N° 1972

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 22 mai 2019.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI ADOPTÉ PAR LE SÉNAT, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume de Belgique
relatif à la coopération dans le domaine de la mobilité terrestre,

PAR M. Jacques MAIRE

Député

——

ET

ANNEXE : TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

 

 Voir les numéros :

Assemblée nationale : 1825, 1954.

Sénat : 314, 396, 397 et T.A. 82 (20182019).

 


 

 


  1  

SOMMAIRE

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 Pages

introduction

I. La genèse de l’accord : une convergence exceptionnelle entre les armées de terre belge et française

A. la relation de défense franco-belge : deux armées qui se connaissent bien, deux visions stratégiques proches

1. La France et la Belgique, deux armées voisines habituées à se côtoyer et dotées d’une culture stratégique assez proche

2. Des convergences de plus en plus fortes entre les visions stratégiques française et belge

B. le programme français scorpion, une réponse au besoin opérationnel de l’armée de terre qui rencontre l’adhésion de la Belgique

1. Scorpion, un programme qui révolutionne la capacité de combat médiane terrestre, en réponse au besoin opérationnel de l’armée française

2. La Belgique a identifié Scorpion comme la réponse ad hoc au besoin de sa propre composante terrestre

II. l’accord « camo » : un dispositif audacieux et innovant, dont la portée est bien supérieure À un simple contrat d’armement

A. Un accord d’armement soumis au Parlement, une première

1. Aucun accord d’armement n’a jamais été soumis au Parlement jusqu’à ce jour

2. L’accord franco-belge, un type d’accord nouveau entrant dans le champ de l’article 53 de la Constitution

B. les modalités de l’acquisition par la Belgique d’une premiÈre capacité motorisée terrestre

1. Les stipulations de l’accord

2. Les grandes échéances du programme et son articulation avec le programme français Scorpion

C. Au-delà du contrat d’armement, un véritable partenariat stratégique

1. Le champ de l’accord est bien plus large que la simple vente d’équipements

2. Le choix de cette formule s’explique par la volonté belge de simplifier ses acquisitions d’armement et d’en faire un instrument d’intégration

III. de l’utilité de l’approbation du présent accord

A. une utilité économique immmédiate et incontestable pour l’industrie d’armement terrestre française

1. Un contrat d’armement d’un montant substantiel, qui devrait en appeler d’autres

2. Les retours sociétaux consentis à l’industrie belge, un tempérament nécessaire et limité en ampleur

3. Des effets induits très positifs sur l’attractivité du programme Scorpion

B. des risques trÈs limités pour l’État français

C. une manifestation concrÈte et forte de l’europe de la dÉfense

D. l’émergence d’un modèle français de partenariat d’export et son potentiel en termes d’influence

conclusion

EXAMEN EN COMMISSION

ANNEXE  texte adopté par la commission

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR

 


  1  

   introduction

 

 

L’Assemblée nationale est appelée à se prononcer sur l’accord conclu le   7 novembre 2018 entre la France et la Belgique, relatif à leur coopération dans le domaine de la mobilité terrestre.

Cet accord, adopté par le Sénat le 28 mars 2019, recouvre un contrat d’armement d’une ampleur substantielle, dans le cadre de l’acquisition par la Belgique d’une première capacité motorisée (programme CaMo) : au total, environ 1,5 milliard d’euros seront investis par la Belgique entre 2020 et 2030, pour acheter un système de combat calqué sur celui choisi pour le renouvellement de l’armée de terre française : le programme Scorpion.

Dans le cadre de cet accord, la France se substitue à l’État belge pour négocier et mettre en œuvre, avec le maître d’œuvre industriel – Nexterle contrat CaMo. Cette formule répond à une demande d’accompagnement étatique de la part de la Belgique, qui a conduit le ministère des Armées, en lien avec les autres ministères, à élaborer la première version d’un « contrat de partenariat gouvernemental », adaptation française du Foreign military sales (FMS) américain.

Ce précédent est intéressant dans un contexte de questionnements sur la politique d’exportation d’armements de la France. Votre rapporteur juge très utile que le Parlement soit appelé à se prononcer sur la formule du contrat de partenariat gouvernemental et trouve indispensable que la réflexion se poursuive sur son utilisation, notamment à des fins de meilleur contrôle sur l’utilisation des armements vendus par la France.

Le présent accord ne saurait néanmoins se résumer à une acquisition d’armements par la Belgique. Il va bien au-delà. Via l’acquisition de capacités identiques en France et en Belgique, il vise, à terme, une intégration très forte des armées de terre de nos deux pays.

À la clé, il y a des économies d’échelle sur les soutiens liés à ces capacités, une interopérabilité sans précédent entre deux armées de terre européennes, des possibilités de déploiements conjoints en opération, de nouvelles opportunités en matière de coopération industrielle, voire d’intégration industrielle européenne. En un mot, à la clé, il y a une incarnation concrète et décisive de l’Europe de la défense.

Dans cette affaire, il faut reconnaître et louer le pragmatisme et le volontarisme de la Belgique, qui s’est, de manière proactive, tournée vers la France avec cette demande de partenariat très ambitieux.

La réaction du gouvernement et de l’armée française a été à la hauteur de l’enjeu. Votre rapporteur estime que l’accord qui en résulte est un bon accord, totalement en cohérence avec l’ambition française d’une autonomie stratégique nationale et sa volonté, martelée dans le cadre du rapport annexé à la loi de programmation militaire 2019-2025, d’enfin construire une autonomie stratégique européenne.

 

 

 

 


  1  

I.   La genèse de l’accord : une convergence exceptionnelle entre les armées de terre belge et française

L’accord CaMo résulte de l’analyse stratégique faite par la Belgique, qui l’a conduite à considérer que ses besoins opérationnels étaient similaires à ceux de l’armée de terre française. La Belgique a alors explicitement formulé sa volonté de se doter du système d’équipement terrestre français Scorpion, technologiquement et conceptuellement très avancé, avec derrière une ambition très forte en termes d’intégration.

A.   la relation de défense franco-belge : deux armées qui se connaissent bien, deux visions stratégiques proches

1.   La France et la Belgique, deux armées voisines habituées à se côtoyer et dotées d’une culture stratégique assez proche

En raison de leur frontière partagée, et du fait de leur appartenance commune à l’Union européenne et à l’OTAN, les armées françaises et belges sont naturellement assez familières l’une de l’autre. Elles ont intégré les standards et procédures de l’OTAN, qui prévoient une interopérabilité entre toutes les forces armées de l’Alliance au niveau des brigades (5000 militaires).

Elles ont par ailleurs développé une coopération qui couvre des domaines variés. De nombreux stagiaires belges suivent une formation et un entraînement au sein des unités et écoles françaises, et réciproquement. Par exemple, les forces armées belges s’entraînent à la plongée en France, tandis que les forces terrestres françaises ont accès aux centres de tir sur l’eau belge.

Dans le domaine aérien, la France et la Belgique ont développé une coopération transfrontalière contre les menaces non militaires. Elles sont par ailleurs toutes deux impliquées dans le commandement européen du transport aérien (EATC : European air transport command) qui mutualise les moyens aériens de transport, de ravitaillement et d’évacuation sanitaire de plusieurs pays d’Europe. Dans le cadre de l’Organisation conjointe de coopération en matière d’armement (OCCAr), nos deux pays participent conjointement au programme d’avions de transport A400M, ainsi qu’au programme d’hélicoptères de transport NH90 (dans le cadre de l’OTAN), ces coopérations se traduisant par des programmes de formation communs.

Plusieurs escales de bâtiments de la Marine Nationale réalisées chaque année dans les ports belges soulignent la relation étroite qui existe entre les marines des deux pays.

Les armées belge et française sont par ailleurs habituées à se côtoyer sur les théâtres d’opération, où les Belges sont traditionnellement assez présents, dans le cadre de coalitions souvent sous l’égide d’organisations internationales. Elles ont ainsi été engagées côte à côte au Kosovo, en Afghanistan, au Liban (FINUL), au Tchad (EUFOR RCA), en Libye, dans l’océan Indien (Atalante), mais aussi, plus récemment, au Levant et dans le Sahel. Ainsi, de 2015 à décembre 2017, six F-16 belges étaient déployés en Jordanie dans le cadre de la coalition internationale contre Daech, aux côtés des aéronefs français. 

À l’heure actuelle, les plus gros contingents belges sont déployés dans le cadre de la présence avancée rehaussée de l’OTAN dans les États d’Europe orientale et balte. Un détachement belge (environ 270 militaires) achève actuellement un engagement de 4 mois en Estonie, sous commandement britannique ; il est relayé par un détachement de l’armée de terre française.

La Belgique s’est également impliquée résolument dans le Sahel et en Afrique centrale, où les Européens sont généralement particulièrement difficiles à mobiliser. Elle a pris le commandement de la mission de formation de l’Union européenne en République centrafricaine (EUTM RCA) entre janvier et juillet 2017, relayant la France à cette responsabilité. Ce sont également les Belges qui ont assuré le commandement de la mission EUTM Mali entre juillet 2016 et janvier 2018, et le commandement de la mission des Nations Unies dans ce pays (MINUSMA) entre avril 2017 et octobre 2018.

Les Belges ont engagé dans cette zone des capacités militaires critiques pour la mission et pour la force française Barkhane : deux hélicoptères NH90, puis un avion de transport C-130 Hercules. Bien qu’ayant un peu réduit leur engagement depuis, ils sont encore présents avec une centaine de militaires au sein de la MINUSMA, et 25 autres dans le cadre de l’EUTM Mali.

Il convient enfin de noter que la Belgique a, comme la France, fait le choix de déployer ses militaires sur le territoire national dans la foulée des attentats terroristes de 2015, dans le cadre de l’opération Vigilant Guardian.

Cet engagement doit être apprécié au regard de la petite taille de l’armée belge, dont la composante terrestre ne compte que 13 500 militaires. Les militaires français soulignent à quel point la contribution belge aux opérations extérieures est précieuse et de qualité. Les militaires belges sont très bien formés et entraînés et ont une culture stratégique assez proche de celle des militaires français. Il s’agit d’une armée expéditionnaire, qui n’hésite pas à s’engager au front, dans les zones les plus risquées, et à faire usage de la force armée si nécessaire. En Europe, cette culture est en réalité très minoritaire.

La coopération avec les Belges sur les théâtres africains est en outre grandement facilitée par la francophonie des Belges, dont les officiers sont systématiquement au moins bilingues. Preuve de son appétence pour une armée d’emploi, au même titre que la France, la Belgique a fait partie des premiers pays à s’engager dans l’Initiative européenne d’intervention (IEI) lancée sur l’initiative du Président de la République en juin 2018. Ce projet, construit autour d’un socle restreint d’États européens ayant démontré leur volonté politique et leur capacité militaire d’assumer un engagement en opérations au service de la sécurité européenne, vise à favoriser l’émergence d’une culture stratégique européenne commune, à des fins opérationnelles.  

2.   Des convergences de plus en plus fortes entre les visions stratégiques française et belge

L’armée belge jouit ainsi d’une excellente réputation parmi les militaires français. Elle a toutefois beaucoup pâti des dividendes de la paix, qui se sont traduits par des coupes budgétaires drastiques et une forte réduction des effectifs militaires. L’armée belge ne devrait ainsi plus compter que 25.000 personnels militaires en 2030.

Comme en France, les attentats terroristes de 2015 ont toutefois provoqué un sursaut qui s’est manifesté par l’adoption, en 2016, de la Vision stratégique 2030. Celle-ci prévoit un important réinvestissement dans les capacités militaires de la Belgique. Cela implique un accroissement du budget de défense belge de 0,9 à 1,3 % du PIB à l’horizon 2030, acté par le vote, en mai 2017, d’une loi de programmation militaire pour la période 2016-2030. Ce réinvestissement doit permettre de moderniser en profondeur toutes les composantes de l’armée belge, via l’acquisition de capacités clés : avions de chasse, chasseurs de mines, frégates, blindés, drones, etc.

La Vision stratégique belge pose des constats similaires à ceux de la Revue stratégique française de 2017. L’analyse des menaces auxquelles l’Europe est confrontée est concordante avec celle de la France : la « périphérie sud » est mentionnée en premier, de même que le rôle prioritaire des pays européens pour contribuer à la stabilisation de cette zone, le cas échéant par des moyens militaires. La Belgique accorde également de l’importance à la stabilisation de l’Afrique centrale, généralement hors du champ de la plupart des pays européens, en raison de ses liens particuliers avec ses anciennes colonies, Rwanda, Burundi et République démocratique du Congo. La périphérie Est de l’Europe arrive ensuite, la Vision stratégique belge mettant en avant, comme en France, la nécessaire solidarité avec les pays d’Europe orientale et baltes, confrontés à une plus grande agressivité russe.

Au total, la Vision stratégique belge est irriguée par deux grandes idées. D’une part, l’Europe doit passer du statut de security consumer au statut de security provider, ce qui implique que les États membres fassent un effort substantiel pour renforcer leurs capacités de défense et leur autonomie stratégique :

« Cette constatation ne fait que renforcer la nécessité pour les pays européens de devenir un acteur militaire plus autonome de la sécurité sur et autour du continent européen. La sécurité belge et européenne dépend plus que jamais de la paix et de la sécurité dans le monde. Les moyens non militaires ont un rôle crucial à jouer dans la promotion d’un monde tolérant, sûr et prospère. Mais la Défense reste un outil indispensable de la toolbox des États. »

D’autre part, les contraintes budgétaires auxquelles la Belgique est confrontée, associées à la baisse inexorable de ses effectifs militaires et à l’ampleur des menaces analysées, font que la Belgique n’a pas la masse critique pour tout faire toute seule. Elle doit donc favoriser les efforts de mutualisation à l’échelle de l’Europe et faire en sorte d’y apporter une contribution substantielle, notamment en matière de soutien stratégique. Elle doit par ailleurs développer une intégration plus poussée avec certains pays « partenaires stratégiques », fondée sur l’acquisition de capacités identiques, permettant de mutualiser le soutien, la maintenance, la formation, etc., et d’intervenir en commun.

Cette Vision stratégique belge très claire et réaliste s’articule parfaitement avec la Revue stratégique française de 2017. La France y fait de la quête d’une autonomie stratégique européenne un enjeu central, pouvant être atteint par des solutions à géométrie variable, institutionnelles ou non, mais qui reposent prioritairement sur des partenariats structurants avec certains pays partageant nos préoccupations, notre culture militaire et notre volonté d’agir :

« Dans la nouvelle Europe qui se dessine, la France doit proposer des partenariats de défense ambitieux à ses partenaires, selon une logique différenciée et en priorité aux pays européens volontaires et capables. Ceci implique de soutenir, au sein comme en dehors de l’UE et de l’OTAN, toutes les initiatives prometteuses qui renforcent la convergence stratégique entre Européens et intéressent leur sécurité commune. »

B.   le programme français scorpion, une réponse au besoin opérationnel de l’armée de terre qui rencontre l’adhésion de la Belgique

La convergence stratégique décrite ci-dessus entre la France et la Belgique a trouvé un point d’ancrage capacitaire avec le programme français d’armement terrestre Scorpion.

1.   Scorpion, un programme qui révolutionne la capacité de combat médiane terrestre, en réponse au besoin opérationnel de l’armée française

Le programme Scorpion, lancé en France en décembre 2014, est un programme structurant de renouvellement et de modernisation de la capacité de combat de l’armée de terre.  Bien au-delà du simple renouvellement de véhicules, ce programme vise à mettre en place un nouveau système de combat fondé sur une approche collaborative. Il a été élaboré en réponse au besoin opérationnel formulé par l’armée française. Fréquemment engagée en opération avec des effectifs relativement restreints, l’armée devait pouvoir valoriser au mieux l’élément humain à tous les échelons, en accroissant les possibilités d’échanges d’information et en renforçant sa protection.

Le programme Scorpion vise ainsi à assurer la modernisation des groupements tactiques interarmes (GTIA) – des formations interarmes de 700 à 1 500 militaires constituant généralement l’unité de déploiement en opération – autour de la notion de combat collaboratif. Pour cela, Scorpion prévoit la mise en place d’un système d’information et de communication (le SICS) destiné à assurer la cohérence des systèmes en service et à permettre une remontée et un partage d’information immédiats, à tous les niveaux.

Scorpion intègre par ailleurs le remplacement des véhicules blindés actuellement en service, en misant plutôt sur des blindés moins lourds que la plupart des pays de l’OTAN, mais mieux adaptés aux opérations en Afrique : le véhicule blindé multi-rôles (VBMR), successeur du véhicule de l’avant blindé (VAB), fait ainsi 25 tonnes, contre 30 à 40 tonnes pour des blindés lourds. Ces derniers doivent en outre être équipés de chenilles et posent généralement d’importants problèmes de maintenance, critères qui ont également pesé dans le choix français.

Enfin, Scorpion intègre une refonte complète du système de préparation opérationnelle au combat, en cohérence avec les nouvelles possibilités offertes par le combat collaboratif.

Au total, le programme Scorpion représente une petite révolution pour l’armée de terre et une vraie innovation capacitaire et conceptuelle, par rapport à ce font les armées de terre les plus performantes dans le monde, jusqu’aux États-Unis. Ce programme doit fournir à l’armée française une vraie avance capacitaire, avec un modèle jusqu’alors peu exploré, mais appelé à prospérer, dans la mesure où nombre de pays sont concernés par la réduction de la taille de leurs armées.

Le programme Scorpion est réalisé dans le cadre d’un groupement momentané d’entreprises qui rassemble Nexter Systems, Arquus (anciennement Renault Trucks Defense) et Thales communications et sécurité. Financé par la loi de programmation 2019-2025, il doit se traduire par des premières livraisons de Griffon (nom donné au VBMR) dès la fin de l’année 2019, pour un premier GTIA projetable dès 2021 et une force opérationnelle terrestre entièrement renouvelée à l’horizon 2033.

2.   La Belgique a identifié Scorpion comme la réponse ad hoc au besoin de sa propre composante terrestre

Dans sa Vision stratégique de 2016, la Belgique identifiait les ancrages capacitaires européens envisageables dans le domaine terrestre et mentionnait explicitement le programme français Scorpion :

« Dans la période prévue pour l’acquisition d’une capacité de remplacement pour les MPPV (Dingo) et les AIV (Piranha) de 2025 à 2030 inclus, un programme entre actuellement déjà en ligne de compte dans nos pays voisins, à savoir le programme français Scorpion. (…) Une collaboration éventuelle avec la France peut offrir une importante opportunité pour assurer efficacement l’appui (notamment la formation, la doctrine, la maintenance, l’appui logistique) de notre capacité motorisée interarmes. »

Dans une situation où elle dispose d’effectifs restreints, et souhaite continuer à se déployer en opération, l’armée de terre belge a ainsi identifié le programme Scorpion français comme répondant parfaitement à son besoin opérationnel. Cette convergence est d’autant mieux assurée que les calendriers de renouvellement des armées de terre française et belge sont concordants : dans les deux cas, l’horizon visé est aux alentours de 2030, avec un démarrage belge un peu décalé (2025) par rapport aux premières livraisons françaises (2019). Cette concordance, de même que la proximité géographique immédiate, offrent ainsi la possibilité de mutualiser les soutiens.

La Belgique a donc, de manière proactive, initié une démarche visant à acquérir plusieurs centaines de véhicules blindés du programme Scorpion auprès de la France. Elle a, à cette fin, présenté en octobre 2016 un dossier de demande d’entente préalable devant la commission des achats militaire du Parlement belge, lequel a donné son accord. Ceci a permis l’ouverture, en juillet 2017, des négociations avec la France, marquée par l’adoption d’une déclaration d’intention commune.

En cohérence avec les positions exprimées dans sa Vision stratégique, la Belgique ne voulait pas se limiter à un simple achat d’armement ; elle souhaitait, plus profondément, développer une intégration poussée avec l’armée de terre française, en profitant de cet ancrage capacitaire. Elle voulait donc que, par ce contrat, ce ne soit pas simplement les industriels français qui s’engagent, mais également l’État français et l’armée française, dans le cadre d’un véritable partenariat stratégique.

Ces demandes ont trouvé un écho très favorable chez la partie française. Les négociations se sont engagées sur le contenu et le périmètre du contrat, ainsi que sur la formule juridique susceptible de répondre au mieux aux contraintes des deux pays. Côté français, des discussions interministérielles ont permis d’élaborer le montage juridique et financier ad hoc dans des délais rapides. Les parties se sont ainsi entendues sur un texte finalisé en juillet 2018, lequel a donné lieu à un dossier d’attribution soumis au Parlement belge en octobre 2018, avant d’être adopté par le conseil des ministres belge. L’accord relatif à la coopération franco-belge dans le domaine de la mobilité terrestre a ainsi pu être signé en novembre 2018.

 


II.   l’accord « camo » : un dispositif audacieux et innovant, dont la portée est bien supérieure À un simple contrat d’armement

Signé le 7 novembre 2018, l’accord entre la France et la Belgique relatif à la coopération dans le domaine de la mobilité terrestre est un accord d’un genre nouveau, destiné à répondre à la demande belge d’accompagnement étatique tout en limitant l’exposition de l’État français.

Dans l’avis qu’il a rendu sur le projet de loi portant approbation de cet accord, le Conseil d’État a estimé que ses caractéristiques propres imposaient qu’il soit adopté en vertu d’une loi, conformément à l’article 53 de la Constitution. C’est la raison pour laquelle le Parlement est appelé, pour la première fois, à se prononcer sur un accord d’armement (A).

Cet accord prévoit l’acquisition, par la Belgique, d’une première capacité motorisée terrestre (CaMo), au titre du programme du même nom (B).

Mais sa portée dépasse en fait largement la simple transaction commerciale, pour instituer un véritable partenariat stratégique entre la France et la Belgique (C).

A.   Un accord d’armement soumis au Parlement, une première

1.   Aucun accord d’armement n’a jamais été soumis au Parlement jusqu’à ce jour

En vertu de l’article 53 de la Constitution, « les traités de paix, les traités de commerce, les traités ou accords relatifs à l'organisation internationale, ceux qui engagent les finances de l'État, ceux qui modifient des dispositions de nature législative, ceux qui sont relatifs à l'état des personnes, ceux qui comportent cession, échange ou adjonction de territoire, ne peuvent être ratifiés ou approuvés qu'en vertu d'une loi ». Il revient à l’exécutif de décider si un accord doit, ou non, être soumis au Parlement en vertu de l’article 53. Le Conseil d’État se réserve néanmoins le droit d’annuler le décret de publication d’un accord international s’il estime que celui-ci aurait dû être soumis au Parlement.

Jusqu’à ce jour, aucun accord intergouvernemental portant sur un contrat d’armement n’a jamais été considéré comme entrant dans le champ de l’article 53. Des débats ont déjà eu lieu à ce sujet par le passé. En juillet 2014, un décret avait ajouté à l'ordre du jour du Parlement, convoqué en session extraordinaire, le projet de loi autorisant l'approbation d'un accord relatif à l'acquisition d'un système satellitaire optique d'observation  français par le Pérou. Ce pays exigeant que l'acquisition soit formalisée dans un cadre intergouvernemental, un accord avait été conclu, aux termes duquel la France s'engageait à fournir au Pérou ledit système. Le Conseil d’État a néanmoins estimé que l'autorisation parlementaire prévue à l'article 53 n'était pas justifiée en l’espèce. En conséquence, le texte a été retiré de l’ordre du jour du Parlement.

On mentionnera également l'accord entre la France et la Russie sur le règlement lié à la cessation relatif à la coopération dans le domaine de la construction de bâtiments de projection et de commandement, conclu le 5 août 2015. Cet accord ne vient pas encadrer un contrat d’armement, mais il prévoit au contraire les modalités – notamment financières – de la cessation de la relation d’armement (refus par la France de livrer les BPC Mistral à la Russie). Il a été soumis à la ratification du Parlement en vertu de l’article 53 de la Constitution car il engage les finances de l’État, lequel indemnise la Russie pour la non-livraison des BPC.

Hormis ce cas de figure spécifique, les accords intergouvernementaux portant sur des contrats d’armements n’ont jamais été soumis pour approbation au Parlement, le Gouvernement considérant qu’ils ne relevaient pas de l’article 53 de la Constitution. En outre, il convient de noter qu’un certain nombre de ces accords étaient classifiés, à l’image de l’accord portant sur l’acquisition de Rafale par l’Inde, donc ni publiés au journal officiel, ni transmis au Parlement. Les services du ministère des affaires étrangères relèvent néanmoins que « dès lors que ces accords ne passent pas au Parlement, ils ne devraient pas contenir de dispositions les faisant relever de l’article 53 ». Cette affirmation est impossible à vérifier en pratique.

2.   L’accord franco-belge, un type d’accord nouveau entrant dans le champ de l’article 53 de la Constitution

Dans le cadre du présent accord avec la Belgique, un nouveau schéma d’accompagnement étatique a été élaboré. Ce schéma prévoit qu'au travers d'un accord intergouvernemental, l'État client (mandant) confie un mandat à l'État français (mandataire) pour passer en son nom et pour son compte, un contrat (sous forme de marché public) d'acquisition auprès d'un fournisseur industriel désigné.

Ce dispositif s'articule autour de trois textes :

- le présent accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume de Belgique relatif à leur coopération dans le domaine de la mobilité terrestre ;

- un projet de protocole additionnel à l'accord entre les deux États, dit protocole de fournitures ;

- un marché public passé entre la partie française, agissant au nom et pour le compte de la partie belge, et le fournisseur industriel désigné selon les règles nationales françaises, relatif à l'acquisition par la partie belge de la première capacité du programme CaMo.

À l’inverse des précédents accords intergouvernementaux portant sur des contrats d’armement, le Conseil d’État considère que le présent accord, premier volet de ce dispositif, entre dans le champ de l’article 53 de la Constitution, pour plusieurs raisons.

Premièrement, il impacte des dispositions de notre droit civil relatives à la relation contractuelle, lesquelles relèvent exclusivement du domaine de la loi. L’État français est, par cet accord, le mandataire de l’État belge, passant commande pour le compte de ce dernier auprès des industriels français. En outre, le type de mandat mis en place dans le cadre de CaMo est, par certains aspects, dérogatoire au mandat défini par les articles 1984 et suivants du code civil.

Par ailleurs, l’article 4, paragraphe 3, de l’accord CaMo, prévoit l’introduction d’une clause d’arbitrage dans le cadre du contrat négocié par l’État français avec le fournisseur industriel. Ce contrat étant régi par le droit français et portant sur un marché public, le recours à l’arbitrage déroge aux principes généraux du droit public français, sans entrer dans l’une des exceptions prévues par la loi.

Enfin, l’article 11 relatif au statut des personnels prévoit une extension, pour les besoins de la coopération de défense prévue dans le cadre de cet accord bilatéral, des dispositions de la Convention de 1951 sur le statut des forces des États membres de l’OTAN (SOFA OTAN). L’article 11 touche à la matière législative, dans la mesure où le SOFA OTAN fixe des règles dérogatoires du droit commun pour l’exercice, par les parties, de leur compétence pour connaître des infractions, y compris pénales, que pourraient commettre des personnels de leur force et qui causeraient un préjudice à des tiers.

Pour toutes ces raisons, le présent accord avec la Belgique doit être approuvé, en France, par le vote d’une loi. Du côté belge, cet accord pourra entrer en vigueur directement, la procédure parlementaire ayant eu lieu en amont de sa signature par le Gouvernement belge. 

B.   les modalités de l’acquisition par la Belgique d’une premiÈre capacité motorisée terrestre

1.   Les stipulations de l’accord

Au cœur de l’accord avec la Belgique, se trouve un contrat d’armement d’une ampleur considérable : le contrat dit « CaMo ». Les modalités précises de ce contrat, notamment financières, sont spécifiées dans le protocole de fournitures conclu entre la France et la Belgique, dont le Parlement n’a pas connaissance, puisqu’il est classifié. Néanmoins, l’étude d’impact précise que le contrat porte sur l’acquisition par la Belgique de 442 véhicules, dont 382 VBMR-Griffon et 60 ECBR-Jaguar (engin blindé de reconnaissance et de combat), pour un budget total investi de 1,5 milliard d’euros.

Le présent accord précise les modalités de l’engagement de l’État français pour la négociation et la mise en œuvre de ce contrat. Conformément au souhait de la Belgique, il revient à l’État français d’assurer l’interface avec les industriels français pour l’acquisition d’équipements identiques à ceux commandés par l’armée française.

En l’occurrence, l’État sera essentiellement en contact avec Nexter, désigné comme maître d’œuvre industriel pour le contrat CaMo. Cette formule, qui diffère de celle du groupement momentané d’entreprises (GME) retenue pour le programme Scorpion, où la DGA traite individuellement avec chaque fournisseur, répond au souhait de la France et de la Belgique de simplifier la conduite du contrat en s’appuyant sur une interface unique avec les industriels. C’est en réalité une formule assez courante, en particulier dans les contrats d’exportation. Les autres industriels concernés (Thales, Arquus) seront donc considérés, pour ce programme, comme des sous-traitants de Nexter.  

Le dispositif retenu est précisé à l’article 4 de l’accord. La Belgique confie à la France un mandat pour assurer, en son nom et pour son compte, la négociation avec les industriels, la rédaction du contrat, sa conclusion et sa notification, sa modification non substantielle, ainsi que son suivi technique, administratif et financier. Concrètement, cette mission revient à la Direction générale de l’armement (DGA), qui est déjà responsable du contrat français Scorpion.

Dans le cadre de la conduite du contrat, la DGA vise les procès-verbaux de constatations, les actes de gestion de configuration associés et les décisions de réception et les remet à la partie belge pour signature (article 5). La Belgique réceptionne directement les équipements, sans que ceux-ci ne transitent par l’État français à aucun moment : la réception vaut transfert direct de propriété entre le fournisseur industriel et la Belgique.

Selon les termes de l’article 5, la Belgique s’engage à prendre en charge tous les coûts afférents au contrat et aux éventuelles évolutions, et à verser les fonds nécessaires à cette fin sur le compte ouvert à son nom auprès de la Caisse des dépôts et consignations (CDC). L’étude d’impact indique que ce compte ne fonctionnera qu’en position créditrice, et que la Belgique versera de manière anticipée les fonds afférents aux échéances prévues au contrat. Sur la base des procès-verbaux signés par la Belgique, la France mandatera les versements de la CDC au fournisseur industriel.

Le soutien apporté par la France pour la négociation et la conduite du contrat CaMo fait l’objet d’une rémunération prévue à l’article 7, lequel renvoie à l’annexe 3 de l’accord qui en fixe les modalités précises et le montant. Cette rémunération se compose d’un montant de 40 millions d’euros hors taxes pour la part ferme initiale du contrat, auxquels s’ajouteront 3 % du montant de chaque commande émise au titre de la provision pour évolutions et aléas et 3 % du montant de chaque commande émise au titre de la part de commande additionnelle de matériel. Ces fonds seront versés par la Belgique sur un compte distinct de celui qui recevra les versements destinés à rémunérer les industriels. L’étude d’impact indique que ce compte doit être hébergé par l’agence comptable des services industriels de l’armement (ACSIA).

Cette rémunération doit financer prioritairement les prestations techniques et les frais afférents à la constitution d’une équipe de programme dédiée au sein de la DGA, qui porte l’essentiel de la conduite du contrat. Le Délégué général à l’armement, M. Joël Barre, indique que le contrat CaMo mobilisera un effectif moyen de 13 personnes sur la période 2020-2030. S’agissant de recettes non fiscales, il ne sera pourtant pas possible d’utiliser la rémunération belge pour financer des dépenses de personnel, pour des raisons de nomenclature budgétaire. M. Barre indique être en discussion avec Bercy pour surmonter cette difficulté.

2.   Les grandes échéances du programme et son articulation avec le programme français Scorpion

Les bases du dispositif décrit ci-dessus pour la négociation et la conduite du programme CaMo ont déjà été mises en place. Conformément à l’article 8 de l’accord, un Comité Directeur a été institué et un bureau de programme CaMo a été constitué au sein de la DGA, rejoint il y a 2 mois par le lieutenant-colonel Pascal Acket, adjoint belge au directeur de programme CaMo. Des comptes ont été ouverts au nom de la Belgique au sein des établissements bancaires susmentionnés. Néanmoins, le démarrage officiel du programme CaMo dépend de la notification du contrat à Nexter par la DGA, laquelle ne pourra intervenir qu’après entrée en vigueur du présent accord.

Après notification du contrat, les échéances prévues sont précisées à l’annexe 2 de l’accord, dont est extrait le tableau ci-dessous :


calendriers prévisionnels des programmes Camo et scorpion

 

France

Belgique

Phase

2014

Signature du marché engin blindé multi-rôles (EBMR)

 

Phase 1

2018

Signature Accord

2019

Livraison 1re capacité SCORPION

Début de transformation de la Land Componant (BEL)

Appui à la transformation de l’armée de terre (FRA)

2021

1er GTIA projetable

Initiation des activités de préparation opérationnelle suivant le modèle français

2023

1ère Brigade Inter Armes projetable

Poursuite des activités de préparation opérationnelle suivant le modèle français

2025

Poursuite des livraisons

Livraison 1ère capacité

Renforcement des activités de préparation opérationnelle suivant le modèle français

Phase 2

2027

1er SGTIA projetable

2029

1er GTIA projetable

2030

LC transformée

2033

Force opérationnelle terrestre transformée

 

À partir de 2034

Régime Stabilisé

Phase 3

  Source : annexe 2 de l’accord entre la France et la Belgique relatif à leur coopération dans le domaine de la mobilité    terrestre du 7 novembre 2018.

C.   Au-delà du contrat d’armement, un véritable partenariat stratégique

1.   Le champ de l’accord est bien plus large que la simple vente d’équipements

Si le cœur de l’accord présenté au Parlement est le contrat CaMo, son champ est en réalité bien plus large, ainsi que le stipule expressément son     article 2 : l’accord a un double objet ; outre les conditions d’acquisition de la première capacité CaMo, il s’agit de « définir le principe, le cadre et les modalités du partenariat stratégique et de la coopération mise en place entre les parties dans le domaine de la mobilité terrestre à l’occasion du renouvellement de leurs composantes motorisées respectives ».

L’article 3, qui énonce les objectifs de l’accord, évoque le champ de cette coopération dans le domaine de la mobilité terrestre :

Elle englobe d’une part une coopération opérationnelle entre armées sur le volet capacitaire : échanges sur les grands jalons opérationnels, l’organisation et l’interopérabilité entre armées, sur la cohérence capacitaire et doctrinale entre les armées, coopération en matière de formation et d’entraînement, de soutien en service, d’infrastructure, échanges de personnels, ainsi que toute autre action jugée utile par les armées. Ces actions de coopération sont définies au sein d’un Comité de pilotage « Capacitaire » dont les missions et la composition sont précisées à l’annexe 1.3 de l’accord ; il sera coprésidé, pour la France, par un représentant de l’état-major de l’armée de terre.

Votre rapporteur a pu constater lors de ses auditions que la coopération envisagée entre les deux armées de terre est très ambitieuse. Il s’agira, dans un premier temps, d’assurer la formation des militaires belges sur les équipements du programme Scorpion en France, en attendant que la Belgique commence à recevoir ses propres équipements, à partir de 2025. Le sous-chef « Plan programme » à l’état-major de l’armée de terre, le général Beaudouin, a souligné devant votre rapporteur que cette coopération supposerait une forte implication de l’armée française, notamment pour la formation : « l’intégration des Belges dans les camps de formation aura pour effet de faire passer provisoirement l’armée de terre de 6 à 7 brigades interarmes ». Le général a néanmoins précisé que cet effort n’aurait pas d’impact négatif sur la formation de l’armée française, notamment grâce au décalage temporel entre les programmes français et belge.

La coopération entre armées aura aussi pour objectif de rapprocher au maximum les doctrines mises en œuvre dans le cadre des programmes CaMo et Scorpion. D’ores et déjà, un officier belge est intégré au sein du CDEC français (centre de doctrine et d’enseignement du commandement), afin de contribuer à l’élaboration de la doctrine française sur le système Scorpion.

Le partenariat stratégique franco-belge a aussi un volet de coopération en matière d’armement, au-delà du programme CaMo (article 3). Celle-ci a pour objectif d’identifier de nouvelles opportunités de coopération en matière d’armement dans le domaine terrestre, notamment en matière de programme, de recherche et technologie, d’expertise technique et d’essais et d’échanges de personnels. Ce sera le rôle du Comité de pilotage « Partenariat Armement », coprésidé, côté français, par un représentant de la direction du développement international de la DGA.

Le premier Comité de pilotage « Armement » qui s’est réuni il y a quelques semaines a d’ores et déjà identifié plusieurs possibilités de programmes futurs. Pour le moment, la Belgique ne manifeste pas vraiment d’intérêt pour des programmes de recherche et développement communs, mais plutôt pour l’acquisition de nouvelles capacités en dotation dans les armées françaises. Il pourrait notamment s’agir d’artillerie (canons Caesar), voire d’autres véhicules du programme Scorpion (Félin, Serval). La Belgique n’a néanmoins encore formalisé aucune demande en ce sens. L’idéal serait, à terme, que les deux pays parviennent à développer en synergie de nouveaux équipements, ce qui permettrait à la France de mutualiser le coût du développement, entièrement porté par la DGA dans le cadre du programme CaMo. 

Les possibilités de coopération ouvertes par cet accord couvrent ainsi tout le champ de la mobilité terrestre, de la recherche et développement à la coopération entre armées sur le terrain, en passant par les programmes d’armement. L’accord que le Parlement est appelé à approuver est ainsi un accord-cadre, qui pourra donner lieu à de multiples applications concrètes, dont le protocole de fournitures sur la première capacité du programme CaMo n’est qu’une première étape.

Cette possibilité est explicitement mentionnée par l’article 3.4, qui stipule que « les parties peuvent décider de conclure un accord subséquent au présent accord », notamment de nouveaux protocoles de fourniture visant à l’acquisition de nouvelles capacités du programme CaMo ou des accords ou arrangements techniques définissant les modalités du soutien de la France à la Belgique.

2.   Le choix de cette formule s’explique par la volonté belge de simplifier ses acquisitions d’armement et d’en faire un instrument d’intégration

La formule de l’accord de partenariat stratégique venant encadrer le contrat d’armement avec la Belgique répond à une demande de notre partenaire. On peut y voir deux motivations principales :

Premièrement, l’accord de partenariat stratégique permet à la Belgique de s’affranchir des contraintes du cadre des marchés publics communautaire pour cibler directement un fournisseur industriel et un équipement, et ainsi simplifier et accélérer substantiellement ses procédures d’acquisition. Dans sa Vision stratégique, la Belgique a identifié le programme Scorpion comme répondant exactement aux besoins de sa composante terrestre. Le fait que ce programme soit porté par la France répond en outre aux autres attentes de la Belgique : il s’agit d’un pays européen, partenaire stratégique, avec une proximité géographique immédiate.

Néanmoins, dans l’Union européenne, les marchés publics de défense sont soumis à des obligations de publicité et de mise en concurrence définies par la directive 2009/81/CE du Parlement européen et du Conseil, ou directive « sécurité et défense ». Cette directive pose le principe selon lequel les marchés publics de défense sont soumis au cadre du marché unique avec des règles de passation de marchés adaptées aux spécificités de ce secteur. Elle prévoit néanmoins un certain nombre d’exclusions, mentionnées notamment dans son article 13. En particulier, le f) de cet article dispose que la directive ne s’applique pas « aux marchés passés par un gouvernement à un autre gouvernement concernant [entre autres] la fourniture d’équipements militaires ou d’équipements sensibles ; des travaux et des services directement liés à de tels            équipements (…) ».

Le cadre de l’accord intergouvernemental a ainsi permis à la Belgique de cibler directement l’offre française. En outre, cet accord offre une flexibilité pour l’avenir. En vertu de son article 3.4, de nouveaux protocoles de fournitures pourront être conclus sur le fondement de ce même accord, portant sur de nouvelles capacités militaires, pourvu que ces acquisitions soient nécessaires au maintien de l’interopérabilité avec l’armée de terre française. Le colonel Erik Claessen, chef de l’équipe « programmes internationaux » de la Direction générale des ressources matérielles (équivalent belge de la DGA), a souligné devant votre rapporteur à quel point cette simplicité était un élément important pour la Belgique.

La Belgique a aussi voulu ce partenariat stratégique car elle a exprimé d’emblée la volonté que les acquisitions d’armement constituent le vecteur d’une intégration militaire européenne plus poussée : « les perspectives capacitaires plaident en faveur d’économies d’échelle pour le soutien de nos capacités de Défense. Cette politique ne peut se réaliser que par une intégration poussée avec les capacités militaires des pays partenaires stratégiques. La proximité géographique est ici primordiale en vue d’organiser de concert les lignes de développement capacitaires formation, organisation, entraînement, gestion et entretien du matériel et infrastructure » ([1]).

En acquérant des équipements identiques à ceux livrés à l’armée française dans le cadre du programme Scorpion, la Belgique vise, sans ambiguïté, une interopérabilité totale avec l’armée de terre française. Le cadre de l’accord de partenariat permet de prendre en compte cette ambition élargie. Concrètement, la coopération entre nos deux pays en matière de mobilité terrestre doit permettre, à terme, de développer une interopérabilité complète au niveau du sous-groupement tactique interarmes (SGTIA, qui comprend quelques centaines de militaires), alors que l’interopérabilité actuelle de nos armées se situe au niveau de la brigade (5 000 militaires) et qu’elle est beaucoup plus superficielle. Cette échelle correspond bien mieux aux capacités de déploiement de l’armée belge. Ainsi, le cadre du partenariat tissé avec la Belgique doit permettre, à terme, de déployer un SGTIA belge totalement intégré à un GTIA français, par exemple dans le cadre d’un engagement au Sahel.

 


  1  

III.   de l’utilité de l’approbation du présent accord

Votre rapporteur estime qu’il n’y a que des avantages à approuver le présent accord avec la Belgique, et que ces avantages sont réels et substantiels. Cet accord constitue un précédent très positif, qui va complètement dans le sens de notre volonté de préserver notre autonomie stratégique et de développer celle de l’Europe, avec des risques très bien circonscrits pour l’État français.

A.   une utilité économique immmédiate et incontestable pour l’industrie d’armement terrestre française

1.   Un contrat d’armement d’un montant substantiel, qui devrait en appeler d’autres

Du point de vue de tous les industriels impliqués dans le programme CaMo, auditionnés par votre rapporteur (Nexter, Thales, Arquus), le contrat CaMo est une très bonne nouvelle. Au total, pour les industriels français, il porte sur un montant de 1,290 milliard d’euros hors taxes, dont environ la moitié pour Nexter, un quart pour Thales, et 230 millions d’euros pour Arquus. Pour des entreprises qui, comme Nexter et Arquus, doivent réaliser plus de 50 % de leur chiffre d’affaires à l’export, ce succès compte beaucoup. Au total, ces industriels s’estiment satisfaits des conditions financières négociées avec la DGA en accord avec la partie belge ; ils estiment qu’elles prennent en compte toutes les spécificités de l’export, par rapport aux tarifs pratiqués à l’armée française dans le cadre du programme Scorpion.

En outre, l’articulation temporelle avec le programme Scorpion est telle que cela permettra aux industriels de lisser idéalement leur production ; ils produiront d’abord exclusivement pour le programme Scorpion, avant de commencer, vers 2023, à produire pour l’armée belge. La production atteindra un pic vers 2027, année suffisamment lointaine pour que les industriels aient le temps de monter en puissance et de réaliser les inévitables adaptations techniques qui marquent systématiquement l’entrée en service de nouveaux équipements.

Ce contrat permet en outre aux industriels français de prendre fermement pied en Belgique, traditionnellement plutôt tournée vers les industries de défense américaine ou allemande. Si Thales et Nexter disposaient déjà de filiales locales en Belgique, c’est une première pour Arquus qui n’avait aucune présence dans le pays.

Par ailleurs, la logique de l’accord de partenariat, avec l’institution d’un comité de pilotage armement destiné à identifier de futurs prospects, implique que le contrat CaMo soit suivi de nouveaux contrats impliquant l’industrie d’armement terrestre française (cf. supra : artillerie, véhicules Scorpion).

Enfin, le contrat CaMo et ses éventuelles suites devraient, à terme, bénéficier à la défense française. En faisant tourner davantage les chaînes de production des industriels, ils permettront d’amortir leurs coûts fixes, avec des économies possibles sur les prix de série des commandes futures de l’armée française. Des économies seront également possibles grâce à des mutualisations avec le programme CaMo, par exemple sur des évolutions de définition, sur le soutien, etc.

2.   Les retours sociétaux consentis à l’industrie belge, un tempérament nécessaire et limité en ampleur

La décision du Gouvernement belge d’acheter sans modification des éléments du système français Scorpion pour sa composante terrestre avait été initialement mal accueillie par l’industrie d’armement terrestre belge, laquelle n’aurait certes pas été en capacité de fournir un système tel que Scorpion, mais aurait pu en produire certains éléments. Pourtant il était important que les Belges soient en mesure de créer un consensus autour du programme CaMo, en raison de l’investissement qu’il représente. Pour cela, il était essentiel de trouver des moyens d’impliquer l’industrie d’armement belge dans le programme CaMo.

Cependant, la Commission européenne s’oppose au principe des offsets – c’est-à-dire des compensations – usuels dans les marchés de défense, au motif qu’ils sont discriminatoires et non transparents. Cette position est explicitée dans une ligne directrice publiée par la DG marché intérieur en 2010. C’est la raison pour laquelle de telles compensations ne peuvent pas figurer dans le cadre de l’accord intergouvernemental avec la Belgique.

Néanmoins, la réalité des relations d’armement entre pays imposait de prévoir ce que la Belgique appelle des « retours sociétaux », même s’ils ne font pas l’objet d’une contractualisation entre les deux pays, mais simplement d’accords entre industriels. Pour la France, il importait que ces retours sociétaux soient d’une ampleur limitée au regard de la totalité du programme, et n’impliquent pas d’importants transferts de compétences et de technologies.

Au total, au titre de ces retours sociétaux, il est prévu que les tourelleaux téléopérés des VBMR-Griffon belges (petite tourelle placée au-dessus du véhicule, destinée à porter l’armement et pouvant être actionnée depuis l’intérieur) seront fabriqués par l’entreprise belge FN Herstal, et non plus par Arquus, comme dans la version française de l’engin. Cette concession, d’un montant de plusieurs dizaines de millions d’euros de chiffre d’affaires, n’est pas négligeable. Elle impliquera en outre de développer une interface garantissant l’interopérabilité des tourelleaux belges avec le système d’information et de communication Scorpion.

Par ailleurs, l’assemblage final et le versionnage des VBMR-Griffon belges seront réalisés par l’entreprise belge CMI, et non plus par Nexter. Les industriels doivent encore se mettre d’accord sur la répartition des rôles pour le maintien en condition opérationnelle et la production de munitions, lesquels n’ont pas été prévus dans le cadre du premier contrat CaMo. Nexter a, par exemple, pris l’engagement qu’une partie des obus de 40 mm destinés à l’ECBR-Jaguar seraient produits dans sa filiale belge.

Enfin, Thales, qui n’est pas directement touché par les retours sociétaux prévus dans le cadre du contrat CaMo, a pris certains engagements sur des retours indirects, pour le soutien lié à CaMo, ou pour d’autres programmes, comme la version à l’export de la radio CONTACT ainsi que d’autres projets dans le domaine spatial. Thales compte mettre en place ces retours via sa filiale Thales Belgique, qui emploie environ 1 000 salariés.  

Au total, pour les industriels concernés, les retours sociétaux consentis ne sont pas de nature à remettre en cause l’apport majeur que représente pour eux le programme CaMo.

3.   Des effets induits très positifs sur l’attractivité du programme Scorpion

Au-delà du chiffre d’affaires et de l’optimisation des chaînes de production directement liés au contrat CaMo, ce marché ne peut qu’avoir des effets très positifs sur l’attractivité de l’offre française à moyen terme. Il est rare de parvenir à exporter des équipements avant même qu’ils ne soient entrés en service dans l’armée française. Ce succès à l’export très rapide du programme Scorpion pourrait avoir pour effet d’éveiller l’intérêt d’autres pays, séduits par le concept du système de combat collaboratif.

Il ne sera pas évident de trouver des clients qui achèteront le système de combat dans son ensemble, à l’image des Belges. En effet, comme le souligne M. Marc Darmon, le directeur général de Thales, il est rare que des pays recherchent de manière assumée une interopérabilité totale avec une autre armée ; en général, chacun cherche plutôt à se démarquer des autres.

Cependant, il est probable que plusieurs pays seront intéressés par des éléments de Scorpion. Thales a d’ores et déjà identifié de nombreux prospects pour la radio CONTACT (Suisse, Espagne, Portugal, Allemagne, Pays-Bas, Luxembourg). Il pourrait y avoir moins de client en Europe pour les véhicules terrestres, en raison de la forte concurrence qui sévit sur ce secteur.

B.   des risques trÈs limités pour l’État français

Le présent accord a ceci de remarquable qu’en plus d’être très avantageux pour l’industrie de défense française, il réduit au maximum l’exposition de l’État. Pour s’en assurer, votre rapporteur a reçu les représentants compétents de la direction du budget. Ceux-ci ont été pleinement associés, en amont de la signature de l’accord, à la réflexion interministérielle sur la formule juridique susceptible de répondre à la demande belge tout en limitant les risques pour l’État.

La formule élaborée avec le contrat de partenariat gouvernemental mis en place dans le cadre du présent accord semble, de ce point de vue, assez irréprochable.

Premièrement, comme l’expose l’étude d’impact, la mise en œuvre de cet accord n’aura pas d’impact sur les finances publiques. Avec le dispositif mandant/mandataire, l’État français n’est à aucun moment inclus dans les circuits financiers visant à rémunérer le fournisseur industriel. Il n’apporte aucune garantie financière. Il ne devient jamais propriétaire des équipements livrés, ceux-ci étant directement transférés du fournisseur industriel à l’État belge. Enfin le soutien apporté par la DGA au contrat fait l’objet d’une rémunération que cette dernière estime correctement valorisée, avec des provisions pour faire face aux évolutions et aléas. Enfin, les circuits financiers visant à rémunérer les industriels et à financer le soutien à l’État français sont parfaitement distincts.

Deuxièmement, la responsabilité de l’État n’est pas engagée vis-à-vis de la Belgique pour l’exécution du contrat. En cas de difficulté de cet ordre, l’accord prévoit que la Belgique se retourne directement contre le fournisseur industriel, au moyen d’une clause d’arbitrage que la France s’engage à inclure dans le contrat qu’elle passera avec le fournisseur industriel (article 13.2). S’agissant des différends entre la France et la Belgique portant sur l’interprétation du présent accord, ils ne peuvent être réglés que par voie de consultation et de négociation bilatérale. La responsabilité juridique de la France ne peut donc pas être mise en cause dans ce cadre.

Enfin, il fallait aussi chercher à prémunir l’État contre les risques auxquels il s’expose en tant que soutien aux industriels français, lorsqu’ils se trouvent en difficulté financière. Pour cela, il fallait pouvoir garantir que Nexter serait bien payé dans les temps pour les échéances liées au contrat CaMo. Cela explique l’engagement pris par la Belgique de versements anticipés sur un compte domicilié en France. Au total, cela permet de garantir que les fonds nécessaires seront disponibles à temps pour payer les industriels, et l’État pourra s’assurer de leur versement.

Au total, les risques associés au présent accord avec la Belgique sont présentés comme très limités par la direction du budget. Le risque de contentieux communautaire visant à contester l’application de l’exclusion prévue à l’article 13 de la directive de 2009 (cf. II.C.1) reste possible, mais peu probable. Le principal risque identifié par les interlocuteurs de votre rapporteur est en fait le risque de divergences dans les évolutions futures du programme CaMo et du programme Scorpion, qui viendraient remettre en cause l’interopérabilité visée dans le cadre du présent accord. Mais les institutions de gouvernance mises en place par l’accord, et en particulier le comité de pilotage de programme, sont précisément destinées à prévenir ce genre de situation.

C.   une manifestation concrÈte et forte de l’europe de la dÉfense

L’accord conclu avec la Belgique autour du programme CaMo n’est pas seulement une réussite industrielle, c’est aussi une belle réussite de l’Europe de la défense qui se construit ici, très concrètement, avec la mise en œuvre voulue et assumée d’une intégration extrêmement poussée entre deux armées de terre.

Il faut, de ce point de vue, saluer le réalisme et les choix des Belges, qui ont initié cette démarche vis-à-vis de la France. Ceci mérite d’être souligné, alors que la décision belge d’équiper son armée de l’air de F-35 américains, plutôt que de Rafale, avait fait naître beaucoup de critiques sur le manque d’ambition européenne des Belges. En réalité, l’industrie de défense française a remporté deux des grands marchés de renouvellement des capacités militaires belges : le contrat CaMo et celui des chasseurs de mines belgo-néerlandais (cf. ci-dessous). L’engagement européen de notre partenaire doit donc être reconnu et salué.

La Belgique a d’ores et déjà organisé une intégration très poussée de sa marine avec la marine néerlandaise, depuis les années 1990. Elle devait alors renouveler ses frégates mais avait alors acté qu’elle n’avait pas la masse critique pour développer et conduire seule ce programme. Elle s’était donc rapprochée des Pays-Bas. À l’heure actuelle, les deux marines organisent le soutien de leurs frégates multifonctionnelles et de leurs navires de lutte anti-mines – des bâtiments identiques dans les deux armées – de concert : doctrine, commandement, maintenance, formation, entraînement, logistique sont complètement intégrés. Pour le renouvellement de leurs bâtiments, les deux États ont décidé que la Belgique serait en charge de l’achat des chasseurs de mines au nom et pour le compte des Pays-Bas tandis que les Pays-Bas se chargeraient de l’achat des frégates. C’est ce premier marché qui a été remporté par Naval Group ; il porte sur un montant de 3 milliards d’euros, pour une commande groupée de 6 chasseurs belges et 6 chasseurs néerlandais.

Les Belges font l’analyse que leur autonomie nationale est en réalité augmentée par ce genre d’intégration. A priori, l’autonomie de l’armée belge se trouve réduite par l’organisation en commun des lignes de développement et de soutien avec un autre État, dont les besoins opérationnels peuvent ne pas être toujours parfaitement alignés. Cependant, la Belgique estime que la capacité d’action nationale est in fine augmentée par la remontée en puissance rendue possible par cette intégration. Notre partenaire fait exactement le même raisonnement concernant une intégration dans le domaine terrestre avec la France.

Votre rapporteur estime en effet que l’acquisition d’équipements identiques peut être un puissant intégrateur pour l’Europe de la défense, dans le sillage du programme CaMo. Cette perspective est néanmoins compliquée par le morcellement des industries de défense européennes, et par la place de premier plan qu’occupe l’industrie de défense américaine chez nombre de nos partenaires.

Il importe donc de tirer le meilleur parti possible du Fond européen de défense en train de voir le jour, avec son préfigurateur le Programme européen de développement des industries de défense (PEDID). Ce Fond vise à stimuler la conduite de programmes d’armement en coopération entre les pays européens. L’objectif est double : d’une part, répondre aux lacunes capacitaires communes aux pays européens ; d’autre part, favoriser la constitution d’une base européenne industrielle et technologique de défense, via des rapprochements entre industries nationales. La conduite de programmes en commun est souvent le meilleur vecteur de rapprochements de ce type. De ce point de vue, peut-être le programme CaMo fournira-t-il des opportunités de rapprochement entre industriels français et belges, bien qu’aucune piste ne soit encore concrètement envisagée.  

D.   l’émergence d’un modèle français de partenariat d’export et son potentiel en termes d’influence

Le présent accord constitue la première mouture d’une sorte de Foreign military sales (FMS) à la française, intitulé « contrat de partenariat gouvernemental ». Ce modèle de contrat vise à répondre à une demande croissante d’accompagnement étatique de la part des clients.

Pour mémoire, les Foreign Military Sales (Ventes militaires extérieures) englobent les ventes gouvernementales américaines d'armements et autres articles, services et entraînements de défense, qui sont négociées directement entre le département de la Défense et le gouvernement étranger. Ces ventes gouvernementales sont gérées par la Defense Security Cooperation Agency (DSCA) du département de la Défense. Elles permettent de simplifier les procédures d’acquisition, d’accélérer les livraisons, d’autant que certains armements sont directement prélevés sur les stocks de l’armée américaine, mais aussi de bénéficier de certains services, comme une avance de trésorerie du Gouvernement américain ou diverses prestations de soutien. Cette formule des FMS remporte un grand succès à l’exportation. Ainsi, en 2017, sur 42 milliards d’euros d’exportations d’armes, 32 milliards d’euros provenaient de ventes réalisées dans le cadre de FMS.

La France ne pouvait toutefois pas simplement répliquer le modèle américain. Premièrement, sa position diplomatique ne lui offre pas le même pouvoir de négociation avec les États clients que les États-Unis. Deuxièmement, elle ne peut pas accorder les mêmes facilités financières. Troisièmement, les industries d’armement françaises ne disposent pas des stocks abondants disponibles aux États-Unis, du fait de la taille relativement nettement plus réduite des commandes publiques françaises.

La France devait donc élaborer son propre modèle de partenariat gouvernemental, en fonction de ses objectifs et contraintes. Le présent accord est la première version de ce modèle, qui est le fruit d’une réflexion interministérielle approfondie, conduite dans un climat de consensus, avec des objectifs partagés.

À la différence des FMS, cet accord limite beaucoup l’exposition de l’État (cf. III.B), tout en étant beaucoup plus ambitieux qu’un FMS quant à l’ampleur du partenariat envisagé avec l’État client. Ainsi la Belgique, qui a déjà acheté des équipements aux États-Unis dans le cadre de FMS, souligne que l’interopérabilité avec ces derniers est en réalité rapidement perdue, du fait de l’évolution rapide des versions américaines.

Il convient de souligner le progrès que représente la formule prévue par le présent accord par rapport à celui expérimenté dans le cadre de l’acquisition d’un système satellitaire optique d’observation par le Pérou, en 2014 (cf. II.A). Le dispositif mis au point prévoyait que la France acquérait le système satellitaire auprès du fournisseur industriel et rétrocédait immédiatement les droits et obligations liés à ce contrat au Pérou. Il avait donc fallu prévoir un contrat avec l’industriel qui était le miroir exact de l’accord intergouvernemental avec le Pérou, ce qui était source de complexité.

Le contrat de partenariat gouvernemental institué par le présent accord semble ainsi un modèle satisfaisant et équilibré, appelé à resservir par la suite avec d’autres pays. Il ne sera toutefois applicable que dans des conditions bien précises, rappelées par M. Joël Barre, Délégué général à l’armement : il doit intervenir en réponse à la demande d’un pays client considéré comme un partenaire stratégique, pour des équipements correspondant aux besoins de nos forces armées, et pour des montants suffisamment substantiels ; enfin, le partenariat envisagé doit dépasser la simple acquisition d’armement.

Votre rapporteur estime que ce contrat de partenariat gouvernemental pourrait être un outil intéressant pour assurer un meilleur contrôle sur l’utilisation des armes que nous vendons, en particulier chez des clients sensibles, notamment au Moyen-Orient. Le cadre du partenariat stratégique et l’organisation en commun des soutiens fournissent en effet des leviers intéressants pour peser auprès des États clients, tout en répondant à leur demande de soutien étatique. En tout état de cause, cette éventualité mériterait d’être étudiée plus avant, dans un souci de conciliation des impératifs d’exporter – incontournable pour nos industries de défense – et de garantir le respect par la France de ses engagements internationaux.

 


   conclusion

 

Au bénéfice des observations présentées ci-avant, le rapporteur invite l’Assemblée nationale à voter résolument en faveur de l’approbation de l’accord avec la Belgique dans le domaine de la mobilité terrestre.

Il souhaite que cette formule de contrat de partenariat gouvernemental puisse être réutilisée aussi fréquemment que possible, afin que les exportations d’armes de la France soient pleinement intégrées à une politique de partenariats stratégiques assumée et cohérente. Il estime par ailleurs que les applications futures de ce contrat de partenariat gouvernemental devraient à nouveau être soumises au Parlement pour approbation.


  1  

   EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa réunion du mercredi 22 mai 2019 après-midi, la Commission examine le présent projet de loi.

Après l’exposé du rapporteur, une discussion s’engage.

M. Michel Fanget. On ne peut que se féliciter de cet accord, qui vise à renforcer la coopération militaire entre la France et la Belgique, des pays qui partagent déjà tant. Cet accord est également une étape dans la construction européenne : il permet la modernisation des armées de nos deux pays en étroite coopération, pour développer une interopérabilité maximale. Ces mesures ambitieuses et sans équivalent sont la preuve d’une évolution positive des partenariats en matière de défense en Europe. Quels seront les moyens mis en œuvre dans le cadre de la coopération opérationnelle entre les armées ? Pouvez-vous aussi me dire quelles mesures ont été prises par les deux gouvernements en matière de partage d’informations ?

M. Christian Hutin. Notre groupe votera en faveur de cet accord demain. La Belgique a aussi un système intégré concernant sa marine, avec les Pays-Bas. Pouvons-nous aller plus loin avec les Belges et les Néerlandais, entre militaires qui s’entendent, qui savent se battre, qui sont présents au Sahel ? Il n’y en a pas beaucoup en Europe.

Mme Laetitia Saint-Paul. Est-ce que la coopération conduite entre la France et la Belgique dans le cadre du programme CaMo bénéficiera du Fonds européen de défense nouvellement créé ?

Mme Bérengère Poletti. Il y a un réel intérêt à approuver cet accord : intérêt pour la défense et l’armée de terre françaises, intérêt industriel et économique évidemment, mais aussi intérêt politique, car par cet accord, nous faisons la démonstration de la valeur ajoutée qu’il peut y avoir lorsque deux Européens s’entendent. Cela peut être une préfiguration de la défense européenne que nous appelons de nos vœux. Vous avez souligné la proximité entre la France et la Belgique, en réalité surtout entre la France et la Wallonie, sachant que la Flandre est plus proche des Pays-Bas, et les Pays-Bas de l’Allemagne. À ce sujet, je me demandais si le contrat CaMo ne pourrait pas servir de trait d’union entre la France et les Pays-Bas et peser en faveur de Naval Group dans le cadre de l’appel d’offres lancé par les Néerlandais pour l’acquisition de sous-marins, face à l’offre allemande. Ce n’est pas la qualité du matériel qui fera la différence, sinon Naval Group l’emporterait sans difficulté.

Mme Samantha Cazebonne. Pourquoi dites-vous que Scorpion est un programme innovant ? Quelle est l’utilité d’investir dans une nouvelle génération de matériels, en allant plus loin que le simple renouvellement ?

Mme Valérie Thomas. Nous avons tous conscience que les bouleversements mondiaux – je pense notamment à l’attitude américaine – imposent à l’Europe de constituer une défense commune. Cet accord est une pierre apportée à cet édifice. Pouvez-vous nous préciser l’articulation de cet accord avec les engagements de la France et de la Belgique dans le cadre de l’OTAN, qui demeure le cœur de notre défense commune ?

M. Bruno Fuchs. Cet accord est évidemment très positif. Vous évoquiez ses applications notamment pour la maintenance des équipements : pouvez-vous nous donner une estimation chiffrée des montants que cela représente pour les dix à vingt ans qui viennent ? Cet accord aura aussi des applications pour les munitions. J’avais dans ma circonscription un fleuron de l’industrie des munitions qui a malheureusement été racheté par les Émiratis. Si la France avait pu le garder dans son giron, cette entreprise aurait probablement bénéficié des retombées de l’accord CaMo, et ma circonscription également. Pensez-vous que cet accord préfigure l’amorce d’un commandement militaire coordonné qui pourrait être une alternative au commandement américain de l’OTAN, souvent utilisé pour faire acheter des équipements américains ?

Mme Anne Genetet. Je souhaite reprendre un paragraphe de votre rapport qui m’a particulièrement marquée : « Cet accord concrétise la volonté du Président de la République de faire émerger une culture stratégique européenne commune, en permettant aux différentes forces armées de mieux se comprendre, pour agir ensemble et efficacement, de développer des habitudes de dialogue, des concepts d’emploi, de doctrine et de planification communs. Cet accord est donc une nouvelle pierre apportée à l’édifice de l’Europe de la défense, qui se construit au travers de partenariats, où les Européens conjuguent leurs forces au service de la sécurité des citoyens européens. » Je pense que ce paragraphe est le cœur du sujet, à l’heure où l’on essaie de construire l’Europe, et que certains cherchent à la détruire. Nos citoyens ne le voient pas tous les jours, mais l’Europe a une importance centrale sur notre place dans le monde. En quoi ce type de contrat d’État à État pourrait permettre un meilleur contrôle des ventes d’armes de la France ? Quel contrôle avons-nous de l’utilisation que pourra faire la Belgique de ses armements ?

M. Jean-Charles Larsonneur, rapporteur pour avis de la commission de la défense nationale et des forces armées. L’accord intergouvernemental est en effet une procédure intéressante, novatrice, qui nous permet d’éviter la procédure de l’appel d’offres tout en restant dans le cadre du droit européen. Il permet aussi d’approfondir notre coopération. Concrètement, cela permettra d’avoir une coopération entre unités belges et françaises, alors qu’actuellement nous coopérons au niveau de la brigade, ce qui correspond au standard OTAN. Cela nous permettra de faire beaucoup de choses ensemble, par exemple d’aller au Mali. Cet accord est donc extrêmement intéressant, par ce qu’il permet en termes d’opérations et de développement.

M. Jacques Maire. Nous avons avec cet outil une capacité de coopération réelle. Comme l’a dit mon collègue Jean-Charles Larsonneur, cela permet d’intégrer des unités sur le terrain. À partir du moment où les unités françaises et belges auront le même système de communication, elles feront partie de la même bulle tactique, et auront une appréhension de la situation tactique alimentée par les capteurs de chacun. Ce système permet donc une communication très importante, y compris horizontale, pas uniquement par le biais hiérarchique, entre les différentes unités. De cette manière, nous ne faisons pas que remplacer des blindés, nous anticipons ce à quoi devra ressembler un combat à 2030, horizon auquel nos armées de terre seront entièrement équipées de ce système.

Le contrat de partenariat gouvernemental que constitue le présent accord est un modèle qui pourra resservir. Cependant, il faudra que plusieurs conditions très précises soient réunies. Premièrement, il faudra que les équipements concernés soient ceux en dotation dans l’armée française. L’idée est donc d’allonger une série, pour permettre une intégration optimale. Deuxièmement, il faut que le montant de la commande soit suffisamment important. Nous allons en effet mobiliser des moyens importants : 13 équivalents temps plein pour la DGA entre 2020 et 2030 pour le contrat CaMo, et 15 % des capacités de l’armée de terre, notamment dans les instituts de formation. On ne peut donc pas étendre à l’infini ce type de partenariats, pour des raisons logistiques. Il faut enfin que le client soit un partenaire stratégique.

Dans le domaine de la marine, la Belgique a émis un appel d’offres classique pour l’achat de chasseurs de mines, car la situation n’est pas celle de l’armement terrestre, où l’offre Scorpion sortait clairement du lot. C’est Naval Group qui l’a remporté, mais cela n’implique pas du tout le même engagement de la part de l’État. L’intégration dans ce domaine est réalisée entre les marines belge et néerlandaise. Concernant l’appel d’offres néerlandais pour des sous-marins, je ne le commenterai pas car il s’agit d’un prospect en cours pour Naval Group. La valeur de son offre est la même que pour l’armement terrestre : elle est « battle proven » : avec les États-Unis, la France compte parmi les seuls pays à exporter des équipements de pointe qui sont éprouvés en condition opérationnelle. Le choix néerlandais est donc entre une défense côtière et une marine opérationnelle, qui contribue à l’effort de sécurisation du monde. Dans ce dernier cas, le choix français s’impose évidemment.

J’en arrive aux enjeux de défense européenne. Nous avons assisté à trois grands progrès dans ce domaine au cours des dernières années. Premièrement, l’initiative européenne d’intervention (IEI), qui vise à développer une culture stratégique européenne commune propice à la conduite conjointe d’opérations. Deuxièmement, le Fonds européen de défense, qui vise à financer en commun la recherche et le développement de capacités de défense. Nous avons déjà identifié quels développements futurs du programme caMo pourraient éventuellement être financés par ce Fonds : le missile de moyenne portée (projet BELOS), la communication par satellite, etc. Troisième champ de progrès, il s’agit de la coopération structurée permanente, qui a pour objectif d’augmenter les capacités de défense de l’Europe et leur interopérabilité, pour partir en opération ensemble.

CaMo n’est évidemment pas une alternative à l’OTAN, c’est une contribution forte. Il n’y a pas du tout l’idée d’un commandement militaire intégré en substitution. En revanche, on pourra plus facilement intégrer des éléments franco-belges dans un commandement militaire OTAN.

Nous n’avons pas évoqué l’effort que représente CaMo pour l’industrie belge. En faisant le choix de Scorpion, la Belgique a renoncé à solliciter l’industrie belge, qui était évidemment mécontente. Aujourd’hui, le droit européen n’autorise plus les offsets dans le cadre des contrats d’armement, c’est-à-dire les contreparties locales. Mais on a prévu des retours sociétaux, qui sont négociés directement entre l’industrie française et l’industrie belge ; officiellement la puissance publique n’y est pas associée. Cela doit permettre à l’industrie belge de bénéficier économiquement de ce contrat. Au nombre des retours sociétaux consentis, je pense à la customisation des véhicules, une fois leur assemblage réalisé en France ; à la fabrication des tourelleaux, qui se fera en Belgique ; et aux munitions, qui leur seront pour une bonne part concédées. Au total, environ 90 % des 1,5 milliard d’euros du contrat reviendront tout de même à l’industrie française.

Je précise par ailleurs que l’implication de l’État français pour le suivi du contrat CaMo fera l’objet d’une rémunération : 40 millions d’euros sont prévus comme montant initial, auxquels s’ajoutera une provision pour aléas et évolutions de 3 %. Avec cette rémunération et la bénédiction de la direction du budget que j’évoquais tout à l’heure, je crois que nous pouvons considérer que le risque financier pour l’État et bien circonscrit.

 

Suivant l’avis du rapporteur, la commission adopte le projet de loi n° 1825.


  1  

   ANNEXE

texte adopté par la commission

 

Article unique

Est autorisée l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume de Belgique relatif à leur coopération dans le domaine de la mobilité terrestre (ensemble trois annexes), signé à Paris le 7 novembre 2018, et dont le texte est annexé à la présente loi.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

NB : le texte de l’accord est annexé au projet de loi n° 1825.

 


  1  

   LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR

 

 

 


([1]) Vision stratégique pour la défense (2016-2030), ministère de la Défense, Belgique : https://www.mil.be/sites/mil.be/files/pdf/strategic-vision-belgian-defense-fr.pdf