communication au décloisonnement du secteur psychiatrique. Un chef de service de psychiatrie que j’avais invité dans une réunion m’a dit : « C’est quoi cette usine à gaz que vous montez ? » Je lui ai répondu : « C’est quoi ton usine à gaz de GHT ? » Il m’a répondu : « Oui, c’est bien cela ! » Il comprenait que l’on montait un système parallèle au GHT. Il faut dire que la psychiatrie à Châteaudun, c’est tout un poème… Je lui ai proposé d’unifier nos efforts.

Parmi les huit chantiers, il y a aussi la gestion des patients à domicile. Pourquoi hospitaliser une personne en fin de vie directement aux urgences, alors que l’on peut proposer d’organiser la fin de vie à la maison, et, très souvent, parce que la famille perd pied, dans un service hospitalier dédié – cela évitera d’attendre cinq heures aux urgences, ce qui est inadmissible ? Autrefois, je l’ai dit, il n’y avait aucun problème pour entrer directement dans les services. Aujourd’hui, les infirmières font les douze heures, elles sont moins nombreuses, il y a moins de personnels hospitaliers. Je comprends très bien qu’on nous explique qu’à quinze heures ou dix-sept heures, on ne peut pas faire d’entrées directes parce que l’infirmière est seule pour plus de trente patients ; c’est un scandale, et ce n’est pas mon boulot de défendre un tel système. Mon boulot, c’est de me battre pour trouver une solution, ce que je fais depuis vingt ans, alors que l’on parle d’engorgement des urgences. J’ai même voulu créer une maison médicale de garde à l’hôpital, mais j’ai entendu des directeurs expliquer que cela risquait de faire moins d’entrées aux urgences si nous travaillons à côté d’elles… Avec la tarification à l’activité (T2A), ils n’ont pas intérêt à perdre des entrées. Alors que les médecins et le personnel, qui tiennent le même discours que nous, sont submergés, la direction et l’ARS en tiennent un autre : pour eux, c’est un volume à maintenir.

Nous sommes tous prêts à organiser l’entrée aux urgences. Je pense que les soins non programmés sont un faux problème. Je vais prouver lundi soir, en faisant un tour de table, que les soins non programmés sont organisés dans chaque cabinet. J’ai lu le rapport de M. Thomas Mesnier sur le premier accès aux soins. Ce qui importe, c’est l’éducation de la population, et aussi celle du médecin traitant. Il a la tête dans le guidon ; aidons-le à en sortir ! La CPTS est là pour ça. Relève un peu la tête, tu es plongé dans ton travail ! Il faut dire qu’en médecine générale, on est obligé de faire de la course à l’acte. Vingt-cinq euros, ce n’est pas cher payé pour le boulot accompli surtout que cela concerne à 80 % des pathologies complexes et lourdes. La médecine de mon prédécesseur, celle d’il y a vingt ans, c’est fini. On traitait l’aigu, aujourd’hui on nous demande de suivre du chronique, alors que rien n’a changé dans l’organisation du métier.

La CPTS impulsera ce changement. C’est notre rôle de dire : « Mon gars, le diabétique que tu recevais tous les trois mois, prends-le tous les douze mois : organise ton travail ! » On désengorgera les urgences par une meilleure organisation et par une meilleure prise en charge. Sur le terrain, il y a du professionnel et de la bonne volonté ; il faut seulement réétudier un peu le métier.

M. le président Alexandre Freschi. Certains signes montrent tout de même que l’on se dirige vers des solutions que vous proposez grâce à des pratiques avancées qui permettront de libérer du temps médical pour les médecins.

M. Bertrand Joseph. Certes, mais c’est demain qu’il faut que ce soit mis en place, alors que les premières infirmières en pratiques avancées ne termineront leur formation que dans deux ans. L’expérimentation est positive. Je suis en relation avec la direction générale de l’offre de soins (DGOS) dont vous avez reçu la directrice générale ce matin. Heureusement, on nous aide ; heureusement, nous avons nos filières. Nous forçons les portes, et nous faisons preuve de volonté, mais c’est du boulot, c’est du temps médical en moins. Je peux suivre aujourd’hui un moins grand nombre de patients – aujourd’hui, je n’en vois aucun –, mais je suis passionné par ce que je fais. Oui, ce sont des usines à gaz, mais il faut nous aider dans nos montages, il faut nous aider dans nos actions de facilitation.

Mme Sylvie Mathiaud. Vous nous avez demandé si la façon dont nous avions construit la CPTS dans le Sud 28 pouvait être un exemple. Ce n’est pas notre vocation d’être un exemple, mais nous sommes prêts à rencontrer d’autres régions pour croiser nos expériences. Nous l’avons déjà fait lors d’un forum organisé par l’union régionale des professionnels de santé (URPS) de Centre-Val de Loire.

La caisse nationale de la MSA expérimente l’accompagnement de la CPTS, ce qui donnera lieu à des travaux au niveau national afin que les trente-cinq caisses qui maillent le territoire puissent se servir de nos expériences.

La MSA a aussi à cœur l’éducation du patient. On peut toujours travailler avec les professionnels de santé, leur faire faire plein de bonnes choses, les faire évoluer et les tirer vers le haut ; mais si le patient est à contre-courant, ça ne pourra pas le faire ! Il faut travailler sur ces deux pistes à la fois.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Je vous remercie pour la qualité de votre témoignage et pour votre engagement. Vous nous proposez une certaine forme de modélisation, et il y a beaucoup de bon sens dans vos propos.

Nous rendrons nos conclusions fin juillet. Vous en serez évidemment destinataires. La coagulation de tous les éléments abordés par ceux qui se sont exprimés à cette table – et ce n’est pas terminé – doit nous permettre, avec exigence et avec raison, de proposer des pistes innovantes.

 


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Audition du collège des directeurs généraux des Agences régionales de santé (ARS), représenté par M. Christophe Lannelongue, directeur général de l’ARS Grand-Est

Présidence de M. Alexandre Freschi, Président de la commission denquête

M. le président Alexandre Freschi. Mes chers collègues, nous débutons nos travaux de la matinée avec une audition du collège des directeurs généraux des agences régionales de santé (ARS), représenté par M. Christophe Lannelongue, directeur général de l’ARS Grand-Est, que je remercie de s’être rendu disponible pour nous faire bénéficier de son expertise et répondre à nos questions.

Nous avons décidé de rendre publiques nos auditions. Par conséquent, elles sont ouvertes à la presse et diffusées en direct sur un canal de télévision interne. Elles pourront ensuite être consultées en vidéo sur le site internet de l’Assemblée nationale, et feront l’objet d’un compte rendu écrit.

Monsieur, avant de vous donner la parole pour une intervention liminaire d’une durée de cinq minutes, je rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. C’est ce que je vous invite à faire.

(M. Christophe Lannelongue prête serment.)

M. Christophe Lannelongue, directeur général de l’agence régionale de santé (ARS) Grand-Est. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, le système de santé français connaît une crise profonde liée à la démographie médicale, à laquelle le plan d’accès aux soins apporte des réponses structurelles.

Comme vos travaux l’ont montré, cette crise découle d’abord de l’ampleur des départs à la retraite qui vont intervenir les prochaines années. Dans la région Grand-Est, 30 % des généralistes partiront à la retraite dans les cinq ans à venir. Ils seront 40 %, voire près de 50 %, dans certains territoires comme la Haute-Marne.

Ces départs à la retraite sont difficiles à compenser en raison de plusieurs facteurs : des changements générationnels dans les attentes des jeunes professionnels qui aspirent à travailler en équipe et à mieux concilier vie familiale et vie professionnelle ; les défauts des parcours de formation qui restent centrés sur le travail en centre hospitalier universitaire (CHU) en ne mettant pas les jeunes professionnels suffisamment au contact des futures conditions d’exercice de leur métier ; la faible valorisation des soins primaires et du travail en équipe dans le système français de soins ; enfin, le manque d’attractivité de certains territoires.

Cette crise démographique médicale est d’autant plus grave qu’elle intervient à un moment où nous devons faire face à une profonde évolution des besoins de santé de la population qui est elle-même due à des changements démographiques mais aussi épidémiologiques. Il est donc impératif que nous développions davantage la prévention et la promotion de la santé, l’éducation et l’accompagnement des patients, ainsi que la coordination entre les acteurs du système de soins. C’est ce que prévoie la stratégie nationale de santé (SNS) pour améliorer fondamentalement et substantiellement la réponse aux besoins.

Surmonter la crise démographique ne pourra se faire qu’en prenant en compte l’exigence de transformation de notre système de santé. Cette transformation est un défi difficile à relever, mais c’est un défi positif car il permettra à la France de rattraper son retard sur ses voisins et sur les autres pays occidentaux en matière de développement de services de soins intégrés et de travail en équipe.

Je n’évoquerai que rapidement les politiques mises en œuvre sur lesquelles nous reviendrons certainement plus en détail.

La réalisation du plan d’accès aux soins passe tout d’abord par une mobilisation considérable des acteurs du système de santé au sens large, qui ne sont pas seulement des professionnels de santé. Ce plan repose en effet sur l’idée simple que ce qui importe, c’est la présence médicale dans les territoires ou, en d’autres termes, la capacité à fournir un service de soins à toute la population.

De ce point de vue, le plan d’accès aux soins renouvelle fondamentalement l’approche dominante jusqu’alors, celle d’un remplacement « terme à terme » des médecins partant à la retraite. Cette approche était d’ailleurs illusoire puisque, même en supposant un tel remplacement possible, il ne permettrait pas de répondre à l’évolution des besoins de la population.

Le plan d’accès aux soins met également l’accent sur l’utilisation d’un ensemble de leviers très performants : le développement des stages dans les territoires, celui de l’exercice coordonné sous d’autres formes que les seules maisons de santé, la coopération accrue entre professionnels et la numérisation des services de santé.

Pour la mise en place de la télémédecine, notre pays possède en effet un immense retard sur d’autres pays développés comme la Suisse, l’Allemagne, le Luxembourg et la Belgique, ainsi que nous le constatons quotidiennement dans la région Grand-Est qui représente 40 % de nos frontières nationales. Le développement de la télémédecine va enfin avoir lieu grâce aux décisions qui ont été prises, y compris dans le cadre conventionnel.

La mise en œuvre de ces mesures intervient à un moment où s’opère un immense effort de structuration des filières hospitalières avec la montée en puissance des groupements hospitaliers de territoire (GHT) qui n’en sont encore qu’à leurs débuts, beaucoup de travail restant à faire pour parvenir à une meilleure organisation des parcours de soins des patients.

Je veux aussi souligner que la réalisation du plan d’accès aux soins nécessite la mobilisation de tous les acteurs dans des territoires de proximité. Avec les collectivités locales, les élus et les professionnels, nous sommes parvenus à la conclusion que le développement d’un territoire passe par des services de santé bien organisés et, réciproquement, que des services de santé bien organisés sont un atout pour un territoire qui, en se développant, attirera de jeunes professionnels.

Ce cercle vertueux consistant à associer dans un territoire les collectivités locales, les élus, les professionnels, l’assurance maladie, l’ARS et d’autres acteurs nous paraît fondamental pour créer les conditions d’une réponse adaptée territoire par territoire. Les ARS s’emploient à parvenir à ce résultat en cherchant à établir des partenariats aux niveaux régional, départemental et infra-départemental à travers tout le territoire avec les politiques de contrats locaux de santé.

La mise en œuvre des actions du plan d’accès aux soins dans un cadre partenarial et territorial suppose une évolution assez sensible du positionnement des ARS et de l’assurance maladie, que je vais expliquer.

La création des ARS a constitué une avancée importante en permettant de déconcentrer la mise en œuvre des politiques de santé. Ces dernières années, beaucoup de progrès sur le sujet qui nous occupe ont été réalisés à l’initiative des ARS.

Ainsi, le développement des maisons de santé n’aurait pas eu lieu sans l’engagement massif des ARS. Lorsque je suis arrivé en Bourgogne en 2012, cette région comptait une vingtaine de maisons de santé. À mon départ, fin 2016, elles étaient une centaine, et une cinquantaine d’autres était en projet. En Bourgogne-Franche-Comté, l’action de financement, de coordination et d’accompagnement de l’ARS pour les maisons de santé a ainsi été décisive.

Il en va de même pour la télémédecine et pour d’autres initiatives très innovantes. Celles qui ont été prises les années passées pour développer la télémédecine l’ont toutes été par les ARS avec les moyens financiers non négligeables dont elles disposent.

Le Fonds d’intervention régional (FIR) pour l’ARS Grand-Est, par exemple, est de 330 millions d’euros. C’est peu par rapport aux 10 milliards d’euros de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM) pour cette région, mais c’est tout de même un montant significatif, qui permet de soutenir un grand nombre d’initiatives et de projets innovants.

En revanche, l’assurance maladie et les ARS n’ont été que rarement présentes sur le soutien aux initiatives de la médecine de ville : l’assurance maladie, parce qu’elle a une tradition de « payeur » et de contrôle plus que d’accompagnement, et les ARS parce qu’elles ont été initialement créées pour renforcer l’expertise régionale.

Cette conception s’appliquait particulièrement bien à la restructuration des hôpitaux, peu nombreux, qui s’est faite avec un dialogue supposant effectivement une très forte expertise. Mais elle est insuffisante pour promouvoir la transformation du système de santé dans un contexte où il s’agit principalement d’accompagner les acteurs en proximité.

C’est particulièrement vrai pour les régions reconfigurées, comme la mienne, en raison d’un effet de taille : les politiques de santé de la région Grand-Est ne peuvent pas être pilotées depuis Nancy ! Il faut donc une capacité d’action territoriale de l’agence à travers ses délégations locales.

Une des priorités est ainsi d’accroître le rôle des délégations territoriales en leur donnant la possibilité d’intervenir en proximité.

Une autre priorité, elle aussi majeure, est de renforcer nettement les liens entre l’assurance maladie et les ARS. Va être créé à la rentrée de septembre un guichet unique à même d’offrir aux professionnels un accès simplifié et un accompagnement renforcé pour leurs projets. Nous le mettrons en œuvre pour la région Grand-Est le 1er septembre 2018, avec une structure à trois étages : un site internet, un centre d’appel téléphonique – l’un et l’autre existent déjà, mais ils seront reformatés – et la mise en place dans chaque département d’un binôme associant assurance maladie et ARS, c'est-à-dire le directeur de la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) et un délégué territorial, avec un groupe contact qui rassemblera nos partenaires.

Le dispositif a été testé ces derniers mois à travers ce qui s’appelait le guichet intégré pour la télémédecine et qui fonctionnait selon le même principe. Nous pensons que le guichet unique va permettre d’améliorer fortement l’accompagnement des professionnels.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Monsieur le directeur général, vous avez commencé votre intervention en disant : le système de santé français va mal. Pourtant, voilà une dizaine d’années qu’ont été créées les agences régionales de l’hospitalisation (ARH), puis les ARS qui, en principe, déconcentrent la mise en œuvre des politiques de santé du ministère.

Je souhaite d’abord que vous me disiez pourquoi notre système de santé va si mal, ce qui n’a pas été fait pour qu’il se porte plus mal qu’il y a dix ans, et quelles sont les perspectives. Car si je me fie aux réponses que vous avez faites aux questions que nous vous avons adressées, l’état du système de santé français va encore se dégrader.

Ma deuxième question portera sur les attributions respectives des ARS et des préfets. Beaucoup de voix s’élèvent dans les territoires français, chez les professionnels de santé et plus vigoureusement encore chez les élus, pour dire qu’on a créé un État dans l’État. À côté du préfet, censé être le « patron » de l’État dans un département ou une région, on a en effet mis en place un préfet sanitaire, avec un cloisonnement de leurs domaines d’action.

Je fais attention à bien mesurer mes propos, certains de mes collègues ayant une opinion un peu différente. La situation ainsi créée fait en tout cas penser à une piste d'athlétisme comportant deux couloirs dont la ligne de séparation ne doit surtout pas être franchie.

Ma question suivante concerne la complexité qui, au quotidien, s'est créée. Comment comptez-vous faire fonctionner le guichet unique ? Je ne peux que poser la question, pour avoir l’expérience du cas des maisons de santé.

En 2018, dans un monde où tout va vite, il faut en effet deux ans pour qu'une ARS apporte une réponse sur un projet de maison de santé ! Et il faut encore un an pour mettre d'accord la région, le département, le préfet de région s'il y a des fonds européens délégués par le secrétariat général pour les affaires régionales (SGAR), l'ARS, qui vérifie la compatibilité, et l'assurance maladie, qui a aussi son mot à dire. Comment faire pour gagner en fluidité ?

Par ailleurs, êtes-vous favorable à ce que soient prises des mesures visant à réguler l’installation des médecins ?

Enfin, vous avez parlé du problème d'attractivité de l’exercice libéral des professions de santé. Comment expliquez-vous que seulement un médecin sur dix, au sortir de sa formation, s'installe dans le secteur libéral, les neuf autres choisissant le secteur public ou parapublic ?

M. Christophe Lannelongue. Si notre système de santé va mal, c’est, comme je l'ai dit, parce qu'on a tardé à anticiper une évolution des besoins, mais aussi parce que les mesures destinées à redonner de l'attractivité à l'exercice en médecine générale et dans les territoires ont été mises en œuvre trop tardivement.

Il serait faux de dire que rien n’a été fait, mais le système possède une forte inertie. À partir de 2002, le numerus clausus est progressivement passé de 3 000 à 8 000, ce qui signifie que le nombre d’internes en médecine augmente très fortement depuis 2008.

Cependant, les difficultés qu'allait provoquer une formation coupée de ses conditions d'exercice futures n’ont pas été mesurées alors, puisque ces professionnels formés à l'hôpital et en CHU allaient exercer à l'extérieur de l'hôpital et du CHU.

Des stages de deuxième cycle, en troisième et quatrième années, ont été mis en place à partir de 2010, mais ce n'est que très progressivement que la totalité des étudiants ont fait ces stages en médecine générale d’une durée de six semaines. L’ensemble des étudiants de deuxième cycle de la région Grand-Est suit désormais ces stages, mais il n’en va pas de même dans toutes les régions.

On peut aussi évoquer le cas des parcours d'internat. Dans le cadre de l'augmentation générale des quotas, le nombre d'internes de médecine générale a beaucoup augmenté, à peu près la moitié des internes étant aujourd'hui en médecine générale. Mais les parcours d'internat de ces étudiants étaient paradoxalement très peu tournés vers leur futur métier, avec un seul stage en médecine générale.

Il a fallu attendre la réforme du troisième cycle, qui n'a démarré qu’en novembre 2017, pour disposer d’une maquette qui prévoie un parcours d'internat en médecine générale comportant deux stages en médecine générale, un stage en pédiatrie, un stage en gynécologie et un stage aux urgences.

Nous avons aussi commencé à mettre en place des mesures qui vont permettre que les jeunes médecins développent des projets professionnels correspondant aux besoins de santé de la population.

L’écart que vous signaliez entre ce qui est nécessaire pour répondre à ces besoins et, l’effort de formation commence donc à se réduire. Mais c'est un travail de longue haleine. Ainsi, les parcours d'internat supposent que des lieux de stage soient ouverts en médecine générale, en médecine de ville et dans des hôpitaux périphériques. Cela requiert qu'on forme des maîtres de stage qui soient stimulants pour les étudiants qui viendront découvrir chez eux des conditions d'exercice très motivantes.

La première raison de la crise du système de santé français est donc le manque d’anticipation du départ en retraite des médecins de la génération du baby-boom. La deuxième raison est que ce phénomène démographique massif est survenu à un moment où le système de santé est devenu très éloigné des besoins de la population, qui ont beaucoup évolué.

Ce décalage se traduit en chiffres. Par rapport à l'Allemagne, nous dépensons trois points de produit intérieur brut (PIB) de plus pour l'hôpital, ce qui est colossal. Cette différence est due à une meilleure organisation des soins primaires et à une meilleure relation entre soins primaires et hôpital en Allemagne, où les hospitalisations sont ainsi moins nombreuses et moins longues.

En France, ce n'est que très tardivement qu’a été pris le « virage ambulatoire », soit un effort massif pour réduire les durées de séjour à l’hôpital en développant les prises en charge ambulatoires, afin qu’il y ait plus d'hospitalisations à domicile. Il s’agit de faciliter et de fluidifier le rapport entre la ville et l'hôpital de façon à ce que, par exemple, une personne âgée qui quitte l'hôpital puisse être accueillie et suivie à domicile avec une coordination des interventions.

Vous m'avez également interrogé sur la relation des ARS avec les élus et la présence de l'État dans les territoires. Je pense être le porte-parole de mes collègues en disant que les ARS se sont assez facilement installées dans le paysage institutionnel et que les relations avec les préfets se sont généralement intensifiées et améliorées.

Certes, des conflits subsistent mais ils sont exceptionnels. Je pourrais donner l’exemple de ma rencontre vendredi dernier à Bar-le-Duc avec la préfète à l'occasion d'une réunion des élus, des responsables de l'hôpital et de l'ARS…

M. Jean-Michel Jacques. Les relations ne sont pas aussi bonnes partout !

M. Philippe Vigier, rapporteur. Monsieur le directeur général, vous dites qu’on a fluidifié ces relations. Mais on n'a pas à les fluidifier ! La politique de santé – qui par parenthèse représente le plus gros budget de la France et est même supérieure à celui de la nation – devrait être quelque chose de naturel !

Si je vous ai posé cette question, c'est à cause du cloisonnement dont j’ai parlé. Beaucoup d’élus regrettent l’époque où il y avait seulement un préfet et où un représentant de l’État pouvait être joint à tout moment, y compris le week-end, pour avancer sur tel ou tel sujet.

M. Christophe Lannelongue. Avec les délégués territoriaux, la présence des ARS sur le territoire est cependant très forte. On a d’ailleurs pu tester la réactivité des ARS sur des crises et, presque chaque semaine, sur des événements difficiles et imprévus.

J'ai donc l'impression que le partage des responsabilités se fait assez aisément. La création de l'ARS est née de l'idée qu’un cadre de déconcentration était nécessaire dans un contexte où l'assurance maladie était un « payeur aveugle », pour reprendre une expression qu’avait alors employée la Cour des comptes.

Du côté du ministère, l’approche des questions de politique de santé était assez classique et normative. Le ministère, qui reste le principal producteur de lois, de décrets et de circulaires, avait en effet une conception de la politique de santé qui relevait, dirais-je, du shoot and forget : on élaborait des normes et on faisait en sorte qu'elles s'appliquent, mais en recourant à des moyens d'action traditionnels comme le pilotage centralisé des circulaires.

La création des ARS a permis d'avoir un dialogue plus direct avec les acteurs et de les accompagner. Certes, les efforts des ARS ont d’abord porté sur les hôpitaux publics car de leur évolution dépendait la résolution de beaucoup de difficultés du système de santé.

Vous avez par conséquent raison de dire que l'action des ARS a été peut-être surtout centrée sur l'hôpital au détriment de la médecine de ville.

M. Jean-Michel Jacques. La situation n’est pas non plus satisfaisante à l’hôpital !

M. le président Alexandre Freschi. Monsieur le directeur général, je vous invite à raccourcir vos réponses afin que tous nos collègues aient le temps de vous interroger.

M. Christophe Lannelongue. Je suis d'accord avec vous sur le fait qu'il faut raccourcir le temps d’élaboration et de mise en œuvre des projets. Le guichet unique a cet objectif. Vont aussi être mises en place dans dans la région Grand-Est et dans d’autres régions des conférences de financeurs, qui associeront au niveau du département tous les acteurs participant au financement des projets : le conseil départemental, l’assurance maladie et l’ARS.

Nous devons en effet accompagner les porteurs de projets très en amont, dès le moment où ils ont une idée car, comme ces professionnels travaillent beaucoup, ils manquent de temps pour la faire mûrir. Notre mission est donc de rémunérer le temps qu’ils consacrent à développer et construire ces projets, car il ne pourra y avoir d'évolution du système de santé sans une transformation des pratiques professionnelles, donc sans développement de projets innovants à l'initiative des professionnels.

Quant au manque d’attractivité du secteur libéral, je dirais qu’il est lié au sentiment qu'ont beaucoup de jeunes professionnels de ne pas avoir été suffisamment préparés à gérer un cabinet qui est presque une PME. Ils craignent également que l’exercice libéral soit une difficulté pour travailler en équipe, cet exercice se faisant en effet souvent de façon isolée. Enfin, ils considèrent que des contraintes assez fortes pèsent sur les horaires de travail.

Inversement, beaucoup de jeunes professionnels s'installent en libéral parce qu'ils ressentent l'hôpital comme un lieu de bureaucratie et de contrainte. Si nous devenons capables d'aider les futurs médecins à définir durant leurs études un projet professionnel, nous allons pouvoir progresser très rapidement sur cette question.

Un dispositif appelé « La Passerelle » a été mis en place à Nancy à la rentrée de septembre 2017 : le Conseil national de l'Ordre des médecins a recruté sur financement ARS une chargée de mission qui aide les étudiants en médecine à définir un projet professionnel et les met en relation avec des médecins déjà installés. Son bureau est installé dans les locaux de la faculté, en face du principal amphithéâtre.

C’est ce type d’initiative qui permettra d'éviter qu’un jeune professionnel fasse des remplacements pendant plusieurs années jusqu’à ce qu’il trouve un cadre d'exercice qui lui plaise. Ainsi, il aura la possibilité de faire cette recherche durant ses études.

Je terminerai en répondant à votre question sur la régulation de l’installation des médecins. Je crains que toute mesure de régulation aboutisse surtout à pénaliser encore plus la médecine générale. Les difficultés que rencontre notre pays s’expliquent par le retard que nous avons pris : des pays proches de la France comme l’Allemagne ont organisé les soins primaires il y a vingt ou trente ans, ce qui leur a permis de développer la prévention et l'accès en proximité et de mieux coordonner le travail en équipe.

En recourant à des mesures coercitives de régulation, on risque d’aggraver la dérive du système français qui a consisté à privilégier, dans les modes de rémunération comme dans les modes d'exercice, une médecine de spécialité, une médecine hospitalière.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Même si, de façon hypocrite, ont été régulées d'autres professions.

Mme Stéphanie Rist. Monsieur le directeur général, vous avez dit qu'il y avait encore  beaucoup à faire sur la montée en charge des GHT. Pouvez-vous définir le rôle des ARS dans cette montée en charge ? Et faut-il accélérer le développement des GHT ? Enfin, avez-vous eu un retour sur les évaluations annuelles qui ont lieu actuellement ?

M. Didier Baichère. Dans votre propos introductif, vous avez indiqué que la France est en retard sur ses partenaires européens en matière de coordination de soins, notamment pour la télémédecine et le parcours de soins. Pouvez-vous exposer des exemples de mesures mises en place dans d’autres pays européens qui ont montré leur efficacité et dont nous pourrions nous inspirer ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo. Vous avez souligné avec justesse que les ARS se sont beaucoup occupées de l'hôpital et qu’il importe désormais de renforcer la médecine de ville. Inviter ou inciter les médecins généralistes à devenir maîtres de stage est certainement l’un des moyens à mettre en œuvre dans ce but. Pourriez-vous nous dire comment les ARS peuvent aider les médecins déjà installés à devenir plus facilement maîtres de stage ?

M. Jean-Michel Jacques. Vous avez rappelé l'historique de la création des ARS, qui étaient une nécessité. Notre rapporteur Philippe Vigier a pour sa part évoqué les difficultés de fonctionnement, et parfois de fluidité, au sein des ARS. Je confirme que ces difficultés existent. Ma collègue Gisèle Biémouret m’en a aussi fait part. Monsieur le directeur, soit vous niez et refusez de prendre en compte ces difficultés, soit vous estimez qu’elles existent et, dans ce cas, je souhaite savoir comment vous comptez les aplanir.

Mon impression, qui rejoint celle de beaucoup d’élus, est que les ARS ont un mode de fonctionnement encore trop centralisé. Il y aurait peut-être de ce point de vue une culture à faire évoluer.

M. Marc Delatte. Nous avons parfois assisté à une inflation du nombre des maisons de santé pluridisciplinaires (MSP) alors qu’elles ne sont pas la seule solution. Comme disait l’un de mes confrères du nord de l'Aisne, à quoi bon construire des épiceries vides pour lutter contre la faim en Afrique ?

Aussi voudrais-je savoir si vous préconisez que soit établie conjointement par les unions régionales des professionnels de santé (URPS) et les ARS une cartographie des lieux d'implantation des maisons de santé échappant à la contrainte des élus locaux qui, pour des raisons électorales, veulent tous avoir la leur ?

Dans une optique de bassins de vie, il faut aussi valoriser les initiatives des médecins locaux. Enfin, je souhaite signaler qu’une demande forte des médecins porte sur la revalorisation de la permanence des soins ambulatoires (PDSA) et son exonération de charges fiscales pour les missions de service public, afin que soit respecté le principe du repos compensateur du lendemain.

Mme Gisèle Biémouret. Je ne suis pas entièrement d’accord avec mon collègue. Si les élus s'engagent dans la création de maisons de santé, c’est avant tout pour ne pas demeurer impuissants ! Face à une situation complexe, chacun essaie de faire ce qu'il peut, sans arrière-pensée électoraliste. Lorsque je parle avec mes concitoyens, je constate que leur principale crainte est de ne pas pouvoir avoir accès aux soins. Cette préoccupation est aussi celle des élus, non pour se faire réélire mais dans l’intérêt de la population.

Ma question concerne les ARS. Je suis d’une grande région, l’Occitanie, et je comprends que les fusions aient créé des difficultés lors de leur mise en place. Mais les GHT, sur lesquels nous fondions de grands espoirs, n’ont pas permis d’apporter des réponses aux terribles difficultés que rencontrent des hôpitaux. Je suis présidente du conseil de surveillance d'un petit hôpital, l’hôpital de Condom, où ces difficultés ont quasiment atteint le point de non-retour.

Que peuvent faire les ARS devant d’aussi graves difficultés que celles que nous rencontrons, en particulier le manque de médecins urgentistes ou l’insuffisance du dialogue avec les médecins de ville ? En d’autres termes, quelle action pouvez-vous mener pour nous aider à établir des contacts sur les territoires en vue de trouver des solutions ?

On nous répète qu’il faut rencontrer des médecins de ville et leur demander de venir travailler aux urgences. Je peux vous dire que, dans les faits, les choses ne sont pas aussi simples.

M. Christophe Lannelongue. L’ensemble des ARS est sur le point d’achever l'élaboration de leur projet régional de santé (PRS). Tous ces PRS comportent une sélection de programmes prioritaires pour l'amélioration des parcours et l'organisation du système de soins.

Les GHT ont élaboré parallèlement des projets médicaux partagés (PMP) pour organiser les filières. Il faut donc réaliser un alignement stratégique entre les politiques régionales et leur traduction dans un territoire, celui du GHT.

Concrètement, une réunion avec tous les porteurs de GHT a eu lieu mercredi dans ma région. On a considéré successivement les filières – périnatalité, cancérologie, gériatrie, urgences, etc. – en regardant pour chacune comment améliorer la cohérence entre les objectifs fixés dans le PRS et leur déclinaison territoriale.

Il est également nécessaire d'intensifier le dialogue afin d’adapter en quelque sorte en continu les projets médicaux partagés. Leur mise en œuvre nécessite des ressources médicales, donc une relation renforcée avec les CHU. Par conséquent, un dialogue de gestion entre l’ARS et l'assurance maladie, d’une part, et les établissements adhérents du GHT, d’autre part, doit avoir lieu plusieurs fois par an.

Les ARS ont une tradition d'expertise centralisée puisqu’elles ont été créées pour définir et mettre en place des politiques régionales avec une expertise regroupée au siège. À mon avis, la demande de déconcentration interne des ARS, qui est très forte et légitime, ne pourra être satisfaite qu’en revalorisant les délégations territoriales et départementales.

Cette déconcentration passe aussi par une relation différente entre des « Directions métier », comme on les nomme au siège régional, et les délégations territoriales. On lit la phrase suivante dans le projet de l’ARS Grand-Est : « Les directions métier supportent les délégations territoriales, les délégations territoriales supportent la mise en œuvre de la stratégie de l'agence. » Elle traduit bien l'idée que d'autres modes de travail doivent être mis en place pour faciliter une action territoriale en proximité.

L'assurance maladie doit également s'organiser dans un cadre régional avec un meilleur partage des responsabilités entre l’échelon régional de l’assurance maladie, la direction régionale du service médical (DRSM), la direction de la coordination de la gestion du risque (DCGDR) et la CPAM.

Concernant les MSP, vous avez eu raison de dire qu’elles ne constituent pas l’unique solution pour pallier le manque de médecins. Elles seront même une solution plus compliquée à mettre en œuvre dans les années à venir, parce qu’elles se sont développées plutôt dans le monde rural et que leur implantation actuelle dans les grandes villes est fortement freinée par la difficulté à y monter des projets immobiliers.

La nouvelle génération de professionnels de la santé ne veut pas prendre en charge un travail de promoteur. Ce travail implique en effet une gestion d’autant plus lourde que, dans les grandes villes, les MSP sont de très grosses unités.

À la campagne, les MSP réunissent entre 10 et 20 professionnels, mais en ville ce sont souvent 30, 40, 50, voire 60 professionnels. Les coûts d'opération ne sont pas non plus les mêmes : dans un territoire rural, construire une maison de santé coûte entre 500 000 et 2 ou 2,5 millions d’euros ; en ville, on atteint souvent 4 ou 5 millions d’euros et, comme les constructions se font dans un tissu urbain très dense, construire ou rénover y est fort complexe.

Pour assurer le développement des MSP, il nous faut donc trouver les moyens de mieux accompagner les professionnels de santé, notamment en faisant intervenir des investisseurs et des gestionnaires qui leur permettent de ne pas être en première ligne sur ces missions.

Mais à court terme, pour les cinq ou dix ans à venir, le changement viendra moins du développement des maisons de santé que du travail en équipe « hors les murs » de professionnels ayant décidé de s'associer pour améliorer la prise en charge des patients.

Il est possible d’accompagner ces professionnels en mesurant les améliorations qu’ils apportent et en les encourageant à progresser encore. C'est ce que font les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). Une quinzaine de CPTS sont en cours de développement dans la région Grand-Est, certaines régions étant plus avancées comme la Normandie et Centre-Val-de-Loire, alors que d’autres commencent seulement à les mettre en place.

Les CPTS permettent à des professionnels de se rencontrer sur des objectifs concrets : l’amélioration de l'offre de soins non programmés, celle de la prise en charge des personnes âgées en lien avec les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) et l'hôpital, ou l’amélioration de la prise en charge de la souffrance des adolescents en leur permettant de rencontrer plus facilement des psychologues, entre autres.

Ces objectifs sont ciblés et concrets. On tire en quelque sorte un fil, et ce fil va permettre de mettre en œuvre une coopération qui en donnant des résultats va créer une dynamique de développement professionnel dans un territoire.

Cette dynamique est particulièrement importante pour l'accès aux soins spécialisés. On ne parle pas assez de l’amélioration de l'accès aux soins spécialisés en ophtalmologie, cardiologie, dermatologie, gérontologie ou psychiatrie, dont l’enjeu est aussi important que celui du renforcement des soins primaires. La mise en place des CPTS facilitera l'accès aux soins spécialisés en permettant la mise en relation de professionnels et l'intervention de paramédicaux, notamment grâce à la télémédecine.

La pénurie d’ophtalmologistes est souvent mise en avant. Mais moins de 30 % des ophtalmologistes ont rationalisé le partage des tâches et travaillent avec un orthoptiste, et ceux qui travaillent avec un orthoptiste en télémédecine pour des soins spécialisés à distance sont encore moins nombreux.

Vous avez évoqué avec raison l’intérêt des cartographies d’implantation des MSP pour le développement de l'exercice coordonné. Ces cartographies sont particulièrement nécessaires en ville, où les décisions recoupent les choix de développement urbain, notamment concernant l’accès des patients aux réseaux de transport. Mais elles sont également nécessaires à la campagne pour réguler la relation entre les élus et les professionnels et les aider à faire ensemble des choix de renforcement de structures qui soient cohérents.

Dans un territoire, on va ainsi commencer par renforcer un cabinet, une MSP, puis on va ouvrir une antenne de la maison de santé qui accueillera deux ou trois après-midi par semaine des personnes en proximité, un médecin venant de la maison de santé pour des consultations.

Cette formule me paraît propre à concilier les exigences de travail en équipe, de renforcement et de proximité, comme cela a été fait dans la Meuse. L’implantation d’une vingtaine de maisons de santé dans ce département de 200 000 habitants majoritairement rural est en effet un exemple de ce qu’il nous faut faire. Ces MSP constituent un modèle non par leur nombre mais parce qu’elles sont par grappes : j’entends par là qu’il y a toujours une « mère » et une « fille », la « mère » ayant créé une « fille » qui facilite à son tour l’accès en proximité à travers des antennes, des plages de consultation, etc.

Élaborer dans tous les territoires des schémas cibles de renforcement des soins de proximité en cherchant des compromis dynamiques entre les élus et les professionnels est donc effectivement une priorité.

Vous avez parlé de l'aide que peuvent apporter les URPS. Comme vous, je pense qu’il faut plus mobiliser les pairs, légitimes pour apporter un accompagnement en proximité. Nous avons d’ailleurs passé une convention avec l'URPS Médecins et avec l’URPS Pharmaciens, et il est prévu que soient payés trois permanents supplémentaires à l’URPS Médecins pour réaliser ce travail d'accompagnement.

D'autres régions s’appuient sur les fédérations des maisons de santé. Cependant, je vous rejoins tout à fait car le rôle des pairs est essentiel chaque fois qu’il s'agit de faire définir un projet par un groupe de professionnels.

J’arrive à la question sur la revalorisation de la PDSA. Une grande préoccupation des ARS est de parvenir à créer une PDSA dans la journée. L’une de nos principales priorités est en effet d'améliorer l'offre de soins non programmés de façon à soulager les services d'urgence.

Je salue le travail réalisé par votre collègue Thomas Mesnier qui, avec son rapport sur l’organisation des soins non programmés dans les territoires, a ouvert des perspectives. Je n'y reviendrai pas, mais je dirai juste que la revalorisation de la PDSA, qui est en effet nécessaire, devra se faire à partir d’une vision générale de ce qu'est l'accès aux soins.

Vous m’avez demandé ce que peuvent faire les ARS. Leur rôle est de mettre les acteurs autour d’une table et de les faire travailler dans une approche concrète. Ainsi, l’ARS Grand-Est est en train de mettre en place dans six grandes villes de la région des groupes de travail réunissant des représentants de l'hôpital, des EHPAD et de la médecine de ville pour réfléchir aux moyens d’améliorer la réponse aux urgences, d’assurer les soins non programmés et de renforcer le lien entre les EHPAD et l’hôpital, entre autres.

C'est la mission fondamentale des ARS ainsi que leur rôle d’avenir d'accompagner les projets et de contribuer à réaliser des formes de décloisonnement et de mise en relation.

Je terminerai sur le rôle des élus dans la création de maisons de santé. Dans un territoire, il faut que s’opère une conjonction des bonnes volontés en termes de développement territorial mais aussi de développement du service de santé. C'est en parvenant à établir un dialogue efficace qui fasse comprendre aux uns et aux autres qu’il n’y a pas opposition entre le développement territorial et celui des services de santé, mais qu’il y a au contraire convergence, qu'on réussit. Faire en sorte que ce dialogue ait lieu est le rôle de l’ARS.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Monsieur le directeur général, quand vous dites que le rôle d'une ARS est d’accompagner les initiatives, je ne vous suis pas : sa fonction est de mettre en place une stratégie régionale de santé. C'est à l'administration que revient la responsabilité de décider la stratégie de santé !

Les élus locaux se trouvent trop souvent dans la situation de devoir décider à la place de l’administration. Je ne peux que répéter ce que j’ai déjà dit : lorsque les responsabilités aujourd’hui confiées aux ARS relevaient des préfets de région ou des préfets de département, il y avait unicité de l'État, et on ne peut que regretter la dichotomie qui s’est installée.

Ma deuxième remarque portera sur les projets médicaux partagés. À aucun moment vous ne nous avez expliqué comment ville et hôpital vont travailler ensemble. Car, je le redis, le système de santé fonctionnera mal tant que nous aurons ainsi, dans deux couloirs, d’un côté la médecine de ville et de l’autre la médecine hospitalière.

Je serai demain, à Vierzon, non loin de Bourges. L’hôpital de la ville de Bourges, préfecture du département du Cher, va devoir recourir à la réserve sanitaire, c'est-à-dire à des médecins qui ne sont même pas inscrits au tableau de l'Ordre des médecins !

Au sujet des GHT, je voudrais aussi savoir pourquoi certains de vos collègues refusent toute perméabilité du public et du privé. Un GHT, ce sont des filières de soins, peu importe par conséquent la classification en public ou privé, du moment que le patient est pris en charge avec la plus grande efficience. Dans ces conditions, pourquoi ce refus, d’ailleurs en contradiction avec ce que le Premier ministre a dit en octobre dernier à Châlus, lorsqu’il a expliqué qu'il fallait développer les consultations avancées ?

Vous avez parlé à un moment de l’inertie de l'administration. Mais l'administration, ce n'est pas nous ! Je ne dis pas cela contre vous, évidemment. Mais il faut que vous entendiez comment ces blocages sont ressentis.

M. Christophe Lannelongue. Comme je l’ai dit, un projet régional de santé est en cours de finalisation dans toutes les régions. Or, ces PRS ont été construits sur la base de la stratégie nationale de santé qui constitue une première puisqu’auparavant il n’en existait pas. Depuis décembre 2017, nous disposons donc d’une stratégie comportant quatre axes majeurs qui se trouve déclinée dans les PRS.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Monsieur le directeur général, excusez-moi de vous interrompre. Le Premier ministre a dit quelque chose qui m’a paru frappé au coin du bon sens lorsqu’il a déclaré dans son discours que la stratégie de santé doit partir des territoires.

Le siège de l’ARS Grand-Est se trouve, je suppose, à Strasbourg.

M. Christophe Lannelongue. À Nancy.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Ce n'est pas depuis votre bureau de Nancy et en réunissant les parlementaires d’une région deux fois par an que vous pourrez mener une stratégie régionale de santé ! Vous n’y parviendrez qu’en procédant territoire par territoire et en partant de projets territoriaux, pour rassembler dans un second temps tous les projets.

À l’inverse de ce que font les PRS, une stratégie de santé devrait s’appuyer sur les acteurs d’un territoire, sur ce qu’ils sont capables de mettre en place. Le rôle du directeur de l'ARS, mais aussi du préfet, est d’examiner avec les élus leur projet en montrant ses insuffisances et en assurant sa cohérence.

Permettez-moi une dernière remarque sur les PRS. Le projet régional de santé de ma région, le Centre-Val-de-Loire, a été désapprouvé par l'ensemble des élus du conseil régional, toutes sensibilités politiques confondues. C’est grave, car cela signifie qu'à l'échelle d'une région la volonté de tous les élus du peuple s’est trouvée bafouée par le projet qu'une administration nous a imposé sans qu’il nous ait été seulement possible d’y apporter des modifications.

M. Christophe Lannelongue. Monsieur le député, mon impression est entièrement différente.

Le PRS de la région Grand-Est a été adopté à la quasi-unanimité par la conférence régionale de la santé et de l'autonomie (CRSA), avec une abstention et une voix contre, ainsi que par le conseil régional. Pour ce dernier vote, je n’ai plus les chiffres en tête mais je crois me rappeler que seuls deux ou trois conseillers régionaux s’y sont opposés. Ce PRS a également été approuvé par neuf conseils départementaux sur dix et par toutes les grandes métropoles de la région. Je n’ai donc aucunement le sentiment que les politiques régionales de santé soient contestées.

Vous avez cependant raison sur un point : ces politiques régionales n'ont de sens que si elles débouchent sur une capacité d'action en proximité et sur le terrain. Pour l’illustrer, je vais vous prendre un exemple que nous mettons souvent en avant et qui constitue en quelque sorte un cas d'école.

J'ai sous les yeux le schéma cible de renforcement de l'offre de soins de proximité prévu par le Plan d'action de la communauté de communes de la région de Rambervillers, qui regroupe une trentaine de communes pour 14 000 habitants. Celui-ci s'inscrit dans le plan « Vosges Ambitions 2021 » élaboré sous l'égide du président du conseil départemental.

Ensemble, avec les élus et les professionnels de ce territoire, nous avons mis en œuvre des mesures très concrètes, comme le développement des stages en ambulatoire ou encore celui de l'exercice coordonné en facilitant l'adhésion de la MSP de Rambervillers à l'accord conventionnel interprofessionnel (ACI) afin de la faire bénéficier des aides de l'assurance maladie. Nous avons aussi accompagné la révolution numérique, deux EHPAD, une MSP et deux médecins généralistes allant se regrouper pour faire émerger un projet de télémédecine.

Nous avons encore rencontré les médecins de Rambervillers en vue de promouvoir la création de postes d'assistants partagés ville-hôpital et de médecins adjoints, et nous avons développé les coopérations entre professionnels de santé, avec un orthoptiste qui exerce au sein de la maison de santé où est installé un rétinographe.

Je pourrais également citer le dispositif « Action de santé libérale en équipe » (ASALEE) que nous allons étendre, le guichet unique pour les professionnels de santé affiché auprès du territoire, la coordination renforcée entre l’ARS et l’assurance maladie, etc.

Je ne peux donc qu’être d’accord avec vous lorsque vous dites que la transformation du système de santé, les solutions pour résoudre la crise démographique médicale et la réponse aux besoins de santé passent par un travail sur le terrain avec les acteurs.

Concernant la question du rapprochement de l’hôpital avec le secteur privé, je ne vois pas quel problème pourrait poser le fait que des hôpitaux publics réfléchissent entre eux sur les moyens d’un meilleur partage des activités tandis que serait développée la complémentarité de l’hôpital et du privé. L'an dernier, nous avons installé la clinique privée au cœur de l'hôpital public à Saint-Dizier. Nous l’avons également fait à Chaumont et nous allons le faire à Châlons-en-Champagne avant novembre 2018.

Nous nous efforçons donc de maximiser la complémentarité entre l'hôpital public et les cliniques privées. Car une bonne organisation de l'hôpital public, avec des filières et un partage des activités entre les sites, n’empêche aucunement de rechercher cette complémentarité, par exemple sur la chirurgie ou sur les soins de suite et de réadaptation (SSR).

Le développement des consultations avancées est également souhaitable. La télémédecine va faciliter l'accès aux soins spécialisés mais une consultation avancée dans une maison de santé ou dans un hôpital de proximité restera dans certains cas absolument nécessaire.

Pour ce faire, il va falloir surmonter beaucoup d'habitudes, voire de mauvaises habitudes, et en particulier faciliter le déplacement des médecins plutôt que celui des patients. Les maisons de santé et les EHPAD peuvent constituer un cadre pour la mise à disposition de professionnels sur le terrain.

Le lien entre ville et hôpital s’avère crucial, notamment pour la prise en charge des personnes âgées. En effet, beaucoup de problèmes se posent en sortie d'hôpital pour les personnes âgées, avec des réhospitalisations fréquentes, et nous peinons aussi à diminuer les hospitalisations de ces personnes, particulièrement les hospitalisations en urgence.

De façon générale, on constate que le travail sur les filières et les parcours est très difficile sur les cas complexes – les personnes âgées mais aussi les enfants, les adolescents ou les personnes en situation de précarité.

Des plateformes territoriales d'appui (PTA) sont en train d’être mises en place pour prendre en charge les cas complexes. La région Grand-Est sera par exemple couverte de plateformes territoriales d'appui d'ici trois ans. Plusieurs fonctionnent déjà au nord et au sud de l’Alsace ainsi qu’à Reims, et une autre s’apprête à fonctionner dans les Vosges.

Ces plateformes permettent d'embaucher des coordonnatrices spécialisées qui font, pour le compte d'un médecin généraliste, des interventions et de la gestion de cas difficiles. Elles font aussi le lien entre tous les professionnels d'un territoire, dont l'hôpital.

Cette difficulté à mettre en place des soins de proximité et à articuler soins primaires et soins spécialisés est la principale faiblesse du système de santé français. Mais je crois que les nombreuses initiatives en cours vont porter leurs fruits.

Mme Stéphanie Rist. Vous avez parlé des outils juridiques mis en place et des importants financements engagés pour la réforme du système de santé français. Vous avez aussi décrit un système inerte et cité des mesures destinées à l’amender, comme le guichet unique.

Pensez-vous qu’il manque aux ARS un levier qui leur permette d’être un contrepoids à des pouvoirs les empêchant d'organiser efficacement les soins sur le territoire ? Ou au contraire disposez-vous, avec la stratégie nationale de santé et sa déclinaison régionale, de tous les moyens pour réussir cette organisation ?

Mme Jacqueline Dubois. J’ai relevé pas moins de quinze mesures pour favoriser l'installation des médecins en zones déficitaires. Ces mesures sont utiles, mais n’y en a-t-il pas trop ? On peut d’ailleurs penser que le guichet unique va jouer un rôle de simplification et de clarification.

Je souhaiterais connaître le nombre de médecins qui ont bénéficié ou qui bénéficient de ces aides. J'aimerais aussi savoir si nos voisins européens rencontrent des difficultés semblables aux nôtres pour organiser des soins sur le territoire.

Enfin, pourriez-vous nous dire quelle est la bonne échelle pour les maisons de santé ? Dans mon département, qui est majoritairement rural, la décision de créer des MSP est surtout venue des communes mais le département envisage aussi de salarier des médecins. Selon vous, vaut-il mieux que l’organisation des soins primaires et des soins de spécialité sur les territoires soit confiée aux médecins libéraux ou aux collectivités ?

M. le président Alexandre Freschi. Je ne reviendrai pas sur le bilan des ARS. On sait qu’une partie de leurs missions a été parfaitement remplie, mais que les résultats ont été plus contrastés sur d’autres plans, notamment en ce qui concerne l’équilibre de l’offre de soins sur le territoire.

Ma question portera sur la stratégie de santé. J’ai été très heureux d'entendre qu’une stratégie était mise en place depuis l'automne dernier. Quels freins l’empêchent de se déployer efficacement ? Et n’a-t-elle pas été mise en œuvre trop tard ? Enfin, pensez-vous possible de trouver rapidement une solution pour faire face à la situation d’urgence qu’est la désertification médicale dans nos territoires ?

M. Christophe Lannelongue. L’une de vos questions porte sur les moyens et l'efficacité des aides à l'installation. Nous nous occupons actuellement de l'application de la convention de 2016 à travers un nouveau zonage et avec la mise en œuvre de nouvelles aides.

Ces aides personnelles sont mal connues et elles n’ont pas toute l’efficacité souhaitée car la décision d'installation est plus le résultat d'un projet professionnel élaboré progressivement que d'une décision purement financière. On aurait tort d’en conclure qu'il faut s'en priver, et nous avons complété les aides mises en place par la convention par des aides régionales financées par le FIR dans les zones où nous estimions qu’il fallait intervenir, bien qu’elles n’aient pas été retenues pour la mise en œuvre des aides conventionnelles.

Je ne peux pas vous dire combien de médecins ont bénéficié de ces aides. Pour la convention de 2016, ils sont moins d'une dizaine, mais je ne connais pas les chiffres pour les aides précédentes.

Vous avez également souhaité connaître des exemples de réussite chez nos voisins européens. On pourrait en citer beaucoup. En Angleterre, le taux de dépistage du cancer est ainsi de 98 % alors qu’il n’est que de 51 % chez nous. Cette différence tient à l’organisation très professionnelle des soins en Angleterre, avec des équipes pluridisciplinaires composées de médecins, d’assistantes et d’infirmières – quatre médecins, quatre assistantes et quatre infirmières en moyenne – qui permettent d’accompagner davantage les patients.

Je donnerai aussi l’exemple de la prise en charge du diabète en Allemagne. Dans ce pays, des infirmières sont chargées de l'accompagnement et de l'éducation des patients. On trouve donc effectivement en Europe des cas de meilleure prise en charge des soins primaires qu'en France. Cette plus grande efficacité est toujours liée à des collaborations entre des médecins, des infirmières, des assistantes et des pharmaciens.

Pour les MSP, on ne peut pas raisonner à l'échelle communale : le bon niveau est celui des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). C'est au niveau des EPCI que doit avoir lieu le débat avec les élus et les professionnels d’où sortiront les choix qui enclencheront des dynamiques.

Les EPCI sont récents et, pour beaucoup, ils n’ont pas encore trouvé leur point d'équilibre. Aussi faut-il s'appuyer sur le réseau des sous-préfets pour faciliter l’échange entre les élus, les professionnels et l’ARS.

Nous sommes en effet engagés dans une course de vitesse car les départs à la retraite des médecins vont s'accélérer. Certains endroits aujourd'hui préservés mais où on constate une forte homogénéité en âge des médecins, comme l'Alsace, vont également bientôt être concernés par la crise démographique médicale, car dans moins d’une dizaine d’années beaucoup de médecins de ces départements partiront en retraite.

Il nous faut donc fournir rapidement des réponses. Or, plus que l’augmentation des moyens financiers, c’est l’évolution de la formation des professionnels qui importe. Ceux-ci doivent apprendre à travailler en équipe, à développer un projet professionnel, à découvrir ce que sont les soins primaires et à apprécier le travail de prévention et de promotion de la santé.

Un nombre important de mesures, comme la réforme du troisième cycle, le service sanitaire ou l’inscription dans un parcours universitaire des formations des paramédicaux que nous cherchons à mettre en place, visent ce résultat. C’est ainsi que sera créé à la faculté de médecine de l'Université de Lorraine, à la rentrée de septembre, un département des professionnels de santé destiné à améliorer la formation, notamment, des infirmières et des sages-femmes.

La coopération entre les professionnels est elle aussi cruciale. La loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2018 comporte une disposition importante à ce titre, la mise en place d'une centaine d’infirmières ASALEE. Un décret qui devrait être publié dans les prochains jours prévoit par ailleurs la mise en place du régime des infirmières exerçant en pratique avancée.

La course de vitesse est réelle parce que les prochaines années vont être marquées par une baisse massive du temps médical due aux départs en retraite mais aussi aux changements qui touchent le rythme et l’organisation du travail des jeunes professionnels. Ces changements ne sont d’ailleurs pas à mettre en rapport avec le genre, le temps de travail des hommes et des femmes se rejoignant à l'horizon 2021.

La compensation de cette perte de temps médical passe nécessairement par une meilleure coopération entre professionnels. La région Grand-Est, par exemple, compte plus d'une dizaine de milliers d'infirmières libérales : il faut que le travail des médecins avec ces infirmières soit renforcé et qu’elles puissent prendre en charge des tâches qui aujourd'hui accaparent du temps médical.

On pourrait aussi parler des pharmaciens. Comme vous le savez, la ministre a engagé la généralisation de l'expérience de vaccination en pharmacie. L'ensemble des régions sera concerné au plus tard en 2020.

Ces mesures sont essentielles car elles permettront d’améliorer et de faciliter la gestion du temps médical et de faire face à une situation dans laquelle les choix seront contraints.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Je souhaite revenir sur les stages en ville. En deuxième cycle, seulement 71 % des étudiants en médecine font le stage en médecine générale, et ils ne sont plus que 57 % en troisième cycle. Comment expliquer ces chiffres, alors qu’il s’agit de stages obligatoires ?

Ma collègue Jacqueline Dubois a posé une question sur la convention médicale et le nombre de médecins concernés. Voici les chiffres. Sur la convention médicale de 2016, au 31 mars 2018 il y a eu en France 315 – seulement 315 ! – bénéficiaires du contrat d'installation, 486 bénéficiaires du contrat de stabilisation et de coordination, 22 bénéficiaires du contrat de transition et 28 bénéficiaires du contrat de solidarité territoriale médecin. Le dispositif, avec ces quatre types de contrats, est compliqué. Ne pourrait-on pas commencer par passer de quatre à deux contrats ?

Monsieur le directeur, vous avez dit qu’il fallait encourager le rapprochement du public et du privé. Mais je ne pense pas que l’on puisse se contenter de l’encourager ! Mme Stéphanie Rist vous a interrogé sur la nouvelle stratégie nationale de santé. Mais elle ne siégeait pas à l'Assemblée nationale quand, il y a dix ans, Roselyne Bachelot nous parlait déjà de stratégie nationale, puis quand Marisol Touraine nous en a parlé avec les mêmes mots et avec la même force. Les stratégies se suivent et l'échec se creuse puisque, comme vous l’avez dit vous-même, la situation va encore s’aggraver lors de la prochaine décennie.

C’est pourquoi je vous demande où sont les mesures d'urgence. On ne peut pas attendre quatre ans qu’un projet médical partagé voie le jour sur le territoire ! Dans une entreprise en faillite ou en voie de restructuration, on fait en sorte d'aller vite. Or, notre système de santé est, passez-moi le mot, en état d’urgence absolue.

Pour faire face à cette situation, il faut partir des éléments les plus structurants et rapprocher les secteurs public et privé. Ce rapprochement a d'ailleurs lieu épisodiquement, ainsi que vous venez de nous l’indiquer.

Pourquoi ne généralise-t-on pas ces expériences ? Actuellement, on assiste dans les territoires à des fermetures de services hospitaliers, ce qui contredit d’ailleurs la volonté territoriale de faire émerger des filières de soins. Partout on cherche à colmater les brèches, mais sans parvenir à une cohérence entre le public et le privé.

Sur ce sujet crucial, je souhaite savoir si vous êtes à l'offensive ou si au contraire vous incarnez l'inertie administrative.

M. Christophe Lannelongue. Moi non plus, je ne trouve pas normal que l’objectif fixé il y a six ans de 100 % d’étudiants faisant un stage en médecine générale durant le deuxième cycle ne soit toujours pas atteint. C'est d'autant plus préoccupant que ce stage est un outil extrêmement efficace pour intéresser de jeunes professionnels à l'exercice en médecine générale.

Pour avoir souvent discuté avec des stagiaires, je peux vous dire que ces stages sont souvent pour eux une révélation. Passer six semaines avec des médecins leur fait découvrir combien les relations avec les patients peuvent être intenses lorsqu’on est généraliste.

M. Philippe Vigier, rapporteur. On est passé de six à douze mois de stage, j’avais moi-même soutenu l’évolution de leur durée. Pourquoi les facultés ne respectent-elles pas les modules ?

Et pourquoi augmente-t-on le numerus clausus alors que des pôles d’internat de médecine générale sont vides ? Ce concours est le seul de la fonction publique hospitalière où des postes ne sont pas pourvus. La situation est différente à l’Éducation nationale, où pour certains concours l’on manque de candidats : là, on a plus de candidats qu’il n’y a de places.

M. Christophe Lannelongue. Il faut garder à l’esprit que cette réforme suppose l’augmentation du nombre de maîtres de stage ainsi que l'accompagnement des étudiants pour le logement et les déplacements.

Sur le troisième cycle, la réforme n’en est qu’à ses débuts. À partir du 2 novembre 2018, une forte accélération va avoir lieu puisque les internes suivront des stages en ville sur un petit nombre de spécialités. Nous aurions effectivement dû les mettre en place plus tôt, comme nombre de mesures dont il a été question ce matin.

En tout cas, il semble que le virage soit pris. Aurait-il dû l’être plus tôt ? La question se pose. Mais le système médical est pareil à un pétrolier géant, si bien que les résultats n’apparaissent qu'avec le temps.

Le cas de la télémédecine est de ce point de vue éloquent. Le virage a incontestablement été pris, puisqu’à partir du 15 septembre prochain les médecins et infirmières qui interviendront en télémédecine seront rémunérés en application de l'accord conventionnel signé récemment. Une dynamique d'organisation sera également nécessaire pour atteindre l'objectif d'équipement de 100 % des EHPAD avant le 1er janvier 2020.

Si cet objectif est atteint, un pas immense aura été fait en un temps relativement court. L’urgence est donc bien réelle mais je pense que les mesures qui ont été prises vont avoir des résultats.

Vous avez également dit que les aides, nombreuses, sont peu utilisées. Il faut néanmoins tenir compte de ce qu’elles sont décidées au cours d’une négociation conventionnelle entre l'assurance maladie et les partenaires. Cette négociation est « cadrée », puisque l'assurance maladie négocie sur la base d’un mandat mais, comme dans toute négociation, les points de vue ne sont pas toujours d’emblée convergents.

Vous avez eu raison de souligner que ce système d’aides est complexe. Je pense qu’un effort devra être fait pour qu’il soit mieux connu et qu’il intéresse plus les professionnels, car on ne peut pas se résigner à ce que certaines aides concernent quelques dizaines d’entre eux sur tout le territoire. Le guichet devrait être un outil efficace pour faire la promotion de ce dispositif.

Pour résumer, je dirai que les bonnes mesures ont été prises, mais qu’il faut du temps pour qu'elles produisent des résultats.

M. le président Alexandre Freschi. Ce fut aussi la conclusion de M. Denis Morin, président de la 6e chambre à la Cour des Comptes, lorsque nous l’avons reçu.

M. Marc Delatte. Monsieur le directeur, vous avez raison de dire que nous sommes engagés dans une course de vitesse, puisque plus de 30 % des médecins ont plus de 60 ans. En quinze ans, la France a perdu 14 000 médecins généralistes et le docteur Patrick Bouet, président du Conseil national de l'Ordre des médecins, estime que nous en perdrons encore 6 000.

Revoir les critères de sélection au niveau du numerus clausus pourrait également permettre d’augmenter l'attractivité. Ces critères ne seraient plus de quantité mais de qualité et pourraient prendre en compte la vocation.

L'engagement constitue aussi un problème. En tant que médecin généraliste, vous vous engagez en effet à suivre des familles sur des générations, ce qui peut faire peur et amener certains jeunes médecins à choisir d’être remplaçants. Il serait donc bon de rendre sur ce plan le métier plus attractif.

En Allemagne, un médecin généraliste a environ 2 000 patients quand en France un médecin de famille, comme c’est mon cas, en a 1 200 ou 1 300. Des décisions portant sur les EPCI seraient à prendre en s’appuyant éventuellement sur le fonds d'innovation organisationnelle.

Pouvez-vous nous dire comment vous allez articuler le travail entre l’ARS et les EPCI, par exemple pour nommer un référent qui organise l’offre de soins avec l'ensemble des professionnels dans le cadre des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) ?

Mme Gisèle Biémouret. Ma question sera courte : dans la nouvelle stratégie de santé, quelle place est donnée aux services départementaux d’incendie et de secours (SDIS) dont le rôle est si important dans les territoires ruraux ?

M. Christophe Lannelongue. L'écart entre la France et l'Allemagne pour le nombre de patients est directement lié au fait que les médecins généralistes de ce pays sont davantage accompagnés par des paramédicaux. Il faut que nous nous engagions à notre tour dans cette voie.

Nous devons effectivement créer un cadre de dialogue avec les élus et les professionnels dans un territoire d’EPCI. Pour la région Grand-Est, nous avons mis en place dans chaque département un comité départemental des soins de proximité en demandant que soient faits un zonage des territoires de proximité puis, dans ces territoires de proximité, des démarches de concertation. J’ai donné précédemment l'exemple de Rambervillers.

Mais il n’existe pas de cadre formel obligeant à définir dans chaque EPCI ou territoire d’EPCI un schéma cible avant la fin de l'année. Certes, des schémas départementaux existent et les schémas départementaux d'accessibilité des services au public de la plupart des départements comportent un volet santé, mais celui-ci n’est pas décliné sous une forme aussi précise et formalisée au niveau des territoires d’EPCI. Les schémas cibles dans des territoires d’EPCI restent donc à définir.

Enfin, il faut de toute évidence que nous parvenions à mieux faire travailler ensemble les SDIS et le SAMU mais aussi les SDIS et les transporteurs privés. Le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur le rapprochement entre les plateformes 15 et les plateformes 18 devrait ouvrir des pistes pour un meilleur travail en commun. Vous avez en tout cas raison de souligner l’intérêt qu’il y aurait à davantage s'appuyer sur la capacité d'intervention des SDIS, d'autant plus qu’il est relativement facile de les « paramédicaliser » ou de médicaliser certaines de leurs interventions.

M. le président Alexandre Freschi. Et d'autant plus que certaines infirmières protocolisées peuvent dispenser des soins. Ce dispositif très efficace a été mis en place dans mon département.

Monsieur le directeur général, je vous remercie.

 


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Audition de Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé

Présidence de M. Alexandre Freschi, Président de la commission denquête

M. le président Alexandre Freschi. Mes chers collègues, nous avons à présent l’honneur de recevoir Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé, accompagnée de membres de son cabinet, M. Jacques-Olivier Dauberton et Mme Margaux Bonneau ainsi que de Mme Eve Robert, membre de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS).

Nous vous remercions, madame la ministre, d’avoir trouvé un créneau dans votre emploi du temps surchargé pour répondre aux interrogations de notre commission d’enquête. Je vous informe que nous avons décidé de rendre publiques nos auditions et que, par conséquent, celles-ci sont ouvertes à la presse et diffusées en direct sur un canal de télévision interne, puis consultables en vidéo sur le site internet de l’Assemblée nationale.

Je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête d’enquêtes de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever à main droite et à dire : « Je le jure. »

(Mme Agnès Buzyn prête serment.)

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Il existe de fortes disparités territoriales dans l’accès aux soins, et la très grande majorité des territoires, même en zone urbaine, commencent à être en tension, même si certains territoires ruraux ou péri-urbains le sont déjà depuis quelques années.

J’ai constaté, dès mon arrivée au ministère, que la situation sur le terrain était très dégradée, raison pour laquelle j’ai tout de suite lancé un plan d’accès aux soins. Ce constat est le résultat de très mauvaises décisions prises par les gouvernements successifs, il y a vingt ou trente ans : pour réduire le déficit de la sécurité sociale, on a, à l’époque, choisi de réduire le nombre de médecins, ce qui a abouti à la catastrophe que nous connaissons aujourd’hui. Nous n’avons pas anticipé les besoins en termes de nombre de médecins, et le numerus clausus a fortement baissé de 1977 à 2001, date à laquelle il était inférieur à 4 000 médecins formés par an. Depuis 2001, il remonte progressivement, et nous sommes, depuis 2008, à plus de 8 000 médecins formés par an, ce qui nous met au niveau des années précédant 1977 ; mais, pendant trente ans, nous avons formé moitié moins de médecins qu’aujourd’hui, et nous en subissons évidemment les conséquences dramatiques.

À cette baisse du nombre de médecins s’ajoute une baisse considérable du temps médical accessible, liée à la fois à la féminisation de la profession et au fait que les hommes comme les femmes ont désormais la volonté de mieux concilier vie personnelle et professionnelle.

Cette baisse du temps médical accessible est encore plus importante que la baisse du nombre de médecins. Les chiffres de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) indiquent en effet que le nombre de médecins n’est pas vraiment en diminution : relativement stable pour les spécialistes, il est en légère baisse pour les généralistes, car on a proportionnellement formé trop de spécialistes, sans se préoccuper de la médecine de premier recours, ce qui aboutit à la pénurie que nous connaissons aujourd’hui.

Ces chiffres devraient certes repartir à la hausse à partir de 2025, année qui correspond à la sortie de l’université des médecins ayant intégré le cursus de médecine après la réouverture du numerus clausus, dans les années 2005 à 2010. Entre-temps, les dix à quinze ans qu’il faut pour former un médecin introduisent de l’inertie dans le système et font que la situation va être très compliquée à gérer d’ici à 2025.

Une fois ce constat fait, nous avons évidemment souhaité prendre le taureau par les cornes. Jusqu’à présent, les différentes politiques menées étaient quasi exclusivement axées sur l’incitation à l’installation, au moyen de bonus pour ceux qui s’installaient en zone rurale, ou de bourses aux étudiants qui acceptaient d’exercer en zones sous dotées, bref, de mesures relevant uniquement de l’aide financière.

C’était un mauvais calcul. Non que ce ne soit pas utile, dans certains cas du moins, mais cela a également créé beaucoup d’effets d’aubaine, en attirant notamment des médecins étrangers, qui venaient s’installer pour un ou deux ans dans un territoire puis repartaient, empêchant toute fidélisation des patients.

Le plan d’accès aux soins sur lequel j’ai travaillé tout l’été avec les différents partenaires – fédérations hospitalières, syndicats de médecins, ordres nationaux– vise à changer de paradigme. Il s’agit de ne plus agir sur l’installation des médecins, sachant qu’il en manque et que, par ailleurs, une femme qui termine son internat, mariée et mère de famille, n’ira pas s’installer à 200 kilomètres de la ville où réside la famille, quelles que soient les incitations. Nous devons désormais raisonner, d’une part, en temps médical accessible – ce qui compte, en effet, ce n’est pas que le médecin habite le village mais qu’il lui donne du temps régulièrement – et, d’autre part, en termes de coopération interprofessionnelle.

En effet, notre système de soins actuel a été pensé dans les années 1970, autour de la distinction binaire entre soins primaires, visant à traiter des maladies peu graves, et soins hospitaliers, visant à traiter les accidents et les maladies graves ou contagieuses. Or, avec le vieillissement de la population, la typologie des pathologies a largement évolué. Nous avons maintenant des pathologies chroniques et complexes qui nécessitent une bien meilleure articulation entre les différents professionnels, notamment les professionnels paramédicaux, qui participent à la prise en charge de ces pathologies chroniques, ce qui n’était pas le cas quand le médecin généraliste était juste là pour soigner une grippe ou une entorse.

Le plan d’accès aux soins comporte, dans cette perspective, trois types de mesures.

En premier lieu, des mesures permettant de dégager du temps médical sur les territoires. Cela inclut évidemment des aides à l’installation, car je ne renonce pas à faire en sorte que les gens s’installent, mais ça n’est pas l’unique vecteur. Nous augmentons également de 25 % le tarif de consultations des spécialistes ou des généralistes installés en zones sous dotées ; nous mettons en place des obligations de temps partagé entre les hôpitaux locaux et la médecine de ville, par exemple en maison de santé pluri-professionnelle (MSP), sachant que nous renforçons les dispositifs d’aide à destination de ces MSP ; nous facilitons enfin l’organisation de cabinet multiples – auxquels étaient jusqu’à présent assez hostiles les conseils de l’ordre départementaux –, pour permettre aux praticiens d’exercer dans deux ou trois cabinets et de donner du temps médical à différents territoires.

En second lieu, un paquet de mesures a pour but de développer la télémédecine. Outre que celle-ci va rentrer dans le droit commun, les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) seront tous équipés, ce qui évitera des hospitalisations aux urgences et aidera les professionnels. Au lieu qu’un patient doive attendre plusieurs mois avant d’obtenir un rendez-vous chez un spécialiste, son médecin généraliste pourra demander par téléconsultation un avis auprès d’un confrère spécialiste – par exemple, un dermatologue ou un cardiologue. Ces téléconsultations seront prises en charge par la sécurité sociale dès l’automne.

Un troisième paquet de mesures vise enfin à renforcer les coopérations interprofessionnelles. Beaucoup de pathologies chroniques aujourd’hui n’ont pas besoin d’être exclusivement suivies par un généraliste ; c’est le cas notamment du diabète – qui fait également appel à la podologie, à la diététique ou aux soins infirmiers pour la glycémie – mais également de l’insuffisance cardiaque.

Nous allons donc demander à la Haute Autorité de santé (HAS) de produire des référentiels de bonnes pratiques de prise en charge coordonnée, à partir desquels seront organisées sur le terrain des coopérations avec des délégations de tâches.

À cet égard, les infirmières ne sont pas les seules à pouvoir assumer des délégations de tâches, et de nombreux actes médicaux peuvent être pris en charge par d’autres professionnels : les pharmaciens, par exemple, peuvent pratiquer la vaccination, ce qui est aussi un moyen de dégager du temps médical.

Je pense réellement que l’exercice isolé en cabinet va devenir l’exception dans les années qui viennent, au profit d’un exercice coordonné, que ce soit en réseau ou dans des maisons de santé. C’est également dans cette perspective, que j’entends développer enfin la pratique avancée pour les infirmières, mais également pour d’autres professionnels. Dès la rentrée 2018, les universités seront ainsi obligées de proposer des masters de pratique avancée pour que nous ayons des infirmières aptes à la coordination et à la prise en charge des soins.

Telles sont donc les grandes lignes de ce plan d’accès aux soins. Il doit faire l’objet d’un comité de suivi, qui se réunira tous les six mois et associera des parlementaires et des élus territoriaux, pour rendre des comptes sur la base d’un certain nombre d’indicateurs.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Madame la ministre, merci d’avoir accepté de venir devant cette commission d’enquête. Vous l’avez dit, vous n’êtes pas responsable de mauvaises décisions remontant à plus de trente ans, mais le fait même que nous soyons ici réunis montre le désarroi que nous partageons.

Vous avez en votre possession tous les éléments pour évaluer à la fois les besoins de nos compatriotes, l’évolution des pratiques médicales et les ressources dont nous disposons. Or celles-ci apparaissent d’emblée limitées par l’organisation même du cycle des études médicales.

Pour gérer l’urgence, il n’y a pas, comme vous l’avez dit, trente-six solutions.

Il y a les délégations de tâches et l’intervention, sur les pathologies chroniques, d’autres professionnels de santé que les médecins. Dans ce domaine, allez-vous vous montrer suffisamment offensive pour institutionnaliser dans les semaines qui viennent ces délégations de tâches, sachant que certains des représentants de médecins que nous avons auditionnés n’ont pas caché leurs réticences ?

Nous avons également compris que les infirmiers avaient quelques revendications tarifaires concernant les actes médicaux qu’ils seraient amenés à effectuer dans le cadre de ces délégations de tâches. Or la directrice de la sécurité sociale, que nous avons auditionnée la semaine dernière, ne nous a pas apporté de réponses très précises. Il faut pourtant aller vite, car cela peut permettre de dégager immédiatement du temps médical accessible.

Par ailleurs, il existe un formidable vivier de temps médical accessible, c’est celui des douze mille médecins remplaçants. De même que nous avons réussi à convaincre votre prédécesseure de créer un statut pour les médecins adjoints, envisagez-vous de doter les médecins remplaçants d’un statut qui ne les place plus sous la seule tutelle du médecin qu’ils remplacent et qui leur permette éventuellement de travailler en même temps que le généraliste sans problème d’inscription ordinale ?

Enfin, la mise en place des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) est une expérience qui me semble pouvoir offrir de formidables gains de temps, grâce à l’association de professionnels qui se parlent et travaillent ensemble. Je partage votre sévérité sur les aides financières, mais, pour faire vivre une CPTS, il suffit de 50 000 euros par an, soit ce que coûte aux agences régionales de santé (ARS) l’installation d’un praticien dans une maison de santé. Le bénéfice peut donc être considérable, et j’y insiste d’autant plus que je n’oublie pas cette généraliste que nous avons entendue et qui nous expliquait qu’elle avait besoin d’aide pour participer aux travaux préalables à la constitution d’une CPTS.

Pour ce qui concerne ensuite les mesures à moyen terme, je ne vous ai pas entendue sur le numerus clausus ou l’internat régional. Vous n’avez pas évoqué non plus les contrats d’engagement de service public (CESP) : êtes-vous favorable à cette idée, qui permettrait de remédier au manque de médecins dans les années qui viennent et qui peut, pour le praticien, être un élément attractif ? Je pense que la ministre et le médecin que vous êtes ne peuvent se satisfaire de voir nombre de nos étudiants partir se former à l’étranger pour en revenir avec un niveau de qualification inférieur à ce qu’il pourrait être.

Enfin, j’ai une requête à vous faire, celle que les groupements hospitaliers de territoire (GHT) puissent s’ouvrir au privé. Comme vous le disiez en octobre dernier, lors de votre visite à Châlus avec le Premier ministre, les ARS ne doivent pas plaquer des schémas d’organisation préfabriqués sur les territoires mais s’adapter à leurs demandes, à leurs initiatives et à leurs ressources.

Quel jugement global portez-vous d’ailleurs sur ces agences de santé ? Comment jugez-vous l’influence qu’elles ont sur la mise en place des GHT et des plans régionaux de santé ?

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. En ce qui concerne les médecins remplaçants, nous venons de prévoir le statut de médecin adjoint, ce qui correspond bien à cela. La mesure nécessite à présent un vecteur législatif, mais elle est déjà mise en place sur certains territoires, grâce à l’action facilitatrice de l’Ordre et des préfectures.

Nous voulons cependant aller plus loin. Aujourd’hui, dans le cadre du plan d’accès aux soins, a été mis en place dans toutes les ARS un guichet unique d’installation et de suivi de carrière en lien avec les caisses primaires d’assurance maladie (CPAM). Ce guichet unique permet de mieux accompagner les médecins qui souhaitent s’installer, changer d’exercice ou faire évoluer leur carrière. Cela devrait permet de réduire largement les délais et les difficultés d’installation que rencontrent notamment les jeunes médecins.

En ce qui concerne la délégation de tâches et notamment les actes délégués aux infirmières, je ne veux pas tomber d’un excès dans l’autre, c’est-à-dire passer d’une période où on a gelé le numerus clausus pour réduire les dépenses d’assurance maladie à un système où on libère ce numerus clausus et où les dépenses d’assurance maladie explosent. Or ce risque d’explosion existe parce que notre système est inflationniste, c’est-à-dire que, plus il y a de professionnels, plus il y a d’actes. Mon objectif, avec la délégation de tâches n’est donc surtout pas d’augmenter la rémunération à l’acte – ou à l’activité, s’agissant de l’hôpital. Mon objectif est de mettre en place d’autres modes de rémunération, qui obligent aux coopérations ; en d’autres termes, des rémunérations forfaitaires ou des rémunérations au parcours, qui permettent de bien rémunérer les professionnels mais n’induisent pas une inflation systématique d’actes dès qu’un professionnel entre dans la boucle.

La transformation du système de santé que nous sommes en train de mettre en place comporte un volet sur les parcours coordonnés et les parcours de prise en charge des pathologies chroniques. Des tarifications idoines seront adossées à ces parcours, comme cela se pratique en Belgique depuis quatre ans, mais également aux États-Unis. C’est une approche très pertinente, car elle oblige les professionnels à se coordonner autour d’un parcours qui prend en compte les besoins en soins du malade chronique et évite que chaque intervenant voie le malade indépendamment des autres avec, à la clef, une multiplication indue du nombre d’actes. Je suis donc très claire : je n’ai pas l’intention de mieux valoriser les actes médicaux mais d’inventer de nouvelles tarifications.

Vous avez évoqué les CPTS, qui sont un outil extrêmement intéressant. Il y en a encore très peu, et nous avons donc l’intention de les valoriser, même si elles sont assez peu abordées dans le plan d’accès aux soins. La transformation du système de santé qui va être annoncée dans le courant de l’été comportera un volet consacré à l’offre de soins de proximité, et les CPTS feront évidemment partie du dispositif. Nous avons en effet besoin de ces organisations territoriales dans lesquelles coopèrent différentes professions de santé. C’est en somme le modèle idéal, et il va donc falloir les soutenir, de la même façon qu’il faut soutenir les médecins installés, en les aidant à dégager du temps médical grâce à des ressources en secrétariat ou en auxiliaires. Nous travaillons donc avec les différents acteurs sur la manière de permettre aux CPTS d’accéder à ces ressources.

Les ARS ont dix ans d’âge ; ce sont donc des structures assez jeunes. Issues de la fusion de différentes administrations, notamment les Directions départementales des affaires sanitaires et sociales (DDASS), elles ont été pensées comme des agences de régulation et de contrôle. Elles vérifient les autorisations, sont chargées du contrôle de l’eau, bref : leurs missions sont nombreuses, trop nombreuses. Depuis huit mois, nous menons donc, avec les ARS, une réflexion sur le recentrage de ces missions, dont certaines sont inutiles et redondantes avec celles d’organismes nationaux. Depuis ma prise de fonctions, je rencontre, chaque mois, au ministère, les directeurs généraux des ARS, pour leur transmettre la nouvelle philosophie de la politique que je veux mener. Je leur demande ainsi, premièrement, de concevoir l’ARS, non plus comme un corps de contrôle, mais comme un corps d’accompagnement et, deuxièmement, d’être plus proches des élus. Depuis l’annonce du plan d’accès aux soins, les directions départementales des ARS ont donc organisé, dans les régions, plus de 300 réunions auxquelles plus de 1 000 élus ont participé. J’ai demandé aux directeurs généraux d’établir un tableau de suivi du nombre de réunions organisées et des élus invités. Certains d’entre eux ont entrepris une démarche proactive et ont rencontré les présidents des conseils départementaux pour leur expliquer le plan d’accès aux soins. C’est un changement de posture que j’encourage et que je pilote, en exigeant un compte rendu régulier de la manière dont ce plan est animé dans les régions.

Vous m’avez également interrogée sur les Groupements hospitaliers de territoire (GHT). Actuellement, 135 d’entre eux sont opérationnels. Il est d’ores et déjà possible d’y associer les offreurs privés. Des conventions ont ainsi été conclues, dans certains territoires, avec des cliniques privées, mais cela dépend de l’offre de soins locale. Certains territoires sont très riches en offre publique, de sorte que la coordination avec l’offre privée ne revêt pas un caractère urgent ; dans d’autres, la coopération entre le public et le privé est, à l’évidence, nécessaire pour assurer une offre de soins complète.

Je souhaite bien entendu que cette coopération se développe. La transformation du système de santé, qui sera lancée dans le courant de l’été, comprend donc un volet consacré à l’organisation territoriale. Pour ce qui est de la proximité, nous allons surtout nous reposer sur les CPTS ; au niveau hospitalier, nous allons demander à chaque territoire de recenser l’offre de soins disponible et de s’organiser pour éviter sa dispersion en faisant en sorte que les plateaux techniques soient partagés.

Une telle organisation suppose cependant un changement du mode de tarification des établissements car, tant que ceux-ci sont financés par la tarification à l’activité (T2A), ils se font concurrence, chacun cherchant à récupérer l’activité pour survivre, ce qui est délétère pour la coopération que je souhaite promouvoir. Nous nous dirigeons donc vers un moindre financement par la T2A et vers une augmentation de la tarification dans le cadre de coopérations entre la ville et l’hôpital ou entre différents établissements. Des propositions de tarification innovantes seront donc faites dans le cadre de la transformation du système de santé.

Quant au numerus clausus, il a déjà été augmenté : le nombre de postes se situe actuellement aux alentours de 8 500. Conformément aux annonces du Président de la République, nous réfléchissons à son ouverture. Tout d’abord, il faut être certain que la tarification ne se fera plus exclusivement à l’acte ; elle doit être forfaitaire, faute de quoi nous risquons, compte tenu de la convention médicale qui a été signée, de tomber dans l’excès inverse et de voir le déficit se creuser. Ensuite, nous devons anticiper ce que sera la médecine de demain. Nous savons en effet que des professions vont considérablement se transformer, notamment celles qui disposeront d’algorithmes décisionnels bien plus performants que le médecin lui-même. Je pense aux technologies de l’imagerie utilisées en ophtalmologie, en dermatologie, puisque le diagnostic des mélanomes peut désormais être établi par l’intelligence artificielle, ou en anatomo-pathologie, les micro-métastases étant désormais mieux analysées par des machines que par l’œil humain. Nous pouvons former 9 000 ou 10 000 médecins par an, encore faut-il avoir la certitude qu’ils ne seront pas au chômage dans trente ans ! Je dois penser aux jeunes générations et éviter l’erreur inverse de celle qui a été commise il y a trente ans, lorsqu’il a été décidé de former moins de 4 000 médecins par an. Les pratiques médicales se transforment – la chirurgie, par exemple, est de moins en moins interventionnelle. Il faut donc certainement renforcer l’offre de premier recours mais, dans les spécialités, les besoins vont évoluer.

Ce travail est en cours – nous ne sommes pas à une année près. De toute façon, je souhaite réformer les études dans le cadre du plan de transformation du système de santé. Celles-ci doivent favoriser davantage la rencontre des différentes professions de santé, pour qu’elles se connaissent. Actuellement, en effet, les formations sont organisées en silo : un étudiant en médecine ne rencontre jamais un étudiant en kinésithérapie, encore moins un étudiant en ergothérapie ou en psychomotricité. Or, si nous voulons créer des parcours de soins coordonnés, les uns et les autres doivent connaître leurs pratiques respectives. Nous pourrions éventuellement mettre sur pied des modules d’apprentissage communs autour des valeurs ou de l’éthique, par exemple. Bien entendu, la question du numerus clausus se posera dans le cadre de la réforme globale de la formation des professions de santé.

Enfin, l’internat doit-il être régional ? Actuellement, nous nous efforçons de promouvoir l’ouverture d’un nombre de places d’internes cohérent avec la démographie médicale des régions. À cet égard, il est sans doute plus facile de nommer des internes dans des régions sous-dotées en y ouvrant des postes dans le cadre d’un internat national. J’ai moi-même passé l’internat ancienne formule, qui laissait le choix entre trois régions : étant mariée et ayant des enfants, je ne voulais vivre qu’à Paris ; je n’ai donc passé que l’internat de Paris. Si l’internat était régional, le risque serait donc que les étudiants ne passent l’internat que dans la région où ils veulent s’installer. Mieux vaut donc un internat national qui permet une répartition des internes en fonction des places ouvertes en région. En tout cas, un internat régional serait beaucoup plus coûteux et renforcerait, je le crains, les inégalités territoriales. Mais nous pourrons en rediscuter, bien entendu.

M. Jean-Carles Grelier. Madame la ministre, je vous en donne acte, les manquements remontent à plusieurs années – ils ne vous sont donc pas imputables – et, dès votre arrivée au ministère, vous avez pris la mesure des difficultés de nos territoires.

Je partage également votre analyse lorsque vous jugez nécessaire de favoriser la coopération des professionnels de santé. Je m’étonnais, à cet égard, que des dispositifs tels que les CPTS ne soient pas davantage encouragés, mais vous venez de me rassurer sur ce point. En effet, je préfère, je ne vous le cache pas, que l’on développe les CPTS, qui permettent aux professionnels de santé de rester là où ils exercent, plutôt que de doubler le nombre des MSP, qui les concentrent en un seul et même lieu et assèchent ainsi les territoires, notamment ruraux. Mais ne craignez-vous pas que cette coopération soit compliquée par la délégation de tâches ? Peut-être le nouveau paradigme que vous appelez de vos vœux nécessiterait-il en effet une lecture plus horizontale de l’organisation du système de santé, sur le modèle de ce qui se fait depuis plusieurs années dans le cadre des dispositifs Action de santé libérale en équipe (ASALEE).

Ensuite, je crois que des professionnels de pratique avancée, notamment des infirmiers et des infirmières, pourraient être utiles. Or, j’estime, pour ma part, que le résultat des négociations est assez peu ambitieux. En tout cas, il ne laisse pas penser que le dispositif est soutenu, encouragé et amené à se développer.

Enfin, j’aurais souhaité vous entendre – mais cela viendra peut-être au cours de l’été – à propos de la première année commune aux études de santé (PACES) et de la manière dont les étudiants en médecine sont sélectionnés, voire de l’examen classant national, qui explique, pour partie, le peu d’appétence des étudiants pour la médecine générale. Avoir des médecins dans les territoires, c’est bien ; encore faut-il qu’ils en fassent le choix.

Ma dernière question sera un peu provocatrice. Ne pensez-vous pas que, la décentralisation ayant fait ses preuves dans de nombreux domaines, il est temps d’envisager une régionalisation de l’administration de la santé ?

M. Guillaume Garot. Je vous remercie, madame la ministre, pour la clarté de votre analyse des raisons qui font que des départements entiers manquent actuellement de médecins. Je veux, du reste, témoigner de l’inquiétude de ceux de nos concitoyens qui vivent dans ces territoires, voire de leur détresse, car le fait de ne pas avoir accès à un médecin près de chez soi crée un sentiment d’insécurité très fort.

Vous nous avez indiqué – à juste raison, je crois – qu’en resserrant excessivement le numerus clausus, la maîtrise comptable des dépenses était une des causes majeures de la situation actuelle. Vous avez également été lucide en nous mettant en garde contre les effets d’aubaine des politiques d’incitation financière. Du reste, pour les médecins, quelle que soit leur génération, la question qui se pose n’est pas tant celle de leur revenu que celle de la qualité de leur travail. Vous avez ajouté que toutes les politiques d’incitation menées au cours des dernières années avaient trouvé leurs limites et qu’il fallait changer de paradigme. Je vous rejoins sur ce point.

Néanmoins, je dois dire que, même si elles vont dans le bon sens, les mesures que vous nous avez présentées me laissent sceptique. En effet, depuis des années, les solutions que les collectivités locales, les instances ordinales et les ARS se sont efforcées de développer étaient toutes fondées sur l’incitation, et aucune n’a produit d’effet. Or, les mesures proposées relèvent encore de l’incitation ; en tout cas, c’est ainsi que je les ai comprises. Je ne suis donc pas certain qu’elles produiront les effets que nous attendons, en permettant à chacun d’avoir accès à une offre de soins près de chez soi, et que nous apaiserons ainsi l’inquiétude et la détresse de nos concitoyens.

S’agissant de l’installation des médecins, vous n’avez pas prononcé le mot « régulation ». Or, celle-ci existe, pour d’autres professions de santé, notamment les infirmiers et infirmières, dont les représentants nous ont dit qu’elle fonctionnait. Pourquoi s’interdit-on de penser à une régulation de l’installation des médecins ? Ce n’est pas simple, bien entendu. Mais c’est une voie d’avenir, me semble-t-il. Philippe Vigier et vous-même l’avez dit, il est urgent d’agir. En définitive, ne doit-on pas envisager très sérieusement d’appliquer la régulation territoriale de l’offre de soins à toutes les spécialités et à tous les métiers de la santé ?

Mme Gisèle Biémouret. Madame la ministre, le problème que je vais évoquer concerne d’autres départements que le mien. Dans le Gers, nous manquons de médecins urgentistes. La ligne du service médical d’urgence et de réanimation (SMUR) de l’hôpital de Condom, dont je préside le conseil de surveillance, n’est ouverte que douze heures en journée. Les médecins urgentistes, et on peut le comprendre, ne veulent donc pas venir à Condom, et nous sommes très inquiets quant à la pérennité de ce service d’urgence.

Vous avez confié au professeur Carly la mission de réaliser un audit des urgences dans le département du Gers, l’hôpital de Condom et celui d’Auch étant associés dans une fédération. Dans son rapport, il préconisait que l’hôpital de Condom fonctionne de manière autonome. Nous avions suivi cette préconisation et trouvé des médecins pour que l’hôpital fonctionne 24 heures sur 24. Mais le couperet est tombé la semaine dernière : l’ARS refuse un tel fonctionnement. Nous sommes donc revenus à l’organisation antérieure, d’où les difficultés que nous rencontrons. Par ailleurs, le département disposait d’un plateau technique destiné à la régulation, avec le service départemental d’incendie et de secours du Gers (SDIS 32) et le SAMU. Après avoir été assurée par le 31, elle l’est désormais par le 47. Nous regrettons beaucoup de ne pas pouvoir maintenir l’ancienne organisation, à cause du manque de médecins.

M. Didier Baichère. Je souhaitais revenir sur la question du numerus clausus. Je comprends qu’un temps d’analyse soit nécessaire avant de prendre une décision sur son augmentation ou sa libéralisation complète. Mais, dans les deux cas, deux questions se posent. Quel sera le mode de sélection ? Quel degré de contrainte peut-on imposer aux médecins dans le cadre de leur installation ?

M. Marc Delatte. Tout d’abord, ne cédons pas à la sinistrose. Depuis l’annonce du plan d’accès aux soins, les innovations sont de plus en plus nombreuses, parmi lesquelles je pourrais citer l’ouverture d’un cabinet de consultation éphémère à Pontarlier et d’une maison universitaire de santé et de soins primaires à Dijon ou l’opération « Installe-toi, doc » dans la région Centre-Val-de-Loire. Il faut favoriser la société de confiance et raisonner en fonction des bassins de vie.

Selon le directeur général de l’ARS Grand-Est, que nous venons d’auditionner, le bon échelon pour nommer des référents dans le cadre des CPTS et organiser au mieux l’offre de soins serait l’Établissement public de coopération intercommunale (EPCI). Qu’en pensez-vous ?

Par ailleurs, la demande existe d’une réforme profonde du système de santé. Le Conseil de l’ordre, la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF) applaudissent les mesures que vous proposez, notamment en matière de prévention. Mais nous sommes confrontés à une crise des vocations et de l’engagement, chez les jeunes. En ce qui concerne le numerus clausus, quels critères qualitatifs allez-vous appliquer ? En Australie, où je me rends très régulièrement, les étudiants en médecine sont sélectionnés dès la première et la terminale. Peut-être faut-il s’inspirer des pays dont le système fonctionne.

Mme Stéphanie Rist. Madame la ministre, vous avez évoqué la nécessité de gagner du temps médical. Estimez-vous possible d’y parvenir en passant par les usagers, les patients, notamment grâce aux nouveaux usages numériques qui, au-delà du dossier médical personnel, pourraient contribuer à améliorer la prévention ?

Mme Jacqueline Dubois. Madame la ministre, je vous remercie pour votre proposition de développer, dès la formation, les pratiques de travail coordonnées entre les différents professionnels de santé. À ce propos, les infirmières libérales souhaitent prendre leur part dans la satisfaction des nouveaux besoins de santé de nos territoires. Elles s’étonnent donc de la proposition de l’assurance maladie de reporter à 2020 l’entrée en vigueur du suivi clinique et de l’accompagnement post-opératoire ainsi que du suivi de la prise médicamenteuse. Elles se plaignent également que l’assurance maladie n’ait pas avancé de propositions innovantes en matière de suivi des maladies chroniques.

M. Jean-Michel Jacques. Ma question porte sur la profession d’infirmière. Dans nos territoires, nous avons bien souvent besoin d’une meilleure régulation pour éviter que les personnes âgées dépendantes n’aillent trop rapidement en EHPAD. Le rôle de coordination que joue l’infirmière, qui est une soignante quotidiennement présente aux côtés de ces personnes, peut y contribuer. Or, à ce jour, ce travail de coordination n’est pas correctement valorisé. Les infirmières assument cette tâche, par conscience professionnelle, mais sa valorisation permettrait d’éviter l’intervention d’autres strates.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur Grelier, il n’y a pas de modèle unique. Les MSP fonctionnent mieux dans certains types de territoires. Dans les zones périurbaines et dans les banlieues, sans doute faut-il privilégier les centres de santé avec des médecins salariés. Les CPTS reposent sur un travail en réseau et nous financerons et valoriserons tout ce qui contribue à la coopération interprofessionnelle.

Vous soulignez que la délégation de tâches suppose une organisation verticale. Il est vrai qu’elle est conçue comme allant des médecins vers les professionnels paramédicaux. Il importe toutefois de prendre en compte d’autres modes de valorisation des actes effectués par ces professionnels. Je pense en particulier aux pratiques avancées, qui sont dans l’air du temps depuis 2011. En prenant mes fonctions de ministre, en 2017, je me suis rendu compte que celles que j’avais inscrites dans le deuxième plan cancer de 2014, lorsque j’étais présidente de l’Institut national du cancer (INCa), n’avaient toujours pas été mises en œuvre. C’est la raison pour laquelle j’ai exigé qu’un accord soit trouvé à la rentrée 2018. Les négociations avec le corps infirmier et le corps médical ont été très complexes. Elles ont abouti à un consensus mou qui n’est peut-être pas à la hauteur des ambitions initiales mais au moins, il nous a permis de démarrer. Nous verrons ensuite comment cela évolue. Notons que ce mode de prise en charge contribue à la diversification des pratiques. Il se distingue de la délégation de tâches : les infirmiers de pratique avancée (IPA) doivent être dotés d’un master.

S’agissant de la PACES, sachez que ce gâchis atroce nous meurtrit, Frédérique Vidal et moi. Le groupe de travail sur la formation des professionnels de santé, dont Stéphanie Rist, Antoine Tesnière et Isabelle Riom, interne en médecine générale, ont la charge, repose la question du mode de sélection. Celui qui prévaut actuellement participe au désespoir des jeunes étudiants en médecine et alimente dépressions et tentatives de suicide. Après deux années de travail acharné, seuls 10 % à 15 % sont sélectionnés alors qu’ils sont pratiquement tous titulaires d’un bac S avec mention bien ou très bien. Extrêmement performants et rigoureux, animés du souci de bien faire, ils se trouvent projetés dans le monde hospitalier : confrontés à des difficultés relationnelles, à une hiérarchie qu’ils ne comprennent pas toujours, ils sont soumis à la nécessité de s’adapter en permanence. On parle de l’art médical, je ne suis pas sûre que la médecine soit un art mais il est certain que pour la pratiquer, il faut savoir développer des qualités d’écoute et d’empathie, or les critères de sélection reposent uniquement sur les mathématiques et la physique.

Il importe d’encourager la porosité avec d’autres filières, peut-être avec les humanités au sens large, les sciences humaines et sociales, d’autant que beaucoup d’étudiants en médecine ne veulent pas terminer leurs études et souhaitent se tourner vers d’autres formations.

Le groupe de travail a formulé des préconisations et nous allons faire des propositions innovantes dans le cadre de la transformation du système de santé. Nous ne pouvons nous satisfaire du gâchis absolu engendré par un mode de sélection qui ne correspond même pas aux besoins de la pratique médicale.

Quant à la régionalisation des ARS, je n’y suis pas favorable. Je considère que l’État doit être garant du résultat final et assurer une régulation à l’échelle de la France entière. La décentralisation convient pour la mise en œuvre des politiques publiques mais pas pour leur conception, qui doit être pensée au niveau national. En Belgique, la régionalisation a abouti à une catastrophe : la prévention et les dépistages sont à la main des régions qui décident chacune séparément des priorités ; il n’y a aucune politique nationale de dépistage des cancers.

Monsieur Garot, l’incitation financière n’est pas le seul mode de régulation. Certes, pour encourager les médecins à donner du temps médical dans les territoires en tension, nous avons revalorisé les consultations de 25 % et nous avons multiplié par quatre le plafond d’autorisation du cumul emploi-retraite pour permettre à des médecins retraités de continuer à exercer à quart temps ou à mi-temps. Toutefois, le plan d’accès aux soins insiste sur d’autres leviers, comme le développement des stages dans les territoires. Nous avons demandé aux doyens de délocaliser des stages d’internes ou d’externes pour que les jeunes médecins découvrent l’exercice libéral dans diverses structures de soins, notamment les MSP. Nous avons sollicité les élus pour qu’ils favorisent leur accueil en mettant à leur disposition des chambres ou des petits campus où retrouver infirmières, médecins et kinésithérapeutes. Les ARS ont été mobilisées à cette fin.

Un rapport du Sénat a montré les limites de la coercition. Au Canada et en Allemagne, comme le souligne un rapport de la DREES, ces politiques ont connu un échec complet : les médecins se sont installés à la limite des zones sous-dotées, ce qui a contribué à vider le cœur des villes pour peupler leur périphérie sans que la situation des zones rurales s’en trouve améliorée.

M. Guillaume Garot. Madame la ministre, j’ai parlé de régulation et non de coercition. Ne pourrions-nous faire en sorte de ne plus autoriser les installations dans les zones où les besoins de santé sont déjà pourvus ?

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a fait une proposition intéressante : subordonner le conventionnement à la réalisation de consultations dans les zones sous-denses, dans un hôpital de proximité ou dans une MSP, par exemple.

Le corps infirmier est sur-doté tandis que le corps médical est sous-doté, et ce partout en France. Il n’y a plus aucun territoire sur-doté en généralistes. Il y a encore quelques villes sur-dotées en spécialistes, mais ce n’est pas en vidant Nice de ses cardiologues qu’on aboutira à un maillage territorial équilibré.

Si nous imposons les installations, nous ne ferons qu’augmenter la proportion de jeunes médecins qui ne pratiquent pas alors qu’ils sont déjà 20 % dans ce cas et qu’il y a un grand nombre de postes de salariés vacants, qu’il s’agisse de la médecine du travail, de la médecine scolaire, des industries de santé ou des ARS.

Madame Biémouret, les urgences connaissent également des problèmes de pénurie. La médecine d’urgence est devenue une spécialité médicale avec la réforme du troisième cycle et la première cohorte d’internes ayant choisi cette voie, au nombre de 400, est en formation depuis 2017 : il faudra attendre que leur cursus soit achevé. Pour faire tourner un service d’urgence, où que ce soit, il faut huit professionnels. Or certains services reçoivent moins de dix personnes entre huit heures du soir et huit heures du matin. Je comprends que les maires s’émeuvent de la fermeture de services d’urgence mais il n’est plus possible de les faire tourner sans activité. Nous devrons mutualiser les forces et autoriser les équipes des SMUR à assurer des soins d’urgence. Nous ne disposons pas aujourd’hui d’urgentistes en nombre suffisant pour faire fonctionner les 650 services d’urgence existants, et je ne sais pas où les trouver. Les autres pays européens sont confrontés aux mêmes difficultés, l’Allemagne souffre même d’une pénurie d’infirmières. C’est une tendance générale dans les pays occidentaux : la fréquentation des urgences a doublé partout en Europe en quinze ans. Nous essayons de réorganiser les services avec l’appui des fédérations de SAMU, les syndicats et les urgentistes eux-mêmes.

Monsieur Baichère, la réforme des études de médecine comportera une refonte de la PACES et du numerus clausus. Je crois avoir déjà répondu aux questions touchant au mode de sélection.

Vous avez raison, monsieur Delatte : nous avons tendance à voir tout en noir alors qu’il existe beaucoup d’innovations en matière organisationnelle. Nous comptons les développer et les financer, notamment grâce à l’article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018. Je suis très favorable aux stages en ambulatoire. Il y a moyen de donner envie aux jeunes médecins d’aller dans les territoires. L’expérience montre que lorsqu’ils découvrent le fonctionnement des MSP, ils y adhèrent. Nous avons instauré une prime de 200 euros par mois à destination des internes réalisant un stage ambulatoire en zone sous-dense. Nous avons également revalorisé la rémunération des maîtres de stages pour inciter les professionnels libéraux de ces zones à s’impliquer dans la formation, en nous appuyant sur des contrats dédiés. Nous avons en outre demandé aux doyens d’université d’identifier des lieux possibles de stages. Par ailleurs, nous avons créé des postes d’assistants partagés qui passeront la moitié de leur temps dans les hôpitaux locaux et l’autre moitié dans des cabinets de ville.

La place des usagers est en effet une question importante, madame Rist. Il y a un devoir de mieux former les citoyens afin de les rendre davantage acteurs de leur propre santé. À Taiwan, les patients alimentent eux-mêmes en données leur dossier médical partagé. Nous pourrions encourager une véritable interactivité. Les difficultés auxquelles l’offre de santé est confrontée nécessitent de faire montre de pédagogie. Pour la grande majorité de nos concitoyens, le réflexe premier est de consulter un médecin alors que, pour beaucoup de prises en charge, ils pourraient voir d’autres professionnels. Il en va de même pour les urgences. Leur engorgement s’explique par le manque d’accès aux soins de proximité, mais aussi par le besoin d’immédiateté : le fait d’avoir une radio ou des analyses biologiques tout de suite, puis un diagnostic, même s’il faut attendre quatre heures, rassure. Les gens n’ont plus envie d’attendre et de voir un médecin généraliste pour se faire prescrire une radio. Et si tout le monde se faisait vacciner contre la grippe, les urgences ne seraient pas engorgées au mois de décembre.

Madame Dubois, dans le cadre de la transformation des études de médecine, nous allons encourager l’exercice coordonné. Le service sanitaire sera un formidable outil pour ce faire. Pendant trois mois, les étudiants apprendront à se connaître pour mettre en œuvre des projets partagés dans les territoires.

S’agissant de la revalorisation de la rémunération des infirmières libérales, je m’en tiens à la position que j’ai indiquée aux syndicats d’infirmières : une convention médicale augmentant la valorisation des consultations conduirait à promouvoir une tarification à l’acte de nature inflationniste. Pour toutes les pathologies chroniques, nous travaillons à des propositions de tarifications construites autour de parcours de soins coordonnés. Cela répond à votre question, monsieur Jacques : dans le cadre des parcours coordonnés, il y aura une valorisation pour le temps dédié à la coordination, à laquelle est attachée une très forte valeur ajoutée.

Nous essayons de repenser le système dans toutes ses composantes – la formation, les organisations territoriales, la tarification – en étant le plus innovants possible, sans tabou.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Je vous remercie, madame la ministre ; nous aurions pu continuer nos échanges encore longtemps. Je ne peux que souhaiter votre succès mais je ne suis pas complètement convaincu que nous parvenions à améliorer la situation. Prenons le cas de la médecine du travail qui subit un véritable naufrage ou encore des EPHAD, sur lesquels notre collègue Agnès Firmin Le Bodo a beaucoup travaillé.

Ne pensez-vous pas que de nouveaux métiers sont en train d’émerger avec la télémédecine et les plateformes réunissant le 15 et le 18 autour d’infirmiers et de médecins régulateurs ? Cette évolution me semble correspondre aux aspirations des jeunes médecins dont nous avons reçu des syndicats. Le dossier médical partagé occupe à cet égard une position clef et nous pouvons espérer que certaines anomalies seront corrigées, qu’il s’agisse de le rendre accessible à des services comme SOS Médecins ou de généraliser le mode dégradé de secours. La rencontre de la médecine et du numérique constituera une source d’économies formidable et générera du temps médical disponible à l’heure où les besoins de soins vont croissant.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Il y a une forme de consensus pour dire qu’une meilleure régulation, associée à la télémédecine et au dossier médical partagé, contribuerait à désengorger les urgences. Nous travaillons en ce sens avec les urgentistes.

Nous avons tiré les leçons du passé et l’assurance maladie s’est engagée à mettre à disposition de tous les citoyens un dossier médical partagé en octobre. Toutes les structures y auront accès, y compris SOS Médecins ou les plateformes de régulation.

Pour la télémédecine, il y a aussi, vous le savez, une volonté d’aller très vite. La tarification des actes pratiqués dans ce cadre sera accessible dès octobre et dégagera beaucoup de temps médical.

Pour finir, je précise que le plan d’accès aux soins n’a rien de figé. Si de nouvelles idées ou de nouveaux besoins apparaissent, nous le ferons évoluer.

M. le président Alexandre Freschi. Merci, madame la ministre, pour votre disponibilité et pour vos réponses.


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Audition commune des associations d’élus des collectivités territoriales

Présidence de M. Alexandre Freschi, Président de la commission denquête

M. le président Alexandre Freschi. Nous terminons nos travaux avec une audition commune des associations d’élus des collectivités territoriales, à qui je souhaite la bienvenue au nom de la commission d’enquête. Il s’agit plus précisément : de l’Assemblée des départements de France (ADF), représentée par M. André Accary, président du conseil départemental de Saône-et-Loire, M. Yoann Charlot, directeur adjoint de cabinet, M. Jean‑Michel Rapinat, directeur des affaires sociales, et Mme Anne-Gaëlle Werner-Bernard, conseillère pour les relations avec le Parlement ; de l’Association des maires de France (AMF), représentée par Mme Isabelle Maincion, vice-présidente, maire de La Ville-aux-Clercs, Mme Nelly Jacquemot, responsable du service action sociale, éducation et culture, Mme Sarah Reuilly, conseillère santé et petite enfance, et Mme Charlotte de Fontaines, chargée des relations avec le Parlement ; de l’Association des maires ruraux de France (AMRF), représentée par M. Dominique Dhumeaux, vice-président, maire de Fercé-sur-Sarthe, et M. Frédéric Cagnato, stagiaire.

Mesdames et messieurs, je vous remercie de votre présence.

Je vous informe que nous avons décidé de rendre publiques nos auditions. Cette audition est donc ouverte à la presse et diffusée en direct sur un canal de télévision interne et sera consultable en vidéo sur le site internet de l’Assemblée nationale.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, les personnes entendues déposent sous serment. Je vous demande donc de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Les personnes auditionnées prêtent successivement serment.)

Je vais donner la parole à un représentant de chaque association pour une intervention liminaire d’une durée maximale de cinq minutes, puis nous passerons aux échanges avec le rapporteur, Philippe Vigier, et les membres de la commission d’enquête.

M. André Accary, président du conseil départemental de Saône-et-Loire (ADF). La problématique de la désertification médicale, en milieux rural et urbain, nous interpelle depuis fort longtemps.

Bien décidée à prendre cette question à bras-le-corps, l’Assemblée des départements de France a créé une commission de travail avec la ferme volonté d’être force de propositions sur ce sujet. De nombreuses collectivités ont mis en place, sur l’ensemble du territoire national, des expériences de soutien à des installations de cabinets privés et différentes mesures d’accompagnement – notamment auprès des facultés – favorisant la venue de nouveaux médecins. Car aujourd’hui, lorsqu’un médecin libéral prend sa retraite, il ne trouve pas de remplaçant pour reprendre sa patientèle. Certains n’attendent même plus l’âge de la retraite pour partir : dépassés par la désertification médicale de leur département, ils ne peuvent faire face à la surcharge de travail et s’en vont prématurément. Une telle désertification a, bien entendu, des conséquences sur l’environnement d’une commune – les pharmacies sont, par exemple, appelées à fermer.

C’est la raison pour laquelle, j’ai créé en Saône-et-Loire, en septembre 2017, un centre départemental de santé (CDS). Nous avons nous-mêmes recruté les médecins et organisé la répartition dans le territoire de quatre pôles de santé et de 45 antennes, chacune d’entre elle étant rattachée à un pôle.

Le recrutement des médecins a débuté en octobre, après le vote par l’Assemblée départementale du dispositif. Je peux aujourd’hui affirmer que ce centre départemental de santé rencontre un certain succès. Le contrat proposé a séduit les médecins, tout comme la souplesse d’action sur le territoire. La Saône-et-Loire est le sixième plus vaste département de France par sa superficie. L’objectif est de traiter le problème de la désertification médicale, à la fois dans les zones urbaines et rurales.

Avant la mise en place de ce dispositif, la Saône-et-Loire, comme les autres départements, avait bien entendu adopté un certain nombre de mesures, telles que des aides financières ou des constructions de locaux, destinées à favoriser la venue de nouveaux médecins. Les autres départements ont maintenu ces mesures, certains d’entre eux travaillent même directement avec les facultés de médecine pour accompagner les étudiants et les inciter à se rapprocher de leur territoire.

L’expérience de la Saône-et-Loire permettra de régler, d’ici à la fin de l’année, et en attendant que les choses s’améliorent, le problème de la désertification médicale. Grâce à une dynamique de recrutement, les 45 antennes et les quatre pôles de santé seront bientôt opérationnels. J’ajouterai que beaucoup de médecins viennent du Sud de la France, puisque nous avons lancé un recrutement plus intense dans cette région.

Mme Isabelle Maincion, vice-présidente de l’Association des maires de France (AMF), maire de La-Ville-aux-Clercs. Monsieur le président, je vous remercie de recevoir l’Association des maires de France. La question de la désertification médicale est pour moi une question particulièrement importante, car je suis conseillère régionale de la région de France qui a, malheureusement, la plus faible démographie médicale, à savoir la région Centre-Val-de-Loire.

Je rappellerai tout d’abord que la répartition des médecins dans un territoire est une compétence non pas des communes, mais de l’État. Cependant, depuis près de vingt ans, de nombreux maires et présidents d’intercommunalités se sont ingérés dans cette compétence en essayant de favoriser le maintien, voire la venue de nouveaux médecins, les territoires s’étant paupérisés en matière de démographie médicale.

De nombreuses initiatives ont été soutenues par des communes, certaines d’entre elles ayant même été réalisées contre l’accord des agences régionales de santé (ARS) – anciennement directions régionales des affaires sanitaires et sociales (DRASS).

Depuis la dernière loi et l’appui de Mme la ministre, de nombreux allégements ont été adoptés et des dispositifs ont été validés – je pense notamment aux consultations avancées.

Par ailleurs, une compétition accrue s’est installée entre les territoires, chacun proposant des solutions pour faire venir les médecins : des conditions financières avantageuses, l’ouverture de maisons de santé pluridisciplinaires (MSP), etc. Nous devons donc faire face à une sérieuse concurrence au sein de notre territoire – une concurrence qui m’attriste. Par ailleurs, si je suis favorable à l’installation de médecins étrangers en France, énormément de cabinets proposent des services aux maires, dont nous savons d’avance ce qu’il en adviendra dans les trois ans.

L’AMF a décidé de mutualiser sa commission santé avec France Urbaine, souhaitant ainsi favoriser les complémentarités entre les métropoles, les villes et le milieu rural. Le réseau d’hôpitaux locaux et de centres hospitaliers universitaires (CHU) est indispensable au maillage territorial ; or des communes où de jeunes médecins s’installaient il y a encore vingt ou trente ans sont aujourd’hui désertées. Il est donc indispensable de proposer des postes attractifs aux jeunes médecins pour pallier cette désertification médicale. L’hôpital de Vendôme, par exemple, a accueilli de nombreux internes ces dernières années ; de jeunes médecins ont ainsi pu, par exemple, s’installer dans une maison médicale en exercice mixte – en hôpital et en maison de santé.

Je rappellerai aussi que les élus souhaitent être associés aux groupements hospitaliers de territoire (GHT), les réponses étant territoriales et non uniquement administratives. S’agissant des internes, il nous faut être vigilants, car au sein du GHT de Loir-et-Cher, par exemple, ils ont tous été captés par l’hôpital de Blois, de sorte que les hôpitaux de Romorantin et de Vendôme, à rayonnement plus local, n’ont plus la possibilité de recruter. Or la découverte de l’exercice médical en milieu rural est indispensable à la formation des internes.

C’est la raison pour laquelle le lien avec les hôpitaux et les universités est primordial. Je citerai d’ailleurs le magnifique travail réalisé par la Conférence des doyens, à savoir la création d’une maison universitaire ; un atout permettant de faire découvrir aux internes l’exercice médical en milieu rural et favoriser ainsi leur installation.

Un excellent travail est mené au sein du département avec les communes, et certaines régions accompagnent financièrement l’installation de MSP. Mais je pourrais aussi, si vous le souhaitez, évoquer les écueils auxquels nous sommes confrontés.

M. Dominique Dhumeaux, vice-président de l’Association des maires ruraux de France (AMRF), maire de Fercé-sur-Sarthe. Monsieur le président, je vous remercie d’accueillir notre association, et lui permettre ainsi d’exposer sa position sur cette question. Je compléterai votre présentation en ajoutant que je suis maire d’un petit village de 600 habitants dans la Sarthe.

J’établirai tout d’abord un état des lieux du monde rural, et évoquerai les difficultés qui accaparent et oppressent nos concitoyens. La question de la désertification médicale en France n’est pas nouvelle, mais elle s’aggrave depuis deux ou trois ans, laissant les habitants de communes rurales de plus en plus démunis face à la numérisation des actes de la vie quotidienne et à la disparition des services publics, notamment en matière de santé. C’est la raison pour laquelle votre commission et les propositions qui en découleront sont très importantes ; elles montrent que l’État a compris le désarroi de nos concitoyens, qui s’exprime notamment par l’abstention ou le vote en faveur de partis extrémistes. Il serait judicieux de redresser la barre et de leur proposer des solutions cohérentes afin qu’ils se sentent à nouveau des citoyens à part entière.

Comme cela vient d’être dit, chaque département cherche à mettre en place des solutions favorisant l’installation de jeunes médecins : certains recrutent directement des médecins, d’autres accompagnent des étudiants dès la première année, des communes salarient des médecins ou financent des MSP et des intercommunalités soutiennent des médecins faisant leurs études en Roumanie pour les fidéliser ensuite.

Cependant, toutes ces solutions ne fonctionnent qu’à moitié : un grand nombre de MSP sont ouvertes sans médecins, des médecins étrangers « picorent » et changent de cabinet médical tous les quatre mois, et les mairies ne pourront pas salarier autant de jeunes médecins qu’il serait nécessaire. La commune de La Ferté-Bernard, par exemple, peine aujourd’hui à remplacer les médecins salariés qui partent à la retraite.

Toutes ces initiatives entraînent parfois des aberrations : des habitants de ma commune sont obligés de se rendre à Paris en train pour consulter un ophtalmologue, et des Parisiens vont chez le dentiste d’une petite commune, parce qu’il est beaucoup moins cher. Ce qui se dessine à travers ces exemples, c’est bien la consultation à distance dans des cabines déshumanisées. Sachant que les pharmacies, qui sont censées accompagner ces cabines, sont elles aussi menacées : l’Ordre des pharmaciens prévoyant la fermeture de 1 700 officines.

Alors si certaines initiatives sont efficaces pour des spécialistes, pour la médecine générale, en primo-consultation, le remède est pire que le mal. Les parlementaires devront donc faire preuve d’un vrai courage politique pour inciter les étudiants ayant passé leurs épreuves classantes nationales (ECN), et qui voient leur rêve de devenir spécialistes s’évanouir, à s’installer dans des territoires sous-dotés en médecine générale, au nom de l’équité – comme cela existe dans d’autres professions.

M. le président Alexandre Freschi. Je vous remercie.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Mesdames et messieurs, je vous remercie de votre présence. Les parlementaires ont bien conscience des difficultés que vous évoquez. D’autant que, comme cela a été dit, les départements, les communes et les intercommunalités n’ont pas la compétence de recruter des médecins, alors même qu’ils sont obligés de pallier le manque de politique nationale. Je vous remercie donc de votre engagement. M. Dhumeaux a employé des mots touchants qui reflètent bien la réalité.

Pensez-vous que les mesures annoncées par le Gouvernement sont à la hauteur des enjeux pour les dix prochaines années ?

Monsieur Accary, selon vous, est-il envisageable de généraliser le centre départemental de santé tel que vous l’avez créé ? Pouvez-vous, même si c’est un peu tôt, nous donner votre budget prévisionnel ? Vous avez indiqué que de nombreux médecins venaient du Sud de la France ; en avez-vous recruté suffisamment ?

M. Jean-Michel Jacques. Monsieur le président, je souhaiterais rebondir sur les propos de M. le rapporteur qui interroge les représentants des associations sur les mesures annoncées par le Gouvernement. Je vous rappelle que cette commission a pour objet, non pas de parler de ce que fait le Gouvernement, mais de dresser un état des lieux des politiques passées en matière de santé. Je souhaiterais que le débat soit réorienté conformément à son objet.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Monsieur Jacques, non seulement un certain nombre d’injonctions ont été adressées aux ARS, que je me permets d’évoquer, mais la règle, à l’Assemblée nationale, est la liberté d’expression. Vous pourrez prendre la parole tout à l’heure, et si nous n’avons pas le même avis, eh bien tant mieux car, comme disait l’un de nos anciens collègues, « si nous pensions tous la même chose, nous ne penserions plus rien » ! Je vous demande de respecter la liberté d’expression de tous les membres de cette commission et en particulier la mienne.

Un certain nombre d’annonces ont été faites au moins d’octobre par le Premier ministre dans son discours de Châlus, notamment sur les pratiques et les consultations avancées. Nous pouvons donc, neuf mois après, en faire un premier bilan afin de déterminer l’efficacité de ces solutions.

L’objet d’une commission d’enquête est, non pas de décider d’une politique de santé, mais de formuler des propositions sur lesquelles une large adhésion est toujours la bienvenue. Je le répète, vous devez respecter la liberté d’expression de chacun.

Par ailleurs, mais vous étiez absent, monsieur Jacques, j’ai expliqué l’autre jour que, lors de la mise en place de la politique de vaccination initiée par Roselyne Bachelot, je faisais partie des élus de la majorité qui avait dénoncé ce fiasco. Garder sa liberté de parole, même contre sa majorité, nous honore, alors je vous en prie, nous ne sommes là ni pour plaire ni pour déplaire, mais pour trouver des solutions.

Ma troisième question concerne le rôle de l’hôpital, que seule Mme Maincion a évoqué. Et enfin, le fonctionnement actuel des ARS est-il satisfaisant dans les territoires ?

M. André Accary. S’agissant des mesures annoncées, elles ne sont, a priori, pas suffisantes – et je le dis de façon objective – par rapport aux problèmes rencontrés et à l’efficacité attendue sur le terrain. Je n’ai pas entendu, dans les propos du Premier ministre, de solutions susceptibles d’apporter une amélioration, en tout cas en Saône-et-Loire.

S’agissant du centre départemental de santé, nous avons travaillé sur cette idée pendant un an et demi avant de la proposer. Il s’agit d’un dispositif extrêmement souple et donc très attractif. Nous proposons aux médecins un contrat de trois ans avec le département, et la possibilité, soit de le renouveler, soit de s’installer en libéral.

Nous avons lancé le recrutement en octobre, les étudiants thésés étaient donc déjà en fonction. Mais j’espère bien en recruter cette année. Maintenant, j’ai bien conscience qu’il ne s’agit pas de la solution miracle, mais elle pallie un déficit de médecins et évite la concurrence entre les collectivités, des communes débauchant des médecins d’autres communes – nous assistions à une véritable surenchère de propositions attractives.

Ce dispositif permet aux médecins libéraux de s’installer où ils le désirent dans le département ; je complète ensuite le maillage territorial avec les médecins du centre départemental de santé. Ce dispositif, je le répète, a été mis en place en attendant l’adoption d’une politique nationale, la moitié des médecins de Saône-et-Loire – environ 660 médecins généralistes – pouvant prétendre à la retraite d’ici à deux ou trois ans.

Les médecins que nous avons recrutés ont commencé d’exercer au mois de janvier. Les patients n’ayant plus de médecins référents depuis plusieurs années, les premières consultations sont plutôt longues, les médecins reprenant tout à zéro.

L’objectif de ce centre est double : d’une part, il répond à une attente des habitants du département et, d’autre part, il soulage les médecins généralistes. En effet, il est important de préciser que ce centre est très bien perçu par les médecins libéraux, qui sont complètement débordés.

M. le président Alexandre Freschi. Comment a réagi le conseil départemental de l’Ordre des médecins ?

M. André Accary. Ce dispositif a fait l’unanimité ! Mais j’en avais évidemment parlé aux médecins libéraux, au conseil régional de l’Ordre des médecins, au directeur de l’ARS, et consulté tous les interlocuteurs concernés, parmi lesquels l’assurance maladie.

Pendant un an et demi, je suis allé à la rencontre d’un grand nombre de médecins généralistes, d’étudiants et de médecins à la retraite, afin de définir un dispositif le plus complet possible dans le cadre légal qui m’est imposé.

L’autorisation de créer un centre de santé a été donnée plusieurs mois après la création de celui de Saône-et-Loire, qui a été lancé au mois de septembre 2017.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Quel était votre budget ? Avez-vous dû construire des locaux ?

M. André Accary. Non, pas du tout. J’ai lancé un recrutement au mois de juin, le lendemain du second tour des législatives, afin qu’aucun amalgame ne soit fait. En même temps, j’ai écrit à tous les maires du département et aux présidents des communautés de communes pour leur demander s’ils avaient des locaux vacants pouvant accueillir un cabinet médical.

Ce ne sont pas de locaux dont nous avons besoin, mais de médecins. J’ai donc eu suffisamment de locaux pour répartir les 45 antennes et les quatre pôles de santé sur l’ensemble du territoire.

J’ai réalisé un plan sur trois ans et mon budget, qui comprend le recrutement, le secrétariat, le matériel, est de 2 millions d’euros. Mais mon modèle économique sera équilibré dès le recrutement du trentième médecin généraliste.

Avec ce type de modèle, je défends la thèse départementale. Car si une agglomération a les moyens de créer un centre de santé, ce n’est pas le cas des petites communes. Le centre de santé départemental rayonne sur l’ensemble du territoire.

M. le président Alexandre Freschi. Je ne connais pas le budget de votre département, mais tous les départements n’ont pas les moyens de mener une telle politique.

M. André Accary. Je considère ce centre de santé comme un investissement et j’ai fait en sorte qu’il ne soit pas à la charge du contribuable. Il s’agit donc d’un modèle économique qui peut être dupliqué par n’importe quel département. Alors bien entendu, c’est un modèle assez complexe, un montage est nécessaire, mais il est peut être très vite équilibré.

Mme Isabelle Maincion. Le temps médical disponible des médecins continuera de diminuer les dix prochaines années, c’est mathématique – Mme la ministre l’a elle-même indiqué. Les mesures gouvernementales me paraissent donc bien faibles au vu de l’enjeu.

Elles ont cependant un mérite : les jeunes médecins peuvent expérimenter l’exercice libéral et l’exercice salarié. En revanche, le deuxième plan régional de santé (PRS2) de la région Centre-Val-de-Loire n’est pas du tout à la hauteur des attentes et des souhaits de Mme la ministre.

Des représentants de l’AMF ont rencontré les directeurs des ARS, estimant qu’un dialogue devait être lancé, un grand nombre de communes et de département se plaignant des agences. Or nous avons été surpris de découvrir que la plupart des directeurs et directrices des ARS ne connaissaient pas les territoires ; c’est pour moi une chose inimaginable. Ils se plaignent de ne pas avoir de contacts avec les élus et ces derniers se plaignent régulièrement des décisions « arbitraires » prises par les ARS, notamment celles qui concernent les fermetures d’hôpitaux ou qui freinent l’expérimentation des MSP.

Je rappelle en effet que les maisons de santé, les centres de santé et les dispositifs regroupés, comme la plateforme alternative d’innovation en santé (PAIS), expérimentée en Loir-et-Cher, sont tous des modèles qui ont été pensés, créés et expérimentés malgré l’avis défavorable des ARS.

Mme la ministre a émis le souhait que les directeurs d’ARS nouent un dialogue avec les territoires ; or ce n’est toujours pas le cas. Quand on parle des collectivités, on ne parle ni des départements, ni des maires, ni des régions, alors que tous participent aux financements. Je pourrais vous citer, dans le cadre des centres de santé, le nombre de communes, de communautés et d’intercommunalités dont l’exercice budgétaire est déficitaire, alors même qu’elles doivent débourser des sommes colossales – 300 000 euros par an pour ma commune – pour faire fonctionner un centre de santé.

Mais, encore une fois, ce sont des choix politiques que les élus assument, car il nous faut pallier la carence en médecins et donc prendre des initiatives pour répondre le mieux possible aux attentes de la population.

Les enjeux sont immenses et les remèdes proposés ne sont pas à la hauteur.

J’ajouterai que les modes d’exercice ne peuvent être proposés que par les médecins. La construction des projets ne peut se faire qu’avec les médecins et les professionnels de santé – paramédicaux, infirmiers, pharmaciens, etc. Les enjeux de territoire sont essentiels.

Lorsque les contrats locaux de santé (CLS), qui participent à la construction des dynamiques territoriales de santé, existent dans les territoires, ils sont bien plus efficaces dans ceux qui mènent des projets depuis fort longtemps, comme en Normandie ou en Bretagne. Les CLS sont un outil dont il faut laisser la liberté d’utilisation à chacun, afin de l’adopter au territoire concerné – le modèle choisi pour les Alpes, par exemple, ne sera pas le même que pour la Sarthe ou le Berry.

Je souhaite également dire – et je parle également au nom de France Urbaine qui n’a pu être présente ce matin – combien l’impact de la désertification médicale est important dans les banlieues. À un tel point que des locaux qui étaient occupés par des médecins sont maintenant vides.

Encore une fois, s’il n’y a pas de volonté politique au niveau national, nous n’y arriverons pas. Certes, des élus locaux ont eu du courage, mais ils n’ont pas été forcément soutenus par les parlementaires. Nous savons tous que, dans les dix prochaines années, nous, les élus locaux, devrons gérer cette pénurie de médecins. Un discours qui fait peur à nos concitoyens.

C’est peut-être le moment d’évoquer d’autres modes d’exercice, tels que les compétences déléguées aux infirmiers et aux pharmaciens, ou la télémédecine – qui est un outil. Les médecins eux-mêmes le disent, l’exercice de la médecine a complètement changé ces dernières années.

À titre personnel, j’ajouterai qu’il existe en France un désamour pour l’exercice libéral, quel qu’il soit, puisqu’il en va de même pour la profession de vétérinaire, dont le maillage territorial a disparu. De sorte que, si une maladie telle que l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) se déclare, nous ne pourrons la contenir aussi bien que par le passé. Il est donc primordial de modifier l’exercice libéral en envisageant son évolution, la partie administrative étant devenue trop pesante.

M. Dominique Dhumeaux. Ces vingt dernières années, les gouvernements successifs ont à peu près tout essayé. Alors pourquoi ne pas envisager de nouvelles solutions ? À partir du moment où un Gouvernement s’empare du sujet et cherche des solutions, cela me convient.

En revanche, la question des ARS est un vrai problème, qui freine bon nombre de projets. Je puis vous citer l’exemple de trois communes qui souhaitaient ouvrir une maison médicale sans médecin, mais avec un grand nombre de paramédicaux – infirmiers, kinés, etc. Un projet qui, selon l’ARS, n’était pas viable. Eh bien cette maison a été ouverte, sans aide, dans la petite commune sarthoise de Saint-Saturnin, qui avait davantage de moyens financiers que les deux autres. Et quelques mois après son ouverture, deux médecins ont postulé. Ce qui montre que, lorsque tout est en place – les locaux, les paramédicaux –, les médecins arrivent tout naturellement.

Or les ARS empêchent ce type de projet ; c’est une aberration. Un grand nombre de projets n’aboutissent pas du fait de leur rigidité. Il serait donc essentiel d’assouplir le fonctionnement des ARS et d’y intégrer des élus et des étudiants – avant la 6e année – qui pourraient ainsi faire valoir leurs positions et formuler des propositions.

Mme Maincion estime que les élus locaux vont devoir se débrouiller seuls les dix prochaines années ; je pense que le problème sera réglé avant. J’ai en effet rencontré et échangé régulièrement avec des étudiants de 4e, 5e et 6e années, pour comprendre leur situation et leurs choix. Je suis intimement convaincu que si un travail était mené avec eux, si nous leur permettons de faire le choix de la médecine générale en milieu rural – milieu qu’ils ne connaissent pas et qui mériterait d’être intégré dans leur parcours universitaire –, le problème serait résolu plus facilement.

Un étudiant de 6e année doit effectuer un stage de six semaines, me semble-t-il, en milieu rural. Or un grand nombre d’entre eux ne le réalise pas, au motif que, s’ils partent, ils perdront le petit boulot qu’ils ont en ville pour financer leurs études. C’est une réalité dont nous devons tenir compte. Un grand nombre d’étudiants de 6e année effectuent des gardes dans des maisons de retraite ou sont sapeurs-pompiers pour compléter les 245 euros qu’ils gagnent par mois pour 30 heures effectuées par semaine dans un CHU. Je suis persuadé que si un tel travail était mené, ce n’est pas dix ans qu’il faudrait attendre, mais seulement six, car après trois ans d’internat ils pourraient s’installer dans la commune rurale qu’ils auraient choisie.

M. le président Alexandre Freschi. Monsieur Accary, s’agissant du centre de santé départemental que vous avez créé, et qui est une très bonne initiative, avez-vous pu estimer le temps médical que vous avez fait gagner aux médecins et que vous offrez, donc, à la population ?

Vous l’avez tous dit, l’exercice de la médecine a changé et le médecin de campagne tel qu’il existait il y a encore quinze ou vingt ans, qui travaillait 70 heures par semaine, n’existe plus. Le temps médical disponible a été réduit par l’augmentation des tâches administratives.

S’agissant des ARS, nous avons bien compris que des dysfonctionnements perturbaient les nouvelles initiatives, Mme la ministre l’a relevé la semaine dernière lors de son audition. Elle nous a dit que les missions proposées par les ARS devaient être revues et que le lien avec les territoires, que Mme Maincion juge non efficient, devait être renforcé ; il nous faut des ARS qui accompagnent plus qu’elles ne sanctionnent.

Enfin, monsieur Dhumeaux, s’il n’y a jamais eu autant de médecins en France, le pays ne compte que des zones déficitaires en termes de présence médicale, à part peut-être dans le Sud-Est et le Sud-Ouest. Nous devons donc imaginer une organisation différente pour proposer une offre médicale satisfaisante à la population.

M. Jean-Michel Jacques. En effet, ne miser que sur les médecins ne suffira pas. Le transfert de compétences aux infirmiers ou aux pharmaciens, par exemple, ne peut que favoriser les choses, d’autant que le besoin de nos concitoyens est, non pas de voir un médecin, mais d’être soignés.

Monsieur Accary, quel salaire avez-vous proposé aux médecins recrutés par le département ?

Mme Gisèle Biémouret. Vos différentes associations peuvent-elles collecter les actions menées sur le terrain par les collectivités et les évaluer ? Il serait en effet intéressant de disposer d’un relevé des bonnes pratiques.

M. André Accary. S’agissant du temps médical, nous serons sur une moyenne de trois consultations et demie par heure. Aujourd’hui, les médecins en effectuent plutôt trois, puisqu’il leur faut refaire tous les dossiers médicaux.

Mais les médecins départementaux ne font que de la médecine. C’est d’ailleurs l’un de nos arguments : « Venez en Saône-et-Loire pratiquer le métier pour lequel vous avez été formés » ! Toutes les tâches administratives sont déléguées. Cet argument a convaincu un grand nombre de médecins libéraux, ravis de pratiquer la médecine d’il y a vingt ans. Je vous garantis qu’ils y prennent beaucoup de plaisir. D’ailleurs, ils nous font de la publicité auprès des médecins qui viennent postuler.

Le salaire de nos médecins varie de 4 600 à 7 000 euros nets par mois, selon l’expérience et les heures supplémentaires effectuées. Je me suis référé, pour déterminer les salaires, à la grille hospitalière – et non pas à la grille départementale, dont les salaires ne sont pas attractifs.

C’est bien parce que j’ai évalué, lors de mon arrivée au sein de l’assemblée départementale, les dispositifs existants, que j’ai imaginé ce centre départemental de santé. J’ai en effet constaté que des dépenses inutiles avaient été réalisées en matière d’accompagnement. Des actions que je n’ai pas arrêtées pour ne pas envoyer un signal négatif à la médecine libérale, mais qui n’apportent pas grand-chose.

Il est bien évidemment que, dans quelque temps, nous évaluerons les retombées du centre de santé départemental. Si dans deux ans, nous constatons que c’est une catastrophe, nous arrêterons. Mais je suis très optimiste. Je rappelle, car c’est important, que je n’ai pas opposé le salariat et le libéral ; ce n’est pas du tout le sens de notre démarche. Il s’agit de deux modes d’exercice complémentaires. Et ce centre est une solution temporaire, en attendant que la situation s’améliore, la mission du département n’étant pas de recruter les médecins ; nous répondons à une situation d’urgence.

M. le président Alexandre Freschi. Quelle est la durée du contrat que vous proposez ?

M. André Accary. Les médecins signent un contrat de trois ans. À l’issue de ces trois ans, ils peuvent soit le renouveler, soit s’installer en libéral.

M. le président Alexandre Freschi. Vous ne leur faites donc pas signer une clause de non-concurrence ?

M. André Accary. Non, nous espérons même qu’ils s’installeront en libéral ! Ce contrat permet à un jeune médecin, qui n’ose pas s’installer directement en libéral, de définir si l’endroit lui plaît et si la clientèle est intéressante.

Mme Isabelle Maincion. Les collectivités ont énormément de bonnes idées ! En revanche, un dispositif qui fonctionne pour un territoire ne fonctionnera pas forcément dans un autre. Je vous citerai deux exemples que je trouve très emblématiques.

Le département de l’Aveyron a totalisé, voilà trois ou quatre ans, le plus grand nombre d’internes installés. Les médecins et l’Ordre départemental des médecins, dont le président est très actif, ont travaillé en lien avec l’université pour faire découvrir le département aux étudiants et ainsi favoriser leur installation.

Autre exemple, un médecin urgentiste de l’hôpital de Blois a convaincu les médecins libéraux de travailler avec les urgences. Aucun local n’a été nécessaire, chacun est resté chez soi, mais c’est bien la collectivité qui a financé la partie administrative et la prise en charge des appels, ce qui a permis d’accueillir les consultations non programmées et de désengorger de 20 % les urgences. Le département et les communautés de communes ont tous contribué à sa mise en œuvre. Malheureusement, ce dispositif se fragilise du fait des restrictions budgétaires.

Je dirai à M. Dhumeaux que nous arrivons effectivement, aujourd'hui, à sensibiliser les futurs étudiants, mais le nombre de départs annoncés est tel que pour remplacer un médecin qui travaillait de 60 à 70 heures par semaine, ce n’est pas un, mais deux ou trois médecins dont nous aurons besoin. C’est la raison pour laquelle, il est indispensable de libérer du temps de consultation à nos médecins. Et pour ce faire, le ministère de la santé et la sécurité sociale ont un rôle important à jouer.

Les compétences déléguées et les centres de santé sont aussi de bonnes solutions. Je pourrais vous communiquer des exemples de centres de santé qui prennent en charge les migrants grâce à des financements d’État, même s’ils ne sont pas toujours à la hauteur de nos attentes.

M. Dominique Dhumeaux. L’AMRF dispose d’une base de données de projets et d’expériences réalisés dans différents départements et communes qui permet d’avoir une vision exhaustive de ce qui peut se faire en milieu rural.

Nous avons tenté, dans la Sarthe, de mettre en place le modèle PAÏS, expérimenté en Loir-et-Cher, mais il n’a pas fonctionné – alors que ces deux départements sont proches sur de nombreux points. Le projet, porté par un médecin bientôt à la retraite, n’a pas réussi à convaincre, alors que cette solution était très pertinente.

Je reviendrai sur les propos de Mme Maincion qui a dit que nous ne disposerons pas de suffisamment de jeunes médecins pour remplacer ceux qui partiront à la retraite. Nous devons prendre en compte le fait que, dans les facultés, la médecine générale est totalement dénigrée ; rien n’est fait pour convaincre un jeune de s’orienter vers la médecine générale.

Pourquoi avoir limité l’accès en première année de médecine aux lycéens qui ont obtenu un baccalauréat S avec mention ? Pensez-vous vraiment qu’il s’agisse d’une bonne décision ? Par ailleurs, un jeune qui se classe parmi les 500 premiers aux ECN et qui choisit la médecine générale est systématiquement dénigré par le médecin chef du CHU ; c’est une réalité. Le monde médical devrait donc balayer aussi devant sa porte et revaloriser la profession de médecin généraliste.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Vous avez évoqué vos actions et établi un constat. D’ailleurs, Mme Maincion a eu raison de le rappeler, nous avons un déficit non pas en médecins, mais en temps de médecine disponible. En effet, d’ici à dix ans, la population française va augmenter et les besoins en soins aussi. Imaginons que vous soyez aux affaires demain, face à cet état des lieux, quel serait votre plan ? Quelles seraient les premières mesures d’urgence que vous adopteriez ?

Deuxième question : êtes-vous ou non favorables à l’idée de réguler la profession de médecin, comme c’est le cas pour d’autres professions de santé ? Si oui, quels sont vos arguments pour mettre en place un tel outil ?

Ma troisième question concerne les aides financières, que vous avez évoquées, allouées par les départements, les ARS, les caisses d’assurance maladie, les intercommunalités, etc. Avez-vous pu consolider, vous, associations d’élus, l’ensemble de ces aides ? Car nous avons beaucoup de difficultés à en définir le périmètre, la Cour des comptes s’interrogeant d’ailleurs sur cette question.

Enfin, dernière question : que pensez-vous d’un nouveau transfert de compétences en matière de santé ? Une politique nationale définirait les enjeux – prévention, pathologies à prendre en charge, etc. – et elle serait ensuite déclinée localement.

M. Jean-Michel Jacques. Monsieur Accary, avec un salaire maximum de 7 500 euros pour 35 heures, vous offrez à ces médecins une vraie qualité de vie. Un médecin libéral gagne environ 8 000 à 9 000 euros ; soit un différentiel de 1 000 euros. Si deux médecins libéraux mutualisaient leurs tâches administratives, nous retrouverions à peu près votre modèle. Ne serait-ce donc pas le bon format ? Ne conviendrait-il pas de l’initier pour que les médecins l’expérimentent, puis laisser les choses se faire ?

Mme Mireille Robert. Comment se passent les soins non programmés ? Sont-ils réalisés par des maisons de garde ? Comment désengorgez-vous les urgences ?

Mme Josiane Corneloup. Je ferai pour ma part un constat, car en tant que pharmacienne je connais bien le problème de la démographie médicale.

La désertification médicale va s’aggraver dans les dix prochaines années. Notre rôle est donc de définir une vraie stratégie, qui a largement été oubliée ces dernières années ; le défi est bien d’attirer les futurs médecins dans des territoires peu attractifs. Cela passe d’abord par une communication positive, puisque nous avons énormément de peine à accueillir des internes, notamment en milieu rural.

Cela passe ensuite par un accompagnement de ces internes pour leur faire découvrir le territoire. Je peux témoigner, puisque je suis élue de Saône-et-Loire, que tout est bien plus simple quand nous organisons un cocktail pour les accueillir dans une bonne ambiance.

Cela passe enfin par la création de liens avec toute la communauté médicale. Car il n’est pas toujours facile d’établir une bonne ambiance entre les médicaux et les paramédicaux ; un interne ne restera pas s’il y a des tensions. Les jeunes, aujourd’hui, ont besoin que l’ambiance soit bonne.

Vous l’avez dit, monsieur Dhumeaux, il serait peut-être intéressant de rémunérer les internes pour qu’ils viennent découvrir le milieu rural. Vous avez raison, ils ne peuvent pas se permettre de perdre leur job.

Par ailleurs, la délégation d’actes me paraît essentielle, certains pouvant facilement être réalisés par des pharmaciens ou des infirmiers.

S’agissant des cabines de consultation, j’y suis opposée car elles sont déshumanisantes. En revanche, que la télémédecine soit passée dans le droit commun à la faveur du dernier projet de loi de finances (PLF) est une avancée importante. Pour avoir développé dans mon officine la télédermatologie – de la télé expertise –, je puis vous affirmer que cela rend un immense service aux personnes qui ne peuvent consulter un spécialiste avant des mois. En 48 heures, le diagnostic est posé et le patient peut commencer un traitement.

La télémédecine est différente de la cabine, puisque le patient est accueilli dans un espace confidentiel par un professionnel de santé qu’il connaît bien. Dès septembre, les téléconsultations démarreront et même si ce n’est pas la panacée, il s’agit d’une bonne solution.

Comme vous tous, j’ai également une opinion assez négative des ARS, ayant conduit un contrat local de santé pendant quatre ans. Le rôle de l’ARS devrait être, non pas de nous mettre des freins, mais de nous accompagner. Par ailleurs, des élus devraient effectivement siéger dans les ARS car lorsqu’un hôpital ferme, ce sont les premiers à être interpellés.

Enfin, monsieur Dhumeaux, vous l’avez cité en exemple, des paramédicaux de ma circonscription se sont regroupés en vue d’ouvrir deux maisons de santé. Si, pour l’instant, aucun médecin n’est prévu, ils espèrent en convaincre. Or l’ARS refuse ce projet faute de médecin ! Cela est très dommageable. C’est la raison pour laquelle j’ai été ravie d’entendre Mme la ministre dire, lors de la discussion du dernier PLF, qu’elle donnerait davantage de possibilités aux collectivités pour innover. Mais attention : il conviendra d’innover de façon territorialement adaptée, car ce qui s’applique à un territoire n’est pas forcément adapté à un autre. Laissons aux professionnels de santé et aux élus qui connaissent leur territoire la liberté de construire un projet en fonction de leurs besoins.

Mme Gisèle Bièmouret. Loin de moi l’idée de dire que rien n’a été fait jusqu’à présent. Malheureusement, de nombreuses solutions expérimentées ne fonctionnent pas.

Je suis élue du département rural du Gers, je connais donc bien l’Aveyron ; de la même façon, nous essayons de mettre en place des solutions. Parfois, nous avons l’impression que les médecins nous prennent pour des idiots. Ce sont d’ailleurs eux qui, la plupart du temps, bloquent les projets.

Voilà plusieurs années que j’essaie d’expliquer que la délégation de tâches est une bonne solution, notamment dans les territoires comptant de nombreuses personnes âgées. Les urgences accueillent un grand nombre de personnes âgées qui sont laissées pendant des heures dans le couloir sur des brancards ; c’est intolérable. Les médecins vont devoir comprendre qu’ils doivent eux aussi donner leur part à la société. Je ne fais pas de généralité, mais je puis vous citer l’exemple d’une collectivité où les élus sont victimes d’un chantage pour maintenir un médecin dans une maison de santé.

Je suis donc favorable à une régulation, car même si des solutions existent, elles ne fonctionneront pas dans tous les territoires.

M. André Accary. Tout d’abord, je voudrais vous rassurer, je n’ai aucunement l’intention d’être aux affaires nationales demain, le département est ma seule motivation !

Ensuite, comme je l’ai fait dans mon département, il est nécessaire de réaliser un diagnostic de la situation ; j’ai d’ailleurs dépassé les frontières de mon département, la Saône-et-Loire ne disposant pas de faculté de médecine. Je suis favorable à une régulation : tous les territoires ne disposant pas des mêmes ressources, il serait regrettable que seuls ceux qui ont les moyens de mettre en place des politiques dynamiques puissent le faire – je pense aux métropoles. L’État doit avoir une vision nationale et accompagner les territoires.

Le transfert de compétences doit se faire à l’échelle du département. C’est ce que j’ai essayé de faire avec le centre de santé, le département pouvant équilibrer les choses sur tout son territoire.

En ce qui concerne les aides financières, il est indispensable de les régulariser. Si j’ai lancé ce centre départemental de santé, c’est pour une raison précise. Je puis vous citer un exemple concret de deux petites villes que 20 kilomètres séparent. L’une est plus désertifiée médicalement parce que les médecins se sont installés dans celle qui leur fait bénéficier d’avantages fiscaux pendant cinq ans. Résultat : les habitants qui ne peuvent pas se rendre dans la ville voisine, surpeuplée en médecins – nous n’avons ni métro ni bus, simplement des routes départementales –, n’auront pas accès aux consultations. L’État doit donc remettre de l’ordre dans ses dispositifs financiers.

Un transfert de compétences en ce domaine, oui, mais partiel.

Monsieur Jacques, je n’ai jamais parlé de 7 500 euros, mais de 7 000 euros maximum, si le médecin effectue des heures supplémentaires et travaille 39 heures. En moyenne, les médecins recrutés touchent entre 6 000 et 6 500 euros nets par mois.

En leur proposant un tel salaire, je n’ai pas d’abord pensé à leur qualité de vie, mais aux habitants de Saint-Léger-sous-Beuvray et de Saint-Christophe-en-Brionnais qui n’avaient plus de médecin depuis dix ou quinze ans. Ensuite, nous avons voulu tirer les leçons des solutions qui ont échoué et tenir compte de la souffrance des médecins libéraux dans les territoires ruraux, pour leur proposer une solution attractive.

La désertification médicale concerne aussi bien le milieu urbain que le milieu rural. J’ai également embauché six médecins généralistes à Chalon-sur-Saône – ville de 60 000 habitants ; en peu de temps, leur agenda a explosé.

De même, quand je suis arrivé à Saint-Léger-sous-Beuvray avec un médecin sous le bras, les habitants étaient heureux – tout comme le pharmacien –, tous n’ayant pas la possibilité de parcourir 10 kilomètres pour aller consulter dans la ville la plus proche.

Pour le centre de santé départemental, j’ai ouvert le recrutement en octobre et les dix premiers médecins ont démarré leurs consultations en janvier. Aujourd’hui, le dispositif étant connu, les médecins signent plus facilement ; tout va donc très vite.

Concernant les consultations, les médecins réservent chaque jour quelques heures pour les urgences – les personnes sans rendez-vous. Les pôles fonctionnent de 8 heures à 20 heures, tous les jours, et les médecins effectuent des permanences dans les antennes, en fonction des besoins. Nous allons également établir un système de garde. Cependant, je n’ai pas voulu les asphyxier dès leur arrivée – de peur qu’ils repartent –, j’ai donc demandé à l’Ordre des médecins d’attendre que trente ou quarante médecins aient pris leur fonction pour répartir les gardes. Mais les médecins le savent, les gardes sont prévues dans leur contrat.

Enfin, quand nous aurons recruté suffisamment de médecins, nous rétablirons la consultation à domicile – peut-être dès la fin de l’année.

Mme Isabelle Maincion. Quelles sont les solutions ? Tout d’abord, il conviendrait de remettre l’hôpital au cœur du dispositif, de nombreux médecins hospitaliers étant disponibles pour assurer des consultations avancées dans les territoires ; nous sommes en train d’y travailler. Et certains signes nous font penser que la Fédération des cliniques et hôpitaux privés de France (FHP) et la Fédération hospitalière de France (FHF) y sont plus favorables que par le passé.

L’hôpital structure énormément les territoires ; l’absence de structure hospitalière est un facteur aggravant pour la démographie, les médecins libéraux n’ayant plus la possibilité d’hospitaliser des patients.

De nouveaux métiers sont en train d’émerger, il convient donc de les laisser prendre leur place. Grâce aux délégations de compétences, les infirmiers, les pharmaciens et d’autres métiers auront des compétences particulières au sein des officines, par exemple. Ces nouveaux métiers sont déjà identifiés, il serait peut-être temps d’en assurer la formation.

Il conviendrait également de favoriser les organisations territoriales, toutes les solutions n’étant pas transposables d’un territoire à un autre.

S’agissant de la répartition, s’il n’y a plus de zones surdotées, certaines sont encore correctement dotées par rapport à des zones totalement désertifiées. La loi qu’a fait voter Marisol Touraine interdisait l’installation des médecins dans les zones correctement dotées ; cette loi qui n’a jamais fait l’objet de décret, c’est le serpent de mer qui n’a jamais émergé. Quand les pouvoirs publics auront-ils le courage d’appliquer cette mesure ?

S’agissant des zonages, la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statiques du ministère de la santé (DREES) nous a expliqué récemment les critères pris en compte pour évaluer les zones – dotées, sous-dotées ou en grande souffrance. Or ces évaluations sont réalisées à partir de données datant, au mieux, de 2015, et aucune prospective n’est effectuée en tenant compte de l’âge des médecins – généralistes et spécialistes –, alors que l’on connaît déjà les territoires où des départs massifs sont prévus ; pourquoi cette donnée n’est-elle pas prise en compte ?

Par ailleurs, lorsque nous souhaitons anticiper les départs – l’arrivée de nouveaux médecins ne se fait pas du jour au lendemain –, l’ARS, fort de sa supériorité intellectuelle sur les pauvres élus locaux que nous sommes, nous l’interdit.

Enfin, la régulation doit être nationale. Car la concurrence entre les territoires est telle que l’on ne sait même plus qui finance quoi ; les élus ne se disent pas tout. Je suis en charge, dans ma collectivité, du contrôle de gestion – nouveau métier dans les collectivités –, je puis donc vous affirmer que lorsqu’on évalue les coûts, ils sont bien supérieurs à ce que l’on peut imaginer. Il y a là matière à régulation.

L’AMF et France Urbaine ont demandé les bilans des investissements publics de l’État en matière de santé ; nous n’avons aucune visibilité des financements et de leurs effets réels. Il s’agit là d’une demande récurrente qui pourrait être partagée par les autres associations d’élus.

La santé doit rester une compétence nationale afin d’assurer l’égalité entre les territoires. Des territoires, je le répète, qui sont en concurrence.

Il faut le comprendre et l’accepter, les jeunes font le choix de vivre dans les grandes villes. Et ce pour plusieurs raisons : le travail du conjoint, le cadre de vie, l’école des enfants, etc. Mais il est important de leur faire également comprendre que leur lieu de travail ne sera pas obligatoirement leur lieu de vie.

Enfin, et j’insiste sur ce point, la concurrence entre les territoires me dérange beaucoup. S’il n’y a pas un minimum de régulation, les écarts entre les collectivités resteront très importants.

M. Dominique Dhumeaux. La commune de La Ferté-Bernard a salarié trois médecins d’un cabinet médical où est organisée une permanence de soins ; des soins de premières urgences pour désengorger les urgences du centre hospitalier. Un dispositif qui fonctionne très bien.

S’agissant des cabines, mes propos ne concernaient que les cabines isolées. Des cabines mises à disposition avec des soins infirmiers et un pharmacien pour la consultation d’un spécialiste sont évidemment des solutions à envisager.

Alors, quelles solutions me paraissent nécessaires ? Je suis intimement convaincu que nous devons mettre le paquet sur les externes – des 4e, 5e et 6e années. Hier, à 18 heures, les 9 250 étudiants ont eu leurs résultats et vont devoir, avant la fin août, décider dans quel CHU et dans quelle spécialité ils feront leur externat ; c’est là que tout se joue et qu’il faut les contacter. Après, c’est trop tard. Ce sont eux que nous devons accompagner. Nous devons leur faire prendre conscience que la médecine en milieu rural est une solution qui leur permettrait de vivre de façon très agréable et sans que leur spécialité soit dénigrée par leurs collègues.

Je suis favorable à la régulation. Nous devons limiter le nombre de médecins dans certains territoires et donc ne pas conventionner ceux qui s’installent dans des zones trop dotées. Il conviendrait peut-être de commencer sur une durée de quatre ou cinq ans afin de voir comment évoluent les choses, mais oui, il faut le faire, jusqu’à ce que le problème soit résolu.

Je suis sapeur-pompier de profession. Quand je vois le mal que nous avons à mettre en place des protocoles pour nos infirmiers, du fait du blocage des médecins, sur des gestes aussi simples que poser une perfusion ou donner un calmant à une personne qui a une fracture, je me dis que ce n’est pas gagné. Les médecins ne sont pas prêts à déléguer, il faut le savoir. Il conviendra donc, là aussi, de passer par la loi.

Enfin, je ne suis pas favorable à un transfert de compétences. Une équité doit être organisée sur l’ensemble du territoire. L’égalité est déjà mise à mal, avec l’éducation notamment, il ne faut donc pas en rajouter. L’État doit s’occuper de la santé, les habitants des petites communes n’ayant pas à payer plus cher que les autres les actes de santé.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Monsieur Accary, vous n’avez pas répondu sur la régulation. Mais auparavant, je poserai encore trois questions.

Concernant les GHT, puisque vous représentez les territoires, que la guerre entre le public et le privé doit cesser et que nous devons être capables de disposer d’une instance de santé à l’échelle départementale ou public et privé se retrouveraient pour mettre en place des parcours de soins, êtes-vous disposés, AMF, ADF et AMRF, à vous coordonner et à éviter une concurrence de territoires ?

Je suis élu d’un territoire dans lequel des bourses ont été données à des jeunes qui souhaitaient faire des études de médecine ; dans le département voisin, aucune n’avait été distribuée, de sorte que certains se sont domiciliés dans ce département pour en obtenir une.

Enfin, s’agissant du logement des internes – dont on nous a beaucoup parlé – les collectivités ne peuvent-elles pas s’entendre pour trouver une solution ? De même, lorsque les internes réalisent leur stage dans une faculté loin de leur domicile, ils ont besoin d’être aidés financièrement, tous ne disposant pas de voiture quand il n’y a ni train ni car.

Que pensez-vous d’une harmonisation des aides apportées par les collectivités ?

M. André Accary. Je suis bien évidemment favorable à une telle harmonisation. Si j’ai choisi de créer un centre de santé à l’échelon départemental, c’était aussi pour faire cesser la concurrence qui existait entre les collectivités pour faire venir des médecins. Je ne critique pas les élus en disant cela, je connais moi aussi le désespoir des habitants qui n’ont plus de médecin. Mais la régulation doit être nationale, la santé étant une question régalienne. Il est cependant indispensable d’accorder une certaine souplesse aux territoires dans le choix des dispositifs.

En revanche, laissons la liberté de s’installer aux médecins ! Un centre de santé départemental permet, justement, de réguler les choses en envoyant un médecin sur un territoire qui n’en a pas.

Enfin, si un grand nombre de médecins que nous avons recrutés viennent du Sud, c’est bien parce que j’ai procédé à une régulation, sans l’imposer.

M. Isabelle Maincion. S’agissant de la coordination entre élus, j’y suis bien évidemment favorable. Mais les ARS disposent de toutes les données pour mettre en place un système harmonisé. Maintenant, s’il faut reprendre ce qu’elles devraient avoir fait, nous pouvons, à nous tous, les solliciter. Il est évident que sur une même région, deux départements ne toucheront pas les mêmes aides – les ARS connaissent les montants grâce au guichet unique.

Une harmonisation est souhaitable.

Concernant le logement des internes, Mme la ministre l’a dit, l’accueil des internes est indispensable ; mais je ne pense pas que cela pose problème. De nombreuses solutions existent.

M. Dominique Dhumeaux. Je suis également favorable à un travail conjoint avec les autres associations. Je suis favorable à tout ce qui peut faire évoluer les choses pour que nos concitoyens soient mieux soignés.

La concurrence entre les territoires est un vrai problème. Nous sommes à deux ans des municipales, de nombreux élus n’hésitent pas à utiliser la question de la désertification médicale comme un levier électoral. Un travail commun à l’échelon départemental est une idée séduisante, pour éviter notamment le débauchage de médecins d’un territoire à un autre.

M. Philippe Vigier, rapporteur. Madame Maincion, sachez que le sénateur Hervé Maurey a interrogé les ARS sur cette question. Elles se sont dites incapables de fournir un état des lieux des différentes aides apportées.

Je vous remercie de votre engagement.

M. le président Alexandre Freschi. Je vous remercie.