N° 1436

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 21 novembre 2018.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

 

SUR LE PROJET DE LOI  autorisant l’approbation de l’accord-cadre sur la coopération sanitaire transfrontalière entre le Gouvernement de la République française et le Conseil fédéral suisse et de l’accord-cadre entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg sur la coopération sanitaire transfrontalière,

PAR M. Bruno FUCHS

Député

ET SUR LES CONCLUSIONS DU GROUPE DE TRAVAIL sur la coopération sanitaire transfrontalière avec la Suisse et le  Luxembourg,

PAR M. Frédéric BARBIER

Député

 

ET

 

ANNEXE : TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

 

 Voir le numéro : 390.


 

Le groupe de travail est composé de M. Frédéric Barbier, rapporteur, de Mmes Olga Givernet, Marion Lenne et Isabelle Rauch et de MM. Bruno Fuchs, Jean Luc Reitzer, Joachim Son Forget et Sylvain Waserman.

 


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SOMMAIRE

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 Pages

introduction

Synthèse et recommandations du groupe de travail

I. Présentation des deux accords-cadres

A. le contexte : Les accords bilatéraux déjà en vigueur

B. Deux textes à l’architecture similaire

1. L’objectif des accords-cadres

2. La définition de leur champ d’application

3. Le renvoi à un accord d’application

4. La définition d’autorités locales compétentes

5. L’encadrement des conventions locales de coopération

6. Les précisions apportées sur certaines règles de droit

7. La création d’un mécanisme de suivi

8. Les dispositions finales et l’entrée en vigueur

II. pourquoi un groupe de travail : Les interrogations sur la mise en œuvre des accords-cadres

A. Quelle portée juridique réelle des accords-cadres ?

B. Quelles garanties quant à leur mise en œuvre pratique ?

III. les constats du groupe de travail

A. les prestations de santé transfrontalières : un cadre général européen

B. Les accords-cadres en vigueur avec l’Allemagne, la Belgique et l’Espagne : des résultats concrets bien que relativement limités

C. Avec le Luxembourg et la Suisse, des difficultés qui ne s’expliquent pas seulement par l’absence de conventions-cadres en vigueur

1. Quelques arrangements spécifiques à la portée limitée

2. Des flux financiers de sécurité sociale proches de l’équilibre avec la Suisse, très favorables à la France s’agissant du Luxembourg

3. Deux pays à très haut niveau de vie et de salaires

a. Première conséquence : le nombre particulièrement élevé de travailleurs transfrontaliers

b. Seconde conséquence : des différences considérables quant aux coûts de la santé et aux rémunérations des professionnels

i. Un facteur aggravant de la crise de la démographie médicale pour les territoires frontaliers

ii. Des réticences de la part des autorités françaises pour la prise en charge de soins transfrontaliers coûteux

4. Les spécificités des relations avec la Suisse

a. Les conséquences de la non-appartenance à l’Union européenne

b. La question spécifique du droit d’option pour l’affiliation

c. La structure fédérale

IV. les recommandations du groupe de travail

A. Les conditions d’un dévelopement réel des coopérations locales

1. Mieux informer les assurés, les patients et les professionnels

2. Associer les citoyens, les professionnels et les élus à la définition des priorités

3. Mobiliser les administrations sur les enjeux transfrontaliers

a. L’administration centrale

b. Les agences régionales de santé

c. Les caisses primaires d’assurance maladie

4. Soutenir de manière pérenne les coopérations transfrontalières

5. Faire de la coopération sanitaire transfrontalière l’un des chantiers du droit à l’expérimentation

B. Les thématiques prioritaires

1. Des sujets prioritaires et assez aisés à traiter : urgences vitales et continuité des soins

2. Un objectif plus ambitieux : construire ensemble une offre de soins coordonnée

3. Une première étape : élaborer des diagnostics partagés dans les bassins de vie transfrontaliers

4. Un enjeu sensible, la gestion de la démographie des professions de santé dans les bassins frontaliers

5. Des enjeux « connexes » à ne pas oublier

Travaux de la commission

I. réunion du 7 février 2018

II. Réunion du 20 novembre 2018

ANNexe 1 : texte adopté par la commission

Annexe 2 : liste des personnes auditionnées par le groupe de travail


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   introduction

Mesdames, Messieurs,

En 2016, la France a signé avec la Suisse et le Luxembourg deux accords-cadres pour développer les coopérations transfrontalières dans le domaine de la santé. De facture similaire, ils viennent compléter des accords de même nature passés avec l’Allemagne, la Belgique et l’Espagne entre 2005 et 2008. Ces accords fixent un cadre général pour la passation de conventions de coopération sanitaire transfrontalière, dont ils déterminent le domaine potentiel et précisent les autorités administratives territoriales habilitées à les conclure.

Réunie en février 2018 pour examiner le projet de loi portant approbation des deux accords-cadres, la commission des affaires étrangères s’est interrogée sur leur portée effective et leurs conditions de mise en œuvre.

En effet, en eux-mêmes, les accords-cadres ne créent pas les coopérations transfrontalières. Il appartiendra aux acteurs administratifs et locaux de les développer et de les faire vivre. Et derrière il faudra une volonté politique forte.

Pour le moment, on doit bien reconnaître que les coopérations avec nos voisins suisses ou luxembourgeois sont assez limitées dans le domaine de la santé, alors que de beaux projets concrets ont pu se réaliser dans d’autres domaines, par exemple les transports, si l’on pense à l’aéroport Bâle-Mulhouse, unique aéroport binational situé pourtant sur le seul territoire français, à la future liaison ferroviaire CEVA (Cornavin – Eaux-Vives – Annemasse), qui désengorgera la circulation dans l’agglomération genevoise, ou encore à la réouverture prochaine de la ligne Belfort-Delle, qui permettra de mieux connecter dans le Jura les réseaux ferrés des deux pays.

La commission des affaires étrangères a donc décidé en février dernier de surseoir au vote sur le projet de loi et de constituer un groupe de travail sur la coopération sanitaire transfrontalière avec la Suisse et le Luxembourg, qui a auditionné une vingtaine de personnalités à Paris et procédé à deux déplacements à Genève et à Bâle.

Le présent rapport présente les conclusions du groupe de travail, qui formule une série de recommandations concrètes destinées à donner un contenu effectif aux coopérations sanitaires transfrontalières. Sous réserve de ces recommandations, votre rapporteur vous invite à adopter le projet de loi qui permettra l’entrée en vigueur des deux accords-cadres. Ils sont convaincus que les coopérations dans le domaine de la santé sont particulièrement nécessaires, car elles doivent d’abord répondre aux besoins exprimés par les populations des bassins de vie frontaliers, tout en offrant des opportunités de gérer de manière plus rationnelle l’offre de soins.


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   Synthèse et recommandations du groupe de travail

Les auditions et déplacements conduits par le groupe de travail ont permis de dégager quelques grands constats.

Les constats

Tout d’abord, les accords-cadres passés en matière de coopération sanitaire transfrontalière avec l’Allemagne, la Belgique et l’Espagne en 2005 ou 2008 n’ont pas été à l’origine des coopérations sur le terrain, qui étaient antérieures, mais ont conduit à un plus grand développement de ces coopérations. Ce type d’accords a donc un impact.

Avec le Luxembourg et la Suisse, les coopérations sont à ce jour limitées pour des raisons qui ne tiennent pas seulement à l’absence d’accord-cadre jusqu’à présent, mais aussi à des spécificités :

– les différences considérables de niveaux de vie, de salaires, de coûts de santé entre ces deux pays et la France (différences que l’on ne retrouve pas entre la France et ses autres voisins), qui représentent une opportunité pour les professionnels français qui reçoivent dans leurs cabinets des Luxembourgeois attirés par leurs tarifs ou des travailleurs frontaliers affiliés au Luxembourg, mais qui entraînent aussi une attraction considérable pour ces professionnels français – avec par exemple deux tiers d’infirmiers français dans les effectifs des Hôpitaux universitaires de Genève et corrélativement des problèmes de recrutement et de fidélisation dans les hôpitaux haut-savoyards –, ainsi que des réticences des autorités françaises à élargir la prise en charge de soins transfrontaliers très coûteux ;

– le nombre considérable de frontaliers résidant en France et travaillant dans les deux pays – sur la totalité des frontaliers français, près d’un sur deux travaille en Suisse, un sur quatre au Luxembourg –, qui ne rend que plus nécessaire le développement des coopérations transfrontalières ;

– les conséquences spécifiques de la non-appartenance de la Suisse à l’Union européenne – en particulier le droit d’option en matière d’affiliation sociale des frontaliers et les litiges consécutifs – et de sa structure fédérale.

Ces constats conduisent le groupe de travail à formuler les recommandations qui suivent.

Les recommandations

 Amender ou du moins adapter l’accord avec la Suisse sur un point spécifique, la désignation des caisses primaires d’assurance maladie de référence :

 1  – envisager la négociation avec la Suisse d’avenants à l’accord-cadre et au protocole d’application afin de disposer d’au moins une caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) de référence dans chaque région française concernée (Auvergne-Rhône-Alpes, Bourgogne-Franche-Comté et Grand-Est), et non pas de la seule caisse de Haute-Savoie, pour la mise en œuvre des coopérations sanitaires transfrontalières ;

      – à défaut de cette négociation, veiller à l’implication des CPAM des autres départements frontaliers, qui devront être fortement associées aux coopérations transfrontalières locales dans leur ressort et être en mesure d’informer les usagers sur leurs conséquences.

 Purger définitivement les litiges relatifs à l’affiliation des travailleurs frontaliers en Suisse dans le respect du droit tel que rappelé par la Cour de cassation :

 2  – veiller à ce que le Gouvernement tienne les engagements qu’il a pris après l’arrêt du 15 mars 2018 de la Cour de cassation, à savoir demander aux organismes de sécurité sociale français de reconnaître la radiation des frontaliers concernés à leur date d’affiliation en Suisse, restituer en conséquence les cotisations sociales perçues sur la période considérée et/ou abandonner les poursuites relatives à ces cotisations.

 Mieux informer :

 3  – améliorer l’information de tous les habitants – travailleurs frontaliers ou non – et des professionnels de santé des régions frontalières sur leurs droits et opportunités en matière d’affiliation et d’accès éventuel à des soins de santé transfrontaliers. Les caisses primaires d’assurance maladie des départements frontaliers doivent s’organiser pour diffuser une information pertinente et être en mesure de répondre aux interrogations des usagers.

 Mobiliser les administrations sur les enjeux transfrontaliers :

 4  – veiller à ce que chaque agence régionale de santé (ARS) frontalière intègre un volet transfrontalier à son projet régional de santé, conformément à la loi ;

 5  – veiller à ce que chaque ARS frontalière désigne un cadre de haut niveau référent pour les coopérations transfrontalières ;

 6  – développer les interactions entre ARS et préfectures de région afin de mobiliser les conseillers diplomatiques de celles-ci sur les problématiques sanitaires transfrontalières ;

 7  – instituer un cadre d’échange de bonnes pratiques en matière de coopérations transfrontalières, afin que les ARS les plus avancées dans ce domaine puissent partager leur expérience avec les autres et que les pratiques soient harmonisées ;

 8  – s’assurer de la mise en place d’un soutien national dédié aux coopérations transfrontalières, afin de compléter les financements européens temporaires et d’être en mesure de prendre des engagements à long terme.

L’ensemble de ces recommandations en matière d’organisation administrative devront être portées par les autorités politiques et faire l’objet de directives claires de la part du ou des ministères compétents.

 Prendre pleinement en compte dans les discussions transfrontalières l’intérêt des patients et les points de préoccupation qui remontent du terrain :

   9  – veiller à la réciprocité dans la co-construction transfrontalière d’offres de soins ;

 10  – dans la perspective d’une future co-construction des offres de soins, développer les instances permettant dans les bassins de vie transfrontaliers une connaissance partagée des besoins de santé et un diagnostic partagé des priorités qui en résultent. Cet exercice devra non seulement prendre en compte le coût des soins, mais aussi celui des transports sanitaires, et plus généralement les coûts sociaux-économiques subis par les patients ;

 11  – traiter de la question particulièrement sensible de la démographie des professions médicales et paramédicales dans les discussions sur les coopérations avec nos voisins suisses et luxembourgeois ;

 12  – traiter dans le cadre des coopérations sanitaires transfrontalières les enjeux relevant du droit civil et de la police générale – statut des nouveau-nés, rapatriement des personnes décédées, transmission de données personnelles médicales, passage des frontières par les véhicules sanitaires et de secours… À cette fin, associer aux discussions les acteurs administratifs pertinents, notamment les préfectures.

 Mettre en place une gouvernance démocratique des coopérations sanitaires transfrontalières :

 13  – constituer des commissions d’usagers, de professionnels de santé et d’élus des territoires dans les bassins de vie frontaliers, chargées de contribuer à la mise en place et au suivi des conventions locales de coopération sanitaire transfrontalière ;

 14  – poursuivre dans le cadre de la Représentation nationale la tâche engagée par le groupe de travail, afin d’assurer un suivi au niveau politique du développement des coopérations sanitaires dans les territoires, et associer des élus territoriaux et/ou nationaux aux commissions mixtes de suivi instituées par les deux accords-cadres.

 Faire de la coopération sanitaire l’un des domaines d’exercice du « droit à l’expérimentation » :

 15  – inscrire la coopération sanitaire dans le champ des domaines où la nouvelle « collectivité européenne d’Alsace » exercera le rôle de chef de file de la coopération transfrontalière qui devrait lui être attribué.

 


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I.   Présentation des deux accords-cadres

Les deux accords-cadres qui sont l’objet du présent projet de loi ont non seulement un objet, mais aussi une architecture et un contenu très proches, ce qui a amené le Gouvernement à les défendre ensemble.

Leur principal objectif est d’encadrer et de faciliter la passation de conventions locales de coopération qui permettront de déroger à certaines règles de droit commun en matière de soins transfrontaliers (autorisation préalable, application des tarifs prévus par les textes européens de coordination de sécurité sociale…), cela dans une optique d’amélioration de la qualité des soins et d’optimisation de l’offre de ceux-ci, en développant les coopérations et complémentarités entre les établissements et professionnels des deux côtés des frontières.

A.   le contexte : Les accords bilatéraux déjà en vigueur

Des accords-cadres de coopération sanitaire transfrontalière ont déjà été signés avec la plupart de nos voisins :

– avec l’Allemagne le 22 juillet 2005 ;

– avec la Belgique le 30 septembre 2005 ;

– avec l’Espagne le 27 juin 2008.

Par ailleurs les conventions générales de sécurité sociale existant depuis 1952 avec Monaco et 2000 avec Andorre comportent des dispositions permettant d’assurer la prise en charge des patients au-delà des frontières.

Les deux accords qui sont l’objet du présent rapport complètent ce dispositif avec la Suisse et le Luxembourg. Ils ont été signés respectivement le 27 septembre 2016 et le 21 novembre 2016.

Plusieurs demandes ont enfin été adressées aux autorités italiennes, l’Italie étant le dernier de nos voisins continentaux avec lequel nous n’avons pas d’accord bilatéral de ce type, mais sont restées sans réponse jusqu’à présent.

Il faut rappeler par ailleurs que les établissements hospitaliers sont de manière générale autorisés par la loi ([1]) à passer des conventions de coopération avec d’autres entités, notamment des homologues, y compris à l’étranger. De tels accords peuvent couvrir de nombreux domaines, notamment en matière de recherche. Des accords interhospitaliers transfrontaliers ont été conclus bien avant les accords-cadres précités (voir infra le bilan de ceux-ci).

B.   Deux textes à l’architecture similaire

Les deux accords-cadres ont été signés avec la Suisse et le Luxembourg respectivement le 27 septembre 2016 et le 21 novembre 2016. Ils présentent une architecture et des clauses très voisines.

1.   L’objectif des accords-cadres

L’article 1er des deux accords-cadres en définit l’objet, qui est identique et tourné à la fois vers la qualité de l’offre de soins (« assurer un meilleur accès à des soins de qualité (…) ; garantir une continuité des soins (…) ; garantir le recours le plus rapide aux moyens de secours d’urgence (…) ») et l’optimisation de son organisation.

2.    La définition de leur champ d’application

Les deux accords-cadres définissent à leur article 2 un champ d’application géographique :

– le territoire du Luxembourg et la région Grand-Est pour l’accord avec le Luxembourg ;

– les neuf cantons suisses frontaliers et les régions Grand-Est, Bourgogne‑France-Comté et Auvergne-Rhône-Alpes pour l’accord avec la Suisse.

Ce champ d’application géographique détermine le champ d’application personnel des accords, qui couvre :

– les personnes qui résident ou séjournent temporairement dans leur champ géographique susmentionné, sous réserve qu’elles soient éligibles aux prestations d’assurance maladie, soit françaises, soit respectivement luxembourgeoises ou suisses ;

– pour les seuls soins urgents, les personnes affiliées à un régime de sécurité sociale relevant du champ d’application de la coordination européenne de sécurité sociale, bref tous les affiliés sociaux de l’Union européenne (et des pays de l’Espace économique européen et de Suisse), indépendamment de leur régime de rattachement et de leur lieu de résidence ;

– du côté de l’offre de soins, les professionnels de santé exerçant dans le champ d’application géographique.

3.   Le renvoi à un accord d’application

Les deux accords-cadres renvoient respectivement à un accord d’application (article 3 de l’accord avec le Luxembourg) ou un protocole d’application (article 9 de celui signé avec la Suisse).

Ces deux textes d’application ont l’un et l’autre été signés en même temps que les accords-cadres qui les prévoient et ont des rédactions proches. Ils ont notamment pour objet de préciser le contenu que devront avoir les conventions locales de coopération (voir infra), ainsi que les modalités de prise en charge des soins par un régime de sécurité sociale, de facturation et de paiement.

4.   La définition d’autorités locales compétentes

Dans les deux dispositifs, des autorités compétentes sont désignées. Ces autorités seront notamment habilitées à passer des conventions locales de coopération (voir infra).

● L’article 8 de l’accord-cadre signé avec la Suisse désigne comme autorités chargées de la mise en œuvre de l’accord :

– pour la France, les agences régionales de santé (ARS) des trois régions couvertes et la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) de Haute-Savoie ;

– pour la Suisse, l’Office fédéral de la santé publique et les autorités des cantons couverts par l’accord.

L’article 1er du protocole d’application précise les autorités habilitées à conclure des conventions de coopération sanitaire :

– pour la France, les trois ARS et la CPAM susmentionnées ;

– pour la Suisse, les autorités des cantons frontaliers.

● Pour ce qui concerne le Luxembourg, les personnes et organismes compétents sont énumérés à l’article 1er de l’accord d’application, soit :

– pour la France, l’agence régionale de santé Grand‑Est, la caisse primaire d’assurance maladie de la Moselle ainsi que le préfet de zone de défense et de sécurité et les préfets de département ;

– pour le Luxembourg, les ministères ayant la santé, les services de secours et la sécurité sociale dans leurs attributions, ainsi que la Caisse nationale de santé.

5.   L’encadrement des conventions locales de coopération

Les deux accords-cadres (article 3 de l’accord avec la Suisse et article 4 de celui avec le Luxembourg) prévoient la passation de conventions de coopération entre autorités locales compétentes (susmentionnées) et les encadrent.

Les rédactions des deux accords sont légèrement différentes mais se recoupent largement, notamment dans la définition non exhaustive de l’objet des divers types de conventions locales qu’ils envisagent : intervention transfrontalière des professionnels de santé ; organisation des secours d’urgence et des transports sanitaires ; garantie de la continuité des soins incluant en particulier l’accueil et l’information des patients ; contrôle de la qualité et de la sécurité des soins ; mécanismes de prise en charge financière, etc. L’accord avec la Suisse mentionne également la coopération sanitaire dans le domaine hospitalier et pour la gestion des crises sanitaires.

Les deux accords-cadres renvoient à l’application des règles de la coordination européenne de sécurité sociale pour la prise en charge financière des soins, mais autorisent les conventions locales à y déroger éventuellement en instituant des tarifications spécifiques, voire, dans le cas de l’accord avec la Suisse, une levée de l’obligation d’autorisation préalable pour certains soins (article 6 de l’accord avec le Luxembourg et article 5 de celui avec la Suisse).

Comme il existe déjà des conventions locales de coopération, il est disposé que celles en vigueur devront se conformer aux accords-cadres. Leur éventuelle mise en conformité devra se faire dans un délai d’un an pour ce qui est de celles avec le Luxembourg (article 4 de l’accord-cadre et accord d’application), de deux ans pour celles avec la Suisse (article 10 de l’accord-cadre).

6.   Les précisions apportées sur certaines règles de droit

Les deux accords-cadres précisent certaines règles de droit et obligations des professionnels de santé : applicabilité du droit de la responsabilité médicale de l’État où sont prodigués les soins ; obligation d’assurance de la responsabilité civile des établissements et professionnels impliqués dans la coopération transfrontalière (article 7 de l’accord avec le Luxembourg et article 6 de celui avec la Suisse).

L’accord-cadre avec le Luxembourg précise également (article 5) que les personnels des secours d’urgence sont dispensés d’autorisation d’exercice professionnel accordée par l’autre partie (pour s’y rendre dans le cadre d’interventions transfrontalières), ainsi que d’affiliation à une chambre professionnelle de cette partie. L’article 7 du même accord renvoie pour les transports sanitaires, en ce qui concerne les permis de conduire et les spécifications techniques, au droit de l’État du professionnel qui prodigue les services.

7.   La création d’un mécanisme de suivi

Les deux accords-cadres instaurent une commission mixte de suivi (article 8 de l’accord avec Luxembourg et article 7 de celui avec la Suisse). Elle devra se réunir au minimum tous les deux ans. De plus, les deux accords devront tous les quatre ans être l’objet d’un rapport d’évaluation.

8.   Les dispositions finales et l’entrée en vigueur

Les dispositions finales des deux textes (entrée en vigueur, durée et dénonciation éventuelle) sont de facture classique.

En Suisse, la procédure de ratification de l’accord passé avec ce pays est achevée. Le texte a été définitivement approuvé à l’unanimité par le Parlement le 15 décembre 2017. Les instruments de ratification ont été déposés le 26 avril 2018, après l’expiration du délai prévu pour une éventuelle initiative référendaire.

Au Luxembourg, le projet de loi concernant l’accord avec ce pays a été déposé en septembre 2017 à la Chambre des députés, qui l’a adopté le 28 juin 2018. La loi d’approbation a été promulguée le 18 juillet.


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II.   pourquoi un groupe de travail : Les interrogations sur la mise en œuvre des accords-cadres

Le premier débat tenu par la commission des affaires étrangères sur le présent projet de loi, le 7 février 2018, s’est conclu par la décision de constituer un groupe de travail, ou mission-flash, sur la coopération sanitaire transfrontalière avec le Luxembourg et la Suisse. Dans l’attente des conclusions de ce groupe, le vote sur le projet a été ajourné.

Cette décision de poursuivre les investigations sur la coopération transfrontalière a été motivée par des interrogations sur la portée tant juridique que pratique des deux accords-cadres.

A.   Quelle portée juridique réelle des accords-cadres ?

Tout d’abord, l’apport juridique des textes a été mis en doute.

En effet, le droit commun national autorise déjà les établissements hospitaliers à passer des conventions de coopération, sans qu’il soit nécessaire de les placer dans le cadre d’un accord international global.

En matière de sécurité sociale, la règle de droit commun est certes un peu plus restrictive : le code de la sécurité sociale dispose que la prise en charge de soins de santé à l’étranger est soumise à autorisation préalable (hors urgences) dans certains cas de figure, notamment lorsqu’ils impliquent au moins une nuit d’hospitalisation ; il est possible de déroger à cette obligation d’autorisation préalable, mais seulement dans le cadre de conventions passées par les organismes sociaux avec l’autorisation conjointe du ministre chargé de la sécurité sociale et du ministre chargé de la santé ou de l’agence régionale de santé ([2]). Les conventions locales prévues dans les accords-cadres pourront comprendre ce type de dérogations. En confiant leur passation, du côté français, aux caisses primaires d’assurance maladie et aux agences régionales de santé, les accords-cadres simplifieraient le circuit de validation de ces conventions en supprimant l’obligation d’autorisation ministérielle préalable. C’est du moins l’analyse présentée dans l’étude d’impact adjointe au présent projet de loi.

Cependant, on peut s’interroger sur cette présentation à la lecture des textes eux-mêmes : en particulier, l’article 6 de celui avec le Luxembourg subordonne l’insertion dans les conventions locales de clauses de tarification spéciale à l’« autorisation des ministres chargés de la sécurité sociale », ce qui semble laisser en place l’obligation d’une signature ministérielle pour les accords tarifaires dérogatoires, comme le prévoit déjà de manière générale, on l’a dit, le code de la sécurité sociale...

Pour le reste, force est de constater que les deux accords-cadres n’ont pas un contenu très normatif. On relève en particulier que, dans chacun d’entre eux, la liste des objets potentiels des conventions locales est introduite par l’adverbe « notamment » : cette liste indicative n’est donc pas exhaustive et les conventions locales pourraient traiter de bien d’autres questions que celles mentionnées dans les textes qui sont soumis à la Représentation nationale…

Il est intéressant de noter que ces observations sur la portée normative discutable des accords-cadres sont manifestement partagées par les autorités suisses. Le document du Conseil fédéral suisse adressé au Parlement que l’on peut considérer comme l’équivalent helvétique du présent projet de loi, dit « message portant approbation » de l’accord-cadre de coopération sanitaire transfrontalière (daté du 17 mai 2017), est à cet égard explicite : non sans rappeler que cet accord a été conclu suite à une demande française, il souligne que « l’accord-cadre fournit une liste non exhaustive des domaines de coopération potentiels sur lesquels les projets de coopération peuvent porter (…). [Il] demeure, sur les aspects matériels, strictement dans le cadre juridique existant et ne permet notamment pas aux autorités cantonales de conclure des conventions qui iraient au-delà du cadre juridique en vigueur au niveau fédéral, ni d’édicter des dispositions supplétives (…). Les projets de coopération qui impliquent des questions de prise en charge financière des prestations par l’assurance-maladie de base doivent respecter la loi fédérale sur l’assurance-maladie. Cette dernière fournit un cadre légal spécifique pour les projets de coopération (…) ».

B.   Quelles garanties quant à leur mise en œuvre pratique ?

Les interrogations ont également porté sur la mise en œuvre pratique des accords-cadres, c’est-à-dire les conditions de passation des conventions locales de coopération qu’ils doivent susciter et plus généralement le développement de la coopération sanitaire transfrontalière : est-il certain que la passation de tels accords-cadres favorisera ce développement ? Que faut-il préconiser à cette fin ? Le choix des acteurs administratifs chargés de faire vivre au niveau territorial les coopérations transfrontalières – les agences régionales de santé et deux caisses primaires d’assurance maladie – est-il pertinent ? Quelle méthodologie pour la passation des conventions locales d’application, en l’absence de stipulations dans ce domaine des accords-cadres ? Quel suivi ensuite ?

Telles sont quelques-unes des questions posées par la commission des affaires étrangères et auxquelles le groupe de travail s’est efforcé de répondre.

 


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III.   les constats du groupe de travail

Avant d’évoquer les spécificités de la coopération sanitaire avec nos voisins luxembourgeois et suisses, il convient de rappeler le cadre européen général dans lequel elle s’inscrit.

A.   les prestations de santé transfrontalières : un cadre général européen

Afin de favoriser la circulation transfrontalière des personnes et la libre prestation de services, qui vaut aussi pour les soins de santé, l’Union européenne a mis en place un cadre réglementaire de portée générale dont une partie seulement – on y reviendra infra – s’applique aussi aux relations avec la Suisse, non membre de l’Union ni de l’Espace économique européen.

Ce cadre repose sur deux éléments :

– les règlements de coordination ([3]) en matière de sécurité sociale prévoient et organisent la prise en charge, par le régime social dont ils sont affiliés, des frais de santé des citoyens européens dans un autre État-membre ;

– la « directive santé » de 2011 ([4]), en vigueur depuis le 25 octobre 2013, pose des règles destinées à garantir la liberté de choix des patients en matière de soins de santé et la liberté de prestation de services dans ce domaine, principe qui doivent s’appliquer aussi de manière transfrontalière.

Elle fait suite à une jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne qui a imposé, à partir de 1998 ([5]), plusieurs droits des citoyens européens : droit  au remboursement des soins reçus dans un pays autre que celui de l’assuré, y compris dans un hôpital, au moins sur la base des tarifs du pays d’affiliation ; possibilité pour le pays d’affiliation de subordonner ces soins à une autorisation préalable pour les seules hospitalisations (pas les soins ambulatoires) et sous réserve d’être en mesure d’offrir lui-même un traitement similaire aussi efficace.

La directive reprend ces avancées. Elle reconnaît la liberté de choix par le patient de son prestataire de soins ou établissement de santé, dans le secteur public comme privé et éventuellement dans un autre État-membre (ou de l’Espace économique européen). Elle garantit le remboursement des frais par l’État d’affiliation, au minimum à hauteur de ce qui serait remboursé pour des soins identiques pratiqués en interne. Elle reconnaît les prescriptions transfrontalières en matière de médicaments ou de dispositifs médicaux. Elle impose la mise en place dans chaque État-membre d’un point de contact national chargé d’informer les patients sur leurs droits.

Il est à noter que si la coordination de sécurité sociale s’applique aussi à la Suisse, compte tenu d’accords spécifiques, ce n’est pas le cas de la directive santé, ce qui est un facteur de complexité, les deux dispositifs étant complémentaires.

Des dispositions sont prévues pour les travailleurs transfrontaliers, qui sont en principe obligatoirement affiliés dans leur pays de travail (sauf pour la Suisse, on y reviendra) : sous réserve de cette affiliation, ils peuvent obtenir le remboursement de soins de santé effectués aussi bien dans le pays d’emploi que dans celui de résidence, sur la base des tarifs appliqués dans le pays concerné.

Le droit français a transposé les règles européennes :

– les soins « médicalement nécessaires » (soins imprévus ne pouvant attendre le retour en France) dispensés au cours d’un séjour temporaire dans un autre État-membre ou de l’Espace économique européen ou en Suisse sont remboursés par la sécurité sociale dans les conditions prévues dans l’État de séjour ([6]) ;

– cependant, la prise en charge par la sécurité sociale française des soins non inopinés dispensés dans un autre pays européen à ses affiliés est subordonnée à une autorisation préalable ([7]), délivrée par le contrôle médical de la caisse de rattachement, dès lors que ces soins impliquent au moins une hospitalisation (une nuit à l’hôpital) ou le recours à certains équipements coûteux (équipements lourds d’imagerie, chirurgie ambulatoire notamment de l’œil ou de la main, traitements du cancer…). L’autorisation est subordonnée à plusieurs conditions : les soins doivent être prévus par la réglementation française, être appropriés et il doit être impossible d’obtenir en France un traitement identique ou aussi efficace dans un délai acceptable sur le plan médical. Si elle est accordée, la prise en charge s’effectue sur la base des tarifs de l’État de délivrance des soins (ou, sur demande de l’assuré s’il a avancé les frais, sur la base des tarifs français de la sécurité sociale dans la limite des frais engagés) ;

– enfin, les soins ambulatoires courants dispensés dans un autre pays européen ne sont pas soumis à autorisation préalable, mais, sauf accord dérogatoire, remboursés uniquement sur la base des tarifs français de la sécurité sociale, dans la limite des frais engagés. De plus, on y reviendra, cette règle résultant de la « directive santé » ne s’applique pas avec la Suisse : la sécurité sociale ne prend pas en charge les soins courants non inopinés des Français en Suisse.

B.   Les accords-cadres en vigueur avec l’Allemagne, la Belgique et l’Espagne : des résultats concrets bien que relativement limités

Comme indiqué supra, des accords-cadres comparables à ceux qui sont l’objet du présent rapport ont été passés entre 2005 et 2008 avec trois pays limitrophes, l’Allemagne, la Belgique et l’Espagne. Leur bilan constitue bien sûr un élément d’appréciation de l’opportunité d’accords similaires avec le Luxembourg et la Suisse. Il a notamment été l’objet d’une étude demandée par la  Commission européenne ([8]), d’où sont extraits la majorité des éléments qui suivent.

● La coopération transfrontalière avec l’Allemagne a précédé l’accord-cadre avec ce pays. Dès 2002, par exemple, un accord a permis la mise à disposition de personnels médicaux et paramédicaux de l’hôpital de Wissembourg pour des secours d’urgence dans le territoire allemand voisin de Bad Bergzabern.

La signature de l’accord-cadre a été suivie en 2008-2009 de la conclusion de trois conventions (avec les trois Länder de Sarre, Rhénanie-Palatinat et Bade-Wurtemberg) concernant l’aide médicale urgente, qui organisent dans certaines conditions l’intervention des secours médicalisés par-delà la frontière.

Une autre convention, en date du 10 février 2009, prévoit la possibilité d’une prise en charge des grands brûlés alsaciens par le centre des grands brûlés de la clinique de traumatologie de Ludwigshafen, lorsque les établissements français ne sont pas en situation de répondre aux besoins.

Une convention du 21 décembre 2011 porte sur l’accueil d’enfants ou adolescents handicapés français à l’école Oberlin de la Diaconie à Kork (près de Kehl, dans le Bade-Wurtemberg). Le 14 novembre 2014, une autre convention a été passée entre le centre hospitalier universitaire de Strasbourg et le centre pour l’épilepsie de Kork, permettant des parcours de soins transfrontaliers pour des patients épileptiques.

Enfin, en 2013, une convention de coopération a été passée entre les hôpitaux de Forbach (France) et de Völklingen (Allemagne) pour la prise en charge des urgences en cardiologie. Elle prévoit l’accueil par le centre cardiologique de Völklingen de certains infarctus aigus survenant dans le secteur de Forbach, ainsi que la mise à disposition de cardiologues de Völklingen auprès du centre hospitalier de Forbach. Avant cette convention, les victimes d’infarctus résidant dans le secteur de Forbach étaient dirigées vers l’hôpital de Metz, situé à plus de 60 kilomètres. Leur orientation vers Völklingen permet des gains de temps de transport de 10 à 40 minutes, qui sont déterminants pour les chances de survie.

● La coopération avec la Belgique a permis un nombre conséquent de réalisations avec une coordination assez systématique dans l’ensemble des bassins de vie transfrontaliers franco-belges. Développée d’abord à partir d’initiatives locales, issues du terrain et antérieures à l’accord-cadre de 2005, elle a pu être systématisée suite à cet accord.

Si le versant le plus souvent mentionné de cette coopération est l’accueil de personnes handicapées et personnes âgées dépendantes françaises dans des établissements belges, qui concernerait plus de 6 600 personnes et a été l’objet d’un accord-cadre spécifique en 2011, d’autres domaines de coopération existent.

En matière d’offre de soins hospitaliers, la coopération s’est développée dès 1992 entre deux hôpitaux de l’agglomération lilloise géographiquement très proches, ceux de Tourcoing (France) et de Mouscron (Belgique). Dans ce cadre, une offre de soins commune a été mise en place dans plusieurs domaines, permettant une forme de spécialisation : par exemple, les personnes atteintes du sida résidant dans la zone frontalière du côté belge ont pu être accueillies dans le service universitaire des maladies infectieuses de l’hôpital de Tourcoing. Dans le même temps, les insuffisants rénaux habitant dans la zone frontalière côté français ont été autorisés, dès 1994, à être dialysés à Mouscron. En 2005, une autre convention entre les deux établissements portant sur l’imagerie médicale a permis aux patients belges d’accéder à l’IRM de Tourcoing et réciproquement aux patients français d’accéder à la scintigraphie de Mouscron.

Dans les Ardennes, depuis le début des années 2000, les parturientes du canton de Givet (France) sont autorisées à accoucher à Dinant (Belgique) à la suite de la fermeture de la clinique de Givet.

Une convention entre les hôpitaux de Mons (Belgique) et Maubeuge (France), puis Tournai (Belgique) et Valenciennes (France), en matière de soins intensifs et de réanimation a offert la possibilité d’un recours aux services hospitaliers spécialisés de l’autre pays en cas de saturation.

Dans la même optique d’utilisation optimale des compétences et des équipements, plusieurs conventions ont été signées entre l’hôpital de Mont-Saint-Martin (France) et les cliniques du Sud Luxembourg d’Arlon (Belgique) entre 2011 et 2014. Elles ont organisé l’utilisation de l’IRM de Mont-Saint-Martin par des radiologues belges d’Arlon, la prise en charge de la population pédiatrique de Mont-Saint-Martin et l’analyse de prélèvements effectués côté français à Arlon, enfin la possibilité de répartir les patients en soins intensifs en fonction des lits disponibles dans les deux établissements.

Un autre projet commun très significatif, dit « Transcard », initié en 1998 dans les zones frontalières de la Thiérache et du Hainaut, a consisté à permettre aux habitants de ces zones d’utiliser leur carte de sécurité sociale de l’autre côté de la frontière. Les lecteurs de carte de sécurité sociale ont été rendus interopérables de part et d’autre et l’obligation d’autorisation préalable pour les soins programmés transfrontaliers a été suspendue. Cela a conduit à l’établissement spontané, en fonction de l’offre existante, de flux transfrontaliers (d’environ un millier de patients français vers l’hôpital belge de Chimay, pour des soins ambulatoires ou des hospitalisations brèves ; dans l’autre sens de patients belges vers un l’établissement français de réadaptation fonctionnelle de Felleries-Liessies).

La signature en 2005 de l’accord-cadre a donné un nouveau souffle. L’idée de structurer des bassins de soins transfrontaliers s’est concrétisée à travers la création de « zones organisées d’accès aux soins transfrontaliers » (ZOAST) dans sept bassins de vie transfrontaliers, tout au long de la frontière. En 2015, près de 20 000 patients français et belges se sont ainsi soignés indistinctement de part et d’autre de la frontière franco-belge grâce à ce dispositif. Les ZOAST ont autorisé des aménagements importants des réglementations, en vue de faciliter la circulation des patients. Par exemple, dans les Ardennes, le système permet depuis 2009 aux patients français de bénéficier du tiers-payant côté belge, y compris pour la part des soins à la charge de leur régime complémentaire.

Dans un autre domaine, celui des secours d’urgence, une convention franco-belge en matière d’aide médicale urgente a été signée le 20 mars 2007. Elle organise une cogestion des secours d’urgence avec l’implication éventuelle de secours venant de l’autre côté de la frontière en fonction de leur capacité d’intervention rapide. La prise en charge des frais afférents est prévue (mise en place d’une rémunération forfaitaire commune aux deux pays, à la charge de l’établissement qui aurait dû intervenir en première intention).

● Enfin, c’est avec l’Espagne que la coopération a permis la réalisation transfrontalière la plus aboutie dans le domaine de la santé : l’« hôpital de Cerdagne » est une réalisation binationale unique, conçue pour répondre aux besoins de santé d’un bassin de population transfrontalier de 32 000 habitants, dans une région montagneuse éloignée des grands centres hospitaliers urbains.

Situé dans la ville catalane de Puigcerdà, il résulte d’un accord passé en 2002 entre l’ancien hôpital de cette ville et celui de Perpignan. Il a pris la forme juridique d’un Groupement européen de coopération territoriale (GECT). Inauguré en 2014, l’hôpital a hospitalisé plus de 2 000 personnes en 2017, dont – étant rappelé que l’établissement se trouve de l’autre côté de la frontière – près d’un quart de Français ; ces derniers ont même représenté le tiers des bénéficiaires des 33 000 actes de radiologie réalisés, ou encore un sixième des 27 000 prises en charge des urgences. Son équipe de près de 250 personnes comprend environ un quart de professionnels français.

C.   Avec le Luxembourg et la Suisse, des difficultés qui ne s’expliquent pas seulement par l’absence de conventions-cadres en vigueur

Les coopérations sanitaires transfrontalières sont moins développées avec la Suisse et le Luxembourg qu’avec les autres pays limitrophes susmentionnés. Cela tient sans doute en partie à l’absence jusqu’à présent d’accord-cadre en la matière, mais aussi sans doute à d’autres motifs.

1.   Quelques arrangements spécifiques à la portée limitée

Il existe avec la Suisse quelques arrangements de portée assez limitée dans les zones frontalières.

L’un des plus significatifs permet d’adresser aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) des cas d’urgence vitale survenus en France pour lesquels s’impose le transfert très rapide dans un centre hospitalier de niveau CHU. Ce sont les services de secours (SAMU) qui émettent la « prière d’admettre » des patients aux HUG, laquelle entraîne la prise en charge des soins par notre sécurité sociale. Les caisses primaires d’assurance maladie de Haute-Savoie et de l’Ain ont ensuite à autoriser la prolongation éventuelle des soins d’urgence engagés aux HUG ou la réalisation de consultations de suites. Comme on le voit sur le tableau ci-dessous, environ 200 personnes sont concernées annuellement par ce dispositif.

Un nombre sensiblement égal d’habitants de l’Ain et de la Haute-Savoie sont autorisés annuellement à recevoir en Suisse des soins programmés (pris en charge par notre sécurité sociale) dans le cadre du dispositif européen de droit commun.

Prises en charge en Suisse de patients adressés depuis la région Rhône-Alpes
(Haute-Savoie et Ain essentiellement) en 2017

Soins lourds programmés (droit commun)

Avis favorables

173

Avis défavorables

159

Poursuite de soins initiés en Suisse dans le cas d’ex-travailleurs frontaliers

Avis favorables

22

Avis défavorables

3

Convention avec les Hôpitaux universitaires de Genève (HUG)

Urgences adressées en « prière d’admettre »

192

Accords pour prolongation de séjour au-delà de 20 jours

15

Avis favorables pour des soins de suite (après hospitalisation en urgence)

44

Total convention avec les HUG

251

Total général (accords et avis favorables)

446

Source : service médical Rhône-Alpes de l’assurance-maladie.

Ces flux de patients français restent très limités au regard de l’activité globale des HUG, qui ont hospitalisé plus de 63 000 patients en 2017 et ont réalisé plus d’un million de prises en charge en ambulatoire.

Environ 400 personnes résidant en France auraient un médecin traitant établi en Suisse. Pour des raisons de prise en charge, ce seraient essentiellement des travailleurs frontaliers.

Dans la région lémanique, on peut également citer un accord avec le Valais concernant les secours d’urgence dans les vallées du Chablais français en cas de conditions météorologiques difficiles.

Dans la région jurassienne, un accord avec l’hôpital suisse du Sentier concernant le bourg français de Bois-d’Amont a été dénoncé récemment par la partie suisse.

D’après les éléments recueillis par la mission à Bâle, l’hôpital universitaire de cette ville aurait en 2017 hospitalisé 568 patients français (dont 244 en urgence, 240 pour des soins planifiés – souvent pour des personnels français de l’hôpital – et 59 parturientes), lesquels ont représenté environ 1,5 % du total des patients de l’hôpital. Il existe depuis le 28 novembre 2008 une convention avec la clinique des Trois Frontières à Saint-Louis sur l’intervention de pédiatres néonatologues réanimateurs de Bâle au sein de la clinique.

Il est cependant à noter que les patients allemands sont quatre fois plus nombreux à l’hôpital de Bâle que les patients français. Dans l’autre sens, des habitants de Bâle vont fréquemment bénéficier de soins de suite en Allemagne. Cette intensité plus grande des échanges de patients avec l’Allemagne s’expliquerait notamment par la proximité linguistique (Bâle est germanophone), le fait qu’un plus grand nombre d’Allemands seraient affiliés à une assurance sociale suisse et des règles de sécurité sociale différentes (en Allemagne, l’obligation d’affiliation à l’assurance maladie légale ne s’applique pas aux salariés dont la rémunération dépasse un seuil – 57 600 euros par an en 2017 –, qui peuvent donc souscrire une assurance privée, laquelle offre souvent une couverture internationale). Il convient également de mentionner l’existence d’un projet pilote transfrontalier entre Bâle et le district allemand voisin de Lörrach.

La coopération sanitaire germano-suisse en région bâloise : le projet GRÜZ

Le projet pilote de « coopération transfrontalière entre l’Allemagne et la Suisse en matière de santé dans la région frontalière de Bâle-Ville/Bâle-Campagne/Landkreis de Lörrach », dit GRÜZ (Grenzüberschreitende Zusammenarbeit Deutschland – Schweiz im Gesundheitswesen am Beispiel der Grenzregion Basel-Stadt/Basel-Landschaft/Landkreis Lörrach), a pour objectif d’évaluer, en recueillant et suivant des indicateurs, les conséquences et l’intérêt d’une extension à durée illimitée de la coopération sanitaire transfrontalière entre la Suisse et l’Allemagne. Dans le cadre du projet, les patients habitant dans le district allemand de Lörrach ou dans les cantons de Bâle-Ville ou Bâle-Campagne peuvent choisir d’aller se faire soigner dans le pays voisin. De plus, l’information sur le dispositif transfrontalier et en particulier sur les établissements frontaliers et leur offre de soins a été renforcée auprès des acteurs du système de santé afin d’encourager la coopération transfrontalière sanitaire. Le projet couvre la période 2007-2018.

2.   Des flux financiers de sécurité sociale proches de l’équilibre avec la Suisse, très favorables à la France s’agissant du Luxembourg

Comme il a été indiqué supra, la France et ses voisins (y compris la Suisse) sont intégrés au dispositif de la coordination européenne de sécurité sociale, lequel organise la prise en charge des citoyens européens par les systèmes de santé des pays autres que le leur, leur régime propre de sécurité sociale remboursant in fine ces soins. Les flux financiers qui rendent compte de ces remboursements sont centralisés par des organismes désignés par chaque État concerné. En France, ce rôle centralisateur est joué par un service de la Caisse nationale d’assurance maladie, le Centre national des soins à l’étranger, qui consolide aussi les flux financiers avec des pays extra-européens dans le cadre de divers accords bilatéraux.

En 2016 (dernière année connue), comme la plupart des années précédentes, le solde de ces flux a été très positif pour la France. En effet, les régimes sociaux français ont :

– encaissé 1,05 milliard d’euros ([9]) au titre du financement de soins dispensés en France à des étrangers ;

– dans l’autre sens versé pour des soins à l’étranger seulement 607 millions d’euros, dont 407 millions dans le cadre de la mise en œuvre des accords de coordination (remboursements aux institutions étrangères ayant pris en charge des patients français), le reste sous forme de remboursements directs aux assurés français ayant avancé les frais payés à l’étranger.

Les deux pays qui sont l’objet des présents accords contribuent significativement à ces flux :

– en 2016, les institutions luxembourgeoises ont versé 270,2 millions d’euros au système de sécurité sociale français (le Luxembourg est le premier pays pour ces paiements à la France) ; dans l’autre sens, 11,8 millions d’euros ont été versés par la France soit directement à des institutions luxembourgeoises, soit à des assurés français au titre du remboursement de soins payés au Luxembourg ;

– la même année, les institutions suisses ont versé 31,9 millions d’euros au système de sécurité sociale français ; dans l’autre sens, 45,4 millions d’euros ont été versés à des institutions suisses ou à des assurés sociaux français soignés en Suisse (dont 26,4 millions dans le cadre de la coordination de sécurité sociale centralisée : c’est ce montant qui peut être comparé aux 31,9 millions de flux dans l’autre sens, les remboursements directs éventuels des caisses suisses à leurs affiliés soignés en France n’étant par construction pas connus des autorités françaises).

La différence entre flux entrants et sortant en matière de financement de soins étant particulièrement importants vis-à-vis du Luxembourg, ce pays a été en 2016 le premier « contributeur », devant le Royaume-Uni, à l’excédent français sur les échanges de soins de santé, qui rend compte de l’attractivité de notre système de soins.

Principaux soldes de paiements dans le cadre de la coordination européenne de sécurité sociale

(pour 2016, en millions d’euros)

Source : rapport statistique pour l’exercice 2016 du Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale (CLEISS).

Cette situation s’explique vraisemblablement par le nombre important de travailleurs frontaliers qui se font soigner en France en étant pris en charge par la sécurité sociale luxembourgeoise et par l’attraction que représentent pour les habitants du Luxembourg les tarifs des professionnels de santé français, bien plus modérés que dans leur pays, d’autant que la « directive santé » leur permet d’obtenir le remboursement de ces prestations. Il apparaît également que des Luxembourgeois bénéficient en France de soins lourds que le système hospitalier local n’offre pas, tels que des transplantations.

3.   Deux pays à très haut niveau de vie et de salaires

Le Luxembourg et la Suisse sont en effet deux pays à très haut niveau de vie. Comme le montre le graphique ci-après, la richesse par habitant est sensiblement 2,5 fois plus élevée au Luxembourg qu’en France. L’écart est un peu moindre avec la Suisse, mais tout de même très conséquent. Cela crée un contexte très différent pour les relations transfrontalières de celui qui existe pour celles avec les autres pays limitrophes de la France, avec lesquels les écarts de richesse restent assez faibles.

Écarts de PIB par habitant des pays limitrophes par rapport à la France, en %

(estimations FMI pour 2018)

En PPA : en parité de pouvoir d’achat.

Source : graphique élaboré à parti des données du Fonds monétaire international, World Economic Outlook Database, avril 2018.

On voit que les écarts de PIB par habitant en parité de pouvoir d’achat, qui constituent un bon indicateur du niveau de vie, sont relativement limités entre la France et quatre de ses voisins, l’Italie, l’Espagne, la Belgique et l’Allemagne : on est dans une fourchette de – 13 % à + 16 % par rapport à notre pays.

En revanche, la situation est très différente s’agissant de la Suisse et du Luxembourg. Pour ces deux pays, deux données sont présentées : le PIB peut être exprimé en parité de pouvoir d’achat (PPA), ce qui permet de rendre compte des différences de niveaux de vie, mais aussi à taux de change courant.

On voit que l’avantage de la Suisse par rapport à la France est alors bien plus considérable : il passe de + 39 % en PPA à + 93 % à taux courant. Cela provient du fait que le taux de change effectif entre l’euro et le franc suisse n’est pas ajusté au pouvoir d’achat des deux monnaies (la vie nous paraît très chère en Suisse). Si la mesure en PPA est pertinente pour rendre compte des écarts de niveaux de vie des habitants des pays, la mesure à taux courant est intéressante pour l’analyse des mouvements de travailleurs transfrontaliers, les « frontaliers », car ceux-ci perçoivent un salaire suisse (ou luxembourgeois), mais, vivant en France, bénéficient du coût de la vie français, donc du change à taux courant. L’ampleur de l’écart de PIB entre la France et la Suisse à taux courant explique largement l’attractivité très grande du travail frontalier en Suisse.

L’écart de PIB par habitant du Luxembourg à la France est encore plus important. Là-aussi, on peut le mesurer en PPA ou à taux courant, bien que les deux pays aient l’euro en partage, car le « coût de la vie » y est différent. Quel que soit l’indicateur que l’on prend, on voit que l’écart est de l’ordre de 150 %.

a.   Première conséquence : le nombre particulièrement élevé de travailleurs transfrontaliers

La prospérité exceptionnelle du Luxembourg et de la Suisse se traduit par des rémunérations très élevées proposées aux travailleurs. Elle se conjugue aussi avec des taux de chômage qui demeurent très enviables : selon les dernières données de l’été 2018, à peine plus de 5 % au Luxembourg et 2,4 % en Suisse !

On comprend donc que ces deux pays attirent en très grand nombre des travailleurs dits frontaliers ou transfrontaliers qui y exercent leur emploi tout en résidant dans les pays voisins. En 2012, l’INSEE estimait à environ 360 000 le nombre de résidents français travaillant dans un pays frontalier. Comme on le voit sur le graphique ci-après, la Suisse et le Luxembourg sont à la fois les deux pays attirant le plus grand nombre de frontaliers venant de France et où ce nombre évolue le plus à la hausse.

Source : « Dynamiques de l’emploi transfrontalier en Europe et en France – Fiche d’analyse de l’Observatoire des territoires 2017 »

● Si l’on se place du point de vue de nos voisins, pour 2016 l’Office fédéral de la statistique de la Suisse considérait que le pays employait 318 500 travailleurs transfrontaliers, dont 175 000, soit près de 55 %, résidaient en France. La France était donc de loin le premier pays de résidence de ces transfrontaliers, loin devant l’Italie (23 % des effectifs) et l’Allemagne (19 %).

Cet état de fait est lié à l’attraction du bassin lémanique et en particulier de la ville de Genève. La région lémanique suisse emploie 119 000 travailleurs transfrontaliers (qui a priori résident en France sauf rares exceptions). Certains de ces « résidents français » travaillant en Suisse sont d’ailleurs de nationalité helvétique : 40 000 Suisses vivraient dans l’Ain et la Haute-Savoie ([10]) .

Au-delà des différences de salaires ou de taux de chômage évoquées plus haut, cette situation s’explique par la géographie. Il est en effet commun que, dans les agglomérations, les « villes-centre » concentrent les emplois tandis que les périphéries sont à dominante résidentielle. Or, Genève est de fait une ville-centre dont la périphérie se trouve en France. Le canton de Genève concentre 490 000 habitants sur 282 km2, ce qui donne une densité très élevée de près de 2 000 personnes au km2. Cette population très dense ne suffit pourtant pas à pourvoir tous les emplois offerts : elle n’occupe qu’environ 60 % des 340 000 emplois existant dans le canton. Genève a donc besoin des travailleurs transfrontaliers et ceux-ci proviennent un peu du reste de la Suisse, mais surtout du territoire français, car la ville y constitue une quasi-enclave : le canton a 103 kilomètres de frontières avec la France pour 4 avec le reste de la Confédération (canton de Vaud) !

La situation est comparable pour Bâle, ville-centre située en Suisse d’une agglomération qui déborde au-delà du territoire helvétique : les deux cantons de Bâle-Ville et Bâle-Campagne concentrent 480 000 habitants et 340 000 emplois, dans une agglomération estimée au total à environ un million d’habitants. Ce qui fait la spécificité de cette agglomération, c’est son caractère trinational, puisqu’elle déborde à la fois sur la France et l’Allemagne. En 2016, les deux cantons faisaient travailler 31 000 frontaliers français et 34 000 allemands.

Entre Genève et Bâle, l’arc jurassien est également concerné par l’emploi transfrontalier, avec des effectifs moindres, mais provenant aussi de zones de montagne moins densément peuplées. Fin 2017, l’INSEE dénombrait plus de 34 000 Bourguignons-Franc-Comtois exerçant une activité en Suisse, dont près de 25 000 résidents du département du Doubs, qui partage 170 kilomètres de frontière avec la Suisse.

● Le Luxembourg dépend de même massivement des mouvements de travailleurs transfrontaliers : pour un peu plus de 600 000 habitants dans le pays (dont 48 % d’étrangers !), on décomptait fin 2017 près de 184 000 transfrontaliers, qui occupaient donc plus de 43 % des près de 420 000 emplois du pays. Comme dans le cas de la Suisse, la France fournit les plus gros effectifs de transfrontaliers au Luxembourg (51 % du total, soit 95 000 personnes), devant la Belgique et l’Allemagne (24 % chacune).

● Le développement de l’emploi transfrontalier pour les résidents des zones frontalières de la Suisse et du Luxembourg est patent sur la carte ci-après. On constate que c’est dans ces zones que la proportion de résidents actifs travaillant à l’étranger est la plus élevée, très souvent supérieure à 25 %, voire dépassant parfois les 50 %.

Part de l’emploi transfrontalier dans la population active des zones frontalières

Source : « Dynamiques de l’emploi transfrontalier en Europe et en France – Fiche d’analyse de l’Observatoire des territoires 2017 »

Ce développement de l’emploi transfrontalier en Suisse et au Luxembourg s’accompagne en général d’un bon dynamisme démographique des secteurs concernés. À titre d’exemple, l’intercommunalité du département de l’Ain dont la population a augmenté le plus vite entre 2010 et 2015 (3,2 % par an en moyenne selon l’INSEE) est celle du Pays de Gex ; en Haute-Savoie, c’est celle du Genevois (4 % par an) : ce sont des territoires frontaliers du canton de Genève.

b.   Seconde conséquence : des différences considérables quant aux coûts de la santé et aux rémunérations des professionnels

Le second corollaire de la richesse très grande du Luxembourg et de la Suisse, c’est le niveau très élevé des rémunérations  – qu’il s’agisse de salaires ou de tarification à l’acte pour les libéraux – qui y sont proposées aux personnels médicaux et paramédicaux. Dans les deux pays, on est le plus souvent à des niveaux qui représentent au moins 2,5 fois la norme française.

Ces niveaux très élevés de rémunération signifient aussi, ipso facto, des coûts des soins deux ou trois fois plus élevés.

Une telle situation constitue bien sûr une opportunité pour des professionnels installés en France dans des spécialités mal prises en charge par les assurances sociales, quel que soit le pays, par exemple des dentistes : leurs tarifs sont très attractifs pour des patients venus de Suisse ou du Luxembourg.

i.   Un facteur aggravant de la crise de la démographie médicale pour les territoires frontaliers

Mais l’on assiste aussi à une attraction considérable des professionnels de santé français en direction des deux pays, ce qui accentue la crise de la démographie médicale que connaissent, comme bien d’autres territoires français, certains territoires frontaliers, pourtant caractérisés, comme on l’a dit, par une forte croissance de leur population qui ne rend que plus criante la présence insuffisante des professionnels de santé.

Les auditions ont montré que le voisinage avec le Luxembourg ou encore la région genevoise était souvent vécu par les acteurs du côté français comme un risque : nos voisins peuvent être perçus comme puisant dans les ressources humaines médicales et paramédicales (personnel infirmier, kinési- et ergothérapeutes…) françaises avec leur capacité à offrir à la fois des rémunérations très élevées et des conditions de travail attrayantes dans des établissements modernes et très bien équipés. Le ressenti est que l’on peut dépenser sans compter d’un côté de la frontière, tandis que, côté français, les restructurations hospitalières se font dans un cadre budgétaire très contraint. S’y ajoutent des critiques sur le manque de réciprocité dans les relations : nos partenaires sont présentés comme développant une offre hospitalière très performante grâce à leurs moyens financiers, puis y attirant les meilleurs professionnels français, pour ensuite proposer à la France de rentabiliser leurs équipements en y envoyant ses patients, le tout sans réciprocité.

La question de l’attraction de nos voisins pour les personnels de santé formés en France est suffisamment prégnante dans la région lémanique pour que, dans le cadre de la commission santé du Comité régional franco-genevois (l’une des deux grandes instances de coopération transfrontalière de la région), ait été institué un « observatoire franco-genevois des personnels de santé » qui a recueilli et publié ([11]) des données de part et d’autre de la frontière sur les personnels de santé.

Le premier bilan effectué est en effet très parlant.

– selon les statistiques du canton de Genève pour 2014, 35 % des diplômés employés par les Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) étaient d'origine française. Au niveau des infirmiers, la proportion était de 67 % ; pour les aides-soignants, elle était de 37 % ;

– en 2016, les HUG employaient 2 243 infirmiers français, qui résidaient principalement en Haute-Savoie (à 87 %) ;

– le taux d’infirmiers français serait même de 75 % dans le secteur privé genevois (en 2016).

– les hôpitaux de Haute-Savoie connaissent un taux important de postes vacants avec une grande proportion de faisant-fonction sur les postes d’infirmiers spécialisés et d’aides-soignants (alors que les HUG fonctionnent en quasi plein emploi) ;

– le turn-over annuel des effectifs infirmiers est élevé dans ces établissements. D’après des données de 2015 ou 2016, il serait globalement de 25 % pour le centre hospitalier Annecy-Genevois (CHANGE) et 21 % pour le centre hospitalier Alpes-Léman, contre 4 % aux HUG. Dans la spécialité technique « bloc opératoire », on aurait même un turn-over de 103 % au CHANGE contre 3 % aux HUG !

– les titulaires de la fonction publique hospitalière en France peuvent se mettre en disponibilité dix ans (sans perdre leur statut) pour partir travailler en Suisse et même être titularisés à Genève dans un autre établissement public au bout de deux ans. De plus, les jeunes diplômés infirmiers français ont la possibilité de valider leurs deux ans obligatoires en équipe de soins généraux en Suisse ;

– les établissements français susmentionnés ont vu 20 % de leur effectif d’infirmiers partir en 2015 (455 départs dont 154 liés à une mise en disponibilité) et 19 % de leur effectif d’aides-soignants (281 départs dont 52 pour mise en disponibilité) ;

– de plus, ces personnels en disponibilité peuvent exercer leur droit de retour, ce qui peut entraîner aussi des difficultés de gestion, même si ce retour est aussi une ressource appréciable. Les établissements français concernés ont réintégré ainsi, en 2014 et 2015, 142 infirmières et 62 aides-soignantes.

Le déplacement du groupe de travail à Genève n’a pas permis de recevoir de réponse pleinement satisfaisante face à cette problématique. Les responsables des HUG font valoir que le taux de frontaliers français employés par l’établissement, de l’ordre d’un tiers du total des effectifs, correspond au taux global d’emploi de frontaliers dans l’économie genevoise. De plus, le canton a mis en place un dispositif de « préférence indigène » (complété par le dispositif fédéral résultant de la votation de 2014) qui oblige les employeurs à diffuser d’abord leurs offres d’emploi au bénéfice des demandeurs d’emploi qui résident localement et les organismes publics et semi-publics à privilégier à compétences égales les candidats présentés par l’Office cantonal de l’emploi. Cependant, ce dispositif, qui a apparemment un certain impact pour l’emploi des aides-soignants, en aurait beaucoup moins pour celui des personnels infirmiers, car l’emploi infirmier global augmente de plus de 3 % par an à Genève et les capacités locales de formation ne suffisent pas à faire face à cette évolution.

Dans le secteur bâlois, la situation est différente de celle de Genève : l’hôpital universitaire de Bâle n’emploie que 433 personnes résidant en France, soit environ 6 % de ses effectifs. Les collaborateurs résidant en Allemagne sont six fois plus nombreux, notamment pour des raisons linguistiques, Bâle étant germanophone.

ii.   Des réticences de la part des autorités françaises pour la prise en charge de soins transfrontaliers coûteux

Une dernière conséquence du niveau des coûts de santé en Suisse et au Luxembourg réside dans la réticence des autorités françaises, notamment celles en charge de l’assurance maladie, à s’engager dans des accords transfrontaliers impliquant la prise en charge par les budgets français de soins dispensés dans ces pays.

4.   Les spécificités des relations avec la Suisse

Plusieurs membres de la commission des affaires étrangères s’étaient étonnés, lors de la première réunion sur le présent projet de loi le 7 février 2018, du choix du Gouvernement de réunir dans le même projet de loi les accords-cadres avec le Luxembourg et la Suisse, alors que le premier de ces pays appartient à l’Union européenne et non le second. La même observation a été entendue plusieurs fois au cours des auditions du groupe de travail. Effectivement, la non-appartenance de la Suisse à l’Union européenne ainsi que son caractère fédéral sont des éléments spécifiques à prendre en compte dans la mise en place des coopérations sanitaires locales.

a.   Les conséquences de la non-appartenance à l’Union européenne

La Suisse n’appartient pas à l’Union européenne, ni même à l’Espace économique européen (Union + Norvège, Islande et Liechtenstein), dans lequel doivent s’appliquer automatiquement un certain nombre de dispositions de l’Union permettant de garantir la mise en œuvre des « quatre libertés » du marché unique et tout l’acquis communautaire allant avec.

Cela signifie que l’intégration entre l’Union et la Suisse, qui est en pratique très poussée, repose sur une collection d’accords bilatéraux qui reprennent, mais avec des aménagements spécifiques, les règles européennes.

De ce fait, comme on l’a vu, la Suisse est intégrée à la coordination européenne de sécurité sociale – élément déterminant de la mobilité intra-européenne, puisqu’elle permet notamment d’accéder partout à des soins d’urgence pris en charge –, mais ne reconnaît pas la « directive santé » de 2011. Encore l’application de la coordination de sécurité sociale fait-elle l’objet d’amendements négociés, dont le principal est l’ouverture d’un droit d’option pour l’affiliation sociale des travailleurs transfrontaliers, dont les enjeux sont développés infra.

D’autres spécificités et dissymétries sont signalées. Par exemple, conformément au droit européen, la sécurité sociale française prend en charge tous les frais de santé « nécessaires » de ses affiliés en Suisse ; dans l’autre sens, les Suisses se limitent à l’urgence stricte.

Un autre problème concerne les accidents de la vie : les salariés en Suisse, même affiliés à la sécurité sociale française, sont assurés par leur employeur pour les accidents, assurance qui couvre à la fois les accidents du travail et ceux de la vie privée, mais avec une définition plus restreinte de la notion d’accident (ne couvrant pas les troubles de type lombalgie assimilés en France aux accidents du travail). Les assurances suisses délivrent aux travailleurs transfrontaliers un formulaire permettant, après une prise en charge dans le pays de résidence (France), un remboursement par elles. Mais il semble qu’en pratique, les caisses primaires d’assurance maladie françaises soient mal organisées pour la mise en œuvre de cette procédure, ce qui conduit souvent à ce que les frais restent finalement à leur charge et/ou à celle des patients, alors qu’ils devraient être couverts par l’assurance suisse.

D’autres difficultés sont relevées en cas de maladie de longue durée avec prise en charge dépassant deux ans (limite des assurances suisses en maladie) : les gens se retrouvent alors sans ressources compte tenu des délais d’instruction très longs de l’assurance invalidité suisse.

b.   La question spécifique du droit d’option pour l’affiliation

Alors que le droit commun européen est l’affiliation sociale dans le pays d’exercice de l’emploi, l’accord négocié par l’Union européenne avec la Suisse sur la libre circulation des personnes, en date du 21 juin 1999, permet aux travailleurs transfrontaliers de choisir entre l’affiliation dans le pays d’emploi ou dans celui de résidence.

Dans ce contexte se sont développées côté français des offres d’assurances privées à destination des frontaliers. La sécurité sociale a interdit ces assurances privées à partir du 1er juin 2014 (avec une période de transition d’un an pour les contrats en cours), laissant seulement le choix entre les deux options prévues par l’accord entre l’Union et la Suisse : soit l’assurance-maladie française avec son régime unique (la « CMU »), soit l’assurance-maladie suisse dans le système « LAMal » (qui fixe des règles communes mais permet la liberté de choix entre les assureurs).

Suite à cette décision, de très nombreux frontaliers ont été affiliés à l’assurance maladie française, ce qui a fréquemment été mal vécu, car ce changement a représenté souvent en même temps une augmentation des cotisations et une baisse des prestations. De plus, cette évolution a également eu un impact négatif sur le budget des hôpitaux de la zone frontalière – évalué à 3 millions d’euros pour celui de Pontarlier – car les assurances privées rémunéraient mieux certains actes. Elle a également impacté les établissements situés en Suisse, car les assurances privées couvraient les soins en Suisse beaucoup plus largement que ne le fait notre sécurité sociale.

Par ailleurs, il est apparu qu’il existait beaucoup de cas de double affiliation de droit, car de nombreuses personnes concernées par l’affiliation côté français n’avaient pas formellement demandé à être exemptées de l’assurance suisse ; or, le Tribunal fédéral suisse a jugé que le dépôt d’une demande d’exemption était obligatoire.

Pour régler ces cas, les deux pays ont conclu le 7 juillet 2016 un accord « concernant la possibilité d’exemption de l’assurance-maladie suisse ». Cet accord dispose que l’option pour l’assurance-maladie française est « définitive et irrévocable » et ne peut être remise en cause qu’en raison de changements de situation limitativement énumérés : entrée en emploi ou reprise d’emploi en Suisse, prise de domicile en France, retraite… Il règle également les situations d’affiliation simultanée :

– l’exemption de l’obligation d’assurance en Suisse, en raison d’une affiliation en France, pouvait être exercée du 1er octobre 2016 au 30 septembre 2017 ;

– les personnes assurées en Suisse souhaitant le rester peuvent obtenir, sans limitation de délai, d’être radiées de l’assurance-maladie française.

Enfin, des frontaliers affiliés d’autorité à l’assurance française alors qu’ils s’étaient affiliés en Suisse ont été l’objet de poursuites pour non-paiement de leurs cotisations, avec des enjeux pouvant atteindre parfois plusieurs dizaines de milliers d’euros compte tenu des arriérés et des pénalités. L’accord précité de 2016 a réglé le problème pour l’avenir en rouvrant le droit d’option, mais il n’est pas rétroactif, de sorte qu’il n’a pas éteint les litiges portant sur l’affiliation – donc les cotisations dues ou non – pour les périodes antérieures.

Les contentieux ([12]) engagés par des frontaliers poursuivis par l’assurance maladie française ont débouché en mars 2018 sur un arrêt de principe de la Cour de cassation ([13]), lequel a réaffirmé le principe de base de la primauté de l’affiliation dans le pays d’emploi : « la personne résidant en France qui est affiliée à l’assurance maladie obligatoire en Suisse au titre de l’activité qu’elle exerce dans cet État, ne peut être affiliée au régime français de sécurité sociale ou, en tout cas, doit en être radiée dès qu’elle le demande, peu important l’antériorité de son affiliation au régime français ».

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé, a déclaré le 20 mars 2018 au Sénat, suite à cet arrêt, qu’« afin de solder cette situation et souhaitant rassurer l’ensemble des frontaliers, les autorités compétentes françaises vont demander à la Caisse nationale d’assurance maladie et à l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale de prendre en compte la décision de la Cour de cassation en reconnaissant la radiation à la date d’affiliation en Suisse, en restituant les cotisations sociales perçues sur la période considérée (…) et en abandonnant les mises en demeure auprès des frontaliers qui ne s’étaient pas acquittés de leurs cotisations ».

Comme on le voit, ce qui semblait une dérogation avantageuse au droit européen – la possibilité de choisir entre l’affiliation dans le pays d’emploi ou de résidence – a conduit à de multiples difficultés et litiges. Le groupe de travail espère maintenant que les engagements d’apaisement et de réparation pris par le Gouvernement après l’arrêt de la Cour de cassation seront rapidement tenus.

Recommandation : veiller à ce que le Gouvernement tienne les engagements qu’il a pris après l’arrêt du 15 mars 2018 de la Cour de cassation, à savoir demander aux organismes de sécurité sociale français de reconnaître la radiation des frontaliers concernés à leur date d’affiliation en Suisse, restituer en conséquence les cotisations sociales perçues sur la période considérée et/ou abandonner les poursuites relatives à ces cotisations.

c.   La structure fédérale

Le nom officiel de notre voisin alpin est « Confédération suisse » et ce n’est bien sûr pas anodin. Le fédéralisme est perçu comme consubstantiel de l’identité suisse, ce que les membres du groupe de travail ont pu constater encore lors d’une de leur déplacements en Suisse où une présentation graphique élaborée à leur intention insistait sur la différence entre la France, vue comme un pays où tout descend du haut, et la Suisse, où la légitimité remonte des communes vers l’État fédéral via les cantons et où s’impose le principe de subsidiarité.

En matière de santé, la répartition des compétences est la suivante.

● Les cantons sont responsables de l’offre de soins, notamment de la planification hospitalière. Ils sont également responsables des négociations tarifaires pour les coûts d’hospitalisation ([14]) et déterminent le « subside d’assurance-maladie » qu’ils versent aux assureurs maladie pour réduire, sous condition de revenu, le coût des cotisations de leurs citoyens.

● Mais il y a au niveau fédéral des lois sur l’assurance maladie obligatoire et diverses législations de santé (sur la recherche, les professions médicales, la transplantation, etc.), ainsi que des stratégies nationales de santé publique (par exemple sur le cancer, les soins palliatifs, les maladies rares, etc.).

Il existe en particulier au niveau fédéral un cadre législatif pour la coopération sanitaire transfrontalière, ou du moins certains de ses éléments. L’article 36a de l’ordonnance (fédérale) sur l’assurance-maladie traite de la prise en charge par les assurances maladie suisses de prestations « fournies à l’étranger, dans des zones frontières, à des personnes résidant en Suisse ». Des « programmes de coopération transfrontalière » à cette fin peuvent être autorisés par l’Office fédéral de la santé publique, sous réserve qu’ils répondent à un certain nombre de conditions (notamment le non-dépassement des tarifs pratiqués en interne dans les cantons concernés). Il appartient aux cantons frontaliers et aux assureurs maladie de demander conjointement cette autorisation.

● Enfin, il y a aussi un échelon intermédiaire « intercantonal » : les cantons doivent planifier en commun l’offre dans la médecine hautement spécialisée.

Dans ce contexte se pose la question de l’interlocuteur pertinent pour développer des coopérations sanitaires transfrontalières. Pour ce qui est de la compétence juridique, l’accord-cadre désigne comme autorités en charge de la mise en œuvre de la coopération transfrontalière à la fois les cantons frontaliers et l’Office fédéral de la santé publique. Toutefois, le protocole d’application confie la signature des conventions locales de coopération aux seuls cantons.

Dans la pratique, il apparaît que les cantons seront bien l’échelon pertinent pour le développement des coopérations transfrontalières, compte tenu de l’importance de leurs compétences et plus généralement du mode de fonctionnement de la démocratie locale en Suisse.

En pratique, chaque canton a sa propre politique hospitalière. La fusion administrative des établissements hospitaliers des cantons de Bâle-Ville et Bâle-Campagne, qui est en cours, est manifestement un dossier politique complexe qui sera d’ailleurs soumis à referendum dans les deux cantons. Les tarifs négociés avec les établissements locaux sont souvent très différents pour les résidents du canton et ceux des autres cantons (a fortiori pour les personnes résidant à l’étranger, fussent-elles travailleurs frontaliers et parfois de nationalité suisse). L’application des règles relatives aux assurances sociales est également très variable selon les cantons, notamment sur le sujet délicat de la vérification de l’exercice du droit d’option en matière d’affiliation pour les travailleurs frontaliers. Enfin, la montée en puissance de mouvements politiques centrés sur la défense des intérêts locaux, comme le Mouvement citoyens genevois, ne fait que renforcer ce tropisme « cantonal ».

 


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IV.   les recommandations du groupe de travail

L’expérience des relations avec nos voisins belges, allemands et espagnols montre que l’existence d’accords-cadres sur la coopération sanitaire transfrontalière n’est pas une condition strictement nécessaire pour que celle-ci existe, mais permet dans une certaine mesure d’accélérer sa mise en place.

Avec le Luxembourg et la Suisse, les différences très fortes de niveaux de vie, salaires et coûts de santé, ainsi que la non-appartenance à l’Union européenne s’agissant de la seconde, constituent un facteur supplémentaire de complexité tout en rendant encore plus nécessaires les coopérations transfrontalières, compte tenu de l’ampleur des flux de travailleurs transfrontaliers.

Il faut donc s’interroger sur les outils à mettre en place pour obtenir des résultats concrets sur le terrain.

A.   Les conditions d’un dévelopement réel des coopérations locales

Les auditions du groupe de travail ont fait ressortir plusieurs enjeux récurrents qui conditionneront une application efficace des accords-cadres.

1.   Mieux informer les assurés, les patients et les professionnels

Une exigence préalable portée notamment par les associations représentant les frontaliers est celle de l’information.

Cette exigence d’information est primordiale lorsque l’on se place dans l’objectif fondamental du meilleur service rendu aux personnes. Les associations soulignent que souvent, faute de maîtrise suffisantes de règles forcément compliquées, les personnes, notamment les travailleurs transfrontaliers, ne font pas valoir pleinement leurs droits, ou bien que sont prises en charge par la sécurité sociale française des prestations qui pourraient être reportées, par exemple, sur une assurance maladie privée suisse.

La question de l’information se pose par ailleurs avec une particulière acuité pour les frontaliers travaillant en Suisse qui ont la liberté de choisir entre être assurés pour la maladie par la sécurité sociale française ou par le système suisse, étant précisé que s’ils choisissent la seconde option, ils devront encore faire le choix d’un assureur privé entre tous ceux qui sont habilités à fournir l’assurance maladie légale « LAMal » – les primes mensuelles demandées par ces prestataires pouvant varier du simple au quadruple, par exemple à Genève pour un frontalier français entre 343 francs suisses et 1 240, selon les services et avantages offerts.

Le choix entre les systèmes français et suisse pour l’affiliation est d’autant plus stratégique qu’il est « irrévocable » et que les deux systèmes sont très différents :

– le système français repose sur des cotisations calculées sur le revenu global (revenu fiscal de référence), au taux de 8 % au-dessus d’une franchise de base, et offre une couverture non seulement à l’affilié mais aussi à ses ayants-droits ;

– le système suisse repose sur des primes forfaitaires élevées (au minimum environ 340 francs suisses par mois), avec de plus l’obligation d’assurer individuellement en plus tous les membres de la famille, mais permet aussi un accès aux soins complet des deux côtés de la frontière et une meilleure prise en charge.

Les frontaliers doivent ainsi arbitrer en fonction de leurs revenus, de leurs charges de famille et de leur état de santé, en tenant compte de leurs perspectives à moyen terme vu l’irrévocabilité du choix, qui est donc très complexe.

On trouve déjà en ligne un certain nombre d’informations, voire d’outils d’aide à la décision en matière d’affiliation, diffusés soit par l’assurance maladie et en particulier des caisses primaires comme celle de Haute-Savoie, soit par des associations de frontaliers. Mais des progrès restent manifestement à faire à l’assurance maladie, qui n’est pas pour le moment en mesure d’offrir le même niveau d’information que les associations spécialisées.

Recommandation : améliorer l’information de tous les habitants – travailleurs frontaliers ou non – et des professionnels de santé des régions frontalières sur leurs droits et opportunités en matière d’affiliation et d’accès éventuel à des soins de santé transfrontaliers. Les caisses primaires d’assurance maladie des départements frontaliers doivent s’organiser pour diffuser une information pertinente et être en mesure de répondre aux interrogations des usagers.

2.   Associer les citoyens, les professionnels et les élus à la définition des priorités

L’usager, ou plutôt le patient en l’espèce, doit être placé au centre du dispositif. Ceci implique de l’informer et de le conseiller au mieux, mais cela ne suffit pas. Il doit être consulté sur ce qu’il attend du développement des coopérations transfrontalières, sur ce qui lui paraît prioritaire, puis être associé aux choix effectués.

Les professionnels de santé et les élus doivent également être entendus.

C’est pourquoi le groupe de travail recommande la constitution de commissions d’usagers, de professionnels et d’élus dans les bassins de vie frontaliers.

Ils souhaitent également que la tâche engagée par le groupe de travail puisse être poursuivie dans le cadre de la Représentation nationale, car il faudra un suivi au niveau politique du développement des coopérations sanitaires dans les territoires.

Enfin, les deux accords-cadres instituent l’un et l’autre une « commission mixte » chargée de suivre leur application. Il serait souhaitable que des élus, territoriaux et/ou nationaux, puissent y être associés.

Recommandations :

– constituer des commissions d’usagers, de professionnels de santé et d’élus des territoires dans les bassins de vie frontaliers, chargées de contribuer à la mise en place et au suivi des conventions locales de coopération sanitaire transfrontalière  ;

– poursuivre dans le cadre de la Représentation nationale la tâche engagée par le groupe de travail, afin d’assurer un suivi au niveau politique du développement des coopérations sanitaires dans les territoires ;

– associer des élus territoriaux et/ou nationaux aux commissions mixtes de suivi instituées par les deux accords-cadres.

3.   Mobiliser les administrations sur les enjeux transfrontaliers

L’analyse des accords-cadres et les auditions du groupe de travail ont mis en lumière plusieurs « bizarreries » ou insuffisances dans le pilotage administratif des coopérations sanitaires transfrontalières.

a.   L’administration centrale

An niveau national, il semble que celles-ci ne constituent guère une priorité. Un seul cadre les suit spécifiquement au ministère des solidarités et de la santé (au bureau « politiques et relations européennes » de la délégation aux affaires européennes et internationales).

b.   Les agences régionales de santé

Dans les territoires, ce sont au premier chef les agences régionales de santé (ARS) qui devront faire vivre les coopérations transfrontalières. Elles en sont chargées par les accords-cadres. Cependant, leur implication apparaît inégale en pratique :

– la loi dispose que les ARS concernées par un accord-cadre de coopération transfrontalière traitent les questions transfrontalières dans leur projet régional de santé (PRS) ([15]). En pratique, l’intégration du volet transfrontalier dans les PRS pluriannuels élaborés en 2018 est inégale : l’ARS de Bourgogne-Franche-Comté y a consacré un document très complet d’une vingtaine de pages comprenant un état des lieux des coopérations existantes, un repérage des enjeux et problématiques et l’identification de pistes précises (projets concrets) de développement ; celle du Grand-Est a également produit un document, un peu plus succinct ; ce n’est en revanche pas le cas en Auvergne-Rhône-Alpes ;

– en termes d’organisation, certaines ARS ont désigné précocement dans leur équipe de direction des cadres spécialement chargés de suivre les questions transfrontalières, d’autres sont moins avancées dans cette démarche et font reposer la gestion de ces questions sur les délégués départementaux qu’elles ont dans les départements frontaliers.

Les différences de comportement entre ARS sont telles qu’un interlocuteur suisse a pu expliquer avoir parfois l’impression que la France était un État fédéral lorsqu’il s’adressait aux différentes agences…

Il est bien sûr impératif que toutes les ARS frontalières intègrent un volet transfrontalier à leur projet régional de santé et se dotent d’un cadre de haut niveau en charge de son suivi.

À cet égard, l’entrée en vigueur des accords-cadres avec le Luxembourg et la Suisse sera réellement un « plus », car, comme on l’a vu, la loi impose un volet transfrontalier dans le projet régional de santé dès lors qu’il y a un tel accord. L’adoption du présent projet de loi aura donc pour effet d’obliger à cette démarche l’ARS d’Auvergne-Rhône-Alpes (alors qu’actuellement son ressort n’est frontalier d’aucun partenaire avec lequel un accord-cadre est en vigueur, car il n’en existe pas avec l’Italie et celui avec la Suisse n’est pas en vigueur).

Plus généralement, il semble que la constitution des « grandes régions » ait souvent affaibli la gouvernance des ARS, qui doit être renforcée. Le développement de la dimension transfrontalière de leur action pourrait également être favorisé par :

– une interaction plus forte avec les préfectures de région, celles-ci étant dotées de conseillers diplomatiques potentiellement utiles pour la gestion de relations internationales ;

– la création d’un cadre (par exemple des réunions régulières) d’échange de bonnes pratiques en matière de coopérations transfrontalières, afin que les ARS les plus avancées dans ce domaine puissent partager leur expérience avec les autres et que les pratiques soient harmonisées.

Recommandations :

– veiller à ce que chaque ARS frontalière intègre un volet transfrontalier à son projet régional de santé ;

– veiller à ce que chaque ARS frontalière désigne un cadre de haut niveau référent pour les coopérations transfrontalières ;

– développer les interactions entre ARS et préfectures de région afin de mobiliser les conseillers diplomatiques de celles-ci sur les problématiques sanitaires transfrontalières ;

– instituer un cadre d’échange de bonnes pratiques en matière de coopérations transfrontalières, afin que les ARS les plus avancées dans ce domaine puissent partager leur expérience avec les autres et que les pratiques soient harmonisées.

c.   Les caisses primaires d’assurance maladie

Les deux accords-cadres et/ou leurs accords d’application désignent chacun une seule caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) en quelque sorte responsable de leur mise en œuvre.

Ainsi l’article 1er de l’accord d’application avec le Luxembourg dispose-t-il que les conventions de coopération s’inscrivant dans l’accord cadre seront conclues par la CPAM de Moselle « en tant que CPAM référente pour cette zone frontalière ».

L’article 8 de l’accord-cadre avec la Suisse désigne comme responsable de sa mise en œuvre la CPAM de Haute-Savoie « pour le compte des organismes français de sécurité sociale ». Le protocole d’application avec la Suisse charge donc cette CPAM de conclure les conventions de coopération.

D’après les explications données durant les auditions, ce choix chaque fois d’une CPAM référente est lié au mode de fonctionnement de l’assurance maladie, qui a pris l’habitude de concentrer sur telle ou telle CPAM les missions un peu particulières, pour des raisons de technicité.

Cependant, si la désignation d’une CPAM référente unique peut se comprendre s’agissant du Luxembourg, dont la frontière avec la France est assez courte et ne touche que deux départements (Moselle et Meurthe-et-Moselle), elle est plus étrange s’agissant de la Suisse, dont la frontière avec notre pays est longue de près de 600 kilomètres et touche six départements dans trois régions. Il convient d’ajouter que l’un de ces départements, le Haut-Rhin, bénéficie d’un régime dérogatoire de « droit local » en matière de sécurité sociale (correspondant à une couche intermédiaire d’assurance maladie complémentaire obligatoire), dont l’existence pourrait affecter les conditions d’éventuels accords dérogatoires locaux en matière de prise en charge des frais de santé. Il ne paraît pas certain que les spécificités du droit local alsacien-mosellan soient parfaitement maîtrisées en Haute-Savoie.

Le choix de la CPAM de Haute-Savoie comme unique caisse sociale habilitée à mettre en œuvre l’accord-cadre avec la Suisse et donc à signer d’éventuelles conventions locales n’est donc pas satisfaisant.

La réponse optimale à cette situation consisterait dans la négociation d’avenants à l’accord-cadre et au protocole d’application avec la Suisse pour les amender.

A défaut de mise en œuvre de cette option assez lourde, il faut qu’il soit clair que le rôle de « référence » de la CPAM de Haute-Savoie doit s’accompagner d’une véritable implication des CPAM des autres départements frontaliers, qui devront être associées aux coopérations transfrontalières locales dans leur ressort et être en mesure d’informer les usagers sur leurs conséquences. Il existe aussi au niveau des ARS une demande qu’il existe au moins dans le ressort de chaque région une CPAM référente, afin de faciliter la mise en œuvre coordonnée des coopérations transfrontières dans ce ressort.

Ces principes, comme l’ensemble des autres recommandations en matière d’organisation administrative, devront être portés par les autorités politiques, voire faire l’objet de directives claires de la part du ou des ministères compétents.

Recommandations :

– envisager la négociation avec la Suisse d’avenants à l’accord-cadre et au protocole d’application afin de disposer d’au moins une caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) de référence dans chaque région française concernée (Auvergne-Rhône-Alpes, Bourgogne-Franche-Comté et Grand-Est), et non pas de la seule caisse de Haute-Savoie, pour la mise en œuvre des coopérations sanitaires transfrontalières ;

– à défaut de cette négociation, veiller à l’implication des CPAM des autres départements frontaliers, qui devront être fortement associées aux coopérations transfrontalières locales dans leur ressort et être en mesure d’informer les usagers sur leurs conséquences.

4.   Soutenir de manière pérenne les coopérations transfrontalières

Jusqu’à présent, les programmes de coopération transfrontalière ont le plus souvent été financés à l’aide de fonds européens INTERREG, qui ne sont octroyés que pour une durée limitée.

Il serait opportun d’être en mesure de les compléter par des moyens nationaux permettant de prendre des engagements à long terme.

Recommandation : s’assurer de la mise en place d’un soutien national dédié aux coopérations transfrontalières, afin de compléter les financements européens temporaires et d’être en mesure de prendre des engagements à long terme.

5.   Faire de la coopération sanitaire transfrontalière l’un des chantiers du droit à l’expérimentation

L’article 72 de la Constitution habilite le législateur à autoriser les collectivités territoriales à « déroger, à titre expérimental et pour un objet et une durée limités, aux dispositions législatives ou réglementaires qui régissent l’exercice de leurs compétences ». C’est le droit à l’expérimentation.

Le projet de révision constitutionnelle du Gouvernement va plus loin en reconnaissant un droit à la différenciation. Il prévoit la possibilité de confier à des collectivités territoriales l’exercice de certaines compétences à titre dérogatoire (il s’agirait de compétences dont les autres collectivités de la même catégorie ne disposent pas) et élargit les possibilités existantes de dérogation au droit commun en supprimant l’obligation de les instituer seulement à titre expérimental et temporaire.

La création d’une « collectivité européenne d’Alsace » réunissant les deux départements alsaciens devrait s’inscrire dans l’exercice du droit à l’expérimentation, avec une perspective d’élargissement dans le cadre du droit à la différenciation prévu dans le projet de réforme. Dans sa déclaration du 29 octobre 2018 lors de sa rencontre avec les élus d’Alsace, le Premier ministre a mis l’accent sur son « caractère transfrontalier très marqué ». La « déclaration commune en faveur de la création de la collectivité européenne d’Alsace » signée à cette occasion prévoit que celle-ci « sera le chef de file de la coopération transfrontalière, dans le respect des compétences et avec l’accord de chacune des collectivités » et établira un « schéma alsacien de coopération transfrontalière ».

Le domaine sanitaire pourrait constituer l’un des domaines d’exercice de ce rôle moteur reconnu à la nouvelle collectivité en matière transfrontalière.

Recommandation : inscrire la coopération sanitaire dans le champ des domaines où la nouvelle « collectivité européenne d’Alsace » exercera le rôle de chef de file de la coopération transfrontalière qui devrait lui être attribué.

B.   Les thématiques prioritaires

Les auditions et déplacements effectués ont également permis de faire ressortir quelques thématiques prioritaires que devraient traiter les conventions locales de coopération. Celles-ci devront être conçues avec pour objectif premier la qualité et la continuité des soins aux patients, ainsi que la réponse aux besoins exprimés dans les bassins de vie, les perspectives de rationalisation de l’offre de soins ne venant qu’ensuite.

1.   Des sujets prioritaires et assez aisés à traiter : urgences vitales et continuité des soins

Comme on l’a vu, les accords locaux qui existent déjà dans les régions frontalières avec la Belgique et l’Allemagne, mais aussi avec la Suisse, concernent souvent la prise en charge des urgences vitales : il s’agit, dans des situations où le pronostic vital dépend de la rapidité de la prise en charge dans un service doté des équipements nécessaires, d’organiser la possibilité d’un transfert transfrontalier. Ce type d’arrangements est prioritaire, car la vie des personnes est directement en cause, et d’autant plus facile à mettre en place que le nombre de personnes concernées est limité, de sorte que les enjeux financiers afférents le sont aussi. Les arrangements entre services de secours d’urgence et hôpitaux doivent être complétés par des volets plus administratifs et réglementaires concernant le droit des véhicules de secours (y compris les hélicoptères) à traverser les frontières sans délai et l’interopérabilité des dispositifs de communication des services.

Des opportunités précises de nouveaux accords dans ce domaine ont déjà été identifiées. Par exemple, l’ARS de Bourgogne-France-Comté a programmé une réunion avec les Hôpitaux universitaires de Genève pour discuter de la possibilité d’envoyer certaines urgences cardiaques des habitants du Haut-Jura vers Genève, afin de gagner au moins une demi-heure de temps de transport.

La problématique est assez proche quant à l’organisation de la continuité (dans le même pays) de la prise en charge de patients après une première prise en charge, qui là-aussi est une question ne concernant que de petits effectifs de patients.

2.   Un objectif plus ambitieux : construire ensemble une offre de soins coordonnée

À terme, l’objectif devrait être de dépasser les accords sur des sujets ponctuels comme ceux qui existent déjà ou sont envisagés, pour aboutir à une véritable co-planification de l’offre de soins dans les zones frontalières.

On en est encore loin. On constate notamment que la planification hospitalière reste menée de manière générale dans des cadres strictement nationaux. Par exemple, dans la zone frontalière franco-luxembourgeoise, l’agglomération de Thionville est engagée dans un vaste programme de modernisation hospitalière (reconstruction d’une clinique et de la maternité, création d’une clinique psychiatrique), tandis que, côté luxembourgeois, l’hôpital du Sud est également en cours de restructuration. Ces investissements considérables ne sont pas pensés en commun.

La co-construction d’une offre de soins se heurte à des craintes quant à la réciprocité des échanges de patients. Il est vrai que des grands hôpitaux universitaires suisses comme ceux de Genève ou de Bâle mettent volontiers en avant leurs offres dans leurs domaines d’excellence (par exemple médecine hyperbare et hyperthermie superficielle dans le traitement des cancers à Genève, ou utilisation de l’impression 3D en orthopédie à Bâle). Mais les membres du groupe de travail qui se sont rendus en Suisse ont pu aussi constater qu’il y existe un intérêt pour les opportunités que pourrait offrir la France grâce à ses coûts salariaux et fonciers moins élevés, notamment pour les soins de suite ou l’accueil de personnes âgées dépendantes. Une personnalité auditionnée a observé que les contrats d’assurance maladie suisses comprennent souvent des parcours de soins (obligation de recours à des professionnels agréés par l’assurance en contrepartie de primes réduites) : on pourrait y intégrer des professionnels français.

Recommandation : veiller à la réciprocité dans la co-construction transfrontalière d’offres de soins.

3.   Une première étape : élaborer des diagnostics partagés dans les bassins de vie transfrontaliers

L’éventuelle construction en commun d’offres de soins transfrontalières a un préalable nécessaire : la mise en commun des données (population, besoins de santé, offre de soins existante…) recueillies de part et d’autre des frontières, puis la formulation de diagnostics partagés sur les priorités d’amélioration de l’offre de soins compte tenu des besoins.

Pour le moment, la connaissance partagée est souvent très limitée. Le groupe du travail a ainsi été étonné de constater à Bâle une large méconnaissance des grandes lignes du système français de sécurité sociale par les personnalités en charge de la santé. Les responsables de l’hôpital universitaire ont également signalé qu’ils n’avaient guère de connaissance de l’offre hospitalière existante du côté français de la frontière, ce qu’ils avaient découvert à l’occasion d’une simulation de catastrophe les conduisant à planifier la prise en charge en urgence de nombreuses victimes.

Il existe cependant déjà des instances qui ont une mission de connaissance partagée, plus ou moins large. Il y a par exemple un Observatoire franco-belge de la santé. Avec la Suisse, l’existant est plus limité, mais l’on a cité l’Observatoire franco-genevois du personnel de santé créé en 2015, avec un objet très spécifique.

Ce type de dispositifs devrait être développé. Les diagnostics partagés qui en résulteront devront bien sûr prendre en compte les enjeux d’optimisation d’utilisation des équipements et personnels médicaux. Mais ils devront avant tout privilégier l’intérêt des patients. En particulier, l’analyse des coûts, légitime dans ce genre d’exercice, devrait être la plus globale possible : par exemple, pour évaluer l’intérêt de prendre en charge un patient dans un établissement transfrontalier proche de sa résidence plutôt que plus loin dans son propre pays, il faudra non seulement prendre en compte le coût des soins, mais aussi celui des transports sanitaires, et plus généralement les coûts sociaux-économiques subis par les personnes contraintes de se soigner loin de chez elles.

Recommandation : dans la perspective d’une future co-construction des offres de soins, développer les instances permettant dans les bassins de vie transfrontaliers une connaissance partagée des besoins de santé et un diagnostic partagé des priorités qui en résultent. Cet exercice devra non seulement prendre en compte le coût des soins, mais aussi celui des transports sanitaires, et plus généralement les coûts sociaux-économiques subis par les patients.

4.   Un enjeu sensible, la gestion de la démographie des professions de santé dans les bassins frontaliers

La gestion de la démographie des professions de santé dans les bassins frontaliers avec la Suisse et le Luxembourg constitue un point de sensibilité très fort, comme on l’a vu.

Elle devra donc être à l’ordre du jour des coopérations transfrontalières. Il pourrait être envisagé des formations communes de certains professionnels, pour répondre aux pénuries, ou une contribution de nos voisins aux formations dont ils captent ensuite de nombreux diplômés…

Des personnes auditionnées ont par ailleurs mis en avant l’opportunité de mesures « franco-françaises » qui devraient alors soit être générales, soit être spécifiques à certains territoires frontaliers (dans le cadre du droit à la différenciation) : révision des statuts des personnels hospitaliers, avec par exemple des clauses d’exclusivité, afin d’encadrer les départs vers les pays voisins aux salaires attractifs ; plus grande liberté des établissements publics français dans leur politique salariale, afin qu’ils puissent dans une certaine mesure faire face à l’attractivité des établissements suisses ou luxembourgeois…

Recommandation : traiter de la question particulièrement sensible de la démographie des professions médicales et paramédicales dans les discussions sur les coopérations avec nos voisins suisses et luxembourgeois.

5.   Des enjeux « connexes » à ne pas oublier

Enfin, il convient de ne pas oublier certains enjeux que l’on peut dire « connexes » en ce sens qu’ils ne sont pas exactement sanitaires mais renvoient à la mise en œuvre de règles de droit civil ou de police générale : le développement de coopérations transfrontalières entraîne des interrogations, par exemple, sur l’état-civil et les droits nationaux des nouveau-nés dans une maternité transfrontalière, les conditions de rapatriement des dépouilles des personnes décédées – qui ont été l’objet d’un accord franco-espagnol en 2016, motivé par le développement de l’hôpital de Cerdagne –, la facilitation du passage des frontières par les véhicules de secours, ou encore la conciliation des réglementations nationales pour la transmission de données médicales personnelles.

Le nécessaire traitement de ces questions implique que soient associées aux discussions transfrontalières des autorités non directement sanitaires, notamment les préfectures.

Recommandation : traiter dans le cadre des coopérations sanitaires transfrontalières les enjeux relevant du droit civil et de la police générale – statut des nouveau-nés, rapatriement des personnes décédées, transmission de données personnelles médicales, passage des frontières par les véhicules sanitaires et de secours… À cette fin, associer aux discussions les acteurs administratifs pertinents, notamment les préfectures.

 


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   Travaux de la commission

I.   réunion du 7 février 2018

Au  cours de sa séance du mercredi 7 février 2018, la commission débat du présent projet de loi.

M. Bruno Fuchs, rapporteur. Il y a 360 000 de nos concitoyens qui sont des travailleurs frontaliers, dont 143 000 vont travailler en Suisse et 70 000 au Luxembourg. C’est dire l’intérêt qu’il y a à développer, à l’échelle locale, les coopérations transfrontalières dans le domaine de la santé. Elles répondent à la fois aux intérêts des patients et à ceux des professionnels de santé et caisses sociales. Elles permettent aux premiers, en allant éventuellement recevoir des soins juste de l’autre côté de la frontière près de laquelle ils vivent, ou près de leur lieu de travail lorsqu’il s’agit de frontaliers qui passent la frontière tous les jours, d’accéder à une offre de soins plus diversifiée, plus proche, plus adaptée. Elles permettent aux seconds d’élargir leur patientèle potentielle, de plus facilement amortir leurs équipements techniques, d’envisager des coopérations et des échanges internationaux enrichissants, d’optimiser l’emploi de leurs ressources financières en mutualisant les moyens.

Dans nos bassins de vie frontaliers, des coopérations locales se sont de fait mises en place entre acteurs de la santé de pays limitrophes. Elles ont parfois été formalisées par des accords locaux. Mais elles continuent à se heurter aux contraintes réglementaires et administratives qui limitent toujours les dispositifs transnationaux.

Afin de clarifier le cadre juridique s’appliquant à ces coopérations transfrontalières locales et d’en faciliter la mise en œuvre, la France a proposé à ses partenaires limitrophes de passer des accords-cadres de coopération sanitaire transfrontalière. Plusieurs accords de cette nature sont déjà en vigueur depuis les années 2000, avec la Belgique, l’Allemagne et l’Espagne. Des dispositions comparables existent depuis plus longtemps avec Andorre et Monaco.

En 2016, deux accords-cadres de coopération sanitaire transfrontalière ont été signés avec la Suisse et le Luxembourg. Comme ils sont très proches non seulement dans leur objet, mais même dans leur rédaction, le Gouvernement les a réunis dans un même projet de loi, celui que nous examinons aujourd’hui.

Quand j’ai découvert ces deux accords-cadres, j’avais un a priori positif, car, connaissant les difficultés rencontrées par nos concitoyens frontaliers, la démarche consistant à favoriser les coopérations dans le domaine sanitaire me paraît particulièrement utile. En tant que député d’une région frontalière, je suis en effet régulièrement saisi de cas particuliers qui illustrent les avantages que l’on pourrait tirer de ces coopérations.

Cependant, le contenu des deux textes me paraît décevant. Il s’agit très largement de déclarations d’intentions qui promeuvent les coopérations sanitaires transfrontalières locales, mais sans vraiment leur donner un cadre clair, un objectif défini, un agenda, une méthodologie, un cahier des charges. Les accords-cadres renvoient certes à des conventions locales dont ils proposent des contenus potentiels, mais l’énumération de ceux-ci est introduite par l’adverbe « notamment ». C’est donc une liste indicative et non exhaustive, ce qui amène à s’interroger sur son utilité.

Selon l’étude d’impact, des conventions locales prévoyant des dérogations tarifaires sont déjà possibles pour les prises en charge de soins transfrontaliers, mais les accords-cadres en faciliteraient la passation en les dispensant de l’agrément ministériel prévu par le droit commun en vigueur. Les conventions seraient signées au niveau des agences régionales de santé ou des caisses primaires d’assurance maladie. En lisant le texte de l’accord avec le Luxembourg, je doute pourtant de cette analyse, car l’article 6 de cet accord mentionne nommément, s’agissant d’éventuelles dérogations tarifaires par une convention locale, la nécessité d’une autorisation ministérielle. On peut donc penser que rien ne serait changé au droit en vigueur.

Il est intéressant de noter que ces observations sur la portée normative discutable des accords-cadres sont manifestement partagées par les autorités suisses. Le document du Conseil fédéral suisse adressé au Parlement que l’on peut considérer comme l’équivalent helvétique du présent projet de loi (dit « message portant approbation » de l’accord-cadre avec ce pays) indique ainsi que « l’accord-cadre fournit une liste non exhaustive des domaines de coopération potentiels sur lesquels les projets de coopération peuvent porter [et] demeure, sur les aspects matériels, strictement dans le cadre juridique existant et ne permet notamment pas aux autorités cantonales de conclure des conventions qui iraient au-delà du cadre juridique en vigueur au niveau fédéral, ni d’édicter des dispositions supplétives (…) ».

Je m’interroge vraiment sur la portée du vote qui nous est demandé et l’exercice du contrôle démocratique dans le présent cas de figure. Il s’agit de valider des accords-cadres à l’utilité juridique incertaine et à la portée pratique non moins indéfinie.

La négociation des conventions locales qu’ils prévoient serait de plus confiée à des institutions, les agences régionales de santé, qui sont de nature administrative et qui, placées à l’échelon régional, ne sont pas toujours les plus proches des difficultés et des préoccupations véritablement « locales » dans les bassins frontaliers. Il nous est donc demandé de donner un blanc-seing à des autorités administratives, ce sans garantie d’efficacité.

Dans un autre cas de figure, celui de conventions locales passées pour le compte d’organismes de sécurité sociale, leur négociation, s’agissant de celles avec des cantons suisses, relèverait de la seule caisse primaire d’assurance maladie de Haute-Savoie. Un arrangement concernant une catégorie particulière d’assurés sociaux frontaliers de la Suisse devrait donc nécessairement être discuté par cette caisse, quand bien même il concernerait des Francs-Comtois ou des Alsaciens !

Plus généralement, les accords-cadres ne comportent pas de stipulations sur la méthodologie pouvant mener à la passation de conventions locales : comment évalue-t-on les besoins, les situations locales justifiant une telle convention ? Qui doit-on consulter ? Ils sont également sommaires sur le cahier des charges de ces conventions et sur la question de l’évaluation a posteriori, même si un mécanisme de suivi est prévu dans le principe. Il n’y a pas de garantie d’efficacité.

Je rappellerai un précédent. Un accord a été passé en juillet 2016 avec la Suisse visant à régler les problèmes de double affiliation pour l’assurance maladie des frontaliers travaillant dans ce pays. Cependant, nous avons encore aujourd’hui 10 000 contentieux devant le tribunal des affaires de sécurité sociale et plus de 20 000 personnes, en comptant les familles, qui se retrouvent précarisées, certaines étant menacées de saisies, d’autres n’étant même plus affiliées ni remboursées de leurs dépenses de santé. Il est clair que l’application de l’accord en question n’a pas été à la hauteur !

Tout cela m’amène à considérer que le débat sur les deux accords que nous examinons ne peut pas être clos avec la seule discussion en commission de ce jour, mais je ne pense pas non plus que nous devions les rejeter, car leur objectif est tout à fait louable.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Je vous ferai après le débat des propositions sur les suites que nous pourrions donner à ce débat.

Mme Laetitia Saint-Paul. Ce projet de loi a suscité des interrogations au sein de notre groupe politique. Je propose que nous complétions notre réflexion en procédant à des auditions complémentaires, puis demandions un débat dans l’hémicycle.

M. Christophe di Pompeo. En tant que député d’une région frontalière avec la Belgique, je peux témoigner qu’il y beaucoup de coopérations transfrontalières en place et que l’on y fait preuve de beaucoup de souplesse afin de s’adapter aux situations particulières. Définir un cadre plus rigide ne risque-t-il pas d’aller à l’encontre de cette souplesse ?

M. Michel Fanget. Je rappelle juste un précédent pour notre commission : concernant l’accord avec l’Algérie sur les soins dispensés en France à des Algériens, nous avions décidé lors du premier débat en commission d’organiser des auditions supplémentaires. L’examen de ce texte avait aussi montré l’existence de dettes importantes. Concernant les accords avec le Luxembourg et la Suisse, quels sont les enjeux financiers ?

M. Bruno Fuchs, rapporteur. Les flux financiers sont positifs pour nous avec ces deux pays. En 2016, plus de 31 millions d’euros ont été versés à notre système social par la Suisse et 26 millions dans l’autre sens par la France à des institutions suisses ; le Luxembourg a versé 270 millions d’euros au système de sécurité sociale français, contre 11 millions transférés dans l’autre sens.

Il faut évidemment de la flexibilité pour s’adapter aux multiples situations locales et, sur ce point, il m’a été rapporté que les fonctionnaires des agences régionales de santé, qui devraient négocier les conventions de coopération, ne sont pas toujours au fait des questions précises qui se posent dans nos territoires frontaliers. Il faut que nous ayons la possibilité d’un maillage extrêmement fin. Il faut aussi que nous puissions contrôler l’application des accords, dont le mécanisme de suivi, qui est certes prévu, me paraît insuffisant.

Mme Olga Givernet. Étant députée d’une circonscription frontalière, j’ai enquêté sur les coopérations transfrontalières et je me suis trouvée confrontée aux limites de l’administration, qui a évoqué les différentes raisons pour lesquelles l’accord-cadre n’aurait peut-être pas beaucoup d’impact. Ces échanges ont aussi montré qu’il y a un débat à ouvrir sur la liberté de prestation des services dans le domaine de la santé, qui ne concernerait pas que les frontaliers mais l’ensemble des citoyens européens.

Mme Virginie Duby-Muller. L’accord de coopération sanitaire avec la Suisse est attendu depuis des années dans la région que je représente. Je suis donc étonnée de la position du rapporteur.

Notre bassin de vie est commun avec Genève et est extrêmement dynamique. L’augmentation de sa population met au défi nos politiques sanitaires et nous misons tout naturellement sur la coopération pour résoudre nos difficultés, notamment de démographie médicale et en personnels de santé, vu l’attractivité de la Suisse. La fin du droit d’option pour les frontaliers accroît encore le déficit de l’offre.

L’accord-cadre avec la Suisse est un outil opérationnel pour renforcer nos synergies. Il est attendu concrètement pour développer nos coopérations dans des domaines tels que l’oncologie, la pédiatrie, la gestion des urgences et la médecine hyperbare. Il apportera un bénéfice concret à nos concitoyens.

M. Jean-Paul Lecoq. Nous avons donc un texte qui est bon dans son principe mais conduirait à de la précarité et ne serait pas pleinement satisfaisant, si je suis le rapporteur. Peut-on parvenir au maillage fin de prise en compte des situations locales qu’il souhaite, je ne sais pas. Je pense que la question justifie de mettre en place une mission-flash.

M. Bruno Fuchs, rapporteur. Pour que les choses soient claires, je rappelle que le dispositif que nous examinons prévoit deux temps : des accords-cadres que l’on nous demande d’approuver ; une déclinaison de ceux-ci par des conventions sur le terrain. Mais le texte des accords-cadres n’est pas assez précis et clarifié pour que l’on puisse faire complétement confiance à l’administration pour cette application territoriale.

Quant aux problèmes de précarité que n’a pas réglés l’accord de juillet 2016 sur l’affiliation des frontaliers, je les ai cités à titre d’exemple. C’est un autre accord qui est en cause, sans lien avec ceux que nous examinons. Mais c’est un exemple de ce que peut donner la mise en œuvre insuffisamment encadrée d’un accord international.

S’agissant de la décision que nous devons prendre aujourd’hui, il me semble qu’une fois que l’on a signé ou voté quelque chose, on se retrouve en position plus faible.

L’accord-cadre avec la Suisse manque aussi d’ambition. Je relis ce qu’en disent les autorités suisses dans le document que je vous ai cité en introduction : l’accord « demeure, sur les aspects matériels, strictement dans le cadre juridique existant et ne permet notamment pas aux autorités cantonales de conclure des conventions qui iraient au-delà du cadre juridique en vigueur au niveau fédéral, ni d’édicter des dispositions supplétives ». On aurait pu être plus ambitieux.

M. Christian Hutin. Nous assistons à quelque chose qui est vraiment rare. Je remercie notre rapporteur de dire ce qu’il pense, à savoir que les textes en cause relèvent surtout de la déclaration de principe et pourraient même être dangereux.

Dans ma région, je constate que la coopération avec la Belgique en matière de santé se passe bien, notamment pour assurer l’hébergement de nos anciens en EHPAD.

Mais il faut poursuivre les investigations. Je suggère de constituer une mission d’information commune avec la commission des affaires sociales, car cela pourrait déboucher sur des amendements au prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale.

M. Bertrand Bouyx. Est-ce que nous ne pourrions pas aussi utiliser ce genre de dispositifs pour améliorer la couverture santé à l’intérieur de notre propre pays ? Il existe en Alsace-Moselle un régime plus favorable qui permet la prise en charge à 90 % des soins contre 70 % ailleurs. Est-ce que l’on ne pourrait pas l’appliquer ailleurs ?

M. Jean-Luc Reitzer. C’est formidable que, pour la première fois, un élu de la France de l’« intérieur » veuille étendre notre régime local alsacien-mosellan, dont je rappelle qu’il offre de meilleures prestations grâce à la qualité de sa gestion, mais aussi à des cotisations plus élevées !

J’appuie les propos de Virginie Duby-Muller, mais, « en même temps », je partage le scepticisme de Bruno Fuchs. Nous devons absolument clarifier, fluidifier et simplifier pour que les coopérations transfrontalières portent tous leurs fruits, car il y a des enjeux : nous avons un Mulhouse un excellent hôpital, mais il y a aussi des manques pour certains équipements, certains spécialistes, et nous avons à côté, à Bâle, une ville très prospère où tout cela est disponible ; nos concitoyens veulent pouvoir s’y faire soigner.

Il y a par ailleurs la remise en cause du système social applicable aux frontaliers. Cela justifierait la mise en place d’une commission d’enquête. Il faut approuver le projet de loi, mais aussi approfondir les questions et engager un dialogue local.

M. Alain David. La France a ratifié la convention n° 118 de l’Organisation internationale du travail concernant l’égalité de traitement des nationaux et des non nationaux en matière de sécurité sociale, mais pas la Suisse ni le Luxembourg. Ne faudrait-il pas les y inciter ? Est-ce que cela ne rendrait pas inutile ces accords, en garantissant l’égalité de traitement entre nationaux et ressortissants des autres États dès lors qu’ils sont signataires ?

Mme Bérengère Poletti. Dans les Ardennes, les coopérations avec la Belgique fonctionnent bien, y compris pour régler les problèmes administratifs qui se posent de leur fait, par exemple concernant la nationalité des enfants de femmes françaises qui vont accoucher en Belgique ; il y a de même des discussions concernant la gestion administrative des décès qui surviennent dans le cadre des prises en charge transfrontalières.

Mme Olga Givernet. Il faut aussi prendre en compte les enjeux de la démographie médicale. Dans les régions frontalières avec la Suisse, les praticiens ont tendance à aller s’installer dans ce pays, où leurs revenus sont plus élevés. Si les médecins installés en France pouvaient plus facilement accueillir des patients suisses, générant donc plus d’honoraires, ils seraient peut-être plus nombreux à rester sur notre territoire.

Mme Isabelle Rauch. L’accord avec le Luxembourg était très attendu en Moselle. Nous sommes confrontés à des déserts médicaux et le co-développement de l’offre de soins avec nos voisins est nécessaire.

M. Frédéric Petit. Il faut effectivement approfondir le dossier. Je ne comprends pas pourquoi le Luxembourg et la Suisse, dont l’un est membre de l’Union européenne et l’autre non, sont traités dans le même texte ; cela s’appelle « se faire des nœuds exprès ». Par ailleurs, le travail d’approfondissement devra aussi concerner le système européen de sécurité sociale, qui ne concerne pas que les frontaliers.

M. Frédéric Barbier. Je salue les propos du rapporteur. Nous avons dans le Doubs l’un des deux hôpitaux construits depuis cinq ans en France et nos voisins suisses sont intéressés par nos équipements.

Mais il faut effectivement une enquête complémentaire sur ces questions, que l’on devrait notamment élargir à la question du remboursement des médicaments : celui-ci est très différent selon les pays européens, ce qui amène les personnes à faire des choix motivés par ce degré variable de prise en charge. Il y a un débat à avoir sur une harmonisation européenne dans ce domaine.

M. Bruno Fuchs, rapporteur. Je suis conscient des attentes suscitées par ces accords. Je vois bien les situations qu’ils pourraient aider à régler. J’ai par exemple été saisi du cas d’une personne atteinte en Suisse d’une crise d’épilepsie qui y a bénéficié d’un transport sanitaire en hélicoptère ; depuis, les institutions des deux pays se renvoient la balle pour ne pas prendre en charge ces frais.

Mais l’insuffisance de contrôle sur les dispositifs actuels conduit à des incohérences. Ainsi les frontaliers alsaciens travaillant en Suisse sont-ils pris en charge à 90 % s’ils sont affiliés en Suisse, mais à 70 % s’ils le sont en France, ce pour les mêmes soins, parce que l’on n’a pas veillé à homogénéiser deux textes différents.

Le projet de loi traite à la fois du Luxembourg et de la Suisse parce qu’il regroupe deux accords qui sont distincts, mais que le Gouvernement a décidé de nous soumettre ensemble car ils sont rédigés de manière quasiment identique.

Mme Marion Lenne. Une différence supplémentaire entre les systèmes français et suisse est que c’est toute la famille qui est assurée en France, et pas en Suisse.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Je constate qu’il y a un accord sur plusieurs points : sur les attentes qui existent dans les populations locales en matière de coopération sanitaire transfrontalière ; sur la prise en compte des spécificités de la région Est ; sur la nécessité d’approfondir le débat.

Après cela, il y a une question d’opportunité. Faut-il voter rapidement ce texte qui répond à des attentes fortes ? Le rapport de force avec l’administration est meilleur tant que l’on n’a pas voté un texte. C’est pourquoi je propose de surseoir au vote sur le projet de loi, pour être en mesure d’obtenir des assurances de l’administration sur l’amélioration de l’accès aux soins. Mais il faudra aller vite – quelques semaines – pour conduire les travaux d’approfondissement du texte. Et il faudra aussi y joindre la question des problèmes d’affiliation.

M. Claude Goasguen. Pour bien connaître la situation en Suisse, je trouve incohérent de traiter ensemble de ce pays et du Luxembourg. Les problèmes sont beaucoup plus compliqués avec la Suisse, notamment du fait des différences de salaires et de l’organisation très différente de la protection sociale. On pourrait peut-être se presser sur le Luxembourg et un peu moins sur la Suisse.

M. Frédéric Barbier. J’approuve les propositions de la présidente. Mardi prochain, je rencontre le cabinet de la ministre de la santé avec des collègues frontaliers et les représentants d’une importante amicale de frontaliers. On pourrait y associer la future mission-flash.

Mme Virginie Duby-Muller. J’ai bien noté vos propositions. J’insiste tout de même sur l’urgence d’approuver un texte qui répond aux attentes des populations locales. Je rappelle qu’il ne s’agit que d’un cadre général qui sera ensuite décliné avec les différents cantons suisses compte tenu du système politique helvétique.

M. Christian Hutin. Notre groupe soutient la proposition de la présidente. Il faut aussi associer la commission des affaires sociales.

Mme Valérie Boyer. Dans ma région, notre expérience de coopération transfrontalière concerne Monaco. C’est toujours long, compliqué, parfois tendu : il faut négocier les dispositions tarifaires acte par acte et il y a aussi à concilier cela avec les schémas régionaux d'organisation des soins (SROS).

Je rappelle par ailleurs que nous avons depuis des temps quasi-immémoriaux un dispositif permettant aux Européens de se faire rembourser par leur sécurité sociale nationale les soins reçus dans un autre pays européen.

M. Maurice Leroy. Le groupe UDI, Agir et Indépendants soutient la proposition de la présidente et l’idée de relier nos travaux avec ce qui se fait en loi de financement de la sécurité sociale.

M. Hervé Berville, Au nom des commissaires de La République en Marche, je soutiens également cette proposition. Il faudra aussi que notre action soit concertée avec celle de la commission des affaires sociales

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Nous validons donc la création d’une mission-flash. Je retiens aussi l’idée que nous pourrions établir une relation de travail avec le ministère de la santé pour traiter à plus long terme de ces questions.

Au regard des questions soulevées au cours de notre débat, je vous propose de surseoir au vote, et comme nous l’avons fait dans le passé, de demander au rapporteur de continuer ses travaux pour revenir un peu plus tard devant la commission. Nous pourrons alors disposer d’éléments d’évaluation et de comparaison nous permettant d’émettre un vote éclairé.

Le projet de loi n’est pas mis aux voix.

 


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II.   Réunion du 20 novembre 2018

Au cours de sa séance du mardi 20 novembre 2018, la commission examine le présent projet de loi et les conclusions du groupe de travail sur la coopération sanitaire transfrontalière avec le Luxembourg et la Suisse.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Chers collègues, je suis très heureuse de saluer la présence parmi nous de Pascal Lavergne, nouveau député du groupe La République en marche.

Notre ordre du jour appelle l’examen de trois conventions. Nous allons commencer par l’examen du rapport de Bruno Fuchs sur le projet de loi autorisant l’approbation des accords-cadres sur la coopération sanitaire transfrontalière avec la Suisse et le Luxembourg. Vous vous souvenez qu’un premier examen de la commission a été effectué en février dernier et que nous avions conclu à une nécessité d’approfondir ce rapport en raison de doutes émis par le rapporteur sur la portée juridique et pratique des accords ainsi que sur leur méthodologie d’application sur le terrain. Cette position était liée également à un litige qui existait avec l’État concernant l’affiliation sociale de 9 000 frontaliers alsaciens travaillant en Suisse. Il avait été décidé par notre commission de constituer un groupe de travail en son sein. Nous allons entendre les conclusions des travaux de ce groupe ainsi que ses recommandations pour ce projet de loi. Sont aujourd’hui à la tribune Bruno Fuchs, comme rapporteur du projet de loi, et Frédéric Barbier, comme rapporteur au nom du groupe de travail, que je remercie pour le travail effectué au cours des derniers mois.

M. Bruno Fuchs, rapporteur du projet de loi. Au terme de ces travaux, je salue l’excellent climat dans lequel ils se sont déroulés et la mobilisation de tous ceux qui y ont pris part.

Je rappelle le contexte. En février dernier, nous avons eu un premier débat sur ce projet de loi. À cette occasion, des interrogations s’étaient exprimées sur l’utilité, la gouvernance et l’efficacité des accords-cadres qu’il vise à approuver. Nous avons donc formé un groupe de travail au sein de notre commission, constitué, outre Frédéric Barbier et moi-même, d’Olga Givernet, Marion Lenne, que je salue, Isabelle Rauch, Jean Luc Reitzer, Joachim Son Forget et Sylvain Waserman. Nous avons auditionné une vingtaine de personnalités à Paris et nous sommes déplacés à Genève et à Bâle.

Nous allons revenir sur les points de débat, dont l’un des principaux concernait le choix des acteurs administratifs chargés de signer les conventions locales, en particulier celui de la seule caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) de Haute-Savoie pour les rapports avec la Suisse, alors que, dans ce pays, les choses relèvent de chaque canton. Ces considérations nous avaient amenés à reporter le vote sur le projet de loi.

Nous n’allons pas revenir longuement sur les clauses des deux accords. En eux-mêmes, les accords-cadres ne créent pas les coopérations transfrontalières. Il appartiendra aux acteurs administratifs et locaux de les développer et de les faire vivre. Et derrière il faudra une volonté politique forte. C’est dans ce sens que vont les conclusions du groupe de travail, que nous voulons vous présenter.

C’est sur ces points que nous nous sommes concentrés, c’est-à-dire à faire des propositions que permettent d’assurer une meilleure mise en œuvre de ces accords, autant dans l’exécution que dans la sécurisation et la gouvernance des coopérations.

Nous avons d’abord examiné ce qu’avaient pu donner les accords-cadres passés entre 2005 et 2008 en matière de coopération sanitaire transfrontalière avec l’Allemagne, l’Espagne et la Belgique, puisque ceux avec le Luxembourg et la Suisse sont similaires. Ces accords avec l’Allemagne, l’Espagne et la Belgique n’ont pas été à l’origine de toutes les coopérations sur le terrain, qui, partant d’initiatives locales entre hôpitaux, étaient antérieures. Mais les accords-cadres ont conduit à un développement plus général de ces coopérations, par exemple une systématisation avec la Belgique, où toute la frontière commune est maintenant couverte par des « zones organisées d’accès aux soins transfrontaliers ». Ce type d’accords a donc un impact réel.

Pour le moment, on doit bien reconnaître que les coopérations avec nos voisins suisses ou luxembourgeois sont assez limitées dans le domaine de la santé, alors que de très beaux projets concrets ont pu se réaliser dans d’autres domaines, par exemple les transports. On pense par exemple à l’aéroport Bâle-Mulhouse, unique aéroport binational, et même trinational, à la future liaison ferroviaire CEVA (Cornavin – Eaux-Vives – Annemasse), qui désengorgera la circulation dans l’agglomération genevoise, ou encore à la réouverture de la ligne Belfort-Delle, qui permettra de mieux connecter dans le Jura les réseaux ferrés des deux pays. Il est donc utile de signer des accords et de renforcer les coopérations.

M. Frédéric Barbier, rapporteur du groupe de travail. L’élargissement des coopérations dans le domaine de la santé est particulièrement nécessaire. Leur objectif doit d’abord être de répondre aux besoins exprimés par les populations des bassins de vie frontaliers ; le patient doit être placé au centre. Or, aujourd’hui, que ce soit côté suisse ou français, on peut dire que ce sont les contingences organisationnelles et comptables qui prédominent. Les coopérations transfrontalières peuvent aussi, ce n’est pas contradictoire, offrir des opportunités de gérer de manière plus rationnelle l’offre de soins en prenant en compte les besoins et les moyens au niveau de l’ensemble de chaque bassin de vie transfrontalier. On l’a vu à Bâle, qui s’apprête à lancer un plan de reconstruction d’une partie de son hôpital universitaire pour un milliard d’euros. Il serait rationnel et efficace de penser également les investissements sanitaires en termes de bassins de vie transfrontaliers, plutôt que d’arrêter les réflexions, de façon réductrice, à la frontière.

Le faible développement des coopérations sanitaires avec nos voisins suisses et luxembourgeois, jusqu’à présent, n’est pas seulement imputable à l’absence d’accords-cadres avec eux dans ce domaine. D’autres facteurs sont en jeu.

Tout d’abord, il faut relever les différences importantes de niveaux de vie, de salaires, de coûts de santé entre ces deux pays et la France, de l’ordre de 1 à 2,5, voire parfois plus. C’est une situation très spécifique car on ne retrouve pas du tout les mêmes écarts avec nos autres voisins, espagnols, italiens, allemands ou belges.

Ces écarts peuvent représenter une opportunité pour les professionnels français qui reçoivent dans leurs cabinets des Luxembourgeois attirés par leurs tarifs ou des travailleurs frontaliers affiliés au Luxembourg, car ceux-ci bénéficient de droit d’une prise en charge par la sécurité sociale luxembourgeoise de ces soins dispensés en France. Il en va de même sur certaines parties de la frontière franco-suisse.

Mais ces écarts de rémunérations entraînent aussi une attraction considérable pour les professionnels français, qui sont tentés d’aller prendre des emplois à Genève ou à Luxembourg. Par exemple, deux tiers des infirmiers des Hôpitaux universitaires de Genève sont français. Corrélativement les hôpitaux haut-savoyards ont des problèmes de recrutement et de fidélisation ; on constate dans ces établissements des turn-over annuels supérieurs à 20 %, avec de nombreux départs vers les établissements de Genève.

Dernière conséquence des écarts de coûts de santé : les autorités françaises de santé et de sécurité sociale sont réticentes à passer des accords qui aboutiraient parfois au financement par la France de soins dispensés de l’autre côté de la frontière.

Autre conséquence plus générale de l’attraction des salaires suisses et luxembourgeois, le nombre très élevé de travailleurs transfrontaliers. Sur environ 360 000 frontaliers qui, chaque jour, quittent leur domicile français pour aller travailler à l’étranger, un sur deux va en Suisse, un sur quatre au Luxembourg. Ces effectifs sont en forte augmentation tendancielle et cela engendre un grand dynamisme démographique dans certaines zones frontalières. Mais cette situation rend aussi plus forte la demande de fluidité dans l’accès aux soins transfrontaliers et aggrave les enjeux de la démographie médicale dans ces zones.

Une autre difficulté doit être signalée avec la Suisse, qui n’appartient pas à l’Union européenne, mais négocie des arrangements au cas par cas. Cela signifie que les règles générales européennes ne s’appliquent pas toujours avec la Suisse. Ce pays est par exemple intégré à la coordination européenne de sécurité sociale, qui permet la prise en charge par la sécurité sociale du pays d’origine de soins en urgence ou de soins programmés lourds autorisés. Mais la Suisse n’a pas reconnu la directive santé de 2011, qui est essentielle pour les soins ambulatoires courants transfrontaliers, car elle prévoit la prise en charge de ceux-ci par la sécurité sociale d’affiliation. Par ailleurs, en matière d’affiliation des travailleurs transfrontaliers, alors que le droit européen impose l’affiliation dans le pays de travail, l’accord européen avec la Suisse offre un droit d’option entre pays de résidence et pays de travail. Cette souplesse a entraîné de multiples difficultés et litiges, qui sont en voie de règlement suite à un accord bilatéral franco-suisse de 2016 et à une jurisprudence très claire de la Cour de cassation de mars dernier.

Enfin, la Suisse est un État fédéral, ce qui complexifie les relations avec notre pays, qui reste très centralisé.

Nous avons également identifié plusieurs difficultés imputables à notre organisation administrative, mais nous allons les rappeler en même temps que nous présenterons les recommandations du groupe de travail, car il convient bien sûr de les corriger.

M. Bruno Fuchs, rapporteur du projet de loi. Nous avons élaboré quinze recommandations, regroupées par blocs.

M. Frédéric Barbier, rapporteur du groupe de travail. La première série de nos recommandations est centrée sur la mise en œuvre d’engagements gouvernementaux et la mobilisation des administrations. Elles demanderont donc une mobilisation du politique, en particulier du Gouvernement et de l’administration, pour qu’elles soient effectivement appliquées.

La première proposition concerne le choix, fait dans l’accord avec la Suisse, d’avoir une seule caisse primaire d’assurance maladie, celle de Haute-Savoie, comme caisse référente habilitée à signer des accords locaux de coopération, donc par exemple, même des accords locaux qui concerneraient l’Alsace, le Doubs… Nous avons près de 600 kilomètres de frontière avec la Suisse, six départements de trois régions concernées. Nous pensons qu’il faudrait au minimum une caisse primaire référente par région concernée, donc trois au total, afin d’assurer la coordination avec l’échelon administratif impliqué au niveau du ministère de la santé, échelon qui est régional puisqu’il s’agit des agences régionales de santé (ARS). Le mieux pour corriger ce point serait d’amender l’accord-cadre avec la Suisse et son protocole d’application, puisque ce principe de la CPAM de Haute-Savoie seule référente y est inscrit. À défaut de cette renégociation, il faudra trouver le moyen d’impliquer les CPAM des autres départements frontaliers ; elles devront être fortement associées aux coopérations transfrontalières locales dans leur ressort et être en mesure d’informer les usagers sur leurs conséquences.

M. Bruno Fuchs, rapporteur du projet de loi. C’est peut-être la plus forte de nos recommandations, puisqu’elle envisage d’amender l’accord-cadre avec la Suisse ou, du moins, pour ne pas entraver son entrée en vigueur, d’adapter son application.

La deuxième proposition est plus qu’un rappel : comme la ministre Agnès Buzyn s’y est engagée après l’arrêt de la Cour de cassation du 15 mars dernier, le Gouvernement doit régler définitivement le litige sur la double affiliation des frontaliers en demandant aux organismes de sécurité sociale français de reconnaître la radiation des frontaliers concernés à leur date d’affiliation en Suisse, de restituer en conséquence les cotisations sociales indûment perçues et d’abandonner les poursuites relatives à ces cotisations. C’est en bonne voie, mais il fallait le rappeler.

M. Frédéric Barbier, rapporteur du groupe de travail. En troisième proposition, nous recommandons également un effort général d’information de tous les habitants – les travailleurs frontaliers, qui sont souvent déjà assez informés, mais aussi les autres personnes – et des professionnels de santé des régions frontalières. Actuellement, ce sont souvent les associations de frontaliers qui diffusent, avec des moyens limités, l’information la plus riche. Les caisses primaires d’assurance maladie des départements frontaliers doivent s’organiser pour diffuser une information pertinente et être en mesure de répondre aux interrogations des usagers.

M. Bruno Fuchs, rapporteur du projet de loi. Nous en venons à un bloc de propositions centrées sur la mobilisation des administrations. Notre quatrième proposition demande une plus forte mobilisation des ARS, autorités de référence selon les accords-cadres. Alors que la loi dispose qu’elles doivent insérer un volet transfrontalier dans les projets régionaux de santé qu’elles élaborent, c’est actuellement le cas de deux seulement des trois ARS concernées que nous avons auditionnées, et encore avec un degré d’implication variable. Il nous apparaît également nécessaire – c’est notre cinquième proposition – que chaque ARS dispose dans son équipe de direction d’un cadre de référence chargé des enjeux transfrontaliers. On ne peut pas se contenter de les confier au cas par cas aux délégués départementaux de l’ARS dans les départements frontaliers. La sixième proposition vise à développer les interactions entre ARS et préfectures de région, afin de mobiliser les conseillers diplomatiques de celles-ci sur les problématiques sanitaires transfrontalières, et la septième concerne la création d’un cadre d’échange des bonnes pratiques en matière de coopérations transfrontalières, afin que les ARS puissent partager leur expérience.

Enfin, huitième proposition concluant ces recommandations à portée nationale, nous suggérons de mettre en place un soutien national dédié aux coopérations transfrontalières, afin de compléter les financements européens INTERREG sur lesquels elles reposent actuellement le plus souvent, qui présentent la limitation d’être intrinsèquement temporaires.

Toutes ces propositions, pour être mises en œuvre, devront être portées par les autorités politiques.

M. Frédéric Barbier, rapporteur du groupe de travail. Après ces recommandations qui s’adressent surtout au Gouvernement, nous avons des recommandations que l’on pourrait dire plus girondines, inspirées des éléments remontant des territoires. Nous ne devons jamais oublier que l’intérêt des personnes, plus précisément en l’espèce des patients, doit être la priorité. La neuvième proposition est de toujours veiller à la réciprocité dans la co-construction transfrontalière d’offres de soins, ce qui ne va pas de soi, car chacun a tendance à « vendre » en quelque sorte ses compétences sans se préoccuper des contreparties. La dixième proposition s’inscrit dans la perspective d’une future co-construction des offres de soins : il s’agirait de développer les instances permettant dans les bassins de vie transfrontaliers une connaissance partagée des besoins de santé et un diagnostic partagé des priorités qui en résultent. Cet exercice devra non seulement prendre en compte le coût des soins, mais aussi celui des transports sanitaires, et plus généralement les coûts sociaux-économiques subis par les patients. La onzième proposition concerne la question particulièrement sensible de la démographie des professions médicales et paramédicales, qui doit être traitée. La douzième concerne les enjeux relevant du droit civil et de la police générale – formalités d’état-civil des nouveau-nés transfrontaliers si l’on envoie les parturientes au-delà de la frontière, rapatriement des personnes décédées, transmission de données personnelles médicales, passage des frontières par les véhicules sanitaires et de secours… Ces points doivent être traités. Il faut donc associer aux discussions les acteurs administratifs pertinents, notamment les préfectures.

M. Bruno Fuchs, rapporteur du projet de loi. Pour que ces enjeux soient bien pris en compte, nous pensons enfin qu’il faut mettre en place une véritable gouvernance démocratique des coopérations transfrontalières – ce que nous proposons pour la Suisse et le Luxembourg pourrait être étendu aux autres pays limitrophes. L’administration ne doit pas être laissée seule. Nous recommandons en treizième point de constituer des commissions d’usagers, de professionnels de santé et d’élus des territoires dans les bassins de vie frontaliers, qui seront chargées de contribuer à la mise en place et au suivi des conventions locales de coopération sanitaire transfrontalière. Quatorzième point, le suivi par les élus. Nous souhaitons pouvoir continuer à suivre ces questions dans notre Assemblée nationale, à travers une instance ad hoc, qui pourrait être notre groupe de travail qui poursuivrait ses travaux ou bien un groupe d’études à constituer. De plus, les accords-cadres prévoyant des commissions mixtes de suivi, il faut que des élus territoriaux et/ou nationaux, et pas seulement des hauts fonctionnaires, y prennent part.

Enfin, selon la quinzième proposition, qui est plus spécifiquement alsacienne actuellement mais avec des possibilités d’élargissement futur, la coopération sanitaire transfrontalière devrait être l’un des domaines d’exercice du « droit à l’expérimentation » dans le cadre de la nouvelle « collectivité européenne d’Alsace », puisque celle-ci sera chef de file sur les enjeux transfrontaliers.

Sous réserve de cet ensemble de recommandations, nous proposons à la commission d’adopter le projet de loi qui permettra l’entrée en vigueur des deux accords-cadres. Ces accords ne sont pas parfaits, mais peuvent déboucher sur des réalisations concrètes si le Gouvernement mobilise pour cela les administrations et si les citoyens et les élus sont réellement associés à la démarche dans les territoires frontaliers. Nous souhaitons enfin que le projet de loi puisse être débattu en séance publique, afin de pouvoir échanger avec le Gouvernement sur nos recommandations.

Mme Marion Lenne. Voter de façon éclairée et exercer le contrôle démocratique qui nous incombe, telles étaient, il y a dix mois, les raisons qui nous ont poussés à surseoir au vote de ce projet de loi. Nous avons pris le temps de poursuivre les investigations avec le groupe de travail.

Nous avons mis en lumière, entre autres, que le projet régional de santé des agences régionales de santé Grand-Est et Bourgogne-Franche-Comté prend en compte la dimension frontalière, dans un objectif d’optimisation de l’offre de soins et des dépenses de santé. À l’inverse, l’ARS Auvergne-Rhône-Alpes attend l’approbation de ce projet de loi pour envisager un volet transfrontalier dans son projet régional de santé. Lors de nos déplacements, une membre de la commission santé du Comité régional franco-genevois, une des plus anciennes instances de coopération transfrontalière franco-suisse, qui est coprésidé par le préfet de région Auvergne-Rhône-Alpes et le président du conseil d’État genevois, nous a fait part de la politique de la chaise vide suivie jusqu’alors par l’ARS Auvergne-Rhône-Alpes.

Par ailleurs, les Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) n’ont pas de contact avec les groupements hospitaliers territoriaux Nord ou Sud de la Haute-Savoie. Qu’en est-il donc de leurs relations avec le centre hospitalier universitaire vaudois ou l’hôpital Riviera-Chablais. Au regard de ce qui se passe localement dans les hôpitaux du Léman à Thonon, nous pouvons nous interroger sur la volonté, l’intérêt voire même la capacité de cette ARS à coordonner une offre de soins performante au service de la population du très attractif bassin de vie lémanique.

Il était donc important de s’assurer d’une portée juridique claire pour une mise en œuvre efficace de l’accord-cadre. Nos recommandations visent à ce que cet accord international garantisse la continuité des soins pour les populations de la zone frontalière et simplifie les procédures administratives et financières pour les patients. La signature de l’accord remonte à 2016, les Suisses l’ont ratifié en 2017. La ratification de l’Assemblée nationale est attendue sur le terrain. Cet accord aura un impact direct sur les citoyens. La coopération sanitaire transfrontalière est une réalité. Dans le Chablais haut-savoyard, un actif sur quatre est travailleur frontalier dans les cantons de Genève, de Vaud ou du Valais. Le développement des coopérations représente autant de possibilités de recourir à des soins en Suisse pour pallier le manque de soins et d’infrastructure côté français.

Mme Bérengère Poletti. Ce type de coopération, dans l’idéal, semble souhaitable, surtout à l’échelle d’un bassin de vie. Dans la réalité, je pense que nous ne sommes pas tout à fait sur ce type de problématique. J’ai des collègues qui sont venus ici, originaires de Savoie ou Haute-Savoie, qui en parleront mieux.

Ce que je sais, pour avoir une expérience des sujets sanitaires et médico-sociaux, c’est qu’il existe un véritable problème de démographie médicale. Nous nous demandons si ce type d’accords ne va pas aggraver ce problème puisque les salaires et l’attractivité de ces pays sont meilleurs.

Je parlerai plutôt pour mon département, celui des Ardennes, où des accords transfrontaliers existent depuis plus longtemps. Les cultures sont différentes. La Belgique, comme la Suisse et le Luxembourg, a une vision commerciale de l’offre sanitaire et médico-sociale. Ces pays considèrent que les établissements médico-sociaux ou sanitaires permettent de créer de l’emploi et de la richesse. C’est véritablement ce qui se passe en Belgique, nous l’avons vu, avec la problématique des personnes handicapées et des personnes âgées. Maintenant, nous le vivons en matière sanitaire, car nous avons récemment mis en place des accords avec nos voisins belges pour l’offre de soins que nous n’avons plus en France après avoir fermé des structures, des petits hôpitaux et des maternités. Nos compatriotes ardennais vont se faire soigner en Belgique. Nous sommes allés assez loin puisqu’il y a même un arrangement sur les questions de nationalité qui se posent lorsque l’on se rend pour accoucher en Belgique. Les problèmes ont tellement bien été réglés entre les hôpitaux de Charleville et de Belgique que nous assistons à une forme de siphonage de la patientèle ardennaise. Plus le temps passe, plus nous voyons diminuer le nombre d’actes pratiqués par l’hôpital de Charleville.

M. Alain David. À l’image de ce que disait Mme Poletti, merci pour votre présentation messieurs les rapporteurs, madame la présidente. Sans rentrer dans le détail technique de cet accord, son existence me laisse espérer que de tels textes concernant la coopération fiscale et la lutte contre l’évasion fiscale et le blanchiment seraient également possibles avec ces deux pays, souvent insuffisamment coopératifs. Il est vrai que nous parlons de ponction sur la patientèle ; ici ce sont des ponctions sur nos impôts et sur notre fiscalité.

M. Jean Paul Lecoq. Je me demandais au début à quoi servait cet accord. La sécurité sociale a été mise en place par Ambroise Croizat de la CGT et quelques hauts fonctionnaires célèbres, cela fonctionne plutôt bien. La frontière existe depuis la nuit des temps. Les questions européennes ont été réglées depuis quelques décennies. La Suisse est indépendante depuis le début. Pourquoi nous posons-nous maintenant la question des accords transfrontaliers ? D’après l’exposé des rapporteurs, j’ai compris qu’il y avait une crise, et que c’est à cause de cette crise médicale que les patients vont se faire soigner à l’étranger et qu’il faut discuter de cela avec nos voisins.

Je suis député du Havre et, lorsque j’étais maire de Gonfreville l’Orcher, je proposais à mes concitoyens d’aller se soigner à Paris, à 200 kilomètres. Nous réalisons toujours des transports sanitaires, en car ou en train, pour aller chez l’ophtalmologiste, car à Paris vous obtenez un rendez-vous en quatre jours alors que chez nous il faut environ un an et quatre mois. Lors d’une urgence il vaut mieux venir à Paris, mais il n’existe pas d’accord avec Paris pour prendre en charge le transport sanitaire entre Le Havre et Paris. Il pourrait y avoir un accord mais il n’existe pas. Je mesure donc l’utilité de l’accord transfrontalier, mais il existe pour régler une crise de démographie médicale en raison des médecins qui partent en Suisse.

Il faut environ dix années d’études pour devenir médecin, financées par nos impôts. Nous finançons des médecins pour qu’ils exercent ensuite en Suisse. Il y a un problème de gestion de la démographie médicale en France. Derrière cet accord, s’il y a un débat dans l’hémicycle, je soulèverai ce sujet. J’espère que le sujet sera abordé non seulement en termes d’accord d’État à État, mais aussi en termes de situation sanitaire dans notre pays. Nous n’arrivons pas à avoir un débat sérieux sur la démographie médicale, sur ses conséquences sur la santé des gens et sur le budget de la sécurité sociale.

M. Martial Saddier. En tant que député de Haute-Savoie et président de la commission des élus du Groupement hospitalier de territoire Léman-Mont-Blanc, je souligne qu’il existe en permanence des échanges avec les HUG en ce qui concerne la Haute-Savoie, qui est le plus important département frontalier avec la Suisse.

D’abord, les HUG sont le recours de niveau CHU pour les grands traumatismes. Je pense notamment aux accidents de montagne et de ski. Lorsque les CHU de Grenoble et de Lyon ne peuvent pas accueillir les personnes ou lorsqu’il est vital d’aller très vite, ce sont bien les HUG qui prennent en charge.

Ensuite, l’un des médecins du Centre hospitalier Alpes Léman (CHAL) est aussi président de la commission médicale d’établissement (CME). Il partage son temps entre le CHAL et les HUG. Nous ne pouvons donc pas dire qu’il n’existe pas de liens entre établissements.

Mais il y a aussi le fait que la Suisse n’appartienne pas dans l’Union européenne. Je pense à un projet que nous avons porté avec la députée Virginie Muller et avec les élus d’Annemasse : la construction d’une école transfrontalière pour les infirmières et les aides-soignants. Nous avons été bloqués à cause d’un problème de statut des enseignants suisses. Nous ne sommes pas parvenus à adapter le statut des enseignants suisses côté français.

Je ne peux donc pas laisser dire qu’il n’y a pas de contacts, même si nous pouvons toujours mieux faire et formaliser. Je regrette que le groupe de travail n’ait pas auditionné les établissements publics haut-savoyards alors qu’il a auditionné les HUG. Je ne peux pas laisser l’ARS être mise en cause alors que celle de Haute-Savoie n’a pas été auditionnée. Il est inconcevable de tirer à boulets rouges sur des personnes qui n’ont pas été auditionnées et je trouve excessifs les propos qui ont été tenus au nom d’un groupe.

Limiter le départ des praticiens est évidemment le point le plus important. Sur ces territoires frontaliers, nous avons des populations de frontaliers et de non-frontaliers, et l’offre de soin publique que nous avons bâtie depuis des années a été conçue avec la totalité des populations. Tout accord non concerté au plus près des territoires pourrait rendre service à une partie de la population, mais aussi mettre à mort les établissements que nous avons mis tant d’années à conforter et à bâtir dans ces zones frontalières. J’appelle donc à la plus grande concertation et à la plus grande prudence.

Mme Virginie Duby-Muller. Merci d’avoir remis l’examen de ce texte à l’ordre du jour. J’étais déjà venue dans cette commission le 7 février dernier pour la première discussion. Vous aviez alors décidé de surseoir à son vote et de proposer une mission-flash, dont les travaux devaient durer quelques semaines. Finalement, ça a duré six mois. J’ai bien pris connaissance des différentes recommandations, qui énoncent des états de fait que nous connaissons bien.

Il y a, comme vous le savez, comme Martial Saddier l’a dit, des relations transfrontalières très anciennes entre la France et la Suisse. Vous les avez citées en matière de mobilité. La première rame du Léman Express sera mise en service le 15 décembre 2019 à 5h02 ; ce sera une traduction concrète de ces coopérations.

En matière de santé, il existe déjà certaines choses, notamment pour les cas d’urgence, et ce n’est pas uniquement pour des problèmes de démographie médicale que nous souhaitions que cette convention-cadre soit rapidement entérinée. Il faut savoir que se trouve aujourd’hui à Genève un hôpital universitaire qui bénéficie par exemple d’un caisson hyperbare et est très pointu en matière de cancers pédiatriques. Le fait d’ouvrir à la population française ces soins permettrait aux parents d’accompagner leurs enfants à quelques kilomètres sans avoir à aller à Lyon. Voilà, au départ, ce qui justifiait cet accord-cadre, même s’il faut reconnaître que nous avons aujourd’hui de gros problèmes de démographie médicale, aggravés par les différentiels en matière de salaires.

Concernant les litiges relatifs à l’affiliation des travailleurs frontaliers, malgré l’engagement du Gouvernement, tout n’est pas réglé. Nous travaillons régulièrement avec les associations de travailleurs frontaliers qui accompagnent les personnes dans des démarches qui sont à la fois chronophages et épuisantes. Votre recommandation parle de « veiller à ce que le gouvernement tienne ses engagements ». Comment pourrons-nous remplir cette recommandation ? Commet y veiller et via quel outil de contrôle ?

Sur la question de la démographie médicale, que vous avez mise en exergue, on peut s’interroger sur la question de coût de la vie dans notre département, qui est très élevé. On pourrait songer à la mise en place d’une prime de vie chère, qui permettrait de fidéliser les travailleurs. Comment, selon vous, aussi résoudre ce problème au niveau national ? Nous essayons de mettre en place et de soutenir des initiatives locales, tant le département que la région, mais le niveau national devrait nous aider.

M. Jean-François Portarrieu. Je félicite les rapporteurs pour leur synthèse. Deux questions : les accords traitent-ils des échanges de personnel ? Couvrent-ils le champ de la télémédecine ?

M. Christian Hutin. Mon intervention sera dans le même esprit que celles de Jean-Paul Lecoq et d’Alain David. Si les Helvètes ont été à l’origine de la guerre des Gaules, celle-ci a concerné l’ensemble de la nation, et je crois qu’il faut étendre un peu le sujet. Je pense que notre groupe s’abstiendra sur ce sujet. Nous comprenons le travail qui a été fait, qui est formidable, et l’on comprend aussi totalement l’intérêt des populations frontalières. Je pense que si j’étais député de ce secteur, j’aurais la même défense et le même enthousiasme que vous avez eus, ou les mêmes réserves ; tout au moins la même volonté de progresser.

Cependant, le problème est plus large que cela et nous demanderons également que l’on en débatte dans l’hémicycle. Je suis aussi député frontalier. Je constate le nombre d’anciens Nordistes qui sont dans des maisons de retraite en Belgique. La question du handicap est essentielle aussi, avec nombre de parents handicapés qui partent se réfugier en Belgique, pour les mêmes raisons, avec des arrangements qu’on ne connaît pas. Ces questions, nous pouvons en parler avec l’ensemble des députés frontaliers. Comme Jean-Paul Lecoq, je tiens à souligner les délais d’obtention de rendez-vous chez les spécialistes. Chez moi, les gens vont chez l’ophtalmologiste quand ils vont en vacances dans le Midi, mais la prise en charge du camping-car ou du camping n’est pas assurée par la sécurité sociale ! Disons les choses clairement et simplement : les Dunkerquois n’obtiennent pas de rendez-vous en ophtalmologie ; ils doivent aller en Belgique ou mettre à profit leurs vacances. C’est un problème qu’il faut aborder au niveau national, pas seulement à propos des zones frontalières avec la Suisse.

M. Bruno Fuchs, rapporteur du projet de loi. D’abord un commentaire général. Certes, nous avons pris six mois et retardé d’autant l’entrée en vigueur des accords-cadres. Il y avait, on l’a vu, et vos remarques le soulignent, un certain nombre d’incertitudes sur la capacité à les appliquer en bon ordre, efficacement et dans l’intérêt public. Ces six mois ont permis, grâce à nos recommandations, qui ne sont peut-être pas exhaustives, de proposer un cadre de gouvernance, dans l’espoir qu’il permettra un déploiement pratique des coopérations transfrontalières dans de bonnes conditions.

S’agissant de la remarque de Bérengère Poletti, je rappelle d’abord que nous discutons d’accords-cadres qui devront être déclinés par les acteurs de terrain, région par région, en fonction de leurs besoins, de leurs attentes. Je pense à l’inverse de Mme Poletti qu’aujourd’hui les choses se font de façon naturelle, en fonction des choix des patients et de l’offre, et que l’intérêt des accords-cadres est de permettre de réguler. Les accords-cadres pourront déboucher, par exemple, sur des accords d’investissement pluriannuels, afin de mutualiser des moyens. On peut citer à cet égard l’hôpital de Cerdagne, mis en place avec l’Espagne. Aujourd’hui, un ambulancier suisse qui transporte un malade en France va rentrer à vide, car il ne pourra pas embarquer un patient en France, et réciproquement. Il serait possible, avec des accords spécifiques, précis, d’améliorer le dispositif, de mutualiser les moyens et de rationaliser les coûts. Une question comme celle de la maternité de Charleville me paraît typiquement devoir concerner les autorités des deux côtés de la frontière.

Je n’ai pas bien compris ce que voulait dire Alain David. Ponctionner sur nos impôts, est-ce à dire que nous allons payer des prestations à un pays étranger ? Oui, mais s’il y a prestation c’est qu’il y a soin, donc soulagement des patients. De plus, l’intérêt de négocier des accords, c’est d’obtenir éventuellement des conditions favorables. Les responsables de l’hôpital universitaire de Bâle que nous avons rencontrés nous ont dit être prêts à proposer une nomenclature spécifique pour la France, compte tenu des différences de tarifs. Il peut aussi y avoir réciprocité. À Mulhouse, par exemple, nous disposons d’un service d’urgence SOS main, qui réalise 5 000 interventions par an. On pourrait y développer la patientèle suisse, aujourd’hui faible, par un accord. Il y a des possibilités dans les deux sens, car nous avons en France un équipement dense et de haut niveau.

M. Frédéric Barbier, rapporteur du groupe de travail. Je ferai une remarque plus générale en réponse à l’ensemble des interventions. Les départements frontaliers sont dans une situation particulière, c’est un fait. C’est accentué avec la Suisse, car elle est européenne sans faire partie de l’Union. De plus, le pays a une structure fédérale avec beaucoup d’autonomie laissée au niveau des cantons, dont chacun travaille différemment. Je partage l’avis de Martial Saddier : des choses sont réalisées dans certains secteurs. Dans le nord de mon département, le Doubs, nous avons déjà commencé à travailler avec nos voisins suisses. Donc, on ne peut pas dire que rien n’existe. Les accords-cadres ne sont pas là pour tout créer, mais pour impulser une autre dynamique et permettre de conforter les gens dans les relations qu’ils ont déjà avec la Suisse ou le Luxembourg sur un certain nombre de projets.

Je ne peux pas laisser dire non plus que l’on va multiplier le recours à des soins en Suisse ou au Luxembourg, et que cela va nous coûter plus cher. Nos relations financières avec ces pays pour les soins sont aujourd’hui bénéficiaires. Nous facturons au Luxembourg quelque chose comme 270 millions d’euros de prestations effectuées en France au bénéfice de ses assurés sociaux, alors que le flux dans l’autre sens n’est que de 12 millions. Dans notre relation avec la Suisse, nous sommes aussi légèrement bénéficiaires.

Les départements frontaliers de l’Est ne sont pas comme les départements de l’Ouest ou du centre de la France : leurs habitants ne peuvent pas forcément bénéficier d’offres de soins dans des départements voisins de tous les côtés. On a donc une nécessité : les habitants de nos territoires se rendent régulièrement dans les pays frontaliers, pour la famille ou le travail, et c’est tout un développement économique et sociétal qui s’est fait.

Nous avons une histoire avec la Suisse qu’il faut accompagner. On l’a fait pour le transport, l’agriculture, la sécurité, les interventions en cas de secours ; par exemple, les services départementaux d’incendie et de sécurité (SDIS) peuvent dans certains cas intervenir en Suisse. Il faut mettre en place des mesures similaires dans le secteur de la santé. Je crois que notre rapport fait des propositions très concrètes de gouvernance, pour que sur ces territoires on se parle beaucoup plus. Des ARS sont en avance, d’autres moins. Il faut avoir plus de CPAM référentes sur l’ensemble de la frontière.

Nous, députés, devons être en capacité de contrôler les réalisations et de porter des propositions, dire ce qui va et ce qui ne va pas. Chers collègues, ne vous abstenez pas, aidez nos territoires et leurs habitants ! Nous avons besoin de ces accords-cadres.  

M. Bruno Fuchs, rapporteur du projet de loi. Une remarque générale sur le plan politique : actuellement, les échanges de patients et de soins avec la Suisse et le Luxembourg résultent du jeu du marché ; ce qui est proposé, c’est de pouvoir contractualiser. Je ne comprendrais pas que vous ne votiez pas en faveur du projet de loi, car les accords-cadres n’enlèvent rien et apportent des possibilités de régulations. Concernant la crise de la démographie médicale, ce n’était pas l’objet de notre mission, même si c’est bien sûr un problème majeur.

M. Jean-Paul Lecoq. J’attire l’attention sur la proposition de « prime de vie chère ». Ce genre de mesure revient à « déshabiller Pierre pour habiller Paul ». Une zone du Havre est devenue « zone franche » : en conséquence, plus un seul médecin n’est installé en centre-ville car ils sont tous partis dans cette zone franche. À chaque fois, on croit régler la question en donnant un petit plus à un territoire, et c’est le territoire d’à côté qui s’en trouve désavantagé. Ce n’est pas la bonne réponse, même s’il est clair qu’il faut apporter une réponse.

M. Christian Hutin. Une petite explication de vote : il ne s’agit de discriminer vos territoires et vos électeurs ; ce que vous faites est formidable pour eux. Par nos abstentions, nous nous plaçons en lanceurs d’alerte. Dans l’hémicycle, nous pourrons exprimer l’inquiétude de nos territoires, qui eux ne sont pas proches de la Suisse.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Il faudra qu’il y ait un débat dans l’hémicycle ; c’est un sujet qui touche directement nos concitoyens. Le Parlement doit être la caisse de résonance des attentes des uns et des autres.

Je remercie les rapporteurs d’avoir diffusé leur projet de rapport la semaine dernière, pour que nous puissions le lire en amont ; cette démarche doit se généraliser au sein de la commission.

Enfin, il faudra faire vivre ces accords-cadres, c’est-à-dire mobiliser les pouvoirs publics, suivre, évaluer, contrôler, être créatifs… Je pense qu’il serait positif que le groupe de travail se transforme en groupe de suivi.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission adopte le projet de loi 390.


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   ANNexe 1 : texte adopté par la commission

 

Article 1er

Est autorisée l’approbation de l’accord-cadre sur la coopération sanitaire transfrontalière entre le Gouvernement de la République française et le Conseil fédéral suisse, signé à Paris le 27 septembre 2016, et dont le texte est annexé à la présente loi.

 

Article 2

Est autorisée l’approbation de l’accord-cadre entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg sur la coopération sanitaire transfrontalière, signé à Luxembourg le 21 novembre 2016, et dont le texte est annexé à la présente loi.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                                     

NB : Le texte des deux accords figure en annexe au projet de loi (n° 390).


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   Annexe 2 : liste des personnes auditionnées par le groupe de travail

À Paris, par ordre chronologique :

 

       M. Jean-Luc Johaneck, président du Comité de défense des travailleurs frontaliers du Haut-Rhin (11 avril) ;

 

       M. Michel Charrat, président du Groupement transfrontalier européen, et Mme Guylaine Riondel-Besson, directrice des services accueil, juridique et social du Groupement (12 avril) ;

 

       M. Pierre Cuny, maire de Thionville, président de la communauté d’agglomération « Portes de France Thionville » (responsable de la « Maison du Luxembourg »), accompagné de M. Pierrick Grall, directeur de cabinet (17 mai) ;

 

       M. Christophe Lannelongue, directeur général de l’agence régionale de santé du Grand-Est, et Dr. Carole Cretin, directrice de la stratégie (24 mai) ;

 

       Mme Cécile Sache, chargée de mission à la division des affaires communautaires et internationales de la direction de la sécurité sociale (ministère des solidarités et de la santé) (24 mai) ;

 

       Mme Valérie Pagnot et MM. Michel Morel, Michel Rivière et Ibrahima Diao, représentant l’Amicale des frontaliers (24 mai) ;

 

       M. Romain Henry, directeur « prospective et production » de la caisse primaire d’assurance maladie de Haute-Savoie, et Mme Brigitte Nanche, responsable de son pôle « relations internationales » (31 mai) ;

 

       Mme Elvire Aronica, déléguée adjointe aux affaires européennes et internationales, et M. Cyril Vinsonnaud, adjoint au chef de bureau « politiques et relations européennes » de la délégation (ministère des solidarités et de la santé) (31 mai) ;

 

       MM. Pierre Pribile, directeur général de l’agence régionale de santé de Bourgogne-Franche-Comté, et Cédric Duboudin, directeur de l’innovation et de la stratégie (28 juin) ;

 

       M. Philippe Guétat, directeur de la délégation dans l’Ain de l’agence régionale de santé d’Auvergne-Rhône-Alpes (28 juin) ;

 

       Mme Marie-Odile Saillard, directrice générale du centre hospitalier régional de Metz-Thionville et du centre hospitalier de Briey (28 juin) ;

 

       Mme Peggy Frantzen, chef de mission adjointe à l’ambassade du Luxembourg en France (13 novembre).

 

 

À Genève, le 12 octobre :

 

       M. Mauro Poggia, conseiller d’État de Genève (ministre cantonal) chargé du département de l’emploi et de la santé ;

 

       Mme Anne-Karina Kolb, directrice des affaires extérieures et fédérales du canton de Genève ;

 

       MM. Alexandre Epalle, directeur des affaires extérieures des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), et Flavien Rey, responsable « pôle régional et national », et Mme Véronique Maye, responsable « tarifs et clientèle » ;

 

       M. Olivier Mauvisseau, consul général de France à Genève.

 

 

À Bâle, le 19 octobre :

 

       Dr. Lukas Engelberger, conseiller d’État de Bâle-Ville (ministre cantonal), chef du département de la santé ;

 

       Dr. Peter Indra, chef de service du département de la santé du canton de Bâle-Ville ;

 

       Dr. Werner Kübler, directeur de l’Hôpital universitaire de Bâle, Dr. Charlotte Werthemann, directrice des affaires extérieures, et leurs collaborateurs ;

 

       Mme Nathalie Neumann-Pfendler, consule honoraire de France à Bâle.

 

 

Les membres du groupe de travail remercient les services diplomatiques français en Suisse, en particulier MM. Olivier Mauvisseau, consul général de France à Genève, et Jean-Jacques Victor, consul général de France à Zurich et au Liechtenstein, pour leur assistance dans l’organisation de ces déplacements et leur hospitalité.


([1]) Article L. 6134-1 du code de la santé publique.

([2]) Articles R. 160-2 et 160-3 du code de la sécurité sociale.

([3]) Règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 sur la coordination des systèmes de sécurité sociale et règlement (CE) n° 987/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 fixant les modalités d’application du précédent.

([4]) Directive n° 2011/24/UE du 9 mars 2011 relative à l’application des droits des patients en matière de soins de santé transfrontaliers.

([5]) Arrêts Kohll & Decker (1998), Smits & Peerboom (2001), Muller-Fauré (2003), notamment.

([6]) Article R. 160-1 du code de la sécurité sociale.

([7]) Article R. 160-2 du code de la sécurité sociale.

([8]) « La coopération transfrontalière dans le domaine de la santé : principes et pratiques », par Eric Delecosse, Fabienne Leloup et Henri Lewalle.

([9]) Données tirées du rapport statistique pour l’exercice 2016 du Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale (CLEISS).

([10]) Dans l’autre sens, on peut rappeler les Français installés en Suisse constituent la 1ère communauté française à l’étranger, avec 187 000 inscrits sur le registre consulaire.

([11]) Voir : « Observatoire transfrontalier des personnels de santé : premières données chiffrées et une réflexion commune engagée », communiqué du lundi 16 janvier 2017, et/ou « Premiers résultats des travaux de l’observatoire franco-genevois des personnels de santé », ARS Auvergne-Rhône-Alpes, novembre 2016.

([12]) Près de 10 000 recours sont en instance, principalement devant le tribunal des affaires de sécurité sociale de Mulhouse.

([13]) Arrêt n° 307 du 15 mars 2018 (17-21.991) ECLI:FR:CCASS:2018:C200307.

([14]) En revanche, le tarif des prestations ambulatoires fournies dans les cabinets médicaux et les hôpitaux a été unifié au plan fédéral en 2004.

([15]) Article L. 1434-2 du code de la santé publique, issu de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé : « dans les territoires frontaliers et les collectivités régies par l’article 73 de la Constitution, le projet régional de santé organise, lorsqu’un accord cadre international le permet, la coopération sanitaire et médico-sociale avec les autorités du pays voisin ».