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 644

ASSEMBLÉE NATIONALE

 

SÉNAT

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

SESSION ORDINAIRE 2018-2019

Enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale

 

Enregistré à la présidence du Sénat

le 9 juillet 2019

 

le 9 juillet 2019

 

 

RAPPORT

 

au nom de

 

L’OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION

DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES

 

sur

 

Évaluation, en application de l’article L 1412-1-1 du code de la santé publique, du rapport de synthèse du Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé à la suite du débat public organisé sous forme d'états généraux préalablement à la révision de la loi de bioéthique

 

 

 

 

par

 

M.  Jean-François Eliaou, député, et Mme Annie Delmont-Koropoulis, sénatrice
 

 

 

 

Déposé sur le Bureau de l’Assemblée nationale

par M. Cédric VILLANI,

Premier vice-président de l'Office

 

 

Déposé sur le Bureau du Sénat

par M. Gérard LONGUET

Président de l’Office

 

 

 


  1  

 

 

 

 

Composition de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques
et technologiques

 

 

 

 

Président

M. Gérard LONGUET, sénateur

 

Premier vice-président

M. Cédric VILLANI, député

 

 

Vice-présidents

 M. Didier BAICHÈRE, député M. Roland COURTEAU, sénateur

 M. Patrick HETZEL, député  M. Pierre MÉDEVIELLE, sénateur

 Mme Huguette TIEGNA, députée Mme Catherine PROCACCIA, sénateur

 

 

 

 

 

DÉputÉs

 

 

SÉnateurs

M. Julien AUBERT

M. Didier BAICHÈRE

M. Philippe BOLO

M. Christophe BOUILLON

Mme Émilie CARIOU

M. Claude de GANAY

M. Jean-François ELIAOU

Mme Valéria FAURE-MUNTIAN

M. Jean-Luc FUGIT

M. Thomas GASSILLOUD

Mme Anne GENETET

M. Pierre HENRIET

M. Antoine HERTH

M. Patrick HETZEL

M. Jean-Paul LECOQ

M. Loïc PRUD’HOMME

Mme Huguette TIEGNA

M. Cédric VILLANI

 M. Michel AMIEL

 M. Jérôme BIGNON

 M. Roland COURTEAU

 Mme Laure DARCOS

 Mme Annie DELMONT-KOROPOULIS

 Mme Véronique GUILLOTIN

 M. Jean-Marie JANSSENS

 M. Bernard JOMIER

 Mme Florence LASSARADE

 M. Ronan LE GLEUT

 M. Gérard LONGUET

 M. Rachel MAZUIR

 M. Pierre MÉDEVIELLE 

 M. Pierre OUZOULIAS

 M. Stéphane PIEDNOIR

 Mme Angèle PRÉVILLE

 Mme Catherine PROCACCIA

 M. Bruno SIDO


    

 

 


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SOMMAIRE

___

Pages

introduction

I. LA PRÉSENTATION PAR LE CCNE DE LA JUSTIFICATION DES ÉTATS GÉNÉRAUX DE LA BIOÉTHIQUE

A. Le fondement juridique de l’organisation des États gÉnÉraux

B. La procÉdure en amont de la consultation publique sous forme d’États gÉnÉraux

II. LA PRÉSENTATION PAR LE CCNE DE LA MÉTHODOLOGIE DES ÉTATS GÉNÉRAUX DE LA BIOÉTHIQUE

A. L’indÉpendance.

B. La neutralitÉ

C. La transparence

D. L’ÉgalitÉ de traitement

E. L’argumentation

III. LA PRÉSENTATION PAR LE CCNE DES ENSEIGNEMENTS À TIRER DES ÉTATS GÉNÉRAUX

A. La recherche sur l’embryon et les cellules souches humaines

B. Les examens gÉnÉtiques et la mÉdecine gÉnomique

C. Les dons et transplantations d’organes

D. Les neurosciences

E. Les donnÉes de santÉ

F. L’intelligence artificielle et la robotisation

IV. LES PISTES D’ACTION, SELON LE CCNE, À LA LUMIÈRE DES ENSEIGNEMENTS TIRÉS DES ÉTATS GÉNÉRAUX

A. Un besoin d’information

B. L’adhÉsion à la recherche

C. L’Évolution du systÈme de santÉ

ConClusion

annexes

Annexe  1 : Extrait de « De l’histoire des sciences À l’histoire de la pensÉe », de Georges Gusdorf, Payot éd., page 197

Annexe  2 : CAS ANTÉRIEURS DE CONSULTATION DE L’OPECST PAR LE CCNE

Annexe  3 : Exemples de questions À dÉbattre s’appuyant sur l’Évolution des donnÉes scientifiques et techniques, ÉvoquÉes sur le site internet des États gÉnÉraux de la bioÉthique

Annexe  4 : Communication d’informations scientifiques et mÉdicales et sociÉtÉ : enjeux Éthiques

Annexe  5 : La notion d’enjeux et de principes Éthiques, selon le CCNE

Annexe  6 : Travaux du comitÉ citoyen rÉuni par le CCNE

TRAVAUX DE L’OFFICE

I. AUDITION DE M. Jean-François Delfraissy, prÉsident du ComitÉ consultatif national d’Éthique pour les sciences de la vie et de la santÉ, sur la prÉsentation À l’OPECST du rapport sur les États gÉnÉraux de la bioÉthique, jeudi 7 juin 2018.

II. EXAMEN DU RAPPORT LE 4 JUILLET 2019


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   introduction

 

De manière générale, démocratie participative et démocratie représentative peuvent et doivent être complémentaires, voire synergiques et non antagonistes. Pour cela, les modalités retenues pour leur articulation doivent être bien conçues  et bien appliquées. Au cas d’espèce, le pouvoir parlementaire, exercé par les représentants de la Nation, doit être conforté, voire renforcé, pour tout ce qui concerne les processus de contrôle, d’évaluation et d’évolution des lois de bioéthique

Le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) a lancé les états généraux de la bioéthique le 18 janvier 2018. La consultation sur un site internet spécifiquement créé à cet effet s’est tenue jusqu’au 30 avril 2018. Le rapport de synthèse a été approuvé par le CCNE en formation plénière, à l’unanimité de ses membres, le 31 mai 2018.

Pour la conduite du processus de consultation, le CCNE a distingué :

– un comité de pilotage, composé du président du CCNE, de deux membres en exercice et d’un ancien membre de son collège, du président de sa section technique, de la directrice en charge de l’information et de la communication et de deux directeurs d’espaces de réflexion éthique régionaux. Le CCNE a précisé que « c’est sous son égide [du comité de pilotage] qu’ont été prises les principales décisions concernant les axes stratégiques et les modalités opératoires de la consultation. »([1]).;

– un comité scientifique, représenté par le CCNE dans sa formation plénière([2]).

Pour le CCNE, « la mobilisation a été importante et s’est faite dans un climat d’écoute et de respect des opinions différentes et argumentées. L’ensemble de ce qui est remonté de cette consultation est riche et constitue un « bien commun » à partager d’abord au sein de la société française, mais qui pourra aussi nourrir les réflexions ultérieures des parlementaires, de la communauté scientifique et médicale et du CCNE lui-même. »([3]).

Le CCNE a également rappelé que les précédents états généraux de la bioéthique, qui se sont déroulés en 2009, avaient consisté en trois réunions avec le public – à Rennes, sur la procréation, à Strasbourg, sur le don d’organes et à Marseille, sur les cellules souches – et que le rapport de synthèse avait été réalisé sous l’égide du ministère de la santé.

En 2009, le rapport final des états généraux relevait, pour sa part, que : « les trois forums régionaux ont été le point d’orgue de ces états généraux. Ils ont permis aux citoyens des trois panels, sélectionnés selon les critères de représentativité habituellement utilisés pour les conférences de citoyens, de dialoguer avec de grands témoins, d’entendre les représentants des quatre grandes confessions religieuses, de réfléchir ensemble et de rédiger des avis.

Ces états généraux ont favorisé un changement de paradigme, modifiant sensiblement l’approche des problèmes. La question soulevée n’est plus formulée dans des termes tels qu’il s’agirait de choisir entre progrès éthique et progrès technico-scientifique, comme si l’un tirait nécessairement sa puissance de l’affaiblissement de l’autre. Le problème désormais posé est de savoir comment promouvoir le développement des sciences et des techniques biomédicales au service de l’humain.

Dans cette perspective, il est frappant de constater que la teneur « humaniste » de la réflexion engagée dans le cadre de ces états généraux a sans conteste favorisé l’expression argumentée des convictions plutôt que la polémique.

Ainsi, lorsque les experts participent au débat public, ce n’est pas simplement pour défendre leurs intérêts scientifiques ou imposer une vision strictement utilitariste de leurs activités. De même, quand les citoyens s’engagent dans une réflexion collective, ce n’est pas seulement pour faire valoir leur point de vue particulier. C’est aussi pour tenter de s’entendre sur des principes, pour s’efforcer d’éprouver, par la discussion, le fondement des valeurs auxquelles ils sont attachés. L’intérêt porté aux conséquences collectives de chaque décision individuelle ainsi qu’aux effets pour les générations futures des décisions collectives, le souci de déterminer ensemble le contenu des valeurs invoquées (dignité, liberté, égalité, solidarité) et d’en assurer la juste hiérarchisation, contredisent le lieu commun d’une société en proie au relativisme.

Sans doute, les contributions individuelles exprimant des points de vue séparés semblent plutôt refléter des positions figées. Cependant, dès lors qu’une discussion s’instaure entre les citoyens ou que les « experts » sont interpellés, le débat porte, de manière très explicite, sur l’institution de garde-fous éthiques susceptibles d’encadrer efficacement le développement des techniques biomédicales. L’ordre du témoignage spontané et celui de la réflexion citoyenne méritent, à cet égard, d’être scrupuleusement distingués, si l’on veut bien tirer les leçons utiles de ces états généraux de la bioéthique, conçus comme un cheminement et non comme une photographie d’un état donné et préconçu de l’opinion. »([4]).

Les rapporteurs observent qu’un des acquis des états généraux de 2009 consiste dans la possibilité :

– de la part des experts, de dépasser la stricte défense d’intérêts, fussent-ils scientifiques ou propres à l’art médical, pour y ajouter une exigeante responsabilité d’information à l’égard de non-spécialistes qui font l’effort de s’impliquer dans une réflexion personnelle et collective ;

– de la part des participants, d’aller au-delà de l’expression d’un point de vue « figé » pour s’engager à discuter, c’est-à-dire argumenter, ce qui suppose, en premier lieu, d’admettre la possibilité d’une conviction autre.

Ce « socle » des états généraux pourrait donc représenter ce qui doit demeurer malgré le changement des modalités d’organisation voulues par le législateur de 2011.

C’est, en effet, le législateur([5]), sur une initiative parlementaire, qui a confié au CCNE, à côté de sa mission de réflexion éthique indépendante, une mission d’opérateur en tant qu’organisateur des états généraux de la bioéthique, responsabilité qui inclut la présentation d’un rapport de synthèse. Comme il a été indiqué, ce rapport de synthèse a été adopté par le CCNE, dans sa formation plénière, le 31 mai 2018.

Conformément à la loi de 2011, la présentation de ce rapport devant l’Office a été faite par M. Jean-François Delfraissy, président du CCNE, le 7 juin 2018([6]). La loi de 2011([7]) a confié à l’OPECST la tâche d’évaluer ce rapport de synthèse, « en faisant ressortir les éléments scientifiques indispensables à la bonne compréhension des enjeux de la réforme ».

Pour ce faire, l’OPECST a désigné à nouveau ses deux rapporteurs en charge de l’évaluation de l’application de la loi du 7 juillet 2011([8]).

Comme pour cette précédente évaluation, et par cohérence dans leur démarche, les rapporteurs se sont attachés à ne pas inclure dans le champ de leur rapport certains thèmes, qu’ils ne considèrent pas comme « scientifiques » à proprement parler, que le CCNE a choisi, lui, d’inclure dans celui des états généraux, mais sous la qualification spécifique de thèmes « en résonance avec les préoccupations sociétales », donc hors du champ de compétences de l’Office.

Si un tel choix appartient évidemment au CCNE, autorité administrative indépendante en charge de l’organisation des états généraux, sans discussion de la part des parlementaires en charge de l’évaluation du rapport de synthèse des états généraux, il ne s’impose pas non plus à eux dans leur démarche évaluative, trop conscients du risque, s’ils venaient à méconnaître le champ d’intervention propre à l’OPECST, de céder à « ce réalisme [qui] croit échapper aux pièges de la philosophie ; mais la pire métaphysique est celle qui s’ignore. » ([9])

Par ailleurs, le CCNE a mis en place un comité citoyen([10]), dans le cadre des états généraux que la loi le chargeait d’organiser. Le CCNE n’est pas l’auteur des « Opinions de ce comité citoyen », qui ont été présentées à l’OPECST par ses membres, de manière distincte le 7 juin 2018. On notera également que le comité citoyen a choisi parmi ses trois thèmes de travail celui de la fin de vie, qui n’est pas explicitement dans le champ de la loi de bioéthique. Une présentation des opinions du comité citoyen figure en annexe 6 au présent rapport.

Ce mode de travail avait été mis en place par l’OPECST dès le 21 juin 1998, sous la forme d’une conférence citoyenne sur le sujet des OGM. Il a récemment été mis en œuvre par l’Assemble nationale, qui a organisé, dans le cadre du groupe de travail sur la démocratie numérique([11]) des ateliers réunissant les meilleurs contributeurs de la consultation numérique sur la participation des citoyens à l'élaboration et au contrôle de la loi et des députés membres des groupes de travail sur les réformes de l'Assemblée. Ces ateliers ont fait l'objet d'une restitution publique au cours de laquelle plusieurs propositions innovantes et audacieuses ont été présentées.

Le présent rapport présente une analyse des raisons de l’intervention du CCNE dans l’organisation des états généraux, et évoque la méthode ainsi que les enseignements et pistes d’action retenus par le CCNE.

 


—  1  —

I.   LA PRÉSENTATION PAR LE CCNE DE LA JUSTIFICATION DES ÉTATS GÉNÉRAUX DE LA BIOÉTHIQUE

A. Le fondement juridique de l’organisation des États gÉnÉraux

L’organisation du «modèle français » de bioéthique faisant une place importante au respect de procédures précises, par exemple en matière de recherche ou de consentement, aux fins de garantir le respect des limites éthiques indispensables, les différents organes impliqués dans l’élaboration des règles de bioéthique doivent s’inscrire dans le cadre de ces règles de procédure.

Il s’agira donc ici d’examiner le respect des conditions de forme mises à la prise de décision d’organiser les états généraux de la bioéthique.

Aux termes de l’article L. 1412-1-1 du code de la santé publique, tels qu’issus de l’article 46 de la loi n° 2011-817 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique, le débat public sous forme d’états généraux de la bioéthique intervient :

– à l’initiative du Comité consultatif national d’éthique,

– dans l’une ou l’autre des hypothèses suivantes :

▪ soit lorsque les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé conduisent à un « projet de réforme sur les problèmes éthiques et les questions de société »,

▪ soit, en l’absence d’un tel projet de réforme, une fois tous les cinq ans.

Dans la première hypothèse, le Comité consultatif national d’éthique prend sa décision après avoir recueilli l’avis des commissions parlementaires en charge des questions de santé (les commissions des affaires sociales en application du Règlement de l’Assemblée nationale et de celui du Sénat) et de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. Il s’agit donc d’un avis obligatoire, mais non d’un avis conforme.

« À la suite du débat public, le comité établit un rapport qu’il présente devant l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, qui procède à son évaluation ».

Dans sa première hypothèse, l’article L. 1412-1-1 du code de la santé publique a déjà été mis en œuvre s’agissant de la fin de vie, le débat public ayant donné lieu à un rapport du CCNE du 21 octobre 2014. L’OPECST s’est trouvé saisi, le 9 décembre 2014, d’une évaluation de ce rapport.

Dans leur rapport du 5 mars 2015, au nom de l’Office, M. Jean-Yves Le Déaut et M. Bruno Sido, rapporteurs, constataient que « l’accompagnement de la fin de vie a soulevé un problème de positionnement de l’évaluation, puisque […] les enjeux de fond du sujet, qui touchent à l’intimité de la vie privée et familiale, n’ont pas de liens évidents avec la mission générale d’investigation des sujets scientifiques et technologiques dévolue à l’OPECST par la loi du 8 juillet 1983. »

En conséquence, les rapporteurs ont fait porter leur évaluation sur deux aspects :

– les éléments scientifiques entrant en jeu dans l’accompagnement de la fin de vie, c’est-à-dire l’état des connaissances médicales sur les dispositifs de sédation et la levée du dilemme entre l’atténuation de la douleur et le risque conséquent d’abréger la vie ;

– les modalités pratiques de la mise en œuvre, par le CCNE, de sa mission d’organiser le débat public.

Ces mêmes rapporteurs de l’OPECST ont alors considéré que l’évaluation du rapport du CCNE visait « à conforter la qualité méthodologique de la consultation publique, notamment à travers la vérification que les exigences qui se seraient imposées à une étude de l’OPECST, en particulier en ce qui concerne la dimension scientifique et la comparaison internationale, ont bien été prises en compte dans le cadre du débat public dont il est question. »

En outre, sur leur proposition, l’Office avait adopté, à l’unanimité, la suggestion de modifier l’article L. 1412-1-1 du code de la santé publique en précisant :

– en amont de l’organisation des états généraux, l’objet de la consultation des commissions parlementaires et de l’OPECST prévue par ledit article, au sens où les avis en cause « [incluraient] une appréciation sur l’opportunité, pour le Gouvernement, de mobiliser […], le concours de la Commission nationale du débat public » ;

– en aval des états généraux, l’objet de l’évaluation de l’Office « […] faisant ressortir les éléments scientifiques indispensables à la bonne compréhension des enjeux de la réforme. ».

Ces deux suggestions ont été intégrées dans le droit positif par l’article 12 de la loi n° 2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie.

L’exercice par l’OPECST de sa compétence d’évaluation du rapport du CCNE sur les états généraux de la bioéthique de 2018 se fonde donc, aujourd’hui, sur l’article L. 1412-1-1, tel qu’il a été modifié par la loi du 2 février 2016 précitée.

C’est dans son avis n° 126 du 15 juin 2017 sur les demandes sociétales de recours à l’assistance médicale à la procréation (AMP), que le CCNE avait renouvelé son intention d’organiser des états généraux de la bioéthique ([12]). Dans cet avis, le CCNE retenait trois demandes sociétales : l’autoconservation ovocytaire chez les femmes jeunes, les demandes de recours à l’AMP par des couples de femmes et des femmes à titre individuel, les demandes de gestation pour autrui de la part des couples hétérosexuels, mais aussi des couples d’hommes et d’hommes seuls. Il concluait ainsi : « En conséquence, le CCNE estime primordial que soit impulsé au plan national, sur ce sujet de la procréation dans le monde de demain, un travail d’information, de discussion et de pédagogie. Il serait pertinent de réunir des conférences citoyennes pour obtenir d’elles l’indication des avantages et inconvénients ressentis à chaque alternative recensée. C’est enrichi de ces réflexions de la société civile que le débat législatif pourrait être engagé. »([13])

Dans son rapport de synthèse sur les états généraux de 2018, le CCNE pouvait appuyer son choix d’organiser des états généraux sur différentes bases juridiques :

– aux termes du dernier alinéa de l’article L. 1412-1-1 du code de la santé publique suivant lequel, en l’absence de réforme, le comité [CCNE] est tenu d’organiser des états généraux de la bioéthique au moins tous les cinq ans. Les précédents états généraux étant intervenus en 2009, le constat en 2013 de l’absence de projet de réforme, aurait pu constituer le fondement de l’organisation d’états généraux. Tel n’avait pas été le choix du CCNE en 2013 ([14]), pas plus qu’il ne l’aura été en 2018 ;

– sur le fondement du premier alinéa de l’article L. 1412-1-1 du code de la santé publique, les états généraux sont liés à l’existence de progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé conduisant à un projet de réforme sur les problèmes éthiques et les questions de société. De ce point de vue, le CCNE constate, en introduction de son rapport de synthèse, que « les développements scientifiques qui s’intensifient depuis plusieurs années font émerger de nouveaux défis et soulèvent, au-delà de leur complexité spécifique, des questionnements éthiques dans le domaine des sciences de la vie et de la santé. Questionner les usages des applications de la recherche et, plus largement, de l’ingénierie liée à ces applications, est devenu un enjeu éthique majeur, pour un monde nouveau qu’il s’agit de penser, avant de le construire. Éclairer le sens des questions de recherche, des innovations biomédicales et de leurs usages et retombées possibles est ainsi au cœur de ce qu’on appelle la réflexion bioéthique. C’est l’objet des États généraux de la bioéthique 2018. »([15]);

– sur le fondement combiné des articles 47 de la loi du 7 juillet 2011 (nouvel examen d’ensemble par le Parlement de la loi dans un délai maximal de sept ans après son entrée en vigueur) et de l’article 46 de la même loi lui conférant la compétence « d’opérateur chargé d’organiser et d’impulser le débat préalable à la révision de la future loi. Il a piloté le débat organisé sous la forme d’États généraux […]. Le CCNE, qui a lancé officiellement les États généraux préalables le 18 janvier 2018, a mis fin à la consultation le 30 avril 2018 […] »([16]).

L’article 47 de la loi du 11 juillet 2011 prévoit :

– l’évaluation de l’application de cette loi par l’OPECST « dans un délai de six ans » après son entrée en vigueur. Les rapporteurs, en charge de cette évaluation, ont présenté leur rapport à l’OPECST lors de ses réunions des 18 et 25 octobre 2018 ;

– son réexamen d’ensemble par le Parlement dans un délai maximal de sept ans après son entrée en vigueur.

Ainsi, même en l’absence de progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé, l’évaluation par l’OPECST et le réexamen d’ensemble de la loi ont été souhaités par le législateur de 2011.

S’agissant de la consultation publique sous forme d’états généraux, pour les rapporteurs, le constat par le CCNE « des développements scientifiques qui s’intensifient depuis plusieurs années [qui] font émerger de nouveaux défis et soulèvent, au-delà de leur complexité spécifique, des questionnements éthiques dans le domaine des sciences de la vie, de l’ingénierie liée à ces applications » suffit, par lui-même, à donner un fondement juridique à l’organisation, à son initiative, d’états généraux de la bioéthique en 2018.

Une interrogation pourrait concerner la portée de la notion de « progrès de la connaissance » ([17]) dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé, d’où il découlerait une plus ou moins urgente nécessité de réunir les états généraux :

– suivant une conception d’une temporalité « mécanique », sur « l’axe du temps », les connaissances ont nécessairement progressé, puisqu’on s’y situe cinq ans après. Dès lors, il y a lieu de réunir des états généraux tous les cinq ans, constat que l’on peut supposer à l’origine du dernier alinéa de l’article L. 1412-1-1 suivant lequel « en l’absence de projet de réforme, le comité [CCNE] est tenu d’organiser des états généraux de la bioéthique au moins une fois tous les cinq ans » ;

– suivant une conception de la temporalité envisagée de manière moins « mécanique », mais prenant en compte « l’intensité » des changements intervenus, on peut penser qu’entrent dans ce cadre les justifications précitées avancées par le CCNE dans son rapport de synthèse([18]). Est alors en cause une forme de « climat général » de la recherche plutôt que la référence à une avancée précisément déterminée. Encore la perception de ce climat pourra-t-elle ne pas être la même selon que l’on est un « spécialiste » de l’un ou l’autre domaine des sciences de la vie, de l’ingénierie liée à ses applications ou un « généraliste », voire quelqu’un de totalement extérieur à l’un ou l’autre de ces domaines ;

– suivant une conception plus stricte, on pourrait retenir la nécessité d’un changement de « haute intensité », même si cette appréciation sera d’autant plus pertinente qu’elle émanera de « spécialistes ». En conséquence, suivant une telle approche, la justification d’états généraux en relation de la connaissance serait plus rare.

Intervenant au nom de l’OPECST, les rapporteurs ne peuvent en tout état de cause qu’insister sur le fait que la tenue d’états généraux est justifiée dans la loi par la réalité des progrès de la connaissance, comme l’a montré leur rapport d’évaluation de la loi de bioéthique précité.

B.   La procÉdure en amont de la consultation publique sous forme d’États gÉnÉraux

Comme il a été rappelé précédemment, l’article L. 1412-1-1 du code de la santé publique impose au CCNE, dans l’hypothèse qu’il vise, de préalablement demander l’avis des commissions compétentes et de l’OPECST, avis qui inclut une appréciation sur l’opportunité de mobiliser le concours de la Commission nationale du débat public.

En l’espèce, des contacts informels ont eu lieu entre le président du CCNE et le président et premier vice-président de l’Office, mais le CCNE n’a pas formellement sollicité cet avis s’agissant de l’OPECST, en particulier s’agissant de l’appréciation sur l’opportunité de mobiliser le concours de la CNDP.

Dans son rapport de synthèse, le CCNE relève pourtant, pour sa part, qu’ayant pris conscience de l’importance de la communication pour faire connaître au plus grand nombre les états généraux et inciter à y participer, « on se doit néanmoins de reconnaître que la communication a été tributaire de moyens financiers contraints. ([19]) » La consultation préalable des instances parlementaires prévue par la loi aurait peut-être permis de prendre en considération cet aspect, en s’interrogeant notamment sur la possibilité de mobiliser le concours de la Commission nationale du débat public.

Une analyse de la pratique antérieure de la consultation de l’Office par le CCNE figure en annexe 2 au présent rapport.

 

 


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II.   LA PRÉSENTATION PAR LE CCNE DE LA MÉTHODOLOGIE DES ÉTATS GÉNÉRAUX DE LA BIOÉTHIQUE

Pour la Commission nationale du débat public, les « valeurs essentielles qui sont autant de principes nécessaires à la bonne organisation des débats publics » sont l’indépendance, la neutralité, la transparence, l’égalité de traitement, l’argumentation([20]). Il semblait dès lors naturel d’appliquer cette « grille de lecture » à la consultation publique dont rend compte le rapport de synthèse du CCNE.

A.   L’indÉpendance.

À ce titre, la Commission nationale du débat public fait référence à son statut d’autorité administrative indépendante, c’est-à-dire d’institution de l’État placée en dehors des hiérarchies administratives traditionnelles.

De ce point de vue, l’article L. 1412-1 du code de la santé publique dispose expressément que le CCNE exerce sa mission en toute indépendance.

Pour la tâche d’évaluation confiée aux rapporteurs, ce constat apparaît suffisant. Il n’entre pas dans son champ d’apprécier la place du CCNE dans ce qui serait un « système bioéthique français » et les influences réciproques entre ses différents acteurs. L’OPECST est d’ailleurs lui-même partie prenante d’un tel système. Une telle analyse « systémique » relèverait de la sociologie, mais une critique du modèle français de bioéthique et des résultats officiels des états généraux se fonde précisément sur une proximité, jugée excessive, entre les « spécialistes » des domaines en cause et le CCNE.

B.   La neutralitÉ

À ce titre, la Commission nationale du débat public fait référence au fait que l’organisateur du débat public doit rester neutre en toutes circonstances et en aucun cas ne doit exprimer un avis ou une recommandation sur le fond du dossier : le bilan qu’il lui appartient d’établir doit porter une appréciation non sur le contenu ou le fond du débat, mais sur son déroulement et les conclusions et enseignements à en tirer pour la poursuite du projet.

De ce point de vue, le CCNE a délimité lui-même, en amont de la consultation, les neuf thèmes sur lesquelles elle porterait :

▪ Six domaines « où les progrès scientifiques ont été constants » :

– la recherche sur l’embryon humain et les cellules souches embryonnaires humaines,

– les examens génétiques et la médecine génomique,

– les dons et la transplantation d’organes,

– les neurosciences,

– les données de santé,

– l’intelligence artificielle et la robotisation,

▪ Un thème, la santé et l’environnement, dont l’inscription dans le champ de la consultation « est justifiée par la prise en compte de plus en plus grande de l’impact de l’environnement sur la santé ».

▪ Deux thèmes « en résonance avec les préoccupations sociétales et qui ont pu, à cet égard, évoluer ces dernières années » :

– la procréation,

– l’accompagnement de la fin de vie.

Selon le CCNE, « ces deux thèmes qui ne relèvent pas véritablement de la bioéthique ont été inclus après discussion […] dans les États généraux, car il a paru important de profiter de cette consultation citoyenne pour recueillir les opinions de la société sur ces deux thèmes. » ([21])([22]).

Ces choix peuvent poser la question de la neutralité de la procédure utilisée pour les états généraux, puisque les thématiques débattues ont été choisies « en amont » des travaux et que, parmi celles-ci, figuraient la procréation et la fin de vie, qui n’entraient pas explicitement dans le champ de la loi de bioéthique de 2011.

Il convient de rappeler également que lors des précédents états généraux de la bioéthique, organisés en 2009, avant l’engagement du travail parlementaire de réexamen de la loi du 6 août 2004, états généraux dont, comme il a été indiqué précédemment, le CCNE n’était pas l’organisateur, le Premier ministre avait demandé à ce dernier « d’identifier les problèmes philosophiques et les interrogations éthiques que suscite ce rendez-vous, en indiquant les questions qui méritent d’être débattues et en rendant compte de la complexité des questions »([23]).

S’agissant des états généraux de 2018, hormis en ce qui concerne l’intelligence artificielle et la robotisation, le CCNE avait déjà pris position sur les thèmes en cause, dans l’exercice de sa mission même consistant, aux termes de l’article L. 1412-1 du code de la santé publique à « donner des avis sur les problèmes éthiques et les questions de société soulevés par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé ». Il en va ainsi pour :

– la recherche sur l’embryon humain et les cellules souches embryonnaires humaines : notamment l’avis n° 112 du 21 octobre 2010 sur une réflexion éthique sur la recherche sur les cellules d’origine embryonnaire humaine et la recherche sur l’embryon in vitro. Il faut rappeler que cette question fut l’une des premières envisagées par le CCNE : dès 1984, dans son avis n° 1 du 22 mai 1984 sur les prélèvements de tissus d’embryon, suivi, en 1986, de son avis n° 8 du 15 décembre 1986 relatif aux recherches et utilisations des embryons humains in vitro à des fins médicales et de recherche. Ces questions ont été à l’origine même de la création du CCNE par le décret du 23 février 1983, aux termes duquel : « le comité a pour mission de donner son avis sur les problèmes moraux qui sont soulevés par la recherche dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé, que ces problèmes concernent l’homme, des groupes sociaux ou la société tout entière. » ;

– les examens génétiques et la médecine génomique : avis n° 120 du 25 avril 2013 sur les questions éthiques associées au développement des tests génétiques sur sang maternel, avis n° 124 du 21 janvier 2016 sur les réflexions éthiques sur l’évolution des tests génétiques liée au séquençage de l’ADN à très haut débit ;

– les dons et la transplantation d’organes : avis n° 115 du 7 avril 2011 sur les questions éthiques relatives au prélèvement et au don d’organes à des fins de transplantations ;

– les neurosciences : avis n° 116 du 23 février 2012 sur les enjeux éthiques de la neuro-imagerie fonctionnelle, avis n° 122 du 12 décembre 2013 sur le recours aux techniques biomédicales en vue de « neuro-amélioration » chez la personne non malade : enjeux éthiques ;

– les données de santé : avis n° 120 du 25 avril 2013 sur les questions éthiques associées au développement des tests génétiques fœtaux sur sang maternel. Le rapport « Numérique et santé : quels enjeux éthiques pour quelles régulations » est paru, pour sa part, postérieurement à l’achèvement des états généraux (rapport du 19 novembre 2018) ;

– la santé et l’environnement : avis du 6 novembre 2015 : contribution à la réflexion dans le contexte de la 21e conférence sur les changements climatiques (COP 21), avis n° 125 du 9 mars 2017 sur la biodiversité et la santé : nouvelles relations entre l’humain et le vivant ;

– la procréation : avis n° 113 du 10 février 2011 sur la demande d’assistance médicale à la procréation après le décès de l’homme faisant partie du couple, avis n° 126 du 15 juin 2017 sur les demandes sociétales de recours à l’assistance médicale à la procréation ;

– l’accompagnement de la fin de vie : avis n° 121 du 13 février 2013 sur la fin de vie, autonomie de la personne, volonté de mourir, rendu avant le rapport du CCNE sur le débat public concernant la fin de vie (rapport du 21 octobre 2014).

Pour les rapporteurs, ce bilan appelle les observations suivantes :

– en premier lieu, le CCNE se situe depuis sa création au cœur de la réflexion éthique en France et ses avis, qui sont publics, et prennent en tant que de besoin la forme d’un rapport scientifique assorti d’un rapport éthique, sont depuis l’origine une source permettant la compréhension, dans la durée, des enjeux scientifiques et médicaux de la biomédecine. Les rapporteurs eux-mêmes ont pris en compte ces avis, avec le plus grand profit, pour leur travail d’évaluation de l’application de la loi du 7 juillet 2011([24]). Faire de la compétence éprouvée du CCNE un motif de suspicion a priori et prétendre renforcer la crédibilité d’un débat public, comme les états généraux du CCNE, qui ne sont pas entièrement assimilables au débat public sur un projet d’investissement public déterminé, en confiant, par exemple, son organisation à une instance sans aucune compétence sur le sujet, donc sans aucun parti pris, leur semblerait paradoxal. Ils ne pensent pas non plus transposable le raisonnement tenu en matière de conflits d’intérêts, qui prend en compte, au-delà de l’existence même d’un réel conflit, la simple apparence pouvant donner lieu au soupçon, de la part d’un tiers, quant à la possibilité même d’un conflit d’intérêts. En outre, le CCNE a pris le soin de distinguer clairement son rapport au titre de sa compétence d’organisateur des états généraux et son avis au titre de collège de réflexion et de proposition éthiques, avis rendu postérieurement aux états généraux ;

– en second lieu, comme rappelé précédemment, les rapporteurs n’ignorent pas certaines critiques tenant à la « perméabilité » d’approches et de réflexions entre les scientifiques et médecins membres du CCNE et les scientifiques et médecins qui seront éventuellement demandeurs d’assouplissements ou d’adaptation des « interdits éthiques ». Pour les rapporteurs, la publication systématique de ses avis depuis la création du CCNE et son choix d’expliciter les données et arguments scientifiques et médicaux qui les fondent, garantissent la possibilité de soumettre le raisonnement tenu à l’appréciation critique des scientifiques et non-scientifiques, des médecins et des associations de malades, des diverses institutions publiques([25])… C’est la raison pour laquelle il convient d’apporter la plus grande vigilance à l’effectivité des possibilités concrètes d’appréciation et de critique des discours scientifiques, ceux sur lesquels s’appuie le CCNE, comme ceux d’autres institutions. L’OPECST a un rôle à tenir à cet égard.

C.   La transparence

À ce titre, la Commission nationale du débat public fait référence à la nécessité de s’assurer que l’ensemble des informations et des études disponibles sur le sujet a été mis à la disposition du public. Au cours du débat, aucune question ne doit être écartée, aucune censure exercée, aucun avis exposé dans le respect des modalités du débat public ne doit être dissimulé.

De ce point de vue, le site web participatif mis en place par le CCNE a comporté, pour chacun des thèmes retenus, une partie informative comprenant :

▪ une courte introduction du thème ;

▪ une présentation de la structuration de la consultation autour de trois axes, dont deux de nature informative et l’un portant sur la discussion :

« Constats et enjeux : quelle est la situation actuelle ?

Valeurs et principes : quels sont les valeurs et principes que nous souhaitons promouvoir et garantir ?

Pistes de discussion : comment agir ensemble ? » ;

▪ les définitions des notions et données scientifiques indispensables à une première compréhension de ce dont il est question ;

▪ un « état des lieux » présentant le cadre juridique, des données chiffrées officielles relatives aux pratiques sous forme de schémas didactiques (données de l’Agence de la biomédecine sur les greffes d’organes en France en 2016 ou sur la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires en 2017, données de l’Ordre national des médecins sur l’usage des applications mobiles de santé en 2015) ;

▪ une bibliographie sélective, sous forme d’un renvoi « pour aller plus loin » à « quelques exemples de documents à consulter ». Cette bibliographie prend la forme de tableaux où sont énumérés des rapports en accès libre de l’Agence de la biomédecine, de la Haute autorité de la santé, de l’Académie nationale de médecine, du Comité consultatif national d’éthique, du Conseil national de l’ordre des médecins, du Centre d’analyse stratégique, de France médecine génomique ; des rapports parlementaires dont les principaux rapports de l’OPECST en matière de bioéthique et les rapports d’information des commissions permanentes compétentes en vue des révisions successives de la loi relative à la bioéthique.

La partie consultative est clairement identifiable. Pour chaque thème, l’incitation à participer prend la forme :

▪ d’une même introduction ainsi rédigée : « Pistes de discussion : comment agir ensemble ?

Des propositions initiales, intitulées États généraux de la bioéthique, présentent pour chaque axe les termes du débat. Vous pouvez exprimer votre accord, votre désaccord, votre perplexité sur ces propositions en votant et en argumentant. Vous pouvez également réagir aux propositions des autres participants ou reformuler vos propres propositions. À vos claviers ! » ;

▪ et d’exemples de questions à débattre s’appuyant sur l’évolution des données scientifiques et techniques, rappelées en annexe 3 du rapport de synthèse, celui-ci précisant que le site des états généraux héberge l’ensemble des documents ayant conduit à sa rédaction (www.etatsgenerauxdelabioéthique.fr).

Les rapporteurs constatent bien volontiers que les questions précitées permettent d’engager la réflexion éthique, en l’état actuel de chaque domaine en cause, dès lors qu’on a préalablement fourni un effort indispensable de compréhension des données scientifiques, médicales et techniques qu’il comporte, effort ne pouvant être engagé qu’après une mission de vulgarisation, au sens académique, remplie par les différentes institutions en charge des domaines en cause.

À cet égard, des institutions comme l’INSERM, l’Agence de la biomédecine, le CCNE ou l’OPECST offrent les moyens, à qui veut s’en donner la peine, d’accéder à la connaissance des faits et des problématiques préalables à une réflexion personnelle.

D.   L’ÉgalitÉ de traitement

À ce titre, la Commission nationale du débat public fait référence à la mise en œuvre de tous les moyens nécessaires pour que chacun – citoyen, association, etc. – quelles que soient son opinion, ses implications, ses motivations, puisse s’exprimer et soit traité de la même manière. La Commission nationale du débat public insiste sur le fait qu’elle veille particulièrement à ce que chacun puisse faire valoir son point de vue.

À ce titre, le CCNE en tant que comité scientifique, s’est scindé en plusieurs groupes pour procéder à l’audition d’organisations dans les champs :

̶  associatif : 88 associations d’usagers de santé et groupes d’intérêts,

̶  scientifique ou médical : 36 sociétés savantes, par exemple : la société des neurosciences, l’association française des conseillers en génétique, la société française de médecine des prélèvements, la société française de recherche sur les cellules souches, la société française de thérapie cellulaire et génétique, la société française pour l’étude de la fertilité, la société francophone de néphrologie, dialyse et transplantation, le réseau national de pharmacogénétique, l’association des biologistes des laboratoires d’étude de la fécondation et de la conservation de l’œuf ;

̶  des courants de pensée philosophique : la Fédération française du droit humain, la Grande Loge féminine de France, le Grand Orient de France, la Grande Loge de France ;

̶  des religions : la Fédération protestante de France, le Grand Rabbin de France, l’Académie française de la pensée islamique, la Conférence des Évêques de France, l’Union des Bouddhistes de France ;

̶  des grandes institutions : au nombre de 18, dont l’Académie des sciences, l’Académie nationale de médecine, la Haute autorité de santé, le Plan génomique 2025, la Fédération française des CECOS, l’Ordre national des médecins, l’Ordre national des sages-femmes, le Haut conseil de la santé publique.

En outre, le CCNE précise avoir auditionné trois entreprises ou syndicats d’entreprises « dans la mesure où des entreprises concentrent sur des sujets comme l’intelligence artificielle et la robotisation une bonne partie de la recherche » : LEEM (les entreprises du médicament), EDC (les entrepreneurs et dirigeants chrétiens), et la start up Terapixel.

La liste des différents organismes auditionnés figure à l’annexe 5 du rapport de synthèse.

Chaque organisme entendu devait faire parvenir avant son audition une contribution (présentation de l’organisation, problématiques abordées au cours de l’audition, modifications législatives souhaitées), contribution mise en ligne sur le site web des états généraux.

Dans l’esprit du CCNE, « les auditions (…) ont constitué non pas des lieux de débat, mais plutôt des moments de clarification, d’explicitation de la part des organisations qui avaient répondu à cette invitation. » (rapport de synthèse, page 149). Le CCNE indique avoir contacté 400 organisations pour leur proposer d’être entendues. 154 auditions ont eu lieu, dont 88 d’associations et 36 de sociétés savantes.

Les rapporteurs doutent qu’une consultation comme les états généraux de la bioéthique puisse s’abstraire de la prise en considération d’un premier cercle de données scientifiques, techniques, médicales dont l’appréciation relève d’abord du strict constat de la réalité. L’existence des faits ainsi validée, s’impose ensuite un effort de « contextualisation » pour replacer ces données dans un ensemble de considérations permettant de juger si elles constituent ou non des « avancées ». Au regard de la connaissance, une avancée pourrait consister d’ailleurs en une remise en cause d’un schéma explicatif accepté. L’évolution des connaissances est indifférente au déplaisir qu’elle peut susciter chez les tenants d’une science installée ou acceptée comme « la science » ou bien chez des éthiciens qui confondraient le monde tel qu’il est et le monde tel qu’ils souhaiteraient qu’il soit.

C’est la raison pour laquelle les rapporteurs pensent que les mieux à même de contribuer à la compréhension de ces faits sont les chercheurs, médecins, techniciens, bref les professionnels de chaque domaine en cause.

Un tel constat de bon sens ne conduit pas à considérer comme inévitable l’existence, y compris en toute bonne foi, de « barrières » à la pleine compréhension et au questionnement des non-spécialistes, l’alibi de la technicité pouvant être propice aux facilités de l’entre-soi. Derrière la technicité de la terminologie, la révérence consentie à l’avancée des connaissances et aux valeurs citoyennes risque fort de tomber dans l’inanité si on devait aboutir à des débats dans lesquels, même en y mettant toutes les formes et la courtoisie possibles, les uns – les spécialistes – trouveraient suffisant de se contenter d’opposer à leurs interlocuteurs l’insuffisante maîtrise des réalités qu’ils se pensent à même d’encadrer et de réguler, tandis que, symétriquement, les non-spécialistes se justifieraient à leurs propres yeux en opposant aux premiers que s’ils possèdent le détail de leur spécialité, ils ne savent pas, en revanche, quelle science ils contribuent à édifier.

Or, dans une époque scientifique et technique, le spécialiste et le généraliste – et, il faut le reconnaître, le politique – sont embarqués « sur le même bateau ».

 

« Il importe de garder à l’esprit que les interrogations bioéthiques sont la conséquence de l’avancée des connaissances et des réalisations techniques. Par exemple, pas de greffes d’organes sans maîtrise des traitements immunosuppresseurs. Pas de questionnement sur le don et la conservation d’ovocytes sans la maîtrise de la vitrification de ceux-ci.

 

Ce constat ne doit pas être source ni d’un quelconque enthousiasme pour la technologie ni, à l’inverse, d’une diabolisation de l’esprit de recherche et des avancées de la connaissance. En revanche, aucune réflexion bioéthique désireuse d’avoir prise sur le réel ne peut ignorer l’état mouvant des connaissances et des technologies.

 

Bien sûr, cela ne signifie pas qu’il n’existe pas des principes intangibles. Ils sont au cœur même de l’exercice médical, qui ne se résume pas à un savoir scientifique et pratique. Au-delà de la progression inéluctable des connaissances et des technologies, demeure le respect de l’autonomie du patient, le respect de la bienfaisance à son égard et de son corollaire, la non-malfaisance, enfin le respect de la justice. Le colloque singulier entre le médecin et son patient, même avec l’impact de la pluridisciplinarité dans l’établissement du diagnostic et le choix de la thérapeutique, demeure bien la pierre de touche de l’exercice de la médecine à dimension humaine voire humaniste. »

Source : OPECST, rapport sur l’évaluation de la loi du 7 juillet 2011, M. Jean-François Eliaou, député, et Mme Annie Delmont-Koropoulis, sénatrice, rapporteurs, 25 octobre 2018, p.8.

Les rapporteurs ne peuvent donc que marquer une certaine suspicion, voire une suspicion certaine, devant la conception d’états généraux de la bioéthique devenant un instrument d’aide au désamorçage des questions « clivantes » dans la société. Le mécompte risque d’être au bout de cette démarche voulue comme subtile, les suites apportées donnant d’ailleurs à ceux qui se sont le plus mobilisés le sentiment d’un détournement voire d’une privation de « leurs » états généraux.

E.   L’argumentation

À ce titre, la Commission nationale du débat public considère que les participants doivent pouvoir apporter des arguments expliquant et justifiant leur point de vue. Le débat public est un temps d’échanges et de discussion dans le processus de décision et ne peut être assimilé à un sondage ou à un référendum, l’avancée de la réflexion sur un projet tenant à la qualité des arguments et non à leur quantité.

Dans son rapport de synthèse, le CCNE indique que la partie consultative a été ouverte à tous, sur simple inscription. « Pour lancer le débat, 115 propositions étaient formulées lors de la mise en ligne, les internautes ayant la possibilité d’en ajouter. Chaque proposition était alors soumise à réaction (« d’accord », « mitigé », « pas d’accord »), appelée vote, permettant à chaque participant de situer son avis. Chaque proposition était en outre suivie de deux champs libres, « pour » et « contre », où les participants étaient invités à développer des « arguments » concernant la proposition. Ce sont ces arguments qui font l’objet de la synthèse. » ([26])

Conformément à l’esprit du débat public tel que conçu par la Commission nationale du débat public, le CCNE insiste à deux reprises sur le fait que « les États généraux de la bioéthique sont un recueil d’argumentaires sur des propositions et non un recensement de « pour » et de « contre » sur des questions fermées »([27]) et que « cette construction de la consultation par le biais de propositions plutôt que de questions fermées a cherché à éviter toute logique de sondage, le CCNE estimant que des questions fermées ne permettent pas de voir ce qui motive réellement les propositions de chacun » ([28]).

Le rapport de synthèse comprend([29]) un bilan de la consultation sur le site internet qui a été accessible pendant 78 jours, du 12 février au 30 avril 2018 :

– 183 498 visiteurs uniques ;

– 29 032 participants ayant apporté 64 985 contributions (entendues par le CCNE comme « la formulation par les internautes de « propositions » concrètes : 3 755 nouvelles propositions se sont ajoutées aux 115 propositions initiales, propositions elles-mêmes soumises à l’avis des internautes qui étaient appelés à déposer leurs « arguments » en faveur ou en défaveur des propositions (60 493 au total) ou renvoyant à des « ressources » documentaires (599) » ;

– les contributions ont porté très majoritairement (69 %) sur les deux thèmes choisis par le CCNE « en résonance avec les préoccupations sociétales et qui ont pu, à cet égard, évoluer ces dernières années » (soit, procréation et société : 45 %, prise en charge de la fin de vie : 24 %) ;

– les 28 % des contributions relatives aux domaines « où les progrès scientifiques ont été constants » se sont ainsi réparties : 12 % pour les cellules souches et recherche sur l’embryon, 5 % sur les examens génétiques et la médecine génomique, 4 % sur les dons et transplantations d’organes, 3 % sur l’intelligence artificielle et robotisation, 2 % sur les neurosciences, 2 % sur les données de santé.

Le CCNE insiste pour sa part sur le fait « qu’il ne faudrait pas tirer la conclusion que ce grand nombre d’interventions permet de donner une représentation juste de l’état de l’opinion. Comme souvent dans ce type d’exercice, les « sachants », ceux qui ont déjà eu l’occasion de construire une réflexion sur ces sujets complexes, et les « militants » qui défendent une cause, sont ceux qui s’expriment le plus spontanément. La fréquence des prises de position en faveur de telle ou telle évolution ne dit rien, par elle-même de leur représentativité au sein de la population française. Il ne s’agit donc pas d’une évaluation scientifique de l’opinion. » ([30]).

Plus généralement, il faut souligner que les consultations des citoyens mises en place directement par voie numérique par le CCNE, ou via le Comité citoyen, n’ont aucune représentativité statistique puisque les observations sont déposées sur la base du volontariat, donc avec de nombreux biais : le souhait de déposer des observations sur internet est en soi un critère différenciant, excluant notamment les non-utilisateurs d’internet et ceux qui ne manifestent pas leur opinion même s’ils en ont une…; le même internaute peut déposer autant de contributions qu’il souhaite ; etc.

De ce fait, il faut insister sur le fait que ces différentes consultations ne sauraient « représenter » les opinions de la population française et ne doivent être prises en compte que qualitativement et non quantitativement.

Une autre forme de consultation s’est traduite par des rencontres organisées entre le CCNE lui-même et les comités d’éthique institutionnels et les experts de certaines thématiques :

▪ quinze comités d’éthique auprès des organismes de recherche et des académies autour de trois tables rondes :

– le numérique, les données massives et l’intelligence artificielle,

– la génomique,

– le patient de demain,

▪ des experts scientifiques et médicaux et des membres des comités d’éthique institutionnels au cours de trois rencontres :

– le développement des tests génétiques et la médecine génomique,

– la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires,

– les neurosciences.

Le rapport de synthèse indique qu’un résumé des travaux de ces ateliers est consultable sur le site internet des états généraux.

Par ailleurs, comme ceux de 2009, les états généraux de la bioéthique de 2018 ont comporté une part décentralisée avec l’intervention des espaces de réflexion éthique régionaux (ERER).

Le CCNE souligne que les ERER ont fonctionné en étroite collaboration avec le CCNE et en coordonnant l’ensemble des débats en métropole et outre-mer. « Indépendants du CCNE, mais travaillant en réseau et en lien étroit avec ce dernier avec cinq réunions de construction conjointes, les ERER ont bénéficié d’une grande liberté pour l’organisation des débats ; les méthodes et les thèmes abordés sont ainsi déclinés régionalement » :

– soit selon le format classique, largement utilisé, du débat public « ouvert à tous et introduit pas des experts qui clarifient et explicitent les enjeux du débat » ;

– soit selon des méthodes d’animation pour susciter la discussion avec des publics spécifiques comme les lycéens et étudiants (un tiers des événements organisés), les professionnels de santé, les associations de santé.

Le CCNE indique que 271 événements ont été organisés par les ERER pendant la durée des états généraux, les thèmes « procréation et société » et « examens génétiques et médecine génomique » étant les plus abordés([31]).

Les rapporteurs doivent rappeler ici qu’une leçon des états généraux de la bioéthique tiendra toujours, dans les champs proprement scientifiques, techniques ou médicaux, à l’absence de place pour toute forme ou tentation d’improvisation. Toute analyse, toute réflexion sur la dimension scientifique et technique des choix éthiques ne peut sérieusement se résumer « à l’instinct » ou se confondre avec des états d’âme. Comme ils l’ont déjà souligné, la dimension et l’effort d’information sont cruciaux. Ce constat de bon sens donne d’ailleurs sa justification à la mission propre de l’OPECST, indépendamment de la fréquence d’organisation d’états généraux de la bioéthique.

Quant à la préférence relative des participants pour les différents thèmes inscrits à l’ordre du jour des états généraux de la bioéthique, le constat est celui d’une préférence marquée pour les discussions relatives aux préoccupations sociétales, qu’il s’agisse des participants à la consultation centralisée ou à la consultation décentralisée.

Du point de vue du CCNE, organisateur des états généraux, l’expression d’une telle préférence de la part des participants pour « ces deux thèmes qui ne relèvent pas véritablement de la bioéthique »([32]), peut être considérée comme une ratification de son choix « de profiter de cette consultation citoyenne pour recueillir les opinions de la société sur ces deux thèmes » ([33]).

Du point de vue de l’OPECST, il apparaît plutôt, au vu des résultats, qu’en pratique, la consultation publique sur les préoccupations sociétales a offert l’opportunité de consulter sur les avancées scientifiques, techniques ou médicales et leurs conséquences. De justification centrale, pour le législateur, de la réunion des états généraux de la bioéthique, on est passé à une opportunité annexe, sauf pour la plupart des participants institutionnels ou les experts, qui ont exprimé leurs appréciations et leurs souhaits éventuels d’évolution législative dans les domaines en cause, comme ils ont pu les exprimer selon les canaux habituels de consultation publique par l’administration ou, si l’on retient une conception large de la consultation publique, en y incluant, à côté des états généraux stricto sensu, les travaux du Conseil d’État, de l’OPECST et d’autres instances, en lien avec la révision annoncée de la loi relative à la bioéthique.

On relèvera en outre, plus accessoirement, qu’apparaissent en conséquence des états généraux « généraux », comme ceux de 2018, et des états généraux « particuliers » sur un seul thème, comme ceux de 2014 sur la fin de vie, lequel thème a été à nouveau inclus, après quatre années seulement, dans le champ d’états généraux « généraux ».


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III.   LA PRÉSENTATION PAR LE CCNE DES ENSEIGNEMENTS À TIRER DES ÉTATS GÉNÉRAUX

Ainsi qu’il a été rappelé précédemment et de même qu’à l’occasion de leur démarche d’évaluation de l’application de la loi du 7 juillet 2011, les rapporteurs s’en tiendront aux thèmes présentant une dimension scientifique, technique ou médicale, sans entrer dans le champ des débats dits de société. Cette démarche a été approuvée par l’OPECST lors de la présentation du rapport précité les 18 et 25 octobre 2018.

A.   La recherche sur l’embryon et les cellules souches humaines

▪ Les problèmes éthiques soulevés par le CCNE, en amont du débat, pour justifier l’inscription de la thématique dans le champ des états généraux

L’inéquation de la législation avec la progression des données scientifiques est mise en avant en ce qui concerne :

– la clarification de ce qui est autorisé ou non en matière de recherche sur l’embryon, par exemple le temps de culture in vitro ou les modifications ciblées du génome ;

– la nécessité, compte tenu des découvertes scientifiques récentes, d’une analyse prospective en ce qui concerne la reconstitution des premières étapes du développement embryonnaire, les dispositions relatives aux recherches sur l’embryon donné à la recherche ne les prenant pas en compte.

▪ Les enseignements des états généraux

Dans son rapport de synthèse, le CCNE souligne que les intervenants se sont prononcés sur le principe des recherches plutôt que sur les avancées scientifiques, par exemple dans le cas, d’une part,  de l’alternative entre le recours aux cellules pluripotentes induites (iPSC) ou aux cellules issues du sang de cordon par rapport, d’autre part, aux utilisations de cellules souches embryonnaires, avec des « assertions émises de façon peu argumentées » scientifiquement([34]).

Dans son avis n° 129 du 18 septembre 2018, le CCNE rend compte de la consultation lors des états généraux de la bioéthique en indiquant que « les demandes d’éclaircissements de la rédaction de certains articles de la loi – issues exclusivement des auditions des sociétés savantes – n’ont peu, voire pas, été discutées par la société civile. »([35]).

B.   Les examens gÉnÉtiques et la mÉdecine gÉnomique

▪ Les problèmes éthiques soulevés par le CCNE, en amont du débat, pour justifier l’inscription de la thématique dans le champ des états généraux

L’évolution des procédés techniques, la baisse des coûts de réalisation ouvrent la perspective d’examens des caractéristiques génétiques se généralisant : dépistage prénatal, dépistage à la naissance, diagnostics pré-conceptionnels, tests en accès libre.

▪ Les enseignements des états généraux

Dans son rapport de synthèse, le CCNE met en avant le besoin d’information sur les examens génétiques et la médecine génomique qui s’est exprimé ainsi que le souhait d’une transmission des résultats des examens génétiques appelant accompagnement et encadrement. Quant aux demandes d’évolutions législatives, elles sont le fait des experts, en particulier l’extension du diagnostic préimplantatoire aux aneuploïdies([36]).

Dans son avis n° 129 du 18 septembre 2018, le CCNE reprend mot pour mot sa présentation du résultat de la consultation lors des états généraux de la bioéthique en soulignant que : « c’est une des principales thématiques discutées lors des États généraux de la bioéthique. La consultation a fait ressortir un réel besoin d’information sur ce que sont ou ne sont pas les examens génétiques, leur portée et, plus généralement, sur le développement d’une médecine génomique. […] Les suggestions d’évolutions possibles de la loi de bioéthique et, plus largement, des lois relatives à la santé proviennent avant tout des experts du domaine. »([37]).

C.   Les dons et transplantations d’organes

▪ Les problèmes éthiques soulevés par le CCNE, en amont du débat, pour justifier l’inscription de la thématique dans le champ des états généraux

Le questionnement est celui de l’augmentation du nombre de prélèvements et de transplantations au regard du nombre des patients en attente de transplantation dans le respect d’un haut niveau d’exigence éthique, de qualité et de sécurité.

▪ Les enseignements des états généraux

Dans son rapport de synthèse, le CCNE constate que « le don et la greffe d’organes n’ont pas été remis en cause en tant que tels » et que « les principes de gratuité, d’anonymat et de consentement au prélèvement font consensus. » Il constate également que, hormis pour le don de gamètes, les dons de produits du corps humain ont été absents des débats, en particulier le don de cellules souches hématopoïétiques([38]).

Dans son avis n° 129 du 18 septembre 2018, le CCNE rend compte de la consultation lors des états généraux de la bioéthique en indiquant que : « Le dispositif actuel de consentement présumé a été, comme à chaque révision de la loi relative à la bioéthique, discuté au cours des États généraux, certains préconisant la création d’un registre des « Oui », d’autres un système mixte. »([39]).

D.   Les neurosciences

▪ Les problèmes éthiques soulevés par le CCNE, en amont du débat, pour justifier l’inscription de la thématique dans le champ des états généraux.

Le champ de la « neuro-éthique » est vaste, du champ clinique (application des techniques d’exploration du cerveau aux affections neurologiques et psychiatriques) au champ de la recherche cognitive ou de la fabrication de neurones, jusqu’à la justice, le marketing (utilisation de l’imagerie cérébrale) ou l’éducation (conséquences sur l’apprentissage des individus de la meilleure connaissance du fonctionnement du cerveau).

▪ Les enseignements des états généraux

Dans son rapport de synthèse, le CCNE souligne le faible nombre de préconisations concrètes, tant de la part « de la société civile » que des sociétés savantes, le rappel « de grands principes » ayant prévalu, « qui ont, pour la plupart, fait consensus »([40]).

Dans son avis n° 129 du 18 septembre 2018, le CCNE rend compte de la consultation lors des états généraux de la bioéthique en soulignant : « malgré la faible participation du grand public sur le sujet des neurosciences […], une forte adhésion quant à l’importance du développement de la recherche en ce domaine, notamment pour trouver des solutions thérapeutiques aux maladies neurologiques » et le fait que « la consultation a donc été surtout l’occasion de réaffirmer un certain nombre de grands principes généraux : non seulement l’intérêt de la recherche, mais aussi la nécessité de protéger les données individuelles, le constat de la complexité du cerveau, le principe de la justice sociale notamment eu égard aux techniques de neuro-amélioration. »([41]).

E.   Les donnÉes de santÉ

▪ Les problèmes éthiques soulevés par le CCNE, en amont du débat, pour justifier l’inscription de la thématique dans le champ des états généraux

Par leur nature, les opérations sur les métadonnées de santé (réutilisation, croisement avec d’autres) peuvent fragiliser l’approche éthique française dans le domaine de la santé. La complexité et l’opacité d’une telle exploitation mettent en cause la notion classique de choix libre et éclairé et de consentement.

▪ Les enseignements des états généraux

Dans son rapport de synthèse, le CCNE relève que les contributions sont formulées en termes de principes généraux, dès lors que les participants aux débats ou aux auditions ont insisté sur le déficit général d’information technique (anonymisation, pseudonymisation, sécurisation des données). Les préoccupations visent une demande d’explications sur le fonctionnement des outils numériques et l’exploitation des données collectées, la crainte d’« une perte de la relation humaine qui s’établit entre le patient et le médecin, avec, à terme, le risque que la décision médicale soit imposée par l’outil numérique et non plus explicitée et partagée entre le patient et le médecin » et « une méfiance partagée quant au devenir des données et au risque de leur exploitation malveillante, coercitive ou commerciale, en particulier vis-à-vis de personnes vulnérables, par des assureurs, ou des plateformes médicales, voire l’assurance maladie. » ([42])

Dans son avis n° 129 du 18 septembre 2018, le CCNE rend compte de la consultation lors des états généraux de la bioéthique en reprenant les termes mêmes utilisés dans la partie « conclusive » de son rapport de synthèse selon lesquels il a été « implicitement mis en évidence [ce] (…) que l’on peut qualifier de « transformation du cœur du débat bioéthique » (…) [c’est-à-dire] une nouvelle objectivation du corps humain où le génome et les données de santé, par exemple, s’ajoutent aux caractéristiques corporelles traditionnelles et en complexifient d’autant la question bioéthique ».([43])

F.   L’intelligence artificielle et la robotisation

▪ Les problèmes éthiques soulevés par le CCNE, en amont du débat, pour justifier l’inscription de la thématique dans le champ des états généraux.

Les apports de l’intelligence artificielle sont déjà réels dans les opérations chirurgicales, en neurologie et urologie ainsi qu’en imagerie médicale. La contribution au diagnostic ira croissant compte tenu des capacités de la machine à « accumuler un nombre de schémas d’interprétation médicale sans commune mesure avec les capacités d’un médecin ou d’un chercheur. » C’est la raison pour laquelle la question de la responsabilité, notamment en cas de dysfonctionnement de la machine, devient essentielle. La sécurité, le respect de la vie privée et la dignité humaine sont en jeu : la validité, la pertinence et l’intelligibilité de l’information aux usagers, l’égal accès au bénéfice des nouvelles technologies, la confidentialité des données utilisées et partagées, enfin, le contrôle des algorithmes.

▪ Les enseignements des états généraux

Dans son rapport de synthèse, le CCNE constate que, « quel que soit le canal par lequel sont remontées les réflexions », prévaut la considération des « promesses » des nouvelles technologies : « mettre un frein à leur développement (…) pourrait être analysé comme contraire à l’éthique. » Pour autant, « des interrogations voire des inquiétudes » existent que l’on peut réunir sous les mots : le risque de déshumaniser la médecine. Les exigences éthiques demeurent : la décision finale remise à l’homme, le consentement éclairé donné à l’usage des machines, la détermination de la responsabilité en cas d’erreur ou de dérèglement de la machine, le secret médical([44]).

Dans son avis n° 129 du 18 septembre 2018, le CCNE, a retenu une approche « numérique et santé », incluant les données, l’intelligence artificielle et la robotisation, alors qu’il a séparé ces deux thèmes dans son organisation des états généraux. À chapitre unique, conclusion unique : celle citée au point E ci-dessus, relatif aux données de santé.

Les rapporteurs constatent la proximité, voire l’identité, des enseignements des états généraux avec les informations qu’ils ont recueillies à l’occasion de l’évaluation de l’application de la loi du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique, concordance dont une part de l’explication peut tenir à l’expression prépondérante des « experts » dans ces divers champs ouverts à la consultation publique.


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IV.   LES PISTES D’ACTION, SELON LE CCNE, À LA LUMIÈRE DES ENSEIGNEMENTS TIRÉS DES ÉTATS GÉNÉRAUX

Outre la conviction que la mobilisation observée lors des états généraux oblige à consolider durablement le débat national et régional sur les sujets de bioéthique, le CCNE tire plusieurs conclusions générales, qui, par leur nature, entrent dans le champ de compétence de l’OPECST.

A.   Un besoin d’information

Pour le CCNE, ce besoin qualifié d’essentiel concerne « non seulement les citoyens qui se sont exprimés, mais aussi les professionnels de santé. Complexes, les questions abordées témoignent de l’évolution de la médecine dans une dimension technique et scientifique qui vient interroger des notions de nature philosophique ou sociologique. » Au surplus, le CCNE n’a pu manquer de constater que « l’appropriation du contenu technique des questions mises en débat n’a été que partielle, ce qui a pu entraver la bonne compréhension des enjeux. » (rapport de synthèse, page 150).

Dès son questionnement en vue des états généraux de 2009, dont il n’était pas l’organisateur, le CCNE soulignait que « l’information du public sur l’état de la science reste trop rare et peu accessible. Les États généraux doivent impérativement être l’occasion de donner à tous une information, plurielle et critique sur les questions scientifiques qui sont au cœur de la révision de la loi de bioéthique. Le CCNE reconnaissait dès 1995, que « la fiabilité et la loyauté de ces informations (scientifiques) deviennent (…) de réels enjeux sociaux ».

Cet aspect relève de la question générale de la transmission de l’information scientifique que les rapporteurs refusent de restreindre à la démarche de vulgarisation, au sens académique, voire d’acculturation à la science, selon que l’éducation nationale réussit ou non à donner une culture générale scientifique – la compréhension du monde dans lequel vit et est appelée à vivre la génération en cours de formation – et à susciter les vocations scientifiques dont un pays comme le nôtre a besoin.

Pour les rapporteurs, cet aspect est indissociable de celui de la transmission de l’information scientifique aux scientifiques eux-mêmes.

Le CCNE en avait fait un thème de réflexion en 1995, puis à nouveau en 2010, dont il a rendu compte dans des termes qui demeurent en tout point valables pour les rapporteurs([45]).

La transmission de l’information scientifique aux fins d’asseoir les choix scientifiques et technologiques sur une base documentée et rationnelle, c’est-à-dire simplement « en sachant de quoi il est question », relève bien du « cœur de métier » de l’OPECST.

Cette justification est à l’origine de sa création en 1983, le travail qu’il a accompli, reconnu au sein même des divers milieux scientifiques, techniques et médicaux([46]), et la vigilance qu’il a mise à respecter les limites de son champ d’intervention, donnent à penser qu’un tel investissement est d’autant plus productif qu’il peut s’adapter, avec la plus grande souplesse possible, au rythme même d’évolution des activités scientifiques, technologiques et médicales et au rythme d’apparition des connaissances, innovations et interrogations qu’elles comportent. Dans le domaine de la bioéthique, un tel rythme ne concorde pas, par nature, avec le calendrier de révision de la loi bioéthique, et donc de l’évaluation préparatoire confiée, jusqu’à présent, à l’OPECST, par la loi bioéthique.

Ainsi, l’actualité future de l’édition génomique, celle de la greffe d’organes et de ses alternatives ou celle de la greffe de cellules, ou encore celle de la plate-forme française des données de santé, justifieront certainement, avant cinq, six ou sept ans, que l’Office puisse s’en saisir de façon spécifique.

Dans cette perspective, les rapporteurs proposent de modifier l’audition annuelle de la direction générale de l’Agence de la biomédecine, aujourd’hui organisée sur le fondement de l’article 50 de la loi du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique à l’occasion de la présentation du rapport d’activité annuel de l’agence, au profit d’une table ronde consacrée à la bioéthique vue sous l’angle d’un bilan d’étape et de suivi du rythme des avancées, des obstacles rencontrés, d’un point de vue scientifique, technique et médical. L’aspect institutionnel d’un compte rendu annuel d’activité apparaît en effet plus en phase avec les compétences des commissions des affaires sociales.

B.   L’adhÉsion à la recherche

Le CCNE fait, entre autres, les constats suivants([47]):

– l’intérêt de la recherche en neurosciences « semble faire consensus », même si aujourd’hui cette perspective reste limitée ;

– le développement des recherches en génétique « est encouragé par une majorité des participants ». L’évolution des procédés techniques et leur facilité d’application laissant entrevoir la généralisation de l’examen des caractéristiques génétiques de l’individu, il est rappelé que « l’État ne peut obliger les citoyens à recourir à ces pratiques et [que] leur libre choix doit être respecté. » ;

– les positions exprimées sur les recherches sur l’embryon et sur les cellules souches embryonnaires « restent très opposées ». Les participants se sont prononcés sur le principe même de l’autorisation des recherches, les scientifiques et les sociétés savantes, mettant en avant, eux, les avancées scientifiques, suggèrent une distinction, dans la loi, entre la recherche sur l’embryon et la recherche sur les cellules souches embryonnaires, en particulier sur les lignées cellulaires. Le CCNE relève toutefois « qu’un certain consensus est apparu sur la nécessité d’un encadrement législatif [de ces recherches] (…) Une demande consensuelle est que la loi pose des limites à ne pas franchir. »

C.   L’Évolution du systÈme de santÉ

Pour les participants, des attentes et des craintes sont directement liées aux évolutions de la technique et de la pratique médicales. Elles concernent tout particulièrement :

– l’acte de soin et la relation patient-médecin : « le soin ne se limite pas à un acte technique et l’intelligence artificielle, en particulier, ne doit pas déshumaniser la médecine. Une clinique de l’écoute, de la « bientraitance » qui privilégie le colloque singulier entre le patient et le professionnel, est une revendication partagée par tous. »([48]);

– l’utilisation des données de santé : « les craintes d’utilisation frauduleuse ou abusive des données de santé ont également été exprimées, appelant à la vigilance pour une utilisation des données personnelles en santé soumise au consentement éclairé du patient, sans rupture de la logique assurantielle et solidaire du contrat social. »([49])

Les rapporteurs constatent que ces préoccupations rencontrent les recommandations qu’ils ont présentées à l’approbation de l’OPECST, suite à l’évaluation de l’application de la loi du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique.

 


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   ConClusion

Les rapporteurs proposent volontiers de donner acte au CCNE :

– de la rigueur et de la conscience avec lesquelles il a rempli, en 2018, sa tâche d’organisateur des états généraux de la bioéthique que lui confie la loi ;

– de la qualité, à tous égards, de son rapport de synthèse. Il faut toutefois rappeler que les consultations des citoyens par voie numérique ou via le Comité citoyen mises en place par le CCNE ne sauraient représenter les opinions de la population française et ne doivent être prises en compte que qualitativement, et non quantitativement. Vos rapporteurs sont d’ailleurs très réservés sur la proposition de créer un comité citoyen permanent auprès du CCNE.

Ils rappellent, s’agissant du champ des états généraux de la bioéthique, au sens de l’article L. 1412-1-1 du code de la santé publique, que ce débat public a été conçu par le législateur pour des motifs liés à l’avancée des connaissances scientifiques, techniques et médicales, et soulignent l’importance et l’intérêt de la bonne coordination avec l’OPECST, préalablement à l’organisation de ces états généraux. A cet égard, ils souhaitent qu’à l’avenir, avant l’organisation d’états généraux de la bioéthique et conformément à la loi, le CCNE veille à consulter effectivement l’Office parlementaire et les commissions permanentes concernées afin que ces instances du Parlement puissent, le cas échéant, proposer le concours de la Commission nationale du débat public.

Les rapporteurs ne considèrent pas le partage entre problématiques technico-scientifiques et questions sociétales comme une division abstraite qui occulterait la portée anthropologique du débat. Ils considèrent en revanche qu’il n’est guère opérant d’importer dans le champ d’une consultation, axée autour des faits et questionnements scientifiques, ce qui relève de conceptions philosophiques, qui doivent être discutées en tant que telles([50]).

Le rôle de l’OPECST n’est pas celui du CCNE et il n’appartient pas aux rapporteurs de porter une appréciation sur le rôle d’instance éthique de ce dernier. Mais ils ne sortent pas de leur rôle lorsqu’ils constatent que, par la décision de l’organisateur du débat public, des problématiques sociétales donnent leur tonalité principale aux états généraux de la bioéthique de 2018.

 


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   annexes


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Annexe n° 1 : Extrait de « De l’histoire des sciences À l’histoire de la pensÉe », de Georges Gusdorf, Payot éd., page 197

 

« Selon la conception la plus répandue, la connaissance scientifique nous livre la réalité propre de l’objet, indépendamment de toute contamination subjective. Les énoncés des mathématiques ou de la physique s’imposent universellement. Par-delà les préférences et les partis pris, ils constituent pour l’esprit humain une zone de sécurité, la seule peut-être qui ne puisse être remise en question. Les affirmations des sciences rigoureuses possèdent ce privilège de représenter une sorte d’immaculée connaissance, échappant aux restrictions et servitudes de la condition humaine. C’est pourquoi elles ont constitué un point de fixation pour la réflexion des philosophes en quête d’une vérité non contestable.

« La question se pose néanmoins de savoir si ces propositions vraies ont une validité qui leur permettrait de s’affirmer en dehors du circuit le plus général de la connaissance humaine. Il n’est guère possible d’imaginer que certaines affirmations puissent se trouver en quelque sorte suspendues dans le vide, échappant au droit commun du discours humain. On doit admettre qu’elles sont des propositions de quelqu’un et qu’elles portent sur quelque chose, même si le quelqu’un en question s’estompe jusqu’à n’être plus qu’un sujet général, et si le quelque chose ne représente plus que le signalement vague de l’objet quelconque.

« Toute connaissance a le caractère d’une relation. Et l’idée même de vérité suppose la possibilité d’une vérification de la relation. La connaissance scientifique se flatte vainement de faire l’économie d’une théorie de la connaissance. Parce qu’elle s’imagine avoir touché le roc en manifestant l’innocence massive de l’objet, elle laisse volontiers de côté le sujet, dont l’influence se réduit à introduire une certaine marge d’erreur dans la constatation des résultats. Ce réalisme croit échapper aux pièges de la philosophie ; mais la pire métaphysique est celle qui s’ignore. »

 


Annexe n° 2 : CAS ANTÉRIEURS DE CONSULTATION DE L’OPECST PAR LE CCNE

Deux cas d’organisation d’un débat public par le CCNE en application des dispositions de l’article L. 1412-1-1 du code de la santé publique peuvent être évoqués.

Au cours de sa réunion du 21 mai 2013, l’Office a auditionné M. Jean-Claude Ameisen, alors président du CCNE, sur l’organisation du débat national sur la procréation médicalement assistée (PMA). M. Bruno Sido, président de l’OPECST, avait alors indiqué : « Après avoir entendu le président du CCNE, notre délégation sera conduite à donner un avis sur l’organisation de ces états généraux, après la réunion du bureau de l’OPECST du 22 mai prochain. »([51]).

Dans leur rapport sur l’évaluation des conditions du débat public relatif à la fin de vie, les rapporteurs de l’OPECST, s’agissant de la consultation préalable de l’Office, MM. Jean-Yves Le Déaut et Bruno Sido, relevaient que : « le CCNE a rendu public, en juillet 2013, son avis n° 121 intitulé « Fin de vie, autonomie de la personne, volonté de mourir ». Il y proposait une prolongation et un élargissement de la réflexion sur l’accompagnement de la fin de vie à travers le débat public, comme le prévoit l’article L. 1412-1-1 du code de la santé publique. (…) Conformément à ce que prévoit l’article L. 1412-1-1 du code de la santé publique, le président Jean-Claude Ameisen a consulté les commissions des affaires sociales de l’Assemblée nationale et du Sénat, ainsi que l’OPECST, avant d’engager ces opérations contribuant à une large mobilisation qui s’apparentait à des « états généraux ». S’agissant de l’OPECST, cette consultation a eu lieu au cours de l’audition de M. Jean-Claude Ameisen le 21 mai 2013. »([52])([53]).

Dans son avant-propos à l’avis n° 121 « Fin de vie, autonomie de la personne, volonté de mourir » du 30 juin 2013, il est indiqué que « le CCNE, dans son ensemble, considère que la réflexion sur le sujet de la fin de vie n’est pas close et qu’elle doit se poursuivre sous la forme d’un débat public.

Le Président de la République ayant mentionné, dans sa saisine, la présentation prochaine d’un projet de loi sur ces sujets, ce débat public devrait, comme le prévoit la loi relative à la bioéthique, comporter des états généraux réunissant « des conférences de citoyens choisis de manière à représenter la société dans sa diversité. »([54]) Cet avis ne fait pas état d’une consultation à ce titre, notamment de l’OPECST, lors de sa séance du 21 mai 2013.

Dans son rapport sur le débat public concernant la fin de vie, du 21 octobre 2014, le CCNE indiquait : « Ce document constitue le rapport du Comité consultatif national d’éthique qui rend compte du débat public concernant la fin de vie, débat public initié il y a plus de deux ans, avec la mise en place en juillet 2012, par le Président de la République, de la Commission de réflexion sur la fin de vie en France présidée par Didier Sicard. »

Il ajoutait : « en conclusion de l’avis n° 121, le CCNE proposait une prolongation et un élargissement de la réflexion et du débat public, selon au moins deux modalités différentes et complémentaires :

D’une part, il recommandait la mise en place d’une Conférence de citoyens, comme le prévoit la loi relative à la bioéthique du 7 juillet 2011. Le CCNE a organisé cette conférence de citoyens, qui s’est déroulée durant quatre week-ends à l’automne 2013 (…).

D’autre part, le CCNE souhaitait un élargissement du débat public, avec notamment une implication des Espaces régionaux de réflexion éthique, dont l’une des missions est l’animation, à l’échelle régionale, de la réflexion publique dans le domaine des questions d’éthique biomédicale. (…) Ces débats se sont déroulés, sous différentes formes, dans plusieurs régions, à l’été 2014, et ont mis en évidence la diversité des formes possibles de débats (…) »([55]).

Ce rapport n’évoque pas la réunion de l’OPECST du 21 mai 2013, la seule mention de l’avis des commissions parlementaires et de l’Office se trouvant en note de bas de page, au travers du simple rappel des dispositions de l’article L. 1412-1-1 du code de la santé publique, sans référence à leur mise en œuvre effective.

Il est indéniable, comme le jugeait le président du CCNE, lors de son audition par l’OPECST, le 21 mai 2013, que la consultation de l’Office([56]) par le CCNE préalablement à l’organisation du débat public dont il est chargé, résulte d’un « système quelque peu complexe introduit par l’article L. 1412-1-1 précité », même il existe d’autres exemples de procédure consultative complexe.

Il ressort en l’espèce de ces deux cas de consultation préalable de l’Office par le CCNE avant d’organiser un débat public prévu par l’article L.1412-1-1 du code de la santé publique, qu’en mai 2013, cette consultation a porté sur un débat public sur l’AMP, annoncé pour octobre et novembre 2013, débat qui ne s’est pas tenu. Plus tard, en 2015, l’OPECST a lui-même considéré cet avis comme ayant aussi porté sur l’organisation du débat public concernant la fin de vie([57]).

compte rendu n° 30 de l’Office, mardi 21 mai 2013, séance de 17 h 30, pages 2 et 3

« M. Jean-Claude Ameisen, président du CCNE.- Le CCNE est actuellement saisi de la fin de vie par le Président de la République et rendra son avis en juin prochain. Il [le CCNE] s’est autosaisi de la problématique particulièrement importante de la PMA. Comme il s’agissait de modifier l’un des éléments de la loi précitée de 2011, le CCNE a proposé d’organiser des états généraux. Conformément à l’article L. 1412-1-1 du code de la santé publique, le CCNE a consulté les commissions permanentes (commission des lois et commissions des affaires sociales) de l’Assemblée nationale et du Sénat et donc aujourd’hui l’OPECST. Actuellement la PMA est ouverte aux couples de sexe différent pour remédier à une infertilité pathologique médicalement diagnostiquée ou pour éviter la transmission d’une maladie d’une particulière gravité à l’enfant ou à un membre du couple. Les membres du couple doivent être vivants, en âge de procréer, mariés ou en mesure d’apporter la preuve d’une vie commune d’au moins deux ans.

Il s’agit de savoir si ces indications doivent être assouplies dans le but de répondre à des demandes sociétales, provenant de femmes célibataires ou de couples de femmes ou d’hommes, ce qui dans ce dernier cas impliquerait de recourir à la gestation pour autrui (GPA) sur laquelle le CCNE a émis un avis n° 110 négatif, il y a trois ans.

Les indications sociétales de l’assistance médicale à la procréation (AMP) induisent d’autres interrogations. (…)

Ce type d’analyses devrait nourrir les réflexions conduites par les citoyens consultés dans le cadre des états généraux sur l’extension de l’AMP aux indications sociétales. Les états généraux devraient se dérouler en octobre et novembre prochain, et le Comité ne rendra son propre avis qu’une fois la consultation des citoyens achevée, pour éviter d’interférer avec leur réflexion qui doit bénéficier d’une pleine liberté. Au terme de ce processus, le Comité rédigera une synthèse des conclusions qui se dégageront de la consultation citoyenne, indépendamment de son propre avis. Il la présentera à l’OPECST auquel il appartiendra de conduire sa propre évaluation à partir de ces documents et qui rédigera un rapport sur ce rapport. Tel est le système quelque peu complexe introduit par l’article L. 1412-1-1 précité. ».


Annexe n° 3 : Exemples de questions À dÉbattre s’appuyant sur l’Évolution des donnÉes scientifiques et techniques, ÉvoquÉes sur le site internet des États gÉnÉraux de la bioÉthique

(www.etatsgenerauxdelabioethique.fr)

 

– la recherche sur l’embryon et les cellules souches humaines : « Peut-on distinguer recherche sur l’embryon et recherche sur les cellules souches embryonnaires ? Les questions éthiques ne se posent en effet pas de la même façon selon que l’on évoque la recherche sur l’embryon ou sur les lignées de cellules embryonnaires qui en sont issues ; selon que l’on utilise des embryons surnuméraires voués à la destruction ou que l’on crée des embryons à des fins de recherche ou de production de lignées. La question de la limite de culture des embryons à des fins de recherche, aujourd’hui à sept jours en France, se pose, notamment au regard de la limite appliquée dans d’autres pays qui peut aller jusqu’à quatorze jours. Convient-il d’alléger les conditions d’autorisation de la recherche sur les cellules souches embryonnaires, notamment celles déjà existantes qui ne supposent pas d’atteinte à un embryon ? » ;

– les examens génétiques et la médecine génomique : « Les nouvelles méthodes d’investigation peuvent mettre en évidence d’autres anomalies que celles initialement recherchées (on parle alors de « découvertes incidentes »). Ces informations peuvent contribuer, pour certaines d’entre elles, à une prise en charge médicale préventive adaptée. Faut-il, dans ces cas-là, transmettre la totalité des résultats obtenus ? Une situation délicate, d’autant que la loi oblige l’intéressé à informer sa famille en cas d’anomalie génétique grave dont les conséquences sont susceptibles d’entraîner des mesures de prévention et de soin. Que penser du dépistage génétique pré-conceptionnel ? Le dépistage génétique pré-conceptionnel a pour but d’informer les individus et les couples du risque de maladie génétique pour leurs futurs enfants. Cette démarche était jusqu’alors réservée à des maladies génétiques pour des populations à risque. Une telle extension à la population générale poserait des questions comme : Quel type de maladie dépister ? Les maladies sévères, incurables, d’apparition précoce ? Mais aussi les maladies curables pour permettre alors un traitement immédiat après la naissance ou même durant la grossesse ? Comment éviter toute dérive eugéniste (sélection sur la base de critères contestables) ? Comment informer et accompagner les couples ? Les tests génétiques en accès libre sur internet défient le cadre juridique national. Un test génétique ne peut en effet être réalisé en France que dans un cadre médical. Or, ces tests en accès libre, sans intermédiaire médical, ne permettent pas d’assurer l’accompagnement des personnes qui s’y prêtent (consentement informé, suivi médical individualisé, secret médical…). Les examens de génétique, proposés par des entreprises privées « de génétique personnelle » opérant hors du territoire national, sont dès lors transformés en bien de consommation comme un autre. Quelle signification donner à cette connaissance du « moi génétique » par les individus, sans intermédiaire médical, et comment accompagner les patients dont un diagnostic a été posé dans ces conditions ? »

– les dons et transplantations d’organes : « L’expression du consentement par les proches ne reflète-elle pas davantage leur point de vue que celui de la personne décédée ? Le registre national des refus de prélèvement pourrait-il être consulté avant le constat du décès ? Actuellement, la mort de la personne doit être constatée avant d’envisager un prélèvement. Ainsi la recherche de son éventuelle opposition au prélèvement doit avoir lieu après son décès. La consultation du registre avant le constat de la mort donnerait ainsi plus de temps de préparation pour la famille et les équipes médicales et éviterait des démarches inutiles dans un moment difficile. Faut-il élargir le cercle des donneurs vivants jusqu’à autoriser tout le monde à donner un organe ? Si on supprime le lien familial ou affectif entre donneurs et receveurs, comment prévenir des risques de commercialisation ou de trafic d’organes ? Le don des mineurs (adolescents) vers les parents est-il souhaitable ? Comment garantir le libre consentement des donneurs qui peuvent faire face à une pression familiale ou morale importante ? Faut-il étendre le don croisé d’organes à un nombre plus important de paires donneur-receveur ce qui rendrait mathématiquement les hypothèses de compatibilité plus fréquentes ? Faut-il renforcer ou bien alléger les procédures de don d’organes ou de cellules souches hématopoïétiques, tel que prévu par la loi ? Soit renforcer le contrôle des comités d’experts et exiger l’avis de deux instances distinctes (l’une concernant le discernement du donneur et l’autre l’évaluation médicotechnique) ou au contraire simplifier les procédures d’audition devant le comité d’experts et d’expression formelle du consentement devant l’autorité judiciaire ? » ;

– les neurosciences : « Jusqu’où faut-il encadrer les finalités de la recherche en neurosciences ? Comment préserver l’anonymisation des données individuelles biologiques (génome, anatomie cérébrale) et numériques (ex : identification de données informatiques personnelles) ? Peut-on faire appel aux techniques d’imagerie cérébrale anatomique et fonctionnelle pour déterminer le degré de responsabilité en situation pénale ; la capacité à répondre à une situation de stress ? Faut-il légiférer au sujet des techniques de stimulation cérébrale à usage non médical ? »

– les données de santé : « Comment ne pas accepter que nos données personnelles puissent être utilisées en l’absence de toute transparence et sans consentement ? Comment, au contraire, imaginer des aménagements d’un consentement libre et éclairé ? Dans un contexte où des données personnelles puissent être utilisées en l’absence de toute transparence et sans consentement, notamment en matière de santé publique, comment concilier des objectifs, antinomiques en apparence, de protection de la vie privée et de contribution à l’intérêt collectif et sous quelles conditions ? Comment favoriser la collaboration entre les chercheurs (en particulier en santé publique) et les grandes bases de données (comme celle de l’Assurance maladie) tout en respectant les aspects individuels ? »

– l’intelligence artificielle et la robotisation : « Face au développement de l’aide à la décision apportée par l’intelligence artificielle, faut-il et, si oui, comment, rendre indispensable et responsable l’expertise humaine ? Pour développer l’intelligence artificielle, faut-il davantage intégrer l’expertise du monde des start up privées ? Face à la modification du rôle du médecin et du personnel soignant, et leur contact croissant avec les machines et les IA, faut-il revoir la formation des professionnels de santé ? Quelles sont les implications en termes de sûreté et de sécurité ? L’apparition d’intelligences artificielles apprenantes peut conduire à analyser différemment les responsabilités des professionnels humains. Par exemple, entre deux interprétations d’une même image médicale, la « présomption de perfection » ne portera plus sur le professionnel de santé, mais sur le robot ou la machine, le médecin se trouvant dans l’approximation du diagnostic. Dans le cas d’un examen invasif ou d’une intervention chirurgicale, à qui devrait-on donner son consentement éclairé : le robot qui réalise l’acte ou l’humain qui le supervise ? Qui dès lors est juridiquement responsable ? Jusqu’où les robots doivent-ils modifier, voire remplacer le travail humain, la présence humaine ? Voulons-nous que les robots (sociaux) fournissent des soins pour les personnes âgées ou dans la prise en charge de certaines pathologies ? Quelles complémentarités entre l’homme et la machine dans un système de santé ? »


Annexe n° 4 : Communication d’informations scientifiques et mÉdicales et sociÉtÉ : enjeux Éthiques

 

Par « transmission de l’information scientifique », on entend l’acheminement, depuis les chercheurs jusqu’au public, de toute information concernant l’avancement actuel ou projeté de la recherche scientifique et ses enjeux.

Son lieu normal de première publication est la revue scientifique à comité de lecture.

Dans la vie scientifique contemporaine, le moment ordinairement décisif pour la production de ce qui deviendra une information scientifique est la publication par un chercheur ou une équipe des résultats de son travail. Cette publication est d’abord destinée à la communauté des chercheurs qui travaillent sur le même sujet ou sur un sujet voisin. Son premier objectif n’est donc pas de transmettre un savoir établi à un public profane, mais au contraire de soumettre à la critique des spécialistes soit de nouveaux résultats d’observations ou d’expériences, soit des considérations théoriques nouvelles sur des données expérimentales déjà acquises ou que des expériences futures permettront de confirmer ou d’infirmer.

Le filtre princeps d’évaluation des résultats intervient avant leur publication. C’est la revue par les pairs (plusieurs experts, le plus souvent anonymes, sollicités par les responsables de la revue (les éditeurs) analysent le protocole de la recherche décrite, les méthodes d’analyse utilisées, les résultats eux-mêmes, et l’exactitude des conclusions.

Mais la validation essentielle des résultats, celle qui leur donne à long terme une vraie portée scientifique, est l’épreuve de la reproductibilité : un résultat doit avoir été reproduit de manière indépendante dans un autre laboratoire. Cette validation ne peut avoir lieu qu’après la publication des résultats de la première recherche. Il est regrettable que, souvent, les résultats négatifs d’une recherche restent inconnus du public car ils sont difficiles à publier.

Le contenu d’une publication scientifique s’inscrit toujours dans la continuité du travail d’une communauté de spécialistes qui l’a précédé et rendu possible. Le savoir scientifique est en devenir et n’a de sens que dans son contexte. Aucune connaissance, le scientifique le sait, n’est acquise définitivement ; elle s’inscrit dans un temps et a vocation à être modifiée, complétée et parfois remise en cause. Le scientifique accepte l’incertitude et sait qu’en repousser les limites ne signifie pas l’éliminer. Dans toute information scientifique, la question de l’incertitude est donc centrale.

Le jugement des pairs n’est pas immunisé contre les effets d’école, de luttes d’influence, les arguments d’autorité.

Le système ne garantit évidemment pas qu’une découverte majeure ne soit pas un temps méconnue, ni qu’inversement tout ce qui est publié soit important et digne de foi.

Est génératrice de mauvaises pratiques la logique institutionnelle qui pousse les chercheurs à publier à tout prix, en faisant des articles publiés le critère quasi exclusif d’évaluation du travail et d’attribution des moyens. Les receveurs d’information scientifique sont en première ligne les médias scientifiques. Les éditeurs de journaux scientifiques sont donc en position de contrôler non seulement les « effets de modes », mais également les conditions dans lesquelles la société recevra le message et pourra y réagir.

Toute l’histoire moderne des représentations savantes ou communes de la vie et de la santé a été marquée par des querelles d’enjeu théorique – par exemple, sur les rôles respectifs de l’inné et de l’acquis dans le psychisme humain – ou pratique – comme à propos de l’efficacité de telle ou telle thérapeutique – dans lesquelles était en cause la valeur de certaines informations.

Une question sans cesse liée au souci d’accessibilité est celle du langage : des mots comme nucléotide ou blastocyste, des expressions comme gène de susceptibilité ou différenciation cellulaire n’évoquent chez la plupart des lecteurs ou téléspectateurs que des opinions très vagues.

Les scientifiques font usage d’un langage technique très spécialisé qui peut donner lieu à des malentendus ou des incompréhensions. La science s’est compartimentée en domaines et sous-domaines thématiques et sous-thématiques. Dans la recherche biologique et médicale, le langage utilisé par les spécialistes de chaque sous-domaine est devenu de plus en plus précis, au point d’être opaque aux autres scientifiques, et a fortiori au grand public.

Le scientifique et tous ceux qui participent à la transmission et à la diffusion de l’information scientifique et médicale sont confrontés à l’énorme fossé qui ne fait que s’élargir entre langage quotidien et langage scientifique.

L’information scientifique est susceptible d’affecter sensiblement les représentations et les croyances collectives, les conceptions du monde et de la société avec les systèmes de valeurs qu’elles sous-tendent.

Les idéologies apparaissent comme de très puissants facteurs sélectifs et déformants de la transmission de l’information scientifique, et cela d’autant plus qu’elles orientent non seulement le jugement des publics, mais celui des journalistes et même, dans une large mesure, celui de bien des scientifiques – fût-ce à leur insu, mais l’idéologie insue [sic] n’est pas la moins insidieuse. L’information scientifique sur la génétique, par exemple, est aujourd’hui fortement affectée par des idéologies, celle par exemple du « patrimoine génétique de l’humanité » qui, méconnaissant le polymorphisme et la dynamique évolutive des génomes humains, pousse à une sacralisation indistincte de nos gènes, celle aussi de la « programmation génétique » prenant au pied de la lettre une métaphore informatique réductrice, tend à faire sous-estimer l’importance de l’épigénèse. C’est ainsi que resurgissent régulièrement des informations selon lesquelles « le gène » de fonctions ou attitudes psychiques humaines des plus complexes comme l’intelligence, la criminalité ou l’altruisme, aurait été découvert ou serait sur le point de l’être, et cela à partir de travaux où souvent l’observation de corrélations statistiques plus ou moins fortes est confondue avec l’établissement de relations causales à valeur démonstrative.

Autant est souhaitable la transparence informative sur tout ce qui concerne la vie de la science et ses effets sociaux, autant on doit être préoccupé par la tendance à substituer une évaluation médiatique à l’évaluation scientifique qualifiée des travaux de recherche.

La société voit en général la science à travers ses applications potentielles. Or les découvertes scientifiques portent souvent sur des concepts ou des mécanismes fondamentaux dont l’impact réel en termes d’application peut rarement être anticipé.

CCNE avis sur les questions éthiques posées par la transmission de l’information scientifique relative à la recherche biologique et médicale (31 mai 1995) et avis n° 109 (4 février 2010). Communication d’informations scientifiques et médicales et société : enjeux éthiques.


Annexe n° 5 : La notion d’enjeux et de principes Éthiques, selon le CCNE

 

L’élargissement du débat bioéthique, au-delà du cercle étroit des spécialistes, n’a pas abaissé mais plutôt augmenté le niveau d’exigence de la réflexion engagée. Il a été l’occasion d’une élévation des points de vue, puisqu’il s’est agi de s’accorder sur les principes communs que le droit à vocation à traduire.

Ces états généraux ont, en effet, favorisé l’émergence d’une prise de conscience collective des enjeux proprement éthiques des problèmes abordés, saisis dans leur dimension universelle. Irréductibles à de simples questions techniques, requérant une compétence spécialisée, les questions bioéthiques n’ont pas été, pour autant, appréhendées comme de simples « questions de société ».

Il apparaît même, à l’issue du débat, que le partage communément établi entre problématiques technico-scientifiques et questions « sociétales » ne rend pas exactement compte de la nature des enjeux. Sans doute est-il commode de distinguer, d’une part, les problèmes dont le traitement rigoureux suppose une expertise éprouvée, et, d’autre part, les questions dont l’appréciation serait simplement relative à la particularité des points de vue. Cependant, cette division abstraite occulte, en réalité, la portée anthropologique du débat.

Se demander ce qu’il convient d’autoriser ou d’interdire conduit toujours, en dernier ressort, quels que soient l’opinion spontanée et les intérêts spécifiques de chacun, à réfléchir à la conception de l’humain dont la loi se veut l’expression.

Les citoyens ainsi ont clairement placé au cœur de leur réflexion cette question fondamentale : comment faire en sorte que notre pays soit à la pointe des sciences et techniques biomédicales, tout en faisant prévaloir une conception du progrès au service de l’humain, guidée et confortée par des principes éthiques clairement définis ?

Source : États généraux de la bioéthique de 2009, rapport final, 1er juillet 2009. NB. Les expressions surlignées l’étaient dans le rapport général lui-même.

 

Des principes éthiques réaffirmés

Les enseignements tirés des États généraux de la bioéthique soulignent un certain nombre de principes largement partagés par les participants : respect de la gratuité du don, de la non-patrimonialité et de la non-commercialisation du corps humain, déjà affirmés lors du débat public en 2009.

Le respect de la liberté et de l’autonomie de chaque personne qui se concrétise notamment par le besoin d’information sur les développements technologiques, décrit précédemment ; de même, l’appropriation d’une information libre et complète, adaptée à l’évolution et à la complexité des techniques, doit être un préalable au consentement, indépendamment des modalités qu’il peut prendre. L’autonomie, c’est aussi « garder la main », par exemple en ce qui concerne la maîtrise des données personnelles de santé et redonner le pouvoir aux individus sur leurs données, par crainte d’une perte de liberté dans les choix que l’on est amené à faire.

La liberté a souvent été invoquée à l’appui de la revendication de certains droits : le « droit de savoir ou de ne pas savoir », le « droit de décider de sa mort », le « droit à avoir un enfant », même si ces droits, pour certains d’entre eux, débouchent parfois sur des positions très différentes aujourd’hui.

Le deuxième constat que l’on retrouve à l’occasion des États généraux de la bioéthique éclaire la dimension sociale de la santé : « nous sommes des êtres de relation », nous rappellent les participants et cette relation humaine est d’abord revendiquée dans l’accompagnement par le médecin. Qu’est-ce que l’accompagnement par le médecin ? Cela peut consister en une écoute et un respect du choix du patient. C’est aussi le cheminement qui peut conduire à rédiger des « directives anticipées », à désigner « une personne de confiance », c’est-à-dire projeter avec un autre l’étape ultime de sa vie. Inversement, la présence de robots est une forme d’illusion de la relation humaine qui ne pourra jamais pallier la solitude ou le manque affectif.

En troisième lieu, on retiendra aussi que le respect du droit à la différence et la protection des plus faibles, des plus vulnérables, sont largement ancrés dans la société d’aujourd’hui. Il y a un juste équilibre qui semble avoir été trouvé entre l’affirmation de l’autonomie et le constat de la nécessité de solidarité collective, en particulier pour les personnes vulnérables.

L’égalité quant à l’accès aux soins, l’accompagnement des personnes porteuses de handicap, l’importance d’une réflexion sur ce que représente la dignité humaine, ressortent bien du débat des États généraux de 2018 comme des enjeux essentiels.

Il ressort enfin de ce qui a été entendu une certaine humilité devant la complexité des domaines dans lesquels s’inscrit la santé humaine et désormais la réflexion éthique. S’impose aussi une vigilance face à la transformation du système de santé.

Source : États généraux de la bioéthique 2018, rapport de synthèse du CCNE, juin 2018, pages 155 et 156.

NB. Les expressions surlignées l’étaient dans le rapport de synthèse lui-même.

 


Annexe n° 6 : Travaux du comitÉ citoyen rÉuni par le CCNE

 

Le comité citoyen mis en place par le CCNE était composé de 22 personnes, mandatées pour faire une lecture critique des États généraux de la bioéthique. Ses membres, âgés de 18 ans et plus, reflétant la diversité de la population française en termes de sexe, d’âge, de catégorie socioprofessionnelle et de lieu d’habitation, ont été recrutés et animés par l’entreprise Kantar Public, qui a exclu les personnes travaillant pour des associations, syndicats, partis politiques, ainsi que les candidatures spontanées.

L’introduction de ces opinions publiées dans le même document mais après et distinctement du rapport du CCNE précise qu’il ne s’agissait pas de constituer un échantillon statistiquement représentatif de la population, qui n’aurait pas de sens sur un panel aussi réduit, mais de refléter et représenter la diversité de la population française. Les notions de majorité et de minorité évoquées dans les opinions publiées doivent donc être considérées avec prudence et sans valeur quantitative.

Le comité s’est réuni quatre week-ends entre les mois de février et mai 2018([58]). Ses membres ont bénéficié d’une sensibilisation aux enjeux de la bioéthique par des intervenants extérieurs. Des opinions ont été rédigées sur deux sujets([59]) : le processus des États généraux de la bioéthique, la génomique préconceptionnelle.

Un troisième a porté sur la fin de vie, qui ne faisait pas partie du champ de la révision de la loi de bioéthique à proprement parler, ni du champ des avancées de la science justifiant une évaluation par l’Office.

1.- Processus des États généraux de la bioéthique

Le comité citoyen a examiné le déroulement du débat public avec un œil critique, et a relevé les points suivants, indiqués lors de l’audition du 4 juin 2018 :

– Des débats nombreux en région, avec une bonne fréquentation, et deux observations : la parole militante a parfois prédominé, gênant l’échange ; et une certaine inégalité territoriale, certaines régions ayant accueilli moins de débats que d’autres.

– Un site internet des États généraux important et à la fois pédagogue, transparent et exhaustif, mais perfectible pour une appropriation aisée.

– Une qualité d’écoute et de la bienveillance lors des auditions du CCNE, avec le respect d’une stricte égalité de temps de parole entre les personnes auditionnées, mais le regret que le contenu des échanges n’ait pas été publié en ligne.

– La présence judicieuse d’un médiateur, très réactif aux plaintes et dont la faible sollicitation témoigne de la sérénité des débats.

– Une mobilisation citoyenne réelle mais insuffisante, faute sans doute de moyens pour la communication, permettant d’utiliser de nouveaux canaux.

Le comité citoyen suggère également la création d’un comité citoyen permanent, mais renouvelé régulièrement, pour jouer le rôle de relais du CCNE dans l’opinion publique et offrir un éclairage citoyen au CCNE. Un tel comité citoyen permanent pose toutefois la question de son articulation avec la démocratie représentative.

Enfin, le comité citoyen a estimé trop long le délai de sept années entre deux révisions des lois de bioéthique prévu par la loi en vigueur, et a proposé de le ramener à cinq ans.

2.- La génomique préconceptionnelle

Sur ce sujet spécifique, le comité citoyen a estimé :

– qu’il était essentiel de concentrer la recherche sur les pathologies dont les indications génétiques font l’objet d’une quasi-certitude et non d’une suspicion.

– que la question se pose du devenir des données découvertes lors de tests génétiques sans qu’elles aient été recherchées, sans qu’un consensus se soit dégagé : une majorité des membres souhaitent rendre les données issues des tests génétiques accessibles à la recherche de façon anonyme, mais leur communication aux patients sans leur consentement fait débat.

– s’agissant du diagnostic préconceptionnel, une majorité des membres étaient favorables à le permettre pour tous, mais une forte minorité à le limiter aux populations à risque. S’est également dégagé un consensus sur la prise en charge des tests génétiques par la sécurité sociale.


   TRAVAUX DE L’OFFICE

I.   AUDITION DE M. Jean-François Delfraissy, prÉsident du ComitÉ consultatif national d’Éthique pour les sciences de la vie et de la santÉ, sur la prÉsentation À l’OPECST du rapport sur les États gÉnÉraux de la bioÉthique, jeudi 7 juin 2018.

M. Gérard Longuet, sénateur, président de l’Office. – Je voudrais saluer la présence parmi nous ce matin de M. Jean-François Delfraissy, président du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé, le CCNE, entouré d’une délégation impressionnante, ce qui est tout à fait réjouissant et augure bien de la qualité de nos échanges, ainsi que de plusieurs représentants du comité citoyen constitué dans le cadre des États généraux de la bioéthique.

Nous sommes réunis aujourd’hui pour écouter M. Delfraissy nous présenter le rapport de synthèse du CCNE sur les États généraux de la bioéthique et, ce, en vertu d’une demande formelle du législateur. En effet, la loi de bioéthique de 2011 charge expressément l’Office à la fois d’apprécier le travail accompli lors des États généraux et d’évaluer l’application de la loi. J’en profite pour saluer la présence des deux co-rapporteurs, notre collègue député Jean-François Eliaou et notre collègue sénatrice Annie Delmont-Koropoulis, qui procèdent actuellement à ce travail d’évaluation de l’application de la loi de 2011.

Nos travaux, ce matin, se dérouleront en quatre temps : après avoir écouté M. Delfraissy, nous regarderons une courte vidéo sur le fonctionnement du comité citoyen ; nous entendrons ensuite les deux représentants du comité présents aujourd’hui, qui nous feront part de leur expérience ; enfin, nous donnerons la parole aux parlementaires.

J’en termine en vous priant de bien vouloir excuser l’absence de notre collègue député Cédric Villani, premier vice-président de l’Office, qui accompagne actuellement le Président de la République dans un déplacement au Canada. Je laisse donc la parole à Didier Baichère, député des Yvelines, vice-président de l’Office.

M. Didier Baichère, député, vice-président de l’Office. – Je voudrais remercier les membres du CCNE de leur présence ce matin et saluer plus particulièrement les représentants du comité citoyen pour le travail qu’ils ont accompli. En effet, le choix d’une large concertation était extrêmement important pour la majorité parlementaire et traduit notre volonté de ne pas fracturer la société française sur des sujets essentiels.

J’aimerais également souligner le travail de fond conduit par l’Assemblée nationale en matière de bioéthique et, plus spécifiquement, par les commissions permanentes compétentes. Le co-rapporteur Jean-François Eliaou et Cédric Villani ont déjà participé à quatre tables rondes sur ces questions. Le Conseil d’État doit, lui aussi, se prononcer sur le sujet. Dans ces conditions, le bureau de l’Office aura probablement à réfléchir au format qu’il devra retenir pour mener son évaluation.

M. Jean-François Delfraissy, président du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE). – Monsieur le président, monsieur le vice-président, mesdames, messieurs les parlementaires, je vous remercie de nous accueillir ce matin. En préambule, je précise que je suis professeur de médecine, spécialiste des maladies infectieuses, et que je préside le CCNE depuis maintenant un an et demi.

Peu après ma nomination, j’ai découvert que la révision de la loi de bioéthique impliquait d’ouvrir une consultation citoyenne dans le courant de l’année 2018, dont la mise en œuvre incombait au CCNE. Nous avons donc réfléchi à la mise en place d’un certain nombre d’outils, destinés à mobiliser nos concitoyens sur des sujets difficiles, qu’il s’agisse de sujets scientifiques complexes comme la génomique, les neurosciences ou la recherche sur l’embryon ou qu’il s’agisse de sujets clivants comme la fin de vie ou, bien sûr, l’ouverture de l’assistance médicale à la procréation, l’AMP, aux femmes seules et aux couples de femmes.

Pour revenir à l’essence même du débat, nous nous situons dans un contexte très particulier où le législateur a prévu une révision de la loi bioéthique tous les sept à huit ans. Ce contexte constitue un moment privilégié de rencontre entre le politique, les « sachants » et le citoyen, dont la voix, il faut le reconnaître, est essentielle.

Pour la première fois, le CCNE s’est vu confier la mission de mettre en œuvre et d’animer les États généraux de la bioéthique. Le législateur a souhaité dissocier le temps de l’élaboration de la loi, œuvre d’un ou plusieurs ministères, d’un temps assez précieux qu’est celui de la tenue des États généraux. Je peux témoigner du fait que le CCNE a pu travailler sereinement, sans aucune pression ou contrainte politique, à une exception près : le timing. On nous a demandé que la consultation citoyenne prenne fin en juillet 2018, afin que le projet de loi puisse être déposé avant la fin de l’année et discuté au premier trimestre 2019.

Le CCNE s’est d’abord attaché à définir le périmètre des États généraux. Dans cette perspective, nous avons souhaité aborder des thèmes attendus, qui figuraient déjà dans les lois précédentes, des sujets nés des avancées de la science ou de la biotechnologie, mais aussi de nouvelles questions, en particulier les relations entre numérique ou intelligence artificielle et santé et celles entre santé et environnement.

Par ailleurs, nous avons hésité à intégrer dans ce périmètre deux sujets sociétaux, qui ne relèvent pas véritablement de la bioéthique : la fin de vie et la problématique « procréation et société ». Un débat a eu lieu au sein du CCNE pour savoir si nous devions inscrire ces thèmes à l’agenda. Finalement, nous avons décidé de débattre de ces sujets et nous l’assumons. Dans le contexte actuel, les États généraux de la bioéthique n’ayant lieu que tous les six ou sept ans, il nous semblait inévitable de discuter de questions qui intéressent non seulement la presse, peut-être trop d’ailleurs, mais aussi tous nos concitoyens.

Aussi se retrouve-t-on, aujourd’hui, avec toute une série de questionnements touchant à des sujets qui ne relèvent pourtant pas stricto sensu de la bioéthique et qui ne relèveront peut-être pas non plus de la future loi relative à la bioéthique.

Dès le début, la mise en place d’un débat citoyen sur des sujets si complexes et spécialisés m’est apparue comme extrêmement difficile, notamment parce que les outils habituels du débat public en France ne sont pas forcément adaptés à ce type de discussion.

Après en avoir défini le périmètre, le CCNE a créé quatre outils en vue des États généraux de la bioéthique.

Le premier a consisté à s’appuyer sur les espaces de réflexion éthique régionaux, qui ont été constitués après 2011 et qui ont porté le débat en région : plus de 270 débats se sont déroulés en métropole et outre-mer, sous des formes diverses. Je tenais personnellement à ce que la couverture soit la plus large possible pour que l’on puisse entendre nos concitoyens.

Le deuxième outil auquel nous avons recouru est un site internet, sur un modèle qui préexistait aux États généraux de la bioéthique. C’est un outil qui n’est pas forcément adapté mais dont on peut difficilement se passer en 2018 : personne n’aurait compris que les États généraux n’aient pas un site internet. En définitive, plusieurs centaines de milliers de personnes l’ont visité, dont 150 000 visiteurs uniques. Surtout, 65 000 propositions ont été récoltées. Ce site se voulait un site d’information utile à chacun. Il sera le dépositaire de tout ce qui s’est passé lors des États généraux. En effet, nous avons souhaité faire preuve de la plus grande clarté en restituant l’intégralité des débats et des auditions sur le site. En revanche, les limites d’un tel outil se voient clairement quand on s’aperçoit que 40 % des propositions ont porté sur l’AMP et son éventuelle ouverture à toutes les femmes.

On le sait, aucun de ces outils pris isolément ne permet de répondre aux questions posées. Seule une bonne articulation de ces instruments permet d’avoir une approche fine des enjeux.

Le troisième outil a consisté à organiser des auditions. Plus de 150 auditions
– 52 précisément – ont été conduites : elles ont permis d’entendre les associations de patients, les sociétés savantes, les grands courants de pensée religieux, les start-up spécialisées dans l’intelligence artificielle, les grandes institutions françaises dans le domaine de la recherche et de la santé. Chacun a pu formuler des propositions en vue de la prochaine révision de la loi de bioéthique. Ces contributions serviront à structurer la pensée des membres du CCNE. Les auditions ont indirectement permis de recueillir l’expression de plusieurs millions de personnes : on peut considérer que les mutuelles françaises, pour prendre cet exemple, portent la voix de 31 millions de personnes.

Le quatrième et dernier outil est le comité citoyen. Nous nous sommes demandés s’il fallait mettre en place des jurys citoyens. Cette procédure assez lourde, très formatée, avait été utilisée dans le cadre des précédents états généraux. Le problème, c’est que les États généraux lancés cette année ont un périmètre très large et qu’il aurait fallu une dizaine de jurys citoyens différents. C’est pourquoi nous avons préféré créer un comité citoyen, dont quelques représentants sont présents ce matin.

Quid du résultat ? Évidemment, les membres du CCNE et moi-même ne sommes pas les meilleurs juges de la réussite ou non des États généraux de la bioéthique. Cela étant, un certain nombre d’éléments nous font penser qu’il s’agit, dans une certaine mesure, d’un succès, bien qu’il existe plusieurs « mais ».

Parmi les éléments positifs, nous pouvons nous féliciter d’un certain nombre de résultats même si, je l’ai dit, la bioéthique ne se décide pas sur la base de critères strictement quantitatifs. Entendons-nous bien : notre but n’était pas de faire du chiffre mais de pouvoir entendre un maximum d’arguments sur des sujets complexes. Pour autant, nous avons observé une véritable effervescence, en particulier dans les régions, au travers de débats ou d’ateliers, dont le tiers a mobilisé des jeunes, étudiants en droit, en médecine, élèves infirmiers, etc.

Nous pouvons également nous réjouir que la consultation ait abouti à une forme de consensus sur un socle de valeurs éthiques comme la gratuité du don, la non‑marchandisation du corps, la possibilité, pour les populations les plus fragiles, d’accéder aux progrès technologiques et scientifiques, dont les sachants et les riches n’auraient pas l’exclusive. En tant que médecin, je note avec intérêt une telle évolution sur un certain nombre de grands principes éthiques partagés.

Peut-on pour autant parler d’éthique « à la française » ? Je ne sais pas mais, après tout, pourquoi pas ! À voir l’évolution sur ces sujets dans les pays anglo-saxons ou en Asie, il faut reconnaître que les particularités du système français en matière de couverture sociale et de santé sont « soutenues » par nos concitoyens.

Au nombre des éléments positifs, j’évoquerai également l’irruption inattendue d’une nouvelle thématique qui s’est imposée à nous : la place de l’humain, du citoyen dans le nouveau système de santé, au cœur de la médecine du futur. Ce sujet essentiel est venu s’ajouter aux trois grandes thématiques autour desquelles les États généraux étaient organisés : la procréation, la fin de vie et la génomique.

Nos concitoyens ont fait part de leur inquiétude par rapport au système de santé qui est en train de se mettre en place. Je pense en particulier à la question du consentement des patients au partage des données de santé dans le futur monde numérique.

J’ai eu du mal à l’admettre, mais nos concitoyens ont également exprimé des doutes à l’égard des scientifiques et des médecins, en raison de leurs prises de position ou de leurs liens d’intérêt. Jusqu’ici, contrairement aux pays anglo-saxons, nous avions échappé à la détérioration des relations entre patients et corps médical. Au travers des États généraux, il nous a été envoyé un signal d’alerte.

Enfin, nos concitoyens ont émis le souhait de faire partie de la gouvernance de cette médecine du futur : ils veulent se situer aux côtés de l’administration et des soignants et donner leur avis sur un certain nombre de grandes décisions.

De mon point de vue, l’apparition de cette question de la place de l’humain dans le débat est assez rassurante, parce qu’elle montre que les outils mis en place étaient assez ouverts pour permettre aux citoyens de s’exprimer largement.

J’évoquerai maintenant les nuances, les fameux « mais ».

Nous nous sommes aperçus que des « groupes », déjà engagés dans la réflexion, s’étaient emparés des deux sujets sociétaux dont j’ai parlé tout à l’heure : la fin de vie et l’AMP. C’est évidemment une bonne chose qu’ils aient pu s’exprimer, mais leur participation très majoritaire à la consultation, sur le site internet notamment, limite l’intérêt des contributions ainsi recueillies.

S’agissant de la thématique « procréation et société », nombreuses sont les personnes qui, certainement influencées par les médias, ont souhaité parler de l’ouverture de l’AMP aux femmes seules ou aux couples de femmes. C’est un vrai sujet, sur lequel émergent quelques points de convergence : en effet, tout le monde s’accorde sur l’importance de l’enfant, sur une conception extensive de la famille. En revanche, deux blocs ont continué de s’opposer : ceux qui sont favorables à l’extension de la procréation assistée et ceux qui s’y opposent.

La discussion a permis d’aborder d’autres sujets très importants comme l’accès aux origines et l’anonymat du don. L’affirmation du don anonyme et gratuit constitue un dogme qui s’est imposé en France il y a plusieurs décennies. Nos concitoyens restent notamment attachés à la gratuité. Cependant, nous sommes confrontés aujourd’hui à un phénomène nouveau : l’accroissement de la demande d’autonomie dans les décisions d’ordre éthique ; ainsi, de plus en plus de jeunes adultes nés de dons de sperme souhaitent avoir accès à leurs origines.

Cela renvoie à une évolution sociétale : voilà une trentaine d’années, une majorité de familles avaient tendance à garder le secret vis-à-vis de l’enfant ; plus récemment, elles lui annonçaient l’existence d’un père biologique à un âge assez avancé ; désormais, elles lui révèlent la vérité dès l’adolescence. Le dogme se heurte à ce besoin d’accès aux origines.

Il faut également évoquer l’innovation technologique majeure que sont les banques de données, comme celle des Mormons à Salt Lake City. On met en ligne de plus en plus de banques de données génétiques avec du séquençage à haut débit, phénomène qui est en train de révolutionner complètement la génomique. Aujourd’hui, on peut se faire séquencer pour 1 500 dollars. De jeunes start-up sont en mesure de faire une analyse phylogénétique de votre séquençage et de trouver des séquences proches de la vôtre aux quatre coins du monde.

Voilà un débat intéressant pour la future loi sur la bioéthique : faut-il faire évoluer un dogme bien établi, compte tenu du désir individuel d’accès aux origines qui se manifeste aujourd’hui et de cette révolution technologique ?

En matière de procréation, une dernière question a émergé autour de l’autoconservation et de la cryoconservation des ovocytes.

S’agissant de la fin de vie, la problématique est différente car nous y serons tous confrontés un jour ou l’autre. Un relatif consensus se dégage autour de quatre idées.

Tout d’abord, la fin de vie ne se déroule pas comme elle le devrait dans un grand pays comme le nôtre. On peut faire mieux ! C’est le constat dressé par les familles, les citoyens.

Ensuite, la problématique de la fin de vie touche essentiellement les personnes du quatrième âge, ce que ne doivent pas masquer quelques cas médiatiques très douloureux pour les familles et les patients eux-mêmes. Ce sujet rejoint d’ailleurs l’actualité et la situation des personnes qui vivent dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, les EHPAD.

En outre, les auditions l’ont montré, la récente loi Claeys-Leonetti sur la fin de vie n’est pas suffisamment connue et appliquée, ni par les citoyens, malgré les droits qu’elle leur accorde, ni par les professionnels de santé. Le degré de connaissance et l’application de cette loi sont très hétérogènes selon les régions, les hôpitaux et au sein même d’un hôpital.

Enfin, les moyens alloués aux services ou aux unités de soins palliatifs sont insuffisants.

Les désaccords restants opposent ceux qui souhaitent, au nom de l’autonomie et du libre choix, décider des modalités de leur fin de vie et, donc, s’orienter vers le suicide assisté ou l’euthanasie, à ceux qui, au contraire, pensent que régler les quatre problèmes dont je viens de parler permettra de trouver une solution pour plus de 98 % des cas, pour peu que l’on y consacre suffisamment de moyens.

Certaines thématiques ont eu moins de succès, notamment la thématique « santé‑environnement », probablement parce que les personnes concernées par les questions de bioéthique ne sont pas celles qui s’intéressent à ce sujet.

Cet exercice de démocratie sanitaire nous est en tout cas apparu comme très important dans le cadre du débat qui ne manquera pas de s’ouvrir dans les prochains mois.

M. Gérard Longuet, sénateur, président de l’Office. – Merci. Il était indispensable de rappeler la méthode, puisque toute méthode peut introduire un biais.

Regardons à présent une vidéo sur le comité citoyen.

Une vidéo est diffusée.

Mme Marie-Line Ruster, membre du comité citoyen. – Le comité citoyen était composé de 22 hommes et femmes de toutes générations, d’horizons variés, mandatés par les États généraux de la bioéthique pour en faire une lecture critique. Nous nous sommes réunis quatre week-ends entre les mois de février et mai derniers.

Nous avons été sensibilisés aux enjeux de la bioéthique par des intervenants de qualité, qui ont favorisé la mise en perspective de nos sentiments, de nos intuitions. Nous avons rédigé des avis sur trois sujets : le processus des États généraux de la bioéthique, la génomique préconceptionnelle et la fin de vie. Nous avons travaillé en toute indépendance.

M. Timéo Allalou, membre du comité citoyen. – Pour le comité citoyen, ces États généraux ont été un succès. Les débats en région, organisés en nombre, ont connu une bonne fréquentation. Leur tenue a été satisfaisante malgré deux bémols : une parole très militante qui, parfois, prédominait, gênant l’échange et une inégalité territoriale. Certaines régions ont accueilli moins de débats que d’autres. Il faudra faire des efforts, à l’avenir, pour plus d’égalité territoriale et davantage de modération des prises de parole.

Le site internet des États généraux a été un outil important mais perfectible. Le comité citoyen a apprécié sa pédagogie, sa transparence, son exhaustivité. Toutefois, il fut difficile de se l’approprier aisément et rapidement.

Lors des auditions du CCNE auxquelles nous avons assisté, nous avons noté une qualité d’écoute et de la bienveillance. Nous avons apprécié la stricte égalité de temps de parole entre les personnes auditionnées, regrettant toutefois que le contenu des échanges n’ait pas été publié en ligne, seuls l’ayant été les supports fournis par les intervenants.

La présence d’un médiateur était judicieuse. Il a été peu sollicité, ce qui laisse entendre que le débat a été plutôt serein. Sa réactivité aux plaintes a contribué à assurer la bonne tenue des débats.

La mobilisation citoyenne a été réelle mais quelque peu insuffisante. Pour l’amplifier, nous suggérons une augmentation du budget alloué à la communication. Les thématiques auraient pu être davantage relayées, par de nouveaux canaux, afin que le plus grand nombre puisse débattre. Nous suggérons également la création d’un comité citoyen permanent mais renouvelé régulièrement : il jouerait le rôle de relais du CCNE dans l’opinion publique et offrirait un éclairage citoyen au CCNE. Enfin, le délai de sept années entre deux révisions des lois de bioéthique paraît très long par rapport aux avancées de la science. Nous pensons qu’il pourrait être ramené à cinq ans.

Mme Marie-Line Ruster. – La génomique est un sujet très intéressant mais complexe, qui suscite beaucoup de fantasmes mais aussi nombre d’espoirs en termes thérapeutiques. Nous avons réfléchi aux pathologies qui pourraient faire l’objet de tests génétiques prénataux, comme la trisomie 21. Nous avons estimé qu’il était essentiel de concentrer la recherche sur les pathologies dont les indications génétiques font l’objet d’une quasi-certitude plutôt que d’une simple suspicion. Nous pensons qu’il faut prévoir le devenir des données découvertes lors de tests génétiques sans qu’elles aient été recherchées.

Une majorité d’entre nous souhaite rendre les données issues des tests génétiques accessibles à la recherche de façon anonyme. En revanche, nous étions partagés quant à leur communication aux patients sans leur consentement.

Nous avons débattu sur l’ouverture du diagnostic préconceptionnel à tous ou seulement aux populations à risque. Une majorité d’entre nous est favorable à la première possibilité mais une forte minorité défend la seconde. S’est dégagé un consensus sur la prise en charge des tests génétiques par la sécurité sociale.

M. Timéo Allalou. – Nous avons émis un avis sur la fin de vie, sujet important qui nous concerne tous directement et bien plus sensible que ce que nous pensions. Nous avons pris conscience de toutes les questions sous-jacentes.

Le comité citoyen a trouvé un accord sur trois points : la méconnaissance d’éléments fondamentaux tels que la loi Claeys-Leonetti et l’existence d’un système de soins palliatifs en France ; les faiblesses de la loi actuelle, mal connue, mal appliquée et incomplète, ce qui conduit à des situations dramatiques ; l’urgente nécessité de développer les soins palliatifs et de faire respecter les droits du patient. Le comité citoyen s’est alarmé du déficit de services en soins palliatifs. Il convient de mieux sensibiliser la population à ce sujet.

Nous avons constaté un désaccord sur le suicide assisté et l’euthanasie. Les deux tiers du comité citoyen ont jugé la situation juridique actuelle imparfaite et hypocrite et plaidé pour l’accès au suicide assisté et à l’euthanasie sous conditions, par exemple pour les personnes souffrant de maladies incurables et dont l’espérance de vie serait inférieure à six mois, cela, bien sûr, sans remettre en cause l’accès aux soins palliatifs. Le dernier tiers du comité citoyen s’est montré défavorable à cette ouverture, estimant que l’insatisfaction de la population peut être réglée par une application plus rigoureuse de la loi et le développement en masse des soins palliatifs sur le territoire. Il craint les risques d’abus que cette ouverture engendrerait et souligne notre manque de recul sur la loi actuelle.

M. Gérard Longuet, sénateur, président de l’Office. – Merci de cette restitution, dans laquelle on sent la tonalité et l’esprit de vos travaux. Je me réjouis de la qualité des États généraux et de la capacité à se parler sans s’affronter, tout en affirmant ses convictions. Notre travail de parlementaire est de faire aboutir ces débats pour que notre communauté nationale se retrouve dans les décisions prises.

Le comité citoyen permanent existe, c’est l’Assemblée nationale. Le CCNE, dans son rapport de synthèse, récapitule les travaux législatifs successifs. Depuis 1988, il y a presque eu une loi par an sur ces sujets, ce qui donne de la force aux propos du professeur Delfraissy : il faut faire connaître la loi et mesurer son application effective avant de la changer. Notre travail collectif doit consister à sédimenter les différents apports. Il incombe en particulier à l’Office de se pencher sur les faits scientifiques objectifs incontestables qui créent des situations profondément différentes. Lorsque les moyens de contraception généraux ont été développés, ce qui a abouti à la loi Neuwirth, il a fallu accepter l’idée suivante : dès lors qu’un procédé scientifique devenait suffisamment sûr et accessible et qu’il correspondait à un besoin très largement répandu, il était impensable que la science ne soit pas diffusée.

Il ne faut pas pour autant faire l’économie du débat d’idées : nous allons au rythme de la société. Notre rôle est d’essayer d’identifier les moyens qui existent, tels que ceux de l’intelligence artificielle, qui permettent un traitement rapide des données de masse par des systèmes d’analyse d’une grande puissance, et qui changent la vie publique, qu’on le veuille ou non. Tout cela doit être adapté aux convictions. Je souscris largement à l’éthique française d’un refus de commercialisation du corps. Ce n’est pas si facile. Dans un univers mondialisé où chacun n’a pas la même culture, des sociétés eugénistes et sélectives se développeront : comment réagirons-nous ? Le débat est aujourd’hui largement théorique, mais il ne le restera pas indéfiniment. La tentation du Docteur Frankenstein est absolument permanente.

L’Office ne doit pas se tromper sur les rendez-vous scientifiques et technologiques et s’assurer de n’être ni trop en avance ni en retard.

M. Didier Baichère, député, vice-président de l’Office. – Vous avez beaucoup insisté sur l’humain et le champ de l’éthique, très souvent évoqué dans le domaine scientifique. Si le fait scientifique ou les nouvelles technologies ne posent pas la question de l’humain très en amont, on va souvent au-devant de très grandes difficultés. Il est rassurant que cette question se pose aussi sur des sujets aussi fondamentaux.

Diriez-vous que vous avez changé d’opinion ou évolué au cours des débats et, si oui, sur quels sujets ?

M. Timéo Allalou. – Si le temps d’échange était plutôt court, nous avons pris le temps de réfléchir, individuellement, au contenu des exposés et à la teneur des discussions. Il est certain que, notamment grâce à l’enrichissement mutuel, cela a permis au comité citoyen de faire évoluer sa manière d’aborder les sujets. Sur ces sujets lourds, complexes, techniques, nous partions avec des a priori, des préjugés, avant de constater l’étendue des questions qui ne cessaient de s’accumuler.

Mme Marie-Line Ruster. – Nous avons pu nous rendre compte, au début, de notre méconnaissance de certains sujets, notamment de la fin de vie. Nous pensions, par exemple, que les soins palliatifs étaient administrés dans les dernières minutes avant la mort, alors qu’ils peuvent débuter six mois avant. Le groupe a acquis des connaissances, notamment médicales. Les neuf débats ont été complexes mais les différents intervenants se sont mis à notre portée, nous ont fourni les bases nécessaires à la compréhension et nous les en remercions.

M. Alain Milon, sénateur, président de la commission des affaires sociales du Sénat. – Merci au président Delfraissy pour ce rapport de synthèse complet et objectif. En 2011, Gérard Longuet, qui présidait alors le groupe politique auquel j’appartenais, m’avait demandé d’être le rapporteur de la loi de bioéthique lors de sa révision. Ni le Gouvernement ni l’Assemblée nationale ne souhaitaient que la loi de bioéthique soit révisable. Le Sénat l’a imposé. Lors de la commission mixte paritaire, nous sommes tombés d’accord avec Jean Leonetti, rapporteur du texte à l’Assemblée nationale, sur une révision tous les sept ans, dans la mesure où nous étions en 2011 et que la précédente loi datait de 2004. Un délai de cinq ans serait un peu juste. En 2011, j’y insiste, le Sénat a imposé l’élargissement des fonctions du CCNE et la tenue des États généraux, dont l’Assemblée nationale ne voulait plus. Voilà pourquoi il faut défendre le bicamérisme !

Les lois de bioéthique doivent concerner la bioéthique et non les débats sociétaux. La PMA, la GPA, la fin de vie sont des savoirs médicaux sur lesquels il n’est pas question de revenir. Ensuite, des débats sociétaux peuvent avoir lieu en dehors de la révision.

La loi Claeys-Leonetti a un peu plus d’un an ; tous les décrets d’application n’ont pas encore été publiés. Je rappelle qu’elle prévoit la mise en place de l’offre de soins palliatifs sur l’ensemble du territoire national. Laissons déjà cette loi être appliquée comme il est prévu.

Je ne souhaite pas que la PMA, la GPA ou la fin de vie polluent ‑ excusez-moi du terme ‑ les débats, qui doivent plutôt porter sur le transhumanisme, l’eugénisme, la recherche sur l’embryon, la définition du pré-embryon, autant de sujets qui auront beaucoup plus d’incidence sur l’avenir de l’humanité que les premiers.

M. Jean-François Eliaou, député, co-rapporteur de l’Office sur l’évaluation de la loi bioéthique. – En tant que député, il est difficile de s’exprimer après les propos du président Milon, que je rejoins pour une grande partie.

Notre travail sera d’évaluer le rapport, en étant le plus objectif possible et en nous concentrant, pour l’Office, sur la partie scientifique. Nous devons également étudier comment la loi de bioéthique de 2011 a été appliquée.

Notre souci collectif devra trouver l’équilibre le plus parfait possible entre la temporalité législative et celle du progrès scientifique, très différentes l’une de l’autre. Tel est le nœud du problème. D’un côté, nous faisons la loi pour tous ; de l’autre, la science progresse et il n’est pas question que la loi, contraignante, l’en empêche au-delà du nécessaire. Je suis très sensible à la prise en compte des préoccupations de nos concitoyens. La question se pose notamment de savoir qui sont ceux qui demandent à bénéficier des progrès scientifiques. En tant que membres du comité citoyen, aviez-vous les mêmes demandes avant et après votre participation aux débats ? Comment faire pour rendre le citoyen sachant, c’est-à-dire responsable de lui-même mais aussi de l’environnement qui l’entoure ?

Dans la recherche d’un tel équilibre, n’occultons pas l’individualisme de nos concitoyens. Ce n’est pas péjoratif que de le dire, l’individualisme est compréhensible mais il ne faut pas confondre, par exemple, le droit à l’enfant et le droit de l’enfant.

Sachons aussi écouter les chercheurs. La loi doit, bien entendu, avoir une portée générale mais elle ne doit pas devenir une entrave au progrès scientifique et à la recherche de notre pays. Faute de promouvoir la recherche de haut niveau, voire de très haut niveau, nous risquons d’être submergés par les résultats obtenus dans d’autres pays sans qu’on puisse contrôler ni l’efficacité ni la véracité de ces travaux.

Tels sont les paramètres à bien avoir à l’esprit dans cette recherche de l’équilibre entre temporalité législative et temporalité du progrès scientifique.

M. Gérard Longuet, sénateur, président de l’Office. – Je m’exprimerai au nom d’Annie Delmont-Koropoulis, qui a été contrainte de nous quitter prématurément. Elle tenait à souligner l’enthousiasme qui émane du comité citoyen et, plus largement, saluer la mobilisation que le CCNE a permise sur ces questions. Elle voulait savoir si, de votre point de vue, internet et le comité citoyen répondaient à deux logiques différentes. Nos concitoyens ont la possibilité, via le web, sinon de découvrir, du moins d’approfondir rapidement leurs connaissances sur des sujets majeurs. Il est patent que des personnes ayant de fortes convictions, ce qui est en soi tout à fait légitime, ont sauté sur cette occasion pour peser dans le débat.

Alain Milon a, à juste raison, mis en avant cette volonté très claire de bien distinguer, d’une part, ce que l’on sait faire et qui relève du choix de société, d’autre part, ce qu’évoquait à l’instant Jean-François Eliaou, ce que l’on ne sait pas faire et que l’on doit s’autoriser à approfondir par la recherche scientifique pour pouvoir le maîtriser. Mon expérience d’homme politique me conduit à penser que, à partir du moment où vous ouvrez la voie à une technologie, il est peu vraisemblable, voire impossible, qu’elle reste confinée. Cela ne veut pas dire que l’on peut faire n’importe quoi mais il faut savoir que la pression sera forte.

Mme Catherine Procaccia, sénatrice, vice-présidente de l’Office. – J’ai lu dans le rapport de synthèse qu’il y avait eu des comités lycéens. L’approche a-t-elle été la même que pour le comité citoyen ? Combien y en a-t-il eu ? L’année dernière, dans un rapport sur les biotechnologies que j’avais établi avec l’ancien président de l’Office, Jean‑Yves Le Déaut, nous avions demandé que les enjeux du débat sur la bioéthique soient présentés aux classes de terminale, de façon à associer le maximum de personnes et, surtout, à les préparer à ce qui va les concerner peut-être encore plus que nous.

J’ai bien entendu les remarques du professeur Delfraissy et d’Alain Milon. Le choix d’ouvrir le champ des États généraux à des sujets qui ne relèvent pas de la bioéthique, encore moins de la future loi de bioéthique, n’a-t-il pas contribué à quelque peu polluer les débats ? Cela ne va-t-il pas empêcher de centrer la future loi sur les vraies questions ? Nos concitoyens sont-ils prêts à accepter qu’il ne soit question, dans cette loi, ni de la fin de vie, ni de la PMA, ni de la GPA ? Je jetais un œil sur Twitter pendant que le professeur Delfraissy s’exprimait : ses propos, pourtant très clairs, suscitaient déjà des critiques et des remises en cause.

M. Gérard Longuet, sénateur, président de l’Office. – Le pire serait de susciter l’indifférence !

M. Jean-François Delfraissy. – Il n’y a pas vraiment eu de comités lycéens à proprement parler. Le comité citoyen n’a pas d’équivalent et il s’est organisé en toute indépendance par rapport au CCNE. C’est dans le cadre des espaces de réflexion éthique régionaux qu’ont pu se dérouler un certain nombre d’ateliers au sein des lycées. J’ai ainsi accompagné les représentants de l’espace de réflexion éthique de la région parisienne dans plusieurs établissements en banlieue et à Paris intra-muros. Par ailleurs, le CCNE a organisé, voilà maintenant trois semaines, une grande réunion avec 400 lycéens venus de toute la France et qui ont souhaité que la discussion mêle différents sujets : science, technologie, mais aussi PMA.

Sur le fond, cela nous ramène à l’épineux problème de la formation, évoqué à plusieurs reprises, avec cette question récurrente : comment aller au-delà de ce mouvement qui s’est créé au cours des derniers mois et formuler des propositions ? Ce sera l’un des objectifs de l’avis que le CCNE publiera au mois de septembre. Dans le rapport de synthèse, le CCNE est resté neutre et s’en est tenu à décrire de façon factuelle ce qu’il a lu et entendu. La formation à la réflexion éthique dans notre pays est un élément essentiel. Elle doit être repensée, reconsidérée au niveau de l’éducation nationale, mais pas seulement. Passé le lycée, on constate une véritable appétence de nos concitoyens pour ces sujets. D’une certaine façon, les espaces de réflexion éthique régionaux constituent une première réponse : la dynamique est maintenant engagée et l’on sent une volonté de poursuivre le débat.

Bien évidemment, il est tout à fait logique d’entendre les positions qui viennent de s’exprimer sur la dissociation entre sujets sociétaux et sujets centrés sur la biotechnologie. Le CCNE, indépendamment de la révision de la loi de bioéthique, s’inscrit lui-même dans cette dualité. Notre cœur de métier, c’est de nourrir la réflexion sur les sujets éthiques issus de la science. Inversement, il est des sujets sociétaux qui posent directement un certain nombre de questionnements éthiques. Mon prédécesseur avait déjà mis en place une réflexion sur des thématiques comme santé et migrants, santé et environnement. Le CCNE a rendu un avis sur le vieillissement. Nous sommes complètement en phase avec cette double vision. Ce n’est pas toujours facile mais c’est essentiel pour un organisme de ce type. Je comprends parfaitement que l’Office place au cœur de sa réflexion les sujets autour de la science et des avancées de la biotechnologie.

M. Gérard Longuet, sénateur, président de l’Office. – Mes collègues et
moi-même étant tous membres d’une commission permanente – lois, affaires sociales, finances… –, nous pouvons y exprimer nos convictions sur les sujets de société et l’application de la science. Dans le cadre de l’Office, nous souhaitons rester ceux qui s’efforcent d’établir l’état de l’art.

M. Claude Kirchner, membre du CCNE. – Je suis directeur de recherche émérite à l’Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA) et membre du CCNE depuis décembre dernier. La révolution numérique impacte tous les domaines. Dans le cadre des États généraux, nous nous sommes plus spécifiquement intéressés aux aspects santé et bioéthique du numérique. Par rapport à d’autres sujets, les débats ont été très consensuels et ont permis de dégager trois grands constats.

Premièrement, l’apport du numérique dans le domaine de la santé est globalement positif pour nos concitoyens, pour les patients, pour les personnels de santé. Deuxièmement, il y a clairement un déficit d’information et de formation pour pouvoir se positionner et prendre les bonnes décisions : les citoyens, les patients et même les professionnels de santé peinent à saisir complètement ce vocabulaire spécifique, à en comprendre toutes les implications. Troisièmement, dans un tel contexte, il est difficile de maîtriser l’ensemble des sujets, d’où une certaine méfiance sur l’impact du numérique sur la santé de façon globale.

Se font alors jour un certain nombre de demandes prioritaires, déjà mentionnées, mais plus spécifiques au lien entre numérique et santé. C’est d’abord le fait que l’humain doit rester véritablement au centre du processus de décision et maître de cette décision, ce qui implique de respecter l’autonomie de chacun et de favoriser la compréhension de tous, notamment sur le fonctionnement des grandes masses de données ou des algorithmes d’apprentissage.

En outre, il importe que le consentement puisse être totalement éclairé. Il y a un besoin fondamental, de la part du citoyen, du patient qui confie ses données dans le cadre médical, de comprendre à quoi elles vont servir, pendant quelle durée et avec quel impact potentiel sur la recherche. Dans le milieu clinique, il peut s’agir de savoir, pour les associations citoyennes de lutte contre les maladies rares, comment partager les informations au bénéfice de tous.

Il est tout aussi fondamental, compte tenu du phénomène de désertification médicale qui touche particulièrement certaines régions de France, de pouvoir recourir à la télémédecine. Cela concerne aussi bien le patient que le médecin : comment maintenir l’empathie via un média technologique ?

Globalement, un certain nombre de thèmes cristallisent les interrogations éthiques : comment s’assurer, dans le cadre de systèmes particulièrement complexes, que le patient donne un consentement éclairé à leur usage ? Qui est responsable en cas d’erreur ? La machine, l’algorithme, le médecin, l’humain ? Quid de la gestion des données massivement collectées par ces systèmes ? Que deviennent-elles ? Qui en a la responsabilité ? Quelle est leur durée de vie ? Que reste-t-il du secret médical ?

Les États généraux ont permis de montrer l’étroite connexion qui existe, à un niveau ou à un autre, entre le numérique, l’intelligence artificielle, la robotique et l’ensemble des autres sujets qui ont été abordés. Tout le monde est concerné : citoyens, patients, personnels médicaux. Au-delà des aspects génomiques et de la télémédecine, c’est l’organisation de l’ensemble du système de santé qui est concernée.

M. Gérard Longuet, sénateur, président de l’Office. – L’organisation du système de santé pose ainsi la question, ô combien inquiétante, de la place du citoyen-patient dans ce système. Il suffit de s’être rendu dans un service d’urgences pour en prendre la mesure.

Mme Florence Gruat, membre du CCNE. – Je suis directrice des soins et docteure en éthique. Ce que vous venez de dire me renvoie particulièrement à mon vécu et aux énormes difficultés que nous rencontrons dans la pratique clinique. La réflexion éthique comme la formation des professionnels est insuffisamment développée pour pouvoir accéder aux processus décisionnels, notamment dans les situations de fin de vie, de limitation ou d’arrêt des thérapeutiques actives.

Nous avons tous, en tant qu’acteurs de santé, été amenés à réfléchir sur l’éthique, à respecter un certain nombre de priorités, de préalables, de prérequis. Nous devons pouvoir disposer d’une évaluation de la loi Claeys-Leonetti de février 2016. L’insuffisance de la formation, la complexité des processus, tout cela explique les difficultés constatées dans l’accueil aux urgences, dans le système de santé au quotidien, ne serait-ce que pour obtenir un rendez-vous. N’oublions pas les personnes les plus fragiles, les plus précaires, qui ne sont pas toujours correctement prises en charge.

Avant d’envisager de nous ouvrir à d’autres domaines, intéressons-nous d’abord au système de santé, qui a grandement besoin d’être amélioré. Je pense notamment aux soins palliatifs : on meurt aujourd’hui encore beaucoup à l’hôpital, mais on n’y meurt pas bien. Il convient également de nous recentrer sur ce que sont les lois de bioéthique, conformément aux choix scientifiques, tant les dangers et les dérives possibles sont nombreux. Il faut considérer tout cela avec une certaine rigueur, en respectant les périmètres et les compétences de chacun.

J’ai pu apprécier la grande richesse des auditions auxquelles j’ai assisté, notamment le souci de responsabilité exprimé au travers des différentes approches qui ont été présentées. Il y a eu beaucoup de dissensus, étape quasi obligatoire avant d’aboutir au consensus. Dans la réflexion éthique, il faut aussi savoir parfois différer certains processus. Nous sommes encore, me semble-t-il, dans un entre-deux. J’entendais dire précédemment qu’il fallait faire attention à ne pas occasionner de fracture au niveau des communautés, des citoyens : c’est un point extrêmement important, qui montre toute l’importance de la réflexion que nous avons à mener.

De ces États généraux de la bioéthique et du travail réalisé au sein du CCNE, je retiendrai les notions de temporalité, de priorité, de prérequis. Le périmètre des lois déjà votées reste encore méconnu et il faut du temps pour que tous puissent se l’approprier et que soient notamment mieux prises en charge les vulnérabilités.

Mme Karine Lefeuvre, membre du CCNE. – Je suis professeure à l’École des hautes études en santé publique et je travaille sur les droits des personnes vulnérables, les questions d’éthique et de démocratie en santé. Je voulais rebondir sur l’interrogation du député et co-rapporteur M. Eliaou : comment faire pour rendre le citoyen sachant ? C’est effectivement une question absolument déterminante au moment où déferle cette vague de démocratie sanitaire, de démocratie en santé, de recherche de l’expression citoyenne. On fait tout pour rendre acteur l’usager en santé, le citoyen de façon générale. Or pour être acteur, il faut connaître les sujets et disposer des outils pour ce faire.

Nous sommes à une période charnière. La consultation citoyenne et le débat public deviennent quasi systématiques. Ce fut le cas pour la stratégie nationale de santé, pour les États généraux de la bioéthique, avec une ampleur beaucoup plus forte que précédemment, pour le plan Grand âge et vieillissement, annoncé pour 2018-2019.

Je retiens des auditions et des manifestations organisées en régions une inquiétude très forte, relayée par les journalistes, des questionnements récurrents sur la manière dont la parole qui s’est ainsi exprimée sera prise en considération. Les citoyens attendent donc beaucoup de leurs représentants à l’Assemblée nationale et au Sénat.

Au-delà des questions de données de santé ou d’intelligence artificielle, il est ressorti de façon transversale une attention portée à l’importance du consentement, au besoin d’information, à la prise en compte des vulnérabilités. Cela dépasse le débat sur les lois de bioéthique.

Mme Caroline Janvier, députée. – Quoique n’étant pas membre de l’Office, j’aurai une série de questions pour le professeur Delfraissy en sa qualité de président du CCNE, questions qui nous renvoient à notre responsabilité de parlementaire. Comment le CCNE va-t-il procéder pour élaborer l’avis qu’il doit publier à la rentrée ? De quelle manière va-t-il colliger les différents éléments qu’il a pu recueillir au travers des différentes interfaces de consultation, que ce soit via les auditions, les débats publics, les contributions sur le site, les apports du comité citoyen ? Quel degré de pondération va-t-il appliquer pour respecter la place de chacun ?

Cela nous renvoie à notre propre façon de traiter toutes ces questions dans le cadre législatif existant et le respect de la hiérarchie des normes, car il nous faut prendre en compte la parole des experts, idéalement dans un processus contradictoire, pour qu’elle ne soit pas le reflet d’intérêts particuliers. L’opinion publique a beaucoup évolué, comme l’a montré un sondage de l’IFOP en janvier. Nous avons, nous aussi, à donner une place à ces différents niveaux de réflexion, à ces différentes approches.

M. Jean-François Eliaou, député, co-rapporteur. – Je souhaite prolonger le propos de ma collègue Caroline Janvier. Comment le CCNE envisage-t-il la loi de bioéthique que l’on va réviser ? Une fois le rapport de synthèse des États généraux et l’avis du CCNE publiés, il restera à élaborer la loi, norme supérieure votée par les représentants du peuple que nous sommes. Il y a là un corpus extrêmement riche, d’autant que les agences de régulation ont leur rôle à jouer. N’oublions pas non plus les textes de loi sur la protection des personnes se prêtant à la recherche, le Règlement général sur la protection des données (RGPD), la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) ainsi que, en matière de déontologie et d’éthique médicale, le Conseil de l’ordre, l’Académie nationale de médecine et l’Académie des sciences. Nous sommes donc un certain nombre de partenaires. La future loi devra-t-elle, à l’instar de la loi de bioéthique de 2011, entrer dans les détails ou bien se cantonner à définir les grands principes, le cadre général, tout ce qui fait notre particularité nationale sur ce que sont l’évolution de la réflexion et les progrès scientifiques et médicaux ?

M. Gérard Longuet, sénateur, président de l’Office. – Professeur Delfraissy, le législateur s’interroge et vous interroge, tant sur l’esprit de synthèse du CCNE que sur la place à accorder au travail qu’il va produire.

M. Jean-François Delfraissy. – Nous tous, nous nous interrogeons, et c’est bien ainsi. J’y insiste, la mission confiée au CCNE d’organiser des États généraux avec la plus grande neutralité possible est un exercice inédit. Le rapport de synthèse s’est efforcé de faire remonter cette série de visions citoyennes. Le CCNE s’est placé dans un rôle différent de son activité habituelle. Nous sommes globalement une assemblée de sachants, d’horizons divers, très multidisciplinaires, avec un tiers de médecins et de scientifiques et deux tiers de non‑médecins et de non-scientifiques, de philosophes, de juristes, de représentants des différentes disciplines des sciences humaines et sociales.

Le CCNE s’est mis, pour le dire ainsi, « au service » des États généraux et s’est interdit de communiquer sa propre position au cours des quatre ou cinq derniers mois. Il a reporté la publication de son avis sur le vieillissement en France, attendu pourtant depuis plusieurs mois, ce qui montre tout le retentissement que l’organisation de ces États généraux a eu sur le fonctionnement du CCNE. Il y a sans doute des leçons à tirer en la matière. Cet avis est sorti au cours du mois de mai, une fois la consultation citoyenne achevée. Je ferai d’ailleurs remarquer qu’un certain nombre de points mis en avant par le CCNE sont repris dans le plan Vieillissement.

Je l’ai dit, le CCNE reprend maintenant sa liberté. C’est un travail à quarante que nous allons mener pour élaborer notre avis, ce qui sera loin d’être facile, surtout dans des délais si courts. Cet avis comprendra probablement quatre parties. Une partie sera consacrée à décrire le contexte actuel au regard des évolutions passées et de la révision de la loi, à identifier les nouveaux enjeux : la médecine business, l’intelligence artificielle. Une deuxième partie s’attachera à récapituler une série de grandes valeurs, exprimées au travers de la consultation citoyenne ou issues de la réflexion du CCNE depuis de nombreuses années. Nous avons déjà publié plusieurs avis portant sur l’AMP, sur la fin de vie, etc. C’est évidemment un long continuum qui nous amène à avoir une réflexion sur tous ces sujets. Une troisième partie sera probablement réservée à certaines thématiques, non encore définies, sur lesquelles nous pourrions émettre un avis plus précis et présenter, notamment à l’adresse de l’ensemble des parlementaires, la vision du CCNE. Une quatrième partie sera centrée sur nos propositions pour éclairer le chemin qui nous attend dans les prochaines années, pour nourrir la réflexion bioéthique en France, pour insister sur le besoin de formation, pour souligner la place à accorder à une structure de réflexion éthique autour du numérique. Le CCNE sera peut-être amené à se positionner sur la future loi, sur ce qu’elle doit contenir ou non.

Reprenant son indépendance, le CCNE va s’appuyer sur le passé, sur sa propre vision d’expert et, bien sûr, sur ce qu’il a lu et entendu au cours des États généraux. Mais il n’est pas là pour répéter les commentaires qui figurent dans le présent rapport de synthèse.

Jean-François Eliaou a insisté, avec juste mesure, sur l’importance, dans une loi, de privilégier une stratégie d’ouvertures plutôt que d’interdits. C’est un message que nous essaierons nous aussi de faire passer. Certains sujets sont d’ores et déjà sur la table et sont cités dans le rapport de synthèse. Le législateur aura ainsi à se prononcer sur la recherche sur l’embryon et à y apporter des définitions très précises, tant sont vastes la méconnaissance du grand public mais aussi des médecins en ce domaine. Sachons bien distinguer l’embryon, les cellules souches, les lignées de cellules souches embryonnaires produites voilà quinze ans et qui sont maintenant éparpillées dans le monde entier sans avoir plus rien à voir avec l’embryon, les IPS – ou PSI, en français, pour cellules souches pluripotentes induites –, etc. À cet égard, les scientifiques ont su se mobiliser à l’occasion des auditions pour mieux clarifier leur pensée : ils sont dans le temps de la clarification, de la justification, dirais-je même, de ce qu’ils font.

M. Jérôme Bignon, sénateur. – Cela va peut-être en surprendre certains, j’ai rapporté un texte de loi sur la bioéthique avec le professeur Mattei en 1994. Je voulais juste faire ce témoignage parce que je ne peux pas résister à être un diplodocus une fois dans ma vie ! Je suis extraordinairement admiratif et reconnaissant du formidable travail que vous faites collectivement. Je suis heureux d’être avec vous aujourd’hui : c’est pour moi une fantastique cure de jouvence ; quel bonheur de voir la capacité d’évolution citoyenne, l’intelligence collective, les progrès d’un parlementarisme moderne !

Ce que Jean-François Mattei et moi avons tous les deux vécu n’avait vraiment rien à voir. Pour l’anecdote, nous devons le fait d’avoir été deux rapporteurs à Pierre Mazeaud, qui présidait la commission des lois de l’Assemblée nationale à l’époque. Pierre Mazeaud est un remarquable juriste mais il a toujours eu une confiance limitée dans les médecins. Il était, pour lui, impensable de laisser les médecins mettre, seuls, les mains dans le code civil. C’est ainsi que j’ai été envoyé en mission pour contrôler le travail de Jean-François Mattei, qui n’avait absolument pas besoin d’être contrôlé. Jeune député, je l’ai pris comme une opportunité fantastique, mais je dois dire que Jean-François Mattei ne m’a pas accueilli avec un grand sourire, il était même fou de rage. Nous avons su tous deux être conciliants et sommes devenus très proches puisque nous avons eu l’occasion de retravailler ensemble, notamment sur le sujet de l’adoption internationale.

Je voulais, par ce témoignage, montrer toute l’importance qu’il y a à mesurer le chemin parcouru. Si les questionnements sont peut-être toujours un peu les mêmes, ayons conscience que le monde, lui, a bien changé.

M. Gérard Longuet, sénateur, président de l’Office. – Il change tous les jours, et de plus en plus vite !

Mme Martine Le Friant, membre du CCNE. – Je suis professeure de droit à l’université. Ce qui m’a frappée, lors des auditions, c’est la grande inquiétude de la population face à l’évolution du système de santé mais aussi l’ampleur de ses attentes à l’égard de la loi.

Dans le cadre de nos travaux, nous constatons que les dernières avancées de la science viennent heurter certaines notions fondamentales du droit. Si la loi doit tenir compte d’une réalité, c’est de cette transformation des valeurs en règles juridiques. Aujourd’hui, certaines valeurs, notamment dans le code civil, sont remises en cause par ces évolutions.

Il a beaucoup été question du consentement. Nous n’échapperons pas à une réflexion sur ce qu’est un consentement et sur ce que doivent être les critères d’un consentement libre et éclairé.

On observe également une remise en cause des fondements de la filiation : qu’est‑ce que la famille et la filiation aujourd’hui ? Notre code civil a une conception extrêmement étroite de ces notions, ce qui soulève de véritables interrogations.

Les évolutions en matière d’intelligence artificielle, enfin, interpellent les juristes : qu’est-ce qu’une donnée ? Qu’est-ce qu’une donnée de santé ? La loi, au sens strict du terme, a probablement quelques adaptations à opérer.

M. Gérard Longuet, sénateur, président de l’Office. – Le droit à la connaissance de ses origines soulève un enjeu politique majeur. Attention, il faut avoir en tête qu’ouvrir un droit positif, même minoritaire, a pour effet d’ouvrir un droit positif qui sera majoritaire. N’oublions pas que demeure le principe de la présomption de paternité : pater is est quem nuptiae demonstrant.

En ouvrant ce droit aux personnes nées par procréation assistée, vous risquez de favoriser son exploitation commerciale. Il faut aborder avec une main prudente et un regard avisé les effets généraux d’une situation particulière.

M. Francis Puech, membre du CCNE. – Je suis professeur honoraire de gynécologie-obstétrique à l’université de Lille. Je voudrais savoir si les parlementaires ont déjà défini le cadre de la révision des lois bioéthiques. Le sénateur Alain Milon a laissé entendre que l’AMP et la fin de vie ne seraient pas au programme.

M. Alain Milon, sénateur, président de la commission des affaires sociales du Sénat. – Je n’ai fait que donner mon avis personnel. Le Sénat – et donc sa commission des affaires sociales – n’a pas encore été saisi du projet de loi par le Gouvernement.

M. Didier Baichère, député, vice-président de l’Office. – L’Assemblée nationale n’a pas non plus été saisie du texte. Cela étant, il est important que le CCNE reprenne sa liberté et exprime son avis. Les parlementaires ont besoin de ses éclairages, qui nous aident à prendre conscience de l’évolution de l’opinion.

M. Jean-François Eliaou, député, co-rapporteur. – Il ne faut pas oublier que, dans nos institutions, le Président de la République a toute légitimité pour prendre des décisions sur un tel sujet, comme l’ont fait ses prédécesseurs à propos de la peine de mort ou de l’avortement. Il n’est pas exclu qu’il puisse avoir une intuition un peu diffuse sur la manière dont la société est en train d’évoluer, en vertu de ce lien particulier qui existe entre un homme, le Président de la République et la nation.

M. Gérard Longuet, sénateur, président de l’Office. – S’agissant d’un projet de loi, la balle est dans le camp de l’exécutif. Au demeurant, dans le cadre des institutions de la Ve République, un texte de cette nature porte évidemment la voix du Président de la République.

Vos interventions démontrent clairement l’irruption du numérique dans le domaine de la santé : il faut s’attendre à de grands bouleversements dans la relation entre patient et médecin et dans l’organisation du système de santé au sens large, depuis la maîtrise des thérapies jusqu’à ses aspects administratifs et financiers.

Sans préjuger du travail des co-rapporteurs, l’Office devra certainement approfondir ce sujet pour être en mesure de fournir un maximum d’informations aux commissions permanentes qui se seront saisies du projet de loi.

M. Jean-François Delfraissy. – Nous vous remercions par avance de tenir compte de nos observations concernant ces questions du numérique et de la santé.

Un groupe de travail, composé de membres du CCNE mais aussi d’experts extérieurs, élabore actuellement un rapport sur cette grande question. Ce rapport matérialise le travail réalisé au quotidien par le CCNE, en parallèle des États généraux de la bioéthique, et le dialogue constant qu’il entretient avec la communauté scientifique.

Pour finir, j’aimerais relayer une question posée par nombre de nos concitoyens : comment se fait-il que, sur certains sujets, notamment sociétaux, il y ait de telles différences entre les pays ? Le débat public et l’expérience française sont aujourd’hui suivis avec beaucoup d’attention hors de nos frontières. Même si la future loi devra certainement prendre en compte les grandes évolutions dont nous avons parlé, il faut bien reconnaître que notre pays a une histoire et une vision particulière de la santé.

M. Didier Baichère, député, vice-président de l’Office. – Pour rebondir sur vos propos, il est regrettable qu’aucune commission des sciences et de la technologie n’ait été créée dans nos assemblées. Avec Cédric Villani, nous tentons d’appuyer la création d’une telle commission dans le cadre de la future révision constitutionnelle, car nous sommes l’un des rares pays à nous en passer. Le débat montre pourtant que, sur ces sujets, il est question non pas seulement de science mais également de valeurs, d’usages et d’éthique dans le cadre d’une discussion de nature législative.

M. Claude Delpuech, membre du CCNE. – Je suis ingénieur, docteur en physique et spécialiste des neurosciences. Les citoyens s’intéressent relativement peu aux aspects scientifiques des questions touchant à la bioéthique. Il faudrait trouver un moyen de leur fournir une information pluridisciplinaire pour qu’ils puissent avoir un avis éclairé.

Dans le domaine des neurosciences, on commence à s’intéresser à la modulation des fonctions du cerveau et, donc, de la personnalité de nos concitoyens, ce qui rejoint la problématique relative au consentement des patients. Les avancées dans ce secteur sont avant tout le fait de scientifiques et d’ingénieurs. Or ces derniers ont très peu participé aux débats. Il y a probablement encore beaucoup à faire pour que la culture scientifique s’approprie une certaine culture de l’éthique.

À ce sujet, il faudrait se demander si un médecin, dans le cadre de la relation particulière qui le lie à ses patients, a l’obligation morale de comprendre le fonctionnement des nouveaux outils mis à sa disposition, alors que l’on entend de plus en plus parler des boîtes noires de l’intelligence artificielle et du deep learning.

M. Gérard Longuet, sénateur, président de l’Office. – Nous sommes bien conscients que le chemin à parcourir est encore long. L’Office gardera contact avec le CCNE, tout en lui laissant la liberté de s’exprimer par lui-même sur le réexamen de la loi de 2011.

Je tiens à vous remercier toutes et tous de votre participation, notamment les représentants du comité citoyen, qui, par leur engagement, leur bonne volonté et leur regard assez décapant, nous obligent à toujours être en éveil !


II.   EXAMEN DU RAPPORT LE 4 JUILLET 2019

Examen du rapport sur l’évaluation, en application de l’article L. 1412-1-1 du code de la santé publique, du rapport de synthèse du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé à la suite du débat public organisé sous forme d’états généraux préalablement à la révision de la loi de bioéthique (Jean-François Eliaou , député, et Annie Delmont-Koropoulis, sénatrice, rapporteurs)

Mme Huguette Tiegna, députée, vice-présidente de l’Office.- Le 12 juillet dernier, l’Office a désigné Jean-François Eliaou, député, et Annie Delmont-Koropoulis, sénatrice, pour évaluer le rapport du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) sur les états généraux de la bioéthique, comme le prévoit l’article L 1412-1-1 du code de la santé publique. Cette désignation est intervenue quelques jours après que le CCNE a présenté devant l’Office tout entier ce rapport de synthèse.

Nos deux collègues rapporteurs étaient alors au milieu de leurs auditions leur ayant permis de nous présenter à l’automne dernier un premier rapport consacré à une évaluation scientifique de la loi de bioéthique de 2011.

Vous vous en souvenez certainement, ce premier rapport, extrêmement complet et précis, a donné lieu à un travail très approfondi de l’Office au cours de deux réunions successives.

L’enjeu du rapport que nos collègues vont nous présenter dans quelques instants est plus restreint car il s’agit d’évaluer le seul rapport de synthèse des états généraux de la bioéthique élaboré par le CCNE à la suite de l’organisation de ces états généraux.

Si l’examen d’un deuxième rapport sur ce sujet de la bioéthique peut paraître redondant, il faut se féliciter néanmoins que l’Office respecte parfaitement la loi qui a prévu qu’il établisse et examine ce rapport.

Mme Annie Delmont-Koropoulis, sénatrice, rapporteure.- Pour équilibrer la présentation de notre premier rapport sur l’évaluation de l’application de la loi de bioéthique de 2011, je vous présenterai l’ensemble de notre projet de rapport, qui vous a été diffusé, et Jean-François Eliaou complétera in fine.

De manière générale, démocratie participative et démocratie représentative peuvent et doivent être complémentaires, voire synergiques, et non antagonistes. Pour cela, les modalités retenues pour leur articulation doivent être bien conçues et bien appliquées.

Le législateur, sur une initiative parlementaire, a confié au CCNE, à côté de sa mission de réflexion éthique indépendante, une mission d’opérateur en tant qu’organisateur des états généraux de la bioéthique, responsabilité qui inclut la présentation d’un rapport de synthèse.

Pour mémoire, le texte de l’article L 1412-1-1 du code de la santé publique est précis ; il dispose que :

« Tout projet de réforme sur les problèmes éthiques et les questions de société soulevés par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé doit être précédé d'un débat public sous forme d'états généraux. Ceux-ci sont organisés à l'initiative du Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé, après consultation des commissions parlementaires permanentes compétentes et de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques.

À la suite du débat public, le comité établit un rapport qu'il présente devant l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, qui procède à son évaluation, en faisant ressortir les éléments scientifiques indispensables à la bonne compréhension des enjeux de la réforme envisagée.»

Nous sommes bien dans le cadre de la préparation d’un projet de réforme de la loi de bioéthique de 2011, que cette loi prévoyait au plus tard en 2018. Par ailleurs, il est clair que les progrès de la connaissance dans ces domaines sont réels et justifient ces états généraux : le rapport d’évaluation de la loi de bioéthique, présenté en novembre dernier, le démontre.

Pour autant, le CCNE n’a consulté l’OPECST que de manière très informelle, par des contacts avec son président et premier vice-président. Le cas précédent, en 2014, allait dans un sens comparable.

Il faut également souligner qu’en 2012, a été ajoutée dans la loi, à l’initiative de l’Office, une appréciation préalable par les commissions compétentes et l’OPECST de l'opportunité, pour le Gouvernement, de mobiliser le concours de la Commission nationale du débat public.

Là non plus, le CCNE n’a pas formellement sollicité l’avis de l’OPECST, bien qu’il ait constaté dans son rapport qu’ayant pris conscience de l’importance de la communication pour faire connaître au plus grand nombre les états généraux et inciter à y participer, il devait « néanmoins de reconnaître que la communication [avait] été tributaire de moyens financiers contraints ». La CNDP aurait peut-être pu l’assister utilement d’une manière ou d’une autre...

Il conviendrait donc que la coordination entre le CCNE et l’OPECST soit plus formalisée à l’avenir. Le pouvoir parlementaire, exercé par les représentants de la Nation, doit être consolidé, voire renforcé, pour tout ce qui concerne les processus de contrôle, d’évaluation et d’évolution des lois de bioéthique.

Le CCNE a également rappelé dans son rapport que les précédents états généraux de la bioéthique, qui se sont déroulés en 2009, avaient consisté en trois réunions avec le public – à Rennes, sur la procréation, à Strasbourg, sur le don d’organes et à Marseille, sur les cellules souches – et que le rapport de synthèse avait été réalisé sous l’égide du ministère de la santé.

Un des acquis des états généraux de 2009 consiste dans la possibilité :

– pour les experts, de dépasser la stricte défense d’intérêts, fussent-ils scientifiques ou propres à l’art médical, pour y ajouter une responsabilité d’information à l’égard de non-spécialistes qui font l’effort de s’impliquer dans une réflexion personnelle et collective ;

– pour les participants, d’aller au-delà de l’expression d’un point de vue « figé » pour s’engager à discuter, c’est-à-dire argumenter, et donc d’admettre la possibilité d’une position autre.

Dans le cas actuel, le CCNE a lancé les états généraux de la bioéthique le 18 janvier 2018. La consultation sur un site internet spécifiquement créé à cet effet s’est tenue jusqu’au 30 avril 2018. Le rapport de synthèse a été approuvé par le CCNE en formation plénière, à l’unanimité de ses membres, le 31 mai 2018.

Conformément à la loi de 2011, ce rapport a été formellement remis, puis présenté devant l’Office par M. Jean-François Delfraissy, président du CCNE, le 7 juin 2018. La loi de 2011 a confié à l’OPECST la tâche d’évaluer ce rapport de synthèse, « en faisant ressortir les éléments scientifiques indispensables à la bonne compréhension des enjeux de la réforme », et l’Office a désigné comme rapporteurs les mêmes que pour l’évaluation de l’application de la loi de bioéthique de 2011.

Par souci de cohérence dans leur démarche, ces mêmes rapporteurs se sont attachés à ne pas inclure dans le champ de ce second rapport certains thèmes, qu’ils ne considèrent pas comme « scientifiques » à proprement parler, et que le CCNE a choisi, lui, d’inclure dans celui des états généraux, mais sous la qualification spécifique de thèmes « en résonance avec les préoccupations sociétales », donc hors du champ de compétences de l’Office.

En deuxième lieu, nous vous proposons d’évaluer la méthodologie suivie par le CCNE, en nous appuyant sur les exigences en la matière de la Commission nationale du débat public, la CNDP, autorité administrative a priori la plus compétente pour l’organisation de débats publics sur l’environnement. Pour celle-ci, les « valeurs essentielles qui sont autant de principes nécessaires à la bonne organisation des débats publics » sont l’indépendance, la neutralité, la transparence, l’égalité de traitement, l’argumentation. Il semblait naturel d’appliquer cette « grille de lecture » à la consultation publique dont rend compte le rapport de synthèse du CCNE.

Quand elle évoque l’indépendance, la CNDP fait référence à son statut d’autorité administrative indépendante, c’est-à-dire d’institution de l’État placée en dehors des hiérarchies administratives traditionnelles. Il en est de même pour le CCNE.

S’agissant de la neutralité, l’organisateur du débat public ne doit en aucun cas exprimer un avis ou une recommandation sur le fond du dossier, mais établir un bilan du déroulement du débat et les conclusions et enseignements à en tirer pour la poursuite du projet.

De ce point de vue, le CCNE a délimité lui-même, en amont de la consultation, les neuf thèmes sur lesquelles elle porterait :

▪ Six domaines « où les progrès scientifiques ont été constants » :

– la recherche sur l’embryon humain et les cellules souches embryonnaires humaines,

– les examens génétiques et la médecine génomique,

– les dons et la transplantation d’organes,

– les neurosciences,

– les données de santé,

– l’intelligence artificielle et la robotisation.

▪ Un thème, la santé et l’environnement, dont l’inscription dans le champ de la consultation « est justifiée par la prise en compte de plus en plus grande de l’impact de l’environnement sur la santé », selon les termes du CCNE.

▪ Deux thèmes « en résonance avec les préoccupations sociétales et qui ont pu, à cet égard, évoluer ces dernières années » :

– la procréation,

– l’accompagnement de la fin de vie.

Ces choix peuvent soulever la question de la neutralité de la procédure utilisée pour les états généraux, puisque les thématiques débattues ont été choisies « en amont » des travaux et que, parmi celles-ci, figuraient la procréation et la fin de vie, qui n’entraient pas explicitement dans le champ de la loi de bioéthique de 2011. Selon le rapport du CCNE lui-même, « ces deux thèmes qui ne relèvent pas véritablement de la bioéthique ont été inclus après discussion […] dans les États généraux, car il a paru important de profiter de cette consultation citoyenne pour recueillir les opinions de la société sur ces deux thèmes. »

Sauf pour l’intelligence artificielle et la robotisation, le CCNE avait déjà pris position sur tous les thèmes en cause, dans l’exercice de sa mission consistant à émettre des avis indépendants. Le rapport écrit en donne le détail. Cela est bien normal, puisque le CCNE se situe depuis sa création au cœur de la réflexion éthique en France et ses avis, qui sont publics, sont depuis l’origine une source permettant la compréhension, dans la durée, des enjeux scientifiques et médicaux de la biomédecine.

Par ailleurs, il existe aussi des critiques tenant à une certaine « proximité » d’approches et de réflexions entre les scientifiques et médecins membres du CCNE et les scientifiques et médecins qui seront éventuellement demandeurs de modifications, d’assouplissements ou d’aménagements des « interdits éthiques » ou plus généralement des règles bioéthiques. À cet égard, on peut souligner que la publication systématique de ses avis depuis la création du CCNE et son choix d’expliciter les données et arguments scientifiques et médicaux qui les fondent, garantissent la possibilité de soumettre le raisonnement tenu à l’appréciation critique des scientifiques et non-scientifiques, des médecins et des associations de malades, des diverses institutions publiques… L’OPECST peut ainsi lui-même mobiliser les expertises à sa disposition pour les analyser.

En ce qui concerne la transparence, il faut la comprendre comme la nécessité de s’assurer que l’ensemble des informations et des études disponibles sur le sujet a été mis à la disposition du public. Au cours du débat, aucune question ne doit être écartée, aucune censure exercée.

De ce point de vue, le site internet participatif mis en place par le CCNE a comporté, pour chacun des thèmes retenus :

-          une partie informative comprenant :

-          une partie consultative clairement identifiée, avec une introduction et des exemples de questions à débattre.

On peut constater que les questions posées permettent effectivement d’engager la réflexion éthique, en l’état actuel de chaque domaine en cause, à partir du moment, du moins, où l’on a préalablement fourni un investissement de compréhension des données scientifiques, médicales et techniques qu’il comporte, facilité par la vulgarisation, au sens académique, remplie par les différentes institutions en charge des domaines considérés.

S’agissant de l’égalité de traitement, pour la CNDP, il importe que soient mis en œuvre tous les moyens nécessaires pour que chacun – citoyen, association, etc. – quelles que soient son opinion, ses implications, ses motivations, puisse s’exprimer et soit traité de la même manière. Le rapport détaille l’ensemble des auditions menées par le CCNE, en grand nombre et sans oubli notable. Il a contacté 400 organisations pour leur proposer d’être entendues. 154 auditions ont eu lieu, dont 88 d’associations et 36 de sociétés savantes.

Comme l’indique le CCNE, « Les auditions (…) ont constitué non pas des lieux de débat, mais plutôt des moments de clarification, d’explicitation de la part des organisations qui avaient répondu à cette invitation. ».

Enfin, pour ce qui est de l’argumentation, il s’agit de veiller à ce que les participants puissent apporter des arguments expliquant leur point de vue. Le débat public est un temps d’échanges et de discussion dans le processus de décision et ne peut être assimilé à un sondage ou à un référendum.

Le site internet a été accessible pendant 78 jours, du 12 février au 30 avril 2018 et a eu :

– 183 498 visiteurs uniques ;

– 29 032 participants ayant apporté 64 985 contributions : 3 755 nouvelles propositions se sont ajoutées aux 115 propositions initiales [du CCNE], propositions elles-mêmes soumises à l’avis des internautes qui étaient appelés à déposer leurs « arguments » en faveur ou en défaveur des propositions (60 493 au total) » ;

– les contributions ont porté très majoritairement (69 %) sur les deux thèmes choisis par le CCNE « en résonance avec les préoccupations sociétales et qui ont pu, à cet égard, évoluer ces dernières années » (soit, procréation et société : 45 %, prise en charge de la fin de vie : 24 %) ;

– les 28 % des contributions relatives aux domaines « où les progrès scientifiques ont été constants » ont correspondu pour 12 % aux cellules souches et recherche sur l’embryon, 5 % aux examens génétiques et la médecine génomique, 4 % aux dons et transplantations d’organes, 3 % à l’intelligence artificielle et robotisation, 2 % aux neurosciences, 2 % aux données de santé. Cette répartition peut sembler valider sociétalement le choix du CCNE d’inclure des sujets hors de la loi de bioéthique.

Outre le site internet, ont eu lieu des consultations et des événements organisés par les espaces éthiques régionaux, en particulier sur les thèmes « procréation et société » et « examens génétiques et médecine génomique ».

Par ailleurs, le CCNE a mis en place un comité citoyen, dans le cadre des états généraux que la loi le chargeait d’organiser. Le CCNE n’est pas l’auteur des « Opinions de ce comité citoyen », qui ont été présentées à l’OPECST par ses membres, le 7 juin 2018 de manière distincte. Le comité citoyen était composé de 22 personnes, mandatées pour faire une lecture critique des États généraux de la bioéthique. Ses membres, âgés de 18 ans et plus, reflétant la diversité de la population française en termes de sexe, d’âge, de catégorie socioprofessionnelle et de lieu d’habitation, avaient été recrutés et animés par l’entreprise Kantar Public.

Il ne s’agissait pas de constituer un échantillon statistiquement représentatif de la population, qui n’aurait pas de sens sur un panel aussi réduit, mais seulement de refléter et représenter la diversité de la population française. Les notions de majorité et de minorité évoquées dans les opinions publiées doivent donc être considérées avec prudence et uniquement en termes qualitatifs et non quantitatifs.

Ce comité a rédigé des avis sur deux sujets du domaine de compétence de l’Office : le processus des États généraux de la bioéthique et la génomique préconceptionnelle. Sur le processus, le comité observe qu’il y a eu des débats nombreux en région, avec une bonne fréquentation, et fait deux observations : la parole militante a parfois prédominé, gênant l’échange ; et une certaine inégalité territoriale, certaines régions ayant accueilli moins de débats que d’autres. Le comité citoyen a suggéré également la création d’un comité citoyen permanent, mais renouvelé régulièrement, pour jouer le rôle de relais du CCNE dans l’opinion publique et offrir un éclairage citoyen au CCNE. Un tel comité citoyen permanent pose toutefois la question de son articulation avec la démocratie représentative et suscite une grande réserve de la part de vos rapporteurs.

Enfin, le comité citoyen a estimé trop long le délai de sept années entre deux révisions des lois de bioéthique prévu par la loi en vigueur, et a proposé de le ramener à cinq ans, ce qui semble de bon sens.

Sur le second thème, le comité citoyen a fait apparaître des oppositions analogues à celles constatées sur le site du débat public. Ainsi, une « majorité » des membres souhaitent rendre les données issues des tests génétiques accessibles à la recherche de façon anonyme, mais leur communication aux patients sans leur consentement fait débat. De même, pour le diagnostic préconceptionnel, une « majorité » des membres étaient favorables à le permettre pour tous, mais une forte minorité plutôt à le limiter aux populations à risque.

Un troisième avis du comité citoyen a porté sur la fin de vie, qui ne faisait pas partie du champ de la révision de la loi de bioéthique à proprement parler, ni du champ des avancées de la science justifiant une évaluation par l’Office.

En tout état de cause, il faut insister sur le fait que les consultations des citoyens par voie numérique mises en place par le CCNE, ou via le comité citoyen, n’ont aucune représentativité statistique puisque les observations sont déposées sur la base du volontariat, avec de nombreux biais : le souhait de déposer des observations sur internet est en soi un critère différenciant, excluant les non-utilisateurs d’internet et ceux qui ne manifestent pas leur opinion même s’ils en ont une, etc.… ; le même internaute peut déposer autant de contributions qu’il souhaite ; etc.

L’analyse de résultats chiffrés doit rester très prudente : comme souvent dans ce type d’exercice, les « sachants », ceux qui ont déjà eu l’occasion de construire une réflexion sur ces sujets complexes, et les « militants » qui défendent une cause, sont ceux qui s’expriment le plus spontanément. La fréquence des prises de position en faveur de telle ou telle évolution ne dit rien, par elle-même, de leur représentativité au sein de la population française. Il faut insister sur le fait que ces différentes consultations ne sauraient « représenter » les opinions de la population française et ne doivent être prises en compte que qualitativement et non quantitativement.

En troisième lieu, j’en viens à qu’il convient de souligner dans la présentation par le CCNE des enseignements à retirer des états généraux pour les thèmes présentant une dimension scientifique, technique ou médicale, sans entrer dans le champ des débats dits de société.

– sur la recherche sur l’embryon et les cellules souches humaines : le CCNE souligne que les intervenants se sont prononcés sur le principe des recherches plutôt que sur les avancées scientifiques, avec des « assertions émises de façon peu argumentées » scientifiquement ;

– sur les examens génétiques et la médecine génomique : le CCNE met en avant le besoin qui s’est exprimé d’information sur les examens génétiques et la médecine génomique, ainsi que le souhait d’une transmission des résultats des examens génétiques appelant accompagnement et encadrement. Quant aux demandes d’évolutions législatives, elles sont plutôt le fait des experts, en particulier l’extension du diagnostic préimplantatoire aux aneuploïdies ;

– sur les dons et transplantations d’organes, le CCNE constate que « le don et la greffe d’organes n’ont pas été remis en cause en tant que tels » et que « les principes de gratuité, d’anonymat et de consentement au prélèvement font consensus. » Il constate également que, hormis pour le don de gamètes, les dons de produits du corps humain ont été absents des débats, en particulier le don de cellules souches hématopoïétiques ;

– sur les neurosciences, le CCNE souligne le faible nombre de préconisations concrètes, tant de la part « de la société civile » que des sociétés savantes, le rappel « de grands principes » ayant prévalu, « qui ont, pour la plupart, fait consensus », notamment l’intérêt de la recherche, mais aussi la nécessité de protéger les données individuelles, le constat de la complexité du cerveau, le principe de la justice sociale notamment eu égard aux techniques de neuro-amélioration ;

– sur les données de santé, l’intelligence artificielle et la robotisation : le CCNE relève que les contributions sont formulées en termes de principes généraux, les participants aux débats ou aux auditions ayant insisté sur le déficit général d’information technique (anonymisation, pseudonymisation, sécurisation des données). Les préoccupations visent une demande d’explications sur le fonctionnement des outils numériques et l’exploitation des données collectées, la crainte d’« une perte de la relation humaine qui s’établit entre le patient et le médecin, avec, à terme, le risque que la décision médicale soit imposée par l’outil numérique et non plus explicitée et partagée entre le patient et le médecin » et « une méfiance partagée quant au devenir des données et au risque de leur exploitation malveillante, coercitive ou commerciale, en particulier vis-à-vis de personnes vulnérables, par des assureurs, ou des plateformes médicales, voire l’assurance maladie ».

Sur l’IA plus spécifiquement, le CCNE constate que, « quel que soit le canal par lequel sont remontées les réflexions », prévaut la considération des « promesses » de ces nouvelles technologies : « mettre un frein à leur développement (…) pourrait être analysé comme contraire à l’éthique. ». Pour autant, « des interrogations voire des inquiétudes » existent sur le risque de déshumaniser la médecine.

En résumé, les rapporteurs de l’Office constatent la comparabilité, voire l’identité, des enseignements des états généraux avec les informations qu’ils ont recueillies à l’occasion de leur évaluation pour l’Office de l’application de la loi de 2011 relative à la bioéthique.

En quatrième lieu, quelles sont les pistes d’action du CCNE, après ces états généraux ?

Tout d’abord, le CCNE souligne le besoin d’information, essentiel « non seulement pour les citoyens qui se sont exprimés, mais aussi pour les professionnels de santé ». Il estime aussi que, malgré ses efforts de pédagogie, « l’appropriation du contenu technique des questions mises en débat n’a été que partielle, ce qui a pu entraver la bonne compréhension des enjeux. »

L’Office scientifique a un rôle à jouer en la matière, et certains sujets requièrent qu’il se saisisse à intervalles plus courts que ceux de la révision de la loi de bioéthique. Pour cela, on pourrait suggérer de plus s’appuyer sur le rendez-vous annuel fixé par la loi avec l’Agence de biomédecine, en prévoyant des tables rondes annuelles, ou tous les deux ans, plutôt qu’un simple compte rendu d’activité de l’agence. De même, l’Office gagnerait à avoir la possibilité de s’autosaisir des sujets en temps opportun, mais la question de l’autosaisine de l’Office doit être traitée ailleurs que dans le cadre de la loi de bioéthique, qui ne constitue pas le « véhicule législatif » adapté pour ce faire.

Le CCNE relève aussi une adhésion assez générale au principe de la recherche, ce qui est heureux, qu’il s’agisse de la recherche en neurosciences, qui fait consensus ; ou du développement des recherches en génétique « encouragé par une majorité des participants ». En ce qui concerne les recherches sur l’embryon et sur les cellules souches embryonnaires, les positions « restent très opposées ». Les participants se sont prononcés sur la question même de l’autorisation des recherches ; les scientifiques et les sociétés savantes mettent en avant, eux, les avancées scientifiques, et suggèrent une distinction, dans la loi, entre la recherche sur l’embryon et la recherche sur les cellules souches embryonnaires, en particulier sur les lignées cellulaires. Un certain consensus est apparu sur la nécessité d’un encadrement législatif de ces recherches. Une demande consensuelle est que la loi pose des limites à ne pas franchir. 

Enfin, pour les participants, des attentes et des craintes sont directement liées aux évolutions de la technique et de la pratique médicales, notamment l’acte de soin et la relation patient-médecin à préserver et l’utilisation des données de santé, dans le sens des conclusions de l’Office après l’audition publique du 24 février dernier sur l’IA et les données de santé.

Ces préoccupations rejoignent les recommandations présentées en conclusion de l’évaluation de l’application de la loi du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique.

Plus généralement, on ne peut que donner acte au CCNE de la rigueur et de la conscience avec lesquelles il a rempli, en 2018, la tâche d’organisateur des états généraux de la bioéthique que lui confie la loi, et de la qualité, à tous égards, de son rapport de synthèse.

Il y a plus matière à s’interroger sur la forme, sur la coordination formelle avec l’OPECST telle que prévue par la loi – il conviendra à l’avenir que les consultations prévues soient véritablement effectives -, et, sur le fond, sur l’adjonction aux états généraux de la bioéthique, conçus par le législateur pour des motifs liés à l’avancée des connaissances scientifiques, techniques et médicales, de sujets plus sociétaux voire relevant d’options philosophiques, comme la fin de vie.

M. Jean-François Eliaou, député, rapporteur.- Je confirme en tous points la présentation que vient de faire ma collègue sénatrice, et insisterai seulement sur trois aspects.

Tout d’abord, nous estimons que la relation de l’Office avec le CCNE devrait être aussi étroite que possible, en amont du débat public et dans le cadre de l’organisation du débat public, notamment pour ce qui concerne l’éventuel appui de la CNDP évoqué par la loi.

En second lieu, la consultation menée comprend un biais intrinsèque, que ce soit sous sa forme présentielle ou par voie numérique, et ne repose sur aucune forme d’échantillonnage. En particulier, les reprises dans les médias des opinions formulées doivent être regardées avec prudence, et uniquement en termes qualitatifs.

J’ai par ailleurs été très étonné que soient inclus dans ce débat public des questionnements hors loi de bioéthique, qui se limite en principe à la prise en compte de l’incidence des progrès médicaux. C’est bien pour cette raison que nous avions nous-mêmes choisi de ne pas commenter, dans notre premier rapport, la question de l’extension de la PMA.

Mme Huguette Tiegna, députée, vice-présidente de l’Office.- Je tiens à féliciter nos deux rapporteurs pour la qualité et la richesse de leur travail. Il est vrai par ailleurs que le débat médiatique se concentre en règle générale sur l’émotion, plus que sur la raison.

M. Patrick Hetzel, député, vice-président de l’Office.- Je m’associe bien volontiers aux remerciements faits à nos deux rapporteurs, et ferai deux remarques. La première est qu’effectivement, une meilleure coordination en amont avec le CCNE serait souhaitable. La seconde est que les questions de bioéthique les plus scientifiques ont pu être quelque peu occultées par les débats les plus médiatiques, entraînant une certaine déformation du débat public. En tout état de cause, le rapport du CCNE sur le débat public ne saurait être considéré comme reflétant l’état de l’opinion publique.

M. Jean-François Eliaou, député, rapporteur.- En effet, la consultation telle qu’elle a été menée met plus en exergue les positions des « sachants » et celles des « militants » que les autres. Je souhaite conclure notre présentation en rappelant que ceux-ci auront duré un an et demi environ au total.

Mme Annie Delmont-Koropoulis, sénatrice, rapporteure.- S’agissant du CCNE, peut-être certains de ses membres ont-ils souhaité optimiser l’attractivité de la consultation publique, qui aurait sans doute été moindre si certains des thèmes inclus dedans ne l’avaient pas été ?

Mme Huguette Tiegna, députée, vice-présidente de l’Office.- Je vous propose d’autoriser la publication du rapport.

La publication du rapport d’évaluation du rapport de synthèse des états généraux de la bioéthique par le CCNE est autorisée à l’unanimité.

 


([1]) Rapport de synthèse, page 7, où figure également la liste des membres du comité de pilotage.

([2]) Les noms des membres du CCNE figurent à l’annexe 2 du rapport de synthèse.

([3]) Rapport de synthèse, page 148.

([4]) Rapport général sur les états généraux de la bioéthique, 1er juillet 2009, pages 11 et 12, les expressions ont été surlignées dans le rapport général lui-même.

([5]) Article 46 de la loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique, modifié et codifié à l’article L1412-1-1 du code de la santé publique :

 « Tout projet de réforme sur les problèmes éthiques et les questions de société soulevés par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé doit être précédé d'un débat public sous forme d'états généraux. Ceux-ci sont organisés à l'initiative du Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé, après consultation des commissions parlementaires permanentes compétentes et de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques. L'avis des commissions compétentes et de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques inclut une appréciation sur l'opportunité, pour le Gouvernement, de mobiliser, dans les conditions prévues à l'article L. 121-10 du code de l'environnement, le concours de la Commission nationale du débat public.

 À la suite du débat public, le comité établit un rapport qu'il présente devant l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, qui procède à son évaluation, en faisant ressortir les éléments scientifiques indispensables à la bonne compréhension des enjeux de la réforme envisagée.

 En l'absence de projet de réforme, le comité est tenu d'organiser des états généraux de la bioéthique au moins une fois tous les cinq ans. »

([6]) Le compte rendu de cette audition figure en annexe au présent rapport au titre des travaux de l’Office.

([7]) Même référence que la note précédente.

([8]) OPECST, rapport sur l’évaluation de la loi du 7 juillet 2011, M. Jean-François Eliaou, député, et Mme Annie Delmont-Koropoulis, sénatrice, rapporteurs, 25 octobre 2018.

([9]) Georges Gusdorf, De l’histoire des sciences à l’histoire de la pensée, Payot éd., page 197. Cf. extrait en Annexe 1.

([10]) Article L. 1412-3-1 du code de la santé publique : « Les états généraux mentionnés à l'article  L. 1412-1-1 réunissent des conférences de citoyens choisis de manière à représenter la société dans sa diversité. Après avoir reçu une formation préalable, ceux-ci débattent et rédigent un avis ainsi que des recommandations qui sont rendus publics. Les experts participant à la formation des citoyens et aux états généraux sont choisis en fonction de critères d'indépendance, de pluralisme et de pluridisciplinarité. »

 En l’espèce, une seule conférence de citoyens a été réunie par le CCNE en accompagnement des états généraux de la bioéthique.

([11]) http://www2.assemblee-nationale.fr/static/reforme-an/democratie/Rapport-democratie-2017-11-22.pdf

([12]) Il l’avait cependant déjà exprimée en 2013, comme il sera rappelé ultérieurement.

([13]) Avis n° 126, pages 45 et 46.

([14]) Comme rappelé ultérieurement.

([15]) Rapport de synthèse, page 4. 

([16]) Rapport de synthèse, pages 5 et 6.

([17]) Telle que prévue par l’article .L.1412-1-1 du code de la santé publique.

([18]) « Des développements scientifiques qui s’intensifient depuis plusieurs années font émerger de nouveaux défis et soulèvent, au-delà de leur complexité spécifique, des questionnements éthiques dans le domaine des sciences de la vie, de l’ingénierie liée à ces applications ».

([19]) Rapport de synthèse, pages 9 et 10.

([20]) Commission nationale du débat public, site internet www.debatpublic.fr

([21]) Rapport de synthèse, page 8.

([22]) À noter que, contrairement à ce qu’a indiqué le président du CCNE devant l’OPECST, le 21 mai 2013, des états généraux de la bioéthique sur la fin de vie se sont déjà tenus en 2014.

([23]) CCNE, questionnement pour les états généraux de la bioéthique, 9 octobre 2008, page 1.

([24]) OPECST, rapport sur l’évaluation de la loi du 7 juillet 2011, M. Jean-François Eliaou, député, et Mme Annie Delmont-Koropoulis, sénatrice, rapporteurs, 25 octobre 2018.

([25]) Il convient de toujours se méfier de toute attitude qui, sous le couvert des « conséquences nécessaires de la science », tenterait, de façon masquée, de servir un « agenda » d’intérêts très concrets et spécifiques, qu’ils soient intellectuels, idéologiques, corporatistes, clientélistes, etc. Dickens le notait déjà de façon humoristique : selon la façon dont on rapproche les indices, on obtient une femme d’un côté et un poisson de l’autre, ou bien on obtient une sirène.

([26]) Rapport de synthèse, page 13.

 

([27]) Rapport de synthèse, page 9.

([28]) Rapport de synthèse, page 13.

([29]) Annexe IV, page 168.

([30]) Rapport de synthèse, page 148.

([31]) Rapport de synthèse, pages 10 et 11.

([32]) Selon ses propres termes, rapport de synthèse, page 8.

([33]) Rapport de synthèse, page 8.

([34]) Rapport de synthèse pages 26 et 27.

([35]) Avis page 50.

([36]) Rapport de synthèse, pages 42 et 43.

([37]) Avis page 65.

([38]) Rapport de synthèse, pages 60 et 61.

([39]) Avis page 79.

([40]) Rapport de synthèse, page 71.

([41]) Avis page 87.

([42]) Rapport de synthèse, pages 82 et 83.

([43]) Rapport de synthèse page 150 et avis page 95.

([44]) Rapport de synthèse, pages 96 et 97.

([45]) Cf. annexe 4.

([46]) Les rapporteurs ont pu le constater lors des auditions qu’ils ont conduites pour évaluer l’application de la loi du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique

([47]) Rapport de synthèse, pages 151 et 152.

([48]) Rapport de synthèse, page 153. 

([49]) Rapport de synthèse, page 154.

([50])  Cf annexe 5.

([51]) OPECST, compte rendu n° 30, mardi 21 mai 2013, séance de 17 h 30, page 2.

([52]) Au cours de cette audition, dans le compte rendu qui en a été fait, la question de la fin de vie n’a été évoquée que de manière très rapide. Cf. compte rendu in fine de la présente annexe 2.

([53]) OPECST, rapport précité du 5 mars 2015, page 11.

([54]) CCNE, avis n° 121 du 30 juin 2013, page 3.

([55]) CCNE, rapport précité du 21 octobre 2014, pages 2 et 3.

([56]) Dans le cadre d’une  formalité au moins triple : consultations de la ou des commissions de l’Assemblée nationale, de la ou des commissions du Sénat et de l’OPECST.

([57]) Le CCNE n’y fait référence ni dans son avis n° 126 du 15 juin 2017 sur les demandes sociétales de recours à l’assistance médicale à la procréation, ni dans son rapport de synthèse du 31 mai 2018 sur les états généraux de la bioéthique de 2018 .

([58]) À noter que l’Office avait été innovant dans ce domaine, en organisant une conférence citoyenne il y a plus de vingt ans, le 22 juin 1998, sur le sujet des OGM.

([59]) https://etatsgenerauxdelabioethique.fr/media/default/0001/01/cd55c2a6be2d25e9646bc0d9f28ca25e412ee3d4.pdf

 p. 201 et ss.