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N° 1614

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 24 janvier 2019.

 

 

 

RAPPORT

 

 

 

FAIT

 

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LA PROPOSITION de loi tendant à la création dun fonds dindemnisation des victimes du chlordécone et du paraquat en Guadeloupe et en Martinique,

 

VOLUME II

COMPTE RENDU DES TRAVAUX

 

 

Par Mme Hélène VAINQUEUR-CHRISTOPHE,

 

 

Députée.

 

——

 

 

 

 

 

Voir le numéro :

Assemblée nationale :  1543.


 

 

 

 


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SOMMAIRE

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Pages

Compte rendu des débats

Article 1er Principe de reconnaissance des préjudices subis du fait de l’usage du chlordécone

Après l’article 1er

Article 2 Champ des personnes éligibles au dispositif d’indemnisation

Article 3 Création et organisation du Fonds d’indemnisation des victimes du chlordécone et du paraquat

Article 4 Procédure de détermination de l’existence d’un préjudice indemnisable par le fonds

Après l’article 4

Article 5 Régime de prescription

Article 6 Présentation des offres d’indemnisation et paiement par le fonds

Article 7 Exonération des indemnisations de l’impôt sur le revenu

Article 8 Droit d’action en justice des demandeurs contre le fonds

Article 9 Recours du fonds contre des tiers (actions subrogatoires)

Après l’article 9

Article 10 Modalités de financement du fonds

Article 11 Modalités d’application et dispositions transitoires

Article 12 Gage de recevabilité


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   Compte rendu des débats

La commission examine au cours de sa deuxième séance du mercredi 23 janvier 2019 la proposition de loi tendant à la création d’un fonds d’indemnisation des victimes du chlordécone et du paraquat en Guadeloupe et en Martinique (n° 1614) (Mme Hélène Vainqueur-Christophe, rapporteure).

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.7173935_5c4892d3e189e.commission-des-affaires-sociales--propositions-de-lois-diverses-23-janvier-2019

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Nous poursuivons les travaux de notre commission avec la proposition de loi tendant à la création d’un fonds d’indemnisation des victimes du chlordécone et du paraquat en Guadeloupe et en Martinique, dont la rapporteure est madame Hélène Vainqueur-Christophe.

Mme Hélène Vainqueur-Christophe, rapporteure. En préambule, je souhaite remercier l’ensemble des collègues ici présents et, si vous le permettez, saluer la présence de mes collègues ultramarins de tous les groupes politiques et n’appartenant pas à cette commission, pour discuter ensemble de cette proposition de loi, grâce au groupe Socialistes et apparentés qui a choisi d’inscrire ce texte dans sa niche parlementaire. Cette inscription marque, une fois encore et un an après l’adoption de la proposition de loi de mon collègue Serge Letchimy sur l’indivision successorale, l’intérêt et l’engagement résolu de notre groupe dans la défense des intérêts et des problématiques relatives à nos territoires.

Cette proposition de loi est la conséquence d’une catastrophe environnementale et sanitaire qui aurait pu être évitée. Elle est aussi l’aboutissement d’un long combat mené par de nombreux acteurs engagés de la société civile pour faire reconnaître ce scandale. Elle est enfin la continuité d’initiatives engagées avec force depuis une quinzaine d’années par nombre de responsables politiques qui, notamment au Parlement, se sont attachés à faire toute la lumière sur cette pollution.

Sans ces personnalités, sans ces experts et scientifiques qui travaillent assidûment sur cette problématique, cette proposition de loi n’aurait sans doute pas pu être conçue. Elle s’inscrit ainsi dans la continuité du texte déposé par notre collègue sénatrice Nicole Bonnefoy en 2016, que nous avons examiné ce matin, mais également dans celle de la proposition de loi déjà déposée en 2017 par notre collègue Victorin Lurel.

À l’image de la proposition de loi visant à créer un fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques, cette proposition de loi est un texte puissant visant à permettre enfin une indemnisation intégrale des préjudices subis par les victimes du chlordécone.

Chlordécone, paraquat, de quoi parle-t-on vraiment ? J’imagine que nombre d’entre vous ici présents ont fait des recherches sur ce sujet avant la réunion de cette commission. Je ne reviendrai donc pas de manière exhaustive sur l’intégralité de cette affaire, mais tiens à vous rappeler synthétiquement les faits.

À partir de 1958, la molécule du chlordécone est commercialisée et utilisée comme pesticide à usage agricole. En juillet 1975, l’usine de production du pesticide, implantée aux États-Unis, interrompt brusquement sa fabrication suite à une pollution importante des abords immédiats de l’usine et aux multiples cas d’empoisonnement constatés chez les ouvriers et sur les personnes habitant à proximité.

À partir de ces événements, toutes les études commanditées font état de graves atteintes neurologiques. Sans tarder, les autorités fédérales américaines décident de l’interdiction pure et simple de la commercialisation du pesticide. Ainsi donc, dès 1976, un des pays les plus libéraux du monde à l’époque a délibérément choisi de fermer une usine et d’interdire l’usage d’un pesticide au nom du principe de précaution. Saluons d’autant plus cette sage et courageuse décision qu’ici même en France, ces mêmes règles ont été sciemment piétinées par les pouvoirs publics au nom des intérêts économiques de quelques-uns.

En France en effet, le pesticide chlordécone connaît un tout autre sort. La France autorise d’abord une autorisation provisoire de commercialisation en 1972, puis, en 1981, décide de l’homologation officielle du chlordécone – cinq ans après l’interdiction américaine et trois ans après la classification du chlordécone par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) comme cancérogène possible. Il faudra attendre juillet 1990 pour que le chlordécone soit enfin interdit par la France !

Pourtant, et c’est bien là que résident la dette morale et la responsabilité coupable de la puissance publique dans le préjudice subi, les autorités françaises autorisent par deux fois des dérogations à cette interdiction, tant et si bien que l’utilisation du chlordécone a perduré aux Antilles plus de trois ans après son interdiction au niveau national !

Au total, en vingt et un ans, près de 300 tonnes de poison auront été déversées sur les sols de Guadeloupe et de Martinique afin de lutter contre le charançon du bananier.

L’autre pesticide visé par cette proposition de loi – le paraquat – a été déversé pendant des années sur les cultures antillaises jusqu’à une époque très récente. Une fois de plus, la France a usé de tous les moyens de pression pour que l’Union européenne autorise le paraquat par une directive. Ce n’est que trois ans plus tard, grâce à l’action en justice d’autres États membres, que le tribunal de première instance de l’Union européenne annulera cette autorisation et que la France interdira définitivement son usage.

Chlordécone et paraquat, voilà donc le nom de ces poisons, à défaut de connaître encore le nom de toutes leurs victimes.

En tout état de cause, nous savons que l’intégralité de la quatrième circonscription de la Guadeloupe que je représente est polluée, tout comme des milliers d’hectares en Martinique ; 90 % des habitants de ces territoires sont contaminés par le chlordécone ; les nappes phréatiques sont polluées, les eaux littorales sont polluées, les eaux continentales sont polluées, nos aliments sont contaminés : poissons de rivière ou de mer, bétail, volailles, tubercules, racines et tout autre produit local élevé ou au contact avec ces sols empoisonnés.

Oui, vingt-cinq ans après l’arrêt de l’épandage du chlordécone, tout est contaminé. Car, mes chers collègues, nous parlons là d’un pesticide dont la rémanence dans les sols, contrairement aux autres pesticides, peut atteindre trois cents à sept cents ans !

Différentes études médicales ont été menées : l’étude Karuprostate, l’étude Kannari, l’étude Ti‑Moun et d’autres recherches scientifiques tendent toutes à prouver que la contamination est réelle et qu’elle pourrait être la cause de pathologies sévères. L’expertise collective réalisée en 2013 par l’INSERM a montré la présomption d’un lien fort entre l’exposition au chlordécone et le cancer de la prostate. L’empoisonnement est donc bien réel.

Mais soyons honnêtes : depuis la révélation du scandale, on ne peut pas dire l’État et les collectivités n’ont rien fait.

Depuis 2002, par l’intermédiaire de plusieurs plans, l’État a mobilisé des moyens, qui ont conduit notamment à la sensibilisation et à la protection de la population, au soutien des professionnels impactés, mais aussi à l’amélioration des connaissances sur ces produits. Nous en sommes ainsi à la troisième génération du plan chlordécone. De leur côté, nombre de collectivités ont agi, notamment la Région Guadeloupe qui a permis par ses investissements de sécuriser la qualité de l’eau courante. Des initiatives du même type ont été prises en Martinique.

J’affirme pourtant que, par son attentisme, l’État n’a pas pris les décisions en rapport avec la psychose collective qui s’est emparée de nos compatriotes. Les études, notamment épidémiologiques, sont insuffisantes et parcellaires ; les plans chlordécone I, II et III sont sous-dotés : quatre millions d’euros par an pour la période 2018-2020. Résultat, la traçabilité des produits est inopérante et les actions de prévention insuffisantes.

Au-delà des questionnements, peut-être légitimes, sur l’existence d’un lien direct de causalité entre développement de pathologie et exposition au chlordécone, la principale question qui se pose aujourd’hui à nous, législateur, est la suivante : que fait-on ?

Que fait-on des terres polluées pour des siècles ? Que fait-on pour nos ruisseaux, de nos cours d’eau, qui charrient chaque jour ce poison jusque sur nos côtes ? Que fait-on pour nos agriculteurs, mis dans l’impossibilité d’exploiter leurs parcelles ? Que fait-on pour nos pêcheurs frappés d’interdits de pêche dans des zones de plus en plus vastes et contraints d’investir massivement pour aller pêcher toujours plus loin du rivage ?

Continuons-nous donc à faire l’autruche en organisant des colloques entre experts ? Quelle réponse apportons-nous aux malades ? Continuerons-nous à soutenir que le mal dont ils sont atteints n’a absolument rien à voir avec cette pollution ?

La pollution au chlordécone est « un scandale environnemental, dont souffrent la Martinique et la Guadeloupe depuis quarante ans », du fait d’un « aveuglement collectif ». C’est le président de la République qui l’a lui-même déclaré en Martinique. Dans ce cadre, il a invité alors l’État à « prendre sa part de responsabilité dans cette pollution » et à « avancer dans le chemin de la réparation ».

Je crois, mes chers collègues, que nous sommes à un moment de vérité, à un moment où le présent nous questionne, nous met face à nos responsabilités et où l’avenir appelle une réponse à la hauteur des drames et des vécus de milliers de nos compatriotes.

Cette proposition de loi est, selon moi et pour l’ensemble des personnalités auditionnées, une des réponses indispensables à apporter.

Ce fonds est l’outil qui marque une volonté politique forte : celle d’indemniser les victimes, qu’elles soient professionnelles ou non, celle aussi de reconnaître une faute et la souffrance de certains de nos concitoyens. Nous parlons potentiellement de plus de 720 000 personnes contaminées et donc demain peut-être malades. Jusqu’où donc sommes-nous prêts à aller ?

Je vous rapporte ces propos entendus lors des auditions tenues la semaine dernière : finalement, le chlordécone, il faut apprendre à vivre avec… Oui, certains vivront avec, mais d’autres, et je crois qu’ils seront nombreux, vont mourir avec. J’ai entendu aussi des cabinets ministériels se renvoyer dos à dos ou nous demander d’attendre encore les rapports qui seront remis dans les tout prochains mois. Je vous le dis, mes chers collègues, nous ne pouvons plus attendre. Les recherches scientifiques doivent certes se poursuivre pour préciser les pathologies à prendre en charge, mais la création de ce fonds est une première étape incontournable.

Si nous ne nous engageons pas dans cette voie, au motif peut-être – de ce que j’ai pu comprendre – d’arguties budgétaires, le coût de ce scandale sera demain infiniment plus élevé. Qui empêchera demain que des actions en justice soient intentées contre l’État pour manquements, pour défaillance et pour fautes ? Quel sera alors le coût de ce contentieux ? Les jugements rendus à l’étranger peuvent faire redouter le pire.

Le dispositif qui vous est proposé aujourd’hui est plus que raisonnable. Il reconnaît l’ensemble des préjudices subis par les populations et les territoires mais également par les acteurs économiques. Il prévoit de mettre en place un fonds d’indemnisation de l’ensemble des préjudices, doté d’une gouvernance collégiale, d’une commission médicale et d’une commission scientifique, instruisant les dossiers. Il sera financé par la mise à contribution des responsables des dommages subis, et en particulier les producteurs de produits phytopharmaceutiques, en portant à 1,5 % le taux de la taxe existante. Devraient s’y ajouter une contribution de l’État, indispensable au titre de sa responsabilité et une contribution des régimes des accidents du travail et des maladies professionnelles (AT-MP), au titre de la solidarité nationale.

Ce n’est pas une boîte de Pandore que nous ouvrons : c’est un outil pensé en efficacité pour réparer le mal sans dédouaner les responsables.

Mes chers collègues, nous pouvons comprendre les réticences de certains groupes ici mais nous ne légiférons pas pour le court terme. Avec un pesticide dont la rémanence atteint des siècles, comment ne pas considérer que nous prenons un risque sur l’avenir ? Le vote qui interviendra bientôt est un vote de responsabilité, un vote de conscience.

Mme Albane Gaillot. Au nom du groupe La République en Marche, je tiens tout d’abord à vous remercier, madame la rapporteure, pour votre travail sur le sujet.

La pollution par le chlordécone constitue aujourd’hui un enjeu sanitaire, environnemental, agricole, économique et social majeur pour les Antilles. Le Gouvernement et les parlementaires sont très largement mobilisés sur le sujet.

Depuis 2008, par l’intermédiaire de plusieurs plans chlordécone, l’État a mobilisé d’importants moyens, qui ont conduit à la sensibilisation et à la protection de la population, au soutien des professionnels impactés, mais aussi à l’amélioration des connaissances sur le chlordécone.

Lors d’un discours prononcé à la Martinique en septembre 2018, le président de la République l’a qualifié de « scandale environnemental », et a indiqué que « l’État doit prendre sa part de responsabilité dans cette pollution et doit avancer dans le chemin de la réparation ».

Il a annoncé, à cet égard, la mise en œuvre de plusieurs mesures : premièrement, la révision des tableaux de maladie professionnelle en fonction des connaissances scientifiques disponibles sur le chlordécone, l’INSERM et l’ANSES ayant été saisis spécifiquement de cette question et devant rendre leurs travaux en mars prochain ; deuxièmement, l’élaboration d’un quatrième plan chlordécone.

Au-delà de la réparation des victimes du chlordécone – et nous venons d’en discuter longuement –, un rapport au Parlement sur les modalités et le financement d’un fonds d’indemnisation des victimes de produits phytosanitaires est attendu. Conformément aux préconisations du président de la République, nous avançons dans le chemin de la réparation en créant un fonds d’indemnisation pour les victimes des produits phytopharmaceutiques.

Notre position est une position d’ouverture. Encore une fois, nous nous rejoignons bien évidemment sur l’urgence que représente la réparation des victimes du chlordécone, mais nous estimons que cette réparation doit se faire dans le cadre plus large du fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques, au regard, à la fois, des conclusions du rapport INSERM/ANSES et des rapports sur le fonds en question. Il s’agit en effet d’évaluer notamment le nombre de victimes et de proposer des scénarios différents.

Nos nombreux échanges l’ont montré, les députés du groupe La République En Marche partagent votre volonté d’avancer sur la réparation des victimes de l’ensemble des produits phytopharmaceutiques.

Mme Claire Guion-Firmin. J’aimerais tout d’abord, au nom du groupe Les Républicains, saluer la grande qualité des auditions communes menées ces derniers jours par les deux rapporteurs de notre commission sur les propositions de lois relatives aux produits phytopharmaceutiques et au chlordécone.

Plus spécifiquement, la proposition de loi tendant à la création d’un fonds d’indemnisation des victimes du chlordécone et du paraquat en Guadeloupe et en Martinique, vise à instaurer un dispositif de prise en charge de la réparation intégrale des préjudices liés à l’utilisation de cet insecticide et de cet herbicide.

La création de ce fonds d’indemnisation pour les victimes du chlordécone doit faire, je le crois, au fond, l’unanimité. Ne serait-ce que parce qu’il assied, enfin, la reconnaissance de la République dans ce qui est l’un des plus grands scandales écologique et sanitaire de notre histoire.

Nos populations de Martinique et de Guadeloupe, qui vivent une situation unique au monde, demandent depuis de nombreuses années d’être reconnues et indemnisées pour le préjudice sanitaire et environnemental auxquels elles ont à faire face.

Quelles que soient les avancées des connaissances médicales et des études scientifiques à ce jour, certains chiffres sont têtus et justifient que l’on ne peut différer plus longtemps, la création de ce fonds d’indemnisation : 90 % des populations antillaises sont ainsi contaminées par ce perturbateur endocrinien hautement rémanent, qui infectera nos biotopes pour cinq siècles.

Aux effets alarmants sur la santé, s’ajoute, vous le savez, une problématique économique pour nos agriculteurs et nos pêcheurs, qui voient leurs parcelles et zones de pêche réduites.

Mme Michèle de Vaucouleurs. Le texte que nous sommes amenés à examiner aujourd’hui traite d’un sujet particulièrement sensible : la pollution massive de la Guadeloupe et de la Martinique par le chlordécone. L’utilisation de ce pesticide hautement toxique pendant près de vingt ans a provoqué des ravages sur l’écosystème antillais, mais a également impacté considérablement la santé des travailleurs qui y ont été exposés. Le président de la République a lui-même reconnu que cette pollution était un scandale environnemental dans lequel l’État français avait sa part de responsabilité.

Cette proposition de loi vise à créer un fonds d’indemnisation pour réparer les préjudices des personnes atteintes de maladies, professionnelles ou non, liées à l’utilisation du chlordécone. Si nous comprenons bien la nécessité d’une réparation rapide et appropriée des victimes, il s’agit de procéder avec méthode et expertise, notamment sur le spectre des potentiels bénéficiaires de cette indemnisation.

À ce titre, l’INSERM et l’ANSES doivent rendre d’ici à mars prochain un rapport permettant de dire à partir de quel niveau d’exposition les ouvriers agricoles qui ont été employés dans les bananeraies pourront être pris en charge et indemnisés. Il reviendra ensuite aux divers partenaires sociaux de s’accorder sur les modalités et sur le niveau de cette prise en charge dans le cadre du système préexistant des AT-MP.

Qui plus est, un autre rapport demandé par le Parlement au Gouvernement dans le cadre de la loi EGALIM doit être publié d’ici au mois d’avril, sur la question des modalités et du financement d’un fonds d’indemnisation pour les victimes de maladies liées aux produits phytopharmaceutiques.

Nous nous interrogeons également sur le financement de cette proposition gagée sur la taxe sur les produits phytopharmaceutiques. Comment celle-ci pourrait-elle financer l’indemnisation d’une liste aussi large de potentiels ayants droit ?

Si les membres du groupe du Mouvement Démocrate et apparentés comprennent bien la démarche de cette proposition de loi et saluent le travail effectué par la rapporteure ainsi que par les parlementaires élus dans les territoires impactés, et nous en comptons dans nos rangs, nous pensons qu’il est préférable d’attendre les conclusions définitives des divers rapports en cours de rédaction pour procéder à une indemnisation optimale.

M. Dominique Potier. Moi aussi, au nom du groupe Socialistes et apparentés, je voudrais dire à Hélène Vainqueur combien nous sommes fiers du boulot qu’elle a fait ! Le chlordécone n’est pas un sujet nouveau, mais il lui tient vraiment à cœur, à elle comme à tous ses collègues d’outre-mer. Je crois qu’aujourd’hui on doit rendre hommage à ce travail de fond.

Je rappellerai simplement, au nom de mon groupe, la stratégie qui a été la nôtre : nous aurions pu considérer le chlordécone, comme un pesticide comme les autres, et estimer qu’il était couvert par la proposition de loi que j’ai défendue ce matin au nom du groupe – proposition qui a connu un début de vote favorable, même en présence d’un grand vide quant à l’objet même du fonds que nous avons créé in fine ce matin.

Nous avons pensé néanmoins que la question du chlordécone était spécifique. Hélène Vainqueur a parfaitement défendu cette position : les effets provoqués sur l’écosystème d’outre-mer par ce pesticide se ressentiront sur plusieurs générations et il n’est pas possible de distinguer entre les populations rurales et les populations exposées directement au chlordécone pour des raisons professionnelles. Car tout le monde est concerné de fait des habitudes alimentaires, de la sociologie même des Antilles, que notre collègue a parfaitement décriteS.

Nous sommes en face d’un problème de santé publique majeur. Défendre cette proposition de loi revient à décliner, dans un cas particulier, ce que nous n’avons adopté que trop timidement et de façon lacunaire ce matin. C’est ouvrir ce grand chantier permettant de rétablir la justice aux Antilles, d’y entamer la réparation des sols, mais aussi la réparation des hommes, des corps et des esprits, pour que nous retrouvions une fierté et une dignité dans ces territoires.

Je vous engage à considérer avec bienveillance et, plus, avec un sentiment d’urgence morale, cette question trop longtemps différée à coups d’études et de rapports des gouvernements successifs. Le courage, c’est maintenant !

Mme Nicole Sanquer. Nous examinons cette après-midi une proposition de loi défendue par notre collègue Hélène Vainqueur-Christophe, dont je tiens à saluer la qualité des travaux et l’engagement sur ce sujet majeur pour les Antilles.

Cette proposition de loi vise à la création d’un fonds d’indemnisation des victimes du chlordécone et du paraquat en Guadeloupe et en Martinique. Face au drame que constituent la pollution et la contamination des sols et des populations par le chlordécone, alors que ce produit a été interdit depuis 1993, nous ne pouvons que vous rejoindre dans la nécessité d’une reconnaissance du préjudice sanitaire, environnemental et économique subi par les populations de Guadeloupe et de Martinique.

La puissance publique n’est cependant pas restée inactive face à ce drame. Plusieurs plans chlordécone – nous en sommes au troisième – ont permis d’améliorer grandement la prévention et la sensibilisation des populations, dans une logique accrue de développement à long terme des territoires les plus touchés. Cela étant, il convient de faire davantage en matière de réparation et d’indemnisation du préjudice subi.

Même si nous considérons qu’il est du ressort de l’État de prévoir un mécanisme d’indemnisation global du préjudice subi en raison de la pollution au chlordécone, les députés du groupe UDI, Agir et Indépendants soutiendront cette proposition de loi, qui participe d’une meilleure reconnaissance du scandale que constitue la pollution par ce produit polluant.

M. Pierre Dharréville. Madame la rapporteure, c’est effectivement un drame considérable que vous mettez en lumière et qu’appelle une action vigoureuse. Je crois, moi aussi, qu’il est effectivement nécessaire de reconnaître le caractère particulier et la spécificité de ce drame lié à l’utilisation du chlordécone en Martinique et en Guadeloupe.

Il y a donc besoin d’envoyer un signal, celui d’une reconnaissance forte et d’un engagement en faveur d’une indemnisation et, autant que possible, d’une réparation, d’autant que le chlordécone n’a pas, hélas ! fini de produire ses effets.

C’est pour moi un cas emblématique. La République doit en prendre la mesure et montrer qu’elle souhaite : considérer d’abord à leur juste valeur les populations qui vivent dans les territoires d’outre-mer ; marquer ensuite sa volonté d’agir, de manière plus générale, contre l’utilisation de ces produits phytosanitaires dangereux dans l’agriculture.

Ce sujet témoigne de la difficulté qu’il y a à établir des limites entre les maladies professionnelles et les maladies environnementales. Pour ma part, je pense qu’il faut reconnaître la spécificité de chacune, même si nous voyons bien qu’il y a des recoupements. Cette réalité suppose de créer des fonds particuliers ; c’est singulièrement le cas en matière de chlordécone.

Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine est donc tout à fait sensible à cette proposition de loi. Je veux à mon tour saluer le travail réalisé par Mme Vainqueur‑Christophe en tant que rapporteure.

Mme Justine Benin. Je tiens d’abord, au nom du groupe du Mouvement Démocrate et apparentés, à saluer le travail et l’engagement de ma collègue Mme Hélène Vainqueur-Christophe, qui a pris l’initiative de cette proposition de loi, essentielle pour les populations de Guadeloupe et de Martinique.

En septembre 2018, lors d’un déplacement aux Antilles, le président de la République reconnaissait la part de responsabilité de l’État dans le scandale environnemental et sanitaire qu’est le chlordécone. Cette déclaration a été saluée par les populations antillaises, mais elle n’est que la première pierre de l’exigence de réparation qu’attendent les Guadeloupéens et les Martiniquais.

Il est important de rappeler ici que le chlordécone est un pesticide endocrinien toxique, dont la dangerosité a été maintes et maintes fois prouvée dans les plus grandes revues scientifiques internationales. L’usage du chlordécone dans les bananeraies s’est étendu de 1972 à 1993 : des centaines de tonnes ont été déversées sur les sols et dans les eaux, polluant nos territoires, Guadeloupe, Martinique, pour les cinq siècles à venir, selon les prévisions les plus optimistes. Avec toutes les conséquences sanitaires que vous pouvez imaginer : risques de prématurité chez les femmes enceintes, atteinte au développement moteur et psychique chez les nouveau-nés et, surtout, augmentation du risque de cancer de la prostate, dont la Martinique détient le triste record du monde !

Alors, bien sûr, certains pourront user de l’argument budgétaire en affirmant qu’il est irréaliste et inconscient de vouloir indemniser intégralement tous les citoyens de la Guadeloupe et de la Martinique.

Mais ce n’est pas ce qu’attendent nos populations. Ce qu’elles veulent, c’est que réparation soit faite à tous ceux qui, aujourd’hui, se retrouvent malades à cause de ce poison toxique qui a été utilisé pendant des années, années de déni et d’aveuglement. Ce sera une juste reconnaissance de tous ceux qui ont perdu la vie et de tous ceux qui se sont battus, des années durant, pour alerter les autorités sanitaires. Pour ce qui me concerne, je voterai cette proposition de loi.

Mme Hélène Vainqueur-Christophe, rapporteure. Je veux d’abord remercier tous les groupes, en particulier ceux qui s’engagent à voter favorablement et à soutenir cette proposition de loi.

Madame Gaillot, je vous sais gré d’avoir été présente à toutes les auditions préparatoires. Vous confirmez que le Président de la République s’est engagé, en ouvrant la voie à une reconnaissance de la responsabilité de l’État et à une réparation, à ce qu’un fonds d’indemnisation soit créé, que vous voulez rattacher au fonds d’indemnisation des victimes de l’usage des produits phytosanitaires dans leur ensemble, tel que nous l’avons créé ce matin.

Je crois pourtant nécessaire de dissocier les deux fonds. Dans le cas du chlordécone, nous sommes d’abord en face d’un seul produit et qui concerne des territoires bien particuliers, à savoir la Guadeloupe et la Martinique. Mais ensuite et surtout, nous sommes en présence d’un mode d’exposition tout à fait différent des autres pesticides, puisque ce produit n’est plus utilisé depuis vingt-six ans et que les effets que nous connaissons sont dus à sa rémanence dans le sol, particulièrement élevée. La contamination actuellement constatée, notamment chez les travailleurs de la banane, ne résulte donc pas d’une exposition directe au produit, mais d’une contamination par l’alimentation. Car les populations de la Guadeloupe et de la Martinique, chaque jour, continuent à se contaminer en consommant des produits pollués par le chlordécone. Il est donc difficile de rattacher la problématique du chlordécone à celle du fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques, dans la mesure où il ne s’agit pas du tout des mêmes publics.

Certes, les ouvriers agricoles peuvent être effectivement indemnisés dans le cadre de ce fonds ; le problème est que nous sommes en présence d’une cohorte très réduite : cela fait vingt-six ans que ce produit, qui a été employé pendant vingt et un ans, n’est plus utilisé. De fait presque tous les travailleurs de la banane de cette époque ou bien à la retraite, ou bien plus de ce monde… D’où la difficulté à recenser le nombre d’ouvriers agricoles susceptibles de bénéficier d’une indemnisation.

Madame Guion-Firmin, je vous remercie pour votre présence lors des auditions. C’est vrai, le territoire de Saint-Martin que vous représentez n’est pas concerné par la contamination au chlordécone proprement dite, dans la mesure où vos sols ne sont pas pollués, mais ce problème vous affecte également dans la mesure où vous consommez des aliments et des produits en provenance de chez nous.

Madame de Vaucouleurs, je vous remercie pour votre soutien. J’ai bien compris que vous attendiez les conclusions des études et les rapports à venir. Les représentants de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) que nous avons auditionnés nous disent très clairement que le lien entre l’exposition au chlordécone et certaines maladies ne sera jamais prouvé à 100 % pour plusieurs raisons, et d’abord parce que le cancer de la prostate en particulier a des origines multifactorielles. Mais si l’on ne peut pas prouver formellement le lien de cause à effet, le lien de présomption en revanche est très fort : nous savons que toutes les populations de Guadeloupe et de Martinique présentent un taux de cancer de la prostate beaucoup plus élevé que dans l’hexagone – pratiquement deux fois plus élevé. On a donc bien montré que c’est un facteur déterminant dans la survenue du cancer de la prostate en particulier.

Monsieur Potier, nous avons effectivement conduit des auditions communes, et je vous remercie pour votre accompagnement et votre présence régulière. Il est en effet important de dissocier les deux propositions de loi, surtout quand on voit le sort qui a été réservé à celle que vous avez rapportée ce matin… En effet, madame Gaillot, votre groupe a supprimé la possibilité de réparation intégrale de toutes les victimes environnementales. Du coup, il ne reste pas grand-chose dans cette proposition de loi. Ce fonds d’indemnisation ne peut donc en aucun cas concerner des victimes qui sont des travailleurs agricoles pour l’essentiel et non des victimes environnementales. Les professionnels de la pêche par exemple ont subi un préjudice important, des cultivateurs ne peuvent plus exploiter leurs terres, considérablement dépréciées, et des éleveurs ne peuvent plus exercer leur activité. Il sera très difficile d’imaginer que les victimes du chlordécone puissent bénéficier du fonds d’indemnisation dont vous avez adopté le principe ce matin, mais en le vidant de sa substance.

Je remercie Mme Sanquer de son accompagnement.

Madame Benin, nous portons le même combat, nous connaissons les difficultés et la souffrance de nos populations. Tous les jours, nous devons leur expliquer pourquoi il faut modifier nos habitudes alimentaires et consommer des produits venant de l’extérieur, peut-être plus nocifs pour notre santé que ceux que nous ne pouvons plus cultiver. Il serait dommage que nous ne puissions pas, après l’engagement du Président de la République d’entamer un processus de réparation, convenir ici de l’importance et de l’obligation de créer un fonds, les modalités de fonctionnement et de financement pouvant être revues et amendées.

Je suis surprise enfin de constater que le groupe majoritaire n’a déposé aucun amendement sur ce texte. J’aimerais comprendre pourquoi ; cela nous aurait permis de savoir comment il imagine un tel fonds.

La commission en vient à l’examen des articles de la proposition de loi.

Article 1er
Principe de reconnaissance des préjudices subis du fait de l’usage du chlordécone

La commission est saisie de l’amendement AS4 de Mme Josette Manin.

Mme Josette Manin. Mon amendement AS4 vise à souligner que la contamination des terres agricoles en Martinique et en Guadeloupe, a entraîné une dépréciation significative de leur valeur, ce qui les rend difficilement cessibles et encore moins exploitables à des fins agricoles. Il est donc important que la présente proposition de loi reconnaisse le préjudice matériel généré par l’usage direct ou indirect – par l’effet du ruissellement, de mouvements de terrain, etc. – du chlordécone et du paraquat pour les propriétaires de foncier agricole et pour le secteur agricole de façon générale, alors que la surface agricole utile ne cesse de diminuer dans ces territoires.

Mme Hélène Vainqueur-Christophe, rapporteure. Avis favorable.

En reconnaissant un préjudice économique, on inclut bien entendu la dimension matérielle. La dépréciation de la valeur d’un terrain, pour un exploitant ou un particulier, constitue à l’évidence un préjudice économique. Mais la précision peut aussi avoir une valeur de symbole et compléter ultérieurement la déclaration de responsabilité.

M. Serge Letchimy. J’apporte, bien évidemment, tout mon soutien à Hélène Vainqueur-Christophe et je profite de cet amendement, que je voterai, pour vous donner un chiffre. En Martinique, la moitié des 24 000 hectares de surface agricole utile (SAU) est « chlordéconée ». Autrement dit, pratiquement 50 % des terres sont empoisonnées à des degrés divers. Cela montre la gravité de la situation et l’importance d’avoir un regard beaucoup plus large, conformément à la volonté et à la décision du Président de la République de reconnaître ce malheur et d’engager un processus de réparation. Il n’est pas bon de découper ce qu’on peut appeler les indemnisations et de les limiter aux ouvriers agricoles, même si ce serait déjà un pas extrêmement important. C’est le secteur économique d’une manière générale qui doit en bénéficier : rappelons que la pêche, notamment à la langouste, est interdite sur la moitié des façades maritimes de la Martinique, ce qui pénalise considérablement les pêcheurs. C’est pourquoi je considère que la majorité devrait ouvrir des perspectives d’indemnisation beaucoup plus globales.

La commission adopte l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement AS7 de Mme Josette Manin.

Mme Josette Manin. C’est un amendement rédactionnel. La jurisprudence de la Cour de cassation – arrêt du 25 septembre 2012 – et le code civil ont introduit au cours de cette dernière décennie le principe du « préjudice écologique » dans le droit français. Mon amendement AS7 vise donc à se conformer à la formulation juridique privilégiée dans le droit public et le droit pénal français. C’est pourquoi je propose de remplacer le mot « environnemental » par le mot « écologique ».

Mme Hélène Vainqueur-Christophe, rapporteure. Avis favorable. Cette précision terminologique est la bienvenue.

La commission adopte l’amendement.

La commission examine l’amendement AS1 de Mme Justine Benin.

Mme Justine Benin. Je vous propose de reconnaître dans la loi le fait que le chlordécone est un perturbateur endocrinien ayant des effets toxiques. Même si l’usage de ce produit est interdit depuis 1993, il est important que cela apparaisse noir sur blanc dans le présent texte. Nous sommes restés trop longtemps dans le déni au sujet des conséquences du chlordécone.

Mme Hélène Vainqueur-Christophe, rapporteure. Je demande le retrait de cet amendement. Nous sommes tous d’accord pour dire que le chlordécone est un perturbateur endocrinien et que cette molécule a un caractère toxique. Cependant, c’est à la science et non à la loi de l’établir. Il serait dangereux de laisser la loi se substituer à la science pour définir ce qui est toxique ou non, et ce qui est un perturbateur endocrinien ou non. Laissons la science définir les dangers du chlordécone.

L’amendement AS1 est retiré.

La commission rejette ensuite l’article 1er modifié.

Après l’article 1er

La commission est saisie de l’amendement AS14 de la rapporteure.

Mme Hélène Vainqueur-Christophe, rapporteure. Cet amendement permettra de mettre en œuvre dans notre droit un engagement pris par le Président de la République le 27 septembre 2018, qui consiste à instaurer une procédure pour reconnaître les pathologies liées à l’exposition au chlordécone au titre des maladies professionnelles.

Mme Albane Gaillot. Le groupe La République en Marche votera contre cet amendement. La reconnaissance des affections provoquées par l’exposition au chlordécone en tant que maladies professionnelles a été envisagée par le Président de la République, et une priorité a bien été donnée au chlordécone au sein des travaux de révision des tableaux concernés. Je pense que l’on doit faire confiance à l’avancée de ces travaux. En ce qui concerne le calendrier, une étude de l’ANSES est attendue pour mars prochain, suivie d’une étude de l’INSERM. Je pense qu’il faut attendre ces rapports.

La commission rejette l’amendement.

Article 2
Champ des personnes éligibles au dispositif d’indemnisation

La commission examine l’amendement AS8 de Mme Josette Manin.

Mme Josette Manin. Il est important que ce texte prévoie une indemnisation pour les personnes souffrant d’un handicap, tel que défini par l’article 2, alinéa 1, de la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, à la suite d’une exposition directe ou indirecte au chlordécone ou au paraquat.

Selon le plan d’action contre la pollution par le chlordécone en Guadeloupe et en Martinique, dit « plan chlordécone », et les résultats des études récentes de Santé publique France et de l’ANSES, l’exposition prolongée à ce pesticide peut avoir des conséquences néfastes sur le système nerveux ou le système hormonal, mais aussi altérer la motricité. Si dégénérescence du système nerveux il y a, elle peut provoquer un handicap. L’amendement AS8 vise à inclure ces cas de figure dans la liste des possibilités d’indemnisation.

Mme Hélène Vainqueur-Christophe, rapporteure. Cette précision ne me semble pas bénéfique. Le handicap subi par les victimes du chlordécone est une conséquence de leur pathologie : elle est donc prise en compte et indemnisée à ce titre. Lister toutes les pathologies et tous les préjudices risque d’avoir un effet contraire à celui que vous cherchez à obtenir, car il peut toujours y avoir des oublis dans la loi. Il convient de privilégier une approche globale : la proposition de loi vise à réparer tous les préjudices causés par le chlordécone, handicap inclus. C’est pourquoi je vous propose de retirer votre amendement.

L’amendement est retiré.

La commission est ensuite saisie de l’amendement AS2 de Mme Justine Benin.

Mme Justine Benin. Amendement de clarification : les ayants droit qui peuvent prétendre à une réparation sont bien ceux d’un parent décédé en raison d’une exposition au chlordécone.

Mme Hélène Vainqueur-Christophe, rapporteure. J’émets un avis favorable. La précision selon laquelle seuls les ayants droit d’une personne décédée peuvent obtenir une réparation est utile.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle rejette l’article 2.

Article 3
Création et organisation du Fonds d’indemnisation des victimes du chlordécone et du paraquat

La commission examine, en discussion commune, les amendements AS17 de la rapporteure et AS9 rectifié de Mme Josette Manin.

Mme Hélène Vainqueur-Christophe, rapporteure. L’amendement AS17 propose que le conseil d’administration du fonds d’indemnisation présente un rapport annuel qui permettra au Gouvernement et au Parlement de suivre les activités du fonds.

Mme Josette Manin. Notre amendement AS9 rectifié vise à faciliter le contrôle du Fonds d’indemnisation par les parlementaires et le Gouvernement afin de garantir un processus d’indemnisation aussi optimal et transparent que possible et un emploi vertueux de l’argent public qui sera alloué à la réparation des préjudices.

La présentation d’un rapport annuel et la conclusion d’un contrat d’objectifs et de performance permettront de restaurer la confiance des administrés et des professionnels envers l’État et les parlementaires martiniquais et guadeloupéens, dont l’image et l’action ont été largement altérées par le scandale et la gestion de la crise.

Mme Hélène Vainqueur-Christophe, rapporteure. Je vous propose de retirer votre amendement. Celui que j’ai déposé demande qu’un rapport soit remis chaque année au Parlement et au Gouvernement. Quant à l’éventualité d’un contrat d’objectifs et de performance, celui-ci devra être signé par les parties prenantes à son financement, dans des conditions déterminées par décret.

L’amendement AS9 rectifié est retiré.

Puis la commission adopte l’amendement AS17 de la rapporteure.

Elle est ensuite saisie de l’amendement AS16 de la rapporteure.

Mme Hélène Vainqueur-Christophe, rapporteure. Il s’agit de préciser le rôle de la commission scientifique autonome : elle sera chargée de rendre un avis sur les méthodes pouvant être mises en œuvre pour dépolluer les sols et les eaux de Guadeloupe et de Martinique ainsi que sur les conditions de leur utilisation.

La commission adopte l’amendement.

Puis elle rejette l’article 3 modifié.

Article 4
Procédure de détermination de l’existence d’un préjudice
indemnisable par le fonds

La commission examine l’amendement AS11 de Mme Josette Manin.

Mme Josette Manin. Il est important, je l’ai dit, que ce texte prévoie une indemnisation pour les personnes souffrant d’un handicap consécutif à une exposition directe ou indirecte au chlordécone ou au paraquat. Tel est l’objet de cet amendement.

Mme Hélène Vainqueur-Christophe, rapporteure. Nous l’avons déjà examiné tout à l’heure. Je vous demande donc de le retirer.

M. Serge Letchimy. J’aimerais que la majorité m’explique la cruauté de ses votes : elle adopte des amendements, mais rejette ensuite les articles amendés… Est-ce une procédure obligatoire ou une humiliation que vous nous faites subir ?

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. Il ne faut pas prendre la situation ainsi. C’est un effet du débat parlementaire…

Mme Albane Gaillot. N’y voyez aucune cruauté de la part du groupe La République en Marche. J’ai expliqué tout à l’heure notre position : nous voulons que les victimes du chlordécone soient prises en charge dans le cadre du fonds d’indemnisation qui a été adopté ce matin. C’est pour cette raison que nous votons contre les articles de cette proposition de loi. Je rappelle qu’il y a beaucoup de choses en cours avec ce fonds et l’élaboration du plan chlordécone IV, mais aussi dans le cadre des rapports de l’ANSES et de l’INSERM. D’où nos votes.

L’amendement AS11 est retiré.

Puis la commission rejette l’article 4.

Après l’article 4

La commission est saisie de l’amendement AS6 de Mme Justine Benin.

Mme Justine Benin. Je vous propose que l’on évalue les efforts réalisés par l’État pour l’accompagnement social et la reconversion professionnelle des victimes du chlordécone et du paraquat. Les professionnels exposés à ces pesticides toxiques sont majoritairement des agriculteurs ou des travailleurs agricoles, souvent peu qualifiés. Il est important qu’un accompagnement social et une aide à la reconversion professionnelle soient mis en place de manière spécifique, au titre de la reconnaissance d’une maladie professionnelle. Je demande qu’un rapport soit remis chaque année aux parlementaires, notamment ceux qui sont membres de la délégation aux outre-mer, afin d’évaluer la politique suivie dans ce domaine. Ce sera un premier outil pour mesurer ce qui doit être amélioré et avancer vers des solutions pour ces personnes en grande souffrance.

Mme Hélène Vainqueur-Christophe, rapporteure. Je vous propose de retirer cet amendement. La reconversion professionnelle et l’accompagnement social des personnes indemnisées au titre d’une maladie professionnelle liée à l’exposition au chlordécone et au paraquat ne font pas partie des missions du fonds d’indemnisation. Il revient aux organismes chargés de réinsérer les accidentés du travail ou les handicapés d’aider, dans leur vie professionnelle, les personnes concernées.

L’amendement est retiré.

Article 5
Régime de prescription

La commission rejette l’article 5.

Article 6
Présentation des offres d’indemnisation et paiement par le fonds

La commission rejette l’article 6.

Article 7
Exonération des indemnisations de l’impôt sur le revenu

La commission rejette l’article 7.

Article 8
Droit d’action en justice des demandeurs contre le fonds

La commission rejette l’article 8.

Article 9
Recours du fonds contre des tiers (actions subrogatoires)

La commission rejette l’article 9.

Après l’article 9

La commission examine l’amendement AS5 de Mme Justine Benin.

Mme Justine Benin. Cet amendement ajoutera au texte de cette proposition de loi une disposition inspirée de la loi relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français de 2010 : nous demandons une évaluation de la loi dans le temps, au moyen d’une commission consultative de suivi rassemblant l’ensemble des acteurs concernés. Cette commission, qui se réunira au moins deux fois par an, permettra de suivre les impacts de la mise en œuvre du Fonds d’indemnisation des victimes du chlordécone et du paraquat et pourra faire des propositions aux ministres compétents s’il apparaît nécessaire d’apporter des précisions ou de modifier certaines dispositions réglementaires pour assurer la réparation des préjudices subis par les victimes du chlordécone et du paraquat.

Mme Hélène Vainqueur-Christophe, rapporteure. J’émets un avis favorable, même si cet amendement risque de faire doublon avec le conseil d’administration du fonds.

La commission rejette l’amendement.

Article 10
Modalités de financement du fonds

La commission est saisie de l’amendement AS15 de la rapporteure.

Mme Hélène Vainqueur-Christophe, rapporteure. Mon amendement AS15 vise à prendre en compte une des recommandations du rapport remis en janvier 2018 par une mission conjointe de l’inspection générale des affaires sociales, de l’inspection générale des finances et du conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux. Celui-ci propose que le financement du fonds reflète les responsabilités des acteurs via une mise à contribution des firmes phytopharmaceutiques reposant sur un accroissement de la taxe annuelle perçue sur le chiffre d’affaires de leurs ventes – un taux de 1,5 % permettrait de dégager 25 millions d’euros par an sans pour autant remettre en cause le financement de la phytopharmacovigilance dont est chargée l’ANSES.

M. Serge Letchimy. J’ai horreur de me sentir humilié. Vous refusez la création d’un fonds propre à la Martinique et à la Guadeloupe pour indemniser les victimes du chlordécone et vous renvoyez l’application de la décision prise par le Président de la République à la proposition de loi rapportée par Dominique Potier, que vous avez émasculée (Sourires) et qui ne tiendra pas la route. C’est un texte déjà mort – je ne sais pas ce qu’on en fera.

Je suis extrêmement déçu. Quand le président Macron a fait son annonce devant moi, à la Résidence préfectorale de Fort-de-France, je l’ai applaudi alors que je ne suis pas de la même tendance politique que lui. Je lui ai dit qu’il avait du courage : personne ne l’avait fait avant lui. Maintenant, il faut que la majorité soit claire et qu’elle assume ce qu’elle fait. Elle refuse une indemnisation des victimes du chlordécone. Il y a des gens qui meurent d’affections de la prostate, qui n’ont pas d’enfants ou ont des enfants handicapés, avec des malformations génitales, et des milliers d’hectares pollués en Martinique et en Guadeloupe.

Mme Vainqueur-Christophe, qui est une femme remarquable et que nous connaissons bien, propose quelque chose d’important. Ce n’est pas une question de majorité, mais de santé publique. Je suis vraiment déçu et dégoûté par votre refus.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle rejette l’article 10.

Article 11
Modalités d’application et dispositions transitoires

La commission rejette l’article 11.

Article 12
Gage de recevabilité

La commission rejette l’article 12.

Mme la présidente Brigitte Bourguignon. L’ensemble des articles de la proposition de loi ayant été rejeté, le texte est considéré comme rejeté par la commission.

Mme Hélène Vainqueur-Christophe, rapporteure. Nous ne sommes pas surpris par le résultat des votes, ni par la démarche suivie. Depuis ce matin, vous avez démontré votre volonté de vider de tout contenu les textes présentés par les députés socialistes. Vous avez admis de grands principes, avec la création d’un fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques, et vous voulez inclure dans ce cadre les victimes du chlordécone. Je vous invite à réécouter attentivement le texte de l’article 1er de la proposition de loi que j’ai déposée : « La République française reconnaît le préjudice sanitaire, environnemental et économique subi par les territoires de Guadeloupe et de Martinique et leurs populations résultant de l’usage comme insecticide agricole du chlordécone. » En votant contre cet article, vous n’avez pas reconnu le préjudice subi. Vous devrez assumer la responsabilité liée à ce vote.

L’ensemble des articles de la proposition de loi ayant été rejetés, le texte est considéré comme rejeté par la commission.

En conséquence, aux termes de l’article 42 de la Constitution, la discussion en séance publique aura lieu sur le texte initial de cette proposition de loi.