N° 1412

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 21 novembre 2018.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI, ADOPTÉ PAR LE SÉNAT, autorisant l’approbation de l’accord
entre le Gouvernement de la République française et
le Gouvernement de la République fédérale du Nigéria
relatif à la coopération en matière de défense et au statut des forces,

PAR Mme Amélia LAKRAFI

Députée

——

ET

ANNEXE : TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

 

 Voir les numéros :

Sénat : 468 (2016-2017), 413, 414 et T.A. 96 (20172018).

Assemblée nationale : 899.

 


 

 


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SOMMAIRE

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 Pages

introduction

I. une coopération de défense franco-nigériane naissante, avec plusieurs enjeux importants en toile de fond

A. l’influence française dans le pays le plus peuplé et le plus riche d’afrique

B. la francophonie, vecteur d’une meilleure sécurité en afrique centrale et de l’ouest

C. la sécurité maritime dans le golfe de guinée

D. la lutte contre le terrorisme

II. un accord destiné à sécuriser et accompagner le développement de cette coopération

A. un accord dans la droite ligne de ceux conclus par la France avec d’autres pays d’afrique

B. un accord pour donner une impulsion politique à notre coopération de défense

conclusion

TRAVAUX DE LA COMMISSION

annexe : texte adoptÉ par la commission

 


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   introduction

 

La France et le Nigéria ont signé le 16 juin 2016 un accord relatif à la coopération en matière de défense et au statut des forces. Cet accord est destiné à fournir un cadre juridique global aux différentes actions entreprises conjointement dans ce domaine, qu’il s’agisse d’échanges de vues et de renseignement, de conseil, de formation, d’exercices, ou encore de coopérations portant sur des équipements militaires.

Cet accord peut sembler assez routinier, dans la mesure où il vient encadrer des actions de coopération déjà en place, et qu’il a été conclu, à la demande de la France, sur le modèle de nombreux autres accords similaires signés avec nos partenaires africains entre 2010 et 2015 : Comores, Togo, Sénégal, Djibouti, Côte d’Ivoire, Guinée, Mali.

Une chose distingue pourtant l’accord qui fait l’objet de ce rapport. Le Nigéria ne fait pas partie des partenaires militaires traditionnels de la France. Nos troupes n’y ont jamais été stationnées. En réalité, notre relation bilatérale de défense était, jusqu’à très récemment, pratiquement inexistante. Cet espace était essentiellement occupé par les Américains et les Britanniques, partenaires de premier plan de ce géant africain anglophone.

Cependant, la France ne pouvait pas rester plus longtemps absente du Nigéria, pour une multiplicité de raisons. D’abord, le Nigéria est un poids lourd en Afrique, et une puissance incontournable en Afrique de l’ouest et centrale, région largement francophone, où la France a des liens historiques nombreux et des intérêts stratégiques importants.

De plus, le Nigéria est affecté par des menaces sécuritaires qui préoccupent fortement la France, et sont au cœur dans son engagement militaire dans cette région du monde : l’insécurité maritime dans le Golfe de Guinée, et la prégnance de groupes armés terroristes, qui tirent parti de la marginalisation de certaines régions et de l’absence de perspectives de la jeunesse.

La France a ainsi pris conscience de la nécessité de « rattraper son retard » avec le Nigéria. À partir de 2014, dans le contexte du fort émoi suscité par les exactions du groupe terroriste Boko Haram, la France a cherché à nouer une relation de défense avec son partenaire nigérian. Celui-ci nous ayant réservé un accueil plutôt favorable, des actions de coopération ont pu se mettre en place, dont le champ s’est progressivement étendu.

Aujourd’hui, l’ampleur de cette coopération demeure modeste, en raison de ressources limitées de part et d’autre, la France donnant la priorité à son action dans la bande sahélo-saharienne. Néanmoins, la ratification du présent accord viendra rehausser le statut de notre coopération de défense avec le Nigéria, en lui donnant un caractère institutionnel et une impulsion politique propre à encourager de nouveaux développements.

 


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I.   une coopération de défense franco-nigériane naissante, avec plusieurs enjeux importants en toile de fond

La coopération de défense entre nos deux pays est longtemps restée embryonnaire. Elle a bénéficié d’une impulsion politique nouvelle en 2014-2015, dans le contexte de la lutte contre Boko Haram et de l’élection du président Buhari. Même si cette coopération demeure modeste en volume, elle est sous-tendue par plusieurs enjeux qui sont loin d’être anecdotiques pour notre pays.

A.   l’influence française dans le pays le plus peuplé et le plus riche d’afrique

Avec près de 200 millions d’habitants, dont 63 % ont moins de 25 ans, le Nigéria est, de loin, le pays le plus peuplé d’Afrique. C’est également le pays le plus riche de l’Afrique subsaharienne, avec un PIB de 395 milliards de dollars en 2017, ce qui représente 70 % du PIB des pays de la CEDEAO ([1]), dont le Nigéria fait partie. Le pays est notamment riche en hydrocarbures : le pétrole et le gaz représentent ainsi 90 % de ses exportations et 75 % de ses revenus budgétaires. Mais il poursuit un effort de diversification de ses activités économiques, stimulé par la baisse des cours du pétrole. Le Nigéria a ainsi connu une transformation dans les secteurs des services et de l’industrie, qui a permis l’émergence d’une classe moyenne estimée à 20 % de la population (Banque mondiale 2015).

Pourtant, les défis sont encore nombreux, et le chemin de l’émergence n’est pas linéaire pour ce pays, qui fait face à une situation intérieure complexe. La répartition de la richesse demeure parmi les plus inégalitaires au monde : le Nigéria compte 22 milliardaires et 34 000 millionnaires, mais, dans le même temps, 61% de la population vit avec moins de 1 dollar par jour. Dans certains États du Nord, le chômage des jeunes s’élèverait à 80 %. Cette situation a fourni un terreau favorable au groupe terroriste Boko Haram, qui a pu s’appuyer sur le sentiment de marginalisation et l’absence de perspectives de cette jeunesse.

Le Nigéria est doté d’un formidable potentiel, qui ne pourra véritablement prospérer que si le pays parvient à maîtriser les risques sécuritaires multiples qui l’affectent : outre le terrorisme, l’insécurité maritime dans ses eaux territoriales, les conflits entre pasteurs et agriculteurs dans la Middle Belt, et le sabotage des plateformes pétrolières dans le delta du Niger.

Ces menaces rejoignent certaines préoccupations qui sont au cœur de l’engagement militaire de la France en Afrique. Pourtant notre pays, bien que très impliqué sur le plan militaire à proximité immédiate du Nigéria (Niger, Tchad, Centrafrique, Golfe de Guinée) n’avait, jusqu’à récemment, quasiment aucune relation de défense avec le Nigéria.

Les partenaires de défense traditionnels du Nigéria sont les grands anglophones, que sont les États-Unis et le Royaume-Uni. À l’heure actuelle, les Américains concentrent leurs efforts dans la lutte contre le terrorisme : ils ont entre 20 et 30 militaires présents en permanence à Abuja et envoient quotidiennement leurs drones, depuis le Niger et le Tchad, dans le nord du pays, pour lutter contre Boko Haram. Ils ont également une coopération efficace dans le domaine naval, particulièrement pour la formation des forces spéciales marine, le Special boat service.

Quant aux Britanniques, ils déploient au Nigéria un « british military advisory training team » (BMATT) comprenant entre 30 et 40 militaires, pour conduire des missions et des programmes de coopération dans les domaines naval et terrestre (exploitation du renseignement, lutte contre les engins explosifs improvisés…). Les résultats de cette coopération seraient inégaux, de l’aveu même des cadres du BMATT.

À l’heure actuelle, l’Inde est devenue un autre partenaire important du Nigéria, en particulier pour la formation dans le domaine naval. Et il convient de noter que la Chine, jusqu’ici peu présente, tend à développer également sa coopération dans le domaine naval.

Quant à la France, elle a commencé à tisser un lien stratégique avec le Nigéria à partir de 2014, lorsqu’elle a organisé, à Paris, un sommet destiné à lutter contre la menace terroriste représentée par Boko Haram. Cet appui dans la lutte contre le terrorisme a permis d’ouvrir de nouveaux champs de coopération. Ainsi, selon l’ambassade de France à Abuja, « l’alliance stratégique contre le terrorisme et l’aide française apportée dans ce domaine depuis plusieurs années ont largement densifié la relation bilatérale de défense et cela se ressent dans tous les domaines aujourd’hui ».  

Sur le plan des moyens, la France déploie depuis 2016 deux coopérants militaires au Nigéria, dont l’un est en lien avec l’état-major de la marine nigérian, sur les problématiques de sécurité maritime, et l’autre avec le ministère de la défense. La France met en œuvre des programmes de coopération via la direction de la coopération de sécurité et défense (DCSD) du ministère des Affaires étrangères, pour un montant annuel approximatif de 700.000 euros. Par ailleurs, des détachements d’instruction opérationnelle militaires sont envoyés au Nigéria depuis les Éléments français au Sénégal (EFS) : on en a compté 14 en 2018. La coopération avec le Nigéria repose également sur les bâtiments français présents dans le Golfe de Guinée, dans le cadre de la mission Corymbe, ainsi que sur la force Barkhane, pour un appui ponctuel dans la lutte contre Boko Haram.

L’influence militaire de la France peut aussi passer par l’utilisation d’équipements français. La France est plutôt bien positionnée si l’on considère les bâtiments de la marine nigériane. Le groupe OCEA lui a d’ores et déjà vendu 15 patrouilleurs, ainsi qu’un bâtiment hydrographique, en cours de construction. Par ailleurs le Nigéria s’est tourné vers les industriels français pour la maintenance et la remise en état de certains de ses parcs (hélicoptères Super Puma, véhicules, avions Alpha Jet…). D’après les informations communiquées à votre rapporteure, les industriels français ne seraient pas toujours en mesure de faire des offres rapides et abordables à notre partenaire nigérian.

B.   la francophonie, vecteur d’une meilleure sécurité en afrique centrale et de l’ouest

L’un des axes majeurs de la coopération militaire de la France avec les pays d’Afrique consiste à développer la francophonie en milieu militaire. Il s’agit notamment de faciliter l’insertion des Africains dans les opérations de maintien de la paix conduites en environnement francophone, notamment au Mali (MINUSMA) et en Centrafrique (MINUSCA). Plus généralement, l’idée est d’encourager la coopération militaire régionale, dans l’optique d’aider les Africains à assurer leur propre sécurité.

Une part importante de l’effort de coopération de la France au Nigéria porte ainsi sur l’enseignement du français en milieu militaire. Trois projets ont été lancés dans ce cadre, qui visent à assurer la formation en français d’officiers et de professeurs. Le projet le plus structurant est le French language learning support (F2LS), par lequel huit professeurs de l’Alliance française doivent contribuer à la formation de 400 – et, à terme, 1200 – cadets au sein de l’Académie nigériane de défense. En général, l’appui de la France consiste à recruter et financer les professeurs, et à fournir des méthodes d’enseignement du français en milieu militaire éprouvées.

Globalement, ces projets, pour lesquels il existe une demande assez forte du Nigéria, sont ambitieux et plutôt prometteurs. Ils se heurtent parfois à des obstacles de nature matérielle (disponibilité de locaux, en particulier).

C.   la sécurité maritime dans le golfe de guinée

Le Golfe de Guinée représente un réel défi sur le plan sécuritaire. Il est notamment le théâtre d’actes de piraterie, majoritairement concentrés dans la zone économique exclusive du Nigéria, où se déroulent près des trois quarts des attaques. D’autres menaces sont tout aussi préoccupantes pour les populations africaines riveraines, en particulier la pêche illégale et la pollution, qui mettent en danger leur sécurité alimentaire.

La sécurité maritime dans le Golfe de Guinée correspond à un intérêt stratégique de la France, qui est présente dans cette zone avec la mission Corymbe, par laquelle un bâtiment de la marine nationale assure une quasi-permanence à la mer. Ce bâtiment contribue directement à la sécurité maritime, mais c’est aussi un outil de coopération avec les marines riveraines. Ainsi la France organise depuis 2015 l’exercice multilatéral NEMO (Naval exercice for maritime operation). Le Nigéria y participe systématiquement, en envoyant des officiers sur les bâtiments de la mission Corymbe.

Globalement, les demandes du Nigéria en matière de coopération maritime sont en hausse. La réponse à y apporter est évaluée et coordonnée par le coopérant détaché auprès de l’état-major de la marine. Outre l’appui de la mission Corymbe, la France envoie des détachements d’instruction opérationnelle depuis les Éléments français en Sénégal, et finance des formations au sein de l’Institut de sécurité maritime interrégional d’Abidjan. Plusieurs « niches » ont été identifiées, pour lesquelles il existe un besoin de formation auquel la France peut répondre : plongée militaire, hydrographie, entretien flotte, mise en condition de bâtiments, mais aussi forces spéciales marines.

La coopération entre nos deux pays dans le domaine de la sécurité maritime semble donner satisfaction ; l’ambassade de France à Abuja fait état d’un « apprivoisement progressif du partenaire, dans un contexte où les États-Unis et le Royaume-Uni étaient traditionnellement les partenaires privilégiés ».

D.   la lutte contre le terrorisme

Terrain initial de la coopération de défense franco-nigériane, la lutte contre Boko Haram demeure un élément central de notre relation stratégique. Elle est en évidente cohérence avec l’action de la France dans la bande sahélo-saharienne (BSS), d’autant que deux pays de la BSS, le Niger et le Tchad, doivent faire face à la fois aux mouvances qaïdistes et à Boko Haram.

Cette coopération repose essentiellement sur du partage de renseignement. Celui-ci s’effectue notamment via une cellule de coordination et de liaison (CCL) mise en place conjointement avec les États-Unis et le Royaume-Uni, pour soutenir la planification des opérations de la Force multinationale mixte (FMM) ([2]) contre Boko Haram. Cette cellule est adossée à la force Barkhane, qui déploie en outre ponctuellement des moyens pour des missions de renseignement dans le nord du Nigéria. Par ailleurs, une équipe de liaison de la direction du renseignement militaire (DRM) a été positionnée à Abuja.

Ce soutien, en parfaite synergie avec nos partenaires britannique et américain, est très apprécié du Nigéria. L’échange de renseignement serait néanmoins facilité si la France et le Nigéria disposaient d’un accord régissant l’échange de données classifiées. Cela supposerait de négocier un accord distinct de celui présentement examiné, dont ce n’est pas l’objet. D’après l’ambassade de France à Abuja, la France a effectué une démarche en ce sens auprès du Nigéria en 2018, mais celle-ci n’a, pour l’instant, pas encore abouti.


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II.   un accord destiné à sécuriser et accompagner le développement de cette coopération

La coopération de défense avec le Nigéria connaît une réelle dynamique depuis 2014-2015. Elle vient combler un manque pour la France et répond à une demande de notre partenaire nigérian. Il semble donc utile de l’institutionnaliser et de lui fournir un cadre juridique adéquat, même si l’entrée en vigueur du présent accord devrait avoir peu d’effets palpables à court terme.

A.   un accord dans la droite ligne de ceux conclus par la France avec d’autres pays d’afrique

Depuis 2008, la France a souhaité refonder sa relation de défense avec l’Afrique, sur la base d’un partenariat global qui aurait pour objectif structurant d’aider les pays africains à assurer eux-mêmes leur propre sécurité.

Dans cet esprit, la France a rompu avec les accords de défense – souvent secrets – qui la liaient avec plusieurs États africains. Ces accords comportaient des clauses d’assistance, impliquant des interventions militaires de la France en cas d’agression armée contre ces pays.

La France a voulu substituer à ces textes des accords de coopération de défense visant à fournir, sur le mode de la réciprocité, un cadre juridique global à la relation de défense avec ces pays, sous tous ses aspects : dialogue stratégique, conseil, formation, exercices en commun, coopération d’armement, etc. Ces accords mentionnent le champ possible de la coopération, à tous les niveaux, et comportent un statut des forces, visant à prévoir un régime juridique adapté pour les forces françaises présentes sur le territoire du partenaire dans le cadre de ces actions de coopération, et réciproquement.

Dans cette perspective, la France a conclu des accords de coopération de défense avec les Comores, le Togo, le Sénégal, Djibouti, la Côte d’Ivoire, le Gabon (entre 2010 et 2012), la Guinée et le Mali (2014) ou encore, en dehors d’Afrique, avec la Jordanie (2015). Globalement, le Gouvernement relève que ces accords, qui « répondent à la nécessité d’établir des coopérations mutuellement profitables en matière de sécurité et de défense entre la France et ses partenaires africains (…) apportent satisfaction ».

En l’occurrence, avec le Nigéria, il ne s’agissait pas de remplacer un accord de défense par un accord de coopération : il n’existait pas réellement de base juridique à la relation de défense entre nos deux pays, celle-ci étant très peu structurée (cf. I). Deux arrangements administratifs et un mémorandum d’entente avaient été adoptés, au cours des années 2000, pour répondre à des besoins ponctuels, notamment de formation. Mais cette base juridique avait une portée très limitée. Il s’agissait donc de créer une base juridique ex-nihilo.

Pour ce faire, la France s’est appuyée sur les accords de coopération conclus précédemment, qui ont défini une sorte de modèle.

Dans la continuité des précédents accords conclus par la France, le chapitre Ier de l’accord de coopération de défense avec le Nigéria définit les objectifs (article 2) les grands principes (article 3) et les domaines de la coopération (article 4), ainsi que les autorités compétentes pour la mise en œuvre de l’accord (article 5 : les ministères de la Défense), et les attributions du Haut Comité de défense chargé de définir, d’organiser et de coordonner cette coopération. Il convient de noter que le Haut Comité de défense est d’ores et déjà institué et s’est réuni en 2016 à Abidjan et en 2018 à Paris. Il est coprésidé par des représentants de haut niveau du ministère de la Défense de chaque pays. 

Le chapitre II établit un statut des forces pour les militaires d’une partie présents sur le territoire de l’autre partie dans le cadre de ces actions de coopération : conditions d’entrée et de séjour (article 8), autorisation du port de l’uniforme (article 9), reconnaissance des permis de conduire (article 10), autorisation de port d’armes (article 11), accès aux soins (article 12), dispositions en cas de décès (article 13), maintien de la résidence fiscale dans le pays d’origine (article 14), répartition des compétences de juridiction en cas d’infraction (article 15 : compétence de principe de la partie d’accueil, sauf atteinte à la sécurité, aux biens ou aux personnes de la partie d’origine ; garantie d’un procès équitable et substitution de la peine de mort, en vigueur au Nigéria, par la peine correspondante en droit français), modalités de règlement des dommages (article 16).

Le chapitre III institue des facilités opérationnelles pour la mise en place de cette coopération : circulation des forces, importation de matériels en franchise de droits, entreposage des matériels, utilisation des systèmes de communication, etc.

Enfin, le chapitre IV comporte les dispositions finales habituelles : règlement des différends, amendements, entrée en vigueur, durée de validité et dénonciation.

Globalement, comme le souligne le Gouvernement, par cette architecture générale et par le contenu de ses clauses, le présent accord d’apparente aux autres accords du même type signés précédemment par la France, sans qu’il soit possible de le comparer in extenso. En effet, « le contenu final de chaque accord demeure marqué par une différenciation complexe issue de chaque négociation bilatérale, qui constitue une résultante de l’ordonnancement juridique propre à chaque État africain et de l’intensité de la coopération qu’il entretient avec la France » ([3]).  

B.   un accord pour donner une impulsion politique à notre coopération de défense

L’accord de coopération de défense avec le Nigéria vient encadrer une coopération déjà en place. En cela, il n’innove pas. À la question de votre rapporteure, visant à savoir si l’entrée en vigueur de l’accord viendrait combler un vide juridique pénalisant sur le plan du contenu de la coopération, le Gouvernement a répondu que « cette absence de base juridique » n’avait « pas gêné la mise en place des programmes ». Il est donc probable que la mise en œuvre de l’accord n’aura pas un effet immédiatement perceptible sur le contenu de notre coopération. À tout le moins apportera-t-il une sécurité juridique, dans le cas d’accidents ou d’infractions qui surviendraient lors d’activités de coopération. 

L’entrée en vigueur du présent accord a néanmoins une importance sur le plan politique. Cet accord donne un statut institutionnel à notre relation de défense avec le Nigéria, et prévoit les outils nécessaires à sa montée en puissance. Il marque le fait que, sur le plan politique, la France est désormais présente au Nigéria, et prête à tisser une relation stratégique pérenne.

Il revient également à notre partenaire nigérian de réitérer sa volonté à cet égard, en procédant à la ratification de cet accord. À ce jour, le Gouvernement ne dispose d’aucune information quant à l’engagement par le Nigéria de sa procédure interne de ratification. L’ambassade de France à Abuja relève néanmoins que « l’accueil de notre partenaire est excellent et, si des difficultés apparaissent, elles résultent uniquement du domaine de l’organisation ou de contraintes matérielles (…) et pas du tout d’une quelconque mauvaise volonté ».

Cet état d’esprit positif a également été exprimé à votre rapporteure par l’ambassadrice du Nigéria en France, Son Excellence Mme Modupe Irele. Celle-ci a exprimé sa satisfaction de l’implication française dans cette région d’Afrique et, à présent, au Nigéria, et son attente que le niveau de coopération entre nos deux pays égale celui de la France avec ses partenaires d’Afrique francophone.

La question des moyens est un facteur limitant à court terme. La France consacre une part importante de ses ressources, en termes de coopération militaire, à son engagement auprès des pays du G5 Sahel – Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad – et à la formation de troupes susceptibles d’être déployées au sein de la MINUSMA, au Mali. Les forces armées nigérianes sont pour le moment en surchauffe, en raison des multiples défis sécuritaires auxquels le pays est confronté (cf. I), ce qui l’a forcé à réduire sa contribution aux opérations de maintien de la paix de l’ONU. Ainsi la coopération avec le Nigéria ne figure pas dans le premier cercle des priorités de la France, et son volume ne devrait pas fortement évoluer au cours des prochaines années.

Néanmoins des améliorations sont possibles à court terme, qui auraient un réel impact sur le plan qualitatif. La première serait de conclure un accord régissant l’échange de données classifiées, ce qui faciliterait le partage de renseignements pour la lutte contre le terrorisme. La balle semble actuellement dans le camp du Nigéria, à qui la France a fait une proposition en ce sens. La deuxième serait d’inciter nos industriels à répondre aux demandes du Nigéria dans le domaine de l’armement ; l’ambassadrice du Nigéria relève ainsi que « l’acquisition de munitions et le maintien de la flotte aéronovale sont deux problématiques majeures pour le Nigéria ». Des avancées sur ces dossiers, qui concernent notamment l’entreprise Dassault Aviation, auraient sans doute un impact très positif sur le développement de notre coopération bilatérale.


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   conclusion

L’accord relatif à la coopération en matière de défense et au statut des forces, conclu avec le Nigéria en 2016, vient combler un vide juridique et encadrer une coopération naissante. Le développement de cette coopération semble particulièrement souhaitable et opportun, s’agissant d’un partenaire d’importance majeure, dans une région où la France est fortement impliquée, et qui partage avec nous plusieurs préoccupations sécuritaires.

Le Sénat a adopté cet accord en première lecture le 19 avril 2018. La rapporteure engage désormais l’Assemblée nationale à faire de même. Pour qu’il puisse entrer en vigueur, il faudra que le Nigéria procède également à sa ratification. Le présent accord sera pleinement applicable trente jours après la notification, par l’une et l’autre parties, de l’accomplissement des procédures internes de ratification.

 

 

 


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   TRAVAUX DE LA COMMISSION

Au cours de sa réunion du mardi 20 novembre 2018, la commission examine le présent projet de loi.

Après l’exposé de la rapporteure, un débat a lieu.

Mme Marielle de Sarnez, présidente. Merci pour cet excellent rapport, qui nous dit bien quels sont les enjeux pour cet immense pays dont je pense que nous ne parlons pas assez.

Mme Laetitia Saint-Paul. Pendant longtemps, notre coopération de défense est restée atone avec un pays pourtant stratégique, en première ligne dans la lutte contre le terrorisme. Pouvez-vous me préciser quelles sont la composition et les missions du Haut Comité de Défense qui doit devenir l’instance de pilotage de notre coopération bilatérale ?

M. Jacques Maire. Nous étions avec Amélia Lakrafi, il y a quelques mois, à l’état-major de la force multinationale mixte (FMM), qui coordonne la lutte contre Boko Haram. Je rappelle au passage que c’est la France qui fut à l’initiative de cette force, lorsqu’elle convoqua, en 2014, à Paris, un sommet rassemblant les pays de la région du lac Tchad, après l’enlèvement des lycéennes de Chibok. Lors de notre visite à la FMM, nous avons constaté que c’étaient les mêmes outils qui étaient utilisés pour lutter contre le terrorisme en bande sahélo-saharienne et contre Boko Haram, ce qui pose problème en termes de moyens. Lorsque Mme Parly y est allée plus récemment, on lui a demandé si la France pouvait accroître son soutien en termes d’équipements et de personnels. Le territoire est immense et stratégique, mais la France a-t-elle les moyens d’honorer les engagements qu’elle prend vis-à-vis du Nigéria à travers l’accord que nous examinons ?

M. Jean-Paul Lecoq. Je pense que, pour mieux coordonner la lutte contre le terrorisme dans la région du Sahel, nous devrions plaider en faveur de l’élargissement du G5 Sahel, pour en faire un G7, qui inclurait le Nigéria et la République arabe saharaouie démocratique.

C’est très bien de vouloir créer un partenariat stratégique avec le Nigéria, mais encore faut-il s’accueillir l’un l’autre, et favoriser la circulation entre les deux pays, ce qui me semble être la base indispensable de toute coopération. Je doute que ce soit si facile avec le Nigéria, puisque c’est un pays africain : pouvez-vous me dire combien d’étudiants nigérians nous accueillons ? Combien de visas nous délivrons ?

Je note par ailleurs que notre coopération pourra porter sur les ventes d’armes ; nous savons que le contrôle un peu faible chez nous, en comparaison de ce que font d’autres pays, et nous devons rester vigilants sur la question de l’utilisation des armes que nous vendons. Je note également que l’accord prévoit des garanties pour que la peine de mort, en vigueur au Nigéria, ne puisse pas être appliquée contre nos ressortissants présents dans le cadre de la coopération de défense. C’est bien, mais peut-être pourrions-nous aller plus loin, et utiliser la négociation de ce type d’accords pour faire pression sur les pays qui appliquent la peine de mort, afin qu’ils l’abolissent.

Je conclurai en soulignant que je voterai cet accord, non pas parce qu’il nous permet d’élargir notre zone d’influence et d’en tirer des avantages sur le plan économique, mais parce qu’il me semble de nature à favoriser un type de relations un peu différent et à faire avancer la paix dans le monde.

M. Alain David. Cette coopération avec le Nigéria me semble très pertinente, pour mieux lutter contre les groupes terroristes et surmonter les problèmes sécuritaires qui étouffent le potentiel économique de ce pays. Pourtant, certaines ONG dénoncent des violations des droits de l’homme par l’armée nigériane ; il faut que nous ayons conscience de ce problème.

M. Bruno Fuchs. Cet accord offre une vraie sécurité juridique à nos personnels, cela me semble très positif. J’aimerais simplement avoir quelques détails sur la clause de substitution de la peine de mort.

Mme Amélia Lakrafi. Le Haut Comité de Défense s’est déjà réuni deux fois, en 2016 à Abuja et en 2018 à Paris. Selon les termes de l’article 7, il est « chargé de définir la conception générale de la coopération bilatérale dans le domaine de la défense ainsi que d’organiser et de coordonner cette coopération ». Il réunit des représentants de haut niveau des deux ministères de la défense.

L’accord que nous examinons est dans la droite ligne des autres accords de coopération de défense que nous avons signés avec des pays africains ; c’est un accord de partenariat, d’égal à égal. Pour le moment, les moyens que nous affectons à la coopération avec le Nigéria sont encore modestes, j’en conviens. Nous avons deux coopérants détachés auprès de l’état-major de la marine et du ministère de la défense. En outre, des détachements d’instruction opérationnelle interviennent régulièrement au Nigéria depuis les Éléments français au Sénégal (DIO). La ratification du présent accord donnera une impulsion politique qui permettra d’aller plus loin dans la coopération. Nous avons d’ores et déjà reçu un accueil très favorable de notre partenaire qui, bien qu’il n’ait pas l’habitude de travailler avec nous, est en demande à notre égard.

Cet accord se situe tout à fait dans une optique de soutien à la paix. Tous les Présidents français le disent depuis 10 ans : c’est aux Africains de sécuriser l’Afrique. Le cadre juridique prévu par cet accord vise précisément à accompagner les Nigérians dans ce sens. Cela me semble en effet bien mieux de coopérer et de les aider en amont, que de voir ensuite le soldat blanc débarquer dans un village africain en situation de crise, ce qui suscite souvent des réactions assez négatives.

En effet, le Nigéria applique encore la peine de mort, mais cette convention protège bien nos militaires, qui ne pourraient en aucun cas se la voir infliger.

Nous avons en France 419 étudiants nigérians. C’est vrai que c’est peu, mais il faut dire que le Nigéria est un pays assez méconnu en France, alors que c’est la première économie africaine. Pour ne donner qu’un chiffre, le Nigéria représente 70% du PIB de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) : c’est énorme. Autant dire que ce qui se passe au Nigéria a forcément une influence dans les autres pays de la CEDEAO, avec lesquels nous entretenons parfois des liens très étroits. Et aujourd’hui, dans ces pays où la France a traditionnellement une influence assez importante, les Américains et les Britanniques cherchent de plus en plus à prendre pied, parfois de manière assez offensive. Alors n’hésitons pas à avoir une stratégie volontariste au Nigéria. Je rappelle que ce pays a déjà une classe moyenne qui représente environ 40 millions d’habitants : il y a donc un vrai marché pour nos entreprises.

Suivant l’avis de la rapporteure, la commission adopte le projet de loi n° 899.

 

 

 

 


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   annexe : texte adoptÉ par la commission

 

Article unique

Est autorisée l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérale du Nigéria relatif à la coopération en matière de défense et au statut des forces, signé à Paris le 16 juin 2016, et dont le texte est annexé à la présente loi.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                                     

NB : Le texte de l’accord figure en annexe au projet de loi (n° 899)


([1]) Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest, qui rassemble 15 pays : Bénin, Burkina, Cap Vert, Côte d'Ivoire, Gambie, Ghana, Guinée, Guinée-Bissau, Liberia, Mali, Niger, Nigeria, Sénégal, Sierra Leone, Togo.

([2]) Force armée sous l’égide de la Commission du bassin du lac Tchad, constituée de militaires du Bénin, du Niger, du Tchad et du Cameroun, réactivée en 2015 pour lutter contre Boko Haram.  

([3]) Réponse au questionnaire adressé au Gouvernement par le Sénat, au sujet du présent accord.