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N° 1613

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 23 janvier 2019.

 

 

 

RAPPORT

 

 

 

FAIT

 

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LA PROPOSITION de loi dexpérimentation territoriale visant à instaurer un revenu de base,

 

VOLUME II
COMPTE RENDU DES TRAVAUX

 

 

Par MHervé SAULIGNAC,

 

 

Député.

 

——

 

 

 

 

Voir le numéro :

Assemblée nationale :  1541.


 


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SOMMAIRE

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Pages

Compte rendu des débats

Article 1er Expérimentation du revenu de base

Article 2 Bénéficiaires et modalités de calcul du revenu de base

Article 3 Automaticité du versement du revenu de base

Article 4 Accompagnement des bénéficiaires du revenu de base

Article 5 Création d’un fonds d’expérimentation visant à instaurer un revenu de base et d’une association de suivi de l’expérimentation

Article 6 Conventions entre le fonds d’expérimentation, les départements et les caisses d’allocations familiales

Article 7 Évaluation de la mise en place du revenu de base

Article 8 Fin de l’expérimentation

Article 9 Décret d’application

Article 10 Date d’entrée en vigueur

Article 11 Gage financier


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   Compte rendu des débats

La commission examine au cours de sa deuxième séance du mercredi 23 janvier 2019 la proposition de loi d’expérimentation territoriale visant à instaurer un revenu de base (n° 1613) (M. Hervé Saulignac, rapporteur).

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.7173935_5c4892d3e189e.commission-des-affaires-sociales--propositions-de-lois-diverses-23-janvier-2019

Mme Brigitte Bourguignon, présidente de la commission. Mes chers collègues, nous en venons à l’examen de la proposition de loi d’expérimentation territoriale visant à instaurer un revenu de base, dont le rapporteur est notre collègue Hervé Saulignac.

M. Hervé Saulignac, rapporteur. Madame la présidente, mes chers collègues, la proposition de loi que je vous présente aujourd’hui s’inscrit dans un contexte particulier, celui de la crise sociale que notre pays traverse actuellement. Cette crise a mis en évidence les attentes de nos concitoyens en matière de pouvoir d’achat, de lutte contre la pauvreté et de réduction des inégalités. Nous avons tous échangé avec celles et ceux qui se sont mobilisés : ces échanges ont confirmé que les Français peinent à comprendre le fonctionnement de notre système de protection sociale, la multiplicité des dispositifs existants créant une grande confusion. C’est d’ailleurs ce qui conduit certains de nos concitoyens à rejeter ce système, censé les protéger.

Cette proposition de loi, qui vise à expérimenter l’instauration d’un revenu de base, n’a pas été élaborée pour la circonstance. Elle résulte d’un travail approfondi qui a débuté il y a plus de deux ans. Avant de préciser ce qu’est le revenu de base, je souhaite revenir sur les conditions particulières de l’élaboration de ce texte.

Ce sont d’abord treize départements, bientôt rejoints par cinq autres, soit dix-huit départements au total, qui ont manifesté leur souhait d’expérimenter un « revenu de base » – une dénomination plus appropriée doit encore être trouvée. Pour répondre à cette initiative et élaborer cette proposition de loi, nous avons tout d’abord procédé à une grande consultation citoyenne, qui a connu un réel succès, puisque nous avons reçu plus de 15 000 contributions. Des économistes de l’Institut des politiques publiques ont ensuite mené une longue étude, afin d’élaborer des simulations précises et différents scénarios de mise en œuvre du revenu de base. Cette étude a permis d’évacuer par avance les scénarios jugés peu efficients, trop complexes ou trop coûteux. Vous le voyez, le texte que nous allons examiner n’a pas été écrit à la va-vite pour répondre à une actualité brûlante : il a fait l’objet d’un travail sur le long terme, associant des collectivités territoriales, des citoyens, des chercheurs et des parlementaires.

J’aimerais à présent préciser le dispositif qu’il s’agit d’expérimenter : cette précision est d’autant plus importante que la notion de « revenu de base » se rattache à des courants de pensées divers et recouvre des réalités très différentes. L’instauration d’un revenu de base, parfois qualifié de « revenu universel », a en effet été proposée par des penseurs, des philosophes, des économistes et des personnalités politiques de droite comme de gauche, avec des variantes nombreuses.

Le revenu de base, tel que nous l’entendons, n’est pas un revenu universel qui serait versé à tous, sans condition de ressources. Nous avons conçu et voulons expérimenter un revenu qui serait versé automatiquement et de manière inconditionnelle dès l’âge de 18 ans, sous condition de ressources. La proposition de loi du groupe Socialistes et apparentés relève ainsi d’une approche tout à la fois ambitieuse et réaliste. Nous entendons laisser aux départements expérimentateurs le choix entre deux options : ou bien une prestation simplifiée remplaçant le revenu de solidarité active (RSA) et la prime d’activité, ou bien une prestation élargie fusionnant le RSA, la prime d’activité et les aides au logement.

Ce revenu de base présente trois avancées majeures.

L’ouverture du revenu de base aux personnes âgées de 18 à 24 ans constitue la première de ces avancées. Le RSA, aujourd’hui, s’adresse essentiellement aux personnes de 25 ans et plus, même si deux situations permettent de bénéficier du RSA avant l’âge de 25 ans : le fait d’avoir un enfant à charge et celui d’avoir travaillé au moins deux ans au cours des trois dernières années qui précèdent la demande. Cette dernière condition, qui est liée à l’activité, est tellement restrictive que le RSA « jeunes actifs » ne bénéficie qu’à 1 300 foyers, bien loin de l’objectif attendu. Or les jeunes sont particulièrement touchés par la pauvreté et cette situation tend à s’aggraver : on estime que 16,1 % des jeunes âgés de 18 à 24 ans se trouvent en dessous du seuil de pauvreté, contre un taux moyen de 7,2 % pour les personnes âgées de 25 à 64 ans. Dans ce contexte, l’accès à un revenu de base dès l’âge de 18 ans permettrait de lutter contre la précarité et la pauvreté des jeunes. Ce droit nouveau permettrait également d’atténuer le recours aux solidarités familiales. Tous les jeunes ne peuvent pas compter sur le soutien financier de leur famille – y compris dans les familles aisées ; et dans les milieux sociaux défavorisés, l’absence d’aide perpétue les inégalités sociales.

La deuxième avancée importante de ce dispositif est l’automaticité du versement. Les travaux menés en 2016 par notre collègue Gisèle Biémouret et par notre ancien collègue Jean-Louis Costes sur l’accès aux droits sociaux ont mis en évidence l’importance du non-recours aux droits : 36 % des personnes éligibles au RSA n’en bénéficient pas. Si l’introduction de la prime d’activité a certes entraîné une amélioration importante du taux de recours par rapport au RSA-activité qu’elle a remplacé, 27 % des personnes éligibles à cette prime ne la perçoivent toujours pas. Personne ne peut se satisfaire d’une situation où les laissés-pour-compte sont si nombreux. C’est pourquoi la proposition de loi instaure le versement automatique du revenu de base à toutes les personnes qui y sont éligibles.

Je précise que ce versement automatique sera rendu techniquement possible grâce aux travaux de modernisation récemment engagés en matière de délivrance des prestations sociales. Pour mémoire, l’article 78 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 permet d’automatiser le processus déclaratif pour les bénéficiaires de prestations. La dématérialisation des procédures et les échanges de données systématisés entre administrations rendent possible cette automaticité. La mise en place d’une base des ressources commune aux organismes de sécurité sociale est par ailleurs prévue au plus tard le 1er janvier 2020, soit avant le début de l’expérimentation du revenu de base.

La dernière grande avancée est l’inconditionnalité du revenu de base, au sens où son versement ne sera pas conditionné à un contrôle de l’effectivité de la recherche d’emploi par ses bénéficiaires. Je sais que l’inconditionnalité ne fait pas l’unanimité et qu’elle risque même de cristalliser nos débats. Je vois pourtant au moins trois grands arguments en sa faveur.

D’abord, comme les représentantes de Pôle emploi nous l’ont rappelé lors de leur audition, il est évident que la participation au monde du travail reste la voie d’intégration sociale la plus valorisée : la très grande majorité des individus souhaite accéder à un emploi. Pour la minorité de personnes qui semble avoir décroché, la menace d’une suspension du RSA produit bien peu d’effets. Bien souvent, d’ailleurs, les travailleurs sociaux en charge de leur dossier ne cherchent pas à suspendre leur droit au RSA : ils savent très bien qu’une telle mesure, loin de les rapprocher de l’emploi, les fragiliserait encore davantage.

Ensuite, le versement inconditionnel du revenu de base permettra de créer une relation nouvelle entre l’allocataire et son conseiller. Aujourd’hui, le référent a deux missions : une mission d’accompagnement et une mission de sanction en cas de manquement au contrat. Cette organisation est contre-productive. Le versement inconditionnel du revenu de base favorisera la construction d’une vraie relation de confiance entre l’allocataire et le conseiller : celui-ci, déchargé de sa mission de contrôle, pourra accompagner beaucoup plus efficacement l’allocataire dans sa démarche d’insertion.

Enfin, le fait de ne pas conditionner le versement du revenu de base à une recherche active d’emploi permet de valoriser d’autres formes d’engagement, qui peuvent parfois être un premier pas vers l’emploi. Je pense en particulier aux personnes qui s’investissent bénévolement dans des projets associatifs ou à celles qui développent des services. Je pense également aux aidants familiaux, qui sont de plus en plus nombreux, qui doivent parfois cesser de travailler pour s’occuper de leurs proches âgés ou en situation de dépendance et qui ne reçoivent aucune aide de la société, alors même qu’ils jouent un rôle essentiel. Je pense enfin aux étudiants : s’ils recevaient un revenu de base, ils pourraient envisager sereinement la poursuite de leurs études sans être contraints de travailler en parallèle lorsqu’ils ne sont pas aidés par leur famille – je rappelle que 46 % des étudiants exercent un emploi salarié pour financer leurs études.

Bien entendu, tous les bénéficiaires du revenu de base feront l’objet d’un accompagnement social et professionnel, organisé par un référent unique. Déchargés de leur tâche de contrôle, du fait de l’inconditionnalité du versement, les travailleurs sociaux auront davantage de temps pour se concentrer sur leur tâche d’accompagnement social et professionnel.

Ouvert dès l’âge de 18 ans, versé automatiquement et de manière inconditionnelle, le revenu de base que je vous propose d’expérimenter constituerait à la fois une arme nouvelle pour lutter contre la pauvreté et un moyen de faciliter l’accès aux droits. Il résulte, comme je l’ai rappelé au début de mon intervention, d’un vrai travail partenarial engagé il y a près de deux ans et demi. Cela m’amène à réagir à l’annonce, qui a été faite au mois de septembre dernier par le Président de la République, de l’instauration d’un « revenu universel d’activité ». De ce revenu, nous ne savons pas grand-chose. Sera-t-il vraiment universel ? Sera-t-il vraiment favorable à la reprise d’activité ? En tout cas, en raison de cette annonce, on m’a reproché d’être en avance par rapport au calendrier politique du Gouvernement. Je rappelle que le Parlement est souverain et qu’il a aussi l’initiative des lois. Je ne sais pas ce que signifierait être à l’heure en la matière ; mais, à tout prendre, je préfère être en avance qu’en retard.

L’examen de cette proposition de loi s’inscrit donc dans un contexte particulier. On peut toujours trouver des raisons de repousser à plus tard l’introduction d’un nouveau dispositif d’aide sociale, mais l’urgence est là. L’expérimentation permet de tester des idées ambitieuses. Depuis l’instauration du revenu minimum d’insertion (RMI), rien n’a fondamentalement été entrepris pour résorber la précarité, mieux protéger la jeunesse et créer de nouveaux droits en faveur des travailleurs les plus modestes. L’adoption de cette proposition de loi serait un signal fort envoyé à celles et ceux qui pensent que notre système est irréformable et que c’est pour cette raison, entre autres, que les pouvoirs publics ont renoncé à combattre la pauvreté. Son adoption, enfin, contribuerait à valoriser l’initiative parlementaire, qui en a bien besoin.

Mme Brigitte Bourguignon, présidente de la commission. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes, en commençant par celui de La République en marche.

Mme Monique Iborra. Monsieur le rapporteur, je vous remercie pour cet exposé, qui précise clairement les objectifs de votre proposition de loi.

Nous faisons tous le même constat au sujet des politiques sociales menées aujourd’hui dans notre pays. S’agissant du RSA, dont les départements ont la responsabilité pleine et entière, on sait que seuls 10 % de ses bénéficiaires trouvent un emploi dans l’année, que 20 % sont toujours au RSA au bout de dix ans et 50 % depuis au moins quatre ans, et que 50 % ne sont pas accompagnés au bout de six mois. Face à cet échec collectif, nous avons l’obligation, sans chercher de bouc émissaire, d’opérer un tournant à 180 degrés dans notre manière de concevoir nos politiques sociales. Or vous nous proposez seulement la création d’une nouvelle prestation monétaire, avec le revenu de base inconditionnel.

Notre réponse à nous, c’est le Plan pauvreté, qui a été rendu public au mois de septembre et qui fait déjà l’objet de contractualisations avec les départements. Vous traitez le symptôme ; nous, nous voulons traiter la maladie. Nous voulons une stratégie qui favorise l’accompagnement vers l’emploi et l’insertion professionnelle, plutôt que le versement de prestations sans condition. Nous avons là, monsieur le rapporteur, une divergence importante sur le fond.

Votre proposition de loi ne fait même pas l’unanimité parmi les conseils départementaux, puisque seuls dix-huit départements, exclusivement socialistes, sont favorables à cette expérimentation et que les vingt-deux autres départements actuellement à gauche ne soutiennent pas cette initiative. Les départements, dans leur majorité, ne sont pas convaincus sur le fond. Les auditions ont d’ailleurs montré que les associations est les organisations syndicales n’étaient pas davantage convaincues par votre proposition. Je me permets enfin de rappeler que le Gouvernement de François Hollande a repoussé à trois reprises la mise en place d’un revenu universel, sous une forme ou sous une autre. C’est donc une divergence de fond qui nous sépare : c’est la raison pour laquelle les membres du groupe La République en Marche ne pourront pas adopter votre proposition de loi.

M. Stéphane Viry. Cette proposition de loi intervient dans un contexte particulier, celui de l’annonce du futur revenu universel d’activité, et nous devons en tenir compte. Cela étant, elle répond, aux yeux du groupe Les Républicains, à un constat juste et pertinent ; et force est de constater, monsieur le rapporteur, que vous nous présentez une œuvre de belle facture. Vous nous proposez de lancer une expérimentation qui permettrait de tester et d’ajuster un dispositif au fil du temps, de manière modulable et évolutive.

Je regrette qu’un de nos amendements ait été déclaré irrecevable, qui proposait d’expérimenter, parallèlement à votre revenu de base, une prestation sociale unique automatique, qui aurait pu être dénommée « revenu universel d’activité » (RUA), dans les départements volontaires, en marge ou en complément de la vôtre. Cette double expérimentation nous aurait fourni des éléments utiles en vue d’une prise de décision éclairée sur un sujet qui s’impose dans le débat public. Cet amendement, qui se fondait sur des scénarios élaborés par France Stratégie, prévoyait la fusion de sept prestations. Cette expérimentation du RUA, limitée dans le temps et dans l’espace, aurait parfaitement trouvé sa place dans votre proposition de loi et je regrette qu’elle ait été considérée comme une charge.

J’aimerais, monsieur le rapporteur, que vous me donniez votre avis sur ce projet de revenu universel d’activité. Je souhaiterais également m’adresser à nos collègues de la majorité : si un tel dispositif devait voir le jour, ce qui n’est pas exclu, serait-il mis en œuvre immédiatement ou ferait-il l’objet d’une expérimentation avant d’être généralisé ?

Je l’ai dit, je suis favorable à votre proposition de loi, mais je souhaite néanmoins exprimer deux réserves : l’une, au sujet de l’octroi automatique du revenu de base aux jeunes de moins de 25 ans, parce que cela ne correspond pas à notre philosophie ; l’autre sur l’inconditionnalité du dispositif.

Mme Michèle de Vaucouleurs. Le texte que nous allons examiner propose d’expérimenter le versement d’un revenu de base dans plusieurs départements volontaires. Je souhaite tout d’abord remercier monsieur le rapporteur pour son travail et pour la qualité de ses auditions. Le groupe du Mouvement Démocrate et apparentés partage en partie le constat dressé par cette proposition de loi.

Oui, nous devons simplifier notre système de prestations, afin de lutter contre le non-recours, qui est aujourd’hui trop important : 36 % des personnes qui ont droit au revenu de solidarité active n’effectuent pas les démarches pour le percevoir. Oui, nous devons réfléchir à un moyen d’intégrer les 18-24 ans qui, aujourd’hui, ne perçoivent pas le RSA, alors que certaines situations le justifieraient amplement – je rappelle que 25,7 % des jeunes de moins de 30 ans vivent en dessous du seuil de pauvreté.

Cependant, certains points de ce texte nous posent des difficultés. Si nous devons bien sûr faciliter le recours aux prestations sociales, l’automaticité du versement ne saurait exclure l’obligation de suivi du bénéficiaire, car l’inscription dans un parcours d’insertion, avec un accompagnement plus ou moins soutenu selon le profil du bénéficiaire, est essentielle. Le versement automatique ne doit pas nous dispenser d’accompagner les personnes, l’objectif étant bien qu’elles sortent, à terme, de ces dispositifs. Il nous semblerait donc important d’envisager des contreparties au versement de ce revenu de base.

Nous devons également nous interroger sur la nature des prestations intégrées dans un futur revenu de base. Cette question complexe mérite une large concertation avec les acteurs concernés et une étude d’impact approfondie. Si nous voulons entreprendre une refonte complète de notre système, nous devons prendre le temps de la réflexion. Le Gouvernement a annoncé son souhait de travailler sur une réforme visant à garantir un meilleur recours et à simplifier l’obtention des prestations sociales. Notre groupe souhaite participer activement à cette réflexion sur un enjeu majeur, afin d’arriver à un résultat qui alliera efficacité et justice sociale.

C’est pourquoi le groupe du Mouvement Démocrate et apparentés ne pourra pas voter, en l’état, cette proposition de loi. J’indique que j’ai souhaité présenter, à titre personnel, plusieurs amendements visant à proposer une expérimentation sur le public spécifique que constituent les 18-25 ans.

M. Boris Vallaud. La proposition de loi qui vous est présentée aujourd’hui est le fruit d’un grand débat : ce ne fut certes pas le grand débat national, mais nous savons que la méthode vous sied… Elle s’appuie également sur une expertise, réalisée par des chercheurs de haut niveau. Elle repose enfin sur une méthode qui a votre faveur, si j’en crois les propos du Président de la République : je veux parler de l’expérimentation, qui suppose la possibilité de se tromper. Je trouve très curieux que vous ayez des certitudes à ce point chevillées au corps, alors que notre proposition est raisonnable, modulable, réversible. Nous, nous ne connaissons rien de votre projet, si ce n’est qu’il est, par nature, l’inverse du nôtre. Le virage à 180 degrés, c’est vous qui l’avez fait !

Tous les orateurs qui se sont exprimés ont évoqué une question majeure, que nous avons tous à cœur de prendre en charge : la pauvreté des jeunes. Songez qu’un jeune est majeur sur le plan pénal à 16 ans, qu’il l’est sur le plan civique à 18 ans, mais qu’il ne l’est sur le plan social qu’à 25 ans ! Les jeunes qui quittent leur foyer, qui peinent à trouver un emploi et qui décrochent s’abîment considérablement entre 18 et 25 ans. Un vrai travail de prévention consisterait à leur ouvrir des droits dès l’âge de 18 ans, sans les abandonner à leur sort.

Nous vous proposons un droit nouveau, reposant sur quelques principes : l’automaticité, pour éviter le non-recours ; un véritable accompagnement, grâce à l’inconditionnalité ; la dégressivité, enfin, pour ne pas désinciter au travail. Voilà une proposition neuve, qui tire le bilan d’un certain nombre d’échecs dont nous faisons, comme vous, le constat. Elle permettra de lutter contre la grande pauvreté et contre la pauvreté des jeunes, d’inciter au retour au travail et de lutter contre le non-recours. Vous souhaitez expérimenter et évaluer ? Les membres du groupe Socialistes et apparentés vous prennent au mot…

M. Paul Christophe. Monsieur le rapporteur, votre proposition de loi a pour objet d’expérimenter la fusion de plusieurs prestations sociales – revenu de solidarité active, prime d’activité et, de manière optionnelle, aides au logement – au sein d’une prestation unique, dénommée « revenu de base ».

Nous partageons les préoccupations que vous détaillez dans votre exposé des motifs. Les filets de protection destinés aux plus modestes de nos concitoyens ont des défauts bien connus et bien documentés : un taux élevé de non-recours, une absence d’automaticité, une trop grande complexité dans le mode de calcul comme dans la lisibilité, et enfin un accompagnement déficient. Dans le contexte de tension et de repli que nous connaissons, il est fondamental de favoriser l’accès au droit et de répondre à la crise de défiance, qui est également une crise d’efficience, la complexité emportant avec elle des logiques de jugement.

Il est donc nécessaire de simplifier et de revoir notre système. En ce sens, votre proposition, qui s’appuie sur l’expertise technique de l’Institut des politiques publiques, ne peut qu’être saluée. Vous avez raison, par ailleurs, d’appeler notre attention sur cet angle mort de nos politiques publiques que constitue la situation des jeunes âgés de 18 à 25 ans. À ce titre, il conviendrait de conforter le rôle et la place des missions locales, qui prennent en charge les bénéficiaires dans le cadre de la Garantie jeunes.

Le groupe UDI, Agir et Indépendants ne peut cependant qu’être en désaccord avec le principe qui sous-tend cette proposition de loi, celui de l’inconditionnalité du bénéfice des prestations sociales. Parce que nous sommes convaincus que le travail est et doit demeurer l’une des valeurs cardinales de notre société, nous réaffirmons notre opposition à un dispositif qui irait à rebours de la philosophie actuelle des minima sociaux et de l’obligation d’une insertion dans l’emploi.

J’appelle d’ailleurs votre attention sur l’usage abusif du terme « revenu », qui pourrait également désigner d’autres prestations que celles prévues par votre expérimentation : cela pourrait, selon nous, avoir un effet négatif. En l’état, même si nous reconnaissons l’intérêt de ce texte, en particulier la démarche qui consiste à passer par une expérimentation, nous ne le soutiendrons pas, en raison du mauvais signal que constitue le principe d’un versement sans condition des prestations sociales.

M. Jean-Hugues Ratenon. Madame la présidente, mes chers collègues, les plus avertis d’entre vous savent que le groupe La France insoumise ne défend pas l’idée d’un revenu de base. Nous proposons, pour notre part, une garantie de dignité inconditionnelle, dont le montant serait supérieur au seuil de pauvreté.

Cela étant dit, ce texte présente de réelles avancées. Je pense notamment à l’automaticité de l’attribution, qui permettra de mettre enfin un terme au non-recours aux droits, mais aussi à l’extension de ce revenu aux jeunes de moins de 25 ans. Le non-recours aux droits est un vrai fléau, quand on sait que 36 % des personnes qui ont droit au revenu de solidarité active ne le demandent pas, soit parce qu’elles ignorent qu’elles y ont droit, soit parce que les démarches sont de plus en plus complexes.

Nous nous opposerons évidemment aux amendements de ceux de nos collègues qui tremblent sitôt que l’on parle d’un accès inconditionnel aux droits ou d’un partage des richesses. Je tiens néanmoins à leur rappeler que le droit de vivre dignement n’implique aucun devoir, car toute vie humaine a sa valeur. Toute personne doit pouvoir compter sur la solidarité nationale pour subvenir à ses besoins, si elle est dans l’incapacité de le faire par ses propres moyens. Ce principe est clairement inscrit dans le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 : « La nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement. » À ce droit, aucun devoir n’a été adossé : la dignité n’est pas une chose dont on fait l’aumône en échange d’un service ou d’un comportement. C’est notre devoir de justice sociale.

Or cette expérimentation est une chance à ne pas rater, car elle favoriserait aussi l’exercice de la liberté d’entreprendre pour un grand nombre de nos concitoyens. Nous voterons donc pour ce texte, et nous voterons contre les amendements qui visent à en restreindre la portée. Face au chômage de masse, il est urgent d’inventer une nouvelle forme de répartition des richesses et de relance de l’économie.

M. Pierre Dharréville. Cette proposition de loi est le fruit d’un long travail et je veux saluer le rapporteur, Hervé Saulignac, pour son engagement.

Ce texte soulève d’importantes questions de société, d’abord parce que l’idée d’un revenu de base, ou d’un revenu universel, renvoie à des réalités et à des finalités diverses – le rapporteur l’a bien rappelé. Elle peut par exemple être articulée à la question de la fin du travail ou à celle du dépassement du salariat. Elle pose aussi la question de la mobilité professionnelle, et même celle du travail gratuit, qui n’est pas reconnu aujourd’hui dans notre société, alors qu’il devrait l’être. Elle pose enfin la question du développement de la misère dans nos sociétés.

Autant de questions qui ne seront pas toutes résolues dans cette proposition de loi : on reste ici dans une logique d’aide sociale. Vous proposez de fusionner des aides qui ont des raisons d’être différentes, ce qui ne va pas de soi. La vocation de la prime d’activité, par exemple, est de pallier la mauvaise rémunération du travail ; or il y aurait des dispositions à prendre pour une juste rémunération du travail. L’aide au logement correspond, elle aussi, à un droit précis. Ce que nous craignons, c’est que la fusion que vous proposez ne revienne à détricoter des aides sociales liées à des droits.

Ce texte comporte néanmoins trois intuitions positives : l’automaticité ; l’attention portée aux jeunes – nous avions nous-mêmes défendu une proposition d’allocation d’autonomie pour la jeunesse ; le droit enfin à un accompagnement inconditionnel.

Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine a une proposition qui mériterait d’être versée au débat : celle du droit à une sécurité d’emploi et de formation, que je n’ai pas le temps de développer ici. En tout cas, ce débat nous intéresse.

Mme Jeanine Dubié. Je vous remercie, monsieur le rapporteur, de nous donner l’occasion de réfléchir à un sujet majeur, qui touche au pouvoir d’achat et fait parfaitement écho à la crise sociale que nous connaissons depuis deux mois.

Cette crise sociale nous rappelle à quel point nos concitoyens sont sensibles aux inégalités : ils réclament davantage de justice sociale et de solidarité. Des mesures d’urgence ont certes été prises, mais la crise est plus profonde et ces mesures ne suffiront pas à régler le problème de la grande pauvreté, qui touche 9 millions de personnes, soit 14 % des Français.

En apparence, le modèle français de solidarité semble efficace, mais il demeure largement perfectible. On estime qu’un tiers des personnes qui y sont éligibles ne bénéficieraient pas du RSA. Ce phénomène de non-recours accroît les inégalités et fragilise davantage la situation des personnes concernées : c’est pourquoi j’accueille avec bienveillance l’idée d’un versement automatique du revenu de base. Il permettrait de corriger ces inégalités d’accès et d’assurer un meilleur ciblage des prestations. Le caractère unique du revenu de base, qui regroupe plusieurs allocations – RSA, prime d’activité, voire aide au logement – simplifiera les démarches pour les bénéficiaires, comme pour les administrations.

Par ailleurs, on peut se réjouir que les départements, en première ligne sur les enjeux de solidarité, soient à l’origine de cette proposition de loi, qui illustre ainsi la vigueur des initiatives qui naissent dans les territoires et la volonté d’expérimenter.

Quelques questions demeurent cependant quant au financement de ce dispositif, notamment s’il est généralisé, car l’absence de compensation des allocations individuelles de solidarité constitue l’une des pommes de discorde entre l’État et les conseils départementaux et soulève donc la question de sa soutenabilité.

Enfin, ce projet de revenu de base nous est soumis alors que le Président de la République a annoncé, en septembre dernier, la création d’un revenu universel d’activité dont les contours ne sont pas encore connus. Par conséquent, si le groupe Libertés et Territoires approuve le principe d’une telle expérimentation, des doutes persistent quant à son application effective.

M. Hervé Saulignac, rapporteur. Vos interventions, conformes à ce que je pouvais attendre, auront au moins le mérite d’ouvrir un débat dont nous ne pouvons pas, me semble-t-il, faire l’économie.

Madame Iborra, vous avez commencé votre propos en annonçant trois points et, de fait, votre intervention comportait bien, comme celles de vos collègues du groupe La République en marche lors de l’examen des précédentes propositions de loi, trois points. Ces trois points sont invariablement les suivants : un, la compassion ; deux, un petit procès du passé ; trois, le Gouvernement s’occupe de tout…

Mais pour prétendre, comme vous le faites, que cette proposition de loi ne traite pas le symptôme…

Mme Monique Iborra. J’ai dit qu’elle traitait le symptôme, mais pas la maladie.

M. Hervé Saulignac, rapporteur. Pardonnez-moi. Si donc vous pensez qu’elle traite le symptôme et non la maladie, c’est que vous ne l’avez pas lue dans le détail : elle a bien vocation à améliorer le retour à l’emploi, à modifier la relation entre l’allocataire du RSA notamment et celui qui est chargé de l’accompagner, à améliorer la qualité leur dialogue et donc l’accompagnement des personnes privées d’emploi.

Par ailleurs, vous avez indiqué que les départements n’étaient pas unanimes. S’il faut attendre qu’ils le soient pour déposer une proposition de loi, on n’en présentera pas beaucoup… Au demeurant, si dix-huit départements se sont portés volontaires pour l’expérimentation, beaucoup d’autres sont loin d’y être hostiles et seront très attentifs à ses conclusions. Lorsque dix-huit départements – ce n’est pas rien ! – prennent une telle initiative sur la durée, nous avons, me semble-t-il, la responsabilité, sinon de leur permettre, comme je le souhaite, d’aller au bout de leur démarche, à tout le moins d’être attentifs à leur engagement.

Monsieur Viry, vous avez indiqué que l’un de vos amendements avait été déclaré irrecevable. Je le regrette car, selon l’Institut des politiques publiques, rien d’ambitieux ne pourra être fait en matière de réforme de nos prestations sociales sans une expérimentation à outrance, serais-je tenté de dire. Ainsi, le Gouvernement ne pourra pas faire l’économie d’une expérimentation de son projet de revenu universel d’activité, à moins que celui-ci ne soit d’une telle modestie qu’il ne présentera aucun risque. En tout état de cause, celle que je propose peut nourrir la réflexion du Gouvernement.

En effet, si l’on veut mesurer clairement les effets d’un tel dispositif sur les jeunes de 18 à 25 ans, notamment sur la poursuite de leurs études – puisqu’ils ne seraient plus, pour bon nombre d’entre eux, contraints de travailler pour les financer –, il faut expérimenter. Si l’on veut évaluer les réactions comportementales des bénéficiaires, il faut expérimenter. Si l’on veut trancher définitivement la question de l’efficacité de la conditionnalité – dont certains travailleurs sociaux affirment catégoriquement qu’elle relève d’une hypocrisie politique –, il faut expérimenter ! L’expérimentation est le meilleur moyen de trancher des débats souvent très idéologiques et pas toujours fondés.

Je suis donc, monsieur Viry, favorable à ce que les expérimentations soient le plus nombreuses possible, à une nuance près. Lorsque j’entends parler de la fusion d’un maximum d’allocations et de conditionnalités, je m’interroge : entend-on sérieusement conditionner l’allocation adulte handicapé ou l’allocation de solidarité aux personnes âgées ? Je ne crois pas – je vous alerte sur ce point – que ce soit envisageable. Mais, encore une fois, je suis très ouvert aux expérimentations. C’est pourquoi je regrette que votre amendement n’ait pas pu être retenu.

Madame de Vaucouleurs, je veux tout d’abord vous remercier pour votre participation active aux auditions. Je partage votre point de vue : le cœur du sujet, c’est l’accompagnement plutôt que le contrôle. Celui-ci doit être pris en compte, mais ce n’est pas en y consacrant des moyens considérables que l’on garantira efficacement le retour à l’emploi. Quant à l’étude d’impact, elle est constituée en quelque sorte par les simulations de l’institut des politiques publiques (IPP), simulations qui doivent, pour être vérifiées et affinées, faire l’objet d’une expérimentation.

M. Boris Vallaud est revenu sur la méthode. Je veux juste rappeler, à cet égard, le travail considérable accompli par dix-huit départements, dont le groupe Socialistes et apparentés se fait ici, d’une certaine manière, le porte-parole : ils ne demandent, et c’est légitime, que le droit d’expérimenter. Les membres du Gouvernement ne considèrent-ils pas l’expérimentation comme l’alpha et l’oméga des futures politiques territoriales ? Qu’ils le prouvent, qu’ils passent des mots aux actes en autorisant ces dix-huit départements à mener une expérimentation qui sera nécessairement utile à tous les autres.

Notre collègue a également évoqué la question des jeunes. Il faut savoir que la France est, avec le Luxembourg, bonne dernière en Europe dans le domaine de l’accompagnement des jeunes. Ainsi, 46 % des étudiants occupent un emploi et 26 % d’entre eux travaillent plus de six mois par an – il ne s’agit donc pas, pour ceux-là, d’un petit boulot qui les occupe quelques heures par-ci, par-là. Nous devons, au moins sur cette question-là, prendre le temps de nous interroger sur nos devoirs envers ceux qui seront la France de demain.

Enfin, Boris Vallaud a abordé la question de la dégressivité liée aux revenus d’activité. Je n’ai pas voulu entrer dans le détail du dispositif dans mon propos liminaire, mais cette question est absolument essentielle. Dans sa modélisation, l’IPP prévoit que le taux marginal d’imposition appliqué aux revenus d’activité des futurs allocataires du revenu de base soit plus intéressant que celui qui est actuellement appliqué aux revenus d’activité des allocataires des deux ou trois prestations qui seraient fusionnées. Il s’agit donc bien d’inciter au travail. Nous ne voulons plus entendre ce que vous avez toutes et tous entendu dans vos permanences parlementaires, sur les ronds-points ou dans la rue : « On m’a proposé un emploi, mais je vais devoir faire garder mes enfants et parcourir 30 kilomètres aller-retour chaque jour. La différence n’est pas assez importante pour que je sois incité à prendre cet emploi. » Une dégressivité révisée dans le cadre de cette expérimentation est un moyen de mettre en place un dispositif incitatif à l’emploi.

Monsieur Paul Christophe, vous estimez, comme d’autres, que l’inconditionnalité est un mauvais signal. Je comprends parfaitement les responsables publics, les élus, qui brandissent le principe, qui m’est cher, des droits et des devoirs. Mais il faut parfois avoir le courage de mettre un terme à une forme d’hypocrisie. Lorsque l’on conditionne des dispositifs sociaux à une recherche d’emploi, on s’adresse en réalité aux contribuables, à ceux qui payent l’impôt. La conditionnalité est en effet une manière de leur dire : « On redistribue, mais on est extrêmement exigeant puisqu’on oblige les bénéficiaires des allocations, en l’occurrence du RSA, à rechercher un emploi. » Cela ne sert à rien : n’importe quel travailleur social vous le dira, si l’on supprime le RSA à une personne très éloignée de l’emploi, elle se retrouvera à la rue et, tôt ou tard, le coût sera au final beaucoup plus élevé pour la société. On peut continuer à entretenir cette hypocrisie ; je préfère, quant à moi, être de ceux qui ont le courage de dire que les moyens supplémentaires, si tant est qu’ils existent, doivent être consacrés à l’accompagnement plutôt qu’au contrôle, qui n’a, a priori, jamais fait ses preuves. En tout cas, encore une fois, l’expérimentation permettrait de savoir ce qu’il en est.

Par ailleurs, vous avez raison, le mot « revenu » est mal choisi, car il désigne le plus souvent le fruit d’une activité professionnelle. C’est pourquoi, je l’ai dit, il me semble nécessaire de revoir le nom du dispositif.

Monsieur Ratenon, je vous remercie pour vos propos. L’automaticité permettrait en effet de réduire le taux de non-recours. À ce propos, il est intéressant de s’attarder sur la situation des « non-recourants », de ceux qui ne font pas valoir leurs droits. Ce sont, dans leur grande majorité, des agriculteurs, des commerçants, des artisans ; ils considèrent le RSA comme une forme de stigmate, si bien qu’ils préfèrent vivre avec 600 ou 700 euros par mois plutôt que de réclamer leur dû. C’est pourquoi il est désormais nécessaire d’automatiser le versement de ce type de prestations. Avoir un niveau de vie digne lorsqu’on a une activité professionnelle, que l’on soit agriculteur ou commerçant, c’est un dû. Les autres « non-recourants » sont des gens qui, la plupart du temps, ont renoncé à leurs droits en raison du caractère insurmontable de l’obstacle que représente le parcours administratif qu’ils doivent suivre dans le « maquis des aides » – pour reprendre l’expression employée par un membre de la majorité, me semble-t-il.

Monsieur Dharréville, je tiens à préciser que, dans son étude, l’Institut des politiques publiques a pris le parti, en accord avec les départements, de ne pas faire de perdants. Il est extrêmement difficile de réformer les prestations dans le sens d’une plus grande justice sans imaginer des dépenses supplémentaires. Il est en tout cas certain que si la modélisation de l’IPP faisait des perdants, ceux-ci refuseraient, de manière tout à fait logique, d’entrer dans le dispositif.

Par ailleurs, améliorer l’aide sociale – en mettant en place un revenu complémentaire, non un revenu de substitution au salaire – ne doit pas nous inciter à renoncer au combat majeur pour le pouvoir d’achat, la création d’emploi et la revalorisation salariale. Tout Gouvernement doit espérer que, demain, chaque Français vivra des fruits de son travail sans avoir à solliciter la solidarité nationale. Mais une réalité s’impose à nous : 5,5 millions de Français en âge de travailler sont privés d’emploi ! Or, sur les panneaux de Pôle emploi, on dénombre, en étant généreux, 400 000 offres d’emploi. Autrement dit, plus de 5 millions de personnes se trouvent, en tout état de cause, dans une situation extrêmement difficile. Par conséquent, il est nécessaire d’améliorer nos dispositifs d’aide sociale, quand bien même toutes les offres d’emploi seraient pourvues.

Madame Dubié, vous avez indiqué que nos concitoyens étaient particulièrement sensibles aux inégalités. Certaines d’entre elles sont bien réelles, hélas, y compris dans certains dispositifs sociaux conçus de telle manière qu’ils incitent des allocataires à élaborer des stratégies et à recourir à certaines prestations et non à d’autres. Mais d’autres inégalités sont pour ainsi dire fantasmées – le mot n’est pas trop fort. Vous avez tous vu circuler sur les réseaux sociaux cette fake new qui présente une fausse fiche de la Caisse d’allocations familiales tendant à prouver qu’une famille pourrait percevoir 6 000 euros d’allocations par mois. Ce type de fausse information contribue à alimenter, au-delà des inégalités, le fantasme de l’existence de privilégiés qui vivraient sur la bête, si je puis dire.

Notre responsabilité – et l’objet de cette proposition de loi est d’entamer ce travail – est de faire en sorte que le dispositif soit lisible et qu’il ait du sens car, aujourd’hui, il n’en a plus du tout. Personne ne sait pourquoi il paye ni à quel titre il perçoit quoi ! Si nous ne redonnons pas du sens au dispositif, des femmes et des hommes continueront à descendre dans la rue avec la volonté de renverser un système qui, pourtant, parfois, les protège.

Enfin, vous avez évoqué, à juste titre, la vigueur des départements. Mais si ceux-ci ont des obligations légales en matière d’aide sociale, ils ne s’en acquittent pas tous de la même manière. Dix-huit d’entre eux sont à la pointe de la réflexion et de la recherche dans ce domaine. Je vous demande ici de leur accorder le droit de mener une expérimentation sans laquelle on ne pourra jamais connaître les effets induits du dispositif, ni ses impacts comportementaux ou financiers. Or ils sont très nombreux : si l’on verse un revenu de base aux jeunes de 18 à 24 ans, ils sortiront du foyer fiscal, de sorte que leurs parents paieront davantage d’impôts et que le montant de certaines prestations sera moindre. Ils auront également plus de facilités pour poursuivre leurs études, de sorte que leur accès à l’emploi sera mieux garanti… Bref, nous devons expérimenter pour évaluer ces différents effets. Au fond, je vous demande de donner à ces départements la chance de mener à son terme une démarche qu’ils ont eux-mêmes initiée.

Mme Monique Iborra. Monsieur le rapporteur, nous sommes évidemment favorables aux expérimentations : à preuve, aucun gouvernement avant celui-ci n’en avait mené autrement que de manière tout à fait occasionnelle. Encore faut-il savoir ce que l’on expérimente. C’est bien sûr le contenu de l’expérimentation que nous nous prononçons.

Monsieur Viry, vous avez raison : pourquoi le revenu universel d’activité ne serait-il pas expérimenté ? Personne ne prétend le contraire. Du reste, la contractualisation que nous avons mise en œuvre entre l’État et les départements dans le cadre du plan « Pauvreté » porte en particulier, et notre rapporteur le sait, sur l’accompagnement. Nous finançons des départements pour qu’ils améliorent cet accompagnement qui est, en principe, primordial, mais qui est très mal réalisé actuellement.

Je tiens également à saluer les rapports de nos collègues Christine Cloarec et Claire Pitollat. Vous vantez l’automaticité, monsieur le rapporteur ; nous sommes d’autant plus d’accord avec vous que, sous la précédente législature, M. Sirugue avait élaboré, dans un rapport qui n’a jamais été suivi d’effet, un certain nombre de scénarios de simplification des prestations.

Encore une fois, ce n’est pas l’expérimentation elle-même qui est en cause, mais son contenu : un dispositif presque exclusivement monétaire ne réglera pas le problème.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Madame Iborra, je croyais que vous souhaitiez soulever un point de procédure. Tel n’est pas le cas. Vous ne pouvez pas reprendre la parole après le rapporteur. Vous aurez tout loisir de vous exprimer dans la discussion des amendements.

La commission en vient à l’examen des articles.

Article 1er
Expérimentation du revenu de base

La commission examine, en discussion commune, l’amendement AS11 de Mme Michèle de Vaucouleurs et les amendements identiques AS3 de M. Stéphane Viry et AS14 de Mme Agnès Firmin Le Bodo.

Mme Michèle de Vaucouleurs. L’amendement AS11 vise à recentrer l’expérimentation proposée sur les jeunes de 18 à 25 ans, qui ne bénéficient pas, actuellement, du revenu de solidarité active. S’agissant de ce public, une expérimentation semble tout à fait justifiée avant d’envisager une généralisation du dispositif. En effet, il faut éviter que le revenu de base ne détourne les jeunes de leurs études ou ne provoque des situations conflictuelles avec leur famille. Comme dans l’expérimentation prévue à l’article 1er, il est proposé soit de cumuler le RSA, auquel le jeune aurait désormais droit sur la base de ses ressources propres, avec la prime d’activité, soit d’y ajouter les aides au logement.

L’amendement tend, par ailleurs, à supprimer le caractère inconditionnel du revenu de base et à renommer le dispositif, en cohérence avec le titre que je proposerai ultérieurement, « Prestation d’accompagnement à la vie autonome ».

Monsieur Viry, j’ai cru comprendre que, s’agissant du revenu universel d’activité, le Gouvernement ne comptait pas mener une expérimentation qui aboutirait à retarder la mise en œuvre du dispositif qu’il souhaite rapide pour lutter contre la pauvreté et le non-recours. Néanmoins, une expérimentation me semble justifiée en ce qui concerne le public jeune, pour les raisons que j’ai exposées.

M. Stéphane Viry. L’amendement AS3 vise à supprimer l’inconditionnalité du revenu de base, dont nous estimons qu’elle est en contradiction avec l’objectif poursuivi par la proposition de loi de valoriser la valeur travail et la transition vers le retour à l’emploi. Plutôt que de favoriser un dispositif inconditionnel, il convient d’évaluer le bloc « devoirs » du RSA pour le réformer et améliorer son efficacité.

M. Paul Christophe. En posant le principe d’un droit inconditionnel au bénéfice des minima sociaux, cette proposition de loi affaiblirait la dimension de devoir attachée au versement de ces minima financés par la solidarité nationale. Le bénéfice des minima sociaux, particulièrement du revenu de solidarité active, doit, au contraire, conserver son caractère conditionnel et être associé à une dynamique d’insertion et de recherche d’emploi, avec l’accompagnement qui sied. Il convient donc de supprimer la notion d’inconditionnalité ; tel est l’objet de l’amendement AS14.

M. Hervé Saulignac, rapporteur. Madame de Vaucouleurs, j’aurais aimé vous être agréable, car je sais votre sincérité et votre implication. Si j’avais eu la certitude de pouvoir aller jusqu’au bout, j’aurais pu accepter votre amendement. Hélas ! je n’y crois pas. Je préfère donc vous dire que l’expérimentation proposée est beaucoup plus ambitieuse et qu’elle ne doit pas être une version dégradée de celle que les départements souhaitent mener. Au demeurant, les deux options seraient possibles : qui peut le plus peut le moins. Toutefois, il me paraît important de prendre en compte tous les publics, sans laisser sur le bord du chemin la majeure partie des bénéficiaires potentiels. C’est la raison pour laquelle j’émets un avis défavorable à votre amendement.

S’agissant des amendements de M. Viry et de M. Christophe, j’ai déjà évoqué assez largement la question de la conditionnalité. Je les invite, mais peut-être l’ont-ils déjà fait, à rencontrer des conseillers de Pôle emploi : ils leur expliqueront très bien qu’on ne peut pas être efficace lorsqu’on est chargé à la fois de la carotte et du bâton. Celui qui accompagne avec attention et précaution ne peut pas être en même temps celui qui sanctionne, avec forcément un peu de brutalité, le non-respect du contrat ; cela ne marche pas.

En outre, l’objectif est bien de libérer les étudiants, par exemple, de la contrainte de prendre un emploi pour financer leurs études.

J’entends les arguments de ceux qui veulent impérativement maintenir la conditionnalité de la recherche d’emploi, mais si l’on voulait la trancher définitivement la question, il faudrait mettre en œuvre cette expérimentation, car elle permettrait de mesurer très précisément, sur une cohorte de 60 000 personnes, les effets de la suppression de la conditionnalité. Or, je crains qu’on ne le fasse pas. Le débat va donc se poursuivre jusqu’à ce qu’une majorité se décide, enfin, à expérimenter l’inconditionnalité.

Avis également défavorable aux amendements AS3 et AS14.

Mme Christine Cloarec. C’est précisément sur la question de l’inconditionnalité que nous ne sommes pas d’accord avec vous, monsieur le rapporteur. Je vous rappelle que l’expérimentation la plus probante, en la matière, est celle qui a été menée sur la Garantie jeunes – et je vous parle en connaissance de cause puisque je suis présidente de la mission locale du Pays de Vitré. Or, dans le cadre de ce dispositif, la conditionnalité, droits et devoirs, fonctionne très bien : le taux de sorties positives en emploi-formation pour les bénéficiaires de cette garantie atteint 60 % et que ce taux progresse d’année en année. Je vous rappelle également que, dans le cadre du plan « Pauvreté », une concertation va être organisée sur le futur RUA et le service public de l’insertion, qui permettra de discuter non seulement de l’obligation de formation des jeunes jusqu’à 18 ans mais aussi de leur accompagnement.

M. Paul Christophe. Rassurez-vous, monsieur Saulignac : il m’arrive également de rencontrer le personnel de Pôle emploi, y compris des responsables, mais aussi des travailleurs sociaux du département du Nord, car je continue à siéger au conseil départemental. Le climat y est assez révélateur de la situation sociale de notre pays. L’obligation dont vous parlez vaut pour les personnes accompagnées – même si, du reste, le bâton est très petit –, mais les travailleurs sociaux et les agents de Pôle emploi ont eux aussi une obligation : celle, précisément, de les accompagner. Plutôt que la carotte et le bâton, c’est donc la coproduction qui permet d’avancer. Malheureusement, le problème tient plutôt à l’offre, ou plutôt à la carence en matière de formation. Des lois ont été votées récemment pour y remédier ; nous espérons des progrès dans ce domaine.

M. Boris Vallaud. Je me permets d’insister, à la suite du rapporteur, sur la nature de ce texte : il s’agit d’une expérimentation, et elle ne bénéficiera qu’à 60 000 personnes, quand 3,8 millions d’allocataires touchent le RSA et 5,4 millions la prime d’activité. De plus, elle nous permettra de répondre aux questions que les uns et les autres prétendent se poser tout en y répondant avec une certitude déconcertante. Si nous voulons toucher juste avec les futurs dispositifs, faisons cette expérimentation qui permettra de trancher la question de la conditionnalité et de l’automaticité. Mais ne dévoyons pas le texte : il ne faudrait pas que vous prétendiez l’avoir voté après l’avoir vidé de sa substance, comme cela s’est produit avec tous les textes que nous vous avons proposés, au sein de cette commission et des autres. Je le dis avec beaucoup de solennité, car j’ai entendu le président du groupe LaREM dire que vous changiez de méthode, que vous n’adopteriez plus de motions de renvoi sur les propositions de loi ; mais si c’est pour en arriver à un texte qui n’est plus le nôtre, la tromperie sera évidemment du même ordre.

Mme Catherine Fabre. Il me semble justement que le fait que cette expérimentation soit très étroite joue plutôt contre elle étant donné l’urgence et l’importance de l’enjeu. Qui plus est, ses conclusions ne seront connues qu’en 2025. Or il est temps de déployer des moyens importants pour remédier à ce qui constitue, à mon sens, le véritable problème de cette politique sociale, qui tient non pas au niveau des indemnités mais à l’accompagnement. C’est d’ailleurs ce que nous faisons, par exemple avec le plan d’investissement dans les compétences, qui a déjà été mis en œuvre et dont l’objectif est de proposer un accompagnement renforcé et global, qui permette vraiment, aux jeunes notamment, de sortir d’une situation qui n’est pas enviable et dont ils ne veulent pas, et qui les conduise vers la qualification et l’insertion. Tels sont l’enjeu et la priorité.

La commission rejette successivement les amendements.

Elle est ensuite saisie de l’amendement AS9 de Mme Michèle de Vaucouleurs.

Mme Michèle de Vaucouleurs. L’amendement AS9 vise à préciser, en cohérence avec la proposition que je formule à titre personnel, que les jeunes de 18 à 25 ans peuvent avoir accès à cette prestation s’ils remplissent les conditions pour bénéficier du revenu de solidarité active, sur la base de leurs ressources propres, en exceptant la condition d’âge – le RSA étant réservé aux personnes âgées de 25 ans ou plus, sauf si elles ont un enfant à charge.

Je souhaite que nous commencions, les uns et les autres, à travers cette proposition de loi, à nous interroger sur le revenu universel d’activité et ses implications. Il me semblerait pertinent, par exemple, de supprimer la réduction d’impôt au titre des frais de scolarité des enfants majeurs, la déduction de la pension alimentaire versée aux majeurs et la majoration du RSA pour les familles. En revanche, dans le cadre de l’expérimentation, on pourrait conserver le rattachement fiscal.

M. Hervé Saulignac, rapporteur. L’objet de cet amendement est identique à celui de l’amendement AS11 : par cohérence, ma réponse l’est donc également. Recentrer l’expérimentation comme vous le suggérez réduirait considérablement son intérêt. Avis défavorable.

Mme Monique Iborra. Vous avez raison, madame de Vaucouleurs, d’appeler l’attention sur les jeunes de 18 à 25 ans. Toutefois, je souhaite rappeler ce que nous prévoyons dans le cadre du plan pauvreté, beaucoup plus vaste et cohérent qu’un simple revenu de base pour les jeunes. Outre le plan d’investissement dans les compétences et la Garantie jeunes, déjà mentionnés, je voudrais évoquer le projet concernant le repérage et la mobilisation des jeunes dits « invisibles », qui ne sont pas pris en charge par les missions locales et par les départements. L’appel à projets a déjà été lancé. Nous avons également engagé une contractualisation avec les départements s’agissant de l’aide sociale à l’enfance, qui est vraiment la priorité des priorités. La question des jeunes nous préoccupe donc tous, et nous y travaillons dans le cadre du plan pauvreté.

Mme Michèle de Vaucouleurs. Madame Iborra, je ne méconnais pas ce que vous avez rappelé. J’ai d’ailleurs été le premier témoin de ces dispositifs que nous souhaitons mettre en place pour l’accompagnement professionnel des jeunes et l’acquisition de compétences. Néanmoins, la situation de certains jeunes nécessite un soutien financier beaucoup moins formel et conditionné. En outre, la prestation contribuerait à garantir l’égalité entre les jeunes, quel que soit leur milieu social : le montant qu’on se propose de verser équivaut à l’argent de poche que donnent certains parents. Dans d’autres familles, cela permettrait au jeune de prendre sa part des charges familiales. Et pour ceux qui sont à la rue, elle revêt un caractère vital. Je pense donc qu’il faut vraiment s’attacher à garantir à ces jeunes, non pas un revenu – je n’aime pas le terme –, mais une prestation qui les accompagne vers l’autonomie.

M. Hervé Saulignac, rapporteur. Madame Iborra, à aucun moment je n’ai instruit le procès du plan pauvreté, qui contient des dispositions et des orientations tout à fait intéressantes. Le RUA pourrait être un élément de ce plan. Lorsqu’elle a reçu les représentants des dix-huit départements soutenant notre proposition de loi, la secrétaire d’État Christelle Dubos leur a dit que, s’agissant du RUA, nous étions devant une feuille blanche. Eh bien, moi, je réponds que la feuille n’est pas blanche : nous avons un texte, celui-là même dont nous discutons, qui peut être un élément particulièrement intéressant dans le cadre de la démarche globale qu’est le plan pauvreté – lequel, encore une fois, contient un certain nombre d’orientations qui méritent d’être soutenues et encouragées, mais certainement pas mises de côté.

J’observe simplement que vous êtes pour les expérimentations, mais les vôtres, pas celle des autres… C’est dommage car, en la matière, l’initiative parlementaire n’est pas concurrente de l’initiative gouvernementale : elle peut parfaitement être complémentaire. Je parle bien du revenu de base, et non du reste, à savoir le travail que le Gouvernement a engagé s’agissant de l’aide sociale à l’enfance, qui est extrêmement important et que je ne peux qu’encourager : pour avoir été président d’un conseil départemental, je sais à quel point les départements attendent de l’État des efforts dans ce domaine.

La commission rejette l’amendement.

Ensuite de quoi, elle rejette l’article 1er.

Article 2
Bénéficiaires et modalités de calcul du revenu de base

La commission examine l’amendement AS10 de Mme Michèle de Vaucouleurs.

Mme Michèle de Vaucouleurs. Amendement de cohérence avec mes propositions précédentes concernant l’âge des bénéficiaires.

M. Hervé Saulignac, rapporteur. Avis défavorable, comme précédemment.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement AS4 de M. Stéphane Viry.

M. Stéphane Viry. On comprend la volonté de monsieur le rapporteur et des autres auteurs de la proposition de loi d’ouvrir l’expérimentation du revenu de base aux jeunes de 18 ans. On a souligné la prévalence de la pauvreté chez les jeunes et le fait qu’ils sont, effectivement, en partie exclus des dispositifs de soutien aux bas revenus. Toutefois, monsieur le rapporteur, d’après les auteurs du rapport de l’Institut des politiques publiques proposant des simulations en vue d’une expérimentation du revenu de base, l’ouverture de ce dispositif aux jeunes se traduirait de fait par une généralisation : tous les jeunes auraient ainsi intérêt à se détacher du foyer fiscal de leurs parents pour en bénéficier, et ce quelle que soit la situation financière de ces derniers. Le mécanisme aurait un tel effet incitatif qu’il risquerait de se transformer en effet d’aubaine – par définition, j’ose le dire, tous les jeunes de 18 ans sont pauvres dès lors qu’ils sortent du foyer fiscal de leurs parents et deviennent autonomes.

Au-delà de ce premier argument, et sans préjuger des conclusions de l’expérimentation, l’ouverture du dispositif pèserait très lourdement sur les finances publiques en cas de généralisation. L’étude de l’IPP évalue entre 12 et 15 milliards d’euros supplémentaires le coût de l’élargissement du dispositif aux jeunes de 18 ans. C’est la raison pour laquelle le groupe Les Républicains présente l’amendement AS4 : cet amendement d’appel vise à appeler votre attention sur la nécessité d’assortir l’ouverture du dispositif aux jeunes de critères supplémentaires.

M. Hervé Saulignac, rapporteur. Monsieur Viry, vous souhaitez soumettre l’ouverture du revenu de base aux jeunes de 18 à 24 ans à des conditions particulières. Je comprends l’idée, mais vous vous contentez de renvoyer leur définition à un décret. Le dispositif mériterait d’être précisé : serait-ce le montant du revenu de base lui-même qui serait inférieur pour les jeunes ? Souhaitez-vous faire dépendre le bénéfice du revenu de base des ressources des parents, même si le jeune n’est plus rattaché à leur foyer fiscal ? Rappelons que la condition d’âge de 25 ans a été fixée au moment de la mise en place du revenu minimum d’insertion (RMI), dont on aurait d’ailleurs pu fêter les trente ans en décembre dernier. Or, au cours des trente dernières années, la structure des familles s’est trouvée considérablement modifiée, le nombre de jeunes en situation de précarité a fortement augmenté, les ruptures familiales sont plus nombreuses. Il importe donc d’interroger cette condition d’âge : elle avait peut-être un sens en 1988, mais n’en a certainement plus aujourd’hui.

Vous évoquez ensuite le coût du dispositif. C’est un vrai sujet. Je pourrais vous répondre qu’il faut justement mener l’expérimentation pour savoir quel sera le coût. Le montant que vous évoquez représente un coût brut, et non le coût net pour la collectivité. Dans l’hypothèse d’une généralisation, il faudrait intégrer, par exemple – j’en ai touché un mot tout à l’heure –, l’impact sur les recettes fiscales du détachement de ces jeunes du foyer fiscal de leurs parents, ce qui entraînerait pour ces derniers une hausse des impôts, ou encore l’impact sur le montant global des prestations familiales versées, lequel baisserait mécaniquement, sans oublier le transfert des bourses d’études, actuellement accordées par l’État et dont le poids sur le budget n’est pas négligeable. Enfin, pour arriver à connaître précisément le coût net du dispositif, il faudrait pouvoir apprécier les réactions comportementales extrêmement diverses, voire imprévisibles.

Il n’est donc pas possible d’afficher le coût avec certitude. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, mes chers collègues, lorsqu’on m’explique que notre proposition de loi vise le moyen ou le long terme, alors que le RUA sera appliqué beaucoup plus rapidement, j’en reste perplexe. En effet – je vous le dis comme je le pense –, s’il est applicable très rapidement, c’est qu’il n’y a pas de prise de risque – et donc pas d’ambition non plus. À l’inverse, s’il y a une véritable ambition, je ne vois pas comment on peut imaginer de mettre en œuvre un revenu universel sans l’expérimenter au préalable. Mon avis sera donc défavorable à l’amendement AS4.

La commission rejette l’amendement.

Elle rejette ensuite l’article 2.

Article 3
Automaticité du versement du revenu de base

La commission examine l’amendement AS13 de Mme Michèle de Vaucouleurs.

Mme Michèle de Vaucouleurs. Il me semble essentiel que, dans le cadre de l’expérimentation, le versement de la prestation ne puisse avoir lieu sans un minimum de suivi de la personne – qu’il s’agisse d’ailleurs des jeunes ou de l’ensemble des bénéficiaires. D’où cet amendement AS13, dont l’objectif est de conditionner le versement de la prestation à la réalisation d’un entretien préalable ou au suivi de l’accompagnement, au demeurant prévu à l’article 4.

M. Hervé Saulignac, rapporteur. Votre amendement est satisfait s’agissant de l’accord préalable du bénéficiaire : l’alinéa 2 de l’article 2 précise que le bénéfice du revenu de base peut être refusé ou interrompu sur simple demande du bénéficiaire. Par ailleurs, la réalisation d’un entretien préalable ne me paraît pas devoir être une condition à l’obtention du revenu de base : le bénéficiaire sera toujours suivi et accompagné, comme c’est le cas actuellement pour les allocataires du RSA. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle rejette l’article 3.

Article 4
Accompagnement des bénéficiaires du revenu de base

La commission examine l’amendement AS5 de M. Stéphane Viry.

M. Stéphane Viry. Vous l’aurez compris, monsieur le rapporteur, nous sommes favorables à l’esprit de votre proposition de loi. Toutefois, nous souhaitons que les bénéficiaires recherchent activement un emploi ou qu’ils entreprennent les démarches nécessaires à la création de leur propre activité ou à l’amélioration de leur insertion sociale et professionnelle. À travers cet amendement, nous entendons donc réintroduire une conditionnalité, à nos yeux essentielle : les droits impliquent aussi des devoirs. L’expérimentation qui est au cœur même de votre proposition de loi peut être l’occasion de tester des formules innovantes en matière d’accompagnement.

M. Hervé Saulignac, rapporteur. Je suis tout à fait favorable à l’idée de tester des formules innovantes, mais je ne suis pas sûr, pour le coup, que la conditionnalité en soit une. Ce qui serait très innovant, ce serait précisément d’expérimenter l’inconditionnalité et de mettre en balance le coût induit par la conditionnalité – et par conséquent par le contrôle – et les gains dégagés en termes de retour à l’emploi. C’est là un aspect important. Par ailleurs, et pour en revenir une dernière fois à la conditionnalité – car nous ne nous mettrons pas d’accord sur le sujet –, vous aurez compris que, derrière le revenu de base, il y a un complément de revenu pour les salaires les plus modestes. Comment peut-on dire à un commerçant ou à un agriculteur, travaillant 50 heures par semaine pour une rémunération largement inférieure au SMIC, que ce qui va leur être attribué est conditionné à la recherche d’un emploi ?

On pourrait tenir le même raisonnement à propos de quelqu’un qui arrête de travailler pour aider un de ses proches malade : là aussi, il paraît difficile de conditionner le versement de la prestation à la recherche d’un emploi. Le dispositif est en soi innovant ; la preuve en est que beaucoup n’ont pas intégré le fait qu’il avait aussi vocation à reconnaître un certain nombre d’activités sociales qui ne le sont pas actuellement. Or c’est précisément parce que certaines activités ne sont pas compatibles avec un emploi que la conditionnalité ne me paraît pas obligatoire. En tout cas, le dispositif doit être expérimenté. Avis défavorable à l’amendement AS5.

Mme Michèle de Vaucouleurs. L’article 4 dispose que les bénéficiaires ont droit à un accompagnement social et professionnel. Très bien ; encore faut-il, et c’est ce que nous essayons d’expliquer, poser les conditions du recours à ce droit. On ne saurait mettre en place l’automaticité sans rien prévoir par la suite, ne serait-ce qu’un rendez-vous physique pour évaluer où en est la personne, quel est son projet, s’il est nécessaire ou pas de mettre en œuvre un accompagnement, si celui-ci peut rester assez formel et n’intervenir que de loin en loin parce que le projet est déjà bien en place et ne pose pas de difficulté particulière, ou au contraire plus structuré. La condition d’un diagnostic de départ est, selon moi, incontournable. Après, effectivement, pour certaines personnes, il n’est pas nécessaire d’instaurer un contrôle très formel. Mais, je le répète, pour ma part, et du fait de mon expérience de conseillère en insertion professionnelle au sein d’une association intermédiaire, familiarisée avec les publics percevant ces prestations, le diagnostic m’apparaît comme fondamental. Par la suite, on n’est pas obligé de marquer les gens à la culotte, mais il me semble indispensable de savoir qui ils sont, où ils vont, de leur dire qu’on est là et de leur expliquer ce qu’on est en mesure de leur proposer. Pour toutes ces raisons, je soutiens cet amendement de M. Viry, qui s’inscrit dans le droit fil de celui que j’avais déposé.

La commission rejette l’amendement.

Elle rejette ensuite l’article 4.

Article 5
Création d’un fonds d’expérimentation visant à instaurer un revenu de base et d’une association de suivi de l’expérimentation

La commission examine l’amendement AS6 de M. le rapporteur.

M. Hervé Saulignac, rapporteur. Correction d’une erreur de référence.

La commission rejette l’amendement.

Ensuite de quoi elle examine l’amendement AS15 de M. le rapporteur.

M. Hervé Saulignac, rapporteur. Il serait souhaitable d’associer au suivi de l’expérimentation des représentants d’associations de lutte contre la pauvreté : ces associations travaillent au quotidien avec des personnes précaires et connaissent particulièrement bien les publics visés. Tel est l’objet de cet amendement.

La commission rejette l’amendement.

Elle rejette ensuite l’article 5.

Article 6
Conventions entre le fonds d’expérimentation, les départements et les caisses d’allocations familiales

La commission rejette l’article 6.

Article 7
Évaluation de la mise en place du revenu de base

La commission examine l’amendement AS8 de Mme Michèle de Vaucouleurs.

Mme Michèle de Vaucouleurs. Il s’agit de préciser que le comité scientifique dont il est question à cet article sera créé au plus tard six mois avant le début de l’expérimentation, afin de s’assurer, en lien avec les territoires concernés, que l’on constitue une cohorte représentative, ce qui permettra d’en tirer des enseignements utiles lors de l’évaluation.

Cette proposition s’inscrit dans la logique que je défends s’agissant de l’expérimentation pour les jeunes, mais vaut également de manière plus générale : expérimenter dans un territoire volontaire, c’est très bien, mais on ne saurait se satisfaire d’une expérimentation menée au gré de la désignation par les départements de telle ou telle commune. Si l’on veut obtenir des résultats significatifs, il faut, en amont, s’atteler à l’élaboration d’un échantillon vraiment représentatif.

M. Hervé Saulignac, rapporteur. Avis favorable : cet amendement est en cohérence avec ce qu’ont souligné les représentants de l’IPP lorsque nous les avons auditionnés, à savoir la nécessité d’associer le comité scientifique en amont de l’expérimentation, notamment pour s’assurer de la représentativité de l’échantillon des publics concernés.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle rejette l’article 7.

Article 8
Fin de l’expérimentation

La commission rejette l’article 8.

Article 9
Décret d’application

La commission examine l’amendement AS16 de M. le rapporteur.

M. Hervé Saulignac, rapporteur. Amendement de précision. Il s’agit d’indiquer que le décret définit les modalités de mise en œuvre du versement automatique du revenu de base.

La commission rejette l’amendement.

Elle est alors saisie de l’amendement AS7 de M. le rapporteur.

M. Hervé Saulignac, rapporteur. Amendement rédactionnel.

La commission rejette l’amendement.

Elle rejette ensuite l’article 9.

Article 10
Date d’entrée en vigueur

La commission rejette l’article 10.

Article 11
Gage financier

La commission rejette l’article 11.

Titre

La commission examine l’amendement AS12 de Mme Michèle de Vaucouleurs.

Mme Michèle de Vaucouleurs. Cet amendement est cohérent avec ceux que j’ai défendus précédemment : il propose de revoir le cadre de l’expérimentation pour la recentrer sur la tranche d’âge des 18-25 ans. En effet, l’accès à une prestation de base pour les jeunes, sous condition de ressources, se justifie : cette population est particulièrement touchée par la précarité. Cela permettrait à de nombreux jeunes de poursuivre sereinement leurs études ou de soutenir les jeunes demandeurs d’emploi qui viennent de les achever et ne peuvent donc prétendre aux allocations chômage. Il s’agit d’un revenu d’émancipation permettant aux jeunes de s’épanouir et, pour nombre d’entre eux, d’un filet de sécurité nécessaire.

Le cadre expérimental me paraît intéressant car il permettrait de vérifier que le versement de cette prestation n’induit pas d’effets pervers – sortie d’études, ou encore abandon d’autres formes d’accompagnement contractualisé. Le versement de cette prestation ne pourrait être dissocié d’un suivi minimal, c’est-à-dire de la réalisation d’au moins un entretien permettant d’établir un diagnostic de la situation du jeune. Cette prestation, si elle avait été adoptée dans la forme que je souhaitais, aurait pu être nommée « prestation d’accompagnement à la vie autonome » – mais je suppose, monsieur le rapporteur, que vous êtes défavorable à cet amendement.

M. Hervé Saulignac, rapporteur. La prestation aurait effectivement pu être nommée comme vous le suggérez ; cette dénomination est tout à fait pertinente. Je puis au moins vous reconnaître, madame de Vaucouleurs, le mérite de la cohérence : vous avez défendu votre idée du début à la fin, jusqu’à l’intitulé de la proposition de loi. Toutefois, au nom de la même cohérence, je ne peux être favorable à cet amendement.

La commission rejette l’amendement.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. L’ensemble des articles de la proposition de loi ayant été rejeté, le texte est considéré comme rejeté par la commission.

M. Hervé Saulignac, rapporteur. Je voudrais vous faire part de ma déception – même si je l’avais un peu prévue, sinon intériorisée –, mais aussi de ma surprise : comme l’a fait remarquer tout à l’heure Boris Vallaud, j’avais cru comprendre que le groupe La République en marche souhaitait adopter une nouvelle stratégie et accueillir de manière un peu plus favorable et généreuse les initiatives de l’opposition. Or vous avez repoussé la totalité des articles de cette proposition de loi. Autrement dit, selon vous, tout est à jeter…

Je vous laisse le soin de retourner vers les dix-huit départements qui ont travaillé pendant deux ans et demi sur cette question pour leur expliquer que la totalité de leurs réflexions sur les jeunes, sur l’inconditionnalité, sur l’automaticité ou encore sur la dégressivité est bonne à mettre à la poubelle. Je ne crois pas qu’ils y verront un grand message d’ouverture… J’y vois en revanche une profonde contradiction avec la communication que vous déployez parfois au sujet de votre nouvelle stratégie.

Je le dis d’autant plus sincèrement que, si une proposition alternative avait été arrêtée, et quand bien même le groupe Socialistes et apparentés n’aurait pas été en accord avec elle, j’aurais pu tout à fait comprendre votre attitude. Mais y a-t-il, dans la majorité parlementaire, quelqu’un qui puisse me dire avec certitude que le revenu universel d’activité, tel qu’annoncé par le Président de la République, sera ouvert aux jeunes ? Je ne le crois pas. Quelqu’un peut-il m’affirmer avec certitude que ce revenu s’appliquera de manière automatique ? Je ne le crois pas. Quelqu’un peut-il me dire dans quelle mesure ce revenu sera dégressif au regard des autres revenus perçus ? Je ne le crois pas. Ce que je crois, en revanche, c’est qu’au fond, vous n’avez pas vraiment changé : tout cela n’est que de la blague… Je serai actif dans le débat sur le revenu universel d’activité, lorsqu’il arrivera – le moins tard possible, je l’espère –, et je me montrerai alors plus constructif que vous ne l’avez été, malheureusement, à l’occasion de cet examen en commission.

L’ensemble des articles de la proposition de loi ayant été rejetés, le texte est considéré comme rejeté par la commission.

En conséquence, aux termes de l’article 42 de la Constitution, la discussion en séance publique aura lieu sur le texte initial de cette proposition de loi.