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N° 1613

______

 

ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 23 janvier 2019.

 

 

 

RAPPORT

 

 

 

FAIT

 

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LA PROPOSITION de loi dexpérimentation territoriale visant à instaurer un revenu de base,

 

VOLUME I
AVANT-PROPOS, COMMENTAIRES D’ARTICLES ET ANNEXES

 

 

Par MHervé SAULIGNAC,

 

 

Député.

 

——

 

 

 

 

Voir le numéro :

Assemblée nationale :  1541.


 


—  1  —

 

SOMMAIRE

___

Pages

Avant-propos

I. Le dispositif actuel de soutien aux bas revenus ne permet pas de lutter efficacement contre la pauvreté

1. Il existe de nombreux dispositifs de lutte contre la pauvreté

2. La diversité des règles applicables est source de complexité

3. Le non-recours aux droits compromet l’efficacité de la politique d’aide aux bas revenus

4. La grande majorité des 18-24 ans n’a pas accès au RSA

a. Les jeunes sont plus souvent touchés par la pauvreté

b. Une quasi-exclusion de l’éligibilité au RSA

5. Les aides dont bénéficient les plus modestes ne permettent pas d’agir efficacement sur la pauvreté

II. L’urgence d’agir : l’expérimentation d’un revenu de base

1. Le revenu de base, un débat ancien qui recouvre des projets très différents

a. Un débat ancien

b. Un débat d’actualité depuis plusieurs années

2. L’expérimentation d’un revenu de base automatique et inconditionnel

a. Une démarche innovante et pragmatique

b. Une prestation versée automatiquement et de manière inconditionnelle

c. Un droit ouvert dès l’âge de 18 ans

Commentaires d’articles

Article 1er Expérimentation du revenu de base

Article 2  Bénéficiaires et modalités de calcul du revenu de base

1. Une prestation ouverte dès l’âge de dix-huit ans

a. L’état du droit

b. Le dispositif proposé

2. Une prestation simplifiée remplaçant le RSA et la prime d’activité ainsi que, pour les départements qui le souhaitent, les aides au logement

Article 3  Automaticité du versement du revenu de base

Article 4  Accompagnement des bénéficiaires du revenu de base

Article 5  Création d’un fonds d’expérimentation visant à instaurer un revenu de base et d’une association de suivi de l’expérimentation

1. Le fonds d’expérimentation visant à instaurer un revenu de base

2. L’association de suivi de l’expérimentation

Article 6  Conventions entre le fonds d’expérimentation, les départements et les caisses d’allocations familiales

Article 7  Évaluation de la mise en place du revenu de base

Article 8  Fin de l’expérimentation

Article 9  Décret d’application

Article 10  Date d’entrée en vigueur

Article 11  Gage financier

ANNEXE : personnes auditionnées par le rapporteur


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   Avant-propos

La France traverse une crise sociale sans précédent. Née d’une contestation de l’augmentation de la fiscalité écologique, cette crise a mis à jour une véritable exigence de justice sociale. Alors que de nombreuses mesures favorables aux plus riches ont été adoptées au cours des premiers mois de la législature, au premier rang desquelles la suppression de l’impôt sur la fortune, les Français sont nombreux à avoir manifesté leur colère et leur déception, soulignant ainsi que l’augmentation du pouvoir d’achat et la lutte contre la pauvreté ne peuvent plus rester de vagues enjeux sans cesse remis au lendemain.

Refusant de se résigner à l’idée que la sixième puissance mondiale puisse compter près de neuf millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté, la présente proposition de loi vise à expérimenter un revenu de base, qui doit permettre aux personnes sans ressources, mais également aux travailleurs à bas salaires, de bénéficier d’une réelle garantie de revenu, à même de lutter contre la pauvreté.

Ce texte, présenté par le groupe Socialistes et apparentés, résulte d’une initiative originale et pragmatique, engagée il y a plus de deux ans. Treize départements, rapidement rejoints par cinq autres, ont ainsi manifesté leur souhait d’expérimenter un revenu de base. Pour y répondre, l’élaboration de la proposition de loi a été précédée d’une grande consultation citoyenne et s’appuie sur l’expertise reconnue de l’Institut des politiques publiques (IPP), qui a permis aux auteurs de la proposition de loi de disposer de simulations précises de différents scénarios du revenu de base ([1]).

La présente proposition de loi s’appuie également sur les nombreux travaux réalisés sous la précédente majorité. Le rapport d’information du sénateur Daniel Percheron sur « l’intérêt et les formes possibles de mise en place d’un revenu de base en France », tout d’abord, a été adopté à l’unanimité au Sénat en octobre 2016 ([2]), ce qui témoigne, au-delà des divergences politiques, d’un réel intérêt pour cette question et d’un consensus sur la volonté de progresser dans la mise en œuvre d’un revenu de base. Le texte présenté par le groupe Socialistes et apparentés s’appuie également sur les travaux de Christophe Sirugue, auteur en avril 2016 d’un rapport intitulé « Repenser les minima sociaux : vers une couverture socle commune » ([3]) et sur le rapport de Gisèle Biémouret et Jean-Louis Costes consacré à l’accès aux droits, présenté en octobre 2016 ([4]).

Alors que les inégalités sociales se creusent et que le sentiment d’injustice n’a jamais été aussi fort, l’expérimentation d’un revenu de base, versé automatiquement et de manière inconditionnelle aux personnes de plus de 18 ans, sous condition de ressources, constitue une nouvelle façon de combattre la pauvreté mais aussi de concevoir l’incitation au travail.

I.   Le dispositif actuel de soutien aux bas revenus ne permet pas de lutter efficacement contre la pauvreté

1.   Il existe de nombreux dispositifs de lutte contre la pauvreté

Le montant des prestations sociales visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion s’élèvent à 26,2 milliards d’euros en 2016 selon les données de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) présentées dans son Panorama des minima sociaux et prestations sociales de 2018 ([5]). Ces prestations sont complétées par les aides au logement (18 milliards d’euros) et les prestations familiales (54 milliards d’euros), qui représentent une part importante des ressources des familles modestes.

● Il n’existe pas moins de dix minima sociaux en France, qui bénéficient à 4,15 millions de personnes à la fin de l’année 2016. En prenant en compte les conjoints et les enfants des allocataires, ils concernent 7,4 millions de personnes, soit 11 % de la population.

Le premier de ces minima sociaux, le revenu de solidarité active (RSA), bénéficie en septembre 2018 à 1,82 million de foyers (3,8 millions de personnes) ([6]), soit 5,7 % de la population. Le RSA, qui a succédé au revenu minimum d’insertion (RMI) le 1er juin 2009, comportait entre 2009 et 2015 un volet « minimum social », le RSA socle, et un volet « complément de revenus d’activité », le RSA activité. Depuis le 1er janvier 2016, la prime pour l’emploi (PPE) et le RSA activité sont remplacés par la prime d’activité.

Le RSA est une allocation différentielle qui complète les ressources initiales du foyer pour qu’elles atteignent le seuil d’un revenu garanti (ou montant forfaitaire), dont le barème varie selon la composition du foyer. Il s’adresse aux personnes âgées d’au moins 25 ans résidant en France, ou, sans condition d’âge, aux personnes assumant la charge d’au moins un enfant. Depuis le 1er septembre 2010, les jeunes de moins de 25 ans ayant travaillé au moins deux années au cours des trois dernières années peuvent également en bénéficier.

Il existe neuf autres minima sociaux : l’allocation de solidarité spécifique (ASS), l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), l’allocation aux adultes handicapés (AAH), l’allocation supplémentaire d’invalidité (ASI), l’allocation pour les demandeurs d’asile (ADA), l’allocation transitoire d’attente (ATA), la prime transitoire de solidarité (PTS), le revenu de solidarité Outre-mer (RSO) et l’allocation veuvage (AV). L’objet du présent rapport n’étant pas de décrire précisément ces différents minima sociaux, il est renvoyé à l’édition 2018 du Panorama des minima sociaux et prestations sociales de la DREES, qui détaille l’ensemble de ces dispositifs.

 À côté de ces minima sociaux, la prime d’activité constitue un complément de revenus d’activité s’adressant aux travailleurs aux revenus modestes, salariés ou non, dès l’âge de 18 ans. Instituée par la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi, cette prime a remplacé le RSA activité et la prime pour l’emploi (PPE) depuis le 1er janvier 2016. En juin 2018, 2,66 millions de foyers en bénéficient ([7]). Avec les conjoints et les enfants à charge, 5,43 millions de personnes sont couvertes par la prime d’activité, soit 7,8 % de la population française.

● Enfin, les aides au logement permettent de couvrir une partie de la dépense de logement des ménages, qu’il s’agisse du loyer et des charges pour les locataires ou des mensualités de remboursement et de charges pour les accédants à la propriété ayant contracté un prêt immobilier avant le 1er février 2018. Ces prestations sont constituées de l’aide personnalisée au logement (APL), de l’allocation de logement familiale (ALF) et de l’allocation de logement sociale (ALS). Fin 2016, 6,5 millions de foyers bénéficient d’une aide au logement : 44 % d’entre eux reçoivent l’APL, 37 % l’ALS et 20 % l’ALF. 13,5 millions de personnes vivent dans un foyer qui perçoit une aide au logement à cette date, soit environ 20 % de la population.

2.   La diversité des règles applicables est source de complexité

Si le nombre élevé de dispositifs peut s’expliquer par la nécessité d’apporter des réponses adaptées à des populations aux besoins spécifiques, les différences de règles de fonctionnement entre les dispositifs sont parfois difficilement justifiables.

Selon le rapport de l’Institut des politiques publiques (IPP) précité, la principale difficulté tient aux différentes définitions des ressources prises en compte, qui peuvent déterminer l’éligibilité et le montant de la prestation attribuée. Ainsi, les allocations familiales et les revenus du patrimoine exonérés d’impôt sont inclus dans les ressources prises en compte dans le calcul du RSA, mais exclus de celles prises en compte pour les allocations au logement.

De même, la période de référence prise en compte pour déterminer les ressources du foyer varie selon les prestations : pour le RSA, ce sont les revenus des trois mois précédant la demande, alors que ce sont ceux de l’année N-2 pour les aides au logement. La référence aux revenus de l’année N-2 peut être source d’incompréhension pour les ménages à bas revenus, dans la mesure où ces ménages connaissent souvent une variation forte de leurs revenus, au niveau infra-annuel. Combinée avec les règles relatives à la période de référence pour le calcul des ressources prises en compte pour les diverses prestations, cette variation des revenus conduit à créer des dysfonctionnements dans le système actuel de soutien aux bas revenus.

3.   Le non-recours aux droits compromet l’efficacité de la politique d’aide aux bas revenus

Le non-recours aux prestations sociales et l’inefficacité des politiques de lutte contre la pauvreté qui produisent de nombreux laissés pour compte témoignent de l’inadaptation des dispositifs existants.

L’Observatoire des non-recours aux droits et services (ODENORE) distingue trois grands types de non-recours :

– la non-connaissance, lorsque l’offre n’est pas connue, par manque d’information ou par incompréhension ;

– la non-réception, lorsqu’elle est connue, demandée mais pas obtenue (par difficulté à mener une démarche administrative ou du fait des procédures voire des pratiques des agents) ;

– la non-demande, quand la prestation est connue mais pas demandée (par désintérêt pour l’offre, lassitude devant les procédures administratives, perte de l’idée même d’avoir des droits, mais également par autolimitation, en raison de la peur d’être stigmatisé).

Le phénomène du non-recours aux minima sociaux a été véritablement mis en évidence dans le cadre de la préparation du plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, lancé en 2013 par la précédente majorité. Comme le note Christophe Sirugue dans son rapport d’avril 2016 sur les minima sociaux ([8]), la lutte contre ce phénomène a depuis pris une importance considérable parmi les objectifs assignés aux politiques sociales. C’est par exemple l’ampleur du non-recours au RSA activité qui a pour partie justifié la suppression de ce dispositif et a permis d’aboutir à la création de la prime d’activité en 2016. En effet, la réforme des dispositifs peut avoir un effet majeur sur le non-recours.

S’il existe peu de mesures du non-recours aux prestations sociales en France, le taux non-recours au RSA était estimé à 35 % pour le RSA socle et à 68 % pour le RSA-activité au dernier trimestre 2010 par le comité d’évaluation du RSA.

Le rapport d’évaluation de la prime d’activité de 2017 ([9]) montre que les chiffrages préalables à sa mise en place reposaient sur l’hypothèse d’un taux de recours anticipé pour l’année 2016 de 50 % en effectifs et de 66 % en masses financières versées ([10]), les personnes ayant droit aux montants les plus élevés de prime d’activité étant considérées comme les plus à même d’entreprendre la démarche pour obtenir la prestation. Ce taux de recours anticipé était jugé ambitieux au regard de celui de la composante activité du RSA, estimé à 32 % en effectifs. La montée en charge rapide de la prime d’activité a conduit à dépasser le taux de recours anticipé : en 2016, le taux de recours trimestriel moyen à la prime d’activité est estimé par la DREES à 73 % en effectif et à 77 % en masses financières.

Ce taux de recours à la prime d’activité plus élevé qu’anticipé atteste de son succès auprès d’un large public, qui peut s’expliquer à la fois par sa déconnexion avec le RSA, jugé stigmatisant, et par l’efficacité de la simplification des démarches, largement dématérialisées.

Il reste qu’un nombre important de personnes éligibles au RSA ou à la prime d’activité n’en bénéficient pas. Selon la DREES, le non-recours atteint 36 % pour le RSA et 27 % pour la prime d’activité en 2016. Une nouvelle réforme permettant d’améliorer l’accès aux droits est donc nécessaire.

4.   La grande majorité des 18-24 ans n’a pas accès au RSA

La situation des jeunes de 18 à 24 ans se caractérise à la fois par un taux de pauvreté supérieur à la moyenne nationale et par une exclusion de l’éligibilité au RSA.

a.   Les jeunes sont plus souvent touchés par la pauvreté

La dégradation de la situation des jeunes est préoccupante, en particulier depuis le début des années 2000. Ainsi, le taux de pauvreté des moins de 25 ans, qui était déjà deux fois supérieur à celui des plus de 60 ans en 1996, lui était 2,5 fois supérieur en 2012 ([11]).

En 2015, d’après les données calculées par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) à partir de l’exploitation de l’enquête Revenus fiscaux et sociaux (ERFS), 16,1 % des jeunes âgés de 18 à 24 ans se trouvent en dessous du seuil de pauvreté, contre un taux moyen de 7,2 % pour les 25-64 ans.

Si l’importance de la pauvreté parmi les jeunes n’est pas nouvelle, l’écart avec le reste de la population a donc eu tendance à s’accroître dans les dernières années, en particulier sous l’effet de l’augmentation du chômage qui a touché de plein fouet cette classe d’âge.

b.   Une quasi-exclusion de l’éligibilité au RSA

● Comme autrefois le RMI, l’accès au RSA est soumis à une condition d’âge spécifique : être âgé 25 ans ou plus. Deux situations permettent toutefois de bénéficier du RSA avant l’âge de 25 ans :

– la parentalité : il n’y a pas de condition d’âge pour un jeune ayant un ou plusieurs enfants à charge ou une naissance attendue. Cette situation concerne près de 155 000 jeunes ;

– depuis le 1er septembre 2010, le RSA a été étendu aux personnes de moins de 25 ans sans enfant né ou à naître. Les conditions pour bénéficier de ce RSA « jeunes actifs » sont toutefois particulièrement strictes, puisqu’il faut justifier de deux ans d’activité en équivalent temps plein au cours des trois années qui précèdent la demande, soit 3 214 heures d’activité. Les périodes de chômage sont prises en compte dans la limite de six mois, ce qui peut prolonger l’examen des conditions d’activité sur une période de trois ans et six mois. Pour les activités non salariées, la condition d’activité est appréciée par référence au montant du chiffre d’affaires, qui doit atteindre un minimum, variable selon le secteur d’activité (régime agricole ou autre).

Au 31 décembre 2016, seulement 1 300 foyers bénéficient de ce dispositif en France. Après une phase de montée en charge jusqu’en 2012 (3 300 foyers fin 2012), le nombre de foyers bénéficiaires du RSA « jeunes actifs » n’a cessé de diminuer depuis ([12]).

● D’autres dispositifs permettent de soutenir le revenu et l’activité des jeunes :

– Créé en 1989, le fonds d’aide aux jeunes (FAJ) est une aide de dernier recours octroyée par les conseils départementaux aux jeunes de 18 à 25 ans en situation de grande difficulté sociale ou professionnelle. Son principal mode d’attribution consiste en des aides financières individuelles mobilisables plusieurs fois. En 2015, 91 000 personnes ont bénéficié d’au moins une aide individuelle. La moitié des 137 000 aides individuelles allouées servent à couvrir un besoin alimentaire. 36 millions d’euros ont été dépensés dans le cadre du FAJ en 2015 et le montant moyen des aides individuelles atteint 193 euros.

– D’abord expérimentée dans un nombre limité de territoires avant d’être généralisée au 1er janvier 2017 à l’ensemble de la France, la Garantie jeunes s’adresse aux jeunes de 16 à 25 ans qui ne sont ni en emploi, ni en études, ni en formation et qui se trouvent en situation de précarité. Ce dispositif, octroyé pour une durée d’un an, associe un accompagnement vers l’emploi et la formation au versement d’une allocation. Fin 2017, 75 000 jeunes bénéficiaient de la Garantie jeunes.

– D’autres dispositifs d’accompagnement assortis de soutiens financiers ont également été créés au cours des dix dernières années : les contrats d’autonomie de la politique de la ville, le revenu contractualisé d’autonomie (RCA) ou encore les contrats d’insertion dans la vie sociale (CIVIS).

5.    Les aides dont bénéficient les plus modestes ne permettent pas d’agir efficacement sur la pauvreté

Les minima sociaux ciblent particulièrement les personnes aux faibles revenus. Ainsi, d’après la DREES, 65 % du montant total des minima sociaux est distribué aux 10 % des personnes les plus pauvres avant redistribution en 2015. La redistribution opérée par ces dépenses permet, en conjonction avec le système fiscal, de réduire le taux de pauvreté monétaire de près de 8 points, et l’intensité de la pauvreté de 17,1 points. La réduction de l’intensité de la pauvreté est d’abord imputable au versement des minima sociaux (-7,7 points) et des allocations logement (-6,1 points).

Pourtant, ni les minima sociaux, ni les aides aux bas revenus ne permettent de résorber la pauvreté. En 2015, 14,2 % de la population de France métropolitaine, soit 8,9 millions de personnes, vit sous le seuil de pauvreté monétaire, fixé à 60 % du niveau de vie médian, ce qui correspond à un revenu disponible du ménage inférieur à 1 015 euros par mois et par unité de consommation. La moitié de ces personnes vivent avec moins de 815 euros par mois. Parmi celles-ci, figurent des demandeurs d’emploi mais également des travailleurs (temps partiels, saisonniers, agriculteurs, commerçants…).

Si la France fait partie des pays d’Europe où le taux de pauvreté est le plus bas, un pays dont la richesse produite s’élève à 43 500 euros par habitant en 2017 ([13]) ne peut se satisfaire d’une situation dans laquelle près de 9 millions de personnes disposent de moins de 1 000 euros par mois.

II.   L’urgence d’agir : l’expérimentation d’un revenu de base

1.   Le revenu de base, un débat ancien qui recouvre des projets très différents

Si l’idée d’un revenu de base est ancienne, elle revient dans le débat public depuis plusieurs années.

a.   Un débat ancien

Dès la fin du XVIIIe siècle, Thomas Paine propose la mise en place d’un revenu de base dans son ouvrage La Justice Agraire paru en 1795, sous la forme d’une dotation versée à chaque individu atteignant l’âge de la majorité. Il justifie cette dotation, financée par un fonds alimenté par les propriétaires terriens, par le fait que la terre est un patrimoine commun qui ne saurait être légitimement approprié par une minorité. Les idées de Thomas Paine ont pu inspirer les socialistes utopistes, notamment Charles Fourier qui propose en 1848, dans son ouvrage Solution au problème social, que les non-propriétaires fonciers reçoivent un revenu minimum garanti inconditionnel. Comme la dotation imaginée par Thomas Paine, ce revenu, dénommé « dividende territorial », constitue une contrepartie à l’injustice que représente la propriété privée de la terre.

Au XXe siècle, des économistes libéraux proposent également la mise en place d’un revenu de base dans le cadre de l’économie de marché. Milton Friedman théorise ainsi, dans Capitalisme et Liberté, paru en 1962, le revenu universel sous la forme d’un impôt négatif, destiné à remplacer le système de protection sociale existant alors aux États-Unis. De l’autre côté du spectre politique, l’idée d’un soutien inconditionnel au revenu, à travers la mise en place d’une allocation universelle ou d’un crédit d’impôt est également développée par l’économiste néo-keynésien James Tobin.

b.   Un débat d’actualité depuis plusieurs années

Fondé en 1986, le « Basic Income European Network » (BIEN) ([14])  est un réseau d’universitaires et d’activistes qui promeut la mise en place d’un revenu garanti octroyé de manière inconditionnelle et universelle à tous les membres d’une communauté politique.

En France, un revenu universel est défendu dès 1974 par Lionel Stoléru, à la suite de la parution de son livre « Vaincre la pauvreté dans les pays riches ». Les défenseurs du revenu de base se sont structurés autour de l’Association internationale pour un revenu d’existence (AIRE), créée en 1989, et du Mouvement français pour un revenu de base (MFRB), créé en 2013.

Le MFRB définit le revenu de base comme « un droit inaliénable, inconditionnel, cumulable avec d’autres revenus, distribué par une communauté politique à tous ses membres, de la naissance à la mort, sur une base individuelle, sans contrôle des ressources ni exigence de contrepartie, dont le montant et le financement sont ajustés démocratiquement ». Pour ce mouvement, le revenu de base est un revenu individuel, versé à tous sans condition de ressources ou exigence de contrepartie.

Plusieurs laboratoires d’idées se sont également intéressés au revenu de base, dans des optiques différentes. Le think tank libéral « Génération Libre », animé par Gaspard Koenig, propose ainsi la mise en place d’un revenu de base appelé « Liber », dont le contenu est détaillé dans une note de mai 2014 ([15]). Ce dernier prend la forme d’un crédit d’impôt, calculé pour permettre à chacun de subvenir à ses besoins fondamentaux. Le « Liber » serait financé par un impôt proportionnel (flat tax) sur tous les revenus et au premier euro. Il aurait vocation à se substituer aux minima sociaux, à une partie des prestations familiales mais également aux bourses de l’enseignement supérieur.

La Fondation Jean Jaurès propose quant à elle une vision très différente du revenu de base. Développée dans une note de mai 2016 ([16]), elle privilégie une approche social-démocrate qui conçoit ce revenu comme « une adaptation de la protection sociale, héritée des Trente Glorieuses, aux nouvelles formes de travail et notamment au développement de la pauvreté laborieuse ». Elle plaide en faveur d’un revenu au montant proche du seuil de pauvreté (environ 750 euros par mois), financé par une réorientation de l’ensemble de l’assiette actuelle de financement de la protection sociale, y compris les cotisations vieillesse et maladie.

Le Conseil national du numérique s’est également penché sur le revenu de base dans un rapport de janvier 2016 intitulé « Travail, emploi, numérique, les nouvelles trajectoires » ([17]).

Cette question a enfin fait l’objet de débats parlementaires. À l’Assemblée nationale, des amendements identiques au projet de loi pour une République numérique ont été présentés par notre collègue Delphine Batho et par notre ancien collègue Frédéric Lefebvre, avec des motivations différentes. Au Sénat, une proposition de résolution pour l’instauration d’un revenu de base, portée par le groupe écologiste, a fait l’objet d’un débat en séance publique en mai 2016 ([18]). D’autres personnalités politiques, comme Dominique de Villepin, Nathalie Kosciusko-Morizet ou Christine Boutin, se sont également positionnées en faveur de la mise en place d’un revenu universel.

Surtout, la campagne présidentielle de 2017 a été l’occasion de débattre à nouveau du revenu de base, proposé par le candidat socialiste Benoît Hamon. Dénommé « revenu universel d’existence » (RUE), ce revenu devait être versé « chaque mois, automatiquement et sans démarche par les administrations fiscales et sociales […] dès l’âge de 18 ans, pour toute personne gagnant moins de 1,9 SMIC brut par mois soit 2 800 euros (ou 5 600 euros pour un couple) » ([19]).

Enfin, le Président de la République a annoncé, à l’occasion de la présentation du plan pauvreté le 13 septembre dernier, la mise en place d’un « revenu universel d’activité », « qui fusionne le plus grand nombre possible de prestations, et dont l’État sera entièrement responsable ». Ce revenu, qui serait versé automatiquement dès que les revenus des bénéficiaires « passent en dessous d’un certain seuil » serait conditionné à des « devoirs » de la part des allocataires, le chef de l’État ayant déclaré qu’il serait accompagné d’une « obligation d’inscription dans un parcours d’insertion, qui empêche de refuser plus de deux offres raisonnables d’emploi ou d’activité figurant dans son contrat ». Les contours de ce « revenu universel d’activité » restent particulièrement flous, puisque ni le montant envisagé, ni ses modalités de mise en œuvre, ni la liste des aides qui seraient fusionnées n’ont encore été précisés.

Il apparaît ainsi que la notion de revenu de base recouvre des courants de pensées et des réalités très différentes. Pour la majorité de ses partisans, il constitue en réalité un revenu universel, versé à chaque individu et sans condition de ressources. À ce modèle de revenu de base, il est souvent opposé l’approche de soutien aux bas revenus sous la forme de prestations monétaires sous condition de ressources, et souvent conditionnelles à des caractéristiques spécifiques.

Les différents défenseurs du revenu de base divergent par ailleurs quant à l’objectif et la philosophie qu’ils lui assignent. Ainsi, le revenu de base peut être présenté comme une réforme de l’État-providence dans le sens d’une meilleure efficience (Associés pour l’Instauration d’un revenu d’existence - AIRE) ou comme un outil d’adaptation de la société aux mutations économiques (Mouvement français pour un revenu de base - MFRB).

Le revenu de base expérimenté dans le cadre de la présente proposition de loi s’oppose à la fois à l’approche traditionnelle de prestations spécifiques sous conditions de ressources mais aussi à une autre approche qui consisterait en un revenu universel disponible pour tous, sans aucune condition de revenu. Il relève d’une approche combinée qui lui confère ambition et réalisme.

2.   L’expérimentation d’un revenu de base automatique et inconditionnel

a.   Une démarche innovante et pragmatique

● Refusant tout fatalisme face à la pauvreté, treize départements ([20]), en première ligne sur l’action sociale, ont travaillé pendant près d’un an avec la Fondation Jean Jaurès et deux laboratoires reconnus, le Centre pour la recherche économique et ses applications (CEPREMAP) et l’Institut des politiques publiques (IPP), issu d’un partenariat scientifique entre l’École d’économie de Paris (PSE) et le Centre de recherche en économie et statistique (CREST).

Ces treize départements, rejoints ensuite par cinq autres ([21]), ont ainsi cherché à évaluer la faisabilité d’une expérimentation de la mise en place d’un revenu de base sur leurs territoires. Ce travail s’est traduit par :

– une grande consultation en ligne, destinée à associer les citoyens à la réforme. Cette consultation a été un véritable succès, puisqu’elle a donné lieu à près de 15 000 contributions. L’ampleur du nombre des réponses au questionnaire montre que cette question du revenu de base constitue un véritable enjeu de société.

– un rapport de l’IPP, coécrit par cinq économistes reconnus et paru en juin 2018, présentant une simulation de plusieurs modèles du revenu de base.

● Les simulations de revenu de base effectuées par l’IPP reposent sur les hypothèses suivantes :

– la simplification du système de prestations sociales grâce au remplacement de plusieurs dispositifs existants ;

– la garantie d’un revenu minimal dégressif en fonction des ressources ;

– la non-conditionnalité du versement à des démarches actives de recherche d’emploi ;

– le versement automatique (fin du non-recours) ;

– le calcul au niveau de la famille.

Les différents scénarios de réforme envisagés se distinguent par :

– le champ des prestations remplacées (RSA, prime d’activité et, en option, aides au logement) ;

– les règles de cumul entre le revenu de base et les ressources des individus ;

– l’âge minimal d’éligibilité (18 ou 21 ans).

b.   Une prestation versée automatiquement et de manière inconditionnelle

Les travaux menés par les départements et les instituts de recherche, dont est issue la présente proposition de loi, ont abouti à retenir un scénario de réforme audacieux socialement et crédible scientifiquement.

Tout d’abord, le texte proposé élargit la redistribution en faveur des bas revenus, en particulier grâce à l’ouverture du dispositif aux jeunes de 18 à 24 ans et à la résorption du non-recours aux prestations sociales. Il est également crédible grâce à l’appui de l’Institut des politiques publiques (IPP), qui promeut l’analyse et l’évaluation quantitatives des politiques publiques en s’appuyant sur les méthodes les plus récentes de la recherche en économie. Enfin, le coût de l’expérimentation pour un échantillon de 20 000 personnes est estimé entre 4,8 et 7,5 millions d’euros par an, selon le scénario retenu.

Le revenu de base permettrait tout d’abord de simplifier les aides aux bas revenus. Le dispositif proposé vient en effet fusionner et remplacer des prestations sociales existantes.

Les départements volontaires pour mener l’expérimentation pourront ainsi choisir entre :

– une prestation simplifiée consistant à remplacer le RSA et la prime d’activité. Elle serait définie comme la différence entre un montant forfaitaire et les ressources de la famille, à laquelle s’ajoute un pourcentage des revenus d’activité ;

– une prestation élargie, fusionnant le RSA, la prime d’activité et les aides au logement. Par rapport à la première option, une majoration forfaitaire au titre du logement s’ajouterait au montant minimum garanti.

Le revenu de base proposé par la présente proposition de loi serait calculé à l’échelle du ménage, comme c’est déjà le cas pour la plupart des prestations sociales.

Les montants minimaux garantis ainsi que les taux de dégressivité du revenu de base, ont été calculés par l’Institut des politiques publiques (IPP) de manière à ne pas engendrer de pertes de revenus par rapport au droit existant.

Cette volonté de ne pas faire de perdants pourrait constituer une différence avec le revenu universel d’activité annoncé par le Président de la République dans le cadre du plan de lutte contre la pauvreté. En effet, le Gouvernement a demandé à France Stratégie de se pencher sur la création d’une allocation sociale unique, à budget constant. Sans dépense supplémentaire, le rapport, resté confidentiel, montrerait que la mise en place de cette allocation entraînerait une baisse de ressources pour 3,55 millions de ménages, d’après un article paru dans le journal Le Monde en août dernier ([22]). L’auteur du rapport, Fabrice Lenglart, a été nommé rapporteur des travaux préalables à la mise en œuvre du revenu universel d’activité.

Notre système de minima sociaux repose aujourd’hui sur le principe selon lequel les prestations légales d’aide sociale sont des droits quérables : les personnes éligibles doivent effectuer une démarche auprès de leur caisse d’allocations familiales pour en bénéficier.

Afin de mettre fin au non-recours aux droits, la présente proposition de loi procède à un changement radical de conception en instaurant le versement automatique du revenu de base.

Ce principe rejoint des évolutions déjà en vigueur aujourd’hui pour certains droits connexes comme les tarifs sociaux de l’électricité et du gaz, ou encore le renouvellement de la future couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C) étendue pour les bénéficiaires de l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) et, à compter du 1er avril 2019, du RSA ([23]).

La mise en place d’un versement automatique du revenu de base à toutes les personnes qui y sont éligibles est techniquement possible grâce aux travaux récemment engagés en matière de modernisation de la délivrance des prestations sociales.

En effet, l’article 78 de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2019 permet d’automatiser le processus déclaratif pour les allocataires et bénéficiaires de prestations, grâce à la dématérialisation des procédures et la systématisation des échanges de données entre administrations. La mise en place d’une base des ressources commune aux organismes de sécurité sociale, prévue au plus tard le 1er janvier 2020, sera dans un premier temps limitée au calcul de la base ressources des APL et à leur versement, avant d’être élargie notamment au RSA et à la prime d’activité. L’article 78 de la LFSS permet également le versement des aides au logement sur la base des revenus contemporains, et non plus sur celle des sommes imposables au titre de l’impôt sur le revenu, qui, jusqu’à la mise en place de l’imposition à la source, avait deux années d’ancienneté.

Les obstacles techniques à une fusion du RSA, de la prime d’activité et des aides au logement seront ainsi levés d’ici le lancement de l’expérimentation prévue par la présente proposition de loi.

Alors que le fait d’être à la recherche d’un emploi est une condition nécessaire pour percevoir le RSA aujourd’hui, le versement du revenu de base ne serait pas soumis à une telle condition.

Plusieurs arguments plaident en effet en faveur d’un versement inconditionnel du revenu de base.

Tout d’abord, l’idée selon laquelle il serait nécessaire de contrôler les bénéficiaires du revenu de base pour qu’ils cherchent à s’intégrer professionnellement est inexacte. Encore aujourd’hui, la participation au monde du travail reste la voie d’intégration sociale la plus valorisée, recherchée par la plupart des individus, comme l’ont indiqué les représentants de Pôle emploi lors de leur audition. Il existe certes une minorité de personnes qui semblent avoir décroché et qui paraissent avoir renoncé à intégrer le monde de l’emploi. Mais pour ces dernières, la menace de suspension du RSA produit rarement l’effet escompté. Bien souvent d’ailleurs, les travailleurs sociaux en charge de leur dossier ne cherchent même pas à suspendre le RSA, parce qu’ils savent qu’une telle mesure ne les rapprocherait pas de l’emploi mais les fragiliserait et les marginaliserait encore davantage.

Par ailleurs, comme l’a souligné à juste titre le MFRB lors de son audition, il est devenu de plus en plus difficile de définir ce qu’est une réelle démarche d’insertion professionnelle, l’accès immédiat à un emploi n’étant pas nécessairement l’unique porte d’entrée pour s’intégrer sur le marché du travail. Un nombre croissant de personnes commencent ainsi par s’investir bénévolement dans des projets associatifs ou en développant des services divers (transport, services divers aux ménages, développement de logiciels et autres projets collaboratifs, etc.). D’autres, de plus en plus nombreux, doivent cesser leur travail pour s’occuper de leurs proches âgés ou en situation de dépendance, sans recevoir d’aides de la société pour le rôle pourtant indispensable qu’ils remplissent ([24]).

Dans ce contexte, il n’est pas justifié de conditionner l’attribution du revenu de base à des démarches d’insertion dans l’emploi, alors que la participation à d’autres projets, même s’ils ne se traduisent pas immédiatement par un emploi, constitue également des portes d’entrée dans le monde du travail.

Le versement inconditionnel du revenu de base permettrait en outre de créer une nouvelle relation de confiance entre l’allocataire et son conseiller, dans la mesure où le contrôle de l’allocataire s’avère coûteux et souvent sans effet positif sur celui-ci. S’il est bien entendu coûteux en termes de temps mobilisé à effectuer des démarches administratives, tant pour l’allocataire (à titre d’illustration, le formulaire de demande du RSA comporte sept pages) que pour les services de Pôle emploi, c’est probablement sur la relation entre l’allocataire et son conseiller que le coût du contrôle pèse le plus.

En effet, les deux missions confiées au professionnel chargé d’accompagner l’allocataire dans ses démarches d’insertion professionnelle peuvent entrer en contradiction. La première est d’aider l’allocataire dans son intégration professionnelle et sociale, la seconde est de vérifier qu’il réalise bien les démarches nécessaires à son insertion professionnelle, et de le sanctionner si ce n’est pas le cas. Cette deuxième mission peut biaiser la première : l’allocataire peut être amené à mentir sur ses efforts pour ne pas risquer de perdre le RSA ou les droits au chômage. Ainsi, la mission de contrôle risque d’introduire de la méfiance dans la relation entre l’allocataire et son conseiller et donc de limiter l’efficacité de l’accompagnement.

Cette relation de confiance est d’autant plus primordiale que les allocataires sont déjà marginalisés et que le travailleur social constitue parfois le dernier lien entre l’allocataire et les services publics. Au contraire, le versement inconditionnel du revenu de base favorise la construction d’une réelle relation de confiance qui permettra au professionnel d’accompagner beaucoup plus efficacement l’allocataire dans sa démarche d’insertion. En supprimant les tâches de contrôle des travailleurs sociaux, il leur permet de libérer du temps pour se concentrer sur leurs tâches d’accompagnement social.

L’inconditionnalité permet enfin de rendre la prestation moins stigmatisante. Les bénéficiaires, libérés de l’obligation de rechercher un travail pour prouver leur bonne foi, ne craindraient plus de perdre leurs droits, ce qui sécuriserait la situation de ceux qui ne travaillent pas ou peu.

À cet égard, le versement inconditionnel du revenu de base constitue une différence majeure avec le revenu universel d’activité annoncé par le Président de la République, celui-ci ayant déclaré que ce revenu serait conditionné à l’interdiction de refuser plus de « deux offres raisonnables d’emploi ».

c.   Un droit ouvert dès l’âge de 18 ans

Les dispositifs actuels de soutien aux jeunes de moins de 25 ans décrits supra se révèlent insuffisants pour faire face au défi de la pauvreté des jeunes, comme le constate notre ancien collègue Christophe Sirugue dans son rapport précité relatif aux minima sociaux.

Les conditions d’accès à ces dispositifs sont en effet extrêmement restrictives. En ce qui concerne le RSA, la condition d’activité de deux ans sur les trois dernières années est quasiment irréaliste, au point que seuls 1 300 foyers bénéficient de ce dispositif au 31 décembre 2016, loin des objectifs annoncés. Ensuite, les montants servis sont insuffisants. Par exemple, l’aide attribuée dans le cadre du CIVIS est plafonnée à 1 800 euros par an. Enfin, leur durée est limitée dans le temps : dans le cas de la Garantie Jeunes par exemple, elle est d’un an au plus.

Ainsi, les jeunes célibataires et sans enfants, qui ne bénéficient pas ou plus des allocations de chômage, qui ne peuvent obtenir immédiatement un emploi et qui ne disposent pas d’une aide financière de leur famille sont laissés à l’écart. Hormis certaines prestations ciblées comme la Garantie Jeunes, ils ne peuvent prétendre à l’aide sociale en tant qu’allocataire principal et ne peuvent donner droit qu’à des transferts indirects, versés à leurs parents lorsque ces derniers les déclarent comme personne à charge.

 Afin de remédier à cette situation, Christophe Sirugue proposait d’étendre le RSA aux jeunes de 18 à 24 ans ([25]), dans la mesure où cet instrument apparaît plus complet que les dispositifs spécifiquement mis en place pour les jeunes.

Dans le même ordre d’idées, le revenu de base expérimenté par la présente proposition de loi serait ouvert dès l’âge de 18 ans. Plusieurs raisons justifient ce choix :

● L’accès au revenu de base dès l’âge de 18 ans permettrait tout d’abord de lutter contre la précarité et la pauvreté des jeunes. Ce phénomène, qui s’est amplifié au cours des dernières années, appelle une réponse forte.

● Il permettrait par ailleurs de rapprocher la France de ses voisins européens, la majorité des États de l’Union européenne ouvrant leurs dispositifs nationaux aux jeunes. L’Insee, dans une étude de septembre 2012 ([26]), distingue ainsi trois types d’États :

– les États les plus restrictifs, qui regroupent la France et le Luxembourg. Ces deux pays excluent les jeunes de moins de 25 ans du bénéfice du revenu minimum garanti, sauf s’ils ont la charge d’un enfant ;

– la majorité des États européens, où les jeunes qui vivent en dehors du foyer parental peuvent bénéficier du revenu minimum garanti pour leur propre compte s’ils ne sont pas étudiants (Allemagne, Autriche, Irlande, Portugal, Royaume-Uni, Suède) ;

– enfin, les États dans lesquels les jeunes majeurs non étudiants peuvent bénéficier d’un revenu minimum garanti dès lors que leurs propres ressources sont inférieures à un plafond, même s’ils habitent avec leurs parents (Danemark, Finlande, Pays-Bas).

 La mise en place d’un revenu de base dès l’âge de 18 ans rendrait également moins indispensable le recours aux solidarités familiales. En effet, la relative faiblesse du soutien public en faveur des jeunes en difficulté d’insertion accroît l’importance des solidarités familiales, qui prend notamment la forme de transferts d’argent ou d’une cohabitation entre les jeunes adultes et leurs parents. D’après l’enquête nationale sur les ressources des jeunes, menée conjointement par la DREES et l’INSEE en 2014 ([27]), les ménages de parents d’un jeune âgé de 18 à 24 ans déclarent l’aider dans huit cas sur dix, à hauteur de 3 670 euros en moyenne par an. Cette aide représente un effort global de 8 % du total de leurs revenus disponibles. Dès lors, la nécessité de faire appel à la solidarité familiale tend à perpétuer les inégalités sociales dans la mesure où elle pénalise les jeunes issus de milieux défavorisés, qui ne disposent pas de ressources propres et ne peuvent pas compter sur un soutien financier suffisant de leur famille.

● Enfin, contrairement à une idée largement répandue, la mise en place d’un revenu minimum n’aurait pas d’effet désincitatif sur l’insertion professionnelle des jeunes. En effet, l’étude précitée réalisée par l’INSEE sur l’année 2011 et comparant les taux d’emploi des jeunes de 25 ans ne démontre aucune chute du taux d’emploi causée par le franchissement de cette barrière d’âge ([28]).

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Le temps de l’expérimentation est venu. Un dispositif totalement universel et inconditionnel relèverait de l’utopie. Il est temps de sortir des postures duales, qui opposeraient les pourfendeurs de l’assistanat aux promoteurs de l’oisiveté. Cette proposition de loi vise à améliorer d’une part la lutte contre la pauvreté et d’autre part l’incitation au travail.

 

 


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   Commentaires d’articles

L’ensemble des articles de la proposition de loi ayant été rejetés, le texte est considéré comme rejeté par la commission.

En conséquence, aux termes de l’article 42 de la Constitution, la discussion en séance publique aura lieu sur le texte intial de cette proposition de loi.

Article 1er
Expérimentation du revenu de base

Rejeté par la commission

L’article 1er tend à mettre en place une expérimentation visant à instaurer un revenu de base.

L’expérimentation prévue par le présent article s’inscrit dans le cadre défini par l’article 37-1 de la Constitution qui dispose que « la loi et le règlement peuvent comporter, pour un objet et une durée limités, des dispositions à caractère expérimental » ([29]). Cet article, issu de la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 ([30]), concerne les expérimentations conduites par le législateur ou par le pouvoir réglementaire national.

Le I fixe le cadre général de l’expérimentation visant à instaurer un revenu de base.

La durée de l’expérimentation est fixée à trois ans et doit débuter à compter d’une date définie par décret en Conseil d’État. Le législateur a néanmoins tenu à encadrer le démarrage de l’expérimentation en précisant qu’elle débuterait au plus tard le 1er juillet 2020. En effet, les dispositions relatives aux modalités de financement de l’expérimentation doivent être précisées en loi de finances, dont l’entrée en vigueur aura lieu le 1er janvier 2020. Ce délai permet également, après la publication de la présente loi, de prendre les mesures réglementaires nécessaires.

Le I précise également que l’expérimentation sera mise en œuvre dans des départements volontaires. À ce jour, dix-huit départements ont indiqué être intéressés : les Alpes-de-Haute-Provence, l’Ardèche, l’Ariège, l’Aude, la Dordogne, le Finistère, le Gers, la Gironde, la Haute-Garonne, l’Hérault, l’Ille-et-Vilaine, les Landes, la Loire-Atlantique, le Lot, le Lot-et-Garonne, la Meurthe et Moselle, la Nièvre et la Seine Saint Denis.

Cette liste n’est pas définitive et peut être amenée à évoluer. Le IV précise ainsi que la liste des départements volontaires retenus pour l’expérimentation doit être fixée par un arrêté du ministre chargé des affaires sociales, sur proposition du fonds d’expérimentation visant à instaurer un revenu de base et de l’association de suivi de l’expérimentation, mis en place par l’article 5 de la présente proposition de loi.

Le I définit le revenu de base comme « une prestation sociale unique, automatique et inconditionnelle ». Les caractères automatique et inconditionnel de la prestation sont respectivement précisés aux articles 3 et 4 de la présente proposition de loi. Le qualificatif d’« unique » tient au fait que le revenu de base tend à se substituer à plusieurs prestations sociales existantes.

En effet, le II précise que le revenu de base se substitue aux prestations suivantes, lorsque les bénéficiaires participants à l’expérimentation y étaient éligibles :

– le revenu de solidarité active (RSA) ;

– la prime d’activité ;

– les aides au logement : aide personnalisée au logement (APL), allocation de logement familiale (ALF) ou allocation de logement sociale (ALS).

Les départements retenus pour l’expérimentation pourront choisir la substitution de l’ensemble de ces prestations, ou seulement les deux premières.

Enfin, le III prévoit que l’expérimentation est mise en place avec le concours financier de l’État et des départements volontaires qui y participent. Les modalités de financement sont détaillées à l’article 5 de la présente proposition de loi.

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Article 2
Bénéficiaires et modalités de calcul du revenu de base

Rejeté par la commission

L’article 2 précise les bénéficiaires du revenu de base ainsi que ses modalités de calcul.

1.   Une prestation ouverte dès l’âge de dix-huit ans

a.   L’état du droit

En l’état du droit, seules deux situations permettent de bénéficier du RSA avant l’âge de 25 ans :

– avoir un ou plusieurs enfants à charge ;

– justifier de deux ans d’activité en équivalent temps plein au cours des trois années qui précèdent la demande, soit 3 214 heures d’activité. Cette condition d’activité est particulièrement restrictive, si bien que seulement 1 300 foyers bénéficient du RSA « jeunes » au 31 décembre 2016.

En revanche, le bénéfice de la prime d’activité est ouvert dès l’âge de 18 ans et aucune condition d’âge minimum n’est exigée pour percevoir les aides au logement.

b.   Le dispositif proposé

Le I prévoit que, au sein des territoires choisis dans les départements volontaires retenus pour l’expérimentation, bénéficieront du revenu de base :

– les personnes déjà éligibles au RSA, à la prime d’activité et/ou aux aides au logement ;

– les personnes âgées de plus de 18 ans qui remplissent toutes les conditions, autres que celles de l’âge, pour bénéficier du RSA.

Alors que les jeunes de 18 à 24 ans ne peuvent bénéficier du RSA « jeunes » que dans des conditions très restrictives, le bénéfice du revenu de base serait donc ouvert dès l’âge de 18 ans.

Cette disposition contribuera à diminuer le taux de pauvreté des jeunes, qui est aujourd’hui bien supérieur à la moyenne nationale (en 2015, 16,1 % des jeunes âgés de 18 à 24 ans se trouvent en dessous du seuil de pauvreté, contre un taux moyen de 7,2 % pour les 25-64 ans).

Le I précise par ailleurs que le bénéfice du revenu de base, ouvert dans le cadre de l’expérimentation, peut être refusé ou interrompu sur simple demande du bénéficiaire.

2.   Une prestation simplifiée remplaçant le RSA et la prime d’activité ainsi que, pour les départements qui le souhaitent, les aides au logement

Les modalités de calcul du revenu de base sont détaillées au II.

Le revenu de base constitue ainsi un revenu minimal garanti, qui se substitue à plusieurs prestations sociales existantes. Les départements volontaires retenus pour l’expérimentation ont le choix entre deux scénarios de réforme :

● Option n° 1 : L’expérimentation d’une prestation simplifiée remplaçant le RSA et la prime d’activité.

Dans ce cas, l’alinéa 2 du II définit le revenu de base comme « la différence entre un montant forfaitaire, qui varie en fonction de la composition du foyer, et les ressources du foyer, à laquelle s’ajoute un pourcentage des revenus d’activité ».

Le revenu de base se caractériserait par une dégressivité complète sur les ressources autres que celles issues des revenus d’activité, et par un taux marginal d’imposition sur les revenus d’activité. Cette définition pose la question du paramétrage de ce revenu de base, c’est-à-dire le choix du montant forfaitaire de la prestation et du taux marginal d’imposition sur les revenus d’activité.

Le 4ème alinéa du II précise que le montant forfaitaire garanti ne peut être inférieur au montant des prestations auxquelles les bénéficiaires du revenu de base seraient éligibles s’ils ne bénéficiaient pas du revenu de base, qui se substitue à ces dernières. Ainsi, le montant forfaitaire minimal garanti destiné aux personnes célibataires sans enfant et le montant minimal garanti pour les autres configurations familiales seraient au moins équivalents à ceux en vigueur pour le RSA (soit, depuis le 1er avril 2018, 550,93 euros pour une personne seule sans enfant, 991,68 euros pour un couple avec un enfant).

Ce montant forfaitaire serait revalorisé le 1er avril de chaque année en fonction de l’évolution de la moyenne annuelle des prix à la consommation, hors tabac.

Le taux marginal d’imposition sur les revenus d’activité pourrait quant à lui être fixé à 30 %, conformément aux préconisations de l’Institut de politiques publiques (IPP) dans son rapport intitulé « Revenu de base : simulations en vue d’une expérimentation » ([31]). Les auteurs du rapport précisent que ce taux « est inférieur au taux en vigueur dans le cadre de la prime d’activité (38 %). Cette moindre taxation a été fixée afin de ne pas entraîner de pertes de transferts monétaires au titre des revenus d’activité par rapport au système actuel ». En effet, il est aujourd’hui possible de cumuler la prime d’activité avec 62 % de ses revenus d’activité (ce qui signifie une imposition à 38 %) mais aussi avec des bonifications individuelles. De telles bonifications n’étant pas prévues dans le calcul du revenu de base, il est nécessaire de fixer une taxation sur les revenus d’activité inférieure à 38 %, afin de ne pas faire de perdants parmi les bénéficiaires des bonifications de la prime d’activité actuelle.

Enfin, dans ce scénario de réforme, les aides au logement resteraient inchangées : elles continueraient d’être perçues avec les mêmes règles en vigueur qu’aujourd’hui.

● Option n° 2 : L’expérimentation d’une prestation élargie fusionnant le RSA, la prime d’activité et les aides au logement.

Dans ce cas, l’alinéa 3 du II prévoit que le montant forfaitaire de l’option n° 1 serait augmenté d’une majoration forfaitaire, variable en fonction de la composition du foyer et de la zone d’habitation. Trois zones géographiques, les mêmes que celles utilisées pour le calcul des aides au logement actuelles, pourraient être retenues.

Cette majoration forfaitaire serait au minimum de 195 euros, ce qui correspond à la majoration locataire aujourd’hui en vigueur pour la zone 3. Les majorations supplémentaires pour les autres zones pourraient être les mêmes que celles appliquées dans le calcul des aides au logement actuelles, à savoir respectivement 16 et 23 euros de plus par rapport à la zone 3.

Les simulations réalisées par l’IPP amènent les auteurs du rapport précité à proposer un taux de dégressivité de 38 % sur les revenus d’activité, afin de ne pas engendrer de pertes de prestations au titre des revenus d’activité.

Comme indiqué dans ce rapport, ce scénario de réforme apporterait deux améliorations par rapport à la situation actuelle : « en premier lieu, il doit permettre de faire baisser la pauvreté, notamment en augmentant (modérément) le revenu disponible de près de la moitié des ménages du premier décile. Par ailleurs, il renforce les incitations à l’emploi en instaurant un taux de dégressivité unique de 38 % bien plus avantageux que celui auquel ont droit dans le système actuel les travailleurs locataires à faibles revenus ». De ce fait, la réforme proposée par le scénario n° 2 tend à inciter à la reprise d’emploi.

Enfin, le dernier alinéa du II renvoie la définition plus précise des modalités de calcul du revenu de base et la nature des ressources prises en compte à un décret en Conseil d’État.

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Article 3
Automaticité du versement du revenu de base

Rejeté par la commission

L’article 3 permet le versement automatique du revenu de base à toutes les personnes qui y sont éligibles.

● En l’état du droit, les prestations légales d’aide sociale sont des droits quérables : les personnes éligibles doivent effectuer une démarche auprès de leur caisse d’allocations familiales pour en bénéficier.

Le principe de droits quérables entraîne un taux de non-recours important à plusieurs prestations sociales, pour plusieurs raisons mises en évidence par l’Observatoire des non-recours aux droits et services (ODENORE). Les personnes éligibles peuvent ne pas être informées de leurs droits à une prestation. Lorsqu’elles le sont, la prestation peut ne pas être demandée car jugée trop complexe à obtenir. Dans ce cas, la lourdeur des démarches administratives limite le recours aux droits. Ainsi, le formulaire de sept pages à compléter pour bénéficier du RSA peut constituer un frein pour certains publics. Enfin, la prestation, bien que connue, peut ne pas être demandée par crainte de faire l’objet de stigmatisations. Cet argument a notamment pu être évoqué lors du remplacement du RSA activité par la prime d’activité, jugée moins stigmatisante.

● Afin de mettre fin au non-recours aux droits, l’article 3 tend à instaurer le versement automatique du revenu de base pour les personnes qui y sont éligibles dans le cadre de l’expérimentation.

Les travaux récemment engagés en matière de modernisation de la délivrance des prestations sociales rendent possible ce versement automatique.

En effet, l’article 78 de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2019 prévoit la mise en place d’une « base des ressources commune aux organismes de sécurité sociale », utilisée par ces organismes pour l’attribution de prestations ou pour leur calcul, en fonction des ressources des assurés, à compter du 1er janvier 2019 et au plus tard le 1er janvier 2020. Il est précisé que cette base de données sera dans un premier temps limitée au calcul de la base ressources des APL et à leur versement, avant d’être élargie notamment au RSA et à la prime d’activité. L’article 78 de la LFSS permet également le versement des aides au logement sur la base des revenus contemporains, en lieu et place des sommes imposables au titre de l’impôt sur le revenu, qui ont deux années d’ancienneté.

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Article 4
Accompagnement des bénéficiaires du revenu de base

Rejeté par la commission

L’article 4 prévoit un accompagnement pour les bénéficiaires du revenu de base.

L’article 4 prévoit que les bénéficiaires du revenu de base « ont droit à un accompagnement social et professionnel, organisé par un référent unique ».

Chaque bénéficiaire serait ainsi orienté, en fonction de ses besoins, dans l’un des organismes suivants :

– Pôle emploi ;

– Les autorités ou organismes compétents en matière d’insertion sociale (conseil départemental, centre communal d’action sociale, association d’insertion, etc.) ;

– Les missions locales, pour l’insertion professionnelle et sociale des jeunes de 18 à 24 ans.

Comme c’est aujourd’hui le cas pour les bénéficiaires du RSA, les publics les plus proches de l’emploi seraient orientés en priorité vers Pôle emploi. Ceux rencontrant des difficultés particulières, tenant notamment aux conditions de logement, à l’absence de logement ou à leur état de santé, et qui font temporairement obstacle à un engagement dans une démarche de recherche d’emploi, seraient orientés en priorité vers des organismes compétents en matière d’insertion sociale. Enfin, l’accompagnement des bénéficiaires de moins de 25 ans pourrait être effectué au sein des missions locales.

L’accompagnement prévu n’est pas associé à une obligation de recherche d’emploi, comme c’est aujourd’hui le cas pour les bénéficiaires du RSA. En effet, l’article L. 262-28 du code de l’action sociale et des familles prévoit que « le bénéficiaire du revenu de solidarité active est tenu, lorsqu’il est sans emploi ou ne tire de l’exercice d’une activité professionnelle que des revenus inférieurs à une limite fixée par décret, de rechercher un emploi, d’entreprendre les démarches nécessaires à la création de sa propre activité ou d’entreprendre les actions nécessaires à une meilleure insertion sociale ou professionnelle ».

Le versement inconditionnel du revenu de base présente en effet plusieurs avantages :

– Il favorise tout d’abord une relation de confiance entre le bénéficiaire du revenu de base et son référent. Au contraire, la mission de contrôle risque d’introduire de la méfiance dans la relation entre l’allocataire et son conseiller, lorsque celui-ci doit vérifier qu’il réalise bien les démarches nécessaires à son insertion professionnelle, et le sanctionner si ce n’est pas le cas. Or, la confiance est d’autant plus importante lorsque les allocataires sont déjà marginalisés et que le travailleur social est parfois le dernier lien entre l’allocataire et les services publics.

– Il permet également au référent de disposer de davantage de temps à consacrer à sa mission d’accompagnement. La qualité du suivi serait dès lors améliorée.

– Ensuite, un versement inconditionnel peut permettre aux bénéficiaires de s’épanouir dans des projets qui ne sont pas strictement professionnels. Aujourd’hui plus que jamais, l’accès immédiat à un emploi ne constitue pas nécessairement l’unique porte d’entrée pour s’intégrer sur le marché du travail.

– Enfin, l’inconditionnalité permet de rendre la prestation moins stigmatisante. Les bénéficiaires, libérés de l’obligation de rechercher un travail pour prouver leur bonne foi, ne craindraient plus de perdre leurs droits, ce qui sécuriserait la situation de ceux qui ne travaillent pas ou peu.

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Article 5
Création d’un fonds d’expérimentation visant à instaurer un revenu de base et d’une association de suivi de l’expérimentation

Rejeté par la commission

L’article 5 tend à créer un fonds d’expérimentation visant à instaurer un revenu de base et une association de suivi de l’expérimentation.

1.   Le fonds d’expérimentation visant à instaurer un revenu de base

Le I tend à créer un fonds d’expérimentation visant à instaurer un revenu de base, chargé du financement de l’expérimentation.

Le fonds serait financé par l’État et par les départements volontaires retenus pour l’expérimentation, selon des modalités et des critères de répartition définis en loi de finances.

Par souci de souplesse et de rapidité de mise en œuvre, il est proposé de confier la gestion de ce fonds à une association relevant de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association. Cette association serait administrée par un conseil d’administration composé de représentants :

– de l’État ;

– des départements volontaires retenus pour l’expérimentation ;

– des caisses d’allocations familiales et des caisses de la mutualité sociale agricole ;

– de Pôle emploi.

La création de ce fonds, dont la gestion est confiée à une association, reprend le dispositif déjà mis en place dans le cadre de la loi d’expérimentation territoriale visant à résorber le chômage de longue durée ([32]), qui s’est révélé adapté à ce type d’expérimentation.

2.   L’association de suivi de l’expérimentation

Le II tend à mettre en place un suivi de l’expérimentation par les départements concernés. Ce suivi est assuré à travers une association relevant de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association.

Il est à distinguer de l’évaluation de la mise en place du revenu de base, prévue à l’article 7 de la présente proposition de loi.

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Article 6
Conventions entre le fonds d’expérimentation, les départements et les caisses d’allocations familiales

Rejeté par la commission

L’article 6 vise à mettre en place des conventions conclues entre le fonds d’expérimentation visant à instaurer un revenu de base, les départements retenus pour l’expérimentation et les caisses d’allocations familiales et de la mutualité sociale agricole.

L’article 6 prévoit que le fonds d’expérimentation visant à instaurer un revenu de base, chargé de l’organisation du financement de l’expérimentation, signe des conventions dans tous les départements participant à l’expérimentation.

Ces conventions seraient conclues entre le fonds, les départements et les caisses d’allocations familiales et de la mutualité sociale agricoles, dans la mesure où ces dernières seraient chargées du versement de la prestation.

Ces conventions ont notamment pour objet :

– d’ouvrir aux personnes éligibles au revenu de base le droit à bénéficier de cette prestation ;

– de préciser les modalités de financement de l’expérimentation, en particulier la part du revenu de base qui serait prise en charge par le fonds, compte tenu des droits déjà ouverts au RSA, à la prime d’activité et aux aides au logement. Ainsi, le fonds ne financerait que le surcoût lié à la mise en place de la prestation, par rapport au coût des prestations dont bénéficieraient les personnes allocataires du revenu de base en l’absence de réforme ;

– de fixer les conditions que doivent respecter les départements pour bénéficier du financement du fonds, notamment en matière de suivi de l’expérimentation. Le II de l’article 5 de la présente proposition de loi prévoit en effet la mise en place d’une association de suivi, composée des départements expérimentateurs.

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Article 7
Évaluation de la mise en place du revenu de base

Rejeté par la commission

L’article 7 prévoit la réalisation, par un comité scientifique, d’un rapport d’évaluation de la mise en place du revenu de base.

L’article 7 prévoit la réalisation d’un rapport d’évaluation de la mise en place du revenu de base, au plus tard six mois avant le terme de l’expérimentation.

L’évaluation détaillerait notamment :

– les effets de l’expérimentation sur l’évolution du taux de pauvreté dans les territoires participants et sur celle des indicateurs de bien-être social ;

– ses effets en matière d’insertion sociale et professionnelle des bénéficiaires de la prestation ;

– ses conséquences financières pour les territoires participants, les départements expérimentateurs et l’État.

La composition du comité scientifique doit être définie par décret et ses membres nommés par arrêté du ministre chargé des affaires sociales. Ils siégeraient à titre bénévole.

Le rapport d’évaluation doit être adressé au Parlement et au ministre chargé des affaires sociales.

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Article 8
Fin de l’expérimentation

Rejeté par la commission

L’article 8 prévoit d’informer les organismes participant à l’expérimentation en cas d’interruption ou d’absence de reconduction de celle-ci.

L’article 8 prévoit que si l’expérimentation, prévue pour durer trois ans, n’est pas reconduite au terme de ce délai ou si celle-ci est interrompue avant la fin par une décision du fonds d’expérimentation, les départements participant à l’expérimentation, les caisses d’allocations familiales, les caisses de la mutualité sociale agricole, ainsi que Pôle emploi reçoivent une notification du fonds d’expérimentation signifiant la fin du financement du revenu de base.

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Article 9
Décret d’application

Rejeté par la commission

L’article 9 prévoit qu’un décret définit les modalités d’application de la présente proposition de loi.

L’article 9 prévoit qu’un décret en Conseil d’État définit les modalités d’application de la présente proposition de loi, notamment :

– les critères ouvrant droit au revenu de base ;

– les modalités de fonctionnement et de gestion du fonds d’expérimentation ;

– les modalités de passation des conventions conclues entre le fonds, les départements participant à l’expérimentation et les caisses d’allocations familiales et de la mutualité sociale agricole ;

– les modalités d’évaluation de l’expérimentation.

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Article 10
Date d’entrée en vigueur

Rejeté par la commission

L’article 10 précise que la présente proposition de loi doit entrer en vigueur à une date fixée par décret en Conseil d’État, et au plus tard le 1er juillet 2020.

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Article 11
Gage financier

Rejeté par la commission

L’article 11 a pour objet de permettre la recevabilité financière de la présente proposition de loi au regard de l’article 40 de la Constitution.

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—  1  —

   ANNEXE :
personnes auditionnées par le rapporteur

     Table ronde avec des associations de lutte contre la pauvreté

 Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (UNIOPSS) – M. Patrick Doutreligne, président, M. Jérôme Voiturier, directeur général

 ATD-Quart monde (*) – M. Denis Rochette, responsable du pôle politique

– Collectif Alerte – M. François Soulage, président

 Secours populaire – Mme Marie-Françoise Thull, membre du Bureau national

     Union sociale pour l’habitat (USH) (*) – M. Dominique Hoorens, directeur des études économiques et financières, et Mme Francine Albert, conseillère chargée des relations avec le Parlement

     Assemblée des départements de France (ADF) – M. Jean-Luc Gleyze, président du département de la Gironde, M. Timothée Duverger, collaborateur de M. Gleyze, M. Jean-Michel Rapinat, directeur délégué pour les politiques sociales, et Mme Ann-Gaëlle Werner-Bernard, conseillère chargée des relations avec le Parlement

     M. Brice Fabre et Mme Claire Leroy, économistes, auteurs du rapport de l’Institut des politiques publiques de juin 2018 « Revenu de base : simulations en vue d’une expérimentation »

     Pôle emploiMme Élisabeth Gueguen, directrice de la réglementation et de l’indemnisation, et Mme Firmine Duro, directrice des partenariats et de la territorialisation

     Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) – M. Jean-Philippe Vinquant, directeur général, et M. François Gautier, chef de bureau minima sociaux

     Mouvement français pour un revenu de base (MFRB) (*) Mme Nicole Teke, coordinatrice des relations publiques, et M. Benoît Carrère, membre du MFRB

     Association pour l’instauration d’un revenu d’existence (AIRE) – M. Marc de Basquiat, président, M. Léon Régent, vice-président, et M. Frédéric de Maneville

     Union nationale des missions locales (UNML) M. Serge Kroichvili, secrétaire général, et Mme Claire Fabre, chargée de mission

     Association « MonRevenuDeBase »  M. Julien Bayou, président, M. Louis D’Eramo, secrétaire général, et Mme Lara Milshtein, administratrice

     Table ronde avec les organisations représentatives des salariés

‑ Confédération générale des travailleurs (CGT) – M. Fabrice Angei, membre de la direction confédérale

 Confédération générale du travail - Force Ouvrière (CGT-FO) – Mme Nathalie Homand, secrétaire, et Mme Sophie Tasque, conseiller technique

‑ Confédération française démocratique du travail (CFDT) – Mme Chantal Richard, représentante syndicale

‑ Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC)  M. Joseph Thouvenel, vice-président confédéral

     M. Christophe Sirugue, ancien député, auteur du rapport « Repenser les minima sociaux : vers une couverture socle commune » d’avril 2016

     Ministère des solidarités et de la santé – M. Olivier Noblecourt, délégué interministériel à la prévention et à la lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes, et M. Clément Cadoret, inspecteur général des affaires sociales, conseiller

 

 

 

 

 

 

 

(*) Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le répertoire de la Haute Autorité de transparence pour la vie publique s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale


([1]) « Revenu de base : simulations en vue d’une expérimentation », rapport de l’Institut des politiques publiques n° 18, juin 2018 - https://www.ipp.eu/wp-content/uploads/2018/06/revenu-de-base-experimentation-rapport-IPP-juin2018.pdf

([2]) http://www.senat.fr/rap/r16-035/r16-035.html

([3]https://www.gouvernement.fr/sites/default/files/document/document/2016/04/18.04.2016_rapport_de_christophe_sirugue_-_repenser_les_minima_sociaux_-_vers_une_couverture_socle_commune.pdf

([4]) http://www.assemblee-nationale.fr/14/rap-info/i4158.asp

([5]) https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/minima2018.pdf

([6]) CNAF, « Les foyers bénéficiaires du RSA », note n°24, décembre 2018 -  https://www.caf.fr/sites/default/files/cnaf/Documents/Dser/rsa%20conjoncture/Rsa%20Conjoncture%20n%C2%B024.pdf

 

([7] CNAF, « Les foyers bénéficiaires de la prime d’activité », note n° 10, septembre 2018 - https://www.caf.fr/sites/default/files/cnaf/Documents/Dser/Prime%20activite/Prime%20d%27activit%C3%A9%20Conjoncture%20n%C2%B010.pdf

 

([8]) « Repenser les minima sociaux, vers une couverture socle commune », mission confiée à M. Christophe Sirugue, député de Saône-et-Loire, rapport au Premier ministre, avril 2016 -  https://www.gouvernement.fr/sites/default/files/document/document/2016/04/18.04.2016_rapport_de_christophe_sirugue_-_repenser_les_minima_sociaux_-_vers_une_couverture_socle_commune.pdf

([9]) https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_d_evaluation_prime_d_activite.pdf

([10]) Le taux de recours en effectifs correspond à la proportion de foyers éligibles, c’est-à-dire ayant droit à la prestation et qui y ont effectivement recours. Le taux de recours en masses financières correspond à la proportion des montants éligibles qui sont effectivement versées.

([11]) Note d’analyse de France Stratégie, « Les jeunes sont-ils sacrifiés par la protection sociale ? », Janvier 2016, n° 37 - https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/note_danalyse_n37_-_12.01_bat.pdf  

([12]) D’après les données de la DREES, Panorama précité.

([13]) Donnée du Fonds monétaire international, 2017.

([14]) Renommé « Basic Income Earth Network » en 2004, à la suite de son développement.

([15]) LIBER, un revenu de liberté pour tous, mai 2014 - https://www.generationlibre.eu/wp-content/uploads/2014/12/2014-Liber-Volume-I-_-GenerationLibre.pdf  

([16]) « Le revenu de base, de l’utopie à la réalité ? », 22 mai 2016 - https://jean-jaures.org/nos-productions/le-revenu-de-base-de-l-utopie-a-la-realite  

([17]) https://cnnumerique.fr/files/2017-10/Rapport-travail-version-finale-janv2016.pdf  

([18]) Proposition de résolution pour l’instauration d’un revenu de base, portée par M. Jean Desessard et les membres du groupe écologiste - https://www.senat.fr/leg/ppr15-353.html

([19]) Extrait du programme du candidat Benoit Hamon - https://www.benoithamon2017.fr/rue/

([20]) Ardèche, Ariège, Aude, Dordogne, Gers, Gironde, Haute-Garonne, Ille-et-Vilaine, Landes, Lot-et-Garonne, Meurthe et Moselle, Nièvre, Seine Saint Denis.

([21]) Alpes-de-Haute-Provence, Finistère, Hérault, Loire-Atlantique, Lot.

([22]) https://www.lemonde.fr/politique/article/2018/08/02/allocation-sociale-unique-qui-sont-les-perdants-et-les-gagnants_5338756_823448.html  

([23]) Article 52 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019.

([24]) Le congé de proches aidants n’est aujourd’hui pas indemnisé.

([25]) Proposition n° 1 du rapport précité, « Repenser les minima sociaux, vers une couverture socle commune ».

([26]) Augustin Vicard, Olivier Bargain, « Le RMI et son successeur le RSA découragent-ils certains jeunes de travailler ? Une analyse sur les jeunes autour de 25 ans », Économie et statistique n°467/468, 2014- https://www.insee.fr/fr/statistiques/1521320  

([27]) INSEE, « Combien coûte un jeune adulte à ses parents ? », Sébastien Grobon, 6 juin 2018, https://www.insee.fr/fr/statistiques/3559099?sommaire=3549502

 

([29]) Cet droit à l’expérimentation est distinct de celui prévu par l’article 72 alinéa 4 de la Constitution qui dispose que « sauf lorsque sont en cause les conditions essentielles dexercice dune liberté publique ou dun droit constitutionnellement garanti, les collectivités territoriales ou leurs groupements peuvent, lorsque, selon le cas, la loi ou le règlement la prévu, déroger à titre expérimental, pour un objet et pour une durée limités, aux dispositions législatives ou règlementaires qui régissent lexercice de leurs compétences ».

([30]) Loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République.

([31]) « Revenu de base : simulations en vue d’une expérimentation », Institut des politiques publiques (IPP), Rapport n° 18, juin 2018 - https://www.ipp.eu/wp-content/uploads/2018/06/revenu-de-base-experimentation-rapport-IPP-juin2018.pdf

([32]) Loi n° 2016-231 du 29 février 2016 d’expérimentation territoriale visant à résorber le chômage de longue durée - https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000032134592&categorieLien=id