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Nos 1396 et 1397

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 9 novembre 2018

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LES PROJETS DE LOI ORDINAIRE ET ORGANIQUE, ADOPTÉS PAR LE SÉNAT APRÈS ENGAGEMENT DE LA PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE,
 

de programmation 2019-2022 et de réforme pour la justice (n° 1349) et relatif au renforcement de l’organisation des juridictions (n° 1350),

 

 

PAR Mme Laetitia AVIA et M. Didier PARIS

Députés

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TOME II

COMPTES RENDUS DES TRAVAUX DE LA COMMISSION

 

 

Voir les numéros :

                         Sénat :  463 (2017-2018), 11, 13 et T.A. 7 (2018-2019)

Assemblée nationale :  1349 et 1350.


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SOMMAIRE

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Pages

Audition de Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice et discussion générale

Réunion du mardi 6 novembre 2018 à 8 heures 30

Comptes rendus des débats sur LES articles DU PROJET DE LOI ORDINAIRE

1. Première réunion du mercredi 7 novembre 2018 à 9 heures (article 1er à avant l’article 2)

Titre premier Objectifs de la Justice et programmation financière

Article 1er Programmation financière et approbation du rapport annexé

Article 1er bis (supprimé) Programmation de la progression du nombre des conciliateurs de justice

Article 1er ter Rapport annuel au Parlement sur l’exécution de la présente loi

Titre II Simplifier la procédure civile et administrative

Sous-titre Ier Redéfinir le rôle des acteurs du procès

Chapitre premier Développer la culture du règlement amiable des différends

Avant l’article 2

2. Deuxième réunion du mercredi 7 novembre 2018 à 14 heures (article 2 à après l’article 3)

Article 2 (art. 22-1, 22-2 et 22-3 de la loi n° 95-125 du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative) Développement du recours aux modes alternatifs de règlement des différends

Article 3 (art. 4-1 à 4-7 [nouveaux] de la loi  2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle) Encadrement juridique et certification des services en ligne de résolution amiable des litiges

Après l’article 3

3. Troisième réunion du mercredi 7 novembre 2018 à 17 heures 30 (article 4 à article 6)

Chapitre II Étendre la représentation obligatoire

Article 4 (art. 2 de la loi n° 20071787 du 20 décembre 2007 relative à la simplification du droit ; art. L. 14531 A [nouveau] du code du travail ; art. 364 [nouveau] du code des douanes ; art. L. 1214 du code des procédures civiles d’exécution ; art. 12 de la loi n° 20161547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle) Extension de la représentation obligatoire

Après l’article 4

Chapitre III Repenser l’office des juridictions

Avant l’article 5

Article 5 (art. 46, 311-20 et 317 du code civil, art. L. 2141-10 du code de la santé publique, art. 4 de la loi n° 68-671 du 25 juillet 1968 relative à l’état civil des Français ayant vécu en Algérie ou dans les anciens territoires français d’outre-mer ou sous tutelle devenus indépendants, loi du 20 juin 1920 ayant pour objet de suppléer par des actes de notoriété à l’impossibilité de se procurer des expéditions des actes de l’état civil dont les originaux ont été détruits ou sont disparus par suite de faits de guerre et art. 1er et 2 de l’ordonnance n° 62-800 du 16 juillet 1962 facilitant la preuve des actes de l’état civil dressés en Algérie) Compétence des notaires pour délivrer certains actes de notoriété et recueillir le consentement dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation avec tiers donneur

Après l’article 5

Article 6 Modalités de révision des pensions alimentaires

4. Quatrième réunion du mercredi 7 novembre 2018 à 21 heures (article 6, suite, à article 16)

Article 6 (suite)

Après l’article 6

Article 7  (art. 1397 du code civil) Allégement des conditions dans lesquelles les époux peuvent modifier leur régime matrimonial

Article 8 (art. 116, 427, 431, 459, 500, 501, 507, 5071 et 836 du code civil ; art. L. 1323 du code des assurances ; art. L. 2235 du code de la mutualité) Suppression du contrôle préalable du juge pour certains actes relevant de la responsabilité du tuteur d’une personne protégée

Article 8 bis (nouveau) (art. 63, 174, 175, 249, 2491 [abrogé], 2493, 2494, 460 et 462 du code civil) Droits matrimoniaux d’une personne protégée

Article 8 ter (nouveau) (art. L. 5 [abrogé], L. 64, L. 721 [nouveau], L. 111, L. 3871 [nouveau] et L. 388 du code électoral) Droit de vote d’une personne protégée

Article 8 quater (nouveau) (art. 26 de la loi n° 2015177 du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires extérieures) Durée légale avant le réexamen des mesures de protection

Avant l’article 9

Article 9 Compétence de la Caisse des dépôts et consignations pour la gestion de certaines sommes saisies ou consignées et leur répartition entre créanciers

Article 9 bis (art. L. 1251, L. 3115, L. 3221, L. 3224 et L. 4332 du code des procédures civiles d’exécution) Procédure de saisie et de vente immobilière

Article 9 ter (nouveau) (art. L. 21111 [nouveau] et L. 52311 [nouveau] du code des procédures civiles d’exécution ; art. L. 151 A du livre des procédures fiscales) Transmission électronique des saisies-attribution et des saisies conservatoire

Article 10 Modernisation des modalités de délivrance des apostilles et légalisations

Article 10 bis (art. L. 6512 du code de la construction et de l’habitation) Allègement du rôle des parquets généraux dans les procédures de changement irrégulier d’usage d’un local

Article 10 ter (nouveau) (art. L. 33323 et L. 333241 du code de la santé publique) Contrôle des débits de boissons

Article 11 (art. L. 444-2, L. 444-7 et L. 9501 du code de commerce) Révision des critères de détermination des tarifs des professions réglementées du droit et du dispositif des remises.

Après l’article 11

Article 11 bis (nouveau) (art. 45 de l’ordonnance n° 451418 du 28 juin 1945 relative à la discipline des notaires et de certains officiers ministériels) Prestation de serment des officiers publics et ministériels

Sous-titre II Assurer l’efficacité de l’instance

Chapitre Ier Simplifier pour mieux juger

Article 12 (art. 233, 238, 246, 247-2, 251 à 254, 257, 262-1, 311-20, 313, 375-3 et 515-12 et art. 247-3 [nouveau] du code civil) Réforme de la procédure de divorce contentieux

Après l’article 12

Article 12 bis A (nouveau) (art. 238 du code civil) Réduction du délai de séparation requis pour constituer la cessation de la vie commune entre les époux

Après l’article 12 bis A

Article 12 bis (art. 296, 298, 301, 303 et 307 du code civil) Alignement du régime procédural de la séparation de corps sur celui du divorce par consentement mutuel

Article 12 ter (art. 1175 du code civil) Autorisation de la signature électronique dans la procédure de divorce par consentement mutuel

Après l’article 12 ter

Article 13 (art. 2-1 et 2-2 [nouveaux] de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle ; art. L. 212-5-1 et L. 212-5-2 [nouveaux] du code de l’organisation judiciaire) Procédure sans audience devant le tribunal de grande instance et procédure dématérialisée de règlement des litiges de faible montant

Article 14 (art. L. 211-17 et L. 211-18 [nouveaux] du code de l’organisation judiciaire) Traitement dématérialisé des injonctions de payer par une juridiction à compétence nationale

Après l’article 14

Article 15 Habilitation à légiférer par voie d’ordonnance pour harmoniser les procédures au fond à bref délai devant les juridictions judiciaires

Chapitre II  Simplifier pour mieux protéger

Article 16 (art. 428, 494-1, 494-3, 494-5 à 494-9 et 494-11 du code civil) Assouplissement de l’habilitation familiale

5. Première réunion du jeudi 8 novembre 2018 à 9 heures 30 (article 17 à après l’article 25 quater)

Article 17 (art. 486, 503, 511 à 513, 513-1 [nouveau] et 514 du code civil) Réforme des modalités d’inventaire et de contrôle des comptes de gestion des personnes protégées

Article 18 (art. 373-2, 373-2-6 et 373-2-10 du code civil) Renforcement de l’exécution des décisions du juge aux affaires familiales en matière d’autorité parentale

Après l’article 18

Article 18 bis (art. 373-2-9-1 [nouveau] du code civil) Attribution du logement par le juge aux affaires familiales en cas de séparation de parents non mariés

Après l’article 18 bis

Chapitre III  Concilier la publicité des décisions de justice et le droit au respect de la vie privée

Article 19 (art. L. 10, L. 751-1 [nouveau] et L. 751-2 [nouveau] du code de justice administrative, L. 111-11-1 à L. 111-11-4 [nouveaux] et L. 111-13 du code de l’organisation judiciaire, 11-1 à 11-3 de la loi n° 72-626 du 5 juillet 1972 instituant un juge de l’exécution et relative à la réforme de la procédure civile et 8 et 9 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés) Encadrement et harmonisation des régimes de diffusion des décisions de justice

Après l’article 19

Titre II bis (supprimé) dispositions relatives aux juridictions commerciales

Avant l’article 19 bis

Article 19 bis (supprimé) (art. 713-7, 713-11, 723-4 et 723-7 du code de commerce) Élargissement du corps électoral des tribunaux de commerce

Article 19 ter (supprimé) (art. 234-1, 611-2, 611-2-1 [abrogé], 611-3, 611-4, 611-5, 621-2, 640-5, 662-3, 662-6, 713-6, 713-7, 713-11, 713-12, 721-1, 721-2, 721-3, 721-3-1, 721-4, 721-5 [abrogé], 721-6, 721-7, 721-8, 722-1, 722-2, 722-3, 722-3-1, 722-4, 722-5, 722-6, 722-6-1, 722-6-2, 722-6-3, 722-7, 722-8, 722-9, 722-10, 722-11, 722-12, 722-13, 722-14, 722-15, 722-16, 722-17, 722-18, 722-19, 722-20, 722-21, 723-1, 723-3, 723-4, 723-7, 723-9, 723-10, 723-11, 723-12, 724-1, 724-1-1, 724-2, 724-3, 724-3-1, 724-3-3, 724-4, 724-7, 731-2, 731-4, 732-1, 732-2, 732-3, 732-4, 732-5, 732-6, 732-7, 741-1, 741-2, 742-1, 742-2, 743-1, 743-2, 743-3, 743-4, 743-5, 743-6, 743-7, 743-8, 743-12, 743-12-1, 743-13, 743-14, 743-15, 744-1 et 744-2 du code de commerce, art. 351-2 du code rural et de la pêche maritime, art. 215-1 et 261-1 du code de l’organisation judiciaire, art. 145 A du livre des procédures fiscales et art. 2315-74, 2325-55 et 7322-5 du code du travail) Nouvelle dénomination et élargissement du champ de compétence des juridictions consulaires

Article 19 quater (supprimé) (art. 145-56, 622-14-1 [nouveau] et 721-3-2 [nouveau] du code de commerce) Extension de la compétence du tribunal de commerce aux litiges entre entreprises relatifs aux baux commerciaux

Titre III  Dispositions relatives aux juridictions administratives

Chapitre Ier  Alléger la charge des juridictions administratives

Article 20 A (supprimé) (art. 54 A [nouveau] de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971) Définition de la consultation juridique

Article 20 (art. 5 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016) Allongement de la durée de l’expérimentation de la médiation préalable obligatoire dans certains litiges

Après l’article 20

Article 21 (art. 222-2-2, 222-2-3, 222-5, 222-6 [nouveaux] et 222-2-1 du code de justice administrative) Élargissement et encadrement du recours à des magistrats honoraires

Article 22 (art. 122-3 et 228-1 du code de justice administrative) Création d’une fonction de juriste assistant au sein des juridictions administratives

Article 22 bis (nouveau) (art. 231-5 du code de justice administrative) Assouplissement des conditions de mobilité des magistrats administratifs

Article 23 (art. 133-7 [nouveau], 233-7, 233-8 du code de justice administrative et art. 1er de la loi n° 86-1304 du 23 décembre 1986) Encadrement du maintien en activité de magistrats administratifs au-delà de la limite d’âge

Chapitre II Efficacité de la justice administrative

Article 24 (art. 511-2 du code de justice administrative) Possibilité de recourir à la collégialité en matière de référés précontractuels et contratuels

Article 25 (art. 911-1, 911-2, 911-3, 911-4, 911-5 du code de justice administrative, art. 2333-87, 2333-87-8 et art. 2333-87-8-1 [nouveau] du code général des collectivités territoriales) Mesures permettant de renforcer l’effectivité des décisions de justice administratives

Article 25 bis A (nouveau) (art. 611-1, 77-13-1, 911-13-2 [abrogé] et 775-2 [abrogé] du code de justice administrative) Protection du secret des affaires

Après l’article 25 bis A

Article 25 bis (supprimé) (art. L. 228-2 et L. 228-5 du code de la sécurité intérieure et L. 773-10 [nouveau] du code de justice administrative) Contestation devant le juge administratif des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance

Article 25 ter (supprimé) (art. L. 229-1, L. 229-4 et L. 229-5 du code de la sécurité intérieure) Extension du régime procédural prévu pour la saisie administrative de données et supports informatiques aux documents saisis

Article 25 quater (supprimé) (art. L. 285-1, L. 286-1, L. 287-1 et L. 288-1 du code de la sécurité intérieure) Application outre-mer des articles 25 bis et 25 ter

Après l’article 25 quater

6. Deuxième réunion du jeudi 8 novembre 2018 à 14 heures 30 (article 26 à article 32 bis)

Article 26 (art. 10-2, 15-3, 15-3-1 [nouveau], 40-4-1, 89, 391, 393-1, 420-1 et 706-57 du code de procédure pénale) Amélioration du parcours judiciaire de la victime

Après l’article 26

Article 26 bis (art. 707 du code de procédure pénale) Information de la victime sur les modalités d’exécution d’une peine privative de liberté

Article 26 ter (supprimé) (art. L. 217-5 [nouveau] du code de l’organisation judiciaire, 706-16-1 et 706-16-2 [nouveaux] du code de procédure pénale et L. 422-1-1 [nouveau] et L. 422-2 du code des assurances) Simplification et sécurisation du parcours procédural d’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme

Après l’article 26 ter

Article 27 (art. 60-4, 77-1-4 [nouveaux], 100, 100-1, 230-32 à 230-35, 230-45, 7061-1, 706-1-2, 706-72, 706 95, 706-95-5 à 706-95-10 et 709-1-3 du code de procédure pénale et 67 bis 2 du code des douanes) Mise en cohérence des dispositions relatives aux interceptions des communications électroniques et à la géolocalisation

Article 28 (art. 230-46 [nouveau] du code de procédure pénale, 706-2-2, 706-2-3, 706-35-1, 706-47-3, 706-72 et 706-87-1 du code de procédure pénale) Harmonisation du cadre applicable à l’enquête sous pseudonyme

Après l’article 28

Article 29 (art. 230-45, 706-95-1, 706-95-2, 706-95-4, 706-95-11 à 706-95-20 [nouveaux] et 706-96 à 706 102 9 du code de procédure pénale et 226-3 du code pénal) Uniformisation du régime applicable à certaines techniques spéciales d’enquête

Avant l’article 30

Article 31 (art. 63, 63431, 7061121 [nouveau] et 706113 du code de procédure pénale) Simplification du régime de la garde à vue

Article 31 bis (supprimé) (art. 10-4, 15-3 et 61-2 du code de procédure pénale) Assistance de la victime par un avocat dès le dépôt de plainte

Après l’article 31 bis

Article 32 (art. 53, 561, 76, 78, 7822 et 8022 [nouveau] du code de procédure pénale ; art. 64 du code des douanes ; art. 41 du code des douanes de Mayotte ; art. L. 62112 du code monétaire et financier ; art. L. 16 B et L. 38 du livre des procédures fiscales) Extension des pouvoirs des enquêteurs

Article 32 bis (art. 66, 155 [abrogé], 4952, 5306,70657 et 8011 du code de procédure pénale) Procédure orale pour la répression de certaines infractions prévues par le code de la route

7. Troisième réunion du jeudi 8 novembre 2018 à 21 heures (article 32 ter à article 40)

Article 32 ter (supprimé) Rapport sur le recours aux données issues des objets connectés dans le cadre du traitement juridique d’une affaire

Après l’article 32 ter

Article 33 (art. 43 et 60 du code de procédure pénale ; art. L. 2344, L. 2345, L. 2349 et L. 2352 du code de la route) Dispositions diverses de simplification

Après l’article 33

Article 34 (art. 805 [nouveau], 85, 86, 173, 3921 et 706242 [abrogé] du code de procédure pénale) Continuité des actes d’enquête lors de la saisine du juge d’instruction et recevabilité des plaintes avec constitution de partie civile

Article 35 (art. 81, 97, 1426, 1427, 70671 et 884 du code de procédure pénale ; art. 511 [nouveau] de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse) Mesures diverses de simplification du déroulement de l’instruction

Après l’article 35

Article 35 bis (nouveau) (art. 14541 du code de procédure pénale ; art. 40 de la loi n° 20091436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire) Droit de correspondance des personnes placées en détention provisoire

Article 36 (art. 414, 416, 841, 891, 116, 1701 [nouveau], 173, 175, 1751, 1792, 1801, 185, 186-3, 706119, 706153 et 778 du code de procédure pénale) Dispositions relatives à la clôture et au contrôle de l’instruction

Après l’article 36

Chapitre III  Dispositions relatives à l’action publique et au jugement

Article 37 A (nouveau) (art. 559 du code de procédure pénale) Citation à parquet

Article 37 (art. L. 33533 et L. 34211 du code de la santé publique ; art. 4461 du code pénal ; art. L. 33155 du code des transports ; art. 49517, 49519, 49520, 49521, 49523 [abrogé], 5307 [abrogé], 768, 7681, 769, 775 et 7773 du code de procédure pénale ; art. L. 1215 et L. 32512 du code de la route) Extension du champ d’application de l’amende forfaitaire délictuelle

Après l’article 37

Article 38 (art. 411, 4111 [abrogé], 412, 4131 A [nouveau], 4958, 49510 et 495111 [nouveau] du code de procédure pénale ; art. 642 de la loi n° 91647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique ; art. 233 de l’ordonnance n° 921147 du 12 octobre 1992 relative à l’aide juridictionnelle en matière pénale en Nouvelle-Calédonie et dans les îles Wallis et Futuna) Dispositions relatives aux alternatives aux poursuites, à la composition pénale et à la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité

Avant l’article 39

Article 39 (art. 80, 3885, 393, 3931, 394, 39711 [nouveau], 3972, 3977 et 49510 du code de procédure pénale) Dispositions relatives au tribunal correctionnel

Après l’article 39

Article 40 (art. 3981, 495, 4951 et 4953 du code de procédure pénale ; art. L. 1633 du code monétaire et financier) Extension du champ d’application de la procédure de jugement à juge unique et de l’ordonnance pénale

8. Première réunion du vendredi 9 novembre 2018 à 9 heures 30 (article 41 à article 44)

Article 41 (art. 502, 509, 510 et 512 du code de procédure pénale) Effet dévolutif de l’appel en matière correctionnelle et formation à juge unique de la chambre des appels correctionnels

Après l’article 41

Article 42 (art. 281, 3161 [nouveau], 331, 332, 3651, 3711 [nouveau], 38021 A [nouveau], 68911 et 6986 du code de procédure pénale) Mesures de simplification du procès d’assises et expérimentation du tribunal criminel départemental

chapitre IV (nouveau)

Article 42 bis AA (nouveau) (art. L. 217-5 [nouveau] du code de l’organisation judiciaire, 706-16-1 et 706-16-2 [nouveaux] du code de procédure pénale, L. 422-1-1 [nouveau] et L. 422-2 du code des assurances, L. 169-4 et L. 169-10 du code de la sécurité sociale et 9-2 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique) Simplification et sécurisation du parcours procédural d’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme

Article 42 bis AB (nouveau) (art. L. 228-2 et L. 228-5 du code de la sécurité intérieure et L. 773-10 [nouveau] du code de justice administrative) Contestation devant le juge administratif des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance

Article 42 bis AC (nouveau) (art. L. 229-1, L. 229-4 et L. 229-5 du code de la sécurité intérieure) Extension du régime procédural prévu pour la saisie administrative de données et supports informatiques aux documents saisis

Article 42 bis A (art. 421-2-6 du code pénal) Modification de la définition du délit d’entreprise individuelle terroriste

Article 42 bis B (art. 706-75, 706-77, 706-80, 706-80-1 [nouveau] et 706-80-2 [nouveau] du code de procédure pénale et 67 bis, 67 bis-3 [nouveau] et 67 bis-4 [nouveau] du code des douanes) Clarification du cadre procédural applicable aux opérations de surveillance en matière de criminalité et de délinquance organisées

Article 42 bis C (art. L. 122-3, L. 213-12 [nouveau], L. 217-1 à L. 217-4 et L. 217-5 [nouveau] du code de l’organisation judiciaire, 41, 628 à 628-3, 628-10, 702, 706-17 à 706-17-2, 706-18, 706-19, 706-22-1, 706-25 et 706-168 à 706-170 du code de procédure pénale et L. 225-2, L. 225-3, L. 228-2 à L. 228-5 et L. 229-1 du code de la sécurité intérieure) Organisation judiciaire en matière de lutte contre le terrorisme

Chapitre V  Dispositions relatives à la cassation

Article 42 bis (art. 567, 584 et 585 [abrogés], 5851, 586, 588, 5901 et 858 [abrogé] du code de procédure pénale ; art. 58 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ; art. 49 [abrogé] de la loi du 27 juin 1983 rendant applicable le code pénal, le code de procédure pénale et certaines dispositions législatives dans les territoires d’outre-mer) Représentation obligatoire devant la chambre criminelle de la Cour de cassation

Chapitre VI (nouveau)  Dispositions relatives à l’entraide internationale

Article 42 ter (nouveau)  (art. 230-19, 694-31, 695-26, 696-9-1, 696-47-1 nouveau et 696-73 du code de procédure pénale, 227-4-2 du code pénal et 64 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique)  Dispositions relatives à l’entraide pénale internationale

TITRE V  Renforcer l’efficacité et le sens de la peine

Chapitre Ier  Dispositions relatives aux peines encourues et au prononcé de la peine

Avant l’article 43

Article 43 (art. 131-3, 131-4-1, 131-5-1, 131-6 à 131-8, 131-9, 131-16, 131-22, 131-35-1, 131-35-2, 131-36, 2218, 222-44, 22245, 223-18, 224-9, 225-19, 225-20, 227-29, 227-32, 311-14, 312-13, 321-9, 322-15 et 712-1 A [nouveau] du code pénal, 709-1-1 et 709-1-3 du code de procédure pénale, L. 3421-1 et L. 3353-3 du code de la santé publique, 202-1 [nouveau], 2041 et 20-5 de l’ordonnance n° 45174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, 24, 32 et 33 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et 3 de la loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public) Renforcement de la cohérence et de l’efficacité des peines correctionnelles

Après l’article 43

Article 43 bis (supprimé) (art. 131-30-3 [nouveau] du code pénal) Peine complémentaire obligatoire d’interdiction du territoire français pour tous les délits et crimes punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement

Article 43 ter (supprimé) (art. 132-16-5 du code pénal) Systématisation de l’aggravation de la peine à raison de l’état de récidive légale

Après l’article 43 ter

Article 43 quater (art. 132-29, 132-35 à 132-39, 132-42, 132-47 à 132-50 du code pénal et 735 et 735-1 du code de procédure pénale) Révocation automatique et intégrale du sursis simple et modification des règles de révocation du sursis avec mise à l’épreuve

Article 44 (art. 41 et 81 du code de procédure pénale et 132-70-1 du code pénal) Amélioration de la connaissance de la personnalité du prévenu par le tribunal correctionnel

9. Seconde réunion du vendredi 9 novembre 2018 à 14 heures 30 (article 45 à la fin du texte)

Article 45 (art. 132-1, 132-17, 132-19 et 132-25 à 132-27 du code pénal, 464-2 [nouveau], 465-1, 474, 723-7, 723-7-1, 723 13, 723-15, 723-15-1, 723-17, 723-17-1 et 747-2 du code de procédure pénale et 22 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante)  Modification des conditions du prononcé des peines d’emprisonnement ferme

Article 45 bis A (supprimé) (art. 717-1, 721 à 721-2, 723-29 du code de procédure pénale, 132-24 du code pénal et 41 de la loi  2005-1549 du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales) Suppression du crédit « automatique » de réduction de peine

Article 45 bis B (supprimé) (art. 785 du code de procédure pénale) Allongement du délai de demande de réhabilitation judiciaire après le décès de la personne condamnée

Article 45 bis (supprimé) (art. 709-2 du code de procédure pénale) Élargissement du contenu et de la publicité du rapport annuel sur l’exécution des peines

Article 45 ter A (art. L. 132-5 du code de la sécurité intérieure) Débat sur l’exécution des peines et la prévention de la récidive en conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance

Article 45 ter B (art. L. 132-13 du code de la sécurité intérieure) Débat sur l’exécution des peines et la prévention de la récidive en conseil intercommunal de sécurité et de prévention de la délinquance

Article 45 ter (art. 131-36-1 à 131-36-4, 221-9-1, 221-15, 222-48-1, 222-65, 224-10, 227-31 et 421-8 du code pénal et 763-3, 763-5 et 763-10 du code de procédure pénale) Élargissement du champ d’application du suivi socio-judiciaire

Article 45 quater (art. 731-1 du code de procédure pénale) Assouplissement des conditions de placement sous surveillance électronique mobile dans le cadre d’une libération conditionnelle

Après l’article 45 quater

Article 46 (art. 131-4-1, 131-4-2 à 131-4-8 [nouveaux], 132-40 à 132-57 et 132-64 du code pénal, 230-19, 720 1, 720-1-1, 721-2, 723-4, 723-10, 723-30 et 731 du code de procédure pénale, L. 265-1 du code de justice militaire et 20-4, 20-5 et 20-10 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante) Création d’un « sursis probatoire »

Article 47 (art. 471, 712-20, 713-42 à 713-49, 713-50 à 713-52 [nouveaux] et 739 à 747-2 du code de procédure pénale) Rôle du service pénitentiaire d’insertion et de probation et du juge de l’application des peines dans la mise en œuvre du sursis probatoire

Article 48 (art. 713-42 à 713-49 du code de procédure pénale) Modalités d’exécution de la peine de détention à domicile sous surveillance électronique

Article 48 bis (supprimé) (art. 733 du code de procédure pénale) Modification des conditions d’octroi de la libération conditionnelle

Article 49 (art. 720 du code de procédure pénale) Systématisation de la libération sous contrainte aux deux tiers des peines d’emprisonnement inférieures ou égales à cinq ans

Article 49 bis A (nouveau) (art 723-6-1 nouveau du code de procédure pénale) Agrément et conventionnement des structures faisant du placement à l’extérieur

Article 49 bis (supprimé) (art. 723-19 du code de procédure pénale) Rétablissement de la surveillance électronique de fin de peine

Article 50 (art. 48-1, 706-54, 706-54-1 [nouveau], 706-56-1-1, 710, 711, 712-4-1 [nouveau], 712-5, 723-1, 723-3, 723-7, 730-2 et 747-1 à 747-2 du code de procédure pénale) Simplification de diverses modalités d’exécution de peines

Article 50 bis A (nouveau) (art. 147-1, 720-1-1 et 729 du code de procédure pénale) Suspension de peine ou remise en liberté médicales pour les personnes détenues hospitalisées sans leur consentement

Article 50 bis (supprimé) (art. 707-1-1 [nouveau] du code de procédure pénale) Création d’une Agence de l’exécution des peines

Après l’article 50 bis

Article 50 ter Expérimentation du droit de vote des détenus par correspondance

Article 50 quater (art. 714, 717 et 726-2 du code de procédure pénale) Conditions de détention des personnes prévenues dangereuses

Après l’article 50 quater

Avant l’article 51

Article 51 (art. 100 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire) Allégement des formalités préalables à la construction de prisons

Article 51 bis (supprimé) (art. 4, 39 et 40 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire) Isolement électronique des détenus

Article 51 ter (supprimé) (art. 35 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire) Palpations systématiques des visiteurs en détention

Après l’article 51 ter

Chapitre V Diversifier les modes de prise en charge des mineurs délinquants

Avant l’article 52

Article 52 (art. 33 et 40 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante) Amélioration de la préparation à la sortie des mineurs délinquants

Après l’article 52

Article 52 bis (supprimé) (art. 1635 bis Q du code général des impôts) Rétablissement d’une contribution pour l’aide juridique

Article 52 ter (supprimé) (art. 18-1 [nouveau] de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique) Consultation obligatoire d’un avocat avant toute demande d’aide juridictionnelle

Article 52 quater (supprimé) (art. 21 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique) Consultation obligatoire des organismes sociaux par les bureaux d’aide juridictionnelle pour apprécier les ressources du demandeur

Article 52 quinquies (supprimé) (art. 44 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique) Attribution au Trésor public du recouvrement des sommes à récupérer versées au titre de l’aide juridictionnelle

Article 53 (art. 121-1, 121-3, 121-4, 122-1, 123-1, 123-4, 211-1, 211-3, 211-4, 211-4-1 [nouveau], 211-4-2 [nouveau], 211-5 [abrogé], 211-6, 211-7, 211-8, 211-9-2, 211-9-3 [nouveau], 211-10, 211-11, 211-11-1, 211-12, 211-13, 211-14, 211-16, 212-1, 212-2, 212-3, 212-4, 212-6, 212-6-1 [nouveau], 212-7 [nouveau], 213-1, 213-2, 213-4-1 [nouveau], 213-4-2 à 213-4-8 [nouveaux], 213-5, 213-6, 213-7, 213-9, 215-1, 215-2 et 215-3 à 215-7 [nouveaux], 216-1, 216-2, 217-1, 217-2, 218-1, 218-6 et 218-10 du code de l’organisation judiciaire, art. 39-4 [nouveau], 52-1, 80 et 712-2 du code de procédure pénale, 1134-10, 1422-1, 1423-11, 1454-2, 1521-3, 2312-15, 2312-46, 2315-74, 2323-4, 2323-39, 2325-38, 2325-40, 2325-55 et 3252-6 [abrogé] du code du travail, 4261-2 et 4262-2 du code des transports) Réorganisation juridictionnelle et statutaire

Article 53 bis A (nouveau) (art. 148-1 du code de l’action sociale et des familles, art. 723-3 du code de commerce, art. 1114-1, 3223-2, 3241-2 et 3844-2 du code de la santé publique, art. 251-4 et 251-6 du code de la sécurité intérieure, 3452-3 du code des transports, art. 3 de la loi n° 49-956 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse, art. 1651H, 1653F, 1741A du code général des impôts, art. 11-4 du code du patrimoine, art. 332-18 du code du sport, art. 561-39, 612-5, 612-9, 621-2 du code monétaire et financier, art. 327-3 et 327-4 du code de la propriété intellectuelle, art. 228-2 du code de l’aviation civile, art. 302-9-1-1 du code de la construction et de l’habitation, art. 18 de la loi n° 47-585 du 2 avril 1947 relative au statut des entreprises de groupage et de distribution des journaux et publications périodiques, art. 6 bis de la loi n° 57-711 du 7 juin 1951 sur l’obligation, la coordination et le secret en matière de statistiques, art. 1er et 20 de la loi n° 77-1453 du 29 décembre 1977 accordant des garanties de procédures aux contribuables en matière fiscale et douanière, art. 72 de la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes, art. 2 de l’ordonnance n° 2009-79 du 22 janvier 2009 créant l’Autorité des normes comptables, art. 4 de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des essais nucléaires français, art. 2 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique et art. 13, 14, 16 [abrogé], 17, 19 et 20 de la loi n° 2011-94 du 25 janvier 2011 portant réforme de la représentation devant les cours d’appel) Suppression de la participation de magistrats à diverses commissions administratives

Après l’article 53 bis A

Article 53 bis B (nouveau) (art. 121-5 et 124-2 [nouveaux] du code de l’organisation judiciaire) Délégation de magistrats exerçant à titre temporaire et de magistrats honoraires

Après l’article 53 bis B

Article 53 bis (art. 21 du code civil et art. 2 de la loi n° 2002-306 du 4 mars 2002) Gestion électronique des registres des associations et des associations coopératives de droit local en Alsace-Moselle

Avant l’article 54

Article 54 Expérimentation de fonctions d’animation et de coordination attribuées à certains chefs de cours d’appel et spécialisation de cours d’appel en matière civile

Après l’article 54

Article 55 Habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnance pour tirer les conséquences de la réorganisation judiciaire

Article 55 bis (art. 111-5 du code des procédures civiles d’exécution) Force exécutoire des actes notariés dressés en Alsace-Moselle au sujet d’une prétention ayant pour objet le paiement d’une somme d’argent déterminée

Après l’article 55 bis

Titre VII dispositions relatives à l’entrée en vigueur  et à l’application outre-mer

Article 56 Modalités particulières d’entrée en vigueur de certains articles

Article 57 (art. 4 de l’ordonnance n° 2012-1222 du 2 novembre 2012 portant extension et adaptation à WallisetFutuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie des dispositions du droit civil et du droit de l’action sociale relatives à la protection juridique des majeurs, 711-1 du code pénal, 804 du code de procédure pénale, art. 285-1, 286-1, 287-1 et 288-1 du code de la sécurité intérieure, L. 243-1, L. 243-2, L. 244-1, L. 244-2, L. 245-1 et L. 245-2 du code de la route, L. 3826-3 du code de la santé publique, 69 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et 44 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante) Coordinations pour l’application des dispositions du projet de loi à la Nouvelle-Calédonie, à la Polynésie française, aux îles Wallis et Futuna et aux Terres australes et antarctiques françaises

Titre

Compte rendu des débats sur LES articles  DU PROJET DE LOI ORGANIQUE

Avant l’article 1er A

Article 1er A (supprimé) (art. 2 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature) Durées minimale et maximale d’affectation des magistrats au sein d’une même juridiction

Article 1er B (supprimé) (art. 2-1 [nouveau] de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature) Règle de mobilité des magistrats au terme de leur durée maximale d’affectation au sein d’une même juridiction

Article 1er (art. 3 et 3-1 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature) Suppression de la fonction de premier vice-président chargé du service d’un tribunal d’instance et création de la fonction statutaire du juge des contentieux de la protection

Article 1er bis (supprimé) (art. 3-2 [nouveau] de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature) Nouvelles possibilités de collaboration entre magistrats du siège

Après l’article 1er bis

Article 1er ter (supprimé) (art. 12-1 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature) Articulation entre les critères de nomination et d’évaluation des chefs de juridiction

Article 1er quater (supprimé) (art. 14 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature) Obligation de formation pour les chefs de cour et de juridiction

Article 1er quinquies (supprimé) (art. 21-2 [nouveau] de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature) Nouvelles possibilités de collaboration entre magistrats du siège

Article 1er sexies (supprimé) (art. 28 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature) Durée minimale d’exercice des fonctions de conseiller référendaire à la Cour de cassation

Article 1er septies (supprimé) (art. 28-1 A et 28-1 B [nouveaux] de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature) Critères de nomination des chefs de juridiction

Article 1er octies (supprimé) (art. 28-2 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature) Durée minimale d’exercice des fonctions de chef de juridiction pour les magistrats du premier grade

Article 2 (art. 28-3 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature) Suppression de la fonction spécialisée de juge d’instance

Article 2 bis (supprimé) (art. 37 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature) Durée minimale d’exercice des fonctions de premier président d’une même cour d’appel

Article 2 ter (supprimé) (art. 37-1 A et 38-1-1 [nouveaux] de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature) Critères de nomination des chefs de cour

Article 2 quater (supprimé) (art. 38-1 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature) Durée minimale d’exercice des fonctions de procureur général près une même cour d’appel

Article 2 quinquies (supprimé) (art. 38-2 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature) Durée minimale d’exercice des fonctions de chef de juridiction, pour les magistrats hors hiérarchie

Article 3 (art. 41-10 A de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature) Impossibilité pour une formation collégiale de comporter une majorité de magistrats honoraires ou à temps partiel

Article 4 (art. 41-10 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature) Possibilité pour les magistrats à titre temporaire d’exercer leurs fonctions dans les chambres détachées

Article 5 (art. 41-11 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature) Coordination des dispositions relatives au régime des magistrats à titre temporaire avec la suppression du tribunal d’instance

Article 6 (art. 41-14 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature) Coordination des dispositions relatives au régime des magistrats à titre temporaire avec la suppression du tribunal d’instance

Article 7 (art. 41-26 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature) Possibilité pour une formation collégiale de comporter plusieurs magistrats honoraires

Article 7 bis (art. 2, 3, 3-1, 12-1, 13, 28, 28-2, 28-3, 32, 38-2, 41-10, 41-13, 41-14, 41-25, 41-26, 41-28, 41-29, 72-3, 76-1-1 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature) Coordinations relatives à la création du tribunal judiciaire

Article 7 ter (nouveau) (art. 382 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature) Coordinations relatives à la création du parquet national antiterroriste

Article 8 A (art. 1er, 2, 4-1 et 15 de la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature, art. 22 de la loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits, art. 132 et 384-1 du code électoral) Coordinations relatives à la création du tribunal judiciaire

Article 8 (art. 9 de la loi organique n° 76-97 du 31 janvier 1976 relative aux listes électorales consulaires et au vote des Français établis hors de France pour l’élection du Président de la République et art. 1er de la loi organique n° 2016-1047 du 1er août 2016 rénovant les modalités d’inscription sur les listes électorales des Français établis hors de France) Coordinations relatives à la fusion des tribunaux d’instance de Paris et à la création du tribunal judiciaire

Article 9 Coordination pour l’expérimentation du tribunal criminel départemental

Article 9 bis (nouveau) Modalités d’application dans le temps de la création du juge des contentieux de la protection

Article 9 ter (nouveau) Dispositions transitoires relatives aux magistrats exerçant à titre temporaire

Article 10 Entrée en vigueur différée de certaines dispositions du projet de loi organique


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   Audition de Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice et discussion générale

Réunion du mardi 6 novembre 2018 à 8 heures 30

Lors de sa réunion du mardi 6 novembre 2018, la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République auditionne Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice, sur les projets de loi ordinaire et organique, adoptés par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice (n° 1349) et relatif au renforcement de l’organisation des juridictions (n° 1350).

Lien vidéo :

http://www.assemblee-nationale.tv/video.6883192_5be140a87faf5.commission-des-lois--mme-nicole-belloubet-ministre-de-la-justice-garde-des-sceaux-6-novembre-2018

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Mes chers collègues, nous sommes réunis ce matin pour entamer l’examen du projet de loi de programmation et de réforme pour la justice, ainsi que de son volet organique. Présentés en conseil des ministres le 20 avril 2018, ces deux textes ont été adoptés par le Sénat le 23 octobre dernier. Nous les examinerons en séance publique à compter du lundi 19 novembre.

En commission des Lois, nous allons consacrer notre semaine à l’examen des articles et des amendements mais notre séance de ce matin est dédiée à l’audition de Mme la garde des Sceaux et à l’expression des rapporteurs et des représentants de chaque groupe politique composant notre assemblée.

Madame la garde des Sceaux, sans plus attendre, je vous donne la parole.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Madame la présidente, madame la rapporteure, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, le projet de loi de programmation et de réforme pour la justice et le projet de loi organique qui l’accompagne traduisent un engagement pris par le Président de la République pendant sa campagne électorale de 2017.

Le Président de la République entendait faire de la justice une priorité. Cet engagement a été renouvelé par le Premier ministre au moment de sa déclaration de politique générale en juillet 2017. Il répond à un constat ancien, clair et partagé : la société française se transforme ; l’État redéfinit ses missions ; les services publics se modernisent et, évidemment, celui de la justice n’échappe pas à ces mutations.

Pour rendre le meilleur service possible aux citoyens et aux justiciables, la justice doit donc se renforcer et s’adapter. Pour se renforcer, il lui faut des moyens. Nous devons ici rattraper un retard cruel et le Gouvernement répond à cette nécessité en décidant de consacrer un budget très important à la justice. Si cette augmentation budgétaire est nécessaire, elle ne saurait, à elle seule, suffire à répondre aux défis qui sont devant nous.

Le monde change et la justice aussi. Comment pourrait-il en être autrement puisque la justice est en prise avec tous les aspects de la société et qu’aucun secteur ne lui échappe ? Pour se renforcer, la justice doit donc aussi se réformer en s’adaptant aux besoins actuels des justiciables. Mon ambition est très simple et, à certains égards, elle peut paraître modeste mais je la crois essentielle : je souhaite que les Français se sentent écoutés, protégés, pris en considération par leur justice. J’ai la conviction profonde que la justice sera plus crédible si elle est plus compréhensible pour les citoyens et si elle apporte des solutions en temps utile aux problèmes quotidiens qu’ils rencontrent. C’est cette conviction qui donne au projet que je porte ses caractéristiques propres et son contenu ambitieux.

Quelles sont les caractéristiques de ce projet ? Trois traits caractérisent cette réforme : elle est globale et concrète ; elle a été construite pour le justiciable ; elle consacre des moyens importants à la justice.

Dès mon arrivée à la chancellerie, j’ai fait le choix d’une réforme globale – ce qui peut lui donner un aspect très hétérogène – et concrète. Elle est globale car le texte qui vous est proposé conjugue à la fois des moyens – c’est une loi de programmation pour la justice – et des évolutions relatives aux procédures, aux méthodes et à l’organisation – c’est une loi de réforme pour la justice. Elle est concrète car elle s’appuie de manière pragmatique sur des propositions qui sont venues du terrain, dans le respect de principes indépassables comme la garantie des droits. Je n’ai pas répondu à des considérations idéologiques dont notre justice a parfois souffert dans le passé. J’ai eu la volonté de mettre en action des principes qui auront un effet direct et rapide sur la justice au quotidien.

La deuxième caractéristique de cette réforme est d’avoir été construite avec les acteurs et pour le justiciable. J’ai organisé des consultations, les chantiers de la justice, d’octobre 2017 à janvier 2018. Ces consultations ont permis d’entendre tous les acteurs et de faire remonter des propositions issues du terrain. Des concertations ont ensuite été menées avec toutes les parties prenantes. J’ai bien sûr voulu écouter les propositions, comprendre les arguments et y répondre, mais sans jamais abandonner mon ambition initiale pour la justice.

Une réforme suscite toujours des réactions, surtout dans notre pays. Certains expriment des craintes face au changement, d’autres ont des aspirations nouvelles. Ces craintes et ces aspirations sont loin d’être toujours convergentes, selon que l’on se place du point de vue des avocats, des magistrats, des élus. Je le redis ici avec une grande clarté : cette réforme n’a pas pour vocation de faire la part belle à tels ou tels acteurs de notre système juridique, à telle ou telle profession. Elle ne néglige ni les points de vue ni les intérêts de chacun mais elle entend surplomber ces intérêts singuliers en suivant une seule boussole : l’intérêt du justiciable, c’est-à-dire l’intérêt général. C’est dans cet état d’esprit que j’ai présenté les deux projets de loi au Sénat et que je suis aujourd’hui devant vous.

La troisième caractéristique de la réforme est de consacrer des moyens à la justice. Il s’agit d’une priorité gouvernementale. Nous avons besoin de moyens pour investir, recruter et pour assurer une justice de qualité. C’est tout l’intérêt d’une loi de programmation sur cinq ans : elle offre une visibilité indispensable. Les moyens mis en jeu sont tout à fait considérables. Une première étape a été franchie avec la loi de finances pour 2018 qui avait permis d’obtenir une hausse du budget de 3,9 % et la création de 1 100 emplois. Une deuxième étape est intervenue avec le budget pour 2019, que je vous ai présenté la semaine dernière : l’augmentation de nos moyens s’accélère avec une hausse des crédits de 4,5 % et la création de 1 300 emplois.

Dans le projet de loi de programmation qui vous est soumis, il est prévu des moyens dont l’importance doit être mesurée à la hauteur de la discipline budgétaire à laquelle le Gouvernement s’astreint par ailleurs. Le budget de la justice augmentera ainsi de 1,6 milliard d’euros en cinq ans, passant de 6,7 à 8,3 milliards d’euros hors pensions, c’est-à-dire à 9 milliards d’euros avec les pensions, ce qui représente une hausse de 24 %. Durant cette loi de programmation, nous engagerons 6 500 recrutements. On peut toujours vouloir plus et proposer des chiffres encore plus élevés – cela a d’ailleurs été la position du Sénat – mais on ne peut pas s’abstraire du contexte financier et budgétaire global auquel le Gouvernement s’astreint. Il ne faut pas nier le caractère positif et volontariste de la mise en jeu de tels moyens au service de la justice.

De l’utilisation de ces moyens, on peut attendre une amélioration des conditions de travail des magistrats et des personnels, une résorption des vacances de postes et la possibilité de constituer des équipes autour des magistrats. Ce budget va aussi nous permettre de passer de l’ère de l’informatique à celle du numérique. Il s’agit pour moi d’un axe absolument stratégique. C’est le défi qu’il nous faut relever pour que la justice soit vraiment à la hauteur de l’attente des justiciables. À cette fin, nous allons engager plus de 500 millions d’euros dans cette révolution numérique.

Ces moyens se déploieront naturellement dans le secteur pénitentiaire avec la construction de 15 000 places de prison, dont 7 000 seront livrées et 8 000 engagées d’ici à 2022. Le texte propose des dispositions qui permettent d’accélérer la construction des établissements pénitentiaires par l’allégement de certaines procédures. Le projet de loi de programmation prévoit aussi la création de vingt centres éducatifs fermés qui constitueront l’une des réponses envisageables, parmi une gamme de propositions, à la question des jeunes mineurs délinquants.

Au-delà des moyens, ce projet de loi est d’abord un texte de réforme, comme le Conseil d’État l’a fortement souligné dans son avis. Son contenu ambitieux se décline autour de six axes.

Le premier axe s’attache à la procédure civile qui concerne la justice de tous les jours, celle de la vie quotidienne, qui est parfois peu spectaculaire et pourtant essentielle. Mon projet est simple : il faut simplifier les procédures, faciliter la vie des gens, recentrer le juge sur son cœur de métier tout en maintenant une justice humaine, protectrice et proche des justiciables. Autrement dit, nous voulons une justice de meilleure qualité et les dispositions du projet de loi vont dans ce sens.

La simplification des procédures passe, par exemple, par la réduction des modes de saisine de la juridiction civile, ou par une procédure de divorce plus fluide qui permette de diviser par deux la durée des divorces contentieux qui dépasse actuellement deux ans. J’insiste sur ce point parce qu’il est emblématique de ce que je souhaite pour la justice. Le divorce est parfois le premier contact de nos concitoyens avec la justice. On a longtemps considéré que la procédure devait durer un certain temps devant les juridictions pour être certain que, finalement, le mariage ne pouvait pas être sauvé, si vous me permettez ce terme. En conséquence, nous avons des procédures inadaptées aux préoccupations actuelles de nos concitoyens qui souhaitent que leur situation soit rapidement clarifiée et stabilisée. Cette volonté de rapidité ne signifie pas que nous allons sacrifier les procédures protectrices, surtout dans des matières où demeurent de fortes inégalités entre les femmes et les hommes et où des enfants sont parfois impliqués. C’est pourquoi je propose de réformer, d’élaguer les formalités et les procédures inutiles, tout en maintenant les mesures protectrices.

Il faut aussi faciliter la vie des gens en supprimant des formalités inutiles. En matière de protection des majeurs vulnérables, il est possible de procéder à de telles simplifications, tout en renforçant les droits des personnes concernées. J’étais hier avec ma collègue Sophie Cluzel dans un établissement qui accueille des majeurs sous protection, et nous avons bien compris l’importance qu’il y avait pour eux à ce que des initiatives soient prises concernant leurs droits fondamentaux, notamment l’exercice de leur droit de suffrage. Ces initiatives rejoignent celles qui seront d’ailleurs prises par le groupe La République en Marche. Pour ces personnes, nous souhaitons aboutir à un équilibre entre dignité et protection.

Pour plus de simplicité, la dématérialisation des petits litiges du quotidien me semble aussi être une voie à explorer et une faculté nouvelle à offrir à nos concitoyens. La dématérialisation des injonctions de payer, par exemple, permettra d’obtenir plus rapidement une ordonnance. Faciliter la vie des gens, c’est aussi permettre aux personnes qui sont séparées d’obtenir rapidement la revalorisation de leur pension alimentaire sans devoir suivre nécessairement les méandres de procédures judiciaires qui sont trop lentes. Nombre de femmes sont concernées par cette situation. C’est pourquoi nous proposons d’expérimenter un dispositif qui a fait ses preuves dans d’autres pays, tout en maintenant un recours possible devant le juge.

Il faut aussi recentrer le juge sur son cœur de métier. Cela nécessite, me semble-t-il, de développer les procédures de règlement amiable des différends. C’est ce que nous proposons. Cela suppose que nous prenions en considération les outils nouveaux que sont les plateformes juridiques, mais en les encadrant par un haut niveau de garantie pour les utilisateurs. Là encore, l’adaptation à notre monde est une évidente nécessité, mais nous ne voulons pas la faire à n’importe quel prix.

Pour assurer une justice de meilleure qualité, nous allons proposer d’étendre le périmètre de la représentation obligatoire par un avocat dans le cas de contentieux complexes. La mesure ne s’appliquera pas aux litiges inférieurs à 10 000 euros. Grâce à ces mesures et à de nombreuses autres que je ne peux pas ici détailler, l’expertise de l’avocat sera plus fine et mieux dirigée dans l’intérêt du client. Le juge sera recentré sur son office, son travail s’en trouvera facilité car la résolution de tous les litiges ne passera plus nécessairement par lui. Il existe en effet d’autres voies pour pacifier et responsabiliser notre société.

S’agissant de la procédure civile, je dois constater que le Sénat est revenu sur bon nombre des mesures proposées en les vidant bien souvent de leur substance. Je regrette vraiment les préventions du Sénat quant au recours au numérique et à la dématérialisation. Ces préventions, je dois l’avouer, m’ont étonnée. En réalité, ces mesures liées au numérique ou à la dématérialisation constituent un grand progrès si les garanties nécessaires sont apportées et si la justice demeure toujours humaine, c’est-à-dire si le contact entre le justiciable et les services judiciaires reste toujours et partout possible. C’est le cas dans le projet que je vous propose et il ne saurait en aller autrement. Pour ma part, je ne souhaite pas renoncer à l’ambition initiale de cette réforme. J’ai déjà eu l’occasion de dire que le statu quo n’était pas acceptable et je sais que votre rapporteure, Mme Laëtitia Avia, partage mes préoccupations.

Le deuxième axe de la réforme concerne la procédure pénale. Je ne veux pas céder au grand soir de la procédure pénale et aux fantasmes qu’il peut générer. J’ai voulu construire des solutions pratiques, nées des constats issus du terrain, grâce au travail effectué en commun avec le ministère de l’intérieur pour la phase de l’enquête. La procédure pénale s’est complexifiée au cours des dernières années, à l’occasion des réformes qui se sont succédé parfois sans cohérence. Cela nuit à l’action des enquêteurs et de l’autorité judiciaire.

Parallèlement, nous devons constater que la criminalité prend des formes nouvelles qui imposent plus de réactivité et de simplicité dans l’action. J’y insiste : nous devons être plus agiles pour mieux protéger les Français. Je tends à plus d’efficacité tant pour les justiciables que pour les acteurs de la justice, et cela sans sacrifier la garantie des droits. Pour le coup, l’expression « en même temps » prend ici tout son sens : efficacité et en même temps garantie des droits.

M. Sébastien Jumel. Un bon point pour vous, madame la ministre !

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. J’ai beaucoup travaillé sur cette phrase-là. (Sourires.)

À cette fin, il faut donc simplifier le travail des acteurs, mieux protéger les victimes mais aussi lutter contre la délinquance du quotidien.

Premier point : simplifier le travail des acteurs – enquêteurs ou magistrats. Pour ce faire, je souhaite aboutir à une numérisation complète des procédures pénales, du dépôt de la plainte jusqu’au jugement. Le ministère de la justice et celui de l’intérieur ont formé une équipe conjointe qui travaille en ce sens. Le texte propose aussi toute une série d’harmonisations, notamment sur les seuils de déclenchement de certaines procédures. Si les textes et les procédures sont plus clairs, l’action pénale sera plus simple au bénéfice des justiciables.

Deuxième point : mieux protéger les victimes. Au passage, je signale que les assises européennes des victimes de terrorisme se sont tenues hier à Paris. La plainte en ligne, prévue dans ce projet de loi, constituera un réel progrès, notamment pour les victimes de violences sexuelles ou conjugales qui hésitent parfois à franchir le seuil des commissariats ou des gendarmeries pour porter plainte.

Dans le même esprit, je propose l’expérimentation du tribunal criminel départemental afin d’éviter la correctionnalisation de certains crimes comme le viol. Il faut que les crimes soient jugés comme des crimes. Depuis plus de trente ans, les terroristes sont jugés par des magistrats professionnels et je n’ai pas le sentiment que cela constitue une réponse dégradée par rapport aux jugements rendus par une cour d’assises classique. Le tribunal criminel départemental contribuera ainsi, de mon point de vue, à ce que l’on appelle la vérité judiciaire.

J’ai aussi proposé la création d’un juge de l’indemnisation du préjudice corporel des victimes d’actes de terrorisme, le fameux JIVAT. De ce dispositif, adopté par le Sénat, on peut attendre une meilleure prise en charge de l’indemnisation des victimes de terrorisme. Le JIVAT déchargera la juridiction pénale de cette procédure sans pour autant écarter les victimes du procès pénal.

Troisième point : lutter contre la délinquance du quotidien. Dans ce domaine, nous avons notamment prévu d’instaurer des amendes forfaitaires pour l’usage de stupéfiants et d’étendre l’interdiction de paraître. Dans les médias, des professionnels du droit s’expriment dans des termes souvent bien différents de ceux qu’ils ont employés lors des nombreuses réunions du travail que j’ai pu tenir avec eux. Certains dénoncent, avec des expressions certainement démesurées, les atteintes qui seraient portées à la garantie des droits. D’autres affirment que ce texte offre trop de garanties, au risque d’entraver le travail des enquêteurs. Dans les deux cas, les propos sont excessifs et infondés. Ils correspondent, me semble-t-il, à des postures. Les garanties constitutionnelles sont bien là, j’y ai veillé. Le Conseil d’État, plus que moi encore, l’a amplement confirmé dans son avis.

Au renforcement des pouvoirs des enquêteurs répond, en effet, le contrôle des magistrats du parquet et aussi du siège – par le biais du juge des libertés et de la détention (JLD) – sur les actes d’enquête. Je rappelle que les magistrats du parquet sont avant tout des magistrats ; ils sont indépendants concernant les actions individuelles et garants, à ce titre, des libertés individuelles. Quant au JLD, je ne crois pas que ses contrôles soient de pure forme. L’intervention de ce juge statutaire permet de bien assurer la garantie des droits.

Sur le volet pénal, la position du Sénat est en retrait par rapport à l’ambition du projet et au travail mené avec les magistrats, les policiers et les gendarmes pour répondre à des problèmes concrets. Le Sénat a ainsi supprimé la procédure de comparution différée. Or il faut avoir conscience qu’à l’heure actuelle, faute de disposer de cette procédure, les parquets se voient fréquemment contraints d’ouvrir des informations judiciaires afin de solliciter le placement d’un suspect en détention provisoire pour éviter sa fuite, et ce alors même que l’enquête est sur le point d’aboutir. La procédure de comparution différée pourrait épargner des mois de détention provisoire à ces suspects, en sollicitant du JLD une détention provisoire de très courte durée, dans l’attente du retour de quelques actes de procédure manquants.

De même, le Sénat a voté le droit pour les suspects d’être assistés par un avocat lors d’une perquisition. Or cette exigence, qui n’est pas imposée par les textes conventionnels, générera à n’en pas douter des difficultés opérationnelles majeures pour les enquêteurs sur le terrain. Je crois que cette approche adoptée par le Sénat est décalée par rapport aux attentes de nos concitoyens. Notre justice doit protéger les Français mais elle doit demeurer fidèle aux principes qui président à notre État de droit. Soyez assurés qu’à la fois par mon parcours et par mes convictions j’y suis très attentive. Je sais que votre rapporteur Didier Paris l’est également et ne doute pas que vous le serez aussi.

Le troisième axe du projet redéfinit le sens et l’efficacité de la peine. Notre objectif est ici de mieux réprimer les infractions, de mieux protéger la société et de mieux réinsérer les personnes détenues. C’est un chantier essentiel qui doit se comprendre en lien avec le plan pénitentiaire que j’ai récemment présenté.

Il faut d’abord remettre de l’ordre dans notre droit de la peine. Le postulat de base est simple : ceux qui doivent aller en prison doivent s’y rendre réellement, ceux qui n’ont rien à y faire doivent être sanctionnés mais d’une autre manière. C’est pourquoi je propose une nouvelle échelle des peines, considérant, je le répète, que toute infraction mérite sanction. En dessous d’un mois, les peines d’emprisonnement ferme seront interdites. Entre un et six mois, la peine s’exécutera par principe en dehors d’un établissement de détention. Entre six mois et un an, le tribunal aura la possibilité d’imposer que la peine s’exécute en détention mais il pourra aussi décider d’orienter vers un aménagement de peine. Au-delà d’un an, les peines d’emprisonnement seront exécutées sans aménagement ab initio. Le seuil d’aménagement des peines d’emprisonnement sera ainsi abaissé de deux ans à un an ; c’est l’article 723-15 du code de procédure pénale.

Mon objectif est simple : il est de mettre fin aux emprisonnements de très courte durée, qui sont très souvent inutiles, désocialisants et qui nourrissent la récidive. Mais il faut aussi assurer une exécution effective des peines prononcées. Aujourd’hui, l’inexécution des peines de prison rend incompréhensible notre justice pénale, aussi bien pour les victimes que pour les délinquants. Il faut donc que les peines prononcées en lieu et place de la prison soient des peines réelles, utiles, des peines autonomes, qu’il s’agisse des travaux d’intérêt général ou de la détention à domicile sous surveillance électronique, autrement dit du bracelet électronique, que nous proposons de développer avec toutes les garanties de sécurité.

L’efficacité, je crois, ne consiste pas à brandir la prison comme l’alpha et l’oméga de notre politique pénale. Elle ne consiste pas non plus à vouloir vider les prisons au nom d’une vision angélique de la société. Ces schémas tout faits nous empêchent de voir la réalité telle qu’elle est. C’est d’ailleurs le constat que votre commission des Lois a fait en travaillant intensément sur les questions pénitentiaires depuis plusieurs mois, et ce constat, qui propose entre autres une diversification des établissements pénitentiaires et des régimes de détention différenciés pour les détenus, dépasse les clivages politiques classiques.

Le Sénat a partagé ces objectifs globaux mais il a adopté un point de vue opérationnel différent de celui du projet que je porte, en particulier sur les plus courtes peines. La prison demeure pour les sénateurs un outil nécessaire s’agissant des plus petits délits. Pour ma part, je le redis, je propose une approche par paliers afin de moduler davantage la réponse, de renforcer son individualisation, dans un objectif de lutte contre la récidive. C’est par l’individualisation accrue de la sanction, par l’individualisation du parcours de peine, que nous faciliterons l’amendement des auteurs d’infraction et que nous protégerons encore mieux nos concitoyens.

De même, le Sénat n’a pas considéré le bracelet électronique comme une véritable peine. Là encore, je suis en désaccord. Il s’agit bien d’une mesure coercitive efficace qui permet, comme l’affirmait M. Dominique Perben en 2004, d’éviter la désocialisation et le contact parfois préjudiciable avec le milieu carcéral. Pour les courtes peines, il me semble préférable que la juridiction de jugement prononce dès le départ le placement sous bracelet électronique, le placement en semi-liberté ou un placement à l’extérieur. Il faut assumer que ces modalités d’exécution puissent être plus efficaces qu’une incarcération.

Si je propose par ailleurs un sursis probatoire mêlant la contrainte pénale et le sursis avec mise à l’épreuve, c’est là aussi dans un souci d’efficacité et de souplesse, pour surmonter les difficultés rencontrées dans l’application de cette peine de contrainte pénale depuis sa création. Ce n’est pas un parti pris idéologique, je crois vraiment que la peine de probation proposée par le Sénat ne parvient pas à remédier aux lourdeurs actuelles, qui font de la contrainte pénale un outil délaissé par les magistrats.

Enfin, il nous faut développer la peine de travail d’intérêt général, sur laquelle M. Didier Paris a beaucoup travaillé, et je l’en remercie à nouveau. De nouvelles propositions vous seront faites ; nous y serons favorables.

Le quatrième axe de la réforme que je propose prévoit une évolution de l’organisation judiciaire.

Il s’agit de réformer sans brutaliser. Je n’ai pas, comme certains de mes prédécesseurs, dessiné de carte. J’ai voulu proposer une méthode fondée sur le dialogue et mon projet est fondé sur une double préoccupation. Préoccupation de la proximité, tout d’abord : le justiciable doit avoir un accès simple à la justice. Cela passe par une proximité physique mais aussi par le développement du numérique. Préoccupation liée à la qualité du service public de la justice, ensuite : la dispersion des moyens, l’absence de spécialisation pour certains contentieux complexes ne sont pas le gage d’une justice efficace. Dès l’ouverture des chantiers de la justice, j’ai affirmé qu’il n’y aurait aucune fermeture de lieux de justice. Je tiens évidemment parole, mais il faut aussi améliorer notre organisation, ce qui passe par trois évolutions principales.

Le texte prévoit tout d’abord la fusion administrative des tribunaux de grande instance et des tribunaux d’instance. L’organisation de la première instance sera ainsi plus simple pour le justiciable, qui ne connaîtra plus qu’un seul tribunal avec une seule procédure de saisine. Tous les sites seront maintenus pour autant, je le redis, afin d’assurer une justice de proximité pour les contentieux du quotidien. J’ai également décidé, à la suite de la concertation que j’ai menée, de maintenir un juge des contentieux de la protection, qui, en proximité, sera chargé des tutelles, du surendettement, des crédits à la consommation et des baux d’habitation. Ce juge spécialisé statutaire traitera de contentieux identifiés comme relevant des problématiques liées à la vulnérabilité économique et sociale.

Pour optimiser le traitement des contentieux et s’adapter au mieux à la situation réelle de chaque ressort, la loi permet aux chefs de cour, dans les villes où il n’existe actuellement qu’un tribunal d’instance, de lui confier des contentieux supplémentaires par rapport à ceux qui peuvent y être actuellement jugés. La proximité sera donc renforcée.

Une deuxième évolution concerne les départements dans lesquels il existe aujourd’hui plusieurs tribunaux de grande instance, qui seront, je me répète, tous maintenus. Les chefs de cour, dans ces situations, pourront également, après concertation locale, proposer de créer dans chacun de ces tribunaux des pôles de compétences qui jugeront pour l’ensemble du département certains contentieux spécialisés, techniques et de faible volume. J’estime que ces contentieux spécialisés pourront représenter au maximum entre 25 et 30 % du total des contentieux. L’idée est de renforcer les compétences des magistrats et d’améliorer en conséquence les délais de jugement et la qualité de la décision. Cela ne veut pas dire que tous les contentieux spécialisés seront jugés dans un tribunal unique. Les chefs de cour proposeront des solutions équilibrées entre les tribunaux et adaptées dans chaque département.

Enfin, le projet de loi prévoit d’expérimenter dans deux régions qui comportent plusieurs cours d’appel l’exercice par l’une d’elles de fonctions d’animation et de coordination, ainsi que la spécialisation des contentieux selon le modèle précédemment évoqué. Des propositions, je le sais, sont sur la table pour augmenter le nombre de régions concernées par cette expérimentation ; j’y serai attentive.

Le projet de loi organique tire quant à lui les conséquences de la loi ordinaire sur la fusion des tribunaux d’instance et des tribunaux de grande instance.

Sur ces questions d’organisation, le Sénat a eu une approche en demi-teinte. Il a accepté la fusion entre tribunal d’instance et tribunal de grande instance, avec la création de tribunaux de première instance mais sans que soit ouverte la possibilité au plus près du terrain de mieux adapter les compétences de chaque juridiction pour améliorer la qualité de la justice. Je le regrette et proposerai donc de revenir sur ce choix et, d’ailleurs, pour plus de clarté, de renommer ces tribunaux de grande instance « tribunaux judiciaires ».

J’en termine avec deux axes de la réforme un peu moins centraux dans ce texte.

Le cinquième axe s’attache à la diversification du mode de prise en charge des mineurs délinquants. Outre la création de vingt centres éducatifs fermés, le texte permet de mieux préparer la sortie progressive des jeunes de ces structures, et notamment le retour en famille, pour atténuer les effets déstabilisants d’un changement brutal de mode de prise en charge. Il sera aussi institué à titre expérimental une mesure éducative d’accueil de jour, troisième voie entre le placement et le milieu ouvert.

La question de la justice des mineurs est une question grave, un sujet qui mérite d’être traité à part, de manière raisonnée et mesurée. Les problèmes sont réels, les textes et les procédures méritent d’être réévalués et des actions doivent être conduites, mais là encore je ne souhaite pas que les postures l’emportent ; vous voudrez bien me pardonner cette expression, je ne veux pas faire de « com » sur le dos des mineurs et le dos de nos concitoyens qui subissent de nouvelles formes de délinquance. Il s’agit là encore d’affronter ces questions et d’y répondre sans angélisme ni démagogie, mais avec sérieux.

Des ajustements très ponctuels me semblent envisageables à ce stade mais un travail plus global doit être conduit, sans doute autour d’une mise en cohérence des textes existants. Je sais que la mission d’information conduite par M. Jean Terlier et Mme Cécile Untermaier travaille sur ce sujet ; là encore, j’y serai attentive.

Le sixième axe, enfin, concerne la procédure devant les juridictions administratives. Le projet de loi rend possible le recrutement de juristes assistants pour renforcer les équipes autour des magistrats et prévoit aussi de renforcer l’exécution des décisions par des injonctions et des astreintes. Ce sont des mesures très attendues par les juridictions administratives.

Mesdames et messieurs les députés, j’ai été un peu longue dans cette présentation et vous prie de m’en excuser, mais cette réforme globale et ambitieuse le mérite. Le Gouvernement vous proposera de rétablir plusieurs dispositions qui étaient présentes dans son texte initial mais sans écarter les apports utiles introduits par le Sénat. Le Gouvernement vous proposera également d’enrichir le texte initial, notamment par des dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, avec la création d’un parquet national spécialement dédié afin de répondre à cette réalité qui s’est malheureusement installée dans la durée.

Mon objectif est simple, il s’agit de mieux servir les justiciables et la justice. Je suis certaine que nous partageons cet objectif, et le dialogue que j’ai pu nouer avec vos rapporteurs, que je remercie très sincèrement et très chaleureusement de l’immense travail qui a pu être conduit, ainsi qu’avec plusieurs d’entre vous, me rend très optimiste pour la suite de nos travaux.

Mme Lætitia Avia, rapporteure. Ce projet de loi que nous nous apprêtons à discuter est d’une certaine manière le reflet de l’image que nos citoyens peuvent avoir de la justice. C’est un texte dense, long, technique en de nombreux aspects, qui pourrait sembler réservé à quelques « sachants », là où il a pour première fonction d’accomplir une des missions essentielles de notre service public, celle d’assurer l’effectivité de la protection des droits de chacun, d’assurer la lisibilité des procédures et en cela un meilleur accès du champ judiciaire à ceux qui en sont les premiers destinataires, c’est-à-dire les justiciables.

Ce projet de loi répond à une préoccupation majeure : celle de la rupture du lien de confiance entre des justiciables qui ne comprennent pas la justice et une justice dont la multiplicité des procédures alourdit le fonctionnement et limite la compréhension du rôle, des responsabilités et de l’utilité de chacun de ses intervenants.

C’est d’abord, et avant tout, une loi de programmation car le Gouvernement fait le choix d’augmenter de 24 % au cours du quinquennat le budget de la justice pour le porter à 8,3 milliards d’euros en 2022. Bien sûr, on pourrait considérer que ce n’est pas assez, et il est légitime de vouloir toujours plus pour le fonctionnement de nos institutions judiciaires, mais je tiens à saluer le choix du Gouvernement de fixer par cette loi de programmation le financement de la justice au rang de ses priorités, avec un budget permettant le recrutement de 6 500 équivalents temps plein ainsi que la construction de 15 000 places de prison.

En tant que rapporteure de ce texte sur les aspects de justice civile, administrative et d’organisation territoriale, je souligne l’importance de toujours maintenir un équilibre entre les crédits alloués à la justice civile et l’investissement nécessaire dans notre justice pénale.

Le second volet de ce texte est une réforme ambitieuse de la justice, dont le point de départ est une transformation numérique, de laquelle nous débattrons peu au cours des prochains jours car elle fera principalement l’objet de dispositions réglementaires traduisant un investissement tant financier que technique et humain qui nous a été exposé en commission des Lois lors de la discussion de la loi de finances pour 2019.

Pour ce qui est du volet législatif, l’élément pivot de la réforme est un nouveau paradigme dans notre rapport au juge, lequel n’est ni un auxiliaire de justice ni l’organisateur de l’agenda des parties.

Le juge ne doit apparaître que lorsqu’il est nécessaire, pour trancher un litige. Il est ainsi proposé de développer le règlement amiable des litiges comme tentative préalable à tout règlement judiciaire, mais aussi à tout moment de la procédure chaque fois que le juge estimera opportun de s’écarter du processus judiciaire pour laisser les parties œuvrer vers un rapprochement amiable.

Recentrer l’office du juge sur sa fonction de règlement des litiges implique aussi de le décharger des tâches administratives, automatisées, voire barémisées. Il s’agit donc d’avancer en termes de déjudiciarisation et de renvoyer certains actes vers des agents mieux à même de traiter efficacement ces demandes : la reconstitution des actes d’état civil, le recueil du consentement en matière de procréation médicalement assistée, sans que cela ne devienne trop onéreux pour les familles, la révision des pensions alimentaires en cas de modification des ressources selon un barème applicable, ainsi que de nombreux actes de gestion effectués par les mandataires des majeurs protégés pour lesquels l’intervention d’un juge n’est pas strictement nécessaire.

En ce qui concerne les majeurs protégés, je tiens d’ailleurs à saluer l’évolution considérable portée par ce texte avec le rétablissement des droits fondamentaux des majeurs protégés que sont le droit de voter, le droit de s’unir et de se désunir, sans autorisation préalable d’un juge.

S’agissant du divorce, si triste que cela puisse sembler, c’est aussi, en quelque sorte, un trait d’union entre les citoyens et la justice puisque, selon une statistique que j’ai rencontrée à plusieurs reprises mais à laquelle je ne donnerai cependant aucun caractère officiel, 100 % de nos concitoyens ont été confrontés à un divorce, que ce soit le leur ou celui d’une connaissance. C’est d’ailleurs souvent au travers du divorce que l’image d’une justice lente, lourde et coûteuse se construit. Rappelons que le divorce résulte aujourd’hui de la succession de trois périodes : la conciliation, le jugement du divorce puis la liquidation du régime matrimonial. Ce projet de loi permet des avancées sur cette procédure en la simplifiant et en réduisant ses délais.

Enfin, l’objectif de ce texte est de faire entrer pleinement la justice dans le XXIe siècle, notamment en utilisant tout ce que le numérique peut offrir en termes d’amélioration et de simplification des procédures.

Si nous devons toujours veiller à ce que ceux qui sont éloignés du numérique bénéficient toujours d’un point de contact physique, il ne faut pas oublier que le numérique est avant tout une opportunité, y compris en matière de renforcement de l’accès au droit et du recours effectif à la justice, pour tous ceux pour qui il est plus aisé d’engager des procédures via internet que de se déplacer dans un lieu de justice. Le projet de loi propose donc des procédures dématérialisées et sans audience, sous réserve de l’accord des parties.

Ce texte prend acte de l’activité croissante de ce qu’on appelle des « legal techs », des plateformes de services juridiques en ligne, dont il ne faut pas avoir peur mais qu’il faut bel et bien encadrer dans le respect du périmètre du droit.

Enfin, parce que le numérique est avant tout un élément d’accès et de transparence, les décisions de justice seront rendues disponibles pour tous, gratuitement, en open data. Je vous présenterai en la matière des mécanismes renforçant la protection de la vie privée et de la sécurité des personnes citées.

Ce sont des évolutions nécessaires à l’heure où de nombreux actes de notre vie quotidienne sont empreints de numérique. Mais ces innovations ne sont pas antinomiques avec une représentation territoriale de nos lieux de justice, dont il faut réorganiser, voire rationnaliser le fonctionnement. À cet égard le projet de loi propose deux évolutions.

Il s’agit, d’une part, de la fusion des tribunaux d’instance et des tribunaux de grande instance, qui deviendront des tribunaux judicaires avec des chambres délocalisées de proximité assurant un maillage territorial. Ce dispositif ouvrant un travail d’organisation à l’échelle départementale permettra une spécialisation des tribunaux et une meilleure qualité de la justice qui y est rendue.

D’autre part, une expérimentation, que je vous proposerai d’étendre de deux à cinq régions, permettra la coordination des cours d’appel et une répartition de leurs compétences au sein d’une même région.

Beaucoup de sujets, donc, pour une réforme qui se veut ambitieuse, vaste, simplifiant et réinterrogeant nos procédures chaque fois qu’un acte paraît superfétatoire, avec toujours une seule boussole, un seul curseur, vous l’avez rappelé, madame la garde des Sceaux : le justiciable avant tout et l’utilité du service public de la justice pour nos concitoyens.

M. Didier Paris, rapporteur. La loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a fait l’objet d’une longue concertation, depuis maintenant plus d’une année. Elle a été lancée par les cinq chantiers de la justice, qui en forment en quelque sorte l’architecture, l’impulsion – vous avez rappelé, madame la garde des Sceaux, à quel point les parties prenantes avaient été associées. Force est d’ailleurs de constater que le texte tient d’ores et déjà compte d’un certain nombre de ces concertations.

Au plan pénal, ce n’est pas une énième loi de circonstance, tant s’en faut ; il s’agit bien d’une ambition forte, actuelle, moderne pour notre justice. Même si cinq textes importants ont été votés ces quatre dernières années, le chantier de la réorganisation de notre justice est encore loin d’être achevé.

Notre protection contre le terrorisme et le crime organisé doit encore et toujours être améliorée. Elle suppose une véritable modernisation des outils à disposition des forces de sécurité, pour éviter tout décrochage avec des pratiques de plus en plus diffuses des auteurs, sous-tendus par une idéologie de violence et de mort.

C’est pourquoi le projet de loi comporte des dispositions relatives aux techniques spéciales d’enquête, aux interceptions et à la géolocalisation, ainsi qu’au parquet national antiterroriste. En outre, cette protection nécessite l’amélioration du circuit de prise en charge des victimes, ainsi que de l’indemnisation de leur préjudice, de plus en plus difficile à évaluer – ce qui explique la présence de dispositions relatives au juge de l’indemnisation du préjudice corporel des victimes d’actes de terrorisme (JIVAT), les tribunaux parisiens devenant seuls compétents en matière d’indemnisation des victimes du terrorisme.

Mais la perception qu’ont les Français de la justice ne s’arrête pas, fort heureusement, au terrorisme. Ils réclament aussi des réponses pénales face à la délinquance du quotidien : des réponses simples, lisibles, rapides, adaptées aux circonstances et efficaces. Nous avons besoin d’une justice qui fonctionne, d’une justice accessible, équilibrée entre la nécessaire répression des comportements déviants – y compris les plus insignifiants – et la protection intime des libertés individuelles.

Les attentes des acteurs, professionnels de la justice, ne sont finalement pas différentes : l’efficacité du système, la pertinence des mesures, la modernisation des outils sont souhaitées et attendues.

C’est pour répondre à cette grande ambition que le titre IV du projet de loi engage une réforme structurelle de la procédure pénale, dont les dispositions se sont complexifiées au fil de l’adoption de différentes lois. Pour autant, il ne s’agit pas de la veille du grand soir de la révolution procédurale que certains pourraient appeler de leurs vœux !

La lecture attentive du projet de loi recèle de très nombreuses dispositions de nature à opérer ce changement attendu et à générer les simplifications dont les Français, tout autant que les professionnels, ont besoin : plainte en ligne, développement des amendes forfaitaires, recours au juge unique, mais aussi harmonisation des règles de procédure ou amélioration des cadres d’enquête.

Cette démarche pragmatique et efficace assurera l’accès à la justice – en particulier pour les victimes, tout en préservant les garanties des justiciables. Elle permettra en outre à ses acteurs de se recentrer sur leur cœur de métier.

Mais l’adaptation de notre arsenal procédural devra également s’appuyer sur un effort numérique conséquent. Vous l’avez rappelé il y a quelques jours lors de votre audition budgétaire, madame la ministre, ce virage permettra de potentialiser les dispositions du texte et de le rendre opérationnel. Un demi-milliard d’euros – que je vous proposerai par amendement de mieux flécher – devrait rapidement permettre l’établissement ou la conversion des pièces de procédure sous format numérique. Le dossier pénal sera ainsi entièrement dématérialisé et sécurisé, et la signature numérique unique possible. Cette simplification permettra aux forces de sécurité de pleinement apprécier l’évolution enclenchée.

Le titre V de la loi, consacré au sens de la peine, répond à des objectifs de même nature en renforçant la cohérence et l’efficacité des peines. Bien sûr, la détention reste une mesure indispensable de protection sociale, mais elle doit cesser d’être le socle et la référence de toutes les peines dans notre imaginaire collectif. C’est pourquoi l’échelle des peines est repensée pour que chacune d’entre elles puisse apporter d’égales garanties de protection sociale, de lutte contre la récidive et de réinsertion, dans le cadre d’une individualisation des peines qui prévaut et continuera à prévaloir dans notre droit.

Un esprit de responsabilité et de lucidité domine : arrêt des peines de très courte durée, dont la seule conséquence est d’accentuer la désocialisation des auteurs, quand elles ne leur offrent pas une formation accélérée en délinquance ; s’agissant des condamnations inférieures ou égales à deux ans d’emprisonnement, responsabilité pleine et entière du juge correctionnel qui prononcera initialement la peine, qui sera ensuite effectivement mise en œuvre dans toutes ses dimensions, contrairement à la pratique actuelle – totalement incomprise par nos concitoyens ; mise en œuvre de peines modernes et dynamiques, faisant réellement office de sanction, tout en n’obérant pas l’avenir du condamné et ses chances de réinsertion – c’est le sens de l’instauration au deuxième niveau de l’échelle des peines de la détention à domicile sous surveillance électronique, de l’évolution fondamentale du travail d’intérêt général et du renforcement de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité.

Mais la clarté de la peine et son effectivité ne peuvent se concevoir sans leurs modalités matérielles et financières de mise en œuvre. C’est le sens de votre programme ambitieux : construction de nouvelles places de prison, qui intègre la diversification des établissements pénitentiaires à laquelle vous avez fait référence ; construction d’une vingtaine de centres éducatifs fermés pour les mineurs ; augmentation des moyens techniques et humains consacrés à la chaîne judiciaire, tout à fait remarquable dans ce contexte de restriction budgétaire.

La loi de programmation répond pleinement à notre ambition d’une justice rénovée. Bon nombre de dispositions du projet de loi ont fait débat au Sénat et méritent d’être expliquées, reprises et sans doute encore amendées. C’est l’exercice de notre démocratie. Il se poursuivra devant notre assemblée et, au-delà de la technique parlementaire et des postures, les mille amendements déjà déposés devant notre Commission sont révélateurs de cette richesse.

L’évolution en profondeur de notre justice se fera en replaçant nos concitoyens – en particulier les victimes – au centre des préoccupations, en recentrant les professionnels sur leur cœur de métier, en simplifiant si possible les parcours d’accès à la justice, en clarifiant les responsabilités de ses acteurs, en apportant des réponses plus efficientes, tout en garantissant les libertés individuelles, dont les droits de la défense sont et restent le socle. C’est l’ambition de ce projet de loi. Nul doute qu’elle sera atteinte.

M. Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a souhaité se saisir de ce projet de loi, dont plusieurs articles concernent directement ou indirectement les droits des femmes et l’égalité entre les femmes et les hommes.

Avant de vous présenter les grandes lignes de mon rapport et mes principales recommandations, je rappellerai que, derrière les procédures juridiques que nous nous apprêtons à réformer, se trouvent des situations bien réelles ; nos décisions auront donc des conséquences importantes sur la vie de nos concitoyennes et concitoyens.

Ce texte propose une réforme ambitieuse : je tiens à saluer cette volonté de modernisation de notre système judiciaire. Toutefois – c’est ce à quoi je me suis attaché dans mon rapport –, nous devons rester très vigilants quant aux conséquences des évolutions envisagées, notamment dans le domaine des affaires familiales et dans les cas de violences faites aux femmes.

J’ai choisi d’organiser mon rapport autour de quatre sujets principaux : la réforme de la procédure contentieuse de divorce, l’expérimentation d’une déjudiciarisation des modulations de la contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants, le développement du recours à la médiation et le traitement judiciaire des violences faites aux femmes.

L’article 12 du projet de loi porte réforme du divorce contentieux. Je suis extrêmement favorable à cette réforme mais elle a été jusqu’à présent assez mal comprise car beaucoup ont cru qu’il s’agissait de supprimer toute la phase de conciliation, y compris l’audience permettant de prononcer, si nécessaire, des mesures provisoires. Or il n’est évidemment pas question de supprimer cette audience : elle sera même renforcée et mieux organisée. La réforme permettra de raccourcir les délais qui sont souvent très mal vécus par les couples qui souhaitent divorcer. Je propose toutefois plusieurs recommandations pour améliorer cette nouvelle procédure, notamment en inscrivant clairement dans la loi la possibilité de cette audience introductive de fixation des mesures provisoires. En outre, la réforme doit mieux prendre en compte les femmes victimes de violences.

L’article 6 du projet de loi poursuit une réforme engagée depuis l’été et confie aux caisses d’allocations familiales une partie de la gestion des montants des contributions à l’entretien et à l’éducation des enfants. S’il est tout à fait opportun de simplifier la vie des familles par une telle procédure, déjudiciarisée, j’appelle néanmoins votre attention sur les difficultés que posent les cas où les parents ne sont pas d’accord sur le montant de cette contribution : ils peuvent être très conflictuels… Il serait bien plus protecteur de laisser ces cas du ressort du juge aux affaires familiales.

Plusieurs articles du projet de loi visent ensuite à développer le recours à la médiation. Elle présente effectivement de nombreux avantages ; cette logique de règlement à l’amiable est tout à fait pertinente. Néanmoins, il faut mieux encadrer le métier de médiateur et exclure impérativement le recours à la médiation en cas de violences, notamment s’agissant des affaires familiales lorsqu’elles concernent les couples. Il est de notre devoir de le rappeler clairement dans le texte de loi.

Pour finir, je voudrais mettre l’accent sur la procédure pénale et, plus particulièrement, sur l’expérimentation de tribunaux criminels départementaux et la consécration de la possibilité de porter plainte en ligne, ce dernier élément ayant déjà été évoqué par la Délégation dans plusieurs de ses rapports. Il s’agit de deux évolutions fondamentales pour mieux lutter contre les violences sexistes et sexuelles, qui touchent encore massivement les femmes dans notre pays et qui ont des conséquences insupportables et extrêmement destructrices pour les victimes.

En conclusion, ce projet de loi avance dans la bonne direction et je me réjouis que de nombreuses mesures permettent d’améliorer concrètement la situation, même si certaines méritent d’être complétées, afin de mieux prendre en compte les droits des femmes et l’égalité entre les femmes et les hommes.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je remercie Mme Laetitia Avia et Didier Paris pour leur travail critique. Madame et monsieur les rapporteurs, je vous remercie également d’avoir souligné le pragmatisme du projet de loi et rappelé les garanties qui l’accompagnent.

Monsieur Gouffier-Cha, en matière de divorce contentieux, vous estimez que la réforme de l’audience de mesures provisoires a été mal comprise. Je le redis clairement : en cas de divorce contentieux, l’audience relative aux mesures provisoires sera explicitement mentionnée. De même, un délai maximal entre l’assignation et l’audience introductive de fixation des mesures provisoires sera prévu.

Vous l’avez bien compris, la déjudiciarisation de la modification de ces contributions n’interdiront pas les recours devant le juge.

Enfin, vous soulignez la nécessité de mieux encadrer le métier de médiateur. Nous travaillons actuellement sur ce dossier. Je rappelle qu’en l’état actuel du droit, la médiation est exclue en cas de violence. Il n’est donc peut-être pas nécessaire de le mentionner dans le projet de loi.

M. Jean Terlier. Repenser la justice et son organisation, voilà l’ambitieux projet dont nous débattons aujourd’hui. Certains y verront un risque de privatisation de la justice civile, notamment par la réduction des procédures judiciaires et du recours aux audiences. Nous préférons saluer les fondements d’un trait d’union indispensable entre liberté et sécurité.

La justice est le socle du contrat social ; rendre justice, c’est d’abord tenter de concilier, ensuite de compromettre et enfin – à défaut – de trancher. Mais encore faut-il se doter des moyens de cet objectif et s’assurer que tous nos concitoyens peuvent être des justiciables, où qu’ils soient sur le territoire national, quelles que soient leurs capacités et leurs prétentions. En tant que citoyens, ils doivent être en mesure d’ester en justice.

Les objectifs de ce projet de loi sont prometteurs et s’inscrivent dans une progression substantielle du budget de la justice. Sur le terrain de l’organisation territoriale, il faut saluer l’absence de fermetures de tribunaux d’instance et de tribunaux de grande instance, dont les contentieux fusionneront opportunément.

Sur le terrain de la procédure civile ensuite, ce texte élargit le champ des capacités des majeurs incapables aux actes de la vie, du mariage et du divorce, supprime des formalités inutiles ou dématérialise les litiges du quotidien.

Ce projet de loi ambitionne également de répondre à un constat connu et partagé de tous : la justice fonctionne de moins en moins bien. Demain, la médiation, la conciliation ou une procédure participative deviendront le premier acte judiciaire. Il ne s’agit pas de privatiser, mais de proposer une alternative consensuelle de règlement des litiges, de privilégier des modalités apaisées et plus rapides de règlement des différends, qui permettront à celles et ceux qui hésitent à saisir la justice en raison de procédures complexes, chronophages et onéreuses, de trouver une solution à leur litige. Ce projet de loi participe donc à rendre la justice plus accessible.

Il clarifie également les procédures en fonction de la nature du contentieux : une procédure orale, sans représentation obligatoire, pour les contentieux les plus simples et une procédure écrite, avec représentation obligatoire, pour les autres contentieux. Cela facilitera l’accès des justiciables au juge et restaurera une justice de proximité pour des litiges de la vie quotidienne, qui touchent les plus fragiles. Une justice pour tous et sur tout le territoire national, tel est l’objectif essentiel de ce projet de loi.

M. Stéphane Mazars. Nos concitoyens attendent avec impatience cette réforme de la justice. Reconnaissons-le, ils la jugent très sévèrement, la souhaitent plus compréhensible, plus accessible, plus rapide, plus proche d’eux.

Réformer la justice en profondeur, c’est l’ambition du Président de la République. Il vous en a confié la difficile mission, madame la garde des Sceaux. Je tiens à saluer votre méthode : avant le dépôt de ce projet de loi, les chantiers de la justice ont permis de partager les constats, d’enrichir les réflexions et de formuler des propositions. Les nombreuses heures de concertation que vous avez engagées avec les acteurs de la justice et les très nombreux déplacements que vous avez effectués sur le terrain, auprès de ceux qui la font au quotidien, ont abouti au présent projet de loi.

Réformer la justice, c’est une ambition qui a un coût, inscrit dans le projet de loi de programmation. Je me félicite de l’augmentation significative du budget alloué à la justice – nous avons déjà pu le constater en 2018 – mais aussi de la lisibilité et des garanties données au monde judiciaire jusqu’en 2022, et même au-delà s’agissant des infrastructures pénitentiaires.

Le volet pénal de votre projet de loi peut se résumer en trois mots : efficacité, accessibilité et sécurité. Une efficacité tout d’abord accrue pour les services d’enquête, puisque vous déchargez les officiers de police judiciaire de tâches chronophages, superflues ou pouvant être déléguées et que vous alignez différentes règles de procédures en matière d’investigation.

Une meilleure accessibilité ensuite, afin de faciliter les procédures pour les plus fragiles de nos concitoyens – les victimes – avec la plainte en ligne. Rappelons que cette plainte ne se substituera jamais au contact direct avec les OPJ ou les juges pour les faits les plus graves. Accessibilité également grâce à la création du tribunal criminel départemental, qui permettra d’obtenir des réponses plus rapides lors de faits graves et sensibles et d’éviter la pratique de la correctionnalisation, qui constitue parfois un véritable déni de justice.

La sécurité, enfin, que vous voulez garantir à la société en redonnant du sens à la peine, véritable gage de lutte et de prévention contre la récidive et première étape du travail difficile de réinsertion. Votre projet et les moyens financiers que nous allons voter pour la construction de nouvelles places de prison plus adaptées au profil des condamnés sont une réponse pragmatique et efficace adressée à ceux qui ne voudraient plus avoir à considérer les auteurs d’infractions, à ceux qui estiment qu’ils représentent la part maudite de la Nation, alors qu’ils sont membres à part entière de celle-ci, comme l’a rappelé le chef de l’État à Agen il y a quelques mois.

M. Jean-Louis Masson. Madame la ministre, il y a un an, vous nous avez annoncé votre volonté de réformer et de moderniser la justice de notre pays. Après la phase de concertation des chantiers de la justice, la chancellerie a élaboré sous votre autorité les textes que vous nous présentez aujourd’hui.

Je ferai quelques observations. Le budget de la justice va progresser de 1,6 milliard d’euros d’ici à 2022, passant de 6,7 à 8,3 milliards d’euros. Ces moyens supplémentaires, inscrits dans le projet de loi de programmation de la justice, permettront notamment la création de 6 500 emplois, la construction de 7 000 nouvelles places de prison et de vingt centres éducatifs fermés. Nous en prenons acte. Mais, les sénateurs vous l’ont dit, nous considérons que cet effort n’est pas à la hauteur des enjeux. Nous y reviendrons lors de l’examen de l’article 1er du projet de loi ordinaire.

Concernant les réformes et l’organisation de la justice, le projet de loi prévoit la fusion administrative des tribunaux d’instance et de grande instance. Vous n’avez cessé de répéter que cette fusion n’entraînerait pas la fermeture de tribunaux. Mais alors, pourquoi une telle réforme ? Nous avons deux craintes : celle de voir les petits contentieux passer à la trappe, noyés au sein des nouveaux tribunaux, et celle que cette fusion ne soit qu’une étape avant la suppression de tout ou partie des trois cents tribunaux de proximité…

Le parquet national antiterroriste ne figure pas dans les projets de loi. Cependant vous avez annoncé que vous alliez corriger ce que nous considérions comme un manque.

S’agissant de la médiation préalable, notre groupe s’étonne d’une forme de privatisation de la justice. En effet, des sociétés privées interviendront au stade de la médiation. Nous ne sommes pas sûrs que les justiciables les plus fragiles soient équitablement défendus dans ces conditions : de toute évidence, les sociétés privées ne sont pas la justice…

L’article 4 du projet de loi ordinaire étend le périmètre des contentieux pour lesquels la représentation par un avocat est obligatoire : contentieux techniques, baux ruraux, contentieux d’expropriation, contentieux douaniers. Cette obligation n’est-elle pas d’ores et déjà une mauvaise conséquence de la fusion des tribunaux d’instance et des tribunaux de grande instance ?

S’agissant des divorces, l’article 2 du projet de loi prévoit la suppression de l’audience de conciliation dans le cadre de la procédure de divorce contentieux. Ne pensez-vous pas que cela risque de favoriser une logique d’affrontement entre les parties et entraînera en conséquence une augmentation du nombre de procédures pour faute ?

L’article 3 du projet de loi prévoit la numérisation complète de la procédure, de la plainte jusqu’au jugement. La saisine se fera en ligne ; ce sera la fin de l’accès du justiciable à son juge. Comment une décision de justice rendue numériquement, et donc déshumanisée, peut-elle être parfaitement équitable ? Dans le cas particulier des crimes et délits commis contre les personnes, comment peut-on envisager le dépôt d’une plainte sans audition immédiate des auteurs présumés et des témoins ?

Nous sommes plutôt favorables à toutes les dispositions allégeant le travail des enquêteurs. Nous nous interrogeons néanmoins sur l’intervention du juge des libertés et de la détention, à qui l’on confie toujours plus de responsabilités, sans lui affecter les moyens nécessaires pour réaliser sa mission. Bien souvent, par manque de temps, ce juge valide les réquisitions du parquet, ou les plagie, sans même développer sa propre motivation…

L’article 42 du projet de loi prévoit l’expérimentation de tribunaux criminels composés de cinq magistrats professionnels dans certains départements, compétents pour juger des crimes passibles de quinze à vingt ans de réclusion. C’est un camouflet à l’égard d’un des plus beaux acquis de la Révolution française ! En réalité, quelles sont vos motivations ? Vous voulez faire des économies et gérer plus rapidement ces dossiers. En cours d’assises, les jurés ne connaissent pas le dossier : l’audience est donc essentielle et on ne se contente pas des éléments de l’instruction. C’est vrai, cela prend du temps, mais ce temps est nécessaire !

Vous plaidez pour des peines plus adaptées et mieux exécutées. Dans le cadre des alternatives aux poursuites, l’article 43 du projet de loi permet d’interdire à des délinquants de fréquenter certains lieux pendant un délai pouvant aller jusqu’à six mois. Il permet aussi d’appliquer des amendes forfaitaires au délit de vente d’alcool à des mineurs et d’usage de stupéfiants. Le texte récrit l’échelle des peines, pour éviter les courtes peines d’emprisonnement : si la sanction est inférieure à un mois, ces dernières sont interdites. Entre un et six mois, la peine est en principe exécutée sous bracelet électronique, dans un centre de semi-liberté ou de placement extérieur.

Jusqu’alors, un condamné pouvait bénéficier d’un aménagement de peine et éviter l’incarcération lorsqu’il écopait d’une peine inférieure ou égale à deux ans de prison ferme. Désormais, seules les peines inférieures ou égales à un an permettront d’obtenir cet aménagement. Le travail d’intérêt général sera développé : il pourra être exécuté dans le cadre d’aménagements de peine ou comme obligation d’un sursis probatoire. La libération sous contrainte aux deux-tiers de la peine sera systématisée pour les détenus condamnés à une peine inférieure ou égale à cinq ans de prison, afin d’éviter les sorties sèches.

Nous souhaitons formuler quelques remarques. Le périmètre d’application de l’amende forfaitaire pourrait être étendu à d’autres délits.

Il appartient à la juridiction de jugement de décider ou non de l’aménagement de peine : elle doit pouvoir librement choisir entre l’exécution immédiate de la peine prononcée, l’aménagement, le mandat d’arrêt différé ou un renvoi devant le juge de l’application des peines afin de préciser les modalités d’un éventuel aménagement. En outre, la détention à domicile sous surveillance électronique doit être écartée, en raison des risques de confusion avec le placement sous surveillance électronique. Enfin, l’automaticité de la libération sous contrainte aux deux-tiers de la peine est inopportune.

L’indépendance des juges n’est pas abordée par le projet de loi organique. Nous le regrettons : il faut rétablir le lien de confiance entre les Français et leur justice. Ce principe est souvent examiné sous le prisme de l’indépendance vis-à-vis de l’exécutif mais, pour garantir l’indépendance des magistrats, ne croyez-vous pas, madame la ministre, qu’il faudrait que les règles de non-éligibilité soient plus strictes, y compris lorsque les magistrats ont quitté leur corps – pendant cinq ans par exemple ? Il en est de même pour la non-appartenance à un parti politique, à un syndicat, voire à des associations philosophiques ou religieuses.

M. Erwan Balanant. Notre justice fait face depuis trop longtemps à de sérieuses difficultés : juridictions sous-dotées et encombrées, vacances de poste, délais de traitement excessifs, surpopulation carcérale, personnel pénitentiaire sursollicité… la liste est encore longue.

Les raisons de ces difficultés sont en grande partie d’ordre budgétaire. Depuis des décennies, les crédits de la mission « Justice » sont insuffisants, et il faut bien admettre que la comparaison avec nos voisins européens n’est, sur ce plan, pas glorieuse, en particulier pour ce qui concerne les crédits alloués aux juridictions.

 Néanmoins, nous observons que des efforts ont été engagés depuis quelques années, et la majorité actuelle s’inscrit pleinement dans cette dynamique. Le projet de loi que nous allons examiner fixe noir sur blanc, dans sa partie programmation, l’augmentation des moyens de la justice, de manière continue sur toute la période du quinquennat, trajectoire qui permettra, je l’espère, de faire les choix pertinents.

Les efforts budgétaires sont donc là. Certains les trouveront sans doute encore insuffisants – et ils n’auront peut-être pas complètement tort, eu égard à la situation dont nous héritons –, mais le budget global est contraint. Nous nous sommes en effet engagés à maîtriser les dépenses publiques et c’est un cap qu’il nous faut tenir.

Cependant, la justice n’a pas uniquement besoin de crédits supplémentaires. D’où l’intérêt de la seconde partie de ce projet de loi, qui propose une véritable réforme : en effet, en permettant aux juges de recentrer leur office, en simplifiant les procédures, en améliorant la dématérialisation, nous donnerons à tous les acteurs de la chaîne judiciaire les moyens d’optimiser leur travail. Cela bénéficiera aux justiciables, qui seront mieux informés et pourront constater une accélération du temps de traitement de leurs dossiers.

Le texte que nous allons examiner a été assez largement modifié en première lecture par le Sénat, qui nous propose des apports intéressants – je pense en particulier aux précisions concernant les plateformes en ligne ou à la suppression de la vidéo-audience. Nous avons néanmoins des points de désaccord profonds avec la version adoptée par le Sénat, souvent trop frileux concernant la déjudiciarisation de certains actes et, plus globalement, sur la problématique pénale.

Sachez donc, madame la ministre, que, si le groupe Modem était très largement en accord avec la version initiale du projet de loi, nous restons vigilants sur plusieurs points : ainsi, nous sommes, par principe, opposés au développement de la vidéo-audience, nous souhaitons veiller à la place de la victime dans le procès pénal, nous nous interrogeons sur les nouvelles missions confiées aux caisses d’allocations familiales ou encore sur l’extension de la procédure d’amende forfaitaire délictuelle. Nous espérons que l’examen en commission permettra d’éclaircir la plupart de ces questions.

Enfin, nous tenions à souligner que le Sénat avait soulevé des questions importantes mais qui, à nos yeux, n’ont pas vocation à être traitées dans ce texte, déjà fort dense. C’est le cas notamment des articles concernant la justice commerciale et l’aide juridictionnelle. Pouvez-nous nous indiquer si ces questions seront traitées dans les textes à venir et, si oui, dans quels délais ?

M. Michel Zumkeller. Notre justice manque de moyens et souffre d’une trop grande complexité. Nous partageons donc votre objectif, madame la ministre, d’en faire une priorité du quinquennat, de la rendre plus juste et plus efficace.

Nous soutenons bien évidemment les hausses budgétaires prévues dès 2019. Pour autant le problème dépasse largement la question budgétaire. Tous les praticiens de la justice s’accordent à dire que le problème essentiel réside dans la complexité de la matière, largement liée à l’empilement successif de textes, souvent adoptés en réaction à des faits divers, qui a rendu de plus en plus compliquée l’application de la loi. Le législateur doit donc veiller à assurer la stabilité du droit, de manière notamment à ce que les victimes, que l’on ne doit jamais oublier, ne soient plus confrontées à des décisions incompréhensibles.

Je m’arrêterai plus particulièrement sur deux sujets, et d’abord sur l’exécution des peines, question sur laquelle j’avais eu l’occasion de travailler il y a une dizaine d’années. Nos services de police et de gendarmerie font leur travail, tout comme la justice fait le sien. Cependant, dans de nombreux cas, l’exécution de la peine ne suit pas, ce qui fait que les personnes condamnées n’ont souvent pas conscience de la gravité des faits qui leur sont imputables et ne comprennent pas qu’il s’agit d’un délit. De leur côté, les victimes n’obtiennent pas la réparation à laquelle elles ont droit. Cela explique en grande partie, selon moi, le décalage entre la réalité judiciaire dans notre pays et la perception qu’en ont nos concitoyens. Nous avons besoin d’une justice qui soit comprise, d’une justice qui respecte le justiciable, tout en soutenant les victimes.

Le second sujet est celui du suivi psychiatrique, absent de votre projet de loi. Il y a dix ans, au sein de cette commission, j’ai fait un rapport sur le suivi psychiatrique des mineurs. La situation était déjà alarmante à l’époque, elle l’est encore davantage aujourd’hui. Cela rejoint la problématique de l’exécution des peines, car certains actes délictueux n’appellent pas de sanction mais un suivi psychiatrique, qui n’est pas toujours effectué. Nous aurions donc intérêt à nous pencher sur ce sujet, en lien avec le ministère de la santé, pour proposer des solutions alternatives à l’enfermement.

N’oublions pas quoi qu’il en soit que c’est en pensant aux victimes que nous devons travailler sur ce texte accueilli avec bienveillance par notre groupe qui s’efforcera de l’enrichir, pour que notre justice se modernise et se simplifie.

Mme Cécile Untermaier. Ce projet de loi est très controversé. Il suscite de sérieuses inquiétudes, exprimées sans relâche par les professionnels du droit, magistrats et avocats, mais aussi associations et acteurs du monde pénitentiaire.

Je salue pour ma part la programmation budgétaire, jugée insuffisante par certains, mais qui offre une visibilité financière dont nous avions besoin.

En ce qui concerne la méthode, l’organisation en amont des chantiers de justice est à saluer, comme l’avait été la conférence de consensus mise en place par Mme Christiane Taubira. Il en est de même de la volonté d’apporter une réponse globale à une institution en souffrance, en traitant du budget mais pas seulement.

Le volet réglementaire est fondamental, veillons à ce que, dans les débats, nous puissions préciser les modalités de consultation des acteurs de justice en amont de ces textes, comme en amont des ordonnances.

Sur le fond, je tiens d’abord à rappeler que la simplification ne peut se faire au détriment de l’intérêt des usagers du service public de la justice. En tant que députés, nous devons veiller au maintien de l’accès aux juges et de l’accès au droit.

La dématérialisation peut, à terme, devenir un outil de proximité, en facilitant l’accès au droit et aux juges et à une décision attendue dans de courts délais. Mais nous devons impérativement prévoir des phases de transition et accompagner les plus vulnérables et ceux qui ne croient plus en la justice. La dématérialisation ne doit pas faire disparaître les interlocuteurs dont ont besoin les plus fragiles d’entre nous : nous devons tirer les enseignements de la dématérialisation ratée des permis de conduire et des cartes grises, et faire en sorte que les difficultés de compréhension pratique, les difficultés techniques ou économiques ne soient plus un obstacle entre le citoyen et la justice. Prévoyons pour cela, avec les services d’accueil unique du justiciable, un accompagnement humain compétent. D’autant que les crédits réservés à la numérisation – 500 millions d’euros sur cinq ans – sont à mon sens insuffisants, si l’on tient compte en particulier de ce qu’exigent la maintenance au quotidien, la formation mais aussi l’évolution permanente de la technologie.

En ce qui concerne la médiation, soyons attentifs au développement des plateformes : le droit marchand s’installe et fera payer aux justiciables plus que ne le fait le service public de la justice. Nous courons le risque d’une justice à deux vitesses : coûteuse et rapide pour les uns, lente et soumise à l’aide juridictionnelle pour les autres. D’une manière générale, nous devons être vigilants à ne pas mettre la justice hors les murs du tribunal, en installant un système de médiation qui retarderait l’accès au juge et découragerait les plaignants d’introduire un recours.

En matière de procédure civile, la question de l’aide juridictionnelle est centrale. Or son augmentation ne résulte actuellement que de la seule majoration légitime des unités de valeur des avocats, décidée en 2007. Son financement n’est pas assuré, il devra l’être.

En matière de procédure pénale, l’équilibre entre l’accusation et les libertés individuelles n’est pas au rendez-vous. L’autorité judiciaire doit exercer un contrôle qui ne peut être aussi réduit qu’il l’est dans le projet de loi. Le caractère intrusif des techniques spéciales d’enquête – écoutes téléphoniques, perquisitions – fait obstacle à leur banalisation, et nous sommes opposés à leur généralisation pour des infractions encourant une peine de prison de trois ans, même si nous devons trouver une solution pour l’enlèvement d’un enfant par l’un de ses parents.

En ce qui concerne les peines, nous regrettons un moratoire – que vous n’êtes pas la première à mettre en œuvre, j’en conviens – qui reporte à treize ans l’objectif de l’encellulement individuel.

Ce texte s’inscrit dans la suite de ceux que nous avons votés sous le précédent quinquennat en ce qu’il fixe comme objectif l’efficacité et le sens de la peine, avec la volonté de sortir de cet affichage du « tout enfermement ». Mais des mesures contredisent cette volonté de limiter l’incarcération. En premier lieu, fixer le quantum de la peine permettant de bénéficier d’aménagements ab initio à un an au lieu de deux aura pour conséquence de rendre systématique l’exécution en établissement pénitentiaire des peines supérieures à un an, ce qui va à l’encontre de votre volonté salutaire de lutter contre la surpopulation carcérale.

En second lieu, ne pas vouloir faire de la peine de probation une peine à part entière est une occasion manquée d’amplifier l’objectif que vous vous êtes fixé de ne pas faire de l’emprisonnement la référence.

Très préoccupant, enfin, est, à notre sens, le hiatus entre la politique pénale telle qu’elle est envisagée et le manque de personnel, qu’il s’agisse des greffiers ou des conseillers d’insertion et de probation : majorer leur nombre comme vous le faites ne suffira pas à faire des solutions alternatives à l’emprisonnement une réponse de qualité et sécurisée.

 Nous le voyons actuellement avec le cri d’alerte lancé par les juges des enfants du tribunal de Bobigny, qui ne parlent pas pour eux mais dénoncent précisément les mesures éducatives qu’ils ne peuvent pas mettre en place. Je crains fort que la loi que nous allons examiner conforte les magistrats dans leur opinion.

M. Ugo Bernalicis. Madame la ministre, vos propos, hier matin sur France Inter ou ici même, me font craindre que vous ne tombiez dans l’angélisme, dont je vous rappelle la définition : « Attitude spirituelle ou intellectuelle consistant dans le souci excessif de se conformer à un type idéal ignorant ou refusant d’admettre certaines réalités humaines ».

S’il me semble que vous êtes la plus angélique des ministres que nous avons eus, c’est notamment à cause de votre position sur le sens de la peine. De nombreuses études ont prouvé qu’être incarcéré était un facteur de récidive majeur : il y a environ 70 % de récidive pour ceux qui passent par la case prison. Votre angélisme en l’occurrence consiste à ne pas tenir compte de cette réalité humaine et à construire des places de prisons, quand une attitude rationnelle et raisonnable voudrait que l’on revoie le code pénal pour réduire le nombre de peines de prison prononcées.

L’idée de Mme Taubira de faire de la contrainte pénale une peine de probation autonome n’était pas une si mauvaise idée, mais vous la rejetez au motif qu’elle n’est pas suffisamment prononcée ! Pourtant, le taux de récidive chez ceux qui bénéficient de cette mesure est extrêmement faible. Mieux vaudrait donc élargir le champ d’application de cette mesure plutôt que de la remplacer par un sursis avec mise à l’épreuve, certes amélioré mais qui n’écarte pas l’emprisonnement.

J’ai donc le sentiment d’être dans un univers orwellien, où les mots ne veulent plus rien dire : il faut que ceux qui doivent être en prison soient en prison, avez-vous dit tout à l’heure, et que ceux qui n’ont rien à y faire soient dehors. C’est une bien belle phrase… Pour ce qui me concerne, je suis pour le bien et contre le mal, et je trouve que la douleur, ça fait mal !

Je reviens sur les quatre directions qui orientent votre projet de loi.

Vous parlez d’abord d’une justice mieux financée : je me permets d’en douter, sachant que plus de la moitié des efforts consentis sera consacrée à construire des places de prison.

Une justice moins complexe ensuite. C’est vous qui le dites, ce qui ne vous empêche pas de privilégier la transformation numérique, en dépit de l’expérience ratée de l’Agence nationale des titres sécurisés et des mises en gardes du Défenseur des droits sur l’accès au numérique. Tout laisse penser que nous nous orientons vers une justice à deux vitesses.

En troisième lieu, une justice de proximité : il y a dans cette revendication quelque chose de diabolique de votre part puisque, si vous maintenez certains lieux de justice, vous ne prenez pas la responsabilité de revoir la carte judiciaire mais vous vous défaussez sur d’autres de cette responsabilité. Compte tenu de la très faible hausse de leurs moyens, les tribunaux que vous poussez à fusionner vont être contraints de se spécialiser dans tel ou tel type de contentieux, ce qui fait qu’il y aura peut-être un tribunal près de chez vous, mais qu’il vous faudra quand même traverser tout le département pour avoir accès au bon juge.

Quant à une justice plus rapide, certes on divorcera plus rapidement – et la déjudiciarisation est parfois une bonne chose – mais, dans de nombreux domaines, la mise en œuvre d’une procédure de règlement va contraindre les gens à payer, là où ils disposaient d’un service certes lent mais gratuit. Vous me rétorquerez que certains conciliateurs seront gratuits mais, comme ils ne seront pas assez nombreux, il s’agira, là encore, d’une voie longue. Finalement, dans le monde de Jupiter, mieux vaudra avoir quelques moyens financiers pour accéder à la justice !

Pour rendre la justice plus rapide vous entendez également donner plus de pouvoir à des magistrats qui ne sont pas là pour rendre la justice. En effet, si l’on se réfère à la définition du magistrat, on apprend qu’il s’agit d’une « personne ayant pour fonction de rendre la justice ou de la requérir au nom de l’État » : dans le premier cas, il s’agit d’un juge, dans le second d’un procureur. Or le procureur, nommé par l’exécutif, ce n’est pas la justice ; la justice, c’est le juge, même si cela semble vous étonner, madame la ministre, bien que vous utilisiez à dessein le terme de magistrat, pour entretenir un flou qui vous arrange.

En ce qui concerne enfin l’aide juridictionnelle, vous faites encore une fois les choses à l’envers. Vous devriez d’abord revoir l’aide juridictionnelle, puis élargir la représentation obligatoire, mais vous faites le contraire. Aujourd’hui, un smicard voit ses frais de justice pris en charge à hauteur de 55 % seulement, ce qui, dans un pays comme la France, n’est pas normal, car ces frais devraient être pris en charge dans leur totalité. J’ignore comment vous l’assumez, moi, je ne peux pas.

M. Stéphane Peu. Député de la Seine-Saint-Denis, je ne peux pas laisser démarrer ce débat sur un projet de loi portant réforme de la justice sans faire état du SOS lancé par l’ensemble des juges pour enfants du tribunal de Bobigny.

Madame la ministre, je me dois de vous dire que le monde judiciaire de la Seine‑Saint-Denis, comme celui de la protection de l’enfance, les élus, et les militants associatifs de ce département ont été scandalisés par votre réaction, hier matin sur France Inter. Des juges pour enfants vous alertent sur le fait que la justice des mineurs est en train de couler en Seine‑Saint-Denis, et vous leur répondez de regarder ailleurs, en leur indiquant que le budget alloué à la protection de l’enfance dans ce département est déjà le plus gros budget départemental de France.

Vous ne répondez pas à cet énième appel au secours de la Seine-Saint-Denis, après la procureure de Bobigny, après la grève des magistrats – une première en France –, après le rapport de la Cour des comptes et une mission parlementaire, et vous ne voulez pas expliquer pourquoi, dans ce département, la justice n’est pas la même que sur le reste du territoire national. Je sais que votre Gouvernement ne porte pas l’entière responsabilité de cette situation mais vous ne faites rien pour inverser la tendance. Je constate donc que nous sommes dans une République qui considère que les pauvres gens de la Seine-Saint-Denis, ce grand département populaire, n’ont droit qu’à une pauvre justice, ce qui est tout le contraire de la promesse républicaine.

Ni votre projet de loi, ni le budget qui l’accompagne ne permettent d’envisager une amélioration de la situation, mais cela ne peut plus durer : il nous faudra d’autres réponses que des digressions ou des phrases sans effet.

M. Sébastien Jumel. « À l’heure où nous sommes, les susceptibilités locales et les convenances particulières doivent s’incliner devant l’intérêt général [...]. S’il importe que la justice soit proche, il importe surtout qu’elle soit bien rendue, elle ne peut l’être que par des compagnies judiciaires fortement constituées [...] siégeant dans des centres où les affaires ne sont pas rares et où les magistrats sont sérieusement occupés » : ainsi s’exprimait Poincaré en 1926.

« Chacun comprend que l’on ne peut pas continuer à saupoudrer nos moyens sur 1 200 juridictions dispersées sur 800 sites. […] Lorsqu’on est victime d’une agression […] on attend une réponse rapide, claire, lisible. […] Ce n’est pas la proximité physique du tribunal qui importe. La proximité, c’est la satisfaction rapide du besoin de justice » : ces propos sont de Mme Rachida Dati, le 15 novembre 2007.

Entre 1790 et aujourd’hui, nous sommes passés de 547 tribunaux de proximité à 158 : c’est vous dire dans quel sens ont été les réformes successives de la justice. Chaque fois, on nous ressert la même musique : plus d’efficacité, plus de réactivité, plus d’humanité, tout ça pour nous faire avaler la pilule de la révision générale des politiques publiques qui, au bout du compte, affaiblit nos territoires.

Je crois à la symbolique et à la force de la présence des fonctions régaliennes de l’État à proximité de tous nos concitoyens : c’est l’affirmation de la présence de la République partout et pour tous. C’est la raison pour laquelle nous considérons que votre réforme de la justice risque de creuser la fracture territoriale.

En supprimant les tribunaux d’instance, qui, quand les moyens sont au rendez-vous, sont proches du justiciable, plutôt faciles à saisir, relativement peu coûteux et capables de travailler dans des délais, quoi qu’on en dise, plutôt satisfaisants, vous creusez la fracture territoriale.

En promouvant par idéologie et de manière quasi béate le numérique comme la solution à tous les maux, alors que l’on connaît les difficultés d’accès au numérique des plus exclus, sans parler des zones blanches qui subsistent encore, vous creusez la fracture territoriale.

En regroupant le traitement des contentieux dits spécialisés, sans logique apparente dans leur répartition, vous creusez encore et toujours la fracture territoriale.

Enfin, vous creusez la fracture sociale par la mise en place de toute une série de dispositifs modifiant la procédure civile. La déjudiciarisation du divorce ou du règlement des pensions alimentaires sont une boîte de Pandore, dont risque de surgir une justice à plusieurs vitesses.

M. Paul Molac. Cette augmentation du budget me semble la bienvenue. D’autant qu’avec les articles 45 et suivants, elle est liée à une réforme de la procédure pénale qui nous permettra de moins enfermer et d’être plus efficaces. Sur ce point, madame la ministre, je partage tout à fait votre vision humaniste, sans angélisme.

S’agissant des mesures de simplification, certaines choses vont dans le bon sens, en particulier sur les aspects matrimoniaux, les divorces par consentement mutuel, mais j’ai plus de réserves sur la question du numérique. Louvois, Osiris ou le dispositif relatif aux cartes grises nous ont en effet échaudés. Il a ainsi fallu trois ans pour récupérer les fonds du programme LEADER ( Liaison entre actions de développement de l’économie rurale) parce que le logiciel Osiris ne fonctionnait pas. J’appelle votre attention sur ce point, car il ne faudrait pas qu’au bout du compte, celui qui souhaite porter plainte n’y arrive pas et abandonne.

Je suis plus réservé sur certains aspects, le juge unique ou le renforcement des perquisitions dans la lutte antiterroriste, par exemple. Dans le cadre de cette législature et de la précédente, nous avons voté en effet plusieurs textes intégrant au droit commun certains aspects de l’état d’urgence. Il me semble que nous sommes parvenus à un équilibre. Benjamin Franklin a expliqué que si nous sacrifions notre liberté pour notre sécurité, nous n’aurions ni l’un ni l’autre. J’en appelle donc à la vigilance.

Quant au fait que le parquet de Paris soit le parquet antiterroriste, je me méfie toujours de ce qui pourrait apparaître comme une cour d’exception ou une cour spéciale. Cela me rappelle les tribunaux permanents des forces armées ou la Cour de sûreté de l’État. Je ne suis pas sûr qu’au bout du compte, la justice y soit meilleure.

J’appelle aussi votre attention sur l’article 4, après avoir été saisi par un certain nombre d’associations – dont la Fédération nationale des accidentés de la vie – qui ne voient pas d’un très bon œil le fait d’imposer la présence d’un avocat devant les juridictions d’appel. Elles comptent en effet un certain nombre de spécialistes, dont des personnes qui ont été en contentieux avec les caisses primaires d’assurance-maladie, et qui sont donc très compétentes.

Enfin, la réforme territoriale doit toujours être envisagée dans le cadre de la politique d’aménagement du territoire – M. Sébastien Jumel y a fait allusion. Dans ce pays centralisateur depuis Napoléon, le centre a toujours tendance en effet à l’emporter. C’est ce qui amène un certain nombre de territoires à se penser oubliés de la République. Soyons attentifs, car cela peut impliquer plus de trajet pour le justiciable ou pas du tout de trajet s’il ne se présente plus du tout, auquel cas nous aurions échoué dans l’exercice d’une des missions de la justice.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Vos observations étant extrêmement denses, je sélectionnerai simplement, si vous m’y autorisez, deux ou trois éléments.

Je remercie tout d’abord MM. Jean Terlier et Stéphane Mazars pour leurs propos liminaires. Nous avons travaillé ensemble. Oui, cette ambition pour la justice a un coût.

Monsieur Masson, vous avez énuméré de nombreux points qui vous posent difficulté. Je n’en retiendrai ici que trois. Vous dites que la fusion des tribunaux d’instance et des tribunaux de grande instance induit la disparition des tribunaux de proximité. Je ne vois pas, si ce n’est par pure posture politique, pour quelle raison vous affirmez cela. Vous n’êtes pas tenu de me croire, monsieur le député, mais nous avons précisément la volonté de garder les tribunaux à proximité. Je considère que dans les litiges du quotidien, chaque Français doit avoir accès à un juge à proximité. Pourquoi ne pas entendre cela ? Pourquoi ne pas le comprendre ? Pourquoi nous faire le procès a priori de vouloir la disparition de ces tribunaux de proximité ? Cela n’a pas de sens, de mon point de vue. Je l’affirme à nouveau devant vous : nous maintenons les tribunaux de proximité, et nous laissons même la possibilité aux chefs de juridiction de conforter les contentieux qui y seront jugés. C’est une mesure de rationalisation, de clarté pour le justiciable, qui permet d’avoir un seul tribunal. Il y aura le tribunal administratif et le tribunal judiciaire. Et lorsque le justiciable ira au tribunal judiciaire, il ira à celui qui est le plus près de chez lui, ou un peu plus loin si cela lui est possible.

S’agissant des juges de la liberté et de la détention, vous avez dit que la réforme ne marcherait pas, qu’ils n’étaient pas assez nombreux. Mais dans les petits tribunaux de grande instance, ces juges – au nombre d’un ou de deux – ne sont parfois pas occupés à temps plein. Dans les tribunaux plus importants, on en compte quatre, cinq, six voire sept – comme à Bobigny. Ils exercent un rôle essentiel. Il est vrai que leurs fonctions s’élargissent, mais ils sont suffisamment nombreux au moment où je vous parle pour les remplir. Ce sont des juges statutaires, spécialisés. Pour faire plaisir à M. Bernalicis, ce sont des magistrats du siège. Ils sont totalement indépendants – comme les procureurs.

Nous avons décidé de ne pas traiter dans ce texte l’indépendance des juges. Je pense notamment à la modification du statut des magistrats du parquet, avec la nomination sur avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature. Nous le ferons dans le cadre de la révision constitutionnelle, puis nous modifierons la loi organique. Il est plus logique de travailler ainsi. Ce n’est donc pas un point que nous omettons : c’est au contraire une volonté que nous affichons.

Monsieur Balanant, merci d’avoir relevé la trajectoire budgétaire favorable qui permet de répondre aux difficultés que rencontre la justice en France. Vous avez évoqué un point de désaccord auquel je suis évidemment très attentive : la suppression de la vidéo-audience. Le mot choisi n’est pas le bon, ce n’est pas de la vidéo-audience, mais de la visioconférence. Il ne s’agit pas en effet de juger une affaire au fond par ce biais. Ce système vise principalement à être utilisé pour la prolongation de la détention provisoire. Je parle bien de prolongation, car la première décision aura lieu en présence physique de la personne. Cet outil est destiné à éviter des extractions judiciaires, qui sont très consommatrices de temps.

Vous m’avez également interrogée sur la justice commerciale et l’aide juridictionnelle : ces deux points ne feront pas partie du texte. S’agissant de l’aide juridictionnelle, nous souhaitons travailler avec les avocats, qui ont mis en place des états généraux prévus pour courir tout au long du premier semestre de l’année 2019. C’est l’un des ateliers communs que nous menons avec eux. Nous voulons conduire un travail au fond afin de pouvoir faire évoluer la situation dans le budget pour 2020.

Quant à la justice commerciale, il me semble que la réforme n’est pas mûre, et je ne souhaite donc pas l’aborder dans le présent texte.

Monsieur Zumkeller, merci d’avoir relevé que l’empilement des textes suppose de prendre un certain nombre de mesures, même si je ne propose pas aujourd’hui de réécrire le code de procédure pénale – ce qui ne serait pas inutile. Vous avez mené un travail sur l’exécution des peines lors de l’avant-dernière législature, sous la présidence de M. Warsmann ; nous y sommes très attentifs.

Vous avez également fait part de la nécessité du suivi psychiatrique des mineurs, et de l’importance de ce sujet car la frontière est parfois fragile avec celle de l’enfermement. Vous avez pleinement raison. Ce dossier, dont je me suis emparée avec Mme Agnès Buzyn dans le cadre de la stratégie nationale de santé, appelle des réponses à différents niveaux, y compris dans le cadre de l’enfermement. Nous devons beaucoup mieux traiter les détenus atteints de problèmes psychiatriques.

Madame Untermaier, je vous remercie pour votre approche, comme toujours constructive, même si vous avez également évoqué de nombreux points de divergence. Vous avez soulevé une inquiétude qui serait partagée par toutes les professions ; j’entends pleinement ce qui est dit tant par certains avocats que par certains magistrats ou certains personnels de justice. Je souhaite les rassurer : nous sommes extrêmement attentifs à l’ensemble des observations qui nous remontent. Nous avons beaucoup travaillé avec les avocats, mais je leur ai toujours dit que je prendrai les propositions qui me paraîtraient pertinentes dans le cadre de l’objectif que je poursuis. Il n’est pas question que les avocats rédigent le projet que je porte. J’assume nos différences, tout en les respectant.

Lorsque je parle de dématérialisation ou de numérisation, je n’oublie pas, moi non plus, l’accompagnement des plus vulnérables. Vous avez mentionné les services d’accueil unique du justiciable : ils sont en effet essentiels pour l’accompagnement de la réforme que je porte. Le directeur des services judiciaires sait très bien que déployer de tels services dans tous les tribunaux, avec la formation des personnels d’accueil est un objectif prioritaire pour moi.

En revanche, je ne suis pas d’accord lorsque vous dites que cela risque de se traduire par une justice à deux vitesses, coûteuse et rapide pour les uns, lente et gratuite pour les autres. Je n’ai pas le temps d’engager ici un débat en profondeur, mais je ne partage pas ce diagnostic. Nous sommes extrêmement attentifs à ce que la justice soit la même pour tous.

De même, je suis très attentive à l’équilibre entre les pouvoirs d’enquête et les libertés individuelles. Nous aurons l’occasion d’y revenir dans la discussion, chaque fois que nous simplifions les pouvoirs d’enquête, nous prévoyons toujours soit une autorisation, soit le contrôle d’un juge, soit les deux. Nous avons pris en compte toutes les observations formulées par le Conseil d’État afin de réintroduire, lorsque cela nous avait échappé, un contrôle judiciaire là où c’était nécessaire. Je pense que nous avons réussi à trouver cet équilibre.

Enfin, je ne reporte pas l’encellulement individuel à treize ans. Certes, nous allons livrer 7 000 places de prison supplémentaires en 2022, et 8 000 un peu après, mais il ne faut pas oublier qu’en même temps, nous sommes en train de modifier la politique des peines. Cette modification devrait précisément conduire à une diminution du nombre de personnes incarcérées.

Monsieur Bernalicis, si Faust m’avait promis l’éternelle jeunesse, sans doute aurais-je pu pactiser avec lui, mais tel n’est pas le cas. Je n’ai pas rencontré Faust, et je ne suis donc pas diabolique – ni angélique. Je partage un certain nombre de vos observations : la prison est en effet désocialisante, notamment pour les courtes peines. C’est bien la raison pour laquelle la politique des peines que je soutiens vise à diminuer le nombre de très courtes peines d’emprisonnement et à proposer d’autres sanctions, autonomes et pas seulement alternatives par rapport à la prison. Dans un certain nombre de cas, nous voulons en effet couper toute référence à l’emprisonnement.

Pour autant, j’ai souhaité revoir la contrainte pénale.
Cette mesure lancée par Mme Christiane Taubira est tout à fait respectable dans son principe. Nous maintenons l’intégralité du dispositif, mais je souhaite développer le recours à cette mesure en l’adossant à un mécanisme qui fonctionne bien, le sursis avec mise à l’épreuve, en créant un sursis probatoire renforcé, qui prend le meilleur des deux peines. La contrainte pénale n’était pas dissociée de la prison, car en cas de rupture, on en revenait forcément à la peine d’emprisonnement. Nous essayons simplement d’améliorer le dispositif.

Monsieur Peu, ne déformez pas mes propos. Hier, en réponse à l’appel des juges des enfants du tribunal de Bobigny, j’ai simplement expliqué que la protection de l’enfance en danger était une politique publique partagée entre les départements et l’État pour la justice – et sans doute aussi pour la santé. Ce propos portait sur la protection de l’enfance en danger, qui est l’aspect le plus mis en exergue dans la tribune des juges des enfants. In fine, dans leur texte – et je ne l’ai pas omis, monsieur le député – il y a des éléments qui me concernent strictement et qui portent sur l’aspect pénal. Je sais lire un texte.

M. Stéphane Peu. Tout vous concerne !

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Bien sûr que tout me concerne, mais vous aussi ! Tout nous concerne, mais il faut être clair. Mes propos ne dénigrent nullement l’activité du département. Je dis simplement que lorsqu’il s’agit de repérer un enfant en danger, c’est le département qui fait l’évaluation. S’il y a un grave danger, il saisit le juge. Et lorsque celui-ci aura pris une décision, c’est le département qui doit la mettre en application. Je connais parfaitement la situation de la Seine-Saint-Denis, monsieur le député, je sais les difficultés humaines, sociales, qui s’y posent. Et j’ai même déclaré hier matin sur les ondes d’une radio que l’État pouvait très bien, avec la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, dialoguer avec les départements qui doivent faire face à des arrivées massives d’enfants dans leur département. C’est le cas de la Seine-Saint-Denis – je pense notamment aux mineurs non accompagnés. Nous devons faire face ensemble à cet enjeu. Mais il faut commencer par nommer les choses pour pouvoir dialoguer et trouver les solutions.

Le ministère de la justice a bien pris en compte les difficultés que traverse le tribunal de Bobigny, et j’y réponds en termes humains : huit magistrats supplémentaires, dix-neuf personnels affectés en plus depuis 2016. En termes immobiliers, j’ai demandé depuis le mois de juin dernier que des études soient lancées : 35 millions d’euros y sont consacrés. Nous verrons s’il faut construire un nouvel établissement ou travailler d’une autre manière. Je prends cela en compte, et je continuerai à le faire. Voilà ce que je tenais à vous dire sur ce point précis, trop sérieux pour que je puisse faire l’économie d’une réponse.

Monsieur Jumel, vous avez fait une très belle citation de Poincaré. Puis-je vous rappeler qu’en 1926, Poincaré a supprimé les tribunaux civils d’arrondissement ? Je ne sais donc pas si c’est une excellente référence, en tout cas ce ne sera pas la mienne.

Monsieur Molac, vous évoquez le nécessaire équilibre entre la liberté et la sécurité : comme je l’ai dit en réponse à vos collègues, soyez certain que je serai extrêmement vigilante sur ce point, et je vous entendrai avec beaucoup d’attention.

Enfin, vous avez déclaré que vous ne souhaitiez pas d’une cour spéciale à propos du parquet antiterroriste. Au-delà du travail exceptionnel qui a été fait par le parquet de Paris, il s’agit pour nous de centrer le parquet antiterroriste sur les questions terroristes, avec une meilleure ramification vers les tribunaux de province, et une accentuation du travail à l’international.

Mme Naïma Moutchou. Je tiens à souligner tout d’abord l’effort budgétaire considérable traduit par ce texte : une augmentation du budget de la justice de 24 % sur cinq ans, soit bien plus que ce qui a été fait lors des deux précédents quinquennats. Pour répondre à notre collègue Ugo Bernalicis, nous aurions pu multiplier par dix, par cent ou par mille le budget de la justice, mais c’eût été de l’angélisme. Gouverner, c’est tenir compte des contraintes en matière de finances publiques. Et en l’état de nos finances, une telle augmentation démontre bien que la justice est un chantier prioritaire. Nous voulons le faire avancer avec vous, madame la ministre, et nous nous en donnons les moyens.

L’absence de l’aide juridictionnelle de ce projet de loi est une bonne chose à mes yeux. Nous ne pouvions pas en effet traiter ce dispositif par petites touches : il faut une refonte globale de l’aide juridictionnelle – pilotage, traitement et financement. Cela ne pouvait pas être fait dans ce texte, compte tenu des très larges concertations nécessaires. C’est pourquoi une mission parlementaire sera lancée sur le sujet. Je vous remercie de nous avoir indiqué que vous étiez dans le même état d’esprit.

Ma question porte sur les pré-plaintes en ligne. Nous donnons la possibilité à des personnes qui ne veulent pas ou ne peuvent pas s’exprimer en allant déposer plainte physiquement dans un commissariat – je pense notamment aux victimes de violences conjugales – de le faire avant d’être convoquées par un officier de police judiciaire. J’imagine donc qu’il y aura demain un afflux de pré-plaintes en ligne. Comment avez-vous anticipé cet afflux du point de vue de la gestion matérielle et des moyens humains ?

M. Arnaud Viala. Je profite de cette prise de parole pour vous remercier de la concertation que vous avez menée sur le terrain, notamment lors de votre venue dans le département de l’Aveyron. Nous avons pu y évoquer différents points, notamment celui, crucial, de la permanence du tribunal de Rodez et de la chambre détachée de Millau. J’y ai été très sensible.

Quatre points me préoccupent concernant les équilibres que vous avez affichés et que vous désirez trouver dans ce projet de loi.

S’agissant premièrement du secteur pénitentiaire, vous avez annoncé la création de 15 000 places de prison et un certain nombre d’aménagements sur l’échelle des peines. Je m’interroge sur la période transitoire. Comment ferons-nous vivre des établissements comme celui de Seysses, où je me suis rendu récemment, qui sont aujourd’hui en situation de surpopulation carcérale ? Cette période va durer dix ans, même avec la nouvelle échelle des peines que vous venez de décrire.

Ma deuxième question porte sur la numérisation. J’ai interrogé un certain nombre de professionnels : une de leurs préoccupations concerne les outils nécessaires depuis l’enquête, réalisée par les gendarmes et les policiers, jusqu’à l’incarcération. J’ai pu constater à Seysses que le volume de papier utilisé est encore très important – et je sais que vous connaissez cet établissement.

En matière de simplification, vous vantez les mérites de la médiation, mais je me demande comment certains de nos concitoyens, les plus fragiles et les plus éloignés de tous ces outils, pourront s’y retrouver si l’on va plus loin dans cette voie.

Enfin, je voudrais vous interroger sur l’article 4 du projet de loi et sur l’idée qu’en appel, a contrario de votre volonté de simplification, les avocats seraient désormais nécessaires dans le contentieux de la sécurité sociale. J’ai été saisi, moi aussi, par la présidente nationale de la Fédération des accidentés de la vie, qui est d’ailleurs toulousaine. La disposition qui nous est proposée suscite beaucoup d’inquiétudes. La plupart des appels ne sont pas interjetés par nos concitoyens, qui ont souvent gagné en première instance grâce au secours des associations d’aide aux victimes, mais par les caisses de sécurité sociale.

M. Fabien Matras. Je tiens d’abord à saluer le travail accompli par le Gouvernement et par nos rapporteurs.

Le premier point que je voudrais aborder est relatif aux majeurs protégés. Les articles 8, 16 et 17 du projet de loi prennent en compte, et ont même anticipé, certaines propositions du rapport interministériel qui a été rendu le 21 septembre dernier sur ce sujet. C’est positif, car nous devons aller vers davantage de professionnalisation, d’éthique et de déontologie dans les fonctions exercées par les tuteurs. Ils font un travail primordial et doivent être accompagnés. Que penseriez-vous de la création d’un ordre des tuteurs, sur la même base que pour les ordres professionnels ?

Pour ce qui est de la réforme de la procédure pénale, je constate avec intérêt le souhait d’intensifier la dynamique engagée en faveur de la numérisation des procédures. J’aimerais savoir si la question de l’interopérabilité avec l’ensemble des services – police, gendarmerie et justice – a bien été prise en considération.

M. Philippe Gosselin. Je voudrais saluer votre méthode – la concertation – et votre diagnostic, que nous partageons. La justice est sinistrée et ce phénomène n’a fait que s’accélérer sous la précédente législature, à tel point que la Conférence nationale des procureurs de la République a parlé d’une justice « clochardisée ». Nous partageons le diagnostic, mais un peu moins certaines de vos propositions.

Comment allez-vous gérer la transition dans le domaine pénitentiaire ? Il n’y a pas assez d’établissements modernisés, ni suffisamment de places pour l’encellulement individuel. On sait très bien que l’objectif de créer 7 000 places pendant cette législature n’est pas atteignable, pour des raisons de procédure, d’urbanisme et de commande publique. C’est donc de la poudre aux yeux ! Et je ne parle même pas des 15 000 places prévues à l’issue d’un éventuel second mandat du Président de la République…

J’ai aussi de vraies interrogations en ce qui concerne l’accès au numérique, dont vous faites un peu l’alpha et l’oméga de la réforme. Je suis pour une justice modernisée, mais vous oubliez les laissés-pour-compte, les territoires non raccordés et la difficulté de parler à une machine, au lieu d’avoir affaire à un être humain. Je pense donc qu’il y a des améliorations à apporter sur ce plan.

Mon troisième sujet de préoccupation est l’accès des plus démunis à notre justice. On est un peu à bout de souffle, et je m’étonne, alors que vous présentez un projet global, que la réforme de l’aide juridictionnelle soit renvoyée à une date ultérieure, et plutôt hypothétique en réalité.

M. Dimitri Houbron. Merci à la garde des Sceaux d’être parmi nous et de répondre aussi précisément à toutes les questions des commissaires aux Lois.

Je voudrais d’abord vous interroger sur la spécialisation des juridictions au sein des cours d’appel : on peut craindre que cela n’annonce des déserts judiciaires car il n’y a pas de définition de la spécialisation. Pourriez-vous nous préciser, en quelques mots, ce qu’il en sera ?

Les détracteurs de la déjudiciarisation de la révision des pensions alimentaires, qui sera confiée au directeur des caisses d’allocations familiales voient dans une telle évolution une amputation du pouvoir des juges. En quoi cette réforme ira-t-elle, au contraire, dans le sens des justiciables et quels sont les bienfaits attendus ? Dans le cadre de l’expérimentation prévue, les critères de sélection des zones sont-ils déjà bien définis ?

Enfin, pourriez-vous confirmer votre volonté de renforcer l’indépendance du parquet, notamment dans le cadre de la réforme constitutionnelle à laquelle nous nous intéresserons de nouveau dans quelques mois ?

Mme Typhanie Degois. Mes questions concernent la réforme de la procédure pénale.

Pour ce qui est du développement des outils technologiques, les chantiers de la justice ont mis en avant des besoins en matière d’uniformisation des logiciels de rédaction de procédure, d’automatisation des registres de garde à vue et, pour les auditions, de mise en place de logiciels de dictée vocale. Alors que nous venons d’adopter une nette augmentation du budget de la justice, quelles sont les dispositions allant dans le sens du développement des outils technologiques pour faciliter le travail d’enquête des forces de l’ordre ?

L’article 37 du projet de loi ordinaire prévoit une extension de l’amende forfaitaire délictuelle à trois nouvelles infractions. J’aimerais savoir si vous êtes prête à inclure d’autres infractions, notamment certaines contraventions prévues par le code rural et de la pêche maritime pour sanctionner l’absence de soins apportés aux animaux, qui sont facilement objectivables. Cela correspond à une forte demande des associations : ces infractions mineures sont aujourd’hui peu sanctionnées, ce qui conduit souvent à un sentiment d’impunité.

M. Éric Diard. Je souhaite appeler votre attention, madame la garde des Sceaux, sur le chapitre relatif aux phases d’enquête et d’instruction. Deux points me paraissent déterminants, mais je n’en évoquerai qu’un, compte tenu du temps qui m’est imparti, à savoir le secret de l’instruction. Il est prévu par l’article 11 du code de procédure pénale, que vous ne souhaitez pas aborder.

Le secret de l’instruction est capital pour le bon fonctionnement de la justice : il est nécessaire pour protéger la vie privée et la présomption d’innocence ainsi que pour garantir l’efficacité et la sérénité des investigations et de la justice. Pourtant, il est de plus en plus souvent remis en cause sans que l’on puisse lutter contre ce phénomène. La dernière actualisation de l’article 11 du code de procédure pénale date de 2000, soit bien avant l’essor des chaînes d’information en continu et surtout d’internet.

Cet article du code a fait l’objet de jurisprudences qui ont permis de le préciser, notamment des arrêts de mars 2015 et de janvier 2017 de la Cour de cassation et la décision n° 2017-693 QPC du Conseil constitutionnel. Cette dernière décision évoque le conflit de normes qui existe entre cet article et l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui protège la liberté de la presse. Avec les smartphones actuels et internet, il est très facile de violer le secret de l’instruction et de se protéger grâce à un journaliste couvert par la loi du 29 juillet 1881. Il en résulte une violation du droit au respect de la vie privée des personnes mises en cause et une violation de leur présomption d’innocence. Gardez-vous la porte ouverte, d’ici à la séance publique, à une modernisation du secret de l’instruction dont le but serait de protéger les parties et l’institution judiciaire ?

Mme Émilie Guerel. Je voudrais vous interroger, madame la garde des Sceaux, sur la police de sécurité du quotidien. Le programme du Président de la République prévoyait de mettre en place « des outils répressifs au plus proche du terrain et mieux adaptés ». L’un d’eux me tient particulièrement à cœur : il s’agit de permettre aux policiers et aux gendarmes, sous le contrôle d’un juge, d’interdire à un individu générateur de troubles la fréquentation d’un lieu durant un certain temps. L’article 38 du projet de loi comporte une mesure d’interdiction de paraître « dans un ou plusieurs lieux déterminés dans lesquels l’infraction a été commise ou dans lesquels réside la victime », mais seulement à l’initiative du procureur de la République, ce qui constitue une restriction par rapport à l’idée que l’on trouve dans le projet présidentiel. Pourrait-on permettre, par voie d’amendement, aux services de police et de gendarmerie de prononcer une telle interdiction ?

Mme Élise Fajgeles. Élue d’une circonscription qui connaît d’importantes problématiques d’insécurité du quotidien, je sais à quel point la réforme de la procédure pénale est attendue non seulement par les forces de l’ordre, dont le travail, au service de nos concitoyens, est entravé par des tâches administratives et par des procédures trop lourdes et trop longues qui les éloignent de leur cœur de métier, rendent leur action moins efficace et provoquent un réel découragement, mais également par nos concitoyens, qui attendent avant tout des forces de l’ordre une action de terrain, rapide et opérante.

En vous attachant à simplifier la procédure pénale, vous faites le choix, juste et nécessaire, de simplifier le travail des forces de l’ordre et de contribuer ainsi à apporter une réponse efficace aux délits du quotidien. Loin des caricatures dans lesquelles certains voudraient enfermer votre action, en jouant la police contre la justice et la sécurité contre les libertés, je vous sais très attachée aux libertés individuelles et aux droits de la défense, madame la garde des Sceaux, comme je le suis moi-même et comme nous le sommes tous dans cette commission.

Vous nous en avez dit quelques mots dans votre propos liminaire, mais j’aimerais revenir sur ce sujet car il est essentiel et les malentendus sont faciles. Pouvez-vous repréciser quels éléments permettent concrètement de garantir l’équilibre entre la nécessaire protection des libertés individuelles et la simplification, tout aussi nécessaire, de la procédure pénale ?

M. Éric Poulliat. Je partage la volonté de simplifier la lutte contre la délinquance du quotidien, notamment en matière de stupéfiants. Dans ce domaine, le choix d’une amende forfaitaire est le bon – cela va d’ailleurs dans le sens d’un rapport que j’ai remis avec M. Robin Reda. Nous avions constaté une dépénalisation de fait de la consommation de stupéfiants. Si l’on veut sortir de cette situation et avoir une réponse efficace, il faut se poser vraiment la question de la clarté et de l’effectivité de la peine. Mais on doit aussi prendre en compte la réalité sociale et la capacité de recouvrement de l’amende. Or le montant de 300 euros que vous prévoyez ne me paraît pas aller dans la bonne direction, car il est très élevé et très éloigné des capacités financières des personnes qui seront soumises à une amende. Peut-on envisager de réduire ce montant ?

M. Xavier Breton. En ce qui concerne le secret de l’instruction, l’article 11 du code de procédure pénale dispose que « la procédure au cours de l’enquête et de l’instruction est secrète ». Or on sait que ce secret est régulièrement violé : des fuites ont lieu et elles sont largement médiatisées, ce qui entame la confiance dans la justice et nuit à la présomption d’innocence des personnes mises en cause. Pourrons-nous traiter la question du renforcement de la protection du secret de l’instruction à l’occasion de nos débats ?

J’ai rédigé, avec M. Dimitri Houbron, un rapport d’information sur l’efficacité des fouilles en détention et notamment l’application de l’article 57 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, qui a créé le régime législatif applicable aux fouilles intégrales. Nous avons fait dans ce cadre un certain nombre de propositions qui concernent en particulier l’équipement des établissements pénitentiaires en portiques à ondes millimétriques, les équipes cynotechniques et la mise en place de dispositifs anti-projection. Nous avons également déposé des amendements, qui n’ont malheureusement pas été retenus, lors de l’examen du projet de loi de finances. Une de nos propositions consisterait à consacrer dans la loi une jurisprudence du Conseil d’État permettant de mettre en place un régime de fouilles systématiques pour certains détenus, particulièrement dangereux, pendant une période limitée. Qu’en pensez-vous ?

M. Pierre Morel-À-L’Huissier. Je voudrais évoquer la juridiction administrative, dont il est peu question alors qu’elle est très importante dans notre pays. J’ai bien noté ce que vous avez dit sur la poursuite de l’expérimentation relative à la médiation, sur le recours à des magistrats honoraires mais aussi à des juristes assistants, ce qui est une nouveauté, sur la collégialité en matière de référé et sur la possibilité d’assortir d’injonctions et d’astreintes les annulations de décisions. Chacun sait que la justice administrative est souvent très lente, et je ne vois pas d’articulation avec les juridictions judiciaires dans ces deux textes. En cas de constructions illégales, par exemple, des plaignants peuvent obtenir satisfaction devant la justice administrative, mais la question de l’articulation avec les juridictions civiles et pénales se pose.

M. Éric Ciotti. Nous constatons malheureusement, au quotidien, une augmentation de plus en plus forte de la délinquance des mineurs et, en parallèle, notre impuissance collective à y faire face. Les magistrats du tribunal pour enfants de Bobigny ont ainsi souligné dans une tribune qu’ils sont devenus des « juges des mesures fictives », ce qui est une appréciation extrêmement grave. Êtes-vous prête, madame la garde des Sceaux, à répondre à la nécessité de changer radicalement la prise en compte de la délinquance des mineurs, à reconnaître que l’ordonnance de 1945 est obsolète, à aller, comme je l’ai proposé dans une proposition de loi que j’ai déposée récemment, vers un véritable code pénal des mineurs et à rétablir une sanction dissuasive à l’encontre de comportements qui sont de plus en plus précoces, graves et violents ? C’est ce que nous vous demandons, mais nous ne le trouvons pas, malheureusement, dans ce que vous nous proposez aujourd’hui.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. En réponse à Mme Moutchou, je voudrais souligner que la pré-plainte en ligne existe déjà, grâce à un système de plateforme : c’est, en réalité, une orientation qui permet de faciliter la démarche de la victime. Nous voulons aller un cran plus loin dans le cadre de ce texte en consacrant la possibilité de déposer plainte en ligne. L’intérêt est de donner une valeur juridique à l’acte effectué en ligne si la personne le souhaite et d’enclencher l’ensemble du dispositif. Nous serons évidemment très attentifs à ce que toutes les plaintes puissent continuer à être déposées physiquement. C’est une obligation prévue par le code pénal, et il n’y a aucune discussion sur ce point : nous souhaitons simplement développer un outil de plus. Nous voulons aussi mettre en œuvre des moyens supplémentaires. La création de la plateforme relève du ministère de l’intérieur, avec lequel nous travaillons, mais cela nécessite également le renforcement des parquets là où il y aura une implantation de la plateforme. Nous y veillerons.

Vous m’avez interrogée, monsieur Viala, sur la période transitoire entre aujourd’hui et le moment où les 15 000 nouvelles places de prison seront livrées. Cette période transitoire a déjà commencé. La livraison des places de prison s’effectuera de façon graduée et d’autant plus aisée que, sur votre proposition d’une certaine manière, nous allons construire des établissements de nature différenciée. Ainsi, comme nous souhaitons développer les structures d’accompagnement vers la sortie, un certain nombre d’établissements ne seront pas hautement sécurisés et pourront être livrés plus rapidement. À cela s’ajoutent des rénovations importantes, pour lesquelles nous aurons en 2019 une enveloppe de plus de 100 millions d’euros, ainsi que la nouvelle politique des peines. La conjonction de ces trois éléments me permettra de traiter la période transitoire. L’échéance n’est pas le mois prochain, bien sûr. Nous devrions cependant arriver à diminuer le nombre de personnes détenues dans une même cellule dans les quatre ans à venir.

En ce qui concerne les outils nécessaires à la numérisation, je ne vous dis pas non plus qu’on rasera gratis demain matin. Mais j’ai installé une gouvernance de la numérisation de notre système judiciaire, ce qui me permet d’avoir aujourd’hui un calendrier dont j’aurai l’occasion de vous présenter plus tard les principaux éléments. Les trois ou quatre prochaines années seront scandées par des étapes très précises. Je ne compte pas que la plateforme de numérisation pénale « native », qui permettra d’aller du dépôt de plainte jusqu’au bureau du juge, soit totalement disponible avant 2021, mais il y aura des étapes dans sa mise en place.

Je reviendrai plus tard, dans le cours de nos travaux, sur votre question relative à la médiation.

En ce qui concerne la représentation obligatoire en appel dans les contentieux liés à la sécurité sociale, je voudrais souligner qu’il ne s’agit pas de rejouer le jugement de première instance ou de faire un match retour. On peut donc considérer que les obligations ne sont pas les mêmes. Néanmoins, je suis bien consciente de la nécessité d’être très vigilant, et je pourrai, là aussi, vous répondre plus en détail dans la suite de nos travaux.

Les mandataires judiciaires à la protection des majeurs se verront confier des responsabilités nouvelles, qui sont jusque-là réservées aux juges. Il me semble qu’il serait prématuré, monsieur Matras, d’envisager la création d’un ordre, mais on doit en effet aider cette profession à se structurer, à mieux se former et pourquoi pas à organiser ses propres modalités de contrôle interne. Nous pourrions y réfléchir dans les mois qui viennent, à la faveur de la mission sur les majeurs protégés qui a été confiée à Mme Abadie et M. Pradié.

S’agissant de la procédure pénale numérique, qui est un projet lancé avec le ministère de l’intérieur, et de la question de l’interopérabilité, des pilotes de confiance seront proposés dès 2019 dans un certain nombre de juridictions. Nous garderons CASSIOPEE, qui sera interconnecté, et le déploiement commencera en 2019 au niveau de l’appel.

J’ai répondu à votre question, monsieur Gosselin, sur la transition pénitentiaire. Les 7 000 places ne sont pas de « la poudre aux yeux ». Nous allons livrer, je l’ai dit, des établissements différenciés et nous nous sommes engagés à créer 15 000 places supplémentaires par rapport à la situation que nous avons trouvée en arrivant aux responsabilités. Il y aura des livraisons progressives et le développement des établissements que je viens d’évoquer.

Je ne reprendrai pas l’expression de « laissés-pour-compte » : je considère que ce ne sera le cas de personne. Je me suis rendue dans un petit tribunal d’instance à Flers, dans l’Orne, qui est une région rurale. J’ai pu y dialoguer avec des magistrats et des personnels du greffe qui accueillent les personnes – il y a dans ce tribunal un service d’accueil unique du justiciable. On voit réellement le besoin qui existe et sa satisfaction grâce à des personnels formés, qui ne réalisent pas seulement un accueil sur le plan judiciaire, au sens strict du terme, mais c’est important de le faire aussi.

M. Philippe Gosselin. Et il faut le préserver !

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je suis d’accord avec vous.

En ce qui concerne l’aide juridictionnelle, j’ai indiqué que nous faisons un travail avec les avocats.

Quant à la spécialisation au sein des cours d’appel, sur laquelle M. Houbron m’a interrogée, je rappelle qu’il s’agit d’une expérimentation. Elle ne sera possible qu’en matière civile, dans des domaines listés par un décret en Conseil d’État que j’aurai l’occasion de préciser plus tard dans le cadre de nos échanges. Les spécialisations auront lieu en fonction de la technicité et de la volumétrie des affaires.

L’expérimentation que nous proposons en lien avec les caisses d’allocations familiales permettra une harmonisation des réponses et une plus grande rapidité pour des femmes souvent confrontées à des difficultés. Par ailleurs, un recours devant une juridiction sera toujours possible en cas de contestation.

Deux dispositions figurant dans le projet de révision constitutionnelle permettront de renforcer l’indépendance des membres du parquet : ils seront nommés sur avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature, auquel le pouvoir disciplinaire sera par ailleurs confié entièrement.

En réponse à Mme Degois, je voudrais préciser que nous avons beaucoup travaillé avec le ministère de l’intérieur sur la question des outils technologiques destinés aux forces de l’ordre. La procédure pénale numérique « native » est un outil qui facilitera leur travail. Nous envisageons, comme l’a prévu un amendement, d’aller dans le sens d’une oralisation limitée à un seul stade de la procédure d’enquête. Tout le dispositif relatif à l’enquête a fait l’objet d’un travail avec les forces de l’ordre, et il permet de répondre à des attentes fortes, même si ce n’est sans doute pas suffisant. J’ai toujours veillé à l’équilibre entre les attentes des forces de l’ordre et le respect des garanties et des libertés individuelles.

Quant à une extension de la forfaitisation à de nouvelles infractions, je ne suis pas fermée a priori à cette idée, mais il faudra que nous en discutions davantage.

En réponse à MM. Diard et Breton, qui ont évoqué la violation du secret de l’instruction, je voudrais dire que je suis très choquée, moi aussi, lorsqu’une partie d’une procédure est retranscrite dans la presse dès le lendemain. Nous savons très bien qu’une telle violation peut avoir été commise par plusieurs parties, que je ne citerai pas. Je ne suis pas fermée, là encore, à l’idée de travailler sur ce sujet avec ceux qui le souhaiteraient, étant entendu qu’il faudra être vigilant sur ce que nous pourrions proposer dans le cadre de la loi : on doit être très attentif à la liberté de la presse et au travail des avocats.

L’interdiction de paraître, qui a été mentionnée par Mme Guerel, sera étendue. Elle sera désormais possible dans le cadre de la composition pénale, ce qui rendra les choses plus simples. C’est le procureur de la République qui proposera cette mesure, mais il reviendra évidemment à un juge du siège de la valider. Il y a, en effet, dans l’interdiction de paraître, une atteinte à la liberté d’aller et venir : seul un juge peut en décider, c’est une question de constitutionnalité. Ceux qui en doutaient peuvent constater que je suis très attentive à cet aspect.

Vous m’avez demandé, madame Fajgeles, comment garantir l’équilibre entre la protection et la simplification. Pardonnez-moi si je ne réponds pas très longuement à cette question, car nous aurons l’occasion d’y revenir mesure par mesure. Je voudrais simplement rappeler que les membres du parquet qui interviennent pour donner des autorisations sont des magistrats, et que les juges des libertés et de la détention sont des juges du siège. Par ailleurs, nous avons strictement limité les champs concernés lorsque nous proposons des extensions : s’agissant des techniques spéciales d’enquête, par exemple, nous ne le faisons que pour les crimes. Nous avons essayé de maintenir un équilibre entre l’efficacité et les garanties.

Je ne suis pas bloquée sur le montant de l’amende forfaitaire, que M. Poulliat trouve trop élevé. C’est un sujet dont nous pourrons discuter.

Je ne reviens pas sur la question du secret de l’instruction, monsieur Breton. Pour ce qui est des fouilles en détention, je crois que vous nous proposerez des évolutions par voie d’amendement, à la suite du rapport dont vous êtes l’auteur avec M. Houbron. Nous serons favorables à ces propositions, et je vous remercie pour le travail que vous avez réalisé. Il a correspondu, au moment nécessaire, à une attente très forte des personnels pénitentiaires. Les mesures que nous pourrons prendre permettront d’y répondre.

Monsieur le député Morel-À-L’Huissier, vous m’interrogez sur le lien entre le pénal et l’administratif. Il me semble que l’articulation est la suivante : le juge pénal est pleinement souverain dans l’appréciation de la légalité d’actes administratifs tels que les plans locaux d’urbanisme (PLU) ou les permis de construire ; le juge administratif annule les actes administratifs illégaux. En matière d’urbanisme, il est essentiel que le juge administratif se prononce vite, c’est pourquoi des procédures accélérées sont souvent prévues et la possibilité de soulever des moyens de légalité externe est encadrée. Lors d’une récente visite au tribunal administratif de Nice, que j’ai effectuée en compagnie du vice-président du Conseil d’État, j’ai annoncé la création d’une nouvelle cour administrative d’appel en Occitanie, la neuvième de France. Cette nouvelle juridiction permettra de réduire les délais en diminuant la charge des autres cours administratives d’appel. Ce ne sont que de brefs éléments de réponse sur un sujet qui mériterait des développements plus affinés.

Monsieur le député Ciotti, vous m’interrogez sur la délinquance des mineurs. Au cours des débats, j’aurai l’occasion de vous donner des chiffres pour essayer d’objectiver la réalité. Quoi qu’il en soit, vous avez raison : c’est une préoccupation majeure de nos concitoyens et il est important de pouvoir y répondre. Vous me demandez de modifier l’ordonnance de 1945, de créer un code pénal pour les mineurs et des sanctions plus affermies – ce n’est pas le terme que vous avez employé mais l’idée est celle-là.

L’ordonnance de 1945 mériterait sans doute un balayage d’ensemble car, revue à de nombreuses reprises, elle est devenue assez incohérente. Il ne me semblerait pas absurde de la reprendre pour lui redonner une structure et, le cas échéant, effectuer certains ajouts. D’ailleurs, des députés et des sénateurs travaillent sur ce sujet.

Quand ils évoquent de nouvelles sanctions, certains proposent l’abandon de l’atténuation de responsabilité pour les mineurs. En fait, je n’y suis pas favorable. L’atténuation de responsabilité joue différemment selon les âges : pour un mineur de treize à seize ans, elle s’impose au juge et permet de diminuer par deux la sanction encourue ; pour un mineur de seize à dix-huit ans, elle n’est qu’une simple faculté pour le juge qui, s’il motive sa décision, peut ne pas l’appliquer. Résultat, notre politique de sanctions ne peut pas être taxée de laxiste. Au moment où nous parlons, monsieur le député, plus de 900 jeunes sont incarcérés dans des établissements pour mineurs.

En revanche, il me semble que nous devons travailler ensemble à l’amélioration de la mise en œuvre opérationnelle des mesures. Pour être crédible, la justice doit être rapide à l’égard des mineurs. Une modification de la loi me semble moins importante que la rapidité de sa mise en œuvre opérationnelle. Cette rapidité a été effective à l’égard de l’élève du lycée Edouard-Branly de Créteil qui avait braqué une arme factice sur une enseignante, ce qui est absolument indigne. Dès le lendemain des faits, le jeune avait été mis en examen. Le surlendemain, il avait été éloigné avec interdiction de paraître et placé sous contrôle judiciaire en attendant son jugement. Deux autres élèves, qui avaient notamment filmé la scène, ont aussi été mis en examen. Nous devrions être en mesure d’agir avec la même rapidité face à toutes les incivilités, à toutes les infractions. C’est ce à quoi je veux m’attacher plus qu’à une modification du texte même si je pense qu’il serait utile de revoir l’ordonnance de 1945 et, à l’occasion, d’y apporter les compléments nécessaires. Voilà ce que je souhaitais vous répondre, monsieur le député.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Madame la ministre, je vous remercie. Chers collègues, je vous rappelle que nous examinerons les articles relatifs à ces projets de loi à partir de demain matin, neuf heures..


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   Comptes rendus des débats
sur LES articles DU PROJET DE LOI ORDINAIRE

Lors de ses réunions des mercredis 7, jeudi 8 et vendredi 9 novembre 2018, la Commission examine les articles du projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, de programmation 20182022 et de réforme pour la justice (n° 1349).

1.   Première réunion du mercredi 7 novembre 2018 à 9 heures (article 1er à avant l’article 2)

Lien vidéo :

http://www.assemblee-nationale.tv/video.6893453_5be29cf8b3780.commission-des-lois--projets-de-loi-de-programmation-2018-2022-et-de-reforme-pour-la-justice--7-novembre-2018

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous entamons ce matin l’examen des articles du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice dont nous avons achevé la discussion générale hier.

Titre premier
Objectifs de la Justice et programmation financière

Article 1er
Programmation financière et approbation du rapport annexé

La Commission examine les amendements CL1019 et CL1075 du Gouvernement, l’amendement CL58 de M. Ugo Bernalicis et l’amendement CL59 de Mme Danièle Obono.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Les amendements CL1019 et CL1075 ont pour objet de rétablir la programmation budgétaire prévue dans le projet de loi initial.

Le Gouvernement a choisi l’objectif, ambitieux, d’une augmentation de 24 % du budget du ministère de la justice et de la création de 6 500 emplois d’ici à 2022, en adéquation avec les orientations qui figurent dans le rapport annexé. La soutenabilité de cette évolution de grande ampleur est garantie par sa cohérence avec la loi de programmation des finances publiques, ce qui n’est pas le cas de la trajectoire, à nos yeux irréaliste, retenue par le Sénat, qui tablait sur la construction et la livraison de 15 000 places de prison d’ici à 2022.

Nous prévoyons pour notre part la création de 7 000 places de prison et de 2 300 équivalents temps plein pour armer les établissements pendant cette période et nous comptons lancer la construction de 8 000 places supplémentaires pour une livraison d’ici à 2027. La programmation budgétaire que je vous propose intègre également la réforme des peines, qui a vocation à réduire le placement en détention au profit d’autres types de peines. Elle prévoit aussi une progression des moyens consacrés à la transformation numérique et à la protection judiciaire de la jeunesse.

M. Ugo Bernalicis. Je défendrai en même temps les amendements CL58 et CL59 qui, eux aussi, soulèvent la question des moyens. Nous pensons pour notre part que le Sénat ne va pas assez loin : dans le prolongement des réflexions que nous avons menées pendant la campagne présidentielle, nous retenons une trajectoire de 9,5 milliards d’euros pour le budget du ministère de la justice et 18 000 nouveaux postes d’ici à 2022.

Ces chiffres sont le fruit d’une mûre réflexion que nous avons menée pendant la campagne présidentielle. Dix-huit mille postes, c’est la cible réelle, le chiffre qui nous permettrait d’atteindre le niveau des principaux pays de l’Union européenne, qu’il s’agisse des magistrats, des greffiers, ou de l’administration pénitentiaire – surveillants ou conseillers d’insertion et de probation. Or pour l’heure, madame la garde des Sceaux, il y a un gap énorme entre ce que vous proposez et les standards européens. Je ne nie pas la réalité des efforts consentis mais vous partez de si bas… Il faudrait aller bien plus haut et bien plus loin.

Pour finir, madame la présidente, j’émets une protestation : certains de nos amendements ont été rejetés pour des raisons qui nous apparaissent purement politiques. Il nous a été expliqué qu’ils n’avaient pas de lien direct avec le texte. Aux termes de la Constitution, « tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu’il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis. » Je ne manquerai pas d’en évoquer quelques-uns au cours de la discussion. En               commission en tout cas, il est de bon usage de laisser défendre le plus grand nombre possible d’amendements. À la suite d’échanges avec la commission des finances certains de nos amendements, pourtant déclarés irrecevables au titre de l’article 40, ont pu être réintégrés. Nous aimerions que tel soit le cas de nos autres amendements. Ce n’est pas pour le plaisir que nous en rédigeons, nos collaborateurs et nous-mêmes travaillons dur pour les élaborer. Il me semble que ce serait faire preuve d’un minimum de respect que de nous permettre de les défendre tous.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Monsieur Bernalicis, je vous répondrai à ce sujet une fois la discussion sur les amendements à l’article 1er achevée.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Nous émettons un avis favorable sur les deux amendements présentés par le Gouvernement qui permettent de rétablir la programmation pluriannuelle prévue dans le projet de loi initial. Nous saluons l’effort considérable que constituent l’augmentation de 24 % des moyens du ministère de la justice et les créations d’emplois.

Je regrette la surenchère du Sénat comme du groupe La France insoumise : elle est loin de toute réalité budgétaire.

M. Antoine Savignat. Madame la ministre, permettez-moi de m’étonner : à vous entendre, la trajectoire retenue par le Sénat serait irréaliste. Celle-ci se fonde sur une constatation, le manque de moyens de l’administration pénitentiaire, constatation partagée en son temps par Emmanuel Macron qui s’était engagé alors qu’il était candidat à construire 15 000 places de prison. Et ce constat réaliste, retenu par le Sénat, devient à vos yeux une trajectoire irréaliste… Pour être réellement ambitieuse, votre loi aurait dû répondre à ces besoins mais vous préférez par tous moyens limiter au maximum les engagements du Gouvernement.

M. Sébastien Jumel. Je tiens à soutenir les amendements déposés par La France insoumise. Je crains que la trajectoire budgétaire que vous proposez, madame la ministre, ne permette pas de prendre en compte le malaise du monde pénitentiaire, que l’actualité vient nous rappeler de manière récurrente : surpopulation carcérale, déficit en moyens humains, notamment en matière d’insertion et d’accompagnement. Vos propositions d’amélioration budgétaires me font penser à ce que disait ma grand-mère : « C’est moins pire que si c’était mieux ! ». J’approuve la création de nouveaux postes de magistrats et de greffiers : cela participe de l’efficience et de la réactivité de la justice, avec des délais de jugement raccourcis, comme l’attendent nos concitoyens. Je ne suis pas certain que ce soit en spécialisant, en regroupant, en concentrant, en fusionnant que nous parviendrons à ce résultat.

Je viens d’apprendre qu’une mission conjointe de la commission des affaires sociales et de la commission des Lois du Sénat a été mise en place pour étudier la place de la justice prud’homale en France. Le questionnaire précis qui a été envoyé à toutes les juridictions laisse penser que l’organisation territoriale des conseils prud’homaux pourrait être remise en cause. Or hier, vous avez souligné que l’objectif des projets de loi que nous examinons n’était pas de modifier l’organisation territoriale de la justice. Pouvez-vous nous rassurer sur ce point ?

M. Ugo Bernalicis. Madame Avia, j’ai dû mal m’exprimer. Vous parlez de surenchère alors que nos propositions visent précisément à nous faire entrer dans la norme européenne. Le chiffre de 9,5 milliards correspond à une moyenne européenne : 0,33 % du PIB consacré la justice. La richesse existe. La question est de savoir comment la partager et comment la répartir. Si vous cherchez les millions qui manquent pour parvenir à ce total, je peux vous faire des propositions. Il y en a des tonnes dans le contre-budget de La France insoumise, ne serait-ce que le rétablissement de l’impôt de solidarité sur la fortune, qui vous permettrait d’atteindre cet objectif. Si vous voulez consacrer moins que ce qu’il faudrait à la justice, c’est bien un choix de la part du Gouvernement.

Vous pourrez toujours m’expliquer que ces chiffres européens sont farfelus et que les institutions qui les publient donnent dans la surenchère, mais je crois que vous ne le ferez pas.

L’article 1er conditionne tous les autres articles du projet de loi. Vous préférez accélérer les délais de jugement et construire des places de prison plutôt que de recruter des magistrats et des greffiers et développer les actions en milieu ouvert. C’est votre choix, je ne le partage pas ; mais il n’y a pas qu’une vérité révélée, en l’occurrence celle des chiffres ministériels, tout le reste relevant du farfelu ou de la surenchère. Nous essayons de coller au plus près du réel. S’il y avait 18 000 personnes en plus, je ne pense pas qu’elles seraient de trop pour faire bien fonctionner le ministère de la justice.

M. Éric Ciotti. Madame la ministre, par ces premiers amendements qui reviennent sur les améliorations opportunes apportées par le Sénat, vous enlevez toute ambition à ce texte et par là même vous dévoilez toutes les arrière-pensées qui le sous-tendent.

La justice est dans une situation catastrophique, toutes les comparaisons avec les grands pays européens le démontrent. Votre prédécesseur parlait de « clochardisation » de l’institution judiciaire et récemment des magistrats du tribunal de Bobigny alertaient l’opinion dans une tribune sur le fait qu’ils étaient devenus les « juges de mesures fictives ». Tous les indicateurs confirment la gravité de la situation à laquelle contribue pour une large part le manque de places de prison.

Ce manque de place pèse sur toute la chaîne pénale et sur les conditions d’exécution des peines. L’administration de la justice est conduite à recourir à des subterfuges pour éviter l’incarcération. Vous le dites même dans votre amendement.

Je déplore profondément ce manque d’ambition. Les 15 000 places de prison annoncées par le Président de la République étaient encore un objectif trop faible. Je vous rappelle qu’en 2012, la loi de programmation relative à l’exécution des peines, issue du rapport que j’avais remis en 2011 au président Nicolas Sarkozy, prévoyait la construction de 24 000 places de prison à l’horizon de 2017 : il s’agissait de passer de 56 000 places à 80 000 places en cinq ans. Aujourd’hui, il y a plus de 70 000 détenus pour 59 000 places : l’encellulement individuel ne peut être respecté. Au regard de l’explosion de la violence dans notre pays, le recours aux peines d’emprisonnement serait pourtant nécessaire.

À travers ce repli par rapport aux propositions du Sénat, vous dévoilez vos ambitions, qui sont finalement les mêmes que celles de Mme Taubira : éviter l’incarcération et privilégier de manière systématique les aménagements de peine.

Mme Cécile Untermaier. Cet article 1er est au cœur de la discussion ; des orientations qu’il fixe dépendent l’ambition et l’effectivité de la réforme.

Nous savons que vous avez bataillé pour obtenir une augmentation des crédits de la justice, mais d’autres ont aussi bataillé et le résultat n’est pas à la hauteur des enjeux. Vous ne devez pas voir nos interventions comme des critiques, madame la garde des Sceaux, mais comme des témoignages de soutien. Vous pourrez faire valoir auprès des autres membres du Gouvernement que la justice mérite mieux que cela.

Vous avez fait un effort important, je tiens à le souligner, mais nous pourrions aller encore plus loin et retenir à tout le moins la trajectoire proposée le Sénat, qui n’a rien d’irréaliste. Cela démontrerait notre résolution : mettre la justice française au niveau des standards européens.

Nous avons le sentiment que cette réforme, même si elle est empreinte de bon sens et si elle comporte de bonnes orientations, nous fait courir le risque de ne pas réussir. Les crédits consacrés à la dématérialisation ne sont pas à la hauteur de l’enjeu : ce n’est pas avec 500 millions que vous réussirez la révolution numérique de la justice ; quant aux effectifs consacrés aux actions en milieu ouvert, ils sont clairement insuffisants. Vous voulez rendre convenable l’accueil en prison mais le dispositif que vous proposez ne pourra remplir son office ; c’est pourquoi nous soutenons l’orientation retenue par l’autre chambre.

M. Jean Terlier. Les oppositions donnent dans la surenchère. Un demi-milliard d’euros, ce n’est pas rien. La programmation budgétaire du ministère de la justice est ambitieuse, qu’il s’agisse de la dématérialisation ou de la construction de places de prison. En outre, ce projet de loi est marqué par une réforme en profondeur de la procédure civile et des changements importants dans la procédure pénale. Le groupe de La République en Marche salue l’effort que traduit ce budget.

M. Erwan Balanant. Pour construire un budget, il faut d’abord se fixer des ambitions. À partir de là, il y a deux façons de procéder : ou bien on choisit de faire plaisir à tout le Landernau de la justice avec des promesses insincères, et alors le budget sera insincère et intenable ; ou bien on choisit d’être réaliste, et alors on peut faire ce à quoi on s’est engagé. Nous savons que le budget tel que le proposent le Sénat ou M. Bernalicis n’est pas tenable au regard de la trajectoire qu’imposent les capacités budgétaires du pays.

M. Ugo Bernalicis. De votre trajectoire !

M. Erwan Balanant. Nous savons que la programmation budgétaire telle que l’a retenue le Gouvernement, et la réorganisation qui l’accompagnera, permettront de faire avancer la justice de notre pays.

M. Raphaël Schellenberger. La position de M. Balanant n’est pas dénuée d’intérêt mais si nous allions jusqu’au bout de sa logique, il aurait fallu que l’article 1er qui fixe les grandes orientations financières soit placé à la fin, de manière à pouvoir tirer les conséquences des objectifs retenus tout au long de la discussion du projet de loi. Vous procédez à l’inverse, nous obligeant à faire entrer les objectifs dans un cadre budgétaire prédéfini. Votre raisonnement est bien sympathique et intellectuellement intéressant, mais totalement obsolète.

Le sujet central de nos débats est le nombre de places de prison. Vous comptez développer des mesures alternatives à l’incarcération car nous sommes incapables d’avoir des prisons dignes d’un pays du rang de la France. C’est justement pour cela que nous vous proposons de construire plus de places de prison afin que les magistrats aient le choix, quand ils le jugent nécessaire, d’emprisonner dans des conditions dignes celles et ceux qui se sont rendus coupables d’actes que la société se doit de réprimer. Aujourd’hui, on a de moins en moins peur d’enfreindre la loi car les peines encourues sont de moins en moins lourdes. L’effet dissuasif de la peine d’emprisonnement doit être au cœur de nos débats.

Mme Naïma Moutchou. La programmation budgétaire visée par La France insoumise a autant de cohérence que celle du Gouvernement, compte tenu des objectifs visés par chacun, mais les propositions de la ministre sont plus réalistes : une progression de 24 % sur cinq ans, une augmentation des places de prison, une numérisation, source d’économies. C’est bien cette trajectoire qu’il nous faut suivre.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Personne ne niera qu’il faut à la justice toujours plus de moyens, mais toute trajectoire budgétaire doit conjuguer ambition et réalisme. L’ambition est là avec une augmentation de 24 % jusqu’à 2022, soit une augmentation de 4 % à 5,5 % par an : c’est une hausse considérable. Quant au réalisme, il est nécessaire : on ne saurait se contenter de mesures d’affichage. La programmation budgétaire de la justice doit être cohérente avec l’ensemble de la trajectoire budgétaire voulue par le Gouvernement. Nous devons pouvoir mettre en œuvre d’ici à la fin du quinquennat les mesures proposées dans le projet de loi si nous voulons changer le rapport de nos concitoyens à la justice.

Enfin, la réforme de la justice ne se réduit pas à une approche strictement budgétaire.

Mme Danièle Obono. Comment ça ?

M. Philippe Gosselin. Ça compte un peu quand même !

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Nous sommes guidés par un souci d’efficacité et de simplification et mus par la volonté de recentrer les missions de chacun.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Deux arguments ont été avancés contre la trajectoire budgétaire que nous avons choisi de réinscrire dans le texte.

Le premier, porté par M. Bernalicis, repose sur une comparaison européenne. Je n’ai jamais considéré que les chiffres de la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ) étaient farfelus, je leur prête au contraire la plus grande attention. Seulement il faut faire preuve de prudence, non que ces chiffres soient erronés mais parce qu’ils recouvrent des réalités disparates. Je citerai un exemple parmi d’autres : il y a beaucoup de juges non professionnels en France – pensons aux conseils de prud’hommes ou aux tribunaux de commerce – mais ce n’est pas le cas dans d’autres pays, en Allemagne en particulier. Il est parfois extrêmement difficile de comparer ce qui est comparable. C’est la raison pour laquelle je ne fais pas de ces normes européennes une référence indépassable. L’accroissement du nombre d’emplois que nous proposons nous permettra du reste de mieux soutenir les comparaisons européennes.

Le deuxième argument, développé par M. Ciotti et ses collègues, se rapporte aux aspects pénitentiaires. La loi de mars 2012 prévoyait la création de 24 000 places, monsieur le député, mais je ne crois pas vous faire injure en disant qu’un texte adopté trois mois avant la fin d’un quinquennat relève davantage du tract électoral que d’une volonté politique réelle…

M. Eric Ciotti. Et cela n’a pas marché !

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Et cela n’a pas marché… Ces créations de places n’étaient d’ailleurs pas financées ; je ne considère pas que cela puisse avoir valeur d’exemple. Les 15 000 places promises par le Président de la République, elles, seront construites dans un délai qui me semble tout à fait réaliste.

Oserai-je rappeler à l’ensemble de vos collègues que le « programme 4 000 », engagé en 1995 par Pierre Méhaignerie et poursuivi par Élisabeth Guigou, a permis la construction de six établissements, entre 2003 et 2005, soit dix ans plus tard ? Quant au « programme 13 200 » lancé par M. Perben en 2002, il a débouché sur la construction de moins de 13 000 places en quatorze ans et le nouveau programme immobilier lancé en 2012 a abouti à la livraison de moins de 3 000 places en cinq ans.

Autrement dit, tous ces programmes pénitentiaires étaient fondés sur des prévisions totalement irréalistes. Pour notre part, nous avons su donner de la crédibilité à nos propositions et ce faisant, madame Untermaier, nous avons montré notre résolution, qui rejoint la vôtre.

Quand j’ai lu la lettre adressée par Jean-Jacques Urvoas « à un futur ministre de la Justice, sur les défis et priorités de la politique judiciaire » – jamais je n’imaginais alors être le futur garde des Sceaux –, la progression de 1 milliard d’euros en cinq ans qu’il appelait de ses vœux m’avait marquée par son ambition. Or ce n’est pas 1 milliard de plus que nous vous proposons mais 1,6 milliard. Je ne dis pas que nous pourrons réaliser tous nos rêves mais cela permettra qu’une grande partie d’entre eux devienne réalité. Et je voudrais rassurer la grand-mère de M. Jumel : nous faisons mieux que si c’était moins bien !

La Commission adopte successivement l’amendement CL1019 puis l’amendement CL1075.

En conséquence, les amendements CL58 et CL59 tombent.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Avant de passer au rapport annexé, je vais répondre à M. Bernalicis sur la question de l’irrecevabilité. J’ai déclaré irrecevables quarante-deux amendements…

M. Ugo Bernalicis. C’est beaucoup… Et que c’est rageant !

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet.… Ce qui est finalement assez peu, vous en conviendrez, par rapport aux mille amendements que nous avons à examiner.

M. Ugo Bernalicis. Ils ne sont pas tous de la même qualité…

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Ces amendements sont issus, je le précise, de tous les groupes politiques et même du Gouvernement. Si je les ai déclarés irrecevables, ce n’est donc pas par esprit partisan, mais parce que j’ai considéré qu’ils n’avaient aucun lien avec le texte ou qu’ils relevaient du domaine réglementaire. Chacun de leur auteur a reçu une notification indiquant les motifs de cette irrecevabilité. Il n’y a donc pas lieu de nous faire des reproches à cet égard.

Rapport annexé

La Commission est saisie d’un amendement CL1035 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Les amendements du Gouvernement au rapport annexé visent à rétablir une cohérence avec les modifications de l’article 1er que nous venons d’adopter : c’est donc une sorte de coordination par anticipation, liée à la structure de la loi de programmation. J’en profite pour faire remarquer à M. Schellenberger, qui s’est étonné que la loi fixe dès son article 1er la trajectoire budgétaire, que toutes les lois de programmation pour la justice, et notamment la loi Perben, ont été ainsi construites : la trajectoire est arrêtée dès l’article 1er et le rapport annexé.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Avis favorable.

M. Ugo Bernalicis. Vous prévoyez d’allouer 3,3 milliards d’euros supplémentaires au ministère de la justice, mais cette somme sera vite dépensée entre la construction de 7 000 places de prison – 1,7 milliard d’euros environ – et la mise à niveau numérique pour 0,5 milliard. Que restera-t-il pour le fonctionnement courant du ministère et plus particulièrement de l’administration pénitentiaire, confrontée à des problèmes de recrutement ? Sans compter les surveillants qu’il faudra recruter pour faire fonctionner vos nouvelles prisons, alors que nous avons déjà du mal à garantir les effectifs dans celles qui existent déjà !

M. Erwan Balanant. On verra quand cela marchera…

M. Ugo Bernalicis. Je ne sais pas faire des choses qui ne marchent pas, cher collègue Balanant. Nous ferons les comptes à la fin de la législature, si vous arrivez jusque-là : je crains malheureusement que vous ne parveniez ni à construire 7 000 places de prison, ni à garantir un encellulement individuel !

L’un de nos amendements déclarés irrecevables proposait d’expérimenter un cours d’initiation au droit dans les collèges et les lycées. C’est à se demander si l’accès au droit et à la justice fait partie de ce texte…

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Monsieur Bernalicis, veuillez vous en tenir à l’amendement que nous sommes en train d’examiner.

M. Philippe Gosselin. J’aimerais pour ma part intervenir sur les créations d’emplois : sans entrer sur les batailles de chiffres sur les 8 000 ou les 10 000 emplois qui auraient pu être visés au-delà des 6 500 prévus, je voudrais me concentrer sur la réalité des recrutements.

Nous sommes plusieurs à nous être déplacés à la prison de Fresnes il y a quinze jours où nous avons fait un tour d’horizon très complet des personnels et des syndicats. Il nous a été dit qu’un tiers seulement des postes ouverts au concours avaient trouvé preneurs, faute de candidats. Au-delà des chiffres et des éléments financiers dont on peut se féliciter ou se gargariser – je laisse à chacun le choix de l’expression –, il y a une difficulté : vous aurez beau créer 15 000 ou 30 000 nouveaux emplois, ce sera un coup d’épée dans l’eau tant que vous n’aurez pas procédé à une revalorisation des emplois dans l’administration pénitentiaire, qu’il s’agisse du logement, des conditions de vie ou des rémunérations. Vous ne répondrez pas à la question du mieux-vivre dans les prisons, ni pour les détenus, qui ont besoin de conditions dignes pour se réinsérer, et encore moins pour les personnels qui méritent toute notre considération.

M. Éric Ciotti. Madame la garde des Sceaux, au sujet de la construction de places de prison, vous avez fait une réponse qui se voulait polémique. Je crois que cette question mérite davantage de gravité.

La France est l’un des pays d’Europe qui recourt le moins à la détention. C’est une réalité que le rapport que j’avais rédigé en 2011 avait mise en lumière. Nous avons 100 détenus pour 100 000 habitants contre 130 détenus pour 100 000 habitants en moyenne dans les pays du Conseil de l’Europe et près de 150 détenus pour 100 000 habitants pour le Royaume-Uni, qui ne peut faire figure de régime autoritaire, selon les critères du Président de la République.

Ce problème majeur, vous le négligez ; vous ne prenez pas la mesure de l’enjeu alors que la violence gangrène nos territoires. Gérard Collomb l’a dit dans son discours de départ, qui était sans doute l’un de ses meilleurs discours : il a parlé des quartiers livrés aux narcotrafiquants et aux islamistes radicaux où l’on ne vivra bientôt plus côte à côte, mais face à face. Nous avons besoin d’une réponse judiciaire. L’importance de la détention doit être réaffirmée.

Dans l’exposé sommaire de l’un de vos amendements, vous écrivez que « la réforme des peines a vocation à réduire le placement en détention ». Je vous le dis solennellement : c’est une faute, une erreur d’analyse majeure qui conduira à des drames.

Nous aurions pu construire davantage de prisons par le passé, certes, mais sous la présidence de Nicolas Sarkozy, plus de 7 000 places ont été créées alors qu’il y en a eu moins de 1 000 sous le précédent quinquennat, tendance que vous avez soutenue puisque vous étiez membre de la majorité précédente, me semble-t-il.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Monsieur Gosselin, je ne sais pas si vos informations ont été actualisées. Je ne suis ministre que depuis quinze mois…

M. Éric Ciotti. Déjà !

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Cela doit vous paraître long, monsieur Ciotti, mais l’attente est toujours délicieuse… (Sourires.)

Reste que cette année, l’École nationale d’administration pénitentiaire (ENAP) a fait le plein du recrutement : l’ensemble des postes ouverts au concours ont été pourvus. Et pourtant, compte tenu du nombre de départs en retraite, les effectifs des promotions sont très importants.

Vous avez raison, il faut conforter l’attractivité de ce métier. C’est la raison pour laquelle nous avons mis en place une prime de fidélisation d’un montant de plus de 8 000 euros dans les établissements les plus difficiles.

Enfin, monsieur Ciotti, la politique que je conduis est fondée sur le principe que toute infraction mérite sanction. Mais les sanctions ne passent pas toutes par l’emprisonnement. On ne doit avoir recours à l’incarcération que si elle apporte une plus-value pour la sécurité de la société et pour la prévention de la récidive.

Rappelons que l’article 723-15 du code de procédure pénale a conduit à convertir les peines de prison inférieures à deux ans en d’autres types de peine.

M. Éric Ciotti. Je n’avais pas voté en faveur de cette modification.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Et je vous en félicite.

M. Ugo Bernalicis. Pourquoi l’en féliciter ?

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Ce que nous proposons vise à rendre effectives les peines de prison lorsqu’elles sont prononcées et à avoir recours à d’autres types de sanction lorsqu’elles sont plus utiles.

Mme Danièle Obono. On ne peut faire le constat des problèmes de recrutement des surveillants et des difficiles conditions de vie et de travail en prison sans se poser plus globalement la question de la vision de la prison dans la société. Les métiers, les emplois et les services n’y sont pas toujours très attractifs ; encore faut-il, pour s’engager dans ce type de mission, avoir conscience du sens, y compris au sens social, de son travail. Pourquoi construit-on 15 000 places de prison, quelles infractions nécessitent obligatoirement sanction, pourquoi cette escalade d’infractions depuis des dizaines d’années, et qui appellent à autant de sanctions ? C’est cette logique qu’il faudrait à mon sens déconstruire, sous peine de tourner à vide : on n’aura pas de mal à remplir les nouvelles prisons, mais ce sera autre chose de les faire fonctionner et de trouver les gens disposés à faire ce métier, particulièrement difficile ; les prisons resteront sinon des lieux d’extrême souffrance pour ceux qui y sont enfermés comme ceux qui y travaillent. Il est grand temps de se poser cette question éminemment politique, sous peine de reproduire les mêmes schémas que nous connaissons depuis des années.

M. Sébastien Jumel. Au-delà du débat sur le niveau du curseur, pouvez-vous nous dire précisément, madame la garde des Sceaux, quel est le ratio entre les places créées et les places supprimées, dans la mesure où certaines prisons vétustes ont vocation à fermer ? Par ailleurs, le diagnostic de l’existence d’un malaise en prison et de la faible attractivité du métier semble faire consensus. Disposez-vous de ratios objectifs, comme celui du nombre de personnels par rapport à celui de prisonniers, qui montreraient que votre projet de loi de programmation améliore les conditions de travail et d’encadrement ainsi que les moyens d’insertion ?

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Les chiffres de 7 000 et 8 000 places correspondent à des places nettes.

La Commission adopte l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CL23 de Mme Danièle Obono.

M. Ugo Bernalicis. Cet amendement concerne les centres éducatifs fermés (CEF). Il peut paraître étrange d’en parler dès maintenant, étant donné qu’ils ne constituent pas le cœur du texte, mais puisque vous avez rattaché l’examen du rapport annexé à l’article 1er, j’aborde le sujet. Plutôt que de créer vingt centres éducatifs fermés, nous proposons de réaffecter les sommes concernées au milieu ouvert. Il existe déjà cinquante et un centres éducatifs fermés dans le pays, qui obtiennent des résultats dont on ne peut pas dire qu’ils soient réellement satisfaisants. En effet, même s’il n’y a pas de statistiques nationales, les retours des éducateurs et de la police judiciaire montrent que le taux d’incarcération des mineurs passés dans ces centres est extrêmement élevé : ils entrent finalement plus dans un parcours d’incarcération que d’éducation et de protection de la jeunesse… Nous créons dans ces centres les délinquants de demain. Qui plus est, ils coûtent plus cher que le milieu ouvert, avec des résultats moindres.

Madame la garde des Sceaux, je sais que vous défendez le principe d’une palette de dispositifs offerte aux magistrats. À ceci près que votre palette s’étend à partir du centre éducatif fermé. Or il existe des dispositifs avant ces centres, et à leur place. Nous aurions pu demander par amendements la fermeture des cinquante et un centres existants ; nous avons pensé qu’il valait mieux essayer de vous convaincre modestement, étape par étape. Il existe de nombreux dispositifs en milieu ouvert, que ce soit l’accueil de jour, l’accompagnement par des éducateurs spécialisés ou les lieux de vie adaptés, et qui ont déjà prouvé leur efficacité.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Monsieur Bernalicis, même si j’entends bien votre argumentation, mon avis sera défavorable. La construction de ces centres éducatifs vise à garantir aux magistrats la permanence d’outils éducatifs opérationnels et adaptés, sur l’ensemble du territoire national, et à répondre à la demande sociale de contrôle et de sécurité. Mais ce n’est pas la seule orientation retenue : la construction de ces centres et la rénovation des centres actuels vont de pair avec l’intensification du recrutement de familles d’accueil et le développement d’une pluridisciplinarité accrue des interventions éducatives en milieu ouvert.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Même avis que Mme la rapporteure.

M. Jean Terlier. Monsieur Bernalicis, quand un mineur est dans un centre éducatif fermé, il n’est pas incarcéré. Si vous aviez participé à la mission que nous avons conduite avec Cécile Untermaier sur la justice des mineurs, vous auriez entendu les professionnels dire que nous manquons de centres éducatifs fermés, afin d’assurer une meilleure répartition sur le territoire et une meilleure adaptation de ces jeunes, qui doivent parfois être éloignés de leur famille ou, à l’inverse, en être rapprochés pour une meilleure réinsertion. Ces vingt centres éducatifs fermés sont attendus par les professionnels de la justice.

Mme Cécile Untermaier. Nous ne disposons malheureusement pas d’une évaluation fine des centres éducatifs fermés. Nous allons sans doute la recommander dans le cadre de notre mission. La programmation s’étendant sur cinq ans, nous avons le temps de la réaliser, afin d’étudier les effets de ces centres dans la lutte contre la récidive.

M. Ugo Bernalicis. Monsieur Terlier, je n’ai pas dit que les mineurs en centres éducatifs fermés y étaient incarcérés, mais que ces centres conduisaient à l’incarcération dans les établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM). La logique d’enfermement est consubstantielle aux centres éducatifs fermés. Or, en termes de protection de la jeunesse et d’éducation, enfermer quelqu’un ne fonctionne pas. Ainsi, nous allons proposer un amendement, qui obtiendra, je l’espère, le soutien de la ministre, visant à supprimer le délit de fugue. Cela peut vous sembler surréaliste, mais la plupart des jeunes en centres éducatifs fermés se retrouvent ensuite en prison, uniquement parce que, ne supportant pas d’être enfermés, ils ont fugué. Une fois en prison, ils nouent de nouvelles relations qui les mènent sur la voie de la délinquance. C’est ainsi que se construisent les parcours de délinquance dans notre pays.

Il faut rompre avec cette logique, grâce aux milieux ouverts. Si vous voulez éloigner les jeunes temporairement, sans les enfermer pour autant, mettez le paquet sur les lieux de vie ! Le problème, c’est que cela suppose des éducateurs et un bon maillage du territoire. Cela relève d’une volonté politique. Il est vrai que construire un centre éducatif fermé et y placer une association résout, d’une certaine manière, le problème, d’autant que, pour notre déshonneur, certains centres ont dû être… fermés, parce qu’ils ne fonctionnaient pas et n’étaient pas à la hauteur, le ministère n’ayant parfois même plus les moyens de contrôler ce qui se passe dans ses propres centres.

J’ai également rencontré des professionnels, monsieur Terlier, et pris le temps de discuter avec tous les syndicats de la protection judiciaire de la jeunesse. Autant vous dire que nous avons eu de très longs échanges avec les magistrats.

M. Sébastien Jumel. J’avais cru comprendre que le nouveau gouvernement et la nouvelle majorité étaient adeptes de l’évaluation. Lorsque des membres de l’opposition proposent, objectivement et sereinement, d’évaluer un dispositif pour voir s’il faut le consolider ou le questionner, vous devriez applaudir ! Par ailleurs, s’agissant de la manière de prendre en charge les mineurs, l’asphyxie financière des départements est telle qu’elle a conduit à réduire, dans mon département de Seine-Maritime, d’un tiers les moyens de la reconversion spécialisée. Les conditions de travail et le nombre de mineurs suivis en aide éducative en milieu ouvert ne permettent pas, nous le savons, une prise en charge satisfaisante, sérieuse et efficiente des mineurs « borderline », en voie d’exclusion et sur le point de suivre le parcours de la délinquance.

M. Rémy Rebeyrotte. Nous ne parlons pas tout à fait des mêmes jeunes, monsieur Bernalicis : certains, quand il est nécessaire de faire un travail éducatif, ont besoin du milieu ouvert, et pas seulement dans les quartiers sensibles. Rappelez-vous la thèse défendue par le chercheur Sébastien Roché : ce n’est pas le nombre d’éducateurs qui compte – à un certain point, le nombre nuit même à l’efficacité –, mais la politique mise en œuvre dans les quartiers concernés, en lien notamment avec les éducateurs. Quant aux jeunes des centres éducatifs fermés, ce sont souvent des multirécidivistes qui ont déjà commis des faits extrêmement graves. Or, tant qu’elle existe, notre pays choisit la solution éducative plutôt que la prison, afin de favoriser la réinsertion. Ces centres ont été qualifiés de « fermés », alors qu’il aurait sans doute mieux valu les appeler « centres éducatifs sous contrôle judiciaire ».

M. Sébastien Jumel. Ou semi-ouverts !

M. Rémy Rebeyrotte. Ou semi-ouverts ! Dans tous les cas, ce n’est ni la prison ni le milieu ouvert : c’est un autre outil. L’idée est de ne plus faire de la prison la seule solution et de toutes les autres voies de simples alternatives, mais d’essayer, au contraire, de disposer d’un panel de solutions proposées aux magistrats, afin d’adapter la peine à la situation et à la personne.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Madame Untermaier, il existe beaucoup de rapports d’évaluation sur les centres éducatifs fermés. Le contrôleur général des lieux de privation de liberté en effectue. Ce n’est donc pas un espace dépourvu d’évaluations. D’autres sont également faites par notre propre inspection générale. Qui plus est, je n’ai évidemment, par principe, aucune hésitation quant à l’intérêt de l’évaluation globale d’un système.

La Commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la Commission adopte successivement les amendements de coordination CL1015, CL984, CL1032, CL1028, CL1022, CL1029, CL1027, CL1031, CL1021, CL1013, CL1033 et CL1030 du Gouvernement.

Puis elle examine l’amendement CL381 de Mme Bérangère Couillard.

Mme Bérangère Couillard. Cet amendement vise à étendre l’accès à l’aide juridictionnelle totale aux personnes dont les ressources sont inférieures à 1 200 euros, au lieu de 1 000 euros actuellement. Cela permettra de rendre les personnes bénéficiant d’un SMIC net mensuel, qui s’élève à 1 188 euros, éligibles à l’aide juridictionnelle totale. Selon une étude réalisée par l’INSEE sur la séparation en Nouvelle-Aquitaine, divorcer de son conjoint est un choc financier plus significatif pour les femmes que pour les hommes. À la suite d’un divorce, 20 % d’entre elles basculent sous le seuil de pauvreté, perdant 25 % de leur niveau de vie la première année. La précarité ou l’anticipation du choc financier que peut représenter la séparation peut être un frein pour certaines femmes. L’élargissement de l’aide juridictionnelle totale permettra de mieux accompagner les personnes ayant une situation financière difficile.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Madame la députée, j’entends et je comprends très bien votre objectif. Néanmoins, s’agissant de l’accès aux droits et de l’aide juridictionnelle, il est important d’engager une réflexion d’ampleur. La mission, animée par Naïma Moutchou et un de nos collègues du groupe Les Républicains, sur la réforme de l’aide juridictionnelle, constituera le cadre le plus approprié pour répondre à votre préoccupation et à celles soulevées par les dispositions de l’article 52. Je demande le retrait de cet amendement ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Même avis que Mme la rapporteure. Si, sur le fond, je ne peux qu’être d’accord avec l’objectif vers lequel vous tendez, selon une évaluation, votre proposition de relèvement du plafond aurait un coût qui avoisinerait les 100 millions d’euros. Pourquoi pas ? Encore faudrait-il l’intégrer dans une réflexion globale. Nous avons souhaité engager cette réflexion par trois biais : un rapport confié à l’inspection générale de la justice et à l’inspection générale des finances, qui ont tracé plusieurs propositions ; des discussions avec les avocats – nous nous sommes donné l’année pour travailler avec eux sur les différentes propositions à mettre en œuvre ; votre mission parlementaire enfin. Je souhaite que nous conduisions une réflexion globale sur l’aide juridictionnelle. D’autres propositions ont été formulées, il y a quelques jours, à l’occasion du vote du budget pour 2019, afin de créer de nouvelles infractions qui déclencheraient automatiquement l’aide juridictionnelle. Je vous suggère de retirer votre amendement, madame la députée.

M. Sébastien Jumel. Madame la garde des Sceaux, je veux vous faire un compliment, chose suffisamment rare pour être soulignée : grâce à vous, sous votre impulsion, la France s’est enrichie de 147 000 millionnaires… Force est de constater que nous n’avons pas réfléchi ni tenté d’approfondir le sujet lorsqu’il s’est agi d’alléger leur fiscalité et d’améliorer leurs conditions de vie, voire de faire en sorte qu’ils s’enrichissent encore un peu plus demain, grâce à la dernière loi de finances. Mais, dès lors qu’il s’agit de renforcer l’accès aux droits des plus empêchés, des plus exclus, des plus paupérisés, on nous répond qu’il faut se poser, réfléchir et étudier les conséquences financières : voilà la parfaite illustration du deux poids, deux mesures. Le renoncement aux droits est une réalité dans un grand nombre de territoires. Je redoute, d’ailleurs, que cette réforme, du fait de l’éloignement et de la privatisation, en quelque sorte, des rapports juridiques, accentue ce renoncement aux droits ainsi que l’inégalité territoriale et sociale dans l’accès aux droits. Nous allons soutenir cet amendement et le reprendre à notre compte s’il était retiré. Il va dans le bon sens : celui du renforcement des droits.

M. Philippe Gosselin. Je remercie notre collègue d’avoir déposé cet amendement, qui a l’avantage de pointer une question extrêmement importante et délicate. La loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique reste le texte fondateur ; mais le système est arrivé à bout de souffle, comme nous le disons depuis quelques années, en dépit de quelques colmatages. Et dans bon nombre de cas, cela se traduit, au-delà de l’insuffisance des moyens et des plafonds très bas, que ce soit pour l’aide juridictionnelle totale ou partielle, par un renoncement aux droits. Dans une société démocratique, l’accès aux droits est essentiel. Nous veillerons tout particulièrement à ce que les engagements pris par la garde des Sceaux, à laquelle je ne fais aucun mauvais procès d’intention, soient bien suivis d’effets. Le sujet dépasse largement les postures politiciennes : c’est un enjeu de société. J’attends que le Gouvernement aille jusqu’au bout de sa volonté de réforme affichée, en coordination avec l’ensemble des professionnels et auxiliaires de justice, les avocats en premier lieu. C’est tout l’écosystème qu’il faudra revoir, notamment les bureaux de l’aide juridictionnelle (BAJ) et la Caisse des règlements pécuniaires des avocats (CARPA).

M. Ugo Bernalicis. Cet amendement est effectivement très positif, dans la mesure où, aujourd’hui, quelqu’un qui gagne le SMIC n’est pris en charge par l’aide juridictionnelle qu’à hauteur de 55 %, ce qui n’est pas admissible dans une grande démocratie. Certains avanceront que les assurances fournissent une protection juridique. Encore faut-il bénéficier d’une assurance qui prenne le complément en charge ! Ce n’est pas l’idée que nous nous faisons de l’accès aux droits. La question n’est pas tant celle de l’étude à mener sur le sujet que de savoir si l’on accepte une prise en charge à 100 % pour les gens gagnant moins de 1 200 euros. Elle est extrêmement simple ! Visiblement, l’étude du coût a déjà été faite : une centaine de millions d’euros. Il n’y a donc plus qu’à se positionner. Or vous n’êtes pas à 1,3 milliard d’euros près, apparemment… On peut sacrifier trois cents places de prison pour financer cette enveloppe. Je peux vous trouver des solutions très rapidement ! Je préfère sacrifier trois cents places de prison et faire en sorte que toutes les personnes qui gagnent moins de 1 200 euros bénéficient d’une prise en charge totale de l’aide juridictionnelle. Comme je vous l’ai dit hier, madame la ministre, lors de votre audition, vous faites les choses à l’envers : vous étendez les obligations de représentation et vous réfléchissez après à l’aide juridictionnelle. Ce n’est pas tenable ! Faisons les choses à l’endroit : commençons par élargir l’aide juridictionnelle et, ensuite, augmentons les obligations de représentation, sans quoi vous oubliez des gens. Même si vous réformez ces aides dans un an ou deux, cela fera un an ou deux pendant lesquels certains n’auront pas accès aux droits.

M. Jean Terlier. Il faut raison garder quand on parle de l’aide juridictionnelle. Aujourd’hui, son fonctionnement est plutôt satisfaisant. Les bureaux d’aide juridictionnelle (BAJ) fonctionnent bien. Il faut d’ailleurs saluer leur travail. Par ailleurs, Mme la ministre s’est engagée à mener une réflexion plus globale sur l’aide juridictionnelle, parce qu’on ne réglerait pas la situation en augmentant un seuil. Cela n’est pas forcément pertinent, puisque, dans le calcul de l’aide juridictionnelle, ce n’est pas le seul critère pris en charge.

M. Ugo Bernalicis. Allez dire ça à un smicard seul !

M. Jean Terlier. Il faut donc s’attacher à mener une réforme beaucoup plus globale.

M. Dimitri Houbron. Monsieur Bernalicis, pour avoir un peu travaillé sur la question de l’aide juridictionnelle dans le rapport budgétaire, je puis vous assurer que cette affaire est bien plus complexe que la seule définition d’un seuil. Se posent la question de son financement, mais également celle du montant réservé aux avocats, puisque certains avocats, notamment en matière pénale, considèrent qu’ils sont déficitaires. Il faut repenser l’aide globalement. J’ai défendu un amendement visant à créer une aide juridictionnelle de droit pour les victimes de violences conjugales, sujet sur lequel nous devons également réfléchir. Il n’est pas possible de régler tout cela en deux minutes, en prenant 100 millions quelque part. Le sujet est complexe et mérite que l’on y réfléchisse. C’est pour cela que je salue l’existence d’une mission d’information. Tous les collègues qui voudront y participer pourront faire des propositions et travailler avec le ministère pour réformer en profondeur l’aide juridictionnelle.

M. Paul Molac. Je suis sensible à plusieurs arguments. Tout d’abord, quand je vivais avec le SMIC, alors que j’étais chargé de famille, je comptais exactement, à la fin du mois, combien je pouvais dépenser, et tout était marqué sur un carnet. Aujourd’hui, je ne marque plus rien sur un carnet… Par ailleurs, je suis aussi relativement sensible au fait que Mme Couillard défende la condition des femmes. Lors des divorces, qui ne se passent pas toujours bien, c’est très difficile pour les femmes, qui continuent souvent à s’occuper des enfants, de se retrouver dans une précarité financière. Pour ces deux raisons, je voterai l’amendement de notre collègue.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Je tiens à réaffirmer la nécessité de revoir de manière générale, complète et profonde notre aide juridictionnelle.

M. Sébastien Jumel. C’est du pipeau !

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Vous aurez noté que le Sénat a proposé des amendements visant à rétablir le droit de timbre… Ce genre de mesure à celle seule n’est pas ce qui permettra d’améliorer notre système d’aide juridictionnelle. Le droit de timbre n’a jamais été une solution à l’aide juridictionnelle, et ce n’est pas en jouant d’un seul élément que nous pourrons la refondre. La méthode choisie par le Gouvernement et la commission des Lois de concertation et de réflexion est nécessaire à ce stade.

M. Sébastien Jumel. La méthode, c’est l’immobilisme !

Mme Laetitia Avia, rapporteure. C’est pourquoi je vous proposerai, pour la séance, d’affirmer encore plus clairement, dans le rapport annexé, notre volonté de réformer l’aide juridictionnelle, afin d’engager une réflexion suivie d’effets.

Mme Bérangère Couillard. Il était important d’apporter une réponse apaisée à ce problème. Comme cela a été rappelé, une personne au SMIC obtient une aide correspondant à 55 % du montant de l’aide juridictionnelle, ce qui n’est pas négligeable. Je suis ravie que Mme la ministre ait précisé que le sujet fera l’objet d’une réflexion plus large, au-delà de la mission parlementaire. Je suivrai bien évidemment avec vigilance tout ce qui sera fait, lorsqu’une réflexion plus approfondie aura été menée. Pour l’instant, je retire mon amendement.

M. Sébastien Jumel. Je reprends cet amendement, madame la présidente ! J’aime que nos débats théoriques soient illustrés par des réalités concrètes. Les points d’accès aux droits mis en place d’une manière volontariste dans un certain nombre de territoires, avec les commissions départementales, sont souvent en panne de financements. En réalité, les associations d’aide aux victimes et les permanences organisées avec les professionnels qui jouent le jeu – avocats ou notaires – ont le plus grand mal à trouver des financements. Quand j’étais maire de la belle ville de Dieppe, j’ai voulu mettre ces points d’accès en place : nous les portions seuls, à bout de bras. Le financement du fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD), notamment, était nettement insuffisant pour faire face à cette question centrale : comment réduire le renoncement à l’accès aux droits des publics les plus empêchés, les plus fragilisés et les plus éloignés territorialement ? En freinant l’accès aux droits, le groupe majoritaire n’est pas à la hauteur des enjeux.

Mme Cécile Untermaier. Ce débat honore l’Assemblée. Dans le projet de réforme, nous devons nous soucier de l’égal accès au juge de chacun des justiciables. Cet amendement n’est pas anodin. Le projet de réforme modifie sensiblement l’accès au juge. Tout citoyen est en droit de s’interroger sur la possibilité qu’il aura à un moment ou à un autre d’aller vers la médiation, et dans quelles conditions cela se fera. C’est un débat extrêmement compliqué, que nous avons mené sous le précédent quinquennat, où nous avons augmenté les unités de valeur (UV) des avocats. Cela étant, nous nous sommes heurtés à de grosses difficultés pour financer le dispositif. C’est un enjeu fort. Si le budget de l’État doit favoriser cette question, les professionnels du droit eux aussi doivent s’interroger sur l’accès au juge.

La Commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis favorable de la rapporteure, elle adopte l’amendement de coordination CL1016 du Gouvernement.

Puis elle examine l’amendement CL418 de M. Philippe Gosselin.

M. Philippe Gosselin. Il s’agit de mettre sur la table plusieurs éléments qui font suite à un rapport, écrit à quatre mains, que vous connaissez bien, madame la présidente : « Repenser la prison pour mieux réinsérer ».

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. À plus de quatre mains !

M. Philippe Gosselin. À quatre mains de présidente et de vice-présidents ! Mais vous avez raison d’élargir.

L’idée de ce rapport, vous le savez, mes chers collègues, était d’avoir des sanctions et des peines de prison nécessaires, parce que la sanction doit être nécessaire, dans l’intérêt de la société. Mais il faut également avoir en tête la réinsertion, pour prévenir le risque de récidive. Parmi les éléments favorisant la réinsertion figure l’activité en prison. Or, lors de nombreux déplacements, notamment dans des établissements récents voire très récents, nous avons fréquemment constaté que l’architecture n’avait pas été suffisamment pensée, au point que même des établissements neufs n’avaient pas pris en compte, de façon prioritaire, le développement du travail en détention faute de disposer des salles ou des halls adéquats. Cet amendement d’appel a pour vocation de rappeler qu’il faut intégrer, dans les prochains appels d’offres, des éléments architecturaux pour penser le travail en détention.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. L’exigence du développement du travail en détention est désormais bien prise en compte dans la construction des futurs établissements pénitentiaires ; c’était nettement moins le cas par le passé, même si des progrès sont encore possibles. Sur le plan géographique, l’administration pénitentiaire a décidé de n’implanter de nouveaux établissements que dans des zones compatibles avec l’exigence de réinsertion des personnes détenues, c’est-à-dire proches des bassins d’emploi, des services publics et des associations de réinsertion. S’agissant de l’architecture, sans entrer dans ce niveau de détails, le rapport annexé prévoit tout de même que les structures d’accompagnement vers la sortie devront s’inscrire dans un « environnement plus favorable à l’aménagement des peines et à l’engagement des démarches vers la réinsertion », ce qui rejoint votre préoccupation. Je vous suggère donc de retirer votre amendement ou de modifier l’expression « de façon prioritaire », afin de lui donner une acception plus large.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Sur le fond, je partage pleinement ce que vous avez dit, monsieur Gosselin. J’en profite d’ailleurs pour remercier l’ensemble des députés qui ont participé à la rédaction du rapport de cette mission pilotée par la commission des Lois. Le travail en détention est évidemment un atout essentiel pour la réinsertion. Dans les établissements qui ont organisé un parcours de détention avec des activités, le taux de réinsertion est plus élevé. En revanche, monsieur le député, je vous propose une petite rectification : l’architecture des établissements doit répondre à plusieurs objectifs, notamment à celui de sécurité, qui n’est pas la même selon les établissements. Il m’est difficile de considérer que le travail serait la priorité des priorités dans l’architecture. Si vous acceptiez d’enlever l’expression « de façon prioritaire », je pourrais émettre un avis favorable à votre amendement.

M. Philippe Gosselin. Votre sollicitation est très intéressante, madame la garde des Sceaux. C’est bien volontiers que je souscris à votre demande de rectification.

M. Erwan Balanant. Cet amendement est intéressant, en ce qu’il nous questionne sur un point fondamental : la nature des prisons que nous allons construire. Nous nous sommes aperçus lors de nos visites que, parfois, elles n’étaient plus adaptées aux types de détention actuels. Comme M. Gosselin l’a bien dit et comme le montre le rapport de la commission, le travail en prison favorise la réinsertion. N’oublions pas qu’un détenu ne reste pas à vie en prison. Pour lutter contre la récidive, il est important de suivre les parcours de peines. Le design d’une prison n’est pas anodin : nous avons vu, par exemple, qu’il n’était pas possible de mettre en place un « module respect » dans tous les types de bâtiment. Nous avons un travail important à faire, en collaboration avec les acteurs du domaine, et particulièrement le personnel pénitentiaire, qui connaît les flux et les besoins. Cet amendement ainsi rectifié est particulièrement utile, en venant rappeler que la question de l’architecture est fondamentale dans notre projet.

M. Robin Reda. Je salue l’esprit constructif dans lequel nous examinons la question importante du travail en prison, qui doit redevenir une priorité stratégique de l’administration pénitentiaire, dans la mesure où c’est un facteur déterminant de réinsertion. Il existe une corrélation entre l’augmentation de la récidive chez ceux qui sortent de prison et l’inexorable baisse du travail en prison. Pour favoriser le sentiment d’utilité sociale, la constitution d’une identité en prison et un certain rapport aux règles, il faut développer le travail en prison. En Suède, les détenus sont occupés de cinq à sept heures par jour ; le Conseil de l’Europe a même fixé une durée minimale d’occupation en prison. En France, le temps de travail journalier n’excède pas une à deux heures. Je ne prétends pas être aussi expert sur le sujet que mon collègue Philippe Gosselin, mais j’ai visité quelques prisons et le taux de sous-occupation des détenus y est évident.

Se pose aussi la question de la formation professionnelle, dans des structures qui ne sont pas toujours adaptées et qui proposent très peu de choix – horticulture pour les femmes et ébénisterie pour les hommes, par exemple. Cela vaut aussi pour les occupations annexes au travail, pour lesquelles on dispose de très peu de données. Il faudrait établir des statistiques plus précises, afin de disposer des chiffres de l’occupation en prison, laquelle doit redevenir une priorité de l’administration pénitentiaire, dans la mesure où elle favorise la baisse de la récidive et où elle est plus utile aux prisonniers que la simple détention, fût-ce dans une cellule individuelle.

Mme Maud Petit. Je tiens à souligner l’importance de l’aspect culturel et notamment de l’accès à la culture pour les détenus. Il serait intéressant d’intégrer dans les futures prisons des bibliothèques, des lieux d’accès à la culture.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. C’est un travail que nous avons mené en commun avec Philippe Gosselin, Laurence Vichnievsky, Stéphane Mazars et de nombreux autres collègues de la commission. Lors de nos multiples visites, nous avons effectivement entendu beaucoup d’anecdotes sur le travail en détention, montrant que l’architecture est un élément fondamental et que certains centres n’ont pas été pensés pour que le travail puisse avoir lieu en détention.

M. Philippe Gosselin. Y compris les plus récents !

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Tout à fait. Pour les plus récents, il s’agit souvent d’un manque de places : des établissements de 400 ou 500 détenus ont seulement quarante ou cinquante postes de travail. C’est sous-dimensionné dès l’origine. Parfois aussi, c’est une porte trop petite qui ne permet pas aux camions d’entrer dans l’établissement, et ainsi de suite ; les obstacles architecturaux peuvent être multiples. C’est pourquoi Philippe Gosselin et Laurence Vichnievsky mettent l’accent sur le caractère essentiel de la conception architecturale des établissements pour favoriser le travail en détention. À titre personnel, je souscris donc pleinement à cet amendement rectifié. Je n’ai pas pour habitude de donner mon avis, mais ce sujet me tient trop à cœur.

M. Philippe Gosselin. Votre avis nous intéresse grandement, surtout quand il va dans ce sens !

M. Jean Terlier. Je salue à mon tour le travail réalisé par nos collègues et l’amendement qui en découle, tel que rectifié à la demande du Gouvernement. Notre groupe y est favorable.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. L’amendement rectifié tend à insérer après l’alinéa 180 un alinéa dont je vous donne lecture : « Par ailleurs, l’architecture des nouveaux établissements pénitentiaires prendra en compte de façon prioritaire le développement du travail en détention. »

Mme Laetitia Avia, rapporteure. J’émets un avis favorable à cette rédaction.

La Commission adopte à l’unanimité l’amendement CL418 tel qu’il vient d’être rectifié.

Elle examine ensuite l’amendement CL419 de M. Philippe Gosselin.

M. Philippe Gosselin. Toujours dans le prolongement du rapport « Repenser la prison pour mieux réinsérer », nous souhaitons prolonger une expérimentation par l’instauration d’une structure telle que le groupe pour l’emploi des probationnaires (GREP) que nous avons rencontré pendant nos auditions, qui existe dans plusieurs départements et qui a l’avantage d’allier les missions locales, Pôle emploi, les entreprises, la justice, l’administration pénitentiaire (AP), qui ont toujours du mal à se coordonner de façon régulière. Il est proposé une structure très souple, associative, en complément de ce qui existe, pour être plus efficace. L’expérimentation pourrait se dérouler sur une période de trois ans et aurait vocation, en cas de succès, à être généralisée sur l’ensemble du territoire.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Je vous remercie encore pour le travail accompli. Les initiatives que vous décrivez sont intéressantes et doivent être encouragées, mais je ne crois pas utile de les inscrire dans la loi : la preuve est qu’elles existent d’ores et déjà. Je crains qu’une inscription législative ne s’avère contre-productive parce que trop contraignante. Les projets de ce genre ne se décrètent pas : ils supposent des partenariats forts, une véritable volonté et une dynamique locale, qu’il faut encourager en vue de la réinsertion des personnes détenues. Cet objectif se trouve de manière diffuse dans l’ensemble de ce projet de loi. Je demande le retrait de l’amendement, à défaut de quoi j’émettrai un avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Même avis. Ce n’est pas un avis au fond car l’expérience des GREP marche très bien, mais il me semble que c’est une modalité de travail, il en existe d’autres. Nous étions récemment à Marseille, dans la structure d’accompagnement vers la sortie mise en place aux Baumettes : c’est une autre modalité de travail collaboratif entre l’administration pénitentiaire et des structures externes. Cet amendement rigidifierait trop les choses.

M. Sébastien Jumel. J’ai appris, à la faveur d’un cas particulier dont je saisirai la ministre, que les intervenants bénévoles en milieu carcéral pour favoriser la réinsertion des détenus se voyaient imposer une limite d’âge. Cela ne me paraît pas pertinent. Je ne me souviens plus de l’adage…

M. Erwan Balanant. Demandez à votre grand-mère…

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. L’âge ne fait rien à l’affaire ! (Sourires.)

M. Sébastien Jumel. On peut être âgé et en même temps très engagé et performant dans des missions d’insertion, a fortiori lorsqu’elles ne sont pas rémunérées.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je n’ai pas connaissance d’une telle limitation.

M. Philippe Gosselin. L’idée n’est pas d’imposer le fonctionnement du GREP à tout prix : c’est une des modalités. L’amendement prévoit bien la mise en place d’associations au pluriel ; cela offre de la souplesse. Il s’agit d’appeler l’attention, dans cette partie annexée, qui ne crée pas du droit absolu, sur la difficulté bien réelle de coordination des différents acteurs. Les acteurs sont nombreux, professionnels et bénévoles, mais il n’y a pas de coordination. On peut avoir l’impression d’enfoncer une porte ouverte, mais de la coordination découlerait une plus grande efficacité de ce travail.

La Commission rejette cet amendement.

Puis elle examine l’amendement CL420 de M. Philippe Gosselin.

M. Philippe Gosselin. Une expérimentation est actuellement conduite dans certains centres pénitentiaires depuis 2016 mais elle a commencé à s’appliquer en réalité en 2017 et les retombées sont encore peu nombreuses. Afin de mieux prendre en considération les besoins de l’insertion, l’amendement CL420 propose d’élargir les possibilités de chantier d’insertion, à titre expérimental, afin de repenser le déroulement des peines et surtout la sortie, dans l’intérêt de la société et des détenus.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Ce sera encore une fois une demande de retrait. Vous avez raison, ces projets sont intéressants, permettent un bon taux d’insertion dans l’emploi à la sortie de détention et un accompagnement global du détenu sur le plan social et professionnel. En revanche, comme vous l’indiquez vous-même, des expérimentations sont en cours. Ce n’est qu’à l’issue de celles-ci, autrement dit l’année prochaine, qu’un bilan pourra en être tiré et que la généralisation de ce dispositif pourra être envisagée.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Même avis. Là encore, sur le principe, je suis extrêmement favorable à ce vous proposez. Mon ministère et le ministère du travail ont décidé de mettre en place une phase pilote de l’insertion par l’activité économique (IAE), qui mobilise dix ETP répartis sur les établissements sélectionnés par la direction de l’AP. Nous avons donc des équipes constituées autour du projet. Il nous semblait difficile d’envisager la généralisation que vous proposez sans avoir lancé au préalable l’évaluation, prévue en 2019, et solliciter l’avis de la délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP). À partir des préconisations qui seront remises par l’évaluateur, nous pourrons voir comment effectuer les ajustements nécessaires et déployer le dispositif.

Dans le même esprit, j’ai récemment rencontré Mme Pénicaud au sujet du travail en milieu pénitentiaire. Nous allons lancer, dans le cadre des financements dont elle dispose, des appels à projets spécifiques pour contribuer à la dynamisation de ce travail en établissement pénitentiaire.

M. Philippe Gosselin. Ce n’est pas une généralisation que propose cet amendement, mais un élargissement du champ de l’expérimentation. Aujourd’hui, seuls trois établissements sont concernés, dans le Bas-Rhin, la Réunion et l’Allier ; il est donc proposé d’élargir à quelques autres types d’établissement pour que la palette soit plus large avant toute généralisation. L’IAE est un point majeur.

M. Arnaud Viala. Ces amendements portent tous sur le lien entre le milieu carcéral et la vie dans la société après l’exécution de la peine. La voie de l’expérimentation a souvent été prônée par la majorité sur d’autres sujets. En l’espèce, elle me paraît bonne, et l’étendre, sans généralisation, permettrait d’aller un peu plus loin pour évaluer des effets dont nous pressentons tous qu’ils sont positifs.

J’apprécie les avis modérés de la garde des Sceaux. Nous aimerions qu’ils soient favorables car les travaux conduits par nos collègues mobilisés sur ces sujets doivent trouver une traduction législative ; je trouve un peu dommage que, sur des amendements de portée aussi modeste, on ne puisse satisfaire à leurs demandes car ce serait de nature à encourager d’autres députés à s’impliquer dans des travaux et la rédaction de rapports, s’ils ont l’espoir qu’ils ne finiront pas sous une armoire.

M. Erwan Balanant. Je remercie Mme la garde des Sceaux pour les compléments d’information qu’elle vient d’apporter. Pour avoir travaillé dans l’IAE du côté non carcéral, je suis convaincu de ses capacités et de ses réussites. On sait que cela marche bien : c’est une passerelle entre l’intérieur et l’extérieur de la prison. Continuons à travailler sur des dispositifs qui permettent aux détenus de préparer leur retour à la liberté en évitant un passage trop brutal souvent synonyme d’échec et de récidive. Augmenter le volume des expérimentations ne nuirait pas à leur bilan. À titre personnel, je voterai donc cet amendement.

Mme Laetitia Avia. L’objectif des expérimentations est d’en dresser un bilan pour décider ou non d’une généralisation. Nous sommes très près de la fin de l’expérimentation en cours, qui doit intervenir l’année prochaine. Étendre dès à présent son champ, alors que de tels dispositifs demandent un peu de temps pour être mis en œuvre, ne serait-ce que pour définir des projets d’insertion et solliciter des associations à même de les porter, conduirait à retarder la date du bilan que nous en attendons.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Tout à fait. L’idée est d’avoir cette évaluation en 2019, pour pouvoir étendre l’expérimentation en tenant compte des modifications à apporter. Je me suis rendue, comme votre présidente, à Oermingen ; l’association Emmaüs y réalise un travail formidable, comme souvent. C’est un travail autour du bois : récupération de vieux meubles, formation des détenus à l’ébénisterie, restauration des meubles et revente. Ce qui m’intéresse, c’est de voir avec Emmaüs si, à la fin de la détention des personnes, ils peuvent les réembaucher. Je suis tout à fait favorable à l’extension de l’expérimentation, mais après avoir terminé l’évaluation de la première vague.

M. Philippe Gosselin. Je maintiens l’amendement tout en comprenant vos arguments ; il n’y a pas d’affrontement brutal entre nous sur ce sujet. Encore une fois, il s’agit d’appeler l’attention sur la difficulté de l’employabilité d’un grand nombre de détenus. Les chantiers d’insertion ont l’avantage de coller aux besoins. Même si une évaluation est prévue en 2019, il n’y a pas de difficulté majeure à ajouter quelques éléments supplémentaires aujourd’hui. Ce serait un signal fort, non seulement vis-à-vis de nos rapports, qui, comme l’a souligné Arnaud Viala, ne trouvent pas assez souvent de traduction concrète, mais aussi parce que nous avons le véhicule législatif : je ne suis pas sûr que nous ayons un texte sur la justice dans les mois à venir, même si nous n’en sommes pas au premier de ces dernières années. Cela part du bon vieux principe que ce qui est entré ne craint pas l’eau.

M. Erwan Balanant. C’est encore de la grand-mère de M. Jumel ? (Sourires.)

M. Philippe Gosselin. Chacun se plaît aujourd’hui à citer les grands-mères des uns et des autres…

M. Sébastien Jumel. Dans un souci constructif, je propose d’ajouter à la fin de la phrase de l’amendement de M. Gosselin les mots : « après évaluation ».

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je souhaite faire une proposition qui devrait satisfaire M. Gosselin…

M. Sébastien Jumel. C’est l’amendement Jumel !

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je pensais que c’était l’amendement Belloubet… Nous sommes en train de réfléchir à une rédaction.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Je suspends la séance quelques minutes pour permettre ce travail de réécriture.

La séance, suspendue à onze heures, est reprise à onze heures cinq.

M. Philippe Gosselin. Je suis sensible à la volonté de la garde des Sceaux, au nom l’ensemble de la commission car c’est un travail collectif que nous avons conduit depuis un an sur le rapport « Repenser la prison pour mieux réinsérer ». La commission des lois a travaillé en bonne intelligence et nous sommes parvenus à des conclusions partagées. Ce n’est pas tant le mot à mot qui importe que l’esprit : il est nécessaire de rapprocher de l’emploi les détenus, qui connaissent de vraies difficultés d’employabilité. Il faut ménager des passerelles entre la prison et le monde extérieur, dans l’intérêt du détenu mais aussi, et peut-être plus encore, dans celui de la société. Je suis certain, sans en connaître encore le détail, que la proposition de la garde des Sceaux me conviendra très bien. Je pense que nos collègues seront eux aussi sensibles à cette avancée et y verront une marque d’attention à l’égard de la commission dans son intégralité.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je vous propose donc la rédaction suivante : « Afin de favoriser l’insertion professionnelle des détenus, à l’issue de l’expérimentation des chantiers d’insertion dans les centres pénitentiaires mis en place à compter de 2016, ce dispositif pourra être étendu à de nouveaux établissements pénitentiaires. »

M. Philippe Gosselin. J’accepte volontiers cette rectification. Si la parole est libre, ma plume sera serve, et bien volontiers dans le cas présent…

La Commission adopte à l’unanimité l’amendement tel qu’il vient d’être rectifié.

Puis elle adopte l’article 1er et le rapport annexé modifiés.

Article 1er bis (supprimé)
Programmation de la progression du nombre des conciliateurs de justice

La Commission est saisie de l’amendement CL1003 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Cet amendement tend à supprimer un article introduit par le Sénat, qui a souhaité programmer un nombre de conciliateurs de justice. Je partage évidemment l’objectif d’augmenter le nombre de ces conciliateurs ; nous avons d’ailleurs pris des mesures avec la direction des services judiciaires pour rendre la fonction plus incitative, ce qui est logique dans la mesure où je prévois dans la loi un recours étendu à la conciliation. Cependant, programmer un nombre de conciliateurs n’a pas grand sens dans la mesure où il s’agit d’une fonction bénévole.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Avis favorable. Inscrire un nombre programmé des conciliateurs alors qu’il s’agit d’une fonction bénévole n’a en effet pas beaucoup de sens. En revanche, l’objectif est bien entendu partagé. Je souligne que les conciliateurs sont en 2018 au nombre de 2 229, une augmentation de 11 % par rapport à 2016. La programmation telle que prévue par les sénateurs engageait une augmentation de plus de 50 %, peu réaliste.

M. Philippe Gosselin. Les conciliateurs de justice sont des bénévoles, souvent d’anciens chefs d’entreprise, assureurs, banquiers, responsables associatifs, etc., issus de milieux extrêmement divers. S’ils ne revendiquent pas une indemnisation qui serait l’équivalent d’un salaire, je crois me faire leur porte-parole en appelant l’attention du Gouvernement sur les conditions de leur remboursement kilométrique, particulièrement faible alors que certains, dans les territoires ruraux, sont astreints à de longs déplacements – le sujet était déjà d’actualité avant l’augmentation du prix des carburants. Les 200 ou 300 euros que certains peuvent récupérer par trimestre ou par mois ne couvrent pas leurs frais. Ils revendiquent, et ils ont raison, d’être bénévoles mais ils souhaiteraient une meilleure prise en considération de leur indemnisation, afin qu’elle soit décente et rapide. La garde des Sceaux pourrait-elle nous faire connaître son point de vue ?

M. Raphaël Schellenberger. L’argument selon lequel on ne pourrait pas programmer des fonctions exercées à titre bénévole ne me semble pas justifié : ce n’est pas parce que la fonction est bénévole que cela ne coûte rien à l’État. L’État doit effectivement, M. Gosselin vient d’y faire allusion, prévoir des moyens. Ce sont des bénévoles qui sont fiers d’exercer cette fonction au service de la nation, mais il faut leur donner des moyens. L’État doit notamment prévoir une augmentation de leur nombre, éventuellement en menant une campagne de recrutement, de sensibilisation, d’engagement au service de la conciliation juridique. Ce débat sur la place, le nombre, le rôle de conciliateurs est d’autant plus important que, dans ce texte, vous augmentez le recours à la conciliation, à la médiation ; rejeter cet amendement au prétexte qu’il ne faudrait de programmation que pour les emplois publics me semble un peu léger, intellectuellement erroné.

Enfin, il ne faut pas non plus éluder la question de la formation des conciliateurs et de leur accompagnement. Les cas qu’ils ont à traiter sont de plus en plus complexes.

M. Ugo Bernalicis. Le sujet est extrêmement important. Se fixer des objectifs est une invitation à les atteindre, avec divers moyens à notre disposition. Avec les moyens alternatifs de règlement des différends que vous souhaitez rendre obligatoires dans certains domaines, le conciliateur de justice est la seule voie gratuite à la disposition des citoyens. Si vous ne fixez pas d’objectifs pour garantir l’accès à cette seule voie gratuite, de deux choses l’une : ou bien vous acceptez un allongement des délais, ou bien vous expliquez au justiciable qu’il va falloir allonger un peu de « pognon » pour aboutir à une médiation plus rapide qu’avec un conciliateur… C’est ce que le Sénat a mis en avant et je pense qu’il serait de bon aloi de maintenir cet article.

La même argumentation vaut pour l’aide juridictionnelle : vous ne pouvez pas augmenter la représentation obligatoire et examiner l’aide juridictionnelle plus tard, imposer un recours préalable en reportant à plus tard les moyens d’accès gratuit à ce recours. De facto, vous faites reculer l’accès gratuit à la justice pour tous.

M. Jean Terlier. Mes chers collègues, vous n’avez pas été suffisamment attentifs aux propos de la garde des Sceaux : cela n’a aucun sens de programmer cette activité de conciliateur, par essence bénévole. On ne lance pas une campagne de recrutement de bénévoles. En outre, ces conciliateurs reçoivent une indemnité de menues dépenses administratives, complétée sur justificatifs, et leurs frais de déplacement sont pris en compte et ont d’ailleurs été revalorisés il y a peu. Leur situation est prise en considération ; mais il n’est pas envisageable juridiquement d’inscrire dans la loi une campagne de recrutement de bénévoles.

Mme Cécile Untermaier. Le conciliateur va devenir une cheville importante dans le dispositif législatif. Avec l’aide de la présidente du tribunal de Chalon-sur-Saône et le sous-préfet de Louhans, nous avons installé deux conciliateurs au cœur même de la maison de l’État. Ils ont donc un bureau à disposition et ils sont en relation avec le service d’accueil unique du justiciable (SAUJ) par le biais de la visioconférence. Nous avons pu dégager des crédits, mais nous avons tout de même un vrai problème de recrutement. Qui pourra être conciliateur dans les proportions que nous envisageons ? Le plan du Gouvernement me semble réaliste. Il faut en revanche envisager pour ces conciliateurs une formation un peu plus étoffée que les huit heures actuelles, qui paraissent nettement insuffisantes. En termes de déplacements et d’informatique, ils travaillent avec leur propre matériel ; ce n’est pas non plus correct vis-à-vis de ces bénévoles. Enfin, la justice civile est toujours moins bien traitée que la justice pénale : le délégué du procureur, lui, perçoit une indemnité pour ses prestations. Nous serons vite rattrapés par cet état de fait. Je tenais à vous alerter.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je ne souhaite pas fixer d’objectifs précisément parce que ce sont des bénévoles ; il ne s’agit pas d’un recrutement sur concours. Nous avons engagé, au ministère de la justice, une campagne de recrutement qui produit ses fruits puisqu’elle nous a permis de passer de 1 958 conciliateurs en 2016 à 2 229 en 2018. Dans le même temps, nous avons dialogué avec l’Association nationale des conciliateurs de justice, avec laquelle nous sommes fréquemment en contact, directement ou bien via la direction des services judiciaires : cela nous a conduits, d’une part, à revaloriser l’indemnité de défraiement annuelle à laquelle ils peuvent prétendre – très modeste, entre 500 et 1 000 euros – et à prendre en charge le remboursement de leurs frais de transport.

Majoritairement, les conciliateurs sont des jeunes retraités issus des professions du droit – à 94 % – et ils sont saisis d’un nombre important d’affaires directement par les particuliers : 130 000 affaires par an environ, ce qui est tout de même important. Ce sont des gens passionnés par la fonction qu’ils remplissent et je tiens à leur rendre hommage.

La Commission adopte cet amendement.

Par conséquent, l’article 1er bis est supprimé.

Article 1er ter
Rapport annuel au Parlement sur l’exécution de la présente loi

La Commission est saisie de l’amendement CL781 de Mme Naïma Moutchou.

Mme Naïma Moutchou. Cet amendement s’inspire des modules « Respeto » créés dans les établissements pénitentiaires espagnols. Ils existent en France depuis 2015 : aujourd’hui dix-huit prisons en ont ouvert et vingt établissements supplémentaires projettent de le faire entre 2018 et 2022. Le module de confiance, « Respeto », s’inscrit dans l’esprit du projet de loi, qui vise à repenser la prison et concilie peine adaptée et peine efficace en termes de réinsertion. Il semblerait que les bénéfices soient nombreux. La contrôleure générale des lieux de privation de liberté a eu l’occasion de s’exprimer sur le sujet en 2017 ; elle estime notamment que ce dispositif est intéressant en ce qu’il promeut l’autonomie des personnes et qu’il allège les contraintes sécuritaires. Mon amendement CL781 vise à évaluer les modules « Respeto » aujourd’hui expérimentés – évaluation qui s’inscrirait dans le cadre du rapport prévu à l’article 1er ter, qui préciserait en particulier les effets des modules sur l’évolution des violences en détention, sur la responsabilisation des personnes détenues dans le cas de la préparation de leur réinsertion, et sur l’évolution des métiers pénitentiaires.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Avis favorable. Je partage les propos de Naïma Moutchou quant à l’intérêt d’évaluer précisément la mise en place des modules de confiance expérimentés dans une vingtaine d’établissements pénitentiaires depuis 2015. Ces modules permettent aux détenus de bénéficier de conditions de détention plus souples moyennant le respect de certaines règles, notamment de discipline. Il convient de procéder à une évaluation de ce dispositif qui trouvera toute sa place dans le rapport d’exécution de la présente loi.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Avis très favorable. Dans la mesure où nous envisageons d’étendre le module de confiance comme l’une des modalités de la détention, cette évaluation nous sera très utile.

M. Erwan Balanant. J’ai presque envie de dire que nous n’avons pas besoin d’évaluer le module « Respeto » : d’après ce que j’en ai vu, cela fonctionne très bien. Un rapport permettra aussi d’imaginer nos futures prisons en partie autour de ce module. Un des freins à sa création, c’est souvent que les bâtiments ne sont pas adaptés. Je me félicite de ce rapport et du fait que la garde des Sceaux et l’AP aient la volonté de développer ce dispositif.

Mme Naïma Moutchou. L’évaluation est indispensable car certaines choses fonctionnent très bien, d’autres un peu moins. Tous les publics ne peuvent être visés ni tous les établissements pénitentiaires. Nous avons besoin de données pour pouvoir étendre ce dispositif.

La Commission adopte cet amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL782 de Mme Yaël Braun-Pivet.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Cet amendement, dans la droite ligne des amendements présentés par Philippe Gosselin tout à l’heure, s’inspire des travaux que j’ai pu conduire dans le cadre des groupes de travail sur la détention. J’ai piloté un groupe sur la diversification des conditions de détention par le recours aux établissements ouverts, partant du principe qu’il fallait avoir des établissements dont la sécurité soit différenciée selon la dangerosité des détenus et selon le projet que l’on veut y mener. Nous avions préconisé dans notre rapport des établissements destinés très fortement à la réinsertion, que ce soit pour la prise en charge de courtes peines d’emprisonnement ou pour les fins de peine pour préparer le retour dans la société.

Je me suis réjouie de la reprise de cette idée par le Gouvernement à travers les structures d’accompagnement vers la sortie (SAS), pour lesquelles le Gouvernement s’est engagé à construire 2 000 places. Cet amendement invite le Gouvernement à nous transmettre une évaluation des mises en place de ce concept nouveau. Je souhaite que la commission puisse recevoir ces données afin de suivre les préconisations qu’elle avait formulées et la concrétisation qui aura lieu dans les prochaines années.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Mon avis sera évidemment favorable… J’en profite pour saluer les travaux que vous avez conduits sur ces sujets et qui se concrétisent dans ce texte. Un rapport d’évaluation permettant de suivre la mise en œuvre effective de ces mesures aura également toute sa place.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Avis très favorable, pour toutes les raisons que vous avez exposées.

M. Pierre Morel-À-L’Huissier. Je soutiens cet amendement d’autant plus volontiers que j’ai participé aux travaux que vous avez menés au nom de la commission des Lois, mais j’aurais souhaité que l’on puisse préciser ce que l’on entend par les différentes dénominations.

Vous prônez, madame la garde des Sceaux, des SAS avec 2 000 places pour des courtes peines et des fins de peine. Nous avons eu l’occasion, avec la présidente de la commission, de nous rendre au Danemark pour voir ce qu’était là-bas le concept de prison ouverte. Je vous rappelle que nous avons en France Casabianda, à côté de Bastia, avec 200 places, ainsi que le centre de Mauzac en Dordogne, avec 251 places et rattaché à des fermes écoles : ce dispositif évite des suicides et l’angoisse de l’enfermement, et permet une resocialisation plus importante. Au Danemark, 34 % des détenus sont dans des structures ouvertes ; en Finlande, ils sont 32 % et en Suède 24 %. Nous avons conclu, à la commission des Lois, à la création de centres de détention à sécurité allégée, qui auraient concerné environ 10 % des personnes incarcérées, ce qui représenterait quelque 7 000 personnes. Comment se situent les SAS par rapport aux prisons ouvertes ou aux centres de détention à sécurité allégée ? Cela mériterait d’être précisé.

M. Philippe Gosselin. J’ai la même question que M. Morel-À-L’Huissier. Par ailleurs, puisqu’il s’agit de 2 000 places sur 15 000, Mme la garde des Sceaux pourrait-elle nous préciser la répartition de ces 2 000 places dans la première période, donc des 7 000, puis parmi les plus hypothétiques 8 000 à l’horizon 2027 ? Est-ce 2 000 sur 7 000 ?

Mme Danièle Obono. Nous avons l’habitude de demander des rapports, justement parce qu’il est intéressant de mettre à jour les données et les éléments dont nous disposons sur chacune des questions. J’imagine qu’absolument rien n’a jamais été écrit sur le sujet ; je suppose que c’est pour cela que vous êtes favorable, pour une fois, à ces deux rapports consécutifs !

Pourtant les dispositifs en question, même s’ils ont changé de sigle, correspondent à des structures qui existaient déjà : les quartiers de préparation à la sortie devaient être mis en place par le précédent garde des Sceaux.

Nous serons favorables à cet amendement car la proposition est pertinente, et nous espérons que cette ouverture d’esprit non pas sur la forme – un rapport –, mais sur le fond, sera encore à l’œuvre pour les prochaines propositions que nous ferons en ce sens.

Mme Cécile Untermaier. Ce rapport nous donne envie d’en savoir un peu plus sur le plan prison. Sans esprit de polémique, est-il envisageable de connaître le programme jusqu’en 2022 : les emplacements, la structure et la nature des établissements que vous envisagez ? S’il est difficile de le dire maintenant, pourrions-nous avoir ces informations quand vous le jugerez possible ?

M. Bruno Questel. Il suffira de lire le rapport !

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Le programme pénitentiaire est public. Je pourrai vous le communiquer très rapidement : un document officialise les lieux, les dates, les places, les structures. Cela existe, avec des photos des différents établissements.

Au fond, je souhaite que nous ayons des structures à l’architecture différenciée, et des régimes de détention différenciés. Les deux doivent se conjuguer.

Monsieur Morel-À-L’Huissier, vous faites allusion à votre voyage avec la présidente au Danemark. Sans doute vous en souvenez-vous avec émotion, et vous n’aurez pas oublié que cette prison dite « ouverte » n’est pas complètement ouverte physiquement. Elle a des grillages et des barbelés : on n’y entre ou on n’en sort pas n’importe comment. Ce qui n’est pas le cas de la prison de Casabianda, en Corse, dont on entre et on sort comme on veut, puisqu’il n’y a aucune limite physique entre la prison et le champ à côté : c’est une exploitation agricole de 15 000 hectares et il y a même une route nationale qui passe au milieu. Et les détenus, dont les bâtiments de détention sont face à la plage, peuvent parfaitement s’éloigner lorsqu’ils ne sont pas occupés à des activités.

Tout cela illustre que l’expression « prison ouverte » recouvre des régimes pénitentiaires différents. Or je souhaite qu’il y ait une gamme d’établissements et de régimes pénitentiaires : il y aura bien sûr des maisons centrales, très fermées, avec des miradors ; il y aura des maisons d’arrêt, qui pourront accueillir des régimes de détention différents – régime confiance, régime classique ; il y aura des centres de détention où l’on trouvera des prises en charge différentes ; enfin, il y aura les structures d’accompagnement vers la sortie (SAS), beaucoup moins sécuritaires, voire très peu sécuritaires. Si vous allez à Villejuif, où il y a une structure d’accompagnement vers la sortie – qui porte actuellement un autre nom, mais peu importe –, vous ne verrez pas physiquement la différence entre ce petit immeuble et le reste de cette rue plutôt pavillonnaire. Il y a évidemment de la sécurité à l’intérieur, et les détenus, parce que c’est le principe de la structure, sont progressivement accompagnés vers la sortie : à Marseille par exemple, les détenus ne sont pas soignés dans la SAS, mais à l’extérieur, pour qu’ils puissent avoir un médecin de référence quand ils sortiront, car la prise en charge sanitaire est souvent un point important. De la même manière, les questions liées au logement sont traitées avec l’extérieur. C’est une forme de prison ouverte.

Par ailleurs, nous allons implanter trois prisons expérimentales centrées sur le travail, qui comporteront également un régime de détention beaucoup plus ouvert que dans d’autres systèmes. C’est donc une gradation des bâtiments et des régimes de détention.

M. Pierre Morel-À-L’Huissier. Vous n’avez donc pas l’idée que les SAS soient une structure ex nihilo, indépendante d’un centre de détention ?

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Si, tout dépendra des situations physiques. Dans un certain nombre de cas, nous sommes obligés d’implanter le SAS dans une emprise pénitentiaire, car nous avons besoin d’un terrain pour installer d’ici à 2022 les 2 000 places en SAS, sur 7 000 prévues. Parfois, nous aurons besoin d’une implantation pénitentiaire, mais alors ce sera toujours en lisière de l’établissement pour que le dedans/dehors soit possible. Dans d’autres cas, ce seront des structures ex nihilo, implantées… quelque part.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle en vient à l’amendement CL783 de la présidente.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Je tiens beaucoup à cet amendement, dont Robin Reda a parlé précédemment : il s’agit de réaliser une évaluation beaucoup plus fine de la récidive. Il est demandé au Gouvernement d’évaluer le taux de récidive et de réitération en fonction des conditions de détention, de la catégorie d’établissement pénitentiaire d’affectation, du régime de détention, de la nature des activités que le détenu aura suivies en détention : y a-t-il travaillé, reçu une formation ? Quel est l’impact de cette prise en charge sur le taux de récidive ? Il y a quinze jours, j’ai exhumé un rapport de 1955 dans lequel il était écrit qu’en la matière, l’administration pénitentiaire ne faisait que de grossières approximations. Malheureusement, nous avons peu progressé et j’espère que le Gouvernement pourra nous donner des évaluations beaucoup plus précises qui nous permettront un pilotage beaucoup plus fin de notre politique pénale et pénitentiaire.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Avouons-le, nous ne sommes pas parfaitement outillés en termes de statistiques, nous devons vraiment progresser de ce point de vue. Nous avons beaucoup de statistiques dans tous les sens, mais il est tellement difficile de les analyser, parce que les éléments d’évaluation sont multifactoriels, que nous avons le plus grand mal à utiliser pleinement l’ensemble des données chiffrées. Nous devons progresser de ce point de vue, et votre travail nous y aidera certainement.

M. Erwan Balanant. Sans statistiques, on ne peut pas évaluer parfaitement, et on ne peut pas savoir ce qui marche. Dans la mesure où l’on va développer les types de détention et se doter d’un panel de parcours de peine, il est extrêmement important que l’on mette en place les outils statistiques objectivant le résultat de chacun de ces types de parcours.

Nous avions parlé avec la présidente de la commission, lorsque nous nous sommes rendus à Casabianda, de la difficulté de disposer de statistiques sur ce qui marche et ce qui ne marche pas. Nous avions demandé à l’administration de Casabianda si elle avait des statistiques ; elle avait été très gênée pour nous répondre, faute de disposer de données totalement objectives. Je pense donc qu’il faut aussi prévoir des objectifs par établissement, sans qu’ils soient nécessairement publics, pour éviter tout risque de stigmatisation, afin qu’au moins l’administration puisse avoir des données très précises de ce qui marche et de ce qui ne marche pas dans les différents endroits.

M. Sébastien Jumel. C’est la seconde fois que je prends part aux travaux de cette commission, et je suis heureux de constater l’état d’esprit qui y règne, qui tranche singulièrement avec d’autres commissions, notamment à l’égard des rapports. Votre jurisprudence mériterait de faire des petits dans d’autres domaines de l’activité parlementaire…

Je trouve que votre idée, consistant à évaluer ce qui conduit à la récidive pendant le temps de la détention, est bonne. Mais il faudrait aussi évaluer, dans la place réservée dans la société à ceux qui sortent de prison, tous les éléments qui conduisent à la récidive. Quelles sont les conditions d’accès au logement social pour quelqu’un qui sort de prison et dont le « pedigree » et les capacités financières sont difficilement compatibles avec les critères d’éligibilité ? Si l’on étendait le diagnostic de la récidive au champ sociétal, aux défaillances de politiques publiques et d’insertion réelle des plus exclus d’entre nous, cela permettrait peut-être d’améliorer ces politiques publiques par ailleurs tellement abîmées sous cette majorité : politique de la ville, politique du logement… Stéphane Peu pourrait vous en dire beaucoup là-dessus.

Quand on sort de prison et que l’on n’a pas de logement, pas de boulot, et que l’on retourne dans son quartier d’origine avec au bout du compte le seul bagage de la détention sans avoir réglé aucun des problèmes qui vous y ont conduit, cela s’appelle la récidive.

M. Olivier Marleix. Il est toujours utile de renforcer les outils statistiques du ministère de la justice, mais je suis surpris de voir qu’on ne s’intéresse qu’aux conditions de détention, et non au profil des détenus. Il peut être éminemment utile de croiser les données et de les analyser en fonction de l’âge du détenu, s’il s’agit de sa première condamnation effective à une peine de prison, si c’est son premier séjour en prison, s’il est déjà récidiviste, pour appréhender l’effet des conditions de détentions. Mais peut-être s’agit-il d’un oubli ?

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Il ne s’agit pas d’un oubli : mon amendement s’inscrit dans la continuité des travaux que nous avons menés au sein de la commission des Lois. Nous nous étions focalisés sur la prise en charge du détenu à l’intérieur des établissements pénitentiaires, notamment via l’activité ou le travail. Le champ a été volontairement restreint. Il ne s’agit pas de demander au Gouvernement de nous faire un état global des causes de la récidive, mais de nous concentrer sur les conséquences des différentes prises en charge sur la récidive pour les préciser, les adapter et voir ce qui marche et ce qui ne marche pas – ce qui ne signifie pas que les autres sujets ne soient pas intéressants.

Je prends un exemple au hasard : si l’on forme tous les ans deux cents détenus à la boulangerie, exerceront-ils un emploi dans ce secteur après leur sortie ? Exerceront-ils un emploi en général ? Ou, si cette formation n’a mené à rien, est-il nécessaire de la piloter différemment ?

Voilà pourquoi j’ai volontairement limité mon amendement à la seule prise en charge en détention. Vous avez raison, les causes de la récidive sont multiples et variées, c’est la raison pour laquelle nous avons beaucoup de mal à la mesurer et à lutter contre ce phénomène. Mais je pense que mon amendement apporte un début de réponse à la question de la prise en charge spécifique en détention.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je ne veux rien ajouter au fond, mais en réponse à l’observation de M. Jumel à propos des rapports, il ne s’agit pas d’un rapport en plus – vous savez que le Gouvernement n’est pas favorable à la multiplication des rapports quand cela n’apparaît pas opportun. En réalité, nous nous situons dans le cadre d’un article rajouté par le Sénat qui avait été proposé par le sénateur Thani Mohamed Soilihi, lequel prévoit que le Gouvernement remette chaque année un rapport d’exécution sur la loi. L’ensemble des éléments dont nous venons de débattre s’inscrira dans ce rapport. Si le Gouvernement n’est pas favorable à la multiplication des rapports, nous souhaitons vraiment rendre compte de nos politiques publiques : c’est l’esprit général de la révision constitutionnelle que j’aurai le plaisir de porter prochainement devant vous.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article 1er ter modifié.

Titre II
Simplifier la procédure civile et administrative

Sous-titre Ier
Redéfinir le rôle des acteurs du procès

Chapitre premier
Développer la culture du règlement amiable des différends

Avant l’article 2

La Commission est saisie de l’amendement CL384 de M. Antoine Savignat.

M. Antoine Savignat. Mon amendement propose de supprimer le chapitre premier. Vous partez, madame la garde des Sceaux, d’un constat juste, partagé par l’ensemble des professions judiciaires : le développement et la mise en place des modes alternatifs de règlement des litiges sont indispensables, mais en procédant comme le propose le projet de loi, vous n’en tirez pas la juste conclusion.

L’ensemble de notre procédure civile est axé sur le procès : les articles 1er et 2 du code de procédure civile imposent que les parties introduisent et conduisent l’intégralité de la procédure. Or votre texte laisse la possibilité aux magistrats, à tout moment de la procédure, d’ordonner la mise en place d’un mode alternatif de règlement. À tout moment, alors que bien souvent, les personnes arrivent à l’issue d’un long parcours, après avoir subi un dommage, constitué un dossier, rencontré l’ensemble des professionnels du droit et que de longues audiences de mise en état se sont tenues, le magistrat pourra leur ordonner de s’adresser à un autre interlocuteur.

C’est particulièrement gênant, car il y va de la souveraineté de l’État : rendre la justice est une de ses prérogatives essentielles. Qui plus est, si l’on suit le procédé dont vous proposez la mise en place, vous allez privatiser et commercialiser la justice : en renvoyant devant un médiateur ou un arbitre, vous imposerez aux parties de supporter un coût qu’elles n’auraient pas à supporter en saisissant la juridiction. Vous ne pouvez pas développer la culture du règlement amiable à coups de marteau tel que vous le proposez dans ce texte.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Avis défavorable. Vous êtes opposé par principe à l’approche du règlement amiable et alternatif des litiges dans ce projet de loi ; nous aurons l’occasion d’en débattre plus longuement en discutant de chacune des dispositions de ce chapitre.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Même avis.

M. Jean Terlier. Le développement du mode alternatif de règlement des différends est au cœur du dispositif de la réforme de la procédure civile dans ce texte. Je signale une petite confusion, qui sera rectifiée : les parties ne seront pas obligées de trouver un accord de médiation. Elles auront l’obligation de rencontrer un médiateur, mais pas de souscrire à la médiation.

D’expérience, je peux vous dire que cette médiation est déjà ordonnée dans la plupart des cas, et même en appel, par le premier président de cour d’appel. Force est de constater que même après plusieurs années de procédure et de contentieux, ces techniques de médiation fonctionnent tout à fait correctement.

La Commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CL-925 de la rapporteure.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Il s’agit d’un amendement de précision : l’intitulé de cette division porte sur le règlement amiable des litiges, alors qu’il est également fait référence à l’arbitrage, qui n’est pas un mode de règlement amiable, mais alternatif.

La Commission adopte l’amendement.


2.   Deuxième réunion du mercredi 7 novembre 2018 à 14 heures (article 2 à après l’article 3)

Lien vidéo :

http://www.assemblee-nationale.tv/video.6898512_5be2e04980542.commission-des-lois--projets-de-loi-de-programmation-2018-2022-et-de-reforme-pour-la-justice-suite-7-novembre-2018

Mme la présidente Mme Yaël Braun-Pivet. Nous poursuivons l’examen des articles du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.

Nous reprenons la discussion à l’article 2.

Article 2
(art. 22-1, 22-2 et 22-3 de la loi n° 95-125 du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative)
Développement du recours aux modes alternatifs de règlement des différends

La Commission est saisie de l’amendement CL385 de M. Antoine Savignat.

M. Antoine Savignat. Il est nécessaire de mettre en place des modes alternatifs de règlement, mais pas de la façon dont vous entendez procéder. En prévoyant que le juge « peut ordonner à tout moment de la procédure une médiation, une conciliation ou un arbitrage », vous placez le justiciable dans la situation du malade qui, après cinq heures d’attente aux urgences, s’entend dire que l’on ne peut rien faire pour lui et qu’il doit se rendre à la clinique privée voisine pour se faire soigner. À tout le moins eût-il fallu prévoir que cette injonction ne peut intervenir à tout moment de la procédure.

Il conviendrait de discuter les modalités de mise en place de ces règlements alternatifs dans le cadre d’une réforme plus globale de la procédure civile, en clarifiant par exemple les dispositions de 2015 qui imposent aux parties de tenter de trouver une solution amiable avant toute saisine du juge au fond. On parviendrait ainsi à la finalité évidente de désengorger les tribunaux.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Je comprends qu’il puisse exister une opposition de principe au développement des mécanismes de règlement amiable des litiges : on peut considérer que tout litige doit être placé sous l’office du juge, qui devra procéder à son règlement définitif.

Mais le point de départ de ce texte est bien de renforcer une culture amiable du règlement des litiges, et ce à tout moment. En tant que praticienne, mais aussi comme citoyenne, j’estime que le litige ne doit pas être tranché forcément par un juge, surtout lorsqu’il n’est pas très contentieux. Il peut être utile de faire un pas de côté pour permettre aux parties de trouver un règlement amiable. On renverse ainsi les termes de l’adage bien connu : mieux vaut un bon accord qu’un mauvais procès !

Le juge doit pouvoir estimer qu’il est sain de tenter une pacification avant que le litige ne devienne frontal, ou même lorsque la confrontation et la tension ont déjà atteint des niveaux élevés.

Plusieurs éléments de l’exposé sommaire m’interpellent. Vous indiquez que ce procédé conduirait à « décharger » le juge de sa fonction et de sa mission de service public. Ce n’est nullement le cas, puisque c’est bien le juge qui enjoint aux parties de procéder à un règlement amiable. Selon son appréciation de l’évolution du contentieux et des circonstances, il peut estimer nécessaire, dans le cadre de son office, de dépassionner les débats et de laisser les parties se rapprocher l’une de l’autre afin de trouver un accord amiable. Il n’y a donc aucune « aliénation d’une partie de la souveraineté de l’État ». Enfin, les parties procéderont au règlement amiable si elles le souhaitent : il s’agit bien sûr d’une tentative de règlement amiable et non d’une injonction à régler le litige de façon amiable. Avis défavorable.

Mme Cécile Untermaier. Si nous trouvons le dispositif compliqué, nous n’y sommes pas pour autant hostiles, puisque nous l’avons mis en place en 2015. Je voudrais que vous apportiez une précision, madame la rapporteure : en cours de contentieux, c’est bien avec l’accord des parties que le juge renvoie à une médiation ?

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Il s’agit d’une injonction à tenter le règlement amiable : les parties doivent prendre rendez-vous avec un médiateur, qui les informe sur le processus et les issues possibles de la médiation ; il leur revient ensuite de décider si elles recourront ou non à la médiation. On sort de la salle d’audience et on essaye de voir s’il existe d’autres moyens.

M. Jean Terlier. Le juge est saisi : il constate que les parties sont proches de trouver un accord ; s’il l’estime nécessaire, il propose cette médiation.

Il faut faire confiance au pragmatisme du juge, qui ne proposera la médiation que s’il pense qu’elle a des chances d’aboutir. Il n’a aucun intérêt à le faire si la médiation est vouée à l’échec, puisque le dossier lui reviendra.

M. Ugo Bernalicis. Je n’ai pas de difficulté avec l’idée d’une justice plus horizontale où les gens trouvent un accord, homologué ensuite par le juge. Pour autant, le caractère obligatoire de la procédure de règlement amiable me pose problème, alors que la proposition du Sénat d’augmenter le nombre de conciliateurs et de garantir une procédure gratuite et rapide a été refusée. Nous sommes favorables au principe des modes alternatifs de règlement alternatif mais contre les modalités de leur mise en place.

M. Antoine Savignat. Madame la rapporteure, nous ne sommes pas opposés par principe à ces modes alternatifs de règlement. C’est vivre avec son temps que de les accepter et ils sont devenus systématiques pour les gros contrats en droit du commerce ou des affaires. Il est nécessaire de les mettre en place, mais pas comme le prévoit le texte.

Vos propos rejoignant ma pensée, vous avez dit que le juge « propose » ; pourtant, il est indiqué dans le texte que le juge « ordonne ». À partir du moment où le juge ordonne la médiation, les parties n’ont plus d’alternative. Nous ne sommes pas non plus dans ce temps court auquel vous faites allusion : il ne s’agit pas de sortir de la salle d’audience pour faire un point. Nous sommes dans le cadre d’une médiation, dont le juge fixera la durée, la rémunération et la part à la charge des parties, puisque les autres dispositions du texte ne sont pas modifiées.

Substituer au terme « ordonne » le terme « propose », bien plus compatible avec la finalité d’un règlement alternatif, supprimerait toutes les difficultés, comme l’ouverture d’un nouveau temps alors que la procédure est très avancée. Nous n’avons pas d’opposition de principe, mais nous tentons d’apporter une nuance.

M. Alain Tourret. Il convient de préciser ce qu’est une injonction. S’il s’agit d’une proposition, elle est rendue en dernier ressort par le juge, dans son pouvoir souverain. S’il s’agit d’un ordre, elle est susceptible de créer un préjudice. Il vous faut alors prévoir la possibilité d’un recours.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Nous souhaitons élargir le champ des modes alternatifs de règlement des litiges – conciliation, médiation et procédure participative. Comme l’a expliqué la rapporteure, tous les litiges n’ont pas à passer devant le juge et le contentieux n’est pas la panacée. Ainsi que vous l’avez fait remarquer, monsieur Savignat, il est parfois préférable de trouver une autre solution.

D’autre part, nous disons que le juge peut renvoyer à la médiation. Il s’agit bien évidemment d’une injonction, mais cela ne signifie pas que l’on escompte un résultat. Les parties doivent simplement rencontrer un médiateur. En cas d’échec, le juge reprend le contentieux tel qu’il était noué devant lui. Avis défavorable.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. La disposition, qui modifie l’article 22-1 de la loi du 8 février 1995 relative à l'organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative, prévoit que le juge peut enjoindre les parties de rencontrer un médiateur. L’article 22-1 indique que le médiateur « informe les parties sur l’objet et le déroulement d’une mesure de médiation ». Comme je l’ai indiqué, le juge enjoint aux parties de sortir de la salle d’audience pour rencontrer le médiateur, dans la perspective de procéder, si les parties le souhaitent, à une médiation.

M. Bernalicis nous a interrogés sur le caractère obligatoire de la médiation. La médiation est obligatoire pour les litiges de moindre valeur, mais nous reviendrons sur ce point lors de l’examen de l’amendement du Gouvernement tendant à rétablir la disposition.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CL298 de M. Vincent Bru.

M. Vincent Bru. Nous sommes tous d’accord pour déjudiciariser les contentieux, faire en sorte que la voie judiciaire soit le recours ultime et favoriser, comme le souhaite la garde des Sceaux, les modes amiables de résolution des conflits.

Pour autant, on s’aperçoit que les notions sont confuses dans l’esprit du public. Il n’y a pas si longtemps, on parlait de « médiation judiciaire », au lieu de « conciliation judiciaire », et c’est grâce à un amendement cosigné par Mmes Cécile Untermaier et Colette Capdevielle que l’on a supprimé en 2016 le terme « judiciaire ».

Pour favoriser la médiation, il est important de la définir. Cet amendement reprend la définition très précise qui figure dans le code national de déontologie des médiateurs, validée en 2009 par les dix organismes les plus représentatifs de la médiation : « La médiation, qu’elle soit judiciaire ou conventionnelle, est un processus structuré reposant sur la responsabilité et l’autonomie des participants qui, volontairement, avec l’aide d’un tiers neutre, impartial, indépendant et sans pouvoir décisionnel ou consultatif, favorise par des entretiens confidentiels, l’établissement et/ou le rétablissement des liens, la prévention, le règlement des conflits. »

Il convient de définir de façon plus précise le rôle du médiateur, qui cherche à rapprocher les points de vue sans jamais imposer sa solution, contrairement au conciliateur.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Je comprends votre démarche, issue du travail que vous avez mené sur la médiation et le statut des médiateurs, et qui a débouché sur un certain nombre d’amendements, déclarés irrecevables. Il s’agit d’identifier de façon plus précise les différents modes de résolution amiable des différends.

Le Gouvernement partage ce point de vue. En témoigne notamment le décret du 9 octobre 2017, qui permet aux cours d’appel d’établir des listes de médiateurs judiciaires.

Cependant, je ne pense pas que ce texte soit le bon véhicule pour conduire la nécessaire réflexion sur la médiation. Il convient de mener une large concertation pour élaborer des définitions consensuelles et mieux encadrer le statut. Je vous demande de bien vouloir retirer cet amendement, à défaut de quoi l’avis sera défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Cet amendement est contraire à notre objectif, donner la possibilité au juge d’enjoindre de rencontrer un médiateur. C’est évidemment une possibilité que le juge appréciera : il n’ira pas demander aux parties de rencontrer un médiateur s’il sait que cela n’a aucune chance de réussir.

Mme Cécile Untermaier. Sauf s’il n’a pas envie de juger !

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. J’ai rarement vu un juge qui n’avait pas envie de juger !

Par ailleurs, nous n’avons jamais eu pour ambition de modifier la définition de la médiation donnée par l’article 21 de la loi de 1995, qui est conforme à nos engagements européens et suffisamment opérante pour englober les différents types de médiation : « la médiation s’entend de tout processus structuré, quelle qu’en soit la dénomination, par lequel deux ou plusieurs parties tentent de parvenir à un accord […] avec l’aide d’un tiers […] ».

Je vous demande donc de retirer votre amendement.

M. Vincent Bru. On comprend bien que ce n’est qu’une possibilité et que le juge ne renverra pas à une médiation si elle n’est pas utile. D’une part, les parties peuvent imaginer, avant même que le juge ne soit saisi une médiation – il s’agira alors d’une médiation conventionnelle. D’autre part, il me semble qu’en l’état actuel du droit, les choses ne sont pas aussi claires que vous voulez bien dire et que la distinction doit être mieux faite entre médiation et conciliation.

Mme Cécile Untermaier. Je souscris à cette volonté de clarification. Vous pouvez certes renvoyer au texte de 1995, mais nous sommes en 2018, avec la volonté de porter la médiation à un autre niveau qu’il y a une vingtaine d’années. Nous devrions avoir le souci de rendre plus lisibles les outils qui seront proposés aux justiciables, lesquels ne manient pas au quotidien ces notions.

Vu l’ampleur qu’est appelée à prendre la médiation, il me semble que ce texte s’enrichirait en reprenant, a minima, la définition donnée par la loi de 1995. L’observation a été souvent formulée lors des auditions : il convient de bien préciser ce qu’est la médiation, le rôle du médiateur, sa formation, et la façon dont il est contrôlé.

M. Sébastien Jumel. Je souscris à l’idée de donner une plus grande place aux modes alternatifs de règlement des conflits et, pour cela, d’en clarifier le périmètre.

Mme la garde des Sceaux ne connaît pas de juge ne souhaitant pas juger. Soit. Mais nous pouvons admettre que la charge de travail, l’embouteillage de nos tribunaux peuvent conduire le juge à considérer que son expertise serait utilement mobilisée sur les contentieux complexes, urgents, importants, comportant éventuellement des enjeux financiers, et à se délester des contentieux de moindre importance sur les modes alternatifs de règlement des conflits.

Il faut prendre garde à ce que les modes alternatifs de règlement des conflits ne soient pas la porte ouverte à une inégalité des parties dans l’appréhension du litige. Quand on a un peu d’argent, on peut bénéficier de l’expertise d’avocats. Je profite de cette occasion pour réaffirmer ma croyance républicaine dans le principe que la loi protège le plus faible contre le plus fort et que le juge rend justice au nom du peuple, avec le souci de protéger le petit – on pourrait, à un moment donné, perdre le sens de la justice.

M. Jean Terlier. Je salue l’initiative de M. Bru : il est de bon sens, au moment où l’on parle de médiation, de vouloir la définir.

Mme la ministre a expliqué que les textes existants, notamment la loi de 1995, donnent une définition satisfaisante de la médiation. Modifier cette définition en en restreignant le champ pourrait avoir l’effet inverse de celui recherché, c’est-à-dire le développement de la médiation.

Deuxième observation, le juge appréciera s’il convient d’enjoindre aux parties de rencontrer un médiateur : il n’a aucun intérêt à les y forcer pour se décharger du dossier car si la médiation devait achopper, il lui reviendrait in fine de trancher le litige. L’objectif du magistrat, qui est de rendre rapidement la justice, ne serait alors pas atteint. La rencontre d’un médiateur en cours de procédure ne sera ordonnée que lorsque le juge sentira que les parties sont proches d’un accord.

M. Alain Tourret. Je crains qu’entre la médiation, la conciliation et l’arbitrage, il n’y ait des zones de croisement difficiles à déterminer. Si l’on laisse au juge le soin de les déterminer, ce sera vraisemblablement la chambre civile de la Cour de cassation qui apportera une définition permettant de séparer les champs d’application et de savoir, par exemple, si l’on peut choisir son arbitre ou si l’on peut se faire imposer un médiateur. C’est la raison pour laquelle je pense qu’il faudra, à un moment donné, définir. Sans cela, vous apporterez de l’insécurité pour le justiciable.

M. Erwan Balanant. Nous nous interrogeons à la fois sur le statut de la médiation et sur celui du médiateur. J’ai déposé, après l’article 3, l’amendement CL593 qui vise à demander au Gouvernement de remettre au Parlement un rapport évaluant notamment l’intérêt de préciser les exigences relatives à la formation, au contrôle de l’activité et à la rémunération des médiateurs. Il serait de nature à nous réconcilier.

M. Stéphane Mazars. Lorsqu’un juge renvoie à une médiation, il choisit le médiateur, et souvent en fonction de la matière : certains sont spécialisés dans les affaires successorales, d’autres en matière de droits réels, etc.

La pratique, monsieur Jumel, montre que ce ne sont pas les conflits accessoires ou secondaires qui font le plus l’objet d’une médiation, notamment lorsque ce sont les magistrats qui dirigent les parties vers un médiateur. Ce sont plutôt les conflits très complexes, notamment en matière de succession, de liquidation de communauté, de droits réels.

La médiation a un intérêt : elle ne règle pas seulement le litige, mais aussi le conflit, dont le litige n’est que l’expression. Le rapprochement entre parents d’une même famille ou entre voisins permet de régler, par anticipation, les litiges à venir. On sait qu’en matière successorale un litige peut renaître au sein de la génération suivante lorsqu’un conflit n’a pas été réglé.

M. Antoine Savignat. Il est vrai, madame la ministre, que tous les dossiers n’ont pas besoin d’aller devant un juge. Mais si nous avons ce débat et si nous soulevons ces problèmes, c’est précisément parce que vous avez imaginé un système dans lequel le juge interviendra dans le cadre de la mise en place de ce règlement alternatif. Une réforme en bloc de la procédure civile serait préférable : ainsi, ces modes de règlement alternatif seraient isolés de la procédure et le juge n’aurait pas à en connaître. Cela éviterait toutes les difficultés, notamment le rôle très important que devra jouer la Cour de cassation dans la mise en place de ce dispositif.

M. Vincent Bru. Je rappelle à mes collègues qu’il existe un autre mode de médiation, qui n’est pas ordonné par le juge, la médiation conventionnelle. Qu’on en vienne à l’oublier montre que la définition de la médiation fait peut-être défaut dans l’esprit de certains.

Certes, madame la garde des Sceaux, l’article 21 de la loi de 1995 donne une définition de la médiation, mais convenez que celle-ci manque de précision, est ambiguë et assez peu juridique. L’expression « quelle qu’en soit la dénomination » peut couvrir des hypothèses qui ne relèvent pas de la médiation. Pourquoi ne pas faire plus clairement la distinction entre la médiation et les autres modes de règlement ?

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Il y a, de part et d’autre, la volonté de mieux situer les choses, de mieux comprendre les mécanismes, de mieux savoir ce qui relève de la médiation judiciaire, de la médiation conventionnelle, de la conciliation et de la procédure participative. Mais ce n’est pas le lieu.

Adopter cet amendement, qui ne porte que sur la médiation conventionnelle, n’apporterait pas de réponse aux autres questions, comme le statut des médiateurs. Il existe des forums plus appropriés pour mener cette réflexion de fond. Je crois savoir que, dans le cadre du Printemps de l’évaluation, la médiation fera l’objet d’un focus. Cela nous permettra de travailler sur ces notions, bien mieux que dans le cadre de ce projet de loi qui porte sur la procédure.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Une des raisons pour lesquelles je demande le retrait de cet amendement est qu’en substituant trois alinéas aux alinéas 1 à 6, il écrase des dispositions qui nous semblent importantes, notamment la possibilité pour le juge d’enjoindre aux parties à recourir à une médiation.

Par ailleurs, je ne crois pas qu’une définition plus précise soit nécessaire. Je vous signale qu’il n’existe pas de définition plus précise au niveau européen, le droit européen mélangeant, sans que cela ne semble poser problème, tous les modes alternatifs de résolution des différends (MARD). Il n’y a pas de difficultés concrètes dans la définition. Il existe en France deux modes d’accès à la médiation : la voie conventionnelle, au libre choix des parties, et la voie judiciaire. Je ne vois pas en quoi il serait nécessaire d’aller au-delà.

 Ce qui importe, c’est de structurer notre démarche. C’est précisément ce qui a été fait depuis la loi de 2016 : le décret du 18 avril 2017 permet à toute personne de faire de la médiation, à condition qu’elle n’ait pas fait l’objet d’une condamnation pénale ou d’une sanction administrative ou disciplinaire, et qu’elle puisse se prévaloir d’une expérience ou d’une formation en matière de médiation ; par ailleurs, chaque cour d’appel établit des listes de médiateurs – ils sont entre 600 et 700 aujourd’hui en France.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l'amendement CL950 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je vais défendre en même temps l’amendement CL950 et l’amendement CL1042 qui vient en discussion plus tard, car ils sont issus d’un découpage.

Il s’agit de l’un des points que j’ai précédemment évoqués : l’extension du champ des modes alternatifs de règlement des différends (MARD). La tentative de résolution amiable préalable obligatoire existe pour les litiges inférieurs à 4 000 euros, qui sont examinés par le tribunal d’instance. Je souhaite l’étendre aux litiges introduits devant le tribunal de grande instance lorsque la demande n’excédera pas un montant qui sera défini par décret en Conseil d’État ou lorsqu’elle concernera un conflit de voisinage. Prenons l’exemple de deux voisins qui sont en conflit à propos de l’élagage d’un arbre. Il me semble plus opportun qu’ils puissent essayer de trouver une solution ensemble avec l’aide d’un conciliateur ou d’un médiateur avant de saisir le juge.

Cette proposition préserve l’accès au juge. Il est clairement précisé que si un justiciable se trouve dans l’impossibilité de trouver un médiateur, le tribunal ne pourra pas considérer que sa demande est irrecevable.

Enfin, cette obligation de tentative de résolution amiable préalable ne s’appliquera pas lorsque l’administration doit procéder elle-même à une tentative de conciliation. C’est le cas, par exemple, devant la commission départementale de conciliation pour un conflit relatif à la hausse d’un loyer lors du renouvellement d’un bail d’habitation.

Je vous le dis d'emblée, le seuil de litige que nous imaginons n’est guère plus élevé que celui qui est fixé actuellement : nous allons proposer le montant de 5 000 euros au Conseil d'État. Par souci de simplicité, nous avons cherché à aligner certains seuils. Ce seuil concernera le taux de MARD obligatoire. Le taux de ressort, pour les petites affaires où il y a suppression de l'appel et où l’on va directement en cassation – ce qui n'est pas une nouveauté – est de 5 000 euros. Ce seuil pourra aussi s’appliquer au traitement totalement dématérialisé des petits litiges, avec l'accord des parties, qui est prévu à l'article 13.

Ce seuil de 5 000 euros est fixé par le règlement européen pour la procédure de règlement des petits litiges. C’est pourquoi nous faisons cette proposition, étant entendu que cette fixation du seuil relève du domaine réglementaire.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Je suis favorable aux deux amendements du Gouvernement – CL950 et CL1042.

Le premier, qui vise à rétablir la possibilité d’une médiation familiale, correspond à l’approche que j'exposais tout à l'heure : rechercher une pacification et une résorption des tensions qui peuvent être bénéfiques pour les partis, en particulier pour les parents lorsqu'il s'agit de statuer sur l'autorité parentale. Dans cette situation, un dialogue peut-être particulièrement utile. Des garde-fous sont prévus et nous aurons l'occasion de les étudier lorsque nous évoquerons la procédure de divorce à l'article 12.

Le second concerne la procédure de règlement amiable des litiges de moindres montants et des conflits de voisinage. Monsieur Bernalicis, il ne s'agit pas de créer un nouveau mécanisme d’irrecevabilité. Ce mécanisme a été créé par la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, dite « J21 ». Cependant, il est limité à la tentative préalable de conciliation avant la saisine du tribunal d'instance. Jusqu’à présent, il y a irrecevabilité si l’on n'a pas de tentative préalable de conciliation. Dans ce texte, il y a une ouverture du champ des possibles : le mécanisme de règlement amiable des litiges peut être la conciliation, la médiation ou la procédure participative qui reposera sur les conseils des parties.

Des exceptions sont toutefois prévues dans le texte. Comme Mme la ministre l’a indiqué, il n’y a pas d'irrecevabilité si aucun conciliateur n'est disponible dans des délais raisonnables, ce qui permet de réaffirmer la primauté du service public et gratuit dans le règlement de ces litiges de moindres montants.

M. Sébastien Jumel. Cet amendement me semble aller dans le bon sens mais, au risque de paraître têtu, j'ai quelques idées fixes qui me sont inspirées par ma connaissance du territoire. À Dieppe, il existe une association, Dieppe Informations Services, qui s'occupe de médiation avec compétence depuis plus d'une vingtaine d'années.

Force est de constater qu'il a fallu innover pour financer cette association. Nous l’avons fait par le biais de la politique de la ville, considérant que les publics les plus fragilisés étaient ceux qui pouvaient, le cas échéant, avoir le plus besoin de recourir à un médiateur. Y a-t-il une égalité de présence territoriale d'associations de ce type, qui offrent, en proximité, la possibilité de faire appel à un médiateur ? Dans votre budget, est-il prévu des modalités d'accompagnement de droit commun pour ce mode alternatif de règlement des conflits, sous forme d’espèces sonnantes et trébuchantes et autrement que d'une manière numérique ? Mon voisin me souffle qu'il y aura peut-être des médiations numériques. Je n’ose imaginer comment peut prospérer la médiation numérique d’un conflit de voisinage.

M. Philippe Latombe. Au risque de paraître têtu moi aussi, je voudrais revenir en partie sur l’amendement CL298 qui vient d’être rejeté.

L’amendement CL1042 précise que la saisine du tribunal de grande instance doit être précédée « au choix des parties, d’une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, d’une tentative de médiation ou de procédure participative. » Pour que les parties puissent faire un choix éclairé, il faudrait qu’elles aient une définition exacte de l'ensemble des mesures, qu’il s’agisse de médiation, de procédure participative ou de conciliation. Il en existe de multiples formes, nous l'avons tous admis.

Dans son amendement CL298, M. Bru indiquait bien que la médiation est un processus structuré pouvant prendre plusieurs formes. Indirectement, vous le reconnaissez. Je remets donc la question sur le tapis. En réécrivant l'amendement de M. Bru, ne pourrait-on aboutir à une définition un peu plus précise des processus afin que les parties puissent choisir un mode de résolution amiable des conflits de façon éclairée ? Si les parties doivent faire un choix et s’accorder sur un mode de résolution du conflit, encore faudrait-il qu’elles en aient une définition plus précise.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. On connaît la définition de la procédure participative et de la conciliation. Pour que ce système de règlement amiable des différends fonctionne, il faut qu’une palette de choix soit offerte à chaque citoyen. Monsieur Jumel, cette palette de choix existe partout sur le territoire : il y a des médiateurs et des conciliateurs dans chaque cour d'appel, dont le nom est connu. Chaque citoyen peut choisir en fonction de son besoin. C'est cela qui me semble important. Quant à l'article que je souhaite réintroduire, son objet est d’étendre le champ de la résolution amiable. Nous n’en sommes plus à la définition dont nous parlions tout à l'heure.

La Commission adopte l'amendement.

Puis elle en vient à l’amendement CL671 de Mme Éricka Bareigts.

M. Hervé Saulignac. Cet amendement vise à exclure, de manière peut-être plus catégorique, la médiation en matière de divorce et de séparation lorsque des violences intrafamiliales sont constatées ou suspectées. La médiation est actuellement encadrée puisqu’elle ne peut pas intervenir en l'absence de l’accord de la victime. On peut cependant supposer que des victimes sous l'emprise de leur agresseur n'osent pas refuser la médiation. À travers cet amendement, il s'agit de maintenir la force de ce principe en le précisant directement dans les articles qui organisent la médiation.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Cher collègue, je suis d’accord avec vous sur la nécessité de protéger les femmes les plus faibles dans le cadre des procédures de divorce.

Votre amendement fait référence aux tentatives préalables de conciliation prescrites par la loi en matière de divorce. À l’article 12 de ce projet de loi, il est prévu de revoir ces dispositions et de supprimer l’audience de conciliation.

L'article 2 prévoit la possibilité d'un recours à la médiation en cas de divorce et de séparation de la même manière que pour les autres contentieux : il s’agit d’une possibilité pour le juge d'encourager les parties à rencontrer un médiateur. Vous évoquez deux situations : des violences intrafamiliales avérées ou suspectées. Dans le premier cas, des dispositions de la loi « J21 » empêchent le recours à la médiation. Dans le deuxième cas, le juge qui suspecte des violences ne va pas enjoindre aux parties de rencontrer un médiateur. Faisons confiance à nos magistrats.

Le mécanisme prévu permet de répondre à vos attentes et je demanderais donc le retrait de cet amendement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. J’émets également un avis défavorable. L'article 6 de la loi du 18 novembre 2016 sur la modernisation de la justice du XXIe siècle, qui a modifié l'article 373-2-10 du code civil, a déjà exclu la possibilité pour le juge aux affaires familiales d'enjoindre aux parents de rencontrer un médiateur familial lorsque des violences ont été commises par l'un des parents sur l'autre parent ou sur l'enfant. Il me semble que la demande est déjà satisfaite qu'il n'y a pas lieu d'aller au-delà.

L'amendement est retiré.

La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL1042 du Gouvernement et CL292 de M. Vincent Bru.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. L’amendement du Gouvernement vient d’être défendu.

M. Vincent Bru. L’amendement CL292 a pour objet de rétablir les dispositions de l'article 2, supprimé par le Sénat au motif que les modes de règlement des litiges étaient restreints et que leur résultat était incertain. Au contraire, nous sommes favorables à l’extension du champ d’application de la conciliation et de la médiation, notamment en matière de conflits de voisinage. Dans ce domaine, l’étude d’impact du 19 avril 2018 propose que cette disposition s’applique « aux conflits entre parties, relatifs aux fonds dont ils sont propriétaires ou occupants titrés ».

Quelque 75 % des médiations arrivent à un accord dans le cadre conventionnel. Cette procédure, moins coûteuse que toute autre, doit être prise en charge au titre de l'assurance de protection judiciaire. Il faut la valoriser. C’est pourquoi nous demandons le rétablissement de l'article 2 supprimé par le Sénat.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Votre amendement, cher collègue, rejoint celui du Gouvernement, mais ce dernier apporte une précision rédactionnelle particulièrement importante, à savoir que l'indisponibilité des conciliateurs de justice dans un délai raisonnable est l’une des raisons pour lesquelles la procédure n'encourt pas d’irrecevabilité. C'est pourquoi je vous demanderai de retirer votre amendement au bénéfice de celui du Gouvernement.

L'amendement CL292 est retiré.

La Commission adopte l'amendement CL1042.

Puis elle examine l'amendement CL293 de M. Vincent Bru.

M. Vincent Bru. Cet amendement tend à mieux faire connaître la procédure de médiation, même si vous n’avez pas accepté d'en préciser la définition. Nous demandons notamment à ce que tous les conseils départementaux de l'accès au droit (CDAD) concluent des conventions avec les associations de médiation afin de mieux faire connaître, par une information gratuite, ce qu'est la médiation. Certains CDAD, notamment celui de Vaucluse, ont signé de tels accords. Nous proposons donc d’écrire que les CDAD fassent connaître « la consultation en matière juridique et l'information sur la médiation. »

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Le présent amendement vise à imposer aux CDAD la conclusion de conventions avec des associations de médiation aux fins de prendre en charge l’indemnisation des séances d’information gratuites sur la médiation. Or la gratuité des entretiens d'information sur la médiation est déjà assurée en matière de médiation familiale grâce aux conventions passées entre la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) et l'État. Quant aux autres médiations, je pense qu’elles doivent faire l’objet d’une réflexion plus globale. Je souhaite le retrait de l’amendement, à défaut de quoi j’émettrai un avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Même avis pour les mêmes raisons. La loi « J21 » donne déjà aux CDAD un rôle dans le développement des modes alternatifs de règlement des différends. Elle dispose en effet, dans son article 1er, que le CDAD « participe à la mise en œuvre d'une politique locale de résolution amiable des différends ». En pratique, les usagers reçoivent une information gratuite sur la médiation dans le cadre des dispositifs d’accès au droit. En outre et comme vous le disiez, monsieur le député, les CDAD peuvent signer des conventions avec des médiateurs pour organiser une offre d'entretien préalable gratuite d'information. Il ne me semble donc pas nécessaire de modifier la loi sur ce point pour que les CDAD assurent cette information gratuite.

M. Philippe Gosselin. L’amendement de notre collègue Bru est intéressant, car il montre bien la difficulté dans lesquelles se trouvent les CDAD. En réalité, les fonctionnements sont très variables d’un département à l’autre. Il s’agit d’ailleurs parfois d’un relatif dysfonctionnement, pour ne pas dire d’un effacement.

Il ne me semble pas inintéressant de rappeler qu’il est nécessaire de passer des conventions au niveau national. Quand bien même il serait retiré ou retoqué, cet amendement nous pousse à une réflexion plus large sur les CDAD qui sont de belles institutions, de belles coquilles pas toutes pleines, pas toutes vides. Cette réflexion doit aller au-delà de ce qui a pu être fait en 2016 ou à d'autres périodes.

La Commission rejette l'amendement.

Puis elle adopte l’article 2 modifié.

Article 3
(art. 4-1 à 4-7 [nouveaux] de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle)
Encadrement juridique et certification des services en ligne de résolution amiable des litiges

La Commission examine les amendements identiques CL61 de M. Ugo Bernalicis, CL386 de M. Antoine Savignat et CL431 de M. Stéphane Peu.

Mme Danièle Obono. Cet article vise, d’une part, à encadrer la certification – sans la rendre obligatoire – des organismes en ligne habilités à offrir des services de conciliation, de médiation ou d’arbitrage, et, d’autre part, à accorder une certification de plein droit aux conciliateurs de justice, aux médiateurs inscrits sur les listes des cours d'appel.

Si une telle démarche de certification, seule, pourrait être bienvenue pour s’assurer de la qualité, de l’impartialité de telles prestations pouvant être fournies, cet article s’inscrit dans une volonté de déchargement du service public de la justice sur le secteur privé lucratif. En effet, ce projet de loi prévoit d’encourager le développement des modes alternatifs de règlement des conflits, et même de les rendre obligatoires dans certains cas pour avoir accès ensuite à un juge.

Cet article ne prévoit aucune réelle garantie quant à différents points sensibles. Le traitement algorithmique, auquel il est explicitement fait référence, conduit à une désindividualisation des litiges soumis et à un traitement à la chaîne qui ne peut garantir une qualité de service.

En outre, ces services en ligne risqueraient d’être juge et partie : les compagnies d’assurance, par exemple, pourraient être parties mais aussi actionnaires et influer sur la teneur du conseil ou de l’action juridique fournie par ces services en ligne.

C’est pourquoi nous demandons la suppression de cet article.

M. Antoine Savignat. Notre amendement traduit une vraie opposition de principe à ce dispositif. Rendre la justice reste l'une des prérogatives essentielles de l'État. Or cet article donne la possibilité de rendre des décisions et de trancher des litiges nés entre nos concitoyens à des personnes privées non définies : on ne sait pas s’il s’agit de personnes morales ou physiques ; on ne sait rien de leur nationalité ni de leur formation ; on ne connaît pas le lieu d'hébergement des plateformes algorithmiques.

Quand on voit que le statut de la magistrature est réglé par près de quatre-vingts articles et qu'il en va de même pour les officiers ministériels ou pour les professions réglementées, cet article me semble particulièrement inquiétant.

Madame la garde des Sceaux, vous indiquez que vous procéderez à une habilitation dont on ne connaît pas les critères. Vous êtes là aujourd'hui et nous sommes rassurés quant à vos intentions, mais un jour viendra où vous ne serez peut-être plus là – le plus tard possible, je vous le souhaite. Que se passera-t-il alors en matière d’habilitation ? Qu'en sera-t-il des accréditations et des dispositifs mis en place ?

M. Sébastien Jumel. Je tenterai d’être plus élégant en vous souhaitant longue vie, madame la ministre, pas forcément politiquement mais assurément à titre personnel !

Cet article témoigne de la volonté du Gouvernement de développer le règlement alternatif des litiges en ligne et, d'une certaine manière, d'ouvrir la boîte de Pandore : une privatisation de la justice au profit de services en ligne qui ont bien compris qu'il y avait là un marché à prendre.

La déjudiciarisation peut être intéressante dans certaines situations, mais elle ne peut en aucun cas s'effectuer au profit d'opérateurs privés. Le Syndicat de la magistrature s’inquiète des modalités de certification des entreprises qui proposeront ces services. Ces modalités, en effet, ne sont pas indiquées dans la loi et feront l'objet d'un décret, ce qui pose de réelles difficultés.

En outre, ces services de médiation en ligne opéreront sur la base d’algorithmes, alors que les expérimentations de justice prédictive, menées dans les cours d'appel de Rennes et de Douai, ont montré l’étendue des faiblesses de ce dispositif.

Si le texte recèle un risque d’aggravation de la fracture territoriale, je pense que cet article contient un vrai risque d'aggravation de la fracture sociale dans l'accès à la médiation en ligne au regard des coûts que cela peut occasionner pour les justiciables.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Je suis défavorable à ces amendements dont l’objet est de supprimer l'intégralité de l’article 3 relatif à l'encadrement et à la certification des services en ligne de résolution alternative des différends et d’aide à la saisine des juridictions.

Précisons qu’il ne s'agit pas ici de prendre des décisions et de rendre la justice. Avec cet article, nous sommes toujours dans le règlement amiable des litiges, donc dans le rapprochement des parties.

Les auteurs de ces amendements ont en commun de vouloir maintenir le statu quo. Nous n’en sommes plus à ouvrir la boîte de Pandore : elle est déjà ouverte. Ces mécanismes, ces plateformes, ces « legal tech » existent ; ils opèrent dans le cadre de la libre prestation des services, sans aucun encadrement si ce n'est un encadrement prétorien qui s’effectue de manière casuistique. Maintenir le statu quo reviendrait à consacrer l’impuissance du législateur ou de l'État à réglementer, à réguler l’activité de ces plateformes.

Je propose donc de garder cet article 3 qui va dans le bon sens, et de travailler à une amélioration du texte. Pour que le travail puisse aboutir, il faut veiller au respect du périmètre du droit : ces prestations ne doivent pas être des consultations juridiques. Il faut aussi une totale transparence : nos concitoyens doivent tout savoir de ces plateformes, de leur fonctionnement, des algorithmes qu’elles utilisent. J’ai déposé des amendements en ce sens, qui vont venir en discussion.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je voudrais prendre quelques instants pour présenter la problématique générale et l’ambition de cet article, afin de ne pas avoir à y revenir à chaque amendement.

Les plateformes de résolution de litiges en ligne existent. C'est une réalité. Pour nous, il n'est nullement question d'ouvrir un nouveau marché ou d'empiéter sur le service public de la justice. Ces plateformes existent, se développent, se multiplient. Elles n'ont pas attendu que les pouvoirs publics s'y intéressent pour prendre une part de plus en plus importante du marché. Peut-être connaissez-vous des gens qui sont déjà allés sur ces plateformes. Pour ma part, j'en connais beaucoup. Ils vont voir, par exemple, s’ils ont une chance de gagner dans un litige.

Nous avons pris le parti de ne pas nier cette réalité. Nous avons fait le choix d'accompagner ce développement, de le réguler et de le sécuriser – deux mots-clés que je voudrais mettre en exergue. En régulant et en sécurisant, nous voulons restaurer un climat de confiance dans ce domaine. Notre but est de ne pas laisser au seul libre marché, le contrôle de la qualité de la prestation proposée. Au fond, nous cherchons à réguler cette jungle.

Pour ce faire, le projet de loi de réforme de la justice prévoit deux choses : une série d'obligations à respecter dans toutes les hypothèses ; une certification facultative.

Toutes les plateformes qui proposent des services en ligne seront soumises aux obligations suivantes : la protection des données à caractère personnel ; l'obligation d'information sur le déroulement de la résolution amiable ; les obligations de diligence, de compétence, d'indépendance, d'impartialité, de procédure équitable et, sauf accord des parties, de confidentialité. Tout cela est écrit dans le texte que nous vous proposons. Je rappelle que l'article 226-13 du code pénal, qui sanctionne l'atteinte au secret professionnel, leur est également applicable. Nous avons réaffirmé ces obligations.

Quant à la certification facultative des plateformes de résolution amiable des différends, elle nous semble être la meilleure solution pour contrôler leur bonne application sans contrarier le principe à valeur constitutionnelle de liberté d'entreprendre. Dans cette optique d'encadrement et de protection, il est prévu que la résolution amiable en ligne ne pourra pas exclusivement résulter d'un traitement algorithmique. En cas d’utilisation d’un algorithme, la plateforme doit en informer les parties et recueillir leur accord.

Le texte que nous vous proposons résulte d’un travail avec les avocats, qui ont émis une série de critiques. Deux précisions ont été apportées afin qu’ils ne voient pas dans ces « legal tech » de potentiels concurrents. D’une part, il est rappelé que les actes d'assistance ou de représentation nécessitent le concours d'un avocat, la profession ayant le monopole de ces actes. D’autre part, l’utilisateur doit être informé de l'identité des avocats intervenant pour chacun des actes d'assistance ou de représentation qu'ils accomplissent et de celle des professionnels habilités et autorisés à donner des consultations juridiques ou à rédiger des actes sous seing privé. Autrement dit, dès qu’une prestation nécessite l’acte d'un avocat ou d’un membre d’une profession réglementée, cela doit être mentionné ainsi que l’identité de l’intervenant. Nous avons apporté ces précisions à la demande des avocats.

M. Raphaël Schellenberger. Madame la rapporteure, nous ne sommes qu’au début de nos discussions sur ces projets de loi particulièrement denses. Si, à chaque fois que nous nous opposons, pour des raisons de principe, à l’une de vos propositions, vous nous rétorquez avec mépris que nous sommes dans la posture et simplement soucieux de maintenir le statu quo sans y rien changer, nos débats risquent d’être fort longs. Ce n’est pas en effet parce que nous ne sommes pas d’accord avec vous que nous sommes nécessairement attentistes et que nous ne voulons pas voir la réalité. La réalité existe, nous ne la nions pas ; en revanche, en tenir compte ne nous empêche pas de défendre les valeurs qui sous-tendent le système juridique de la République. Or le système juridique de la République française, ce n’est pas un système juridique à l’anglo-saxonne, ce n’est pas un système juridique qui sous-traite à l’initiative privée le règlement des conflits qui sont du ressort de la prérogative publique.

C’est la raison pour laquelle ce projet de loi ne nous convient pas du tout. Nous ne pouvons imaginer que des conflits puissent être réglés, même à l’amiable, par un algorithme, dont on ne sait pas tout à fait sur quel droit – français ? anglo-saxon ? – il se fonde.

Quant à votre intention de réguler et de sécuriser une situation qui correspond à un état de fait, elle ne nous convient pas non plus, madame la ministre, s’agissant d’une fonction régalienne de l’État. L’État n’a pas à se soumettre ; c’est à lui d’organiser une justice conforme aux ambitions de la République.

M. Ugo Bernalicis. L’article 3 amalgame plusieurs dispositions concernant notamment les modes alternatifs de règlement des différends, que vous voulez développer et rendre obligatoires dans certains cas de figure, tout en « encadrant » la jungle de ces procédures en lignes.

Nous ne voulons pas que ces modes alternatifs, limités – ce qui peut se comprendre – à des domaines précis dans lesquels il est toujours possible d’avoir recours à une procédure physique et gratuite, se développent et deviennent obligatoires, car nous courons le risque de voir se développer un marché, que les opérateurs, qui ont déjà développé leurs plateformes, n’attendent plus que le vote de votre projet de loi pour investir.

Vous proposez par ailleurs la mise en place d’une certification, mais sans la rendre obligatoire et en la confiant à des organismes dont on ne sait qui ils sont – c’est la raison de l’amendement de repli que nous proposerons et qui exige un encadrement extrêmement strict de ces plateformes en ligne ainsi qu’une certification par des professionnels du droit et des associations d’usagers. Cela permettrait a minima d’avoir la garantie que ces plateformes en ligne sont éthiques, en tout cas que leur objet premier n’est pas de rapporter de l’argent.

M. Sébastien Jumel. Madame la ministre, j’entends que vous souhaitez réguler la jungle, qui est un état de fait. Mais serait-il « ringard » ou conservateur d’envisager plutôt la mise en place des plateformes de service public ? Cela contrarierait-il trop certains opérateurs privés ?

Ma question est d’autant plus fondée que je persiste à penser que ce type de plateformes, même régulées, même soumises à certification, sont de nature à entraîner une rupture d’égalité, y compris devant la médiation, entre les justiciables.

Mme Cécile Untermaier. Sans doute l’un des mérites de cette loi est-il de mettre en exergue l’existence de ces plateformes et de poser la question de leur régulation, notamment via la certification.

Notre objectif premier est de protéger l’usager ou le justiciable en garantissant la sécurisation de ces plateformes. Mais je m’interroge sur nos capacités, notamment techniques, à les contrôler. Cela étant, je rejoins la ministre sur le fait que, ces plateformes existant déjà, on ne peut prétendre le contraire, et que la certification permettra au moins de distinguer celles qui sont recommandables.

M. Jean Terlier. Nous n’avons pas attendu ce projet de loi pour découvrir l’existence de ces plateformes. L’article 2 ne fait en réalité que développer l’obligation de recourir aux modes alternatifs de règlement des conflits, que ce soit pour une médiation, une conciliation ou une procédure participative. Cela implique, comme l’a parfaitement indiqué la ministre, de réguler et de sécuriser le cadre de ces offres de résolution des litiges en ligne : c’est l’objet de l’article 3, qui met en place une série d’obligations à destination de ces plateformes, en matière de protection des données personnelles mais également en matière d’information des usagers sur l’existence ou non d’une certification, à charge ensuite pour chaque justiciable de choisir la plateforme qu’il veut, en toute connaissance de cause.

M. Philippe Latombe. Nous ne souhaitons pas la suppression de cet article, mais nous aimerions insister sur les modalités de certification et de contrôle – a priori et pas uniquement a posteriori – de ces plateformes. Il me semble que, face aux inquiétudes exprimées par un certain nombre d’entre nous et corroborées par l’expérience, il serait souhaitable, dans un premier temps, de mettre en place un système de certification obligatoire a priori, quitte à modifier ce système lorsqu’on aura vu la manière dont évoluent ces plateformes. Il est indispensable de sécuriser le dispositif pour que les justiciables se sentent en sécurité. Je suis très attaché au règlement général sur la protection des données (RGPD) mais s’en tenir à un contrôle a posteriori me paraît dangereux.

Par ailleurs, une certification automatique devrait être accordée de plein droit aux conciliateurs de justice et aux médiateurs : ne pourrait-on envisager de l’élargir aux professions juridiques régies par un ordre : huissiers, avocats ou notaires, qui offrent des garanties d’éthique et de compétences ? C’est une piste qui mérite d’autant plus d’être creusée que les avocats peuvent être également médiateurs, et ce sans être désormais obligés de subir les deux cents heures de formation qu’il leur fallait suivre auparavant.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Il faut être très clair : ce que nous voulons, c’est encadrer et réguler ces plateformes de règlement alternatif des litiges, ce qui ne signifie rien d’autre que ce dont nous venons de parler, à savoir le recours à des conciliateurs ou des médiateurs soumis à un certain nombre d’obligations.

Opposer le contrôle a priori au contrôle a posteriori ne me paraît pas pertinent dans la mesure où il existe déjà des plateformes, dont certaines demanderont sans doute à être certifiées, par définition a posteriori. Je pense que le débat se situe davantage autour du caractère facultatif ou obligatoire de la certification.

Si la certification est facultative, elle sera confiée au Comité français d’accréditation (COFRAC), l’organisme chargé des procédures d’habilitation au nom de l’État ; si, en revanche, nous décidons de la rendre obligatoire, nous allons créer une profession réglementée et nous ne serons plus, comme aujourd’hui, sur un marché libre.

Il faut donc savoir ce que nous voulons. Ma tâche ici n’est pas de créer une nouvelle profession réglementée mais de m’appuyer sur celles qui existent, et il est évident que si un groupement de notaires, d’avocats ou d’huissiers crée une plateforme, celle-ci sera certifiée.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Je veux indiquer à M. Latombe qu’il n’est pas possible de prévoir une certification de plein droit pour les avocats, car tout avocat ne peut être médiateur ; il doit, pour cela répondre à un certain nombre d’obligations, notamment en termes d’années de pratique.

La Commission rejette les amendements.

Elle adopte ensuite l’amendement rédactionnel CL926 de la rapporteure.

Puis elle examine l’amendement CL2 de M. Jean-Pierre Vigier. 

M. Philippe Gosselin. Il s’agit de prévoir que le consentement des intéressés dont le cas est traité par un algorithme ne puisse être accordé qu’après une rencontre effective avec un médiateur ou un conciliateur.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Votre amendement prévoit une rencontre physique préalablement à l’utilisation d’une plateforme, ce qui est en contradiction avec l’esprit même de la dématérialisation. Avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Même avis.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite les amendements CL927, CL928, CL929 et CL930 de la rapporteure.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Il s’agit de quatre amendements qui viennent préciser la rédaction de l’article 3, telle qu’elle est issue du Sénat, afin de mieux encadrer et réguler les prestations juridiques en ligne, c’est-à-dire la « legaltech ».

Concernant en premier lieu l’interrogation de M. Savignat, j’indique que l’amendement rédactionnel que nous venons d’adopter précise bien que les dispositions de l’article 3 s’appliquent aux personnes physiques et morales.

L’amendement CL927 permet ensuite de garantir que ces plateformes ne fournissent pas de consultations juridiques. Pour cela, il est proposé de supprimer l’obligation qui leur est faite de fournir une information détaillée sur les conséquences des actions en justice que le service en ligne permet de réaliser, dans la mesure où cela peut déjà constituer l’amorce d’une consultation juridique.

L’amendement CL928 précise les obligations afférentes aux actes d’assistance ou de représentation, telles que posées dans l’article 4 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions juridiques et judiciaires.

L’amendement CL929 renforce les obligations d’impartialité, d’indépendance, de compétence et de diligence qui incombent au médiateur, afin d’aligner le régime de ces plateformes en ligne sur le régime applicable aux médiateurs en matière administrative, aux termes de l’article 5 de la loi « J21 ». À ces obligations, nous ajoutons celle d’indépendance.

Quant à l’amendement CL930, il pose le principe d’une certification facultative, qui permettra aux justiciables de mieux s’orienter parmi les plateformes. Cela contribuera à réguler le secteur, car il est à peu près certain qu’un justiciable qui aura à choisir entre une plateforme certifiée et une autre qui ne l’est pas choisira la première.

Je tiens enfin à rappeler que, concernant une activité qui relève, selon les règles européennes, de la libre prestation des services, la certification obligatoire n’est pas envisageable, sachant toutefois que le Sénat a fait en sorte que l’information concernant ces plateformes soit la plus accessible et la plus lisible possible.

L’ensemble de ces dispositions devrait permettre à mon sens de mieux contrôler les « legal tech ».

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Avis favorable.

M. Raphaël Schellenberger. Ces amendements ont au moins le mérite de lever un peu le voile sur les intentions qui président à la mise en place de ces plateformes d’arbitrage. Vous voulez interdire l’information sur les conséquences que peuvent avoir le recours et l’accès à ces outils en ligne, au motif que cela pourrait s’assimiler à une consultation juridique : il me semble évident qu’il s’agit là d’une position dictée soit par le lobby des assurances, soit par celui des avocats, qui veulent conserver le monopole de l’accès au droit. C’est en tout cas ainsi que je comprends votre proposition, qui ne va pas du tout dans le sens de la protection du justiciable.

Quant au fait d’exiger d’une plateforme numérique diligence et compétence, cela me fait sourire : envisagez-vous la construction d’un nouvel humanoïde ?

M. Erwan Balanant. Je voudrais m’assurer d’avoir bien compris : un juge aura-t-il la possibilité d’orienter un justiciable vers une plateforme ?

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. En aucun cas.

M. Antoine Savignat. Si j’entends bien vos explications, aider une personne à saisir une juridiction, c’est-à-dire lui indiquer contre qui elle doit se retourner, quel est le tribunal compétent et comment le saisir n’entrerait pas dans le périmètre du droit, tandis que le fait de l’informer sur les tenants et les aboutissants de la saisine y entrerait. C’est évidemment une explication qui relève de la plaisanterie car, à partir du moment où vous accompagnez quelqu’un dans la saisine d’une juridiction, vous entrez dans le périmètre du droit – il y a pléthore de jurisprudence en la matière pour en témoigner – et vous devez donc, a minima, informer cette personne sur les conséquences de sa saisine.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. On peut très bien accompagner une personne dans la saisine d’une juridiction en l’aidant, par exemple, à remplir le formulaire CERFA de déclaration au greffe, sans pour autant lui indiquer les conséquences de cette démarche.

La Commission adopte successivement les amendements.

Puis elle est saisie de l’amendement CL62 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis. Il s’agit de l’amendement de repli que j’évoquais tout à l’heure.

Ce qui est très problématique, dans les dispositions des articles 2 et 3, c’est que le traitement d’une partie du contentieux par des algorithmes va geler la jurisprudence et rigidifier le droit. Mais on peut imaginer que c’est ce que vous souhaitez.

Cela étant, notre amendement de repli propose que la certification soit faite par une commission consultative, composée de praticiens et d’usagers, c’est-à-dire de magistrats, de personnels des greffes, d’officiers publics et ministériels et de justiciables. Cette commission donnerait notamment son avis sur la qualité et l’impartialité du service rendu.

Nous proposons dans un premier temps une expérimentation – ce qui permet d’échapper à l’article 40 de la Constitution.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Avis défavorable. La ministre a précisé que la certification serait délivrée par le COFRAC, organisme déjà rodé à l’exercice et disposant de l’expertise nécessaire pour proposer une labellisation qui permette à nos concitoyens de mieux s’orienter.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Même avis.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’article 3 modifié.

Après l’article 3

La Commission examine l’amendement CL593 de M. Erwan Balanant.

M. Erwan Balanant. Cet amendement concerne les médiateurs. L’article 131-5 du code de procédure civile dispose notamment que toute personne exerçant comme médiateur doit justifier « d’une formation ou d’une expérience adaptée à la pratique de la médiation ». Cette définition me paraît insuffisante dans la mesure où elle ne précise ni le type, ni le niveau ni le contenu de la formation exigée. C’est pourquoi nous demandons un rapport au Gouvernement afin de savoir s’il serait pertinent de compléter les dispositions juridiques relatives à la rémunération et à la formation des médiateurs.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Je vais suivre les recommandations de Mme Obono et faire preuve de cohérence, en renvoyant désormais systématiquement les demandes de rapport vers la présidente de la commission des Lois, qui jugera de leur nécessité... Avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Même avis. Je ne suis pas du tout défavorable à l’idée que nous réfléchissions au statut des médiateurs ; en revanche, je le répète, je ne suis pas favorable à la multiplication des rapports demandés au Gouvernement. Je ne verrais au contraire que des avantages à ce que ce travail soit mené par la commission des Lois et à ce que MM. Bru et Balanant puissent y apporter leur contribution - mais ce n’est pas moi qui en décide…

M. Arnaud Viala. Je souscris assez à l’idée que, si l’on veut encourager la médiation, ce qui me paraît souhaitable, il faut mieux définir le statut et le rôle du médiateur, mais je trouverais dommage, madame la ministre, que cela incombe à la commission des Lois.

Sur le fond, je ne crois pas qu’il faille s’attacher uniquement à la question de la formation de ces médiateurs, car certaines aptitudes peuvent être acquises indépendamment de la formation initiale, au cours d’un parcours professionnel ou d’un parcours de vie.

Mme Danièle Obono. Si vous entendez suivre certains conseils des Insoumis, madame la rapporteure, vous pourriez renoncer à votre conservatisme et à votre alignement sur l’autorité pour écouter les arguments qui sous-tendent cette demande de rapport, que nous soutenons. Nous la soutenons, sur la forme, parce que le Gouvernement dispose de bien plus de moyens que le Parlement pour réaliser études et expertises. Sur le fond, nous considérons également que, si l’idée est de libérer les énergies et de développer la pratique de la médiation, il est pertinent de réfléchir à la manière dont doivent être formés les médiateurs, afin d’éviter que chacun s’improvise conciliateur ou médiateur et que ces plateformes deviennent en effet une jungle, où l’on vendrait aux justiciables de mauvais services.

M. Erwan Balanant. Je veux simplement préciser à Arnaud Viala que, dans l’exposé sommaire de mon amendement, je fais également référence à une « expérience adaptée ». Quoi qu’il en soit, je note avec satisfaction l’ouverture de la ministre, qui invite la commission à s’emparer du sujet.

La Commission rejette l’amendement.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Je vais suspendre nos travaux, que nous reprendrons à dix-sept heures trente, après les questions au Gouvernement.

3.   Troisième réunion du mercredi 7 novembre 2018 à 17 heures 30 (article 4 à article 6)

Lien vidéo :

http://www.assemblee-nationale.tv/video.6902030_5be310d99b75f.commission-des-lois--projets-de-loi-de-programmation-2018-2022-et-de-reforme-pour-la-justice-suite-7-novembre-2018

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous reprenons nos travaux à l’article 4 du projet de loi de programmation et de réforme pour la justice.

Mme Cécile Untermaier. Étant donné le rythme auquel nous travaillons, à quel moment saurons-nous si nous devrons siéger samedi ? Nous nous sommes tous engagés à assister aux commémorations du 11 novembre.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous allons fonctionner comme lors de la révision constitutionnelle. Nous travaillerons aujourd’hui, demain et vendredi. Demain après-midi, toutefois, nous suspendrons nos travaux durant l’examen en séance des missions budgétaires dont notre commission s’est saisie pour avis. Il faut en tout état de cause que nous en ayons terminé, au plus tard, en début de semaine prochaine, afin de disposer d’un délai suffisant pour pouvoir déposer des amendements en vue de la séance, où l’examen des deux projets commencera le lundi suivant. Si, vendredi après-midi, nous pouvons raisonnablement espérer y parvenir lundi après-midi, nous ne siègerons pas samedi. Si, par contre, il nous restait vendredi soir 500 ou 600 amendements à examiner, nous serions contraints de siéger samedi. Cela dépend de nous, sachant néanmoins que les sujets qui nous occupent sont d’une importance justifiant que nous prenions le temps d’en débattre.

Mme Marietta Karamanli. Siéger samedi n’est pas une bonne idée. Nous serons pris tout le week-end par des commémorations. Par ailleurs, nous avons encore toute une partie de la semaine prochaine pour en terminer, les deux textes n’étant examinés en séance qu’à partir du 19 novembre. Nous pouvons mettre à profit le lundi et le mardi pour achever nos travaux dans de bonnes conditions.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. En terminer mardi n’est pas possible. Le Gouvernement a également ses propres contraintes et il faut par ailleurs respecter un certain délai pour le dépôt des amendements en vue de la séance. Il faut que chacun se discipline pour moins se répéter et, à certains moments, avancer plus rapidement. Nous avons fixé au départ la règle selon laquelle, sur chaque amendement, un seul orateur par groupe pourra prendre la parole, pour deux minutes, mais si chaque groupe use de cette faculté, cela fait plus d’un quart d’heure par amendement, sans même compter le temps de parole du Gouvernement et des rapporteurs. Compte tenu du nombre d’amendements déposés, cela ne permettrait même pas d’en finir mardi. Il faut donc que chacun fasse un effort pour modérer ses prises de parole.

M. Sébastien Jumel. Je suis d’accord pour que nous nous disciplinions, mais aussi pour que nous prenions le temps nécessaire à l’examen de dispositions importantes. On ne peut pas, au sommet de l’État, considérer que les commémorations du centenaire sont déterminantes et ne pas créer les conditions pour que les membres de la représentation nationale puissent être présents à ces cérémonies qui commencent dès samedi.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Les commémorations ne sont pas en question. Il est bien évident que chaque commissaire ici présent pourra y assister, soit dans sa circonscription, soit à Paris s’il le souhaite.

M. Sébastien Jumel. Certes, mais si la commission se réunit samedi, les deux membres que compte, au sein de la commission, chacun des groupes d’opposition ne pourront être en même temps aux commémorations.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Je propose que, dans l’immédiat, nous allions de l’avant, et que nous fassions le point au fur et à mesure. Mais j’insiste pour que chacun se discipline afin que nous puissions avancer dans nos travaux sans sacrifier la qualité de nos débats.

Chapitre II
Étendre la représentation obligatoire

Article 4
(art. 2 de la loi n° 2007‑1787 du 20 décembre 2007 relative à la simplification du droit ; art. L. 1453‑1 A [nouveau] du code du travail ; art. 364 [nouveau] du code des douanes ; art. L. 121‑4 du code des procédures civiles d’exécution ; art. 12 de la loi n° 2016‑1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle)
Extension de la représentation obligatoire

La Commission examine l’amendement CL63 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis. Par cet article 4, vous proposez d’élargir la représentation obligatoire. Nous n’avons pas d’opposition de principe, j’y suis même plutôt favorable car les avocats sont utiles. Cependant, je ne peux faire fi de ce qu’une de nos collègues du groupe La République en Marche a raconté tout à l’heure sur l’aide juridictionnelle. Si vous étendez la représentation obligatoire sans toucher à l’aide juridictionnelle, vous prenez le risque d’empêcher l’accès à une justice gratuite. Certains seront dissuadés de saisir le juge parce que la prise en charge des frais de justice sera partielle, voire nulle. Si vous nous aviez proposé d’élargir les critères d’accès à l’aide juridictionnelle, j’aurais applaudi des deux mains cet article. Comme ce n’est pas le cas, nous défendons cet amendement de suppression.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Avis défavorable également. Les modalités de la représentation sont marquées par une très forte hétérogénéité d’une juridiction à l’autre. Nous avons souhaité prévoir une extension raisonnée de la représentation obligatoire devant le juge civil en première instance et en appel, tout en maintenant certaines exceptions : lorsque les matières sont spécifiques – tutelle, assistance éducative, droit de vote –, lorsque l’enjeu du litige le permet – s’il est inférieur à 10 000 euros – ou lorsque il y a impécuniosité de la partie – notamment en cas de procédure collective ou de surendettement. Ces cas impliquent en effet que la personne puisse saisir directement le juge. Ne sont ici concernés par l’extension de la représentation obligatoire que les contentieux qui revêtent une technicité juridique certaine ou qui présentent le plus d’enjeux. Les évolutions proposées ne concernent pas toutes les juridictions mais se concentrent sur le tribunal de grande instance et la cour d’appel, juridictions où l’hétérogénéité des règles que j’évoquais tout à l’heure se retrouve le plus fréquemment. Et encore une fois, nous avons prévu un nombre important d’exceptions. Avis défavorable.

M. Ugo Bernalicis. Je comprends bien qu’il vaille mieux, pour certains contentieux, être accompagné d’un avocat. Mais alors, augmentons les seuils de l’aide juridictionnelle ! Ne faisons pas une justice à deux vitesses !

La Commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CL422 de Mme Nadia Ramassamy.

M. Robin Reda. Cet amendement vise à supprimer la possibilité de se faire représenter ou assister devant le tribunal de grande instance par son conjoint, son concubin ou un parent. Il s’agit de ne pas donner l’idée d’une justice à deux vitesses, favorisant les familles qui pourraient s’entraider du fait de leur niveau social ou éducatif plus élevé.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Cette disposition ne fait que maintenir l’existant. Il ne s’agit pas d’introduire une disparité, mais de prévoir la possibilité, lorsqu’il n’y a pas de représentation obligatoire, d’être représenté ou assisté par des proches. Je vous suggère de retirer cet amendement, à défaut de quoi j’émettrais un avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Même avis. Il nous semble important de maintenir quelques exceptions à la représentation obligatoire, notamment pour les litiges de moins de 10 000 euros.

M. Robin Reda. Je maintiens l’amendement.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CL944 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Cet amendement vise à rétablir la rédaction initiale de l’article. L’idée est que, pour préserver l’accès au juge, les parties puissent continuer, dans certaines matières, en raison de leur nature ou des montants en jeu, à être dispensées d’avoir recours à un avocat devant le futur tribunal de grande instance.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Avis favorable.

M. Antoine Savignat. Madame la ministre, s’agit-il des matières qui relèvent actuellement de la compétence du tribunal d’instance, ou bien le champ est-il étendu ?

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Il s’agit essentiellement de matières qui relèvent du tribunal d’instance : le surendettement, les baux, le crédit à la consommation, le droit de vote et la tutelle.

M. Arnaud Viala. Madame la ministre, au moment où vous présentez cet amendement de rétablissement de l’article dans sa rédaction initiale, je voudrais vous poser une nouvelle fois la question que je vous ai adressée hier : pourquoi avez-vous décidé d’exclure de ces exceptions les appels pour les contentieux de sécurité sociale ? Vous m’avez laissé entendre hier que nous pourrions progresser ensemble sur cet aspect. J’aimerais que vous nous donniez plus de précisions.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. J’ai effectivement été sensible à vos arguments. En matière de sécurité sociale, les procédures d’appel portent sur des questions essentiellement techniques, pour lesquelles il est souhaitable de maintenir la représentation obligatoire.

La Commission adopte l’amendement CL944.

En conséquence, l’amendement CL568 de M. Robin Reda tombe.

L’amendement CL531 de Mme Christelle Dubos est retiré.

La Commission examine, en discussion commune, l’amendement rédactionnel CL856 de la rapporteure et l’amendement CL1043 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. L’amendement CL1043 concourt, comme le précédent amendement du Gouvernement, à rétablir l’article 4 dans sa rédaction initiale.

Mme Laetitia Avia. Je suggère à Mme la ministre de le retirer au profit du mien.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Il est vrai qu’il le satisfait pleinement.

L’amendement CL1043 est retiré.

La Commission adopte l’amendement CL856.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel CL857 de la rapporteure.

Elle examine ensuite les amendements identiques CL423 de Mme Nadia Ramassamy et CL563 de M. Philippe Chalumeau.

M. Robin Reda. Notre amendement tend à supprimer les dispositions prévoyant la représentation des parties devant les tribunaux par les salariés ou employeurs de la même branche d’activité, les défenseurs syndicaux, le conjoint ou le partenaire. En réalité, cette disposition existe déjà : elle a été introduite dans le code du travail à l’article R. 1453-2 et s’applique de manière récurrente dans les instances prud’homales.

Mme Typhanie Degois. Le Sénat a créé un II bis à l’article 4, visant à codifier les principes d’assistance et de représentation devant le conseil des prud’hommes. En effet, devant cette instance, le ministère de l’avocat n’est nullement obligatoire, la représentation pouvant être assurée par d’autres acteurs désignés par les textes. Néanmoins, cette codification est déjà prévue à l’article R. 1453-2 du code du travail. La France subit déjà une inflation normative conséquente qui complique le droit. Notre amendement vise par conséquent à supprimer la disposition introduite par le Sénat.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Il y a, tout au long du texte, une recherche de cohérence et de lisibilité sur la représentation obligatoire. Nous souhaitons que toutes les dérogations au principe de représentation obligatoire par avocat soient consultables en un même lieu : pour presque toutes les matières, il s’agit de la partie réglementaire du code concerné. Le droit du travail fait exception : le défenseur syndical apparaît dans la partie législative, ce qui crée une disparité dans la répartition des éléments de représentation. L’objectif est de limiter ces exceptions, dans l’objectif d’assurer l’accessibilité du droit. Avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Même avis.

Mme Typhanie Degois. Je vous remercie, madame la rapporteure, pour ces éclaircissements. Mais M. Chalumeau étant l’auteur principal de l’amendement, je ne puis prendre la responsabilité de le retirer.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. M. Reda est dans la même situation.

M. Sébastien Jumel. Nous avions eu l’occasion de dénoncer, lors de l’examen de la loi relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels – dite loi « Travail » –, l’érosion de l’imperium du juge par l’instauration d’une grille de référence fixant les indemnités en cas de licenciement abusif.

Je veux revenir sur une question que j’ai posée ce matin et à laquelle je n’ai pas eu de réponse. Je sais que nos deux assemblées travaillent indépendamment l’une de l’autre, mais il se trouve qu’au moment où nous examinons ce texte, les commissions des Lois et des Affaires sociales du Sénat viennent d’adresser à tous les barreaux de France un questionnaire dont je citerai quelques extraits : « La carte des prud’hommes est-elle adaptée aux besoins des territoires ? », « Le nombre des conseils est-il trop important au regard du niveau de chaque conseil ? », « Les petits conseils de prud’hommes rencontrent-ils des difficultés particulières de fonctionnement ou de qualité de décisions rendues ? », « La notion de taille critique suffisante est-elle pertinente pour ces juridictions ? »… Vous dites ne pas vouloir toucher à l’organisation territoriale des juridictions, mais pouvez-vous nous confirmer qu’on ne touchera pas à la carte des prud’hommes ?

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je vais, il est vrai, vous proposer une révision de la Constitution dans quelques semaines : je ne vous proposerai ni la fusion de l’Assemblée nationale et du Sénat ni la direction du Sénat par le Gouvernement. (Sourires.) En conséquence, je ne suis pas en mesure de vous dire quelle est la nature des travaux conduit par les commissions du Sénat ni ce qu’il proposera. En tout cas, tel n’est pas le projet du Gouvernement.

M. Sébastien Jumel. Votre réponse me convient tout à fait !

La Commission rejette les amendements.

Elle est ensuite saisie des amendements identiques CL951 du Gouvernement et CL424 de Mme Nadia Ramassamy.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Cet amendement a pour objet de maintenir en partie réglementaire les règles d’assistance et de représentation des parties devant le tribunal de commerce. Le Sénat a entendu donner valeur législative au principe de libre assistance et de représentation des parties ; cela ne me paraît pas fondé juridiquement. Pour mémoire, devant le tribunal de commerce, en vertu de l’article 853 du code de procédure civile, les parties peuvent se représenter elles-mêmes ou faire appel au mandataire de leur choix, qu’il s’agisse du conjoint, du concubin ou autre. Cette règle s’applique également au tribunal de grande instance lorsqu’il connaît des difficultés des entreprises. Ériger cette règle au niveau législatif ne respecte pas le domaine du règlement.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Avis favorable à ces amendements de cohérence.

M. Raphaël Schellenberger. Vous considérez que les règles de représentation auprès du tribunal de commerce doivent être d’ordre réglementaire et non législatif, comme le proposait le Sénat, mais vous n’avez pas la même approche pour la représentation auprès du conseil de prud’hommes, ce qui était l’objet de notre amendement CL423. Je ne comprends pas.

Mme Laetitia Avia. Je vais reprendre mon explication précédente. Dans un souci de lisibilité, toutes les règles relatives à la représentation par matière doivent figurer au même endroit. Concernant le conseil des prud’hommes, certaines dispositions figurent en partie législative depuis la loi « Macron », d’autres en partie réglementaire. En ce qui concerne le tribunal de commerce, les règles figurent exclusivement en partie réglementaire. Il n’y a aucune raison de les faire basculer en partie législative.

La Commission adopte les amendements.

Elle est saisie de l’amendement CL952 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Cet amendement porte sur le contentieux de la sécurité sociale et de l’aide sociale. Il précise que la personne publique partie au litige peut comparaître en la personne de l’un de ses représentants.

Le contentieux de la sécurité sociale et de l’aide sociale est transféré à des tribunaux de grande instance spécialement désignés à compter du 1er janvier 2019 en application de la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle. Pour que cette réforme soit efficace, nous devons concilier l’accès au juge et l’efficacité de la réponse judiciaire. C’est pourquoi j’entends, dans ce domaine, préserver la libre représentation des parties en première instance. En revanche, il me semble important de rendre obligatoire la représentation par avocat en appel, sauf pour les personnes publiques et les caisses de sécurité sociale. Le projet de loi initial dispensait ces dernières personnes du ministère de l’avocat en appel mais ne prévoyait pas la même dispense pour les personnes publiques. Le présent amendement complète le dispositif.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Cet amendement affirme une règle actuellement appliquée dans le silence des textes. Je suis favorable à l’inscription de cette règle dans la loi.

La Commission adopte l’amendement.

Elle étudie l’amendement CL546 de Mme Marietta Karamanli.

Mme Marietta Karamanli. Nous demandons la remise au Parlement d’un rapport évaluant les conditions de recours à l’aide juridictionnelle, son financement et ses effets – à la fois sur les avocats et pour les justiciables. Ce rapport permettrait de mettre au jour l’impact effectif de l’instauration de la représentation obligatoire.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Une mission d’information a été créée ce matin et confiée à notre collègue Naïma Moutchou ainsi qu’à un membre du groupe Les Républicains. Ne la vidons pas de sa substance ! Avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Même avis. J’ajoute que nous sommes amenés à rendre compte annuellement du financement de l’aide juridictionnelle dans les projets et rapports annuels de performance relatifs au programme 101 « Accès au droit et à la justice ».

Mme Marietta Karamanli. Il s’agit là d’un rapport spécifique sur l’instauration de la représentation obligatoire, qui ne me semble pas avoir été évoquée en détail lors de l’examen du budget. D’autre part, la mission d’information prendra un certain temps. Or, nous discutons maintenant de ce texte. C’est maintenant qu’il faut prévoir ce rapport.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Il ne faut pas faire doublon avec une mission d’information créée ce matin.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Cette mission d’information a trait à l’aide juridictionnelle en général. Nos collègues membres de la mission prennent bonne note qu’ils pourront traiter cette problématique spécifique dans le cadre de leur mission.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’article 4 modifié.

Après l’article 4

La Commission examine les amendements identiques CL436 de M. Sébastien Jumel et CL569 de M. Robin Reda.

M. Sébastien Jumel. Cet amendement est issu des propositions formulées par l’ordre des avocats au barreau de Paris. Il vise à modifier l’article 229-1 du code civil afin de conférer la force exécutoire à la convention, prenant la forme d’un acte sous signature privée contresignée par avocats, par laquelle les époux consentent mutuellement à leur divorce.

En conséquence, le 4 bis de l’article L. 111-3 du code des procédures civiles d’exécution est également modifié. L’acte sous signature privée contresigné par l’avocat de chacune des parties comporte par nature les garanties nécessaires : les avocats ont vérifié la conformité de l’accord à l’ordre public, la réalité du consentement des parties et la sauvegarde des intérêts de la partie qu’ils assistent.

Il s’agit à la fois d’une mesure de simplification pour les époux qui divorcent et d’une mesure d’économie pour ces derniers qui n’auront plus à acquitter les cinquante euros rémunérant le dépôt de l’acte par le notaire au rang de ses minutes.

M. Robin Reda. Nous nous inscrivons, avec ces amendements, dans le mouvement de simplification que vous voulez lancer avec ce projet. Aujourd’hui, lorsque les époux divorcent, il faut qu’ils se mettent d’accord avec leurs avocats, qu’une convention soit établie et qu’ensuite ils l’apportent chez le notaire et le rémunèrent cinquante euros pour déposer cette convention au rang de ses minutes. Je comprends que l’on ménage toutes les professions juridiques, mais il est temps de faciliter la vie de nos concitoyens.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Je réponds à ces deux amendements et aussi à ceux qui suivent et qui ont le même objet : la force exécutoire de l’acte d’avocat. Il ne s’agit pas d’un simple acte de procédure. La force exécutoire est le sceau, la « Marianne », la représentation de la République qui donne toute sa puissance à un acte. On ne peut pas parler de la force exécutoire de l’acte d’avocat sans évoquer cet acte et sa genèse.

L’acte d’avocat a été créé par la loi du 28 mars 2011 à la suite de la commission Darrois à laquelle votre rapporteure a participé. La réflexion à l’origine de l’instauration de cet acte avait pour objectif de créer une grande profession du droit. La lettre de mission du Président de la République d’alors, M. Nicolas Sarkozy, était de fusionner les professions d’avocat et de notaire. Cette fusion n’a pas été possible car le statut des deux professions l’empêchait. Les avocats représentent en effet des intérêts privés ; les notaires exercent, dans certaines de leurs activités, des prérogatives de puissance publique. L’acte authentique relève de ces prérogatives. En revanche, il existe d’autres prérogatives, telles que le fait de vérifier la conformité d’accords, qui ne relèvent pas de la puissance publique. C’est pourquoi l’acte d’avocat a été créé : il possède une des deux « jambes » de l’acte authentique, la force probante, mais non la seconde, la force exécutoire, laquelle est attachée à une prérogative de puissance publique.

Les deux amendements présentés ainsi que ceux qui seront évoqués tout à l’heure offrent toute une panoplie de possibilités attractives. Il est proposé de donner force exécutoire pleinement, ou partiellement, dans certaines matières comme le droit des obligations ou le droit de la famille, de la réserver aux actes qui résultent d’une médiation, de la cantonner à certains litiges. La force exécutoire, cependant, n’est pas liée à l’acte ni à la matière, mais à la personne qui la confère. Cette personne exerce des prérogatives de puissance publique sous l’autorité de l’État – ce que n’est jamais l’avocat puisqu’il défend toujours des intérêts privés.

Avis défavorable, donc, à ces deux amendements et à tous ceux qui visent à changer le statut de la profession d’avocat pour lui conférer des prérogatives de puissance publique.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je dirai quelques mots également de la force exécutoire de l’acte contresigné par avocat. Il s’agit d’une demande de la profession des avocats, avec laquelle nous en avons parlé à plusieurs reprises. Je suis défavorable aux amendements proposés pour deux raisons.

Première raison, les amendements qui permettent de conférer cette force exécutoire revêtent un risque sérieux d’inconstitutionnalité. Le Conseil constitutionnel ne permet aux personnes privées d’émettre un titre exécutoire qu’à la seule condition qu’elles soient chargées de l’exécution d’une mission de service public. C’est une jurisprudence constante. Or, les avocats ne sont pas chargés d’une mission de service public lorsqu’ils contresignent un acte sous seing privé. Le fait qu’un avocat vérifie la conformité d’un accord à l’ordre public et qu’il s’assure du consentement des parties et de la sauvegarde des intérêts de la partie qu’il assiste ne caractérise pas l’exercice d’une mission de service public. Les avocats exercent en toute autonomie une activité de nature libérale. C’est une profession du droit, mais non pas une mission de service public. C’est la raison pour laquelle ni le Conseil constitutionnel ni la Cour de cassation n’ont reconnu que les avocats exerçaient cette mission de service public en assistant leur client. À l’inverse, à défaut de celle du juge, l’intervention d’un officier public et ministériel, investi, lui, de prérogatives de puissance publique, est indispensable pour permettre l’apposition de la formule exécutoire sur un acte sous seing privé. C’est pourquoi, en matière de divorce par consentement mutuel, l’intervention du notaire est indispensable pour permettre l’apposition de la formule exécutoire sur la convention de divorce.

Seconde raison : si nous acceptions cette force exécutoire, cela brouillerait les attributions des différentes professions du droit. C’est bien parce que le notaire est un officier public et ministériel que les actes authentiques qu’il dresse ont date certaine, font foi de leur contenu et ont force exécutoire. Les actes dressés par l’avocat le sont par un professionnel indépendant. Ils peuvent, bien sûr, avoir une force probante renforcée. C’est ce qui est déjà prévu pour l’acte contresigné, mais les conditions d’exercice de la profession d’avocat sont différentes de celles de la profession de notaire. Dans le second cas, il s’agit d’une profession réglementée ; dans le premier, d’une profession libérale. Conférer force exécutoire aux actes d’avocat nécessiterait de revoir complètement cette profession et son fonctionnement avec un contrôle renforcé de la puissance publique. Les avocats viennent de lancer des états généraux. Je me suis engagée à réfléchir à cela avec eux mais, en l’état, je ne souhaite pas que nous allions dans cette voie.

M. Jean Terlier. Nous sommes d’accord pour reconnaître que ces amendements présentent un intérêt opérationnel évident pour le justiciable. Cependant, le groupe La République en Marche est sensible aux arguments développés par la rapporteure et la ministre. Ce texte n’est pas le bon véhicule législatif pour traiter de la question de l’acte d’avocat. Il n’y a eu aucune concertation avec la profession des notaires. D’autre part, les avocats eux-mêmes sont en train de réfléchir sur l’avenir de leur profession dans le cadre d’états généraux. Cette question sera soulevée, à n’en pas douter, à cette occasion. Le groupe La République en Marche votera donc contre ces amendements.

M. Ugo Bernalicis. Je voudrais féliciter notre collègue Sébastien Jumel d’avoir eu l’honnêteté, dans son exposé des motifs, d’indiquer la provenance de la demande formulée – ce qui n’est pas forcément le cas des autres auteurs d’amendement. Je pense que c’est une pratique qu’il faut développer. Quand on voit des associations, des partis, des organisations ou des corporations avancer des propositions, il me semble que dire d’où elles viennent constitue le minimum minimorum de la transparence du débat démocratique.

Sur le fond, j’entends bien vos arguments, madame la ministre. Je pense qu’il faudrait faire des révisions constitutionnelles pour déléguer aux avocats une mission progressive de service public, comme aux notaires. Mais peut-être cela ferait-il doublon ? La solution serait               alors à chercher ailleurs. Le fond du problème, en effet, c’est que cet acte supplémentaire est payant. Il faudrait peut-être envisager de fonctionnariser complètement les notaires, de sorte qu’ils soient gratuits. C’est une idée que je lance comme ballon d’essai.

Mme Cécile Untermaier. Je vous remercie, madame la ministre, pour les explications claires données sur cette question de l’acte d’avocat, qui revient chaque année. Je pense qu’on y arrivera un jour ou l’autre. Il y a une logique opérationnelle qui conduit à mettre en dehors du tribunal beaucoup de litiges. Si les avocats en font leur affaire et parviennent à trouver entre eux des accords, il faudra bien, à un moment ou à un autre, qu’ils trouvent une traduction en dehors du tribunal. Mais les états généraux permettront peut-être d’avancer sur cette question.

J’ai tout de même un regret sur le divorce par consentement mutuel. Nous n’avions pas du tout imaginé, au moment de la réforme, que la procédure fixée au niveau de la Chancellerie aboutirait chez le notaire. Nous pensions que l’accord serait homologué par le juge, de sorte qu’il reste dans la sphère du tribunal. Il faudra évaluer cette question du recours au notaire pour une affaire qui, en vérité, relève du juge. On nous parle de complexités à lever, mais c’est une procédure qui, justement, est source de délais supplémentaires.

M. Olivier Marleix. Je regrette que ce texte ne soit pas l’occasion pour le Gouvernement de donner corps à ce qui avait été entendu comme une promesse du candidat Emmanuel Macron lors de la campagne présidentielle. Ce programme était certes formulé, comme parfois, de manière extrêmement ambiguë, mais j’y trouve une phrase qui se terminait ainsi : « professionnels associant avocats, huissiers et notaires pourront conclure des accords ayant la force d’un jugement ». Tout le monde avait interprété cela comme le souhait de donner force exécutoire à des accords conclus par des avocats. En réalité, la phrase était beaucoup plus subtile que cela ; elle n’est d’ailleurs pas inintéressante, car elle s’inscrit dans un mouvement de création de plateformes de règlement amiable des litiges.

Je regrette, donc, que le Gouvernement, à ce stade, n’ait pas davantage creusé cette idée. Bien sûr, il faut définir le type de litiges que l’on souhaite faire entrer dans le dispositif. Il faut sans doute que les montants soient plafonnés, que les matières sur lesquelles l’accord peut intervenir soient circonscrites. Il est dommage, madame le ministre, que vous passiez aussi rapidement sur ce qui était quand même une promesse du président de la République –promesse entendue comme telle par la profession d’avocat.

M. Erwan Balanant. Mon groupe avait déposé des amendements du même ordre, qui devaient être examinés après ceux-ci, et qui tendaient à permettre une expérimentation en ce domaine. Mais, suite au débat et aux explications formulées, nous les retirerons.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Madame Untermaier, la loi sur le divorce par consentement mutuel prévoyait l’intervention des notaires ; ce n’est pas la Chancellerie qui l’a ajoutée. Le Conseil constitutionnel n’a précisément validé ce texte que parce que l’intervention des notaires y était prévue.

Monsieur Marleix, vous avez dû lire de manière un peu rapide les propos tenus par le Président de la République car ils n’allaient pas du tout dans le sens de ce que vous dites. Je les lis clairement, puisque je les ai sous les yeux et que le Président de la République répondait alors aux questions du Conseil national des barreaux (CNB). Concernant le caractère exécutoire des actes d’avocats, il a déclaré : « La force juridique du caractère exécutoire est conférée à certains actes réalisés par des professionnels ayant qualité d’officier public et ministériel. Or je ne pense pas que cela corresponde à l’essence de la profession de conférer cette qualité aux avocats. » Puis il a poursuivi en énumérant toutes les obligations qu’un tel statut induit. Telle est exactement ma démonstration.

Le Président de la République faisait allusion à la création de sociétés pluriprofessionnelles qui, elles, auraient pu donner force exécutoire, puisque l’on pouvait imaginer qu’il y ait en leur sein un notaire. Très exactement, le Président de la République ne s’est donc jamais engagé à donner force exécutoire à l’acte d’avocat.

M. Sébastien Jumel. Comme toujours, les arguments développés par Mme la garde des Sceaux sont sérieux et étayés. Mais je pense qu’il ne faut pas que nous anticipions la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Le Parlement ne doit pas s’autocensurer d’avance. Au bout du compte, que risquons-nous ? Qu’une disposition soit annulée ? Comme elle n’existait pas avant, le préjudice ne serait pas énorme.

Je vais vous faire une proposition. Ce qui pose problème, c’est que, une fois le travail fait par les avocats, on demande encore aux parties cinquante euros pour un coup de tampon. Eh bien, rendez gratuit cet acte ! Vous avez la possibilité de le faire par simple arrêté. Peut-être pourriez-vous même fixer un délai compatible avec l’urgence qu’il y a à ce que les consentements mutuels soient exécutoires immédiatement ?

M. Robin Reda. Une fois n’est pas coutume, je vais m’inscrire dans la ligne des propos de notre collègue Sébastien Jumel. Cet amendement nous interroge sur la facilité de la conclusion d’une convention et sur la simplification du droit. Voilà ce qu’il faut garder en tête. M. Olivier Marleix a rappelé l’engagement du Président de la République, écrit noir sur blanc dans son programme présidentiel. Je comprends qu’il soit ensuite revenu dessus ou qu’il ait précisé ses propos dans un discours. Mais c’est le programme présidentiel lu par les Français, par les électeurs. Qu’un candidat se permette de formuler des propositions inconstitutionnelles, voilà qui est inquiétant. Certes, il n’était pas le premier, et certainement pas celui qui a le plus utilisé cet artifice de communication, mais il serait bon que figurent des propositions plus rationnelles dans les programmes des candidats à la présidence de la République.

Cela dit, nous ne voudrions pas non plus vous inviter trop souvent à modifier la Constitution, car vous seriez capables de le faire…

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Il n’y a jamais eu aucune ambiguïté sur la position du Président de la République quant à cet acte. Les propositions du programme du candidat Emmanuel Macron visaient à un renforcement de l’interprofessionnalité, ce qui allait d’ailleurs de pair avec la loi éponyme. Je constate donc une forte cohérence de sa part.

La Commission rejette les amendements.

Elle examine ensuite l’amendement CL360 de M. Philippe Latombe.

M. Philippe Latombe. Il existe déjà des actes signés par les parties, sous seing privé, avec l’aide de leurs avocats. Dans un certain nombre de cas, il leur est demandé une homologation par le président du tribunal de grande instance, ce qui prend du temps et allonge le délai d’exécution de l’accord.

Or, je peux dire d’expérience que l’apport du président du TGI n’est pas flagrant. Souvent, en effet, il se contente de lire rapidement l’acte et d’y apposer son sceau. Aujourd’hui, il faut se poser la question de savoir quand pourra être reconnue la force exécutoire d’un acte d’avocat : je pense à un certain nombre de litiges, d’un enjeu limité quant à son montant. J’ai déposé plusieurs amendements en ce sens.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure, la Commission rejette l’amendement.

L’amendement CL740 de Mme Valérie Gomez-Bassac a été retiré.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure, la Commission rejette successivement l’amendement CL570 de M. Robin Reda puis les amendements CL370 et CL368 de M. Philippe Latombe.

Les amendements CL582 de Mme Laurence Vichnievsky et CL581 de M. Erwan Balanant sont retirés.

La Commission examine l’amendement CL502 de Mme Alice Thourot. 

Mme Alice Thourot. Cet amendement vise à supprimer la postulation pour les avocats, comme cela a été fait d’ores et déjà en région parisienne. Je rappelle, pour les non-spécialistes, que la postulation est une démarche à effectuer lorsque vous êtes avocat et que vous avez à déposer un dossier devant un tribunal de grande instance ou une cour d’appel qui n’est pas dans votre secteur géographique. Vous devez faire appel à un confrère appartenant au barreau du tribunal de grande instance ou de la cour d’appel du ressort de votre dossier.

Cela veut dire que le justiciable doit prendre un avocat qui va traiter son dossier et un autre qui va s’occuper uniquement de la procédure, en l’occurrence effectuer des transmissions d’écritures et de pièces devant le tribunal de grande instance ou devant la cour d’appel. Cela représente des frais supplémentaires pour les justiciables alors que les conclusions et les pièces sont aujourd’hui transmises par la voie électronique, très concrètement par le réseau privé virtuel des avocats (RPVA).

Je considère que la postulation n’a plus lieu d’être. C’est la raison pour laquelle je propose cet amendement.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. C’est un sujet assez complexe, sur lequel il est difficile de trouver une solution d’équilibre. En effet, on peut considérer que la postulation va entraîner pour le justiciable des frais supplémentaires, puisqu’il va devoir rémunérer deux avocats. En revanche, la suppression de la postulation peut aussi entraîner des frais supplémentaires, en l’espèce les frais de déplacement de l’avocat qui va s’occuper de l’ensemble de ces procédures. En ce qui concerne le coût pour le justiciable, il n’y a en tout cas pas de réponse claire et nette.

En revanche, il y a un véritable enjeu de maillage territorial, aspect que nous devons garder à l’esprit. Vous verrez d’ailleurs, aux articles 53 et 54 du projet de loi, que nous veillons à assurer une présence équilibrée des lieux de justice sur l’ensemble du territoire. Il est important que nous fassions de même s’agissant de celle des différents auxiliaires de justice, au premier rang desquels les avocats. Or, le principe de la postulation contribue à ce maillage territorial.

Cela n’empêche pas, loin de là, de mener une véritable réflexion sur l’efficacité des mécanismes de postulation, car ce que vous décrivez peut parfois s’apparenter au fonctionnement d’une boîte aux lettres plutôt qu’à une participation à la procédure. Les états généraux que les avocats doivent tenir d’ici au premier semestre 2019 seront le lieu pour réfléchir sur ce sujet.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Pour ma part, je propose de laisser les choses en l’état. Dans la situation actuelle, les avocats peuvent postuler devant l’ensemble des TGI du ressort de la cour d’appel dans lequel ils ont établi leur résidence professionnelle.

Cette évolution, vieille seulement de trois ans, a déjà imposé à la profession de se réorganiser. Je propose de laisser cette situation se stabiliser avant d’envisager autre chose. Pour les raisons qu’a évoquées Mme la rapporteure, je pense qu’il est important aussi de maintenir un vivier d’avocats suffisant dans chaque barreau, afin d’assurer les défenses pénales d’urgence et les missions d’aide juridictionnelle. Je pense qu’il faut évaluer tout cela à tête reposée. Je suis défavorable à l’amendement.

M. Jean Terlier. La loi du 6 aout 2015 a effectivement réformé la postulation à l’échelle du ressort de la cour d’appel. Je crois que la supprimer aurait immanquablement un impact sur nos « barreaux de province », si je puis dire, et que la question requiert donc une réflexion plus générale. Le groupe La République en Marche votera contre cet amendement.

Mme Alice Thourot. Nous avons un désaccord sur le fond. La question des frais de déplacement est secondaire puisqu’ils seront toujours là. Quand on prend un avocat, on le choisit intuitu personae : on veut que ce soit son propre avocat qui plaide son dossier, et non pas celui qui s’est occupé des actes de procédure sur place. En revanche, je suis sensible à l’argument de l’impact territorial, surtout dans les zones rurales. Pour cette raison, je vais retirer l’amendement.

L’amendement est retiré.

La Commission examine l’amendement CL38 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Danièle Obono. Par cet amendement, nous proposons de mettre fin aux charges et, par extension, aux frais de justice qui empêchent de nombreux requérants de se pourvoir en cassation pour certains types de contentieux. Il s’agit de mettre fin à l’office des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation, en prévoyant que la simple réussite au certificat d’aptitude à la profession d’avocat aux Conseils (CAPAC) permette l’accès à ces fonctions, accès actuellement limité par l’existence d’un monopole de représentation.

Il s’agit, rappelons-le, d’une survivance historique, en l’occurrence d’un édit royal de Louis XIV du 2 septembre 1643, aboli par la Révolution française et rétabli en 1799 pour la Cour de cassation. Le statut reste régi par l’ordonnance royale du 10 septembre 1817, modifiée depuis. Ces charges se sont transmises, et de nouvelles ont été octroyées par le ministère de la Justice depuis 2009 ; la loi dite « Macron » soumet la création de nouvelles charges à l’expertise préalable de l’Autorité de la concurrence.

Nous proposons que la formation de l’Institut de formation et de recherche des avocats aux conseils (IFRAC), sanctionnée par le CAPAC après trois années d’études et qui garantit le sérieux et l’aptitude des candidats pouvant exercer les fonctions d’avocat aux Conseils, soit la seule condition exigée pour qu’un avocat puisse agir devant le Conseil d’État et la Cour de cassation. Débarrassons-nous de ces vestiges de la monarchie !

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Avis défavorable pour des raisons qui ne sont pas tant de fond que de forme. Tout d’abord, le projet de loi n’aborde pas les recours en cassation : nous ne l’avons donc pas examiné lors des auditions préparatoires et des évaluations préalables.

On peut certes appeler de ses vœux l’approche libérale que vous proposez, mais cette modernisation peut intervenir de plusieurs manières : soit par l’ouverture complète des charges, soit par d’autres instruments. Je ne crois pas qu’il convienne de se prononcer sur le sujet au détour d’un amendement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. J’émets également un avis défavorable pour deux raisons.

La première raison tient à la bonne administration de la justice : la technique de cassation est très particulière, ce qui suppose des avocats qualifiés pour cette pratique. La deuxième raison tient à l’adoption récente de la loi du 6 août 2015, qui, comme vous le savez, elle a autorisé la création de nouveaux offices. Quatre de ces nouveaux offices, qui ont permis le recrutement de six nouveaux professionnels, ont ainsi été créés en 2017.

L’Autorité de la concurrence vient de rendre un nouvel avis préconisant la création d’offices supplémentaires. Nous étudions actuellement la portée de cet avis et nous verrons dans quelle mesure lui donner suite. J’ajoute que nous réfléchissons aussi à une réforme du filtrage des pourvois en cassation.

M. Ugo Bernalicis. Je ne comprends plus rien. Soit cet amendement a un rapport avec le texte et nous en discutons. Soit il n’a pas de rapport avec le texte et vous le jugez irrecevable pour que nous n’en discutions pas… En réalité, tous les amendements déposés et rejetés ont un lien direct avec le texte. Madame la rapporteure, vous ne pouvez pas écarter celui-ci au motif qu’aucune audition particulière n’a été consacrée au sujet. Souffrez que nous ayons des avis, que nous souhaitions discuter et dialoguer ! L’examen en commission constitue la première phase de discussion. Nous sommes là pour nous convaincre les uns les autres. Vous auriez pu proposez que nous retravaillions la question avant de la réexaminer en séance publique, mais ce n’est pas votre démarche.

Sur le fond, nous préférons à l’actuelle hiérarchie entre les catégories d’avocats une situation dans laquelle la réussite au CAPAC serait suffisante pour être reconnu compétent et pouvoir requérir devant la Cour de cassation. Peut-être est-ce là une vision « libérale », si vous tenez à coller cette étiquette à notre groupe ; nous pensons simplement que, dès lors qu’on a obtenu ce certificat, on peut faire son travail ! Nul besoin d’ajouter des obstacles qui de surcroît nous viennent – c’est un comble – de la monarchie !

La Commission rejette l’amendement.

Chapitre III
Repenser l’office des juridictions

Avant l’article 5

La Commission examine l’amendement CL7 de Mme Danièle Obono.

M. Ugo Bernalicis. Par cet amendement d’appel, nous proposons une expérimentation visant à ce que, dans le cadre de son office, le juge civil puisse soulever d’office des moyens d’ordre public lorsque ceux-ci visent au respect de la légalité, du caractère équitable du procès et de l’égalité des armes. Cette proposition novatrice vise à lutter contre les inégalités de moyens dans l’accès à la justice, inégalités résultant notamment de l’inégale connaissance du droit par les parties.

Cette expérimentation serait entourée de plusieurs garanties. Elle serait limitée à une durée de trois ans, ne concernerait que les juridictions de première instance et se déroulerait sous le contrôle de la cour d’appel. La liste des moyens d’ordre public susceptibles d’être soulevés n’est pas limitative, ce qui permettrait de préserver ceux d’ores et déjà dégagés par la jurisprudence tout en laissant ouvertes toutes les possibilités pour l’avenir.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Les moyens d’ordre public, notamment en droit de la consommation, peuvent déjà être soulevés d’office par le juge, comme cela est prévu par le code de la consommation.

De l’exposé des motifs de votre amendement, je comprends qu’il s’agit avant tout d’un amendement d’appel, dans l’attente d’une prise de position de la ministre. Je vous suggérerai donc de le retirer au bénéfice des explications qu’elle donnera. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. J’émets un avis défavorable, car les dispositions en cause, strictement relatives à la procédure civile, sont, de ce fait, de nature réglementaire.

M. Ugo Bernalicis. Il y a pourtant des propositions qui sont visiblement de nature réglementaire et qui ne sont pas jugées irrecevables. Je ne comprends plus rien – à moins que je ne comprenne trop bien… Plus sérieusement, je trouve que cela ne coûte rien de creuser ce sujet. De deux choses l’une, donc : soit vous me dites que vous le rejetez mais qu’on en rediscutera d’ici à la séance parce que vous trouvez le sujet est intéressant, auquel cas je retire l’amendement ; soit je le maintiens.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. C’est vous-même qui avez parlé d’amendement « d’appel ».

M. Ugo Bernalicis. C’est bien pourquoi je veux une réponse à mon appel ! (Sourires.)

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL53 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Danièle Obono. Par cet amendement, nous proposons, dans le prolongement logique de la loi Taubira de 2016 qui créait un cadre juridique pour la modification de la mention du sexe à l’état civil, que la demande puisse être simplement formulée auprès de l’officier d’état civil de la commune de résidence.

Afin de faciliter cette démarche d’un point de vue pratique, nous estimons nécessaire qu’elle puisse être effectuée en mairie plutôt que d’avoir à se déplacer jusqu’au tribunal de grande instance.

Nous préférerions ne pas nous contenter d’une simple expérimentation, mais sommes bien contraints de nous y résoudre, eu égard aux règles coutumières de recevabilité budgétaire des amendements.

Cet amendement est davantage qu’un amendement d’appel. Son adoption apporterait en effet une vraie et importante simplification, et enverrait un signal positif à nos concitoyennes et concitoyens confrontés à ce type de démarche – et à beaucoup d’autres – dans ce parcours transitionnel. Elle marquerait une avancée dans l’égalité des droits.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. C’est en effet un sujet extrêmement important, sur lequel il y a eu des avancées grâce à la loi « J21 », qui a profondément transformé le droit en matière de changement de sexe, notamment en s’éloignant de l’approche consistant à exiger une justification strictement médicale. Le juge exige désormais des éléments moins lourds, et toute personne qui fait état d’une conjonction d’éléments permettant de motiver ce changement de sexe peut obtenir l’inscription de cette modification à son état civil.

Les principaux de ces éléments, dont la preuve peut être rapportée par tous moyens, peuvent ainsi être : le fait que la personne se présente publiquement comme appartenant au sexe revendiqué, qu’elle soit connue sous celui-ci de son entourage familial, amical ou professionnel ou qu’elle ait obtenu le changement de son prénom, afin qu'il corresponde au sexe revendiqué.

Le passage devant le juge reste cependant important. Tout d’abord, en effet, ces éléments restent d’appréciation subjective, c’est-à-dire que le jugement devra les apprécier dans leur ensemble pour déterminer si le changement de sexe doit être accordé. L’exigence d’un certificat médical ayant été supprimée, ces éléments ne sont plus des éléments d’appréciation purement objective, et je trouve que c’est une bonne chose que de confier cette mission au juge, qui est le premier garant des droits individuels.

Si l’on mettait en œuvre une procédure de ce type auprès d’agents de l’état civil en mairie, j’y verrais un risque bien plus important de voir des considérations personnelles intervenir pour empêcher des personnes de voir inscrire à leur état civil ce changement, qui est un changement important. Pour l’égalité de tous, pour la garantie des droits et pour la protection des libertés, je pense qu’il ne s’agit pas d’une procédure qu’il faille déjudiciariser : elle fait au contraire partie de celles pour lesquelles le passage devant le juge est de nature à mieux garantir les droits de tous.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. C’est effectivement un domaine sur lequel il ne me semble pas souhaitable de passer à une nouvelle étape avant d’avoir dressé un premier bilan de la loi de 2016.

La procédure de changement de sexe est une procédure qui est assez éloignée des missions traditionnelles confiées aux officiers d’état civil. Elle suppose, comme l’a dit Mme la rapporteure, un pouvoir d’appréciation des différents éléments fournis par le demandeur, pouvoir dont les officiers ou agents d’état civil ne disposent pas.

L’office du juge, en l’espèce, me semble nécessaire. La loi de 2016 a déjà marqué une avancée importante en démédicalisant la procédure. En outre, la demande est déposée sans représentation obligatoire devant l’autorité judiciaire. Il me semble important de laisser vivre quelque temps cette procédure.

Je sais qu’il existe certaines revendications des associations de défense des personnes LGBT, pour les avoir rencontrées. Au nombre de ces revendications, j’ai relevé celle d’un changement de sexe par simple déclaration à l’officier d’état civil. Pour ma part, je pense qu’il faut encore laisser vivre la loi de 2016 telle qu’elle a été écrite.

Mme Danièle Obono. J’insiste sur le fait que nous proposons une simple expérimentation et que, plus fondamentalement, nous défendons ce que défendent aussi les associations, à savoir la déjudiciarisation.

Vous parlez d’appréciation subjective, mais celle du juge l’est tout autant. Or l’identité est d’abord celle que revendique la personne ; il en va de même du sexe. Quant au fait qu’un officier d’état civil pourrait décider par lui-même, je rappelle qu’il ne fait qu’appliquer la loi. S’il devient possible de faire changer la mention à l’état civil, il n’y a pas d’appréciation subjective susceptible d’entrer en compte dans l’application de la loi.

Ce que revendiquent les associations et les personnes concernées, c’est que leur subjectivité soit respectée, au regard de l’identité à laquelle elles adhèrent. Je pense que cela marquerait une progression, pour le coup une avancée du « libéralisme ». Car le libéralisme auquel j’adhère, c’est celui qui consiste à défendre le droit de la personne à voir inscrire son changement à l’état civil sans avoir à passer par un autre canal, qu’il soit biomédical ou judiciaire. La procédure actuelle est une forme d’invalidation en ce qu’elle renvoie toujours au jugement de quelqu’un d’autre pour que soit décidé le sexe auquel appartient la personne. L’expérimentation que nous proposons constitue donc le pas en avant qu’il est nécessaire de faire aujourd’hui.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Encore une fois, je pense que nous partageons l’objectif. Mais, pour avoir moi aussi beaucoup dialogué avec les associations de lutte contre les « LGBT-phobies », je relève une difficulté : confier cette mission à des agents d’état civil n’est pas possible en l’état actuel de la loi « J21 », loi encore récente qu’il faut, comme le disait à l’instant Mme la garde des Sceaux, laisser vivre pour pouvoir l’évaluer. Ensuite, nous prendrons en considération cette évaluation pour examiner s’il faut la faire évoluer dans un sens ou dans l’autre. Mais, sous l’empire du texte actuel, une déjudiciarisation ne permet pas d’atteindre l’objectif visé.

M. Philippe Gosselin. Je voudrais rappeler l’article 66 de la Constitution, aux termes duquel le juge judiciaire – ou plutôt « l’autorité judiciaire », pour reprendre le terme exact de l’article – est le « gardien de la liberté individuelle ». Or je crois que ce sujet concerne effectivement les libertés individuelles. Je ne porte pas de jugement sur le fond, mais il me paraît plutôt justifié, pour des raisons constitutionnelles, que le juge reste compétent.

J’envisage aussi les raisons pratiques. Nous avons un peu moins de 36 000 communes en France, soit au moins autant d’officiers d’officiers d’état civil, à savoir les maires et les adjoints. En outre, dans les villes d’une certaine importance, ces fonctions sont déléguées, et exercées sous le contrôle des élus, à des agents de l’État. Mais, dans tous les cas, qu’il s’agisse des maires et adjoints, qui sont de droit officiers d’état civil, ou des agents qui interviennent, ces personnes le font au nom de l’État. Nous mettrions donc réellement dans l’embarras bon nombre d’officiers et agents d’état civil, qui auraient une vraie difficulté à traiterces questions, sans possibilité de recours, ce qui présenterait des risques de rupture d’égalité, d’autant que les conditions d’accueil sont susceptibles de varier fortement selon la configuration des lieux, notamment dans les petites communes où il y a à peine un bureau pour recevoir le public. N’oublions pas qu’il s’agit de questions relevant de l’intime.

Sauf à en faire une affaire de principe, pourquoi ne pas se rendre au tribunal de grande instance ? C’est ce que prévoit la loi de 2016, qui n’a d’ailleurs pas encore été évaluée.

La Commission rejette l’amendement.

Article 5
(art. 46, 311-20 et 317 du code civil, art. L. 2141-10 du code de la santé publique, art. 4 de la loi n° 68-671 du 25 juillet 1968 relative à l’état civil des Français ayant vécu en Algérie ou dans les anciens territoires français d’outre-mer ou sous tutelle devenus indépendants, loi du 20 juin 1920 ayant pour objet de suppléer par des actes de notoriété à l’impossibilité de se procurer des expéditions des actes de l’état civil dont les originaux ont été détruits ou sont disparus par suite de faits de guerre et art. 1er et 2 de l’ordonnance n° 62-800 du 16 juillet 1962 facilitant la preuve des actes de l’état civil dressés en Algérie)
Compétence des notaires pour délivrer certains actes de notoriété et recueillir le consentement dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation avec tiers donneur

La Commission est saisie des amendements identiques CL64 de Mme Danièle Obono et CL435 de M. Stéphane Peu.

M. Ugo Bernalicis. L’article 5 transfère au notaire des missions qui étaient auparavant assurées par le tribunal d’instance. Par principe, nous allons nous y opposer, même si nous pouvons comprendre que l’on souhaite alléger la tâche des tribunaux d’instance. En effet, les interventions du notaire ne sont toujours pas gratuites, les « fonctionnaires notaires » n’existant pas encore – on en parlera lorsque je défendrai l’amendement CL65. Quoi qu’il en soit, dans l’état actuel, nous proposons, par l’amendement CL64, de supprimer cet article.

M. Sébastien Jumel. Il ne peut y avoir d’égalité dans l’accès au service public de la justice sans gratuité. Nous ne sommes pas par principe opposés à la déjudiciarisation de certains actes, comme nous l’avons démontré à l’occasion d’autres amendements. Mais confier au notaire ces nouveaux actes, c’est les rendre payants, et donc, aggraver l’inégalité sociale.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Avis défavorable, dans le sens où ces actes, qui ne sont pas liés à un litige, relèvent moins de l’office du juge que de la compétence d’un notaire. J’ajoute que leur coût n’est pas des plus élevés.

M. Philippe Gosselin. Un acte de notoriété revient tout de même à 78 euros !

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Leur nombre est par ailleurs extrêmement limité. Par exemple, on ne voit passer qu’une dizaine d’actes de notoriété par an. Je ne pense donc pas qu’une telle déjudiciarisation soit d’une grande difficulté.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Ces amendements, sur lesquels j’émets un avis défavorable, visent à supprimer l’article 5 tel qu’il a été rédigé par le Sénat.

Celui-ci concerne, notamment, l’acte de notoriété, qui est un mode de preuve élaboré dans l’ancien droit par la pratique notariale. Par cet acte, l’autorité compétente constate que les témoins qui comparaissent devant elle affirment qu’à leur connaissance personnelle, tel fait est notoire.

L’esprit du projet de loi de programmation, et c’est tout le sens de cet article 5, vise à recentrer le juge sur le cœur de son office, c’est-à-dire à le faire intervenir là où il apporte une plus-value, et non pas là où il accomplit des actes que d’autres pourraient faire à sa place de la même manière. En l’occurrence, je ne vois pas ce que l’intervention judiciaire apporte aux actes de notoriété. C’est pourquoi je souhaite rétablir la version initiale du texte.

Il s’agit également d’uniformiser les règles de compétence qui régissent les différents actes de notoriété établis dans diverses matières. En effet, le code civil prévoit déjà d’autres dispositions relatives à des actes de notoriété, lesquels sont tous dressés par des notaires.

Enfin, je vous informe d’une baisse immédiate du coût des actes de notoriété, qui n'est donc plus de 78 euros, monsieur Gosselin, mais de 57,69 euros !

M. Philippe Gosselin. Pardon ! (Sourires.)

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. J’insiste sur le fait que le nombre de ces actes de notoriété se limite à une dizaine par an. Nous porterons donc un regard favorable sur l’amendement que nous proposera dans quelques instants la rapporteure.

La Commission rejette les amendements.

Elle adopte ensuite l’amendement rédactionnel CL1073 de la rapporteure.

Elle examine ensuite les amendements identiques CL955 du Gouvernement et CL564 de M. Philippe Chalumeau.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je demande par cet amendement que l’on confie exclusivement au notaire le recueil du consentement du couple qui a recours à une procréation médicalement assistée (PMA) avec tiers donneur. L’intervention du notaire est déjà prévue par le texte actuel, puisque les couples qui veulent avoir recours à une PMA avec tiers donneur ont le choix entre le notaire ou le juge pour donner leur consentement.

L’intervention du notaire est adaptée, puisqu’il s’agit d’informer le couple sur les conséquences que leur décision aura quant aux règles de filiation dérogatoires qui sont applicables. L’intervention du juge, en revanche, ne me semble pas du tout se justifier, puisqu’il n’y a pas là de fonction juridictionnelle, ni de litige à trancher. Ainsi, cette modification proposée dans le code civil et dans le code de la santé publique est une mesure d’administration de la justice qui s’inscrit dans une démarche globale de simplification.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Avis favorable.

M. Ugo Bernalicis. Est-il possible de fixer un tarif à « zéro euro » au notaire pour ce genre d’acte ?

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Je proposerai ultérieurement un amendement qui vise à réduire considérablement le coût de cet acte.

M. Jean Terlier. Je pense que nous y serons très attentifs.

J’ajoute que, dès lors que l’on passera par un notaire, on n’aura plus à passer par un juge. Cela procurera tout de même un gain de temps assez important aux parties qui ont recours à ce type de procédure. Pour moi, le coût supplémentaire sera largement compensé par le gain de temps.

M. Sébastien Jumel. Pourrions-nous obtenir, d’ici à la séance, une évaluation des coûts engendrés par de telles mesures ? Les gens que je rencontre, ceux qui vivent à côté de chez moi, n'ont pas un « pognon de dingue » ! Certes, la longueur des délais peut être préjudiciable. Nous avons d’ailleurs formulé des propositions pour renforcer les moyens de la justice et améliorer sa réactivité et son efficience. Mais la question du coût demeure. En matière d’accès au droit, la fracture sociale existe. Or, plus on est marginalisé, plus on est précarisé, plus on est exclu, et plus l’accès au droit est important. Ou alors, nous ne militons pas pour la même société, ce que je n’ose penser.

Nous n’avons pas encore terminé d’examiner ce texte, et j’aimerais savoir ce que tout cela représente. Je pense également au recours aux plateformes privées, dont on a parlé tout à l’heure.

Mme Cécile Untermaier. Personnellement, je trouve un peu surprenant qu’un couple qui veut s’engager dans une PMA doive s’adresser à son notaire. Généralement, on va voir son notaire pour une succession.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Pour une PMA, c’est déjà le cas !

Mme Cécile Untermaier. Certainement, si vous le dites. Je ne suis pas une spécialiste de la PMA. Mais l’aspect intime de la démarche justifierait qu’on s’adresse au maire, avec lequel on a des relations de confiance. On le fait pour le mariage, pourquoi pas pour la PMA ? À moins que ce ne soit pas possible juridiquement ?

Mme Alice Thourot. Je ne suis pas du tout sur la même ligne. Je pense au contraire que le cœur de la mission d’un notaire est de conseiller la famille et de sécuriser les actes. Selon moi, il est donc le mieux placé pour recueillir le consentement.

M. Paul Molac. Le notaire a un rôle de confidentialité et un devoir de neutralité. Les relations qu’on a avec le maire sont différentes, ne serait-ce que pour des raisons politiques. Personnellement, je préférerais discuter de ce genre de choses avec le notaire plutôt qu’avec le maire.

M. Pierre Morel-à-l’Huissier. Le notaire, on le choisit. Le maire, on ne l’a pas forcément choisi. C’est une grande différence… (Sourires.)

M. Erwan Balanant. Je pense comme M. Morel-à-l’Huissier. À la différence du maire, le notaire est parfaitement adapté à cette situation, puisqu’il a l’habitude de travailler sur les questions de famille, qu’il rédige les testaments et qu’il a un devoir de discrétion et de confidentialité. Je m’imagine mal aller voir le maire dans une telle circonstance, mais je m’imagine très bien aller voir le notaire.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Je tiens à rappeler que cet article 5 vise trois actes différents. Tout d’abord, deux actes de notoriété : le premier pour établir la filiation en matière de possession d’état, le second lorsque des actes d’état civil ont été détruits, notamment par des sinistres ou des actes de guerre. Ces deux cas représentent au maximum une dizaine d’actes par an. Le troisième cas est celui d’un acte de consentement en matière de procréation médicalement assistée.

Aujourd’hui, cette dernière démarche concerne 3 200 couples par an, dont la moitié a déjà recours au notaire – et l’autre au juge. Suite à cette déjudiciarisation, l’ensemble des couples iront notifier leur consentement devant le notaire. Pour une telle procédure, les frais de notaires sont de 76 euros, et les droits d’enregistrement peuvent aller jusqu’à 125 euros. C’est pourquoi, par l’amendement CL1068 que je vous présenterai tout à l’heure, je proposerai que les couples soient exonérés de ces droits d’enregistrement.

M. Sébastien Jumel. Cela ferait combien, au total ?

Mme Laetitia Avia, rapporteure. 76 euros.

La Commission adopte les amendements.

Elle examine ensuite l’amendement CL954 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Il s’agit de confier au notaire le recueil du consentement du couple qui a recours à une PMA avec accueil d’embryon. Je souhaite supprimer le régime d’autorisation judiciaire préalable à l’accueil d’embryon, lequel est vécu par les couples comme très stigmatisant, et remplacer cette autorisation judiciaire par le recueil du consentement préalable du couple demandeur par un notaire. Cet amendement assure la cohérence avec les autres dispositions du projet de loi du Gouvernement, qui confient au notaire le soin de recevoir l’ensemble des consentements requis de la part des couples qui ont recours à la PMA. Je crois que c’est très important.

Par ailleurs, je ne pense pas que ce soit une bonne idée d’avoir recours au maire. L’officier d’état civil n’a pas à savoir comment votre enfant a été conçu, en tout cas dans la situation actuelle de la loi. Mais peut-être changera-t-on la loi…

Le maire n’est pas la personne pertinente. Le juge n’apporte pas de plus-value, puisqu’il s’agit simplement de recueillir un consentement. En revanche, une fois que la décision de recours à la PMA, acte médical et de paternité, a été prise, la question de la filiation devient essentielle. Et c’est là tout le rôle du notaire.

Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la Commission adopte l’amendement.

Elle examine l’amendement CL1068 de la rapporteure.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Le Gouvernement est favorable à cet amendement et lève le gage.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article 5 modifié.

Après l’article 5

La Commission examine l’amendement CL185 de M. Raphaël Schellenberger.

M. Raphaël Schellenberger. Cet amendement concerne un problème bien particulier, celui des clercs de notaire alsaciens et mosellans suite à la loi du 6 août 2015. En effet, cette loi a mis fin, à compter du 31 décembre 2020, aux habilitations des clercs de notaire. Cette mesure est compensée par la possibilité, pour les clercs de notaire en « Vieille France », de devenir notaires sous certaines conditions. Mais en Alsace et Moselle, où il est nécessaire d’être reçu à un concours avant d’être inscrit sur liste d’attente et pouvoir in fine obtenir une charge notariale, cette échappatoire n’est pas possible. Les clercs se retrouvent donc dans une impasse.

Dans ces conditions, nous proposons de maintenir les prérogatives des clercs de notaire au-delà du 31 décembre 2020 et jusqu’à ce qu’ils fassent valoir leur demande de retraite. Ce dispositif permettra de gérer correctement la disparition de cette profession spécifique dans un territoire qui a une autre organisation de la charge notariale que la « Vieille France ».

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Il est difficile de revenir, dans le cadre de ce texte, sur une mesure de modernisation qui a été votée dans le cadre de la loi « Macron », et dont les effets ne se feront sentir qu’à partir de 2021 – d’autant qu’aucun problème ne semble ressortir aujourd’hui de son application en droit commun.

Toutefois, il est exact que la règle nationale est parfois différente en Alsace et Moselle. Cet amendement pointe une particularité de droit local que vous faites bien de signaler, mais dont les conséquences ont été, si je ne me trompe pas, réglées par le Gouvernement avec le décret du 25 juillet 2018.

Je laisserai à Mme la ministre le soin d’expliquer les initiatives qui ont été prises par le pouvoir réglementaire pour remédier à cette situation. Mais sachez que, pour moi, le problème qui avait existé n'existe plus. Une fois reçues ces explications, je vous demanderai de retirer votre amendement. À défaut, mon avis sera défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Monsieur le député, comme vous le savez, la loi du 6 août 2015 a mis fin aux habilitations de clerc de notaire à compter du 1er janvier 2021. En particulier, le décret du 20 mai 2016 permet aux clercs de s’installer ou d’être salariés en qualité de notaires en se prévalant de leur expérience professionnelle. On ne souhaite pas revenir sur l’économie générale de ce texte.

Pour l’accès au notariat en Alsace et Moselle, il me semble qu’on a pris des dispositions de nature à vous rassurer. Un décret du 25 juillet 2018 ouvre largement la passerelle d’accès vers le notariat pour les clercs habilités en Alsace et Moselle, en supprimant les conditions de stage. Et un second concours d’accès au notariat en Alsace et Moselle sera organisé d’ici à la fin de cette année pour permettre aux clercs qui répondent aux nouvelles conditions fixées par le décret du 25 juillet 2018 de s’y présenter. Je pense qu’ils pourront ainsi avoir accès à la qualité de notaire de manière plus aisée qu’ailleurs dans les autres départements.

M. Raphaël Schellenberger. Je ne crois pas qu’avec les dispositions de votre décret l’accès à la qualité de notaire sera plus aisé en Alsace-Moselle qu’ailleurs. En effet, ailleurs, c’est la loi de 2015 qui a fixé les conditions d’accès à la charge notariale pour les clercs de notaire habilités ayant une expérience.

Il n’est pas question de revenir sur l’équilibre de la loi de 2015, dont on ne connaît pas encore les conséquences. Mais on sait tout de même que, le 1er janvier 2021, un certain nombre de clercs de notaire habilités verront leur métier disparaître. La situation qui a été trouvée est probablement satisfaisante en « Vieille France » mais, en Alsace et Moselle, le décret facilite l’accès au concours des clercs de notaires habilités, sans leur garantir pour autant une issue ou un avenir professionnel.

Nous proposons donc un dispositif extinctif qui n’a pas vocation à revenir sur ce qui a été voté en 2015 et qui n’est pas forcément mauvais, mais à offrir une solution à l’ensemble des clercs de notaire alsaciens-mosellans, y compris à ceux qui n’auraient pas réussi à passer le concours, ou qui l’auraient réussi sans pouvoir récupérer une charge notariale – car le nombre de celles-ci est restreint.

J’entends vos arguments. Je vais maintenir mon amendement. Je vais aussi me pencher plus précisément sur la rédaction du décret, dont je n’avais pas eu connaissance, et je reviendrai éventuellement avec une autre rédaction en séance, car je pense qu’il y a un vrai problème. Il ne faudrait pas donner l’impression de mépriser des gens qui ont une vraie compétence professionnelle, qui n’ont peut-être pas envie de devenir notaires, qui n’ont pas forcément envie de passer le concours, mais qui ont le droit de continuer à servir la charge ministérielle.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL65 de Mme Danièle Obono.

M. Ugo Bernalicis. Si nous avions directement proposé de mettre en place une régie publique notariale, avec des fonctionnaires notaires ou des notaires fonctionnaires – comme on voudra –, ce qui aurait permis d’assurer la gratuité d’un certain nombre d’actes notariés, on nous aurait opposé l’article 40 de la Constitution. Pour contourner cet obstacle, nous proposons, par cet amendement, que le Gouvernement remette au Parlement dans les six mois un rapport sur cette hypothèse de travail.

Nous verrons, d’ici la séance, s’il est possible de fixer les tarifs des notaires de façon à les ramener à « zéro euro ». Ainsi, tous ceux qui passaient auparavant devant le juge et qui passeront demain devant le notaire pourront continuer à bénéficier d’actes gratuits.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Avis défavorable, conformément à la jurisprudence de la commission des Lois en matière de rapports.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Avis défavorable également. D’abord, il y a eu des évaluations, dont le rapport de la Cour des comptes d’octobre 2013 intitulé « L’évolution des missions et de l’organisation des consulats français à l’étranger », qui préconisait déjà l’extinction de la fonction notariale. Ensuite, une décision du Gouvernement, prise en 2017, a mis fin à l’activité notariale du réseau consulaire pour que ce dernier puisse se recentrer sur ses missions régaliennes et sociales.

M. Ugo Bernalicis. Ce n’est pas une réponse sur le fond !

Madame la rapporteure, je comprends bien qu’il y ait deux poids et deux mesures, mais tout de même ! Cela vous amuse peut-être de me renvoyer à la jurisprudence de la commission des Lois en matière de rapports, alors qu’on en a voté je ne sais combien depuis ce matin. À moins que vous n’ayez des arguments de fond à m’opposer, je vois mal pourquoi vous refusez celui-ci.

Enfin, madame la ministre, je ne m’adressais pas à la Cour des comptes, mais à vous-même, quant à l’opportunité de ce rapport.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Vous me demandez un rapport, je vous réponds qu’il y en a déjà eu.

M. Ugo Bernalicis. Oui, mais vous avez bien compris que je vous demandais un rapport pour contourner l’article 40. Sinon, j’aurais déposé un amendement visant directement à la création de ce service public. Donc, sur le fond, seriez-vous favorable à la création d’une régie, et peut-on y réfléchir ? Ou est-ce un désaccord de principe ?

La Commission rejette l’amendement.

Article 6
Modalités de révision des pensions alimentaires

La Commission est saisie des amendements identiques CL66 de M. Ugo Bernalicis, CL432 de M. Sébastien Jumel, CL457 de Mme Marietta Karamanli et CL592 de Mme Laurence Vichnievsky.

M. Ugo Bernalicis. Nous nous opposons par principe à la déjudiciarisation des pensions alimentaires qui résultent d’une décision prononcée par un magistrat, et au fait qu’une autorité administrative vienne remettre en cause cette décision. On nous répond que si l’on n’est pas satisfait de la décision de la caisse des allocations familiales (CAF), on peut revenir devant le juge. Certes, mais cela ajoute une étape qui n’existait pas auparavant.

Par ailleurs, le directeur de la CAF appliquera un barème tout simple en fonction des éléments dont il dispose, sans recevoir les différentes parties.

Nous refusons à la fois que l’on éloigne davantage encore la justice des justiciables et qu’une autorité administrative puisse revenir sur une décision d’un juge.

M. Sébastien Jumel. Je crois en la justice de mon pays et je pense que, lorsqu’elle s’occupe du quotidien de nos concitoyens, le rapport de confiance qu’elle entretient avec eux s’en trouve renforcé. Le juge, dans sa balance, évalue la réalité et la spécificité des situations – un enfant qui étudie à tel endroit, un autre qui habite chez sa mère dans une autre ville, etc. – lorsqu’il s’agit de fixer le montant de la pension. Il a la capacité souveraine d’apprécier ce montant dans l’intérêt de l’enfant. Cette liberté disparaît dans le dispositif prévu.

Les CAF, auxquelles vous entendez donner une telle capacité, sont juges et parties, étant donné qu’elles sont chargées de payer des prestations familiales. J’ajoute qu’elles peuvent décider de sanctions pécuniaires à l’encontre de certaines familles lorsque des manquements éducatifs sont constatés. Autant de raisons qui me conduisent à m’opposer à cet article, qui limite les compétences du juge !

J’entends bien l’argument relatif à la nécessité de réduire les délais de traitement. Mais cela nous amène à nous interroger sur la justice dont nous avons besoin et sur les moyens que nous mettons à son service pour qu’elle accomplisse efficacement ses missions. D’une certaine manière, cela nous renvoie à l’article 1er.

Mme Cécile Untermaier. Les garanties d’indépendance, d’impartialité et d’absence de conflits d’intérêt nous semblent affaiblies par cette disposition.

Les organismes débiteurs des prestations familiales, à savoir les CAF, sont des personnes de droit privé qui n’offrent aucune garantie d’indépendance et de respect des droits des parties – l’indépendance de la justice figurant à l’article 64 de la Constitution.

La « barémisation » des pensions alimentaires prévue par le texte risque de conduire à une automatisation de la procédure. On ne pourra pas prendre en compte la diversité et la complexité des situations personnelles, notamment en matière de revenus.

Enfin, le principe de neutralité pourrait être mis à mal dans la mesure où les CAF ont le pouvoir de distribuer des prestations sociales, mais aussi de sanctionner les bénéficiaires, ou encore, dans le cas des pensions alimentaires, de se substituer au débiteur en cas de non-paiement.

Pour toutes ces raisons, nous demandons la suppression de cet article.

M. Vincent Bru. Il s’agit de supprimer l’article 6 qui prévoit qu’à titre expérimental, et pour une durée de trois ans, les organismes débiteurs de prestations familiales délivreront les titres exécutoires portant sur les modifications du montant d’une contribution à l’entretien de l’éducation des enfants. Ce qui nous inquiète, c’est que ces organismes sont les services de la CAF, des organismes de droit privé qui, globalement, ne présentent pas les mêmes garanties d’indépendance, d’impartialité et de neutralité que le juge lui-même.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Avis défavorable. Je rappelle qu’il s’agit d’une expérimentation limitée dans le temps et dans l’espace – un faible nombre de départements, dont la liste sera déterminée par décret.

L’objectif est de rendre plus efficace et plus rapide la procédure de révision des pensions alimentaires, afin de mieux s’adapter aux évolutions de la vie que peuvent connaître les couples divorcés. Il faut garder à l’esprit que la CAF intervient déjà dans les modalités de fixation et de révision de la pension alimentaire, aux fins d’homologation d’un accord dans le cas d’une séparation de parents non mariés. L’article 6 repose donc sur des compétences déjà établies. Il faut aussi savoir que le système que nous entendons expérimenter existe à l’étranger, notamment au Québec, où il a fait ses preuves et montré son efficacité.

Il n’y a aucune raison aujourd’hui de craindre un quelconque recul des droits des parties avec le passage devant la CAF, organisme connu de nos concitoyens. Ceux-ci ne risquent pas d’être désorientés par le fait de s’adresser à son directeur, dont les décisions sont généralement respectées.

On ne peut pas nier les interrogations liées à l’utilisation d’un barème, mais j’observe que celui-ci est déjà employé pour la révision des pensions. Bien sûr, certains se sont interrogés sur la façon dont les situations particulières pourraient être appréciées. Je leur réponds qu’il n’est pas question de ne plus apprécier les situations particulières, mais d’être plus efficace en l’absence de situation particulière. En revanche, à chaque fois qu’un élément de subjectivité nécessitera un recours devant le juge, il y aura recours et décision du juge aux affaires familiales. Ce dernier reste pleinement compétent pour statuer sur le recours contre la révision administrative décidée par le directeur de la CAF.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je suis défavorable à ces amendements puisque nous souhaitons rétablir cette expérimentation concernant la révision des pensions alimentaires par le directeur de la CAF. Je ferai à ce propos trois observations.

Premièrement, il s’agit d’une expérimentation.

Deuxièmement, celle-ci ne porte que sur la révision, pas sur la fixation de la pension initiale qui continue à relever du juge. Ainsi, le directeur de la CAF pourra-t-il procéder, soit à une augmentation de la pension en raison d’une augmentation des revenus du débiteur, soit à une diminution de la pension en raison d’une diminution des revenus du débiteur.

Troisièmement, le barème que l’on met en avant existe déjà. Tous les professionnels qui ont à réfléchir sur ces questions s’appuient dessus. Il est fondé sur des moyennes établies sur des bases scientifiques validées par l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) et qui concernent, si vous me passez cette expression horrible, le « coût d’un enfant » aux besoins matériels duquel il faut répondre. Ce barème est utilisé depuis 2011 par les professionnels – juges, médiateurs ou avocats.

J’entends bien les craintes, mais les droits des parties seront évidemment respectés car il y aura un échange contradictoire de pièces, et surtout la décision du directeur de la CAF pourra être contestée devant le juge aux affaires familiales (JAF). Nous prévoyons, sur le plan réglementaire, que le caractère exécutoire de la décision pourra être suspendu par le président du tribunal de grande instance (TGI) saisi par le débiteur si l’exécution risque d’entraîner des conséquences excessives. Il me semble que la solution est équilibrée.

Je voudrais aussi répondre à une inquiétude plusieurs fois exprimée devant moi par les avocats : certains craignent que la CAF ne se trouve dans une situation de conflit d’intérêts, étant à la fois juge et partie. D’une part, la modification du montant de la pension alimentaire sera réalisée en fonction du barème dont je viens de parler et qui existe déjà. D’autre part, la CAF n’a aucun intérêt à majorer le montant des pensions alimentaires car cela pourrait entraîner une défaillance du débiteur, auquel cas elle devrait verser la prestation correspondante – et, par ailleurs, cela pourrait donner lieu à une procédure de recouvrement.

Même si aucun d’entre vous n’a évoqué ce sujet, je tiens à souligner, à toutes fins utiles, que si les CAF sont des personnes morales de droit privé, elles sont chargées d’une mission de service public. À ce titre, elles peuvent adopter des actes ayant force exécutoire.

Pour conclure, l’idée est vraiment d’avoir une meilleure prévisibilité et une plus grande rapidité dans la révision des pensions alimentaires, tout en rassurant celui qui paie et celui qui reçoit. La finalité est l’intérêt de l’enfant.

M. Jean Terlier. Sans prétendre à l’originalité, car Mme la garde des Sceaux a été exhaustive dans ses explications, j’aimerais tout de même apporter deux précisions.

M. Bernalicis a parlé de déjudiciarisation des pensions alimentaires. Or le recours au directeur de la CAF n’interviendra que dans le cadre de la modification d’une pension alimentaire préalablement fixée par le juge : il ne fixera pas le montant, mais aura la possibilité d’apporter un correctif.

Par ailleurs, le fait qu’il s’agisse d’une expérimentation me semble important.

Il faut aussi garder à l’esprit que le public concerné est constitué des personnes les plus vulnérables, de celles qui voient, à un moment donné, leur situation se dégrader gravement et se trouvent dans l’obligation de saisir le juge – ou, bientôt, le directeur de la CAF – pour que la pension qu’ils versent soit diminuée car ils ne sont plus en mesure de payer, soit au contraire pour qu’elle soit augmentée. Ils vont gagner six mois, ce qui n’est pas neutre.

Mme la garde des Sceaux a présenté très précisément le garde-fou prévu : le directeur de la CAF ne pourra pas statuer comme il l’entend ; il sera dans l’obligation de prendre en compte le barème, ce qui limitera considérablement les risques d’erreur et d’abus. De plus, la possibilité existera toujours de saisir le juge en urgence, selon un mécanisme de référé, si l’on estime la décision entachée d’anomalies graves.

Telles sont les raisons pour lesquelles le groupe La République en Marche estime le dispositif parfaitement cadré. Il mérite de faire l’objet d’une expérimentation.

M. Antoine Savignat. À défaut d’appeler de vives critiques, cette mesure est pour le moins surprenante. Après l’intervention d’un juge ou après l’enregistrement par l’officier ministériel qu’est le notaire de la convention conclue entre les parties, on confie à une personne de droit privé chargée d’une mission de service public la possibilité de revenir sur une décision de justice ou sur l’accord des parties pour modifier, à la hausse ou à la baisse, la contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants. C’est un peu étrange.

J’ai entendu Mme la rapporteure dire qu’il y aura un échange contradictoire devant le directeur de la CAF, mais ce sera un échange de pièces : il n’y aura pas de passage devant le juge et il manquera un élément à mon sens extrêmement important dans notre système judiciaire, à savoir l’intime conviction du juge. Or, on sait – je vous invite à aller discuter avec les juges aux affaires familiales – que, dans un divorce ou une autre situation particulièrement contentieuse, il est extrêmement facile d’organiser son insolvabilité. Je peux vous présenter pléthore de cas dans lesquels des hommes – car ce sont le plus souvent des hommes – produisent des documents permettant de justifier de revenus perçus au titre d’une situation de chômage, alors qu’ils ont en parallèle créé une société dont ils vivent très bien sans en percevoir de revenu. Le directeur de la CAF n’aura normalement, si je puis dire, pas d’autre solution que de tenir compte des documents qui lui seront fournis, sans pouvoir faire de recherche et sans avoir entendu les parties.

Vous avez dit, madame la garde des Sceaux, que le président du TGI pourra suspendre la mesure, ce qui signifie que vous ajoutez, en réalité, une deuxième complication : il y aura saisine du président du TGI puis du juge aux affaires familiales. Si la décision du directeur de la CAF a revu à la baisse la contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants, on peut prévoir que la saisine du président du TGI aura automatiquement un effet suspensif afin de ne pas mettre en difficulté une femme et ses enfants. Le JAF aura la possibilité, quand il se prononcera, de faire remonter les effets de la révision de la contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants au jour de la saisine, si jamais la demande du mari s’avère fondée.

M. Sébastien Jumel. Je trouve ces propos tout à fait pertinents et j’aimerais ajouter quelques éléments. Pour les juges aux affaires familiales, la fixation de la pension alimentaire est un outil permettant, dans une situation conflictuelle, une responsabilisation des parents quant à leurs obligations à l’égard de l’enfant et, même, quant à l’impérieuse nécessité d’éviter que le divorce se traduise par une dégradation de la prise en compte de l’intérêt de l’enfant. Or, cette possibilité va disparaître, notamment lorsque l’enfant vieillit et que ses besoins matériels évoluent.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Ça ne bougera pas !

M. Sébastien Jumel. Par ailleurs, il y a certes un barème, mais le juge peut, dans le cadre de sa souveraineté d’appréciation, prendre en compte des situations particulières pour se détacher du barème.

Autre point, y a-t-il eu une étude d’impact sur la capacité des CAF à assumer cette nouvelle responsabilité ? Mon expérience est qu’il y a eu une départementalisation de ces structures, donc une concentration et un éloignement des territoires de vie, avec ce que cela implique en termes de connaissance fine des populations concernées. Sommes-nous certains que les CAF pourront exercer leur nouvelle mission dans des délais inférieurs à ceux des juges aux affaires familiales ? Vous ne l’êtes pas, puisque vous allez expérimenter – sinon vous auriez immédiatement pris la décision d’appliquer ce dispositif.

On pourra en effet, madame la rapporteure, contester une décision prise par la CAF, mais il ne me semble pas, même si je suis un novice qui aborde cette matière avec beaucoup de modestie et d’humilité, que le juge compétent en cas de recours soit le juge aux affaires familiales.

M. Bruno Questel. Je suis un peu ennuyé par les propos tenus par notre collègue Savignat : il considère que les femmes seront suffisamment stupides pour ne pas faire valoir leurs droits si leur ex-mari dissimule sa situation matérielle et financière. (Exclamations.) Sur le fond, le montant initial de la pension alimentaire est établi par le juge après l’étude des pièces, un débat contradictoire et l’application du barème. (Nouvelles exclamations.) Il est étonnant de voir à quelle vitesse vous montez dans les tours quand on contredit un peu vos propos.

M. Raphaël Schellenberger. Si seulement il y avait une contradiction !

M. Bruno Questel. Pour avoir eu à traiter quelques centaines de dossiers de divorce, je peux vous dire que le magistrat cherche, avant tout, un accord entre les parties. S’il n’y en a pas, il s’en tient, dans 99 % des cas, au barème mentionné par Mme la garde des Sceaux.

M. Sébastien Jumel. L’intérêt de l’enfant vient en premier ! C’est la loi !

M. Philippe Gosselin. Je suis un peu gêné aux entournures par ce transfert qui pourrait être une forme de dessaisissement, mais j’avoue que la crainte d’un conflit d’intérêts ne me paraît pas nécessairement fondée.

Les CAF – on parle d’elles, mais cela peut aussi bien être la mutualité sociale agricole (MSA) comme tous les organismes débiteurs des prestations familiales visés à l’article 6 – auront-elles les moyens de mener à bien ce type de mission ? C’est une interrogation à l’heure où les moyens diminuent : on voit que des CAF ont des conventions d’objectifs et de gestion (COG) assez drastiques et que la MSA connaît les mêmes difficultés. En même temps – si vous me le permettez (Sourires) –, il y a déjà des demandes d’aide au recouvrement des pensions alimentaires (DARPA) gérées par les CAF et la MSA, lesquelles ont un peu le « doigt dans l’engrenage ». Sans y voir une affaire d’État et au-delà des principes de fond évoqués par ailleurs, je m’interroge sur les moyens qui permettront de mener l’expérimentation.

M. Ugo Bernalicis. Quand j’ai parlé de déjudiciarisation, je ne pensais pas à la fixation de la pension alimentaire mais à sa révision. C’est d’ailleurs là qu’est tout le problème : la pension sera fixée par un juge, mais sa révision sera faite par quelqu’un qui ne l’est pas, ce qui est étrange sur le plan des principes. À ce moment-là, pourquoi ne pas confier directement au directeur de la CAF le soin de fixer la pension alimentaire ?

On voit bien que les principes ne sont pas votre point de départ, mais plutôt l’idée qu’il est trop long de revenir devant le juge et qu’il faudrait s’adresser au directeur de la CAF, d’autant qu’il s’agit d’appliquer un barème. En somme, pourquoi s’embêter ? Vous voulez de l’efficacité, de la rationalisation, de la mutualisation – bref, vos mots-clefs habituels. Nous vous opposons, comme toujours, qu’il faut mettre suffisamment de juges pour régler les affaires, en vue de garantir les principes qui ont conduit à leur confier, jusqu’à présent, la fixation et la révision des pensions alimentaires. Voilà, sans revenir sur tout ce qui a été dit avant moi, pourquoi nous nous opposons à cet article du projet de loi.

M. Raphaël Schellenberger. C’est un débat important : je remercie madame la présidente de nous laisser le temps de le mener.

Dans la perception de la vitesse de la justice, le point noir concerne les affaires familiales. Pour tout le reste, il n’est pas toujours mauvais de prendre un peu de temps ; quand il s’agit, en revanche, des moyens permettant d’élever les enfants, de la préservation de leur intérêt et, finalement, de l’équilibre d’une vie familiale lorsque celle-ci évolue, il est essentiel d’aller vite.

Je suis malgré tout gêné. J’entends qu’il s’agit uniquement d’une expérimentation, mais l’idée de revenir sur une décision de justice par voie administrative touche à un point d’équilibre du droit. Cela me semble délicat. Certes, on ne fait que commencer et ce n’est qu’une expérimentation ; mais si on expérimente, c’est pour élargir le dispositif s’il s’avère concluant, et cela m’interpelle. On se rend compte aussi, au fil du débat, qu’il y a la question des moyens que les CAF pourront consacrer à cette mission. Si vous prévoyez de leur en donner davantage, pourquoi ne pas le faire directement pour la justice ? Ce serait plus logique.

La Commission rejette les amendements.

4.   Quatrième réunion du mercredi 7 novembre 2018 à 21 heures (article 6, suite, à article 16)

Lien vidéo :

http://www.assemblee-nationale.tv/video.6905794_5be34628a7718.commission-des-lois--projet-de-loi-de-programmation-2018-2022-et-de-reforme-pour-la-justice-suite-7-novembre-2018

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous reprenons nos travaux à l’article 6 du projet de loi de programmation et de réforme pour la justice.

Article 6 (suite)

La Commission adopte l’amendement rédactionnel CL858 de Mme Laetitia Avia, rapporteure.

Puis elle examine l’amendement CL67 de Mme Danièle Obono.

M. Ugo Bernalicis. Nous avons déposé un amendement de repli que je ne présenterai pas davantage : je me suis déjà exprimé sur le principe.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure, la Commission rejette l’amendement.

Elle est ensuite saisie de l’amendement CL68 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis. Nous voulons préserver le principe de gratuité de la procédure, qui nous tient à cœur.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Je vous suggère de retirer cet amendement car il est satisfait : la procédure devant la CAF sera gratuite.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL956 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Nous arrivons au premier amendement d’une série visant à rétablir l’expérimentation qui confie aux CAF la révision des pensions alimentaires.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. J’émets un avis favorable.

M. Sébastien Jumel. Avez-vous engagé une concertation avec les CAF au sujet des lieux d’expérimentation ?

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Nous ne l’avons pas encore fait car nous attendons que la loi soit adoptée. Des contacts ont été pris avec les CAF, mais pas sur ce point.

La Commission adopte l’amendement.

Elle est ensuite saisie de l’amendement CL433 de M. Stéphane Peu.

M. Sébastien Jumel. C’est un amendement de repli inspiré par l’idée que la révision des pensions alimentaires nécessite tout de même une décision du juge aux affaires familiales.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Je suis défavorable à cet amendement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Même avis. C’est entièrement contraire à ce que nous proposons.

M. Sébastien Jumel. Oui, c’est tout à fait l’idée… (Sourires.)

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CL1044 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je ne détaille pas davantage que tout à l’heure : j’ai déjà parlé de ces amendements.

Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la Commission adopte l’amendement.

Elle est ensuite saisie de l’amendement CL1045 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Là aussi, il s’agit de rétablir la rédaction initiale.

Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la Commission adopte l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CL434 de M. Sébastien Jumel.

M. Sébastien Jumel. C’est une proposition du barreau de Paris qui vise à faire en sorte que la demande de modification de la pension alimentaire prenne en compte, outre les revenus des parents, la situation particulière des finances du foyer.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. J’émets un avis défavorable. Il ne s’agit pas de faire évoluer les éléments sur la base desquels les barèmes sont établis. Surtout, votre amendement fait référence à la situation financière du foyer alors que celui-ci n’existe manifestement plus, tant au sens fiscal que familial du terme, après la procédure de divorce.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Les pensions alimentaires sont fixées, aux termes de l’article 371-2 du code civil, à proportion des ressources des parents et des besoins de l’enfant. Une révision peut être demandée lorsqu’une évolution survient en ce qui concerne l’un de ces critères. C’est ce qui est repris dans le projet de loi, qui confie la révision à la CAF à titre expérimental : l’article 6 précise qu’il faut tenir compte de l’évolution des ressources des parents et du temps passé par l’enfant avec l’un et l’autre. Ce que vous demandez est déjà prévu.

M. Ugo Bernalicis. Je crois que l’amendement a pour objet d’attirer l’attention sur ce que nous avons expliqué tout à l’heure : la CAF a connaissance d’éléments déclaratifs qui ne recouvrent pas forcément tous les revenus au sein du « foyer ». En réalité, ils ne peuvent pas être appréciés par le directeur de la CAF alors qu’ils pourraient l’être par un juge.

L’amendement précise que la CAF devra vérifier cet aspect, c’est-à-dire les revenus dans toute leur complexité. Vous avez l’air de dire que ce n’est pas satisfaisant sur le plan légistique, mais c’est l’idée de fond. Il y a une question : un directeur de CAF pourra-t-il prendre en compte la complexité des revenus comme un juge jusqu’à présent ?

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Le juge aux affaires familiales ne dispose pas de pouvoirs aussi exceptionnels que vous semblez l’imaginer. En effet, ce n’est pas un juge pénal : il n’a pas les pouvoirs d’enquête et d’investigation de ce dernier. Il ne faut pas surestimer la capacité du juge à apprécier l’ensemble des éléments davantage que le directeur de la CAF.

M. Sébastien Jumel. Je n’ai pas d’expérience personnelle dans ce domaine, mais on m’a dit comment les choses se passent. Quand on se présente devant le juge aux affaires familiales, en cas de divorce, et qu’il s’agit de construire la manière dont on va prendre en charge les enfants et de répartir la contribution des parents, il y a un principe contradictoire assuré par le juge, dans le respect des parties. Chacune peut demander la prise en compte de revenus de son ancien conjoint qui ne sont pas évidents à la lecture des éléments transmis ou des données fiscales, mais qui apparaissent dans le cadre du contradictoire. Le juge a la capacité de statuer avec discernement, équité et humanité, ce qui lui permet de prendre une décision juste – car c’est bien la définition de la justice, me semble-t-il. Le principe contradictoire disparaît devant la CAF : on se référera à des barèmes. Les parents viendront devant le directeur de la CAF pour défendre leur « bout de gras », ou ai-je mal compris ?

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Il y aura un échange contradictoire de pièces.

M. Sébastien Jumel. Ce n’est pas la même chose qu’une discussion.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL1046 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Il s’agit, une fois encore, de rétablir le texte initial.

Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la Commission adopte l’amendement.

Puis elle est saisie de l’amendement CL1047 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Cet amendement a le même objet que les précédents.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Même avis.

M. Antoine Savignat. J’ai du mal à comprendre le sens de cet amendement qui déroge aux dispositions prévues en matière de compétence territoriale par le code de procédure civile. En principe, le juge du ressort dans lequel se trouve le domicile habituel des enfants est compétent pour la révision de la contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants. L’expérimentation, si j’ai bien saisi, n’aura pas lieu sur l’ensemble du territoire, de sorte que l’on risque d’avoir un débiteur habitant dans un département où l’on pourra faire ce nouveau type de demande alors qu’il faudra saisir, en cas de contestation, un juge exerçant dans un département où l’expérimentation n’a pas lieu. Ne craignez-vous pas que cette dérogation ne complique considérablement la situation, contrairement à l’objectif du Gouvernement de simplifier les procédures ?

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Je pense qu’il y a une erreur de lecture de l’amendement : il permet simplement d’établir la compétence territoriale des CAF en vue de l’application de l’expérimentation. Il est ainsi rédigé : « la demande modificative est formée par un créancier résidant ou ayant élu domicile dans l’un des départements désignés ou par un débiteur à l’égard d’un créancier résidant ou ayant élu domicile dans l’un de ces départements ». Il n’y a pas de remise en cause des dispositions existantes.

M. Raphaël Schellenberger. L’idée me semble claire même si je peux mal comprendre. Il faut que le créancier et le débiteur résident, non pas nécessairement dans le même département, mais dans un département ayant engagé l’expérimentation.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Non, l’un ou l’autre.

M. Raphaël Schellenberger. D’accord. Alors la rédaction ne me paraît pas claire, en effet !

M. Antoine Savignat. Ce n’est pas clair, en effet. Le créancier peut vivre dans un département où le dispositif est expérimenté ; le débiteur peut habiter un autre département. Si le créancier saisit la CAF, comme ce texte le permettra, pour demander une révision, et qu’il y a ensuite une contestation du débiteur, qui peut très bien vivre dans un département où l’expérimentation n’a pas lieu, c’est devant le juge aux affaires familiales du domicile habituel des enfants que l’affaire sera portée. Je pense qu’il y a une confusion dans la rédaction.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. J’entends et je comprends ce que vous voulez dire. La difficulté que vous évoquez est le cas où l’on saisirait la CAF d’un département, puis le JAF d’un autre département.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. C’est toujours le lieu de résidence du créancier qui est pris en compte.

M. Raphaël Schellenberger. C’est donc forcément celui des enfants.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Pas nécessairement. Il peut y avoir des gardes alternées.

En cas de recours du créancier ou du débiteur, ce sera le TGI du lieu où se situe la CAF qui sera saisi – et ce sera donc aussi celui du lieu de résidence du créancier.

M. Antoine Savignat. Si je comprends bien, un débiteur qui ne vivrait pas dans un département où le système est expérimenté pourrait quand même saisir la CAF si la créance est due dans un département où l’expérimentation a lieu, et on ne déroge pas à la règle de compétence territoriale en la matière. Ce sera au débiteur de se déplacer dans le département où réside le créancier.

La Commission adopte l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL1048 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Il s’agit de compléter le rétablissement du périmètre de l’expérimentation tel qu’il a été défini dans le texte initial du projet de loi.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Avis favorable. Cet amendement permet de prendre en compte les cas dans lesquels un des parents dissimule volontairement certaines des pièces demandées lors de la procédure de fixation de la pension alimentaire.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle est saisie de l’amendement CL756 de M. Jean Terlier.

M. Jean Terlier. Cet amendement vise à préciser que le recours formé devant le juge contre la décision d’un organisme débiteur des prestations familiales portant sur la modification du montant d’une contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants a un caractère suspensif. Cependant, Mme la garde des Sceaux nous ayant indiqué qu’il serait possible de saisir en urgence le juge afin d’obtenir la suspension de l’exécution provisoire d’une telle décision, je retire l’amendement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je remercie M. Jean Terlier d’avoir retiré l’amendement. La disposition relative au recours suspensif figurera, je m’y engage, dans les textes réglementaires d’application. Je précise que le référé sera formé devant le président du tribunal de grande instance, mais que celui-ci pourra parfaitement déléguer ce pouvoir au juge aux affaires familiales.

L’amendement est retiré.

La Commission est saisie de l’amendement CL200 de M. Philippe Gosselin.

M. Antoine Savignat. Cet amendement a le même objet que celui que nous venons d’examiner. Dès lors qu’il s’agit de simplifier la vie de nos concitoyens, n’est-il pas préférable, plutôt que de prévoir une procédure de référé, de préciser que le recours aura pour effet de suspendre le caractère exécutoire du titre et que l’ancien titre s’applique dans l’attente de la décision du juge ? Une telle disposition présenterait l’avantage, dans l’hypothèse où une baisse de la pension aurait été indûment accordée, de protéger le parent le plus faible économiquement. Et si, d’aventure, cette baisse s’avérait fondée, le juge aux affaires familiales, qui a la possibilité de donner à sa décision un caractère rétroactif au jour de la saisine, effacerait de facto la créance née à compter du recours. Cette procédure me paraît rapide, simple et protectrice.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Avis défavorable. J’ai été, un temps, séduite par cette proposition, mais je crains qu’un recours suspensif ne vide le dispositif de sa substance. De fait, ces recours, s’ils étaient systématiques, empêcheraient la mise en œuvre de l’expérimentation. La solution proposée par le Gouvernement, qui souhaite ouvrir une voie de référé pour contester avec rapidité les décisions éventuellement aberrantes de la CAF, me paraît plus équilibrée et protectrice des intérêts de chacun.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Avis défavorable. Il faut en effet donner sa chance à l’expérimentation et ne pas la vider a priori de sa substance.

M. Raphaël Schellenberger. Il faut être d’autant plus prudent et attentif à la protection des intérêts de chacune des parties qu’il s’agit d’une expérimentation. Dès lors, plutôt que de prendre le risque de les fragiliser, il me paraît préférable de prévoir des protections supplémentaires, quitte à en rediscuter lors de la généralisation du dispositif si l’on s’aperçoit qu’est faite une utilisation abusive du recours suspensif. Encore une fois, mieux vaut être prudent dans ces matières.

M. Jean Terlier. C’est dans cet état d’esprit, monsieur Schellenberger, que j’avais déposé l’amendement CL756. Mais on sait que, lorsqu’ils existent, les recours suspensifs sont systématiquement utilisés à des fins dilatoires par les praticiens du droit. L’expérimentation serait vidée de sa substance puisqu’on repartirait devant le juge.

M. Ugo Bernalicis. Cela prouve bien qu’il faut maintenir la procédure judiciaire actuelle. (Sourires.) C’est la vérité, mes chers collègues : si les JAF étaient en nombre suffisant, les affaires seraient jugées séance tenante. Le recours suspensif, dès lors qu’il permet de contester une décision administrative devant le juge, préserverait l’autorité de celui-ci sur l’administration. Le risque de manœuvres dilatoires existe peut-être mais, au regard des principes, il me paraît limité.

M. Antoine Savignat. Il ne faut pas désespérer de la nature humaine : les recours ne seraient pas systématiques.

Si le directeur de la CAF décide de réduire la pension alimentaire, on peut faire naître des situations de grande précarité. S’il décide de l’augmenter, les débiteurs peuvent se trouver dans l’impossibilité d’assumer la charge qui leur incombe, auquel cas on les conduit à commettre un délit puisque le non-paiement de la contribution à l’entretien et à l’éducation a des conséquences pénales. Dans les deux cas, la décision du directeur de la CAF n’est pas anodine : ses conséquences humaines sont importantes. Si l’on veut faire fi de l’intervention systématique du juge, prévoyons au moins que le recours devant lui a un caractère suspensif. Encore une fois, n’exagérons pas, les recours ne seront pas systématiques : ils ont un coût et ils demandent du temps.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Je rappelle que le Gouvernement propose d’ouvrir une voie de référé pour régler la question en quelques jours et éviter ainsi que le débiteur ne soit conduit à commettre un délit.

M. Sébastien Jumel. Mon intervention portera moins sur le fond, car les arguments développés par nos collègues de l’opposition me semblent de bon sens, que sur l’état d’esprit de la majorité. Doit-on considérer que tous les amendements de l’opposition sont a priori irrecevables ? Lorsque nous avons des désaccords de fond, politiques, on peut les assumer. Mais, en l’espèce, il s’agit, en définitive, de préserver l’intérêt de l’enfant. En général, dans un divorce, le conflit est intense jusqu’à l’audience devant le JAF. Ensuite, les parents s’efforcent de calmer les choses. Parier sur le fait qu’ils formeront systématiquement un recours, c’est avoir une conception très pessimiste de la nature humaine. Pourquoi ne pas retenir la proposition de notre collègue dans le cadre de l’expérimentation et, si l’on constate une utilisation abusive, en tirer les conséquences ? En attendant, on aurait au moins préservé les personnes les plus fragiles.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Sur la forme, sans doute cela vous a-t-il échappé, monsieur Jumel, mais je vous signale que nous avons déjà accepté un amendement de M. Gosselin.

M. Philippe Gosselin. Deux, madame la ministre !

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Sur le fond, notre désaccord n’a rien d’idéologique au sens où nous refuserions par principe les amendements des oppositions. Notre objectif est très simple : nous voulons mener une expérimentation. Pour qu’elle ait du sens, nous l’avons construite de manière à proposer une procédure innovante qui protège le droit au recours. En l’espèce, celui-ci peut avoir un effet suspensif qui est laissé à l’appréciation du juge.

La Commission rejette l’amendement.

Elle est ensuite saisie de l’amendement CL1049 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Il s’agit, là encore, de rétablir le texte initial du projet de loi.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Avis favorable.

M. Ugo Bernalicis. Madame la ministre, si vous voulez mener une expérimentation complète, prévoyez un recours suspensif dans quelques-uns des départements choisis. Vous aurez ainsi des éléments de comparaison. Allez au bout de votre logique !

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article 6 modifié.

Après l’article 6

La Commission examine l’amendement CL14 de Mme Danièle Obono.

M. Ugo Bernalicis. Nous proposons, pour ce qui relève du droit de la famille, de renverser la charge de la preuve dans les cas d’insolvabilité afin d’éviter le non-paiement de pensions alimentaires du fait d’une insolvabilité organisée.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Avis défavorable. Votre amendement me semble contraire aux principes du droit pénal. Par ailleurs, il va un peu plus loin que la jurisprudence de la Cour de cassation que vous invoquez dans l’exposé sommaire, puisqu’il aurait pour conséquence d’exposer le contrevenant à une peine de deux ans d’emprisonnement pour abandon de famille.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Cet amendement reprend, en le modernisant, l’ancien article 357-2 du code pénal aux termes duquel « l’insolvabilité qui résulte de l’inconduite habituelle, de la paresse ou de l’ivrognerie ne sera en aucun cas un motif d’excuse valable pour le débiteur ». Ces dispositions n’ont pas été conservées car juridiquement inutiles. Pour être déclaré coupable de l’infraction d’abandon de famille, il suffit que le débiteur ait volontairement omis de payer une pension alimentaire durant plus de deux mois. Son éventuelle insolvabilité n’est juridiquement pas exonératoire de sa responsabilité pénale ni de son obligation civile de verser les sommes dues.

Il appartient au débiteur appauvri ou devenu insolvable de saisir le JAF afin de demander une suppression ou une diminution pour le futur de la pension alimentaire. La Cour de cassation, dans un arrêt de 2014, a validé la condamnation d’une personne qui avait cessé de payer une pension au motif de son impécuniosité, en indiquant notamment que la réduction ou la suppression des pensions alimentaires, fût-ce avec effet rétroactif, ne pouvait avoir pour effet de faire disparaître l’infraction déjà consommée – le non-paiement des pensions.

Par conséquent, l’amendement me semble satisfait par la jurisprudence. Au demeurant, il pourrait laisser penser que, hors des cas d’inconduite, le débiteur pourrait valablement alléguer son insolvabilité pour échapper à la répression, ce qui serait exactement contraire aux objectifs que nous recherchons. Je vous demande donc, monsieur Bernalicis, de bien vouloir retirer l’amendement.

M. Philippe Gosselin. Nos collègues ont raison de soulever cette question. Cependant, leur amendement me paraît mal rédigé car ils visent, me semble-t-il, non pas l’inconduite ou le manque de diligence, mais plutôt l’organisation délibérée de l’insolvabilité. Or, l’arrêt de la Cour de cassation ne me semble pas couvrir ce type de faits.

Il s’agit, en tout état de cause, d’un véritable problème. En effet, nous avons tous en tête des situations dans lesquelles un homme – le plus souvent, reconnaissons-le ! – organise son insolvabilité parce qu’il refuse, comme je l’ai entendu dire dans mon bureau, que son « ex-femme ait le moindre fric ». Il me semble que nous devrions réfléchir à cette question collectivement et sans parti pris d’ici à la séance publique.

M. Ugo Bernalicis. Notre amendement s’inspire d’une recommandation de la délégation aux droits des femmes. Il s’agit, pour nous, d’obliger celui qui prétend ne pas avoir d’argent parce qu’il a été négligent à prouver que c’est bien la raison pour laquelle il est insolvable. Nous proposons d’inverser la charge de la preuve : la bonne foi ne doit pas être présumée. S’il ne s’agit que d’une question de légistique, nous pouvons y retravailler d’ici à la séance publique pour trouver la formulation appropriée.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Pour être reconnu coupable d’abandon de famille, il suffit de ne pas avoir payé sa pension pendant deux mois.

M. Philippe Gosselin. Encore faut-il qu’un jugement oblige le débiteur à payer une pension. Un certain nombre de personnes organisent leur insolvabilité avant même la décision du juge.

M. Jean Terlier. Le fait qu’un débiteur organise son insolvabilité est constitutif d’un délit, qui sera qualifié comme tel par le juge.

M. Philippe Gosselin. Le sujet est important. De très nombreuses personnes organisent leur insolvabilité, que ce soit dans le cadre d’un divorce ou d’une liquidation d’entreprise. Je me fais ici l’interprète des victimes de cette forme de malhonnêteté qui, en l’espèce, sont souvent les ex-conjointes qui ont la garde des enfants au quotidien. Il s’agit d’une question très pragmatique qui mérite une véritable réponse. Peut-être celle-ci existe-t-elle déjà, auquel cas je m’inclinerai.

M. Raphaël Gauvain. Il me semble qu’elle existe bien, monsieur Gosselin. Le cas de la personne qui, en vue de son divorce, organise frauduleusement son insolvabilité pour ne pas payer la pension alimentaire relève de l’article 314-7 du code pénal, lequel proscrit « le fait pour un débiteur, même avant la décision judiciaire constatant sa dette, d’organiser ou d’aggraver son insolvabilité […] ».

M. Philippe Gosselin. Dont acte !

La Commission rejette l’amendement.

Elle est ensuite saisie de l’amendement CL22 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis. Par cet amendement, nous proposons d’encadrer les recours administratifs préalables obligatoires (RAPO) en limitant le délai de réponse à quinze jours pour toutes les réclamations relevant de l’article L. 142-1 du code de la sécurité sociale. Il s’agit de permettre au requérant de saisir plus rapidement la justice.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Avis défavorable. Le délai de quinze jours me semble extrêmement court.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Avis défavorable également sur le fond. En outre, cette disposition est de nature réglementaire.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CL21 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Danièle Obono. Par cet amendement, nous proposons qu’en cas d’urgence, c’est-à-dire lorsqu’une personne connaît des troubles graves dans ses conditions d’existence ou une situation de pauvreté, le président du tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS) puisse, en référé, prendre des mesures conservatoires – gel d’une dette, versement d’allocations dues ou limitation du montant d’une saisie sur les prestations familiales, cette liste n’étant bien évidemment pas limitative. Ceci permettrait de remédier au plus vite à ces situations dramatiques. Nous souhaitons éviter que des personnes dans des situations de détresse pâtissent d’interprétations divergentes du texte et que le juge des référés du tribunal des affaires sociales s’interdise de prendre certaines mesures conservatoires.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Défavorable également. Votre amendement ne tient pas compte de la suppression, à compter du 1er janvier prochain, des tribunaux des affaires sociales et de leur transfert aux TGI, en application de la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, dite « J21 ». Par ailleurs, un décret du 29 octobre dernier relatif au contentieux de la Sécurité sociale et de l’aide sociale a ouvert la procédure de référé à toutes ces matières. Enfin, il me semble qu’il n’y a pas lieu de prévoir, devant les juridictions sociales, d’autres critères que ceux des référés de droit commun.

La Commission rejette l’amendement.

Article 7
(art. 1397 du code civil)
Allégement des conditions dans lesquelles les époux peuvent modifier leur régime matrimonial

La Commission est saisie de l’amendement CL1053 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Le représentant du mineur sous tutelle doit être avisé du changement de régime matrimonial des parents afin de pouvoir faire opposition s’il estime menacés les intérêts de l’enfant qu’il représente. Tel est l’objet de cet amendement, corollaire de la simplification proposée à l’instant.

Je puis vous assurer que la suppression de l’homologation judiciaire est très précieuse, notamment lorsque le changement de régime matrimonial est demandé en cas de maladie. Il est arrivé que l’homologation n’intervienne pas à temps, ce qui a pu provoquer des drames familiaux.

Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la Commission adopte l’amendement.

Puis elle est saisie de l’amendement CL1052 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Cet amendement complète le rétablissement de l’article 7.

Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article 7 modifié.

Article 8
(art. 116, 427, 431, 459, 500, 501, 507, 507‑1 et 836 du code civil ; art. L. 132‑3 du code des assurances ; art. L. 223‑5 du code de la mutualité)
Suppression du contrôle préalable du juge pour certains actes relevant de la responsabilité du tuteur d’une personne protégée

La Commission examine les amendements identiques CL69 de M. Ugo Bernalicis et CL441 de M. Stéphane Peu.

M. Ugo Bernalicis. Par l’amendement CL69, nous proposons de supprimer l’article 8 afin de préserver le rôle du juge dans la protection des personnes en situation de vulnérabilité, telles les personnes sous tutelle, et d’éviter la mise en danger de leur patrimoine. Certes, le Sénat a supprimé le 2° de cet article, relatif à la fin du contrôle du juge des tutelles sur les actes du tuteur relatifs aux frais de gestion pour la rémunération d’actes particuliers, mais les dispositions restantes posent problème.

En effet, elles tendent à supprimer le contrôle préalable du juge sur certains actes qui relèvent, soit exclusivement de la responsabilité du tuteur, soit de la responsabilité du professionnel intervenant dans l’opération, lequel est, dans ce cas, astreint à une obligation de conseil renforcée à l’égard des majeurs protégés et des mineurs. Plus précisément, le texte supprime le contrôle du juge lorsque le tuteur souhaite inclure dans les frais de gestion de la tutelle la rémunération des administrateurs particuliers ou conclure un contrat pour la gestion des valeurs mobilières de la personne protégée.

S’agissant d’un sujet aussi problématique, on peut s’étonner que le Conseil d’État estime, dans son avis, que « ces dispositions n’appellent pas d’observations » de sa part. Comme l’a dit Mme la sénatrice Esther Benbassa, « le marché représente plus de 60 millions d’euros et le Gouvernement veut faire peser la carence de l’État sur les plus fragiles, qu’il sacrifie ».

M. Sébastien Jumel. Mon amendement vise également à supprimer l’article 8. Sur la forme, le projet de loi comporte plusieurs mesures éparses relatives à la protection des majeurs et des mineurs alors qu’une réforme d’ampleur est annoncée dans la continuité du rapport de la mission interministérielle consacré à ce sujet que Mme Anne Caron-Déglise a remis le 21 septembre dernier. Cela ne paraît pas cohérent et la lisibilité de la réforme y perd.

Sur le fond, le dispositif vise à transformer le juge d’instance en juge de l’incident en « déjudiciarisant » ou en privatisant une part importante du droit des personnes protégées. Comme le souligne le Syndicat de la magistrature, cette orientation est de nature à transférer de fait le contentieux et la responsabilité sans faute du juge du fait de sa mission générale de surveillance vers les professionnels.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Avis défavorable. Le projet de loi a pour objet de simplifier les procédures et d’éviter, chaque fois que c’est nécessaire, le recours préalable au juge pour l’établissement d’actes du quotidien.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Monsieur Jumel, vous faites erreur en estimant que nous devrions attendre la grande loi sur les tutelles. Mme Buzyn, Mme Cluzel et moi avons en effet confié à Mme Caron-Déglise une mission sur les majeurs protégés. Son rapport comporte 109 recommandations. Il nous a semblé important que, dans le projet de loi de réforme pour la justice, puissent figurer des dispositions qui s’attachent à la dignité des personnes placées sous tutelle. D’autres mesures concernant les tutelles seront prises prochainement, mais elles ne relèveront pas du même domaine.

Dans le cadre de ces mesures de dignité, nous souhaitons donner au juge toute sa place car il est nécessaire de protéger les majeurs sous tutelle. C’est bien le juge qui ouvre les mesures de protection. Mais, ensuite, toute une série d’actes – dont la réalité montre qu’il ne les accomplit absolument pas – peuvent être confiés à d’autres professionnels tout en maintenant un contrôle judiciaire. Telle est la philosophie qui me guide dans ce texte.

M. Philippe Gosselin. Je m’interroge également sur la concordance des temps. Certes, les dispositions de l’article 8 relèvent d’un domaine spécifique. Mais la commission des Lois a également confié une mission sur le sujet à notre collègue Aurélien Pradié. Cette mission est en cours. Il serait intéressant que l’on attende ses conclusions. Sur le fond, je n’ai pas de désaccord avec vous, madame la ministre : il est important de préserver la dignité de ces personnes. Mais il importe d’avoir une vision globale de la question plutôt que d’agir de manière pointilliste. Or, c’est un peu le sentiment que nous donne l’article 8.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je puis vous assurer, pour m’être récemment rendu dans un lieu qui accueille des majeurs protégés, que ces derniers attendent ces mesures importantes pour leur dignité.

M. Raphaël Schellenberger. Je ne nie pas la réalité des atteintes à la dignité des majeurs protégés, mais je ne suis pas certain que cela tienne uniquement à une question de procédure. Certaines tutelles et curatelles fonctionnent bien, souvent parce que la personne qui les exerce est un proche et que la réactivité est alors absolue. Dans d’autres cas, le majeur protégé se voit privé du peu de liberté nécessaire à sa dignité sous de faux prétextes de protection. Ce n’est pas une question de mauvaise foi ou de mauvaise gestion. Il s’agit de cas où la personne chargée de la tutelle est éloignée du majeur protégé. Quant aux organismes tutélaires, ils peuvent faire face à une charge de travail invraisemblable. Les collaborateurs de ces associations sont les premiers à en souffrir car ils ne parviennent pas à respecter la dignité des personnes dont ils ont la charge. Cela ne tient pas uniquement à la procédure juridique.

Il est certes urgent d’agir mais il ne faut pas confondre vitesse et précipitation. Cette proposition ne règle rien à ce problème majeur qu’est l’insuffisance des moyens donnés aux associations tutélaires ; c’est en leur redonnant du temps, ne serait-ce que pour faire de la médiation et expliquer le pourquoi de certaines décisions aux majeurs protégés, que l’on permettra à ceux-ci de retrouver leur dignité.

M. Sébastien Jumel. Je mesure la force de conviction de la ministre et la sincérité de cette proposition. Mais je ne peux laisser prospérer l’idée que, dans l’opposition, nous serions moins pressés de nous préoccuper de la dignité de ces personnes. J’ai simplement souligné que le texte manquait de lisibilité et, au bout du compte, de force symbolique et de cohérence.

Par ailleurs, lorsque nous avons soulevé le fait que l’insuffisance des moyens consacrés à l’aide juridictionnelle constituait aussi une atteinte à la dignité des personnes précaires, on nous a répondu que ce n’était pas l’enjeu du texte. Notre amendement visait à souligner l’absence de garanties que représente le contrôle a priori du juge.

La Commission rejette les amendements.

Puis elle est saisie de l’amendement CL748 rectifié de M. Jean Terlier.

Mme Caroline Abadie. Cet amendement renforce l’autonomie des personnes majeures par l’intermédiaire de leur tuteur. Il procède de l’idée que le tuteur est une personne de confiance et que le juge exerce le contrôle des mesures qu’il prend. Il est ainsi prévu que le tuteur fasse appel à un tiers pour l’aider à établir un budget avec l’accord du conseil de famille, sans passer par le juge. Cela semble pertinent, particulièrement dans le cas de patrimoines complexes.

Le tuteur pourra également prendre des décisions relatives à des opérations chirurgicales ou à tout autre acte médical grave, le juge n’étant appelé à intervenir qu’en cas de désaccord entre le tuteur et le majeur protégé.

Cet amendement prévoit enfin de renforcer l’habilitation familiale, une procédure qui prend progressivement son essor. Par ailleurs, le dossier de saisine, remis au procureur de la République, sera beaucoup plus complet, ce qui permettra une meilleure vision de la situation sociale et pécuniaire du majeur protégé.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Cet amendement approfondit la logique de l’article 8, qui supprime des doublons et allège la procédure en remettant la décision entre les mains du majeur protégé et de son tuteur. J’émets un avis favorable sous réserve d’une rectification : seul le Gouvernement peut demander à être habilité à légiférer par ordonnance sur le fondement de l’article 38.

Mme Caroline Abadie. C’est juste. Je rectifie l’amendement en ce sens et supprime cette mention.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je vous remercie, madame Abadie, d’avoir proposé cet amendement qui relève précisément de la recherche d’un équilibre entre dignité et protection des personnes majeures. Il vise à libérer de l’autorisation préalable du juge les décisions prises par les personnes majeures et le tuteur, dans un esprit de simplification tout autant que de dignité. L’autorisation du juge, requise jusqu’alors pour une simple extraction dentaire considérée comme une opération chirurgicale, n’a plus lieu d’être.

À la suite de la rectification que vient d’opérer Mme Abadie, je propose à la commission des Lois un sous-amendement CL1084 qui prévoit, mais à la demande du Gouvernement, une habilitation à fixer par voie d’ordonnance les conditions dans lesquelles est prise une décision portant sur la personne d’un majeur protégé et, selon les cas, intervenant en matière de santé ou concernant sa prise en charge médico-sociale.

La Commission adopte le sous-amendement puis l’amendement ainsi sous-amendé.

Enfin, elle adopte l’article 8 modifié.

Article 8 bis (nouveau)
(art. 63, 174, 175, 249, 249‑1 [abrogé], 249‑3, 249‑4, 460 et 462 du code civil)
Droits matrimoniaux d’une personne protégée

La Commission examine l’amendement CL744 de M. Jean Terlier, qui fait l’objet du sous-amendement CL1079 de la rapporteure.

Mme Caroline Abadie. Le groupe La République en marche a voulu reprendre à son compte cet amendement défendu par le Gouvernement au Sénat, qui concerne l’exercice d’un droit fondamental. Attachés aux principes de nécessité, de subsidiarité et de proportionnalité qui doivent guider toute mesure de protection, et soucieux de concrétiser enfin les engagements internationaux de la France, nous souhaitons rendre aux personnes vulnérables que sont les majeurs protégés l’exercice effectif de leur droit au mariage, au pacte civil de solidarité (PACS) et au divorce, aujourd’hui soumis à l’approbation préalable du juge.

Nous voulons changer de paradigme. Mais le respect des droits de la personne protégée doit s’accompagner d’une sécurisation de sa situation. Il est prévu que la personne chargée de la mesure de protection soit informée du projet et qu’elle ait la faculté, s’il apparaît un abus, de s’y opposer.

Le Défenseur des droits, dans son rapport de septembre 2016, et Mme Anne Caron‑Déglise, avocate générale à la Cour de cassation spécialiste des tutelles, dans son rapport à la Chancellerie, soulignent que les mesures d’accompagnement doivent permettre de respecter les droits, la volonté et les préférences des personnes concernées et pas seulement répondre objectivement à un intérêt supérieur.

Mme Laetitia Avia, rapporteure.Je salue cette avancée considérable en matière de dignité et d’exercice des droits fondamentaux. Désormais, les majeurs protégés pourront choisir de s’unir et de se désunir.

Pour renforcer leur protection et préserver leurs intérêts, je propose un sous-amendement précisant la place du tuteur dans le régime matrimonial. Nous garantirons ainsi la liberté matrimoniale tout en protégeant les intérêts patrimoniaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Nous sommes là parfaitement dans l’équilibre entre dignité et protection. Les majeurs protégés considèrent souvent que la surprotection dont ils font l’objet dans l’exercice de leurs droits fondamentaux confine à la maltraitance. Il est proposé de passer d’un contrôle a priori, avec autorisation préalable du juge, à un contrôle a posteriori où le tuteur, informé du projet de mariage, peut s’y opposer le cas échéant. Cet équilibre est renforcé par le sous-amendement de Mme la rapporteure. Sous réserve de son adoption, avis favorable.

M. Raphaël Schellenberger. Nous partageons le même constat : nous n’avons pas à être fiers de la façon dont les personnes vulnérables sont protégées.

Je me réjouis que nous puissions débattre de la question de leur dignité. Pour autant, nous devrions prendre plus de temps pour y réfléchir. Nous satisfaire du rétablissement d’un droit fondamental me semble un peu court. D’ailleurs, le sous-amendement de la rapporteure vient rafraîchir quelque peu l’enthousiasme soulevé par ce qui pourrait être un discours d’affichage.

Je m’interroge donc : pourquoi renverser le paradigme ? Sincèrement, la situation sera-t-elle plus simple lorsque le mariage sera autorisé pour tous les majeurs protégés, mais interdit par exception ? Qu’en sera-t-il de la dignité de la personne à qui l’on expliquera que le mariage est possible, sauf dans son cas ? Tout n’est pas blanc ou noir. Je ne pense pas que, grâce à ce texte, ce sera mieux demain. Nous devrions prendre le temps de cette discussion.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. J’entends vos interrogations ; elles sont légitimes. Ce n’est pas uniquement un débat philosophique. Qu’est-ce qui est le plus difficile ? Devoir obtenir l’autorisation préalable du juge pour exercer ses droits fondamentaux ou pouvoir les exercer, comme tout individu, au risque que d’autres personnes s’y opposent parce que l’on se trouve dans une situation particulière qui nécessite une protection exacerbée ?

Nous pensons que les majeurs protégés doivent rejoindre le droit commun et se voir appliquer les mêmes dispositions que tout un chacun. Chacun a le droit de se marier mais, même en droit commun, une procédure d’opposition est possible suite à la publication des bans. C’est la logique qui sous-tend cette mesure. Les droits fondamentaux sont des acquis pour toute personne, quelle que soit sa condition, mais des garde-fous sont mis en place, liés à son statut particulier.

Mme Caroline Abadie. Tout n’est pas noir ou blanc, monsieur Schellenberger, puisque la possibilité de choisir le régime matrimonial apporte précisément une nuance, un entre-deux. Le majeur protégé pourra choisir de se marier avec qui il souhaite. Mais, si son entourage et son tuteur ont des doutes, il ne pourra pas faire n’importe quoi avec son patrimoine dans le cadre de son régime matrimonial. C’est cet entre-deux qui sera, je pense, le plus souvent choisi. La logique est celle de l’inclusion : il s’agit de donner les mêmes droits aux majeurs protégés, tout en les protégeant si leur entourage exprime des craintes.

Vous dites que nous n’avons pas suffisamment réfléchi. Mais cela fait des années que les rapports s’entassent – je ne citerai que ceux de la Cour des comptes, du Défenseur des droits et d’Anne Caron‑Déglise – et que la France se voit enjoindre de respecter ses engagements internationaux ! Cela ne fait que quelques minutes que nous débattons de la question, mais ces propositions ont été formulées pendant des années sous différentes plumes.

M. Philippe Gosselin. Il n’est pas question d’avoir un débat idéologique sur le sujet. Le principe de dignité de la personne, indéniable, me semble surplomber tout. Au-delà, et de façon plus pragmatique, nous abordons un certain nombre de difficultés du quotidien.

S’il est évident que nous avons trop tardé à reconnaître la nécessité de respecter la dignité des personnes protégées, je m’interroge sur les modalités de la protection. Je crains que nous soyons un peu « à côté de la plaque » en prévoyant un droit de regard sur le contrat de mariage car, dans la plupart des cas, le patrimoine n’est pas suffisamment important pour constituer un enjeu. Bien évidemment, nous avons tous à l’esprit, dans nos entourages familiaux ou municipaux, des contre-exemples d’escroquerie affective et intellectuelle. Pour autant, je ne suis pas sûr que les protections prévues soient à la mesure des enjeux.

Je ne suis pas vent debout contre ces modifications et je pourrai voter en leur faveur sans difficulté. Mais je crois que nous devons poursuivre la réflexion d’ici à la séance publique, et envisager des mesures permettant de mieux protéger les majeurs vulnérables. La protection est aussi un élément de la dignité.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je rappelle que lorsque l’on parle de libertés individuelles : le régime d’autorisation est beaucoup plus sévère que le régime répressif. En supprimant l’autorisation préalable et en prévoyant un contrôle, nous revenons au droit commun de l’exercice des libertés et de la dignité.

Monsieur Gosselin, la protection est assurée puisque le tuteur doit être obligatoirement informé du projet de mariage, afin qu’il puisse, le cas échéant, s’y opposer ou choisir le régime matrimonial. Il me semble que nous sommes à l’équilibre.

La Commission adopte le sous-amendement.

Puis elle adopte l’amendement ainsi sous-amendé.

L’article 8 bis est ainsi rédigé.

Article 8 ter (nouveau)
(art. L. 5 [abrogé], L. 64, L. 72‑1 [nouveau], L. 111, L. 387‑1 [nouveau] et L. 388 du code électoral)
Droit de vote d’une personne protégée

La Commission examine l’amendement CL746 de M. Jean Terlier.

Mme Caroline Abadie. L’article L. 5 du code électoral précise que, lors de la prise ou du renouvellement d’une mesure de tutelle, le juge statue sur le maintien ou la suppression du droit de vote de la personne protégée. Dans huit cas sur dix, ce droit est retiré. Cet article et son application constituent une discrimination à l’égard des majeurs protégés. De nombreux observateurs, notamment le Défenseur des droits et la rapporteure spéciale des Nations unies sur les droits des personnes handicapées, en demandent l’abrogation.

J’ai eu le privilège de participer lundi à une table ronde à laquelle étaient invitées des personnes handicapées. Celles-ci demandent à exercer ce droit qui participe de leur citoyenneté.

Cet amendement vise donc à abroger l’article L. 5 du code électoral. Dans la mesure où il convient de garantir la sincérité du vote, et pour écarter tout risque d’influence, il prévoit que la personne en charge de la mesure de protection ne peut représenter le majeur lors des opérations électorales.

Mme Laetitia Avia, rapporteure.Nous avons tous été frappés par notre rencontre, lundi, avec ces majeurs protégés, qui demandent à accéder à la citoyenneté pleine et entière. Avis très favorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. J’espère que la France marchera dans les pas de l’Espagne, qui vient de procéder à cette réforme. Au-delà de nos engagements internationaux, il y a un enjeu de dignité pour notre pays. Mais il convient de respecter la sincérité du vote, un principe constitutionnel. Nous avons réfléchi avec le ministère de l’intérieur à la meilleure façon de la garantir : les procurations ne pourront pas être données aux personnes en lien direct avec le majeur protégé, comme le personnel des établissements d’hébergement des personnes âgées dépendantes (EHPAD). Il est important de permettre l’expression du droit de vote tout en prévoyant les garde-fous.

M. Raphaël Schellenberger. Comme tout à l’heure, je ne m’oppose pas à vos propositions mais je m’interroge. La littérature, les recommandations, les avis abondent peut-être sur le sujet, mais le débat parlementaire compte aussi. N’économisons pas notre salive sur un sujet aussi important que celui-là !

Le simple fait de placer sous protection des majeurs leur ôte une part de liberté, donc de dignité. Il convient de faire en sorte que cette part soit la moins perceptible possible et que le majeur protégé se sente le plus digne, le plus responsable et le plus libre possible. Le droit de vote, dont bénéficient aujourd’hui 20 % des personnes placées sous tutelle, peut y participer. Mais exercer son droit de vote, c’est prendre part à une décision collective qui concerne la collectivité. On va donc se retrouver dans une situation où une personne, qui a été considérée par décision de justice incapable de prendre des décisions pour elle-même, pourra prendre des décisions pour les autres. Je ne dis pas que ce n’est pas bien ou qu’il ne faut pas faire évoluer le droit en la matière, mais permettez-moi de m’interroger sur l’opportunité d’une telle disposition.

M. Philippe Gosselin. Il s’agit toujours là de la mise en musique des annonces gouvernementales de ces dernières semaines. Le débat de ce soir est évidemment compliqué car l’on peut vite se retrouver accusé d’avoir mauvais esprit ou de ne pas respecter les personnes handicapées. Nous aussi, nous voulons une société inclusive car nous considérons que le handicap est vaincu lorsqu’il fait partie de la vie de tous les jours. Cela ne fait aucunement débat.

L’article L. 5 du code électoral permet au juge de statuer sur le maintien ou la suppression du droit de vote. Nous devrions nous interroger sur ce qui conduit les juges à le retirer aussi souvent. La dignité, cela consiste aussi à être protégé, à ne pas pouvoir agir contre soi. À force de banaliser, au nom de la dignité, l’ensemble des droits, on finit par se demander ce qui a pu conduire un certain nombre de personnes à être placées sous protection. Or si une mesure de tutelle est décidée, c’est que la personne doit être protégée contre elle-même, parfois contre la société. À force de vouloir à tout prix rechercher le droit commun, ne risquons-nous pas de tomber dans l’excès inverse ? Je m’interroge à haute voix : il ne s’agit pas de s’engager dans un débat dogmatique mais de se demander ce qu’il est bien de faire. Nous devons poursuivre nos échanges. Beaucoup de doutes s’expriment ici.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Exercer sa citoyenneté, c’est prendre des décisions pour les autres mais aussi pour soi-même. Le droit de vote est un droit fondamental et l’exercer permet à tout citoyen de sentir qu’il appartient à la société. L’abrogation de l’article L. 5 est une demande forte des majeurs protégés pour qui c’est une question de dignité. La seule question qui se pose est : pourquoi un majeur protégé ne pourrait-il pas être un citoyen à part entière ?

M. Philippe Gosselin. J’entends bien cette interrogation mais je pense qu’il faut aussi se demander ce qui fait que cette personne majeure a été placée sous protection. La mesure de tutelle est prise lorsqu’une partie du discernement est abolie et que la famille souhaite protéger la personne d’elle-même et des autres. Même si la sincérité de son vote est garantie, le défaut de discernement autorise-t-il à voter ? Vous voyez bien que le raisonnement bloque sur ce point.

Mme Caroline Abadie. On place une personne sous tutelle pour la protéger d’elle-même, préserver sa santé ou son patrimoine. Or, il ne me semble pas que l’exercice de son droit de vote puisse mettre en danger sa santé ou son patrimoine. Il ne faut retirer des droits que si cela s’avère nécessaire et proportionné. Je ne vois pas en quoi la suppression du droit de vote protège quiconque. Les personnes que nous avons rencontrées nous ont expliqué qu’elles ont vu les spots des candidats, qu’une simulation de vote a été organisée : on ne peut pas dire qu’elles n’ont pas le discernement suffisant pour voter. Elles ont une préférence pour un candidat. Il est important qu’elles puissent l’exprimer.

Mme Danièle Obono. C’est une discussion intéressante sur le plan philosophique mais aussi politique. Nous assumons d’être dans une tradition de pensée qui défend l’extension des droits et la création de nouveaux droits. En entendant l’intervention de nos collègues, je m’interroge sur la capacité de faire des choix en conscience et en conviction. Pouvoir disposer de ses biens ou de sa personne est, d’une certaine manière, une liberté fondamentale. Si cette capacité, ou ce droit, sont retirés ou restreints par une décision de justice, c’est qu’une partie du discernement est considérée comme faisant défaut.

L’interrogation de nos collègues est légitime et justifie que nous prenions le temps de poursuivre la réflexion. Encore une fois, c’est une question suffisamment sensible – nous parlons de droits fondamentaux – pour que nous ne nous contentions pas d’un avis favorable et des arguments de la majorité. Pour ma part, je m’abstiendrai.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous ne négligeons pas du tout le débat et nous consacrons un certain temps à cette question. Je pense que la Commission sera suffisamment éclairée à l’issue de ces échanges pour se prononcer sur cet amendement.

M. Sébastien Jumel. Les esprits ont l’air de s’agiter alors que, sur un sujet comme celui-ci, il faut se garder de toute certitude absolue. Nous nous interrogeons, en fin de compte, sur la meilleure façon de construire la dignité des personnes protégées.

Lorsque l’on place quelqu’un sous tutelle, c’est qu’il n’est plus en situation de veiller sur ses propres intérêts ; il peut avoir envie de dilapider son patrimoine ou de perdre sa dignité. Mais est-ce que la citoyenneté a moins de valeur que le patrimoine ? Doit-elle être mise sur un autre plan que l’expression d’un sentiment amoureux, par exemple ?

La tutelle concerne 800 000 personnes dont 80 % sont privées du droit de vote. Faut-il en déduire que les juges sont animés par une idéologie de privation des libertés fondamentales ? Si c’est le cas, c’est une véritable mise en cause des juges concernés. J’aimerais vous entendre sur ce point.

Faut-il, à la faveur d’un amendement qui n’est pas d’initiative gouvernementale et qui n’a pas fait l’objet d’expertise contradictoire, inverser le système et généraliser l’automaticité du droit de vote ? J’en doute, d’autant que les détournements de consentement, qui existent, peuvent être facilités lorsqu’il s’agit de personnes qui ne sont pas en situation de veiller à leurs propres intérêts. Ce n’est pas une petite question, y compris pour les équilibres de la démocratie !

Mme Cécile Untermaier. Je m’étonne de cet amendement qui, quoique construit et intéressant, ne repose sur aucune étude d’impact. Contrairement à vous qui connaissez les rapports rédigés sur ce point, je suis relativement ignorante de ces questions et je ne dispose pas des éléments me permettant de les cerner correctement. Je regrette que nous n’ayons pas pu débattre davantage. Nous avons tous rencontré des personnes sous tutelle et des mandataires, et nous avons tous écrit à un juge pour l’informer qu’un mandataire ne faisait pas son travail. Nous sommes donc conscients de la nécessité d’agir. Notre collègue Caroline Abadie a réalisé un travail de qualité qui mérite l’attention que nous lui portons.

Intuitivement, je distinguerais entre la citoyenneté et le patrimoine. Je comprends ceux de mes collègues selon lesquels on voudrait protéger les biens en négligeant le reste. Tout en réservant mon vote en séance, ma réponse, à ce stade, consiste à dire spontanément que la citoyenneté n’est pas de même nature que le patrimoine. La protection du patrimoine sert à protéger les personnes qui, si elles en sont privées, vivront dans la misère ; elle répond donc à un souci de protection matérielle. La citoyenneté, en revanche, est le moyen de leur donner la dignité. Voilà ce que je ressens en entendant vos propos, même si je comprends la difficulté qu’ont nos collègues à prendre position sur cette question majeure. En ce qui me concerne, je suis tout de même tentée de voter en faveur de cette disposition intéressante.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je crois profondément à cette mesure. Le Gouvernement l’a déjà défendue au Sénat. Il fallait le faire ici et plusieurs députés ont manifesté leur intérêt ; il m’a donc semblé utile de les associer à cette démarche. Il va de soi que le Gouvernement est pleinement favorable à cette évolution. Je comprends les doutes qui s’expriment et je les respecte. Compte tenu de mon engagement sur ce sujet, toutefois, j’aurais souhaité – dans mes rêves les plus fous – que nous nous engagions ensemble et que nous soyons unanimes.

M. Sébastien Jumel. Nous pourrions l’être…

M. Philippe Gosselin. Et nous le serons peut-être !

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Encore une fois, je respecte les doutes que suscite cette question difficile. Je rappelle néanmoins devant vous, mesdames et messieurs les députés, que le droit de vote n’est pas capacitaire ; l’époque où il était lié au degré de capacité des personnes est révolue. Tout le monde peut voter et chaque voix est prise en compte.

M. Philippe Gosselin. À ce stade, comme d’autres collègues, je me suis abstenu sur ce vote.

La Commission adopte l’amendement.

L’article 8 ter est ainsi rédigé.

Article 8 quater (nouveau)
(art. 26 de la loi n° 2015‑177 du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires extérieures)
Durée légale avant le réexamen des mesures de protection

La Commission est saisie de l’amendement CL602 de Mme Caroline Abadie, qui fait l’objet du sous-amendement CL1081 de la rapporteure.

Mme Caroline Abadie. La loi du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs a mis fin aux mesures de protection à durée indéterminée. Ces mesures peuvent désormais être renouvelées pour une durée maximale de vingt ans à condition que l’état de santé du majeur concerné ne puisse pas connaître d’amélioration, cette décision étant prise après avis conforme d’un médecin.

Pourtant, l’article 26 de la loi du 16 février 2015 relative à la simplification du droit prévoit que ces mesures soient réexaminées à l’issue d’une période de cinq ou dix ans. Mon amendement vise à ce qu’il n’y ait plus lieu de réviser les mesures de protection dans ces délais mais bien au terme de la durée de validité de la mesure, c’est-à-dire après vingt ans.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Sur le principe, je suis favorable à cet amendement mais je propose d’en limiter quelque peu la portée par le sous-amendement CL1081 afin de permettre aux personnes protégées de voir un juge dans un délai compris entre dix et vingt ans, de sorte que toutes les mesures puissent être révisées avant 2035.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Avis favorable à l’amendement et au sous-amendement.

La Commission adopte le sous-amendement.

Puis elle adopte l’amendement ainsi sous-amendé.

L’article 8 quater est ainsi rédigé.

Avant l’article 9

La Commission examine l’amendement CL11 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Danièle Obono. Permettez-moi de présenter en même temps les amendements CL11 et CL13, qui visent à revenir sur des dispositions des lois « El Khomri » et « Macron ». L’amendement CL11 concerne la barémisation des indemnités de licenciement instaurée en 2015 et renforcée en 2017. En effet, le plafonnement à un niveau ridiculement bas des indemnités prud’homales permet à des employeurs peu scrupuleux d’anticiper les coûts d’un licenciement contraire aux dispositions du code du travail. De ce fait, ils sont désormais susceptibles de planifier un licenciement illégal, de l’intégrer dans les coûts prévisionnels et d’agir abusivement en toute sérénité.

Une enquête du journal Le Monde sur les conséquences de la barémisation révèle que la moitié des conseillers et conseillères de la juridiction de Lorient souhaitent démissionner. Le témoignage de l’un d’entre eux exprime bien notre sentiment : « Imaginez la même chose au pénal : pour un meurtre, c’est maximum tant de dommages et intérêts, pour un viol, tant. Ce serait un tollé ! » Cette barémisation à marche forcée nous semble avoir été conçue au mépris de toute considération humaine. Nous demandons à y revenir.

Quant à l’amendement CL13, il vise à rétablir la saisine simplifiée qui prévalait avant le 26 mai 2016, c’est-à-dire avant l’entrée en vigueur de la loi « Macron ».

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Avis défavorable : le débat sur le droit du travail a déjà eu lieu.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Même avis. J’ajoute que ces amendements sont sans lien avec le texte dont nous débattons et me semblent être des cavaliers.

M. Ugo Bernalicis. Quelle est la cohérence d’un texte qui passe du cannabis aux tutelles ?

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Les mesures relatives aux tutelles ne sont pas des cavaliers.

M. Erwan Balanant. Allons, le Gouvernement ne fait pas de cavaliers !

M. Philippe Gosselin. Tout juste fait-il parfois cavalier seul… (Sourires.)

Mme Danièle Obono. Le Gouvernement fait ce qu’il veut comme nous l’avons constaté à de nombreuses reprises depuis un an. En l’occurrence, il s’agit de la procédure judiciaire devant les tribunaux de prud’hommes. Nous avons eu ce débat, madame la rapporteure, et nous connaissons désormais les conséquences de ces mesures sur l’accès des usagers à la justice. Nous ne sommes aucunement hors sujet. Nous savons que ces lois ont réduit l’accès des salariés et des travailleurs à la justice prud’homale. C’est avec ce recul, et pour éviter que la situation n’empire, que nous proposons de revenir immédiatement sur ces mauvaises évolutions. Dès lors, nos amendements ont un lien évident avec le projet de loi. Vous assumez quant à vous le fait de poursuivre dans la même voie, illustrant l’incohérence entre les principes que vous prétendez défendre et la réalité de l’application de la loi.

La Commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure et du Gouvernement, la Commission rejette l’amendement CL13 de M. Ugo Bernalicis.

Elle est saisie de l’amendement CL12 de Mme Danièle Obono.

M. Ugo Bernalicis. Dans le même esprit, nous proposons, pour renforcer les moyens de la justice prud’homale, un amendement d’appel – à titre expérimental, donc, à défaut de pouvoir le proposer à titre systématique – visant à renforcer la formation initiale des conseillers prud’homaux, assurée par l’État, ainsi que leur formation continue, à modifier le ressort territorial des juridictions prud’homales selon des critères démographiques et à augmenter les moyens qui leur sont alloués. Ainsi, cette juridiction ne se réduirait plus comme une peau de chagrin – comme les droits des travailleurs, même si je suis conscient que c’était un objectif. Nous ne parlons plus là de code du travail mais d’accès au droit et à la justice, ce qui prend un tout autre sens.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Même avis. La politique de formation des conseillers prud’homaux ne saurait être expérimentale, car elle doit être conduite selon un principe de continuité. Nous avons déjà instauré plusieurs éléments en ce sens : une formation obligatoire de cinq jours et d’autres stages de formation continue.

La Commission rejette l’amendement.

Article 9
Compétence de la Caisse des dépôts et consignations pour la gestion de certaines sommes saisies ou consignées et leur répartition entre créanciers

La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL945 du Gouvernement et CL565 de M. Philippe Chalumeau.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je vous propose par cet amendement de rétablir un article supprimé par le Sénat, qui vise à confier à la Caisse des dépôts et consignations (CDC) des missions qui s’inscrivent pleinement dans le cadre de celles qu’elle exerce déjà.

En effet, la Caisse dispose de toutes les capacités utiles pour gérer les frais d’expertise et les sommes dues aux créanciers dans le cadre des saisies de rémunération. Il est tout à fait de sa compétence de recevoir des fonds issus des rémunérations en cas de pluralité des créanciers, de les gérer puis de les répartir entre les créanciers en question ; ce ne sont au fond que des opérations bancaires assez classiques. La seule particularité consiste, lors de l’opération de répartition, à déterminer la part qui revient à chaque créancier. Ce calcul procède de règles simples et aisément applicables.

De même, la Caisse des dépôts et consignations maîtrise les attributions qui lui sont transférées en matière d’expertise. Elle les pratique déjà s’agissant des expertises ordonnées par les conseils de prud’hommes et par les juridictions d’Alsace et de Moselle. L’accomplissement de ces tâches ne nécessite aucun accueil des justiciables : l’accès au service public de la justice ne changera pas. Les juridictions conserveront l’intégralité des dossiers et resteront compétentes pour traiter les demandes initiales, c’est-à-dire déterminer les sommes dues et les éventuels incidents en cours de procédure. Autrement dit, la CDC n’exercera qu’un rôle de support pour exécuter les décisions judiciaires.

Le transfert de ces tâches à la CDC constituera un gain de temps pour les greffes qui, aujourd’hui, les exercent manuellement. Il permettra en outre de professionnaliser des opérations qui reposent sur des greffiers dont ce n’est pas le cœur de métier. La procédure sera modernisée, dématérialisée et rendue plus fluide grâce au versement direct à la CDC des fonds saisis et des sommes consignées par virement ou par carte bancaire. Nous travaillons avec la Caisse à l’opérationnalisation de ce processus.

Mme Typhanie Degois. J’ajoute simplement que, la Caisse des dépôts et consignations étant le comptable public de l’État, elle est en mesure d’assurer cette compétence que les greffes, déjà surchargés, n’assurent pas de la manière la plus efficace car elle ne correspond pas à leur compétence initiale – d’où l’amendement CL565.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Je soutiens la volonté du Gouvernement de confier la gestion de fonds saisis par la justice à des professionnels et non à des greffiers dont les compétences sont bien plus utilement employées à l’exercice de tâches proprement judiciaires. Le Sénat a supprimé cette disposition en première lecture en raison des interrogations de la Caisse des dépôts et consignations concernant les mécanismes de mise en œuvre de l’article. Je constate que l’amendement du Gouvernement comporte plusieurs évolutions par rapport à l’article initialement présenté au Sénat, qui répondent aux préoccupations de la CDC – notamment au sujet de l’utilisation de moyens de transmission par voie électronique. J’émets donc un avis favorable à l’amendement du Gouvernement et je demande le retrait de l’amendement CL565, qui ne comporte pas les améliorations susmentionnées.

L’amendement CL565 est retiré.

La Commission adopte l’amendement CL945.

L’article 9 est ainsi rétabli.

La séance, suspendue à vingt-trois heures quarante-cinq, est reprise à vingt-trois heures cinquante.

Article 9 bis
(art. L. 125‑1, L. 311‑5, L. 322‑1, L. 322‑4 et L. 433‑2 du code des procédures civiles d’exécution)
Procédure de saisie et de vente immobilière

La Commission examine l’amendement CL716 de Mme Typhanie Degois.

Mme Typhanie Degois. Une procédure simplifiée de recouvrement des petites créances a été instaurée le 1er janvier 2016 afin de pouvoir obtenir un titre exécutoire sans saisir le tribunal, grâce à la simple intervention de l’huissier de justice. Or, cette procédure simplifiée se heurte à un écueil : elle suppose l’envoi par l’huissier de justice d’une lettre recommandée avec accusé de réception. Si le débiteur ne retire pas la lettre en question, la procédure est en échec.

C’est pourquoi cet amendement permet aux huissiers de justice de prendre contact avec les débiteurs au moyen d’un message électronique. Cette modification de la procédure simplifiée de recouvrement des petites créances permettra de la développer en augmentant le nombre de débiteurs acceptant d’y participer.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Avis favorable. Cette disposition qui concerne des litiges portant sur un montant inférieur à 4 000 euros permettra d’adresser des notifications par messages électroniques. L’élément essentiel demeure la date d’envoi et la réponse éventuelle du débiteur. Il n’y a aucun obstacle à ce que la notification puisse être adressée non pas seulement par lettre recommandée, mais aussi par voie électronique.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article 9 bis modifié.

Article 9 ter (nouveau)
(art. L. 211‑1‑1 [nouveau] et L. 523‑1‑1 [nouveau] du code des procédures civiles d’exécution ; art. L. 151 A du livre des procédures fiscales)
Transmission électronique des saisies-attribution et des saisies conservatoire

La Commission est saisie de l’amendement CL859 de la rapporteure.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Cet amendement de simplification impose la transmission aux établissements bancaires des actes relevant de procédures de saisie-attribution et de saisie conservatoire des créances de sommes d’argent par voie électronique, et non pas seulement par la voie physique.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Favorable !

La Commission adopte l’amendement.

L’article 9 ter est ainsi rédigé.

Article 10
Modernisation des modalités de délivrance des apostilles et légalisations

La Commission examine les amendements identiques CL70 de M. Ugo Bernalicis et CL437 de M. Stéphane Peu.

Mme Danièle Obono. Cet amendement de suppression vise à préserver les ressources budgétaires et financières liées à la délivrance par le service public des légalisations et des apostilles. En effet, le projet de loi prévoit, par ordonnance, de déléguer en tout ou en partie la délivrance des apostilles et des légalisations à des officiers publics ou ministériels, à toute personne publique ou à tout organisme de droit privé chargé d’une mission de service public. Pour nous, ce n’est pas acceptable : il en résulterait pour l’État une perte de 1,3 million d’euros de ressources. Les apostilles, jusqu’ici gratuites, deviendraient payantes.

M. Sébastien Jumel. Je défends l’amendement CL437, identique, pour les mêmes motifs.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Avis défavorable : la mesure de déjudiciarisation que vous proposez de supprimer s’inscrit dans la continuité des autres mesures déjà adoptées dans ce texte. J’ajoute qu’il s’agit de procéder par ordonnance et que les conditions qui auront à s’appliquer ne sont pas encore arrêtées.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. L’apostille reconnaît la vérité de la signature et la qualité du signataire qui figurent sur un document public. Elle permet la reconnaissance de ces éléments à l’étranger, notamment dans les cent dix-sept États qui ont ratifié la Convention de La Haye de 1965. Les parquets généraux n’ont rien à faire dans ce dispositif sur papier géré dans chaque cour. Il est bien plus pertinent de créer un registre national dématérialisé et confié à des officiers publics ou ministériels. C’est l’objet de cet article ; je suis donc défavorable aux amendements de suppression.

La Commission rejette les amendements.

Elle en vient à l’amendement CL71 de Mme Danièle Obono.

M. Ugo Bernalicis. Cet amendement de repli est défendu pour les mêmes motifs : une partie des actes qui étaient jusqu’à présent gratuits et publics vont être privatisés.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure, la Commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel CL860 de la rapporteure.

Elle adopte ensuite l’article 10 modifié.

Article 10 bis
(art. L. 6512 du code de la construction et de l’habitation)
Allègement du rôle des parquets généraux dans les procédures de changement irrégulier d’usage d’un local

La Commission est saisie de l’amendement CL72 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Danièle Obono. Par cet amendement de suppression, nous proposons de préserver la garantie que constitue l’avis du procureur dans les procédures de sanction du changement irrégulier d’usage d’un local – un délit au regard du droit du logement. Le projet de loi prévoit d’ôter tout rôle au procureur dans cette procédure de sanction pour laisser la seule initiative de son lancement aux maires des communes concernées. Or, les maires ne sont pas forcément réactifs, d’où l’importance de préserver la place du procureur dans le lancement et le déroulement de la procédure. Selon nous, cet article nuirait à l’efficacité de la lutte contre les promoteurs véreux et les marchands de sommeil.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Avis défavorable. Selon l’exposé des motifs de votre amendement, « les maires ne sont pas forcément réactifs et indépendants comme les procureurs »… Tout est dit !

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Même avis.

La Commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’article 10 bis sans modification.

Article 10 ter (nouveau)
(art. L. 3332‑3 et L. 3332‑4‑1 du code de la santé publique)
Contrôle des débits de boissons

La Commission examine l’amendement CL861 de la rapporteure.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Cet amendement de simplification poursuit le recentrage du parquet sur ses tâches proprement judiciaires en le libérant d’attributions administratives qui peuvent être confiées à d’autres autorités. C’est le cas en ce qui concerne les débits de boisson : le code de la santé publique charge le parquet d’intervenir aux côtés du préfet, qui peut très bien s’en charger seul.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement.

L’article 10 ter est ainsi rédigé.

Article 11
(art. L. 444-2, L. 444-7 et L. 950‑1 du code de commerce)
Révision des critères de détermination des tarifs des professions réglementées du droit et du dispositif des remises.

La Commission adopte l’article 11 sans modification.

Après l’article 11

La Commission examine l’amendement CL39 de Mme Danièle Obono.

M. Ugo Bernalicis. Cet amendement d’appel lance une expérimentation concernant le montant des frais requis par les officiers publics ou ministériels en les obligeant à en proposer une estimation contraignante – c’est-à-dire un plafond – ou raisonnable qui, en cas de dépassement, pourrait être contestée par les justiciables devant l’ordre concerné. Nous proposons une autre expérimentation consistant à intégrer aux conventions d’honoraires un plafond raisonnable qui garantit une sécurité juridique au justiciable requérant les services de ces officiers publics et ministériels.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Avis défavorable. Je rappelle que les frais facturés par les professionnels du droit sont de deux sortes : les émoluments d’une part, qui qui sont tarifés par l’autorité publique, et les honoraires d’autre part, qui touchent à la libre prestation de services pour lesquels les professionnels sont en concurrence avec d’autres intervenants.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Même avis.

La Commission rejette l’amendement.

Article 11 bis (nouveau)
(art. 45 de l’ordonnance n° 45‑1418 du 28 juin 1945 relative à la discipline des notaires et de certains officiers ministériels)
Prestation de serment des officiers publics et ministériels

La Commission examine l’amendement CL862 de la rapporteure.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Cet amendement revoit le régime des prestations de serment des officiers publics ou ministériels. Le délai de prestation de serment est aujourd’hui limité à un mois et son non-respect entraîne la démission d’office, sauf en cas de force majeure. Je vous propose d’admettre tout motif valable afin de prendre en compte d’éventuels impondérables, qui peuvent advenir dans la vie de chacun sans pour autant relever d’un cas de force majeure.

L’amendement vise également à ce que tout officier ne s’étant pas installé dans les six mois qui suivent la création de l’office puisse être démissionné d’office. Ceci permettra, en fonction des circonstances, de constater la vacance ou de supprimer la charge.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Favorable !

La Commission adopte l’amendement.

L’article 11 bis est ainsi rédigé.

Sous-titre II
Assurer l’efficacité de l’instance

Chapitre Ier
Simplifier pour mieux juger

Article 12
(art. 233, 238, 246, 247-2, 251 à 254, 257, 262-1, 311-20, 313, 375-3 et 515-12 et art. 247-3 [nouveau] du code civil)
Réforme de la procédure de divorce contentieux

La Commission examine l’amendement CL958 du Gouvernement, qui fait l’objet du sous-amendement CL1080 de la rapporteure.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Cet amendement porte sur la simplification de la procédure applicable au divorce contentieux. La procédure actuelle est peu lisible, complexe et très longue puisqu’elle comprend une phase d’attente entre l’ordonnance de non-conciliation et l’assignation qui dure en moyenne dix mois. Les deux actes de saisine entraînent un coût non négligeable pour le justiciable, qui comprend difficilement pourquoi il lui faut assigner en divorce alors qu’un dossier est en cours depuis le dépôt de la requête.

L’amendement que je vous propose rétablit une procédure de divorce plus simple et plus cohérente qui réduit certains frais et qui permet un jugement plus rapide. Il préserve l’accès au juge et, surtout, maintient toutes les mesures que le juge peut prononcer de manière provisoire pour assurer l’équilibre des intérêts des parties. La nouvelle procédure de divorce que je propose permettra toujours de prendre une ordonnance de protection organisée à brefs délais dans les situations de violences conjugales, par exemple. De même, l’intérêt supérieur des enfants sera pris en compte.

Pour continuer d’inciter les parties à recourir à des fondements de divorce moins conflictuels, dans l’esprit de la réforme du divorce de 2004, le demandeur n’aura pas à indiquer le fondement de sa demande en divorce dès la saisine du juge mais pourra le faire ultérieurement. La saisine immédiate en divorce pour faute sera même impossible.

Autrement dit, ces évolutions permettront qu’un rapprochement des époux intervienne lors des premières étapes de la procédure pour, le cas échéant, choisir un divorce accepté. Le juge conservera son rôle de conciliation, notamment lors de l’audience sur les mesures provisoires qui aura lieu juste après la saisine, qui continuera de se dérouler selon la procédure orale afin que les parties puissent échanger et éventuellement trouver un accord sur les mesures visant leurs enfants. Je vous propose donc une procédure plus lisible, des délais réduits et du temps gagné par le juge pour qu’il le consacre à des procédures plus complexes.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Le sous-amendement CL1080 vise à compléter le dispositif proposé par le Gouvernement – dont je me réjouis qu’il ait pour effet de réduire considérablement les délais de procédure. La procédure de divorce, extrêmement longue, est l’un des éléments qui cristallise le plus la tension qui existe parfois entre la justice et nos concitoyens.

La suppression de l’audience de conciliation ne doit pas empêcher de prévoir la tenue d’une audience au cours de laquelle des mesures provisoires peuvent être prises. L’alinéa 27 de l’article prévoit que cette audience de fixation des mesures provisoires a lieu « si au moins une des parties le demande ». Je propose de rendre cette audience plus systématique en prévoyant qu’elle a lieu « sauf si les parties s’y opposent ». Une audience se tiendra donc en début de procédure pour fixer les mesures provisoires sauf si les parties considèrent que les circonstances ne l’imposent pas.

M. Guillaume Gouffier-Cha. Les travaux que la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a conduits sur ce sujet, dont j’étais le rapporteur, ont suscité une intense réflexion tant les inégalités entre les sexes sont nombreuses et parce que le divorce les amplifie : celui-ci entraîne en effet une perte de pouvoir d’achat de 20 % pour les femmes contre 3 % pour les hommes.

Je me félicite du dispositif que propose le Gouvernement : il prévoit la possibilité explicite d’une audience de fixation des mesures provisoires, conformément à la recommandation n° 3 de la délégation, et permet de ne plus causer le divorce pour faute dès le début de la procédure, conformément à la recommandation n° 6. J’approuve également le sous-amendement de la rapporteure qui va plus loin en rendant cette disposition automatique.

Enfin, je me réjouis de la terminologie de cet amendement et de ce sous-amendement : il n’y est plus question d’audience de « non-conciliation ». La délégation aux droits des femmes a également travaillé sur cette question, car l’emploi du terme « conciliation » laissait penser que la procédure de divorce doit avant tout viser la réconciliation du couple. Nous jugeons utile de supprimer ce terme pour donner à l’audience en question l’appellation qui doit lui revenir : celle d’une audience de fixation des mesures de protection. C’est pourquoi je voterai en faveur du sous-amendement et de l’amendement. Je reviendrai simplement sur la question des délais à l’occasion d’un amendement que je défendrai dans un instant.

M. Antoine Savignat. Je ne comprends guère la rédaction proposée de l’alinéa de l’article 233 du code civil qui dispose que « si la demande en divorce est introduite sans indication de son fondement, les époux peuvent accepter le principe de la rupture du mariage en cours de procédure ». Cette disposition me semble antinomique avec le reste de la réforme que vous proposez puisque, a contrario, si le fondement est indiqué dans l’acte introductif de la procédure, les époux ne pourront plus accepter le principe de la rupture du mariage en cours de procédure. C’est une difficulté qui exposerait celui des époux qui engage la procédure à ne pas trouver de solution transactionnelle ou, à défaut de transaction, à ne pas pouvoir éviter que le débat ne s’envenime concernant l’un ou l’autre des griefs à l’encontre de celui ou celle qui est appelé à ne plus être son époux ou son épouse. Quel est le sens de cet alinéa ? Il enfermera les parties dans le cadre d’un fondement juridique alors qu’en vertu de l’article 2 du code de procédure civile, les parties conduisent la procédure et ont toujours la possibilité de renoncer aux moyens de droit qu’elles avaient employés en début de procédure – et, le cas échéant, à accepter le principe de la rupture du mariage.

La Commission adopte le sous-amendement.

Puis elle adopte l’amendement ainsi sous-amendé.

L’article 12 est ainsi rétabli.

Après l’article 12

La Commission examine l’amendement CL348 de M. Guillaume Gouffier-Cha.

M. Guillaume Gouffier-Cha. Issu de la recommandation n° 10 du rapport de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, cet amendement vise à prendre en compte des difficultés qui surviennent dans certains cas de divorce par consentement mutuel sans juge. Faute d’un jugement, ces divorces ne sont pas reconnus dans certains pays. Cet amendement vise à corriger cette difficulté juridique de procédure en prévoyant que dans les cas qui peuvent impliquer un pays étranger risquant de ne pas reconnaître l’acte de divorce, le divorce par consentement mutuel sans juge n’est pas possible.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Je comprends la difficulté, déjà soulevée à de nombreuses reprises, liée aux éléments d’extranéité en cas de divorce par consentement mutuel. Il s’agit toutefois d’une procédure encore récente puisqu’elle a été instaurée par la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle. À mon sens, nous devons évaluer la situation avec davantage de recul avant de procéder à d’éventuelles modifications.

En tout état de cause, lorsqu’il existe un élément d’extranéité, la procédure actuelle, au-delà du consentement mutuel, doit être homologuée par le juge afin de pouvoir être reconnue à l’étranger. Sans pouvoir l’affirmer au moyen de données probantes, j’ai l’intuition qu’une procédure de divorce par consentement mutuel suivie d’une homologation sera toujours plus rapide que la judiciarisation de la procédure de divorce en raison d’éléments d’extranéité. En toute hypothèse, et parce que ce mécanisme est encore assez récent, je vous propose d’attendre que la loi de 2016 ait fait l’objet d’une évaluation plus approfondie et, pour l’heure, de retirer l’amendement ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je comprends parfaitement votre propos, monsieur le député : dans un certain nombre de pays, y compris parmi nos voisins européens les plus proches, l’absence d’homologation judiciaire empêche de reconnaître les divorces, ce qui peut poser problème. Nous travaillons activement au sein du Conseil Justice et affaires intérieures, puisque c’est lui qui est compétent en la matière, pour résoudre ces questions dans le cadre du règlement Bruxelles II bis. Nous devrions obtenir l’acceptation des pays les plus réticents pour avancer. Parallèlement, nous conduisons également des négociations avec nos proches voisins du Maghreb. Je vous propose donc de retirer l’amendement.

M. Guillaume Gouffier-Cha. Je le retire en vous proposant que nous poursuivions nos échanges sur ce sujet dans les mois à venir.

L’amendement est retiré.

Article 12 bis A (nouveau)
(art. 238 du code civil)
Réduction du délai de séparation requis pour constituer la cessation de la vie commune entre les époux

La Commission examine l’amendement CL755 de M. Jean Terlier.

M. Jean Terlier. Cet amendement, qui a fait consensus chez les commissaires du groupe La République en Marche, résulte d’échanges que nous avons eus avec les professionnels, à qui nous avons demandé comment simplifier la procédure de divorce en matière de délais. S’ils ont été unanimes pour dire que le dispositif prévu à l’article 12 constituait une simplification, il nous ont indiqué que c’est le divorce pour rupture de vie commune qui pose actuellement le plus de problèmes en termes de délais. L’article 238 du code civil prévoit en effet que le divorce pour altération définitive du lien conjugal peut être prononcé dans deux hypothèses alternatives, dont celle de cessation de la communauté de vie, tant affective que matérielle, entre les époux durant les deux années précédant l’assignation en divorce. Les professionnels nous disent que ce délai de deux ans est un peu obsolète, trop long pour les couples qui envisagent de divorcer. Nous proposons donc de porter ce délai à douze mois.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Avis favorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Même avis. Il s’agit là d’un instrument de simplification qui va tout à fait dans le sens du projet de loi.

La Commission adopte l’amendement.

L’article 12 bis A est ainsi rédigé.

Après l’article 12 bis A

La Commission examine l’amendement CL345 de M. Guillaume Gouffier-Cha.

M. Guillaume Gouffier-Cha. Cet amendement, issu des recommandations n°s 3, 4 et 5 du rapport d’information de la délégation aux droits des femmes, est pour partie satisfait par l’article 12 que nous venons d’adopter. Il vise, d’une certaine manière, à le compléter puisqu’il propose que l’audience permettant de fixer les mesures provisoires dans le cas d’une procédure de divorce contentieux ait lieu dans un délai d’un mois.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. En effet, cet amendement est satisfait partiellement par le sous-amendement CL1080 que nous venons d’adopter à l’article 12.

Il ne me semble pas opportun de fixer un délai si contraignant. Je souhaite donc le retrait de cet amendement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Même avis. Il n’est pas nécessairement opportun d’établir un tel délai. Je ne crois pas qu’il y ait, sauf peut-être dans certains lieux, de difficultés quant à ce délai pour fixer les mesures provisoires.

M. Guillaume Gouffier-Cha. Le délai est actuellement de cinq à six mois, ce qui peut s’avérer assez long pour fixer les mesures provisoires.

Je veux bien retirer l’amendement cependant, tout en souhaitant que nous poursuivions les échanges pour voir comment aboutir à réduire des délais.

L’amendement est retiré.

La Commission est saisie de l’amendement CL346 de M. Guillaume GouffierCha.

M. Guillaume Gouffier-Cha. Cet amendement, issu de la recommandation n° 8 du rapport de la délégation aux droits des femmes, précise la procédure de l’audience introductive de fixation des mesures transitoires dans le cas d’un divorce contentieux. Il prévoit que chacun des deux époux peut, à sa demande, être reçu individuellement par le juge aux affaires familiales concerné.

Les personnes que nous avons auditionnées nous ont dit que cet espace de parole confidentiel était particulièrement utile dans une situation de divorce pouvant exacerber les tensions et parfois les violences au sein du couple. Compte tenu de l’ampleur des violences conjugales et intrafamiliales, aucun moment où la parole des victimes peut être recueillie ne doit être négligé, y compris au cours des procédures de divorce.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Vous savez combien je partage votre objectif de renforcement de la lutte contre les violences conjugales et intrafamiliales. Toutefois, dans le cadre de ces procédures, il ne faut pas oublier le respect d’une règle fondamentale de la procédure : le respect du contradictoire. Une partie ne peut être entendue sans l’autre partie, sinon ce serait méconnaître les règles du contradictoire.

Je vous demande donc de retirer votre amendement. À défaut, j’émettrais un avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Même avis.

La Commission rejette l’amendement.

Article 12 bis
(art. 296, 298, 301, 303 et 307 du code civil)
Alignement du régime procédural de la séparation de corps sur celui du divorce par consentement mutuel

Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la Commission adopte l’amendement rédactionnel CL957 du Gouvernement.

Puis elle adopte l’article 12 bis modifié.

Article 12 ter
(art. 1175 du code civil)
Autorisation de la signature électronique dans la procédure de divorce par consentement mutuel

La Commission est saisie de l’amendement CL73 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis. Nous avions déposé cet amendement parce que nous considérions qu’il n’était pas évident de constater le consentement des personnes à distance. Mais, au vu des amendements suivants qui visent à garantir toute signature des actes en présence des parties, je le retire.

L’amendement est retiré.

La Commission étudie l’amendement CL349 de M. Guillaume Gouffier-Cha.

M. Guillaume Gouffier-Cha. Cet amendement, issu de la recommandation n° 11 du rapport de la délégation aux droits des femmes, permet aux avocats de recourir au procédé de signature électronique au cours des procédures de divorce par consentement mutuel sans juge. Une telle évolution allégerait les démarches et améliorerait la transmission des documents entre avocats et notaires.

Cela dit, je retire cet amendement au profit de l’amendement CL863 de la rapporteure.

L’amendement est retiré.

La Commission en vient à l’amendement CL863 de la rapporteure.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Cet amendement vient compléter une disposition introduite par le Sénat qui permet le recours à la signature électronique en cas de divorce par consentement mutuel. Nous craignons que l’article 12 ter, dans la rédaction adoptée par le Sénat, ne permette le divorce à distance, ce qui n’est pas une évolution souhaitable. C’est pourquoi je propose qu’il soit précisé que toute signature électronique des actes se fait en présence des parties. Cet acte, moins lourd car électronique, se fera donc en leur présence.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Le Gouvernement était effectivement hostile à l’extension du recours à la signature électronique en matière de divorce par consentement mutuel sans intervention judiciaire pour éviter toute tentation de contourner le rendez-vous commun de signature de la convention. La présence des deux parties et des deux avocats permet de s’assurer d’un consentement réel et éclairé des époux sur l’ensemble des dispositions de la convention du divorce.

Votre rapporteure propose d’inscrire dans la loi l’obligation de présence des parties pour cette signature électronique en matière de divorce par consentement mutuel, ce qui vient répondre à notre préoccupation. J’émets donc un avis favorable.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article 12 ter modifié.

Après l’article 12 ter

La Commission examine l’amendement CL171 de M. Dimitri Houbron.

M. Dimitri Houbron. Aux termes de l’article 515-11 du code civil, l’ordonnance de protection est délivrée dans les meilleurs délais par le juge aux affaires familiales. Or, dans la pratique, on constate une réticence de certains juges à l’octroyer juste après la survenue de faits de violence, par crainte de l’usage d’une action disproportionnée. Par ailleurs, les délais sont variables d’une juridiction à l’autre : ils peuvent aller, dans certains cas, jusqu’à une année pour une audience en ordonnance de protection.

Cet amendement vise à raccourcir le délai entre la saisine du juge aux affaires familiales et le prononcé de l’ordonnance de protection en le portant à soixante-douze heures. Nous avons tous conscience de l’urgence de la situation dans ces cas de figure. C’est l’intégrité de la victime qui est en jeu.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. L’exposé sommaire de votre amendement montre que la loi répond déjà à votre objectif et qu’aucune disposition n’impose un dépôt de plainte. Si certains magistrats ont pris la mauvaise habitude de réclamer des conditions supralégales, on ne peut pas, par voie législative, ajouter des éléments qui existent d’ores et déjà. Je vous propose de retirer cet amendement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Même avis. Je considère que votre préoccupation, très légitime, est satisfaite par les textes existants.

M. Dimitri Houbron. Je me rends compte que je n’ai pas défendu le bon amendement, mais je constate que personne ne s’en est aperçu ! (Sourires.) Je ne sais pas si c’est rassurant…

Il faut vraiment sensibiliser les forces de l’ordre, car leur comportement n’est pas en adéquation avec la réglementation actuelle. Mais je sais bien que cette question ne peut pas être résolue dans un cadre législatif. Si j’ai présenté cet amendement d’appel, c’est bien pour vous sensibiliser sur ce point. Je retire l’amendement.

L’amendement est retiré.

La Commission en vient à l’amendement CL347 de M. Guillaume Gouffier-Cha.

M. Guillaume Gouffier-Cha. Les violences au sein du couple sont une réalité massive de notre pays. En 2016, 123 femmes ont été tuées par leur partenaire ou ex-partenaire. Chaque année, 225 000 femmes sont victimes de violences physiques ou sexuelles commises par leur partenaire ou ex-partenaire.

Le présent amendement, issu de la recommandation n° 7 du rapport de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, vise à inscrire dans le code civil une définition claire des violences au sein du couple en s’inspirant de celle de la convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à égard des femmes et la violence domestique du 11 mai 2011, dite « convention d’Istanbul ». Cela faciliterait le travail des magistrats, notamment des juges aux affaires familiales qui doivent tenir compte de ce type de violence dans leurs décisions.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Je comprends et partage votre objectif. Cela dit, je pense que la définition actuelle de la violence en droit civil répond à vos préoccupations.

La violence, au sens du droit civil, est « l’acte délibéré ou non provoquant chez celui qui en est la victime un trouble physique ou moral comportant des conséquences dommageables pour sa personne ou pour ses biens ». Je ne pense pas qu’il soit opportun de faire évoluer cette définition.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Même avis. Je pense que la définition à laquelle vient de faire référence Mme Avia est plus pertinente qu’une énumération qui, par définition, omet toujours un certain nombre de données.

La Commission rejette l’amendement.

Elle étudie ensuite l’amendement CL169 de M. Dimitri Houbron.

M. Dimitri Houbron. Il s’agit de l’amendement que je viens de défendre par erreur à l’instant… L’ordonnance de protection doit être délivrée dans les meilleurs délais. Or, ce délai est parfois très long. Au vu de l’urgence de la situation, nous proposons de le fixer à soixante-douze heures, ce qui nous paraît raisonnable.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Si nous partageons une fois de plus votre objectif, votre proposition de substituer aux mots « dans les meilleurs délais » une contrainte de soixante-douze heures risque d’être contre-productive. En effet, si jamais ce délai n’est pas respecté, cela aboutira à la nullité de la procédure. Je ne pense pas que ce soit votre objectif initial. Je suis donc défavorable à cet amendement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Même avis. D’ores et déjà, les juges peuvent, en fonction des situations d’urgence, délivrer des ordonnances de protection dans des délais inférieurs à soixante-douze heures. J’ajoute que je ne suis pas non plus favorable à un délai impératif.

Je vous informe que les services de la Chancellerie procèdent actuellement à une étude sur les décisions d’ordonnance de protection qui ont été délivrées en 2016. Cela permettra d’affiner les actions du Gouvernement en matière de lutte contre les violences conjugales.

M. Dimitri Houbron. Votre réponse me surprend un peu, puisque le juge des libertés et de la détention (JLD) est tenu, pour des cas très complexes et ayant trait à la privation de liberté, de se prononcer en général sous quarante-huit heures. Il ne me semblait pas que ce délai de soixante-douze heures soit trop court pour prendre une décision d’ordonnance de protection, sachant que si le magistrat ne répond pas dans le délai, on encourt à mon sens un déni de justice et non la nullité de la procédure. Mais je peux comprendre que vous ne soyez pas d’accord sur ce point.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle est saisie de l’amendement CL170 de M. Dimitri Houbron.

M. Dimitri Houbron. Le dispositif « Téléphone grave danger » a été généralisé au mois d’avril 2013 afin de développer une réponse harmonisée aux violences conjugales sur l’ensemble du territoire. Il a ensuite été consacré dans la loi du 4 août 2014 sur l’égalité réelle entre les femmes et les hommes. Depuis, 600 victimes ont pu être accompagnées par des associations ou des centres d’information sur les droits des femmes et des familles. En 2016, la société de téléassistance a sollicité à 222 reprises les forces de l’ordre à la suite des alertes déclenchées par les bénéficiaires. Trente-six interpellations ont eu lieu.

Cet amendement vise à étendre le dispositif à l’ordonnance de protection afin d’accentuer la protection physique des victimes.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Il n’est pas nécessaire de faire intervenir le législateur pour que le juge aux affaires familiales et le procureur de la République échangent des informations utiles à la protection des personnes. Je demande le retrait de cet amendement. À défaut, j’émets un avis défavorable.

Je note par ailleurs que vous citez dans votre amendement un dispositif précis de téléprotection. Mais il ne faut pas oublier que d’autres mesures sont parfois plus utiles et plus efficaces. L’ajout de ce seul dispositif ne semble pas non plus opportun.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je sais l’intérêt et l’attention que M. Houbron porte à cette question. Il me semble que, dans la réalité, le procureur de la République est informé sans délai de toute demande d’ordonnance de protection formulée par la victime ainsi que de toute ordonnance délivrée par le juge aux affaires familiales lorsque des violences sont susceptibles de mettre en danger la victime ou ses enfants. En cas de danger imminent, il peut déjà mettre en place le « Téléphone grave danger ». Je ne voudrais pas qu’on laisse entendre qu’il faut attendre l’ordonnance pour mettre en sécurité une femme soumise à un danger imminent. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle en vient à l’amendement CL344 de M. Guillaume Gouffier-Cha.

M. Guillaume Gouffier-Cha. Cet amendement, issu de la recommandation n° 2 du rapport de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, propose que, dans un délai d’un an à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi, le Gouvernement remette au Parlement un rapport sur la formation du personnel judiciaire et précisant comment celle-ci prend en compte les questions de violence faites aux femmes et d’égalité entre les femmes et les hommes. Il nous paraît impératif que ces problématiques soient connues et prises en compte au cours des procédures judiciaires par l’ensemble des personnels, notamment les magistrats.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Avis défavorable. Une fois de plus, je vous renvoie à la pratique de la commission des Lois en matière de rapports parlementaires.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. La problématique des violences faites aux femmes est une priorité dans la formation initiale au sein de nos écoles. À l’École nationale de la magistrature (ENM), la formation initiale des auditeurs de justice comporte des séquences consacrées à la question des victimes, de leur prise en charge et des violences faites aux femmes, et cette question est également abordée en formation continue. En 2018 par exemple, cinquante-sept magistrats ont assisté à l’une de ces sessions de formation continue. Mais je considère que ce n’est pas suffisant. J’ai donc chargé Mme Isabelle Rome, haute fonctionnaire chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, d’organiser davantage de sessions de formation continue avec l’ENM et l’École nationale des greffes, et de formation pluridisciplinaire et pluricatégorielle, pour que des enquêteurs, des magistrats et d’autres personnels assistent à ces formations-là. C’est une action volontariste que nous souhaitons conduire à ce sujet, mais qui ne relève pas de mon point de vue de la loi.

Je vous demande de retirer votre amendement.

M. Guillaume Gouffier-Cha. Madame la ministre, je vous remercie pour vos explications et cet engagement volontariste à aller plus loin. Je retire cet amendement.

L’amendement est retiré.

Article 13
(art. 2-1 et 2-2 [nouveaux] de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle ; art. L. 212-5-1 et L. 212-5-2 [nouveaux] du code de l’organisation judiciaire)
Procédure sans audience devant le tribunal de grande instance et procédure dématérialisée de règlement des litiges de faible montant

La Commission étudie l’amendement CL74 de Mme Danièle Obono.

Mme Danièle Obono. Avec cet amendement de suppression de l’article 13, nous souhaitons mettre l’accent sur l’importance de la publicité des audiences, qui doit être le principe par défaut et non le contraire, comme le prévoit le projet du Gouvernement qui en ferait désormais une simple option à la demande d’une des parties. Ce serait la mort du caractère public des audiences pour les contentieux relevant des tribunaux d’instance, donc la fin de la justice d’instance. Cela s’appliquerait aussi à des procédures dématérialisées.

Nous considérons que le droit à une audience publique serait menacé. Au travers de son deuxième volet sur l’absence d’audience par principe pour les demandes en dessous d’un seuil défini par décret, le droit des parties à une audience publique est mis en cause puisque, même si une partie est d’accord pour une procédure dématérialisée, elle pourra ensuite se voir refuser une audience.

Plus fondamentalement, le droit du peuple français à une justice publique n’est plus pris en compte. Cette logique de désagrégation de l’entité politique démocratique au profit des seuls choix d’individus justiciables nie, de notre point de vue, la solidarité et le caractère collectif et démocratique de la justice, qui doit rester publique et accessible à toutes et à tous. La justice ne doit pas être simplement rendue, elle doit aussi montrer qu’elle a bien été rendue. C’est pourquoi nous demandons la suppression de l’article 13.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Je comprends que l’élément principal d’opposition à l’article 13 relève de la publicité des débats, publicité à laquelle il est déjà fait dérogation dans de nombreux cas de figure sans que cela ne présente de difficulté particulière. Le cœur de cet article n’est pas tant la question de la publicité des débats que la possibilité d’avoir des jugements sans audience.

En ce qui concerne votre préoccupation première, celle de la publicité des débats, je vous renvoie à des discussions que nous aurons ultérieurement. Il y aura en parallèle des avancées considérables en ce qui concerne la publicité du jugement, avec la mise à disposition au public, de manière gratuite, de toutes les décisions de justice par l’open data.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je veux replacer dans leur ensemble cet amendement et la mesure que propose le Gouvernement. Il s’agit effectivement de permettre le règlement de petits litiges sans audience. Il ne s’agit pas de chercher à éloigner le juge du justiciable ni de porter atteinte au mode de fonctionnement traditionnel de notre justice, mais de s’adapter à la demande de certains justiciables.

J’ai souvent eu l’occasion de prendre l’exemple de cet étudiant qui habite à Rennes et qui vient faire ses études à Paris. Il loue un logement, mais comme il a un problème pour récupérer sa caution, il fait un contentieux. Entre-temps, il est retourné vivre à Rennes. Si l’on considère qu’il doit être présent à l’audience qui doit trancher sur ce petit litige, il devra à nouveau faire un aller-retour entre Rennes et Paris. Il peut aussi décider de donner au juge la capacité de résoudre ce litige sans audience. Premièrement, cela correspond à une demande de justice « contemporaine », si je puis dire. Deuxièmement, la procédure est encadrée puisque ce contentieux sans audience ne pourra se dérouler qu’avec l’accord exprès des parties. Et le juge pourra toujours décider, s’il le souhaite, de tenir néanmoins une audience. Dès lors qu’il n’y a pas d’audience, il n’y a pas atteinte au principe de publicité des débats. Et, bien évidemment, cette absence d’audience n’exclut pas que la décision soit rendue publiquement.

Pour toutes ces raisons, je suis défavorable à cet amendement.

M. Ugo Bernalicis. Votre argumentation selon laquelle il n’y a pas de problème de publicité des débats puisqu’il n’y a pas d’audience est un peu étrange.

Avec cet article, nous ouvrons la porte à une justice qui se réglera de plus en plus sans audience et sans que le justiciable puisse être présent à cette audience. J’entends bien que ce ne sera pas obligatoire puisque vous avez fixé un principe, celui de l’accord des deux parties, mais demain votre gouvernement ou le suivant pourra aller plus loin en considérant que l’audience n’est pas nécessaire pour des litiges inférieurs à 10 000 ou 20 000 euros, ou encore pour telle partie du droit, et finalement à ce qu’il n’y ait plus de juge. Cela me semble préjudiciable à l’idée que l’on peut se faire de la justice, qui est rendue, rappelons-le, au nom du peuple français.

M. Raphaël Schellenberger. Si je comprends l’objectif de l’article 13, je m’interroge sur la coordination entre cet article et la mise en place d’un processus obligatoire de médiation amiable avant contentieux. On incite à ce que ces petits litiges soient réglés par la voie de la médiation ou de la conciliation. Mais si celles-ci échouent, c’est vraisemblablement en raison de points de blocages structurants ou autres. On ouvre encore la voie d’échapper à une audience. Pouvez-vous préciser quelle est l’articulation entre ces deux mesures ?

M. Jean Terlier. Mme la garde des Sceaux a clairement expliqué qu’en réalité ces garde-fous permettaient de ne pas exclure totalement la possibilité pour le justiciable de voir le juge. Mais voir le juge, ce n’est pas non plus l’alpha et l’oméga de la manière dont on souhaite parfois que la justice soit rendue. Je vous conseille d’aller dans les salles de tribunal d’instance où sont tranchés ces petits litiges. Vous verrez que les contentieux ne sont gérés qu’entre des particuliers qui viennent avec leur paquet de pièces, qu’ils posent sur le bureau du magistrat en lui demandant de plaider le dossier. Sauf que, comme le justiciable n’a pas communiqué ses pièces à son adversaire, le magistrat reporte l’affaire d’un mois. À ce moment-là, le justiciable est fou furieux car il a dû poser une demi-journée de congé pour assister à l’audience. Il y a donc un intérêt pratique pour certains justiciables à pouvoir communiquer avec leur juridiction par voie dématérialisée et à ne pas assister à ces audiences.

De la même manière, quand les parties sont assistées ou représentées par un avocat, on voit souvent que celui-ci ne plaide pas, qu’il dépose le dossier et s’en remet aux écritures. Demander une audience pour avoir une audience est une perte de temps. C’est un vrai gain pour le justiciable et pour les praticiens que ces procès aient lieu sans audience.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle en vient à l’amendement CL1070 de la rapporteure.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Cet amendement vise à étendre la possibilité de recours à la procédure dématérialisée, donc sans audience, aux demandes portant sur le paiement d’une somme et aux oppositions aux ordonnances portant injonction de payer, par anticipation de la discussion que nous aurons sur la procédure qui sera mise en œuvre avec l’article 14 du projet de loi.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL704 de M. Jean-Félix Acquaviva.

M. Jean-Félix Acquaviva. Le recours à la procédure dématérialisée doit être réservé à des recours à faible conflictualité, plutôt qu’aux demandes portant sur des sommes inférieures à un certain montant à définir par décret en Conseil d’Etat. Souvent, en effet, le niveau de conflictualité n’est pas proportionnel aux sommes en jeu. Nous sommes conscients que cet amendement propose une limite subjective et que sa rédaction pourrait être affinée, mais il nous semble important que le débat ait lieu.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Il s’agit moins d’une question de rédaction que de principe, étant donné que vous proposez de réserver la procédure dématérialisée aux cas où il n’y a pas réellement de conflit – et où, pour notre part, nous préférons encourager le règlement amiable du litige. Tout à l’heure, notre collègue Schellenberger demandait justement quelle était l’articulation entre les deux dispositifs. Elle est la suivante : plus on essaie de parvenir à un règlement amiable, plus on sait s’il sera opportun, nécessaire, pertinent de rencontrer un juge, donc de recourir à une procédure non dématérialisée. Avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Même avis. Cet amendement restreint à l’excès le périmètre des possibles, ce que je ne souhaite pas.

La Commission rejette l’amendement.

Elle étudie ensuite l’amendement CL946 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Cet amendement vise à rétablir le traitement par voie dématérialisée des petits litiges. Comme l’a dit un orateur tout à l’heure, il y a un certain nombre de cas pour lesquels les parties ne viennent pas, et parfois les avocats ne plaident pas non plus. Si les parties font le choix de la dématérialisation pour éviter d’avoir à être présentes, il ne me semble pas opportun de la leur refuser.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Avis favorable.

M. Antoine Savignat. Je partage globalement l’avis exprimé sur l’ensemble de cet article et sur l’opportunité ou non de tenir des audiences systématiquement publiques. Toutefois, pour les petits litiges, les décisions seront rendues en premier et dernier ressort, c’est-à-dire que la contestation de la décision du juge de ne pas tenir d’audience sera pour ainsi dire rendue impossible. Sauf erreur de ma part, les articles précédents qui ont été adoptés prévoient que, pour les petits litiges, la représentation n’est pas obligatoire. Ainsi, le particulier, livré à lui-même ou se défendant lui-même, sera placé dans une position d’extrême faiblesse, n’étant pas nécessairement un rédacteur né, capable de transmettre des écritures parfaitement claires au magistrat. C’est d’ailleurs précisément pour cela qu’il préférera venir s’expliquer directement devant le juge. Mais, avec cet amendement, il n’aura plus la possibilité de le faire. Je suis donc particulièrement sceptique quant à l’opportunité de supprimer la faculté offerte aux plus faibles économiquement de venir s’exprimer et d’avoir accès à la justice.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je ne comprends pas très bien votre argumentation. En fait, nous nous adressons là à des parties qui ont fait ab initio le choix d’une demande de dématérialisation. Nous considérons donc que le juge peut leur donner satisfaction. Mais cela ne sera pas imposé pour tous les litiges de moins 4 000 euros.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article 13 modifié.

Article 14
(art. L. 211-17 et L. 211-18 [nouveaux] du code de l’organisation judiciaire)
Traitement dématérialisé des injonctions de payer par une juridiction à compétence nationale

La Commission examine l’amendement CL60 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis. Nous proposons de supprimer l’article 14. En effet, nous souhaitons insister sur l’importance de préserver la tenue publique des audiences – nous venons d’argumenter sur le sujet à propos de l’article 13 – et sur le fait que la dématérialisation risque de dissuader une partie des justiciables de contester les injonctions de payer.

J’ai bien compris que la délivrance de l’injonction de payer – lorsque, par exemple, une banque formule une demande en ce sens à l’encontre de l’un de ses clients – était une formalité administrative pour le juge : il regarde les pièces et met un coup de tampon. On pourrait d’ailleurs imaginer que, dès cette première phase, le juge ne se contente pas de vérifier les pièces, même s’il est vrai qu’à ce stade de la procédure les parties ne sont pas reçues et que, lorsqu’on en arrive à la phase contentieuse – qui s’engagera désormais de manière dématérialisée, puisque les oppositions devront être formées par voie dématérialisée –, on retrouve le juge de proximité.

Quoi qu’il en soit, avec le dispositif que vous proposez, la première phase sera concentrée autour de cinq magistrats et je ne sais plus combien de greffiers, réunis à Paris pour mettre des coups de tampon sur les demandes d’injonction de payer. Nous pensons qu’il faut prévoir des mesures plus protectrices, notamment concernant la dématérialisation, étant donné les publics concernés, à savoir des personnes ayant contracté des crédits revolving ou, plus généralement, ayant des difficultés à payer leurs factures. Ces gens mériteraient qu’on leur attache plus d’importance, plutôt que de se contenter de dématérialiser et de rationaliser, avec des gens qui tamponnent à Paris des demandes d’injonction de payer.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Le dispositif prévoit en effet une procédure dématérialisée et centralisée pour le traitement des demandes d’injonction de payer mais, par la suite, on retrouve une procédure classique – support papier, présence physique et compétence territoriale du TGI en cas d’opposition. Il me semble que cela répond à votre préoccupation. Comme je le disais, les tribunaux territorialement compétents traitent les oppositions, y compris dans l’hypothèse d’une procédure dématérialisée qui serait engagée en application de l’amendement que j’ai proposé et que nous avons adopté à l’article 13. Je vous demande donc de retirer votre amendement, monsieur Bernalicis. À défaut, avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. En proposant la création d’une juridiction nationale des injonctions de payer, nous avons voulu améliorer le traitement de ce qui constitue un contentieux de masse grâce aux potentialités du numérique, tout en prenant en compte – j’y viendrai dans un instant – la situation de ceux de nos concitoyens qui n’y ont pas aisément accès.

Je rappelle que la procédure d’injonction de payer est non contradictoire : rien ne change à cet égard. Lorsqu’un créancier saisit la justice d’une demande en recouvrement, le juge prend sa décision tout seul dans son cabinet, comme vous le disiez, monsieur Bernalicis, c’est-à-dire sans audition des parties. Ce n’est qu’en cas d’opposition à l’injonction de payer qu’une audience a lieu et que l’on retrouve une procédure classique. La phase non contradictoire est traitée par le juge tout seul – donc, d’une certaine manière, à distance de l’usager. Cela peut donner, notamment en matière de crédits à la consommation, des jurisprudences assez variées et pas forcément cohérentes d’un tribunal à l’autre. Nous proposons de rationaliser le traitement des injonctions de payer en établissant le principe selon lequel les demandes sont faites par voie dématérialisée. Pour les professionnels, cela vaut dans tous les cas ; pour les personnes physiques, présentant seules leur requête, nous avons déposé un amendement visant à leur ouvrir la possibilité de le faire par voie papier.

Le traitement des demandes d’injonction de payer sera concentré dans une juridiction unique, ce qui permettra d’harmoniser les décisions rendues. Je n’ai pas dit que ce serait à Paris, monsieur Bernalicis : cela peut être n’importe où, aussi bien à Carpentras qu’à Strasbourg ou à Rennes, peu importe. Dans un objectif de simplicité pour le contribuable, les oppositions seront elles aussi formées devant la juridiction unique, qui les traitera elle-même dans le cas, très fréquent, où elles ont pour seul objectif de demander des délais de paiement. En revanche, les contestations au fond seront transmises au juge territorialement compétent, pour préserver la proximité nécessaire entre le justiciable et le juge dans ce type de contentieux.

Le système uniformise donc le traitement de masse tout en protégeant ceux qui n’ont pas accès à la numérisation en maintenant la possibilité d’une saisine par voie papier pour les personnes physiques. Il centralise également les contestations tendant à l’obtention de délais de paiement, mais renvoie à la juridiction locale les autres catégories d’opposition. Le système est à la fois plus rapide, plus harmonieux et plus efficace, tout en préservant la proximité. Je suis donc défavorable à votre amendement, monsieur Bernalicis.

M. Raphaël Schellenberger. Madame la garde des Sceaux, vos services nous ont adressé un joli petit fascicule, intitulé « Chiffres clés de la justice 2018 », qui détaille également un certain nombre de chiffres pour l’année 2017. Les injonctions de payer représentent 438 279 décisions. Il s’agit donc effectivement de contentieux de masse ; le chiffre est même faramineux. Pourrions-nous avoir, d’ici à la discussion en séance publique, une qualification de ces 438 279 décisions ? En effet, si la majorité concerne des crédits à la consommation, cela veut dire que le problème n’est pas de savoir comment on rend la décision de justice, mais comment faire en sorte d’en arriver moins souvent à des décisions de justice dans de tels cas. Si l’essentiel des injonctions de payer concerne des crédits à la consommation, la solution que vous proposez sera peut-être utile pour faciliter le fonctionnement de la justice, mais elle ne servira à rien pour les justiciables et n’améliorera pas leur situation.

M. Jean Terlier. Les arguments avancés devraient, à mon avis, conduire M. Bernalicis à retirer son amendement : en réalité, il a été rassuré quant au fait que tout le contentieux lié aux oppositions aux injonctions de payer serait bien traité dans les juridictions compétentes, en présence d’un magistrat. Sur ce point, il n’y a donc pas de difficulté, sauf, bien sûr, si les parties ne sont pas d’accord pour la tenue de l’audience.

Cela dit, monsieur Bernalicis, au début de la procédure, lorsqu’une requête est déposée pour obtenir une ordonnance portant injonction de payer, il ne s’agit pas seulement, contrairement à ce que vous avez laissé entendre, de donner un coup de tampon : un magistrat contrôle qu’il existe bien un contrat, des factures et une mise en demeure de payer. Si ces pièces ne sont pas réunies, la requête est rejetée et l’ordonnance portant injonction de payer n’est pas accordée.

Un autre élément devrait vous conduire à considérer que la mesure que nous prenons est fondamentale : dans 95 % des cas, l’ordonnance portant injonction de payer n’est pas contestée par celui auquel elle est adressée.

M. Ugo Bernalicis. Cela représente tout de même 2 500 contestations !

M. Jean Terlier. Autrement dit, dans 95 % des cas, l’exigence de procéder au paiement est justifiée. Ce que nous proposons va donc dans le bon sens et vous devriez, monsieur Bernalicis, retirer votre amendement.

M. Ugo Bernalicis. Le Gouvernement a effectivement déposé un certain nombre d’amendements, et nous pouvons nous retrouver autour de certains points.

Toutefois, la question est en réalité de savoir pourquoi il y a autant de contentieux dans ce domaine. Je ne sais pas si c’est ce que M. Schellenberger voulait dire, mais nous pourrions réfléchir à l’interdiction des crédits à la consommation…

M. Raphaël Schellenberger. Ce n’est pas du tout ce que je voulais dire !

M. Ugo Bernalicis. Vous n’iriez peut-être pas jusque-là, effectivement, parce que vous êtes quand même de droite,…

M. Raphaël Schellenberger. Le débat peut être intéressant sur le plan intellectuel !

M. Ugo Bernalicis. …mais, si c’est là le principal fournisseur de contentieux, il y a matière à réflexion. De même, l’explosion du nombre d’interdits bancaires pose question. On peut se dire qu’il faut rationaliser le traitement de ce contentieux, mais on pourrait aussi traiter le mal à la racine.

J’entends bien que les personnes physiques pourront déposer leur demande par voie papier, mais cela veut dire, concrètement, envoyer un courrier au tribunal, quelque part – pas forcément à Paris, peut-être à Lille.

M. Raphaël Schellenberger. Ça y est, il tire déjà la couverture à lui ! (Sourires.)

M. Ugo Bernalicis. Actuellement, n’importe quelle personne physique peut aller déposer son dossier papier au tribunal d’instance à côté de chez elle. Dorénavant, il faudra l’envoyer par courrier, plus loin. J’espère que, quand les personnes concernées iront dans un service d’accueil unique du justiciable (SAUJ), on ne leur expliquera pas qu’elles doivent envoyer le courrier ailleurs et qu’elles ne peuvent pas déposer leur demande au tribunal le plus proche !

On pourrait tout aussi bien établir que la requête est recevable dans le tribunal d’instance du coin. En effet, combien de personnes vont être concernées ? Je n’ai pas en tête le nombre de demandes formulées par des personnes physiques par rapport à celles émanant de professionnels mais, s’il est limité, on pourrait ouvrir la possibilité de déposer le dossier papier au tribunal le plus proche, au lieu d’obliger les gens à l’envoyer à l’adresse indiquée – cela dit, madame la garde des Sceaux, pour faire écho à l’un de vos amendements qui sera examiné par la suite et gagner ainsi du temps.

Par ailleurs, il est prévu – dites-moi si je me trompe – que les oppositions aux ordonnances portant injonction de payer soient traitées sans audience lorsque l’opposition tend exclusivement à l’obtention de délais de paiement. Or, souvent, les gens demandent…

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Merci de conclure, monsieur Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis. Je n’interviendrai plus sur le reste, madame la présidente. (Rires et exclamations.)

Le juge, quand il voit les parties en présence – ce sont souvent des populations défavorisées qui font l’objet d’injonctions de payer –, en vient à soulever certains moyens, ou les interroge pour faire valoir des moyens visant à diminuer la somme à payer. En effet, les crédits à la consommation, par exemple, créent encore et encore des intérêts, que le juge d’instance annule très souvent, ne conservant que le montant de la créance.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Merci. Vous avez largement dépassé votre temps de parole.

M. Ugo Bernalicis. Tout cela, visiblement, ne vous intéresse pas ! Si vous m’aviez laissé m’exprimer, j’aurais peut-être retiré mon amendement.

La Commission rejette l’amendement.

Elle adopte ensuite l’amendement rédactionnel CL1074 de la rapporteure.

Puis elle examine l’amendement CL953 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Cet amendement renvoie à la discussion que nous venons d’avoir : je ne détaillerai pas davantage.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Avis favorable.

M. Ugo Bernalicis. J’en profite pour terminer mon intervention précédente. Madame la garde des Sceaux, que penseriez-vous de faire en sorte que l’on puisse déposer sa demande papier dans le tribunal d’instance à côté de chez soi, quitte à ce que ce tribunal le transmette ensuite à votre tribunal centralisé traitant les injonctions de payer ? Je vous pose la question afin de préparer des amendements en vue de la séance.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Votre demande est déjà satisfaite, monsieur Bernalicis : comme je vous l’ai expliqué, il y aura dans chaque tribunal un service d’accueil unique du justiciable, où l’on pourra déposer sa demande, laquelle sera ensuite réadressée à qui de droit.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CL705 de M. Jean-Félix Acquaviva.

M. Paul Molac. Cet amendement vise tout simplement à faire en sorte que le justiciable voie sa requête examinée par le tribunal de grande instance le plus proche de chez lui.

M. Jean Terlier. Ce sera le cas !

M. Paul Molac. D’une part, il y va de l’aménagement du territoire, auquel je suis attaché : il faut que nous conservions des services publics. D’autre part, il est important que le justiciable puisse se présenter devant le juge et que celui-ci lui explique pourquoi il va être condamné – ou non. Un dialogue doit exister entre le prévenu et l’autorité judiciaire.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Mme la garde des Sceaux vient de répondre à votre préoccupation. Je vous suggère donc de retirer votre amendement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je l’ai dit clairement : le justiciable pourra déposer sa demande au SAUJ du tribunal dont il dépend, qui transmettra ensuite à la juridiction nationale. L’amendement est donc satisfait.

L’amendement est retiré.

La Commission examine ensuite les amendements CL1054, CL1055 et CL1056 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Ils s’inscrivent, une fois encore, dans la continuité de ce que j’ai expliqué.

Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la Commission adopte successivement les amendements.

Elle est ensuite saisie de l’amendement CL172 de M. Dimitri Houbron.

M. Dimitri Houbron. Le projet de loi institue le traitement dématérialisé des requêtes en injonction de payer par le tribunal de grande instance. Or il existe certaines réticences persistantes à l’installation du numérique au sein des tribunaux. L’École nationale de la magistrature (ENM) propose un service performant de formation continue, mais certains professionnels ne s’en saisissent pas. L’objectif du présent amendement est de créer un référent chargé de la formation des professionnels au numérique dans chaque tribunal de grande instance. Il s’agit d’un amendement d’appel. L’idée est de dire : « Allons vers la numérisation et la dématérialisation, mais en accompagnant les professionnels de la justice. »

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Lorsque nous avons entendu Mme la garde des Sceaux dans le cadre du projet de loi de finances pour 2019, elle a détaillé l’ensemble des moyens techniques, financiers et humains déployés dans le cadre de la transformation numérique de la justice. Je demande le retrait de cet amendement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. J’entends parfaitement votre préoccupation, monsieur Houbron. Vous savez que la question de la transformation numérique est essentielle pour mon ministère, et que je suis totalement impliquée. Nous avons créé, au sein des juridictions, des postes de correspondants locaux informatiques. Il me semble donc que je satisfais votre préoccupation. Par ailleurs, ce que vous proposez ne relève pas du niveau législatif.

M. Philippe Gosselin. Ce sujet ne relève peut-être pas du niveau législatif, madame la garde des Sceaux, mais il est important ; il faut vraiment que le ministère s’en empare. L’accès au numérique est une vraie question.

Dématérialiser un certain nombre de procédures, notamment les dépôts de plainte, ce qui les rend possibles vingt-quatre heures sur vingt-quatre, c’est parfait, et je n’ai pas d’objection de principe, mais un grand nombre de nos concitoyens sont en difficulté : il faut absolument que l’accueil et la formation soient assurés.

Du reste, c’est vrai aussi de l’autre côté de la barrière, si je puis dire : dans les tribunaux, au-delà des moyens matériels qui vont être mis en œuvre – et que vous avez soulignés lors de l’examen des crédits de la mission « Justice » –, il faut une prise en compte effective de cette exigence. C’est un peu l’objet du présent amendement. Au-delà donc du sort qui lui sera réservé, il faut donc conserver en permanence à l’esprit cette préoccupation, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice et de l’accès à la justice.

M. Dimitri Houbron. Au vu des explications de Mme la rapporteure et de Mme la garde des Sceaux, je retire mon amendement.

L’amendement est retiré.

La Commission adopte l’article 14 modifié.

Après l’article 14

La Commission examine l’amendement CL380 de M. Jean-Michel Mis.

M. Jean-Michel Mis. Cet amendement vise à reconnaître une valeur de preuve à tout fichier numérique enregistré dans un dispositif d’enregistrement électronique partagé, tel que défini par l’ordonnance du 8 décembre 2017. La finalité est de répondre à l’objectif de désengorger les services de la justice : ces derniers pourraient être redéployés sur des missions à plus forte valeur ajoutée.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. L’amendement vise à reconnaître dans le code civil une présomption de fiabilité des preuves issues de ce que l’on appelle les blockchains. Il revient à détailler, dans un article du code civil consacré aux principes généraux relatifs à l’admissibilité des modes de preuve, un moyen spécifique de preuve plutôt qu’un autre. Du reste, plusieurs raisons s’opposent à la reconnaissance des signatures électroniques utilisées dans la technologie des blocs de chaînes, parmi lesquelles l’exigence d’identification du signataire. C’est pourquoi je suis défavorable à cet amendement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Même avis, pour les mêmes raisons.

M. Jean-Michel Mis. Il s’agissait d’un amendement d’appel, qui ne concernait pas seulement, d’ailleurs, la technologie des blocs de chaîne et des registres distribués. La réflexion est en cours au sein des directions des services informatiques (DSI), mais aussi du ministère de la justice. C’était une manière d’aborder le sujet. Vous avez compris l’amendement comme tel, et je vous en remercie. Je le retire.

L’amendement est retiré.

Article 15
Habilitation à légiférer par voie d’ordonnance pour harmoniser les procédures au fond à bref délai devant les juridictions judiciaires

La Commission adopte l’article 15 sans modification.

M. Philippe Gosselin. L’Assemblée vote un dessaisissement législatif à une heure du matin : ce n’est pas très joli !

Chapitre II 
Simplifier pour mieux protéger

Article 16
(art. 428, 494-1, 494-3, 494-5 à 494-9 et 494-11 du code civil)
Assouplissement de l’habilitation familiale

La Commission examine l’amendement CL963 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Cet amendement vise à développer le mandat de protection future, qui permet à chacun d’anticiper sa propre perte d’autonomie. L’idée est d’en faire le dispositif de protection privilégié, avant d’envisager toute autre mesure conventionnelle, légale ou judiciaire. Toute personne doit pouvoir organiser ses affaires et anticiper sa perte éventuelle d’autonomie, ainsi que sa perte de volonté. Lorsqu’une telle volonté a été clairement exprimée, il faut qu’elle soit respectée et qu’elle passe avant toute application des règles de représentation, lesquelles ne doivent être envisagées qu’à titre subsidiaire.

Le mandat de protection future doit, en outre, être révoqué seulement en cas d’atteinte aux intérêts de la personne et non pas par la mise en œuvre d’une mesure de protection judiciaire.

L’amendement vise également, dans les cas où une mesure d’habilitation familiale a été ordonnée, à permettre à toute personne intéressée de saisir le juge des tutelles en cas de difficulté. Je rappelle que l’habilitation familiale, qui est une mesure consensuelle, ne doit pas faire oublier que des difficultés peuvent survenir. Il est donc important d’étendre le droit de recours à toute personne intéressée, au-delà de l’entourage, car cela revient à améliorer la surveillance générale du juge des tutelles sur les mesures de protection qui sont de son ressort.

Ces mesures participent à la prise en compte de la volonté des majeurs protégés – on en revient au sujet que nous avons abordé tout à l’heure – et à la nécessaire promotion des mesures conventionnelles ou consensuelles qui assurent la protection effective des majeurs les plus vulnérables.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Avis favorable à cet amendement qui conforte la volonté de la personne protégée.

La Commission adopte l’amendement.

Elle est ensuite saisie de l’amendement CL76 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Danièle Obono. Par cet amendement, nous souhaitons interpeller le Gouvernement sur la réforme de la tutelle et de la curatelle qu’il entreprend. En effet, nous entendons garantir que cette réforme ne se fasse pas au détriment des droits des personnes sous curatelle ou sous tutelle, qui sont par définition en situation de vulnérabilité particulière.

Les tutelles et curatelles sont des mesures de protection judiciaire. L’habilitation familiale, créée en 2015, permet à un proche du majeur concerné hors d’état de manifester sa volonté de le représenter pour la réalisation d’actes relatifs à ses biens ou à sa personne. Le dispositif nécessite un accord familial. Or l’habilitation familiale implique un contrôle plus distant du juge et peut donc, de notre point de vue, induire des risques pour la personne vulnérable. Cela est d’autant plus vrai que le dispositif a aussi permis de facto à la justice de se décharger du suivi de ces personnes.

L’habilitation peut se voir fixer une durée maximale de dix ans. Une telle durée, sans qu’intervienne le contrôle d’un juge, nous pose problème. D’ailleurs, la disposition a été créée en 2015 par voie d’ordonnance, c’est-à-dire sans réelle étude d’impact.

Tout cela s’inscrit, en outre, dans un contexte de déjudiciarisation de la protection des majeurs. Cette procédure, nécessaire pour la protection des majeurs vulnérables, implique une mobilisation importante de moyens financiers. Or un processus d’externalisation a été enclenché avec le mandat de protection future et l’habilitation familiale. Ces dispositions sont problématiques : nous considérons qu’en l’absence de décision d’un juge, les droits fondamentaux de la personne protégée ne sont pas respectés. Cet amendement vise donc à garantir l’intervention d’un juge et, ce faisant, à rendre la protection effective, contrairement à la disposition visée qui, selon nous, la mettrait à mal.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Le dispositif que vous évoquez est assez récent : cela fait seulement deux ans qu’il a été mis en œuvre. Nous n’avons pas encore suffisamment de recul sur ces mesures. Avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Avis défavorable également. Je rappelle que la durée maximale de l’habilitation générale est conforme aux durées prévues pour les mesures de tutelle. Certes, le contrôle du juge n’est pas systématique dans le cas de l’habilitation familiale, mais la mesure ne peut être mise en œuvre qu’en cas de consensus familial. Cela signifie qu’il ne doit pas y avoir de conflit – ce que vérifie le juge au moment où la demande est formulée. Le Gouvernement a néanmoins proposé, par voie d’amendement, d’élargir le droit d’alerte à toute personne intéressée. Cela paraît garantir l’objectif de protection, qui est poursuivi à travers le présent amendement, étant ici rappelé que, lorsque le consensus familial n’existe plus, les proches peuvent déjà saisir le juge pour qu’il soit mis fin à l’habilitation.

La Commission rejette l’amendement.

Elle adopte ensuite l’article 16 modifié.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Mes chers collègues, nous en avons terminé pour ce soir. Je vous propose que nous nous retrouvions demain à neuf heures trente. Conformément à la décision que nous avons prise en consultant tous les groupes, nous n’interromprons pas nos travaux pour l’examen en séance de la mission « Relations avec les collectivités territoriales », ce qui nous permettra de nous réunir également l’après-midi et le soir. Une convocation rectificative va vous être adressée.

5.   Première réunion du jeudi 8 novembre 2018 à 9 heures 30 (article 17 à après l’article 25 quater)

Lien vidéo :

http://www.assemblee-nationale.tv/video.6909349_5be3f32262eca.commission-des-lois--projets-de-loi-de-programmation-2018-2022-et-de-reforme-pour-la-justice-suite-8-novembre-2018

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Je vous propose de reprendre nos travaux là où nous les avons laissés hier soir, c’est-à-dire à l’article 17 du projet de loi de programmation.

Article 17
(art. 486, 503, 511 à 513, 513-1 [nouveau] et 514 du code civil)
Réforme des modalités d’inventaire et de contrôle des comptes de gestion des personnes protégées

La Commission examine l’amendement CL751 de M. Jean Terlier.

Mme Caroline Abadie. L’ouverture d’une demande de protection doit entraîner l’établissement d’un inventaire des biens de la personne majeure protégée. L’inventaire effectué par la personne en charge de la mesure suppose de faire le tour complet de la situation, ce qui peut durer plusieurs mois. Si l’inventaire des biens est assez rapide pour ce qui est des biens meubles et corporels de la personne protégée, le tuteur rencontre souvent plus de difficulté à établir un inventaire complet de tout le patrimoine. Le Sénat partage cette préoccupation, puisqu’il a proposé un amendement instituant une possibilité pour le tuteur de demander une dérogation au juge. Il nous semble, au groupe La République en Marche, que si l’objectif est louable, le dispositif paraît « chronophage » – du côté du juge comme du tuteur – et pourrait conduire à produire davantage de paperasse, donc à complexifier la tâche des tuteurs.

En nous inspirant de la préconisation n° 54 du rapport de Mme Caron-Déglise, nous proposons de prévoir deux inventaires distincts. Le premier serait remis sous trois mois, pour les biens meubles et corporels situés à la résidence de la personne protégée – donc très aisément accessibles. Le second serait établi sous six mois, pour tous les autres biens. Ces deux inventaires seraient soumis, selon nous, à la même sanction, en l’occurrence celle qu’instaure l’article 17 : faire appel, aux frais du tuteur, à un tiers expert pour établir l’un ou l’autre de ces deux inventaires.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. J’émets un avis favorable sur ce dispositif qui résulte des propositions de Mme Caron Déglise et répond à la préoccupation, lorsqu’un inventaire est effectué par le tuteur, de disposer d’un délai différent s’il s’agit des biens meubles corporels – pour lesquels il n’y a pas tant de difficulté – ou des autres biens, lesquels requièrent parfois plus d’investigations.

Concernant la proposition du Sénat, qui visait à obtenir un délai supplémentaire, j’avais initialement envisagé d’améliorer la rédaction proposée. Je n’ai toutefois pas déposé mon amendement, afin de voir comment mieux l’articuler avec le dispositif que vous proposez, mais aussi pour disposer du temps nécessaire pour voir si ce dispositif répond entièrement à votre proposition – celle du Sénat devenant, le cas échéant, obsolète.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je suis tout à fait d’accord sur le fond, mais je sollicite le retrait de l’amendement dans la mesure où nous reprenons ses dispositions dans l’amendement global que je proposerai dans quelques instants.

Mme Caroline Abadie. L’essentiel étant que la mesure soit adoptée, peu nous importe qu’elle le soit par un amendement de notre groupe ou du Gouvernement.

L’amendement est retiré.

La Commission examine l’amendement CL959 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Il s’agit de vous proposer de rétablir la rédaction telle qu’elle avait été initialement proposée, en prenant toutefois en compte ce qui vient d’être demandé par Mme Abadie pour organiser un nouveau dispositif de contrôle des comptes de gestion des majeurs protégés sans intervention des directeurs des services de greffe judiciaires.

La nouvelle rédaction de l’article 503 du code civil répond à l’objectif d’assurer à bref délai l’inventaire des biens du majeur protégé, en limitant la possibilité pour le juge de désigner dès l’ouverture de la mesure un commissaire-priseur judiciaire au seul inventaire des biens meubles et des biens précieux qui, par essence, sont volatils, lorsque les éléments qui lui sont soumis le justifient.

Concernant la vérification des comptes de gestion du majeur protégé, le contrôle interne en cas de désignation de plusieurs personnes pour exercer la mesure est rétabli, aucune raison ne justifiant de soupçonner a priori les familles d’un risque de collusion.

Par ailleurs, il est important de prévoir un contrôle des comptes effectif – c’est bien ce que nous avons voulu faire – par un professionnel qualifié pour tous les majeurs, à défaut de contrôle interne et dès lors qu’ils ont un patrimoine qui le justifie. Le juge pourra, en tout état de cause, moduler la fréquence du contrôle pour qu’il ne constitue pas une charge démesurée pour le majeur protégé.

Il est également proposé de maintenir les modalités de transmission des comptes au juge dans un article distinct, pour une lecture plus facile du nouveau dispositif.

Enfin, dans un souci de meilleure lisibilité et d’intelligibilité des règles régissant le contrôle des comptes de gestion, il est proposé de dissocier le régime applicable aux mineurs sous tutelle par un nouvel article 511 autonome, au lieu de procéder par renvoi à d’autres dispositions applicables à ceux-ci dans le cadre de l’administration légale.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. J’émets un avis favorable.

M. Sébastien Jumel. Quel sera le coût engendré par ce nouveau dispositif ?

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Il n’y aura pas de coût pour les tout petits patrimoines. Pour prendre cet exemple, il s’agira simplement de payer l’établissement hospitalier pour les personnes âgées dépendantes (EHPAD) avec les ressources de la personne protégée. Pour les patrimoines les plus importants, le coût sera celui du professionnel qui interviendra pour effectuer la gestion des comptes.

Mme Cécile Untermaier. Je salue cette proposition. J’envisageais d’ailleurs de déposer un amendement de cette nature dans l’hémicycle, mais je n’ai pas eu le temps de le rédiger. Je vous remercie d’avoir fait le travail pour moi ! Il est effectivement nécessaire que le commissaire-priseur judiciaire entre dans la boucle pour les gros patrimoines. Nombre de problèmes se posent à ce sujet pour les majeurs protégés.

Les tarifs réglementés s’appliqueront en fonction de l’importance du patrimoine. Cela ne concernera donc que les gros patrimoines. Je crois que cette disposition répond vraiment à la nécessité de protection des majeurs protégés.

La Commission adopte l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL1057 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Il s’agit également de rétablir le texte initial de l’article.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. J’émets un avis favorable.

M. Antoine Savignat. Pourquoi, alors que le professionnel qualifié de l’amendement précédent est le commissaire-priseur, ce qui paraît tout à fait logique, n’apparaît-il pas dans le présent amendement ? Il offre pourtant toutes les garanties pour procéder à cette mesure d’inventaire. Il est assez étrange, alors que l’on peut disposer des services de cet officier ministériel, que l’on n’y ait pas recours dans le cadre de cet amendement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Nous pouvons y réfléchir d’ici à la séance.

M. Antoine Savignat. Cette incohérence réapparaît dans l’amendement suivant. On lit tantôt « commissaire-priseur », tantôt « professionnel qualifié » et tantôt « personne compétente ». Il serait préférable d’uniformiser la rédaction.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Nous relirons le texte pour qu’il soit cohérent. Merci, monsieur le député, d’avoir soulevé cette question.

La Commission adopte l’amendement.

Elle examine ensuite les amendements CL1058, CL1059, CL1060, CL1061, CL1062 et CL1063 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Il s’agit, là encore, du rétablissement du texte initial.

Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la Commission adopte successivement les amendements.

Elle adopte ensuite l’article 17 modifié.

Article 18
(art. 373-2, 373-2-6 et 373-2-10 du code civil)
Renforcement de l’exécution des décisions du juge aux affaires familiales en matière d’autorité parentale

La Commission est saisie de l’amendement CL78 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis. Par cet amendement, nous proposons, à l’instar de nombreux professionnels concernés, de ne pas donner la possibilité au procureur de requérir la force publique pour exécuter une décision du juge aux affaires familiales (JAF), puisqu’il est dans l’intérêt supérieur de l’enfant que ce soit par la médiation et par l’absence de recours à la force brute que de tels conflits puissent se régler.

En effet, cet article, qui comporte par ailleurs une succession de mesures permettant de faire appliquer les décisions du JAF par la médiation et des sanctions progressives, de donner le pouvoir au procureur de requérir directement le concours de la force publique pour faire exécuter une décision du JAF ou une convention de divorce par consentement mutuel.

L’extension généralisée du recours à la force publique dans une matière aussi sensible est particulièrement problématique. Il faut donner le temps à la médiation du conflit, que celle-ci passe par la discussion, par la négociation, par l’incitation ou par la condamnation à des amendes.

Le Sénat a maintenu cette possibilité, mais en y ajoutant une étape supplémentaire – celle de démarches effectuées par un officier de police judiciaire (OPJ) pour faire pression sur le parent récalcitrant. Une nouvelle fois, cela relève d’une même logique délétère. Au contraire, il faut donner les moyens aux juges et aux policiers de garantir une résolution pacifique de ce type de conflits !

Mme Laetitia Avia, rapporteure. J’émets un avis défavorable. Je rappelle qu’il s’agit de mesures prises à titre exceptionnel, comme il sera précisé par l’amendement suivant du Gouvernement, et qui permettent le recours à la force publique lorsque cela s’avère extrêmement nécessaire – notamment dans le cadre de procédures qui pourraient être qualifiées d’enlèvement d’enfants. Il s’agit donc de moyens donnés pour réagir de façon plus effective à des situations qui nécessitent une grande réactivité.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je comprends votre préoccupation, monsieur le député, mais dans l’article tel que nous l’avons écrit, il n’y a pas d’extension généralisée ni de systématisation du recours à la force publique. Je suis très claire, le recours dans les cas que vous évoquez doit être exceptionnel, et j’ai d’ailleurs déposé amendement en ce sens. Tout le texte et le sens de l’article tendent à développer une pluralité de voix avant d’aboutir au recours à la force publique.

L’amendement du Gouvernement propose, malgré tout, une extension des hypothèses dans lesquelles ce recours à la force publique pourra être sollicité. Il pourra ainsi l’être dans des situations à caractère international, que je vois trop fréquemment là où je suis placée. Il n’y a évidemment pas de raison pour que nos concitoyens aient des garanties moindres selon que leur famille vit sur le territoire national ou qu’une partie est sur le territoire national et l’autre à l’étranger. Quelle que soit la distance, la détresse est la même, et il faut que nous ayons les moyens d’y remédier. Lorsque l’enfant est soumis à la force illégitime de l’un de ses parents, nos concitoyens ne pourraient pas comprendre que l’on ne puisse pas faire intervenir la force publique pour assurer l’exécution d’une décision de justice.

Par ailleurs, vous m’interrogez sur le point de savoir pourquoi l’on confierait au procureur de la République le pouvoir de requérir la force publique. C’est déjà lui qui détient ce pouvoir – y compris dans les cas que vous citez. On le lui a confié parce que ses autres attributions lui permettent déjà de savoir qu’une femme est victime de violences de la part du père de ses enfants et que, dans ce cas, elle peut être réticente à les lui remettre. Il me semble que c’est au procureur de savoir quel est l’usage adéquat de la force publique. Je rappelle aussi que c’est lui qui est au cœur du dispositif judiciaire de la protection de l’enfance, et qu’il peut, à droit constant, saisir le juge des enfants d’une situation de danger. Aussi me semble-t-il que son rôle constitue une garantie que l’intérêt de l’enfant sera pris en compte.

M. Ugo Bernalicis. Pourquoi ne pas circonscrire cette proposition aux seuls enfants qui seraient dans des familles à l’étranger, même si, en cas d’enlèvement international d’enfant, l’article 1209-10 du code civil est applicable ? Chaque fois que l’on étend des dispositions à titre exceptionnel, elles finissent par se généraliser dans les cinq à dix ans suivants, parfois beaucoup plus tôt. C’est d’ailleurs ce que l’on verra dans la suite de ce texte : des mesures qui étaient prises à titre exceptionnel, notamment pour les techniques spéciales d’enquête, ont fini par se généraliser.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL960 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Ainsi que je viens de vous l’indiquer, il me semble important de faire en sorte qu’une décision de justice soit réellement appliquée. On ne peut pas accepter qu’elle demeure sans effet du simple fait que celui qui doit la respecter s’y refuse. Je vous ai décrit le dispositif envisagé pour remédier à ces situations, mais comme je ne souhaite pas – et je réponds là aux propos de M. Bernalicis – mêler trop vite la police à ces situations délicates qui relèvent de la sphère familiale, l’exigence d’une démarche préalable d’un OPJ ne m’apparaît pas opportune. J’ai toujours dit que le recours à l’exécution forcée devait intervenir en dernier recours, lorsque les autres voies ont échoué. Je propose de l’inscrire plus clairement dans le texte proposé, en indiquant que le procureur de la République ne pourra solliciter l’exécution forcée qu’à titre exceptionnel.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. J’émets un avis favorable à cette rédaction qui permet l’effectivité complète de la mesure. La proposition du Sénat entraînait une contrainte procédurale supplémentaire qui n’a pas nécessairement lieu d’être.

La Commission adopte l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CL549 de Mme Marietta Karamanli.

Mme Cécile Untermaier. L’article 18 propose que le procureur de la République puisse requérir directement le concours de la force publique pour faire exécuter une décision du juge des affaires familiales ou une convention de divorce. Il est possible, en effet, de s’interroger sur les effets de l’intervention des forces de police – on l’a déjà dit – et sur la pérennité de la mise en œuvre de la mesure dans le temps. Le recours à des médiateurs, à des points-rencontre, à des associations de soutien à la parentalité constitue une méthode adaptée et respectueuse de l’intérêt de l’enfant. Néanmoins, les moyens dédiés à ces procédures restent en deçà des besoins. Les dispositifs légaux mis en place pour satisfaire l’exécution d’une décision doivent respecter les principes de nécessité et de proportionnalité, notamment au regard de l’intérêt de l’enfant.

Nous proposons donc une méthode fondée sur une mise en œuvre progressive des pouvoirs du procureur et aux effets plus durables.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Je ne suis pas certaine de comprendre la portée de cet amendement. Je comprends qu’il prévoit l’intervention du juge des enfants sur saisine du procureur de la République, mais les champs d’intervention des JAF et des juges des enfants ne se recoupent pas. J’émets donc un avis défavorable – mais, encore une fois, je ne suis pas certaine de comprendre la portée de votre amendement.

Mme Cécile Untermaier. Je retire l’amendement, qui visait simplement à dire que le juge doit intervenir avant le procureur.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. C’est le cas. En réalité, c’est bien la décision du JAF que le procureur vient exécuter avec le concours de la force publique. Il me semble donc que votre proposition est déjà satisfaite.

Mme Cécile Untermaier. Pas vraiment, madame la ministre, puisque l’on parle ici de l’exécution de la décision. Généralement, quand on vient nous voir dans nos permanences pour nous dire qu’un jugement n’est pas exécuté, nous n’écrivons pas au procureur mais au président du tribunal – ou, le cas échéant, directement au juge, avec un certain nombre de précautions. N’est-ce pas celui qui a pris la décision qui doit avoir un droit de regard sur son exécution ? Ne faut-il pas imaginer qu’à un moment ou un autre, le procureur soit au moins dans l’obligation d’aviser de cette mesure le juge qui a pris la décision ? En tant que juge ayant pris une décision, je serais quand même un peu surprise de voir le procureur prendre sans m’en aviser des mesures relatives à l’exécution d’un jugement que j’aurais moi-même rendu.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Ce serait en application du jugement.

L’amendement est retiré.

La Commission adopte l’article 18 modifié.

Après l’article 18

La Commission est saisie de l’amendement CL17 de Mme Danièle Obono.

M. Ugo Bernalicis. Par cet amendement d’appel, nous proposons que les médiations familiales qui permettent un règlement plus apaisé, conforme à l’intérêt supérieur de l’enfant et à la bonne résolution des conflits familiaux, soient gratuites.

Dans un esprit constructif, nous proposons ainsi l’expérimentation d’un tel dispositif pour une durée maximale de trois ans – vous connaissez le procédé habituel pour contourner l’article 40 de la Constitution. Cela permettra notamment d’apprécier l’efficacité d’un renforcement de la possibilité financière d’accéder à ce type de mesures de justice « horizontale » – et non verticale comme peut l’être le recours à un juge.

Le caractère pacificateur de ces médiations sur la résolution apaisée du litige et dans l’intérêt supérieur de l’enfant doit ainsi pouvoir être évalué pour envisager une éventuelle généralisation ultérieure.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Je tiens à rappeler que le financement des dispositifs de médiation familiale est aujourd’hui pris en charge à 75 % par les caisses d’allocations familiales (CAF). Les familles qui y ont recours payent les prestations de médiation selon un barème relatif à leurs revenus. Le tarif s’échelonne de 2 à 131 euros en fonction du niveau de ressources des participants. Lorsque la médiation est ordonnée par le juge, l’État peut également prendre en charge, en fonction des niveaux de ressources, tout ou partie des frais engagés via l’aide juridictionnelle. Il me semble que ce cadre permet d’assurer les bonnes conditions de la mise en œuvre de la médiation et de satisfaire votre amendement. J’émets donc un avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Même avis.

M. Ugo Bernalicis. Vous dites que ce n’est pas trop cher, puisque pris en charge à 75 % – et même, dans certains cas, gratuit. Mais le reste est régi par un barème en fonction des revenus. Ce n’est donc pas gratuit. Je suis pour la gratuité dans l’absolu, car elle permet l’égalité entre les citoyens. Vous dites que le financement est pris en charge à 75 %. Pourquoi ne pas aller jusqu’à 100 % ? Le pas à franchir n’est pas si grand que cela.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. La gratuite est déjà garantie pour les revenus les plus modestes. C’est la raison pour laquelle mon avis est défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL15 de Mme Danièle Obono.

M. Ugo Bernalicis. Par cet amendement d’appel, nous souhaitons expérimenter une nouvelle garantie, à savoir que dans une matière aussi sensible que les affaires familiales, les jugements soient rendus dans des délais non excessifs, et que tout dépassement au-delà d’une durée de douze mois entre la saisine du juge et la notification du jugement engage la responsabilité de l’État. En effet, depuis quelques années, le manque de moyens et une inégalité territoriale manifeste ont engendré des délais intolérables pour les justiciables qui ont saisi le juge aux affaires familiales. En réalité, cet amendement obligerait l’État à une obligation de résultat, donc à dédier les moyens suffisants.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Je ne pense pas qu’il soit opportun de graver un délai tel que celui-là dans le marbre de la loi. En revanche, l’objectif est partagé : c’est même la raison d’être du dispositif.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Même avis.

La Commission rejette l’amendement.

Article 18 bis
(art. 373-2-9-1 [nouveau] du code civil)
Attribution du logement par le juge aux affaires familiales en cas de séparation de parents non mariés

La Commission est saisie de l’amendement CL964 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Lorsque des parents non mariés se séparent et ne parviennent pas à se mettre d’accord pour savoir qui reste au domicile familial, le JAF ne peut pas statuer sur cette question. En effet, contrairement aux séparations entre époux, son rôle est limité aux décisions concernant les enfants. Cela peut aboutir au maintien d’une cohabitation forcée, susceptible d’envenimer la relation parentale et d’aggraver les conflits.

Le Sénat a souhaité remédier à cette situation en prévoyant que le JAF puisse, en présence d’enfants mineurs, déterminer celui des deux parents qui continuera à résider dans le logement. Je m’en félicite, mais il m’apparaît utile de simplifier le texte voté afin de couvrir toutes les situations juridiques susceptibles d’exister en matière de logement.

Par ailleurs, il convient de rappeler que le JAF n’a pas vocation à statuer sur une indemnité d’occupation, mais qu’il peut, comme pour les couples mariés, constater l’accord des parties.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Avis favorable à cet amendement qui permet de combler un vide juridique.

M. Antoine Savignat. Nous ne voterons évidemment pas cet amendement. À mon sens, la modification de l’alinéa 2, c’est-à-dire la suppression de la phrase « dès lors que ce logement est détenu en indivision par les parents », est une atteinte au droit de propriété. C’est même une atteinte absolue, puisque l’on pourrait ainsi évincer de sa propriété le propriétaire d’un immeuble. J’entends bien qu’il s’agit d’une mesure protectrice, mais il en existe d’autres : le JAF peut très bien, lorsqu’il chiffre la contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants, chiffrer également le coût du relogement des enfants.

Porter atteinte, dans ce type de dispositif, à un droit absolu tel que le droit de propriété me paraît de nature à créer une difficulté constitutionnelle.

M. Philippe Latombe. C’est très clairement une belle avancée, qu’il faut saluer, de même qu’il faut saluer cette rédaction qui couvre l’ensemble des champs possibles. Je ne suis pas d’accord avec mon collègue lorsqu’il parle d’atteinte à la propriété. Des indemnités sont prévues, et il s’agit de l’intérêt supérieur des enfants et de la famille. Nous devons aller jusqu’au bout de la démarche et couvrir l’ensemble des possibles, même quand le logement est détenu en intégralité par l’un des deux parents. Je voterai cet amendement.

M. Stéphane Mazars. Je salue cette mesure, qui était attendue par les professionnels et sera très utile en matière de contentieux devant le JAF en cas de séparation de couples non mariés. Je tiens à préciser qu’il n’y a là aucune atteinte au droit de propriété, puisque c’est la jouissance du bien commun qui est attribuée à l’un ou l’autre des concubins qui se séparent. La même mesure s’applique aux couples mariés propriétaires d’un bien en communauté et qui, dans le cadre de l’ordonnance de non-conciliation aujourd’hui, et demain d’une ordonnance prise par le juge de la mise en état, verraient la jouissance du domicile attribuée à l’un ou l’autre des époux, moyennant le versement d’une indemnité d’occupation au moment où est réglé le sort du bien commun, qu’il soit en indivision ou en communauté.

Mme Maina Sage. Je voudrais également soutenir cet amendement, en rappelant qu’il porte sur une disposition provisoire d’une durée maximale de six mois et que, si le bien n’est pas en indivision, ce délai ne peut être prorogé. Nous soutiendrons cette mesure qui comble un vide juridique.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article 18 bis modifié.

Après l’article 18 bis

La Commission est saisie de l’amendement CL496 de M. Philippe Latombe.

M. Philippe Latombe. Cet amendement est suivi de trois autres qui s’inscrivent dans une même logique. Il vise à éviter que, lorsqu’un des deux parents n’exerce pas son droit de visite et d’hébergement, il ne puisse pas s’opposer de façon permanente, par le silence ou par une réponse négative, aux sollicitations de l’autre parent chez lequel réside habituellement l’enfant. Avec la mesure que nous proposons, le juge ne serait plus saisi à chacun des événements donnant lieu à une absence de réponse ou à une réponse négative, comme c’est le cas aujourd’hui lorsque les dossiers s’enveniment. On considérerait plutôt que le parent qui ne se soumet pas à l’exercice régulier du droit de visite et d’hébergement commet un acte de délaissement d’enfant mineur. Après une procédure contradictoire susceptible d’appel, le juge pourrait lui retirer l’autorité parentale, ce qui permettrait d’éviter des conflits ultérieurs.

Cette mesure mérite d’être éclairée à la lumière du genre : de nombreux pères n’exercent plus leur droit de visite et d’hébergement, et s’opposent systématiquement, par principe, aux demandes des mères relatives, entre autres exemples, à l’inscription de l’enfant à des activités sportives ou dans des écoles. Il en résulte une impossibilité pour les mères, sauf à saisir le juge, de dispenser une éducation à leur enfant de façon fluide.

La mesure que je propose serait soumise au contrôle du juge, et contradictoire. Elle rappellerait que les parents ne sont pas seulement soumis à des droits, mais aussi à des devoirs.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Je comprends le sens de votre amendement, cher collègue, mais il me semble que le principal enjeu est d’assurer, dans les meilleurs délais et conditions possibles, l’effectivité des décisions des juges aux affaires familiales. Les amendements que nous avons votés à l’article 18 répondent en partie à cette préoccupation, grâce à un panel d’outils et à un degré de contrainte croissant, notamment sur le plan financier, à l’encontre d’un parent qui ne remplit pas ses obligations, au détriment de l’intérêt de l’enfant ou de l’autre parent. Je vous propose donc de retirer cet amendement. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je vous remercie, monsieur Latombe, pour votre investissement dans ces sujets. Néanmoins, avant de répondre point par point à chacun de vos amendements, je souhaite souligner que vos propositions ne relèvent pas véritablement du présent texte. Elles pourraient certes s’y rattacher, mais je rappelle qu’il s’agit d’une loi de procédure, non de fond. Les dispositions que vous proposez sur la famille et sur la gestion des difficultés pouvant s’y présenter me sembleraient relever davantage d’un texte qui serait consacré, précisément, à la famille. Je souhaiterais donc que vous retiriez ces amendements, non que j’en méconnaisse l’intérêt, mais parce qu’ils ne semblent pas entrer dans le champ de la loi tel que nous l’avons envisagé.

M. Philippe Latombe. J’entends vos propos, madame la ministre, mais ne les partage pas. L’un des amendements que je soutiens a trait exclusivement à la procédure. Il prévoit des délais et précise la forme de la saisine du juge. Votre argumentation ne me semble donc pas valoir pour l’ensemble de mes quatre amendements, dont le suivant vise simplement à éviter que des conflits ne s’enlisent dans le temps et dans des procédures judiciaires.

J’ajoute, madame la rapporteure, que la question qui se pose ici n’est pas seulement financière. Nous parlons de sujets pour lesquels le juge pourrait se passer de l’accord de l’autre parent dès lors que celui-ci adopte une attitude de refus systématique. Il en va par exemple de l’inscription d’un enfant dans une école, ou encore de la programmation d’opérations chirurgicales non urgentes pour lesquelles la signature des deux parents est requise – autant de sujets qui ne relèvent aucunement du cadre financier. L’opposition systématique du parent qui n’exerce pas son droit de visite et d’hébergement pose un problème d’engorgement et mobilise les JAF sur un petit nombre de dossiers.

Par ailleurs, je pourrais comprendre que vous considériez que la double domiciliation n’est pas rattachée au texte de loi que vous portez. Cette question a cependant un impact concret pour l’Éducation nationale.

Une fois encore, cet amendement a une portée concrète et procédurale. Il prévoit que le juge puisse prendre une mesure définitive pour éviter des conflits successifs, entraînant une judiciarisation excessive.

Pour toutes ces raisons, je ne retirerai pas cet amendement ni les suivants.

M. Jean Terlier. Notre groupe manifeste une franche opposition, sur le fond, à cet amendement. Dans le dispositif, monsieur Latombe, vous indiquez que « le parent qui n’exerce pas son autorité parentale et, notamment, l’exercice régulier de son droit de visite et d’hébergement, ou qui n’entretient pas de relations suivies avec son enfant mineur, et ce sans justifier de raison sérieuse, commet un acte de délaissement d’enfant mineur et peut se voir privé de l’exercice de l’autorité parentale ». Il s’agit là d’un mécanisme très dur et violent, par lequel un parent qui ne remplirait pas ses obligations pour une raison propre, liée à un épisode de sa vie, se verrait retirer l’autorité parentale. Je vous rappelle que le retrait de l’autorité parentale ne peut être prononcé que dans des situations très graves, préjudiciables à l’enfant. Il nous semblerait démesuré que le simple fait de ne pas exercer régulièrement son droit de visite et d’hébergement ait des conséquences aussi graves.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Monsieur le député, je maintiens mes propos selon lesquels les points que vous soulevez portent bel et bien sur le fond. Vous évoquez en effet les questions de l’autorité parentale et de l’inscription à l’école, qui sont essentielles mais se situent en dehors du champ d’application du texte.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL495 de M. Philippe Latombe.

M. Philippe Latombe. Le présent amendement porte uniquement sur la procédure. Il consiste à modifier, dans la première phrase du troisième alinéa de l’article 373-2 du code civil, les mots « et en temps utile » par la mention « d’au moins trois mois ». Dans la phrase suivante, après le mot « statue » seraient insérés les mots « en référé ».

Lorsqu’un des deux parents souhaite changer de domicile et s’éloigner d’une distance telle qu’elle modifie l’exercice de l’autorité parentale, il importe qu’un délai de prévenance permette d’engager des mesures de médiation et de discussion sur les adaptations à apporter à l’exercice de cette autorité. En cas de désaccord, le juge doit pouvoir statuer rapidement – d’où la notion de référé. En effet, la situation de fait contraint le juge dans sa décision. Il s’agit donc d’une mesure touchant non pas au fond mais à la procédure, en ce qu’elle introduit un délai et une modalité de jugement. Cette précision des règles devrait contribuer à pacifier les conflits. Aujourd’hui, peut-être la mention « et en temps utile » revêt-elle une définition jurisprudentielle qui la fait correspondre, aux yeux des avocats, à une période d’environ trois mois. Elle relève néanmoins de l’interprétation du juge. Il est préférable qu’une règle claire s’applique sur l’ensemble du territoire. Je précise que les situations où se présenteraient des formes de violence ne sont pas ici concernées, puisqu’elles sont exclues de l’article 373-2 du code civil.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. J’émettrai un avis défavorable. Au-delà d’une difficulté de lecture, qui tient peut-être à une question de syntaxe, l’article 373-2 du code civil accorde une certaine souplesse et permet de s’adapter à différentes situations. Le délai de trois mois que vous envisagez, monsieur Latombe, peut être extrêmement long dans certaines situations. La rédaction actuelle, qui ne fixe pas de délai et permet de s’adapter aux situations réelles, me semble plus pertinente.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Une fois encore, il me semble que nous nous engageons ici dans un débat de fond. Les quatre amendements que vous déposez, monsieur le député, forment un tout et soulèvent des questions sur lesquelles nous pourrions travailler et avancer ensemble. Or, tel n’est pas l’objet du projet de loi.

M. Philippe Latombe. Nous essayons, dans ce texte, de proposer des mesures alternatives et de provoquer des solutions pacifiées, faisant appel à la médiation. De ce point de vue, il est important de laisser du temps aux parties. Je comprends que certaines situations puissent mériter un délai inférieur à trois mois. Nous pouvons alors prévoir un mécanisme permettant de saisir le juge pour des raisons d’urgence. En revanche, lorsqu’un des parents s’éloigne en raison d’une mutation ou pour des raisons familiales, il faut laisser le temps de trouver des adaptations. Un délai de trois mois ne me paraît pas exorbitant ; nous pourrions toutefois en discuter. L’objectif est de poser des règles pour éviter que les situations ne se surjudiciarisent.

Madame la ministre, je serais heureux que la perspective que vous évoquez se présente, et que nous puissions intégrer l’ensemble des éléments que je porte dans un texte. Aujourd’hui, malheureusement, cette perspective ne se dessine pas. Nous assistons à un engorgement très important des affaires portées devant les juges des affaires familiales, en raison de la surjudiciarisation de certains conflits. À Nantes par exemple, cas emblématique, la durée d’accès au juge dépasse douze ou dix-huit mois. Dans des situations où l’un des parents déménage et s’éloigne, il faut pouvoir rendre un jugement beaucoup plus vite. Ces amendements sont une façon d’y contribuer, à un coût modéré et sans nécessiter d’accroître le nombre de juges. Nos propositions visent à trouver des solutions de pacification, de simplification et d’amélioration, à clarifier les règles et à favoriser la tenue de discussions entre les parents. Ces amendements ne résoudront pas tous les problèmes, mais apportent modestement leur pierre. Je ne retirerai donc pas le présent amendement.

M. Stéphane Mazars. Monsieur Latombe, vous évoquez de véritables problèmes qui gâchent la vie des parents qui se séparent, mettent souvent en difficulté les enfants et agacent les praticiens, lesquels doivent gérer des sujets qui dépassent le périmètre du droit : retards lors du retour chez le père, trousseau non restitué le lundi matin, retard de paiement de la pension alimentaire, non-respect du délai de prévenance en cas de déménagement… Toutes ces questions se posent de manière concrète à des milliers de couples séparés, qui continuent ce faisant de régler leurs comptes.

Je ne crois pas que le présent projet de loi soit le véhicule législatif adapté pour traiter les problèmes importants que vous soulevez. Je pense en revanche que nombre de ces problèmes peuvent se résoudre par la médiation. Notre texte consacre justement cette dernière. La médiation peut permettre de pacifier des situations après une séparation. Parfois, cependant, l’intervention d’un juge est nécessaire. Les ajustements que vous préconisez à travers vos amendements méritent d’être intégrés dans une réflexion globale sur les possibilités d’intervention du juge après une médiation qui aurait échoué. Ces sujets méritent une réflexion de fond. Je vous invite à vous rapprocher de notre groupe pour en discuter dans les mois à venir.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL497 de M. Philippe Latombe.

M. Philippe Latombe. Je retire cet amendement. Je concède en effet qu’il s’agit d’un amendement de fond.

L’amendement est retiré.

La Commission examine l’amendement CL494 de M. Philippe Latombe.

M. Philippe Latombe. Cet amendement reprend le texte d’une proposition de loi adoptée l’an dernier par notre Commission, disposant que la résidence de l’enfant est fixée au domicile de chacun des parents. De véritables difficultés se posent aujourd’hui, pour lesquelles l’Education nationale nous a d’ailleurs alertés.

Les enfants ont actuellement une domiciliation unique. Or, pour pouvoir exercer pleinement leur autorité parentale, les deux parents doivent être destinataires des informations concernant leur enfant. Aujourd’hui, le fonctionnement de l’administration, notamment de l’Éducation nationale, ne le permet pas. Le logiciel Affelnet de cette dernière ne considère ainsi qu’un seul domicile pour les formalités d’affectation des enfants. En découlent des problèmes liés à la carte scolaire, ou encore à la transmission des informations scolaires : bulletins, notifications d’absences... Des accès indirects à ces informations sont certes possibles par l’intermédiaire de plateformes nécessitant une connexion volontaire. En revanche, les bulletins de notes ne sont pas transmis directement aux deux parents, par exemple.

Cet amendement vise à considérer que l’enfant est domicilié chez ses deux parents. Cette mesure permettrait d’éviter un certain nombre de conflits liés à une absence de communication entre les parents.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Comme vous l’avez précisé, monsieur Latombe, ces dispositions font l’objet d’une proposition de loi que vous avez déposée, et dont nous avons déjà partiellement – et longuement – débattu. Je vous renvoie donc à cette proposition de loi.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Le Gouvernement a déjà eu l’occasion de s’exprimer sur cette rédaction qui n’impose pas une résidence alternée égalitaire, mais qui consacre un principe symbolique de double domiciliation d’un enfant dont les parents vivent séparés. Je ne suis aucunement opposée à une mesure de ce type, mais elle ne correspond pas à l’objet du texte. Je ne souhaite donc pas qu’elle y soit ajoutée.

Mme Maina Sage. Peut-être pouvons-nous y voir un amendement d’appel. Je rappelle que la proposition de loi déposée par notre collègue a été renvoyée à la commission des Lois, et qu’elle n’a jamais été réexaminée.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Cette proposition a été examinée dans l’hémicycle, mais cet examen ne s’est pas achevé. Dans mon souvenir, il n’y avait pas eu de renvoi en commission. Le MODEM devrait donc réinscrire ce texte dans sa « niche » s’il souhaite que son examen se poursuive.

Mme Maina Sage. Il s’agit bien d’une forme de renvoi en commission – ou, en tout cas, de « renvoi en niche ».

Un couple sur trois se sépare, dont la moitié a des enfants. Un million et demi d’enfants sont donc concernés. Dans bien des cas, la réponse apportée par la justice convient à la plupart des parents. Mais lorsque des conflits se présentent, les pères sont souvent lésés. À terme, 20 % à 25 % des enfants ne voient plus leur père.

J’aimerais profiter de cet amendement, madame la ministre, pour vous demander que nous puissions évoquer ce sujet sur le fond. Une perspective est-elle ouverte en ce sens ? Envisagez-vous de porter un prochain projet de loi sur la famille ? Si les questions que nous soulevons ne sont pas l’objet du présent texte, il faudrait malgré tout que nous puissions y répondre assez rapidement. De nombreux parents sont concernés et attendent des évolutions.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je vous rappelle que le Gouvernement et la Chancellerie avaient exprimé une position favorable à la proposition de loi telle qu’elle avait été déposée.

M. Philippe Latombe. Je ne retirerai pas l’amendement, car cette question de domiciliation a un impact très important sur les conflits parentaux au quotidien. Le texte que nous étudions depuis quelques jours vise à éviter que ces conflits n’éclatent, en les traitant en amont par d’autres mesures. Le partage de l’information permet, dans certains cas, de régler des difficultés avant qu’elles ne s’enveniment. Nous en reparlerons probablement au sujet des majeurs protégés. Aujourd’hui, la domiciliation de l’enfant chez l’un des parents n’assure pas le même niveau d’information des deux parents, et ne leur offre pas la même possibilité d’exercer leur autorité parentale – laquelle est pourtant partagée. Elle génère de surcroît des conflits. J’entends, madame la présidente, que vous me renvoyiez à la proposition de loi et invitiez le MODEM à la réinscrire dans sa niche. Au-delà, ce qui m’intéresse est que nous avancions concrètement vers une pacification des situations familiales. Je n’évoque ici qu’une double domiciliation administrative de l’enfant permettant à chacun des parents d’être destinataire des informations relatives à l’éducation et à la santé de celui-ci. Je n’entre pas ici dans la question de la résidence alternée.

M. François Ruffin. Il est agréable de voir un député habité par son sujet et passionné. Malheureusement, cela se produit trop rarement. Je salue l’effort fourni par M. Latombe pour réintroduire son projet par tout moyen possible. J’espère que cela permettra, à terme, de démontrer que des sujets peuvent être portés par les parlementaires et aboutir effectivement.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL578 de Mme Elodie Jacquier-Laforge.

Mme Élodie Jacquier-Laforge. Cet amendement fait suite à l’appel lancé par une trentaine de personnalités contre la maltraitance familiale, avançant de nombreuses propositions, relatives notamment à la violence de la procédure pénale et au suivi sanitaire des enfants.

Je rappelle que 67 000 viols de mineurs sont recensés chaque année – soit près de vingt par jour –, représentant 44 % des viols commis dans notre pays. La moitié des victimes de viols et d’agressions sexuelles a moins de 12 ans, et seuls 2 % des cas donnent lieu à une condamnation.

Madame la ministre, vous vous êtes déclarée, hier, favorable à l’évaluation globale du système. Par cet amendement, je propose que, dans un délai de six mois à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi, un bilan soit établi de la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant, ainsi que de la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance. Je propose également qu’un rapport d’évaluation sur la protection de l’enfance soit remis au Parlement tous les trois ans. Outre le volet législatif, nos missions recouvrent en effet l’évaluation des politiques publiques. À cet égard, il serait important que nous disposions d’un état des lieux régulier qui nous permette d’évaluer les dispositifs et, le cas échéant, de les adapter ou d’en créer de nouveaux.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Je salue votre proposition, madame Jacquier-Laforge, et vous informe qu’un rapport sur ce sujet a été remis en février 2017 à la précédente ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes, Mme Laurence Rossignol. Par cohérence avec les réponses formulées hier à des demandes de même nature, je vous renvoie à Mme la présidente de la commission des Lois, de sorte que de tels rapports soient confiés à des parlementaires.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Sur le fond, cette politique publique mérite une évaluation et, sans doute, de nouvelles mesures. Un très grand nombre de rapports existent sur ce sujet. L’Observatoire national de la protection de l’enfance – qui s’intitulait, lors de sa création en 2004, Observatoire de l’enfance en danger – a pour mission de présenter chaque année un rapport au Gouvernement et au Parlement. Ce rapport comporte des données chiffrées relatives aux mineurs pris en charge, ainsi qu’une analyse qualitative du dispositif de protection de l’enfance. En outre, le Conseil national de la protection de l’enfance, créé en 2016, représente l’ensemble des acteurs de l’État, des collectivités et du secteur associatif, et compte deux parlementaires parmi ses personnalités qualifiées. Il publie chaque année un rapport rappelant les avis rendus au Gouvernement.

Nous travaillons actuellement avec Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé, à l’élaboration d’une stratégie nationale de protection de l’enfance, qui sera prochainement rendue publique. Nous verrons, dans ce cadre, comment nous pourrions fournir d’autres données susceptibles d’être utiles au Parlement.

En conséquence, j’estime que nous disposons de suffisamment de données partagées et analysées, et qu’il n’est pas nécessaire de leur ajouter un nouveau rapport.

Comme vous le soulignez, madame Jacquier-Laforge, j’ai affirmé hier que j’étais favorable à l’évaluation de nos politiques publiques. Je faisais référence au texte que je porte actuellement et aux dispositions qu’il prévoit. Une telle évaluation a été prévue dans l’article 1er ter qui a été adopté.

M. Erwan Balanant. Cette question de la protection de l’enfance nous semble extrêmement importante. Elle dépasse évidemment le cadre de la famille. C’est un sujet vaste.

En cette journée contre le harcèlement scolaire, envisager de protéger les enfants, c’est aussi s’interroger sur ce type de harcèlement. Toutes les questions relatives à l’enfance maltraitée, aux difficultés que peut rencontrer l’enfant dans le milieu scolaire ou encore aux violences commises par les mineurs et à leur encontre sont liées. Ces sujets sont complètement corrélés. Le grand nombre de rapports illustre peut-être l’impuissance des dispositifs qui existent aujourd’hui dans ce domaine. À cet égard, je pense qu’Élodie Jacquier-Laforge a pleinement raison de continuer à mener une réflexion extrêmement poussée sur ces questions. Des enfants maltraités ne peuvent pas devenir des adultes heureux et, souvent, on le sait, ils deviennent des adultes qui, à un moment donné, maltraitent. Avançons sur ce sujet. Le groupe MODEM – comme tous les autres sans doute – est disposé à travailler avec vous, madame la ministre, ainsi qu’avec Mme Buzyn.

M. Philippe Latombe. Au-delà de ce qui a été dit par mon collègue, ce sont la multiplicité et l’éparpillement des informations qui nous incitent à déposer cet amendement. Le sujet manque de structure et de vision d’ensemble. Nous avons besoin de vous – le travail ne saurait être uniquement parlementaire – car nombre d’informations proviennent du Gouvernement et de différentes sources. Nous avons besoin d’un rapport structuré, qui agrège les informations venant des différents ministères concernés.

La Commission rejette l’amendement.

La séance est suspendue quelques instants.

Chapitre III 
Concilier la publicité des décisions de justice et le droit au respect de la vie privée

Article 19
(art. L. 10, L. 751-1 [nouveau] et L. 751-2 [nouveau] du code de justice administrative, L. 111-11-1 à L. 111-11-4 [nouveaux] et L. 111-13 du code de l’organisation judiciaire, 11-1 à 11-3 de la loi n° 72-626 du 5 juillet 1972 instituant un juge de l’exécution et relative à la réforme de la procédure civile et 8 et 9 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés)
Encadrement et harmonisation des régimes de diffusion des décisions de justice

La Commission adopte l’amendement de cohérence CL910 de la rapporteure.

Elle examine ensuite l’amendement CL911 de la rapporteure.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Le présent amendement propose de déplacer les règles relatives à l’open data des décisions de justice administrative au sein des dispositions liminaires du code de justice administrative, compte tenu de l’importance de ces règles et par parallélisme avec le choix opéré pour le code de l’organisation judiciaire. Ce faisant, elles figureraient dans les principes généraux.

Mme Paula Forteza. Je voudrais soutenir l’amendement de Mme la rapporteure, car le mien, qui vient après, tombera s’il est adopté. Je soutiens l’idée selon laquelle la publicité des décisions de justice doit être considérée comme un principe fondamental et ne doit donc pas être mise de côté, parmi les dispositions techniques.

Je rappelle également que lorsque nous avons traité ce sujet dans le cadre de la loi sur la protection des données personnelles, Mme la garde des Sceaux a précisé que cette question était à la confluence de plusieurs principes fondamentaux de notre droit – la publicité des décisions de justice, la protection des données personnelles, la protection de la vie privée des justiciables. C’est donc bien à ce niveau qu’il faut la traiter et la mettre en œuvre.

M. Philippe Latombe. Je n’ai pas déposé d’amendement, car ceux qui sont proposés vont dans le bon sens. Je soutiens l’open data des décisions de justice, qui est extrêmement important. Nous en avions discuté à propos du règlement général sur la protection des données, comme cela a été rappelé par Mme Forteza à l’instant. C’est ce qui fait que nous sommes une démocratie et que nous avons un système judiciaire dans lequel nous pouvons avoir confiance – même si certains disent en douter de temps en temps. C’est ce système qui nous caractérise. Il est très important. Il faut donc absolument que nous poursuivions dans la voie de l’open data des décisions judiciaires, avec tous les garde-fous que nous avions évoqués – l’anonymisation des noms, notamment –, qui permettent la transparence des décisions de justice.

La Commission adopte l’amendement CL911.

En conséquence, les amendements CL718, CL719, CL721 et CL722 de Mme Paula Forteza tombent.

La Commission adopte l’amendement rédactionnel CL913 de la rapporteure.

Puis elle examine l’amendement CL912 de la rapporteure.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Cet amendement vise à supprimer toute référence à l’authenticité des décisions mises à disposition du public – notion dont la portée juridique va au-delà de ce qui a lieu d’être dans le domaine de l’open data, et qui n’est donc pas pertinente en la matière.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement CL912.

Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements CL914 de la rapporteure et CL720 de Mme Paula Forteza.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Cet amendement vise à organiser les conditions de publicité des informations et des noms relatifs aux personnes mentionnées dans les décisions de justice.

Lorsque l’article 19 a été débattu au Sénat, des conditions que je considère comme inopérantes ont été ajoutées par nos collègues sénateurs pour prévenir « tout risque de ré-identification » et « tout risque, direct ou indirect, d’atteinte à la liberté d’appréciation des magistrats et à l’impartialité des juridictions ». La rédaction proposée par les sénateurs, si elle se veut extrêmement protectrice, est à mon sens inopérante non seulement parce qu’il s’agit d’une réidentification – ce qui conduirait à effacer y compris des faits essentiels à la compréhension de la décision –, mais aussi parce que la notion de « risque d’atteinte à la liberté d’appréciation des magistrats et à l’impartialité des juridictions » me semble présenter des difficultés.

Je vous propose donc une rédaction et un mécanisme qui s’appuient sur la proposition contenue dans l’amendement de Mme Forteza. Il s’agit, tout d’abord, d’occulter pour les personnes physiques mentionnées dans le jugement, lorsqu’elles sont parties ou tiers, les informations précises que sont leurs noms et prénoms. Il s’agit ensuite d’occulter, lorsque le risque existe, les informations qui pourraient porter atteinte à la sécurité ou au respect de la vie privée de ces personnes physiques ainsi que des magistrats ou fonctionnaires de greffe.

Il y aurait donc deux niveaux : l’occultation des noms et prénoms pour les parties et tiers et, lorsqu’il y a un risque d’atteinte à la sécurité ou au respect de la vie privée, l’occultation des autres éléments d’identification de ces personnes, des magistrats et des fonctionnaires de greffe.

Mme Paula Forteza. Je salue le travail de notre rapporteure, qui a essayé de trouver un compromis entre la proposition du Sénat, celle du Gouvernement et la mienne. Je voudrais tout de même préciser les équilibres généraux du dispositif que je propose. Je pense qu’il faudrait pouvoir donner une publicité complète à tous les noms des magistrats et des juges. Ceux-ci, en effet, lorsqu’ils rendent leur jugement, le font au nom du peuple français. Il faut donc pouvoir séparer leur activité professionnelle de leur activité personnelle.

Cet amendement fait suite à une recommandation de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), qui considère que les seules données à occulter sont les noms et prénoms des parties et des témoins.

Nous avons entendu les préoccupations des juges et des magistrats. Je crois que ce qui pose problème n’est pas la publicité des noms, mais la réutilisation qui peut en être faite, par exemple dans le cadre de ranking – classement – ou d’élaboration de profils de juges selon le type de décision qu’ils rendent, avec un risque de forum shopping, démarche par laquelle les justiciables noteraient juges et magistrats. Je propose donc, dans un amendement qui vient plus tard, la publicité complète des noms des magistrats et des juges, mais assortie de l’impossibilité de réutiliser ces données dans des traitements automatisés.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. C’est une réforme importante que celle dont nous discutons là, puisque c’est, d’une part, le basculement dans une nouvelle ère – celle du numérique, avec ce qu’elle signifie en termes de progrès formidable d’accès à la jurisprudence – et, d’autre part, un moyen de rétablir ou de renforcer la confiance que les citoyens peuvent porter à la justice, en assurant un accès partagé et élargi aux décisions de justice.

Évidemment, des interrogations demeurent. Vous les avez dites l’une et l’autre avec des termes différents. Nous voyons bien les avantages de l’open data des décisions de justice, qui sont de la confiance et de la transparence, mais les risques qui peuvent en découler sont également très clairs. Ils résultent notamment des analyses qui seraient faites de ces jurisprudences, d’une forme de justice prédictive, de ce dont parlait Mme Paula Forteza : le forum shopping, ou encore le classement des magistrats, si je puis m’exprimer ainsi – classement qui pourrait emporter des enjeux économiques importants.

De très nombreux travaux ont été effectués sur ce sujet. Le professeur Loïc Cadiet m’a remis un rapport il y a quelques mois. Le Gouvernement a cherché, également grâce à vos apports, un équilibre entre la transparence et la publicité, d’une part, pour les raisons que je disais précédemment, mais aussi la protection des personnes physiques, qu’il s’agisse des parties, des tiers ou des magistrats et des personnels de la justice. L’équilibre a été, je crois, trouvé sur la base de deux principes, qui concerneront des acteurs différents. Pour les acteurs du droit, c’est le principe de la publicité, avec toutefois des exceptions, circonscrites aux risques d’atteintes à la vie privée ou à la sécurité de ces personnes. Dans ce cas, l’anonymisation sera possible. Cela vaut pour les magistrats, pour les greffiers, etc. Pour les parties et pour les tiers, le principe en vigueur sera, au contraire, celui de l’anonymisation. En effet, le souci de protection de la vie privée doit être systématique. Elle cédera lorsque des copies papier seront remises aux personnes concernées, où leur nom pourra apparaître.

Telle est, globalement, l’économie des amendements que vous avez proposés. L’enjeu est pour nous extrêmement important, à la fois en termes de souveraineté – on ne peut pas laisser partir dans l’open data l’ensemble de nos décisions de justice sans réfléchir aux conséquences – et d’attractivité du droit français. C’est parce que nos politiques jurisprudentielles seront connues que l’attractivité du droit français – qui n’est pas un élément mineur – sera renforcée.

J’émets donc un avis favorable à l’amendement CL914.

M. Raphaël Schellenberger. Nous avons, encore une fois, un débat très important, qui traverse, qui plus est, les clivages politiques. C’est la question même de la vision de notre système juridique qui est posée.

Le point d’équilibre proposé est intéressant, mais insuffisamment prudent à mon sens. Je préférerais une démarche d’ouverture progressive – en testant et en relevant pas à pas les risques qui peuvent être encourus. La solution qui consiste à affirmer que la règle est la publicité mais que l’on en interdit l’usage dans un traitement de masse ne me semble pas suffisamment protectrice. Permettre tout en interdisant, c’est en fin de compte permettre techniquement. Or, à partir du moment où les noms sont là, l’informatique rend presque tout techniquement faisable. Permettre que les données soient publiées en interdisant leur traitement ne me semble pas réaliste.

Je partage, intellectuellement parlant, les objectifs d’équilibre de notre système juridique. Il doit y avoir publicité, mais la publicité au moyen d’un document papier que l’on va chercher au greffe n’est pas la même chose que la publicité via une masse de données disponibles pour un traitement. Même s’il s’agit de fichiers que l’on peut imaginer, dans un premier temps, sécurisés, nous savons bien que tout cela ne tient qu’un temps et que l’on trouvera très rapidement de nouvelles techniques informatiques qui permettront leur traitement.

S’agissant de l’anonymisation des parties et des témoins, nous devons également être très prudents. La tentation du passage à un système de name and shame est forte dans notre société. Il ne faudrait pas que, d’une nécessaire publicité de la décision de justice, notre système juridique bascule progressivement vers un modèle à l’anglo-saxonne dont nous ne voulons pas.

M. Philippe Latombe. Ceux qui suivraient nos échanges, le grand public en particulier, pourraient considérer que nous discutons pendant des heures d’un petit sujet. Mais ce sujet est très important, c’est même certainement l’un des plus importants pour les années qui viennent. Nous devons à la fois être transparents et respecter la protection des données, la vie privée des gens, la sécurité des magistrats et des intervenants judiciaires. C’est essentiel. Or nous sommes face à une difficulté qui vient du fait que la technologie évolue beaucoup.

La rédaction proposée par Mme Forteza présente des risques. La technologie évoluant, nous pourrions en effet être dépassés. La rédaction de la rapporteure est plus prudente, plus souple, et se prête à davantage d’évolutions dans les années qui viennent, puisqu’il est écrit : « lorsque la divulgation est de nature à porter atteinte à la sécurité ou au respect de la vie privée, est également occulté tout élément permettant d’identifier les parties ». L’intérêt est de ne pas écrire « le nom », « le prénom » ou « l’adresse », mais « tout élément qui permet d’identifier ». Des profilages dont nous ne connaissons pas les techniques aujourd’hui pourraient en effet se développer dans les années à venir, en permettant par des biais détournés de retrouver les magistrats, de les profiler et de tomber dans ce dont vous avez parlé – et dont, je pense que nous en serons tous d’accord, nous ne voulons absolument pas.

Je soutiens donc la proposition de la rapporteure. Je conçois que Mme Forteza poursuit le même objectif, mais sa rédaction, trop précise, risque de devenir inopérante si les techniques évoluaient dans le temps. Telle est l’inquiétude que l’on peut avoir.

Mme Cécile Untermaier. Il est vrai que c’est une question majeure. Nous avons déjà décidé, en 2015, la publicité des décisions des tribunaux de commerce, mais elle s’avère extrêmement longue à mettre en œuvre. Quel dispositif mettrez-vous en place pour parvenir à cet open data ?

Par ailleurs, quel contrôle envisagez-vous ? Qui contrôlera, en particulier, la circonstance du risque d’atteinte à la sécurité ou à la vie privée ? Qui en décidera ?

Sur le nom des magistrats et le lieu de jugement, il est vrai que la copie papier doit évidemment comporter toutes les informations. Nous en sommes tous d’accord. Mais je crois aussi qu’il faut que nous essayions d’aller au plus loin. Je comprends la crainte qui a été exprimée : sommes-nous en mesure de contrôler à la fois les excès, la réitération, l’utilisation qui pourrait être faite de ces noms ? Si la réponse est non, nous ne pouvons évidemment pas les envisager. C’est plutôt une question technique car, s’agissant de l’objectif lui-même, je ne vois pas au nom de quelle philosophie on devrait ne pas dire que tel magistrat a rendu tel jugement. Les magistrats sont responsables de leur jugement, et la transparence est tout à fait salutaire. Nous sommes encore dans les balbutiements, mais l’orientation proposée par Mme Paula Forteza me paraît tout à fait pertinente.

Enfin, est-il envisagé aussi d’appliquer l’open data aux conclusions des rapporteurs publics devant les juridictions administratives, qui sont une mine de renseignements pour la jurisprudence ?

M. Jean-Michel Mis. Nous devons nous poser la question du droit à l’oubli, qui est reconnu. Nous sommes, pour l’instant, dans une phase intermédiaire, celle de la numérisation de documents papier. Mais dès lors que la technologie aura évolué, nous disposerons de décisions de justice dématérialisées « natives ». Dans cette perspective, nous devons vraiment nous interroger d’un point de vue philosophique sur l’usage qui sera fait des données. L’aspect nominatif des choses doit être pris en compte si l’on ne veut pas qu’un jour, avec la puissance des moteurs de recherche et l’intelligence artificielle, on parvienne à compiler des données sur des durées très excessives au regard de certaines condamnations.

M. Ugo Bernalicis. Il aurait été préférable de tenir une discussion commune avec nos amendements CL79 et CL80, car ils vont probablement tomber, l’adoption du présent amendement modifiant de fond en comble l’alinéa 5. Cela étant, je partage ce qui a été dit par ma collègue Cécile Untermaier sur les enjeux. Nous proposions, pour notre part, de restreindre aux seules personnes physiques la possibilité de ne pas faire apparaître les noms et prénoms, en lien avec le secret des affaires – qui fera sans doute l’objet d’une discussion un peu plus loin.

En revanche, dans la mesure où les magistrats et les greffiers rendent la justice publiquement au nom du peuple, il n’y a pas lieu de faire obstacle à la publicité de leur nom dans leurs décisions, sous réserve des remarques qui ont été exprimées quant à l’utilisation abusive et à la réitération de leur usage pour essayer de « profiler » les juges. À condition que les garanties pour l’empêcher, l’interdire ou le condamner soient suffisantes, je suis plutôt favorable à la publicité la plus large possible.

M Philippe Gosselin. Je souhaite dire quelques mots généraux avec le regard de la CNIL, puisque j’y représente l’Assemblée avec l’une de nos collègues. L’open data n’est absolument pas une difficulté en soi. Il n’existe pas d’objection de principe, ni même une philosophie du secret entretenue maladroitement, de façon diffuse ou confuse. Tout le monde a bien en tête cette nécessité de transparence, de même que le levier de développement économique que peut représenter l’appropriation collective – parfois aussi commerciale, c’est évident – des données. Je n’ai pas non plus d’objection particulière à ce qu’une agrégation de données anonymisées permette de dégager des tendances ou des produits pouvant valoir quelque chose sur le marché. Cela ne me pose pas de difficulté philosophique.

Mais je voudrais rappeler, pour éclairer les débats, que deux éléments sont mis en avant par la CNIL, laquelle a plutôt une position assez en pointe sur le plan européen : le respect de la vie privée et la protection des données personnelles permettant l’identification – avec deux notions clés : la finalité et la proportionnalité. Je partage, par le biais de la proportionnalité, le souci de prudence dont nous devons faire preuve. Je sais avec quelle conviction Mme Paula Forteza défend ces sujets – nous nous retrouvons d’ailleurs souvent sur la même longueur d’onde. J’aurais peut-être la main un peu plus tremblante sur l’immédiateté des choses, considérant que nous ne maîtrisons pas encore totalement l’ensemble, sur le plan pratique comme sur le plan technologique, et que nous ne maîtrisons peut-être pas nécessairement non plus l’objectif vers lequel nous souhaitons précisément tendre. Nous sommes d’accord sur l’objectif global d’ouverture, mais ne nous laissons pas entraîner trop rapidement. Ce sont ces cliquets ou ces marches successives qui, peut-être, nous permettront d’avancer.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Les différentes prises de parole me confortent dans ma volonté de trouver un équilibre sur un sujet qui, comme l’indiquait M. Schellenberger, n’est absolument pas partisan. Une bonne publicité des décisions doit être suffisamment encadrée et permettre à tous d’accéder aux décisions de justice dans les mêmes conditions.

L’enjeu est réel concernant les parties et tiers nommés dans les décisions. Le risque de name and shame que vous avez identifié est contré par mon amendement, qui propose une occultation systématique des noms et prénoms des personnes. Pour répondre à M. Bernalicis, je précise que seules seraient concernées les personnes physiques et non les personnes morales. Ainsi, l’amendement qu’il envisageait de défendre me semble satisfait.

En ce qui concerne les magistrats, je partage ses propos et ceux de Mme Forteza. La justice ne se rend pas en secret. Elle est rendue par les magistrats au nom de la République. Ceux-ci ont une responsabilité professionnelle et non pas personnelle lorsqu’ils rendent ces décisions. C’est pourquoi nous ne proposons pas d’occultation systématique de leur nom, mais uniquement lorsqu’il existe un risque d’atteinte à la sécurité ou à la vie privée.

Se pose aussi la question du traitement, car l’open data ouvre des possibilités de traitement de masse. C’est un sujet sur lequel il faut continuer à avancer. Mme Forteza a déposé un amendement relatif à la réutilisation. Je lui demanderai tout à l’heure de bien vouloir le retirer pour que nous puissions le retravailler et le préciser d’ici à la séance. Le dispositif complet doit permettre d’atteindre l’ensemble des objectifs très pertinents qui ont été évoqués. En effet, on permet tout en interdisant. En tout cas, on encadre. C’est le plus important. Ce texte représente une avancée considérable. Je rappelle que la rédaction que je propose part du projet initial du Gouvernement, de la proposition du Sénat et de celles de Mme Forteza. C’est une position d’équilibre, enrichie par l’ensemble des personnes qui ont travaillé sur ce texte. Je ne saurais m’approprier la rédaction complète de cet amendement, pour lequel je n’ai effectué qu’un travail de synthèse.

Mme Paula Forteza. Je voudrais d’abord répondre quant aux inquiétudes nourries par l’open data. D’autres pays ont déjà avancé dans ce sens, notamment les États-Unis où l’on observe les nombreux bienfaits du développement de legaltech, de moteurs de recherche permettant de mieux naviguer dans la jurisprudence, ou encore d’outils pour les professionnels de justice, pour les justiciables ou pour les chercheurs. Je vous propose de regarder ce qui est fait à Harvard dans le cadre du Caselaw Access Project, qui présente des exemples très intéressants de réutilisation des données de justice dans les livres de textes destinés aux universitaires.

Ensuite, la proposition de Mme la rapporteure constitue un point d’équilibre intéressant. J’aurais toutefois une question, dans la suite des propos de Mme Cécile Untermaier. Qui décidera de la balance à tenir entre ces différents principes ? La CNIL propose de préciser très clairement les données qu’il conviendra d’occulter. Cela demandera aux tribunaux un travail d’étude des décisions au cas par cas. Les tribunaux eux-mêmes souhaitent disposer, dans la loi, d’un guide très clair sur les données à occulter ou non. Ainsi, si nous votons la proposition de Mme la rapporteure, il faudra réfléchir à quel type de guide pourrait être mis à disposition des tribunaux pour qu’ils puissent regrouper certains cas qui se ressemblent, pour qu’ils puissent accélérer ce traitement au cas par cas et pour qu’une jurisprudence assez stable puisse s’installer. Peut-être pourrons-nous, pour la séance, retravailler ensemble ce point particulier.

Pour l’heure, je retire mon amendement au profit de celui de Mme la rapporteure.

M. Philippe Gosselin. Le modèle anglo-saxon n’est pas le nôtre, et les États-Unis ne partagent pas notre approche de la protection des données personnelles. Ces questions y sont gérées par la Commission fédérale du commerce – notez cette dimension commerciale – et non par une autorité administrative indépendante.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Madame Untermaier, vous estimez que les juges n’ont pas à redouter la publicité de leurs jugements. Cela peut être vrai, notamment lorsqu’ils statuent collégialement. En revanche, cela peut s’avérer plus délicat lorsqu’ils statuent en tant que juge unique. Ne le mésestimons pas. Je n’affirme pas qu’il convienne d’occulter le nom de tous les juges uniques, mais qu’une réflexion peut être menée dans ce domaine. C’est la raison pour laquelle, monsieur Bernalicis, il est prévu d’occulter les noms des parties, des tiers et des témoins, c’est-à-dire de toutes les personnes physiques visées dans les décisions.

Madame Untermaier, vous vous interrogez sur la mise en œuvre concrète de ces dispositions. Le système Portalis, que nous sommes en train de retravailler, permettra une remontée vers le portail open data de l’intégralité des décisions de justice. Ceci se fera progressivement, en commençant par les décisions de la Cour de cassation – lesquelles sont déjà publiques – puis en passant aux décisions des cours d’appel, jusqu’à celles de conseils des prud’hommes et des tribunaux de commerce.

Par ailleurs, les conclusions des rapporteurs publics n’entrent pas dans le champ de l’open data. En revanche, le Conseil d’État met à disposition du public, gratuitement et promptement, un nombre croissant de conclusions des rapporteurs publics, notamment pour les affaires importantes.

L’amendement CL720 est retiré.

La Commission adopte l’amendement CL914.

En conséquence, les amendements CL79, CL80 et CL724 tombent.

La Commission examine l’amendement CL915 de la rapporteure.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Cet amendement a trait aux restrictions relatives aux demandes de copies physiques des décisions. Il prévoit l’occultation des éléments permettant d’identifier les parties et tiers, s’ils sont de nature à porter atteinte à la sécurité ou à la vie privée de ces personnes ou de leur entourage. En revanche, il n’est pas prévu d’occultation des noms des magistrats dans les copies papier des décisions.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement CL915.

Elle adopte ensuite l’amendement de cohérence CL916 de la rapporteure.

Puis elle examine l’amendement CL723 de Mme Paula Forteza.

Mme Paula Forteza. Il s’agit de spécifier que les décrets portant sur l’accès aux décisions de justice par voie papier prévoiront une possibilité de recours en cas de refus de communication.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Je propose un retrait de cet amendement, qui me semble être d’ordre réglementaire.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Nous demandons également le retrait de cet amendement, considérant qu’en l’espèce les voies de recours relèvent plutôt du domaine réglementaire. Il existe déjà des voies de recours de droit commun, à savoir le recours pour excès de pouvoir. En toute hypothèse, qu’il s’agisse de voies de droit commun ou de voies de recours spéciales que nous pourrions envisager, elles relèvent du domaine réglementaire. Je m’engage à ce qu’elles figurent dans les textes réglementaires.

L’amendement CL723 est retiré.

L’amendement CL725 de Mme Paula Forteza est également retiré.

La Commission examine l’amendement CL917 de la rapporteure, qui fait l’objet du sous-amendement CL1087 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Le présent amendement rétablit dans la loi du 5 juillet 1972 les dispositions relatives à la publicité des débats et des décisions en matière civile, qui sont propres à la matière civile et n’ont pas leur place dans le code de l’organisation judiciaire.

Par ailleurs, je vous invite à rétablir la possibilité de déroger à ces règles dans les matières mettant en cause le secret des affaires, en application du texte que nous avons adopté récemment en la matière. Le Sénat l’avait supprimée, au motif que cette question était réglée par la loi du 30 juillet 2018 relative à la protection du secret des affaires. Il convient de renvoyer dans le présent texte aux dispositions de cette loi.

M. Ugo Bernalicis. Je pensais que les amendements que nous avons discutés tout à l’heure, qui prévoyaient l’occultation, dans les décisions de justice, d’éléments susceptibles de porter atteinte à la vie privée, se restreignaient aux seules personnes physiques. Nous souhaitons en effet que les entreprises ne puissent pas se soustraire à la publicité des décisions de justice qui les concernent. Or je constate que, par cohérence avec la loi sur le secret des affaires que vous avez votée et mettez en œuvre, vous souhaitez qu’il puisse ne pas y avoir de débat public lorsqu’il s’agit du secret des affaires. Ceci ne nous paraît pas acceptable. Manifestement, un certain nombre d’entreprises ont la volonté de cacher des éléments qui pourraient pourtant intéresser le public et l’intérêt général. De toute évidence – et nos débats sur le secret des affaires l’ont confirmé –, nous avons une divergence de vues majeure sur cette question.

Je constate que vous assumez qu’il n’y ait pas de publicité des débats en matière de secret des affaires, tandis que nous assumons le contraire. Tel est l’objet de notre sous-amendement.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. J’émets un avis défavorable à ce sous-amendement. En effet, il s’agit de renvoyer à des dispositions qui ont déjà fait l’objet de débats parlementaires sur le secret des affaires. L’amendement CL917 ne fait que tirer les conséquences de ces dispositions, et maintient par conséquent le droit actuel.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je partage cet avis sur le sous-amendement. La loi a non seulement fait l’objet de débats, mais été adoptée et validée par le Conseil constitutionnel. Il n’est pas ici question de rouvrir le débat sur la loi relative au secret des affaires, mais de procéder à une écriture de coordination.

M. Raphaël Schellenberger. Respectons notre propre travail, et évitons de revenir régulièrement sur des textes que nous venons de voter et qui ne sont pas encore en application. Nous discutons ici d’un texte relatif à notre système de justice. Nous avons tout intérêt à ce qu’une majorité des litiges soit traitée par ce système. Nous défendons une vision du droit et une conception de l’organisation juridique particulières et consubstantielles à la République française.

En cherchant à casser le texte sur le secret des affaires, monsieur Bernalicis, vous voulez organiser la publicité des décisions et, plus encore, un système de honte publique. In fine, cela aboutira à une sortie des litiges commerciaux du système juridique, au profit d’un système arbitral. Plutôt que d’avoir défendu notre système et d’avoir porté une vision du droit, vous aurez favorisé une vision à l’anglo-saxonne qui est à l’exact opposé des principes que vous prétendez défendre.

M. Philippe Latombe. Nous estimons que l’amendement de Mme la rapporteure doit être adopté sans sous-amendement. Nous avions décidé d’introduire des exceptions dans le cadre du secret des affaires. Il convient de nous mettre en cohérence avec ces exceptions, dont nous avons déjà débattu et que nous avons adoptées.

M. Alain Tourret. Je fais miennes les observations qui viennent d’être faites, mais tiens également à souligner la qualité du système arbitral en droit français. Celui-ci se rapproche certainement du droit anglo-saxon, mais me semble indispensable lorsque les affaires sont importantes.

M. Ugo Bernalicis. L’objectif de ce sous-amendement est de pointer du doigt la conséquence de la loi sur le secret des affaires, qui est de soustraire à la publicité des débats des sujets susceptibles de nourrir l’intérêt général. J’en conclus qu’une grande entreprise faisant l’objet d’un jugement peut se réclamer du secret des affaires et échapper à la honte publique, au name and shame auquel ne peut se soustraire un simple justiciable. Cela ne fait qu’attester votre volonté qu’il existe une justice différente pour les puissants et pour le tout-venant.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Nous venons d’organiser un cadre de publicité stipulant que les noms et prénoms des personnes physiques sont occultés dans tous les cas – et non pas dans les seuls cas où se présente un risque d’atteinte à la vie privée. Il est prévu une occultation de tout élément d’identification autre que les noms et prénoms lorsqu’il existe un risque d’atteinte à la vie privée ou à la sécurité. L’occultation systématique des noms et prénoms vaut en matière numérique, mais également lors de remises physiques de décisions au format papier. Vous ne pouvez donc pas affirmer qu’il existe une justice à deux vitesses en la matière.

La Commission rejette le sous-amendement CL1087. Puis elle adopte l’amendement CL917.

Les amendements CL726 et CL727 de Mme Paula Forteza sont retirés.

La Commission adopte l’article 19 modifié.

Après l’article 19

La Commission est saisie de l’amendement CL46 de Mme Danièle Obono.

M. Ugo Bernalicis. Par cet amendement, nous souhaitons moderniser le fonctionnement de la justice et le porter à la hauteur des exigences de notre société démocratique. Nous proposons que les délibérés du Conseil d’État, cour suprême des juridictions de l’ordre administratif, soient publics, ainsi que les votes de chacun des membres de sa formation de jugement.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Cette disposition me semble fortement inspirée des pratiques qui ont cours dans les États anglo-saxons, notamment aux États-Unis, et qui ne correspondent pas à notre conception de la justice. Si nous pouvons favoriser la publicité des décisions de justice – c’est l’objet de l’article 19 du projet de loi –, nous restons attachés au secret des délibérés, dont l’objet principal et historique est d’assurer l’indépendance des juges et l’autorité morale de leurs décisions.

Le secret des délibérés est en effet une garantie de la liberté d’opinion du juge et une condition du respect de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme sur l’indépendance et l’impartialité des juridictions saisies. J’émets donc un avis défavorable.

M. Raphaël Schellenberger. C’est lorsque nous en arrivons aux débats de fond sur la construction des institutions de la République que nous mesurons la supercherie qui est celle de La France insoumise, monsieur Bernalicis. La France et sa République portent une conception du droit et de la justice à laquelle, pour notre part, nous sommes particulièrement attachés. La justice est rendue au nom du peuple français, et non par des juges intuitu personae. Les propositions que vous faites, au travers de vos amendements précédents et de celui-ci, défendent une vision intrusive du système juridique et visent à mettre en place un système d’humiliation publique. Elles tendent à instaurer un système à l’anglo-saxonne. Je ne savais pas La France insoumise aussi libérale ! Car c’est bien un système juridique hyperlibéral que vous proposez, alors que le système français doit être fier d’être construit sur le principe de la République et d’accorder une place au peuple français dans les décisions de justice.

M. Alain Tourret. Je profiterai de cet article pour souligner la très grande qualité de la procédure devant le Conseil d’État. Il se trouve que, dans le cadre de la proposition de loi portant réforme de la prescription en matière pénale, j’ai eu l’occasion de rencontrer le rapporteur, le président de section, la section entière puis toutes les sections du Conseil d’État. J’ai été entendu pendant dix-neuf heures ! Je doute qu’il en eût été de même devant d’autres juridictions... La façon de procéder du Conseil d’État, consistant à établir un rapport puis à voter sur chaque aspect de la proposition ou du litige qui lui est soumis, est absolument exceptionnelle. Nous avions organisé, lors du dernier quinquennat, une réunion avec le Conseil d’État et l’ensemble des responsables intéressés par cette procédure, et la qualité de cette dernière avait été unanimement saluée.

M. Ugo Bernalicis. Si le secret du délibéré – initialement entendu comme les échanges entre magistrats qui s’accordent pour prendre une décision – est un principe général de droit, reconnu depuis 1843 par la Cour de cassation et depuis 1922 par le Conseil d’État, il empêche toutefois le peuple de comprendre pourquoi une telle décision a été effectivement prise. Cela revêt d’autant plus d’importance lorsqu’il s’agit d’un jugement de cour suprême, qui s’impose à toutes les juridictions de première instance et d’appel.

Cette transparence des décisions publiques et la fin du secret du délibéré ont par ailleurs constitué une conquête révolutionnaire, au cœur de la Constitution de la République, par la loi des 16 et 28 septembre 1791 relative à la police de sûreté, la justice criminelle et l’établissement du jury. Je n’ai donc pas le sentiment que ces principes soient « hyperlibéraux », pour reprendre les termes de M. Schellenberger, ni antirépublicains. Le secret du délibéré est d’ailleurs rétabli par la Constitution du 5 fructidor an III. Vous voyez donc dans quelle lignée nous nous inscrivons. Nous estimons que pour les jugements de cour suprême – Conseil constitutionnel, Cour de cassation et Conseil d’État –, il est intéressant de connaître la totalité des échanges et des avis des magistrats.

Mme Alexandra Louis. Je tiens à affirmer l’attachement que nous devons avoir à l’égard du secret du délibéré, afin de préserver l’indépendance des magistrats dans leur prise de décision. Il est essentiel que les magistrats puissent décider en leur âme et conscience, avec tout leur professionnalisme, libres de toute influence et à l’abri des mouvances qui traversent la société. C’est pourquoi il est si important de préserver le secret des délibérés. L’un de vos amendements, monsieur Bernalicis, se réfère aux pratiques ayant cours dans d’autres pays. Je rappellerai qu’à la Cour européenne des droits de l’homme, le secret du délibéré est préservé. Préserver l’indépendance de la justice, c’est aussi préserver l’État de droit. C’est bien dans cet esprit qu’a été institué le secret des délibérés. Il serait inquiétant que nous nous dirigions vers une remise en cause progressive de ce secret. Nous risquerions, demain, d’exposer des juges et d’altérer la qualité de la justice. Or, il est essentiel de préserver celle-ci dans un État de droit.

Mme Alice Thourot. La disposition proposée par M. Bernalicis serait parfaitement inapplicable. En effet, comment imposer une publicité pour un débat se déroulant à huis clos ? Je ne vois pas comment une telle mesure pourrait être mise en œuvre.

M. Alain Tourret. Pour assurer un véritable secret du délibéré, il faut permettre les opinions dissidentes. Nous avions interrogé le président Fabius sur ce sujet. Une position négative prévaut pour le moment à cet égard. Ce serait pourtant un grand progrès en matière de transparence que de permettre aux magistrats de rompre avec le secret pour exprimer une opinion dissidente.

La Commission rejette l’amendement CL46.

Elle examine ensuite l’amendement CL47 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis. Cet amendement propose que tout membre du Conseil d’État ayant pris part à l’examen d’une affaire ait le droit de joindre à la décision soit l’exposé de son opinion séparée, concordante ou dissidente, soit une simple déclaration de dissentiment.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Il s’agit, là encore, d’une conception très anglo-saxonne des débats dans les cours suprêmes, que nous ne partageons pas en France. En conséquence, j’émets un avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Même avis.

La Commission rejette l’amendement CL47.

Elle examine ensuite l’amendement CL44 de Mme Danièle Obono.

M. Ugo Bernalicis. Cet amendement est motivé par la même philosophie que l’amendement CL46, au sujet cette fois de la Cour de cassation.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Avis également défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Même avis.

La Commission rejette l’amendement CL44.

Puis elle en vient à l’amendement CL45 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis. Cet amendement, comme l’amendement CL47, porte sur la possibilité pour les membres de la Cour de cassation de publier des opinions séparées, concordantes ou dissidentes.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Même avis.

La Commission rejette l’amendement CL45.

Elle examine ensuite l’amendement CL500 de Mme Alice Thourot.

Mme Alice Thourot. Cet amendement a vocation à appeler votre attention sur l’impérieuse nécessité, au-delà de l’anonymisation, de publier autant de décisions que possible des juridictions de première instance et d’appel. Il s’agit ainsi d’éviter une rupture d’égalité entre les citoyens relevant de juridictions territorialement différentes, dont les montants des condamnations peuvent varier d’un à trois, voire d’un à dix. J’évoque ici en particulier les conseils de prud’hommes.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Cet amendement est satisfait par les dispositions que nous avons votées à l’article 19, prévoyant, pour tous les degrés de juridiction, une mise à disposition du public de l’ensemble des décisions. Je vous demanderai par conséquent de bien vouloir retirer cet amendement.

L’amendement CL500 est retiré.

Titre II bis (supprimé)
dispositions relatives aux juridictions commerciales

Avant l’article 19 bis

La Commission examine l’amendement CL18 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis. Par cet amendement, nous proposons la présence de magistrats professionnels dans les tribunaux de commerce. Cette proposition figurait d’ailleurs dans un rapport relatif au rôle de la justice en matière commerciale présenté en 2013 par Mme Untermaier et M. Bonnot. Une telle mesure permettrait de confronter les points de vue du juriste et du commerçant, non seulement lors de l’audience mais aussi lors du délibéré.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Sur toutes les dispositions qui concernent le tribunal de commerce, je considère que les juridictions consulaires présentent une spécificité qui ne fait pas l’objet de demandes particulières de la part des justiciables. Cela ne justifie donc pas une révision du système, en tout cas, pas dans les conditions de ce projet de loi.

Je propose par conséquent d’écarter de ce projet de loi toutes les dispositions relatives aux juridictions consulaires. Elles n’étaient d’ailleurs pas prévues par le projet de loi initial mais ont été ajoutées par le Sénat lors des débats, sans que les éléments d’évaluation et d’étude nécessaires aient été produits. J’émets donc un avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. La loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques a déjà réformé de manière importante les juridictions commerciales. À cette occasion, la mise en place de l’échevinage a été écartée. Il ne me semble pas judicieux de revenir sur ce sujet.

En revanche, l’idée d’accentuer la confrontation des approches entre magistrats professionnels et juges consulaires, telle que l’avait défendue Mme Untermaier, me paraît assez intéressante. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la réforme des juridictions commerciales a renforcé la formation des juges consulaires dans les domaines de spécialité, tels que le droit des entreprises en difficulté. Dans ce cadre, des contacts s’établissent entre les juges consulaires et les magistrats professionnels. Lors des audiences, la présence du parquet permet également de confronter le point de vue de ces parties. C’est déjà un premier pas. En revanche, si nous allions plus loin dans la mixité, nous risquerions de déresponsabiliser et de démotiver les juges consulaires. Je ne souhaite pas que nous nous engagions dans cette voie.

M. Philippe Latombe. Le principe d’introduire des magistrats professionnels dans les tribunaux mérite d’être inscrit dans une réflexion plus large. Ainsi, madame la ministre, pensez-vous qu’il soit envisageable d’extraire du ressort des tribaux de grande instance l’activité qui relève des matières agricoles d’une part, des sociétés civiles immobilières d’autre part, afin de les envoyer vers un tribunal de commerce élargi, que l’on pourrait appeler « tribunal des affaires économiques » ? Cela permettrait de dégager du temps dans les TGI.

La justice commerciale aura besoin d’un texte plus large pour évoquer ce type de questions. Dans les mois ou années à venir, un texte sera-t-il proposé en ce sens ? Il s’avère en effet que des évolutions seraient possibles non seulement dans le périmètre de ces tribunaux, mais encore dans leur façon de s’organiser – notamment avec les auxiliaires judiciaires que peuvent être les mandataires et les administrateurs. Madame la ministre, quelle est votre trajectoire en la matière ?

M. Jean Terlier. La réflexion de Philippe Latombe me paraît intéressante. Peut-être pourrions-nous travailler ensemble sur l’idée de créer un tribunal des affaires économiques. À titre d’exemple, une fusion des tribunaux de commerce et des tribunaux paritaires des baux ruraux pourrait être pertinente. Ces sujets méritent d’être approfondis.

Quant à la proposition d’introduire des magistrats professionnels dans les tribunaux de commerce, elle pourrait sous-entendre que la justice n’y est aussi bien rendue que dans des tribunaux constitués uniquement de juges professionnels. Or, le taux de réformation devant les cours d’appel des jugements rendus par les tribunaux de commerce est très correct. Si des propositions peuvent être faites en ce sens, nous devons prendre garde aux sous-entendus qu’elles pourraient véhiculer.

M. Raphaël Schellenberger. La réflexion est intéressante, mais je n’ai pas l’impression qu’elle entre dans l’ambition de cette loi. Pour autant, sur ces questions d’échevinage, je vous invite à venir faire un tour en Alsace Moselle où le système commercial est construit autour de cette notion. L’histoire de cette construction est celle d’une itération progressive du droit allemand par le droit français et du droit français par le droit allemand. Regarder ce qui se passe autour de nous sur ces questions, avec une vision partagée du droit à l’échelle européenne, peut être intéressant pour faire évoluer ce système et pour garder présent à l’esprit que le droit commercial reste un outil du commerce. Aujourd’hui, le commerce étant européen, nous devons construire un droit commercial et un outil de ce droit à l’échelle européenne.

M. Alain Tourret. Puisque l’on fait référence à la loi « Macron » dont j’étais l’un des rapporteurs, je voudrais formuler quelques observations. La première est que ces tribunaux ne veulent à aucun prix de la présence d’un juge professionnel parmi eux. C’est un fait. Ce serait une rupture que de s’orienter directement vers l’échevinage.

Ma deuxième observation est que la qualité des magistrats non professionnels est indubitable, en particulier dans les tribunaux de commerce. Je vous invite à étudier la rédaction de leurs jugements, en particulier dans la région parisienne. Elle est d’une qualité remarquable.

Ma troisième observation s’adresse à Mme la garde des Sceaux et concerne le problème de la présence du parquet. Nous souffrons cruellement de l’absence de la présence du parquet, en particulier devant les cours d’appel et les conseils de prud’hommes. Je me souviens avoir plaidé des affaires qui portaient sur des dizaines de millions d’euros, pour ne pas dire des centaines, et avoir demandé à plusieurs reprises au président de la cour d’intervenir pour que le parquet soit là. Je ne l’ai jamais vu ! Je dis bien : jamais. Or cela portait sur des sommes extrêmement importantes et sur des intérêts extrêmement importants sur tout le territoire français. Il faut vraiment demander que le parquet soit là le plus souvent possible. Certes, il l’est devant les tribunaux de commerce lorsqu’il y a des demandes de redressement judiciaire. Mais, à tous les autres instants, il est absent.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Concernant la remarque sur la direction et le sens, j’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer devant les présidents des tribunaux de commerce et de préciser que, sur le plan de la réflexion, je n’étais pas du tout défavorable à l’idée d’aller vers un tribunal des affaires économiques. Mais je sais très bien que les marches pour y parvenir sont extrêmement nombreuses. Plusieurs étapes doivent être franchies – et je pense que le moment n’est pas du tout venu de le faire dans la loi que je porte. D’où la réponse très claire que j’ai apportée tout à l’heure.

Qui plus est, j’attends un rapport qui me sera rendu par M. Georges Richelme fin décembre. Il contiendra, je l’espère, des propositions que j’examinerai avec intérêt.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL19 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis. Cet amendement d’appel prévoit par expérimentation qu’il puisse y avoir l’obligation de transmettre des déclarations d’intérêt à la haute autorité de la transparence de la vie publique pour les juges des tribunaux de commerce.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Même avis.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL20 de Mme Danièle Obono.

M. Ugo Bernalicis. Il est bien dommage que vous ayez rejeté l’amendement précédent, car celui-ci s’inscrit dans sa lignée et précise que les déclarations d’intérêt sont consultables sur simple demande au tribunal de commerce et peuvent servir de fondement à une demande de récusation. Cela vise à répondre à un cas révélé par l’émission Cash Investigation, au cours de laquelle on pouvait voir que le vice-président du tribunal de commerce de Laval, par ailleurs haut cadre de Lactalis, refusait la publication des comptes de cette entreprise. Cela ne vous pose peut-être pas de problème. À moi, si.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Avis défavorable, par cohérence.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Cet amendement est sans objet puisque nous avons rejeté le précédent, mais je le mets tout de même aux voix.

La Commission rejette l’amendement.

Article 19 bis (supprimé)
(art. 713-7, 713-11, 723-4 et 723-7 du code de commerce)
Élargissement du corps électoral des tribunaux de commerce

La Commission examine les amendements identiques CL940 du Gouvernement et CL81 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Contrairement à ce que je vous disais à l’instant, mais pas tant que cela en fait, je propose par cet amendement de supprimer l’une des trois dispositions ajoutées par le Sénat, qui a pour objet d’élargir le périmètre d’intervention des tribunaux de commerce pour les ériger en tribunaux des affaires économiques. Il me semble que le moment n’est pas venu de le faire. Sur le plan de l’organisation judiciaire, une telle évolution nécessite une étude d’impact et la consultation des parties prenantes – notamment des professionnels concernés. Elle demande en outre, sur le plan juridique, de repenser les notions d’actes de commerce et de droit commercial. Enfin, elle remet en cause les spécificités du monde agricole, des professions libérales et du monde associatif. Ainsi que je l’indiquais, des réflexions sont actuellement menées par la conférence générale des juges consulaires de France. J’attends qu’elles aboutissent avant éventuellement de formuler d’autres propositions.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. L’amendement CL81 n’est plus défendu.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. J’émets un avis favorable, en cohérence avec la discussion que nous venons d’avoir. Je regrette simplement que notre collègue Bernalicis soit sorti au moment où nous allions voter un amendement de La France insoumise et montrer notre capacité à voter des amendements de l’opposition – ainsi que celle de La France insoumise à travailler en cohérence avec le Gouvernement et la majorité ! C’est bien dommage, mais l’intention était là, je pense…

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je le regrette tout aussi vivement, à titre personnel.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous lui laisserons le bénéfice du doute !

M. Philippe Latombe. Il existe, certes, une spécificité du monde agricole, et nous devrons donc absolument prendre le temps d’en reparler. Il faudra tout de même, assez rapidement, régler le cas – pas du tout prévu par nos collègues sénateurs, et dont je parle en tant que praticien – des sociétés civiles immobilières (SCI) liées à un objet professionnel. Aujourd’hui, elles sont traitées selon deux procédures différentes : l’une au tribunal de commerce pour la société d’exploitation, l’autre au tribunal de grande instance pour la société civile immobilière. Il existe donc aujourd’hui, s’agissant notamment des mesures de prévention, deux systèmes totalement différents – ce qui est assez dommage. Pourtant, la SCI possède l’immobilier nécessaire à l’exploitation et représente une grosse partie des charges de la société d’exploitation. Il va falloir que nous parvenions à trouver de façon assez rapide un système un peu plus cohérent, pour pouvoir gérer, au moins transitoirement, ces problématiques. En termes de sauvegarde des entreprises, si l’on ne peut pas toucher aux SCI qui représentent la majorité des charges, on peut amener la totalité de la société – donc des emplois et de l’activité – à sa perte. Il faudra donc penser, peut-être transitoirement, à élargir le champ des tribunaux de commerce, au moins à ces SCI professionnelles.

M. Philippe Gosselin. Notre collègue Latombe a raison, c’est un point qu’il faudra soulever, avoir en tête et traiter.

Par ailleurs, je partage la remarque de la garde des Sceaux sur l’intérêt d’attendre les conclusions de travaux en cours. La proposition du Sénat vient un peu « comme un cheveu sur la soupe ». Je ne suivrai donc pas, sur ce point, nos collègues sénateurs.

En revanche, cet article et les travaux du Sénat ont mis en évidence la difficulté du recrutement des juges consulaires. Je crois qu’il existe aujourd’hui un certain malaise, plus largement une difficulté liée à l’engagement. On l’observe dans les collectivités, dans les associations : les bénévoles sont de plus en plus compliqués à trouver, et ont parfois du mal à s’impliquer. C’est l’occasion de lancer, en même temps que la réforme possible de ces tribunaux, une réflexion sur l’attractivité et la reconnaissance de ces juges et de ces personnes qui sont des bénévoles au service de la société. J’ai bien conscience que le sujet dépasse la question posée ici. Mais, au-delà de la justice, c’est l’ensemble de la société qui est intéressée.

La Commission adopte l’amendement CL 940 du Gouvernement.

L’article 19 bis est supprimé.

Article 19 ter (supprimé)
(art. 234-1, 611-2, 611-2-1 [abrogé], 611-3, 611-4, 611-5, 621-2, 640-5, 662-3, 662-6, 713-6, 713-7, 713-11, 713-12, 721-1, 721-2, 721-3, 721-3-1, 721-4, 721-5 [abrogé], 721-6, 721-7, 721-8, 722-1, 722-2, 722-3, 722-3-1, 722-4, 722-5, 722-6, 722-6-1, 722-6-2, 722-6-3, 722-7, 722-8, 722-9, 722-10, 722-11, 722-12, 722-13, 722-14, 722-15, 722-16, 722-17, 722-18, 722-19, 722-20, 722-21, 723-1, 723-3, 723-4, 723-7, 723-9, 723-10, 723-11, 723-12, 724-1, 724-1-1, 724-2, 724-3, 724-3-1, 724-3-3, 724-4, 724-7, 731-2, 731-4, 732-1, 732-2, 732-3, 732-4, 732-5, 732-6, 732-7, 741-1, 741-2, 742-1, 742-2, 743-1, 743-2, 743-3, 743-4, 743-5, 743-6, 743-7, 743-8, 743-12, 743-12-1, 743-13, 743-14, 743-15, 744-1 et 744-2 du code de commerce, art. 351-2 du code rural et de la pêche maritime, art. 215-1 et 261-1 du code de l’organisation judiciaire, art. 145 A du livre des procédures fiscales et art. 2315-74, 2325-55 et 7322-5 du code du travail)
Nouvelle dénomination et élargissement du champ de compétence des juridictions consulaires

Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la Commission adopte l’amendement CL942 du Gouvernement.

L’article 19 ter est supprimé.

Article 19 quater (supprimé)
(art. 145-56, 622-14-1 [nouveau] et 721-3-2 [nouveau] du code de commerce)
Extension de la compétence du tribunal de commerce aux litiges entre entreprises relatifs aux baux commerciaux

La Commission examine les amendements identiques CL941 du Gouvernement et CL75 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Il s’agit de supprimer cet article, comme nous l’avons fait pour le précédent.

Mme Laetitia Aviva, rapporteure. Avis favorable. Je suis ravie de voter un amendement de M. Bernalicis ! (Sourires.)

La Commission adopte les amendements.

L’article 19 quater est supprimé.


Titre III 
Dispositions relatives aux juridictions administratives

Chapitre Ier 
Alléger la charge des juridictions administratives

Article 20 A (supprimé)
(art. 54 A [nouveau] de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971)
Définition de la consultation juridique

La Commission est saisie des amendements identiques CL923 de la rapporteure et CL937 du Gouvernement.

Mme Laetitia Aviva, rapporteure. Nous sortons du chapitre relatif à la procédure civile pour aborder celui relatif à la procédure administrative. La présente disposition vise à définir la consultation juridique, ce qui me semble assez inopportun dans le cadre de ce titre III relatif aux juridictions administratives.

La Commission adopte les amendements.

L’article 20 A est supprimé.

Article 20
(art. 5 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016)
Allongement de la durée de l’expérimentation de la médiation préalable obligatoire dans certains litiges

La Commission est saisie de l’amendement CL84 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis. Par cet amendement d’ajustement, nous proposons d’éviter la « fausse bonne idée » qui consisterait à expérimenter, sans garantie suffisante, une médiation pour les litiges en matière de droits sociaux et de fonction publique. Nous proposons les garanties suivantes : indépendance, neutralité, impartialité, équité, transparence, confidentialité, efficacité des médiateurs – rien n’étant prévu par le texte actuel si ce n’est une référence indirecte à l’impartialité –, gratuité des médiations – vous savez que c’est un point qui nous est cher, vous l’aurez compris, puisque c’est au moins la trente-huitième fois que je vous le présente ! –, durée maximale des médiations – nous proposons une durée maximum de trois mois et la possibilité d’en sortir par le haut – et, enfin, possibilité de saisir le juge des référés à tout moment.

Mme Laetitia Aviva, rapporteure. J’émets un avis défavorable. Cet amendement vise à réécrire le dispositif d’expérimentation tel qu’il a été introduit par l’article 5 de la loi « J21 ». Cette expérimentation, qui porte sur les litiges relatifs aux droits asociaux et certains litiges de la fonction publique, devait initialement durer quatre ans à compter de la promulgation de la loi – soit avoir une date butoir fixée au 18 novembre 2020. Le décret a mis du temps à entrer en vigueur. Il est donc nécessaire de proroger ce délai pour mettre en œuvre l’expérimentation dans les conditions prévues à l’origine.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Il s’agit simplement d’étendre la durée d’une expérimentation. Il me semble assez prématuré de vouloir modifier des règles qui datent de la loi de 2016. Sur le fond de la question, vous proposez d’ajouter un certain nombre de garanties mais il me semble que ce n’est pas nécessaire. D’abord parce que le décret du 16 février 2018 portant expérimentation d’une procédure de médiation préalable obligatoire en matière de litiges de la fonction publique et de litiges sociaux précise que ces garanties sont applicables. De la même manière, un article du code de la justice administrative dispose que la médiation présente un caractère gratuit pour les parties lorsqu’elle constitue un préalable obligatoire au recours contentieux. Je pense donc que votre demande est partiellement satisfaite.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’article 20 sans modification.

Après l’article 20

La Commission est saisie de l’amendement CL42 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis. Par cet amendement d’appel, nous proposons d’encadrer les recours administratifs préalables obligatoires (RAPO), en limitant le délai de réponse à 15 jours, afin que ceux-ci cessent d’être des entraves au droit au recours, un « droit à l’erreur » de l’administration au détriment des administrés et un moyen de décharger des juges judiciaires ou administratifs en manque de moyens humains et financiers. Il arrive que l’administration utilise l’entièreté de ce délai pour faire des manœuvres dilatoires. Cela se voit aussi de ce côté-là de l’administration. Un délai de quinze jours nous semble plus raisonnable – à charge pour l’administration de s’organiser en conséquence.

Mme Laetitia Aviva, rapporteure. Je partage votre préoccupation quant à la nécessité pour nos concitoyens d’obtenir une réponse rapide de l’administration avant de former, le cas échéant, un recours devant le juge administratif. Je note d’ailleurs que plusieurs textes prévoient des délais implicites de rejet d’un mois, afin de garantir une certaine visibilité de la procédure. Je pense qu’il est illusoire d’imposer à l’administration un délai de réponse de 15 jours, qui serait inopérant et difficile à mettre en œuvre. Mon avis est donc défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. J’émets également un avis défavorable. Un délai de 15 jours me semble extrêmement contraignant. En effet, l’administration doit parfois revoir complètement la situation de l’intéressé. Au fond, cela priverait ce recours de son sens même, qui vise à essayer d’établir un rapprochement entre la personne et l’administration pour tenter de résoudre le conflit.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL501 de Mme Alice Thourot.

Mme Alice Thourot. Cet amendement vise à instaurer une nouvelle procédure de référé, qui a été co-écrite avec le président du tribunal administratif de Grenoble et des avocats spécialistes en urbanisme. Cette nouvelle procédure, qui concernerait l’expropriation pour cause d’utilité publique et l’urbanisme, pourrait être instaurée à titre expérimental – j’ai prévu, dans l’amendement, une à quatre juridictions, étant entendu que le tribunal administratif de Grenoble se porterait candidat. L’objectif viserait à permettre au maître d’ouvrage d’être fixé rapidement en cas de recours, par exemple contre un permis de construire, sur la légalité ou sur l’illégalité manifeste de l’acte, et de figer les moyens.

La problématique à laquelle nous essayons de répondre par cette procédure est celle des délais de jugement. Souvent, un projet immobilier est abandonné quand il y a un recours devant le tribunal administratif, notamment lorsque le compromis tombe avec l’arrivée du terme. Il est très important de pouvoir répondre à ces situations, pour que des projets qui font l’objet de recours dilatoires puissent quand même être mis en œuvre.

L’objectif, ici, est de donner lieu soit à l’abandon du projet lorsqu’il est manifestement illégal, soit à sa régularisation – avec un éventuel commencement des travaux, ce qui n’est pas possible aujourd’hui en l’état des ordonnances de référé qui peuvent être rendues. Il peut aussi s’agir de débloquer un prêt, parce que les banques ne se satisfont pas des ordonnances de référé devant le tribunal administratif. Il est important de le préciser.

La procédure prévoit une fixation des moyens. Ce faisant, elle s’inscrit directement dans la veine de la loi « Macron » et de la modification de l’article R. 600-4 du code de l’urbanisme. L’ordonnance purgerait de manière définitive la légalité externe de l’acte et ne permettrait plus au requérant au fond de se prévaloir de nouveaux moyens relatifs à la légalité interne – avec la possibilité toutefois, pour le président du tribunal administratif, de soulever d’office les moyens qui lui sembleraient importants. Je peux entrer davantage dans le détail si vous le souhaitez, madame la ministre.

Cette procédure permettrait également de limiter au fond le nombre de procédures abusives et dilatoires, qui ne manquent pas en urbanisme, et, peut-être, de soulager un peu les juridictions administratives des procédures au fond.

Mme Laetitia Aviva, rapporteure. Je crois que c’est un amendement que vous avez déjà eu l’occasion de présenter au cours de l’examen de la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (ÉLAN), et qui a déjà fait l’objet de débats. Vous souhaitez expérimenter la mise en place d’un référé défendeur en matière d’urbanisme et d’expropriation pour cause d’utilité publique. Cette proposition ne fait pas suffisamment consensus aujourd’hui, puisqu’elle a été écartée par plusieurs groupes de travail sur ce sujet, notamment celui animé par M. Labetoulle. Elle ne correspond pas vraiment à la logique ou la trajectoire défendue par les procédures de référé suspension ou de référé mesure utile en procédure administrative. Je demanderai donc un retrait de cet amendement ou, à défaut, un avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Pour les mêmes raisons, j’émets un avis défavorable.

M. Raphaël Schellenberger. Notre système juridique administratif présente l’avantage de faire de l’ensemble des maires de notre territoire des spécialistes du droit administratif. Il n’y aura bientôt plus beaucoup de maires qui ne connaîtront pas une procédure administrative parce qu’un voisin a attaqué un permis de construire, parce qu’un projet immobilier a fait du bruit dans une collectivité, et parce que la société a de plus en plus tendance à s’orienter vers le syndrome NIMBY – Not In My BackYard, c’est-à-dire « pas dans mon jardin ». En d’autres termes, tout le monde est favorable aux projets d’intérêt général et d’aménagement, mais le plus loin possible de chez lui.

Notre système juridique n’est pas adapté à cette évolution de la société. Je crois qu’il faut que nous puissions nous armer progressivement. À coups de créations d’associations pseudo-environnementalistes – que je qualifie ainsi à dessein car elles font malheureusement de l’ombre à celles qui défendent de vrais intérêts environnementaux –, des personnes s’érigeant en défenseurs d’un intérêt général qui s’avère souvent être leur intérêt particulier grippent notre capacité à aménager et à moderniser nos territoires et à leur donner les outils leur permettant de s’ancrer dans leur temps ainsi que dans la bataille économique, environnementale et sociétale qu’ils doivent mener. Je pense que c’est une expérimentation qui pourrait être intéressante.

M. Jean Terlier. Je ne suis pas un spécialiste de droit administratif, mais il me semble que cette justice administrative est malgré tout bien rendue, autour de problématiques relatives au droit de l’urbanisme ou au recours de plein contentieux. Une procédure d’urgence existe déjà, avec les référés suspension, et fonctionne assez bien. On peut saisir assez rapidement le juge administratif, y compris dans le cadre d’une procédure de référé. Certes, les délais de traitement de la procédure au fond sont beaucoup plus importants, mais je crois que les dispositifs qui ont été votés – notamment le recours aux magistrats honoraires et aux assistants de justice – contribueront au renforcement des juridictions administratives et, par là-même, à l’amélioration des délais de traitement des contentieux. Je serais donc assez favorable à ce que vous retiriez votre amendement. À défaut, notre groupe votera contre.

Mme Alice Thourot. J’avais en effet proposé cette procédure dans le cadre de la loi ELAN, et il m’avait été répondu que le meilleur vecteur législatif serait le projet de loi que nous étudions aujourd’hui…

L’expérimentation est importante. L’amendement prévoit qu’une à quatre juridictions expérimentent le dispositif. Or, une juridiction est d’ores et déjà candidate. Je ne vois donc pas de difficulté à mener l’expérience, pour la pérenniser si elle fonctionne ou pour l’abandonner dans le cas contraire.

Vous mentionniez, monsieur Terlier, les procédures de référé qui existent déjà dans le droit de l’urbanisme. Toutefois, une ordonnance de référé en matière d’urbanisme ne suffit pas à débloquer un prêt à la banque, par exemple, et ne permet donc pas de voir aboutir un projet. C’est pourquoi cette procédure de référé diffère de celle qui existe aujourd’hui. Même si je constate une absence de consensus sur la question, je suis attachée à cette procédure de référé et maintiendrai l’amendement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je mesure l’intérêt de vos propos, madame Thourot. Je propose que vous ayez un contact avec la direction des affaires civiles et du Sceau d’ici à la séance, afin que nous voyions s’il est possible d’agir dans le sens que vous préconisez. Il me paraîtrait néanmoins curieux de faire un référé défendeur, par lequel le bénéficiaire du permis de construire demanderait des garanties a priori. C’est une forme de rescrit dont je ne suis pas certaine qu’elle soit judicieuse.

Mme Alice Thourot. Je retire cet amendement. Je précise simplement qu’il ne s’agit pas d’un rescrit. Il s’agit de permettre au maître d’ouvrage, en cas de recours contre un permis de construire, de saisir immédiatement, en référé, le président du tribunal administratif pour avoir une décision quant à la légalité ou l’illégalité manifeste de l’acte attaqué.

L’amendement est retiré.

Article 21
(art. 222-2-2, 222-2-3, 222-5, 222-6 [nouveaux] et 222-2-1 du code de justice administrative)
Élargissement et encadrement du recours à des magistrats honoraires

La Commission examine les amendements identiques CL85 de Mme Danièle Obono et CL706 de M. Jean-Félix Acquaviva.

M. Ugo Bernalicis. Par l’amendement CL85, nous proposons de limiter le recours aux magistrats honoraires dans la justice administrative, qui ne peuvent remplacer dans quasiment toutes les situations les magistrats de plein exercice.

En effet, alors que le recours aux magistrats honoraires est limité à certains contentieux aujourd’hui – droit des étrangers en juge unique, fonctions non juridictionnelles –, le projet de loi prévoit, dans cet article, d’ouvrir un champ de recrutement immense. Les magistrats honoraires pourraient être notamment rapporteurs dans les formations collégiales, juges uniques dans tous les contentieux ou juges des référés.

Or les magistrats honoraires, par définition, ne peuvent disposer des mêmes protections statutaires que les magistrats de plein exercice. C’est pourquoi nous proposons de supprimer cet article.

M. Jean-Félix Acquaviva. Par l’amendement CL706, nous souhaitons inciter le Gouvernement à étendre davantage le recrutement de nouveaux magistrats, plutôt que d’allonger la durée effective d’activité des magistrats administratifs par une prolongation du service des magistrats honoraires.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. J’émets un avis défavorable à ces amendements de suppression. Nous sommes en présence de magistrats qui, ayant fait valoir leurs droits à la retraite et justifiant de vingt années d’exercice, pourront continuer d’assumer diverses fonctions au sein des juridictions. C’est une demande partagée par les magistrats honoraires, mais aussi par les juridictions. Celles-ci souhaitent bénéficier du soutien et de l’expertise des magistrats honoraires, au-delà de l’activité qu’ils remplissent déjà, limitée aux contentieux des étrangers. J’y vois une mesure favorable. J’ajoute qu’elle est encadrée, puisqu’elle fixe un cadre statutaire et déontologique sur l’honorariat, en reprenant des dispositions prévues pour les magistrats honoraires de l’ordre judiciaire, et en posant une limite d’âge à 75 ans.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Mon avis sera également défavorable. Ces magistrats honoraires, dont l’apport est très intéressant pour les juges administratifs, pourront exercer soit des fonctions de rapporteur au sein des formations collégiales, soit des fonctions de juge unique, soit des fonctions d’aide à la décision. Il me semble que c’est un appui très intéressant pour les juges administratifs. L’ensemble des dispositions qui concernent ici la magistrature administrative répond à une demande très soutenue du Conseil d’État et des juges administratifs. Il me paraît donc important d’évoluer en ce sens.

M. Ugo Bernalicis. Si vous n’entendez pas nos arguments de fond, entendez au moins celui de l’emploi dans notre pays ! Pourquoi ne pas plutôt ouvrir des postes et recruter ? La philosophie générale du texte, dans ses moindres détails, est de réaliser des économies : recourir à des magistrats honoraires plutôt que d’en embaucher de nouveaux, instaurer un recours préalable plutôt que de garantir l’accès au juge… C’est à se demander pourquoi nous augmentons le budget de la justice ! Je ne comprends pas que nous en arrivions là. Au moins, relancez l’emploi !

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Nous créons 6 500 emplois supplémentaires, monsieur Bernalicis.

M. Jean Terlier. Monsieur Bernalicis, nous ne réalisons pas des économies mais essayons de regarder un problème en face et de trouver des solutions pragmatiques. Aujourd’hui, le constat est unanime : le délai de traitement d’un dossier devant le tribunal administratif peut atteindre deux ou trois ans, voire quatre à cinq ans en cas de recours devant la cour administrative d’appel. Le fait que des magistrats honoraires, qui ont fait leurs preuves au cours de leur carrière, viennent en appui d’autres magistrats, constituera une partie de la solution.

Mme Alice Thourot. Monsieur Bernalicis, vous ne pouvez pas à la fois nous reprocher de vouloir rationaliser ou faire des économies sur certains postes, et prôner, dans nombre de vos amendements, la gratuité de toutes les procédures et démarches. Cela me paraît quelque peu contradictoire.

M. Alain Tourret. Bien que ces propositions aillent dans le bon sens, je regrette l’absence de recours à l’amende civile, qui remplacerait l’article 700 du nouveau code de procédure civile ou l’article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel. L’amende civile est un moyen utile et indispensable en cas d’abus de droit. Or bien souvent, en la matière, les intérêts et les conséquences sont tels que les dossiers s’enlisent. Je pourrais citer maintes affaires ayant été bloquées pendant trois ou cinq ans ; il s’agissait de contournements. En définitive, l’on va outre le droit. Sachez, madame la ministre, que le pont de l’île de Ré a été construit sans permis !

M. Ugo Bernalicis. Si les délais de jugement sont trop longs, c’est précisément par manque de juges. En réponse, vous pouvez soit recourir à des magistrats honoraires, soit recruter de nouveaux juges. J’ajoute que les magistrats honoraires pourront ne pas être reconduits. Ils ne seront pas inamovibles comme les juges statutaires, même s’ils bénéficieront d’un encadrement et d’un statut. Pour ma part, je suis favorable au recrutement de juges en nombre suffisant. Or vous prévoyez de ne pas en recruter suffisamment, puisque vous instituez le recours à des magistrats honoraires.

M. Jean-Félix Acquaviva. Si c’est un choix d’ordre budgétaire, il faut l’assumer comme tel.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Ce n’est aucunement un choix d’ordre budgétaire – même si, bien évidemment, toute décision a une incidence budgétaire. En l’occurrence, je le répète, il ne s’agit pas d’un choix budgétaire. Nous pouvons bénéficier de l’appui de magistrats qui ont une pratique ancienne, aiment leur métier, sont volontaires et veulent continuer à s’investir. Je ne vois pas pourquoi nous ne profiterions pas de leur expérience, le temps qu’ils le souhaitent. En parallèle, nous continuons à recruter, à hauteur de 6 500 emplois.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Je tiens à préciser que ces magistrats honoraires ne seront pas uniquement appelés à juger certaines affaires, mais interviendront également dans l’aide à la décision. Cela répond à leur souhait de continuer à travailler sur des sujets de fond et à accompagner leur juridiction. C’est une démarche positive de la part des juridictions comme des magistrats honoraires, que nous venons encadrer et encourager. C’est pourquoi je pense que cet amendement de suppression n’a pas lieu d’être.

La Commission rejette les amendements.

Elle adopte successivement les amendements rédactionnels CL933 et CL924 de la rapporteure.

Puis elle adopte l’article 21 modifié.

Article 22
(art. 122-3 et 228-1 du code de justice administrative)
Création d’une fonction de juriste assistant au sein des juridictions administratives

La Commission est saisie de l’amendement CL86 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis. Par cet amendement d’ajustement, nous souhaitons éviter une dérive – existante et qui pourrait se renforcer avec cet article – par laquelle les contractuels et stagiaires de la justice rédigeraient dans les faits, en partie ou totalement, certains jugements qui seraient ensuite sommairement relus ou modifiés par les juges qui les signent. Si l’apport d’une expertise extérieure supplémentaire peut contribuer à la qualité des décisions de justice rendues, il est nécessaire que ces juristes assistants ne deviennent pas des palliatifs à la restriction des effectifs de magistrats.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. J’émets un avis défavorable. Tout l’intérêt est justement que les juristes assistants contribuent à la rédaction des décisions et apportent leur aide à la prise de décision. Ces juristes assistants sont titulaires d’un doctorat ou ont une formation juridique au moins égale à cinq années d’études supérieures, et viennent participer à l’ensemble du processus judiciaire.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. C’est méconnaître la réalité du fonctionnement d’une juridiction administrative, comme d’ailleurs d’une juridiction judiciaire, que de vouloir cantonner ces assistants à des tâches qui ne contribueraient pas à la rédaction des jugements. Sachez, monsieur Bernalicis, que les magistrats plébiscitent ces soutiens. Ils demandent presque davantage des aides et des assistants que de nouveaux postes. Je n’affirme pas pour autant qu’il ne soit pas nécessaire de créer de nouveaux postes de magistrats…

M. Alain Tourret. Je partage vos observations, madame la ministre. J’avais fait une proposition, en son temps, consistant à s’inspirer de la double appartenance instaurée par le professeur Robert Debré dans les centres hospitaliers universitaires (CHU). Cette double appartenance pourrait s’appliquer à tous les professeurs de droit et à tous les juristes. Les premiers seraient de plein droit intégrés dans le corps de la magistrature, avec, bien évidemment, l’interdiction de donner des consultations. Il est en effet scandaleux de voir des professeurs effectuer des consultations pour le secteur privé à longueur de temps, alors qu’ils relèvent normalement de la formation publique. La solution de la double appartenance contribuerait à éviter ce travers. Elle serait susceptible d’intéresser fortement les professeurs de droit, et permettrait aux juridictions administratives et civiles de recruter de plein droit des personnes très compétentes. Celles-ci seraient intégrées soit aux cours d’appel lorsqu’elles sont agrégées, soit aux tribunaux de première instance lorsqu’elles ne sont pas titulaires d’une agrégation.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL572 de M. Robin Reda.

M. Robin Reda. Cet amendement vise à élargir le recrutement de juristes assistants aux titulaires du certificat d’aptitude à la profession d’avocat (CAPA). Les titulaires du CAPA peuvent, dans les faits, n’avoir qu’un niveau master 1. Or, ils peuvent être utiles pour appuyer l’expertise juridique et apporter un accompagnement aux professionnels de la justice.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. J’ai bien entendu cette demande du Conseil national des barreaux (CNB), mais elle est déjà satisfaite par les dispositions qui s’appliquent aux juristes assistants dans l’ordre judiciaire ainsi que par celles que nous prenons aujourd’hui en matière administrative. Ainsi, il est prévu qu’il s’agisse de personnes titulaires d’un doctorat en droit ou d’un autre diplôme sanctionnant une formation juridique au moins égale à cinq années d’études supérieures. Pour être titulaire du CAPA, il faut détenir un master 1 – soit quatre années d’études – puis passer dix-huit mois en école de formation des barreaux (EFB), ce qui porte la formation à plus de cinq ans.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Avis défavorable également.

M. Philippe Gosselin. Je ne suis pas certain que le CAPA soit considéré comme l’équivalent d’une cinquième année d’études supérieures.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Le texte indique que peuvent être nommées juristes assistants « les personnes titulaires d’un diplôme sanctionnant une formation juridique au moins égale à cinq années ». Le master 1 correspond à quatre années d’études, auxquelles s’ajoutent les dix-huit mois de formation juridique liés à l’obtention du CAPA. Il n’y a donc aucune ambiguïté en la matière. Je vous demanderai par conséquent de retirer cet amendement.

L’amendement est retiré.

La Commission examine l’amendement CL708 de M. Jean-Félix Acquaviva.

M. Jean-Félix Acquaviva. Cet amendement vise à lutter contre les contrats précaires dont feront inévitablement l’objet, selon nous, les juristes assistants, jeunes gens hautement qualifiés en droit public.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Cette préoccupation ne correspond pas à la réalité. Les juristes assistants existent déjà dans l’ordre judiciaire. Il est fréquent que des doctorants, par exemple, exercent la fonction de juriste assistant à temps partiel, en marge de la rédaction de leur thèse. Le travail qu’ils exercent au sein de ces juridictions alimente d’ailleurs les recherches qu’ils mènent dans le cadre de leur doctorat. Je vous suggère donc de retirer cet amendement. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je partage l’avis de madame la rapporteure.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL709 de M. Jean-Félix Acquaviva.

M. Jean-Félix Acquaviva. Cet amendement vise à valoriser le statut et l’expérience des juristes assistants en permettant à ces derniers de bénéficier d’un accès au concours interne de l’École nationale d’administration (ENA) dès lors qu’ils justifiant de trois années d’exercice.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Mon avis est défavorable. Aujourd’hui, les juristes assistants doivent justifier de quatre années d’exercice pour être éligibles au concours interne d’accès à l’École nationale d’administration. Je ne vois pas de raison de réduire ce délai à trois ans.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je partage cet avis. Il n’y a pas lieu de prévoir des exceptions singulières à la règle transversale qui s’applique en la matière. Par ailleurs, cette mesure relève du domaine réglementaire.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’article 22 sans modification.

Article 22 bis (nouveau)
(art. 231-5 du code de justice administrative)
Assouplissement des conditions de mobilité des magistrats administratifs

La Commission examine l’amendement CL931 de la rapporteure.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Cet amendement résulte d’échanges avec le Conseil d’État et les syndicats de magistrats administratifs que j’ai auditionnés dans le cadre de ce projet de loi. Il vise à assouplir les conditions de mobilité des juges administratifs. Aujourd’hui en effet, le code de justice administrative interdit la nomination au sein des juridictions administratives d’un conseiller qui aurait préalablement occupé certaines fonctions depuis moins de trois ans dans le ressort de la juridiction.

Cet amendement permet de garantir l’avancement et la progression de carrière des magistrats administratifs qui auront accompli leur mobilité administrative en occupant des fonctions de directeur régional ou départemental d’une administration publique de l’État, ou encore des fonctions de direction au sein de collectivités territoriales de moins de 100 000 habitants.

Cet assouplissement présente un intérêt pour les juridictions administratives et les administrations territoriales ou déconcentrées, en permettant d’enrichir et de diversifier l’expérience professionnelle des magistrats administratifs au cours de leur carrière.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je partage l’avis de la rapporteure.

M. Raphaël Schellenberger. Je pense que cet amendement est une grave erreur. Aujourd’hui, un délai de trois ans est appliqué. Compte tenu de la durée d’une procédure administrative, il assure peu ou prou qu’une personne – quel que soit son niveau hiérarchique – ayant été chargée de l’application d’une décision publique sur un territoire ne sera pas confrontée à une procédure juridique liée à cette même décision. Si ce délai est réduit, il arrivera qu’un membre de l’administration déconcentrée, chargé d’étudier le document d’urbanisme d’une commune, se trouve en position de contribuer à la production du jugement dans la durée du recours administratif que pourrait porter l’État sur ce document. Cette disposition fait émerger un conflit d’intérêts majeur dans la justice administrative. Nous devrions rester très prudents sur ces questions.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Monsieur Schellenberger, il n’est pas prévu de modifier le délai de trois ans.

M. Alain Tourret. Je suis hautement favorable à la proposition de Mme la rapporteure. La mobilité doit être favorisée autant que possible. Moins il y a de mobilité, plus il y a de conflits d’intérêts.

La Commission adopte l’amendement.

L’article 22 bis est ainsi rédigé.

Article 23
(art. 133-7 [nouveau], 233-7, 233-8 du code de justice administrative et art. 1er de la loi n° 86-1304 du 23 décembre 1986)
Encadrement du maintien en activité de magistrats administratifs au-delà de la limite d’âge

La Commission adopte successivement les amendements rédactionnels CL932 et CL934 de la rapporteure.

Puis elle adopte l’article 23 modifié.

Chapitre II
Efficacité de la justice administrative

Article 24
(art. 511-2 du code de justice administrative)
Possibilité de recourir à la collégialité en matière de référés précontractuels et contratuels

La Commission adopte l’article 24 sans modification.

Article 25
(art. 911-1, 911-2, 911-3, 911-4, 911-5 du code de justice administrative, art. 2333-87, 2333-87-8 et art. 2333-87-8-1 [nouveau] du code général des collectivités territoriales)
Mesures permettant de renforcer l’effectivité des décisions de justice administratives

La Commission est saisie de l’amendement CL939 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Cet amendement a trois objets. Le premier a trait aux modalités de notification des avis de paiement rectificatifs du forfait post-stationnement par courrier simple. La mesure se borne à appliquer à cette catégorie de décisions les règles de notification qui sont déjà applicables aux avis de paiement initiaux, notifications réputées avoir eu lieu cinq jours francs à compter de l’envoi.

Le deuxième objet de l’amendement est de clarifier la composition de la Commission du contentieux du stationnement payant (CCSP), en prévoyant expressément qu’elle puisse être composée de membres permanents et non permanents. La CCSP, qui n’a commencé son activité contentieuse qu’en janvier 2018, a déjà été saisie de près de 27 000 requêtes à ce jour.

Enfin, cet amendement a pour finalité de ratifier les deux ordonnances relatives à la gestion, au recouvrement et à la contestation du forfait post-stationnement. Cela permettra de donner une assise législative stabilisée à la réforme du stationnement payant intervenue le 1er janvier 2018.

Suivant l’avis de la rapporteure, la Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article 25 modifié.

Article 25 bis A (nouveau)
(art. 611-1, 77-13-1, 911-13-2 [abrogé] et 775-2 [abrogé] du code de justice administrative)
Protection du secret des affaires

La Commission est saisie de l’amendement CL750 de M. Jean Terlier.

M. Thomas Rudigoz. Cet amendement prévoit, dans le cadre des procédures engagées devant le juge administratif, le caractère suspensif du recours dirigé contre une ordonnance faisant droit à la communication d’une pièce couverte par le secret des affaires.

Cette disposition a pour objet de suppléer le dispositif initialement prévu dans le code de justice administrative, dont la portée était circonscrite au seul contentieux relatif à la prévention, la cessation ou la réparation d’une atteinte au secret des affaires. Sans une telle dérogation au principe du caractère non suspensif du recours, la procédure prévoyant l’aménagement du contradictoire perdrait de son effectivité, puisque la communication de la pièce litigieuse pourrait être obtenue, avec un effet irréparable, alors même que le juge de cassation pourrait juger, ensuite, que la pièce est couverte par le secret des affaires.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. J’émets un avis favorable à cet amendement, qui instaure une cohérence avec les dispositions promulguées cet été.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Cet amendement complète la loi du 30 juillet 2018 relative à la protection du secret des affaires, étant précisé que l’appel contre une décision de tribunal administratif qui exige la communication d’une pièce est suspensif. Cette disposition avait été prévue pour l’ordre judiciaire mais relève, dans ce dernier, du pouvoir réglementaire. Il était donc nécessaire de l’introduire dans la loi pour l’ordre administratif.

M. Ugo Bernalicis. Je constate que la loi sur le secret des affaires continue d’avoir des impacts, dans le but de maintenir le secret aussi longtemps que possible. Nous proposerons des amendements de suppression de ces dispositions, le moment venu, pour la séance.

La Commission adopte l’amendement.

L’article 25 bis A est ainsi rédigé.

Après l’article 25 bis A

La Commission examine l’amendement CL375 de M. Philippe Gosselin.

M. Philippe Gosselin. Cet amendement a pour objet de renforcer les pouvoirs des policiers municipaux, auxquels il est fait de plus en plus largement appel. Aujourd’hui, ces policiers sont quelque peu démunis pour un certain nombre d’affaires. Ils n’ont pas accès, par exemple, au fichier des objets et des véhicules signalés. Il ne s’agit bien évidemment pas de substituer une police municipale à une police nationale. Cependant, si nous voulons disposer de policiers municipaux efficaces – tels que les attendent nos concitoyens – et au service de la Cité, ils doivent avoir accès au fichier des objets et des véhicules signalés ainsi qu’au fichier des personnes recherchées. Compte tenu de la sensibilité du sujet, cet accès devra être encadré dans des conditions fixées par un décret en Conseil d’État.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous avons effectué un changement de rapporteur, car les domaines d’attribution ne sont pas les mêmes.

M. Didier Paris, rapporteur. Si je comprends bien, vous parlez en particulier de l’accès au fichier des objets et des véhicules signalés (FOVeS), que nous connaissons bien pour l’avoir étudié dans le cadre d’une mission d’information avec M. Pierre Morel‑À‑L’Huissier. Sauf erreur de ma part, les règles d’accès à ce fichier ne sont absolument pas de nature législative, mais purement réglementaire. C’est le premier point qui nous opposera, peut-être. En l’état, les forces de police municipale peuvent avoir accès à tous les fichiers mais, vous le savez très bien, de manière indirecte puisqu’elles passent par la police ou la gendarmerie nationales, sollicitant telle ou telle réponse sur tel ou tel cas – ce qui paraît une précaution assez élémentaire.

La logique des fichiers est toujours particulière, dans le sens où ceux-ci font l’objet d’une règle, absolument normale, de proportionnalité et de finalité. Encore faut-il, donc, que les agents qui y ont accès aient des activités qui correspondent à la finalité du fichier, ce qui ne paraît pas absolument évident s’agissant des polices municipales. Cela supposerait, en outre, de doter celles-ci de dispositifs techniques dont elles sont loin d’être dotées aujourd’hui.

Enfin, et c’est peut-être le premier argument, le lien avec le fichier des personnes recherchées (FPR) paraît devoir être manié avec beaucoup de précaution.

Pour toutes ces bonnes raisons, j’émets un avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je formule le même avis. J’ajouterai que nous sommes peut-être à la frontière du cavalier législatif.

M. Philippe Gosselin. Je ne sais pas si nous sommes à la frontière. Je crois plutôt que nous sommes réellement dans le sujet. Pour moi, cela relève bien du législatif, dans tous les cas. Il faut un cadre légal indiscutable sur une question qui, en effet, est sensible. Je crois que cela ne peut pas relever du réglementaire. Que ce soit, madame la ministre, dans le cadre de ce projet ou d’un autre qui relèverait davantage du ministère de l’intérieur, ce peut être un débat. Je veux bien l’entendre. Mais, honnêtement, on ne peut pas demander la simplification des procédures à certains moments et dire à d’autres que ce n’est pas gênant, que l’on peut passer par les policiers – ou par des circuits tellement alambiqués qu’en réalité beaucoup de temps est perdu.

Je veux bien qu’il y ait une interrogation sur le FPR – cela dit, vous savez bien l’intérêt, dans une ville, d’avoir des enquêteurs complémentaires des policiers ou gendarmes nationaux, pour le passage d’informations. Je veux bien admettre la discussion là-dessus. Mais les véhicules signalés sont, si je puis dire, le cœur du métier, sauf à considérer que l’on privatise – comme c’est le cas, du reste, avec de nombreuses sociétés qui se font beaucoup d’argent sur le stationnement. Je crois que l’on ne pourra pas continuer très longtemps à renvoyer les polices municipales dans leurs écuries – pour reprendre l’image du cavalier employé par Mme la ministre – sans apporter de réponses plus concrètes. Aujourd’hui, la police nationale fait son travail, c’est évident, mais les polices municipales sont de plus en plus présentes. Et vous savez le rôle qu’elles jouent dans les territoires, et les attentes de nos concitoyens.

M. Didier Paris, rapporteur. Nous partageons évidemment votre sentiment sur le rôle des polices municipales. Il n’y a aucun doute sur ce point. Mais la compétence réglementaire est absolument manifeste à mes yeux. Certes, la création d’un fichier de cette nature procède de la loi, mais l’accès, lui, est de nature réglementaire, à tel point, d’ailleurs, qu’un tout récent arrêté, datant du 7 juillet 2017, a pu prolonger ou modifier les droits d’accès.

M. Philippe Gosselin. Pouvons-nous entendre la ministre sur ce point ? Si cela ressortit au domaine réglementaire, quels sont vos engagements ou vos perspectives, madame la garde des Sceaux ?

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je m’engage à y travailler.

M. Philippe Gosselin. C’est une réponse rapide et lapidaire qui, je l’espère, n’engagera pas seulement ceux qui l’auront entendue !

La Commission rejette l’amendement CL375.

Article 25 bis (supprimé)
(art. L. 228-2 et L. 228-5 du code de la sécurité intérieure et L. 773-10 [nouveau] du code de justice administrative)
Contestation devant le juge administratif des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance

La Commission est saisie de l’amendement CL787 du rapporteur.

M. Didier Paris, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de suppression de l’article qui a davantage sa place après l’article 42, dans un chapitre dédié au terrorisme. Nous l’examinerons donc sur le fond.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement CL787.

L’article 25 bis est supprimé.

Article 25 ter (supprimé)
(art. L. 229-1, L. 229-4 et L. 229-5 du code de la sécurité intérieure)
Extension du régime procédural prévu pour la saisie administrative de données et supports informatiques aux documents saisis

La Commission est saisie de l’amendement CL788 du rapporteur.

M. Didier Paris, rapporteur. L’explication est la même que pour l’amendement précédent.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement.

L’article 25 ter est supprimé.

Article 25 quater (supprimé)
(art. L. 285-1, L. 286-1, L. 287-1 et L. 288-1 du code de la sécurité intérieure)
Application outre-mer des articles 25 bis et 25 ter

La Commission est saisie de l’amendement CL789 du rapporteur.

M. Didier Paris, rapporteur. L’explication est à nouveau la même, à ceci près que cette disposition a sa place à l’article 57 relatif aux modalités d’application outre-mer des dispositions du projet de loi.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement.

L’article 25 quater est supprimé.

Après l’article 25 quater

La Commission est saisie de l’amendement CL186 de M. Raphaël Schellenberger.

M. Raphaël Schellenberger. Cet amendement s’intéresse à un fléau qui touche nos territoires ruraux – celui des dépôts sauvages de déchets. Il vise à faciliter la mobilisation de la vidéosurveillance pour lutter contre cette pratique inadmissible. Aujourd’hui, en effet, il n’est malheureusement pas possible de recourir à la vidéosurveillance dans les lieux où l’on constate régulièrement des dépôts sauvages. C’est un amendement issu de ma proposition de loi visant à renforcer le rôle des gardes champêtres.

M. Didier Paris, rapporteur. Je pense que cet amendement n’a pas nécessairement sa place dans une réforme de la justice telle que nous l’évoquons. Il fait plutôt référence à la sécurité intérieure – vous avez vous-même cité un autre texte.

Sur le fond, j’y suis défavorable, pour la simple raison que la vidéosurveillance n’est pas un dispositif qu’il faille manier trop largement, même si le but que vous poursuivez est tout à fait légitime – dans tous les départements, les parlementaires savent à quel point la situation peut être délicate. Il s’agit tout de même d’une surveillance de voie publique, qui peut toucher beaucoup de monde. Cela me semble tout à fait disproportionné par rapport au but à atteindre.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Le droit commun de la vidéoprotection est fixé par l’article L. 251-1 du code de la sécurité intérieure, qui détermine les finalités pour lesquelles la vidéosurveillance peut être employée. Il s’agit de prévenir un certain nombre de comportements ou d’infractions dont la gravité ou les risques pour la sécurité des personnes justifie l’atteinte portée au droit à la vie privée de celles-ci. Il me semble que la lutte contre le dépôt sauvage de déchets ne justifie pas l’extension que vous préconisez.

M. Raphaël Schellenberger. Je regrette que ce sujet soit évacué aussi rapidement. Au-delà des beaux discours tenus sur la préservation de l’environnement et de la biodiversité, des collectivités s’engagent dans des démarches proactives de tri des déchets et de diminution de la production de ceux-ci. Or elles sont confrontées à des comportements qu’elles n’ont pas les moyens de sanctionner. J’entends que la vidéosurveillance est un moyen très intrusif au regard de la protection de la vie privée. Cependant, étant donné l’incapacité dans laquelle se trouvent certains territoires pour impulser des changements de comportement, il y va de l’intérêt général bien compris de leur donner les moyens d’agir.

La Commission rejette l’amendement CL186.

Elle examine ensuite l’amendement CL167 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis. Par cet amendement, nous proposons d’abroger certaines dispositions de la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement et de revenir à l’état antérieur du droit, étant donné l’absence de preuves d’utilité et d’efficacité des principales dispositions de cette loi. À l’époque, déjà, ces dernières avaient été jugées liberticides par divers organismes, dont la Commission nationale consultative des droits de l’homme et l’Observatoire des libertés et du numérique.

En l’absence d’éléments suffisamment probants produits par le Gouvernement quant à l’utilité et à l’efficacité réelles de ces dispositions, portant pour la plupart sur les techniques spéciales d’enquête, nous proposons leur abrogation.

M. Didier Paris, rapporteur. Cet amendement nous renvoie aux discussions qui avaient eu lieu sur la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme. Sur le métier, l’on peut cent fois remettre l’ouvrage, sans que nous changions pour autant de position.

Sur le fond, la loi du 24 juillet 2015 a le mérite de légaliser des techniques de renseignement existantes ainsi que de préciser et d’encadrer leur mode de fonctionnement, y compris avec l’intervention de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. Cette loi a de surcroît été jugée parfaitement conforme à la Constitution. Le caractère illicite que vous invoquez, monsieur Bernalicis, peut donc être très largement discuté. Enfin, si nous devions supprimer les techniques en question – moyens de sonorisation, de captation d’images…– je me demande dans quelle situation se trouveraient les forces de sécurité pour faire face à la menace terroriste qui continue de peser sur notre pays. J’émettrai donc un avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Mon avis est également défavorable. Au-delà de la raison que vient d’avancer M. le rapporteur, je pense qu’il s’agit d’un cavalier. En effet, les techniques auxquelles vous vous référez, monsieur Bernalicis, ne sont pas utilisées dans le cadre d’une procédure judiciaire, mais sont employées par les services de renseignement dans le cadre des finalités de prévention des atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation.

M. Ugo Bernalicis. Je ne suis pas opposé dans l’absolu aux techniques spéciales d’enquête, mais je souhaite qu’elles soient à l’initiative du judiciaire et non de l’exécutif ou de l’administratif.

La Commission rejette l’amendement CL167.

6.   Deuxième réunion du jeudi 8 novembre 2018 à 14 heures 30 (article 26 à article 32 bis)

Lien vidéo :

http://www.assemblee-nationale.tv/video.6914893_5be4388d99c00.commission-des-lois--projets-de-loi-de-programmation-2018-2022-et-de-reforme-pour-la-justice-suite-8-novembre-2018

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous reprenons l’examen du projet de loi de programmation et de réforme pour la justice. Nous en venons à l’article 26.

TITRE IV 
DISPOSITIONS PORTANT SIMPLIFICATION ET RENFORCEMENT DE L’EFFICACITÉ DE LA PROCÉDURE Pénale

Chapitre Ier
Dispositions relatives au parcours judiciaire des victimes

Article 26
(art. 10-2, 15-3, 15-3-1 [nouveau], 40-4-1, 89, 391, 393-1, 420-1 et 706-57 du code de procédure pénale)
Amélioration du parcours judiciaire de la victime

La Commission examine les amendements identiques CL790 du rapporteur et CL749 de M. Stéphane Mazars.

M. Didier Paris, rapporteur. Je vous propose de clarifier les dispositions de l’article 15-3 du code de procédure pénale, relatif à la réception des plaintes par les services ou les unités de police judiciaire. Il s’agit de préciser que les plaintes peuvent être reçues non seulement par des officiers mais aussi par des agents de police judiciaire, et que, lorsqu’elles sont déposées auprès d’un service qui n’est pas territorialement compétent, elles doivent être transmises à celui qui l’est.

M. Stéphane Mazars. Il est bon d’écrire expressément que les plaintes peuvent être déposées auprès d’un officier de police judiciaire (OPJ) ou d’un agent de police judiciaire (APJ). J’ai rencontré des agents sur le terrain, notamment des gendarmes, dans le cadre de cette organisation territoriale un peu particulière qu’est la brigade de contact, en zone rurale – on peut y trouver des APJ isolés, dans certaines parties de nos départements – et je sais qu’il y a parfois des réticences à prendre des plaintes : les APJ ont l’impression de ne pas faire un acte légal, conforme à ce qui est prévu, car ils ne sont pas sous le contrôle d’un OPJ à ce moment-là. Il est également positif de bien préciser, car il y a un certain nombre d’interrogations, que lorsqu’on a déposé plainte là où l’on réside, que ce soit à la gendarmerie ou au commissariat, et que les faits n’ont pas été commis dans le même département, la plainte sera quand même transmise à la structure territorialement compétente.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. J’émets un avis très favorable.

M. Raphaël Schellenberger. Je voudrais évidemment soutenir ces amendements. De nouvelles structures ont vu le jour ces derniers temps, en particulier des guichets dématérialisés pour porter plainte, par exemple en cas de fraude à la carte bancaire, et il y a parfois une mauvaise interprétation dans les commissariats de proximité et les gendarmeries, qui renvoient, de bonne foi, vers des plateformes numériques alors que certains justiciables n’ont pas forcément les moyens de déposer plainte de cette manière. Je pense donc que c’est une très bonne chose que de faire le rappel qui nous est proposé. J’espère aussi que l’exécutif saura prévoir les moyens nécessaires pour assurer l’opérationnalité du système et pour faciliter le travail de routage des plaintes vers les structures compétentes, car ce n’est pas nécessairement évident pour un gendarme en poste dans une brigade territoriale. En matière de re-routage, un effort de mutualisation pourrait ainsi être réalisé par un office central.

M. Antoine Savignat. Je vais abonder dans le même sens : il faut enfoncer le clou en ce qui concerne l’article 15-3 du code de procédure pénale. Trop souvent, et tous les avocats pratiquant le droit de la famille le savent, nos concitoyens s’entendent dire par les services qu’ils ont saisis que ces derniers ne sont pas compétents en ce qui concerne les affaires entre parties et les affaires familiales. Il serait bon de réfléchir aux moyens permettant de s’assurer de la bonne application de cette disposition, que le groupe Les Républicains votera évidemment.

La Commission adopte les amendements.

Elle est ensuite saisie de l’amendement CL728 de M. Buon Tan.

M. Buon Tan. Mon amendement vise à assurer, dans une logique de numérisation de la procédure pénale, la création automatique d’un dossier numérique pour le suivi des dépôts de plainte. En effet, beaucoup de plaignants n’ont pas de retour à l’heure actuelle : ils ne savent pas où en est leur plainte ni, en particulier, si les auteurs des infractions, des délits ou des crimes commis ont été arrêtés ou poursuivis.

L’idée est d’avoir un système sécurisé d’accès en ligne qui permettra à chaque plaignant de voir où en est son dossier, et surtout s’il y a des débouchés. Cela permettra non seulement d’informer les victimes mais aussi de casser un peu la spirale qui conduit les gens à se dire qu’il ne sert à rien de porter plainte, que c’est une perte de temps. Or quand il n’y a pas de plainte, il n’y a même pas de début d’enquête, ce qui incite les délinquants à continuer à sévir, se disant qu’ils ne seront pas inquiétés.

Le problème se pose notamment pour des victimes ne résidant pas en France : désormais, on demande souvent aux touristes de porter plainte, mais ils ne veulent pas perdre une demi-journée et perturber tout leur groupe ou leur délégation pour déposer une plainte dont ils n’auront jamais de nouvelles – et si jamais ils en ont, ils ne recevront pas le courrier qui est envoyé ou ils ne le comprendront pas car il sera écrit en français.

Mon amendement vise à arrêter cette spirale en donnant à chaque citoyen la possibilité de savoir où en est sa plainte.

M. Didier Paris, rapporteur. Il serait difficile d’être opposé à l’idée sous-tendue par votre amendement, d’une part parce qu’aucun d’entre nous ne peut être insensible à la situation des victimes au moment où elles déposent plainte et, d’autre part, parce que ce texte comporte de nombreuses dispositions visant à améliorer leur parcours dans le cadre de la procédure pénale, car leur situation est toujours douloureuse.

J’ai néanmoins deux objections qui m’amènent à vous demander de retirer cet amendement, à défaut de quoi j’émettrai un avis défavorable. Tout d’abord, il semblerait que les dispositions que vous proposez soient nettement plus de niveau réglementaire que législatif. Ensuite, ce qui est peut-être plus important encore – et la ministre s’exprimera sans doute sur ce point –, je vais défendre un amendement visant à améliorer la qualité de la procédure pénale grâce à la numérisation. Celle-ci fait, ou fera, l’objet d’un plan global, et les éléments que vous évoquez pourront probablement entrer dans ce cadre : il serait vraiment préférable d’évoquer le sujet dans ce cadre plus général.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. J’émets un avis identique à celui de M. le rapporteur. Votre proposition, monsieur le député, fait partie de ce à quoi nous souhaitons aboutir. Néanmoins, je pense qu’il est important de fixer le cadre général de la procédure pénale numérique que nous souhaitons développer, comme un amendement de M. le rapporteur nous y invite. À ce stade, même si je peux partager votre objectif, je ne souhaite pas rigidifier la situation d’une manière aussi précise que le ferait votre amendement, car je craindrais que l’on soit mis en difficulté par la suite. L’information que vous demandez de délivrer grâce à la numérisation de la procédure doit être donnée à toutes les victimes, et pas seulement à celles qui ont déposé une plainte en ligne.

M. Buon Tan. Je voudrais souligner que le numérique est vraiment un outil approprié. Ce qui m’importe surtout est qu’il y ait une volonté réelle, comme vous l’avez dit, de donner aux gens une information sur le sort de leur plainte. Si vous me confirmez cette volonté, cela me convient et je vais retirer mon amendement.

L’amendement CL728 est retiré.

La Commission examine l’amendement CL986 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je souhaite la suppression d’une disposition adoptée par le Sénat qui prévoit que, lors du dépôt d’une plainte en ligne, la victime doit être avisée des poursuites encourues pour dénonciation calomnieuse. Cette mesure, prévue de manière générale pour tout dépôt de plainte en ligne, pourrait être perçue comme une marque de défiance à l’égard des victimes, alors même que le dispositif vise à encourager les démarches et à les simplifier. Du reste, un tel avis n’est pas prévu lorsqu’une victime se déplace au commissariat pour déposer plainte.

M. Didier Paris, rapporteur. J’émets un avis favorable.

M. Jean-Louis Masson. L’article 26, tel que le Sénat l’a rédigé, comporte désormais une disposition visant à éviter les plaintes en ligne, au profit des plaintes déposées dans les formes traditionnelles, en cas de crime ou délit contre les personnes. C’est plus que du bon sens : comment est-il possible, en effet, qu’une plainte puisse prospérer dans de telles hypothèses si l’on n’entend pas la victime, l’auteur présumé de l’acte et les témoins ? Par ailleurs, l’approche humaine est importante quand une personne a subi un crime ou un délit de cette nature : le fait d’entendre la victime lui permet d’être mieux comprise et de mieux formaliser juridiquement les faits. Je crois vraiment que la proposition du Sénat est utile sur ce plan.

Mme Cécile Untermaier. L’alinéa 4, qu’il nous est proposé de supprimer, demande de prévenir la personne voulant déposer une plainte en ligne des poursuites qu’elle encourt en cas de dénonciation calomnieuse. Cela consiste seulement à ce que la personne soit prévenue, comme elle pourrait l’être de manière orale lors d’un dépôt de plainte dans une gendarmerie ou un commissariat. Je pense au contraire que la précision apportée par le Sénat est bienvenue. Quand on n’a personne en face de soi, on est dans une situation différente de celle d’un dépôt de plainte au commissariat ou dans une gendarmerie : on est seul devant son ordinateur. Il n’est donc pas inutile de rappeler que l’on ne dépose pas une plainte juste comme ça, et que l’on encourt des risques en cas de dénonciation calomnieuse.

La Commission adopte l’amendement CL986.

Elle en vient aux amendements identiques CL1064 du Gouvernement et CL585 de Mme Laurence Vichnievsky.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Cet amendement concerne, me semble-t-il, la disposition à laquelle M. Masson vient de faire allusion. Je propose de supprimer l’interdiction, ajoutée par le Sénat, de déposer une plainte en ligne quand elle est relative à des crimes ou à des délits contre les personnes. Une telle restriction reviendrait, en effet, à supprimer le dispositif de plainte en ligne dans de très nombreux cas, ce qui ne me paraît pas justifié.

J’ai déposé un autre amendement précisant expressément que, si la nature ou la gravité des faits le justifie, le dépôt d’une plainte en ligne ne dispensera pas les enquêteurs de procéder à l’audition de la victime. Pour être très claire, vous savez que l’on peut aujourd’hui déposer des pré-plaintes en ligne : ce texte donne la possibilité de les transformer juridiquement, en quelque sorte, pour en faire réellement des plaintes, mais cela n’empêchera en aucun cas les enquêteurs d’auditionner les victimes et de faire leur travail d’enquête.

L’idée est de donner un atout supplémentaire aux victimes, et non de substituer un processus à un autre. Une victime qui souhaitera porter plainte dans un commissariat ou une gendarmerie sera nécessairement accueillie. Une disposition du code de procédure pénale oblige d’accueillir les personnes qui se présentent pour porter plainte.

Cette disposition survivra mais nous souhaitons, je l’ai dit, donner un atout supplémentaire aux victimes : au moment des faits, un certain nombre d’entre elles peuvent trouver plus simple, si elles en ont la possibilité, de porter plainte en ligne, chez elles, sans avoir à être confrontées immédiatement au regard ou aux questions d’un enquêteur. C’est aussi une question de rapidité : cela pourrait, en outre, permettre de préserver des preuves.

Je le répète : il s’agit d’un atout supplémentaire, qui ne se substitue évidemment pas à l’accueil physique des personnes, si elles le souhaitent.

M. Philippe Latombe. Nous partageons la volonté de supprimer l’alinéa 5 – mais nous ne serons pas du même avis tout à l’heure en ce qui concerne l’alinéa 6. Il nous semble en effet qu’il est important de préserver cette dernière disposition : trop souvent, même s’il y a des dispositions qui obligent à recueillir les plaintes, on observe en pratique des renvois d’un commissariat à l’autre. Mais nous en discuterons par la suite.

M. Didier Paris, rapporteur. Je rejoins pleinement l’avis du Gouvernement. Le dispositif de la plainte en ligne s’inscrit dans le prolongement de la pré-plainte qui existe déjà et à laquelle une force juridique réelle sera donnée. C’est un dispositif qui se cumule avec le dépôt de plainte physique : ce ne sera pas l’un ou l’autre, ce pourra être l’un et l’autre. Par ailleurs, les services de police et de gendarmerie ayant eu connaissance d’une plainte en ligne auront, dans la plupart des cas, non pas l’obligation mais tout simplement la conscience professionnelle d’auditionner la personne quand c’est utile. Parfois, la plainte ne suffira pas à caractériser les faits. J’ajoute que le Gouvernement a déposé deux autres amendements, les amendements CL1065 et CL1066, qui permettront de préciser davantage les conditions et les contours de la plainte en ligne.

M. Antoine Savignat. Votre objectif, la simplification des démarches de nos concitoyens, est extrêmement louable. Il y a un constat, qui est que certaines victimes n’ont pas toujours envie, au moment où elles viennent de subir les faits, d’aller se soumettre au regard des autres, mais je pense que vous n’en tirez pas la bonne conclusion. Quelqu’un qui est une victime pour la première fois de sa vie – et la dernière fois, souhaitons-le – n’a jamais été confronté à une telle situation : cette personne est dans un moment de faiblesse et elle n’a pas forcément les bons réflexes. Si on lui dit qu’elle a la possibilité de déposer plainte seule, chez elle et derrière un ordinateur, elle va faire ce choix alors que, dans certains cas, et en particulier après des atteintes sexuelles, des constatations sont absolument indispensables dans les heures qui suivent l’agression. C’est là toute l’importance du discernement et du travail du fonctionnaire de police qui reçoit la plainte : un ordinateur sera incapable de faire l’analyse nécessaire. J’entends bien que la victime aura le choix de se rendre dans un commissariat, ou une gendarmerie, ou de déposer plainte sur internet, mais, comme elle est en état de faiblesse et qu’elle n’a pas le discernement nécessaire, je pense que c’est lui tendre un piège que de lui ouvrir cette nouvelle possibilité : on privera la victime des compétences et du professionnalisme du fonctionnaire amené à recueillir la plainte et on privera la suite, éventuelle, de la procédure et de l’enquête des constatations urgentes que l’on pourrait faire à ce moment-là.

M. Erwan Balanant. J’ai déposé des amendements qui vont dans le même sens que les propos de M. Antoine Savignat. Il faut bien différencier deux éléments. Il y a les plaintes en ligne relatives à des biens matériels : notre collègue Élodie Jacquier-Laforge s’est ainsi fait voler son téléphone ce matin dans le métro, et il lui a fallu une heure pour porter plainte, alors même qu’elle a eu la chance de pouvoir s’adresser au commissariat du 7e arrondissement. En ligne, cela aurait pu prendre cinq minutes. Il y a aussi les plaintes portant sur des infractions du livre II du code pénal, relatives aux crimes et délits contre les personnes, qui sont complètement différentes. Je suis extrêmement favorable à des systèmes de plainte en ligne permettant de déclarer un certain nombre d’éléments matériels, en particulier lorsqu’on se trouve dans une situation qui peut être difficile à vivre dans un commissariat ou une gendarmerie, ce qui n’est pas forcément le lieu le plus accueillant au monde. Mais je pense qu’il faut dissocier les crimes ou les délits contre les personnes, et que le dispositif mériterait d’être bien précisé sur ce plan. Prenons l’exemple d’une bagarre dans la rue : vous vous faites frapper, tabasser, et puis vous déposez plainte en rentrant chez vous, en ligne, par facilité. La plainte arrive alors au commissariat mais on a oublié un petit détail : si vous avez subi des coups et blessures, qui va les constater, et quand ? Le procureur aura besoin de connaître l’incapacité temporaire de travail (ITT) pour caractériser les faits.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Merci de conclure, cher collègue.

M. Erwan Balanant. Je vais prendre encore un peu de temps, si vous le permettez, et l’on pourra ensuite considérer que j’ai défendu mes propres amendements.

En ce qui concerne les crimes et les délits contre les personnes, je crois qu’il faudra bien préciser les choses grâce à des messages d’alerte. Pour des violences sexistes et sexuelles, il faudra notamment dire aux victimes que des constatations sont nécessaires. Après un dépôt de plainte en ligne, on devra rappeler la personne et celle-ci aura à faire faire les constatations qui s’imposent. Le dépôt de plainte en ligne est un très bon système, mais il faudra préciser le dispositif en ce qui concerne les violences physiques contre les personnes.

M. Stéphane Mazars. Je vais répondre à M. Balanant, même si ce n’est malheureusement pas pour lui dire que l’on a retrouvé le téléphone portable de notre collègue. (Sourires.)

La plainte en ligne est un bon système, auquel nous sommes très attachés. C’est une des mesures phares du projet de loi : il s’agira d’une porte d’entrée supplémentaire dans le parcours des victimes. Elles peuvent être réticentes, parfois, à aller rencontrer un officier de police judiciaire (OPJ) dans un commissariat ou une gendarmerie pour parler de ce qui vient de leur arriver, notamment dans les affaires les plus sensibles auxquelles nous pensons tous. En faire part sur un écran peut être plus facile.

Bien évidemment, et il n’y a pas de doute là-dessus, lorsqu’on sera en présence de faits délictueux ou criminels graves, de nature sexuelle par exemple, comme des viols, on ne fera jamais l’économie d’une rencontre entre la victime et des OPJ dans le cadre de l’enquête. C’est une première porte d’entrée, je l’ai dit : il faudra ensuite solliciter des précisions, des explications ou des informations auprès de la victime.

Par ailleurs, la rencontre avec un OPJ sera d’autant mieux organisée que le procureur de la République pourra aiguiller la victime vers le bon interlocuteur. Les parquetiers avec qui j’en ai parlé m’ont dit que cela faciliterait les choses : quand ils auront une affaire de mœurs dans une partie du département, ils pourront demander que tel ou tel gendarme ou policier rencontre la victime. Cela permettra une prise en charge beaucoup plus individualisée et personnalisée, c’est-à-dire beaucoup plus efficiente.

Je crois qu’il faut se réjouir de cette nouvelle procédure, car ce sera une nouvelle porte d’entrée dans le parcours des victimes, je le répète, et cela n’aura pas de caractère exclusif.

Il peut y avoir des difficultés d’information au stade du dépôt de plainte – cela concerne en particulier les certificats médicaux qu’il serait utile de produire – mais je pense que les décrets d’application demanderont que toute une série d’informations soit donnée dans le cadre du récépissé, afin d’éviter qu’il y ait une remise en cause des droits de la victime.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Il faut être clair sur ce sujet. Comme l’a dit M. Stéphane Mazars, ce sera vraiment une porte d’entrée supplémentaire, et je ne vois pas pourquoi on s’en priverait. Il y aura la porte d’entrée physique, avec l’accueil dans un commissariat ou une gendarmerie, et la porte d’entrée numérique. Elle existe déjà pour un certain nombre d’atteintes aux biens, sans que ce soit sous la forme d’une plainte en ligne – il s’agit de plateformes de signalement, car on n’a pas juridiquement transformé celui-ci en plainte. C’est notamment le cas pour les escroqueries à la carte bleue.

Je rappelle aussi que nous allons mettre en place, dans quelques semaines à peine, une plateforme de signalement pour les agressions sexuelles. C’est un engagement que nous avions pris, en effet, et le processus est tout à fait au point : la plateforme est prête et nous attendons maintenant l’avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). Avec le ministre de l’intérieur et Mme Marlène Schiappa, nous allons bientôt inaugurer cette plateforme de signalement, qui concerne donc des atteintes aux personnes.

En fonction de la gravité des faits – ils seront évidemment graves en cas d’atteintes à caractère sexuel –, la personne qui s’est signalée en ligne sera rappelée très vite par le commissariat ou la gendarmerie et les choses suivront ainsi leur cours. On sera rappelé par quelqu’un qui connaîtra déjà la nature de la plainte, et l’on pourra parfaitement venir accompagné de qui l’on veut, notamment un avocat.

Vous voyez que c’est vraiment un outil supplémentaire que nous proposons. Par ailleurs, je vous présenterai dans quelques minutes un amendement qui permettra d’apporter un complément au dispositif.

La Commission adopte les amendements identiques CL1064 et CL585.

Elle examine ensuite les amendements CL636 et CL637 de M. Erwan Balanant.

M. Erwan Balanant. Je tiens à redire à Mme la garde des Sceaux que je suis entièrement favorable à ce système. Toutefois, au cours des discussions que nous avons eues avec les gendarmes, les policiers et les victimes, nous avons perçu qu’il existait des risques, que je me permets de pointer. La plainte en ligne est, à mon sens, d’une efficacité redoutable. Elle est fléchée vers un enquêteur spécialisé qui reprendra contact avec la victime, ce qui permet de gagner du temps. Mais certaines atteintes physiques ne pourront pas être traitées par la plainte en ligne. C’est pourquoi un amendement partagé avec M. Stéphane Mazars visait à insister pour que les gens continuent d’être reçus dans les commissariats et les gendarmeries : la plainte en ligne ne doit pas être un quitus. Dans les cas d’atteintes physiques, il me semble qu’elle devrait rester une pré-plainte. Peut-être pourrait-on imaginer que la date retenue pour la plainte soit celle du dépôt de la plainte en ligne – la pré-plainte – mais que la procédure de plainte ne soit complète qu’une fois que le rendez-vous avec l’OPJ aurait eu lieu.

M. Didier Paris, rapporteur. Votre premier amendement, monsieur Balanant, est un peu surprenant, dans la mesure où il prévoit de mettre en place un système de pré-plainte qui existe déjà. Qui plus est, l’article 26 doit sécuriser l’ensemble du système. Votre deuxième amendement vise à nous alerter sur un sujet auquel Mme la ministre a également fait référence : il est capital que les personnes qui déposent une plainte en ligne ne voient pas leurs droits immédiats ou futurs amoindris, sous prétexte qu’elles auraient oublié tel ou tel point. L’article 26 prévoit clairement que les conditions de la plainte en ligne seront précisées par un décret. Il est important que toutes ces dispositions puissent apparaître, de façon très manifeste, au moment du dépôt de la plainte en ligne, notamment la nécessité d’obtenir un certificat médical, dans le cas de violences sexuelles, mais pas seulement, la notion d’ITT étant fondamentale dans notre droit pénal.

Mme la ministre a bien voulu faire référence à la plateforme de signalement qui est en cours d’installation. Elle est extrêmement attendue et correspond parfaitement à ce que nous souhaitons. Pour autant, il existe déjà des dispositifs de recueil de preuves, sans dépôt de plainte, dans les unités médico-judiciaires. Il est également possible de déposer des plaintes dans les lieux de prise en charge des victimes, notamment les hôpitaux. Des référents de police et de gendarmerie sont présents dans beaucoup de structures d’accueil des femmes victimes de violences. La plainte en ligne permettra de donner sa pleine puissance à ce dispositif social, médical et juridique assez élaboré.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Ces amendements sont pour partie satisfaits par l’amendement CL1066 que je vais présenter dans un instant. Sur l’aspect médico-légal, dans la réalité, c’est un OPJ, et non pas forcément la personne qui prend la plainte, qui demande les prélèvements. Le laps de temps actuel existera donc toujours avec la plainte en ligne. Par ailleurs, avec Mme Agnès Buzyn, nous déployons la possibilité de procéder à des prélèvements, dans certains centres médicaux, avant même que la plainte n’ait été déposée.

La Commission rejette successivement les amendements CL636 et CL637.

Puis elle examine l’amendement CL1065 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. L’amendement vise à supprimer une disposition adoptée par le Sénat prévoyant que « la plainte en ligne ne peut être imposée à la victime ». Elle me semble de fait inutile, puisqu’il est déjà écrit à l’article 15‑3‑1 du code de procédure pénale que : « lorsque, dans les cas et selon les modalités prévues par décret, la plainte de la victime est adressée par voie électronique, le procès-verbal de réception de plainte est établi selon les modalités prévues à l’article 801-1 ». Sans rendre ce type de plainte obligatoire, il se borne à préciser quelles en sont les conséquences, s’agissant notamment de l’établissement du procès-verbal (PV) de réception de plainte. La plainte en ligne est une simple faculté. Il ne me semble pas utile, au risque d’être redondant, de l’écrire à nouveau, dans la mesure où nous voulons clarifier et simplifier les choses.

M. Didier Paris, rapporteur. Avis favorable.

M. Raphaël Schellenberger. Madame la ministre, nous ne pouvons que saluer votre volonté d’écrire une loi qui se comprenne clairement et évite les redondances. En l’occurrence, vous évitez une redondance, mais la clarté n’a rien d’une évidence ! L’alinéa 6, rédigé par le Sénat, semble beaucoup plus clair. Il est nécessaire d’écrire que l’on ne peut pas imposer de déposer une plainte en ligne : nous avons tous des exemples de personnes victimes de fraudes sur internet ou à la carte bancaire, qui, arrivées dans un commissariat ou une gendarmerie, ont été renvoyées à la pré-plainte en ligne. C’est insupportable, quel que soit le délit. De fait, les victimes de fraudes sur internet n’utilisent pas nécessairement internet. Il faut énoncer clairement le fait que la plainte en ligne n’est qu’une faculté et qu’elle ne peut en aucun cas être obligatoire. Supprimer l’alinéa 6 serait particulièrement maladroit.

M. Philippe Latombe. Madame la ministre, nous comprenons votre volonté d’éviter toute redondance dans la loi. En revanche, en pratique, nous nous rendons bien compte qu’il existe un problème. Soit la loi énonce clairement que la plainte en ligne n’est jamais obligatoire, et nous gagnons en clarté moyennant une redondance, soit le ministère de l’intérieur s’engage à rappeler de façon ferme et solennelle qu’il n’est pas possible de renvoyer aux plaintes en ligne et qu’il faut accepter les plaintes dans les commissariats. Cela pose un problème d’efficacité. Le législateur doit être intelligent. Nos concitoyens ont besoin d’être sûrs qu’on ne les renverra pas vers la plainte en ligne, en leur donnant l’impression de se débarrasser d’eux. C’est aussi, sans doute, un problème psychologique que nous devons entendre.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je n’ai aucune objection au fond sur ce que vous proposez, mais voulais simplement éviter une écriture redondante. Si, pour vous, cet alinéa est absolument nécessaire à la clarté de la loi, j’en prends acte et retire mon amendement.

L’amendement CL1065 est retiré.

La Commission en vient à l’amendement CL1066 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Cet amendement, que je ne pense pas retirer… (Sourires) a pour objet de clarifier le texte relatif à la plainte en ligne et de répondre aux inquiétudes exprimées par M. Balanant. Il vise à insérer, après l’alinéa 6, l’alinéa suivant : « Si la nature ou la gravité des faits le justifie, le dépôt d’une plainte par la victime selon les modalités prévues par le présent article ne dispense pas les enquêteurs de procéder à son audition. La date de celle-ci peut alors être fixée au moment du dépôt de la plainte, et la victime est avisée de ses droits énumérés par l’article 102 », notamment celui d’être assistée d’un avocat, d’être accompagnée de la personne de son choix ou encore d’être aidée par une association. En réalité, les choses se feront peut-être assez simplement. Si vous déposez plainte pour vol contre X, peut-être que l’on ne déclenchera pas une audition immédiatement, mais si vous dites en ligne que vous avez été victime de violences, le système se mettra en place en vue d’une audition. L’approche sera adaptée à la gravité des faits.

M. Didier Paris, rapporteur. Avis favorable à cet amendement qui tient compte, concrètement, de la manière dont les plaintes sont déposées puis traitées par les services de police.

Mme Cécile Untermaier. Je suis également très favorable à cet amendement qui nous rassure. Nous avons un problème de méthode : nous avançons dans l’obscurité, puis, petit à petit, le chemin s’éclaire. Dans la mesure où les députés ignorent tout de la partie réglementaire, ils ne peuvent pas anticiper les dispositions rassurantes prises ensuite. Nous pourrions réfléchir à ce problème de méthode.

M. Alain Tourret. Madame la garde des Sceaux, si votre amendement est intéressant, sur un plan juridique, pensez-vous qu’il est utile d’écrire « ne dispense pas les enquêteurs de procéder à son audition », plutôt que « permet aux enquêteurs de procéder à son audition » ? Votre formulation me semble curieuse.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. « Ne dispense pas » me semble plus fort que « permet ».

La Commission adopte l’amendement CL1066.

Elle étudie ensuite l’amendement CL352 de M. Guillaume Gouffier-Cha.

M. Guillaume Gouffier-Cha. L’amendement est issu de la recommandation 28 du rapport de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Dans la mesure où les amendements du Gouvernement que nous venons d’adopter reviennent sur les restrictions introduites par le Sénat et où nous avons eu la confirmation que la plainte pourra bien être suivie d’un rendez-vous, je vais retirer mon amendement. Nous devons toutefois rester vigilants quant à la formation des policiers et des gendarmes qui recevront les personnes ayant déposé une plainte en ligne, et continuer à travailler afin d’améliorer leurs conditions d’accueil. Enfin, le système de la pré-plainte n’existe pas aujourd’hui dans les cas de violences sexuelles. Une expérimentation a eu lieu, sans avoir été généralisée par la suite.

M. Didier Paris, rapporteur. Même si j’ai cru comprendre que notre collègue retirait son amendement, je tiens à préciser qu’actuellement, effectivement, le système de pré-plainte ne vaut en effet que pour les atteintes aux biens. Tout l’intérêt de l’article 26 est d’organiser un système complet de plainte et de proposer un dispositif infiniment plus fort que celui qui existe aujourd’hui.

L’amendement CL352 est retiré.

La Commission examine l’amendement CL518 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Danièle Obono. L’amendement vise à insérer, au 1° de l’article 10‑2 du code de procédure pénale, après le mot : « restaurative ; », les mots : « l’obligation d’information sur les mesures de justice restaurative incombe également à tout professionnel remplissant une fonction de conseil ou de jugement et étant impliqué légalement dans la procédure ». Il est important d’élargir l’obligation d’information à un plus grand cercle de professionnels, afin de mieux la faire circuler et de favoriser l’accès aux droits des victimes.

M. Didier Paris, rapporteur. J’ai le sentiment que votre amendement est d’ores et déjà satisfait, puisqu’il existe, dans l’article 10-2 du code de procédure pénale, une obligation d’information sur la justice restaurative à la charge des OPJ au moment du dépôt de la plainte. Par ailleurs, l’article 10-1 prévoit également plusieurs obligations générales qui vont dans le même sens. L’ensemble des professionnels de la chaîne pénale sont d’ores et déjà impliqués dans cette démarche. Avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Avis défavorable pour les mêmes raisons. La justice restaurative est un processus extrêmement intéressant, et nous nous appuyons beaucoup sur son développement. Le ministère de la justice a d’ailleurs diffusé le 15 mars 2017 une circulaire qui a élaboré une doctrine d’emploi. Elle se met en place progressivement. J’ai vu plusieurs expériences, où les conseillers d’insertion et de probation notamment étaient très impliqués. Le processus est utile, mais je ne crois pas qu’il soit nécessaire de prévoir une expérimentation dans la loi à ce stade, comme le proposait le 2° de votre amendement.

M. Ugo Bernalicis. Madame la ministre, vous savez que nous proposons des expérimentations pour contourner l’article 40 de la Constitution. L’expérimentation autour de la justice restaurative a été intéressante, et elle commence à se développer et à se déployer au sein du ministère de la Justice. Mais elle pourrait également être mise en œuvre à toute étape de la procédure, y compris dans les commissariats. C’est pour cela qu’une disposition du code de procédure pénale fait obligation d’informer le plaignant de son existence, sauf qu’en réalité cela se résume à cocher une case pour confirmer que vous avez bien pris connaissance de l’article 10-2, sans plus de détails. Nous pensons, pour notre part, qu’il faut investir cette mesure de justice restaurative. Un autre débat se pose également : le développement de la justice restaurative s’étant fait à moyens constants, il atteindra rapidement ses limites. Certains conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation interviennent en dehors de leur temps de travail, parce qu’ils croient en ces mesures. Si nous voulons que la justice restaurative prenne toute sa place, il faut lui donner beaucoup plus de moyens.

La Commission rejette l’amendement CL518.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CL985 du Gouvernement et CL586 de Mme Laurence Vichnievsky.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. L’amendement vise à rétablir une disposition, supprimée par le Sénat, qui renforce les droits des victimes. Elle prévoit que le tribunal correctionnel qui constate que la victime n’a pas été touchée par l’avis d’audience renvoie le dossier sur les intérêts civils à une audience ultérieure, afin d’éviter à la victime qui n’a pu assister au procès pénal de devoir faire citer à ses frais l’auteur des faits devant une juridiction civile pour être indemnisée. Le texte que je propose supprime des ambiguïtés du texte initial, qui nous avaient été signalées par le syndicat de la magistrature. Il est ainsi précisé que ce renvoi ne sera possible que si un avis a bien été adressé à la victime, mais qu’il n’est pas établi qu’il a bien été reçu. Par ailleurs, pour plus de souplesse, le renvoi sera une faculté et non une obligation pour le tribunal.

M. Erwan Balanant. Nous proposons, quant à nous, que la victime soit avisée par lettre recommandée avec accusé de réception. Cela ne remet pas en cause la possibilité de l’audience civile, telle que prévue dans le projet de loi, qui représente un vrai apport pour les victimes. Vous allez peut-être m’objecter que la lettre avec accusé de réception est impossible dans le cas de la comparution immédiate. Néanmoins, la manière d’informer la victime constitue un vrai sujet. La lettre avec accusé de réception n’est sans doute pas le seul moyen, mais il faudrait avoir une possibilité d’accuser la réception, qui pourrait aussi être numérique.

M. Didier Paris, rapporteur. Avis favorable à l’amendement du Gouvernement, qui participe de la bonne administration de la justice et évite à la victime de reprendre son bâton de pèlerin pour retourner devant une juridiction, alors que le tribunal peut le faire plus simplement. Monsieur Balanant, si vous retiriez votre amendement au profit de celui du Gouvernement, cela permettrait d’éviter une difficulté que vous avez-vous-même soulevée, en intégrant à cette procédure un dispositif à peine de nullité, qui est un élément de blocage conséquent et qui posera inutilement des problèmes.

M. Erwan Balanant. Je le retire. Nous verrons en séance si de petits ajustements sont possibles.

L’amendement CL586 est retiré.

La Commission adopte l’amendement CL985.

Elle examine l’amendement CL92 de Mme Danièle Obono.

M. Ugo Bernalicis. L’amendement vise à expérimenter, pour les associations, une habilitation à faire du testing afin d’évaluer et de justifier l’existence de discriminations et d’actes répréhensibles.

M. Didier Paris, rapporteur. Pour être franc, monsieur Bernalicis, j’ai un peu de mal à comprendre votre amendement. La pratique du testing est importante et intéressante, en ce qu’elle permet de trouver des éléments de discrimination mieux que d’autres méthodes. En revanche, le dispositif actuel est déjà très ouvert. C’est un moyen de preuve autorisé pour toutes les associations. Il a été rendu très simple. Votre amendement, au contraire, tend à en limiter la portée, dans la mesure où ces associations devraient être spécifiquement autorisées à y avoir recours. Conservons la liberté et la souplesse du modèle actuel, qui a déjà prouvé sa pertinence. Les associations utilisent régulièrement le testing, qui est un moyen déterminant dans la poursuite de ces infractions. Avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Même avis.

M. Ugo Bernalicis. L’idée était de renforcer la capacité de certaines associations à faire du testing, pour que ce soit plus probant, mais aussi de pouvoir en faire au moment du dépôt de la plainte ou à différentes étapes de la procédure. Par exemple, lorsqu’elles viennent déposer plainte pour violences, les femmes ne bénéficient pas d’une prise en charge à la hauteur. Nous devons progresser sur ce sujet. Je peux aussi vous citer l’exemple d’un autre type de discrimination avec cette personne âgée qui m’a raconté, lors d’une réunion publique, qu’alors qu’elle était allée déposer plainte à la gendarmerie pour usage frauduleux de sa carte bleue, un gendarme lui avait dit de retourner chez elle déposer plainte en ligne. Or, dans ce cas, selon le site service-public.fr la procédure peut se faire soit en ligne, soit dans un commissariat, soit en ligne dans un commissariat. Le gendarme n’était donc pas fondé à renvoyer cette personne. Nous devons progresser, pour que ce que nous décidons ici, qui est, dans bien des cas, d’utilité publique, reçoive un écho concret. Il y a deux batailles dans le droit : la bataille politique et celle pour l’application du droit.

M. Didier Paris, rapporteur. Nous sommes passés de la discrimination à la stigmatisation des forces de l’ordre. Ce n’est pas l’endroit pour stigmatiser en particulier tel ou tel corps social ou tel ou tel professionnel.

M. Ugo Bernalicis. Ce n’était qu’un exemple !

M. Didier Paris, rapporteur. Quoi qu’il en soit, nous partageons, sans aucune limitation de son champ d’action, l’objectif du testing. Par ailleurs, votre objectif de lutte contre les discriminations s’est traduit dans les actes par l’instauration de caméras mobiles, qui s’étendent et favorisent une relation plus apaisée entre les forces de sécurité et la population.

La Commission rejette l’amendement CL92.

Puis elle adopte l’article 26 modifié.

Après l’article 26

La Commission est saisie de l’amendement CL517 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Danièle Obono. Cet amendement vise à prendre en compte le caractère multidimensionnel des plaintes pénales par la mise en place, à titre expérimental, d’une évaluation et d’une prise en charge sanitaire, psychologique et sociale dès le dépôt de la plainte. En effet, le dépôt d’une plainte ne se fait pas hors contexte social, et plusieurs éléments fondamentaux de la vie de la personne portant plainte sont souvent bouleversés par ce dépôt, notamment lorsqu’il s’agit de délits ou de crimes ayant eu lieu dans l’environnement familial ou dans le contexte professionnel.

Ainsi, une personne déposant plainte pour des violences conjugales doit également prendre en compte, au moment du dépôt, sa situation en termes de logement, son éventuelle dépendance financière ou encore les traumatismes multiples qu’elle a subis, ce qui peut la conduire à ne pas déposer plainte.

L’expérimentation que nous proposons permettrait d’encourager la systématisation de la mise en réseau des différents services de l’État au bénéfice des victimes, ainsi qu’une meilleure prise en charge globale de leur situation. Enfin, le dépôt de plainte dans les cas de viol ou d’agression sexuelle pouvant être particulièrement douloureux pour la victime, la possibilité pour celle-ci d’être accompagnée lui permettrait de disposer d’un soutien si elle le souhaite.

M. Didier Paris, rapporteur. Franchement, je ne suis pas certain que votre amendement réponde au souhait de la majorité des victimes venant déposer plainte... Ne serait-ce qu’au regard des libertés individuelles, il me semble permis de s’interroger sur le bien-fondé d’une telle proposition : le fait pour une personne d’être victime ne doit pas l’obliger à être soumise à une évaluation globale de sa situation.

Par ailleurs, il existe déjà des dispositifs du type de celui que vous proposez, ayant vocation à s’appliquer lorsque les circonstances le justifient : il peut être mis en œuvre un accompagnement de la victime, soit par un OPJ, soit dans le cadre d’une évaluation dont la mise en œuvre est réservée à certains cas particuliers.

Pour ce qui de votre proposition consistant à soumettre les victimes à une évaluation systématique, je n’y suis pas du tout favorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je pense également que l’expérimentation proposée n’est pas nécessaire. En vertu de dispositions transposant la directive européenne relative à l’évaluation des victimes, le procureur a déjà, dans de nombreux cas, la possibilité de requérir qu’il soit procédé à l’évaluation approfondie de la situation d’une victime.

M. Ugo Bernalicis. J’ai l’impression que ce qui vous gêne dans notre amendement, c’est la phrase commençant par : « La personne venant déposer plainte bénéficie d’une évaluation » qui semble conférer au dispositif proposé un caractère systématique – ce qui n’est pas vraiment le cas, car la suite de l’amendement indique les conditions dans lesquelles un tel accompagnement peut être mis en place –, et nous sommes tout à fait disposés à modifier la rédaction de notre amendement pour écrire « peut bénéficier d’une évaluation » si cela peut suffire à vous faire changer d’avis.

Quant à l’argument selon lequel il existe déjà des dispositifs d’accompagnement, je suis tenté de dire que si tout existe déjà dans les textes, dans le monde réel, les choses ne se passent jamais comme elles devraient se passer – sur ce point, je vous renvoie aux cinq cents témoignages recueillis par des associations de victimes sur les conditions dans lesquelles les dépôts de plainte sont effectués.

Peut-être notre amendement est-il maladroit, mais il faut vraiment que nous progressions en matière d’accueil et d’accompagnement des victimes, car il y a un vrai problème dans ce domaine. Hier, notre collègue Dimitri Houbron a expliqué que, selon certains policiers, la mise en place de mesures de protection ne peut intervenir qu’après un dépôt de plainte – alors que ce n’est pas ce que prévoit la loi. Comme vous le voyez, nous avons là une substantielle marge de progression, et je ne comprends pas que vous sembliez considérer que nos amendements ne sont pas légitimes.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Monsieur le député, je ne méconnais en aucune façon la légitimité et l’intérêt des amendements que vous portez. Cela dit, dans le domaine qui nous occupe aujourd’hui comme dans bien d’autres, il n’est pas toujours nécessaire de passer par une loi et, pour cela, de réécrire des dispositions qui existent déjà : tout n’est pas du niveau de la loi.

Si je n’ai jamais dit – et pour cause : je ne le pense pas – qu’en matière de violences faites aux femmes, tous les dispositifs imaginables sont déjà parfaitement mis en œuvre, j’estime néanmoins que c’est avant tout en termes d’opérationnalité que nous devons progresser, comme cela m’a été confirmé récemment par des associations prenant en charge les femmes victimes de violences. Pour cela, nous n’avons pas nécessairement besoin de dispositions législatives supplémentaires. En l’occurrence, sur la question que vous évoquez avec votre amendement, je vous renvoie à l’article 10-5 du code de procédure pénale, qui commence par cette phrase : « dès que possible, les victimes font l’objet d’une évaluation personnalisée, afin de déterminer si elles ont besoin de mesures spécifiques de protection au cours de la procédure pénale ».

M. Ugo Bernalicis. C’est précisément l’article que nous proposons de compléter !

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je vous le répète, tout ne passe pas par la loi, et nous devons plutôt nous attacher à améliorer l’opérationnalité des dispositifs existants.

La Commission rejette l’amendement CL517.

Elle examine l’amendement CL521 de Mme Albane Gaillot.

Mme Albane Gaillot. Les témoignages de victimes de violences sexistes et sexuelles décrivent fréquemment le mauvais accueil qu’elles ont reçu au commissariat ou à la gendarmerie. Il y est souvent fait état de la présence de tiers lors du dépôt de plainte, ce qui ne fait qu’ajouter à la difficulté pour la victime d’exprimer ce qu’elle a vécu. Que croyez-vous que ressente un enfant de douze ans qui, venant témoigner des viols qu’il subit depuis plusieurs années, doit le faire dans un bureau dont la porte est restée grande ouverte, et où les allées et venues sont incessantes ? Il est évident que ces conditions lui donneront l’impression qu’il n’est pas entendu et que l’on n’accorde aucune importance à ce qu’il est en train de raconter, ce qui est constitutif d’un traumatisme pouvant nuire au processus de reconstruction de la victime.

Afin de remédier à cette situation, j’ai déposé le présent amendement ayant vocation à garantir aux victimes d’infractions sexuelles le droit, lorsqu’elles se rendent au commissariat ou à la gendarmerie pour y témoigner, de le faire dans un local leur garantissant intimité et discrétion.

M. Didier Paris, rapporteur. Nous avons affaire, une fois de plus, à une disposition satisfaite par la législation existante, en l’occurrence l’article D. 1-7 du code de procédure pénale – dont, il est vrai, les dispositions ne sont sans doute pas toujours mises en œuvre comme il le faudrait. La question que vous soulevez dépend de l’attitude des services de police et de gendarmerie, et de la façon dont les mentalités et les pratiques évoluent.

De multiples dispositifs d’accueil spécifique des victimes, au sein des commissariats et des gendarmeries, mais aussi en dehors, notamment dans un cadre hospitalier ou sanitaire, existent déjà et permettent de répondre à l’objectif que nous partageons tous de voir les victimes aussi bien accueillies que possible. Je vous invite par conséquent à retirer cet amendement qui me semble satisfait.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Outre qu’elle est de nature réglementaire, comme vient de le dire M. le rapporteur, la disposition proposée est déjà prévue à l’article D. 1-7 du code de procédure pénale, qui prévoit notamment que « chaque audition de la victime a lieu dans des locaux conçus ou adaptés à sa situation ». Je sais bien que la réalité est parfois éloignée du texte, mais ce n’est pas en ajoutant une disposition identique à celle qui existe déjà que nous améliorerons les choses.

L’amendement CL521 est retiré.

La Commission est saisie de l’amendement CL520 de Mme Albane Gaillot. 

Mme Albane Gaillot. Le présent amendement a vocation à étendre l’enregistrement audiovisuel de l’audition au cours d’une enquête à toutes les victimes de l’une des infractions mentionnées à l’article 706-47 du code de procédure pénale – notamment les victimes de viol ou d’actes de torture –, quel que soit leur âge, alors qu’une telle disposition n’est actuellement prévue que pour les victimes mineures.

L’enregistrement audiovisuel de l’audition permet d’éviter aux victimes de devoir répéter leur témoignage – ce qu’à défaut, elles peuvent être amenées à faire sept ou huit fois au cours de la procédure criminelle. Aujourd’hui, une victime de viol majeure peut être obligée de répéter huit fois de suite les détails de l’agression qu’elle a subie, ce qui la contraint à revivre son traumatisme autant de fois qu’elle doit raconter son histoire… C’est pour mettre fin à cette situation que j’ai déposé l’amendement CL520, visant à étendre la procédure d’enregistrement audiovisuel à toutes les victimes, quel que soit leur âge.

M. Didier Paris, rapporteur. Personne ne saurait être insensible à la situation que vous évoquez à travers cet amendement. Si le dispositif d’enregistrement audiovisuel de la déposition est déjà pleinement opérationnel pour les mineurs, ce qui se justifie par leur vulnérabilité particulière nécessitant une prise en charge spécifique, son extension systématique aux personnes majeures pourrait, me semble-t-il, poser certains problèmes.

Si la procédure d’oralisation et d’enregistrement a pour effet de faciliter l’enquête en ce qu’elle permet de fixer les déclarations, elle peut aussi devenir un facteur de lourdeur et de complexité au moment du procès, quand il faut être en mesure de retrouver, d’extraire et de produire certains éléments devant le tribunal.

Je vous invite par conséquent à retirer votre amendement, et émettrai à défaut un avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. J’estime moi aussi que, s’il existe des procédures et des locaux adaptés à la prise de témoignage des enfants – cela se fait parfois en milieu hospitalier –, leur extension systématique aux majeurs serait sans doute extrêmement compliquée.

M. Jean-Michel Fauvergue. L’oralisation des témoignages est le plus souvent vue, notamment par les OPJ de la police et de la gendarmerie, comme un élément ayant pour effet de simplifier la procédure. Pour ce qui est de la suite de la procédure judiciaire, il existe un moyen très simple pour permettre aux magistrats de s’y retrouver, à savoir la rédaction d’un rapport synthétique assorti d’un système d’indexation, comme le préconisent les syndicats de police. Cette pratique est malheureusement encore peu répandue, mais elle existe.

M. Alain Tourret. Devant les assises, l’enregistrement audiovisuel de la déposition des victimes a une utilité spécifique pour la révision éventuelle des procès, en permettant de distinguer plus facilement les éléments nouveaux susceptibles d’entraîner le doute sur la culpabilité d’un accusé. Je considère donc que l’enregistrement est tout à fait conforme à notre exigence de vérité.

M. Ugo Bernalicis. J’appelle votre attention sur le fait qu’en l’état actuel des choses, l’enregistrement vidéo vient en plus de la procédure normale de retranscription écrite : en cela, il ne répond pas à la demande exprimée par les OPJ, visant à simplifier la procédure grâce à l’utilisation de la vidéo et la rédaction d’un PV de synthèse. L’intérêt du PV intégral, c’est que tous les éléments de la déposition y sont contenus, à charge comme à décharge. Inversement, le policier établissant un PV de synthèse n’y fera figurer que les éléments qu’il juge déterminants pour l’enquête – certes, la personne mise en cause pourra toujours exprimer la volonté d’y ajouter tel ou tel élément, mais cela ne pourra se faire qu’après coup, et au prix d’un alourdissement de la procédure.

Quand il existe une vidéo, encore faut-il que toutes les parties au procès puissent y accéder afin d’être en mesure de faire valoir certains éléments s’y trouvant. Or, les magistrats, qui n’ont déjà pas le temps de lire l’intégralité des procès-verbaux, n’auront certainement pas non plus celui de consulter les enregistrements des auditions. Pour le moment, je ne suis donc pas favorable à ce que l’on remplace systématiquement le PV traditionnel par une vidéo et un PV de synthèse – pour les raisons que je viens d’évoquer, mais aussi en raison des problèmes de protection de données que poserait la généralisation de cette pratique. En revanche, on peut sans doute envisager de proposer – plutôt que d’imposer – aux victimes majeures de recueillir leur déposition au moyen d’un enregistrement vidéo.

M. Stéphane Mazars. On sait que le parcours d’une victime est long et douloureux et que le fait de devoir répéter, à plusieurs reprises au cours de la procédure, ce qu’elle a subi, constitue à chaque fois un nouveau traumatisme. Ce texte prévoit l’évaluation d’un dispositif d’oralisation d’une partie de la procédure, mais rien n’est encore fait, d’autant que l’on sait que l’établissement d’un PV de synthèse renvoyant à des enregistrements serait compliqué à mettre en œuvre, le magistrat ayant tout de même l’obligation de vérifier l’intégralité des dépositions et des pièces du dossier. Les avocats des deux parties doivent, eux aussi, pouvoir accéder aux enregistrements vidéo, car c’est là qu’ils trouveront les détails qui leur permettront de défendre au mieux les intérêts de leurs clients. Si la numérisation des dépositions constitue un objectif vers lequel nous devons tendre afin de rendre moins difficile le parcours des victimes, nous devons être conscients des difficultés que va comporter sa mise en œuvre.

Mme Albane Gaillot. Compte tenu des arguments exposés par M. le rapporteur et Mme la ministre, je retire mon amendement. Il conviendra cependant de continuer à nous interroger sur les moyens qui permettraient d’améliorer la situation des victimes.

L’amendement CL520 est retiré.

La Commission examine l’amendement CL399 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier. Je n’ai pas l’habitude de demander des rapports, et si je le fais aujourd’hui, c’est surtout pour appeler l’attention de notre commission sur le fait que la justice dite restaurative ou réparatrice, consacrée par la loi du 1er août 2014, est encore mal connue, peu promue et rarement mise en œuvre. Ses effets sont pourtant essentiels en termes de lutte contre la récidive et de bien-être des victimes.

Cette pratique impliquant un travail en commun des magistrats et des avocats, qui connaît un grand succès au Canada, en Suisse et en Belgique, constitue une piste extrêmement intéressante en matière pénale, comme l’a confirmé une expérimentation pratiquée à Lyon. Malheureusement, force est de constater que l’on s’intéresse encore peu à la justice restaurative pour le moment. C’est pourquoi je souhaite qu’un rapport évalue concrètement l’état de sa mise en œuvre.

M. Didier Paris, rapporteur. Si je pense que personne ne saurait être défavorable à la justice restaurative, je ne suis pas persuadé qu’un rapport – qu’il s’agisse d’un rapport parlementaire ou, comme vous le souhaitez, d’un rapport remis par le Gouvernement au Parlement – permette de faire avancer les choses dans ce domaine. Depuis quelque temps, l’Institut français pour la justice restaurative et l’École nationale d’administration pénitentiaire proposent déjà un programme commun de formation continue à la justice restaurative et, de son côté, l’École nationale de la magistrature dispense régulièrement des formations dans ce domaine. Ces initiatives constituent un premier pas, mais il reste beaucoup de chemin à parcourir. Je suis donc très favorable à l’idée de soutenir la mise en œuvre de la justice restaurative, mais votre amendement visant à demander au Gouvernement la remise d’un rapport ne me paraît pas constituer un bon moyen de le faire.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Si je suis très favorable à la justice restaurative, je n’en dirais pas autant des rapports… C’est pourquoi j’émets un avis défavorable à cet amendement.

M. Ugo Bernalicis. Le ministère de la justice a déployé 378 000 euros pour le financement de l’expérimentation de la justice restaurative au sein de cinq cours d’appel en 2015 ; en 2019, ce sont 600 000 euros qui seront affectés au déploiement de cette pratique, mise en œuvre au profit de cinquante-six projets répartis sur trente cours d’appel. Comme vous le voyez, il y a un problème de moyens, et le système ne fonctionne que parce que les professionnels concernés ont à cœur de lui donner sa chance. Il me semble, madame la ministre, que le programme 101 « Accès au droit et à la justice » devrait prévoir des moyens plus importants pour permettre à la justice restaurative de prendre toute la place qu’elle mérite d’occuper.

Mme Cécile Untermaier. Je vous remercie, monsieur le rapporteur et madame la ministre, pour vos réponses circonstanciées et respectueuses de nos efforts. Je suis d’accord avec vous pour considérer que ce n’est pas un rapport qui va régler le problème, mais je voulais appeler l’attention de notre commission sur la nécessité de trouver un moyen de mieux faire connaître la justice restaurative, afin qu’elle soit plus largement mise en œuvre au profit de tous, à commencer par les victimes. Si nous voulons une justice moderne, nous devons savoir utiliser les outils intelligents dont nous disposons actuellement, qui font appel à la réflexion plutôt de se limiter à l’exécution d’une peine. Cela étant dit, je retire mon amendement.

L’amendement CL399 est retiré.

La Commission est saisie de l’amendement CL493 de M. Hervé Saulignac. 

M. Didier Paris, rapporteur. J’aimerais ne pas avoir à expliquer pour la deuxième fois, à quelqu’un qui ne demande jamais de rapports, pourquoi cette demande n’est pas une bonne idée – nous avons, au demeurant, déjà beaucoup parlé du dépôt de plainte en ligne –, c’est pourquoi je me contenterai de dire que j’émets un avis défavorable à cet amendement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Même avis.

L’amendement est retiré.

Article 26 bis
(art. 707 du code de procédure pénale)
Information de la victime sur les modalités d’exécution d’une peine privative de liberté

La Commission adopte l’article 26 bis sans modification.

Article 26 ter (supprimé)
(art. L. 217-5 [nouveau] du code de l’organisation judiciaire, 706-16-1 et 706-16-2 [nouveaux] du code de procédure pénale et L. 422-1-1 [nouveau] et L. 422-2 du code des assurances)
Simplification et sécurisation du parcours procédural d’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme

La Commission examine l’amendement CL791 du rapporteur.

M. Didier Paris, rapporteur. Dans un souci de clarté et lisibilité, le présent amendement vise à supprimer l’article 26 ter, consacré au juge de l’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme, afin de le déplacer après l’article 42, au sein d’un nouveau chapitre sur les dispositions relatives au terrorisme.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je suis favorable à cet amendement de cohérence.

La Commission adopte l’amendement.

L’article 26 ter est supprimé.

En conséquence, l’amendement CL417 tombe.

Après l’article 26 ter

La Commission est saisie de l’amendement CL51 de Mme Danièle Obono.

M. Ugo Bernalicis. Par cet amendement d’appel, nous proposons de mettre fin à la prise systématique d’empreintes génétiques dans le cadre de la procédure pénale, en limitant l’inscription au fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG) aux seuls auteurs et autrices de crimes.

Le fichier actuel, qui comporte les empreintes génétiques de plus de deux millions de personnes, doit être réservé aux seuls auteurs de crimes, et ne pas devenir un outil de fichage généralisé de l’intime biologique, notamment des empreintes génétiques.

M. Didier Paris, rapporteur. J’espère que cet amendement ne sera pas voté par notre commission, car son adoption ferait revenir très loin en arrière nos forces de sécurité, en les privant d’un outil qui leur permet d’effectuer des rapprochements nécessaires, notamment en matière d’infractions liées au terrorisme – ce qui serait catastrophique à tous points de vue, à commencer par celui des victimes.

Je rappelle que le FNAEG est un fichier extrêmement sensible, comportant des renseignements liés à la personnalité de chacun, et qu’à ce titre son utilisation est très encadrée par la CNIL, mais aussi par un magistrat spécialisé.

Enfin, si cet amendement vise à tirer les conséquences de l’arrêt Aycaguer rendu le 22 juin 2017 par la Cour européenne des droits de l’homme, je vous précise que nous le ferons au moyen d’un autre amendement que nous allons examiner prochainement.

J’émets donc un avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je suis défavorable à cet amendement qui aurait pour conséquence de priver les forces de sécurité d’un outil qui leur permet d’effectuer de nombreux rapprochements, notamment à l’occasion des cambriolages.

La Commission rejette l’amendement CL51.

Chapitre II 
Dispositions relatives aux phases d’enquête et d’instruction

Section I
Dispositions communes aux enquêtes et à l’instruction

Sous-section 1
Dispositions relatives aux recours auxSous-section interceptions par la voie des communications électroniques, à la géolocalisation, à l’enquête sous pseudonyme et aux techniques spéciales d’enquête

Article 27
(art. 60-4, 77-1-4 [nouveaux], 100, 100-1, 230-32 à 230-35, 230-45, 706‑1-1, 706-1-2, 706-72, 706 95, 706-95-5 à 706-95-10 et 709-1-3 du code de procédure pénale et 67 bis 2 du code des douanes)
Mise en cohérence des dispositions relatives aux interceptions des communications électroniques et à la géolocalisation

La Commission est saisie des amendements identiques CL87 de Mme Danièle Obono, CL445 de M. Stéphane Peu et CL713 de M. Jean-Félix Acquaviva. 

M. Ugo Bernalicis. Par cet amendement de suppression, nous souhaitons prévenir l’élargissement considérable des possibilités, pour le procureur, de recourir à des techniques d’enquête, ce qui constitue une remise en cause de la place du juge d’instruction.

Certes, le Sénat a amendé cet article, notamment en en restreignant le champ aux infractions punies de cinq ans d’emprisonnement et en encadrant davantage les interceptions de communication et la géolocalisation.

Mais c’est la philosophie générale de cet article que nous rejetons. Lorsque les techniques spéciales d’enquête ont été mises à la disposition du juge d’instruction, on a tenté de nous rassurer en nous expliquant qu’elles seraient réservées aux enquêtes portant sur des infractions relevant de la criminalité organisée ou du terrorisme, car attentatoires aux libertés individuelles. Mais, c’est le sens de l’histoire, quand le pied a été mis dans la porte, elle finit par s’ouvrir en grand : les atteintes aux libertés individuelles vont se multiplier.

Pourquoi ? Parce que lors de l’enquête préliminaire, vous n’avez pas les moyens de vous défendre. Vous êtes surveillés sans en être informé, d’une part, et sans pouvoir vous en défendre ensuite. Cela ne va pas sans poser problème, puisque l’on sait que le procureur de la République peut ouvrir des enquêtes sur un faisceau finalement assez faible d’éléments.

Vous me parlerez sans doute du juge des libertés et de la détention (JLD), mais le JLD ne juge pas à charge ou à décharge – c’est plutôt un juge de l’évidence. Il se contentera de vérifier que le procureur motive suffisamment sa demande. On sait que les rejets par le JLD de ce genre de demandes sont fort peu nombreux ; c’est surtout en matière d’immigration que le JLD rend le plus souvent son office, pour éviter un éloignement ou un maintien en centre de rétention administrative. Nous ne pensons donc pas que la présence du JLD soit une garantie suffisante et nous ne souhaitons pas voir le procureur de la République doté de pouvoirs aussi considérables.

M. Stéphane Peu. J’ajouterai à ces arguments que ces possibilités, circonscrites jusqu’alors à la grande criminalité et au terrorisme, sont étendues aux crimes et délits punis d’une peine de cinq ans d’emprisonnement dans le texte issu du Sénat, et d’une peine de trois ans d’emprisonnement dans le texte du Gouvernement qu’un prochain amendement vise à rétablir.

Je rejoins ce qu’Ugo Bernalicis a dit sur l’enquête préliminaire et sur les garanties insuffisantes apportées par la saisine du JLD. Je rappelle que les référents du chantier de justice sur l’amélioration et la simplification de la procédure pénale, MM. Jacques Beaume et Franck Natali, avaient émis sur le sujet un avis très défavorable. Celui-ci n’a pas été suivi, et c’est bien regrettable.

M. Paul Molac. Nous craignons de voir jetées en pâture les libertés individuelles et la vie privée. La dérive que nous avons constatée sous l’ancienne législature semble se poursuivre. Après l’instauration de l’état d’urgence, on nous a expliqué que certaines mesures qui y étaient liées devaient être inscrites dans la loi de lutte contre le terrorisme. Désormais, ces mesures doivent s’appliquer aux crimes et délits passibles d’une peine de trois ans d’emprisonnement.

Je crains que nous n’allions vers un État de plus en plus sécuritaire. Souvenons-nous toujours de ces paroles de Benjamin Franklin : « Ceux qui sont prêts à abandonner une liberté fondamentale, pour obtenir temporairement un peu de sécurité, ne méritent ni la liberté ni la sécurité ». Je suis très réservé sur cette mesure, dont on m’expliquera sans doute qu’elle vise à renforcer l’efficacité des services de police. Mais il appartient au législateur de poser les limites.

M. Didier Paris, rapporteur. Cet article important repose sur un équilibre parfait entre la protection des droits et l’efficacité des enquêtes. Nous devons donner à nos forces de sécurité des capacités d’intervention qui ne peuvent plus, dans le contexte actuel de développement de la criminalité et de la délinquance, être strictement cantonnées aux affaires de terrorisme ou de criminalité organisée. Ces capacités d’intervention doivent être plus aisément utilisables.

Compte tenu de cette évolution législative, nous devons veiller à l’encadrement strict et permanent de ces mesures : c’est tout le sens de l’intervention du JLD qui est un magistrat parfaitement autonome, en capacité de juger de l’opportunité et des conditions légales dans lesquelles les techniques d’interception et de géolocalisation pourront être mises en œuvre.

Enfin, il est naturel que nous facilitions, sans jamais méconnaître le respect des libertés individuelles, l’action des forces de sécurité en leur évitant de se perdre en conjectures sur les infractions pour lesquelles une technique d’enquête peut être mise en œuvre. Le Gouvernement a donc prévu d’harmoniser l’ensemble des seuils afin que les forces de sécurité, aussi bien que les autres personnels judiciaires, comme les avocats, puissent avoir une vision simple et précise des dispositions. Avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Nous avons essayé de ménager un équilibre entre notre objectif, l’efficacité et la simplification pour les enquêteurs, et la garantie des droits. Cela a été notre ligne directrice.

Ces mesures relatives aux écoutes téléphoniques et à la géolocalisation étaient souhaitées par les praticiens, c’est l’un des enseignements des chantiers de la justice qui ont été menés l’année dernière.

Rien ne justifie la différence de régime qui existe en matière d’écoutes téléphoniques : les interceptions ne sont actuellement possibles, au cours de l’enquête, que pour des faits de délinquance ou de criminalité organisées, alors qu’elles sont possibles, au moment de l’information judiciaire, pour toute infraction punie d’au moins deux ans d’emprisonnement. Cette différence de champ d’application selon le type de procédure – enquête ou instruction – est propre aux écoutes et n’existe pas pour la géolocalisation ou les techniques spéciales d’enquête.

En outre, les garanties prévues lors de l’enquête sont équivalentes à celles qui sont prévues lors de l’instruction, dès lors que les écoutes seront autorisées par un magistrat du siège dont les fonctions sont spécialisées, le juge d’instruction ou le JLD.

La seule différence de régime entre l’enquête et l’instruction qui est maintenue dans le projet de loi porte sur la durée des écoutes. Elle est justifiée puisque la durée est naturellement bien plus courte lors de l’enquête que lors de l’instruction.

S’agissant de la géolocalisation, les différences de seuil, très complexes – 3 ou 5 ans d’emprisonnement, assorties d’exception – ne nous semblent pas justifiées. Nous avons donc souhaité les harmoniser et prévoir un mécanisme offrant des garanties.

Pour éviter toute atteinte aux libertés fondamentales, nous avons renforcé le contrôle du JLD, qui pourra désormais ordonner la destruction des PV s’il estime les écoutes illégales, et réduit la durée pendant laquelle la géolocalisation pourra être mise en œuvre sur seule autorisation du parquet, en passant de quinze à huit jours. Avis défavorable.

M. Alain Tourret. Depuis 2000 et l’adoption, à l’unanimité, du projet de loi sur la présomption d’innocence – M. Patrick Devedjian, à la droite de l’opposition, prétendait que nous n’étions pas allés assez loin –, je n’ai pas souvenir qu’un texte garantissant de manière plus forte les droits des individus contre les droits de la société ait été adopté. Ces vingt dernières années, de nouveaux moyens ont été mis à la disposition de l’État contre les individus, que, tout au plus, nous avons cherché à encadrer. De façon systématique, les Gouvernements successifs ont abandonné les droits individuels.

Ce texte risque d’introduire un nouveau déséquilibre entre le droit des gens et le droit de la société. Le droit des gens, c’est quelque chose d’absolu. J’admets que l’on puisse donner certains moyens en matière criminelle, et particulièrement en matière de terrorisme. Mais pour le reste, je pense que nous commettons une erreur que nous paierons très cher, car lorsque l’on commence à abandonner ces droits, il n’y a plus de limites.

Monsieur le rapporteur, vous qui êtes un homme de distinction, je vous appelle à bien réfléchir. Méfiez-vous ! Ne vous laissez pas emporter par l’administration, ne vous laissez pas emporter par les forces de répression, qui exigent toujours de nouveaux moyens, ne vous laissez pas emporter par le parquet, au détriment des autres magistrats, ne vous laissez pas emporter par une société, aux aspirations toujours plus sécuritaires !

M. Jean-Michel Fauvergue. Comme vous vous en doutez, il me tenait à cœur d’intervenir sur ce sujet. Alors que le sentiment d’insécurité ne cesse de se renforcer, la sécurité que les Français appellent de leurs vœux doit être assumée : cela suppose de déplacer le curseur entre sécurité et protection des libertés individuelles. Il ne me semble pas que notre pays soit particulièrement menacé dans ce domaine des libertés individuelles, mais c’est un autre débat que nous aurons sans doute dans l’hémicycle.

Je pense à la sécurité des Français, mais aussi à la simplification du travail pour les OPJ, policiers ou gendarmes, qui doivent respecter des régimes différents pour l’utilisation de ces moyens techniques.

Cet usage est soumis au contrôle, très resserré, des magistrats – JLD ou juge d’instruction – mais aussi, il faut le savoir, de la plateforme nationale des interceptions judiciaires, qui rend compte des interceptions téléphoniques et, prochainement, des géolocalisations. Composée de magistrats, elle est placée sous le contrôle de la garde des Sceaux. Il est prévu que deux parlementaires y siègent : un député, en l’occurrence votre serviteur, et un sénateur, qui n’est pas encore désigné.

M. Dimitri Houbron. Je perçois dans les propos qui viennent d’être tenus une défiance importante à l’égard des procureurs, des magistrats qui verront leur indépendance encore renforcée par la réforme constitutionnelle, mais aussi envers les enquêteurs, dont le rôle, rappelons-le, est de protéger les citoyens, non d’abuser de leurs prérogatives et d’attenter aux droits fondamentaux.

Il existe des garanties procédurales contre les dérives éventuelles qui pourraient vous inquiéter, chers collègues : des voies de recours sont possibles et le dossier sera accessible aux avocats qui, s’ils estiment qu’il y a eu un abus, pourront saisir les juridictions.

Face à l’évolution des technologies, et dans la lutte contre une délinquance aguerrie à ces techniques, les enquêteurs se trouvent parfois démunis. Je pense qu’il faut prendre de la hauteur et ne pas laisser se cristalliser des inquiétudes qui n’ont pas lieu d’être. Le texte est assez équilibré, des voies de recours sont possibles : on ne se trouve pas dans le cas d’une atteinte à l’État de droit, mais dans la recherche d’une simplification pour les enquêteurs, sous le contrôle du procureur qui saura agir avec sagesse et diligence. Les élus de la majorité voteront en faveur de cette disposition.

M. Éric Ciotti. Monsieur Tourret, vous m’avez surpris, si ce n’est choqué, en parlant des « forces de répression » pour évoquer la police. Ces propos, qui ont sans doute dépassé votre pensée, me paraissent inadaptés et inopportuns. De la même façon, je ne peux partager les appréciations qui ont été portées sur les procureurs.

Nous avons le devoir de faciliter la mission des policiers et des gendarmes en allégeant les outils procéduraux qui constituent trop souvent des obstacles à la protection des Français. Plutôt que de « forces de répression », je parlerais volontiers de « forces de protection ». Nous leur devons respect, reconnaissance et soutien, plutôt que caricature et opprobre. On ne peut opposer ici magistrats et policiers ; tous participent à une chaîne, dont tous les maillons doivent être solidaires, au service de la protection des Français.

M. Stéphane Mazars. Avec l’article 27 et les articles suivants, relatifs à l’enquête sous pseudonyme et aux techniques spéciales d’enquête, nous entrons dans un débat, nécessaire, sur le juste équilibre entre l’efficacité de la lutte contre une délinquance au fait des nouvelles technologies, de plus en plus organisée et protéiforme, et la nécessité de ne pas compromettre ce qui fait la France, pays des droits de l’homme et des libertés individuelles.

Contrairement à M. Eric Ciotti, je veux rendre hommage aux propos de M. Alain Tourret, qui nous rappelle, avec son expérience, ses valeurs, et l’école de pensée qui est la sienne – le radicalisme – qu’il convient, lorsque l’on légifère, d’avoir toujours à l’esprit les libertés individuelles.

Cher Alain, je n’ai pas l’impression de trahir cette école de pensée, de renier ou de rogner les libertés individuelles auxquelles nous sommes tous ici viscéralement attachés. Car dans ces articles, un compromis a été trouvé.

Le JLD n’est pas un juge qui « appose un tampon », monsieur Bernalicis : c’est un juge qui fait son travail, celui de garantir précisément l’équilibre entre la nécessité d’une enquête et les libertés individuelles. Contrairement à ce que l’on a pu lire dans la presse, on ne donne pas les pleins pouvoirs au parquet, loin de là ! D’ailleurs, lorsque le parquet intervient en urgence, le JLD opère un contrôle a posteriori, et peut désormais annuler les actes. Dans le cadre de l’instruction, c’est le juge d’instruction qui garantit ces libertés.

À tout moment de l’enquête, que ce soit avant l’instruction ou après la mise en examen d’un individu, un contrôle est donc exercé par les juges du siège, dont je rappelle qu’ils sont totalement indépendants.

M. Ugo Bernalicis. Nous avons un désaccord sur le modèle judiciaire que nous souhaitons et sur le modèle répressif dans le cadre de l’enquête. Je ne dis pas que les policiers constituent une « force de répression », puisque, fort heureusement, ils remplissent bien d’autres missions essentielles pour notre société.

Pourquoi en arrive-t-on là ? Ces techniques peuvent déjà être mobilisées, parfois pour des infractions punies de moins de trois ans d’emprisonnement. On pourrait donc se dire que le texte est plus protecteur, dans certains cas. Mais la question n’est pas tant de savoir à quel niveau on fixe la barre que de se demander qui a le rôle de quoi.

Nous assumons notre préférence pour le juge d’instruction. Certes, le juge d’instruction et le procureur sont tous deux des magistrats, mais l’un rend la justice, instruisant une enquête à charge et à décharge, l’autre la requiert. Le procureur de la République n’a pas pour rôle d’enquêter à charge et à décharge.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. C’est faux.

M. Ugo Bernalicis. Ce n’est pas fondamentalement son rôle, surtout lorsqu’il va mobiliser des techniques spéciales d’enquête. C’est encore moins le cas pour les policiers. En tout cas, dans la pratique, ce n’est pas ainsi que cela se passe.

Concrètement, 3 % des enquêtes sont confiées à des juges d’instruction. Si vous voulez voir mobiliser davantage de techniques spéciales d’enquête, prévoyez plus de juges d’instruction, ouvrez des informations judiciaires plutôt que de rester au stade de l’enquête préliminaire, et vous verrez que ça roulera.

Je ne crois pas que le juge d’instruction soit moins bon que le procureur. Je pourrais à mon tour, cher Dimitri Houbron, vous reprocher votre défiance envers le juge d’instruction : pensez-vous qu’il n’est pas capable de mener une enquête et qu’il manque d’efficacité ? Croyez-vous qu’il faut recourir, pour que cela aille plus vite, au procureur de la République ?

Ce sont les mêmes arguments que l’on nous a servis lors de l’examen du projet de loi de lutte contre le terrorisme ! Le JLD a bon dos ! Il n’a pas accès à l’enquête, il ne prend pas de mesures d’instruction, il n’a pas d’enquêteurs à sa disposition, et il doit croire, sur parole, les éléments qu’on lui fournit. Voilà la réalité ! Et c’était encore pire en matière de terrorisme, avec les notes blanches : rendez-vous compte, le JLD n’avait même pas d’habilitation « confidentiel défense » – c’est dire le crédit qu’on lui porte !

Il est un mot qui a totalement disparu de nos discours, c’est celui de « sûreté », balayé, remplacé systématiquement par « sécurité ». La sûreté comprend la sécurité des biens et des personnes, mais elle recouvre une autre notion, la lutte contre l’arbitraire de la puissance publique.

La Commission rejette les amendements identiques CL87, CL445 et CL713.

Puis elle examine les amendements identiques CL987 du Gouvernement et CL594 de M. Erwan Balanant. 

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. L’objet de cet amendement et des quatre suivants est de rétablir l’article 27 dans sa rédaction initiale. En effet, les modifications apportées par le Sénat au régime des écoutes et de la géolocalisation viennent inutilement compliquer et réduire l’efficacité des investigations.

Il est proposé de rétablir le seuil de peine encourue de trois ans pour les interceptions de communication réalisées lors d’une enquête, au lieu du seuil de cinq ans retenu par le Sénat. Le seuil de trois ans est utilisé de manière très large puisqu’il est désormais prévu pour le placement en détention provisoire, pour le mandat de recherche, pour l’extradition, pour la décision d’enquête européenne et pour la géolocalisation. Il s’agit donc bien d’une uniformisation, à la baisse pour les écoutes téléphoniques en enquête, mais à la hausse pour les écoutes téléphoniques au cours de l’instruction. Nous ne sommes pas partis d’un principe a priori, mais du souci d’uniformiser et de simplifier les dispositions pour les enquêteurs.

Ces écoutes doivent pouvoir être réalisées lors d’enquêtes menées pour des infractions telles que la soustraction d’un mineur par un parent, des vols ou des abus de confiance portant sur des sommes importantes, sans qu’il soit nécessaire, comme c’est le cas aujourd’hui, d’ouvrir une information qui viendra inutilement encombrer les cabinets des juges d’instruction. Je rappelle que l’on a pu voir par le passé des affaires très médiatiques portant sur des millions, voire des milliards d’euros, qualifiées de vol simple – l’affaire dans laquelle était impliqué le convoyeur Toni Musulin – ou d’abus de confiance – l’affaire Kerviel.

M. Ugo Bernalicis. Kerviel, ce n’est pas le bon exemple !

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Le seuil de trois ans est un seuil par ailleurs retenu pour différents instruments dans le domaine de l’Union européenne.

S’agissant des garanties, il est faux de dire que le JLD n’a pas accès à l’enquête, monsieur Bernalicis. Le JLD a accès à l’intégralité de la procédure, qu’elle soit sur papier ou numérique. Ensuite, le JLD n’apprécie peut-être pas le fond, mais il effectue un contrôle de légalité, de nécessité et de proportionnalité, pour lequel il s’appuie sur les éléments qu’il a de l’enquête. Ce contrôle lui permet de se présenter comme un gardien de la liberté individuelle, et donc d’autoriser tous les actes qui y portent atteinte. Je ne comprends pas votre défiance.

M. Ugo Bernalicis. L’expérience, madame la ministre !

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. J’ai aussi assez de mal à admettre vos propos lorsque vous dites que le procureur ne statue pas à charge et à décharge. Je vous rappelle que le ministère public requiert l’application de la loi dans le respect du principe d’impartialité. Par ailleurs, l’article 39-3 du code de procédure pénale dispose que le procureur veille à ce que les investigations tendent à la manifestation de la vérité et qu’elles soient accomplies à charge et à décharge. Dans un cas comme dans l’autre, vos affirmations ne sont pas exactes.

 M. Ugo Bernalicis. Le problème de l’extension du champ dans lequel des mesures attentatoires aux libertés individuelles peuvent être prises, c’est qu’il y est recouru, y compris, parfois, dans des situations dans lesquelles on n’imaginerait pas qu’il puisse y être recouru. Ainsi, le seuil de trois ans permet d’y recourir dans des enquêtes sur le téléchargement illégal sur internet…

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Excusez-moi, cher collègue, j’ai omis de donner la parole à M. Balanant, auteur de l’amendement CL594. Je vous redonnerai la parole.

M. Ugo Bernalicis. Il est arrivé que l’on fasse preuve de souplesse, qu’on laisse terminer l’orateur, mais ce n’est pas grave.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. J’ai fait une erreur, et nous reprenons le cours normal de nos débats.

M. Erwan Balanant. Effectivement, c’est la logique de notre procédure.

Mme la garde des Sceaux a assez bien décrit la situation. Trois ans ou cinq ans ? Par cohérence, je pense qu’il faut retenir le seuil de trois ans, même si, dans un certain nombre de cas, ce n’est pas en ce sens que j’interviens. Il me semble que la géolocalisation peut jouer un rôle important dans des enquêtes sur un certain nombre de délits passibles d’une peine de trois ans, comme le délit de non-présentation de mineur. Il peut être utile de pouvoir localiser un parent qui aurait soustrait le mineur.

Et, pour avoir discuté avec un certain nombre d’entre eux, je sais que les procureurs ne sont pas de dangereux censeurs des libertés publiques et individuelles. Leur raison d’être, c’est précisément de nous permettre de vivre dans un État de droit. C’est leur raison d’être et, oserai-je dire, leur raison de vivre. Ne soyons pas frileux, d’autant que ce recours aux interceptions et à la géolocalisation est bien encadré. Dans un souci de cohérence et de lisibilité, retenons le seuil de trois ans.

M. Didier Paris, rapporteur. À la faveur des explications extrêmement circonstanciées dont je remercie Mme la garde des Sceaux, j’émets un avis favorable.

M. Ugo Bernalicis. Je reprends donc mon propos.

Parmi les délits passibles de trois ans d’emprisonnement figurent la diffusion d’un logiciel de téléchargement d’œuvres protégées par le droit d’auteur ou, plus cocasse, l’introduction de fusées d’artifices dans un stade de football. J’ose espérer qu’on évitera de mettre des gens sur écoute pour ce genre de délits… Ou alors voudra-t-on poser une balise sur les fusées pour voir où elles atterrissent ? Au point où nous en sommes…

En tout cas, chaque fois que les pouvoirs d’enquête sont étendus, les nouvelles possibilités offertes sont utilisées. En l’occurrence, ces dispositions auraient permis que nous, La France insoumise, soyons mis sur écoute dans le cadre des perquisitions qui ont eu lieu, sur le fondement de soupçons assez minces. Peut-être faudrait-il une autre perquisition pour en avoir le cœur net quant à la manière dont les procureurs ont agi.

Un député du groupe La République en Marche. C’est une véritable tribune !

M. Ugo Bernalicis. Non, ce n’est pas une tribune, et nous avions déjà prévu de défendre ces amendements avant que n’aient lieu ces perquisitions ; c’est précisément ce qui est cocasse. Nous avons déjà combattu cette logique lors de la discussion du projet de loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme.

Et puis, madame la garde des Sceaux, pour obtenir le même résultat, il suffit de désigner un juge d’instruction. Et si vous trouvez qu’ils ont déjà trop de dossiers, embauchez des juges d’instruction ! Oui, le juge d’instruction offre, en général, de meilleures garanties en termes d’indépendance de la justice et de conduite de l’enquête.

Je ne suis pas sûr que l’affaire Kerviel soit un bon exemple. Encore que… nous aurions pu savoir que la Société générale avait un peu « trafiqué » les montants perdus. Et Mme Lagarde a fait un beau et gros chèque tout de suite !

Chers collègues de la majorité, je souscris complètement aux propos de votre collègue Tourret : c’est attentatoire aux libertés individuelles. Il faut raison garder, plutôt que de nous enflammer pour de nouvelles techniques.

Mme Cécile Untermaier. C’est vrai, cette question est extrêmement difficile. Il nous faut sortir des caricatures. Il ne s’agit pas d’être des anges ou des monstres.

À titre personnel, j’ai considéré que le Sénat avait bien travaillé – je l’aurais volontiers rappelé à M. Ciotti, lorsqu’il répliquait à M. Tourret sur la présomption d’innocence. Ce qui me préoccupe le plus, en effet, c’est quand même la présomption d’innocence. Ce point reste délicat.

Je ferai trois observations.

Bien sûr, le JLD effectuera un contrôle de légalité a posteriori. Je suis tout à fait favorable au JLD et j’ai confiance en ce magistrat au statut spécialisé. Cependant, sans cabinet, c’est-à-dire sans greffier, il lui est extrêmement difficile de procéder à un examen fouillé des propositions qui lui sont soumises – je le tiens de présidents de tribunaux, je n’invente pas. Si nous voulons que le JLD remplisse son office, il faut lui associer un cabinet ou, au moins, un greffier. C’est difficile dans certains tribunaux, mais il faut y réfléchir.

Ensuite, j’entends bien le souci de simplification et de cohérence par lequel vous justifiez le choix du seuil des trois ans. Cela ne me paraît cependant pas suffisant. Il s’agit de faire preuve de discernement. La justice n’est pas chose facile, et il ne s’agit pas d’opter pour des règles uniformes au motif que « ça fait plus simple ».

Enfin, il faut que nous écoutions les professionnels. M. Jacques Beaume, que j’estime profondément, s’était montré extrêmement prudent lorsque nous travaillions sur la loi antiterroriste et avait rappelé la règle des cinq ans.

La Commission adopte les amendements CL987 et CL594.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel CL792 du rapporteur.

Elle se saisit ensuite de l’amendement CL1037 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Cet amendement, qui s’inscrit dans le prolongement de ceux qui viennent d’être adoptés pour rétablir le texte initial, tend à rétablir la possibilité, en cas d’urgence, de mettre en place des interceptions sur la seule autorisation du procureur de la République, validée a posteriori par le JLD. Il est en effet des cas dans lesquels il est urgent de mettre un suspect sur écoute, par exemple pour retrouver la victime d’un enlèvement. Exiger l’intervention successive du parquet, alerté par les enquêteurs, puis du JLD, pour obtenir une autorisation peut faire perdre des minutes parfois précieuses dans ce type de situation. La notion d’urgence doit cependant être définie de façon précise et limitative. Par ailleurs, si la mesure n’est pas validée par le juge, il convient de prévoir la destruction des enregistrements.

M. Didier Paris, rapporteur. Mme la garde des Sceaux l’a dit : dans le prolongement de la discussion que nous venons d’avoir, il s’agit d’adopter une disposition absolument naturelle. Il doit sans aucun doute exister des situations dans lesquelles les interceptions doivent pouvoir se faire sans délai, sans qu’il soit obligatoire de recourir à un JLD nécessairement occupé. Peut-être est-ce le seul cas dans lequel le JLD intervient a posteriori. Le respect des libertés individuelles sera parfaitement garanti puisqu’à défaut de confirmation par le JLD, dans un délai maximal de vingt-quatre heures, l’opération sera annulée.

Je suis donc évidemment très favorable à cet amendement.

La Commission adopte l’amendement CL1037.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l’amendement CL391 de Mme Cécile Untermaier.

Puis elle adopte l’amendement de coordination CL793 du rapporteur.

Elle examine ensuite l’amendement CL1038 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Il s’agit de supprimer un certain nombre de complexités par rapport au droit actuel, introduites par le Sénat en matière de géolocalisation. Elles tendraient à réduire la durée de la mesure autorisée par le JLD, dont je rappelle qu’il donne son autorisation avant qu’elle ne soit prise ; c’est seulement en cas d’urgence qu’il intervient a posteriori. En outre, ces complexités conduiraient à doubler, pour la poursuite d’une géolocalisation en urgence, l’information ou l’autorisation du procureur de la République ou du juge d’instruction d’une autorisation du JLD. Ces modifications me semblant compliquer les investigations, je souhaitais revenir au texte initial.

M. Didier Paris, rapporteur. En effet, l’esprit est de revenir au texte initial, qui répond à des nécessités opérationnelles tout en garantissant les libertés individuelles. Je suis donc favorable à cet amendement.

La Commission adopte l’amendement CL1038.

Elle en vient à l’amendement CL1039 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. C’est le dernier des amendements de rétablissement du texte initial de cet article. Le Sénat avait fixé une durée maximale de géolocalisation au cours de l’instruction de deux ans. Dans son principe tout à fait justifiée, cette limitation doit s’appliquer dans tous les cas : enquête et instruction. Par ailleurs, il me semble qu’elle doit être non pas de deux ans mais, comme c’est le cas pour les interceptions, d’un an ou, en matière de criminalité ou de délinquance organisées, de deux ans.

La Commission adopte l’amendement CL1039.

Puis elle adopte l’amendement de conséquence CL794 du rapporteur.

Elle adopte ensuite l’article 27 modifié.

La séance est suspendue de seize heures cinquante à dix-sept heures.

Article 28
(art. 230-46 [nouveau] du code de procédure pénale, 706-2-2, 706-2-3, 706-35-1, 706-47-3, 706-72 et 706-87-1 du code de procédure pénale)
Harmonisation du cadre applicable à l’enquête sous pseudonyme

La Commission se saisit des amendements identiques CL88 de M. Ugo Bernalicis et CL714 de M. Jean-Félix Acquaviva.

M. Ugo Bernalicis. Par l’amendement de suppression CL88, nous souhaitons prévenir l’élargissement considérable de la possibilité pour les forces de police ou de gendarmerie de mener des enquêtes sous pseudonyme. Jusqu’à présent, elle était strictement restreinte à certains crimes et délits. La seule compensation est la mention explicite de la nécessité d’une autorisation préalable du magistrat concerné.

Le Sénat a certes amendé cet article sur quelques points, mais il a confirmé l’extension et la banalisation de ces mesures dérogatoires. C’est, pour nous, inacceptable. Les forces de police et de gendarmerie républicaines, dans le cadre de la répression des infractions pénales, n’ont pas à avancer masquées, sauf exceptions dûment justifiées et limitées.

De plus, alors que la procédure pénale est censée garantir les droits et libertés des personnes soumises à celle-ci, cet élargissement considérable ouvre la voie à de nombreux abus. Il s’agit d’une nouvelle entaille dans la logique née de la Révolution française, qui a consacré les droits fondamentaux des administrés. Encore une fois, il s’agit de l’extension de techniques spéciales d’enquête.

Mais je ne saurais mieux dire les choses que votre collègue Alain Tourret qui, à mon sens, a résumé cela admirablement.

M. Paul Molac. La possibilité de mener un certain nombre d’enquêtes sous pseudonyme inspire quelque inquiétude aux auteurs de l’amendement de suppression CL714. Certes, il y est déjà recouru, mais dans des cas très particuliers.

Je vous rappelle un scandale intervenu au Royaume-Uni. À la suite d’infiltrations, des agents se sont retrouvés bigames, ont eu des enfants, avant, tout à coup, de disparaître. Une femme a décidé de rechercher son mari, père de ses enfants, ainsi disparu. Elle l’a retrouvé en Afrique du Sud et, effectivement, il faisait bien partie des services secrets britanniques. Cela a quelque peu défrayé la chronique.

Je me méfie donc de ce genre de comportements. L’individu était peut-être particulièrement indélicat, mais cela peut toujours arriver.

M. Didier Paris, rapporteur. Avec l’article 28, voici la deuxième de trois dispositions relatives aux techniques d’enquête, auxquelles il est normal que nous consacrions quelque temps compte tenu de leurs caractéristiques.

Comme le disait M. Bernalicis, il convient de ne pas avancer masqué. C’est précisément l’objet de cet article : encadrer l’usage de cette technique et fixer les règles. Il s’agit de ne pas être masqué face aux autorités judiciaires ni à l’opinion publique, mais de l’être un peu plus face aux délinquants eux-mêmes. C’est absolument nécessaire avec le développement des services en ligne et de moyens qui permettent à la délinquance de prospérer. Il est naturel que nous nous dotions d’outils adaptés à la réalité des dangers.

Par ailleurs, si l’attention scrupuleuse dont est l’objet la préservation des libertés individuelles semble moins marquée en l’occurrence, c’est parce que ce sont les auteurs mêmes des infractions qui rendent publics les flux de communications concernées.

Le dispositif encadre également, c’est absolument impératif, la possibilité pour les enquêteurs de mener des « coups d’achat ». Dans le même esprit, l’interdiction d’inciter à la commission d’infractions est conservée.

Compte tenu de la nécessité d’améliorer notre dispositif de répression tout en prenant les précautions élémentaires nécessaires à la préservation des libertés individuelles, je suis défavorable à ces amendements identiques.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Évidemment, je suis défavorable à ces amendements de suppression, qui ne prennent pas en compte l’évolution de la criminalité. Celle d’aujourd’hui n’est plus celle des années 1950. Nous vivons avec des objets connectés – pourvus d’une géolocalisation que nous acceptons de n’importe quel prestataire privé mais plus difficilement des pouvoirs publics – et, plus globalement, ce sont d’autres champs qui se sont ouverts à la criminalité, notamment la cybercriminalité. Il faut que nous sachions nous adapter. C’est l’un des points importants de ce projet de loi.

Je suis défavorable à la suppression de cet article pour trois raisons.

Tout d’abord, nous souhaitons harmoniser le régime applicable à l’enquête sous pseudonyme, qui permet aux enquêteurs de communiquer sur internet avec des suspects sans donner leur véritable identité. Introduite en 2007 dans le but de constater des infractions mettant en péril des mineurs, notamment autour de la pédopornographie, elle s’est peu à peu diversifiée, et cette possibilité s’est étendue à des enquêtes liées à l’environnement, à la santé publique, etc. De ces évolutions successives résultent des régimes différenciés qui nuisent à la lisibilité et à l’efficacité du dispositif. Notre souci est donc d’harmoniser.

Ensuite, nous souhaitons étendre cette procédure d’enquête sous pseudonyme aux délits punis d’une peine d’emprisonnement. Cela nous semble notamment pouvoir être utile, en matière de faux monnayage ou d’autres délits punis d’une peine d’emprisonnement.

Enfin, parce que nous sommes toujours à la recherche d’un équilibre entre efficacité et protection, nous souhaitons renforcer le contrôle de l’autorité judiciaire sur ces enquêtes en soumettant à l’autorisation préalable d’un magistrat l’acquisition ou la transmission de contenus ou de produits licites. Il s’agit par exemple de commander des stupéfiants en vente sur internet pour établir la matérialité du trafic.

M. Erwan Balanant. Pour ma part, j’étais initialement très réticent et sceptique, mais j’ai interrogé et auditionné un certain nombre de personnes.

Vous l’avez rappelé, madame la garde des Sceaux, l’enquête sous pseudonyme a été introduite en 2007 et s’est étendue par la suite. Aujourd’hui, l’écheveau n’est pas très cohérent, ce à quoi il me paraît important de remédier.

Si j’ai radicalement changé d’avis, c’est tout simplement parce que des enquêteurs m’ont expliqué à quoi cette enquête pouvait leur servir – c’est ce que vous-même, madame la garde des Sceaux, avez décrit. La criminalité s’est complètement transformée. Il y a encore quinze ans, internet n’en était qu’à ses balbutiements et personne n’avait l’idée d’y commettre des délits ; aujourd’hui, c’est possible.

Cette enquête permet aux enquêteurs de résoudre un certain nombre d’affaires, dont je vous donne un exemple. Mme Michu se fait voler son vélo. Puis elle le voit en vente sur leboncoin.fr. Aujourd’hui, l’enquêteur ne peut enquêter lui-même. Il doit demander à Mme Michu de proposer une transaction, à l’occasion de laquelle il pourra arrêter le voleur.

Il faut quelque chose de cohérent, qui puisse se faire de manière transparente. Avec cet article, l’enquête sous pseudonyme sera parfaitement encadrée et seuls des enquêteurs spécialement formés s’y livreront. Ce dispositif permettra de résoudre un certain nombre d’affaires liées à internet.

M. Thomas Rudigoz. Mme la garde des Sceaux l’a dit : cette pratique existe depuis plusieurs années. Beaucoup de nos concitoyens comprennent que des enquêteurs doivent pouvoir ne pas agir à visage découvert contre la cybercriminalité. Cet article permettra de sécuriser les enquêtes et d’éviter que des délinquants ne les fassent parfois annuler en justice.

Je prendrai l’exemple non de Mme Michu mais de M. Bernalicis, qui nous a dit avoir été victime de fraude bancaire.

M. Ugo Bernalicis. Pas moi personnellement.

M. Thomas Rudigoz. Vous n’étiez peut-être pas vous-même concerné, cher collègue, mais c’est l’exemple que vous citiez. J’ai aussi été victime d’une telle fraude récemment. Dans ce cadre, vous déposez plainte, et c’est ce que je vais faire. Cependant, si vous voulez qu’une enquête sur de tels agissements aboutisse, il nous faut donner à nos enquêteurs et à nos services de police tous les moyens. Le recours à l’enquête sous pseudonyme me paraît tout à fait justifié.

M. Ugo Bernalicis. Cher collègue, une enquête est déjà possible dans un tel cas et, en général, c’est aussi pour se faire rembourser les retraits frauduleux par leur banque que les victimes portent plainte. Ensuite, les offices centraux de police judiciaire prennent le relais. Vous l’avez dit : c’est déjà possible. En l’occurrence, nous parlons d’une extension de cette possibilité, aujourd’hui ouverte face à la cybercriminalité pédopornographique, en cas de péril pour des mineurs ou en matière environnementale, à des matières où elle pourrait se révéler problématique. Demain, des réseaux militants activistes – ATTAC, les altermondialistes – qui mènent des actions à la limite de la légalité susceptibles de les exposer à des peines d’emprisonnement pourraient être infiltrés dans le cadre d’une enquête sous pseudonyme. Je songe par exemple au blocage d’une voie ferrée.

Il faut faire preuve de prudence. Le droit en vigueur me paraissait empreint de cette prudence, tout en permettant des enquêtes. Nous sommes donc favorables à la suppression de cet article.

La Commission rejette les amendements identiques CL88 et CL714.

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements identiques CL795 du rapporteur et CL633 de M. Erwan Balanant, ainsi que l’amendement CL392 de Mme Cécile Untermaier.

M. Didier Paris, rapporteur. Cet amendement vise à rétablir la procédure d’enquête sous pseudonyme pour tous les crimes et délits punis d’emprisonnement, comme le prévoyait le texte initial. Je comprends que la confusion soit possible, monsieur Balanant, et l’une des difficultés que présente ce texte est précisément liée au fait qu’il faut aider les services de police à s’y retrouver. En ce qui concerne cette mesure spécifique, néanmoins, je propose de rétablir la mesure initiale, pour des raisons simples : la première, déjà largement évoquée, tient au développement généralisé des nouveaux services de communication et à la nécessité d’y adapter les mesures de répression. D’autre part, s’agissant d’une technique qui consiste à mettre en ligne les éléments de sa propre incrimination, le critère de l’emprisonnement n’est pas disproportionné du point de vue de la protection des libertés individuelles. Enfin, il est important de rétablir le critère de la peine d’emprisonnement quelle qu’en soit la durée afin de couvrir l’ensemble du champ pénal ; la consultation d’images pédopornographiques, par exemple, est punie de deux ans d’emprisonnement, et il serait déraisonnable de l’exclure du champ des procédures d’enquête que nous visons.

M. Erwan Balanant. J’ai précisément déposé l’amendement identique CL633 pour couvrir la pédocriminalité, qui échappera à ces enquêtes si le seuil de trois ans est maintenu.

Mme Cécile Untermaier. Nous poursuivons notre partie de yo-yo : vous abaissez le seuil tandis que je propose par l’amendement CL392 de le relever de trois à cinq ans. Je ne suis pas encore convaincue de la nécessité d’étendre l’enquête sous pseudonyme, exorbitante du droit commun, comme le prévoyait le projet de loi dans sa version initiale. Le rapporteur propose de fixer un seuil intermédiaire à trois ans.

M. Didier Paris, rapporteur. Non, je propose de rétablir le texte initial du Gouvernement en incluant tous les crimes et délits passibles d’une peine d’emprisonnement quelle qu’en soit la durée.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. En effet, c’est le Sénat qui a ajouté la disposition relative aux trois ans.

Mme Cécile Untermaier. Je vois. Nos positions s’éloignent donc. Je comprends qu’il faille adapter les procédures d’enquête au XXIe siècle, mais des garanties sont nécessaires ; j’y reviendrai à l’occasion d’un autre amendement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Avis favorable aux amendements identiques de M. le rapporteur et M. Balanant. Disons les choses simplement : jusqu’à ce que nous nous saisissions du sujet, il existait une liste d’infractions justifiant le recours à l’enquête sous pseudonyme. C’est un mécanisme complexe et épars ; nous proposons donc de fixer un critère unique, celui du délit puni d’une peine d’emprisonnement. Le Sénat a souhaité que la peine d’emprisonnement soit supérieure ou égale à trois ans. Nous ne sommes pas d’accord : si nous retenons le seuil de trois ans d’emprisonnement, un certain nombre d’infractions échapperont au champ de cette procédure, dont la consultation d’images pédopornographiques, par exemple, délit puni de deux ans d’emprisonnement. Si nous nous rangeons à l’avis du Sénat, il ne sera pas possible d’assurer le suivi de ces infractions au moyen des techniques d’enquête sous pseudonyme. C’est pourquoi je souhaite, comme le propose le rapporteur, que nous incluions tous les délits punis d’une peine d’emprisonnement.

M. Ugo Bernalicis. Le fait que le Sénat – dont la couleur politique ne l’a pas habitué au laxisme – ait émis des doutes et des réserves concernant l’élargissement des techniques spéciales d’enquête et des enquêtes sous pseudonyme devrait tout de même vous mettre la puce à l’oreille et vous intriguer ! Ce n’est pas de La France insoumise qu’il s’agit ! Peut-être fera-t-elle bientôt son entrée au Sénat, mais ce n’est pas encore le cas.

Vous proposez d’inclure tous les délits punis d’une peine d’emprisonnement. Prenons l’exemple des faucheurs de chaises – souvenez-vous de cette action menée par ATTAC dans les locaux de BNP Paribas. Le vol est puni de trois ans d’emprisonnement – et même s’il l’avait été d’un an, il entrerait dans le champ de la mesure que vous proposez. Pouvez-vous me garantir qu’aucune enquête sous pseudonyme ne sera menée dans le cas d’un vol ? Si oui, alors je veux bien discuter, mais vous n’êtes pas en mesure de le faire, puisqu’il s’agit d’un délit passible d’une peine d’emprisonnement.

Vous allez créer une ambiance qui permettra beaucoup trop de choses et qui s’éloigne très nettement de ce qui est au cœur de l’État de droit, à savoir la sûreté et le droit de ne pas être soumis à l’arbitraire et à certaines prérogatives de la puissance publique – en l’occurrence les techniques spéciales d’enquête et les enquêtes sous pseudonyme – qui, à mon sens, vont beaucoup trop loin.

M. Erwan Balanant. Pourquoi les députés de La France insoumise ont-ils toujours aussi peur de l’État de droit, des procureurs et des enquêteurs de police ? Leur seule mission consiste à garantir nos libertés. Pourquoi tant de défiance ? Si vous excluez le vol, les autorités compétentes n’auront plus la possibilité d’enquêter sur un délit de recel sur internet. Faisons confiance aux procureurs et aux enquêteurs : ils auront l’intelligence de n’utiliser ce type d’enquête que lorsqu’il permettra d’aboutir. Il ne s’agit pas de créer un système de surveillance !

M. Ugo Bernalicis. C’est donc bien qu’il n’y a pas de garantie !

M. Erwan Balanant. C’est un outil nouveau dans un monde qui a évolué. Vous utilisez internet en permanence, monsieur Bernalicis ; c’est un fait nouveau. Il en résulte de nouveaux types de délits auxquels il faut répondre pour assurer la sécurité de nos concitoyens. C’est moi qui vous le dis, et non M. Ciotti !

M. Éric Ciotti. Je suis débordé sur ma droite… (Sourires.)

La Commission adopte les amendements identiques CL795 et CL633.

En conséquence, l’amendement CL392 tombe.

Suivant l’avis favorable du Gouvernement, la Commission adopte successivement les amendements rédactionnels CL796, CL797, CL798 et CL799 du rapporteur.

Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements CL800 du rapporteur et CL717 de M. Erwan Balanant.

M. Didier Paris, rapporteur. L’amendement CL800 concerne la pratique particulière du « coup d’achat », c’est-à-dire la possibilité pour un enquêteur de se rapprocher d’un délinquant jusqu’à commettre lui-même un acte délictueux de ce type dès lors qu’il prend les précautions élémentaires, lesquelles sont très bien encadrées dans le texte. Notre désaccord avec le Sénat porte simplement sur la manière dont le magistrat compétent donne son autorisation préalable à cette pratique parfaitement couverte par l’autorité judiciaire : doit-il le faire au moyen d’un procès-verbal exhaustif et motivé ou, conformément à l’esprit du texte initial, par tout moyen ? Il nous semble préférable de revenir aux dispositions initialement prévues : l’autorisation par tout moyen correspond mieux aux circonstances et à la rapidité de cette pratique et n’ôte rien au contrôle de la décision prise.

M. Erwan Balanant. L’amendement CL717 vise le même objectif.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Avis favorable : cette technique d’enquête très utile permet notamment de réprimer la vente sur internet de médicaments contrefaits ou de produits stupéfiants. Il est important qu’elle soit autorisée par tout moyen.

M. Didier Paris, rapporteur. Je précise que l’amendement défendu par M. Balanant n’est pas tout à fait identique : je propose que l’autorisation en question soit mentionnée ou versée au dossier de la procédure « à peine de nullité », de sorte que les actes autorisés ne puissent pas constituer une incitation à commettre des infractions. C’est, me semble-t-il, une précaution déterminante.

M. Erwan Balanant. L’amendement du rapporteur étant mis aux voix en premier, le mien risque de toute façon de tomber…

La Commission adopte l’amendement CL800.

En conséquence, l’amendement CL717 tombe.

La Commission est saisie de l’amendement CL414 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier. Puisque la technique d’enquête sous pseudonyme, quoique particulière, est désormais banalisée, il nous semble essentiel de concilier les impératifs de rapidité et de confidentialité avec celui de la protection des personnes. Une telle opération doit donc être autorisée par un magistrat qui s’engage par écrit après avoir identifié les infractions légitimant le recours au pseudonyme.

M. Didier Paris, rapporteur. Je comprends l’objectif de cet amendement mais il consisterait à mon sens à intégrer un régime procédural particulièrement rigide qui n’est pas nécessaire compte tenu de la réalité des enquêtes sou pseudonyme. Quel que soit le cadre de l’enquête, l’intervention du procureur de la République et celle du juge d’instruction, déjà prévues, me semble suffire. Avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Même avis : il n’est pas nécessaire de solliciter le juge des libertés et de la détention (JLD) dans la mesure où l’autorisation du procureur de la République ou du juge d’instruction est requise selon les cas.

M. Ugo Bernalicis. L’autorisation de l’un « et » de l’autre, ou de l’un « ou » de l’autre ?

Mme Cécile Untermaier. L’autorisation nécessaire est celle du procureur de la République ou du juge d’instruction et le JLD n’intervient pas ; est-ce bien cela ?

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Oui.

Mme Cécile Untermaier. Il s’agit donc bien d’un régime échappant à l’autorisation du juge et ouvrant la voie à une enquête sous pseudonyme susceptible d’être contestée. Comment répondre à ces interrogations ?

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Lors du jugement, par la nullité de l’enquête.

Mme Cécile Untermaier. Je ne suis pas favorable à ce que l’on impose un contrôle de légalité au juge : ce n’est pas ce qui est attendu de lui. Il doit veiller à la protection des personnes, et non à réparer a posteriori.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Personne n’est attaqué ! Soyons clairs : il s’agit de conduire une enquête. Nous voulons donner la possibilité à des enquêteurs de circuler anonymement sur internet pour enquêter lorsqu’ils soupçonnent des actes criminels en ligne. Nous ne parlons pas du vol de vélo de la grand-mère, mais de criminalité sur internet. En quoi la possibilité pour un enquêteur de circuler anonymement sur internet nécessite-t-elle l’autorisation du JLD ?

Mme Cécile Untermaier. Au contraire, compte tenu de ces explications et de l’importance de ce type d’enquêtes, il est justifié qu’elles soient encadrées par le juge.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. On ne demande tout de même pas l’accord du juge pour arrêter quelqu’un dans la rue !

La Commission rejette l’amendement CL404.

Elle en vient à l’amendement CL89 de Mme Danièle Obono.

M. Ugo Bernalicis. Cet amendement de repli, visant à ce qu’un arrêté conjoint du ministre de la Justice et du ministre de l’intérieur fixe une doctrine d’emploi pour le recours et la mise en œuvre de l’enquête sous pseudonyme, permettrait peut-être d’éviter des abus liés à la banalisation de cette technique d’enquête, généralisée à tous les délits passibles d’une peine d’emprisonnement. Un minimum d’encadrement est nécessaire. Je ne prétends pas que les policiers, les procureurs et les juges d’instruction utiliseront nécessairement toute la latitude que leur offrent les moyens d’enquête sous pseudonyme à des fins mal intentionnées, mais il reste que vous ouvrez une porte. Nous proposons donc une doctrine d’emploi sur laquelle se fonder pour éviter les dérives.

M. Didier Paris, rapporteur. Il ne s’agit pas là d’un point majeur du texte. Quoi qu’il en soit, il est rare voire exceptionnel – je ne crois pas l’avoir déjà observé – qu’un texte législatif prévoie l’adoption obligatoire d’une doctrine d’emploi, qui découle tout naturellement de mesures prises par la voie législative et à laquelle la Chancellerie peut apporter des éclaircissements par voie de circulaire.

En outre, ces techniques ne sont pas confiées à des enquêteurs lambda. Il s’agit d’enquêteurs qui exercent au sein de services spécialisés, et je doute fort qu’ils ne se conforment pas déjà à une doctrine d’emploi. L’amendement me paraît donc superfétatoire ; avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Même avis : ces enquêtes sont conduites par des officiers de police judiciaire habilités par les procureurs à agir ainsi. S’il fallait encadrer la pratique, ce serait par une circulaire du garde des Sceaux. Je ne refuse naturellement pas de travailler avec mon collègue ministre de l’intérieur mais, en l’espèce, cette question relève de ma compétence. Quoi qu’il en soit, elle ne relève pas d’une loi.

M. Ugo Bernalicis. Je suis certain que le ministère de l’intérieur est parfaitement étranger à tous les articles de projet de loi, comme chacun sait. Je préfèrerai en l’occurrence qu’il s’agisse d’un arrêté conjoint – car il existe des arrêtés fixant une doctrine, monsieur le rapporteur, et quand bien même il n’en existerait pas, il faut être « innovant », selon un terme qui vous est cher.

La difficulté est réelle. La presse non seulement internationale mais aussi française se fait l’écho de cas où des magistrats et des policiers se sont quelque peu accommodés de la procédure, et n’ont parfois pas besoin de l’enfreindre puisque leur pratique est autorisée – d’où des enquêtes pour déterminer si elle était effectivement légale ou non. Je préfère que tout soit clair d’emblée et que la loi fixe des garanties, en contrepartie de l’extension très large de ces pratiques à laquelle vous procédez. En l’état, vous ne prévoyez pas de contrepartie garantissant les libertés individuelles.

La Commission rejette l’amendement CL83.

Puis elle adopte l’article 28 modifié.

Après l’article 28

La Commission examine l’amendement CL159 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis. Cet amendement vise à restreindre le recours à certaines techniques spéciales d’enquête aux seules mains de l’instruction, et non plus du parquet ou du JLD. Vous en comprenez la logique : j’ai une préférence pour les juges d’instruction par rapport aux magistrats du parquet. Il serait souhaitable que la part des enquêtes donnant lieu à une information judiciaire par un juge d’instruction dépasse 3 % et que nous nous fixions l’objectif d’atteindre 5 %, 10 %, voire 15 % pour réhabiliter le rôle du juge d’instruction. À défaut, je considérerai que vous prenez une mesure de défiance à son égard.

M. Didier Paris, rapporteur. Avis défavorable : cet amendement contrecarre totalement la philosophie qui inspire l’article 29, qui suit. Nous souhaitons précisément qu’il soit possible de mener une enquête hors instruction lorsque c’est nécessaire. Distinguons néanmoins entre ce débat et celui que nous venons d’avoir : en l’espèce, l’intervention du JLD est systématique. Elle est préalable dans la plupart des cas et se fait a posteriori dans certains autres, mais elle est systématique.

M. Ugo Bernalicis. Mais pas dans le cas d’une enquête anonyme !

M. Didier Paris, rapporteur. Nous prenons donc les mesures d’encadrement utiles et nécessaires de toutes les techniques spéciales d’enquête – infiltration de données, techniques de connexion et ainsi de suite – qu’exige l’évolution de la délinquance, techniques qui sont à l’évidence intrusives.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Même avis.

M. Ugo Bernalicis. Par cet amendement, nous ne voulions pas nous contenter de faire en sorte que vous n’alliez pas trop loin dans les atteintes que vous portez aux libertés individuelles. Nous voulions aussi que vous inversiez ce mouvement engagé depuis longtemps, au moins depuis 2002 lors de l’adoption d’un certain nombre de dispositions par la droite. Voilà notre philosophie : nous n’entendons pas rester au milieu du gué. Nous voulons rendre au juge d’instruction la primauté sur le procureur de la République en ce qui concerne toutes les techniques d’enquête susceptibles d’être attentatoires aux libertés individuelles.

La Commission rejette l’amendement 159.

Elle examine l’amendement CL658 de M. Éric Ciotti.

M. Éric Ciotti. Cet amendement s’inscrit dans la logique que poursuit le Gouvernement avec ces articles de simplification de la procédure pénale, qui vont dans le bon sens et que je soutiens. Il concerne les perquisitions de nuit autorisées par la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme dans un cadre précis, entre vingt-et-une heures et six heures du matin. Cette procédure ne permet pas de se saisir de faits ou d’objets autres que ceux qui sont l’objet de la procédure ou qui relèvent de la délinquance et de la criminalité organisées. Nous proposons d’accorder aux enquêteurs procédant à une perquisition la faculté de se saisir de tout fait ou de tout objet.

En l’état actuel des choses, ils doivent attendre six heures du matin, poser des scellés sur les logements perquisitionnés, ou bien amener la personne à six heures. C’est une procédure lourde et fortement consommatrice d’effectifs. Prenons l’exemple d’une perquisition de nuit effectuée dans le cadre d’une procédure antiterroriste : si les enquêteurs trouvent de la drogue, ils doivent attendre six heures du matin pour procéder à la saisie. L’amendement vise à remédier à cette difficulté tout en s’inscrivant, je le répète, dans le cadre louable de mesures de simplification procédurale attendues par les policiers et les gendarmes confrontés à la délinquance et à la criminalité.

M. Didier Paris, rapporteur. Peut-être cela vous surprendra-t-il, mais je suis d’accord avec vous, cher collègue. Cependant, je ne fais pas la même lecture des textes actuels, qui me semblent parvenir au résultat que vous souhaitez ; votre amendement est donc satisfait.

D’une part, le JLD autorise la perquisition de nuit dans un objectif précis qui ne saurait aucunement être détourné : les services de police qui se rendent au domicile d’une personne pour effectuer une perquisition pendant la nuit – ce qui est dérogatoire au droit commun – doivent le faire exclusivement dans l’objectif prescrit. S’il serait en effet très gênant de ne pas pouvoir ouvrir des procédures dites incidentes dans l’hypothèse où d’autres infractions seraient découvertes, rien n’interdit ces « incidentes ». Je vous rappelle le libellé de l’article 706-93 du code de procédure pénale : « le fait que ces opérations révèlent des infractions autres que celles visées dans la décision du juge des libertés et de la détention ou du juge d’instruction ne constitue pas une cause de nullité des procédures incidentes ». La situation que vous craignez n’existe donc pas : les services de police ne sont pas tenus d’attendre le matin en posant des scellés s’ils constatent une infraction supplémentaire ne relevant pas de l’objectif initialement fixé par le juge ; la procédure incidente est possible.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je comprends le propos de M. Ciotti : les perquisitions nocturnes font l’objet d’un régime dérogatoire qui pourrait laisser croire que les saisies incidentes n’obéissent pas à la procédure ordinaire. En réalité, il est possible, en toute hypothèse, de procéder à une saisie incidente pendant une perquisition nocturne, comme le prévoit l’article 706-93 que le rapporteur a cité. C’est pourquoi votre amendement ne me semble pas utile, monsieur le député ; je vous propose de le retirer.

M. Éric Ciotti. J’entends ces arguments qui, sur le plan juridique, me semblent plus que recevables. Cependant, l’interprétation qui en est faite sur le terrain diffère parfois de la vôtre. Cet amendement est d’ailleurs le résultat des difficultés que les forces de police m’ont dit rencontrer dans ce type de situations.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Les travaux parlementaires font foi. Je pourrai rappeler cette disposition dans le cadre d’une circulaire.

M. Ugo Bernalicis. Je constate que M. Ciotti essaye de déborder la majorité par la droite – ce qui est bien normal – et qu’il n’y arrive malheureusement pas puisque tous ses vœux sont déjà exaucés, alors même qu’il voulait abonder dans votre sens !

M. Éric Ciotti. Cela rassure même le Gouvernement !

M. Ugo Bernalicis. Cela devrait au contraire vous inquiéter. J’espère ne pas avoir à entendre l’un d’entre vous, en commission ou dans l’hémicycle, raconter des sornettes au sujet d’une prétendue position d’équilibre ! Non, vous êtes dans une dérive sécuritaire ; disons même que vous faites « du sécuritaire ». En somme, vous menez une politique clairement de droite.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je précise à M. Bernalicis que l’article 706-93 du code de procédure pénale découle de la loi du 3 juin 2016.

Mme Danièle Obono. Poursuivez : et donc ?

M. Ugo Bernalicis. Faut-il inclure les socialistes dans le lot ?

M. Éric Ciotti. Compte tenu des explications de la ministre et de sa proposition de rédiger une circulaire pour clarifier la procédure, je la remercie et retire l’amendement.

L’amendement CL159 est retiré.

Article 29
(art. 230-45, 706-95-1, 706-95-2, 706-95-4, 706-95-11 à 706-95-20 [nouveaux] et 706-96 à 706 102 9 du code de procédure pénale et 226-3 du code pénal)
Uniformisation du régime applicable à certaines techniques spéciales d’enquête

La Commission examine l’amendement CL90 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis. L’article 29 vise, d’une part, à unifier le régime d’autorisation du recours aux techniques d’écoute – pose de micros ou de fausses antennes relais – et de piratage de données, en permettant notamment leur utilisation sur une durée plus longue sans contrôle du juge, et, d’autre part, à étendre l’emploi de ces techniques spéciales d’enquête à tous les crimes. Parce que nous estimons que le juge d’instruction est plus à même de garantir les libertés individuelles que le procureur de la République et parce que nous voulons inciter la majorité à renoncer à la droitisation dans laquelle elle s’est embringuée, nous vous proposons de supprimer l’article 29.

M. Didier Paris, rapporteur. Il m’est évidemment difficile d’être favorable à votre amendement, puisqu’il tend à supprimer l’une des dispositions importantes du projet de loi. Cette disposition a trait, en effet, aux techniques spéciales d’enquête, dont l’évolution de la délinquance justifie l’utilisation, et qui ne sauraient, par ailleurs, se limiter à la seule délinquance organisée. Il n’y a en effet aucune raison de se priver de ces techniques efficaces dès lors que leur usage demeure parfaitement encadré par les autorités judiciaires. Avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Avis défavorable. Je ne souhaite pas, monsieur Bernalicis, renoncer à cet article qui, là encore, correspond à des souhaits qui ont été largement exprimés lors des chantiers de la justice. Je précise, pour être très claire, que, sur ce chantier précis, nous avons travaillé avec les magistrats et les enquêteurs. En tout état de cause, cette mesure, qui me semble nécessaire, ne modifie pas les équilibres de la procédure pénale.

Je me propose de vous présenter l’économie générale de l’article 29 et des trois amendements que le Gouvernement a déposés sur celui-ci.

Tout d’abord, l’article 29 tend à simplifier le droit existant en harmonisant le régime procédural de trois techniques d’investigation – les international mobile subscriber identity (IMSI) catchers, la sonorisation et la captation d’images ainsi que la captation de données informatiques –, notamment en ce qui concerne la durée de leur mise en œuvre. Cette simplification maintient les principes communs actuellement en vigueur mais supprime les différences qui nous semblent injustifiées entre les différents régimes.

Il vise ensuite à maintenir les garanties actuellement existantes, garanties qui sont au nombre de six. Elles portent, tout d’abord, sur les conditions d’autorisation – je pourrai y revenir dans un instant. Un dispositif d’urgence permet au procureur, en cas de risque imminent de dépérissement des preuves, d’autoriser seul, pour vingt-quatre heures, le recours à ces techniques spéciales d’enquête. Mais, dans ce cas, cette autorisation exceptionnelle doit être validée par le JLD. Ces garanties portent également sur la durée – qui est uniquement différenciée selon qu’il s’agit d’une enquête du parquet ou d’une information judiciaire –, sur le déroulement – qui s’effectue sous le contrôle et l’autorité du magistrat qui a autorisé leur utilisation – et sur la conservation des données recueillies, lesquelles sont détruites à la diligence du procureur de la République ou du procureur général à l’expiration du délai de prescription.

Oui, nous voulons harmoniser les règles applicables en la matière et étendre à tous les crimes le recours à ces technologies, jusqu’alors réservé aux infractions relevant de la délinquance et de la criminalité organisées, mais nous maintenons les garanties existantes.

La Commission rejette l’amendement CL90.

Elle examine ensuite l’amendement CL988 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Il s’agit du premier des trois amendements que j’ai évoqués. Il a pour objet de maintenir l’extension à tous les crimes du recours aux techniques spéciales d’enquête. Cette extension nous a paru nécessaire dans la mesure où, actuellement, il n’est pas possible d’utiliser ces techniques pour des crimes qui sont plus graves que certains faits commis par des réseaux de délinquance.

Suivant l’avis favorable du rapporteur, la Commission adopte l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL1067 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Il s’agit du deuxième des trois amendements que je vous ai présentés ; je n’y reviens pas.

Suivant l’avis favorable du rapporteur, la Commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’amendement CL583 de Mme Isabelle Florennes tombe.

La Commission examine l’amendement CL1069 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Cet amendement a pour objet de compléter le rétablissement de l’article dans le texte initial du Gouvernement. Il s’agit de simplifier la procédure pénale et de modifier à la marge le champ d’application de la captation des données informatiques afin de l’étendre aux données émises ou reçues par tout type de périphérique et non plus seulement par les périphériques audiovisuels.

Suivant l’avis favorable du rapporteur, la Commission adopte l’amendement.

Elle est ensuite saisie de l’amendement CL684 de M. Paul Molac.

M. Paul Molac. L’article 29 a pour objet d’unifier le régime juridique applicable aux techniques spéciales d’enquête. Mais, sous couvert de simplification, il va étendre au droit commun des techniques d’enquête réservées aujourd’hui à la lutte contre la criminalité organisée. Ces mesures sont attentatoires aux libertés fondamentales. C’est la raison pour laquelle nous proposons, par cet amendement, de préciser que l’autorisation d’utiliser ces techniques doit pouvoir faire l’objet d’un recours devant la chambre de l’instruction, dans les conditions prévues par l’article 186 du code de procédure pénale.

M. Didier Paris, rapporteur. Je présume, monsieur Molac, que vous percevez la limite intrinsèque de votre amendement. Il paraît en effet difficile de prévenir une personne de l’emploi d’une technique d’enquête qui doit être utilisée à son insu… Au demeurant, je rappelle que, si des poursuites sont engagées, l’ensemble des éléments recueillis grâce à ces techniques sera soumise à un débat contradictoire dans le cadre de la procédure. Avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Même avis.

La Commission rejette l’amendement CL684.

Puis elle examine l’amendement CL685 de M. Paul Molac.

M. Paul Molac. L’alinéa 22 de l’article 29 prévoit qu’en cas d’urgence – notion juridiquement floue –, les techniques spéciales d’enquête peuvent être autorisées par le procureur de la République sans autorisation préalable du JLD. Cette mesure nous paraît disproportionnée ; le JLD doit pouvoir intervenir, au cours de l’enquête, en amont de l’autorisation. Cet amendement vise donc à supprimer cet alinéa.

M. Didier Paris, rapporteur. Avis défavorable. Il n’y a aucune raison de supprimer la procédure d’urgence, dont nous avons déjà débattu dans un autre cadre. Je rappelle que la décision du procureur de la République doit être confirmée par une ordonnance motivée du JLD, ce qui apporte toutes les garanties procédurales nécessaires, et qu’un tel dispositif existe déjà pour d’autres techniques d’enquête, notamment les interceptions électroniques. Ne vidons pas les procédures de leur substance en prévoyant un encadrement excessif et disproportionné.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Il me semble que cette procédure est utile car, dans certaines situations – un enlèvement ou une suspicion de crime, par exemple –, il faut réagir très rapidement. Par ailleurs, comme à chaque fois que nous mettons en place un pouvoir d’enquête, nous prévoyons un mécanisme de contrôle. Ce faisant, nous nous conformons à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui a validé, en 2014, le principe d’une procédure d’urgence en matière de géolocalisation dans la mesure où elle était entourée de garanties, à savoir le contrôle de l’autorité judiciaire. En l’espèce, les garanties sont les suivantes : l’urgence doit être motivée par un risque de dépérissement des preuves ou d’atteinte grave à une personne ; le JLD doit confirmer la décision sous vingt-quatre heures ; enfin, à défaut de confirmation, les données recueillies ne peuvent pas être utilisées et le JLD peut en ordonner la destruction. Simplification et contrôle : telle est notre double préoccupation.

La Commission rejette l’amendement CL685.

Elle examine ensuite l’amendement CL393 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier. Je retire cet amendement, car il me semble motivé par une vision excessivement optimiste des capacités du JLD, dont je rappelle qu’il n’a pas de cabinet, donc pas de greffier.

L’amendement est retiré.

La Commission adopte l’amendement rédactionnel CL801 du rapporteur.

Elle est ensuite saisie de l’amendement CL686 de M. Paul Molac.

M. Paul Molac. L’alinéa 33 de l’article 29 dispose que les enregistrements et données recueillis sont détruits, à la diligence du procureur de la République ou du procureur général, à l’expiration du délai de prescription de l’action publique, en précisant qu’il est dressé un PV de l’opération de destruction. Afin de garantir les droits de la défense, cet amendement vise à préciser que ce procès-verbal devra être communiqué aux parties si elles le demandent.

M. Didier Paris, rapporteur. Avis défavorable. Si des poursuites judiciaires sont engagées, l’ensemble des données recueillies seront soumises au débat contradictoire et pourront faire l’objet d’un recours en nullité. Dès lors que le droit commun s’applique, il n’est pas nécessaire de prévoir des dispositions spécifiques.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Avis défavorable. Cette procédure est, là encore, entourée de garanties suffisantes. Je me répète, mais peut-être provoquerai-je ainsi un réflexe salutaire… En l’espèce, la décision de déclencher les investigations est prise par un juge, lequel apprécie la nécessité de recourir à ces moyens au regard des faits et du déroulement de l’enquête. Ensuite, les éléments issus de l’enquête et la décision d’y recourir pourront faire l’objet d’un recours en nullité pendant l’instruction ou l’audience de jugement. Enfin, le JLD peut ordonner la destruction des PV et des supports d’enregistrement si des irrégularités ont été commises, et ce sans attendre la demande de nullité soulevée ultérieurement par une partie.

L’amendement CL686 est retiré.

La Commission adopte successivement les amendements rédactionnels CL802 et CL803 et l’amendement de coordination CL804 du rapporteur.

Puis elle adopte l’article 29 modifié.

Avant l’article 30

La Commission est saisie de l’amendement CL30 de Mme Danièle Obono.

Mme Danièle Obono. Par cet amendement, qui vise à renforcer l’indépendance des juges d’instruction, nous proposons que des officiers de police judiciaire (OPJ) – policiers ou gendarmes – soient détachés auprès de la juridiction, sur la base du volontariat et pour trois années renouvelables.

Ce dispositif, qui ferait l’objet, dans un premier temps, d’une expérimentation, a pour but de garantir que les officiers de police judiciaire ne soient pas soumis à une double chaîne hiérarchique : juge d’instruction et autorité judiciaire d’un côté, ministre de l’intérieur et pouvoir exécutif de l’autre. En effet, dans la pratique, de nombreux officiers de police judiciaire qui exercent des missions de police judiciaire sous l’égide d’un juge d’instruction se voient incités – voire pressés – par leur hiérarchie de procéder à des remontées policières. Celles-ci, à la différence des remontées judiciaires des procureurs, qui ont une base légale, ne sont aucunement encadrées. Effectuées dans l’opacité la plus complète, elles violent le secret de l’enquête ou de l’instruction.

Le détachement d’officiers auprès de juridictions permettrait, grâce à l’absence de contacts avec le ministère de l’intérieur et de subordination hiérarchique, de garantir une meilleure indépendance et de se prémunir contre l’information indue du ministre de l’intérieur ou son intervention dans le travail de l’autorité judiciaire.

M. Didier Paris, rapporteur. Avis défavorable. L’indépendance du juge d’instruction ne tient absolument pas à la situation de tel ou tel OPJ ou à l’autorité hiérarchique qu’il pourrait avoir sur celui-ci. L’indépendance du juge du siège – et le juge d’instruction en est évidemment un – est constitutionnellement reconnue. Au surplus, l’organisation des rapports entre l’autorité judiciaire et les OPJ ne se fait pas sur cette base-là ; elle repose sur la notion de direction et de contrôle par le parquet général, et cela n’interfère en aucune façon avec les questions d’indépendance. J’ajoute, sans vouloir m’exprimer à sa place, que je ne suis pas certain que Mme la ministre souhaite devenir l’autorité hiérarchique directe de ces nouvelles unités constituées d’OPJ qui seraient – sans que l’on sache très bien ce que cela signifie – mises à disposition.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Avis défavorable.

Mme Danièle Obono. Nous pensons que le fait pour un juge d’être assisté dans son travail par des officiers de police judiciaire détachés permettrait de faciliter sa tâche et de mettre un terme aux remontées policières, qui créent une confusion entre les deux autorités. Il me semble qu’un tel dispositif est nécessaire. En outre, je ne crois pas, compte tenu des débats actuels sur les moyens de la justice, que les moyens supplémentaires dont disposeraient ainsi les magistrats pour mener leurs enquêtes puissent être considérés comme superflus. En tout état de cause, la question se pose du statut des OPJ qui travaillent en lien avec l’autorité judiciaire : nous estimons, quant à nous, qu’en les rattachant à cette dernière, nous clarifierions leur situation. Pourquoi ne pas mener une expérimentation ? Cela en vaudrait la peine, me semble-t-il.

La Commission rejette l’amendement.

Sous-section 2 
Dispositions relatives au statut et aux compétences des officiers, fonctionnaires et agents exerçant des missions de police judiciaire

Article 30
(art. 16, 18, 21, 28, 60, 60‑1, 60‑2, 60‑3, 76‑2, 77‑1, 77‑1‑1 à 77‑1‑3 et 390‑1 du code de procédure pénale ; art. 365‑1 du code des douanes ; art. L. 130‑7 du code de la route)
Statut et compétence de la police judiciaire

La Commission est saisie de l’amendement CL91 de Mme Danièle Obono.

Mme Danièle Obono. Cet amendement supprime l’article 30. Nous souhaitons ainsi prévenir les différentes dégradations des droits des administrés et le recul de l’indépendance de l’autorité judiciaire.

En effet, cet article prévoit, premièrement, que les officiers de police judiciaire n’auraient plus à renouveler leur habilitation et leur serment en cas de changement d’affectation ; deuxièmement, qu’il sera possible de créer des « OPJ volants », assistés d’un OPJ territorialement compétent, si le magistrat le décide ; troisièmement, pour les crimes et délits flagrants, de donner à des agents de police judiciaire (APJ), dans le cadre de l’enquête, la possibilité d’effectuer, sous le contrôle des OPJ, des actes normalement exécutés par ces derniers. Rappelons, en outre, que le Sénat a souhaité étendre l’accès à la qualité d’agent de police judiciaire aux membres de la réserve opérationnelle de la gendarmerie nationale, en renvoyant les conditions de leur habilitation à un décret en Conseil d’État.

Ces différentes mesures s’inscrivent dans une même logique, selon nous inacceptable : la dégradation de l’indépendance de l’autorité judiciaire et de la diminution des garanties dont bénéficient les administrés.

M. Didier Paris, rapporteur. L’article 30 est l’un de ceux qui devraient soulever le moins de problèmes dans la mesure où la nécessité des simplifications proposées est reconnue par tous. Elles faisaient, du reste, l’objet de l’une des premières demandes exprimées par les forces de l’ordre lors de leurs auditions.

Prenons l’obligation pour un OPJ de prêter serment devant le procureur général à chaque changement d’affectation. Une telle règle ne présente aucun intérêt, ni au plan procédural ni au plan pratique. On ne gagne rien à maintenir ces dispositions d’un autre âge. De même, on peut comprendre que le projet de loi vise à simplifier les conditions dans lesquelles un officier de police judiciaire se déplace sur le territoire. Acceptons que, dans un monde qui évolue et où les techniques sont de plus en plus complexes, un OPJ puisse, sur autorisation et après information des autorités judiciaires locales, se déplacer plus facilement. Quant à la simplification du travail des APJ, elle est tout aussi justifiée, dès lors que celui-ci demeure soumis au contrôle des OPJ. Avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Comme l’a indiqué le rapporteur, l’article 30 est sans doute l’un de ceux qui devraient soulever le moins de problèmes. Il s’agit, tout d’abord, de simplifier l’actuelle procédure d’habilitation des OPJ et d’assermentation des agents de surveillance de la voie publique. Il me semble que l’actuelle exigence d’un renouvellement de l’habilitation ou du serment à chaque changement d’affectation est lourde et principalement formelle. Or, compte tenu des délais de traitement, elle empêche ces agents d’être immédiatement opérationnels. Ensuite, l’efficacité de l’enquête nécessite de faciliter la circulation des enquêteurs, y compris en dehors de leur circonscription, pour s’adapter à la mobilité de la délinquance. Enfin, la lourdeur des règles relatives aux réquisitions, qui exigent l’accord préalable du procureur et l’intervention systématique d’un officier de police judiciaire, ne me semble pas toujours justifiée, notamment pour les réquisitions adressées aux caisses d’allocations familiales (CAF) ou aux unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) afin d’identifier l’adresse d’une personne. Pour ces différentes raisons, j’émets un avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’amendement de précision CL864 du rapporteur.

Elle examine ensuite l’amendement CL865 du rapporteur.

M. Didier Paris, rapporteur. Le Sénat a inséré dans l’article 30 des dispositions conférant aux officiers et sous-officiers de la réserve opérationnelle de la gendarmerie nationale la qualité d’agent de police judiciaire. Sur le fond, il s’agit d’une excellente idée car il n’y a pas de raison de se priver de ces personnes compétentes dans le domaine de la sécurité. Il est évident qu’un ancien gendarme ou un ancien OPJ de la gendarmerie membre de la réserve opérationnelle doit pouvoir devenir APJ : il a les compétences nécessaires et il a déjà travaillé dans ce domaine, qu’il connaît bien. En revanche, je ne souhaite pas – et c’est l’objet de cet amendement – qu’un intégré direct de la réserve opérationnelle qui n’a exercé aucune activité dans le domaine de la sécurité publique bénéficie également de ce statut, que nous ne devons pas galvauder. Quand bien même suivrait-il une formation, celle-ci ne serait pas suffisante au regard des compétences exigées des APJ.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle est saisie des amendements identiques CL866 du rapporteur et CL747 de M. Stéphane Mazars.

Mme Alice Thourot. Je vais défendre conjointement les amendements CL747 et CL743 à venir.

Les articles 28-1 et 28-2 du code de procédure pénale permettent d’habiliter certains fonctionnaires des catégories A et B à effectuer des enquêtes judiciaires. Ces habilitations permettent au procureur de co-saisir, sur des dossiers complexes, des experts qui sont des agents de la fonction publique aguerris, ayant de la maîtrise et de l’expérience. Ce recours aux habilitations concourt à l’efficacité, à la rigueur de l’enquête et la bonne diligence de procédures techniques et spécifiques.

L’amendement CL747 clarifie les cas dans lesquels les personnels de la fonction publique peuvent venir épauler les services judiciaires. En outre, il élargit le champ de co-saisine en permettant au procureur de confier à ces mêmes fonctionnaires la mise en œuvre de mesures alternatives aux poursuites, à l’instar des attributions qu’ont déjà les officiers de police judiciaire, les délégués ou encore les médiateurs.

Quant à l’amendement CL743, il évite de saisir systématiquement les services de police et de gendarmerie pour délivrer une convocation, rechercher et constater une infraction pénale quand ils n’ont pas à réaliser l’enquête, et que les faits ne justifient pas d’investigation supplémentaire. Il répond aussi à un souci de simplification et d’efficacité sur le terrain.

M. Didier Paris, rapporteur. Mon amendement est identique et je me range derrière Mme Alice Thourot qui a récemment mené une mission d’information sur le continuum de sécurité et qui connaît parfaitement ces questions. Il est naturel que nous cherchions à simplifier nos règles procédurales quand plusieurs services – dans la police et l’administration – sont saisis de mêmes faits. Je ne reviens pas sur les dispositifs, rappelés par notre collègue, qui concourent à cet objectif et qui me paraissent tout à fait adaptés à la situation.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je me range derrière M. le rapporteur qui lui-même se range derrière Mme la députée... Je suis très favorable à cet amendement qui est une vraie mesure de simplification et de rationalisation.

La Commission adopte les amendements.

Elle adopte ensuite l’amendement rédactionnel CL867 du rapporteur.

Puis elle en vient à l’amendement CL868 du rapporteur.

M. Didier Paris, rapporteur. Cet amendement rectifie une disposition qui me semble incohérente. Le projet de loi donne aux agents de police judiciaire l’autorisation de procéder à des réquisitions dans le cadre de l’enquête préliminaire mais il a omis de faire de même pour les enquêtes de flagrance. Il me semble naturel que le texte leur reconnaisse les mêmes capacités d’action dans les deux cas.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement.

Suivant l’avis favorable du rapporteur, elle adopte l’amendement CL743 de M. Stéphane Mazars.

Puis elle adopte l’article 30 modifié.

Sous-section 3
Dispositions relatives à la garde à vue

Article 31
(art. 63, 63‑4‑3‑1, 706‑112‑1 [nouveau] et 706‑113 du code de procédure pénale)
Simplification du régime de la garde à vue

La Commission examine les amendements identiques CL869 du rapporteur et CL763 de M. Stéphane Mazars.

M. Stéphane Mazars. L’article 31 est relatif à l’organisation et au déroulement de la garde à vue. Notre amendement vise à rendre facultative la présentation de la personne devant le procureur de la République ou le juge d’instruction pour la première prolongation de vingt-quatre heures de sa garde à vue.

Cette présentation n’est plus toujours effective et elle se fait de plus en plus par visioconférence, notamment lorsque le lieu de garde à vue est éloigné du tribunal de grande instance. La mesure que nous proposons ne porte pas préjudice au gardé à vue et elle ne remet nullement en cause les garanties offertes.

Elle présente même un avantage lorsque, comme c’est le cas dans certains départements, les lieux de garde à vue peuvent être très éloignés du parquet et plus encore d’un pôle d’instruction. Lorsqu’une information est ouverte, le gardé à vue doit en effet être présenté à un juge d’instruction qui se trouve parfois à deux heures de route.

M. Didier Paris, rapporteur. En définitive, il s’agit de faire coller le droit aux faits. Je tiens cependant à souligner qu’aucune disposition de l’article 63-1 du code de procédure pénale n’est modifiée ou amoindrie. La personne peut, en particulier, présenter des observations et demander à s’exprimer devant le procureur de la République sur les conditions de la prolongation de sa garde à vue.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je suis tout à fait favorable à ces amendements : ils proposent une mesure de simplification réaliste qui préserve la garantie des droits. Dans une décision du 30 juillet 2010, le Conseil constitutionnel avait d’ailleurs validé la prolongation de la garde à vue avec présentation facultative. La présentation n’est devenue obligatoire qu’en 2011.

La Commission adopte les amendements.

Puis elle étudie les amendements identiques CL415 de Mme Cécile Untermaier et CL587 de Mme Laurence Vichnievsky.

Mme Cécile Untermaier. Notre amendement vise à supprimer l’alinéa 4. Il s’agit de faire en sorte que l’avocat soit informé, quoi qu’il arrive, lorsque la personne gardée à vue est déplacée vers un autre lieu. Nous ne demandons pas que l’avocat accompagne son client mais il doit, à tout le moins, être informé de tout déplacement.

M. Didier Paris, rapporteur. Je vous propose de revenir à l’épure des droits de la défense. La présence de l’avocat est nécessaire, impérative et incontournable dès lors que des dispositions doivent être prises qui mettent en cause les droits de son client : auditions, confrontations, « tapissages » et autres. Sa présence est inutile, longue et disproportionnée quand il s’agit d’un simple transport sans aucune conséquence judiciaire. Avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Même avis, d’autant que cette mesure est conforme aux exigences européennes, notamment à une directive de 2013 où il n’est prévu d’informer l’avocat que lorsque la personne doit être entendue, participer à une reconstitution ou à une séance d’identification des suspects. Dans le cas d’un simple transport, cette obligation ne me semble pas pertinente.

Mme Cécile Untermaier. Il ne s’agit pas d’un simple transport. La personne gardée à vue peut être hospitalisée, par exemple. Ne serait-ce que pour des raisons déontologiques, l’avocat devrait être prévenu.

M. Stéphane Mazars. Si la personne a des problèmes de santé qui nécessitent une hospitalisation, la garde à vue sera très certainement suspendue. On pense plutôt au cas où un examen médical doit être réalisé en cours de garde à vue. Faut-il aviser l’avocat de cet événement ? Le faire représente une lourdeur de plus, il faut le reconnaître, pour les enquêteurs. Ne pas le faire ne porte pas atteinte aux droits du gardé à vue : aucun acte d’enquête ne risque de lui nuire.

De toute façon, l’avocat aura cette information par la suite puisqu’elle sera consignée sur un procès-verbal à sa disposition. Il en sera aussi informé par son client lorsqu’il reviendra pour une nouvelle audition. Dans la pratique, l’avocat est pratiquement au courant en temps réel et il peut faire consigner d’éventuels éléments dans le cadre de l’audition suivante. Il n’y a donc pas de véritable besoin d’informer l’avocat ; c’est créer une obligation de plus pour les officiers de police judiciaires. Or, nous voulons alléger un peu leur temps de travail.

Mme Cécile Untermaier. On ne doit pas ajouter de lourdeur administrative, j’en conviens. J’espère néanmoins que la dématérialisation permettra de gagner en informations qui ne coûtent rien.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Oui, quand la procédure sera complètement numérisée !

La Commission rejette les amendements.

Puis elle examine l’amendement CL870 du rapporteur.

M. Didier Paris, rapporteur. Dans la droite ligne de nos derniers échanges, cet amendement se conforme à la directive européenne du 22 octobre 2013 qui exige que l’avocat soit présent lorsque la personne doit être entendue ou qu’elle doit participer à une opération de reconstitution ou à une séance d’identification des suspects.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement.

Elle aborde ensuite l’amendement CL394 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier. Cet amendement propose de préciser de manière claire que, lors d’un transport, tout interrogatoire ou tout acte de procédure est interdit.

M. Didier Paris, rapporteur. Ce n’est pas parce que l’on interdirait des propos dans un véhicule que la loi devrait être bavarde... (Sourires.) Le code de procédure pénale interdit les auditions hors du cadre procédural. Un déplacement dans un véhicule, ce n’est pas une audition, ce n’est pas un cadre procédural. On n’empêchera jamais des discussions de bon aloi entre les uns et les autres, mais il ne peut pas en être tenu compte. Si tel devait être le cas, cela devrait être inscrit dans la procédure. Je vous propose de retirer votre amendement.

Mme Cécile Untermaier. Les débats font foi et l’intérêt de cet amendement est d’avoir suscité les propos que vous venez de tenir. Rappelons quand même que la loi doit être lisible, claire et intelligible. À mon sens, nous ne nuisons pas au texte en discussion en apportant des précisions sur les limites de l’action des uns et des autres. Mais je retire mon amendement.

L’amendement est retiré.

La Commission est saisie des amendements identiques CL871 du rapporteur et CL764 de M. Stéphane Mazars.

Mme Caroline Abadie. Notre amendement CL764 vise à rendre plus effectif les droits de la défense pour les majeurs protégés. En septembre dernier, le Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, a déclaré contraire à la Constitution l’article 706-113 du code de procédure pénale : celui-ci ne prévoyait pas l’information du curateur ou du tuteur du placement en garde à vue d’un majeur protégé.

Cet amendement prévoit que, lorsque des informations recueillies pendant la garde à vue laissent penser que le gardé à vue est un majeur protégé, c’est-à-dire soumis à une mesure de protection judiciaire, il faut informer la personne en charge de la mesure. Cette dernière pourra, le cas échéant, désigner un avocat et demander un examen médical. Pour ce faire, il convient de procéder à l’information du tuteur dans les six heures suivant la découverte de ces éléments.

M. Didier Paris, rapporteur. Je suis tout à fait favorable à cet amendement. Mme Abadie connaît bien cette question, qui a déjà été abordée par son volet civil. Nous portons collectivement une attention particulière à la protection de ces personnes. Nous devons leur redonner une liberté pleine et entière mais, dans certains cas, veiller à l’information de leur tuteur. L’amendement est cohérent avec notre vision collective du sujet.

Je précise que les dispositions, que vous avez bien voulu rappeler, s’appliquent dans toutes les circonstances, sauf si l’intégrité de la personne est en jeu ou si l’enquête court des risques graves. Dans ces cas-là s’applique une procédure dérogatoire liée aux nécessités absolues de l’enquête.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je suis favorable à ces amendements qui tirent la conséquence logique et intelligente de la décision du Conseil constitutionnel.

La Commission adopte les amendements.

Puis elle adopte l’article 31 modifié.

Article 31 bis (supprimé)
(art. 10-4, 15-3 et 61-2 du code de procédure pénale)
Assistance de la victime par un avocat dès le dépôt de plainte

La Commission est saisie des amendements identiques CL872 du rapporteur et CL765 de M. Stéphane Mazars.

Mme Alexandra Louis. Par notre amendement CL765, nous souhaitons supprimer l’article 31 bis ajouté par le Sénat dans le but de renforcer la présence de l’avocat aux côtés de la victime, depuis le recueil de la plainte jusqu’à l’aboutissement de la procédure.

L’avocat joue déjà un rôle déterminant dans l’accompagnement des victimes. Je voudrais vous en parler en tant que praticienne. Pour avoir accompagné de nombreuses victimes, je crois que l’intention du Sénat est bonne mais que la mesure ne produira pas les effets espérés. Tout en jouant son rôle d’accompagnement et de conseil, l’avocat n’est pas forcément aux côtés de la victime lors du dépôt de plainte. Il peut, par exemple, saisir directement le procureur. Dans tout ce cheminement qui aboutit au dépôt de la plainte, et qui prend beaucoup de temps, la victime est d’ailleurs souvent soutenue par des associations.

Un aspect de l’analyse du Sénat me dérange un peu : il est établi un parallèle entre la présence de l’avocat aux côtés du gardé à vue et sa présence aux côtés de la victime. Ce n’est pas du tout la même approche. Quand il assiste un gardé à vue, l’avocat veille au respect de la procédure parce que son client fait l’objet d’une mesure privative de liberté. À ce stade, l’avocat n’a pas accès à tout le dossier ; il ne peut pas intervenir sur le fond ; il est plutôt un garant supplémentaire du respect de la forme.

La victime, quant à elle, ne fait pas l’objet d’une mesure privative de liberté. Quand sa plainte aura pris une tournure judiciaire, elle pourra apporter tous les éléments qu’elle veut. Si sa plainte ne prospère pas, elle peut se constituer partie civile, par l’intermédiaire de son avocat, et avoir accès à toutes les informations contenues dans le dossier. Elle dispose alors des informations nécessaires pour engager, si elle le souhaite, une procédure.

Enfin, si l’on doit appeler un avocat pour chaque audition, cela risque de ralentir les procédures. Au moment des confrontations, le plus difficile pour une victime, l’avocat est à ses côtés. Le dispositif prévu par le Sénat n’ajouterait rien, en pratique, à l’accompagnement des victimes.

M. Didier Paris, rapporteur. Je remercie ma collègue de ces explications concrètes, tirées de la réalité, qui sont extrêmement importantes. L’article 31 bis prévoit des dispositions qui, pour une bonne part, existent déjà puisque la victime peut à tout moment se faire accompagner par toute personne de son choix. Cet article n’a aucun intérêt pratique.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Avis favorable. Je remercie Mme la députée d’avoir présenté les choses de manière très pratique et très vivante.

La Commission adopte les amendements.

L’article 31 bis est supprimé.

Après l’article 31 bis

La Commission examine l’amendement CL160 de Mme Danièle Obono.

Mme Danièle Obono. Par cet amendement, nous souhaitons renforcer les droits de la défense en garantissant la présence de l’avocat de la personne gardée à vue et en restreignant les possibilités de différer cette présence.

Nous nous appuyons sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), notamment sur les arrêts Dayanan contre Turquie du 13 octobre 2009 et Adamkiewicz contre Pologne du 2 mars 2010. Au titre du droit à un procès équitable, les personnes gardées à vue doivent pouvoir s’entretenir avec un avocat et bénéficier de l’assistance de ce conseil dès le début de la procédure et durant tous les interrogatoires.

M. Didier Paris, rapporteur. Je suis défavorable à cet amendement qui crée plusieurs difficultés.

Pour ce qui est de la confidentialité – un aspect que vous n’avez pas développé dans votre intervention –, elle figure dans le code de procédure pénale, elle est naturelle et autant que possible respectée.

Pour le reste, il se peut que les nécessités de l’enquête supposent que l’audition commence sans que deux heures se passent à attendre la venue de l’avocat. Dans la réalité que vivent les services de police et de gendarmerie, il n’est pas anormal qu’un procureur de la République puisse l’autoriser. Aucune enquête ne ressemble à une autre : il peut y avoir des circonstances très particulières qui empêchent d’attendre, par exemple pour protéger des victimes. Dans des affaires de crime organisé, la présence de l’avocat peut aussi être différée – pendant une durée nécessairement plus longue, compte tenu de la gravité des faits – pour réunir des preuves ou prévenir une atteinte aux personnes.

Il n’y a aucune atteinte aux droits de la défense en la matière. Ils sont nécessairement adaptés aux circonstances et aux risques que présentent certaines enquêtes.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Mon avis est également défavorable.

Il me semble inutile d’exiger que l’entretien de la personne gardée à vue avec son avocat se déroule dans une salle isolée. L’article 63-4 du code de procédure pénale prévoit déjà que cet entretien doit avoir lieu « dans des conditions qui en garantissent la confidentialité ». La loi n’a pas à préciser le style de la salle, son format ou sa localisation. Je pense que les dispositions prévues par le texte satisfont votre demande.

Quant à la possibilité de différer l’intervention de l’avocat au cours de la garde à vue, elle est strictement encadrée par la loi. Elle doit être dictée par des raisons impérieuses qui tiennent aux circonstances particulières de l’enquête, notamment pour permettre le recueil ou la conservation des preuves. Elle ne peut intervenir qu’à titre exceptionnel, sur décision écrite et motivée du magistrat, et sa durée est limitée. Ces dispositions correspondent à des exigences conventionnelles et constitutionnelles. Dans une décision de novembre 2014, le Conseil constitutionnel a considéré que ce report, en matière de délinquance ou de criminalité organisée, ne porte pas une atteinte disproportionnée aux droits de la défense.

Mme Danièle Obono. Les droits de la défense ne doivent pas être restreints car ce sont eux qui permettent l’exercice d’une véritable justice. S’ils ne sont pas respectés, nous ne sommes plus dans un système démocratique. Nous sommes dans un processus qui conduit à un déséquilibre flagrant de notre système en faveur des forces de police. Les droits de la défense et les libertés individuelles reculent. Plus que jamais, il est important de réaffirmer et de garantir des libertés qui, dans certains cas, ne sont malheureusement plus respectées.

La Commission rejette l’amendement.

Elle est ensuite saisie de l’amendement CL579 de M. Jean-Noël Barrot.

M. Erwan Balanant. Dans le cadre d’une procédure pénale, les banques peuvent être conduites à transmettre à l’officier de police judiciaire, sur autorisation du procureur de la République, des copies des relevés de compte des personnes visées par la procédure.

Aucun élément de droit ne précise la forme des relevés. Il arrive que les banques envoient des documents sous la forme de scans qui ne permettent pas une utilisation rapide et optimale. Il est parfois nécessaire de faire appel à des réservistes pour traiter ces documents avec des logiciels de reconnaissance optique de caractères. Je pense que les forces de l’ordre ont autre chose à faire.

En attendant la mise en place de la plateforme d’échange banque – administration (PEBA), projet en phase expérimentale lancé par la délégation nationale de lutte contre la fraude, cet amendement oblige les banques à transmettre les documents sous une forme facilitant son exploitation, c’est-à-dire des fichiers numériques et pas des fichiers papiers.

Cet amendement de bon sens vise à lutter contre la fraude de façon optimale et permettrait aux officiers de police judiciaire de ne pas perdre de temps.

M. Didier Paris, rapporteur. Je vous concède volontiers que c’est un amendement de bon sens, mais parfois, le bon sens n’est pas aussi évident qu’il y paraît. Rappelons d’abord que des expérimentations sont en cours. Il semblerait logique de les laisser se poursuivre avant d’en tirer des conséquences particulières, même si l’objectif de simplification est louable.

Mais c’est le caractère systématique de votre proposition qui me pose le plus de difficultés. En effet, les réquisitions aux banques ne portent pas que sur des comptes bancaires, elles peuvent porter sur d’autres documents, en particulier des formulaires de pouvoirs, dont la forme initiale est parfaitement suffisante à la compréhension des officiers de police judiciaire. Obliger à les retransformer sous forme numérique, par une modalité que je maîtrise mal, peut être un inconvénient plus qu’un avantage.

Je vous propose de retirer cet amendement. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Le Gouvernement partage le constat que la délivrance dans des formats difficilement exploitables des documents sollicités dans le cas de réquisitions constitue un frein. La normalisation du format dans lequel ces données sont transmises nous paraît utile et souhaitable, mais il me semble que la modification de l’article 77-1-1 que vous proposez est rédigée en des termes trop généraux.

D’une part, cette obligation concerne toute personne, y compris des non-professionnels, et elle n’est pas limitée aux seules banques. D’autre part, elle exigerait une transformation dans un format informatique déterminé, y compris lorsque les données sollicitées ne sont pas conservées au moyen de systèmes informatisés.

Par ailleurs, un groupe de travail se penche actuellement sur le projet d’une plateforme d’échanges entre banques et administrations (PEBA). Cette expérimentation devrait être mise en œuvre à compter de janvier 2019. Je sollicite moi aussi le retrait de cet amendement pour travailler à une rédaction satisfaisante en vue de la séance publique.

M. Philippe Latombe. Les établissements bancaires sont en train de numériser l’intégralité de leurs dossiers. Le but est que ces documents puissent être numérisés dans un format facilement consultable, qui n’appartienne pas seulement aux établissements bancaires.

Je comprends votre demande. Nous devons certainement retravailler cet amendement pour en limiter le champ, mais il permettrait un vrai gain. Aujourd’hui, les documents papier sont numérisés dans des formats qui doivent pouvoir être lus avec les outils de lecture et reconnaissance automatique de documents pour faire des recherches de mots clés qui permettront aux officiers de police judiciaire de travailler. Il y a là un véritable besoin car le format papier scanné à la va-vite n’est pas utile pour les officiers de police judiciaire. Des formats peuvent être mis en place pour être exploitables très rapidement.

M. Erwan Balanant. Si Mme la garde des Sceaux s’engage à ce que nous trouvions, d’ici à la séance, une mesure transitoire dans l’attente de la pleine opérationnalité du système PEBA, nous acceptons de retirer l’amendement. Mais il faut trouver cette mesure transitoire. M. Jean-Noël Barrot, qui a beaucoup travaillé sur ces questions, considère qu’il est possible de faire en sorte que certains éléments soient sous format numérique.

Notre rédaction est peut-être trop large. Nous allons la recentrer d’ici à la séance.

L’amendement est retiré.

Section 2
Dispositions propres à l’enquête

Sous-section 1
Dispositions étendant les pouvoirs des enquêteurs

Article 32
(art. 53, 56‑1, 76, 78, 78‑2‑2 et 802‑2 [nouveau] du code de procédure pénale ; art. 64 du code des douanes ; art. 41 du code des douanes de Mayotte ; art. L. 621‑12 du code monétaire et financier ; art. L. 16 B et L. 38 du livre des procédures fiscales)
Extension des pouvoirs des enquêteurs

La Commission est saisie de l’amendement CL83 de Mme Danièle Obono.

Mme Danièle Obono. Cet amendement de suppression de l’article 32 vise à prévenir ce qu’une organisation de magistrats appelait « la banalisation des mesures dérogatoires » du fait de l’extension du champ et de la durée des enquêtes de flagrance, la perquisition sans assentiment, la pénétration dans le domicile de jour.

En effet, cet article prévoit que la prolongation de l’enquête de flagrance de huit à seize jours sera étendue à tous les délits à partir de trois ans d’emprisonnement encourus, sur autorisation du procureur de la République. La durée de l’enquête de flagrance sera étendue à seize jours pour la criminalité organisée. La possibilité est ouverte, lors de l’enquête préliminaire, de pénétrer dans un domicile de jour pour interpeller une personne suspectée d’un crime ou d’un délit puni d’au moins trois ans d’emprisonnement. Enfin, le champ des perquisitions sans assentiment en préliminaire est élargi pour les délits à partir de trois ans d’emprisonnement encourus.

Au-delà du fait qu’il n’y a aucune justification suffisante dans l’étude d’impact produite par le Gouvernement, ce dernier banalise réellement ces mesures exceptionnelles. L’abaissement à trois ans du seuil requis pour les perquisitions sans assentiment et la pénétration au domicile de jour constitue en effet quasiment un non-seuil. Entreraient par exemple dans ce champ le fait de diffuser un logiciel de téléchargement d’œuvres protégées par le droit d’auteur, le vol simple ou l’introduction de fusées et artifices dans un stade de football.

En outre, l’enquête de flagrance consacre des pouvoirs exceptionnels, pour partie sans aucune intervention du procureur de la République, pour une durée désormais doublée, et ce pour tous les délits punis d’une peine supérieure ou égale à trois ans d’emprisonnement.

Malgré les ajustements proposés par le Sénat, cet article reste problématique de notre point de vue, et nous demandons sa suppression.

M. Didier Paris, rapporteur. Ma réponse sera un peu rapide, nous aurons largement l’occasion, lors de l’examen de l’article 32, de revoir l’ensemble des dispositions liées à l’augmentation des pouvoirs d’enquête, notamment la prolongation de la flagrance, la possibilité de perquisition préliminaire sans l’assentiment de la personne concernée, la visite domiciliaire de navires et ainsi de suite.

L’ensemble de ces dispositions correspond parfaitement aux besoins de l’enquête. Elles sont conformes à la hausse de la criminalité, notamment organisée, dont elles tirent en partie les conséquences. Elles sont parfaitement encastrées dans les dispositifs de sécurité judiciaire, le cas échéant avec l’aval du juge des libertés et de la détention lorsque c’est utile et nécessaire. Avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je m’oppose à la suppression de ces dispositions. Nous voulons améliorer l’efficacité des enquêtes, et pour cela nous avons souhaité adapter la durée de l’enquête de flagrance à la réalité et aux besoins du terrain, et abaisser le seuil des perquisitions autorisées par un juge des libertés et de la détention lors de l’enquête préliminaire.

Ces modifications nous semblent justifiées. Comme je l’ai indiqué précédemment, la fixation d’un seuil de trois ans au lieu de cinq actuellement pour prolonger l’enquête de flagrance de huit jours, ou bien pour autoriser la réalisation d’une perquisition sans l’assentiment de la personne concernée, attestent d’une réelle gravité de l’infraction. Et cela présente dans ce cas un intérêt opérationnel indéniable, notamment pour des faits de soustraction d’un mineur par ascendant ou de vol ou d’abus de confiance entraînant un préjudice très important.

De même, le fait de porter la durée de l’enquête de flagrance de huit à seize jours en matière de criminalité et de délinquance organisée, sans qu’il soit nécessaire d’en ordonner la prolongation par le procureur de la République comme c’est actuellement le cas, se justifie, selon nous, par l’urgence à poursuivre des actes d’investigation et à disposer de pouvoirs de contrainte pour ces faits d’une particulière gravité.

Contrairement à ce qui est parfois avancé, ces modifications ne nous semblent pas porter une atteinte disproportionnée aux libertés fondamentales dès lors que la perquisition est autorisée par un juge aux fonctions spécialisées, le JLD, que le projet renforce le contrôle judiciaire qui est opéré par le procureur en l’obligeant à rendre une décision écrite et motivée pour prolonger la flagrance, et que le projet reconnaît aux personnes qui ne sont pas poursuivies le droit de contester la légalité et la régularité d’une perquisition.

Là encore, nous essayons d’accentuer l’efficacité par l’harmonisation et d’assurer les garanties. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel CL873 du rapporteur.

Elle est ensuite saisie des amendements identiques CL991 du Gouvernement et CL584 de Mme Isabelle Florennes.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Cet amendement supprime des dispositions ajoutées par le Sénat. Elles prévoient le droit d’être assisté par un avocat lors d’une perquisition réalisée dans le cadre d’une enquête de flagrance ou en préliminaire. Or, elles ne me semblent pas s’imposer pour plusieurs raisons.

D’abord, elles ajoutent une complexification majeure aux règles de la procédure pénale. Ensuite, elles ne sont imposées ni par les exigences européennes ni par les exigences constitutionnelles. Il me semble que cette suppression est la conséquence logique de la décision de la Commission de revenir sur les dispositions du Sénat qui exigeaient d’aviser l’avocat en cas de transport aux fins de constatations ou de saisie.

M. Vincent Bru. Les perquisitions sont souvent faites à des plages horaires au cours desquelles les avocats ne sont pas disponibles. Exiger la présence d’un avocat réduirait donc leur caractère opérationnel. D’autre part, il faudrait assurer la protection des avocats eux-mêmes lorsqu’ils se déplacent pour assister à une perquisition. Enfin, cette mesure risque de favoriser d’éventuelles fuites et des déperditions de preuves.

Pour toutes ces raisons, et pour ne pas compliquer la procédure pénale qui présente par ailleurs de très nombreuses garanties en matière de droits de la défense, nous demandons la suppression de ces alinéas.

M. Didier Paris, rapporteur. Je suis favorable aux amendements proposés. Ils s’appuient notamment sur la directive européenne du 22 octobre 2013. Ne nous trompons pas : une perquisition n’est que la restriction du droit de propriété, en aucun cas celle du droit d’aller et venir. De plus, la perquisition n’interdit absolument pas à la personne chez qui elle a lieu de prévenir qui elle veut et d’être assistée de qui elle veut. Ces dispositions sont parfaitement naturelles.

M. Antoine Savignat. Je soutiens les amendements mais j’ai une petite difficulté avec l’argumentation de M. Bru. En effet, l’avocat est présent vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, trois cent soixante-cinq jours par an, entre autres en garde à vue, pour assister ses clients. Une éventuelle indisponibilité ne peut donc pas servir d’excuse. Comme l’a montré la ministre, il y a d’autres explications rationnelles à ces amendements.

Mme Danièle Obono. Je m’inscris en faux avec ce qui vient d’être dit : dans la réalité, les perquisitions ne sont pas qu’une restriction du droit de propriété. C’est une invasion dans la vie privée des personnes. C’est précisément parce que c’est une atteinte forte à la personne et à son environnement qu’il faut des garanties.

Supprimer les quelques éléments apportés par le Sénat en la matière, au motif que les avocats, dont vous restreignez la présence par ailleurs, ne pourraient pas être là, serait une erreur. Cet argument confirme l’état d’esprit de la majorité et du Gouvernement depuis un certain nombre de mois : restreindre toujours les libertés fondamentales et les libertés individuelles du fait d’une propagande sécuritaire qui alimente les peurs et les fantasmes. Cette pente est dangereuse. Nous continuerons de nous opposer fermement à une telle dérive.

M. Stéphane Mazars. Le groupe de La République en Marche soutiendra ces amendements de suppression des dispositions introduites par le Sénat. Une perquisition donne la possibilité d’aller constater in situ, au domicile d’un individu, des éléments utiles à la manifestation de la vérité. Tout se fait dans un cadre légal rappelé par la garde des Sceaux. Il est toujours possible de plaider la nullité des conditions dans lesquelles la perquisition s’est déroulée et de faire annuler le procès-verbal de saisie si, le cas échéant, certains objets ont été saisis.

Bien évidemment, ce n’est pas au motif que les avocats ne seraient pas disponibles pour assumer l’assistance de leur client dans le cadre des perquisitions que ces amendements se justifient. J’en profite pour rendre hommage à la profession, et notamment aux avocats qui assument parfois dans des conditions très difficiles les gardes pénales, souvent au bénéfice de l’aide juridictionnelle. Nous savons que le niveau de rémunération de leur intervention ne correspond pas à la responsabilité engagée alors.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je comprends que l’on puisse être tenté par la présence de l’avocat lors d’une perquisition. Mais cela ne me semble pas s’imposer pour plusieurs raisons que je vais reprendre très brièvement.

Ce n’est pas exigé par des motifs conventionnels ou constitutionnels. Le Conseil constitutionnel a eu l’occasion de préciser que, s’il n’y a pas d’audition au moment de la perquisition, il n’est pas nécessaire d’avoir un avocat.

De plus, je ne suis pas certaine de la plus-value apportée par un avocat à ce moment-là. Il s’agit d’une saisie à laquelle l’avocat ne peut s’opposer. Que peut-il faire dans ces conditions ? En revanche, sa place est tout à fait essentielle dès lors que se réinstaure un débat contradictoire – qui n’est pas le temps de la perquisition. Celui-ci peut avoir lieu devant le juge d’instruction ou la juridiction de jugement, et à ce moment, l’avocat peut contester la force probante des pièces qui ont été retenues.

J’ai parfois pris l’exemple de Redouane Faïd, interpellé à quatre heures du matin. Une perquisition a eu lieu immédiatement après : on imagine mal les forces de l’ordre attendre l’avocat dans ces circonstances. Voilà les raisons pour lesquelles je pense qu’il n’est pas opportun de prévoir cette présence.

Mme Cécile Untermaier. Dans ce système d’enquête confiée au procureur, les prérogatives sont plus importantes qu’avant. Je comprends et je trouve même utile la prorogation de la durée de flagrance. Mais il est indispensable, pour l’équilibre, de garantir les droits de la défense. Sans exiger la présence de l’avocat, parce que ce serait effectivement lourd, on peut imaginer qu’une information sur l’imminence d’une perquisition lui soit communiquée.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. On perd alors l’effet de surprise !

Mme Cécile Untermaier. Les choses peuvent être concomitantes. Il est possible d’informer l’avocat une fois sur place. Nous n’en demandons pas beaucoup ! Le fait que l’Europe ne nous impose rien ne nous dispense pas d’avoir un regard propre sur ces dispositions. L’Europe nous tient suffisamment la plume par ailleurs ! Nous pouvons décider par nous-mêmes que la présence de l’avocat lors d’une perquisition, action intrusive, est nécessaire dans la mesure où elle ne remet pas en question la pertinence de la perquisition et des saisies éventuelles.

L’avocat a un devoir d’assistance de son client. Il n’appartient pas au législateur de le priver de ce soutien lors d’une mesure très intrusive et alors que la présomption d’innocence est encore totale.

Mme Alexandra Louis. J’ai du mal à envisager le rôle que pourrait avoir un avocat dans le cadre d’une perquisition. Oui, il a un rôle d’assistance de son client. S’il estime que les procès-verbaux d’une perquisition contiennent des irrégularités, il aura tout le loisir de les soulever par la suite. Au stade de la perquisition, il s’agit d’un acte d’enquête, et peu importe que la procédure se déroule en flagrance ou en préliminaire, dans tous les cas le rôle de l’avocat sera réduit à néant. Sera-t-il là pour tenir compagnie aux policiers ? Il n’aura aucun moyen.

Quant à prévenir un avocat, quid de l’effet de surprise ? Prévenir les avocats va réduire l’efficacité de certaines enquêtes. Nous ne pouvons pas nous le permettre. Encore une fois, la présence de l’avocat doit être appréciée dans le cadre de l’équilibre entre le respect des droits de la défense, qui sont importants – et c’est pourquoi le rôle de l’avocat a été renforcé dans le cadre des gardes à vue –, et l’efficacité. C’est une garantie pour notre société et pour la personne qui fait l’objet de ces mesures.

M. Didier Paris, rapporteur. Un mot en réaction aux propos de Mme Cécile Untermaier : on peut parfaitement comprendre que, dans la réalité, les choses ne sont pas si simples pour une personne chez qui une perquisition se déroule. Vous avez raison, madame Obono : c’est intrusif.

Mais s’agissant des procédures, soit la personne est en garde à vue et la question ne se pose pas parce qu’elle est placée dans des conditions procédurales précises, soit elle ne l’est pas et elle est alors parfaitement libre de ses mouvements – donc celui d’appeler son avocat. Je ne vois pas l’intérêt d’inscrire dans la loi une possibilité qui existe naturellement. Je ne prétends pas que ce soit toujours simple sur un plan pratique mais, juridiquement, les choses sont absolument évidentes.

Mme Cécile Untermaier. Je ne suis pas une spécialiste des perquisitions. Je ne suis pas non plus avocate même si je protège les droits de la défense. J’imagine qu’une perquisition obéit à des règles. En abaissant de cinq à trois ans le seuil des peines encourues, la perquisition sera relativement banalisée. Il faut renforcer la présomption d’innocence probable de la personne visitée, qui voit arriver des officiers de police dans son appartement et ne sait pas comment elle doit se comporter. Elle peut avoir le souci d’avoir un avocat à ses côtés pour se défendre.

Mme Alexandra Louis. Elle peut l’appeler !

La Commission adopte les amendements.

Puis elle rejette successivement les amendements CL395 et CL416 de Mme Cécile Untermaier.

Elle en vient à l’amendement CL1034 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Il s’agit là encore de rétablir des dispositions supprimées par le Sénat, qui prévoyaient la possibilité, pour les enquêteurs, de pénétrer de jour au domicile d’un suspect afin de l’interpeller dans le cadre d’un ordre à comparaître délivré par le parquet.

Le Sénat a supprimé cette possibilité au motif que le procureur pouvait déjà délivrer un mandat de recherche. Mais cet argument ne nous semble pas du tout convaincant car lorsque le domicile de la personne est localisé, il est excessif, voire incohérent, d’imposer au procureur de la République de délivrer un mandat de recherche qui oblige l’ensemble des enquêteurs du pays à rechercher la personne alors que nous savons très bien où elle se trouve. Il suffit que le procureur demande aux enquêteurs saisis de l’enquête de faire comparaître de force la personne.

 Le texte que je vous propose de rétablir est cependant plus encadré que celui initialement prévu. Il indique de façon expresse l’interdiction de perquisitionner ou de procéder à des saisies dans le domicile de la personne quand les conditions de la perquisition ne sont pas réunies, c’est-à-dire l’existence d’un crime ou d’un flagrant délit, ou en préliminaire, le consentement de la personne ou l’autorisation du JLD.

Suivant l’avis favorable du rapporteur, la Commission adopte l’amendement.

Elle examine l’amendement CL164 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Danièle Obono. Il s’agit d’un amendement déjà présenté que nous déposons à nouveau pour rendre justice à des milliers de nos concitoyens, victimes chaque jour de contrôles au faciès. Encore récemment des lycéens ont porté plainte contre l’État pour discrimination raciale : gare du Nord, au retour d’un voyage scolaire, ils ont fait l’objet d’un contrôle au faciès à l’origine d’une humiliation durable. Notre pays est régulièrement condamné pour ces pratiques qui mettent à mal le contrat républicain et qui sont susceptibles de conduire à des drames.

Nous proposons de mener une expérimentation sur des récépissés de contrôle d’identité. Selon l’avis de nombreux acteurs de terrain et d’associations, ils permettraient de rétablir un lien de confiance entre forces de police et population.

M. Didier Paris, rapporteur. Nous avons déjà eu ce débat lors de la discussion du projet de loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (SILT) et lors de l’examen de la proposition de loi déposée par M. Éric Coquerel. Votre argumentation se fonde sur une stigmatisation des forces de police qui n’a pas lieu d’être. De nombreux dispositifs destinés à améliorer la procédure du contrôle d’identité ont été mis en œuvre – je pense en particulier à l’expérimentation récente des caméras mobiles. Si certains contrôles ne sont pas légalement acceptables, les autorités judiciaires sont là pour juger et, le cas échéant, sanctionner. Notre système judiciaire fonctionne en ce domaine et je ne vois aucun intérêt à votre amendement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Avis défavorable également.

M. Philippe Latombe. Nous avions aussi abordé ce sujet lors de la discussion de la proposition de loi sur les caméras mobiles. Nous nous étions accordés sur le fait qu’avec une telle expérimentation, nous pourrions déterminer si le recours aux enregistrements contribue à améliorer le déroulement des contrôles d’identité. Par ailleurs, plusieurs représentants des forces de l’ordre que nous avons eu l’occasion d’auditionner nous ont indiqué que les récépissés risquaient de faire l’objet de contrefaçons. Avec les enregistrements par caméra, il n’y a pas de copie possible.

Mme Danièle Obono. Je pense, monsieur le rapporteur, que vous vous trompez. Il ne s’agit nullement pour nous de stigmatiser les forces de l’ordre mais de lutter contre la stigmatisation dont font l’objet certaines personnes en raison de leur couleur de peau ou de leur origine réelle ou supposée. L’État a déjà été condamné pour contrôle au faciès et de nombreuses enquêtes, menées notamment par des chercheurs du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), ont mis en évidence qu’il s’agissait d’une réalité statistique. Les expérimentations menées dans d’autres pays montrent que le récépissé améliore les relations entre la police et la population et facilite même le travail des forces de l’ordre.

Ne doutez pas de notre détermination à défendre cette mesure, qui nous semble reposer sur un bon sens républicain de base.

La Commission rejette l’amendement.

Elle est ensuite saisie de l’amendement CL165 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Danièle Obono. Il importe de revenir sur les modalités des contrôles d’identité prévues par l’article 19 de la loi SILT qui a élargi la zone de contrôle aux frontières intérieures, étendu la durée de ces contrôles, et instauré la possibilité de les réaliser autour des points de passage frontaliers sensibles. Les contrôles arbitraires se sont multipliés et de nombreuses associations dénoncent une véritable chasse aux migrants, qui mobilise inutilement les forces de l’ordre sans aucun bénéfice pour la sécurité publique.

M. Didier Paris, rapporteur. Nous n’avons pas la même définition de l’arbitraire, madame Obono. Selon moi, est arbitraire ce qui sort de la loi. Or, les contrôles que vous dénoncez se conforment à la loi. Les contrôles d’identité sont encadrés par des règles strictes, énoncées à l’article 78-2 du code de procédure pénale. Avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Avis défavorable pour les mêmes raisons.

Mme Danièle Obono. Avec la loi SILT, vous avez fait rentrer dans le droit commun des mesures considérées jusque-là comme exceptionnelles. Autrement dit, vous avez fait de l’arbitraire la règle. C’est cela qui pose problème, d’un point de vue politique et idéologique. Nous continuerons à contester ces mesures qui, bien que faisant partie de la législation, nous apparaissent illégitimes. Nous espérons que vous reviendrez à la raison, compte tenu des conséquences désastreuses de cette politique.

La Commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CL163 de Mme Danièle Obono.

Mme Danièle Obono. Nous proposons que les contrôles d’identité effectués sur réquisition du procureur de la République fassent, en cas de contestation, l’objet d’une motivation circonstanciée. Cela va dans le sens de nos propositions précédentes : restaurer la confiance et le respect mutuel entre les forces de police et la population.

M. Didier Paris, rapporteur. Avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. J’entends vos arguments, madame Obono, mais je rappelle que j’ai fait le choix de proposer une loi de simplification. Or, beaucoup des dispositions que vous proposez vont dans le sens d’une complexification des procédures. C’est le cas avec le présent amendement.

Dans une décision du 24 janvier 2017, le Conseil constitutionnel a validé notre législation en matière de contrôles d’identité réalisés sur réquisition du procureur de la République. Il a considéré que ces dispositions, telles qu’elles étaient mises en place, ne portaient pas atteinte au principe d’égalité.

Pour ces deux raisons, mon avis est défavorable.

Mme Danièle Obono. Je ne crois pas que votre projet de loi soit principalement motivé par une volonté de simplification. Vous voulez aller vite et mettre sous le boisseau certains problèmes. Toutes les études ont montré que les contrôles systématiques sont inefficaces dans le travail d’enquête. Ce serait grandement faciliter la tâche des policiers que de mettre en place les procédures que nous appelons de nos vœux. Garantir les droits de chacun, c’est la meilleure sûreté pour la société.

La Commission rejette l’amendement.

Elle adopte ensuite l’amendement rédactionnel CL874 du rapporteur.

Puis elle examine l’amendement CL989 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Cet amendement supprime l’exigence d’établissement d’un procès-verbal lors de la visite de navires autorisée sur réquisition du procureur de la République. Cette formalité, qui ne constitue pas une simplification de la procédure, n’apparaît pas nécessaire.

M. Didier Paris, rapporteur. Avis favorable. C’est pour la fouille du domicile que l’établissement d’un procès-verbal est nécessaire.

La Commission adopte l’amendement.

Suivant l’avis favorable du rapporteur, elle adopte l’amendement de coordination CL1071 du Gouvernement.

Elle est ensuite saisie de l’amendement CL990 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Cet amendement rétablit la compétence du juge des libertés et de la détention pour statuer sur les contestations des perquisitions quand elles sont formées par des personnes qui n’ont pas été poursuivies. Le Sénat avait prévu que la compétence appartienne au président de la chambre de l’instruction, ce qui ne nous semble pas cohérent car celui-ci ne pourrait pas statuer à la fois en première instance et sur l’appel formé contre sa propre décision.

Suivant l’avis favorable du rapporteur, la Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel CL875 du rapporteur.

Elle en vient à l’amendement CL992 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Le Sénat a modifié le code des douanes afin d’appliquer les règles de l’article 56-1 du code de procédure pénale aux seules perquisitions douanières effectuées chez un avocat. Cette réforme est justifiée mais il me semble qu’il faudrait aller plus loin.

Cet amendement généralise l’application des règles de l’article 56-1 du code de procédure pénale à toutes les perquisitions chez un avocat prévues par des lois spéciales. En inscrivant cette règle à la fin de l’article 56-1, nous nous assurons qu’aucune hypothèse ne sera oubliée. Cela constitue, je crois, une avancée majeure pour le respect des droits de la défense. Toutes les perquisitions et visites au cabinet ou au domicile d’un avocat, quel que soit le cadre juridique, devront respecter les règles de l’article 56-1 : décision écrite et motivée d’un magistrat, exécution de la perquisition par un magistrat, présence du bâtonnier ou de son représentant, possibilité pour celui-ci de contester les saisies devant le juge des libertés et de la détention.

Suivant l’avis favorable du rapporteur, la Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article 32 modifié.

Article 32 bis
(art. 66, 155 [abrogé], 495‑2, 530‑6,706‑57 et 801‑1 du code de procédure pénale)
Procédure orale pour la répression de certaines infractions prévues par le code de la route

La Commission est saisie des amendements identiques CL877 du rapporteur et CL762 de M. Stéphane Mazars.

M. Stéphane Mazars. Il est ici question de numérisation. Le Sénat a complété le projet de loi par un article 32 bis prévoyant d’expérimenter une oralisation des procédures dans la répression de certaines infractions routières. Le format prévu nous paraît trop lourd car il implique de dresser un procès-verbal de synthèse et oblige les magistrats et les auxiliaires de justices à consulter les enregistrements in extenso.

Nous proposons de conserver l’oralisation pour un point non problématique : la notification de leurs droits aux personnes gardées à vue. Ce serait une première pierre apportée à la dématérialisation des procédures, qui est l’un des chantiers de la réforme de la justice que vous avez ouverts, madame la garde des Sceaux.

Cela fait suite au rapport de la mission de préfiguration commune aux ministères de l’intérieur et de la justice sur la numérisation de la procédure pénale.

M. Didier Paris, rapporteur. Nous avons tenu à inscrire dans la loi l’objectif d’une numérisation totale des procédures pénales que nous espérons voir atteint dans un avenir proche. La police nationale et la gendarmerie nationale utilisent déjà des outils numériques pour la procédure : le logiciel de rédaction des procédures de la police nationale (LRPPN) et le logiciel de rédaction des procédures de la gendarmerie nationale (LRPGN). Il est indispensable que les documents que policiers et gendarmes rédigent sous forme numérique puissent être intégrés dans une procédure globale sécurisée, permettant la transmission immédiate de pièces au parquet et à la juridiction de jugement, y compris en appel – certaines expérimentations menées dans les cours d’appel sont extrêmement prometteuses, comme nous avons pu le voir avec Mme la garde des Sceaux.

L’oralisation de la procédure pénale ne peut être un but en soi. Si elle constitue un allégement des tâches pour les services de police, elle contribue à alourdir le travail des magistrats. Nous proposons donc d’expérimenter l’oralisation en la limitant à la notification des droits des personnes placées en garde à vue. Les procédures numériques s’appuieraient sur une signature numérique qui assurerait l’authenticité de l’acte. Cela éviterait de recourir aux procédures lourdes liées aux documents sur papier, décriées par beaucoup de services d’enquête.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Avis favorable. La procédure pénale numérique est une transformation majeure, dans laquelle nous sommes déjà engagés, et il était important de la mentionner dans la loi. L’oralisation est attendue par la police et la gendarmerie mais, à la suite de certaines expérimentations, nous avons été amenés à avoir quelques doutes sur sa généralisation. Nous sommes toutefois favorables à ce qu’elle soit expérimentée pour la notification des droits.

Mme Cécile Untermaier. Je trouve cette démarche intéressante. Les services de police et de gendarmerie doivent être impatients de la mettre en œuvre. Ils ont mal vécu l’instauration de l’obligation de notifier leurs droits aux personnes gardées à vue, intervenue à la suite d’une transposition de directive européenne.

J’ai une question technique sur l’oralisation : la signature se fera-t-elle sous forme manuscrite ? Sera-t-elle dématérialisée ?

M. Didier Paris, rapporteur. Le dispositif s’appuie sur la numérisation qui s’applique aussi à la signature.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. L’officier de police continuera à lire ses droits à la personne gardée à vue mais il n’aura plus à remplir un document puisqu’il y aura un enregistrement, validé par une signature électronique.

La Commission adopte les amendements.

L’article 32 bis est ainsi rédigé.

7.   Troisième réunion du jeudi 8 novembre 2018 à 21 heures (article 32 ter à article 40)

Lien vidéo :

http://www.assemblee-nationale.tv/video.6917496_5be4936ec1a4f.commission-des-lois--projets-de-loi-de-programmation-2018-2022-et-de-reforme-pour-la-justice-suite-8-novembre-2018

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Mes chers collègues, nous reprenons l’examen du projet de loi ordinaire de programmation et de réforme pour la justice. Nous en venons à l’article 32 ter.

Article 32 ter (supprimé)
Rapport sur le recours aux données issues des objets connectés dans le cadre du traitement juridique d’une affaire

La Commission examine l’amendement CL878 du rapporteur.

M. Didier Paris, rapporteur. Cet amendement vise à supprimer une disposition, introduite par le Sénat, tendant à l’élaboration d’un rapport sur les objets connectés. Premièrement, nous souhaitons limiter autant que possible les demandes de rapport du Gouvernement, préférant les rapports d’origine parlementaire. Deuxièmement, et pour être tout à fait franc, je n’ai pas compris le but de celui qui était demandé ici.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Pour ma part, j’ai parfaitement compris l’objectif de ce rapport, et j’y suis défavorable. (Sourires.)

La Commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’article 32 ter est supprimé.

Après l’article 32 ter

La Commission examine, en présentation commune, les amendements CL507 et CL508 de M. Jean-François Cesarini.

Mme Béatrice Piron. Ces amendements ont pour objectif d’offrir une autre option que la destruction des biens saisis par les forces de sécurité. Quand les douanes saisissent des tee-shirts de marque contrefaits, elle les brûle, alors qu’ils pourraient être envoyés au recyclage après dégradation. Les téléphones portables, notamment ceux qui sont saisis dans les prisons, pourraient être confiés, après destruction de leur mémoire, à des sociétés de recyclage agréées, après signature d’une convention très contraignante avec l’État, ou à des sociétés d’économie mixte, donc dépendantes des pouvoirs publics. Ces sociétés ne pourraient rien en faire mis à part réutiliser les composants – écran, batterie – et recycler les matériaux rares. Le Gouvernement soutient l’économie circulaire ; cela doit s’appliquer aussi à la justice. L’État en sortira largement gagnant, et l’environnement plus encore.

M. Didier Paris, rapporteur. Aucun d’entre nous ne peut être insensible à l’argument de l’économie circulaire. Cela dit, ces amendements posent plusieurs difficultés. D’abord, tous les objets saisis ne sont pas voués à la destruction, tant s’en faut. Ils peuvent ainsi être restitués à leur propriétaire une fois la procédure achevée et si aucune peine de confiscation n’est prononcée. Ils peuvent également être remis au service des domaines ou à l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués.

Le recyclage ne pourrait donc s’opérer qu’à l’issue des procédures. Entre-temps, certains matériaux pourront s’être dégradés, ce qui rendra le recyclage plus difficile.

En outre, recycler des téléphones portables suppose non seulement de délivrer un agrément aux sociétés qui sont en mesure de le faire, mais aussi que l’on soit certain qu’ils ne contiennent plus d’éléments de mémoire, lesquels sont susceptibles d’être liés à la commission d’une infraction. Enfin, certains objets peuvent être dangereux.

Pour toutes ces raisons, comme je l’avais déjà expliqué à M. Cesarini, je ne suis pas favorable à ces amendements.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Défavorable également. Ces dispositions ne relèvent pas du code de procédure pénale. Au demeurant, lorsqu’un magistrat autorise la destruction d’un bien, cela ne signifie pas que celui-ci ne peut pas être recyclé : il est juridiquement détruit en tant que bien, mais cela ne préjuge en rien une absence de recyclage.

M. Erwan Balanant. On pourrait imaginer de recycler les téléphones dans le cadre des chantiers d’insertion que nous avons prévus. Pour le coup, la peine aurait un sens.

M. Didier Paris, rapporteur. Certes, monsieur Balanant, mais j’en reviens, une fois de plus, aux questions de sécurité qui ont été évoquées.

La Commission rejette successivement les amendements CL507 et CL508.


Sous-section 2
Dispositions diverses de simplification

Article 33
(art. 43 et 60 du code de procédure pénale ; art. L. 234‑4, L. 234‑5, L. 234‑9 et L. 235‑2 du code de la route)
Dispositions diverses de simplification

La Commission examine l’amendement CL879 du rapporteur.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement.

Elle est ensuite saisie de l’amendement CL93 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Danièle Obono. Cet amendement vise à préserver la qualité des missions assurées actuellement par les officiers de police judiciaire (OPJ). Nous proposons, pour ce faire, de supprimer les alinéas 2 à 13 de l’article 33. En effet, le Gouvernement prévoit d’autoriser les médecins légistes à procéder seuls à des placements sous scellés de prélèvements, permettant la réalisation d’une autopsie en l’absence d’un OPJ. Il s’agit également de faciliter les tests de dépistage de l’alcool et des stupéfiants : les OPJ ou les agents de police judiciaire (APJ) pourront requérir un médecin, un interne, un étudiant en médecine autorisé à exercer la médecine à titre de remplaçant ou un infirmier pour effectuer une prise de sang.

De notre point de vue, cela constitue un amoindrissement du contrôle de l’autorité judiciaire, puisque ceux qui l’exercent délèguent leurs tâches à d’autres professionnels qui sont désormais placés seulement sous leur responsabilité, sans avoir, qui plus est, la même formation et la même indépendance statutaire que les OPJ et APJ.

M. Didier Paris, rapporteur. Il y aura toujours un contrôle général de l’autorité judiciaire. En outre, on peine à justifier l’utilité de faire se déplacer un OPJ pour assister aux opérations visées : sa plus-value est vraiment inexistante. Il paraît de bon sens d’aller à l’essentiel et, par exemple, de permettre aux médecins de pratiquer les opérations directement. Avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. L’article 33 procède à diverses simplifications – il s’agit là, je vous l’ai dit, de l’un des fils conducteurs du projet de loi. Je ne suis pas d’accord avec ce que vous proposez, madame Obono, notamment parce qu’il me semble inutile d’imposer la présence systématique d’un officier de police judiciaire lors de toutes les autopsies : c’est un élément de complexité qui, en réalité, n’apporte rien. S’agissant des procédures de dépistage de l’alcool et des stupéfiants chez les conducteurs, il est là aussi important d’harmoniser et de simplifier. Je suis donc défavorable à cet amendement.

Mme Danièle Obono. Encore une fois, en vérité, ce que vous appelez « simplification », c’est simplement la gestion de la pénurie. Si l’on avait décidé que la présence d’un OPJ était nécessaire, c’était pour offrir un certain nombre de garanties procédurales. Les médecins légistes n’ont pas la formation nécessaire concernant certains aspects de la procédure.

Vous refusez donc de vous donner les moyens, y compris du fait du manque de personnel, de garantir que les procédures sont menées correctement. Nous craignons qu’à terme cela ne conduise à recruter moins d’OPJ. En effet, dès lors que l’on décide que leur intervention n’est plus nécessaire dans un certain nombre de cas, il est inutile d’en recruter autant. Nous nous opposons à cette logique, et nous maintenons l’amendement.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite, en présentation commune, les amendements CL880, CL881 et CL882 du rapporteur.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Avis favorable.

La Commission adopte successivement les amendements.

Elle examine alors, en présentation commune, les amendements CL615 et CL625 de Mme Caroline Abadie.

Mme Caroline Abadie. Ces deux amendements visent le même objectif : diminuer les tâches indues des forces de l’ordre et pallier le problème de réactivité des médecins quand il s’agit de venir constater un décès alors que celui-ci est certain. Certes, des sanctions sont prévues pour les médecins qui ne se déplacent pas, mais il est bien évident que, pour garder de bonnes relations avec leurs partenaires, ni la gendarmerie ni la police ne verbalisent dans ces cas précis.

Les gendarmes de l’Isère et le commissaire de la ville de Vienne ont travaillé avec moi sur les deux dispositifs que je vous propose. Tous souhaitent que l’on puisse diminuer le nombre d’équivalents temps plein travaillé (ETPT) dévolus à la veille des corps. Je signale d’ailleurs que notre collègue Jean-Michel Fauvergue cosigne avec moi ces amendements.

Le premier vise à permettre de constater le décès de façon dématérialisée dans des cas où celui-ci ne fait aucun doute. Le second tend à permettre de poser des scellés au domicile de la personne décédée en attendant l’arrivée du médecin. Dans un cas comme dans l’autre, cela ne concerne pas les situations où il y a la moindre suspicion quant à la cause du décès.

M. Didier Paris, rapporteur. Je remercie Caroline Abadie et Jean-Michel Fauvergue de soulever cette question. Dans certaines zones difficiles d’accès, telles les zones de montagne, il existe une véritable difficulté, cela ne fait pas de doute : il ne faut pas perdre de temps ou attendre inutilement l’arrivée d’un médecin.

Cela dit, ce que vous proposez n’est pas si facile à mettre en œuvre, pour des raisons que, du reste, vous connaissez. Vos amendements visent à réduire les délais et à faire constater le décès sans déplacement d’un médecin, par voie dématérialisée. Comme je l’ai dit tout à l’heure, je suis très favorable à la dématérialisation mais, quoique n’ayant aucune compétence scientifique sur le sujet dont il est ici question, je m’interroge, en l’espèce, sur les limites de l’exercice. Je présume que la constatation d’un décès doit être faite visuellement et qu’elle dépend d’éléments matériels qui ne sont pas nécessairement évidents, même si j’ai bien noté que vous visiez des cas où les choses paraissent assez claires. Néanmoins, ce n’est pas tant le décès qui compte, si je puis dire, que ses causes : il n’y a pas de raison de considérer que la mort est nécessairement naturelle.

De deux choses l’une : soit on a affaire à une situation de mort naturelle, comme on en connaît malheureusement tous les jours, auquel cas on est complètement en dehors du champ judiciaire, et n’importe quel médecin peut venir constater le décès, sans qu’il y ait une urgence particulière – le défunt peut attendre –, soit il y a un doute, même le plus léger, sur la cause de la mort et, dans de tels cas, je sais, y compris du fait de mon expérience professionnelle, que ni les officiers de police judiciaire, ni le procureur de la République informé, voire le juge d’instruction se déplaçant sur les lieux n’ont jamais besoin d’attendre l’arrivée d’un médecin de ville venant constater le décès. Les opérations de police judiciaire se mettent en œuvre immédiatement, souvent d’ailleurs avec l’aide de la médecine légale, qui est appelée en la circonstance pour faire les premières constatations. Souvent, le médecin légiste vient constater des éléments qui n’apparaissent pas aux yeux d’un médecin de ville. C’est une des raisons pour lesquelles la confirmation du décès par voie numérique, à distance, pose problème : un corps peut raconter l’histoire du décès. On a absolument besoin de prendre le temps de faire les constatations.

Dans l’hypothèse où l’on se situe dans le champ judiciaire, j’ai du mal à concevoir en quoi vos amendements peuvent faire significativement avancer le processus, dès lors qu’il suppose de toute façon la présence sur place d’OPJ, notamment. J’aurais donc tendance à vous dire que, si le sujet est si important, il vaut mieux prendre le temps d’y réfléchir, de voir comment on peut améliorer la rédaction, et sans être aussi brutal dans les considérants. Peut-être serait-il opportun, à ce stade, de retirer vos amendements.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Convaincue par la démonstration imparable du rapporteur, je me range à son avis.

Mme Caroline Abadie. J’ai bien entendu les explications du rapporteur. Le défunt peut attendre, avez-vous dit. Certes, mais lorsque quelqu’un se retrouve malheureusement dans la première situation visée, par exemple sur l’autoroute A7, de toute évidence à la suite d’un accident, la police judiciaire doit surveiller le corps et l’autoroute est bloquée. Cela met des centaines, voire des milliers de personnes dans l’embarras, et des dizaines d’ETPT sont mobilisés. C’est un vrai problème. Je précise, une nouvelle fois, que ces amendements ne visent pas des cas où il y a la moindre suspicion quant aux causes du décès. Je comprends bien, néanmoins, qu’il faut les retravailler ; je les retire, pour les déposer de nouveau dans dix jours, en vue de la séance publique.

Les amendements sont retirés.

La Commission adopte ensuite l’article 33 modifié.

Après l’article 33

La Commission examine l’amendement CL158 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Danièle Obono. Cet amendement vise à instituer une phase contradictoire de clôture de l’enquête entre le procureur de la République et les différentes parties. Notre tradition procédurale considère de manière séparée, voire étanche, la phase d’enquête, consacrée à la recherche des preuves, et la phase proprement judiciaire, par saisine soit d’un juge d’instruction soit d’un tribunal. Cette seconde phase ouvre des droits à la personne poursuivie, avec application du principe du contradictoire.

Cependant, comme le signalait le rapport de M. Jacques Beaume en 2014, une mise en état des affaires pénales s’impose désormais dans notre société, tant au regard des droits des personnes mises en cause que pour les éventuelles victimes. En nous inspirant des éléments développés dans ce rapport, nous proposons d’instituer une phase contradictoire de clôture de l’enquête, en respectant un équilibre entre, d’une part, le principe de l’orientation pénale en temps réel en fin d’enquête et, d’autre part, une meilleure préparation qualitative de la légalité, de la régularité et du contenu de cette enquête, de manière à apporter devant le juge du fond une procédure pénale purgée de ses défauts ou insuffisances, et permettre ainsi de recentrer exclusivement le débat judiciaire sur la culpabilité, la peine et l’indemnisation de la victime.

M. Didier Paris, rapporteur. Je ne suis pas du tout opposé, sur le principe, à cette démarche. Votre demande est parfaitement compréhensible. Cela dit, il suffirait, pour qu’elle soit satisfaite, que le code de procédure pénale entre en application dans la pratique et tienne compte de la réalité des attentes. En effet, ce que vous proposez existe déjà : la loi du 3 juin 2016 l’avait mis en place. Elle oblige, à l’issue d’une enquête, dès lors que celle-ci a duré plus d’un an, à ce qu’un débat contradictoire ait lieu, et elle le permet également en cas de durée moindre, à condition tout simplement qu’il soit demandé. Or, d’après les éléments qui sont à ma disposition – même s’ils ne sont pas très éprouvés d’un point de vue statistique –, la demande n’en est faite que de manière exceptionnelle. Par ailleurs, je ne vois pas comment la procédure pourrait réellement avancer par ce moyen. Je vous propose donc de retirer votre amendement. À défaut, avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Même avis.

La Commission rejette l’amendement.

Elle est ensuite saisie de l’amendement CL503 de Mme Alice Thourot.

Mme Alice Thourot. Le contentieux de l’indemnisation est éclaté. Lorsqu’il est traité par le juge pénal, il l’est dans le respect des règles de la procédure pénale, lesquelles ne sont pas adaptées à la réparation des dommages en cas de lésions corporelles et de décès – je pense notamment au caractère oral de la procédure pénale, alors que la procédure civile est écrite, notamment avec un échange de pièces, ce qui est important.

Le présent amendement vise à confier, au sein de chaque tribunal de grande instance, le contentieux de l’indemnisation du préjudice corporel et du décès à un juge spécifique qui statuera sur les intérêts civils, dans le respect des règles de la procédure civile, après renvoi du dossier par le juge pénal, qui aura établi la responsabilité du prévenu.

Je considère en effet, comme un certain nombre de magistrats et d’avocats, que le contentieux de l’indemnisation est très spécifique et technique, et qu’il faut absolument harmoniser les montants des réparations en cas de préjudice corporel ou de décès. Nous visons, à travers cet amendement, une convergence de la méthodologie de l’évaluation des préjudices, afin qu’elle s’applique à tous. J’ajoute que cet amendement s’inscrit dans la ligne de la résolution relative à la réparation des dommages en cas de lésions corporelles et de décès adoptée le 14 mars 1975 par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe.

M. Didier Paris, rapporteur. Cet amendement est extrêmement intéressant. Dans son essence, il n’est d’ailleurs pas très éloigné de ce qui se prépare, comme nous le verrons un peu plus tard pour le juge de l'indemnisation des victimes d'actes de terrorisme (JIVAT), à ceci près que les victimes du terrorisme ne sont pas les plus nombreuses – fort heureusement – parmi toutes celles dont les tribunaux français ont à connaître, et qu’il s’agit d’une indemnisation tellement particulière qu’il est cohérent de la regrouper au sein d’une même juridiction. J’anticipe un peu sur la décision que nous aurons à prendre tout à l’heure et, du reste, je ne suis pas sûr que les cas que vous visez soient comparables.

Il convient d’être clair au regard du rôle du juge pénal. Celui-ci, actuellement, juge aussi au civil et est parfaitement informé non seulement du sens de la peine mais aussi de la nature de l’indemnisation due à la victime. Il peut se révéler difficile de juger ex post, sans avoir la compréhension du procès pénal qui a débouché sur la reconnaissance de la victime. Une telle distanciation, dont les risques ont d’ailleurs été relevés par plusieurs associations de victimes au cours des auditions auxquelles la commission des Lois a procédé, peut poser problème. Elle ne me paraît pas opposable à la création du JIVAT ; elle peut l’être, en revanche, à la multiplication des magistrats que vous proposez et au relâchement du lien entre pénal et civil qu’entraînerait la disposition.

Par ailleurs, je ne suis pas certain – mais, sur ce point, madame la garde des Sceaux a toute latitude pour répondre – que nous n’assisterions pas à une embolisation des juridictions, car la disposition supposerait la multiplication des magistrats spécialisés, surtout si l’on souhaite conserver la notion de proximité – ce qui est absolument fondamental pour les victimes. Chaque juridiction devrait avoir à la fois un juge pénal et un juge civil.

Enfin, il ne faut pas oublier que tous les procès devant le juge pénal ne sont pas de même nature : certains sont complexes, d’autres moins ; certains demandent de la rapidité, d’autres moins ; certains demandent de la réflexion, d’autres moins. Je ne suis pas persuadé qu’il faille tout enserrer dans une logique générale.

Pour ces raisons, je vous propose de retirer votre amendement. À défaut, je ne pourrais y être favorable en l’état.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. M. le rapporteur a tout dit : votre mécanisme est celui que nous proposerons ultérieurement par amendement pour l’indemnisation des victimes de terrorisme, avec la création d’un juge spécialisé qui permettra de « soulager » le procès pénal.

Nous avons décidé de faire appel à un juge spécialisé à la suite du rapport de Mme Chantal Bussière, première présidente de cour d’appel honoraire, sur l’amélioration du dispositif d’indemnisation des victimes de préjudice corporel en matière de terrorisme. Elle a prolongé son travail par un second rapport, consacré plus généralement à l’indemnisation, qu’elle vient de me remettre. Nous sommes en train de l’exploiter. Il répond à toutes les interrogations qu’a soulevées Didier Paris et constitue donc une mine en la matière. Pour autant, même si votre idée me séduit, le sujet étant très complexe – et beaucoup plus que le contentieux massif, mais spécialisé, du terrorisme – nous ne sommes pas encore prêts. Je vous serai donc reconnaissante de bien vouloir retirer votre amendement.

Mme Alice Thourot. Je vous remercie pour vos réponses éclairées ; je lirai avec attention ce second rapport et retire mon amendement.

L’amendement est retiré.


Section 3
Dispositions propres à l’instruction

Sous-section 1
Dispositions relatives à l’ouverture de l’information

Article 34
(art. 80‑5 [nouveau], 85, 86, 173, 392‑1 et 706‑24‑2 [abrogé] du code de procédure pénale)
Continuité des actes d’enquête lors de la saisine du juge d’instruction et recevabilité des plaintes avec constitution de partie civile

La Commission examine l’amendement CL94 de Mme Danièle Obono.

Mme Danièle Obono. Par cet amendement de suppression, nous souhaitons prévenir la banalisation des mesures dérogatoires que prévoit l’article, puisqu’il étend les possibilités de recours aux interceptions, à la géolocalisation, aux techniques spéciales d’enquête durant l’information judiciaire, tout en restreignant et en retardant la possibilité de saisir un juge d’instruction.

Le Gouvernement prévoit l’extension de la procédure du sas lors de toutes les informations. Quand bien même il s’agit d’éviter des ruptures entre l’enquête préliminaire ou l’enquête de flagrance et l’information judiciaire, ce régime est actuellement restreint à la lutte contre la délinquance et la criminalité organisée, sans que son extension ne soit réellement justifiée. Ce qui était l’exception, et recouvrait des techniques particulières pour la délinquance et la criminalité organisée, devient la norme.

La limitation des plaintes avec constitution de partie civile (PCPC) pose d’autres problèmes : le délai imposé au procureur pour répondre à une plainte simple avant que la victime ne puisse saisir le juge passe de trois à six mois. Cet allongement des délais et l’obligation de passer par un recours hiérarchique constituent des dégradations du droit des personnes à se constituer partie civile pour obtenir l’ouverture d’une information judiciaire.

C’est pourquoi nous demandons la suppression de l’article 34.

M. Didier Paris, rapporteur. À chaque article, nous abordons un sujet différent ; c’est toute la difficulté de ce texte…

Je vous répondrai d’abord sur le sas. Comme pour le terrorisme, durant quarante-huit heures, il me semble impératif de prévoir, pour certaines techniques d’enquête, que la saisine du juge d’instruction n’interrompt pas abruptement les démarches engagées, au risque de faire perdre de nombreux éléments d’enquête, de preuve et de sécurité.

Le Sénat a repris ces dispositions en les étendant au crime organisé et le Gouvernement souhaite les généraliser à l’ensemble des crimes et délits punis de plus de trois ans d’emprisonnement. C’est parfaitement adapté aux circonstances : la durée retenue, de quarante-huit heures, est réduite et semble satisfaisante pour l’ensemble des procédures. Il aurait d’ailleurs été étonnant de prévoir, pour ces procédures de droit commun, une durée supérieure à celle prévue pour les actes terroristes.

Le délai imposé au procureur pour répondre à une plainte est actuellement de trois mois : à la fin de ce délai, si le procureur n’a pas été donné suite, la victime est autorisée à saisir le juge d’instruction d’une plainte avec constitution de partie civile. Force est de reconnaître que, dans nombre de situations, ce délai est cour. Il ne permet pas toujours au procureur d’organiser correctement l’enquête et de disposer d’une réponse circonstanciée aux faits de la cause. Le faire passer de trois à six mois n’est donc pas choquant ni sur le fond, ni sur la procédure, ni sur la forme. Je conçois que cela fasse débat puisque nous avons nous-même débattu en interne de cette question. Mais nous avons auditionné les associations de victimes et je n’ai senti ni demande, ni récrimination, ni inquiétude particulière concernant cet allongement tout relatif du délai, dès lors que la saisine du juge d’instruction par cette voie ultime reste possible et que le recours au procureur général risquait d’alourdir inutilement la procédure – le Sénat semble en être convenu après dialogue avec la Chancellerie.

Je ne peux donc donner un avis favorable à votre amendement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je suis également opposée à la suppression de cet article, madame la députée.

En effet, il améliore l’ouverture d’information, répondant en cela à l’une des demandes formulées lors des Chantiers de la justice. Généraliser le sas entre l’enquête et l’instruction permettra de poursuivre les investigations sans discontinuité ; cette continuité est importante et nous souhaitons la préserver. En outre, cantonner les constitutions de parties civiles en permettant au juge d’instruction de refuser d’informer lorsque toutes les investigations nécessaires à la manifestation de la vérité n’auront pas été réalisées permettra d’éviter les informations inutiles.

La Commission rejette l’amendement.

La Commission en vient aux amendements identiques CL883 du rapporteur et CL778 de M. Stéphane Mazars.

M. Didier Paris, rapporteur. L’amendement CL883 vise à rétablir le sas en le limitant à quarante-huit heures, par souci d’harmonisation du délai, comme je viens de l’expliquer.

M. Stéphane Mazars. Comme celui de M. le rapporteur, l’amendement CL778 propose un compromis entre le projet de loi initial et le texte voté par le Sénat. Initialement, le sas était de sept jours pour les crimes et délits. Le Sénat a proposé quarante-huit heures pour les crimes organisés. Nous proposons le même délai pour les crimes et délits.

Ce sas est utile – j’ai pu en discuter avec des parquetiers. Il est important de poursuivre les actes d’enquête initiés pendant l’enquête préliminaire ou la flagrance jusqu’aux premiers temps de l’instruction, afin qu’il n’y ait pas de déperdition de la dynamique de l’enquête après le réquisitoire introductif d’instance.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je suis favorable à ces amendements.

La Commission adopte ces amendements.

Elle en vient à l’amendement CL396 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier. Cet amendement ne vous surprendra pas. Il a été également longuement discuté au Sénat. Nous souhaitons revenir à l’état actuel du droit : nous refusons ce cantonnement de six mois qui retarde le cours de l’action publique. Les droits de la victime sont de toute évidence lésés. Cet allongement nuit à l’efficacité et à la rapidité, alors que l’on veut lutter contre les lenteurs de la justice et que les nouvelles et intéressantes prérogatives de l’enquête laissent supposer que les tâches d’investigations seront promptement menées.

Si, par cet allongement, on veut lutter contre les abus de constitution de partie civile – nous en connaissons tous –, le préjudice pour les victimes est disproportionné : on double la durée de cantonnement pour engager l’action publique ! Nous sommes défavorables à cet allongement à six mois et souhaitons un retour aux trois mois.

M. Didier Paris, rapporteur. Défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Alors que c’était une des principales demandes des praticiens durant les Chantiers de la justice, nos propositions ont paradoxalement été très contestées par les avocats.

Pourquoi cela avait-il été demandé ? Ce délai de six mois correspond à la durée réaliste d’investigation du parquet et des enquêteurs. En effet, en pratique, il faut plusieurs semaines, voire plusieurs mois, aux enquêteurs pour obtenir le résultat de certains actes d’investigation – réponses à des réquisitions adressées à des opérateurs téléphoniques ou à des établissements financiers, audition d’une pluralité de témoins à charge ou à décharge, disponibilités dans les emplois du temps des parties pour les confrontations, réalisation d’expertises graphologiques, etc. Dans l’intérêt des parties, il nous a donc semblé souhaitable de faire en sorte que les enquêtes diligentées par le parquet puissent être menées à leur terme, avant de permettre l’ouverture d’informations judiciaires sur constitution de partie civile. D’autant que, au final, 70 % de ces informations judiciaires se terminent par une ordonnance de non-lieu.

En conséquence, le parquet, qui pourra ainsi conduire correctement ses investigations pendant six mois, au lieu de trois, aura le temps d’envisager soit de saisir lui-même directement le tribunal correctionnel s’il estime que les faits portés à sa connaissance par la victime sont établis et qu’il a réuni suffisamment de preuves pour emporter la conviction des juges, soit de procéder à un classement sans suite, faute d’avoir réuni suffisamment de preuves, mais en ayant eu le temps d’analyser le dossier et d’enquêter. Cette seconde hypothèse n’interdira nullement aux plaignants de saisir le juge d’instruction, soit après classement sans suite, soit au bout de six mois si l’enquête préliminaire n’est toujours pas terminée.

Le juge d’instruction qui aura à informer sur les faits dénoncés dans la constitution de partie civile pourra s’appuyer sur une enquête déjà étayée par le travail mené par le parquet, ce qui lui évitera de perdre du temps à relancer des vérifications. Sur la base de cette enquête, il pourra refuser l’ouverture d’une information si elle lui apparaît inutile et indiquer au plaignant qu’il a la possibilité de saisir le tribunal par voie de citation directe.

Ces différentes options ne limitent absolument pas l’accès au juge pénal, dès lors que la victime pourra engager des poursuites par le biais d’une citation directe devant le tribunal. En conséquence, cette organisation est à fait justifiée et je suis défavorable à votre amendement. Pour autant, ayant été particulièrement interpellée sur le sujet, je souhaitais transmettre ces éléments d’explication.

M. Philippe Latombe. Notre amendement vient jute après celui-ci et a été rédigé dans le même esprit. Mme Untermaier supprime l’alinéa 7, nous substituons pour notre part un délai de trois mois au délai de six mois. Par cohérence, nous allons donc soutenir cet amendement. Nous considérons en effet que l’allongement va porter préjudice aux droits de la victime en rendant plus difficile les poursuites contre l’auteur de l’infraction et en augmentant le risque de dépérissement des preuves.

M. Antoine Savignat. Madame la ministre, je serais totalement convaincu par vos explications si j’avais la certitude qu’à la réception de chaque plainte, les parquets engageaient des vérifications effectives et une pré-enquête pour déterminer si la plainte est recevable. Ce n’est pas une critique à l’égard de nos parquets, qui travaillent dans des conditions difficiles et ont à gérer des multitudes de dossiers, mais les avis de classement sans suite ou de non-engagement de poursuites ne sont jamais motivés… J’ai bien peur que, malheureusement, les parquets n’aient ni le temps, ni les moyens matériels, techniques et logistiques de faire autrement.

À défaut, et faute d’éléments permettant de déterminer si les vérifications préalables au classement de la plainte ont été engagées, je ne vois pas pourquoi on laisserait les victimes dans l’expectative.

Nous revenons sur un débat que nous avons déjà engagé : certaines procédures nécessitent de préserver les preuves or le temps joue quotidiennement contre elles. Certes, cet amendement est peut-être discutable au regard de vos explications, mais il est fondé au regard de la pratique quotidienne. C’est un amendement de praticien – non de théoricien – et de bon sens, rédigé dans le souci de préserver l’intérêt des victimes.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Monsieur le député, votre raisonnement n’est pas plus convaincant que le mien. Vous dites que les parquets sont débordés et n’ont pas le temps d’accomplir les actes d’enquête qu’ils doivent réalisés. Mais s’ils ne disposent pas de ce temps en six mois, ils l’auront encore moins en trois mois ! Je ne vois pas en quoi laisser la situation en l’état détériore la condition des victimes…

M. Antoine Savignat. Ces trois mois permettaient simplement aux parquets de prendre connaissance du dossier de la plainte et des éléments fournis avec. Il s’agissait d’un délai de gestion.

Les six mois se tiennent si les parquets engagent des diligences. Or je ne vois pas un substitut engager une expertise graphologique sur un dossier pour lequel il ne sait pas si des poursuites seront engagées… On maintient la victime entre deux chaises, dans l’attente d’une décision hypothétique ; cela n’a rien d’indispensable, d’autant que nous savons tous qu’une constitution de partie civile ou une saisine abusive peuvent donner lieu à sanction et à indemnisation.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CL588 de Mme Laurence Vichnievsky.

M. Philippe Latombe. Je viens de le défendre. L’allongement du délai risque d’aboutir à une aspiration du temps : les victimes n’auront des informations sur les suites données à leur plainte qu’au bout de six mois, contre trois aujourd’hui.

M. Didier Paris, rapporteur. Défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle adopte ensuite l’amendement de précision CL884 du rapporteur, puis elle adopte l’amendement CL885 du rapporteur visant à corriger une précision inutile.

La Commission examine l’amendement CL397 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier. Au moment de la constitution de partie civile, six mois après le dépôt de plainte, si le procureur requiert une ordonnance de non-lieu à informer, nous souhaitons que le juge d’instruction entende la victime avant de prendre sa décision.

M. Didier Paris, rapporteur. Je comprends votre idée, mais elle ne vaudrait que si la victime avait été en situation de s’exprimer. Or elle s’exprime lors du dépôt de plainte, puis devant le procureur de la République, puis au moment du dépôt de la plainte devant le doyen des juges d’instruction, chargé de la recevoir et de vérifier certains éléments avant de rendre une ordonnance de refus d’informer ou de suivre les réquisitions du parquet.

Votre proposition n’améliore en rien la constitution de la conviction et risque d’alourdir considérablement les obligations du juge d’instruction, alors qu’il peut entendre la victime plus directement. Enfin, quoiqu’il arrive, cette dernière dispose d’une voie de recours devant la chambre de l’instruction. Mon avis sera donc défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Défavorable.

M. Antoine Savignat. Monsieur le rapporteur, entre le moment de la plainte devant le procureur, puis devant le juge d’instruction et, enfin, le moment où le juge d’instruction va prendre sa décision de classement sans suite, vous oubliez qu’il y a le temps de l’instruction et de l’enquête. Des éléments nouveaux peuvent survenir. Il n’est donc pas inutile de permettre à la victime de s’exprimer, que ce soit par le biais d’une audition ou en faisant valoir ses observations par écrit – moyen non-chronophage et générateur de peu de travail.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’article 34 modifié.

Sous-section 2
Dispositions relatives au déroulement de l’instruction

Article 35
(art. 81, 97, 142‑6, 142‑7, 706‑71 et 884 du code de procédure pénale ; art. 51‑1 [nouveau] de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse)
Mesures diverses de simplification du déroulement de l’instruction

La Commission examine l’amendement CL95 de Mme Danièle Obono.

Mme Danièle Obono. Cet amendement propose de supprimer les dispositions problématiques de cet article. Il ne nous semble pas souhaitable de modifier le champ actuel de recours à l’assignation à résidence sous surveillance électronique (ARSE), caractérisée par le port d’un bracelet électronique, qui doit rester une mesure exceptionnelle et ne doit en aucun cas être banalisée comme le proposent les III et IV de cet article.

Différentes mesures sont particulièrement problématiques : le recours à l’ARSE est facilité, puisque le débat contradictoire devant un magistrat devient facultatif ; l’allongement de la durée de l’ARSE – de six mois à deux ans – est rendu possible, sans qu’une demande de prolongation tous les six mois soit nécessaire ; le recours à la vidéoconférence est étendu ; enfin, le juge d’instruction, assisté de son greffier, pourra ouvrir un scellé hors de la présence du mis en examen et de son avocat, lorsque ce scellé n’exigera pas que la personne mise en examen soit interrogée sur son contenu.

Toutes ces mesures dégradent le caractère protecteur des procédures actuelles et visent à promouvoir à tout va l’ARSE. Cela nous semble négatif. C’est pourquoi nous proposons de supprimer les alinéas 2 à 12 de l’article 35.

M. Didier Paris, rapporteur. Cet amendement suppose quelques explications en référence à d’autres parties du texte. Nous le verrons rapidement, dans la nouvelle échelle des peines, la surveillance électronique se situe à un niveau assez élevé. Pourquoi ? Parce que nous souhaitons éviter au maximum l’incarcération.

En conséquence, tous les amendements tendant à rigidifier et à rendre plus complexe les mesures de simplification proposées par le projet de loi concernant la surveillance à distance par l’intermédiaire des bracelets électroniques renforceront mécaniquement la logique d’emprisonnement, contre laquelle nous souhaitons absolument lutter.

Par ailleurs, cet amendement me semble aller à l’encontre de vos propres prises de position et ne me paraît pas très responsable. J’ai du mal à le comprendre… Mais c’est sans doute le fait de ma perception limitée.

Sur l’ouverture des scellés, alors que, dans certains cas, vous invoquez l’avocat comme la garantie absolue, vous jugez ici que sa présence n’est pas suffisante et que le client doit également y assister.

Prenons le cas d’une personne détenue. Jusqu’à maintenant, il fallait l’extraire pour ouvrir le scellé en présence de son avocat. Or je crois fondamentalement qu’on peut se passer de la présence de cette personne, pour des raisons de rapidité et d’efficacité, et que les droits de la défense n’en seront aucunement amoindris dans la mesure où, en revanche, l’avocat sera bien là.

Je suis donc clairement défavorable à votre amendement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. L’article 35 vise à simplifier les dispositions relatives au déroulement de l’instruction. Cela passe par une information judiciaire moins longue, ce qui devrait se traduire par moins de détentions provisoires.

Différentes dispositions de l’article s’intègrent dans cette logique générale. Parmi celles-ci, je citerai l’extension de la visioconférence, évidemment dans le strict respect des exigences constitutionnelles et conventionnelles ; la possibilité de favoriser le recours à l’assignation à résidence, en particulier sous surveillance électronique ; la simplification et l’allégement du formalisme procédural, notamment pour la demande d’acte adressée par une partie au juge d’instruction, et pour l’ouverture des scellés fermés ; enfin, l’assouplissement des règles procédurales de la mise en examen en matière de délit de presse –point un peu singulier.

Il s’agit d’améliorer le déroulement de l’instruction, et c’est la raison pour laquelle je ne suis pas favorable à la suppression de certaines de ses dispositions.

Mme Danièle Obono. Monsieur le rapporteur, nous aurons le temps, dans les prochains mois et les prochaines années, de vous expliquer le sens de notre démarche. Ne doutez pas que nous n’ayons de nombreuses propositions alternatives à proposer à l’incarcération. Il n’y a donc pas de contradiction dans nos propos. Nous essaierons de vous en convaincre à l’occasion de nos débats.

Nous pointons certaines dispositions problématiques. Nous ne sommes d’ailleurs pas les seuls à émettre des critiques. L’ensemble des professionnels du secteur se sont mobilisés et ont lancé des appels à manifester contre ce projet de loi qui fera reculer les droits de la défense

Voilà pourquoi nous avons déposé des amendements dont la logique est aux antipodes de la vôtre. Nous sommes clairement dans une logique de « désescalade » de l’incarcération, loin de toute logique sécuritaire. Nous souhaitons élargir le panel des peines alternatives, mais certainement pas dans le sens que vous nous proposez. Nous maintenons notre opposition à certains alinéas de cet article.

La Commission rejette l’amendement.

Elle adopte alors l’amendement rédactionnel CL886 du rapporteur.

Puis elle examine l’amendement CL994 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. C’est un amendement de coordination.

M. Didier Paris, rapporteur. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement.

Elle est ensuite saisie de l’amendement CL1072 du Gouvernement.

Mme Cécile Untermaier. L’amendement CL994 n’était pas un amendement de coordination !

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je vais en dire un mot, avant de présenter l’amendement CL1072.

Pour rétablir l’article dans son entier, nous avons déposé plusieurs amendements. Celui que j’ai présenté comme étant un amendement de coordination procède effectivement à une coordination qui résulte de la modification des dispositions générales sur la visioconférence par les amendements qu’on examine maintenant.

L’amendement CL1072 clarifie les dispositions du projet de loi en matière de recours à la visioconférence, dispositif que nous souhaitons étendre, après en avoir discuté avec les praticiens, les organisations syndicales représentatives des magistrats et les avocats.

Je tiens ici à lever les inquiétudes qui ont pu être exprimées, notamment par un certain nombre de parlementaires. La décision de recourir à la visioconférence relève de la seule compétence de l’autorité judiciaire. Ce recours ne sera jamais automatique, et la visioconférence ne pourra être utilisée que si le magistrat en charge de la procédure ou le président de la juridiction saisie le décide parce qu’il l’estime justifiée.

M. Didier Paris, rapporteur. Favorable.

La Commission adopte l’amendement CL1072.

Puis elle adopte l’amendement de cohérence CL887 du rapporteur.

Elle examine alors l’amendement CL398 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier. En l'état actuel du droit, il est possible de recourir à la visioconférence, y compris pour décider du maintien en détention provisoire. Mais la personne détenue peut toujours le refuser. En effet, le code de procédure pénale prévoit dans ce cas que : « Lorsqu'il s'agit d'une audience au cours de laquelle il doit être statué sur le placement en détention provisoire ou la prolongation de la détention provisoire, la personne détenue peut, lorsqu'elle est informée de la date de l'audience et du fait que le recours à ce moyen est envisagé, refuser l'utilisation d'un moyen de télécommunication audiovisuelle, sauf si son transport paraît devoir être évité en raison des risques graves de trouble à l'ordre public ou d'évasion ».

Dans le projet de loi initial, vous entendiez supprimer cette condition du consentement afin de généraliser le recours à la visioconférence, au détriment des droits de la défense.

Le Sénat a supprimé cette disposition tout en maintenant la possibilité de recourir à la visioconférence.

Cet amendement vise à apporter une garantie supplémentaire en prévoyant que lorsque le recours à la visioconférence est demandé, l'avocat en soit informé par voie de notification. Il s'agit en effet de garantir que la décision de la personne détenue sera éclairée par son avocat.

Vous allez me dire que l’on complique les choses, et que cet amendement n’a plus de sens si le consentement du détenu n’est plus requis.

M. Didier Paris, rapporteur. Dans la pratique, si la personne refuse le recours à la visioconférence dans le cadre d’une audition…

Mme Cécile Untermaier. Quand elle peut refuser !

M. Didier Paris, rapporteur… elle est entendue avec son avocat sans aucune difficulté. Et si la personne accepte, elle est entendue avec son avocat sans aucune difficulté, l’avocat étant présent auprès d’elle dans le cadre de la visioconférence, ou auprès du magistrat – à son choix.

Madame Untermaier, il me semble que cet amendement est déjà parfaitement satisfait par les textes.

Mme Cécile Untermaier. Je crois qu’on ne s’est pas très bien compris : nous nous plaçons au moment de la prise de décision par le détenu. Nous demandons que l’avocat soit informé de cette demande de visioconférence, pour que le détenu puisse être éclairé et prendre sa décision en toute connaissance de cause

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Pour le placement en détention provisoire, il peut y avoir recours à la visioconférence, mais ce recours ne peut avoir lieu qu’avec l’accord de la personne intéressée. Pour la prolongation de la détention provisoire, on peut passer outre à un refus de la personne intéressée.

Vous proposez qu’il soit obligatoire de notifier à l’avocat que le recours à la visioconférence est envisagé. Or cela nous semble constituer une complexité supplémentaire par rapport au droit existant, qui va à rebours de notre objectif de simplification.

Je ne suis donc pas favorable à cet amendement.

Mme Cécile Untermaier. Je le retire.

L’amendement CL398 est retiré.

La Commission en vient alors à l’amendement CL1078 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Nous en arrivons à l’amendement qui rétablit l’extension de la visioconférence en matière de prolongation de la détention provisoire. Comme je viens de l’évoquer, il reviendra au juge de décider s’il y a lieu, ou non, de recourir à la visioconférence lors des débats de prolongation de la détention provisoire sans que la personne concernée puisse la refuser.

Cette disposition est, d’une certaine manière, similaire à celle que vous venez d’adopter pour les audiences de prolongation de la rétention et de maintien en zone d’attente dans le cadre de la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée.

En revanche, l’amendement ne revient pas, comme le faisait le projet de loi initial, sur le fait que la visioconférence ne doit pas pouvoir être utilisée si la personne la refuse pour les débats contradictoires relatifs au placement initial en détention provisoire, sauf si, comme c’est déjà le cas actuellement, son transport doit être évité en raison de risques graves de trouble à l'ordre public ou d'évasion. En effet, lorsque la détention de la personne n’a pas déjà été ordonnée, il nous semble excessif d’imposer le recours à la visioconférence, et que le contact en présentiel est important. Sur ce point, le Gouvernement suit la position du Sénat, ainsi que les observations qui ont été faites par les représentants des avocats, des organisations syndicales et de certains parlementaires.

Je vous propose donc d’adopter un amendement équilibré.

M. Didier Paris, rapporteur. Avis favorable.

M. Antoine Savignat. Madame la ministre, j’entends vos explications et je partage votre point de vue sur le fait que, s’agissant d’une première mesure privative de liberté, le contact avec le magistrat est important. Je comprends aussi le souci d’éviter le trouble à l’ordre public dans certains dossiers médiatiques qui pourraient effectivement amener à déployer des moyens disproportionnés pour sécuriser le transfert.

Mais j’ai du mal à comprendre que l’on prenne en compte le risque d’évasion. Par définition, la personne concernée se trouve dans les locaux d’une gendarmerie ou d’un commissariat, et sera nécessairement transférée vers une maison d’arrêt si la détention provisoire est ordonnée. Dans ces conditions, le risque d’évasion est difficile à apprécier et ne saurait servir d’exception à cette comparution devant le magistrat.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. C’est vraiment un détail. On peut imaginer que cette personne vient déjà de la prison et qu’il y a un risque d’évasion.

M. Antoine Savignat. C’est rare !

La Commission adopte l’amendement.

Elle est ensuite saisie de l’amendement CL1077 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Cet amendement vise à préciser les modalités selon lesquelles la personne concernée donnera son accord à l’utilisation de la visioconférence lors des audiences de jugement au fond, ou bien la manière dont il pourra la refuser en matière de placement en détention provisoire – nous venons de le voir – ou de mandat.

Il prévoit notamment que la personne ne pourra pas ultérieurement modifier sa position. Par cette précision, nous maintenons le dispositif existant depuis la loi du 3 juin 2016 pour les débats en matière de détention provisoire, et nous l’étendons aux audiences de jugement au fond, et aux cas de présentation devant un magistrat d’une personne arrêtée en exécution d’un mandat.

M. Didier Paris, rapporteur. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement.

Elle examine l’amendement CL754 de Mme Naïma Moutchou, qui fait l’objet du sous-amendement CL1086 du rapporteur.

Mme Naïma Moutchou. Cet amendement porte sur les dispositions prévues dans le texte en matière de droit de la presse.

Vous proposez, madame la ministre, et c’est bienvenu, d’accélérer la procédure en matière de plainte en diffamation : au lieu d’être convoqué à venir directement en cabinet pour une audience, celui que l’on accuse de diffamation sera convoqué par lettre recommandée. Il est vrai que la procédure doit aller vite. Les prescriptions sont de trois mois puisqu’on le sait, rien n’est plus vieux que le journal de la veille. Un échange est également prévu entre le juge et le prévenu.

Mon amendement vient compléter les dispositions du texte. Je propose d’inscrire noir sur blanc que les débats sur le fond restent de la seule compétence des juridictions de jugement, pour éviter toute ambiguïté. En effet, en l’occurrence, le juge d’instruction ne peut pas instruire, soit sur la vérité des faits, soit sur la bonne foi, soit sur l’excuse de provocation en matière d’injure.

Je propose par ailleurs, dans une deuxième partie, de réparer une injustice : seule la diffamation est visée dans le texte, alors que l’injure publique devrait l’être aussi puisqu’elle suit le même régime.

M. Didier Paris, rapporteur. Il faut saluer l’effort de Mme Naïma Moutchou. Diffamation et injure publique sont en effet deux délits extrêmement proches, visés tous les deux par la loi sur la presse. Il était somme toute assez incohérent que l’un d’entre eux continue à être encadré dans une procédure extrêmement stricte puisque, vous l’avez-vous-même rappelé, le juge d’instruction n’a quasiment aucun pouvoir en la matière et doit renvoyer à l’ordonnance de jugement, ne pouvant pas instruire sur la vérité des faits ou la bonne foi. Lui associer l’injure publique me paraît très franchement de bonne justice. Cela contribuera à une meilleure compréhension des règles de la presse qui sont indispensables pour garantir nos libertés individuelles. Mon avis sera donc extrêmement favorable.

Quant à mon sous-amendement, il n’apporte que des corrections d’ordre rédactionnel.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je suis très favorable à l'amendement sous-amendé.

La Commission adopte le sous-amendement CL1086.

Puis elle adopte l’amendement CL754 ainsi sous-amendé.

Enfin elle adopte l’article 35 modifié.

Après l’article 35

La Commission est saisie de l’amendement CL161 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Danièle Obono. Cet amendement vise à renforcer les droits de la défense en garantissant l’accès au dossier par les parties mises en cause ou leurs avocats.

Pour le groupe La France insoumise, l’accès plein et entier au dossier dès le stade de la garde à vue ou de l’audition libre doit être consacré. Ce droit se déduit de l’article 7 de la directive 2012/13/UE relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales en ce qu’il impose la communication « lorsqu’une personne est arrêtée et détenue à n’importe quel stade de la procédure pénale ».

Il s’agit de garantir l’accès aux pièces permettant de contester la légalité de l’arrestation – le procès- verbal d’interpellation et toute pièce établissant l’existence d’indices graves ou concordants – mais également « au minimum à toutes les preuves matérielles à charge ou à décharge des suspects ou des personnes poursuivies, qui sont détenues par les autorités compétentes ».

Le droit européen dispose que ce droit est accordé « en temps utile » pour permettre l’exercice effectif des droits de la défense et, au plus tard, lorsqu’une juridiction est appelée à se prononcer sur le bien-fondé de l’accusation. Aussi, pour notre groupe, cette notion doit être clairement définie pour respecter un équilibre entre l’impératif de justice équitable et la nécessité de l’efficacité des investigations. Ce « temps utile » est bien celui de la première audition en tant que suspect, sous le régime de la garde à vue ou de l’audition libre.

M. Didier Paris, rapporteur. J’aurais tendance à vous dire, même si vous allez y voir un excès de langage, que votre amendement est satisfait. Les réformes successives ont fait que l’avocat peut accéder dès la première heure de garde à vue, qu’il peut parfaitement assister aux auditions et prendre des notes. Par ce biais, et grâce à l’ensemble des dispositions qui concourent à l’organisation procédurale de la garde à vue en protection des auteurs et de la présence de leurs avocats, nous sommes parfaitement en conformité avec les standards de la Cour européenne des droits de l’homme.

Je vous proposerais volontiers, mais sans grand espoir, de retirer votre amendement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Madame Obono, contrairement à ce que vous avez indiqué, il me semble que l’exigence que vous avancez n’est pas imposée par la directive 2012/13/UE relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales, ni du reste par la Constitution. Mais je me contente de le signaler. Pour le reste, j’émets un avis défavorable sur la base de ce que vient de dire M. le rapporteur.

La Commission rejette l’amendement.

Article 35 bis (nouveau)
(art. 145‑4‑1 du code de procédure pénale ; art. 40 de la loi n° 2009‑1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire)
Droit de correspondance des personnes placées en détention provisoire

La Commission examine l’amendement CL993 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Cet amendement tire les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel n° 2018-715 QPC du 22 juin 2018 ayant censuré des dispositions de l’article 40 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 permettant à l’autorité judiciaire de refuser aux personnes placées en détention provisoire de correspondre par écrit sans possibilité de recours.

Je vous propose donc de modifier notre texte pour nous mettre en conformité avec la décision du Conseil. Ainsi, cet amendement prévoit que le juge d’instruction pourra interdire à une personne mise en examen et placée en détention provisoire de correspondre par écrit avec les personnes qu’il désigne, et ce au regard des nécessités de l’instruction, du maintien du bon ordre et de la sécurité ou de la prévention des infractions. Mais cette décision, comme l’a décidé le Conseil constitutionnel, pourra faire l’objet d’un recours devant le président de la Chambre de l’instruction.

M. Antoine Savignat. Il ne sera pas dit que j’irai me coucher ce soir sans avoir apporté ma pierre à l’édifice : à la première phrase de l’article 154-4-2, il faut lire … « l’interdiction de correspondre »….

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. J’accède à votre « amendement » !

M. Didier Paris, rapporteur. S’agissant de la mise en conformité à une décision du Conseil constitutionnel, j’émettrai évidemment un avis favorable.

La Commission adopte l’amendement.

L’article 35 bis est ainsi rédigé.

Sous-section 3
Dispositions relatives à la clôture et au contrôle de l’instruction

Article 36
(art. 41‑4, 41‑6, 84‑1, 89‑1, 116, 170‑1 [nouveau], 173, 175, 175‑1, 179‑2, 180‑1, 185, 186-3, 706‑119, 706‑153 et 778 du code de procédure pénale)
Dispositions relatives à la clôture et au contrôle de l’instruction

La Commission est saisie de l’amendement CL96 de Mme Danièle Obono.

Mme Danièle Obono. Nous souhaitons tirer les conclusions du rapport de la commission sur l’affaire Outreau de 2006, et éviter que l’article 36 ne restreigne la durée, le caractère contradictoire de l’instruction, ainsi que son bon contrôle par la chambre de l’instruction, en favorisant le mécanisme problématique de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité.

Selon nous, la logique de cet article va à l’encontre des conclusions du rapport, qui voulait éviter au maximum l’isolement du juge au cours de l’instruction, promouvoir le contradictoire et le contrôle de la chambre de l’instruction.

À l’appui de ces éléments, je citerai le Syndicat de la magistrature : « Le recul des garanties des droits fondamentaux pendant l’enquête, la marginalisation du juge d’instruction, la multiplication de procédures aboutissant à une réponse pénale indifférenciée et systématique sans débat judiciaire préalable, la réduction de la collégialité dans la prise de décision des juges, le tribunal criminel... sont autant de mesures traduisant une véritable faillite de ceux qui nous gouvernent dans leur vision de l’État de droit. »

Voilà les raisons pour lesquelles nous demandons la suppression de l’article 36.

M. Didier Paris, rapporteur. Cet article vise à clarifier les règles de procédure à un moment extrêmement important : le règlement de l’instruction qui fixe définitivement les choses avant un éventuel renvoi. Le fait d’envisager que les parties doivent expressément indiquer si elles ont des observations à faire valoir dans cette dernière période me paraît tout à fait conforme avec l’ensemble des dispositions et l’idéologie générale du texte que nous essayons de mettre en œuvre.

Avis défavorable sur cet amendement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Après avoir procédé à la simplification des dispositions relatives au déroulement de l’instruction, nous simplifions, avec l’article 36, les règles relatives à la clôture et au contrôle de l’instruction. Je suis donc évidemment opposée à la suppression de cet article qui, selon moi, améliore les règles applicables.

En particulier, l’amélioration du mécanisme du règlement contradictoire, qui s’appliquera si une partie l’a demandé et non de manière systématique, a vocation à être maintenu. En effet, cela permet de raccourcir les délais de l’instruction dans un souci d’efficacité et de bonne administration de la justice.

De même, l’uniformisation du délai d’appel du procureur de la République, des ordonnances du juge d’instruction ou du juge des libertés de la détention devant la chambre de l’instruction, sur ceux du procureur général et des autres parties, me semble pleinement justifiée.

Pour ces raisons, je souhaite le maintien de l’article 36.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’amendement de cohérence CL888 du rapporteur.

Enfin elle examine l’amendement CL400 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier. Nous approuvons les mesures de simplification de l’article 36. Toutefois, je ne pense pas que l’on puisse parler d’amélioration du mécanisme du règlement contradictoire si celui-ci perd son caractère systématique et n’existe que si une partie le demande.

Cela nous renvoie à notre inquiétude concernant le délai de quinze jours qui court à compter de l’envoi, et non de la réception de l’avis transmis par le procureur. Cela nous paraît relativement court, alors que nous avons entendu que le procureur pourrait bénéficier de six mois pour instruire une enquête et permettre à une victime de se constituer partie civile.

On a un peu le sentiment qu’il y a deux poids deux mesures. Voilà pourquoi nous souhaitons supprimer l’alinéa 7 de cet article.

M. Didier Paris, rapporteur. On assiste, à l’article 36, au renversement des règles applicables à l’instruction, sans aucune atteinte particulière aux droits des parties. Cela permettra de répondre à l’objectif de célérité. Le projet initial fixait le délai à dix jours, ce qui a été considéré par beaucoup comme un peu court. La commission des Lois du Sénat l’a porté à quinze jours. Cette durée nous paraît tout à fait satisfaisante pour permettre aux parties d’exercer leurs droits à la fin du délai d’instruction. Avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je suis défavorable à cet amendement qui revient sur une disposition essentielle du projet de loi, prévoyant que le mécanisme du règlement contradictoire ne sera mis en œuvre que dans le cadre des procédures pour lesquelles les parties elles-mêmes estiment qu’il présente un intérêt, et non plus de façon systématique. Contrairement à ce qui est soutenu, cette modification est conforme aux exigences constitutionnelles. Elle ne remet pas en cause la possibilité pour la défense de s’exprimer en dernier puisque le dispositif dépend précisément de la demande des parties et ne préjuge en rien du débat devant la juridiction de jugement.

M. Antoine Savignat. Nous ne pouvons que louer votre souci d’efficacité de la justice. Mais au regard des dispositions que nous examinons depuis le début de la soirée, nous nous apercevons que l’efficacité est de mise quand elle est mise en œuvre au détriment de la victime. En revanche, dès qu’un délai pèse sur le service public de la justice, ce délai s’allonge pour lui laisser le temps nécessaire d’accomplir sa mission. Quand il s’agit du droit des victimes, l’efficacité doit aussi pouvoir être relativisée. Quinze jours à compter du délai d’envoi reviennent en pratique à douze jours si tout se passe bien. Cela laisse très peu de temps à la victime pour consulter son avocat ou une association. On ne peut indéfiniment entendre parler d’efficacité et voir le droit des victimes totalement écarté.

M. Philippe Latombe. Au lieu de supprimer l’alinéa 7 ne pourrait-on pas allonger encore un peu le délai de quinze jours pour permettre aux victimes de réfléchir et de consulter ? L’idée n’est pas de porter ce délai à trois mois mais en pratique, un délai de quinze jours est un peu court. Il faut réintroduire un peu de souplesse pour les victimes.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Ces quinze jours sont le délai dont disposent les parties pour demander à bénéficier du délai de trois mois pour former des demandes d’acte. C’est donc un premier délai qui en ouvre un autre. En outre, nous avons déjà beaucoup discuté de ce point avec les avocats. Au départ, nous avions proposé un délai de dix jours : ils nous ont fait observer que c’était un peu court. Nous avons donc proposé de le faire passer à quinze jours, ce qui a été considéré comme suffisant et correct.

M. Antoine Savignat. Comme vous le dites à juste titre, madame la ministre, ce sont quinze jours qui ouvrent un nouveau délai de trois mois pour faire valoir des droits : ce n’est pas simple à comprendre pour une victime. Finalement, c’est un marché de dupes. J’entends bien qu’il ressort de la concertation que vous avez eue avec les avocats que quinze jours seraient préférables à dix jours. Cependant, un recommandé posté le jeudi et reçu le lundi suivant par le justiciable ne lui laissera finalement que dix jours. Quinze jours à la réception ne me paraît pas de nature à bouleverser considérablement le cours de la justice.

M. Didier Paris, rapporteur. À la fin de l’instruction, le juge accorde quinze jours aux parties pour indiquer si elles entendent déposer des observations. Il ne peut s’agir que du délai de départ et non du délai d’arrivée du recommandé, qui ne serait jamais un délai certain. Ensuite, le détenu a un mois pour présenter des observations et le non-détenu, trois mois. Je ne suis pas certain qu’une pression excessive soit exercée…

La Commission rejette l’amendement CL400.

Elle en vient à l’amendement CL995 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Cet amendement prévoit que l’audience de renvoi du juge d’instruction devant le tribunal correctionnel pourra préciser la date de l’audience devant la juridiction.

Il vise à améliorer l’audiencement des dossiers d’instruction devant le tribunal correctionnel. Il permettra ainsi aux parties de connaître la date de l’audience de jugement dès l’ordonnance de renvoi rendue par le juge d’instruction. En outre, cet amendement simplifie les formalités procédurales en supprimant l’exigence supplémentaire d’une citation. Ainsi, la notification de l’ordonnance de règlement du juge d’instruction aux parties suffira et vaudra convocation à l’audience de jugement.

M. Didier Paris, rapporteur. Avis favorable. Assurer le continuum de la prise en charge judiciaire et faire savoir à la personne à quel moment elle sera renvoyée devant le tribunal dès le dernier acte de procédure est une excellente chose.

La Commission adopte l’amendement.

Elle aborde l’amendement CL889 du rapporteur.

M. Didier Paris, rapporteur. Je propose ici le rétablissement de la compétence du procureur de la République pour initier la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité à l’issue de l’information judiciaire. Cette simplification permettra au magistrat instructeur de rendre une ordonnance de renvoi non motivée puisque les parties se seront accordées en amont de la solution retenue. De plus, comme le procureur est maître d’œuvre de la CRPC dans le cadre de l’enquête, il est cohérent qu’il le soit également dans le cadre numériquement plus marginal de l’instruction.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement.

Elle adopte successivement l’amendement de coordination CL890, l’amendement de précision CL891 et l’amendement de coordination CL892, tous du rapporteur.

Elle étudie l’amendement CL893, toujours du rapporteur.

M. Didier Paris, rapporteur. Le projet de loi initial prévoyait une compétence du président de la chambre d’instruction statuant à juge unique dans des contentieux extrêmement précis et réduits, ceux de la saisine, de la restitution et de la rectification d’identité ainsi que pour les requêtes en annulation. Je propose que nous revenions au texte initial.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article 36 modifié.

Après l’article 36

La Commission examine l’amendement CL157 de Mme Danièle Obono.

Mme Danièle Obono. Notre amendement vise à renforcer l’obligation de motivation des magistrats quant au choix de la détention provisoire au détriment d’une mesure en milieu libre comme le contrôle judiciaire. Il oblige également à ce que les magistrats soient en présence des personnes lors du prononcé ou du renouvellement d’une mesure de détention provisoire. Selon nous, la loi doit renforcer la conscience des conséquences des décisions de privation de liberté que constitue la détention provisoire. Il est donc important de renforcer l’obligation de motivation et d’interdire en toute hypothèse le recours à la visioconférence dans ces situations.

M. Didier Paris, rapporteur. Avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Même avis.

La Commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CL356 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Danièle Obono. Notre amendement vise à instaurer une collégialité dans les cas de placement en détention provisoire sur ordonnance du juge d’instruction.

Selon nous, la collégialité est un principe cardinal de la justice et constitue une revendication forte concernant les mesures de privation de liberté, car susceptible de mieux garantir le respect des libertés individuelles et des droits fondamentaux. Comme nous sommes contre la « clochardisation de la justice », nous récusons tout argument budgétaire quand il s’agit de mesures de privation de liberté, comme c’est le cas pour la détention provisoire.

S’inscrivant dans la continuité des réformes sur la collégialité – adoptées mais toujours abrogées avant leur entrée en vigueur – résultant des lois Badinter de 1985, Chalandon de 1987 et Sapin-Vauzelle de 1993, cet amendement reprend à son compte la proposition n° 23 de la commission d’enquête chargée de rechercher les causes des dysfonctionnements de la justice dans l’affaire dite d’Outreau de 2006. Selon cette proposition, il fallait « rendre collégiale la décision de placement en détention provisoire à l’issue d’un débat contradictoire en la présence du procureur de la République, du prévenu et de celle obligatoire de son avocat ou, à défaut, d’un avocat commis d’office, à peine de nullité. Le collège de l’instruction siègerait chaque semaine à dates fixes. À la demande de la défense, le débat pourrait être public ».

M. Didier Paris, rapporteur. Si j’ai bien compris, vous prévoyez une collégialité pour tous les actes du juge des libertés et de la détention (JLD) actuellement prévus par les textes, ce qui est la meilleure façon de faire en sorte que ce juge n’existe plus – mais nous avons compris que vous n’étiez pas nécessairement favorable au JLD. Ce dernier n’aura plus, en effet, la capacité de répondre dans les délais d’urgence requis par la loi. Il deviendra donc un magistrat fantôme. Laissons au JLD la capacité d’agir avec célérité dans les conditions prévues.

Par ailleurs, le JLD prend des décisions qui sont, pour la plupart, de nature provisoire. Ce ne sont pas des décisions de jugement – pour lesquelles la formation collégiale peut parfaitement intervenir. Avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Avis défavorable également. La décision de placement en détention provisoire est prise par deux juges du siège : le juge d’instruction et le juge de la liberté et de la détention. C’est une forme de collégialité successive.

Mme Danièle Obono. Trop souvent, le JLD est, de fait, un juge fantôme parce qu’il n’a pas les moyens de juger comme il le faudrait. La collégialité permet de prendre des décisions au mieux des intérêts de la justice et dans le respect des droits des accusés et de la défense. Renforcer le travail des juges en instaurant la collégialité ne va pas amoindrir le pouvoir de la justice et du droit. L’extension des missions des JLD s’est faite depuis trop longtemps au détriment des droits de la défense. C’est contre cela, et non contre le principe même de ce juge, que nous nous mobilisons. Notre amendement est cohérent avec une vision de la justice renforcée, garante des libertés et droits fondamentaux.

La Commission rejette l’amendement.

Elle aborde l’amendement CL357 de Mme Danièle Obono.

Mme Danièle Obono. Cet amendement vise à rehausser les seuils de recours à la détention provisoire qui conduisent à ce qu’aujourd’hui, il y ait 30 % de personnes en détention provisoire. Ces personnes, présumées innocentes, subissent de plein fouet le choc carcéral et la surpopulation des maisons d’arrêt. De même, sans revenir sur les possibilités de prorogation, nous proposons de limiter la durée de la détention provisoire en harmonisant la durée du mandat de dépôt initial qui, en toute matière, sera limitée à quatre mois. Nous reprenons ainsi l’analyse de nombreux professionnels de la justice et notamment, du Syndicat de la magistrature.

M. Didier Paris, rapporteur. Je comprends parfaitement l’objectif – et nous pouvons le partager. En effet, la détention provisoire doit rester une exception et être limitée dans le temps. D’ailleurs, il existe déjà des limitations dans le temps de la durée de la détention en fonction de la nature des infractions et de leur gravité. En tout état de cause, cette durée doit être revue systématiquement et régulièrement par le juge d’instruction dans le cadre d’un débat contradictoire, voire en visioconférence, uniquement pour les prorogations de détention. Vouloir prévoir encore plus de limitations me paraît excessif. La détention provisoire doit rester l’exception mais une exception absolument nécessaire pour la poursuite des infractions pénales dans les cas les plus graves puisqu’il s’agit du juge d’instruction. Avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Avis défavorable, également. Vous voulez limiter la détention provisoire à quatre mois : l’objectif est que soit accompli dans cette durée l’ensemble des actes d’enquête possibles mais dans la réalité, ce n’est pas comme cela que les choses fonctionnent. Il faut laisser une souplesse au juge pour qu’il puisse décider – en fonction de la gravité de l’infraction, de la complexité des enquêtes à conduire et de la sauvegarde de l’ordre public et de la sécurité de la société – du temps dont il a besoin et pendant lequel il est nécessaire de laisser la personne en détention provisoire. C’est pourquoi des renouvellements à intervalles réguliers sont prévus. Cela n’exclut pas de mener une réflexion plus approfondie sur ce sujet.

Mme Danièle Obono. Nous souhaitons que l’on engage de manière très volontariste la déflation carcérale. Or le problème de la surpopulation carcérale tient en partie à la présence importante – autour de 30 % – de personnes incarcérées qui ne sont pas condamnées. Lorsque la détention provisoire représente une telle masse et que cela crée les situations que l’on sait, on voit bien qu’il y a un dysfonctionnement. Au-delà de la démarche sécuritaire et de la volonté de sanctionner à tort et à travers, il faut traiter ce problème de manière volontariste. Si on ne met pas un frein à l’usage de la détention provisoire, on ne commencera pas à régler sérieusement la question de la surpopulation.

La Commission rejette l’amendement CL357.

Chapitre III 
Dispositions relatives à l’action publique et au jugement

Section 1
Dispositions relatives aux alternatives aux poursuites et aux poursuites

Article 37 A (nouveau)
(art. 559 du code de procédure pénale)
Citation à parquet

La Commission étudie l’amendement CL894 du rapporteur.

M. Didier Paris, rapporteur. Cet amendement peut paraître de détail mais il illustre l’absurdité de certains aspects de notre procédure. Lorsqu’un parquet veut poursuivre une personne dont on n’a plus aucune trace ni aucune adresse, il faut faire une citation à parquet : le procureur de la République demande à un huissier de venir citer à parquet pour caractériser le fait que la personne n’a pas été retrouvée et qu’elle pourra être jugée par défaut, avec opposition possible. Je propose de simplifier drastiquement la procédure et de transformer cette citation à parquet en un simple procès-verbal du procureur de la République, constatant que la personne n’a pas de domicile connu au moment du renvoi devant une juridiction.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement.

L’article 37 A est ainsi rédigé.

Suspendue à vingt-trois heures, la réunion reprend à vingt-trois heures dix.

Sous-section 1
Dispositions clarifiant et étendant la procédure de l’amende forfaitaire

Article 37
(art. L. 3353‑3 et L. 3421‑1 du code de la santé publique ; art. 446‑1 du code pénal ; art. L. 3315‑5 du code des transports ; art. 495‑17, 495‑19, 495‑20, 495‑21, 495‑23 [abrogé], 530‑7 [abrogé], 768, 768‑1, 769, 775 et 777‑3 du code de procédure pénale ; art. L. 121‑5 et L. 325‑1‑2 du code de la route)
Extension du champ d’application de l’amende forfaitaire délictuelle

La Commission est saisie de l’amendement CL639 de M. Erwan Balanant.

M. Philippe Latombe. Cet amendement vise à supprimer la possibilité de recourir à l’amende forfaitaire délictuelle lorsque l’infraction est commise en situation de récidive légale. Il s’agit de conserver l’esprit de l’article 495-17 du code de procédure pénale, en veillant à ce que les récidivistes soient présentés devant un magistrat, aux fins que l’amende puisse être accompagnée d’une peine complémentaire, par exemple d’un stage.

M. Didier Paris, rapporteur. Alors que l’amende forfaitaire n’était jusqu’à présent pas applicable en cas de récidive légale, le projet de loi ne considère plus la récidive comme un obstacle à l’amende forfaitaire, ce qui devrait faciliter le développement de cette mesure, d’autant qu’il est extrêmement difficile de déterminer si une personne qui fait, par exemple, l’objet d’une interpellation pour infraction sur la voie publique se trouve en situation de récidive légale, celle-ci correspondant à la réitération d’une infraction similaire ou proche d’une infraction précédemment et définitivement condamnée. Ce que propose le texte est donc tout à fait souhaitable dès lors qu’on veut donner toute sa force à l’amende forfaitaire, ce qui est le cas. Avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Même avis.

M. Éric Poulliat. Dans certains cas, lorsque l’amende forfaitaire sanctionne, par exemple, l’usage de stupéfiants, on a souvent affaire à un problème d’addiction, et la récidive est quasiment acquise. Accentuer l’amende forfaitaire en cas de récidive légale revient donc selon moi à infliger une double peine, qui ne me paraît pas forcément bienvenue en termes de santé publique. Par ailleurs, comme l’a dit le rapporteur, il est en effet très difficile de constater la récidive légale sur la voie publique. La mission d’information sur les fichiers de sécurité s’est d’ailleurs penchée sur la question et réfléchi sur la manière d’harmoniser les fichiers pour que nous puissions gagner en efficacité dans ce domaine.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements CL700 et CL699 de M. Éric Poulliat.

M. Éric Poulliat. Ces amendements s’inscrivent dans la suite des travaux menés par la mission d’information relative à l’application d’une procédure d’amende forfaitaire au délit d’usage illicite de stupéfiants, qui a montré, dans son rapport de janvier 2018, que l’essor des interpellations d’usagers de stupéfiants s’est accompagné d’un développement des mesures alternatives aux poursuites, et plus particulièrement des rappels à la loi, dont le caractère peu dissuasif a été souligné par l’ensemble des personnes entendues par la mission. Ce développement des rappels à la loi a conduit à une dépénalisation de fait, puisque l’usage de stupéfiants n’est plus réellement sanctionné pour les primo-délinquants. Nous avons donc, à côté d’un arsenal théoriquement très répressif, une réponse pénale en pratique peu dissuasive et qui n’a pas permis d’enrayer la progression de la consommation de stupéfiants.

Aussi la mise en place d’une amende forfaitaire délictuelle proposée par le présent article permet-elle une réponse plus rapide, plus effective et donc plus dissuasive. Cependant, une amende forfaitaire d’un montant trop élevé risquerait de se heurter à l’insolvabilité des usagers, comme en témoignent les actuels problèmes de recouvrement des amendes prononcées et les difficultés des publics concernés pour payer les stages de sensibilisation.

En cas de montant trop élevé, le taux de recouvrement des amendes, déjà faible, risquerait de se dégrader davantage, les forces de l’ordre risquant, avec le passage d’un cadre juridictionnel à un cadre forfaitaire, de se montrer peu empressées à appliquer une amende d’un montant excessif et au recouvrement incertain.

C’est pourquoi ces amendements proposent de fixer le montant de l’amende à 150 ou 200 euros, selon les recommandations de la mission d’information. De tels montants permettraient une application plus effective de la sanction, notamment chez les jeunes, particulièrement concernés par la banalisation de la consommation de stupéfiants.

M. Didier Paris, rapporteur. L’important dans l’amende forfaitaire est qu’elle soit prononcée. Pour cela, il faut qu’elle soit adaptée à la solvabilité de l’auteur de l’infraction. Tout est donc question d’équilibre. Sachant que le montant maximal de l’amende forfaitaire pour une contravention de quatrième classe est de 135 euros, le montant que vous proposez pour une contravention de cinquième catégorie me semble relativement cohérent mais, sur ce point, mon avis comptera beaucoup moins que celui de la ministre.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Monsieur Poulliat, je tenais en premier lieu à vous remercier pour l’ensemble du travail que vous avez réalisé sur ce sujet et qui nous a été extrêmement précieux.

Pour que la forfaitisation soit un succès contre l’usage de stupéfiants, il faut une amende qui soit dissuasive, bien entendu, mais dont le montant soit soutenable pour le public visé. Nous avons fait une proposition à 300 euros. Je ne crois pas opportun de la porter à 500 euros, ainsi que le prévoyaient des amendements qui n’ont pas été soutenus, car cela pourrait nous exposer à de nombreuses défaillances de paiement et autant de contestations devant les tribunaux. Je trouve en revanche intéressante votre proposition de réajuster ce montant de 300 à 200 euros, mais je ne souhaite pas descendre jusqu’à 150 euros, car nous serions là dans une forme d’incohérence par rapport à l’échelle des amendes forfaitaires, puisque le montant forfaitaire des contraventions de quatrième classe est de 135 euros. Dans la mesure où nous parlons ici d’une amende forfaitaire délictuelle, 200 euros me semble un montant raisonnable.

M. Stéphane Mazars. Notre groupe votera l’amendement présenté par Éric Poulliat, qui porte à 200 euros le montant de l’amende forfaitaire délictuelle pour l’usage de produits stupéfiants.

J’en profite pour le féliciter ainsi que Robin Reda pour leur excellent rapport, qui a été une première pierre dans la mise en place de l’amende forfaitaire délictuelle, d’abord pour l’usage de produits stupéfiants, puis, comme on va le voir, pour d’autres délits.

M. Éric Poulliat. J’entends vos arguments et retire donc l’amendement CL699 au profit de l’amendement CL700.

L’amendement CL699 est retiré.

Mme Cécile Untermaier. 200 euros me paraissent un montant maximal, compte tenu du public et des quartiers qui vont être concernés. Je ne suis même pas certaine qu’à ce niveau, on soit en mesure de les recouvrer, mais je sais que vous avez beaucoup travaillé sur le sujet, et cet amendement me paraît de bonne facture.

La Commission adopte l’amendement CL700.

Puis elle en vient à l’amendement CL401 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier. Afin d’éviter la récidive, nous souhaitons accompagner l’amende forfaitaire délictuelle, qui est peut-être la solution la moins mauvaise dans le contexte actuel où la réflexion sur la dépénalisation régulée n’est pas du tout aboutie, d’un dispositif moins axé sur la répression que sur les questions de santé publique. Sans cela, nous raterions notre office, notamment auprès des mineurs. Certes l’amende forfaitaire délictuelle peut prouver son efficacité et soulager les parquets mais nous ne pouvons pas, au XXIe siècle, avec la connaissance que nous avons des dégâts causés par les stupéfiants, ne pas accompagner cette sanction de mesures de sensibilisation ou de prévention, que ce soit par le biais de ce que propose cet amendement ou par toute autre solution.

M. Didier Paris, rapporteur. Nous sommes tous conscients du problème de santé publique qui se pose avec l’usage des stupéfiants, mais nos réponses peuvent diverger.

Votre amendement propose que, lorsqu’on est redevable d’une amende forfaitaire de 200 euros – ce qui signifie en réalité que l’on est un simple consommateur –, on puisse faire l’objet d’une mesure obligatoire, qui peut aller jusqu’à l’hospitalisation – ce qui s’apparente, dans mon esprit, à une sorte d’hospitalisation d’office. Cela me paraît particulièrement violent et en tout cas totalement inapproprié à la nature des poursuites et au public.

J’attire ensuite votre attention sur le fait que l’amende forfaitaire est une disposition parmi d’autres à la main du parquet. Elle dépend de la politique pénale et des modes de poursuite décidés par le procureur de la République, et il n’est pas indispensable que ces choix soient identiques sur l’ensemble du territoire, compte tenu de la diversité des zones et des publics concernés. Il me semble donc difficile de lier comme vous le faites l’amende forfaitaire à l’application d’autres mesures. Quand bien même cela serait possible, votre proposition est à mes yeux disproportionnée. Avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Avis défavorable, non pas sur l’objectif recherché mais sur la manière dont vous proposez de l’atteindre. Comme l’a dit le rapporteur, l’amende forfaitaire n’est pas censée constituer une réponse unique mais doit s’inscrire dans une palette de réponses. C’est un dispositif supplémentaire par rapport à ce qui existe déjà et, si, comme je le souhaite, la loi est adoptée, le directeur des affaires criminelles prendra une circulaire de politique pénale, qui précisera de manière très concrète les conditions d’application de cette amende et la gradation dans les réponses à la disposition des magistrats. Mais il ne sera pas possible de combiner cette amende forfaitaire avec une prise en charge, car celle-ci pourrait être considérée comme une peine complémentaire.

En revanche, dans la mesure où il sera facile de repérer si l’auteur de l’infraction a ou non des antécédents, il sera possible, le cas échéant, de ne pas appliquer d’amende forfaitaire mais d’orienter l’affaire vers le procureur de la République, lequel pourra alors, comme il le fait actuellement, soit faire un rappel à la loi, avec obligation de soins, soit classer l’affaire sous condition d’orientation sanitaire et sociale.

Dans notre esprit, cette amende forfaitaire s’inscrit dans une gamme de réponses possibles, mais il est clair qu’elle ne doit en aucun cas être appliquée en contradiction avec les exigences sanitaires de notre politique de santé publique.

Mme Cécile Untermaier. Je retire cet amendement qui était avant tout un amendement d’appel, mais je ne crois pas qu’on puisse exclure d’une loi comme celle-ci, qui se veut fondatrice et globale, les questions de santé publique.

C’est pour cela que nous allons réfléchir en vue de la séance publique à une formule qui nous permette de donner du sens à cette amende délictuelle, notamment lorsqu’elle touche un primo-délinquant. Soit on considère en effet que fumer du cannabis est légal et, à ce moment-là, il n’y a pas de contravention, soit on décide qu’il s’agit d’une infraction, mais alors il faut faire en sorte que le primo-délinquant comprenne le sens de l’amende forfaitaire qu’on lui applique, au-delà de la sanction pécuniaire qu’elle représente.

L’amendement CL401 est retiré.

La Commission est saisie, en discussion commune, de l’amendement CL715 de Mme Élise Fajgeles et des amendements CL739 et CL738 de M. Stéphane Mazars.

Mme Élise Fajgeles. Dans de nombreuses villes de France, on peut acheter des cigarettes en dehors des lieux autorisés par la loi, c’est-à-dire en dehors des bureaux de tabac. Il s’agit le plus souvent de cigarettes de contrebande vendues à l’unité.

Je propose de faire de l’achat de ces cigarettes en dehors des lieux autorisés un délit, et j’insiste sur le fait qu’il s’agit de sanctionner l’acheteur. Les vendeurs sont régulièrement arrêtés ; demain, comme le propose un amendement de notre groupe, ils seront passibles d’une amende forfaitaire. Dans tous les cas, la sanction ne permet ni d’arrêter le flux de marchandises ni de faire cesser les ventes, car on a affaire à de véritables réseaux.

Sanctionner l’acheteur en revanche a un vrai sens, car ces ventes à la sauvette qui compromettent la sécurité des riverains dans l’espace public sont surtout un vrai problème de santé publique, contrairement à la prostitution – pour laquelle j’étais d’ailleurs également favorable à la pénalisation du client – ou à d’autres types de vente à la sauvette. C’est la raison pour laquelle je demande que l’achat de tabac à la sauvette soit un délit passible d’une amende forfaitaire.

M. Stéphane Mazars. Il s’agit de sanctionner la vente à la sauvette par une amende forfaitaire délictuelle.

Je voudrais ici me faire le porte-parole des buralistes : ils subissent aujourd’hui la hausse du tabac, ce qui se justifie parfaitement en termes de santé publique, mais ils doivent également faire face à d’autres types de concurrence déloyale, celle des pays limitrophes, comme Andorre ou l’Espagne, dans les régions frontalières ou, dans les grandes villes, celles des vendeurs de produits de contrebande.

L’application d’une amende forfaitaire à ce délit serait non seulement une mesure de santé publique mais également le signe envoyé aux buralistes que nous soutenons leur activité économique.

Quant à l’amendement CL739, nous le retirons, car sa rédaction était fautive.

M. Didier Paris, rapporteur. Élise Fajgeles soulève un problème réel, particulièrement tangible à Paris et dans les grandes villes. Il s’agit d’un phénomène endémique contre lequel il faut lutter avec d’autant plus de force que cette petite délinquance ouvre la voie, dans l’espace public, à d’autres formes de délinquance plus dangereuses. Cela étant, se pose une question qui est moins une question juridique que politique : faut-il réprimer le vendeur ou l’acheteur ? Mon sentiment est qu’il est plus facile et plus logique de punir le premier, notamment parce qu’en punissant le second, on semble dédouaner le premier.

Je serai donc favorable à l’amendement défendu par M. Mazars, qui réprime la vente à la sauvette, délit de voie publique auquel il est parfaitement conforme à l’esprit de notre droit d’appliquer une amende forfaitaire ; je suis en revanche plutôt défavorable à l’amendement d’Élise Fajgeles.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je ne suis pas favorable à l’amendement de Mme Fajgeles pour trois raisons. D’abord, parce que la création d’un nouveau délit sanctionnant les acheteurs occasionnels de cigarettes n’est pas nécessaire, dans la mesure où l’achat peut être sanctionné via le délit de recel et que l’acquisition à distance de tabac est, elle aussi, déjà réprimée ; ensuite, l’arsenal juridique permet déjà de sanctionner les contrebandiers de tabac et les vendeurs à la sauvette ; enfin, la lutte contre les effets néfastes du tabac sur la santé passe par un ensemble de politiques publiques qui dépassent le problème de la vente à la sauvette.

Je suggèrerais donc que vous retiriez votre amendement au profit de l’amendement défendu par M. Mazars.

Certes l’idée de forfaitiser le délit de vente à la sauvette peut appeler des réserves, notamment parce qu’il s’agit d’une délinquance mobile et fuyante et que le risque est donc grand que le taux de recouvrement des amendes soit faible, mais on peut également considérer que ce taux de recouvrement, même faible, ne serait pas différent s’il y avait poursuite et condamnation.

Par ailleurs, les éléments constitutifs de ce délit, dont la constatation n’appelle pas d’actes d’enquête, ainsi que l’absence de préjudice dont une victime pourrait se prévaloir le rangent parmi des infractions qui sont assez facilement éligibles à la procédure de l’amende forfaitaire. J’émets donc un avis favorable sur l’amendement CL738.

Mme Élise Fajgeles. Si la forfaitisation de la vente à la sauvette est utile car c’est une arme de plus aux mains des forces de l’ordre, elle reste selon moi insuffisante. Je continue de penser en effet que, lorsqu’on a affaire à des réseaux ou à des personnes qui sont insolvables, il est important de pouvoir s’attaquer aux acheteurs.

Je défends mon amendement car les forces de police que je rencontre sont démunies face à cette situation. Vous dites, madame la ministre, que les sanctions sont déjà possibles, mais je leur fais confiance : les policiers connaissent l’arsenal juridique, ils ne peuvent cependant pas s’en servir, car arrêter ceux qui écoulent des produits de contrebande à la sortie du métro Barbès est quasiment mission impossible. C’est la raison pour laquelle ils souhaiteraient pouvoir sanctionner les acheteurs de cigarettes à l’unité.

S’il est possible de sous-amender l’amendement de Stéphane Mazars pour que l’acheteur, c’est-à-dire, en quelque sorte, le receleur d’une vente à la sauvette, soit également sanctionné, j’accepte de retirer mon amendement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Il me semble qu’on ne peut pas appliquer une amende délictuelle à celui qui achète une seule cigarette. Il faudrait trouver un autre système de sanctions, car il est difficile de considérer que, lorsqu’on achète une tour Eiffel ou une cigarette à un vendeur à la sauvette, on commet un délit. Cela me paraît assez disproportionné.

Mme Élise Fajgeles. J’entends votre argument sur les tours Eiffel, si ce n’est que le problème de santé publique qui se pose avec les cigarettes et qui nous concerne tous ne se pose absolument pas lorsqu’on achète une tour Eiffel ou quoi que ce soit d’autre. L’achat de cigarettes est un sujet en soi.

M. Philippe Latombe. Monsieur le rapporteur, les difficultés dont nous parlons ne concernent pas uniquement les grandes villes, mais également les villes moyennes de province, en particulier dès qu’existe un point de contact avec l’extérieur du territoire, par exemple, une façade maritime. Cette délinquance se rencontre partout, et elle s’étend.

Je partage donc l’avis de Mme Fajgeles, même si son amendement ne formule pas les choses de la bonne manière : nous devons trouver des moyens de combattre ce fléau, ce qui impliquera peut-être, d’une manière ou d’une autre, de punir les acheteurs. On peut en effet considérer que l’achat d’une cigarette à l’unité n’est pas un délit, mais nous devons doter notre arsenal d’armes nous permettant de combattre la vente de tabac, notamment à la sauvette.

Mme Alexandra Louis. Si l’acheteur est considéré comme receleur, il est lui aussi auteur d’un délit et cette classification est un peu forte – même si, dans la pratique, les enquêteurs ne poursuivent pas un malheureux acheteur pour un paquet de cigarettes, parce que ce serait trop compliqué et trop lourd. Dans le cas d’une amende délictuelle, on reste dans la même échelle de peines.

Ne pourrait-on envisager, comme piste de réflexion, de ranger ces agissements dans la catégorie de la simple contravention ?

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. La contravention serait-elle liée au fait d’acheter des cigarettes issues de réseaux mafieux ? Que je sache, en effet, on ne sanctionne pas les gens qui achètent des paquets de cigarettes…

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. L’amendement pourrait être retravaillé d’ici à la séance publique.

Les amendements CL715 et CL739 sont retirés.

La Commission adopte l’amendement CL738.

La Commission examine ensuite l’amendement CL635 de M. Erwan Balanant.

M. Erwan Balanant. Cet amendement vise à supprimer le recours à l’amende forfaitaire pour les infractions routières tenant à la violation des règles relatives au chronotachygraphe. Pour rappel, le chronotachygraphe numérique contrôle les temps de conduite et de repos des conducteurs. Il doit obligatoirement être installé sur certains véhicules de transport, sous peine de sanctions.

Si l’article 37 du projet de loi a pour objectif initial de simplifier et d’automatiser la sanction en cas d’infraction, il faut se demander, dans le cas très précis du délit visé, quelles peuvent être les incidences sur nos routes. En effet, nous le savons, l’état de fatigue est un facteur qui augmente le risque d’accident ; c’est la raison d’être de ce dispositif.

Notre crainte, face au dispositif mis en place par l’article 37 du projet de loi, est que le conducteur de poids lourds qui subirait une pression de la part de son entreprise se mette en position de violation de l’article L. 3315-5 du code des transports, et qu’en cas d’infraction, l’entreprise prenne en charge le paiement de l’amende forfaitaire. La réponse pénale à cette infraction pénale n’aurait alors plus aucun effet dissuasif.

De ce fait, il semble capital que, dès la première infraction, le conducteur soit entendu par un juge, l’infraction visée pouvant aller jusqu’à entraîner la mort pour les usagers de la route. Garantir le passage des personnes ayant commis une infraction aux règles relatives au chronotachygraphe devant un magistrat aurait pour conséquence de permettre à ce dernier de prononcer une peine de stage. Celui-ci se déclinerait par exemple sous la forme d’un stage de sensibilisation à la sécurité routière.

Si la peine prévue devient une amende forfaitaire, je crains qu’il ne paraisse plus simple, pour des entreprises soumises à une pression de résultat, de payer une amende plutôt que de perdre un chauffeur.

M. Didier Paris, rapporteur. Je comprends l’idée. Mais je le répète, l’amende forfaitaire n’est qu’un des dispositifs de poursuite, en l’occurrence des délits routiers. Le procureur de la République a la liberté d’en fixer les limites, par le bas ou par le haut.

L’amende forfaitaire offre tout même la possibilité de répondre immédiatement à certains cas – personnes itinérantes, par exemple. Il paraît difficile de remettre en marche une mécanique de présentation devant un juge pour ce seul motif.

Vous avez raison de souligner que la répression sur les infractions au chronotachygraphe n’est pas sans conséquence, parce qu’elle est liée à la santé publique et à la sécurité de la route. Mais c’est aussi un dispositif important sur le plan du droit social. En cas d’infraction simple, la réponse proposée me paraît devoir être conservée. Elle peut être accentuée quand une entreprise commence à se spécialiser dans ce genre d’infraction et qu’elle est connue pour cela des forces de l’ordre. Dans ce cas-là, des poursuites peuvent être engagées. Je vous rappelle d’ailleurs que la prise en charge de l’infraction pénale par l’employeur n’est pas légalement admissible. Ne rentrons donc pas dans un argument de cette nature.

Je suis défavorable à votre amendement, même si j’en comprends parfaitement l’objectif.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Même avis.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL996 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Cet amendement vise à rétablir des dispositions qui ont été modifiées par le Sénat. Il a pour objet de supprimer la mention selon laquelle « le procureur de la République peut recourir à l’amende forfaitaire ». Cette expression laisse en effet penser qu’il s’agira d’une orientation prise au cas par cas par le parquet, après avoir été avisé par les enquêteurs.

Or cela n’est pas compatible ni avec l’objectif de simplification de la réforme, ni avec la nature même de la procédure de l’amende forfaitaire, qui a vocation à être, sauf difficultés ponctuelles, employée directement par les forces de l’ordre en fonction des cas d’usage qui auront été prédéfinis dans le cadre des instructions de politique pénale dont je parlais tout à l’heure.

M. Didier Paris, rapporteur. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement.

Elle examine ensuite les amendements identiques CL1040 du Gouvernement et CL634 de M. Erwan Balanant.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Cet amendement vise lui aussi à supprimer des dispositions ajoutées par le Sénat. Celles-ci permettaient en l’occurrence de recourir à la procédure de l’amende forfaitaire délictuelle pour tous les délits punis d’une peine d’amende.

Comme je l’ai déjà précisé dans nos échanges, le Gouvernement ne souscrit pas à cette extension généralisée et indifférenciée de l’amende forfaitaire. Il faut préférer une extension au cas par cas. La proposition adoptée par le Sénat apparaît excessive et, à certains égards, inappropriée, en ce que la catégorie des délits punis d’une peine d’amende recouvre des infractions très diverses. Or, je le redis : la procédure de forfaitisation n’est pas toujours souhaitable.

Par ailleurs, je crois qu’il convient d’attendre le retour d’expérience sur la forfaitisation de certains délits, laquelle est en vigueur depuis le 1er novembre seulement, avant d’envisager une généralisation aussi importante du dispositif.

M. Erwan Balanant. Mon amendement est défendu.

M. Didier Paris, rapporteur. Avis favorable.

La Commission adopte ces amendements.

Elle examine ensuite l’amendement CL1041 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Cet amendement améliore, sur des points techniques, les dispositions relatives aux amendes forfaitaires. Je ne suis pas sûre qu’il soit nécessaire d’énumérer ici ces points techniques.

M. Didier Paris, rapporteur. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement.

Elle adopte ensuite l’article 37 modifié.

Après l’article 37

La Commission examine l’amendement CL506 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Danièle Obono. Cet amendement vise à la légalisation contrôlée de l’usage de cannabis et à l’instauration à titre expérimental d’un monopole de production et de distribution du cannabis et des produits du cannabis. Ces dispositions reprennent l’essentiel d’une proposition de loi présentée par onze députés du groupe EELV (Europe Écologie les Verts) le 11 janvier 2017.

Nous prônons une politique pragmatique et réaliste, qui prenne en considération l’ensemble des enjeux de cette problématique, via une approche différenciée de l’usage des stupéfiants. Nous souhaitons nous saisir du sujet de cet usage du cannabis pour faire évoluer la position de la France, à l’instar des nombreux autres pays d’Europe.

Le cannabis est un produit stupéfiant qui mérite un traitement particulier, notamment en raison de sa moindre dangerosité sanitaire et surtout du caractère massif de son usage. Le cannabis n’est pas une marchandise ordinaire. C’est une drogue psychoactive qui suscite une dépendance et une tolérance susceptibles de provoquer des abus dangereux pour les consommateurs et pour les tiers. De notre point de vue, la politique de l’État doit donc viser à instaurer une éthique de la modération grâce à des mesures de contrôle adaptées à sa dangerosité.

Nous souhaitons que l’État apporte une réponse systémique, en encadrant ce produit, de la production à la consommation, en passant par sa distribution.

Ce changement de paradigme, présenterait du point de vue de nombreux acteurs de terrain, y compris au sein des forces de l’ordre, un certain nombre d’avantages. Il permettrait notamment de libérer un temps précieux pour les magistrats et les forces de police, qui pourraient ainsi se concentrer sur la lutte contre les trafics illégaux. En outre, la légalisation mettra fin au marché noir, estimant à un milliard d’euros et profitant largement au grand banditisme. Il dégagerait aussi un certain nombre de recettes publiques.

Prenons ce tournant si nous voulons répondre à l’enjeu de santé publique comme à l’enjeu social de la consommation du cannabis. Pour nous, c’est la solution la plus raisonnable.

M. Didier Paris, rapporteur. Assurément, voilà un débat qui trouve parfaitement sa place dans notre discussion de ce soir… Plus sérieusement, c’est sans doute un amendement d’appel, visant à ouvrir un débat qui n’a malheureusement pas lieu d’être dans le cadre de ce texte. La légalisation des plantes avec une teneur suffisante en tétrahydrocannabinol mérite un peu plus de discussion. Avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Il s’agit d’un cavalier législatif.

Mme Danièle Obono. Vous venez d’adopter l’instauration d’une amende forfaitaire pour usage de stupéfiants. L’opposition exprimée par un certain nombre de professionnels à l’égard de cette disposition porte notamment sur la consommation du cannabis parmi les stupéfiants concernés, et sur le fait que cette mesure ne répond en rien à la consommation de masse de ce produit. J’ai bien compris que, de toute façon, au motif de simplifier, vous avez pour objectif, en fait, de renforcer les sanctions. Mais cela ne règle absolument pas les problèmes.

Je m’inscris en faux contre l’idée qu’il s’agirait d’un cavalier législatif. Au contraire, notre proposition, qui est aussi portée et défendue par un certain nombre de professionnels et de magistrats, répondrait à un problème de société, mais aussi à l’engorgement des tribunaux.

En outre, la pénalisation de cette pratique s’attaque de manière disproportionnée à des publics plus vulnérables, tant socialement qu’économiquement. C’est donc en toute connaissance de cause que nous faisons cette proposition. Ce n’est pas un cavalier, ni une idée d’hurluberlu : c’est une vraie mesure d’ailleurs mise en place dans un certain nombre d’autres pays européens. Il est inconscient de la balayer d’un revers de main, alors qu’il s’agit d’un enjeu majeur. Vous passez à côté du problème.

M. Éric Poulliat. Il s’agit d’un cavalier, dans la mesure où l’amende forfaitaire délictuelle pour usage de stupéfiants aura d’abord pour effet de réorienter les forces de police vers la lutte contre le trafic, notamment en simplifiant la procédure pénale sur ce délit.

Par ailleurs, les arguments que vous développez dans votre exposé des motifs sont tout à fait discutables. Des études montrent en effet que votre proposition ne diminue pas le marché noir, ni la criminalité associée. Elles montrent aussi que les taxes qu’on pourrait prélever sur un usage régulé ne couvriront jamais le coût social du cannabis, notamment en termes de santé publique – nous avons l’exemple de l’alcool et du tabac. Certes, le débat peut être ouvert mais pas dans ce cadre et avec des arguments plus poussés que ceux-ci, qui sont contredits par des études sérieuses.

La Commission rejette l’amendement.

Sous-section 2
Dispositions relatives aux alternatives aux poursuites, à la composition pénale et à la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité

Article 38
(art. 41‑1, 41‑1‑1 [abrogé], 41‑2, 41‑3‑1 A [nouveau], 495‑8, 495‑10 et 495‑11‑1 [nouveau] du code de procédure pénale ; art. 64‑2 de la loi n° 91‑647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique ; art. 23‑3 de l’ordonnance n° 92‑1147 du 12 octobre 1992 relative à l’aide juridictionnelle en matière pénale en Nouvelle-Calédonie et dans les îles Wallis et Futuna)
Dispositions relatives aux alternatives aux poursuites, à la composition pénale et à la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité

La Commission examine l’amendement CL402 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier. Je défendrai en même temps l’amendement CL403, qui porte également sur la composition pénale, et CL404, relatif quant à lui aux violences au sein du couple. Nous entendons revenir sur la composition pénale pour les mineurs, qui est d’application très inégale sur le territoire : largement pratiquée en Seine-Saint-Denis, moins ailleurs. Elle présente en outre de nombreux enjeux préjudiciables à l’intérêt des mineurs délinquants, puisqu’elle les prive de mesures spécifiques adaptées à leur personnalité, couramment utilisées par les juges pour enfants, et donc d’une décision prise par une juridiction spécialisée pour mineur. Ce dispositif appliqué aux mineurs constitue en conséquence un dévoiement de l’ordonnance de 1945 et un dessaisissement des juges pour enfants constitutionnellement désignés à la protection de leurs intérêts, leur permettant de cumuler des fonctions d’instruction et de jugement.

L’accès au juge permet de prendre le jeune dans sa globalité et, souvent, de limiter la récidive. Au contraire, dans le cadre de la composition pénale, le procureur désigne un délégué du procureur, qui est souvent un ancien gendarme ou officier. Celui-ci reçoit le jeune et peut envisager un rappel à la loi ou un travail aménagé, mais certainement pas de mesures éducatives. Ce délégué du procureur, auquel je reconnais tous les mérites, ne me paraît pas la personnalité appropriée lorsque nous avons affaire à des mineurs. La mission que nous menons actuellement avec Jean Terlier m’incite à cette réflexion. Si l’on veut lutter contre la récidive, le mineur primodélinquant doit rencontrer le juge pour enfants. Vous allez dire qu’il est possible de le rencontrer, lorsque le mineur ou ses parents le demandent. Mais, dans la pratique, ce n’est jamais le cas et l’homologation de la proposition faite par le délégué du procureur devient une homologation de fait, car le juge des enfants n’a pas le temps de faire autre chose.

Voilà pourquoi il conviendrait d’exclure les mineurs du champ de la composition pénale.

M. Didier Paris, rapporteur. Les amendements sont de nature légèrement différente, puisqu’il s’agit de supprimer la composition pénale d’une part pour les mineurs, et, d’autre part, si j’ai bien compris, pour les violences conjugales, qui constituent une situation à part.

Contrairement à vous, je crois beaucoup dans la composition pénale, y compris pour les mineurs. Elle intervient en effet avant la mise en marche de l’action publique ; il s’agit donc déjà d’un traitement en amont de l’infraction et de la personnalité du mineur. Ensuite, elle fait l’objet, comme son nom l’indique, d’une discussion et d’un débat, c’est-à-dire d’une acceptation. Or, pour le mineur, la notion de consentement à la peine une fois qu’on s’est mis d’accord sur le fait qu’il avait commis l’infraction me semble un élément pédagogiquement déterminant.

Les mesures alors à la main du procureur sont très nombreuses – j’en compte 16 ou 17 dans le code de procédure pénale. Pour la plupart d’entre elles, elles sont parfaitement adaptées à la situation des mineurs, incluant notamment le travail non rémunéré, qui est le pendant du travail d’intérêt général (TIG) pour cette catégorie.

Eu égard à toutes ces bonnes raisons, pourquoi faudrait-il se priver de cette capacité de réponse pénale qui a fait ses preuves ? Je suis donc défavorable à vos amendements visant à réduire la portée de cette disposition.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je suis également défavorable, madame Untermaier, à votre proposition. Je ne vois pas pourquoi on supprimerait la composition pénale pour les mineurs.

D’abord, il faut rappeler qu’elle s’applique à ces derniers selon des modalités spécifiques, prévues en particulier par l’ordonnance de 1945. Elle doit être homologuée par le juge des enfants. Si celui-ci considère que cette composition n’a pas été correctement menée, il n’est pas tenu de l’homologuer ensuite.

En outre, comme l’a dit le rapporteur, cette composition pénale peut avoir un caractère pédagogique, puisqu’elle doit être acceptée par les mineurs. En tout état de cause, c’est une voie procédurale qui est utilisée par de nombreux parquets et qui permet de donner une réponse à des actes qui ne méritent pas d’être poursuivis devant le juge des enfants.

Cette disposition est donc utile à mes yeux. C’est d’ailleurs la seule mesure qui permette de proposer une amende ou un travail non rémunéré pour les mineurs les plus âgés. J’en souhaite donc le maintien.

M. Jean Terlier. En ma qualité de co-rapporteur de la mission d’information sur la justice des mineurs, je tiens à dire que je ne partage pas tout à fait l’analyse de notre collègue Untermaier.

Comme vous l’avez justement rappelé, madame la ministre, le juge des enfants intervient in fine et cette mesure présente, effectivement, un caractère pédagogique. Des auditions que nous avons conduites, il ressort aussi très clairement que la rapidité avec laquelle intervient la réponse pénale vis-à-vis du mineur est un élément déterminant pour considérer que la justice est bien rendue. Dès lors que l’on répond très rapidement à ces infractions, qu’elles soient petites ou importantes, le mineur prend en considération la situation et, dans deux cas sur trois, il n’en vient pas à réitérer. La composition pénale est, à mon avis, une des bonnes réponses à apporter.

Mme Cécile Untermaier. Je me doutais bien de ces réponses, mais cela ne m’empêche pas de persévérer.

Je persiste à penser que c’est un dévoiement de l’ordonnance de 1945, dont tout le monde salue l’esprit et le caractère actuel. Nous devons prendre en considération que la mission éducative est essentielle. Or on ne peut pas comparer une proposition de travaux aménagés à une mesure éducative. Une mesure éducative n’est pas un TIG : c’est tout à fait autre chose.

En matière de prévention, il est essentiel de travailler sur les primo-délinquants, pour faire en sorte que le premier acte, si minime soit-il, conduise le mineur à rencontrer le juge des enfants. Or, aujourd’hui, tel n’est pas le cas, comme nous l’ont fait savoir les contacts que nous avons pu avoir, sur le terrain ou dans le cadre de nos auditions. Compte tenu de l’ampleur de la tâche à laquelle est confronté le juge des enfants, vous imaginez bien que, lorsqu’il y a une homologation à proposer, il l’admet. Il n’y a donc pas d’audition par le juge des enfants d’un mineur qui a fait l’objet d’une composition pénale.

Je tenais à vous alerter sur ce point. Lutter contre la récidive, objet majeur de ce texte, consiste à faire en sorte que le primo-délinquant puisse rencontrer le juge des enfants. C’est pour cela que je souhaitais que l’on puisse exclure les mineurs du champ de la composition pénale, dont je reconnais tout à fait les mérites par ailleurs.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL523 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Danièle Obono. Cet amendement vise à réduire le recours à la composition pénale, qui compte tenu de son caractère avec notamment le rôle important du parquet, devrait rester exceptionnelle. L’extension proposée nous semble donc problématique à plusieurs égards. C’est pourquoi nous proposons de supprimer les alinéas 6 à 9 de l’article, pour éviter le recours systématique à ce type de procédure.

M. Didier Paris, rapporteur. Avis défavorable.

Au contraire, la composition pénale nous paraît de nature à répondre à l’ensemble des situations dès lors qu’elles n’encourent pas d’incarcération. C’est donc un outil parmi les nombreux autres à disposition des parquets.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CL590 de Mme Laurence Vichnievsky.

M. Philippe Latombe. Nous proposons quant à nous de supprimer l’alinéa 6 de l’article 38. Nous considérons que la composition pénale devrait être limitée à l’ensemble des délits punis d’une peine inférieure à cinq ans d’emprisonnement. Nous comprenons qu’il s’agit de désengorger les tribunaux correctionnels, mais ce mode de traitement de la délinquance, dont la gestion est confiée au parquet au détriment des juges du siège et qui est soustrait au regard des citoyens, ne saurait concerner les délits les plus graves.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l’amendement.

Puis elle rejette l’amendement CL404 de Mme Cécile Untermaier.

Elle en vient à l’amendement CL589 de Mme Laurence Vichnievsky.

M. Philippe Latombe. Nous proposons d’insérer, après l’alinéa 8, un alinéa ainsi rédigé : « b bis) À la deuxième phrase du vingt-troisième alinéa, après les mots : « de cette proposition  », sont insérés les mots : «, qui comporte l’évaluation chiffrée des dommages  ». »

M. Didier Paris, rapporteur. Il me paraît relativement délicat de transformer le procureur de la République en expert en assurance qui fixerait ou chiffrerait le dommage. J’émets un avis défavorable sur cet amendement, même si j’en comprends parfaitement l’idée, qui est bonne.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Même avis.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle est saisie de l’amendement CL591 de Mme Laurence Vichnievsky.

M. Philippe Latombe. En cas d’échec de la composition pénale, nous proposons que la victime recouvre le droit de mettre en mouvement l’action publique, qui constitue l’une des règles de base de la procédure pénale.

M. Didier Paris, rapporteur. Il me semble que l’exécution de la composition pénale éteint l’action publique en tant que telle.

Dans le cas où la composition pénale aurait été acceptée mais pas exécutée, ce qui peut parfaitement se produire, le procureur peut tout à fait relancer les poursuites. Reste à la victime la capacité de traduire l’auteur en citation directe. Il me semble donc que les dispositions pénales existent déjà. Avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Même avis.

La Commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l’amendement CL403 de Mme Cécile Untermaier.

Elle est saisie ensuite de l’amendement CL405 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier. Défendu.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CL524 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Danièle Obono. Avec cet amendement de repli, nous proposons de limiter la possibilité du recours à la composition pénale aux personnes physiques et non de l’ouvrir, comme l’envisage le Gouvernement, aux personnes morales. ce qui n’a fait l’objet d’aucune étude d’impact sérieuse et pourrait mécaniquement donner lieu à de nombreuses dérives.

Nous nous inquiétons de cette volonté du Gouvernement au moment où la délinquance de partout explose, et alors que l’on ne peut que constater le manque de moyens, notamment en termes de délinquance financière. Le Gouvernement semble assumer une volonté de dissimulation en aménageant par avance une échappatoire possible au mépris des intérêts de la société. Cette procédure favoriserait les parties les plus puissantes et entérine l’idée qu’une négociation avec un coupable est aussi légitime que la décision d’un représentant de la République qui fait appliquer une loi votée par les représentants du peuple. Enfin, la composition pénale pour les personnes morales peut amener concrètement des entreprises à reconnaître leur culpabilité pour éviter des poursuites dans le cadre d’affaires qui, si elles faisaient l’objet de poursuites, porteraient préjudice à leur notoriété.

Dans la continuité de notre opposition aux procédures mises en place, notamment dans la loi relative à la lutte contre la fraude, nous souhaitons restreindre ce dispositif.

M. Didier Paris, rapporteur. Je rappelle que la composition pénale est validée par un juge du siège. Par ailleurs, certes, une personne morale ne peut pas encourir une peine d’emprisonnement, mais le montant maximum de l’amende encourue est quintuplé par rapport à ce qu’encourt une personne physique, ce qui paraît suffisamment caractéristique pour éviter les dérives que vous soulignez.

Je ne pense pas que les intérêts de la société puissent être lésés par l’intervention de cette procédure. J’émets donc un avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Même avis. Ce que vous proposez est contraire à la logique du projet de loi que je porte.

Vous faites une présentation caricaturale de cet article en la centrant sur la volonté de ne pas réprimer assez sévèrement la grande délinquance financière, alors qu’il s’agit d’une réponse pénale supplémentaire pour des délits d’une gravité souvent modérée pour lesquels des personnes morales peuvent être responsables. Ce seront ainsi des délits en matière de pollution, d’installations classées, d’irrégularités en matière de droit de la consommation, par exemple sur des étiquetages. Dans ces cas, il me semble qu’une composition pénale, qui permet notamment une amende qui peut être égale au maximum de l’amende encourue, soit cinq fois celle encourue par les personnes physiques, est certainement préférable à une alternative aux poursuites qui est, quant à elle, déjà possible.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CL406 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier. Défendu.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CL154 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Danièle Obono. Cet amendement vise à garantir les droits de la défense dans la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), en permettant d’établir un temps de réflexion incompressible pour la personne et d’exiger l’assistance d’un avocat lorsque la proposition émane du procureur de la République.

M. Didier Paris, rapporteur. Il me semble que votre amendement est partiellement satisfait puisque les articles 495-7 à 495-16 du code de procédure pénale qui régissent la CRPC précisent que la présence d’un avocat est impérative à la mise en œuvre de ces modalités.

Par ailleurs, le délai de réponse de dix jours, qui est une durée habituelle en droit pénal – on a vu qu’elle pouvait être portée à quinze jours – semble tout à fait satisfaisant. C’est le temps imparti pour faire appel dans un certain nombre de dispositions. Avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’article 38 sans modification.

Section 2
Dispositions relatives au jugement

Sous-section 1
Dispositions relatives au jugement des délits

Avant l’article 39

La Commission est saisie de l’amendement CL43 de Mme Danièle Obono.

Mme Danièle Obono. Il s’agit d’un amendement d’appel qui vise à expérimenter une nouvelle garantie. Nous proposons qu’au-delà de cinq ans de procédures entre l’ouverture d’une information judiciaire et le jugement de la juridiction pénale, la responsabilité de l’État soit automatiquement engagée pour délai non raisonnable de jugement.

Cette proposition s’inspire de ce véritable naufrage judiciaire qu’a constitué l’affaire dite de Tarnac qui a duré plus de dix ans, pour des condamnations finalement minimes. Alors que le juge d’instruction, M. Fragnoli, a été co-saisi en novembre 2008, ce n’est qu’en août 2015, la cinquième juge d’instruction ayant repris ce dossier, qu’a été prise une ordonnance de renvoi en tribunal correctionnel, qui a finalement rendu son jugement en 2018. Ces dix années de procédure ne peuvent être considérées comme un délai raisonnable, et les justiciables ne doivent pas pâtir du manque de moyens humains et financiers de la justice. Tel est le sens de cet amendement.

M. Didier Paris, rapporteur. Il est toujours délicat d’édicter des règles de portée générale et absolue, même si celle que vous pointez correspond à une véritable nécessité : limiter au maximum la durée non pas des incarcérations mais des procédures dans leur ensemble. Néanmoins, c’est une manière trop rigide d’aborder les choses. Il faut laisser une certaine souplesse et justesse dans ce mode fonctionnement. Je m’interroge d’ailleurs sur les conséquences qu’on devrait tirer du dépassement de ce délai. Cela supposerait-il une nullité absolue de l’ensemble de la procédure ? Ce serait disproportionné.

Tout en comprenant la logique que vous sous-tendez, j’émets donc un avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Article 39
(art. 80, 388‑5, 393, 393‑1, 394, 397‑1‑1 [nouveau], 397‑2, 397‑7 et 495‑10 du code de procédure pénale)
Dispositions relatives au tribunal correctionnel

La Commission est saisie de l’amendement CL997 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Il s’agit de revenir au texte initial du Gouvernement en rétablissant la procédure dite de comparution différée. Là encore, c’est une mesure de simplification qui nous semble importante et qui est attendue par de nombreux professionnels.

Comme l’indique le rapport qui m’a été remis par MM. Beaume et Natali à la suite des Chantiers de la justice, très souvent certaines enquêtes, dans lesquelles les gardes à vue se terminent par un déferrement, sont ouvertes à l’instruction pour la simple raison qu’une mesure de sûreté est opportune alors qu’il ne manque qu’un acte, souvent de pur complément, à une enquête globalement achevée, comme la réponse à une réquisition, le résultat écrit d’une expertise ou un acte médical non terminé. Dans ce cas, il nous semble que l’ouverture d’une information ne sert pas à grand-chose. Elle occupe du temps d’instruction sans bénéficier en réalité d’une quelconque plus-value de fond autre que d’attendre le versement de la pièce attendue. Elle aura également pour conséquence de prolonger la durée de la détention provisoire.

C’est la raison pour laquelle il nous a été proposé de créer une procédure de comparution différée qui permet, dans l’hypothèse où il manquerait un acte dont on attend les résultats, de prévoir une situation dans laquelle on puisse saisir directement le tribunal. On évite donc les inconvénients de l’ouverture d’une information pour des choses souvent purement techniques.

L’amendement que je vous propose améliore cependant sur deux points la procédure de comparution différée qui figurait dans notre projet initial. Premièrement, il prévoit l’assistance obligatoire du prévenu par un avocat qui pourra ainsi faire les observations qu’il estime nécessaires devant le procureur, en indiquant le cas échéant les raisons pour lesquelles il pense que l’ouverture d’une information est préférable. Le recours à la procédure de comparution différée sera ainsi décidé de manière totalement contradictoire.

Deuxièmement, la victime devra être avisée du recours à cette procédure pour pouvoir, si elle le souhaite, se constituer partie civile et déposer, comme le prévenu lui-même, des demandes d’actes auprès du président du tribunal correctionnel sans attendre l’audience de jugement.

M. Didier Paris, rapporteur. C’est une procédure extrêmement novatrice qui répond parfaitement au besoin judiciaire de ne pas saisir inutilement un juge d’instruction pour des raisons purement techniques. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle étudie l’amendement CL525 de Mme Danièle Obono.

Mme Danièle Obono. Cet amendement vise à garantir les droits de la défense en prévoyant le séquençage pour les affaires jointes et éviter que le procureur ne traite toutes les affaires de concert à l’audience sans que les victimes et les parties mises en cause ne l’acceptent.

Nous considérons que si la jonction des affaires peut en elle-même être souhaitable dans un intérêt de bonne justice, le dispositif tel qu’il est prévu est contestable en ce qu’il annihile le rôle des parties, les prévenus mais aussi les victimes.

Comme l’ont souligné de nombreux professionnels de justice et les magistrats, le recours à la jonction des affaires dans le cadre potentiel d’une comparution immédiate est une atteinte grave au procès équitable et aux droits de la défense.

En l’état du droit positif applicable, une comparution sur des procédures distinctes en cours est déjà possible avec l’accord du prévenu dans un équilibre acceptable entre efficacité et droits de la défense. Une fois de plus, c’est contre le manque de moyens des parquets qu’il faut lutter, car les procédures existent déjà.

M. Didier Paris, rapporteur. Je ne partage pas l’avis de Mme Obono. La jonction des dossiers qui concernent les mêmes personnes dans une même instance est une mesure de pure organisation de la justice. Elle n’a aucun impact sur les droits de la défense. Je ne vois pas pour quelle raison nous pourrions nous y opposer. Avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle est saisie, en présentation commune, des amendements CL407 et CL413 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier. Nous sommes tout à fait d’accord avec la procédure de comparution différée, telle qu’elle a été amendée en quelque sorte par le Gouvernement à la suite des débats au Sénat.

Le regroupement de plusieurs poursuites en cours est une proposition largement approuvée par l’institution judiciaire. Elle est d’ailleurs souvent pratiquée sous la forme de comparution volontaire du prévenu. Toutefois, en l’état actuel du projet de loi, il conviendrait de prévoir que le regroupement de plusieurs poursuites ne peut être prononcé qu’après l’information de l’avocat et l’accord du prévenu.

Il nous paraissait intéressant de débattre de cette disposition qui nous a été suggérée par le barreau.

M. Didier Paris, rapporteur. Défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Même avis.

Ces dispositions ne me semblent pas utiles dans la mesure où le délai de dix jours accordé au prévenu pour préparer sa défense et la possibilité pour les parties de demander, le cas échéant, un renvoi de l’affaire constituent des garanties suffisantes. Je ne vois pas l’utilité de rigidifier davantage encore le dispositif.

Mme Cécile Untermaier. Je retire les amendements CL407 et CL413.

Les amendements sont retirés.

La Commission examine l’amendement CL153 de Mme Danièle Obono.

Mme Danièle Obono. Cet amendement vise à supprimer la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité.

Ce mode de jugement des délits constitue un maillon supplémentaire dans le dispositif tendant à octroyer davantage de prérogatives au représentant du parquet au détriment du juge du siège et constitue par essence une atteinte à la séparation des fonctions de poursuite et de jugement. Cette procédure d’alternative aux poursuites répond à l’objectif de faire face à l’engorgement des juridictions correctionnelles, sans ménager les justiciables, tant prévenus que victime.

Mais cela a eu pour conséquence d’avoir fait émerger un pouvoir quasi-juridictionnel au profit du parquet et dans un cadre de privatisation du procès pénal. La CRPC a pour objectif de gagner du temps dans le traitement des délits, en reléguant notamment au second plan la recherche de la vérité pour privilégier une logique de négociation.

Nous considérons que cette procédure, qui tend à se généraliser et à se banaliser, est profondément inégalitaire et injuste dans son application, car elle occulte une partie des droits de la défense en ce que le justiciable renonce au droit de la preuve et au droit au silence en admettant sa culpabilité. Le paroxysme de cette vision est atteint avec la pratique des CRPC de défèrement dans le cadre desquelles, comme le décrit le Syndicat de la magistrature, les justiciables ne sont pas en mesure de donner un consentement éclairé et qui débouche souvent sur des peines d’emprisonnement ferme.

Notons également qu’à ce jour aucun bilan qualitatif effectué par les services du ministère de la justice n’est disponible. La doctrine universitaire n’a porté que sur les premières années d’application de la procédure. Dès lors, il n’existe aucun état des lieux exhaustif et récent sur la mise en œuvre concrète de la CRPC, alors qu’il apparaît que des pratiques très divergentes coexistent sur le terrain, y compris dans les juridictions de taille similaire.

M. Didier Paris, rapporteur. Défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Défavorable également.

La procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité me semble très intéressante parce qu’elle permet de valoriser la reconnaissance des faits, et de simplifier dans ce cas le formalisme procédural du prononcé de la peine. Elle est assortie en outre de nombreuses garanties puisque la présence d’un avocat est obligatoire lors de l’audience d’homologation, et que le juge peut toujours refuser d’homologuer. Enfin, cette procédure est extrêmement utilisée puisqu’il y a eu 75 052 CRPC en 2016. C’est donc un outil dont il ne faut pas se priver.

La Commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CL998 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Cet amendement vise à supprimer des dispositions adoptées par le Sénat qui faisait passer de trois jours ouvrables à cinq jours ouvrables la durée de la détention provisoire possible du prévenu déféré selon la procédure de comparution immédiate lorsque la réunion du tribunal est impossible le jour même. Il nous semble que rien ne justifie l’allongement de ce délai qui, en réalité, vise seulement au sein d’un même tribunal à placer le prévenu en détention dans l’attente de la prochaine audience de comparution immédiate, notamment lorsque la présentation intervient la veille d’un week-end ou lorsque la petite taille du tribunal ne permet pas l’organisation d’une audience pénale quotidienne. Le délai de trois jours me paraît suffisant, d’autant qu’il est bien intégré par les juridictions.

L’allongement du délai n’est justifié que lorsqu’un tribunal dans lequel il n’y a pas de pôle de l’instruction se déclare incompétent au profit d’un tribunal dans lequel se trouve un tel pôle ou inversement, puisque dans ce cas-là il y a un transfert de procédure entre les deux juridictions. L’augmentation des délais qui a donc été prévue par le Sénat dans ces deux hypothèses peut être conservée.

M. Didier Paris, rapporteur. Favorable.

La Commission adopte l’amendement.

Elle étudie ensuite l’amendement CL152 de Mme Danièle Obono.

Mme Danièle Obono. Cet amendement vise à supprimer la procédure de comparution immédiate.

Nous avons fait le constat, avec d’autres, que cette procédure ne respecte pas les droits fondamentaux, en particulier ceux de la défense. Elle représente une justice dégradée et dégradante qui ne fonctionne plus que dans une logique gestionnaire d’abattage.

L’urgence imposée par cette procédure constitue un déni de justice, car elle réduit les droits de la défense, ne permet pas aux victimes de faire valoir leurs droits et aboutit à une piètre qualité du débat judiciaire. En outre, elle est génératrice d’emprisonnement, soit en détention provisoire, soit en peine d’emprisonnement proprement dite.

Nous considérons que la comparution immédiate est le symptôme d’une judiciarisation du quotidien, bras armé de la politique pénale selon la formule de Daniel Welzer-Lang et Patrick Castex. Cette procédure, qui donne à voir les effets destructeurs de la précarité et de la petite délinquance, est un échec, tout particulièrement en matière de gestion de la récidive. Rappelons le témoignage de Virginie Gautron qui montre que la probabilité de faire l’objet d’une comparution immédiate est deux fois plus importante pour les chômeurs, trois fois plus importante pour les personnes nées à l’étranger et les personnes sans domicile fixe.

La comparution immédiate s’est banalisée, au détriment des droits fondamentaux et surtout de la justice.

M. Didier Paris, rapporteur. Une nouvelle fois, défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Même avis.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle est saisie de l’amendement CL155 de Mme Danièle Obono.

Mme Danièle Obono. Cet amendement vise à augmenter le délai de prévenance à trente jours, contre dix actuellement, afin de renforcer les droits de la défense, ainsi que le droit à un procès équitable. L’allongement du délai est une garantie minimale qui doit être donnée aux justiciables afin de permettre aux avocats de préparer leur défense.

M. Didier Paris, rapporteur. Le délai de dix jours est relativement commun en procédure. Il convient donc de le maintenir. À force d’allonger les délais de procédure, nous aurons du mal à tenir les cinq ans que vous souhaitez, madame la députée. Avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Même avis.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’article 39 modifié.

Après l’article 39

La Commission est saisie de l’amendement CL183 de M. Raphaël Schellenberger.

M. Raphaël Schellenberger. Cet amendement vise à introduire un jury citoyen dans les tribunaux correctionnels, sur la base de ce qu’avait expérimenté le Gouvernement de François Fillon sous la Présidence de Nicolas Sarkozy. Il nous semble essentiel en effet que le citoyen soit associé le plus possible à la construction de la décision de justice. J’ai bien conscience que la mise en œuvre d’une telle mesure n’est pas simple mais elle constituerait un élément fondamental de la médiation entre les citoyens et le système judiciaire : une décision de justice sera d’autant mieux comprise par les citoyens qu’elle sera prise par des pairs, que les gens participant à la décision se diffuseront davantage dans la société et expliqueront comment fonctionne la construction d’une décision.

M. Didier Paris, rapporteur. Je trouve bien de faire référence à une expérimentation menée sous la Présidence de Nicolas Sarkozy mais elle s’est soldée par un échec. En outre, je ne suis pas sûr que ce soit cohérent avec la philosophie générale du texte que nous présentons, sans faire référence directement au tribunal criminel départemental. Avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Même avis. Je ne méconnais pas l’intérêt de la proposition mais l’expérimentation de 2011 dans plusieurs cours d’appel a justement démontré ce que vous dites, à savoir la très grande complexité d’une mise en place, ainsi que l’absence d’intérêt pratique d’une telle réforme, qui engendrait des contraintes très lourdes pour les tribunaux. C’est pourquoi le rapport remis en 2013 n’a pas préconisé la pérennisation de cette expérimentation.

La Commission rejette l’amendement.

Article 40
(art. 398‑1, 495, 495‑1 et 495‑3 du code de procédure pénale ; art. L. 163‑3 du code monétaire et financier)
Extension du champ d’application de la procédure de jugement à juge unique et de l’ordonnance pénale

La Commission examine l’amendement CL528 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Danièle Obono. Par cet amendement de suppression de l’article, nous proposons une nouvelle fois de préserver les droits de la défense et la qualité des jugements, qui doivent par principe être rendus en formation collégiale.

Dans cet article, en effet, le Gouvernement entérine pour des raisons budgétaires le principe d’une justice de juge unique en étendant son recours à de nombreux nouveaux délits. Nous sommes contre cette conception de la justice. Nous considérons que la collégialité doit être érigée en principe fondateur car elle présente des garanties essentielles de bonne justice, tant pour les magistrats que pour les justiciables : elle assure la diversité d’opinion et offre aux magistrats une protection qui garantit la sérénité des délibérés et l’indépendance de la décision. En outre, la collégialité assure au justiciable une décision mesurée, peu susceptible d’avoir été influencée par la partialité d’un juge, et dotée d’une plus grande autorité.

Nous contestons en outre les raisons « objectives » exposées par le Gouvernement dans l’étude d’impact, selon laquelle, en raison des entrées et des sorties d’infractions du champ concerné par la formation à juge unique, il y aurait potentiellement à l’avenir 158 100 condamnations annuelles, soit un gain potentiel de 8 ETPT de magistrats et de 2,5 ETPT de fonctionnaires. Au moment où notre pays est décrié au niveau européen pour son manque de magistrats, cet argument n’est pas raisonnable et démontre le peu de considération qu’a le Gouvernement pour l’idée de justice avec cette vision budgétaire.

M. Didier Paris, rapporteur. L’extension du champ de compétences du juge unique existe déjà dans notre droit et correspond parfaitement à la philosophie du texte. Avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Même avis.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements CL895 du rapporteur et CL779 de M. Stéphane Mazars.

M. Didier Paris, rapporteur. Pour être cohérent et m’étant opposé à la suppression de l’article 40, je vous propose le rétablissement de la liste des délits jugés à juge unique, avec néanmoins une spécificité : je souhaite y inclure l’outrage sexiste et la sollicitation de prostituée. Il y a une petite différence avec l’amendement du groupe La République en Marche, qui me conduit à demander à M. Mazars de bien vouloir se rallier à mon amendement.

M. Stéphane Mazars. Je me rallie volontiers à votre panache, Monsieur le rapporteur. (Sourires.)

L’amendement CL779 est retiré.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je suis favorable à cette liste positive ainsi rétablie par M. le rapporteur.

La Commission adopte l’amendement CL895.

Elle examine ensuite l’amendement CL408 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier. Je suis très favorable à l’amendement que nous venons de voter car nous revenons sur une disposition du Sénat qui allongeait considérablement la compétence du juge unique. Je retire mon amendement mais je tiens à dire que la collégialité, pour les affaires plus lourdes, reste essentielle. Il ne faut pas oublier qu’elle protège aussi le juge et participe de la confiance du citoyen dans sa justice, ce qui n’est pas rien. Elle doit constituer un fondement de la justice.

L’amendement est retiré.

La Commission est saisie de l’amendement CL896 du rapporteur.

M. Didier Paris, rapporteur. Cet amendement vise à ajouter une nouvelle infraction dans la liste mais, comme il s’agit d’une infraction non pas au code pénal mais au code monétaire et financier, elle fait l’objet d’un amendement séparé qui vise la récrimination de la contrefaçon ou de la falsification de chèques, délit relativement courant puisqu’il fait l’objet de 3 000 à 4 000 condamnations par an. Il me semble intéressant de le rajouter dans la liste du champ d’intervention du juge unique.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Avis favorable.

La Commission adopte cet amendement.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel CL897 du rapporteur.

Ensuite de quoi, elle examine l’amendement CL899 du rapporteur.

M. Didier Paris, rapporteur. Cet amendement vise, en cohérence avec la modification que nous venons d’opérer à l’article 40, à faire coller la liste du champ du juge unique et celle de l’ordonnance pénale.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Avis favorable.

La Commission adopte cet amendement.

La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL898 de la rapporteure et CL760 de M. Stéphane Mazars.

Mme Lætitia Avia. Cet amendement reprend l’une des mesures d’un rapport que j’ai remis le 20 septembre au Premier ministre aux côtés de Gilles Taieb et Karim Amellal. Il formule vingt recommandations concrètes pour mieux lutter contre les propos racistes, antisémites, « LGBT-phobes » et tous discours de haine sur internet. Nous préconisons plus de régulation, une plus grande responsabilisation des plateformes mais aussi une plus grande effectivité des sanctions à l’encontre des auteurs de propos haineux.

Une première recommandation, la recommandation n° 12, a été votée en ce début d’après-midi : c’est la possibilité de déposer plainte en ligne, et je remercie la commission des Lois. Je vous propose à présent d’en voter une seconde, proposant un mécanisme d’ordonnance pénale pour sanctionner plus efficacement et plus rapidement les auteurs de propos haineux sur internet, qui permettra notamment au juge de prononcer des amendes lorsque ce délit est manifeste.

Je remercie mes collègues du groupe La République en Marche, qui, avec l’amendement CL760, ont souhaité s’associer à cette lutte contre les discours de haine en ligne. Nos amendements sont très proches, à une différence près : l’amendement CL760 ne vise pas expressément ces délits lorsqu’ils sont commis au moyen d’un service de communication en ligne, précision que j’ai apportée dans cet amendement CL898. C’est pourquoi je suggère au rapporteur de donner un avis favorable à mon amendement et d’encourager le groupe La République en Marche à retirer le sien.

M. Stéphane Mazars. Nous sommes fiers de nous rallier au panache de Mme Avia et de ses corapporteurs M. Amellal et M. Taieb.

L’amendement CL760 est retiré.

M. Didier Paris, rapporteur. Je voudrais à mon tour féliciter Mme Laetitia Avia et les collègues qui ont travaillé avec elle pour la qualité de leurs travaux, qui trouvent leur traduction dans un texte qui montre le continuum dans lequel nous nous plaçons. En outre, qu’il soit soutenu par l’ensemble des membres du groupe est encore une remarquable démonstration de notre cohésion sur ce point. Il ne fait aucun doute que nous devons lutter contre les espaces de non-droit que certains croient trouver sur internet. Vous répondez à cette question. Il s’agit malheureusement d’un contentieux de masse, en tout cas d’un contentieux très fréquent. J’ajoute que la rédaction que vous nous proposez protège la presse puisque la disposition ne lui est pas applicable, ce qui est un point très important dans la démarche. Avis favorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. C’est un soutien très fort de la part du Gouvernement. Mme Avia a rappelé la mission qui lui avait été confiée par le Premier ministre autour de la rédaction de ce rapport. Il convient à présent de traduire les mesures très réfléchies et beaucoup discutées qu’il contient dans les textes. Celle que nous allons reprendre ici me paraît tout particulièrement opportune pour améliorer la répression des diffamations et injures discriminatoires, notamment lorsqu’elles sont commises sur les réseaux sociaux. Nous avons bien vu à quel point la question de la diffusion sur les réseaux sociaux était essentielle à l’occasion d’une visite dans une association de lutte contre les discriminations LGBT.

En pratique, ces faits pourront donner lieu à des plaintes en ligne de la part des victimes. À la suite de ces plaintes, des enquêtes seront menées pour identifier les auteurs des messages grâce à leurs adresses IP puis pour les entendre, et ces auteurs pourront être poursuivis selon la procédure simplifiée de l’ordonnance pénale qui permettra de les condamner non seulement à une amende mais également, le cas échéant, à un stage de citoyenneté. C’est une des réponses possibles qui me semble particulièrement intéressante. Elle ne suffit évidemment pas à elle seule, mais des démarches sont actuellement faites au niveau européen.

La Commission adopte l’amendement CL898.

Puis elle examine l’amendement CL900 du rapporteur.

M. Didier Paris, rapporteur. Il ne fait aucun doute que la procédure d’ordonnance pénale est une procédure rapide. Néanmoins, je pense que dans certains cas, et en particulier lorsque la décision prise concerne un travail d’intérêt général ou des jours-amende, elle mérite d’être explicitée à l’auteur de l’infraction, pour des raisons pédagogiques évidentes et de compréhension de la mesure. Tel est le sens de cet amendement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Avis favorable.

La Commission adopte cet amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL901 du rapporteur.

M. Didier Paris, rapporteur. C’est un amendement de cohérence. Je vous ai proposé tout à l’heure, et vous avez bien voulu l’accepter, d’inscrire les falsifications de chèque au titre de cette procédure, mais celle-ci ne vise que des délits qui peuvent être punis d’un maximum de cinq ans. La falsification de chèque est actuellement punie de sept ans. Je pense que c’est de bonne justice de la réduire à cinq ans pour permettre de la placer dans la liste des délits visés.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Avis favorable.

La Commission adopte cet amendement.

Puis elle adopte l’article 40 modifié.

8.   Première réunion du vendredi 9 novembre 2018 à 9 heures 30 (article 41 à article 44)

Lien vidéo :

http://www.assemblee-nationale.tv/video.6920504_5be541a31584d.commission-des-lois--projets-de-loi-de-programmation-2018-2022-et-de-reforme-pour-la-justice-suite-9-novembre-2018

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous avons le plaisir de nous retrouver pour une quatrième journée d’examen du projet de loi de programmation et de réforme pour la justice. Nous reprenons nos travaux à l’article 41.

Article 41
(art. 502, 509, 510 et 512 du code de procédure pénale)
Effet dévolutif de l’appel en matière correctionnelle et formation à juge unique de la chambre des appels correctionnels

La Commission examine l’amendement CL902 du rapporteur.

M. Didier Paris, rapporteur. L’appel à l’encontre d’une décision peut porter sur l’action civile ou l’action pénale. Dans ce dernier cas, elle peut s’attacher à la culpabilité ou au quantum de la peine, avec une distinction possible suivant les infractions – on peut être poursuivi pour plusieurs infractions en même temps. Il me paraît utile de compléter la rédaction du projet de loi en ajoutant que l’imprécision de la déclaration d’appel n’entraîne pas de nullité.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. J’émets un avis favorable.

La Commission adopte l’amendement.

Par conséquent, l’amendement CL737 de M. Stéphane Mazars tombe.

M. Stéphane Mazars. J’aimerais expliquer à la Commission le sens de l’amendement qui vient de tomber. Selon les dispositions du projet de loi, il appartiendra désormais à la personne condamnée en première instance et souhaitant faire appel de choisir entre deux possibilités : faire appel sur le tout, c’est-à-dire l’ensemble des dispositions du jugement, civiles et pénales, et, en ce qui concerne ces dernières, sur le principe de culpabilité et la sanction prononcée, ou bien opter, dans la déclaration d’appel, pour un cantonnement aux seules dispositions pénales, notamment celles qui concernent le quantum de la peine.

Cela pourrait, me semble-t-il, poser problème au regard des droits de la défense dans l’hypothèse suivante, qui n’est pas un cas d’école : une personne condamnée en première instance limite son appel au quantum de la peine mais, entre le moment où l’appel est formé et celui où l’audience a lieu, elle change d’avocat et son nouveau défenseur s’aperçoit que la relaxe mériterait d’être plaidée. Autre cas de figure, celui d’un changement de jurisprudence, par exemple si une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) a prospéré entre-temps : s’il n’y a pas de possibilité de rétractation par rapport au cantonnement de l’appel, la défense pourrait être privée d’un élément permettant de remettre en cause le principe même de la culpabilité. À cela s’ajoute le cas, difficile, d’une personne condamnée qui aurait cantonné son appel sans avoir été assistée par un avocat et qui aurait mal jugé la pertinence de ce qu’elle faisait.

Je reconnais la vertu du texte initial, qui permettra peut-être de mieux aiguiller, au niveau de la cour d’appel, des dossiers qui pourraient être audiencés d’une manière plus rapide par le fait que l’on ne discuterait plus du principe de la culpabilité, mais seulement des sanctions. Cela étant, au nom des droits de la défense, il me semble que l’on ne doit pas empêcher de plaider la relaxe devant une juridiction du second degré.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Comme vous l’avez-vous-même indiqué, l’amendement du rapporteur que nous avons adopté précédemment a supprimé l’alinéa 3 de l’article 41, que votre amendement complétait. Dès lors, il est tombé. Je laisse néanmoins Mme la garde des Sceaux vous répondre. Vous reviendrez sur cette question en séance publique.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Sur le fond, je comprends votre intention, éminemment respectable, mais la règle traditionnelle, qui figure à l’article 509 du code de procédure pénale, veut que la compétence d’une juridiction d’appel soit limitée à la saisine qui figure dans le recours. Qui plus est, votre amendement ferait perdre tout intérêt à la réforme, qui consiste à limiter l’appel à ce que le prévenu a déclaré sans possibilité de revenir sur son choix.

Vous avez évoqué un certain nombre de cas, comme une décision rendue sur une QPC ou une évolution de la stratégie de défense. Je suis partagée entre ce que vous dites, car j’en vois l’intérêt, et la cohérence de ce projet de réforme que votre proposition mettrait à bas. Je ne suis pas du tout fermée à ce que nous réfléchissions à ce sujet d’ici à la séance. Je me demande par exemple – mais je réfléchis à voix haute – si l’on ne pourrait pas se limiter à un fait nouveau ou à une circonstance nouvelle de fait ou de droit susceptible de remettre en cause le choix initial du prévenu.

Mme Naïma Moutchou. Je suis d’accord avec le principe de simplification mais il risque de poser de réelles difficultés pratiques. En matière pénale, par exemple, le délai d’appel est de dix jours ; or, dans 80 % des cas, si ce n’est davantage, les parties n’ont pas connaissance à temps de la décision rendue, autrement dit des motivations du jugement, de sorte qu’il est difficile de savoir si l’on peut faire appel sur le fond ou non. Les magistrats n’ont pas le temps de rédiger les arrêts dans des délais brefs ; cela pourrait mettre en difficulté l’appelant au moment de faire son choix. Du coup, on sera tenté de faire appel sur le tout systématiquement, à titre conservatoire, au risque de vider la réforme de sa substance. Nous devrions réfléchir, d’ici à la séance publique, à une modulation de la disposition figurant dans le projet de loi, comme le propose M. Stéphane Mazars.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Dans le cas que vous venez d’évoquer, la personne ne limite pas son appel.

Mme Naïma Moutchou. Mais cela risque de devenir récurrent.

M. Stéphane Mazars. La difficulté que l’on rencontre concerne souvent des personnes n’ayant pas d’avocat, qui n’ont pas bénéficié de conseils éclairés leur permettant de cantonner leur appel en toute connaissance de cause.

Nous avons discuté de la piste de l’élément nouveau avec les services de la chancellerie, mais elle paraît très compliquée. Cela ne permettrait pas de traiter le cas du changement de stratégie du conseil – on peut souhaiter plaider une relaxe au dernier moment alors qu’on s’était initialement contenté de ne plaider que le quantum de la peine.

Un autre élément qui renforce l’intérêt de la question est la réflexion conduite au sein de la Cour de cassation en vue de limiter, à terme, les portes d’entrée du pourvoi – vous avez d’ailleurs évoqué cette question précédemment, peut-être lors de la discussion générale.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Vous faites allusion au filtrage des pourvois en cassation. Le président de la Cour de Cassation, M. Louvel, avait souhaité que l’on reprenne un certain nombre d’éléments issus d’une réflexion qu’il a conduite, mais la question ne me semble pas du tout mûre. Je réinstalle donc un groupe de travail sous la présidence de l’ancien ministre Henri Nallet, qui va travailler sur la cohérence entre l’appel et la cassation. Rien ne figurera dans ce texte.

Mme Cécile Untermaier. Heureusement !

M. Stéphane Mazars. Si par impossible, comme on dit dans ma profession, il y avait une limitation des pourvois en cassation, il serait encore plus difficile de se priver d’un moyen de droit au niveau de l’appel. Je me rapprocherai de la chancellerie pour retravailler sur cette question d’ici à la séance.

La Commission examine l’amendement CL903 du rapporteur.

M. Didier Paris, rapporteur. Cet amendement tend à rétablir la rédaction initiale du texte à une exception près. Il était prévu que, pour toutes les décisions prises en première instance par un juge unique, l’appel pouvait aussi avoir lieu devant un juge unique. Le Sénat est revenu sur cette disposition que nous souhaitons rétablir. Le dispositif que proposait le Gouvernement nous paraît suffisamment encadré : le recours au juge unique ne sera pas possible lorsque la personne est en détention provisoire, et il est prévu une sorte de cliquet de sécurité dans la mesure où la cour d’appel statuant à juge unique ne pourra pas prononcer des peines supérieures à cinq années d’emprisonnement. Je vous propose, par ailleurs, que la personne puisse expressément demander, dans l’acte d’appel, à comparaître devant la formation collégiale – nous lui donnons ce droit individuel.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Avis favorable !

Mme Cécile Untermaier. Je comprends bien cet amendement mais j’aimerais que vous nous précisiez, pour informer ceux qui suivent nos débats, ce qui reste collégial dans un tribunal de grande instance.

M. Didier Paris, rapporteur. L’article 398, que nous avons précisé et complété hier, notamment en ce qui concerne la question de l’ordonnance pénale, est assez complet sur ce point. Toute une série de délits peuvent être jugés en première instance par un juge unique. C’est possible en appel dans les mêmes hypothèses, étant précisé que la cour d’appel ne pourra dans ce cas prononcer de peine supérieure à cinq ans d’emprisonnement et qu’une personne détenue ne pourra comparaître que devant une formation collégiale de jugement. Cela représente un volume assez large d’infractions délictuelles.

M. Ugo Bernalicis. On voit bien qu’une formation collégiale offre plus de garanties qu’un juge unique : non que celui-ci soit personnellement mauvais, mais l’on réfléchit mieux collectivement. La question de Mme Cécile Untermaier est légitime : dans nombre de cas, on fait en sorte que le juge unique devienne la norme alors que la collégialité est le principe du droit, car elle est plus protectrice et offre davantage de garanties. Il me semble qu’elle est en train de devenir l’exception dans notre système judiciaire, ce qui est regrettable. Je vois néanmoins qu’il y a quelques sursauts du côté de la majorité, qui souhaite remettre un peu de collégialité à certains endroits, même si ce sont des interstices, lorsque les parties le demandent.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Resteront traités de façon collégiale, au niveau du tribunal correctionnel, tous les délits punis de plus de cinq ans de prison, tous les dossiers concernant des personnes détenues et toutes les affaires complexes dans lesquelles le juge unique a souhaité un renvoi devant une formation collégiale. Concrètement, cela concerne notamment les cambriolages en réunion, les homicides involontaires, les agressions sexuelles, les escroqueries : il y a quand même beaucoup de cas où la collégialité sera de mise.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article 41 modifié.

Après l’article 41

La Commission examine l’amendement CL48 de Mme Danièle Obono.

M. Ugo Bernalicis. Nous proposons qu’à titre expérimental, des jurés populaires puissent siéger ailleurs qu’aux assises, c’est-à-dire aussi en correctionnelle et dans les tribunaux de commerce. Nous pensons qu’il faut étendre ce dispositif qui permet d’incarner la formule selon laquelle la justice est rendue au nom du peuple français. Et surtout, on se grandirait collectivement et on élèverait le niveau de conscience de ce que signifie « rendre la justice » en associant un maximum de nos concitoyens. Si tout le monde passait un jour ou l’autre dans un tribunal, cela éviterait certains accès de démagogie dans l’opinion publique sitôt qu’un fait divers survient, qui pousse à vouloir mettre tout le monde en prison… Cet amendement servirait l’intérêt général.

M. Didier Paris, rapporteur. Je ne savais pas que la justice américaine avait un tel attrait pour vous. (Sourires.) L’idée d’un jury citoyen, sans magistrat professionnel, si j’ai bien compris votre amendement, est tout de même très éloignée du droit français. Comme nous avons déjà largement parlé de ce sujet hier, je me bornerai à émettre un avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Même avis. Au fond, M. Bernalicis propose de reprendre la réforme que le président Nicolas Sarkozy avait souhaité instaurer en 2011 et que nous avons évoquée hier… Un rapport a montré en 2013 qu’il n’était pas pertinent de prolonger l’expérimentation engagée.

M. Ugo Bernalicis. Je ne suis pas opposé par principe aux États-Unis ou à ce qu’ils peuvent faire. Nous défendons l’impôt universel, qui permet d’attraper partout dans le monde ceux qui veulent échapper à l’impôt – vous savez que c’est un principe qui a été érigé dans ce pays. J’ai un certain nombre de griefs contre les États-Unis, mais je sais faire la distinction entre ce qui va dans mon sens et que je souhaite défendre, et le reste. Par ailleurs, l’idée est de faire une expérimentation. Quant à la question des assesseurs citoyens, ce n’est pas la même chose. Nous souhaitons que les citoyens puissent prendre part à la justice de manière active.

La Commission rejette l’amendement.

 

Sous-section 2
Dispositions relatives au jugement des crimes

Article 42
(art. 281, 316‑1 [nouveau], 331, 332, 365‑1, 371‑1 [nouveau], 380‑2‑1 A [nouveau], 689‑11 et 698‑6 du code de procédure pénale)
Mesures de simplification du procès d’assises et expérimentation du tribunal criminel départemental

La Commission examine l’amendement CL774 de M. Stéphane Mazars.

M. Stéphane Mazars. Cet amendement a trait aux pôles de l’instruction. Le projet de loi tend à créer, à titre expérimental, un tribunal criminel départemental qui pourra juger les crimes punis de quinze ou vingt ans de réclusion. En ce qui concerne les crimes, l’instruction se déroule désormais dans le cadre de pôles dont tous les départements ne sont pas dotés, ce qui pose des problèmes d’accès à la justice, notamment pour des victimes qui se retrouvent à faire deux heures de route, dans des conditions difficiles, pour accéder à leur juge d’instruction. C’est le cas dans mon département rattaché au pôle de l’instruction de Montpellier. J’avais d’ailleurs demandé qu’un rapport d’évaluation soit fait. Je crois que c’est un des problèmes liés à la correctionnalisation : si beaucoup de dossiers sont correctionnalisés, c’est du fait de l’éloignement entre le lieu où les faits sont commis, où les gens vivent, et celui où l’affaire est instruite. Ne pourrait-on pas aiguiller vers les magistrats instructeurs des TGI les dossiers qui auront vocation, demain, à passer devant le tribunal criminel départemental, à l’exception des affaires complexes qui nécessiteraient une co-saisine et resteraient dévolues au pôle de l’instruction ? Tel est le sens de mon amendement.

M. Didier Paris, rapporteur. Je comprends parfaitement l’attention que vous portez à cette question, qui relève tout autant de l’organisation de nos juridictions que d’une logique territoriale à laquelle je vous sais sensible. Cette logique compte et les capacités de déploiement des juges d’instruction sur le territoire, via les pôles, ne la vident pas de sa substance.

La proposition qui nous est faite est de nature intermédiaire. Elle repose sur les tribunaux criminels départementaux, dont la création n’est pas certaine, mais c’est votre logique et je la comprends très bien.

Sur le fond, je suis plutôt enclin à émettre un avis favorable, à une réserve près : je ne méconnais pas les difficultés d’organisation judiciaire que votre amendement pourrait engendrer, compte tenu de la spécialisation des juges d’instruction selon qu’ils appartiennent ou non à un pôle. Ceux qui en font partie s’occupent de tous les crimes et des co-saisines dès qu’une affaire est complexe, et ceux qui n’appartiennent pas à un pôle n’ont plus compétence sur les crimes. Revenir sur ce mode de fonctionnement pourrait ne pas être sans conséquence sur notre organisation judiciaire, y compris dans son maillage territorial.

Pour la première fois aujourd’hui, je vais adopter une position de sagesse et je serai attentif à la position qu’adoptera Mme la garde des Sceaux.

M. Philippe Gosselin. On se passe la patate chaude… (Sourires.)

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je comprends vos propos, monsieur Mazars. Votre département se trouve précisément dans la situation que vous évoquez. Néanmoins, je ne vois pas pour quelle raison on reviendrait sur la répartition entre les juges d’instruction des TGI qui sont pôles d’instruction et ceux qui sont infra-pôles. Depuis 2007, les juges d’instruction des TGI infra-pôles ne sont compétents que pour les délits et non pour les crimes, en l’absence de co-saisine. Les juges d’instruction des TGI pôles d’instruction sont compétents pour les crimes, avec co-saisine ou non, et pour les délits avec co-saisine.

Redonner compétence aux juges d’instruction des TGI infra-pôles en matière criminelle, pour les crimes punis de quinze à vingt ans de réclusion, serait source de complexité pour au moins deux raisons. D’abord, cela désorganiserait les juridictions en augmentant la charge de juges d’instruction qui exercent parfois d’autres fonctions. Ce serait aussi une source de complexité s’il apparaissait, au cours de l’instruction, des circonstances aggravantes qui exigent une requalification et augmentent la peine encourue. On peut prendre le cas, terrible, de faits initialement qualifiés de viol aggravé, par exemple par mutilation de la victime, ce qui est puni de vingt ans de réclusion, que l’on requalifie ensuite en viol avec torture ou actes de barbarie, ce qui relève de la réclusion à perpétuité : le juge devrait alors se dessaisir, ce qui rendrait la situation très complexe.

Par ailleurs, le fait que les crimes punis de quinze à vingt ans de réclusion relèvent du tribunal criminel départemental est sans rapport, me semble-t-il, avec la question de la compétence des juges d’instruction.

Pour ces différentes raisons, je pense qu’il serait souhaitable de retirer votre amendement.

M. Stéphane Mazars. Après l’avis de sagesse du rapporteur, vous en appelez donc à ma sagesse, madame la garde des Sceaux (Sourires).

En ce qui concerne la question des moyens, on sait que les pôles de l’instruction sont surchargés. Mon amendement permettrait de les délester de dossiers parfois mal traités à cause de la distance. Je connais, comme d’autres confrères, des exemples de victimes qui ne se déplacent jamais pour réitérer une constitution de partie civile devant un magistrat instructeur parce qu’elles en sont empêchées par la distance et le manque de moyens – leur avocat n’ira pas, de Rodez, se présenter à Montpellier dans le cadre de l’aide juridictionnelle. Autant de dénis de justice qui expliquent pour une part ce phénomène de correctionnalisation de nombreux dossiers, celui-là même qui pousse aujourd’hui à créer le tribunal criminel départemental – c’est pour cette raison que je fais un lien – afin d’éviter de voir des crimes passer devant un tribunal correctionnel entre un vol de mobylettes et un cas de trafic de stupéfiants : c’est la conséquence, au quotidien, de la création des pôles de l’instruction en ce qui concerne les affaires de meurtres, de viols et de viols aggravés. Avec la disposition que je propose, nous aurons la possibilité d’organiser un retour là où les infractions ont été commises et où les victimes vivent, afin d’avoir une justice de meilleure qualité. Cela me paraît dans le droit fil de ce que nous visons avec la création du tribunal criminel départemental, à titre expérimental.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Sur ce dernier point, j’observe que vous voulez revenir sur une règle qui est pérenne alors que le tribunal criminel départemental n’aura qu’une nature expérimentale.

M. Stéphane Mazars. Vous mettez le doigt sur une difficulté, j’en conviens. C’est un bon argument. Je propose donc de travailler, d’ici à la séance publique, sur un dispositif qui permettrait de coller à l’expérimentation du tribunal criminel départemental. Je pense que ces deux questions sont indissociables.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Retirez-vous en conséquence votre amendement ?

M. Stéphane Mazars. J’aimerais avoir l’avis de Mme la garde des Sceaux sur cette proposition.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Vous savez que je suis toujours ouverte à la discussion, à défaut de l’être sur le fond. (Sourires.) Nous pourrons tout à fait en rediscuter.

M. Stéphane Mazars. Je vais donc retirer mon amendement afin de le retravailler. J’invite les collègues que ce sujet intéresse à se rapprocher de mon groupe pour en discuter.

M. Philippe Gosselin. M. Stéphane Mazars soulève une vraie question, qui concerne l’équilibre des territoires et des pôles, c’est-à-dire la possibilité d’avoir une vraie et belle administration de la justice. Cet amendement n’est pas déconnecté des réalités du terrain. Je crois qu’il serait bon d’avancer collectivement, car il n’y a pas de polémique sur un tel sujet, d’ici à la séance et dans le cadre d’une expérimentation. Vous avez raison, madame la garde des Sceaux, de souligner que l’on ne peut pas introduire de façon pérenne un dispositif qui viendrait bouleverser l’existant. J’indique à nos collègues, et en particulier à M. Stéphane Mazars, que le groupe Les Républicains est prêt à soutenir un amendement qui irait dans ce sens.

Mme Cécile Untermaier. La justice doit être agile, pour être la plus proche possible du justiciable, et non pas drapée dans une distance telle que plus personne n’ose aller vers elle. J’ai bien entendu les réserves exprimées par Mme la garde des Sceaux. Même s’il s’agit d’une expérimentation, ne peut-on pas imaginer en son sein, comme corollaire, quelque chose du type de ce que proposait Stéphane Mazars, sachant que nous nous permettons des expérimentations dans tous les domaines ? Grâce à la dématérialisation, à laquelle je crois autant que vous, nous pourrons régler à terme, de manière plus souple, le problème des disparités territoriales, au bénéfice des victimes et des auteurs d’infraction en agissant in situ. Alors que nous sommes dans une période de transition, il ne faudrait pas nous enfermer dans des procédures rigides qui ne nous permettraient plus de retrouver cette agilité que j’appelle de mes vœux. N’oublions pas que la première mission de la justice est de s’adresser aux personnes près de nous. Le groupe Socialistes et apparentés soutiendra toute démarche permettant de prévenir le risque d’isolement et d’éloignement de la justice du justiciable.

M. Philippe Gosselin. C’est bien parti pour la séance !

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. C’est un nouveau jour !

L’amendement est retiré.

La Commission examine ensuite l’amendement CL904 du rapporteur.

M. Didier Paris, rapporteur. L’amendement CL904 vise à supprimer les alinéas 5 et 6 de l’article 42, introduits par le Sénat, afin de donner aux jurés la possibilité d’obtenir certaines pièces de la procédure pendant l’instance. Il faut rester à l’esprit initial du projet. Je comprends du reste mal que le Sénat, d’ordinaire si attaché à l’oralité des débats, ait pu proposer une telle disposition. Restons-en à la logique actuelle des cours d’assises, fondée sur l’oralité des débats, pour ce qui est des jurés. Qui plus est, je me demande quelles pièces pourraient être choisies par les jurés et sur quels fondements, et dans quelles conditions la neutralité du débat pourrait être préservée !

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Favorable !

Mme Cécile Untermaier. Je soutiens également cet amendement. Je rejoins notre rapporteur : la cour d’assises, c’est l’oralité. Le dispositif introduit par le Sénat conduirait à une suradministration qui irait à contresens du projet de loi.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle passe à l’examen de l’amendement CL536 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis. Je défendrai également, par avance, l’amendement CL538. Ces amendements visent respectivement à supprimer les alinéas 7 à 12 et 16 à 19, afin de garantir au mieux l’oralité des débats.

M. Didier Paris, rapporteur. J’avais pris la précaution de préciser que mon argumentaire valait pour les jurés. Il ne vaut pas pour les assesseurs, qui sont des magistrats professionnels parfaitement habitués à gérer un dossier et à le lire avec les filtres nécessaires. Avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Avis défavorable également. Les mesures proposées sont équilibrées et de bon sens.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CL905 du rapporteur.

M. Didier Paris, rapporteur. Il s’agit de rétablir le texte initial, qui donne la possibilité au président de la cour d’assises d’interrompre un témoin.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL906 du rapporteur.

M. Didier Paris, rapporteur. Cet amendement est de même nature que le précédent : il vise à permettre au président de la cour d’assises de prendre seul les décisions sur l’action civile.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, elle rejette l’amendement CL538 de M. Ugo Bernalicis.

Elle adopte ensuite l’amendement rédactionnel CL907 du rapporteur.

Elle examine l’amendement CL530 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis. L’amendement vise à supprimer les alinéas 22 à 37, à savoir l’expérimentation du tribunal criminel départemental (TCD). Disposer d’un tribunal proche, à l’échelle départementale, et bénéficier de jugements rapides et efficaces, l’idée pourrait paraître séduisante. Mais, en réalité, cette mesure s’inscrit dans la logique de votre texte : face à l’engorgement d’un certain nombre de juridictions, vous cherchez systématiquement des voies de fuite, soit pour diminuer le nombre de dossiers qui entrent, soit pour les faire sortir plus rapidement. Le problème, ce n’est pas qu’il faille du temps, c’est que nous n’avons pas assez de personnes. Mais plutôt que de renforcer les moyens des cours d’assises, pour réduire le délai moyen de quarante mois avant un jugement, effectivement excessif, vous décidez d’instaurer un tribunal criminel départemental, qui plus est sans jurés.

Or, notre groupe défend l’extension des jurés et de l’intervention des citoyens dans la justice plutôt que sa restriction. C’est donc à plusieurs titres que nous nous opposons à votre expérimentation, d’autant que son caractère expérimental me semble problématique, voire anticonstitutionnel, dans la mesure où les justiciables ne seront pas jugés de la même façon dans tout le territoire.

M. Didier Paris, rapporteur. Cette expérimentation est l’un des dispositifs emblématiques du texte, qui a déjà donné lieu à de nombreuses discussions, notamment lors des auditions préparatoires. M. Jacques Toubon nous a d’ailleurs rappelé l’avoir préconisé de longue date. Contrairement à vous, cher collègue, il me semble parfaitement cohérent dans la mesure où rien ne permet de soutenir une seule seconde qu’un tribunal composé de magistrats professionnels rendrait une justice de moins bonne qualité. Nos juridictions françaises rendent tous les jours de multiples décisions de qualité sans faire intervenir des jurys populaires.

Par ailleurs, je ne reviendrai pas sur la problématique de la correctionnalisation, qui a été longuement développée. Un tribunal criminel vaut mieux qu’un tribunal correctionnel pour des affaires punies jusqu’à vingt ans de réclusion criminelle – et non pas délictuelle – en particulier pour des dossiers de viol. Enfin, les réalités de la procédure sont telles que, en tout état de cause, l’appel des décisions du tribunal criminel départemental se fera devant une cour d’assises normalement constituée.

Je ne vois aucune raison sérieuse d’interdire cette expérimentation, encadrée et précisée dans les conditions que je viens de rappeler. Avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. À vous entendre, monsieur Bernalicis, « ce n’est pas qu’il faille du temps, c’est que nous n’avons pas assez de personnes ». Je m’inscris en faux par rapport à de telles affirmations. La procédure devant la cour d’assises est fondée sur l’oralité : c’est un choix éminemment respectable et qui a ses caractéristiques de jugement propres. Mais cette oralité, cette procédure est consommatrice de temps. Or, un certain nombre de victimes, comme parfois d’ailleurs d’auteurs de crimes, ont besoin de bénéficier d’un jugement plus rapidement : c’est une étape de leur reconstruction et de leur parcours. C’est notamment pour cette raison que nous avons souhaité la création du tribunal criminel départemental. Cette expérimentation est très attendue, un grand nombre de demandes nous parviennent d’endroits très divers.

Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, c’est une procédure liée à la vérité judiciaire : trop de crimes sont correctionnalisés et ne sont donc pas jugés en tant que tels, ce qui me semble aboutir à une fausse appréciation de la réalité de l’infraction. La mise en place des TCD nous permettra d’améliorer la vérité judiciaire.

Une autre disposition, également très positive, a été prévue. La durée maximale de la détention provisoire est pour l’heure limitée à deux ans ; le tribunal criminel départemental permettant d’accélérer les délais de jugement, nous prévoyons de la réduire à un an, ce qui n’est pas inopportun.

Sans revenir sur tous les arguments en faveur du TCD, je tiens à préciser que sa création n’est en rien liée à des questions d’économies comme cela a pu être dit : il n’y a aucune économie à attendre. Je sais, monsieur Bernalicis, que vous et d’autres qui critiquez les TCD avez utilisé cet argument. Mais le ministère de la justice ne fera aucune économie ; c’est vraiment une réforme dans l’intérêt des victimes et du justiciable.

M. Ugo Bernalicis. Monsieur le rapporteur, vous avez dit que les juridictions uniquement composées de magistrats professionnels ne rendent pas une justice de moins bonne qualité. Mais votre argument vaut dans l’autre sens : les jugements rendus avec des jurés ne sont pas de moins bonne qualité non plus. Tout cela dépend du sens que l’on veut donner à la justice. C’est une question de principe que de vouloir étendre au maximum la participation citoyenne dans la justice. Dans le rapport dont vous parliez tout à l’heure, madame la garde des Sceaux, il était noté que les citoyens assesseurs avaient tendance à être au même niveau de sanction que les magistrats professionnels…

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Ou même plus sévères.

M. Ugo Bernalicis. Non, moins sévères ! Je vous lirai le rapport.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je vous crois, monsieur Bernalicis !

M. Ugo Bernalicis. Ce n’est pas qu’il faille être moins sévère dans l’absolu ; ce qui m’importe, c’est qu’il y ait plus de citoyens.

Quand je parlais d’engorgement et de temps, ce n’était pas de celui du procès en lui-même. Je n’ai aucun problème avec l’oralité, au contraire ! C’est un principe à défendre au même titre que la présence des jurés. Je parlais du temps d’attente pour arriver jusqu’au procès, qu’il faudrait diminuer. S’il y avait plus de magistrats, nous pourrions gagner quelques précieux mois.

Vous souhaitez que la justice soit rendue plus rapidement afin de faciliter la reconstruction des auteurs comme des victimes. Je souhaite, de fait, accélérer les procédures, mais sur le modèle des assises. En l’espèce, mettons le paquet et investissons dans la justice restaurative, qui peut intervenir à tout moment de la procédure et serait un bon moyen d’utiliser à bon escient le temps de la procédure, particulièrement long, et ce parfois à juste titre. Si le délai de quarante mois est bien évidemment excessif, je ne serais pas favorable à une durée d’un mois, par exemple, parce qu’il faut conserver un principe de césure.

S’agissant de la réduction du délai maximal de la détention provisoire, qui passerait de deux à un an, je vois que vous essayez de m’amadouer, madame la garde des Sceaux… Mais nous n’échapperons pas à une réforme majeure de la détention provisoire, pour atteindre votre objectif de diminution du nombre de personnes incarcérées. Ce n’est pas cette mesure qui changera radicalement la donne.

M. Dimitri Houbron. Si nous comprenons le point de vue de M. Ugo Bernalicis sur le jury populaire, il n’est pas inutile de rappeler que les cours d’assises ont été mises en place après la Révolution française, compte tenu de la méfiance du peuple à l’égard des juges royaux. Aujourd’hui, la justice est indépendante et rend des décisions acceptées par les citoyens : nous ne sommes plus du tout dans le même état d’esprit. C’est pourquoi il y a une vraie réflexion à mener sur l’avenir des cours d’assises. Par ailleurs, l’expérimentation permettra de constater que les décisions seront toujours de grande qualité et plus rapidement rendues.

M. Philippe Gosselin. Ne donnez pas déjà les conclusions !

M. Dimitri Houbron. Je faisais simplement part de ma conviction personnelle, monsieur Gosselin. L’objectif du tribunal criminel départemental sera également de lutter contre le phénomène de la correctionnalisation, qui touche trop de victimes. Cette expérimentation est plus la preuve de la confiance que nous avons dans nos magistrats qu’une marque de défiance vis-à-vis du peuple.

M. Antoine Savignat. Je partage l’analyse de Mme la garde des Sceaux sur l’effet catastrophique, en tout cas d’incompréhension, de la correctionnalisation de certaines procédures pour les victimes. Inversement, l’audience devant la cour d’assises joue un rôle très important : sa théâtralisation même participe à la réparation du préjudice subi par la victime. Le moment de la désignation des jurés par la cour d’assises est, pour la victime, le signe que la société prend en compte la réalité de ce qu’elle a subi. Ces audiences, auxquelles l’oralité préside, et leurs longues explications sont bien souvent la seule façon pour la victime d’obtenir une réponse à la question : pourquoi ai-je eu à subir cela ? Mettre en place une sous-juridiction criminelle, une sous-cour d’assises, c’est poursuivre d’une autre façon la différenciation induite par la correctionnalisation.

Par ailleurs, je suis gêné par le caractère expérimental de ce tribunal. Il aurait fallu aller jusqu’au bout pour éviter qu’il y ait, dans notre territoire, des gens qui iront devant la cour d’assises et d’autres devant cette juridiction expérimentale.

M. Stéphane Mazars. C’est un dispositif important du projet de loi que bien évidemment la majorité soutient. Son caractère expérimental est, à mon sens, une bonne chose. Parmi les critères d’évaluation pour juger de la réussite de l’expérience et savoir s’il faudra la généraliser, il faudra tenir compte du nombre de dossiers qui auraient été correctionnalisés et qui ne le seront plus. Ainsi, les victimes seront mieux prises en compte et dans des conditions plus justes.

Il faut également avoir en tête les délais actuels de comparution devant une cour d’assises. Certaines personnes présumées innocentes, qui ne peuvent pas être jugées par une cour d’assises, restent en détention provisoire. A contrario, d’autres sont remises automatiquement en liberté parce qu’elles n’ont pas pu être jugées dans un délai réglementaire. Il y a donc une vraie vertu à aiguiller certains dossiers vers le tribunal criminel départemental.

Enfin, la correctionnalisation se fait en principe avec l’accord des victimes. On leur explique qu’un procès d’assises, c’est long, c’est une épreuve, c’est se mettre à nu devant un jury populaire dans un décorum impressionnant. Parfois, suite à ces explications, les victimes choisissent la correctionnalisation. Demain, elles auront la possibilité d’aller devant un tribunal criminel départemental qui leur sera souvent plus adapté.

M. Erwan Balanant. Le groupe MODEM est également favorable à cette disposition d’autant plus qu’elle est expérimentale : nous devons nous laisser le temps de voir comment cela peut fonctionner. Aujourd’hui, les délais sont énormes. Certains procureurs, avec lesquels j’ai discuté, attendent, pour certaines affaires, de passer aux assises depuis 2011. Réserver, comme cela est prévu, les assises à des sujets plus lourds pour gagner du temps et avoir de vrais procès et de vraies réponses, à la hauteur des situations traitées par ces tribunaux, me semble pertinent.

Pour le prévenu présumé innocent, les délais de jugement représentent parfois du temps en détention provisoire. En cas d’acquittement, c’est terrible. Pour la victime, ce temps est également terrible, car c’est un temps de souffrance sans réponse. Il faut que ce dispositif nous permette de régler la question des délais.

Le jury populaire, quant à lui, est l’un des fondements de notre justice depuis la Révolution française. Mais sa participation n’est en rien altérée, puisque, en cas d’appel, on reviendra devant lui. En dernier ressort, c’est le jury populaire qui tranchera.

Enfin, sans vouloir dévoiler l’excellent amendement de Guillaume Gouffier-Cha, notre groupe s’interroge sur la pertinence du nom retenu pour cette juridiction. L’appellation « cour criminelle », comme le suggère un rapport de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, serait une bonne idée.

M. Ugo Bernalicis. M. Dimitri Houbron nous a expliqué que le jury populaire était un acquis de la Révolution française, par méfiance des juges. Mais ce n’était pas la seule raison, même si les juges pouvaient être suspectés d’avoir des accointances avec l’exécutif de l’époque. Puis notre collègue nous a dit que ce jury avait moins d’intérêt aujourd’hui, dans la mesure où les magistrats sont des professionnels et les juges statutairement indépendants. Or, je n’ai jamais dit qu’il y avait des jurés parce qu’il fallait se méfier des juges : il s’agit d’impliquer les citoyens dans l’action de justice. Un procès ne doit pas se résumer à un fait divers à la télévision. J’ai dit tout à l’heure que les citoyens assesseurs rendaient des jugements assez comparables à ceux des magistrats professionnels ou moins sévères, ce qui prouve que nous avons élevé le niveau de conscience populaire.

C’est ce système que je vous propose d’étendre, de même que vous proposez de développer le service civique, qu’il soit militaire ou civil, de sorte que les citoyens irriguent une série de corps constitués qui ne doivent pas être réservés aux professionnels : l’armée, la police et à la gendarmerie, mais aussi tout un tas d’associations qui pourraient bénéficier du dispositif. La réflexion doit être globale : comment faire en sorte d’assurer au maximum une participation citoyenne à la vie démocratique du pays ? L’action en justice est déterminante dans le fondement de notre organisation républicaine.

M. Guillaume Gouffier-Cha. Les victimes veulent avant tout que les crimes qu’elles ont subis soient reconnus comme crimes et non comme délits, notamment dans les cas de viol. La délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes estime que cette expérimentation va dans le bon sens en permettant de lutter contre la correctionnalisation. On estime que 60 % des affaires que le tribunal criminel départemental aura à juger concerneront des crimes sexuels. Comme l’a dévoilé M. Erwan Balanant, nous proposons de faire évoluer le nom de cette nouvelle juridiction afin qu’il corresponde vraiment à ce qu’elle sera demain.

M. Philippe Gosselin. Certes, il s’agit d’une expérimentation qui n’a donc pas, par définition, de caractère définitif. Se pose néanmoins le problème, qui a été soulevé, des distinguos territoriaux et, partant, des manières différentes de juger d’un département à l’autre et des prises en compte différentes de situations identiques. Comme vous, je vois plutôt d’un bon œil le fait de limiter la correctionnalisation – encore que cela n’a pas toujours eu des effets négatifs. Ce qui m’ennuie, c’est que certains collègues laissent entendre que le jeu est déjà fait et que l’expérimentation a déjà produit ses conclusions. Je n’ai aucun souci, ni intellectuellement ni juridiquement, face à une expérimentation de ce type, mais il ne faut pas anticiper les conclusions. On pourrait avoir l’impression que c’est la fin programmée des assises.

M. Jean Terlier. Ce n’est pas ce qui a été dit !

M. Philippe Gosselin. Un peu, tout de même ! Je le dis sans esprit de polémique. Ce serait la fin des assises et donc celle des jurys populaires. On voit bien le débat : la Révolution ; notre situation en 2018 ; la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, en 2016 ; cette fois, c’est au moins la justice du prochain millénaire ! Les titres peuvent être ambitieux mais il ne faut pas que les coquilles soient vides ou trompeuses. J’ai le sentiment que certains ont d’ores et déjà tiré des conclusions un peu hâtives.

Enfin, j’ai entendu M. Erwan Balanant utiliser le terme de « sujets plus lourds ». Il ne faudrait pas que les victimes aient l’impression qu’il y aurait des sujets sont plus ou moins « lourds » et que leur affaire n’est pas bien prise en compte ni traitée. Cela poserait problème.

Mme Alexandra Louis. Il ne s’agit en aucune façon d’établir une comparaison, en termes d’efficacité ou de rapidité, entre la justice populaire et la justice rendue par des magistrats professionnels. Quelle que soit notre appartenance politique, nous sommes tous attachés aux jurys populaires. L’objet de ce texte n’est nullement d’amoindrir le rôle joué par les cours d’assises dans la justice française, bien au contraire : les dossiers examinés dans le cadre de cette expérimentation sont précisément ceux qui, pour l’heure, ne sont pas soumis à un jury populaire puisqu’ils sont correctionnalisés. Je dirais même que ce texte ouvre le champ de la cour d’assises, puisqu’elle sera appelée à statuer en appel sur les décisions prises par le TCD.

Le sujet de la correctionnalisation a plané sur les débats lors de l’examen du projet de loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Avec le recul, je pense que la création de ce tribunal est un gage pour les victimes. Gardons-nous de penser qu’elles réclament toutes le jugement de la cour d’assises, qu’elles s’en sortent mieux quand c’est le cas et qu’elles ont alors droit à une justice de meilleure qualité. Ce n’est pas la cour d’assises qui permet aux victimes de se reconstruire, c’est l’accès au juge. C’est le fait, comme l’a expliqué M. Guillaume Gouffier-Cha, que l’infraction reçoive une qualification criminelle et que le quantum de la peine ne soit pas celui d’un délit. Lorsqu’on écoute les victimes, on comprend que c’est la qualification qui importe. Bien sûr, chaque victime est différente et tous les dossiers ne se ressemblent pas.

J’espère que cette expérimentation portera ses fruits. Nous verrons si cela fonctionne et nous en tirerons toutes les conséquences, mais je suis assez optimiste.

Mme Cécile Untermaier. Cette expérimentation ne doit pas nous conduire à faire le procès des assises et à remettre en question la justice populaire, emblème de notre justice judiciaire. C’est, au fond, la seule juridiction qui échappe à la problématique des moyens : on y prend le temps de juger, d’y entendre pendant plusieurs jours l’accusé, la victime, les témoins et les experts ; la presse est présente. La cour d’assises n’est pas contestée par nos concitoyens, hormis sur ses délais excessifs. D’où cette expérimentation, dont je souhaite qu’elle en soit vraiment une : il convient d’en tirer tous les enseignements, et d’abord sur le plan budgétaire. Pour en avoir parlé avec plusieurs présidents de tribunaux, je sais que, bien que favorables au tribunal criminel, ils seraient aujourd’hui dans l’incapacité d’y désigner cinq juges. Or, si l’expérimentation devait être généralisée, elle le serait nécessairement à moyens constants.

Enfin, le fait que la détention provisoire soit limitée à un an est un argument qui a toute son importance.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. J’ai un peu de mal à accepter, monsieur le député Savignat, la terminologie de « sous-juridiction d’assises ». Les jugements prononcés par la cour d’assises, le tribunal correctionnel ou le futur tribunal criminel départemental sont rendus au nom du peuple français ; il n’y a pas de sous-juridiction.

Je ne reprendrai peut-être pas votre mot de « théâtralisation » mais, comme vient de le rappeler Mme Untermaier, l’accusé, la victime et les témoins se retrouveront dans ce tribunal face à cinq magistrats : ce sera un symbole fort de la présence de la justice. Il est tout aussi important de souligner que l’oralité n’en sera pas exclue puisque les magistrats, qui disposeront du dossier, pourront évidemment auditionner les témoins à leur convenance.

Enfin, comme l’a expliqué Mme Louis, il sera possible de faire appel de la décision du tribunal criminel départemental devant la cour d’assises, juridiction de second degré depuis qu’il a été reconnu, par la loi du 15 juin 2000, que la décision d’un jury citoyen n’était pas nécessairement infaillible et que l’on pouvait la contester.

Je conclus en insistant sur l’idée que la création du tribunal criminel départemental est un élément positif pour la sécurité de la société. La requalification actuelle en délits de crimes tels que le viol aboutit à un amoindrissement des peines prononcées. Demain, ces crimes seront jugés en tant que tels et sanctionnés au niveau qu’il convient.

Monsieur Gosselin, il s’agira vraiment d’une expérimentation. Le succès que ne manquera pas de recueillir, je crois, ce nouveau tribunal soulèvera de nombreuses questions d’organisation et il nous faudra effectivement, madame Untermaier, prévoir les postes de magistrats en conséquence. Il conviendra aussi de repenser l’usage des locaux : certains tribunaux m’ont signalé qu’il leur serait impossible de faire fonctionner simultanément la cour d’assises et le tribunal criminel. Ces trois années d’expérimentation ne seront pas inutiles pour organiser tout cela.

Au-delà de ces questions d’ordre matériel, des questions de fond autrement plus sérieuses se posent. J’ai rencontré les magistrats d’une cour d’assises favorables à la création d’un tribunal criminel départemental mais qui ne comprenaient pas pourquoi l’expérimentation était limitée aux seuls crimes punis de quinze ou vingt ans de réclusion et ne concernait pas tous les crimes en première instance. Nous avons fait le choix de cette césure, mais vous voyez que la question existe. L’expérimentation permettra de dire si ce choix est pertinent.

Pour conclure, je reprendrai les propos très justes de Mme Alexandra Louis : ce qui est important, c’est l’accès aux juges. Peu importe qu’il s’agisse d’un tribunal criminel ou d’une cour d’assises, c’est ce qui compte pour les victimes.

La Commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de deux amendements identiques CL351 de M. Guillaume Gouffier-Cha et CL741 de M. Stéphane Mazars.

M. Guillaume Gouffier-Cha. L’amendement CL351 est issu de la recommandation n° 26 du rapport de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. La Délégation a constaté que ce dispositif n’avait pas pour objet de faire des économies, qu’il s’inspirait de ce qui a été fait en matière terroriste, qu’il visait à lutter contre la correctionnalisation, que l’oralité des débats était garantie et qu’il serait toujours possible de faire appel de ses décisions devant la cour d’assises.

Toutefois, la délégation a estimé que l’appellation « tribunal criminel départemental » prêtait à confusion et pouvait conduire à penser qu’il s’agissait d’un lieu moins important et moins solennel que la cour d’assises. Aussi proposons-nous de retenir l’appellation de « cour criminelle », plus en adéquation avec le rôle qui sera celui de cette nouvelle juridiction.

M. Stéphane Mazars. L’amendement CL741 a le même objet. Cette juridiction, qui ne sera ni une sous-cour d’assises ni un super-tribunal correctionnel, s’inscrira pleinement dans la hiérarchie de nos juridictions pénales et aura à traiter, dans des conditions efficientes et plus satisfaisantes, d’infractions très graves, d’où le terme « criminelle ». Par ailleurs, l’appellation de « cour » permet de rappeler que les magistrats qui la composeront seront des conseillers à la cour et non des juges du tribunal correctionnel. Les mots ont un sens et le changement n’est pas seulement symbolique.

Didier Paris, rapporteur. Je salue la réflexion menée par la délégation aux droits des femmes appuyée par le groupe La République en Marche. En dépit des apparences, le sujet n’est pas mineur. Si les mots permettent de mieux caractériser la chose, ce changement de termes ne modifie en rien l’objectif politique et technique assigné. Les dispositions prévues sont maintenues dans leur intégralité ; simplement, nous ajoutons la force du symbole.

Cette appellation, plus compréhensible pour les victimes, montre qu’il ne s’agit en aucun cas d’un tribunal de correctionnalisation, mais d’une cour criminelle où l’accusé encourt une peine correspondant pleinement à la nature de l’infraction pour laquelle il est jugé.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je suis également très favorable à cette proposition.

M. Erwan Balanant. J’avais commencé à travailler avec mon équipe sur le sujet, mais je n’ai pas déposé d’amendement, étant membre de la délégation aux droits des femmes et donc signataire de celui présenté par M. Gouffier-Cha. Je pensais à l’appellation « cour criminelle départementale », mais la suppression du terme « départementale » apporte davantage de solennité.

Je saisis l’occasion pour dire à M. Gosselin que j’ai effectivement commis une maladresse de langage en parlant des « sujets les plus lourds » alors que je voulais évoquer les crimes les plus graves. Il est vrai que les mots ont un sens !

M. Philippe Gosselin. J’avais bien compris.

La Commission adopte les amendements.

Puis elle adopte l’amendement de précision CL908 du rapporteur.

Elle examine ensuite l’amendement CL784 de Mme Naïma Moutchou.

Mme Naïma Moutchou. Le texte prévoit que lorsque le tribunal criminel départemental est saisi de faits qui constituent un crime puni de trente ans de réclusion ou de la réclusion criminelle à perpétuité, il renvoie devant la cour d’assises. Mais le texte ne règle pas le sort de l’accusé au moment du renvoi : est-il maintenu en détention ou remis en liberté ?

Cet amendement précise que l’accusé demeurera en détention provisoire jusqu’à sa comparution devant la cour d’assises, s’il était déjà détenu, et que dans le cas contraire, le tribunal pourra décerner mandat de dépôt après avoir entendu le ministère public et les parties ou leurs avocats.

M. Didier Paris, rapporteur. Je salue la vigilance de Mme Moutchou sans laquelle nous aurions rencontré de réelles difficultés d’application. Avis très favorable !

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Même avis pour cet amendement assez judicieux.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Madame Moutchou, je vous demande de bien vouloir rectifier votre amendement afin d’intégrer la nouvelle appellation de « cour criminelle » que nous venons d’adopter.

Mme Naïma Moutchou. Je le rectifie volontiers.

La Commission adopte l’amendement tel qu’il vient d’être rectifié.

Puis elle adopte l’amendement de précision CL909 du rapporteur.

Elle est saisie de l’amendement CL409 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier. Il m’a été demandé à plusieurs reprises que l’évaluation de l’expérimentation soit partagée avec l’ensemble des acteurs œuvrant pour la justice. Je propose que cela soit précisé dans les modalités de l’évaluation, même si je suis consciente que cela relève du domaine réglementaire.

M. Didier Paris, rapporteur. Je ne suis pas persuadé que cette précision mérite de figurer dans un texte de nature législative. Cela étant, Mme la garde des Sceaux s’est dite à plusieurs reprises favorable à ce que l’ensemble des acteurs de la chaîne judiciaire soient associés à cette évaluation. C’est par ailleurs une demande forte dont nous a fait part, lors de son audition, le conseil national des barreaux. J’émets donc un avis favorable à cette proposition légitime et cohérente.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je suis très favorable, de manière générale, à ce que l’ensemble des acteurs judiciaires soient associés aux évaluations et aux processus de décision qui les concernent. Même si cette proposition relève du pouvoir réglementaire, j’émets un avis favorable.

M. Philippe Gosselin. Je suis interloqué par la nécessité d’une telle précision. Il me semble d’une évidence extraordinaire de prévoir que, pour cette évaluation, l’ensemble des acteurs sera concerté ! Toute évaluation digne de ce nom ne peut que réunir, au moins pour information, échange et discussion, l’ensemble des acteurs concernés.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous sommes bien d’accord !

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article 42 modifié.

chapitre IV (nouveau)

Dispositions relatives au terrorisme et au crime organisé

La Commission est saisie d’un amendement CL806 du rapporteur.

M. Didier Paris, rapporteur. Il s’agit d’insérer un chapitre IV dédié aux dispositions relatives au terrorisme et au crime organisé.

Suivant l’avis favorable du Gouvernement, la Commission adopte l’amendement. Un chapitre IV est ainsi inséré.

Article 42 bis AA (nouveau)
(art. L. 217-5 [nouveau] du code de l’organisation judiciaire, 706-16-1 et 706-16-2 [nouveaux] du code de procédure pénale, L. 422-1-1 [nouveau] et L. 422-2 du code des assurances, L. 169-4 et L. 169-10 du code de la sécurité sociale et 9-2 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique)
Simplification et sécurisation du parcours procédural d’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme

La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL805 rectifié du rapporteur et CL767 de M. Stéphane Mazars.

L’amendement CL805 rectifié fait l’objet d’un sous-amendement CL1094 du Gouvernement.

M. Didier Paris, rapporteur. Sur la forme, l’amendement CL805 reprend les dispositions de l’article 26 ter portant création d’un juge de l’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme (JIVAT) afin de les placer au sein du chapitre nouvellement créé.

Sur le fond, cet amendement vise à encadrer les pouvoirs du Fonds de garantie. S’il est normal que celui-ci puisse adresser des réquisitions aux organismes sociaux et fiscaux pour caractériser les conditions matérielles d’existence de la victime afin de l’indemniser du préjudice subi, il m’a semblé qu’aucune raison sérieuse ne s’opposait à ce que la victime soit informée de ces démarches. Par ailleurs, il m’a semblé important, dans le souci de protéger la sphère privée de la victime, que son autorisation soit requise avant d’adresser toute réquisition à son employeur.

Nous proposons par ailleurs de reporter de six mois l’entrée en vigueur des conditions de désignation des médecins habilités à procéder à l’examen médical de la victime, le délai initial de douze mois me semblant un peu court pour que ceux-ci procèdent aux formalités nécessaires à leur inscription sur les listes des experts des cours d’appel.

À ces deux réserves près, je suis très favorable à l’institution d’une juridiction spécialisée parisienne indépendante, complémentaire des juridictions pénales – la victime pourra toujours se constituer partie civile –, devant laquelle il sera possible de faire reconnaître la réalité et le montant du préjudice subi.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Le sous-amendement CL1094 vise à tirer les conséquences, sur le plan de l’aide juridictionnelle, de l’attribution exclusive au juge civil du tribunal de grande instance de Paris de la compétence pour connaître des actions en réparation des dommages causés par un acte terroriste. La loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique permet d’ores et déjà aux victimes d’actes de terrorisme de bénéficier de l’aide juridictionnelle de droit sans condition de ressources devant le juge civil mais, pour leur permettre de conserver ce bénéfice devant les juridictions pénales, je propose de sous-amender l’amendement du rapporteur et de compléter les dispositions de la loi de 1991 afin d’étendre ce bénéfice aux constitutions de partie civile exercées devant les juridictions pénales.

Je le répète : les victimes d’actes de terrorisme conserveront toute leur place dans le procès pénal, comme l’a précisé le rapporteur. Elles ne perdront aucun droit ; ce sous-amendement vise à le confirmer.

M. Stéphane Mazars. L’amendement CL767 reprend les dispositions présentées par le rapporteur, à la suite des auditions qui lui ont permis d’affiner son analyse du texte initial du Gouvernement adopté par le Sénat. Il a notamment évoqué le sujet majeur des pouvoirs importants confiés au Fonds de garantie, y compris pour récolter des informations auprès de tiers au moyen de réquisitions. Nous nous sommes plusieurs fois émus du caractère parfois intrusif de ces investigations. Le cadre qui nous est proposé est très satisfaisant et convient donc à la majorité.

J’ajoute que la majorité se félicite de la création de cette juridiction, qui centralisera à Paris les dossiers des victimes et leur parcours – très difficile – d’indemnisation des préjudices subis. Cette nouvelle centralisation de dossiers judiciaires a parfois été critiquée au motif qu’elle se ferait au détriment de la proximité des justiciables avec leurs juridictions, notamment pénales. Cette mesure ne les empêchera pas de se constituer partie civile devant des juridictions pénales proches du lieu où ont été commis les actes dont ils sont les victimes. Rappelons en effet que la constitution de partie civile comporte deux aspects. Le premier est indemnitaire : il a trait à la réparation du préjudice, qui pourra être obtenue de manière efficace, centralisée et uniforme auprès du JIVAT. Le second est vindicatif : les justiciables conservent la possibilité de se constituer partie civile devant une juridiction pénale à l’appui de l’action publique. Voilà l’essentiel pour une victime : soutenir l’action publique, exposer son traumatisme et corroborer l’action du ministère public sur les lieux où les actes ont été commis ; ce nouveau texte préserve cette possibilité.

M. Didier Paris, rapporteur. J’émets un avis extrêmement favorable au sous-amendement du Gouvernement car il est indispensable d’harmoniser les règles spécifiques à l’aide juridictionnelle en matière de terrorisme, devant la juridiction pénale comme devant la juridiction civile.

Quant à l’amendement présenté par M. Mazars et le groupe La République en marche, il me semble présenter une difficulté : les négociations sur la portée des modifications que je souhaitais apporter au dispositif adopté par le Sénat se sont tenues jusqu’à hier soir et j’en ai intégré une, ce qui ne leur a pas été possible de faire, le rapporteur et les groupes n’étant pas soumis aux mêmes contraintes de délais de dépôt des amendements. J’adhère pleinement à la position que vous défendez, monsieur Mazars, mais je vous propose de retirer votre amendement pour éviter toute incohérence avec celui que j’ai défendu.

M. Stéphane Mazars. Pour veiller à ce que la rédaction affinée à laquelle vous êtes parvenu hier soir très tard soit adoptée, je m’incline au nom du groupe majoritaire devant votre amendement, monsieur le rapporteur.

L’amendement CL767 est retiré.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. J’en conclus que l’avenir appartient à ceux qui se couchent tard…

M. Didier Paris, rapporteur. Ce qui ne les empêche pas de se lever tôt !

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Avis favorable à l’amendement CL805, sous réserve de l’adoption du sous-amendement que j’ai présenté.

La Commission adopte le sous-amendement CL1094.

Puis elle adopte l’amendement CL805 rectifié, sous-amendé.

L’article 42 bis AA est ainsi rédigé.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je vous remercie sincèrement d’avoir adopté le dispositif créant le JIVAT qui incarnera un progrès concret pour les victimes.

Article 42 bis AB (nouveau)
(art. L. 228-2 et L. 228-5 du code de la sécurité intérieure et L. 773-10 [nouveau] du code de justice administrative)
Contestation devant le juge administratif des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance

La Commission examine l’amendement CL807 du rapporteur, qui fait l’objet d’un sous-amendement CL1088 du Gouvernement.

M. Didier Paris, rapporteur. L’amendement CL807 vise à reprendre dans un nouveau chapitre les dispositions initiales de l’article 25 bis.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Avis favorable, sous réserve de l’adoption du sous-amendement CL1088 qui vise à clarifier le régime contentieux des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance instaurées par la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme.

La Commission adopte le sous-amendement CL1088.

Puis elle adopte l’amendement CL807, sous-amendé.

L’article 42 bis AB est ainsi rédigé.

Article 42 bis AC (nouveau)
(art. L. 229-1, L. 229-4 et L. 229-5 du code de la sécurité intérieure)
Extension du régime procédural prévu pour la saisie administrative de données et supports informatiques aux documents saisis

La Commission examine l’amendement CL808 du rapporteur.

M. Didier Paris, rapporteur. Dans le même esprit que le précédent, cet amendement porte sur les visites administratives. Je rappelle qu’il avait déjà donné lieu à d’abondantes discussions entre nous à l’occasion de l’examen de la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme.

Suivant l’avis favorable du Gouvernement, la Commission adopte l’amendement CL808.

L’article 42 bis AC est ainsi rédigé.

Article 42 bis A
(art. 421-2-6 du code pénal)
Modification de la définition du délit d’entreprise individuelle terroriste

La Commission adopte l’article 42 bis A sans modification.

Article 42 bis B
(art. 706-75, 706-77, 706-80, 706-80-1 [nouveau] et 706-80-2 [nouveau] du code de procédure pénale et 67 bis, 67 bis-3 [nouveau] et 67 bis-4 [nouveau] du code des douanes)
Clarification du cadre procédural applicable aux opérations de surveillance en matière de criminalité et de délinquance organisées

Suivant l’avis favorable du Gouvernement, la Commission adopte l’amendement rédactionnel CL809, l’amendement de précision CL1092, l’amendement de correction CL810 et les amendements rédactionnels CL811 et CL812 du rapporteur.

Puis elle adopte l’article 42 bis B, modifié.

Article 42 bis C
(art. L. 122-3, L. 213-12 [nouveau], L. 217-1 à L. 217-4 et L. 217-5 [nouveau] du code de l’organisation judiciaire, 41, 628 à 628-3, 628-10, 702, 706-17 à 706-17-2, 706-18, 706-19, 706-22-1, 706-25 et 706-168 à 706-170 du code de procédure pénale et L. 225-2, L. 225-3, L. 228-2 à L. 228-5 et L. 229-1 du code de la sécurité intérieure)
Organisation judiciaire en matière de lutte contre le terrorisme

La Commission examine l’amendement CL999 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Cet amendement vise à créer le parquet national antiterroriste (PNAT). Cette mesure avait été dès l’origine prévue dans le projet de loi soumis à l’avis du Conseil d’État, mais celui-ci a émis des observations qui m’ont incitée à supprimer la mesure en question dans le texte qui vous a été présenté pour vous en proposer aujourd’hui une version plus aboutie.

Ce parquet national sera dirigé par un procureur de la République antiterroriste et positionné près le tribunal de grande instance de Paris. En réalité, il se substituera au parquet de Paris, jusqu’alors compétent en matière de terrorisme, pour le traitement des infractions terroristes, des crimes contre l’humanité, des crimes et délits de guerre, des crimes de torture et de disparitions forcées commises par les autorités étatiques, des infractions relatives à la prolifération d’armes de destruction massive et des infractions portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation en temps de paix.

Son objectif est double. Premièrement, il nous permettra de disposer d’une véritable force de frappe judiciaire antiterroriste pour répondre à des menaces qui restent à un niveau très élevé et prennent des formes nouvelles, de plus en plus endogènes. Parce qu’il sera déchargé du parquet de Paris – le plus important de France –, ce ministère public aura toute disponibilité pour se consacrer pleinement à ce contentieux très spécifique.

Deuxièmement, il s’agit d’offrir au procureur une visibilité institutionnelle sur le plan national et international. Je précise que mon propos ne vise nullement à remettre en cause la remarquable action conduite jusqu’à présent par le procureur de Paris chargé de l’antiterrorisme.

En outre, la création du parquet national antiterroriste permettra au procureur de la République de Paris de recentrer son activité sur les contentieux lourds et nombreux qui relèvent de son champ de compétences : je pense en particulier à la criminalité et à la délinquance organisées – compétence que nous renforcerons par amendement –, mais aussi aux accidents collectifs, aux affaires de santé publique et aux autres questions concernant Paris.

Si je vous propose aujourd’hui cet amendement, c’est parce que le Gouvernement a pris en compte les observations formulées par le Conseil d’État, qui nous a demandé de veiller à ce que le procureur antiterroriste dispose des moyens concrets d’exercer ses fonctions et de faire face à des accidents majeurs. C’est ce que nous proposons en prévoyant la création d’une réserve opérationnelle de magistrats du parquet de Paris, à laquelle le procureur national antiterroriste pourra recourir en cas de crise ou d’événement majeur pour adapter les effectifs aux variations de l’activité terroriste. Cette réserve fera l’objet d’une liste gérée par le procureur de Paris.

Le PNAT sera également doté d’un mécanisme procédural innovant lui permettant de requérir de tout procureur de la République la réalisation d’actes d’enquête qu’il déterminera afin de répondre efficacement à l’ampleur des investigations nécessaires en cas d’attentat.

Enfin, ce nouveau parquet ne sera pas isolé au sein de l’institution judiciaire : il pourra compter sur des relais territoriaux. Bien que situé à Paris, il va de soi que le PNAT ne se limitera pas au ressort de la capitale. Les tribunaux de grande instance – dont le ressort est particulièrement exposé à la menace terroriste – comprendront donc des magistrats du ministère public délégués à la lutte contre le terrorisme. Le PNAT se trouvera donc au centre d’un réseau qui maillera le territoire. Ces magistrats seront associés à la coordination administrative de veille, de prévention et de détection du terrorisme. Ils seront ainsi mieux informés dans leur ressort et pourront mieux alerter le PNAT sur les parcours de radicalisation violente et les liens éventuels entre la petite délinquance et le terrorisme.

En somme, la création du parquet national antiterroriste parachève notre organisation de lutte contre le terrorisme, qui demeure l’une des priorités du ministère de la justice.

M. Didier Paris, rapporteur. Je remercie Mme la garde des Sceaux de nous avoir apporté ces précisions et rappelé l’objectif du parquet national antiterroriste et les principales dispositions qui le concernent, dont aucun d’entre nous ne doute qu’elles sont très importantes.

Ce parquet national spécialisé – qui aura en outre une forte capacité de développement sur le plan international – apporte une réponse adaptée aux enjeux de sécurité auxquels notre pays est encore trop souvent confronté.

Je suis donc pleinement favorable à l’institution de ce parquet national antiterroriste, d’autant plus qu’il a été revu à la suite de l’avis du Conseil d’État. Je rappelle que si le Sénat s’est opposé à la création du PNAT en tant que parquet indépendant, il n’en a pas moins retenu plusieurs de ses dispositions telles que le pouvoir de réquisition au sein d’une réserve.

M. Philippe Gosselin. Je me réjouis d’autant plus de cette proposition que nous avons présenté la même il y a un an par des amendements du groupe Les Républicains, que MM. Ciotti et Larrivé ont défendus en vue de créer un parquet national. À l’époque, on nous avait gentiment envoyés aux pelotes, si je puis me permettre l’expression… Le temps passant, on s’est rendu compte que l’idée des Républicains était une bonne idée – évidemment. Je ne doute d’ailleurs pas que vous rendiez aujourd’hui hommage à la vision que nous avons eue avant la majorité. Les arguments qu’on nous exposait il y a un an sont désormais inversés ! C’est ainsi, et je me réjouis dès lors que l’on se rallie aux bonnes idées – en l’occurrence, à l’objectif d’efficacité dans la lutte contre le terrorisme.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. À quelle occasion précise faites-vous référence ?

M. Philippe Gosselin. À l’examen de la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme. Elle relevait bien de votre compétence ?

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. En effet.

M. Philippe Gosselin. Nous avions présenté des amendements qui avaient alors été largement rejetés. Cette loi n’était certes pas la vôtre en tant que telle, madame la garde des Sceaux, puisqu’un projet de loi est toujours présenté par le chef du Gouvernement devant le conseil des ministres, mais il revient ensuite à tel ou tel ministre – je ne fais offense à personne – de le défendre.

Il est vrai que nous ne débattons pas aujourd’hui de sécurité intérieure, mais d’une réforme de la justice et d’une loi de programmation. Il n’empêche que l’amendement du rapporteur a permis de regrouper ici tous les éléments relatifs au terrorisme ; nous sommes donc bien au cœur du sujet. Je me réjouis de cette ouverture, sans douter que vous saurez rendre à César ce qui est à César.

L’essentiel est de consacrer des moyens réels à une lutte plus efficace contre le terrorisme. Au-delà de ce coup de gueule pour tout ce temps perdu, je tiens à me féliciter que nous avancions dans l’intérêt des victimes et de la lutte contre le terrorisme.

Enfin, je tiens à rendre hommage à M. François Molins qui, jusqu’à présent, a accompli un travail remarquable avec ses services.

La Commission adopte l’amendement CL999.

Puis elle examine l’amendement CL1076 rectifié du rapporteur.

M. Didier Paris, rapporteur. Le temps fait en effet son œuvre, monsieur Gosselin, et l’a faite très rapidement entre la position que votre groupe politique a défendue au Sénat et celle que vous défendez aujourd’hui…

M. Philippe Gosselin. Vous n’ignorez pas qu’il existe entre le Sénat et l’Assemblée nationale des différences anciennes, monsieur le rapporteur ; la révision constitutionnelle en est un exemple !

M. Didier Paris, rapporteur. Nous ne pouvons collectivement que nous réjouir de cette évolution car, comme vous l’avez dit, nous sommes réunis autour d’un objectif commun, celui de la lutte contre le terrorisme.

M. Philippe Gosselin. C’est précisément ce que j’ai rappelé.

M. Didier Paris, rapporteur. En l’état actuel du projet de loi, seuls les membres du parquet national antiterroriste pourront intervenir devant la cour d’assises spéciale statuant en premier ressort – ce qui est à la fois sain et cohérent. Or, en cas d’appel, la présence du PNAT peut ne pas être prévue. Pour ne pas rompre la continuité de traitement des affaires et éviter tout problème d’ordre matériel ou opérationnel, je vous propose donc par l’amendement CL1076 rectifié de faire la jonction entre divers intérêts et de permettre au procureur général de se faire représenter par le procureur de la République antiterroriste ou l’un de ses substituts devant la cour d’assises spéciale d’appel. Autrement dit, la compétence de base du procureur général est conservée mais, si la situation le permet ou l’exige, le procureur général pourra s’adjoindre un membre du PNAT qui, par définition, est parfaitement informé : c’est son quotidien et sa seule responsabilité.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Avis favorable.

M. Erwan Balanant. Je me félicite de cette naissance du parquet national antiterroriste.

Mme Cécile Untermaier. Ou renaissance…

M. Erwan Balanant. En effet, après qu’il a été écarté par le Sénat. Face à des menaces nouvelles, la République a le devoir collectif d’inventer de nouveaux outils. Or ce nouvel outil très utile s’inscrit dans la continuité de ceux qui existent déjà, en particulier la spécialisation du tribunal de grande instance de Paris sur ces questions.

L’Assemblée nationale vient d’honorer la mémoire de Georges Clemenceau, l’inventeur des brigades du Tigre – ancêtres de la police judiciaire, créées pour répondre à une menace nouvelle à l’époque. Aujourd’hui, nous apportons une nouvelle réponse à une nouvelle menace. Peut-être notre rapporteur sera-t-il le Clemenceau de cette invention importante pour notre pays ?

M. Philippe Gosselin. Il a déjà la moustache : c’est un début !

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article 42 bis C modifié.

Chapitre V
Dispositions relatives à la cassation

Article 42 bis
(art. 567, 584 et 585 [abrogés], 585‑1, 586, 588, 590‑1 et 858 [abrogé] du code de procédure pénale ; art. 58 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ; art. 49 [abrogé] de la loi du 27 juin 1983 rendant applicable le code pénal, le code de procédure pénale et certaines dispositions législatives dans les territoires d’outre-mer)
Représentation obligatoire devant la chambre criminelle de la Cour de cassation

La Commission adopte l’article 42 bis sans modification.

Chapitre VI (nouveau)
Dispositions relatives à l’entraide internationale

Article 42 ter (nouveau)
(art. 230-19, 694-31, 695-26, 696-9-1, 696-47-1 nouveau et 696-73 du code de procédure pénale, 227-4-2 du code pénal et 64 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique)
Dispositions relatives à l’entraide pénale internationale

La Commission examine l’amendement CL1001 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Cet amendement vise à simplifier et à améliorer la procédure applicable en matière d’entraide pénale internationale, conformément aux demandes formulées par des praticiens.

M. Didier Paris, rapporteur. Je suis très favorable à cet excellent amendement technique.

La Commission adopte l’amendement.

L’article 42 ter est ainsi rédigé.

TITRE V 
Renforcer l’efficacité et le sens de la peine

Chapitre Ier 
Dispositions relatives aux peines encourues et au prononcé de la peine

Avant l’article 43

La Commission examine l’amendement CL703 de M. Dominique Da Silva.

M. Dominique Da Silva. Cet amendement vise à étendre le fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG) aux auteurs reconnus coupables de sévices graves et d’actes de cruauté envers les animaux tels qu’ils sont visés à l’article 521-1 du code pénal. De multiples études ont établi le lien entre la maltraitance animale et les comportements antisociaux – vols, agressions, incendies criminels, harcèlement ou encore violences familiales. De nombreux États étudient la mise en place d’un système semblable à celui que nous vous proposons. Une enquête conduite auprès de 43 000 résidents des États-Unis a conclu que les individus ayant déclaré avoir maltraité des animaux sont nettement plus susceptibles de présenter des comportements antisociaux.

L’insécurité et la maltraitance animales préoccupent de plus en plus nos concitoyens. Il me semble donc essentiel de faire évoluer notre législation dans ce sens.

M. Didier Paris, rapporteur. Je comprends parfaitement l’attention que portent les signataires de cet amendement aux délits commis à l’égard des animaux. La forte pression sociale qui s’exerce dans cette direction est saine, et plusieurs philosophes s’interrogent ces temps-ci sur le sens des rapports qu’entretiennent l’homme et l’animal.

Je ne suis pas pour autant certain de pouvoir donner un avis favorable à cet amendement, car le FNAEG est un fichier très particulier : non alphanumérique, il touche à la personnalité de chacun puisqu’il suppose la prise d’empreintes génétiques. Du fait de son extrême sensibilité, la législation l’encadre strictement, y compris pour ce qui touche à son accès et à son extension.

Deux catégories de personnes y figurent. Les auteurs d’infractions sexuelles, d’une part : à l’évidence, nous devons disposer de la base de données la plus complète et constante des infractions sexuelles pour établir à tout moment des rapprochements entre auteurs avérés, auteurs potentiels et victimes. La deuxième catégorie concerne les crimes « importants », en particulier les crimes contre l’humanité, crimes et délits de torture ou de trafic de stupéfiants et autres crimes visés à l’article 706-55 du code de procédure pénale. Je ne suis pas persuadé que les délits commis contre les animaux trouvent leur place dans cet article. Je ne suis donc pas favorable à cet amendement non pas tant en raison de la nature de l’infraction que pour des raisons liées à la gestion du fichier des empreintes génétiques.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Certes, nous avons récemment modifié le code civil pour y inscrire le fait que les animaux sont des êtres doués de sensibilité, et c’est heureux ; mais j’ai le sentiment, comme le rapporteur, que les actes de maltraitance animale ne sont pas des infractions de même niveau que les atteintes graves aux personnes et la criminalité organisée ou sérielle. Le Conseil constitutionnel, qui a validé la liste des infractions justifiant une inscription au FNAEG de leurs auteurs, sera sans doute aussi de cet avis. C’est pourquoi j’émets également un avis défavorable à votre amendement, considérant qu’il faut réfléchir plus longuement à cette question.

M. Ugo Bernalicis. Pour ma part, je trouve cette proposition plutôt intéressante, d’autant que la prise d’empreintes génétiques est parfois effectuée dans des cas où elle ne me semble pas tellement légitime : quand elle concerne, par exemple, des syndicalistes qui n’ont fait que défendre leur cause…

Dans le cas présent, plus circonstancié, on ne sait pas trop, on hésite. Je vais voter pour cet amendement. Au passage, je regrette que ceux que nous avons présentés dans le but de durcir les peines en matière de délinquance financière aient été jugés irrecevables.

M. Dominique Da Silva. Dans cette affaire, on a tendance à oublier la sécurité de nos concitoyens, puisqu’un lien évident a été établi entre la violence envers les animaux et le risque d’être condamné pour des atteintes à l’intégrité physique et morale des personnes. La mesure proposée n’enlève pas de droits aux individus fichés. S’ils se comportent bien, on ne les condamnera pas à autre chose.

Il faut être un peu courageux car la société évolue ; on aurait tort d’attendre des cas avérés pour modifier la loi. Je comprends qu’il puisse y avoir quelques effets de bord, mais je laisse la Commission juger de cet amendement.

La Commission rejette l’amendement CL703.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous allons suspendre nos travaux pendant quelques minutes.

Suspendue à onze heures trente, la réunion reprend à onze heures quarante.

Article 43
(art. 131-3, 131-4-1, 131-5-1, 131-6 à 131-8, 131-9, 131-16, 131-22, 131-35-1, 131-35-2, 131-36, 221‑8, 222-44, 222‑45, 223-18, 224-9, 225-19, 225-20, 227-29, 227-32, 311-14, 312-13, 321-9, 322-15 et 712-1 A [nouveau] du code pénal, 709-1-1 et 709-1-3 du code de procédure pénale, L. 3421-1 et L. 3353-3 du code de la santé publique, 20‑2-1 [nouveau], 20‑4‑1 et 20-5 de l’ordonnance n° 45‑174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, 24, 32 et 33 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et 3 de la loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public)
Renforcement de la cohérence et de l’efficacité des peines correctionnelles

La Commission examine, en discussion commune, l’amendement CL966 du Gouvernement et l’amendement CL151 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Nous changeons de chapitre avec cet article 43 qui réécrit l’échelle des peines et que le Sénat a beaucoup fait évoluer. Mon amendement vise à le rétablir dans son esprit initial.

Quelques mots sur la philosophie qui nous anime. Nous sommes partis du constat que le système actuel des peines est peu lisible, peu utile et peu crédible. Peu utile dans la mesure où son usage de l’emprisonnement génère de la récidive ; or une échelle des peines est conçue pour protéger la société tout en assurant la réinsertion de l’auteur de l’infraction. Sous ces deux aspects, notre système mérite d’être questionné. Peu crédible, car certaines peines prononcées ne sont jamais mises à exécution – je pense ici à l’article 723-15 du code de procédure pénale sur l’aménagement des peines inférieures ou égales à deux ans d’emprisonnement qui fait que de nombreux auteurs d’infraction ne vont jamais en prison alors qu’ils y ont été condamnés.

Pour ces trois raisons, il nous a semblé important de proposer une nouvelle politique des peines dont la lecture serait plus aisée.

Nous avons considéré que les peines de prison inférieures à un mois devaient être interdites en raison de leur caractère inutile. Au-delà, le juge dispose d’une palette de peines autonomes, l’emprisonnement n’étant plus la seule peine de référence. S’il prononce une peine d’emprisonnement d’une durée d’un à six mois, le principe général sera que l’exécution de la peine devra se faire hors d’un établissement pénitentiaire. Pour les peines d’une durée de six mois à un an, le tribunal se prononcera lui-même sur les conditions d’aménagement ou de non-aménagement de la peine : éclairé par des enquêtes de personnalité que nous souhaitons renforcer, il pourra décider d’aménager lui-même la peine ab initio ou demander au juge de l’application des peines de le faire, ou il pourra opter pour une exécution de la peine de prison, le cas échéant en délivrant un mandat de dépôt différé. Le tribunal retrouvera ainsi son rôle plein et entier dans l’individualisation de la peine ; il sera responsabilisé et ses décisions seront mieux respectées. Enfin, pour les peines supérieures à un an, il n’y aura plus d’aménagement de peine ab initio de manière systématique, ce qui, à nos yeux, est un facteur de crédibilité.

Cette politique volontaire vise à mieux lutter contre la récidive grâce à une meilleure adaptation de la peine à la nature de l’infraction, à sa gravité, à son auteur et à la situation de celui-ci. Elle requiert la création de peines autonomes que la formation de jugement pourra prononcer ab initio, et qui ne seront pas des peines de prison « converties en ».

Le Sénat a révisé fondamentalement l’article 43 du projet de loi, affirmant de manière très claire son attachement à l’emprisonnement comme peine de référence indépassable. Je défends, vous l’avez compris, une approche très différente qui vise à garantir la lisibilité du dispositif de sanctions, l’effectivité de la peine prononcée et sa meilleure efficacité en matière de lutte contre la récidive.

Mon amendement propose de rétablir l’économie initiale du projet de loi. Il prend en compte des coordinations utiles proposées par le Sénat et il procède à quelques améliorations comme, par exemple, la limitation à six mois de la détention domiciliaire sous surveillance électronique (DDSE) en qualité de peine autonome. Cette limitation permet de mieux distinguer la DDSE en tant qu’aménagement de peine et aussi une meilleure cohérence avec les conversions. Cela répond enfin à une crainte, exprimée par le Sénat, quant à la sévérité particulière de la DDSE à laquelle ni crédit de réduction de peine ni réduction supplémentaire de peine ne peuvent être appliqués.

Telle est, mesdames et messieurs les députés, l’économie générale de cet article 43.

M. Ugo Bernalicis. Mon amendement CL151 traduit une vision un peu différente du même sujet. Nous proposons de revoir complètement – et peut-être radicalement – l’échelle des peines. Nous distinguons trois peines : l’emprisonnement, la probation et l’amende, en faisant de la probation une peine réellement autonome et déconnectée de l’emprisonnement.

Dans notre système actuel – et dans celui que vous venez de présenter, madame la garde des Sceaux – la prison est une sorte de monnaie interne à la peine : on réfléchit d’abord en termes de peine de prison qui peut ensuite être convertie en alternative à l’incarcération ou en aménagement de peine. Vous l’avez dit vous-même, madame la garde des Sceaux : si vous condamnez à une peine comprise entre un et six mois d’emprisonnement, vous ne pourrez pas mettre la personne en prison, il faudra penser à… Autrement dit, l’étalon est toujours la prison et le système reste « carcéralo-centré ». Pour notre part, nous souhaitons que l’on change radicalement la donne et que l’on puisse avoir une véritable peine de probation autonome.

Je sais que nous avons un différend sur l’interprétation de la peine de probation. Vous pensez que le sursis probatoire est une peine de probation. Pour moi, le sursis probatoire n’est pas une peine de probation car le sursis rattache directement à la prison. Ce n’est donc pas une peine autonome de la peine de prison.

Évidemment, notre vision implique de modifier le code pénal lui-même. Pour un délit donné, la personne pourra, par exemple, être condamnée à 10 000 euros d’amende et une peine de probation autonome. Elle ne sera plus condamnée à x années de prison qui seront ensuite converties en autre chose. C’est un changement radical de philosophie : c’est à cette condition que nous pourrons vider les prisons et, surtout, avoir des peines qui collent au plus près de la personnalité et de la problématique délictuelle du condamné.

Cette philosophie générale était aussi celle de soutiens de la majorité qui l’avaient proposée au candidat Macron. Avec votre texte, madame la garde des Sceaux, on s’arrête au milieu du gué et il pourrait même engendrer des effets de seuil ou des effets pervers.

M. Didier Paris, rapporteur. Cet article 43, qui a trait au sens, à l’efficacité et à l’effectivité de la peine, est extrêmement important. Mme la garde des Sceaux l’a présenté de manière très complète et je souscris pleinement à son argumentaire. Je suis donc favorable à l’amendement du Gouvernement et défavorable à celui de M. Bernalicis.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Monsieur Bernalicis, vous dites que l’étalon reste la prison. Je ne suis pas d’accord avec votre affirmation.

Le texte prévoit que, pour certaines infractions, le juge pourra prononcer des peines autonomes, sans référence à la prison, telles que la DDSE. Dans certains cas, il continuera à prononcer une peine de prison qui pourra être convertie. Pour les peines inférieures à six mois de détention, le juge pourra opter pour une peine autonome ou pour une peine de prison qu’il convertira, étant donné que ce genre de peine devra en principe s’effectuer hors de la prison. Notre texte prévoit à la fois des peines déconnectées de la prison et des peines qui sont des aménagements de la peine d’emprisonnement.

Vous dites vouloir réintroduire la peine de probation. En fait, je ne sais pas si vous la déconnectez vraiment de la prison. Peut-être n’ai-je pas été assez attentive à votre propos, mais je n’ai pas compris ce qu’il se passait en cas d’échec de la probation.

M. Ugo Bernalicis. Le condamné repasse devant le magistrat.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Et alors, que fait le magistrat ?

M. Ugo Bernalicis. Il peut décider d’incarcérer. On ne supprime pas la prison.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. La probation reste donc, d’une manière ou d’une autre, connectée à la prison. Je ne sais pas si on peut la déconnecter.

M. Ugo Bernalicis. Avant de vous quitter pour aller prendre un train, je voulais vous répondre brièvement, sachant que nous en débattrons plus longuement en séance.

Si le condamné enfreint sa peine de probation, il retourne devant le magistrat qui peut lui imposer une contrainte supplémentaire. La peine de probation est, en effet, une boîte à outils extrêmement large. Si la personne persiste à enfreindre les contraintes, le magistrat peut conclure à un échec total de la mesure – ce qui serait un problème – et décider de l’incarcérer. Nous n’envisageons pas la disparition de la prison, puisque nous proposons même des peines d’emprisonnement. Mais il n’y a pas de référence à la prison dans la peine de probation et, surtout, le fait de l’enfreindre n’entraîne pas automatiquement l’envoi en prison. Voilà pourquoi, dans notre esprit, il s’agit clairement d’une peine autonome.

La contrainte pénale est liée à la peine de prison, m’aviez-vous dit. Ce n’est pas exact.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je crois que si, mais je vous donne rendez-vous dans dix jours…

M. Ugo Bernalicis. En elle-même, la contrainte pénale ne fait pas référence à la prison. En revanche, le juge qui la prononce peut préciser que le condamné ira en prison s’il l’enfreint.

M. Erwan Balanant. Il est dommage que M. Ugo Bernalicis s’en aille car j’aurais aimé lui répondre. Je ne comprends pas en quoi sa philosophie diffère de celle du texte sur ce point : dans les deux cas, l’idée est que la peine n’est pas synonyme de privation de liberté. Je me réjouis de constater un début de changement de paradigme dans notre rapport à la prison, sachant tout le travail que nous aurons à faire concernant nos établissements pénitentiaires.

La Commission adopte l’amendement CL966.

En conséquence, l’amendement CL151 tombe.

La Commission est saisie de l’amendement CL532 de Mme Danièle Obono.

Mme Danièle Obono. Par cet amendement, nous proposons de supprimer le changement profond de la peine de stage, voulu par le Gouvernement.

Tout d’abord, la peine de stage n’est plus une alternative à l’incarcération car elle pourrait être prononcée en même temps que l’emprisonnement. Le Gouvernement confirme son tropisme carcéral en détricotant les peines alternatives à l’incarcération. La peine de stage est désormais une peine cumulable à l’enfermement.

Ensuite, la peine de stage devient automatiquement aux frais des condamnés. Méconnaissant très certainement la situation des personnes visées par ce dispositif, le Gouvernement systématise le paiement du coût des stages par les condamnés. Pour notre groupe, il est essentiel que la juridiction puisse garder la possibilité de moduler le coût afin d’assurer une personnalisation de la peine. Nous craignons un effet de seuil avec un recours à des peines courtes d’emprisonnement pour ceux ou celles qui n’ont pas la capacité de payer.

M. Didier Paris, rapporteur. Si je comprends bien, vous voulez revenir sur la possibilité de prononcer des peines de stage en même temps que l’emprisonnement. Cela me semble difficile dans la mesure où le stage permet d’assurer la jonction entre l’incarcération et la sortie : le stage peut être un élément déterminant de préparation à la sortie. En revanche, il ne faut pas cumuler la détention ou une mesure restrictive de liberté avec un stage. Cela n’aurait pas de sens et serait excessif au plan de la répression. Avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Avis défavorable. Dans la nouvelle échelle que nous proposons, le stage est une peine autonome. Je rappelle aussi que les stages ont toujours été payants ; rien ne change donc à cet égard.

Mme Danièle Obono. Ce débat est lié avec notre échange précédent et je voulais répondre en partie à notre collègue Balanant.

Au début de la discussion sur la philosophie générale de ce texte, la ministre a clairement affirmé que le but n’était pas la déflation carcérale. Ce texte ne tend pas à vider les prisons de personnes qui ne devraient pas s’y trouver – souvenez-vous de nos échanges d’hier sur la détention provisoire.

De manière plus générale, nous posons la question du rôle de la prison dans la société. Nous considérons que la prison doit être l’exception et non pas la règle dès qu’une personne dévie ou remet en cause les règles communes. C’est ce qui fonde notre désaccord profond avec les mesures proposées par le Gouvernement.

Dans cet amendement, nous contestons la corrélation entre le stage et la prison. On retrouve toujours cette logique de l’enfermement, même quand il y a un saupoudrage avec d’autres mesures alternatives. En gardant le même principe directeur, on reste dans une logique d’incarcération par défaut et on ne se donne pas les moyens de développer de vraies mesures alternatives. Cela illustre parfaitement la différence fondamentale qui existe entre la philosophie du Gouvernement et la nôtre.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. En effet, l’objectif de ce texte n’est pas la déflation carcérale. L’objectif est que nous ayons des peines utiles et adaptées. La déflation carcérale sera une conséquence de cet objectif, je voudrais ici le réaffirmer.

M. Erwan Balanant. Bravo !

La Commission rejette l’amendement CL532.

Puis elle en vient à l’amendement CL1082 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Il s’agit toujours du rétablissement de l’article 43. Je l’ai défendu en présentant l’amendement CL966.

Suivant l’avis favorable du rapporteur, la Commission adopte l’amendement.

Puis elle passe à l’amendement CL813 du rapporteur.

M. Didier Paris, rapporteur. Cet amendement vise à revenir sur la décision du Sénat de permettre le cumul de toutes les peines. À mon sens, on ne peut pas cumuler des peines d’emprisonnement avec la peine de travail d’intérêt général (TIG).

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement CL813.

Puis elle examine l’amendement CL814 du rapporteur.

M. Didier Paris, rapporteur. À l’issue des travaux que j’ai pu mener dans le cadre d’une mission spécifique, je propose de porter de 280 à 400 heures le plafond maximal d’heures de TIG qui peuvent être prononcées en matière correctionnelle.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je voudrais à nouveau remercier le rapporteur pour son travail sur les TIG. La loi ne fait pas tout dans ce domaine-là et il nous reste à mener un gros travail opérationnel. Nous partageons un même objectif : développer les TIG, une peine qui répond à un réel besoin et qui est adaptée à certains profils. Dans quelques jours, j’annoncerai la création d’une Agence nationale du TIG et du travail en détention.

M. le rapporteur propose de porter la durée maximale du TIG de 280 heures à 400 heures. Cela ouvre des possibilités et on peut faire confiance aux formations de jugement et aux juges de l’application des peines pour retenir les quantums adaptés à la réalité des infractions commises. Avis favorable.

M. Philippe Gosselin. Je profite de l’occasion pour saluer le travail réalisé par notre rapporteur sur les TIG qui sont une forme de réinsertion par le travail, évidemment différente de celle qui est faite en centre de détention. La philosophie reste la même : sanctionner en laissant une place à la pédagogie. Il ne s’agit pas de tomber dans l’angélisme, loin de moi cette idée. Il s’agit de faire prendre conscience de l’effectivité de la sanction mais aussi de la faute, de faire comprendre pourquoi on est là.

Se pose toutefois la question, je le dis sans esprit polémique, des moyens qui seront mis à disposition. Je n’ai vraiment aucune objection à la création imminente de l’agence dont la garde des Sceaux vient de parler. Cette agence pourra être un élément de coordination, de facilitation, d’orientation : tout cela me va bien, mais je ne voudrais pas que, comme cela arrive parfois, l’on crée une institution rigide et déconnecté de la réalité et des besoins. Il ne suffit pas de créer une Agence nationale des TIG pour que les problèmes soient résolus du jour au lendemain. Il va falloir trouver des points de chute : entreprises, associations, collectivités territoriales.

Pour avoir été maire pendant vingt-deux ans, j’en ai fait l’expérience. J’avais été sollicité par différents établissements de mon secteur, par le président du tribunal ou le procureur. Je m’étais alors heurté à une difficulté, celle de l’encadrement. Nous étions une petite collectivité dont les personnels communaux ne s’estimaient pas compétents ou capables d’assurer l’encadrement de personnes en TIG. Ce n’est pas le tout d’avoir des personnes en TIG, encore faut-il les encadrer, donner un sens à leur présence. C’est aussi une difficulté dont nous aurons l’occasion de reparler en séance.

La Commission adopte l’amendement CL814.

Puis elle examine l’amendement CL815 du rapporteur.

M. Didier Paris, rapporteur. Je partage les préoccupations de notre collègue Gosselin. Notre objectif commun est de faire en sorte que toute la palette de peines prévue à l’article 43 soit utilisable et utilisée. Pour les TIG, nous pourrons compter sur la nouvelle agence et sur la plateforme numérique qui sera son levier le plus important.

Il faut néanmoins que les textes permettent une ouverture, et cet amendement vise à assouplir les règles en ce qui concerne la présence du condamné lors du prononcé de la peine de TIG. Actuellement, une telle peine ne peut être prononcée qu’en sa présence ou celle de son avocat, au cours de l’audience. Mon amendement rétablit la disposition, supprimée par le Sénat, permettant de prononcer un TIG en l’absence du condamné, dont le consentement à l’exécution des travaux sera recueilli ensuite par le juge de l’application des peines.

L’accord de l’intéressé reste impératif, j’y insiste, d’autant qu’il serait constitutionnellement compliqué de s’en dispenser. Il pourrait cependant être recueilli de manière différée pour apporter de la souplesse au dispositif. Pour le cas où le condamné refuserait d’exécuter le TIG, la juridiction aurait pris soin de fixer un quantum de peine correspondant à l’hypothèse de son refus.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement CL815.

Puis elle en vient à l’amendement CL1083 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Cet amendement de coordination rétablit les dispositions du projet qui avaient supprimé la référence à la contrainte pénale.

M. Didier Paris, rapporteur. Avis très favorable.

La Commission adopte l’amendement CL1083.

Puis elle examine l’amendement CL816 du rapporteur.

M. Didier Paris, rapporteur. Cet amendement vous propose de reprendre les dispositions actuelles du TIG sur l’obligation pour le condamné de se soumettre à un examen médical préalable avant son intégration dans la structure d’accueil.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement CL816.

La Commission est saisie de l’amendement CL109 de M. Philippe Dunoyer.

M. Philippe Gomès. Cet amendement a trait au TIG, cette peine alternative à l’incarcération qui consiste en un travail non rémunéré dans un organisme d’intérêt collectif.

En Nouvelle-Calédonie, comme ailleurs, seules les associations ou les institutions dotées de la personnalité morale sont susceptibles d’accueillir des TIG. Il est dommage de se priver des spécificités culturelles calédoniennes. Comme chacun sait, 40 % de la population calédonienne est d’origine kanak, le peuple autochtone du pays, et ce peuple kanak dispose de structures propres : les clans, les tribus, les conseils d’aire, les sénats coutumiers, ou ce que l’on appelle le groupement de droit particulier local. Or ces structures qui pourraient tout à fait accueillir un TIG ne sont pas susceptibles de le faire dans l’état actuel du droit.

Madame la ministre, vous aviez participé le 3 novembre 2017 à une réunion en Nouvelle-Calédonie, dans la foulée du comité des signataires, au cours de laquelle un certain nombre de sujets relevant de votre autorité ont été évoqués, parmi lesquels la levée des obstacles réglementaires à la mise en place de ces TIG.

Cette initiative était d’autant plus nécessaire qu’en Nouvelle-Calédonie, une aspiration forte a été exprimée pour que les structures coutumières puissent accueillir des travaux d’intérêt général. Deux documents y font référence : d’une part, le plan Marshall pour l’identité kanak et pour la jeunesse, adopté par le sénat coutumier et qui vise justement à ce que les autorités coutumières aient davantage d’autorité en ce qui concerne l’action en milieu kanak ; d’autre part, le plan territorial de prévention et de lutte contre la délinquance, préparé par le Gouvernement et adopté par le Congrès de la Nouvelle-Calédonie, qui appelle également à ce que le TIG puisse être effectué au sein des structures coutumières. Autrement dit, tout le monde s’accorde à considérer que c’est une manière d’adapter le TIG à notre pays, ou du moins de compléter les outils traditionnels utilisés sur le territoire national par rapport à l’organisation calédonienne.

C’est d’autant plus nécessaire que 90 % de la population carcérale est d’origine kanak ; on comprend bien que les peines alternatives à l’incarcération, dès lors qu’elles s’appliquent dans le milieu, seraient probablement beaucoup plus efficaces en termes de réinsertion.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Et de désinflation carcérale… Pour qui connaît l’état de la prison du Camp Est à Nouméa, ce genre de dispositif est plus que bienvenu !

M. le rapporteur. Je suis extrêmement satisfait de cet amendement qui vient remplir une case manquante dans le territoire de Nouvelle-Calédonie. Les structures dont vous parlez ne sont ni des associations, ni des collectivités territoriales, il fallait donc bien remplir ce vide. Cela me paraît extrêmement important, parfaitement conforme à l’esprit que nous souhaitons, et je remercie le groupe UDI, Agir et Indépendants de l’avoir fait.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je vous remercie aussi, monsieur Gomès d’avoir proposé cet amendement. J’avais effectivement évoqué ces sujets lorsque je m’étais rendue en Nouvelle Calédonie ; je sais que depuis, vous avez eu l’occasion de travailler avec mes collaborateurs à la Chancellerie afin de mener à bien cette initiative qui aura également pour effet de désengorger la prison de Nouméa, ce qui ne sera pas inutile. Avis très favorable.

M. Philippe Gosselin. À mon tour de saluer en quelques mots cette initiative qui va réellement dans le bon sens. Au-delà du désengorgement de la prison qui est bien nécessaire – pour connaître l’établissement, il ne donne vraiment pas envie d’y aller – cela étant, je connais peu d’établissements pénitentiaires qui donnent envie d’y séjourner, soyons honnêtes ! (Sourires.) C’est peut-être l’occasion de rappeler à nos concitoyens qu’il n’y a pas de prison cinq étoiles comme on l’entend parfois. Pour en avoir visité quelques dizaines en France et dans les outre-mer, depuis plusieurs années, je vous dis franchement qu’aucune ne donne envie d’y aller… Mais celle de Nouvelle-Calédonie encore moins !

Au-delà de cet aspect, je trouve que l’approche choisie par notre collègue Philippe Gomès est la bonne. Je ne voudrais pas faire un long développement sur les nécessaires rééquilibrages au sein de la Nouvelle-Calédonie, mais clairement, nous sommes dans l’esprit des accords et des pratiques de ces dernières années, dans le prolongement d’une forme d’inclusion, si je puis me permettre l’expression sans vouloir me méprendre sur ce terme, de l’ensemble des instances et des institutions de Nouvelle-Calédonie, qu’elles soient de droit de la République ou de droit coutumier calédonien – lui aussi parfaitement reconnu par le droit de la République. Le groupe Les Républicains apporte un soutien entier et très chaleureux à cette initiative qui va dans le bon sens.

La Commission adopte l’amendement CL109.

Elle est saisie de l’amendement CL817 du rapporteur.

M. le rapporteur. Cet amendement est également relatif aux TIG. Nous procédons par petits bouts, ce qui peut nuire un peu à la cohérence.

Cet amendement est important à mes yeux car il permet d’envisager la dynamisation du TIG au profit des mineurs. Les mineurs âgés de seize ans constituent une cible potentiellement importante ; or le TIG, qui peut constituer un sas progressif vers le monde du travail et la réinsertion par le travail, est actuellement peu mis en oeuvre. Nous proposons de mieux l’utiliser, en prévoyant qu’un mineur âgé de seize à dix-huit ans à la date de sa condamnation – et non au moment de la réalisation des faits –, dès lors que les faits ont été commis postérieurement à ses treize ans et qu’il en est donc pénalement responsable, puisse être astreint à un TIG.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Favorable.

La Commission adopte l’amendement CL817.

Puis elle adopte les amendements de précision CL818 et CL819 du rapporteur.

Elle en vient à l’amendement CL533 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Danièle Obono. Cet amendement de suppression ciblée des alinéas 42 à 45 tend à garantir que le TIG ne puisse être effectué auprès de personnes morales de droit privé, parce que cela constitue une privatisation du service public de la justice non seulement au détriment de l’intérêt général, mais surtout en méconnaissance du droit des personnes. Nous parlions du sens de la peine, et la proposition du Gouvernement me semble, de ce fait, contradictoire.

Le Gouvernement souhaite que la peine de TIG soit ouverte aux entreprises, personnes morales de droit privé, relevant de l’économie sociale et solidaire et poursuivant un but d’utilité sociale. Ce choix ouvre à nos yeux une brèche dans l’exclusion traditionnelle des sociétés de droit privé du TIG. Le sens de la peine de TIG se caractérise par une sanction-réparation au profit de la société ; c’est une réhabilitation, par laquelle une personne qui a créé un dommage à la société répare sa faute envers la société par un travail non rémunéré à son profit.

Nous nous opposons à cette expérimentation sur le fond, et souhaitons que le Gouvernement se concentre sur le développement des postes de TIG dans les administrations, collectivités territoriales et entreprises publiques, dans la mesure où tout le monde s’accorde sur l’intérêt de développer cette mesure bien identifiée par nos concitoyens et les magistrats.

Prendre le chemin de la perte de sens n’est pas souhaitable, d’autant plus que c’est méconnaître la grande diversité qui existe dans le tissu économique des entreprises intervenant dans le domaine de l’économie sociale et solidaire. Le jeu qui consiste à casser les alternatives à l’incarcération qui fonctionnent doit être dénoncé : il ne saurait être question de créer une catégorie de travailleurs gratuits, intérimaires sous contrôle judiciaire.

M. le rapporteur. Madame Obono, nous avons une vraie différence d’approche sur cette question. À nos yeux, le TIG est une peine qui doit précisément se centrer sur le travail, et donc sur le monde économique, qui en est une partie centrale. La proposition que nous faisons suit très exactement les préconisations du Conseil d’État en l’étendant a minima au secteur de l’économie sociale et solidaire, secteur intermédiaire entre le monde marchand et le monde associatif.

Contrairement à ce que vous pensez, l’économie marchande est déjà pleinement intégrée, car les sociétés chargées de missions de service public ou délégataires de telles missions sont d’ores et déjà capables d’accueillir des TIG. Avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Avis défavorable, pour les raisons que vient d’expliquer le rapporteur.

M. Philippe Gosselin. Il n’y a aucune brèche d’ouverte, et quand bien même il y en aurait une, ce n’est pas une privatisation de la justice mais l’ouverture à un environnement économique qui paraît nécessaire à la réinsertion. La vocation du TIG est d’être une sanction, pour faire prendre conscience de la gravité des choses et parfois permettre une forme de réparation à l’égard de la victime. Mais l’objectif qui broche le tout est aussi, dans un certain nombre de cas, de faire prendre conscience de ce que peut être le travail : nous sommes toujours dans le volet réinsertion, peut-être dans l’intérêt de celui qui va exécuter la peine, mais aussi dans l’intérêt de la société, et il me paraît bon que l’on puisse se confronter à d’autres approches, d’autant qu’entre l’économie solidaire, les collectivités et les entreprises publiques, le panel est assez large.

Il est important de diversifier les points de chute pour les TIG, car ce n’est pas simple aujourd’hui. Nous pourrions peut-être déjà, avec les dispositifs existants, en prononcer davantage, mais la question se pose toujours de trouver les points de chute : ce n’est pas aussi évident qu’il n’y paraît de trouver des encadrants dans les communes et les départements. Il ne s’agit pas de lâcher les gens dans la nature, il faut une formation. Cela veut dire que la collectivité doit y trouver un intérêt, et elle peut en trouver un, mais cela suppose de créer des postes d’encadrement et donc de disposer des moyens financiers et autres nécessaires. Il faut donc élargir les possibilités d’accueil. Je soutiens l’approche du rapporteur.

Mme Danièle Obono. Nous touchons du doigt la différence idéologique qui nous oppose. Nous sommes par ailleurs très favorables au développement de l’économie sociale et solidaire, nous pensons que c’est un secteur qui n’est pas assez développé et qui représente une alternative au type d’entreprises jusqu’à présent majoritaire. Reste que l’économie sociale et solidaire, a quand même une dimension économique et d’intérêt privé.

Là où est le problème, c’est que vous insistez sur la question du travail, alors que nous, nous mettons l’accent sur l’intérêt général.

M. Philippe Gosselin. Dans « TIG », la première lettre signifie « travail »…

Mme Danièle Obono. Mais ce travail doit servir l’intérêt général : c’est pour cela que nous privilégions les services publics. Ils constituent déjà un panel suffisamment large, d’autant que nous avons bien l’intention de développer et de diversifier les services publics, de donner davantage de moyens aux collectivités. Nous partageons le constat que les collectivités et les services publics manquent de formateurs et d’encadrement pour accueillir les TIG.

M. Philippe Gosselin. Là-dessus, nous nous retrouvons.

Mme Danièle Obono. Mais plutôt que d’ouvrir la voie aux intérêts privés, aussi louables soient-ils dans l’économie solidaire, nous privilégions effectivement le service public et les entreprises publiques.

M. Erwan Balanant. Je suis extrêmement surpris par cette prise de position du groupe La France insoumise, et cela révèle ce que je pensais déjà : elle traduit une incompréhension totale de ce qu’est l’économie sociale et solidaire, son fondement et sa philosophie. En fait, vous ne savez pas ce que c’est, et je l’avais déjà perçu à plusieurs occasions.

L’économie sociale et solidaire ne doit pas être opposée aux collectivités ou à la sphère publique, ni à la sphère privée. C’est une philosophie différente, qui peut prendre un peu des deux modèles, selon les cas. Les acteurs de l’économie sociale et solidaire demandent à s’investir sur ce sujet, d’autant que c’est ce qu’ils savent le mieux faire : l’insertion par l’activité économique. C’est un des grands pans de l’économie sociale et solidaire, et un des meilleurs vecteurs pour la réinsertion dans notre pays. C’est ce qui marche le mieux aujourd’hui.

Toute la problématique que nous avons autour des peines – et vous avez bien vu que je ne parle pas des prisons – est de pouvoir « payer » à la société sans que cela ne devienne un point de rupture dans le rapport à la société. C’est par l’amendement de M. le rapporteur qui permet de prononcer des TIG plus longs, par l’inscription dans l’économie sociale et solidaire, par l’inscription dans la vie économique de notre pays que nous allons pouvoir avancer. Je suis très surpris que vous, qui vous dites humanistes, soyez en opposition avec cela.

Mme Danièle Obono. Vous m’avez mal écoutée…

M. Erwan Balanant. S’il y a un secteur de notre économie qui porte l’humanisme au fond de son cœur et de ses tripes, c’est bien l’économie sociale et solidaire.

La Commission rejette l’amendement CL533.

Elle est saisie de deux amendements en discussion commune, CL820 du rapporteur et CL544 de Mme Coralie Dubost.

Mme Coralie Dubost. L’amendement CL544, cosigné par la presque totalité des commissaires aux lois du groupe La République en marche, est dans le droit fil de la discussion précédente, puisque nous inscrivons dans la philosophie de ce projet de loi la volonté d’étendre les TIG à la réinsertion par l’activité économique et d’intérêt général.

Je partage les arguments développés par M. Balanant. Il y a peu, dans le cadre de la discussion du projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises, dit PACTE, nous avons créé un nouveau statut de sociétés, les sociétés à mission, qui sont le résultat d’un travail collectif de différents groupes. Ce travail a été salué par M. Pierre Rosanvallon cette semaine à l’occasion d’une conférence à Montpellier : il y voit une avancée révolutionnaire en matière de droit des entreprises, d’ouverture démocratique et d’intérêt général.

Nous pensons que ces entreprises très particulières et singulières dans leur approche, qui verront leur traduction concrète au terme des navettes parlementaires, devraient pouvoir accueillir des TIG et permettre la réparation, mais aussi la réinsertion. Quel sens donne-t-on à son rapport à la société lorsqu’on se réinsère, lorsqu’on effectue une peine, au-delà de la réparation ?

Je remercie le rapporteur pour la qualité et la profondeur de ses travaux et sa force de réflexion sur le sujet. Je crois qu’il a de belles propositions à nous présenter.

M. le rapporteur. Mon amendement CL820 a la même finalité : nous sommes en parfait accord sur le sens que nous souhaitons donner, toujours centré sur le travail. En aucune façon la logique liée au travail ne doit s’opposer à l’intérêt général dont parlait Mme Obono. Toutes les précautions sont prises en la matière : le TIG ne peut être effectué que dans le cadre du respect de l’intérêt général. Un certain nombre de dispositions proposées encadrent parfaitement cette logique, à laquelle nous ne souhaitons en aucune façon déroger.

Je suis évidemment favorable à l’amendement de Mme Dubost, à ceci près que sa rédaction n’est pas exactement conforme à la logique du projet de loi PACTE en cours de rédaction. J’y fais clairement référence en mentionnant explicitement l’article du code de commerce tel qu’il résultera de la loi relative à la croissance et à la transformation des entreprises. Ce qui, au moins sur le plan légistique, clarifie les choses, autant sur le principe général que sur les dispositions qui concernent les sociétés de mission. Je vous propose donc, chère collègue, de vous rallier à mon amendement dans la mesure où il participe exactement du même objectif que le vôtre.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je suis absolument favorable au développement des TIG, y compris pour les raisons que Mme Dubost vient d’exposer. Il faut simplement coordonner la rédaction de notre texte avec une loi qui n’est pas encore adoptée : c’est un peu compliqué, mais nous devons pouvoir trouver une solution et j’ai toute confiance en nos rédacteurs pour trouver la bonne solution.

Mme Danièle Obono. À entendre leurs interventions, certains collègues n’ont peut-être rien lu de ce que nous proposons au sujet des entreprises de l’économie sociale et solidaire. Je vous renvoie à la lecture du livret thématique que nous avons commis sur le sujet…

M. Erwan Balanant. On ne peut pas tout lire…

Mme Danièle Obono. On peut être ignorant et se complaire dans son ignorance, mais on peut aussi avoir un débat politique, exprimer nos divergences sans caricaturer les positions des uns et des autres !

Nous croyons au renforcement et au développement des entreprises de l’économie sociale et solidaire. Nous avons fait plusieurs propositions pour en renforcer le cadre et les développer, car nous y voyons une alternative à l’actuel mode de fonctionnement de notre économie. Reste que ces structures restent, au moins en partie, des entreprises à but lucratif alors que la sanction pénale relève du rapport à la société, et de ce fait du domaine de l’intérêt public. C’est pourquoi nous privilégions une autre voie que ce qui est proposé dans ce projet de loi. Il y a un débat important et sérieux, auquel nous avons participé, sur l’économie sociale et solidaire ; mais ne nous faites pas dire ce que nous ne disons pas. Nous maintenons que c’est une mauvaise idée d’ouvrir les TIG au secteur marchand.

La Commission adopte l’amendement CL820. En conséquence l’amendement CL544 tombe.

L’article 43, modifié, est adopté.

Après l’article 43

La Commission est saisie de l’amendement CL355 de Mme Corinne Vignon.

Mme Alexandra Louis. Cet amendement vise à créer un stage de sensibilisation au respect de l’animal. Le sujet de la maltraitance animale a fait l’objet d’une prise de conscience par nos juridictions. En 2017, 8 447 affaires d’atteinte à la protection des espèces animales, végétales et des habitats sont arrivées au parquet, dont 5 539 faits d’acte de cruauté envers les animaux, mauvais traitement à animal.

Je sais, madame la garde des Sceaux, que vous tenez au principe d’individualisation de la peine, et à la possibilité d’adapter la réponse pénale à la personnalité de l’auteur des infractions et à la nature des faits. Notre code pénal gagnerait à prévoir une réponse pénale spécifique sur ce phénomène.

Un stage de sensibilisation a aussi une vertu pédagogique. Le sens de la peine, c’est la certitude et la promptitude de la peine ; encore faut-il comprendre pourquoi on est condamné. Parfois, un stage de sensibilisation a davantage de vertus qu’un sursis, parce qu’il permet à la personne condamnée de remettre en cause son comportement et d’y réfléchir avec un accompagnement. La création de ce stage permettrait d’apporter cette réponse pénale adaptée.

M. le rapporteur. Aucun d’entre nous ne peut être insensible à la cause animale et au respect de l’animal. Je comprends votre amendement et j’aimerais pouvoir l’accepter en l’état, mais il me pose une difficulté car je crains, ce faisant, d’ouvrir une porte qu’on ne saura pas refermer avec la multiplication des stages génériques : devra-t-on prévoir un stage pour chaque comportement déviant ? Le code pénal prévoit déjà sept stages possibles, parmi lesquels le stage de citoyenneté, qui pourrait en partie répondre à la problématique que vous évoquez. Mais la liste est déjà conséquente et je crains qu’elle ne s’allonge à n’en plus finir. Je comprends votre logique et il ne me heurterait pas plus que cela d’en ajouter un, mais je vous propose de retravailler un peu cet amendement en vue de la séance publique afin qu’il s’insère mieux parmi les stages existants. La garde des Sceaux aura sans doute un avis plus pertinent que le mien en la matière.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je n’ai pas d’avis plus pertinent… J’en ai justement parlé tout à l’heure avec Mme Louis, et je l’ai encouragée à approfondir cette question du stage de sensibilisation. Je suis également très sensible à la crainte exprimée par M. le rapporteur de voir un stage se créer pour chaque infraction, ce qu’il faut à tout prix éviter.

Sept stages sont actuellement prévus dans des catégories différentes. Je comprends l’intérêt de votre proposition, madame, et j’aimerais continuer à y réfléchir avec vous jusqu’à la séance. Pourriez-vous retirer votre amendement à ce stade afin que nous trouvions la rédaction appropriée ?

Mme Alexandra Louis. J’entends votre argument et je partage la préoccupation de ne pas multiplier les stages. Effectivement, il faut éviter de se retrouver avec une multitude de stages, un pour chaque infraction, qu’il serait difficile à mettre en œuvre.

Reste qu’il est totalement impossible de prendre en compte la protection animale dans les stages existants. Le juge n’a pas la possibilité d’orienter les stages de citoyenneté vers ce type d’infractions. Je vais donc retirer cet amendement afin d’y retravailler ensemble en vue de la séance publique et d’offrir aux juges un outil utilisable qui, au-delà de l’aspect répressif de la peine, ait cette vertu pédagogique à laquelle je tiens absolument.

L’amendement CL355 est retiré.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Je vous alerte sur le fait que nous avons encore 250 amendements à étudier, et que nous avons déjà passé plus de vingt-cinq heures en commission. J’invite chacun à se discipliner.

La Commission examine l’amendement CL201 de M. Philippe Gosselin.

M. Philippe Gosselin. Cet amendement aborde le sujet sensible des violences conjugales et familiales, dont le Président de la République a fait une de ses grandes causes.

Son point de départ est la loi du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants, qui a permis l’expérimentation d’un dispositif de placement sous surveillance électronique des auteurs de violences familiales et conjugales. Le principe en est simple : un bracelet électronique est installé sur le conjoint ou parent violent, tandis que la victime se voit remettre un boîtier d’appel qui permet également de la géolocaliser et d’être prévenue dès qu’elle entre dans la zone de danger. Ce dispositif peut être utilisé en phase pré-sentencielle comme en phase post-sentencielle afin d’éviter la récidive. À la différence du « téléphone grand danger » (TGD), qui n’agit qu’en cas d’urgence, il permet d’être prévenu bien en amont. Au cours des derniers mois, des femmes ont été tuées par un ex-conjoint, dont il importe peu qu’il ait été pacsé, concubin, marié ou divorcé ; autant de drames qui auraient pu être évités.

Une expérimentation est inscrite dans la loi depuis 2010, la belle affaire ! En fait, elle n’a jamais eu lieu, car le quantum de peine retenu n’est pas le bon. On a cru bien faire à l’époque en prévoyant un quantum de peine de cinq ans de privation de liberté, alors qu’il aurait fallu le ramener à deux ans pour que l’expérimentation puisse se dérouler dans un certain nombre de ressorts de tribunaux restant à déterminer par voie réglementaire. Je précise enfin que des expérimentations similaires ont donné des résultats tout à fait probants en Espagne, au Portugal et en Slovaquie.

M. Didier Paris, rapporteur. Il est difficile de ne pas être d’accord avec les excellents arguments produits par notre collègue Gosselin sur l’objectif à atteindre.

Cette expérimentation, prévue en 2010, et a été poursuivie en application de la loi du 28 février 2017 relative à la sécurité publique, mais j’en ignore les résultats comme les modalités de mise en œuvre. À vous entendre, elle n’a jamais été réalisée en raison d’un quantum de peine excessif ; c’est peut-être une raison, mais il peut y en avoir d’autres. Abaisser ce quantum est intellectuellement concevable, mais pourrait créer des difficultés matérielles de mise en œuvre, car ce dispositif, très lourd, exige de disposer au quotidien de moyens très conséquents.

Il ne m’appartient pas de juger de cette question qui est du ressort de l’exécutif, mais je vous demanderai de retirer cet amendement afin que nous puissions l’examiner plus avant, faute de maîtriser à ce stade tous les aspects de la question.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Il s’agit évidemment d’un sujet très sensible et difficile. Je n’ai cependant pas le sentiment, monsieur le député, que votre proposition soit de nature à répondre totalement aux difficultés que vous évoquez. Il faudrait ou bien développer le placement sous de surveillance électronique mobile (PSEM), ou bien expérimenter la remise à la victime d’un dispositif de téléprotection.

La procédure de PSEM est extrêmement lourde à gérer – c’est pourtant ce que nous faisons – dans la mesure où elle implique qu’à tout moment des gens vérifient que l’intéressé respecte bien les limites de déplacement qu’il doit observer ; et c’est précisément en raison des moyens énormes qu’elle exige que cette disposition est réservée à de lourdes peines – sept ans et plus. Par exception, ce seuil a été ramené à cinq ans pour les violences conjugales. En toute hypothèse, le PSEM ne constitue pas un bouclier physique, il ne peut être qu’un frein sans pouvoir empêcher que le délinquant rencontre éventuellement sa victime.

Par ailleurs, nous avons développé d’autres outils juridiques et physiques qui nous semblent plus maniables et plus efficaces. Sur le plan juridique c’est l’interdiction de paraître, le contrôle judiciaire, l’ordonnance de protection civile – outil juridique très important – sans oublier évidemment l’incarcération. Parmi les outils de protection, vous avez signalé le « téléphone grand danger » ; mais aussi pertinent qu’il soit, cet appareil n’est pas efficace à 100 % puisque deux femmes équipées d’un TGD ont trouvé la mort, soit qu’elles n’aient pas été en mesure de l’activer, soit que les secours sont arrivés trop tard.

En tout état de cause, le sujet est très délicat et je ne suis pas sûre que les éléments matériels que vous évoquez soient de nature à résoudre la question que vous posez ; pour toutes ces raisons, j’émets un avis très réservé.

M. Philippe Gosselin. Je vous remercie, madame la garde des Sceaux ; ce sujet est très sensible et mon amendement n’a évidemment pas la prétention de résoudre l’ensemble des difficultés ; ce n’est qu’un élément parmi d’autres.

Toutefois, il ne s’agit pas d’un PSEM sous une autre forme ni du TGD ; c’est encore autre chose. Je déplore que huit ans après l’adoption de la loi de 2010, qui prévoyait l’expérimentation de ce dispositif, on ne puisse pas concrètement l’expérimenter, faute d’avoir retenu le bon quantum de peine. Si ce quantum n’est pas abaissé de cinq à deux ans, il ne se passera rien : je ne demande pas une généralisation, mais une expérimentation.

J’ai bien volontiers reconnu tout à l’heure au Gouvernement l’intérêt qu’il pouvait avoir à expérimenter ; il me semble intellectuellement dommage de nous interdire cette piste, à plus forte raison quand il s’agit de lutter contre les violences intrafamiliales, sujet qui nous tient tous à cœur. Cette expérimentation n’engage pas une révolution, et des parquets et des TGI sont prêts à la conduire.

La Commission rejette l’amendement CL201.

M. Philippe Gosselin. De tels amendements font appel à la volonté collective, et je sens une forme d’embarras dans les propos du rapporteur et de la ministre, que je comprends bien ; je ne fais donc aucun procès d’intention. Ne pourrions-nous travailler ensemble à une nouvelle rédaction en vue de la séance publique ? Je peux volontiers me mettre à la disposition de la garde des Sceaux afin que nous trouvions une issue favorable. Je peux proposer une autre mouture, mais ce n’est pas moi qui ai la main, madame la garde des Sceaux ; de nouveaux signaux, complémentaires, méritent d’être envoyés sur cette question.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Le sujet est très sensible, j’aimerais que nous trouvions une solution, qui toutefois doit être raisonnée. Je veux bien adopter des dispositifs, mais à quoi bon s’ils ne sont pas appliqués ? N’y voyez aucun grief à votre endroit, monsieur Gosselin, c’est une interrogation que nous portons collectivement.

M. Philippe Gosselin. C’est raisonné et raisonnable ; c’est pourquoi il ne s’agit à ce stade de ne proposer qu’une expérimentation.

Article 43 bis (supprimé)
(art. 131-30-3 [nouveau] du code pénal)
Peine complémentaire obligatoire d’interdiction du territoire français pour tous les délits et crimes punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement

La Commission est saisie des amendements identiques CL821 du rapporteur et CL768 de M. Stéphane Mazars.

M. Didier Paris, rapporteur. L’amendement CL821 propose de supprimer un article, ajouté par le Sénat, qui rend obligatoire le prononcé de la peine complémentaire d’interdiction du territoire français ; nous revenons en fait aux débats portant sur le projet de loi pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif.

M. Dimitri Houbron. L’amendement CL768 vise également à supprimer l’article 43 bis, introduit par le Sénat et visant à rendre obligatoire le prononcé de la peine complémentaire d’interdiction du territoire français pour les étrangers reconnus coupables d’une infraction punie d’au moins cinq ans de prison. Nous avions déjà rejeté cette disposition lors de l’examen du projet de loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie.

Le caractère automatique de cette peine serait contraire au principe constitutionnel d’individualisation des peines, prévu par l’article VIII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Les seules exceptions qui demeurent sont soumises à une proportionnalité totalement absente de la proposition de nos collègues sénateurs.

Je rappelle que cette peine d’interdiction du territoire français existe déjà, mais en tant que peine complémentaire et facultative pour de nombreux délits ; il est important que le juge puisse conserver cette marge d’appréciation.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je suis favorable à cette suppression.

La Commission adopte les amendements identiques CL821 et CL768.

En conséquence, l’article 43 bis est supprimé.

Article 43 ter (supprimé)
(art. 132-16-5 du code pénal)
Systématisation de l’aggravation de la peine à raison de l’état de récidive légale

La Commission est saisie des amendements identiques CL822 du rapporteur et CL769 de M. Stéphane Mazars.

M. Didier Paris, rapporteur. L’amendement CL822 vise à supprimer l’article 43 ter, introduit par le Sénat et visant à rendre systématique l’aggravation de la peine à raison de l’état de récidive.

Mme Nicole Dubré-Chirat. L’amendement CL769 tend également à supprimer cet article. D’une part, les dispositions proposées au stade des poursuites paraissent inutiles, le procureur de la République pouvant déjà relever d’office l’état de récidive légale.

D’autre part, l’obligation faite à la juridiction de jugement de relever d’office l’état de récidive légale y compris lorsqu’il n’est pas mentionné dans l’acte de poursuites semble excessive. En effet, le tribunal peut déjà le faire à l’audience sous réserve pour la personne poursuivie d’en être informée et d’avoir été mise en mesure d’être assistée d’un avocat et de faire valoir ses observations. Dans ces conditions, instaurer une telle obligation, sauf décision spécialement motivée, ajouterait une complication inutile et formelle et constituerait un acte de défiance à l’égard des magistrats, qui doivent rester libres d’apprécier si le relevé de l’état de récidive est opportun ou non en fonction du cas d’espèce.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Avis favorable.

La Commission adopte ces amendements.

En conséquence, l’article 43 ter est supprimé.

Après l’article 43 ter

La Commission examine, en présentation commune, les amendements CL187 et CL188 M. Raphaël Schellenberger.

M. Philippe Gosselin. Défendus.

M. Didier Paris, rapporteur. Avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Même avis.

La Commission rejette les amendements.

Article 43 quater
(art. 132-29, 132-35 à 132-39, 132-42, 132-47 à 132-50 du code pénal et 735 et 735-1 du code de procédure pénale)
Révocation automatique et intégrale du sursis simple et modification des règles de révocation du sursis avec mise à l’épreuve

La Commission examine les amendements CL770 M. Stéphane Mazars et CL823 de M. Didier Paris.

M. Stéphane Mazars. L’article 43 quater, introduit par le Sénat, tend à rétablir la révocation automatique et intégrale du sursis simple et à modifier les règles de révocation du sursis avec mise à l’épreuve pour les aligner partiellement sur celles applicables au sursis simple.

Nous sommes opposés à ces mesures qui remettent en cause le principe que vient de rappeler notre collègue Nicole Dubré-Chirat de la personnalisation des peines, qui doit demeurer un outil utile pour les magistrats : rendre un jugement, personnaliser une peine, c’est un travail « cousu main », au cas par cas.

Une vraie difficulté se présente pour les sursis avec mise à l’épreuve, car parfois la mise à l’épreuve n’a pas pu être prononcée, la personne condamnée n’ayant pas été présentée au service de probation ; il est donc illusoire de révoquer un sursis avec mise à l’épreuve qui n’a pas pu être prononcé. D’où notre amendement de suppression CL770.

M. Didier Paris, rapporteur. Je remercie notre collègue Mazars pour sa présentation et je partage ses arguments : cependant, il se trouve que mon amendement CL823 a le même objet, mais prévoit en outre d’améliorer l’actuel dispositif de révocation du sursis simple sur décision de la juridiction, en permettant à cette dernière d’assortir la révocation du sursis simple de l’exécution provisoire.

C’est pourquoi je lui demande de bien vouloir vous rallier à mon amendement.

M. Philippe Gosselin. À votre panache blanc !

M. Stéphane Mazars. Votre panache nous fait beaucoup d’ombre, monsieur le rapporteur ! (Sourires.) Dans ces conditions, je retire mon amendement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Pour ma part, j’aurais aimé me rallier au panache aveyronnais, mais on me dit que c’est celui du rapporteur qu’il faut suivre ; je tourne donc casaque…

L’amendement CL770 est retiré.

La Commission adopte l’amendement CL823.

L’article 43 quater est ainsi rédigé.

Article 44
(art. 41 et 81 du code de procédure pénale et 132-70-1 du code pénal)
Amélioration de la connaissance de la personnalité du prévenu par le tribunal correctionnel

La Commission examine l’amendement CL824 du rapporteur.

M. Didier Paris, rapporteur. Je propose par cet amendement de ne pas trop nous écarter des dispositions actuelles en matière de probation.

Le Gouvernement prévoit de conserver la place des services d’insertion et de probation ou post-sentenciel, et de leur conférer une place, non pas prééminente, mais de premier rang, en pré-sentenciel. Cela me paraît très délicat dans la mesure où beaucoup d’associations habilitées et de structures existantes sont extrêmement sensibles à cette position, et souhaitent continuer à exercer une action forte dans ce domaine. Or le sens de présentation du texte me paraît de nature à leur causer des difficultés et à inverser quelque peu l’ordre des choses. Je le dis avec d’autant plus de conviction qu’à mes yeux l’ensemble des dispositions, nous l’avons vu, accroîtra le travail qui sera demandé aux services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) dans les phases post-sentencielles.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je suis très favorable à cet amendement, car nous avons besoin de rééquilibrer le travail des SPIP dans les phases pré et post-sentencielles.

La Commission adopte l’amendement CL824.

Elle se saisit ensuite de l’amendement CL551 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Danièle Obono. Cet amendement vise à généraliser la césure du procès pénal, en permettant un ajournement aux fins d’investigation sur la personnalité et la situation sociale, économique et familiale des personnes prévenues pour que la peine soit adaptée, dans le respect des principes d’individualité de la peine et de la notion de parcours d’exécution des peines.

Comme le souligne l’Association nationale des juges d’application des peines, il faut sortir de l’ambiguïté actuelle où l’on débat en même temps de la culpabilité et de la peine. Si, afin de lutter réellement contre la récidive, on veut rendre effectifs le principe d’individualisation des peines et le parcours d’exécution des peines, il faut prolonger ce que la loi de 2014 a introduit avec la possibilité d’ajourner le prononcé de la peine et d’ordonner des investigations en imposant cet ajournement.

Pour l’heure, cette possibilité laissée par le législateur est peu utilisée. Plusieurs raisons peuvent expliquer ce fait. D’une part, la logique de rentabilité et d’engorgement des juridictions pénales est depuis trop longtemps installée dans les pratiques des juridictions ; d’autre part, la culture judiciaire de l’unité du procès pénal conduit le juge correctionnel à délaisser faute de temps toute réflexion sur le post-peine, renvoyant ainsi le débat sur l’utilité de la peine et son mode d’exécution devant le juge de l’application des peines.

Selon nous, il faut construire avec la césure du procès pénal, une nouvelle architecture du débat judiciaire pour en finir avec la confusion actuelle, tout en veillant à une exécution des peines dans un délai raisonnable.

Cette césure permet de donner à la peine prononcée une plus grande utilité sociale que son exécution pure et simple et une plus grande efficacité en termes de lutte contre la récidive. Par cette phase d’investigation, il s’agira pour les SPIP et les associations socio-judiciaires de déterminer le contenu d’une éventuelle peine de probation ou une peine d’emprisonnement dont les modalités devraient être fixées en tenant compte des besoins de la personne.

M. Didier Paris, rapporteur. La césure reste une possibilité ; il ne faut surtout pas la rendre obligatoire, beaucoup de procès pénaux n’en ont pas besoin, car la personnalité des personnes concernées est suffisamment connue. Avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement CL551.

Elle adopte ensuite les amendements de précision CL825 et CL826 du rapporteur.

Puis elle examine l’amendement CL1085 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Cet amendement propose d’expérimenter le dossier unique de personnalité (DUP) pour les personnes majeures.

L’objectif général du projet de loi est de renforcer les moyens par lesquels la formation de jugement pourra disposer des éléments d’information utiles pour prendre une décision réellement adaptée à la situation de l’auteur de l’infraction. Cette meilleure adaptation suppose évidemment que nous puissions disposer d’éléments permettant d’assurer cette information ; le Président de la République lui-même avait, dès le mois de mars dernier, exprimé le souhait de voir se développer un DUP rassemblant toutes les informations relatives à la personnalité des personnes poursuivies ou condamnées.

Il existe déjà un DUP pour les mineurs, encadré par l’article 5-2 de l’ordonnance de 1945 sur l’enfance délinquante. L’entreprise est évidemment beaucoup plus complexe pour les majeurs, notamment au regard du plus grand nombre d’acteurs. Je vous propose donc une expérimentation, qui serait limitée dans un premier temps aux personnes poursuivies ou condamnées pour des peines de trois ans d’emprisonnement au moins. La constitution du dossier, qui vaudra quel que soit le ressort considéré, devrait faciliter cette prise de décision, mais également affiner la prise en charge des personnes condamnées et permettre leur suivi.

D’un point de vue pratique, et pour ne pas se lancer dans la construction d’une cathédrale informatique dont nous ne serions pas certains de maîtriser les délais, je propose que l’élaboration du répertoire s’appuie sur une consolidation du système d’information existant. En particulier, nous pourrions élargir les fonctionnalités et le nombre de personnes pouvant accéder au répertoire des expertises (REDEX) ; c’est ce que nous allons étudier dans un premier temps. Un décret d’application précisera les modalités pratiques de fonctionnement de ce répertoire.

M. Didier Paris, rapporteur. Je suis extrêmement favorable à cet amendement, et je remercie Mme la garde des Sceaux pour les précisions qu’elle nous a apportées.

La Commission adopte l’amendement CL1085.

Puis elle adopte l’article 44 modifié.

9.   Seconde réunion du vendredi 9 novembre 2018 à 14 heures 30 (article 45 à la fin du texte)

Lien vidéo :

http://www.assemblee-nationale.tv/video.6923101_5be5894de5d6b.commission-des-lois--projets-de-loi-de-programmation-2018-2022-et-de-reforme-pour-la-justice-suite-9-novembre-2018

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Mes chers collègues, nous poursuivons l’examen du projet de loi de programmation et de réforme pour la justice. Nous en venons à l’article 45.

Article 45
(art. 132-1, 132-17, 132-19 et 132-25 à 132-27 du code pénal, 464-2 [nouveau], 465-1, 474, 723-7, 723-7-1, 723 13, 723-15, 723-15-1, 723-17, 723-17-1 et 747-2 du code de procédure pénale et 22 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante) 
Modification des conditions du prononcé des peines d’emprisonnement ferme

La Commission est saisie de l’amendement CL967 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. La manière dont le Sénat a profondément remanié l’article 45 du projet de loi témoigne de la divergence fondamentale qui existe entre sa conception de la politique pénale et celle du Gouvernement. En effet, je vous propose une nouvelle politique des peines, qui vise à sortir du systématisme de l’emprisonnement dès lors que celui-ci n’apparaît pas comme la sanction la mieux adaptée à la nature de l’infraction, à sa gravité, à son auteur et à la situation de ce dernier. Les sénateurs, quant à eux, s’en tiennent plutôt à l’emprisonnement, sans prendre en considération la meilleure manière de lutter contre la récidive et de permettre la réinsertion des détenus.

Le texte adopté par le Sénat a ainsi pour conséquence de permettre au tribunal d’écarter l’intervention du juge de l’application des peines pour toutes les peines inférieures à un an, y compris celles de moins de six mois. Il est donc de nature à augmenter de façon significative et, me semble-t-il, injustifiée le nombre des incarcérations.

C’est pourquoi je vous proposerai de rétablir un certain nombre des dispositions initiales de l’article 45, lesquelles instituent un dispositif à plusieurs paliers qui est à la fois progressif, cohérent et équilibré et qui permet de diminuer la durée des courtes peines d’emprisonnement. Par ailleurs, un certain nombre d’améliorations pourront être apportées au projet initial du Gouvernement.

L’amendement CL967 tend ainsi à supprimer les alinéas 1 et 2 de l’article 45, relatifs à la motivation des peines prononcées. En effet, il n’est pas souhaitable, en la matière, d’aller au-delà de la jurisprudence de la Cour de cassation. Non seulement les dispositions adoptées par le Sénat, d’une part, se traduiraient par un alourdissement de la charge de travail des juridictions qui ralentirait le déroulement de la justice, mais elles n’inciteraient pas ces dernières à prononcer des peines autres que les peines d’emprisonnement ferme et non aménagées, puisque ces peines devraient également faire l’objet d’une motivation.

M. Didier Paris, rapporteur. Avis favorable.

M. Antoine Savignat. Il est dommage, madame la ministre, que vous proposiez la suppression de ces deux alinéas qui marquent, à mon sens, une véritable avancée, dans la mesure où la motivation des sanctions prononcées a une vertu pédagogique. Actuellement, le justiciable qui comparaît en tant que prévenu devant le tribunal peut, le cas échéant, en repartir condamné à une peine dont le quantum ne lui est pas expliqué.

Certes, la Cour de cassation impose une motivation, mais le législateur pourrait graver cette obligation dans le marbre de la loi. Il me semble qu’une telle mesure contribuerait à réconcilier les Français avec leur système judiciaire. En effet, nous lisons tous, chaque matin, dans la presse, que telle personne a écopé d’une peine d’un an de prison ferme pour le vol d’une brioche quand telle autre n’a été condamnée qu’à six mois pour une agression sexuelle. Les Français ne comprennent pas les jugements rendus par les différentes juridictions de notre pays parce que le quantum de la peine n’est jamais motivé ou l’est insuffisamment.

Aussi, je regrette que l’on raye cette mesure d’un trait de plume au simple motif qu’elle provoquerait une surcharge de travail pour les magistrats.

Mme Cécile Untermaier. L’amendement du Gouvernement me laisse également un peu perplexe. Certes, la jurisprudence de la Cour de cassation s’applique, mais il est difficile pour le citoyen de comprendre pourquoi le juge n’explique pas les raisons pour lesquelles il condamne et choisit telle peine plutôt qu’une autre. La charge de travail des magistrats est-elle si lourde que nous ne puissions pas imaginer un dispositif qui permette à nos concitoyens de comprendre le quantum de la peine ? Il serait opportun que nous réfléchissions à cette question, éventuellement en amendant le texte du Sénat. La motivation de la peine est due à tous, à la victime comme à l’auteur de l’infraction.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. La Cour de cassation a posé une exigence générale de motivation, à laquelle les juges se soumettent. Il ne me semble donc pas utile d’aller au-delà.

La Commission adopte l’amendement CL967.

Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements identiques CL827 du rapporteur, CL1011 du Gouvernement, CL596 de M. Erwan Balanant et CL771 de M. Stéphane Mazars, et l’amendement CL411 de Mme Cécile Untermaier.

M. Stéphane Mazars. L’amendement CL771 tend à rétablir l’interdiction, supprimée par le Sénat, de prononcer des peines d’emprisonnement ferme d’une durée inférieure ou égale à un mois. Nous devons, en effet, restaurer le sens de la peine, conformément à l’engagement pris par le Président de la République pendant la campagne et aux conclusions des chantiers de la justice. Or, de telles peines n’ont pas de sens. Elles sont à la fois suffisamment longues pour provoquer une rupture avec la famille et le milieu professionnel et causer ainsi des dommages irréversibles et trop courtes pour permettre une démarche de réinsertion sociale et de sortie de la délinquance.

M. Erwan Balanant. Le dispositif à trois niveaux conçu par le Gouvernement nous paraît satisfaisant. L’amendement CL596 a trait au premier niveau. L’interdiction des peines de prison de moins d’un mois nous paraît justifiée. C’est pourquoi nous proposons de revenir au texte initial du Gouvernement.

M. Didier Paris, rapporteur. L’amendement CL827 est défendu.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. L’amendement CL1011 est un des éléments importants de l’échelle que nous vous proposons d’établir en matière de peines d’emprisonnement. Si nous proposons d’interdire les peines de moins d’un mois, c’est parce que les très courtes peines d’emprisonnement ne permettent pas de travailler avec la personne détenue à l’élaboration d’un parcours de réinsertion cohérent. En outre, elles ont un aspect souvent très désocialisant, de sorte que je ne vois pas quel peut être leur apport en matière de prévention de la récidive.

Mme Cécile Untermaier. Je partage votre analyse, madame la ministre. Du reste, mon amendement CL411 n’a pas pour objet de revenir sur l’échelle des peines que vous proposez. Mais nous nous interrogeons sur le cas des auteurs de violences conjugales. Ceux-ci doivent être neutralisés à tout le moins pendant une brève période pour que les femmes – puisqu’il s’agit souvent de femmes – puissent organiser leur nouvelle vie. Je souhaiterais donc savoir s’il existe des dispositifs alternatifs à l’emprisonnement qui permettraient de neutraliser une personne qui a été très violente pour éviter d’exposer son conjoint, qui a subi un grave traumatisme, à une insécurité psychique, voire physique.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Madame Untermaier, il ne semble pas pertinent de prévoir d’emblée une exception à la règle que nous posons. Je comprends néanmoins votre préoccupation. Sachez qu’il existe des mesures d’éloignement du conjoint violent, lesquelles peuvent être complétées par des dispositifs d’hébergement, qui ne relèvent pas du ministère de la justice mais que celui-ci finance en subventionnant des associations. On sait, en effet, que l’éloignement n’est souvent efficace que si le conjoint violent ou sa victime peuvent bénéficier d’un hébergement.

M. Didier Paris, rapporteur. Madame Untermaier, chacun d’entre nous peut être tenté de proposer, en fonction de sa sensibilité particulière, une dérogation à la règle posée par le Gouvernement. Bien entendu, nous partageons votre préoccupation pour les victimes de violences conjugales, mais il existe de nombreuses dispositions, notamment des interdictions de paraître, qui peuvent être efficaces, qui plus est sur une durée plus longue qu’un mois, qui est peu efficiente pour assurer une protection réelle du conjoint.

Mme Cécile Untermaier. J’entends vos arguments. Du reste, j’ai rédigé cet amendement d’une main tremblante, car j’étais réticente à l’idée de proposer une dérogation à un dispositif qui a le mérite d’être clair. Mais la question des violences conjugales n’est pas une marotte, et force est de constater que nous sommes très démunis face aux victimes. Cela dit, je retire mon amendement.

L’amendement CL411 est retiré.

La Commission adopte les amendements identiques CL827, CL1011, CL596 et CL771.

Puis elle est saisie de l’amendement CL1012 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Cet amendement tend à rétablir les dispositions initiales de l’article 45 modifié par le Sénat qui, je le rappelle, visent à diminuer le prononcé de courtes peines d’emprisonnement au profit d’autres types de peines, notamment des peines autonomes. Je pense en particulier à la détention à domicile sous surveillance électronique, à la semi-liberté ou au placement extérieur.

Il vise, par ailleurs, à apporter quelques améliorations à ces dispositions initiales, liées notamment au mandat de dépôt à effet différé, dont nous proposons de simplifier la mise en œuvre en offrant la possibilité de fixer à l’audience la date d’incarcération sans exiger une convocation devant le procureur dans le délai d’un mois. Nous proposons également d’étendre ce mandat aux peines de plus d’un an et nous prévoyons qu’en cas d’appel, il ne puisse être mis à exécution, sauf en cas de décision d’exécution provisoire. Ces propositions nous ont été suggérées par des professionnels de terrain soutenus par l’Union syndicale des magistrats.

M. Didier Paris, rapporteur. Avis très favorable à cet « amendement chapeau », qui tend à rétablir l’ensemble des dispositions initiales de l’article 45 tout en y apportant des améliorations.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Avant de mettre aux voix l’amendement CL1012, je tiens à vous préciser, mes chers collègues, que son adoption ferait tomber l’ensemble des autres amendements à l’article 45. Comme il n’est pas dans mon habitude de vous priver de parole, j’invite ceux de leurs auteurs qui le souhaitent à s’exprimer.

M. Erwan Balanant. Le dispositif proposé par le Gouvernement nous paraît très pertinent. Il s’agit, je le rappelle, d’interdire le prononcé de peines inférieures ou égales à un mois, de prévoir un aménagement automatique pour les peines inférieures ou égales à six mois, de permettre ces aménagements pour les peines comprises entre six mois et un an et, enfin, d’exclure tout aménagement pour les peines supérieures à un an.

Il me semble toutefois que le seuil d’un an n’est pas pertinent. Il serait en effet préférable de maintenir la possibilité d’un aménagement pour les peines comprises entre un et deux ans, afin de ne pas se priver de la possibilité de mener un travail social de réinsertion avec un certain nombre de détenus. Je redéposerai donc mon amendement en séance publique car cette question mérite d’être discutée.

Mme Caroline Abadie. J’avais, pour ma part, déposé un amendement visant à améliorer les conditions de sortie de détention. Nombre de détenus sortent de prison avec des papiers d’identité périmés. Je souhaitais donc proposer que l’ensemble des détenus bénéficient d’un accompagnement avant leur libération pour renouveler ces papiers, qui sont indispensables pour obtenir un logement, chercher un emploi ou ouvrir un compte en banque.

M. Antoine Savignat. J’observe, madame la ministre, qu’en l’espèce, la décision d’incarcération et la condamnation à une peine d’emprisonnement ferme devra faire l’objet d’une motivation spéciale. Il me paraît souhaitable de le préciser, d’autant plus que j’ai moi-même défendu, tout à l’heure, l’extension de cette motivation à l’ensemble des peines. Mais je vous retourne l’argument que vous m’avez opposé tout à l’heure : vous accroissez ainsi la charge de travail des magistrats, de sorte qu’ils seront incités à ne plus prononcer de peines d’emprisonnement. Une telle mesure me paraît incohérente avec la volonté du Gouvernement de créer des places de prison supplémentaires.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Monsieur Balanant, je précise que, pour les peines dont la durée est comprise entre six mois et un an, l’aménagement n’est pas automatique, comme vous l’avez indiqué : il est le principe. Ainsi, dans l’hypothèse où il n’existe pas d’autres solutions que la détention, celle-ci sera toujours possible.

Mais votre interrogation principale porte sur le seuil à partir duquel la mise en détention, lorsqu’elle sera prononcée, aura lieu et ne fera donc pas l’objet d’aménagements. Si nous avons décidé de ramener ce seuil – actuellement fixé à deux ans, aux termes de l’article 723-15 du code de procédure pénale – à un an, c’est pour remédier à la situation que j’évoquais ce matin, à savoir que notre système de peines est peu crédible. Vous avez sûrement déjà rencontré, comme moi, de nombreuses personnes qui s’étonnent que tel délinquant condamné à deux ans de prison n’ait jamais été incarcéré. J’ai même rencontré des détenus qui ont été mis en détention plus d’un an après leur condamnation. Cela n’a pas de sens ! Je précise que, pour ces peines supérieures à un an, les aménagements restent bien évidemment possibles, mais en fin de peine et non ab initio.

Notre préoccupation est d’assurer la crédibilité de notre système qui, actuellement, n’est absolument pas compris par nos concitoyens. En deçà de six mois d’emprisonnement, il faut donc que l’on s’efforce de trouver, par tous les moyens possibles, d’autres peines, qu’il s’agisse de peines autonomes ou de peines de prison qui feront l’objet d’un aménagement.

Madame Abadie, vous m’alertez sur la question du renouvellement des papiers d’identité au moment de la sortie de détention. C’est en effet une difficulté. C’est pourquoi nous encourageons les préfectures à se déplacer dans les établissements pénitentiaires pour réaliser les formalités nécessaires. J’ai obtenu qu’il en soit ainsi à Fresnes et à Draguignan, en me rendant sur place et en discutant avec les préfets. Mais ce sont des solutions pragmatiques, donc ponctuelles, car cela représente une surcharge de travail pour les préfectures, dont les agents doivent se déplacer. Il faut donc que nous travaillions, avec les préfets, à une solution pérenne.

Par ailleurs, je précise que toutes les personnes détenues à qui il reste un an de détention à purger devraient être accueillies, dans un futur que j’espère proche, au sein des structures d’accompagnement à la sortie (SAS). Ces structures assurent un accompagnement très complet et très suivi, qui concerne aussi bien le renouvellement des papiers d’identité que les questions de logement et de travail ou l’accompagnement psychologique. Nous nous sommes rendues, il y a quelques jours, avec votre collègue Alexandra Louis, dans une SAS à Marseille, et nous avons pu constater le travail formidable qui y est accompli.

Enfin, monsieur Savignat, il n’y a pas, me semble-t-il, d’incohérence entre les deux dispositions que vous avez évoquées. Oui, je le répète, notre objectif est qu’en deçà de six mois, par principe, la peine soit effectuée en dehors de l’établissement de détention, et cela nous semble positif.

La Commission adopte l’amendement CL1012.

En conséquence, l’amendement CL828 du rapporteur, les amendements identiques CL829 du rapporteur et CL772 de M. Stéphane Mazars, CL126 de M. Alain Tourret, CL711 de M. Jean-Félix Acquaviva, CL683 de Mme Caroline Abadie, CL144 de M. Ugo Bernalicis et CL 830 du rapporteur, les amendements identiques CL329 de Mme Frédérique Meunier et CL469 de M. Sébastien Jumel, les amendements CL832, CL833 et CL834 du rapporteur, CL712 de M. Jean-Félix Acquaviva, CL835 du rapporteur, CL127 de M. Alain Tourret, CL836 du rapporteur, CL539 de M. Ugo Bernalicis, CL694 et CL693 de M. Erwan Balanant, CL837 et CL838 du rapporteur, CL541 de Mme Danièle Obono et CL839 du rapporteur, les amendements identiques CL128 de M. Alain Tourret et CL622 de M. Robin Reda, et les amendements CL537 de Mme Danièle Obono et CL695 de M. Erwan Balanant tombent.

La Commission adopte l’article 45 modifié.

Article 45 bis A (supprimé)
(art. 717-1, 721 à 721-2, 723-29 du code de procédure pénale, 132-24 du code pénal et 41 de la loi n° 2005-1549 du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales)
Suppression du crédit « automatique » de réduction de peine

La Commission est saisie des amendements identiques CL841 du rapporteur, CL534 de Mme Danièle Obono et CL773 de M. Stéphane Mazars.

M. Stéphane Mazars. Le Sénat est revenu sur le caractère automatique du crédit de réduction de peine dont bénéficient les personnes incarcérées, crédit dont elles sont privées en cas de mauvaise conduite. Or, cette mesure est utile, non seulement parce qu’elle incite le détenu à adopter un comportement vertueux en détention, mais aussi parce que ces réductions de peine déterminent la durée de la surveillance judiciaire susceptible d’être imposée aux condamnés les plus dangereux après leur libération. Je comprends qu’une remise de peine automatique puisse susciter des interrogations. Du reste, la question a fait débat au sein de notre groupe. Nous nous sommes notamment interrogés sur le point de savoir si les remises de peine ne devaient pas être plus importantes pour le détenu qui adopte un comportement positif en s’investissant dans un apprentissage ou dans le travail. Quoi qu’il en soit, nous proposons de revenir sur la disposition adoptée par le Sénat.

Mme Danièle Obono. L’amendement CL534 est défendu.

M. Didier Paris, rapporteur. L’amendement CL841 est également défendu.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Favorable.

La Commission adopte ces amendements identiques.

L’article 45 bis A est supprimé.

Article 45 bis B (supprimé)
(art. 785 du code de procédure pénale)
Allongement du délai de demande de réhabilitation judiciaire après le décès de la personne condamnée

La Commission est saisie de l’amendement CL969 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Par cet amendement, je vous propose de supprimer des dispositions adoptées par le Sénat et inspirées, en réalité, par une affaire particulière, l’affaire Mis et Thiennot. Ces dispositions sont en effet inutiles pour l’avenir, puisque le droit positif fixe désormais, pour les demandes de réhabilitation, un délai d’un an après le décès. Les héritiers peuvent donc, pendant ce délai, poursuivre la demande formée par la personne de son vivant ou même en déposer une si cette dernière n’a pas eu le temps de le faire elle-même. Ce délai d’une année paraît raisonnable ; il faut donc le conserver. Par ailleurs, la loi n’a pas pour objet de régler des situations particulières. Au demeurant, je rappelle que l’affaire Mis et Thiennot a fait l’objet de trois jugements de cour d’assises, qui ont, tous trois, reconnu la culpabilité de ces derniers.

Suivant l’avis favorable du rapporteur, la Commission adopte l’amendement CL969.

L’article 45 bis B est supprimé.

Article 45 bis (supprimé)
(art. 709-2 du code de procédure pénale)
Élargissement du contenu et de la publicité du rapport annuel sur l’exécution des peines

La Commission examine l’amendement CL968 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Là encore, je vous propose de supprimer un article adopté par le Sénat. Celui-ci a en effet souhaité complexifier le rapport établi chaque année par le procureur en y adjoignant un rapport sur l’exécution des peines. Or, le rapport annuel de politique pénale, prévu aux articles 30, 35 et 39-1 du code de procédure pénale, me semble suffisant.

Surtout, il ne paraît pas justifié de prévoir que ces rapports, qui sont déjà rendus publics, devront être adressés par les procureurs au Parlement. Il me semble que c’est en effet au Gouvernement, et en l’espèce au ministre de la Justice, qu’il revient de rendre compte devant le Parlement de sa politique pénale.

Pour ces raisons, je demande la suppression de l’article.

Suivant l’avis favorable du rapporteur, la Commission adopte l’amendement CL969.

L’article 45 bis est supprimé.

L’amendement CL472 de M. Stéphane Peu tombe.

Article 45 ter A
(art. L. 132-5 du code de la sécurité intérieure)
Débat sur l’exécution des peines et la prévention de la récidive en conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance

La Commission adopte l’article 45 ter A sans modification.

Article 45 ter B
(art. L. 132-13 du code de la sécurité intérieure)
Débat sur l’exécution des peines et la prévention de la récidive en conseil intercommunal de sécurité et de prévention de la délinquance

La Commission adopte l’article 45 ter B sans modification.

Article 45 ter
(art. 131-36-1 à 131-36-4, 221-9-1, 221-15, 222-48-1, 222-65, 224-10, 227-31 et 421-8 du code pénal et 763-3, 763-5 et 763-10 du code de procédure pénale)
Élargissement du champ d’application du suivi socio-judiciaire

La Commission examine les amendements identiques CL843 du rapporteur et CL759 de M. Stéphane Mazars.

Mme Catherine Kamowski. L’article 45 ter a été ajouté par le Sénat. Il procède à l’extension du suivi socio-judiciaire à tous les délits et à tous les crimes. Cette extension nous semble injustifiée. Pour l’instant, le suivi socio-judiciaire concerne les personnes coupables d’infractions sexuelles ou violentes pour lesquelles une injonction de soins paraît utile, voire nécessaire. L’étendre à l’ensemble des crimes et délits nous semble aboutir à une aggravation excessive de la répression, puisque ce suivi s’ajoute à la peine privative de liberté. Enfin, le risque de « sortie sèche » est largement limité par la libération sous contrainte, les aménagements de peine et la libération conditionnelle. Plutôt qu’une extension du suivi socio-judiciaire, nous proposons donc une amélioration du dispositif actuel, en particulier en vue d’unifier les pratiques entre les juridictions. Tel est l’objet de cet amendement.

M. Didier Paris, rapporteur. L’amendement CL843 est défendu.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Avis favorable.

La Commission adopte les amendements identiques.

L’article 45 ter est ainsi rédigé.

Article 45 quater
(art. 731-1 du code de procédure pénale)
Assouplissement des conditions de placement sous surveillance électronique mobile dans le cadre d’une libération conditionnelle

La Commission adopte l’article 45 quater sans modification.

Après l’article 45 quater

La Commission examine l’amendement CL156 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Danièle Obono. Cet amendement participe à rendre effective l’inversion de la logique du « tout-carcéral » en rendant obligatoire et d’ordre public, à quelque moment de la procédure pénale que ce soit, l’obligation de motiver le choix d’enfermer une personne, de préférence par rapport à toute autre mesure pouvant être effectuée en milieu libre. Cette disposition préserve l’office du juge mais impose une motivation circonstanciée de l’emprisonnement, lequel doit être le dernier recours. Le juge serait ainsi tenu d’examiner les raisons de l’impossibilité de prononcer une mesure en milieu libre.

M. Didier Paris, rapporteur. Je suis, sur le fond, parfaitement favorable à votre amendement, madame Obono. Mon avis défavorable ne porte que sur des problèmes de forme : l’article 45 du projet de loi – que nous venons de modifier dans ce sens – couvre déjà cette situation, puisqu’il dispose que la peine d’emprisonnement « ne peut être prononcée qu’en dernier recours si la gravité de l’infraction et la personnalité de l’auteur rendent cette peine indispensable » – ce dernier terme est important, et nous venons de le rétablir – « et si toute autre sanction est manifestement inadéquate ». J’ajoute que l’article 137 du code de procédure pénale rend déjà exceptionnelle la détention provisoire ; elle est prononcée seulement si toutes les autres mesures, notamment de contrôle judiciaire, ne sont pas adaptées. L’amendement est donc, en quelque sorte, satisfait.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement CL156.

Chapitre II 
Dispositions relatives à la probation

Article 46
(art. 131-4-1, 131-4-2 à 131-4-8 [nouveaux], 132-40 à 132-57 et 132-64 du code pénal, 230-19, 720 1, 720-1-1, 721-2, 723-4, 723-10, 723-30 et 731 du code de procédure pénale, L. 265-1 du code de justice militaire et 20-4, 20-5 et 20-10 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante)
Création d’un « sursis probatoire »

La Commission examine l’amendement CL970 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Cet amendement vise à rétablir les dispositions initiales du texte, qui transforment le sursis avec mise à l’épreuve en sursis probatoire. Il me semble que cette solution est préférable à celle qui a été retenue par le Sénat et qui, en réalité, maintient la peine de contrainte pénale en la rebaptisant « peine de probation ».

Plusieurs éléments justifient la mise en place du sursis probatoire. Cette peine résulte d’abord d’une démarche pragmatique et rationnelle. La contrainte pénale, qui est une peine extrêmement intéressante, est complexe à mettre en œuvre. C’est la raison pour laquelle elle est très peu prononcée par les juridictions – en moyenne, 130 peines de contrainte pénale ont été prononcées chaque mois durant l’année écoulée. Nous sommes donc partis de l’idée selon laquelle il était plus efficace d’améliorer le sursis avec mise à l’épreuve, qui lui est très souvent prononcé – plus de 70 000 en 2017 –, en le dotant du suivi individualisé et renforcé prévu dans le cas de la contrainte pénale. Il s’agit donc, en quelque sorte, de combiner le sursis avec mise à l’épreuve et la contrainte pénale, tout en rebaptisant le premier « sursis probatoire ». L’idée est en effet de tirer profit des évaluations régulières du condamné, qui permettent de mieux prévenir la récidive. C’est une démarche que je crois assez pragmatique, mais également plus lisible, plus efficace et moins complexe que celle qui est proposée par le Sénat.

Si l’on suit le raisonnement du Sénat, le tribunal devrait, par exemple, prononcer une peine ferme de deux ans, puis une peine de probation, puis fixer le quantum d’emprisonnement encouru en cas de non-respect de la peine de probation. Autrement dit, il y aurait trois étapes. Le sursis probatoire, que nous proposons, permet de les regrouper en une seule : le tribunal prononce une peine de quatre ans d’emprisonnement, dont deux assortis d’un sursis probatoire renforcé.

Il convient d’ailleurs d’observer à quel point l’idée d’une probation déconnectée de l’emprisonnement ne tient pas. En effet, le tribunal qui prononcerait une peine de probation devrait évidemment fixer aussi la durée de l’emprisonnement encouru par le condamné qui ne respecterait pas ses obligations. J’en profite également pour dire que l’argument, qui a été avancé ce matin, selon lequel, lors du prononcé de la contrainte pénale, il n’est jamais fait référence à l’emprisonnement, est lui aussi inexact. L’article 131-4-1 du code pénal, comme le texte voté par le Sénat, auquel je m’oppose, prévoit en effet que le tribunal qui prononce la peine de contrainte pénale « fixe également la durée maximale de l’emprisonnement encouru par le condamné en cas d’inobservation des obligations et interdictions auxquelles il est astreint ».

Le dispositif voté par le Sénat peut tout à fait se concevoir, mais je trouve préférable de fixer les règles du jeu dès le départ, à savoir quatre ans d’emprisonnement, dont deux assortis d’un sursis probatoire. Il est également moins dissuasif, car la peine de probation ne pourrait pas être prononcée pour les délits punis de plus de cinq ans – alors même que la contrainte pénale est actuellement possible dans ce cas – et le quantum de peine sanctionnant le non-respect des obligations de la probation ne pourrait pas excéder deux ans.

Tous ces éléments justifient le rétablissement du dispositif initialement proposé.

M. Didier Paris, rapporteur. Vous le savez, madame la garde des Sceaux, je me serais volontiers rangé au nombre des personnes souhaitant une peine autonome de probation, mais à la réflexion, et comme vous venez de le confirmer brillamment, il est manifestement préférable de se fonder sur le socle du sursis avec mise à l’épreuve, qui est déjà très bien connu de nos juridictions et est, si je puis dire, entré dans nos mœurs. Par ailleurs – vous l’avez très bien expliqué également –, il est particulièrement complexe de déconnecter l’emprisonnement et la peine de probation. Je me félicite des améliorations apportées au texte que vous venez de présenter, et suis parfaitement favorable à cet amendement.

La Commission adopte l’amendement CL970.

L’article 46 est ainsi rédigé.

L’amendement CL481 de M. Sébastien Jumel, les amendements identiques CL130 de M. Alain Tourret et CL626 M. Robin Reda ainsi que l’amendement CL627 de M. Robin Reda tombent.

Article 47
(art. 471, 712-20, 713-42 à 713-49, 713-50 à 713-52 [nouveaux] et 739 à 747-2 du code de procédure pénale)
Rôle du service pénitentiaire d’insertion et de probation et du juge de l’application des peines dans la mise en œuvre du sursis probatoire

La Commission examine l’amendement CL971 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Par coordination avec ce que nous venons de faire à l’article 46, qui introduit le sursis probatoire dans le code pénal, cet amendement vise à rétablir, cette fois-ci dans le code de procédure pénale, les dispositions nécessaires à sa mise en œuvre, tout en améliorant le dispositif pour répondre à la demande des praticiens visant à garantir l’évolutivité et la souplesse de cette peine. Nous avons en effet pris en compte les observations de l’Association nationale des juges de l’application des peines, et précisé que l’évaluation interviendrait de façon pluridisciplinaire, comme c’est du reste le cas actuellement, en pratique, pour la contrainte pénale – ainsi que je vous l’expliquais tout à l’heure, nous avons repris ce qui nous semblait être le meilleur de la contrainte pénale.

Par ailleurs, afin de permettre l’adaptation des modalités du suivi du condamné au regard de l’évolution de sa situation, nous prévoyons que le juge de l’application des peines puisse mettre fin de façon anticipée au suivi renforcé si celui-ci n’apparaît plus nécessaire dans le cadre du parcours du condamné.

Enfin, à travers cet amendement, nous procédons aux coordinations nécessaires pour assurer la prise en charge de condamnés en sursis probatoire par les associations habilitées, de la même façon que pour l’actuel sursis avec mise à l’épreuve, c’est-à-dire lorsque le tribunal a pris cette décision parce que le condamné était déjà suivi par une association dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

Suivant l’avis favorable du rapporteur, la Commission adopte l’amendement CL971.

En conséquence, l’article 47 est ainsi rédigé.

Les amendements identiques CL131 de M. Alain Tourret et CL628 de M. Robin Reda tombent.

Chapitre III 
Dispositions relatives à l’exécution des peines

Article 48
(art. 713-42 à 713-49 du code de procédure pénale)
Modalités d’exécution de la peine de détention à domicile sous surveillance électronique

La Commission examine l’amendement CL972 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Il s’agit de rétablir l’article 48, supprimé par le Sénat. L’idée est ici de préserver, dans le code de procédure pénale, le régime d’exécution de la peine autonome de détention à domicile sous surveillance électronique. Je propose cependant une amélioration par rapport au texte initial : lorsque le juge de l’application des peines mettra fin de manière anticipée à la surveillance électronique, par exemple en raison de la bonne conduite du condamné, il pourra soumettre celui-ci à certaines mesures de contrôle, obligations ou interdictions telles que l’interdiction d’entrer en contact avec la victime, ou encore l’obligation de soins. Ces mesures d’accompagnement permettront ainsi d’éviter ce que j’appellerais des « sorties sèches » du dispositif, de la même façon que, vous le savez, nous essayons d’éviter les « sorties sèches » de détention. On se rend compte que, dans tous les cas où il y a une contrainte, il faut éviter ce type de sorties : c’est là que les risques de récidive sont les plus importants.

Suivant l’avis favorable du rapporteur, la Commission adopte l’amendement CL972.

L’article 48 est ainsi rétabli.

Article 48 bis (supprimé)
(art. 733 du code de procédure pénale)
Modification des conditions d’octroi de la libération conditionnelle

La Commission examine les amendements identiques CL844 du rapporteur, CL745 de Mme Nicole Dubré-Chirat et CL775 de M. Stéphane Mazars.

M. Didier Paris, rapporteur. Il s’agit de supprimer l’article 48 bis, qui vise à empêcher l’octroi d’une seconde libération conditionnelle après l’échec d’une première. Cet article, et d’autres insérés par le Sénat, visent en définitive à empêcher l’individualisation des peines ; je vous invite à les supprimer. En l’espèce, l’échec d’une première libération conditionnelle peut faire partie d’un processus d’amendement plus global d’une personne condamnée et d’apprentissage nécessaire des règles de la réinsertion. Nous ne devons pas nous priver de ce type d’approche.

Mme Nicole Dubré-Chirat. L’article 48 bis prévoit qu’il n’y ait pas de seconde libération conditionnelle après l’échec d’une première. Il doit être supprimé car il est contraire au principe d’individualisation de la peine. Pour qu’elle soit efficace et qu’elle ait du sens aux yeux du condamné, une libération conditionnelle doit être prononcée en fonction de la personnalité, de l’environnement et de la situation sociale de la personne. Or ces facteurs sont susceptibles d’évoluer entre la première libération et la seconde. Les facteurs responsables de l’échec de la première libération conditionnelle peuvent avoir disparu au moment où intervient la seconde, laquelle ne débouchera donc probablement pas sur le même échec. De plus, cet article entrave le pouvoir d’appréciation du juge. Celui-ci est seul apte à décider si une libération conditionnelle, bien que prononcée pour la seconde fois, sera bénéfique au détenu, en prenant en considération les facteurs énoncés précédemment.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je suis tout à fait favorable à ces amendements qui visent à supprimer l’article 48 bis, inséré par le Sénat. Il est vrai que l’échec d’une libération conditionnelle est un élément d’appréciation important avant qu’une autre ne soit octroyée. Cela dit, je considère qu’on ne peut pas en faire un obstacle juridique systématique, car certains parcours passent effectivement par des échecs.

La Commission adopte ces amendements identiques.

L’article 48 bis est supprimé.

Article 49
(art. 720 du code de procédure pénale)
Systématisation de la libération sous contrainte aux deux tiers des peines d’emprisonnement inférieures ou égales à cinq ans

La Commission examine l’amendement CL973 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Cet amendement vise à rétablir les dispositions, qui avaient été supprimées par le Sénat, favorisant le prononcé de la libération sous contrainte. Comme le Président de la République s’y était engagé pendant la campagne présidentielle, la libération sous contrainte doit en principe être ordonnée lorsque la durée de la peine accomplie est au moins égale au double de la durée de la peine qui reste à subir – sauf évidemment contradiction avec les objectifs de l’exécution des peines, notamment la nécessité de prévenir la récidive. Cette modification des dispositions de la libération sous contrainte a pour objet de faciliter son prononcé, et ainsi de mieux prévenir les sorties sèches, sans pour autant la rendre automatique puisque le juge de l’application des peines pourra toujours, bien sûr, la refuser.

Une amélioration est apportée au projet initial, inspirée par les réflexions de la présidente de votre commission, que je remercie de nouveau pour son travail sur le sujet. Le texte permettra en effet un examen anticipé de la situation de la personne un peu avant les deux tiers de sa peine. Cela rendra effective la libération sous contrainte des personnes condamnées à de courtes peines et pour lesquelles la durée de détention restant à subir après l’exécution des deux tiers de la peine est souvent trop limitée pour permettre un examen utile de la situation du condamné. Ce qui compte, en effet, ce n’est pas que l’examen intervienne aux deux tiers de la peine, c’est que la libération puisse intervenir à cette date. Telle est l’économie de l’amendement que je vous soumets.

M. Didier Paris, rapporteur. Je suis évidemment favorable au rétablissement de la systématisation de la libération sous contrainte, et je remercie Mme la présidente de la commission des Lois d’avoir permis l’amélioration du texte, comme vient de le rappeler Mme la garde des Sceaux.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Des remarques nous avaient effectivement été faites lorsque la commission des Lois avait tenu une réunion délocalisée dans l’établissement pénitentiaire de Fresnes. Le procureur adjoint de la République du tribunal de grande instance de Créteil nous avait fait part du fait que, parfois, l’examen aux deux tiers de la peine empêchait la concrétisation de la libération, parce que, le temps de monter le dossier, il était trop tard. Je vous remercie, madame la garde des Sceaux, d’avoir pris en compte ces remarques qui démontrent, une fois de plus, combien il est intéressant de se rendre sur le terrain et d’écouter les praticiens et les professionnels, qui ont toujours d’excellentes suggestions à nous faire.

La Commission adopte l’amendement CL973.

Elle adopte ensuite l’article 49 modifié.

Article 49 bis A (nouveau)
(art 723-6-1 nouveau du code de procédure pénale)
Agrément et conventionnement des structures faisant du placement à l’extérieur

La Commission examine l’amendement CL1050 de la présidente Yaël Braun-Pivet.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Cet amendement concerne les structures de placement à l’extérieur.

Dans le cadre de nos travaux sur la détention, nous avons découvert certaines structures de placement à l’extérieur, notamment la ferme de Moyembrie, gérée par l’association Emmaüs, qui prend en charge un certain nombre de détenus écroués en placement à l’extérieur, dans le cadre d’une activité agricole, pour les amener à se resocialiser, à se responsabiliser, et ainsi les accompagner vers la sortie de prison. Or ces structures ont parfois du mal à monter les dossiers, et certains projets mettent des années à se concrétiser, alors que la volonté existe.

Cet amendement vise à sécuriser juridiquement et financièrement ces structures en pérennisant leurs conventions avec l’État, pour une durée de trois ans. J’espère qu’il recueillera un avis très favorable de votre part, madame la garde des Sceaux.

M. Didier Paris, rapporteur. Avis favorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je trouve l’idée vraiment très intéressante. L’avis est donc évidemment très favorable. La disposition permettra de favoriser et d’accompagner le développement de la mesure de placement à l’extérieur, qui est l’une des solutions que nous avons à notre disposition. Or notre objectif est bien de multiplier les solutions.

La Commission adopte l’amendement CL1050.

L’article 49 bis A est ainsi rédigé.

Article 49 bis (supprimé)
(art. 723-19 du code de procédure pénale)
Rétablissement de la surveillance électronique de fin de peine

La Commission examine l’amendement CL845 du rapporteur.

M. Didier Paris, rapporteur. Il s’agit de supprimer l’article 49 bis, qui vise à rétablir la procédure de surveillance électronique de fin de peine, supprimée en 2014. Son caractère en principe automatique, sans décision du juge de l’application des peines, et les difficultés pratiques de mise en œuvre qui en découlaient ont fait que le dispositif a été remplacé par la libération sous contrainte. Une telle mesure ne présente donc plus, à nos yeux, d’intérêt pratique. Telles sont les raisons pour lesquelles je vous propose de supprimer cet article.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement CL845.

L’article 49 bis est supprimé.

Article 50
(art. 48-1, 706-54, 706-54-1 [nouveau], 706-56-1-1, 710, 711, 712-4-1 [nouveau], 712-5, 723-1, 723-3, 723-7, 730-2 et 747-1 à 747-2 du code de procédure pénale)
Simplification de diverses modalités d’exécution de peines

La Commission examine l’amendement CL1051 de la présidente Yaël Braun-Pivet.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Cet amendement s’inscrit dans la droite ligne de celui qui concernait les données statistiques, qui nous permettront de mieux évaluer la récidive, les risques de récidive et les effets de sa prise en charge, qu’elle soit pénitentiaire ou extérieure. Il s’agit ici de mieux exploiter les données nominatives. C’est un amendement technique, mais il est essentiel pour atteindre l’objectif qui est le nôtre.

M. Didier Paris, rapporteur. Avis favorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Favorable également. Il s’agit effectivement – je ne l’ai jamais caché – de l’un des points de faiblesse actuels du ministère. Nous devons mieux analyser l’ensemble des données dont nous disposons : celles-ci sont très nombreuses, mais il nous manque encore des éléments. En l’espèce, la disposition proposée nous permettra de faire des études de cohortes, qui sont l’un des éléments majeurs qui nous font défaut.

La Commission adopte l’amendement CL1051.

Elle examine ensuite l’amendement CL846 du rapporteur.

M. Didier Paris, rapporteur. C’est un amendement que l’on peut considérer comme technique, mais qui a une portée un peu plus grande. Il concerne notamment la manière dont nous entendons tirer les conséquences de l’arrêt Aycaguer c. France, rendu par la Cour européenne des droits de l’homme le 22 juin 2017, qui porte sur les conditions d’utilisation du fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG), dont nous avons parlé tout à l’heure. Les empreintes génétiques sont soumises à de nombreux contrôles, ce qui est parfaitement logique. La Cour avait condamné la France parce que les conditions de refus d’effacement du procureur étaient un peu incertaines. Nous prévoyons que les refus puissent être directement contestés devant le président de la chambre de l’instruction, sans intervention du juge des libertés et de la détention, comme c’est par exemple le cas pour le traitement des antécédents judiciaires.

Par ailleurs, comme l’impose l’arrêt Aycaguer c. France – c’est le point qui avait donné lieu à la condamnation de la France –, les personnes coupables, comme aujourd’hui celles suspectes, pourront solliciter l’effacement anticipé de leurs données, ce qui est le moins qu’on puisse leur offrir, après un délai qui sera fixé par décret.

Au-delà – et c’est un problème de politique pénale qui peut être important –, il est prévu qu’une personne condamnée qui refuserait de se soumettre au prélèvement se verrait retirer ses seuls crédits de réduction de peine liés aux faits qui lui sont reprochés – à l’exclusion, évidemment, de toutes les autres réductions de peine.

Nous en profitons également pour permettre que les recherches en parentalité ne soient pas limitées aux parents en ligne directe, ce qui renforcera grandement l’efficacité du FNAEG. Enfin, l’amendement vise à supprimer la référence à la notion d’ADN codant, qui est désormais ancienne et se révèle inadaptée aux évolutions techniques.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement CL846.

Puis elle adopte successivement les amendements de précision CL847 et CL848 du rapporteur.

Elle est ensuite saisie de l’amendement CL974 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. J’ai souhaité vous proposer de rétablir une disposition supprimée par le Sénat, qui correspond, une fois encore, à une demande exprimée par de très nombreux praticiens. Il s’agit en effet de permettre à la commission de l’application des peines (CAP) de délibérer par voie dématérialisée, dans des cas et selon des modalités prévus par décret. Bien entendu, les délibérations dématérialisées de la CAP ne seront possibles que lorsque les circonstances n’imposeront pas la réunion physique de l’ensemble de ses membres.

Suivant l’avis favorable du rapporteur, la Commission adopte l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL976 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Cet amendement concerne là aussi une évolution que le Sénat a modifiée alors qu’elle est extrêmement demandée. Il s’agit de permettre aux directeurs d’établissements pénitentiaires d’accorder eux-mêmes les permissions de sortir, une fois que la première permission a été accordée par le juge de l’application des peines, et sauf, bien sûr, si ce magistrat s’y oppose. Ces dispositions sont plus simples que celles qui ont été adoptées par le Sénat, lequel a exigé une délégation expresse du juge.

M. Didier Paris, rapporteur. C’est une excellente mesure, qui avait été évoquée dans le cadre d’auditions préalables à l’examen du texte. Je la soutiens pleinement.

Mme Cécile Untermaier. Je soutiens, moi aussi, totalement cette disposition. Effectivement, les chefs d’établissements pénitentiaires souffrent d’un manque d’autonomie dans la gestion de leur établissement. C’est un très bon signal qui leur est donné.

La Commission adopte l’amendement CL976.

Puis elle examine l’amendement CL145 de Mme Danièle Obono.

Mme Danièle Obono. Cet amendement vise à ouvrir la possibilité de prononcer une liberté conditionnelle à une personne condamnée à une longue peine, en supprimant les freins légaux. Beaucoup de magistrats considèrent en effet que l’article 730-2 du code de procédure pénale est d’une application complexe. Comme le souligne l’Association nationale des juges de l’application des peines, des barrières sont érigées pour contraindre son application par l’augmentation considérable des hypothèses nécessitant la saisine de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté, et donc du Centre national d’évaluation.

Le législateur fuit depuis trop longtemps le débat sur les longues peines. Nous souhaitons qu’une réflexion soit engagée sur le fond, pour apporter une solution afin de favoriser la prévention de la récidive et la réinsertion sociale des personnes condamnées.

Nous souhaitons supprimer les obstacles à l’aménagement des longues peines, afin d’assurer la difficile transition entre le dedans et le dehors.

M. Didier Paris, rapporteur. Ce genre d’amendement me surprend, car la population pénale n’est pas tout à fait une population lambda, certaines personnes pouvant présenter des risques. Je serais extrêmement inquiet que l’on puisse octroyer trop facilement des libérations conditionnelles sans vérifier au préalable leur personnalité et les éléments propres à leur parcours pénal.

Nous avons aussi un devoir absolu de sécurité de nos concitoyens, et il s’exprime en la matière. Avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Même avis.

Mme Danièle Obono. Monsieur le rapporteur, il ne s’agit pas de libérer des gens sans aucune condition, mais de faciliter et d’étendre les procédures de manière sérieuse. Il faut gérer ces personnes dont on sait que la réinsertion sera longue et difficile au regard des actes qu’elles ont commis car elles finiront bien par sortir de prison. Il faudra bien alors prendre en charge leur retour dans la société – à moins que l’on considère qu’il faut laisser éternellement en prison des gens, quelle que soit la gravité de leurs actes. Il importe donc de se donner les moyens de permettre une transition.

Nous ne considérons évidemment pas qu’il faille libérer les gens comme ça, du jour au lendemain.

La Commission rejette l’amendement CL145.

Puis elle étudie l’amendement CL975 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Cet amendement vise à permettre la conversion d’une peine d’emprisonnement ferme inférieure ou égale à six mois, soit en peine de détention à domicile sous surveillance électronique (DDSE), soit en emprisonnement assorti d’un sursis probatoire renforcé qui remplace la contrainte pénale.

Je rappelle que ces peines sont tantôt des peines autonomes – c’est le cas des DDSE –, tantôt des peines de conversion. Nous sommes là dans une conversion. Comme le prévoit déjà le projet de loi, cette conversion sera possible si elle paraît de nature à mieux assurer la réinsertion du condamné et à prévenir la récidive. Elle pourra notamment intervenir lorsque la peine a été prononcée en l’absence du prévenu.

Par ailleurs, alors que la loi actuelle permet de substituer des peines de jour-amende à des peines de travail d’intérêt général (TIG) et inversement, l’amendement propose logiquement que cette possibilité de substitution, qui sera appelée conversion, s’applique également à la nouvelle peine de DDSE. Il est cependant précisé que la fongibilité entre ces trois peines que sont les TIG, les jours-amende et les DDSE, ne sera possible que si la situation du condamné a évolué depuis sa condamnation. Par exemple, si le TIG a été prononcé alors que la personne était au chômage, il pourra être converti en jour-amende si cette personne a trouvé un travail.

M. Didier Paris, rapporteur. Je suis, bien évidemment, pleinement favorable à cet amendement. Il s’agit de dispositions qui avaient été demandées, au cours des auditions que nous avions menées, par l’Association nationale des juges de l’application des peines. Je suis extrêmement satisfait de voir qu’elles sont reprises à ce stade par le Gouvernement.

La Commission adopte l’amendement CL975.

Puis elle en vient à l’amendement CL147 de Mme Danièle Obono.

Mme Danièle Obono. Cet amendement, porté par de nombreux professionnels du droit et des associations comme le Syndicat de la magistrature, la Fédération des associations Réflexion Action Prison et Justice et l’Observatoire international des prisons (OIP), vise à supprimer tous les mécanismes automatiques limitant les possibilités d’individualisation des peines.

La législation actuelle conduit, par son automaticité, à empêcher sans réquisition du ministère public, sans débat ni évaluation, toute mesure d’aménagement de peine, de réduction de peine ou de permission de sortir pendant de longues durées. Ces dispositifs, par leur automaticité, ne sont pas compatibles avec un processus de réinsertion et participent à une déshumanisation de notre justice de l’application des peines, s’inscrivant dans une pure justice rétributive. Ces mesures sont dénoncées depuis longtemps, en particulier par la Commission Farge de 2000 et la Conférence de consensus. Nous proposons donc d’y mettre un terme.

M. Didier Paris, rapporteur. Cet amendement est un peu de même nature qu’un amendement précédent de Mme Obono. Là encore, nous avons l’obligation de garantir une effectivité des peines.

Il s’agit des condamnations pour les faits les plus graves dans notre échelle de peines. Ce sont des peines de sûreté qui peuvent être longues. Je souhaite, bien évidemment, qu’elles soient maintenues. Toutefois, l’article 132-23 du code pénal prévoit qu’elles peuvent, y compris lorsqu’elles sont de plein droit, être aménagées par la juridiction quand les circonstances le permettent.

Pour ces raisons, j’émets un avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Les dispositions actuelles sur la période de sûreté sont justifiées. Du reste, elles ont été récemment déclarées conformes à la Constitution, puisque, dans une décision du 26 octobre dernier, le Conseil constitutionnel a considéré que la période de sûreté ne méconnaissait pas le principe d’individualisation des peines, ni celui de nécessité des peines, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement CL147.

Puis elle examine l’amendement CL148 de Mme Danièle Obono.

Mme Danièle Obono. Cet amendement vise à supprimer les mesures de rétention de sûreté et de surveillance de sûreté.

Ces deux mesures, qui privent de liberté des personnes sur une simple présomption de dangerosité, sont en rupture avec les principes affirmés dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, et sont une forme de renoncement aux valeurs qui fondent la tradition humaniste de la France. Elles sont l’archétype de la mesure fondée sur une suspicion qui prend le pas sur l’humanisme.

Pour les raisons développées par le rapport Cotte, et comme le soulignent de nombreux professionnels de la justice, nous nous opposons à la décision du Conseil constitutionnel de 2008 qui a validé la mesure de rétention de sûreté en estimant que cette mesure était proportionnée et nécessaire.

L’avis politique et philosophique que vous donnerez sur la prise en compte de situations extrêmement graves sera peut-être divergent. Sans méconnaître les difficultés que pose notre proposition, nous en assumons en tout cas les principes.

M. Didier Paris, rapporteur. On parle de dispositions qui, après les peines de prison, touchent fort heureusement un nombre réduit de personnes, d’une dangerosité toute particulière et qui présentent des risques extrêmement élevés de récidive.

Nous devons conserver un dispositif très sérieux de contrôle de la criminalité en la matière. Ce dispositif, qui est déjà très encadré, a été confirmé par le Conseil constitutionnel. Il donne lieu à des mesures extrêmement strictes de contrôle proportionnées à la défense de la société qui me paraissent tout à fait adaptées aux circonstances.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Défavorable.

La Commission rejette l’amendement CL148.

Elle est ensuite saisie de l’amendement CL526 de M. Vincent Bru.

M. Vincent Bru. Il s’agit de corriger ce que nous considérons comme une anomalie et qui concerne une catégorie particulière : les étrangers condamnés à de longues peines ou pour des faits de terrorisme et qui par ailleurs doivent quitter le territoire national, en application d’une décision judiciaire ou administrative.

En effet, selon le droit actuel, ces personnes ne peuvent pas faire l’objet d’une libération conditionnelle car celle-ci est soumise à l’exécution de mesures probatoires telles que le port d’un bracelet électronique ou une mesure probatoire de semi-liberté préalablement à la libération conditionnelle. Cela n’a pas de sens en ce qui les concerne, puisque cette libération conditionnelle par définition ne peut pas s’exécuter sur le territoire national dans la mesure où dès leur libération, elles doivent nécessairement quitter le territoire français. C’est la raison pour laquelle il est proposé de supprimer ces conditions dans cette hypothèse tout à fait spécifique.

Par ailleurs, l’amendement vise à renforcer le régime de liberté conditionnelle dit expulsion qui concerne ces catégories particulières de détenus, en prévoyant expressément qu’elle est assortie de droit de l’interdiction de paraître à nouveau sur le territoire français, de sorte que le fait de retourner sur le territoire national constituerait par définition une violation de la mesure qui entraînerait la réincarcération du condamné.

M. Didier Paris, rapporteur. Monsieur Bru, je comprends votre proposition, mais elle semble se heurter à quelques difficultés.

Je ne vois pas pour quelle raison nous pourrions envisager de libérer ces étrangers qui sont manifestement condamnés pour des faits graves – des faits de terrorisme, disons-le clairement – avant l’exécution complète de leur peine. Ils sont sur notre territoire pour purger une lourde peine. J’ajoute qu’il ne faut pas oublier la vision que pourraient en avoir les victimes. Il est beaucoup plus sain, naturel et conforme à la protection de notre sol de les garder dans les conditions actuelles jusqu’à l’achèvement de leur peine. Au surplus, il faut pouvoir accompagner correctement leur sortie qui se transformera systématiquement en expulsion.

Compte tenu de la nature des infractions ou des personnalités et des difficultés que poserait leur retour sur les théâtres d’opérations, il est préférable de ne pas toucher à ce dispositif extrêmement délicat.

Dans ces conditions, je donne un avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Même avis.

Nous avons réfléchi à la manière dont on pourrait rédiger cet amendement, mais c’est vraiment très compliqué pour toutes les raisons que le rapporteur vient de souligner. Il est donc très difficile de faire prospérer votre idée même si je comprends fort bien ce qui la motive.

La Commission rejette l’amendement CL526.

Puis elle en vient à l’amendement CL535 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Danièle Obono. Par cet amendement, nous proposons que les décisions judiciaires relatives à la situation des personnes privées de liberté soient prononcées, sous peine de nullité, de manière collégiale.

Le champ d’intervention des juges de l’application des peines est intrinsèquement lié à la privation de liberté, tant en milieu ouvert que fermé. Le principe de la collégialité doit prévaloir en la matière dans l’intérêt d’une bonne justice.

M. Didier Paris, rapporteur. Je comprends votre préoccupation, mais il existe déjà un dispositif qui ne méconnaît pas la collégialité. Certes, beaucoup de décisions sont prises par le juge de l’application des peines, mais après avis de la commission de l’application des peines. En outre, le tribunal de l’application des peines est également amené à prendre un certain nombre de décisions. Ériger la collégialité comme principe absolu me paraît donc excessif. Votre proposition serait recevable s’il n’existait aucune collégialité. Or des dispositions permettent déjà de la mettre en œuvre dès lors que les décisions prises sont importantes pour le condamné.

Je suis donc défavorable à votre amendement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Même avis.

La Commission rejette l’amendement CL535.

Puis elle adopte l’article 50 modifié.

Article 50 bis A (nouveau)
(art. 147-1, 720-1-1 et 729 du code de procédure pénale)
Suspension de peine ou remise en liberté médicales pour les personnes détenues hospitalisées sans leur consentement

La Commission est saisie de l’amendement CL757 de M. Stéphane Mazars.

M. Stéphane Mazars. Cet amendement est inspiré directement des travaux de notre commission sur la détention, en particulier du groupe qui a travaillé sur la prise en charge des détenus souffrant de troubles psychiatriques. Il permet d’ouvrir la possibilité aux personnes détenues placées en hospitalisation sans leur consentement de solliciter une mesure de suspension de peine pour raison médicale pour les condamnés, ou une remise en liberté médicale pour les prévenus, au même titre que les personnes atteintes d’une pathologie engageant le pronostic vital ou dont l’état de santé physique ou mental est incompatible avec le maintien en détention.

L’exclusion actuelle en droit de ces détenus souffrant de maladies psychiatriques de la suspension de peine et de la remise en liberté les place dans une situation sanitaire très dégradée. Ils alternent en effet les temps de séjour sans consentement à l’hôpital et les retours en détention ordinaire, provoquant des ruptures dans une prise en charge sanitaire adaptée qui aggravent, dans les faits, leur état de santé. En souhaitant mettre en place une telle suspension de peine pour ce type de détenus ou condamnés, cet amendement vise à créer la possibilité d’une prise en charge dans la durée à l’hôpital, sans interruption par des retours en détention ordinaire. Il propose également de modifier le délai à partir duquel, après l’octroi d’une suspension de peine pour raison médicale, une liberté conditionnelle peut être accordée sans condition quant à la durée de la peine accomplie si une nouvelle expertise établit que leur état de santé physique ou mental est toujours durablement incompatible avec le maintien en détention et si le condamné justifie d’une prise en charge adaptée à sa situation. Le délai serait ainsi fixé à un an, contre trois ans actuellement.

M. Didier Paris, rapporteur. Cet amendement procède des excellents travaux menés par la commission sur le milieu carcéral. Le travail conduit par M. Stéphane Mazars en la matière nous permet de parvenir à un résultat tout à fait satisfaisant et qui fait donc l’objet d’un avis favorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je suis également très favorable à cet amendement. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, la situation des personnes détenues souffrant de troubles psychiatriques est un vrai problème. Cette mesure intéressante mérite d’être soutenue.

La Commission adopte l’amendement CL757.

L’article 50 bis A est ainsi rédigé.

Article 50 bis (supprimé)
(art. 707-1-1 [nouveau] du code de procédure pénale)
Création d’une Agence de l’exécution des peines

La Commission étudie l’amendement CL977 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Cet amendement vise à supprimer des dispositions introduites par le Sénat qui prévoyaient la création d’une Agence de l’exécution des peines, notamment chargée de faire exécuter les peines prononcées par des juridictions étrangères. Or une telle structure n’apparaît pas appropriée pour venir soutenir les magistrats qui sont confrontés à l’exécution de certains dossiers complexes, notamment liés à des éléments d’extranéité.

Au-delà des questions liées aux effectifs et au financement de cette agence, se pose un problème de conflits de compétences possibles avec d’autres directions et services existants, assurant déjà un certain nombre de missions. Se poserait surtout la question de la capacité de cette agence à prendre ou à élaborer indirectement une décision juridictionnelle en lieu et place des magistrats en juridiction.

Actuellement, les missions envisagées par l’amendement sont assurées par l’administration centrale qui est très régulièrement et très fréquemment saisie de demandes d’analyses juridiques issues de situations individuelles anonymisées par les juridictions. La direction des affaires criminelles fournit alors une analyse exclusivement juridique que le magistrat est libre de suivre ou non. Les nombreuses analyses ainsi réalisées donnent lieu à une publication afin de constituer une base documentaire.

Enfin, il nous semble qu’ajouter un nouvel acteur ne ferait que complexifier les choses et nuirait en réalité à la bonne exécution des décisions, notamment en matière de confiscations pour lesquelles l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués a développé une réelle expertise.

M. Didier Paris, rapporteur. Je me range sans aucun problème aux explications de Mme la ministre. Avis favorable.

La Commission adopte l’amendement CL977.

L’article 50 bis est supprimé.

Après l’article 50 bis

La Commission examine l’amendement CL182 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Danièle Obono. S’inspirant très largement de la proposition de loi de M. Dominique Raimbourg, cet amendement vise à créer un mécanisme de régulation carcérale et de prévention de la surpopulation pénitentiaire.

Nous partageons le constat d’un certain nombre d’autorités, comme la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, de personnels pénitentiaires et d’associations, selon lesquels un mécanisme de régulation carcérale serait efficace pour lutter contre la surpopulation carcérale endémique que connaît la France. Nul besoin de revenir sur les conséquences parfaitement décrites par la Contrôleure générale de la surpopulation carcérale sur les droits fondamentaux.

Nous contestons la pertinence d’un accroissement du parc carcéral comme moyen de lutte contre la surpopulation carcérale. Les chiffres sont en ce sens éloquents et les différents plans de construction n’ont pas permis de résorber cette surpopulation. De plus, nous déplorons que la politique d’aménagement de peine et d’alternative à l’incarcération ne se soit résumée qu’à une politique de gestion des flux carcéraux. Au contraire, cette politique devrait être autonome afin de donner un sens propre à ces mesures. C’est d’ailleurs dans ce cadre que nous proposons et que nous continuerons à proposer une réécriture de l’échelle des peines.

Nous considérons que le mécanisme de régulation carcérale et de prévention de la surpopulation pénitentiaire est un outil pertinent. Par ailleurs, de lutte effective contre la surpopulation carcérale. Il permettrait au juge de s’interroger sur la pertinence de la prison afin de prononcer, en fonction des personnes condamnées, des mesures de milieu ouvert davantage en adéquation avec les problématiques pénales et de réinsertion de celles-ci.

Enfin, ce mécanisme ne doit pas être réduit aux éléments de communication véhiculés d’une volonté politique de vider les prisons, car, bien au contraire, il s’adressera principalement à des personnes ayant entamé des démarches de réinsertion et en attente de traitement de leurs demandes d’aménagement de peine.

M. Didier Paris, rapporteur. C’est un amendement important qui pourrait reposer sur un mécanisme nécessaire que je qualifierai presque d’idéal, celui d’une régulation qui permettrait de ne plus incarcérer, lorsqu’il n’y a plus de place dans les prisons. Vous avez conscience que ce mécanisme serait extrêmement difficile à mettre en œuvre. Que faire notamment des détenus condamnés que l’on ne pourrait pas incarcérer ? L’automaticité du système porte en lui-même les germes de sa destruction.

Je sais que votre vision est partagée par beaucoup d’autres personnes, et non des moindres, mais il me semble préférable à ce stade de poursuivre la démarche engagée par ce projet de loi qui consiste à améliorer, chaque fois que c’est possible, les conditions d’incarcération. C’est le cas notamment du mandat de dépôt à effet différé qui prend en compte ces considérations en plus de la personnalité et des conditions du futur détenu. Cette approche doit prévaloir sur la première qui est trop difficile à mettre en œuvre immédiatement.

Avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Madame la députée, vous proposez la création d’un mécanisme de régulation carcérale. Je ne méconnais absolument pas l’intérêt de votre proposition car nous devons effectivement dialoguer autour de cette question, mais la manière dont vous imaginez l’introduction de ce mécanisme, notamment avec un numerus clausus, me semble comporter certains risques. Instaurer un numerus clausus pourrait en effet générer des inégalités relativement fortes sur le territoire puisque l’on pourrait incarcérer dans les établissements où il y aurait de la place, mais pas dans ceux qui sont surpeuplés.

Vous proposez également un autre mécanisme de régulation au terme duquel dès qu’un détenu est incarcéré, la direction de l’établissement doit mettre en œuvre une procédure d’aménagement de peine. Ce dispositif me semble difficilement envisageable dans la mesure où les décisions d’aménagement de peine relèvent de l’autorité judiciaire et non de l’autorité de l’administration pénitentiaire.

En revanche, nous ne pouvons pas méconnaître l’idée qui vous guide. Je souhaite donc que la nouvelle échelle des peines dont j’ai proposé la mise en place soit accompagnée au niveau local d’une réelle mobilisation de l’ensemble des acteurs qui interviennent, notamment des juridictions mais aussi des services d’insertion et de probation, et qu’ils se réunissent au sein de commissions d’exécution et de l’application des peines pour parvenir à une véritable régulation carcérale. Mais cela relève plutôt d’un texte de nature réglementaire ou d’une circulaire que d’une disposition législative.

J’émets donc un avis défavorable.

Mme Cécile Untermaier. Je partage les propos tenus par Mme la ministre. Il est vrai que la question du numerus clausus est revenue régulièrement et que M. Dominique Raimbourg s’était fait le porte-parole de cette idée qui nous paraissait à la fois intéressante et compliquée.

Derrière cette mesure se niche l’obligation pour le juge de connaître l’état du parc carcéral, afin qu’il puisse apprécier le prononcé de la peine au vu de la réalité de la situation.

La voie réglementaire nous permettrait déjà d’avancer intelligemment en ce sens.

La Commission rejette l’amendement CL182.

Puis elle examine l’amendement CL410 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier. Cet amendement porte sur la création de comités de détenus dans les centres pénitentiaires, que nous proposons dans le cadre d’une expérimentation afin qu’il ne tombe pas sous le coup de l’article 40.

L’article 29 de la loi du 24 novembre 2009 dispose déjà que, « sous réserve du maintien du bon ordre et de la sécurité de l’établissement, les personnes détenues sont consultées par l’administration pénitentiaire sur les activités qui leur sont proposées ». Ce dispositif, dont les modalités d’application sont précisées par le décret du 29 avril 2014, me semble insuffisant, ainsi qu’à nombre de directeurs des services pénitentiaires que j’ai consultés à ce sujet.

Constituer un cadre identifié et rassurant sous la forme d’un comité de détenus nous semble intéressant. Du point de vue de l’administration pénitentiaire, l’accompagnement de la personne détenue au sein de dispositifs internes de citoyenneté participative représente une valeur ajoutée qui fait écho aux recommandations européennes sur le sujet. Il constitue aussi un canal pertinent pour faire remonter certaines informations par le dialogue, ce qui permet un apaisement du climat de la détention et le réinvestissement d’un vivre ensemble responsable.

Du point de vue de la personne détenue, la démarche participe de la responsabilisation, donc de la resocialisation, et de l’accompagnement vers l’autonomie – réappropriation d’une image positive de soi, changement dans les postures carcérales vis-à-vis de l’autre, qu’il soit détenu ou surveillant, apprentissage de l’écoute et des règles de sociabilité…

J’ajouterai, enfin, que des comités de détenus ont été mis en place avec succès dans de nombreux pays européens, et que les lois espagnole et danoise sont particulièrement avancées sur ce sujet. Il nous semble donc important, au moment où nous avons engagé une réflexion sur le sens de la peine, de lui donner toute sa dimension de réinsertion en organisant au niveau législatif la création de tels comités en France – je crains en effet qu’une création prévue au niveau réglementaire ne suffise pas.

M. Didier Paris, rapporteur. Si la création de comités de détenus constitue un objectif idéal que nous pouvons partager, elle se heurte à quelques difficultés résultant des différences de statut des établissements où elle est susceptible de s’appliquer, ainsi qu’au fait que, si de nombreux détenus adhèrent pleinement aux démarches de ce type – je pense notamment au dispositif « Respect » existant au sein de certains établissements –, il me paraît un peu excessif de vouloir l’imposer comme une voie de médiation obligatoire dans tous les centres de détention et les maisons d’arrêt. Je rappelle d’ailleurs que les détenus peuvent effectuer, durant leur détention, des stages de citoyenneté.

Pour toutes ces raisons, je ne suis pas favorable à cet amendement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Si l’intérêt des comités de détenus – déjà mis en place au sein d’un certain nombre d’établissements – est indéniable, j’estime que les mesures proposées sont plutôt de niveau réglementaire.

Mme Cécile Untermaier. Si elles sont de niveau réglementaire, rien n’interdit à l’administration d’y donner suite, madame la ministre !

La Commission rejette l’amendement CL410.

Elle est ensuite saisie de l’amendement CL334 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Danièle Obono. Cet amendement vise à créer un conseil de l’organisation de la vie carcérale. Afin de travailler sur l’inclusion au projet de gestion de la vie carcérale associant les personnels pénitentiaires, les personnes détenues et toutes celles concernées par la détention, ce conseil serait, d’une part, chargé de rédiger une charte d’organisation de la vie collective en détention, révisée au moins une fois par an, d’autre part, compétent pour statuer sur les recours amiables ouverts contre toutes les décisions individuelles.

Ce conseil serait constitué de façon à assurer la représentation de l’ensemble des représentants et personnels de l’établissement pénitentiaire, des personnes détenues et de leurs familles, ainsi que des associations habilitées intervenant en détention et des élus locaux.

Nous considérons qu’une telle instance, incluant tous les cercles sociaux touchés par la situation de privation de liberté des personnes concernées, est susceptible de constituer un vecteur d’équité, de stabilité et d’échange en détention, et de contribuer à ce que la prison ne soit plus un espace situé en dehors de la société, mais au cœur de divers processus d’échange faisant appel à toute la communauté.

M. Didier Paris, rapporteur. Avis défavorable, pour les mêmes raisons que celles exposées précédemment.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Même avis.

La Commission rejette l’amendement CL334.

Chapitre III bis 
Du droit de vote des détenus

Article 50 ter
Expérimentation du droit de vote des détenus par correspondance

La Commission examine, en discussion commune, les amendements identiques CL849 du rapporteur, CL979 du Gouvernement et CL776 de M. Stéphane Mazars, ainsi que l’amendement CL412 de Mme Cécile Untermaier.

M. Stéphane Mazars. L’amendement CL776 vise à remplacer le dispositif adopté par le Sénat en matière d’expérimentation du droit de vote des personnes détenues pour les prochaines élections européennes par celui, initialement proposé par le Gouvernement, qui présente de meilleures garanties en matière de respect du caractère secret et personnel du vote, de sincérité du scrutin et de sécurité.

Il est notamment proposé d’instituer une commission électorale unique, installée auprès de la Chancellerie et qui aura pour rôle, d’une part, d’établir la liste des détenus admis à voter par correspondance, à savoir les personnes en détention provisoire mais aussi les personnes condamnées à une peine ne comportant pas d’incapacité électorale, d’autre part, de recenser les votes.

M. Didier Paris, rapporteur. Mon amendement CL849 est identique à celui que Stéphane Mazars vient de défendre.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Avec l’amendement identique CL979, nous souhaitons rendre effectif le droit de vote des détenus qui n’en sont pas privés, afin qu’ils puissent en faire usage dès les élections européennes qui auront lieu au mois de mai prochain – certes, chaque détenu peut d’ores et déjà demander une permission de sortir ou voter par procuration, mais l’idée de cette proposition est vraiment de permettre l’exercice effectif du droit de vote dans les établissements de détention. Pour cela, nous avons mis au point un dispositif à la fois constitutionnel, sécurisé et effectif, basé sur le principe du vote par correspondance, avec une commission électorale unique.

Sur le plan pratique, les détenus pourront voter grâce à une urne mise en place dans chaque établissement, et tous les votes seront ensuite recensés en un lieu unique, sans doute place Vendôme, ce qui permettra d’éviter le risque de stigmatisation auquel pourraient être exposés des votes qui seraient dépouillées au sein d’un établissement – il sera expressément interdit de communiquer la liste des électeurs détenus admis à voter par correspondance. Le fait que les votes recensés dans chaque établissement soient adressés à la commission électorale réduira à la fois les risques de fraudes, les délais d’acheminement et les coûts.

Ce dispositif, efficace et assez simple à mettre en place, n’est destiné à fonctionner que pour les élections européennes – et éventuellement pour l’élection présidentielle – en raison de la présence d’une commission électorale unique, qui ne serait pas compatible avec des élections à caractère local, pour lesquelles nous devrons réfléchir à un autre système. En tout état de cause, nous avons l’intention de mettre au point un système plus pérenne une fois les élections européennes passées.

Mme Cécile Untermaier. Avec l’amendement CL412, je souhaitais moi aussi proposer un dispositif permettant à la citoyenneté de pénétrer dans l’enceinte de la prison, comme le Président de la République s’y était engagé en mars 2018 – car, dans les faits, le droit de vote des détenus consacré par la réforme du code pénal de 1994 fonctionne très mal. Le dispositif proposé par les amendements qui viennent d’être présentés, notamment celui du Gouvernement, répondant à mes préoccupations, je retire mon amendement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je rectifie ce que j’ai dit il y a quelques instants : ce n’est pas une urne, mais un isoloir, qui sera installé dans chaque établissement. Les détenus entreront dans cet isoloir pour y glisser leur bulletin de vote dans une enveloppe, qui sera ensuite portée au greffe dans une deuxième enveloppe.

L’amendement CL412 est retiré.

Les amendements identiques CL849, CL979 et CL776 sont adoptés.

L’article 50 ter est ainsi rédigé.

Chapitre III ter
Dispositions pénitentiaires

Article 50 quater
(art. 714, 717 et 726-2 du code de procédure pénale)
Conditions de détention des personnes prévenues dangereuses

La Commission adopte l’amendement rédactionnel CL850 du rapporteur.

Elle est ensuite saisie de l’amendement CL978 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Le Sénat a modifié les articles 714 et 717 du code de procédure pénale, afin de permettre l’affectation des détenus en établissement pénitentiaire, quel que soit leur statut pénal – prévenu ou condamné –, en fonction de leur dangerosité. Il me semble utile de compléter ces dispositions importantes en prévoyant la possibilité d’affecter les détenus concernés dans des quartiers dits spécifiques.

En effet, lorsque leur comportement porte ou est susceptible de porter atteinte au bon fonctionnement de l’établissement ou à la sécurité publique, ces détenus – prévenus ou condamnés – doivent pouvoir être affectés dans des quartiers au sein desquels ils bénéficieront d’une prise en charge adaptée à leur situation et pourront, le cas échéant, être soumis à des mesures de sécurité plus strictes – je pense notamment aux quartiers de prévention de la radicalisation.

M. Didier Paris, rapporteur. Je suis favorable à la disposition proposée, qui constitue à mes yeux une réelle avancée.

La Commission adopte l’amendement CL978.

Puis elle adopte l’article 50 quater modifié.

Après l’article 50 quater

La Commission examine l’amendement CL180 de Mme Danièle Obono.

Mme Danièle Obono. Cet amendement vise à améliorer les conditions d’incarcération des femmes détenues en proposant l’expérimentation d’un « cantinage » adapté à la population pénale féminine, dans le respect de la règle pénitentiaire européenne 19.7, qui pose pour principe que « des mesures spéciales doivent être prises afin de répondre aux besoins hygiéniques des femmes».

L’avis du 25 janvier 2016 de la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, relatif à la situation des femmes privées de liberté, décrit une situation terrible pour les femmes détenues. En effet, comme le relèvent tant les professionnels pénitentiaires que les associations, la gamme des produits d’hygiène féminine – tampons ou serviettes hygiéniques, savon de toilette intime, etc. – et des produits ou accessoires de beauté – maquillage, teinture pour cheveux, fer à lisser, matériel d’épilation, etc. – disponibles en cantine est très restreinte.

Le « kit d’hygiène » fourni aux femmes est le même que celui distribué aux hommes, à l’exception de l’ajout de serviettes hygiéniques. Cela conduit à une situation inégalitaire selon laquelle les femmes doivent s’approvisionner en produits de base par le biais des cantines exceptionnelles et non des cantines classiques, contrairement aux hommes.

La Contrôleure générale des lieux de privation de liberté relève par ailleurs que des motifs de sécurité sont trop souvent invoqués pour refuser aux femmes détenues l’entrée en détention de produits de beauté ou d’hygiène via le parloir. Le groupe La France insoumise considère que cette situation n’est pas acceptable et que le statu quo est, de fait, discriminatoire.

M. Didier Paris, rapporteur. Si je ne doute pas une seconde de la réalité des difficultés que vous décrivez, je ne suis pas certain que la mesure proposée soit de niveau législatif : à mon avis, elle relève plutôt de la direction de l’administration pénitentiaire.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Quant à moi, je suis certaine que cette mesure ne relève pas du niveau législatif. Bien évidemment, cela ne doit pas nous nous empêcher de voir si la situation ne peut pas être améliorée par d’autres moyens.

La Commission rejette l’amendement CL180.

Chapitre IV
Favoriser la construction d’établissements pénitentiaires

Avant l’article 51

La Commission examine l’amendement CL529 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Danièle Obono. Cet amendement peut donner l’impression de ne constituer qu’un détail, mais il est symboliquement fort, puisqu’il vise à supprimer le mot « favoriser » du titre de ce chapitre du projet de loi – « Favoriser la construction d’établissements pénitentiaires ». En effet, le choix des mots est important, et ce titre traduit en l’occurrence le tropisme carcéral du Gouvernement, et le fait que la construction de prisons constitue, sur le plan budgétaire, l’essentiel de la politique du ministère de la justice.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur et du Gouvernement, la Commission rejette l’amendement CL529.

Article 51
(art. 100 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire)
Allégement des formalités préalables à la construction de prisons

La Commission est saisie de l’amendement CL980 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. En supprimant la notion d’études opérationnelles, le présent amendement rétablit le périmètre initial des dérogations temporaires visant à accélérer la mise en œuvre du programme immobilier. Nous avons accepté la limitation temporelle de ces dérogations, ramenées à 2022 par le Sénat, alors que nous envisagions initialement l’échéance de 2026. Je rappelle qu’à l’horizon de 2022, l’ensemble des opérations pénitentiaires nécessaires à la construction des 15 000 places que nous nous sommes engagés à réaliser sera initié. Les dernières opérations pourront cependant en être encore au stade des études, c’est pourquoi il vous est proposé de retirer l’adjectif « opérationnelles » qualifiant ces études, afin de rendre l’ensemble des dispositions dérogatoires applicable aux opérations, y compris en phase d’études préalables.

Par ailleurs, nous devons également pouvoir recourir, en cas de difficultés survenant au cours de la réalisation d’une opération, à la procédure d’expropriation d’extrême urgence, déjà mise en œuvre pour les ouvrages nécessaires aux Jeux olympiques ou pour la réalisation des grandes infrastructures de transport – cette procédure est évidemment très encadrée, et ne peut être mise en œuvre que lorsque la procédure normale est déjà largement avancée et qu’apparaissent des difficultés très localisées, susceptibles de retarder l’exécution du projet.

M. Didier Paris, rapporteur. Je suis très favorable à cette proposition, qui constitue la traduction législative d’outils indispensables au bon accomplissement du programme de construction des places de prison que le Gouvernement s’est engagé à réaliser.

La Commission adopte l’amendement CL980.

Elle examine ensuite l’amendement CL542 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Danièle Obono. Par cet amendement de suppression ciblée des alinéas 9 à 11 de l’article 51, nous souhaitons promouvoir l’application de l’encellulement individuel, en mettant fin au moratoire pesant actuellement sur celui-ci.

Au nom d’une gestion boutiquière et relevant d’une vision purement entrepreneuriale du service pénitentiaire, la ministre de la Justice a évoqué au Sénat la « livraison » de places en prison. En 1945, une commission de réforme des institutions pénitentiaires a énoncé le principe de l’encellulement individuel pour les personnes placées en emprisonnement préventif, que le code de procédure pénale de 1958 a repris avec quelques dérogations. La loi du 15 juin 2000 a supprimé une partie des possibilités de dérogation, celle du 12 juin 2003 a reporté cette mise en œuvre de cinq ans, puis le décret du 10 juin 2008 a créé un article D53-1 dans le code de procédure pénale, visant à rendre effectif le principe de l’encellulement individuel au niveau national. Par la suite, la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 a réaffirmé le principe de l’encellulement individuel avec un nouveau délai de cinq ans, avant que la loi de finances pour 2015 ne repousse son application au 1er janvier 2020.

La Contrôleure générale des lieux de privation de liberté ayant réaffirmé ce principe fondamental dans son avis du 24 mars 2014, nous souhaitons le voir enfin s’appliquer, et proposons donc qu’il soit mis fin à son report perpétuel.

M. Didier Paris, rapporteur. Avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. J’ai beaucoup apprécié la teneur de votre exposé sommaire, madame Obono, surtout quand vous avez évoqué ma « gestion boutiquière » du service public pénitentiaire – de ce point de vue, je ne sais pas si le fait que vous précisiez qu’elle relève d’une « vision purement entrepreneuriale » doit me consoler.

Quoi qu’il en soit, je redis que nous attachons une grande importance à l’objectif de l’encellulement individuel. Si je me refuse à donner des assurances que je sais ne pas pouvoir tenir, j’insiste sur le fait que nous poursuivons cet objectif d’une manière qui n’a jamais été mise en œuvre, à la fois par la mise en place d’une politique des peines dont l’une des conséquences sera d’aboutir à une moindre incarcération, et par la construction de places de prison, ce qui devrait nous permettre d’atteindre l’objectif de l’encellulement individuel dans les meilleurs délais.

La Commission rejette l’amendement CL542.

Elle adopte ensuite l’amendement de cohérence CL851 du rapporteur.

Puis elle est saisie de l’amendement CL543 de Mme Danièle Obono.

Mme Danièle Obono. Par cet amendement, en cohérence avec les annonces faites l’année dernière et en début d’année 2018 par Mme la ministre de la Justice, nous souhaitons que les partenariats publics privés (PPP) ne puissent plus être mis en œuvre dans le domaine de la justice et que, dans un délai de trois mois à compter de la promulgation du texte, le Gouvernement remette au Parlement un rapport visant à présenter un plan de sortie des contrats de PPP en cours.

M. Didier Paris, rapporteur. Avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Avis défavorable. Comme je l’ai déjà expliqué, d’une part, nous ne construisons plus par le biais des PPP, d’autre part, nous sommes en voie de renégociation des six PPP en cours. Je précise que si nous devions dénoncer ces PPP, les indemnisations à verser seraient bien supérieures aux sommes dont nous sommes redevables actuellement.

La Commission rejette l’amendement CL543.

Puis elle adopte l’article 51 modifié.

Article 51 bis (supprimé)
(art. 4, 39 et 40 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire)
Isolement électronique des détenus

La Commission examine l’amendement CL981 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Mesdames et messieurs les députés, je vous demande de revenir sur ces dispositions du projet de loi introduites au Sénat prévoyant une base légale à l’interdiction de l’usage d’internet et des téléphones portables en cellule, et circonscrivant la correspondance des détenus aux seules voies téléphonique et postale. Premièrement, ces dispositions me semblent relever du domaine du règlement et non de la loi. Deuxièmement, comme j’ai déjà eu l’occasion de vous le dire, nous avons engagé un plan de déploiement d’un dispositif de brouillage en détention en concluant un marché performant, grâce à un budget de 125 millions d’euros sur cinq ans.

Suivant l’avis favorable du rapporteur, la Commission adopte l’amendement CL981.

L’article 51 bis est supprimé.

Article 51 ter (supprimé)
(art. 35 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire)
Palpations systématiques des visiteurs en détention

La Commission est saisie des amendements identiques CL852 du rapporteur, CL982 du Gouvernement et CL545 de M. Ugo Bernalicis.

M. Didier Paris, rapporteur. L’amendement CL852 vise à supprimer l’article 51 ter, introduit à l’initiative du Sénat et visant à autoriser l’administration pénitentiaire à soumettre les personnes titulaires d’un permis de visite à certaines mesures de contrôle qui me paraissent disproportionnées : il n’y a pas de raisons pour que les visiteurs soient considérés comme présentant le même degré de risque que les détenus eux-mêmes.

Mme Danièle Obono. L’amendement Cl545 est défendu.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Comme l’a dit M. le rapporteur, ces amendements identiques visent à supprimer une disposition introduite au Sénat, prévoyant que les visiteurs des détenus doivent faire l’objet de toutes les mesures de contrôle jugées nécessaires à la sécurité et au bon ordre des établissements pénitentiaires.

La Commission adopte ces amendements identiques.

L’article 51 ter est supprimé.

Après l’article 51 ter

La Commission examine l’amendement CL692 de Mme Caroline Abadie.

Mme Caroline Abadie. Il a été fait référence tout à l’heure au déplacement que nous avons effectué à Fresnes il y a quelques semaines. Comme c’est le cas lors de chacune de nos visites, nous avons recueilli de nombreuses informations sur la détention, notamment grâce aux contacts que nous avons eus avec le personnel de l’administration pénitentiaire.

Au cours de cette visite, il a ainsi été porté à notre connaissance que les détenus en semi-liberté ne pouvaient pas utiliser de téléphones portables ni d’ordinateurs pendant leur temps de détention, alors même que l’usage de ces appareils leur est possible en dehors de la détention – je rappelle que le régime de semi-liberté est un régime particulier de détention autorisant certains détenus à quitter l’établissement pénitentiaire dans la journée afin d’exercer une activité professionnelle, ce qui leur permet de ne pas se désociabiliser. Cette règle s’explique difficilement pour les détenus concernés, qui peuvent utiliser un téléphone portable et accéder à internet comme ils le souhaitent durant la journée.

L’amendement CL692 vise donc à permettre, sous réserve que les conditions de sécurité soient garanties, c’est-à-dire que le quartier de semi-liberté soit bien étanche par rapport à tous les autres régimes de détention, l’utilisation des outils de communication en détention. On pourra m’opposer l’argument selon lequel le fait de donner cette autorisation à certains détenus et pas à d’autres constitue une inégalité de régime. Pour ma part, je trouverais regrettable qu’au nom d’un principe, on prive 100 % d’une population d’un droit alors qu’on pourrait permettre à la moitié d’en bénéficier.

M. Didier Paris, rapporteur. Cet amendement visant à répondre à une problématique très couramment évoquée quand on parle des prisons soulève de nombreuses questions, et Mme Abadie a l’honnêteté intellectuelle d’indiquer elle-même les raisons pour lesquelles sa proposition pourrait poser problème. Cela dit, il me semble inutile d’engager un débat sur le fond, dans la mesure où les dispositions proposées relèvent en tout état de cause du domaine réglementaire.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Il me semble effectivement que ces dispositions relèvent du domaine du règlement plutôt que de celui de la loi. Par ailleurs, elles posent un problème en termes d’organisation : si elles peuvent être mises en œuvre sans difficultés particulières dans un centre de semi-liberté isolé, il n’en est pas de même quand il s’agit d’un quartier de semi-liberté situé au sein d’un établissement accueillant d’autres types de détenus, car la mise en place de brouilleurs peut se révéler délicate sur le plan technique.

Mme Caroline Abadie. Si mon amendement relève du domaine réglementaire, je suis disposée à le retirer. Je souhaitais surtout sensibiliser notre commission à cette question qui me paraît importante, et souligner l’intérêt qu’il y aurait à permettre l’utilisation des téléphones portables et des ordinateurs aux détenus en semi-liberté là où la configuration des lieux le permet.

M. Erwan Balanant. C’est un sujet très important ; il nous a par exemple été présenté le cas d’un cadre qui continue de travailler le soir. Si cette mesure relève du domaine réglementaire et compte tenu des différences qui existent entre les prisons, peut-on envisager un décret qui renvoie au règlement intérieur de chaque prison – pour autant que chaque établissement en ait un, ce que j’ignore – afin que la règle y soit prévue ? Quoi qu’il en soit, nous devons conduire cette réflexion en ce qui concerne les nouveaux établissements.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Il me semble que la question est légitime concernant les structures d’accompagnement vers la sortie ou encore les centres de semi-liberté. Elle peut naturellement être précisée dans le règlement intérieur des établissements.

L’amendement CL692 est retiré.

La Commission examine l’amendement CL752 de M. Stéphane Mazars.

M. Stéphane Mazars. Cet amendement est inspiré par les travaux du groupe de travail sur la détention et a été approfondi à la suite de notre visite à Fresnes ; je sais par ailleurs, madame la garde des Sceaux, que vous avez été saisie de la question par le médecin-psychiatre responsable de l’unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA) de Villejuif, qui intervient également au service médico-psychologique régional de Fresnes.

Cet amendement vise à garantir la continuité des soins pour les personnes détenues souffrant de troubles psychiatriques à leur sortie d’une hospitalisation complète sans consentement, principalement dans une UHSA. En l’état actuel du droit, ces détenus ne peuvent faire l’objet de soins sans consentement que sous la forme d’une hospitalisation complète, à la différence du droit commun qui permet depuis 2011 de dispenser des soins sans consentement sous la forme d’un programme de soins obligatoires, notamment ambulatoires. Si, juridiquement, ce programme de soins est obligatoire et mis en œuvre sans le consentement de la personne, car elle n’est pas en état de le donner, il n’autorise toutefois pas l’usage de la contrainte.

L’évolution proposée permettrait de mettre un terme aux arrêts fréquents de traitement concernant les patients de retour en détention alors qu’ils étaient « stabilisés » en UHSA, de diminuer les retours récurrents en hospitalisation complète et de réduire les délais d’attente avant admission pour d’autres détenus.

Le dispositif viserait principalement les personnes souffrant de troubles psychotiques dont la pathologie repose sur une perte de contact avec la réalité et qui, par définition, ne reconnaissent pas leur maladie, ce qui les conduit à cesser leur traitement en détention. Parmi ces personnes, seraient tout particulièrement concernés les patients les plus fragiles dont l’état de santé reste compatible avec une détention classique – contrairement à ceux pour qui une suspension de peine peut être envisagée, comme on l’a vu tout à l’heure – mais qui courent des risques médicaux importants en raison de l’arrêt du traitement.

Pour avoir abordé la question avec eux, je connais les préventions de vos services à l’égard de cette mesure, madame la garde des Sceaux. Avant même d’y être invité, je sais aussi qu’il faut que je revoie ma copie car ces préventions sont, non seulement le fait du ministère de la justice, mais surtout celles du ministère de la santé. J’ai fait savoir à vos collaborateurs que je me rapprocherais des services de ce ministère pour tenter d’aboutir à une rédaction plus appropriée. Je tenais tout de même à défendre l’amendement en l’état pour vous sensibiliser à l’importance de résoudre cette difficulté qui pèse sur les UHSA et en milieu carcéral ordinaire.

M. Didier Paris, rapporteur. Je prends acte du fait que M. Mazars s’est invité lui-même à retirer son amendement. Cher collègue, le problème existe – vous l’avez d’ailleurs exposé à l’occasion de vos multiples travaux dans les maisons d’arrêt et en milieu carcéral – et nous devons le résoudre. Aurez-vous le temps d’y parvenir avant la séance ? Je l’ignore. Il faut en effet avoir un échange approfondi avec le ministère de la santé. Votre objectif est ambitieux mais sans doute atteignable et de toute façon important. Je vous remercie de retirer l’amendement à ce stade, ce qui ne préjuge en rien de mon avis sur le fond.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Monsieur Mazars, vous soulevez une question très difficile, sensible et prégnante dans les établissements. Vous avez rappelé que ce sujet avait été abordé lors de ma visite à Villejuif, mais il l’a aussi été à Montpellier et partout ailleurs.

La question qui se pose est celle de la continuité des soins. Après être sorti pendant trois jours de son lieu de détention pour se faire soigner en hôpital psychiatrique, un détenu peut cesser son traitement s’il ne consent pas à sa poursuite lors de son retour en prison. L’été dernier, il s’est produit à Nîmes une agression qui relevait de ce cas de figure, et d’autres ont eu lieu ailleurs.

C’est une difficulté qui soulève des questions juridiques : il faudrait en effet commencer par modifier le code de la santé publique car les règles diffèrent naturellement selon que les soins sont dispensés en milieu hospitalier ou en établissement pénitentiaire. Se pose ensuite la question très sensible du libre consentement : pour les médecins, c’est un point indépassable en établissement pénitentiaire. Nous devons aussi entendre les craintes qui s’expriment. Enfin, il se pose une question relative au personnel médical disponible pour assurer le suivi de ces soins.

Une mission d’inspection a été mandatée par l’inspection générale des affaires sociales et par l’inspection générale de la justice sur les UHSA et leur articulation avec le parcours de santé mentale. Ses conclusions devraient nous être rendues – à Mme Buzyn et moi-même – d’ici à la fin de l’année. J’aimerais que nous puissions trouver une solution dans le cadre du présent projet de loi mais je ne suis pas sûre que nous le pourrons, car je crains que les implications ne soient trop importantes vis-à-vis du personnel médical. Même si nous n’y parvenons pas à l’occasion de ce texte, je m’engage en tout état de cause à trouver une solution, car le problème est réel – et le parcours de santé mentale n’est d’ailleurs pas son seul enjeu ; il se pose également des questions immobilières concernant les unités de soins qu’il m’appartient de développer dans certains établissements pénitentiaires. En clair, c’est une question extrêmement complexe que nous devons résoudre, mais je ne suis pas convaincue que nous ayons toutes les clefs pour y parvenir dans ce texte. Je vous remercie cependant de l’avoir soulevée.

L’amendement CL752 est retiré.

La Commission est saisie de l’amendement CL150 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Danièle Obono. Cet amendement vise à renforcer et à assurer l’effectivité de l’article 36 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, relatif à la possibilité pour toute personne détenue de pouvoir accéder à une unité de vie familiale (UVF) ou de bénéficier d’un parloir familial. Ces structures manquent cruellement sur l’ensemble du territoire ainsi qu’au niveau local, où elles devraient pouvoir être offertes plus facilement. Selon le programme 107 du projet annuel de performance pour 2019 relatif à l’administration pénitentiaire, seules 156 UVF fonctionnaient dans 48 établissements pénitentiaires au 1er juillet 2018, alors qu’un « ambitieux » programme de généralisation aurait prétendument été lancé à partir de 2012.

Incontestablement, les UVF et les parloirs familiaux participent à la réinsertion des personnes détenues et, plus largement, leur dimension humaine permet de maintenir les liens familiaux fragilisés par le choc carcéral, sans surveillance directe du personnel. Selon nous, les familles des détenus n’ont pas à subir les dommages collatéraux de l’incarcération d’une personne condamnée. Ces répercussions constituent un frein à la réinsertion de personnes concernées et un risque supplémentaire qu’elles sombrent dans un processus de délinquance. Plus particulièrement, les UVF ayant fait l’objet d’une expérimentation depuis 2003 permettent aux personnes incarcérées – prévenues ou condamnées – de rencontrer leurs proches et de partager des moments d’intimité dans une structure rappelant un environnement extra muros. C’est pourquoi l’amendement vise à généraliser ces structures.

M. Didier Paris, rapporteur. De nombreux efforts louables et positifs ont été consentis en ce sens depuis 2015. Toutefois, le délai que vous proposez pour généraliser cette mesure – 2022 – ne me semble pas réaliste.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. En effet, un tiers des établissements pénitentiaires sont équipés d’UVF. Nous voulons faire davantage. Le nouveau programme immobilier prévoira l’implantation d’UVF dans les établissements dès leur construction.

La Commission rejette l’amendement CL150.

Elle en vient l’amendement CL149 de Mme Danièle Obono.

Mme Danièle Obono. Cet amendement vise à interdire l’utilisation de matelas au sol dans les établissements pénitentiaires. La généralisation du phénomène de surpopulation carcérale en France a banalisé en effet le recours à cette pratique alors qu’elle est contraire à toutes les réglementations en vigueur, en particulier les règles pénitentiaires européennes. Depuis 2013, elle est même intégrée aux données statistiques du ministère de la justice. Selon les dernières données communiquées, il y avait 1 353 matelas au sol au 1er octobre 2018 et certains établissements ont déjà dénombré plus de 1 800 matelas au sol. Loin de l’image souvent véhiculée de prisons « Club Med », cette pratique est indigne – car, sur le principe, elle est en effet fondée sur l’indignité de la personne humaine.

Dans son rapport thématique de 2018, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté décrit parfaitement cette atteinte à la dignité des personnes détenues : « les matelas ne sont le plus souvent qu’un simple bloc de mousse, trop peu souvent renouvelés et posés au sol au pied des autres lits, souvent à proximité des toilettes ». Cette pratique insupportable tant pour les personnes détenues que pour les personnels doit être strictement interdite, d’où notre amendement.

M. Didier Paris, rapporteur. Cet amendement sur les matelas n’est que la conséquence de la surpopulation carcérale que le projet de loi vise précisément à réduire, soit par la construction de nouveaux établissements pénitentiaires, soit par les mesures permettant d’éviter l’incarcération. Avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Même avis : je suis dans l’action plus que dans l’incantation.

Mme Danièle Obono. Heureusement : vous êtes ministre !

La Commission rejette l’amendement CL149.

Elle examine ensuite l’amendement CL181 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Danièle Obono. Puisque Mme la ministre est dans l’action – encore heureux – et que nous, parlementaires, sommes dans l’opposition en attendant d’être dans l’action…

M. Jean-Michel Fauvergue. Cela n’arrivera pas !

Mme Danièle Obono. La majorité est bien arrogante en ce moment, mais les événements à venir vous obligeront à en rabattre !

Mme Catherine Kamowski. Ce n’est pas de l’arrogance !

Mme Danièle Obono. En attendant, rien de tel pour se remotiver !

M. Erwan Balanant. Deux juges d’instruction vont bientôt calmer votre arrogance à vous…

Mme Danièle Obono. Cette proposition d’amendement offre donc une solution alternative à votre politique. Elle vise à préserver la dignité des femmes détenues lorsqu’elles sont fouillées. Les contraintes de recrutement qui pèsent sur l’administration pénitentiaire ne sauraient justifier des comportements ne respectant pas la dignité des personnes détenues. En effet, on accepte depuis trop longtemps que le principe selon lequel les fouilles ne peuvent être réalisées que par des agents du même sexe ne s’applique pas toujours aux femmes, faute notamment d’effectifs féminins suffisants. Nous considérons qu’il s’agit d’une inadmissible atteinte à la dignité, d’autant plus que cette situation relève de l’administration.

Nous proposons qu’aucune fouille, quelle qu’en soit la forme, y compris la palpation de sécurité, ne puisse être pratiquée par une personne du sexe opposé.

Dans son avis du 25 janvier 2016 relatif à la situation des femmes privées de liberté, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté a indiqué que le respect de la dignité humaine empêche toute possibilité de procéder à la fouille des protections périodiques des femmes. Cette recommandation est d’autorité tant il est sordide d’imaginer qu’elle ne puisse être respectée. Nous espérons donc que vous serez « dans l’action » en acceptant cet amendement !

M. Didier Paris, rapporteur. L’article R. 57-7-81 du code de procédure pénale prévoit déjà, dans une rédaction dépourvue de toute ambiguïté, que « les personnes détenues ne peuvent être fouillées que par des agents de leur sexe et dans des conditions qui, tout en garantissant l'efficacité du contrôle, préservent le respect de la dignité inhérente à la personne humaine ». Je vous propose donc le retrait de cet amendement qui me semble satisfait.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Même avis.

Mme Danièle Obono. Cet amendement vise notamment à interdire la fouille des protections périodiques des femmes. Il s’agit donc de compléter et renforcer une règle face à une situation que l’on sait patente dans de nombreux centres pénitentiaires.

La Commission rejette l’amendement CL181.

Elle en vient à l’amendement CL179 de Mme Danièle Obono.

Mme Danièle Obono. Cet amendement vise à ce que le Gouvernement remette au Parlement un rapport sur la situation des femmes détenues en France. Cette demande fait suite aux alertes d’autorités telle que la Contrôleure générale des lieux de privation de libertés et de bon nombre d’associations.

Dans son avis du 25 janvier 2016 relatif à la situation des femmes privées de liberté, la Contrôleure générale décrit la situation de discrimination intolérable dont sont victimes les femmes détenues dans l’institution carcérale. Nous ne saurions accepter le constat selon lequel la localisation géographique non homogène des établissements recevant des femmes entrave le maintien des liens sociaux et familiaux. La localisation des « quartiers pour femmes » dans les établissements remet souvent en cause la mission de réinsertion de l’administration pénitentiaire, privant les femmes d’un accès aux activités, aux services médicaux et à la formation.

Cette discrimination se prolonge en ce qui concerne l’accès des femmes détenues aux alternatives à l’incarcération et aux aménagements de peine. En effet, il existe peu de structures de placement à l’extérieur accueillant des femmes et le nombre de places en semi-liberté est insuffisant pour les femmes, au point que certaines directions interrégionales comme la direction interrégionale des services pénitentiaires de Marseille et la mission des services pénitentiaires de l’outre-mer ne disposent d’aucune place.

Le rapport que nous demandons doit permettre de rendre compte de la réalité des conditions carcérales et de l’accès aux alternatives à l’incarcération et aux aménagements de peines, et d’établir des recommandations à mettre en œuvre de toute urgence.

M. Didier Paris, rapporteur. Avis défavorable par principe à la remise d’un rapport.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Même avis, même si Mme Obono soulève un réel problème qui a d’ailleurs plusieurs entrées – y compris une entrée immobilière. Il pourrait être utile de conduire une étude globale sur le sujet, mais il existe déjà de très nombreux rapports en la matière.

La Commission rejette l’amendement CL179.

Chapitre V
Diversifier les modes de prise en charge des mineurs délinquants

Avant l’article 52

La Commission examine l’amendement CL203 de M. Philippe Gosselin.

M. Antoine Savignat. Nous ne pouvions achever l’examen de ce projet de réforme de la justice sans aborder le sujet extrêmement important à nos yeux du sort à réserver à l’ordonnance de 1945 relative à l’enfance délinquante et de son caractère désormais inadapté aux situations auxquelles sont quotidiennement confrontés les magistrats et les juges pour enfants et aux dossiers qu’ils ont à apprécier. L’ordonnance ne leur permet plus de répondre à ces cas de délinquance. Il va de soi que nous ne la réécrirons pas ce soir en intégralité…

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Ou nous risquerions d’achever nos débats bien tard…

M. Antoine Savignat. Je vous l’accorde. Cet amendement vise néanmoins à ramener l’âge de la majorité pénale de dix-huit à seize ans. Ce n’est pas une mesure invraisemblable au regard de la vie de l’ordonnance de 1945 puisqu’à l’époque, la majorité était fixée à vingt-et-un ans et la majorité pénale à dix-huit ans. Surtout, il faut répondre à un besoin en utilisant cette vertu qu’est la peur du bâton. Aujourd’hui, chacun sait que les mineurs constituent la main-d’œuvre de tous les trafics qui ont lieu dans les villes françaises. Pourquoi ? Parce qu’ils bénéficient d’une immunité quasi totale qui en fait une main-d’œuvre facile et profitable.

Je ne voudrais pas que cet amendement soit détourné de son objectif principal : c’est d’abord pour protéger les mineurs et pour qu’ils ne soient plus cette main-d’œuvre facile qu’il vise à ramener l’âge de la majorité pénale à seize ans, étant entendu que toutes les garanties seront prévues – les dossiers seront soumis à l’appréciation des juges, lesquels seront à même de prononcer une sanction adéquate au regard des faits dont ils sont saisis.

M. Didier Paris, rapporteur. L’objet de cette loi n’est pas de réformer l’ordonnance de 1945. L’abaissement de la majorité pénale constituerait une réforme plus que profonde entraînant de très nombreuses implications qui ne sont pas mesurées ici et que nous n’avons pas l’intention de produire. En outre, je vous rappelle qu’il est déjà possible d’engager des poursuites plus dures à l’égard de mineurs de seize ans puisque les magistrats sont en droit d’écarter l’atténuation de responsabilité due à la minorité. Votre objectif est donc atteint sans qu’il soit nécessaire de réformer l’intégralité de l’ordonnance de 1945 ; avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Même avis. Je me suis déjà exprimée sur ce sujet lors de la discussion générale. Soyons clairs : je ne méconnais pas la difficulté existante concernant les infractions commises par des adolescents. Cependant, il faudrait tout d’abord évaluer les chiffres objectifs pour savoir de quoi nous parlons. Sur le plan juridique, ensuite, l’ordonnance de 1945 prévoit en effet l’atténuation de la responsabilité des mineurs âgés de seize ans au moins. Alors que cette atténuation de responsabilité – je préfère cette formule à celle d’excuse de minorité – est obligatoire entre treize et seize ans, elle n’est, en l’état actuel du droit, que facultative entre seize et dix-huit ans. Cela étant, je ne suis pas sûre que l’inversion du principe que vous proposez – à savoir qu’un mineur de seize ans soit par défaut soumis aux mêmes peines qu’un majeur sauf décision contraire motivée – change quoi que ce soit : avec la « peur du bâton », vous ne proposez là qu’un acte symbolique. Je sais que cela peut avoir une incidence mais, dans la réalité, la justice des mineurs n’est pas laxiste lorsqu’elle prononce des sanctions : 900 mineurs sont actuellement en détention – ce n’est pas un nombre négligeable. Je ne crois donc pas que le travail sur la loi modifierait en l’espèce les données du problème, d’autant plus que le Conseil constitutionnel, dans une décision de 2002, a érigé le principe de l’atténuation de la responsabilité pénale des mineurs en fonction de l’âge au rang de principe fondamental reconnue par les lois de la République.

En revanche, il me semble important d’améliorer la rapidité, la systématicité et l’opérationnalité de la réaction. C’est là que nous avons des gains à obtenir. Ce n’est pas que la justice soit incapable d’être réactive – à Créteil, par exemple, le jeune a été éloigné et placé sous contrôle judiciaire dès le lendemain de l’incident. C’est dire que la justice peut parfaitement être réactive. J’ignore cependant si elle l’est de manière systématique. Sans doute y a-t-il des marges de progrès en matière d’opérationnalité entre les forces de l’ordre et les services de justice – marges qui doivent d’ailleurs varier selon les territoires.

Cependant, je ne juge pas souhaitable d’inverser le principe de l’atténuation de responsabilité entre seize et dix-huit ans parce que je ne crois pas que la justice soit laxiste, même si nous devons progresser en matière de mise en œuvre. En toute hypothèse, un mineur délinquant ne peut pas être vraiment considéré comme un adulte, car il est encore un individu en construction. Sans méconnaître la difficulté, voilà pourquoi j’estime que la réponse législative n’est pas forcément l’outil adéquat.

Mme Alexandra Louis. Cet amendement contient une mesure souvent proposée qui me dérange à deux égards. Dans son principe, d’abord : l’ordonnance de 1945 a été conçue pour protéger les mineurs, qui sont des adultes en devenir devant faire l’objet d’un traitement très particulier dans lequel le volet éducatif doit primer sur le volet répressif ; c’est l’ADN même de l’ordonnance de 1945 défendue, je le rappelle, par le général de Gaulle.

Je suis également gênée par votre volonté d’imposer davantage de devoirs aux mineurs de seize ans sans leur accorder davantage de droits ; c’est contradictoire.

En termes d’efficacité, ensuite, peut-être cette mesure a-t-elle un sens dans un débat politique mais, en pratique, elle n’en a aucun. En effet, la justice des mineurs fonctionne très bien – pourvu qu’elle en ait les moyens. Les taux de récidive sont moindres chez les mineurs que chez les majeurs. Il est absolument faux de prétendre que la justice des mineurs serait laxiste – croyez-en le témoignage d’une praticienne. La justice n’est pas laxiste, même si elle prend parfois du temps. Comme l’a dit Mme la ministre, l’essentiel n’est pas la sévérité de la peine en éludant systématiquement l’atténuation de responsabilité, mais la certitude et la promptitude de la peine, et la réponse immédiate de la justice pénale. Voilà ce qui compte pour les mineurs ! En attendant, prenons garde à de telles annonces qui, en pratique, n’ont strictement aucun effet. Il faut avant tout privilégier l’éducatif, ce qui n’empêche pas d’incarcérer des mineurs aussi – neuf cents le sont actuellement. Les réponses doivent être adaptées aux parcours. Surtout, aucun praticien ne demande l’abaissement de la majorité pénale qui, encore une fois, n’aurait aucun sens en termes d’efficacité.

M. Jean Terlier. Vos propos me font réagir, cher collègue, car il faut, comme je l’ai dit à M. Ciotti, se garder de vouloir légiférer en réformant l’ordonnance de 1945 sous le coup de l’émotion ou par sensationnalisme politicien. Mme Louis l’a rappelé : l’ordonnance de 1945 fonctionne plutôt bien dans ses principes, selon lesquels tout mineur peut rendre des comptes devant la justice et être présenté devant un juge. Pour chaque cas, le juge apprécie si l’enfant a agi avec discernement, et c’est cette appréciation qui le conduit, en fonction d’une étude détaillée de la situation du mineur, à prendre telle ou telle mesure – soit une mesure éducative soit, si elle n’aboutit pas, des sanctions, étant entendu que les mesures éducatives priment.

Sans doute conviendrait-il de rafraîchir l’ordonnance de 1945 pour mieux en comprendre le fonctionnement mais son principe doit être absolument sauvegardé. Le principe du discernement du mineur permet au juge pour enfants de prendre la décision adaptée à chaque cas. Cette justice fonctionne bien : dans deux cas sur trois, le mineur ne récidive pas. Cette justice permet une forme d’efficacité, loin de tout laxisme. Il existe des centres éducatifs fermés bien adaptés, ainsi que des établissements pour mineurs où sont incarcérés près de 900 jeunes. En clair, la justice des mineurs fonctionne parfaitement dans le respect des principes de l’ordonnance de 1945 qui garantissent la primauté des mesures éducatives et qui permettent au juge d’apprécier le discernement des mineurs pour décider de sa responsabilité et des sanctions qui doivent éventuellement lui être infligées.

M. Antoine Savignat. Dans l’esprit de l’ordonnance du 2 février 1945, cet amendement a pour objet la protection des mineurs. Nous n’avons pas la même lecture des faits, madame la ministre, mais le majeur qui s’expose à des sanctions dures et fermes se garde bien de jouer le rôle actif dans le trafic afin de ne pas tomber sous le coup de la loi pénale. Il utilise le mineur, et c’est cette exploitation qui est à bannir de notre société, car elle dévoie la philosophie de l’ordonnance de 1945, que par ailleurs je ne critique pas. Puisque le mineur bénéficie de cette protection, on l’utilise pour effectuer les basses besognes du trafic ; qui plus est, aujourd’hui ces mineurs sont utilisés pour commettre des actes de grande violence.

Cette proposition vise à protéger les mineurs utilisés dans ces trafics ; il ne s’agit pas de réécrire l’ordonnance de 1945. Gardons-nous d’une lecture hâtive des chiffres, car on peut leur faire dire beaucoup de choses : s’il y a moins de condamnations de mineurs, c’est aussi parce qu’ils accèdent à la majorité et que les actes commis auparavant ne sont pas inscrits au casier judiciaire. De fait, le mineur n’est confronté à la justice que pour un temps très court.

J’évoque un fait de société avéré et constaté par l’ensemble des professionnels. C’est pour protéger les mineurs que nous proposons cette mesure, et ce sera sous le contrôle du juge, en qui j’ai toute confiance car la justice des mineurs fonctionne très bien.

La Commission rejette l’amendement CL203.

Puis elle examine l’amendement CL202 de M. Philippe Gosselin.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Monsieur Savignat, je vous donne la parole pour présenter cet amendement, même s’il me semble que le débat a déjà eu lieu.

M. Antoine Savignat. Nous restons dans la même thématique, certes, mais cet amendement apporte un complément à la réforme de 2007 qui a prévu la possibilité du recours à la composition pénale à partir de l’âge de 13 ans.

L’exécution de travaux d’intérêt général (TIG) pourrait être prescrite à des mineurs de cet âge sous réserve de l’accord de leurs parents. Puisque la composition pénale est accessible à ces mineurs, autant donner le plus large éventail de moyens au juge.

M. Didier Paris, rapporteur. Si j’entends bien, monsieur Savignat, vous souhaitez que les mineurs puissent accomplir des TIG ?

M. Antoine Savignat. Il s’agit de dire qu’à partir de l’âge de treize ans, le TIG peut être proposé dans le choix de mesures mis à la disposition des magistrats.

M. Didier Paris, rapporteur. J’y suis totalement opposé. La disposition précédemment adoptée prévoit que le mineur de 16 ans peut effectuer un TIG même lorsque qu’il n’avait pas cet âge au moment de la commission des faits, ce qui est très différent.

Je ne vois pas comment il pourrait être envisagé qu’un mineur de 13 ans soit mis au travail. Je rappelle que l’âge d’entrée dans les contrats d’apprentissage est fixé à 15 ans. Votre proposition me paraît parfaitement dérogatoire et impossible à mettre en œuvre.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Nous sommes liés par des conventions internationales comme par des dispositions de droit interne. Par ailleurs, le juge peut prononcer des mesures de réparation, ce qui n’est pas tout à fait la même chose, mais n’en constitue pas moins l’une des alternatives auxquelles peut aboutir la composition pénale.

La Commission rejette l’amendement 202.

Elle est ensuite saisie de l’amendement CL29 de M. Ugo Bernalicis.

M. Danièle Obono. Cet amendement vise à dépénaliser le délit de fugue d’un centre éducatif fermé (CEF), actuellement considéré comme un délit d’évasion au sens de l’article 434-27 du code pénal. Cela implique la suppression de la mention de la détention provisoire ou de l’emprisonnement en cas de violation des obligations auxquelles le mineur est astreint.

Dans son rapport, rendu au mois de juin 2010, consacré aux CEF, la Défenseure des enfants écrivait que «  le non-respect des obligations du placement qui peut entraîner l’incarcération du mineur vise, en premier lieu [...] les comportements de fugue : or [...] celle-ci n’est nullement une infraction et ne peut être considérée comme telle ».

Depuis la création de ces CEF par la très répressive loi du 9 septembre 2002 d’orientation et de programmation pour la justice, dite « loi Perben 1 », un flou volontaire subsiste, grave et préjudiciable, du fait de la création des centres « précarcéraux » ou « semi-carcéraux ». Il ne s’agit pas formellement de prisons, mais en sortir sans autorisation est considéré comme un délit d’évasion.

Or la Défenseure des enfants affirmait que : « la fugue doit être distinguée de l’évasion qui est sanctionnée par les articles 434-27 et suivants du code pénal et qui n’est applicable qu’aux détenus, c’est-à-dire à toute personne placée sous écrou de l’administration pénitentiaire ».

Elle a en outre rappelé que, selon les principes directeurs de Riyad pour la prévention de la délinquance juvénile, adoptés par l’ONU le 14 décembre 1990, « pour prévenir toute stigmatisation, victimisation et criminalisation ultérieures des jeunes, il faudrait adopter des textes disposant que les actes non considérés comme délictuels ou pénalisés s’ils sont commis par un adulte ne devraient pas être sanctionnés s’ils sont commis par un jeune  ».

M. Didier Paris, rapporteur. Je comprends le sens de cet amendement, mais vous proposez de supprimer un délit qui n’existe pas. En effet, l’article 434-27 du code pénal sanctionne l’évasion, qui ne concerne pas la situation des mineurs que vous évoquez. Dans la mesure où je ne vois pas l’intérêt de cet amendement, je ne peux que m’y montrer défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Sur le plan du droit, je partage l’avis du rapporteur, même si, pour m’en être entretenue avec M. Bernalicis, je trouve l’idée intéressante. Le dispositif mérite d’être retravaillé.

La Commission rejette l’amendement CL29.

Article 52
(art. 33 et 40 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante)
Amélioration de la préparation à la sortie des mineurs délinquants

La Commission adopte successivement les amendements rédactionnels CL853 et CL854 du rapporteur.

Puis elle adopte l’article 52 modifié.

Après l’article 52

La Commission examine l’amendement CL25 de Mme Danièle Obono.

Mme Danièle Obono. L’objet de cet amendement est de proposer des mesures d’urgence pour la protection de l’enfance en matière civile, par l’expérimentation de la prise en charge inconditionnelle des mineurs isolés étrangers, de l’intervention systématique d’un avocat à leurs côtés, et enfin par la suppression du recours aux tests osseux.

L’ensemble de ces dispositions trouve sa cohérence dans la mesure où elles concernent un public particulièrement vulnérable qui doit être particulièrement protégé, notamment sur le plan de la présomption de minorité.

M. Didier Paris, rapporteur. Je ne suis pas certain que cet amendement se situe dans le périmètre du texte que nous examinons.

Une partie substantielle du débat a déjà été largement évoquée à l’occasion de l’examen du projet de loi sur l’immigration et l’asile ; je ne souhaite donc pas y revenir. Par ailleurs, les dispositions que vous préconisez relèvent de la compétence des collectivités territoriales – même si elles reçoivent une aide de l’État –, des départements en particulier.

Pour ces raisons, mon avis est défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Même avis.

La Commission rejette l’amendement CL25.

Puis elle examine l’amendement CL26 de Mme Danièle Obono.

Mme Danièle Obono. Par cet amendement d’appel, nous proposons de réaffirmer la possibilité déjà existante d’une protection judiciaire civile pour les jeunes majeurs, jusqu’à l’âge de 21 ans. Si celle-ci est utilisée par les juges, il nous est souvent revenu que les départements, financièrement exsangues, refusent de prendre en charge les jeunes majeurs, et que de ce fait, bon nombre d’intéressés ne font pas valoir leurs droits en justice.

En effet, l’assistance éducative prévue par l’article 375-1 et suivant du code civil ne concerne pas les jeunes majeurs jusqu’à l’âge de 21 ans alors qu’elle est prévue par l’article L. 12-3 du code de l’action sociale et des familles et surtout par l’article L. 253-2 du code de l’organisation judiciaire.

M. Didier Paris, rapporteur. Je suis d’accord avec vous, madame Obono, pour dire que les dispositions que vous évoquez sont déjà prévues par les textes, ce qui m’amène à donner un avis défavorable.

Suivant l’avis également défavorable du Gouvernement, la Commission rejette l’amendement CL26.

Elle en vient à l’amendement CL27 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Danièle Obono. Cet amendement tend à instaurer la publicité de l’état d’exécution des décisions des juges des enfants en matière de protection de l’enfance, ce qui permettra de prendre conscience des inégalités de traitement constatées entre départements.

Ces statistiques existent déjà, et les services de l’État en assurent le suivi. Leur publication, qui pourra intervenir sur le site internet de l’État dans le département ou sur celui du ministère de la justice, par exemple, ne fera que rendre accessibles à tous des données d’ores et déjà recueillies et traitées.

Cela permettra de garantir un meilleur contrôle de l’État sur l’exécution par les services départementaux des décisions des juges des enfants en matière de protection de l’enfance et de lutte contre les disparités territoriales.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l’amendement CL27.

Elle se saisit ensuite de l’amendement CL37 de Mme Danièle Obono.

Mme Danièle Obono. Il est proposé que les officiers publics et ministériels concernés par l’aide juridictionnelle soient astreints à l’obligation de signaler aux personnes requérant leurs services que ceux-ci peuvent demander l’aide juridictionnelle et leur en indiquer les modalités.

En effet, si le non-recours à l’aide juridictionnelle est encore mal chiffré, force est de constater qu’un grand nombre de personnes ne connaissent pas encore leur droit à demander et obtenir cette aide, car certains officiers publics et ministériels, à l’exception des avocats, l’ignorent eux-mêmes.

Dans la mesure où le premier point de contact des justiciables peut être, non pas la juridiction même, mais un officier public et ministériel à qui ils viennent demander conseil, il apparaît fondamental que cette information soit obligatoire. Il ne s’agit en effet que d’une simple ligne à ajouter dans les courriers échangés avec les justiciables, ou aux informations communiquées lors de rendez-vous.

M. Didier Paris, rapporteur. Je ne me prononcerai pas sur ce que pourrait apporter cet amendement. Je me bornerai à rappeler que nous sommes convenus de demander à une mission d’information, qui vient d’être désignée au sein de notre commission, d’étudier l’ensemble des aspects de cette problématique.

Pour ces raisons, j’émettrai un avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Avis défavorable également. Je n’imagine pas qu’un membre de ces professions ne communique pas ces informations à son client…

La Commission rejette l’amendement CL37.

Puis elle examine l’amendement CL28 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Danièle Obono. Afin de limiter le recours aux CEF, nous proposons d’augmenter les moyens de la justice des enfants et des adolescents ainsi que de la protection judiciaire de la jeunesse dans leur mission de suivi éducatif en milieu ouvert ou en foyer. Pour ce faire, nous souhaitons modifier l’annexe de ce projet de loi en annonçant 35 millions d’euros pour le milieu ouvert.

Nous avons été alertés par des syndicalistes et des éducateurs et éducatrices de la protection judiciaire de la jeunesse, qui considèrent que les CEF n’enrayent en rien la délinquance juvénile, et sont bien au contraire des « antichambres de la détention » comme l’a rappelé la Commission nationale consultative des droits de l’homme dans son avis du 27 mars 2017. C’est pourquoi les syndicats ont appelé à une journée de grève le 9 octobre dernier.

Nous proposons à cet effet de modifier le rapport annexé à ce projet de loi afin d’y insérer la prévision d’un investissement de 35 millions d’euros d’ici 2022 pour le milieu ouvert de ce secteur ; ce qui est cohérent avec les positions que nous défendons.

M. Jean-Pierre Rosenczveig, ancien président du tribunal des enfants de Bobigny, écrit dans son livre Rendre justice aux enfants, paru cette année : « On consacre tous les moyens sur les jeunes déjà bien inscrits dans la délinquance au détriment de ceux qui n’en sont qu’aux prémices ». Dans le cas de la Seine-Saint-Denis, il dénonce un « effet de ciseaux entre les fonctions de répression et de prévention au tribunal des enfants de Bobigny. En vingt-cinq ans, le nombre de substituts du procureur y est passé de deux à huit, quand les effectifs de la protection judiciaire de la jeunesse diminuaient de vingt éducateurs à treize ».

En matière de protection judiciaire de la jeunesse, nous estimons qu’il faut sortir de la logique centrée sur l’incarcération et que, plutôt que de multiplier les CEF fermés, il convient de préférer les solutions privilégiant le milieu ouvert.

M. Didier Paris, rapporteur. Cet amendement excède totalement l’économie du texte qui nous est proposé. J’y suis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Que l’on me pardonne de me répéter : nous cherchons à mettre en œuvre une pluralité de solutions, les CEF constituant l’une d’entre elles. Ce texte en crée d’autres, et nous avons également prévu des sorties de ces établissements qui ne soient plus des « sorties sèches ».

Nous demeurons attachés à ce que la diversité des dispositifs et la souplesse demeurent les guides de notre action.

La Commission rejette l’amendement CL28.

Elle se penche ensuite sur l’amendement CL24 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Danièle Obono. Cet amendement d’appel propose une remise à plat de la prise en charge des enfants en difficulté par le service de prévention spécialisée en rendant plus efficients leurs liens avec la protection judiciaire de la jeunesse, réaffirmant ainsi la double compétence du juge des enfants et de tous les services agissant sur les plans civil et pénal.

L’expérimentation que nous proposons vise à ce que ces trois services – départementaux pour le service de l’aide sociale à l’enfance et la protection spécialisée, étatique et judiciaire pour la protection judiciaire de la jeunesse et le tribunal des enfants –, se coordonnent afin de déterminer ensemble leurs besoins locaux communs et d’obtenir des moyens nécessaires.

Les résultats de cette expérimentation permettront d’apprécier les progrès réalisés dans le domaine de la prise en charge des enfants en difficulté.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur et du Gouvernement, la Commission rejette l’amendement CL24.

TITRE V BIS
ACCROÎTRE LA MAÎTRISE DES DÉPENSES D’AIDE JURIDICTIONNELLE

Article 52 bis (supprimé)
(art. 1635 bis Q du code général des impôts)
Rétablissement d’une contribution pour l’aide juridique

La Commission examine l’amendement CL918 de la rapporteure.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Le Sénat a introduit dans ce projet de loi un titre intitulé : Accroître la maîtrise des dépenses d’aide juridictionnelle, insérant les articles 52 bis à 52 quinquies, qui transposent les recommandations de la mission d’information sénatoriale sur le redressement de la justice en matière de dépenses de justice.

Je vous invite, par les amendements CL918 à CL921, à supprimer l’ensemble de ces dispositions, même si je salue la réflexion engagée par le Sénat. Il me semble que ce travail doit être poursuivi et complété afin d’aboutir à une refonte plus complète de l’aide juridictionnelle, qui porterait sur son financement et sur son efficacité – sans pour autant s’inscrire dans une logique simplement budgétaire – afin de garantir une meilleure assistance aux plus démunis.

L’article 52 bis concerne le droit de timbre, l’article 52 ter la consultation obligatoire d’un avocat avant toute demande d’aide juridictionnelle, l’article 52 quater la consultation obligatoire des organismes sociaux avant l’attribution de l’aide juridictionnelle, l’article 52 quinquies le recouvrement par le Trésor public des sommes versées aux bénéficiaires de l’aide juridictionnelle.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je suis ravie par ces propositions de suppression !

La Commission adopte l’amendement CL918.

L’article 52 bis est supprimé.

Article 52 ter (supprimé)
(art. 18-1 [nouveau] de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique)
Consultation obligatoire d’un avocat avant toute demande d’aide juridictionnelle

La Commission adopte l’amendement CL919 de la rapporteure.

L’article 52 ter est supprimé.

Article 52 quater (supprimé)
(art. 21 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique)
Consultation obligatoire des organismes sociaux par les bureaux d’aide juridictionnelle pour apprécier les ressources du demandeur

La Commission adopte l’amendement CL920 de la rapporteure.

L’article 52 quater est supprimé.

Article 52 quinquies (supprimé)
(art. 44 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique)
Attribution au Trésor public du recouvrement des sommes à récupérer versées au titre de l’aide juridictionnelle

La Commission adopte l’amendement CL921 de la rapporteure.

L’article 52 quinquies est supprimé.

Titre VI 
Renforcer l’organisation des juridictions

Chapitre Ier
Dispositions relatives aux juridictions de première instance

Article 53
(art. 121-1, 121-3, 121-4, 122-1, 123-1, 123-4, 211-1, 211-3, 211-4, 211-4-1 [nouveau], 211-4-2 [nouveau], 211-5 [abrogé], 211-6, 211-7, 211-8, 211-9-2, 211-9-3 [nouveau], 211-10, 211-11, 211-11-1, 211-12, 211-13, 211-14, 211-16, 212-1, 212-2, 212-3, 212-4, 212-6, 212-6-1 [nouveau], 212-7 [nouveau], 213-1, 213-2, 213-4-1 [nouveau], 213-4-2 à 213-4-8 [nouveaux], 213-5, 213-6, 213-7, 213-9, 215-1, 215-2 et 215-3 à 215-7 [nouveaux], 216-1, 216-2, 217-1, 217-2, 218-1, 218-6 et 218-10 du code de l’organisation judiciaire, art. 39-4 [nouveau], 52-1, 80 et 712-2 du code de procédure pénale, 1134-10, 1422-1, 1423-11, 1454-2, 1521-3, 2312-15, 2312-46, 2315-74, 2323-4, 2323-39, 2325-38, 2325-40, 2325-55 et 3252-6 [abrogé] du code du travail, 4261-2 et 4262-2 du code des transports)
Réorganisation juridictionnelle et statutaire

La Commission examine l’amendement CL103 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Danièle Obono. Nous demandons la suppression de cet article, qui prévoit la suppression du tribunal d’instance, proche des administrés et incarnation de la justice populaire, pour le remplacer par des « chambres détachées » des tribunaux de grande instance. Cela causera nécessairement la fermeture de nombreux tribunaux d’instance, aggravant de la sorte la désertification judiciaire.

Il est encore prévu de spécialiser les chambres et les tribunaux, ce qui conduira non seulement à une justice à géométrie variable, mais aussi à des inégalités territoriales. Le Sénat a proposé des garde-fous qui ne sont toutefois pas suffisants.

Nous contestons la logique de gestion de la pénurie, préférée à l’allocation des moyens humains et financiers permettant à la justice de fonctionner. La justice de proximité que représentent les tribunaux d’instance, proches des populations, et qui fonctionnent très bien, sera supprimée. Cela contribuera à dégrader la qualité de la justice rendue puisque les juges d’instance actuels, qui sont spécialisés, deviendraient alors interchangeables, ce qui ne manquerait pas de nuire à la qualité de leur travail.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Avis défavorable. Je laisserai la ministre exposer plus avant l’objet de cet article.

Vous considérez que de nombreux tribunaux d’instance sont menacés de fermeture. Je rappelle qu’aucune fermeture de lieu de justice n’est à l’ordre du jour. En effet, les tribunaux d’instance, qui représentent la justice de proximité, seront détachés des tribunaux judiciaires.

Par ailleurs, cette réorganisation, qui permettra au justiciable de bénéficier d’un point d’accès unique au système judiciaire, constitue un élément de simplification et de lisibilité de l’organisation de nos tribunaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Trois mots caractérisent cet article qui vise à faire évoluer l’organisation de nos juridictions : proximité, lisibilité et efficacité.

Proximité parce que, comme l’a dit Mme la rapporteure, nous maintenons tous les tribunaux de première instance, qu’il s’agisse des tribunaux de grande instance ou des actuels tribunaux d’instance. Nous sommes extrêmement attentifs à cela parce que nous savons très bien que c’est dans la proximité que se trouvent les besoins les plus immédiats et les plus puissants : rencontrer son juge et avoir accès à lui.

C’est aussi la raison pour laquelle, dans le cadre des tribunaux d’instance, nous garantissons le maintien des compétences portant sur les contentieux en cours de jugement. Nous le faisons en maintenant un juge des contentieux de la protection, qui jugera les affaires de surendettement, de baux, de crédit à la consommation et de tutelle – autrement dit, tout ce qu’il s’attache à la vie de la personne et sa protection.

Seront également jugés les petits contentieux de faibles volumes. Les chefs de cour pourront également, s’ils le souhaitent, adjoindre à ces endroits des contentieux liés aux affaires familiales.

La proximité est préservée et c’est, bien entendu, extrêmement important.

La lisibilité, deuxième mot, vient peut-être, d’abord, du changement de dénomination que nous vous proposons, à moins qu’il ne couronne l’ensemble du processus. Nous proposons d’appeler désormais les tribunaux de grande instance des tribunaux judiciaires. Au fond, le système sera très simple : nous aurons d’un côté les tribunaux administratifs, de l’autre les tribunaux judiciaires. Dans une fusion organique, les tribunaux judiciaires auront à la fois le tribunal judiciaire et le tribunal de proximité, c’est-à-dire les actuels tribunaux d’instance. Tous les sites sont protégés, les compétences y demeurent. Ce point est tout à fait important. À cette unité qui est créée maintenant autour du tribunal judiciaire répond au moins au niveau civil un mode de saisine, qui sera unifié et permettra aux citoyens, quel que soit le lieu où ils saisissent le tribunal, de recevoir une réponse immédiate et d’être réorientés si cela apparaît nécessaire.

Le troisième mot, c’est évidemment l’efficacité. Il est très important que les justiciables puissent avoir accès non seulement à un juge partout, mais également à une justice qui réponde rapidement et efficacement. C’est la raison pour laquelle nous avons également proposé que l’on puisse, si cela apparaissait opportun, réfléchir à des projets de répartition des contentieux entre tribunaux judiciaires, quand il y en a plusieurs dans un département. Prenons un département où il y a trois tribunaux judiciaires – parfois, il y en a, comme dans le département du Nord. Les acteurs du droit pourront, évidemment en lien avec les autorités locales, proposer que des contentieux spécialisés de forte technicité et de faible volume puissent faire l’objet d’une répartition entre les tribunaux concernés. Il s’agit de faire non pas que ces contentieux se retrouvent tous au même tribunal mais qu’ils soient répartis de manière équilibrée entre les trois, quatre, cinq ou six tribunaux judiciaires du département. Cela permettra évidemment aux magistrats de se spécialiser et d’être mieux formés sur le type de contentieux concerné – par exemple, tout le contentieux qui concerne les œuvres littéraires, mais disons tous les contentieux spécialisés de faible volume. Cela garantira la qualité de la justice et sans doute sa plus grande célérité. En effet, il sera plus aisé, pour un magistrat qui aura l’habitude de traiter ces contentieux singuliers, de s’y replonger au lieu de ne les traiter que de manière épisodique. Ces projets de répartition des contentieux sont laissés à l’initiative des acteurs locaux.

Lisibilité, proximité et efficacité sont les trois maîtres mots qui caractérisent l’évolution de notre organisation judiciaire.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle se saisit de l’amendement CL1004 du Gouvernement, qui fait l’objet du sous-amendement CL1095 de la rapporteure.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. J’ai déjà présenté cet amendement, qui réécrit l’article 53.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Comme l’adoption de cet amendement fera tomber l’ensemble des amendements, à l’exception de l’amendement CL331 de Mme Obono, je laisserai évidemment leurs auteurs s’exprimer s’ils le souhaitent.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Le sous-amendement CL1095 reprend en fait l’amendement CL504 de notre collègue Denis Sommer, qui tombera si l’amendement du Gouvernement est adopté. Il permet d’élargir le dispositif de spécialisation entre plusieurs tribunaux judiciaires à deux départements en raison de spécificités territoriales qui le justifieraient.

M. Denis Sommer. Il s’agit effectivement prendre en compte les réalités locales. Le territoire de Montbéliard et le Territoire de Belfort constituent un territoire très industriel et, depuis quelques années, organisé en un pôle métropolitain – le pôle Nord-Franche-Comté – pour conduire ou inciter à certaines politiques publiques, dans le champ culturel, avec une scène nationale, ou en matière de traitement des déchets, de transports et d’innovation, par exemple avec des appels à projets en faveur du développement du numérique. Il y a là un vrai bassin de vie que se partagent deux départements, entre lesquels 300 000 habitants circulent, pour travailler, faire leurs courses, etc. Nous pensons que cette spécialisation des tribunaux proposée par le Gouvernement peut se penser à l’échelle de ce pôle métropolitain qui est une véritable vraie entité politique, un territoire partagé. La proximité ne suffit pas. Elle peut être un argument, mais deux pôles proches peuvent très bien ne pas se parler. Ce n’est pas du tout le cas dans le territoire que j’évoque, dont les élus veulent agir ensemble, dont les élus veulent le défendre ensemble. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que l’amendement CL504 est cosigné par Frédéric Barbier, Ian Boucard et Michel Zumkeller, rassemblant bien au-delà de notre majorité.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je suis évidemment très favorable à cette modification. Ce projet que vous étiez venu me présenter, monsieur le député, s’inscrit parfaitement dans notre logique de véritable adaptation au territoire. Ce sont bien les territoires qui nous proposeront des projets. Nous avons souhaité qu’ils soient plutôt de niveau départemental, mais, puisqu’il y a là une réalité bi-départementale, c’est très volontiers que nous acceptons cette proposition, et il faut que ce soit inscrit dans la loi.

La Commission adopte le sous-amendement CL1095.

Puis elle adopte l’amendement CL1004 sous-amendé.

En conséquence, les amendements CL207 de M. Patrick Hetzel, CL478 de M. Stéphane Peu, CL482 de M. Stéphane Peu, CL108 de M. Ugo Bernalicis, CL110 de Mme Danièle Obono, CL111 de M. Ugo Bernalicis, CL36 de M. Ugo Bernalicis, CL483 de M. Sébastien Jumel, CL6 de M. Ugo Bernalicis, CL701 de M. Olivier Gaillard et CL504 de M. Denis Sommer tombent.

La Commission en vient à l’amendement CL331 de Mme Danièle Obono.

Mme Danièle Obono. L’amendement CL331 vise à renforcer la lutte contre la corruption, la délinquance en col blanc et les infractions sanitaires, environnementales ou au droit pénal du travail en dotant chaque département d’un pôle spécialisé en ces matières. Nous pensons que la lutte contre ces infractions doit devenir une priorité de la politique pénale.

En l’absence, actuellement, de pôles spécialisés territorialisés à l’échelle départementale, nous proposons qu’un dispositif soit expérimenté pour regrouper toutes les expertises. L’impunité ne doit pas être rendue possible par un manque de coordination et de circulation de l’information entre les services de l’État. Voilà pourquoi nous proposons que chaque département se dote de ce type de structure.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Je suis défavorable à cet amendement dans la mesure où la lutte contre la criminalité financière et la corruption a déjà été considérablement renforcée au cours des dernières années avec la mise en place des juridictions interrégionales spécialisées en 2004 et, pour le ministère public, du parquet national financier, opérationnel depuis 2014.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je suis défavorable à cet amendement.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’article 53 modifié.

Article 53 bis A (nouveau)
(art. 148-1 du code de l’action sociale et des familles, art. 723-3 du code de commerce, art. 1114-1, 3223-2, 3241-2 et 3844-2 du code de la santé publique, art. 251-4 et 251-6 du code de la sécurité intérieure, 3452-3 du code des transports, art. 3 de la loi n° 49-956 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse, art. 1651H, 1653F, 1741A du code général des impôts, art. 11-4 du code du patrimoine, art. 332-18 du code du sport, art. 561-39, 612-5, 612-9, 621-2 du code monétaire et financier, art. 327-3 et 327-4 du code de la propriété intellectuelle, art. 228-2 du code de l’aviation civile, art. 302-9-1-1 du code de la construction et de l’habitation, art. 18 de la loi n° 47-585 du 2 avril 1947 relative au statut des entreprises de groupage et de distribution des journaux et publications périodiques, art. 6 bis de la loi n° 57-711 du 7 juin 1951 sur l’obligation, la coordination et le secret en matière de statistiques, art. 1er et 20 de la loi n° 77-1453 du 29 décembre 1977 accordant des garanties de procédures aux contribuables en matière fiscale et douanière, art. 72 de la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes, art. 2 de l’ordonnance n° 2009-79 du 22 janvier 2009 créant l’Autorité des normes comptables, art. 4 de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des essais nucléaires français, art. 2 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique et art. 13, 14, 16 [abrogé], 17, 19 et 20 de la loi n° 2011-94 du 25 janvier 2011 portant réforme de la représentation devant les cours d’appel)
Suppression de la participation de magistrats à diverses commissions administratives

La Commission examine l’amendement CL1005 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Il s’agit de permettre aux magistrats d’être soulagés d’un certain nombre de missions qui se situent en dehors du champ juridictionnel.

Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la Commission adopte l’amendement.

L’article 53 bis A est ainsi rédigé.

Après l’article 53 bis A

La Commission examine l’amendement CL5 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Danièle Obono. Nous l’avons déjà dit, nous souhaitons garantir que la formation collégiale soit la formation de principe en matière de justice civile au tribunal d’instance et au tribunal de grande instance, le recours au juge unique n’étant possible qu’avec le consentement express du demandeur et du défendeur.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Avis défavorable. Les dispositions en vigueur protègent suffisamment les droits des parties et le principe de la collégialité prévaut déjà devant le tribunal de grande instance.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Même avis.

La Commission rejette l’amendement.

Article 53 bis B (nouveau)
(art. 121-5 et 124-2 [nouveaux] du code de l’organisation judiciaire)
Délégation de magistrats exerçant à titre temporaire et de magistrats honoraires

La Commission en vient à l’amendement CL753 de M. Jean Terlier.

M. Jean Terlier. Cet amendement a pour objectif de renforcer la capacité des juridictions à faire face à d’importantes surcharges d’activité ou à des crises pouvant affecter de manière sérieuse leur fonctionnement. Le dispositif vise à créer un mécanisme de délégation au sein de la cour d’appel afin que le premier président de la cour d’appel puisse bénéficier de l’appui d’un certain nombre de magistrats pour un renforcement immédiat et temporaire des juridictions de grande instance.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Avis favorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Même avis.

La Commission adopte l’amendement.

L’article 53 bis B est ainsi rédigé.

Après l’article 53 bis B

La Commission se saisit de l’amendement CL16 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Danièle Obono. C’est un amendement de repli par rapport à l’amendement CL5. Une expérimentation est proposée pour lutter contre les déserts judiciaires et garantir un accès facilité des administrés et des officiers publics et ministériels concernés au juge des affaires familiales. Un nombre minimal de juges aux affaires familiales par habitant serait fixé et il faudrait pouvoir y accéder, depuis son lieu de travail ou de résidence, en trente minutes au plus.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Même avis.

La Commission rejette l’amendement.

Article 53 bis
(art. 21 du code civil et art. 2 de la loi n° 2002-306 du 4 mars 2002)
Gestion électronique des registres des associations et des associations coopératives de droit local en Alsace-Moselle

La Commission adopte l’article 53 bis sans modification.

Chapitre II
Dispositions relatives aux juridictions d’appel

Avant l’article 54

Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la Commission adopte l’amendement de coordination CL1009 du Gouvernement.

Article 54
Expérimentation de fonctions d’animation et de coordination attribuées à certains chefs de cours d’appel et spécialisation de cours d’appel en matière civile

La Commission se saisit de l’amendement CL1008 du Gouvernement, qui fait l’objet du sous-amendement CL1093 de la rapporteure.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Cet amendement vise à rétablir l’article 54, supprimé par le Sénat. Il s’agit de confier, à titre expérimental, des missions d’animation et de coordination à des chefs de cour d’appel dans un ressort pouvant s’étendre à plusieurs cours d’appel d’une même région administrative. Il s’agit de créer de la cohérence dans les politiques conduites par les cours d’appel.

Cet article permet également une spécialisation des cours d’appel dans les matières civiles dont la liste est déterminée par décret en Conseil d’État. C’est le même mécanisme que celui que je vous ai proposé pour les tribunaux judiciaires.

Les conclusions de cette expérimentation seront évidemment rendues publiques en toute transparence.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Je propose de mener cette expérimentation non dans deux mais dans cinq régions. Ainsi aurons-nous un échantillon plus représentatif des différentes configurations géographiques.

M. Antoine Savignat. Je suis un peu inquiet. Ce n’est pas la première fois qu’il est question, dans ce projet de loi, d’expérimentation. En principe, la loi vaut pour l’avenir et vise à garantir une sécurité juridique.

Bien sûr, une expérimentation peut être extrêmement bénéfique, mais, derrière ces cours d’appel, il y a aussi des professionnels du droit dont les conditions d’exercice seront bouleversées, dès lors que la cour compétente ne sera plus forcément où ils avaient l’habitude d’exercer leur profession. Cette instabilité juridique me paraît extrêmement néfaste et témoigner d’un certain mépris pour la réalité vécue par tous ceux qui gravitent autour de l’institution judiciaire.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Est-ce à dire que vous encouragez la pérennisation du système proposé ?

M. Antoine Savignat. Je vous invite à prendre vos responsabilités et à étendre le système à l’ensemble du territoire, et les Français jugeront. La loi vaut pour l’avenir et doit garantir la stabilité juridique. Prenez vos responsabilités, je n’y vois pas d’inconvénient, c’est vous qui êtes la majorité, c’est vous qui êtes aujourd’hui au pouvoir.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Je reste favorable à l’amendement du Gouvernement, sous-amendé pour que cette expérimentation se tienne dans cinq régions. Ce bon échantillon nous permettra de déterminer quelles conséquences en tirer.

La Commission adopte le sous-amendement.

Puis elle adopte l’amendement sous-amendé.

L’article 54 est ainsi rétabli.

Après l’article 54

La Commission examine l’amendement CL41 de Mme Danièle Obono.

Mme Danièle Obono. Par cet amendement, nous proposons la mise en place, à titre expérimental, auprès des cours d’appel, de pôles judiciaire spécialisés dans la lutte contre les discriminations, qui réuniraient non seulement des magistrats du siège et du parquet et des officiers de police judiciaire spécialisés mais aussi des associations de lutte contre les discriminations et des justiciables qui seraient tirés au sort. La Commission nationale consultative des droits de l’homme relève régulièrement un problème d’accès des personnes victimes de discriminations à la justice. Ces pôles pourraient permettre de remédier au problème et de simplifier les démarches.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Je souscris, chère collègue, à l’objectif d’une meilleure lutte contre les discriminations et, surtout, d’un renforcement de la formation des magistrats qui traitent de ces sujets. Spécialisés, ces magistrats pourraient mieux traiter de ces sujets. J’ai d’ailleurs fait des préconisations en ce sens dans le rapport que j’ai rendu au Premier ministre le 20 septembre dernier. J’ai notamment proposé des mesures de lutte contre le racisme et l’antisémitisme sur internet.

Je ne suis cependant pas certaine que les dispositions que vous proposez permettent de répondre à ces attentes, d’autant que réunir dans ces pôles à la fois des parties à la procédure, des parquetiers, des enquêteurs, des magistrats du siège expose au risque d’une confusion quant au rôle de chacun et heurte le principe d’indépendance de la justice. J’y suis donc défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle suspend ses travaux de dix-huit heures à dix-huit heures cinq.

Chapitre III
Dispositions diverses

Article 55
Habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnance pour tirer les conséquences de la réorganisation judiciaire

La Commission se saisit de l’amendement CL1010 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. En cohérence avec la création, à l’article 53, du juge des contentieux de la protection, qui remplacera l’actuel juge d’instance, le Gouvernement vous demande, mesdames et messieurs les députés, de l’autoriser à prendre par voie d’ordonnance les mesures de coordination qui seront nécessaires pour tirer les conséquences de la création de ce nouveau juge spécialisé.

Cet amendement a aussi pour objet de préciser le périmètre de l’habilitation donnée au Gouvernement pour y inclure les modifications législatives qui devront être réalisées afin de tirer les conséquences de la dénomination nouvelle de tribunal judiciaire.

Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article 55 modifié.

Article 55 bis
(art. 111-5 du code des procédures civiles d’exécution)
Force exécutoire des actes notariés dressés en Alsace-Moselle au sujet d’une prétention ayant pour objet le paiement d’une somme d’argent déterminée

La Commission adopte l’article 55 bis sans modification.

Après l’article 55 bis

La Commission examine l’amendement CL332 de Mme Danièle Obono.

Mme Danièle Obono. Cet amendement vise à préciser des dispositions de la loi du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre afin de lutter encore mieux contre l’impunité des grandes firmes transnationales. Nous proposons d’étendre à de nouvelles infractions la possibilité d’engager la responsabilité pénale des sociétés mères pour les fautes commises par leurs filiales. Seraient concernés les domaines de la santé et de la sécurité au travail, la corruption, les atteintes aux droits humains.

En raison des dispositions ayant été censurées par le Conseil constitutionnel au motif d’un manque de précision, nous proposons de spécifier que le devoir de vigilance s’applique aux manquements constitutifs des dommages causés à l’environnement, de la fraude fiscale, des crimes contre l’humanité et contre l’espèce humaine, des atteintes à la personne constituées par les disparitions forcées, des tortures et actes de barbarie, de la réduction en esclavage et de l’exploitation de personnes réduites en esclavage, du blanchiment, des atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation, du terrorisme, des entraves à l’exercice des libertés d’expression, du travail, d’association, de réunion ou de manifestation, de la corruption active et du trafic d’influence commis par les particuliers, de crimes et délits de guerre, des infractions en matière de santé publique, des sévices graves ou actes de cruauté envers les animaux.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je suis également défavorable à cet amendement, dont je ne vois pas précisément quel est le lien avec le texte.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle se saisit de l’amendement CL9 de Mme Danièle Obono.

Mme Danièle Obono. Nous proposons d’étendre à tous les territoires l’application d’une disposition du droit local d’Alsace-Moselle qui nous paraît importante pour renforcer le droit des personnes physiques en situation de surendettement. Elle permet un nouveau départ, sous conditions, aux personnes en situation d’insolvabilité notoire. Cela nous semble particulièrement pertinent dans le cadre de ce projet de loi qui traite des procédures civiles et pénales et est censé permettre un meilleur accès de tous nos concitoyens aux droits et à la justice.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure, la Commission rejette l’amendement.

Elle en vient ensuite à l’amendement CL49 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Danièle Obono. Cet amendement d’appel vise à ce que soit expérimentée une adoption des projets de juridiction par l’assemblée générale du tribunal, ces projets étant préparés par une commission pénale nommée par l’assemblée générale, qui inclurait des greffes, des agents publics du tribunal et des justiciables tirés au sort. C’est pour nous un moyen d’ouvrir le projet de juridiction que de permettre aux greffes, aux agents publics et au peuple de participer à sa définition. C’est aussi le moyen de renforcer sa pertinence dans la mise en œuvre de la justice et de garantir une meilleure intégration locale et territoriale.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure, la Commission rejette l’amendement.

Titre VII
dispositions relatives à l’entrée en vigueur
et à l’application outre-mer

Article 56
Modalités particulières d’entrée en vigueur de certains articles

La Commission examine l’amendement CL948 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Il s’agit de reporter au 1er janvier 2020 l’entrée en vigueur des dispositions relatives à la représentation en appel dans le contentieux de la sécurité sociale et de l’aide sociale. Cette date est choisie en cohérence avec celle retenue pour l’extension de la représentation obligatoire en première instance.

Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la Commission adopte l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL112 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Danièle Obono. Ce nouvel amendement d’appel vise à éviter une rupture d’égalité induite par l’article 56 en ouvrant un droit de recours à toutes les personnes ayant fait l’objet de perquisitions et visite avant l’entrée en vigueur de la loi, limité, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, aux procédures mises en œuvre dans l’année et demie précédant l’entrée en vigueur de cette loi.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure, la Commission rejette l’amendement.

Puis elle en vient à l’amendement CL1000 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Cet amendement est relatif à l’application dans le temps des dispositions qui créent le parquet national antiterroriste.

Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la Commission adopte l’amendement.

Elle se saisit ensuite de l’amendement CL137 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Danièle Obono. Nous proposons de reporter au 1er janvier 2024 l’entrée en vigueur de ce projet du Gouvernement afin d’éviter que cette réforme n’induise une dégradation trop brutale du droit au recours.

Mme Laetitia Avia, rapporteur. La date proposée est quelque peu lointaine. Avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Même avis.

La Commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis favorable de la rapporteure, elle adopte l’amendement de coordination CL1006 du Gouvernement.

Elle en vient à l’amendement CL136 de Mme Danièle Obono.

Mme Danièle Obono. Cet amendement a pour objectif de garantir les mêmes possibilités d’aménagement de peine en outre-mer qu’en métropole, à travers une expérimentation. Comme le rappelle la Commission nationale consultative des droits de l’homme dans son rapport de 2017, les outre-mer se caractérisent par un très faible nombre de personnes bénéficiant d’un aménagement de peine, cela s’expliquant par le fait que les aménagements de peines y sont beaucoup plus difficiles qu’en métropole en raison d’un manque patent d’infrastructures et d’investissements.

Nous proposons une expérimentation préalable à la généralisation nécessaire de ce dispositif qui, de notre point de vue, répond à l’exigence d’égalité territoriale et vise à éviter aux départements d’outre-mer d’être victimes, à nouveau, d’une discrimination dans l’accès à la justice.

Mme Laetitia Avia, rapporteur. Avis défavorable.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Avis défavorable, mais je veux rappeler, malgré tous les freins qui peuvent exister en outre-mer, que notre politique se caractérise par la volonté de développer les aménagements de peine.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’article 56 modifié.

Article 57
(art. 4 de l’ordonnance n° 2012-1222 du 2 novembre 2012 portant extension et adaptation à Wallis‑et‑Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie des dispositions du droit civil et du droit de l’action sociale relatives à la protection juridique des majeurs, 711-1 du code pénal, 804 du code de procédure pénale, art. 285-1, 286-1, 287-1 et 288-1 du code de la sécurité intérieure, L. 243-1, L. 243-2, L. 244-1, L. 244-2, L. 245-1 et L. 245-2 du code de la route, L. 3826-3 du code de la santé publique, 69 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et 44 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante)
Coordinations pour l’application des dispositions du projet de loi à la Nouvelle-Calédonie, à la Polynésie française, aux îles Wallis et Futuna et aux Terres australes et antarctiques françaises

Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la Commission adopte successivement l’amendement de coordination CL965 du Gouvernement, l’amendement de coordination CL855 du rapporteur et l’amendement de coordination CL1007 du Gouvernement.

Puis elle adopte l’article 57 modifié.

Titre

La Commission examine l’article CL1014 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. L’amendement vise à rétablir le titre du projet de loi, conformément à l’article 1er qui a été adopté : il s’agit bien d’une loi de programmation sur les moyens pour 2018-2022, et non pas 2019-2022.

Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la Commission adopte l’amendement.

Le titre est ainsi rédigé.

La Commission adopte l’ensemble du projet de loi modifié.

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* *


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   Compte rendu des débats sur LES articles
DU PROJET DE LOI ORGANIQUE

La Commission examine ensuite le projet de loi organique, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, relatif au renforcement de lorganisation des juridictions (n° 1350).

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. La discussion générale ayant déjà eu lieu, nous abordons immédiatement l’examen des articles.

Titre Ier 
Statut de la magistrature

Avant l’article 1er A

La Commission examine l’amendement CL2 de Mme Danièle Obono.

Mme Danièle Obono. Cet amendement vise à renforcer les garanties d’indépendance des magistrats du parquet en particulier, durant le déroulement de leur carrière, en prévoyant qu’après cinq ans d’exercice en tant que magistrats, que ce soit au siège ou au parquet, ils doivent choisir l’une ou l’autre de ces fonctions.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. D’après son exposé sommaire, votre amendement est un amendement d’appel. J’y suis défavorable.

Ce projet de loi organique a été conçu à la seule fin de coordonner le statut des magistrats avec les dispositions du projet de loi ordinaire que nous venons d’adopter. Sans vouloir interdire une éventuelle bonne idée, je ne pense pas qu’il faille aller au-delà. C’est pourquoi je ne partage ni l’approche des auteurs de cet amendement, ni celle du Sénat qui a saisi l’occasion offerte par le projet de loi organique pour y introduire plusieurs dispositifs issus d’un précédent travail. Or nous avons vu ces derniers jours que le cœur de la réforme est dans la loi ordinaire, qui n’est déjà pas une mince affaire.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Madame la députée, vous voulez amorcer la création de deux magistratures distinctes, celle du siège et celle du parquet, ce qui n’est pas du tout mon ambition. Je souhaite rester dans les dispositions définies par la Constitution et confirmées par la jurisprudence constitutionnelle. En revanche, tout comme vous, je suis favorable à donner des garanties statutaires aux magistrats du parquet, lesquelles feront l’objet de la révision constitutionnelle et de la loi organique qui s’ensuivra.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL3 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Danièle Obono. Dans le même ordre d’idées, il s’agit de prévoir que les allers-retours entre le siège et le parquet ne puissent se dérouler avant une période de cinq ans, et ce dès l’entrée en fonctions au siège ou au parquet.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure, la Commission rejette l’amendement.

Article 1er A (supprimé)
(art. 2 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature)
Durées minimale et maximale d’affectation des magistrats au sein d’une même juridiction

La Commission examine l’amendement CL21 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. L’amendement vise à supprimer une disposition introduite par le Sénat, qui fixe une durée minimale de trois ans et maximale de dix ans d’exercice des fonctions dans une même juridiction pour tous les magistrats. Si je comprends bien l’objectif des sénateurs d’éviter un turnover trop important, je souhaite retirer cette disposition pour des raisons de gestion et de relations humaines, mais aussi pour des raisons liées à la territorialité des différents postes.

Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la Commission adopte l’amendement.

L’article 1er A est supprimé.

Article 1er B (supprimé)
(art. 2-1 [nouveau] de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature)
Règle de mobilité des magistrats au terme de leur durée maximale d’affectation au sein d’une même juridiction

La Commission examine l’amendement CL22 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Il s’agit de supprimer, par coordination avec la suppression de l’article 1er A, le dispositif de nomination prévu lorsque la durée maximale des fonctions est atteinte.

Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la Commission adopte l’amendement.

L’article 1er B est supprimé.

Article 1er
(art. 3 et 3-1 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature)
Suppression de la fonction de premier vice-président chargé du service d’un tribunal d’instance et création de la fonction statutaire du juge des contentieux de la protection

La Commission examine l’amendement CL23 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Il s’agit de prendre en compte la création de la fonction statutaire de juge des contentieux de la protection.

Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article 1er modifié.

Article 1er bis (supprimé)
(art. 3-2 [nouveau] de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature)
Nouvelles possibilités de collaboration entre magistrats du siège

La Commission examine l’amendement CL24 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Le Sénat a adopté un dispositif assez curieux, permettant au président d’une juridiction de désigner un magistrat du siège ayant prêté serment depuis moins de trois ans pour prêter son concours à un autre magistrat pour la préparation de sa décision. Autrement dit, un magistrat serait désigné pour prêter son concours à un autre magistrat. Je vous propose de supprimer ce dispositif très curieux.

Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la Commission adopte l’amendement.

L’article 1er bis est supprimé.

Après l’article 1er bis

La Commission examine l’amendement CL9 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Danièle Obono. Notre amendement vise à consacrer la possibilité d’un droit de grève pour les magistrats, tout en garantissant, à l’instar du statut général de la fonction publique, une continuité du service public.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Je m’en tiens à la position que j’ai exprimée tout à l’heure. Qui plus est, si tous les agents publics ont un rôle essentiel dans le fonctionnement des services publics, certains sont encore plus essentiels que d’autres. Je ne peux donc pas concevoir de grève dans les fonctions de souveraineté de l’État. La police, le pénitentiaire, l’armée, la justice ne peuvent pas manquer une heure à leur devoir, pour assurer le principe de continuité de l’État.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Même avis.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CL4 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Danièle Obono. L’amendement vise à élargir la composition du collège de déontologie de l’ordre judiciaire, prévue par l’ordonnance organique de 1958 et qui est actuellement de cinq magistrats, à deux justiciables. C’est, à notre sens, une manière de rapprocher la justice des citoyens, d’impliquer ces personnes tirées au sort pour exercer des fonctions, qui participent également de la réhabilitation de l’institution judiciaire.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure, la Commission rejette l’amendement.

Article 1er ter (supprimé)
(art. 12-1 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature)
Articulation entre les critères de nomination et d’évaluation des chefs de juridiction

La Commission examine l’amendement CL25 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Le Sénat a imaginé un système doté de critères pour nommer les chefs de juridiction et les évaluer sur cette même base. Je vous propose la suppression de l’ensemble du dispositif.

Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la Commission adopte l’amendement.

L’article 1er ter est supprimé.

Article 1er quater (supprimé)
(art. 14 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature)
Obligation de formation pour les chefs de cour et de juridiction

La Commission examine l’amendement CL26 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Il s’agit de supprimer une mention introduite par le Sénat, relative à une formation spécifique des chefs de cour et de juridiction à l’exercice de leur fonction, dans les six mois de leur installation. Je considère qu’une telle précision ne relève pas de la loi organique.

Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la Commission adopte l’amendement.

L’article 1er quater est supprimé.

Article 1er quinquies (supprimé)
(art. 21-2 [nouveau] de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature)
Nouvelles possibilités de collaboration entre magistrats du siège

La Commission étudie l’amendement CL27 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. L’amendement vise à supprimer cet article, qui instaure la possibilité de nommer un magistrat du siège auprès d’un magistrat.

Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la Commission adopte l’amendement.

L’article 1er quinquies est supprimé.

Article 1er sexies (supprimé)
(art. 28 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature)
Durée minimale d’exercice des fonctions de conseiller référendaire à la Cour de cassation

La Commission examine l’amendement CL28 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. L’amendement vise à supprimer la fixation d’une durée minimale d’exercice des fonctions de conseiller d’avocat général référendaire à la Cour de cassation.

Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la Commission adopte l’amendement.

L’article 1er sexies est supprimé.

Article 1er septies (supprimé)
(art. 28-1 A et 28-1 B [nouveaux] de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature)
Critères de nomination des chefs de juridiction

La Commission examine l’amendement CL29 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. En adoptant, il y a un instant, l’amendement CL25, vous avez supprimé les critères d’évaluation des chefs de juridiction : cet amendement vise à supprimer les critères de nomination. Je ne suis pas contre le principe, mais il me semble que les préciser dans le texte de la loi organique rigidifierait excessivement les conditions de cette nomination.

Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la Commission adopte l’amendement.

L’article 1er septies est supprimé.

Article 1er octies (supprimé)
(art. 28-2 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature)
Durée minimale d’exercice des fonctions de chef de juridiction pour les magistrats du premier grade

La Commission étudie l’amendement CL30 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. L’amendement vise à supprimer la durée minimale dans les fonctions de chef de juridiction.

Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la Commission adopte l’amendement.

L’article 1er octies est supprimé.

Article 2
(art. 28-3 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature)
Suppression de la fonction spécialisée de juge d’instance

La Commission examine l’amendement CL31 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. L’amendement vise à maintenir la suppression de la fonction statutaire du magistrat chargé du tribunal d’instance pour lui substituer celle de juge des contentieux de la protection et à supprimer l’instauration d’une durée minimale d’exercice.

Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la Commission adopte l’amendement.

L’article 2 est ainsi rédigé.

Article 2 bis (supprimé)
(art. 37 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature)
Durée minimale d’exercice des fonctions de premier président d’une même cour d’appel

La Commission examine l’amendement CL32 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. L’amendement vise à supprimer la durée minimale d’exercice des fonctions des présidents de cours d’appel.

Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la Commission adopte l’amendement.

L’article 2 bis est supprimé.

Article 2 ter (supprimé)
(art. 37-1 A et 38-1-1 [nouveaux] de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature)
Critères de nomination des chefs de cour

La Commission examine l’amendement CL33 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. L’amendement vise à supprimer la référence à des critères d’appréciation que le Conseil supérieur de la magistrature devrait prendre en considération pour donner son avis sur la nomination des chefs de cours d’appel.

Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la Commission adopte l’amendement.

L’article 2 ter est supprimé.

Article 2 quater (supprimé)
(art. 38-1 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature)
Durée minimale d’exercice des fonctions de procureur général près une même cour d’appel

La Commission examine l’amendement CL34 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. L’amendement vise à supprimer la durée minimale d’exercice des fonctions de procureur général.

Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la Commission adopte l’amendement.

L’article 2 quater est supprimé.

Article 2 quinquies (supprimé)
(art. 38-2 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature)
Durée minimale d’exercice des fonctions de chef de juridiction, pour les magistrats hors hiérarchie

La Commission examine l’amendement CL35 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. L’amendement vise à supprimer la durée minimale d’exercice des fonctions pour les chefs de juridiction placés hors hiérarchie.

Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la Commission adopte l’amendement.

L’article 2 quinquies est supprimé.

Article 3
(art. 41-10 A de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature)
Impossibilité pour une formation collégiale de comporter une majorité de magistrats honoraires ou à temps partiel

La Commission examine l’amendement CL12 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Danièle Obono. Nous proposons de supprimer cet article, qui permet à des magistrats honoraires de siéger à titre temporaire dans une formation collégiale dès lors que les magistrats de carrière y demeurent majoritaires. Il nous paraît important que les magistrats honoraires ne viennent pas pallier le manque de recrutement des magistrats, en devenant une variable d’ajustement dans la pénurie actuelle.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure, la Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CL6 de M. Ugo Bernalicis.

Mme Danièle Obono. Dans la continuité du précédent amendement, nous proposons de mettre fin au recours à des magistrats exerçant à titre temporaire. Leur statut précaire les rend, par définition, moins indépendants que les autres magistrats statutaires. Ils ne peuvent être un palliatif au manque de moyens financiers et humains des juridictions.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure, la Commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’article 3 sans modification.

Article 4
(art. 41-10 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature)
Possibilité pour les magistrats à titre temporaire d’exercer leurs fonctions dans les chambres détachées

La Commission examine l’amendement CL36 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. L’amendement vise à fixer les nouvelles compétences des magistrats exerçant à titre temporaire, en coordination avec ce que nous avons fait dans la loi ordinaire.

Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la Commission adopte l’amendement.

L’article 4 est ainsi rédigé.

Article 5
(art. 41-11 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature)
Coordination des dispositions relatives au régime des magistrats à titre temporaire avec la suppression du tribunal d’instance

La Commission examine l’amendement CL37 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. L’amendement a pour objet de limiter l’intervention des magistrats exerçant à titre temporaire, conformément à la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel en la matière, au tiers des services dans lesquels ils sont affectés.

Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article 5 modifié.

Article 6
(art. 41-14 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature)
Coordination des dispositions relatives au régime des magistrats à titre temporaire avec la suppression du tribunal d’instance

La Commission adopte l’article 6 sans modification.

Article 7
(art. 41-26 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature)
Possibilité pour une formation collégiale de comporter plusieurs magistrats honoraires

La Commission adopte l’article 7 sans modification.

Article 7 bis
(art. 2, 3, 3-1, 12-1, 13, 28, 28-2, 28-3, 32, 38-2, 41-10, 41-13, 41-14, 41-25, 41-26, 41-28, 41-29, 72-3, 76-1-1 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature)
Coordinations relatives à la création du tribunal judiciaire

La Commission examine l’amendement CL38 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. L’amendement vise à renommer le tribunal de grande instance, que le Sénat avait souhaité appeler tribunal de première instance et que je vous propose de dénommer « tribunal judiciaire », afin de rendre plus lisible l’architecture de notre système juridictionnel.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Avis favorable. Cette nouvelle dénomination apporte plus de lisibilité au système de la première action en justice, qui n’est pas seulement une première instance, mais une instance tout court.

La Commission adopte l’amendement.

L’article 7 bis est ainsi rédigé.

Article 7 ter (nouveau)
(art. 38‑2 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature)
Coordinations relatives à la création du parquet national antiterroriste

La Commission examine l’amendement CL39 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. L’amendement vise à créer la fonction statutaire de procureur de la République antiterroriste près le tribunal de grande instance de Paris, en coordination avec la création du parquet national antiterroriste.

Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la Commission adopte l’amendement.

L’article 7 ter est ainsi rédigé.

 

Titre II 
Dispositions diverses et transitoires

Article 8 A
(art. 1er, 2, 4-1 et 15 de la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature, art. 22 de la loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits, art. 132 et 384-1 du code électoral)
Coordinations relatives à la création du tribunal judiciaire

La Commission examine l’amendement CL40 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Il s’agit d’un amendement de coordination, relatif au Conseil supérieur de la magistrature et au Défenseur des droits.

Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la Commission adopte l’amendement.

L’article 8 A est ainsi rédigé.

Article 8
(art. 9 de la loi organique n° 76-97 du 31 janvier 1976 relative aux listes électorales consulaires et au vote des Français établis hors de France pour l’élection du Président de la République et art. 1er de la loi organique n° 2016-1047 du 1er août 2016 rénovant les modalités d’inscription sur les listes électorales des Français établis hors de France)
Coordinations relatives à la fusion des tribunaux d’instance de Paris et à la création du tribunal judiciaire

Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la Commission adopte l’amendement de coordination CL41 du Gouvernement.

Puis elle adopte l’article 8 modifié.

Article 9
Coordination pour l’expérimentation du tribunal criminel départemental

La Commission adopte l’amendement de coordination CL45 du rapporteur.

Puis elle adopte l’article 9 modifié.

Article 9 bis (nouveau)
Modalités d’application dans le temps de la création du juge des contentieux de la protection

La Commission examine l’amendement CL42 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. L’amendement vise à permettre aux actuels juges d’instance de continuer à exercer leurs fonctions en qualité de juges des contentieux de la protection. D’autres mesures sont également prises, comme le fait que cette réaffectation n’aura aucune incidence sur le calcul de la durée d’exercice des fonctions, limitée à dix ans pour les actuels juges d’instance et qui sera également limitée à dix ans pour les futurs juges des contentieux de la protection. Cette disposition ne privera pas non plus ces magistrats de solliciter une nomination dans un autre poste, conformément au dispositif normal de candidature au sein du corps judiciaire.

Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la Commission adopte l’amendement.

L’article 9 bis est ainsi rédigé.


Article 9 ter (nouveau)
Dispositions transitoires relatives aux magistrats exerçant à titre temporaire

La Commission examine l’amendement CL43 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. L’amendement vise à permettre aux actuels magistrats exerçant à titre temporaire de continuer à exercer leurs fonctions au sein des tribunaux judiciaires.

Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la Commission adopte l’amendement.

L’article 9 ter est ainsi rédigé.

Article 10
Entrée en vigueur différée de certaines dispositions du projet de loi organique

La Commission examine l’amendement CL44 du Gouvernement.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Il s’agit d’un amendement de coordination, relatif à la date d’entrée en vigueur de la présente loi organique.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. J’émettrai un ultime avis favorable… (Sourires.)

La Commission adopte l’amendement.

L’article 10 est ainsi rédigé.

La Commission adopte l’ensemble du projet de loi organique modifié.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Mes chers collègues, nous avons travaillé plus de trente-trois heures sur ces deux textes et examiné mille amendements.

Nous avons eu l’immense plaisir de le faire en présence constante de Mme la garde des Sceaux, ministre de la Justice, que je souhaite remercier tout particulièrement. (Applaudissements.)

Je voudrais également féliciter nos deux rapporteurs, M. Didier Paris, par ailleurs vice-président de la Commission, et Mme Laetitia Avia (Applaudissements), ainsi que l’ensemble des services de la commission des Lois qui ont travaillé d’arrache-pied sur ces textes d’une grande complexité technique.

Je remercie les membres de l’opposition. Les débats, aussi constructifs qu’agréables, ont donné une bonne image de notre Commission.

Les deux projets de loi seront examinés à partir du lundi 19 novembre dans l’hémicycle.

Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Je remercie à mon tour très chaleureusement tous ceux qui ont travaillé sur ces textes : les rapporteurs, les députés, vous, madame la présidente, ainsi que mes collaborateurs.

*

*     *

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande d’adopter le projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice (n° 1396) et le projet de loi organique relatif au renforcement de l’organisation des juridictions (n° 1397).