N° 1817

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 27 mars 2019

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LA PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

 

 

visant à lutter contre la sur-réglementation (n° 101)

 

 

PAR M. Pierre CORDIER
Député

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Voir les numéros :

Assemblée nationale : 101.

 


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SOMMAIRE

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Pages

avant-propos.......................................................... 5

I. la surproduction normative : un mal français

A. malgrÉ la volontÉ affichÉe depuis plus de 15 ans de lutter contre linflation normative…

B. La surproduction normative pÉnalise toujours lÉconomie française

1. La surproduction normative, une réalité quantitative et qualitative

a. La sur-réglementation

i. En France, la norme se caractérise par son abondance, sa complexité et son caractère parfois inadapté

ii. Ces défauts ont pour origine des facteurs multiples

b. La surtransposition

2. Un frein au développement et à la compétitivité des entreprises

II. la diversitÉ des remÈdes proposÉs À lÉtranger

A. En Allemagne

1. La lutte contre la sur-réglementation : la méthode du « un pour un »

2. La lutte contre la surtransposition : une transposition a minima

B. Aux Pays-Bas

1. La lutte contre la sur-réglementation : la logique de réduction des coûts

2. La lutte contre la surtransposition : un dispositif de veille

C. Au Royaume-Uni

1. La lutte contre la sur-réglementation : la règle du « trois pour un »

2. La lutte contre la surtransposition : la copie à lidentique

III. une rÉponse forte et attendue : lintroduction de rÈgles destinÉes À lutter contre linflation normative dans la constitution

Commentaire des articles de la proposition de loi CONSTITUTIONNELLE

Article 1er (article 37-1 de la Constitution) Lutter contre la sur-réglementation

Article 2 (article 37-2 de la Constitution [nouveau]) Lutter contre la surtransposition des textes européens

COMPTE RENDU DES DÉBATS

Personnes entendues


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Mesdames, Messieurs,

En 1993, le doyen Georges Vedel affirmait déjà, à l’occasion du colloque consacré à LÉtat de droit au quotidien, que : « LÉtat de droit nest (...) que la dose de juridique que la société peut supporter sans étouffer » ([1]).

Or, la société dans son ensemble étouffe sous l’effet de l’inflation normative. Depuis plus de quinze ans, tant les discours vertueux sur l’élaboration de la norme que la volonté affichée par les gouvernements successifs de simplifier le droit n’ont pas suffi à mettre un terme à la prolifération du droit qui s’est, au contraire, encore aggravée. On comptait ainsi, au début de l’année 2018, plus de 320 000 articles législatifs et réglementaires en vigueur, dont près de 75 % étaient de niveau réglementaire.

Deux des principaux symptômes de cette surabondance normative sont la sur-réglementation et la surtransposition. La première peut être définie comme le développement exagéré, sous l’impulsion des pouvoirs publics, de dispositions législatives ou réglementaires qui entraînent une surcharge administrative ou financière. La seconde est communément entendue comme l’adoption ou le maintien de mesures législatives ou réglementaires allant au-delà des exigences minimales posées par une directive ou, dans certains cas, un règlement de l’Union européenne.

Toutes deux produisent des effets similaires pour les entreprises : un alourdissement de leurs tâches administratives et un surcoût financier qui pèsent sur leur compétitivité et in fine sur l’économie et sur l’emploi. En effet, la sur-réglementation et la surtransposition sont à l’origine d’écarts réglementaires avec les autres États qui aboutissent à une perte de compétitivité pour les entreprises françaises.

Ainsi, selon les évaluations partagées au niveau international, la seule charge administrative pesant sur les entreprises représente en France un coût supérieur à 3 % du produit intérieur brut, soit environ 60 milliards d’euros par an.

Bien que le thème de la simplification du droit ait fait l’objet de nombreux rapports – notamment parlementaires –, de circulaires de plusieurs Premiers ministres et de multiples lois, nombre d’acteurs de l’économie productive se plaignent, avec raison, d’un alourdissement normatif permanent.

En réalité, comme l’a souligné M. Jean-Marc Sauvé, alors vice-président du Conseil d’État, dans son avant-propos à l’étude annuelle du Conseil d’État de 2016 ([2]) : « Les maux qui affectent la production et la mise en œuvre de notre droit (…) nont pas été traités et ils se sont aggravés – faute dune posologie suffisante, faute dune médication efficace, faute surtout dune volonté constante, claire et déterminée de guérir. »

Aussi, votre rapporteur propose-t-il aujourd’hui une mesure forte, à même de mettre fin aux comportements de surproduction normative : inscrire dans la Constitution, d’une part, le principe de la compensation d’une nouvelle norme contraignante pour les entreprises par la suppression d’une autre norme et, d’autre part, l’interdiction de toute surtransposition.

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I.   la surproduction normative : un mal français

A.   malgrÉ la volontÉ affichÉe depuis plus de 15 ans de lutter contre l’inflation normative…

Depuis les premières circulaires sur la surproduction normative prises en 2003, le thème de la lutte contre les comportements de sur-réglementation et de surtransposition est récurrent dans le discours et dans l’action des gouvernements successifs.

Dès 2003, le Premier ministre M. Jean-Pierre Raffarin a souhaité lutter contre ce mal français en édictant, le 26 août, une circulaire relative à la maîtrise de linflation normative et à lamélioration de la qualité de la réglementation complétée, dès le 30 septembre, par une circulaire relative à la qualité de la réglementation. Le 27 septembre 2004, une circulaire abordait la question de la procédure de transposition en droit interne des directives et décisions-cadres négociées dans le cadre des institutions européennes.

Depuis, les textes réglementaires se sont succédé ([3]) pour aboutir à la circulaire du Premier ministre du 26 juillet 2017 relative à la maîtrise du flux des textes réglementaires et de leur impact. Celle-ci appelle, comme les précédentes circulaires, à écarter les mesures de transposition allant au-delà des objectifs fixés par les directives européennes, mais propose, au sujet de la sur-réglementation, d’aller plus loin que la précédente circulaire ([4]), en érigeant comme principe la compensation d’une nouvelle norme par la suppression de deux normes existantes.

Dans le même temps, les lois de simplification se sont multipliées. Le Conseil d’État dénombre ainsi dans son étude annuelle de 2016 consacrée à la simplification et à la qualité du droit « près de 130 textes de simplification (…) adoptés depuis dix ans ». Outre les dispositions de suppression de mesures de surtransposition qui figurent généralement dans des lois sectorielles, un projet de loi spécifique, portant suppression de sur-transpositions de directives européennes en droit français, a par ailleurs été présenté par le Gouvernement à l’automne 2018 comme destiné à en apurer le stock.

Qu’ils soient issus du Parlement, du Conseil d’État ou des inspections ministérielles ou encore d’organismes spécialisés comme le Conseil de simplification des entreprises, instauré en 2014 puis supprimé en 2017, ou le Conseil national de l’industrie, les rapports et propositions se sont également succédé, portant pour les uns sur la sur-réglementation ([5]) et pour les autres sur la surtransposition ([6]).

Cependant, si les initiatives destinées à mettre un frein à la sur‑réglementation et à la surtransposition se sont enchaînées à un rythme soutenu, elles ne semblent pas avoir porté leurs fruits.

B.   … La surproduction normative pÉnalise toujours l’Économie française

1.   La surproduction normative, une réalité quantitative et qualitative

a.   La sur-réglementation

i.   En France, la norme se caractérise par son abondance, sa complexité et son caractère parfois inadapté

Le nombre de textes publiés chaque année et celui des dispositions applicables à un instant donné sont, en eux-mêmes, considérés comme déraisonnables, indépendamment des contraintes qu’ils créent pour leurs destinataires.

Ainsi, début 2018, plus de 320 000 articles législatifs et réglementaires étaient en vigueur, dont près de 75 % étaient de niveau réglementaire.

Chaque année viennent s’ajouter une cinquantaine de lois ([7]) – représentant de 1 000 à 2 400 articles – et une quarantaine d’ordonnances – comprenant de 200 à 1 900 articles. Les mesures réglementaires d’application des lois sont comprises entre 300 et 1 000 chaque année, le nombre de décrets réglementaires atteignant 1 200 à 2 000 et celui des arrêtés 8 500 environ.

Quant à la production normative (lois, ordonnances, décrets et arrêtés) qui résulte de la transposition de directives européennes, elle s’établit, en moyenne, à 210 textes chaque année. Elle a toutefois connu une nette inflexion à la suite de la décision prise par la Commission européenne en 2014 de réduire la production législative européenne puisqu’elle est passée de 255 à 150 textes par an.

Comme le souligne le Conseil d’État dans son étude annuelle de 2016, « Lessentiel des textes produits venant modifier des textes existants, cette production massive de normes génère une instabilité qui tend à être dénoncée comme lun des principaux maux affectant le droit. Le trouble quelle provoque varie selon lampleur et la fréquence des modifications. La situation des acteurs est en outre dautant plus affectée que la modification est soudaine et importante et quelle sapplique à une situation en cours ou, a fortiori, quelle est rétroactive ».

La norme s’avère souvent difficile à appréhender car il peut y avoir des doutes sur son caractère contraignant, elle peut comporter des dispositions ambiguës ou d’une excessive technicité et sa portée exacte peut dépendre de sa combinaison avec plusieurs autres textes.

La norme peut ne pas constituer la réponse la plus pertinente. Elle peut également avoir des effets disproportionnés et se révéler contre-productive, si la charge et les contraintes qu’elle fait peser sur les intéressés excèdent trop les bénéfices attendus. C’est, par exemple, la critique récurrente faite à la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite loi « ALUR », et aux dispositions sur l’accessibilité des bâtiments.

ii.   Ces défauts ont pour origine des facteurs multiples

L’environnement sur-normé auquel la société française est confrontée résulte de la conjonction de multiples facteurs.

LES FACTEURS DE LA PROLIFÉRATION ET DE LA COMPLEXITÉ NORMATIVES

(extrait de létude annuelle du Conseil dÉtat de 2016 consacrée à la simplification et à la qualité du droit)

Les facteurs sociologiques, techniques et administratifs : la complexification du monde – liée à laccélération du progrès technique, à louverture des frontières et à lémancipation de lindividu par rapport aux conceptions traditionnelles de la famille et de la société – commande celle du droit. La production de normes et de complexité est également nourrie par les attentes sociales dordre général (la protection contre certains risques économiques, sociaux ou environnementaux ou la lutte contre les inégalités) aussi bien que catégoriel. Elle est aussi entretenue par la puissance même des producteurs de normes, formés à répondre à la demande et raisonnant « en silo » sans se concerter avec les autres ni disposer dune vision densemble.

Les facteurs politiques et médiatiques : la norme reste le vecteur privilégié de laction publique du fait de lattachement au droit dans notre pays (légicentrisme), de la raréfaction des ressources budgétaires permettant de mobiliser dautres moyens, de linstantanéité de la réponse quelle offre en apparence face à une difficulté et des traces durables quelle laisse pour attester dune action entreprise. La norme est aussi un enjeu de lutte politique, quil sagisse dattacher son nom à une loi, duser du droit damendement pour exprimer une opinion ou de marquer les esprits à loccasion dune alternance. Elle sert très souvent à véhiculer des messages symboliques, comme le montre encore le succès des lois mémorielles.

Les facteurs juridiques et institutionnels : le poids accru du sommet de la hiérarchie des normes (normes constitutionnelles et conventionnelles) complique la tâche des auteurs des lois et règlements et le contenu de ces normes. En outre, la production normative sautoalimente : toute nouvelle action suppose dadopter de nouvelles normes pour modifier les précédentes ; la nouvelle norme appellera ensuite des normes dapplication et leur interprétation par le juge suscitera souvent en réaction de nouvelles normes. Les producteurs de norme sont par ailleurs dispersés et les types de normes, de droit dur comme de droit souple, se diversifient. Le contenu de la norme est enfin de plus en plus fragmenté selon ses destinataires, les territoires et les situations ; les régimes particuliers ne cessent de se multiplier.

À ces multiples facteurs de production de la norme vient s’ajouter un phénomène aggravant : le caractère auto-générateur de la norme.

En effet, la norme génère mécaniquement d’autres normes. Toute nouvelle politique publique ou toute inflexion de la politique précédente nécessite de réajuster des textes qui s’appliquent à de multiples situations particulières.

L’accumulation des règles conduit aussi fréquemment à intervenir à nouveau dans le même champ pour préciser une norme existante, favorisant ainsi la sédimentation.

Enfin, la norme appelle des normes subséquentes. L’adoption d’une directive européenne entraîne l’adoption de textes nationaux de transposition. Le vote d’une loi appelle des décrets, qui eux-mêmes renvoient à des arrêtés. Les nouvelles dispositions sont présentées dans des circulaires ou font l’objet d’actes de droit souple. « À chaque étape, lautorité compétente a loccasion, quelle saisit assez souvent, dajouter des dispositions que nimposait pas la norme supérieure », comme le souligne le Conseil d’État dans son étude annuelle de 2016.

b.   La surtransposition

La pratique française en matière de surtransposition apparaît particulièrement extensive. Ainsi que l’ont souligné à votre rapporteur les membres de la mission d’inspection consacrée aux écarts réglementaires entre la France et les pays comparables, MM. Julien Dubertret, M. Serge Catoire et M. Philippe Schil, « pratiquement toute directive qui laisse la possibilité dun écart de transposition est « surtransposée » en France ».

Tout d’abord, formellement, les surtranspositions sont rarement présentées comme telles. Elles résultent en effet généralement de choix justifiés, selon les cas, par des préoccupations de protection des consommateurs, de préservation de l’environnement, de contrôle administratif ou encore de cohérence sectorielle.

Ensuite, la transposition de directives en droit français, par la loi comme par le règlement, ne se contente généralement pas d’introduire les mesures nécessaires à la mise en œuvre des objectifs fixés par le texte européen. Elle ajoute des dispositions nouvelles – que la directive n’impose pas –, conserve des dispositifs antérieurs – qu’il n’y a plus lieu de maintenir –, ou encore étend le champ d’application du texte européen.

Il en va ainsi, par exemple, de la directive (UE) 2015/849 du 20 mai 2015 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux. Celle-ci a fait l’objet d’une acception particulièrement extensive lors de sa transposition en droit interne, incluant dans son champ les syndics de copropriété, avec comme conséquence de les obliger à mettre en place un système de vigilance pour s’assurer de l’identité de ceux qui paient les charges de copropriété et de la provenance des fonds.

Enfin, la France n’exploite pas toujours les facultés ou exceptions ouvertes par le texte européen qui permettraient de ne pas alourdir les charges pesant sur les entreprises. Lorsque les directives établissent des seuils ou des taux définis sous forme de plafonds ou de fourchettes, notre pays retient souvent des valeurs qui conduisent à soumettre les petites et moyennes entreprises à des obligations que le texte européen n’impose qu’aux grandes entreprises.

Les règles relatives à la publication des comptes des entreprises sont un bon exemple de ces écarts réglementaires. Ainsi, alors que la directive (UE) 2013/34 du 26 juin 2013 relative aux états financiers annuels, aux états financiers consolidés et aux rapports y afférents de certaines formes d’entreprises a relevé les seuils en dessous desquels une entreprise peut être considérée comme « petite » et par conséquent être exonérée de l’obligation de publication de ses comptes de résultat, la France a choisi de les fixer à des niveaux très inférieurs, pénalisant ainsi les petites et moyennes entreprises. Si le projet de loi PACTE, adopté en nouvelle lecture par l’Assemblée nationale le 15 mars 2019, entend revenir sur ces seuils, il faudra néanmoins attendre le décret d’application de son article 13 bis pour vérifier que la surtransposition est bien supprimée.

2.   Un frein au développement et à la compétitivité des entreprises

La surabondance et la complexité des règles législatives et réglementaires pénalisent tout particulièrement les entreprises.

Elles conduisent en effet à un alourdissement des charges administratives (formulaires à remplir) et à des surcoûts financiers (frais induits par la mise en conformité des installations de production ou par l’exigence d’études) qui découragent l’initiative économique ainsi que le développement des petites et moyennes entreprises, avec des conséquences négatives pour la croissance et l’emploi.

EXEMPLE DE SURPRODUCTION NORMATIVE AUX EFFETS NÉGATIFS SUR LINITIATIVE ÉCONOMIQUE : LES PROJETS RELEVANT DUNE ÉVALUATION PRÉALABLE

La directive (UE) 2014/52 du 16 avril 2014 modifiant la directive (UE) 2011/92 concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement prévoit que l’administration doit motiver sa réponse si elle souhaite que soit réalisée une évaluation préalable concernant un projet ayant un impact potentiel sur l’environnement.

Le droit français se montre plus exigeant au risque de freiner le développement de projets. L’article R. 122-3 du code de l’environnement prévoit en effet que l’absence de réponse de l’administration dans le délai de trente-cinq jours vaut obligation de réaliser une évaluation environnementale.

Selon les évaluations partagées au niveau international, la seule charge administrative pesant sur les entreprises représente en France un coût supérieur à 3 % du produit intérieur brut, soit environ 60 milliards d’euros par an.

Il résulte en outre de la surproduction normative, et plus particulièrement de la surtransposition des directives européennes, des écarts réglementaires qui pèsent sur la compétitivité des entreprises. Cette situation est dénoncée depuis longtemps par les entreprises qui supportent de ce fait des coûts et des charges administratives auxquels leurs concurrentes européennes ne sont pas soumises.

Ainsi, selon l’édition 2018 du rapport du Forum économique mondial sur la compétitivité dans le monde, la France se classe au 107e rang sur 140 pays pour la charge administrative pesant sur les entreprises.

EXEMPLE DE SURPRODUCTION NORMATIVE PESANT SUR LA COMPÉTITIVITÉ DES ENTREPRISES : LES VALEURS LIMITES DEXPOSITION PROFESSIONNELLE

Dans le domaine des valeurs limites d’exposition professionnelle (VLEP), les normes françaises s’éloignent fortement de celles définies au niveau européen.

Ainsi, la France a déterminé une valeur limite d’exposition professionnelle aux poussières de bois qui est cinq fois inférieure à celle fixée par l’Union européenne et qui n’est pas limitée aux seuls bois durs, imposant par conséquent de lourds investissements aux entreprises françaises.

La France a également fixé une valeur limite d’exposition professionnelle au styrène alors même que l’Union européenne n’impose aucune VLEP pour cette substance. Aussi, les entreprises françaises qui ont recours à ce composé organique doivent fournir, contrairement à leurs homologues européennes, des équipements de protection individuels à leurs salariés et mettre en place des systèmes de protection collective.

Le caractère pénalisant d’un écart de transposition peut également placer les acteurs économiques en situation d’insécurité juridique lorsque les réglementations nationales sont mal articulées avec les règles européennes.

Enfin, dans un contexte d’exacerbation de la concurrence entre systèmes juridiques par les classements internationaux de compétitivité, la surproduction normative pèse sur l’attractivité du territoire français, comme l’a encore montré, très récemment, la décision du groupe Safran qui, confronté à des tracasseries administratives, a suspendu son projet d’ouverture de site de fabrication de pièces en carbone près de Villeurbanne.

Au-delà de ces exemples concrets, votre rapporteur relève que l’ensemble des acteurs de l’économie productive qu’il a rencontrés déplorent un alourdissement normatif continu. Pointant le décalage entre les décisions et le discours du Gouvernement sur la simplification et l’introduction permanente de nouvelles contraintes, les représentants du MEDEF et de la CPME ont en particulier fait part de leur exaspération et de leur découragement.

II.   la diversitÉ des remÈdes proposÉs À l’Étranger

La lutte contre la surproduction normative est une préoccupation forte et ancienne chez nos voisins européens.

Partout, elle repose sur l’action décisive d’un ou de plusieurs organismes chargés d’évaluer le coût de la législation ([8]) et sur la mise en œuvre de règles strictes comme la clause dite de « sunset » ([9]), la règle du « silence vaut accord » ([10]), le recours aux lois de simplification ou encore la méthode dite « de la compensation », autrement dénommée « budget de normes », qui est pratiquée sous des formes diverses chez certains de nos voisins, votre rapporteur y reviendra.

Outre l’importance accordée à la phase de négociation de la directive, nos partenaires européens mettent par ailleurs tous l’accent sur la nécessité d’anticiper très en amont l’exercice de transposition et de veiller à ne pas surtransposer.

A.   En Allemagne

1.   La lutte contre la sur-réglementation : la méthode du « un pour un »

Afin de stabiliser le volume de ses normes fédérales, l’Allemagne a introduit en 2015 la règle dite « one in/one out », qui prévoit que si une règle nouvelle est créée, une autre doit disparaître.

La méthode suivie est la suivante :

– la règle supprimée doit entraîner une diminution des coûts administratifs ou globaux identique ou proche de ceux générés par la règle créée ;

– seuls sont pris en compte les coûts pesant sur les entreprises, à l’exclusion des coûts sur les citoyens et sur l’administration ;

– sont exclus du champ de cette règle les cas d’urgence, la réglementation temporaire de moins d’un an et les cas de transposition du droit de l’Union ou de jurisprudences de la Cour de justice de l’Union européenne ou de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe.

Le respect de cette règle s’apprécie par ministère et par année civile, et non par loi. Un ministère dispose soit d’un crédit (s’il a fait une simplification, il peut introduire une norme nouvelle), soit d’un débit (s’il désire créer une nouvelle norme, il doit apurer le coût de la norme qu’il a précédemment introduite). Si, au terme de l’année civile, un ministère ne respecte pas la règle, il doit présenter ses explications devant le comité des secrétaires d’État à la simplification, à la chancellerie fédérale.

Un tel dispositif est vertueux : il oblige les producteurs de normes à mesurer le poids des charges que leur activité impose aux tiers et à ne pas dépasser le plafond de normes qui leur est alloué.

2.   La lutte contre la surtransposition : une transposition a minima

La chancelière a posé comme principe celui d’une transposition des directives européennes a minima.

Les ministères fédéraux sont convenus d’appliquer, de façon informelle, le principe selon lequel les études d’impact doivent déterminer si la réglementation est conforme ou si elle excède les obligations résultant de l’adhésion à l’Union européenne. Le Conseil fédéral de contrôle des normes est chargé d’indiquer, dans ses avis sur les projets de texte, s’il existe un risque de surtransposition. Son avis est pris en compte par les ministères fédéraux.

B.   Aux Pays-Bas

1.   La lutte contre la sur-réglementation : la logique de réduction des coûts

Aux Pays-Bas, une nouvelle réglementation ne peut être introduite que s’il a été démontré au préalable qu’aucune autre méthode ne peut être trouvée pour résoudre le problème auquel le Gouvernement est confronté.

Les règles sont en outre établies avec un coût et des charges minimum, qui doivent pouvoir être contrôlés.

Comme en Allemagne, le Gouvernement applique la règle de la compensation, mais celle-ci est appréciée d’un point de vue budgétaire. Lorsqu’une dépense publique est créée par une loi ou un règlement, une diminution équivalente doit être proposée. Celle-ci doit d’abord être envisagée au sein même de l’administration puis, si cela n’est pas possible ou ne suffit pas, au sein du ministère, avant enfin de prévoir une « taxation interministérielle » afin de compenser la nouvelle dépense.

2.   La lutte contre la surtransposition : un dispositif de veille

Aux Pays-Bas, un dispositif de veille a été mis en place pour s’assurer que les directives ne font pas l’objet de surtransposition. Dès qu’une nouvelle proposition de directive est notifiée à la Représentation permanente des Pays-Bas à Bruxelles, le ministère concerné engage un dialogue avec le Parlement national.

Le Gouvernement doit en particulier indiquer au Parlement si son choix de transposition est celui qui est le moins contraignant pour les entreprises qui sont concernées par la directive. À défaut, il doit l’indiquer explicitement et le justifier.

C.   Au Royaume-Uni

1.   La lutte contre la sur-réglementation : la règle du « trois pour un »

Après avoir introduit la règle selon laquelle une livre sterling de coût net additionnel imposé aux entreprises par de nouvelles mesures doit être compensée par une livre sterling – puis par deux livres sterlings – d’économie, le Royaume-Uni met désormais en œuvre la règle du « trois pour un » (« one in/ three out »), à savoir la compensation à hauteur de trois livres sterlings pour une livre sterling de dépense supplémentaire imposée aux entreprises.

Sont exclues de ce dispositif, qui s’applique au coût de chaque norme en livres sterlings, et non à leur volume, les mesures dont les impacts sur les entreprises sont indirects et celles qui sont d’origine européenne, sauf dans l’hypothèse d’une surtransposition de directive.

Le coût de ces mesures est calculé sur la base d’un modèle d’évaluation qui est propre au Royaume-Uni : l’EANCB, c’est-à-dire le coût annuel net équivalent pour les entreprises et les organisations de la société civile, qui lisse les coûts sur dix ans.

2.   La lutte contre la surtransposition : la copie à l’identique

À une action déterminée très en amont de l’adoption de la directive, le gouvernement britannique associe une volonté de transposer au plus vite et au plus simple.

Il a fixé, dès décembre 2010, des principes directeurs de transposition de la législation européenne, et publié, en avril 2013, un guide de bonnes pratiques intitulé Comment transposer efficacement les directives européennes.

Le principe retenu pour la transposition est celui de la « copie à l’identique »  copy-out ») – qui consiste à retranscrire le texte de la directive en droit interne sans ajout ni changement –, sauf dans les cas où ce procédé porterait préjudice aux intérêts du Royaume-Uni.

Quand le choix est fait de ne pas y recourir, les services doivent s’en justifier, afin de garantir que les modifications qui seront apportées n’entraîneront pas de sur-réglementation.

Les textes doivent en outre inclure une obligation de réexamen par le gouvernement tous les cinq ans.

Ainsi, parmi nos principaux voisins européens, « le Royaume-Uni semble être le seul dans lequel le principe du « copy-out » a été érigé en méthode de droit commun », comme le souligne le Conseil d’État dans son étude consacrée à la transposition des directives européennes de 2015 ([11]).

III.   une rÉponse forte et attendue : l’introduction de rÈgles destinÉes À lutter contre l’inflation normative dans la constitution

Les divergences entre le discours tenu par les pouvoirs publics sur la nécessaire simplification du droit et la poursuite du processus de sur‑réglementation et de surtransposition, d’une part, et l’accroissement du retard de la France en matière de maîtrise de la production normative par rapport aux États comparables, d’autre part, appellent une réponse forte.

Dans ce contexte, la présente proposition de loi constitutionnelle vise à introduire dans la Constitution deux dispositions pour lutter contre la surproduction normative.

Pour freiner le foisonnement de textes qui pèsent sur la compétitivité des entreprises, il convient en effet de mettre fin au vide juridique relevé par le Conseil d’État en ces termes : « Aucun texte normatif ne définit les critères de la qualité du droit. La Constitution est silencieuse sur ce point, de même que les traités. La loi ne livre que des indications parcellaires ou indirectes (…). Les textes réglementaires néclairent quassez peu ces questions » ([12]).

Il importe en outre de ne pas cantonner la lutte contre la surproduction normative au niveau de la circulaire. Ayant pour objet de donner des instructions aux services pour l’application des lois et des décrets ou de préciser l’interprétation de certaines dispositions, elle ne présente pas un caractère suffisamment contraignant.

Aussi l’article premier de la présente proposition de loi constitutionnelle pose-t-il le principe de la compensation d’une nouvelle norme contraignante pour les entreprises par la suppression d’une norme existante tandis que l’article deux interdit toute surtransposition de textes européens.

 


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   Commentaire des articles de la proposition de loi CONSTITUTIONNELLE

Article 1er
(article 37-1 de la Constitution)
Lutter contre la sur-réglementation

Rejeté par la Commission

       Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article prévoit que tout texte de niveau législatif ou réglementaire qui introduit une norme contraignante pour les entreprises doit corrélativement en supprimer une.

       Dernières modifications législatives intervenues

Créé par l’article 3 de la loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003, l’article 37-1, relatif aux expérimentations qui peuvent être prévues par la loi ou le règlement, n’a jusqu’à présent pas fait l’objet de modifications.

       Modifications apportées par la Commission

Cet article a été rejeté par la Commission.

I.   L’État du droit

Les dispositions relatives à la lutte contre la sur-réglementation figurent aujourd’hui dans des circulaires prises par le Premier ministre.

A.   l’absence de dispositif juridiquement contraignant

À l’exception de l’adoption, en 2009, dans la première loi de programmation des finances publiques, d’une disposition qui visait à introduire une règle de compensation des nouvelles dépenses fiscales et sociales aux fins de pilotage de ces dépenses, on ne trouve pas de trace, dans le corpus constitutionnel, législatif ou réglementaire, de dispositions de compensation de création de nouvelles normes par la suppression d’autres.


UNE MESURE LÉGISLATIVE DE COMPENSATION FINALEMENT ABROGÉE :

LE PILOTAGE DES DÉPENSES FISCALES ET SOCIALES

La première loi de programmation des finances publiques avait prévu, en 2009, une règle de compensation « un pour un » pour les nouvelles dépenses fiscales et sociales, assortie d’une disposition prévoyant leur terme.

L’article 11 de la loi n° 2009-135 du 9 février 2009 de programmation des finances publiques pour les années 2009 à 2012 prévoyait en effet que :

« I.  Au titre de chaque année de la période mentionnée à larticle 1er, les créations ou extensions :

 De dépenses fiscales ;

 Ainsi que de réductions, exonérations ou abattements dassiette sappliquant aux cotisations et contributions de sécurité sociale affectées aux régimes obligatoires de base ou aux organismes concourant à leur financement, sont compensées par des suppressions ou diminutions de mesures relevant respectivement des 1° et 2°, pour un montant équivalent, selon les modalités précisées dans le rapport annexé à la présente loi.

II.  Chaque mesure relevant des 1° ou 2° du I instaurée par un texte promulgué au cours de la période mentionnée à larticle 1er nest applicable quau titre des quatre années qui suivent celle de son entrée en vigueur ».

Toutefois, cette disposition novatrice n’a pas été réellement mise en œuvre compte tenu de la nécessité de prendre en compte les effets de la crise financière de 2008. Elle a été abrogée par la loi n° 2010-1645 du 28 décembre 2010.

Depuis 2012, les lois de programmation des finances publiques comportent des dispositions relatives au pilotage des niches fiscales et sociales beaucoup moins contraignantes. La loi du 31 décembre 2012 de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017 s’est contentée de limiter la durée des nouvelles niches fiscales et sociales tandis que la loi du 29 décembre 2014 de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 a fixé un plafonnement du montant des dépenses fiscales et sociales et une clause de revoyure pour celles nouvellement créées. La loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 prévoit une norme pour l’évolution des dépenses fiscales et sociales suffisamment large pour être facilement respectée et assortie, pour les seules créations de dépenses fiscales et sociales, d’une durée limitée ([13]).

Certes, les textes de simplification se sont multipliés ces dernières années : le Conseil d’État en a dénombré près de 130 entre 2005 et 2015. Cependant, leur objet, bien qu’il n’ait jamais été défini, n’est pas de maîtriser voire de réduire le volume des normes contraignantes, ni de « bannir la complexité inutile, celle qui survient par facilité, par empilement des textes au fil des années, ou bien encore par un insuffisant mûrissement des nouvelles normes » ([14]). Leur objet est plutôt d’améliorer la qualité du droit. Il apparaît en outre que les lois de simplification, très hétérogènes, ont inégalement contribué à atteindre cet objectif. Portant souvent sur des mesures de second ordre, ces lois se sont fréquemment contentées de toiletter l’ordre juridique en ôtant des scories d’importance mineure sans simplifier les normes effectivement appliquées. Dans le meilleur des cas, ces lois visent aujourd’hui la dématérialisation des procédures plutôt que leur simplification.

Quant aux dispositions qui prévoient une évaluation de la mesure adoptée à l’issue d’un délai, si elles apparaissent de plus en plus fréquemment dans les lois, leur portée sur la réduction de la production normative est faible.

Aussi, écartant le modèle des « projets de lois de simplification fourre-tout », le Premier ministre a, dans sa circulaire du 12 janvier 2018, prévu, outre la mise en place par chaque ministère d’un plan de simplification du droit et des procédures en vigueur ([15]), qu’« à compter du deuxième trimestre de lannée 2018 », chaque projet de loi sectoriel comporterait « un volet de mesures de simplification des normes législatives intervenant dans le même domaine de politiques publiques et en rapport avec lobjet de la loi ».

La loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique est le premier texte législatif à avoir mis en œuvre cette instruction du Premier ministre. Son titre 1er intitulé « Conditions pour construire plus, mieux et moins cher » comporte quatre chapitres contenant des mesures de simplification en matière d’aménagement, d’urbanisme ou de construction. Toutefois, là encore, l’objectif est de simplifier les normes législatives et pas d’en réduire ou d’en maîtriser le nombre, comme l’attestent la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, définitivement adoptée par l’Assemblée nationale le 19 février 2019, ou le projet de loi relatif à la croissance et à la transformation des entreprises, en cours d’examen.

Dans sa circulaire du 26 juillet 2017 relative à la maîtrise du flux des textes réglementaires et de leur impact, le Premier ministre précise que « La maîtrise du flux des textes réglementaires constitue la première étape dun exercice de simplification normative plus large qui a vocation à porter également sur les textes de loi. Dans le cadre de la réforme constitutionnelle annoncée par le Président de la République, il reviendra ainsi au Parlement de définir les modalités dun meilleur encadrement de la production législative ». Cependant, le projet de loi constitutionnelle n° 911 pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace, dont l’examen par l’Assemblée nationale s’est interrompu le dimanche 22 juillet 2018, ne contient pas de dispositions visant à mieux maîtriser l’inflation normative mais plutôt à rationaliser la procédure parlementaire.

Le Sénat a également lancé des initiatives en faveur de la simplification des lois. Il a ainsi adopté en première lecture, le 7 mars 2018, une proposition de loi organique visant à améliorer la qualité des études d’impact des projets de loi. Son article 1er ter prévoit en particulier de compléter l’article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 pour préciser que doivent figurer, dans les études d’impact, l’apport des dispositions envisagées en matière de simplification et, en cas de création d’une nouvelle norme, les normes dont l’abrogation est proposée, ainsi que les économies de charges en résultant, en particulier pour les collectivités territoriales et les entreprises. Toutefois, cette proposition de loi n’a pas encore été inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.

Il s’est aussi engagé dans une démarche d’abrogation des lois anciennes à l’initiative de sa mission de simplification législative, dite « mission B.A.L.A.I. » (« Bureau d’abrogation des lois anciennes inutiles »), créée en janvier 2018 par son Bureau. Le Sénat a ainsi adopté, le 13 mars 2019, une proposition de loi tendant à améliorer la lisibilité du droit par l’abrogation de lois obsolètes ([16]), qui supprime 49 lois adoptées entre 1819 et 1940 et devenues obsolètes. La « mission B.A.L.A.I » envisage de déposer d’autres textes pour abroger des lois obsolètes adoptées entre 1940 et 1970, des dispositions que le juge a déclarées inconventionnelles et des malfaçons législatives ainsi que des contradictions entre plusieurs textes en vigueur. Il s’agit toutefois davantage d’un travail de toilettage du corpus législatif – puisque ne sont concernées que des dispositions obsolètes –, que d’une action en profondeur sur la production normative contraignante.

B.   une circulaire À la portée limitÉe

La lutte contre la sur-réglementation repose à titre principal sur la circulaire du Premier ministre du 26 juillet 2017 relative à la maîtrise du flux des textes réglementaires et de leur impact.

Après avoir défini comme objectifs la réduction du nombre de normes existantes et la maîtrise de leur impact, le Premier ministre y affirme le principe selon lequel « toute nouvelle norme réglementaire doit être compensée par la suppression ou, en cas dimpossibilité avérée, la simplification dau moins deux normes existantes ».

LES MODALITÉS DE MISE EN ŒUVRE DE LA RÈGLE DE DOUBLE COMPENSATION OU DU « DEUX POUR UN »

Lentrée en vigueur dun décret comportant des mesures constitutives de normes nouvelles contraignantes (obligations de mise en conformité, nouvelles formalités administratives, etc.) opposables aux acteurs de la société civile, aux services déconcentrés et aux collectivités territoriales est conditionnée par ladoption simultanée dau moins deux mesures dabrogation ou, de manière subsidiaire, de deux mesures de simplification de normes existantes.

Afin d’être considérées comme valables, ces abrogations ou simplifications doivent répondre à deux conditions :

– intervenir dans le même champ ministériel ou dans le cadre d’une même politique publique que la norme créée ;

– apparaître qualitativement de niveau équivalent et non pas simplement répondre à un objectif quantitatif.

Il revient au secrétariat général du Gouvernement de s’assurer du respect de la lettre et de l’interprétation de ces deux règles. Il doit en particulier vérifier que les compensations proposées sont équivalentes aux nouvelles mesures, au regard notamment des impacts financiers ou qualitatifs.

Sont exclus les décrets qui sont par nature sans impact sur la charge administrative des acteurs de la société civile (procédure pénale, textes d’organisation des administrations centrales, dispositions statutaires applicables aux agents de l’État, dispositions de nature budgétaire) ainsi que les décrets pris pour la première application de la loi ou dune ordonnance (et dont la publication conditionne l’entrée en vigueur de ces textes).

Tous les autres projets de décret sont soumis à la règle de la double compensation des mesures nouvelles par des simplifications ou des abrogations, qu’il s’agisse de décrets du pouvoir réglementaire autonome ou de décrets pris pour l’application de lois et ordonnances déjà entrées en vigueur.

En cas de difficulté, le projet ou les projets de décret comportant la règle nouvelle et les simplifications qui sont proposées sont soumis par le secrétariat général du Gouvernement à l’arbitrage du cabinet du Premier ministre, qui décide de poursuivre, modifier ou abandonner le projet de texte considéré.

Les deux conditions posées à la règle de la double compensation – identité du champ concerné et « équivalence qualitative » de la norme – font l’objet d’une appréciation au cas par cas par le secrétariat général du Gouvernement.

Pour la première, il est demandé au ministère porteur du projet de texte de faire une ou des propositions dans son champ de compétences.

Pour la seconde, une nouvelle norme contraignante ne peut être valablement compensée par l’abrogation d’une disposition qui, dans les faits, est devenue obsolète ou inappliquée. Il s’agit ainsi d’éviter l’écueil rencontré lors de la mise en œuvre de la circulaire du 17 juillet 2013 relative à la mise en œuvre du gel de la réglementation, qui avait certes conduit, selon le secrétariat général du Gouvernement, à une réduction des charges administratives de près de 2,8 milliards d’euros, mais s’était surtout traduit par la suppression de textes tombés en désuétude, comme l’a mis en évidence le Conseil d’État dans son étude annuelle de 2016.

L’« équivalence qualitative » ne s’étend toutefois pas aux publics visés, en dehors du cas particulier des normes applicables aux collectivités territoriales. Ainsi, une contrainte qui pèse sur les particuliers peut être compensée par une abrogation ou une simplification au bénéfice des entreprises.

Pour être efficace, la mise en œuvre de la règle du « deux pour un » suppose une mesure fine de l’impact de la réglementation. Aussi, dans sa circulaire, le Premier ministre souligne que « limpact de la réglementation doit être mieux mesuré et, in fine, ne pas se traduire par des contraintes excessives ». À cet effet, il indique que le travail de mesure préalable de l’impact des normes réglementaires doit être intensifié pour les mesures ayant une incidence sur les entreprises, les collectivités territoriales, les services déconcentrés de l’État et les particuliers et qui ne sont pas une condition de l’entrée en vigueur d’une norme de niveau supérieur. Après avoir mis l’accent sur l’exigence de qualité du chiffrage des impacts, il demande au secrétariat général du Gouvernement de centraliser les données fournies par les ministères afin de retracer, par semestre, l’évolution des charges et des économies induites par la production réglementaire. L’évolution du solde entre les charges et les économies fera l’objet d’un suivi régulier par département ministériel.

À ce sujet, M. Marc Guillaume, secrétaire général du Gouvernement, a indiqué à votre rapporteur qu’au cours des 18 derniers mois, non seulement le nombre de projets de décrets présentés au Premier ministre est passé de 150 en moyenne à une trentaine mais également que, parmi les 32 projets de décrets comportant des mesures nouvelles contraignantes – qui concernaient pour l’essentiel (94 %) les entreprises –, 4 ont été retirés ([17]) et 2 bloqués faute de compensation.

Parmi les 26 décrets restants, 6 ont été expurgés des contraintes envisagées et 20 ont fait l’objet de 48 compensations (9 abrogations et 39 simplifications), aboutissant ainsi au rythme de 2,4 compensations pour une création de norme nouvelle contraignante et à une économie nette de 20 millions d’euros pour les entreprises ([18]).

II.   la rÉforme proposÉe

Prenant appui sur ce dispositif, le présent article propose de lui donner une portée beaucoup plus large.

Il complète l’article 37-1 de la Constitution pour poser le principe selon lequel tout texte de niveau législatif ou réglementaire qui introduit une norme contraignante pour les entreprises doit corrélativement en supprimer une.

L’inscription de cette règle au niveau constitutionnel devrait permettre son application à l’ensemble des lois et règlements.

La mise en œuvre de cette règle devrait s’entendre d’un point de vue qualitatif (des normes de même valeur doivent être concernées) et quantitatif (la règle supprimée doit entraîner une diminution des coûts administratifs ou globaux identique ou proche de celle créée).

Elle devrait en outre s’accompagner d’une amélioration significative de la qualité des études d’impact qui accompagnent les projets de textes.

Ayant pour objectif de contraindre les producteurs de normes à mesurer le poids des charges que leur activité impose aux tiers et à ne pas dépasser le plafond qui leur est alloué, cet article propose un dispositif efficace pour lutter contre les effets négatifs sur les entreprises de la sur-réglementation.

*

*   *

Article 2
(article 37-2 de la Constitution [nouveau])
Lutter contre la surtransposition des textes européens

Rejeté par la Commission

       Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article introduit dans la Constitution un article 37-2, afin d’interdire de surtransposer, en droit interne, les dispositions prévues par le droit de l’Union, c’est-à-dire d’aller au-delà des exigences posées par les textes européens, notamment les directives.

       Modifications apportées par la Commission

Cet article a été rejeté par la Commission.

I.   l’État du droit

A.   l’absence d’interdiction de niveau constitutionnel, législatif ou réglementaire

Il n’existe pas de disposition constitutionnelle, législative ou réglementaire qui vise à interdire la surtransposition des directives ou, le cas échéant, des règlements européens.

L’unique disposition de nature législative – récente puisqu’elle figure dans la loi du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance – qui s’inscrit dans la logique d’une interdiction des surtranspositions se contente de prévoir la remise par le Gouvernement au Parlement, avant le 1er juin 2019, d’un rapport relatif à l’adoption et au maintien de mesures législatives ou réglementaires allant au-delà des exigences minimales du droit de l’Union européenne.

ARTICLE 69 DE LA LOI N° 2018-727 DU 10 AOÛT 2018

POUR UN ÉTAT AU SERVICE DUNE SOCIÉTÉ DE CONFIANCE

Le Gouvernement remet au Parlement, avant le 1er juin 2019, un rapport relatif à l’adoption et au maintien, dans le droit positif, de mesures législatives ou réglementaires allant au-delà des exigences minimales du droit de l’Union européenne.

Il met à même toute organisation professionnelle d’employeurs ou toute organisation syndicale de salariés, représentatives au niveau interprofessionnel ou au niveau de la branche concernée, ou toute organisation représentant les entreprises du secteur concerné de lui adresser, pour la préparation de ce rapport, ses observations.

Ce rapport étudie les différentes formes de surtransposition pratiquées, leurs causes, leurs effets ainsi que leurs justifications. Il identifie les adaptations de notre droit nécessaires pour remédier aux surtranspositions inutiles ou injustifiées.

Pour le reste, les lois et règlements comportent des dispositions de suppression de surtransposition selon la bonne volonté du Gouvernement et du Parlement.

B.   une interdiction affirmée par simple voie de circulaire et assortie d’exceptions

La seule disposition visant à interdire la surtransposition relève d’une circulaire, ce qui en limite nécessairement la portée.

En effet, dans sa circulaire du 26 juillet 2017 relative à la maîtrise du flux des textes réglementaires et de leur impact, le Premier ministre pose le principe selon lequel : « Toute mesure allant au-delà des exigences minimales de la directive est en principe proscrite », avant d’y apporter un tempérament important : « Les dérogations à ce principe, qui peuvent résulter de choix politiques, supposent la présentation dun dossier explicitant et justifiant la mesure qui sera soumise à larbitrage de mon cabinet ».

Souhaitant que la lutte contre les surtranspositions porte sur le flux des transpositions mais également sur leur stock, le Premier ministre a mandaté, le 10 octobre 2017, une mission d’inspection ([19]) chargée d’en dresser l’inventaire, sur la base duquel toutes les surtranspositions non justifiées devaient faire l’objet d’un réalignement sur le niveau de contrainte exigé par l’Union européenne.

Dans son rapport remis au Premier ministre en avril 2018, cette mission a identifié, sur un stock d’environ 500 directives du marché intérieur, 137 directives ayant fait l’objet d’au moins un écart de transposition – soit 220 surtranspositions – avec un effet pénalisant pour la compétitivité des entreprises, l’emploi, le pouvoir d’achat ou l’efficacité des services publics. Parmi ces 220 écarts de transposition, 90 environ étaient de nature législative.

Après une analyse approfondie menée par le Gouvernement, il s’est avéré qu’un tiers de ces écarts ne constituaient pas une surtransposition ou ne le seraient plus au regard de directives en cours d’adoption et qu’un autre tiers étaient justifiés par des choix politiques du Gouvernement. Par conséquent, le projet de loi portant suppression de sur-transpositions de directives européennes en droit français déposé au Sénat le 3 octobre 2018 comportait 27 articles destinés à mettre fin à ces écarts de transposition dans quatre secteurs : économie et finances, développement durable, agriculture et culture.

Cependant, si le projet de loi a été adopté par le Sénat dès le 7 novembre 2018, il n’a toujours pas été inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Il semblerait que le Gouvernement, échaudé par les modifications apportées par le Sénat, préfère recourir à nouveau aux projets de loi sectoriels, comme le projet de loi PACTE, pour supprimer les écarts de transposition.

II.   La rÉforme proposÉe

Afin de mieux lutter contre les écarts réglementaires issus de la surtransposition de directives ou, le cas échéant, de règlements européens, qui pénalisent la compétitivité des entreprises françaises, le présent article introduit un nouvel article 37-2 dans la Constitution.

Cet article pose la règle selon laquelle aucune loi ou règlement ne peut poser, en droit interne, des exigences qui vont au-delà de celles définies par le texte européen.

Il s’agit ainsi de prévoir un dispositif qui s’imposera à l’ensemble des lois et règlements – la portée normative d’une circulaire étant inexistante –, de telle sorte que le Gouvernement n’ait plus la possibilité d’affirmer qu’un projet de loi est « le texte de la non surtransposition » – comme l’a fait le ministre de l’Économie à propos du projet de loi PACTE – et, dans le même temps, d’y inclure une disposition, en l’occurrence relative au ratio d’équité des rémunérations des dirigeants, qui vise à surtransposer une directive européenne ([20]).


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   COMPTE RENDU DES DÉBATS

Lors de sa première réunion du mercredi 27 mars 2019, la Commission examine la proposition de loi constitutionnelle visant à lutter contre la sur-réglementation (n° 101) (M. Pierre Cordier, rapporteur).

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous allons examiner la proposition de loi constitutionnelle visant à lutter contre la sur-réglementation, inscrite à l’ordre du jour de la prochaine journée réservée du groupe Les Républicains et présentée par M. Pierre Cordier.

M. Pierre Cordier, rapporteur. Madame la présidente, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier le président du groupe Les Républicains, M. Christian Jacob, qui m’a confié le soin de vous présenter cette proposition de loi constitutionnelle, qui porte sur un sujet d’actualité : lorsque vous discutez avec des chefs d’entreprise, des artisans, des commerçants ou des agriculteurs, ils vous parlent de ces normes qui pèsent toujours plus sur leurs entreprises, leurs commerces ou leurs exploitations.

Cette proposition de loi constitutionnelle a pour objectif de mettre fin à la surproduction normative qui entraîne des surcharges administrative et financière pour les entreprises et, partant, pèse sur leur compétitivité. Certains – plutôt du côté de l’administration – affirment qu’il n’y a pas de problème de sur-réglementation ou de surtransposition. Pourtant, les chiffres parlent d’eux-mêmes : la charge administrative qui pèse sur les entreprises représente en France un coût supérieur à 3 % du produit intérieur brut, soit environ 60 milliards d’euros par an.

Les témoignages des acteurs de l’économie productive – chefs d’entreprise, représentants du MEDEF et de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) – vont également tous dans le même sens : il y a trop de textes, lesquels, empilés les uns après les autres, conduisent à une complexité inutile et surtout nuisible à l’économie. Je pense que, comme moi, vous rencontrez régulièrement des chefs d’entreprise qui vous font part de leur exaspération, de leur découragement voire de leur colère face à toutes ces normes qu’ils doivent affronter.

Le Premier ministre a pris, comme certains de ses prédécesseurs, notamment MM. Jean-Pierre Raffarin et Jean-Marc Ayrault, une circulaire afin de maîtriser le flux des textes réglementaires et leur impact, dans laquelle il interdit les surtranspositions. Il prévoit, par ailleurs, que si un décret crée une norme contraignante, il doit en supprimer deux équivalentes.

Toutefois, la portée de ce texte est nécessairement limitée : tout d’abord, une circulaire n’a pas de portée normative ; ensuite, son champ d’application est restreint aux seuls décrets, à l’exclusion des lois ; par ailleurs, les évaluations des charges administratives concernées ne font pas l’objet d’un contrôle par un organisme indépendant ; enfin, pour ce qui concerne plus particulièrement l’interdiction des surtranspositions, des exceptions sont prévues, dès lors qu’un dossier est présenté au cabinet du Premier ministre afin de les justifier. Qui plus est, alors que le projet de loi relatif à la croissance et à la transformation des entreprises (PACTE) avait été présenté comme le texte de la non-surtransposition, y a été incluse une disposition, en l’occurrence relative au ratio d’équité des rémunérations des dirigeants, qui vise précisément à surtransposer une directive européenne !

Le Premier ministre a également pris une circulaire dans laquelle il écarte les projets de loi de simplification fourre-tout au profit de la prise en compte, dans chaque projet de loi sectoriel, d’un volet de mesures de simplification des normes législatives. Toutefois, l’objectif est de simplifier les normes législatives et non d’en réduire ou d’en maîtriser le nombre, comme l’attestent la loi de programmation et de réforme pour la justice ou le projet de loi PACTE. On ne peut donc que constater qu’un fossé se creuse entre les discours sur la simplification du droit et la réalité sur le terrain.

La surproduction normative est-elle un mal spécifiquement français ? Il semblerait bien que cela le devienne, au regard du retard pris par la France par rapport à des États comparables, qui s’en sortent d’ailleurs beaucoup mieux sur le plan économique. Ainsi, la méthode de la compensation de la création de normes – le « budget de normes » – est pratiquée sous des formes diverses chez certains de nos voisins : par exemple, en Allemagne, sous la forme du « un pour un » – la règle supprimée doit entraîner une diminution des coûts administratifs ou globaux identique ou proche de ceux générés par la règle créée ; au Royaume-Uni, sous la forme du « trois pour un », à savoir la compensation à hauteur de trois livres sterling pour une livre sterling de dépense supplémentaire imposée aux entreprises.

De même, le principe de la non-surtransposition est appliqué en Allemagne, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni. Ce dernier pays semble d’ailleurs être le seul dans lequel le principe du « copy out », ou « copie à l’identique », qui consiste à retranscrire le texte de la directive en droit interne sans ajout ni changement, a été érigé en méthode de droit commun. Aussi, au vu de ces exemples étrangers, apparaît-il impératif d’aller au-delà des mesures prises jusqu’à présent. C’est pourquoi je vous propose une mesure forte, à même de mettre fin aux comportements de surproduction normative : inscrire dans notre Constitution deux principes destinés à lutter contre la sur-réglementation et la surtransposition.

Prenant appui sur le dispositif du Premier ministre, l’article 1er de la proposition de loi constitutionnelle propose de lui donner une portée beaucoup plus large. Il pose le principe selon lequel tout texte de niveau législatif ou réglementaire qui introduit une norme contraignante pour les entreprises doit corrélativement en supprimer une. L’inscription de cette règle au niveau constitutionnel devrait permettre son application à l’ensemble des lois et des textes réglementaires.

La mise en œuvre de cette règle devrait s’entendre d’un point de vue qualitatif – des normes de même valeur doivent être concernées – et quantitatif – la suppression de la règle doit entraîner une diminution des coûts administratifs ou globaux identique ou proche de ceux qu’implique la règle créée. Elle devrait en outre s’accompagner d’une amélioration significative de la qualité des études d’impact qui accompagnent les projets de textes. Ayant pour objectif de contraindre les producteurs de normes à mesurer le poids des charges que leur activité impose aux tiers et à ne pas dépasser le plafond qui leur est alloué, cet article propose un dispositif efficace pour lutter contre les effets négatifs de la sur-réglementation sur les entreprises.

Quant à l’article 2, il définit la règle selon laquelle aucune loi ni aucun texte réglementaire ne peuvent poser, en droit interne, des exigences qui vont au-delà de celles définies par le texte européen. Il s’agit ainsi de mieux lutter contre les écarts réglementaires issus de la transposition de directives ou, le cas échéant, de règlements européens, qui pénalisent la compétitivité des entreprises françaises.

Cette proposition de loi constitutionnelle peut faire avancer les choses et encourager toutes celles et tous ceux qui veulent investir dans notre pays à le faire plus facilement.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous allons maintenant entendre les représentants des groupes.

M. Ludovic Mendes. En guise de préambule, je tiens à vous assurer que le Gouvernement et la majorité partagent votre objectif de maîtrise de l’inflation normative. La majorité travaille déjà à lutter contre la sur-réglementation. Ce mouvement s’inscrit dans la droite ligne des différentes mesures de simplification prises depuis plusieurs décennies, que nous devons poursuivre. La maîtrise du flux des textes réglementaires est un enjeu important, notamment pour nos entreprises et nos collectivités. Traduction d’une politique publique, la norme peut aussi être une contrainte pour la compétitivité des entreprises, l’administration des collectivités territoriales, le fonctionnement des services déconcentrés et la vie quotidienne de nos concitoyens.

Si la complexité, l’empilement et le nombre des normes font de la maîtrise de la production réglementaire un enjeu d’efficacité de l’action publique et de la démocratie, la proposition de loi constitutionnelle pose toutefois plusieurs questions. Sur la forme, nous considérons qu’il ne s’agit pas d’une disposition de niveau constitutionnel. De plus, ses deux articles sont rattachés à l’article 37‑1 de la Constitution, lequel n’entretient pas de lien avec leur objet. Le texte ne permet pas d’assurer la sécurité juridique dont doivent bénéficier nos entreprises, ce qui n’est pas sans paradoxe, dans la mesure où il prétend vouloir faciliter leurs activités quotidiennes. Son application en l’état créerait une situation hautement défavorable pour ces dernières, qui ont avant tout besoin de stabilité et de lisibilité du cadre juridique qui les entoure. L’objectif initial est louable ; mais nous devons nous attacher à garantir aux acteurs économiques une réglementation lisible et stable, et travailler avec méthode.

Il ne s’agit pas de supprimer aléatoirement des règlements ou des textes de loi. La suppression pure et simple ne permet d’ailleurs pas d’assurer la sécurité juridique que demandent nos entreprises. Le préalable nécessaire, c’est d’abord d’évaluer l’impact et l’efficacité du texte que l’on envisage de supprimer. Le projet de réforme constitutionnelle que nous avons commencé à examiner propose, à ce titre, de rénover les missions d’évaluation du Parlement. La maîtrise du flux des textes réglementaires constitue la première étape d’un exercice de simplification normative plus large, qui a vocation à porter également sur les textes de loi.

Dans le cadre de la réforme constitutionnelle, il reviendra au Parlement de définir les modalités d’un meilleur encadrement de la production législative, en accord avec la volonté que le groupe Les Républicains exprime dans cette proposition de loi constitutionnelle.

Sur le fond, le Gouvernement et la majorité sont déjà au travail pour lutter contre la sur-réglementation.

La circulaire relative à la maîtrise du flux des textes réglementaires et de leur impact, signée par le Premier ministre le 26 juillet 2017, prévoit en effet très clairement que « l’entrée en vigueur d’un décret réglementaire comportant des mesures constitutives de normes nouvelles contraignantes […] est désormais conditionnée par l’adoption simultanée d’au moins deux mesures d’abrogation ou, de manière subsidiaire, de deux mesures de simplification de normes existantes. » La circulaire couvre donc les dispositions prévues à l’article 1er de cette proposition de loi constitutionnelle.

De la même manière, le projet de loi portant suppression de surtranspositions de directives européennes en droit français est en cours de discussion ; adopté par le Sénat le 7 novembre 2018, il répond exactement à l’article 2 de votre proposition de loi constitutionnelle.

Pour toutes ces raisons, et considérant que la lutte contre la sur-réglementation est déjà engagée, le groupe La République en marche n’est pas favorable à cette proposition de loi.

M. Raphaël Schellenberger. Je me réjouis que le groupe Les Républicains ait choisi d’utiliser sa journée réservée pour discuter d’un texte relatif à ce fléau que représente, pour nos entreprises, nos collectivités territoriales, nos associations et nos concitoyens, l’inflation législative et normative, la prolifération de toutes ces règles dont on peine parfois à comprendre la cohérence. Cette proposition de loi constitutionnelle vient remettre en question la longévité inédite de notre système institutionnel et juridique, à laquelle nous n’avons finalement pas su nous adapter. Du coup, les normes et les règlements ont fleuri et, avec eux, les jurisprudences. Or, l’inflation jurisprudentielle, la complexification jurisprudentielle et, parfois même, la contradiction jurisprudentielle sont aussi un frein au développement de nos entreprises et de nos territoires.

Ce texte propose une nouvelle manière de concevoir le rôle de l’État, puisqu’il invite à inverser la logique qui prévaut aujourd’hui. En France, on est très tatillon au moment où un projet voit le jour, on est très tatillon lorsqu’il s’agit de délivrer une autorisation, d’accompagner un projet de rupture ou d’innovation. Mais, une fois qu’un projet a été autorisé, il n’y a presque plus de contrôle et on ne vérifie que très rarement s’il correspond effectivement aux autorisations qui ont été délivrées. Il va nous falloir changer de logique et passer à un système qui allie confiance et responsabilité : nous devons faire davantage confiance aux entreprises et moins les embêter lorsqu’elles veulent innover. En contrepartie, nous devons en appeler davantage à leur responsabilité : si elles sortent du cadre qui leur a été fixé, si elles outrepassent les autorisations qui leur ont été accordées, il faut être plus ferme, donner plus de poids à nos choix politiques, à nos textes, et les faire respecter.

Je voudrais, pour finir, souligner à quel point ce texte correspond aux réalités concrètes de notre territoire. J’ai la chance d’être le député d’un espace frontalier, en Alsace, ce qui me permet d’observer de près le fonctionnement du système allemand. Prenons l’exemple de l’apprentissage. En France, on voudrait développer l’apprentissage, mais on n’y arrive pas, et on observe avec une certaine jalousie le modèle allemand, sans comprendre ce qui ne va pas chez nous. Mais quand on y regarde de près, on comprend très bien ! En France, quand une entreprise prend un apprenti à sa charge, avec le risque financier que cela représente, elle ne peut lui faire faire que peu de choses, parce qu’une loi, un règlement ou une norme interdit par exemple à l’apprenti de changer une ampoule ou de monter sur un tabouret. En Allemagne, où le système juridique européen est pourtant le même qu’en France, rien ne s’oppose à ce qu’un apprenti fasse quasiment les mêmes tâches qu’un salarié, parce qu’un apprenti est là pour apprendre un métier.

C’est notre système normatif, notre logique de surtransposition systématique des directives européennes qui crée ces difficultés et qui suscite, chez nos concitoyens, une incompréhension croissante. Comment peuvent-ils comprendre que ce qui est possible en Allemagne ne l’est pas en France ? Pourquoi nous explique-t-on que ce sont des règles européennes qui interdisent certaines choses en France, alors qu’elles sont possibles en Allemagne ? Il faut réaffirmer, et ce texte a le mérite de le faire, que c’est notre système français qui introduit tous ces freins.

Ce texte donne une nouvelle occasion au Parlement de se saisir d’un outil de contrôle de l’action du Gouvernement. Pour garantir l’équilibre de nos institutions, le temps est venu de réaffirmer le rôle de notre assemblée en matière de contrôle et d’évaluation de l’action du Gouvernement : ce texte nous en donne la possibilité.

M. Philippe Latombe. Cette proposition de loi constitutionnelle, qui compte deux articles et qui vise à lutter contre la sur-réglementation, a été déposée par le groupe Les Républicains le 18 juillet 2017. Par principe et par fidélité à sa position politique historique, le groupe du Mouvement démocrate et apparentés est opposé, dans le plus grand respect des usages pratiqués par nos institutions, à toute proposition de loi constitutionnelle, estimant que ce type de réforme doit être laissé à l’initiative du Gouvernement, qui est mieux à même d’en formaliser la substance.

Sur le fond, pour réaliser une véritable politique de simplification, le Conseil d’État préconise trois objectifs : premièrement, la responsabilisation des décideurs publics ; deuxièmement, la maîtrise de l’emballement de la production normative, grâce à des études d’option avant la poursuite des projets de réforme ; enfin, la facilitation de l’application concrète de la norme par une accessibilité accrue de la loi.

L’inflation législative affecte en premier lieu les personnes les plus fragiles et compromet la cohésion sociale. Elle obère également la capacité des pouvoirs publics à conduire des politiques publiques dans des conditions satisfaisantes de sécurité juridique. Nul ne remet en cause les objectifs de cette proposition de loi, mais les mesures proposées ne semblent pas de nature à stopper cette inflation, et elles contribueront même à l’aggraver inutilement, alors que le Gouvernement a déjà pris des mesures en ce sens.

En effet, le Premier ministre a signé, en juillet 2017, une circulaire sur la maîtrise du flux des textes réglementaires et leur impact. Ce texte pose plusieurs principes essentiels pour lutter contre l’inflation normative, notamment la suppression ou, en cas d’impossibilité avérée, la simplification d’au moins deux normes existantes pour l’adoption de toute norme réglementaire nouvelle et l’introduction d’une évaluation du stock de normes dans chaque ministère. Cette mesure a été suivie, en septembre 2017, d’une circulaire qui impose aux ministères de construire un plan de transformation, dans lequel figurent la simplification administrative et l’amélioration de la qualité du service. En janvier 2018, enfin, a été signée une circulaire relative à la simplification du droit et des procédures en vigueur. Elle a confié à la Direction interministérielle de la transformation de l’action publique (DITP), qui a pris la suite du Secrétariat général pour la modernisation de l’action publique (SGMAP), une action résolue de simplification.

Enfin, la surtransposition des normes européennes peut causer des distorsions de concurrence au sein du marché unique et pénaliser les entreprises françaises. Toutefois, le fait de figer dans la Constitution l’interdiction d’un tel principe risque, en pratique, de se révéler peu fonctionnel, puisqu’il réduira la nécessaire marge de manœuvre du Gouvernement en ce domaine, alors même que ce dernier s’est clairement engagé dans cette lutte. Le groupe du Mouvement démocrate et apparentés, même s’il partage les objectifs de ce texte, considère que ce dernier ne constitue pas un corpus de règles permettant d’atteindre les objectifs énoncés.

Mme Cécile Untermaier. Dans son rapport sur l’insécurité juridique et la complexité du droit, le Conseil d’État faisait état de 10 500 lois et 120 000 décrets en vigueur en France et, dans l’exposé des motifs de votre proposition de loi, vous évoquez, pour votre part, « 400 000 règles issues du processus de réglementation ». Vous dénoncez à juste titre les conséquences de cette sur-réglementation sur la compétitivité des entreprises, puisqu’on estime qu’elle coûte entre 48 et 61 milliards d’euros par an.

Le groupe Socialistes et apparentés considère qu’il s’agit effectivement d’une question fondamentale, mais il n’est pas certain que les solutions que vous proposez soient les bonnes. Il faudrait, selon moi, élargir cette problématique à tous les professionnels, notamment aux magistrats, aux femmes et aux hommes de loi qui doivent sans cesse vérifier que le dispositif législatif n’a pas connu de nouvelle modification. Il faudrait également prendre en compte le point de vue des citoyens et des usagers, eux aussi victimes de cette inflation normative. Elle crée une insécurité juridique, puisque l’instabilité de la loi nous éloigne de l’adage selon lequel « nul n’est censé ignorer la loi ».

Toutes les majorités, quelles qu’elles soient, se sont un jour saisies de ce problème, avec plus ou moins de bonheur, mais toujours avec la même volonté. Notre assemblée avait mené une importante mission d’information sur la simplification législative, présidée par Mme Laure de La Raudière. Estimant que nous votions trop de lois, elle avait proposé une série de bonnes pratiques, dont certaines ont été introduites dans notre Règlement. Elle préconisait notamment, pour tout projet ou toute proposition de loi, de renforcer le travail en amont, avec une étude d’impact faisant le bilan de la législation existante et identifiant la charge administrative qu’une nouvelle disposition impliquerait pour les entreprises et les administrations. À ce bilan en amont devait s’ajouter, en aval, un rapport d’évaluation au bout de six mois. Ces dispositions ont été introduites dans notre Règlement intérieur : il ne nous reste plus qu’à les mettre en œuvre.

Je souhaite, enfin, émettre une petite réserve au sujet de cet élan de simplification, qui résonne favorablement dans tous les cercles d’intérêts. Nous devons nous méfier des messages simplificateurs, face à une société qui ne cesse de se complexifier en réclamant toujours davantage de sécurité sanitaire et juridique. Je ne prendrai qu’un exemple, celui du code de l’environnement : bien qu’il soit apparu récemment, il est devenu l’un de nos codes les plus imposants et il répond, de fait, à des exigences de la société. Pour reprendre une formule de la professeure Mireille Delmas-Marty, préférons toujours à la démagogie de la simplification la pédagogie de la complexité…

Ce texte se présente comme une entreprise de simplification. Les solutions qu’il propose nous semblent trop radicales, mais il est important de débattre de ces questions.

Le principe que vous affirmez à l’article 1er a l’apparence du bon sens, mais il n’en a que l’apparence. En effet, vous n’appréhendez la question que d’un point de vue comptable et purement mécanique : une règle contre une règle. Or la simplification doit davantage passer, aujourd’hui, par un exercice de codification des règles existantes, afin de mieux garantir leur accessibilité, sans considération du nombre de règles affectées. En effet, c’est la multiplication des sources du droit qui a conduit à la dispersion des règles entre de multiples codes. Pour répondre au défi de l’inflation et de l’insécurité juridiques, c’est une logique qualitative qu’il faut désormais adopter. Or ce texte n’envisage la question que du point de vue quantitatif.

Il me semble que c’est lors de l’examen préalable de l’étude d’impact que cette réflexion devrait être menée par le législateur. Il faudrait que la démonstration soit apportée qu’il s’agit d’une loi utile, qui n’introduit pas de charge supplémentaire. Un rapporteur spécialement chargé de cette analyse pourrait d’ailleurs utilement être nommé par notre Commission avant l’examen de tout projet de loi et notre Commission devrait être en capacité d’exiger du Gouvernement une telle analyse. Cette pratique devrait également s’appliquer aux propositions de loi.

L’article 2 porte sur la surtransposition des directives européennes. C’est une vraie question mais, en l’état de l’élaboration des directives et des règlements, et compte tenu du fait que les parlements nationaux ne sont pas associés en amont, il me semble préjudiciable pour le législateur de renoncer à sa souveraineté.

M. Michel Zumkeller. Le groupe UDI, Agir et Indépendants est favorable à cette proposition de loi : toute démarche de simplification nous semble bienvenue. La sur-réglementation concerne les entreprises, mais pas seulement. Tous ceux qui ont été ou qui sont encore un élu territorial constatent chaque jour que les réglementations coûtent très cher à nos collectivités, qu’elles nous font perdre du temps et qu’elles compliquent la compréhension même de la loi.

Il est certain que la transposition excessive des normes européennes est un problème. Cela étant, le rapport de notre collège Jean-Luc Warsmann a contribué à nuancer cette idée, sans oublier que certaines surtranspositions nous sont favorables : je songe par exemple au congé de maternité. Si nous nous en étions tenus à la directive européenne, nous aurions un congé de maternité moins favorable. Il importe donc, selon moi, d’étudier les choses au cas par cas.

Mais la question de fond, c’est la manière dont nous faisons la loi : en tant que législateur, nous avons aussi une part de responsabilité. Arrêtons de faire des lois bavardes, d’écrire des textes à la va-vite, en adoptant des amendements de dernière minute qui bouleversent l’équilibre du texte, entraînent la multiplication des circulaires et des décrets et font que les lois sont de moins en moins applicables. Depuis dix ou quinze ans, tous les gouvernements, toutes les commissions des Lois ont essayé d’améliorer les choses, mais ils se sont toujours heurtés à la haute administration, dont la raison d’être est précisément la création de normes. Nous n’arriverons pas à mettre fin à cette situation tant que le Gouvernement ne fera pas un choix politique clair.

Ce texte va dans le bon sens et nous le soutiendrons, mais rien ne changera tant que le Gouvernement n’affirmera pas clairement que ce n’est pas la haute administration qui dirige ce pays, mais les politiques. Un tel discours aurait le mérite de valoriser ce que nous sommes : des parlementaires. Il a beaucoup été question de la Constitution ; mais notre mission est de faire la loi, et nous souhaiterions que les textes que nous votons ne soient pas dénaturés par des décrets ou des circulaires.

M. Stéphane Peu. En guise de préambule, je tiens à dire que cette proposition de loi part d’un sentiment partagé et relève du bon sens. Qui dit inflation de la norme et de la loi dit, bien souvent, dévalorisation de la norme et de la loi. Comme l’a très bien dit Cécile Untermaier, l’adage « nul n’est censé ignorer la loi » est un pilier de l’État de droit, mais plus la loi est complexe, plus il est difficile de la connaître. Du reste, le problème de l’inflation législative n’est pas nouveau : Montesquieu écrivait déjà que « les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires ».

Cela étant, je reste, face à cette proposition de loi, dans un état d’esprit que je qualifierai de défavorablement dubitatif – si cette expression a un sens. Pour prolonger l’intervention de Cécile Untermaier, les choses iraient déjà mieux si nous disposions d’études d’impact bien faites avant de légiférer et si le Gouvernement n’avait pas pour habitude – et cela valait pour les précédents – de déposer, au beau milieu de l’examen d’un texte de loi, un amendement que personne n’a étudié et qui modifie profondément l’ensemble du texte.

Parce que je suis moi aussi un élu local et que je suis en contact avec le monde économique sur mon territoire, je peux témoigner que la demande qui s’exprime le plus fortement est une demande de stabilité : les gens n’ont pas envie de passer leur temps à s’adapter. Cela étant, il est vrai aussi que cette société de plus en plus complexe nous oblige à définir, pour chaque enjeu nouveau, un cadre législatif et normatif. Les choses ne sont pas simples, je le reconnais.

Mais ce qui suscite mon désaccord le plus vif, c’est le sentiment que cette proposition de loi constitutionnelle introduirait, dans les débats parlementaires, une sorte d’article 40 de la norme et de la loi. Or ce serait, pour moi, une entrave au pouvoir législatif. L’article 40 de la Constitution en est déjà une : je ne vois pas pourquoi le législateur devrait absolument, en toutes circonstances et sur tous les sujets, ne proposer que des mesures dont le coût serait compensé par une recette équivalente. Ce n’est pas ainsi qu’on doit faire la loi !

Michel Zumkeller a évoqué, à juste titre, l’exemple du congé de maternité. Mais, pour ma part, je suis très attaché à la souveraineté nationale, à la souveraineté de la France, et je n’ai pas envie que les transpositions des directives européennes s’imposent à nous sans que nous ayons notre mot à dire et sans que nous puissions les ajuster. La France a un modèle social, un pacte républicain et une organisation territoriale tout à fait singuliers. Je ne nie pas qu’il faille les réformer, mais nous devons exercer notre souveraineté et ne pas nous laisser imposer un modèle européen sans avoir la possibilité de l’amender. Repousser la surtransposition revient, dans les faits, à renoncer au droit d’amender ou d’adapter les directives européennes à notre histoire, à notre droit, à notre culture. C’est le point qui me choque le plus dans cette proposition de loi et, pour tout dire, je suis surpris que le groupe Les Républicains défende ce que je considère comme une entrave à la souveraineté nationale.

Enfin, si nous devons rendre la loi plus lisible, moins obèse, moins bavarde, ne limitons pas ce projet aux seules entreprises. La loi, c’est la loi commune pour tout le monde, les entreprises et les citoyens : l’orientation de ce texte me semble donc beaucoup trop restrictive.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous en venons aux questions des orateurs.

M. Pacôme Rupin. Je partage en tout point les propos de notre collègue Stéphane Peu. Je vous remercie, monsieur le rapporteur, d’avoir réalisé ce travail et d’avoir ouvert ce débat, qui est important pour nombre de nos concitoyens et de nos entreprises. Les contraintes administratives sont toujours trop lourdes. Pour avoir moi-même été entrepreneur, je dois dire que le « choc de simplification » qui s’est produit sous la précédente législature a surtout permis de supprimer des dispositifs qui n’étaient pas utilisés, beaucoup moins d’alléger le quotidien des entrepreneurs. Nous devons donc réfléchir à la manière de simplifier les démarches administratives qui viennent de notre propre pays, de notre propre réglementation : ce serait déjà un progrès important.

Je pense également que nous légiférons trop et que la loi est trop bavarde. Cela fait des années que c’est le cas et nous ferions mieux d’adopter des projets de loi qui simplifient radicalement les lois précédentes, qui les rendent plus synthétiques.

Si nous légiférons trop, nous devons en revanche garder souverainement la possibilité d’amender les directives européennes : c’est pourquoi votre article 2 me laisse perplexe. Il est important de débattre de ces questions, mais je ne suis pas sûr que les solutions que vous proposez constituent une réponse adaptée. Vous risquez de manquer votre cible, même si je partage votre objectif.

Mme Laurence Vichnievsky. J’ai écouté avec beaucoup d’intérêt les différentes interventions de mes collègues. Ce sujet me touche particulièrement, parce que j’ai été confrontée à la difficulté d’appliquer des lois quasiment inapplicables.

Cette question mérite d’être débattue, mais la façon dont elle est abordée ne me semble pas être la bonne. Notre collègue Cécile Untermaier a dit très justement qu’une codification de textes épars et peu maniables présenterait un intérêt pour les utilisateurs. Mais une autre méthode à laquelle nous devrions tous réfléchir est celle de la feuille blanche, car un texte qui se superpose à un autre devient illisible. Non seulement tout le monde ignore la loi, mais tout le monde l’applique et l’interprète mal… Nous devrions avoir en tête l’idée de rédiger un texte in extenso lorsque nous avons matière à légiférer, ce qui n’est pas toujours le cas – d’où l’importance des études d’impact.

M. Pierre Cordier, rapporteur. Monsieur Mendes, j’aimerais citer une phrase que M. Jean-Marc Sauvé a prononcée lorsqu’il était vice-président du Conseil d’État, en 2016 : « Les maux qui affectent la production et la mise en œuvre de notre droit […] n’ont pas été traités et ils se sont aggravés faute d’une posologie suffisante, faute d’une médication efficace, faute surtout d’une volonté constante, claire et déterminée de guérir ». Ce témoignage d’un vice-président du Conseil d’État, que sa fonction plaçait au-dessus de la mêlée, montre à quel point il est nécessaire de franchir une étape supplémentaire. Vous avez évoqué la circulaire du Premier ministre, mais le projet de loi, voté par le Sénat, auquel vous avez fait référence, n’a pas encore été inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Si je vous comprends bien, il est urgent de ne rien faire ! J’imagine que, comme nous tous ici, vous rencontrez des chefs d’entreprise sur le terrain. Je serais très étonné si vous me disiez que tout va bien pour eux, que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, qu’ils n’ont aucun problème en matière d’environnement, d’extension de bâtiments, de création d’emplois.

Vous nous parlez de la circulaire du Premier ministre, mais j’ai rappelé celles de Jean-Pierre Raffarin et de Jean-Marc Ayrault : tous les gouvernements ont voulu progresser sur cette question. Pour ma part, je vous propose un véritable choc : ce n’est plus le choc de simplification, mais l’inscription de quelques principes dans notre Constitution. Il faut arrêter de « tourner autour du pot » : à ce rythme-là, nous n’aurons pas progressé d’un iota dans dix ans.

Notre collègue Raphaël Schellenberger a utilisé le terme de « fléau » et je partage son point de vue. Je suis, comme lui, l’élu d’un département frontalier, avec la Belgique ; l’exemple allemand qu’il a donné est tout à fait éclairant. Les chefs d’entreprise et les patrons de PME nous disent qu’ils sont écrasés par toutes ces normes, et qu’il est urgent de franchir une nouvelle étape. Il y va aussi de la responsabilité du Parlement : tout comme lui, je pense que la Ve République mériterait d’être un peu dépoussiérée afin que nous puissions gagner en efficacité.

Plusieurs d’entre vous ont posé la question de l’efficience des études d’impact. Lorsque j’ai déposé une proposition de loi sur le démarchage téléphonique, on m’a répondu qu’il fallait faire une étude d’impact pour en mesurer les conséquences en termes de création et de destruction d’emplois. Mais le démarchage continue de pourrir la vie de nos concitoyens et l’étude d’impact, je l’attends toujours… C’est une jolie expression, qui consiste en réalité à reporter à demain ce que l’on pourrait faire aujourd’hui. Madame Untermaier, monsieur Peu, vous avez beaucoup insisté sur ces études d’impact, mais je crois qu’il faut passer à la vitesse supérieure : c’est ce que demandent les représentants des chefs d’entreprise et des PME que nous avons auditionnés.

Madame Untermaier, vous dites qu’il faut associer les citoyens aux interrogations sur l’inflation normative, mais les chefs d’entreprise sont aussi des citoyens. Ce sont des gens qui vivent leur métier à fond et qui sont eux aussi soucieux de respecter des règles. Leur intention n’est pas de faire n’importe quoi dans une zone protégée autour d’un bâtiment classé ou une zone humide. Et notre but n’est pas de mettre en place un système anarchique où chacun ferait ce qu’il veut, quand il veut, où il veut mais de simplifier. Nous posons le principe suivant : à partir du moment où une norme nouvelle est créée, une autre doit disparaître.

Nous ne prétendons pas faire une œuvre révolutionnaire en la matière. Les exemples du Royaume-Uni, des Pays-Bas et de l’Allemagne parlent d’eux-mêmes. Quand on regarde le taux de chômage dans ces pays, la manière dont leurs entreprises y investissent et savent se défendre à l’étranger en termes d’exportations, nous voyons bien que nous avons encore beaucoup de progrès à faire en France.

Monsieur Zumkeller, vous avez appelé à raison à étendre cette démarche aux collectivités locales. J’ai eu la chance d’être maire, vice-président de conseil général et d’agglomération, pendant plus de quinze ans. Ce sont des problèmes auxquels nous sommes confrontés au quotidien, en particulier dans nos petites communes. Quand on est maire d’une commune de 1 000, 1 500 ou 2 000 habitants et qu’on doit faire face à cet enchevêtrement de normes, les choses ne sont pas simples, qu’il s’agisse des ressources humaines, de la réglementation routière ou de la défense incendie. Comme j’ai aussi eu la chance de présider pendant six ans un service départemental d’incendie et de secours (SDIS), j’en profite pour faire une parenthèse, madame la présidente : la proposition de loi d’Arnaud Viala était riche en propositions intéressantes et je trouve vraiment dommage que la majorité se soit arc-boutée sur certains principes au seul motif que ce texte provenait du groupe Les Républicains.

Ma proposition de loi est effectivement centrée sur l’économie et la vie des entreprises car j’estime que le projet de loi PACTE n’a pas répondu aux objectifs qui lui étaient fixés au départ. Les intentions étaient bonnes mais vous n’êtes pas allés jusqu’au bout de votre logique, ce que je regrette.

Monsieur Peu, vous soulignez avec justesse que le constat qu’il y a trop de normes n’a rien de nouveau ; votre citation de Montesquieu était très pertinente. Je vous rejoins aussi sur la nécessaire stabilité : les chefs d’entreprise sont soumis à une telle instabilité législative et réglementaire qu’ils ne savent plus où donner de la tête, d’où notre volonté de « dépoussiérer ».

Madame Vichnievsky, je suis heureux de vous entendre dire que vous avez vous-même été confrontée à ces problèmes. Nous sommes sur la même ligne s’agissant des études d’impact. Vous proposez d’aller plus loin. Je précise que si je me suis focalisé sur le domaine économique, c’est parce que cela me semblait le plus urgent.

De manière générale, il me semble inquiétant de vouloir en rester au statu quo. Quand vous rentrerez dans vos circonscriptions, mes chers collègues, vous rencontrerez des chefs d’entreprise qui continueront à vous dire qu’ils sont freinés par les lois et les règlements. Lors des auditions, M. Marc Guillaume, Secrétaire général du Gouvernement, ou des représentants du secrétariat général des affaires européennes, nous ont expliqué que les chefs d’entreprise avaient peut-être le « sentiment » de subir trop de normes, mais que ces normes étaient heureusement là pour encadrer certaines pratiques. Il est évident qu’il faut des normes car on ne peut se contenter de l’anarchie. Il n’en demeure pas moins que les chefs d’entreprise demandent à respirer pour pouvoir investir, créer de l’activité et embaucher. C’était précisément la philosophie de ce texte…

La Commission en vient à l’examen des articles de la proposition de loi constitutionnelle.

Article 1er (article 37-1 de la Constitution) : Lutter contre la sur-réglementation

La Commission rejette l’article 1er.

Article 2 (article 37-2 de la Constitution [nouveau]) : Lutter contre la surtransposition des textes européens

La Commission rejette l’article 2.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. La Commission ayant rejeté la totalité des articles de la proposition de loi constitutionnelle, celle-ci est donc rejetée dans son ensemble. Elle sera examinée le jeudi 4 avril, dans sa version initiale, en séance publique.

*

*     *

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande de rejeter la proposition de loi constitutionnelle visant à lutter contre la sur-réglementation (n° 101).


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   Personnes entendues

   M. Marc Guillaume, secrétaire général

   Mme Sandrine Gaudin, secrétaire générale

   Mme Constance Deler, cheffe du secteur Parlement national et Parlement européen

   Mme Marie-Christine Armaignac, cheffe de la mission simplification et évaluation

   Mme Joëlle Simon, directrice générale adjointe

   M. Jules Guillaud, chargé de mission senior à la direction des affaires publiques

   Mme Bénédicte Caron, vice-présidente en charge des affaires économiques

   M. Lionel Vignaud, directeur des affaires économiques, juridiques et fiscales

   Mme Sabrina Benmouhoub, chargée de mission affaires publiques et organisation

   M. Alain Mathieu, président d’honneur de Contribuables associés

   M. Julien Dubertret, inspecteur général des Finances

   M. Philippe Schil, ingénieur général des Mines

    M. Serge Catoire, ingénieur général des Mines

(*) Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.


([1]) Georges Vedel, actes du colloque LÉtat de droit au quotidien, 11 et 12 octobre 1993, p. 65.

([2]) Conseil d’État, Simplification et qualité du droit, étude annuelle adoptée par l’assemblée générale du Conseil d’État le 13 juillet 2016, La Documentation française, 2016.

([3]) Circulaire du 6 juillet 2010 relative au moratoire applicable à l’adoption de mesures réglementaires concernant les collectivités territoriales, leurs groupements et leurs établissements publics ; circulaire du 17 février 2011 relative à la simplification des normes concernant les entreprises et les collectivités territoriales ; guide de bonnes pratiques concernant la transposition des directives européennes du Secrétariat général des affaires européennes de 2011 ; circulaire du 17 juillet 2013 relative à la mise en œuvre du gel de la réglementation ; circulaire du 12 octobre 2015 relative à l’évaluation préalable des normes et à la qualité du droit.

([4]) Circulaire du 17 juillet 2013 relative à la mise en œuvre du gel de la réglementation.

([5]) Parmi les plus récents, on peut citer : Conseil d’État, Simplification et qualité du droit, étude annuelle 2016 adoptée le 13 juillet 2016 et Mesurer linflation normative, étude présentée le 3 mai 2018 ; rapport d’information n° 2268 déposé par la commission des Lois sur la simplification législative et présenté par Mme Laure de La Raudière et M. Régis Juanico, Assemblée nationale, XIVe législature, 9 octobre 2014.

([6]) Conseil dÉtat, Directives européennes : anticiper pour mieux transposer, étude présentée le 26 mars 2015 ; Inspection générale des finances et Conseil général de l’économie, de lindustrie, de l’énergie et des technologies, MM. Julien Dubertret, Philippe Schil et Serge Catoire, Les écarts réglementaires entre la France et les pays comparables, rapport remis au ministre de lÉconomie, de lindustrie et du numérique, mars 2016 ; rapport d’information n° 532 déposé par la commission des Lois sur les moyens de lutter contre la surtransposition des directives européennes dans le droit français et présenté par Mme Alice Thourot et M. Jean-Luc Warsmann, Assemblée nationale, XVe législature, 21 décembre 2017.

([7]) À ces lois s’ajoutent les lois autorisant la ratification des accords internationaux.

([8]) En Allemagne : Office fédéral des statistiques, chargé de contrôler les coûts effectifs après l’entrée en vigueur de la loi, et Conseil de contrôle des normes, qui contrôle les études d’impact et les évaluations ex post de la loi ; aux Pays-Bas : ACTAL, organisme indépendant qui conseille le Gouvernement et le Parlement sur la manière de maintenir la charge réglementaire à un niveau minimal et produit des avis ex ante et ex post sur les lois ; au Royaume-Uni : Regulatory Policy Committee (RPC), chargé d’autoriser ou non le projet de loi et son étude d’impact.

([9]) Selon laquelle une évaluation de la loi est réalisée à l’issue d’un délai qui peut déboucher sur un maintien de la loi en l’état, des modifications ou bien sa disparition.

([10]) Selon laquelle est organisé un régime général de décision implicite d’acceptation d’une demande d’autorisation.

([11]) Conseil d’État, Directives européennes : anticiper pour mieux transposer, étude adoptée le 26 mars 2015 par l’assemblée générale plénière du Conseil d’État, La Documentation française, 2015.

([12]) Conseil d’État, Simplification et qualité du droit, étude annuelle adoptée par l’assemblée générale du Conseil d’État le 13 juillet 2016, La Documentation française, 2016.

([13]) L’article 20 de la loi n° 2018-32 du 22 janvier 2018 de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 prévoit ainsi que « Le rapport entre, dune part, le montant annuel des dépenses fiscales et, dautre part, la somme des recettes fiscales du budget général, nettes des remboursements et dégrèvements, et des dépenses fiscales ne peut excéder 28 % pour les années 2018 et 2019, 27 % pour lannée 2020, 26 % pour lannée 2021 et 25 % pour lannée 2022. Les créations ou extensions de dépenses fiscales instaurées par un texte promulgué à compter du 1er janvier 2018 ne sont applicables que pour une durée maximale de quatre ans, précisée par le texte qui les institue ».

([14]) Rapport sur la qualité et la simplification du droit, M. Jean-Luc Warsmann, parlementaire en mission auprès du Premier ministre, décembre 2008.

([15]) Votre rapporteur n’a pas pu obtenir communication de ces plans, ces derniers faisant « encore lobjet dactualisations ».

([16]) Proposition de loi n° 8 tendant à améliorer la lisibilité du droit par l’abrogation de lois obsolètes, déposée par M. Vincent Delahaye, Sénat, 2018-2019.

([17]) On peut notamment citer le projet de décret relatif au contrôle technique des véhicules utilitaires légers qui prévoyait d’avancer la date du premier contrôle technique et de renforcer significativement les points de contrôle effectués dans le cadre des contrôles techniques complémentaires, qui aurait représenté un coût annuel de près de 36 millions d’euros à la charge des entreprises et des particuliers.

([18]) Si l’économie nette pour l’ensemble des publics visés s’élève à près de 20 millions d’euros, elle s’établit dans le détail à 20 millions d’euros pour les entreprises, à plus de 22 millions d’euros pour les collectivités territoriales et est quasi-nulle pour les services déconcentrés de l’État. En revanche, les particuliers pâtissent d’un coût net de 23 millions d’euros.

([19]) Cette mission d’inspection regroupait les inspections générales des finances, de l’administration et des affaires sociales ainsi que les conseils généraux de l’environnement et du développement durable, de l’économie, de l’industrie, de l’énergie et des technologies, de l’agriculture, de l’alimentation et des espaces ruraux.

([20]) Il s’agit, en l’espèce, de la directive (UE) 2017/828 du 17 mai 2017 en vue de promouvoir l’engagement à long terme des actionnaires.