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N° 1597

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 23 janvier 2019.

 

 

 

RAPPORT

 

 

 

FAIT

 

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LA PROPOSITION de loi, adoptée par le Sénat, portant création dun fonds dindemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques,

 

VOLUME II

COMPTE-RENDU

 

 

Par M. Dominique POTIER,

 

 

Député.

 

——

 

 

 

 

 

Voir les numéros :

Sénat : 792 (2015-2016), 236, 237 et T.A. 55 (2017-2018).

 Assemblée nationale :  630.

 

 


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SOMMAIRE

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Pages

Compte rendu des débats

Article 1er Champ des personnes éligibles au dispositif d’indemnisation

Article 2 Création et organisation du Fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques

Article 3 Procédure de détermination de l’existence d’un préjudice indemnisable par le fonds

Article 4 Présentation des offres d’indemnisation et paiement par le fonds

Article 5 Droit d’action en justice des demandeurs contre le fonds

Article 6 Recours des personnes éligibles au dispositif d’indemnisation

Après l’article 6

Article 7 Modalités de financement du fonds

Article 8 Régime de prescription

Article 9 Rapport annuel, modalités d’application et dispositions transitoires

Après l’article 9


—  1  —

   Compte rendu des débats

La commission examine au cours de sa séance du mercredi 23 janvier 2019 la proposition de loi, adoptée par le Sénat, portant création d’un fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques (n° 630) (M. Dominique Potier, rapporteur).

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.7167338_5c4823fecc033.commission-des-affaires-sociales--propositions-de-lois-diverses-23-janvier-2019

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Notre commission est appelée à travailler sur le texte de la proposition de loi portant création d’un fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques, dont le rapporteur est M. Dominique Potier.

M. Dominique Potier. Madame la présidente, mesdames et messieurs, chers collègues, je vous remercie de m’accueillir comme rapporteur au sein de votre commission des affaires sociales. Pour un membre de la commission des affaires économiques, c’est toujours comme une promotion !

Je voudrais tout d’abord rendre hommage aux députés qui ont participé, avec beaucoup d’attention, aux auditions préparatoires à l’examen de cette proposition de loi. Le dialogue que nous avons eu en marge de ces auditions était lui aussi d’une grande qualité. Je suis sûr que cela présage d’une capacité d’échange du même niveau pour l’examen du texte dans cette commission, en toute humilité, sans chercher à se donner des leçons les uns aux autres, encore moins des leçons de morale, à plus forte raison sur un sujet aussi sensible. Il s’agit plutôt de chercher la vérité, de s’efforcer d’être juste et d’agir au mieux.

Nous proposons, en lien avec les députés de la majorité qui ont suivi ce dossier, de considérer ce débat en commission comme une première étape, où nous allons gagner en connaissance du sujet et faire les premiers pas. La séance publique pourrait être l’occasion d’arriver à des accords plus importants.

Le 19 décembre, j’avais l’occasion de présider, à la fondation Jean Jaurès, aux côtés de Matthieu Orphelin, dans le cadre du collectif « Accélérons la transition écologique et solidaire ! », un colloque sur le fondement des travaux de l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI), filiale de Sciences Po, qui posaient le principe d’une Europe sans pesticides à l’horizon 2050. La qualité des débats, menés notamment avec l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) et les ONG présentes, a montré que cette perspective, loin d’être utopique, était même heureuse au sens où elle permettait, par exemple, d’espérer une baisse des émissions de gaz à effet de serre de l’ordre de 40 %.

Cette perspective d’une Europe sans pesticides en 2050 m’évoque l’après-guerre. Car nous serons alors un siècle après l’après-guerre. Ira-t-on alors jusqu’à considérer que la chimie dans l’agriculture n’aura finalement été qu’une parenthèse ? Envisager cette perspective, c’est vraiment engager un changement de paradigme tout à fait important. Cela me paraît être une des bonnes nouvelles de ce début du XXIe siècle : dans le monde de l’agronomie et dans la grande histoire de l’agriculture à l’ère moderne, la chimie n’aura-t-elle finalement été la solution majoritaire dans la lutte contre les ravageurs, les maladies et tous les maux qui peuvent frapper nos animaux et nos plantes que pendant une parenthèse dans l’histoire de l’humanité, entre 1950 et 2050 !

C’est dans cette perspective que je propose de nous placer désormais. J’évoquerai, pour preuve du consensus qui est en train de s’établir sur ce point, le dialogue que j’avais encore hier soir avec le nouveau président d’Interfel, l’interprofession des fruits et légumes. Ce secteur d’activité ne représente que quelques pourcents de la surface agricole utile française ; or il concentre, avec la viticulture, une part importante de la dépendance à la phytopharmacie. Eh bien, le président de l’interprofession des fruits et légumes me déclarait hier soir qu’il était prêt à adopter cette perspective d’une Europe sans pesticides en 2050. Autrement dit, même les secteurs les plus exposés dans la compétition internationale et les plus dépendants des situations de phytopharmaceutiques se mettent désormais dans cette perspective, dès lors que nous avons acté que nous avions changé de monde et que nous nous dirigeons résolument, pour des raisons de santé publique, de changement climatique, de souveraineté alimentaire et de cohérence des politiques sociales environnementales, vers une Europe sans pesticides.

Mais regardons en arrière et considérons l’explosion de ce recours aux intrants chimiques, mais aussi les premiers temps de la prévention et des premières alertes, qui n’apparaissent qu’en 1974 : il aura fallu attendre près de dix ans, parfois vingt, pour voir se mettre en place les premières politiques de prévention solides… Il aura fallu pratiquement une génération entre les premières alertes sanitaires et les directives européennes de 2009 qui établissent un lien de causalité entre les pesticides et leurs effets nocifs et enclenchent une obligation pour les États membres de mettre en place des politiques de prévention.

Tout en regardant l’horizon d’une Europe sans pesticides, plus saine et plus durable, rappelons-nous le temps de l’incurie, de l’inconscience et d’une forme de désinvolture que nous portions collectivement : nous devons admettre que, dans notre pays, des personnes ont été, inconsciemment et involontairement, victimes d’une faute, d’une responsabilité collective, en un mot d’un système. Car la prévention n’était pas présente et les précautions qui auraient dû être prises ne l’ont pas été.

Tout l’objet de la présente proposition de loi est de mettre nos pas dans le chemin de cette nécessaire réparation. Il y aurait un parallèle à faire avec d’autres conflits, comme ceux qui peuvent opposer des peuples sur un territoire : chaque fois qu’on est capable de réparer, on prévient la guerre et on prépare la paix. Si on n’est pas capable de réparer, on ne prépare pas vraiment la paix.

Je propose ainsi que nous fassions en sorte de nous donner, par la création d’un fonds d’indemnisation des victimes de l’usage, du mauvais usage, du mésusage de la phytopharmacie, les moyens de préparer un monde où nous serons affranchis de ces pratiques et où nous aurons mis en œuvre des solutions plus heureuses pour notre agriculture et notre alimentation.

Pour ce faire, nous nous sommes appuyés sur une série de travaux extrêmement récents. 2013 a vu la parution du rapport de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), qui a réellement modifié la donne. J’ai eu l’honneur d’être le rapporteur du plan Ecophyto II, sollicité par Jean-Marc Ayrault et remis à Manuel Valls, mais jamais réellement mis en œuvre depuis 2014. Ce plan rendait hommage aux changements profonds survenus depuis le Grenelle de l’environnement et, surtout, depuis le rapport de l’INSERM qui a établi un lien de causalité entre l’utilisation des phytosanitaires et tout un faisceau de maladies. Car il y a vraiment un monde avant ce rapport et un autre après.

Un autre rapport très important est celui qui a été porté par nos collègues sénateurs. Ils sont d’ailleurs allés au bout de leur combat, puisqu’ils ont ensuite déposé et fait adopter cette proposition de loi. Leur rapport d’information de 2012, intitulé « Pesticides : vers le risque zéro », est le fruit d’une mission présidée par Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques et membre du groupe Les Républicains du Sénat. Elle m’a renouvelé, par un message, son soutien et sa volonté de nous voir aboutir aujourd’hui. Vous voyez donc combien le spectre politique concerné est large.

Nicole Bonnefoy était quant à elle la rapporteure de cette proposition de loi. Le Sénat a adopté son rapport à l’unanimité en 2012. Ce rapport propose la création d’un fonds d’indemnisation. Nos collègues sénateurs socialistes et républicains ont, à partir de là, établi un diagnostic et, forts d’une conviction partagée, ont poursuivi leurs travaux visant à l’élaboration d’une loi.

Presque concomitamment, en 2011, Paul François crée l’association Phyto-Victimes. Lui-même avait été victime d’un accident dans l’usage de produits phytopharmaceutiques : nous connaissons tous son histoire héroïque, son courage, sa bravoure. Il poursuit son combat au-delà des frontières pour défendre des paysans victimes d’épandage aérien dans des régions d’Amérique du Sud. Paul François et des centaines de militants, à partir de 2011, ont montré la quasi-impossibilité, sur le plan juridique, d’une action en recherche de responsabilité des fournisseurs ou des autorisations publiques, aux fins d’obtenir la réparation des victimes. Entre 2011 et 2014, la conjugaison de l’action des acteurs de la société civile, d’un diagnostic parlementaire et des travaux scientifiques de l’INSERM, aura mis en lumière la nécessité d’agir par le biais d’un fonds d’indemnisation.

J’en viens à l’objet plus précis de ce fonds. Nous sommes héritiers d’une proposition de loi défendue par Nicole Bonnefoy et adoptée, le fait est assez rare, à l’unanimité par nos collègues sénateurs. Nous nous devons de reprendre ce combat, comme nous l’avons fait immédiatement en assurant une passerelle entre nos deux assemblées : nous nous sommes rendus au Sénat pour nous rendre compte des travaux réalisés ; nous avons accueilli les sénateurs Bernard Jomier et Nicole Bonnefoy à l’Assemblée nationale.

Je me réjouis de retrouver ici les visages de plusieurs personnes qui avaient participé à ce petit-déjeuner, à quelques pas d’ici. L’événement avait permis, autour de Paul François et de Nicole Bonnefoy, de réunir des députés de toutes sensibilités, qui ont en quelque sorte fait le serment de s’engager à poursuivre le combat engagé au Sénat. Ce que nous avons fait à l’occasion de la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire (EGALIM), sans succès, puis durant l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), sans davantage de succès… C’est pourquoi je salue la détermination du groupe Socialistes et apparentés, qui a consacré sa niche parlementaire à ce combat et à une autre proposition sur le chlordécone, variante de la proposition que je vais défendre. Sur les cinq propositions de loi qu’il propose d’examiner, deux concernent la santé du monde agricole et des populations rurales et les effets des pratiques que nous dénonçons aujourd’hui.

Nous sommes aujourd’hui au pied du mur, face à cette proposition que nous allons amender et corriger ensemble. De quoi s’agit-il ? Tout part du constat que, sur les populations agricoles, le seul régime des accidents du travail et des maladies professionnelles (AT-MP) ne permet pas de couvrir l’intégralité des dégâts et des dommages causés aux personnes. Qui plus est, une partie des publics concernés n’est pas couverte, en raison d’arguties juridiques sur lesquelles je ne m’étendrai pas plus que nécessaire : il s’agit, par exemple, d’agriculteurs retraités pour lesquels les délais de prescription sont forclos, ou bien des cas où un recours est possible, mais où la preuve se révèle très difficile à établir ; il y a aussi ce cas, auquel, tout pathos mis à part, personne ne sera insensible, de cet enfant né avant 2005 et qui a subi in utero une exposition à des pesticides à une époque où sa maman n’était pas reconnue juridiquement comme conjointe d’exploitant, ce qui exclut toute possibilité de réparation au titre du registre habituel des maladies professionnelles ou des accidents du travail. Ajoutons qu’avant 2002, il n’y avait pas d’obligation de souscrire une assurance volontaire accidents du travail ; autant de personnes qui ne sont pas couvertes. Voilà au moins trois catégories, et je peux en trouver d’autres, qui échappent totalement au régime actuel de prise en compte.

Celui-ci n’a progressé que lentement, notamment à travers la création, pour le monde agricole, des tableaux nos 58 et 59, qui couvre les maladies de Parkinson et les lymphomes, tout au moins une catégorie de lymphomes malins. Mais toute une catégorie de maladies – plusieurs dizaines, à croire le rapport de l’INSERM – n’est pas prise en compte, par le fait que ces maladies résultent d’un faisceau de facteurs, d’un effet cocktail découlant de l’exposition à plusieurs substances.

Bref, il y a des populations qui ne sont pas prises en compte et des maladies mal identifiées. La création d’un fonds permettrait à la fois de prendre en compte toutes ces catégories de population exclues pour des raisons parfaitement scandaleuses, en prenant en considération la complexité de la nature même de ces maladies, qui ne peuvent pas relever d’une causalité immédiate.

Dans le cas de l’amiante, il est possible d’établir une cause, une conséquence et de trouver des traces qui ne sont pas discutables, à travers les identifications de la radiologie. Mais dans le cas présent, la causalité en faisceau justifie, par sa nature même, le besoin d’un fonds qui permet d’intervenir au bénéfice de populations aujourd’hui écartées. La prise en considération des faisceaux de symptômes permettra aussi aux victimes d’étayer leur cas et d’inverser la charge de la preuve.

Les fonds d’indemnisation dans notre pays sont à chaque fois nés de crises sanitaires larvées. Ce fut le cas du Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (FIVA), le plus célèbre, fruit d’un combat politique majeur dans notre pays et dont personne ne conteste plus le bien-fondé. Nous nous réjouissons que ce combat auquel des députés de plusieurs sensibilités ont participé ces dernières années, ait pu finir en triomphe. De la même façon, un fonds a été mis en place pour les victimes des essais nucléaires, de même que pour les malades du VIH infectées à l’occasion de transfusions sanguines, et plus récemment à l’occasion de l’épisode tragique du Mediator.

Ces réponses reposent sur un appel à la collectivité dans son ensemble, tant à la puissance privée qu’à la puissance publique. Car l’État est sollicité à travers ces régimes particuliers, mais la responsabilité privée est également recherchée.

Si nous avions encore des doutes sur la nécessité d’adopter cette proposition de loi, je rappellerais seulement le contenu d’un rapport commandé par l’ancien gouvernement et remis au gouvernement actuel il y a exactement un an. Par un vote à l’unanimité, dès le stade de la commission, les sénateurs avaient réclamé une triple mission d’inspection, par l’inspection générale des finances (IGF), l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) et le conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER). Vous avez tous pu prendre connaissance de ce rapport, à tous égards exemplaire sur le plan de la clarté et de la pédagogie ; nul besoin d’être un spécialiste pour entrer dans le raisonnement. Ainsi, depuis un an, l’État est en possession d’un rapport complet qui fait l’état de la question sur la base du dernier état de l’art, et qui plaide sans réserve pour la création d’un fonds.

J’en viens aux questions qui ont été abordées au cours de nos auditions préparatoires. Ma stratégie de rapporteur face à nos interlocuteurs, qu’il s’agisse des autorités scientifiques, comme l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES), l’INSERM ou l’INRA, des diverses autorités de gestion, des cabinets des ministres ou, bien sûr, des syndicats agricoles et syndicats de salariés, a été très simple : je leur ai demandé quels éléments d’information ils attendaient, qui n’aient pas déjà figuré dans le rapport de cette mission d’inspection rendu au mois de janvier 2018. Devant tous les députés qui étaient présents, je puis dire qu’aucun de nos interlocuteurs n’a pu nous démontrer que nous avions encore besoin d’informations complémentaires pour délibérer. La création d’un fonds apparaît comme une sorte de minimum requis.

Une première controverse, qui s’exprimera à l’occasion des amendements, a porté sur le périmètre des personnes concernées. Par prudence et par souci de consensus, je vais vous proposer non pas d’exclure, mais de reporter à 2022, la prise en compte des personnes qui auraient subi des affections liées aux pesticides sur le plan environnemental et non sur le plan professionnel. Autant il me semble urgent de prendre en compte l’ensemble des familles et l’ensemble des ressortissants des régimes agricoles de la Mutualité sociale agricole (MSA) concernés par les pesticides, autant une certaine prudence semble s’imposer sur le reste, dans la mesure où une série de rapports sont attendus pour 2019. Ils nous permettront de retrouver d’ici à 2022 la capacité à indemniser, le cas échéant, des victimes sur des critères de santé environnementale, encore mal renseignés aujourd’hui. À trop embrasser, nous pourrions mal étreindre ; nous avons donc choisi de rester centrés sur les accidents et maladies du travail, sans exclure pour autant les autres populations – car ce serait un mauvais service à rendre au monde agricole que de le privilégier dans la réparation des dégâts – dont la prise en compte sera reportée à l’issue d’un temps d’information non encore arrêté par la puissance publique.

La deuxième controverse qui pourrait animer nos débats ce matin, porte sur la nature intégrale ou forfaitaire de la réparation au titre du régime AT-MP. J’en appelle au sens de l’histoire : reportons-nous au combat de 1898 en faveur d’un régime d’accidents du travail et d’assurance maladie, mené par le député ouvrier Martin Nadaud. Il s’était engagé en faveur d’une réparation intégrale plutôt que d’une réparation forfaitaire. C’est la formule retenue dans le cas des crises sanitaires où une responsabilité collective, étayée par la puissance publique et privée, est établie.

Autrement dit, il serait totalement contradictoire avec les efforts engagés ces dernières décennies par nos prédécesseurs que de ne pas aller vers une réparation intégrale prenant en compte la totalité de la réparation, notamment dans la dimension patrimoniale et extra-patrimoniale, laquelle va jusqu’au préjudice esthétique et à tous les aspects de la souffrance à prendre en charge. La réparation intégrale est donc le point sur lequel nous pourrions être en désaccord partiel.

Ouvrir ce combat de la réparation, c’est certainement donner un signal très fort vers la prévention, qui est l’avenir de la puissance publique dans des sociétés complexes. Pour la première fois, un signal alarmant nous vient des États-Unis : l’espérance de vie en bonne santé y est pour la première fois en régression. Ce signal, nous ne pouvons pas ne pas l’entendre et adapter en conséquence nos modèles occidentaux de développement. Il est urgent d’agir.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Nous allons maintenant entendre les représentants des groupes.

Mme Albane Gaillot. Au nom du groupe La République en Marche, je tiens tout d’abord à vous remercier, monsieur le rapporteur, pour la qualité de nos échanges sur une véritable question de santé publique.

Nous sommes toutes et tous concernés car, nous le savons, il est aujourd’hui impossible de ne pas respirer ou ingérer de produits phytopharmaceutiques. Et ce, sans que nous le sachions. Les débats autour de la création de ce fonds d’indemnisation ont déjà eu lieu lors de l’examen du projet de loi EGALIM.

Nous avions pu acter à l’époque, à l’unanimité, la remise d’un rapport du Gouvernement au Parlement, dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la loi, sur le financement et les modalités de création, avant le 1er janvier 2020, d’un fonds d’indemnisation des victimes de maladies liées aux produits phytosanitaires. La représentation nationale s’est donc déjà exprimée sur la création du fonds ; seules les modalités techniques et le financement doivent encore être précisés.

Nous ne pouvons ainsi que regretter l’examen de ce texte avant la remise des conclusions du Gouvernement, même si je comprends évidemment les contraintes de l’agenda parlementaire et la seule possibilité pour le groupe Socialistes et apparentés d’inscrire un texte à l’ordre du jour lors de la journée du 31 janvier.

Comme je le disais, nous nous rejoignons bien évidemment sur l’urgence que représente la création de ce fonds d’indemnisation, même si nous aurons à débattre de la mise en œuvre et du financement de ce nouveau dispositif.

Nous proposerons par exemple de modifier le champ des personnes pouvant bénéficier de cette indemnisation en reprenant la rédaction, plus sage, proposée par le groupe socialiste au Sénat lors du PLFSS 2019. En l’état actuel, les connaissances scientifiques concernant les victimes environnementales et leur degré d’exposition sont insuffisantes pour les prendre en charge.

Nous sommes par ailleurs très réservés sur la mise en place d’une indemnisation intégrale ; nous proposerons de nous limiter, pour le moment, à une réparation forfaitaire des victimes afin de ne pas risquer de mettre en péril le régime actuel des accidents du travail et des maladies professionnelles.

Si nous partageons donc l’objectif de création du fonds, nous souhaitons toutefois respecter les engagements pris par la représentation nationale et attendre la remise des conclusions du rapport du Gouvernement.

Les articles 4, 5, 6 et 8, en ce qu’ils concernent les modalités d’indemnisation des victimes – procédure, délais, droit d’action en justice et prescription – nous posent des difficultés. L’article 7 ne paraît pas en l’état répondre au besoin de financement d’un tel dispositif : il prévoit que le financement du fonds soit assuré par la taxe sur les produits phytosanitaires qui représente environ 4 millions d’euros par an. Nous sommes bien loin des 30 à 100 millions d’euros par an nécessaires selon l’IGAS, qui a pris position sur le sujet dans son rapport de janvier 2018.

Pour conclure, vous aurez donc compris la volonté d’avancer sur la réparation des victimes de produits phytopharmaceutiques de la part des députés du groupe La République En Marche. Ce sujet nous oblige à l’égard de nos concitoyens ; c’est la raison pour laquelle nous sommes mobilisés aux côtés du Gouvernement pour apporter une réponse à court terme, qui repose sur un dispositif efficace.

M. Gilles Lurton. Je tiens à mon tour à vous remercier, monsieur le rapporteur, pour les auditions que vous avez conduites et votre volonté de permettre à chacune des parties intéressées de se prononcer sur le fond d’un sujet de santé publique qui nous concerne tous. Nous avons d’ailleurs, comme vous l’avez rappelé, déjà eu l’occasion plusieurs fois de débattre de ce sujet, parfois de manière passionnée, au cours de l’examen du projet de loi de loi EGALIM ou de l’examen des PLFSS.

Je dois dans un premier temps rappeler que les victimes professionnelles bénéficient déjà de possibilités d’indemnisation puisque plusieurs tableaux recensant les maladies professionnelles agricoles reconnaissent déjà certaines pathologies, par exemple la maladie de Parkinson, comme pouvant naître d’une exposition régulière aux produits pharmaceutiques. Néanmoins, la réparation qui découle de cette reconnaissance reste partielle et ne paraît plus être suffisante. Votre proposition de loi vise donc à mettre en place une réparation intégrale à travers la création d’un fonds d’indemnisation des victimes.

Cependant, le fonds proposé dans ce texte continue de soulever plusieurs interrogations, déjà abordées au cours des auditions.

La première concerne le mode de financement. Vous nous proposez d’y consacrer une fraction de la taxe perçue par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) pour la mise en place de dispositifs de pharmacovigilance. Si l’on retient cette option, et si le taux de cette taxe reste identique, les ressources seront alors trop faibles pour pouvoir répondre aux demandes d’indemnisation. L’ANSES a confirmé en audition que celle-ci ne rapportait pour l’heure que 4,3 millions d’euros. C’est, à notre avis, loin d’être suffisant, vous-même en aviez convenu.

Si le choix devait être fait d’une augmentation de cette taxe, encore faudrait-il savoir par qui elle serait financée et si elle serait répercutée sur le prix des produits, autrement dit sur les agriculteurs eux-mêmes.

La seconde interrogation concerne la gestion de ce fonds puisque ni la MSA, subodorée gestionnaire dans le texte, ni même la Caisse nationale de l’assurance maladie (CNAM) ne souhaitent se la voir confier.

Enfin, la troisième interrogation concerne le public éligible. Le texte prévoit que le fonds s’adresse non seulement aux agriculteurs, exploitants et salariés, mais également à toute personne souffrant d’une pathologie directement liée à cette exposition et aux enfants exposés in utero. Cette recherche de lien direct, difficile d’ailleurs à mettre en application, ouvre la voie à un public dont le nombre n’est pas facilement estimable.

Comme vous l’avez dit d’emblée, monsieur le rapporteur, notre commission a pour rôle de faire évoluer ce texte. Le groupe Les Républicains se prononcera ainsi en fonction des modifications apportées.

Mme Justine Benin. Le modèle agricole développé en France depuis l’après-guerre repose sur une forte dépendance aux produits phytopharmaceutiques. Au fil du temps, les pesticides et leurs effets sur la santé sont devenus un sujet de préoccupation majeur et un encadrement étroit des pesticides a progressivement été mis en place. En parallèle, les conversions à l’agriculture biologique se sont multipliées.

Cette dépendance aux produits phytopharmaceutiques demeure néanmoins très forte, en particulier dans les secteurs de la viticulture et de l’arboriculture et notre pays reste l’un des tout premiers consommateurs de pesticides en Europe et dans le monde.

Partant du constat de l’insuffisance des dispositifs de réparation actuels, vous proposez, monsieur le rapporteur, de mettre en place un dispositif de réparation intégrale des préjudices résultant, pour les victimes à la fois professionnelles et environnementales, de l’exposition à des produits phytopharmaceutiques, et de créer à cet effet un fonds d’indemnisation.

Vous faites ainsi suite aux nombreux débats qui ont eu lieu dans le cadre de l’examen du projet de loi EGALIM – vos amendements portant création de ce fonds avaient alors suscité de longs échanges. Comme lors de l’examen d’EGALIM, le groupe du Mouvement Démocrate et apparentés (MODEM) soutient une meilleure prise en charge des victimes des produits phytopharmaceutiques et nous sommes favorables à la création de ce fonds d’indemnisation.

Nous sommes toutefois sensibles aux arguments que la ministre a développés au Sénat sur la déresponsabilisation totale des industriels : car votre dispositif revient à une indemnisation systématique, sans détermination de responsabilité, et de surcroît financée par une taxe sur les produits phytopharmaceutiques, et non par les industriels.

J’aimerais vous entendre sur ce sujet, monsieur le rapporteur, car il s’agit d’une question très importante.

Ainsi, mes chers collègues, le groupe du Mouvement Démocrate et apparentés (MODEM) soutient la création de ce fonds d’indemnisation, moyennant certains ajustements. Nous demandons également que soit accentué l’effort de recherche afin de développer les actions de protection des travailleurs et des populations. Nous soutenons de ce fait la feuille de route sur les produits phytosanitaires et du plan Ecophyto proposés par le Gouvernement.

Mme Nicole Sanquer. Le Groupe UDI, Agir et Indépendants (UAI) ne peut que saluer l’initiative de nos collègues socialistes, tant le sujet qui occupe nos travaux ce matin constitue un enjeu majeur en termes de santé publique et de reconnaissance du préjudice subi.

Depuis déjà plusieurs décennies, de nombreux rapports ont mis en lumière les effets néfastes liés à l’exposition aux produits phytopharmaceutiques, tant pour l’environnement que pour la santé humaine, et permis une prise de conscience progressive. Il est d’ailleurs à craindre que nous n’en prenions la pleine mesure que dans les années, voire les décennies à venir.

Nous saluons donc la mise à l’ordre du jour de cette proposition de loi, issue des travaux de nos collègues sénateurs et qui vise à la création d’un fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques. Nous sommes cependant partagés sur le mode de financement retenu, qui fait reposer la charge financière exclusivement sur les acteurs du monde agricole, premières victimes de l’utilisation de ces produits.

Nous nous interrogeons également sur le périmètre retenu, qui va bien au-delà des seules personnes ayant obtenu la reconnaissance d’une maladie professionnelle occasionnée par une exposition aux produits phytopharmaceutiques, puisqu’il est étendu aux victimes environnementales.

Notre position de principe est qu’il revient à l’État de prendre ses responsabilités et de garantir un financement global, ou au moins majoritaire, du fonds d’indemnisation. Il nous paraît plus sage d’attendre les conclusions du rapport adopté lors de la loi EGALIM, prévu avant la fin du mois d’avril, qui doit nous donner des orientations et davantage de spécificités sur le financement et les modalités de création d’un fonds d’indemnisation.

Aussi nous contenterons-nous pour l’heure de ne pas nous opposer à cette proposition de loi, en attendant les propositions que le Gouvernement formulera lors de la séance publique.

M. Pierre Dharréville. Je voudrais à mon tour saluer le travail engagé par Dominique Potier et nos collègues socialistes sur cette question dont l’importance grandit dans l’opinion publique, à savoir l’utilisation des produits phytosanitaires et ses conséquences sur la santé publique, à commencer par la santé des travailleurs de l’agriculture.

J’ai bien entendu la manière dont notre rapporteur inscrivait sa démarche dans une volonté plus globale de changer de modèle. Je pense qu’il y a effectivement un certain nombre d’actes à produire pour y parvenir.

Je voudrais insister sur la nécessité de la prévention et de l’action sur les causes des pathologies que nous connaissons, sans pour autant nier la nécessité de la réparation et d’une juste réparation des préjudices subis.

Je remarque également que la création de fonds de ce type souligne l’insuffisance des dispositifs actuels de la branche AT-MP. Cela soulève naturellement la question de l’établissement des responsabilités, qui ne s’éteint pas avec la création de ce fonds. Dans le cas du FIVA, par exemple, le fonds a la possibilité de se retourner contre les responsables supposés des maladies déclenchées. La question du financement n’a donc rien de mineur.

Cela étant, il faut bien reconnaître – et je pense que c’est ce constat qui vous a conduit à déposer cette proposition – qu’il y a bel et bien une défaillance, et une responsabilité publique qui doit être assumée. C’est dans cette optique que le groupe de la Gauche démocrate et républicaine (GDR) regarde avec bienveillance la proposition qui nous est présentée.

M. Jean-Hugues Ratenon. Je voudrais en premier lieu saluer le travail du groupe Socialistes et apparentés concernant ce texte. Le groupe La France insoumise (FI) trouve que sa démarche va dans le bon sens et soutient cette proposition.

Ce texte appelle toutefois plusieurs remarques, notamment sur le délai de prescription, qui est à notre sens trop court. Et pour cause : les maladies causées par les produits phytosanitaires se déclarent majoritairement après dix ans. Ainsi, comment faire pour les nombreuses victimes qui ne développent ces maladies qu’après dix ans ?

En outre, le fonds sera-t-il suffisant pour le nombre de victimes, dont le nombre sera amené à s’accroître au fil des années ? À notre sens, il est difficile de prévoir les recettes que produira une taxe sur les recettes des fabricants de pesticides. L’objectif reste donc bien celui de se passer des pesticides, au-delà de la seule indemnisation des victimes – on ne peut pas ne pas penser au glyphosate.

Nous soutiendrons ce texte qui témoigne à nos yeux d’une volonté d’aller dans le bon sens.

Mme Jeanine Dubié. Je voudrais souligner l’intérêt et l’exhaustivité de ce rapport mais également la persévérance du rapporteur sur ce sujet qui l’occupe depuis de nombreuses années.

Nous assistons aujourd’hui à une prise de conscience croissante, par les pouvoirs publics comme par nos concitoyens, des risques que la forte dépendance aux produits phytopharmaceutiques fait peser sur la santé humaine et sur l’environnement. Notre assemblée y a consacré une mission commune d’information, présidée par Élisabeth Toutut-Picard, dont les conclusions ont été publiées en avril dernier.

Si les effets sur les écosystèmes et la biodiversité font l’objet d’études concordantes, l’évaluation des effets sur la santé reste un exercice délicat, notamment lorsque l’on essaie de déterminer, au cas par cas, les relations de causalité et les effets cumulés de l’interaction de plusieurs substances, dit « effet cocktail ».

Les auteurs de la présente proposition de loi proposent d’améliorer les dispositifs actuels afin de faciliter l’accès des victimes à l’indemnisation, en créant un fonds dédié. Ainsi, cette proposition définit clairement la liste des personnes pouvant prétendre à une indemnisation intégrale.

Il témoigne également d’une volonté de remédier au système actuel, particulièrement lourd et complexe, en mettant en place un nouveau dispositif de réparation. Le texte adopté au Sénat introduit une présomption de causalité et prévoit qu’une commission spéciale statue sur l’existence de ce lien. Il importe que l’indépendance de cette commission soit garantie.

J’insiste aussi sur le fait que les réparations doivent se faire dans un cadre strict. La question notamment du renversement de la charge de la preuve mérite d’être traitée. En outre, il apparaît nécessaire d’actualiser et d’améliorer le tableau des maladies professionnelles, aujourd’hui trop peu fourni.

Au-delà de l’aspect sanitaire, la question de l’utilisation des « phyto » doit aborder le nécessaire soutien à l’activité professionnelle de ceux qui les utilisent, à savoir les agriculteurs. Le groupe Libertés et territoires préconise ainsi la recherche d’un équilibre entre protection environnementale et sanitaire, et soutien à notre agriculture. Ce qui suppose de se donner les moyens de chercher des alternatives efficaces. La mise en place d’un tel fonds ne doit pas faire oublier qu’il est impératif de développer des actions de recherche en ce sens.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Nous en venons aux questions des députés.

M. Bernard Perrut. Nous avons tous conscience des risques liés à l’usage des produits phytopharmaceutiques et des dangers qu’ils représentent pour l’environnement et la santé humaine. À cet égard, il faut se féliciter des efforts d’ores et déjà consentis par les agriculteurs. Les plans Écophyto 1 et 2 et le plan de sortie du glyphosate permettent en effet d’accélérer le mouvement engagé et d’accompagner les agriculteurs, notamment les viticulteurs et les arboriculteurs, dans cette période de transition. Il faudra encore du temps pour qu’apparaissent de nouvelles alternatives et de nouveaux produits, mais on ne peut ignorer plus longtemps l’existence d’un lien entre l’exposition aux pesticides et certaines pathologies que les professionnels, leurs familles et les riverains contractent par divers modes de contamination : l’air, l’eau, le sol, l’alimentation…

La proposition de loi vise, à juste raison, à créer un fonds d’indemnisation des victimes de ces produits qui s’adresse à l’ensemble de la population. Toutefois, plusieurs interrogations demeurent, qui portent sur le mode de financement de ce fonds, notamment la taxe qui doit l’alimenter, les critères d’indemnisation, la répartition des montants d’indemnisation ou la gestion du fonds, puisque le texte prévoit que celui-ci sera géré par la caisse centrale de la MSA, laquelle semble ne pas le souhaiter.

La liste des pathologies ouvrant droit à indemnisation est établie de telle façon que le champ des victimes potentielles est très large. Dès lors, je souhaiterais connaître l’évaluation du nombre de victimes dont vous disposez, monsieur le rapporteur. Comment établir – c’est toute la difficulté – le lien direct entre la pathologie observée et l’exposition aux pesticides, qui doit être démontré pour toute demande d’indemnisation ?

Si ce texte est nécessaire, on en perçoit bien les limites. Nous ne pourrons donc arrêter notre jugement qu’à la fin de la discussion.

Mme Élisabeth Toutut-Picard. Monsieur le rapporteur, vous soulignez bien l’insuffisance du régime d’indemnisation actuel. De fait, entre 2007 et 2016, moins de 700 malades ont vu leur pathologie reconnue au titre des maladies professionnelles, alors que le rapport des inspections générales évalue à 10 000 le nombre des victimes professionnelles potentielles de maladies liées à l’exposition aux pesticides. Ces chiffres sont, certes, à prendre avec précaution, car ils sont issus du croisement de données particulièrement complexes, mais le fait est qu’il existe, en la matière, une sous-déclaration et une sous-reconnaissance évidentes. Il est vrai que les tableaux des maladies professionnelles seront révisés, mais cette révision sera insuffisante. La création d’un fonds d’indemnisation se justifie donc amplement. La mission d’information que je présidais l’an dernier l’avait, du reste, clairement formulé dans ses recommandations : le principe de ce fonds n’est plus discutable. Il faut donc y aller, sans tarder ni mégoter sur les moyens ! Certes, la question du financement se pose, mais la mission des inspections avait proposé des scénarios plausibles, et nous pourrons bientôt trancher cette question sur le fondement du rapport qui sera transmis au Parlement en avril.

Votre proposition de loi vise à réparer les préjudices subis, mais ne serait-il pas encore mieux de les prévenir en améliorant le suivi médical des professionnels exposés ? Nous manquons en effet de données fiables concernant les exploitants et leurs familles qui ne sont pas astreintes aux obligations liées à la médecine du travail. La création d’un parcours de soins spécifique pour ces populations permettrait non seulement de remédier à ce problème, mais aussi de collecter des données épidémiologiques précieuses pour évaluer les besoins. Que pensez-vous de cette proposition, monsieur le rapporteur ?

M. Stéphane Viry. Je veux dire à quel point j’ai été sensible au plaidoyer de Dominique Potier. Manifestement, la question de la création d’un fonds destiné à indemniser les dommages causés aux personnes travaillant dans certaines filières agricoles doit être posée. Du reste, notre pays a su, jadis, créer des dispositifs analogues pour réparer des dégâts d’origine professionnelle. Il n’est donc plus temps de procrastiner !

Nous sommes ici un certain nombre, à avoir créé un groupe transpartisan pour avancer dans divers domaines liés à la transition énergétique. Ce texte me semble illustrer ce à quoi pourraient aboutir ces réflexions transversales et collégiales.

Des rapports ont d’ores et déjà été consacrés à cette question, qu’il s’agisse de celui de l’INSERM ou de celui du Sénat. Nous devons maintenant, sur le fondement de ce faisceau de présomptions d’imputabilité et de causalité, saisir la balle au bond et légiférer utilement sur le sujet.

Il n’en demeure pas moins, cher Dominique, qu’un certain nombre d’interrogations subsistent, notamment sur le financement, le champ d’application et le mode de réparation, intégrale ou forfaitaire. Nous verrons quelles réponses y seront apportées, mais je présume que nous pourrons réussir ensemble.

M. Matthieu Orphelin. Quel plaisir de constater un tel consensus ! C’est dans de tels moments que nous sommes fiers de faire de la politique. C’est un hommage collectif que nous rendons aux victimes, passées et présentes, de l’utilisation de ces produits phytosanitaires. Ce consensus va en effet nous permettre d’aller un peu plus loin que la loi EGALIM, en concrétisant la création un fonds d’indemnisation.

S’agissant de son financement, monsieur le rapporteur, une solution est proposée dans la proposition de loi, mais d’autres options seront discutées. Pourquoi ne pas prévoir, par exemple, comme le suggèrent certains groupes, une contribution spécifique assise sur les bénéfices des principales firmes produisant des pesticides, dont certaines jouissent d’excédents bruts d’exploitation très favorables ? J’aimerais connaître votre sentiment sur ce point. Je salue en tout cas la qualité de votre travail.

M. Boris Vallaud. Je veux tout d’abord remercier Dominique Potier de s’être à nouveau saisi de cette question qui l’occupe depuis bien longtemps. Notre discussion – et cela vaut pour l’ensemble des propositions de loi du groupe Socialistes et apparentés examinées dans le cadre de cette niche – n’est que la première étape d’un débat démocratique et pluraliste, qui intervient après le lancement du grand débat national. Dans ce cadre, notre capacité d’écoute sera mise à l’épreuve, en particulier celle de la majorité, qui devra se montrer ouverte à des propositions qui n’émanent pas de ses rangs et dont les membres seront amenés à user pleinement de leurs prérogatives de parlementaires, notamment de leur pouvoir d’amendement et de leur liberté de vote. Je dis cela car nous avons le sentiment que les sujets que nous abordons sont consensuels. Comment, du reste, le souci du sort de milliers de victimes des produits phytosanitaires pourrait-il ne pas l’être ?

Certains ont relevé qu’il nous était proposé de créer un dispositif de réparation, mais que la question de la prévention demeurait entière. C’est précisément cette préoccupation qui avait conduit un certain nombre d’entre nous à souhaiter que l’interdiction du glyphosate, par exemple, soit inscrite dans la loi. Nous estimions en effet nécessaire d’envoyer un signe aux grandes industries, afin de leur faire comprendre que, cette fois-ci, elles ne devaient pas compter sur une alternance pour échapper aux devoirs qui sont les leurs.

Le consensus se traduit, pour l’instant, par des mots. Je ne voudrais pas qu’en séance publique, la majorité adopte une motion de renvoi en commission ou une question préalable, tout en affirmant sa préoccupation. On peut débattre, arguments contre arguments, du financement du fonds d’indemnisation ou du mode d’indemnisation, intégrale ou forfaitaire. Mais j’en appelle à la responsabilité de chacun. Certes, le rapport que nous attendons permet de laisser du temps à l’exécutif mais, ce temps, un certain nombre de victimes, hélas ! ne l’auront pas, parce que, malades, elles ne peuvent pas attendre.

M. Dominique Potier, rapporteur. Je vous remercie pour l’état d’esprit de vos interventions, que je sens propice à une véritable co-construction.

Au préalable, je veux dire à Mme la présidente qu’il serait bon – je ne suis pas un spécialiste des arcanes de la procédure législative – que le rapporteur puisse déposer des amendements jusqu’au dernier moment. Les délais sont, en effet, très brefs. Or, je le dis avec humilité, après ma rencontre avec Nicole Bonnefoy et Bernard Jomier, j’ai été saisi d’un doute sur un point très précis dont je veux m’ouvrir à vous très librement : je veux parler du cas des enfants – je le dis sans pathos –, qui peuvent être victimes d’une exposition aux pesticides sans que leurs parents soient des professionnels. Les sénateurs – sensibilisés au sort de ces enfants par la question des cancers pédiatriques – les avaient inclus dans le champ couvert par le fonds d’indemnisation. En revanche, notre position, qui semble être partagée par la majorité, vise plutôt à exclure, dans un premier temps, les victimes d’une exposition environnementale, y compris donc les enfants, et à reporter la prise en compte de cette population à 2022 ou, comme le propose Mathieu Orphelin, à 2023. Une telle position n’est pas facile à assumer ; nous devons faire preuve de discernement. Nous pourrions ainsi être amenés à consulter des experts pour examiner la possibilité de prendre néanmoins en compte cette population.

Je reconnais donc les faiblesses de notre proposition et nos doutes, qui mériteraient une réflexion approfondie. Sur l’identification des populations qui ne seront pas immédiatement prises en compte comme sur les modalités de la réparation, je suis convaincu que nous pouvons aboutir à un consensus, si le dialogue se poursuit. Mais cela suppose, madame la présidente, que, lors de l’examen des amendements au titre de l’article 88, je puisse, en tant que rapporteur, défendre un amendement mis au point dans le cadre d’un groupe de travail rassemblant diverses sensibilités. Vous nous direz ce qu’il en est, mais je plaide pour que nous puissions, jusqu’au bout, poursuivre le dialogue le plus loin possible.

Je vais maintenant répondre aux questions qui m’ont été posées.

Tout d’abord, je remercie Mme Gaillot d’avoir rappelé, avec compassion, que le groupe socialiste ne disposait que d’une niche parlementaire d’une journée par an et d’avoir compris que nous n’allions pas attendre un an pour poursuivre un combat que nous menons depuis 2013.

Mathieu Orphelin a rappelé que l’amendement au projet de loi EGALIM, défendu nuitamment, ne visait pas à reporter le sujet, mais bien à fixer un rendez-vous. Mais les auditions nous ont permis de vérifier que les différents rapports, tant celui de l’ANSES que celui qui a été demandé au Gouvernement, ne nous apprendront rien que nous ne sachions déjà. Il n’y a donc aucune ambiguïté sur le fait que le calendrier proposé est le bon.

Par ailleurs, les arguments avancés pour limiter le bénéfice du fonds aux travailleurs de la terre et pour refuser de l’étendre à ceux qui sont exclus, pour des raisons parfois ubuesques, du champ des maladies professionnelles ne tiennent pas. À cet égard, opter pour un renvoi à la Commission supérieure des maladies professionnelles (COSMAP), dont je rappelle qu’elle s’est réunie, hier – est-ce un hasard ? je l’ignore –, pour la première fois depuis 2016, ce serait manquer le rendez-vous de l’histoire. J’ajoute que, dans le cadre d’un recours devant le Comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP), la charge de la preuve repose sur le requérant. On sait à quel point c’est compliqué : tous les rapports de l’INSERM l’attestent, les causes sont multiples et s’additionnent pour produire ce qu’on appelle un « effet cocktail », si bien qu’il est pratiquement impossible d’établir devant la justice, ni a fortiori devant cette commission, un lien de causalité irréfragable. Par conséquent, seul un fonds analogue à celui qui a été créé pour indemniser les victimes de l’amiante notamment permet de prendre en compte globalement la maladie.

Cher Gilles Lurton, vous avez évoqué une compétition avec l’ANSES. Je suis bien placé pour vous répondre que, dans le cadre de la loi pour l’avenir de l’agriculture, le groupe parlementaire majoritaire avait prévu, en accord avec le ministre, que l’étude d’un produit phytosanitaire pouvait se poursuivre après sa mise sur le marché, afin que soient analysés ses effets à grande échelle, dans des contextes évolutifs – changement climatique, changements d’usage, évolution des pratiques économiques des filières, etc. C’est grâce à cette phyto-pharmacovigilance exercée par l’ANSES – je le dis avec une certaine fierté, ayant voté cet amendement – que le méta-sodium a été interdit en novembre 2018. Nous ne voulons donc en aucun cas détruire ce fonds, que nous avons créé et abondé lors des lois de finances. Je pense même que la somme – 4,2 millions – affectée aux travaux de l’ANSES est insuffisante et pourrait être portée à 5 millions, voire 6 millions, en prélevant entièrement la taxe de 0,3 % sur le chiffre d’affaires des entreprises vendant des produits phytosanitaires soumis à autorisation de mise sur le marché. Ainsi, compte tenu de l’élargissement des finalités du fonds à la réparation des préjudices, ces 0,3 % constituent en quelque sorte un fonds d’amorçage. Du reste, nous savons que, dans leur étude, les trois inspections envisagent une augmentation de ce taux, qui devra être révisé le moment venu, jusqu’à 1,5 %, afin que les industries phytopharmaceutiques contribuent à la hauteur estimée dans les modélisations économiques.

Par ailleurs, nous ne devons en aucun cas baisser la garde en matière de prévention.

Mme Benin et Mme Sanquer ont évoqué la question sensible des réserves émises par Mme la ministre. Boris Vallaud l’a dit à sa manière : ce temps est celui de la société civile, du Parlement. Il nous revient de poser de grands principes. Du reste, si j’en crois nos collègues du Sénat, les positions de Mme la ministre ont évolué depuis : à nous d’obtenir une dernière évolution. Au demeurant, je vous rassure : la proposition de loi – que nous allons voter, je l’espère, à l’unanimité – renvoie très largement à des décrets, de sorte que le Gouvernement pourra fixer lui-même des normes qui tiennent compte du principe de réalité et de la vérité scientifique. Nous ne légiférons pas dans l’émotion ; notre propos n’est pas d’adresser des injonctions au Gouvernement mais de le mettre devant ses responsabilités, et je ne doute pas que la ministre saura les assumer.

S’agissant de la prévention, je retiens l’excellente proposition de Mme Toutut-Picard d’améliorer le suivi médical, et je suggère que son groupe dépose un amendement en ce sens, en espérant qu’il ne sera pas considéré comme un cavalier législatif. En tout état de cause, le fait d’appliquer des mesures de prévention à l’ensemble de la population rurale concernée – et ce sera encore plus vrai pour la chlordécone – me semble une excellente idée. J’y serais donc évidemment favorable.

M. Dharréville et M. Ratenon ont évoqué la question des recours en responsabilité. Le fonds d’indemnisation, je le rappelle, vise à assumer collectivement, privé et puissance publique, la réparation de dégâts collectifs dans le cadre d’une responsabilité sans faute – concept apparemment abscons mais reconnu à de multiples reprises dans notre pays. Son existence n’épuise pas les recours qui peuvent être formés lorsque la responsabilité des dommages est dûment établie. La justice peut ainsi être saisie si un industriel, un fournisseur ou un employeur a commis une faute ; nous devons effectivement y veiller. Ce n’est pas à la collectivité d’assumer une faute privée lorsqu’elle est établie par la justice.

Mme Dubié a plaidé pour la prévention, et je ne peux qu’abonder dans sons sens. Je rappellerai que le plan « Écophyto 1 », qui a été pourtant beaucoup dénigré, a permis l’établissement d’un Certificat individuel de produits phytopharmaceutiques, dit « Certiphyto », qui a été délivré aux dizaines de milliers d’agriculteurs, d’ouvriers agricoles et d’employés de coopératives qui ont suivi un stage sur la manipulation de ces produits. Une prise de conscience est donc intervenue et les pratiques ont changé : des progrès ont été réalisés notamment dans le domaine des vêtements de protection. Il faut poursuivre ce travail, bien entendu. Mais la meilleure prévention réside dans l’abandon progressif des pesticides. Nous travaillons à l’avènement de cet autre monde à l’échéance de 2050, selon des modalités, cher Boris Vallaud, qui peuvent être légèrement divergentes – mais nous sommes bien d’accord sur les finalités.

Pour ma part, je ne suis pas d’avis que le Parlement se prononce sur les molécules. Son rôle, selon moi, est plutôt de plaider au niveau européen pour renforcer l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), afin qu’elle dispose de fonds propres et puisse réaliser ses expertises sans dépendre d’aucun lobby. À cet égard, les mesures que le gouvernement précédent a prises concernant l’ANSES sont importantes : ses prérogatives doivent être renforcées et ses fonds suffisants pour qu’elle puisse s’autosaisir, sans dépendre ni de l’opinion ni du marché. Telle est ma position, et je n’ai pas à m’en excuser puisqu’en tant que paysan et élu local, je me suis affranchi depuis plusieurs décennies du glyphosate. Il me semble que, dans une démocratie moderne, il ne faut pas confondre les champs et les lieux : il faut renforcer des lieux de décision autonomes, libérés des lobbies. Quant au Parlement, il doit rester prudent dans ces matières, car il n’agit pas forcément en connaissance de cause.

Par ailleurs, l’écart existant entre l’estimation réalisée par la mission des trois inspections et le nombre de malades actuellement pris en charge est, c’est vrai, considérable, puisque nous sommes dans un rapport d’un à dix, voire d’un à quinze. En effet, on estime actuellement le nombre de cas indemnisés au titre des régimes ATMP à 70 par an, soit 700 cas recensés en 10 ans, alors que le nombre des personnes susceptibles d’être concernées  ceux qui souffrent de la maladie de Parkinson notamment –, est évalué, avec beaucoup de prudence par les inspections à 100 000 travailleurs de la terre exposés aux pesticides au sens large dont 10 000 professionnels développeront une pathologie au sens strict.

De fait, les agriculteurs tout comme la médecine de ville, voire l’hôpital public, connaissent mal le lien de causalité entre le métier exercé et l’affection diagnostiquée. La première cause que nous devons défendre est donc celle de l’information : en l’espèce, l’ignorance est l’ennemie de la justice. Des progrès considérables doivent ainsi être faits, d’abord dans la connaissance de ces maladies et de leurs causes, puis dans la réparation des dommages. Quoi qu’il en soit, le delta entre la population estimée et celle qui est prise en charge est considérable : s’il n’y avait qu’une raison de créer ce fonds, ce serait celle-là.

Enfin, M. Viry notamment a abordé la question de la modélisation économique. Je rappellerai la version haute évoquée par la mission des trois inspections. Selon que l’on retient la population directement concernée ou que l’on inclue également les familles des travailleurs de la terre, selon que l’on opte pour une réparation forfaitaire ou une réparation intégrale, l’estimation varie entre 23 millions et 93 millions d’euros, soit, sur une période d’une dizaine d’années, un total compris entre 250 millions, dans la version la plus étriquée et économie, et 1 milliard d’euros. Comment la mission propose-t-elle de répartir cette charge ? Un quart de celle-ci pèserait sur la profession elle-même, c’est-à-dire la MSA, un autre quart serait supporté par l’industrie phytopharmaceutique – en portant le taux de la taxe actuelle à 1,5 % –, la moitié restante pesant sur la Sécurité sociale, abondée par l’État et la solidarité nationale. Cette répartition peut faire l’objet d’un débat : pour ma part, j’estime que la part de l’industrie est sous-évaluée. Quoi qu’il en soit, ce modèle donne une idée de la répartition qui pourrait être décidée. Celle-ci représente un véritable effort, mais il y va de la réparation, pour autant qu’elle soit possible, des dommages subis par des milliers de personnes qui souffrent.

La commission en vient à l’examen des articles.

Article 1er
Champ des personnes éligibles au dispositif d’indemnisation

La commission examine, en discussion commune, les amendements AS21 du rapporteur et AS1 de M. Matthieu Orphelin.

M. Dominique Potier, rapporteur. En préambule, je tiens à dire que tous les amendements que je défendrai visent à nous rassembler.

Dans la loi EGALIM, il a été précisé, à l’initiative de Mathieu Orphelin, que le Gouvernement devait présenter au Parlement un rapport sur la création, avant le 1er janvier 2020, d’un fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques. Je m’inscris dans cet horizon de temps. Tout le monde, du reste, est d’accord sur ce point. L’amendement AS21 tend donc à retenir cette date pour la création du fonds d’indemnisation.

M. Matthieu Orphelin. Il est en effet très important que nous respections l’engagement pris dans la loi EGALIM en fixant au 1er janvier 2020 la date de création de ce fonds d’indemnisation. Je sais que cette mesure provoque certaines résistances. Certes, le Gouvernement devra faire preuve de volontarisme pour définir les modalités de fonctionnement et de financement du fonds d’ici à un an. Mais cette date, je le rappelle, avait été adoptée à l’unanimité.

Nous proposons également, par l’amendement AS1, qu’à compter de cette date, le fonds s’adresse aux agriculteurs, premières victimes des produits phytosanitaires, car la reconnaissance des maladies professionnelles nous offre les outils nécessaires à leur indemnisation. S’agissant des autres personnes concernées, notamment les riverains pour lesquels certaines questions demeurent, notamment sur les matrices d’exposition, nous proposons de nous donner davantage de temps – trois ans – pour mettre au point les méthodes dont nous ne disposons pas forcément aujourd’hui.

M. Dominique Potier, rapporteur. Je suggère à M. Orphelin de retirer son amendement au bénéfice du mien. S’agissant de la réparation intégrale, nous pensons également qu’il ne faut pas attendre 2023 : la réparation doit être intégrale dès le 1er janvier 2020, pour tous les travailleurs de la terre et leurs familles, actuellement exclues.

Mme Albane Gaillot. L’article 81 de la loi EGALIM du 31 octobre 2018 dispose que le fonds d’indemnisation sera créé avant le 1er janvier 2020, après la remise par le Gouvernement d’un rapport au Parlement le 30 avril 2019. Il convient donc d’adopter la date du 1er janvier 2020. Par ailleurs, l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) estime les que les connaissances actuelles en matière de santé environnementale ainsi que les données concernant les riverains ne sont pas suffisantes pour que nous légiférions avec clairvoyance et prudence sur le sujet. Je propose donc, en renvoyant à la discussion d’un amendement déposé par le groupe socialiste au PLFSS 2019, de limiter l’indemnisation aux victimes ayant obtenu la reconnaissance d’une maladie professionnelle.

M. Gilles Lurton. Je serais tenté de dire que l’amendement de M. Orphelin est plus complet que celui de M. le rapporteur, dans la mesure où il prévoit de prendre en compte, à partir de 2023, le cas des riverains, auquel je suis très sensible. Certes, nous n’avons pas encore les moyens d’évaluer la situation sanitaire de ces derniers, mais nous rencontrons tous de nombreux riverains de terres agricoles qui se plaignent d’avoir à subir les conséquences de l’épandage de produits phytosanitaires.

Je regrette, par ailleurs, que la mission d’information sur le suivi de la stratégie de sortie du glyphosate de l’Assemblée nationale n’ait pas pu émettre un avis sur ce dossier.

M. Boris Vallaud. Nous soutiendrons bien entendu l’amendement du rapporteur. En effet, la date de création du fonds au 1er janvier 2020 est inscrite dans la loi EGALIM, de sorte qu’en votant cet amendement, nous ne contreviendrions en rien aux précédents votes de la représentation nationale. Je ferai observer que la remise d’un rapport en avril prochain compléterait, le cas échéant, le texte proposé par Dominique Potier, sans que l’un ne fasse obstacle à l’autre. Je ne vois donc pas pour quel motif légitime nous rejetterions cet amendement.

M. Cyrille Isaac-Sibille. Le groupe MODEM soutiendra l’amendement de Matthieu Orphelin.

M. Dominique Potier, rapporteur. Manifestement, il y a une petite confusion, et je m’en excuse. En fait, ces deux amendements sont jumeaux, sinon cousins : tous deux visent à fixer la date d’entrée en vigueur du fonds d’indemnisation au 1er janvier 2020. Ils diffèrent cependant sur la date à laquelle ce fonds doit prendre en compte la population des riverains, en tout cas les personnes dont la maladie n’est pas liée à une pratique professionnelle. Mathieu Orphelin propose la date de 2023 ; pour ma part, je propose 2022, sachant qu’une étude doit être rendue ce mois-ci à la demande des ministères de la santé et de l’agriculture, suite à l’émotion suscitée par la recrudescence de cancers pédiatriques dans une région française. En tout état de cause, il me paraît raisonnable d’approfondir nos connaissances scientifiques avant de prendre une décision politique sur ce point. Je propose d’attendre 2022, Mathieu Orphelin 2023. Que l’on adopte l’un ou l’autre de ces amendements, on ne déséquilibrera pas la visée politique que nous partageons.

La commission rejette l’amendement AS21.

Puis elle adopte l’amendement AS1.

La commission examine ensuite l’amendement AS16 de Mme Albane Gaillot.

Mme Albane Gaillot. Si nous poursuivons l’objectif de la proposition de loi, certaines de ses modalités doivent faire l’objet d’ajustements. L’amendement AS16 propose une réparation forfaitaire des préjudices. Nous pensons qu’une réparation intégrale aurait pour effet de remettre en cause le système accidents du travail et maladies professionnelles, qui date pourtant de 1898. Après avoir fêté l’an dernier les cent vingt ans de la loi concernant les responsabilités dans le cadre des accidents du travail, notre proposition paraît plus raisonnable ; une réparation forfaitaire peut être conséquente. Nous attendons tout particulièrement les conclusions du rapport gouvernemental pour ajuster ses différents paliers. Par ailleurs, on peut lire à la page 51 du rapport de l’IGAS, de l’IGF et du CGAAER qu’« aucun système européen n’offre de véritable réparation « intégrale » ». Les conseillers aux affaires sociales des ambassades de France qui ont été interrogés ont pour la plupart répondu qu’il n’existe pas de dispositif spécifique d’indemnisation des victimes de produits phytopharmaceutiques, comme cela est envisagé en France. Aucun des interlocuteurs n’a fait état de la création d’un fonds dédié.

M. Dominique Potier, rapporteur. Madame Gaillot, vous voilà face à un dilemme terrible : en votant l’amendement AS1 de Matthieu Orphelin, nous avons adopté le principe d’une réparation intégrale, y compris pour les populations qui n’ont pas été exposées professionnellement, dès lors que la science aura fourni les preuves nécessaires, en 2023 au plus tard. Adopter votre amendement serait pour le moins paradoxal.

Par ailleurs, votre état des lieux européen est contestable. Le chapitre du rapport que vous avez cité montre que le sens de l’Histoire, dans le domaine de la réparation des maladies professionnelles, c’est la réparation intégrale. Dans la mesure où nous cherchons un consensus, je n’ouvrirai pas de polémique sur les excédents de ces régimes, qui pourraient permettre de mieux prendre en compte les souffrances des travailleurs et des personnes concernées, pour peu que nous décidions d’en affecter tous les bénéfices à ce qui était dévolu par la loi et non de les mettre au service de visées moins nobles.

Nous avons les moyens, avec le régime AT-MP, de mieux réparer. Tous les fonds spécifiques, comme celui dont nous avons acté le principe à l’instant, assurent une réparation intégrale, dès lors que la preuve de la responsabilité collective est faite. Remettre en cause ce principe dans le cas des pesticides revient à le remettre implicitement en cause pour le FIVA, le VIH ou le Mediator. Avis défavorable.

M. Boris Vallaud. Notre groupe s’opposera à l’amendement AS16. Dans un autre domaine, un exemple montre que le sens de l’Histoire, c’est la réparation intégrale du préjudice : le plafonnement des indemnités prud’homales. Plusieurs tribunaux ont considéré qu’il fallait une réparation intégrale et non un plafonnement des indemnités forfaitaires.

Mme Albane Gaillot. Mon amendement pose en effet un problème législatif technique, monsieur le rapporteur, dans la mesure où nous venons de voter l’amendement de M. Orphelin sur la réparation intégrale. Nous ne pouvons pas inscrire une chose et son contraire dans la loi. Cependant, il est important d’examiner la question de la réparation des autres victimes, qui ne seraient pas concernées par des pathologies liées au phytosanitaire et qui risqueraient de se sentir discriminées, en n’étant indemnisées qu’au forfait. Il serait intéressant de réfléchir à une meilleure prise en charge des maladies professionnelles dans le cadre du régime AT-MP. Je vais donc retirer mon amendement.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Pour clarifier le débat, je précise que l’amendement AS1 visait à créer deux régimes distincts dans leur date d’application, en précisant la liste des catégories concernées. Votre amendement, quant à lui, madame Gaillot, a trait à la réparation forfaitaire. Les deux amendements sont en réalité très différents et ne sont pas incompatibles.

Mme Albane Gaillot. Je vous remercie, madame la présidente, et ne souhaite plus retirer mon amendement. L’amendement de Matthieu Orphelin visait, de fait, à revenir sur les dates et les champs.

M. Matthieu Orphelin. Mon amendement ne concernait en effet que les dates et non le type d’indemnisation. Veuillez m’excuser si ma rédaction était fautive.

M. Dominique Potier, rapporteur. Nous n’allons pas agir par ruse ou jouer l’ironie. Outre que ce registre n’est pas le mien, ce n’est pas le moment : le sujet est trop grave. Alors que nous reprenons un texte du Sénat, adopté à l’unanimité et qui a mobilisé des centaines de personnes, nous n’allons pas nous donner des leçons pour telle ou telle maladresse. Matthieu Orphelin précisait dans son amendement que la réparation d’éventuelles victimes qui n’appartiendraient pas à la famille du travailleur de la terre serait intégrale. Il serait au moins paradoxal que l’indemnisation soit intégrale pour ces personnes, mais pas pour les travailleurs de la terre. Il faudra régler cette question et aligner les deux régimes.

Chaque fois que la responsabilité est collective dans une crise sanitaire, la réparation est intégrale. Voter contre la réparation intégrale, qui mobilise des fonds privés, reviendrait à remettre en cause la participation des industries phytopharmaceutiques dans le cas des drames sanitaires ou celle de l’industrie de l’amiante dans le cas du FIVA. Nous avons l’opportunité de réparer intégralement, puisque nous allons chercher les fonds privés d’industries, dont nous estimons qu’elles ont une part de responsabilité. Au nom de quoi pourrions-nous nous priver de cette juste réparation ? Imaginez-vous la vie d’un paysan atteint par une pathologie causée par les phytosanitaires, le devenir de sa ferme, et parfois de sa famille ? C’est de cela que nous parlons. Il n’est pas possible de faire du forfait dans un tel cas ; il faut aller au bout de la réparation. C’est le sens de l’Histoire.

La commission adopte l’amendement.

Puis elle examine l’amendement AS22 du rapporteur.

M. Dominique Potier, rapporteur. L’amendement AS22 vise à expliciter la possibilité de prendre en charge, dès la création du fonds, des victimes d’exposition professionnelle non reconnues comme souffrant d’une maladie professionnelle, notamment les retraités et les conjoints, comme le préconise le rapport de l’IGAS, de l’IGF et du CGAAER, ou encore les enfants victimes d’une affection in utero. En effet, avant 2005, l’exposition des agriculteurs et de leurs conjoints n’était pas reconnue juridiquement et, partant, elle n’était pas prise en compte par ces régimes. Qui plus est, avant 2002, les assurances accidents du travail n’étaient pas obligatoires pour les exploitants. En substituant aux mots « la liste » « les listes », nous prenons en compte la famille des travailleurs de la terre et pas seulement ceux qui sont assurés à la MSA.

Mme Albane Gaillot. L’indemnisation des victimes professionnelles qui ne sont pas couvertes au titre de l’AT-MP, notamment des retraités, pose une vraie question. Je m’interroge toutefois sur la rédaction de votre amendement qui, à mon sens, n’inclut pas seulement les retraités agricoles, comme vous l’expliquez dans l’exposé des motifs. Je vous suggère de travailler ensemble, avant la séance, à une nouvelle rédaction afin de cibler précisément les retraités agricoles.

M. Pierre Dharréville. Je soutiens l’amendement du rapporteur, qui s’inscrit dans la logique des choses. Ce fonds est aussi fait pour répondre à un certain nombre de défaillances liées à l’étroitesse de tableaux et de dispositifs prévus dans le cadre dans la branche AT-MP.

M. Dominique Potier, rapporteur. Faisons attention au ton que nous utilisons. Tout à l’heure, vous entendiez renoncer à l’indemnisation intégrale au profit de l’indemnisation forfaitaire ; maintenant, vous nous dites qu’il faut en rester à la liste des victimes déjà prises en compte dans la branche AT-MP. Auquel cas ce n’est pas la peine d’adopter cette proposition de loi ! Vous faites seulement semblant de le vouloir. Nous avons proposé d’intégrer au système d’indemnisation des catégories qui n’y sont pas aujourd’hui. Peut-être que la rédaction n’est pas heureuse et qu’il faudra la modifier en séance ; mais si vous souhaitez vous en tenir à une indemnisation forfaitaire pour des gens qui sont déjà en mesure d’être indemnisés, autant voter dès le début contre notre proposition de loi. Je vous propose plutôt d’adopter mon amendement et de le corriger en séance, dans un esprit constructif. Comment allons-nous expliquer aux phytovictimes et à tous les syndicats que nous avons rencontrés que nous avons fait une loi pour ne pas changer la loi ? Il faut au moins élargir le champ d’indemnisation. Si la rédaction n’est pas heureuse, soyez certains du soutien de tous les députés présents ici, et en premier lieu de celui du rapporteur.

La commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’examen de l’amendement AS29 du rapporteur.

M. Dominique Potier, rapporteur. Nous sommes en train de revenir au régime actuel… Une catégorie pourrait souffrir du rejet de nos amendements : les enfants victimes in utero avant 2005, dont la maman ne bénéficiait pas du régime de conjoint collaborateur. Même si ce vide juridique a été corrigé en 2005, cette catégorie de victimes, qui ont aujourd’hui entre vingt et vingt-cinq ans, n’a pas été prise en compte. Nous souhaitons qu’elle le soit désormais.

Mme Albane Gaillot. Je vous rejoins une nouvelle fois, monsieur le rapporteur, quand vous souhaitez inclure dans la prise en charge par le fonds l’indemnisation des enfants victimes in utero, en raison de l’exposition de leurs parents. J’ai déposé un amendement visant à redéfinir le champ des personnes pouvant obtenir la réparation de leurs préjudices aux seules personnes ayant obtenu la reconnaissance d’une maladie professionnelle occasionnée par les produits phytopharmaceutiques, ainsi qu’à leurs enfants. Nos deux amendements sont assez similaires, si ce n’est que le vôtre englobe également la sphère non professionnelle.

La commission adopte l’amendement.

Puis elle étudie l’amendement AS14 de Mme Hélène Vainqueur-Christophe.

Mme Hélène Vainqueur-Christophe. Dans quelques heures, nous examinerons la proposition de loi dont je suis la rapporteure sur la création d’un fonds d’indemnisation pour les victimes du chlordécone. Par le biais de cet amendement, je souhaite d’ores et déjà prendre le pouls de nos discussions, en ouvrant le bénéfice du fonds d’indemnisation à toutes les victimes du chlordécone, dès sa mise en place. La proposition de loi restreint le champ d’indemnisation aux seules pathologies d’origine professionnelle, tout en ouvrant la faculté d’étendre son bénéfice aux victimes d’origine environnementale en 2023. En Martinique et en Guadeloupe, aux victimes professionnelles, à savoir les ouvriers agricoles de la banane, exposés entre 1972 et 1993, qui ne le sont plus maintenant, s’ajoutent désormais toutes les victimes environnementales qu’il convient de prendre en charge, comme l’a proposé le Président de la République lui-même, lors de sa visite en Martinique le 29 septembre 2018.

M. Dominique Potier, rapporteur. Avis très favorable ! Même si nous aurons l’occasion de revenir sur ce sujet dans quelques heures, je me réjouis que notre collègue ait déposé cet amendement. Dans l’écosystème des outre-mer, la distinction entre les victimes professionnelles du chlordécone et les victimes parmi les populations rurales est particulièrement complexe. Qui plus est, la pollution des sols continue de faire des dégâts sur les animaux et les hommes. J’invite la commission à adopter cet amendement qui prend en compte la spécificité des outre-mer et lance le débat sur un sujet que nous examinerons en fin d’aprèsmidi.

Mme Albane Gaillot. Je comprends votre position. Cependant, dans la mesure où nous avons adopté l’amendement AS16, nous ne pouvons pas étendre l’indemnisation à toutes les victimes du chlordécone. Qui plus est, nous aurons cet après-midi un débat approfondi sur le cas spécifique du chlordécone et les pathologies liées à son utilisation. Nous sommes contre cet amendement.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement AS17 de Mme Albane Gaillot.

Mme Albane Gaillot. L’amendement AS17 vise à redéfinir le champ des catégories des personnes pouvant demander une indemnisation au titre de l’existence d’une maladie directement liée à l’exposition des produits phytopharmaceutiques. Les connaissances scientifiques relatives aux riverains ne sont pas suffisantes à ce jour pour établir le lien de causalité entre la pathologie et l’exposition aux produits phytopharmaceutiques. L’IGAS a ainsi relevé dans son rapport que nous ne disposions pas de suffisamment de connaissances scientifiques, à l’exception des cas d’exposition professionnelle des parents, en matière de santé environnementale. Sauf pour l’amiante et le plomb, le lien de causalité entre la pathologie et l’environnement est habituellement difficile à mettre en évidence. L’amendement reprend la rédaction proposée par le groupe socialiste au Sénat dans le cadre du PLFSS pour 2019, à laquelle nous ajoutons le cas des enfants atteints d’une pathologie directement occasionnée par l’exposition d’un de leurs parents, dans le cadre de leur activité professionnelle.

M. Dominique Potier, rapporteur. Nous avons un vrai différend sur ce sujet. Faute d’être en mesure de prouver scientifiquement l’origine des pathologies des victimes environnementales, il ne faudrait pas les prendre en compte. Quel message n’enverrions-nous pas ! Ceux qui travaillent et vivent dans la ferme seraient indemnisés – et encore, pas les retraités, par exemple, que vous avez exclus dans vos amendements –, mais il n’y aurait rien pour leurs voisins. Vous ne pouvez pas penser ce que vous dites ! La position de Matthieu Orphelin, qui renvoie cette question à 2023, me semble beaucoup plus sage. Si l’on découvrait alors, suite à l’étude qui sera menée cette année, qu’il n’y a pas de sujet, ce dont je doute, le fonds ne couvrirait pas ce champ ; mais exclure dès à présent ces populations, c’est envoyer un mauvais signal à nos concitoyens, ainsi qu’au monde agricole, en lui donnant l’impression qu’il bénéficie d’un accès privilégié à une réparation dont les autres seraient exclus. La sagesse, c’est, comme je le proposais dans mon amendement AS21 ou comme le proposait Matthieu Orphelin dans l’amendement AS16, de ne pas les exclure aujourd’hui, mais de prendre le temps de réfléchir à la bonne dimension et aux bonnes conditions de l’indemnisation. Je vous invite à retirer cet amendement, qui aurait un effet désastreux sur le combat que nous partageons.

La commission adopte l’amendement.

Elle en vient ensuite à l’examen de l’amendement AS23 du rapporteur.

M. Dominique Potier, rapporteur. C’est, d’une certaine façon, un amendement rédactionnel visant à prendre en compte pas tant les parents que les ascendants. Cette précision sémantique, sans être neutre, ne remet pas pour autant en cause l’équilibre du texte.

La commission adopte l’amendement.

Puis elle est saisie de l’amendement AS18 de Mme Albane Gaillot.

Mme Albane Gaillot. Cet amendement vise à indemniser les enfants atteints d’une pathologie résultant directement de l’exposition d’un de leurs ascendants à des produits phytopharmaceutiques dans le cadre de leur activité professionnelle.

M. Dominique Potier, rapporteur. Il me semble que l’amendement AS23 étant adopté, celui-ci n’a plus de sens. Je vous suggère donc de le retirer.

La commission adopte l’amendement.

La commission adopte l’article 1er modifié.

Article 2
Création et organisation du Fonds d’indemnisation
des victimes des produits phytopharmaceutiques

La commission examine l’amendement AS24 du rapporteur.

M. Dominique Potier, rapporteur. L’article 2 a essentiellement trait aux modalités de financement et de fonctionnement du fonds. Le rapport du Sénat prévoyait d’en confier la gestion à la caisse centrale de la MSA. Pour éviter toute querelle, l’amendement renvoie la création du fonds à un décret du Gouvernement. Nous voulons ouvrir le champ qui, me semble-t-il, se confondait avec la MSA. L’important, c’est que ce fonds relève d’un organisme public, sans présager de son identité. La majorité ne manquera pas d’être sensible à cet amendement qui ouvre une plus grande latitude au Gouvernement…

Mme Albane Gaillot. Nous y sommes sensibles ! Je crains toutefois qu’on ne présume un peu de la forme juridique du fonds, en le décrivant comme un établissement public administratif. Or on ne sait pas aujourd’hui s’il est pertinent qu’il recouvre cette forme-là ou une autre ou encore qu’il soit directement rattaché à une caisse de sécurité sociale. Retravaillons cette question pour la séance.

M. Dominique Potier, rapporteur. En fait, le choix est entre la MSA et la MSA… Nous souhaitions seulement offrir au Gouvernement la possibilité de proposer une formule plus adaptée. Je vais retirer mon amendement, dans la mesure où nous sommes d’accord sur la finalité.

L’amendement est retiré.

La commission en vient à l’examen de l’amendement AS2 de Mme Sandrine Le Feur.

Mme Sandrine Le Feur. Cet amendement visait à inscrire dans le marbre la création du fonds d’indemnisation avant le 1er janvier 2020, conformément à l’article 81 du projet de loi EGALIM. Cette création fait l’unanimité, il est temps que ces maladies professionnelles soient indemnisées. S’engager clairement et fortement sur une date me semble important pour les victimes des produits phytosanitaires. Mais, étant donné que l’amendement AS1 de Matthieu Orphelin a été adopté, je vais le retirer.

L’amendement est retiré.

La commission étudie l’amendement AS19 du rapporteur.

M. Dominique Potier, rapporteur. Cet amendement vise à prendre en compte le rapport de l’IGAS, et pas seulement pour ce qui nous arrange… Il préconise en effet la création d’un conseil scientifique qui aurait pour mission la mise à jour continue des connaissances scientifiques. C’est un amendement de bon sens qui ne peut que nous rassembler.

Mme Albane Gaillot. Nous sommes une fois de plus favorables à votre amendement, dans la mesure où, si nous sommes sensibles à l’indemnisation, nous le sommes également à la prévention. Il apparaît nécessaire de faire de la pharmacovigilance et de s’adjoindre un comité scientifique, afin de réfléchir, d’anticiper et de prévenir.

La commission adopte l’amendement.

Elle adopte l’article 2 modifié.

Article 3
Procédure de détermination de l’existence d’un préjudice
indemnisable par le fonds

La commission examine successivement les amendements AS25 et AS26 du rapporteur.

M. Dominique Potier, rapporteur. L’amendement AS25 vise à corriger une erreur des excellents rédacteurs du Sénat, qui ont oublié de préciser que le secret médical ne s’appliquait qu’aux tiers et qu’on ne pouvait pas se voir interdire la consultation de son propre dossier médical… Quant à l’amendement AS26, il tire les conséquences du fait que le « secret industriel et commercial » est devenu le « secret des affaires », suite à la loi du 30 juillet 2018, dont je ne dirai pas ce que je pense, dans un souci de concorde…

La commission adopte successivement ces amendements.

Elle adopte l’article 3 modifié.

Article 4
Présentation des offres d’indemnisation et paiement par le fonds

La commission rejette l’article 4.

Article 5
Droit d’action en justice des demandeurs contre le fonds

La commission rejette l’article 5.

Article 6
Recours des personnes éligibles au dispositif d’indemnisation

M. Dominique Potier, rapporteur. Pour la bonne compréhension de tous, il aurait été bon que la majorité exprime les raisons de son rejet des articles 4 et 5.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. À ceci près que les articles ne faisaient pas l’objet d’amendements… Le débat aura lieu en séance.

La commission rejette l’article 6.

Après l’article 6

La commission examine l’amendement AS13 de Mme Hélène Vainqueur-Christophe.

Mme Hélène Vainqueur-Christophe. Sur le modèle de ce qui se fait pour les indemnités versées aux victimes de l’amiante et aux victimes des essais nucléaires, cet amendement propose d’exonérer d’impôts l’ensemble des indemnités versées par le fonds aux victimes. Il nous semble utile de ne pas imposer une double peine aux victimes, en taxant les réparations dont elles bénéficient.

M. Dominique Potier, rapporteur. Avis extrêmement favorable. C’est la pratique habituelle pour l’ensemble des fonds. Je tiens à vous préciser que nous venons de rejeter la capacité d’actions récursoires qu’avait mentionnées M. Dharréville, soit une prérogative classique des fonds… C’est incroyable ! À part l’industrie phytopharmaceutique, je ne vois pas qui gagne au rejet de l’article 6.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Je rappelle que l’on ne débat pas en commission sur les articles qui ne font pas l’objet d’amendements. Nous en discuterons en séance.

La commission rejette l’amendement.

Article 7
Modalités de financement du fonds

La commission est saisie de l’amendement AS28 du rapporteur.

M. Dominique Potier, rapporteur. Je suis assez fier de cet amendement que j’ai déposé hier, en réponse à une remarque qui nous a été faite par plusieurs de nos collègues, notamment au sein du groupe Les Républicains, au sujet des bénéfices indus des multinationales : comme ils l’ont souligné à juste titre, une taxation sur le flux des ventes de produits phytopharmaceutiques pourrait se répercuter sur le client final, à savoir l’agriculteur. Je trouve cette objection parfaitement légitime.

Pour en tenir compte, le présent amendement propose une solution alternative à l’augmentation de la taxe sur les ventes de produits phytopharmaceutiques – que le rapport rendu conjointement par l’Inspection générale des finances (IGF) le Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture, de l’agroalimentaire et des espaces ruraux (CGAAER) et l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) suggère de faire passer de 0,2 % à 1,5 %. Je rappelle que la part de responsabilité de l’industrie phytopharmaceutique dans l’apparition de maladies chez les professionnels exposés à leurs produits est estimée à environ 25 % – proportion amène à se réduire très fortement depuis que vous avez repoussé le principe d’une réparation intégrale du préjudice.

M’inspirant de la modélisation récemment proposée par Bruno Le Maire dans le cadre de la lutte contre les GAFA, et qui consiste à prévoir une taxe assise sur le chiffre d’affaires réalisé à l’échelle mondiale par ces géants du numérique, je propose de créer une taxe sur le chiffre d’affaires réalisé au niveau mondial par les firmes commercialisant des produits phytopharmaceutiques, rapporté à la part des ventes de ces produits réalisées en France, ce qui paraît finalement plus juste. Cette solution, moins satisfaisante que la transparence sur les holdings que nous avions précédemment demandée dans le cadre de plusieurs textes, constitue cependant un progrès, et devrait permettre de collecter un montant de l’ordre de 25 millions d’euros par an pour le financement du fonds – dans l’hypothèse haute, correspondant à une indemnisation intégrale.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement AS20 du rapporteur.

M. Dominique Potier, rapporteur. L’amendement AS20 repose sur un mécanisme différent de celui défendu par le ministre de l’économie, puisqu’il vise à augmenter la taxe sur les ventes de produits phytopharmaceutiques, actuellement collectée par l’ANSES, en la faisant passer de 0,2 % à 1,5 %. Comme vous l’aurez compris, il est absolument nécessaire d’adopter cet amendement de repli car, à défaut, le fonds créé ne sera pas abondé.

Mme Albane Gaillot. Nous ne savons pas grand-chose des modalités pratiques de fonctionnement du nouveau fonds d’indemnisation ; même la façon dont il sera abondé – taxe sur le chiffre d’affaires ou sur les ventes de produits phytopharmaceutiques – reste encore indéterminée, mais ce qui est certain, c’est qu’une augmentation du prix de vente des produits phytopharmaceutiques aura pour conséquence une perte de pouvoir d’achat pour les agriculteurs. Lors des auditions auxquelles il a été procédé, les syndicats d’agriculteurs ont insisté sur le fait que la création d’un fonds ne présentait d’intérêt qu’à la condition qu’il soit effectif. Je vous invite par conséquent à engager une réflexion sur ce point, afin d’être en mesure de soumettre à notre assemblée, lors des débats en séance publique, un mode de financement répondant à cette exigence. En l’état actuel, le groupe La République en Marche votera contre cet amendement.

M. Dominique Potier, rapporteur. Je ne peux que vous avouer ma stupéfaction en apprenant qu’aucune de nos deux propositions de financement ne vous paraît satisfaisante. Je vous rappelle que la première correspondait à une disposition préconisée dans un rapport rendu conjointement par ces organismes gouvernementaux que sont l’IGF, le CGAAER et l’IGAS… Je ne vais pas faire de cette commission une tribune et y refaire le procès de la mondialisation, mais votre position me paraît incompréhensible ! Je rappelle que lors des auditions, un seul syndicat – et ce n’est pas le syndicat majoritaire – a émis des réserves sur l’impact que pourrait avoir sur l’économie agricole la mise en place de la taxe proposée : avec beaucoup de courage et un grand sens des responsabilités, tous les autres syndicats ont affirmé que, s’ils n’appelaient pas de leurs vœux la création de cette taxe – sans doute auraient-ils préféré l’amendement précédent à celui dont nous débattons actuellement –, ils étaient prêts à l’assumer au nom de la responsabilité professionnelle. Vous ne pouvez donc pas faire dire aux syndicats qu’ils sont opposés à cette taxe ! Je vous le répète, si nous rejetons cette seconde solution prévoyant un abondement du fonds, nous revenons au régime « maladies professionnelles et accidents du travail », autrement dit à la case départ.

M. Stéphane Viry. C’est bien ce qu’ils veulent !

La commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article 7 modifié.

Article 8
Régime de prescription

La commission rejette l’article 8.

Article 9
Rapport annuel, modalités d’application et dispositions transitoires

La commission adopte l’article 9 sans modification.

Après l’article 9

La commission est saisie de l’amendement AS27 du rapporteur.

M. Dominique Potier, rapporteur. Cet amendement de coordination prévoit que la présente loi doit entrer en vigueur le 1er janvier 2020.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

M. Dominique Potier, rapporteur. Mes chers collègues, je vous remercie pour les échanges que nous avons eus. Nous avons fait un petit pas en adoptant le principe de la création du fonds d’indemnisation, mais il nous reste beaucoup de chemin à parcourir d’ici à la séance publique si nous voulons aboutir à un texte répondant aux attentes des sénateurs comme à celles exprimées par la société civile tout entière – et il est dommage que, sur ce chemin, le principal obstacle qui se présente à nous semble être constitué par une position trop conservatrice et trop timide du Gouvernement.

La satisfaction que nous pouvons ressentir à l’issue de l’examen de cette proposition de loi doit rester mesurée. En effet, si nous avons créé un fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques, celui-ci n’a pas vocation à couvrir toutes les personnes ressortissant des métiers du travail de la terre. Contrairement à tous les autres fonds d’indemnisation créés précédemment – je pense notamment au Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (FIVA), au Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) ou encore au Fonds d’indemnisation des victimes du Mediator –, il serait le seul à ne pas être basé sur le principe d’une réparation intégrale du préjudice subi par les victimes. Toute liberté est laissée au Gouvernement pour la détermination du délai de prescription et des modalités de remboursement, et quasiment rien n’est dit au sujet des exigences éthiques que nous aurions pu défendre. Plus étonnant encore, ce fonds ne mobilise pas la capacité de recours dans le cas où la responsabilité d’un employeur ou d’un fournisseur serait établie.

Ce premier pas accompli reste donc d’une portée encore trop symbolique et nous devons nous attendre à un vif débat d’idées en séance publique, car il y a pire que de ne rien faire, c’est de faire semblant.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. C’est pour moi tout le sens du débat parlementaire que d’enrichir un texte dans un processus de coconstruction, à la fois en séance publique et en commission, et je me félicite que nous nous soyons livrés à cet exercice ce matin.

La commission des affaires sociales a adopté la proposition de loi. En conséquence, elle demande à l’Assemblée nationale d’adopter la présente proposition de loi dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport (http://www.assemblee-nationale.fr/15/pdf/ta-commission/r1597-a0.pdf).