N° 1788

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 20 mars 2019.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI, ADOPTÉ PAR LE SÉNAT, autorisant la ratification du protocole additionnel
de Nagoya-Kuala Lumpur sur la responsabilité et la réparation
relatif au protocole de Carthagène sur la prévention
des risques biotechnologiques,

PAR Mme Bérengère POLETTI

Députée

——

ET

ANNEXE : TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

 

 Voir les numéros :

Assemblée nationale : 1391.

Sénat : 704 (20172018), 48, 49 et T.A. 17 (20182019).


 

 


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SOMMAIRE

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Pages

introduction

I. OVM et préservation de la biodiversité : État des lieux et évolution des négociations internationales

A. culture et utilisation des OVM dans le monde et en europe : un bref état des lieux

1. La culture des OVM à travers le monde : une concentration des producteurs et des espèces cultivées

2. L’Union européenne a la réglementation la plus protectrice au monde en matière d’OVM

B. OGM et préservation de la biodiversité : négociations internationales et enjeux

1. L’édification progressive de normes internationales visant à protéger la biodiversité face aux OVM

2. Atteintes à la biodiversité liées aux OVM : des risques connus, des effets pas toujours bien évalués

II. Les apports du protocole additionnel de Nagoya-Kuala Lumpur

A. Le contexte de négociation

1. Les principales positions en présence

2. La position française

B. Les clauses du protocole

1. Mise en place d’un système de responsabilité administrative contraignant en cas de dommages à la biodiversité liés à des mouvements transfrontières d’OVM

2. Les mesures laissées à la libre appréciation des États : exemptions, délais, garantie financière et responsabilité civile

3. Entrée en vigueur et application du protocole additionnel

C. La portée pour la France

1. La ratification du protocole n’implique aucune modification du droit interne

2. L’horizon : promouvoir les standards européens de protection face aux risques liés aux OGM

conclusion

TRAVAUX DE LA COMMISSION

ANNEXE  texte adoptÉ par la commision

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES PAR LA RAPPORTEURE


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   introduction

 

La Commission des Affaires étrangères est appelée à se prononcer sur le projet de loi autorisation la ratification du protocole additionnel de Nagoya-Kuala Lumpur, qui porte sur la responsabilité et la réparation des dommages à la biodiversité liés aux mouvements transfrontières d’organismes vivants modifiés (OVM).

Ce protocole additionnel, conclu le 15 octobre 2010, découle naturellement du protocole de Carthagène de 2000 sur la prévention des risques biotechnologiques, auquel il se rapporte. Le protocole de Carthagène a établi une réglementation internationale pour le transfert, la manipulation et l’utilisation des OVM, afin d’éviter qu’ils ne portent atteinte à la biodiversité. Ce protocole est lui-même un complément à la convention sur la diversité biologique de Rio de Janeiro, adoptée le 22 mai 1992.

Le protocole de Carthagène n’avait pas pu déboucher sur la question de la responsabilité et de la réparation des dommages en cas d’atteinte à la biodiversité liées à des mouvements d’OVM. C’est précisément la vocation du protocole additionnel de Nagoya-Kuala Lumpur, que nous examinons ici.

Le présent texte ne porte que sur les organismes vivants modifiés (OVM), qui sont une sous-catégorie des organismes génétiquement modifiés (OGM). Les OVM sont des semences, plantes ou boutures, animaux et micro-organismes génétiquement modifiés, susceptibles de se reproduire et de se disséminer dans l’environnement, alors que le terme OGM inclut également les produits génétiquement modifiés prêts à la consommation, qui ne sont plus vivants (farines, aliments cuisinés). Ce sont donc bien les OVM qui sont susceptibles de porter des atteintes à la biodiversité, par leur capacité à se disséminer et à se reproduire. 

Le protocole additionnel de Nagoya-Kuala Lumpur est en tous points conforme à la réglementation européenne, qui est la plus exigeante au monde s’agissant des OGM. Cette réglementation s’appuie sur un principe de précaution concernant la production et l’utilisation des OGM, et sur un principe de pollueur-payeur dans le cas d’atteintes à l’environnement. C’est également la philosophie du protocole de Nagoya-Kuala Lumpur, qui impose aux États de contraindre les opérateurs manipulant des OVM sur leur territoire à prendre des « mesures d’intervention » (prévention et réparation) en cas d’atteinte à la biodiversité. 

La France a totalement interrompu la culture d’OVM depuis 2008, et les expérimentations au champ depuis 2013. Ainsi, dans notre pays, les atteintes à la biodiversité liées à des OVM ne peuvent venir que de contaminations fortuites, aux frontières ou via des semences importées, ou encore de mises sur le marché frauduleuses. En tout état de cause, ces atteintes demeurent limitées. Par ailleurs, notre droit interne est déjà conforme aux clauses du présent protocole, en application de la réglementation européenne. En réalité, avec la ratification de ce protocole, l’enjeu, pour notre pays, réside dans la promotion, à l’échelle internationale, des réglementations européennes en matière d’OGM.

Un travail important reste à accomplir de ce point de vue. À l’heure actuelle, aucun des gros producteurs d’OVM (États-Unis, Brésil, Argentine, Canada, Inde notamment) n’est partie au protocole de Nagoya-Kuala Lumpur. Et une partie de la communauté scientifique soutient que les OVM seront, à terme, indispensables pour parvenir à nourrir la planète, en raison de l’explosion démographique dans les pays en développement. La France doit donc se faire l’avocate de l’application d’un principe de précaution pour les OGM et d’une responsabilisation effective en cas de dommages, mais elle doit aussi faire progresser ses connaissances scientifiques sur les biotechnologies – c’est là l’autre pilier du principe de précaution, qui n’impose que de suspendre l’action, en l’absence de certitudes scientifiques.

Le protocole additionnel de Nagoya-Kuala Lumpur est entré en vigueur en mars 2018, 40 États l’ayant ratifié. Cela a incité la France à accélérer sa propre procédure de ratification. Le Sénat, saisi en premier, l’a approuvé en novembre 2018. La rapporteure estime que l’Assemblée nationale devrait également voter en faveur d’un texte dont les clauses sont en accord avec notre législation interne et avec nos préoccupations relativement aux OGM.


I.   OVM et préservation de la biodiversité : État des lieux et évolution des négociations internationales

Le développement des biotechnologies et les applications possibles dans le domaine des organismes vivants modifiés (OVM) ont, dès les années 1990, suscité d’intenses débats entre ceux qui y voyaient un progrès et ceux qui y voyaient un risque. Face à cette situation, les pays ont adopté des stratégies parfois diamétralement opposées : certains États, en particulier américains, se sont résolument tournés vers la culture des OVM, tandis que d’autres, singulièrement en Europe, ont fait primer un principe de précaution (A).

Dans ce contexte, il est apparu nécessaire de réglementer, à l’échelle internationale, le transfert des OVM, afin d’éviter qu’il n’ait des effets négatifs sur la diversité biologique à travers le monde (B). 

A.   culture et utilisation des OVM dans le monde et en europe : un bref état des lieux

1.   La culture des OVM à travers le monde : une concentration des producteurs et des espèces cultivées

Le rapport de nos collègues sénateurs ([1]) indique que des plantes OVM ont été cultivées dans 24 pays en 2017, sur une surface de 190 millions d’hectares. Quelques grands producteurs concentrent l’essentiel des surfaces cultivées (90 % du total) : États-Unis (75 millions d’hectares), Brésil (50 millions d’hectares), Argentine (24 millions d’hectares), Canada (13 millions d’hectares), Inde (11 millions d’hectares) ([2]). Plus de 85 % des parcelles d’OVM se situent sur le continent américain. Globalement, la superficie des surfaces cultivées d’OVM tend à s’accroître.

La culture des OVM concerne principalement 4 espèces : le soja (50 % des surfaces), le maïs (31 %), le coton (13 %) et le colza (5 %). En proportion, pour ces espèces, les surfaces cultivées sont substantielles. D’autres OVM sont cultivés plus ponctuellement : luzerne, betterave sucrière, pomme de terre, aubergine, courgette, papaye, tabac, tomate, pomme, melon, chicorée, riz, blé… En général, les OVM cultivés présentent soit une tolérance aux herbicides, soit une résistance aux insectes ravageurs, soit encore une combinaison de ces caractères.

S’agissant des pays importateurs d’OVM, leur identification est difficile car le caractère génétiquement modifié n’est pas un critère dans les statistiques d’import/export. On sait néanmoins qu’en 2017, 67 pays ont délivré des autorisations de mise sur le marché d’OVM.

2.   L’Union européenne a la réglementation la plus protectrice au monde en matière d’OVM 

En matière de culture et d’utilisation d’OVM, l’Union européenne applique, depuis les années 1990, un principe de précaution ([3]). En vertu de ce principe, l’Union européenne n’autorise la culture que d’un seul OVM, le maïs MON 810, principalement cultivé en Espagne, dans une moindre mesure au Portugal. Cet OVM présente une résistance aux insectes ravageurs.

Quant à la France, elle n’autorise aucune culture d’OVM, que ce soit à titre commercial ou expérimental. Le maïs MON810 avait été cultivé en 2007, avant d’être interdit par un moratoire toujours en vigueur. Et les essais d’OVM au champ ont été définitivement interrompus en 2013, bien qu’ils restent possibles dans l’Union européenne, à condition d’être préalablement autorisés, sur la base d’une évaluation des risques.

L’Union européenne n’interdit pas l’utilisation des OVM sur son territoire, mais elle la réglemente fortement. Toute commercialisation d’OVM doit ainsi faire l’objet d’une autorisation préalable des autorités de sécurité sanitaire nationales et de la Commission européenne. Les autorisations de mise sur le marché délivrées sont ensuite valables dans toute l’Union européenne. Selon les estimations de la Commission, sur la période 2013-2015, l’Union européenne aurait importé 30 millions de tonnes de soja génétiquement modifié, ce qui représente 85 % des importations de soja. Les proportions sont plus modestes s’agissant des autres OVM importés (maïs, colza).

Quant à la France, elle importe environ 4 millions de tonnes de plantes transgéniques par an, notamment du soja américain, du maïs destiné à l’alimentation animale et des grains de colza pour la transformation.  

B.   OGM et préservation de la biodiversité : négociations internationales et enjeux

1.   L’édification progressive de normes internationales visant à protéger la biodiversité face aux OVM

La convention sur la diversité biologique de Rio, conclue en 1992, aborde dans son article 19 les questions relatives aux biotechnologiques, alors appréhendées à la fois sous un angle positif (progrès de la recherche et partage de ses fruits) et négatif (prévention des risques à la biodiversité). Le paragraphe 3 stipule en particulier que les parties devront se pencher sur l’utilité d’un protocole « définissant les procédures appropriées dans le domaine du transfert, de la manutention et de l'utilisation en toute sécurité de tout organisme vivant modifié résultant de la biotechnologie qui risquerait d'avoir des effets défavorables sur la conservation et l'utilisation durable de la diversité biologique ».

C’est précisément l’objet du protocole de Carthagène sur la prévention des risques biologiques, adopté le 29 janvier 2000. Celui-ci établit un système réglementaire complet visant à assurer le transfert, la manipulation et l’utilisation sans danger des OVM faisant l’objet de mouvements transfrontaliers, en s’appuyant sur une approche de précaution similaire à celle de l’Union européenne.

Le protocole stipule notamment que le pays exportateur doit informer le pays importateur de son intention d’exporter et lui fournir une évaluation des risques pour la santé et l’environnement associés à la dissémination de l’OVM concerné. L’importation de l’OVM n’est possible qu’avec l’accord préalable de l’État importateur, qui doit pouvoir avoir un avis informé.

Cette procédure est très importante pour les pays en développement, qui n’ont pas toujours une infrastructure réglementaire adaptée. Pour aider ces derniers, le protocole organise un système d’échange d’informations sur les mouvements internationaux d’OVM et sur les décisions nationales, via une base de données globale (le Centre d’échanges pour la biosécurité).

À l’heure actuelle, le protocole de Carthagène a été ratifié par 171 États, dont quelques grands producteurs d’OGM : Brésil et Inde en particulier. Il est entré en vigueur en 2003.

2.   Atteintes à la biodiversité liées aux OVM : des risques connus, des effets pas toujours bien évalués

Les risques associés à la culture et à l’utilisation des OVM font l’objet d’intenses débats au sein de la communauté scientifique. Le protocole de Carthagène identifie plusieurs grandes catégories de risques, liés :

-         À l’impact d’un OVM sur un organisme non ciblé : des OVM sécrétant des toxines résistantes à un insecte peuvent également être toxiques pour des insectes non ciblés.

-         À l’impact indésirable d’un OVM sur un organisme ciblé : par exemple, l’insecte développe une résistance à la toxine produite par l’OVM.

-         À l’impact d’un OVM sur l’écosystème : une plante OVM tolérante à la sécheresse peut devenir invasive dans les milieux concernés.

-         Au transfert de gènes modifiés vers d’autres organismes.

-         À l’instabilité à long terme de l’organisme modifié.

-         À des effets inattendus provenant du cumul de la dissémination de différents OVM et de leurs croisements.

-         À des pratiques agricoles impactant l’environnement : simplification des systèmes de culture, par exemple, en raison de la volonté de favoriser la plante disposant de caractéristiques améliorées.

Bien qu’il n’y ait pas, dans le monde, une évaluation globale et systématique des effets associés aux cultures d’OVM, plusieurs travaux de recherche semblent attester la matérialisation de ces risques dans certains cas. Ainsi, au Brésil, les utilisations de pesticides auraient connu une évolution 3 fois supérieure à celle de la productivité des cultures OVM entre 2003 et 2014 (Almeida, 2017). Aux États-Unis, la diversité des espèces cultivées se serait dégradée de 20 % entre 1987 et 2012 (Alguilar et al., 2015). Dans de nombreux pays, des mauvaises herbes tolérantes au Glyphosate (herbicide utilisé massivement pour la culture du soja OVM qui lui est résistant) se sont développées spontanément.

Il convient pourtant de noter qu’aucun des effets susmentionnés ne peut être imputé exclusivement à l’utilisation d’OVM, même s’ils lui sont fréquemment associés ; ces effets peuvent ainsi être observés dans des régions sans culture d’OVM.


II.   Les apports du protocole additionnel de Nagoya-Kuala Lumpur

A.   Le contexte de négociation

L’article 27 du protocole de Carthagène stipule que les parties au protocole doivent engager, dès leur première réunion, « un processus visant à élaborer des règles et procédures internationales appropriées en matière de responsabilité et de réparation pour les dommages résultant de mouvements transfrontières d'organismes vivants modifiés », en s’efforçant « d'achever ce processus dans les quatre ans ».

Dans les faits, ce processus aura pris 6 ans, la négociation s’étant avérée plutôt difficile, ce que suggérait déjà l’absence de traitement de cette question dans le cadre du protocole de Carthagène.

1.   Les principales positions en présence

Comme le révèle l’étude d’impact, la négociation a fait apparaître des oppositions fortes entre pays producteurs et utilisateurs d’OVM, d’une part, et pays souhaitant maîtriser leur dissémination dans l’environnement ou manquant de capacités pour en assurer le contrôle, d’autre part. Les premiers voulaient contraindre le moins possible le développement des OVM, tandis que les seconds voulaient obtenir la mise en place de mécanismes juridiquement contraignants de responsabilité et de réparation. Plusieurs grands États exportateurs, non parties au protocole de Carthagène (États-Unis, Canada, Argentine) ont tout de même assisté aux négociations au tant qu’observateurs, ce qui a pu leur permettre de peser sur ces travaux. 

Parmi les sujets litigieux, certains pays en développement voulaient étendre le champ du dommage pris en compte dans le cadre du mécanisme de responsabilité et de réparation, notamment aux pertes commerciales liées à l’introduction des OVM (faibles rendements, problèmes de coexistence avec d’autres cultures). À l’inverse, les pays de la première catégorie voulaient restreindre au maximum le champ du dommage, afin que toute modification à la diversité biologique n’entre pas dans cette catégorie.

Différentes positions se sont également opposées sur la nature du système de responsabilité à mettre en place. Un compromis a finalement été trouvé autour d’une approche administrative contraignante et un mécanisme de responsabilité civile laissé à l’appréciation des parties, alors que certains États auraient souhaité un système de responsabilité civile contraignant.

2.   La position française

Au moment de la négociation, la France avait d’ores et déjà mis en place un système de responsabilité environnementale applicable aux OVM, en transposant la directive européenne de 2004 sur la responsabilité environnementale en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages environnementaux (2004/35/CE). Cette directive instaure un mécanisme de responsabilité administrative visant à prévenir et réparer les dommages environnementaux, en application du principe pollueur-payeur.

Ainsi, la France, de même que les autres États membres de l’Union européenne, a cherché à obtenir la reconnaissance internationale de ce type d’approche administrative contraignante. Il convient d’ailleurs de noter que les négociations ont été conduites par la Commission européenne, s’agissant d’une compétence communautarisée.

La France n’était pas favorable à l’instauration d’un système spécifique de responsabilité civile contraignant, car son droit interne offre déjà des mécanismes d’engagement de la responsabilité civile en cas de préjudice écologique ou de dommage environnemental, y compris dans le cadre d’actions de groupe.

Globalement, les clauses négociées dans le cadre du protocole de Nagoya sont conformes aux préoccupations de l’Union européenne, et, en son sein, de la France.

B.   Les clauses du protocole

Compromis entre les positions des différents groupes d’États, le protocole de Nagoya Kuala-Lumpur instaure un mécanisme juridiquement contraignant de responsabilité administrative en cas de dommages avérés ou imminents liés à des OVM (1). Certains États auraient souhaité qu’il aille plus loin en prévoyant également des mécanismes contraignants de garantie financière et de responsabilité civile. Ces possibilités sont laissées à la libre appréciation des États (2).

1.   Mise en place d’un système de responsabilité administrative contraignant en cas de dommages à la biodiversité liés à des mouvements transfrontières d’OVM

En vertu de l’article 1er, l’objectif du protocole est de protéger la diversité biologique « en établissant des règles et procédures internationales en matière de responsabilité et de réparation relatives aux organismes vivants modifiés ».

Plus précisément, le protocole a vocation à intervenir dans une situation de « dommage résultant d’OVM trouvant leurs origines dans un mouvement transfrontière » (article 3).

Par « dommage », on entend « un effet défavorable sur la conservation et sur l’utilisation durable de la diversité biologique, en tenant compte des risques pour la santé humaine » (article 2). Cet effet défavorable doit être « mesurable ou autrement observable » et « significatif », et un lien de causalité doit pouvoir être mis en évidence avec l’OVM en question (article 4).

Quels types d’OVM sont concernés ? Il peut s’agir de ceux destinés à être utilisés pour l’alimentation, la transformation, pour un usage confiné, ou encore à être introduits dans l’environnement, dès lors que leur déplacement transfrontière est l’origine d’un dommage tel que défini ci-dessus. L’article 3 précise que les dommages résultant de mouvements transfrontières non intentionnels ou illicites entrent également dans le champ du protocole.

En quoi consiste le système de responsabilité administrative mis en place ? Il est principalement explicité par l’article 5 sur les mesures d’intervention.

Concrètement, lorsqu’un dommage s’est produit, les États doivent exiger des opérateurs (toutes personnes contrôlant directement ou indirectement les OVM (article 2)) qu’ils informent les autorités compétentes sans délai, évaluent le dommage et prennent les mesures d’intervention appropriées.

De son côté, l’autorité compétente doit identifier l’opérateur à l’origine du dommage, évaluer ce dommage et déterminer les mesures d’intervention à prendre. Ses décisions sont motivées et peuvent faire l’objet de recours.

Ces mesures d’intervention peuvent aussi être préventives, dans la situation où il existe « des probabilités suffisantes de survenance de dommage ».

Le protocole prévoit que l’autorité compétente peut être conduite à prendre elle-même les mesures d’intervention qui s’imposent. Dans ce cas, elle se réserve le droit d’en recouvrer les coûts auprès de l’opérateur à l’origine du dommage.

Au total, l’intérêt majeur de ce dispositif est qu’il est contraignant pour les États parties, et qu’il est applicable également pour les mouvements transfrontières d’OVM en provenance d’États tiers, notamment de gros producteurs.

2.   Les mesures laissées à la libre appréciation des États : exemptions, délais, garantie financière et responsabilité civile

Ce régime contraignant de responsabilité administrative peut être assorti d’obligations complémentaires, selon les choix faits par les États. Par exemple, ces derniers peuvent prévoir, dans leur droit interne, « les exemptions qu’ils jugent appropriées » (article 6), mais aussi des délais pour la mise en place et le financement des mesures d’intervention (article 7). Ainsi la directive européenne de 2004 prévoit-elle un délai de prescription de 5 ans pour le recouvrement des coûts relatifs aux mesures d’intervention, ou encore un délai de prescription de 30 ans pour les dommages susceptibles de mettre en branle la responsabilité administrative.

Les États sont également libres de prévoir des limites financières pour le recouvrement des coûts liés aux mesures d’intervention (article 8), et de mettre en place des mécanismes de garantie financière (article 9), afin de permettre aux exploitants de couvrir les responsabilités qui leur incombent au titre du protocole.

Enfin, les États peuvent choisir d’élaborer des règles de responsabilité civile spécifiques afin d’organiser, dans leur droit interne, la compensation du dommage. Ils peuvent également tout à fait s’appuyer sur leur droit interne existant, et notamment sur les règles et procédures générales applicables à la responsabilité civile. C’est le choix que fera la France, qui dispose déjà de règles permettant de traiter efficacement ces dommages sur le plan civil.

3.   Entrée en vigueur et application du protocole additionnel

Le protocole doit entrer en vigueur le 90ème jour suivant la date de dépôt du 40ème instrument de ratification (article 18) ; ce critère a été rempli au mois de mars 2018.

Après son entrée en vigueur, il fait l’objet d’un réexamen tous les 5 ans (article 13). La Conférence des parties au protocole de Carthagène fait office de réunion des parties pour le présent protocole, afin d’en suivre l’application. La première réunion des parties a ainsi eu lieu en novembre 2018, et la prochaine doit se tenir en 2020.

Deux ans après son entrée en vigueur, le protocole additionnel peut être dénoncé par l’une des parties, par notification écrite au dépositaire. Cette dénonciation est effective passé un délai d’un an après la notification.

C.   La portée pour la France

1.   La ratification du protocole n’implique aucune modification du droit interne

La ratification par la France du protocole additionnel de Nagoya-Kuala Lumpur n’implique aucune modification de notre droit interne, ainsi que le souligne l’étude d’impact.

En application de la directive européenne de 2004 sur la responsabilité environnementale (2005/35/CE), la France a mis en place un dispositif de prévention et de réparation de certains dommages causés à l’environnement au titre VI du Livre 1er du code de l’environnement. Ces dommages peuvent notamment être liés à l’utilisation confinée d’OVM, à leur dissémination volontaire, ou encore à leur transport.

Notre dispositif est plus exigeant encore que celui prévu par le protocole. Par exemple, outre les mesures d’intervention pour faire cesser le dommage, notre droit ouvre la possibilité de mesures compensatoires des pertes intermédiaires de ressources naturelles ou de services entre la date du dommage et la date à laquelle la réparation produit son effet.

Il convient de noter que le dispositif français ne prévoit pas de garanties financières pour les exploitants, au cas où leur responsabilité serait mise en cause. C’est une possibilité ouverte par le protocole, en réponse à la demande des pays émergents.

En France, il faut sans doute reconnaître qu’un tel mécanisme ne se justifie pas, dans la mesure où les risques d’atteinte à la biodiversité par la contamination fortuite de semences d’OVM importées sont assez faibles, en l’absence de cultures locales.

Cela ne signifie pas que ces risques sont inexistants. Les services du ministère de l’agriculture ont ainsi fait état d’une contamination très récente d’un lot de semences de colza importé d’Argentine par des OVM. Il s’agissait d’une pollution de faible ampleur : 0,05 % du lot était concerné. Néanmoins des mesures ont immédiatement été prises pour identifier l’entreprise responsable du dommage, et localiser et détruire les parcelles concernées.

2.   L’horizon : promouvoir les standards européens de protection face aux risques liés aux OGM

Pour la France, l’intérêt principal de ce protocole additionnel est qu’il contribue à promouvoir, à l’échelle internationale, une réglementation en matière d’OVM dont le niveau d’exigence se rapproche de celui de l’Union européenne. C’est d’ailleurs l’un des arguments qui ont convaincu le Gouvernement de lancer sans tarder la procédure de ratification, maintenant que le protocole est en vigueur. La France veut contribuer à défendre un système de normes inspiré du principe de précaution, qui irrigue sa propre législation.

Les services ministériels rapportent également qu’en ratifiant, la France voulait pouvoir être associée aux premières réunions des parties au protocole, qui doivent notamment approfondir, conformément à l’article 13 du protocole, les questions relatives aux mécanismes de garanties financières pour les exploitants et à la responsabilité civile.

L’entrée en vigueur du traité recouvre donc, pour la France et l’Europe, un enjeu d’influence, mais aussi un enjeu économique : en internalisant les potentiels coûts externes liés à la production d’OVM, le mécanisme de responsabilité instauré par le traité devrait réduire d’autant les avantages comparatifs dont peuvent bénéficier les producteurs d’OVM. La limite principale est évidemment que ces producteurs ne sont pas partie au protocole additionnel et n’ont probablement pas l’intention de le devenir. En promouvant une ratification la plus large possible, nous pouvons néanmoins faire de ce traité une nouvelle norme reconnue de l’ordre international.


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   conclusion

 

Le protocole additionnel de Nagoya-Kuala Lumpur est le prolongement naturel du protocole de Carthagène sur la prévention des risques biotechnologiques, qui n’avait pas pu aboutir sur la question de la réparation et de la responsabilité en cas de dommages.

Ce protocole additionnel applique un principe de pollueur-payeur pour les dommages à la biodiversité liés à des mouvements transfrontières d’organismes vivants modifiés (OVM). Cette philosophie est en tous points conforme avec la réglementation mise en place au sein de l’Union européenne, à la fois sur les OVM et sur les atteintes à l’environnement. Les exigences portées par le protocole additionnel demeurent moindres que celles de notre réglementation interne.

Au bénéfice de ces observations, la rapporteure encourage les députés à voter en faveur de l’approbation du présent protocole.

 


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   TRAVAUX DE LA COMMISSION

Au cours de sa réunion du mercredi 20 mars matin, la Commission examine le présent projet de loi.

Après l’exposé de la rapporteure, une discussion s’engage.

Mme Laetitia Saint-Paul. Puisque je sais votre compétence en la matière, pouvez-vous nous dire quels sont les plus gros exploitants de produits OVM à travers le monde ?

Mme Bérengère Poletti, rapporteure. Les plantes OVM ont été cultivées dans 24 pays en 2017, pour une surface de 190 millions d’hectares. Quelques grands producteurs concentrent l’essentiel des surfaces cultivées soit 90 % au total : les États-Unis, qui sont les champions (75 millions d’hectares), le Brésil (50 millions), l’Argentine (24 millions), le Canada, (13 millions) et l’Inde (11 millions). Ajoutons que 85 % des surfaces cultivées d’OVM se situent sur le continent américain. Globalement la superficie d’espaces cultivés OVM tend à s’accroître.

M. Jean-Paul Lecoq. Je pense que c’est une bonne chose d’aborder cette question au sein de notre Commission au moment où la jeunesse de France se mobilise sur la question du climat ; il me semble nécessaire de se mobiliser face aux risques de dissémination des OVM, dont on ne connaît pas les conséquences ultimes. Si la France a interdit dans les années 2007-2012 ces produits, ce n’était pas pour rien. Je salue votre rapport qui arrive quasiment au lendemain du procès de Dijon qui a relaxé les soixante-sept faucheurs volontaires. En France, ils ont joué le rôle de lanceurs d’alertes pour empêcher la propagation des OVM.

Je me pose la question de notre protection face à ce risque dans le cadre des traités commerciaux de nouvelle génération que l’Union Européenne négocie. En réalité, nous ne sommes pas assez protégés. Nous l’avions dit lors des auditions sur le CETA, la Présidente avait d’ailleurs demandé au Ministre Lemoyne des garanties à ce sujet. Je pense que notre pays doit continuer à mettre la pression sur l’Europe.

Quand j’entends que des cultures d’OVM ont lieu en Espagne ou au Portugal, je me demande comment nous pouvons contrôler les risques de dissémination, alors qu’aucune frontière ne nous sépare. Pour être député d’un port, je sais qu’il faut du personnel pour contrôler les échanges ; or les services douaniers au Havre ont cette préoccupation, mais seul un conteneur sur une centaine est contrôlé. Quid des autres ?

Dans le cadre de ce protocole, je perçois l’obligation de réparation essentiellement comme une mesure dissuasive, car en réalité, qui peut dire comment sera réparée l’entrée du frelon asiatique sur notre territoire ? Qui financera la destruction des nids ? Ce sont des questions qui se posent aujourd’hui dans les petits villages. L’importateur de ces frelons asiatiques va-t-il payer dans ces cas-là pour réparer les préjudices causés ? Je ne le pense pas. Je trouve tout de même votre rapport excellent.

Mme Bérengère Poletti, rapporteure. Il est vrai que, concernant le CETA, on nous a expliqué que cette question n’avait pas vraiment pesé, ce qui justifie un certain nombre de réserves de notre part vis-à-vis de ces traités commerciaux, je suis tout à fait d’accord.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Au sujet du contrôle des ports, ajoutons que le problème n’est pas seulement le personnel mais aussi l’harmonisation des règles au niveau européen car, selon les ports, les contrôles ne sont pas les mêmes, les amendes ne sont pas les mêmes. La visite du Président chinois, la question des ports en Italie : ces évènements à venir devraient nous inciter à avancer sur la question de l’harmonisation de ces règles. 

M. Alain David. Je me félicite de l’avancée que représente ce protocole, même si je m’interroge sur sa portée réelle. De grands exportateurs comme les États-Unis, l’Argentine, le Canada, avec qui nous avons un accord de libre-échange, n’ont pas signé ce protocole additionnel : quelle peut donc être sa portée sur le plan global de nos échanges ?

Mme Bérengère Poletti, rapporteure. La portée de la ratification de ce protocole est limitée ; en réalité le droit français nous protège déjà. Cette ratification est donc une formalité. La portée de ce protocole renvoie à la communication que nous voulons diriger vers d’autres pays, notamment les pays en développement. Étant donné l’importance dans les échanges des grands pays producteurs d’OVM, il est vrai que le rapport de force ne nous est pas très favorable, mais il ne faut pas renoncer. L’Union Européenne est un territoire protégé dans l’ensemble, si l’on excepte l’Espagne et le Portugal, où cette protection est un peu plus modérée.

M. Christian Hutin. Merci pour la qualité de ce rapport, qui est d’une précision remarquable. Si j’ai bien compris, le Protocole de Carthagène n’était pas suffisant, et c’est le Protocole de Nagoya-Kuala qui nous permet d’aller plus loin. Je voudrais citer Edgar Pizani qui disait : « le paysan pense que le tracteur travaille pour lui, mais c’est en fait lui qui travaille pour payer le tracteur ». C’est en effet un cercle vicieux dans lequel nous nous trouvons depuis plus de soixante ans : le paysan achète ses semences à une entreprise, qui elle-même a des parts dans la production de tracteurs, qui elle-même à des parts dans le résultat de la récolte, sachant que le paysan achète ses produits de traitement à la même entreprise. Il faudra un jour briser ce cercle vicieux et c’est ce que nous essayons de faire collectivement. Enfin, j’avoue ne pas avoir bien compris la différence entre un OGM et un OVM…

M. Bruno Fuchs. Cet accord a été signé par la France en 2011 ; depuis lors, les champs d’application n’ont-ils pas évolué ? Par ailleurs, je note que, dans le cadre de l’article 6, les Parties peuvent prévoir, dans leur droit interne, les autres exemptions ou mesures d’atténuation qu’elles jugent appropriées. Finalement, si l’on peut déroger aussi facilement à un accord, aussi utile soit-il, n’a-t-il pas une portée finalement extrêmement limitée ?

Mme Bérengère Poletti, rapporteure. Au sujet de la différence OGM/OVM, les OGM incluent des produits qui n’ont pas de capacité de dissémination. Par exemple, une farine qui contient des OGM ; elle doit obligatoirement faire l’objet d’un étiquetage spécifique, mais elle ne présente aucun risque de dissémination sur le territoire, puisqu’elle n’est pas vivante. À l’inverse, les OVM peuvent se disséminer et ont donc un caractère reproductif.

M. Fuchs, je crois que la position de la France a évolué dans le bon sens, puisqu’en 2013, la France a arrêté les expérimentations d’OVM qui étaient jusqu’alors pratiquées. Elles étaient justifiées par le souci de parvenir, à terme, à nourrir la planète, du fait de l’explosion démographique en cours. Vous avez parlé des exemptions ; je n’ai, à mon niveau, aucune connaissance d’exemptions ayant été autorisées en France.

Je crois qu’en France et en Europe, nous pouvons nous satisfaire de l’avancée que représente cet accord, car nous observons les conséquences de ce qui s’est fait dans d’autres pays. Peut-être devons-nous nous donner les moyens de mieux communiquer, notamment en direction des pays en développement, qui sont la cible d‘un certain nombre d’entreprises exportatrices d’OVM. Les enjeux en termes de pédagogie sur la réglementation européenne me semblent importants.

M. Frédéric Barbier. Je trouve que ce rapport nous donne l’occasion d’avoir un débat tout à fait intéressant. Je trouve qu’hélas, s’agissant des OVM comme du reste, nous nous saisissons trop souvent des sujets a posteriori. Comment parvenir à encadrer dès le début des pratiques, qui peuvent avoir des conséquences globales ?

Mme Bérengère Poletti, rapporteure. C’est tout le sujet de ce que peut apporter la communauté scientifique au politique, et de la capacité que nous avons à l’écouter. En l’occurrence, je pense qu’en France, nous avons été assez exemplaires, puisque nous avons voté et constitutionnalisé le principe de précaution. Mais nous sommes parfois en opposition avec le monde économique, qui fait face à la concurrence internationale, et revendique de pouvoir disposer de l’ensemble des outils. C’est pour cela que j’avais souhaité auditionner le monde agricole en amont de cette réunion, afin de recueillir leurs perceptions ; cela n’a malheureusement pas pu se faire. Mais nous voyons bien que le débat est là, et pas seulement sur le sujet qui nous intéresse aujourd’hui : nous avons le politique, le monde économique, l’emploi, les alternatives possibles, la compétitivité, et au bout du compte, le politique qui doit décider en s’appuyant sur la communauté scientifique. Au sujet des OVM, je crois que la communauté scientifique est claire : nous savons assez précisément les conséquences que peuvent avoir les OVM, même si nous n’en parlons peut-être pas suffisamment.

Mme Annie Chapelier. Je souhaite vous interroger sur la position du Brésil, qui est l’un des grands producteurs d’OVM, et qui, malgré tout, est partie au protocole de Carthagène. Sous l’impulsion de son Président Bolsonaro, le Brésil va vers une agriculture de plus en plus extensive, en empiétant sur les espaces de forêt amazonienne pour étendre les cultures OVM d’huile de palme et de colza. Récemment, Bolsonaro s’est rendu aux États-Unis pour souligner les points de convergence entre les deux pays. Ne pouvons-nous pas penser que cela pourrait remettre en question l’adhésion du Brésil à ce protocole ? Plus généralement, vous l’avez souligné, l’absence des grands pays producteurs du protocole additionnel de Nagoya-Kuala Lumpur, sans réelle perspective de rapprochement, fragilise d’emblée ce traité. Ne pouvons-nous pas craindre qu’il s’agisse in fine simplement d’un traité conclu entre pays d’accord pour maîtriser les risques de dissémination, avec un impact très réduit sur le terrain ?

M. Michel Herbillon. Je remercie Bérengère Poletti pour son exposé très clair. Vous avez eu raison de rappeler la situation et la législation européenne, qui est contraignante s’agissant des OVM, ainsi que l’attachement de la France à une démarche de précaution qui permet de maîtriser les risques de dissémination. Bien entendu, on peut regretter que l’accord ait un impact limité par l’absence des pays producteurs, mais on peut espérer avoir une capacité d’entraînement vis-à-vis d’autres pays, et il me semble bon de soutenir les pays en développement. Vous avez évoqué la nécessité de renforcer notre capacité d’évaluation des risques associés aux OGM ; est-ce l’Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) qui est chargée de cette évaluation ? Avons-nous les moyens nécessaires ?

M. Jean-Michel Clément. J’ai l’impression que nous arrivons encore après la bataille. Depuis longtemps, nous sommes dans un système totalement gangréné par les grands semenciers, au point qu’aujourd’hui, c’est le même qui vend le produit qui fait mal et le remède. On a assisté à des procès retentissants à ce propos en Amérique, et il s’en déroule actuellement un à la Cour d’appel de Lyon, qui concerne l’agriculteur Paul François, lequel a été victime des dérives de ce système. À l’heure où les jeunes sont dans la rue pour manifester pour le climat, nous devons nous poser des questions basiques : que produisons-nous ? Comment ? Avec quelle qualité ? Le protocole de Kuala Lumpur me semble assez déconnecté de cette réalité. Pourtant, si nous n’inversons pas la tendance, nous allons vers la destruction de notre planète.

M. Pierre Cabaré. On nous a dit qu’avec les OGM, il y aurait moins de pesticides, aucun problème de contamination… Nous voyons bien que ce n’était pas vrai : nous utilisons de plus en plus de pesticides, et les mêmes vendent les semences et les pesticides, s’enrichissant ainsi doublement, bientôt triplement peut-être, lorsqu’ils nous vendront les médicaments pour nous guérir des maux dont ils nous auront contaminés. Je partage en cela le point de vue de Jean-Michel Clément. La population ne veut pas des OGM ; ce n’est pas utile pour elle, et c’est elle que les politiques doivent protéger.

Mme Valérie Boyer. Votre rapport nous éclaire sur des enjeux complexes, dont on parle peu. Dans le contexte du Brexit, on nous reproche parfois de signer des accords par-dessus les lignes politiques nationales, dans le silence et la discrétion ; c’est donc une bonne chose que nous puissions débattre du protocole de Nagoya-Kuala Lumpur. J’ai moi aussi l’impression qu’avec cet accord, nous arrivons après la fumée des cierges. Je me demande quelle est notre stratégie face à ces géants des céréales qui vendent à la fois les semences, les herbicides et les médicaments, et achètent des terres agricoles partout dans le monde, sans que les États ne soient consultés. Je crois que c’est un vrai enjeu, un enjeu de société, car aujourd’hui, nos sociétés ne sont pas motivées par le fait de consommer toujours plus, mais plutôt de consommer mieux. Les enjeux de santé publique sont devenus très importants.

Dans le cadre de la campagne pour les élections européennes, ma famille politique demande la mise en place d’un bouclier vert, afin de stopper le dumping écologique et social que nous subissons avec les produits agricoles en provenance de pays tiers de l’Union européenne qui n’ont pas les mêmes normes que nous. Il est important que le consommateur ne soit pas trompé : lorsqu’il mange une pomme importée de Chine, il est évident qu’elle n’a pas été cultivée avec les mêmes standards qu’en France. Ce bouclier vert me semble donc important, en plus de ce que prévoit l’accord que vous nous présentez aujourd’hui.

Mme Bérengère Poletti, rapporteure. Le Brésil a ratifié le protocole de Carthagène, mais pas celui de Nagoya-Kuala Lumpur. Le cas du Brésil est intéressant : on a constaté dans ce pays que l’utilisation des pesticides avait connu une évolution trois fois supérieure à celle de la productivité sur les parcelles OVM. La communauté scientifique apporte ainsi des éléments très intéressants sur les risques liés aux OVM. Pour répondre à la question de M. Herbillon, l’ANSES a bien conduit des études sur les OVM, mais elle n’est évidemment pas seule concernée. La communauté scientifique au sens large doit continuer à se saisir de cette question.

Comme je le disais tout à l’heure, la réglementation française et européenne en matière d’OVM et d’indemnisation des dommages liés aux OVM est plus exigeante que celle imposée par le protocole de Nagoya-Kuala Lumpur. La ratification de ce protocole aura donc des effets limités en France ; mais le fait de ratifier nous place en capacité de porter un message au sein de la communauté internationale, et de venir en soutien des pays en développement qui, nous l’avons vu, sont assez vulnérables face à la dissémination des OVM.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Merci beaucoup pour ces éléments. Pour conclure, je souhaite insister sur la question des semences, qui me semble très importante. Je crois que c’est une aberration d’avoir interdit aux agriculteurs africains la fabrication et la production de leurs propres semences. Il serait temps de revenir sur cette situation.

Suivant l’avis de la rapporteure, la commission adopte le projet de loi n° 1391.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


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   ANNEXE

texte adoptÉ par la commision

Article unique

Est autorisée la ratification du protocole additionnel de Nagoya-Kuala Lumpur sur la responsabilité et la réparation relatif au protocole de Carthagène sur la prévention des risques biotechnologiques, adopté le 15 octobre 2010, signé par la France le 11 mai 2011 à New York, et dont le texte est annexé à la présente loi.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

NB : le texte du protocole additionnel est annexé au projet de loi n° 1391.

 


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   LISTE DES PERSONNES ENTENDUES PAR LA RAPPORTEURE

 

Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères

Mme Lucile Carrez, rédactrice

Ministère de la Transition Écologique et Solidaire

Mme Sophie Leenhardt, chef du pôle biotechnologies - bureau des biotechnologies et de l'agriculture - direction générale de la prévention des risques

 


([1]) Rapport n° 48 du Sénateur Isabelle Raimond-Pavero, enregistré à la Présidence du Sénat le 17 octobre 2018.

([2]) Les 10% de surfaces restantes sont cultivées, par ordre décroissant de superficie, par le Paraguay, le Pakistan, la Chine, l’Afrique du Sud, la Bolivie, l’Australie, les Philippines, le Vietnam, la Birmanie, le Bangladesh, le Soudan, l’Espagne, le Portugal, le Mexique, le Honduras, le Costa Rica, la Colombie, l’Uruguay et le Chili.   

([3]) Principe selon lequel l'absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l'adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque dans les domaines de l'environnement, de la santé ou de l'alimentation.